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JEAN DE LOUSSOT

LA CHATELAINE DE LA BROUSSE

a ROMANS a POPULAIRES SÉRIE II -- N° 95

MAISON DE LA BONNE PRESSE CINQ, RUE B A Y A R D, P A RIS - VIII

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CHAPITRE PREMIER

LES FIANÇAILLES D'ÉLISABETH

Près de la fenêtre, Mme Larnon, assise dans un fauteuil, tricotait en chantant les louanges du jeune homme qui avait distingué entre toutes son Elisabeth, et qui l'avait, un mois plus tôt, demandée en mariage. La vieille dame souriait, et ses yeux voilés par la cataracte ne voyaient pas l'émotion de sa fille, aux mains de qui tremblaient les blanches fleurs des fiançailles.

Adrien Guyot venait de quitter sa future belle-mère et sa fiancée.

Deux jeunes filles l'avaient croisé dans l'escalier : Aurélie Dulon, la petite blonde, et la grande brune Irma Nicolet, toutes deux amies d'Elisabeth.

Le jeune homme ne les avait pas remarquées, mais la petite Aurélie, aux yeux fureteurs, au nez mutin, avait murmuré en pinçant le coude de sa camarade :

— Dis donc, Irma, je crois que c'est lui ! — Qui ça, lui ? demanda la grande. — Ben, tiens, le phénomène..., le fiancé d'Elisabeth ! — Ah ! tu crois ?... Fallait le dire plus tôt, je l'aurais

reluqué ! — Je ne pouvais pas le crier à son nez, à sa barbe... — Il a donc une barbe ? — Non, il est rasé.

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— Comment l'as-tu trouvé ? — Assez bien..., pas poli, il m'a presque bousculée... Il

est vrai qu'il sortait d'une pièce éclairée, en arrivant dans l'escalier qui. est sombre, il ne devait pas y voir...

— Dis donc, Aurélie, si on redescendait ? Du pas de la porte on l'apercevrait...

— Tiens, oui, c'est une idée. Les deux petites ouvrières, qui travaillaient, l'une dans

les modes, l'autre dans la couture, dégringolèrent l'esca- lier et, toutes deux blotties dans l'angle de la porte, allon- gèrent le cou pour apercevoir celui qui s'éloignait.

A quelques pas de là, il s'était arrêté pour relever sur ses souliers le bord de son pantalon ; puis, de son mouchoir, il s'était mis à épousseter le col de son vêtement.

— Comme il est soigneux ! fit Irma. La besogne terminée, Adrien Guyot sortit de sa poche

un petit carnet et prit quelques notes. — On dirait un « pépère », il est méticuleux, ricana Aurélie. Toutes deux rentrèrent. Le jeune homme disparaissait.

Elles montèrent au quatrième étage chez Elisabeth Larnon, qui leur avait annoncé ses fiançailles la veille, et qu'elles voulaient féliciter.

Devant leur amie qui venait leur ouvrir, elles éprouvèrent la même impression : « Comme elle est calme et sérieuse ! »

— Elisabeth, tu sais, on le connaît, ton prétendant, on l'a rencontré dans l'escalier, dit la petite blonde — et elle embrassa la jeune fiancée. Je te souhaite tout le bonheur possible, ma bonne Elisabeth : on t'aime bien, tu sais...

— Et moi aussi, Elisabeth, j'ai pour toi bien de l'amitié, déclara Irma, tu n'en doutes pas ?

Elle l'embrassa. — Ce n'est pas pour dire, mais tu en as de la chance !

Les maris sont rares, il n'y en a pas pour tout le monde, et toi, voilà que tu es demandée par un jeune homme très bien, qui a une bonne place... Un jeune homme qui a l'air d'un patron... Ce qu'il est bien mis ! N'est-ce pas, Aurélie ?

Ce fut la maman, Mme Larnon, qui tout aussitôt renchérit :

— C'est ce que je me tue de répéter à ma fille ; vous avez raison, ma petite amie... Elisabeth n'apprécie pas son bonheur.

