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Traiter l’hépatite C chez des patients usagers de drogue et/ou précaires : éthique, efficace et utile André-Jean Remy, Hugues Wenger, Hakim Bouchkira Centre hospitalier de Perpignan, équipe mobile hépatites, 20, avenue du Languedoc, 66046 Perpignan, France Correspondance : André-Jean Remy, Centre hospitalier de Perpignan, équipe mobile hépatites, 20, avenue du Languedoc, 66046 Perpignan, France. [email protected] Disponible sur internet le : 11 octobre 2014 Treatment of chronic hepatitis C in drug users: Ethic, successful and useful L’usage de drogues est le principal facteur de contamination du virus de l’hépatite C (VHC) en France depuis 1995 [1] ; en 1999, cela représentait encore 3500 nouvelles contaminations par an et 1000 par an en 2004. Malgré le plus fort taux de dépistage du monde, 44 % des personnes ayant une sérologie hépatite C positive ne sont pas dépistés : sont ces patients non dépistés auxquels s’ajoutent des patients connus positifs mais non pris en charge ? Il existe 450 CSAPA (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) et CAARUD (centres d’accueil et d’aide à la réduction des risques chez les usagers de drogue) en France ; plus de 200 000 personnes sont des usagers de drogue (UD) à problèmes et 160 000 recevaient un traitement de substitution en 2012, dont 30 % par méthadone et 70 % par buprénorphine. En 2004, 60 % des UD étaient VHC positif et 12 % s’étaient fait une injection en prison (30 % avaient partagé la « seringue ») ; en 2011, 44 % des UD sont VHC positif avec des extrêmes selon les départements allant de 24 à 56 % [2]. Une situation de précarité ou un antécédent d’incarcération constituaient également des facteurs de risque. Déjà en 2010, une expertise collective de l’Inserm sur la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogue [3] faisait les recommandations suivantes : dépister tous les UD pour le VIH et les hépatites B et C, et re-dépister au minimum une fois par an ; évaluer l’impact des consultations avancées d’hépatologie et d’infectiologie : CSAPA, CAARUD UCSA et autres lieux potentiels ; se rapprocher de l’usager au plus près dans les centres CSAPA et CAARUD car cela apparaît un facteur d’amélioration diagnostique et thérapeutique ; favoriser l’accès des UD aux programmes d’éducation thérapeutique, en dehors de l’hôpital ; en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Presse Med. 2014; 43: 13141316 ß 2014 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. 1314 Éditorial tome 43 > n812 > décembre 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.08.007

Traiter l’hépatite C chez des patients usagers de drogue et/ou précaires : éthique, efficace et utile

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en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Presse Med. 2014; 43: 1314–1316� 2014 Elsevier Masson SAS

Tous droits réservés.

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Disponible sur internet le :11 octobre 2014

Traiter l’hépatite C chez des patients usagersde drogue et/ou précaires : éthique, efficaceet utile

André-Jean Remy, Hugues Wenger, Hakim Bouchkira

Centre hospitalier de Perpignan, équipe mobile hépatites, 20, avenue du Languedoc,66046 Perpignan, France

Correspondance :André-Jean Remy, Centre hospitalier de Perpignan, équipe mobile hépatites, 20,avenue du Languedoc, 66046 Perpignan, [email protected]

Treatment of chronic hepatitis C in drug users: Ethic, suc

cessful and useful

L’usage de drogues est le principal facteur de contamination du virus de l’hépatite C (VHC)en France depuis 1995 [1] ; en 1999, cela représentait encore 3500 nouvelles contaminations paran et 1000 par an en 2004. Malgré le plus fort taux de dépistage du monde, 44 % des personnesayant une sérologie hépatite C positive ne sont pas dépistés : où sont ces patients non dépistésauxquels s’ajoutent des patients connus positifs mais non pris en charge ?Il existe 450 CSAPA (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) etCAARUD (centres d’accueil et d’aide à la réduction des risques chez les usagers de drogue) enFrance ; plus de 200 000 personnes sont des usagers de drogue (UD) à problèmes et 160 000recevaient un traitement de substitution en 2012, dont 30 % par méthadone et 70 % parbuprénorphine. En 2004, 60 % des UD étaient VHC positif et 12 % s’étaient fait une injection enprison (30 % avaient partagé la « seringue ») ; en 2011, 44 % des UD sont VHC positif avec desextrêmes selon les départements allant de 24 à 56 % [2]. Une situation de précarité ou unantécédent d’incarcération constituaient également des facteurs de risque. Déjà en 2010, uneexpertise collective de l’Inserm sur la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogue[3] faisait les recommandations suivantes :� dépister tous les UD pour le VIH et les hépatites B et C, et re-dépister au minimum une fois par

an ;� évaluer l’impact des consultations avancées d’hépatologie et d’infectiologie : CSAPA, CAARUD

UCSA et autres lieux potentiels ;� se rapprocher de l’usager au plus près dans les centres CSAPA et CAARUD car cela apparaît un

facteur d’amélioration diagnostique et thérapeutique ;� favoriser l’accès des UD aux programmes d’éducation thérapeutique, en dehors de l’hôpital ;

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1 Appartement de coordination thérapeutique.

