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Travaillons sans relâche à une plus grande intégration économique et institutionnelle de la zone Euro ! Le Commissaire aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’Union douanière, M. Pierre Moscovici, a présenté fin janvier, devant l’Institut Bruegel, son analyse personnelle des pistes d’approfondissement institutionnel de la zone Euro 1 . Cette réflexion n’est menée aujourd’hui que par certains cercles d’experts ou par de grandes figures européennes 2 mais est délaissée par les Etats qui, après avoir géré les épisodes aigus de la crise financière dans l’urgence, tentent de conforter la faible et inégale reprise de l’activité dans la zone. Ce sujet est pourtant essentiel pour la stabilité et la soutenabilité de l’Union économique et monétaire (UEM) et apparaît comme un moyen de réaffirmer tout à la fois un projet pour les peuples et une exemplarité européenne dans le monde. Il est donc utile de rendre compte ici des grandes lignes du propos du Commissaire, en critiquant marginalement ses propositions pour l’avenir de l’UEM. M. Pierre Moscovici rappelle que l’UEM a été déficiente dans deux domaines : la prévention des crises, puisque les institutions européennes et les États ont été dans l’incapacité de prévenir et de maîtriser les déséquilibres macroéconomiques et d’accompagner des réformes structurelles régulières des États ; la résolution des crises, ce qui a contraint les Etats à mettre en place des solutions rapides et créées de toutes pièces pour gérer l’interaction des risques bancaires et souverains, particulièrement forte en 2012. Certes, les dirigeants européens auront, en gérant les tensions de la zone Euro, fait progresser l’intégration de la zone et le cadre de la gouvernance économique : l’Union bancaire, le Mécanisme européen de stabilité, les « Six » et « Two » packs, les flexibilités de la politique monétaire de la BCE ou du Pacte de stabilité en témoignent. Toutefois, beaucoup reste à faire alors que le contexte macroéconomique demeure incertain. En effet, le retour de la croissance dans la zone depuis 2014 est à la fois faible et inégal, contraignant l’efficacité de la politique monétaire unique et soulignant la qualité médiocre des politiques économiques conduites par les États. Comme le souligne M. Pierre Moscovici les mécanismes d’ajustement sont encore faibles ; le désendettement public et privé n’est pas terminé ; l’inflation est très basse, rendant la réduction de la dette et l’ajustement des prix relatifs difficile ; la croissance de l’emploi est trop faible pour faire baisser le chômage ; et le faible niveau de l’investissement bride la croissance. Les Etats réalisent difficilement leurs agendas de réformes structurelles dans une UEM encore très imparfaite. Il est donc nécessaire d’atteindre mieux deux objectifs: la reprise de la zone Euro et son renforcement institutionnel de long terme 3 . Conforter et mieux répartir la reprise à court terme, renforcer les institutions de la zone Euro à moyen et long terme A court terme, l’activité peut être soutenue par des politiques structurelles, monétaires et fiscales proactives et mieux coordonnées, ce qui implique notamment un effort des pays excédentaires. Trois priorités se distinguent, pour le Commissaire : relancer l’investissement par le « plan Juncker », regroupant un vivier de projets, des outils de modernisation du financement des économies, et un environnement d’investissement plus attractif 4 ; confirmer l’engagement aux réformes structurelles, aux niveaux nationaux (marchés du travail et des biens, environnement favorable aux entreprises) et européens (parachèvement du marché unique dans l’énergie, le digital et les télécoms) ; et, enfin, raffermir la responsabilité fiscale des Etats en contrôlant toujours mieux leurs niveaux de dette et de déficit et en améliorant la qualité de leurs dépenses publiques. 1 Voir le discours du Commissaire le 20 janvier 2015 à l’Institut Bruegel, disponible sur : http://www.bruegel.org/nc/blog/detail/view/1547-deepening-economic-and-monetary-union/ 2 Voir, par exemple, les ouvrages de Valéry Giscard d’Estaing et de François de Galhau. 3 Pierre Moscovici indique que ces deux objectifs ont été suivis parallèlement depuis le début de la crise, mais que chacun a été partiellement atteint. Il est donc nécessaire de les réaliser pleinement. 4 Voir à ce sujet les contributions « Questions d’Europe » de M. Philippe Maystadt, ancien Président de la Banque européenne d’investissement (BEI) et d’Olivier Marty à la Fondation Schuman, notamment (http://www.robert-schuman.eu/fr/st-6-l-union- economique-et-monetaire/1/1/).

