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MALIK NEJMI THE IMPOSSIBLE COUNTRY PHOTOGRAPHIES ET TEXTES / BOURSE CNAP (projet Entrada) 2011 / BILAN

THE IMPOSSIBLE COUNTRY

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Page 1: THE IMPOSSIBLE COUNTRY

MALIKNEJMITHE

IMPOSSIBLE COUNTRY

PHOTOGRAPHIESETTEXTES/BOURSECNAP(projetEntrada)2011 / BILAN

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«Lacarteaanticipésurlaréalitéspatiale,nonl’inverse.Autrementdit,aulieud’être

unmodèledelaréalité,lacarteaservidemodèleàcequ’elleétaitcensée

représenter.(...)Elleétaitdevenueunoutilpourconcrétiserlesprojectionssurla

surfacedelaterre.»ThongchaiWinichakul/SiamMapped.

AhistoryoftheGeo-BodyofaNation,2005

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Theimpossiblecountry,Tanger Tangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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TransectTanger,Barcelone,Brême,Rotterdam...

La majeure partie de ma production artistique (photographie, films, installations) sesitueentreleMarocetlaFrance,danslechampd’uneœuvredel’intime.Jetraitedesquestions migratoires, et au travers de l’histoire de mon père et de son exil, jequestionnelavisiondufilsàvouloirrenoueravecunpayssynonymed’uneabsencedetransmission. Mon travail s’attache aujourd’hui, et par des stratégies spatiales àdévelopperunartdudéplacement.Mesproductionss’inscriventdésormaisdanscettetradition générationnelle d’un « art du retour », la géographie et le déplacementpermettant la mise en œuvre d’un vaste chantier d’investigations de l’exil et desmigrations, et par conséquent des relations historiques et politiques que nouentl’héritagepostcolonialdecettepartieduMaghrebavecunegénérationd’artistesquisont«nésdel’autrecôté».

Ainsi,autraversceconflit intime,c’estmaproprepositiond’artistequejenecessederemettreenjeuparcequelafragilité«dufils»avouloircôtoyerl’histoire«dupère»estl’uniqueformed’existencequepeutmeconcédermonhistoire,pourexisteràlafoisdanslagrandehistoire,ettenterd’immiscermonrécitdansunehistoiredel’art.Dansmoncas,jepourraisdirequeleconflithistoriqued’unhéritagepostcolonialrejaillitsurmaproprehistoireetdemandeàêtreperpétuellementretourné,remanié,transmisetracontésousdiversesformes(delaphotographieàlavidéo,dutexteàl’objet).

De ce point de vue, le projet artistique « Entrada » devenu The impossible country,s’inscrit dans cemouvement, dans cette quête. La production du projet est depuis ledébutuneformedenarrationvisuelle-déambulation«danslecorpsd’unapatride»-liéeaupasseportretrouvédemonpère.Celui-ci indiquaitpartamponsetpassagesdefrontières interposées, les villes de Tanger-Ceuta- Barcelone-Bremen-Rotterdam,maisaussi demanière transversale, un projet fortement lié aux questions contemporainesassociéesàlamigrationetauxfluxmigratoiresdessociétésetdesvillesenmouvement.

Ilyaeupourmoiletempsdel’échangeavecmonpèreetceluideladéconstructiondumythe de « l’Arabe qui rêve de partir » (« elMaghreb », Maroc, 2001-2005), Theimpossible countryestceluide l’erranceet lapertede repères,etparconséquentnepossèdepasdedatedeproductionfixes,nidevéritablesmodalitédeproductiondansl’espaceetdansletemps.

