Tiré à Part Pr Gil Et Pr Wager Pacte d'Ulysse Lettre Éthique

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Le consentement aux soins ou à la recherche, de même que le droit de retirer à tout moment et librement son consentement, témoignent d’une éthique soucieuse de promouvoir l’autonomie de la personne humaine. Or certaines maladies mentales, équilibrées par un traitement librement consenti, exposent à des rechutes quand le traitement est interrompu, qu’il s’agisse par exemple d’une bouffée délirante et hallucinatoire dans le cadre d’une schizophrénie ou d’une exaltation maniaque dans le cadre d’un trouble bipolaire avec des conséquences parfois préoccupantes sur la vie personnelle, familiale et sociale. Et il arrive alors que le sujet, en proie à une rechute, refuse toute thérapeutique. Mais il arrive aussi qu’en période de rémission, il prenne conscience du caractère délétère de son retrait de consentement aux soins lors d’une rechute et que, par une déclaration écrite, il établisse une directive anticipée particulière demandant qu’en cas de rechute, il ne soit tenu aucun compte du refus qu’il pourrait formuler à l’égard des traitements et qu’il soit alors traité voire hospitalisé sous contrainte.Tel est le contrat ou pacte d’Ulysse, rappelant que lors de son retour de Troie, Ulysse, sur les conseils de la magicienne Circé, tout à la fois désireux d’écouter le chant des Sirènes mais d’échapper à la mort promise à ceux qui les approchait, demanda à ses compagnons de se boucher les oreilles avec de la cire tandis qu’ils l’attacheraient solidement au mât du navire, afin qu’il puisse « goûter le plaisir » d’entendre les chants, sans risquer de les rejoindre et de s’exposer à la mort. Et effectivement, Homère raconte qu’Ulysse fronça les sourcils pour donner à ses gens l’ordre de le défaire, mais eux, suivant ses instructions préalablement données, refusèrent d’obéir et vinrent au contraire « resserrer ses liens ». C’est grâce au contrat préalable, et à la contrainte qu’il permit à ses compagnons d’exercer sur lui, qu’Ulysse eut la vie sauve. Doit-on considérer qu’en le maintenant attaché, les compagnons d’Ulysse attentèrent à son autonomie ? Doit-on au contraire considérer que les compagnons d’Ulysse ont respecté son autonomie, telle qu’elle s’exprimait quand, avant la rencontre des Sirènes, il pouvait réellement obéir à sa propre loi tandis qu’en écoutant les chants des Sirènes il s’exposait au contraire à être soumis à leur influence, donc à devenir hétéronome ?Telle est donc l’esquisse du questionnement suscité par l’acceptabilité éthique du contrat d’Ulysse et qui dans le domaine des soins et de la recherche clinique conduit à revisiter les concepts de consentement libre et éclairé, de compétence décisionnelle, d’autonomie comme « souveraineté décisionnelle » et comme « authenticité décisionnelle », mais aussi d’hétéronomie à la lumière de la continuité ou de la discontinuité identitaire de l’histoire de chaque personne humaine. L’éthique, par ses questionnements, indique aussi sa spécificité par rapport au Droit qui ne saurait envisager de soins sous contrainte sans l’intervention du juge. Elle indique aussi au législateur que les directives anticipées couvrent un domaine bien plus vaste que les soins de fin de vie. Le contrat d’Ulysse conduit aussi à confronter l’autonomie du malade et la résurgence d’un principe de bienfaisance teinté de paternalisme. Et c’est ainsi que doit être approfondi, dans sa complexité, le retrait de consentement auquel exposent les situations humaines générant des périodes de crises, qu’il s’agisse de l’évolution rémittente de certaines maladies induisant des troubles comportementaux et des désordres cognitivo-émotionnels, comme aussi certaines situations plongeant le sujet dans des circonstances exceptionnelles comme celui de la neurochirurgie en condition éveillée au cours de laquelle le sujet peut retirer en peropératoire le consentement donné en préopératoire, ce qui est une situation inédite en chirurgie classique sous anesthésie générale.Et c’est ainsi que le pacte d’Ulysse illustre combi

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  • Directeurs de la publication : Les membres de la convention constitutive de lEspace de Rflexion Ethique POITOU-CHARENTES Rdacteur en chef : Roger GIL Comit de rdaction : Ren ROBERT, Elsa LIVONNET-MONCELON, Vronique BESCOND, Milianie LE BIHAN et les membres du groupe de soutien de lEspace de Rflexion Ethique Rgional Editeur : CHU de Poitiers Espace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes CHU de Poitiers 2, rue de la Miltrie CS 90577 86021 POITIERS cedex 05.49.44.40.18

    [email protected] n ISSN 2261-3676

    Actes de la 3me journe thique de lEspace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes

    LIBRE ARBITRE ET PRINCIPE DE PRECAUTION

    www.espace-ethique-poitoucharentes.org

    LA LETTRE DE LESPACE DE REFLEXION ETHIQUE

    POITOU-CHARENTES

    HORS SERIE AVRIL 2015

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    Discours introductif Franois MAURY Directeur Gnral de lAgence Rgionale de Sant Poitou-Charentes

    Page 7

    Craindre pour son autonomie, est-ce demeurer autonome : le pacte dUlysse. Roger GIL Professeur mrite de Neurologie, Universit de Poitiers Directeur de lEspace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes Michel WAGER Professeur de Neurochirurgie-Praticien hospitalier, Universit et CHU de POITIERS

    Page 9

    Projet de vie en soins palliatifs : de la complexit au compromis Camille DESFORGES Praticien hospitalier unit de soins palliatifs - CHU de POITIERS Catherine BOISSEAU Cadre de sant unit de soins palliatifs - CHU de POITIERS

