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Marine Soichot's PhD Thesis "Science museums and science centres facing climate change. What science communication modes for a socioscientific issue?

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MUSEUM NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE ECOLE DOCTORALE SCIENCES DE LA NATURE ET DE LHOMME (ED 227)

Anne 2011

N attribu par la Bibliothque |_| |_| |_| |_| |_| |_| |_| |_| |_| |_| |_| |_|

THESE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DU MUSUM NATIONAL DHISTOIRE NATURELLE

Spcialit : Sciences de linformation et de la communication - MusologiePrsente et soutenue publiquement par

Marine SoichotLe 26 janvier 2011

LES MUSEES ET CENTRES DE SCIENCES FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE. QUELLE MEDIATION MUSEALE POUR UN PROBLEME SOCIOSCIENTIFIQUE ?

Sous la direction de : Monsieur le Professeur Yves Girault

JURYMme Amy Dahan-Dalmedico Mme Jolle Le Marec M. Alain Legardez M. Roland Schaer M. Yves Girault Directrice de recherche, CNRS, Centre Alexandre Koyr, Paris (075) Professeur, cole Normale Suprieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon (069) Professeur, Universit de Provence, Aix-en-Provence (013) Directeur Science-Socit, Cit des Sciences et de lIndustrie, Paris (075) Professeur, Musum National dHistoire Naturelle, Paris (075) Directeur de thse Rapporteur Examinateur Prsidente du jury Rapporteur

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Avant-propos

Cette thse est laboutissement dun parcours dtudes suprieures, commenc il y a dix ans en classe prparatoire maths-bio. Plutt quune cole dingnieurs, jai prfr intgrer lcole Normale Suprieure de Cachan, par got pour la biologie et par attrait pour lenseignement et la recherche. Jai pu y approfondir divers domaines comme la gntique molculaire ou encore la biologie des populations, mais galement explorer dautres voies au travers denseignements ou dactivits associatives. Aprs cinq annes dtudes en sciences dures, conclues par le concours de lagrgation en Sciences de la Vie et de la Terre, jai alors ngoci un virage vers les sciences douces et plus particulirement, vers les tudes sociales des sciences et techniques. Sciences et socit, sciences en socit, jtais galement intresse par leur communication et leur mdiation. Un stage au Palais de la dcouverte avait aiguis mon intrt pour les muses et centres de sciences. Aprs deux ans dtude au niveau Master en histoire et sociologie des sciences au Centre Alexandre Koyr (CAK) puis en musologie au Musum, jai associ ces deux aspects dans cette thse : une question sciencessocit vue par les muses et centres de sciences. Pourquoi le climat ? Parce que ctait un sujet qui explosait dans les agendas politiques et mdiatiques, que je souhaitais mloigner un peu des sciences de la vie (jaurais pu tudier les OGM ou encore la biodiversit). Un pied au Musum, un pied au CAK, jai dbut cette thse en octobre 2007, entre STS (Science and Technology Studies), sciences de lducation et science de linformation et de la communication. Elle aboutit aujourdhui, trois ans et quelques mois plus tard. Au cours de ces trois annes, jai poursuivi ma rvolution culturelle entre sciences dures et sciences douces, mais aussi entre enseignement, recherche et divers modles de communication et mdiation des sciences. Je me suis investie dans la cration dun mdia web sur les sciences et techniques. Projet parallle et complmentaire de ma thse, Pris(m)e de tte, qui sintgre aujourdhui tout un cosystme mergent de nouveaux mdias sur les sciences. Cest aujourdhui dans cette voie que je pense poursuivre. Finalement, que retenir de ces dix annes ? Ne pas suivre lautoroute, prendre les chemins de traverse quitte faire des dtours, mais toujours avancer : on arrive forcment quelque part.

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RemerciementsJe remercie tout dabord mon directeur de thse, Yves Girault, pour son encadrement et ses conseils lors de ce travail de thse ralis au Musum National dHistoire Naturelle au sein de lquipe Paloc (UMR 208). Je le remercie chaleureusement pour la confiance et lautonomie quil ma accordes. Je suis trs reconnaissante toutes les personnes rencontres Cap Science, Science Animation, la Cit des Sciences et de lIndustrie et au Science Museum, pour leur disponibilit, leur patience ainsi que leur investissement dans les entretiens denqute. Je tiens en particulier remercier Victoria Caroll pour sa gentillesse et toute laide quelle ma apporte lors de mon travail de terrain au Science Museum. Je remercie galement, le personnel des services darchives du Science Museum et de la Cit des Sciences. Lors de ce travail de thse, jai ralis un sjour Londres o jai t accueillie au sein du Science & Technology Education Group du Department of Education & Professional Studies au Kings College. Je remercie trs chaleureusement Justin Dillon qui ma offert la possibilit de travailler au sein de son quipe. Par ailleurs, ce sjour naurait pas t possible sans lobtention dune bourse de circulation doctorale auprs de lIFRIS. Je remercie tous les chercheurs, doctorants et tudiants avec lesquels jai eu la chance dchanger et de collaborer dont les membres du sminaire Changement climatique, expertise et fabrications du futur ainsi que les doctorants du Centre Alexandre Koyr, en particulier Amy Dahan, Hlne Guillemot, Stefan Aykut et Anne Gagnebien et Emmanuel Paris. Je suis reconnaissante Jean-Baptiste Comby : sans son propre travail de thse, cette thse naurait pas t ce quelle est. Je remercie trs chaleureusement Benoit Urgelli pour son coute, ses conseils et nos changes autour de nos de sujets de recherche respectifs. Je tiens remercier trs chaleureusement toutes les personnes quil ma t donn de ctoyer au quotidien lors de ces trois annes au Musum et qui mont tous aide chacun leur faon : Anne Nivart, Isabel Notarris, Nabila Khiati, Isabelle Chesneau, Dominique Brmond, Alain Cardenas-Castro, Michle Kergus, Nicolas Alfred. Jadresse un remerciement spcial Anne Jonchery pour ses conseils aviss et les bons moments partags pendant quelques trois annes dans le mme bureau. Un remerciement tout particulier aux personnes, collgues, amis, famille, qui mont accord de leur temps pour lire et relire, sur le fond et sur la forme, les quelques 400 pages de ce manuscrit : Anne B., Tr, Julia, Elena, Leena, Antoine, Marine, Jean-Baptiste, Hlne, Bastien, Gayan, Anne N., Agathe, Bruno, Benoit. Merci galement Bertil pour sa prsence et son soutien durant les quelques jours qui ont prcds la soutenance. Cette thse est laboutissement dun parcours universitaire long et sinueux mais enrichissant et formateur, marqu par des rencontres et des changes que ce soit au lyce Ste Genevive M. Fogel, vous tes inoubliable- lcole de Normale Suprieure de Cachan au sein du dpartement Biochimie, Gnie Biologique et luniversit Paris 11merci Catherine Baratti et Michel Dron de mavoir laisse sortir des sentiers battus- au centre Koyr merci Christophe Bonneuil de mavoir suggr dy tudier- et au Musum. Cette thse sest (co)construite avec un autre projet celui de Pris(m)e de tte. Merci toute lquipe du Prisme pour le travail ralis ensemble, laventure continue. Chre famille, chers amis, merci pour votre soutien durant ces trois annes, parfois joyeuses, parfois houleuses. Merci mes parents qui mont toujours soutenue et qui pour la 3me

fois ont assur la logistique

dun groupe de Pques. Merci Vincent pour son soutien et ses encouragements. Merci Michel, Leena, Amandine, Agns, Flix, Fleur et Franois pour leur aide et leur prsence lors de cette dernire anne pleine de rebondissements. Enfin, plein de courage Annag : bientt nous pourrons rire de la thse et du reste, Paris, Milan ou ailleurs.

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SommaireIntroduction gnrale Premire partie. Les muses et centres de sciences : quelle mdiation des sciences ? Chapitre 1. La mdiation des sciences : du deficit model aux approches participatives.1. 2. 3. 4. Le deficit model dans un paradigme de la rupture Public Understanding of Science : deux positions pistmologiques Public Understanding of Research : la science telle quelle se fait, hier et aujourdhui. Public Engagement with Science : des approches participatives et dialogiques 12 18 27 35 39

7 11 12

Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2. Muses et centres de sciences : le positivisme en hritage1. 2. Entre production et transmission des savoirs Des visiteurs de plus en plus actifs 43 47 53

43

Conclusion du chapitre 2

Chapitre 3. Institutions scientifiques, institutions culturelles1. 2. Lieux de savoirs, lieux de pouvoirs Les muses et centres de sciences, entreprises culturelles 55 60 68

55

Conclusion du chapitre 3

Chapitre 4. Les muses et centres de sciences face aux problmes socioscientifiques : quelles perspectives ?1. 2. Quels positionnements face aux problmes socioscientifiques ? Des exprimentations musologiques 69 80 87

69

Conclusion du chapitre 4

Conclusion de la premire partie Deuxime partie. Le changement climatique, un problme public Chapitre 5. De l'international au national, lmergence du problme climatique1. 2. Le problme climatique dans les arnes scientifiques et diplomatiques Emergence du problme aux chelons nationaux 99

89 92 99118 129

Conclusion du chapitre 5

Chapitre 6. Le dploiement du changement climatique en France, action publique et mobilisation des associations1. 2. Laction publique en matire de changement climatique Les associations environnementales et le changement climatique

132132 137 147

Conclusion du chapitre 6

Chapitre 7. Le changement climatique dans les mdias franais. Etude la presse hebdomadaire dactualit1. 2. Corpus, chantillon et mthodologie Une focalisation sur les consquences au dtriment des causes 5

151151 171

3. 4.

