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Tribunal administratif N° 38776 du rôle
du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 novembre 2016
1re chambre
Audience publique du 28 février 2018
Recours formé par
la société anonyme ..., …
contre une décision du ministre de l’Environnement
en matière de quotas d’émission de gaz à effet de serre
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38776 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif en date du 29 novembre 2016 par Maître Nicolas Bannasch, avocat à la Cour,
inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ...,
établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration
actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg
sous le n° B…, tendant à la réformation d’un arrêté du 31 octobre 2016 rendu par le ministre
de l’Environnement portant :
- obligation de restituer 6.428 quotas d’émissions pour l’année de surveillance 2015
au sein du registre luxembourgeois des émissions de gaz à effet de serre pour le 30 avril
2017,
- fixation d’une amende sur les émissions excédentaires, à savoir une amende
s’élevant à 100 euros par quota non restitué, soit … euros, laquelle doit être payée pour le 30
novembre 2016,
- publication du nom de la partie requérante sur le site internet de l’Administration de
l’Environnement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 22 février
2017 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Murielle Zins, en
remplacement de Maître Nicolas Bannasch, et Madame le délégué du gouvernement Nancy
Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 janvier 2018.
___________________________________________________________________________
Par un arrêté du 31 octobre 2016, portant la référence « ...», le ministre de
l’Environnement, ci-après désigné par « le ministre », agissant dans le cadre de la loi du 23
décembre 2004 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de
serre, ci-après désigné par « la loi du 23 décembre 2004 », décida ce qui suit :
« Vu la loi modifiée du 23 décembre 2004 établissant un système d’échange de quotas
d’émission de gaz à effet de serre et notamment ses articles 13 paragraphe 2bis et 20
paragraphe 3 ;
2
Vu le règlement UE n° 601/2012 de la Commission du 21 juin 2012 relatif à la
surveillance et à la déclaration des émissions de gaz à effet de serre au titre de la directive
2003/87/CE du Parlement européen du Conseil ;
Vu le règlement (UE) n° 389/2013 de la Commission du 2 mai 2013 établissant un
registre de l’Union conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du
Conseil et aux décisions n° 280/2004/CE et n° 406/2009/CE du Parlement européen et du
Conseil et abrogeant les règlements (UE) n° 920/2010 et (UE) n° 1193/2011 de la
Commission ;
Considérant le rapport des émissions de ... du 5 février 2016, établi conformément à
l’article 67 du règlement (UE) n° 601/2012 dans lequel ... déclare avoir émis 6.428 tCO2 en
2015 ;
Considérant que toute tonne émise dans le cadre de la loi du 23 décembre 2014 doit
être restituée au plus tard le 30 avril de l’année civile suivante au sein du compte
d’exploitant aéronef dans le registre des quotas de gaz à effet de serre ;
Considérant que ... n’a pas restitué de quotas pour l’année de surveillance 2015 pour
le 30 avril 2016 ;
Arrête :
Art. 1er.- La restitution de 6.428 quotas d’émissions pour l’année de surveillance
2015 doit être effectuée par ... au sein du registre luxembourgeois des émissions de gaz à
effet de serre pour le 30 avril 2017.
Art. 2. Conformément à l’article 20 paragraphe 3 de la loi du 23 décembre 2004, ...
est tenue de payer une amende sur les émissions excédentaires, à savoir une amende
s’élevant à 100 euros par quota non restitué, soit ...euros. L’amende doit être versée pour le
30 novembre 2016 au plus tard sur le compte […] de l’Administration de l’Enregistrement et
des Domaines du « Bureau des Domaines Luxembourg » avec la mention « amende émission
CO2 excédentaire ».
Art. 4.- Conformément à l’article 20 paragraphe 7 de la loi modifiée du 23 décembre
2004, ... étant en infraction avec l’obligation de restituer suffisamment de quotas, son nom
sera publié sur le site internet de l’Administration de l’environnement.
Art. 5.- Contre la présente décision, un recours peut être interjeté auprès du Tribunal
Administratif statuant comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de
déchéance dans un délai de 40 jours à partir de la notification de la présente décision par
requête signée d’un avocat à la Cour ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 novembre 2016,
la société ..., ci-après désignée par la « ...», a fait introduire un recours tendant à la
réformation de l’arrêté du ministre du 31 octobre 2016 précité.
Aux termes de l’article 20.8 de la loi du 23 décembre 2004 « les décisions prises en
application de la présente loi sont susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif
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qui statue comme juge du fond ». Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans
les 40 jours de la notification de la décision intervenue ».
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation.
Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de
la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse précise que la directive
2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la
directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet
de serre, ci-après désignée par « la directive 2003/87/CE », aurait intégré les activités
aériennes dans le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre découlant
de la directive 2003/87/CE et cela à compter du 1er janvier 2012.
Contrairement aux autres compagnies aériennes établies au Luxembourg, elle-même
ne se serait pas vu allouer de quotas tel que prévu par l’article 12 de la loi du 23 décembre
2004.
Le 5 février 2016, elle aurait dressé le rapport d’émission relatif à l’année 2015
conformément aux prescriptions de l’article 67 du règlement (UE) n° 301/2012, dont il
découlerait qu’elle avait émis 6.428 tCO2 en 2015, ce rapport d’émission ayant été dûment
vérifié le 30 mars 2016.
Après avoir procédé au contrôle légalement requis, elle aurait procédé à
l’enregistrement de ces quotas au registre luxembourgeois ETS et aurait procédé au paiement
requis en date du 19 avril 2016 et aurait, à la même date, transmis les certificats sur le compte
européen EU-100-50223942.
Dès lors, à la date du 19 avril 2016, elle aurait disposé dans son compte de
transactions, de quotas d’émission correspondant aux émissions effectivement émises pour
l’année 2015, les aurait déclarés et les aurait transférés.
La demanderesse déclare avoir eu la certitude d’avoir finalisé la procédure de
restitution, alors que l’ordre aurait été donné et que, suivant un courriel du 19 avril 2016, il
lui aurait été confirmé que la procédure était achevée, ledit courriel précisant « has ended
with a status Completed ».