    Page 15

    Directives anticipes : servitude ou libert ? Ren ROBERT Professeur de Ranimation-Praticien hospitalier, Universit et CHU de POITIERS Prsident du Conseil dOrientation de lEspace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes

    Risques dune vie sans aucun risque : questionnement sur une vision scuritaire des pertes lies au vieillissement Natalia TAUZIA Psychoclinicienne CH LA COURONNE

    Page 20

    Page 23

    Libre arbitre et coma Olivier LESIEUR Praticien hospitalier ranimateur Groupe Hospitalier LA ROCHELLE-RE-AUNIS Maxime LELOUP Praticien hospitalier ranimateur Groupe Hospitalier LA ROCHELLE-RE-AUNIS Michel GOLDBERG Laboratoire Littoral, environnement et socits, LIENSs UMR 7266 CNRS. Universit de La Rochelle

    Page 28

    Cancer : entre libre arbitre et ultime esprance Alain DABAN Professeur mrite doncologie-radiothrapie Prsident du Rseau Rgional de Cancrologie

    Page 41

    Psychose et libre arbitre Florence CASSEREAU Directeur usagers, risques et qualit CH LA COURONNE Philippe FICHEUX Praticien hospitalier psychiatre CH LA COURONNE

    Page 47

    Vieillard sous bonne garde ou tre attach et rester libre Eric DESFORGES Praticien hospitalier griatre CH CHATELLERAULT Isabelle MIGEON-DUBALLET Praticien hospitalier griatre CHU de POITIERS

    Page 51

    Page 55

    SOMMAIRE

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    Cette Lettre de lEspace de rflexion thique Poitou-Charentes rassemble donc les Actes de la troisime Journe annuelle de lEspace thique. Le sujet de cette journe est vaste : Libre arbitre et principe de prcaution. Les communications rassembles dans cette Lettre ne visent pas puiser le sujet en le traitant de manire exhaustive. Elles ont simplement pour ambition de dcrire les difficults qui peuvent surgir entre le respect de lautodtermination dun sujet et un principe de prcaution dont on ne sait plus trs bien sil vise protger lAutre ou sil vise se protger soi-mme contre toute accusation de navoir pas suffisamment vis dans nos dcisions la scurit de lAutre. Et encore sagit-il de dfinir ce que lon entend par libre arbitre et ce que lon entend par autonomie. Etre autonome, est-ce vouloir que ce qui est raisonnable au risque de se faire taxer dincomptence et de se voir imposer les dcisions dautres-que-soi au nom de la raison du principe de prcaution ? Si le juge a toujours la rponse dans un jugement, si le Lgislateur a toujours la rponse dans la fabrication de lois, lthique garde pour mission de questionner, de cultiver la perplexit, dadmettre les apories. Ce nest pas pour autant quelle se rfugie dans linaction rflexive. Mais elle sait que les dcisions quelle met en uvre restent toujours insatisfaisantes et ouvertes de nouveaux questionnements. La dcision thique, contrairement au jugement ou la Loi reste toujours ouverte vers dautres possibles qui restent explorer, limage de la complexit qui est coextensive la singularit de chaque personne humaine. Comment concilier la scurit du sujet g atteint de maladie neurodgnrative, donc le principe de prcaution et sa libert daller et venir ? Comment concilier le dsir dun malade de rentrer chez lui et la rsistance prcautionneuse de sa famille ? Doit-on rpondre tous les dsirs dun malade au risque de le mettre en danger ? Comment reprer et lacharnement autonomique et lacharnement scuritaire ? Comment dpasser aussi cette vision simple dune expression de lautonomie qui serait la marque invariable dun sujet sr de son libre arbitre sans envisager les doutes quun sujet peut avoir sur lui-mme et qui pourrait le conduire un pacte, analogue celui quUlysse contracta avec les siens : les directives anticipes peuvent ainsi tre des directives qui consistent douter dans certaines conditions de ses propres capacits autonomiques. Telles sont, avec dautres encore, quelques unes des problmatiques que lon verra exposes dans cette Lettre, certes de manire buissonnante et imparfaite : une manire de dire que lthique invite chacun admettre que cest dans linsatisfaction de dcisions difficiles que se dit la sollicitude. Cest ce sentiment dinachvement et dincompltude qui raconte sa manire la prise de conscience de nos limites comme de notre dsir obstin den faire la marque identitaire de notre humanit. Professeur Roger Gil Directeur de lEspace de Rflexion Ethique POITOU-CHARENTES

    PROLEGOMENES

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    Franois MAURY, La Lettre de lEspace de Rflexion Ethique Rgional Poitou-Charentes, hors srie avril 2015, actes de la 3e journe thique Libre arbitre et principe de prcaution , p7 ;8