2 Centre d’hébergement et de réinsertion sociale.

Traiter l’hépatite C chez des patients usagers de drogue et/ou précaires : éthique, efficace et utile

� mettre en place des centres de consultation multidisciplinaire« tout en 1 », du dépistage au traitement, y compris pour lavaccination antivirale B et assurer un suivi médical mais aussisocial des UD.

En 2012, une enquête téléphonique de l’association SOS hépa-tites auprès de 136 CAARUD et CSAPA mettait en évidence que72 % des structures médico-sociales ne connaissaient pas lenombre de patients ayant une sérologie C positive dans leur fileactive et que 25 % ne proposaient jamais le dépistage deshépatites virales aux personnes suivies. Les auteurs concluaientque les CSAPA étaient insuffisamment formés pour la prise encharge des hépatites virales, qu’ils recevaient des moyens pourle dépistage et la vaccination qu’ils n’utilisaient pas, que tousles efforts étaient portés sur les CSAPA déjà engagés dans laprise en charge mais que pourtant, les trois quarts n’avaient pasde suivi de leurs patients atteints d’hépatite C. . . Pourtant, dansles missions des CSAPA [4], il est indiqué que la prise en charge

dans les CSAPA est a la fois medicale, psychologique, sociale et

educative, elle participe dans tous les aspects de la prise en

charge globale du patient. La prise en charge medicale

comprend la recherche des comorbidites somatiques.Le 19 mai 2014, le premier rapport d’experts sur les hépatitesvirales [5] indique pour le dépistage que « l’utilisation de testsd’orientation diagnostique (TROD), qui favorisent le dépistagedes populations ne fréquentant pas (ou peu) les structuresmédicales classiques, doit être encouragé », pour la prise encharge « qu’un guichet unique consiste à proposer dans leslocaux des CSAPA ou des CAARUD, l’ensemble de la prise encharge des patients atteints d’hépatite : prévention, dépistage,Fibroscan, consultation d’hépatologie, mise en place et suivi dutraitement ; la mise en place de ce traitement devient beau-coup plus facile grâce à toutes les étapes précédentes. L’éduca-tion thérapeutique et l’accompagnement du patient favorisentun suivi régulier et une meilleure observance ; le taux deréponse au traitement est équivalent à celui des personnesnon usagères de drogue », et pour les indications thérapeuti-ques que « si compte tenu des avancées thérapeutiques,l’objectif à terme pourrait être de traiter l’ensemble de per-sonnes atteintes d’hépatite C, en visant l’éradication virale, lesmodélisations et études coût-efficacité conduisent aujourd’huià privilégier le traitement chez les patients ayant le risque plusélevé de progression de leur infection ». Il est ainsi suggéré detraiter en priorité les patients ayant au moins une fibrosesignificative (stade de fibrose � F2 évalué par une biopsiedu foie ou beaucoup plus souvent maintenant par des testsnon invasifs) et, quel que soit le stade de fibrose, les usagers dedrogues et les personnes détenues.Le 27 mai 2014, la Haute Autorité de santé rendait, elle aussi,un avis favorable à l’utilisation des TROD hépatite C [6] : « Ilsconstituent un outil complémentaire au dépistage classiquedont les avantages doivent permettre d’atteindre certainespopulations les plus exposées au risque de VHC et pour