C’est une œuvre liée à mes déplacements singuliers entre deux villes que j’observe(Barcelone, puis Tanger plus récemment), la bourse du Cnap m’ayant permis d’allerexplorerlesvillesdeFranckfort,deBremeetdeRotterdam.Avecl’aidedecettebourse(4000€)jemesuisrendudanscesvillesenaoutseptembre2011,etjedoisavouerqueje me suis senti perdu. Comme si la boussole s’était déréglée – une sorte de

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dérèglementdessensetdulangage,ausensRimbaldien–jenecomprenaispascequejefaisais.Làoùdansmonœuvrejejouesouventdelasuccessionsdespassagespère-filsdans des espaces et lieux communs, lieux politiques et historiques, je me suis sentidémunidanscetteorientationNordduprojet,nesachantpasfranchementoùaller,niquoiphotographier.

Ce qui devenait intéressant à mon sens, c’était de comprendre pourquoi cettedésorientation. Alors que là où dans le texte j’arrivais à visualiser ces villes et à lesaccompagner de gestes, où dans une posture distanciée de « photo-romancier »j’arrivaismêmeàdécriremonpèreaumomentoù ilyétait, j’étais impuissant faceauréelde l’instant, commesi laconstruction tropconsciented’un retoursur les lieuxnepouvaitpasfonctionnerpuisquenousn’yavionsjamaisété«touslesdeux»,luietmoi.Associercesimagesaupassagedupèrenefaisaitpasforcémentsensunefoissurplace.C’estenpassantparFranckfort-am-main,Brême,HambourgetRotterdam,que j’ai finiparcomprendrecequ’étaitmonpropre«transect»,etàmafaçondesortirducadreautobiographique.

J’airegardémesimages.Ilsepassequelqueschoseentre«lechaud»et«lefroid»,queje traduirais comme ceci : je photographie le Sud avec la mélancolie du Nord, despeinturesflamandesoud’unE.Munchquej’auraisrevisité,commedanscettescèneenmouvement des ouvriers de sortant de l’usine (1913), lui- même s’inspirant desexpériences de la photographie et du cinématographe pour sa peinture. Je me suistrouvéobligéd’allerchercherdesrepèrespicturaux,n’ayantpasderéférentslittérairesou plastiques liés à cette démarche particulière. L’errance sans but. C’est un étrangesentiment,maisjecroisqu’ils’estconscientiséainsi,surplace,notammentdanslenorddel’Allemagne(Brême,Hambourg).

Voilàpourmoiunefaçondelégitimercetteexpérienceetdelatraduirecommeétantlecheminementversmaproprecartographie,etdoncversuneesthétiquedocumentairenouvelle.Leparcoursdemonpère,sicontemporainsoitil,estdésormaisentrédanslesstratesd’unnouveaupaysage,miréel,mifictif,un«ethnoscape»termedécouvertàlalecturedel’ouvraged’ArjunAppaduraiin«Aprèslecolonialisme».

OnpourraitêtreàTanger,Barcelone,Marseille,Rotterdam,GênesouNaples,autantde

villes dont la présence d’entrées portuaires viennent dresser l’architecture d’un ville

imaginaire,etdecequi représentepourmoi l’impossibilitédesétatsNationsà« faire

pays»etàinclurelapenséedel’autre,del’étranger,dansunsystèmepolitique,culturel

etsocialinspirédecesmêmesflux.

Une récente discussion à Malte avec un groupe de réfugiés soudanais confirmait ce

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sentimentd’êtreprisaupiègeentredesfrontièresquinesedéplacentpas,confrontés

aussiqu’ilsétaientà lanaissanced’unenouvelleformederegret,denostalgie(«nous

regrettonsd’êtrepartis»).Lanotionde«paysimpossible»quejepourraisrapprocher

aussiduconceptde«frontièresbrûlantes»,naitencoreunefoisdecettedistanciation

du regard et de l’incompréhension des sociétés enmouvements. Les flux et la place

considérabledesimaginairesvenusduSudn’ayantjamaisvraimentnourriautrementles

rapportsanthropologiquesmisenplacedepuislacolonisation,j’essayedoncdansmon

travail de restituer tout à la fois l’expérience de la distanciation, et les effets de

