LAURA

KAYEToi,monhéros

Traduitdel'anglais(États-Unis)parPatriciaLavigne

QuandAlyssaScottcomprendqueMarcoVieritravaille

danslebaroùellevientd’accepterunjob,ellemanquede

défaillir.Lemeilleuramidesongrandfrèreestencoreplus

beauqu’avant,maisbienplussombreaussi.Etsiparle

passél’ex-soldatl’aprotégéed’unpèreviolent,c’estàelle

aujourd’huidedélivrerMarcodesesdémons....

1AssiseauvolantdesavieilleCorolla,avecsoixante-dixdollarsetune

cartedecréditvidepourtoutefortune,AlyssaScottcontemplalabâtisse

oùsesespoirsseréaliseraientpeut-être-enfin.

LeWhiskey'sMusicBarnefaisaitsansdoutepasrêverlesautresfilles,

maispourellequiadoraitlamusiqueetvenaitdedécrochersondiplôme

demanagementenhôtellerieetorganisationévénementielle,il

représentaitl'endroitidéalpourundébutdecarrière.Etlefaitque

MarcoVieri,lemeilleuramidesonfrèreetl'hommequ'elleaimait

depuistoujours,ytravaillerendaitpluscrucialencorel'enjeude

l'entretiend'embauchéqu'elles'apprêtaitàpasser.Desonissue

dépendaittoutsonavenir.

Elleouvritlaportièreetsortitdanslachaleurpoisseusedecettefin

mai.Seulsquelquesvéhiculesétaientgaréssurl'immenseparking,

devantlebâtiment.Riendetrèssurprenantà11heuresdumatin,

songea-t-elle.D'aprèscequ'elleavaitlusurlesite,leWhiskey'sétait

fermétouslesmidissaufledimanche,jouroùl'établissementproposait

unconcertl'après-midietunautrelesoir.

Degigantesquesnéonsenformedeclavier,deguitareélectriqueetde

bouteilledewhiskydécoraientletoitsurtoutesalongueur.Lesoir,ils

devaientilluminerleparkingd'unarc-en-cieldecouleurséclatantes.

Tandisqu'ellesedirigeaitversl'entrée,Alyssas'imaginadansunesalle

bondée,électriséeparl'énergied'ungroupederocketl'excitation

joyeusedupublic,tandisquelesvibrationsdelabasserésonnaientà

traverssoncorps.

Parlaportevitréedel'entrée,elledistinguaunepetitesalleauxmurs

couvertsd'affichesennoiretblancannonçantlesprochainsconcerts.

Surlagauche,unguichetétaitferméparunvolet.Unfrisson

d'anticipationlaparcourutàl'idéequ'unjour,elleseraitpeut-être

responsabledel'organisationdesévénementsprogrammés.

Elles'essuyalefrontetcherchasontéléphoneportabledanssonsac.

Nonseulementellevoulaitceboulot,serappela-t-elle,maiselleenavait

aussidésespérémentbesoindepuisquesonex-futurecolocataires'était

fiancéeetl'avaitlaisséetomberunesemaineavantladateprévuepour

leuremménagement.Alyssaavaitbienessayédelaremplaceraupied

levé,maislespersonnesquiavaientréponduàsapetiteannoncelui

avaientdépluetelleavaitpréférérenonceràl'appartementplutôtquede

prendrelerisquedevivreavecl'uned'entreelles.Pourcouronnerle

tout,sonamiel'avaitprévenuequ'ellenepourraitpasluiremboursersa

partdudépôtdegarantieavantunbonmoment-siellelefaisaitunjour.

Résultat,Alyssan'avaitplusunsouenpoche.

ElleavaitmêmefailliabandonnersonprojetderentreràFrederick.

Saufquec'étaitlavilleoùelleavaitgrandi,qu'ellen'avaitnullepart

ailleursoùalleretnepouvaitsepermettred'accepterlestagenon

rémunéréqueluiproposaitundesesanciensemployeursàWashington.

Adolescente,elleavaittoujoursconsidéréleWhiskey'sMusicBar

commelelieususceptiblederépondreàsesdifférentscentresd'intérêt.

Uneimpressionquis'étaitencorerenforcéelorsqu'elleavaitdécrochécet

entretienetapprisqueMarcoytravaillait.

C'estpourquoielleavaittoutmisésurFredericketavaitaujourd'hui

désespérémentbesoindeceboulot.

Enfin,elletrouvasonportableetcomposalenuméro.Lasonnerie

retentitunefois,deuxfois...Ellejetaunnouveaucoupd'œilderrièrela

vitre-etcroisaleregardd'unhommed'unesoixantained'années.Dans

unsursaut,ellerefermad'ungestevifleclapetdesontéléphone,quilui

échappadesmainsettombasurletrottoir.

L'hommeprituneclésursontrousseau,déverrouillalaporteet

l'entrouvrit.

—Jepeuxvousaider,mademoiselle?

Prenantuneprofondeinspiration,elleramassasonportable.

Ressaisis-toi,Alyssa...

—Euh...oui.Jevienspourunentretiend'embauché.Jem'appelle

Alyssa.

—Ahoui,entrez!C'estdéjàlafolieici.

Ilouvritengrandets'effaçapourlalaisserpasser.

—JesuisChuckWilson,lepropriétaire.Alyssapénétraàl'intérieuret

frissonnadanslafraîcheursoudainedelaclimatisation.Elletenditla

main:

—AlyssaScott...

Chucklaluiserraavecungrandsourirequiluiplissalecoindesyeux.

—Ehbien,mademoiselleScott,quediriez-vousdenousasseoirpour

discuter?

Alyssalesuivitendirectiondelasalleetdubaroù,d'aprèscequeson

frèreluiavaitdit,Marcotravaillaitcommeserveur.Àcettepensée,elle

sentitsoncœurs'emballer.

—Est-cequeMarcoVieriestlà?demanda-t-elle.Lesmainsdansles

pochesdesonpantalon,

Chuckhochalatête.

—Oui.VousconnaissezMarco?

—Nousavonspassénotreenfanceensemble.C'estlemeilleuramide

monfrère.

—Vraiment?Marcoestunbongamin.

—Lemeilleurdetous!approuva-t-elleavecunpetitrire.

Ilneluiseraitjamaisvenuàl'idéedeparlerdeMarcoViericomme

d'un«gamin».Grand,brun,etdepresquecinqanssonaîné,ilne

ressemblaitenrienàungosse.Ilétaitletypeleplusadorableetleplus

loyalqu'elleaitjamaisconnu,etelletrépignaitd'impatienceàl'idéedele

revoir.Celafaisaitsilongtemps!Troplongtemps.Maismaintenant

qu'ilsétaienttousdeuxderetour,elledelafac,luidel'armée,elleaurait

peut-êtreenfinsachanceaveclui.

Ellepénétradansunevastesallerectangulaire,ausous-sol.Àl'entrée,

unerangéedespotséclairaitlepremiergroupedetables.

—Asseyez-vous.Jevaischercherdequoiécrire.DèsqueChuckeut

disparudansuncouloir,

Alyssaselaissatombersurunevieillechaise,posasonsacparterreet

observaleslieux.Ellen'avaitjamaisassistéàunconcertauWhiskey's.

Lasalleétaitsiprofondequel'extrémitédisparaissaitdansl'obscurité.

Elles'élevaitsurtroisniveaux,leplushautétantréservéàlascène

devantlaquellelesmeilleurestablesétaientdisposéesenarcdecercle.

Uneproximitéquidevaitcréerunsentimentd'intimitéexaltantavecles

musiciens,songea-t-elle.

—C'estbon,déclaraChuckenlarejoignant.Elleattenditqu'il

s'installe,puisluitenditsonCVetremplitleformulairequ'ilfitglisser

verselle.Elleétaittellementexcitéeàl'idéedetravaillerlàetde

retrouverMarcoqu'ellen'arrivaitpasàs'empêcherdetaperdupied.

Respireprofondément,Aly.Ellesuivitceconseilets'apaisaunpeu.Au

moins,lesrenseignementsàfournirétaient-ilssimples.

ToutenparcourantsonCV,Chuckluidemandadesprécisionssursa

formationetsesdifférentsstages.LeWhiskey'sMusicBarétaitlaplus

grandesalledespectaclesàl'ouestduMaryland;décrocheruneplaceici

constitueraitunsacrécoupdepoucepoursacarrière.C'estpourquoielle

s'efforçadesecalmeretdétaillasonparcoursprofessionnel,sentantsa

confianceenelles'affirmeràmesurequ'elleparlait.Quandelleeut

terminé,Chuckhochalatêted'unairadmiratif.

—Trèsimpressionnant,mademoiselleScott.Manifestement,vousêtes

qualifiéepourceposte.Peut-êtremêmeunpeutrop.

IlreposaleCVsurlatable.

—LeWhiskey'sestuneentreprisefamiliale,etnoustenonsàceque

tousnosemployéspartentdelabaseavantdemonterengrade.

—Jecomprends,monsieurWilson.Letravailnemefaitpaspeur,etje

saisquej'aibeaucoupàapprendreàtouslesniveaux.J'aid'ailleursété

serveusependantunebonnepartiedemesétudes.Sansmevanter,

ajouta-t-elleàvoixbasseensepenchantverslui,jecroisquejeme

débrouilleplutôtbien.Jesuiscertainequevousserezcontentdemoi.

Illadévisageaunlongmoment,puissourit.

—Vousavezducran.Çameplaît.N'ayezjamaispeurdevousvendre,

mabelle.Personned'autreneleferapourvous.Etappelez-moiChuck.

Vousêtesprêteàfairen'importequelhoraireetvousêtesdisponible

immédiatement?

L'enthousiasmemanifestedanslavoixdeChucklafitsourire.

—Sur-le-champ!

SoneuphoriegranditencorequandChuckluiindiquasonsalaire

horaireetlemontantdespourboiresjournaliersdecertainesserveuses.

Sivraimentellearrivaitàgagnerautant,ellepourraitlouerunpetit

appartementpourelletouteseulesansavoiràs'encombrerd'une

colocatairepeufiable.Peut-êtremêmearriverait-elleàfairedes

économies.

—Jevaisvérifiervosréférences,maissaufproblèmeinattendu,vous

êtesembauchée,mademoiselleScott.Jemanquedepersonneletl'étéest

toujoursunepériodechargéeici.Alorssivousêtesàlahauteurdeceque

jeperçoisdevous,iln'yaaucuneraisonpourquevousnevousfassiez

pasvotreplaceici.

—Vousneserezpasdéçu,jevousl'assure.Illuisourit.

—Quandpouvez-vousvenirvousformer?Lirelemanuel,apprendre

lesmenus,participeràunservice,toutesceschoses...Vousserezpayée,

bienentendu.

—Quandvouslesouhaitez.Jesuistotalementdisponible.

—Toutdesuite?

—D'accord.

Pourquoitergiverser,alorsqu'elleavaitàpeinedequois'offrirune

nuitd'hôteldanssonportefeuille?

—Danscecas,attendez-moilà,jevaisvouschercherlemanuel

destinéauxemployés.

Alyssajoignitlesmainsetpoussaunlongsoupirdesoulagement.Bon

sang,elleavaitréussi!Aprèsladébâcledesacolocation,cela

ressemblaitàunsauvetagemiraculeux.

Chuckréapparut,chargéd'unlivretetdepapiersdivers.

—Voicilemanuel.Vouspouvezcommenceràlelirependantqueje

m'occupedelapaperasseetquej'appellevosanciensemployeurs.Je

n'enaipaspourlongtemps.

UnefoisChuckreparti,Alyssaseplongeadanslerèglementintérieur

etlalistedesprocédures.Laperspectivedecommencersonnouvel

emploiaccrutencorel'excitationqu'elleressentaitàl'idéedecroiser...

—Eh,Chuck!appelaquelqu'undepuislapénombredubarsurla

droite.

Alyssaretintsonsouffle.Elleauraitreconnucettevoixentretoutes.

Elleseretournaetsoncœurs'accéléralorsqu'ellevitMarcos'avancer

danslalumière.Ilportailungrandcartondontlepoidsfaisaitsaillirses

biceps.Ladernièrefoisqu'ellel'avaitcroisé,ilétaitentredeuxmissions

etarboraitununiformedecamouflagesexyàmourir,avait-ellepensé

alors.Depuis,sescheveuxavaientpoussé,maisilavaittoujourssonlook

militaire.Quandilrelevaunpeulecarton,tirantinvolontairementsur

sondébardeurquiremontasursonventreferme,Alyssalaissason

regardglisserlelongdesonjeannoirquilemoulaitlàoùilfallait.

Touslessentimentsqu'elleavaitéprouvéspourluirevinrentenforce,

luicoupantpresquelesouffle.Ellebonditsursespieds,sonnomaubord

deslèvres,maissagorgeétaittropsèchepourqu'ellepûtproférerle

moindreson.

—Pardon,jenevousavaispas...

Ilfronçalessourcilssansterminersaphrase,puisécarquillalesyeux.

—Alyssa?

Tirantunechaiseàluipourydéposerlecarton,illuioffritunsourire

radieuxquicreusaunepetitefossettedanssajouegauche.

—Bonsang!Regardez-moiça!s'exclama-t-ilens'approchantd'elle.

Àmoitiéétourdieparsaprésence,sonsourireirrésistibleetl'odeur

viriledesapeau,Alyssarestauninstantsansvoix.

—Çafaitplaisirdeterevoir,Marco,parvint-elleenfinàarticuler.

MonDieu,ilétaitencoreplusbeauquedanssonsouvenir!Illui

ouvritlesbras.

—Quoi?Tunem'embrassespas?Çafaitdeuxans,pasvrai?

—Quasiment,répondit-elle,lagorgenouée,enl'enlaçantàsontour.

Àl'instantoùilssetouchèrent,ellecompritqu'elleétaitdansdesales

draps.Illaserracontreluietelleluirenditsonétreinte,lesjambesen

coton.Bonsang,était-ilaussimuscléavant?Aussigrand?Aussicarré?

Ill'enveloppaitdesesbras,ettoutel'attiranceetl'affectionqu'elleavait

toujourséprouvéespourluifirentbattresoncœursifortqu'elle

l'entendaitrésonneràsestempes.

—Commentçava,Aly-jolie?demanda-t-ilsanslalâcher.

—Bien,répondit-elle,àlafoistouchéequ'ilutilisetoujourscesurnom

etdéçuedeconstaterqueleurrelationn'avaitpaschangédenature.

Ellechassacettedernièrepensée.L'important,c'étaitqueMarcosoit

là,guéridesblessuresquil'avaientobligéàquitterlesforcesspécialesde

l'armée,ethorsdedanger.

—J'aieusipeurpourtoi!Jesuissoulagéequetusoisrentré.

QuandMarcorecula,elleremarqualescicatricesquizébraientson

brasetsamaingauches.Elles'obligeaàdétournerlesyeux,maisnefut

sansdoutepasassezrapide,carMarcocroisainstantanémentlesbras

pourcachercesmarques.

Sonsourireetlajoiequibrillaituninstantplustôtdanssesprunelles

bleuess'évanouirent,remplacésparunegêneinhabituelleentreeux.

—Alors...quefais-tuici?s'enquit-ilauboutd'unmoment.

—Jeviensdepasserunentretienpourdutravail.

Elleluiadressaunsourireforcé,espérantqu'illeluirendrait.Ilnele

fitpas.

—Ici?

Elledansaitd'unpiedsurl'autre,malàl'aise.Croisantlesbras,elle

essayadenepasselaisserdéstabiliserparsonbrusquechangement

d'humeur.

—Euh...oui.

Ilplissalesyeuxetsestraitssecrispèrent,soulignantsescernes.

—Ohnon!Alyssa.Pasici.

—Pourquoipas?répliqua-t-elle,heurtéeparsontondésapprobateur.

—Cen'estpasunendroitpourunejeunefille.Àcesmots,ellesentit

s'évanouircequiluirestaitdejoie.

—Jenesuispasunejeunefille,Marco,répliqua-t-elle,indignée.Je

suisunefemme!

Cetteremarqueluivalutunregardsarcastique.

—Écoute,tutrouverassûrementunendroitpluscalme,affirma-t-il,

lesmainssurleshanches.Commentcrois-tuqueBradyréagiraits'il

apprenaitquetutravaillesici?

—Illesait.

Etiln'estpasd'accord,ajouta-t-elleensonforintérieur.Puis,se

redressant,elledécrétaàvoixhaute:

—Detoutefaçon,çaneleregardepas.

—C'estque...

Ilsecoualatête,cherchantsesmots.

—...Jesuistropoccupéaubarpourpouvoirgarderunœilsurtoi,

lâcha-t-ild'untonoùpointaitunmélangedefrustrationet

d'exaspération.

Elleouvritlabouche,incapabledetrouveruneréponse.Ellevoulaitun

boulot,pasungardeducorps!Pourquoisecomportait-ilainsi?Avait-il

déjàcetteattitudecondescendanteauparavant?Cequ'elleaimaitchez

lui,quandilsétaientplusjeunes,c'étaientl'attentionetlagentillesse

dontilfaisaitpreuveàsonégardquandbeaucoupd'autresseseraient

contentésd'envoyeraudiablelapetitesœurdeleurmeilleurcopain.

Elleavaitbesoindecetravail.Etelleenavaitenvie!

—Tusaisquoi?Jen'attendspasdetoiquetumeprotèges.Jesuis

capabledemedébrouillerseule.

Aumoins,lacondescendancedeMarcoavait-ellel'avantagedela

mettrehorsd'elle,cequiluiévitaitd'éclaterensanglots.

Uneémotionqu'elleneparvintpasàidentifierfilétincelerlesyeuxde

Marco.

—Alyssa,tuestrop...

Quand,soudain,lavoixdeChuckrésonnadanslecouloir,Marco

pinçaleslèvresetsepassanerveusementlamaindanslescheveux.

Chuckapparut,sontéléphoneportablecolléàl'oreilleetunlarge

sourireauxlèvres.

—Mercibeaucoup,conclut-ilavantdecouperlacommunication.

Alyssaledévisagea,saisieparlecontrasteentrelaminerenfrognéede

Marcoetl'expressionavenantedesonfuturemployeur.

—Ehbien,jesuisravidevousannoncerquetoutlemonden'aquedes

complimentsàfaireàvotresujet!déclara-t-ilens'approchantd'eux.

Illuitenditlamain.

—Vousêtesembauchée.

2L'estomacnoué,MarcoregardaAlyssasignersoncontratd'embauche.

Ilavaitvucommentcertainsclientssecomportaientaveclesserveuses:

leWhiskey'sn'étaitpasunendroitpourunejeunefilleinnocente.Alyssa

étaitdouce,timide.Sielletravaillaitici,elleauraitbesoinqu'onla

protège.

QuellemoucheavaitpiquéBradydeluidonnersonaccord?S'il

arrivaitquelquechoseàAlyssa,nuldoutequesonamil'entiendrait

responsable.

MarcoavaitcommencéàveillersurAlyssaàl'époqueoùlamaisonde

sesparentsreprésentaitlaseuleéchappatoirepourlesenfantsScottface

àl'alcoolismeetàlaviolencedeleurpère.Parlasuite,Bradyetlui

avaientemménagéencolocationàlafindulycée,prenantAlyssaavec

euxjusqu'àcequ'elleparteàl'université.Enfin,l'annéedernière,alors

qu'ilssebattaienttousdeuxenAfghanistan,Bradyl'avaitsauvéin

extremisdelamort.Autantderaisonspourqu'ilsesenteledevoirde

protégerAlyssa-ycompriscontrel'inconsciencedesonfrèreaîné.

L'ennui,c'estqu'ilavaitdéjàbeaucoupdemalàprendresoindelui-

même.Etqueladernièrefoisqu'ilétaitvenuausecoursdequelqu'un,sa

tentatives'étaitsoldéeparundésastre.

LavoixdeChuckletiradesessombrespensées:

—Alyssam'aapprisquevousvousconnaissezdepuisl'enfance.

Marcojetauncoupd'œilàAlyssa.Unevaguedeculpabilitél'envahit

enlavoyantsedétourner.

—Oui.Nousavonsdetrèsbonssouvenirsensemble,répondit-ilpour

luitendreuneperche.

Ellelasaisitetsetournaverslui.Maislajoiequiilluminaitsestraits

quandilss'étaientretrouvésavaitdisparu,constata-t-ilavecun

serrementdecœur.

Etsoudain,facel'intensitédesonregardbrun,ilpritconsciencede

sonerreur:Alyssan'étaitplusuneenfant.Aveugléparl'imagequ'ilavait

gardéd'elle,iln'avaitvuquesapetitetaillesansremarquerlesboucles

châtainfoncéquicascadaientsursesépaules,larondeurdesesseins

soussontee-shirtéchancré,etlalignesuavedeseshanches.L'espace

d'uninstant,ils'imaginaposantlesmainssurcecorpssiféminin,le

tenantentresesbras.Ilétaitunhomme,aprèstout.Unhommequi

n'avaitpasconnuleplaisird'unecompagniefémininedepuisdesmois,

depuisqu'illuttaitpourredevenirl'ombredelui-même.

Maislasuperbefille-ouplutôt,femme-quiluifaisaitfacen'étaitpas

n'importequi.Ils'agissaitdelapetitesœurdesonmeilleurami.Accès

strictementinterdit.Règlenumérounducodedel'amitiémasculine.

D'ailleurs,mêmedansd'autrescirconstances,ilneseseraitpassenti

ledroitd'imposeràquiquecesoitl'énormebouletqu'ilétaitdevenu.

Encoremoinsàquelqu'unentrantjustedanslavie,commeAlyssa.

—Alors,déclara-t-elleensedétournantdenouveaudelui,vous

préférezquejefinissedelirelemanuelouque...

—Oui,affirmaChuck.Continuezetprévenez-moiquandvousaurez

terminé.Jerépondraiàvosquestionssivousenavez,etjevousferai

faireletourdupropriétaire.Oh...etj'aiaussibesoindephotocopier

votrecarted'identitépourprouverquevousêtesmajeure.

—Pasdeproblème.

Ellesebaissapourramassersonsacsurlesol.Marcoétouffaun

gémissement.Cejeanmoulantallaitlefairemourir.

—Je...Euh...

Ilsepassalamainsurlevisage.

—Jeretournem'occuperdel'inventaire.

Entraversantlasalle,ilavisalecartonqu'ilavaitapporté.

—Cecartonn'estpasinscritdanslesstocks,annonça-t-il,lesyeux

fixéssurChuck.

—Tun'asqu'àlelaisserlà,réponditcedernier.Jem'enchargeraitout

àl'heure.

Chuckpritlacarted'identitéd'Alyssa,quiregagnalatableoùMarco

l'avaitdécouverteenarrivant.

Ilseréfugiaderrièrelebar,contournalescartonsetlescaissesqu'il

avaitremontésdelaréserveetrécupérasonbloc-notes.Avecunsoupir,

illejetasurlezincetcroisalesmainsdessus.

Enpénétrantdanslasalle,ilavaitétésisurprisd'ytrouverquelqu'un

qu'iln'avaitpastoutdesuiteremarquédequiils'agissait.Alyssas'était

métamorphoséedepuisdeuxansqu'ilnel'avaitpasvue!

Pourtant,cesdeuxansdeplusnechangeaientrienauproblème,se

rappela-t-il.Aufond,Alyssaétaittoujoursunepetitefilleinnocente.

Tropinnocente,entoutcas,pourcetendroit.

Agacé,ilsereplongeadanslecompteetlerangementdesbouteillesde

vin,debièreetd'alcools.Maissonespritrevenaitsanscesseàlapetite

brunetropjolieassisedanslasalle.

Pourquoiétait-ellerevenueàFrederick?Paspoursafamille,

sûrement.Bradyétaittoujoursdanslesforcesspéciales,envoyéDieusait

où,quantàJosephScott,ils'intéressaittoujoursplusàlabouteillequ'à

sesenfants.Depuissonretour,Marconel'avaitcroiséqu'uneseulefois,

etapparemment,levieilivrognen'avaitpaschangéd'uniota.Ilaurait

presqueeupitiédeluis'iln'avaitpasététémoindesconséquences,sur

sesenfants,desonnaufrage,quis'étaitaccéléréàlamortdesafemme.Il

necomptaitpluslesfoisoùl'und'euxétaitarrivéchezluiavecun

hématomeouuneentaillesurlevisage.Vraiment,ilespéraitqu'elle

n'avaitpasl'intentionderenoueravecsonpère.

Ils'accroupitpourouvrirlecartonsuivant.

C'étaitsonexpérienceaveclafamilleScott,sondésirdevolerau

secoursdeceuxquin'avaientpaslesmoyensdesedéfendre,quiluiavait

donnéenviedes'engagerdanslesforcesspéciales.Désormais,àqui

était-ilutile?

—Aïe!

Unpointdouloureuxseréveilladanssoncrâneauniveaudel'oreille

gauche.Ils'agenouillaetfermalespaupièrespourrespirercommeonle

luiavaitappris.Untempsd'inspiration,deuxd'expiration.Untemps

d'expiration,deuxd'expiration...Quandladouleurdevintsupportableet

quesatêtecessadetourner,ilrouvritlesyeux.Etserenditcomptequ'il

semassaitinconsciemmentlebrasgauche,celuiquiavaitétédéchiqueté

dubicepsaupoignetparunenginpiégédansdescirconstancesdontil

avaitpresquetoutoublié.Ilavaitfailliperdrel'usagedesamain,mais

unegreffedetendonavaitpermisd'éviterlepire,mêmesisesdoigts

manquaientdeforceetquesoncouderestaitraide.

Hélas,lamédecines'étaitrévéléebeaucoupmoinsefficacefaceaux

dégâtssubisparsoncerveau.Samémoirecomportaitunénormetrou

noir,d'atrocescauchemarshantaientchacunedesesnuitsetilsouffrait

parfoisd'aphasie,uneincapacitéexaspéranteàparleretàcommuniquer

sespensées.Autantdesymptômesqueleschirurgiensétaientincapables

desoigner.

Etquil'isolaientetlecoupaientdesautres.

Marcosortitlesbouteillesducartonetlesalignaàcôtédelui.Revoir

Alyssaluiavaitdonnélesentimentd'êtrepiégéentredeuxmondessans

fairepartied'aucun.Àl'instantoùilss'étaientretrouvés,ils'étaitsenti

transportédesmoisenarrière,àl'époqueoùilsavaitencorequiilétait

etoùilallait.L'époqueoùtoutluisemblaitpossible.

Puiselleluiavaitditcombienelleétaitsoulagéequ'ilsoitderetour,et

ilavaiteul'impressionderecevoiruncoupdepoingenpleinplexus.Car

sonplusvifdésirdepuisceslongsmoisétaitderepartirlà-bas,fairece

pourquoiilétaitformé.Cequin'arriveraitjamais.

Maiscommentpourrait-iljamaisrenonceràcethomme-là?Àcerêve-

là?

Avecunjuron,iljetalecartonvidederrièrelui.

Pourl'instant,ildevaitseconcentrersurleproblèmeactuel.Une

heureenprésenced'Alyssaavaitsuffiàlebouleverseretàrameneràsa

consciencedespenséesqu'ilrefusaitdevoirémerger.Servir.Compter.

Bière.Vin.Àlapression.Enbouteille.Rouge.Blanc.Cespensées-là,il

étaitcapabledelesgérer.

Maispaslesautres.

Passescraintesdeseregarderdansunmiroir.

Paslesouvenirdesafaiblessedevantladouleuretl'impuissance.

Etsurtoutpascelledestroiscadavresétendusàsespieds.

Soudain,quelqu'unpianotasurlebar.

—Tuviensmanger?

Marcofitvolte-faceetbondit,prêtàsebattre.Songenouheurtaune

bouteilledépassantdubacàrecyclage,quibasculaenavant,en

entraînantdeuxautresavecelledansunfracasdeverrebrisé.

—Merde!Excuse-moi,dit-ilenjetantuncoupd'œilàChuckà

l'extrémitédubar.

—T'inquiète,mongars.Jevaischercherunbalai.

Incapabledecalmerlesbattementsaffolésdesoncœur,Marco

commençaàramasserlesplusgrosmorceauxpourlesjeterdansla

poubelle.Silaprésenced'Alyssalemettaitdanscetétat,ilferaitmieux

de...

—Attends,jevaist'aider.Elles'accroupitprèsdelui.

—Non!Ellesursauta.

Ilserralespoings,maudissantsanervositéetsonmanquedesang-

froid.

—Qu'est-cequetufaislà?

Alyssaserelevaets'essuyalesmainssursonjeanenreculant.

Ilsemitdeboutpourluifaireface.Ellelefixaitcommes'ilétaitun

animalsauvageauxréactionstotalementimprévisibles.Parfait.

—Jeveuxdire,pourquoies-tuencoreici?JesaisqueChuckt'a

demandéde...

Ilpressalesdoigtssursatempe.Ilavaitlesmots«remplirdes

papiers»surleboutdelalangue,maisilétaitincapabledeles

prononcer.Ildéglutit.

—Ducoup,jepensaisque...

Bonsang,iln'arrivaitmêmepasàluiparler!Ilsepassalamaindans

lescheveuxetsoupira.Alyssacroisalesbras.

—Vuquej'étaissurplace,Chuckm'aproposédedéjeuneravec

l'équipe.Commeça,jepourraigoûterlacuisineduchefetconseillerles

clients.

Chuckréapparut,unbalaidansunemain,sonportablecolléàl'oreille.

—TuveuxbienmontreroùonmangeàAlyssa?murmura-t-ilàson

attention.Jem'occupedeça.

S'essuyantlesmainsàuntorchon,Marcohochalatête.

—C'estparlà...

Conscientdulourdsilencequis'étaitabattuentreeux,illaconduisità

traversdifférentespiècesjusqu'àl'espaceréservéaupersonnel,àcôtéde

lacuisine.Laculpabilité,alliéeàunesensationdenullitéchevilléeau

corpsdepuisplusieursmois,luinouaitl'estomac.

—TuasdesnouvellesdeBrady?finit-ilpardemanderpourbriserla

glace.

Alyssaposasesgrandsyeuxbrunssurlui,l'airhésitant.

—Ilm'aappeléelejourdelaremisedemondiplôme.Jenesaispas

d'où.Apparemment,çaallait.

Marcoauraittoutdonnépourêtresurleterrainaveclui.Maiscette

vie-làétaitrévolue,etilnepouvaits'enprendrequ'àlui-même.

—Tantmieux.

—Oui.

Ildevaitàtoutprixtrouverunmoyenderétablirlecontact!Brady

étaitpeut-êtresonmeilleurpote,maisAlyssaétaitégalementl'unede

sesplusvieillesamies.Cettesoudainegêneentreeuxétait

insupportable.

—Tujouestoujoursdelaguitare?

Ellereplaçaunemèchederrièresonoreille.

—Oui.Bradym'enad'ailleursoffertunepourmondiplôme.Elleest

géniale.

C'étaitluiquiluiavaitapprisàjouer,etilétaitraviqu'ellecontinue.

Maiscommentavait-ilpuoublierdeluienvoyeruncadeaupourson

diplôme?Vraiment,ilétaitendessousdetout.

—MapetiteAly-joliediplômée...Décidément,toutarrive!

Alyssalevalesyeuxauciel,maisneputréprimerunsourire.

Danslasalledupersonnel,troishommesétaientdéjàattabléset

occupésàmanger.Àleurarrivée,ilslevèrenttouslatête,etnepurent

dissimulerleursurpriseenledécouvrant.Ilestvraiquesefairedesamis

n'étaitpassonprincipalsoucidepuisqu'ilétaitrentréd'Afghanistan.

PuisilstournèrentleurattentionversAlyssaetMarco,et,devantleurs

regardsappréciateurs,ilseretintpournepaslaprendreparlataille.

Était-cejusteuneimpressionouletee-shirtd'Alyssaétait-ilunpeutrop

décolleté?Seforçantàgarderlesbraslelongducorps,ilfitles

présentations.

—Lesgars,jevousprésenteAlyssaScott.Chuckvientdel'engager

commeserveuse.Alyssa,voiciTommy,ÉricetVan.

Ellesaisitledossierdusiègeàcôtéd'Éric.

—Salut.

Éricbonditsursespiedspourtirerlachaiseafinqu'elles'assoie.Elle

s'écarta,puispritplace,lesjouesaussirosesquecellesdujeunehomme.

Marcolefixa,pestantintérieurementdevantsonairbéat

d'admiration.

—Merci,dit-elle.Alors,quemeconseillez-vous?

—Tout,déclaraVanenluipassantleplatd'amuse-gueules.Maisjene

suispasobjectif.

—Pourquoi?s'enquit-elleenseservant.

—Parcequec'estmoilecuistot,répondit-ilavecunclind'œil.

Elleeutunsourireamusé.

—Cequiveutdirequetusaisdequoituparlesou,qu'aucontraire,tu

racontesn'importequoi.Quelestvotreavis?demanda-t-elleauxdeux

autres.

Saquestionplanauninstantdansl'air,puisilséclatèrentderireet

donnèrentunebourradeàVan.

LafacilitéaveclaquelleAlyssavenaitdes'insérerdanscegroupequi

seconnaissaitdepuisdesannéesétaitstupéfiante!Enquelquesmots,

elleavaitbrisélaglaceetlerestedelaconversationsedéroulaavecune

facilitésurprenante.Toutendévorantlecontenudesonassiette,elleles

interrogeasurleurspostesrespectifsauWhiskey'setréponditàleurs

questionssanslamoindregêne-cequin'avaitpasétélecasavecluitout

àl'heure,neput-ils'empêcherdenoteravecamertume.

Finalement,Chucklesrejoignit,etelleachevadelecharmerenlui

posantdesquestionspertinentessurl'organisationdutravail.Quantà

Van,quipossédaitunredoutablehumourpince-sans-rire,iltrouvaen

elleunadversaireàsahauteur,cedonttoutlemondeseréjouit,y

comprislui-même.

D'oùsortaitcettefemmepleined'assurance,àl'espritvif?

L'Alyssaqu'ilconnaissaitétaitréservée,plutôttimideethésitante-le

genredefillequ'ilfallaitêtrepoursurvivreauseindesafamille.Lafierté

qu'ilressentaitdevantsatransformationledisputaitàsahonted'avoir

faitressurgirl'ancienneAlyssaàlasurfaceenluicriantdessus,toutà

l'heure,aubar.

Pourtant,siunepartdeluiavaitenviedes'excuser,uneautreétait

convaincued'avoiragiexactementcommeillefallaitpourlebien

d'Alyssa.Etdetoutlemonde.

Encoreunepreuve,sic'étaitnécessaire,qu'iln'avaitriend'unhéros.

Ilrepoussasonassietteàdemi-pleine.

Alyssas'essuyalaboucheetfitunebouledesaservietteenpapier

qu'elleposadanssonassiettevide.

—Chef,jedoisavouerquetuavaisraison.C'étaitdélicieux.

Vansouritdeplaisir.

—Contentqueçat'aitplu.Tuaurasd'autresoccasionsdeterégaler,

vuqueChuckmeréclameunfestindecegenrequasimenttouslesjours.

—Tupeuxcomptersurmoiàchaquefoisquejeseraideservice.Je

vouspréviens,vousrisquezd'enavoirassezdemevoir.

—Çam'étonnerait,commentaÉric.

Ileutunrictusunpeugêné,commesilesmotsavaientjailliàson

insu.Marcoluijetaunœilnoir,résistantunefoisencoreàl'enviede

glissersonbrasautourdesépaulesd'Alyssa.

—Jeunefille,tupourrasassurerautantdeservicesquetulesouhaites,

déclaraChuckenpassantnaturellementaututoiement.Commejetel'ai

dit,jemanquedepersonnel.

Ilselevaettouslesautresl'imitèrent.

—Oùdépose-t-onlesassiettessales?s'enquitAlyssaencommençant

àdébarrasser.

—Suis-moi,çaseralapremièreétapedutourdupropriétairequeje

t'avaispromis.Laplusglamourdetoutes.

—Ravied'avoirfaitvotreconnaissance,messieurs,lançaAlyssad'un

tonespiègle.Àplus!

MarcolaregardaemboîterlepasdeChuck,unepiled'assiettesdans

lesmains.Elleluiadressaunbrefsourireavantdesortir.

Dèsqu'ilsfurenthorsdeportéedevoix,VansetournaversÉric,la

mineréjouie,etluimitunemainsurl'épaule.

—Tuesfait,mongars.

—Qu'est-cequeturacontes?s'insurgeaÉricenrejetantsonbras.

—OK,commetuveux,concédalecuisiniersanssedépartirdeson

sourire.Maislaprochainefoisquetuaurasenviedetelajouerdiscrète,

surveilletesparoles.

Démasqué,Éricfitmined'envoyeruncoupdepoingàsonami,etles

deuxhommesquittèrentlapièceenriant.Marcos'assitsurleborddela

table;lamigraineauniveaudesatempegaucheétaitplusforteque

jamais.

3Enquelquesheures,Alyssas'étaitapprochéedesonrêveàpasde

géant:elleavaittrouvéuntravailbienpayé,suffisammentintéressantet

intensepournepasvoirletempspasser,et,àenjugerparsespremières

rencontres,dansunetrèsbonneambiance.Leseulbémol,danssa

journée,étaitl'attitudedeMarco.

Qu'était-ilarrivéauMarcoqu'elleconnaissait?Celuiqu'elleavait

rencontréaujourd'huiétaitcondescendant,froidettranchant,etn'avait

quasimentpasouvertlabouchedetoutledéjeuner.Uncomportement

entotaledissonanceaveclesouvenirqu'elleavaitdelui.L'idéeque

quelquechoseaitpuletransformeràcepointl'attristait.Pourtant,

durantdebrefsmoments,elleavaitretrouvél'ancienMarco,levrai

Marco.Etelleauraitjuréqu'ilétaitheureuxdelavoiràl'instantoùil

l'avaitdécouverte.D'ailleurs,ilavaitclairementessayédefaireamende

honorableenlaconduisantjusqu'àlasallederepos.

Heureusement,lecoupdefeuduservicedusoiretl'atmosphère

joyeusegénéréeparlegroupelocalenconcertl'avaitdétournéedeces

sombrespensées.Justeavantl'ouverture,àvingt-deuxheures,Chucklui

avaitproposéderentrerchezelle,maiselleavaitpréférérester.

Puisqu'elleavaitsavalisedanslecoffredelavoitureetunjean

convenantàlatenueblancheetnoirederigueur,autantapprendreles

ficellesdumétierdèsmaintenant.Plusvite,elleseraitresponsabledeses

tables,plustôtelletoucheraitdespourboires.Sereposerétait

secondaire,surtoutquandonn'avaitnullepartoùdormir.

—Mercid'avoiracceptéquejetravailleavectoicesoir,Kim.J'espère

queçanel'apastropdérangée,dit-elleàl'employéequeChuckavait

chargéedelaformer.

Kimétaitlaplusanciennedesserveuses.

—Aucontraire,tum'asbienaidée,assura-t-elleavecunsourire

chaleureux.Normalement,onn'apasautantdemondelejeudi.

J'imaginequelesgensonteuenviedeprofiterdubeautemps.

—Oui.Etlegroupeétaitgénial,affirmaAlyssa.Ellen'avaitjamais

entenduparlerd'eux,maisilsavaientuneprésenceetuneénergie

incroyablessurscène.

—Ilspassenticipresquetouslesdeuxmois.Onlesadore.

Kims'arrêtadedébarrasserpourprendrequelquechosedanslapoche

desontablier.

—Tiens,c'estpourtoi.

Alyssacontemplalesbilletspliesdanssamain.

—Non,c'estàtoi.

Luisaisissantlamain,Kiminsista.

—Commejetel'aidit,tum'asbienaidée.Tuasservilesverres,pris

lescommandesetdébarrassé.Ilestnormalquetuaiestapart.Etpuis,

quandoncommenceunnouveauboulot,ilfautattendreunmoment

avantderecevoirsapaye,alorssiçapeutl'aideràtenir,insistaKimavec

unclind'œil.

Alyssacillapourchasserleslarmesquiluimontaientauxyeux.Elle

étaitsidéréeparlagentillessedeKim.N'était-cepaslapreuvequeles

chosesfinissaienttoujourspars'arranger?Elleavaitdequoisepayer

l'hôtelpourcettenuit,etdansunesemaine,ellerecevraitsonpremier

salaire.

—Merci,déclara-t-elle.

—Derien.

Ilrestaitunebonneheurederangementavantdepouvoirpartir,mais

enapprenantqu'elleétaitlàdepuislematin,Kimdécrétaqu'ellen'avait

plusbesoind'elle.Alyssasedirigeaalorsverslesvestiaires,véritable

petitsalonoùchaqueemployédisposaitd'uncasierindividuel.Marcolui

avaitpasséuncadenas,cedontelleluiétaitreconnaissante,carsefaire

volerlepeud'argentdontelledisposaitauraitétéunecatastrophe.

Surlabasedesapartdepourboires-quarantedollars,unefortune!-

ellecalculacombienellegagneraitenplusparjour.Manifestement,sa

situationn'allaitpastarderàs'arranger.D'autantqu'elleauraitbientôt

sesproprestablesetdisposeraitdelatotalitédespourboires.

Àcetteidée,ellesautilladebonheurdevantsoncasier.

Avantdesentiruneprésencedanssondos.Pourvuquecenesoitpas

Marco!Accotéauchambranledelaporte,illacontemplaitavecune

expressionquiluicoupalesouffle.

—C'étaitunepetitedansedejoie?

Sansrépondre,ellerangeal'argentdanssonportefeuille.

—Peut-être.

—Enquelhonneur?demanda-t-ilensedirigeantverssonpropre

casier,àmoinsd'unmètredusien.

Lescicatricessursonbrasétaientimpressionnantes,remarqua-t-elle

tandisqu'ilouvraitsoncadenas.Elleremercialecielqu'ils'ensoittiré

sansgrosdommages,maisl'idéequ'ileûtétéblessélarendaitfolle.

—Quelqu'uns'estmontrégénéreuxavecmoi,c'esttout.Çamefait

plaisir.

Marcoluifitface,uneépauleappuyéecontresoncasier.

—Iln'enfautpasbeaucoup,pasvrai?Jeveuxdire,pourtefaire

plaisir.

Iltenditlebras,commes'ilvoulaitluireplacerunemèchederrière

l'oreille,puislelaissaretomber.

—Iln'enajamaisfallubeaucoup,ajouta-t-ild'untonpensif.

D'avoirsimplementcruqu'ilallaitlatoucherfits'accélérerles

battementsdesoncœur.Elleétouffaunsoupirdefrustrationtantelle

avaitenviedesentirsesdoigtseffleurersapeauetdevoirdisparaître

cetteexpressiontristeetdistantedesonvisage.Elledutfaireappelà

toutesavolontépournepassejeterdanssesbrasetl'embrassercomme

danssesrêveslesplusfous.Ils'éclaircitlagorge.

—Alors...lajournéeaétébonne?

—Top!

Elleavaitdumalàrespirernormalement.Commentlasimpleidée

qu'illatouchepouvait-ellelamettredanscetétat?Ellesetournade

nouveauverssoncasier,pritsonsacàmainets'affairasurlecadenas.

Elleleluitendit.

—Tiens,tupeuxlereprendre.J'enachèteraiundemain.

—Garde-le,jen'enaipasbesoin,répondit-ilenjetantuneliassede

papiersdanssoncasieravantdelerefermer.Jeteraccompagneàta

voiture.

—Avecplaisir.

Ilstraversèrentlevestiairedésert.

—Oùest-cequetuloges?

—J'airéservéunechambre.

—Dansunhôtel?s'étonna-t-il,lessourcilsfroncés.

Enpassantdevantlescuisines,AlyssasaluadelamainVanetÉric.

—Vanabeaucoupd'humour,tunetrouvespas?

LestraitsdeMarcos'assombrirentunpeuplus.

—Mouais,acquiesça-t-ilàcontrecœur.

Alyssasentituneboufféedetristessel'envahir.Pourquoisemblait-il

aussimalàl'aiseavecelle?Commeilsatteignaientl'unedesportes

donnantsurl'extérieur,elles'arrêtasoudainement.

—Attends.Jemesuisgaréedel'autrecôté,jedoisretraversertoutle

restaurant.Excuse-moi,jen'aipasfaitattention.

—Jepeuxt'yconduireenvoiture.

—Non,c'estidiot.

Illadévisageaunlongmoment,commes'ilhésitait,puissourit.

L'espaced'uneseconde,elleeutl'impressionderetrouverleMarco

d'avant,celuiauquelelleétaitincapablederefuserquoiquecesoit.

—Sûrement,maisjecroisqu'ondisaitquec'étaitbondesavoirêtre

idiotdetempsentemps,non?

Àcesmots,ellesesentitfondre.Cettefois,c'étaitbienMarco.Son

Marco.Combiendefoisavait-ilfaitdeschosesstupides,commeraconter

desblaguessansqueuenitête,organiserunconcoursdegrimacesou

joueruntouràBradydansleseulbutdeluiremonterlemoralquand

elleetsonfrèreseréfugiaientchezluipouréchapperàl'unedescrisesde

ragedeleurpère?

—Tuasraison.

—Toutçaparaîttellementloin,fit-ilremarquerd'unevoixéteinte.

Soudain,unechapeinvisibles'abattitsureux.Sanscomprendre

pourquoi,Alyssaeutenviedeleserrerdanssesbras.

—Etàlafoissiproche...,ajouta-t-elle.

Marconeréponditpas.Leregarddistant,ilfixaitunpointaufonddu

couloir,commes'ildistinguaitquelquechoseau-delàdumur.Ilarborait

uneminesombreetsemblaitporterlepoidsdumondesursesépaules.

Lagorgenouée,Alyssasentitunetristesseinexplicablel'envahir.Avant

mêmedeserendrecomptedesongeste,ellel'avaitenlacéetappuyaitsa

têtecontresontorsemusclé.Lespaupièrescloses,elleluttapourretenir

leslarmesincongruesquiperlaientàsespaupières.

Ilrefermalentementlesbrasautourd'elle.

—Quet'arrive-t-il,Aly-jolie?demanda-t-il.

—Tum'asmanqué!

Dieu,commeilsentaitbon!Quen'aurait-ellepasdonnépourpouvoir

s'enivrerdeceparfumcitronné,glisserlesmainssoussachemiseet

pressersajoue,seslèvres,sursapeau?Àcettesimpleidée,ellefutprise

devertige.

—Toiaussi,assura-t-ilenluitapotantgentimentledos,commepour

marquerlafindecetteétreinteamicale.

S'arrachantàsavainerêverie,Alyssaseredressaetreculad'unpas.

Leursregardssecroisèrent.CeluideMarco,d'unbleutrèsclair,

étincelaitdanssonvisagehâlé.Surpriseparsonintensité,ellecilla.

Quandellerouvritlespaupières,laflammequiybrillaits'étaitéteinte.

Tirailléeentrelacertituded'avoirlududésirdanssesprunellesetla

craintedeseraconterdeshistoires,ellesecoualatêtepourrecouvrerses

esprits.

