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Discours liminaire : La Présence de l'artiste antillais et l'éducation au troisième millénaire Author(s): REX NETTLEFORD Source: Caribbean Quarterly, Vol. 45, No. 2/3, TOWARDS 2000 – MODELS FOR MULTI- CULTURAL ARTS EDUCATION (June-Sept. 1999), pp. 10-20 Published by: University of the West Indies and Caribbean Quarterly Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40654075 . Accessed: 15/06/2014 10:51 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . University of the West Indies and Caribbean Quarterly are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caribbean Quarterly. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.51 on Sun, 15 Jun 2014 10:51:53 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

TOWARDS 2000 – MODELS FOR MULTI-CULTURAL ARTS EDUCATION || Discours liminaire : La Présence de l'artiste antillais et l'éducation au troisième millénaire

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Discours liminaire : La Présence de l'artiste antillais et l'éducation au troisième millénaireAuthor(s): REX NETTLEFORDSource: Caribbean Quarterly, Vol. 45, No. 2/3, TOWARDS 2000 – MODELS FOR MULTI-CULTURAL ARTS EDUCATION (June-Sept. 1999), pp. 10-20Published by: University of the West Indies and Caribbean QuarterlyStable URL: http://www.jstor.org/stable/40654075 .

Accessed: 15/06/2014 10:51

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Discours liminaire : La Présence de l'artiste antillais et l'éducation au troisième millénaire

Par

REX NETTLEFORD

Nous, dans les Caraïbes, nous avons plus d'artistes au mètrecarré qu'il nous en faut peut-être. C'est une affliction dont nous devrions pourtant nous réjouir puisque cette présence révèle quelques faits fondamentaux sur notre his- toire et notre réalité existentielle. Elle continue d'informer sur le fait de notre survie, et au-delà, dans une société qui trouve encore sa force dans la lutte et la résistance à la tyrannie systémique d'un ordre social inégal. Un ordre, basé sur la déshuman- isation de la majorité de ses membres d'abord par l'esclavage, puis par la pratique du travail sous contrat. Un ordre qui persiste à aliéner et marginaliser cette

majorité au sein d'une entreprise inégale et, à lextérieur de cette dernière, dans la soi-disant globalisation de léconomie mondiale. Ce nouveau régime perpétue la

dépendance économique des deux tiers du monde et renforce l'esclavage mental dont parlait Garvey dès 1937. Esclavage mental dont Bob Marley, le grand artiste du reggae, sest fait I écho dans ce qui doit être un des couplets les plus puissants, souvent cité pour nous rappeler notre responsabilité envers nous-mêmes et envers la société.

En dépit des économistes.c'est l'artiste qui touche le fond de notre ango- isse et de nos potentiels, en produisant les mots et la musique, le mouvement et les mythes, la syntaxe et la satire. Grâce à eux, l'argent ou les précieuses devises

étrangères ont afflué dans les caisses des monétaristes et partisans des résultats financiers, dont on attend encore quils les considèrent comme des variables de production dans leur équation de développement et non pas comme des activités de complaisance qui ne sauraient contribuer au revenu per capita et au PNB.

Dans les pays où le tourisme culturel est maintenant pris en compte dans les plans de développement des fonctionnaires et des dirigeants politiques, sont enfin pris au sérieux les produits nés de l'imagination créatrice de nos artistes

populaires (compositeurs de calypso et de reggae), de nos arts (plus particulière- ment le Carnaval, le Goombay-jonkonnu, Carifesta, le festival de Fin de récolte de la canne, Reggae Sumfest), et de nos artistes de renommée internationale (comme nos lauréats du prix Nobel et les superstars de la musique Pop).

Tout cela doit sans doute résonner agréablement aux oreilles d'un peuple qui a dû cultiver les paysages intérieurs de l'action créatrice et des structures

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innées, manifestes dans le langage, la religion et la création artistique forgée dans le creuset de la résistance à l'oppression et à tout ce qui priverait quelquun de l'intégrité de sa personne, ainsi qu'aux présages contradictoires d'une société qui narrête pas dévoluer et qui nous fait tous sauter d'un pied sur l'autre en sachant que nous ne pouvons nous tenir debout ni sur l'un, ni sur l'autre.