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— Mais si, maman, mais si, protesta la jeune fille. Je suis contente et je me dis qu'une autre mériterait bien mieux que moi d'être distinguée, choisie, élue par un homme sérieux, ayant une bonne situation... Mais je ne connais ce monsieur que depuis peu de temps, et je ne puis m'enthousiasmer...

— Il y a un mois que tu réfléchis... — Un mois, c'est peu de chose pour engager sa vie !... — Enfin, hasarda timidement, un peu inquiète, la petite

Aurélie, ça n'a pas été le coup de foudre, hein?... Y a-t-il au moins de la sympathie ?

— Je n'ai rien à lui reprocher. — Oh ! là là, ce n'est pas assez ! — Moi, déclara la grande Irma, si un monsieur très

bien me faisait l'honneur de me demander en mariage, je ne me ferais pas prier pendant un mois pour répondre oui !... Mais, c'est affaire de caractère : toi, Elisabeth, tu as toujours été un peu timide et réservée...

— Je suis habituée à beaucoup réfléchir : toute jeune, j'avais déjà des responsabilités, murmura tristement la grave fiancée.

— C'est vrai qu'elle n'a pas eu une jeunesse bien gaie, concéda Mme Larnon... Ses deux petits frères enlevés par la diphtérie, son père mort peu après... Nous sommes restées bien isolées, et dans une situation, naturellement, bien diminuée. C'est alors que je me suis mise, comme vous le savez, à tricoter, mais bientôt mes yeux se sont fatigués...

— Maman était trop courageuse, elle se tuait à la besogne !...

— Non, plutôt, je m'y aveuglais... — Est-ce que l'on ne doit pas vous faire bientôt une

opération qui vous rendra de meilleurs yeux ? demanda gentiment la petite Aurélie.

— Oh ! tu sais, les opérations, c'est toujours dangereux, remarqua gravement Irma.

— Devenir aveugle, c'est une perspective atroce, soupira la tricoteuse. N'y aurait-il qu'une chance de conserver la vue, si une opération m'offre cette chance, je la risquerai...

— Ce sera, maman, comme tu voudras, dit la fiancée. — Mais ça fera encore des frais, soupira Mme Larnon. — Ne te tourmente pas pour ça, mère chérie. Tu sais

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que je gagne maintenant largement ma vie... J'ai même des économies... — Il faut les garder pour te marier... — Pour te soigner d'abord, c'est bien le plus pressé !...

Ne te fatigue pas !... Et gentiment elle enleva le tricot des mains de sa mère.

— Tu ne nous as pas dit comment tu as connu ton fiancé, Elisabeth, interrogea Irma. Où l'as-tu rencontré ?

— Son patron est l'ami du mien. M. Adrien Guyot a entendu ces messieurs parler de moi, ça lui a donné envie de me connaître.

— Entendu parler, entendu parler ! interjecta Mme Lar- non, cela ne dit rien ! Elle est modeste, vous savez ! C'est- à-dire qu'Elisabeth n'est pas une employée, une comptable, une dactylo comme les autres : son patron l'a bien reconnu ; l'instruction, l'intelligence du commerce la manière de commander, elle a tout cela, c'est un chef !...

— Voyons, voyons, maman, il ne faut rien exagérer... — Si fait, tu sors de l'ordinaire... Ces messieurs en par-

laient, ton patron disait qu'il t'augmenterait, qu'il voulait te garder, qu'il songeait à t'intéresser dans sa maison pour ne pas te perdre, et cela parce qu'il considère que ton aide est précieuse... Que tu lui fais gagner... Que tu seras enfin une manière d'associée...

— Ça ne m'étonne pas tout cela ! fit avec admiration la petite Delon : Elisabeth est une personne tout à fait supé- rieure, bien au-dessus de nous, n'est-ce pas, Irma ?

La grande brune acquiesça d'un hochement de tête, mélancoliquement et comme à regret, tandis que Mme Lar- non reprenait :

— Alors ce jeune homme, vous le comprendrez, tout le bien qu'on lui disait d'elle, ça lui a donné l'idée de voir Elisabeth... Il est allé à la sortie du magasin, plusieurs fois, l'observer... Son genre lui a plu. Il a bien compris qu'elle n'est pas de celles qui se lient tout de suite avec n'importe qui...