—C'estbête,hein?commenta-t-elleavecunhaussementd'épaules.

Allez,jetesuis...

Ilssortirentsurleparkingréservéaupersonnel.Dehors,la

températureétaittoujoursétouffantemalgrél'heuretardive.Marcolui

indiqualaroutecontournantl'établissementquiluipermettraitdese

garerlà,lelendemain.Soudain,elletressaillit.

—Tul'astoujours!s'exclama-t-elle.Elleledépassaetfilaversle

véhicule.

—Tuvasmelaisserlaconduiremaintenant,pasvrai?

L'ombred'unsourireapparutsurleslèvresdeMarco.Iljetalacléen

l'airetlarattrapa.

—Tuconnaisdéjàlaréponse.

—Oh,arrête!Jenesuisplusunegamine.Jen'aipaseuunseul

accrochagedepuisquej'aimonpermis.Mêmepasuneamende.

EllesautillaautourdelaMustangnoiremodèle1967queMarcoavait

héritéedesongrand-père,puissepenchapourposerlajouesurlepare-

brise.

—Salut,Betty,roucoula-t-elle,assailliepardesmilliersdesouvenirs.

CombiendebonsmomentsMarco,Bradyetelleavaient-ilspassés

danscettevoiture?

—Commentvas-tu,vieilledemoiselle?Derrièreelle,Marcoémitun

petittoussotement.

—Benquoi?demanda-t-elleenseredressant.Iln'yapasquetoiqui

m'asmanqué!

—Jevoisça,déclara-t-ilenouvrantlaportière.Etjetrouveçatrès

bien.Sitoietmoiavonstoujoursétésibonsamis,c'estenpartieparce

quetusaisapprécierBetty.

—Ilfaudraitêtreaveuglepournepasl'apprécier.Eln'avoiraucun

sensduconfort,ajouta-t-elleenretrouvantavecdélicelasensation

moelleusedessiègessoussesfesses.

UnpetitricanementamusérésonnaàsesoreillesquandMarco

refermalaportière.Legrand-pèredeMarcopassaituntempsfouà

bichonnersavoiture,etmanifestementsonpetit-filsmettaitunpoint

d'honneuràlagarderdanslemêmeétat.Quellemerveille!L'habitacle

avaitlamêmeodeurdecuirpatinéquedanssonsouvenir.

Marcos'installaauvolantettournalaclédecontact.LaMustang

démarradansunvrombissementsourd.

Était-ilaussicraquantautrefoislorsqu'ilconduisait?s'interrogea-t-

elleencontemplantsonprofilàlamâchoireferme,sacarrure

impressionnanteetseslongsdoigts.

Ilneleurfallutquequelquessecondespourrejoindreleparking

réservéauxvisiteurs,maisAlyssaseréjouittoutdemêmedecebref

momentpasséprèsdelui.Marcos'arrêtaprèsdesavieilleCorolla,qui

luiparutencoreplusmisérableàcôtédeBetty.

—Merci,dit-elleenprenantsonsacpourdescendre.

Illuisaisitlebras.

—Tusaisvraimentoùaller?Pascheztonpère,j'espère?

Ellesentitunebouleseformerdanssonestomacàcetteidée.

—MonDieu,non!Net'inquiètepas,j'aiunendroitoùdormir.

Dumoinsenaurait-elleunaprèsavoirpayésanuitd'hôtel.

—Unlieusûr?insista-t-il.Jeneveuxpasquetu...enfin,tume

comprends,soupira-t-ilenfronçantlessourcils.Jetiensjusteà

m'assurerquetoutestOK.

Alyssaledévisagea,intriguée.Pourquoisemblait-ilencolère,toutà

coup?Ellenotaégalementqu'endépitdesoninquiétude,ilneluiavait

pasproposédevenirchezlui.Cequilarenditencoreplus

reconnaissanteenversKim,grâceàquiellepourraitsepayerune

chambrepourcettenuit.Voirepourlasuivante,sielledénichaitunhôtel

bonmarché.

S'efforçantdeprendreuntoninsouciant,elledéclara:

—C'estjusteletempsdetrouverunappartement.J'aiunpeud'argent.

Inutiledepréciserqu'elleenavaittrèspeu.Ilplissalesyeux.

—D'accord.Onsevoitdemain.

—Oui.Bonnenuit.

AlyssasortitetsaluaMarcodelamainavantdemonterdanssa

Corolla.Commeilattendait,elleluifitsignedepartir,maisilnebougea

pas.Alors,elledémarra,ets'engageadevantluisurlaroute40avantde

tournerdansl'alléed'unhôtelauhasard.Lacroyantarrivéeà

destination,Marcolasaluad'unpetitcoupdeklaxonetpoursuivitson

chemin.

Ellen'avaitpaslesmoyensdes'offrirunenuitdanscetétablissement,

maisMarcon'avaitpasbesoindelesavoir.Dèsqu'ileutdisparu,ellefit

demi-tourpourrejoindrelarouteprincipale.

Chaquenouvelarrêtladéprimaitunpeuplus.Autroisièmehôtel,elle

jetauncoupd'œilinquietàsonréservoiràdemivideetcompritqu'elle

nepourraitpasréserverlachambreplusd'unenuit.Cequiétaitdéjà

bien.Ilseraittoujourstempsdetrouverunesolutiondemain.Son

enfanceneluiavait-ellepasenseignélarésilience?D'ailleurs,dansune

semaine,ellerecevraitsapayeetseraitenmesuredetrouveruntoit

pourdebon.Ellen'avaitplusquequelquesjoursàteniravantquesa

situations'améliore.

Elleseretrouvafinalementdansunechambremaléclairéeàla

décorationhideuse,maispropreetclimatisée,cequi,pourl'instant,lui

suffisait.

L'explosionluivrillalestympans,puislemondevacillaetpartiten

toussens.

—Non,non,non!

Marcoseredressadanssonlit,ramenébrusquementàlaconscience

parsavoixpaniquéeetl'horriblepressentimentd'unecatastrophe

imminente.Lenezsaturéparl'odeuracredelachaircalcinée,ilretomba

surlesoreillers,trempédesueur.Chaquefoutuenuit,c'étaitlamême

chose.

Seigneur!

Iln'auraitsudirecequiétaitlepire:saréactionaussiintenseque

déplacéeàl'imaged'AlyssapenchéesurlecapotdeBettyquil'avait

hantélamoitiédelanuitoul'épouvantablecauchemarquileterrassait

dèsqu'ilparvenaitàs'endormir.L'uneetl'autreavaienttransformésa

nuitenunvéritablechampdebataille,dontilémergeaitàboutde

forces.

Maissurlapremièrecausedesontrouble,aumoins,ilpouvaitagir.

Alyssaétaitlapetitesœurdesonmeilleurami;cedétailseuldevaitlui

permettrededomptersesinstincts.Surquoiexactementfantasmait-il,

d'ailleurs?

Refusantderépondreàcettequestion,ilsortitdulitetseprépara

pourallercouriravantdeprendresonserviceaubar.Depuisson

rétablissement,lesportreprésentaitl'undesmoyenslesplusefficaces

pourl'aideràgarderl'espritclair,etl'unedesraresactivitésquilui

permettaitderenoueravecleMarcod'avant.Rienneluifaisaitautantde

bienquedecourirunedizainedekilomètres.Enparticulier,unjour

commeaujourd'hui,oùlesoleiléclatantpouvaitluifaireespérerune

brèveéclairciedanssonhumeurmaussade.

Cequin'étaitpasgagné,surtoutaveclahontequ'iléprouvaitau

souvenirdesoncomportementdelaveille,avecAlyssa.Ils'étaitsenti

tellementidiotdanslavoiture,incapabledes'empêcherdes'occuperde

savieprivéeenlaquestionnantsurl'endroitoùellecomptaitpasserla

nuit.Ilnesavaitpascequ'ildevaitsouhaiter:qu'ellen'aitrienremarqué

ou,aucontraire,qu'elles'ensoitaperçueetaitprisladécisiondel'éviter.

Lamoiteurdel'airl'enveloppadèsqu'ilsortit.Plongédansses

sombrespensées,ilsemitàcourir,aveugleàtoutcequil'entourait.Ces

fichuscauchemarsressemblaientàunpuzzleinsoluble,pleindetrouset

depiècesmanquantes-àl'imagedesamémoire.Ilserappelaitassezde

chosesnéanmoinspoursavoirqu'uneerreurdejugementdesapartétait

responsabledelafindesacarrièreetdelamortdetroisbravestypes.

Peut-êtresonesprittorturéprofitait-ildelanuitpourluirappelerles

détailsdelacatastrophe,oupeut-êtrepas...Quoiqu'ilensoit,il

émergeaittoujoursdesesrêveshurlantetleregardhalluciné,enproieà

unsentimentd'échecsiprofondqu'illuicoupaitlesouffle.

Sespenséess'orientèrentverssonunité,leshommesaucôtédesquels

ilavaitvécuets'étaitbattupendantquatreans.Deshommesvaleureux,

exceptionnels,àquil'onpouvaitconfiersavieensachantqu'ils

n'hésiteraientpasàsacrifierlaleurpourlasauver.Deshommesqui

oubliaientdemanger,dedormiretavaientlaisséleurfamillederrière

euxpourqued'autrespuissentavoirdroitàuneexistencedigne.Des

hommesprêtsàdéfendrelalibertéetcombattrel'oppressionpartousles

moyensnécessaires.Ilavaitétél'und'entreeux.

Etnel'étaitplus.

Enpassantdevantlelycée,ilserappelaladernièrefoisqu'ilyétait

entré.C'étaitlejouroùAlyssas'étaitvuremettresondiplômedefin

d'études.Bonsang,cequ'ilétaitfierd'elle!Illuiavaitoffertunoursen

pelucheetdesbouclesd'oreillesornéesd'unpetitdiamant,etelleavait

sautédejoiecommesiellen'avaitjamaisreçudeplusbeaucadeauau

monde.Lesoir,quandBradyluiavaitdonnélavieillevoiturequ'ilavait

achetéepourelle,elleavaitprislevolantavecl'oursenpelucheassissur

lesiègepassager.L'avait-elleconservé?Entoutcas,elleavaittoujours

lesbouclesd'oreillespuisqu'ellelesportaithierauWhiskey's.Cedétail

l'avaittouchébeaucoupplusqu'ilnel'auraitsouhaité.

Quaranteminutesplustard,ilregagnaitlapetitemaisonqu'illouait.Il

auraitpul'acheter,oumêmeenacquériruneplusgrande,maiscelane

l'intéressaitpas.Ilnevoulaitplusriendepermanentdanssavie.Courbé

endeux,lesmainsappuyéessurlesgenoux,ilregardadeuxgouttesde

transpirations'écrasersurletrottoir.

Désirercequ'ilnepourraitjamaisêtreouavoirétaitinutile.Pourne

pasdirepathétique.Or,AlyssaScottfaisaitpartiedeceschoses

inaccessibles.Dommagequesoncorpssoitincapabledefairela

différenceentreunefemmeàsaportéeetuneàlaquelleiln'avaitmême

pasledroitderêver.

Ilpoussalaporte.Sapeauchaufféeparlesoleilfrissonnadansl'air

climatisé.Ilsortitunebouteilled'eauduréfrigérateuretlavidad'unseul

trait,avantdefilersousladouche.

Sesmusclessedétendirentpeuàpeusouslejetbrûlant,maisson

espritdemeuraitfixésurAlyssa.Aveclesgarsdesonunité,ellefaisait

partiedesgensquicomptaientlepluspourlui.Commentaurait-ilpu

oubliertoutescesannéesoùilavaitprissoind'elleetl'avaitprotégée?

Elleétaittellementadorable!Etl'unedesesplusgrandesfans,se

rappela-t-il.Prêteàlesoutenirsurlesterrainsdebaseballcommedans

sesépreuvesd'admissiondanslesforcesspéciales.Sansoublierles

lettresetlespaquetsqu'elleluienvoyaitpendantqu'ilétaitenmission.

Àsafaçon,Alyssaavaittoujoursétélàpourlui.

Elleseraitdéçuelejouroùelledécouvriraitcequ'ilétaitdevenu.Ou

plutôt,n'étaitpasdevenu.

Ilferaitdoncsonpossiblepourquecelan'arrivepas.

Ilveilleraitsurelle-enespérantqu'ilétaitencorecapabledeprotéger

quelqu'un-toutenveillantàgardersesdistances.

Parquelleironiedusortavait-elleatterriauWhiskey's?Ilexistaitdes

centainesd'autresétablissementsoùelleauraitputrouverdutravail

danslarégion.Et,commesilesclientséméchésnesuffisaientpas,il

seraitégalementobligédegarderunœilsurlesemployésqui,d'aprèsce

qu'ilavaitvuhieraudéjeuner,n'étaientpasinsensiblesàsoncharme.Le

pire,c'estqu'ellenes'étaitmêmepasrenducomptedel'effetqu'elle

produisaitsureux.

SerappelerdereprocheràBradydel'avoirlaisséeprendrecejob,

nota-t-ildansuncoindesatête.

Bon,illasurveilleraitdiscrètement,décréta-t-il.Soncorps,safiertéet

sonestimedesoiavaientdéjàprisassezdecoupssansquesoncœurse

mettedelapartie.

Bonsang,qu'est-cequesoncœurvenaitfairedanscettehistoire?

D'accord,ilavaitunpassécommunavecAlyssaetl'aimaitdepuis

toujours,maisils'agissaitdelapetitesœurdesonmeilleurami.Une

fillequiavaitgrandiàsescôtés,ouentoutcas,avaitpassébeaucoupde

tempsaveclui.Pasuneinconnueàquiilpouvaitsepermettred'imposer

leratéqu'ilétaitdevenu.

S'ilblessaitAlyssa,Bradyneleluipardonneraitjamais.Luinonplus

neselepardonneraitpas.

Marcosortitdeladoucheetenfilaunjeanetuntee-shirten

réfléchissantàsonplan.Finieslespetitesdiscussionsamicales,décida-t-

il.PlusdeviréesavecBettynid'embrassades.C'étaitaussisimplequeça.

Aprèstout,ilavaitétédanslesforcesspécialesaméricaines,pasvrai?

Unsoldat,duretopiniâtre.Paslegenreàselaisserimpressionnerpar

unefemme.

D'accord?D'accord.

Prêtpourserendreautravail,ildescenditaugarageetsedirigeavers

Betty,évitantderegarderlecapot.Rienqued'ypenser,ilsentitun

tiraillementauniveaudel'entrejambe.Maispeuimporte.Toutse

passeraitbien.Ilavaitunplan,ettoutcequ'ilavaitàfaire,c'étaitdele

suivreàlalettre.Çanedevraitpasêtresidifficile,non?

4QuandAlyssaarrivaauWhiskey's,elleétaitprêteàentreprendre

l'ascensiondumontEverest.L'hôtell'ayantautoriséeàresterau-delàde

midi,elleavaitlonguementprofitédelapiscineets'étaitmêmeoffertun

délicieuxbaindesoleilsuruntransatpendantunedemi-heure.

Qu'aurait-ellepudésirerdeplus?

QueChuckluiconfielaresponsabilitédeplusieurstables,peut-être.

Alors,elleauraitassezdepourboirespourdemeureràl'hôteljusqu'àce

qu'ellereçoivesonchèque.Maispourcela,elledevaitluiparler.

Ens'engageantsurleparkingréservéaupersonnelàl'arrièredu

bâtiment,ellecherchaBetty.LaMustangétaitlà,rutilanteetsublime,

prèsdelabarrièreoùMarcol'avaitgaréelaveille.Illalaisseraitla

conduire,mêmes'ill'ignoraitencore.Alyssasouritàcetteidée.

Lecœurjoyeux,ellepoussalaportedeservice,etfaillitheurterÉric

quisortaitaumêmeinstant,ungrossac-poubelledanschaquemain.

—Oh,pardon!

—Non,c'estmoi.Vas-y,l'invita-t-elleenluitenantlaportepourle

laisserpasser.

—Ilyenaquisesontfaitbronzer,lança-t-ilavecunclind'œil.

—Ilfaitsuperbeau.Ceseraitdommagedenepasenprofitertant

qu'onpeut,pasvrai?

—C'estsûr.

Éricjetalessacsdanslecontainer,frottasesmainsl'unecontrel'autre

etrevintverselle.

—Tuarrivestôt,fit-ilobserver.

—Oui.JevoulaisparleràChuckavantlecoupdefeu.

Commeilspénétraientàl'intérieur,Alyssafrissonnadanslafraîcheur

del'airclimatisé.

—Jecroisqu'ilestàsonbureau,réponditÉric.Ils'arrêtadevantla

portedelacuisine,puisenchaîna:

—Maissituasletemps,passemechercherdansenvironunedemi-

heure.Chuckm'ademandédetemontrercommentonpréparelascène

etleslogesdesmusiciens.Toutdoitêtreinstalléavantl'arrivéedu

groupe.

Alyssahochalatêteavecenthousiasme.Elleavaithâtededécouvrir

l'endroit.Laveille,legroupeétaitdéjàsurplaceaumomentoùChucklui

avaitfaitfaireletourdupropriétaire,etellen'avaitpaspuvoirlesalon

quileurservaitdeloges.

—Avecgrandplaisir.Merci,Éric.

—Pasdesouci,Scotty!répliqua-t-ilavecunnouveauclind'œil.

—Ohnon!soupiraAlyssa,nemedispasquetuesunfandeStar

Trek!TuvasmefairetoutelasériederépliquesautourdeScott,c'estça?

L'expressiond'Éricsefigea.Visiblement,ilsedemandaitsielle

plaisantaitous'ill'avaitcontrariée.Elleleconsidéraavecamusement.

Éricétaitcharmant.RienàvoiravecMarco,biensûr,maisilavaitun

sourireadorableetdelonguesjambesmusclées.

Etsatimiditémanifestenel'empêchaitpasd'avoirdel'humour.

Lâchantunriredevantsonairpaniqué,ellepoursuivitsaroutedansle

couloir.

—Qu'ontdonctouslesmecsavecStarTrek?lança-t-ellesansse

retourner.

—JamesT.Kirkestundieupournous!cria-t-ildanssondos.

—OK,j'aicompris.Promis,jeneparleraiàpersonnedugeekquiest

entoi,plaisanta-t-elleenluiadressantunsourirepar-dessussonépaule.

Elletournadanslecouloir,etpoussauncridesurpriseenseheurtant

àMarcoquiarrivaitensensinverse.Illaretintparlesépaulesetla

gardacontreluiletempsqu'elleretrouvesonéquilibre.Le«pardon»

qu'elles'apprêtaitàmurmurermourutsurseslèvresensentantson

odeurvirilel'envelopper.

Puisilrecula,brisantlecontact.

—Tuarrivestôt.

Elleneputs'empêcherdesourire.Ils'étaitpasséexactementlamême

choseavecÉric,saufquecedernieravaiteul'airbienplusheureuxdela

croiserqueMarco.Ellehaussalesépaules,luttantpournepasselaisser

déconcentrerparlavuedesontorsepuissantsoussontee-shirtnoir.

—Jepréfèreprendreletempsdemepréparer,expliqua-t-elle.

Leslèvrespincées,ill'examinadelatêteauxpieds.Aussitôt,ellesentit

soncœurs'emballer.

MonDieu,siunsimpleregard-quiplusest,accompagnéd'un

froncementdesourcils-luifaisaitunteleffet,qu'arriverait-ilsiMarcola

contemplaitavecdésirou...amour?Ellefrissonnaàcetteidée.

—Bon,ehbien...Jevaisallerposermesaffaires,annonça-t-elleen

passantdevantlui.

—C'estça,marmonna-t-ild'untonrevêche.Queluiarrivait-il?Elle

étaitpasséesursarudessehier,maisilétaithorsdequestionquecette

façond'êtredevienneunenouvellehabitudedansleursrapports.Ellese

tournaverslui.Commeilécarquillaitlesyeux,elleremarqualescernes

sombresquilessoulignaient.Quelquechoseclochait.Sérieusement.La

profondetristessequil'avaitsoudainsubmergétandisqu'ilssetenaient

l'unprèsdel'autre,laveille,luirevintenmémoire.

S'avançantverslui,elleplantasonregarddanslesien,puisposala

mainsursajoueetlacaressa.Ilparaissaitméfiant,sursesgardes.

—Çavabien?s'inquiéta-t-elle.

Sonregardplongeadanslesien,sidouloureux,siintense,qu'elledut

faireuneffortpournepassedétourner.

Luisaisissantlepoignet,Marcoôtasamain.Pendantunlong

moment,ildemeuraimmobile,uneexpressionindéchiffrablesurles

traits.

—Tusaisquetupeuxtoutmedire,luirappela-t-elle.

—Vraiment?répondit-ilenhaussantunsourcil.Ellehochalatête.

—Qu'est-cequitefaitcroirequetucomprendrais?

Alyssasentitsagorgesenouer.Ellen'auraitpassuexpliquer

pourquoi,maiselleavaitlanetteimpressionqu'ils'agissaitd'untest.

—Lefaitquejesoistonamie,affirma-t-elle.

Etquejet'aime,eut-elleenvied'ajouter.Seulel'intuitionqueceserait

uneerreurmonumentalel'enempêcha.

Vanapparutàl'angleducouloir.

—Salut!lança-t-ild'untonjoyeux.

Sonsourires'évanouitquandilavisalesdoigtsdeMarcoserrésautour

dupoignetd'Alyssa.

—Çava,Alyssa?

Àcesmots,Marcolalâcha,etelleréponditdutonleplusdégagé

possible:

—Trèsbien,pasdeproblème.

L'instantd'après,Marcotournaitl'angleducouloir,disparaissantde

leurvue.Unesecondeplustard,elleentenditlaportedel'entréedu

personnelclaquerviolemment.

Quevenait-ildesepasser?

Soudain,ellepritconscienceduregardinterrogateurdeVanposésur

elle.Elleluiadressaunsourireforcéetrepritsarouteverslesvestiaires.

Vanypénétrajustederrièreelle.

—Tuessûrequeçava?insista-t-ilensedirigeantverssoncasier.

Elleouvritlesienetrangeasonsac.

—Oui,jet'assure.

Vanenfilasontablierdecuisinier,qu'illaissaouvertsursontee-shirt

blanc,etglissaunemaindanssescheveuxblondscoupéscourt.

—Alyssa,jepeuxtedonnerunconseil?

Ellerefermasoncadenasenretenantsonsouffle.

—Situveux,dit-ellefinalementsansenthousiasme.

Vancroisalesbras.

—TudevraisteteniràdistancedeMarcoVieri.

—Pardon?

—Cetypeestunsauvage.Ilneparleàpersonneetsemetenboule

pourunrien.

Souslechoc,Alyssarestasansvoix.Jamaisonneluiavaitdressé

portraitpluserronédeMarco,mêmes'ilfallaitreconnaîtrequel'homme

qu'elleavaitretrouvéhierneressemblaitplusbeaucoupàsonami

d'autrefois.Lefrontplissé,elleouvritlabouchepourrépliquer,quand

Vanreprit:

—Écoute,c'esttavie,tufaiscequetuveux.Etpoursûr,cemecestun

vraihéros,ajouta-t-ild'untonplusconciliant,commes'ilregrettaitson

jugementprécédent.Mais,crois-moi,personnenerentredelaguerre

indemne.

Alyssasentitsagorgeseserrer.Soudain,lapièceluiparuttournoyer

autourd'elle.

—Tutetrompes,parvint-elleàrépliquer.Mais,ensonforintérieur,

ellen'enétaitplussisûre.

Vaneutunemouedubitative.

—Jenecroispas.

Illadévisagealonguementavantdereprendre:

—Excuse-moisijemesuismêlédecequinemeregardaitpas.

Ilrestaencoreunmomentàlafixer,puissortitdelapièce.

Alyssaselaissatombersurl'horriblecanapébleuplacécontrelemur,

latêteentrelesmains.Quesepassait-il,avecMarco?Elleseremémora

leursconversationstenduesetforcées,lescernesnoirssoussesyeux,sa

colèreàfleurdepeau...Sonpremierréflexefutd'appelerBrady.Cequi

étaitimpossible,biensûr.MaisaprèstoutcequeMarcoavaitfaitpour

eux,l'idéequ'ilpuisseallermalouavoirdesproblèmesluiétait

insupportable.Elleauraitvoulul'aider,leréconforter,justeêtrelàpour

lui.

—Ah,tevoilà!s'exclamaunevoixsurleseuil.Ellelevalatêteet

découvritÉricquiluisouriait.

—Tuesprêteàm'aider?

Lademi-heureétaitdéjàécoulée,etilétaittroptardpourallervoir

Chuck.Tantpis,elleessaieraitdeluiparlerunpeuplustard.En

attendant,s'activerluipermettraitdeseremettrelesidéesenplaceetde

trouverunesolution.

—Euh,pasdeproblème,assura-t-elleenselevant.

—Tuaspenséàpointer?

—Oh,zut!

Ellesetournaverslatabledisposéeprèsdelaporte,oùtrônaitune

antiquepointeuse.

—Chuckn'avaitpasdecarteàmedonnerhier,expliqua-t-elle.

Maisaujourd'hui,ilyenavaituneàsonnom.Ellelaretiradeson

support.C'étaitlapremièrefoisqu'elleseservaitd'unemachineà

pointeraussiancienne.

—Commeça?demanda-t-elleenplaçantsacarteau-dessusdela

fente.

—Jevaistemontrer.

Éricluipritlacarte,frôlantsesdoigtsaupassage.Alyssaseraidit.Éric

étaitséduisant.Gentiletsanscomplication.Malgrétout,ilnel'attirait

pasetsoncontactlalaissaitdemarbre.Rienàvoiraveclatempêteque

déclenchaitenellelasimpleproximitédeMarco.

—Tourne-ladanscesens,expliquaÉricenluirendantlacarte.

Ellesuivitsesinstructions;lapointeuseémitunclaquementsonore.

—Merci.

—Derien.Viens.

Ériclaprécédadanslecouloir,poussantunchariotàtroisroues.Tout

enlesuivant,AlyssarepensaauxparolesdeVan.Elleavaittoujours

estiméqueMarcoresteraittoujoursMarco,quoiqu'ilarrive.Jamaiselle

n'avaitprisletempsdepenseràtouteslesépreuvesqu'ilavaitpu

traverser,réalisa-t-elleavecunepointedeculpabilité.

AllongeantlepaspourrattraperÉric,ellesepromitdesemontrerplus

attentiveauxémotionsdeMarco.Elleétaitàpeuprèscertainequ'ilétait

surlepointdeluiconfierquelquechoseaumomentoùVanlesavait

interrompus.Peut-êtreaurait-ellel'occasiondes'isoleravecluiunpeu

plustardpourpoursuivrecetteconversation.

Auboutducouloirsetrouvaituneporteàdoublebattantsurlaquelle

unpanneauindiquait:«Spectacle-Silence».Ériclapoussa,pénétrant

danslalogequis'allumaautomatiquement.

—Ouah,joli!s'exclamaAlyssa.

Àpeuprèsdeuxfoisplusvastequelebar,l'endroitétaitégalement

mieuxdécoré,avecunegrandetablebassecarréeautourdelaquelle

étaientdisposésdeuxgrandscanapésconfortables,plusieurscoiffeuses

surmontéesdemiroirsetunelonguetableentouréedechaises.Unpetit

baréquipéd'unréfrigérateuravaitétéaménagédansuncoin.

—Oui,c'estpasmal,admitÉricenallumantlechauffe-plats.

—Qu'ya-t-ilparlà?interrogea-t-elleendésignantuncouloir.

—Lesdressingsetlessallesdebains.Tupeuxallervoir,situveux.

Commedanslapièceprincipale,lalumièrejaillitdèsqu'elles'avança

danslecorridor.Elletrouvadeuxsallesdebainsavecdouche,baignoire

etdespilesdeserviettesmoelleuses,etdeuxdressingsimmenses

meublésdeplusieurstablesdetoiletteetdesofassemblablesàceuxdu

salon.L'ensembleétaitbienmieuxéquipéquel'hôteloùelleétait

descendue,songea-t-elleavecunpetitpincementaucœur.

Quandellelerejoignit,Éricétaitentraindeplacerdesbouteillesd'eau

etdesodadansleréfrigérateur.Illuisourit.

—Onpourraitpresqueyvivre,pasvrai?Ellebalayalasalleduregard.

—Sansproblème.Alors,qu'est-cequejefais?

—Commençonsparlesplats,proposa-t-il.

Ilsortitduchariotdegrandsplateauxcouvertsd'amuse-gueules,de

côtesdeporcetdecuissesdepouletgrilléesqu'ilposasurlechauffe-

plat.Pendantcetemps,Alyssadisposalessaladessurlatableainsi

qu'unepiled'assiettesetdescouverts.

Lorsqu'ilseurentterminé,Éricprituneliassedefeuilles.

—Chuckm'aditquetuétaissurtoutintéresséeparlecôté

organisationdespectacles,alorsviensvoir.

Alyssacontournalatablepourlerejoindreetjetauncoupd'œilsurles

papiersqu'iltenaitàlamain.Descasesàcocherprécédaientles

différentspointsd'unelongueliste.

—Chucktientàcequelesgroupessoientauxpetitsoignons,expliqua

Éric.Touteslesdemandesparticulièresqu'ilsnousontadresséessont

reportéessurceltefeuille.Onvérifietoujoursunedeuxièmefoisavant

leurarrivéequerienn'aétéoublié.Parfois,ilsréclamentdestrucs

complètementidiots.CommeAlyssas'esclaffait,ilgrimaça.

—Excuse-moi.

—Yapasdemal,lerassura-t-elle.Tusais,monfrèreestdansl'armée,

alorsj'aientendubienpire.

—Vraiment?Tuveuxdirequ'ilsebat?

—Oui,enAfghanistan,jecrois.Maiscommeilfaitpartiedesforces

spéciales,jenesaisjamaisprécisément.

Érics'arrêtaaumilieudesaliste.

—Disdonc,Vieriétaitpasdanslesforcesspéciales,luiaussi?

—C'estexact.Monfrèreetluiétaientdanslamêmeunité.

—Tuveuxdirequetuleconnaissaisavantdevenirici?interrogea-t-il

enplissantlesyeux.

—Marco?Biensûr!Onseconnaîtdepuisl'enfance.

Acettenouvelle,Éricémitunesortedegrognement,avantde

rassemblertoutcequitraînaitsurlatable.

—C'estbon,décréta-t-ilenseredressant.Legroupearrivedans

quelquesminutes,ilesttempsdepartirpourleslaissertranquilles.Tu

asdesquestions?

Génial!songea-t-elleensonforintérieur.D'abord,l'avertissementde

Van,et,maintenant,cettegêneincompréhensibled'Éric...Qu'avaitdonc

faitMarcopourquesescollèguesaientunesimauvaiseopiniondelui?

Sepouvait-ilqu'ilsaientraison?s'interrogea-t-elleavecanxiété.Que

Marconesoitplusl'hommequ'elleavaitconnuautrefois?Àcette

idée,elleressentitungrandvideaucreuxdelapoitrine.

Gardantsesquestionspourelle,elleemboîtalepasàÉricen

demandant:

—Quiest-cequis'occupedunettoyageaprèsleconcert?

—Celuiquitirelemauvaisnuméro,répondit-ilavecunhaussement

d'épaules.

—Tuplaisantes?

—Oui.N'empêchequevul'étatdanslequellesgroupesonttendanceà

laisserleslieux,personnenesebatpouravoirleboulot.Ducoup,Chuck

donneunbonusàceuxquiseproposent.

—Jepourrailefairedetempsentemps?Éricfronçalessourcils.

—Pourquoi?

—Jeprévoisdelouerunappartement.Unpeud'argent

supplémentaireneseraitpasderefus.

—Danscecas,j'imaginequeoui.Tun'asqu'àdireàChuckqueça

t'intéresse.

Àcesmots,ellerepensaàcequ'ellevoulaitdemanderauresponsable.

—Jen'ymanqueraipas.Merci,Éric.Tuasencorebesoindemoi?

Illuisouritd'unairgêné.

—Paspourl'instant.Àplus.

Lesaluantd'unpetitgestedelamain,Alyssasemitenquêtede

Chuck.

Derrièrelebar,Marcosesentaitemprisonnécommeunlionencage.

Ilallaitetvenait,prenaitlescommandesetservaitlesclientssans

décrocherunmot.Ilavaitbeaus'enrendrecompte,joueraubarman

affableetpoliétaitau-dessusdesesforces.

Depuisqu'Alyssal'avaitcoincédanslecouloir,implorédesonbeau

regardbrun,etluiavaitcaressélajoue,ilavaitl'impressiond'êtreànu,

vulnérable.Commesisapeaunesuffisaitplusàprotégersesentrailles.

Bonsang!Ilpréféraitnepaspenseràcequ'ilauraitdit,àcequ'Alyssa

auraitobtenudeluiparladouceuretl'intensitédesaprésencesiVanne

lesavaitpasinterrompus.

—Vousdésirez?demanda-t-ilàunefemmequivenaitdesefrayerun

cheminjusqu'aubar.

Elleluiadressaunsourireravageurenbattantdescils.

—Deuxcoronasavecrondelle,s'ilvousplaît.Faisantminedenepas

avoirremarquésontonaguicheuretsondécolletéprofond,Marcose

penchapourprendrelesbouteillessouslebar.Sansleverlesyeux,illes

décapsula,mitunerondelledecitronsurlegoulotetlesplaçadevantla

jeunefemmeavantdesetournerversleclientsuivant.

Toutens'affairantàsatâche,iljetaunrapidecoupd'œilauboutdu

bar,làoùlesserveusesvenaientchercherlescommandes.Unplateauà

lamain,Alyssaattendait.Dèsqu'ellecroisasonregard,elleluiadressa

unsourireremplid'espoirquilefitfrémir.Qu'espérait-elleexactement?

Jesuistonamie,avait-elleaffirmétoutàl'heuredanslecouloir.Maisla

manièredontellelefixaitsemblaitdireautrechose.

Ilempochal'argentqueluitendaitsonclientetsetournaverselle.

—Qu'est-cequetuveux?

—DeuxverresdechardonnayetunSamAdams,répondit-elle,

manifestementrefroidieparsonton.

Illuitournaledospourservirlesverres.Puisillesposasurleplateau

encontinuantd'évitersonregard.

—Merci.Cegroupejouesuperbien,tunetrouvespas?

Ilsentaitsesyeuxposéssurlui,sonattente.Maisilaffectaden'avoir

rienremarqué.

—Jen'aipasfaitattention.

Iln'avaitpasbesoindelavoirpourpercevoirsadéception.Ilsefaisait

vraimentl'effetd'unsalecon,d'autantquelamusiqueavaittoujoursété

unedeleurspassionscommunes.Maisilnepouvaitpasserésoudreà

croisersonexpressionempreinted'inquiétudeetd'affection.Aprèsce

quis'étaitpassétoutàl'heure,danslecouloir,ilavaitcomprisques'il

voulaitgardersesdistances,ilnepouvaitpassepermettrelemoindre

écart-aussitendue,étrangeetinterminablecettesoiréesoit-elle.

Carilenavaiteuenvie.Ilavaitvraimentressentiledésirdeseconfier

àelleetdeluiraconterlecauchemarqu'ilavaittraversé.Ilyavaittantde

compréhensiondansleregardd'Alyssa!Maisjustement,iln'avaitpasle

droitdes'yabandonner.Ladernièrechosedontelleavaitbesoinàce

momentdesavie,c'étaitdes'encombrerd'unfardeautelquelui!

Etencore,ilnetenaitpascomptedelaréactiondeBrady.S'ilavaitle

malheurdesortiravecAlyssadansl'étatdedélabrementpsychiqueoùil

setrouvait,sonamineluipardonneraitjamais.

Quandilrelevalatête,Alyssaavaitdisparu.

—Marco!appelaunevoix.

IlsetournaversKim,quiattendaitavecsonplateauenpianotantsur

lebaraurythmedelamusique.Elleluitransmitsacommandeet

s'éloignad'unpasrapideverslestoilettesréservéesaupersonnelen

lançant:

—Jerevienstoutdesuite!

MaisaprèsqueMarcoeutposélesverressurleplateauetsefut

occupédedeuxclients,ellen'étaittoujourspasderetour.Iljetauncoup

d'œilàl'entourpours'assurerquelesclientsdubarétaienttousservis,

regardalenuméroinscritsurleticketdeKimetsoulevaleplateaupour

leporterlui-mêmeàlatable.

Malgrélui,sesyeuxscrutèrentlasalleetseposèrentsurAlyssa,deux

rangéesplusloin.Elleétaitpenchéeau-dessusd'unetable,lebrasd'un

clientautourdesépaules.D'unmouvementfluide,elles'échappa,maisle

typelaretintparlamain.LesangdeMarconefitqu'untour.Toutense

libérant,Alyssaadressaunsourirepolimaiscrispéaumalotru.

Marcotressaillitensentantquelqu'unluitoucherl'avant-bras.

—Merci,ditKimenluiprenantleplateaudesmains.

Mêmes'illuiparlaitpeu,MarcoappréciaitKim.Ellefaisaitbienson

boulot,restaittoujoursàl'écartdesragotsetdeshistoires,etsemontrait

toujoursgentilleetarrangeante.

—C'estcommeçadepuisledébutdelasoirée?demanda-t-il.

Ellesuivitsonregard.

—Ellesedébrouillebien.Ellegèretoutcommeunevraiepro.Jegarde

unœilsurelle,detoutefaçon.

Marcoseforçaàsedétournerdutypequicontinuaitàimportuner

Alyssa.Lagorgenouée,ilhochalatête.

—Vas-yavantqu'ilyaituneémeuteaubar,luiconseillaKim.

—OK.

Ilregagnasonposte,enproieàuneragemeurtrièrequiluivrillaitle

crâneàchaquefoisqu'ilrevoyaitl'hommeentraindetripoterAlyssa.

Or,l'imageluirevintsouvent.Àchaquefoisqu'Alyssaapportaitou

venaitchercherunecommandeaubar,ilsentaitsonpoulss'emballer.Il

dutfaireappelàtoutesavolontépournepasprovoquerdescèneet

flanquercesaletypedehors.Sanscompterque,maintenant,ilne

pouvaitplusnepaslaregarder,carilvoulaits'assurerquetoutallait

bienpourelle.Impossible,donc,d'éviterlavuedesonbeausourire,de

lapeaulaiteusedesagorgeetdurenflementdesesseinssoussontee-

shirtdecotonblanc.Tirailléentresafureuretsondésir,ilfitunénorme

effortpournepaslasouleversursonépauleetl'emporterloin,àl'abride

toutescesmainsbaladeusesetcesregardslibidineux.Cars'illefaisait,il

nelalâcheraitplus.

Faceàlafolieduservicedusoir,Alyssacompritmieuxpourquoi

Chucktenaittantàcequ'elletravailletroisfoisenbinômeavantdelui

confierlaresponsabilitédesesproprestables.Lasalleétaitbondée,etla

musique,sifortequ'elleétaitobligéedesepenchertoutprèsdesclients

pourlesentendre.Lescommandessesuccédaientsansleurlaisserun

instantpoursouffler,àtelpointqueKimdutluiconfierunetabléede

dixpersonnes.

Alyssafaisaitd'incessantsallersetretoursaubar,oùMarco

remplissaitsonplateauenluijetantdesregardsacérésqui,endépitde

leurévidentehostilité,lafaisaientfrémirdedésir.Àunmoment,ilôtasi

brutalementl'excédentdemoussesurunebièrequecelui-citombajuste

devantelle.Maisellen'étaitpaslaseuleencause.Toutlemonde

l'approchaitavecdespincettes,ycomprislesclientsquis'adressaientà

luiavecunrespectdistantetlesfillesquitentaientdel'amadouerpar

leurssouriressanstoutefoisserisqueràengagerlaconversation.Marco

neressemblaitenrienauxbarmanenjouésetbavardsqu'elleavaiteu

l'occasiondecôtoyerdanssesprécédentsboulots.PasétonnantqueVan

etlesautresletrouventbizarre!Malheureusement,cecaractère

maussadenediminuaitenrienl'attirancequ'elleéprouvaitpourlui.

Ilfallaitàtoutprixqu'elleluiparle,maisavectoutcestressetcette

agitationautourd'eux,cen'étaitpaslemoment.

Alafermeture,elleavaitlespiedsdouloureux,latêtelourde,etrêvait

d'unelonguedouchebienchaudeoud'unplongeondanslapiscine.Cela

étaitàsaportéepuisqueKimavaitinsistépourqu'elleconserveles

pourboiresdelatabléedontelles'étaitoccupée,luimettantd'office

cinquantedollarsdanslapoche.

Maisauparavant,elledevaitavoirunediscussionavecMarco.

Aprèsavoirdébarrasséetremislasalleenordre,ellesedirigeaversle

barets'accoudaàl'extrémitéducomptoir,làoùlesserveursdéposaient

leurscommandes.

Marcorangeaitdesverrespropresdansunrackau-dessusdesatête.Il

s'étaitdébarrassédesachemiseblancheetportaitunsimpledébardeur

noir.Alyssarestaunmomentàl'observerensilence,fascinéemalgréelle

parlejeudesesmusclestandisqu'iltravaillait.Ilpivotapourprendre

d'autresverres.

Bienqu'ilpoursuivîtsatâchesansriendire,elledevinaàlabrusque

tensiondesesépaulesqu'ill'avaitaperçue.Certes,ilétaitpeut-être

devenusauvage,commel'estimaitVan,maisellenepouvaitpascroire

qu'ilveuillelagarder,elle,àdistance.Pasaprèstoutcequ'ilsavaient

partagé.

Ellepianotasurlebar.Uneseconde.Deux...Àmesurequeletemps

passait,soninquiétudesemuaencontrariété,enexaspérationet,pour

finir,encolère.

—J'aiunechancequetum'expliquescequinevapas?lança-t-elle.

Illuijetaunbrefcoupd'œil,puisentrepritdesortirlespaniersvides

dulave-vaisselle.

—Marco,jenecomprendspas...

—Tulesaistrèsbien.

—Qu'est-cequejesais?J'ignoremêmedequoinousparlons.Toutce

quejevois,c'estquetuteconduiscommeunimbécile,etjen'aipasla

moindreidéede...

LerestedesaphrasemourutsurseslèvresquandMarcofitvolte-face,

larejoignitentroisenjambéesrageusesetsoulevalerabatducomptoir

devantelle.Commeils'avançait,ellereculad'unpas.Illasaisitparles

bras,sansbrutalitémaisassezfermementpourqu'elleneluiéchappe

pas.

—Combiendeclientst'ontretenuedeforceaucoursdelasoirée?

Illapoussaenarrièrejusqu'àcequ'elletouchelemurderrièreelle.Là,

ilplaçasesmainsdechaquecôtédesatête,ladominantdeson

imposantecarrure.

—Combiendesalestypesontposélesmainssurtoi?demanda-t-il,

furieux.

Lesoufflecoupé,Alyssarestasansvoix.Soncœurbattaitàtouteallure

danssapoitrine.Commentavait-ilfait,avectoutecetteagitation,pour

remarquercequisepassaitdanslasalle?Enplus,elleavaitgéréla

situationsansproblème.Kiml'avaitbienbriefée,et,detoutefaçon,elle

avaitpassésuffisammentdetempsdanssonenfancedansun

environnementviolentpoursavoircommentéviterlescontacts

indésirables.Sanscompterque,aucasoùleschosesauraientdégénéré,

illuirestaitdebonnesnotionsdesescoursdeself-défenseàlafac.

D'accord,unemainauxfessesouuntypequiprofitaitquevousvous

penchiezversluipourvousprendreparlesépaules,cen'étaitpas

agréable.Maismieuxvalaitréagiravechumourqu'enfairetoutun

drame,non?

—Ilyaunmecdanscettevillequiadelachanced'êtreencorevivant

cesoir.

—Marco...

Ilfrappalemurdupoing.

—Jenepeuxpas...Tunepeuxpas...

Ilsecoualatête,visiblementtropfurieuxpourtrouversesmots.

—Marco,répéta-t-elleenposantunemainsursontorse.Jevaisbien.

Illaconsidéraunlongmoment.Sesyeuxbleusbrillaientderage,il

haletait.Puis,lentement,ilpenchasonvisageverslesienensemordant

lalèvre.Alyssarestabouchebée.Oh,Seigneur,combiendefoisavait-elle

rêvédecetinstant?Leregardverrouilléausien,ellevibrait

d'anticipation.Elleserralepoingautourdutissudesondébardeurpour

l'attirerverselle.

Àcecontact,ilcillaetsespupilless'écarquillèrent,commes'ilse

rendaitbrusquementcomptedecequ'ilétaitentraindefaire.La

flammedanssesyeuxs'éteignit,remplacéeparuneexpressionsombre.

—Non,tunevaspasbien,lâcha-t-il.Tuesbeaucouptropnaïvepour

tonproprebien.

Surcesmots,iltournalestalonsets'éloigna,refermantaupassagele

comptoird'unclaquementsec.

5Ilavaitfaillil'embrasser.Durementetprofondément.Là,contrele

murdubar.Commeunebête!

Leproblème,c'estques'ilsavaitquesondésirpourAlyssaétait

inacceptableàplusd'untitre,soncorps,lui,restaitsourdàses

arguments.

Ilfermasoncasierd'ungestebrusque.Ilfallaitqu'ilsorted'iciavant

delarecroiseretdefairen'importequoi.Biensûr,enrentrantchezlui,il

nepourraitplusveillersurelle.Maisresterseraitencoreplusdangereux.

Mêmedansl'airfraisdelanuit,ilsentaittoujoursleparfumd'Alyssa

oùlafragranceaciduléedelapommesemêlaitàladouceurdelavanille.

Avecquelleintensitéellel'avaitregardéquandils'étaitpenchéau-

dessusd'elle!Ilsedemandaquelgoûtauraienteuseslèvressousles

siennes.

Bonsang,voilàqu'ilrecommençait!Quandétait-elledevenueaussi

attirante?Biensûr,elleavaittoujoursétéjolie,adorable,etaussiloyale

quesonfrère.Maisdésormais,elleétait...tellementplus.Confiante.

Ouverte.D'unebeautésimpleetirrésistible.

Ildevaitarrêteràtoutprixdepenseràelledecettemanière.Prendre

sesdistances.Maiscommentrésisteràsessouriresetsagentillessealors

qu'illaconnaissaitdepuistoujours?C'étaittellementfaciledeselaisser

alleràsoncontact.Tropfacile...Alyssareprésentaitsavied'avant,sa

personnalitéd'autrefois.Cequiexpliquaitsansdoutepourquoiellelui

plaisaittant:elleluidonnaitl'impressionqu'ilpouvaitredevenircelui

qu'ilavaitété.Maisc'étaitunleurre.Cettevie-là,cethomme-là

n'existaientplus;ilsétaientrestésenfouissouslesdécombresd'une

baraqueenpisé,àdesmilliersdekilomètresdelà.