Travaillons sans relâche à une plus grande intégration économique et institutionnelle de la zone euro

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Analyse de Olivier Marty, Maître de conférences à l’ESSEC et adhérent de Stand Up for Europe

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  • Travaillons sans relche une plus grande intgration conomique et institutionnelle de la zone Euro !

    Le Commissaire aux Affaires conomiques et financires, la fiscalit et lUnion douanire, M. Pierre Moscovici, a prsent fin janvier, devant lInstitut Bruegel, son analyse personnelle des pistes dapprofondissement institutionnel de la zone Euro

    1. Cette rflexion nest mene aujourdhui que par

    certains cercles dexperts ou par de grandes figures europennes2 mais est dlaisse par les Etats

    qui, aprs avoir gr les pisodes aigus de la crise financire dans lurgence, tentent de conforter la faible et ingale reprise de lactivit dans la zone. Ce sujet est pourtant essentiel pour la stabilit et la soutenabilit de lUnion conomique et montaire (UEM) et apparat comme un moyen de raffirmer tout la fois un projet pour les peuples et une exemplarit europenne dans le monde. Il est donc utile de rendre compte ici des grandes lignes du propos du Commissaire, en critiquant marginalement ses propositions pour lavenir de lUEM. M. Pierre Moscovici rappelle que lUEM a t dficiente dans deux domaines : la prvention des crises, puisque les institutions europennes et les tats ont t dans lincapacit de prvenir et de matriser les dsquilibres macroconomiques et daccompagner des rformes structurelles rgulires des tats ; la rsolution des crises, ce qui a contraint les Etats mettre en place des solutions rapides et cres de toutes pices pour grer linteraction des risques bancaires et souverains, particulirement forte en 2012. Certes, les dirigeants europens auront, en grant les tensions de la zone Euro, fait progresser lintgration de la zone et le cadre de la gouvernance conomique : lUnion bancaire, le Mcanisme europen de stabilit, les Six et Two packs, les flexibilits de la politique montaire de la BCE ou du Pacte de stabilit en tmoignent. Toutefois, beaucoup reste faire alors que le contexte macroconomique demeure incertain. En effet, le retour de la croissance dans la zone depuis 2014 est la fois faible et ingal, contraignant lefficacit de la politique montaire unique et soulignant la qualit mdiocre des politiques conomiques conduites par les tats. Comme le souligne M. Pierre Moscovici les mcanismes dajustement sont encore faibles ; le dsendettement public et priv nest pas termin ; linflation est trs basse, rendant la rduction de la dette et lajustement des prix relatifs difficile ; la croissance de lemploi est trop faible pour faire baisser le chmage ; et le faible niveau de linvestissement bride la croissance. Les Etats ralisent difficilement leurs agendas de rformes structurelles dans une UEM encore trs imparfaite. Il est donc ncessaire datteindre mieux deux objectifs: la reprise de la zone Euro et son renforcement institutionnel de long terme

    3.

    Conforter et mieux rpartir la reprise court terme, renforcer les institutions de la zone Euro moyen et long terme A court terme, lactivit peut tre soutenue par des politiques structurelles, montaires et fiscales proactives et mieux coordonnes, ce qui implique notamment un effort des pays excdentaires. Trois priorits se distinguent, pour le Commissaire : relancer linvestissement par le plan Juncker , regroupant un vivier de projets, des outils de modernisation du financement des conomies, et un environnement dinvestissement plus attractif

    4 ; confirmer lengagement aux rformes structurelles,

    aux niveaux nationaux (marchs du travail et des biens, environnement favorable aux entreprises) et europens (parachvement du march unique dans lnergie, le digital et les tlcoms) ; et, enfin, raffermir la responsabilit fiscale des Etats en contrlant toujours mieux leurs niveaux de dette et de dficit et en amliorant la qualit de leurs dpenses publiques.

    1

    Voir le discours du Commissaire le 20 janvier 2015 lInstitut Bruegel, disponible sur : http://www.bruegel.org/nc/blog/detail/view/1547-deepening-economic-and-monetary-union/ 2 Voir, par exemple, les ouvrages de Valry Giscard dEstaing et de Franois de Galhau.

