Thomas Romer, 01 La Construction d'Un Ancêtre. La Formation Du Cycle d’Abraham

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  • Milieux bibliques

    M. thomas r, professeur

    Leon inaugurale

    Cette leon a retrac lenseignement de la Bible hbraque dans le cadre duCollge de France et a esquiss les progrs qui ont t faits pour mieux comprendrela formation de ce document fondateur. Dans un deuxime temps, elle a prsentles nouvelles dcouvertes littraires et archologiques qui ont profondment modifiles hypothses traditionnelles.

    Cours : la construction dun anctre : la formation du cycle dAbraham

    Ce cours, qui rend compte dune recherche du professeur en cours, avait pourbut danalyser le rcit biblique dAbraham (Gense 11,27-25,31) et de reconstruireles contextes socio-historiques dans lesquels les diffrents textes sur lanctrefondateur du judasme ont vu le jour.

    Pourquoi Abraham est-il devenu lanctre par excellence dans lequel se sontretrouves les trois religions monothistes ? Certes, dans chacune des trois religions,il joue des rles diffrents mais, pour les trois religions, il reste une rfrencefondamentale. Ce rle sexplique en grande partie par des rcits sur Abraham dansla Gense qui le prsentent comme une figure cumnique et, en mme temps,sous plusieurs aspects valoriss diffremment selon les poques et les sensibilitsreligieuses.

    Limpossible reconstruction dune poque patriarcale

    jusque dans les annes 1980, on trouve frquemment, dans les commentaires etles histoires disral , lexpression poque patriarcale applique avec plus aumoins de prcision la premire partie du deuxime millnaire, durant laquelle lesPatriarches auraient vcu. Cette notion dune poque patriarcale doit cependanttre abandonne.

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    il faut dabord rappeler que les rcits patriarcaux ne contiennent aucuneindication historique prcise qui rappellerait le contexte du deuxime millnaire ;au contraire, les dfenseurs dune poque patriarcale ont toujours d admettre quily avait un certain nombre d anachronismes dans les rcits de la Gense, commepar exemple la mention de chameaux (inexistants en Palestine au deuximemillnaire) ou le nom de la ville Our Casdim (impossible avant le septimesicle avant notre re). En outre, on constate galement que les dfenseurs delhistoricit des Patriarches nont jamais pu se mettre daccord sur lpoque prcise,proposant des dates entre 2000 et 1300 avant notre re.

    Lide dune poque patriarcale reposait ou repose encore surtout sur quatrearguments : (a) les histoires des Patriarches seraient le reflet des grandes migrationsdu dbut du deuxime millnaire ; (b) les coutumes et les modes de vie desPatriarches sexpliqueraient dans le contexte socio-historique attest par desdocuments de lpoque du Bronze moyen ou rcent ; (c) les noms divins et lesconcepts religieux de Gn 12-50 garderaient les traces dune religion pr-yahwiste ;(d) les noms des Patriarches sont attests au deuxime millnaire. Aucun de cesquatre arguments ne permet cependant de reconstruire une priode desPatriarches .

    (a) Lanalyse littraire de lhistoire dAbraham montre que les migrations duPatriarche sont des crations tardives qui veulent faire de lui un modle pour lesexils babyloniens, appels retourner en jude.

    Albright et ses disciples identifiaient les Patriarches des Amourrou, les Amorites(les occidentaux ) mentionns dans des documents msopotamiens ds leiiie millnaire. Pour Albright, les Amorites taient des nomades qui exploitrent unerelation prospre entre la Msopotamie et la syrie du Nord. il est vrai que desAmorites infiltrent la Msopotamie au iiie millnaire, mais une vague de migrationdUr Harran nest pas plausible. De plus, la thorie des grandes migrations dudbut du deuxime millnaire (la migration amorite ), qui sest base surtout surles travaux des historiens classiques, ne se laisse gure vrifier et est aussi sujette caution. La seule migration amorite que lon connat va dans lautre sens (de lasyrie vers la Msopotamie). il faut galement rappeler que dans la Bible le termedAmorites est toujours utilis pour dsigner les autres , jamais les descendants desPatriarches ; ceux-ci sont, par contre, dsigns comme Aramens enDt 26,5.

    (b) Lide que les histoires des Patriarches seraient le reflet dun passage dunomadisme un mode de vie sdentaire est tout simplement fausse. il suffit deregarder les Bdouins actuels du dsert, qui vivent encore plus ou moins comme lesPatriarches bibliques, pour se rendre compte quil ny a pas dvolution du nomadismevers la sdentarisation ; au contraire les deuxmodes de vie peuvent coexister, mme lintrieur de la mme population. On stait souvent appuy sur des documents deMari qui attestent une relation troite entre les nomades et la ville pour dater lesrcits dAbraham au bronzeMoyen, mais le fait que des nomades se trouvent installsprs des villes ne se limite nullement cette priode.

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    Pour les coutumes qui apparaissent en Gn 12-50, on stait beaucoup appuy surdes textes juridiques de Nuzi (probablement du e sicle), une ville lest dutigre, sige dune population hourrite pour dater les Patriarches aux alentours de 1500. On pensait y avoir lattestation dun mariage entre un homme et sa surqui correspondrait aux histoires de Gn 12,10-20 et 20. Mais dans lhistoire deGn 12,10-20, Abraham ment justement au sujet de sarah, et Gn 20 cherchesimplement attnuer le mensonge. De plus, certaines des tablettes de Nuzi enquestion ont apparemment t mal interprtes (elles sont crites en akkadien,mais avec beaucoup de fautes, les scribes tant des hourrites), car elles parlentplutt du pouvoir dun homme de marier sa sur autrui. il existe certes Nuziun document qui semble prvoir le remplacement dune femme strile par saservante, ce qui rappelle le rcit de Gn 16, mais il existe un parallle beaucoup plustroit dans un contrat de mariage no-assyrien (e sicle) 1. Dune manire plusgnrale, il est difficile de comprendre les rcits patriarcaux comme refltant lasituation de la Palestine au Bronze Moyen o la vie urbaine tait trs dveloppe.

    (c) En Gn 12-50, Dieu est parfois appel El au lieu de yhwh (voir Gn 16,13 : El de la vision ; 33,24 El, leDieu disral , etc.), mais aussi le dieu du pre . la suite dAlt, on y avait vu le reflet dune religion nomade du deuxime millnaire.Les Patriarches auraient vnr un dieu anonyme, auquel on aurait ensuite donn lenom du dieu de lanctre auquel il tait apparu : dieu dAbraham, dieu disaac, dieude jacob. suite des contacts des patriarches avec la culture cananenne, ce dieu despres aurait t identifi au dieu El. Les recherches rcentes ont rendu cette thoriecaduque. Lexpression dieu du pre est atteste dans des documents extrabibliqueso elle ne renvoie pas une religiosit nomade, mais reflte une pit familiale quisexprime dans la vnration des anctres. Lutilisation du nom El indique peut-tre une conception plus universaliste deDieu que lemploi presque exclusif de yhwhdans les traditions de lexode. Cela signifie que les rcits patriarcaux refltent lecontexte sociologique de la religion populaire , loppos de la tradition officielle de lexode ; mais il sagit-l de la religion populaire du premier millnaire.