MarcodémarraBettyetsortitduparkingréservéaupersonnel.Des

groupesdegenss'attardaientdevantl'entréeduWhiskey's,etune

rangéedevoituresétaitalignéederrièrelefeu,auboutdel'allée.

Attendrequecefoutufeupasseauvertépuisasesdernièresréservesde

patience,etlevolantrecouvertdecuircraquasoussesdoigtscrispés.

Vert.Pastroptôt!

Iltournaàdroitesansmêmeypenser,dansladirectionopposéeàson

domicile.Ilétaithorsdequestionqu'ilaffrontemaintenantl'horreurde

sessongesqui,ilenétaitcertain,seraientsûrementaussiintensesquela

nuitdernière.

Dixminutesplustard,ils'arrêtaitdevantleclubdegymoùil

travaillaitàl'époquedulycéeetqu'ilfréquentaittoujoursdepuis.Ilavait

besoindecogner,etcommeilétaithorsdequestion-dumoins,pource

soir-quecesoitsurlecrétinquiavaitpelotéAlyssa,ilneluirestait

qu'unesolution.

Ilsortitsonsacdesportducoffreetpénétradanslebâtiment.Dansle

vestiaire,ilenfilauntee-shirtetunpantalondekick-boxingnoirs,se

bandalesmainsetpritsesgantsetuneserviette.L'instantd'après,il

étaitsurletapis,faceàuntypequifaisaitdelacompétition.Exactement

legenrededéfiqu'illuifallait.

—Nick,annonçal'autre.

—Vieri.

Ilscognèrentleurspoingsl'uncontrel'autre.

—Rounddedeuxminutes.Marcojetasaserviettesurlecôté.

—Trois.

Nickfronçalessourcils,surpris.

—T'espasunpeuvieuxpourça,mec?Marcoenfilasesgantssans

répondre,ajoutantcecommentaireàlalistedetoutcequ'ilespérait

exorciseraucoursdececombat.

—Tucomptesbavardertoutelanuitouonyva?

Ilscommencèrentàsedéplacerencercle,etNicklançasonpremier

direct.Marcol'évitasansdifficulté,puisfeintaavecsamaingauche

handicapéeavantd'envoyeruncrochetdroitdanslescôtesdeson

adversaire.Nickrépliquaparunback-kickqueMarcoévitadejustesse.

Nickserepositionnaaussitôtfaceàlui,luidécochantuppercutsur

uppercut.Marconeputéviterlespremiers,maisildétournabientôt

l'attentiondesonadversaireparuneparade,avantdelebalayerparun

sweepingquiledéstabilisa.DèsqueNickmitungenouàterre,Marco

pivotasurlui-mêmepourluiexpédierunroundhouse-kickenpleine

tête.Maissonadversairefeintaetseremitdeboutd'unbond.Legong

retentit.

Deuxrounds.Troisrounds.LevisagedeNickdevintfloudevant

Marco,quicontinuaitdevoiràsaplacelesaletypequiavaitpasséle

brasautourdesépaulesd'Alyssa.

Quatrerounds.Cinqrounds.Nickavaitplusdepuissanceetde

confiance,maisMarcoétaitrapideetpossédaitunevolontédefer.Tout

enayantconsciencequ'ilfiniraitlasoiréeencompagnied'untube

d'Ibuprofenetd'unpackdeglace,Marcoseservitplusieursfoisdesa

maingaucheetreçutundirectàquelquescentimètresdesoncoudeà

peineremisdel'opération.Maisçavalaitlapeine.Saragecommençaità

faibliretsesidéesàs'éclaircir.

Legongrésonna.

—Marco?

IlsetournaversMax,deboutàcôtédutapis.Levieilhommelaissa

intentionnellementsonregards'attardersursonbrasgauche.

—Çasuffitpourcesoir,non?demanda-t-il,unenotederéprobation

danslavoix.

SiMarcon'avaitpasconnuMaxdepuisplusdedixansetéprouvé

beaucoupderespectpourlui,ill'auraitsûrementenvoyépaître.Maisil

savaitqueMaxagissaittoujoursdanscequ'ilestimaitêtrel'intérêtde

soninterlocuteur.

Quecelaplaiseounonàcedernier.

MarcoreportasonattentionsurNick,quividaitd'untraitsabouteille

d'eau.

—Merci,mec,lança-t-ilenlevantlebrasdroit.

—C'esttoujoursunplaisir,Vieri.

Ilsfrappèrentleurspoingsl'uncontrel'autre.

MaxattenditqueNickrassemblesesaffairesetsedirigeversles

douchespourdéclarer,lesbrascroisés:

—Tuessaiesdeteblesser?Dansmonclub?Leslèvresserrées,Marco

fitnondelatête.

—Alors,qu'est-cequisepasse?Tusaisquetonbrasn'estpasencore

assezsolidepourtebattrecommetuviensdelefaire.Tuaurasdela

chancesi,aprèsça,tuneteretrouvespasavecdeuxmoisdekiné

supplémentaires.

—Jenesensriendeparticulier,répliquaMarcoenôtantsesgants.

—Ahoui?Ehbien,passemevoirdemain,qu'onenreparle!Et

pourquoies-tuaussitendu?ajoutaMaxenluisaisissantlebrasdroit.

Qu'est-cequitetracasse,fiston?

Marcoledévisageaunlongmoment,puisdécidaques'ilpouvaiten

parleràquelqu'un,c'étaitbienàMax.

—Jeveuxquelquechosequejenepeuxpasavoir.

L'imaged'Alyssasematérialisadevantsesyeux.Nonpasl'Alyssaqui

l'avaitregardéensepenchantsurlecapotdeBetty,maiscellequilui

avaitsouriavecdesétoilesdanslesyeuxquandilss'étaientcroiséspour

lapremièrefoisauWhiskey's.

Maxricana.

—Etpourquoitunel'auraispas?

Marcolâchaunriresansjoie.Maxvoyaittoujourstoutennoirou

blanc.

—Parcequeceneseraitpasbien.

Àtouslesniveaux.Ildébandasesmains.

—Ils'agitd'unefemme?

Aprèsunehésitation,Marcohochalatête.

—Qu'est-cequeçadit,ici?demandaMaxenluiplantantundoigt

danslethorax,justeàcôtéd'uneecchymose.

Marcodéglutit,lagorgeserrée.

—Jecrois...

Ilinspiraunegouléed'air.

—Jecroisqueçaditquejesuisdanslamerde.

—Tupeuxyaller,jevaisterminer,annonçaAlyssaenréprimantun

bâillement.

Avecl'accorddeChuck,elleavaitproposéd'aiderÉricàremettreles

logesenordreafindepouvoirlefaireseuleàuneautreoccasionsi

nécessaire.Ilstravaillaientdepuistroisquartsd'heure,etilnerestait

plusqu'àpasserl'aspirateur.

—Tuenessûre?demandaÉricenempoignantlesdeuxsacs-

poubelle.Jepeuxreveniretm'encharger.

—Çanemeprendraquecinqminutes.Autantquetupartes

directementaprèsavoirjetélesordures.Nel'inquiètepas,jefermerai

toutderrièremoi.

—D'accord.C'étaitbienquetusoislà,tusais?Nesachantpasquoi

répondre,Alyssasepenchaunpeuplussurlapriseoùellebranchaitle

fildel'aspirateur.Ériclâchaunpetitrire.

—Àdemain.

—Àdemain.Bonnenuit.

Laporteserefermaderrièrelui.

Ellecommençaàpasserl'aspirateur,surprisedesentirsesmuscles

fatiguésprotesteràchacundesesmouvements.Seconcentrantsursa

tâche,elleessayadepenseràautrechosequ'àcetinstantoùelleavait

cruqueMarcoallaitl'embrasser.Maisl'imagedesonvisagetoutprèsdu

sienluirevenaitsanscesse,faisantbattresoncœurplusfort.

Saufqu'aulieudeposerseslèvressurlessiennes,ils'étaitsoudain

redresséets'étaitmoquédesanaïveté.Uneremarqued'autantplus

blessantequ'elleétaitparfaitementinjuste.

Àdouzeans,elleavaitperdusamère,décédéed'uninfarctus.Son

père,foudedésespoir,avaitalorsnoyésonchagrindanslavodka.Et

quandiln'enavaitplusouquel'effetanesthésiantdel'alcool

commençaitàsedissiper,ils'enprenaitàBradyouàelle,lesrendant

malgréeuxtémoinsdesaspectslesplussombresetlespluslaidsde

l'existence.Onpouvaitsansdouteluireprocherbeaucoupdechoses,

maiscertainementpasd'êtrenaïve.

EtMarcoVieriétaitbienplacépourlesavoir.

D'uncoupdepouce,ellearrêtal'aspirateur.Unagréablesilencesefit

danslapièce.Ledosetlespiedsdouloureux,elles'assituninstantdans

lecanapémoelleux,pensantàsesparentsetautournantqu'avaitprissa

vieaprèslamortdesamère.Lesouvenirdecesannéesd'épreuveslui

donnaitl'impressiond'avoirmilleans.Ellelevalesyeuxversleplafond

pourretenirseslarmes.C'étaitfini,désormais.Elleavaitsurvécu.Lavie

étaitbelle;inutilederemuerlepassé.

Ellebâilla,etsespenséesrevinrentversMarco.Peut-êtredevrait-elle

justeluidemandercequiluiétaitarrivéenAfghanistan?Peut-êtrecela

luipermettrait-ildemieuxlecomprendreetdetrouverunefaçonde

l'aider,oudumoinsd'êtrelàpourlui?Maisaccepterait-ildelui

répondre?Sansdoutepas.

Brady,enrevanche,leferait.

Alyssas'installaplusconfortablement,lesgenouxramenéssousle

menton.SielleinterrogeaitBrady,elleseraitobligéedeluiexpliquer

dansquellescirconstanceselleavaitrevuMarco,doncdeluiavouer

qu'elleavaitprisceboulotcontresonavis.Sanscompterqu'ilrisquaitde

percevoirlavéritablenaturedesessentimentspoursonami.Non,cette

solutionrisquaitdecréerplusdeproblèmesqued'enrésoudre.Elleavait

déjàsuffisammentdemalaveclecôtésurprotecteurdesonfrèresansen

rajouter.

J'espèrequetuesensécuritécesoir,monchergrandfrère,songea-t-

elledansuneboufféed'amour.

Ellesoupiraetbâillaàs'endécrocherlamâchoire.Ilfallaitqu'ellese

lèvedececanapéetrentreàl'hôtelpourretenirsachambreavantqu'il

nesoittroptard.Après-demain,elleauraitsesproprestableset

garderaitchaquesoirlatotalitédesespourboires,cequiluipermettrait

depayerl'hôteljusqu'àcequ'ellepuisselouerunappartement...

Alyssaseréveillaensursautdanslenoir.Elles'assit,etleslampes

s'allumèrentd'uncoup.Éblouie,ellemitunemainenvisièresurses

yeuxetregardaautourd'elle,sedemandantoùelleétait.

Bonsang,elles'étaitendormiesurlecanapédelaloge!

Ellesortitsonportabledesapochepourconsulterl'heure.7h01.Zut!

D'unbond,elleseleva,ramassal'aspirateuretlerangeadansle

placard.

Commentallait-elleexpliquersaprésenceiciàcetteheure-là?Yavait-

ildéjàquelqu'un?

Ellefonçaverslasalledebainspourvérifierl'ampleurdesdégâts.Par

chance,saqueuedechevalavaittenu;elleétaitàpeinedécoiffée.En

revanche,sonmascaraavaitcoulé,luidessinantdeuxyeuxaubeurre

noir.Ellel'essuyaavecuncarrédecotonenespérantquelesmarques

laisséessursajouedroiteparlescoussinss'effaceraientrapidement.

C'estalorsqu'elles'aperçutquesajupeétaitfroissée...

Prenantuneprofondeinspiration,Alyssaouvritlaporteetjetaun

coupd'œildanslecouloirobscur.Lavoieétaitlibre.Ellesehâtaen

directionduvestiaire,oùelleattrapasonsacauvolavantderessortir

aussitôt.Cen'estqu'unefoissurleparkingqu'elles'autorisaàralentir

avecunsoupirdesoulagement.L'instantd'après,ellemontaitdanssa

voiture.

Plusieursvéhiculesétaientdéjàgarés,maiselleneconnaissaitpasses

collèguesdepuissuffisammentlongtempspoursavoirauxquelsd'entre

euxellesappartenaient.Avantqu'onpuisselarepérer,ellesedirigea

verslasortieensedemandantoùaller.Malgrésonenviedeprendreune

douche,ilétaithorsdequestionqu'elledépensel'argentd'unenuit

d'hôteljustepourpasserquelquesminutesdansunesalledebains.Il

fallaitdoncqu'elletrouveunendroittranquilleoùsechanger.

Maisavanttoutechose,elleavaitbesoind'unbonpetitdéjeuner.Elle

auraitlesidéesplusclairesaprèsuncaféetuneassiettedepancakes.

Elles'arrêtadoncauOldTownSnack,auboutdelarueenespérantque

sonpère,quiaimaitlesemmenerlà,elleetsonfrère,quandilsétaient

petits,n'avaitpasreprisl'habituded'ydéjeuner.Celaauraitété

surprenantvuqu'ilnesortaitplus,vivantchichementsurleséconomies

familialesdepuisqu'ilavaitétélicenciépourfautegrave.Malgrétout,

c'estavecunecertaineappréhensionqu'ellepoussalaportede

l'établissement.

Aprèsavoirbalayélasalledesyeux,elles'installasurunedes

banquettesenskaïrougeetconsultalacarte.Ilsservaienttoujoursles

pancakesauxmyrtillesdontelleraffolait,constata-t-elleavecplaisir.À

l'époquedesonadolescence,BradyetMarcol'invitaientsouventicipour

perpétuerlatraditionfamilialeetdonneràsavieunsemblantde

normalité.MaisaussiparcequeleOldTownfermaittardetservaitdes

portionsgigantesques.Lesdeuxgarçonspouvaientdévorercomme...des

garçons,sansseruiner.

EllecontemplalelongcomptoirenFormicaavecl'impressiondese

revoiradolescente,assisesurletroisièmetabouret,Marcoàsadroite,et

unénormemilkshakeauchocolatdevantelle.Ilvenaitdeluidonnersa

leçondeguitare,etlaglaceétaitdestinéeàluifaireoublierqueBrady

avaitdébarquéencatastrophechezlesVieriavecunœilaubeurrenoir...

Arrête,Aly.

L'arrivéedelaserveuselatiradesespensées.Aprèsavoirprissa

commande,celle-cirevintavecunetassedecaféfumant.Exactementce

dontAlyssaavaitbesoin.

Mêmebonmarché,untelfestinn'étaitpasdanssesmoyens,mais

grâceàsanuitsurlecanapéduWhiskey's,ellepouvaits'accorderce

petitplaisirsanstropdeculpabilité.Heureusement,bientôt,ellen'aurait

plusàtergiverserpendantdesheuresavantdes'autoriserlamoindre

dépense.Oupeut-êtrepas,songea-t-elleavecunpincementaucœuren

serappelantqueledifférédesoncréditétudiantarriveraitàtermedans

sixmois.Maisbon,ilseraittoujourstempsd'aviseràcemoment-là.

Alyssadégustasapremièrebouchée,auxanges.Lecoulisdemyrtilles

étaitcommedanssonsouvenir.Àlamoitiédesonassiette,elledut

pourtants'avouervaincue:latailledesportionsnonplusn'avaitpas

changé.Elleentamaitsasecondetassedecaféquandsonportable

sonna.

—Allô?

—Aly,c'estmoi,annonçalavoixdesonfrèreaumilieudes

grésillements.

—Brady?Oh,monDieu!Tuvasbien?Oùes-tu?

Ellebouchasonautreoreilledansl'espoirdemieuxentendre.

—Jevaisbien.Écoute,je...

Lafriturecouvritlerestedelaphrase.

—...quelquessemaines.Comment...?

—Brady,jet'entendsmal.

—Jenesaispasquand...

Deslarmesdefrustrationperlèrentàsespaupières.

—Jenecomprendspas.Promets-moijustequetoutvabien.

—...d'accord.Jetepromets...Excuse-moi,Aly,jedois...

—Brady?

—...jerappelleraisijepeux,d'accord?

—Rappellequandtupeux.Jet'aime,réponditAlyssaenhochantla

têtecommes'ilpouvaitlavoir.

—Moiaussi.Je...

Lacommunicationfutcoupée.

Réprimantseslarmes,elleposaletéléphonesurlatableetle

contempla.Quevoulaitluidiresonfrère?Ellen'enavaitaucuneidée.

Enfin,ellesavaitaumoinsque,quelquepartàl'autreboutdumonde,il

allaitbienetpensaitàelle.

Chaquefoisqu'elleavaitBradyauboutdufil,elleserendaitcompteà

quelpointilluimanquait.Ladernièrefoisqu'ilsavaientpasséun

momentensemble,c'étaitàl'occasiondeNoël,deuxansplustôt.En

mêmetempsqueMarco.Ellelesvoyaitencoretouslesdeuxautourdela

tabledelasalleàmangerdesVieri,lescheveuxcoupésras,lapeau

burinéeparlesoleil,maistoujourségauxàeux-mêmes,plaisantant,

racontantdesanecdotes,etdévoranttoutcequipassaitàleurportée.

Encorebouleversée,elleréglasonpetitdéjeuneretcommençaàse

dirigerverslestoilettesquanduneidéesoudaineluifittournerles

talons.Pourquoinesechangerait-ellepasici?Aprèstout,elleavait

quasimenttoutessesaffairesdanslavoiture.Fortedecettedécision,elle

sortitprendreuneserviette,satroussedetoiletteetdesvêtements

propres,qu'elledissimuladanssonpetitsacdevoyageavantderegagner

lecafé.

Enferméeàclédanslestoilettes,ellesefabriquauntapisaupieddu

lavaboavecdesfeuillesdepapieressuie-mains,ôtasesbasketsetse

dévêtit.Puis,avantquequelqu'unnefrappeimpatiemmentàlaporte,

elleselava,s'essuyaetserhabillaàlahâte.Letempsdesebrosserles

dentsetlescheveux,etellepoussaunsoupirdesatisfaction.

Elleétaitdenouveauprésentableetsesentaitrevivre.Elleavaitévité

lepire.

Saufqu'apparemment,cen'étaitpassonjour.

N'ayantnullepartoùaller,elleerradanslecentrecommercialjusqu'à

midi,puisfatiguéedetournerenrond,elledécidadesacrifierhuit

dollarsdansuneplacedecinéma.Maiselles'endormitdevantlefilm,et

dutcourirpourprendresonserviceàl'heure.EnarrivantauWhiskey's,

elleserenditcomptequ'ellen'avaitpaspointéenpartantlaveille,et

pourcause...Malàl'aise,ellementitàChuckenluiracontantqu'elle

avaitoublié.

PuiselleappritqueMarcoavaittéléphonépourprévenirqu'ilétait

maladeetneviendraitpas,cequi,d'aprèssescollègues,étaitune

première.Biensûr,ilneréponditpasquandelleappelapourprendrede

sesnouvelles.Enfin,pourcouronnerletout,elleduteffectuerson

dernierserviceenbinômeavecTori,uneautreserveusequi,

contrairementàKim,n'avaitaucuneenvied'avoirlanouvellesurledos.

NonseulementToripassalasoiréeàl'ignorerouluidonnerdesordres,

maisellenesongeapasuninstantàluilaisserunepartdeses

pourboires,bienqu'Alyssasesoitoccupéeseulededeuxtables.

Sonserviceterminé,Alyssas'affalasurl'horriblecanapédesvestiaires,

dépitée.Elleavaitcomptésurlespourboiresdecesoirpourpayerl'hôtel

etn'auraitjamaisdûgaspillerprèsdevingtdollarsdansunpetit

déjeuneretuneplacedecinéma.Ellepritunelongueinspiration.Ily

avaitunesolution.Forcément.

—Eh,Alyssa,tuesencored'accordpourm'aider,cesoir?

Elles'obligeaàouvrirlesyeuxetdécouvritÉricdansl'embrasuredela

porte.Ahoui,lesloges.Elleétaitmortedefatigue,maisaprèstout,le

ménageneleuravaitpasprisbeaucoupdetemps,laveille.Etelleserait

contentedes'êtreunpeupousséelejouroùelletoucheraitsapaye.

—Netesenspasobligée,surtout.Jemedisaisjuste...

—Pasdeproblème,coupa-t-elleens'extrayantducanapé.Excuse-

moi,maisj'aieuunejournéedifficile,etjesuisunpeuàcran.

—Àcran?Ehbien,onvoitquetun'asjamaiscroiséVanquandilest

demauvaisehumeur.Quandçaarrive,lescouteauxdecuisinevolentet

toutlemondecourtauxabris.

—Tuplaisantes?fitAlyssa,incrédule.Érichaussalesépaules.

—Àpeine.Entoutcas,ilyaunehistoirequicirculeàcesujet,mais

j'imaginequec'estunelégende.

—Jeluiposerailaquestion.Enprécisantquec'esttoiquim'enas

parlé.

Elleéclataderiredevantl'expressionaffoléed'Éric.

—Allez,viens,luiintima-t-elle.Mettons-nousauboulot.

Ilsquittèrentlesvestiaires,etÉricpassachercherdanslescuisinesle

chariotsurlequelilsrapporteraientlesplatsetlavaissellesale.

—Tunecomptespasvraimentluidire?s'inquiéta-t-ilenla

rejoignant.

Elleluidonnaunelégèrebourrade.

—Tusais,entretongoûtpourStarTrekettoncommentairesurVan,

jecommenceàaccumulerpasmaldetrucsàtonsujet.

—Laquestionestdesavoircequetuvasenfaire.

—Tuasraison,acquiesça-t-elleenpoussantlaportedesloges.Tuas

intérêtàmarcherdroit,ondirait.

Ilssepartagèrentlatâchecommelaveille:Éricsechargeadesrestes

denourritureetdelasalledebains,etelleduramassagedesordureset

dunettoyagedelacuisine.

Legroupeavaitlaisséleslieuxplussalesqueleprécédent,etilleur

fallutplusd'uneheurepourtoutremettreenordre.Pendantqu'Éric

rapportaitlechariotauxcuisines,Alyssapassal'aspirateur.Puisils

transportèrentlestroissacs-poubellejusqu'aucontainer,situéà

l'extérieur.

—Merci,ditÉricquandilseurentterminé.C'estnettementmieux

quandonfaitçaàdeux.

—Alors,n'hésitepas.Jen'airiencontregagnerunpeuplusd'argent,

tusais.

Ilsvenaientdepointer-aumoins,yavait-ellepensécettefois-quand

Éricrepritlaparole:

—Alyssa?

Elletournalatêteverslui,etressentitunepointed'appréhension

devantl'intensitédesonregard.

—Oui?

—Netesenssurtoutpasobligée,maisçatetenteraitqu'onsorte

ensemble,unsoir?

Décontenancée,elleouvritlabouchepourrépondre,puislareferma

fautedetrouverlesmotsjustes.

—Euh...

Érics'empourpra.

—Laissetomber.Jen'auraispasdûtedemanderça.

—Non,net'inquiètepas.C'estjustequetaquestionm'aunpeu

surprise.

Dansantd'unpiedsurl'autre,elleenchaîna:

—Écoule,Éric,jetetrouvevraimentsympa,etjeseraisraviequenous

devenionsamis.Jesuisd'autantplussincèrequejen'aipasbeaucoup

d'amisici.Mais,pourlereste,j'aidéjàquelqu'unentête,alorscene

seraitpashonnêtedemapartdeterépondreoui.

Ilyeutunlongsilence,puisÉricacquiesçaavecunsourireguindé.

—D'accord...Onserevoitdemain,alors?

—J'ycomptebien.

Cettefois,illuiadressaunvraisourire.

—Moiaussi.Bonnenuit.

—Bonnenuit,répondit-elleenpivotantpourallercherchersonsac

danslesvestiaires.

Elles'assitsurlevieuxcanapédéfoncépourcompterl'argentqu'illui

restait:quatre-vingtsdollars,soitquinzedollarsdeplusqueleprixde

sanuitd'hôtel.Cen'étaitpasencorelacatastrophe,maiscelarisquait

fortementdeledevenirsiellenerecevaitpassuffisammentde

pourboiresdemain.Danscecas,quellesolutionaurait-elle?Outresa

voiturepourrie,ellepossédaitdeuxobjetsdevaleur:soniPhone,qui

étaitsonuniquelienavecBrady,etlaguitarequecedernierluiavait

offertepoursonanniversaire.Sansdoutepourrait-elleentirerdeux

centsdollarsenlarevendant,maiscelaluibriseraitlecœur.

Pourtant,avait-ellevraimentlechoix?

Ellerangeasonportefeuilledanssonsacetsortit.L'airchaudetmoite

delanuitneluiprocuraaucunsoulagement.Elles'installaauvolantde

savoitureets'appuyacontrelerepose-têtepourréfléchir.Peuàpeu,une

idéegermadanssonesprit.

Ellejetauncoupd'œilàsonsacdecouchagesurlesiège,àcôtéd'elle.

Ellen'avaitpasledroitdefaireçaetprendraitungrosrisque.Maisqui

lesaurait?

Personnenet'avue,lanuitdernière.Ettunepeuxpasvraimentte

permettrededormiràl'hôtelcettenuit,tulesais.

Ellefermalespaupières,enproieàunhorriblesentimentde

culpabilité.Cependant,elleneferaitdemalàpersonne,seraisonna-t-

elle.Qu'elledormeounondanslesloges,qu'est-cequeçachangeait

pourvuqu'ellelaisseleslieuximpeccables?

Avantdechangerd'avis,ellesaisitsonsac,pritdesvêtementspropres

pourlelendemainetcourutverslebâtiment.D'autresvoituresétaient

toujoursgaréessurleparking,cequiéviteraitàlasienned'attirer

l'attention.Elleouvritlaportedel'entréedupersonneletinspectale

couloirplongédanslapénombre.Toutétaitcalmeetsilencieux,comme

àsondépart,quelquesminutesplustôt.Prenantunelongueinspiration,

ellesedirigeaverslesloges.Sijamaisellecroisaitquelqu'un,elle

pourraittoujoursexpliquerqu'elleavaitoubliésontéléphone,décida-t-

elle.Iln'yavaitaucuneraisonpourqu'onnelacroiepas.

Enpassantdevantlacuisine,elleperçutunbruitfamilierdevaisselle,

maisàpartça,lerestaurantétaitplongédanslesilence.Dèsqu'elle

entradanslesloges,leslampess'allumèrentautomatiquement.

Assisesurlebordducanapé,elleattenditunmomentsansbouger,

certainequelaporteallaits'ouvrird'uninstantàl'autredevantl'undes

employés,quilapointeraitd'undoigtaccusateur.Lemoindre

craquementlafaisaittressaillir.Maiscommeriennesepassait,ellefinit

parréglerl'alarmedesontéléphoneets'allongea,troptenduepour

espérertrouverlesommeil.Quand,aprèsquelquesminutes

d'immobilité,lalumières'éteignit,Alyssaessayad'oubliersaculpabilité

encomptantlesmoutons.

Elledormitparà-coups,seréveillantsanscesse,incapabledetrouver

lesommeilréparateurdontsoncorpsépuiséavaitpourtanttellement

besoin.Puis,peuavantleleverdusoleil,elles'assoupitenfin.

—Qu'est-cequetufichesici?

Alyssas'éveillaensursautetcilladanslalumièrevive.Marcosetenait

faceàelle,lamâchoireserréeetleregardétincelantdecolère.

6Marcovibraitdecolèreetd'inquiétude.

—Jet'aicherchéepartout!Qu'est-cequetufousici?cria-t-ilen

l'examinantpours'assurerqu'elleallaitbien.

Alyssaseredressa,encoreendormie.

—Jedormais.Quefais-tulà?

Marcosepassanerveusementlamaindanslescheveux.Soncœur

ressemblaitàuntrainlancéàtouteallure.S'obligeantàsecalmer,il

expliquad'untonsec:

—Jesuisvenutôtcematinpourvérifierquemonbarn'étaitpastrop

endésordreaprèsmonabsenced'hier,etenarrivantj'aivutavoiture

garéesurleparking.

IlvitAlyssacilleràcetteremarque.

—Ducoup,jemesuisinquiétéetj'aiessayédetejoindrepour

m'assurerquetoutallaitbien.N'obtenantpasderéponse,j'aiimaginé

toutessortesdescénarios.Quetut'étaisfaitagresserhiersoiren

partant,parexemple.

Ouqu'elleavaitfinilanuitavecundesclients.Maisça,ilpréféraitle

garderpourlui.Danstouslescas,ilavaitcruqu'ilavaitéchouédansla

missiondeprotectionqu'ils'étaitfixée.Unefoisdeplus.

—J'étaissurlepointd'appelerlapolice.Çafaitunedemi-heurequeje

techerchepartout!

Alyssaselevad'unairhésitant.

—Écoute,commença-t-ellesansleregarder,jeregrettequetutesois

faitdusoucipourmoi.Maisjevaisbien,commetupeuxleconstater.

Elles'accroupitpourenfilersesbasketstandisqueMarco,lesmains

surleshanches,laconsidéraitd'unœilnoir.

—Tuterendscomptedecequiauraitpusepasser?

Ellesecoualatête.

—Marco,ilnes'estrien...

—Jesais,coupa-t-il,deplusenplusénervé.Jeteparledecequise

seraitpassésiquelqu'und'autrequemoit'avaittrouvéelà.Bonsang,

Alyssa!

Ilsentaitbienqu'elleserecroquevillaitàmesurequ'ilhaussaitleton,

maisilnepouvaitpass'empêcherdecrier.Ilavaiteusipeur!S'illui

étaitarrivéquelquechose...

—Quelleheureest-il?interrogea-t-elle.

—Dixheures.

Elleblêmitencoreunpeuplusàcettenouvelle.

—MonDieu!J'aidûéteindrel'alarmedemontéléphonesansm'en

rendrecompte.D'autrespersonnessontdéjàarrivées?

—Oui,Alyssa,beaucoup.Onestdimanche,cequisignifiequ'onouvre

dansdeuxheuresetquelepremierconcertcommenceàtreizeheures.

Tucomprendscequejeveuxdire,àprésent?

—D'accord,Marco.J'aicompris,jen'aipasassuré.Maistun'y

changerasrienenmehurlantdessus.

Surcesparoles,elleramassasonsacetpassadevantlui.Illaretintpar

lebras.

—Jen'aipasfini.

Ellehaussaunsourcil.Leslarmesqu'ilvoyaitperleràsespaupièreslui

nouaientlestripes.

—Lâche-moi,murmura-t-elle,lesyeuxfixéssursonpoingfermé.

Calme-toi,Marco,s'intima-t-il.Maisilenétaitincapable.Soninstinct

luicriaitdelaprotéger,delasurveiller,denejamaislalâcher.Faisant

ungroseffortpourretrouverunvolumedevoixnormal,ildemanda:

—Pourquoias-tudormiici?

Alyssapoussaunsoupiretilvitunelarmeroulersursajoue.Iln'en

fallutpaspluspourqu'ilsentetoutesacolèresedissiper.Mêmeenfant,

Alyssapleuraitrarementquandsonpèrelafrappait.Avecdouceur,illa

tournaversluietplongeasonregarddanslesien.

—Explique-moicequisepasse,Aly.

L'effortmanifestequ'ellefaisaitpoursoutenirsonregardluiperçale

cœur.Depuisquandsesentait-ellemalàl'aiseaveclui?Depuisquand

luicachait-ellesesémotions?Ilsétaientsiprochesl'undel'autre,avant.

Saufqu'avanttuneluihurlaispasdessus.

Cefutàsontourdesoupirer.

—Excuse-moid'avoircrié,Alyssa.Tuasraison:çanesertàrien.Mais

j'étaistellementinquiet!

Ilsecoualatête.Maintenant,c'étaitàsontourd'êtregêné.

—S'ilteplaît,tuveuxbienm'expliquerpourquelleraisontuasdormi

ici?

Illasentitsecrisper,avantdelâcher:

—Jen'aipresqueplusd'argent,c'esttout.Jen'avaispasl'intentionde

dérangerquoiquecesoit.Etaujourd'hui,jevaism'occuperdemes

proprestables,alors...

Unenouvelleboufféedecolères'emparadelui.

—Tut'esmiseendangerpourunehistoired'argent?Pourquoine

m'as-tupassimplementdemandédetedépanner?

—Parcequej'avaisenviedemedébrouillerseule.Jen'aipasbesoin

qu'onm'assiste.

—Ah,vraiment?répliqua-t-il,conscientdesecomportercommeun

imbécile,maisincapablederéprimersafureur.Ehbien,sic'estainsique

tutedébrouilles,laisse-moitedirequetun'iraspastrèsloin!

Alyssaselibéradesonemprise,levisageécarlate.

—Vaaudiable,Marco!J'aireconnumonerreur,qu'est-cequelu

attendsdeplus?Etsic'estcegenred'aidequetuveuxmeproposer,

enchaîna-t-ellesansluilaisserletempsderépondre,tupeuxlagarder!

J'aidéjàmonpèrepourmehurlerdessusetmerabaisser!

Surcesmots,elleseprécipitadanslecouloir.

Ils'élançaderrièreelleavecl'impressiond'avoirreçuunegifle.

Devantlasalledebains,elles'arrêta,manifestementhésitante.

—Tupeuxresterlàuneminuteletempsquejeprenneunedouche?

Jesais,jenedevraispas,maisj'enaivraimentbesoin.Jeserairapide.

Elleclaqualaportederrièreelle.

Enl'imaginantnuedel'autrecôté,Marcosentitsacolères'évaporer

d'uncoup,remplacéeparundésirsipuissantquesoncorpsyréagitsur-

le-champ.

Bonsang!Qu'est-cequiclochait,chez,lui?

Ilallas'asseoirsurlecanapéencoretièdeducorpsd'Alyssa.Ilfallait

qu'ilseressaisisse,qu'ilsecalmeetfassedisparaîtrecettemaudite

érection.Ils'envoulaitdes'enêtreprisàAlyssacommeill'avaitfait,

maissupposerqu'ilaitpuluiarriverquelquechosel'avaitrendufou.

Cequin'étaitpastrèsétonnant,àbienyréfléchir.

Carsiunmalheursurvenaitàlajeunefemme,ilseraitdétruitàtout

jamais.

Soudain,uneidéeletraversa,etilsutcequ'ilavaitàfaire.Maisserait-

elled'accord?Etsemontrerait-ilàlahauteur?

Aumomentoùelleouvritlaporte,ilbonditsursespieds.Elleavait

reprisdescouleursetsentaitdélicieusementbon,maissonregardétait

voilé.

—Alyssa,jesuisdésolé.

Elleglissalabandoulièredesonsacsursonépaule.

—Tu...nedirasrienàChuck?Çanesereproduirapas,jetele

promets.

Croyait-ellequ'ilallaitladénoncer?Sic'étaitlecas,ils'étaitmalfait

comprendre.

—Biensûrquenon,mais...

Elleposaunemainsursonavant-bras,toutprèsdesescicatrices.Àce

simplecontact,Marcosentitsoncorpss'embraser.

—Jen'aipasenviequ'onsedispute.Oublionsça,d'accord?proposa-

t-elle.

Surquoi,ellesedirigeaverslaporte.

—Aly,attends!

—J'aibesoindeprendrel'air,répondit-ellesansseretourner.

Ellesortit.

Bonsang!Commentpouvait-ilnégociersanssourcilleravecdeschefs

deguerreprêtsàledescendreaumoindrefauxpas,etêtreincapablede

discutersimplementavecunejeunefemmedevingt-deuxans?

Letempsqu'ilseressaisisse,lavoitured'Alyssaavaitquittéleparking.

Ill'appelasursonportable,maisn'obtintaucuneréponse.Justeretour

deschoses,vuquelui-mêmen'avaitpasjugébondedécrocherhier

quandellecherchaitàlejoindre.Saufqu'ilavaitunebonneraisonpour

cela:sonbrasluifaisaitunmaldechien-Maxnesétaitpastrompé-et

ilnevoulaitpasqu'Alyssaperçoivesadouleurdanssavoix.

Entoutcas,lefiascodecematinprouvaitqu'iln'avaitrienàfairedans

savie.Nidanssonlit.

Nimêmedanssoncœur,luisoufflaunepetitevoixperfide.

Espérantqueletravailluichangeraitlesidées,ilregagnalebaretse

préparapourlerushdudimanche.Ilassuraitleservicedemidietson

collègue,Jameson,celuidusoir.Alyssatravaillaitégalementendébutde

journée,cequi,espérait-il,joueraitensafaveur.

Environunquartd'heureavantl'ouverture,ilrejoignitlesautrespour

manger.Depuislecouloirluiparvinrentlesclameursd'uneconversation

animée.

—...etils'estprisuneveste!expliquaitquelqu'unavantd'éclaterde

rire.

—T'esvraimentcruel.Jemedemandebienpourquoijet'airacontéça,

protestaÉric.

—Detoutefaçon,elleesttropbienpourtoi,décrétaVan.Àcepropos,

elleestpasséeoù?Ellen'estpasdeservice,àmidi?

Dites-moiquej'aimalcompris!suppliaMarcoenpénétrantdansla

pièce,oùunbrusquesilenceaccueillitsonentrée.

—Salut,lança-t-ild'untonfaussementdégagé.Vancroisalesbraset

leconsidérad'unairintrigué.

—Çavamieux?

—Ouais,merci.

Ilprituneassiette,seservitets'installaautourdelatable.

—Alors,Tommy,tuvasjoueràlasoirée«jeunestalents»cette

semaine?

Tommy,leuringénieurduson,avaittoutdumusiciengrungeavecses

cheveuxlongs,sonlookdépenailléetsesbrastatoués.

—Onverra,répondit-ilavecunhaussementd'épaules.

—Jevotepourquetujoues,annonçaMarcoenlevantlesyeuxdeson

assiette.Tuessuperbon,ceseraitdommagedegarderçapourtoi.

Tommyledévisageacommesidescornesvenaientdeluipoussersur

latête.Était-cevraimentsiexceptionnelqu'ilparticipeàla

conversation?s'interrogeaMarco.Sansdoute,àenjugerparlamanière

donttouslefixaient.Ilyeutunlongsilence,puis,seressaisissant,

Tommydemanda:

—Tujouesd'uninstrument?

—Jen'étaispasmauvaisàlaguitareetjemedébrouillaisaupiano.

Maisçafaitdesannéesquejen'aipasjoué,etmamaingauchen'estplus

cequ'elleétait.Jenesuismêmepascertaind'avoirencoreassezdeforce

pourplaquerunaccord.

Ildéglutit,puis,affrontantlesregardsposéssurlui,s'enquitd'unton

qu'ilespéraleplusnaturelpossible:

—Alors,quiaessayédesortiravecAlyssa?TommyetVanfirentde

leurmieuxpourévitersonregardtandisqu'Érics'absorbaitsubitement

danslacontemplationdesonassiette,sedésignantcommelecoupable.

—Salut,Alyssa,s'exclamasoudainVan.Marcosedétournad'Éricpour

regarderpardessussonépaule.

Alyssasetenaitdansl'encadrementdelaporte.

—Bonjourtoutlemonde,répondit-ellesansluijeteruncoupd'œil.

—Tumangesavecnous?s'enquitVan.

—Merci,maisj'aidéjàdéjeuné,répondit-elleavecunsourireaimable.

L'instantd'après,elleavaitdisparu.

Ceserviceparaissaitinterminable.Poursonpremiersoirseule,Chuck

neluiavaitconfiéquetroistables,etilluienauraitfalluaumoinsdeux

depluspourarrêterdepenseràl'humiliationqu'elleavaitsubiecematin

danslesloges.

EtlefaitqueMarcoessaied'engagerlaconversationàchaquefois

qu'ellepassaitprendreunecommanden'arrangeaitpaslasituation.Un

sermonluisuffisaitamplementpourlajournée;ellen'avaitaucune

enviederecommenceràdiscuter.Sanscompterqu'elles'envoulaitde

l'avoircomparéàsonpère.Commentavait-ellepuproférerunjugement

aussiinjuste?Etpourquoiavait-ilfalluqu'illadécouvreassoupiesurle

canapé,augmentantencoresaculpabilitéd'avoirdormiauWhiskey'sà

l'insudetous?Enunclind'œil,elleavaitruinétousseseffortspourlui

prouverqu'elleétaituneadultecapabledeseprendreencharge.

Cequiétaitd'autantplusdouloureuxqu'ellecommençaitàserendre

comptequesessentimentspourluiétaientbeaucoupplusprofonds

qu'ellelesoupçonnait.Mêmesielleétaitbienobligéedeconstaterquele

Marcod'aujourd'huiétaittrèsdifférentdeceluid'hier.Legarçonenjoué

d'autrefoisétaitdevenuunhommesombreetcomplexe.Maisilse

dégageaitdeluiuneintensitéquil'attiraitirrésistiblement.Sonregardet

soncorpsportaientlatracedesépreuvesqu'ilavaittraversées,etelle

reconnaissaitdanscesmarqueslesblessuresdesapropreenfance.Sans

douteétait-cepourcelaqu'elleéprouvaitledésir-non,lebesoin-de

l'aideràportersonfardeau.Nel'avait-ilpasfaitencoreetencorepour

elledanslepassé?Pourunefois,elleauraitaiméjouercerôlepourlui.

D'ailleurs,iln'étaitpasleseulàavoirchangé.Unethérapie,descours

deself-défenseetl'influenceducolocataireleplusextravertidela

planèteavaienttransformél'adolescentetimided'autrefoisenune

femmeplusforte,plusouverteetindépendante.Aprèsavoirlaisséles

autreslaprotégerpendantdesannées,saplusgrandefaiblesse

désormaisétaitdenejamaisvouloirsolliciterquiquecesoit.Elle

mettaitunpointd'honneuràsedébrouillerseule.Entoutecirconstance.

C'estpourquoiellenedésiraitpasMarcomalgrémaisàcausedece

qu'ilétaitdevenu,cicatricesincluses.

Enfin,leconcertdel'après-midis'achevaetledernierclients'enalla.

AlyssaavaitététellementobnubiléeparMarcoqu'elleauraitété

incapablededonnerlemoindredétailsurlamusiqueoulegroupequi

avaitjoué.Danslacuisine,elleretrouvaKimquirapportaitlesderniers

verresvides.

—Comments'estpassétonpremierserviceseule?luidemandacelle-

ci.

Alyssaseforçaàsourire.

—Bien.

—Çava?

—Oui.Excuse-moi,jenesuispasvraimentdansmonassiette

aujourd'hui.

—Tudevraisprofiterdubeautempspourprendrel'air,çatefera

peut-êtredubien,conseillaKimenluidonnantunpetitcoupd'épaule.

—Tuasraison.

—Benalors,qu'est-cequetuattends?CommeAlyssalaregardaitsans

comprendre,

Kimreprit:

—Vas-y,sors.

—Mais...onn'apasterminé.

—Erreur:jen'aipasterminé.Toi,si.Net'inquiètepas,jem'occupede

tout.Ceboulot,c'estunmarathon,pasunsprint.Ettoi,tun'aspas

arrêtédefairedesheuressupplémentairesdepuisquetuascommencé.

Tuasbesoindetereposerunpeu.

Alyssaeutuninstantd'hésitation,maislaperspectivedesortir

prendrel'airfutlaplusforte.

—Jet'adore,Kim.Merci.

Letempsdeprendresesaffairesetdepointer,etellesedirigeaitvers

savoiture.Elleavaitrendez-vousavecunréceptionnisted'hôtel,iTunes

etuntransatdevantlapiscine.

Elleabaissalavitrepourrafraîchirunpeulafournaisequ'étaitdevenu

l'habitacle.Aprèsl'appartement,elleachèteraitpeut-êtreunenouvelle

voitureavecuneclimenétatdemarche.Elleavaitledroitderêver,non?

Elles'apprêtaitàemprunterl'alléerejoignantleparkingdesvisiteurs

quandelleaperçutducoindel'œilunesilhouettequisortaitencourant

del'établissement.Avait-elleentenduappelersonnom?Sic'étaitlecas,

tantpis.Çaattendraitdemain.

Parchance,l'hôteln'étaitpasloin.Elleétaitpresquearrivéeet

attendaitquelefeupasseauvertpourtournerquandunmouvement

danslerétroviseurcaptasonattention.Qu'est-ceque...Non!Elle

s'avançaetsegarasurleparking,àlafoisfurieuseetexaspérée.

LaMustangs'arrêtajustederrièreelle.Marcoenémergeaetvintse

placeràcôtédesaportière.Ellesortitensoupirant.

—Qu'est-cequetuveux?

—Uneminute,d'accord?demanda-t-ilenplaçantsesmainssurle

capot,l'emprisonnantentresesbras.

Vaincue,elleselaissaallercontrelaportière.Ilétaittenduethésitant.

Etincroyablementséduisant.

—OK,jet'écoute.

—Ilesthorsdequestionquetudormesici.Cettefois,ildépassaitles

bornes.

—Biensûrquesi!Cetendroitesttrèsbien,etc'estlemoinscherde

tous.

—Bonsang!juraMarcoensecouantlatête.J'ail'artdedirecequ'il

nefautpas,avectoi.

—Ilsemblerait,approuva-t-elle.

Illaconsidéraunlongmoment,puisunpetitsourireencoinapparut

surseslèvres.Iln'enfallutpaspluspourqu'ellesentesoncœur

s'emballer.

Avecdélicatesse,illuireplaçaunemèchederrièrel'oreille.Lacaresse

desesdoigtssursapeauluifitl'effetd'unedéchargeélectrique.

Seigneur,elleavaittoujourseuunfaiblepourMarco,maisellenese

rappelaitpasavoirdéjàeuunetelleréactionàsoncontact.Elledutfaire

appelàtoutesavolontépournepasposersajouecontresapaumeet

l'embrasser.

—Jepensaisteparlerunefoisleservicefini,maistuespartieavant,

expliqua-t-il.Enfait,jevoulaisteproposerdet'installerchezmoi.

Ellefituneffortpournepasl'envoyeraudiable.Oh,biensûr,se

retrouversouslemêmetoitqueluiauraitétémerveilleux,unfantasme

devenuréalité.Saufqu'ellesavaitqueMarcoleluiproposaitjustepar

sensdudevoir.Ill'avaitsurpriseentraindedormirauWhiskey'sce

matinetsesentaitobligédeluivenirenaide.Commeaubonvieux

temps.Apparemment,leurrelationétaitrevenueàlacasedépart.À

moinsqu'ellenel'aitjamaisquittée...Ensongeantàcetteéventualité,

ellesentitsonmoraldescendreencored'uncran.

—Net'inquiètepaspourmoi.J'aiassezd'argentpourtenirjusqu'au

jourdepaye,maintenant.

Ilserapprochaetpritsajouedanssapaume.

