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Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

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Page 1: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Master M2 Sciences de la Matière � ENS de Lyon � 2016-2017

Phase Transitions and Critical Phenomena

Théorie de Ginzburg-Landau de la

supraconductivité

Nicolas Auvray

13 janvier 2017

Résumé

La supraconductivité est à l'interface entre de nombreux domaines de la physiqueet elle fascine toujours autant la communauté scienti�que et le grand public, plus d'unsiècle après sa découverte. La modélisation complète et la maîtrise de ce phénomènesont deux grands enjeux de la physique moderne.

La théorie de Ginzburg-Landau propose un cadre formellement simple et pourtantpuissant pour l'étudier. Il s'agit d'un outil de choix pour la physique fondamentale.

Dans ce travail, après une introduction aux propriétés macroscopiques des supra-conducteurs, en électromagnétisme et en thermodynamique, on découvrira la théoriede Ginzburg-Landau et ses résultats immédiats. Cette théorie permet de mieux com-prendre la transition de phase entre métal normal et supraconducteur, et elle permetde décrire le comportement des électrons de conduction supraconducteurs au sein d'unmatériau. On verra émerger de nombreux comportements critiques, certains propres àla supraconductivité et d'autres déjà rencontrés dans des systèmes exhibant égalementune transition de phase du second ordre. En�n on s'intéressera aux di�érents typesde supraconducteurs, à la phase intermédiaire dite � état mixte � qui peut apparaitreentre les phases normale et supraconductrice, et au retard à la transition qui peuttransformer la transition en une transition du premier ordre.

Page 2: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Introduction

Le phénomène de supraconduction dans certains matériaux portés à basse tempé-rature a été mis en évidence en 1911 par Heike Kamerlingh Onnes, après l'obtentionde l'hélium liquide en 1908, à l'université de Leyde (Pays-Bas). Les di�érents modèlesde conduction dans les métaux expliquent la baisse de résistivité d'un métal quandla température décroît, mais, alors que le modèle de Drude prévoit une résistivitéélectrique ρ ∝

√T (ce qui est faux près de T = 0), celui de Matthiessen prévoit une

résistivité minimale non nulle à T = 0, imputable aux impuretés et défauts du solide.Pour certains métaux comme le cuivre ou l'or, la prédiction de Matthiessen est véri-�ée. En revanche, pour d'autres, en dessous d'une certaine température non nulle, larésistivité chute brutalement à zéro. Portant originellement sur le mercure, dans le-quel l'élimination des impuretés est aisée à l'état liquide, puis sur l'étain ou le plomb,l'étude des matériaux supraconducteurs a continué tout au long du XXieme siècle.

En 1933, la deuxième signature de la supraconductivité a été mise en évidence parWalther Meissner et Robert Ochsenfeld : il s'agit de l'e�et Meissner. Si un champmagnétique est créé progressivement au voisinage d'un supraconducteur, l'absencede résistivité de celui-ci engendre un champ exactement opposé au champ extérieurpar induction, impliquant un champ toujours nul dans le matériau. Mais de plus,par e�et Meissner, un matériau subissant une transition de la phase métallique à laphase supraconductrice expulse tout champ magnétique su�samment faible, même sice champ était établi au préalable.

Deux ans plus tard, les frères London proposèrent une théorie phénoménologiquedu comportement électromagnétique d'un supraconducteur, modélisant correctementl'e�et Meissner.

Cependant, les premières théories sous-jacentes ne virent le jour que dans les années50. En 1950, Vitaly Ginzburg et Lev Landau proposèrent une théorie de la transitionde phase supraconductrice, qui ne fut pas immédiatement reconnue internationalementmais resta longtemps con�née à la communauté scienti�que soviétique. En 1957, lathéorie de John Bardeen, Leon Cooper et John Schrie�er (BCS) a amené une modé-lisation microscopique du phénomène, satisfaisante pour les supraconducteurs connusà l'époque. Elle fut suivie en 1959 par la preuve par Lev Gor'kov que les équations deGinzburg-Landau peuvent être dérivées à partir de la théorie BCS.

Il ne faut cependant pas penser que la théorie de Ginzburg-Landau n'a qu'un intérêthistorique. Après la découverte des supraconducteurs non-conventionnels en 1987, ila fallu chercher une alternative à la théorie BCS, et si le mécanisme microscopiqueà l'÷uvre dans ces matériaux est toujours inconnu, la théorie de Ginzburg-Landausemble y donner de bons résultats. Cette théorie est également à privilégier pourdécrire des phénomènes macroscopiques ou pour étudier les inhomogénéités d'unephase supraconductrice, où la théorie BCS devient di�cilement tractable.

