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HUGO BUCHSER (1896-1961), AUX ORIGINES D’EUROPA STAR UNE AVENTURE ÉDITORIALE SPECIAL THE WORLD’S MOST INFLUENTIAL WATCH MAGAZINE SPECIAL

THE WORLD’S MOST INFLUENTIAL WATCH MAGAZINE …convola en justes noces, en 1926, avec Mary Stüdeli, une héritière de la grande manufacture horlogère Roamer (Meyer-Stüdeli),

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HUGO BUCHSER (1896-1961), AUX ORIGINES D’EUROPA STAR

UNE AVENTURE ÉDITORIALE

SPECIALTHE WORLD’S MOST INFLUENTIAL WATCH MAGAZINE SPECIAL

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oute entreprise trouve son origine dans les idées novatrices, souvent considérées comme illusoires de primeabord, de son créateur. Il s’agit de percer là où personne n’a encore eu le temps, le courage ou simplementl’esprit d’investir. De faire face à l’adversité frileuse ou jalouse de ses pairs. Mais aussi de bâtir une équipe,de choisir les bons collaborateurs et d’en apprécier le travail.

Accompagnant depuis plus de 80 ans les développements internationaux du secteur horloger, bijoutier et des machines,Europa Star ne déroge pas à cette règle. Hugo Buchser, fondateur du groupe, a puisé dans ses voyages aux antipodes laconviction qu’il fallait, grâce à la diffusion d’informations, décloisonner ces secteurs vers les marchés mondiaux. Dès lesannées trente, ses guides des acheteurs et des machines, puis ses revues publiées de l’Amérique du Sud à l’Extrême-Orient,ont défriché le terrain de nouvelles voies commerciales globales.

La longévité d’une entreprise s’affirme comme la meilleure preuve de succès des idées originelles de son fondateur. Sousla direction d’une même famille depuis 1927, Europa Star reste fidèle à l’état d’esprit d’Hugo Buchser, quelque cinquanteans après sa disparition.

Le présent cahier retrace les origines des revues Europa Star, en écrivant l’histoire de son fondateur. Connaître son passépermet d’envisager l’avenir en confiance. Misant toujours sur la qualité du papier, Europa Star met en outre, avec sesnouvelles applications iPad et sites Internet, des outils technologiques modernes au service d’une idée ayant fait sespreuves. Celle de valoriser un savoir-faire qui place le temps et la beauté au centre de notre monde.

Serge Maillard

En couverture: Hugo Buchser, Bombay, 1920En 2ème de couverture: Rolex, Europa Star n°1/1959En 3ème de couverture: Roamer, As Sâ’âtwal-Djawâher (Orafrica) n° 12/1952En 4ème de couverture: Breitling, Oro y Hora n° 14/1951

TAVANT-PROPOS

Couverture de la revue “intereuropéenne” d’horlogerie, bijouterie, orfèvrerie et argenterie, Europa Star, 1959

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L' auberge du Wirthen, àSoleure, rassemblait audébut du vingtième siècle

tout ce que la ville comptait d’étudiants,de bourgeois et d’employés de manu-factures horlogères de la région. C’estlà que la carrière d’Hugo Buchser pritson envol, en 1919. Le jeune homme,qui était le fils de l’aubergiste, possédaitdéjà la bosse des affaires. Il ne s’agissaitpas alors de sa première initiative entant qu’entrepreneur horloger, mais celle-ci était de loin la plus originale: elle por-tait sur des «cadrans inversés». Alors qu’il était attablé un soir à l’au-berge, Hugo Buchser capta la conversa-tion de deux horlogers à la mine décon-fite, installés à la table voisine. Un deshorlogers confia au jeune homme la rai-son de leur tracas: «Figurez-vous quenos ouvriers ont réussi à monter touteune production de montres avec desrouages qui tournent à l'envers...». Leurdépit s’envola pourtant bien vite, lorsqueleur interlocuteur se proposa de racheterla production «gâchée», qui s’élevait àun millier d’unité. L'affaire fut rapidementconclue. A bon prix, bien entendu.