l’installationdescommunautésmigrantesdanslesgrandesvillesdepassage.Etilenva

ainsi de l’ensemble demonœuvre qui au final, ne cesse d’utilisermon corps comme

réceptacle aux imaginaires en mouvement : migration d’aventure, temps du transit,

retouraupaysnatal,luttespolitiquesenpaysd’accueil,réfugiéssansimages,transferts

d’objet,jepourraiscitericitouslesprotocolesmisenœuvrepourdonneràvoir,comme

une séquence, la beauté, la richesse et la portée de ce regard venu d’ailleurs, où se

dessined’ailleurssouventuneiconographiedudésirpeurévéléedansl’histoiredel’art

contemporain.

Ce nouveau récit tente d’observer l’intérieur de notre société occidentale, car si le

conceptd’Europen’existepasvraiment,celuidel’immigrationestencoreplusflou.Qui

sont ces étrangers ? Comment documenter ou retranscrire, au delà des concepts de

reportages,unpaysagesocialdont«cesAutres»sontlesprincipauxacteurs?

Theimpossiblecountryestunesériequejeprésentecomme«infinie»encesensoùjene souhaite pas lui donner de fin, de temporalité. Les photographies possèdentdésormais cette topographie d’un corps aimanté par une liaison entre des villesdistancéesdansl’espace,etlanaissanceperpétuelled’unesortedevoyageHomériquecontemporain, naissance d’une mythologie ou d’un continent qui ne sera jamaistotalement fondé tant que ces nouvelles représentations du monde ne seront pasassociées au politique. Ici la photographie devient un support quasi sacré exposé auxstrateshistoriquesdesvilles,ellesemêlentaumouvementettentedeco-construireceditregard.

« La réalisation d’une communauté imaginée est donc rendue possible par lareprésentationphysiquede lanationqu’est lacarte,maiségalementpar laproductionde contenus culturels influencés par les nouvelles représentations »nous dit BenedictAnderson.

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Laséries’alimentedesrecherchesdupenseurArjunAppadurai(Aprèslecolonialisme-Les conséquences culturelles de la globalisation. 1996, trad. fr. Payot, 2001) et duconcept d’ethnoscape cité ci-dessus, de la théorie de la Communauté imaginée parBenedict Anderson, ainsi que d’un extrait du livre de Thierry Fabre (Traversées, ActesSud), où il évoque les carnets retrouvésd’IbnBattuta et où il est questiond’une villeimaginaire,unevilleretournéedanslamer.

Ainsiceslittératuresassociéesmepermettentd’avancerdanslesensdes«imaginaires

»quiaccompagnentmestravaux.Imaginairesrécemmentévoquésetconvoquésdansle

rapportSarr-Savoysur la restitutiondesobjetsd’artafricains,etquidansmasérie,se

construisent beaucoupdans la liaison Tanger-Barcelone- Tanger. Il y a là pourmoi un

véritablefild’Ariane;manièredetisserdesrelationsdevilleàville,d’architectures,de

provoquerdesdéplacements,de reconquérir toutunespaceméditerranéendont la«

cicatrice identitaire » laissée béante dans cet espace post-colonial, fait poindre

aujourd’huil’importancedesdiasporasdanslaconstructiond’unimaginairenational.

Lestransformationsetledéracinementspatialviennentdoncbousculerlesenjeuxd’une

nouvellegéographiemondiale.L’éloignementet lamigrationnepermettentplusdese

représenterlemondetelqu’ilétaitilyaencorepeu.

Ma série restera énigmatique et en suspens encore un certain temps, surement le

tempsdeconstruireunvéritableobjetphilosophique.Carilfautprêterattentionàcette

Europe qui se nationalise de plus en plus et analyser comment l’ensemble de ces

facteurs(flux,migrations,déplacements,économiesparallèles)participentpetitàpetit

àlapertedusentimentnational,ouplutôtdesonremplacement.