1 Théorie de London

La théorie des frères Fritz et Heinz London se base originellement sur le modèledit à deux �uides proposé à l'époque pour expliquer les phénomènes proches que sontla supraconductivité et la super�uidité. On considère que les électrons de conductiondans le solide sont pour une part normaux et pour une part supraconducteurs. Ladensité d'électrons est alors n = nn + ns.

L'équation de la conduction reliant la densité de courant ~j au champ électrique ~E,

1

Page 3: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

~j = σ ~E, n'est plus intéressante dans le cas d'un supraconducteur, pour lequel σ =∞. Ilfaut donc trouver une nouvelle équation liant le courant au champ électromagnétique.

Il s'agit de l'équation de London, qui relie courant et champ magnétique via lepotentiel vecteur ~A :

~j = −nse2

m~A. (1)

L'annexe A propose une justi�cation classique de cette équation.

E�et Meissner

L'équation de London permet d'expliquer l'e�et Meissner, qui indique que ~B = 0dans un supraconducteur.

Il su�t de combiner l'équation de Maxwell-Ampère, la conservation du �ux ma-gnétique ∇ · ~B = 0 et l'expression de ~j donnée par l'équation (1).

~∇∧ ~B = µ0~j

= −nse2

mµ0~A

~∇∧ (~∇∧ ~B) = −nse2

mµ0~∇∧ ~A

−∆ ~B = − 1

λ2~B

On a introduit la longueur de pénétration de London

λ =

(m

µ0nse2

)1/2

.

Si on considère par exemple un problème unidimensionnel où le demi-espace x > 0est supraconducteur, et où un champ uniforme (associé à une induction B0ez) estappliqué à l'extérieur du matériau, alors la solution de l'équation di�érentielle ci-dessus a la forme

~B(x) = B0e−x/λez.

λ est donc la longueur typique de pénétration du champ magnétique à la surfaced'un supraconducteur. Pour peu que la taille du bloc de matériau soit grande devantλ, on peut considérer que le champ y est nul, ce qui correspond à l'e�et Meissner.

Une manière équivalente de décrire l'e�et Meissner, du moins en champ faible,est de considérer la susceptibilité magnétique du matériau. Le supraconducteur n'estpas un aimant permanent, il est donc simple de créer un champ ~H contrôlé dans lesupraconducteur en l'appliquant à l'extérieur. En revanche, le matériau va acquérirune aimantation ~M sous l'action de ~H. Pour les champs faibles, au premier ordre~M = χ ~H et ~B = µ0(1 + χ) ~H. Donc dire que ~B est nul dans le matériau, quelque soit~H petit, revient à dire que le matériau est parfaitement diamagnétique, χ = −1.

2 La transition de phase métal-supraconducteur

Avant d'entrer dans le détail de la théorie de Ginzburg-Landau, il est intéressantde se pencher sur la thermodynamique des supraconducteurs. Dans toute cette partie,

2

Page 4: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

(a) Diagrammes de phase(b) Susceptibilité magnétique

Figure 1 � Propriétés des deux types de supraconducteurs. [1]

on s'intéresse au c÷ur du matériau, et on néglige tous les e�ets de bord à la surfacedu supraconducteur. Ceci équivaut à dire que λ est petit devant les tailles considérées.

Une autre approximation e�ectuée dans toute la suite est de négliger le diama-gnétisme naturel du métal normal devant celui du supraconducteur. En termes desusceptibilité magnétique, −1 = χs � χn ' 0. Par conséquent, l'aimantation dumétal normal est négligeable, ~Mn ' 0.

Deux types de supraconducteurs

On sait que le caractère supraconducteur du matériau apparaît en-dessous d'unecertaine température critique. Il s'avère que le champ magnétique appliqué a égalementune in�uence sur le comportement du matériau.

Dans les deux diagrammes de la �gure 1, on voit que deux types de supraconduc-teurs existent. On se place sous la température critique, sans champ extérieur, puis onaugmente la valeur du champ. Le type I est parfaitement diamagnétique jusqu'à unchamp critique Hc puis normal, tandis que le type II est parfaitement diamagnétiquejusqu'à un champ Hc,1, puis entre dans un état dit mixte dans lequel ~B est non nuldans le matériau, qui présente cependant une aimantation ; il devient ensuite normalà Hc,2.