— Je crois bien, dit en souriant la jeune fille ; lorsqu'il s'est approché, un jour, pour me parler, je l'ai rudement accueilli !

— Alors, continua la mère, il s'est fait présenter par un vieil ami qui nous connaissait..., puis il est venu me faire visite...

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— Comme dans le grand monde ! s'exclama Aurélie... — On ne pourra plus te voir, tu vas être une dame !

proclama Irma avec une moue. — Pensez-vous, assura Mme Larnon : un comptable, une

dactylo, ce n'est pas du grand monde, tout de même!... Mon mari était mécanicien, le père de Guyot, peintre en bâtiment...

— Bast ! lança Aurélie, tout cela ne fait absolument rien !... Qu'est-ce qu'on demande dans le mariage ?... C'est de s'aimer, de s'entendre bien, d'avoir à peu près les mêmes goûts, les mêmes sentiments... Les mêmes idées sur les choses graves...

— Et assez d'argent pour ne pas risquer d'être dans la gêne ! ajouta Irma.

Elisabeth Larnon ne soufflait mot. Entre ses doigts, elle pressait les blancs pétales des fleurs qui venaient de lui être offertes : on eût dit qu'elle voulait en exprimer le suc et les interroger... peut-être leur demander de lui révéler leur secret, les questionner sur ce fiancé si peu connu, qui venait de les apporter...

Hélas ! ces jolies fleurs, messagères ordinaires d'espé- rance et de joie, ne lui procuraient à elle qu'incertitudes et vagues craintes...

— Ça, reprit la veuve en hochant la tête, la question d'argent ne m'inquiète guère ; ils ont tous les deux de bons appointements, ils seront à l'aise... Quant aux sentiments, il y a ceux que l'on affiche et puis ceux que l'on a réel- lement... Et ce n'est point facile de démêler le vrai du toc... Des années n'y suffiraient pas ; alors, si l'on veut des certi- tudes par-ci, des certitudes par-là...

— Ce sont quelquefois les circonstances qui nous font connaître la valeur des gens, murmura la pensive Elisabeth, humant le parfum d'une rose...

— Oui, dit la maman devenue songeuse elle-même, cela me rappelle ce qui s'est passé du temps où j'étais fiancée... Ton père venait à la maison, sa journée finie, passer la soirée : il était habile et il bricolait, arrangeant une lampe par-ci, une sonnerie par-là, réparant la machine à coudre, accrochant des rideaux... Or, à ce moment, nous avions de la peine à cause d'un de mes frères qui avait joué aux courses et fait mille folies ; mon père parlait de le chasser et se refusait à payer ses dettes... C'est mon fiancé, avec

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son bon cœur, son intelligence, et sa bourse aussi, qui est arrivé à tout arranger. Mon père s'est calmé ; le coupable, touché, s'est repenti et amendé, et plus tard il a remboursé, peu à peu, à notre ménage, l'argent avancé par mon fiancé pour le tirer d'affaire.

— Ça, c'est très chic ! fit Aurélie. — Mais ce que ça doit être rare des beaux-frères comme

ça ! s'exclama Irma... Puis elle ajouta : — Est-ce que ton M. Adrien Guyot agirait de même, le

cas échéant..., crois-tu, Elisabeth ? — Je ne sais pas, soupira-t-elle... Mais je souhaiterais

que mon fiancé fût, comme l'était mon père, foncièrement bon et généreux.

— Ça, pour la bague de fiancée — autant que j'en puisse juger avec mes mauvais yeux, — il a bien fait les choses ! se hâta de dire Mme Larnon... As-tu montré ta bague à tes amies, chérie ?

— Tiens, c'est vrai, ta bague ? questionna la petite Delon. — Tu ne la portes donc pas ? remarqua la brune Irma en

prenant la main de Mlle Larnon... Oh ! bien vrai ! tu sais, tu es une drôle de fiancée !... — C'est que je ne suis pas habituée à porter des bijoux...,

prononça Elisabeth, soucieuse de ne point peiner sa mère. Cette bague me gêne pour faire le ménage : je crains de l'abîmer...

