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La Gazette n° 286-287 - Du 4 juillet au 28 août 2013 12 enquête et été, le canal Royal ne sera pas un long fleuve tranquille. Nouveaux barreurs attitrés des barques bleue et rouge à Sète, les quarantenaires Denis Vatuone et Hervé Pagès (“Bulle”) vont devoir faire leurs preuves au cours des tournois de joutes. Et affronter l’inévitable comparaison avec “Dédé et Loulou”, les imposants barreurs dont ils assurent la relève. Les sociétés de joutes s’affichent scep- tiques: “Pour barrer les lourds, ils doivent se montrer charismatiques et ce n’est pas le cas… Moi, je de- mande à voir”, tonne Alain Trumet, un jouteur de l’AJPC (Amicale des jouteurs de la Pointe-Courte). “On va avoir un souci cette année: ils ne sont pas au niveau, prévient Yannick Baëza, de la Jeune Lance mézoise. Ils ne s’entraînent pas à barrer au moteur. Et ils n’ont pas de remplaçants.” En les choisissant, les Rameurs sétois ont déjà subi les foudres des sociétés de joutes, désireuses de “placer” à la barre des membres influents. Alors, d’ici à adouber leurs deux barreurs… Haute tension et tête froide Mais pourquoi tant de passion autour des bar- reurs? Certes, ils ne sont pas aussi “exposés” que les jouteurs, et ils ne semblent que déplacer un bout de bois, mais ces hommes assurent un poste- clé du spectacle. Où il s’agit de recruter et diriger un équipage de dix rameurs pour amener le jou- teur à bon port. Un poste sous haute tension (voir pages suivantes). Pour l’instant, Denis et Bulle gardent la tête froide: “On ne vit pas pour être adulés. On n’essaie pas d’exister à travers la barre.” Les tournois “lourds” sont loin de les effrayer: ils barrent déjà depuis cinq ans dans les tournois juniors et moyens “pour décharger Dédé et Loulou”. Jean-Claude Baëza, le président des Rameurs sétois, se veut confiant: “C’est en barrant qu’on devient barreur: il n’y a pas d’école. Dédé et Loulou leur ont donné les ficelles: à eux de tenir la barre.” Management par l’humour Les inséparables se montrent conscients de l’en- jeu: “En devenant barreurs, on a signé pour 25 ans , appuient Denis et Bulle. On a pris perpète, du moins jusqu’à ce que les rameurs nous foutent de- hors!” Auprès des rameurs, monter en grade fa- cilite le dialogue: “Ils acceptent qu’on pousse une gueulante pour mettre un coup de bourre (1), parce qu’ils savent qu’on l’a vécu.” Mais la barque n’est pas une entreprise: “Si les rameurs en ont marre de nous, ils peuvent nous mettre à l’eau!” Jean- Claude Baëza confirme: “Si on rate la passe, on se rabat sur le barreur.” Et c’est là qu’intervient l’atout numéro un du bar- reur: l’humour. “Quand la fatigue pointe son nez, il faut tout prendre à la rigolade”, explique Denis très sérieusement. Démonstration en test de re- crutement des remplaçants, sous la pluie battante: “Jetez-le moi, ce dos: celui qui arrive à toucher avec sa tête les c… de son voisin de derrière a 10 points! Toi, si tu rames en l’air, tu vas nous tuer deux ou trois mouettes!” En apparence légers, mais expérimentés. Doyens de l’équipage actuel, Denis et Bulle n’ont pas le profil de parachutés. Ex-jouteur, Denis a choisi la rame “pour mieux employer ma force… et parce que j’aime me faire mal?!” De père rameur, Bulle traînait déjà dans les barques en couches-culottes: “Je ramassais les pavois, je posais les noms, j’em- merdais les rameurs… Je rame depuis mes 15 ans et un été sans les joutes, je ne le conçois pas.” Un couple en bleu et rouge Pendant dix ans, ils pagaient côte à côte sur la barque rouge, d’abord en haut, puis au plus près d’André Lubrano, pour donner le rythme. Et sup- plient Morizot (2) de les laisser essayer la barre. Las! Le gaillard ne voulant pas se priver de deux bons rameurs, ils doivent ruser pour se rendre moins indispensables. Et tâter la barre, enfin. Comme Dédé et Loulou, les deux rameurs se forgent une amitié fusionnelle: “Deux barreurs, c’est comme un couple, expliquent-ils. Selon le déroulement de la passe, les tensions arrivent vite. L’un roumègue ( râle ) toujours envers l’autre, alors on règle nos comptes lorsqu’on se croise: “T’es trop haut!”, “Tourne plus loin!”… “ À la fin du tournoi, je dis parfois à Bulle: “Ne me parle pas pendant 10 minutes” , le temps de me calmer, raconte Denis. Si on se connaît mal, il y a de quoi s’étrangler. Nous, on part au ski ensem- ble.” Même après avoir godillé tout l’été sous le ca- gnard du canal. Et le regard acéré des sociétés. (1) Pour se manœuvrer, la lourde barque doit pren- dre de la vitesse. (2) Ex-“manageur” du personnel des joutes. C’est une petite révolution dans le monde des joutes: après 22 ans et 40 ans aux commandes des barques bleue et rouge à Sète, Dédé Lubrano et Loulou Molle passent la main à deux rameurs, Denis Vatuone et Hervé Pagès, dit Bulle. Rencontre avec le nouveau duo, dans une ambiance… houleuse. Tiens bon la barre ! Denis Vatuone à la barque bleue, Hervé Pagès (dit Bulle) à la barque rouge. Dans les joutes sétoises, ces deux rameurs de 39 et 42 ans assurent désormais la relève des deux barreurs charismatiques Dédé et Loulou (André Lubrano et Louis Molle). Non sans faire de vagues dans le microcosme des joutes. C

Tiens bon la barre ! Les joutes

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Pour tout savoir sur les joutes nautiques à Sète : la subilité des barreurs, et les muscles et les mœurs des rameurs…Vous saurez tout pour suivre la Saint-Louis avec ferveur !

