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ARTICLE ORIGINAL Transfert de tissu adipeux autologue préalable à la reconstruction mammaire par implant après mastectomie et irradiation : à propos d’une série de 68 cas Autologous fat grafting to the postmastectomy irradiated chest wall prior to breast implant reconstruction: A series of 68 patients I. Sarfati a , T. Ihrai a,b, * , A. Duvernay a , C. Nos a , K. Clough a a L’institut du sein, 7, avenue Bugeaud, 75016 Paris, France b Centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue de Valombrose, 06189 Nice, France Rec¸u le 7 juin 2012 ; accepte´ le 8 octobre 2012 MOTS CLÉS Transfert de tissu adipeux ; Lipofilling ; Radiothérapie ; Reconstruction mammaire ; Prothèse ; Complications Résumé Introduction. La reconstruction mammaire après mastectomie et radiothérapie repose préférentiellement sur la réalisation d’un lambeau. La reconstruction par implant seul est, dans ces cas particuliers, grevée d’un taux élevé de complications et de résultats cosmétiques peu satisfaisants. La démonstration des propriétés régénératives du transfert graisseux nous a conduit à mener une étude prospective visant à étudier l’effet du lipofilling préalable de la paroi thoracique irradiée avant reconstruction prothétique. Patientes et me´thodes. Les patientes ont été incluses de 2007 à 2011. Toutes ces patientes avaient eu une mastectomie et une irradiation pariétale. Une ou plusieurs séances de lipofilling ont été réalisées préalablement à la reconstruction mammaire par implant. Les patientes ont été suivies afin de recueillir les données suivantes : complications postopératoires ; résultat cosmétique évalué, en utilisant une échelle numérique de 1 à 5 (1 : mauvais ; 5 : très bon), par deux chirurgiens de l’équipe, une assistante médicale et la patiente ; récidives tumorales. Re´sultats. Soixante-huit patientes ont été incluses. Le nombre moyen de séances avant pose de l’implant était de 2,3 (une à six séances). Le volume moyen de graisse injectée par séance était de 115 cm 3 (70275). Le volume moyen des implants était de 300 mL (185400 mL). La durée moyenne du suivi est de 23 mois (quatre à 50 mois). Aucune récidive tumorale locale n’a été diagnostiquée. Il n’y a eu aucune complication liée au lipofilling. Le taux d’explantation Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 3540 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Ihrai). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0294-1260/$ see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.10.007

Transfert de tissu adipeux autologue préalable à la reconstruction mammaire par implant après mastectomie et irradiation : à propos d’une série de 68 cas

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ARTICLE ORIGINAL

Transfert de tissu adipeux autologue préalable à lareconstruction mammaire par implant aprèsmastectomie et irradiation : à propos d’une série de68 casAutologous fat grafting to the postmastectomy irradiated chest wall prior tobreast implant reconstruction: A series of 68 patients

I. Sarfati a, T. Ihrai a,b,*, A. Duvernay a, C. Nos a, K. Clough a

a L’institut du sein, 7, avenue Bugeaud, 75016 Paris, FrancebCentre Antoine-Lacassagne, 33, avenue de Valombrose, 06189 Nice, France

Recu le 7 juin 2012 ; accepte le 8 octobre 2012

MOTS CLÉSTransfert de tissuadipeux ;Lipofilling ;Radiothérapie ;Reconstructionmammaire ;Prothèse ;Complications