    (d) Les noms d Abram et dAbraham. Comme jacob , Abram ( Le Pre 2 estlev ) est un nom du smitique de louest pour lequel on trouve des parallles audeuxime et au premier millnaires avant notre re, par exemple Ougarit. il existepeut-tre aussi un nom de femme Abi-ra-mi dans des documents no-assyriens 3.

    quant Abraham, il nexiste pas de parallle extrabiblique clair, et beaucoup despcialistes pensent quil sagit dun nom artificiel pour distinguer lanctre du

    1. A.K. G et j. v s, theChildlessWife inAssyria and the stories ofGenesis ,Or, 44, 1975, p. 485-486.

    2. Le Pre peut dsigner une divinit ou lanctre divinis.3. Pour les details, voirt.L.t, The Historicity of the Patriarchal Narratives.The Quest

    for the Historical Abraham (BZAW 133), Berlin-New york (reprinted 2002, trinity Press,Harrsiburg, PA), 1974, p. 35.

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    peuple hbreu des autres Abram . On a parfois essay de mettre Abraham enrelation avec une tribu r(w)hm mentionne dans une stle gyptiennedcouverte Beth-shan (vers 1300) qui parle des Apirus ayant attaqu les Asiatesde r-h-m. M. Liverani 4 a voulu y voir lorigine du nom dAbraham, en imaginantquil aurait t lanctre de ce groupe. Grg pense mme pouvoir identifier ce nomau lexme rhn apparaissant dans des textes dexcration (fin iiie, dbut iie millnaire ;documents qui tentent dattirer par des moyens magiques le malheur sur lesennemis de lgypte).On a voulu ainsi identifier Abraham un dnomm 3bwrhn3(Aburahana), prince de samhuna, en Galile 5. Abraham signifierait alors Pre dela tribu rhn . Mais lidentification du nom propre au nom dAbraham esthasardeuse. Cette conjecture demeure trs hypothtique car les traditions de laGense localisent Abraham clairement dans la rgion dHbron et non pas dans leNord. Dans une inscription du temple dAmon Karnak, dans la liste des lieuxconquis en syrie, tablie pour le Pharaon shshonq (vers 930-920), le shishaq dela Bible, on trouve apparemment dans le Nguev une localit hqr 3b3rm, ce quonpourrait traduire par Fortification (cf. hbreu : -se ceindre ; ou champ : en aramen) dAbram 6 . Cependant, linscription gyptienne est peu claire, et unlien ventuel avec lAbraham biblique reste hautement spculatif (on a aussi voulucomprendre champs du buf , ). On ne peut dfinitivement exclure un lienavec la figure Abram de la Bible. Lonomastique ne peut prouver ni lexistencedune poque patriarcale, ni lhistoricit des Patriarches.

    En conclusion, il faut partir de lide que les Patriarches sont des figureslgendaires qui chappent lhistorien. Cela nexclut pas la possibilit que certainsnoms ou des coutumes gardent des traces de mmoire de constellations dudeuxime millnaire. Mais, il faut dabord se concentrer sur le fait que lhistoiredAbraham comme celle de jacob nous renseignent sur un type de religion populaireen isral et en juda durant le premier millnaire.

    Approches diachroniques du cycle dAbraham : histoire de la recherche

    Pour tout lecteur attentif de lhistoire dAbraham, il est vident que cette histoirena pas t rdige dun seul trait. quelques exemples le montrent clairement :Lhistoire de la naissance dismal en Gn 16 ne semble pas connatre lhistoire delalliance avec Abraham qui, dans le texte final, la prcde. En Gn 15 Abram croiten la parole divine, mais en Gn 16 il suit la proposition de sara sans faire mentionde cette promesse. De mme, lannonce par les trois hommes de la grossesseimminente de sarah en Gn 18 semble ignorer la promesse de Dieu en Gn 17, oDieu annonce dj le mme vnement quen Gn 18. De mme, les portraits

    4. M. L, Un ipotesi sul nome di Abramo , Hen., t. 1, 1979, p. 9-18.5. M. G, Abraham Historische Perspektiven , BiNo 41, 1988, p. 11-14.6. y. A, The Land of the Bible. A Historical Geography, Philadelphia,Westminster Press,

    1979, 2e d., p. 328 ; et r. H et al., Remembering Abraham. Culture, Memory, and Historyin the Hebrew Bible, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 48-49.

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    dAbraham divergent : en Gn 13 il est un nomade avec ses troupeaux, en Gn 14 ilapparat comme chef de guerre. il existe aussi un certain nombre de rcits que lonretrouve deux voire trois fois (des doublets ) : la femme de lanctre chez le roitranger : Gn 12 ; 20 et 26 ; lexpulsion de Hagar (Gn 16 et 21), deux alliances entre Dieu et Abraham : Gn 15 et 17, etc.

    Dans le cadre de la thorie documentaire classique lie au nom de Wellhausen,lhistoire dAbraham, comme les autres histoires du Pentateuque voire delHexateuque fut explique comme tant le rsultat de la fusion des documents j,E et P par des rdacteurs ayant combin ces sources. On utilisait par exemple les doublets pour attribuer les rcits aux sources. Ainsi Gn 12,10-20* tait attribuj, Gn 20 E ; de mme Gn 16* j, et 21,8ss* E. Puisque Gn 22 tait procheau niveau du style deGn 20, on y voyait galement luvre de E, malgr lapparitionde lange de yhwh. quant aux deux rcits dalliance, Gn 15 fut considr commeune combinaison de j et E, alors que Gn 17 tait luvre de P.

    Un premier dplacement intervint avec le grand commentaire de H. Gunkel,qui, tout en acceptant la thorie documentaire, sintressait plutt la formationdes cycles sur le plan de la tradition orale. j avait, en effet, seulement collect unehistoire dAbraham dj existante dans ses contours, un peu comme le faisaient lesfrres Grimm, contemporains de Gunkel, avec les contes de fe germaniques. PourGunkel, le cycle dAbraham tait le rsultat dune longue transmission orale dercits dabord indpendants les uns des autres ( Einzelsagen ), qui auraient ensuitet regroups dans des ensembles plus grands ( sagenkrnze ). Dans le cycledAbraham, il distinguait notamment un ensemble autour dAbraham et de Lot(Gn 13 et 18-19) ct dautres rcits isols, comme la naissance dismal.

    Contrairement cette approche, Gerhard von rad soulignait, quant lui,limpact dcisif du yahwiste (j) pour la formation de lhistoire du cycle dAbraham.j quil situait sous salomon aurait fait dAbraham une figure lgitimant le grandempire davidico-salomonien. Gn 12,1-3, la vocation dAbraham, devint ainsi letexte central pour dcrire le krygme de j. La multiplication et la bndictionpromises Abraham se seraient ralises sous salomon.