Énergie de condensation

La thermodynamique des systèmes magnétiques à l'équilibre peut être décrite enintroduisant les champs ~H et ~B dans les équations d'état. On montre que l'énergieinterne U(S, ~B) d'un système magnétique de volume V �xe a pour équation d'état [3]

dU = TdS +

ˆV

~H · d ~B.

Les deux termes peuvent être interprétés comme un terme de transfert thermique etune variation d'énergie magnétique.

Il est pratique d'introduire les densités volumiques d'énergie libre et d'enthalpielibre

f(T, ~B) = u− Ts

g(T, ~H) = u− Ts− ~H · ~B

3

Page 5: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

qui véri�ent les équations d'état

df = −sdT + ~H · d ~B

dg = −sdT − ~B · d ~H.

On remarque que g a pour variables naturelles les paramètres les plus simples àcontrôler expérimentalement, à savoir T et ~H. On voit aussi que f et g s'identi�entl'une à l'autre en l'absence de champ.

Étudions le diagramme de phase 1a, dans le cas du supraconducteur de type I.On se place à une température �xe T < Tc. On va relier le champ critique Hc à ladi�érence d'énergie libre entre les phases supraconductrice et normale en l'absence dechamp. Dans toute la suite on utilisera la notation X0 pour désigner la grandeur Xen champ nul.

fs0 − fn0 = gs0 − gn0= gs0 − gs + gs − gn + gn − gn0

Or,� L'enthalpie libre de la phase supraconductrice ne dépend pas du champ ~H car~B = 0. Donc gs0 = gs.

� A l'équilibre des phases (donc au champ critique), les deux phases ont la mêmeenthalpie libre gs = gn.

� La di�érence d'enthalpie libre de la phase normale entre H = 0 et H = Hc est

gn − gn0 =

ˆ Hc

0

− ~B · d ~H = −µ0H2c

2

car ~B = µ0~H dans cette phase.

Donc pour T < Tc, la di�érence d'énergie libre entre les phases en l'absence dechamp est négative (la phase supraconductrice est donc la phase stable), et cettedi�érence est l'énergie volumique de condensation :

∆f(T ) = µ0H2c

2. (2)

Pour un matériau de type II, les phases normale et supraconductrices ne sont pasen équilibre et on ne peut pas e�ectuer un calcul identique. On peut cependant dé�nirpar convention Hc de manière à ce que le résultat (2) soit également valable pour unsupraconducteur de type II. Hc est alors appelé champ critique thermodynamique etne correspond pas à une transition de phase. Il est cependant essentiel dans la théoriede Ginzburg-Landau, justement pour discriminer les deux types de comportement.

3 Théorie de Ginzburg-Landau

La théorie de Ginzburg-Landau pour la supraconductivité est basée sur l'idée qu'asuivie Landau pour étudier les transitions de phase du second ordre avec rupturespontanée d'une symétrie, telles que la transition ferromagnétique-paramagnétique.

Dans ces théories � à la Landau �, un paramètre d'ordre gouverne la transi-tion. Ce paramètre d'ordre, qui est par exemple l'aimantation ~M pour la transitionferromagnétique-paramagnétique, est nul au-dessus d'une température critique mais

4

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Figure 2 � In�uence du signe de a sur le paramètre d'ordre homogène à l'équilibre. [2]

prend une valeur non nulle (et donc choisit une direction privilégiée puisque ~M estun vecteur) en-dessous de celle-ci. Ceci s'explique par la forme de l'énergie libre enfonction du paramètre d'ordre, qui peut admettre un minimum en 0, ou plusieursminima (dont un sera choisi arbitrairement lors de la transition), en fonction de latempérature.

L'originalité de la théorie pour la supraconductivité est de proposer un paramètred'ordre complexe ψ pour caractériser l'état du système. Le métal est supposé normalpour ψ = 0 et supraconducteur sinon. On découvrira à quoi correspond physiquementce paramètre d'ordre au �l des développements de la théorie de Ginzburg-Landau.

Dans ce travail, je m'intéresserai à la formulation de champ moyen de la théorieet on négligera les �uctuations thermiques, mais la théorie de Ginzburg-Landau estégalement capable de décrire des phénomènes reliés aux �uctuations.

En l'absence de champ

La théorie repose sur le postulat suivant : l'énergie libre dépend de |ψ|2, |ψ|2 estfaible et varie lentement. On voit donc que cette théorie sera essentiellement applicableau voisinage de la transition. Sous cette hypothèse, on peut développer en série deTaylor la densité spatiale d'énergie libre du supraconducteur en l'absence de champ :

fs0(T ) = fn0(T ) + a(T )|ψ|2 +1

2b(T )|ψ|4 + ... (3)

Si ψ = 0, l'énergie libre du système doit être celle du métal normal, d'où la présencede fn0(T ). Cette énergie du métal normal sans champ nous servira de référence toutau long de l'étude.

