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D’Après l’article de Hacène Belmessous : La discipline s’impose dès le berceau : p révention de la délinquance, façon Sarkozy , publié dans Le Monde Diplomatique (Mai, 2007) La discipline s’impose dès le berceau Prévention de la délinquance, façon Sarkozy Enjeu majeur du débat politique français depuis 2002, la délinquance juvénile est l’otage de tous les discours. Ceux-ci sont en passe de se transformer radicalement, sous l’impulsion d’un nouveau courant de pensée. De rapports en expériences de terrain, les « comportementalistes » — au premier rang desquels le candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy — envisagent les conduites à risques comme un problème de santé publique, décelable dès le plus jeune âge par l’application d’un certain nombre de critères. La réponse à la délinquance résiderait ainsi dans la détection précoce et individuelle des risques de déviance. Les causes de la violence ne seraient dès lors plus à rechercher du côté du système social, mais dans les faiblesses et limitations des enfants et de leur famille. PAR HACÈNE BELMESSOUS Au lendemain des émeutes urbaines de novembre 2005, les pouvoirs publics étaient attendus. La politique spectacle du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy avait en effet montré ses limites. Gagner la bataille de l’opinion en donnant à croire que le pays était devenu sûr alors même que ses prétendus bons résultats en matière de lutte contre l’insécurité étaient discutables n’avait pas suffi à changer la réalité. Les idéaux universalistes sont sacrifiés au profit de la vision libérale du territoire du ministre de l’intérieur. Après s’être mué en chef de guerre contre la délinquance, le président de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) a fait sien le principe de Jean Domat selon lequel « la police (est une) condition d’existence de l’urbanité ». C’est-à-dire qu’elle ne doit plus seulement assurer la sécurité des citoyens mais aussi devenir le garant de l’harmonie sociale. Pour mener à bien son ambition « de bâtir une France plus juste et donc plus sûre », M. Sarkozy s’est inspiré d’un modèle d’action qui a donné des résultats probants en matière de… santé et d’environnement : le principe de précaution. Le ministre de l’intérieur français prend modèle sur la politique de prévention de la délinquance du premier ministre britannique Anthony Blair qui a récemment déclaré qu’il était possible de détecter les enfants à problèmes

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  • DAprs larticle de Hacne Belmessous : La discipline simpose ds le berceau : p rvention de la dlinquance, faon Sarkozy , publi dans Le Monde Diplomatique(Mai, 2007)

    La discipline simpose ds le berceauPrvention de la dlinquance, faon Sarkozy

    Enjeu majeur du dbat politique franais depuis 2002, la dlinquance juvnile estlotage de tous les discours. Ceux-ci sont en passe de se transformer radicalement,sous limpulsion dun nouveau courant de pense. De rapports en expriences deterrain, les comportementalistes au premier rang desquels le candidat laprsidence de la Rpublique Nicolas Sarkozy envisagent les conduites risquescomme un problme de sant publique, dcelable ds le plus jeune ge parlapplication dun certain nombre de critres. La rponse la dlinquance rsideraitainsi dans la dtection prcoce et individuelle des risques de dviance. Les causes dela violence ne seraient ds lors plus rechercher du ct du systme social, mais dansles faiblesses et limitations des enfants et de leur famille.

    PAR HACNE BELMESSOUS

    Au lendemain des meutes urbaines de novembre 2005, les pouvoirs publicstaient attendus. La politique spectacle du ministre de lintrieur NicolasSarkozy avait en effet montr ses limites. Gagner la bataille de lopinion endonnant croire que le pays tait devenu sr alors mme que ses prtendusbons rsultats en matire de lutte contre linscurit taient discutables navaitpas suffi changer la ralit.

    Les idaux universalistes sont sacrifis au profit de la vision librale duterritoire du ministre de lintrieur. Aprs stre mu en chef de guerre contrela dlinquance, le prsident de lUnion pour un mouvement populaire (UMP)a fait sien le principe de Jean Domat selon lequel la police (est une)condition dexistence de lurbanit . Cest--dire quelle ne doit plusseulement assurer la scurit des citoyens mais aussi devenir le garant delharmonie sociale.

    Pour mener bien son ambition de btir une France plus juste et donc plussre , M. Sarkozy sest inspir dun modle daction qui a donn des rsultatsprobants en matire de sant et denvironnement : le principe de prcaution.

    Le ministre de lintrieur franais prend modle sur la politique de prventionde la dlinquance du premier ministre britannique Anthony Blair qui arcemment dclar quil tait possible de dtecter les enfants problmes

  • avant la naissance et souhaitant que les mres clibataires puissent treforces daccepter lintervention de lEtat avant que leurs enfants ne soientns.

    Cest dans le dpartement quil prside, les Hauts-de-Seine, que M. Sarkozyest en train dexprimenter sa vision de la prvention de la dlinquance. Lecontrat local de scurit quil a sign avec la ville de Villeneuve-la-Garennecomprend un dispositif de prvention destination des enfants en coleprimaire, en partenariat avec lEducation nationale. Charge de ce dispositifde dtection prcoce de la dlinquance, lAssociation Mission Possible estsoutenue par une multitude de bailleurs de fonds publics et privs.