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La Gazette n° 286-287 - Du 4 juillet au 28 août 2013

12 enquête

et été, le canal Royal ne sera pas un long fleuvetranquille. Nouveaux barreurs attitrés des barquesbleue et rouge à Sète, les quarantenaires DenisVatuone et Hervé Pagès (“Bulle”) vont devoir faireleurs preuves au cours des tournois de joutes. Etaffronter l’inévitable comparaison avec “Dédé etLoulou”, les imposants barreurs dont ils assurentla relève. Les sociétés de joutes s’affichent scep-tiques: “Pour barrer les lourds, ils doivent se montrercharismatiques et ce n’est pas le cas… Moi, je de-mande à voir”, tonne Alain Trumet, un jouteur del’AJPC (Amicale des jouteurs de la Pointe-Courte).“On va avoir un souci cette année: ils ne sont pasau niveau, prévient Yannick Baëza, de la JeuneLance mézoise. Ils ne s’entraînent pas à barrer aumoteur. Et ils n’ont pas de remplaçants.”En les choisissant, les Rameurs sétois ont déjàsubi les foudres des sociétés de joutes, désireusesde “placer” à la barre des membres influents.Alors, d’ici à adouber leurs deux barreurs…

Haute tension et tête froideMais pourquoi tant de passion autour des bar-reurs? Certes, ils ne sont pas aussi “exposés” queles jouteurs, et ils ne semblent que déplacer unbout de bois, mais ces hommes assurent un poste-clé du spectacle. Où il s’agit de recruter et dirigerun équipage de dix rameurs pour amener le jou-teur à bon port. Un poste sous haute tension (voirpages suivantes).Pour l’instant, Denis et Bulle gardent la tête froide:“On ne vit pas pour être adulés. On n’essaie pas

d’exister à travers la barre.”Les tournois “lourds”sont loin de les effrayer: ils barrent déjà depuiscinq ans dans les tournois juniors et moyens“pour décharger Dédé et Loulou”. Jean-ClaudeBaëza, le président des Rameurs sétois, se veutconfiant: “C’est en barrant qu’on devient barreur:il n’y a pas d’école. Dédé et Loulou leur ont donnéles ficelles: à eux de tenir la barre.”

Management par l’humourLes inséparables se montrent conscients de l’en-jeu: “En devenant barreurs, on a signé pour 25ans,appuient Denis et Bulle. On a pris perpète, dumoins jusqu’à ce que les rameurs nous foutent de-hors!” Auprès des rameurs, monter en grade fa-cilite le dialogue: “Ils acceptent qu’on pousse unegueulante pour mettre un coup de bourre (1), parcequ’ils savent qu’on l’a vécu.”Mais la barque n’estpas une entreprise: “Si les rameurs en ont marrede nous, ils peuvent nous mettre à l’eau!” Jean-Claude Baëza confirme: “Si on rate la passe, onse rabat sur le barreur.”Etc’est là qu’intervient l’atout numéro un du bar-reur: l’humour. “Quand la fatigue pointe son nez,il faut tout prendre à la rigolade”, explique Denistrès sérieusement. Démonstration en test de re-crutement des remplaçants, sous la pluie battante:“Jetez-le moi, ce dos: celui qui arrive à toucher avecsa tête les c… de son voisin de derrière a 10 points!Toi, si tu rames en l’air, tu vas nous tuer deux outrois mouettes!” En apparence légers, mais expérimentés. Doyens

de l’équipage actuel, Denis et Bulle n’ont pas leprofil de parachutés. Ex-jouteur, Denis a choisila rame “pour mieux employer ma force… et parceque j’aime me faire mal?!”De père rameur, Bulletraînait déjà dans les barques en couches-culottes:“Je ramassais les pavois, je posais les noms, j’em-merdais les rameurs… Je rame depuis mes 15 anset un été sans les joutes, je ne le conçois pas.”

Un couple en bleu et rougePendant dix ans, ils pagaient côte à côte sur labarque rouge, d’abord en haut, puis au plus prèsd’André Lubrano, pour donner le rythme. Et sup-plient Morizot (2) de les laisser essayer la barre.Las! Le gaillard ne voulant pas se priver de deuxbons rameurs, ils doivent ruser pour se rendremoins indispensables. Et tâter la barre, enfin.Comme Dédé et Loulou, les deux rameurs se forgentune amitié fusionnelle: “Deux barreurs, c’est commeun couple,expliquent-ils.Selon le déroulement de lapasse, les tensions arrivent vite. L’un roumègue (râle)toujours envers l’autre, alors on règle nos compteslorsqu’on se croise: “T’es trop haut!”, “Tourne plusloin!”… “À la fin du tournoi, je dis parfois à Bulle:“Ne me parle pas pendant 10 minutes”, le tempsde me calmer, raconte Denis. Si on se connaît mal,il y a de quoi s’étrangler. Nous, on part au ski ensem-ble.” Même après avoir godillé tout l’été sous le ca-gnard du canal. Et le regard acéré des sociétés.(1) Pour se manœuvrer, la lourde barque doit pren-dre de la vitesse.(2) Ex-“manageur” du personnel des joutes.

C’est une petite révolution dans le monde des joutes : après 22 ans et 40 ansaux commandes des barques bleue et rouge à Sète, Dédé Lubrano et LoulouMolle passent la main à deux rameurs, Denis Vatuone et Hervé Pagès, dit Bulle.Rencontre avec le nouveau duo, dans une ambiance… houleuse.

Tiens bonla barre!

Denis Vatuone à labarque bleue, HervéPagès (dit Bulle) à labarque rouge. Dans lesjoutes sétoises, cesdeux rameurs de 39 et42 ans assurentdésormais la relève desdeux barreurscharismatiques Dédéet Loulou (AndréLubrano et LouisMolle). Non sans fairede vagues dans lemicrocosme des joutes.

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13!JOUTESRéalisé par Raquel Hadida /

photos Guillaume Bonnefont - Raquel Hadida /

Des larmettesdans le canalJuste avant les revanches dutournoi des lourds à la Saint-Louis 2012, séquence émotionen hommage aux deuxbarreurs qui “partent à laretraite”. Applaudissements,chansons au micro, frissons etpincements au cœur… Unmoment rare, qui reste gravédans les souvenirs desnouveaux barreurs, desjouteurs comme du public.