    Depuis les annes 1980, les difficults du systme traditionnel sont apparuesclairement, et il nest pas besoin de revenir ici en dtail sur les impasses de la thoriedocumentaire classique. rappelons simplement quil est difficile de maintenir unedatation de la premire trame narrative du Pentateuque au e sicle avant notre re,que la source E na jamais pu tre reconstruite, et que lide dune combinaison pluspu moins mcanique de trois ou quatre documents nexplique pas suffisamment laformation de latorah. A cela sajoute le fait que, ds le livre de lExode, de nombreuxtextes attribus j sont proches du style et de la thologie dtr.Ce qui reste cependantvalable quant lancien modle, cest lobservation de la prsence de textessacerdotaux (P) et la reconstruction de ceux-ci, bien quil y ait discussion pour savoirsi ces textes formaient lorigine un document indpendant ou sils ont t critsdemble pour diter les textes non-sacerdotaux plus anciens.

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    Ltude dE. Blum de 1984, Die Komposition der Vtergeschichte, marque unpoint tournant dans la discussion sur les rcits patriarcaux 7. Blum souligne, lencontre de la thorie documentaire, lindpendance littraire de la traditionpatriarcale par rapport aux autres thmes du Pentateuque. Cest seulement la composition D (postexilique) qui aurait cr le lien entre les Patriarches et lestraditions de lexode et du dsert. quant au cycle dAbraham, Blum voit sesorigines la fin de lpoque monarchique. quant la formation de lhistoiredAbraham, Blum adopte lide de Gunkel savoir des rcits originellementindpendants et un petit sagenkreis sur Abraham et Lot. Ces diffrentsensembles auraient t lis successivement, notamment laide du thme despromesses. Le lien entre Gn 13 + 18-19 se fait selon lui, lpoque de lexilbabylonien o le thme du don du pays joue un rle important : Cette premiredition insiste sur le fait que le Patriarche ne doit pas quitter le pays quil a reude la part de yhwh. Dans la suite, E. Blum a modifi deux fois sa vision initiale 8.selon lui, le cycle dAbraham trouve son origine dans le cycle dAbraham-Lot (13*;18-19*), ainsi que dans des rcits indpendants datant de la fin de la monarchie :12,10-20*; 16*, 21,2-8*; 22*; 26*. Au moment de lexil, ces rcits sont lis lageste de jacob par le thme des promesses, ainsi que par des textes dans lesquelsDieu demande ou interdit le dpart dun anctre vers un autre pays : 12,1; 26,2;31,3; 46,3.

    Dans ses deux ouvrages sur la composition des rcits patriarcaux et sur laformation du Pentateuque, Blum postule que cest une composition D qui lielhistoire dAbraham aux traditions contenues en Ex-Dt et ceci laide des textessuivants : 12,7; 15; 22,15-18; 24; 26,3b-5. sous linfluence de la discussion rcentesur le premier lien entre lhistoire patriarcale et celle de lexode, il accepte lideque ce soit P qui aurait effectu, sur le plan littraire, le premier le lien entre cesdeux blocs de tradition. La composition D ne commencerait quavec lhistoire delexode (notamment par la mise par crit du rcit de vocation de Mose en Ex 3) 9.La composition P organise lhistoire dAbraham autour de Gn 17 et des gnalogiesen 11,27ss; 25,12ss; 25,19ss. Gn 23, un texte lorigine indpendant, aurait tgalement intgr dans la composition P. De lpoque hellnistique dateraient18,17-19.22b-32; 20; 21,22-24.27.34. Gn 14 serait le dernier ajout lhistoiredAbraham.

    7. E. B, Die Komposition der Vtergeschichte (WMANt 57), Neukirchen-vluyn, 1984.8. Dans Studien zur Komposition des Pentateuch (BZAW 189), Berlin-New york, 1990, p. 214,

    n. 35, il renonce lhypothse dune vtergeschichte 1 , cest dire le rattachement du cycledAbraham celui de jacob entre 722 et 586.

    9. E. B, Die literarische Verbindung von Erzvtern und Exodus. Ein Gesprch mit neuerenForschungshypothesen, in j.C. G, et al. (d.), Abschied vom Jahwisten. Die Komposition desHexateuch in der jngsten Diskussion (BZAW 315), Berlin-New york, 2002, p. 119-156 ;cf. galement The Literary Connection Between the Books of Genesis and Exodus and the End of theBook of Joshua, in t.B. D et K. s (d.), A Farewell to the Yahwist ? The Compositionof the Pentateuch in Recent European Interpretation (sBL symposium series 34), Atlanta, GA,2006, p. 89-106.

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    Un certain nombre de travaux rcents saccordent sur lide que lhistoiredAbraham (ou lhistoire patriarcale) est dabord comprendre comme une uvresui generis qui na nullement besoin dune suite exodique . On peut en effet trsbien entendre et lire lhistoire dAbraham comme un rcit danctre indpendant.Cest le rcit de la qute dune descendance, de la lgitimation dun territoire etde lexplication des liens gnalogiques avec des tribus et peuples voisins.

    La question du lien entre Gn 12ss et Ex 1ss

    Pour certains auteurs, le lien entre ces deux ensembles est effectu entre 722 etlpoque exilique, cest--dire par le rdacteur qui fait le lien entre Abraham et jacob.On a vu souvent le responsable de ce lien apparent au milieu deutronomiste dtr.Mais existent-ils des textes dtr lintrieur des rcits patriarcaux ? La dfinition de ceque lon entend par dtr est, en effet, une sorte de serpent de mer de la rechercheactuelle. Pour parvenir une description du terme dtr qui puisse revendiquer uncertain degr dobjectivit, il faut combiner des critres stylistiques et idologiquespour qualifier un texte de dtr . si lon suit cette consigne le seul chapitre du cycledAbraham qui pourrait tre qualifi de dtr (tardif ) estGn 24 puisque ce rcit rejointles proccupations deDt 7 mais aussi dEsdras-Nhmie, mme si la terminologie dtrnest pas abondante (cf. cependant : interdiction dpouser les filles du pays, v. 3 etailleurs ; la promesse divine comme serment : v. 7, comme Gn 22,15-18 un textequon pourrait galement caractriser de dtr ; lamiti et la fidlit, v 49). il sembleassez difficile de minimiser les diffrences idologiques qui existent entre le cycledAbraham et les traditions deutronomistes dans un sens large (Ex-2r, et aussicertains livres prophtiques). simpose alors lhypothse suivante : cest le documentsacerdotal (P) qui est le premier avoir tabli un lien littraire entre les Patriarches etlexode. si lhypothse dun lien postexilique entre Gn 12ss et Ex 1ss savre juste, denombreuxmodles explicatifs de la formation du Pentateuque devraient tre repenss.Pour lhistoire dAbraham, lhypothse que celle-ci ait t conue lors de sa premiremise par crit comme une histoire autonome, constitue la thorie la plus plausible.