L'organisation de cette conférence à l'Université des West Indies n'aurait pu tomber à un meilleur moment. Elle arrive à la fin du siècle, à un moment où la planète Terre a besoin des leçons que donnent nos artistes (individus ou groupes) pour le voyage dans le troisième millénaire.

Seule une ouverture de pensée embrassant la vision nouvelle d'un monde multicolore et avançant à l'aveuglette, une nouvelle perception de soi et de nou- veaux modes de connaissance pour étayer de nouvelles façons de vivre, peut nous garantir un sauf-conduit. La présence parmi nous des Derek Walcott, George Lamming, Earl Lovelace, Vidia Naipaul, Kamau Brathwaite, Lorna Goodison, Mar- tin Carter, Mighty Sparrow, Lord Kichener, Chalkdust, David Rudder, Peter Min- shall, Bob Marley, Jimmy Cliff, Peter Tosh, la myriade des légataires du Raggamuffin, les Beryl McBurny, Ivy Baxter, Pat Bishop et les Desesperados, la présence de tous ces êtres chers parmi nous repose précisément sur leur impor- tante contribution passée et présente à la quête de « formes plus riches de connaissance collective de soi », pour employer l'expression de Sir Philip Sherlock.

S'il y a un fait qui attend impatiemment quon en discute, c'est que quelq'uun comme Derek Walcott, prix Nobel de littérature, dramaturge, peintre et essayiste, antillais originaire de Sainte-Lucie, homme à l'humour corrosif et au regard perspicace, apporte une importante contribution à cette quête aujourdhui mondiale... c'est un fait qui ne devrait échapper à aucun jeune du Commonwealth des Caraïbes au cours de ses études, de lécole primaire à l'université. Walcott définit l'histoire, dit-on, non pas comme l'archivage des monuments et des empires en vue de commémorer, comme c'est l'habitude, la domination et l'humiliation d'une grande partie de l'humanité, mais plutôt comme «l'histoire de la réhabilitation et de l'acceptation de soi par soi-même, de sa culture et de son importance fondamentale dans l'ordre des choses ». N'es:-ce pas une excellente déclaration d'intention que devraient faire les planificateurs et les enseignants responsables de léducation à la génération qui héritera du vingt-et-unième siècle.

L'importance de la présence du génie artistique de Walcott et d'autres à sauto-percevoir réside dans le rappel permanent, par leurs mots et leurs ouvrages, de la richesse de notre turbulence, de la valeur créative de notre chaos, des éléments hors de prix d'une connaissance approfondie et d'une compréhension encore plus profonde de notre histoire et de notre réalité vécue, c'est-à-dire du cœur irréductible de notre humanité

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Comme c'était à prévoir, le prix Nobel reçu par Derek Walcott en 1992 nous a rempli le cœur de joie et de fierté, à nous de la Caraïbe. Cependant, c'est la force intérieure et la durée de l'impression laissée par la vision poétique de lartiste qui survit à l'éclat du maquillage et à l'odeur de la foule. Bien après que les

hymnes nationaux et les applaudissements se sont tus et que la fête est finie, l'homme et sa vision continuent de vivre dans la signification d'une présence envoûtante et durable.

Cette présence, tout comme celle des autres grands artistes présents parmi nous, continue de célébrer la volonté créatrice, individuelle et collective, du

peuple caraïbéen. Elle continue de rassembler petit à petit des produits artistiques de haute qualité, des habitudes de tolérance et des sensibilités équilibrées avec délicatesse à partir de son existence complexe, optimiste et pourtant désespérée, chaleureuse et pourtant agaçante, stimulante mais frustrante. Cette présence place le caractère au-dessus de la peau en vue de façonner une société civile habitable pour tous ceux qui sont très attachés aux grandes libertés qui soutien- nent le progrès fragmenté et torturé de ses parents et amis de la Caraïbe.