—Tantmieux,jesuiscontentdel'apprendre.Maissituvienschez

moi,tupourrasfairedeséconomiespour...Jenesaispas,acheterdes

meublespourtonfuturappartement,parexemple.

Alyssahaussalesépaules,dissimulantletroublequeluiprocuraitla

sensationdesapeausurlasienne.

—Jenevoudraispastedérangeroul'empêcherderecevoirtes...amis.

Unnœudseformadanssonestomacàl'idéedecequecertains-ou

plutôtcertaines-deces«amis»pouvaientreprésenterpourlui.

Luilâchantlajoue,illuipressadoucementl'épaule,unsouriretriste

surleslèvres.

—Quelsamis?Jevisenreclusdepuismonretour.Jen'aimêmepas

revumesparentsdepuislejourdemonemménagement.Iln'yauraque

toietmoi.Etsijepensaisquetumedérangeais,jenet'inviteraispas.

Unfrissonlaparcourut.Quetoietmoi,avait-ilprécisé,réveillantson

désirlepluscher.

—Jenesaispas...

Ilsepenchaverselle.

—J'aienviequetuviennes.

Uneexpressionindéchiffrablesurlestraits,ilseredressaense

passantlamaindanslescheveux.

Avait-ilvraimentditqu'ilenavaitenvie?Touchéeparcetaveu,Alyssa

sentitsarésolutionfondre.

—D'accord,acquiesça-t-elleavantmêmedes'enrendrecompte.

LeregarddeMarcorestaitsoucieux,maissestraitssedétendirent.

—C'estsûr?

—Oui.Maisjusteletempsdetrouverquelquechose.

Ilfronçalessourcils.

—Mamaisonseralatienneaussilongtempsquetulesouhaiteras.

D'ailleurs,Bradyseraitfous'ilapprenaitquetuasétéobligéededormir

aubarcellenuit,ajouta-t-il,luifaisantinstantanémentregretterd'avoir

acceptésonoffre.

Envérité,iln'avaitpasenviequ'elles'installechezlui.Ilagissaitbelet

bienparsensdudevoir.

—Sûrement,articula-t-elled'unevoixéteinte.

—Alors,tumesuis?

Alyssahochalatête,presséedeseretrouverseuledanssavoiturepour

réfléchiràlafacilitéaveclaquelleelles'étaitlaisséfléchir.Àcroirequ'il

suffisaitqueMarcol'effleurepourqu'elleperdetoutbonsensettoute

volonté!

LamaisondeMarcoétaitunecharmantebâtisseenbriquesavecde

grandesbaiesvitréesàl'étageetuneterrassecouvertedevantl'entrée.

Elleétaitsituéeàl'ouestdelaville,aupieddumontBraddock,dansun

quartierd'aspecttrèsruralbienqu'ilnesetrouvâtqu'àunedizainede

minutesducentredeFrederick.

Marcos'arrêtadanssonallée,puislarejoignitdanslarue.

—Jepeuxprendrequelquechose?proposa-t-ilcommeellesortaitses

affairesducoffre.

Alyssajetasonsacdevoyagesursonépaule.

—C'estgentil,maisjen'aipasgrand-chose.

—Cen'estpasuneraison.Allez,charge-moi.

—D'accord,acquiesça-t-ellealorsensouriant.Maisn'oubliepasque

c'esttoiquiasinsisté.

Ellesortitdeuxoreillersqu'elleluilança.Ilattrapalesecondauvolet

luijetaunregardfaussementcontrarié.

—Jevoulaisvoirsituétaisunhommedeparole,plaisanta-t-elle.

—Tuendoutais?

Ilcoinçal'undesoreillerssoussonbrasetsoulevalavalisedesamain

libre.

—Qu'est-cequejeprendsd'autre?s'enquit-ilenexaminantle

contenuducoffre.

Lerestedesespossessionsselimitaitàunepetitetélé,unlecteurde

DVD,saguitare,deuxcartonsdevaisselle,unecouette,troiscaissesde

livres,plusunpanierremplidedrapsetdeserviettesdetoiletteetunsac

decouchagesurlabanquettearrière.

—Tun'asqueça?s'étonna-t-il.

—Pourl'instant,oui.

Iln'émitaucuncommentaire,maissamanièredepincerleslèvresen

ladévisageantétaitplusexplicitequedesmots.

Ellefermalecoffreetsetournaverslui.

—Pasdereproches,d'accord?Nidesermon.

Ilsoutintsonregardunmoment,puissesépaulessedétendirentetil

laissaéchapperunrire.

—Avosordres,madame!Allez,suis-moi,enchaîna-t-ilensedirigeant

verslamaison.Jemedemandeoùjevaismettretoutçachezmoi.

—Dois-jeajouter«pasderemarquesdésobligeantes»àlaliste?

plaisanta-t-elleenluiemboîtantlepas.

Ilouvritlaporte.

—Tupeux.Maisjeneprometspasd'yarriver.Levantlesyeuxauciel,

ellelesuivitàl'intérieur.

—Ouah!Marco,cettemaisonestsuperbe.

Unflotdelumièresedéversaitparl'immensebaievitréeduvaste

salon-salleàmangerenformeL,rehaussantlateintechaudedu

plancherenboismassif,despoutresduplafondetdesboiseries.La

décoration,enrevanche,étaitplusquesobre,avecentoutetpourtout,

unfuton,unepetitetableplianteetunetélévisionsursonsupport.

Elleneputreteniruneremarqueironique:

—Ondiraitquejenesuispaslaseulequiaitbesoind'acheterdes

meubles!

Marcobalayalapièceduregard,uneexpressioncontrariéesurle

visage,avantdesejustifier:

—Jen'aipasencoreeuletempsdem'enoccuper.Viens,jevaiste

montrertachambre,quetupuissesl'installer.

Uncouloirreliaitlecôtésalleàmangeràunevoléedemarches

conduisantàunesalledebainsetunechambre.

AlyssasuivitMarcodanslachambreoùtrônaitunlitancienenbois

encadrédedeuxtablesdenuit.Unegrandecommodesurmontéed'un

miroiroccupaitpresquetoutlerestedel'espace.Lesmursblancsétaient

complètementnus,etlagrossecouettebleumarineformaitlaseule

tachedecouleurdelapièce.

—Tevoilàcheztoi,indiquaMarcoenposantlesoreillerssurlelitetla

valiseparterre.

Alyssatressaillitenremarquantdeuxchemisesrepasséessurla

commodeetunemontredesportàcôtéd'unverred'eausurl'unedes

tablesdenuit.

—Attends,s'exclama-t-elleenbalayantl'espacedesyeux,cen'est

quandmêmepastachambre?

7Bravopoursadécisiondegardersesdistances!

Glissantunemainnerveusedanssescheveux,Marcohochalatête.

Oui,ils'agissaitdesachambre.EtvoirAlyssaici,àquelquesmètresde

l'endroitoùilavaitsisouventrêvéd'elle,étaitextrêmementdérangeant.

—J'aiunpeutardéàaménagerlachambred'amis.Logique,puisque,

commejetel'aidit,jenereçoisjamaispersonne.Donc,celle-ciserala

tiennetantquetulesouhaiteras.

—Mais,oùvas-tudormir?s'inquiéta-t-elle,lesjouesempourprées.Tu

necomptesquandmêmepast'installerdanslefuton?Marco,ilesthors

dequestionquejeteprennetonlit.

—Tunemeprendsriendutout.Detoutefaçon,jedorstrèspeu.

Elleplissalesyeux.

—Pourquoi?

Laquestionlepritaudépourvu.Ilallaitdevoirfaireattentionàcequ'il

disait.Entresonintuitionetlefaitqu'elleleconnaissaitdepuisdes

années,Alyssarisquaitdedevinerbeaucouptropdechoses.

—Aveclesmissions,onprendl'habitudedesecontenterdequelques

heuresdesommeil.

Elleleconsidéraunmoment,puisposasonsacsurlesolensoupirant:

—D'accord.Ehbien,merci.

—Derien.

Ilsdemeurèrentuninstantfaceàfaceensilence.Bonsang,cequ'elle

étaitbelle!

—Euh,jevaispeut-êtretelaissert'installer,suggéra-t-ilfinalement.

—Oh...D'accord.

Ilpassadevantelleets'arrêtasurleseuil.

—Lasalledebainsestjusteàdroite.Demande-moisituasbesoinde

quelquechose.

—Pasdeproblème.

Ilfermalaportederrièreluietgagnalacuisine.Appuyésurle

comptoir,ilcontemplalepaysagemontagneuxderrièrelafenêtre.Alyssa

Scottétaitchezlui.Danssachambre.Peut-êtremêmeassisesursonlit,

encemoment.Àcettepensée,ilperçutuntiraillementdansson

entrejambe.Salehypocrite!

Maisqu'aurait-ilpufaired'autre?Lalaissersedébattrepourjoindre

lesdeuxboutspendantuntempsindéterminé?Avec,comme

conséquence,deseretrouverdanslamêmesituationquecettenuit,sans

unsoupoursepayerl'hôteletnullepartoùaller?Laprochainefois,elle

n'auraitpeut-êtrepasautantdechance,etceseraitquelqu'und'autrequi

ladécouvrirait.Alors...Ilpréféraitnepaspenseràtoutcequiauraitpu

seproduiresileschosesavaientmaltournépourelle,cettenuit.

Enl'accueillantchezlui,ilfaisaitcequ'ilfallait.Mêmesic'était

stupide,risqué...etcomplètementstupide!

Latensionpresquedouloureuseauniveaudesonbas-ventreenétaitla

preuve.Uneportes'ouvritderrièrelui.

—Jesorscherchermaguitare,annonçaAlyssaenpassantdansle

couloir.

—D'accord.

Ilsesentaitunpeucoupabledenepasluiproposerd'yallerlui-même,

maisiln'étaitpasvraiment,disons,présentable.Ilprituneprofonde

inspirationdansl'espoirquecelal'aideraitàseressaisir.

Ellerevintquelquesminutesplustardets'arrêtasurleseuildela

cuisine.

—Tuveuxlavoir?

—Oui,montre-la-moi.

Unpeucalmé,illasuivitdanslesalon,oùelles'installasurlefutonet

ouvritl'étui.Elleentirauneguitareacoustique.

—Bonsang,elleestmagnifique!Tumefaisécouter?

—Tuessûr?demanda-t-elleensouriant.Commeilhochaitlatêteet

s'installaitàcôtéd'elle,elleplaçasesdoigtssurlemancheetsemità

jouer.

Marcoappuyasescoudessursesgenoux.ElleavaitchoisiInmyLife,

unevieillechansondeLennonetMcCartneyqu'illuijouaitautrefoisau

piano.Elleluiévoquaitsamère,luiavait-elleconfiéàl'époque.Ellela

jouaitjoliment,avecunarrangementlégeretpleind'entrainquilefit

sourire,chosetrèsrarecesderniersmois.Sesdoigtsagilescouraientsur

lemanchetandisqu'ellemarquaitlerythmeensebalançantd'avanten

arrière.Combiend'après-midiavaient-ilspassésensembleàjouerdela

musiquedanslesous-soldesamaison,luisursavieilleguitare

acoustique,elle,surcellequelafamilleVieriluiavaitofferteàl'occasion

d'unNoël?Danscesmoments-là,ilsétaientpresquetoujourstousles

deux,délaissésparBradyquinepartageaitpasleurpassionpourla

musique.

UneboufféedefiertéenvahitMarco:elleavaitbeaucoupprogressé

depuisladernièrefoisqu'ill'avaitécoutée!

Ellejouaitadmirablement,etilsentaitlesnotesl'envelopperetdonner

encoreplusd'expressionauxparolesqu'ellesaccompagnaient.La

chansonparlaitd'unamourprésentplusfortquetousceuxdupassé,

d'unepersonneplusimportantequetoutescellesaiméesetperduesau

fildutemps.Alyssaserendait-ellecompte,elleaussi,quecesparoles

semblaientavoirétéécritespoureux?s'interrogea-t-il,lecœurbattant.

Ilsefrottalementon,incapablededétournerlesyeuxd'Alyssamalgré

l'impressionsoudainequelesmursdelapièceserefermaientsurlui.

Aprèsqueladernièrenotesefuttue,unsilenceassourdissantsefit

entreeux.Marcos'éclaircitlagorge.

—Tujouestrèsbien,Aly.C'étaitfantastique.Franchement.

Rougissante,elleposalaguitaresurlesol.

—J'aichoisimusiqueenoptionàlafac,expliqua-t-elle.Jenevoulais

pasperdre...cequej'avaisappris.

Marconeréponditpas,deplusenplusmalàl'aisesousl'intensitéde

sonbeauregardbrun.Ilsepenchaverselle,réprimantsonenviede

refermersamainsursanuquepourl'attireràlui.Iltenditlebras...Avec

untoussotement,ildésignalaguitare:

—Jepeuxlaprendre?

Ellesouritetluipassal'instrument.

—Biensûr.Elleestenboismassif:épicéa,acajouetboisderose.

—UneSeagull,constata-t-ilenprenantlaguitareentresesmains.

Joliebête.Cesguitaresonttoujourseuunsuperson,commetuviensde

leprouver.

Lesjouesd'Alyssas'enflammèrentdélicieusementetildutfaireappel

àtoutesavolontépournepaslescaresser.

—Essaye,l'incita-t-elle.

Ildéglutitetposalaguitaresursongenou.

—Jenesuissûrdepouvoirencorejouer.Cettefichuemain...

Illaissatombersonbrasgauchesurlecôté,desortequ'ellenevoie

plussamain.

Alyssaluieffleuralegenoueninsistant:

—Essaye.

Sajambeétaitcrispée.Pasparpeurdejouer,maisàcausedel'effort

qu'ilfaisaitpourrésisteràsonenviedemettrelaguitaredecôtépour

prendreAlyssasurlesgenouxetvoircedontsamainseraitcapableavec

elle.Seigneur!Ilpoussaunprofondsoupir.

—D'accord,mêmesiçanemèneraàrien.

Ilplaçalamaindroiteau-dessusdelarosaceetlagaucheautourdu

manche.Lescordesluimeurtrirentlesdoigtsquandilformaundo.

C'étaitl'undesinconvénientsdenepasavoirjouédepuislongtemps:les

calsd'autrefoisavaientdisparuetsapeauétaitredevenuesensible.

Malgrétout,lamorsurefamilièredumétalavaitquelquechosede

réconfortant.

Ilgrattalescordes,plaquantunautreaccorddebase.Cetteguitare

étaitmerveilleuse,avecunsonchaleureuxetunebellerésonance.

Alyssaluipressalegenou,détournantsonattentiondelapositionde

sesdoigts.Ilsetournaverselle.Sonbeauvisagerayonnaitd'unejoie

teintéedefierté.Soudain,ileutl'impressionqu'unelumières'allumait

enlui,ouplutôt,toutautourdelui,quelaprésenced'Alyssaapportait

unemerveilleuseclartéàtoutelamaison.

Ilplaqualespremiersaccordsd'undesesvieuxairsfavoris,etse

retrouvabientôtentraindéjouercommeunfou.Maissonplaisirfutde

courtedurée.Deuxfois,ilfitunefaussenote,incapabledebougerles

doigtsassezviteoud'appuyersuffisammentsurlescordes.Unecrampe

luivrillal'avant-bras.Aprèscequ'illuiavaitfaitsubirdeuxjoursplus

tôt,sonbrasn'étaitpasprêtàd'autresefforts.Sesdoigtsglissèrentdu

mancheetilserralesdentspournepascrierdefrustration.Encoreune

partiedesavied'avantquiluiéchappait.

—C'étaitsuper,Marco.Tuvois?Tun'aspasperdulecoup.Ilfaut

justequetutedérouilles.

Illuitenditlaguitare,etselevadèsqu'ellelaprit.

—Jenesuispasrouillé,Alyssa.Simplementtropabîmépourjouer.

Ilmarchajusqu'àlafenêtreets'appuyacontrel'undesmontants.

Dehors,unhommepromenaitsonchien;unpeuplusloin,unefemme

poussaitunlandau.Sentaient-ils,euxaussi,cepoidsconstantsurleurs

épaulesetcetétauautourdeleurcœur?Oucessensationsluiétaient-

ellesréservées?

Oh,c'esttellementbondes'apitoyersursonsort,pasvrai?

Deuxbrastièdesl'enlacèrentpar-derrière.Alyssaposalatêteentreses

omoplates,etsansl'avoirdécidé,ilrefermalesmainsautourdes

siennes.

S'abandonnantauréconfortdecetteétreinte,ilprittoutcequ'ellelui

donnait.Lamagiedesamusiqueflottaitencoredansl'air,etils'imagina

seretournant,prenantsondouxvisagedanssespaumesetposantses

lèvressurlessiennes.Sanslalâcher,illaconduiraitverslachambre,où

ilstomberaientsurlelit,àdemi-nusetenfiévrés.

Alyssal'embrassasurl'épaule.

Ilretintsarespiration,conscientdufrottementdesonérectioncontre

sonjean.Pourtant,ilnes'agissaitpasseulementdesexe.Pasavecelle.

Ladouleuraucreuxdesapoitrineetlenœuddanssagorgerévélaient

uneautrepartiedelui,cellequivoulaitlaréconforteretsesentir

réconfortéenretour,quiavaitenviedepartageretdeconstruire.Ce

seraitsi...

Ilsecoualatête,refusantdes'aventurerplusloinsurceterrain.Nul

doutequ'Alyssaluioffriraitcequ'ildésiraitsanslamoindrequestion,

saufquetoutcelan'étaitquedufantasme.

Àsoncorpsdéfendant,ilselibéradesonétreinteets'obligeaàluifaire

face,dissimulanttantbienquemalsafrustration.

—Cegenredechoses,là,déclara-t-ilenfaisantalleretvenirsonindex

entreelleetlui,çanedoitpassereproduire.

Ilvitl'étonnementsepeindresurlestraitsd'Alyssa,aussitôtremplacé

paruneexpressiondouloureuse.

Lablesserétaitbienladernièrechosedontilavaitenviedanscette

mauditeexistence,maisquitteàêtreobligédelefaire,autantquecesoit

leplustôtpossible.

Elledétournalesyeux,gênée.

—Jenevoulaispas...Jepensaisjuste...

Sansacheversaphrase,ellepivotasurlestalonsettraversalesalonen

directionducouloir.

—Aly,attends!

Enguisederéponse,ilentenditlaportedelachambreclaqueretlaclé

tournerdanslaserrure.

Alyssaselaissatombersurlelit,enproieàuncurieuxmélangede

chagrinetdedésir.LesmotsdursetsansappeldeMarcol'avaient

blessée,maiselleavaitressentiuneétrangeexcitationenconstatantque

sonproprecorpsl'avaittrahialorsmêmequ'illesprononçait.Pour

évitersonregard,elleavaitbaissélesyeuxetdécouvertavecsurprisele

renflementauniveaudesonentrejambe.

Aprésent,ellen'arrivaitpasàchassercetteimagedesonesprit,etle

désirgagnaitlentementmaissûrementsurlechagrin.

Aprèsavoirexaminélasituation,elleparvintàlaconclusionque

Marconevoulaitpasavoirenvied'elle,maisenavaitenviemalgrétout.

Était-celaréalitéouseracontait-elledeshistoires?

Bonsang,pourquoileshommesétaient-ilssicompliqués?Celui-là,en

toutcas.

Siaumoins,elleavaitétécapabled'unminimumd'objectivité!Mais

aprèslesdeuxnuitsqu'ellevenaitdepasser,elleavaitl'impressionque

satêteétaitsurlepointd'exploser.Soudain,ellesesouvintdesonprojet

pourl'après-midi:justeavantquel'hommedesesrêvesnel'inviteà

s'installerchezlui,elleavaitprévudelézarderausoleil.D'accord,iln'y

avaitpasdepiscine,maiscelanel'empêchaitpasdeprofiterdecette

bellejournéeestivale.

Fortedecettedécision,elleouvritsavaliseetensortitsonmaillotde

bain.Ellefrissonnaenjetantlesminusculesboutsdetissusurlecouvre-

lit.Cebikinivioletétaitleseulmaillotqu'ellepossédait.Pourvuque

Marconelasoupçonnepasd'essayerdeleséduirepourparveniràses

fins.Unefoishabillée,ellesecontempladanslemiroir.Malgréune

coupesportive,lehautlaissaitapparaîtresonventrenuetlanaissance

desesseins.

SoniPhonedansunemainetsacrèmeprotectricedansl'autre,elle

gagnalasalledebains,oùellepritdeuxserviettesdansleplacard.Puis,

ungranddrapdebainbleumarineenrouléautourd'elle,elleallase

servirunverred'eaudanslacuisine.

—Al...

LavoixdeMarcos'étrangla.

Alyssasetournaverslui,malàl'aise.

—Tuveuxquelquechose?demanda-t-elled'untonfaussement

dégagé.

—Euh,non.

Illaconsidéradehautenbas.

—Qu'est-cequetufais?

—J'avaisenviedeprofiterdusoleil,expliqua-t-elleenévitantson

regard.Çanetedérangepas?

Elletrouvalecouragedeleverlesyeux.Ilavaitl'airabasourdi.Grand

bienluifasse!Detoutefaçon,elleétaittropfatiguéepouressayerde

comprendrecequisepassaitenlui.Avecunsoupir,elletraversala

pièce,conscienteduregarddeMarcodanssondos.Elleeutunmoment

deflottementenouvrantlaporte,puiselleseretrouvaàl'extérieur,sur

unegrandeterrassecouvertemenantàuncharmantpetitjardin.

Aufond,lemassifduBlueRidgedressaitseshautescimesversleciel,

dansunpaysagemajestueux.

Alyssaposasesaffairesetétenditsondrapdebaindansl'herbe.Puis

elleentrepritdes'enduiredecrème.Ellenevoulaitpasprendredecoups

desoleil,surtoutsielles'endormait.Tandisqu'elleétalaitlalotion

solairesursesjambes,ellelevauninstantlesyeux,ettressailliten

découvrantMarcoquilacontemplaitderrièrelavitredelacuisine.

Iln'essayamêmepasdedétournerleregard.Nidefairecommes'il

étaitlàparhasard.

Ilressemblaitàunhommeassoiffé.

Alyssabaissarapidementlatête,parcourued'unfrisson.Dieumerci,

elleavaitréussiàdissimulersontrouble,maisàl'intérieur,soncœur

battaitlachamadeetsesdoigtstremblaienttandisqu'elleappliquaitle

produitsursonventre,sapoitrineetsesépaules.Elleposaleflacondans

l'herbeàcôtéd'elleetjetaunautrecoupd'œilfurtifverslaporte.

Marcoétaittoujourslà.

Elles'allongeasursaservietteet,lecasquedesonMP3surles

oreilles,tentadeseconcentrersursarespiration.Bientôt,lachaleurdu

soleill'apaisajusqu'àchassertoutetracedetensiondesesmuscles.

Durantunlongmoment,elleselaissaalleràlarêverie,puisellecéda

devantl'exigencedesoncorpselsombrapeuàpeudanslesommeil.

Dégagedelà,monvieux.Dégage!

Marcoavaitbeauserépétercesmots,ilétaitincapabledes'éloignerde

labaievitrée.Lavisiond'Alyssaàmoitiénueleclouaitlittéralementau

sol.

Direqu'ilsétaientallésdescentainesdefoisnagerdanslelacde

CunninghamFallsquandilsétaientgosses,etquejamaisilnel'avait

considéréeautrementquecommel'adorablepetitesœurdesonmeilleur

ami...

L'ennui,c'étaitquesiAlyssaétaittoujoursl'adorablesœurcadettede

Brady,elleneressemblaitplusenrienàunegamine.Néanmoins,elle

auraitdûresterintouchablepourdemultiplesraisons-raisonsqu'il

n'arrivaitmanifestementpasàfairecomprendreàsoncorps.

D'ailleurs,pourêtrefranc,soncorpsn'étaitpasleseulàrefusercette

réalité.Carlaprésenced'Alyssa,soncontact,sagentillesseet

l'acceptationqu'illisaitdanssesyeuxsemblaientluipromettreun

réconfortqu'iln'avaittrouvénullepartailleursdepuissonretour.Lerire

etl'optimismed'Alyssafaisaientréapparaîtrecertainesfacettesdu

Marcod'autrefois,celuiqu'ilétaitincapablederetrouverdansla

noirceuretlaconfusiondesoncerveaumalmené.

Maiscequ'elleignorait,c'étaitquedeceMarco-lànerestaientquedes

bribes.L'hommequ'ellevoyaitaujourd'huin'étaitpluslemêmequ'ilya

quatreans.Ilétaitbrisé,diminué,atrophié.

Or,l'idéedelireladésillusionetleméprisdansleregardd'Alyssale

terrifiait.

Mêmeenimaginantqu'ellel'acceptetelqu'ilétaitdevenu,avait-ille

droitdeluioffrirmoinsquecequ'elleméritait?CarAlyssaScott

méritaitlemeilleur.

Ilcontemplasoncorpsimmobile.Seslongscheveuxbrunsscintillaient

commedelasoiedanslalumière.Sapeauluisait,etcefichumaillotde

bainvioletnedissimulaitpresqueriendesesformesparfaites.Bonsang,

elleétaitmagnifique!Musclée,avecdescourbeslàoùilfallait.Ilpouvait

presquesentirleparfumdusoleilsursapeau,latiédeurdesachevelure

etlafermetédeseshanchessoussesdoigts.

Sansréfléchir,Marcosortitsurlaterrasseetdescenditdanslejardin.

Avantmêmedes'enrendrecompte,ilseretrouvadeboutau-dessus

d'Alyssa,projetantsonombreallongéesursoncorps.Ilfrémitsousla

forcedesondésir.Maisêtreprèsd'ellesuffisait.Celadevaitsuffire.

S'accroupissant,ilinstallaladeuxièmeserviettequ'elleavaitapportée

prèsdelasienneets'étenditsurledos.Ilavaittropchaudavecsonjean

noiretlesoleill'aveuglait,maiscetteproximité,cesentimentdenepas

êtreseul...peut-êtreétait-ilencoreplusfaiblequ'ilnelepensait,maisil

enavaitbesoin.Seigneur,ilencrevaitd'envie!

Unmouvementàcôtédeluiattirasonattention.Iltournalatête,et

plongealesyeuxdansceuxd'Alyssa.Ilsdemeurèrentainsiunlong

moment,àsefixersansunmotdansuneimmobilitétotale.

Finalement,elletournadenouveaulatête,faceausoleil,etfermales

paupières.Samainglissasurlabanded'herbeentreeuxdeuxetsaisitla

sienne.Ilsentitsagorgesenouer.Ellesavait...Elleavaitdevinécedont

ilavaitbesoin.Ilmêlasesdoigtsauxsiensetserraunpeuplusfort.

Puisilfermalesyeuxàsontouretluttapournepasexprimersaplus

grandepeur.

Ilrisquaitdetomberamoureuxd'elle.

8Marcofaisaitdescauchemars.

Alyssas'enrenditcomptedèssadeuxièmenuitchezlui.Commeellese

levaitpourallerauxtoilettes,ellel'entenditmarmonnerdansson

sommeil.Sesmotsétaientincompréhensibles,maissavoixétaitsi

torturéequ'elleperçutimmédiatementlesentimentquil'agitait.Elle

demeuraunlongmomentsurleseuildusalonplongédansl'obscurité,

hésitantàleréveiller.Maisilfinitparsecalmeretelleregagnasa

chambre.

Chaquenuit,c'étaitlemêmescénario.Parfois,celaduraitplus

longtemps,parfois,ilcriaitougémissait.Lafaçond'exprimerson

angoissevariait,maislasouffrancedemeuraitlamême.

Elleauraitaimépouvoirluienparler,luidemanderquellesimagesle

hantaientnuitaprèsnuit.Maisdepuisqu'elleavaitémergédesasieste,

samedienfind'après-midi,pourdécouvrirlaservietteprèsdelasienne

inoccupéeetlamaisonvide,Marcol'évitait.Touslesmatins,ilétaitdéjà

sortiquandelleselevait,etnepassaitlesoirqueletempsdes'assurer

qu'elleétaitbienlà,avantderessortirfairedusportjusqu'àcequ'elle

soitcouchée.EllenelecroisaitpasplusdanslajournéeauWhiskey's,

carilnemangeaitjamaisaveclesautres.

Laseulechosequil'aidaitàsupportercettefuiteconstante,c'étaitle

souvenirdudésirqu'elleavaitludanssesyeuxlorsqu'ils'étaitallongé

prèsd'elle,ausoleil.

Commentaiderquelqu'unquifaisaittoutpourvouséviter?

Peut-êtren'avait-ilsimplementpasenviequ'ellel'aide?

Lemercredisoir,elledécidaquecelanepouvaitplusdurer.Elle

refusaitdecontinueràvivrecommesitoutétaitnormalalorsqueson

plusvieilami,etl'hommequitenaitlaplusgrandeplacedanssoncœur,

traversaitvisiblementunedouloureuseépreuve.

Maisavantdel'interroger,elledevait,biensûr,attendrequ'ilrentre

dugymnase.Danssachambre,ellesedébarrassadesesvêtementsde

travailetenfilauntee-shirtetuncaleçonrayé.Puiselles'installasurle

futonpourl'attendre.Ladernièrefoisqu'elleregardal'heuresurson

portable,l'écranindiquait1h05.Alyssaluttaencoreunmomentpour

conserverlesyeuxouverts,puisellerenonça.Aprèstout,ellel'entendrait

entrer.Posantlatêtesurl'oreilleretlacouvertureque

Marcoavaitplacéssurlecôté,ellesombradanslesommeil.

Deuxbrastièdesglissèrentau-dessousd'elle,etl'espaced'uninstant,

elleeutl'impressiondenerienpeser.

Dansuneffort,Alyssasoulevalespaupièresetdécouvritl'angledela

mâchoiredeMarcojusteau-dessusd'elle.

—Marco,murmura-t-elled'unevoixensommeillée.

—Chut!Neteréveillepas...

Mmm...C'étaitsibondesentirsoncorpscontrelesien.Ellereferma

unemainautourdesanuque.

—Parle-moi.

Ilpivotapourentrerdanslachambreetladéposasurlelit.

Avantqu'ilaitpuseredresser,ellerefermasesbrasautourdesoncou.

—Jet'enprie.

Dansl'obscuritésilencieusedelapièce,ellel'entenditdéglutir.

—Arrête.

Ellenevoyaitpassonvisagedanslapénombre,maisletondesavoix

étaitonnepeutplusclair.Ellesentitleslarmesluimonterauxyeux,et

remercialecielqu'ilfassenoir.

LespasdeMarcos'éloignèrentdoucementetlaporteseferma.Elle

étaitseule.

Aprèsunetellescène,inutiled'espérerserendormir.Elletournaet

retournadanslelitpendantuneheure,puissedécidaàselever.De

l'autrecôtédelaporte,lamaisonétaitplongéedansl'obscurité.Sans

bruit,elletraversalecouloirjusqu'ausalon,etécouta.

Ilnefallutpaslongtempsavantquerésonnentlesétranges

gémissementsquiluibrisaientlecœur.

Elles'approchadufutonàpasdeloup,précautioninutilepuisqu'elle

avaitdéjàprévuderéveillerMarco.

—Marco?

Ellesepenchaunpeuplusverslui.

—Marco?

Àlaclartédiffusedelalune,ellel'examina.Ilétaitallongésurledos,

lacouvertureentortilléeautourdesesjambes.Alyssas'agenouillaàsa

hauteuretposaunemainsurlasienne,quisecrispa.

Elletressaillitenl'entendantpousserunesortederâleangoissé.Elle

s'apprêtaitàl'appelerencorequand,toutàcoup,lesdoigtsdeMarcose

relâchèrentsouslessiens.Toujoursinconscient,iltournalatêteverselle

etlâchaunsoupirtremblant.

Quelquesinstantsplustard,sonsouffles'apaisaetsefitplusrégulier.

Alyssaéclataensanglots.Ellepressasamainsursabouchepourne

pasfairedebruitetsentitleslarmesruisselersursesphalanges.Des

larmesprovoquéesparlasouffrancedeMarco,maisaussiparle

soulagementqu'elleressentaitsoudain.Avait-elleenfindécouvertun

moyendeluivenirenaide?Àsoninsu-ilnefallaitsurtoutpasqu'ille

sache-,elleveilleraitsurluipendantsonsommeil.Elleferaittoutcequi

étaitensonpouvoirpouréloignersescauchemars.

Seslarmessetarirent,sesjambess'engourdirent,etlaclartédelalune

sedéplaçadanslapièce,puisdisparut.Plusieursheuresplustard,leciel

commençaàs'éclaircir.Ilétaittempsqu'elles'éclipse...

Retenantsonsouffle,AlyssalâchalamaindeMarcoetdépliases

jambesankylosées.Ellegrimaçadedouleurquandsonsangseremità

circuler.C'étaitencorepirequandellecommençaàmarcher,maiscela

envalaitlapeine.Elleboitillajusqu'àsachambreenserrantlesdents,et

recommençaàrespirerunefoislaportereferméederrièreelle.

Malgrésafatigue,elleauraitcriédejoiesiellen'avaitpaseupeur

d'êtreentendue.Ellen'avaitpaslesmoyensdevenirseuleàboutdes

tourmentsdeMarco,elleenétaitconsciente,maissilefaitdemonterla

gardeetdechassersesdémonsnocturnesl'aidaitàdormirpaisiblement,

elleleferait.Combiendenuitsavait-ilpasséassisprèsd'ellejusqu'àce

qu'elles'assoupisse,quandelleétaitpetite?Bradyaussi,biensûr,sauf

quesonfrèreétaitsansdoutel'undesêtreslesplussilencieuxdela

planète,alorsqueMarcochantaitetjouaitdelaguitare,mêmeàson

chevet.

Parsaprésenceetsamusique,ill'avaitréconfortéetoutaulongdeson

enfance.Ill'avaitaidéeàoublier.

Àprésent,c'étaitàsontourdeveillersurlui.

Elleselaissatombersurlelitavecunintensesentimentde

satisfaction.Lajournéen'auraitpaspuêtreplusbelle.Si!songea-t-elle

ensesouvenantqu'aujourd'hui,elledevaittouchersapaye.Enfin!Elle

avaitéconomiséenvirondeuxcentsdollarsenpassantlafindela

semainechezMarco,etenrecevraitaumoinsledoubletoutàl'heure.

Unpeuplustard,elleperçutlesbruitsfamiliersdeMarcoquise

préparaitpourpartirautravail.Elleselevaetletrouvadanslacuisine,

avecpourtoutvêtementunjeantaillebasse.Lesbrascroiséssurle

comptoir,ilfixaitlacafetièreélectriquecommesisonregardavaiteule

pouvoirdefairecoulerlecaféplusvite.

Ellerestaunlongmomentàlecontempler.Sondossemblaitsculpté

danslemarbre,etellemouraitd'envied'enéprouverlatextureetlegoût

aveclesdoigtsetlalangue.Ilétaitsplendide!Aurait-elleunjourla

chancedeluiprouveràquelpointellel'aimait?

Soudain,ellefronçalessourcilsets'approcha.Uneprofondecicatrice

dessinaituncercleclairsursonépaule.Comments'était-ilfaitça?

Ilpivotaverselleets'appuyacontrelecomptoir.

—Salut,lança-t-elleenespérantnepasavoirétésurpriseentrainde

ledétailler.Çafaitplaisirdetecroisercematin.

—Jen'aipaseutrèsenviedemeprécipiterdehors,expliqua-t-ilen

désignantdumentonlapluiebattante,derrièrelafenêtre.

Alyssayjetaunrapidecoupd'œil,puisreportasonattentionsurlui.

Sontorseétait-ilaussifermequ'ilenavaitl'air?Unsillondepoilsbruns

reliaitsonnombrilàlaceinturedesonjean,sibassequ'ilétait

impossiblequ'ilporteunslipdessous.Iln'auraitpasdétonnéparmiles

athlètesphotographiésdansSportsIllustratedoulesmannequinsde

sous-vêtementsmasculinssil'onexceptaitdeuxdétails:lagrande

cicatriceroséesoussonpectoralgaucheetdeuxmarquesenrelief,à

l'avantetàl'arrièredesonépauledroite.

Prenantbrusquementconsciencedecequesignifiaientcesmarques,

Alyssasentitl'adrénalines'ajouterautroublequeprovoquaitenellela

vueducorpsdeMarco.Ellen'auraitsudirecontrequi,deluioude

Brady,elleétaitleplusencolèredeluiavoircachélavérité.Biensûr,

elleconnaissaitletypedemissionsdesforcesspéciales.QuandBradyet

Marcoavaientétéengagésaprèsleurformation,elleavaitlutoutcequi

luitombaitsouslamainàcesujet.Guerresnon-conventionnelles,

contre-terrorisme,chassesàl'homme,sauvetages,opérationsde

reconnaissancederrièreleslignesennemies:toutcequelestypes

commeMarcoetBradyfaisaientétaittopsecretettrèsdangereux.Mais

ilyavaituneénormedifférenceentrelesavoiretenvoirlesséquellesde

sespropresyeux.

L'appelinterrompudeBradyluirevintalorsenmémoire.MonDieu,il

étaitencorelà-bas!Àcetteidée,uneboufféed'angoisseluicoupa

brusquementlesouffle.

Marcobaissalesyeuxverslacicatricesursonépaule,puislaregarda

denouveau.

—Café?

Elleacquiesça,soulagéed'êtreramenéeàlanormalitéduprésent.Il

luitenditunetassefumante.

—Merci.

Ellebutunegorgéesanscesserdel'observer.

—Tuasbiendormi?

—Pasmal,répondit-ilenreposantsapropretassesurlecomptoir.Et

toi?

—Bien.

Ellen'éprouvaitaucunremordsàmentir.Commentl'aurait-ellepu

alorsque,pourlapremièrefoisdepuisqu'ellel'avaitrevu,Marcon'avait

presqueplusdecernes?Unsilencepesants'installaentreeux.

—Jevaisdanslasalledebains.Amoinsquetuveuillestedoucher

avant?

—Non,c'estbon.Jenesuispaspressé.

MarcosuivitAlyssadesyeux.Ilauraitdûenfilerunechemise,songea-

t-il,avantdedéciderquec'étaitpeut-êtreaussibienainsi.SiAlyssa

voyaitàquelpointilétaitabîmé,ellecesseraitpeut-êtredeleregarder

aveccesyeux-là:elleétaitincapablededissimulersesémotions.Or,

l'affectionetl'invitequ'illisaitdanssesprunellesétaientplusqu'iln'en

pouvaitsupporter.

Voilàpourquoiill'évitait.

Seullefaitd'avoirréussiàdormircettenuitluiavaitdonnélaforcede

résisteràl'enviedel'enlacer.Ilnesesouvenaitpasd'avoiraussibien

dormidepuisdesmois.C'estfoucommeplusieursheuresdesommeil

d'affiléepouvaientchangerleschoses...

Laportedelasalledebainss'ouvrit,etAlyssaapparutdanslecouloir,

uneserviettesurlatête,uneautreautourducorps.

Marcojetalerestedesoncafédansl'évieretsedirigeaàsontourvers

ladouche.Ilpoussaungrognementdefrustrationenentrant.Leparfum

d'Alyssa-vanillesuaveetpommesucrée-embaumaitl'air.Sabouche

s'asséchad'uncoupetsonérectionfutinstantanée,l'obligeantàouvrir

engrandlerobinetd'eaufroide.

Cequi,hélas,serévélainsuffisant.Imaginerqu'Alyssa,nueet

ruisselante,setenaitàcetendroitprécisquelquesminutesplustôt,

nourrissaitencoreetencoresonexcitation.

S'ilnesoulageaitpasauplusvitecettepressionobsédante,ilallait

finirparluisauterdessus.Cequiseraitunecatastrophe.

Lesimplecontactdesesdoigtssursonsexefaillitlemettreàgenoux.

Alors,enveloppéparlasenteurdélicate,ilselaissasubmergerparles

imagesérotiquesquiluitraversaientl'espritetjouitcommeun

adolescent,rapidement,puissammentetlonguement,réprimantavec

peinelecrigutturalquis'étaitformédanssagorge.

Lesdeuxmainsàplatsurlaparoideladouche,ilselivraàlacaresse

glacéedel'eausursondosetsesépaules.Ilétaitvraimentdansdesales

draps.

C'estlecœurremplideculpabilitéqu'ilsortitdelasalledebains.Une

servietteautourdelataille,ilsedirigeaverslesalon,ets'aperçutavec

étonnementquelamaisonétaitdéserte.Unpetitmotl'attendaitsurle

futon.

Jedoisfairequelquescoursesavantd'allerautravail.Àtoutà

l'heure.Aly.

Illarevitjusteavantdeprendresonservice,danslasallederepos.Ily

avaitbeaucoupdemonde:leshabitués,maisaussideuxserveusesqui

venaientenrenfortdetempsentemps.

Aumomentoùilentrait,AlyssariaitàuneremarquedeVan.Dès

qu'ellel'aperçut,sonriresefitplussourd.

Pourquoineriait-ellejamaisdecettemanièrelibreetjoyeuseaveclui?

Commesitunelesavaispas,imbécile!setança-t-il.Ilsaluaquelques-

unesdespersonnesprésentesetpritunechaise.Bienqu'ilaittoujours

gardésesdistancesavecsescollègues,aujourd'huiilavaitpresque

l'impressiond'êtreàsaplaceparmieux.Etiln'avaitpasbesoinde

chercherbienloinpourcomprendred'oùvenaitcechangement.

—Alors,lançaÉricàl'intentiondetous,quiestpartantpourun

plongeonàCunninghamFallssamediavantleboulot?Onpourraitse

faireunbarbecue.

—J'ensuis!affirmaaussitôtAlyssa.Çafaitdesannéesquejenesuis

pasalléeaulac.

Bientôt,lesidéesconcernantl'organisationdeceltejournéefusèrent

detoutesparts.L'enthousiasmed'Alyssafaisaitbrillersesyeuxetvibrer

savoix.

Marcolacontemplaunlongmoment,puis,avantmêmedeledécider,

illança:

—Jeviensaussi!

Sadécisionfutacceptéesansréactionparticulière,commesi

personne,finalement,n'étaitsurpris,àpartlui-même.Alyssalegratifia

d'unsourirerayonnant.

Ilauraitétéincapablededireaujustecequil'avaitpousséàsejoindre

augroupe,maisleplaisirévidentd'Alyssaàl'idéequ'ilseraitduvoyage

lefits'agitersursachaise.Pourquois'excitait-ilcommeça?Ilne

s'agissaitqued'unpique-nique,aprèstout!

Lasoiréefilaàtouteallure.Legroupequiseproduisaitavait

récemmentsortisonpremieralbum,etsaprésencesurscèneavaitattiré

desspectateursdetoutelarégion.Marcon'eutpasletempsd'échanger

unmotavecAlyssa,mais,àsongrandsoulagement,ilsentitqueleur

relationsedétendaitunpeu.C'étaitunprogrès.Dansquelsens?Il

n'auraitsuledire.

—Qu'est-cequejevoussers?demanda-t-ilauclientsuivant.

—Unverredevinblancetcequevousavezàlapression.

Marcoservitlevindansunverreàpied.Aumomentoùilfaisaitcouler

labière,unecrampeluivrillal'avant-bras,etlerécipientluiéchappa.Le

verrerebonditsurlereborddel'évierenl'aspergeantetsebrisaausol.

Marcopoussaunjuronentresesdents.Ilversauneautrebièreen

veillantànepastroptournersonbras,etlaplaçasurlecomptoirdevant

leclient.

—Tuveuxuncoupdemain?s'enquitunevoixdanssondos.

IlsetournaversAlyssa,àl'extrémitéducomptoir.

Ils'apprêtaitàluirépondrenon,maisunrapidecoupd'œilaux

morceauxdeverresurleplancher,àlafileininterrompuequisepressait

devantlebaretauxserveusesquiattendaientleurcommandelefit

changerd'avis.

—Merci.

Ellesoulevalebattantducomptoiretentra.

—Tupréfèresquejeserveouquejenettoie?

—Quetunettoies,siçanet'ennuiepas.

—Pasdeproblème.

Alyssasortitdel'autrecôtédubaretréapparutuninstantplustard,

unbalaietunepelleàlamain.Aprèsavoirbalayéleséclatsdeverre,elle

épongealabière.

Marcodevaitsanscessepasserderrièreelleoulacontournerpour

prendrelesboissons.S'illafrôlaitunefoisdeplus,ilallaitdevenirfou.

Ilplaçaunecommandesurleplateaud'uneserveuse.

—Attends,ilrestequelquechose...

Ilpivota...etfaillitpercuterAlyssa,accroupiesurleplancherjuste

devantlui.Ellepoussauncridesurprise,etlevalebrasparréflexe.Sa

mainseposasurlehautdesacuisse,àquelquesmillimètresdelazone

laplussensibleàsaprésence.

Marcofitunbondenarrière.

—Désolé.Çava?

Ellesereleva,levisageenfeu.

—Oui.

Toutàcoup,lebrouhahaautourd'euxparutsedissiper,etunétrange

silencelesenveloppa.Sonsexeétaitdurcommeduroc,etAlyssale

fixait,leslèvreslégèremententrouvertesetlevisageécarlate.Leurs

regardssemblaientverrouillésl'unàl'autre.

Puisunepointed'amusementpétilladansceluid'Alyssa.Tandis

qu'ellejetaitlecontenudelapelledanslapoubelle,sagaietése

transformaitenfranchehilaritéetsonrireexplosa,clair,francetsonore.

Justepourlui.Marcoensouritdeplaisir.

—Çamerappelleunvieuxproverbe,déclara-t-elleensepenchantvers

lui.

—Ahoui?répondit-ilavecunsourirevenudufondducœur.Lequel?

—S'ilvousplaît,mademoiselle?s'exclamaunevoixcontrariée

derrièrelecomptoir.

Deslarmesderirecoulèrentdesyeuxd'Alyssa.Pliéeendeux,elle

désignadudoigtlevieuxgrincheuxquiagitaitsonbilletdevingtdollars

avecimpatience.

—Situvienslesmainspleines,ontedirad'entrer.

Illuifallutquelquessecondesavantdecomprendrecequ'elledisait

entredeuxéclatsderire.Puisilpartitàsontourd'unfourire

inextinguible.

Unfourirecommeiln'enavaitpaseudepuisuneéternité.

Quand,unpeuressaisie,Alyssaretournas'occuperdesestableset

qu'ileutprislacommandedesonclientbougon,Marcoavaitla

mâchoiredouloureuseetsesentaitincroyablementvivant.

Unetransformationradicale-etqu'ildevaitàAlyssa...

Chaquejour,illatrouvaitunpeuplusattirante.Sesregards,son

sourire,soncœurgénéreux:toutluiplaisaitchezelle,luidonnantenvie

d'allerplusloinavecelle,jusqu'aubout.Cequi,hélas,étaitimpossible.