La double olaAutour du canal Royal àSète, une ambiance digned’une victoire de Coupe dumonde de foot. Pourrendre hommage auxdeux barreurs Dédé etLoulou, les dix millespectateurs de la Saint-Louis se lancent dans unedouble ola géante, la peñajoue “La Marseillaise”… Etces personnages entrentdans la mythologiesétoise.

Le repos des guerriersPastis chez Boule après la remise desprix de la Saint-Louis. Comme lessportifs de haut niveau, Loulou etDédé ont su s’arrêter à temps.Fatigués physiquement, quand il fautrester debout et gérer son équilibreavec des soucis aux genoux… Las de“voir des jouteurs défiler en tongs” etles joutes partir à vau-l’eau… Et derester les seuls de leur génération à“batailler” dans le canal.

Les rois du banquetDéfilé avant le tournoi desjuniors en juin 2013. Loin d’êtreremisés “comme de vieilleschaussettes”, Dédé et Loulourestent présents et honorésplus que jamais. Les deux amisprésident banquets et remisesdes prix. Un challenge dejoutes porte même leur nom.En octobre dernier, lesRameurs sétois avaientorganisé une soirée en leurhonneur. Le dessert : desbarques de joutes ennougatine.

Le blanc dans le noirC’est l’heure du défilé. Dans la pénombre de sa cabane à la Pointe-Courte, André Lubrano (dit Dédé) enfile son costume blanc avantd’aller barrer la Saint-Louis une dernière fois. Sur sa terrasse, il vientde régaler sa tablée VIP d’une succulente grillade de thon pour lepetit-déjeuner. Pour l’ex-champion de rubgy et futur candidat PSpotentiel aux municipales, hors de question de renoncer à ce rituelconvivial, réservé aux hommes.

Aubade aux barreursÉmu, Louis Molle (dit Loulou) écoute l’aubade donnée par quatrehautboïstes de joutes, au coin de la traverse des Rameurs, à laPointe-Courte. Après une blessure de joutes, cet ex-pêcheur pointu apassé plus de 40 étés à barrer la barque bleue. Il continuera pour letournoi du quartier.

Dédé et Loulou: le coup de barre mythiqueL’été dernier, André Lubrano et Louis Molle ont décidé d’arrêter de diriger lesbarques de joutes. Retour sur leur dernière Saint-Louis à la barre.

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14 enquêteSur les deux barques de joutes, les barreurs font office de véritables pilotes nautiques.Tout au long du tournoi, ils dirigent leur équipage de rameurs en composant avec lecourant, la tintaine, le public… pour amener les jouteurs face à face avec finesse, au bonendroit, au bon moment. Barreurs sous pression.

En avant partout!

Le poseur de nomsEn général, un jeunejouteur. Qui n’officie quelors de la Saint-Louis(voir p. 19).

La bogueLes rameurs “du bas” reçoivent les ordres du barreur etdonnent la cadence à tout l’équipage. Ces deux bonsrameurs font office de “moteur” de la barque.

Le barreurÀ l’aide d’un gouvernail en bois, il dirige la barque dejoute. Le barreur doit organiser son équipage et doittenir compte de la puissance des rameurs, qui peut êtreplus forte d’un côté que de l’autre, mais aussi de leurfatigue et de leur stress. Cela s’avère donc pluscomplexe que de barrer au moteur. Et plus complexeaussi que pour la rame traditionnelle “simple”, puisqu’ildoit embarquer les jouteurs, gérer la tintaine, laposition du jury, etc.

Tintaine

Des jouteurs exigeantsNon, les jouteurs ne défendent pas l’équipe rouge oul’équipe bleue : contrairement à la croyance du spectateurnovice, ils joutent individuellement, selon un tirage au sort.En revanche, la barque qui leur est dévolue doit les amenervers leur adversaire dans les meilleures conditions.• Prêts, partez !Avant de démarrer, il faut le sentir prêt – “et le jouteur estcoquet”, observent les rameurs. Au niveau du rythme,certains jouteurs demandent de “mettre la patate”, alorsqu’Aurélien Évangélisti, par exemple, préfère “pas trop vite”.• Angle d’attaqueQuand les barques se croisent, le barreur doit tournerlégèrement pour rapprocher les bigues. Lors des revanches,les jouteurs expérimentés passent alors commande : “Tu merentres” ou bien “tu m’arrondis” pour aller chercher sonadversaire sur un autre point du pavois. Les plusreconnaissants remercient par un : “Tu m’as bien amené.”

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15!JOUTESRéalisé par Raquel Hadida /

photo Raquel Hadida /

Un public à double tranchantC’est lui qui met l’ambiance. Mais, à la fin août, laSaint-Louis ajoute une difficulté supplémentaire : lescanots pneumatiques se multiplient dans le canalRoyal. De la couleur et du folklore. Mais aussi undanger latent. Peu visibles depuis les barques, lesspectateurs flottants deviennent une préoccupationsupplémentaire pour les barreurs. “Un jour, il y auraun accident”, s’inquiètent-ils. Impossible d’interdirece plaisir estival, mais un coup de rame dans la têteest vite arrivé…

Des musiciens entêtantsÀ l’avant de chaque barque, un tambouret un hautboïste entament les airstraditionnels, adaptés à chaque phasede jeu. Et parfois demandés par lesjouteurs, comme L’Ajustaïre pourAurélien Évangélisti. Un rythmeentêtant… qui finit par donner mal aucrâne aux rameurs en fin de tournoi :Aspirine bienvenue !

Le pigeonnierLes rameurs du pigeonnier sont souvent lesderniers arrivés de l’équipage, mais les plushaut placés sur la barque. S’ils n’arriventpas à suivre le rythme, ils peuvent plusfacilement se rattraper et surtout ne pasgêner les autres. En revanche, c’est à euxqu’il revient de bien placer les rames pourfaire tourner la barque. Les deux rangs duhaut ont des rames longues.