C'est cette présence de l'artiste créateur et dames sœurs qui font travailler leur imagination créatrice et leur esprit, qui permettra que ce qui était la rencontre de l'Afrique, l'Europe et l'Asie sur un sol étranger parvienne à forger dans le creuset de l'héritage caraïbéen, une société plurielle viable, où les gens ne se vivent pas simplement les uns à côté des autres mais ensemble. En effet, ce patrimoine caraïbéen a toujours été enclin à la tolérance raciale (malgré ses imperfections), à la liberté (pour laquelle les esclaves se sont battus avec acharnement en utilisant des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celle des artistes contemporains) et à un œcuménisme créatif, en conservant l'intégrité de différentes confessions re-

ligieuses, faisant ainsi du Bassin des Caraïbes un laboratoire vibrant d'exploration spirituelle tout comme il la fait pour la création des langues créoles. Ces religions et ces expressions linguistiques sont des manifestations particulièrement puissan- tes de la «nouveauté» des âmes nées du croisement des cultures et poursuivant les contacts aujourdhui historiques depuis 1492.

C'est en grande partie à travers les arts que nous arrivons à comprendre la dynamique de ces cinq cents ans de gestation produisant véritablement des «peuples nouveaux» dans toutes les Amériques (notre région des Caraïbes com- prise). Elle a produit également un nouveau bon sens et une sensibilité nouvelle qui ont une consistance et une particularité suffisante pour faire une différence dans le développement de l'humanité. L'attribution du prix Nobel de la paix à un Antillais anglophone pourrait bien servir de sonnerie d'alarme à la planète Terre pour quelle fasse bien attention à limportancîe de la réalité d'une partie du monde que Ion considérait autrefois habitée par des «non-personnes» mais qui est capa- ble de dévoiler de grandes vérités sur la condition humaine. Elle le fait grâce à

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l'exercice de sa créativité au carrefour du village mondial que les Amériques en général, et les Caraïbes en particulier, ont toujours été. Village mondial que le monde soi-disant «globalisé» du vingt-et-unième siècle est en train de devenir. Effectivement, si nous faisons bien attention à nos meilleurs artistes, nous ne risquons pas de nous tromper en faisant face au vingt-et-unième siècle lorsqu'il aura atteint sa pleine floraison. La plante est, à vrai dire, déjà parmi nous.

Ce que le monde du vingtième siècle finissant et du vingt-et-unième siècle naissant doit aujourdhui accepter, c'est lidée que le «Nouveau Monde », com- mencé en 1492 est tout d'abord historiquement fausse pour les autochtones d'Amérique (eux-mêmes, il faut le reconnaître, ayant changé par suite de contacts prolongés avec des cultures étrangères). Deuxièmement, elle est particulièrement perturbante pour les populations dorigine africaine dont on nie encore quelles soient au centre de la formation de la philosophie caraïbéenne. Et troisièmement, elle est trop européocentrique et monoculturelle pour satisfaire ceux qui pourraient être partiellement Africains, Européens, Asiatiques et Amérindiens mais entière- ment Caraïbéens. Par définition, nos meilleurs artistes n'ont aucun problème à être le produit de tous leurs ancêtres, la progéniture complexe, concentrée, mélangée, née des accidents délibérés de l'histoire moderne. Qu'une telle réalité nous accorde une connaissance exceptionnelle de l'art de créer une nouvelle sensibilité, non pas à partir du néant comme dans La Genèse, mais à partir des éléments disparates de plusieurs cultures, est une raison de célébration plutôt que dauto-négation, de mépris ou de doute de soi.

c'est cette célébration de soi qui marque également 'limportance de la Présence de l'artiste dans cette région. Cette célébration n'est en aucun cas complaisante. Ce sens permanent de l'histoire et cette étrange prise de con- science qui reflète la sagesse innée des peuples dominés, imprègne, en effet, tout ce qui émane de l'imagination créatrice de lartiste.