    Monsieur le Prsident, Monsieur le Professeur GIL, Monsieur le Directeur Gnral, Monsieur le Dlgu Rgional, Mesdames, Messieurs, Cest une vritable fiert pour moi dintroduire cette troisime journe de lEspace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes. Une fiert puisque la notion dthique est intrinsque lensemble des pratiques lies de prs ou de loin la sant. Une fiert puisque cette journe participe la fois la diffusion de la rflexion thique auprs des professionnels de sant, mais plus largement aussi, auprs de lensemble de la population. En effet, cest trop souvent la lumire de situations humaines complexes, difficiles et douloureuses, que la rflexion thique sempare de chacun dentre nous et nous interroge sur nos propres considrations. Lactualit rcente, nous rappelle sil tait ncessaire, quil est indispensable de cultiver cette rflexion thique sur le terrain, par chaque professionnel de sant, pour chaque professionnel de sant et pour et avec chacun des patients. Informer, former, participer, promouvoir lthique et faire natre le dbat auprs du plus grand nombre, lEspace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes y contribue directement et je vous en flicite. Pour autant cette mme actualit que nous avons tous en tte et sur laquelle je ne reviendrai pas, dmontre que cet Espace de rflexion rgional est bien plus quun promoteur de lthique. Il en est un vritable acteur et cest incontestablement, Mesdames Messieurs les membres, lune de vos grandes russites. Nous voici donc runis aujourdhui pour voquer ensemble deux concepts que sont la notion de libre arbitre et de principe de prcaution. Deux concepts a priori en dissonance lun avec lautre, mais qui, confronts lun lautre font merger bien des questions dont la rponse soriente frquemment autour des notions de risque et de responsabilit, questions qui seront voques lors de cette journe dchanges. Le premier concept voqu, celui du libre arbitre fait lobjet de rflexions depuis de nombreux sicles alors que le second, celui du principe de prcaution, a t

    formul pour la 1re

    fois il y a un peu plus de 20 ans, en 1992 prcisment, dans la Dclaration de Rio sur lenvironnement et le dveloppement. Un concept millnaire donc ; philosophique ; philosoph depuis autant de temps, et aujourdhui tudi en lien avec cet autre concept tout juste sorti de ladolescence et du droit international de lenvironnement. Un premier concept porte individuelle universelle pour le libre arbitre, face un second, socital, porte collective pour le principe de prcaution. Le libre arbitre serait la facult quaurait ltre humain de se dterminer librement et par lui seul, selon sa propre volont. Je nouvrirai pas ici le dbat de fond des dterministes contre les libraux qui agitent les philosophes aussi bien Saint Augustin que Kant, Spinoza ou Nietzsche. Pour eux tous en tout cas, la notion de responsabilit lie au choix effectu et au risque pris par lindividu est inhrente la rflexion sur le libre arbitre. Le choix individuel et donc la responsabilit personnelle du patient comme du soignant doivent-ils tre considrs comme premiers et prminents ? Les pays dEurope du Nord et tats-uniens en la matire nhsitent pas confronter lindividu un dilemme parfois complexe ou douloureux. Notre culture nous pousse regarder avec prudence le systmatisme du recours la morale individualiste de la raison , qui constitue la base commune de leur credo rglementaire. Doit-on laisser seul un jeune couple dont lhomme est porteur du gne de la maladie de Huntington apprcier le choix de faire ou non un enfant, une fois linformation scientifique dlivre, comme je lai vu en Californie ? Par ailleurs, cette volont propre qui se construit et saffirme librement ne sinscrit que rarement dans la dure. On a tous connu des patients forts dans leur principe de renoncer des soins intensifs si ceux-ci devenaient inutiles et, au dernier moment, refusant linluctable en rclamant toujours une nouvelle solution thrapeutique. La continuit dun soi qui demeure identique sa vie durant

    1 est illusoire comme lexprime Habermas.

    1 Lapprobation : Habernas face leugnisme libral. Pierre

    Billouet.Critique 2003/13 (n679) Editeur : Editions de Minuit

    Introduction

    M. Franois MAURY Directeur Gnral de lAgence Rgionale de Sant Poitou-Charentes

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    A quoi bon, alors, les directives anticipes ? Doit-on considrer que chacun est la mesure des choix quil doit prendre ? Je me garderai bien dy rpondre votre place.

    Ces deux notions que sont la responsabilit et le risque sont galement au cur des rflexions sur le principe de prcaution. Ce dernier serait un principe selon lequel labsence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder ladoption de mesures effectives et proportionnes visant prvenir un risque. Pour autant, le Conseil dEtat estime que L'introduction du principe de prcaution dans le droit de la responsabilit mdicale comporterait plus de risques de dsquilibre que de facteurs favorables une volution harmonieuse du partage entre le risque et la faute.

    2

    Ainsi, les concepts de libre arbitre et de principe de prcaution peuvent sembler antinomiques : choix individuel suppos raisonn contre analyse scientifique probabiliste. Pourtant, ds lors que nous les analysons lun et lautre, lun avec lautre, nous voyons poindre les problmatiques communes. Selon le conseil de lordre national des mdecins: Tout lart particulirement difficile du mdecin consiste donc rechercher les points de convergence entre les donnes de sa pratique professionnelle en partie dictes par les structures de la mdecine factuelle, sa volont ou dcision propre, et la libert du choix de son patient. Il est donc essentiel quil replace son discours dans le contexte individuel de son patient en revisitant avec bon sens tant sa propre dmarche intellectuelle que ses propres limites techniques ou celles lies son art, tout en tenant compte du rsultat escompt et des consquences de ce dernier

    3

    Cette attitude me va bien tant quelle concerne la seule situation dun individu prise en compte par son, je prfrerais dailleurs dire, par ses soignants. Il en est diffremment, pour le directeur gnral de lARS que je suis, lorsque la dcision personnelle nimplique plus seulement un individu mais une communaut, une population. Alors, le libre arbitre au sein dun dialogue singulier entre malade et mdecin savre dans ce cas, insuffisant. La notion du parce que tel est mon choix nest plus acceptable. Le risque et la responsabilit prennent un tout autre sens. Jen voudrais prendre, pour illustration, la question de la vaccination o, l, prcaution vaudrait raison. Je ne doute pas que la richesse de vos travaux permettra de mettre en lumire les innombrables liens entre ces deux concepts la fois opposs et lis.

