41
TRIBUNAL D’ARBITRAGE DE GRIEF CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC (R.L.R.Q., c. C-27) ENTRE : LA VILLE DE SHERBROOKE (L’« EMPLOYEUR ») ET : LE SYNDICAT DES POMPIERS ET POMPIÈRES DU QUÉBEC, SECTION LOCALE SHERBROOKE ET AUTRES SYNDICATS (LES « SYNDICATS ») ET : ASSOCIATION DU PERSONNEL CADRE DE LA VILLE DE SHERBROOKE (L’ « INTERVENANTE ») Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal, L.Q. 2014, c.15 (R.L.R.Q. c. S-2.1.1) ; Art. 26 Conditions au report des négociations SENTENCE ARBITRALE Tribunal : M e Serge Brault, Méd. A. et Arb. A., arbitre unique Comparutions pour l’Employeur : M e Richard Coutu (Bélanger Sauvé), M e Serge Cormier, Ville de Sherbrooke, Procureurs Comparution pour le SCFP : M e Yves Morin (Lamoureux Morin Lamoureux), Procureur

TRIBUNAL D’ARBITRAGE DE GRIEF CODE DU … · tribunal d’arbitrage de grief code du travail du quÉbec (r.l.r.q., c. c-27) entre : la ville de sherbrooke (l« employeur ») et

  • Upload
    letuyen

  • View
    236

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

TRIBUNAL D’ARBITRAGE DE GRIEF CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC

(R.L.R.Q., c. C-27)

ENTRE :

LA VILLE DE SHERBROOKE (L’« EMPLOYEUR »)

ET :

LE SYNDICAT DES POMPIERS ET POMPIÈRES DU QUÉBEC, SECTION LOCALE SHERBROOKE

ET

AUTRES SYNDICATS

(LES « SYNDICATS ») ET :

ASSOCIATION DU PERSONNEL CADRE DE LA VILLE DE SHERBROOKE

(L’ « INTERVENANTE »)

Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal, L.Q. 2014, c.15 (R.L.R.Q. c. S-2.1.1) ;

Art. 26 – Conditions au report des négociations

SENTENCE ARBITRALE

Tribunal : Me Serge Brault, Méd. A. et Arb. A., arbitre unique

Comparutions pour l’Employeur : Me Richard Coutu (Bélanger Sauvé),

Me Serge Cormier, Ville de Sherbrooke, Procureurs

Comparution pour le SCFP : Me Yves Morin (Lamoureux Morin Lamoureux),

Procureur

2 Comparution pour le SPQ : Me Laurent Roy (Roy Bélanger Dupras), Procureur Comparution pour le SFMP : M. Gaétan Desnoyers (FISA), Procureur Comparution pour l’APCVS : M. Michael Howard Lieu de l'audience : Sherbrooke Date d’audience : 19 avril 2016 Date de la sentence : 13 juin 2016

Adjudex Inc. SB-1602-15411-QP S/A-634-16

3

I

INTRODUCTION

[1] Le 5 décembre 2014, l’Assemblée nationale adopte la Loi favorisant la santé

financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur

municipal1, ci-après « la Loi ». Cette législation oblige les intéressés du secteur municipal

ayant un régime de retraite à prestations déterminées à négocier des modifications

destinées à l’y rendre conforme ; et à défaut d’entente, elle prévoit qu’un arbitre les

détermine.

[2] Suivant les articles 25 et 28 de la Loi, la négociation dont il s’agit doit débuter le

1er février 2015 et se conclure dans les douze (12) mois. Cependant l’article 26 en permet

à certaines conditions le report au 1er janvier 2016.

[3] La question du droit à ce report est au cœur de ce litige qui oppose la Ville de

Sherbrooke (« l’Employeur » ou « la ville ») et tous ses employés y compris ses cadres,

sauf les policiers. Le débat revêt une forme particulière en ce qu’il regroupe six recours

intentés contre la Ville au nom des participants à son régime de retraite (« le régime »),

syndiqués comme non syndiqués.

[4] Cette réunion de recours regroupe donc des demandes parallèles mais toutes

identiques dans leur objet. Elle se fait de concert à la demande de la Ville et de chaque

syndicat identifié plus bas, ainsi que de l’Association de son personnel cadre, non

syndiqué, cette dernière intervenant de l’accord des autres.

[5] Par souci de concision et de précision, j’énumère ici toutes les parties

demanderesses, avec en regard du nom de chacune l’identification du recours porté

devant moi, le cas échéant le numéro du grief, ainsi que de la convention collective ou

de l’entente d’appui. Rien de cela n’est en litige :

1 L.Q. 2014, c.15 (R.L.R.Q. c. S-2.1.1).

4

PARTIES DEMANDERESSES No du recours Convention collective ou

Entente

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2729

2015-29 2008-2014

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3672

01-11-2015 2008-2012

Syndicat des travailleurs et travailleuses d’Hydro-Sherbrooke, SCFP (FTQ), section locale 1114

1502 2014-2018

Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Sherbrooke

15-001 2010-2013

Syndicat des fonctionnaires municipaux et professionnels de la Ville de Sherbrooke (FISA)

15-009 2008-2012

Association du personnel cadre de la Ville de Sherbrooke

Lettre 9.12.2015

Protocole 2008-2014

[6] Les conventions du SCFP, sections locales 1114 et 2279, et l’entente de

l’Association couraient encore à l’adoption de la Loi. Les autres conventions collectives,

bien qu’échues, comportent une clause en prolongeant les effets jusqu’à leur

renouvellement.

[7] Dit simplement, ces employés soutiennent que l’état de leur régime permet un

report de la négociation en 2016 alors que l’Employeur prétend le contraire.

[8] Le litige comporte un enjeu monétaire bien concret. Suivant que, juridiquement, la

négociation débute en 2015 ou en 2016, elle se tient dans le premier cas sur la base de

données actuarielles établies au 31 décembre 2013 et dans le second, au 31 décembre

2014. Or, l’écart du déficit à éventuellement partager varie à la baisse de quelque quatre

(4) millions de dollars en 2014 sur 2013. C’est tout dire.

5 [9] Aucun témoin n’a été entendu en l’espèce, les parties ayant convenu d’admissions

assorties de la production de documents, dont de volumineux extraits des consultations

parlementaires ayant précédé l’adoption de la Loi.

[10] Les parties m’ont de concert confié le mandat de trancher l’affaire. Elles

reconnaissent ma compétence pour ce faire, y compris à l’égard de l’Association, et se

déclarent liées par la sentence à venir. Il n’y a aucune question de procédure en litige.

II

LA PREUVE

[11] Voici les admissions :

1. Le 14 janvier 2015, la Ville transmettait aux Syndicats un avis de négociation conforme au deuxième alinéa de l’article 25 de la Loi.

2. Le 21 mai 2015, dans le cadre d’une rencontre de négociation entre la Ville et les représentants des différentes associations, un porte-parole de ces derniers a fait état que le régime de retraite était visé par l’article 26 de la Loi.

3. Selon ce porte-parole, les négociations devaient être reportées et elles devaient être entreprises au plus tard le 1er janvier 2016. Cette affirmation était appuyée sur une opinion juridique qui a été remise aux représentants de la Ville à la fin de la rencontre.

4. La Ville, en désaccord avec cette opinion juridique, a fait analyser celle-ci par ses propres conseillers juridiques. Ceux-ci ont confirmé la position de la Ville à l’effet que le régime n’est pas visé par le report prévu à l’article 26 de la Loi.

5. Le 12 août 2015, la Ville a transmis aux représentants des Syndicats un avis de reprise des négociations.

6. Le 27 août 2015, un conseiller syndical auprès d’un des Syndicats a fait parvenir par courriel une lettre pour et au nom de l’ensemble des Syndicats à l’effet que ces derniers s’en tiennent à l’opinion juridique remise le 21 mai 2015, de sorte qu’ils déclinent l’invitation de la Ville à poursuivre les négociations.