Alerte et appel laction Peu de controverses et de dbats, un problme dconflictualis

177 195 203

Conclusion du chapitre 7

Conclusion de la deuxime partie Troisime partie. Le changement climatique par les muses et centres de sciences : dfinition du problme, mode de mdiation et postures des acteurs. Chapitre 8. Dfinition du changement climatique dans les productions musales1. 2. Composition du corpus, mthodologie et premiers rsultats Unit et diversit dans la dfinition du problme climatique

205 208 210211 220 230

Conclusion du chapitre 8

Chapitre 9. Science Animation : faire la preuve du changement climatique1. 2. Deux expositions qui font la dmonstration Faire la preuve, une logique de distinction

237237 242 251

Conclusion du chapitre 9

Chapitre 10. Cap science : de la mdiation des sciences celle du problme public1. 2. Une exposition et un serious game Tensions entre des postures de rupture, interventionnistes et critiques

253253 269 274

Conclusion du chapitre 10

Chapitre 11. The Science Museum : essais, succs et erreurs musologiques1. 2. 3. Quatre expositions traitant du changement climatique Evolution des modes de mdiation La nouvelle galerie sur le climat : un retour aux fondamentaux

277278 293 308 318

Conclusion du chapitre 11

Chapitre 12. Climax : une exposition hors normes1. 2. Trois espaces, trois faons daborder le changement climatique Partis-pris et conception dune exposition hors normes

320320 329 346

Conclusion du chapitre 12

Conclusion de la troisime partie Conclusion gnrale Bibliographie Abrviations Annexes Table des matires

348 355 364 384 385 398

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Introduction gnraleLes muses et centres de sciences se sont historiquement constitus comme des institutions scientifiques et culturelles dtentrices dun savoir savant quelles se proposent de transmettre des publics dans un rapport unidirectionnel. Dans ce schma les sciences sont considres comme productrices de vrit. Des mthodes (e.g. la mthode exprimentale hypothtico-dductive) ainsi que des organisations sociales (e.g. la validation par les pairs) spcifiques instituent les conditions de la production de savoirs et en garantissent lobjectivit. Dans une approche dogmatique (BensaudeVincent 2003), les sciences sont alors considres comme une entreprise humaine particulire dgage des contextes historiques, culturels, sociaux, religieux, etc. Depuis quelques dcennies on assiste une remise en cause notable des sciences triomphantes, par ailleurs devenues technosciences (Pestre 2007). Les sciences et technologies ne sont plus uniquement considres comme pourvoyeuses de progrs mais galement comme gnratrices de risques (Beck [1986] 2001). Manipulations gntiques, dchets nuclaires, sang contamin, pollution diverses, changement climatique, etc., divers dbats, affaires et scandales ont fait sortir les sciences et techniques des cercles restreints de spcialistes et ont redessin les frontires de la production des savoirs et de lexpertise (Callon, Lascoume et al. 2001). Ces problmes socioscientifiques (Sadler 2004) ou controverses sociotechniques (Pestre 2007) ou encore questions scientifiques socialement vives (Legardez and Simonneaux 2006), sont largement mdiatiss et font lobjet dune intervention de la puissance publique. Ils deviennent alors problme public (Neveu 1999) et ne sont plus uniquement une affaire scientifique. Les dbats se conjuguent tant sur les plans scientifiques et techniques que politiques, thiques, conomiques, sociaux, culturels, historiques, etc., et mobilisent des acteurs divers, scientifiques, journalistes, politiques, associations, etc. Lorsquils choisissent daborder ces sujets les muses et centres de sciences se trouvent face un paysage protiforme et mouvant o lautorit des scientifiques et experts se trouve parfois remise en question par dautres acteurs sociaux. Ds lors, comment peuvent-ils apprhender ces sujets? Quest ce que cela reprsente pour les professionnels et pour les institutions ? Ce sont ces questions que nous proposons de poser dans cette thse. Quel cadre dtude est-il pertinent de mobiliser pour aborder ces questions ? Nous souhaitons interroger le rapport des institutions musales aux sciences dans la perspective des problmes socioscientifiques. Nous choisissons de nous situer dans une perspective avant tout socitale plutt quhistorique, pistmologique, didactique ou communicationnelle. Les tudes en sciences sociales sur les sciences, en particulier le champ dit STS (Science and Technology Studies ou encore Science, Technique Socit), fournissent un point dentre fcond pour aborder les problmes socioscientifiques. En effet, ce champ de recherche sest en partie constitu partir dtudes de controverses scientifiques et sociotechniques. Par ailleurs, ils fournissent des lments pour repenser la vulgarisation ou mdiation scientifique. Cette entreprise a pu porter de nombreux noms : vulgarisation, popularisation, communication, mdiation, information, culture, ducation informelle, etc. (Jeanneret 1994). Il nest pas question ici dexposer les fondements de ce dbat lexical et encore moins de le trancher. Il faut bien cependant saccorder sur un terme. En France, celui de vulgarisation sest tout dabord impos avant dtre remplac par celui de mdiation qui semble lemporter aujourdhui alors que les anglo-saxons parlent plutt de science communication 7

(Bensaude-Vincent 2001 ; Eastes 2010). Nous utiliserons le terme mdiation de faon gnrique et emploierons celui de vulgarisation pour faire rfrence au schma centr sur le dficit de connaissances (cf p. 12). La discussion sur les termes porte galement sur ceux se rapportant aux notions de savant et ignorant : savant, scientifique, chercheur, aristocrate du savoir, ignorant, profane, public, homme de la rue, proltaire de la connaissance, etc. (Jurdant 1973). Ils portent des conceptions particulires, comme profane qui fait rfrence au religieux et au sacr. L encore nous choisissons demble de parler de savant, scientifique, chercheur, ignorant et profane, conscient que ces termes ne sont ni neutres et ni synonymes. La mdiation des sciences sest historiquement construite autour de lide que les profanes souffrent dun dficit de connaissances scientifiques quil convient de combler. Le point focal est alors la transmission de savoirs qui valorisent lentreprise scientifique. Celle-ci est mise en spectacle en dehors des contextes historiques, culturels, politiques, etc. au sein desquels elle sest dveloppe. Des approches inspires des travaux STS remettent en cause ce modle. Mlant travaux de recherche, rflexion de praticiens et programme daction politique, ces courants sur la mdiation des sciences sont principalement dvelopps dans une littrature anglosaxonne et sintitulent Public Understanding of Science (PUS), Public Understanding of Research(PUR) ou encore Public Engagement with Science (PEwS). Certains proposent une approche contextualiste de la mdiation (Wynne 1992). Ils invitent examiner la science telle quelle se fait (Shapin 1992), au-del du rcit mythique, habituellement mis en scne de faon spectaculaire, apratique et unidirectionnelle par la vulgarisation scientifique (Roqueplo 1974). Par ailleurs, les problmes socioscientifiques dbattus dans lespace public, au dehors des laboratoires et des cercles de spcialistes, suscitent un revirement participatif dans la faon de penser les sciences et technologies (Lengwiler 2008). Coconstruction des savoirs, dbats publics, expertise citoyenne, la mdiation des sciences prend le pli. Des courants plaident alors pour des perspectives dialogiques et participatives (Turney 2002 ; van der Sanden and Meijman 2008). En complment de travaux en musologie des sciences, ces approches fournissent un premier cadre pour tudier la question pose savoir : comment les muses et centres de sciences peuvent-ils se saisir dun problme socioscientifique ? Nous proposons de nous baser sur un exemple de problme socioscientifique : le changement climatique. Il nest pas possible de faire lconomie dun examen attentif de ce sujet afin de contextualiser cet objet dtude. Les travaux sur la mdiation de tel ou tel problme socioscientifique (le climat, les OGM, les cellules, souches, etc.) procdent souvent une analyse historique et pistmologique du sujet en tant quobjet de science. En ce qui concerne le changement climatique, force est de constater que les dbats actuels portent autant sur des aspects scientifiques que politiques ou conomiques et que les acteurs impliqus ne sont pas seulement des chercheurs issus des milieux acadmiques. Le changement climatique nest pas un problme de sciences prsentant des dimensions politiques, conomiques ou autres. Cest un problme politique, conomique ou autre, au mme titre quun problme scientifique. Ds lors, notre premier cadre dtude qui sappuie sur les tudes sociales des sciences en particulier le champ des STS, apparat limit. Nous souhaitons mobiliser une approche qui offre une perspective plus large, sans prsumer a priori de limportance dun champ social par rapport un autre. Pour des raisons que nous exposerons ultrieurement, nous avons choisi de nous pencher sur le traitement mdiatique du changement climatique. Ltude de la littrature sur le sujet et la connaissance du travail de Comby, dont la thse (Comby 2008) tait alors en prparation lorsque nous avons dbut notre propre recherche doctorale, ont conduit 8

examiner les perspectives offertes par les travaux sur les problmes publics dont Neveu donne la dfinition suivante :Un problme public (ou social problem) nest rien dautre que la transformation dun fait social quelconque en enjeu de dbat public et/ou dintervention tatique. Du plus tragique au plus anecdotique, tout fait social peut potentiellement devenir un problme social sil est constitu par laction volontariste de divers oprateurs (Presse, Mouvements sociaux, Paris, Lobbies, Intellectuels) comme une situation emblmatique devant tre mise en dbat et recevoir des rponses en termes daction publique (budgets, rglementation, rpression).(Neveu 1999)

La notion de problme public a pour origine les travaux mens partir des annes 1960 sur des phnomnes de dviances, dans le cadre de la sociologie interactionniste amricaine par Becker1 et Gusfield2 par exemple. Dans la ligne de ces premiers travaux, les cultural studies britanniques ont dvelopp des recherches plus axes sur les mdias avec des auteurs comme Cohen3 et Hall4 . Les dveloppements ultrieurs autour du concept de problme public ont largi les problmatiques et rassembl des recherches en sociologie et sciences politiques sur les politiques publiques, la mise sur agenda, les mouvements sociaux et les mdias (Neveu 1999). Parmi ces approches la thorie des arnes publiques, dveloppe par Hilgartner et Bosk est apparue particulirement opratoire pour notre sujet dtude (Hilgartner and Bosk 1988). Ces auteurs considrent que lespace public peut tre subdivis en plusieurs arnes au sein desquelles voluent divers acteurs ou oprateurs. Ceux-ci peuvent entrer en comptition au sein de leur arne et dans dautres arnes, pour promouvoir un problme public selon une dfinition qui leur est propre. Diffrents oprateurs peuvent porter des dfinitions diffrentes du problme. Ils usent alors de ressources et stratgies pour tenter de faire valoir leur dfinition. Cette approche des problmes publics nous fournit un canevas pour apprhender le changement climatique dans une perspective constructiviste selon laquelle les ralits sociales sont apprhendes comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs (Corcuff 2004).1

Becker fonde la sociologie de ltiquetage. Il considre que la dviance ne rsulte pas de la nature des actes rprims mais de leur qualification comme telle par les agents disposant du pouvoir de produire des normes sociales et juridiques par rapport auxquelles ces actes sont dviants (Becker [1963] 1986 ). 2 Gusfield sintresse la consommation dalcool aux Etats-Unis et aux mouvements pour la temprance depuis le XIXme sicle (Gusfield 1963). Il montre comment des oppositions morales et culturelles se traduisent en un problme public de la consommation dalcool. Il met en vidence la croisade symbolique au cours de laquelle une Amrique rurale, puritaine et protestante ragit la menace que reprsentent les nouveaux immigrants urbains, issus de lEurope catholique. Lopposition vis--vis de la consommation dalcool traduit avant tout des tensions sociales et culturelles. Vingt ans aprs, propos de lmergence du problme de lalcool au volant dans les annes 1970, il introduit deux ides majeures dans ltude des problmes publics (Gusfield [1981] 2009) : lmergence dun cadrage interprtatif dominant suite au travail symbolique ralis par les propritaires du problme. 3 Cohen propose une tude sur les affrontements entre des bandes des Mods et les Rockers - dans des stations balnaires anglaises. Il met en vidence le rle des mdias dans lmergence du problme public ainsi que la mdiatisation et la rception de celui-ci (Cohen [1972] 2002) Il sattache ltude des patrons narratifs utiliss dans la presse et montre que ceux-ci vhiculent des cadrages interprtatifs qui diffusent ensuite dans lespace public. 4 Lquipe de Hall compltent les travaux de Cohen (Hall, Critcher et al. 1978). Son travail marque une tape importante en sociologie du journalisme propos des rapports aux sources dinformation. Ils tudient lingal accs des acteurs aux mdias et les diffrences de lgitim entre les sources des journalistes. Ils introduisent le concept de dfinisseur primaire qui fournit des informations et impose sa dfinition et son cadrage du problme.