RésuméIntroduction. — La reconstruction mammaire après mastectomie et radiothérapie reposepréférentiellement sur la réalisation d’un lambeau. La reconstruction par implant seul est,dans ces cas particuliers, grevée d’un taux élevé de complications et de résultats cosmétiquespeu satisfaisants. La démonstration des propriétés régénératives du transfert graisseux nous aconduit à mener une étude prospective visant à étudier l’effet du lipofilling préalable de la paroithoracique irradiée avant reconstruction prothétique.Patientes et methodes. — Les patientes ont été incluses de 2007 à 2011. Toutes ces patientesavaient eu une mastectomie et une irradiation pariétale. Une ou plusieurs séances de lipofillingont été réalisées préalablement à la reconstruction mammaire par implant. Les patientes ont étésuivies afin de recueillir les données suivantes : complications postopératoires ; résultatcosmétique évalué, en utilisant une échelle numérique de 1 à 5 (1 : mauvais ; 5 : très bon),par deux chirurgiens de l’équipe, une assistante médicale et la patiente ; récidives tumorales.Resultats. — Soixante-huit patientes ont été incluses. Le nombre moyen de séances avant posede l’implant était de 2,3 (une à six séances). Le volume moyen de graisse injectée par séanceétait de 115 cm3 (70—275). Le volume moyen des implants était de 300 mL (185—400 mL). Ladurée moyenne du suivi est de 23 mois (quatre à 50 mois). Aucune récidive tumorale locale n’aété diagnostiquée. Il n’y a eu aucune complication liée au lipofilling. Le taux d’explantation

Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 35—40

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (T. Ihrai).

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

0294-1260/$ — see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2012.10.007
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d’implant est de 1,47 % (1/68). Le score cosmétique moyen est de 4,5 (3,5—5).Conclusion. — La reconstruction mammaire différée par prothèse avec lipofilling(s) préalable(s)peut être une alternative à la reconstruction par lambeau chez les patientes après mastectomieet irradiation de la paroi thoracique.# 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSFat grafting;Lipofilling;Radiotherapy;Implant breastreconstruction;Complications

Summary

Introduction. — After radiotherapy, breast reconstruction with an implant carries a high risk offailure and complication. Clinical and experimental studies have demonstrated that graftingadipose tissue (lipofilling) in an irradiated area enhances skin trophicity. Thus, we have startedperforming preliminary fat grafting to the irradiated chest wall prior to implant reconstruction inorder to limit complications and failure risk.Patients and methods. — Patients were included in this study from 2007 to 2011. All patients hadhad mastectomy and irradiation for breast cancer. They all had one or more sessions of lipofillingprior to breast implant reconstruction. These patients were prospectively followed up in order tocollect the following data: postoperative complications; cosmetic result; local breast cancerrecurrences.Results. — Sixty-eight patients were included. The mean number of fat grafting sessions was 2.3(range 1—6). An average volume of 115 mL (70—275) was injected each time. The mean volumeof breast implants was 300 mL (185—400). The mean follow-up was 23 months (4 50). No breastcancer local recurrence was diagnosed during follow-up. Implant explantation was performed inone case (1.47%) The mean cosmetic result was 4.5/5.Conclusion. — Fat grafting to the irradiated chest wall prior to implant placement might be analternative to flap reconstruction for patients who are not suitable or who refuse this option.# 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

36 I. Sarfati et al.

Introduction

Le recours à la greffe de graisse autologue (lipofilling) enchirurgie réparatrice a été décrit au début du XX

e siècle [1]mais, il a fallu attendre le début des années 1990 et lestravaux de Coleman [2] pour que cette technique connaisseun essor considérable [3]. Initialement utilisé en chirurgiecosmétique du visage, le lipofilling a vu ses indicationss’étendre à la chirurgie réparatrice et notamment à lareconstruction mammaire. De nombreuses publications ontmontré qu’outre son effet volumateur, le lipofilling, du faitde l’action de nombreux facteurs de croissance produits parles adipocytes, permet l’amélioration de la trophicité destissus receveurs [4]. Ces propriétés confèrent au lipofillingun intérêt majeur dans le domaine de la chirurgie, esthétiqueet réparatrice du sein [5].