Le projet The impossible country met donc en miroir ces questions politiques pour

tenterdedéfinirdansuneformephotographiqueromancée,commentcesphénomènes

contemporainsdiluentlanationetl’essentialisent.

L’objetnationestdevenuunemanièred’êtreaumonde...

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Theimpossiblecountry,Rotterdam Tangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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Theimpossiblecountry,Barcelone Tangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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Conclusionpersonnelle

LabourseduCNAP2011m’auradoncpermiscesallersetretours,ceshésitations,pour

meconfronteràmaproprehistoire.Jesuispersonnellementpasséparunepériodetrès

compliquée de 2011 à 2015 (problèmes liés à l’impossibilité subite d’arriver à

photographier,nimêmeàrevenirauMaroc),lepassaged’unanparlaVillaMédicisen

2013-2014,puisparl’InstitutMéditerranéendeRecherchesAvancées(IMéRAMarseille,

bourse art et sciences) ayant contribué à toute cette analyse réparatrice pourmieux

comprendrequijesuis.

Je peux aujourd’hui dire que l’ensemble demes travaux contribuent à unemeilleure

lecture générationnelle d’un art du « déplacement », et cela me paraît évident

aujourd’huid’ytrouverdeséchosauxpostcolonialstudies.«Entrada»estdevenu«The

impossiblecountry»parréférenceàcettenostalgiecontemporainedelamigration,et

jecroisfaceàcettemythologieenmarchequej’évoquenotammentdanslarecherche

«Objets trouvés, paradis perdus» (Marseille, Tanger, 2015, IMéRA, FNAGP). Nous

sommes face à une géographie enmarchedont la lecture venuedu Sudnous expose

unetouteautrecartedumonde,beaucouppluséclatée.

Ce cheminement m’amène aujourd’hui à un nouveau cycle de travail absolument

passionnant, où je cherchedans la pharmacopéearabe (Maroc) comment soigner ces

maladies exiliques vécues, lues (chez Driss Chraïibi et Mohammed Khaïr Eddine

notamment),etoùs’ouvreàmoitoutuntransectderetouraupaysfascinant,toutàla

fois autour du paysage et coutumes séculaires, mais aussi toujours autour des

imaginaires(musiques,transe,social).

J’évoquaisrécemmentdansunentretienavec lasociologueHélèneBertheleu(Exposer

les migrations « La présence de quelqu’un qui n’est pas là », ent., revue Hommes et

Migrations1322)quechacunedemesœuvresestunpeucommeunemaison,ellesfont

lieu. Il serait intéressant pour moi à terme d’exposer ces « maisons », et je pense,

d’expérimenter sur un temps de production plus concis (une année) une série de

voyages entre Barcelone et Tanger demanière à densifier l’objet, et pourquoi pas, le

clore.

C’estenvisàvisd’unensembled’œuvresquel’objetprendraaussiforme.

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Enfin, je serais tentéd’évoquerauMinistèrede laCultureetde laCommunication, le

lienentrecetravailetlacommandepubliquerécente«Flux,unesociétéenmouvement

»,auregardnotammentduconceptd’ethnoscapeetdecommunautéimaginée.

...

Jesoulignequecettesérien’aétémontréquedeuxfoisparlagalerieAgnesb.,lorsdumoisdelaphoto2012(Paris,Marseille).ToutesphotographiesduprojetTheimpossiblecountrysonttiréesenargentique(baryté)auformat16x16cm,éditionde7.