Il ou elle admet la vulnérabilité de «la tribu asservie» mais reconnaît que la liberté repose sur la science de ladite tribu « à se fortifier grâce à une assimilation astucieuse de la religion de l'Ancien Monde » de telle sorte que ce qui semble être une « capitulation » se révèle être une rédemption, ce qui ressemblait à la menace d'une « perte de la tradition » devient un « renouvellement » de cette dernière, et ce qui pouvait paraître la «mort de la foi » se révèle sa « renaissance ». c'est une puissante expression des modes de survie de la Caraïbe et au-delà, grâce à l'invocation de l'espoir au milieu du désespoir, la capacité de transformer son passif en actif ou comme le dit avec sagacité un proverbe jamaïquain, «what spwile mek style... » (faire du neuf avec du vieux)

La dialectique de 'lespoir-au-coeur-du-désespoir circule dans la littérature populaire et dans d'autres formes dexpression artistique de nos peuples de la

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Caraïbe. Les artistes de reggae et les chanteurs de calypso en font la preuve dans les paroles de leurs chansons. De même, la sagesse collective de notre littérature orale que sont nos proverbes traditionnels et nos histoires, témoignent de cette

capacité anc'estrale de survie... et bien plus.·

La Présence del'artiste du nord au sud de Tarchpel indique cette capacité de telle invincibilité envers et contre tout. La capitulation s'est vraiment transfor- mée en rédemption, la perte potentielle en renouvellement, la mort en renaissance.

Combien de nos planificateurs sont-ils dotés d'une telle perception et, comme le disent les Rastafariens, « overstanding », c'est-à-dire de la faculté de

comprendre ? Faire appel à un sentiment de soi ne signifie en aucun cas pour l'artiste, un rejet inconsidéré de la sagesse millénaire ou de la valeur intrinsèque de l'Autre. Ceci est encore plus vrai d'un artiste comme Walcott qui reconnaît son

apprentissage éternel auprès de ses «maîtres» et avoue être prêt à «voler», partout où ils se trouvent, les trésors d'excellence, et en tout premier lieu, de son

propre passé caraïbéen si richement entremêlé.

Malgré les myriades d'influences reçues par le conditionnement colonial dantan et par l'invasion culturelle de l'ère électronique actuelle, l'être humain est

cependant capable de conserver la capacité d'auto-réflexion et d'auto-réalisation. Un premier groupe de visionnaires politiques et déducateurs caraïbéens lavaient

compris en termes d'autonomie gouvernementale et d'indépendance. Il y a un

danger évident que leurs successeurs risquent aujourdhui de perdre le contrôle de notre souveraineté et de la conviction que ceux de notre espèce peuvent et doivent être les créateurs de leur propre destinée si nous voulons que les peuples de la Caraïbe puissent donner un vrai sens aux accessoires de l'indépendance politique affichés dans les drapeaux, les hymnes et autres symboles nationaux. En con- struisant ces nouvelles nations, plusieurs ont compris limportance de la présence artistique et culturelle, non pas comme une manifestation de notre capacité à «être heureux » dans un état d'innocence primitive, mais comme la source de l'énergie entretenant la civilisation et notre humanité.

Ce sentiment de soi doit se manifester dans notre capacité à distinguer dans nos actions ce qui autonome de ce qui est déterminé en nous. Contrairement aux idées généralement reçues, écrire de la poésie, composer un morceau de

musique, créer une pièce de théâtre, faire de la peinture, etc., tout cela est une forme daction et non pas des modes dévasion de la réalité. Ce sont des voies valables vers la connaissance, que le système éducatif ignore à nos risques et

périls. En effet, tout artiste véritable comprend la tension qui existe entre devenir

«soi-même » et être une partie d'un plus grand ensemble. La réalité sociale, après tout, sert de médiateur à tout art et le moi doit chercher à atteindre l'extérieur aussi

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bien que l'intérieur, sil veut pouvoir apprécier le monde. Jai parlé ailleurs du phénomène détirement-intérieur-et-de-visée-extérieure comme une voie vers l'in- tégralité de la personne caraïbéenne. Il ne s'aurait y avoir de complaisance envers soi-même au détriment de ce sens communautaire si essentiel pour la réalisation de soi-même. Walcott qui est lui-même un maître dans l'art si personnel de la poésie, est également un dramaturge et metteur en scène, engagé dans cet art si intensément collectif quest le théâtre. Il sait donc que l'égocentrisme peut aller à lencontre des effets recherchés. Dans notre société caraïbéenne, aux textures variées et aux sources multiples, le moi est pluri-dimensionnel et présente de multiples facettes.