Lecœurserréàcetteidée,Marcolaregardas'approcherd'unedes

tablesdontelles'occupait.Ilauraittoutdonnépourqu'ilensoit

autrement,maisilétaitbientropcyniqueetabîméparlaviepourune

femmeaussijeunequ'Alyssa.Sansdoute,leurrelationfonctionnerait-

ellequelquesmois,maisquesepasserait-ildansquatreoucinqans?

L'amertumeetladouleurlarongeraientàpetitfeujusqu'aujouroùilles

verraitserefléterdanssesyeux.Cequiletuerait.

Mêmesitoutsoncorpssecabraitàcetteperspective,iln'avaitpasle

choix:ildevaitluidemanderdepartirdechezlui.Lacroiserchaque

jourauboulotsanssuccomberétaitdéjàassezdifficile,alorscomment

résisterenlacôtoyantvingt-quatreheuressurvingt-quatre,septjours

sursept?Bonsang,pourquoin'avait-ilpaspenséàçalesoiroùill'avait

invitéeàs'installerdanssamaison?Resteràl'hôtelcommeellel'avait

prévuauraitprobablementmieuxvalupourellequeseretrouvercoincée

aveclui.

Elledevaitpartirpoursonbien-etlesien.Etleplustôtseraitle

mieux.

9Alyssaouvritlesyeux,réveilléeparl'alarmedesontéléphone.Elle

tâtonnasurlatabledenuitetappuyasurlalouche«arrêt».Elle

regardal'heure:1heure.Parfait.

Restaitàsortirdesatorpeur...

Aprèsquelquesbâillementsetunrapidetourdanslasalledebains,

ellesesentitunpeumieux.Ellegagnalesalonetattenditsurleseuil

l'arrivéedescauchemars.

Lesminutespassèrent.Elles'appuyadel'autrecôtéduchambranle.

Soudain,Marcoémitunsonétrangléquirésonnadanslapièce

silencieuse.

Alyssafranchitladistancequilesséparaitpours'agenouillerprèsde

lui,commelanuitprécédente.

UnedéchargenerveusesecouaitlajambedeMarcoquigémit.Puissa

respirations'accéléra,sefaisantdeplusenplussaccadée.

Lecœurbattant,Alyssapritsagrandemaindanslasienne.Illuiserra

lesdoigtstandisqu'unrictustourmentécrispaitsonvisageàlalueurde

lalune.

—Chut!Toutvabien,murmura-t-elle.Jesuislà.

Ilroulasurlecôté,luifaisantface,samaintirantlessiennespourles

posercontrelapeaubrûlantedesontorsenu.Deuxfois,ilpoussaun

longsoupirtremblant,puisilsecalma.

Soulagée,Alyssasentitlesmusclesdesanuquesedétendre.Grâceà

Dieu,ellepouvaitlesoulagerunpeu!Quereprésentaientquelques

heuresdesommeilenmoinsparrapportaubien-êtredeMarco?

Surtoutquandelleétaitprêteàtoutsacrifierpourlevoirheureux.

Alyssatrouvaunepositionassezconfortablepouryresterunmoment,

etappuyasatêtesurleborddufuton.Ellenediscernaitpaslestraitsde

Marco,maisellesentaitsonsoufflechaudsurledosdesamain,toujours

serréedanslasienne.Ellesouritdeplaisir.

Bercéeparlerythmerégulierdesarespiration,ellefermales

paupières.Justepourquelquesinstants...

UngémissementsourdmontaalorsdelagorgedeMarco,quiôta

brusquementsesdoigts.

Alyssaseredressaaussitôt,soncœurbattantsifortqu'elledutfaireun

effortpourreprendresonsouffle.

—Chut!Toutvabien.Doucement,murmura-t-elleenluireprenantla

main.

Ellelacaressaavecsonpouce.

Ilparuts'apaiserunpeu,maisdestressaillementsparcouraient

toujourssesmusclesetilrespiraitavecdifficulté.

Alyssafronçalessourcils,sedemandantpourquoiils'étaittroublé.

L'avait-ellelâchéens'assoupissant?

Elles'assitentailleur,ledosbiendroit,pourêtresûredenepas

s'endormir.Unefouledepetitsbruitstroublaientlesilencedelanuit:le

souffledelaclimatisation,leronronnementduréfrigérateur,les

stridulationsincessantesdescigalesdanslejardin.

—Non!

LesdoigtsdeMarcopressèrentlessiensetAlyssaseraidit,unpeu

moinscertaine,àchaquesursautd'angoisse,depouvoiratténuersa

souffrance.Malgrétout,ilétaithorsdequestionqu'ellerenonce.Sa

présencen'avait-ellepastoutchangéhier?Avecdélicatesse,ellelui

caressalatête.Ilfrissonnaetsedétendit.Quelquesinstantsplustard,il

dormaitpaisiblement.Ellecontinuaàluicaresserlescheveux,

s'émerveillantdeleursurprenantedouceur,jusqu'àcequesonbraslui

fassemal.

Chaquefoisqu'ellecommençaitàsomnoler,Marcos'agitait.Lecœur

lourd,ellerecommençaitalorsàleréconforter,s'étonnantdela

puissancedesdémonsquis'emparaientdeluidèsqu'ellebaissaitla

garde.

Quandlespremièreslueursdel'aubechassèrentlanoirceurdelanuit,

ellelelâchaettraînasoncorpsfatiguéetdouloureuxjusqu'aulit.Elle

réglal'alarmedesonportablesur9h30.Pasdegrassematinéedemain:

elledevaitsortirs'acheterdenouveauxvêtementspourletravail.

Cinqsecondesplustard-dumoins,fut-cesonimpression-la

sonnerieluivrillaitlestympans.

Avecunsoupir,ellelacoupaets'assitcontrelesoreillers.Finalement,

elleavaitdormiquatreheures,constata-t-elle.Dommagequeson

organismenesesentepasplusalerteàcetteidée.Ladoucheleréveilla

bienunpeu,maisseseffetsserévélèrentfugaces,etellepassalerestede

lamatinéedansunbrouillardcotonneux.

QuandellepoussalaporteduWhiskey's,àquatorzeheurestrente,elle

étaitencoreunpeugroggymalgrélapetitesiestequ'elles'étaitaccordée.

Maisellesesentaitragaillardieparsanouvelletenue,etneregrettaitpas

des'êtrelevéetôtpourremplacersesvieuxtee-shirtsetjeansélimés.

Avecsajupecourtenoirequivirevoltaitàchacundesespas,sonhaut

blancéchancrédansledos,sesbasketsetsaqueuedecheval,elleavait

l'impressiond'avoirchangédelook,etsesentaitprêlemalgrélafatigueà

affronteruneautresallebondée.

Maisauparavant,ilfallaitqu'ellemange.

Elleposasesaffairesauvestiaireetsedirigeaverslasallederepos.

—Bonjour,lança-t-elleenentrant.

Tousleshabituéssetrouvaientdéjàlà,àl'exceptiondeTommy.

Éricsetournaverselle,etécarquillalesyeux.Sonregardétaitsidirect

qu'elleregardasontee-shirt,sedemandantsiellesétaittachée.

Apparemment,non.Ellerelevalatête,etcettefoiscefutleregardde

Marcoqu'ellecroisa.S'ilsemblaitaussisurprisqu'Éric,ellelutsurtout

delacolèredanssespupilles,alorsqu'ilyavaitdanscellesd'Éric...Dieu

saitquoi.Elleselaissatombersurunechaise.

—Commentvas-tu,Alyssa?s'enquitfinalementVan.

Elleluisourit.

—Bien.Etencoremieuxquandj'auraimangé,répondit-elleen

prenantuneassiette.Aïe,tuasfaitdutraversdeporc...

—Pourquoi?Tun'aimespasça?

—Aucontraire,tulepréparestrèsbien.

—Alors,oùestleproblème?

—Montee-shirtestneuf.Etblanc.Iln'aaucunechancefaceàdu

traversdeporc.

—Tun'avaisqu'àmettreautrechose,commentaMarcoentreses

dents.

Elleledévisagea,unsourcillevé.

—Pardon?

—Rien,répondit-ilenredressantlatête.

Elleleconsidéraunmoment,étonnée,puisneputréprimerun

sourire.Lescernessombressoussesyeuxavaientpratiquementdisparu!

Ilserembrunitunpeuplus.

—Qu'est-cequ'ilyadedrôle?

Priseaudépourvu,ellesecontentadehausserlesépaules,avantdese

détournerpourseservir.

—Eh!insistaMarcoàvoixbasseensepenchantverselle.Regarde-

moi.

Elleobéitsansréfléchir,etfaillitpousserunpetitcriendécouvrantle

visagedeMarcoàquelquescentimètresdusien.Toussessensfurent

soudainsubmergésparsonparfum,l'intensitédesesyeuxbleusetla

chaleurdesoncorps.

—Qu'ya-t-il?interrogea-t-elleenseressaisissant.

—J'allaistedemanderlamêmechose.

—Rien.Pourquoi?

—Tuasl'air...Jenesaispas,dit-ilsanslaquitterduregard.Fatiguée

ouquelquechosecommeça.

—Ahbon?Cen'estpaslecas,pourtant,mentit-elleenplongeantle

nezdanssonassiette.

Puis,àl'adressedeVanetÉric,ellereprit:

—Tommyn'estpaslà?

—Ilnedoitpasêtreloin,l'informaÉric.Oh,aufait,jenet'aipas

demandé:tuveuxquejepassetechercherdemainpouralleraulac?

—Euh...

EllesetournaversMarco,quis'étaitdenouveaurenfrogné.

—Jenesaispas.Jen'yaipasréfléchi.Peut-être.

—Tun'asqu'àm'envoyeruntextodanslamatinée,suggéraÉricen

jetantunbrefcoupd'œilàMarco.Jepeuxprendretonnuméro?

Commeellecommençaitàdicterleschiffres,Marcoselevadesa

chaisedansuncrissementsonore,etsortitsansunmot.

Alyssasentitsesjouess'empourprer.

—Jepensaisapportermaguitare,déclara-t-elle,l'airderien.Çavous

dérange?

—Tujoues?demandaVan.

—Unpeu.Jenesuispasunevirtuose,maisjemedébrouille.

—Alors,prends-la,décrétaÉricenselevant.Aufait,lupourraispeut-

êtrefairel'ouverturedelasoirée«jeunestalents»undescesquatre.

—Surtoutpas.Commejeviensdeledire,jejouepourleplaisir,c'est

tout.

—C'estlameilleuredesraisons,commentaVanenrassemblantles

assiettes.

Alyssaavalasadernièrebouchéeetselevaàsontour.

—Tuaurasbesoind'aidepournettoyerlesloges,Éric?

Érics'arrêtasurleseuil.Alyssalevits'attardersursesjambesavantde

détournerlesyeuxd'unairgêné.

—Euh,nonmerci,pasaujourd'hui.Legroupedoitarrivertôt,alors...

—D'accord.

—Àplus!

UnefoisÉricsorti,Alyssagagnalasalle,excitéeàl'idéedelasortiedu

lendemain.Unpeudedistractionentreamisluiferaitleplusgrandbien.

Surtout,celaluipermettraitd'oublierMarcoetsontroublant

comportement.

IlétaitplusdeminuitquandMarcoarrivachezlui.Suffisammenttard,

espérait-il,pournepascroiserAlyssa.Commes'ilnesuffisaitpasdela

voirs'exhiberdanscettefoutuejupetoutelasoirée,ilavaitdû,enprime,

supporterlesœilladesconcupiscentesetlescommentairesgrivoisde

deuxdébilesaccoudésàsonbaràchaquefoisqu'ellevenaitchercherune

commande.Sûrquepasmaldetypesdanslasalleavaientdûtenterleur

chance.Certains,sansdoute,s'étaientmêmemontrésunpeulourds.

Maisilavaitpréférénepaslevérifierdepeurqueceux-làneressortent

passurleursdeuxjambes.

Pourtant,latenuevestimentaired'Alyssan'étaitpasl'uniqueraisonde

sacontrariété.Car,malgrésonlooksexy-etDieusaitqu'ill'était!-,

Alyssaluiavaitsembléfatiguée.Ill'avaittrouvéepâle,aveclesyeux

rougiscommesiellemanquaitdesommeil.Était-ilpossiblequ'elleaussi

soitinsomniaque?Maispourquoi?Quelgenredeproblèmespouvaitla

troubleraupointdel'empêcherdedormir?

Ils'immobilisauninstantderrièrelaportedelachambre,l'oreille

tendue.Aucunbruit.Retenantsonsouffle,iltournalaclencheetouvrit.

Ondevinaitjustelaformedesoncorpslovéautourdel'oreilleraumilieu

dugrandlit.Seigneur,quenedonnerait-ilpaspourl'envelopperdeses

bras,levisageenfouidanssescheveux,etdormirtoutcontreellejusqu'à

cequelalumièredusoleillesréveille...

Doucement,ilfermalaporteetsedirigeaverslasalledebainspourse

changer.

Aprèsavoirposésesvêtementspliés,ilenfilalepantalondepyjama

bleumarinequ'ilmettaitchaquesoirdepuisl'arrivéed'Alyssa.Puisilse

brossalesdentsenévitantdecroisersonrefletdanslemiroir.Ilavait

tellementhontedesespensées!Sonregardseposasurlacicatricedela

blessureparballequ'ilavaitrapportéedesonpremierséjouren

Afghanistan.Ilsétaientenmissiondereconnaissancequandunrebelle

isolélesavaitattaquésdepuisunefalaise.Letypeavaiteuletempsde

tirertroisfoisavantqu'ilsledébusquent,etl'unedesballesavaitatterri

danssonépaule.Lablessureétaitsansgravité,maiselleluiavaitfaitun

maldechien.

Mêmeaprèscetincident,ilavaiteul'impressiond'êtrelàoùildevait

êtreetdefairecequ'ilavaitàfaire.

Or,aujourd'hui,quefaisait-il?Iltenaitunbar.Louaitunemaison

qu'iln'avaitmêmepasprislapeinedemeubler.Évitaitsesparents.

Évitaittoutlemonde.

Quelbutpoursuivait-il,maintenant?

Grommelantentresesdents,Marcoéteignitlasalledebainsetgagna

lesalon.Ilselaissatomberlourdementsurlefutonetbâillaàs'en

décrocherlamâchoire.

Peut-êtrelemiraclesereproduirait-ilcettenuitetseréveillerait-il

disposetdemeilleurehumeurdemain.Entoutcas,ill'espérait.Parce

qu'illuifaudraittoutesavolontépourrestercalmefaceauspectacle

d'Alyssasebaladantdanssonbikinivioletsouslesyeuxd'unÉricbéat

d'admiration.D'uncertaincôté,Marcocomprenaitcegarçon.Maisdelà

àdevoirsupportersesregardsébahiseténamourés!Surtout,avecce

foutumaillotdebainquilaissaitsipeudeplaceàl'imagination...

Marcodonnauncoupdepoingdanssonoreillerets'allongeaen

rabattantlacouverturesurlui.L'oragegrondaitauloin.Laclarté

aveuglanteetfugaced'unéclairilluminalemurdufond.Quelques

minutesplustard,lespremièresgouttess'écrasaientsurletoit.

Finalement,bercéparlebruitdelapluiequichassaitlefracascontinuel

danssatête,Marcofermalespaupières.

Lorsqu'ilouvritlesyeux,lapièceétaitbaignéed'unelumièredorée

indiquantquelejourétaitlevédepuislongtempsetqu'ilfaisaitbeau.Il

avaittellementperdul'habitudededormirsitard-voirededormirtout

court-qu'ilrestaunmomentdésorienté.

L'arômeducaféluititillalesnarines.Ilseleva,etpritaussitôt

consciencedesonérection.Était-cejusteuneréactionnormale,

purementphysiologique,ouuneffetdelasériederêvesdontlesvisions

s'étaientajoutéesàcellesdesesfantasmesdiurnesautourd'Alyssa?

Quoiqu'ilensoit,iln'étaitpasenmesurederépondretoutdesuiteà

l'appeldeladélicieuseodeurenprovenancedelacuisine.

Ilsepassaunemainsurlevisageetmarchajusqu'àlabaievitrée.

Dehors,lequartierétaitdéjàenpleineactivité.Quelleheurepouvait-il

bienêtre?

Ilbaissalesyeuxsursonentrejambe.Soncorpsn'étaittoujourspas

disposéàlelaisserassouvirsonenviedecaféine.Ilfermalesyeuxet

essayadepenseràunesituationsusceptibledelecalmer.Avancerdans

lesable.Traverserunerivièreglacée.Sefairetirerdessus.Voirunpote

sefairetirerdessus...Voilà.Çayétait!

Marcosedirigeaverslacuisined'unpastraînant.Ilécarquillalesyeux

d'incrédulitédevantlapendule.9h15.Ilavaitdormiplusdehuitheures

!Ilétaittotalementincapablededirecequiavaitmisfinàsesinsomnies

etsescauchemars,maisunechoseétaitsûre:ilnes'enplaignaitpas.Il

sesentaitpresqueunautrehomme,mêmes'ilsavaitquecen'étaitpasle

cas.Ilseservitunetassedecaféfumant.

Uneportes'ouvritderrièrelui.

—Ilmesemblaitbient'avoirentendu.Tuasfinipartelever?

Marcopivota,satasseàlamain.

—Oui.Tuauraisdûmeréveiller.Alyssasourit.

—Pourquoifaire?

Enguisederéponse,ilhaussalesépaules,etbutunegorgée.

—Lecaféestdélicieux.Merci.

—Derien.Aufait,Éricm'aenvoyéuntextoilyaunedizainede

minutespourmedemandercommentjecomptaisallerlà-bas.Jenesais

passitu,enfin,sinous...

—Onyvaensemble,biensûr.Réponds-luiquequelqu'un

t'accompagnedéjà.

Etqu'iltefoutelapaix,ajouta-t-ilpourlui-mêmeensouriantmalgré

lui.Bonsang,cequ'ilsesentaitbien!Ilsesurpritàseréjouiràla

perspectivedeplongerdanslelac.

—D'accord.Alors,bouge-toiunpeulesfesses.Lerendez-vousestà

dixheures,etnoussommesdéjàenretard.

—Nepressejamaisunhommependantsoncafématinal.

—Allez,grouille.Un,deux,trois...

Marcogrommela,sansparveniràréprimerunsourire.Ilsedétachadu

comptoir.

—Tuesqui,déjà?interrogea-t-il.Monsergentinstructeur?

—S'illefaut,réponditAlyssaensouriant.Maintenant,dépêche-toi.

J'aiunpique-niquequim'attend.

Illuidonnaunelégèrebourradeenpassant,nonsansremarquerles

bretellesviolettessursesépaules.

—Tun'étaispasaussiautoritaireavant,pasvrai?

C'étaitdel'humour,maisiln'empêchequ'elles'étaitaffirméedurant

cesdernièresannées,songea-t-il.Etcettenouvelleconfianceenellelui

allaitfichtrementbien.

Ellelâchaundecesriresfrancsetsonoresqu'ilaimaittant.

Ilsecoualatête,etgagnalasalledebains.Là,ilserasaaucasoùil

n'auraitpasletempsplustard,enfilauncaleçondebainetuntee-shirt

etpritunepairedebasketsenbasduplacard.Aumomentderefermerla

porte,sonregardfutattiréparunetachebleusarcelle.Parmisesaffaires

étaitsuspendueuneadorablerobeàuneseulebretelle,uniquevêtement

qu'Alyssaavaitrangédanssonplacard.Ilcaressaletissu,l'imaginant

surlecorpsd'Alyssa.Oui,elleétaitvraimentdevenueunefemme.

Àsonretour,illatrouvaassisesurlefuton,ungrandsacetsaguitare

àsespieds.

—Prêt?s'enquit-elle.

Illançasesclésdevoitureenl'airetlesrattrapa.

—Biensûr.Qu'est-cequ'onattend?Alyssalevalesyeuxauciel.

—Tuasl'airparticulièrementenforme,cematin.

—Tuasraison.C'estdinguecommedeuxbonnesnuitsdesommeil

vouschangentunhomme!

Elleluisouritetempoignasonsac.

—Jeprendsçaaussi,déclaraMarcoensaisissantlaguitare.

—Merci.

Dehors,ilseraiditenlavoyantcontournerlaMustangparlagauche.

—Qu'est-cequetu...?Alyssaéclataderire.

—Lesclés,s'ilteplaît,demanda-t-elleentendantsapaumed'unair

faussementingénu.

Ilouvritlecoffrepourrangerlaguitare.

—Lesoleilt'adéjàlapésurlatêteouquoi?Peut-êtrequ'onferait

mieuxderesterici,finalement.

—Allez,Marco.Laisse-moiconduire.

—Désolé,maisBettyn'aqu'unseulmaître.

—C'estdelaperversité!répliqua-t-elleenpassantducôtépassager

d'unairbougon.

Marcolaregardapar-dessusletoit.

—Parcequetusaiscequiestpervers,toi?

—Tuasvraimentenviequejeteledise?lâcha-t-elleavecunsourire

pleindesous-entendus.

Surquoi,elledisparutdansl'habitacle.Marcos'yengouffraàtoute

allureenaffirmant:

—Toutàfait.

—Ehbien,non,décréta-t-elle,narquoise.Queveux-tu?lesfemmes

ontleurspetitssecrets.Tusouhaitesconduire?Ehbien,conduis!Et

mets-nousunpeudemusique,pendantquetuyes.

Elledisaitçapourlenarguer?Sûrement.Iltrouvauneradiocorrecte

etdémarra.

—Vitresbaissées?

—Évidemment.

Aufeuauboutdelarue,Marcosetournaverselle.

—Tun'aspasvraimentcegenredesecrets,n'est-cepas?

Ellesoutintquelquesinstantssonregardensilence,puiselleéclatade

rire.

—Tusaisquetuesadorablequandtuaspeur?commenta-t-elleavant

dedissimulersesyeuxderrièreseslunettesdesoleil.

Marcogrimaça,troubléparlaréaction-etlesimages-queleurdrôle

deconversationavaitfaitnaîtreenlui.Ilmontalevolume,etils

passèrentlademi-heuresuivanteàécoutertranquillementlamusique,le

soleilau-dessusdeleurstêtesetlevisageoffertàlacaressetièdedu

vent.Unbraslevé,Alyssasemilàdessinerdesvolutesinvisiblesdevant

elle,uneexpressiondepuresatisfactionsurlestraits.Marcosourit,

touchéparleplaisirqu'elleprenaitauxchosessimples.

Quandilsarrivèrent,leparkingétaitdéjààmoitiéplein.Marco

reconnutcertainesvoituresdesescollèguesetsegaraàcôtétandis

qu'AlyssaenvoyaituntextoàÉricpoursavoiroùilss'étaientinstallés.

Quelquesminutesplustard,Éricsortitdesfourrés,unsourire

rayonnantauxlèvres.Tun'aspasunechance,mongars,pensaMarco.

Tupeuxcomptersurmoipouryveiller.

Alyssabondithorsdelavoiture,ôtaseslunettesetluiadressade

grandssignes.

—Désolée,noussommesenretard.

—Pasdutout.Laplupartviennentd'arriver,euxaussi.Onestjusteau

borddel'eau.

—Bonjour,lesaluaMarcoenfermantsaportière.

Éricluirenditsonsignedetêtesansquasimentdétacherlesyeux

d'Alyssa.

Réprimantunsoupird'agacement,Marcoouvritlecoffrepoursortir

leursaffaires.Ilressentituneétrangeplénitudedevantlesacd'Alyssa

avecsesdeuxdrapsdebainetsesdeuxbouteillesd'eau.Alyssaavaittout

préparépourlui.

Ilstraversèrentlebois,contournantlestablesdepique-niqueetles

enfantsjouantauballon,jusqu'àlaplage.Quelqu'undugroupeavaitdû

arrivertôt,carilsavaientl'unedestableslesplusprochesdusable.

Marcoposaleursaffairessurunbanc.

Alyssafitunsigneàceuxquiétaientdéjàdansl'eau,puissetourna

versluiensouriant.

—TuterappelleslafoisoùBradyahurléparcequ'unbancde

poissonsnageaitautourdelui?

—Tutesouviensdeça?Çadated'avant...

...Lamortdetamère,termina-t-ilpourlui-même,répugnantà

réveillerladouleurdecetteépoque.

—Peuimporte,reprit-il.Entoutcas,jel'entendsencorenousassurer

quecen'étaitpasvrai.

Ellelâchaunpetitrire.

—Ouais.Saufqu'onl'abienentendu.

—Ohoui!Enfin,jesupposequetoutlemondeapeurdequelque

chose.Pourtant,ilenfautbeaucouppoureffrayertonfrère.

Àcesmots,l'expressiond'Alyssaserembrunit.Elles'approchadelui.

—Ilestquandmêmeprudent,j'espère?

—Toujours,répondit-ilavecsincérité.

Ill'embrassasurlefront,résistantàl'enviedelaserrercontrelui.

—Net'inquiètepaspourlui.Siquelqu'unestbiencapabledeprendre

soindelui-même,c'estbienBradyScott.

—Merci,dit-elledansunsouffle.

Puis,récupérantsonsac,elleenchaînad'untonplusléger:

—Viens,rejoignonslesautres!

Marcolasuivitsurlesable.Quelquesserveusesdubarsebaignaient.

Illessalua,serendantcomptequ'ilneconnaissaitpasleprénomde

chacuned'elles.Tommyétaitassissuruneserviette,habillédepieden

cap.Manifestement,iln'avaitpasl'intentiondemettreunorteildans

l'eau.Aumoinsétait-iliciaveclesautres.Éricetdeuxautresserveurs

pataugeaientdanslelac.SetournantversAlyssa,Marcodemanda:

—Tuvienstebaigner?

—Pastoutdesuite.L'eaudoitêtreglacée.J'aibesoindemeréchauffer

avant.

Différentesimagestraversèrentl'espritdeMarcoavantquel'unedes

femmesréponde:

—Elleestglacée.Entoutcas,moi,ilesthorsdequestionquej'yaille.

Ils'agissaitdeTori.Marcoconnaissaitsonprénom,carellevenait

souventdiscuteravecluiaubar.Jusqu'àcequ'ellecomprennequ'il

n'étaitpasintéressé.

AlyssaétenditleursserviettesnonloindeTommy,maisàbonne

distancedeTori,remarqua-t-il.Marcos'assitàcôtéd'elleetretirases

baskets.

—Alors,Tommy,ilparaîtquetujouessuperbiendelaguitare,

déclaraAlyssa.

Tommylaconsidérapar-dessusseslunettesdesoleilrondes.

—J'aimebienjouer.

Quandelleluisourit,Marcoeutenvied'annonceràTommyqu'ilétait

fait,mêmes'ill'ignoraitencore.

—Tantmieux.Parcequej'aiapportélaguitarequemonfrèrevientde

m'offrirpourmonanniversaire,etj'espéraisquetuaccepteraisdéjouer.

—Tujouesaussi?interrogeaTommyenhaussantunsourcilintéressé.

—Probablementpasaussibienquetoi,d'aprèscequej'aientendu

dire.Alors,tuveuxbien?

Ileutunemouedubitative.Labrisesoulevaitsescheveuxlongs.

—Pourquoipas?Aprèsdéjeuner,d'accord?

—Parfait.C'estgénial.Baindesoleil,plongeondanslelac,barbecue,

etmusique:letop!conclut-elleenôtantsontee-shirt.

Elles'allongeasursondrapdebain.

—Tuasdéjàtoutorganisé,pasvrai?commentaTommy,unepointe

d'amusementdanslavoix.

—Ouais,répondit-elleensouriant,paupièrescloses.

Marcos'appuyasuruncoude,bientropéveillépourenvisagerde

s'allongerluiaussi,lesyeuxfermés.Sanscompterqu'ainsi,ilpouvait

observerAlyssaducoindel'œiletlancerdesavertissementssilencieuxà

ceuxquiserisqueraientàl'approcher.

Tucrains,Vieri.

Aucoursdelademi-heuresuivante,iléchangeaquelquesmotsavec

sescompagnons,justeassezpouravoirl'airsociable,maissans

s'engagerdansuneconversationsansintérêt.Éricetlesautresles

rejoignirentsurlaplage,installantleursserviettesdemanièreàformer

ungrandcercle.Faceausilenceinhabitueld'Alyssa,Marcocomprit

qu'elles'étaitendormie.Unefoisencore,ils'interrogeaavecinquiétude

surlesraisonsdesesinsomniesnocturnes.Mêmecematin,alorsqu'elle

semblaittellementseréjouiràlaperspectivedecettejournéeaulac,il

avaitremarquéquelescernessoussesyeuxs'étaientencoreaccentués.

Soudain,elles'étira.

—Ilfaitchaud.Marcolâchaunrire.

—Jeconnaisunmoyend'arrangerça.

Ellesemitenpositionassiseetregardaautourd'elle.Environla

moitiédugroupes'étaitdéplacéeverslazonedepique-nique,oùÉricet

Vanallumaientlegrill.Elleselevaetretirasonshortenjean,qu'elle

laissatomberdanslesable.Avecsesorteils,elleleramassaetleposasur

saserviette.

—Tuviens?

Marcodéglutit.Bonsang,elleneserendaitvraimentpascomptede

l'effetqu'elleluifaisait?Ilespéraitquel'eauétaitglacée.

—Vas-y.Jeterejoins.

Letempsdesedébarrasserdesontee-shirt,etilluiemboîtaitlepas.

Elleétaitaussiagréableàregarderdederrièrequededevant.Uneenvie

irrésistibledecaresserlacourbedeseshanchesluifitserrerlespoings.

—Jerentretoutdesuiteoujen'iraijamais,affirma-t-elled'unton

plusassuréqu'elleenavaitl'air.

Marcoladépassa,pénétrantdansl'eausansralentirlepas.Elleétait

gelée!IlpivotapouradresserunsourireàAlyssa.

—Ellen'estpassimauvaise,finalement.Allez,viens,tuvasadorer.

Ilréussitàconserversonsouriremalgrélachairdepoulesursapeau.

—Tuessûr?

Enguisederéponse,illuifitsignedelerejoindre.

Alyssas'avançadansl'eau,jusqu'auxgenoux,puisauxcuisses.Là,elle

hurla:

—Marco!Espècedementeur!

Marcotentadeconserversonsourire,maiscelui-ciressemblaitplusà

unrictustantilfrissonnait.

—Aïe!C'estunvraiglaçon,repritAlyssaencroisantlesbras.T'esnul!

Elleplongealesmainsdansl'eau.Marcosursautaquandlejetglacé

mouillasontorse.

Unsouriresatisfaitauxlèvres,Alyssaledévisageait,lesmainssurles

hanches.

Ill'arrosaàsontour.Ellepoussauncrietpivotaendirectiondu

rivage.Maisilfutplusrapide.D'unbond,illasaisitparlataille.

Ellesedébattitenhurlanttandisqu'ill'entraînaitenarrière.

—Lâche-moi,supplia-t-elleenriant.

—Pasquestion.Tuvoulaistebaigner,pasvrai?

—Elleesttropfroide.Marco,s'ilteplaît.

Elleessayadeluiéchapperenluiécartantlesbrasdeforce.Iltintbon.

MaisplusAlyssaluttait,plusellesefrottaitcontrelui.Heureusement,la

températuredel'eau,siellenesuffisaitpasàrefroidirsesardeurs,

empêchaitsoncorpsderéagirdemanièretropvisible.

Jusqu'àuncertainpoint.Car,toutàcoup,celan'eutplusaucune

importance.Marcosentitsonsexesedresserlentement,maisdefaçon

inexorable.Quandilsseretrouvèrentimmergésjusqu'àlapoitrine,il

étaitenérection,etcompritàl'immobilitésoudained'Alyssaqu'elle

aussil'avaitperçu.

Ellelaissaéchapperunsoupirrauque.Puissonsouffles'accéléra.

Posantlatêtesursonépaule,ellemurmura:

—Laisse-moimeretourner.Marcodéglutit,lagorgesèche.

—Jenecroispasquecesoitunebonneidée.Ellesepressaunpeu

pluscontrelui,luiarrachantungémissement.

—Aucontraire,protesta-t-elle.Marco,s'ilteplaît.

Commeilhésitait,tirailléentresaraisonetsondésir,elleenprofita

pourpivoter.

—Aly...

S'efforçantderecouvrersesesprits,ilpenchalatêteenavant.Ses

lèvresseposèrentdanslecreuxdesonépaule.Avantmêmedeserendre

comptedecequ'ilfaisait,ill'embrassa,unefois,deuxfois,goûtantdela

languel'eaudulacsursapeau.

Retenantsonsouffle,Alyssatenditsagorgepours'offriràsonbaiser.

Commentrésister?Deslèvres,iltraçaunsillonlelongdesoncou

jusqu'aulobedesonoreille,qu'iltitillaencoreetencore.

Pantelante,elletenditunbrasenarrièreetattrapaletissudeson

caleçondebainpourlepresserunpeupluscontreelle.Marcotressaillit

sousl'effetdelasoudainefrictionentresonsexeetlesfessesrebondies

d'Alyssa.L'undesesbrasglissasoussesseinstandisqu'illuientouraitle

ventredel'autre.

—Caresse-moi,l'encouragea-t-elle.Seigneur,ilétaitincapabledefaire

autrement!

Illesfittournerdansl'eau,etilsseretrouvèrentdosaurivage,face

auxgrandspicsquicernaientlelac.

—Aly,murmura-t-ildansunsouffle.

—Marco,jet'enprie.

S'agrippantàseshanches,elleleplaquafermementcontreelle.

Ilcéda,etdonnaplusieurspousséesenavant,pressanttoutela

longueurdesonpéniscontrelesglobesdesonadorablederrière.Une

mainreferméesurl'undesesseins,illuimordillalelobedel'oreille

tandisquelatiédeurdesachairemplissaitsapaume.

Dansuneplaintelangoureuse,elleluifitface.

Leregardbrûlantdefièvre,leslèvresgonfléesethumides,elleétait

plussensuellequejamais.Ilpouvaitliresonattentedanssesprunelles,

etn'allaitpasl'obligeràlesupplier.Pasquandildésiraitlamêmechose.

Tournantsonvisageverslui,ils'emparadesabouche.Leurslèvresse

frôlèrentdélicatement,presquetimidementaudépart,puis,trèsvite,

leurbaisersefitplusprofond,plusavide.Haletante,

Alyssapivotadanslecercledesesbras,etcettefois,illalaissafaire.

Aussitôt,ellelepritparlecou,etrefermalesjambesautourdesataille.

Alors,Marcocompritqu'ilétaitperdu.

10Alyssan'enrevenaitpas.MarcoVieril'avaitembrassée!Etil

recommençait!C'étaitlemomentleplusfabuleuxdesonexistence.Tout

cequin'étaitpaseux-l'eau,lesgens,lamontagne,lecielbleu-avait

disparudesonesprit,commesilemondeentierseréduisaitàMarcoet

elle,àlasensationdeseslèvresetdesoncorpscontrelesien.Il

approfonditleurbaiser,luidemandantsilencieusementdel'accueillir.

Ellegémitquandleurslanguessetouchèrent,puissemêlèrentl'uneà

l'autre.C'étaitsibon,encoremeilleurquedanssesfantasmes.

Elleseserraplusfortcontrelui,avecl'impressionqueceneserait

jamaisassez.Ellesentaitsonsexedurentresesjambes,etneput

s'empêcherd'ondulercontreluitandisqu'ilscontinuaientàs'embrasser

etsecouvrirdebaisers.Desmotscrusetérotiquesmontaientàses

lèvres,s'unissantauxhalètementsrauquesetauxsoupirsvoluptueuxqui

s'échappaientdelagorgedeMarco.Chaquesonrésonnaitcommeune

victoireàsesoreilles,luidonnantenvied'enentendreplus.

—Aly,murmura-t-ilavantdes'emparerdenouveaudesabouchepour

unbaiserfiévreux.

Unemainenfouiedanssescheveux,ilglissal'autreau-dessousdeses

fessespourlasoutenir.Sanscesserdel'embrasser,elledonnauncoup

dehanchespourveniràsarencontre.Aussitôt,ilraffermitsapriseet

plaquasonventrecontresonsexe.Ladansesensuelledeleurslangues

mêléesetlefrottementdupénisdeMarcosursonventreachevèrent

d'affolersessens.Latêterenverséeenarrière,elles'abandonnaàla

sensationgrisantedecetinstantdepurbonheur.

PuisMarcodétachaseslèvresdessiennes,etplongeasonregard

brûlantdanslesien.Vibrante,ellesuspenditsarespiration,

brusquementeffrayéeàl'idéedecequiallaitsuivre.

—Seigneur,Alyssa...

Leurscorpsseremirentenmouvement,àunrythmelent,etpourtant

déjàtropintensepourespérerreculer.

—Agrippe-toiàmoi,chuchota-t-ilenlasoutenantdesesdeuxmains

croisées.

Laboucheentrouverte,elleretintsonsoufflepournepascrier.

Remontantlesmainsdanssondos,illafitlégèrementbasculeren

arrièredefaçonqueleursdeuxsexessetrouventl'uncontrel'autre,

uniquementséparésparlemincetissudeleursmaillots.Puisil

recommençaàbougercontreelle,luiarrachantdelongsgémissements

deplaisir.

—Oh,Mar...co...Je...

Lafindesaphraseseperditdansuncri,queMarcoétouffaaussitôten

prenantpossessiondesabouche.Secouéed'ondesdeplaisir,elle

continuaitàsefrottercontrelui,avidedeprolongerencoreetencore

l'enivrantesensation.

PuiselleentenditMarcopousserunrâle.Elleouvritlesyeuxet

découvritsursestraitsuneexpressionincroyablementsensuelle.

Resserrantsesjambesautourdelui,elleaccentuaencorelapression,

regrettantdenepaspouvoirfairedisparaîtrecesquelquesmillimètres

detissuquilesempêchaientdes'unirtotalement.

—J'aienviedetoi,gémit-elleavantdel'embrasser.

EllesentitlesdoigtsdeMarcos'enfoncerdanssachairaumomentoù

unlongfrémissementleparcourait.Uncridejouissancemontadanssa

gorge,étoufféparlapassiondeleurbaiser.Aucunedesesaventures

précédentesnel'avaitpréparéeàlaplénitudequ'elleéprouvaitàfaire

l'amouravecMarco.

Ressentait-illamêmechose?Entoutcas,sonrenoncementà

combattrel'attirancequ'ilsavaientl'unpourl'autreétaitunpasdansla

bonnedirection.

Leurbaisersefitplustendre,moinsfougueux.QuandMarcolui

caressalescheveux,ellesesentitsoudainaimée,protégée.Puisilposa

sonfrontcontrelesien,lespaupièrescloses,uneexpressionapaiséesur

lestraits.Ilétaitsibeau!

Ellel'aimaitplusqu'aucunmotn'auraitpuledire.

Ill'embrassasurlefront.

—Merci,murmura-t-ellesimplement.C'étaitmerveilleux.

—Plusquemerveilleux,Aly,renchérit-ilendéposantunpetitbaiser

sursonoreille.

Ellesourit.

—Tucroisquelesautresontremarquénotreabsence?

—Jel'espère.Celaencalmerapeut-êtrecertains.

—Qu'est-cequeçaveutdire?interrogea-t-elleavecunpetitrire.

—Justequ'ilssoupçonnentcequej'ailachancedesavoiravec

certitude:tuesincroyable!Allez,rentrons,jemeursdefaim.

Letempsd'undernierbaiser,etilluiprenaitlamainpourl'entraîner

verslerivage.

Desavie,Alyssanes'étaitjamaissentieaussicomblée.Elleétaitsi

heureusequeleschosessoientredevenuessimplesetnormalesentre

eux.

Ilatteignitleursservietteslepremieretluilançasontee-shirt.

—Tuveuxbienlemettre?Ellefronçalessourcils.

—Jesuistrempée.

Illadévisagea,l'airtrèscontentdelui.Sonexpressionétaitsexyen

diable-mêmes'ilétaithorsdequestionqu'elleleluidise,biensûr.

—J'aibesoind'untrucdanslavoiture,annonça-t-ilàbrûle-pourpoint.

Jerevienstoutdesuite.

Ill'embrassasurlajoue.Cesimplefrôlementdeseslèvressursapeau

embrasaledésirquicouvaittoujoursenelle.

Lecœurgonflédejoie,ellesecouasaserviette,espérantquelesoleil

suffiraitàexpliquerlarougeursoudainesursesjoues.Puiselles'essuya

rapidementavantd'enfilerletee-shirtpar-dessussonmaillotmouillé.

Àsonretour,Marcoluidonnaunelégèrebourradedansl'épaule,un

sourirenarquoisauxlèvres.

—C'estmieux?demanda-t-elleenbaissantlesyeuxsursontee-shirt.

—Entoutcas,beaucoupplussûrpourmoi,répondit-ilavecunclin

d'œil.

Ilarboraitlesourirequ'elleaimaittant.CeluiduMarcod'autrefois.

Elleluitenditlamain.

—Viens,allonsmanger!

Deboutderrièrelebar,Marcoavaitl'impressiond'évoluersurdes

montagnesrusses.S'êtreabandonnéàsondésirpourAlyssal'avait

transportéauparadis.Elleétaitpassionnéeetsincère,généreuseet

joueuse.Totalementouverteàlavieetàl'expérience,prêteàtoutfaireet

toutessayer.Soncontactétaitàlafoisvivifiantetréconfortant.Etsileur

étreintedanslelacs'étaitrévéléeaussiexplosive,iln'osaitimaginerce

queceseraitdanssonlit.

Pourtant,saconsciencenecessaitdeluirappelerquecettescène

n'auraitjamaisdûavoirlieu.Bonsang,ils'étaitcomportécommeun

adolescentincapabledecontrôlersespulsions!Ilétaithorsdequestion

qu'unetelleerreursereproduise,décréta-t-il.Mêmesileregarddontle

couvaitAlyssadepuisqu'ilsétaientsortisdulacneluifacilitaitpasles

choses.Ilétaittellementexplicitequetoutlemondeautourd'eux

semblaitl'avoirremarqué.

Àlafindelajournée,Marcos'étaitraisonné,etl'idéederenoncerà

l'euphoriequ'ilavaitéprouvéeentenantAlyssadanssesbraslerendait

encoreplusmorosequed'habitude.Ilsrentrèrentdutravailense

suivant,maisaulieudesegarerderrièreelleenarrivantàlamaison,il

poursuivitsaroute.Ilignoraitceàquoielles'attendaitaujuste,mais

sûrementpasàcettedérobade.Elledevaitêtreàlafoisdéçueetfurieuse

contrelui,songea-t-il,lecœurserré.Encédantàsespulsions,ilavait

peut-êtremisuntermeàleurrelation.

Marcoroulasansbutprécis,recherchantjusteunpeud'oublidansla

vitesse.Ilavaitbeaul'analyserdanstouslessens,lasituationlui

paraissaitsansissue.Malgrélaprofondeurdesliensquil'unissaientà

elleetl'attiranceincroyablequilespoussaitl'unversl'autre,iln'avait

pasledroitdes'engagersentimentalementavecAlyssa.Pasledroitde

faireporteràquelqu'und'aussiinnocentetconfiantlepoidsdesa

dépression,desonméprisdelui-mêmeetdel'enferqu'étaitdevenuesa

vie.

C'estalorsqu'uneidéeinouïeletraversa:pourquoidevrait-ilmontrer

cetaspectdeluiàAlyssa?

Souslechocdecetterévélation,ils'arrêtasurlebas-côtéetdescendit

devoiture.Perduaumilieudenullepart,ilmarchadelongenlargedans

lefaisceaudespharesdelaMustang.Peut-êtrepouvait-iloffriràAlyssa

l'imageduMarcoqu'ellevoulait,celuid'avant?

Rienneleforçaitàluirévélercequis'étaitpasséenAfghanistanniles

conséquencesdestructricesquecelaavaiteusurlui.Iln'étaitpasobligé

departagerladéception,lapeurnilesentimentd'échecquicoulaient

danssesveines.IlluisuffiraitdesecomportercommeleMarco

d'aujourd'huiaulac:unMarcodécontracté,affableetaffectueux.Cela

luidemanderaitd'autantmoinsd'effortsqu'elleluidonnaitenviede

donnerlemeilleurdelui-même,d'êtreparfait,pourelle.Aprèstout,ses

cauchemarsnes'étaient-ilspascalmésdepuisl'arrivéed'Alyssa?S'il

avaitretrouvélesommeilensipeudetemps,peut-êtresesautres

symptômesfiniraient-ilségalementpardisparaître?Danscecas,il

n'auraitmêmeplusàjouerlacomédie.

LapenséedeBradyetdesonéventuelleréactionluitraversa

vaguementl'esprit,maistoutàsonsoulagementetsonoptimisme,illa

repoussaaussitôt.

Letempsderemonterdanslavoitureetdedémarrer,etilrepartaiten

trombeendirectiondesamaison.Àprésentqu'ilavaittrouvéune

solutionpours'abandonnerauréconfortetauplaisirdel'amour

d'Alyssa,ilrefusaitdepasseruneminutedeplusséparéd'elle.La

trentainedekilomètresqu'ilavaitparcouruesanss'enrendrecompteà

l'allerluiparutinterminable.Enfin,ilsegaradevantlamaison,monta

lesmarchesquatreàquatreetouvritlaporte.

Lamaisonétaitplongéedanslesilence.Riendetrèsétonnant,àdeux

heuresdumatin,maiscelan'atténuapassadéception.Ilmontadanssa

chambre-peut-êtrebientôtleurchambre-,hésitantàlaréveiller.

Quandavait-ilressentipourladernièrefoisunetelleimpatience?

Alyssadormaitsurleventre,latêtetournéesurlecôté.Ilôtaquelques

mèchessoyeusesquiluitombaientsurlevisage,maisellenebougeapas.

Alors,ilrepensaauxcernesbleutésqu'ilavaitremarquéssoussesyeux.

Uneboufféedeculpabilitélesubmergea.Elleavaiteuunesemaine

trèschargéeetprofitaitenfind'unsommeilbienmérité.Quelquesoit

sondésirpourelle,iln'avaitpasledroitdelaréveiller.

L'alarmedesonportableallaitbientôtsonner,iln'avaitplusque

quelquesheuresàattendre.

Fortdecettedécision,ilpritunedouche,sechangea,etpréparasonlit

surlefuton.Maisilétaitbientropexcitépourespérers'assoupir.

Commeilseservaitunverred'eaudanslacuisine,ils'aperçutquele

répondeurclignotait.Ilenfonçalatouchepourécouterlemessage.

Brady.Lemessageétaitquasimentinaudible.Marcolevalesyeuxau

ciel.Bonsang,pourquoisonamil'appelait-iljusteàcemomentprécis?

Commesi,àdesmilliersdekilomètresdelà,ilavaitsenticequise

passaitettenait,enquelquesmotsindéchiffrables,àmarquerson

désaccord.Marcoprituneinspirationprofonde,etdécidadenepasse

laisserdéstabiliser.S'ils'yprenaitbien,ilseraitpeut-êtrecapablede

prouveràBradyqu'ilétaitdigned'Alyssa.Qu'onpouvaitluifaire

confiance.