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Theimpossiblecountry,BarceloneTangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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L’ethnoscape, oulacommunautéimaginée

Déterritorialisationetcommunautésimaginées:Analyseanthropo-philosophiquedesmouvements et des réseaux sociaux des jeunes dans l’Afrique postcoloniale à lalumière de la à propos d’Arjun Appadurai. Serge Bernard EmmanuelALIANA.DépartementdePhilosophieÉcoleNormaleSupérieuredeYaoundé

DanssonouvrageAprèslecolonialisme.Lesconséquencesculturellesdelaglobalisation(2000), Appadurai propose de nouveaux modèles théoriques d’inspirationpostmoderniste pour éclairer les dynamiques culturelles dans le contexte de lamondialisation. Son analyse admet comme postulat de base que le poids desmédiasalliéauxmouvementsdespopulationsdeplusenplusimportantsconduitàuntravaildel’imagination. L’imagination étant analysée comme une pratique sociale (Appadurai2000:55),onpeut,dèslors,étudierdes«représentationsnouvelles»directementenrapport avec ce postulat. Appadurai s’attaque également au cadre de l’État-nationcomme cadre de référence et parle de l’entrée dans une période postnationale de «déterritorialisation»(pp.56-57),conceptforgéparGillesDeleuze(1980),etdéveloppéégalementparlagéographieculturelle.

Pourconstruire sonanalyse,Appadurai s’est créédesoutilsoriginauxconstituantcinqdimensionsquiagissent,selonlui,dans laconstructiondescommunautés imaginées. Ilétudie l’influence conjuguée des médias et des déplacements des populations sur letravaildel’imaginaire.Cetravail,affirme-t-il,constitue«unecaractéristiqueconstitutivedelasubjectivitémoderne»(p.27).Pourlui,l’imaginationseraitdevenueunmarqueursocial. Sa teneur est relative aux caractéristiques des groupes sociaux qui en sont lesacteurs. L’auteur affirme s’en remettre à Benedict Anderson pour proposer uneinterprétation du monde contemporain caractérisé par le « rôle nouveau del’imaginationdanslaviesociale»(p.112).

Ennousadossantdoncàlanotiondecommunautéimaginéecommeélémentessentieldans la construction de l’État postcolonial, il s’agit de voir avec Appadurai quel’imagination est un outil heuristique nécessaire pour la compréhension de nouvellessocialités en réseaux et les réseaux de nouvelles socialités qui s’élaborent dans leprocessusde lamondialisation.Avec l’imagination, c’est l’idéed’inventionquiprévautdansuncontexteoù lesmédiasoccupent ledevantde lascèneetqui,nonseulementdiffusent,maismodèlentetinfléchissentlesprocessusculturels.Danslamesureoùelleimplique au même moment l’exil anthropologique et la déterritorialisation du sujet,l’imaginationpeut servir d’idéal- type, au senswébériendu terme, pour la (re)lecturedesdynamiquessocialesenAfrique.

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En d’autres termes, nous nous interrogeons sur les formes dissidentes, indociles etinsidieuses que prend la créativité dispersée, tactiques bricoleuses des groupes etindividus déterritorialisés qui veulent se projeter, souvent à l’intérieur des «communautés imaginées », dans une utopie échappant à tout dispositif institutionnelterritorialisantouàtoutblochistoriquedominant.

Dans sa description d’un monde globalisé, Arjun Appadurai fait largement appel aupouvoir de l’imagination. Il se réfère alors à la communauté imaginée de BenedictAnderson.SathèsegénéralesefondesurunerelationanaloguetrouvéeparAndersonentre l’imaginaire national et le rôle joué par les moyens de communication. SelonAppadurai, il existe un lien réel entre « le travail de l’imaginaire et l’apparition d’ununiverspostcolonial»(Appadurai2000:55).Unteluniversinaugurel’avènementinéditdemultiplesfragmentssociauximaginairesdéterritorialisés...

Leconceptd’ethnoscapeluipermetdemettreenlumièrelesformesfluides,irrégulièresdespaysagessociaux.Cespaysagessontdes«briques»deconstructiondes«mondesimaginés»,c’est-à-diredespersonnesetdesgroupesdisperséssurtoutelaplanète.Lesindividusquiconstituentlesethnoscapessontdonc:touristes,migrants,refugiés,exilés,travailleurs, etc. Cette (re)configuration paradigmatique de l’ethnie, dans la phaseactuelle de la globalisation du capital, permet à Appadurai de se prononcer sur lamanière dont les différences culturelles aboutissent à produire des identités non pasfigées,maisenconstante(re)élaboration.