Cependant, contre toute attente, elle se serait vu notifier le 3 juillet 2016 une
proposition d’arrêté datée du 10 juin 2016, aux termes duquel le ministre se proposait de
prendre un arrêté la contraignant à payer une amende de ...€ au motif qu’elle aurait manqué à
ses obligations telles que résultant de l’article 20, paragraphe (3) de la loi du 23 décembre
2004. Or, la demanderesse estime qu’elle n’aurait pas manqué à son obligation de restitution
des quotas d’émission pour l’année de surveillance 2015 et que, tout au plus, un défaut de
libération pourrait être discutée, qui toutefois ne pourrait pas s’expliquer non plus, puisque
l’ordre aurait été donné en interne de mener la procédure de libération à son terme. La
demanderesse ajoute qu’à supposer que la libération avait fait défaut, seul un manquement
émanant de l’un de ses salariés, respectivement un dysfonctionnement informatique serait en
mesure de l’expliquer. En tout état de cause, la demanderesse souligne qu’elle aurait dès le 4
juillet 2016 procédé à l’achèvement de la libération des certificats. Ainsi, non seulement, elle
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aurait disposé des quotas correspondant aux émissions effectivement émises pour l’année
2015 préalablement au 30 avril 2016, mais elle aurait, en outre, été intimement convaincue
d’avoir finalisé la procédure de restitution, ce qui lui aurait été confirmé par le courriel du 19
avril 2016 précité, position qu’elle aurait d’ailleurs précisé au ministre le 21 juillet 2016.
En droit, la demanderesse estime, en premier lieu, que les articles 20, paragraphes (3)
et (7) de la loi du 23 décembre 2004 ne seraient pas applicables, en argumentant que
l’amende infligée au titre de cet article viserait uniquement la violation de l’obligation pour
un exploitant de détenir de quotas suffisants pour couvrir ses émissions et de ne pas s’en être
procuré sur le marché, de sorte à s’être rendu coupable d’émissions excédentaires, donc non
autorisées. A cet égard, la demanderesse se réfère au point 17 de l’exposé des motifs des
travaux préparatoires de la directive 2003/87/CE.
Elle fait valoir qu’elle-même aurait disposé des quotas correspondant aux émissions
effectivement émises préalablement au 30 avril 2016, de sorte qu’il ne lui appartiendrait plus
d’acquérir sur le marché un nombre de quotas suffisants.
Elle ne serait partant pas rendue coupable d’une pollution supplémentaire.
Elle souligne qu’elle aurait été intimement convaincue d’avoir finalisé la procédure de
restitution, de sorte qu’aucune intention avérée de contourner le système, respectivement de
spéculer sur le marché ne pourrait lui être reprochée.
L’article 20, paragraphe (3) de la loi du 23 décembre 2004 ne couvrirait, d’après la
demanderesse, pas la violation de l’obligation de restitution par un exploitant disposant
effectivement d’un nombre de quotas suffisants au 30 avril de l’année concernée pour couvrir
ses émissions de l’année écoulée et ne s’étant pas rendu coupable d’une pollution supérieure
à la quantité autorisée.
Ce serait partant à tort qu’une amende sur les émissions excédentaires combinée à la
publication sur le site internet de son nom avait été prononcée à son encontre.
En second lieu et à titre subsidiaire pour l’hypothèse où les prescriptions des articles
20, paragraphes (3) et (7) de la loi du 23 décembre 2004 étaient considérées comme
applicables en l’espèce, la demanderesse conclut à une violation des principes
communautaires d’égalité et de libre concurrence à travers les articles 20, paragraphes (3) et
(7) de la loi du 23 décembre 2004.
A cet égard, la demanderesse fait valoir que si la loi du 23 décembre 2004 transposait
en droit luxembourgeois les paragraphes (3) et (4) de l’article 16 de la directive 2003/87/CE,
la même directive aurait fait l’objet d’une transposition en droit français, qui différerait
toutefois considérablement du droit luxembourgeois en ce qu’une déclaration annuelle
d’émissions effectives de dioxyde de carbone devrait être adressée par chaque exploitant
soumis à la réglementation avant le 15 février avec le rapport de l’organisme vérificateur
avant d’être validée par l’inspection des installations classées. En cas de restitution
insuffisante, respectivement de non restitution de quotas, le teneur du registre établirait un
rapport pour le préfet précisant la quantité d’émissions excédentaires et un procès-verbal de
manquement serait dressé par l’inspection des installations classées. Une mise en demeure de
satisfaire à l’obligation de restitution des quotas dans un délai d’un mois serait alors délivrée
5
par le préfet et ce ne serait qu’à défaut de régularisation endéans ledit délai que l’exploitant se
verrait infliger une amende.
Or, le droit luxembourgeois ne prévoirait pas un tel système de mise en demeure, de
sorte que les exploitants luxembourgeois, à la différence de leurs homologues français, ne
seraient pas autorisés à procéder à une régularisation.
L’exploitant luxembourgeois serait dès lors placé dans une situation nettement
défavorable par rapport à l’exploitant français, de sorte que la demanderesse conclut que la
transposition des paragraphes (3) et (4) de l’article 16 de la directive 2003/87/CE en droit
luxembourgeois génèrerait des différences de traitement et contreviendrait ainsi au principe
d’égalité consacré par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). L’inégalité ainsi
consacrée porterait encore atteinte, au principe du libre jeu de la concurrence consacré par le
droit de l’Union Européenne.
Or, une telle différence de traitement, faussant le jeu du marché, ne serait pas justifiée
au regard des objectifs poursuivis par la directive précitée plus particulièrement par rapport
aux objectifs inscrits à son article 1er.
A cet égard, la demanderesse souligne que la mise en place des quotas d’émission de
gaz à effet de serre devrait respecter les droits fondamentaux et nuire le moins possible au
développement économique et à l’emploi.
Il s’en suivrait que l’article 20, pris en ses paragraphes (3) et (7) de la loi du 23
décembre 2004 violerait le principe communautaire d’égalité de traitement et de liberté de
concurrence.
En troisième lieu, et à supposer que l’article 20 de la loi du 23 décembre 2004 ne soit
pas contraire aux principes communautaires d’égalité et de libre concurrence, la
demanderesse fait valoir que l’application d’une amende de 100.- € par quotas d’émissions
pour l’année de surveillance 2015 et la publication de son nom sur le site de l’administration
de l’Environnement, sans que le Luxembourg n’ait instauré des mécanismes d’avis, de
relances et de restitution anticipée, à l’instar de la France, serait encore contraire au principe
communautaire de proportionnalité.
En se référant à un arrêt de la CJUE du 9 février 2012, n° C-210/10, la demanderesse
souligne que l’application de l’article 20, paragraphes (3) et (7) de la loi du 23 décembre
2004 viserait à sanctionner un exploitant s’étant rendu coupable d’une pollution supérieure à
la quantité autorisée, alors que tel ne serait pas son cas puisqu’elle aurait détenu les quotas
requis avant le 30 avril 2016. Ainsi, l’application des sanctions prévues à l’article 20 de
manière automatique, immédiate et sans examen des circonstances propres, serait contraire au
principe de proportionnalité.
