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1 Tribunal administratif N° 40541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 janvier 2018 2 e chambre Audience publique du 15 juin 2020 Recours formé par Monsieur ..., , contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 40541 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2018 par Maître Henri Frank, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., demeurant à L-..., tendant à l’annulation de « la décision du Ministre de l’Intérieur du 5 octobre 2017 (…) par laquelle le Ministre a rejeté la réclamation du requérant (…) introduite auprès du Ministre par le requérant par courrier du 12 mai 2017, décision ministérielle ayant trait à une délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28.04.2017 portant adoption définitive du nouveau PAG » ; Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 3 janvier 2018, portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie à L-2090 Luxembourg, 42 Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ; Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2018 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ; Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2018 par Maître Anne Bauler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ; Vu la requête en prorogation des délais pour déposer le mémoire en réponse ainsi que le mémoire en duplique, présentée par Maître Albert Rodesch, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en date du 22 février 2018 ; Vu les accords de toutes les autres parties avec la mesure sollicitée ; Vu les avis du 8 et 12 mars du tribunal administratif fixant les délais pour déposer les mémoires en réponse, réplique et duplique ; Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg 2e ... · Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 3 janvier 2018, portant signification

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Tribunal administratif N° 40541 du rôle

du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 janvier 2018

2e chambre

Audience publique du 15 juin 2020

Recours formé par

Monsieur ..., …,

contre une décision du ministre de l’Intérieur

en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40541 du rôle et déposée au greffe du tribunal

administratif le 3 janvier 2018 par Maître Henri Frank, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., demeurant à L-..., tendant à l’annulation de

« la décision du Ministre de l’Intérieur du 5 octobre 2017 (…) par laquelle le Ministre a

rejeté la réclamation du requérant (…) introduite auprès du Ministre par le requérant par

courrier du 12 mai 2017, décision ministérielle ayant trait à une délibération du conseil

communal de la Ville de Luxembourg du 28.04.2017 portant adoption définitive du nouveau

PAG » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 3 janvier 2018,

portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie

à L-2090 Luxembourg, 42 Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et

échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2018 par

Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2018 par

Maître Anne Bauler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu la requête en prorogation des délais pour déposer le mémoire en réponse ainsi que le

mémoire en duplique, présentée par Maître Albert Rodesch, pour compte de l’Etat du Grand-Duché

de Luxembourg, en date du 22 février 2018 ;

Vu les accords de toutes les autres parties avec la mesure sollicitée ;

Vu les avis du 8 et 12 mars du tribunal administratif fixant les délais pour déposer les

mémoires en réponse, réplique et duplique ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître

Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

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Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2018 par Maître

Anne Bauler, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2018

par Maître Henri Frank au nom de la partie demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2019 par

Maître Albert Rodesch, au nom de l’Etat du Grand-duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2019 par

Maître Anne Bauler au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Henri Frank, Maître Paul

Schintgen, en remplacement de Maître Albert Rodesch, et Maître Jonathan Holler, en remplacement

de Maître Anne Bauler, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 février 2019.

Lors de sa séance publique du 13 juin 2016, le conseil communal de la Ville de Luxembourg,

ci-après désigné par le « conseil communal », se déclara d’accord, en vertu de l’article 10 de la loi

modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain,

désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », « (…) pour lancer la procédure d’adoption du

nouveau projet d’aménagement général (PAG) de la Ville de Luxembourg, parties écrite et graphique

accompagnées des documents et annexes prescrits par la législation y relative (…) » et « (…)

charge[a] le collège des bourgmestre et échevins de procéder aux consultations prévues aux articles

11 et 12 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le

développement urbain et à l’article 7 de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des

incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (…) ».

Le 14 juin 2016, le collège des bourgmestre et des échevins de la Ville de Luxembourg, ci-

après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », se déclara d’accord, en vertu de l’article

30, alinéa 2 de la loi du 19 juillet 2004, pour « (…) engager la procédure d’adoption des premiers

plans d’aménagement particuliers « quartiers existants » de la Ville de Luxembourg, parties écrite

et graphique et de les soumettre à la procédure d’adoption en les déposant à l’inspection du public

et en les transmettant pour avis à la cellule d’évaluation de la Commission d’aménagement instituée

auprès du Ministère de l’Intérieur ainsi qu’au Ministère de l’environnement et à la Direction de la

Santé (…) ».

Par courrier du 14 juillet 2016, Monsieur ..., déclarant agir en sa qualité de propriétaire des

parcelles portant les numéros cadastraux ... et ..., soumit au collège des bourgmestre et échevins des

objections à l’encontre de ces projets d’aménagement général et particulier.

Lors de sa séance publique du 28 avril 2017, le conseil communal, d’une part, statua sur les

objections dirigées à l’encontre du projet d’aménagement général et, d’autre part, adopta ledit projet,

« (…) tel qu’il a été modifié suite aux réclamations et avis ministériels reçus (…) ».

Parallèlement et lors de la même séance publique, le conseil communal, d’une part, statua sur

les objections dirigées à l’encontre des projets d’aménagement particulier « quartier existant » et,

d’autre part, adopta les parties graphiques et la partie écrite de ces derniers, « (…) sous [leur] forme

revue et complétée (…) ».