    Le contexte historique de llaboration de lhistoire dAbraham : hypothses rcentes

    lexception de quelques nostalgiques, la recherche actuelle a abandonn laconstruction dune poque patriarcale au deuxime millnaire. Certains auteursrenouent cependant avec la thse dune laboration du cycle primitif dAbrahamdurant le rgne de David Hbron (quon imagine c. 1010-1003). Ceci estnotamment le cas dAndr Lemaire 10 qui souligne avec raison le fait que Mamr/Hbron constitue leHaftpunkt des traditions sur Abraham.Mais faut-il pour autantconclure que le seul contexte pour la mise par crit du cycle dAbraham se situe versla fin du e sicle avant notre re ? indpendamment du fait que lenqute de

    10. A. L, Cycle primitif dAbraham et contexte gographico-politique, in A. LK etB. O (d.), History and Traditions of Early Israel. Studies Presented to Eduard Nielsen(vts 50), Leiden-New york-Kln, 1993, p. 62-75.

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    jamieson-Drake a rendu peu plausible lexistence, en juda, dcoles de scribes avantle e sicle 11, il faut constater que le cycle dAbraham se comprend fort mal commelgitimation dune toute nouvelle monarchie. il nexiste dailleurs aucune rfrence Abraham dans les textes relatifs la royaut davidique.De plus, Lemaire nhsite pas utiliser pour son argumentation des textes comme Gn 14 et 15 dont le style etlidologie tardifs ne font (presque) plus de doute. Gn 12ss mettent en scne unanctre qui frquente des rois trangers (Gn 12,10ss; 20), mais qui mne une vierurale sans tre soumis un pouvoir central fort. Cette situation peut trs biensexpliquer lpoque perse.

    loppos de lapproche de Lemaire, A. de Pury pense pouvoir dmontrer que P,connaissant certaines traditions sur Abraham, aurait t le premier artisan dun cycledAbraham 12. Donc, les textes non-P sur Abraham seraient considrer commepost-P. D. jericke 13 a prsent une thorie comparable, bien quil attribue la premireversion de lhistoire dAbraham (il limite son analyse Gn 11,27-19,38) un premierrcit dans le cadre dun document toledot qui aurait compris dj lhistoire dejacob.Dans un deuxime temps, intervient une relecture sacerdotale, notamment enGn 17. Cest ce stade quauraient t intercales entre les rcits sur Abraham etjacob les traditions sur isaac. Gn 18-19 aurait t insr au cinquime sicle commepolmique contre jrusalem (vise par sodome) et la politique de centralisation duculte. La dernire tape de rdaction est lintervention dun rdacteur yahwiste quidfend Hbron comme lieu cultuel contre la centralisation jrusalmite. A cetterdaction appartiennent notamment Gn 13,18 et Gn 15.

    si lon compare Lemaire et jericke, on constate que limportance de Hbrondans lhistoire dAbraham peut mener des conclusions diamtralement opposes.Et lalternative poque perse/poque de David est sans doute trop simpliste. Pouressayer de cerner llaboration littraire de son histoire, il convient de quitter laGense et le Pentateuque et examiner dabord les attestations dAbraham en dehorsdu Pentateuque.

    On peut classer les mentions dAbraham en dehors du Pentateuque de la maniresuivante :Abraham Ez 33,24 ; Ps 47,1014 ; 2Chr 20,7 ;Ne 9,7s ; Ps 105,42.

    Abraham + isaac

    11. D.W. j-D, Scribes and Schools in Monarchic Judah. A Socio-ArcheologicalApproach (jsOt.s 109), sheffield, 1991.

    12. A. P, Abraham :the PriestlyWriters Ecumenical Ancestor , in s.LMet th. r (ds.), Rethinking the Foundations. Historiography in the Ancient World and in theBible. Essays in Honour of John Van Seters (BZAW 294), Berlin-New york, p. 163-181.

    13. D. j, Abraham in Mamre. Historische und exegetische Studien zur Region von Hebronund zu Genesis 11,27-19,38 (Culture and History of the Ancient Near East 17), Leiden-Boston,2003.

    14. Au v 5 il est question de jacob.

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    Abraham + jacob (*=isral) Es 29,22 ; Es 41,8 ; Es 63,15* ;Mi 7,20 ; Ps 105,6.

    Abraham + isaac + jacob (*=isr.) jos 24,2-5 ; 1r 18,36* ; 2r 13,23 ; jr 33,26 ; 1Chr 1,27-34* ; 1Chr 29,18* ; 2Chr 30,6* ; Ps 105,6-10(=1Chr 16.16*).

    Abraham + sarah Es 51,2.

    Les combinaisons des diffrents personnages patriarcaux appellent les remarquessuivantes : Le couple Abraham et isaac nest pas attest, par contre on trouve cinqfois Abraham et jacob (isral) .On peut donc supposer que le lien entre Abrahamet isaac est moins enracin dans la tradition que celui entre Abraham et jacob(cf. galement Gn 28,13 o Dieu se prsente jacob en ces termes : je suisyhwh, le Dieu dAbraham ton pre et le Dieu disaac ). Les textes mentionnant latriade des trois patriarches ne contiennent ( lexception de jos 24) pas de rappelprcis des vnements relats dans la Gense.

    Les textes les plus intressants sont Ez 33,24 et Es 51,2, datant lun et lautre delpoque babylonienne ou des dbuts de lpoque perse.

    Ez 33,24 : Fils de lhomme, les habitants de ces ruines qui se trouvent sur le sol disraldisent : Abraham tait seul et il a possd le pays ; nous nous sommes nombreux, cesta nous que le pays est donn en possession.

    Ce texte cite une revendication de la population non-exile qui justifie son droit la possession du pays contre les revendications des dports (cf. galementEz 11,15). Lauteur dEz 33,24 reprsente la Golah et condamne violemment cetterevendication. Au don du pays que les non-exils rclament, il leur oppose, enironisant sur le thme du don , lannonce suivante : yhwh les donnera aux btessauvages, il donnera le pays la dvastation (cf. 33,27s).

    si ce texte date du e sicle avant notre re il sensuit quAbraham ne peut tre uneinvention de cette poque, puisquil est suppos connu.On peut galement noter quilapparat seul et en lien avec le pays (sans mention dun don ou dune promesse dupays de la part de yhwh) ; aucune filiation avec les autres patriarches nest prsuppose(dailleurs les textes dEz, mentionnant jacob : Ez 20,5 ; 28,25 ; 37,25 ; 39,25 ne fontaucun lien avec Abraham). A lpoque de lexil, Abraham fonctionne apparemmentcomme un anctre autochtone et sert de figure didentification aux non-exils. Ceciprsuppose lexistence dune tradition sur Abraham bien enracine.

    Le texte du livre dEsae mentionne Abraham comme destinataire dunebndiction et dune multiplication divine :

    Es 51,1-3a : coutez-moi vous qui tes en qute de justice, vous qui cherchez yhwh.regardez le rocher do vous avez t taills, et le fond de tranche do vous avez ttirs. regardez Abraham, votre pre, et sarah qui vous a mis au monde; il tait seul, eneffet, quand je lai appel : or, je lai bni, je lai multipli. Oui, yhwh rconforte sion,il rconforte toutes ses ruines. il rend son dsert pareil un Eden, et sa steppe pareille un jardin de yhwh.