    3 Pierre Moscovici indique que ces deux objectifs ont t suivis paralllement depuis le dbut de la crise, mais que chacun a t

    partiellement atteint. Il est donc ncessaire de les raliser pleinement. 4 Voir ce sujet les contributions Questions dEurope de M. Philippe Maystadt, ancien Prsident de la Banque europenne

    dinvestissement (BEI) et dOlivier Marty la Fondation Schuman, notamment (http://www.robert-schuman.eu/fr/st-6-l-union-economique-et-monetaire/1/1/).

  • A moyen-long terme, M. Pierre Moscovici pense que lapprofondissement institutionnel de la zone Euro devrait sorganiser autour de cinq axes

    5 :

    - De meilleures incitations aux rformes structurelles au niveau national : le Commissaire

    rappelle que le Pacte de stabilit les prend aujourdhui mieux en compte de mme que le Semestre europen. Ces avances peuvent, selon lui, servir dexemples pour de nouvelles dispositions ou cooprations alliant mieux la carotte et le bton , sans toutefois prciser lesquelles. Bruegel a propos rcemment, pour sa part, de crer un Conseil de comptitivit europen, coordonnant laction de la Commission europenne et de nouveaux Conseils nationaux ddis, en particulier sur la formation des salaires

    6. Un enjeu plus large concerne la

    coordination inter-gouvernementale dautres rformes structurelles, que le Trsor franais promeut depuis 2008 pour les secteurs exposs et les marchs du travail

    7 ;

    - Avoir un mcanisme dajustement au niveau de lUEM : une capacit budgtaire propre,

    en plus du nouveau mcanisme dinvestissement du plan Juncker , pourrait assurer la stabilit macroconomique et financer des biens publics (dfense ou scurit intrieure, par exemple). Cette capacit aurait des ressources autonomes et/ou une capacit demprunt. La gestion de cette capacit demprunt et ses liens avec la mise en uvre de rformes structurelles nationales ne sont toutefois pas dtaills. Aussi, il nest pas prcis quune capacit demprunt ne pourrait vraisemblablement venir quaprs un retour durable de la croissance et de la convergence macroconomique dans la zone, ce qui fut lun des problmes handicapant la proposition prcoce des Eurobonds

    8 ;

    - Amliorer la lgitimit dmocratique et la responsabilit des dirigeants europens : le

    Commissaire souhaite, en rappelant notamment le trs fort rejet populaire provoqu par la Troka en Grce, une implication accrue du Parlement europen et des parlements nationaux dans la surveillance des politiques communes la zone Euro. Il ne prcise toutefois pas comment une ventuelle reprsentation parlementaire ddie la zone Euro serait compose ni quels seraient ses pouvoirs. En ce qui concerne la reprsentation, un modle hybride , rassemblant des parlementaires europens et nationaux, parat plus souhaitable quun modle purement europen

    9 ;

    - Prvoir que le Commissaire aux Affaires conomiques et financires devienne Ministre

    des Finances de la zone Euro : Pierre Moscovici indique que cette perspective dcoulera dune meilleure collaboration des Directions gnrales ECFIN et TAXUD (en charge des questions fiscales et de lUnion douanire)

    10. Il faut saluer les progrs tablis en ce sens,

    puisque le Commissaire a prsent un projet, certes porteur de risques11

    , de Directive sur loptimisation fiscale, dans la ligne des progrs pralablement effectus en matire dvasion fiscale. La Commission devra toutefois aussi satteler lharmonisation des fiscalits dentreprise ou des produits dpargne, notamment dans le cadre de lUnion des marchs de capitaux ;

    5 Le Commissaire reconnat que cette perspective impliquerait un changement de Trait et de la lgislation secondaire.

    6 Voir la contribution de MM. Sapir et Wolff, Euro area governance : what to reform and how to do it ? disponible sur

    http://www.bruegel.org/publications/publication-detail/publication/870-euro-area-governance-what-to-reform-and-how-to-do-it/ 7 Voir la note Trsor-Eco , juin 2008 (n38), Faut-il coordonner les rformes structurelles en zone Euro ? , disponible sur :

    http://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-eco 8 On se souvient que certains Etats ou figures du dbat conomique avaient propos de crer des Eurobonds ds le dbut