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Concernant l’objection soumise par Monsieur ... il fut décidé ce qui suit : « modifications

partie graphique PAG, de [ZAE] à [MIX-u] » et « modifications partie graphique PAP QE, de [ZAE]

à [MIX-u*d] ».

Par courrier du 12 mai 2017, Monsieur ... introduisit auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après

désigné par « le ministre », une réclamation à l’encontre des susdites délibérations du conseil

communal du 28 avril 2017 portant adoption des projets d’aménagement général et particulier

« quartier existant » et ayant statué sur les objections dirigées par les administrés à l’encontre de ces

mêmes projets.

Par décision du 5 octobre 2017, le ministre approuva la délibération, précitée, du conseil

communal du 13 juin 2016, de même que celle du 28 avril 2017 portant adoption du projet

d’aménagement général, tout en statuant sur les réclamations lui soumises, en déclarant fondées une

partie de celles-ci et en apportant, en conséquence, certaines modifications aux parties graphique et

écrite du plan d’aménagement général (« PAG »), la réclamation introduite par Monsieur ... ayant,

cependant, été déclarée non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) AD réclamation ... (rec …)

D'abord, le réclamant s'oppose au tracé de voirie prévu pour raccorder la … au futur …,

puisqu'il n'a pas été tenu compte des limites des parcelles cadastrales nos ..., ...et ….

Pourtant, la réclamation est non fondée, du fait que le boulevard projeté en les endroits

litigieux est d'intérêt général et que l'emprise du couloir y réservée résulte d'études menées en la

matière et ne saurait être adaptée selon la situation foncière en ces lieux. Les fonds en question sont

en effet indispensables au futur développement du ....

Il pourra être procédé à l'aménagement des fonds des réclamants dès l'achèvement des

travaux constituant le boulevard précité, en l'occurrence moyennant une modification du PAG qui

aura pour objet la suppression de la « zone d'aménagement différé [ZAD] » intitulée [ZAD SD ME-

07].

Puis, en ce qui concerne le point de la réclamation contestant que partie des fonds

appartenant aux réclamants aient été identifiées en tant qu'espace comportant des biotopes

surfaciques au titre de l'article 17 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de

la nature et des ressources naturelles, elle est non fondée.

En effet, il y a lieu de rappeler que les informations relatives aux biotopes notamment, figurant

initialement à titre purement indicatif dans la partie graphique du PAG, y ont été supprimées lors du

vote du conseil communal du 13 juin 2016 et intégrées dans un nouveau plan intitulé « indications

complémentaires », ce dernier n'ayant cependant aucune valeur réglementaire (voir à cet égard

notamment le jugement du Tribunal administratif portant le numéro du rôle 36068).

Ainsi, il est également confirmé que l'identification contestée est dépourvue de toute valeur

juridique propre et devrait être lue comme un outil de simplification administrative censé renvoyer

de manière transparente les propriétaires des terrains concernés au fait de l'existence de zones

susceptibles de tomber sous le champ d'application de la prédite loi modifiée du 19 janvier 2004.

(…) ».

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Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2018, Monsieur ... a fait

introduire un recours tendant à l’annulation de « la décision du Ministre de l’Intérieur du 5 octobre

2017 (…) par laquelle le Ministre a rejeté la réclamation du requérant (…) introduite auprès du

Ministre par le requérant par courrier du 12 mai 2017, décision ministérielle ayant trait à une

délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28.04.2017 portant adoption

définitive du nouveau PAG ».

A titre liminaire et avant de procéder à l’analyse du recours sous examen, il échet de préciser

qu’à l’audience publique des plaidoiries, sur question afférente du tribunal, les litismandataires des

différentes parties en cause n’ont soulevé aucune contestation relative à la notification entre eux de

l’ensemble des mémoires respectifs, par actes d’avocat à avocat, au cours de la procédure

contentieuse.

I) Quant à la compétence

Les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des

dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’elles concernent et le régime

des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire. Les décisions d’approbation du ministre

participent au caractère réglementaire des actes approuvés1, étant précisé que le caractère

réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision litigieuse du 5 octobre 2017 ayant

statué sur la réclamation introduite par le demandeur, intervenue dans le processus général de

l’élaboration de l’acte approuvé.

Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des

juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un

recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère

réglementaire.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en

l’espèce.

II) Quant à la loi applicable

Le tribunal précise que la procédure d’adoption d’un PAG et d’un plan d’aménagement

particulier (« PAP ») est prévue par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs

reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son

article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du

territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant

modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement

communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi

du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017,

(v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire et (vi) par la loi du 18 juillet

2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant

l’aménagement communal et le développement urbain.

Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu

être introduit à l’encontre des actes déférés et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge

administratif est amené à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation

1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes réglementaires, n° 49 et les autres références y

citées.

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de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise2, les modifications apportées à la loi du 19

juillet 2004 par les lois, précitées, des 17 avril et 18 juillet 2018, adoptées et entrées en vigueur

postérieurement à la prise des actes déférés, ne sont pas à prendre en considération en l’espèce.