La demanderesse demande encore au tribunal de poser à la CJUE trois questions
préjudicielles conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
Européenne (TFUE), ces questions étant libellées comme suit :
« 1° Le principe communautaire d’égalité est-il à interpréter en ce qu’il s’oppose à
l’article 20 de la loi modifiée du 23 décembre 2004 1) établissant un système d’échange de
quotas d’émission de gaz à effet de serre ; 2) créant un fonds de financement des mécanismes
6
de Kyoto, 3) modifiant l’article 13bis de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux
établissement classés en ce que ledit article génère des différences de traitements entre les
exploitants Français et Luxembourgeois soumis à l’obligation de restituer des quotas
d’émissions de gaz à effet de serre alors que ledit article 20 ne prévoit pas de mécanismes
d’avis, de relances et de restitution anticipée tels qu’existant notamment en France
permettant aux exploitants de bonne foi d’être parfaitement informés de leur obligation
restitutive et de ne courir ainsi aucun risque d’amende.
2° Le principe communautaire de libre concurrence est-il à interpréter en ce qu’il
s’oppose à ce que l’article 20 de la loi modifiée du 23 décembre 2004 1) établissant un
système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ; 2) créant un fonds de
financement des mécanismes de Kyoto, 3) modifiant l’article 13bis de la loi modifiée du 10
juin 1999 relative aux établissement classés, en ce que qu’il ne prévoit pas de mécanismes
d’avis, de relances et de restitution anticipée tels qu’existant notamment en France
permettant aux exploitants de bonne foi d’être parfaitement informés de leur obligation
restitutive et de ne courir ainsi aucun risque d’amende, fausse le jeu de la concurrence entre
les exploitants luxembourgeois et les exploitants français.
3° En l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des
mécanismes d’avis, de relances et de restitution anticipée permettant aux exploitants de
bonne foi d’être parfaitement informés des obligations restitutives telles que résultant de la
Directive 2003/87/CE, le principe communautaire de proportionnalité s’oppose-t-il à
l’article 20 de la loi modifiée du 23 décembre 2004 1) établissant un système d’échange de
quotas d’émission de gaz à effet de serre ; 2) créant un fonds de financement des mécanismes
de Kyoto, 3) modifiant l’article 13bis de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux
établissements classés et à l’article 6 de la Directive 2003/87/CE en ses paragraphes 3 et
4 ». .
Enfin, la demanderesse demande, à titre tout fait subsidiaire, un délai de paiement de
l’amende. Elle fait valoir qu’aucune disposition légale ne fixerait de délai quant au paiement
de l’amende. Dans la mesure où le ministre aurait imposé un paiement jusqu’au 30 novembre
2016, elle n’aurait disposé que d’un mois pour s’acquitter du montant réclamé.
Or, eu égard au montant exorbitant de l’amende, sa survie serait compromise et
l’emploi de ses salariés serait menacé, la demanderesse précisant qu’en tout état de cause, elle
ne serait pas en mesure de s’acquitter dudit montant endéans le mois.
S’agissant ensuite de l’obligation lui faite de restituer 6.428 quotas d’émissions pour
l’année 2015, la demanderesse rappelle avoir eu la certitude d’avoir finalisé la procédure de
restitution. Elle précise que le 4 juillet 2016, elle aurait procédé à l’achèvement de la
libération des certificats, de sorte que ce serait à tort que le ministre en aurait ordonné la
restitution dans son arrêté.
Enfin, la demanderesse demande au tribunal d’ordonner l’effet suspensif du recours
pendant le délai d’appel et d’instance d’appel conformément à « l’article 35 de la loi
modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif »,
ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
7
Quant aux faits et rétroactes, et après avoir passé en revue les dispositions législatives
et européenne pertinentes, il expose que la ...aurait ouvert en 2015 un compte d’exploitant
d’aéronef dans la partie luxembourgeoise du registre européen par le biais d’une procédure
complexe comprenant les étapes suivantes : compléter et signer le formulaire contenant toutes
les pièces requises, désigner les représentants autorisés qui doivent s’enregistrer dans la partie
luxembourgeoise du registre et effecteur électroniquement la demande d’ouverture de compte
d’opérateur d’aéronef. Enfin le titulaire du compte devrait signer une convention. Le délégué
du gouvernement précise qu’en l’espèce les utilisateurs et le titulaire de compte n’auraient
pas changé entre l’ouverture du compte en 2015 et 2016.
Pour des raisons de sécurité, un minimum de deux représentants pour le compte serait
obligatoire. Un courriel serait envoyé automatiquement à tous les représentants lorsqu’une
transaction est initiée ou finalisée et le type de transaction effectuée y figurerait également.
Ceci permettrait, en cas de suspicion de fraude, de prendre des mesures adéquates. De plus,
chaque représentant pourrait à tout moment accéder aux informations du compte et se
renseigner sur l’état de conformité de l’opérateur d’aéronef par rapport à ses obligations ETS.
Le délégué du gouvernement précise qu’afin que celle-ci puisse se familiariser
davantage avec ses nouvelles obligations, l’administration de l’Environnement aurait envoyé
à la ...plusieurs courriels et courriers d’information, tout en la mettant en garde qu’une
amende de … € par tonne émise devrait être payée en cas de défaut de restitution des quotas
pour le 30 avril de l’année concernée.
Lors d’une réunion bilatérale avec la ...le 23 janvier 2015, celle-ci aurait reçu une
présentation des obligations ETS, adaptée spécifiquement à ses besoins en tant que nouvel
entrant. A cette occasion, le manuel de l’utilisateur du registre lui aurait été remis et la
présentation lui aurait été envoyée par courriel le jour même.
Lors de cette réunion, il lui aurait été expliqué qu’elle aurait la possibilité de procéder
à une demande d’allocation de quotas gratuits, la directive 2003/87/CE prévoyant que les
nouveaux entrants pourraient surveiller les tonnes/kilomètres parcourus en 2014, sur base
d’un plan de surveillance préalablement approuvé, les déclarer et les vérifier jusqu’au 31
mars 2015. Ceci aurait également été précisé antérieurement à la ...par deux courriels.
Or, la ...n’aurait jamais soumis une telle demande, raison pour laquelle elle ne se
serait pas vu allouer de quotas, contrairement à d’autres compagnies aériennes au
Luxembourg.
