Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série: VII. Comme Joseph, au service de Pharaon

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    Textes spirituels dIbn Taymiyya. Nouvelle srie

    VII. Comme Joseph, au service de Pharaon Jai tu Pharaon , proclama lassassin du prsident gyptien

    Anouar el Sadate le 6 octobre 1981. Depuis, bombistes enturbanns etmauvais orientalistes suggrent lunisson quil ny aurait dautremanire islamiquement correcte de se situer face aux pharaonsmodernes que le tyrannicide1. Et, cerise sur le gteau de lineptie, unetelle drive aurait la bndiction urbi et orbi de nul autre que le

    Shaykh al-Islm Ibn Taymiyya !Mais quid, alors, de Joseph ? Ainsi que clairement indiqu dans le

    Coran et expliqu par Ibn Taymiyya dans les pages qui suivent,Joseph ne fut pas seulement nomm la tte de la trsorerie duterritoire des pharaons mais demanda expressment de ltre. Cest--dire quil se mit spontanment au service dun tat mcrant, toutconscient quil ait t, dune part, que ses institutions ntaient pasfondes sur la tradition (sunna) des Prophtes et leur justice (adl) et, dautre part, quil ne lui serait pas possible dy mettre en uvretout ce quil considrait comme relevant de la religion de Dieu .Cest cependant parce quil sinvestit ainsi dans une socit nonmusulmane en y contribuant, autant quil le put, faire rgner lajustice et le bel-agir (isn) , quil fut finalement capable, grce sonpouvoir, daider sa famille, reste en Palestine

    Cet appel souvrir aux non-Musulmans et sintgrer activement

    dans la socit, dfinir avec souplesse les vritables priorits reli-gieuses dans un milieu donn, au del de tout blocage absolutiste surdes prescriptions risquant de devenir des obstacles majeurs, nestradical que par son bon sens et son intelligence, son pragmatisme et safidlit aux idaux coraniques et prophtiques. En toute chose, cest letadabbur qui simpose : mditer la situation, peser le pour et le contre,faire le bon choix en cas dalternative, avancer petit petit, se taireparfois plutt que commander ou prohiber, faire grce (afw) decertaines choses Agir ainsi, explique Ibn Taymiyya, ce nest nidclarer licite linterdit (tall), ni laisser tomber lobligatoire (isq),mais judicieusement prendre en compte lintrt prpondrant (malaa rjia) et la ncessit (arra) du moment, en fidledune religion du juste milieu, qui nimpose jamais limpossible etcondamne tout extrmisme, dont lassassinat des tyrans.

    TRADUCTION2Lintelligence vritable et lexercice du pouvoir

    L[homme] intelligent, dit-on, nest pas celui qui reconnat lebien du mal. L[homme] intelligent est seulement celui quireconnat le meilleur de deux biens et le pire de deux maux. Ondclame aussi [ces vers] :

    Quand deux maladies diffrentes en son corps apparaissent,

    L[homme] sens soigne la plus dangereuse.

    Ceci vaut aussi pour le reste des affaires. Le mdecin a parexemple besoin de renforcer la vigueur [de son patient] et derepousser la maladie ; or une saigne3 est un moyen de lesaccrotre toutes les deux simultanment. En cas de pleinevigueur, pour affaiblir la maladie, il prfre (rajjaa) donc y

    renoncer, tandis quen cas de faiblesse de la vigueur, il enpratique une. En effet, lutilit quil y a faire subsister lavigueur et la maladie prvaut sur [celle quil y aurait ] les fairesen aller ensemble, le dpart de la vigueur entranantncessairement la perdition.

    1. Voir G. KEPEL, Le Prophte et Pharaon. Aux sources desmouvements islamistes, Paris, Le Seuil, 1993.

    2. IBN TAYMIYYA,MF, d. IBN QSIM, t. XX, p. 54-61. Il sagit dunextrait dun chapitre (fal) sur lincompatibilit (taru) des chosesbonnes et des mauvaises .