7. Les dispositions législatives pertinentes sont notamment les suivantes :

6

25. Des négociations […]

26. Malgré l’article 25 […]

[…]

8. Selon l’article applicable, l’évaluation actuarielle utilisée pour la négociation sera soit celle du 31 décembre 2013 (art. 4, 25) ou celle établie au 31 décembre 2014 (art. 26 et 60).

9. Le taux de capitalisation du régime atteint 80%. En fait, il les dépasse.

10. Dans le cas qui nous occupe, la cotisation d’exercice du groupe des pompiers est inférieure à 20%. Toutefois, la limite de 18% pour les autres participants au régime excluant le groupe des pompiers, est dépassée. Pour la Ville, cela fait en sorte que le report de l’article 26 n’est pas possible.

11. Les Syndicats sont plutôt d’avis que le report est possible puisqu’il suffit que la limite soit respectée pour le groupe des pompiers.

12. La Ville reconnaît que le groupe des pompiers pris isolément pourrait se qualifier pour le report prévu à l’article 26 de la Loi Régime de retraite sur le secteur municipal « RRSM ».

[12] Devant l’impasse résumée dans les admissions, l’Employeur intente au départ un

recours en Cour supérieure. Il y est en quête d’un jugement déclaratoire favorable à sa

thèse assorti d’une injonction en vue de la tenue de négociations dès 2015.

[13] La Cour décline compétence le 5 février 2016 dans un jugement bien étayé,

estimant le litige de la compétence exclusive de l’arbitre de grief2 à qui elle le renvoie.

[14] Elle y convie du même coup l’Association qui sans être un syndicat accrédité est

néanmoins une partie directement concernée. La Cour dit :

[36] L’Association des cadres n’est pas une association de salariés au sens du Code du travail, l’Association a fait savoir qu’elle entendait réclamer le statut de partie intéressée à l’occasion des griefs sur la question qui nous occupe et de reconnaître la compétence de l’Arbitre pour en connaître. Cela règle la question.

(Références omises)

2 Sherbrooke (Ville de) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2729, 2016 QCCS 676.

7 [15] Concrètement, les parties ont plaidé en se référant au texte qui suit, soit celui du

grief du Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Sherbrooke (le

« SPQ »). C’est pourquoi j’ai choisi de le nommer en page frontispice de cette sentence.

Voici ce grief :

[…]

Conformément à la procédure d’arbitrage prévue à l’article 23 de la convention collective entre la Ville de Sherbrooke et le Syndicat des pompiers du Québec, section locale de Sherbrooke, le Syndicat, par son représentant dûment autorisé, M. Mario Lussier, soumet le présent grief.

Les faits donnant naissance au grief peuvent se résumer, notamment, mais non limitativement, comme suit :

1. La Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal (RLRQ, c. S-2.1.1) (ci-après « Loi RRSM ») est entrée en vigueur le 5 décembre 2014 ;

2. Cette Loi oblige la modification de tout régime de retraite à prestations déterminées établi par un organisme municipal. La Loi RRSM prévoit également un processus et des règles particulières de modification des régimes (article 1 Loi RRSM) ;

3. Les modifications du régime peuvent découler soit, d’une part, de l’entente qui intervient entre les parties des suites du processus obligatoire de négociation ou, d’autre part, de la décision de l’arbitre nommé en vertu de la Loi RRSM ;

4. En tout état de cause, les modifications du régime entraînent automatiquement une modification de la convention collective conclue entre les parties (article 58 Loi RRSM) ;

5. Or, le régime de retraite est une composante de la rémunération et des conditions de travail des salariés. Il s’agit d’une matière négociée lors du renouvellement de chaque convention collective et une matière prévue à l’article 18 de la convention ;

6. La Ville prétend que l’article 25 de la Loi RRSM trouve application et tente de forcer le Syndicat à se conformer à cet article qui prévoit que la période de négociation obligatoire a débuté le 1er février 2015 ;

7. Le Syndicat prétend plutôt que la période de négociation applicable est celle prévue à l’article 26 de la Loi RRSM qui permet un report de la période de négociation au 1er février 2016 ;

8

8. Selon l’article applicable, l’évaluation actuarielle utilisée dans le cadre des négociations est soit celle établie au 31 décembre 2013 (article 25 Loi RRSM) ou celle établie au 31 décembre 2014 article 26 Loi RRSM) ;

9. La tentative de la Ville de forcer la négociation selon la période prévue à l’article 25 de la Loi RRSM plutôt que celle prévue à l’article 26 est susceptible d’entraîner un impact majeur et nettement plus défavorable sur le régime de retraite dont bénéficie (sic) les salariés que si l’article 26 de la Loi RRSM trouvait application ;

10. Cet impact négatif aurait nécessairement un impact direct et négatif sur les conditions de travail régies par la convention collective négociée entre les parties ;

11. Le 30 octobre 2015, le Syndicat recevait signification d’une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire et injonction permanente, logée par la Ville ;

12. Par cette requête, la Ville tente de forcer le Syndicat à négocier selon la période prévue à ‘article 25 de la Loi RRSM ;

13. Au surplus, la Ville tente d’escamoter la juridiction de l’arbitre de griefs et contrevient ainsi à l’article 23 de la convention collective. En demandant à la Cour supérieure de déterminer les droits des parties au regard d’une matière visée par la convention collective et dont l’essence factuelle découle implicitement ou explicitement de cette convention, la Ville viole la convention collective et l’économie générale du Code du travail.

PAR CONSÉQUENT, PLAISE À L’ARBITRE :

D’ACCUEILLIR le présent grief ;

DE DÉCLARER que la Ville a contrevenu à la convention collective ;

DE DÉCLARER que la date à laquelle les négociations entre les parties devront débuter concernant leur régime de retraite est celle du 1er janvier 2016 ;

D’ORDONNER aux parties d’utiliser l’évaluation actuarielle de référence préparée avec les données arrêtées au 31 décembre 2014 dans leurs négociations sur le régime de retraite ;

DE RENDRE toute ordonnance propre à sauvegarder les droits et les intérêts du Syndicat des pompiers du Québec, section locale de Sherbrooke ;

9 [16] Le litige pose essentiellement la question de l’assujettissement des parties à

l’article 25 ou 26 de la Loi.

[17] Il y a lieu, pour une meilleure intelligence de la démarche et quitte à en ralentir

quelque peu le débit, de rappeler les principales dispositions pertinentes de cette

législation :

LOI FAVORISANT LA SANTÉ FINANCIÈRE ET LA PÉRENNITÉ DES RÉGIMES DE RETRAITE À PRESTATIONS DÉTERMINÉES DU SECTEUR MUNICIPAL

CHAPITRE I

OBJET ET APPLICATION

1. La présente loi a pour objet d'obliger la modification de tout régime de retraite à prestations déterminées, régi par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (chapitre R-15.1) et établi par un organisme municipal, ainsi que du Régime de retraite des employés municipaux du Québec, en vue d'en assainir la santé financière et d'en assurer la pérennité.

Un processus et des règles particulières sont prévus aux fins de la restructuration des régimes de retraite.

Pour l'application de la présente loi, un régime de retraite à cotisation et à prestations déterminées est considéré comme un régime à prestations déterminées. Toutefois, seul le volet à prestations déterminées d'un tel régime de retraite est visé par la restructuration.

[…]

CHAPITRE II

RESTRUCTURATION DES RÉGIMES DE RETRAITE ÉTABLIS PAR UN ORGANISME MUNICIPAL

SECTION I

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

4. Tout régime de retraite visé par la présente loi doit faire l'objet d'une évaluation actuarielle complète établie avec les données arrêtées au 31 décembre 2013.

Le rapport relatif à cette évaluation actuarielle doit être transmis à Retraite Québec au plus tard le 31 décembre 2014.