Le poids de la bigueComment placer les deux jouteurs à lamême hauteur ? En plaçant stratégiquementsur la bigue les jouteurs qui attendent leurtour, assis sur les planches : leur poids faitoffice de variable d’ajustement. D’eux-mêmes, ils peuvent avancer de planche enplanche. Le jouteur en lice peut aussi lesdiriger, en veillant à positionner le plus lourdà tribord, pour arriver en force. Mais c’estsouvent le jury, ou bien le commissaired’embarquement des jouteurs (un bénévolede la société de joutes), qui décide de fairemonter ou de faire descendre un jouteurpour rééquilibrer les deux tintaines.

Le sens de la rameLes barreurs pilotent leur barque en dosant de multiplesparamètres. Objectif : rester parallèle au quai, croiser lesbarques devant le jury et limiter la fatigue de leurs hommes.• Au tempoPour cela, les barques doivent démarrer au bon endroit, avec lavitesse adéquate. Trop lente : difficile à diriger, surtout que lechoc des jouteurs risque de freiner les barques. Trop rapide : lecroisement aura lieu loin du jury et la barque risque d’arrivertrop loin sur le canal, donc de fatiguer les rameurs pour revenir.• Au courantEt, bien sûr, il faut tenir compte du vent et du courant. Dans lesens du courant, les rameurs “seillent” (tirent, vers l’arrière) etveillent à freiner après la passe. Contre le courant, toute labordée “dénaje” (pousse, vers l’avant).• C’est nous les meilleursAu final, qui se débrouille le mieux : la barque rouge ou labarque bleue ? Dans leur rivalité ludique et légendaire, la bleuese dit la plus technique, la rouge, la plus rapide. Et surtout“celle où on rigole le plus”.

La hauteur de plancherAppelé au micro, le jouteur se place surle plancher, en bout de tintaine, à deuxmètres au-dessus de l’eau. Mais encorefaut-il qu’il croise son adversaireexactement au même niveau, sinon lejouteur le plus bas serait avantagé (poursoulever l’autre). Et ces niveaux, seul unœil extérieur peut les comparer, alorsmême que les barques sont placées auxdeux bouts du canal. Problème : si lesbarques se sont déjà élancées lorsqu’ondécouvre que les jouteurs ne sont pas aumême niveau, les rameurs auronttranspiré un aller-retour pour rien. Et lepublic s’impatiente.

Bigue

Plancher

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16 enquête

es joutes, un sport? “Les trois quarts des jouteurspensent qu’ils sont là pour gagner. Mais qui s’en-traîne? Qui sculpte son corps? Non! Les joutes nesont pas un sport, c’est avant tout un show!”, sou-tiennent les Rameurs sétois. Pour “Bulle”, le bar-reur de la barque rouge, “le but, c’est d’avoir leplus joli spectacle possible. Avec du rythme. Et sanss’éterniser…” Surtout que d’après eux, les troisquarts des gradins sont remplis par des touristesqui ne perçoivent pas les subtilités des règles.

Joutes interminables“Les spectateurs viennent pour voir des gens tom-ber à l’eau. Sauf que les jouteurs ne veulent plustomber! Ils manquent d’engagement, se cachentderrière le règlement et le spectacle en pâtit.” Leslourds ont droit à cinq passes chacun: pour peuque deux jouteurs refusent une passe, ont desobservations pour lance courte (voir encadrés),tombent et se changent ou sont à égalité, celacrée autant de passes sans action. “On le voit,sur les gradins: les gens ne comprennent pas, ilsfinissent par s’ennuyer et partir, c’est dommage.Au foot, ils ont changé les règles pour créer plusde spectacle. Pourquoi pas dans les joutes?” Alors,pour les rameurs, quelles sont les meilleurespasses? Les “bouquets”, lorsque les deux jou-

teurs tombent à l’eau: “C’est beau à voir, et çaen fait deux d’éliminés d’un coup!” Et hop.Loin de se tarir, cette tradition attire une centainede jouteurs par tournoi et par catégorie. Soitprès de 50 jouteurs par barque, au lieu de 42 ily a quelques années. Résultat: au lieu de finir à19h, les tournois s’achèvent souvent à 20h30ou 21h. “C’est interminable! Le dimanche soir,ça fait longtemps que les jouteurs ont plié leurblanc. Le public travaille le lendemain. Du coup,il y a trois clampins pour accompagner les vain-queurs à la remise des prix et pour prendre l’apéro:c’est moins convivial”, regrettent les rameurs.

Reproches croisésAu bout de quatre à cinq heures de rame non-stop, les rameurs sont épuisés. “À la fin, on n’aqu’une envie: prendre le scooter et rentrer à lamaison”, avoue Loïc, un rameur de 24 ans. Cequi leur vaut les reproches des sociétés dejoutes: “Les joutes, c’est un ensemble. Les rameursne viennent pas au défilé, ne restent pas pourl’apéro: ils n’aiment pas les joutes”, critique lejouteur Alain Trumet.Yannick Baëza, jouteur sétois et président dela Jeune Lance mézoise, renchérit : “Mes ra-meurs*, eux, font tous les défilés! Si les Rameurs

sétois venaient à la remise des prix, ils pourraientparler avec les jouteurs, faire de la pédagogie.Mais depuis que ce ne sont plus vraiment des ra-meurs de la Pointe Courte, ils se sont mis hors dumonde des joutes.”

En manque de reconnaissance“C’est peut-être nous qui les aimons le plus,protesteDenis Vatuone, le barreur sétois de la barquebleue. Mais dans le microcosme des joutes, onest la dernière roue de la charrette. Pour les jou-teurs, on est comme un ustensile de la fête…”“Nous ne sommes pas que des moteurs! On suitsouvent les jouteurs depuis des années, mais ilsne s’en rendent pas compte: c’est un peu déce-vant.” Alors, lorsqu’un jouteur qui ne dit pasbonjour en montant sur la barque et ose vouloirramer, pas de quartier: il repart sur son scooter.“Pour ramer, il faut un bon esprit, avec un mini-mum de respect”, maintient Denis. Les jouteursqui se mettent à la rame, eux, changent vite deregard. “Je ne me rendais pas compte, assureLoïc, tout ce qu’on endure… Heureusement quej’aime les joutes.” En tout cas, assez pour décalerson mariage en septembre… après la saison.*Qui officient dans les tournois du bassin de Thau,hormis Sète. !