Selon les dispositions transitoires figurant à l’article 108ter (1) de la loi du 19 juillet 2004, tel

que modifié en dernier lieu par la loi précitée du 1er août 2011, « La procédure d’adoption des projets

d’aménagement général, dont la refonte complète a été entamée par la saisine de la commission

d’aménagement avant le 1er août 2011, peut être continuée et achevée conformément aux dispositions

du Titre 3 de la présente loi qui était en vigueur avant le 1er août 2011. (…) ».

Le tribunal relève que le conseil communal a émis son vote positif, au sens de l’article 10 de

la loi du 19 juillet 2004, en date du 13 juin 2016, de sorte que la saisine de la commission

d’aménagement en application de l’article 11 de la même loi s’est a fortiori opérée après la date butoir

du 1er août 2011, fixée par l’article 108ter (1), alinéa 1er de la loi du 19 juillet 2004.

Il suit de ce constat que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est

– sous réserve des précisions faites ci-après – celle résultant des modifications opérées par les lois

des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015 et 3 mars 2017.

S’agissant plus particulièrement de l’applicabilité de cette dernière loi, le tribunal relève que

dans un arrêt du 24 septembre 2015, portant le numéro 36179C du rôle3, la Cour administrative a

retenu ce qui suit : « (…) Si le droit administratif est notamment régi par le principe de l’effet

immédiat de la loi nouvelle, celui-ci ne s’applique néanmoins en principe qu’aux situations juridiques

nées postérieurement à la date normale de son entrée en vigueur après sa publication, ainsi qu’aux

situations encore dépourvues de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. En

outre, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les autorités compétentes

sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés puissent prétendre à un droit

acquis à voir leur cas traité par l’autorité désignée comme compétente par les dispositions

antérieures (…). En revanche, le principe de non-rétroactivité des lois commande que ne soient pas

remis en cause les actes déjà valablement accomplis (…) ».

Dès lors, si la procédure d’adoption du PAG litigieux a certes débuté avant l’entrée en vigueur

de la loi du 3 mars 2017, laquelle a eu lieu le 1er avril 2017, en application de l’article 76 de ladite

loi, tel que relevé ci-avant, il n’en reste pas moins qu’à cette dernière date, la procédure en question

était toujours en cours, de sorte à devoir être qualifiée de procédure pendante, respectivement de

situation juridique dépourvue de caractère définitif lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il

s’ensuit que conformément aux principes dégagés par la Cour administrative dans l’arrêt, précité, du

24 septembre 2015, cette dernière loi doit s’appliquer à la procédure en question dès son entrée en

vigueur en date du 1er avril 2017. Ainsi, le tribunal doit en tenir compte, dans le cadre de l’examen

de la légalité de la décision déférée du 5 octobre 2017, adoptée postérieurement au 1er avril 2017.

III. Quant à la recevabilité

La partie étatique se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours.

L’administration communale soulève l’irrecevabilité du volet du recours dirigé contre la

décision ministérielle du 5 octobre 2017 ayant déclaré non fondée la réclamation à l’égard des terrains

adjacents et complémentaires concernant l’indication de biotopes sur un plan intitulé « indications

2 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y

citées. 3 Pas. adm. 2018, V° Lois et règlements, n° 81.

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complémentaires ». Elle se réfère à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2018,

inscrit sous le numéro 38859 du rôle.

Le demandeur ne prend pas position par rapport à ce moyen d’irrecevabilité.

Force est au tribunal de constater qu’à travers la décision du 5 octobre 2017, le ministre déclare

la réclamation de Monsieur ... non fondée en l’informant que les informations relatives aux biotopes,

ayant figuré initialement à titre indicatif dans la partie graphique du PAG, y auraient été supprimées

lors du vote du conseil communal du 13 juin 2016 et auraient été intégrées dans un nouveau plan

intitulé « indications complémentaires » n’ayant aucune valeur réglementaire.

Il échet de relever que cette référence ne constitue pas une décision autonome de classement

d’une parcelle en biotope, tel que l’administration communale le fait valoir, mais elle s’analyse en un

motif à la base de la décision d’approbation du PAG. Dans ce même ordre d’idées, il échet de retenir

que Monsieur ... ne recherche pas l’annulation d’une décision individuelle de classement d’une

parcelle en biotope, mais il recherche l’annulation de la décision d’approbation du PAG de la Ville

de Luxembourg, dont l’indication des biotopes n’est qu’un élément dépourvu de valeur normative.

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité soulevé par l’administration communale est à rejeter

et que le recours en annulation, ayant été introduit selon les délai et formes prévus par la loi, est à

déclarer recevable.

IV. Quant au fond

a) Quant au moyen ayant trait à l’incompétence du ministre

Monsieur ... soutient en premier lieu que le ministre aurait empiété sur les compétences du

ministre du Développement durable et des Infrastructures en se prononçant dans la décision du

5 octobre 2017 sur une question de voirie publique.