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    Ce texte met la strilit dAbraham et de sarah 15 en contraste avec lamultiplication de la descendance effectue par yhwh. Cet oracle prophtique viseapparemment consoler les non-dports ou ceux qui sont revenus jrusalem(cf. sion et les ruines au v. 3, mme expression quen Ez 33,24). Comme enEz 33, Abraham est qualifi de . il est clair que ce texte veut, contrairement Ez 33,24, souligner lunit des habitants de la diaspora et de ceux qui sont sion.Le cycle dAbraham se caractrise surtout par deux thmes qui y reviennent commedes leitmotive : le problme de la possession du pays et celui du fils ou de ladescendance. Or, ces deux motifs, pays et descendance, se retrouvent justement enEz 33 et Es 51. On peut en dduire lexistence dun cycle dAbraham lpoquede lexil construit autour de ces deux thmes.

    Comment imaginer la formation du cycle dAbraham ? (Hypothse provisoire testedurant le cours)

    1. il est fort possible que les origines littraires dAbraham sont chercher Hbron qui tait au -e sicle la capitale du Nguev. On peut imaginerque certains rcits o Abraham apparat comme un aristocrate rural, propritaireet leveur de btail, refltent la situation socio-conomique du am haaretz juden.Lauteur serait alors un reprsentant ou un scribe au service de cette couche aisede paysans-leveurs, mfiants vis--vis dun pouvoir central (jrusalmite) et duneorganisation urbaine de la socit.

    lpoque babylonienne, ces rcits ont t regroups pour justifier le droit des judensnon-exils au pays et un avenir (descendance).Cette dition exilique comportait sansdoute les rcits suivants : 12,10-20 ; 13* ; 16* ; 18,1-16* ; 19*16 ; 21*. Cettereconstruction rejoint (au moins partiellement) un certain nombre dhypothsesrcentes. Abraham tel quil apparat dans ces textes est une figure autochtone, rien nestdit dune provenance extra-cananenne.

    2. il existe galement un certain consensus en ce qui concerne les lmentssacerdotaux du cycle dAbraham : 11,27-31 ; 12,4b-5 ; 13,6.11b-12 ; 16,3.15s ;17 ; 19,29 ; 21,1b-5 ; 23 ; 25,7-11a. si P est le premier tablir un lien littraireentre les patriarches et les traditions de lexode et du dsert, on comprend bien latransformation du pays dAbraham en pays de migrations (17,8). P donnegalement Abraham une origine msopotamienne (11,27ss) peut-tre pour enfaire un modle pour le retour de Golah babylonienne.

    3. On a depuis longtemps not les similitudes stylistiques et thologiques entreGn 12,1-4a et le dbut de Gn 22. Le problme dune thodice qui est sous-jacent Gn 22 est galement pos en 18,16ss*. Ce texte (cf. aussi 18,18//12,3) pourraitdonc se situer au mme niveau rdactionnel.

    15. Es 51,1s fait allusion la strilit de sarah, cf. B.j. M, Pentateuchtradisies indie Prediking van Deuterojesaja, Groningen-Djakarta, 1955, p. 103-120.

    16. Gn 13 et 18-19 constituaient lorigine un petit ensemble indpendant.

  • MiLiEUX BiBLiqUEs 679

    4. Lidologie sparatiste exprime en Gn 24 ( ne pas pouser les filles dupays ) le rapproche de Dt 7 et surtout dEsd-Ne. La datation de Gn 24 lpoqueperse est maintenant largement accepte (cf. aussi lexpression Dieu du ciel ), etil convient de comprendre ce texte comme un ajout dun partisan de la lignedure dEsdras et de Nhmie.

    5. Gn 20 est peut-tre la version la plus rcente des trois rcits de la mise endanger de la matriarche. Ce texte veut montrer que la crainte de Dieu existechez dautres peuples et quon peut habiter parmi eux sans problmes. Le rcit deGn 20* qui se poursuit en 21,22 ss (conclusion dune alliance entre Abraham etAbimelek) critique apparemment une idologie trop nombriliste et peut trecompris comme une production littraire provenant de la diaspora.

    6. Le texte de Gn 14 est dans le contexte de lhistoire dAbraham un morceauisol et difficile dater. Apparemment, il est prsuppos par Gn 15, ce qui signifiequon la insr avant ce chapitre qui est sans doute le dernier grand ajout lhistoiredAbraham. Puisque Gn 15 fait dAbraham un prcurseur de Mose et rsume lecontenu de toute la torah (ou de lHexateuque), ce texte fait partie des derniresrdactions. sil faut le considrer comme faisant partie de la rdaction duPentateuque,on peut situer au mme niveau les textes du serment du pays qui initient danslhistoire dAbraham un des leitmotiv de la torah : 22,15-18 ; 24,7 et 26,3.

    7. Bilan intermdiaire : titre provisoire nous avons distingu les tapes suivantesdans la formation du cycle dAbraham :

    un noyau datant de lpoque monarchique, (r)dit par un reprsentant dela population non-exile au dbut du e sicle : 12,10-20 ; 13* ; 16* ; 18,1-16* ;19* ; 21* ;

    la combinaison de ce cycle avec la version sacerdotale dAbraham qui est lapremire lier les rcits des patriarches au reste du Pentateuque : 11,27-31 ;12,4b-5 ; 13,6.11b-12; 16,3.15s ; 17 ; 19,29 ; 21,1b-5 ; 23 ; 25,7-11a ;

    une rdaction post-sacerdotale, universaliste faisant dAbraham un juifexemplaire : Gn 12,1-4a (6-9 ?) ; 18,16 ss* ; 21,8 ss ; 22,1-14.19 ;

    ajout de Gn 24 ;

    insertion dune nouvelle de diaspora Gn 20,1-17(18) ; 21,22 ss ;

    ajout de Gn 14 ;

    rdaction finale : Gn 15 ; 22,15-18 ; 24,7 et 26,3.

    Pour tester cette hypothse, il faut reprendre chacun des textes du cycle dAbrahamen dtail. La suite du cours a permis danalyser une partie du cycle dAbraham.Cette analyse devrait tre complte par un deuxime cours.

  • 680 tHOMAs rMEr

    Gn 11,27-12,9

    On peut observer lintrieur de ce passage au moins deux niveaux de textediffrents. On a depuis longtemps remarqu que 12, 4b et 5 interrompent la tramequi commence au v. 4a et se poursuit au verset 6 jusquau verset 9. Dailleurs onpeut trs bien comprendre le v. 4b et le v. 5 a comme la suite directe de 11,31-32.Le texte de base provient dun auteur sacerdotal, alors que la vocation dAbram en12,1-4a et 6-9 est une insertion post-sacerdotale qui veut insister sur le fait que levoyage dAbram est clairement le rsultat dun projet divin.