    3. al-fid : al-fasd F

    Mdecin saignant une patiente soutenue par sa servante4

    Voil par ailleurs pourquoi, dans les intelligences des gens,[lide] sest installe quen cas de scheresse, la descente de lapluie est pour eux une misricorde : alors mme que, du fait dece que [la pluie] fait pousser, certains groupes sont renforcsdans leur injustice, son absence serait en effet plus gravementnuisible pour les gens. Ils prfrent aussi lexistence dunpouvoir (suln) avec son injustice quune absence de pouvoir.Ainsi un des [hommes] intelligents a-t-il dit : Soixante annesdun sultan injuste valent mieux quune nuit sans sultan5.

    Autant que possible (maa l-tamakkun), le pouvoir (suln)sera ensuite critiqu pour les actes hostiles quil commet etpour ses excs [55] concernant les droits [des gens]. Ici, je diraicependant [ceci] : quand, celui qui est investi (mutawall) dupouvoir gnral ou dune de ses ramifications telles lmirat,un gouvernorat (wilya) ou une judicature, etc. , il nest paspossible de remplir ses obligations et dabandonner les chosesqui lui sont prohibes mais que cet [individu] se propose[daccomplir] des choses [louables] quun autre que lui ne feraitpas, quil sagisse de [les] projeter ou dtre capable [de lesraliser], il lui est permis d[assumer cette] autorit (wilya) etpeut-tre [mme] est-ce obligatoire. Cela parce que, lautorittant dentre les impratifs dont il est obligatoire de faire se

    produire les intrts quils [prsentent] le jihd contrelennemi, la division du butin, la mise excution des peines(add), assurer la scurit des routes , il est obligatoire de larendre effective. Et quand cela entrane ncessairement

    4. Dtail dun bol polychrome, Iran, c. 1200 (Berlin, EhemalsStaatliche Museen) ; voir G. D. GUEST & R. ETTINGHAUSEN, The Iconography of a Kashn Luster Plate, in Ars Orientalis, 4,Washington, Freer Gallery of Art - Chicago (University), Fine ArtsDepartment, 1961, p. 25-64, plate 22, fig. 73.

    5. Ailleurs, cet adage devient : Soixante ans avec un immtyrannique (jir) valent mieux quune nuit sans imm (IBNTAYMIYYA,Minhj, trad. MICHOT, Textes spirituels N.S. IV, p. 4).

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    dinvestir dautorit quelquun qui ne [le] mrite pas, deprendre quelque chose qui nest pas licite et de faire unedonation quelquun qui il ne conviendrait pas [de la faire]mais pour qui il nest pas possible dy renoncer, ceci en vient relever des choses [qui sont telles] que ce qui est obligatoire ouprfrable (mustaabb) ne sachve que grce elles. Cestdonc obligatoire ou prfrable tant donn que le caractrecorrupteur en est infrieur lintrt que cette chose obligatoireou prfrable prsente.

    Bien plus mme, si une [position d]autorit nest pasncessaire, quelle implique de linjustice et que celui qui en estinvesti fait rgner linjustice, quune personne en est alorsinvestie dont lobjectif est par l de rduire linjustice quellecomporte et den repousser la plupart en en supportant unminimum, cela, avec une telle intention (niyya), est bien et fairela mauvaise action quil fait, avec lintention de repousserquelque chose de plus grave quelle, est excellent.

    Joseph sur son trne, recevant ses frres1

    Ceci est un sujet qui diffre selon la diffrence des intentionset des objectifs. [Imaginons le cas suivant] : un puissant injusteexige de largent de quelquun et loblige [ payer] ; un hommeintervient alors entre eux deux afin de repousser beaucoup de[cette] injustice de celui qui en est la victime, il prend de lui [delargent] et [le] donne linjuste alors mme quil a choisi de

    1. Miniature dun Falnmeh, Iran, XVIe s. (Washington, Arthur M.Sackler Gallery) ; voir A. TOKATLIAN, Falnamah. Livre Royal desSorts, Paris, Gourcuff Gradenico, 2007, p. 52-54.