    de la crise grecque. Lorsquelle tait mise par des tats ou des conomistes de pays impcunieux et peu rforms, tels la France, cette proposition ne pouvait pas tre crdible. Elle ltait encore moins par ceux dont les indicateurs macroconomiques avaient trop diverg avant la crise et qui mettaient en uvre des rformes drastiques pour que lassurance ft donne aux pays potentiellement perdants dun mcanisme de mutualisation des dettes (Allemagne, France, pays nordiques) que le cot de lopration serait couvert par un regain de stabilit de la zone. Enfin, des transferts plus rapides entre les tats devaient tre prvus et ont t mis en place avec le FESF et le MES. 9 Voir ce sujet larticle dO. Marty, Comment gouverner la zone Euro , publi par la Revue Esprit en aout-septembre 2014,

    faisant le point sur les diffrentes propositions de Parlement de la zone Euro mises par des praticiens ou universitaires de diffrents pays europens, disponible sur (payant) : http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=38090 10

    Pierre Moscovici indique que la question de lintgration du Prsident de lEurogroupe la Commission se posera plus tard, dans le long terme . 11

    Le projet de directive sur loptimisation fiscale souhaite tablir la transparence des rescrits fiscaux ( tax rulings ) des grands groupes au bnfice des administrations nationales comme de la Commission. Le Parlement europen voudrait ltendre toutes les activits des groupes concerns, ce qui risquerait daffaiblir ces derniers alors que les pays mergents souhaitent revoir les rgles fiscales mondiales pour bnficier dune plus grande part de lassiette imposable des entreprises occidentales. Les conflits entre administrations et la confusion des opinions publiques risqueraient aussi de saccrotre, affichant nouveau les divisions europennes au grand jour.

  • - Une meilleure reprsentation extrieure de lUEM : lEuro est la deuxime monnaie

    mondiale mais ne boxe pas dans sa catgorie en raison de la dispersion des voix de ses Etats dans les diffrentes enceintes internationales et vis vis des pays mergents (FMI, fora de rgulation financire, relations avec la Chine ou lInde ). Ce sujet est essentiel pour la dfense des intrts conomiques et stratgiques de la zone et pour lutilisation de lEuro comme monnaie de rserve. Le Commissaire indique que des propositions seront faites en ce sens ds 2015. De nombreux travaux pourront laider en ce sens

    12 !

    Pour le nouveau Commissaire aux Affaires conomiques, qui a dj fait preuve dhabilet politique sur les sujets dont il a la charge et qui semble trs conscient de lattente politique que suscite le nouvel excutif, la zone Euro devra lavenir tre emprunte de plus de solidarit et de responsabilit, de rgles quand cela sera possible et de dcisions discrtionnaires quand cela sera ncessaire, et dun meilleur contrle dmocratique tout le temps . Un dbat trs utile est ainsi relanc, un projet pour lEurope est a porte de main pour peu que les tats parviennent dpasser leurs divisions et leurs contraintes de court terme. Certes, il est loign des proccupations immdiates des dirigeants europens et prendra assurment plusieurs annes, mais il ne faut pas le perdre de vue pour viter que la zone Euro ne traverse nouveau les troubles inous quelle a, en partie trs injustement, connu de 2010 2012. Le parachvement de la zone Euro doit aussi conforter le soutien des citoyens la monnaie unique, qui na gure faibli et reste lev au Sud comme au Nord

    13.

    Stand up for Europe continuera de suivre attentivement ce sujet !

    Olivier Marty, Matre de confrences lESSEC

    12

    Voir rcemment la contribution de D. Schwarzer et alii au projet et au Rapport Think global, Act European (TGAE), Thinking strategically about the EUs external action de lInstitut Delors, disponible sur http://www.institutdelors.eu/011-15539-Vers-une-representation-exterieure-commune-de-la-zone-euro.html 13

    A lautomne 2013, 52% des Europens soutenaient lUEM avec une monnaie unique, selon un sondage TNS command par la Commission et 41% sy dclaraient opposs. 63% de citoyens de la zone Euro approuvaient la monnaie unique, le taux le plus fort tant celui du Luxembourg (79%) suivi peu aprs par lAllemagne (71%) et la France (63%). Les citoyens de Chypre taient alors les seuls de la zone Euro y tre majoritairement opposs (44% en faveur, seulement).