La reconstruction mammaire différée (RMD) après mas-tectomie et radiothérapie repose préférentiellement sur laréalisation d’un lambeau libre ou pédiculé. En effet, lareconstruction par implant seul est, dans ces cas particu-liers, grevée d’un taux élevé de complications et de résul-tats cosmétiques peu satisfaisant [6]. Néanmoins, le refusdes patientes ou des conditions cliniques défavorables(pédicule du muscle grand dorsal sectionné, cicatrice dor-sale, absence d’excédent cutanéo-graisseux abdominal. . .)ne permettent pas, dans ces cas précis, la reconstruction parlambeau. Les conclusions de nombreuses études démon-trant les propriétés volumatrices et régénératives du trans-fert de graisse autologue nous ont ainsi conduits à mener uneétude prospective visant à étudier l’effet, en termes demorbidité et de résultat cosmétique postopératoires, dulipofilling préalable de la paroi thoracique irradiée avantreconstruction prothétique.

Patientes et méthode

Patientes

Les patientes de cette étude ont été incluses de manièreprospective de 2007 à 2011. Toutes ces patientes avaienteu une mastectomie et une irradiation pariétale et sou-haitaient une reconstruction mammaire par implant.Elles présentaient un revêtement cutané thoraciquetrès fin, fixé au grill costal, ne permettant une recon-struction par prothèse. Toutes ces patientes refusaientune reconstruction par lambeau musculo-cutané. Étaientexclues de cette étude les patientes présentant un hautrisque de récidive (antécédent de cancer du sein inflam-matoire e/ou avec emboles lymphatiques intramammai-res étendues) et ayant un délai de suivi inférieur à cinqannées et celles présentant une atrophie cutanée thora-cique majeure et pour lesquelles seule était possible unereconstruction par lambeau.

Les 28 premiers cas de l’étude ont fait l’objet d’unepremière publication [7].

Les patientes ont été préalablement informées du débatconcernant les effets de la greffe d’adipocytes sur les cel-lules cancéreuses, du faible recul disponible pour cettetechnique et de l’éventualité d’un échec de la reconstruc-tion (complication nécessitant le retrait de l’implant oumauvais résultat esthétique). Toutes les patientes inclusesont signé un consentement éclairé. Chaque cas a été préala-blement discuté et validé en réunion de concertation pluri-disciplinaire. Du fait de la problématique concernant lasécurité carcinologique des injections de graisse après can-cer du sein, les patientes qui présentaient un haut risque derécidive cancéreuse locale ont été récusées.

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Reconstruction mammaire par implant après mastectomie et irradiation 37

Technique opératoire du lipofilling

Le prélèvement de tissu adipeux est réalisé sous anesthésiegénérale, selon les localisations graisseuses des patientes, auniveau de l’abdomen, des flancs, des régions trochantériennesou de la face interne de cuisse. La graisse est aspirée par unecanule de 4 mm et recueillie dans un « piège à graisse » [8] :Une canule de lipoaspiration est reliée à un flacon de Redon de400 mL lui-même relié à un appareil de lipoaspiration. Cettetechnique permet d’aspirer plus rapidement de grandes quan-tités de graisse que le matériel proposé par Coleman [2]. Lagraisse est ensuite centrifugée. Le tissu adipeux est alorsgreffé de manière radiaire, rétrograde et en plusieurs plans(sous-cutanée, musculaire et rétromusculaire) au niveau de laparoi thoracique. En prévision de la réalisation d’un lambeaud’avancement abdominal (LAA), la partie supérieure de lapeau abdominale est également greffée. Les séances delipofilling sont réitérées jusqu’à ce que l’épaisseur, la sou-plesse et la laxité des téguments thoraciques, évaluées clini-quement par le chirurgien soient satisfaisantes et permettentd’envisager une reconstruction prothétique. Les tégumentsdoivent être suffisamment épais et mobiles pour permettred’envisager une reconstruction par prothèse. La reconstruc-tion mammaire par implant peut alors être programmée.

Reconstruction mammaire

Un LAA est toujours réalisé lors de la pose d’implant selon latechnique suivante :

� décollement d’environ 8 cm au-dessous de la tangentehorizontale passant par le sillon sous mammaire du seincontrolatéral ;� incision arciforme de la face profonde de ce lambeau

jusqu’au derme environ 5 cm au-dessous du bordsupérieur du lambeau ;� fixation du sillon à l’aponévrose des muscles intercostaux

par cinq à huit points séparés de Vicryl1.