Quelques mois plus tard, le jeune homme,dans sa vingtaine, s'embarqua à Gênessur un paquebot à destination des Indes.«A l'aube d'une nouvelle décennie»,devait penser Hugo Buchser sur le pont duvapeur face à la Méditerranée. Dans sacabine, il avait déposé une grosse mallecontenant plus d'un millier de montresdont les aiguilles tournaient à l’envers.Il s'agissait de son premier voyage versune contrée si lointaine. Et le jeunehomme ne se lassait pas de pointer sondoigt sur la carte figurant l'itinéraire dupaquebot: Pompei, Héraklion, Alexandrieet Aden, jusqu'à sa destination, Bombay,porte des Indes. Il égrenait ces nomscomme un homme d'Eglise le ferait deson chapelet.

Savoir sauter du train en marche Des voyages, certes, il en avait déjà effec-tué à foison sur le Vieux Continent. Il avaitsillonné l'Europe de l'Ouest: l'Allemagne,la Belgique, la Suisse et la France. Pourson propre compte, car il n'était pashomme à recevoir des ordres, préférantconcrétiser les idées – nombreuses - qui

traversaient son esprit. Il avait été élevédans la tradition de l'école humaniste etcatholique du Collège Saint-Michel deFribourg, qui lui avait donné le goût de«tout voir, tout savoir». Pour sa première affaire, Hugo Buchseravait misé sur l'industrie de sa régiond'origine, l'horlogerie, en fondant, à 18 ans,sa propre manufacture: la «TransmarineUhrenfabrik». Un nom qui trahissait pré-maturément son goût pour l'exotisme, lamer, les horizons lointains. Au sortir de laguerre, il avait étendu son commerce auxpays environnants. Le jeune entrepreneur ne comptait plusles trains qu'il avait pris pour se rendreà Bruxelles, son autre quartier général. Niles longues procédures à effectuer pourobtenir des sauf-conduits, à une époqueoù les frontières constituaient encoredes murs difficiles à franchir, alors que leprotectionnisme économique, couplé àun nationalisme exacerbé et guerrier,faisait rage en Europe. Alors, pour arrondir les fins de mois, lejeune homme embarquait aussi quelquesmontres ou bijoux supplémentaires.L’aventurier dut même, à l’occasion, tirerla sonnette d'alarme et sauter du train,alors que les douaniers approchaientdangereusement de sa cabine...

Une fortune en dents de scie Le clan Buchser, originaire de Herzogen-buchsee dans le canton de Berne, s'étaitinstallé à Soleure à la Réforme, afin deconserver sa foi catholique. Parmi lessouvenirs épars qui lui restaient de songéniteur, propriétaire de l’auberge, legarçon se rappelait un homme au regardsévère, à la stature imposante, possé-

VOYAGE INITIATIQUE AUX INDES

Stand de la marque Transmarine, fondée par le jeune Hugo Buchser, à la foire de Vienne, 1923.

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dant une autorité naturelle dont lui-même semblait avoir hérité. Le commerce du Wirthen était florissant- il était le premier établissement de laville à proposer des salles de bains.Grâce à lui, le patriarche était mêmedevenu «millionnaire-or». Mais sa mortprécoce, à l’âge de 40 ans, dans sonrestaurant, avait ruiné la famille. Car safemme, trop généreuse, céda par lasuite la fortune familiale à des person-nages peu scrupuleux, venus réclamerdes créances inexistantes. Hugo, le cadet, avait donc été élevé chi-chement avec ses six frères et soeurspar sa seule mère. L'un de ses deux frè-res était entré dans les ordres et, après

un passage à Einsiedeln, avait rejoint unmonastère situé au fin fond de la pampaargentine. Il y avait pris le nom de «pèrePolycarpe».