    ne pas tre injuste ; si cest possible, il repousse par ailleurs delui cette [injustice] ; [cet intermdiaire] est bel-agissant(musin) tandis que sil intervient pour aider linjuste, il estquelquun de mal-agissant. [56] En ces choses, le plus frquent,cest seulement que lintention et laction sont corrompues ;lintention, par le fait quon vise le pouvoir et largent ;laction, par le fait quon accomplit des choses frappes deprohibition et quon dlaisse ses obligations, sans [agir] pourfaire opposition, ni en visant le plus utile et le plus correct.

    En outre, [assumer] une position dautorit (wilya) peut trepermis, dsirable (mustaabb), ou obligatoire. Pour un hommedidentit prcise, [en assumer] une autre pourrait cependanttre plus obligatoire ou plus dsirable [encore]. ce moment, ildonnera donc la priorit au meilleur des deux biens, pour ce quiest tantt dtre obligatoire, tantt dsirable.

    Joseph et Pharaon ce sujet se rapporte aussi [lautorit] dont Joseph, le

    vridique, fut investi sur les entrepts du territoire pour le roidgypte ou, plutt, sa demande que celui-ci le prpose auxentrepts de [son] territoire2 alors que [ce roi] et son peupletaient des mcrants ainsi que le Trs-Haut la dit : Certes

    Joseph est venu vous, auparavant, avec des preuves videntesmais vous navez pas cess dtre dans le doute sur ce quilvous avait apport. Quand il prit, vous dtes ds lors : Dieunenverra plus de Messager aprs lui3. Le Trs-Haut de direaussi, pour lui : mes deux compagnons de prison, desseigneurs pars seraient-ils meilleurs, ou le Dieu unique,dominateur ? Vous nadorez, en de de Lui, que des nomsdont vous les avez affubls, vous et vos pres, et de par lesquelsDieu na pas fait descendre de pouvoir. Juger nappartient quDieu. Il a command que vous nadoriez que Lui. Telle est lareligion droite, mais la plupart des hommes ne savent pas4.

    On le sait, malgr leur mcrance, les [gyptiens] devaientimmanquablement avoir des usages et une procdure (da wa

    sunna) pour la collecte des taxes et leur dpense au [profit] delentourage du roi et des gens de sa maison, de ses soldats et deses sujets. Ces oprations ne se droulaient cependant pas selonla tradition (sunna) des Prophtes et leur justice (adl), et il nefut pas possible Joseph de mettre en uvre tout ce quil auraitvoulu, savoir ce quil considrait comme relevant de lareligion de Dieu. Les gens ne lauraient en effet pas approuv.De la justice et du bel-agir (isn), il mit pourtant en uvre cequil lui fut possible [de mettre en uvre] et, par son pouvoir(suln), parvint traiter les croyants dentre les gens de samaison avec une gnrosit laquelle, sans cela, il ne lui auraitpas t possible de parvenir. Tout ceci est inclus dans Sesparoles [57] : Craignez Dieu autant que vous le pouvez5 !

    Peser le pour et le contreQuand deux obligations quil nest pas possible de remplir

    ensemble se prsentent simultanment, que priorit est donne la plus urgente, en cette situation lautre nest plus obligatoire