Dans la Caraïbe, nous savons, nous, et l'artiste nous le rappelle par sa présence, qu'il ny a pas de place pour une espèce de «géographie spirituelle qui établirait une carte d'un monde intérieur opposé à un monde extérieur », comme la dit quelqu'un. En vivant dans le champ despaces interactifs, on aura probablement «une compréhension plus complète de ce qui est, il faut le reconnaître, essentielle- ment évasif », autrement dit, les actes en vue de découvrir par soi-même sa place stabilisée et son but dans un monde complexe, contraire, chaotique, schizo- phrénique et indiscipliné. L'nomme et la femme de la rue ont un sens mystérieux de ce défi, dans la Caraïbe, c'est deux que sont venues des expressions reprises par des icônes comme Lamming and Kamau Brathwaite en vue de célébrer cela après tout. La présence de l'artiste indique donc la valeur de tout cela dans notre quête interminable de notre moi et de notre société. Walcott a mis en garde contre le risque de voir les éditions de Carifesta devenir des phénomènes complaisants de hasard plutôt que des étapes importantes sur la route d'un voyage continuel et énergique vers la découverte et la définition de soi ainsi qu'un exercice soutenu de l'imagination créatrice au lieu de festivités à explosions intermittentes. Il croit que de telles explosions ne sont pas productives malgré lextase de la satisfaction immédiate. Il est évident qu'il faut une assiduité continue de la part des gouverne- ments et du peuple pour la plus fondamentale de ces quêtes en développement.

Une signification supplémentaire de la présence artistique caraïbéenne et de celle de tous ceux qui ont du génie et partagent la même vision des choses, porte sur ce quon pourrait considérer comme un avertissement de plus contre ladoption et la promotion d'une culture touristique sous l'apparence d'une politique culturelle sérieuse dans une région où le tourisme est devenu une source impor- tante de recettes en devises étrangères alors que les exportations traditionnelles sont les victimes de la globalisation, de léconomie de marché néo-libérale et du regroupement des puissances de l'Atlantique Nord, manifesté dans les nouveaux blocs commerciaux et multi'atéraux, les complexes militaires et sociétés transna- tionales.

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Le tourisme culturel, c'est le nom exact attribué par 'IUNESCO est assez inoffensif, du point de vue théorique, mais ce nest pas nécessairement le cas dans la pratique. Bien des artistes caraïbéens saccordent à penser que notre héritage (individuel et collectif) constitue un aspect clé de notre sens du moi. Il doit donc bénéficier d'une priorité logique sur la satisfaction d'autres individus à la recherche d'une titillation superficielle, bien quil faille être prêt à partager cet héritage transmis de génération en génération et assimilé organiquement par le moi. Nest-ce pas là la meilleure approche que de cultiver sa culture pour soi-même et d'inviter ensuite nos hôtes à la partager ?

L'autre solution consiste à colporter un héritage manufacturé et emballé, pour lequel on doit faire de la publicité et qu'on doit constamment adapter aux goûts changeants des consommateurs. Les implications vont loin pour les Conser- vatoires nationaux, les Bureaux de tourisme, les Associations hôtelières et touris- tiques. Ces dernières sont souvent tentées de commercialiser cet héritage au détriment des mythes authentiques, des héros nationaux, du vocabulaire local servant à désigner des produits naturels locaux et des traditions appartenant au patrimoine d'un peuple.

L'artiste de la Caraïbe a donc raison de veiller jalousement à lintégrité de ce patrimoine et de l'aristocratie spirituelle qui foisonne dans les relations entre les gens et entre les gens et leur cadre naturel du paysage. « Le tourisme du patrimoine » aussi tentant quil soit pour ceux qui ne s'intéressent quaux résultats financiers, soit éviter la comédie et informer le visiteur-consommateur de l'exis- tence dans ces îles d'un cœur, d'une âme, d'un esprit, d'une pensée indépendam- ment du soleil, du sable et de la mer.