— Va nous la chercher, dit Irma. La fiancée s'en fut dans la chambre voisine chercher le

bijou demandé, et dès que la porte se fut refermée sur elle : — Ma petite amie, dit la veuve en tendant son tricot à

Aurélie Delon, vous qui êtes si obligeante, relevez-moi, là, quelques mailles que j'ai encore laissées tomber... Cela m'arrive si souvent, que je n'ose plus le dire à Elisabeth..., elle s'afflige trop de voir s'éteindre ma pauvre vue...

La petite modiste aux blonds cheveux frisés, au nez mutin, aux doigts habiles, eut vite fait de réparer les fautes de la tricoteuse.

— Là, dit-elle, tout va bien..., Elisabeth n'y verra rien ! — C'est égal, murmurait Irma Nicolet que le tricot n'inté-

ressait guère, c'est égal, pour une fiancée, elle n'est pas coquette !

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Elisabeth revenait, tenant à la main un petit écrin : — Voilà, dit-elle, le joyau... — C'est superbe, fit admirative la petite modiste ; essaye-

la un peu cette jolie bague... — Oh ! c'est riche ! lança Irma. — Oui, répéta la mère, M. Guyot est généreux... — Donne voir ta bague, Elisabeth. Tu me permets de

l'essayer, demanda Irma, dont les yeux brillaient de convoi- tise. Tiens, elle me serre un peu..., mais au petit doigt elle me va bien !... Oh ! si c'était à moi, je ne la quitterais pas !... Faut-il la remettre dans l'écrin ?

— Pour l'instant, oui, répondit la fiancée... Je vais faire le dîner.

Les jeunes ouvrières prirent congé des dames Larnon ; Irma descendait les premières marches de l'escalier en répétant :

— C'est un bijou riche, c'est cossu, c'est beau !... Si tu n'es pas contente, eh bien, qu'est-ce qu'il te faut ?...

Derrière elle, doucement, la petite Delon avait passé son bras autour de la taille de Mlle Larnon :

— Tu ne parais pas être heureuse, dit-elle à voix basse. Qu'y a-t-il ?... Il ne te plaît pas ?

— J'ai peur... Je ne le connais pas assez ; je ne sais pas ce qu'il pense... ce qu'il vaut...

— Il faut prier, veux-tu?... Nous allons demander à Dieu qu'il nous fasse savoir si ce monsieur est digne de toi !

Et après avoir tendrement embrassé Elisabeth, la petite Aurélie s'enfuit en courant et rejoignit Irma au bas de l'escalier.

CHAPITRE II

LE « MÉCHANT HOMME »

— Il est peut-être vrai que je ne suis pas raisonnable, se disait Mlle Larnon en cherchant à s'analyser : je suis sans doute un peu rêveuse, quoique très active... Il est cer- tain qu'en songeant au mariage, j'imaginais un fiancé épanoui, très droit, très simple aussi, aux regards francs..., dans l'âme de qui je pourrais lire... Et ce M. Guyot est bien

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loin de cela : c'est un homme posé, calculateur, qui ne livre guère sa pensée... « Un homme d'ordre dit maman..., « incapable d'entraînement »... Oh ! ça je le crois bien !

Et la triste Elisabeth partait à son bureau, au magasin de nouveautés, où elle subissait avec lassitude les félicita- tions que lui apportaient les clients ou les voyageurs de commerce, au fur et à mesure qu'ils apprenaient ses récentes fiançailles.

Le .soir, assez souvent, la jeune employée recevait, chez sa mère, la visite d'Adrien Guyot, qui avait toujours soin de s'annoncer une fois pour l'autre, et qui s'inquiétait de ne point gêner. Il parlait à sa fiancée de ses occupations, de ses projets d'avenir. Il signalait un petit logement assez proche, suffisamment confortable, peu coûteux,

Elisabeth avait, dès les premières entrevues, averti qu'elle ne quitterait pas sa mère, dont la vue devenait chaque jour plus mauvaise, et qui risquerait bientôt, si elle vivait seule, de ne pouvoir se suffire. Cette nouvelle n'avait évidemment pas plu à l'homme calme, ordonné, méticuleux, qui rêvait d'un intérieur où il serait seul l'objet des attentions et des soins d'une épouse dévouée... Mais, sur ce chapitre, Mlle Larnon était si décidée à ne rien céder, que, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il s'était résigné.