    2 Le principe de prcaution Rapport du conseil de lordre des

    mdecins 1999 3 Patrice Jichlinski. De la mdecine factuelle (evidence-based medicine) au libre arbitre Rev Med Suisse 2008 ;4 :2611

    Cette 3me

    dition de la journe de lEspace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes est la premire laquelle je participe, et je constate dj la qualit du travail effectu depuis son installation. La dimension rgionale de cet Espace, de votre Espace de chacun des picto-charentais, est consacre. Aussi cet Espace de Rflexion Ethique Poitou-Charentes, a vocation se dvelopper plus encore et souvrir au plus grand nombre. En accompagnant comme elle le fait lEspace Ethique Poitou-Charentes, lAgence Rgionale de Sant souhaite que cette dmarche, que ces travaux, bnficient chaque structure de sant et de soins, chaque professionnel et chaque picto-charentais. Bons travaux tous. Je vous remercie

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    Roger GIL, Michel WAGER , La Lettre de lEspace de Rflexion Ethique Rgional Poitou-Charentes, hors srie avril 2015, actes de la 3e journe thique Libre arbitre et principe de prcaution , p9 ;14

    Mots-cls : biothique ; directives anticipes ; pacte dUlysse ; autonomie ; identit

    Le consentement aux soins ou la recherche, de mme que le droit de retirer tout moment et librement son consentement, tmoignent dune thique soucieuse de promouvoir lautonomie de la personne humaine. Or certaines maladies mentales, quilibres par un traitement librement consenti, exposent des rechutes quand le traitement est interrompu, quil sagisse par exemple dune bouffe dlirante et hallucinatoire dans le cadre dune schizophrnie ou dune exaltation maniaque dans le cadre dun trouble bipolaire avec des consquences parfois proccupantes sur la vie personnelle, familiale et sociale. Et il arrive alors que le sujet, en proie une rechute, refuse toute thrapeutique. Mais il arrive aussi quen priode de rmission, il prenne conscience du caractre dltre de son retrait de consentement aux soins lors dune rechute et que, par une dclaration crite, il tablisse une directive anticipe particulire demandant quen cas de rechute, il ne soit tenu aucun compte du refus quil pourrait formuler lgard des traitements et quil soit alors trait voire hospitalis sous contrainte. Tel est le contrat ou pacte dUlysse, rappelant que lors de son retour de Troie, Ulysse, sur les conseils de la magicienne Circ, tout la fois dsireux dcouter le chant des Sirnes mais dchapper la mort promise ceux qui les approchait, demanda ses compagnons de se boucher les oreilles avec de la cire tandis quils lattacheraient solidement au mt du navire, afin quil puisse goter le plaisir dentendre les chants, sans risquer de les rejoindre et de sexposer la mort. Et effectivement, Homre raconte quUlysse frona les sourcils pour donner ses gens lordre de le dfaire, mais eux, suivant ses instructions pralablement donnes, refusrent dobir et vinrent au contraire resserrer ses liens . Cest grce au contrat pralable, et la contrainte quil permit ses compagnons dexercer sur lui, quUlysse eut la vie sauve. Doit-on considrer quen le maintenant attach, les compagnons dUlysse attentrent son autonomie ? Doit-on au contraire considrer que les compagnons dUlysse ont respect son autonomie, telle quelle sexprimait quand, avant la rencontre des Sirnes, il pouvait rellement obir sa propre loi tandis quen coutant les chants des Sirnes il sexposait au contraire tre soumis leur influence, donc devenir htronome ? Telle est donc lesquisse du questionnement suscit par lacceptabilit thique du contrat dUlysse et qui dans le domaine des soins et de la recherche clinique conduit revisiter les concepts de consentement libre et clair, de comptence dcisionnelle, dautonomie comme souverainet dcisionnelle et comme authenticit dcisionnelle , mais aussi dhtronomie la lumire de la continuit ou de la discontinuit identitaire de lhistoire de chaque personne humaine. Lthique, par ses questionnements, indique aussi sa spcificit par rapport au Droit qui ne saurait envisager de soins sous contrainte sans lintervention du juge. Elle indique aussi au lgislateur que les directives anticipes couvrent un domaine bien plus vaste que les soins de fin de vie. Le contrat dUlysse conduit aussi confronter lautonomie du malade et la rsurgence dun principe de bienfaisance teint de paternalisme. Et cest ainsi que doit tre approfondi, dans sa complexit, le retrait de consentement auquel exposent les situations humaines gnrant des priodes de crises, quil sagisse de lvolution rmittente de certaines maladies induisant des troubles comportementaux et des dsordres cognitivo-motionnels, comme aussi certaines situations plongeant le sujet dans des circonstances exceptionnelles comme celui de la neurochirurgie en condition veille au cours de laquelle le sujet peut retirer en peropratoire le consentement donn en propratoire, ce qui est une situation indite en chirurgie classique sous anesthsie gnrale. Et cest ainsi que le pacte dUlysse illustre combien le discernement thique doit avec humilit tenter de tenir la fois la prise en compte argumente de principes gnraux, et la singularit de chaque situation et de chaque personne humaine.

    Craindre pour son autonomie, est-ce demeurer autonome ? Le pacte dUlysse.