[…]

La part de tout déficit imputable aux retraités au 31 décembre 2013 et

10

celle imputable aux participants actifs le 1er janvier 2014 devront être présentées séparément. Pour déterminer la part des déficits imputables à chacun de ces groupes, l'actif du régime est réparti au prorata des passifs établis selon l'approche de capitalisation. Lorsqu'un régime comporte un volet à cotisation déterminée, l'actif et le passif de ce volet ne sont pas considérés aux fins de la répartition.

Tout participant qui ne bénéficie pas d'une rente de retraite est un participant actif aux fins de la présente loi.

[…]

8. Le 1er janvier 2014, la cotisation d'exercice ne doit pas excéder 18% de la masse salariale des participants actifs, telle que définie au régime aux fins de l'établissement de la rente. Cette cotisation ne peut excéder 20% pour les policiers et les pompiers.

Toutefois, lorsque l'âge moyen des participants actifs d'un régime est supérieur à 45 ans le 31 décembre 2013, la proportion maximale de la masse salariale que peut atteindre la cotisation d'exercice conformément au premier alinéa peut être majorée de 0,6 point de pourcentage pour chaque année complète d'écart. De plus, une majoration maximale de 0,5 point de pourcentage est permise lorsque la représentation féminine est supérieure à 50% des participants actifs. Dans ce dernier cas, le rapport prévu au deuxième alinéa de l'article 4 doit justifier que cette majoration est nécessaire en vue de permettre le versement de prestations équivalentes à celles qui auraient été versées n'eût été de cette caractéristique. Pour les régimes dont le degré de capitalisation est supérieur à 100%, une majoration de 0,25 point de pourcentage est également permise pour chaque tranche de 1% d'actif qui excède la valeur des obligations au titre des prestations constituées à la fin de l'exercice visée par l'évaluation actuarielle établie au 31 décembre 2013.

Lorsque la cotisation d'exercice établie dans l'évaluation actuarielle prévue au deuxième alinéa de l'article 4 excède de plus de quatre points de pourcentage la proportion maximale de la masse salariale que peut atteindre la cotisation d'exercice conformément au premier alinéa, l'excédent peut être réduit de moitié le 1er janvier 2014 et le reste de cet excédent à la suite de l'évaluation actuarielle complète subséquente. L'âge moyen des participants actifs et la représentation féminine alors constatés dans cette évaluation actuarielle devront être pris en compte et la proportion maximale de la masse salariale réajustée en conséquence, le cas échéant.

Le montant représentant la différence entre la cotisation d'exercice payée par l'organisme municipal le 31 décembre 2013 et la cotisation d'exercice payable par cet organisme municipal en application du présent article doit être versé, à titre de cotisation d'équilibre, en vue d'accélérer le remboursement des déficits dont il est question au troisième alinéa de l'article 12.

[…]

11

CHAPITRE III

RESTRUCTURATION DU RÉGIME DE RETRAITE DES EMPLOYÉS MUNICIPAUX DU QUÉBEC

22. Le Régime de retraite des employés municipaux du Québec doit faire l'objet de l'évaluation actuarielle prévue à l'article 4.

23. Ce régime de retraite doit être modifié, afin d'y prévoir qu'à compter du 1er janvier 2015 :

1° la cotisation d'exercice est partagée à parts égales entre l'organisme municipal et les participants actifs ;

2° un fonds de stabilisation alimenté par une cotisation de stabilisation partagée à parts égales entre l'organisme municipal et les participants actifs et ayant pour but de mettre le régime à l'abri d'écarts défavorables susceptibles de l'affecter ultérieurement est constitué.

La cotisation de stabilisation prévue au paragraphe 2° du premier alinéa représente 10% de la cotisation d'exercice, établie sans tenir compte d'une marge pour écarts défavorables prévue par l'Institut canadien des actuaires. Toutefois, elle peut représenter un pourcentage plus élevé de la cotisation d'exercice, si les organismes qui doivent approuver les modifications du régime y consentent. Cette cotisation est versée dans le fonds à compter du 1er janvier 2015. Les gains actuariels générés à compter du 1er janvier 2014 doivent aussi y être versés.

La valeur que doit atteindre ce fonds de stabilisation doit être calculée de la même manière que la provision pour écarts défavorables constituée à l'égard des engagements du régime accumulé au 31 décembre 2013.

24. Les articles 21, 53 et 68 à 74 de la présente loi s'appliquent au Régime de retraite des employés municipaux du Québec.

CHAPITRE IV

PROCESSUS DE RESTRUCTURATION DES RÉGIMES DE RETRAITE ÉTABLIS PAR UN ORGANISME MUNICIPAL

SECTION I

NÉGOCIATION

25. Des négociations entre les organismes municipaux et les participants actifs doivent être entreprises au plus tard le 1er février 2015 en vue de convenir d'une entente pour modifier le régime de retraite conformément aux dispositions de la présente loi.

Au plus tard le 15 janvier 2015, l'organisme municipal transmet à toute association représentant des participants actifs concernés par le régime un avis écrit d'au moins 8 jours et d'au plus 15 jours de la date,

12

de l'heure et du lieu où ses représentants seront prêts à rencontrer ceux de l'association.

Une copie de cet avis est transmise au ministre. À défaut d'un tel avis, les négociations sont réputées avoir débuté le 1er février 2015.

26. Malgré l'article 25, les négociations entre les organismes municipaux et les participants actifs sont entreprises au plus tard le 1er janvier 2016 à l'égard d'un régime prévu par une entente en vigueur le 31 décembre 2013 et toujours en vigueur le 5 décembre 2014 et conclue entre l'organisme municipal et tout ou partie des participants à ce régime lorsque :

1° le régime est pleinement capitalisé tel que constaté dans l'évaluation actuarielle prévue à l'article 4 ;

2° le taux de capitalisation du régime atteint 80% tel que constaté dans l'évaluation actuarielle prévue à l'article 4. De plus il est constaté, dans cette évaluation actuarielle, que la cotisation d'exercice n'excède pas 18% de la masse salariale des participants actifs et 20% de la masse salariale des pompiers et des policiers telle que majorée en application du deuxième alinéa de l'article 8 ou il est prévu dans l'entente soit le partage à parts égales des déficits passés, soit le partage à parts égales des cotisations d'exercice ou des déficits éventuels du service courant, soit la mise sur pied d'un fonds de stabilisation alimenté par une cotisation.

L'entente intervenue entre les parties en application du chapitre IV prend effet à l'échéance de la convention collective ou de toute autre entente qui prévoit le régime à moins que les parties ne conviennent qu'elle prend effet à une date antérieure.

Toutefois, toute disposition prévoyant l'indexation automatique de la rente à l'égard des participants actifs est abrogée à compter du 1er janvier 2014 tant à l'égard du service postérieur au 31 décembre 2013 qu'à l'égard du service antérieur au 1er janvier 2014, conformément aux articles 11 et 13. L'indexation de la rente des retraités au 31 décembre 2013 peut être suspendue conformément à la section III du chapitre II.

27. Dans le cas où les participants actifs d'un régime sont représentés par plus d'une association, les négociations sont tenues séparément ou conjointement par ces associations, selon les règles habituellement appliquées.

28. Les négociations doivent commencer et se poursuivre avec diligence et bonne foi dans le but de conclure une entente dans les 12 mois suivant le début de celles-ci.

29. À la demande conjointe des parties, le ministre peut prolonger la période de négociation pour une période de trois mois. Cette période de prolongation ne peut être renouvelée qu'une seule fois.

[…]

13

SECTION V

DISPOSITIONS DIVERSES

53. L'existence d'une convention collective ou de toute autre entente en cours de validité n'empêche pas l'application de la présente loi.

54. La signature d'une entente ne peut avoir lieu qu'après avoir été autorisée au scrutin secret par un vote majoritaire des membres de l'association représentant les participants actifs qui exercent leur droit de vote.

Si les négociations sont tenues conjointement par plusieurs associations, le scrutin se déroule selon les règles habituellement appliquées. À défaut de telles règles, la signature doit être autorisée, lors d'un scrutin secret, par un vote dont la majorité est calculée en tenant compte de l'ensemble des participants actifs, sans égard au groupe auquel ils appartiennent.