En réfléchissant bien, il avait même pensé que l'organi- sation pourrait avoir son bon côté : Mme Larnon s'occupe- rait du ménage, tandis qu'Elisabeth travaillerait à son bureau ; ainsi, la maison serait bien tenue, sans que la jeune femme eût à contrarier, par une assiduité moins grande, un patron qui l'estimait si haut, et qui voulait « l'intéresser » !

Cependant, l'état de la veuve empirait chaque jour ; sa vue baissait d'une manière inquiétante.

Des deux docteurs qu'elle avait consultés, l'un assurait qu'une intervention était inutile, qu'elle ne donnerait aucun résultat ; l'autre, sans rien promettre, disait que l'interven- tion étant la seule chose qui pût donner chance de guérison, il lui paraissait sage de s'y soumettre. La pauvre femme avait une cataracte double, avec complications.

Mme Larnon insista pour être opérée. Elisabeth, tout en redoutant pour sa mère la souffrance,

et peut-être la déception qui pourrait suivre l'opération, pensait qu'il fallait suivre son désir. Cela soutiendrait son

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moral, lui donnerait de l'espoir, tout au moins durant quelque temps.

L'intervention de l'oculiste fut donc décidée. Dès qu'Adrien Guyot apprit cette nouvelle, il s'enquit de tous côtés d'hôpitaux ou de maisons hospitalières où Mme Lar- non pourrait être opérée, et au besoin, ensuite, gardée.

Avec un portefeuille contenant toutes les adresses, tous les renseignements recueillis, il vint trouver sa fiancée, qui fut d'abord touchée de ses attentions.

Mais bientôt, le voyant insister sur la modicité des prix de telle où telle maison, sur la gratuité même d'un certain asile où sa mère pourrait être hospitalisée, la jeune fille comprit que seul l'intérêt avait guidé M. Guyot dans ses recherches...

Elle en fut blessée, mais pour ne pas troubler sa mère, à qui l'on avait ordonné le calme, le repos en vue de la prochaine opération, elle dissimula son indignation.

Mme Larnon fut s'installer dans une très modeste cli- nique. Des religieuses y soignaient les malades opérés par le D Avreil, l'oculiste qui suivait, depuis plusieurs années, l'état de. ses pauvres yeux. Ce chirurgien généreux, chrétien, pitoyable aux petites gens, avait fait à sa cliente des condi- tions tellement douces, qu'elles ne dépassaient guère celles de l'hôpital.

Guyot lui-même le reconnut ; mais ce qui l'inquiétait, on le devinait aisément, c'était de penser que sa future belle- mère, guérie ou non, allait revenir auprès d'Elisabeth pour ne plus la quitter.

Lorsque l'opération fut terminée, Mme Larnon, les yeux bandés, dut demeurer une semaine à la clinique, où les religieuses la soignaient avec leur dévouement habituel et l'entouraient même de ces attentions délicates qu'inspirent le malheur et la sympathie.

Mais les douces petites Sœurs avaient beau se multiplier auprès d'elle, et la gâter comme une enfant, elles n'arri- vaient pas à la contenter.

— Je m'ennuie de ma petite Elisabeth, de ma fille chérie, gémissait l'opérée. Quand donc pour rai-je la retrouver ?

La jeune employée, cependant, venait chaque jour, son travail achevé, passer auprès de la malade le plus de temps possible. C'étaient les heures gaies, les heures ensoleillées de la pauvre femme qui se plaisait à répéter :

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— Ma fille est un second moi-même, que j'aime plus que le premier !...

Et d'autres fois, elle assurait : — Elisabeth est ma raison de vivre... Auprès d'elle, je

puis me passer de tout : elle est la lumière de mes yeux ! La jeune fille souriait, embrassait sa mère, et à part soi

elle pensait : — Ce serait un crime que de la quitter... Quand Elisabeth rentrait chez elle, rêveuse et attristée,

ça ne lui était point une douceur de songer à son fiancé. Chaque jour, au contraire, elle voyait se creuser entre eux deux un fossé : ils ne comprenaient pas les choses de la même façon. Lui envisageait tout à son point de vue per- sonnel, il pensait avant tout à ses aises, à son intérêt. Elle, au contraire, songeait aux autres... A sa mère d'abord, puis à d'autres dont elle était le soutien, l'appui.