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Au cours de cette thse, nous mobiliserons tout dabord le premier cadre dtude prsent ci-dessus -les travaux du champ STS et les courants sur la mdiation des sciences qui sen inspirent- la lumire duquel nous proposons de regarder les muses et centres de sciences. Cette premire partie (chapitres 1 4) vise apprhender les difficults et enjeux que posent les problmes socioscientifiques ces institutions. La seconde partie (chapitre 5 7) retrace la construction du changement climatique en tant que problme public en sappuyant sur la thorie des arnes, le second cadre dtude mobilis dans cette thse. Il apparat que le changement climatique, du moins en France, fait lobjet dune construction consensuelle que ce soit dans les arnes scientifiques, politiques ou mdiatiques. Divers oprateurs convergent autour dune mme dfinition du problme o lindividu, dsign comme responsable, est somm de modifier ses comportements. A lissue de ces deux premires parties, notre questionnement de recherche sera le suivant : comment les muses et centres de sciences traitent-il le changement climatique? Relaient-ils la dfinition dominante du problme climatique ? Sen dtachent-ils en partie ou totalement ? Quels modes de mdiation dveloppent-ils ? Comment les acteurs du champ musal se positionnent-ils ? La troisime partie apporte des lments de rponse ces questions partir de ltude des productions de quatre institutions musales : Science Animation Toulouse, Cap Science Bordeaux, la Cit des Sciences et de lIndustrie de Paris et le Science Museum de Londres. Dans un premier temps (chapitre 8), nous prciserons la dfinition du problme climatique prsentes dans les productions musales tudies. Nous aurons alors un premier aperu du traitement du changement climatique par les quatre institutions retenues. Ensuite (chapitre 9 12), nous reviendrons sur chacune dentre elles afin de prciser les modes de mdiation musale du changement climatique en perspective avec les positionnements dclars par les concepteurs. Nous montrerons que les productions musales tudies se dtachent peu de la dfinition dominante du problme et que les dbats et controverses sont rarement prsents. Nous dgagerons quatre modes possibles de mdiation musale du changement climatique : un mode de rupture, un mode informatif, un mode rflexif et critique et un mode rsolutique. Certains lments des productions musales tudies poursuivent un objectif interventionniste : ils visent favoriser un changement de comportement ou un changement social. Enfin, nous verrons que la plupart des personnes impliques dans la conception des productions musales tudies, sont attaches la ncessit de prsenter des informations valides dans une posture dimpartialit. Par ailleurs, elles refusent dans lensemble les approches interventionnistes. De faon contradictoire, toutes les productions musales tudies prsentent des discours du type alerte et appel laction. Nous discuterons de la signification de cette contradiction, en supposant quelle pourrait tmoigner du poids de la dfinition dominante du changement climatique sur son traitement par les muses et centres de sciences.

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Premire partie. Les muses et centres de sciences : quelle mdiation des sciences ?Dans cette thse nous nous interrogeons sur le traitement des problmes socioscientifiques par les muses et centres de sciences. Cette premire partie cherche brosser grands traits le contexte dans lequel se trouvent aujourdhui ces institutions dans la perspective des problmes socioscientfiques. Lobjectif est de saisir les questions et difficults que posent ces thmatiques dans le contexte de la mdiation musale des sciences. Comme prcis en introduction, nous proposons dapprhender ltude des muses et centres de sciences la lumire de travaux du champ STS et de courant sur la mdiation des sciences, issus de ceux-ci. Trois types de ressources bibliographiques sont ainsi mobiliss : des travaux en musologie, des recherches en histoire et sociologie des sciences, des tudes sur la mdiation des sciences. Le deficit model constitue le point de dpart de la rflexion sur la mdiation des sciences propose dans le chapitre 1. Ce terme dsigne linterprtation selon laquelle la possible crise de confiance entre sciences et socits serait le rsultat dun manque de connaissance parmi les publics de ce quest la science et de ses rsultats. Plusieurs courants sur la mdiation de sciences ont tent de dpasser cette conception. Certains sont prsents dans le chapitre 1, en particulier ceux inspirs du champ des STS. Nous verrons quelles sont leur propositions en matire de mdiation des sciences et plus particulirement des problmes socioscientifiques. Nous proposons ensuite de retracer rapidement lhistoire des muses et centres de sciences, la lumire de celles-ci. Remonter aux origines de ces institutions nous permettra de mieux comprendre les enjeux et problmatiques que posent les problmes socioscientifiques aujourdhui. Il est difficile dchapper une prsentation de type volutive de leur histoire. Conscients des limites de cette approche, nous proposons une tude en deux temps. Le chapitre 2 prsente lhritage pistmologique des muses et centres de sciences puis le chapitre 3 propose une perspective institutionnelle et apprhende les muses et centres de sciences en tant quinstitutions scientifiques et institutions culturelles. Enfin, de ces deux chapitres nous tirons des lments, prsents dans le chapitre 4, qui pointent les appuis et obstacles la prise en charge des problmes socioscientifiques par les muses et centres de sciences. Ce chapitre prsente galement des exemples de traitement musologique de tels sujets. Enfin, lissue de cette premire partie nous identifions cinq modes possibles de mdiations musales des problmes socioscientifiques.

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Chapitre 1. La mdiation des sciences : du deficit model aux approches participatives.La vulgarisation puis la mdiation des sciences se sont historiquement constitues autour de lide dun foss (Bensaude-Vincent 2001), dune dissociation (Jurdant 1973) entre savant et ignorant dans un paradigme de la rupture. Lobjectif premier est souvent dinstruire par lacquisition de connaissances formelles, valides par lemploi dune dmarche scientifique. Ce deficit model ou modle de linstruction publique selon Callon (Callon 1999) contribue perptuer une vision mythique de la science comme activit mue par la recherche du vrai, en dehors du temps et des passions humaines. Cest ce mythe de la science pure que des travaux mens dans le champ dit STS, remettent en question en rintroduisant de lhumain et du social face une tradition pistmologique qui pense plus un ethos de la science que la ralit quotidienne de ses pratiques. Ce chapitre cherche mettre en regard ces travaux avec diffrentes conceptualisations de la mdiation des sciences. Nous prsenterons tout dabord comment le deficit model sinstaure dans un paradigme de la rupture entre savants et ignorants. Nous prsenterons ensuite plusieurs courants qui proposent des approches de la mdiation des sciences : Public Understanding of Science, Public Understanding of Research et Public Engagement with Science. Nous les mettrons en perceptive des apports du champ STS en sociologie des sciences. Nous mobiliserons ponctuellement des travaux sur la mdiation scientifique compris comme processus de communication ou dducation informelle, dvelopps en smiotique, en socio-linguistique et sciences de lducation5.

1. Le deficit model dans un paradigme de la ruptureNous souhaitons esquisser ici la manire dont le deficit model sest progressivement institu depuis le 18e sicle. Ce rapide retour sur quelques fondements pistmologiques de la mdiation des sciences, nous permettra de mieux cerner les approches proposes par les courants Public Understanding of Science, Public Understanding of Research et Public Engagement with Science, ainsi que les tensions existants entre ceux-ci. 1.1 Vers une rupture entre scientifiques et profanes La vulgarisation puis la mdiation des sciences historiquement t penses autour dune Les sciences se sont construites sur deux modes antithtiques : le doute critique et le dogmatisme. (BensaudeVincent 2003). Le doute, formalis par Popper dans une pistmologie de la falsification, est pour Merton, socialement rgl (norme du scepticisme organis) (Merton [1942] 1973 ; Popper [1963] 2006). Le doute critique confre leur validit aux savoirs scientifiques et, dans une approche dogmatique, consacre les sciences comme un mode suprieur de connaissance du monde. Dans cette perspective, la vulgarisation puis la mdiation des sciences ont t penses autour dune distinction entre le savant et lignorant, entre le scientifique et le profane, entre savoir et opinion, dans un paradigme de la rupture (Bensaude-Vincent 2001 ; Girault and Lhoste 2010). Celui qui sait

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Pour une introduction ces aspects de la question, on pourra se reporter aux crits dauteurs comme Jurdant, Jacobi, Schiele et Jeanneret (Jurdant 1973 ; Roqueplo 1974 ; Jacobi and Schiele 1989 ; Jacobi, Schiele et al. 1990 ; Jeanneret 1994).