L’implant est placé en arrière du muscle pectoral à sapartie supérieure et derrière le LAA à sa partie inférieure.Les implants sont en gel de silicone et de forme anatomique.Le choix de l’implant repose sur la mesure préopératoire dela largeur et de la hauteur du sein à reconstruire. Des essaissont réalisés au bloc opératoire en position assise, à l’aide deprothèses d’essai, afin de déterminer le volume de la pro-thèse adéquate. Lorsqu’un geste sur le sein controlatéral estnécessaire, notamment en pas de ptose importante oud’hypotrophie marquée du sein natif, et que la patienteaccepte la symétrisation immédiate, ce geste (plastie d’aug-mentation ou de réduction) est réalisé dans le même tempsopératoire.

Les consignes postopératoires étaient les suivantes :

� désinfection et protection des incisions par un pansementsec ;� pose d’un vêtement de compression au niveau des zones

donneuses au bloc opératoire.

La reconstruction aréolaire est secondairement réaliséepar un tatouage, le plus souvent bilatéral afin d’avoir une

homogénéité de colorations. La majorité des mamelons a étéreconstruite par greffe d’un hémi-mamelon controlatéral.

Suivi et évaluation esthétique

Cette étude est une étude prospective non randomisée.Les patientes étaient suivies de manière prospective afin

de recueillir les données suivantes :

� les complications du lipofilling et/ou de la reconstructionpar prothèse ;� l’évaluation du résultat cosmétique : en utilisant une

échelle numérique de 1 à 5 (1 : mauvais ; 5 : très bon)par deux chirurgiens de l’équipe, une assistante médicaleet la patiente.� les éventuelles récidives tumorales. Le suivi oncologique

assuré était identique à celui que les patientes auraient euen l’absence de lipofilling. Par ailleurs, tout nodule per-ceptible a fait l’objet d’un bilan d’imagerie complet et,en cas de doute d’une ponction, biopsie ou exérèse.

Résultats

Entre 2007 et 2011, 68 patientes ont été incluses dansl’étude. L’âge moyen est de 46 ans (28—73 ans). La duréemoyenne du suivi dans cette étude est de 23 mois (quatre à50 mois).

La première séance de lipofilling était effectuée auminimum six mois après l’arrêt de la radiothérapie. Le délaimoyen entre la fin de la radiothérapie et la première séancede lipofilling est de sept mois (six à 180 mois). Le délai moyenentre deux séances de lipofilling est de 3,2 mois (un à14 mois) (Fig. 1). Le nombre moyen de séances avant posede l’implant est de 2,3 (une à six séances). Le volume moyende graisse injectée lors de chaque séance est de 115 cm3. Ledélai moyen entre le premier lipofilling et l’implantation estde 5,8 mois (1,6—23 mois). Le volume moyen des implantsétait de 300 mL (185—400 mL).

Un geste de symétrisation a été effectué dans 43 cas(63,2 %). Une plastie mammaire de réduction a été réaliséedans 20 cas et d’augmentation dans 23 cas. Ces procédures desymétrisation étaient réalisées au moment de la RMD pro-thétique dans 21 cas et secondairement dans 22 cas (Fig. 2).

Au cours de cette étude, aucune récidive tumorale localen’a été diagnostiquée.

Lors du suivi, nous avons noté la survenue de trois nou-veaux cancers chez trois patientes :

� une patiente a présenté un carcinome sur le sein contro-latéral, traité par mastectomie ;� une patiente a développé un carcinome invasif métasta-

tique (métastases osseuses et hépatiques) sur le seincontrolatéral, symétrisé, 12 mois après la chirurgieconjointe de pose d’implant et de mastopexie ;� une patiente a présenté un adénocarcinome ovarien avec

évolution métastatique (carcinose péritonéale).

Complications

Il n’y a eu aucune complication liée au transfert de graisseque ce soit au niveau du site donneur ou du site receveur.