L’administration communale et la partie étatique concluent au rejet de ce moyen

Il échet de rappeler que suivant l’article 3 de la loi du 19 juillet 2004 « (…) (2) Le membre du

Gouvernement ayant l‘aménagement communal et le développement urbain dans ses attributions,

dénommé ci-après le ministre, approuve ou refuse d’approuver les projets présentés par les

communes et les particuliers » et que selon l’article 18 de la même loi « Le ministre statue sur les

réclamations (…) en même temps qu’il décide de l’approbation définitive du projet d’aménagement

général (…) ».

Suivant le point 13 de l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 28 janvier 2015 portant

constitution des Ministères, l’aménagement communal et le développement urbain font partie du

ressort du ministère de l’Intérieur.

Force est au tribunal de constater que le ministre ne s’est pas prononcé, tel qu’à tort retenu par

le demandeur, sur une question de voirie publique, mais a approuvé la décision du conseil communal

du 28 avril 2017 d’avoir soumis les parcelles du demandeur en partie à une zone d’aménagement

différé [ZAD-SD ME-07], respectivement à une zone superposée [couloir et espace réservés pour

projets routiers]. La décision du ministre intervient donc en matière d’aménagement urbain, mission

faisant partie du ressort du ministère de l’Intérieur.

Il s’ensuit que le moyen d’incompétence du demandeur est à rejeter.

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b) Quant au moyen ayant trait à un excès de pouvoir, à une violation des principes

de la confiance légitime et de la sécurité juridique et au non-respect de l’intérêt général

Le demandeur estime ensuite que tant la commune que le ministre auraient commis un excès

de pouvoir en faisant référence à un « boulevard projeté » et au « futur développement du ... », dans

la mesure où le projet d’un futur développement d’un ... serait inexistant et le tracé et les contours de

ce dernier seraient à l’heure actuelle ni arrêtés ni connus.

Il renvoie dans ce contexte au procès-verbal dressé lors de la réunion ayant eu lieu dans le

cadre de l’aplanissement des différends duquel ressortirait que le bourgmestre se serait étonné que

les consorts ... n’auraient pas été contactés par l’Etat au sujet du nouveau tracé de voirie pour le

raccordement du ... à la ..., alors que cela aurait été exposé différemment lors d’une réunion ayant eu

lieu la semaine précédente entre les responsables de la commune et de l’Etat.

Il soutient à cet égard que sa confiance légitime serait « mise à rude épreuve sinon violée » et

précise qu’il n’appartiendrait pas au ministre de retenir dans la décision qu’« Il pourra être procédé

à l’aménagement des fonds des réclamants dès l’achèvement des travaux constituant le boulevard

précité », alors qu’une telle formulation serait « incompréhensible du moins difficilement

intelligible ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur le fait « que le tracé du PAG

couperait (…) le parking adjacent à la maison en deux et surtout passerait par le jardin adjacent à

[son] immeuble » et que sur les extraits cadastraux qui auraient entretemps été versés seraient

« projetés des traits allant en toutes directions sans aucune cohérence ». Il propose dès lors deux

mesures d’instruction, d’un côté, une visite des lieux et, d’un autre côté, la production de « plans et

de vrais plans, lisibles, émanant de l’Administration des Ponts & Chaussées et prévoyant le tracé du

futur ... ».

Il continue que « Même s’il p[ouvai]t [lui] être reproché (…) que ses appréhensions s[eraien]t

actuellement prématurées dans la mesure où les plans de réalisation de ce futur boulevard n’existent

pas et qu’on n’est pas encore entré dans une pré-phase de réalisation de ladite trace, il n’en reste[rait]

que si en l’état actuel [il] ne s’oppose[rait] pas au tracé tel qu’il figure dans le PAG, on lui reprochera

plus tard qu’il a[urait] laissé passer l’opportunité de s’opposer au tracé et qu’il serait forclos de

remettre en cause le tracé tel qu’il figure dans le PAG projeté ».

L’administration communale et la partie étatique concluent au rejet de ce moyen.

Concernant d’abord l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait commis

un excès de pouvoir et n’aurait pas respecté l’intérêt général, en approuvant le PAG, force est au

tribunal de rappeler qu’en matière d’urbanisme, une commune bénéficie d’un droit d’appréciation

très étendu en vertu du principe de l’autonomie communale inscrit à l’article 107 de la Constitution.

Il n’en va pas de même du ministre, qui doit se limiter en tant qu’autorité de tutelle à veiller à ce que

les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt

général, étant donné que la tutelle n’autorise pas l’autorité supérieure à s’immiscer dans la gestion du

service décentralisé et à substituer sa propre décision à celle des agents du service. Ainsi, le ministre

est tenu, en sa qualité d’autorité de tutelle, de vérifier le respect des procédures légales par les autorités

soumises à son contrôle.

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Dans le même contexte, il convient encore de préciser que la mission du juge de la légalité

conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation

des juridictions de l’ordre administratif exclut le contrôle des considérations d’opportunité et

notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après

les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est

fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Dans cette démarche de vérification des faits et des motifs à la base de l’acte déféré, le tribunal

est encore amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence

est vérifiée, une erreur d’appréciation étant susceptible d’être sanctionnée dans la mesure où elle est

manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage

excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par

cette autorité.