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transmet alors ses connaissances celui qui ne sait pas. Cette approche prend ses racines dans la philosophie de Condorcet (1743-1794). Le projet encyclopdiste du 18e sicle vise inscrire et transmettre la postrit le systme gnral de connaissances, en se basant sur le principe que le savoir entrane la vertu qui entrane le bonheur. Condorcet prcise cette pense qui articule le social et le cognitif (Jeanneret 1994). Il affirme la progression conjointe des connaissances et de la morale. Le peuple passif volue dans une ignorance dangereuse, terreau des prjugs et superstitions qui l'loignent de la vrit et de la vertu. Cependant, si les hommes clairs lui enseignent les savoirs objectifs qui dissiperont ses prjugs, l'homme du peuple peut devenir vertueux. Il devient alors capable de s'manciper et de remettre en cause un pouvoir politique injuste. De cette faon, la diffusion des savoirs est une arme contre le despotisme. On glisse ainsi du cognitif vers le moral et le politique. Vis vis du peuple, Condorcet inscrit la mission du savant dans un cadre d'ducation sociale: le savant doit transmettre un savoir utile afin de dissiper les superstitions et de permettre l'individu d'exercer sa citoyennet, sans viser une connaissance exhaustive. Le partage du savoir recouvre alors une vertu libratrice et dmocratique. A la mme poque, Kant (1724-1804), encourage lexercice de la raison : Sapere aude ! , Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! (Kant [1784] 2007). Cest durant le 18e sicle, qumergent au sein des cafs, salons et cabinets, un espace public, dcrit par Habermas comme lieu dexercice de la raison critique (Habermas [1962] 1993). Pour cet auteur, la pratique scientifique en valorisant lexercice de lesprit critique, a contribu la constitution de lespace public. Par ailleurs, cette poque il ny a pas de nette dmarcation entre savant et amateur. Les espaces de travail et de vie quotidienne du savant sont confondus (Shapin 1992; Shapin and Schaffer [1985] 1993 ) et la pratique amateur fait partie de lentreprise scientifique (Bensaude-Vincent 2001). La figure du chercheur telle que nous la concevons aujourdhui en tant que mtier exerc dans le cadre dun laboratoire au sein dinstitutions ddies- nexiste pas. Elle napparaitra quau 19e sicle en mme temps que la vulgarisation des sciences qui se dveloppe alors sous de multiples formes (Bensaude-Vincent 2001). Cette poque est marque par la philosophie positiviste dAuguste Comte (1798-1857). Pour Comte, lesprit positif se comprend au sens de rel par opposition limaginaire. Il considre que lesprit humain passe par trois tats successifs -thologique, mtaphysique et positifselon une loi naturelle et gnrale. Dans les deux premiers tats, lesprit humain cherche une cause ultime6 aux phnomnes de la nature et de la socit quil observe. Dans ltat positif, lhomme cherche tablir les lois qui rgissent les phnomnes. Il sintresse au comment et non pas au pourquoi (Lecourt 2006). Cet tat correspond la science moderne centre sur lexprimentation, la quantification des phnomnes et la recherche de lois liant les lments dun systme. En suivant cette loi des trois tats, lesprit scientifique moderne simposerait comme mode de pense suprieur et parfait qui sapplique lesprit humain pour saisir les phnomnes quil observe mais galement la socit pour son organisation7. De l appliquer lapproche scientifique tous les problmes qui

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Causes surnaturelles dans ltat thologique, forces abstraites, insaisissables dans ltat mtaphysique. La philosophie positive de Comte a de nombreuses autres dimensions. Il tablit en particulier une hirarchie des sciences o six disciplines thoriques fondamentales doivent tre tudies dans lordre suivant : mathmatique, astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie. Par sociologie, Comte comprend lensemble me des sciences humaines et sociales. Le positivisme connaitra une nouvelle volution au dbut du 20 sicle avec le positivisme logique ou nopositivime du cercle de Vienne, dont Wittgenstein est lune des figures

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se posent lhomme, il ny a quun pas que le scientisme propose de franchir : le scientisme est une forme extrme de positivisme, fond sur la conviction que la science parviendra rsoudre lensemble des problmes pratiques, intellectuels, moraux, qui se posent aux hommes et aux socits (Tornay 2003). Par ailleurs, pour Comte le qualificatif positif appliqu la connaissance scientifique prend le sens dutile, certain, prcis. Comte conoit la science dans une perspective utilitariste : lentreprise scientifique doit dboucher sur des applications utiles aux hommes. La science tant le mode de pense et dorganisation ultime, les applications qui en sont issues sont par extension lgitimes et bnfiques. Le positivisme de Comte fonde ainsi une foi dans le progrs scientifique et technique ncessaire, irrversible, indfini dont le scientisme est lexpression la plus forte et la plus rpandue (Tornay 2003). Ainsi au cours du 19e sicle, la puissance de la science merge, la science devient porteuse de progrs et se donne une reprsentation hgmonique, faisant croire quelle est dominante (Levy-Leblond 1990) jusqu tre comme chez Ernest Renan, rige en dogme : ma religion, cest toujours le progrs de la raison, cest--dire de la science 8. Simposent alors des modles normatifs inspirs par une rfrence globale la science, conue comme seule source de vrit vritable (Jurdant 1973). Cependant, la rupture entre savants et profanes nest pas encore totalement entrine. Si Comte parle de la ncessit dune ducation universelle qui serait essentiellement destine au proltaires (cit par (Jurdant 1973)), il conoit une continuit entre le sens commun et la science et considre la distance entre les scientifiques et le public comme un artefact linguistique. Bien quune distinction sopre entre producteur et consommateur de science dans le march (trs lucratif) de ldition scientifique populaire9, la plupart des entreprises de vulgarisation de la science au 19e se basent sur ce principe de la continuit (Bensaude-Vincent 2001). La science populaire est apprhende comme complmentaire de la science acadmique. Par exemple, dans des disciplines comme la botanique ou lastronomie les observations faites par les amateurs viennent complter celle des savants. Cependant, la limite entre ces deux univers se dessine et une pratique de la science professionnelle et indpendante du monde social simpose enterrant du mme coup la pratique amateur. Selon certains auteurs comme Gibbons, un mode de production des savoirs dgag des influences extrieures se met alors en place : les savoirs scientifiques sont produits dans un cadre institutionnel stable et hirarchique de luniversit, selon une approche par disciplines; les savoirs sont valus et valids par les pairs, indpendamment du monde social (Gibbons 1994). Ce mode instaure les savants comme au-dessus de la mle, des personnages ddis la seule connaissance et au bien public, des personnages dsintresss (Pestre 2003). Pour Pestre, ce mode na pourtant exist10 ni au 19e, ni jamais : les savants ont toujours t pris dans des logiques politiques, conomiques,majeures. Le nopositivisme lutte de faon acharne contre toute forme de mtaphysique. Il ne considre comme scientifiques parmi les sciences de la nature que les propositions logiques et vrifiables (Lecourt 2006). 8 Ernest Renan, Lavenir de la science, prface, cit par (Tornay 2003). 9 Une importante littrature scientifique populaire se dveloppe avec des formats allant de la revue bon march ldition douvrage de luxe. Des diteur comme Flammarion en France ou MacMillan en Angleterre sen font une spcialit. Ce march merge galement la faveur de progrs techniques qui permettent de produire en grande quantit et moindre cot, des livres richement illustrs. 10 Pas plus que le second mode dcrit par Gibbons caractris par une forme organisationnelle souple, transitoire et diverse qui mobilisent des ressources et des acteurs extra-universitaires et o les savoirs sont valids dans des forums multiples. Les savoirs font dans ce mode cho la demande sociale, ils sont parfois mobiliss en situation durgence et dincertitude.

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sociales et militaires, ils ont toujours circul dans des rseaux dpassant les limites du champ acadmique. Cest pourtant cette reprsentation de la science qui simpose au cours du 19e sicle, une poque o le champ scientifique se reconfigure. Les scientifiques sinsrent massivement dans le monde industriel dans le cadre dun contrat social o ils deviennent patrons de grands laboratoires industriels, consultants, etc. Les technosciences industrielles mergent mais en parallle, les scientifiques parviennent mettre en place un mythe de la science pure. Cela leur permet doccuper un statut social de purs sujets connaissant ddis la seule vrit et dveloppant leurs activits de faon dsintresse (Pestre 2003). Avec cette autonomisation dune recherche professionnelle, la science populaire et la science acadmique deviennent deux mondes parallles et la premire une vulgarisation ou popularisation de la seconde (Bensaude-Vincent 2001). La rupture est tablie entre les scientifiques qui ont le monopole de la vrit et du savoir lgitime, et le reste formant le public. Au lendemain de la premire guerre mondiale, le public damateurs clairs est alors transform en une masse nave, irrationnelle et ignorante (Bensaude-Vincent 2001). Si le terme de vulgarisation apparait avec lapoge du scientisme, lentreprise vulgarisatrice ne prend toute sa dimension quaprs la seconde guerre mondiale avec le dveloppement des moyens de communication de masse qui offrent au scientisme la possibilit de satisfaire l'exigence comtienne d'une "ducation universelle" (Jurdant 1973). Lidologie scientiste peut alors tre mise en uvre11 et connait ainsi une apoge lissue de la seconde guerre mondiale. Des critiques de ce modle existent mais reste marginales12. Ce nest que dans les annes 1970 que la position hgmonique des sciences se trouve massivement remise en question. On voit alors apparaitre lide dune crise de confiance entre la science et le public. Une interprtation dominante lassocie un manque de connaissance de la part des non scientifiques, un dficit cognitif quil conviendrait alors de combler Ce schma interprtatif est nomm deficit model ou modle de linstruction publique. Nous allons maintenant voir que ce modle sinscrit dans la ligne des approches pistmologiques de la mdiation des sciences que nous venons dexposer. 1.2 Une crise de confiance, rsultat dun manque de connaissances ? La position hgmonique des sciences serait depuis les annes 1970 fortement conteste13 suite entre autres, lmergence de nouveaux risques issus des sciences devenues technosciences (Beck [1986] 2001). Ceux-ci se manifestent pleinement au cours daffaires et scandales comme le sang contamin, les dchets nuclaires, lamiante, la maladie de la vache folle, les OGM, etc., entrinant un divorce entre sciences et socit (Bensaude-Vincent 2003 ; Levy-Leblond 2004)14. Nous nallons pas discuter ici de la ralit de ce divorce ou de la crise de confiance entre sciences et socit. Ce qui nous proccupe cest linterprtation causale qui en est donne ainsi que les consquences de cette interprtation en termes de mdiation des sciences. La plus frquente est la suivante : un manque de connaissances scientifiques laisse les profanes en proie lirrationalit, ils en viennent douter de11

Ce qui amne Bensaude-Vincent considrer que contrairement la vision habituellement rpandue, le scientisme est plus une caractristique du 20e que du 19e sicle (Bensaude-Vincent 2001). 12 Pour un panorama des courants critiques des sciences en France voir (Petitjean 1998). 13 En France, dans la ligne de la contestation de Mai 1968, une critique radicale de la science se dveloppe dans les milieux acadmiques (Debailly 2010). 14 e Ce divorce, entre science et culture, pour Levy-Leblond samorce au 19 (sparation) aprs une phase de e e e e fusion (16 -17 ) et une autre dalliance (18 ). Le 20 marque une alination entre science, devenue technosience, et culture (Levy-Leblond 2004).