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lesquelles le dépistage actuel est insuffisant : les personnesà risque les plus isolées et éloignées du système de soins et/oules plus précaires, vulnérables socialement tels que les usagersde drogue marginaux ou les personnes originaires de pays trèstouchés par le virus ; celles insuffisamment dépistées maisfréquentant les structures de soins de proximité tels que lesusagers de drogue suivis dans le dispositif commun (notam-ment en médecine générale) ou dans des centres spécialisés etles personnes en milieu carcéral. Ils pourraient se laisserconvaincre par un dépistage faisable immédiatement et aurésultat disponible rapidement ».L’équipe mobile hépatites du centre hospitalier de Perpignan aété créée en juillet 2013 sur des crédits MERRI, dédiés à la luttecontre les hépatites virales et affectés entièrement grâce ausoutien sans faille de la direction générale de notre établisse-ment. Elle se compose d’un médecin à mi-temps, de deuxinfirmiers, d’une secrétaire et bientôt d’un assistant social. Ellepropose sur site à une vingtaine de structures partenaires(CAARUD, CSAPA, ACT1, CHRS2, etc.), liées par convention,tout ou partie des 5 prestations suivantes : TROD VIH et VHC(et bientôt VHB), évaluation indirecte de la fibrose hépatiquepar Fibroscan, formation des équipes et information des usa-gers, séances d’éducation thérapeutique individuelles ou col-lectives, consultations médicales avancées. Toutes lesprestations sont gratuites pour les patients et les structures.Les cinq premières prestations sont assurées par des infirmierspar délégation de tâches. L’évaluation après 12 mois de fonc-tionnement démontre un bénéfice pour la prise en charge desUD sur leurs lieux de vie dans un continuum assuré du dépistageau traitement, augmentant le nombre de personnes dépistées,prises en charge et traitées, en étroite collaboration avec lesintervenants des structures partenaires. Notre équipe a rapi-dement été efficace en augmentant le nombre de patientsdiagnostiqués, (re)pris en charge, (ré)orientés vers le systèmede soins et traités [7], y compris avec les nouveaux agentsantiviraux directs : 271 personnes ont été prises en charge, 169Fibroscan réalisés et 207 TROD effectués. Au total, 6 % despersonnes étaient nouvellement positifs, 44 patients sesavaient déjà porteurs du virus de l’hépatite C mais ont étérepris en charge (17 en cours de traitement, 4 déjà guéris et 23en attente de bilan ou de traitement). Ceci permet égalementd’établir une relation de confiance durable avec les usagers dedrogue. L’équipe mobile hépatites assure également un lienpermanent entre les unités hospitalières et les structuresmédico-sociales extérieures. Le récent rapport d’experts« DHUMEAUX » consacre sans équivoque notre démarchepro-active vers et pour les usagers de drogue avec cette

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recommandation forte de traiter d’un côté tous les patientsayant un stade de fibrose supérieur ou égal à 2 et, d’autre part,tous les usagers de drogue et les détenus, quel que soit leurstade de fibrose.Le réservoir de l’hépatite C est actuellement parmi les usagersde drogue, les détenus et les autres personnes en situation deprécarité et de vulnérabilité. Les usagers de drogue sont debons répondeurs au traitement antiviral C si les addictionsassociées sont prises en charge, les droits sociaux ouverts etun suivi assuré sur les lieux de vie, notamment les établisse-ments médico-sociaux de leur prise en charge. L’accès au TRODet au Fibroscan sur site est très utile dans ces populations. Letraitement VHC des (ex)usagers de drogues est efficace et

Références[1] Lucidarme D, Dubuque C, Yassine W et al. Evolution de l’incidence de

l’infection par le virus de l’hepatite C chez les usagers de drogue enFrance. Hepatogastro 2012;19:105-16.

[2] Jauffret-Roustide M, Pillonel J, Weil-Barillet L et al. Estimation de laseroprevalence du VIH et de l’hepatite C chez les usagers de drogue enFrance. Premiers resultats de l’enquete ANRS-Coquelicot 2011. BEH2013;39–40:504-9.

[3] Inserm. Expertise collective Inserm 2010 sur la réduction des risquesinfectieux chez les usagers de drogue; 2010 [Accès au site le 12/09/2014]http://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/expertises-collectives.

[4] DGS. Circulaire no DGS/MC2/2008/79 du 28 février 2008 relative à lamise en place des centres de soins d’accompagnement et de préventionen addictologie (CSAPA); 2008 [Accès au site le 12/09/2014]http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/08_79t0.pdf.

identique aux autres populations et l’accès au traitementconstitue un facteur de réinsertion sociale. Notre expériencemontre également que chaque personne atteinte est différenteet que chaque traitement est différent, dans son histoire et sonvécu, avant, pendant et après la prise de médicaments. Faireaccéder les (ex)usagers de drogue au traitement antiviral estéthique car cela correspond à une égalité d’accès aux soins,efficace pour l’individu et utile à la collectivité en faisant baisserla charge virale globale dans cette population et donc diminuerles risques de contamination.

[5]

[6]

[7]

Déclaration d’intérêts : les auteurs n’ont pas transmis de déclaration deconflits d’intérêts.

RF. Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite Bet ou de l’hépatite C : rapport de recommandations 2014 ANRS AFEF;2014 [Accès au site le 12/09/2014]http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Prise_en_charge_Hepatites_2014.pdf.HAS. Place des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) dans lastratégie de dépistage de l’hépatite C.; 2013 [Accès au site le 12/09/2014]http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-07/place_des_trod_dans_la_strategie_de_depistage_du_vhc_-_note_de_cadrage.pdf.Remy Aj, Wenger H, Roth Y, Senezergues A, Desmars A. Hepatitis mobileteam: a new concept for benefit toward drugs users with hepatitis C andoutside social and medical teams. 11th European Congress on heroinaddiction and related clinical problems; 2014 [Accès au site le 12/09/2014]http://www.europad.org/MaterialePDF/Europad_Program-me_2014.pdf.

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