55. Un organisme municipal doit prendre, à l'égard des participants actifs visés par un régime de retraite établi par entente collective, mais qui ne sont pas représentés par une association, de même qu'à l'égard des participants actifs visés par un régime établi autrement que par une entente collective, des mesures leur permettant de formuler des observations sur les modifications proposées à ce régime.

Si 30% ou plus de ces participants actifs s'opposent à ces modifications, celles-ci ne peuvent être appliquées, à moins d'une décision de l'arbitre l'autorisant.

56. Si une entente collective est en vigueur, une entente ou une décision de l'arbitre en application du présent chapitre qui en modifie les termes a l'effet d'une modification de l'entente collective. Si l'entente collective fait l'objet d'une négociation en vue de son renouvellement, l'entente ou la décision est, à compter de la date où elle prend effet, réputée faire partie de la dernière entente collective.

[…]

60. Aux fins des négociations prévues à l'article 26, l'évaluation actuarielle de référence est celle préparée avec les données arrêtées au 31 décembre 2014 et les délais prévus au chapitre IV s'appliquent compte tenu des adaptations nécessaires.

Le taux d'intérêt maximal applicable aux évaluations actuarielles prévues aux articles 16 et 26 est fixé par le ministre.

Aux fins de l'application du deuxième alinéa de l'article 7, l'augmentation de la cotisation d'exercice prévue au plus tard le 1er janvier 2017 est reportée à l'échéance de la convention collective ou de toute autre entente qui prévoit le régime lorsque cette échéance est postérieure au 1er janvier 2017, dans les cas prévus à l'article 26.

De plus, la proportion maximale de la masse salariale que peut

14

atteindre la cotisation d'exercice en application des premier, deuxième et troisième alinéas de l'article 8 doit être majorée de la même manière que le taux de la règle fiscale fixant le pourcentage maximal des salaires pouvant être cotisé dans un régime à cotisation déterminée.

[…]

68. Retraite Québec peut émettre des directives techniques relativement à l'application de la présente loi.

69. Pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi, Retraite Québec peut, en outre des autres pouvoirs que lui accordent cette loi, la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9) et la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (chapitre R-15.1), exiger de tout comité de retraite ou de tout organisme municipal tout document ou renseignement qu'elle estime nécessaire pour l'application de la présente loi.

De plus, les articles 183 à 193, les articles 246, 247 et l'article 248 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite s'appliquent à la présente loi compte tenu des adaptations nécessaires.

[…]

71. La présente loi s'applique malgré toute disposition inconciliable.

72. Le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale est responsable de l'application de la présente loi3.

(Soulignements ajoutés)

La genèse

[18] Les Syndicats et l’Association partagent le même régime à prestations

déterminées établi par la Ville. Les conventions collectives liant la Ville de même que

l’entente4 de celle-ci avec l’Association, comportent toutes des dispositions spécifiques

s’y référant sans qu’il y ait lieu d’en dire davantage.

[19] Avec le temps, les parties en sont venues à négocier à une même table des

modifications au régime : par exemple, une lettre d’entente en 2007 pour en modifier

certains termes ou une autre pour l’amender en mai 2011.

3 C’est désormais le ministre des Finances qui exerce les fonctions du ministre de l'Emploi et de la Solidarité

sociale prévues à la Loi. Décret 55-2016 du 3 février 2016, (2016) 148 G.O. 2, 1272. Le même décret fait la même chose en ce qui a trait à la Loi sur Retraite Québec (R.L.R.Q. c. R-26.3) qui est retirée du portefeuille du ministre de l’Emploi en faveur de celui des Finances.

4 Protocole de gestion 2008-2014, document DC-20.

15 [20] Ces derniers amendements5 sont précédés d’un préambule affirmant entre autre

ce qui suit :

ATTENDU que les Syndicats, l’Association et la Ville sont conscients que la situation financière du régime de retraite doit être assainie et qu’ils ont la volonté de trouver ensemble des solutions au moyen de rencontres des groupes représentés au comité de retraite plutôt que par des négociations séparées par unité

d’accréditation ;

[21] Sans nous y attarder, notons tout de même que les parties négocient ensemble

les questions concernant le régime, de concert à une même table, s’agissant d’un

élément commun de leurs conditions de travail par ailleurs réparties dans des

conventions de travail distinctes.

[22] En dépit de ces efforts d’assainissement, le rapport actuariel pertinent affiche au

31 décembre 2013 un déficit de plus de quatre millions de dollars (4 000 000,00$) malgré

une capitalisation supérieure à 80%.

[23] La cotisation d’exercice y est de 18% de la masse salariale pour le groupe des

pompiers et de 19,3% pour les autres participants actifs6.

[24] Pendant ce temps à Québec, le processus d’adoption de la Loi donne lieu à des

consultations et auditions en commission parlementaire jusqu’à l’automne 2014.

[25] Le projet de loi original trace une voie et un calendrier uniques de redressement.

C’est en cours d’élaboration qu’apparaîtront les amendements prévoyant un certain

report.

[26] S’agissant de cette possibilité, le ministre parrain du projet est interpelé à quelques

reprises, comme en font état les extraits suivants relevés par les procureurs :

M. Moreau : Oui. Et, dans sa forme actuelle, ils peuvent, en vertu de l'article, commencer à négocier dès 2015. La réalité, c'est que cet article-là, ce que ça prévoit, c'est que, quand votre... Globalement, il prévoit quoi, cet article-là ? Il dit : Quand votre régime est pleinement capitalisé ou que vous avez 80 % de

5 Document DC-15. 6 Ce rapport est daté du 29 janvier 2015 suivant le document DC-22, p. 2.

16

capitalisation, là on nous demandait une gradation ; mais que vous avez déjà amorcé une restructuration puis que, dans vos éléments de restructuration, vous avez un ou l'autre des objectifs de restructuration prévus au projet de loi, on dit : Vous allez vous rendre à la fin de la convention collective, on va respecter les ententes signées, mais vous pouvez commencer tout de suite à négocier. L'effet de votre négociation sera décalé dans le temps, à la fin de l'entente qui est en vigueur, mais, en quelque part, on commence à négocier. […]

[…]

M. Moreau : L'article précédent, qu'on vient d'adopter, 18, nous dit : On commence le 1er février 2015. O.K. ? Ça, c'est pour tout le monde. Mais là on dit : Woups! un instant, il y en a qui sont ou pleinement capitalisés ou capitalisés à 80 % qui ont déjà pris conscience qu'ils devaient se restructurer, puis, dans l'entente en vigueur, là, ils ont prévu déjà, par exemple, la... souvent, la formation d'un fonds de stabilisation où ils sont à 18 % de la masse salariale déjà ou 20 % si c'est des policiers pompiers. On dit : Parfait, eux autres, ils ont un petit nuage. C'est quoi, ce petit nuage-là ? Ça reporte dans le temps l'obligation d'entreprendre la négociation. Au lieu de l'avoir en 2015, ils peuvent se rendre au 1er janvier 2016. Mais c'est une possibilité qu'ils ont, ce n'est pas une obligation qu'ils ont.

[…]

M. Therrien : Dans le cas de plusieurs... Ça a l'air simple, mais c'est un peu compliqué, là. Dans le cas d'un régime où est-ce qu'il a plusieurs groupes distincts, là, puis il y en a, dans ce groupe-là, ils font l'évaluation actuarielle le 31 décembre 2013, puis il y en a qui veulent y aller, il y en d'autres qui ne veulent pas y aller...

[…]

M. Moreau : C'est ça. Ce n'est pas l'entente individuelle, c'est l'entente liant le régime, c'est la...

Des voix : ...

M. Moreau : À 19, on voit comment les négociations sont conduites, c'est-à-dire qu'on réfère aux règles habituelles. On dit : «Dans le cas où les participants actifs d'un régime sont représentés par plus d'une association, les [négos] sont tenues séparément ou conjointement par ces associations, selon les règles habituellement appliquées.»