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lentreprise et de la parole scientifiques do le malaise, la mfiance voire lhostilit du publics lencontre des sciences. Il suffirait de combler ce dficit de connaissance pour rtablir la confiance. Nous nommerons cette interprtation deficit model15 ou, pour reprendre les termes de Callon, modle de linstruction publique (Callon 1999). Lide quun manque de connaissance laisse prise lirrationalisme et aux superstitions fait cho la philosophie de Condorcet (cf p.28). Une distinction claire est faite entre savants et ignorants : les connaissances scientifiques sont fondamentalement opposes aux savoirs profanes emprunts de croyances et de superstitions et l'erreur (l'opinion, la doxa) *+ est toujours dnonce comme effet de l'ignorance au profit de la vrit objective mise en place par la science (Jurdant 1973). La science est distingue du social tant dans son organisation que dans sa position pistmologique : grce une mthode mise en uvre dans le cadre dune organisation autonome vis--vis de la socit, elle produit des savoirs objectifs qui visent au progrs commun. La communaut scientifique indpendante du reste de la socit qui s'organise de faon spcifique, est structure autour des quatre normes mertonniennes : universalisme, communalisme, dsintressement et scepticisme organis (Merton [1942] 1973)16. Epistmologiquement, la validit des savoirs est assure par la mise en uvre dune mthode scientifique base sur la triade hypothse-exprience-rsultat et le falsificationisme popprien (Popper [1963] 2006). La mthode scientifique efface toute subjectivit et le discours qui en rsulte est objectif et universel et peut ainsi tre partag et compris de tous : luniversalit serait ainsi inhrente au discours scientifique (Jurdant 1973). La distinction entre savant et ignorant que nous avons voque dans la partie prcdente, se trouve conceptualise dans un paradigme pistmologique de la rupture initi par Gaston Bachelard. Bachelard refuse la continuit entre le sens commun et la raison scientifique. Il oppose la connaissance commune, vulgaire et immdiate et la connaissance scientifique (Bachelard 1953) : l o la connaissance commune isole et naturalise des choses, des objets, la connaissance scientifique est un processus qui permet la construction dun systme au sein duquel les concepts scientifiques sont en liens les uns avec les autres (Girault and Lhoste 2010)17. Pour passer de la connaissance commune la connaissance scientifique une rupture doit tre opre mais Bachelard insiste sur le fait quil faut partir des opinions, des connaissances communes, pour les retravailler et les rectifier afin de surmonter les obstacles pistmologiques dans lesquels ils sont ancrs (Bachelard [1938] 2004)18. Nous ne dvelopperons pas plus lpistmologie bachelardienne ni les travaux en pistmologie historique qui sinscrivent dans sa ligne, ceux de Canguilhem et Foucault par exemple. Nous notons simplement en relation avec la question qui nous proccupe ici la rupture institue entre savants et profanes- que Bachelard distingue intellectuellement, moralement et socialement la science du reste.15

Nous pourrions utiliser la traduction franaise de modle dficitaire cependant, celle-ci tant peu usite dans la littrature, nous emploierons prfrentiellement les termes anglais de deficit model. 16 Il est admis que ces normes dfinissent un idal et non la ralit de la recherche. Il s'agit de valeurs partages par la communaut scientifique. Cependant, elles souvent sont riges comme ralit garante de lobjectivit et du bien fond des sciences. 17 Girault et Lhoste proposent dans cet article une introduction au thme savoirs et opinions dans une perspective pistmologique et didactique. 18 De nombreuses recherches en science de lducation ont travaille partir de cette ide. Comme lindiquent Girault et Lhoste (Girault and Lhoste 2010), on peut consulter ce propos les numros 20 (Reprsentation et obstacle en gologie) ; 24 (obstacles : travail didactique), 24 (Enseignants et lves faces aux obstacles) de la revue Aster.

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Sur la base de cette rupture, les scientifiques bnficient dune confiance du reste de la socit. Cette organisation peut se trouver fragilise, si la comptence, les intentions et la lgitimit de ces derniers est mise en doute. Cela est possible, si les non-scientifiques, les profanes, ne connaissent pas assez bien la science, ses fondements, ses rsultats et ses mthodes. Ils sont alors en proie des formes de pseudo savoirs, irrationnels et dangereux. Puisque public is deficient while science is sufficient (Gross 1994), la solution en cas de baisse de confiance envers les sciences, rside dans linformation et linstruction des profanes. La connaissance des rsultats (les faits tablis scientifiquement) et de la mthode par laquelle ils ont t tablis, rtablira la confiance envers les sciences et lordre social bas sur la double dlgation aux chercheurs et aux experts. Lentreprise vulgarisatrice peut alors pleinement se dvelopper. Elle tablit une relation pdagogique et se prsente comme l'un des substituts possibles pour les masses dont la scolarisation est soit dficiente, soit trop ancienne par rapport aux progrs scientifiques (Jurdant 1973). Il sagit alors dalphabtiser scientifiquement (cf p.18) les masses dans un processus dducation dite informelle . Elle offre en cela un cho lide dducation sociale dj prsente chez Condorcet (cf p.13) et celle dducation universelle de Comte (cf p. 14). Linformation et linstruction se fait alors dans une approche indiffrencie des publics et selon un mode diffusionniste, unidirectionnel et descendant : les savoirs sont une matire premire, un stock diffuser, faire circuler (Jeanneret 1994). Ce modle diffusionniste est renforc par des thories de linformation qui conceptualisent des flux informationnels entre un metteur et un receveur, accompagns doprations de codage et dcodage. Le modle du code en matire de communication appuie ainsi le modle du dficit en matire de mdiation des sciences (Yaneva, Rabesandratana et al. 2009). Afin dassurer une dissmination la plus large possible des connaissances, un grands nombre de canaux de communications, en particulier les mass mdias, sont mobiliss. Le modle diffusionniste renforce par ailleurs la focalisation sur la transmission de connaissances formelles, autrement dit les rsultats de la mise en uvre de la dmarche scientifique plus que la dmarche elle-mme. Ds lors le profane ne peut prtendre qu' une tte ""bien pleine" au lieu de la tte "bien faite" (Jurdant 1973). Les chercheurs, producteurs des connaissances, sont en matrise du flux de connaissances au besoin assists dintermdiaires qui assurent une traduction (dcodage) entre la source, le chercheur, et la cible, le profane (Miller 2001). Un rapport ingal est instaur : rapport unilatral, tout dabord entre les scientifiques dun ct et le public de lautre, unilatral au sens o lun parle, le savant, lautre coute, le public ; rapport dingalit totale, lun parlant au nom de son tre collectif, lautre coutant titre individuel, rapport donc entre une institution organise et des individus disperss . ((Levy-Leblond 1986). Le vulgarisateur se pose en traducteur entre un langage savant et un langage profane or il ne traduit pas des noncs, il construit un discours. Celui-ci est en loccurrence un discours-spectacle qui maintient la distinction entre savants et ignorants, perptue une idologie de la comptence et promeut le mythe de scientificit (Jurdant 1973 ; Roqueplo 1974). Quoiquil en soit, la mtaphore de la traduction, largement rpandue, permet au vulgarisateur, institu en 3e homme, de se lgitimer : il dfinit une mthode (celle de la traduction) quil maitrise et sur laquelle il base sa pratique quil veut professionnelle et ncessaire pour la socit (Jeanneret 1994). Il entretient du mme coup lide dun foss grandissant entre la science et le public qui fonde la raison de son activit. BensaudeVincent y voit a tactical device used by popular writers or journalists to present themselves as the

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judges and spiritual guides of public opinion (Bensaude-Vincent 2001). La vulgarisation est ainsi une entreprise dauto-lgitimation et comme nous le verrons propos du courant de lalphabtisation scientifique, une entreprise de lgitimation et de promotion de la science (cf p.22). Sans employer le terme de deficit model, Jurdant note que la vulgarisation semble *+ s'imposer dans une vocation unique de colmatage et ceci grce une communication optimale. En effet, cr artificiellement ou existant rellement, il semble qu'il faille maintenant compter avec un cart (a gap) grandissant entre la science et le quotidien (Jurdant 1973). A la fin du 20e sicle, la remise en cause des sciences, devenues technosciences, rend cette entreprise de plus en plus prilleuse. Des travaux en histoire et sociologie des sciences, rassembls sous ltiquette de science studies, vont proposer une nouvelle faon de voir les sciences, remettant en cause les fondements pistmologiques du deficit model : il nexiste ni savoirs objectifs, ni mthode scientifique, la science pure et parfaite nexiste pas et que comme tout champ de lactivit humaine elle est soumise de multiples influences historiques, sociales, culturelles etc. Ce changement de perspective participe faire merger de nouvelles approches de la vulgarisation ou mdiation des sciences, que nous proposons maintenant dexposer. Celles-ci ont dabord t formules en raction au courant des Public Understanding of Science qui se dveloppe dabord au Etats-Unis aprs la seconde guerre mondiale et relve comme nous allons le voir, du deficit model.

2. Public Understanding of Science : deux positions pistmologiquesAprs la seconde guerre mondiale, un courant intitul Public Understanding of Science (PUS) merge aux Etats-Unis. Il sagit la fois dun champ de recherche et dun courant normatif et programmatique sur la mdiation des sciences. A la premire approche dveloppe par le courant PUS, lalphabtisation scientifique, est oppose une approche dite contextualiste. Celle-ci sinspire de travaux du champ STS. Ces deux approches, alphabtisation scientifique et approche contextualiste, tendent se contredire mais les travaux de recherche, relatifs lune et lautres, sont rassembls sous le mme intitul de Public Understanding of Science19. 2.1 Lalphabtisation scientifique dans la ligne du deficit model. a) Un courant constitu autour de grandes enqute quantitatives Le courant PUS tel quil se dveloppe au Etats-Unis aprs la seconde guerre mondiale, est coupl de grandes enqutes quantitatives. La premire est commandite par la National Association of Science Writers et la fondation Rockefeller, en 1957, quelques mois avant le lancement de Spoutnik20. 19000 personnes furent cette occasion interroges quant leurs habitudes de consommation des mdias, leurs attentes en termes de mdiation scientifique et leurs attitudes vis--vis de questions scientifiques et techniques (favorable, non favorable). A partir de 1972, le National Science Board initie une srie de rapport intitul Science Indicators21. Selon la mthodologie mise en place par Jon

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Du point de vue des travaux acadmique, partir du dbut des annes 1990, dans une mme revue intitule Public Understanding of Science publie des travaux issus des deux courants. 20 Les rsultats de cette tude sont dtaills dans (Davis 1958) et (Withey 1959). 21 Ces rapports concernent les sciences et technologies amricaines en gnral, un chapitre est consacr lattitude du public vis--vis des sciences.