Barque bleue, barque rouge : elles affûtent leurs rames pour assurer lespectacle, malgré les obstacles. Quand les rameurs prennent le show à cœur.

Les galériensdes joutes

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photos Guillaume Bonnefont - Raquel Hadida - Céline Escolano /

Qui sont les rameursdes joutes?C

Rame traditionnelle, aviron, foot, vélo : lestrois quarts des rameurs des joutes

pratiquent déjà un sport. Car il n’y a pasd’entraînement spécifique toute l’année : lesrameurs ne se retrouvent que pour les tournoisd’été, alors que les jouteurs, eux, s’entraînentsur les chariots et les barques à moteur. Et

•“Aimer les joutes”, pour éviter de ramer “à ladégoûtée” : c’est la première qualité d’unrameur. Qui puise une bonne partie de sonplaisir dans l’ambiance festive du public.• La disponibilité. De fin juin à septembre, lesrameurs titulaires doivent être présentspendant neuf week-ends, tout l’après-midi,voire en nuitée. Alors qu’en été, il fait bonrecevoir, sortir, etc. Certains n’hésitent pas àenchaîner travail et rame, ou à ramer avant unenuit de boulot. D’autres arrivent à aménagerleur planning en s’arrangeant avec descollègues. Les femmes, “elles subissent, maissavent à quoi s’attendre”. Car le rameur peutêtre remplacé… mais uniquement en cas de

force majeure : travail ou mariage.• La bonne volonté. “Se donner à 100 % de sescapacités sans rouméguer”, se montrer vaillantpour assurer quatre à cinq heures de rame avecle sourire, malgré la chaleur et les cassures derythme. Pourquoi ne pas se relayer ? “C’est déjàtrès difficile de trouver 20 rameurs prêts às’engager autant : impossible de créer deuxéquipes qui tournent”, expliquent les barreurssétois.• Le “bon” esprit. Pour décharger les tensions,rien de tel qu’une bonne galéjade : les rameursdoivent avoir l’esprit de rigoler. Mais aussi durespect par rapport aux autres rameurs, aubarreur, aux jouteurs, etc.

COui, la plupart du temps. Au même titreque la peña qui assure l’ambiance

musicale, l’association des Rameurs sétois ou lesrameurs de la Jeune Lance mézoise sont desprestataires de service payés par les sociétés dejoutes qui organisent les tournois tour à tour.Ou, pour la Saint-Louis, par la Ville de Sète.Membres de ces associations, les rameurs“professionnels” reçoivent “un billet” pourchaque week-end ramé. “Les sous”, c’est mêmela motivation principale de Pierre, un lycéen quitente sa chance en tant que rameur remplaçant– un cas particulier.Vu l’effort fourni, le montant semble honnête,mais non officiel. “Si c’était déclaré, ça coûteraittrop cher et on devrait se contenter de joutes aumoteur”, prévient-on dans les sociétés de

joutes. Adieu le charme, bonjour le bruit.“Traditionnellement” gérée, à Sète, par lesrameurs de la Pointe-Courte, la rame ne s’eststructurée que depuis 2003.Mais pour les tournois de juniors, certainessociétés de joutes font des économies enrecourant à des rameurs bénévoles. Souvent desmembres de la société, parfois des rameurs duclub Cettarames (photo).Pour les tournois du bassin de Thau (hors Sète),c’est la Jeune Lance mézoise qui organise leséquipages de rameurs et gère les prestations.“En échange, on demande aux titulaires deramer gratuitement pour notre tournoi”, préciseson président, Yanick Baëza.Un peu plus loin, autres mœurs : au Grau-du-Roi,les rameurs “pro” sont bénévoles.

Les refus de passeC

Les jouteurs ont le droit derefuser de jouter :

- s’ils ne sont pas au même niveauque leur adversaire (voir p. 12).En effet, le jouteur le plus bas seraitalors avantagé pour “claver” sonadversaire, soit le soulever par en-dessous.- s’ils perdent l’équilibre avant lechoc.Or “il y a trop de passes refusées” defaçon abusive. Et sur ce point, lesjouteurs-observateurs sont d’accordavec les rameurs. “Les jouteursveulent dire bonjour à papa et àmamie, ils veulent pavaner toutautour du canal avant de prendre unbain monumental… ou ils veulenttaper la main de leur pote. Ou ils ontdu mal à s’adapter aux rames* et às’équilibrer. Surtout les juniors, c’estun calvaire…” Or une passe refuséepar jouteur finit par demander 45

trajets à la rame pour rien.“Ils font leur cinéma, et l’aller-retour,c’est pour notre pomme!, seplaignent les rameurs. Les jouteurs nese rendent pas compte qu’on forcetout l’après-midi, parfois deux foisplus que nécessaire.” Dix rameurs,“c’est comme une cocotte-minute”,prévient Denis, le barreur de lableue: à la fin du tournoi, ça explose!Cette année, pour les tournois cadetset les juniors, le jury sanctionnedésormais les refus abusifs par uncarton jaune. Au bout de troiscartons jaunes, le jouteur estsuspendu pour le prochain tournoi.“Ça marche du tonnerre: ils ne fontplus les malins, il n’y a quasimentplus de passe refusée, observeYannick Baëza, président de la JeuneLance mézoise. On pourrait étendrece système aux autres catégories.”*Les jouteurs s’entraînent sur deschariots ou des barques à moteur.

