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Jeudi 10 juin matin Travail atypique, mobilité des salariés... et suivi médical Responsables: P. FRIMAT (Lille), E. BANNWARTH (Bordeaux) T EXTES DES EXPERTS Travail atypique et santé au travail : le point de vue d’un juriste québécois K. LIPPEL Université de Québec, Canada. Le travail atypique présente des défis d’envergure pour les res- ponsables de santé au travail chargés d’assurer à toute personne qui travaille des conditions sécuritaires. Pour identifier la nature de ces défis, il est essentiel de circonscrire avec précision les différentes formes que peut prendre le travail atypique et les enjeux particuliers que comporte, dans ce contexte, l’application de la législation en matière de santé au travail, législation qui soutient l’intervention des acteurs mandatés pour prévenir une lésion professionnelle ou octroyer l’indemnisation au travailleur qui en est atteint. Dans cette communication, nous allons explorer les différentes formes que peut prendre le travail atypique : le travail peut être atypique en raison du lieu de travail, dans les cas du télétravail et du travail à domicile ; il peut l’être en raison du temps de travail, dans les cas du travail à temps partiel, sur appel, temporaire ou saisonnier ; il peut l’être aussi en raison des relations contractuel- les particulières, dans les cas des travailleurs autonomes, ou des travailleurs inscrits dans des relations de travail triangulaires. Dans tous ces cas, l’analyse peut se complexifier lorsqu’il y a cumul de contrats de travail, une même personne ayant plusieurs relations de travail, chacune impliquant des particularités contractuelles. Cette analyse préalable des formes de travail atypique est nécessaire si on veut bien saisir les enjeux particuliers qu’elles comportent en matière de santé au travail. Au Québec, la loi sur la santé et la sécurité du travail encadre le mandat de prévention, définit les droits et les obligations des travailleurs et des employeurs, assure la mise sur pied de programmes de préven- tion dans des secteurs prioritaires et prévoit un pouvoir réglemen- taire en ce qui concerne l’établissement des normes d’exposition permises. Cette loi a été adoptée alors que le travail atypique représentait un phénomène véritablement marginal, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous examinerons les conséquences de cette transformation du marché du travail sur l’efficacité des outils dont nous disposons pour assurer des conditions de travail sécuritaires et saines, en soulignant certains problèmes particu- liers soulevés par le travail à domicile, le travail autonome et la sous-traitance. Du côté de l’indemnisation, nous soulignerons notamment les difficultés qui surgissent lorsqu’on essaie d’établir le caractère professionnel d’une maladie détectée chez un travailleur qui a cumulé plusieurs statuts durant sa carrière ou qui a travaillé pour une agence de travail temporaire. La loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles assure l’indemnisation des victimes de lésions professionnelles.. Toutefois, en cas de maladie, le travailleur québécois qui ne peut pas se prévaloir de cette loi fera face à un régime de sécurité sociale fort inadéquat : seule l’assurance privée, à laquelle il n’est pas obligatoire de souscrire, pourra lui garantir un soutien prolongé du revenu. Dans ce contexte, la capacité de se retirer du travail pour éviter l’aggra- vation d’une maladie dépend en bonne partie de la reconnais- sance de la lésion professionnelle, reconnaissance qui s’avère souvent plus problématique dans les cas de travail atypique. En conclusion, nous tenterons d’identifier, parmi les résultats de la recherche menée dans le contexte québécois, ceux qui pourraient s’avérer pertinents pour la médecine du travail dans d’autres pays. L’augmentation exponentielle du travail atypique n’est pas un phénomène national, et les difficultés que soulève ce phénomène sont, à certains égards, des difficultés tout au moins partiellement généralisables. Nous espérons tracer des pistes de réflexion et de recherche qui permettront aux participants d’iden- tifier les enjeux qui leur sont propres et d’aborder ces questions dans le contexte français. © Masson, Paris, 2004 Arch. mal. prof., 2004, 65, n° 2-3, 206-213

Travail atypique et santé au travail : le point de vue d’un juriste québécois

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Page 1: Travail atypique et santé au travail : le point de vue d’un juriste québécois

Jeudi 10 juin matin

Travail atypique, mobilité des salariés...et suivi médical

Responsables : P. FRIMAT (Lille), E. BANNWARTH (Bordeaux)

TEXTES DES EXPERTS

Travail atypique et santé au travail :le point de vue d’un juriste québécois

K. LIPPEL

Université de Québec, Canada.