La restitution des quotas pour les années 2013 et 2014 se serait faite pour le 30 avril
2015 en conformité avec les dispositions législatives, de sorte qu’il conviendrait d’admettre
que la ...bénéficierait de l’expérience d’un cycle complet de restitution des quotas.
Afin de rappeler à la ...ses obligations en la matière, l’administration aurait envoyé, en
outre, une lettre afférente début janvier 2016.
Le 19 avril 2016, la ...aurait acquis des quotas sur le compte EU-100-5023942, le
détail de la transaction indiquant sans ambiguïté qu’il s’agirait d’une transaction de type « 10-
00 Internal Transfert » au départ d’un compte EU vers leur compte EU et non pas d’une
transaction de restitution « 10-02 Surrender Allowances ». Pour le 30 avril 2016, aucun quota
n’aurait partant été restitué par l’opérateur au sein du registre. La transaction aurait en
8
revanche été initiée au 4 juillet 2016 par un des représentants autorisés, puis validée le 30
novembre 2016 par le second représentant autorisé, rendant la restitution effective. Ainsi, les
6.428 quotas d’émissions seraient désormais restitués, mais seulement en date du 30
novembre 2016.
Par conséquent, et en application de l’article 20, paragraphes (3) et (7) de la loi du 23
décembre 2004, le ministre aurait pris l’arrêté litigieux.
Face à l’argumentation de la société demanderesse suivant laquelle les sanctions
infligées ne lui seraient pas applicables, puisqu’elle aurait détenu les quotas suffisants pour le
30 avril 2016, qu’il n’y aurait pas eu de pollution supplémentaire due à la non restitution et
qu’elle n’aurait pas eu l’intention de contourner le système de restitution de quotas, le
délégué du gouvernement se réfère à un arrêt de la CJUE du 17 octobre 2013, n° C-203/12,
qui aurait porté sur la restitution de quotas et l’application des amendes respectives et qui
aurait clairement précisé le cadre juridique afférent.
Sur base de cette jurisprudence, l’argumentation de la ...serait sans pertinence dans la
mesure où la CJUE aurait précisé que les articles 16, paragraphes (3) et (4) de la directive ne
trouveraient application pas uniquement dans l’hypothèse d’une violation de l’obligation de
ne pas détenir suffisamment de quotas pour couvrir les émissions. Ainsi, suivant la CJUE,
tant que les quotas ne seraient pas restitués, ils resteraient la propriété de l’exploitant qui
pourrait à tout moment les transférer hors de son compte.
De même, par référence à la jurisprudence de la CJUE, le délégué du gouvernement
ajoute qu’une pollution supplémentaire engendrée ne serait pas nécessaire pour l’application
de la sanction litigieuse.
S’agissant du défaut allégué d’intention de contourner le système, le délégué du
gouvernement fait valoir que la directive 2003/87/CE, tout comme la loi du 23 décembre
2004, ne donnerait aucune possibilité à l’autorité compétente de tenir compte de tels
arguments pour la suppression de la peine, celle-ci s’appliquant si le nombre suffisant de
quotas n’a pas été restitué au terme fixé et cela indépendamment des motifs à la base de la
non restitution, respectivement de la restitution incomplète. Cette rigueur s’expliquerait par
l’importance attachée par le législateur européen au processus de restitution, le délégué du
gouvernement soulignant que la condamnation à l’amende ne libérerait en tout cas pas
l’exploitant de l’obligation de restituer les quotas correspondants lors de la campagne de
restitution de l’année suivante.
Si la CJUE avait retenu la possibilité d’un cas de force majeure, tel ne serait
manifestement pas le cas en l’espèce.
Le délégué du gouvernement souligne encore que la publication du nom des
exploitants qui sont en infraction constituerait, par ailleurs, une conséquence automatique de
la violation de l’article 20, paragraphe (3).
S’agissant du moyen fondé sur une violation des principes communautaires d’égalité
et de libre concurrence, le délégué du gouvernement souligne que la loi luxembourgeoise
reprendrait sur ces points quasiment mot par mot les termes utilisés par la directive
2003/87/CE.
9
Il souligne que la directive accorderait une place centrale au processus de restitution
des quotas et notamment aux amendes à infliger en cas de violation. Dès lors, pour une
transposition fidèle et complète de ladite directive, une telle disposition aurait été
indispensable.
Le délégué du gouvernement souligne encore que la matière serait réglementée par
une directive et non pas harmonisée par un règlement, de sorte que les différences au niveau
des dispositions nationales des Etats membres transposant la directive pourraient exister.
Tout en admettant que le législateur français avait prévu une mise en demeure
préalable à l’imposition d’une amende pour restitution de quotas insuffisants, le délégué du
gouvernement donne à considérer qu’une telle mise en demeure ne changerait rien au fait que
les quotas devraient être restitués avant le 30 avril 2016, délai imposé par la directive. Cette
disposition ne constituerait aucune différence considérable de nature à ce que son absence
puisse motiver une violation des principes d’égalité et de libre concurrence.
Le droit européen n’imposerait, en effet, pas un tel système de mise en demeure.
L’arrêt précité de la CJUE indiquerait, certes, qu’un tel système pourrait être utile, mais
préciserait qu’il reviendrait aux Etats membres de décider de son intégration.
Malgré l’absence de dispositions légales expresses prévoyant une mise en demeure, il
ressortirait clairement du dossier et des pièces produites par la demanderesse que celle-ci
aurait été pleinement informée de ses obligations. En janvier 2016, soit 3 mois avant
l’expiration du délai de restitution des quotas, une lettre de rappel lui aurait été envoyée, cette
lettre indiquant clairement l’obligation de restitution ainsi que les textes légaux applicables.
Cette lettre serait partant au moins équivalente à une mise en demeure conformément au
système français, de sorte que la demanderesse ne serait pas fondée à argumenter ne pas avoir
été informée de l’obligation de restitution et à conclure ainsi à une situation défavorable par
rapport aux exploitants français.
S’agissant du moyen fondé sur une violation du principe de proportionnalité, le
délégué du gouvernement souligne que le droit national transposerait de manière fidèle la
directive 2003/87/CE, tout en affirmant que, dans l’arrêt précité du 17 octobre 2013, la CJUE
se serait prononcée, par rapport à la question de la proportionnalité de la sanction à infliger,
en ce sens que l’amende forfaitaire ne pourrait pas être modulée par le juge national au nom
du principe de proportionnalité. Le délégué du gouvernement souligne que la volonté du
législateur européen aurait été clairement celle de mettre en place un système de sanction
effectif pour tous les Etats membres, le niveau élevé de l’amende étant justifié par la
nécessité que les manquements à l’obligation de restituer un nombre suffisant de quotas
soient traités de manière stricte et cohérente dans l’ensemble de l’Union. Ce régime strict
s’expliquerait également dans le contexte international visant à atténuer le changement
climatique, conformément aux engagements pris par l’Union Européenne et les Etats
membres sur la scène internationale afin de participer à un effort collectif de rationalisation et
de réduction des émissions de gaz à effet de serre responsables des changements climatiques
nuisibles à l’environnement.