Ilsentitsesentraillessenoueràlaperspectived'aborderlesujetavec

sonmeilleurami,maissecontentadefinirsonverred'eauenrefusant

des'appesantirpluslongtempssursonsentimentd'angoisse.

Finalement,épuisé,ilregagnalefuton,oùiltournaetseretournaen

toussenssansparveniràfermerl'œil.Sonbrasluifaisaitunmalde

chien.Bonsang!

Enfin,lesommeileutraisondelui,etilsombradansl'inconscience...

pourseretrouveraussitôtaucœurdesonenferpersonnel.L'endroit

étaittypique:unemaisoncarrée,avecquatremursenpisé,unecour

extérieure,etaucentre,unesortedepatiooùs'affairaientlesfemmes.

L'aspecttraditionneldeslieuxrendaitlesévénementsàvenirplus

prévisiblesencore.

Quelquechosedansl'aspectdelacourletroubla,maisilmitcelasurle

comptedelanervosité.Sesinformationsétaientsûres.Vérifiéeset

revérifiées.Illeuravaitfalludesmoisdetravailpourenarriverlà,mais

ilsneregretteraientpasleurpeineunefoisWentworthderetourparmi

eux.Lesmissionssouscouvertureétaientterriblementpérilleuses,et

Wentworthétaitrestéunjourdetrop.Leurunitédevaitarrangerça.

Sonmalaises'accrutencoresansqu'ilpuisseendéterminerlasource.

Sansdouteuneconséquencedel'affluxd'adrénalinedanssonsang.Ou

laperspectivedecequiallaitsuivre.Ouencorelachaleuraccablante.

Lesdouzehommesdesonunitéavancèrentenfileindienne.Brady

étaitjustederrièrelui.Ilspassèrentlacrête,s'abritèrentderrièreles

broussailles,dansunfossé.Aucunerésistance.

Marcosedébattitengémissant.

—Chut!Toutvabien.Jesuislà...

Ilfronçalessourcils.Alyssa?Alyssaétait...là?Ilscrutalesalentours

àtraverslesbuissons.Seigneur,non!Ellenepouvaitpasêtreici.

—Alyssa!hurla-t-il.

S'ilcontinuaitàl'appeler,ilsallaientl'entendre,maisilneparvenait

pasàs'enempêcher.S'ilarrivaitquelquechoseàAlyssa...

—Jesuislà,Marco.Toutvabien.

Ilsentitlacaressefraîchedesamainsursonfront.

Ils'agita,troubléetinquietdepercevoirsaprésence,maisheureux

malgréluidelasentirsiproche.Commeunhommeassoiffédevantune

sourcefraîche.

Puislamaison,lesbroussailles,lefossédisparurent,etiln'yeutplus

queladoucecaressesursescheveux.Quis'effaçaàsontour.

Marcon'avaitaucuneenviedeseréveiller.Quand,enfin,ils'était

assoupi,lesommeilavaitétésibonqu'ilvoulaitenprofiterau

maximum.Ilsetournasurlecôté,etperçutunedélicieusechaleurqui

accentuaencoresondésirderesterendormi.Sesdoigtsreconnurentle

contactsoyeuxdelapeau,etilsourit.Oh,oui!Cegenrederêveétait

tellementmieux...

Quelquechoseluichatouillalenez.Ilvouluts'endébarrasser,maisil

neparvenaitpasàbougersamain.Quesepassait-il?

Ilsoulevalespaupières,etpendantunlongmoment,futincapablede

déterminerquisetrouvaitprèsdelui.Delongscheveuxbrunsglissèrent

sursontorseetsurl'unedesesmains.L'autreétait...

—Alyssa?Illasecoua.

—Aly?Aly!

Alyssaseredressad'unbondetcilla.Sescheveuxluiretombèrentsur

levisage;ellelesrepoussavivementenarrière.Commentdiableallait-

ellejustifiersaprésenceici?

EllevitlesémotionssesuccédersurlestraitsdeMarco,troprapides

pourqu'elleaitletempsdelesidentifier.

—Qu'est-cequetuficheslà?interrogea-t-ild'untontranchant.

Elleouvritlabouche,puislareferma,incapabledetrouverune

explicationcrédible,outrecellequ'ellenepouvaitpasprendrelerisque

deluidonner.

—Euh...bredouilla-t-elleenbaissantlesyeuxpouréviterlebleu

glacialdesonregard.J'aijuste...

Commeelleluilâchaitlamainpours'éloigner,Marcolaretintparle

poignet.

—Non,tunepartiraspasavantdem'avoirditpourquelleraisontu...

Quoi,d'ailleurs?Dormaisparterre...avecmoi?ajouta-t-ilen

trébuchantsurlesderniersmots.

—Je...jenesaispas.Iln'yapasdequoienfaireundrame,déclara-t-

elleavecunsourireaffecté.

Marcoplissalesyeux.

—Undrameàquelsujet?interrogea-t-ilenl'examinantcommes'il

espéraitlirelaréponsesursonvisage.

Alyssaregardaailleurstoutenétendantsesjambes.Elles'était

assoupieentailleuretsachevilledroiteétaittoutengourdie.Combiende

tempsétait-ellerestéeassiseainsi?Ellen'enavaitaucuneidée.Bon

sang,Aly,tulesavaispourtantqu'ilnefallaitpast'endormir!

Marcopressal'indexsurlamarquerougeauniveaudesacheville.Elle

tressaillitensentantlesfourmisseréveiller.

—Pourquoias-tu...?

Elleluijetauncoupd'œilfurtif.Illadévisageaitavecuneexpression

oùlafureurledisputaitaumépris.Peut-êtren'avait-ellepaslabonne

réaction?Elleferaitmieuxdesemontrersincèreetd'entamerenfinla

discussionqu'ellesouhaitaitavoiravecluidepuisplusieursjours.

—Écoute,Marco,toutvabien.

—C'estcequetudisaisdansmonrêve.Tun'aspasledroit!

s'exclama-t-ilsoudainenselevantdufutonpourlatoiser.

Alyssasesentitblêmir;elleavaitl'impressionquesatêtesevidait.

JamaisMarconel'avaitregardéeainsidepuisqu'elleleconnaissait.

Commes'ilnesupportaitpassavue.S'appuyantsurlefuton,elletenta

desemettredeboutàsontour,sanssuccès.

—Marco...

—Non.Cen'estpasparcequejet'aiproposédet'installerunmoment

chezmoiquecelatedonneledroitdeviolermonintimité.

—Cen'estpas...

—Tumedisquetuneveuxpasm'envahir,maistuprofiteslâchement

demonsommeil!s'indigna-t-il,horsdelui.

Ilarpentaitlapièced'unpasnerveuxenmarmonnantentresesdents.

—Direquependanttoutcetemps,jecroyais,jecroyais...

Ilsecoualatête.

—Quelcrétinjefais!Jenesuismêmepascapablede...

—Jesuisdésolée,Marco.Jen'avaispasl'intentionde...

—Tun'asjamaisl'intentiondequoiquecesoit,pasvrai?Tule

contentesdefairecedonttuasenviesansjamaispenseraux

conséquences.

Cettefois,elleréussitàselever,etcroisalesbras,commepourse

protégerdesavoixglacialeetaccusatrice.

—Dequoiparles-tu?

—Detanouvelletenuedel'autrejour.Àtonavis,queleffetelleaeu

surleshommesautourdetoi?EtÉric,qu'a-t-ilpenséquandtuluias

donnétonnumérodetéléphoneetquetul'asenlacéaprèsavoirpasséla

journéeàt'exhiberenbikinidevantlui?

—Quoi?!

Alyssaenrestasansvoix.ElleavaiteffectivementserréÉriccontreelle

enluidisantaurevoiraprèslebarbecue,maisils'agissaitd'unsigne

d'amitié,riendeplus.Leseulqu'elleavaitenvied'étreindreàce

moment-là,c'étaitMarco.Sepouvait-ilqu'ilpensedetelleshorreursà

sonproposaprèscequ'ilsavaientpartagédanslelac?Soudain,elle

sentitlanausées'emparerd'elle.

—Tunepeuxpastecontenterdet'occuperdetoi,n'est-cepas?reprit

Marco,lamâchoireserrée.

Ildésignalefuton.

—Çaduredepuiscombiendetemps?Elledéglutit,ungoûtamerdans

labouche.

—Cen'estpasimportant.

—Çal'estpourmoi.

—Jevoulaisjustet'aider,tenta-t-elled'expliquerd'unevoixbrisée.

Illâchaunriresec.

—Toi,tuvoulaism'aider?Alorsquetuastoujourseubesoindes

autrespourtesoutenir.Bonsang,Alyssa,tuestellementfaiblequ'il

faudraitpresqueunprofessionnelpourteprendreencharge!

Ellereculad'unpas,dedeux.Loindelui.Loindelaviolencedeses

parolesetdesdébrisdesonproprecœur.

—Arrête,Marco,lesupplia-t-elle,lagorgenouée.Cen'estpastoi.

—Ahoui?Parcequetumeconnais,peut-être?Alyssasecoualatête,

lesjouesruisselantesdelarmes.Choquéeetanéantie,elleétaitincapable

deproférerunmot.Alors,elleregardaMarcounedernièrefois,et

tournalestalons.

—Hé,Aly.Attends...!

11S'efforçantdemettreunécranentreelleetsadouleur,Alyssase

dirigeadroitverslasalledebains,rassemblasesaffairesetlesporta

jusqu'àsonlit.Non,corrigea-t-elle,passonlit,celuideMarco.Ilétait

horsdequestionqu'elleresteiciuneminutedeplus.Enpilote

automatique,elleattrapasavalise,pritlepremiershortquiluitomba

souslamainetl'enfilasansmêmeprendreletempsdechangerdetee-

shirt.

Ellesursautaenentendantclaquerlaported'entrée.

Unvrombissementdemoteurs'éleva.Betty...Elleentenditlespneus

crissersurlegravierpuissurlemacadamquandMarcoviraàtoute

allureàl'angledelarue.

Unsanglotmontadanssagorge.Quevenait-ildesepasser?

Elletombeàgenouxdevantsavalise,surlapiledevêtements.Ellese

doutaitquelasituationseraitembarrassantesiMarcolasurprenaità

veillersurluilanuit,maisjamaisellen'auraitimaginéuneréactionaussi

cruelle.Sarage,lesmotsterriblesqu'ilavaitprononcés...Finalement,

VanetÉricdevaientavoirraison:peut-êtrequ'elleneleconnaissait

plus.

Àcetteidée,ellesentitsoncœurmeurtriseserrer.Ellenecomprenait

paspourquoiils'étaitmontréaussibrutal,surtoutaprèscequis'était

passéentreeuxlaveille,maisautréfondsd'elle-même,ellen'arrivaitpas

àcroirequel'hommequil'avaitrabaisséeétaitlevraiMarco.

Cequi,aufond,n'étaitpasimportantpuisquec'étaitceluiqu'ilvoulait

luimontrer.

Alyssaessuyaseslarmesetrangealerestedesesaffairesdanssa

valise,plaçantintentionnellementaufondl'oursenpeluchequeMarco

luiavaitoffertdesannéesplustôt.Biendécidéeàlaisserleslieuxcomme

ellelesavaittrouvés,ellefillelitetportasesbagagesdansl'entrée.

Ellesortitlaclédelamaisondesonsacetlajetasurlefuton,avantde

claquerlaportederrièreelle.Unefoissesaffairesdanslecoffredesa

voiture,elleeutpresquel'impressionquelasemaineécouléen'avait

jamaisexisté.

Enfin,pastoutàfait,maiscelafaisaitmoinsmaldelecroire...

L'habitacledelaCorollaavaitconservélachaleurdelaveille.Elle

ouvritlesvitrespourlaisserpénétrerunpeud'airfrais.L'idéed'être

obligéedecroiserMarcoauWhiskey'sdansdeuxheures-ilsétaienttous

lesdeuxaupremierservice-lafitgrimacer.

Ellenesesentaitpasdetailleàl'affronter.Pasencore.Elleavait

besoind'aumoinsunjourpourseressaisir.Enquelquescoupsdefil,

elletrouvaquelqu'unpouréchangersonserviceavecelle,etcepetit

succèsluiapparutcommeuneénormevictoiredansledésastredecette

matinée.

Elledécidad'utilisercetaprès-mididelibertépourchercherun

appartement-sansenéprouverdejoieparticulière,commecelaaurait

étélecasdansd'autresconditions.

Ellepritsansréfléchirladirectiondel'hôteloùelleavaitpassésa

premièrenuitàFrederick.Avantdeserendrecompte,unefoissurle

parking,quec'étaitunemauvaiseidée.Ellen'avaitaucuneenviedevoir

Marcodébarquericipourtenterdelaconvaincrederevenirchezlui

parcequ'ilavaitunesubitecrisedeconscience.S'illefaisait,ceserait

uniquementpardevoirenversBrady.Or,ellenesesentaitpascapable

decachersadouleuraprèslascènequ'ilsvenaientdevivre.

Elleeffectuadoncundemi-tour,etattenditquelefeupasseauvert

avantdesedirigerversunhôtelqui,d'aprèssessouvenirs,étaitl'undes

moinschersducoin.Cen'étaitpasparcequ'ellegagnaitsaviedésormais

qu'elledevaitdépensersanscompter.

Malgrél'heurematinale,elleputs'installerdanssachambresans

attendre.Elledéposasesbagagesaupieddulitetselaissatombersurle

matelas.Allongéesurledos,brasécartés,ellecontemplaleplafonden

crépi,uneatrocesensationdevideaucreuxdelapoitrine,tandisqueses

penséestournaientetretournaientdanssatête,deplusenplus

confuses.

Ressaisis-toi,Aly.Tuasdeschosesàfaire.Tudoischercherun

appartement.Allez!

Seforçantàserelever,elledescenditacheterlejournallocal.La

rubrique«Location»n'occupaitquedeuxpages,maisAlyssan'étaitpas

difficileetn'avaitpasbesoind'unpalace,justed'unendroitpropreet

abordable.Aprèsavoirentourélesannoncessusceptiblesderépondreà

sesexigences,ellecommençaàtéléphoner.À11heures,elleavaitobtenu

deuxrendez-vous,etlaperspectivederésoudrebientôtsonproblèmede

logementrenditsapeineunpeuplussupportable.

S'iln'étaitpastropcher,lepremierappartementétaitloinderépondre

àsescritèresdepropreté.Lacuvettedestoilettesbougeaitetsemblaitne

pasavoirétédécrasséedepuisdesannées,lacuisinen'étaitpasen

meilleurétat,avecunfourinnommableetunminusculeréfrigérateur

quisentaitl'aigre,etlesmursarboraientdegrandestracescarréeset

rectangulairesprouvantqu'ilsn'avaientpasétérepeintsdepuisledépart

desancienslocataires.Quandàlamoquette,elleprésentaitçàetlàde

grandesauréolesdouteuses.Horsdequestionqu'elles'installedansun

teltaudis.

Dansl'espoirquesonprochainrendez-vousseraitplusfructueux,elle

sedirigeaitversledeuxièmeappartementquandellereçutuncoupdefil

l'informantquecelui-civenaitdêtreloué.

Elleavaitdumalàretenirseslarmesquandellearrivaautravail.Elle

parcourutleparkingdesyeuxetydécouvritBetty.Normal,puisque

Marcoétaitencorelà.Maisilpartiraitbientôt,etavecunpeudechance,

ellen'auraitpasàlecroiser.Ensuite,ilneluirestaitplusqu'àespérer

qu'ilyauraitassezdemondepourl'empêcherdepenserjusqu'aupetit

matin.

Surl'unetl'autrepoint,ellenefutpasdéçue.Al'heuredel'ouverture,

JamesonavaitremplacéMarcoderrièrelebar,oùilaccueillitles

premiersclientsquipiétinaientdéjàd'impatiencesurlepasdelaporte.

Alyssasemitaussitôtautravail,etpritsoindenepass'accorderune

secondepourpenserdetoutelasoirée,seproposantpouraiderle

barmanoulesserveusesdèsqu'elleavaituninstantdelibre.Quandles

musicienscommencèrentàrangerleursinstruments,elleavaitla

migraineetledosencompote,maiselleavaittenubon.Dans

l'immédiat,c'étaittoutcequicomptait.

Aprèsavoirremisdel'ordredanslasalle,ellegagnalacuisine.

—Sitoutlemondeestd'accord,jem'occupedesloges,annonça-t-elle

ens'appuyantsurunedeslonguestablesenInox.

Quelquesbilletsenpluspourpayersanoted'hôtelneseraientpas

superflus.Éric,quividaitunepoêle,levalatêteverselle.

—Touteseule?

—Oui.

Lessourcilsfroncés,ilposasapoêleets'approchad'elle.

—Tun'aspasl'airenforme,fit-ilobserver.

—Merci,répondit-elled'unairfaussementvexé.

—Cen'estpascequejevoulaisdire.

Devantsaminecontrite,elleluidonnaunebourradeamicaledans

l'épaule.

—Jesais,s'excusa-t-elleensouriant.Disonsquej'aieuunemauvaise

journée.

Illadévisageaunlongmoment.

—Tuveuxenparler?

S'ilsavaitàquelpoint!Hélas,ellen'avaitpersonneàquiseconfier.Et

nevoulaits'épancherauprèsdelui,decraintedeluidonnerdefaux

espoirs.Elleluisourit.

—Jenepréfèrepas.Merciquandmême.

—Commetuveux,concéda-t-ilenhaussantlesépaules.Pourlesloges,

tun'asqu'àcommencer,jepasseraivoirunpeuplustardsituasbesoin

d'aide.Çateva?

—Trèsbien.

Éricluiapportalechariot,etelles'yagrippaplusqu'ellenelepoussa

poursedirigerverslesloges.

Legroupeétaittoujoursoccupéàrangerquandellearriva.Elle

attenditàl'extérieurqu'ilsterminent.

—Bonnenuit,lançalederniermusicienenpassantdevantelle,unétui

noiràlamain.

Elleluirenditsonsalutetentradanslasalle.Mettrelesrestesde

nourrituresurlechariot.Nettoyerlacuisine.Viderleréfrigérateur.Jeter

lespoubelles.Laverlestoilettes...

Ériclarejoignitcommepromisunpeuplustard.

—Disdonc,tubossesvite!s'exclama-t-ilenjetantuncoupd'œil

autourdelui.Ilrestequelquechoseàfaire?

—Cenétaitpastrèssalecesoir.Maistupeuxallerjeterlespoubelles

etrapporterlechariotdanslacuisine.Jen'aipaspassél'aspirateur,non

plus.

—Jem'enoccupe,décréta-t-ilenluisaisissantgentimentlementon.

Rentrecheztoi.Tuasl'airépuisée.

Ellefitunpasenarrièretoutenlegratifiantd'unsourirequi,

l'espérait-elle,permettraitdemieuxfairepassercemouvementderejet.

—D'accord.

Aumomentoùellepoussaitlaporte,ilappela:

—Alyssa?

Elleleregardapar-dessussonépaule.

—Oui?

Ellevitdifférentesémotionssesuccédersursonvisage.Finalement,il

demanda:

—Personnenet'a...faitmal?

Lesjouesenfeu,ellesemorditlalèvrepournepashurler.Elle

connaissaitl'opiniond'ÉricàproposdeMarco,etavaitnotésans

surprisesacontrariété-etcelledesautres-quandilavaitcomprisqu'ily

avaitquelquechoseentreeux.

—Non,net'inquiètepas.

Ilhochalatêtesansconviction.

Telunautomate,Alyssapointa,pritsonsacdanslevestiaireetsortit

dansl'airmoitedelanuit.ElleselaissatombersurlesiègedesaCorolla

etquittaleparking.

Ellenesavaitpasoùaller.RetournerchezMarcoétaithorsde

question,etregagnersachambred'hôtelladémoralisait.Alors,ellese

contentaderouler.D'occupersonespritenregardantlaroutepourne

plussentirladouleurquiluibroyaitlapoitrineaupointdeluicouperle

souffle.

Elleessuyaitseslarmesaufuretàmesurequ'ellescoulaientsurses

jouesetrefoulaitlessanglotsquiluinouaientlagorge.

Etsoudain,cefuttrop.

Unesortederâles'échappadeseslèvres,etelleduts'arrêtersurle

bas-côtépourlaisserjaillirlechagrinquilafaisaitsuffoquer.Des

minutes,desheurespeut-êtres'écoulèrentavantqueseslarmesse

tarissent,lalaissantsansforce,lespaupièresrougesetgonflées,unvide

atrocedanslecœur.

Jamaisellen'avaitéprouvéunesolitudeaussiterrible.Commesile

mondeentiern'étaitplusquedésolation.

Alyssas'essuyalevisage.S'effondrercommeellevenaitdelefairene

servaitàrien.Elleseredressasursonsiègeetregardaautourd'elle,

retenantsonsouffleaumomentoùelleréalisaoùellesetrouvait:àdeux

pâtésdemaisondechezsonpère.

Sansréfléchir,elletraversalequartierdesonenfanceetsegaradevant

lavieillebâtissesombreetdélabrée.Lamaisonoùelleavaitgrandi.

Mêmecetermeétaiterroné,songea-t-elle.Ils'agissaitplutôtdel'endroit

oùelleavaitvécuheureusejusqu'àsesdouzeans,ou,pourêtreplus

précise,troissemainesaprèssesdouzeans,quandsamèreétaitmorte.

Sielleavaitpenséalorsqueleschosesnepourraientjamaisêtrepires,

elles'étaittrompée.Car,parlasuite,sonpèreétaitdevenu

méconnaissable.Bradyavaitfaitdesonmieuxpourlamettreàl'abrides

gifles,desbouteillesquivolaient,desobscénitésetduvomidansla

cuisine.Pourlui,toutavaitétébienpire.Decinqanssonaînéetsurle

pointdeterminersesétudessecondaires,ilavaitendosséledoublerôle

depèreetdemère.

Jamaisilnesortaitsansl'emmeneraveclui,cequiexpliquait

pourquoielleavaitpassétantdetempschezMarco.Aprèslelycée,les

deuxgarçonsavaientrenoncéàleurrêvepourresterauprèsd'elle,

estimantqu'elleétaittropjeunepourhabiterseule.Ilsavaientlouéun

appartementpoureuxtroisetavaientsuividescoursàlafacducoinen

attendantqu'elleterminesesétudes.

BradyetMarcoétaientseshéros,ausenslittéralduterme.

Ellefrissonnaenregardantlabâtisseplongéedanslapénombre.

Sonpèreétait-iltoujourslemême?

Sonpick-upétaitgarédanslapetitecontre-alléededevant,uneroue

dansl'herbe.

Crois-moi,personnenerentredelaguerreindemne.

LesparolesdeVanluirevinrentenmémoire.Laguerre,poursonpère,

c'avaitétélamortdesafemme,etilnes'enétaitjamaisremis.Enétait-il

demêmepourMarco?

Unebouleluinoualagorge.Oui,elles'étaitvraimentmontréenaïve.

Dumoins,concernantMarcoVieri.Iln'étaitplusl'hommequ'elleavait

connuautrefois.Pourtant,tandisqu'elleprenaitconsciencedeson

erreuretcomprenaitàquelpointelleignoraittoutdunouveauMarco,

uneautreévidences'imposaàelle:ellel'aimaittoujoursautant.Ou

plutôt,ellel'aimaitd'unamourencoreplusprofond,plussincère,plus

réel.

C'étaitluiquin'acceptaitpasd'avoirchangé.Lamanièredontilavait

réagicematinleprouvait.

Or,tantqu'ilenseraitainsi,leschosesnepourraientpasévoluer,et

elleresteraittotalementimpuissante.

Deslarmesbrûlantesluimontèrentauxyeux.Riendecequ'elleavait

pudireoufairen'avaitaidésonpère.Soncœurseserra

douloureusementàl'idéequ'ilenseraitpeut-êtredemêmeavecMarco.

Marcopensaitavoirvéculepire.Ildécouvritqu'iln'enétaitrien.De

toutesavie,ilnes'étaitjamaissentiaussimal.

Ils'étaitpresqueécouléunesemainedepuisqu'ils'étaitconduit

commeledernierdesidiots.Etilétaittoujourstirailléentresonenviede

supplieràgenouxAlyssadeluipardonneretsacertitudequelasituation

avaitprislameilleuretournurepossible.Parcequ'ilfallaitvraimentqu'il

soitstupidepouravoirpenséquequelquechoseétaitpossibleentreeux

etqu'ilseraitcapabledelaprotégerdelui-même.Elleavaitcomprisce

qu'ilétaitdevenudèsledébut.Àcetteidée,ilsentitsoncœurse

déchirer.

Ledépartd'Alyssaluiavaitfaitéprouverlavraiesignificationdumot

solitude.AuWhiskey's,elleneluiparlaitquelorsqueletravaill'exigeait.

Elleévitaitsonregard,etquandparhasard,ellelecroisait,sesyeux

devenaientinexpressifs,commes'ilétaittransparent.Sanselle,la

maisonressemblaitàunmausolée.Etsesnuitsétaientdenouveau

peupléesdecauchemars.

Bonsang!

Ils'étaitsentitellementhumiliéendécouvrantque,nonseulementelle

étaitaucourantpoursescauchemarsmaisqu'enoutre,ellesacrifiaitson

proprebien-êtreausien.Dejourenjour,ilvoyaitlescernesd'Alyssase

creuser,maisàaucunmoment,ilnes'étaitdoutéquec'étaitgrâceàelle

quesesnuitsétaientredevenuespaisibles.Elleseuleétaitàl'originede

cemiracle.Ill'avaitcomprisdimanchematintandisqu'illuihurlaitles

pireshorreursqu'ilaitjamaisproférées.Depuis,ilessayaitdefairefaceà

cetteréalité.

Illuttaitpourretrouverprécisémentcequ'ilavaitdit,cematin-là.Ilse

rappelaitlateneurgénéraledesespropos,biensûr,maisilétaitfurieux

etconsternéquesesmotsaientdépassésapensée.Sonobjectifétait

d'exorciserladouleuretdedesserrer1'étauquiluibroyaitlapoitrine;il

n'avaitpassongéuninstantàlaportéedesesparoles.

Ill'avaitaccuséedenejamaispenserauxconséquencesdesesactes.

D'avoircherchéàséduireÉric,alorsqu'ilsavaitbienquec'étaitfaux.

Quoid'autre?Ilavaitétéméprisant,s'étaitraillédesasoi-disant

faiblesse.

Bonsang!Cetteaccusationn'étaitpasseulementinjuste,elle

ressemblaitégalementaugenredepiqueperversequeluienvoyaitson

père.Seigneur!LuiquiavaittoujoursmépriséJosephScottpourcequ'il

faisaitsubiràsesenfants,voilàqu'ilseconduisaitcommelui!

Loind'êtrefaibleetfragile,Alyssaétaitl'unedespersonneslesplus

fortesqu'ilaitjamaisrencontrées.Ilavaitvécul'enferpendantàpeine

unanetsesentaitdéjàsurlepointdecraquer,alorsqu'elleavait

traversédesannéesdurantunenferbienpireencore,auprèsdeceluiqui

auraitdûl'aimeretlaprotéger.Elleenétaitsortierenforcéeetmeilleure.

Ellen'avaitpaslaissélaviolencedesonpèrelabrisernil'aigrir.Une

altitudesurlaquelleildevraitprendreexemple!

Maislepire,songea-t-il,c'étaitqu'ilavaitgâchéleuramitié.Une

amitiéprofondeetsincèrequiavaitcommencéquandelleavaitdouze

ans.AvecBrady,elleétaitlapersonnequ'ilconnaissaitdepuisleplus

longtemps,àl'exceptiondesaproprefamille.L'avoirperdueledéchirait.

Or,elleaussiensouffrait,illevoyait.Elleavaitlesyeuxcernés,leteint

pâle.Ellenesejoignaitplusjamaisàeuxdanslasallederepos-à

l'étonnementetauregretdetous.Savoixétaitatone,sessourires,

timides,sesrires,plusquerares.Parsafaute,elleétaitredevenue

l'adolescenterenferméed'autrefois-cequidonnaitàpenserquelui-

mêmesuivaitlestraces,amèresetdésespérées,dupèred'Alyssa.

Enprendreconscienceluidonnalecoupdefouetdontilavaitbesoin.

Ilnevoulaitpasdevenircethomme-là.PaspourAlyssa.Nipourlui-

même.

Nipourlestroishommesquiétaientmortsparcequequelquechose

avaitmaltourné.Celafaisaitprèsd'unanqu'ils'apitoyaitsurlui-même

ets'enfermaitdanslepassé,maismaintenant,c'étaitterminé.Ilétait

tempsdevivreetdeseracheter.

L'ennui,c'estqu'ilignoraitcomments'yprendre.Ildevaitpourtant

trouverunesolutions'ilvoulaitquel'imaged'Alyssa,etdesonvisage

défaittandisqu'ils'enprenaitàelle,cessedelehanternuitetjour.

Levendredisoir,lasalleduWhiskey'sétaitparticulièrementbruyante

etagitée.Trèspopulaire,legroupequiseproduisaitavaitété

programmépourdeuxsoirs.Marcoavaitbeauaimerleurmusique,un

mixdebluesetderockquienflammaitlessalles,aujourd'hui,ilaurait

préféréqueleurprésenceattiremoinsdemonde,cequiauraitaccruses

chancesdetrouverunmomentpourparleràAlyssa.

Dèsquelesapplaudissementssuivantledernierrappelseturent,ilse

tournaversJameson.

—J'auraisbesoinquetumerendesungrandservice,vieux.

—Oui?l'encouragealebarmanenreplaçantderrièresonoreilleune

mèchedecheveuxdécolorés.

—J'aiuntructrèsimportantdontjedoism'occupertoutdesuite.Tu

tesensdefairelafermetureseulcesoir?Jeterevaudraiçademain.

Jamesonleconsidéralonguement.

—Sûr.Toutvabien?

—Non,reconnutMarcoens'essuyantlesmains.Maisj'espèrebien

queçavas'arranger.

—Bonnechance,luisouhaitaJamesonencommençantàramasserles

verresvidessurlebar.

Marcoavaitdéjàtournélestalons.Ilréfléchissaitàunestratégiepour

essayerderattraperlasituationavecAlyssa.

Allons,Marco,cen'estpasunequestiondestratégie.Justede

sincérité.

Pourêtresûrdenepaslarater,ils'installasurlecanapéduvestiaire.

Unedemi-heureplustard,desbruitsdevoixluiparvinrentdepuisle

couloir.

—J'aijustebesoinderentrerchezmoi,déclaraitcelled'Alyssa.

—Tuveuxquejeteraccompagne?

MarcofronçalessourcilsenreconnaissantÉric.

—Tucouvespeut-êtrequelquechose.

—Peut-être.Maisçaira,jenesuispasloin.Merciquandmême,

déclaraAlyssaenapparaissantdanslapièce.

ToutsonespritetsessensconcentréssurAlyssa,Marcon'entendit

mêmepaslaréponsed'Éric.Elleportaituntee-shirtblanctropgrand

pourellequ'elleavaitnouéenbasdudos,unjeannoiretdesbaskets.

Elleétaitvraimentcanon.

Maisquandelletournalevisageverslui,ledécouvrantsurlesofa,il

remarquaqu'ellesemblaitépuisée.Ellesedirigeaverssoncasiersanslui

adresserunmot.Marcoseleva.

—Tuvasbien?

—Çava,affirma-t-elled'unevoixatone.

Elleglissasonsacsurl'épauleetrefermalaportemétallique.

—Jesuisdésolé,s'excusa-t-ilenlarejoignant.Alyssaleregarda.Pour

lapremièrefoisdepuisunesemaine.

—Moiaussi,murmura-t-elle,lesyeuxbrillants.Ilposalamainsursa

joue,caressantsescernesbleutésaveclepouce.

—Tunedorspas.

Acetteremarque,ellebaissalesyeuxjusteau-dessousdessiens.Une

larmeuniqueroulasursajoue.

—Toinonplus.

—Alyssa,je...

—Nefaispasça,d'accord?coupa-t-elleenrepoussantsamain.

—Mais...

—Jedoisyaller...Elletraversalevestiaire.

Marcolaregardamarcherverslaporte,puis,aprèsunehésitation,lui

emboîtalepas.Illarattrapasurleparking.

—Attends!

Elleluijetauncoupd'œilpar-dessussonépaulesansralentir.

—Aly,jen'avaispasledroitdetediretoutça.

Alyssaouvritsavoiture.Cen'estqu'unefoisassiseàl'intérieurqu'elle

répondit:

—Eneffet.Maisçanechangerienaufaitquetulepenses,pasvrai?

Surquoi,elleclaqualaportière.

Letempsqu'ilréagisse,elleavaitdémarré.Marcofrappasurlavitreen

l'appelant.Elletournaunbrefinstantlatêteverslui,puispassala

marchearrière.Marcotenditlesmainsverselle.

—Alyssa,attends!Jene...

Elledémarra.Ilregardalalueurdesesfeuxarrières'éloigner,

réfléchissantàtouteallure.Toutenluilepoussaitàlapoursuivre.Mais

pourl'instant-pourelle-,ilpouvaitsemontrerpatient.

Lavéritélefrappaalorsdepleinfouet:ilpouvaitêtrepatientparce

que...durantlasemaine,ilavaitprispeuàpeuunerésolution.Elleétait

l'unedesesplusvieillesamies,laseulepersonnequil'acceptaitde

manièreinconditionnelle,etlafemmequ'ilaimait.Marcopritune

longueinspiration.

Dieuduciel,c'étaitévident:ill'aimait!Ladouleurprovoquéeparson

absencel'enavaitconvaincu.

Quandilavaitrecommencéàsourireetàrireaucoursdecesdernières

semaines,ils'étaitpersuadéqu'ilfaisaitsemblant.Maisilsetrompait.Le

réconfortqueluiavaitapportéAlyssaneselimitaitpasaufaitd'avoir

retrouvéunsommeilpaisible;elleluiavaitégalementoffertunrépit

faceauxviolentsassautsdesoninconscient.

Quandilpensaitàtoutcetempspendantlequelilavaitcherchéune

nouvelleraisond'être,tentédepasserdel'ombreàlalumière...Etil

l'avaittrouvéedanslaseulepersonnequiétaittoujoursrestéeàses

côtés.

Biensûr,celanerendaitpasuneéventuellerelationamoureuseplus

simple.Maisilétaittempsqu'ilseconduisecommeunhommeet

reconnaissecequisepassaitenluiaulieudesecacherderrièreun

masqueetd'accuserinjustementAlyssa.

Demain,iltenteraitdenouveausachance.

12AlyssaquittaleWashingtonConventionCenterunpeuaprèsmidi,ce

quiluilaissaitlargementletempsderentreràFrederickpourprendre

sonserviceauWhiskey's.L'entretiens'étaitonnepeutmieuxdéroulé,et

pourtant,ellesesentaitdévastée.Sielleétaitretenuepourleposte,elle

n'auraitplusaucuneraisonderesteràFrederick-unfaitqu'ellen'était

pasencoreprêteàaccepter.

Cerendez-vousfaisaitsuiteàunappelqu'elleavaitreçumercredi.Sa

surpriseavaitétéd'autantplusfortequ'elleavaitenvoyésonCVpour

l'undesdeuxpostesdecoordinateurévénementielaumoisd'avril,et

n'avaitreçuaucuneréponsedepuis.Or,maintenant,elledécouvrait

qu'ellefaisaitpartiedescinqcandidatssélectionnéspourunentretien.

Biensûr,l'idéed'entamerunecarrièredansunegrandevilleétait

excitante,maiscelacompliquaitégalementbeaucoupleschoses.

Devait-ellecontinueràchercherunappartementalorsqu'ellen'était

pluscertaineàcentpourcentderester?Enmêmetemps,continuerà

vivreàl'hôtelluidonneraitl'impressiond'êtredéjàsurledépart.C'està

peinesielleserenditcomptedutrajetderetourtantlespenséesse

bousculaientdanssonesprit.

Danssachambred'hôtel,elleéchangeasontailleuretseschaussuresà

talonscontreunslimnoir,desbasketset...ellehésitasurletee-shirt.

Aprèsunesemainesansmachineàlaver,elleavaitgrandbesoindefaire

untouràlalaverieautomatique.Leseulhautblancqu'illuirestaitétait

celuidontMarcoavaitsidurementcritiquéledécolleté.

Qu'ilaillesefairevoir!

Ellel'enfila,mituncollieretlesbouclesd'oreillesendiamantsque

Marcoluiavaientoffertes,ets'attachalescheveuxenqueuedecheval.

Lerésultatétaitassezréussi;sonrefletdanslemiroirluidonnauncoup

defouet.

Maintenant:manger.Elleavaitlechoixentreledistributeurdansle

hall,unhamburgeraudrive-in,ouunvrairepasauWhiskey's.

Ellepianotasurlereborddulavabo,hésitante.Ellenes'étaitpas

seulementretrouvéedanslamêmepiècequeMarcohiersoir,ellelui

avaitaussiparlé.Etellen'enétaitpasmorte.Siellelecroisaitdansla

salledereposcemidi,elleysurvivraitaussi.

S'emparantaupassagedesonsacetdesesclésdevoiture,ellese

dirigeaverslaporte.

Évidemment,Marcoétaitlà.Conduis-toijustenormalement,

s'encouragea-t-elleensonforintérieur.

—Bonjour,toutlemonde!

Elles'installaàcôtédeVan,quilaséparaitdeMarco.

—Tiens,tiens,AlyssaScott,semoquaVanenluidonnantunpetit

coupdecoude.

Ellel'examinaenplissantlesyeux.

—Quiêtes-vous,déjà?

Tommylâchaunrire.Bienqu'ellen'entendîtaucunsonducôtéde

Marco,Alyssaétaitsûredesentirsonregardsurelle.Malgrésonenvie

dejeteruncoupd'œildanssadirection,elleconcentrasonattentionsur

songratindemacaronisàlatomate,dontelleétaitdevenuesifriande.

—Sérieusement,qu'est-cequit'estarrivé?demandaVan.Toutva

bien?Éricnousaditquetuétaismaladehiersoir.

Elles'éclaircitlagorge.

—Justefatiguée.J'aipassébeaucoupdetempsàchercherun

appartementet...différenteschoses.Net'inquiètepas,lerassura-t-elle

avecunclind'œil,celan'arienàvoiravectacuisine,jetelejure.

Ilsouritensebalançantsursachaise.

—Tuasdelachancequejet'apprécie.

—Jen'endoutepas,répondit-elleenluirendantsonsourire.Éric

n'estpaslà?

Elleavaitposélaquestionsansréfléchir,etsentitavechorreurses

jouess'empourprerenrepensantàl'accusationdeMarco.

Vanselevapourdébarrasserlatable.

—Ilesttrèsoccupéaveclesmusiciens.Ilsn'arrêtentdeluiréclamer

untasdetrucsdepuisleurarrivée.Maintenantquetoutel'équipeestlà,

Chuckvasansdouteenvoyerdeuxd'entrevousdansleslogesjusqu'àce

qu'ilsmontentsurscène.J'aibesoind'Éricàlacuisine.

—Oh,d'accord.Çaarrivesouvent?

—Non.Maisquandungroupejouedeuxsoirsdesuite,ils'installe

souventplustôtledeuxièmejour.Ducoup,ilfauts'occuperd'eux.

Ilsepenchaversellepourajoutersurletondelaconfidence:

—Cesmecsseprennentdéjàpourdesrockstars.Àchaquefoisqu'ils

passent,c'estlemêmecirque.Oncroiraitquetoutlemondeestàleur

service.

—C'estvraiqu'ilssontbons,fitobserverAlyssa.VanetTommy

levèrentlesyeuxauciel.

—Nemedispasquetuesunedecesfansquisepâmentdevanteux,

soupiraVan.Çamedécevrait!

Alyssasetournaversluipourrépondre,etcroisaleregardbleude

Marco,denouveausoulignépardescernessombres.

—Euh...

Vansecoualatête.

—Incroyable!Ilsuffitdementionnerlenomdecestypespourque

soncerveausemetteàbugger.Jen'aiqu'unmotàdireàleursujet,

Alyssa...

Elles'obligeaàdétacherlesyeuxdeMarco.

—Jet'écoute.

—Surfaits!

—Tulepensesvraiment?Tommyselevaenriant.

—Unconseil,lança-t-ilavantdesortir:nelebranchepassurlesujet.

Turisquesdeleregretter.

Vanluijetaunregardacéré,avantdereportersonattentionsurelle.

—Très,trèssurfaits,insista-t-il.

Ellefitungroseffortpours'extrairedubrouillarddanslequell'avait

plongéleregardtristedeMarco.

—Jevois.Donc,cequetuveuxdire,c'estqu'ilssontjusteles

meilleurs?

—Alyssa,tuescruelle!commentaVand'untonmélodramatique.

Surquoi,ilsortit,unepiled'assiettesdanslesmains.

Pourlapremièrefoisdepuisunesemaine,Alyssaéclataderire.Elle

suivitlecuisinierdesyeuxdanslecouloir,avantdes'apercevoirqu'elle

étaitseuleavecMarco.

Celui-cisetournaverselle,lescoudesappuyéssurlesgenoux.Dieu

qu'ilétaitbeau!Mêmes'illuiavaitbrisélecœur.

—Alyssa,jedoisteparler.

—Jen'aipasletemps,répondit-elleenselevant.Marcol'imitaetse

rapprocha,suffisammentpourqu'ellepuissesentirl'odeurdesavonsur

sapeau.

—Pasmaintenant.Aprèsletravail,situveux.Commeellelevaitles

yeuxverslui,illuieffleuralajoue.L'espoirétaitvraimentunpoison...

Parcequ'encetinstant,Alyssaauraitjuréqu'ellepercevaitquelquechose

quiressemblaitàdel'amourdanslesprunellesbleuesdeMarco.Elle

reculad'unpas.

—Jenesaispas...

Refusantdelalaisserpartir,ils'avançajustedevantelleetlapritpar

lanuque.

—Moi,si.Laisse-moiunechance.S'ilteplaît.Ellefrémitsousla

caressedesesdoigts.

—D'accord.

—D'accord?répéta-t-ilavecunsouriretimide.Ellehochalatête.

Quandildéposaunpetitbaisersursonfront,elledutsemordre

l'intérieurdelajouepournepaspleurer.Ellen'osaitpasfaireungeste

depeurdebriserlecharme.CarMarcodevaitêtrelaproied'unsortilège

poursemontreraussitendre,ellenevoyaitpasd'autreexplication.Pas

aprèslafaçondontill'avaittraitéelasemainedernière.

Laissantretombersamain,ilrecula.

—Trèsbien.Àcesoir,alors.Ilsortitsurunderniersourire.

Lerestedelasoirées'écouladansunétrangebrouillard.Selonla

manièredontelleenvisageaitsafutureconversationavecMarco,Alyssa

avaitl'impressionqueletempssetraînaitlamentablementou,au

contraire,filaitàtouteallure.CefutellequiremplaçaÉricauprèsdes

musicienspendantlapremièrepartiedesonservice,cequiluipermitde

nepastroppenser.Ceux-ciavaientbeaun'êtrequecinq,ilsréclamaient

tantdechosesqu'ellepassaitsontempsàfairedesallers-retoursentre

lesloges,lebaretlescuisines.Finalement,quandvintlemomentpour

euxdemontersurscène,ellesesentitplutôtsoulagée:leurfaçonde

s'adresseràellepartoutessortesdesurnomsetleurssous-entendus

grivoiscommençaientàdevenirvraimentlourds.Vanseraitcontent

d'apprendrequesonopinionàleursujets'étaitbeaucoupdégradée.

Manquedechance,ellen'enavaitpasfiniaveceux.Caraulieude

partirdansl'heuresuivantleconcertcommelaplupartdesgroupes,ils

décidèrentdeprolongerlasoiréesurplace,précisantqu'ilslesvoulaient,

Torietelle,commeserveuses.

Àl'heureoùelleauraitdûnormalementnettoyerleslieux,elleétait

toujoursentraindeleurapporterd'autrescommandes.Troisd'entreeux

étaientallongéssurlescanapésetdeuxs'étaientinstalléssurdeschaises

autourdelatablebasse.Lebatteurembrassaitàpleineboucheunefille

sursesgenoux,tandisquel'undesguitaristesenpelotaituneautresur

unsofa.

Elleseglissaentrelecanapéetunechaisepourprendrelesverres

videssurlatable.Unemainluifrôlalesfesses.Poussantuncride

surprise,ellefitvolte-face.Lechanteur,Trent,laregardait,unsourire

suffisantsurleslèvres.

—Vousavezbesoind'aide?lança-t-elle,regrettantaussitôtlechoixde

sesmots.

Ils'esclaffa.

—Jepensebien.Resteavecnous.

—Merci,maisjenepeuxpas.

D'ungestelentetétudié,ilcaressasonbouc.Jusqu'àcesoir,ellele

trouvaitplutôtmignon.

Maisencetinstant,aveccetairsûrdeluietconquérant,ilétaittout

simplementrépugnant.

—JesuissûrqueChucknedirarien,fit-ilvaloir.Ilesttoujoursprêtà

nousdonnercequ'onluidemande.

Ahoui?Vraiment?Préférantgarderpourellelarépliqueacerbequi

luibrûlaitleslèvres,Alyssarépondit:

—Oui,Chuckestsuper,pasvrai?Maiscelan'arienàvoiraveclui.

Surcesmots,elles'empressades'éloigner,àbonnedistancedesmains

deTrent.Ilpinçaleslèvres,manifestementcontrarié.

—Onprendradeuxailesdepouletgrillé.Etvite!

—Çaarrivetoutdesuite,assura-t-elleavecunsourireforcé.

Àlacuisine,lacommandeprovoquauneirritationsemblableàla

sienne.AlyssasongeauninstantàdemanderàÉricdel'apporteràsa

place,maiselleyrenonçadepeurdemettreChuckdansl'embarras.À

chaqueconcertdeTrentetsongroupe,leWhiskey'sfaisaitsallecomble.

—Commenttut'ensorslà-bas?s'enquitÉricenluitendantun

plateauavecplusieursassiettesd'ailesdepoulet.

—Cesontdesconnards,maisçava.Éricsourit.

—J'aitoutentendu,criaVandepuisl'arrière-cuisine.

—Jereconnaismonerreuretm'inclinedevanttasagesse,répondit

Alyssaenriant.

Ilsematérialisadansl'encadrementdelaporte,letempsdelancer:

—Siplusdegenspouvaientenfaireautant,lemondeseraitmeilleur.

Surquoi,ildisparut.

EllelevalesyeuxaucieletsouritàÉric.

—Souhaite-moibonnechance.

—Ah,tueslà,déclaraMarcoenpassantlatêteparlaportedela

cuisine.

—Oui.Désolée,jevaisêtreunpeuenretard.Elledésignasonplateau,

s'efforçantd'avoirl'airnaturelmalgrésapositionpourlemoins

inconfortableentreMarcoetÉric.