Si on se limite au degré |ψ|4, on doit avoir b(T ) > 0 pour que le minimum del'énergie libre reste proche de 0. En�n, le signe de a(T ) détermine le comportementdu matériau, comme visible �gure 2.

Ici, on a supposé ψ uniforme. On peut considérer que cette hypothèse est valablein�niment loin de la surface du matériau, en l'absence de champ. Pour a(T ) < 0, leminimum de l'énergie libre correspond à un paramètre d'ordre qu'on note |ψ|∞ et qui

5

Page 7: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

véri�e

|ψ|2∞ = −a(T )

b(T ).

Le changement de signe de a(T ) qui a lieu à Tc correspond donc à la transition dephase pour un solide in�ni sans champ : a(Tc) = 0. Si on considère a et b su�sammentréguliers, on peut écrire, pour T proche de Tc,

a(T ) ' a′(T − Tc),b(T ) ' b.

Cela indique que, pour T < Tc, |ψ|∞ ∝ (Tc − T )1/2.Il est également possible de retrouver l'énergie de condensation du supraconduc-

teur, qui correspond à la di�érence d'énergie libre entre les deux phases :

−µ0H2c

2= fs0(T )− fn0(T )

= a(T )|ψ|2∞ +1

2b(T )|ψ|4∞

= −a(T )2

2b(T )= −a

′2(T − Tc)2

2b

Hc ∝ (Tc − T ).

(4)

Il n'y a pas de discontinuité de l'entropie à la transition, en e�et :

S = −∂F∂T

ss0(T )− sn0(T ) = − ∂

∂T(fs0(T )− fn0(T ))

=

{−a′2(Tc − T )/b : T ≤ Tc0 : T ≥ Tc

.

La transition est donc du second ordre.En�n, on peut calculer la capacité calori�que à volume constant, par unité de

volume :

cV ,1

V

∂U

∂T

∣∣∣∣V

= T∂s

∂T

cV,s − cV,n =

Ta′2

b: T < Tc

0 : T > Tc.

On observe cette fois une discontinuité. À partir d'un modèle pour le métal normal,on peut maintenant tracer l'évolution de cV avec la température (en prenant garde àne pas considérer les résultats ci-dessus valides loin de Tc). On obtient la courbe �gure3.

Cas où ψ varie spatialement

Toute l'étude ci-dessus est réalisée dans le cas simple où ψ ne varie pas spatiale-ment. Évidemment, ce cas ne décrit pas raisonnablement un matériau supraconduc-teur. Par exemple, pour une portion su�samment grande de matériau, on pourraitconsidérer grossièrement ψ ' ψ∞ au c÷ur du matériau et ψ = 0 en surface.

6

Page 8: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Figure 3 � Capacité calori�que du solide autour de la transition. [1]La capacité du métal normal est celle du modèle de Sommerfeld.

Pour prendre en compte l'évolution spatiale du paramètre d'ordre, on peut rajouterun terme de gradient dans l'énergie libre de Ginzburg-Landau.

fs0(T ) = fn0(T ) +~2

2m∗

∣∣∣~∇ψ(~r)∣∣∣2 + a(T )|ψ(~r)|2 +

1

2b(T )|ψ(~r)|4 + ... (5)

a et b sont bien identiques dans les équations 5 et 3 : on peut s'en convaincre enécrivant ψ(~r) ≡ ψ∞ pour un matériau in�ni.

Désormais, on ne peut écrire la minimisation de l'énergie libre que globalement, àl'échelle du matériau. L'énergie libre minimisée est la quantité

Fs0[ψ,ψ] = Fs0(T ) = Fn0(T ) +

ˆV

d3r

[~2

2m∗

∣∣∣~∇ψ∣∣∣2 + a(T )|ψ|2 +1

2b(T )|ψ|4

],

et la fonction ψ(~r) qui la minimise doit véri�er

δFs0δψ

= 0,δFs0

δψ= 0.

Les deux équations sont nécessaires car ψ et ψ sont formellement indépendantes, maison voit bien que les deux équations sont en fait équivalentes, Fs0 étant réelle. On vautiliser la seconde équation pour obtenir immédiatement le résultat souhaité.