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Figure 1 Aspect préopératoire (photo à gauche), après deux séances de lipofilling (photo au milieu) et après reconstructionmammaire droite par prothèse (photo à droite). Il faut noter que la patiente a eu secondairement une mastectomie gauche avecreconstruction immédiate par prothèse.

38 I. Sarfati et al.

Après la reconstruction par prothèse, quatre patientes ontdéveloppé des complications précoces à type de sérome :deux se sont résorbés spontanément, un a nécessité uneaspiration à l’aiguille en consultation et un s’est fistulisésecondairement avec exposition de l’implant nécessitantune explantation six mois après l’implantation. Ainsi le tauxd’explantation de notre série est de 1,47 % (1/68). Aucunecoque périprothétique symptomatique (Baker III ou IV) n’aété retrouvée.

Évaluation cosmétique

Le score moyen de satisfaction vis-à-vis du résultat esthé-tique de la reconstruction était de 4,5 (3,5—5). Plus de 80 %des résultats de la reconstruction étaient jugées bons et trèsbons par l’équipe chirurgicale et les patientes (Fig. 3 et 4).

Discussion

La RMD par implant après mastectomie et radiothérapie de laparoi thoracique est caractérisée par un taux élevé (> 30 %)de complications [9,10] et de mauvais résultats cosmétiquesdu fait du manque de laxité, de la mauvaise vascularisationdes téguments ainsi que de la fibrose post-radique du musclerecouvrant l’implant [11].

La principale alternative est une reconstruction autolo-gue par lambeau pédiculé ou libre dont on sait qu’elle donnede bons résultats cosmétiques et un taux moindre de compli-cations [12—16]. Toutefois, celle-ci n’est pas toujours

Figure 2 Aspect préopératoire (photo à gauche) et résultat postoreconstruction mammaire droite par prothèse. Symétrisation du se

possible du fait de conditions locales inadéquates ou du refusdes patientes.

L’intérêt du lipofilling dans la prise en charge des séquel-les de traitement conservateur du cancer du sein, dansl’amélioration des résultats cosmétiques des reconstructionsmammaires a déjà fait l’objet de plusieurs travaux [17—20].En effet, cette technique permet, du fait de ses propriétésvolumatrices, d’augmenter l’épaisseur du tissu sous-cutané.Par ailleurs, Mojallal et al. ont démontré l’effet positif dutransfert de graisse autologue sur la qualité de la peau. Cetteaction reposerait sur une amélioration de la vascularisationinduisant un épaississement du derme et de l’hypoderme [4].Le lipofilling permet également une amélioration de latrophicité cutanée du fait de la sécrétion par les adipocytesde nombreux facteurs de croissance. Rigotti et al. ont étudiél’effet de la greffe d’adipocytes sur les séquelles chroniquesde radiodermite et ont mis en évidence une améliorationtrophique significative [6]. Les propriétés susmentionnées dutransfert de graisse présentent un intérêt clinique majeurlorsque est envisagée une reconstruction mammaire pro-thétique après irradiation pariétale. Le lipofilling préalablede la paroi thoracique irradiée a pour la première fois étédécrit par Salgarello et al. dans une publication portant surdeux cas [21]. Serra-Renom et al. ont utilisé aussi le lipofill-ing associé à une reconstruction prothétique sur une série de65 cas, mais leur injection de graisse était contemporaine dela pose d’implant. Cette approche nous paraît tronquée carelle ne permet pas à la paroi irradiée de bénéficier des effetsrégénératifs de la graisse avant la mise en place de l’implant[22].

pératoire (photo à droite) après deux séances de lipofilling etin gauche par « Round Block » et augmentation mammaire.

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Figure 3 Aspect préopératoire (photo à gauche) et résultat postopératoire (photo à droite) après une séance de lipofilling etreconstruction mammaire gauche par prothèse.

Reconstruction mammaire par implant après mastectomie et irradiation 39

La plus importante série de lipofilling préalable à unereconstruction prothétique a été publiée par notreéquipe : l’étude prospective d’une série de 28 patientsa permis de mettre en évidence les bénéfices apportéspar un, ou plusieurs, lipofillings préalables à une recon-struction prothétique après mastectomie et radiothéra-pie. En effet, nous avions observé un faible taux decomplications postopératoires et des résultats cosméti-ques satisfaisants [7].