Les montres magiques du fakir suisseVoyant s'éloigner les rivages européens,sur le pont du navire qui l'emmenait versles Indes, Hugo Buchser se rappelait cer-tainement les quatre cents coups qu’ilcommettait à Bruxelles avec son autrefrère aîné, Franz. Le cadet se faisait géné-ralement passer pour le fiancé de laduchesse du Luxembourg, ou, avec sonaîné, pour un officier de la police desmoeurs de la capitale belge. Tous deux

possédaient le goût de la mystification. Ason départ pour les Indes, Hugo laissa sonfrère poursuivre l'aventure Transmarineà Bruxelles. Le voyage vers l'Orient dura plusieurssemaines. A son arrivée à Bombay, lecoeur du jeune aventurier battait fort.Que de promesses pour ses montres«innovantes» dans le sous-continentencore sous domination britannique! L'avenir lui donna raison: les montressoleuroises à ressorts inversés s'arra-chèrent. Du marin au maharadjah, tousvoulaient acquérir cette «nouveautédistinguée», cet «objet à la mode»,ainsi que les présentait astucieusementl'entrepreneur suisse. Tant pis si, du faitde leur défaut de fabrication, les horlo-ges ne pouvaient remplir leur rôle degarde-temps. Après tout, peu de gensavaient appris à lire l'heure en Inde à

Avec des prêtres zoroastriens: le fakir suisse en bonne compagnie, Bombay, 1920.

Sur les routes de l’Inde, 1920

Damas, La Revista Relojera n° 39/1945 Longines, La Revista Relojera n° 37/1945 Piaget, The Eastern Jeweller & Watchmaker 1950

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l’époque. La valeur ornementale desproduits était bien plus importante queleur fonction d’origine. Le jeune Hugo avait plus d'un tour danssa malle. En plus des montres «inver-sées», il avait également emporté auxIndes des horloges fluorescentes àradium. Leur fonctionnement était sim-ple: il s'agissait de les exposer au soleilpour qu'elles s'illuminent. Mais cet argu-ment ne devait pas sembler assez effi-cace à l'entrepreneur. Lorsque celui-cise rendait chez les maharadjahs pourleur présenter son produit, il insistaitdonc sur le fait que le mécanisme étaitactionné «par magie».Alors qu'il s'entretenait avec eux d'undiscours de présentation, l'aventurierprenait soin d'exposer subrepticementl’horloge au soleil. Au moment choisi, ilprononçait une formule magique, quine manquait pas d'épater son audi-toire, conquis.

Sous la tente de Gandhi De Agra à Lahore, de Bénarès à l'HinduKush, les mécanismes inversés et horlo-ges luminescentes permirent au jeune

Hugo Buchser de sillonner l'Inde en longet en large pendant une année entière.Son plan initial consistait à pousserl'expédition jusqu'aux Indes néerlandai-ses, mais les charmes du sous-continentle retinrent de continuer son périple –tout comme le fait que ses produitsavaient été écoulés avec facilité.Son séjour prolongé lui permit même– selon la légende – de dormir sousla tente d'un avocat indien, épris luiaussi de liberté, du nom de Gandhi. Tousdeux entretinrent par la suite une cor-respondance, malheureusement dispa-rue aujourd'hui. En 1921, Hugo Buchser reprit le cheminde l'Europe. Cette année indienne avaitaiguisé son esprit d'indépendance etson goût pour l'aventure. Il se voyaitdéjà embarqué dans d’autres périples,de l'Europe à l'Amérique du Sud. Lesannées 1920 méritaient bien leur appel-lation d'«années folles». Elles verraientla concrétisation de ses premières idéespour mettre en lien les horlogers dumonde entier et alimenteraient les récitsépiques, tantôt imaginaires, tantôt vécus,de ce «self-made man» inspiré.

Au pied des pyramides et du Sphinx, Egypte, 1920.