    Roger GIL Professeur mrite de Neurologie, Universit de Poitiers Directeur de lEspace Rgional de Rflexion Ethique Poitou-Charentes

    Michel WAGER Professeur de neurochirurgie-Praticien hospitalier, Universit et CHU de Poitiers

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    De retour de Troie, Ulysse et ses compagnons firent halte dans une petite le habite par la desse Circ dont une drogue funeste transforma une partie de ses compagnons en porcs. Instruit par Herms, Ulysse affronta Circ dont il djoua les sortilges et dont il devint lamant. Au bout dun an, Ulysse put quitter Circ et son le, mais la desse lavertit des dangers qui lattendaient. Il vous faudra dabord passer prs des sirnes, elles charment de leurs fraches voix tous les mortels qui les approchent . Cder aux chants envotant des sirnes, cest trouver la mort et Circ avertit, soucieuse tout la fois darracher Ulysse ce danger de mort, et de le laisser goter aux voix enchanteresses des sirnes. Passe sans tarrter. Mais ptris de la cire et de tes compagnons, bouche les deux oreilles que, pas un nentende, toi seul, sur le bateau, coute si tu veux, mais pieds et mains lis, debout attach au mt pour goter le plaisir dentendre la chanson et si tu commandais tes gens de desserrer les nuds, quils donnent un tour de plus . Ulysse suivi le conseil de Circ, il avertit ses compagnons quil entendra seul le chant des sirnes mais il leur enjoint Il faut que, charg de robustes liens, je demeure immobile, serr contre le mt et si je vous priais, si je vous commandais de desserrer les nuds, donnez un tour de plus

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    Et ainsi fut fait. Quand le vent poussa le bateau prs des sirnes, Ulysse de son poignard de bronze, divisa un grand gteau de cire, en ptrit les morceaux, boucha les oreilles de ses compagnons, leurs demanda de le lier au mt et de ne pas lui obir, si ensorcel par le chant, il leur demandait de le dlivrer de ses liens pour rejoindre les sirnes. Et ainsi fut fait, Ulysse fut captiv par les chants des sirnes, il donna ses gens, en fronant les sourcils lordre de dfaire ses liens, mais ses compagnons resserrrent ses liens et quand les chants ne furent plus entendus, ils enlevrent la cire de leurs oreilles et dtachrent Ulysse. Ulysse donna donc bien, ses compagnons, des directives anticipes : parce quil craignait dtre ensorcel par les chants de sirnes et ne plus tre matre de lui-mme, il ordonna ses compagnons de ne pas lui obir, au cas o il leur ordonnerait de le dtacher de ses liens. Et lobissance de ses compagnons les conduisirent donc la dsobissance quand il leurs ordonna de le dtacher. Et ce, jusquau moment, o, dlivr de lemprise des sirnes, Ulysse put avec eux continuer sa route.

    4 Homre. Brard V. (traducteur), LOdysse, Tome II,

    chants VII-XV, Paris, Les Belles Lettres, 1946, p. 112-118.

    Le pacte dUlysse : des directives anticipes particulires

    Cest ainsi que le nom de pacte ou de contrat dUlysse fut appliqu, en mdecine, des directives anticipes particulires car elles ne sont limites ni la fin de vie, ni un refus de certains traitements. Ce concept thique, sappliqua dabord des malades mentaux atteints de schizophrnie ou de troubles bipolaires, bien quilibrs par le traitement, condition quil soit rgulirement suivi, la suspension du traitement entranant, plus ou moins brve chance, une rechute. Ainsi en est-il, par exemple de Marie, dcrite par Namita PURAN

    5, mre de deux enfants, agent de

    change, et atteinte de schizophrnie, ce qui ne pose que peu de problmes quand elle suit son traitement. Cependant les malades schizophrnes peuvent avoir tendance arrter leur traitement quand ils sont en rmission, et Marie ne ralise pas, jusqu quil soit trop tard, que ce sont les mdicaments qui permettent la rmission. Alors, Marie rechute, prsente une bouffe dlirante hallucinatoire qui ne lui permet ni dassumer son rle de mre, ni dassumer son mtier. Quand Marie est nouveau sous traitement, elle peut tre bien, pendant trs longtemps, jusqu ce quelle arrte nouveau et ceci se rpte sans fin. Que faire ? On peut dfendre lautonomie de Marie et soutenir son droit refuser tout traitement, mme, lorsquelle est dlirante. Mais on peut aussi proposer Marie quand elle est en rmission, et pour son bien tre, de se lier de manire volontaire au traitement, mme si elle le refuse en cas de rechute. On peut ainsi lui proposer un pacte dUlysse. On pourrait aussi voquer le cas de malades prsentant une maladie bi polaire et qui, en priode dexaltation maniaque, mettent en pril, par des actes inconsidrs, leur situation familiale ou financire, ou encore le cas de malades qui replongent dans laddiction. Quand ces malades, en priode de rmission, prennent conscience des consquences dsastreuses de leur priode de rechute, quand ces malades ralisent quils perdront en cas de priode de rechute toute capacit de prise de conscience du caractre pathologique de leur tat, toute capacit de conscience de leurs troubles, quand ils ralisent qualors, ils perdront leur comptence dcisionnelle, ils peuvent demander leur mdecin, oralement ou par crit, de leur administrer le traitement ncessaire, mme en les hospitalisant sous contrainte au cas o ils rechuteraient et o ils sobstineraient alors refuser toute mdication.

    5 Puran N. Ulysses Contracts : bound to treatement or

    free to choose ? The York Scholar, 2005, 2, p. 47-51.