    Sa prsidente, la magistrate Claude Beau, galement vice-prsidente autribunal de grande instance de Paris, inscrit sa dmarche dans une dynamiquehumaniste : rconcilier la jeunesse avec elle-mme et la socit. Lesenseignants nous orientent les familles dont les enfants sont en souffrance etrencontrent de multiples difficults scolaires, explique-t-elle. Si les parentssont daccord, nous signons avec eux une convention qui couvre lannescolaire. Nous commenons alors un travail ducatif bas surlapprentissage par lenfant des rgles de la vie en socit. A cette fin, noustravaillons sur tous les paramtres de son dveloppement.

    Cette nouvelle approche de la politique de prvention bouleverse la conceptionfranaise de la dlinquance des mineurs et son principe fondateur,lordonnance du 2 fvrier 1945, qui stipule que lenfance dlinquante etlenfance en danger sapprcient dans un contexte social. En clair, on ne peuttre vraiment responsable que si on bnficie de droits sociaux. Or, en prnantune approche comportementaliste de la prvention de la dlinquance, lepolitique rompt avec les prceptes de lEtat providence tant cette visionidologise en exclut un aspect essentiel : ses causes.

    Les facteurs socio-conomiques de la dlinquance sont dsormais minors.Des meutes urbaines de ce dbut de sicle a en effet merg le fantasmedune nouvelle classe dangereuse, les jeunes des cits : Les mineurs de 1945nont rien voir avec les gants noirs des banlieues daujourdhui , dclaresans choquer M. Sarkozy, lors du conseil des ministres du 28 juin 2006. Desjeunes sans foi ni loi et srs de leur impunit.

    En attendant que le principe de prcaution formate une nouvelle gnrationdenfants sages, taiseux et soumis au monde des adultes, le ministre delintrieur veut discipliner les collgiens. Son dpartement a sign aveclinspection acadmique des Hauts-de-Seine et le directeur dpartemental dela scurit publique (un fonctionnaire quil a nomm) un dispositif implantantun policier rfrent dans les collges de Courbevoie, Antony et Clichy-la-Garenne, trois communes diriges par des lus UMP. Le fonctionnaire de

  • police a, entre autres missions, dorganiser, la demande du chefdtablissement, des rappels au rglement, de tenir des permanences pourrencontrer les personnels et les lves, de recevoir directement, et sur leslieux, dventuelles plaintes conscutives des infractions commises lintrieur ou aux abords immdiats de ltablissement scolaire lencontredes personnels ou des lves, etc.

    Longtemps rfractaire lide de collaborer avec la police, lEducationnationale sest, dans ce cas, facilement laiss convaincre par le ministre delintrieur. La pression des parents dlves et des syndicats denseignants,lexhibition mdiatique du moindre incident ont conduit une partie de lacommunaut ducative partager cette croyance en la ncessit de sassocier ces nouvelles formes dencadrement des jeunes.

    On le voit, des tabous ont saut. Dvidence, les meutes urbaines denovembre 2005 ont eu le mme effet sur les gouvernants que les attentats du11 septembre 2001, puis ceux de Madrid (2004) et Londres (2005). En tempsde guerre contre la dlinquance, lingalit est la mme pour tous : chacun doitaccepter lide quon va pouvoir avoir une prise sur lui .

    Des expditions punitives sont promises aux plus rcalcitrants. Auteur enoctobre 2005 dun rapport au ministre de lintrieur sur la prvention de ladlinquance, le dput-maire (UMP) de Villiers-sur-Marne, M. Jacques AlainBnisti, souhaite que la majorit pnale passe de 18 16 ans et jugeindispensable ltablissement de la comparution immdiate pour les jeunes. Quant au ministre dlgu lamnagement du territoire, M. ChristianEstrosi, un proche de M. Sarkozy, les propos maximalistes quil a tenus en mai2006 lors dun voyage en Isral prsagent du pire : Mme si cela est parfoispolitiquement incorrect de le dire, 85 % des actes de dlinquance commis pardes moins de 18 ans proviennent de mineurs qui ne savent ni lire ni crire, ettout cela aux frais des contribuables. Ce regain de dmagogie npargne pastoujours la gauche sous couvert de discours sur l ordre juste . Ainsi,Mme Sgolne Royal propose-t-elle de placer les jeunes de plus de seize ansdans des tablissements encadrement militaire pour apprendre un mtierou raliser un projet humanitaire au premier acte de dlinquance .Ce qui vient est dautant plus inquitant que, lorsquil sagit des quartiersdhabitat social, la loi Solidarit et renouvellement urbains (SRU) , vote en2000 par la majorit de gauche, nest pas respecte par nombre dlus locaux.Soixante-six communes ont t sanctionnes financirement en Ile-de-Francepour ne pas avoir construit suffisamment de logements sociaux au cours destrois dernires annes. Parmi elles figurent, on le sait, Le Raincy (Seine-Saint-Denis), dont le maire, M. Eric Raoult, fut ministre dlgu charg de la Ville etde lintgration entre mai 1995 et juin 1997, et Neuilly-sur-Seine, une villelongtemps dirige par M. Sarkozy. Alors que cent communes ont tsanctionnes pour les mmes raisons en Provence-Alpes-Cte dAzur, le prfet

  • local estime que ces pnalits nauront quun effet trs limit sur lescommunes . Plutt que de renverser les processus sgrgatifs qui minent cesquartiers, le pouvoir politique veut en faire des lieux polics.