Ainsi, les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans

d’aménagement ou projettent d’adopter des plans d’aménagement doivent être mues par des

considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre

politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les

autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la

conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations.

A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 « Les

communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de

la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement

durable de toutes les parties du territoire communal par:

(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la

complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux ;

(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux

de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures,

et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire ;

(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des

énergies renouvelables ;

(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une

densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité

urbanistique des localités ;

(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement

naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ;

(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. »

L’article 6 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit quant à lui que « Le plan d’aménagement général

a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses

zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs

définis par l’article 2 de la loi. ».

Il convient encore de noter que la modification d’un PAG est, dans son essence même, prise

dans l’intérêt général, cette caractéristique étant présumée jusqu’à preuve du contraire4

4 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 9 et les autres références y

citées.

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9

Il ressort encore de l’article 32 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 concernant le

contenu du plan d'aménagement général d'une commune, ci-après désigné par « règlement grand-

ducal PAG du 28 juillet 2011 »5, que « Les servitudes « couloirs et espaces réservés », définies dans

le plan d’aménagement général, se rapportent à des fonds réservés soit aux projets d’infrastructures

de circulation ou de canalisation, soit à l’écoulement et à la rétention des eaux pluviales.

L’emprise définitive des infrastructures est définie dans le cadre du plan d’aménagement

particulier ».

Selon l’article 28 de la partie écrite du PAG « Les servitudes «couloirs et espaces réservés»,

définies dans le plan d'aménagement général, se rapportent à des fonds réservés soit aux projets

d'infrastructures de circulation ou de canalisation, soit à l'écoulement et à la rétention des eaux

pluviales.

L'emprise définitive des infrastructures est définie dans le cadre du plan d'aménagement

particulier ou sur la base des plans d'exécution des projets d'infrastructures. »

Force est de constater que Monsieur ... se plaint en substance du fait que ses parcelles ont été

classées en partie en une zone d’aménagement différé [ZAD-SD ME-07], respectivement à une zone

superposée « couloir et espace réservés pour projets routiers », sans qu’un projet concret ne soit en

préparation et il critique le tracé du futur .... Or, il échet de retenir que les réflexions de politique

urbanistique avancées par l’administration communale et la partie étatique ayant traduit la volonté de

garder les terrains litigieux non construits afin de permettre ou du moins de ne pas rendre impossible

à l’avenir d’éventuels projets d’infrastructure de circulation relatifs au futur ..., sont de nature à

justifier à suffisance le classement litigieux, sans que le ministre aurait commis un excès ou

détournement de pouvoir. En effet, l’essence même des règles urbanistiques n’étant pas de refléter

une réalité existante figée dans le temps, mais consistant à prévoir et à programmer l’aménagement

urbain, de sorte que les autorités communales doivent être admises à maintenir des zones non

construites en vue d’un projet d’infrastructure de circulation à réaliser ou à développer le cas échéant

à l’avenir seulement6. Ainsi, les critiques du demandeur ayant trait au tracé du futur ... et au fait qu’il

n’aurait pas été contacté par les services étatiques au sujet de la modification du tracé dudit boulevard

ne sont pas pertinentes au niveau du présent recours, dans la mesure où le PAG sous analyse ne fixe

pas le tracé dudit boulevard mais procède au classement des parcelles dans diverses zones permettant

un aménagement futur potentiel.

Au vu des explications de la partie étatique et de l’administration communale selon lesquelles le

... serait un projet routier ayant vocation à relier la ... et l’autoroute … à la ..., afin de décharger le réseau

de circulation de l’ouest de la Ville de Luxembourg, permettant en outre de viabiliser les nouveaux

quartiers et zone économiques créées le long du futur boulevard, dont le tracé potentiel n’a d’ailleurs

pas subi de modification par rapport à l’ancien PAG dit « PAG Joly », il échet de retenir que le fait de

rendre les parties litigieuses des parcelles appartenant à Monsieur ... constructibles aurait été contraire

aux objectifs d’intérêt général d’un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y

compris les réseaux de communication et d’approvisionnement et d’une utilisation rationnelle du sol,

5 Abrogé par le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une

commune mais applicable au recours sous examen en vertu des dispositions transitoires inscrites à l’article 39 prévoyant

que « (2) [les dispositions du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011] continuent cependant à s’appliquer aux plans

d’aménagement général adoptés conformément au règlement grand-ducal précité. Toutefois, jusqu’au 8 août 2018, le

collège des bourgmestre et échevins peut entamer la procédure d’adoption d’un projet d’aménagement général élaboré

conformément aux dispositions du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, précité ». 6 cf. trib. adm. 25 juin 2008, n° 22066 du rôle, non réformé sur ce point par Cour adm., 30 avril 2009, n° 24660C du

rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

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tels que visés par l’article 2 a) et b) de la loi du 19 juillet 2004. Ainsi, le classement en cause est

parfaitement retraçable, d’autant plus que sous le PAG Joly, les parcelles de Monsieur ... étaient déjà

classées entre autres en zone réservée « nouveaux alignements de la voie publique » ayant été reprise en

substance sous le nouveau PAG en zone superposée « couloir et espace réservés pour projets routiers ».