mieux vaut être en bonne condition physiqueMais, depuis quelques années, les jouteurs aussise tournent vers les rames. Avec l’avantage deconnaître toutes les règles.En revanche, jouter et ramer à la fois, sur lemême tournoi, c’est compliqué : cela crée unedéfection sur la barque et épuise le rameur. LesRameurs sétois n’autorisent donc leurs rameursà jouter uniquement pour le tournoi de leursociété et pour la Saint-Louis.À 36 ans, Franck se propose comme rameurremplaçant : “Je joute depuis mes 4 ans, mais jen’ai plus envie : pour rester jouteur, il fautvraiment avoir la rage de gagner, ami d’enfanceou pas en face. Ramer, ça me permet decontinuer à participer : je ne me vois pas passerl’été sans les joutes !” Mais n’est pas rameur quiveut : recrutés sur recommandation, lesremplaçants sont testés sur trois tours de canal,même sous la pluie battante (photo).Côté professionnel, une grande partie desrameurs travaillent pour des services publics :pompiers, hôpital, agglomération…

Les “lances courtes”

CLorsque le jouteur ne serrepas assez son bras contre la

lance, elle coulisse dans sa main, cequi lui permet de prendre avantageen touchant son adversaire enpremier. Il fait “lance courte”.Si le jouteur franchit la premièregarde, il reçoit une observation. S’ilrécidive, il a un avertissement. À latroisième fois, il est disqualifié.Si le jouteur franchit la deuxièmegarde, il est disqualifié, même s’iljette son adversaire. Celui-ci a alorsle droit de remonter sur la tintaine.Mais il doit d’abord se changer, cequi crée un temps mort pour lesspectateurs, et une cassure de

rythme” qui “refroidit” les musclesdes rameurs (idem si la lance sebrise et le jouteur part vers l’avant)Ces passes litigieuses, les rameursles décèlent mieux que quiconque.Surtout lorsque le bras du jouteurest du côté opposé au jury : “Onvoit bien quand le jouteur essaie degagner quelques centimètres sur lalance… Les jouteurs manquentparfois d’engagement, c’est moinsbeau à voir”, regrettent lesrameurs.

Schéma extrait du Guide des jouteslanguedociennes, de Nadine etYannick Baëza, éd. Camille Thomas.

Quelles sont les qualités d’un bon rameur?

Les rameurs sont-ils payés?

2,80 m

Ces rameurs de Cettarames participent bénévolement au tournoi junior de la Pointe-Courte.

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Six heures avecles rameurs

Premier tournoi de joutes dans le Cadre Royal : La Gazette s’estglissée dans l’ambiance potache des vingt rameurs.

Samedi 14h40. Avant de sauterdans les barques rouges et bleuesdes joutes, un petit café sur lequai sétois du canal Royal. Derapides retrouvailles, avant “leboulot”: ces vingt-deux rameurset barreurs “pro” s’apprêtent àpasser tous leurs week-ends d’étécôte à côte. Personne n’a oubliéson petit coussin carré entouré deserviette-éponge, ni son humourintensif. Chacun des habituéss’installe à son poste.15h05. Au micro, le jury appellele premier jouteur “moyen” (1) dutournoi de l’AJPC (2), qui inau-gure la saison sétoise. Une four-née de jouteurs embarque surles planches de la tintaine, la fouleapplaudit. Promu barreur offi-ciel (voir p. 12), Denis tente deprendre la main sur son équi-page dissipé: à la “bogue”, au pre-mier rang, “Boni” se vaporiseencore de crème solaire enriant… À l’autre bout du canalsur “la rouge”, “Bullette” sembleprêt. Tels des chefs d’orchestres,les barreurs tendent le bras versle haut, le regard à l’horizon.15h10.“Allez, les gars, on décolle!”Les rameurs font abstraction,des jouteurs comme des mélo-dies lancinantes des musiciens.

Embarquement immédiatÀ l’abordage ! Avant de faire demi-tour dans le canal, les rameurs réceptionnent denouveaux jouteurs. Ils ont quelques secondes pour enjamber la proue de la “nacelle”(petite barque) vers une planche de la bigue, sur laquelle ils grimpent pour “faire lepoids” (voir p. 15). Les plus attentionnés se fendent d’un sonore “Messieurs,bonjour !”. Puis font coulisser une nouvelle lance, du barreur vers le jouteur en lice.Et réceptionnent un lourd pavois, lancé à bout de bras. Mais pour huiler cetteorganisation, encore faut-il que les jouteurs se tiennent prêts à embarquer sur lequai… “au lieu de boire des pastis en terrasse”, critique le “personnel des joutes”.

Choc et ploufJuste avant la passe, les barquesrouge et bleue se croisent : les bordéesà tribord lâchent les rames, lesbarreurs se retournent vers “leurs”jouteurs. Les barques coulissent, lesjouteurs se rapprochent au-dessus denos têtes. Temps suspendu.“Aaaaaooouh…” : c’est le cri rauquedes jouteurs qui ponctue le choc. Legenre “Roland-Garros” avec trémolosdes profondeurs. Les lances bleu-blanc-rouge improvisent un mikado.Éjection, gros plouf. En un clin d’œil.Pour “sauver” le vainqueur (le rétabliren équilibre), le barreur affine songouvernail. Ultra-concentré.

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Les barques se croisent face aujury. Choc. Déjà loin du jouteur“escampé (jeté)”dans le canal, lesrameurs balancent des com-mentaires blasés entre les dents:“Il a failli le scalper”, ou “Celle-là,elle était brout (moche)”. Plus loin,Hervé, alias Monsieur Playmo-bil, précise: “Les jouteurs ont tousles honneurs, nous sommes leshommes de l’ombre.”16h. Après la passe, attention aucourant: “Ne vous laissez pas tom-ber (entraîner), les garçons…”,intime Denis. Avec fluidité, le bar-reur passe de l’autorité du maîtred’école – “Les portables, cetteannée, j’en veux pas!” – à la com-plicité de l’animateur de colo:“pour tenir avec le sourire, il fautrester dans notre bulle, explique-t-il. Faut les gérer, les dix gabitelles(lascars) !” Mais les rameursamorcent des frondes: “Loulou(3), tu l’as pas remplacé, tu lui asuc-cé-dé. Loulou, c’est le chamanede la barre.”17h30.La peau des rameurs com-mence à rougir. Le manque desucre se fait sentir. Alors, tour àtour, un rameur (ou sa femme)prépare le goûter pour tout l’équi-page. Au menu du jour: caram-bars, compote et mini-cake dans