Le délégué du gouvernement conclut encore au rejet des demandes de saisine de la
CJUE, en se référant aux jurisprudences de cette haute juridiction citée par lui, au motif que
les questions soulevées tomberaient sous au moins un des critères dégagés par la
jurisprudence de la CJUE.
10
S’agissant du délai de paiement, le délégué du gouvernement fait valoir que, malgré le
défaut de stipulation d’un délai de paiement dans la loi du 23 décembre 2004, il ressortirait
néanmoins de la finalité du texte et des circonstances à la base de la directive 2003/87/CE que
le paiement devrait s’effectuer dans un délai rapproché au délai limite de restitution. A
défaut, le fonctionnement du système de restitution serait, en effet, compromis. Dans ces
conditions, le délai du 30 novembre 2016, soit un mois après la notification de l’arrêté, 5
mois après la communication par procédure administrative non contentieuse du projet de
décision et environ 7 mois après la date limite de restitution des quotas, constituerait un délai
raisonnable.
Néanmoins, l’Etat ne s’opposerait pas à la fixation d’un délai plus long ou d’un
fractionnement pour le paiement.
S’agissant de l’obligation de restitution des quotas, le délégué du gouvernement fait
valoir que le ministre aurait parfaitement été en droit de demander la restitution des quotas
non restitués à la date de la décision attaquée pour la date y indiquée. Dans la mesure où
l’obligation imposée par la décision litigieuse aurait été respectée depuis le 30 novembre
2016, il n’y aurait aucune nécessité de réformer l’arrêt en question sur ce point.
Enfin, le délégué du gouvernement s’oppose à l’effet suspensif demandé.
Aux termes de l’article 16 de la directive 2003/87/CE, intitulé « sanctions », « 1. Les
États membres déterminent le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions
nationales prises en application de la présente directive, et prennent toute mesure nécessaire
pour assurer la mise en œuvre de celui-ci. Les sanctions prévues doivent être effectives,
proportionnées et dissuasives. […]
2. Les États membres veillent à publier le nom des exploitants et des exploitants
d’aéronefs qui sont en infraction par rapport à l’exigence de restituer suffisamment de
quotas en vertu de la présente directive.
3. Les États membres s’assurent que tout exploitant ou exploitant d’aéronef qui, au
plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour
couvrir ses émissions de l’année précédente, soit tenu de payer une amende sur les
émissions excédentaires. Pour chaque tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise pour
laquelle l’exploitant ou exploitant d’aéronef n’a pas restitué de quotas, l’amende sur les
émissions excédentaires est de 100 EUR. Le paiement de l’amende sur les émissions
excédentaires ne libère pas l’exploitant ou exploitant d’aéronef de l’obligation de restituer
un nombre de quotas égal à ces émissions excédentaires lors de la restitution des quotas
correspondant à l’année civile suivante. […] ».
L’article 13, paragraphe 2bis de la loi du 23 décembre 2004 dispose que « Le
ministre s’assure que, au plus tard le 30 avril de chaque année, chaque exploitant
d’aéronefs restitue un nombre de quotas égal au total des émissions de l’année civile
précédente, vérifiées conformément à l’article 16, résultant des activités aériennes visées à
l’annexe I pour lesquels il est considéré comme l’exploitant de l’aéronef. Les quotas
restitués sont ensuite annulés par le ministre. », alors que l’article 13, paragraphe 3 de la
même loi dispose que « Le 30 avril de chaque année au plus tard, tout exploitant d’une
installation restitue un nombre de quotas, autres que des quotas délivrés en vertu du
11
chapitre II, correspondant aux émissions totales de cette installation au cours de l’année
civile écoulée, telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 16. Les quotas
restitués seront ensuite annulés par le ministre. ». Les paragraphes (3) et (7) de l’article 20
de la loi du 23 décembre 2004, sur lesquels la décision litigieuse est fondée, disposent que
« […] 3. Tout exploitant ou exploitant d’aéronef qui, au plus tard le 30 avril de chaque
année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année
précédente, est tenu de payer une amende sur les émissions excédentaires. Pour chaque
tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise pour laquelle l’exploitant ou l’exploitant
d’aéronef n’a pas restitué de quotas, l’amende sur les émissions excédentaires est de 100
euros. Le paiement de l’amende sur les émissions excédentaires ne libère pas l’exploitant ou
exploitant d’aéronef de l’obligation de restituer un nombre de quotas égal à ces émissions
excédentaires lors de la restitution des quotas correspondant à l’année civile suivante. […]
7. Sans préjudice des dispositions qui précèdent, le nom des exploitants et des
exploitants d’aéronefs qui sont en infraction par rapport à l’exigence de restituer
suffisamment de quotas en vertu de l’article 13, paragraphe 2bis ou 3, est publié. [….] ».
Il découle ainsi des dispositions des articles 13, paragraphes 2bis et 20, paragraphes
(3) et (7) de la loi du 23 décembre 2004 que tout exploitant ou exploitant d’aéronef doit à la
date du 30 avril de chaque année, avoir restitué un nombre de quotas suffisant pour couvrir
ses émissions de l’année précédente. S’il ne l’a pas fait à cette date, il sera tenu de payer une
amende forfaitaire de 100 € pour chaque tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise et
non restituée, le paiement de ladite amende ne libérant toutefois pas l’exploitant en question
de l’obligation de restituer un nombre de quotas égal à ses émissions excédentaires et cela
lors de la restitution des quotas correspondant à l’année civile suivante. Il en découle encore
qu’en cas d’infraction à l’obligation de restituer suffisamment de quotas en vertu de l’article
13, paragraphe 2bis de la même loi, le nom de l’exploitant sera en outre publié.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la ...n’a pas restitué à la date clé du 30 avril de
l’année 2016 les 6.428 quotas qu’elle aurait dû restituer au titre de l’année 2015. En
revanche, la demanderesse fait en substance valoir qu’elle aurait en réalité eu l’intention de
restituer les quotas d’émission litigieux à la date clé et que la restitution tardive résulterait
tout au plus d’un dysfonctionnement de ses services.