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A u début des années 1920,après des premiers pas dansla production et l’exporta-

tion de montres, Hugo Buchser revintdans sa ville natale de Soleure. Il yconvola en justes noces, en 1926, avecMary Stüdeli, une héritière de la grandemanufacture horlogère Roamer (Meyer-Stüdeli), qui produisait alors plus d'unmillion d'unités par an. Tous deux s’étaient rencontrés au sein duchoeur mixte de la cathédrale Saint-Ours,une des plus belles églises baroques deSuisse. Comme Hugo Buchser, la jeunefemme, avec ses grands yeux verts, sescheveux foncés et sa peau mate, nerépondait pas aux stéréotypes de laSuisse allemande «bon teint». La villede Soleure, en tant que cité de résidencediplomatique, était aussi le creuset demultiples métissages.

Animé par l’air du large et doté d’unsolide flair artistique, Hugo Buchser s'étaitmis aux affaires par défaut, pour gagnerson pain. S’il possédait assurément labosse des affaires, son rêve était enréalité fait d'écriture, de vie bohème, de

se dédier tout entier à l'art, comme sonparent proche, le peintre et aventuriersoleurois Frank Buchser. «Hidalgo» séducteur, amoureux del'Espagne, Hugo Buchser partait durantdes mois vivre avec les Andalous, dont iladmirait la fierté et aimait le mode devie, libre et indépendant, sans attaches.Son amour de l'art et sa réussite enaffaires étaient reliés par des traits com-muns: un caractère hors norme, uneforce de travail et de persuasion au ser-vice d’idées non conventionnelles, sansoublier un franc parler qui lui attirera desolides inimitiés.

Premiers pas dans l’édition C'est en 1929, peu avant la grande criseéconomique, que l'entrepreneur fraîche-ment installé à Genève, sa nouvelle citéd'élection, fonda le Guide des Acheteurspour l'horlogerie et la bijouterie. Répon-dant à une demande croissante, ce guidefut le premier à répertorier toutes lesadresses utiles du secteur industriel hor-loger en Suisse. Le compte-rendu bimen-suel des «possibilités et situations desmarchés d'exportation» accompagnaitle guide. Avec ces publications, Hugo Buchserposait les bases de ce qui allait devenir

la revue Europa Star, telle que nous laconnaissons aujourd'hui. Le corollairenaturel de l'industrie horlogère étantcelle de la machine, l'homme d'affaireslança aussi en 1932 le Guide desMachines, ainsi qu'un Bulletin d'infor-mations techniques, qui connaîtrontrapidement une diffusion mondiale.Hugo Buchser ne s’intéressait d’ailleurspas uniquement au domaine horloger.Voyageur infatigable, il conçut égale-ment dès 1932 le Guide Rapid. Sorte deguide Michelin de l’époque, ce recueilpratique d’adresses accompagnait lestouristes en visite à Bâle, Zurich ouGenève, à la recherche d'une boutiqueattractive ou d'une auberge conviviale.Se basant sur les expériences person-nelles de son créateur, qui avait le palaisfin et le regard acéré, il connut un suc-cès d'édition considérable.

Un patriarche intransigeantCes années furent aussi celles de lapaternité pour Hugo Buchser. Sa femmelui donna trois filles, Doris, Suzi etLisbeth. Pour conserver le lien aux ori-gines, elle retourna à chaque fois àSoleure pour accoucher. Les trois héri-tières furent éduquées «à la garçonne»,sous l'oeil omnipotent de l'autorité

LES DEBUTS DANS L’EDITION

Mariage de Hugo Buchser et Mary Stüdeli, cathédrale Saint-Ours, Soleure, 1926.

Les premiers guides crééspar Hugo Buchser au début

des années 1930: le guide des Acheteurs,

le guide Rapid et le guide des Machines.