Cependant,cequiintéresseleplusAppadurai,c’estlamanièredontcettesituationnonseulementmodifie laviematérielledespopulations,maistendégalementàconfierunrôleinéditàl’imagination.Désormais,l’imaginationinvestitdespratiquesquotidiennes,notammentdansdessituationsmigratoiresoùlessujetssontobligésdes’inventer,danslesconditionsd’exil,unmondeàeux(p.9).

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L’expérience-limite auxlimitesdelaphotographie In « Passer. La traversée des images. Sur le travail de Malik Nejmi » - VéroniqueCampan – MCF Études cinématographiques, Université de Poitiers Programme derecherche«Représenterl’expériencedelamigration»(Migrinter,nov.2016)

Malik Nejmi nous propose de faire l’expérience d’une pratique imaginaire de la

migrationdans laquelle, lui, lesmigrants et nous pourrions nous rejoindre.Quelle est

l’expériencequ’ilseproposed’imager?Cen’estnicelled’untémoinquiparleraitenson

propre nom, ni celle du journaliste qui filme sur le terrain, ni celle du chercheur qui

enregistreun«récitdevie»,nicelledunarrateurquirecueilleuntémoignagepouren

faire le récit, ni celle de l’artistequi transpose l’expérience sous forme fictionnelle, ni

mêmecelledel’hommeengagéquientredanslapeaud’unmigrantpourendécrirede

l’intérieurleparcours.

L’artisteestenquêtedecettemémoirequesonpèremarocainneluiapastransmiseet

qu’ilreconstruitmorceauparmorceauàchaquenouvelactedecréation.«Tuesparti

envoyageuretjesuisrevenuenfilsd’immigre»,écritildansune«Lettreaupère».Il

vituneformed’exiliance,tellequel’adéfinieAlexisNouss.Àlafoisuneconditionsubie

fondéesurl’écartetl’écartèlemententredeuxlieuxetdeuxculturesetuneconscience

activeetintensequis’efforcedelesmettreenliaison.Autantdire,écritNouss,que«

cette expérience de la limite est une experience-limite sans garantie ni de

formalisation,nidetransmission,nideréception».

MalikNejmiobserve,expérimenteetréfléchitàtraverssesimageslestraceslaisséespar

le passage de corps apatrides. Rappelons quelques-uns de ses gestes : il invente un

processus photographique ambulatoire pour décrire le voyage imaginaire d’un

étrangertraversantdesvilleseuropéennescommeautant«d’ethnoscapes»,c’est-à-

dire de cités reconfigurées à partir de l’expérience exilique. Il filme la cérémonie

religieuseenhommageàdeuxvendeursambulantssénégalaisassassinésàFlorenceen

2011.Oubien il donneàOmarBa, sénégalais en transit à Tanger, un téléphonepour

filmerlapréparationd’unetraverséedudétroitdeGibraltar.

Chaquefois,ils’agitdetisserdesrapportsincertainsd’unexilàl’autre,celuidupèreou

delamèrequiachoisiautrefoisd’émigrer,celuidufilsdiviséentredeuxcultureseten

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partiecoupédesesoriginesetceluid’hommesenpartance.

C’est donc de l’intérieur d’un exil éprouvé, qu’il cherche des formes pour en

communiquerl’expérienceetladiversité.Ilécrit:«Leretour,dirai-jeàmonpère,c’est

luienmoi»etplusloin:«leretouraquelquechosedetroublant.Jenemedéplaceque

dansunespacedéjàéprouvé,ausensphotographiqueduterme».