—D'accord,jet'attends.

—Leproblème,c'estquejenesaispaspourcombiendetempsj'enai.

—Cen'estpasgrave,assura-t-ilens'effaçantpourlalaisserpasser.

Commeilluiemboîtaitlepasdanslecouloir,elles'arrêta.

—Franchement,nouspouvonsremettreça...

—J'attendrai,lacoupa-t-ilenluicaressantlajoue.

Alyssafrissonnasousl'intensitédesonregard.Elledutfaireappelà

toutesavolontépours'endétournerendéclarant:

—Jeferaismieuxd'yaller.

—OK.Rejoins-moiquandtuaurasterminé.EllelaissaMarcoau

niveaudesvestiaires,etvoulutprendresonportabledanssapochepour

lirel'heure.Ilnes'ytrouvaitpas.Oùdiablel'avait-ellefourré?Elle

faisaitpourtantattentionàtoujoursl'avoirsurelleaucasoùBrady

chercheraitàlajoindre.Avecunsoupir,ellesedirigeaverslesloges,et

pritunelongueinspirationavantd'entrer.

—Tuasétébienlongue,trésor.J'allaislancerunavisderecherche,

plaisantaTrent.

—Désoléedevousavoirfaitattendre,répondit-elle,unepointe

d'ironiedanslavoix.

Elleposaleplateausurlatableainsiquequelqueschipsetdes

serviettesenpapier.

—Prendsunechaiseetviensavecnous.

—Merci,maisjenepourrairienavalercesoir,affirma-t-elleenposant

unemainsursonestomac.Bonappétit,entoutcas.

Torientradanslapièceavecdesbières.Lepianistel'attirasurses

genouxetl'embrassasurlajoue.Ellegloussa,manifestementravie.

Alyssasentitdesdoigtssuivrel'échancruredesontee-shirtdansson

dos.

—Tudevraisprendreexemplesurtacopine,murmuraTrentjuste

derrièreelle.Ellesaitcequinousplaît.

Alyssaseraidit,sedemandantcommentréagir.

—Vousêtesdesgarssuper,déclara-t-ellefinalementd'untonposé.

Maisje...j'aiunmec.

—Çanemegênepas,insista-t-ilensepenchantunpeuplusprès.

Elleramassaàlahâtelesassiettesvidessurlatable.

—Désolée,s'excusa-t-elle,incapablederépondreautrechosesansle

vexer.

Illuicaressalebrassurtoutelalongueur.

—Arrêted'êtreaussicoincée.Fais-toiplaisir...Conscientequeriende

cequ'ellepourraitdireneleferaitlâcherprise,Alyssasemorditles

lèvresetlecontournapourpartir.

—Salope!l'entendit-ellesifflerentresesdents.

Malgrésonenviedelegifler,ellecontinuaetsortitdanslecouloir.Ce

n'estqu'aprèsavoirtournél'angle,unefoiscertainedenepasêtrevue,

qu'elleselaissaallercontrelemur.C'estbon,ressaisis-toi,Aly.Toutva

bien.Estimants'êtremontréesuffisammenttolérante,elledécidade

parleràChuck.Elleletrouvadanslacuisineetcompritqueceneserait

pasnécessaireenl'entendantdéclareraupersonnelexcédé:

—Jeviensdeparleràleurmanager.IIm'apromisqu'ilsseraient

partisdansunedemi-heure.Merciàtouspourlapatiencedontvous

avezfaitpreuvecesoir.

Alyssalesrejoignit,soulagée.

—Marcoadéjàfermélebar,poursuivaitChuck.Vouspouvezenfaire

autant.Quiveutbiens'occuperdunettoyagedesloges?Vul'heure

tardive,j'ajouteraiunpetitextra.

Éricsetournaverselle,maisellesecoualatête.Elleavaitpasséassez

detempsdansleslogesaujourd'hui.Deplus,Marcol'attendait.Éric

acceptafinalementdes'encharger.

—Parfait,conclutChuck.Alyssa,Toriettoiavezterminépourcette

nuit.Lesgarçonss'occuperontdureste.

Elleéprouvaunedrôledesensationenserendantcompteque,dans

quelquesminutes,elleallaitretrouverMarco.Puisellerepensaàson

téléphone,etunepointed'inquiétudevintsemêleràsonexcitation

teintéed'anxiété.L'avait-elleoubliédanslavoiture?Siellenevérifiait

pastoutdesuite,ellen'arriveraitpasàseconcentrersursadiscussion

avecMarco.MonDieu,faitesquejenel'aiepasperdu!Sic'étaitlecas,

ellen'auraitpaslesmoyensdeleremplaceravantunbonmoment.Or,

ellenesupportaitpasl'idéequeBradynepuissepaslajoindre.Entout

cas,elleétaitcertainedel'avoiràsonretourdeWashingtonpuisqu'elle

avaitécoutédelamusiqueavec.

EllegagnalevestiairepourprévenirMarcoqu'elledevaitserendreà

savoiture,maisiln'étaitpaslà.Alors,ellepritsesclésdanssoncasieret

sortitsurleparking.

L'airétaitlourdetimmobile;desgrondementsdetonnerre

résonnaientdanslelointain.Nonloindelaporte,lebusdesmusiciens

étaitouvert,etlesmembresdugroupeallaientetvenaient,transportant

leurmatériel.

Enfin!Ellen'étaitpasmécontentedelesvoirpartir.

ElleouvritlaportièredesaCorollaetinspectalessiègesavant,lesol,

laconsolecentrale.Sonportablen'étaitnullepart.Lagorgeserrée,elle

passaàl'arrièreetsepenchapourregardersouslefauteuildu

conducteur.Ilyétait,Dieumerci!Letempsdeleramasser,etellese

relevait.

Ellepivota,etheurtaquelqu'un.

—Tupeuxrestercommetuétais.Çam'allaittrèsbien.

Trent...

—Pardon?répondit-elled'untonbeaucoupmoinsconciliantque

celuiqu'elleavaitemployédurantlerestedelasoirée.

Ilplaçaunemainsurletoitdelavoiture,lacoinçantentreluietla

portièreouverte.Desonautremain,ill'attrapaparlescheveux.Avant

d'avoirpuréagir,Alyssaseretrouvaavecsalanguedanslabouche,en

mêmetempsqu'ungoûtpiquantdetabacetd'alcool.

Lasurprisepassée,ellelerepoussad'uncoupdanslapoitrine,mettant

finàcethorriblebaiser.Sontéléphonetombaparterre.

—Qu'est-cequivousprend?

Soncœurbattaitàtoutrompre;ellesentitunfrissonglacéla

parcourir.

—Allez,insistaTrentenluisaisissantlespoignets.

D'ungestebrusque,illaplaquacontrelemétaldur,luicoupantle

souffle.Puis,pressantsoncorpscontrelesien,ilcherchadenouveauà

l'embrasser.Elletournalatête,faisantdéviersonbaiserhumidesursa

joue.Illuiserraunpeupluslespoignetsenguised'avertissement.

—Allez!

—Lâchez-moi!ordonna-t-elled'unevoixtremblanteenessayantdese

dégager.

Resserrantsaprise,ilpressasonsexecontresahanche.

—J'adoreteslèvrespulpeuses.J'aihâtedelessentirautourdema

queue,grasseya-t-il,luiemplissantlesnarinesdesonhaleinefétide.

Àcesmots,lapeurd'Alyssasevolatilisapourlaisserplaceàunerage

féroce.Ellen'étaitpasfaibleetsansdéfense,etneseraitpaslavictime

decesalaud!Elleseremémorasescoursdeself-défense.Ilétaittrop

prèspouruncoupdegenoudansl'entrejambe.Alors,elles'obligeaàse

détendreetlesentitrelâchersonétreinte.Nouantsesdoigts,ellese

penchaunpeuverslui.

—Oui,gémit-il,reculantlégèrementpourmieuxs'emparerdeses

lèvres.

Profitantdecetinstant,Alyssapoussaunhurlementenluiécrasantle

pieddetoutsonpoids.Ilbonditenarrière.

—Aïe!Espècedesalope!

Profitantdesasurprise,ellelerejetasurlecôtéetsedégageadeson

emprise.Elletrébuchacontrelavoiture,maiselleétaitlibre.

Trentladévisagead'unregardfurieux,etfonditsurelle.

13Pourquoiétait-ellepartiesansl'attendre?

Ladéceptionledisputaitàl'incrédulitédansl'espritdeMarco.Après

queChuckluieutapprisquelesmusiciensavaientenfinlibéréleslieux,

ilavaitvoulurejoindreAlyssadanslesloges.Mais,àsonarrivée,Éric

l'avaitinforméqu'elleétaitpartieunedizainedeminutesplustôt.

Ilcomposasonnumérodetéléphonetoutensedirigeantversle

parking.Ilvoulaitmettreleschosesauclair,celal'obsédait.Sonappel

futdirectementtransférésurlamessagerie.

—Alyssa?Oùes-tu?Jecroyaisquenousdevionsparler.Rappelle-

moi,d'accord?

Avecunsoupir,ilpoussalaported'entrée.

Celle-ciétaitàpeinereferméequ'ilperçutunsonétouffésurle

parking.Commesiquelqu'unsebattait.Ilbalayal'espacedesyeux.

Alors,unerageaveuglantes'emparadelui.

Ilfonçaàtoutealluresurlesalaudquis'enprenaitàAlyssa.Ilvitla

jeunefemmeluiécraserlepiedetlerepoussersurlecôtéavecuncri,

maisletypebonditdenouveausurelle.

UnsentimentdefiertéenvahitMarcolorsqu'elledonnadureversdela

mainuncoupdanslementondesonagresseur,luirejetantlatêteen

arrière.Celui-cichancela,sanspourautantrenoncer.

Commeenpiloteautomatique,Marcoempoignal'épauledutypeetle

fitpivoterverslui.Puis,prenantsonélan,ilabattitsonpoingdroitsur

samâchoire,quiémituncraquementsinistre.Sonné,lesalaudtituba,

puiss'effondrasurledos.

Marcobonditaussitôtsurlui.Desbruitsdevoixluiparvinrenttandis

qu'ilfrappaitencoreetencorel'ordurequiavaitosétoucheràlafemme

qu'ilaimait.Seigneur,queserait-ilarrivés'ilétaitsorticinqminutesplus

tard?

—Marco!Arrête!Arrête,Marco!

Unbraspuissantlesaisitparlecou,l'obligeantàreculer.Marco

vacilla.

—Ilestout,vieux.

Marcoavaitl'impressionquesoncœurallaitexplosertantilbattait

vite.Sonregardparcourutfébrilementlafouledesbadaudsàla

recherched'Alyssa,maisnelatrouvapasparmieux.Àquelmoment

touscesgensétaient-ilsarrivés?

—Alyssa?

—Elleestlà.Ellevabien.

MarcosedégageaetsetournaversVan,quiluidésignaitquelque

chose.

—Elleestjusteici.

AlyssaétaitassisesurlabanquettearrièredelaCorolla,recroquevillée

surelle-même.

Marcos'accroupitdevantelle,etpritsonvisageblêmeentresesmains.

—C'estfini,maintenant.C'estfini.

Bonsang,soncœuravait-ildéjàbattuaussivite?

Ellehochalatête,sesdoigtspresséssursabouchecommesielle

essayaitdejugulersonémotion.Puiselleôtasamainetexpira

péniblement.

—Je...jenesuispasfaible...,balbutia-t-elle.Puissonémotionfutla

plusforte:unsanglotétrangléjaillitdeseslèvres,etelleenfouitson

visagedanssesgenoux.

SesparolesfirentàMarcol'effetd'uncoupdepoignard.

L'enlaçantparlesépaules,illuiplaçalatêtedanslecreuxdesoncou.

—Jesais.Pasdutout.Jem'enveuxtellementdet'avoirditça,

chuchota-t-ilencoreetencoreàsonoreille,terrasséparlaculpabilitéet

l'idéedecequis'étaitpeut-êtreproduitavantsonintervention.

IlserraAlyssaunpeuplusfortcontrelui,résistantàl'envie

d'inspecterchaqueparcelledesoncorpspours'assurerqu'elleallait

bien.

Elleseredressaets'essuyavivementlesjoues.Delonguesmèches

échappéesdesaqueuedechevalretombaientsursonvisage.

—Excuse-moi,murmura-t-elle.

—Dequoi?demandaMarco,lessourcilsfroncés.

—Tachemise.Elleestpleinedemascara.

Ilhaussalesépaules,etl'examina.

—Est-cequ'ilt'afaitdumal?Ellebaissalesyeux.

—Rienquejenepuissesurmonter.

Àcesmots,lapoitrinedeMarcoseserra.Ilsavaittoutcequ'elleétait

capabledesupporter;ilenavaitététémoindurantleurenfance.

—Alyssa,s'ilteplaît...

—Justemespoignetsetmoncou,précisa-t-elle.Chucksepenchapar-

dessusl'épauledeMarco.

—Alyssa?Çava?

—Oui.

—Lapoliceetuneambulancesontenroute.Restetranquillementici.

Ons'occupedetout.

Chuckprituneprofondeinspiration,avantd'ajouter:

—Jesuisdésolé.

—Jen'aipasbesoind'ambulance.Je...Je...EllesetournaversMarco.

—Nousnousoccuponsdetout,renchérit-ilenluiprenantlamain.

Laisselemédecinvérifierquetoutvabien,d'accord?

—Jeneveuxpastecauserd'ennuis,Chuck,expliqua-t-elle,lesyeux

baissés.

—Desennuis?serécriaChuck.Làn'estpaslaquestion,Alyssa.

Écoute,cetendroitestunpeumasecondefamille.Jevousconsidère

touscommemesenfants,quelquesoitvotreâge.Etjamaisjene

laisseraiquelqu'unvenirchezmois'enprendreauxmiens.Quiquece

soit.Tucomprends?

Alyssahochalatête.Marcolasentaittremblerprèsdelui.S'ill'avait

osé,ill'auraitattiréecontresontorsepourlaserrerdetoutessesforces.

Chuckluidonnaunepetitetapeamicalesurl'épauleetmurmuraàson

oreille:

—Bravo,fiston,tuasfaitcequ'ilfallait.Mercid'êtrearrivéàtemps.

Lagorgenouée,Marcoacquiesçad'unbrefsignedetêtesansquitter

Alyssadesyeux.

DèsqueChucksefutéloigné,ilsemitàlahauteurd'Alyssaet,le

regardverrouilléausien,luimassadoucementlanuque.

Elleeutunrictusdedouleur.

—Oh,désolé,s'excusa-t-ilenarrêtantsur-le-champ.

Ilvoulutreculer,maiselleleretintparlespoignets.

—Non,dit-elle,denouveauauborddeslarmes.Je...j'aibesoindetoi.

Àcesparoles,Marcoeutl'impressionquesoncœursedilataitdanssa

poitrine.CelaavaitdûcoûteràAlyssadeprononcercesmots,illesavait.

Surtoutaprèscequis'étaitpassélasemainedernière.Posantsonfront

contrelesien,illuicaressalescheveux.

—Tantquetuvoudras,Alyssa.Seigneur,j'aicruque...

Ildéglutit,incapablededécrirelesscénariosdecauchemarsquilui

avaienttraversél'esprit.Faceaudramedecesoir,toutcequiavaitl'airsi

compliquéentreeuxauparavantluisemblaitdérisoire.

Lalumièred'ungyrophareilluminalesarbres.Uninstantplustard,

uneambulanceapparaissaitdansl'alléecontournantlebâtiment.Elle

s'arrêtasurleparking,suivied'unevoituredepolice.

Enjetantuncoupd'œilpar-dessussonépaule,MarcovitChuck

s'avanceràlarencontredesnouveauxvenus.Quelquesmètresplusloin,

lemanagerdugroupemarchaitdelongenlargedevantlecamionen

parlantd'untonfurieuxdanssontéléphoneportable.Ils'interrompait

régulièrementpouraboyeruneinsulteausalaudquiavaitagressé

Alyssa.Lerestedesmusiciensattendaitensilence.

MarcoreportasonattentionsurAlyssaenl'entendantpousserun

soupir.

—Tun'asrienfaitdemal,d'accord?affirma-t-ilensepenchantvers

elle.Lesflicsvonttedemanderdeleurracontercequis'estpassé.

Contente-toideleurdireleschosestellesqu'ellessont.Quantaux

ambulanciers,ilsvontjustevérifierquetun'asrien.

—D'accord,acquiesça-t-elledansunsouffle.

—Tupensespouvoirtemettredebout?s'enquit-ilenluitendantla

main.

Ellelasaisitetseleva.

Marcolapritdanssesbrasetfermalespaupièresquandelle

s'abandonnacontrelui.

—Monsieur?Madame?

Malgrésonenviedelagarderserréecontrelui,Marcoreculapour

laisserlaplaceauxambulanciers.

—Sivousvoulezbiennousaccompagner.C'estjustelà.

Elleleuremboîtalepasjusqu'àl'arrièredel'ambulance.Marcola

suivaitdesyeuxquandonl'interpella:

—Monsieur,j'aimeraisvousposerquelquesquestions.

Ilsetournaversl'officierdepoliceàcôtédelui.

—Biensûr.

Lademi-heuresuivanteluiparutdureruneéternitétantilétait

impatientderejoindreAlyssa.Soncœursaignaitloind'elle,etil

s'inquiétaitcommesiquelquechosepouvaitencoreluiarriver.Quese

serait-ilpassés'ilétaitsortiquelquesminutesplustard?

S'obligeantàchassercettequestiondesonesprit,illaregarda

répondreauxquestionsdedeuxpoliciers,assiseàl'arrièrede

l'ambulance,unecouverturesurlesépaules.Àcettedistance,elle

paraissaitcalmeetconfiante,maisillaconnaissaitsuffisammentpour

savoirquecen'étaitqu'unefaçade.

Vanlerejoignit.

—Çava?

—Jen'enaiaucuneidée,avoua-t-ilenpivotantverslui.

—Turéalisescombienellecomptepourtoi,j'espère?

Unefoulederéponses,certainesvirulentes,d'autresindignées,lui

traversèrentl'esprit.Maisàquoibonmentir?Alors,ilsecontenta

d'approuverd'unhochementdetête.

Vanlefixadroitdanslesyeux,leslèvrespincées.Bienqu'iln'aitpas

ouvertlabouche,Marcocompritlemessage:Nefaispasl'idiotavec

elle.Nesoispasaussiodieuxquetupeuxl'êtreavecnoustous.Pasavec

elle.

Aumomentoùilsetournaverselle,Alyssaôtalacouverturedeses

épaulesetseleva.

Ilmarchaàsarencontre,incapablederesterloind'elleunesecondede

plus.

Alyssanes'étaitjamaissentieaussiseulequ'aumilieudetouscesgens

surleparking.

Elleavaitmalpartoutetnepouvaitpass'arrêterdetrembler,écrasée

parlafatigueetl'humiliation.

Etlapersistancedel'odeurdeTrentdanssesnarinesetdelapression

desesdoigtssursapeaun'arrangeaitpasleschoses.

—Alyssa?

EllepivotaversÉric,deboutprèsdel'ambulance.

—Salut,marmonna-t-ellesansoserleregarder.

—J'airécupéréçapourtoi,annonça-t-ilenluitendantsoncellulaire

etsesclésdevoiture.

Ellenes'étaitmêmepasrenducomptequ'ellelesavaitperdues.

—Oh,merci!

Elleglissaleportabledanssapocheetl'anneaudesesclésautourde

sondoigt.

Dansantd'unpiedsurl'autre,Érics'éclaircitlavoixavantde

demander:

—Est-cequetuvasbien?

—Oui,s'empressa-t-ellederépondrepourclorelesujet.

Uneémotionindéchiffrablepassadansleregardd'Éric,quiproposa:

—Jepeuxteraccompagner,situveux.

—C'estgentil,maisçaira.Merci,répondit-elleenlegratifiantd'un

pauvresourire.

Unemainpuissanteseposasursesreins.Ellen'eutpasbesoinde

tournerlatêtepoursavoirdequiils'agissait:seulMarcoavaitle

pouvoirdeluiapporteruntelréconfort!Mêmesiellesemaudissaitd'en

avoirautantbesoin.Elleneleremercieraitjamaisassezd'êtrearrivéau

bonmoment,maiselleauraitpréférénepasavoiràjoueràlademoiselle

endétressesauvéeparsonchevalierservant.Nuldoutequ'aprèscette

nuit,ildevaitavoird'elleuneimageencorepluspitoyable!

—C'estterminé,murmura-t-iltoutprèsdesonoreille.

—Oui.

—N'hésitepassituasbesoindequoiquecesoit,intervintencoreÉric

avantdes'éloigner.

—Merci.Bonnenuit.

Dèsqu'Éricfutparti,Marcolapritparlataille,etelleselaissaaller

contrelui,toutensedisantqu'ellenedevraitpastrops'habituerau

bien-êtrequeluiprocuraitlasensationdesoncorpsfermeetpuissant.

—Viensavecmoi,chuchota-t-ilenluiembrassantlescheveux.

Ellehésita,touchéequ'illuiproposedel'accueillirchezlui,mais

inquièteàl'idéequ'illefasseuniquementparsensdudevoir.

—Cen'estpasunebonneidée,répondit-t-elle.

—S'ilteplaît...

Ellel'examina,cherchantenvainuneréponseàsesinterrogationssur

sestraits.

—Jevaisbien.

—J'ensuisravi.Maisj'aimeraisquandmêmeprendresoindetoi.J'en

aibesoin,reprit-ilaprèsunbrefsilence.Pasparcequetunepeuxpasle

faireseule,maisparcequeçam'estnécessaire.Aly,j'aibesoindetevoir,

detetoucheretd'avoirlapreuvequeluvasbien,quetuestoujourslà

prèsdemoi.Quejenet'aipasperduecettenuit.

Ilyavaittantdedésespoirdanssavoixqu'Alyssasentitsoncœurse

serrer.C'étaitlaseulechosesusceptibledelaconvaincrequ'iln'agissait

pasjustepardevoir.Elleplongealesyeuxdanslessiens,etyretrouvala

mêmesupplication.

—D'accord...

Laprenantparlesépaules,ill'accompagnajusqu'àlaCorollapouren

verrouillerlesportières.

—Oh,jen'aipasprismonsacdevoyage.

—Tun'enauraspasbesoincesoir,assura-t-ilenluipressantles

doigts.Jeviendrailechercherdemain.

Malgrélafatigue,ellegardalesyeuxouvertsduranttoutletrajet.Puis

ellelesuivitchezlui,s'empêchantderepenseràcequis'étaitpasséici

avantsondépart.

—Tuveuxboirequelquechose?interrogea-t-ildanslacuisine.

—Justeunpeud'eau.

Illuitenditunverreplein.Elleavalaunelonguegorgée,maisne

parvintpasàsedébarrasserdugoûtdeTrentdanssabouche.

—J'aimeraisprendreunedouche,déclara-t-elleàbrûle-pourpoint.

Marcojetaunrapidecoupd'œilàl'horlogedumicro-ondesqui

indiquait3heures,etfronçalessourcils.Iln'émitnéanmoinsaucun

commentaire,secontentantd'acquiescer:

—Biensûr.Tusaisoùtoutsetrouve?

—Oui.

—Tuesicicheztoi,Alyssa.

Elletournalestalonssansrépondredepeurdeselaisserséduirepar

cesmotsauxquelselledonnaitcertainementplusdesensqu'ilsn'en

avaient.Elleétaitbientropépuiséeetbouleverséepourfaireconfianceà

sonjugementdèsqueMarcoétaitconcerné.

Unefoisdanslasalledebains,elles'adossaàlaporteensoupirant.

Elleavaitl'impressionquedesdoigtsvisqueuxcouraientsursapeau.

Ellesedirigeaversladoucheetpositionnalerobinetsur«trèschaud»

avantdesedéshabilleràlahâte.

Quandellepénétradanslacabine,l'eauétaitbrûlante,etellesentitses

larmescouler.Saisissantlesavon,ellefrottachaqueparcelledeson

corpsjusqu'àcequ'ellesoitécarlate.Toutensedébarrassantdel'odeur

deTrent,desondégoûtetdesapanique,ellesemitàsangloteretà

gémir.

Lagorgeenfeu,elletombaàgenouxsurlesoldeladoucheets'assit,

lesgenouxrepliéssouslementon,souslejetréparateur.Ellepleurait

pourcequiavaitfailliarriver.Pourtoutcequinesepasseraitjamais

avecMarco.Pourlapetitefilled'autrefoisquin'étaitpasenmesuredese

défendrecommelafemmequ'elleétaitdevenuel'avaitfaitcesoir.

Soudain,descoupsréguliersfranchirentlabarrièredesonchagrin.

Elleredressalatête.

—Alyssa?Jet'enprie,réponds-moi.Est-cequeçava?

Elleouvritlabouche,maisaucunsonnesortitdesagorgeserrée.

—Bonsang,Aly!J'entre.

Non!Ellenevoulaitpasqu'illavoiepleurer.Elles'étaitsuffisamment

effondréedevantluicesdernierstemps.Humiliée,ellelaissaretomber

sonfrontsursesgenoux.Uncourantd'airplusfraisluiindiquaque

Marcovenaitd'ouvrirlerideau.

—Oh,Aly!

LachaleurducorpsdeMarcol'enveloppa,atténuantlapiqûredel'eau

sursapeau.

—Toutvabien.Jesuislà.

Iltenditlebraspourfermerlerobinet,puisôtasontee-shirttrempé,

quitombasurlecarrelagedansunbruitmouillé.

Prenantunelongueinspiration,Alyssarelevalementonetleregarda.

Ilsepenchapourprendreuneservietteépaisse,dontilluientourales

épaulesavantdeluiessuyerlevisage.Sestraitsexprimaientune

profondecompassion;sonregardempreintdetendressenelaquittait

pasuninstant.Seigneur,commeilétaitbeau!

—Viens,murmura-t-il.

Glissantunbrassoussesgenouxetl'autresoussesaisselles,illa

souleva.Sachaleuretsaforcelapénétrèrent,luidonnantenviedeplus.

Enviedesesdoigts,desapeau,delui.Sanssesoucierdel'eauqui

dégoulinaitsurlesol,Marcolaportajusqu'àsachambre,oùilladéposa

surlelit.Ils'éloignajusteletempsd'allumerlalampedechevet,puis

revintl'envelopperdesesbras.

Ellelevalesyeuxverslui,lecœurgonfléd'émotion,etuneconscience

aiguëdesanuditésouslaserviette.LeregarddeMarcobrillait.

Alyssacompritalorsquesapeuravaittotalementdisparu,remplacée

pardudésir.Glissantsurleborddulit,elleseleva,obligeantMarcoà

reculer.Laserviettetombaderrièreelle.

Quandelleposasesmainsàplatsursontorse,ilseraiditenretenant

sonsouffle,maisneprotestapas.Prenantcesilencecommeun

encouragement,ellesepenchaenavant,etdéposaunbaisersurson

cœur.Illalaissafaire.Alors,ellecontinuaàl'embrasser,jusqu'àceque

sonmamelonsedurcissesousseslèvreshumides.

—Alyssa,gémit-ild'unevoixrauqueenluicaressantlescheveux.

Duboutdesdoigts,elleexplorasontorse,sonventreduretplat,et

trouvalesillondeduvetbrunquidescendaitplusbas.Tremblante,elle

redressalatêtepourluiexprimercequ'ellevoulait-non,cedontelle

avaitbesoin-,maisn'eneutpasletemps.

Enfouissantsesdoigtsdanssachevelurehumide,Marco.s'emparade

sabouche.Pendantunlongmoment,leurbaiserfutemplide

compassion,detendresseetdepardon.Puis,ilyeutcommeundéclic,et

soudain,ilsnefirentplus

qu'un,chacundeleursbaisers,deleursgémissementsetdeleurs

caressesdevenanttoujoursplusexigeant,plusintense.

Marcolaserradetoutessesforces,écrasantsoncorpscontrelesien.Il

déposaunchapeletdebaisersardentsetpassionnésdesabouche

jusqu'àsonoreille.

—Nousavonstantànousdire...,haleta-t-il.

—Jesais,répondit-elleenl'invitantàpoursuivresonexploration

d'uneinclinaisondelatête.

—Nousparlerons.Maispasmaintenant.

Ilseredressapourlaregarderdanslesyeux.

—Maisjeveuxquetusaches...

Elleluimitundoigtsurlabouchepourlefairetaire.Touteslesraisons

pourlesquellescelanepouvaitpasmarcherentreeuxattendraient

jusqu'àdemain.

—Pourl'instant,jeveuxjusteprofiterdetoi.Tesentir.Surmoi,en

moi...S'ilteplaît,Marco.J'aitellementbesoindetoi!

14Marcoladévisageaunlongmoment,manifestementenproieàune

profondelutteintérieure.Puis,sanscriergare,illaserracontreluiet

l'embrassaàperdrehaleine.Alyssafutprisedevertigeaucontact

délicieuxdesesdoigtssursapeaunue.Lavoixdelaraisontentade

s'insinuerdanssonesprit,maisellel'enexpulsaavecforce.

—Tuescertained'enavoirenvie?s'assuraMarco.Aprèstoutcequi

s'estpassé?

Elleenfouitlesdoigtsdanssescheveuxmouillés.

—Oui.

L'intensitéaveclaquelleillafixaitlafaisaitfrémird'anticipation.Mais

ellen'eutpasàattendrelongtemps.Lasaisissantsouslesaisselles,illa

soulevasanseffortetladéposasurlelit.Elles'écartaunpeupourqu'illa

rejoigne,soncœurbattantsifortdanssapoitrinequ'illuisemblait

résonnerdanslesilencedelachambre.

Marcoétaitsibeauqu'elleauraitpupasserlanuitentièreàle

contempler.Elles'efforçadegraverdanssamémoirelejeudesmuscles

desesbrasetdesondosquandils'avançaverselle.Elles'allongea,et

Marcosemaintintau-dessusd'elle,s'emparantdesaboucheencoreet

encore.

Refermantlesdoigtsautourdeseslargesépaules,ellel'attiraàelle,se

cambrantpourmieuxveniràsarencontre.Ilaccédaàsarequêteavecun

gémissementrauque.Sonpoids,sachaleur,sesmusclesfermes:tout

étaittelqu'ellel'avaittoujoursimaginé,désiré.Àcetinstant,elleeutla

convictionquejamaiselleneselasseraitdesesétreintes,delasensation

desoncorpssurlesien.

Toutenluicaressantlanuque,ilglissaseslèvressursagorge,sa

clavicule,etl'undesesseins.Ellepoussaunpetitcriquandillesreferma

autourdelapointedurcie,qu'ilmordilladanslachaleurdesabouche.

Commeellesecambraitsousl'assautduplaisir,suppliantpourqu'illui

donnetoujoursplus,ilseredressaetplongeasonregarddanslesienen

murmurant:

—MonAly.Sidouceetsibelle...

Telunélixir,cesmotssemêlèrentaudésird'Alyssa,qui,incapablede

résisteràlaflammequilaconsumait,l'empoignaparlescheveuxpour

unbaisersauvage.Mêlantsalangueàlasiennedansunedanse

affolante,ilsepressaplusfortcontreelle,luifaisantsentirlafermetéde

sonérectionentresesjambes.Puis,seredressant,ilrepritsescaresses

voluptueusessursesseins,puissonventreetseshanches,oùildessina

degrandesarabesquesdelapointedelalangue.

—Marco,articula-t-elledansunsouffle.

Aumomentoùillevalesyeuxverselle,ellelutdanssespupillesla

mêmeurgencequecellequil'habitait.Iltenditlebras,ouvritletiroirde

latabledenuit,etjetaunpetitsachetsurlelit.

Ilneluienfallutpaspluspourseredresseretl'attireràelleparla

ceinturedesonjean.Sanslequitterduregard,elleledéboutonnaet

baissalafermetureÉclair.Marcosepenchaetl'embrassadoucement.

Unrâles'échappadesagorgequandellerefermalesdoigtsautourde

sonpénis.Ellesentitsonpoulss'affolerdevantcettepreuveévidentede

sondésir,prenantsoudainconsciencequetoutceciétaitréel:Marcoet

ellefaisaientl'amour.

Lapuissancedesessentimentsluidilatalapoitrine,luicoupant

presquelesouffle.Sicetteétreintedevaitêtrelaseule,elleenseraitfolle

dedouleur,ellelesavait,commeellesavaitque,quoiqu'ilarrive,elle

n'auraitaucunremords.Mieuxvalaitvivresonrêvel'espaced'unenuit

plutôtquejamais.

LesdoigtsdeMarcorecommencèrentàtracerdesvolutessurson

ventre,puisglissèrentdanssatoison.Elleémituneplainteétranglée,

avantderenverserlatêteenarrièretandisqu'ilexploraitlachaleur

moitedesonintimité.

—MonDieu,Aly,murmura-t-ilcontresoncou.Ilglissaundoigten

elle.

Dansungémissement,ellesecambrapourl'encourageràallerplus

loin.

Marcoseredressaetouvritlesachet.Sanschercheràsecacher,elleen

profitapourcontemplersoncorpsviril:sesépaulescarrées,ses

cicatrices,ledessindesesveinessursonbiceps,sonventreplat,

l'évidenceglorieusedesondésirpourelle.

Sonpoulss'accéléraquandilrevintverselle.

—Viens.

Ilrabattitlescouvertures,puisétenditsoncorpsmagnifiquesurle

sienetladévoradebaisers.

—J'aitellementenviedetoi,Alyssa.Tellement,répéta-t-il,commeà

courtdemots,ensaisissantsonvisageentresesmains.

—Jeledésiredepuistoujours,avoua-t-elleenretour.

Sansdouteaurait-elledûsemontrerplusprudente,maissonbonheur

lapoussaitàcetaveucourageuxmalgrésapeurdefinirlecœurbrisé.

Elleleregardadéroulerlepréservatifsursonsexe,fascinée.

Quandils'allongeadenouveausurelle,ellepoussaunlongsoupiren

sentantsonpénisentresesjambes.Unelavebrûlantesedéversadans

sesveines.S'agrippantauxépaulesdeMarco,ellebougeaau-dessousde

lui.

Illuicaressalevisage.

—Doucement,Aly.Jeneveuxpas...Ill'embrassa.

—Jedoisteposerlaquestion,reprit-il,leregardpleind'émotion.Est-

cequetul'asdéjàfait?

Alyssasentitsonestomacsenouer.Elleposaunemainsursajoueet

hochalatête.

—J'aieuunehistoiresérieuseàlafac.Endeuxièmeannée.

Maistuesleseulhommedontj'aiejamaisétéamoureuse,ajouta-t-

ellesansoserlediredecraintedegâchercetinstant.

—D'accord,chuchota-t-il.

S'emparantdenouveaudesabouche,ilsesoulevalégèrementet

pénétraenelle.Alyssagémitsousl'affluxdesensationsetl'intensitédes

émotionsquiembrasèrentchaquefibredesoncorps.

Marcoeutrecoursàtoutesavolontépourfairetairelapartdeson

espritquilepoussaitàvouloirplus,toujoursplus,deceplaisir

incroyablequeluidonnaitAlyssa.Ilvoulaitprendresontemps.Queça

nefinissejamais.Alors,ils'obligeaàallerdoucement,àsavourer,à

imprimerchaquedétaildanssamémoire.

Alyssaétaitleparadisincarné.Elleétaitdouceetsoyeusepartoutoù

luiétaitdur,ettandisqu'ilsemouvaitenelle,dessensationsfabuleuses

s'emparaientdelui,magnifiéesparl'impressiondefairepartied'untout

etd'êtreacceptédemanièreinconditionnelle.Cesentiment,ill'avait

toujoursressentiauprèsd'Alyssa,saufque,plusjeune,iln'en

connaissaitpastoutelavaleur.Aujourd'hui,lebaumeapaisantdeson

amourenveloppaitsoncœur,lepénétraitàchaquecaresse,etlui

procuraitlaprofondecertituded'êtrelàoùildevaitêtre.

Lessoupirshachésetlesgémissementsd'Alyssaemplirentlachambre

quandilaccélérapeuàpeulerythme,déclenchantunvéritablevolcan

danssonproprecorps.Ilpritappuisurlescoudespourvoirsonvisage.

Elleétaitsibelle!Lavoluptéselisaitsurchacundesestraitsetson

plaisirattisaitlesien.Illuisourit,lesmotsquiauraientdûêtreditssur

leboutdelalangue.Alyssaluirenditsonsourire,gonflantsoncœurde

joieetapaisantladouleurqu'ilabritait.Justeunpeu,maisc'était

énorme.

Elleenfonçalesdoigtssurseshanches,commeunappel.Marco

bougeaunpeuplusfort,unpeuplusvite.Maisilnevoulaitpascéder

auxexigencesdeleurscorpsenfiévrésetmettrefinàcemoment,leplus

étonnantetleplusbeaudesavie,avantd'êtreprêtàlalaisserpartir.

Peut-êtren'aurait-iljamaisàlefaire.Peut-êtren'était-cequeledébut.

Soncœursegonfladejoieenenvisageantunavenirqu'iln'avaitjamais

pensémériter.

—Marco,murmura-t-elle.

—C'estcomment?

—Sibon...Iln'yapasdemots.

Ilétaittoutàfaitd'accord,maisl'impatiencedanslavoixd'Alyssaeut

raisondesavolonté.Ledésiraffluaenluiavecunetelleforce,unetelle

exigencequ'ilcompritqu'ilnepourraitpasrésisterpluslongtemps.

Leregardverrouilléausien,ilaccélérasesva-et-vient,devinantdans

lesyeuxd'Alyssacequilacomblait.Bientôt,ellehaletait,lespupilles

dilatéesparleplaisir.

Ilaccéléraencore,s'efforçantd'ignorerlademandeinsistantedeson

proprecorps.

Soudain,satêteserenversasurl'oreilleretelleleserraplusfortentre

sesjambes.

—Oui!Oh,monDieu!

Unlongcris'échappadeseslèvrestandisqu'elles'abandonnaità

l'extase,enfonçantsesonglesdanslachairdesesfessesetseshanches

danslessiennes.Leparadis...

C'étaitbeaucouptropbonpourrésister.Entroiscoupsdereins,Marco

explosa,soncorpstenducommeunarctandisqu'ilcontinuaitàse

mouvoirdanslefourreauhumided'Alyssa.

Ilavaitconnudesfemmesavantelle,maisjamaisiln'avaitressentice

besoindésespérédecriersessentimentspendantqu'ilfaisaitl'amour.Il

estvraiqu'iln'avaitjamaisétéamoureux.Aprésent,ilserendaitcompte

quefairel'amouravecAlyssaétaituneexpériencetotale:physique,

psychiqueetspirituelle,dontilémergeaitassouvi,épuiséetdésiranttout

d'elle.

Ill'embrassa,conscientquesisoncorpss'apaisait,soncœur,lui,

continuaitàcognercontresescôtes.Elleluicaressalescheveux,le

regardemplidetendresse,tandisqu'illacontemplait,désireuxdelui

diretantdechosesmaisincapabledeprononceruneparole.

Seigneur,pourquoilesmotsnevoulaient-ilspassortir?

Leregardd'Alyssaseposasursonépaule.Duboutdesdoigts,elle

suivitlacicatricelaisséeparl'impactdelaballe.Marcoauraitpréféré

qu'ellerelèvelesyeuxverslessiens,maisellen'enfitrien.Soudain,il

fronçalessourcilsetl'observaplusattentivement.Elleétaitsplendide,et

pourtant,l'éclatdesonteintnesuffisaitpasàdissimulersescernes

sombres.Illuipritlamainetl'examina.Desmarquesbleutées

couvraientsonpoignet.

—Bonsang!lâcha-t-ilenroulantàcôtéd'elle.Surprise,Alyssaleva

lesyeuxversMarco.

—Qu'ya-t-il?

Illuidésignasonpoignet.

—Tuespasséeparpasmaldechosescettenuit,Aly.Jen'auraispas

dû...

—S'ilteplaît,n'endispasplus,lecoupa-t-elle,lecœurserré.Jel'ai

voulu,Marco.J'enavaisbesoin.Jecroyaisquetoiaussi.

Ellenesupporteraitpasdel'entendreexprimerdesregrets.Pas

maintenant.Ellesavaitparfaitementpourquoiilsavaientfaitl'amour

cettenuit,etqu'àlalumièredujour,plusrienneseraitpareil.Maiselle

voulaitprofiterdecemomentlepluslongtempspossible.

Ill'embrassa.

—Oui,acquiesça-t-il.N'endoutepasuneseconde.Maisqueveux-tu?

ajouta-t-ilavecunhaussementd'épaules,jenepeuxpasperdrecomme

çal'habitudedeprendresoindetoi.

Elleluicaressalescheveux.Incroyablecommeilspouvaientêtredoux

alorsquetoutenluiétaitsiviril.

—C'estunechosequej'aitoujoursappréciécheztoi,Marco.Maisje

suiscapabledemedébrouillertouteseuledésormais.J'aichoisicequi

vientdesepasser.Nem'enlèvepasça.

—Aufait,déclara-t-ild'unairembarrassé,jen'auraisjamaisdûtedire

cequejet'aiditl'autrefois.C'étaitdéplacé.Ettotalementfaux.Je

regrettedet'avoirblessée.

Secouantlatête,ilajouta:

—J'aihontedet'avoirparléainsi.Spécialementàloi,l'unedemes

plusvieillesamies.

Leterme«amie»l'atteignitenpleincœur.Prenantsurellepourn'en

rienmontrer,elles'excusaàsontour:

—Jenevoulaispastegêner.Jesuisdésoléed'avoirviolétonintimité.

—Non,c'étaitnormal.Lesamissontfaitspours'aider,pasvrai?C'est

justeque...

Ilsetournaletempsdejeterlepréservatifdanslacorbeilleprèsdulit,

puis,s'appuyantsuruncoude,dessinadesarabesquessursonventre.

Cettecaresseinsoucianterenditplussupportablel'absencedesoncorps

tièdesurlesien.

—Je...Aly,jenesuisplusl'hommequetuasconnu!Pourêtrefranc,

jenesaisplusoùj'ensuis.Etjen'avaispasenviequetut'enaperçoives.

Ellesetournaunpeuplusverslui,glissantungenouentrelessiens.

—Parcequelucroisvraimentquejenemétaispasrenducompteque

quelquechoseavaitchangé?Jeteconnaisdepuistoujours,Marco.Dès

quejet'aivu,jel'aiperçudanstesyeux,entendudanstavoix.Jevoulais

tesoutenirunpeudanscetteépreuve,commelul'astoujoursfaitpour

moi,expliqua-t-elleenposantunemainsursontorse.

—Jenesupportepasquetutefassesdumalpourmoi,répondit-il,le

regardempreintd'uneprofondetristesse.

—Etmoi,quetutefassesdumaltoutcourt.Ellel'embrassa,soulagée

etraviequ'illaserreaussitôtcontrelui.Tentantsachance,elle

demanda:

—Tumeraconterasunjourcequis'estpassé?Envoyantsestraitsse

rembrunir,elleeutpeurd'êtrealléetroploin.Allait-ilserenfermerdans

sacoquille?

Illuireplaçaunemèchederrièrel'oreille.Durantunmomentqui

parutuneéternité,ildemeurasilencieuxetlointain,puisiljouaavecla

petiteboucled'oreilleendiamantqu'illuiavaitoffertelejourdela

remisedesondiplôme.

—Çamefaitplaisirquetulesportesencore.Aprèsunlongsoupir,il

plongealesyeuxdanslessiens.

—Jetelafaiscourte?

Àcesmots,ellesentitlepoidsquiappuyaitsursoncœurs'alléger.

—Commetuveux,répondit-elle.

—J'ailancémonunitédansuneopérationsurlabased'informations

quej'avaiscollectéespendantdesmois.Saufquecesrenseignements

étaientfaux:c'étaitunpiège.Troisdemeshommesonttrouvélamort

pendantl'assaut.Quantàmoi,j'airécoltéça...

Ilmontralacicatricesursonbras.

—...etuncerveauquifonctionnebeaucoupmoinsbienqu'avant.Sans

Brady,jeneseraismêmepaslàaujourd'hui.Ilarepérélamècheune

secondeavantquelegarsdevantmoidéclenchelabombeenentrant

danslacabane,etm'atiréenarrière.Lamortdecestroishommes

pèseratoutemaviesurmaconscience.Enunsens,cen'estquejustice

quejenepuissepasreprendreleserviceetfairelaseulechosequej'aie

toujoursdésiréfaire.

UneprofondecompassionenvahitAlyssaàcerécit,mêléeàsa

gratitudeenversMarcopours'êtrelivréàelle-etenversBrady,quiavait

sauvél'hommequ'elleaimait.Elleselovacontrelui,levisagepresque

colléausien.

—Tun'aspastuéceshommes.Cesontlesterroristesquil'ontfait.Tes

compagnonssavaientquec'étaitdangereux,toutcommeBradyettoi.

Ilsecoualatête,leregarddur.

—C'étaitma...

Elleétouffalafindesaphrasesousunbaiser.

—Silasituationétaitinversée,quetuavaisétéblesséparcequ'on

avaitfournidefauxrenseignementsàl'undeteshommes,estimerais-tu

cethommeresponsable?Voudrais-tuqu'ilsereprochetoutesaviece

quis'estpassé?

Marcoladévisagea,unpeuébranlé.Finalement,ilpoussaunsoupir.

—Jesuissûrequenon,reprit-elle.Parcequetucomprendraisquece

n'estpassafaute.Commecen'étaitpaslatienne.

Ilrestasilencieuxunlongmoment,puissonexpressions'adoucit,etil

lâcha:

—Jen'ensuispasencorelà.

—Personneneteledemande.Tuyarriverasquandtuserasprêt.En

attendant,nepensepasqu'ilfaillemecachercequitedéplaîtcheztoi.

Enluttantcontresapartd'ombre,onnefaitquelarenforcer,précisa-t-

elleensongeantqu'elleétaitbienplacéepourlesavoir.

Malgrécequ'illuiencoûtaitd'employercetermeàsontour,elle

enchaîna:

—Jesuistonamie.Jet'accepteraitoujourstelquetues.

Illafixaintensémentcommepours'assurerdesasincérité.

—Tun'espasdéçue?

—Pendantquatreans,tuasrisquétavietouslesjourspourcepays.

Grâceàtoi,combiendedramesontétéévitésetdeviessauvées?Rien

nechangerajamaismessentimentspourtoi,Marco.Jamais.

Ildétournalesyeux,visiblementtroublé,puisilsepassaunemainsur

levisageetdemanda:

—Commentes-tudevenueaussiintelligente?

—N'oubliepasquejesuisalléeàlafac,plaisanta-t-elle.

Cequiluivalutunpetitsourire.PuisMarcoproposa:

—Onpeutdormirensembleicicettenuit?

—Oui,acquiesça-t-elleaussitôtens'efforçantdenepasdonnerde

significationparticulièreàcettequestion.