    On doit souligner limportance des gnalogies pour la version sacerdotale delhistoire dAbraham. Lcole sacerdotale (P) a peut-tre hrit des savantsbabyloniens et perses de ce got pour les gnalogies. La famille de trah est OurCasdim . il ne fait pas de doute que lauteur de ces versets pensait Our delpoque no-babylonienne. En effet, le mot (Chaldens) est utilis dans laBible hbraque exclusivement pour dsigner les Babyloniens du sixime sicleavant notre re. On constate des allusions au culte lunaire dans les premiers versetsde lhistoire dAbraham. Ces allusions peuvent reflter la thologie inclusive dumilieu sacerdotal. P veut peut-tre tablir un lien entre ce culte populaire chez lesAssyro-babyloniens et yhwh, le dieu dAbraham. Lvocation du culte lunaire peutavoir encore une autre fonction, puisquil est troitement li lide de fertilit.Mais de saray, dont le nom voque lpouse du dieu de la lune, on dira au versetsuivant quelle est strile.

    Gn 12,1-4a et 6-9 transfrent lidologie royale sur Abram. son dplacementHarransichemBthel correspond litinraire de jacob lors de son retour dechez Laban (Gn 31-32 ; 33,18 ; 35). Lauteur a donc voulu faire dAbram leprcurseur de jacob. il faut aussi remarquer quAbram construit les autels sans yfaire de sacrifice, ce qui est pourtant la fonction normale des autels. la place, ily invoque le nom de yhwh, ce qui constitue une rponse linterruption du cultesacrificiel aprs 587. Dune manire gnrale, 11,27-12,9 construit un Abram exodique , ce qui ne semble pas tre le cas dans des traditions plus anciennes.

    Gn12, 10-20 // Gn20 // Gn26 : La femme du Patriarche chez le roi tranger

    Gn 12,10-20 est la premire version dune histoire ayant t raconte trois foisavec des changements au niveau des acteurs et des lieux, lintrigue principalerestant pourtant la mme : un patriarche fait passer sa femme pour sa fille auprsdun roi tranger. On peut caractriser Gn12,10 ss comme une prolepse de lExode,voire mme une sorte danti-Exode. il faut insister sur le renversement total descaractres. Pharaon et Abraham nont pas de traits particuliers, ils sont prsentscomme des types, des modles, or ici cest Pharaon qui montre normment derespect envers Abraham et yhwh. Gn 12,10-20 correspond dans sa structure untype de rcit folklorique pouvant provenir de la tradition orale (une comparaisonavec un rcit populaire palestinien recueilli au e sicle a t propose).

  • MiLiEUX BiBLiqUEs 681

    Gn 12,10-20 peut se comprendre tout seul, sans connaissance de Gn 20 ou 26 quitous deux prsupposent Gn 12,10-20. Ce dernier est donc le plus ancien et labase des deux autres rcits.

    Gn 20 veut apparemment rpondre un certain nombre de questions etproblmes thologiques que pose Gn 12. Les versets 3-8 thmatisent la justice dunroi paen. Le roi Abimlek est montr de manire positive. Abraham, lui, estpartiellement disculp, mais son comportement reste ambigu. La problmatiquede Gn 20 concerne donc des juifs habitant au milieu dun autre peuple. Le chapitreest probablement une production venant du milieu de la diaspora.

    Lauteur de la premire version de Gn 26 connat trs certainement 12,10 ss ; ilest plus difficile de dcider si lauteur de Gn 26 connaissait galement Gn20. il estpossible que lauteur de Gn 26* (sans les ajouts) est le mme (ou vient du mmemilieu) que celui de Gn 12,1-9, cest--dire un reprsentant de la Golahmsopotamienne.

    Les trois pisodes de la femme de lanctre et du roi tranger vhiculent chacunleur propre idologie. La rcriture du rcit ancien a t partiellement ncessairepour donner une exgse de Gn 12,10-20 mais aussi pour exprimer desproccupations diffrentes selon le contexte et lpoque de la mise par crit. Avecla fixation canonique, lhistoire de la rinterprtation et dactualisation de cetpisode nest pas arrive son terme, comme le montre lapocryphe de la Gensetrouve qumran. sur le plan hermneutique, le choix des derniers diteurs duPentateuque de laisser coexister les trois versions est significatif et nous renseignesur lintelligence du Pentateuque. Cest une conception dynamique qui inscrit lancessit de linterprtation dans le texte mme.

    Gn 16

    il ne fait pas de doute que Gn 16 est le rsultat dune certaine volution du textequi a connu des interventions rdactionnelles dordre divers. Le rcit primitif(1-2.4-7a.8.11-13) contient une narration tiologique expliquant le nom dismal.il peut facilement tre dat aux alentours du e sicle, si on peut mettre le nomdismal en relation avec celui de la confdration de tribus proto-bdouines dunom de shumuil attest dans des documents no-assyriens. Ce rcit est li Gn 12,10-20 par sa vise anti-exodique . Hagar, selon le texte primitif deGn 16,13, proclame avoir vu Dieu et tre reste en vie. Mose, par sa vocation dansle dsert, devient le fondateur du peuple hbreu. Hagar, de son ct, connatune transformation similaire : par sa rencontre avec le divin elle devient la mredu peuple arabe. Les rdacteurs sacerdotaux ont redfini les liens entre la descendancedHagar et de sarah en insistant sur le fait quismal est n dans la maisondAbraham et quil a reu son nom du patriarche mme.

  • 682 tHOMAs rMEr

    Gn13

    Gn 13 constitue le premier rcit concernant la relation entre Abraham et Lot,un rcit qui aboutit la sparation des deux parents. il est possible qu un stadeprsacerdotal, les ch.13.18-19* aient form une petite nouvelle dAbraham et Lot(peut-tre dabord sans lien avec Gn 12,10-20 et 16). Le premier auteur de cecycle combine apparemment des traditions dorigines diffrentes. En effet, enGn 13 Lot apparat comme un nomade avec un cheptel important de btail (il vitsous les tentes) ; en 19,1-29 il est habitant dune ville (il habite dans une maisonau milieu de la ville), et finalement dans le rcit des naissances incestueuses lafin du chapitre 19, cest un homme des cavernes . En Gn 13, le rcit primitif seretrouve dans les versets 2.5.7-11a.12-13*. 18a. Les v. 6.11b-12ab sont desvariantes sacerdotales. Les versets 13,1.3-4.14-16(et17 ?).18b proviennentprobablement des mmes rdacteurs que Gn12,1 ss* (une rdaction pro-Golah)qui ont voulu insister sur le lien entre les promesses du dpart et leur validit aprsla sparation dAbraham et Lot et le partage du territoire. Le rcit dans sa formeprimitive traite de la parent entre les judens et leurs voisins lest : Moabites etAmmonites, dont Lot est lanctre.