    2. Voir Coran, Ysuf- XII, 55 : Il dit : Prpose-moi aux entreptsdu territoire. Jen serai un bon gardien, comptent.

    3. Coran, Ghfir - XL, 34. Ibn Taymiyya ne cite pas la fin du versetmais crit seulement: [et le reste du] verset.

    4. Coran, Ysuf - XII, 39-40. Ibn Taymiyya ne cite pas la fin duverset 40 mais crit seulement: [et le reste du] verset.

    5. Coran, al-Taghbun - LXIV, 16.

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    et celui qui la dlaisse pour parer la plus urgente ne dlaisserellement rien dobligatoire. Semblablement, quand deuxchoses frappes de prohibition se prsentent ensemble et quilnest possible dabandonner la plus grave des deux quencommettant la moindre, commettre la moindre en cette situationnest pas rellement prohib. Si, eu gard labsolu, cela estnomm dlaisser quelque chose dobligatoire tandis quececi est nomm commettre une chose frappe de prohibi-tion , cest sans dommage. En pareille [situation], on parlerade dlaisser quelque chose dobligatoire avec une excuse etde commettre une chose frappe de prohibition en raison dunintrt prpondrant (malaa rjia), ou par ncessit(arra) , ou pour repousser quelque chose dencore plusprohib . Ceci tout comme, quelquun qui a manqu uneprire parce quil dormait ou pour lavoir oublie, on dira quilla prie un autre moment que celui [originellement] prvu,pour en tre quitte (qa). Le Prophte davoir en effet dit Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : Celui qui a manquune prire parce quil dormait ou pour lavoir oublie, quil laprie quand il sen souvient. Ce sera en effet le moment de la[faire] et il nest, pour la [prire], point dautre moyen dexpier

    (kaffra) que cela.1

    Ce sujet de lincompatibilit [de deux choses] est un sujet trsvaste, spcialement dans les temps et les lieux en lesquels il y aamenuisement des traces de la prophtie et du califat de laprophtie. Ces questions se multiplient alors et chaque fois quelamenuisement saccrot, ces questions saccroissent, lexis-tence de [tout] cela tant dentre les causes des dissensions(fitna) au sein de la communaut. Quand les choses bonnes sontmles aux mauvaises, [58] confusion et concomitance (talzum)se produisent. Des gens peuvent alors considrer les chosesbonnes et donnent donc la prpondrance ce ct alors mmequil comporte des choses gravement mauvaises. Des genspeuvent aussi considrer les mauvaises et donnent donc la

    prpondrance cet [autre] ct alors mme quil dlaissedimportantes choses bonnes. La mesure dutilit ou de nocivit[de ces choses] peut ne pas tre claire pour les adeptes de la viamedia(mutawassi) qui considrent les deux affaires, ou pour laplupart dentre eux ; ou bien, elle est claire pour eux mais ils netrouvent personne qui serait intress daccomplir les chosesbonnes et de dlaisser les mauvaises, du fait que les caprices sejoignent aux opinions. Voil pourquoi il est dit dans un adth : Dieu aime un regard pntrant en cas darrive des chosesconfuses. Il aime un raisonnement complet en cas dadvenuedes passions.2

    Les responsabilits des ulmas lulma il convient de mditer (tadabbur) ces [diverses]

    espces de questions. En certaines dentres elles, ainsi que je

    1. Voir MUSLIM, a, Masjid (Constantinople, t. II, p. 142; trad.SIDDIQI,a, t. I, p. 335, n 1456-1457) ; AL-BUKHR, a, Ma-wqt al-alt (Boulaq, t. I, p. 123; trad. HOUDAS, Traditions, t. I,p. 205); AL-NAS, Sunan, t. I, p. 294; AL-DRIM, Sunan, t. I, p. 280.

    2. De lavis dIbn Taymiyya mme (Dar, t. IX, p. 22), ce adth estde chane incomplte (mursal, cest--dire que le Prophte y est direc-tement cit par un Suivant, sans lintermdiaire daucun Compagnon).Il le cite cependant en divers textes (notamment Dar, t. II, p. 105 ;MF, t. XXIX, p. 44). Sur les auteurs ayant utilis ce adth avant IbnTaymiyya, voir http://www.islamweb.net/hadith/hadithServices.php?type=1&cid=6212&sid=6036.