Quellequesoitlaraisonpourlaquelleillaposait,riennelaréjouirait

autantquedes'endormirdanssesbras.Saufpeut-êtredes'yendormir

touslessoirs.

Ilsprirentunedoucheavantdeserecoucher.Commeilétaithorsde

questionqu'elleremettesesvêtementsdelaveille,Marcoluipassaun

shortqu'elleroulaàlatailleetundesestee-shirts.Ilparutaussi

heureuxdelavoirdansseshabitsqu'ellel'étaitdelesporter.

Illuiouvritlesbrasdèsqu'ellelerejoignitdanslelit,etelles'yblottit

avecdélice.Enveloppéedanssachaleuretsonodeur,latêtesurson

épaule,ellemouraitd'enviedeluiavouercombienellel'aimait.

Néanmoins,mêmesiellesentaitquequelquechoseavaitchangéentre

euxcettenuit,lenombredefoisoùilavaitparléd'ellecommed'une

simpleamiel'empêchadeprendrelerisque.

Soncœursaurait-ilsemontreraussiraisonnable?Àenjugerparla

forceaveclaquelleiltambourinaitdanssapoitrine,elleendoutait.

15Alyssas'éveillalapremière,unbrasentraversdutorsedeMarco,une

jambesursescuisses.Laproximitédeleurscorpsetlaconscienceque

toutcelaétaitbienréelfitaussitôtrenaîtresondésir.Ellebasculasurlui

etl'embrassa.Ilréponditàsoninviteavantmêmed'avoirouvertles

yeux.Ilsétaientsiheureuxcematin!Ellesentitsoncœursedilaterdans

sapoitrine.

—Biendormi?

Souriant,illuirejetalescheveuxenarrière.

—Commeunbébé.Paslemoindrecauchemar,ajouta-t-ilenlui

caressantleslèvresavecsonpouce.

Elleluibaisalesdoigts.

—Tantmieux.

Sansautreparole,ilsôtèrentleursvêtementsetelleleguidaenelle.

Tandisqu'ilsfaisaientl'amour,ellegardalesyeuxfixéssursonvisage,

gravantdanssamémoirechacunedesesexpressions,laformedesa

bouche,l'étincelledanssesyeuxetlemouvementampledesontorse,à

chaquerespiration.Lesmainsreferméessurlesglobesdesesfesses,il

imprimaunmouvementrégulieràseshanchesjusqu'àcequ'ils

s'accordentdansunedanseenfiévrée,etqu'elleretombesurlui,

haletante.

Doucement,ilcaressasescheveuxépars,jouantàenroulerdelongues

mèchesautourdesesdoigts.L'espritetlecorpsapaisé,ellesombrade

nouveaudanslesommeil.

Quandellerouvritlesyeux,laplaceàcôtéd'elleétaitvide.Elleen

éprouvaunvifsentimentdedéception,avantqu'elleperçoiveleseffluves

decaféetdebaconenprovenancedelacuisine.Ellesautadulit,àlafois

presséeeteffrayéederejoindreMarco.Commentréagirait-ilmaintenant

qu'ilfaisaitjour?

Deboutdevantlacuisinière,unespatuledanslesmains,illuitournait

ledos.Elleadmirasesmusclessaillantsàlalumièredujour.Ilavait

encorelescheveuxhumidesdeladouchequ'ilvenaitdeprendre.

Résistantàsonenviedelesurprendreenl'enlaçantpar-derrière,elle

s'appuyasurleplandetravailprèsdelui.

—Bonjour.

Illuisouritetdéposalacrêpesurlapiledevantlui.

—Salut,Belleauboisdormant.

—Queveux-tu?Tum'asépuisée.

Ellesentitsesjouess'empourpreràcetaveu,maisneregrettapassa

franchisedevantl'airmanifestementravideMarco.

Sedétournantdelagazinière,ilvintseplacerfaceàelleetrefermases

mainsautourdesonvisage.Puisilapprochadoucementseslèvresdes

siennespourunbaiseremplidetendresseetdepassioncontenue.Le

cœurd'Alyssasegonflad'espoir;ellecompritqu'ellen'arriveraitpasà

luicacherpluslongtempssessentiments.Ilfallaitqu'elleluiavouetout

etsacheunefoispourtoutessiquelquechosedeplusétaitpossibleentre

eux.Quelquechosequidureraittoutelavie...

Lesbrasnouésautourdesoncou,elles'abandonnaàladanse

sensuelledeleurslangues.EllefrissonnadeplaisirenentendantMarco

gémirtandisquesonsexedurcissaitcontresonventre.Soudain,une

idéelatraversa,àlaquelleellefutincapablederésister.

Elles'écarta,amuséeparl'expressiondesurprisequiglissasurles

traitsdeMarco,etbaissalafermetureÉclairdesonjean.Ellesouritenle

voyanthausserunsourcil,puissemitàgenouxenluitirantlepantalon

surleschevilles.

—Alyssa,murmura-t-il,unenoted'incrédulitédanssavoixrauque.

Ellerefermalamainautourdesonpénisetlecaressalentement.

—C'estàmontourdeprendresoindetoi.Soncœurbattaitàtout

rompredanssapoitrine,maisellenepensaitàriend'autreencetinstant

qu'auplaisirqu'ellemouraitd'enviedeluidonner.Ellelepritdanssa

bouche.

—Seigneur,gémit-ilenluicaressantlescheveux.Troiscoups

résonnèrentàlaporte.

Marcopoussaungrognementfrustré.

—Nerépondspas,chuchota-t-elle.Quiquecesoit,ilfinirabienpar

partir.

Maisellesetrompait.Lescoupssefirentplusinsistants.

—Merde!juraMarco.

Ill'aidaàsereleveretremontasonjean.Puis,illaserracontreluien

luidonnantunbaiserravageur.

Légèrementétourdie,Alyssaseretintauplandetravailquandilla

lâcha,enproieàundétonantmélanged'amusementetdedésir.

Marcosedirigeaverslaporteenmaugréant.Elleenprofitapour

chiperunmorceaudebaconsuruneassiette.

—Ehbien!entendit-elleunevoixjoyeuses'exclamerdansl'entrée.Il

t'enafalludutempspourm'ouvrir.J'aicruquej'allaisdevoirforcerla

serrure.

Lepoulsd'Alyssas'accéléra.Brady?

—Euh...Çaalors!Excuse-moi.Entre,réponditMarco.

N'osantpasycroire,Alyssacourutverslesalon.

Lesoulagementetlajoiequil'envahirentluifirentmonterleslarmes

auxyeux.Bradyétaitici!Ellel'examinarapidement:bronzé,ses

cheveuxchâtainclairdécolorésparlesoleil,quelqueskilosenmoinsqui

lefaisaientparaîtreencoreplusgrandqu'avant-ilavaitl'airenforme.

Ellesourit.Sonfrèreétaitderetour,etilallaitbien.

Sansréfléchir,ellecourutversluietlepritdanssesbras.

—Brady,murmura-t-elle,dessanglotsd'émotiondanslavoix.C'estsi

bondeterevoir.

Illaserracontreluienriant.

—MapetiteAly...

—Tum'asmanqué,confia-t-elleenluipressantlesépaules,comme

pourseprouverqu'ellenerêvaitpas.

—Toiaussi.

Ilreculapourlaregarder.Soudain,sonsouriresefigea,etilseraidit.

Alors,elleserappelacequ'elleétaitentraindefairejusteavantqu'il

frappeàlaporte.Elleportaitletee-shirtdeMarco,etcelui-ciétaittorse

nu.Sonfrèrenepouvaitaboutirqu'àuneseuleconclusion:labonne.

Toutças'annonçaitmal.

—Commentsefait-ilquetunem'aiespasprévenue?interrogea-t-elle

entirantsursontee-shirt.

—J'aiessayé.Tuasoublié?Jet'aiappelée.Deuxfois.

LeregarddeBradypassadel'unàl'autre,avantdesefixersurMarco,

glacial.Unebouleaucreuxdel'estomac,elleexpliqua:

—Lacommunicationétaittropmauvaise:jen'aipascomprisceque

tumedisais.Peuimporte,décréta-t-elleenbalayantl'airdelamain.Tu

eslà,c'esttoutcequicompte.

—Peut-êtrequesitum'avaiscompris,tuseraishabilléeence

moment,répliqua-t-ild'untonsec.Avectespropresvêtements.

Marcopoussaunsoupir.

—Brady...

—Écoute,coupaAlyssadansl'espoirdecalmersonfrère.Nousne

noussommespasvusdepuisunanetdemi.Nefaispasl'idiot.

Ilfronçalessourcils.

—Jesuissérieux,Alyssa.Bonsang,quesepasse-t-ilici?

Luiavouerqu'elleétaittombéeamoureusedeMarcon'étaitsansdoute

paslameilleuremanièred'abordercetteconversation,surtoutquand

l'intéressélui-mêmen'étaitpasaucourant.Ellesetournaverslui.Peut-

êtresouhaitait-ilexpliquerlui-mêmelasituationàBrady?

Sagorgeseserra:uneexpressionferméesurlestraits,Marcoévitait

sonregard.

—Cen'estpascequetucrois,affirma-t-ilfinalement.

Alyssasentitsonsangbattreàsestempes.Qu'est-cequecettephrase

étaitcenséevouloirdire?

Bradys'attardasursescheveuxdéfaitsetsontee-shirttropgrandpour

elle.

—Qu'est-cequec'estqueça?demanda-t-ilenluisaisissantlebras.

Latensiondanssavoixrévélaitseseffortspourgardersonsang-froid.

Alyssabaissalesyeuxsurlesmarquesbleutéesautourdesonpoignet.

Jamaisellen'avaitvusonfrèreaussifurieux.

—Jetefaisaisconfiance,espècedesalaud!hurla-t-il.

—Brady,non!sécriaMarcoenessayantdeleretenir.

LepoingdeBradys'écrasasurlevisagedeMarco,luirejetantlatête

surlecôté,maiscelui-cinefitrienpoursedéfendre.Ilnesebattitpas

pourelle.Sonregardsemblaitmort.

—Jen'arrivepasàcroirequetupuissesmesoupçonnerdeluiavoir

faitdumal,articula-t-ild'unevoixtendueparl'émotion.

—Tuterappellesladernièrefoisquejet'aivuàOkinawa?Cettenuit-

là,tusemblaisavoirperdularaison.Queveux-tuquejecroie,aprèsça?

Alyssaseplaçaentreeux,lesbrasécartéspourlesteniràdistance.Elle

prituneprofondeinspiration,résistaaufluxd'émotionsquimenaçaitde

lasubmerger,etlesregardal'unaprèsl'autredanslesyeux.

—Brady,arrête.Marconem'apasfaitdemal;ilestvenuàmon

secours.

Àcesmots,sonfrèresecalmaetsepassaunemainsurlevisage.

Marcos'adossaaumur,lesbrascroisés.Onauraitditdeuxboxeursse

retirantdansleurcoinduring.

Alyssaavaitlesjouesenfeu;soncœurcognaitdouloureusement

contresescôtes.Ellesentitunevaguedenauséelagagneren

comprenanttoutàcoupcequirisquaitdesepasser.Bradyétaitamiavec

Marcoavantelle.Ilétaitsonmeilleurami.Plusencore,ilavaitétéson

frèred'armes,et,commeellel'avaitappriscettenuit,illuiavaitsauvéla

vie.

S'ildevaitchoisirentreeuxdeux,nuldoutequ'ilchoisiraitBrady.Une

attitudecompréhensibleetadmirable.Mêmesielleluibrisaitlecœur.

D'ailleurs,pourquoiMarcoaurait-ilagiautrement?Cen'étaitpaslui,

maiselle,quiavaitcommencéàl'embrassercettenuit.N'avait-ilpas

affirméàplusieursreprisesdepuisqu'elleétaitson«amie»?

Cen'estpascequetucrois.

Cesparolesrésonnaienttoujoursdanssatête.Iln'étaitpasquestion

d'amour.Paspourlui.

Alyssaavaittoujourssuques'ilsepassaitquelquechoseavecMarco,

celanedureraitpas.Carelleétaitlaseuleàressentirautrechosequede

l'amitié.Biensûr,ils'étaitmontrétendreetaffectueuxcettenuit,mais

commentaurait-ilpuenêtreautrementaprèsl'agressiondontelleavait

étévictime?Marcoétaitunhommebon,protecteurdansl'âme.Etils

étaientamis.C'estpourcetteraisonqu'ilavaitfaitl'amouravecelle,pas

parcequ'ill'aimait.

Or,s'ilnel'aimaitpas,avait-elleledroitdemettreenpérilsonamitié

avecBrady?Non.

Siellelefaisait,jamaiselleneselepardonnerait.

Lecœurauborddeslèvres,elletournalestalonsetseprécipitaversla

salledebains.Là,elleenfilasonjean,maisneputserésoudreàremettre

sonpropretee-shirt,etconservaceluideMarco,qu'ellenouaàlataille.

Letempsderassemblersescheveuxenqueuedecheval,elelle

s'observadanslemiroir,cherchantlaforcequiluipermettraitdefairece

quidevaitl'être.

Quandellesortitdanslecouloir,BradyetMarcosedisputaient

encore.Elles'obligeaànepasécouter:ellenesupporteraitpas

d'entendreMarcojustifiercequis'étaitpasséentreeux.

Danslacuisine,ellerécupérasonmobileetsesclés,avantdese

rappelerqu'ellen'avaitnisonsacnisavoiture.Avecunsoupir,elle

envoyauntexto.

Peux-tusvppassermeprendresurSkylineDriveleplusvite

possible?C'esturgent.

Surquoi,ellereplongeaaucœurdelatourmente.Sonarrivéeentre

euxdeuxfitaussitôttaireMarcoetBrady,quisetournèrentverselle.Ils

avaientlemêmeregardétincelantdefureur,lamêmemâchoireserrée,

lesmêmesépaulescrispées.

—Çasuffit,maintenant,déclara-t-elle.Vousêtesamisdepuis

toujours,etrienneméritequevousgâchiezcetteamitié.Alors,arrêtez

devousdisputer.Jepars.Faiscommes'ilnes'étaitrienpassé,ajouta-t-

elleenplongeantlesyeuxdansceuxdeMarco.

—Tunevasnullepart!aboyaBrady.

Acesmots,Alyssasentitsatristessesemuerencolère.Ellepointaun

doigtverslui.

—Tuesmaseulefamille,etjet'aime.Maiscelanet'autorisepasà

débarquercommeçadeDieusaitoùetàmedonnerdesordres.Jesuis

adulte.

Jen'aipasbesoinqu'onmedisecequejedoisfaire.

Ellerestaunmomentsilencieuse,hésitantàajouterquelquechose,

puiselleregardaMarco.Finalement,illevalesyeuxverselle,l'airduret

distant,luirappelantcejouroù,danslecouloirduWhiskey's,ilavaitété

surlepointdes'ouvriràelle.Avantdes'éloigner.

Àprésent,c'étaitellequipartait.

Unesensationdevidedanslapoitrine,elleseretournaetquittala

maison.

MarcoregardaAlyssas'éloigneravecl'impressionqu'elleemportait

toutl'oxygènedelapièceavecelle.Lecœurdansunétau,lesentrailles

nouées,ilfutbrusquementterrasséparunemigraineterrible.Commeil

selaissaittomberàunboutdufuton,latêtedanslesmains,Brady

s'installaàl'autreextrémité.

Nil'unnil'autreneparlapendantunlongmoment.Ilsavaientdéjàeu

denombreuxdifférends,leplussouventpourdesbroutilles.Engénéral,

ilsrestaientcontrariésquelquesheures,puisseretrouvaientcommesi

derienn'étaitpourallerboireunebièreoufairedusport.

Entoutcas,jamaisBradynel'avaitfrappé.Sansdouteparcequ'il

n'avaitjamaiseudebonneraisondelefaire,songeaMarcoavec

amertume.

Ilavaittrahilaconfiancedesonami;là-dessus,iln'yavaitaucun

doute.Enrevanche,Alyssasetrompaitsurunpoint:elleetelleseule

méritaitqu'ilsedressecontresonami.

Levantlatête,ilplongealesyeuxdansceuxdeBrady.

Celui-ciluisoutintsonregard.

—Quandjet'aiditquecen'étaitpascequetupensais,jevoulaisdire

quec'étaitsérieux.Jesuisamoureuxd'elle,déclaraMarco.

Bradypoussaunlongsoupirets'adossaaufuton.

—D'oùviennentcesmarquessursespoignets?

—Unsalaudl'aagresséesurleparkingduWhiskey's.Elleluiadonné

dufilàretordre.Tuauraisétéfierd'elle.

Bradyretintsonsouffle.

—Qu'est-cequ'il...luiafait?

—Rien.Jesuisarrivéavantqueçadégénère.Çal'asecouée,maiselle

estsolide.Elles'enremettra.

—SeigneurDieu!marmonnaBrady.Jesuisdésoléd'avoirpensé...

—Tupeux,coupaMarcod'untonsec.

Bradysoupiradenouveau.Savoixétaitpluscalmequandilreprit:

—Elleettoi,çaduredepuislongtemps?Marcosefrottalapoitrine

commes'ilvoulaitsedébarrasserdupoidsquil'oppressaitdepuisle

départd'Alyssa.Pourquoil'avait-illaisséefranchircetteporte?

Commentpouvait-ill'aimeràcepointetnerienavoirfaitpourla

retenir?Ilfallaitvraimentqu'ilsoitdétraqué!Rienquepourça,ilnela

méritaitpas.Cequinel'empêchaitpasdeladésirerdetoutsonêtre.

—Çavientjusted'arriver.Elleneconnaîtmêmepasmessentiments.

—Quelchaos!Jenem'attendaisvraimentpasàçaenrentrant.

Marcosefrottalesyeux.

—Qu'est-cequetufaislà,d'ailleurs?

—Lajoiequeteprocuremavisitefaitplaisiràvoir.

Marconerépliquapas.Quandilétaitcontrarié,Bradyavaittoujours

besoind'envoyerdespiques.

—Tucomprendscequejeveuxdire.

—Jesuisrenvoyéaupayspourdix-huitàvingt-quatremois.

Personneldel'armée,Pentagone.

—Sansblague?

—Etfigure-toiquecequimeplaisaitleplusdanscetteaffection,

c'étaitdepouvoirêtredenouveaulàpourAlyssa.C'estpourquoi,au

risquedetecontrarier,jedoisteposerclairementlaquestion,vieux.

Croisantlesbras,Marcol'invitaàpoursuivred'unsignedetête.

—Aprèstoutcequis'estpassé,est-cequetun'espastropamoché

pouroffriràmapetitesœurlaviequ'ellemérite?

Marcoréfléchitlonguementàlaquestionavantdedéclarer:

—Jenesuispasredevenuceluiquej'étais,maisjevaismieux.Etelle

medonneenvied'allermieux.Pendantdesmois,jemesuisdébattudans

mesproblèmessanstrouverdesensàrien.AvecAlyssa,j'aidenouveau

unbut.Larendreheureuse,c'esttoutcequejedemande.Alors,pourte

répondrefranchement,non,jenesuispastropamoché.

Bradyleconsidérad'unœilacéréplusieursminutes,puisilsourit.

—Justeunpeu.

—Justeunpeu,acquiesçaMarcoavecunpetitrire.

—Tuascomprisquetun'étaispasresponsable?Tuasenfinaccepté

ça?

—Celafaitpartiedecequin'estpasencoreréglé.

—Marco...

—Cen'estpasenmelerépétantquetuparviendrasàmeconvaincre.

J'appréciecequetuessaiesdefaire,neteméprendspas.Maisjedois

effectuermonproprecheminavantd'enarriverlà.

Bradypoussaunsoupir.Unlongsilencesuivitavantqu'ilreprenne

d'untonplusléger:

—Masœur?Vraiment?

Percevantl'étincellemoqueusedanssonregard,Bradyhochalatêteen

souriant.

—Tuterendscomptequesituluifaisdumal,jedevraistetuer?

—Jen'enattendspasmoinsdetoi,assuraMarcoenselevant.Mais

n'oubliepasqu'ilyaunautrehommesurcetteterrequisaitcombienta

sœurmérited'êtreheureuse.

Semettantdeboutàsontour,Bradyluitenditlamain.

—Tuasraison.

Ilsseserrèrentlamain,etBradyeffleuralajouedeMarcoavecun

sourirecontrit.

—Tuvasavoirunbleu.Désolé.

Marcoportalesdoigtsàsapommetteetgrimaça.

—Enplus,çafaitmal,grommela-t-il.T'esvraimentunsalaud.

Enguisederéponse,Marcoéclataderire.Puis,sefrottantl'estomac,il

s'enquit:

—C'estlepetitdéjeunerquisentaussibon?

Àcesmots,Marcoperditsonsourire.Lepetitdéjeunerqu'ilavait

préparépourAlyssa.

—Oui.Sers-toi,fais-toiplaisir.Moi,jedoisparleràtasœur.

MaisAlyssan'étaitpasdanslejardinniailleursdanslesenvirons.

Marcolacherchatoutelajournée,sanssuccès.

Et,biensûr,elleneréponditpasàsesappelstéléphoniques.

Contrairementàl'autrematin,Marcon'avaiteuaucuneintentionde

luifairemal.MaisplusilrepensaitàsadisputeavecBradyetà

l'expressiond'Alyssaaumomentoùilavaitcommencéàs'expliqueravec

sonfrère,plusilcomprenaitqu'ill'avaitbeletbienblessée.

Probablementplusqueladernièrefois.

Bonsang,ilsavaientfaitl'amour!Deuxfois.Etilavaitludansses

yeuxtoutelaprofondeurdesessentiments.

Ellel'aimait.

Quantàsespropressentiments,illesconnaissait-maintenantplus

quejamais.

Àprésent,laquestionétaitdesavoirsi,aprèstouscesfaux-pasetces

hésitations,etsurtoutdevantsonéchecàsecomportercommeun

hommefaceàBrady,elleaccepteraitdeluipardonner.Sepouvait-il

qu'ellel'aimetoujours?

16AlyssaadressaunderniersignedelamainàÉricavantqu'ils'éloigne.

Ils'étaitvraimentcomportéenami,passantlachercherdanslaruede

Marcohiermatinpourlaconduireàsonhôtel,etlarécupérantsurplace

enmilieudematinéeafindeladéposerauWhiskey'splusieursheures

avantledébutdeleurservice.Ilallaitluimanquer.

Enpassantdevantsavoituresurleparking,desimagesdelascènede

lanuitdesamediluirevinrentàl'esprit.Ellesedétournarapidementet

pénétraàl'intérieurdel'établissement.

Hiersoir,commeelleétaitallongéesursonlitàregrettercequiaurait

puêtreavecMarco,elleavaitreçuunappelduConventionCenterde

Washingtonluiannonçantqu'elleétaitprisepourlepostede

coordinatriced'événements.Elledébuteraitlasemaineprochaine.

Ilneluirestaitdoncplusqu'unechoseàfaire.

Chucksetrouvaitdanssonbureau.Retenantsonsouffle,ellefrappaà

laporte.

—Alyssa.Entre,mabelle,l'invita-t-ilenselevantpourl'accueillir.

Ildésignalachaisefaceàlui.

—Assieds-toi,jet'enprie.Commentvas-tu?

—Bien,répondit-elleenseforçantàsourire.Maisj'aiquelquechoseà

vousannoncer.

—Jet'écoute.Maisavanttout,jetiensàterépétercombienjesuis

désolépourcequis'estpassél'autresoir.

Ellebalayal'aird'ungestedésinvolte.

—Vousn'yêtespourrien.Mais,merciquandmême.

—Alors,quepuis-jepourtoi?demanda-t-ilenserasseyant.

Elleposasurlebureaulalettrequ'elleavaitrédigée.

—J'aireçuunepropositiondetravail,etmalheureusement,ilsveulent

quejecommencelundiprochain.JedoisdéménageràWashingtondès

jeudi.Jeregrettedevouspréveniraussitard,etjetravailleraijusqu'au

derniermoment...

Chuckfronçalessourcils,l'airennuyé.

—C'estàcausedecequis'estpassé?

—Non,pasdutout.

—Parcequejecomprendraissitunetesentaisplusensécuritéici.

Alyssapritunelongueinspiration.Pourquoitouslesgensdu

Whiskey'sétaient-ilsaussisympathiques?Aprèsquatreansd'absence,il

luiavaitsuffidetroissemainesàFrederickpoursesentirdenouveau

totalementchezelle.Cequirendaitsondépartd'autantplusdifficile.

—J'airéponduàcetteoffred'emploiilyaplusieursmois,etj'étais

sûrequemacandidatureavaitfiniàlapoubelle.Jenemeseraisjamais

engagéeavecvoussij'avaissuqu'ilsmerecontacteraientaussivite.

—Jesupposequ'ilspayentmieux?

Alyssahochalatête,malàl'aise.Aussiétrangequecelapuisseparaître

danssasituationfinancière,laperspectived'unmeilleursalairen'était

pasàl'originedesadécision.Lavérité,c'étaitqu'ellenesesentaitpasde

tailleàcroiserMarcotouslesjoursensachantqu'ilnevoulaitpasd'elle.

Ou,entoutcas,pascommeellevoulaitdelui.Ladistanceéloigneraitla

tentationetpermettraitd'apaisersonchagrin.Dumoins,l'espérait-elle.

—Jesuisprêtàt'augmentersicelapeutlefairechangerd'avis.

MonDieu,ellenes'attendaitpasàça.Soncœurseserraàl'idéeque

Chuckétaitprêtàsebattrepourlagarder.

ContrairementàMarco,neput-elles'empêcherdepenser,revoyant

aussitôtlevisageinexpressifdecedernierlorsdesadisputeavecBrady.

Elleauraittellementvouluqu'ils'opposeàsonfrèreetaffirmequ'ils

étaientetresteraientensemblequoiquecedernierenpense...

Lagorgenouée,ellesentitavechorreurleslarmesluimonteraux

yeux.

Chuckselevapourluitendreuneboitedemouchoirsenpapier.

—Situmedisaiscequisepassevraiment?suggéra-t-ilentirantune

chaiseàluipours'asseoirprèsd'elle.

Alyssapritunmouchoirets'essuyalesyeux.S'obligeantàseressaisir,

ellerépondit:

—Vousêtestoustellementgentilsavecmoi!J'ail'impressionde

laisserdesamisderrièremoi,etçamerendtriste.Etjem'enveuxde

vousdécevoir.

—Net'enfaispaspourmoi.Cen'estpaslapremièrefoisqueçaarrive.

C'estnormal.

Illaconsidéraunlongmomentensilence,commes'ilsedoutaitqu'ily

avaitautrechosemaisnevoulaitpassemontrerindiscret.

—Tonchèqueseraprêtjeudimatin,indiqua-t-ilfinalement.Passele

prendrequandtuveux.

—D'accord.Merci,Chuck.Etjesuisdésoléedevouspréveniraussi

tard.

—Bonnechance,mabelle,conclut-ilenluiserrantlamain.

Alyssaregagnasonhôtelenvoiture.Elleavaitunetonnedechosesà

régleravantjeudi.Parmielles,unrendez-voustéléphoniqueprévucet

après-midiavecuneemployéeduConventionCenteràlarecherche

d'unecolocataire.Nerestaitplusqu'àespérerqu'ellessympathiseraient,

sinon,elledevraitcontacteruneagencespécialisée.Ilfaudraitégalement

qu'elles'achètequelquesvêtementspoursonnouveautravail.Et

maintenantqueBradyétaitderetour,qu'ellepasseunpeudetemps

aveclui.

Samèreétaitmorte,sonpère,àmoitiéfou,etBradyetMarco,engagés

dansl'armée.C'étaitlapremièrefoisqu'elleseretrouvaitdansla

situationdecellequis'enva.Contrairementàcequ'ellecroyait,ce

n'étaitpaslaplusfacile.

ElleserenditauWhiskey'slelundiaprès-midipourprendreson

service,s'attendantdéjàànombrederemarquesetdequestions

concernantsondépart.Maismanifestement,Chuckn'avaitannoncéla

nouvelleàpersonne.Soulagée,elledécidad'attendrelelendemainpour

lefaire:àvifcommeellel'était,ellerisquaitdes'effondrerenlarmesà

chaquefoisquequelqu'unaborderaitlesujet,etleplustardseraitle

mieux.

UneautrebonnesurprisefutdedécouvrirJamesonderrièrelebar.

ElleavaitcomplètementoubliéqueMarcoétaitencongécesoir.Elle

remercialecielpourcesursisinattendu.

Lasoiréepassatrèsvite,etunefoisderetouràsonhôtel,ellesesentit

suffisammentcourageusepourécouterlessixmessageslaisséspar

Marco.

Assisesursonlit,elleappelasamessagerie.

Lepremierdataitdequelquesminutesaprèssondépartdechezlui.

Alyssa,oùes-tu?Tun'avaispastavoitureetjenetetrouvenulle

part.S'ilteplaît,rappelle-moi.Jem'inquiètepourtoi...

Soncœurseserra.Marcos'inquiétaitpourelle.Commed'habitude.

Ellepassaausuivant.

C'estmoi.S'ilteplaît,rappelle-moi.Ilfautvraimentquejeteparle...

Unsoupir,longetprofond,puis,ilreprenait:Alyssa,pardonne-moi.

Neperdantpasdetempsàcherchercequisecachaitderrièreces

mots,elleécoutaletroisièmemessage:

Aly,tuterappellesquejet'aiditquej'avaisquelquechoseàtedire?

J'aimeraisquetumedonnesunechancedelefaire.Jesaisquejeme

suiscomportécommeunidiotaujourd'hui.S'ilteplaît,appelle-moi.

Lequatrièmemessageduraitplusdedixminutes.

C'estmoi,Aly.Ilestquatreheuresdumatin,etjen'arrivepasà

dormirparceque,dèsquejefermelesyeux,jerevoistonvisagetriste.

Jet'enprie,donne-moiunechancedemeracheter.

Alyssaplissalefront,troubléeparcesparolesetlelongsilencequiles

suivit.Lasuitedumessagelabouleversa.Marcojouaitdelaguitare.

Avecdifficultéaudépart,commes'ils'échauffait,puisdemanièrede

plusenplusfluide.Ilyavaitquelquesfaussesnotes,quelquesruptures

danslerythme,maisilcontinuait,jusqu'àlafindumorceau.Malgréses

blessuresetlafaiblessedesamain,ilavaitrecommencéàjouerpour

elle.

Elleéclataensanglots.

Toutenellelapoussaitàmonterdanssavoiturepourlerejoindre,à

trouverunmoyenpourqu'ill'aimecommeellel'aimaitousimplement

prendrecequ'ilpouvaitluidonner.Raisondepluspourpartir,estima-t-

elle,lecœurbrisé.CarrevenirimpliqueraitdeseplacerentreMarcoet

Brady,c'est-à-direaudernierendroitaumondeoùelleavaitenvied'être.

Fortedecettedécision,ellecoupasonportableetseglissasousles

couvertures.Demain,elletrouveraitpeut-êtrelecouraged'écouterles

deuxderniersmessages.Maisaulieudedormir,ellepassalestrois

quartsdelanuitlesyeuxouvertsdanslenoir,àsedemandersiMarco

étaitégalementéveilléets'ilpensaitàelle.

Ilsserapprochèrentdel'endroit;desmoisd'espionnagelesavaient

menésjusqu'ici.Quelquechosedansl'aspectdeslieuxlefittiquer,mais

ilnetrouvapascequec'était.Sûrementsesnerfsquiletrahissaient.La

crête.Lesbroussailles.Lefossé.IléchangeaunregardavecBrady.

Unebouleluiobstruaitlagorge.

C'étaitlemomentleplusdangereux.Iln'yavaitrienpours'abriter

entrelefosséetlemurextérieur.Maisilsnerencontrèrentaucune

résistance.Leshommessemirentenpositiondanslacour,etVasquezet

Martenfoncèrentverslaporte,Bradyetluijustederrièrepourles

couvrir.

Non.Non,non,non!

Cettefois,cen'étaitpasWentworthqu'ilvoyait,couvertdesanget

ligotésurlachaise,unbâillondanslabouche.Àsaplacesetrouvait

Alyssa,plaquéecontresavoilureparunhommequiluiserraitlecou.

Ellesedébattait,maisilétaitbeaucouptropfortpourelle.

Marcos'élança,avecl'impressionatrocedecouriràcontresensdans

untorrent.Ilavaitbeaubanderlesmusclesdesescuisses,lecourant

l'empêchaitd'avancer.Pendantcetemps,l'hommeavaitjetéAlyssasur

labanquettearrièreettentaitdes'allongersurelle.L'obscuritélui

dissimulalereste,maispaslescrisdedétressed'Alyssa,quirésonnaient

àsesoreilles...

Marcoseredressabrusquementetfaillittomberausol,lesjambes

entortilléesdansledrap.Couvertdesueur,ilavaittantdedifficultésà

respirerqu'ilsedemandauninstants'iln'étaitpasentraind'avoirune

attaque.Ilsepassalesmainssurlevisage,s'obligeantàrecouvrerson

sang-froid.

Puis,adosséàl'oreiller,iltentad'analysersonrêve.Depuisqu'Alyssa

étaitrevenuedanssavie,c'étaitlapremièrefoisqu'elleapparaissaitdans

lecauchemarquilehantaitdepuisdesmois.Jusqu'alors,lescénario

étaittoujoursidentique:lamaisonenpisé,lemauvaispressentiment,le

déroulédel'opération,etsonréveiljusteavantquetoutparteenvrille...

Aujourd'hui,sonsubconscientsemblaitavoirnotéunechosequ'ilne

s'étaitpasencoreavouéeàlui-même:laperspectivedeperdreAlyssa

généraitenluiplusdedouleuretd'anxiétéquelesouvenirde

l'embuscade.

Toutesavie,ilporteraitlepoidsdecedrameetdelamortdeces

hommes,maiselle...Alyssaétaitplusimportantequesonpassé.

Cetteévidenceluidonnalevertige.

Ilpouvaitdevenirle...lequoi?Qu'était-ilpourelle?Sonamant?Son

petitami?Cestermesparaissaientsifaiblesettriviauxencomparaison

desessentiments.IlpouvaitêtreàAlyssa,toutsimplement.Cela

suffisaitàdéfinirsonprésent,sonfutur,etàallégerlefardeauqu'il

portait.

Ilétaittempsdeseleveretdesebattre.Pourelle.Pourlui.

Ilattrapasaguitareappuyéecontrelatabledenuit.Sonbrasluifaisait

maldepuisqu'ilavaitrecommencéàjouer,maislamusiqueluirappelait

lesencouragementsd'Alyssa,safoienlui...

Toutenretrouvantlesnotesd'unevieillechanson,ilcompritcequ'il

avaitàfaire.Aprèsdesmoisd'errancedansl'obscurité,cettelumière

nouvelleressemblaitàunerévélation.

Marcoétaitenfinprêtàrejoindrelemondedesvivants,etAlyssa

représentaitlapierredetouchedesonprojet.Ilfallaitjustequ'illui

parle.

IlarrivaauWhiskey'savecl'impressiond'avoirunbutetune

déterminationàl'atteindrequ'iln'avaitpaséprouvéedepuislongtemps.

Ilvenaitd'entrerdanslevestiairequandquelqu'unl'appela.Iljetaun

coupd'œilpar-dessussonépaule.

—Salut,Chuck,lança-t-ilenreconnaissantsonpatron.Quoideneuf?

—Tupeuxpassermevoirquandtuaurasuneseconde?

—Toutdesuite,situveux.

Chuckacquiesça,etluifitsignedelesuivrejusqu'àsonbureau.

—Fermelaporteetassieds-toi.

—Yauntrucquinevapas?s'enquitMarcoens'installantfaceàlui.

—Sais-tuquej'aiétémariéautrefois?demandaChuckenguisede

réponse.

—Euh,non.

Oùsonpatronvoulait-ilenvenir?s'interrogeaMarco,àlafois

intriguéetunpeuinquiet.Parfois,Chuckselançaitdansdeshistoires

sansfinetiln'yavaitpasmoyendeluiéchapper.

—J'aiétémariéonzeans.Lesplusbellesannéesdemavie,affirma

celui-ci.Cellesdemonépouseaussi.

Marcos'agitasursonsiège,deplusenplusmalàl'aise.

—Pourquoiçan'apasduré,alors?

—Parcequ'Ellenestmorte.Unchauffardivre.Lematin,elleétaitlà,

etlesoirelleavaitdisparupourtoujours.

—Oh,jesuisdésolé...

—Sijeteraconteça,fiston,c'estparcequejesaisàquelpointc'est

importantdetrouverlabonnepersonneetdelagarder.

Était-ilpossiblequetoutçasoitenrapportavecAlyssa?sedemanda

Marco.Ilavaitdumalàycroire,etpourtant,quelquechoseensonfor

intérieurluiassuraitquesi.

—Cen'estpasàmoidet'annoncerlanouvelle,maisjevaisquand

mêmelefaire,poursuivait

Chuck.Car,quandonestjeune,onaparfoisdumalàvoircequise

passeautourdesoi.

Marcotressaillit,surprisparlesparolesetletondesoninterlocuteur.

—Euh,d'accord.

—AlyssaScottaacceptéunboulotàWashington.Ellecomptepartir

jeudi.

MarcoregardaChuck.Iln'étaitpascertaind'avoirbiencompris.

—Pardon?

—Tuasbienentendu.

Lagorgenouéeetlecœurbattantàtoutrompre,ilbonditsurses

pieds.

—Oùest-elle?

—C'estbiencequejepensais,commentaChuck.Assieds-toi.Ellen'est

pasici.Elleestvenuemeprésentersonfrèrecematin,etquandj'ai

apprisqu'ilvenaitderentrerdemission,jeluiaidonnésajournée.Dès

quejet'aivuarriver,j'aidevinéquetun'étaispasaucourant.Parce

qu'aprèstaréactiondesamedi,ilnefaitaucundoutequetuesamoureux

d'elle.

Plongeantlesyeuxdanslessiens,Chuckajouta:

—D'oùmonquestionnement:pourquoipart-elle?Etpourquoifais-tu

cettetête-lààl'annoncedelanouvelle?

Marcosefrottalefrontenréfléchissant.Enprévoyantdesebattre

pourconvaincreAlyssaderevenirverslui,iln'avaitpasprévuqu'il

disposeraitd'aussipeudetemps.

Comptait-elleaumoinsl'informerdesondépart?

Chuckselevaetcontournalebureaupourluiposerunemainsur

l'épaule.

—Elleseralàdemainpoursondernierjour.Jevoulaisjustete

préveniraucasoùtudécideraisdefairequelquechose.

—Merci.

Marcopassal'heuresuivanteàinstallerlebaravantl'ouverture.Il

appeladeuxfoisAlyssaetBrady,mais,visiblement,ilsrefusaientl'unet

l'autredeluiparler.Toutentravaillant,ilréfléchit.Sonplann'étaitpas

suffisant,ils'enrendaitcompteàprésent.Ildevaittrouverunmoyende

laconvaincrequ'ilpensaitvraimentcequ'ildisait.S'iléchouait,illa

perdraitpourtoujours.Washingtonavaitbeaunepasêtreloin,ilsentait

que,s'illalaissaitpartir,iln'auraitpasdesecondechance.Alors,il

découvriraitlavraiesignificationdesmots«douleur»et«solitude».

Leservicedusoirn'avaitpascommencéqu'Alyssasesentaitdéjà

épuisée.Unpeuplustôt,unpotdedépartavaitétéorganiséenson

honneurdanslasallederepos.Touslesmembresdel'équipeyavaient

participé,ycomprisBrady,invitéparChuck.Iln'yavaitqu'unseul

absent:Marco.Alyssaenauraitpleuré.

Nonseulement,elles'envoulaitdenepasl'avoiravertidesondépart,

maissurtout,ellecommençaitàsedemandersielleauraitl'occasionde

luidireaurevoiravantdequitterFrederick.

QuandBradyétaitpassélachercher,laveille,ellel'avaitavertiqu'elle

refusaittouteallusionà

Marco.Ellen'avaitpasenvied'êtreharceléedequestionsnid'entendre

sonavissurcequis'étaitpassé-ounes'étaitpaspassé-entreeux.Sauf

qu'illuiavaitfallufaireappelàtoutesavolontépournepasdérogeràsa

proprerègleetluidemanderoùétaitMarco,s'ilétaitaucourantdeson

départ,ets'ilallaitbien.

Heureusement,lesclientsétaientnombreux,cequiluipermitdene

pastroppenser.Àchaquefoisqu'ellesesentaitsurlepointdecraquer,

ellesongeaitàTommy,quiavaitacceptéd'ouvrirlasoirée«jeunes

talents»decesoirpourluifaireplaisir.Ellel'avaitdéjàentendujouer

lorsdeleurpique-niqueaulac,etseréjouissaitàl'idéedeceque

donneraitsontalentfaceàunmicro,avecunebonneacoustiqueet

l'énergied'unesallepleine.

Finalement,Tommymontasurlascèneavecsaguitaresèche.Toutle

personnel,quiconnaissaitsaréticenceàseproduireenpublic,s'était

rassemblésurlescôtésdelascènepourl'écouter.Aprèss'êtreprésenté

enquelquesmots,ilattaquasonmorceau.Savoixrocailleusesoutenue

parunjeudevirtuosecréaituneatmosphèreenvoûtante.Quantileut

terminé,toutelasalleselevapourl'acclamer.

Alyssaapplauditàtoutrompre.

—Ileststupéfiant!s'exclama-t-elleàl'intentiondeKim,justeàcôté

d'elle.

Sonamieluisourit,etlasurpritenlaserrantbrusquementcontreelle.

—Enquelhonneur?s'étonnaAlyssaenriant.

—Justeparcequej'enaienvie.

—Bon,c'estbienmaveinedepasseraprès,lançalemusiciensuivant,

déclenchantdesriresetdessifflementsdansl'assistance.Jem'appelle

Marco,etjedédiecettechansonàAlyssa...

Alyssafitvolte-facelesyeuxbraquéssurlascène.Labouchesèche,

elleregardaMarcos'installersurletabouret,saguitaresurlegenou.Le

tempsd'ajusterlemicro,etilcommençaàjouer.

Ellereconnutlachansondèslapremièrenote.Ilyavaitdescentaines

depersonnesautourd'elle,maisellenevoyaitqueMarco.Marcoqui,de

savoixdouce,luidéclaraitque,mêmes'ilpassaitlerestantdesavieavec

elle,ceneseraitjamaisassez.Quandilentamalerefrainetchanta«

Épouse-moi»,elleneputretenirpluslongtempsseslarmesetpressasa

mainsursabouchepournepasattirerl'attention.

Était-ceréel?Marcoétait-ilvraimententraindeluidirequ'ill'aimait?

Etdelademanderenmariage?Elleeutl'impressionquesoncœurallait

exploserdebonheurdanssapoitrine.

Ellesursautaensentantdeuxmainsseposersursesépaules.

—Al?

—Brady,répondit-elleens'essuyantlesyeuxd'ungestevif.

Illuisouritetl'attiradanssesbras.

—Pardonne-moi.Jem'emportetellementvitequej'enoubliedevoir

cequiestévident.Ilt'aime.Etsic'estcequetuveux,tuasma

bénédiction.

Lapiècesemitàtournerautourd'elle.Elleseconcentrasurlevisage

deBrady.Lajoieetlafiertéqu'ellelutsursestraitsl'assurèrentdesa

sincérité.

—Merci,s'écria-t-elleenluisautantaucou.

—Derien.Maintenant,aipitiédecepauvrebougreetdis-luiquetues

d'accordpourl'épouser.

Ill'embrassasurlajoue.

Alyssaluienvoyaunebourradedanslapoitrineenriant.

Quandelleseretourna,ellevitKimleverlesdeuxpoucesenlui

souriant.Derrièreelle,Chuckarboraitluiaussiunsourireravi.

Elleavaitdumalàcroireàuntelbonheur.Marco,sonprince

charmantcabossé!Etsonfrère,sonplusgrandhéros!Lesdeuxamours

desavie.

CommeMarcoentamaitledeuxièmecouplet,Alyssaretrouva

finalementassezdeforcedanslesjambespourrejoindrelagrandeallée

latéraledepuislesgradinsetsedirigerverslascène.Elleenavait

parcouruenvironlamoitiéquandunspotl'éclaira.Ellesefigeaen

voyanttouslesvisagessetournerverselle.Maisalors,Marcola

découvritàsontour,etl'amourqu'elleperçutdansleregarddontil

l'enveloppalapoussaàreprendresaroute.

Autourd'elle,lesgenscriaient,applaudissaient,certainsluiserraient

lamainaupassage,maisellen'avaitd'yeuxquepourMarco.Ilfitdeux

outroisfaussesnotesetchantalamoitiéd'unversacappella,sonbras

gauchereposantsursacuisse.Maiscequ'ilavaitfaitpourelleétait

totalement,indéniablement,parfait.

Sespiedsnetouchaientpresqueplusterrequandellearrivaprèsde

lui.Aumomentoùelleapprochaitdelascène,Marcoachevaitsa

chanson,luidemandantdelelaisserlarendreheureuse.Ensuite,ilse

leva,etd'unbond,larejoignitaupieddel'estrade.

Elles'élançadanssesbrasetl'embrassaàperdrehaleine,percevantà

peineletonnerred'applaudissementsquiéclataitautourd'eux.

—Jet'aime,Alyssa.Pardonne-moid'avoirétésilongàteledire.

Ellesecoualatête.

—C'estexactementlebonmoment.Jen'arrivepasàcroirequetuaies

faitça.Tuesmerveilleuxetcomplètementfou.

—C'estbond'êtreidiotetfou,parfois,tut'ensouviens?répliqua-t-il

ensouriantd'unairdétendu.

Ellehochalatête.

—Qu'est-cequejet'aime!

Lalâchantbrusquement,ilmitungenouàterre.Ellepoussauncride

surprise,ivredejoie.

Marcosortitdesapocheunebagueornéed'unmagnifiquediamant

quiscintillaitdemillefeuxdanslalumièredesspots.

—AlyssaScott,jesuisfouamoureuxdeloi.Acceptes-tudem'épouser

etdepasserlerestedetesjoursavecmoi?

Lagorgenouéeparl'émotion,Alyssahochalatête.

—Oh,Marco.Oui!

—Tumerendssiheureux,Aly,déclara-t-ilenluipassantlabagueau

doigt.

—Elleaditoui!criaquelqu'undanslepublic.

Unesalved'applaudissementsetdessiffletsexplosèrentdanslafoule.

Riantetpleurantàlafois,AlyssaetMarcoéchangèrentunlongbaiser

etsemurmurèrentdesmotsd'amour.Aprèstoutcetemps,ilsavaient

trouvélapaixetlasécuritél'unauprèsdel'autre.Elcommeilsse

connaissaientdepuistoujours,ilssavaientqu'ilscontinueraientàveiller

l'unsurl'autrejusqu'àlafindeleurvie.

C'étaitau-delàdesrêveslesplusfousd'Alyssa.C'étaitparfait.