Ça, c'était aussi dans le projet de loi n° 79. En d'autres termes, on ne change pas la façon de faire les choses. Et là, sur cette base-là, c'est là où on verrait si, collectivement, ils bénéficient du report de l'article 18.1. […]

17

M. Therrien : Je n'ai pas au déficit passé, c'est ça qui complique les affaires, parce que... Ça veut dire que chaque groupe, dans le fond, prend elle-même... lui-même — un groupe — lui-même la décision d'y aller ou non à... mettons, à partir du 1er février, dire : Nous autres, on y va même si on est appliqués chez...

M. Moreau : S'il est dans les conditions de 18, il est pleinement capitalisé ou il est capitalisé à 80 %, puis il y a une des conditions de restructuration.

M. Therrien : Et, si, admettons, il y a deux groupes... O.K., mais ça, c'est en supposant toujours qu'avec ce qu'on a introduit, là, comme sous-amendement, je pense, là, qu'il y avait des comptabilisations distinctes. C'est essentiel, la comptabilisation distincte, pour justement dire à ces groupes-là : Si tu y vas, tu vas savoir... si tu vas négocier tout de suite, tu vas savoir quel déficit tu dois combler personnellement, et les autres ne seront pas touchés par le fait que tu y vas ; eux, ils vont avoir leur part de déficit, et les autres pourront y aller plus tard avec leur part de déficit bien établie l'année d'après.

[…]

M. Moreau : « Lorsque plusieurs catégories d'employés participent à un même régime, les déficits peuvent être répartis entre les catégories définies dans ce régime de la manière [déjà] convenue entre les [partis] actifs et l'organisme municipal — dès qu'une majorité de catégories en fait la demande.» Mais ça, ça, c'est pour la répartition des déficits. Là, ce dont on parle, c'est du régime de retraite. Donc, on dit : Les négociations entre l'organisme municipal et les participants actifs à un régime sont entreprises. Et quel serait l'effet exact de 19, de les disjoindre ou de les joindre ? Alors, exemple, j'ai un régime puis j'ai trois groupes dans le régime. C'est les conditions du régime qui vont déterminer si je peux reporter ou non la négociation. Maintenant, est-ce que je négocie distinctement ou en groupe ? Là, je vais m'en reporter aux règles habituelles. C'est ça que ça dit.

M. Therrien : Ça... répète... O.K. Répétez-moi ça, là.

M. Moreau : J'ai un régime dans lequel il y a trois groupes, mettons, fictivement, là, les policiers, les pompiers puis les cols bleus, O.K. ? Alors, ce régime-là est pleinement capitalisé. Le régime est pleinement capitalisé, il peut donc reporter au 1er janvier 2016...

M. Moreau : Oui, oui. Votre question, c'est : Est-ce que... Bien, si les trois groupes négocient généralement ensemble ou séparément ?

M. Therrien : C'est ça. Bien, exemple, si j'arrive dans une situation où que j'ai trois groupes, mettons policiers...

18

M. Moreau : Les trois groupes appartiennent au même régime qui est pleinement capitalisé.

[…]

M. Therrien : Oui, mettons. Bon, bien, je recommence. O.K. Je recommence. Il y en a un qui a 106 %, l'autre, 98 %, puis l'autre, il a 72 %.

M. Moreau : Là, lui, là...

M. Therrien : O.K. Donc, c'est vraiment une décision prise par groupe parce que les conventions collectives...

Des voix : ...

M. Moreau : O.K. Alors, ce qu'on m'explique, c'est que, dans l'exemple que vous donnez, on va prendre la capitalisation globale pour déterminer s'il y a ouverture ou non au report. On ne prendra pas un aportionnement lié au groupe, mettons, qui...

[…]

M. Moreau : O.K. ? Alors là, on dit : Pour savoir si je peux bénéficier de l'extension, je vais prendre globalement la capitalisation du régime, puis là je vais déterminer. Si je suis totalement capitalisé, je suis capitalisé à 80 % et je remplis une des conditions de restructuration, là, je peux reporter comme régime et pas comme groupe.

[…]

M. Moreau : Et les cas qui sont le contraire, si on n'avait pas introduit 18.1, de toute façon, étaient obligés de négocier au 1er février 2015 selon l'article 18 ; le régime général s'appliquait à tout le monde. Là, on crée un assouplissement. Est-ce qu'on en échappe dans le cas de figure dont vous parlez, c'est-à-dire qu'un groupe bien capitalisé serait tiré vers le bas par des groupes fortement sous-capitalisés ? C'est possible, là. Sur 172, ça se peut que...

[…]

M. Moreau : (…) Dans les amendements qu'on a déposés au mois d'octobre, c'est ce qu'on reconnaît, c'est-à-dire qu'on dit : Si vous êtes entre 80 % et 100 %... Si vous êtes au-delà de 100 %, on peut attendre parce que vous avez une bonne capitalisation, puis on peut reporter dans le temps, puis ça ne nous impose pas d'aller à l'encontre de conventions signées. Si vous êtes entre 80 % et 100 %, on va vous donner un break aussi si vous avez montré une conscience à la nécessité de restructurer parce que vous avez déjà, dans une entente antérieure, un des mécanismes de

19

restructuration prévus par le projet de loi. […]

[…]

M. Villeneuve : (…) Donnons l'exemple d'un groupe qui peut se permettre 18.1, qui répond aux deux critères, c'est-à-dire 80 % plus un des quatre critères établis...

M. Moreau : Ou qui sont à 100 %.

M. Villeneuve : En passant, les critères, là, bien naïvement, ma question : Pourquoi on a le choix de quatre critères ? C'est subjectif ? C'est objectif ? Sur quelle base ça a été établi de dire : Bien, c'est un des quatre ou...

M. Moreau : Ce sont les critères de restructuration prévus par la loi.

M. Villeneuve : Mais pourquoi un, deux ? Je veux juste... question.

M. Moreau : Bien, parce qu'on a dit : On veut donner la chance aux groupes qui ont pris conscience de l'importance de restructurer avant même que le projet de loi ne soit déposé. (…). Regardons quels sont les critères. Alors, ceux qui sont... soit qu'ils vont avoir partagé à parts égales les cotisations d'exercice ou des déficits éventuels du service courant, soit qu'ils vont avoir mis sur pied un fonds de stabilisation alimenté par une cotisation, soit qu'ils vont plafonner la cotisation d'exercice à un taux maximal de 18 % ou de 20 %, dans le cas des policiers et des pompiers, par rapport à la masse salariale.

[…]

M. Marceau : O.K. Maintenant, je voudrais revenir sur les conditions qui sont prévues dans le deuxième paragraphe du premier alinéa.

M. Moreau : Dans l'article ?

M. Marceau : Oui. Bien, dans votre amendement, en fait, là, dans votre amendement. Puis là, regardez, moi, je vois là-dedans...

M. Moreau : Je regarde.

M. Marceau : ...cinq conditions essentiellement. Je vois « toute capitalisation du régime qui atteint 80 % ».

M. Moreau : Elles sont disjonctives.

M. Marceau : Oui, mais moi, je... Oui. Il y a un «et», quand même, là.

20

M. Moreau : Bien oui, mais ce n'est pas parce qu'il y a un «et» qu'elles ne sont pas disjonctives.

M. Marceau : Non, mais, regardez... Oui, on s'entend. O.K. Mais la première, c'est... condition 1, disons...

M. Moreau : 80 %.

M. Marceau : ...taux de 80 % et plus et l'une ou l'autre de quatre possibilités.

M. Moreau : C'est ça7.

[27] À l’occasion d’une séance il est question du rôle confié par la Loi à Retraite

Québec :

M. Moreau : Oui. 55. La régie peut émettre des directives techniques relativement à l'application de la présente loi.

Les commentaires sont plus longs. Comme les régimes de retraite sont encadrés par des lois et des règlements très techniques, on l'a vu, la Régie des rentes pourra émettre des directives particulières ou générales au besoin. Un pouvoir semblable existe à l'égard de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite.