Sous une variation δψ,

δFs0 =

ˆd3r

[~2

2m∗~∇ψ · δ(~∇ψ) + a(T )ψδψ +

1

2b(T )ψ2δ(ψ

2)

]=

~2

2m∗

ˆd3r~∇ψ · ~∇δψ +

ˆd3r

[a(T )ψδψ + b(T )ψ2ψδψ

]=

~2

2m∗

(‹~∇ψ · d~Sδψ −

ˆd3r∆ψδψ

)+

ˆd3r

[a(T )ψδψ + b(T )ψ2ψδψ

]et à la surface du matériau, ψ est �xé par les conditions limites donc δψ y est nul.

Donc

0 =δFs0

δψ= − ~2

2m∗∆ψ + a(T )ψ + b(T )ψ2ψ

ψ(~r) véri�e ainsi l'équation suivante :

− ~2

2m∗∆ψ + a(T )ψ + b(T )|ψ|2ψ = 0, (6)

7

Page 9: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

qui est proche de l'équation de Schrödinger, à ceci près qu'elle contient un termenon-linéaire.

Il est fréquent d'appeler ψ fonction d'onde de Ginzburg-Landau, en partie car ellevéri�e cette équation de Schrödinger.

Sans entrer dans la résolution de cette équation, il est possible de la rendre adi-mensionnelle a�n d'en extraire les grandeurs physiques typiques. En particulier, il estintéressant de poser

y =x

ξ, ξ(T ) =

(−~2

2m∗a(T )

)1/2

,

en gardant à l'esprit que a(T ) < 0 en-dessous de Tc.La grandeur ξ(T ) est la longueur de cohérence de Ginzburg-Landau. Elle cor-

respond à la longueur typique de variation du paramètre d'ordre à la surface d'unsupraconducteur.

On remarque que la longueur de cohérence diverge à la transition, ce qui caractérisebien un phénomène critique, avec un exposant −1/2.

ξ(T ) ∝ (Tc− T )−1/2 (7)

Il est tentant de rapprocher λ et ξ(T ) puisqu'on a vu que ces deux longueurscorrespondent à une longueur typique d'atténuation du champ et d'établissement duparamètre d'ordre, respectivement, à la surface du supraconducteur. On va donc cher-cher à introduire le dernier élément du problème, le champ magnétique, dans l'énergiede Ginzburg-Landau.

En présence de champ magnétique

Pour introduire le champ magnétique, il faut prendre en considération deux élé-ments :

� L'in�uence directe du champ magnétique sur l'énergie libre du système ;� Le fait que le potentiel vecteur ~A modi�e le terme de gradient. Ginzburg etLandau ont postulé que la fonction d'onde se transformait comme celle d'uneparticule chargée, avec couplage minimal. On remplace alors −i~~∇ par −i~~∇−q ~A où q = e∗ dans notre cas.

On désire garder comme référence de l'énergie libre fn0, l'énergie de l'état normalen champ nul. En e�et, le champ magnétique dans le matériau va être un paramètrede la nouvelle énergie libre totale du système, et notre référence ne doit pas dépendrede ce paramètre. Ainsi,

fs − fn0 = fs − fn︸ ︷︷ ︸énergie de Ginzburg-Landau

+ fn − fn0︸ ︷︷ ︸énergie magnétique dans l'état normal

,

où l'énergie magnétique de la phase normale estˆ

~H · d ~B =B2

2µ0.

La densité d'énergie libre (5) devient alors

fs(T ) = fn0(T )+B2

2µ0+

1

2m∗

∣∣∣(−i~~∇− e∗ ~A)ψ(~r)∣∣∣2 +a(T )|ψ(~r)|2 +

1

2b(T )|ψ(~r)|4 + ...

(8)

8

Page 10: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Cette fois, la minimisation de la fonctionnelle Fs[ψ,ψ, ~A] doit être e�ectuée surtrois paramètres. Comme précédemment, la minimisation par rapport à ψ (ou bienψ) amène une équation de Schrödinger non-linéaire. La seule di�érence avec le casprécédent est le couplage minimal, puisque le terme d'énergie magnétique ne dépendpas de ψ.