une ravissante pochette rouge.Miam.Dimanche 18h30. Dense etchauffé pour ces premièresrevanches des” lourds”, le publicmet la pression. Sur la rouge,Gérald s’occupe de son fiston,debout entre les rameurs. Bullele barreur, se montre, lui, ultra-tendu. “Seillez!, Ramez les deux!”Sur la bleue, Aurélien Évangélistise prépare.David Aprile se faitéjecter. Suivi de Sébastien Abel-lan. Applaudissements, tourd’honneur. Finito. on dépose lesrames, on reprend son sac à dos,on retouve femmes et enfants.19h30. Les rameurs remontentjusqu’à la place du Poufre pourla remise des prix. Une petitebière Chez Boule, et le groupe sefait rejoindre par les ex-barreurs.“Je suis content de mes petits”, sou-rit Loulou en les embrassant. “Ilsse débrouillent très bien”, confirmeDédé.20h45.Une envie: détendre leursmuscles. La méthode: “une bonnedouche chaude”.(1) Moins de 85 kg(2) Amicale des jouteurs de laPointe-Courte(3) L’ancien barreur officiel de labarque bleue à Sète, voir p. 15.

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Dans l’effortMâchoires serrées pour gagner de la vitesse,malgré la lourde barque. Pendant la minuteprécédent chaque passe, les rameurs mettentle paquet pour gagner en vitesse, avec leurlourde barque. Tout en synchro, ils seconcentrent sur leur “jeté” de dos, celui quileur vaudra moultes séances d’ostéopathiedurant la saison. “Rien à voir avec les coursesde deux minutes en rame traditionnelle :pour gérer l’effort sur le temps, on doitrelâcher un peu en fin de mouvement,témoigne Arnaud, nouveau remplaçant auxjoutes et vice-champion de France avecCettarames.!Au bout de quatre heures etdemi, les rameurs sortent ankylosés. Lesmains farcies d’ampoules, mais l’esprit intact :“on travaille tous pour EDF !”

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Pause potacheUn jouteur doit se changer ? Les rameurs se garent près du quai, et la barque setransforme immédiatement en cour de récré pour trentenaires en uniforme blancau logo de poufre rameur, mitaines de survie et tatouages en options. De lapoubelle de glaçons, on sort les bouteilles fraîches, vertes ou rouges de sirop. Lespompiers du groupe se racontent leur dernière nuit d’intervention (photo), saluenten pouffant les “estivants” enthousiastes, se chambrent et manquent de se jeter àl’eau. Sans oublier de dicter leurs fantasmes potaches à la journaliste : “marque queles rameurs veulent des filles en mini-jupes dans les tribunes, marque !”

L’honneurdu poseur de noms“J’ai toujours rêvé de voirles jouteurs depuis labarque.” Lors des deuxdernières Saint-Louis,Valentin, 12 ans, a eu“l’honneur” d’embarqueravec les rameurs pour poserles noms des jouteurs enlice. Jouteur depuis ses deuxans et demi, et de sixgénérations, Valentin a prisson rôle à cœur : “il faut êtretrès concentré, mettre lestas de pancartes dansl’ordre, placer de côté cellesdes jouteurs qui sequalifient… Mais d’en bas,tu vois leurs techniques,c’est magique !”

La bonne rameAvant de démarrer, les rameurs peinent àretrouver “leur” pagaie à chevrons : “chacuna sa façon de l’user, et si elle est fendue, çafait mal aux mains”. Pendant que Jean-Claude Baëza, le président des Rameurssétois, pose les “estopes” (l’anneau en ficellepour faire tenir la rame sur son piquet,“l’escaoume”), Ben s’applique à graver sonsurnom au couteau dans le bois.

19! JOUTESRéalisé par Raquel Hadida /

Photos Raquel Hadida - Guillame Bonnefont /

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20 enquêtepage réalisée par Raquel Hadida /

Photos Raquel Hadida -Guillaume Bonnefont /

Joutes: les tournois de l’été

“Aurélien, il suffit de trouver safaille”, jugent les rameurs sé-tois. Il est fort, mais ne gagne

pas tous les tournois.” Au plus près, lesrameurs voient les jouteurs grandir,et suivent leur progression. Parfois survingt ans, en juniors, en seniors, puisen lourds. “On voit aussi les kilos qu’ilsprennent, mais faut pas qu’ils le fassentexprès.”Alors, même si “tout le monde sait quiva se qualifier pour les revanches”, lesrameurs repèrent les “jeunes” qui

montent : Benjamin Arnau, Jean-LouisMonteils, David Aprile, Sylvio Cuc -ciniello, Cédric Amatore, Alain LeBail,… “mais on en oublie !” Ils appré-cient les passes engagées et magni-fiques de Simon Caselli ou MaximeMolto : “Ils bloquent bien la lance, tu lavois gimbler (se courber, NDLR). Quandils t’emboîtent, tu voles !”

Tête de vainqueurMais leur petit jeu, c’est avant tout dedeviner in situ qui va remporter le pa-

vois selon sa façon de jouter. Énergie,concentration : “À leur attitude, on voits’ils y sont ou pas.” Comme MickaëlArnau : “Quand il fronce les sourcils,qu’il se mord la lèvre, il va gagner. Ou,au pire, finir en bouquet, observe DenisVatuone. S’il monte avec le sourire, c’estpas bon. Comme quoi, la force se trouveplus dans la tête que dans les muscles.”À l’inverse, Christophe Bancion restedétendu “mais, s’il pèse 71 kg toutmouillé, il est craint de tous, il a duvice !” !