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paternelle. Un père souvent absent,voyageur au long court, mais faisantrégner l'ordre et la discipline lors de sescourts passages à Genève.La famille posséda ainsi la première pis-cine privée de la ville, en partie creuséepar les petites mains des trois filles. Lesfillettes devaient aussi récolter les pom-mes des quelque 150 arbres fruitiers dujardin. Le patriarche voulait enseigner lavaleur de l'effort individuel, clé versl’indépendance lorsque, comme lui, onpartait de zéro. La contrepartie à cette discipline de ferfut une ouverture au monde par desvoyages alors réservés à une classe pri-vilégiée, vers l'Espagne, l'Italie ou laFrance. Lorsqu'on arrivait quelque part,il fallait tout voir: musées, églises, laplus petite chapelle était visitée de fonden comble. Et le soir, les filles avaientpour devoir de fournir un compte-rendudétaillé de leur journée de visites à leurpère. Il fallait voir, écouter et s'instruire.Et pour cela, il n'y avait pas d'heure, pasd'excuse qui tienne. Du reste, Hugo Buchser usait de cemême mélange explosif de sévéritépossessive et bienveillante vis-à-vis deses employés. Ceux-ci devaient aussivenir jardiner dans la villa de leur patronen fin de semaine. A une époque oùintégrer une société était perçu comme

un contrat à vie et où un directeur incar-nait véritablement son entreprise, lesemployés étaient contraints de se dévouercorps et âme au bien-être matériel deleur employeur...Les années de guerre affectèrent lecommerce de revues et guides horlo-gers. En ces années de rationnement,l'entrepreneur fut obligé de mettre surles plots sa fidèle Oldsmobile, aveclaquelle il sillonnait le Vieux Continent,

à défaut de la donner à l'armée. En1941, il se retrouva bloqué à l'hôtel Ritzavec la communauté suisse de Barcelone.Au même moment, à Genève, la familleBuchser accueillait des enfants étran-gers, victimes des aléas de la guerre. La priorité était alors à la survie, natio-nale et individuelle. Mais l'après-guerresera la période d'un formidable rebondéconomique, tant pour la Suisse quepour la société fondée par Hugo Buchser.

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Début des années trente, les trois filles du couple Buchser: Suzi, Doris et Lisbeth, Chêne-Bourg.

Milus, Eastern Jeweller n° 21/1954 Certina, Estrella del Sur n° 13/1952 Herodia, Oro y Hora n° 28/1953 Nivarox, Europa Star n° 1/1959

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Girard Perregaux, The Eastern Jeweller & Watchmaker n° 14/1952

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A u lendemain de la Deuxièmeguerre mondiale, qui avaitmis un frein aux possibilités

de développement commercial des gui-des horlogers en entravant les déplace-ments de son fondateur, Hugo Buchserretrouva sa frénésie de voyages d'affaires. Dès 1946, il se rendit en Allemagne,réduite à l'âge de pierre industriel,l'«heure 0». En chemin, il visita plusieursanciens camps de concentration, ouvertsau public par les Alliés pour dévoiler leshorreurs du régime nazi et servir le leit-motiv «plus jamais ça». L'entrepreneur se rendit compte que desmarchés prometteurs s'ouvraient aussi

hors d'Europe, à la faveur d'une nouvellemondialisation des échanges. L'Amériquelatine, le monde arabe et l'Extrême-Orient bruissaient des espoirs d'une«troisième voie», entre les tenailles com-munistes et capitalistes.

L’appel de l’Amérique du SudEn 1948, Hugo Buchser s'embarqua avecsa fille Doris sur un transatlantique àdestination du Brésil pour une tournéelatino-américaine. Ce continent ne lui étaitalors pas totalement inconnu: dès 1942,l’éditeur suisse commença à publier lemagazine horloger La Revista Relojeradepuis Buenos Aires. En Amérique Latine