(6) devient

− ~2

2m∗

(~∇+

ie∗

~~A

)2

ψ + a(T )ψ + b(T )|ψ|2ψ = 0. (9)

En revanche, la conditionδFs

δ ~A= 0

amène une nouvelle équation :

~j =i~e∗

2m∗

(ψ~∇ψ − ψ~∇ψ

)− e∗2

m∗|ψ|2 ~A. (10)

Une démonstration de ce calcul est proposée en annexe A.L'équation (10) est essentielle car elle relie le courant supraconducteur et le poten-

tiel vecteur de manière directe. On voit apparaître le courant de densité de probabilitéqu'on a l'habitude de voir dans le problème de l'équation de Schrödinger. Par ailleurs,le lien entre ~j et ~A n'est pas sans rappeler la motivation de l'équation de London (1) !Et en e�et, si on se ramène au cas simple où ψ est homogène spatialement, (10) et (1)sont identiques à condition de poser

|ψ|2 = ns.

On a donc découvert à quoi correspond ce mystérieux paramètre d'ordre, qui pos-sède beaucoup de propriétés d'une fonction d'onde : il s'agit de la densité de probabilitéde présence d'une � charge supraconductrice �, dont le module carré est une densitéspatiale de présence.

Interprétation microscopique

Dès les travaux de Ginzburg, il est apparu que les données expérimentales cor-respondaient à la théorie pour e∗ ' 2e. Il a cependant fallu attendre la théorie BCSpour comprendre que le mécanisme à l'÷uvre, au moins dans les supraconducteursconventionnels, fait intervenir des états liés de deux électrons, les fameuses paires deCooper. Ce sont en réalité ces paires qui véhiculent le courant supraconducteur, on adonc en principe e∗ = 2e, m∗ = 2m et n = nn + ns = nn + 2n∗s soit n

∗s = ns/2.

La longueur de pénétration de London est donc inchangée si on considère un �uided'électrons supraconducteurs ou un �uide de paires de Cooper.

En pratique, dans un solide, la masse des électrons m n'est pas me mais est unemasse e�ective reliée aux propriétés du liquide de Fermi formé par les électrons. Iln'est pas non plus clair que la masse d'une paire de Cooper soit deux fois cette massee�ective. Il est donc d'usage de considérer m∗ = 2me exactement et de regrouper tousles e�ets liés à la structure électronique dans |ψ|2, c'est-à-dire la densité spatiale depaires de Cooper.

9

Page 11: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Comportement de λ à la transition

Maintenant qu'on sait que |ψ|2 se rapporte à ns dans le cas où ψ est homogène, ilnous est possible de donner le comportement de λ près de la transition. On utilise, enpremière approximation, |ψ|2 ' |ψ∞|2 = −a/b.

λ(T ) =

(m∗

µ0|ψ|2

)1/2

∝ (Tc − T )−1/2 (11)

4 État mixte

La théorie de Ginzburg-Landau est capable de prédire des résultats exacts danscertaines situations complexes. En particulier, il est possible d'explorer de manièreplus précise l'état dit mixte des supraconducteurs de type II, qui correspond à la zoneentre Hc,1(T ) et Hc,2(T ) sur le diagramme de phase 1a. On pourra ainsi étudier ce quidi�érencie les supraconducteurs de type I et de type II et donner un critère quantitatifpour les di�érencier.

On va s'intéresser à la transition de phase à Hc,2, entre l'état normal du métal etl'état mixte.

ψ est faible autour de la transition, il nous est alors possible de linéariser l'équation(9) en considérant que l'ordre 3 est négligeable.

− ~2

2m∗

(~∇+

ie∗

~~A

)2

ψ + a(T )ψ = 0 (12)

Cette fois, on trouve formellement l'équation de Schrödinger, et on peut utiliser lestechniques développées en mécanique quantique pour la résoudre. Plus précisément,pour un champ magnétique donné, l'opérateur à gauche peut être diagonalisé et oncherche ensuite les valeurs de a(T ) correspondant à ses valeurs propres.

Nucléation à Hc,2

Le phénomène de nucléation correspond à la formation de la supraconductivité ausein d'un échantillon. Prenons par exemple un bloc de supraconducteur de type II (onreviendra sur cette hypothèse) au sein d'un champ magnétique simple ~H = Hez. Onnéglige les e�ets de bord en considérant l'échantillon in�ni. Puisque le supraconducteurest de type II, au voisinage de la transition à Hc,2, ~M ' 0 et ~B ' µ0

~H = µ0Hez.Dans la jauge de London, on écrit ~A = µ0Hxey et (12) devient

− ~2

2m∗

[∆ +

2ie∗µ0H

~x∂y −

(e∗µ0H

~

)2

x2

]ψ = −aψ.

Cette équation est analogue à celle du mouvement d'une particule chargée dans unchamp magnétique en mécanique quantique.