S’agissant de l’argument du demandeur ayant trait à une violation du principe de sécurité

juridique ainsi que de son corollaire, le principe de confiance légitime, il échet de retenir que le

principe de sécurité juridique impose la clarté et la précision des règles de droit et des actes individuels

qui constituent, à un certain moment, le cadre juridique dans lequel les autorités exercent leurs

compétences et les administrés leurs activités. Autrement dit, il s'agit de la possibilité reconnue à tout

administré d'évoluer dans un environnement juridique à l'abri des aléas et des revirements affectant

les normes en vigueur. Le principe de la sécurité juridique s'exprime principalement à travers deux

autres principes : le principe d'intangibilité des actes individuels créateurs de droits, et le principe

général du droit de la non-rétroactivité des actes administratifs7.

Si le principe de confiance légitime s’identifie à l’obligation de respecter les attentes qu’une

ligne de conduite précédemment suivie par l’autorité a légitimement fait naître chez l’administré,

encore faut-il établir de manière convaincante cette ligne de conduite. 8

En l’espèce, le demandeur reste en défaut de retracer une ligne de conduite précise suivie

précédemment par l’administration communale, respectivement le ministre et quelles attentes

concrètes auraient fait naître la prétendue ligne de conduite dans son chef, étant à cet égard rappelé

que compte tenu de la mutabilité intrinsèque des situations générales, due aux changements de

circonstances de fait et de droit, les actes réglementaires ne créent, en principe, que des droits

précaires et maintiennent dans le chef de l'autorité administrative le pouvoir soit de changer soit

d'abroger un acte réglementaire, en faisant usage des pouvoirs qui lui sont conférés dans l'exercice de

sa mission. Dans cette optique, l'invocation de l'intérêt général motivé par un urbanisme cohérent peut

justifier des changements dans les parties graphique et écrite d'un PAG9, de sorte qu’il n’y a ni atteinte

à sa confiance légitime, ni au principe de sécurité juridique.

Quant à la demande tendant à voir ordonner une visite des lieux, il échet de préciser que la

visite des lieux constitue une mesure d'instruction ordonnée par le juge afin de lui permettre de se

procurer lui-même une appréciation de certains éléments de fait in situ. Si le demandeur a certes

proposé au tribunal de procéder à une visite des lieux, il convient cependant de rappeler qu’aux

termes de l’article 351 du Nouveau Code de procédure civile, une mesure d’instruction ne peut être

ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.

Or en l’espèce, les faits offerts en preuve constituent des faits susceptibles d’être aisément et à

moindres frais établis par la production des plans cadastraux et de photos, de sorte que le tribunal ne

saurait faire droit à la demande tendant à voir ordonner une visite des lieux. Dans la mesure où dans

le cadre du recours sous examen, les éléments de fait sont établis à suffisance et ne sont en tant que

tels pas litigieux, mais que le tribunal est uniquement saisi des éléments de droit liés à ces faits, une

visite des lieux ne pourrait apporter aucune précision supplémentaire utile pour la solution du présent

litige, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une telle mesure d’instruction.

7 Jean-Claude Bouchard, « Principes généraux du droit – La note 442 du 28 mars 1928, un retour vers le futur ? Des

principes de bonne administration, de sécurité juridique, de confiance légitime… », Revue de droit fiscal, n° 20, 18 mai

2007, 513. 8 Conseil d’Etat belge, 10 septembre 2014, n° 228.320 du rôle, disponible sur www.raadvst-consetat.be. 9 trib. adm. 14 février 2001, n°11414 du rôle, confirmé par Cour adm., 27 novembre 2001, n° 13130C du rôle, Pas. adm.

2018, V° Urbanisme, n°183 et l’autre référence y citée.

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S’agissant de la demande du demandeur tendant à la communication de l’intégralité du

dossier administratif, respectivement de la demande à se voir communiquer des « plans et de vrais

plans », il échet de retenir que le demandeur n’a pas précisé à quel titre le dossier administratif

disponible sur la plateforme Internet mise en place par l’administration communale ne serait pas

complet et, à la suite de la communication d’un extrait de plan du ... par la partie étatique, le

demandeur n’a plus formulé de critique par rapport à la qualité du plan versé, de sorte que le tribunal

est amené à rejeter cette demande.

Il suit des considérations qui précèdent que les moyens relatifs à un excès de pouvoir, à une

violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique et au non-respect de l’intérêt

général sont à rejeter pour ne pas être fondés.

c) Quant au moyen ayant trait à une violation de l’article 16 de la Constitution

Monsieur ... fait valoir que le tracé de voirie prévu pour le raccordement de la ... au ... ne

respecterait pas les limites de ses parcelles, de sorte qu’il y aurait violation de l’article 16 de la