Le tribunal est de prime abord amené à retenir que la demanderesse n’est pas fondée
à conclure à l’inapplicabilité des paragraphes (3) et (7) de l’article 20 de la loi du 23
décembre 2004 au seul motif que les sanctions y prévues ne seraient applicables que dans
l’hypothèse où l’exploitant d’aéronef ne disposait pas de suffisamment de quotas sur son
compte d’exploitant à la date clé, une telle interprétation étant, en effet, à écarter au vu de la
jurisprudence de la CJUE à propos de l’interprétation de l’article 16 de la directive
2003/87/CE telle que résultant de son arrêt du 17 octobre 2013.
Ainsi, la CJUE a eu l’occasion de se prononcer sur la pertinence d’une telle
argumentation dans l’arrêt du 17 octobre 2013, dans une affaire ..., inscrite sous le numéro
C-203/12 du rôle, ci-après désigné par « l’arrêt ... », cité par la partie étatique. En effet, la
CJUE a expressément retenu que l’article 16, paragraphes (3) et (4) de la directive
2003/87/CE, transposé en droit luxembourgeois par l’article 20, paragraphes (3) et (4) de la
loi du 23 décembre 2004, « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’échappe à
l’infliction de l’amende sur les émissions excédentaires qu’il prévoit l’exploitant qui n’a pas
restitué au plus tard le 30 avril de l’année en cours les quotas d’équivalent-dioxyde de
12
carbone correspondant à ses émissions de l’année écoulée, alors même qu’il dispose à cette
date d’un nombre suffisant de quotas ».
Dans l’arrêt en question, la CJUE a plus particulièrement rejeté l’argumentation des
parties demanderesses invoquée dans l’affaire au principal suivant laquelle l’article 16,
paragraphes (3) et (4) de la directive 2003/87/CE devrait être interprété en ce sens qu’il
permettrait une certaine tolérance dans l’infliction de l’amende sur les émissions
excédentaires à l’égard des exploitants qui, bien que n’ayant pas restitué leurs quotas,
disposeraient néanmoins à la date clé du 30 avril de l’année en cours du nombre de quotas
suffisants. Dans ce contexte, la CJUE a souligné que les dispositions pertinentes de la
directive ont pour objet et pour effet de sanctionner non pas les « pollueurs » d’une manière
générale - hypothèse dans laquelle la notion d’« émissions excédentaires » passible
d’amende devrait être entendue comme visant un comportement excessivement pollueur de
sorte que l’amende ne serait due que si l’exploitant ne dispose pas pour le 30 avril de l’année
d’un nombre de quotas suffisants -, mais les exploitants dont le nombre d’émissions de
l’année écoulée excède, au 30 avril de l’année en cours, le nombre de quotas présents dans la
section du tableau « quotas restitués » désignée pour leurs installations de cette année dans
le registre centralisé de l’Etat membre dont ils relèvent en application de l’article 52 du
règlement n° 2216/2004 de la Commission du 21 décembre 2004 concernant un système de
registre normalisé et sécurisé conformément à la directive 2003/87/CE,- hypothèse dans
laquelle le défaut de restitution des quotas à lui seul est suffisant, peu importe le motif de la
non restitution. La CJUE a ainsi retenu que l’obligation imposée par la directive 2003/87/CE
ne constitue pas une simple obligation de détention de quotas couvrant les émissions de
l’année écoulée à la date clé, mais une obligation de restitution à cette date afin qu’ils soient
annulés.
Pour arriver à cette conclusion, la CJUE a relevé que l’obligation de restitution en
vue de l’annulation des quotas correspondant aux émissions de l’année écoulée avant le 30
avril de l’année en cours est d’une particulière rigueur, tout en soulignant que cette
obligation est mentionnée obligatoirement dans l’autorisation d’émettre des gaz à effet de
serre, cette obligation étant, par ailleurs, la seule à être assortie d’une sanction précise en
vertu de la directive 2003/87/CE. La CJUE a encore, à cet égard, relevé qu’il conviendrait de
prendre en considération la circonstance que la condamnation à l’amende ne libère, en vertu
de la directive 2003/87/CE, pas pour autant l’exploitant de l’obligation de restituer les quotas
correspondant lors de la campagne de restitution de l’année suivante. Par ailleurs, la CJUE a
soulevé la considération suivant laquelle l’avantage final pour l’environnement - l’objectif
final du système d’échange de quotas étant la protection de l’environnement par une
réduction des émissions de gaz à effet de serre - dépend de la rigueur avec laquelle est
établie la quantité totale des quotas octroyés, constituant la limite globale des émissions
autorisées par le système. La CJUE a poursuivi que l’économie générale de la directive en
question repose sur une stricte comptabilité des quotas délivrés, détenus, transférés et
annulés, cette comptabilité précise étant inhérente à l’objet même de la directive, à savoir
l’établissement d’un système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet
de serre, lequel tend à la réduction des émissions de ces gaz dans l’atmosphère à un niveau
empêchant toute perturbation anthropique dangereuse du climat, et dont l’objectif final est la
protection de l’environnement.
Au regard de ces considérations relevées par la CJUE dans l’arrêt ..., précité, le
premier moyen de la demanderesse, consistant à conclure à l’inapplicabilité des dispositions
de l’article 20, paragraphe (3), précité, au motif qu’il conviendrait de faire la distinction
13
entre l’hypothèse de la non-restitution à défaut de disposer de quotas suffisants, et celle
d’une non-restitution par un exploitant ayant suffisamment de quotas à sa disposition, est à
rejeter, cette lecture étant contraire à l’interprétation préconisée par la CJUE des dispositions
de l’article 16 de la directive 2003/87/CE, transposées par le législateur luxembourgeois à
travers l’article 20 de la loi du 23 décembre 2004 et ayant repris la formulation exacte de
l’article 16 de la directive précitée. Dès lors, la circonstance que la demanderesse a disposé à
la date clé du 30 avril 2016 de suffisamment de quotas à restituer n’entre pas en ligne de
compte pour la libérer de l’obligation de payer une amende, l’infliction d’une amende en
vertu de l’article 20, paragraphe (3) de la du 23 décembre 2004 résultant du seul constat de
la non-restitution des quotas à ladite date clé.
Si certes, la CJUE dans l’arrêt ... n’était saisie que dans le contexte de l’infliction de
l’amende, les motifs retenus dans ledit arrêt imposent toutefois la même conclusion
s’agissant de la publication du nom de l’exploitant qui est en infraction par rapport à
l’exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de l’article 13, paragraphes 2bis ou 3
de la loi du 23 décembre 2004, alors que cette publication s’opère de plein droit dès le
constat d’une violation de l’obligation de restitution des quotas au 30 avril.