    Gn 18

    La visite chez Abraham en 18,1-16 : lauteur a combin deux motifs traditionnelsdiffrents : la tradition dune visite de trois divinits chez des gens (souvent gs)pour tester leur hospitalit et loracle de naissance dlivr par une personne unefemme. il est possible que le rcit ait dabord eu une suite ou une fin diffrente.Ainsi lannonce de yhwh (v. 10 +14 : je dois revenir pareille poque dans unan ) nest pas relate dans le cycle dAbraham, et de mme, aprs sa dfense auv. 15, sarah disparat de manire abrupte. il est donc possible que lhistoire seterminait lorigine par la naissance du fils, fin qui aurait t remplace par laversion sacerdotale en 21,1 ss. Mais il nous est impossible de reconstruire cette fin primitive . il y a peut-tre encore dautres explications pour le chiffre 3 , lies Mamr/Hbron : Nb 13,22 ; jos 15,14 ; jg 1,10 mentionnent chaque fois trois seigneurs dHbron et en Gn 14,13.14 Abraham a trois allis Hbron. Doncil est galement possible quil y ait eu une tradition de trois anctres fondateursdHbron que lauteur aurait reprise et yahwise .

    Gn 18,17-33 : La discussion sur la justice divine. Le texte ancien comportaitseulement v. 16.20-22a. Cest probablement lpoque perse que ce petit texte detransition a t considrablement largi pour devenir un pisode qui a dsormaissa propre pertinence. il est possible dattribuer cette rdaction celle qui sexprimeen 12,1-9* et au dbut et la fin du chapitre 13 ( rdaction pro-golah ). Lesauteurs de ce texte se sont identifis ici avec un Abraham, paradigme de linstructeurde la loi (avant sa rvlation), ayant comme tche denseigner isral le cheminde yhwh .

    Les chapitres restant seront traits dans le cadre du cours de lan 2010.

  • MiLiEUX BiBLiqUEs 683

    s

    Le sminaire a eu lieu sous forme dun colloque international organis encommun avec la chaire dAssyriologie et tenu au Collge de France les 6 et 7 avrilsur le sujet suivant : Le jeune hros. recherche sur la formation et la diffusiondun thme littraire au Proche-Orient ancien . Ce colloque sera publi dans lasrie OBO .

    Les communications suivantes ont t prsentes : Mario L (La sapienza Universit di roma), Portrait du hros comme un

    jeune chien ; Christophe L (LEsA), Du jeune hros aux jeunes guerriers : de samson aux

    bahrm ; thomas r (Collge de France), Mose : du parcours initiatique chou la

    divinisation ; Michal G (Universit Paris i), rois et habiru en syrie du Nord daprs les

    archives de Mari (e sicle av. j.-C.) ; jean-Marie D (Collge de France), Le roman didrimi ; steven MK (rhodes College, tats-Unis dAmrique), After His Own

    Heart : yahwehs role in Davids rise to Kingship ; Lionel M (CNrs), jtais le plus jeune de mes frres. Lavnement hroque

    dAssarhaddon, un jeune homme prdestin ; Michael L (Collge de France), Loin des yeux, non du cur : lhrosme

    selon Daniel ; jean-Daniel M (Universit de Genve), Une hrone judenne la cour. Enjeux

    et moyens de laction hroque fminine selon le Livre dEsther ; Nele Z (CNrs), Gilgamesh : le cheminement dun hros vers la sagesse ; Christophe N (Universit de Genve), David et jonathan selon les rcits de 12

    samuel (= 12 rgnes) : perspectives comparatistes et intra-bibliques ; Dominique j (Universit de Lausanne), Entre mort et gloire imprissable.

    Achille et Patrocle en miroir ; Eva C-K (Freie Universitt Berlin), Le hros dsespr ; Diana

    Edelman (University of sheffield), saul ben Kish, King of israel, as a young Hero ; Andr L (cole Pratique des Hautes tudes), Athalie, anti-hrone ou hrone

    tragique ? . Dominique C (cole Pratique des Hautes tudes), synthse et conclusion.

    C, ,

    10 octobre 2008, valence, Conseil gnral : identit et Bible . 13 octobre 2008,Universit de strasbourg, Facult dethologie catholique : Lhistoire

    deutronomiste . 10 novembre 2008, Abbaye de Fontevraud, Le Messianisme, le temps et lEspoir . 24 novembre 2008, Boston, society of Biblical Literature Annual Meeting. rpondant

    lors dune discussion sur le livreth. rmer,the so-called DeuteronomisticHistory (http ://www.arts.ualberta.ca/jHs/Articles/article_119.pdf ).

  • 684 tHOMAs rMEr

    13 dcembre 2008 : versailles, institut biblique : La Bible, mythe ou histoire ? . 14 fvrier 2009, Centre de Formation de sornetan (suisse), Lhomosexualit dans le

    Proche-Orient ancien et dans la Bible . 25 mars 2009, Paris, ErF-Etoile : Bible et violence . 4 avril 2009, Paris, socit asiatique : y avait-il une statue de yahv dans le temple

    de jrusalem ? . 14-21 avril 2009, Prague, Universit Charles, Colloqium Biblicum. Deux

    communications : von Maulwrfen und verhinderten Propheten : Einige Anmerkungenzum prophetischen Buch; Moses, the Only Mediator ? the question of the Origin ofthe two Decalogues .

    14 mai 2009, Bordeaux, centre H 32 : Mythes dans la Bible . 22 mai 2009, Autun, Association Bible et art : Les origines du monde et de

    lhomme selon Gense 1-11 . 26 mai 2009, Paris, institut catholique. remise des Mlanges au Professeur jacques

    Briend : La construction dune identit juive . 4-6 juin 2009, Zrich,Universit de Zrich.Colloque sur la formation du Pentateuque :

    Die gyptennostalgie in Exodus und Numeri . 30 juin-4 juillet 2009, rome, society of Biblical Literature, Annual Meeting. Deux

    communications : Henri Cazelles and the Pentateuch ; Biblical scholarship andqumran studies .

    27-30 juillet 2009, Lincoln (GB), society of Old testament studies - EuropeanAssociation of Biblical studies (joint Meeting) : the Exodus in the AbrahamNarratives .

    i

    Deux professeurs trangers ont t invits donner des cours au Collge de France : le6 fvrier 2009 M. saul O, Professeur la Brown University, Providence (tats-Unis) adonn une confrence sur le thme : Disability in the Prophetic Utopian vision ; le13 mars 2009M. israel F, Professeur lUniversit detel-Aviv (isral) a prononcune confrence intitule temple and Dynasty : judah, Assyria and the rise of thePan-israelite ideology .

    P P

    Livres

    A chamada histria deuteronomista. Introduao sociolgica, histrica et literria, Petrpolis,Editoria vozes, 2008 (traduction portugaise de The So-Called Deuteronomistic History,2005).

    Shinmeiki-shisho : Kyuyaku-seisho Ni Okeru Rekishisyo No Seiritsu, tokyo, the Board ofPublications. the United Church of Christ in japan, 2008 (traduction japonaise de TheSo-Called Deuteronomistic History, 2005)

    Mohohasin Hanunim : Guyaksungkyunge Natanan Hanunimui Sung, Janinsung, Pokryeok,seoul, Living with scripture Publishers, 2009 (traduction corenne de Dieu obscur, 1998,2e d.)