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Miller22, figure incontournable de ce courant, les enqutes cherchent valuer trois dimensions de ce qui serait la comprhension des sciences par le public (Public Understanding of Science) : attitude and attentiveness ; knowledge ; source of information (Miller 1992 ; Miller 1998 ; Miller 2003). Laccent est principalement mis sur (1) lattitude des publics envers les sciences et technologies et (2) la comprhension des sciences et technologies. Le premier volet de ltude (attitude and attentiveness) cherche valuer la confiance accorde aux sciences et technologies et lintrt des personnes pour ces sujets. Les propositions ou questions sont par exemple : Les sciences et technologies nous font la vue plus saine, plus facile, plus conformable ; il nest pas important pour moi de connaitre les sciences dans ma vie de tous les jours ; avezvous confiance, grandement confiance, simplement confiance, difficilement confiance dans les personnes la tte des grandes institutions amricaines / les mdias / les scientifiques ? , les avantages quapportent les sciences et technologies lemportent-ils sur les inconvnients ? ; approuvez vous les dpenses du gouvernement pour la recherche scientifique ? (Miller 2003)

Miller mobilise le concept de issue attentivness23 afin de caractriser les publics selon (1) leurs intrts pour des questions de politique scientifique et technologique et (2) leurs sentiments dtre ou non bien informs sur ces sujets. Le second volet de ltude (knowledge) consiste valuer le niveau de connaissances scientifiques chez les personnes interroges travers leur matrise de certaines connaissances de base ainsi que de la dmarche scientifique. Ces tudes furent galement ralises dans dautres pays (Angleterre, Canada, Nouvelles Zlande, Chine, Core, etc.). En Europe, les Eurobaromtres consacrs aux questions scientifiques et techniques en sont une transposition (de Cheveign 2004). Ces grandes enqutes constituent les principaux essais dvaluation quantitative de la culture scientifique et technique (Banchet and Schiele 2003). La premire enqute de 1957 concluait que 88% des amricains pensaient que le monde se portait mieux grce aux sciences et technologies. En 2000, ils taient 87% adopter une attitude positive vis--vis des sciences. Et Miller de conclure : on peut donc parler dune grande stabilit des perceptions par le public (Miller 2003). Corrle cette attitude positive vis--vis des sciences et technologies (premier volet de ltude : attitude and attentivness), Miller identifie paradoxalement un faible niveau concernant les connaissances (deuxime volet de ltude : knowledge) : bien que les amricains tiennent les sciences en haute estime, il nen reste pas moins que 15% dentre eux ont suffisamment de connaissance pour pouvoir lire le cahier scientifique du New York Times (Miller 2003). Mais plutt que de parler en termes de connaissances (knowledge), Miller dfinit le 2me volet des tudes comme une valuation de lalphabtisation scientifique des publics (scientific litteracy24). La mtaphore renvoie la vague22

A partir de 1979, Miller participe dans ce cadre, la conception et la ralise des tudes sur lattitude du public vis--vis des sciences. 23 Miller reprend le concept de issue attentivness dabord dvelopp pour ltude de lintrt du public vis-vis de la politique trangre (Almond 1950). Il dfini trois catgories de public : attentive public (personne intresses par les sciences et techniques et qui sestiment bien informes), interested public (personnes intresses mais qui sestiment peu informes), residual public (personnes faiblement intresses). 24 Miller utilise le terme de scientific litteracy (Miller 1983 ; Miller 1992 ; Miller 1998). Celui-ci est habituellement traduit par alphabtisation scientifique, terme qui hormis en science de lducation (Fourez 1994), a peu diffus dans le champ francophones o cest plutt le concept de culture scientifique et technique qui a t dvelopp. Dailleurs, dans louvrage collectif Les Territoire de la culture scientifique , Miller publie un article o cest ce dernier terme qui est utilis (Miller 2003).

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d'alphabtisation du 19me sicle : le terme dsigne un type de savoir, de capacit ou de savoir-faire, et de savoir-tre, qui, dans notre monde technoscientifique, serait un pendant ce que fut l'alphabtisation au sicle dernier (Fourez 1994). Le courant de l'alphabtisation scientifique considre quil est ncessaire pour chaque individu d'tre familiaris avec les sciences et technologies dans la socit d'aujourd'hui. Pour Miller cela implique une connaissance des sciences trois niveaux : A vocabulary of basic scientific constructs sufficient to read competing views in a newspaper or magazine *+, an understanding of the process or nature of scientific inquiry *+, some level of understanding of the impact of science and technology on individuals and on society (Miller 1998). Ces trois aspects sont valus dans les enqutes quantitatives et constituent des axes pour promouvoir et amliorer lalphabtisation scientifique des publics. Le courant de la scientific litteracy ne prescrit ainsi pas uniquement lacquisition de connaissances formelles. A priori en rupture avec le deficit model, il sagit de former des citoyens capables de s'engager dans une socit confronte des enjeux sociotechniques et non plus de transmettre des connaissances disciplinaires (Desautels 1998). Les actions visant amliorer lalphabtisation scientifique sarticlent alors autour de trois objectifs25 :Matriser certains concepts et les mobiliser. Les connaissances matriser doivent former un ensemble de connaissances particulires et prcises qui permette l'individu d'voluer dans son environnement. Les connaissances scientifiques doivent sarticuler aux situations rencontres dans la vie quotidienne et dans les dbats de socit. Comprendre les sciences. Les sciences sont une construction socio-historique. Il convient d'tre conscient de la relativit des connaissances scientifiques qui ne sont pas des vrits absolues et peuvent tre remises en cause en permanence. Comprendre les relations sciences-socit. Les technosciences et la socit s'influencent mutuellement. Les bnfices et avantages qu'apporte la science doivent tre reconnus. Les savoirs doivent tre prsents dans leur contexte humain au-del dune comprhension des phnomnes de la Nature

Dans ce courant de lalphabtisation scientifique, on note une complmentarit et des allers-retours entre les valuations du niveau dalphabtisation scientifique (avec des grandes enqutes comparatives parfois transnationales) et des prescriptions pour laction en vue damliorer ce niveau dalphabtisation. Les enqutes identifient des lacunes dans la comprhension des sciences et orientent les prescriptions dans le but de combler ces lacunes26. Elles sont ensuite mobilises pour valuer limpact des actions menes et mettre de nouvelles prescriptions adaptes. Elles instaurent par ailleurs une focalisation sur les aspects purement cognitifs ractivant ainsi le deficit model. Il sagit de la principale critique adresse au courant de lalphabtisation scientifique.

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On se rfre au rapport sur la question de la National Science Teacher Association, dont Fourez fait une prsentation et une critique (Fourez 1994) ainsi quau rapport Science for all americans prsent par Dsautels (Desautels 1998). 26 Par exemple, aux Etats-Unis, le courant de lalphabtisation scientifique a influenc la rvision des programmes scolaires en sciences travers les Education Standard dfini par la NSF, qui prcisent ce que les lves doivent maitriser.

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b) Focalisation sur les connaissances formelles et ractivation du deficit model Dsautels note que le courant de lalphabtisation scientifique a priori en rupture avec les schmas anciens (deficit model) a donn lieu de multiples interprtations et sa mise en uvre pratique a frquemment ractiv les modles quil entendait dpasser (Desautels 1998). En effet, que ce soit dans les programmes ducatifs ou les enqutes dvaluation, laccent est finalement souvent mis sur les connaissances formelles et disciplinaires. Ainsi, force est de constater que les enqutes quantitatives adoptent une approche essentiellement cognitive, qui caractrise le savoir dindividus isols (de Cheveign 2004). Sans dtailler les critiques lencontre des mthodes quantitatives du type sondage, dveloppes en particulier par Pierre Bourdieu (Bourdieu 1984), on notera que (1) les questions fermes peuvent tre interprtes diffremment selon les individus27, (2) les sondages prsupposent que les personnes ont une opinion et (3) lagrgation des opinions individuelles est assimile une opinion publique. On peut galement noter que le choix des items pour valuer le niveau de connaissance introduit un biais disciplinaire (Peters 2000). Ces enqutes restent la plupart du temps focalises sur la maitrise de connaissances formelles. Principal dtracteur du courant de lalphabtisation scientifique, Wynne considre que les enqutes quantitatives en se focalisant sur lvaluation des connaissances formelles du public 28, sinscrivent dans le deficit model et ngligent les relations beaucoup plus complexes des profanes aux sciences et technologies (Wynne 1992). En tablissant une corrlation entre le niveau de connaissances factuelles (textbook knowledge) et les attitudes favorables vis--vis des sciences, elles ractivent ainsi la logique simpliste de ce schma positiviste (Sturgis and Allum 2004). Les enqutes quantitatives seraient alors au mieux arbitraires au pire, trompeuses quant la comprhension des rapports des publics aux sciences. Pour Wynne, les questions fermes employes isolent lindividu du contexte dans lequel il mobilise normalement ses connaissances et construits son rapport aux sciences. Les enqutes vacuent ainsi une dimension fondamentale du phnomne quelles entendent tudier (Wynne 1995). Nous dtaillons dans la partie suivante lapproche contextualiste dveloppe par Wynne. Les prescriptions du courant de lalphabtisation scientifique concernent principalement les connaissances formelles et les mthodes scientifiques, deux lments fondamentaux dans la mdiation des sciences selon le deficit model (Miller 2001). Le courant de lalphabtisation scientifique prconise que lindividu maitrise et sache mobiliser certaines connaissances afin d'voluer dans son environnement. Celles-ci doivent sarticuler aux situations rencontres dans la vie quotidienne et dans les dbats de socit. Le courant de lalphabtisation scientifique sinscrit ainsi dans une vise pragmatique et dmocratique. Les connaissances sont penses comme la premire tape vers une manire de penser scientifiquement 29, objectif qui peut facilement donner lieu des drives scientistes qui survalorisent ce mode de pense (Chapman 1994 ; Desautels 1998). Les promoteurs de lalphabtisation scientifique plaident cependant pour une comprhension des sciences en tant que (co)construction socio-historique et des influences mutuelles entre sciences et socit. Pourtant il sagit souvent de discuter de ces influences dans une seule direction -des sciences27

Limite dautant plus importante que la transposition des protocoles dun pays lautre en vue de grande enqute transnationales inclut une tape de traduction qui dcuple en quelque sorte le problme de linterprtation par les personnes interroges (de Cheveign 2004). 28 Public cognition, motivation, capabilities, communications patterns and the media (Wynne 1992) 29 Approche prconise dans le rapport Science for all americans prsent par Dsautels (Desautels 1998).