Constitution. Il estime que l’utilité publique de la mesure préconisée resterait en état de pure

allégation et que les dispositions de la loi modifiée du 15 mars 1979 sur l’expropriation pour cause

d’utilité publique, ci-après désignée par « la loi du 13 mars 1979 » ne seraient aucunement respectées.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur exprime ses doutes quant à la nécessité d’une

voirie reliant le ... à la ..., alors qu’il existerait « une autoroute parallèle qui est susceptible de

résoudre, même si elle ne le fait pas, les grands problèmes de circulation sur cette portion de notre

sacro-saint territoire luxembourgeois » et soutient qu’il appartiendrait à la commune, respectivement

au ministre de prouver la justification du .... S’agissant de la justification de vouloir rendre accessible

les terrains situés derrière les parcelles lui appartenant, il estime que cet accès pourrait être créé par

la réalisation d’une bretelle sur l’autoroute. Il se pose encore la question de savoir « si compte tenu

de l’extrême surcharge de toutes les voiries et notamment de l’autoroute dans cette zone, s’il est

encore politiquement raisonnable de vouloir toujours et toujours rajouter encore des constructions

qui ne font qu’aggraver le fléau qui frappe le pays et pour la solution duquel aucune instance de

quelque nature qu’elle soit est en mesure de fournir ne fût-ce qu’un début de commencement de

solution ». Dans ce contexte, le demandeur demande la communication d’un plan détaillé, retraçant

le futur boulevard par référence aux parcelles lui appartenant.

Il échet d’abord de préciser qu’aux termes de l’article 16 de la Constitution « Nul ne peut être

privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et

de manière établis par la loi. »

Force est en l’espèce de constater qu’aucun transfert de propriété des parcelles de la partie

demanderesse n’a été décidé ou ne s’est opéré, de sorte qu’en principe, aucune expropriation au sens

de l’article 16 de la Constitution ne peut être constatée.

Par ailleurs, il échet de constater que par un arrêt du 4 octobre 2013, inscrit sous le numéro

… du registre, la Cour constitutionnelle a retenu par rapport à une question de constitutionnalité dont

elle a été saisie dans le cadre d’un recours contentieux dirigé contre l’adoption d’un nouveau PAG

ayant notamment classé des parcelles en zone non constructible qui étaient auparavant classées en

zone constructible que : « (…) l’article 16 de la Constitution garantit la protection du droit de

propriété et prohibe l’expropriation, autrement que pour cause d’utilité publique et moyennant juste

indemnité ;

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Considérant qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel

qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation ;

Considérant qu’en posant en principe que les servitudes résultant d’un plan d’aménagement

général n’ouvrent droit à aucune indemnité et qu’en prévoyant des exceptions à ce principe qui ne

couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par

une telle servitude est hors de proportion avec l’utilité publique à la base de la servitude, l’article

22, en combinaison avec les articles 5,6, 2 et 8 de la loi modifiée du 19 juillet 2004, est contraire à

l’article 16 de la Constitution ;

Considérant que la contrariété de ladite disposition à la Constitution n’entrave en rien le

droit des pouvoirs publics d’instaurer des servitudes d’urbanisme dans un but d’utilité publique,

laissant intact le principe de la mutabilité des plans d’aménagement général et n’autorisant pas le

juge administratif à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone

constructible en zone non constructible ;

Que les propriétaires touchés peuvent en revanche, conformément au droit commun, suivant

la situation concrète du cas d’espèce, le cas échéant faire valoir devant le juge judiciaire un droit à

indemnisation dépendant, notamment, de la situation du terrain, du caractère contraignant de la

servitude et des projets concrets de viabilisation du terrain ; ».

Dès lors, la Cour constitutionnelle, bien qu’ayant retenu que l’article 22 de la loi du

19 juillet 2004, en combinaison avec les articles 5, 6, 2 et 8 de la même loi, était contraire à l’article

16 de la Constitution, a consacré le principe de la mutabilité des plans d’aménagement général tout

en soulignant que le juge administratif n’était pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain

précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, mais que les propriétaires

concernés pouvaient se pourvoir, le cas échéant, devant le juge judiciaire en vue de l’allocation d’une

indemnité éventuelle.

Au vu de la solution ainsi dégagée par la Cour constitutionnelle, le tribunal est amené à retenir

que le moyen d’annulation du demandeur tiré d’une violation de l’article 16 de la Constitution est à

rejeter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de sanctionner le reclassement d’un

terrain d’une zone constructible en zone non constructible et ainsi a fortiori non plus la décision de

maintenir le classement d’un terrain.

Quant à l’argumentation du demandeur que les dispositions de la loi du 15 mars 1979

n’auraient pas été appliquées, il échet de retenir que ladite loi n’est pas applicable en l’espèce, dans

la mesure où elle s’applique au niveau de l’exécution d’un plan d’aménagement, alors que le recours

sous examen ne s’inscrit pas dans ce dernier cadre, mais bien dans celui de l’adoption du PAG.

d) Quant au moyen ayant trait à la législation relative aux biotopes

Le demandeur soutient que le ministre, à travers la décision du 5 octobre 2017, remettrait en

cause « toute cette politique [ayant trait aux biotopes] (…) avec toutes les conséquences que ceci est

susceptible d’entraîner pour les communes et naturellement pour les particuliers » et qu’il

« éprouve[rait] de sérieuses difficultés à croire ses yeux en lisant des passages tels que « il y a lieu

de rappeler que les informations relatives aux biotopes notamment, figurant initialement à titre

purement indicatif dans la partie graphique du PAG, y ont été supprimées lors du vote du conseil

communal du 13 juin 2016 et intégrées dans un nouveau plan intitulé « indications

complémentaires », ce dernier n’ayant cependant aucune valeur réglementaire ».