  • MiLiEUX BiBLiqUEs 685

    Livre dit

    The Books of Levticus and Numbers (BEtL 215), Leuven-Paris-Dudley, MA, Peeters,2008

    Articles

    Exodusmotive und Exoduspolemik in den Erzvtererzhlungen , in i. K,r. s et j.W (ds.), Berhrungspunkte. Studien zur Sozial- und ReligionsgeschichteIsraels und seiner Umwelt. Festschrift fr Rainer Albertz zu seinem 65. Geburtstag (AOAt 350),Mnster, Ugarit-verlag, 2008, p. 3-20.

    Mose, hros de la diaspora. Enqute sur les aspects de la figure de Mose refltant, lpoque perse, les proccupations de la diaspora gyptienne , Trans 36, 2008,p. 141-153.

    Moses Outside the torah and the Construction of a Diaspora identity , JHS 8 (15),2008, p. 1-12.

    Lorigine du canon biblique et linvention dune autorit scripturaire , inA. C (d.), De lautorit. Colloque annuel du Collge de France 2007, Paris, Odilej, 2008, p. 123-142.

    salomon daprs les Deutronomistes : un roi ambigu , in C. L etD. N (d.), Le Roi Salomon : un hritage en question. Hommage Jacques Vermeylen(Le livre et le rouleau), Bruxelles, Lessius, 2008, p. 98-130.

    De la priphrie au centre. Les livres du Lvitique et des Nombres dans le dbatactuel sur le Pentateuque , in t. r (ed.), The Books of Leviticus and Numbers(BEtL 215), Leuven-Paris-Dudley, MA, Peeters, 2008, p. 3-34.

    Des meurtres et des guerres : le Dieu de la Bible hbraque aime-t-il la violence ? , inD. M (d.), Dieu est-il violent ? Paris, Bayard, 2008, p. 35-57.

    Homosexualitt in der Hebrischen Bibel ? Einige berlegungen zu Leviticus 18 und20, Genesis 19 und der David-jonathan-Erzhlung , in M. B, K. L et P. r(d.), Was ist der Mensch, dass du seiner gedenkst ? (Psalm 8,5). Aspekte einer theologischenAnthropologie. Festschrift fr Bernd Janowski zum 65. Geburtstag Neukirchen-vluyn :Neukirchener, 2008, p. 435-454.

    Moses, the Only Mediator ? the question of the Origin of the two Decalogues , inj. P et M. N (d.), Houses Full of All Good Things. Essays in Memory of TimoVeijola (Publications of the Finnish Exegetical society 95), Helsinki - Gttingen : FinnishExegetical society - vandenhoeck & ruprecht, 2008, p. 27-41.

    Ce que la Bible doit lEgypte , in j. A et al. (d.), Ce que la Bible doit lgypte, Paris, Bayard, 2008, p. 7-16.

    Avec P. B Mythologie de la Mditerrane et du Proche-Orient : regardscroiss sur lorigine de lhumanit , in P. B et F. P (d.), Religions antiques.Une introduction compare, Genve, Labor et Fides, 2008, p. 121-148.

    yahv, lUnique , Le Monde des Religions, Hors-srie 11, 2009, p. 33-37. Die Anfnge judischer Geschichtsschreibung im sogenannten Deuteronomistischen

    Geschichtswerk , in j. F, C.K. r et j. s (d.), Die Apostelgeschichteim Kontext antiker und frhchristlicher Historiographie (BZNW 162), Berlin-New york,W. de Gruyter, 2009, p. 51-76.

    response to richard Nelson, steven McKenzie, Eckart Otto, and yairah Amit , inr.F. P jr (ed.), In Conversation With Thomas Rmer, The So-Called DeuteronomisticHistory : A Sociological, Historical and Literary Introduction, London, t. & t. Clark, 2005(jHs 9/19), http ://www.jhsonline.org : 2009, p. 36-49.

  • 686 tHOMAs rMEr

    La naissance du Pentateuque et la construction dune identit en dbat , in O. Aet j. F (d.), Lidentit dans lEcriture. Hommage au professeur Jacques Briend (LD 228),Paris, Cerf, 2009, p. 21-43.

    Das verbot magischer und mantischer Praktiken im Buch Deuteronomium (Dtn18,9-13) , in t. N et r. H-r (d.), Diasynchron. Beitrge zurExegese, Theologie und Rezeption der Hebrischen Bibel (FS W. Dietrich), stuttgart,Kohlhammer, 2009, p. 311-327.

    M

    Les 1er-3 novembre 2008 le professeur a men une mission sheffield. il y a rencontrles professeurs Diana E et Philip D de lUniversit de sheffield dans le cadredun projet de recherche sur la formation du Pentateuque. Ce projet donnera lieu cinqpublications successives qui proposeront une approche des sciences sociales pour lintelligencede la torah. Les 8-10 dcembre 2008 a eu lieu une mission Berlin pour rencontrer lesresponsables du projet Die religionen der Welt . Le professeur a accept de collaborer ce projet des ditions suhrkamp qui veulent proposer des nouvelles traductions en allemanddes grands textes religieux de lhumanit.

    A

    M. Michael L, AtEr

    Michael L, Palais universitaire, Facult de thologie protestante, 9, placede luniversit, 67084 strasbourg, [email protected]

    Le poste dAtEr que jai occup durant lanne universitaire 2008-2009 aconstitu un cadre de travail exceptionnel, me permettant de poursuivre dans lesmeilleures conditions les projets de recherche auxquels je suis associ. Depuis maprise de fonction, jai achev la publication de deux livres, Le premier manuscritdu Livre dHnoch et La Bibliothque de Qumrn, vol. 1 (ouvrage collectif ) etrdig plusieurs articles sous presse. jai en outre particip plusieurs colloquesinternationaux, notamment ceux des American schools of Oriental research(AsOr) et de la society of Biblical Literature (sBL) Boston en novembre2008, celui co-organis par M. r dans le cadre de la Confrenceuniversitaire de suisse occidentale, et celui de la society of Biblical Literature(sBL) rome en juillet 2009. jai galement donn plusieurs confrences (Paris,Orlans) et particip des missions de radio (rCF, radio Notre-Dame) ettlvision (France 2), contribuant ainsi la mission de diffusion desconnaissances du Collge de France.

    Au Collge, jai aid M. r mettre en place la toute nouvelle chaireMilieux bibliques, avec les nombreuses tches que cela comporte. Un momentdimportance majeure fut bien sr la leon inaugurale en fvrier 2009, puis le

  • MiLiEUX BiBLiqUEs 687

    dbut des leons de M. r, avec dj deux confrenciers invits : M. saulO (fvrier 2009) et M. israel F (mars 2009), pour lesquels jai servidinterprte anglais-franais.

    jai galement aid la prparation dun colloque organis au Collge parMM. r et D. Durant deux jours (6 et 7 avril 2009), une quinzainede confrenciers venus dEurope et des tats-Unis ont ainsi trait du thme dujeune hros dans la littrature du Proche-Orient ancien ; jai moi-mme particip ce colloque en parlant du personnage de Daniel. je collabore actuellement lapublication des actes de ce colloque.

    Enfin, parmi les autres projets de recherche et de publication, on citera lanouvelle dition de lIntroduction lAncien Testament ou les premiers volumes delEncyclopedia of the Bible and its Reception.