Le potentiel e�ectif qui apparaît ne dépend que de x, donc la solution a une struc-ture d'onde plane dans les directions y et z :

ψ = eikyyeikzzf(x).

10

Page 12: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Figure 4 � Transition de phase dans les deux types de supraconducteurs. [2]

En introduisant

ωc =e∗µ0H

m∗, x0 = − ~ky

m∗ωc,

on peut écrire l'équation d'oscillateur harmonique quantique véri�ée par f :

− ~2

2m∗∂2xf +

m∗ω2c

2(x− x0)2f = −

[a+

~2k2z2m∗

]f.

Les valeurs propres de l'hamiltonien à gauche sont les {(n+ 1/2)~ωc, n ∈ N} et onen déduit que

−a(T ) ' a′(Tc − T ) =

(n+

1

2

)~ωc +

~2k2z2m∗

.

La valeur minimale de −a(T ) est donc ~ωc/2 ∝ H : le champ magnétique empêchela transition de phase à T = Tc puisque a ne peut plus changer de signe. Il fautatteindre une température

Tc(H) = Tc −e∗~

2m∗a′µ0H

pour que la supraconductivité apparaisse.Symétriquement, si on se place sous un champ H et à une température �xe T telle

que Tc(H) < T < Tc, et qu'on abaisse le champ, la transition de phase a lieu à

Hc,2 =1

µ0

2m∗a′(Tc − T )

e∗~.

Revenons à l'énergie de condensation. Introduisons

κ ,λ

ξ.

D'après (7) et (11), κ est indépendant de la température près de la transition(κ ∝

√b(T )). De plus, en utilisant (4), on montre que

Hcκ =

√2

µ0

−m∗a(T )

~e∗=

1√2Hc,2.

Deux comportements apparaissent donc (�gure 4) :

11

Page 13: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

(a) Pénétration des tubes de �ux dans unsupraconducteur de type II dans l'état

mixte. [1]

(b) Observation directe du réseau de �uxd'Abrikosov par U. Essmann et H. TräublePhysics Letters A, 24-10, p. 526 (1967)

Figure 5 � État mixte d'un supraconducteur

� Si κ <1√2, Hc,2 < Hc et la nucléation a lieu en-dessous du champ critique ther-

modynamique. Ce retard à la transition rend la transition métal-supraconducteurdu premier ordre. Inversement, la réapparition de la phase normale ne se produiraqu'à Hc, au-dessus du champ de nucléation. Ceci décrit les supraconducteurs detype I. Dans ces derniers, le champ magnétique décroît dans le matériau plusvite que le �uide supraconducteur ne se crée (λ < ξ).

� Si κ >1√2,Hc,2 > Hc et la nucléation a lieu au dessus du champ critique thermo-

dynamique. L'apparition de la supraconductivité a lieu avant que le changementde phase soit favorable à un état supraconducteur. L'état mixte apparaît alors.La transition est alors du second ordre (comme en l'absence de champ). Cecidécrit les supraconducteurs de type II.

Tubes de �ux et lévitation d'un supraconducteur

Dans l'état mixte, Abrikosov a postulé qu'une structure périodique émergeait, avecdes zones normales à travers lesquelles le champ pénétrait dans le supraconducteur etdes zones supraconductrices. Ce réseau de �ux d'Abrikosov a été observé expérimen-talement pour la première fois en 1967 (�gure 5b).

Si on approche un aimant d'un supraconducteur de type II, et que l'aimant créeun champ plus fort que Hc,1, cette structure va émerger, et des tubes (ou vortex) de�ux magnétique vont traverser le matériau (�gure 5a). Chaque tube créée un courantinduit qui attire l'aimant en réaction, tandis que les zones supraconductrices vontrepousser l'aimant. Ceci conduit à une situation stable où l'aimant peut léviter audessus du supraconducteur.

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Page 14: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Références

[1] James F. Annett, Superconductivity, Super�uids and Condensates, Oxford Uni-versity Press (2004).

[2] Michael Tinkham, Introduction to Superconductivity, Dover Publications (2004).

[3] B. Diu, C. Guthmann, D. Lederer, B. Roulet, Thermodynamique, Hermann(2007).

[4] Neil W. Ashcroft, N. David Mermin, Solid State Physics, Saunders College Pu-blishing (1976)

Je souhaite remercier M. Alain Sacuto pour son aide et ses conseils.

13

Page 15: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

A Démonstrations de l'équation de London

Dans cette annexe, je propose tout d'abord une justi�cation de l'équation de Lon-don (1) à partir de considérations électromagnétiques simples, puis je détaille la déri-vation fonctionnelle de (8) conduisant à (10).