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    Ethique et loi

    Nous ne nous tendrons pas sur laspect juridique du pacte dUlysse. Mme formul sous forme dune attestation crite, on ne voit pas comment, aujourdhui, un mdecin pourrait soigner ou hospitaliser un malade, sans son accord, dlivr au moment mme o il est inform sur la ncessit de se soigner. Un tel comportement serait considr comme une violation de lautonomie donc de lintgrit de la personne humaine. En somme, seule la dcision dun juge pourrait permettre de soigner sous contrainte un malade dont lincomptence dcisionnelle mettrait en danger sa vie ou celle de son entourage. Aux Etats-Unis, dans de nombreux Etats, comme celui de New-York, le malade atteint dune affection psychiatrique a le droit lgal de refuser un traitement. Cependant, des dcisions judiciaires peuvent imposer des malades graves dont laffection constitue un danger pour eux ou pour les autres, de suivre un traitement : et cest ainsi quun contrat de type pacte dUlysse permet des malades dchapper des sanctions pnales, car il nest plus tenu compte du refus quelles opposeraient en cas de rcidive de leur pathologie

    6. En France, tout

    pacte dUlysse serait nul et non avenu sauf si, un jour, des rflexions lgislatives sur les directives anticipes ne prvoyaient pas seulement de suspendre un traitement chez une personne qui, craignant quune incomptence future lempche dexprimer sa volont, stipule son refus de telle ou telle procdure thrapeutique, notamment en situation de fin de vie. Il faudrait alors envisager les directives anticipes de manire plus large, ne pas se limiter aux situations de fin de vie et sortir dune vision seulement passive de lincomptence dcisionnelle, savoir celle dune personne qui, sur le modle du coma ou de ce que lon appelle encore hlas une dmence, ne peut plus exprimer une opinion et formuler une dcision. Il sagirait alors de lautre visage de lincomptence. Celle qui concerne une personne dont lobscurcissement de la conscience, la conduit formuler premptoirement une opposition tout traitement alors quelle avait antrieurement demand ce quon ne tienne pas compte de sa volont, si elle est exprime lors dune rechute qui compromet sa comptence dcisionnelle et ne lui permet plus davoir pleinement conscience du caractre pathologique de son tat. Mais au-del de la loi, et peut-tre en amont delle, il convient de sinterroger sur les enjeux thiques du pacte dUlysse. Il sagit donc dans lesprit dEmmanuel KANT, de laisser de ct la doctrine du droit, c'est--dire laccord de laction avec la loi, donc de la lgalit, pour considrer dabord la doctrine de la vertu, c'est--dire les tensions suscites par le pacte dUlysse avec les

    6 Puran N. Ibidem.

    devoirs que nous devons accomplir pour obir la loi morale

    7.

    Du consentement libre et clair.

    Il est devenu habituel ddicter que le respect des droits du patient implique, quen rponse une information claire, loyale, approprie, toutes les propositions de prise en charge thrapeutique ne puissent procder que dun consentement, dont la validit ncessite quil soit libre et clair. En sus des devoirs du soignant, la validit du consentement ncessite aussi que le patient ait compris les informations quil a reues et values, les consquences de son choix, ce qui passe par une prise de conscience des manifestations de sa maladie avant dexprimer une dcision et de sy maintenir. Ceci suppose donc que le patient soit comptent. Or lvaluation de cette capacit quest la comptence, terme consacr par lusage est plus ardu quil ny parat. Les instruments destins valuer la comptence de malades atteints de schizophrnie ou de malades Alzheimer, montrent la fragilit de cette capacit sitt que lon se montre exigeant sur la comprhension des informations dlivres ou sur les consquences du choix. Et se pose souvent la question de savoir si le malade consent vraiment un projet thrapeutique en tant que tel ou sil consent plutt au mdecin qui le lui propose. Consent-on quelque chose ou quelquun? Mais, au moins, peut-on considrer que ce quil y a dirrductible dans la validit du consentement, rside peut-tre dans sa permanence dans le temps

    8. Si le oui reste un oui,

    alors il existe dj une certaine garantie sur la validit du consentement. L est sans doute la condition juge habituellement ncessaire, mme si non suffisante, la manifestation de lautonomie, quexpriment le consentement ou le refus de consentement. Lautonomie est-elle un concept statique ?

    Le pacte dUlysse bouleverse en effet une conception statique de lautonomie. Quand on dfinit lautonomie, comme le droit reconnu une personne dobir sa propre loi, on tente implicitement considrer que lon doit tenir compte du choix exprim au moment o le sujet est sollicit. Les choix fluctuant dun moment lautre, dun jour lautre, peuvent faire douter de la comptence du sujet lgard de ses capacits autonomiques. Or on ne peut pas non plus dnier un sujet son droit changer davis.

    7 Delbos V. La morale de Kant, in Kant. Les fondements

    de la mtaphysique des murs, Librairie Delagrave, Paris, 1991, p. 67. 8 Bouyer C., Teulon M., Toullat G., Gil R. Conscience et

    comprhension du consentement dans la maladie dAlzheimer. Revue Neurologique, 2015, 171, p. 189-195.

  • 12

    Un sujet peut exprimer un choix A, par exemple acquiescer un traitement et puis quelque temps plus tard, revenir sur ce choix et se reporter sur un choix B, refuser par exemple tout traitement sans que ceci suffise douter de ses capacits autonomiques. Cette conception, que lon pourrait appeler lgale de lautonomie, comprise en terme de souverainet sur soi, tendrait donc rendre caduque tout pacte dUlysse, ds lors que lon enclot, que lon enferme lautonomie dans la seule prise en compte de sa libert exprimer un choix quel quil soit, mais ce, au moment mme o il est exprim. Autonomie et continuit identitaire

    En fait, on saperoit que dans les exemples cits, tout lheure, lautonomie de la personne est en quelque sorte prouve par une certaine forme de discontinuit identitaire, de discontinuit du Soi (Self). En effet le contraste entre une personne atteinte de troubles bipolaires en phase dpressive et en phase maniaque ou encore le contraste entre une personne en proie une bouffe dlirante et hallucinatoire et la mme personne en rmission, insre professionnellement, pourrait conduire admettre que certaines maladies rompent la continuit identitaire et font coexister chez un mme individu plusieurs profils identitaires, plusieurs manifestations du Self. Dans ces conditions, le pacte dUlysse aurait pour effet de privilgier ce que certains ont pu appeler un Self dominateur qui susciterait des directives anticipes et qui feraient de lautre Self, lesclave du premier