Tout au début, Mme Larnon avait bien dit : — Il ne faut pas juger les hommes d'après nous-mêmes,

ma fille chérie... Ils ne sont pas, en général, enclins au dévouement comme nous... Il faut leur permettre un peu d'égoïsme, c'est dans leur nature !

Résignée, Elisabeth avait permis à son fiancé « un peu d'égoïsme »... Mais, à la longue, elle trouvait qu'il en témoi- gnait trop ; vraiment, il abusait ! et elle se disait :

— Ce n'est pas la femme qui commande dans un ménage... S'il allait m'entraver dans le bien que je veux faire à droite et à gauche, à des malheureux, à mes protégés ?...

Et, anxieuse, elle regrettait de s'être fiancée. Elle ressassait ces choses, dans sa solitude en une fin

de soirée, quand, à la porte d'entrée de son petit apparte- ment, elle entendit la clé grincer dans la serrure. Déjà, elle savait qui venait, car la seconde clé de l'appartement elle l'avait donnée à une famille voisine, dont le fils aîné, un enfant de 8 ans, était son filleul ; elle voulait qu'à toute heure du jour il pût venir, sans déranger, se réfugier à son foyer, dans le cas où, chez lui, la mère serait absente.

Une jeune tignasse brune et frisée parut dans l'entre- bâillement de la porte, et Elisabeth, heureuse, déjà rassé- rénée à la vue de ce visage d'enfant, lui souriait. Lui, cepen- dant, semblait craintif et demeurait sur le seuil, sans se décider à entrer.

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— Eh bien, petit Paul, fit la jeune fille, pourquoi n'avances-tu pas ? Tu parais bien timide et discret, aujour- d'hui !...

— Marraine, c'est que j'ai peur... — Peur de quoi, chéri... ? — Eh ! mais, de le trouver ici... — Qui ça ? — Eh ! tu le sais bien... le méchant monsieur, M. Guyot,

ton fiancé... Elisabeth se pinça les lèvres, elle avait pâli. — Entre, dit-elle, et n'aie pas peur... Tu vois bien, je

suis seule ici... Elle embrassa le petit gars aux yeux de faon effarouché ;

elle le prit sur ses genoux, et caressant doucement, avec une tendresse maternelle, la touffe brune de ses cheveux :

— Pourquoi dis-tu que le monsieur est méchant, dis, petit Paul ?

— Parce qu'il m'a défendu de venir te voir... il prétend que je te fatigue... Il dit qu'il faut rester dans sa maison, chacun chez soi..., et que ce n'est pas bien d'ennuyer les autres...

— Pourtant, un jour, ici, M. Guyot t'avait donné des bon- bons, n'est-ce pas ?

— Oui, ici, devant toi, marraine... Mais l'autre jour, dans la rue, il m'a tiré l'oreille en me répétant : « Si tu y reviens, gare à toi ! »

— Tu as dit ça à ta maman ? — Bien sûr, marraine, pour t'obéir. — Et ta maman, qu'a-t-elle répondu ? — Elle a dit : « Tu peux encore aller chez ta marraine

tant qu'elle n'est que fiancée ; tu risques d'avoir un tout petit peu les oreilles tirées, voilà tout... Mais quand elle sera mariée, sûr que tu ne pourras plus la voir souvent !... » Alors, ce soir, marraine, je me suis dépêché...

— Tu l'aimes donc ta marraine ? demanda la jeune fille attendrie. — Bien sûr ! et mes petites sœurs aussi. Quand elles ont

compris qu'on ne pourrait plus te voir bientôt..., ce qu'elles ont crié !... — Il faut les consoler... Je vous verrai toujours. — Quand il sera pas là, alors, dis ?... — Ne t'inquiète pas... As-tu des leçons à me réciter ?

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