Or, pour beaucoup de consommateurs, le stéréotype selon lequel une «culture basée sur la joie est forcément superficielle », ainsi que la déclaré Walcott au public de Stockholm lors de la remise du prix Nobel. Le lauréat regrettait que, tristement, «pour se vendre les Caraïbes encouragent les plaisirs stupides et d'une éclatante niaiserie, se présentent comme un endroit où se rendre pour fuir non seulement Ihiver, mais encore ce sérieux qui ne se manifeste que dans une culture à quatre saisons. Par suite, comment peut-il y avoir là-bas un peuple dans le vrai sens du terme ? »

La nécessité est devenue la mère d'une triste forme de prostitution poétiquement décrite par Walcott dans ce même discours, lors de la cérémonie de remise du prix Nobel, comme «l'érosion saisonnière de [notre] identité, cette répétition aiguë des mêmes images de service qui ne permet pas de distinguer une île de l'autre, avec un futur de marinas polluées, de ventes de terrains négociées par des ministres et tout cela mené au rythme de musique de bar et accompagné de sourires forcés ».

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Les implications plus vastes pou l'art et la culture dans le processus de développement sont beaucoup moins éloignées de l'action de lartiste qu'on pour- rait croire à première vue. Il est aujourdhui universellement reconnu que l'impor- tance de la culture pour le développement tient à sa contribution à Amelioration du capital social, à l'entretien d'une atmosphère de civilité (et de civilisation) reposant sur le soubassement intellectuel et culturel de n'importe quel groupe social serait-il une tribu, une nation ou une région. De son propre aveu, Walcott, lorsquil était étudiant à l'université des West Indies (Mona), s'est accordé à cette conception quil a trouvée en Jamaïque dans les années cinquante dans le dédale des organisa- tions communales vivant en communion avec les arts, conception que les pères fondateurs avaient adoptée à lépoque. Ainsi, Walcott allait faire de la région son terrain d'action, se déployant de Sainte-Lucie à la Jamaïque et à la Trinité et Tobago et allant même encore plus loin sur le continent américain. Il devait

englober le monde entier dont il avait toujours eu conscience grâce à ce condition- nement colonial même, q'uil a su transformer en rédemption et moyen de connais- sance de soi, s'affirmant sans rancune, créant et inventant même lorsqu'il cassait les images (une approche ignorée par les '«révolutionnaires » ultérieurs qui ont choisi de ne pas tenir compte de cette forme «caraïbéenne » d'auto-libération qui avait pourtant fait ses preuves).

Ce conditionnement las mis d'avantage en contact, tout comme ceux de sa génération qui ont fait leurs études, avec lantiquité et ce point de confluence des cultures de la Méditerranée qui a donné à l'humanité non seulement la Grèce et Rome (qui devaient être détournés par ceux qui pensaient avoir le monopole de la «civilisation »), mais également l'Egypte et les grandes religions monothéistes, les modes de pensée et la configuration des valeurs de l'Orient. Omeros, ce chef- d'œuvre de Walcott, pourrait bien évoquer ce patrimoine hérité de ce carrefour des civilisations et habité par les âmes sœurs du temps jadis. En effet, ne sommes nous pas les créatures de ce processus spécial de créolisation du devenir ? Une compréhension de ces civilisations nest pas possible si on ignore le contexte culturel dans lequel elles se sont épanouies.

Ce sont en grande partie nos artistes qui, plus que nos planificateurs économiques et nos gourous du développement, insistent sur l'invocation des valeurs culturelles comme une partie du répertoire des modalités au service de la survie caraïbéenne et au-delà. Et, cela nous a enrichis ! Depuis longtemps et dans toute la région, les textes des rapports économiques annuels sont empreints de l'idée que les exercices intellectuels et artistiques sont «improductifs » malgré les

preuves de production de revenus et d'augmentation de l'emploi (quoique saison- nier) résultant de l'activité des artistes de reggae et des fêtards du carnaval.