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et technologies vers les individus et socits- comme le propose Jon Miller30. Les influences des sphres sociales, culturelles, historiques, religieuse, etc. sur les sciences et technologies ne sont pas abordes. Lide dune science pure, hors du monde et des passions humaines, reste ainsi latente. La faon dont les sciences oprent en socit nest pas aborde de faon critique (Arnold 1996). Dans le ligne des STS, des auteurs ont propos une approche des PUS qualifie de contextualiste, dans la perspective de dpasser le deficit model (Sturgis and Allum 2004). Nous prsenterons ces approches dans la partie suivante mais avant cela, il faut noter que le courant de lalphabtisation scientifique peut tre interprt comme une entreprise de lgitimation des sciences en rponse aux inquitudes de la communaut scientifique. c) Des entreprises de lgitimation des sciences Le courant de lalphabtisation scientifique se dveloppe pendant la guerre froide dans un contexte o la recherche et le progrs technologique concomitant sont perus comme pouvant apporter des rponses aux maux de lhumanit31 . A cette poque, la sacralisation des sciences opre la fin du 19e et au dbut du 20e sicle se trouve renforce (Bensaude-Vincent 2001). Convaincus de limportance et des bienfaits de la recherche, dans un contexte o les sciences rpondent un idal dmocratique, des scientifiques, seconds par dautres acteurs, promeuvent une offre de mdiation scientifique32(Lewenstein 1992). Cet engagement aprs la seconde guerre, de certains chercheurs dans la promotion des PUS, motiv par une recherche de lgitimit et la promotion dun soutien public la recherche, aurait cess une fois lappareil technoscientifique de la guerre froide mis en place. Les chercheurs sont alors dsintresss de la chose publique (Shils 1974). Les activits de mdiation scientifique ont t pris en charge et promues par dautres acteurs -diteurs, journalistes, socits savantes et agences gouvernementales- aux proccupations relatives lapprciation par le public des bnfices que la science apporte la socit, et ladhsion au financement de la recherche (Lewenstein 1992). Bien quayant des motivations diffrentes, ces acteurs se rassemblent autour de la mme approche, savoir la diffusion dinformations techniques propos des dcouvertes scientifiques. Le raisonnement qui sous-tend le courant de lalphabtisation scientifique est le suivant : connaitre la science cest laimer et plus le public aimera la science, plus il aura une attitude favorable son gard et plus il sera enclin un fort soutien la recherche (Miller 2001 ; Sturgis and Allum 2004). Il sagit dune vise commune de nombreuses entreprises de vulgarisation des sciences. Comme le note Jurdant, la pdagogie vulgarisatrice veut avant tout sduire, c'est dire se faire aimer ou faire aimer la science travers elle (Jurdant 1973). Miller reconnait que les premires enqutes Science Indicator sont le reflet des proccupations du National Science Board cette poque : are we still held in high regard by the public are they willing to continue to pay for our work ? (Miller 1992). Selon lui, la mthodologie mise en place partir de 1979 ( son initiative) a permis de dpasser ce stade. Pour dautres auteurs, cela nest pas le cas et le courant PUS continue de reflter l'anxit de l'establishment scientifique face ce qui tait identifi comme une crise de confiance voire un divorce, entre sciences et socit. (Wynne 1992).

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The impact of science and technology on individuals and on society (Miller 1998). Appliquer la mthode du projet Manhattan permettrait de rsoudre les problmes de pauvret, sant, transport etc. ((McDougall 1985) cit par (Lewenstein 1992)). 32 Et cela, sans quune demande de la part des publics ait rellement t identifie

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En Angleterre, le courant PUS sest dvelopp plus tardivement, essentiellement la suite du rapport Bodmer pour la Royal Society (Bodmer 1985). Ce rapport sinscrit pleinement dans la ligne du courant de lalphabtisation scientifique, renforc sous le gouvernement de Margaret Thatcher par la demande faite aux chercheurs de dmontrer la valeur conomique et sociale de la recherche publique33 (Gregory and Miller 1998). A la suite de ce rapport, les PUS sont devenues une sorte de mantra au Royaume-Uni dans le champ de la mdiation des sciences (Chittenden, Farmelo et al. 2004). Un Committee on Public Understanding of Science (CoPUS)34, est mis en place en vue de promouvoir et cordonner des programmes daction et de recherche dans le sens dfini par Bodmer. Comme dans le cas amricain, la vise sous tendue est la recherche dun soutien lentreprise scientifique. *The Bodmers report+ was a bid on behalf of the science community in Britain for a greater slice of support from public finances during a period when those finances were being squeezed and those in receipt of them were being called to justify the worth of their case [...]. There was [...] assumption that better "public understanding of science" would surely bring a better "appreciation" of, or public support for, science (Macdonald 2002). Sensuit le dveloppement dune rhtorique qui institue les PUS comme bnfiques pour le public, la socit et la nation mais avec une vise implicite : l'establishment [scientifique] pensait qu'un meilleur moyen d'entendement de son travail mnerait ncessairement la reconnaissance de sa juste valeur, laquelle se traduirait par des appuis et des ressources pour la science (Gregory and Miller 1998). Le courant PUS ne serait alors que le reflet de la nvrose des scientifiques lgard de leur autorit et de leur lgitimit (Wynne 1992) et de linquitude de voir la recherche scientifique vulnrable sur le plan politique (Miller 2001)35. Cette critique adresse aux premiers courants PUS peut ltre pour quasiment tous les courants de mdiation des sciences. La dmarche de mdiation ou de vulgarisation participe en effet l'affirmation et la ralisation de la spcificit du champ scientifique dans le milieu social (ChoffelMailfert 1999). Elle a un rle instituant : en provoquant sinon l'adhsion du moins l'intrt de la population pour la science, elle participe pleinement de la question de la professionnalisation des chercheurs : elle renforce l'institution scientifique en lui donnant davantage d'autonomie par rapport au pouvoir (Choffel-Mailfert 1999). Lorsque la mdiation des sciences est rige en rponse la complainte rcurrente dune dsaffection des tudiants pour les filires scientifiques36, on est alors tent dy voir un appel (dsespr) dune population en dclin qui cherche se reproduire pour assurer sa survie. Quoiquil en soit, dans sa premire approche, celle de lalphabtisation scientifique, le courant PUS ractive le deficit model. En effet, il met laccent sur les connaissances scientifiques formelles, identifie un manque de telles connaissances parmi les publics et recommande de combler ce manque par une dmarche ducative base sur la matrise du vocabulaire, des notions et de la mthode33

Margaret Thatcher met en place une politique librale qui saccompagne dune rforme majeure de tous les secteurs publics. Chaque service public est somm de dmontrer sa public accountabiliy et ainsi de justifier les financements dont il bnficie. Nous y reviendrons propos des muses et du dsengagement de la puissance publique. 34 Organisation tripartite: Royal Society, British Association for the Advancement of Science et Royal Institution. 35 Steve Miller et non pas Jon Miller, le promoteur de lalphabtisation scientifique. 36 Citons par exemple le rapport Hamelin sur la culture scientifique, technique et industrielle : La culture scientifique traverse aujourdhui une crise profonde. Les formations scientifiques et les filires techniques subissent une dsaffection des lycens et des tudiants (Hamelin 2003)

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scientifique. La vision indiffrencie des publics se trouve renforce par les grandes enqutes quantitatives. Au-del des vises ducatives et dmocratiques, il sagit de renforcer lattitude positive des publics lgard des sciences, condition ncessaire un soutien de la recherche et plus gnralement au maintien des sciences dans une position dautorit. Une autre approche, dite contextualiste, va remettre en cause ce schma et appeler de nouveaux modes de mdiation des sciences. Une dernire remarque concernant lalphabtisation scientifique : si tant est que lon accepte la validit des grandes enqutes, force est de constater que depuis les annes 1970, il ny a pas damlioration significative du niveau dalphabtisation scientifique malgr les programmes daction mis en uvre (Miller 2001, Sturgis, 2004 #231). Ainsi, selon ses propres critres, le courant de lalphabtisation scientifique est un chec. 2.2 Lapproche contextualiste Brian Wynne, figure majeure des STS, est (avec Alan Irwin) le chef de file reconnu de lapproche contextualiste (Layton 1994 ; Miller 2001 ; Sturgis and Allum 2004 ; Davies, McCallie et al. 2009). Outre des travaux dans le champ strictement STS (Wynne 1996) (cf p.28), il a publi plusieurs articles relatifs au PUS (Wynne 1991 ; Wynne 1992 ; Wynne 1993 ; Wynne 1995). Il considre que les approches des PUS qui se sont dveloppes jusque dans les annes 1980-1990, passent sous silence certains aspects des sciences, des rapports aux savoirs et des relations entre sciences et socit. a) Remise en questions des savoirs et ignorances des scientifiques et des profanes Au-del de la question de lobjectivit et de la vracit des savoirs scientifiques, Wynne sattaque la dichotomie opre entre savant et ignorant, entre experts et profanes, qui est la base du deficit model. Wynne oppose lide dun vide intellectuel tel que conu par le deficit model, une vision beaucoup plus complexe du rapport aux sciences et aux savoirs, construit dans un rseau dinteractions sociales. Ce que certains considrent comme des ignorances dangereuses vis--vis des sciences trouvent leur sens si lon considre le contexte global dans lequel elles sinsrent. Lignorance vis--vis daspects scientifiques et techniques est mme parfois un choix revendiqu. Cest ce que montre Wynne dans une enqute auprs douvriers-apprentis de l'usine de retraitement de dchets nuclaires de Sellafield en Angleterre (Wynne 1992). Dans un tel environnement de travail, risqu et complexe, on pourrait s'attendre ce que les ouvriers soient intresss et avertis sur les notions de radiation par exemple. C'est tout le contraire. Plus qu'une passivit vis--vis de ces questions, ils revendiquent leur ignorance. Partant du principe que les consignes et procdures ont t labores par d'autres acteurs de l'organisation, d'une part, les ouvriers n'ont pas besoin de matriser ces connaissances et d'autre part, rechercher approfondir ces aspects reviendrait remettre en cause la chane de confiance qui unit les diffrents acteurs, ce qui serait contreproductif. Cette ignorance active et revendique est considrer dans le cadre d'une fabrique sociale complexe d'interdpendances. Cependant, les ouvriers ne sont pas des esclaves aveugles, ils laborent leurs propres connaissances de la situation mais d'un point de vue social qu'ils mobilisent dans les interrelations avec les autres acteurs du systme. Ainsi dautres formes de savoirs que les savoirs scientifiques formels (textbook knowledge), ainsi que le contexte dans lequel se trouvent les individus, dterminent leur rapports aux sciences, aux savoirs et lexpertise (Jasanoff 2000). Ds lors, the technical ignorance lamented as an intellectual vaccum (and social defect) is revealed instead as a complex active social construction which reflects 24