MalikNejmis’estprogressivementdétournédelaphotographiedocumentaire.Pour le

projet«Theimpossiblecountry»(2011...),oùl’apatridedanslapeauduquell’artistese

glissedéambuleauhasarddansBarcelone,Marseille,RotterdamouTanger, il reprend

etdéplaceleprotocolephotographiquedeVitoAcconcidansBlinks(1969).

Les photosprises à l’aveugleparAcconci deviennent ici des photos aveugles: elles ne

représententriendeprécismaisdonnentàsentir lemouvementd’unregardprisdans

uneéclipsedelavue,àl’instantoùlapaupièresebaisseetoùlemonderegardévacille.

Saisies entremouvement et immobilité, ces images portent en elles le temps heurté,

discontinu, de celui quimarche sans but, en étranger dans une ville qu’il ne voit pas

fauted’enposséder lescodes,maisqu’ilpeut ressentir. L’expérience photographique

est ici portée à sa limite, l’image emportée dans le processus ambulatoire perd sa

définitionets’extraitdetoutcontexte,nelaissantparaîtrequelestracessensiblesde

lavillerestituéeparuncorpssismographe.

Theimpossiblecountry,BarceloneTangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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Theimpossiblecountry,Barcelone Tangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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Theimpossiblecountry,Bremen Tangerépreuveargentiquebaryté,16x16cm éditionde7

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Traversées récit ThierryFabre,extrait

A forced’opiniâtretéetgrâceà ses liensavec le vieux conservateurde labibliothèque

royale de Fès, notre homme dumusée parvint àmettre lamain sur trois carnets non

authentifiés. Leur époque était attestée mais leur auteur restait inconnu. Ces notes

pouvaientêtrecellesd’unarchitectecarunesériedecroquisyfiguraient.Notrehomme

comprittoutdesuitequ’ils’agissaitlàdesdernierscarnetsduTangéroisIbnBatouta.

Lui seulpouvait faireun telPrésentà ceuxquiaimentà réfléchir sur les curiositésdes

villesetmerveillesdesvoyages.

Le portrait d’une ville imaginaire était dressé, une ville dont personne n’avait jamais

entendu parler, pas même dans le récit magnifié des conteurs qui sillonnent le Dar

al-salametlaMéditerranée.Unevilleàlafoissouterraineetlumineuse,commeéclairée

parlaréfractiond’ungrandmiroirvivant,mouvant.Seuluntoitdemerpouvaitdonner

cette couleur troublante au ciel. Il y figurait un pont aux arches régulières dont les

pilastres étaient scellés sur le fond de la mer et dont le tablier s’étirait d’une rive à

l’autre.

Tangerenfouieavaitprisforme.LamaquettedeGibraltarn’étaitqu’unepartieémergée

d’unvasteensembleurbainauxcontoursoubliés,et«quiconquecomparait la réalitéà

cettereprésentationpouvaitjugerdelaressemblanceparfaite».

Une ville enjambait les deux mondes, irréductiblement séparés depuis la prise de

Grenade,unjourd’hiver1492.LeTangéroisavaitanticipécettedéchirure,aussiavait–il

dessinéunevilleengloutieprêteàressurgirdèsquelapousséedel’histoireetledésirdes

hommeslepermettraient.Notrehommedumuséeétaitconvaincuquecemomenttant

attendu était venu. L’héritage caché d’Ibn Battuta pouvait être révélé. Dépositaire de

cettevérité,ilnesavaitpastropcommentlafairepartager.Lafrontièren’étaitpastout

à fait là où lemonde extérieur l’avait tracée. Pourtant, bien des hommes venaient se

fracassersurcenouveaumurde lahonte.Tangerétaiteneffetdevenue laville-refuge

desclandestinsducontinentafricain.Tousn’avaientqu’uneseuleidéeentête:franchir

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leDétroit.

Séquences Essais,vuessouscadres

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©MalikNejmi/2011-2018 Boursederecherchesàl’étranger,CNAP