Quarante patientes supplémentaires ont été incluses dansnotre série initiale et l’analyse de la population totale de68 patientes, qui correspond à la plus importante sériepubliée à ce jour, confirment nos précédentes conclusions.Ainsi, le lipofilling préalable de la paroi thoracique avantreconstruction prothétique en terrain irradié permet d’obte-nir des résultats cosmétiques satisfaisants avec un faibletaux de complications (5,9 %). Le taux de dépose d’implantest proche de celui des RM prothétiques en territoire nonirradié [9—16] et dix fois inférieur aux taux retrouvés dans lalittérature (1,47 % versus 15 %) pour la reconstruction pro-thétique en terrain irradié [9—16]. Ces résultats s’expliquentprobablement par l’amélioration de la trophicité cutanée etpar l’augmentation de l’épaisseur du tissu sous-cutanéerecouvrant l’implant, induites par le lipofilling, permettantainsi une fermeture plus sure, une meilleure couverture del’implant et un meilleur aspect cosmétique. Par ailleurs,aucune coque symptomatique (Baker III et IV) n’a été cons-tatée, avec un recul moyen de 23 mois. Ces constatationsvont dans le sens de celles de Panettiere et al. qui ont

Figure 4 Aspect préopératoire (photo à gauche) et résultat posreconstruction mammaire gauche par prothèse. Augmentation mam

observé un assouplissement d’une coque périprothétiqueaprès lipofilling [23]. Cependant, cette absence de coquesymptomatique doit être prise avec prudence car notre sériene présente pas un recul suffisant pour affirmer de manièrecertaine l’effet bénéfique de la graisse sur la cicatrisationpériprothétique.

Enfin, d’un point de vue oncologique, les résultats denotre série, bien que le suivi moyen soit limité (23 mois),concordent avec les conclusions de nombreuses études cli-niques qui ne retrouvaient pas d’augmentation du taux derécidive cancéreuse après lipofilling [24,25].

Notre approche présente cependant plusieurs inconvé-nients. Tout d’abord, elle requiert plusieurs interventionschirurgicales sous anesthésie générale. Une de nos patientesa eu six lipofillings avant la mise en place d’un implant alorsqu’une reconstruction par lambeau permet une reconstruc-tion complète en une seule étape. De plus, les séances delipofilling retardent la pose de l’implant, et donc la recon-struction, ce qui peut être frustrant pour les patientes quidoivent en être prévenues. La patiente ayant recours à cettetechnique s’engage donc dans un processus de reconstruc-tion plus long et potentiellement plus coûteux. Enfin, étantdonné la discordance entre les études expérimentales ayantdémontré la capacité des adipocytes à stimuler la proliféra-tion de cellules tumorales [26,27] et les études cliniquesn’ayant pas amené la preuve d’un plus grand taux de récidivede cancer du sein après injection de graisse [24,25], cespatientes doivent bénéficier d’un suivi régulier, reposant surun examen clinique et un bilan d’imagerie.

topératoire (photo à droite) après une séance de lipofilling etmaire droite de symétrisation.

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40 I. Sarfati et al.

Conclusion

L’analyse de cette série prospective monocentrique incluant68 patientes montre que la RMD prothétique avec lipofil-ling(s) préalable(s) peut être une alternative à la RMD auto-logue par lambeau chez les patientes après mastectomie etirradiation de la paroi thoracique. Le faible taux de déposed’implant (1,47 %) et l’obtention de résultats cosmétiquesbons, voire très bons, dans 80 % des cas soulignent l’intérêtde cette approche chez ces patientes.

Des études prospectives avec un recul plus important sontcependant nécessaires à la confirmation de nos observationset pourraient contribuer à mettre en évidence l’intérêt dulipofilling en reconstruction mammaire notamment aprèsradiothérapie.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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