émergeait alors une nouvelle classemoyenne, pleine de promesses pour lemarché de l'horlogerie et de la bijouterie. Partout où il passa, l'entrepreneur suisselaissa une trace éditoriale. Il fonda auBrésil la revue spécialisée Elegancia ePrecisao et en Argentine l'Estrella delSur, sur un modèle d'affaire simple: cesrevues étaient conçues à Genève avantd'être distribuées outre-Atlantique. Surplace, un homme de confiance s'occupaitde démarcher les fournisseurs horlogersafin que ces derniers investissent dansles encarts publicitaires de la publication.L'homme d'affaires restait aussi hommede lettres. L’aventurier était insatiablede curiosités et de rencontres, lui quidisait parler le «marineiro», un mélanged’italien, d’espagnol et de portugais, le«langage des marins». Sur le chemin duretour, il fit escale à Lisbonne, où il fondala revue Belora, ainsi qu'en Espagne, où lapublication Oro y Hora vit le jour en 1949. Ecrivain inspiré, Hugo Buchser tenait delongs récits de voyages lors de tousses déplacements. Ses «Impressionsd'Amérique latine» seront publiées parla Tribune de Genève. Elles commencentpar ces mots prometteurs: «Le Brésil estune grande énigme.»Lucide sur les rapports de force écono-miques, l'actualité semble lui donner

VERS UNE REVUE GLOBALE

Le Transatlantique Rex: en vapeur, direction le Brésil, 1948

Zenith, Oro y Hora n° 32/1954 Norexa, Oro y Hora n° 34/1954

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raison lorsqu'il écrit: «Les Etats del'Amérique du Sud se développent avecun dynamisme extraordinaire, surtoutdepuis une dizaine d'années, et, tandisque beaucoup de pays européens décli-nent lentement, des nations comme leBrésil se tournent avec énergie et avecfoi vers un avenir plein de promesses.»

En Orient et en Occident En 1950, c'est avec son autre fille, Suzi,qu'il entama une tournée similaire, un«voyage d'étude» comme il aimait lesappeler, au Moyen-Orient et en Asie. Il yfonda les revues Orafrica et The EasternJeweller and Watchmaker. De l'hôtel Raffles de Singapour aux sentiers pous-

siéreux de l'Inde et de la Thaïlande, sonaplomb et son entregent lui ouvrirent biendes portes – commerciales ou spirituelles. Avec la même lucidité, bien que déjàaffaibli par la maladie, l'homme d'affairesavisé comprit très tôt le fort potentieléconomique que représentait la créa-tion du marché commun européen,initié par le Traité de Rome en 1957.Près d'une décennie après son «étoiledu sud» argentine, Hugo Buchser lançaalors son étoile européenne, la revueEuropa Star, ainsi que la revue Eurotec,dédiée aux machines. Europa Star allaitdonner son nom à l’ensemble des publi-

cations du groupe la décennie suivante,sous l’impulsion de son gendre et suc-cesseur Gilbert Maillard. Les années 1950 virent ainsi la consoli-dation des projets élaborés par l'entre-preneur à l'issue de ses multiples voyages.Sous le nom de Bureau de documenta-tion industrielle, dont le siège employaitune trentaine de personnes à Genève,c'est un véritable réseau mondial d’infor-mation, une toile Internet avant l'heure,qui s’est alors tissée autour de l'industriehorlogère, bijoutière et des machines.Et qui se poursuit aujourd’hui encore,quelque cinquante ans après la mort du«patriarche».

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La Tour de l’Ile, siège du Bureau de documentation industrielle, Genève

Voyage en Extrême-Orient, Royaume de Siam, 1950

L’Hôtel Oriente, à Barcelone, lieu de fréquents séjours d’affaire et d’agrément. Les époux Buchser sur les Ramblas

Le portrait «officiel» d’Hugo Buchser, 1959

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Aperçu des publications du Bureau de documentation industrielle: une toile horlogère se tisse aux quatre coins du globe.