a broader array of particular social relationship of dependency, trust, alienation, division of labour, etc. within which people constitute their moral identities (Wynne 1992). Vu sous cet angle, linterprtation dune crise de confiance entre les sciences et les publics, en termes de manque de connaissances nest pas pertinente et devient mme problmatique (Layton 1994). On peut galement citer lexemple dune tude sur les attitudes du public vis--vis des OGM37 qui montre que des personnes non impliques dans le dossie reconnaissent clairement leurs ignorances: ils avouent ne pas savoir exactement ce qu'tait un gne, un transgne, une plante gntiquement modifie etc. (Marris 2001). Par contre, il apparat que leur comprhension des dimensions politiques et conomiques du dbat sur les OGM est trs fine. C'est leur exprience antrieure de l'chec des institutions donc leur connaissance de l'organisation sociale qui les conduit adopter une posture rserve voire souponneuse vis--vis des OGM. Ils ne mobilisent donc pas des connaissances scientifiques et techniques sur les biotechnologies (que dautres acteurs jugeraient indispensables) mais des savoirs issus de leurs expriences personnelles antrieures des rapports entre (techno)sciences et socit autour de linnovation et des risques sanitaires et environnementaux. Ces critiques formules lencontre des schmas positivistes comme ceux de lalphabtisation scientifique, ne concernent pas uniquement la focalisation sur les aspects purement cognitifs du ct des profanes. Elles invitent galement regarder du ct des savants et remettent en question quelques ides gnralement admises. La premire concerne luniversalit (suppose) des savoirs construits par les sciences. Wynne montre que les savoirs scientifiques apparaissent lacunaires et dcontextualiss lorsquil sagit de les confronter des situations relles, en dehors de lespace contrl de lexprience (Wynne 1996). Pour Levy-Leblond, compte-tenu du degr de spcialisation actuel dans les domaines scientifiques, un scientifique, spcialiste dun domaine, se retrouve quasiment au mme niveau quun non-scientifique ds lors que le sujet dborde de son champ dexpertise (Levy-Leblond 1992 ; Levy-Leblond 2004). Comme le note Shapin, we are all particle physicists and bio-engineers included- the public with respect to the knowledge produced in the laboratory across the street (Shapin 1992). Des travaux comme ceux de Collins, Pinch et Latour sont galement important dans lmergence de lapproche contextualiste (Miller 2001). Ils montrent que de nombreux facteurs extra-scientifiques interviennent dans la construction dun nonc scientifique avant que celui-ci soit considr comme un rsultat stable, une connaissance valide. Pourtant, la mthode hypothses-expriences-rsultats procdant par falsification et vrification, est le plus souvent mise en avant comme unique mode de fonctionnement des sciences. Le contexte dans lequel elle opre est totalement gomm. Des approches de la mdiation des sciences proposent de montrer ce contexte et ainsi de dvoiler la science telle quelle se fait (cf p.30). Enfin, les scientifiques ignorent souvent tout de lhistoire de leur propre domaine et nont souvent que peu conscience du contexte politique, social et conomique dans lequel leurs activits sinscrivent (Levy-Leblond 1990 ; Levy-Leblond 2004). Lignorance touche donc aussi bien les profanes que les savants et concerne autant les aspects cognitifs formels que le contexte dans lequel les sciences et techniques voluent et les relations entre sciences et socit38.37 38

Ainsi que des reprsentations quont les propritaires du dossier de ces attitudes. Notons la suite de Marris que les scientifiques et experts ne sont pas exempts dides reues quand il sagit des publics et de leurs rapports aux sciences et technologies (Marris 2001). Les reprsentations des propritaires du dossier OGM sur les publics se rvlent en effet empreintes de deficit model. Marris identifie

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b) Quelles implications pour le courant PUS ? Pour Wynne les recherches en PUS doivent tenir compte de ces aspects et examiner trois lments (Wynne 1992) : les connaissances scientifiques formelles ; les mthodes et processus de la science ; le fonctionnement des sciences en tant que constructions sociales avec leur formes institutionnelles, dorganisation et de contrle. Pour Wynne, les prcdents travaux en PUS (ceux du courant de lalphabtisation scientifique) se sont focaliss sur les deux premiers aspects, ngligeant le troisime or celui-ci est parfois crucial : what scientists take to be public misunderstanding of science (in the first sense) can often be seen instead as public understanding of science (in the third sense) (Wynne 1992). Ainsi, plutt que de chercher valuer les savoirs et les ignorances des publics, Wynne recommande de se focaliser sur les interactions sociales au sein desquelles les sciences sont construites. Il recommande galement de clarifier les reprsentations que les scientifiques ont de leur audience (ses comptences et ses demandes) en situation de communication. Miller, promoteur du courant de lalphabtisation scientifique, entend ces critiques mais prcise que contrairement ce quun relativisme absolu voudrait faire croire, il existe une diffrence entre les connaissances construites par les scientifiques et celles des profanes : we do not want a public understanding of science political correctness in which the very idea that scientists are more knowledgeable than ordinary citizens is taboo. Scientists and lay people are not on the same footing where scientic information is concerned, and knowledge, hard won by hours of research, and tried and tested over the years and decades, deserves respect (Miller 2001). Miller craint ici un relativisme absolu qui voudrait que toutes connaissances scientifiques ou non, se vaillent. Ce nest pas ce que propose lapproche contextualiste. Celle-ci demande de (re)prendre en considration les savoirs profanes qui peuvent tre complmentaires des savoirs savants, chacun ayant leur domaine de validits, et de reconsidrer les savoirs scientifiques dans le contexte historique, politique, culturel, etc. qui est le leur. Les tenants de lalphabtisation scientifique et ceux de lapproche contextualiste peuvent-ils trouver un terrain dentente ? Ces deux approches alphabtisation scientifique et PUS contextualiste- apparaissent comme antinomiques. Lopposition est tout dabord mthodologique et sinscrit dans la dichotomie classique des sciences sociales entre quanti et quali: les adjectifs quantitatif et qualitatif rfrent de fait la nature des donnes recueillies : des chiffres dun ct, du texte ou mme dautres types de donnes non chiffres, des schmas par exemple de lautre (de Cheveign 2004). Les mthodes de rcoltes de donnes sont diffrentes : dun ct, questionnaires standardiss questions fermes dont les rponses une fois codes et quantifies fournissent des chiffres sous formes de tableaux, graphiques, courbes, etc. ; de lautre, des entretiens longs, libres ou semi-directifs, individuels ou collectifs qui produisent des discours. Plutt que dopposer ces deux approches en se focalisant sur leurs diffrences et la critique de la premire par la seconde, des auteurs en appellent examiner leur complmentarit pour laborer un nouveau cadre danalyse (Einsiedel 2000). Dans cette perspective, plusieurs travaux ont tent de revisiter des enqutes quantitatives de lalphabtisation scientifique la lumire des critiques adresses par lapproche contextualiste (Bauer, Petkova et al. 2000 ; Godin and Gringas 2000 ;

ainsi une srie dides reues : le grand public ne comprend pas assez bien la science , les gens sont pour ou contre les OGM , le terme gntique fait peur , le public pense - tort- que les OGM ne sont pas naturels etc.

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Sturgis and Allum 2004). Pour Sturgis et Allum par exemple, la plupart de ces critiques adresses lalphabtisation scientifique sont recevables mais elles ne sont pas suffisantes pour la ranger dfinitivement aux oubliettes. Si la culture, lhistoire, le social, le politique, la perception des risques, etc. influencent les rapports quentretiennent les individus avec les sciences, ils ne voient pas de raison de ne pas considrer la matrise de connaissances scientifiques au mme rang que ces autres facteurs (Sturgis and Allum 2004). Regrettant le formalisme paradigmatique et lorthodoxie mthodologique qui structurent le champ des PUS entre deficit model et approche contextualiste, ils proposent dintgrer ces deux approches et de rhabiliter le deficit model dans son approche mthodologique (enqutes quantitatives). Ils proposent une mthode valuant les connaissances scientifiques formelles (textbook knowledge), la faon dont les sciences sont incluses dans un contexte politique, conomique, rglementaire, etc. (institutionnel knowledge of science), la faon dont les sciences et techniques sont connectes lexprience particulires des individus (the local knowledge) et lattitude gnrale vis vis des sciences (favorable, dfavorable, confiance, mfiance, etc.). Leur conclusion est la suivante : le niveau de connaissance scientifique a un effet non linaire sur lattitude vis--vis des sciences, des connaissances dautres ordres (institutionnel knowledge of science et local knowledge) introduisent une modulation, en particulier ce que Wynne dcrit comme la comprhension individuelle des formes de contrle, dorganisation et de mcnat qui oprent au sein de la communaut scientifique (Wynne 1992). Les niveaux dans les diffrents types de connaissances semblent avoir des effets corrls et non pas opposs, sur les attitudes vis--vis des sciences. Pour Sturgis et Allum, ces rsultats quantitatifs doivent tre pris comme des outils de diagnostics et ouvrent la voie pour des analyses contextualisantes intgrant les enqutes quantitatives. Nous avons vu que lapproche contextualiste demandait de reconsidrer les sciences dans leur contexte de production afin de montrer la science telle quelle se fait. Cest en partie cela que le courant Public Understanding of Research se propose de dvelopper. Les travaux STS dont est issu lapproche contextualiste ont galement mis en vidence la complmentarit des savoirs scientifiques et profanes et la complexit des rapports aux sciences qui ne dpendent pas uniquement du niveau de connaissances formelles des individus. Cest cette voie quexplorent les modles du dbat public et de la co-construction des savoirs et le courant Public Engagement with Science.

3. Public Understanding of Research : la science telle quelle se fait, hier et aujourdhui.Le courant Public Understanding of Research (PUR) se dveloppe dans la ligne du courant Public Understanding of Science (PUS). Il sagit de se focaliser sur la recherche et non pas sur la science mais nous verrons que ce changement de perspective charrie avec lui lopposition qui a structur les PUS entre deficit model (alphabtisat