Justi�cation de l'équation de London

Si on revient au modèle de Drude en régime complexe, la réponse du métal à unchamp oscillant à la fréquence ω est déterminée par [4]

σ(ω) =ne2τ

m

1

1− iωτ=ne2

m

1 + ω2τ2+ i

ωτ2

1 + ω2τ2

].

Les électrons normaux possèdent un temps caractéristique τn correspondant à leurlibre parcours moyen, alors que les électrons supraconducteurs sont caractérisés parτs → ∞. Ainsi σ = σn + σs ' σs, et la limite du modèle de Drude quand τs → ∞amène

σs(ω) =nse

2

m

[πδ(ω) +

i

ω

].

Ce résultat ne correspond pas parfaitement à l'expérience, car dans l'état supra-conducteur, le modèle de Drude ne modélise pas bien la conductivité σn des électronsnormaux (c'est l'un des points centraux de la théorie BCS). En revanche, ce modèleest pertinent à basse fréquence.

On voit donc que, en dehors du cas ω = 0 où la partie réelle de σ dénote lecaractère de conducteur parfait du solide, σ est imaginaire pure et la réponse dusolide est purement inductive.

Intéressons-nous uniquement à cette réponse inductive :

~j = σ(ω) ~E = −nse2

iωm~E.

On calcule le rotationnel de cette expression :

~∇∧~j = −nse2

iωm~∇∧ ~E

= −nse2

iωm(−∂t ~B)

= −nse2

iωm(+iω ~B).

Soit :~∇∧~j = −nse

2

m~B = −nse

2

m~∇∧ ~A.

On peut identi�er les opérandes du rotationnel à condition de �xer un choix dejauge pour ~A, qui est dé�ni à un gradient près. On choisit la jauge dite de London~∇ · ~A = 0.

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Page 16: Théorie de Ginzburg-Landau de la supraconductivité

Démonstration de la seconde équation de Ginzburg-Landau

Sous une variation δ ~A,

δFs =

ˆd3r

{1

2µ0δ(B2) +

1

2m∗δ[(−i~~∇ψ − e∗ ~Aψ

)·(

+i~~∇ψ − e∗ ~Aψ)]}

=

ˆd3r

{1

2µ0δ(B2) +

1

2m∗δ[+i~e∗(~∇ψ)ψ · ~A− i~e∗ψ(~∇ψ) · ~A+ e∗2A2|ψ|2

]}=

ˆd3r

{1

2µ0δ(B2) +

1

2m∗

[i~e∗

(ψ~∇ψ − ψ~∇ψ

)· δ ~A+ 2e∗2|ψ|2 ~A · δ ~A

]}.

Calculons à part le premier terme :

1

2µ0

ˆd3r δ(B2) =

1

2µ0

ˆd3rδ((~∇∧ ~A)2)

=1

2µ0

ˆd3r 2(~∇∧ ~A) · δ(~∇∧ ~A)

=1

µ0

ˆd3r (~∇∧ ~A) · (~∇∧ δ ~A)

=1

µ0

ˆd3r (εijk∂jAk)(εilm∂lδAm)

=1

µ0

ˆd3r (δjlδkm − δjmδkl)(∂jAk)(∂lδAm)

=1

µ0

ˆd3r (∂jAk)(∂jδAk − ∂kδAj)

=1

µ0

ˆd3r (∂jAk − ∂kAj)(∂jδAk)

=1

µ0

‹dSj(∂jAk − ∂kAj)δAk︸ ︷︷ ︸

δ ~A=0 à la surface du matériau

− 1

µ0

ˆd3r (∂j∂jAk − ∂j∂kAj)δAk

=1

µ0

ˆd3r (δjlδkm − δjmδkl)(∂j∂mAl)δAk

=1

µ0

ˆd3r εijkεilm(∂j∂mAl)δAk

=1

µ0

ˆd3r εkji(∂jεiml∂mAl)δAk

=1

µ0

ˆd3r ~∇∧ (~∇∧ ~A) · δ ~A

=

ˆd3r ~j · δ ~A.

Donc

0 =δFs

δ ~A= ~j +

1

2m∗

[i~e∗

(ψ~∇ψ − ψ~∇ψ

)+ 2e∗2|ψ|2 ~A

],

soit~j =

i~e∗

2m∗

(ψ~∇ψ − ψ~∇ψ

)− e∗2

m∗|ψ|2 ~A.

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