La présence de l'artiste (de Walcott à Bob Marley et Mighty Sparrow en

passant par Kamau Brathwaite, Sam1^! Selvon et Georges Lamming) lance un défi

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à la Caraïbe en vue d'une plus grande prise de conscience de son potentiel créateur, pour soi et pour la société, sans lequel le « développement » est presque impossible. La réduction de la pauvreté, ce cliché à la mode chez les spécialistes en développement, pourrait bien commencer par la réduction de la pauvreté spirituelle qui engendre un durcissement de la sensibilité et paralyse des popula- tions entières, les privant de la volonté dinnover et de réfléchir à leurs problèmes de façon créative.

En effet, le développement, selon un rapport de l'Unesco sur la culture et le développement publié en 1995, «comprend non seulement l'accès aux biens et aux services, mais également la possibilité de choisir un façon de vivre ensemble qui soit pleine, satisfaisante, valable et appréciée, l'épanouissement de l'existence humaine sous toutes ses formes et comme un tout ». Le développement comporte une amélioration des conditions matérielles mais n'en demande pas moins une élévation spirituelle qui na rien d'une superstructure.

Nos artistes comprennent pourquoi des gens comme eux, y inclus «les

gens den bas » selon l'expression de Lamming et «le vrai peuple » selon Norman Manley, ont pu réussir à cause de leur capacité à créer. « Lhistoire et l'effroi fondamental sont toujours à nos tout-débuts parce que le destin de la poésie (et peut-être de toute forme d'art) est de tomber amoureux du monde, malgré l'His- toire ».

« II y a une forme d'exultation », déclare Walcott, «une fête de la chance

lorsqu'un écrivain se retrouve témoin du petit matin d'une culture qui se définit branche par branche, feuille par feuille, dans cette aube d'auto-définition. Et c'est

pourquoi il est bon d'avoir un rituel du lever de soleil, et tout particulièrement au bord de la mer. Ensuite, à midi, les «Antilles » ondulent comme l'eau qui s'anime, et le bruit des feuilles, des feuilles de palmierè et des oiseaux forment les sons d'un nouveau dialecte, la langue locale. Le vocabulaire personnel, la mélodie individu- elle, dont le mètre est déterminé par sa biographie, se joignent à ce son, avec un

peu de chance, et le corps bouge comme une île qui marche et qui marche. »

Malgré tout ce que j'ai dit, on persiste à négliger la culture comme partie intégrante de l'éducation chez les bureaucrates de la fonction publique et même

parmi les enseignants, dans toute la Caraïbe. Pourtant un enfant apprend le sens de «processus » et arrive mieux à faire le lien entre effort et résultat si on l'encour- age, dans le cadre normal de ses études, à créer un poème ou un chanson, jouer dans une pièce de théâtre, élaborer une danse, chanter dans une chorale ou jouer un instrument dans un orchestre (y compris le tambour et les instruments du steel-band).

La discipline qui soutient la maîtrise du savoir-faire qui permet à tout art de

sexprimer, les exigences de la re-création continue de l'effort et de l'application, les

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défis rencontrés au cours de ce voyage vers la perfection, les habitudes d'auto- évaluation réaliste, la capacité à gérer la diversité et le dilemme de la différence, que ce soit dans les arts du spectacle ou dans secteurs clés du sport (que personnellement je considère comme un art du spectacle) : tout cela constitue une excellente préparation pour apprendre à être (ce qui est la matière de l'ontologie), apprendre à connaître (la substance de l'épistémologie) et conduire à vivre ensem- ble (l'essence de la diversité créative qui caractérise l'existence caraïbéenne et est sur le point de semparer du monde). Le rôle de l'éducation doit donc être non seulement d'apprendre aux gens à gagner leur vie mais doit également être de leur apprendre comment vivre.