Et je peux vous donner des exemples, là, exemples de directives que la régie pourra émettre grâce aux pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 55. La régie pourra émettre des directives techniques relatives à tous les articles du projet de loi n° 3. […]

[…]

M. Jean (Denys) : Bien, ça peut prendre diverses formes. Ça peut être de l'information, carrément de l'information. Ou encore on reçoit beaucoup de questions sur comment interpréter telle disposition de la loi, et nous autres, on sort une directive puis on donne un avis sur la façon que ça doit être interprété avec...

M. Moreau : C'est un peu comme un bulletin d'information.

[…]8

7 Document DC-17, p.9 à 13, 26 et 48. 8 L’extrait ne figure pas au document D-17. Me Coutu y réfère dans son plan d’argumentation en

mentionnant sa source : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 41e parl,1re session, vol 44 (27 novembre 2014).

21 [28] C’est sur cette trame que se tissent la Loi adoptée le 4 décembre 2014 et son

article 26.

Les faits générateurs du litige

[29] Quatre jours plus tard, Retraite Québec publie un avis sur le sujet. On y dit que le

report à 2016 obéit aux conditions qui suivent :

L’évaluation actuarielle au 31 décembre 2013 requise par la Loi démontre que le régime est pleinement capitalisé ; ou

L’évaluation actuarielle au 31 décembre 2013 requise par la Loi démontre que son taux de capitalisation est d’au moins 80%, et [que] l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie :

- la cotisation d’exercice établie dans cette évaluation n’excède pas la limite prévue par la Loi, soit 20% dans le cas des policiers ou des pompiers, 18% pour les autres participants, avec possibilité de majoration dans certains cas,

- […]

[30] Le 14 janvier 2015, non sans une certaine prudence, la Ville adresse un avis de

négociation à ses vis-à-vis du régime qu’elle affirme régi par l’article 25 de la Loi, donc

assujetti à des négociations immédiates.

[31] La rencontre se tient le 21 mai. On ne s’entend pas : un porte-parole syndical

avance qu’il y a lieu à report en 2016 sur la foi d’une opinion juridique à laquelle ne

souscrit pas la Ville qui en sollicitera une de son côté.

[32] L’opinion juridique qu’obtient la Ville confirme sa position au sujet du report et situe

le point de départ de la négociation au 1er février 2015.

[33] Le 6 août 2015, Retraite Québec accuse officiellement réception du rapport

actuariel qui présente l’état du régime au 31 décembre 2013. L’organisme informe

comme suit les intéressés que dans leur cas la négociation du redressement prévu dans

la Loi ne bénéficie pas du report de l’article 26 :

Par ailleurs, veuillez noter que le report des négociations ne peut être fondé sur le critère du respect de la limite à la cotisation

22

d’exercice, puisque cette limite doit être respectée pour chacun des groupes (groupe des policiers/pompiers et groupe des autres participants) et que dans votre cas, elle n’est pas respectée pour le groupe des autres participants.9

(Soulignements ajoutés)

[34] Le 12 août, la Ville adresse donc aux intéressés un avis de reprise des

négociations que ceux-ci rejettent le 27. C’est sur ce refus que la Ville s’adresse peu

après à la Cour supérieure de la façon que l’on sait.

[35] À la même époque, Retraite Québec publie sur son site internet un avis relatif aux

conditions du report de la négociation. On peut y lire :

Limite à la cotisation d’exercice

[…]

Si le régime compte des personnes faisant partie de ces deux groupes [policiers/pompiers et autres participants], la cotisation d’exercice doit être établie pour chacun de ces groupes. Afin de pouvoir reporter le début des négociations, il faut que la limite soit respectée pour chacun de ces deux groupes.

(Emphase et soulignements ajoutés)

[36] C’est là pour nos fins l’essentiel de la preuve.

III

LES PLAIDOIRIES

A. Les Syndicats et l’Association

[37] Convenant que la question en est essentiellement une d’interprétation, Mes Morin

et Roy à tour de rôle en traitent au nom de l’ensemble des employés.

9 Document DC-22, p. 2

23 [38] Ces procureurs nous invitent à emprunter la méthode d’interprétation dite moderne

en vue de bien réaliser l’intention du législateur au sujet de l’article 26 et de l’ensemble

de la Loi.

[39] Tout comme leur vis-à-vis patronal après-eux, ils invoquent l’objet de la Loi, son

rôle et le contexte de son adoption avant d’en aborder de manière plus chirurgicale

l’analyse grammaticale et sémantique.

[40] Pour eux, en substance, le respect de l’intention du législateur qui se dégage de

l’objet d’une loi justifie parfois le tribunal de donner à une expression ou un mot présents

dans une disposition un sens qu’ils n’auraient pas nécessairement si ce n’était de l’objet

de la loi.

[41] Les procureurs invoquent alors les autorités suivantes : Pierre-André Côté et al,

Interprétation des lois, 4e éd., Les Éditions Thémis ; The Midland Railway Of Canada c.

Robert H. Young et al, 22 RCS 190 Vol. XXII ; Abrahams c. Procureur général du Canada,

[1983] 1 R.C.S. 2 ; Le Conseil des assurances de dommages c. Agathe Girard, Hon. juge

Jean-Paul Aubin, 19 décembre 1997, (C.Q.) ; Rizzo c. Rizzo Shoes Ltd (RE), [1998] 1

R.C.S. 27 ; Ville de Montréal c. Nissel Sigalit, Hon. Juge Pierre Béliveau, 3 juillet 1998,

(C.S.) ; Isabelle Caron et Jacques Adam et al c. Louisiane Gauthier et al, Hon. juge

Rodolphe Bilodeau, octobre 2002, (C.S.) ; Corporation d’Urgences-santé c. Syndicat des

employées et employés d’Urgences-santé (CSN), 2015-QCCA 315 ; Construction

Paquette c. Entreprise Végo, [1997] 2 R.C.S. 299 ; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688.

[42] Tout comme leur vis-à-vis, les procureurs des participants puisent abondamment

dans les documents parlementaires, en quête de propos étayant l’interprétation qu’ils

préconisent, particulièrement dans ceux du ministre responsable auxquels ils nous

invitent à attribuer une valeur persuasive supérieure.

[43] Il en serait de même des directives ou avis de Retraite Québec compte tenu de la

place que lui fait la Loi dans l’administration de la réforme.

[44] Selon le regroupement des employés, l’intention du législateur est double : la Loi

impose certes la négociation d’une restructuration mais au même moment elle veut

24 respecter les ententes existantes qui témoignent, comme ce serait le cas ici, d’efforts

réels de redressement faits par les parties avant l’adoption de la Loi. D’où, selon eux, le

droit au report qui doit être interprété libéralement, particulièrement quand un régime est

correctement capitalisé comme en l’espèce.

[45] Abordant l’article 26, les procureurs soulignent que l’emploi qu’on y fait de la

conjonction « et » peut avoir un sens conjonctif aussi bien que disjonctif. Or, plaide-t-on,

l’utilisation du mot « et » au second alinéa du premier paragraphe, ne saurait y être que

disjonctive. De la sorte, il suffit que l’un ou l’autre des deux catégories de participants

actifs, ici en l’occurrence celui des pompières et pompiers, satisfasse à la condition

prévue pour que tous bénéficient du report.

[46] Plaidant d’abondant, ils ajoutent que la Loi n’a pas pour but de permettre à une

municipalité de récupérer « au plus vite » l'argent librement consenti à l’occasion de

négociations collectives passées. Certes la Loi, mentionnent-ils, « donne de l’air » aux

municipalités en les autorisant à récupérer des sommes pour assurer la pérennité des

régimes de retraite mais elle reconnaît aussi les efforts faits par les parties comme en

l’espèce, pour assainir leur régime. La Loi, affirment-ils, se préoccupe aussi de la stabilité

contractuelle des ententes collectives et c’est ainsi qu’on doit entendre l’article 26.