    lai clairement montr prcdemment, ce qui est obligatoire,cest de faire grce (afw) en cas de commanderie et deprohibition concernant certaines choses, pas de dclarer licite(tall) [ce qui est interdit], ni de laisser tomber (isq) [ce quiest obligatoire]. En commandant un acte dobissance, un[ulma] commettrait par exemple un acte de dsobissance plusimportant que lui ; il renonce donc le commander pourrepousser ladvention de cet acte de dsobissance. [Il renonce]par exemple traduire un pcheur devant un dtenteur dupouvoir injuste qui, en le chtiant, serait son encontre dunehostilit plus gravement nocive que son pch. Autre exemple :en prohibant certaines choses rprhensibles (munkar), ildlaisserait une chose convenable (marf) dune utilit bienplus importante que labandon de [ces] choses rprhensibles. Ilse tait donc plutt que de [les] prohiber, par peur que [les prohi-ber] entrane ncessairement labandon de quelque chose queDieu et Son Messager ont command, quelque chose qui est ses yeux plus important que le simple abandon de [cette] choserprhensible.

    Un pouvoir injuste ?3

    Lulma tantt donc commande et tantt il prohibe ; tantt ilautorise et tantt il se tait plutt que de [59] commander, deprohiber ou dautoriser autoriser, par exemple, la vertu pureou prpondrante, ou prohiber la corruption pure ouprpondrante. Et, en cas dincompatibilit [de deux choses], ilfera prpondrer la [chose] prpondrante, ainsi que ditantrieurement, selon la possibilit [quil aura de le faire]. Mais

    si celui qui le commandement et la prohibition sont adresss,soit du fait de son ignorance, soit du fait de son injustice, nesen tient mme pas [ce que celui qui les lui adresse juge]possible [de lui dire], et quil ne soit pas possible de faire cesserson ignorance et son injustice, le mieux (ala) est peut-tre derenoncer et de sabstenir de lui adresser commandements etprohibitions. Ainsi a-t-il t dit que, parmi les questions, il enest pour lesquelles la rponse [approprie] est de se taire, toutcomme le lgislateur (shri) sest tu, au dpart, plutt que de

    3. Illustration de GALLAND, Les Mille et Une Nuits, 3 t., Paris,E. Bourdin & Cie, s. d. [XIXe s.], t. II, p. 187.

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    commander certaines choses et den prohiber dautres; [et cela],jusquau moment o lIslam eut le dessus et triompha.

    [Il en va] semblablement pour ce qui est dexposer et decommuniquer : lulma retardera lexpos et la communicationde [certaines] choses jusquau moment o il [en] aura lapossibilit, tout comme le Dieu Glorifi retarda la descente de[certains] versets et lexpos de certains jugements (ukm)jusquau moment o le Messager de Dieu Dieu prie sur lui etlui donne abondamment la paix ! eut la possibilit de lesexposer. Ce qui rend la situation rellement claire ce propos,cest que Dieu dit : Nous ne tourmentions point dun ch-timent jusqu ce que Nous eussions mand un Messager 1. Largument (ujja) [divin] lencontre des serviteurs reposeseulement sur deux choses, il a seulement pour conditionsquils aient la possibilit davoir connaissance de ce que Dieu afait descendre [comme rvlation] et soient capables de lemettre en uvre. Celui qui est incapable de connatre tel lefou ou qui est incapable dagir, il ne lui est impos nicommandement ni prohibition. Quand il y a interruption de laconnaissance dune partie de la religion ou quil y a incapacitden [mettre en uvre] une partie, cette [situation], pour celui

    qui est incapable de connatre ou de mettre en uvre [cettepartie de] ce quelle dit, est pareille [la situation de]quelquun qui est coup de la connaissance de lentiret de lareligion ou incapable de la mettre entirement [en uvre] comme le fou par exemple. Tels sont les temps de tideur(awqt al-fatart) [religieuse]. Quand alors arrive quelquunqui, parmi les ulmas, les mirs, ou lensemble de leurs deux[ordres], prend en mains la religion, son expos de ce avec quoile Messager est venu se fait [60] petit petit, linstar delexpos que le Messager a fait de ce avec quoi il fut mand,petit petit. On le sait, le Messager ne communique que cequil est possible de connatre et de mettre en uvre, et laVoie/Loi (shara) ne vint pas tout dun coup. Ainsi dit-on :