Le travail atypique présente des défis d’envergure pour les res-ponsables de santé au travail chargés d’assurer à toute personnequi travaille des conditions sécuritaires. Pour identifier la naturede ces défis, il est essentiel de circonscrire avec précision lesdifférentes formes que peut prendre le travail atypique et lesenjeux particuliers que comporte, dans ce contexte, l’applicationde la législation en matière de santé au travail, législation quisoutient l’intervention des acteurs mandatés pour prévenir unelésion professionnelle ou octroyer l’indemnisation au travailleurqui en est atteint.

Dans cette communication, nous allons explorer les différentesformes que peut prendre le travail atypique : le travail peut êtreatypique en raison du lieu de travail, dans les cas du télétravail etdu travail à domicile ; il peut l’être en raison du temps de travail,dans les cas du travail à temps partiel, sur appel, temporaire ousaisonnier ; il peut l’être aussi en raison des relations contractuel-les particulières, dans les cas des travailleurs autonomes, ou destravailleurs inscrits dans des relations de travail triangulaires.Dans tous ces cas, l’analyse peut se complexifier lorsqu’il y acumul de contrats de travail, une même personne ayant plusieursrelations de travail, chacune impliquant des particularitéscontractuelles.

Cette analyse préalable des formes de travail atypique estnécessaire si on veut bien saisir les enjeux particuliers qu’ellescomportent en matière de santé au travail. Au Québec, la loi sur lasanté et la sécurité du travail encadre le mandat de prévention,définit les droits et les obligations des travailleurs et desemployeurs, assure la mise sur pied de programmes de préven-tion dans des secteurs prioritaires et prévoit un pouvoir réglemen-taire en ce qui concerne l’établissement des normes d’expositionpermises. Cette loi a été adoptée alors que le travail atypiquereprésentait un phénomène véritablement marginal, ce qui n’estplus le cas aujourd’hui. Nous examinerons les conséquences de

cette transformation du marché du travail sur l’efficacité desoutils dont nous disposons pour assurer des conditions de travailsécuritaires et saines, en soulignant certains problèmes particu-liers soulevés par le travail à domicile, le travail autonome et lasous-traitance.

Du côté de l’indemnisation, nous soulignerons notamment lesdifficultés qui surgissent lorsqu’on essaie d’établir le caractèreprofessionnel d’une maladie détectée chez un travailleur qui acumulé plusieurs statuts durant sa carrière ou qui a travaillé pourune agence de travail temporaire. La loi sur les accidents dutravail et les maladies professionnelles assure l’indemnisationdes victimes de lésions professionnelles.. Toutefois, en cas demaladie, le travailleur québécois qui ne peut pas se prévaloir decette loi fera face à un régime de sécurité sociale fort inadéquat :seule l’assurance privée, à laquelle il n’est pas obligatoire desouscrire, pourra lui garantir un soutien prolongé du revenu. Dansce contexte, la capacité de se retirer du travail pour éviter l’aggra-vation d’une maladie dépend en bonne partie de la reconnais-sance de la lésion professionnelle, reconnaissance qui s’avèresouvent plus problématique dans les cas de travail atypique.

En conclusion, nous tenterons d’identifier, parmi les résultatsde la recherche menée dans le contexte québécois, ceux quipourraient s’avérer pertinents pour la médecine du travail dansd’autres pays. L’augmentation exponentielle du travail atypiquen’est pas un phénomène national, et les difficultés que soulève cephénomène sont, à certains égards, des difficultés tout au moinspartiellement généralisables. Nous espérons tracer des pistes deréflexion et de recherche qui permettront aux participants d’iden-tifier les enjeux qui leur sont propres et d’aborder ces questionsdans le contexte français.

© Masson, Paris, 2004 Arch. mal. prof., 2004, 65, n° 2-3, 206-213