[47] Or, concluent-ils, les parties ont déjà démontré cette ouverture en modifiant elles-

mêmes leur régime par lettre d’entente. En somme, le report des négociations n’empêche

d’aucune façon en l’espèce la réalisation des objectifs d’assainissement et de pérennité

poursuivis par la Loi alors que le report atteindra celui d’assurer une meilleure stabilité

contractuelle.

B. La Ville

[48] Le procureur de la Ville rappelle que la Loi oblige les parties à tout régime

municipal de retraite à le renégocier afin d’en assurer la pérennité. Il ajoute que si la Loi

dans sa version finale prévoit la possibilité limitée de reporter cette négociation d’une

année, cette option ne figurait pas au projet de loi original. Elle est apparue en cours de

route et n’est possible que pour ceux qui avaient déjà entrepris une certaine

restructuration et qu’à certaines conditions bien précises.

25 [49] Comme ses vis-à-vis, le procureur de la Ville préconise la méthode dite moderne

d’interprétation. Il souligne que l’exégète d’une loi en détermine le sens à l’examen de

ses objet, rôle et contexte législatif ainsi qu’à l’analyse du sens grammatical et usuel des

termes qu’on y emploie. Il invoque lui aussi l’arrêt Corporation d’Urgences-Santé c.

Syndicat des employés d’Urgences-santé (CSN), supra.

[50] Pour la Ville, le Tribunal opterait-il pour une interprétation littérale voire purement

grammaticale des dispositions en litige que le résultat en serait quand même inchangé.

Il réfère le Tribunal sur cet aspect au dictionnaire Le nouveau Petit Robert, 1993, sub

verbo.

[51] Pour Me Coutu, le régime dont il s’agit comporte essentiellement deux groupes,

les pompières et pompiers et les autres. Or, puisque selon la preuve un des deux a un

taux de cotisation qui dépasse le plafond fixé par la Loi, le régime n’est pas éligible au

report de l’article 26. De faire droit au grief, dit-il, irait carrément à l’encontre du texte et

des objectifs de la Loi en permettant que perdurent les effets négatifs d’un système qu’elle

vise précisément à stopper.

[52] Le procureur ajoute ne pas voir comment le régime pourrait tomber sous le coup

de l’exception de l’article 26 alors qu’un des groupes qu’il comporte ne satisfait pas aux

critères énoncés dans cette disposition.

[53] Abordant le texte l’article 26 et précisément le sens à y donner à la conjonction

« et » au second alinéa du premier paragraphe, le procureur de la Ville nie que celle-ci

puisse avoir un sens disjonctif. Quelle que soit la méthode d’interprétation utilisée, selon

lui, le législateur ne peut pas logiquement eu égard à l’objectif de la loi avoir voulu que la

conformité d’un seul des deux groupes puisse donner à tous les participants actifs le droit

au report demandé.

[54] Au soutien de l’interprétation que préconise la Ville, le procureur renvoie à la fois

à la position de Retraite Québec ainsi qu’à certains propos du ministre Moreau en

commission parlementaire.

26 [55] S’agissant de la pertinence et du poids des directives ou avis de Retraite Québec,

le procureur rappelle le rôle central explicitement confié par le législateur à cet organisme.

En conséquence, dit-il, ses directives ou avis, sans avoir force réglementaire, ont

néanmoins un poids juridique certain, en outre de jeter un éclairage important sur

l’intention du législateur. On invoque à cet égard les auteurs Pierre-André Côté,

Interprétation des lois, 4e édition, supra, ainsi que Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger

on the construction of statutes, 4e éd, Markham, Butterworth, 2002 ; et enfin, l’affaire

Arseneault c. Québec (Procureure générale), 2016 QCCS 917.

[56] Enfin, le procureur de la Ville qualifie l’article 26 d’exception au principe général

énoncé dans la Loi, exception qui appelle donc une interprétation stricte. Or, puisque le

report n’est possible que pour un régime capitalisé au moins à 80% et rencontrant une

des quatre (4) conditions alternatives stipulées, ce que celui de la Ville ne fait pas, il n’est

donc pas possible ici.

[57] Il conclut donc au rejet du recours.

[58] En terminant, à la question que j’ai posée aux procureurs à savoir si le texte anglais

de la Loi pouvait être utile à ma démarche, ceux-ci m’ont répondu qu’ils ne le croyaient

pas.

IV

ANALYSE ET DÉCISION

[59] La Cour supérieure en a déjà décidé : pour l’essentiel, ce litige est mu

exclusivement en vertu du Code du travail10 et non de la Loi qui y donne naissance. C’est

donc en qualité d’arbitre de grief qu’on m’en saisit et que j’en décide.

[60] L’arbitre du Code du Travail n’est ni le décideur privé du Code de procédure civile11

ni celui que la Loi a chargé de la mission de contribuer à dénouer l’impasse survenant

dans les négociations qu’elle impose.

10 R. L.R.Q. c. C-27. 11 R.L.R.Q. c. C-25.01.

27 [61] La Cour suprême a statué en 1982 que l’arbitre de grief préside un tribunal

statutaire12.

[62] Le Code du travail habilite explicitement ce tribunal (par. 100.12 a)) : « à interpréter

et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour

décider d'un grief. »

[63] C’est le cas en l’espèce dont le nœud réside précisément non pas dans quelque

nébuleuse contractuelle mais plutôt dans une soi-disant énigme législative : défi au

demeurant lancé par une législation controversée tout juste sortie du four.

[64] La question précise qui est posée est la suivante : le régime répond-il aux critères

de l’article 26 de la Loi permettant le report en 2016 de la négociation autrement prévue

pour 2015 ? Et de manière plus pointue : les participants en présence, répartis entre, d’un

côté, le groupe des pompiers et de l’autre, celui de tous les autres participants, doivent-

ils ou non tous respecter les plafonds distincts du taux maximum de cotisation prévus

dans la Loi pour qu’il y ait report ou si celui-ci est possible si un seul des maxima est

respecté par un seul des deux groupes, en l’occurrence les pompiers ?

[65] S’agissant d’une question d’interprétation d’une législation, je me propose pour y

répondre de recourir comme me le suggèrent les parties au principe moderne

d’interprétation qui fait désormais autorité.

[66] La Cour d’appel en traite dans l’arrêt Corporation d'Urgences-santé c. Syndicat

des employées et employés d'Urgences-santé (CSN)13, évoquant en ces termes les

ouvrages de Driedger et de Pierre-André Côté, et sans surprise, une image de Lord

Denning :

[43] […]

Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant

12 Roberval Express Ltée et Union de chauffeurs de camions, homme d’entrepôts et autres ouvriers, section

locale 106, [1982] R.C.S. 888. 13 Supra 41.

28

le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[44] Après analyse d’un bon nombre de décisions, Pierre-André Côté conclut que cette méthode moderne d’interprétation fait l’objet d’un large consensus :

1112. En conclusion, on peut dire qu’actuellement il se dégage malgré tout un large consensus à la Cour suprême du Canada autour de l’idée que l’interprétation ne saurait jamais se confiner au texte de la loi, qu’il s’agisse d’établir le sens de la règle légale ou de justifier le sens retenu au terme d’un processus d’interprétation.