    Si tu veux tre obi, commande ce dont on est capable. Un fondement mditer

    Semblablement, le rnovateur (mujaddid) de Sa religion etrevivificateur (muy) de sa Sunna ne communique que ce quilest possible de connatre et de mettre en uvre. Ainsi aussinest-il pas possible que celui qui entre dans lIslam se voieinculquer, au moment o il y entre, lensemble de sesprescriptions et commander de toutes les [mettre en uvre].Semblablement encore, celui qui se repent de ses pchs, celuiqui sinstruit, celui qui cherche tre dirig, il nest paspossible de leur [communiquer] ds le dpart lensemble descommandements de la religion, ni dvoquer devant euxlensemble de la connaissance [ acqurir]. En effet, ils ne lesupporteraient pas. Comme ils ne le supporteraient pas, ce neserait pas quelque chose dobligatoire pour eux en cette situa-tion. Et comme ce ne serait pas quelque chose dobligatoire, ilnappartiendrait ni lulma ni lmir de le rendre obligatoireen son ensemble ds le dbut. Bien plutt, on sabstiendragracieusement de commander et de prohiber des choses quil ne[leur] serait pas possible de connatre et de mettre en uvre, jusquau moment o cela deviendra possible ; tout comme le

    1. Coran, al-Isr - XVII, 15. Voir ce sujet IBN TAYMIYYA,Tolrance et pardon. Textes traduits de larabe, introduits et annotspar Y. MICHOT, Beyrouth, Albouraq, 1426/2005, p. 45-46.

    Messager fit grce de ce dont il fit grce, jusquau moment o illexposa. [Agir] de la sorte ne signifiera pas approuver leschoses frappes de prohibition ni renoncer commander leschoses obligatoires. Lobligation et la prohibition ont en effetcomme condition la possibilit de la connaissance et delaction ; or nous avons fait lhypothse que cette conditionntait pas ralise. Mdite ce fondement ! Il est utile2.

    Joseph au service de Pharaon3

    partir dici il devient clair que beaucoup de ces chosestombent mme si, fondamentalement, elles sont obligatoires oufrappes de prohibition ; [et cela], vu limpossibilit de lacommunication sur laquelle repose largument de Dieu, quilsagisse [61] dobliger ou de prohiber. Lincapacit fait en effettomber (musqi) le commandement et la prohibition mme si,fondamentalement, ils sont obligatoires. Et Dieu est plussavant !

    Parmi les choses inclues l-dedans, il y a les affaires rsultantdun effort dinitiative (amr ijtihd), relatives la connais-sance et laction. Quand un ulema ou un mir disent ou fontquelque chose par un effort dinitiative (ijtihd), ou par imita-tion (taqld) [dune autorit], et quun autre ulma et un autremir nont pas des vues (ray) semblables celles des premiers,[ces autres ulma et mir] ne commanderont pas [que lespremiers adoptent] leurs [vues eux], ou bien ils ne [leur]commanderont [dadopter] que ce quils verront [avoir un]intrt (malaa) et ils ne prohiberont pas [leurs vues]. Il neleur appartient en effet pas de prohiber dautres de suivre leureffort dinitiative, non plus que de les obliger les suivre eux.De telles affaires, en leur chef, sont en effet dentre les actions

    pouvant tre absoutes : ni on ne les commandera, ni on ne lesprohibera. Ou plutt mme, elles se situent entre [les chosesfaisant lobjet dune] autorisation et [celles faisant lobjetdune] absolution.

    Ceci est un trs vaste sujet. Mdite-le !Yahya M. MICHOT (Hartford, Rab II 1431 - Avril 2010)

    2. Ce fondement est de fait utile, quil sagisse de lducationreligieuse des enfants ou des nouveaux musulmans, de dawa ou de larforme des socits musulmanes.

    3. Gravure dA. TADEMA, in G. EBERS, Egypt, Descriptive, Histori-cal and Picturesque. Translated from the Original German by Cl.BELL, 2 t., Londres, Cassell & Co., 1898, vol. I, p. 96.