    9

    10. Mais le pacte dUlysse peut tre envisag

    dun tout autre point de vue. En revenant une conception plus subtile de lautonomie que cette dfinition lgale rduite lexpression de la volont du sujet, on peut dans le sillage dEmmanuel KANT, se demander les liens que peut tisser le pacte dUlysse avec la loi Morale, qui permet au sujet de prendre conscience de son devoir, celui l mme qui tout la fois manifeste lautonomie de sa volont qui veut tre elle-mme sa propre loi, comme la cohrence de ses rgles daction avec la lgislation universelle

    11. Et ainsi

    on peut dire quil est peut-tre du devoir de Marie, schizophrne, de ne pas mettre en pril sa vie familiale et sociale en refusant tout traitement lors de la rechute de sa maladie. De mme tait-ce le devoir dUlysse de ne pas cder aux chants des sirnes pour pouvoir regagner Ithaque. Ainsi en donnant, par un pacte dUlysse, la directive de ne pas lui obir quand en proie une bouffe dlirante et hallucinatoire, Marie refusera tout traitement, Marie ne considre pas quelle choisit lautonomie dun de ses Selfs par

    9 Dresser R. Advances directives, self-determination,

    and personal identity. Praeger, New-York, 1989. 10

    Buchaman A., Brock D. Deciding for others. The ethics of surrogate decision making. Cambridge University Press, Cambridge, 1989. 11

    Delbos V. Op. cit., p. 169.

    rapport un autre, lautonomie du Self en rmission par rapport celle dun Self dlirant. Bien au contraire, Marie a acquis la conviction que quand sa maladie rechutera, elle ne sera en fait plus autonome, mais elle sera soumise lhtronomie des inclinations lies sa maladie. Ses choix dcisionnels ne seront plus alors guids par la raison ou dans une formulation plus moderne par le fonctionnement harmonieux de la raison et de lmotion, mais ils seront au contraire submergs par des vagues motionnelles dans une raison obscurcie qutant un bonheur personnel factice que KANT avait dj dnonc

    12.

    Se rallier un pacte dUlysse cest craindre donc pour son autonomie, cest craindre lhtronomie dune maladie dont la personne sait quelle alinera en fait sa vraie libert, lauthentique autonomie de sa volont qui est cette proprit qua la volont dtre elle-mme sa propre loi

    13. Le pacte dUlysse est donc un

    exercice de la raison sur elle-mme, un exercice que lon peut appeler mtacognitif du sujet sur son autonomie prsente et future. La maladie mentale, dans ses manifestations, nest pas un autre soi ; elle signifie lintrusion des forces qui tentent de rompre lunit du Self. Le pacte dUlysse tmoigne du souci du sujet de limiter les effets dvastateurs de la maladie, sur son identit, quelle sinscrive sur le registre de la mmet ou de lipsit

    14. La mmet car le sujet a le

    souci de considrer comme vnements authentiques de son Self ceux quil vit en priode de rmission, tandis que ceux qui surviennent en priode de rechute sont volontairement exclus du Self et du sentiment de permanence du Moi. Lipsit, car le sujet manifeste, par sa directive anticipe, son souci de demeurer fidle sa parole, en demandant quon le contraigne la fidlit la parole donne quand il sera devenu htronome. On pourrait aussi proposer une conception diachronique de lautonomie, celle qui tend intgrer lautonomie dans la cohrence dune histoire

    15.

    Le pacte dUlysse nest pas exempt de danger

    Pour autant, le pacte dUlysse, nest pas exempt de danger. Il ne peut pas concerner les maladies dvolution progressive dpourvues de thrapeutiques curatrices comme la maladie dAlzheimer car le sujet serait alors li par les directives anticipes une maladie qui ferait fi des adaptations dcisionnelles suscites par lvolution des troubles. Le pacte dUlysse ne peut viser que les situations de crise, celles l mmes qui sinscrivent comme des parenthses

    12

    Delbos V. Ibidem, p. 172. 13

    Delbos V. Ibidem, p. 169. 14

    Ricoeur P. Soi-mme comme un autre. Seuil, Paris, 1990. 15

    Davis J. K. How to enforcing an Ulysses contract when Ulysses is competent to refuse. Kennedy Institute of Ethics Journal, 2008, 18 (1), p. 87-106.

  • 13

    dans la vie du sujet et condition bien sr que le sujet puisse reprer les priodes de sa vie qui correspondent ceux quil considre comme en harmonie avec ses valeurs authentiques, ses valeurs cruciales

    16, en se dfiant de ce quil pourrait

    dcider dans ses priodes de turbulences. Encore faut-il que le pacte dUlysse ne dissimule pas de la part du mdecin ou de lquipe mdicale, la mise en uvre dun principe de bienfaisance teint de paternalisme qui utiliserait ainsi des arguments de persuasion suspects de ne pas panouir les capacits autonomiques du patient. Le pacte dUlysse peut-il remettre en cause le droit fondamental du malade un retrait de consentement ?