La capacité d'adaptation, la souplesse, la disponibilité à passer d'un code à l'autre, la capacité d'innover et de négocier avec la complexité de la complexité, telles sont tous les attributs de l'imagination créative qui fournit à la cognition une voie autre que celle du rationalisme caraïbéen dont nous avons hérité. En effet, si nous sommes parce que nous pensons, nous existons également parce que nous sentons.

Le renforcement des liens entre l'éducation et la communauté et des deux avec la culture tient parfaitement debout car cela s'adresse aux notions de base de la société civile, lesquelles sont enracinées dans la confiance, le respect mutuel, la maîtrise d'une volonté collective et lentretien du sens de la camaraderie sans laquelle on ne peut parvenir à la sociabilité et à la capacité de sunir en vue de réaliser un objectif supérieur pour le bien de tous.

Une éducation qui n'inculque pas cela et ne l'encourage pas, risque de ne pas être très utile quelque brillant que puisse être un individu à l'ordinateur ou aux examens par sa capacité à réussir le brevet ou le baccalauréat.

On ne peut donner de soi dans des actions sociales coordonnées que lorsqu'on est capable de découvrir et de continuer à redécouvrir qui nous sommes vraiment, comment nos vies se sont forgées à partir de cette histoire composite vieille de cinq cents ans et comment notre place est déterminée dans le monde (une mosaïque complexe d'un monde avançant à tâtons, en quête, lui même, de certitudes et des moyens de se réconcilier avec un milieu physique longtemps pillé et énormément dégradé). Ainsi j'ai eu raison de répéter à maintes reprises aux gouvernements, aux enseignants et aux institutions denseignement qu'ils sont «les premiers à contribuer et à animer la culture de ce royaume de l'esprit capable de réflexion interdisciplinaire, où la créativité pousserait sur des rangs et des rangs par suite de l'exercice de l'intellect et de l'imagination tout à la fois, ces deux travaillant en équipe pour produire une communauté dames autonome, tolérante, ayant le respect de soi-même, entreprenante et productive, beaucoup plus paci- fique et moins encline à la violence ». Une telle communauté serait à son tour

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placée stratégiquement à la pointe du compas quest l'éducation, traçant le cours complet du cycle de la civilisation qui est celui de la créativité.

La tâche des artistes et des éducateurs dans tout ce processus est évidente quoique impressionnante, effrayante, provocante et, pour quelqu'un comme moi, porteuse d'une irritante satisfaction.

DISCURSO PRINCIPAL: La Presencia del Artista Caribeno y la Educación en el Tercer Milénio

por

REX NETTLEFORD

Nosotros en el Caribe tenemos tantos artistas por metro cuadrado que no ha de ser muy bueno para nosotros. No obstante, es un mal que deberíamos acoger ya que su presencia nos hace acordar algunos datos fundamentales de nuestra historia y nuestra existência. Nos habla de nuestra sobrevivência en una sociedad que todavia valora la lucha y la resistência a Ia opresión sistémica de un orden social desequilibrado que se fundada en la deshumanización de Ia mayoría de sus cuidadanos empezando con Ia esclavitud y siguiendo con el trabajo forzado. Persiste en la alienación y marginalización de Ia mayoría dentro y fuera de una empresa desequilibrada y en la Ilamada globalización de Ia economia mundial. Esta nueva modalidad promueve Ia dependência de Ias dos tercias partes dei mundo y la esclavitud mental de Ia cual hablaba Garvey desde 1937. El gran artista de reggae Bob Marley Io ieitera en Io que ha de ser uno de los versos más poderosos que se cita a menudo como recordatorio de nuestra responsabili- dad ai ser propio y a Ia sociedad.

Sin hacer caso omiso a los economistas, reconocemos que es el artista el que ha penetrado nuestra profunda ansiedad y nuestras posibilidades y ha creado palabras y música, movimiento y mitos, sintaxis y sátira. Todo esto significaba dinero en efectivo y divisas importantes para los financieros y los que insisten en tener resultados, quienes todavia necesitan verles a los artistas como variables de producción en la ecuación desarrollista y no como actos auto complacientes que no contribuyen ai ingreso per capita, el PNB ni el PIB.

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