Dans ce même ordre d’idées, c’est encore à tort que la demanderesse se prévaut d’un
éventuel dysfonctionnement de ses services, affirmant avoir eu l’intention de restituer les
quotas et avoir été convaincue de l’avoir fait.
En effet, si dans l’arrêt ..., précité, la CJUE a envisagé la possibilité d’un cas de force
majeure lorsqu’« une cause extérieure invoquée par des sujets de droit a des conséquences
irrésistibles et inévitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes
concernées le respect de leurs obligations », l’appréciation de l’existence du cas de force
majeure étant laissée par la CJUE à la juridiction de renvoi, - les sociétés demanderesses
dans l’affaire ... ayant, en effet, fait état d’un dysfonctionnement administratif interne -, le
tribunal est amené à retenir qu’au regard des explications fournies par la partie étatique
quant aux informations reçues en l’espèce par la demanderesse préalablement à la date clé
du 30 avril 2016 quant à la procédure à respecter, dont la réalité n’est pas remise en cause
par la demanderesse, celle-ci n’est pas fondée à se prévaloir d’un cas de force majeure. Le
« dysfonctionnement » invoqué, à savoir le fait d’avoir mal interprété les termes
d’un message électronique, ne répond en toute hypothèse pas aux critères dégagés par la
jurisprudence de la CJUE et rappelés dans l’arrêt ... précité, à savoir les critères d’extériorité,
d’irrésistibilité et d’inévitabilité rendant objectivement impossible de respecter l’obligation
de restitution. Plus particulièrement, il se dégage des explications fournies par la
demanderesse qu’elle a déclenché la procédure de restitution, mais a, à tort, estimé qu’un
mail du 19 avril 2016 (pièce n° 4 de la demanderesse) serait à qualifier de confirmation de
restitution, alors que ce mail ne correspond, suivant les explications non contestées de la
partie étatique et tel que cela se dégage de son libellé, qu’à la confirmation d’un transfert
interne d’un compte EU vers un compte EU de la demanderesse (« 10-00 Internal
Transfer »). La demanderesse n’a ainsi pas justifié l’existence d’une cause extérieure qui
l’aurait empêchée de respecter les obligations lui incombant.
S’agissant ensuite du moyen fondé sur une violation des principes communautaires
d’égalité et de libre concurrence par l’article 20, paragraphes (3) et (7) de la loi du 23
décembre 2004, force est de constater que, tel que cela a été relevé à juste titre par la partie
étatique, dans la mesure où la présente matière est réglementée au niveau européen par une
directive et non pas harmonisée par un règlement, les différences entre les dispositions
14
nationales des Etats membres ayant transposé la directive 2003/87/CE peuvent exister, dans
les limites du cadre tracé par la directive. Dans la mesure où le législateur luxembourgeois a
transposé fidèlement les dispositions des paragraphes (2) et (3) de l’article 16 de la directive
2003/87/CE, l’article 20 paragraphes (3) et (7) reprenant en substance les termes de ces
dispositions, aucun reproche ne saurait être soulevé à cet égard. Si, certes, dans l’arrêt ..., la
CJUE a relevé qu’il serait loisible aux Etats membres d’instituer des mécanismes d’avis, de
relance et de restitution anticipée permettant aux exploitants de bonne foi d’être parfaitement
informés de leur obligation restitutive et de ne courir ainsi aucun risque d’amende, c’est à
tort que la demanderesse déduit de la circonstance que la France a prévu un tel système
d’avertissement préalable, alors que le législateur luxembourgeois ne l’a pas prévu, une
violation du principe d’égalité, dans la mesure où la directive 2003/87/CE n’impose pas un
système de mise en demeure et où le fait qu’un autre Etat membre a prévu des mécanismes,
le cas échéant, ressentis comme plus protecteurs pour les exploitants, n’oblige pas le
législateur luxembourgeois de prévoir des dispositions identiques sur le fondement des
principes d’égalité de traitement et de la libre concurrence. La même conclusion s’impose
s’agissant de la sanction de la publication du nom de l’exploitant.
Le moyen afférent est partant rejeté.
Quant au moyen fondé sur une violation du principe communautaire de
proportionnalité, il convient de rappeler que ledit principe fait partie des principes généraux
du droit de l’Union européenne et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition de
droit de l’Union soient aptes à réaliser des objectifs légitimes poursuivis par la
réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre1.
La CJUE a, dans l’arrêt ... rappelé qu’elle ne saurait substituer son appréciation à
celle du législateur de l’Union disposant d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il est
amené à intervenir dans un domaine impliquant de sa part des choix de nature politique,
économique et sociale et dans lequel il est appelé à effectuer des appréciations complexes.
La Cour a encore souligné qu’elle ne pourrait censurer un choix normatif que s’il paraissait
manifestement erroné ou si les inconvénients qui en résultent pour certains acteurs
économiques étaient sans commune mesure avec les avantages qu’il présente par ailleurs2.
Le tribunal constate que l’article 20, paragraphe (3) de la loi du 23 décembre 2004
prévoit, à l’identique de l’article 16 paragraphe (3) de la directive 2003/87/CE, le paiement
d’une amende forfaitaire de 100 € pour chaque tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise
pour laquelle l’exploitant ou l’exploitant d’aéronef n’a pas restitué de quotas, l’obligation de
paiement de l’amende étant déclenchée par le constat d’une non-restitution du nombre de
quotas suffisants pour couvrir les émissions de l’année précédente à la date clé du 30 avril de
chaque année.
Au regard du libellé de ce texte, le ministre ne dispose d’un pouvoir d’appréciation ni
quant au principe de l’application de l’amende, l’amende étant déclenchée par le seul constat
de la non-restitution à la date clé, ni quant à son montant, celle-ci étant fixée de manière
forfaitaire par le législateur luxembourgeois, celui-ci ayant à son tour transposé fidèlement
les dispositions afférentes de la directive 2003/87/CE.
1 Arrêt …, considérant n° 34. 2 Idem, considérant n° 35.
15
Il en est de même de la publication du nom de l’exploitant, qui découle du constat de
la violation de l’obligation de restitution, interprétée tel que cela a été retenu ci-avant.