    Tout malade qui a donn un consentement peut changer davis et revenir sur ce consentement. Ainsi le protocole additionnel la Convention europenne des droits de lhomme et la biomdecine, relatif la recherche biomdicale

    17 stipule, dans son article 14

    quaucune recherche sur une personne ne peut tre effectue sans que cette personne ait donn son consentement clair, libre, exprs, spcifique, et consign par crit. Ce consentement peut tre librement retir par la personne tout moment de la recherche . Dailleurs, aussi bien en matire de recherche quen matire de soins, le consentement donn par le malade nest jamais un engagement: il doit pouvoir le rvoquer tout moment, sans donner de justifications car telle est la condition de son autonomie. Et dailleurs les recommandations formules en 2007 par le Comit International de biothique de lUNESCO

    18, prcisent que la personne

    qui consent ne peut jamais tre lie par son consentement. Pacte dUlysse et neurochirurgie en condition veille.

    Mais une autre situation qui constitue, sinon une crise, du moins une mise entre parenthses de la vie du sujet, est reprsente par la chirurgie en condition veille. Il peut sagir soit dune chirurgie fonctionnelle , pour implantation dlectrodes de stimulation dans la profondeur du cerveau, comme la chirurgie de la maladie de Parkinson ; il peut aussi

    16

    Widdershoven G., Berghmans R. Advance directives in psychiatric care : a narrative approach. Journal of medical ethics, 2001, 27, p. 92-97. 17

    Protocole additionnel la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomdecine, relatif la recherche biomdicale, Strasbourg, 25.I.2005, http://conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/195.htm. 18

    Rapport du Comit International de biothique de lUNESCO sur le consentement, 2009, http://unesdoc.unesco.org/images/0017/001781/178124f.pdf.

    sagir dune chirurgie dexrse dune tumeur crbrale. Au cours de ces procdures, le malade est rveill en cours dintervention chirurgicale, soit pour vrifier les effets de la stimulation, par exemple dans la maladie de Parkinson, soit pour rpondre des tests qui permettront de guider ltendue de la chirurgie dexrse en cas de tumeur crbrale. Le patient a t pralablement largement inform du droulement de cette chirurgie au cours de laquelle sa collaboration active est sollicite. Mais, contrairement la chirurgie classique, sous anesthsie gnrale qui ne permet pas de revenir sur son consentement en cours dintervention chirurgicale, la chirurgie en condition veille offre au malade et ceci a t observ de manire exceptionnelle, la possibilit de retirer son consentement en cours mme dintervention chirurgicale. Dans le cas de retrait de consentement au cours dune chirurgie pour stimulation crbrale profonde, publi dans la littrature

    19, le chirurgien,

    estimant que le retrait de consentement annulait tout bnfice de lacte chirurgical pour nen laisser persister que les risques, a tent de persuader le malade daccepter la poursuite de lacte chirurgical puis a interrompu lacte opratoire en raison du maintien par le malade de son retrait de consentement. Le travail publi par Wager et al.

    20

    relate le cas dun malade qui, rveill en cours dacte neurochirurgical dexrse dun gliome, refusa les tests proposs en se dclarant fatigu et assoiff, et il demanda dtre nouveau anesthsi. Malgr labsence dargumentation rationnelle, il fut dcid dendormir le malade, en abandonnant le protocole de chirurgie veille, pour se rabattre sur une chirurgie dexrse ds lors queut confirm son choix. Ces situations chirurgicales ne permettent pas de vrifier de manire fine les comptences du sujet. Le retrait de consentement tait-il mettre sur le compte de manifestations danxit somatise ? Pouvait-on incriminer une diminution peropratoire de la prise de conscience des troubles

    21 et des enjeux de la

    chirurgie? Il est bien difficile de rpondre ces questions, mais comment ne pas respecter la volont du sujet, mme si elle tmoigne, non de son autonomie au sens authentique du terme- mais dune htronomie. Et dans ce contexte, les tentatives de persuasion sont-elles thiquement acceptables ? Un contrat de type pacte dUlysse pourrait-il tre propos systmatiquement au malade en lui

    19

    Ford PJ, Boulis NM, Montgomery EB Jr., Rezai AR. A patient revoking consent during awake craniotomy: an ethical challenge. Neuromodulation: Journal of the International Neuromodulation Society. 2007;10(4):329-32. 20

    Michel Wager, Foucaud Du Boisgueheneuc, Coline Bouyer, Claudette Pluchon, Vronique Stal, Roger Gil. Retrait de consentement et chirurgie veille : illustration et enjeux thiques, Canadian Journal of Neurological Sciences, 2014; 41, p. 590-596 21

    Donc des capacits dites dinsight.

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    demandant, aprs avoir recueilli son consentement propratoire, si lon devrait renoncer la procdure chirurgicale, au cas o il reviendrait sur son consentement lors de son rveil pendant lintervention ? Ne pourrait-on pas tout le moins, envisag un contrat de type pacte dUlysse attnu en prcisant au malade que, sil venait changer davis lors du rveil peropratoire, il lui serait rappel quil avait antrieurement consenti participer activement lacte chirurgical, et que le maintien de ce refus serait pour lui une diminution de ses chances damlioration, de rmission, ou de gurison ? Il reste difficile de rpondre formellement cette question. Si lthique peut dbattre dune manire gnrale, de la comptence dcisionnelle du malade, du consentement, de lautonomie authentique ou dune autonomie de surface, de souverainet personnelle

    22, qui ne tmoigne que de

    lasservissement du malade des inclinations plus ou moins conscientises, il est difficile souvent, de passer du gnral au singulier de chaque situation, de chaque personne humaine. Les principes gnraux et les argumentations quils suscitent, les tensions quils rvlent permettent ainsi de faire prendre conscience de lhumilit qui doit prsider la prise en charge, dans sa singularit, de chaque personne humaine.

    22

    Salvat C. Autonomie morale et autorit ou la question de la volont chez Rousseau. Cahiers dconomie politique, 2007, 53, p. 73-91.

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