Les joutespour les nuls•!Outre la Saint-Louis, fête de la Villede Sète, chacune des 17 sociétés dejoutes languedociennes organise sonpropre tournoi de juin à septembre.• Lors de la première phase, leséliminatoires, il faut jeter troisadversaires à l’eau pour se qualifier.Lors des revanches, ces jouteursdoivent alors éliminer un adversairepour continuer le combat. Levainqueur remporte une coupe, unpavois, un challenge… mais jamaisd’argent.•!Tout au long de la saison, chaquejouteur accumule des points selon lenombre d’adversaires jetés à l’eau.Ceux-ci comptent pour le classementen championnat de Ligue.• Sauf mention contraire, les tournoisse déroulent l’après-midi, à partir de15h, et durent jusqu’à 19h voire 21h.•!Les jouteurs s’affrontent parcatégories :- Légers et critériums (moins de 15 ans,en écoles de joutes), en général à13h30, en cours de semaine.- Juniors (de 16 à 20 ans), en général levendredi en nuitée.- Seniors (plus de 20 ans et moins de85 kg), le samedi après-midi.- Moyens (moins de 85 kg quicombattent en catégorie lourds) etlourds (plus de 85 kg) le dimancheaprès-midi.•!Pour chaque société, les jouteursdéfilent en général le dimanchematin.

Premier tournoi juniors à la Pointe-Courte le 9 juindernier.

À 34 ans, le jouteur AurélienÉvangélisti (Jeune Lance sétoise), dit“Le patron”, a remporté le GrandPrix de la Saint-Louis sept annéesconsécutives. Ce champion est-ilpour autant “cloué au plancher” ?

Qui jettera à l’eau Aurélien Évangélisti ? Depuis les barques bleue etrouge, les rameurs observent les progrès des jouteurs et leur style.Pronostics et rendez-vous nautiques.

La Gazette n° 286-287 - Du 4 juillet au 28 août 2013

!JOUTES

Le calendrier 2013À SÈTE• Amicale des Pêcheurs Sète-Môle: 6 juillet (seniorsl’ap., puis juniors à 21h), lourds-moyens le 7 juilletaprès-midi, légers et critérium le 8 juillet à 14h30.Devant la criée, quai Maximin-Licciardi, face au bar leSaint-Clair. Défilé le 7 à 9h, au départ de la criée.• Pavois d’Or: du 12 au 14 juillet après-midi sur le cadreRoyal.• Jeune Lance sétoise: le 11 juillet à 13h30 (légers puiscritérium) devant le bar Le Chaland.• Lance amicale sétoise: le 24 juillet à 15h (critérium,puis juniors à 18h), le 25 juillet à 14h30 (légers) devantLe Chaland. Puis les 27 et 28 juillet après-midi sur lecadre Royal. Défilé le 28 à 10h30 au départ du bar LeCristal (rue du 11-Novembre-1918 au-dessus de la placedu kiosque).• École de joutes de la marine sétoise: du 1er au 4 aoûtprès de la criée, quai Maximin-Licciardi face au bar leSaint-Clair. Le 1er août: défilé à 20h au départ de laMarine, puis tournoi à 20h30. Le 3 août: critériuml’après-midi. Le 4 août: défilé à 10h30 au départ ducollège Paul-Valéry (rue Paul-Valéry), puis tournoi à 15h.

• Avenir des Jouteurs sétois: le 6 août (légers) le 7 août(critérium), le 9 août à 20h, puis les 10 et 11 août après-midiSur le canal des Quilles (derrière la plage de la Corniche).• Grand Prix de la Saint-Louis du jeudi 22 au lundi26 août, sur le cadre Royal :- Le 22: défilé à 17 h au départ de la mairie, tournoi surchariots à 18h et tournoi de la presse à 21h.- Le 23 : défilé au départ de la gare à 13h30, puis tournoijeunes sur barques à 14h.- Le 24: tournoi des mi-moyens à 14h, Coupe d’or à21h15.- Le 25 : défilé au départ du théâtre Molière à 10h30,puis tournois juniors et moyens à 14h.- Le 26: défilé (idem), tournoi des lourds à 14h30.• Lance sportive sétoise: le 15 juillet à 13h30 devant LeChaland (légers, puis critérium), le 29 août à 18h(juniors), puis les 31 août et 1er septembre après-midisur le cadre Royal. Défilé le 1er sept. à 10h30 au départdu Bar de la Marine, quai du Général-Durand.Cadre Royal : en centre-ville de Sète, entre le pont de laSavonnerie et le pont de la Civette.Devant le bar Le Chaland: quai Adolphe-Merle (près dela chambre de commerce).

AUTOUR DU BASSIN DE THAU• À Balaruc. Société des jouteurs balarucois : le 11août à 10h ( juniors), puis seniors l’après-midi), le 15août (lourds), et le 16 août (critérium).• À Mèze. Jeune Lance sportive mézoise: le 5 juilletà 18h ( juniors), le 7 juillet (seniors), le 2 août(critérium) et le 18 août (lourds). Nouvelle Lancemézoise: le 20 juillet, le 4 août et le 17 août. Dans leport.• À Frontignan. Société des jouteurs frontignanais :le 17 juillet (critérium), puis du 19 au 21 juillet, quaiVoltaire sur le canal du Rhône-à-Sète.• À Marseillan. Lance olympique marseillanaise: le26 juillet à 18h ( juniors), puis le 27 juillet (seniors).Le 3 août: Coupe de France juniors et seniors. Dansle port.• En Agde:- Coupe de France moyens et lourds: le 13 juillet.

- Société nautique des jouteurs agathois : le 27juillet à 21h ( juniors), puis le 4 août (lourds) et le15 août (seniors), puis le 28 août (critérium). Pavoisagathois : le 2 août à 20h ( juniors) au Grau-d’Agde,puis le 10 août (lourds).- Championnat de France juniors, seniors, moyenset lourds: le 14 septembre. Face à la cathédrale(sauf le 2 août).• Au Grau-du-Roi. Jeune Lance graulenne: le 6juillet (critérium), le 13 juillet à 21h (exhibitionnocturne), le 28 juillet (seniors), le 14 août à 21h(juniors), puis le 31 août. Fête locale le 10 sept. et le13 sept. à 10h30. Sur le canal, quai Colbert.• À Béziers. Association des jouteurs biterrois : le 14juillet et le 20 juillet, quai du Port-Neuf, sur le canaldu Midi (face à l’IUT).• À Palavas. Lance sportive palavasienne: le 8 sept.(lourds). Sur le canal.

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