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Les aiguilles tournentPlus encore que la passion des montres,le goût des belles oeuvres de l'esprithumain, associé à celui des rencontreset des aventures, ont animé l’esprit fron-deur d'Hugo Buchser. Un homme à plu-sieurs visages: artiste rêveur et hommed'affaires intransigeant et pragmatique;père et employeur autoritaire, «à l'an-cienne», mais doté d'un esprit nonconformiste, empreint de liberté faceaux valeurs et rigidités bourgeoises. Aussi à l'aise sur les ponts du QueenMary que dans les vieilles haciendasargentines, cette personnalité «globale»n’avait pas pour habitude de lancer descritiques dans le dos. Sa franchise, demême que son intuition commerciale,n’épargneront pas ennemis et envieux àcelui qui ne supportait pas de ne pasavoir la décision en main. Face à cet esprit rebelle et têtu, qui mettaitconstamment les gens au défi, il fallaitrésister pour être estimé. Hugo Buchsersavait aussi manier l’arme de l’humourpour décontenancer ses proches. Une anecdote plus que tout autre illus-tre son état d’esprit. Réputé pour lesbals costumés qu'il organisait au pas-sage de la nouvelle année, Hugo Buchserannonça lors d’une de ces festivités avoirinvité un hôte d'honneur, un «baron»,à l'assistance qui se composait d'unetrentaine de personnes. Il convenait d'ac-cueillir de façon appropriée cet hôtede marque. Quelle ne fut la surprisede toutes ces bonnes gens en frac et

robe de gala, qui s'étaient disposés enhaie d'honneur, lorsque le «baron» fitson entrée.En fait d'aristocrate, il s'agissait d'unclochard, avec fripes et haleine en règle,qui s'écria avec fracas: «Salut la compa-gnie! C’est la fête!». Un sourire, mi-amusé mi-méditatif, se dessinait sur levisage mat et marqué par les voyagesd’Hugo Buchser. Peu des convives pré-sents revinrent l'année suivante...Cette force de caractère, l’éditeur laconservera jusqu'à sa disparition en

1961. Son héritage vis-à-vis du secteurhorloger s’exprime toujours aujourd’huiencore à travers la diffusion globale desrevues Europa Star. Sous la direction desgénérations successives de la familleMaillard-Buchser, ses publications ontaccompagné et analysé tous les bonds etrebonds du secteur horloger, des années1960 à nos jours. Elles ont aussi absorbé,avec la souplesse d’esprit qui caractéri-sait leur fondateur, le grand saut tech-nologique de la dernière décennie. Maiscette histoire-là reste encore à conter.

Hugo Buchser entouré des actuels rédacteur en chef et directeur des publications Europa Star, Pierre et Philippe Maillard, Genève, 1960.

Un supplément spécial à Europa Star Première, la Lettre de l’Horlogerie Internationale,Vol. 13, No 5 du 13 octobre 2011; une publication de Europa Star HBM SA, Route desAcacias 25, CH 1227 Carouge, Genève. Tel. +41 22 307 78 37, Fax +41 22 300 37 48,

email: [email protected], www.worldwatchweb.com, www.europastar.bizRédaction originale française: Serge Maillard • Traductions : Paul O’Neil, anglais; Carles Sapena, espagnol• Graphisme: Alexis Sgouridis • Production: Francine Papaux, Talya Lakin.Tirage de 1000 exemplaires en français, dont cinquante exemplaires numérotés de 1 à 50. Versions anglaise etespagnole publiées sous forme de e-book sur www.europastar.com et www.horalatina.com (Web & iPad)Toutes les archives, publicités et articles de l’époque, de 1927 à nos jours, à retrouver prochainement sur EuropaStar World Watch Web. Imprimé à Genève par SRO-KUNDIG. Copyright 2011 EUROPA STAR HBM SA

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Page 15: THE WORLD’S MOST INFLUENTIAL WATCH MAGAZINE …convola en justes noces, en 1926, avec Mary Stüdeli, une héritière de la grande manufacture horlogère Roamer (Meyer-Stüdeli),

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Page 16: THE WORLD’S MOST INFLUENTIAL WATCH MAGAZINE …convola en justes noces, en 1926, avec Mary Stüdeli, une héritière de la grande manufacture horlogère Roamer (Meyer-Stüdeli),

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