De plus, par rapport aux dispositions afférentes de la directive 2003/87/CE visant
l’amende, la CJUE a eu l’occasion de se prononcer sur la question du respect du principe de
proportionnalité. Ainsi, la CJUE, dans l’arrêt ..., a conclu que l’amende telle que prévue par
la directive 2003/87/CE n’est pas contraire au principe de proportionnalité, bien que son
montant ne peut pas être modulé par le juge national, la CJUE ayant souligné, d’une part,
que l’obligation de restitution des quotas et l’amende forfaitaire la sanctionnant ont paru
nécessaires au législateur européen dans la poursuite de l’objectif légitime d’établissement
d’un système performant d’échanges de quotas d’équivalent-dioxyde de carbone, pour éviter
que certains exploitants ou intermédiaires de marché soient tentés de contourner ou de
manipuler le système en jouant abusivement sur les prix, les quantités, les délais ou les
produits financiers complexes dont tout marché suscite la création3, et, d’autre part, que les
exploitants disposent d’une période de 4 mois pour se mettre en mesure de restituer les
quotas correspondant à l’année écoulée, délai que la CJUE a considéré comme étant
raisonnable.
Au regard de la solution ainsi retenue par la CJUE par rapport à l’article 16 de la
directive 2003/87/CE, transposé fidèlement, sur ce point, par le législateur luxembourgeois,
le moyen fondé sur une violation du principe de proportionnalité laisse d’être fondé
s’agissant de l’amende. Sur base des mêmes considérations, la même conclusion s’impose
s’agissant de la publication du nom de l’exploitant.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation du principe de proportionnalité est à
rejeter comme étant non fondé.
Ainsi, les moyens fondés sur une violation du principe communautaire d’égalité, de
libre concurrence et de proportionnalité sont à rejeter, sans qu’il n’y ait lieu de poser une
question préjudicielle à la CJUE, la demanderesse ayant, en effet, suggéré trois questions
tournant autour de la compatibilité de la circonstance que la loi du 23 décembre 2004 ne
prévoit pas de mécanismes d’avis ou de relance préalables à l’infliction d’une amende avec
les principes communautaires sus-énoncés. En effet, cette conclusion s’impose au regard de
ce que le tribunal vient de retenir ci-avant, tenant à la transposition fidèle de la directive
2003/87/CE et aux solutions d’ores et déjà retenues par la CJUE en la matière. Le tribunal
relève plus particulièrement que si la CJUE avait estimé un défaut de prévoir des
mécanismes d’avis préalables, respectivement la circonstance que certains Etats membres
prévoient de tels mécanismes et d’autres ne le font pas, comme étant incomptables avec le
droit communautaire, elle n’aurait, au considérant numéro 41 de l’arrêt ..., pas précisé que la
prévision de tels mécanismes relève du libre choix des Etats membres.
S’agissant de la demande en obtention d’un délai de paiement, le tribunal relève de
prime abord que si la loi du 23 décembre 2004 ne prévoit pas de délai de paiement pour les
amendes prononcées en vertu de ses dispositions, elle n’exclut toutefois pas non plus l’octroi
d’un tel délai, qui d’ailleurs a été accordé en l’espèce et a été fixé à un mois. A défaut de
dispositions spécifiques, l’octroi d’un délai de paiement et sa durée relèvent du pouvoir
discrétionnaire du ministre. Au regard des considérations avancées par la CJUE dans l’arrêt
... quant aux objectifs du système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre et
3 Considérant n° 39.
16
de la rigueur avec laquelle le système doit être appliqué afin de garantir son efficacité dans
l’optique finale de la protection de l’environnement, le tribunal est amené à retenir que
l’octroi de délais de paiement doit être apprécié avec rigueur et de manière restrictive. S’il
est vrai que l’État, tout en estimant justifié le délai de paiement d’un mois accordé en
l’espèce, s’est déclaré d’accord avec la fixation d’un délai plus long force est toutefois de
constater que la demanderesse se limite à affirmer que le délai d’un mois lui accordé serait
insuffisant et que sa survie et l’emploi de ses salariés seraient menacés, sans qu’elle n’ait
soumis au tribunal des explications plus circonstanciées, corroborées par des pièces
documentant sa situation financière concrète par rapport au montant de l’amende, ni n’a-t-
elle expliqué endéans quel délai elle serait en mesure de procéder au paiement de l’amende
réclamée. Dans ces conditions, le tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments
permettant de faire droit à la demande de réformation du délai de paiement accordé.
S’agissant, enfin, de la restitution des quotas, tel que cela a été retenu ci-avant, le
paiement de l’amende ne dispense pas de l’obligation de restituer le nombre de quotas
requis, de sorte que le ministre était en droit de demander la restitution des quotas non
restitués à la date de sa décision.
Il en résulte et au-delà du constat qu’il n’est pas contesté qu’à l’heure actuelle cette
restitution a été effectuée, que la demande en ce qu’elle tend à la réformation de ce volet de
la décision est à rejeter.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter
comme n’étant fondé en aucun de ses moyens.
S’agissant de la demande à voir ordonner l’effet suspensif du recours sur le
fondement de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure
devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », et
non pas de la loi du 7 novembre 1996, tel qu’erronément indiqué par la demanderesse, en
vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de
causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement
tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours
pendant le délai d’appel. […] », celle-ci est rejetée. En effet, cette disposition doit être lue
ensemble avec l’article 45 de la même loi en vertu duquel « Sans préjudice de la disposition
de l’article 35, pendant le délai et l’instance d’appel, il est sursis à l’exécution des
jugements ayant annulé ou réformé des décisions attaquées. » Il s’ensuit que l’effet
suspensif du recours ne peut être ordonné que dans l’hypothèse d’un jugement tranchant le
principal ou une partie du principal, ayant annulé ou réformé la décision. Or, dans la mesure
où le tribunal a rejeté la demande en réformation, l’article 35 précité ne trouve pas
application, la demande est à rejeter sans qu’il n’y lieu d’examiner la question de savoir si
l’exécution de la décision déférée risque de causer un préjudice grave et définitif.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en obtention d’une indemnité de procédure
de 2.000 € formulée par la demanderesse est à rejeter.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en réformation recevable en la pure forme ;
17
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
rejette la demande de saisine de la Cour constitutionnelle ;
rejette la demande en obtention de l’effet suspensif sur le fondement de l’article 35 de
la loi du 21 juin 1999 ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse.
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 février 2018 par :
Annick Braun, vice-président,
Olivier Poos, premier juge,
Alexandra Bochet, attaché de justice.
en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Braun
Reproduction certifiée conforme à l’original
Luxembourg, le 1/3/2018
Le Greffier du Tribunal administratif