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Le demandeur fait valoir que « Comme le Ministre fait droit à la réclamation sur le point des

biotopes, il y a lieu d’annuler la décision et de dire la réclamation fondée alors que la réclamation

visait justement les biotopes figurant sur [s]es parcelles (…), ces biotopes ayant été supprimées

respectivement le Ministre leur dénie toute valeur juridique ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir que « la notion de « biotope » a[urait]

entretemps été déclarée anticonstitutionnelle. ».

Il échet de rappeler que Monsieur ... avait réclamé contre « une classification en biotope » qui

l’obligerait à des restrictions d’utilisation, qu’il avait jugées démesurées et qu’à travers la décision du

5 octobre 2017, le ministre a déclaré la réclamation de Monsieur ... non fondée en l’informant que les

informations relatives aux biotopes, ayant figuré initialement à titre indicatif dans la partie graphique

du PAG, y auraient été supprimées lors du vote du conseil communal du 13 juin 2016 et auraient été

intégrées dans un nouveau plan intitulé « indications complémentaires » n’ayant aucune valeur

réglementaire.

Ainsi, le ministre n’a pas pu faire droit à la réclamation de Monsieur ..., étant donné que les

biotopes ne figuraient plus dans la partie graphique du PAG depuis le vote du conseil communal du

28 avril 2017.

En effet, les plans intitulés « PAG plan avec indications complémentaires » constituent des

actes juridiquement distincts de la décision déférée et dépourvus de toute valeur juridique. Ainsi, la

décision du conseil communal du 28 avril 2017, approuvée par la décision ministérielle déférée, porte

exclusivement adoption de la partie graphique et de la partie écrite du PAG, sans mentionner les plans

comportant les indications complémentaires, qui n'ont ainsi pas été adoptés par les autorités

communales ni approuvés par le ministre. Concrètement, il y a lieu de constater que la seule indication

par les plans en question d'un biotope sur une parcelle ne peut en aucun cas porter classification de la

partie concernée du terrain comme biotope. En tout état de cause, un tel classement ne relève pas de

la compétence du ministre, mais, le cas échant d’une autorité distincte.

Dans son arrêt n° 00138 du 6 juin 2018 invoqué par le demandeur pour conclure à

l’inconstitutionnalité de la notion de biotope, la Cour constitutionnelle a statué dans une hypothèse

d’infraction constatée et punie par le juge pénal au regard de la conformité de l’article 17 de la loi du

19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles par rapport aux

articles 12 et 14 de la Constitution entérinant les principes de légalité de la peine et de légalité de

l’infraction. En substance, la Cour constitutionnelle y a retenu que l’énumération des différents sites

effectuée par l’article 17 – mares, marécages, marais, sources, pelouses sèches, lands, tourbières,

couvertures végétales, constitués par des roseaux ou des joncs, haies, broussailles ou bosquets –

suffisait à l’exigence de précision requise au regard du principe de la légalité de l’infraction, tandis

que pour les lieux de vie y non énumérés, l’alinéa 1er de l’article 17, pris en sa première phrase, était

contraire à l’article 14 de la Constitution.10 Force est au tribunal de retenir qu’en l’espèce, le ministre,

respectivement le conseil communal, n’ont pas pris de décision dans le cadre de l’article 17 de la loi

du 19 janvier 2004, de sorte que cet arrêt n’est pas pertinent dans le cadre du recours sous analyse.

Il suit de ce qui précède que les plans appelés « PAG plan avec indications complémentaires »

ne constituent pas un complément des décisions déférées et partant du PAG litigieux, mais des actes

juridiquement distincts, qui, de surcroît sont dépourvus de toute valeur normative, de sorte qu'aucune

illégalité des décisions déférées ne saurait être tirée de l'existence desdits plans. Le moyen afférent est

partant à rejeter ne pas être fondé.

10 Cour adm. 13 décembre 2018, n° 41111C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

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e) Indemnité de procédure

Enfin, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.- euros

telle que formulée par Monsieur ... en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999

portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il

paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises

dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine », est à

rejeter au vu de l’issue du litige.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne la demande en obtention d’une indemnité

de procédure de … euros, telle que formulée par la partie étatique, étant donné qu’elle omet de

préciser en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

Il ne saurait pas non plus être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le

litismandataire de la partie étatique, alors que pareille façon de procéder n’est pas prévue en matière

de procédure contentieuse administrative11.

Par ces motifs,

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de …euros telle que

formulée par le demandeur ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de … euros telle que

formulée par l’Etat ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par:

Françoise Eberhard, vice-président,

Daniel Weber, juge,

Michèle Stoffel, juge,

et lu à l’audience publique du 15 juin 2020 par le vice-président, en présence du greffier Lejila

Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard

Reproduction certifiée conforme à l’original

Luxembourg, le 15 juin 2020

Le greffier du tribunal administratif

11 Trib. Adm. 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 1094 et les autres

références y citées.