1113. Les désaccords paraissent porter non pas ; tant sur la pertinence des éléments autres que textuels, que sur leur importance relative dans l’interprétation. […]

[45] En ce qui concerne le principe moderne d’interprétation de Driedger, Me Côté ajoute :

1451. Cette solution mitoyenne semble justifiée : une interprétation qui n’insiste que sur le texte doit être rejetée, ne serait-ce que pour le motif que les mots n’ont pas de sens en eux-mêmes. Ce sens découle en partie du contexte de leur utilisation, et l’objet de la loi fait partie intégrante de ce contexte. Ajoutons que si l’interprétation strictement littérale présume beaucoup des possibilités du langage humain, elle surestime aussi la clairvoyance et l’habilité des rédacteurs de textes législatifs. La séparation des pouvoirs ne devrait pas exclure nécessairement la collaboration des pouvoirs. Le rédacteur, qui ne peut prévoir toutes les circonstances où son texte devra s’appliquer, doit pouvoir attendre des tribunaux autre chose que des critiques : il doit pouvoir compter sur leur collaboration dans l’accomplissement du but de la loi. Pour reprendre les paroles de Lord Denning, le juge, en raison de la nature particulière de sa fonction, ne peut pas changer le tissu dans lequel la loi est taillée, mais il devrait pouvoir en repasser les faux plis. […]

[46] La Cour suprême a, pour sa part, déclaré qu’elle considérait désormais que, « même en présence d’un texte en apparence clair et concluant, il importe néanmoins d’examiner le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition sous étude »[20].

[47] […]

[30] Il n'est pas nécessaire de discourir longtemps pour affirmer que le « principe moderne » d'interprétation énoncé par Elmer A. Drieger fait maintenant autorité dans la jurisprudence canadienne. […]

[…]

29

[34] […] [Cette méthode] met à la disposition des juges quatre outils interprétatifs : le contexte législatif, le sens grammatical et ordinaire des mots, le rôle de la loi, l'objet de celle-ci. Cette règle fondamentale peut être complétée par d'autres indices interprétatifs qui n'y figurent pas expressément telles l'interprétation libérale des principes qui la commandent, l'interprétation restrictive des exceptions, les considérations rattachées aux politiques gouvernementales, etc.

[48] En somme, il faut conclure que la méthode d’interprétation littérale ne doit pas être utilisée de manière exclusive pour interpréter une disposition législative telle que l’article 40 LÉS, et ce, même en présence d’un texte en apparence clair. Il faut non seulement rechercher le sens courant des termes, mais aussi l’objet, l’esprit de la loi et l’intention du législateur. En outre, dans l’interprétation de la législation, il faut tenir compte du principe codifié à l’article 41.1 de la Loi d’interprétation :

41.1 Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.

(Soulignements ajoutés) (Références omises)

[67] Plus récemment, la Cour supérieure est saisie d’un litige (Arseneault c. Québec

(Procureure générale))14, concernant précisément la Loi qui nous concerne. On peut y

lire :

[17] Les termes de l’article 62 de la Loi traduisent-ils clairement la règle de droit ? L’intention du législateur peut-elle être invoquée pour remplacer une date spécifique par une autre ? Telles sont les questions auxquelles il faut apporter réponse ici.

[18] La Procureure générale du Québec et la Régie soulignent d’entrée de jeu que l’interprétation d’une loi doit aller au-delà du choix des termes pour cerner la teneur de la règle de droit énoncée. Elles plaident, à l’instar de Driedger, qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur, comme le prévoient les articles 41 et 41.1 de la Loi d’interprétation.

[19] Ce principe d’interprétation, qu’on convient de qualifier de moderne, met l’accent sur le sens de la règle de droit au-delà du sens des mots. C’est ainsi qu’une apparente obscurité textuelle peut énoncer une règle de droit claire et qu’un texte sans aspérité

14 Supra 55.

30

apparente peut mener à une confusion normative. C’est en ce sens que l’auteur Côté, dans son Interprétation des lois écrit que :

970. Cette idée repose sur une fausse assimilation du sens de la règle de droit au sens littéral de l’énoncé législatif. La tâche de l’interprète ne consiste pas, à mon avis, à établir le sens des textes : c’est le sens des règles qui l’intéresse, le sens du texte constituant tout au plus le point de départ d’une démarche qui implique toujours la prise en compte d’éléments étrangers au texte. Le sens obvie (sic) du texte doit être confronté aux indications fournies par les autres facteurs pertinents à l’interprétation. L’interprète compétent se demandera si la règle construite à partir de ce sens se concilie avec les autres règles et principes du système juridique ; si ce sens est de nature à promouvoir les objectifs de la loi et de la disposition interprétée ; si ce sens est cohérent avec l’histoire du texte ; si les conséquences auxquelles conduit la règle construite à partir du seul sens littéral ne justifient pas d’envisager une autre interprétation, et ainsi de suite.

971. Le sens littéral fournit tout au plus une hypothèse de départ pour la construction de la règle, hypothèse que la prise en compte des autres éléments pertinents infirmera ou confirmera. Souvent, effectivement, l’examen des autres facteurs pertinents n’indiquera pas de raison valable d’écarter l’hypothèse de départ suggérée par le sens manifeste du texte. Dans ce cas, le sens du texte et le sens de la règle de droit se confondent effectivement, mais ce constat est le fruit d’une démarche qu’on ne peut pas ne pas considérer comme une démarche d’interprétation.

(Références omises) (Soulignements ajoutés)

[68] Ainsi, interpréter correctement une Loi exige d’avoir égard au contexte de son

adoption, à son but et son objet et, bien sûr, au sens grammatical et usuel des mots

employés.

Le but et l’objet de la Loi

[69] Rappelons l’article premier de la Loi, disposition au parfum de préambule destiné

à en proclamer l’objectif haut et fort autant que la détermination du législateur

1. La présente loi a pour objet d'obliger la modification de tout régime de retraite à prestations déterminées, régi par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (chapitre R-15.1) et établi par un organisme municipal, ainsi que du Régime de retraite des employés municipaux du Québec, en vue d'en assainir la santé financière et d'en assurer la pérennité.

Un processus et des règles particulières sont prévus aux fins de la

31

restructuration des régimes de retraite.

(Soulignements ajoutés)

[70] Non seulement la Loi exprime-t-elle une volonté d’agir mais une volonté pressante

et même impérieuse. La Loi impose une restructuration d’ensemble au secteur municipal

et cela, dans un but explicite : assainir leur sécurité financière en vue d’assurer la

pérennité des régimes de retraite municipaux. Même le titre de la Loi est sans équivoque

et ne laisse guère place au doute. Aussi, l’interprétation à lui donner devra-t-elle

privilégier l’atteinte de ces fins plutôt que pas.

[71] L’expression de ce sentiment d’urgence est réitérée de moult façons dans

plusieurs autres articles de la Loi, dont les suivants :

4. Tout régime de retraite visé par la présente loi doit faire l'objet d'une évaluation actuarielle complète établie avec les données arrêtées au 31 décembre 2013.

[…]

8. Le 1er janvier 2014, la cotisation d'exercice ne doit pas excéder 18% de la masse salariale des participants actifs, telle que définie au régime aux fins de l'établissement de la rente. Cette cotisation ne peut excéder 20% pour les policiers et les pompiers.

[…]

22. Le Régime de retraite des employés municipaux du Québec doit faire l'objet de l'évaluation actuarielle prévue à l'article 4.

[…]

23. Ce régime de retraite doit être modifié, afin d'y prévoir qu'à compter du 1er janvier 2015 :

[…]

25. Des négociations entre les organismes municipaux et les participants actifs doivent être entreprises au plus tard le 1er février 2015 en vue de convenir d'une entente pour modifier le régime de retraite conformément aux dispositions de la présente loi.

Au plus tard le 15 janvier 2015, […]

26. Malgré l'article 25, les négociations entre les organismes municipaux et les participants actifs sont entreprises au plus tard le 1er janvier 2016 […]

32

53. L'existence d'une convention collective ou de toute autre entente en cours de validité n'empêche pas l'application de la présente loi.

[…]

71. La présente loi s'applique malgré toute disposition inconciliable.

(Soulignements ajoutés)

[72] On ne saurait douter longtemps du caractère d’ordre public de cette loi. En

témoignent la volonté ferme qui s’y exprime, son caractère impérieux explicite, énoncé

d’autorité dans un environnement juridique pourtant largement sinon totalement régulé

par des ententes collectives librement négociées, et en dépit de celles-ci.

[73] Le sens et la portée donnés à l’article 26 de la Loi devront refléter le caractère

curatif, préventif, impérieux et d’ordre public qui fonde cette loi.

[74] L’examen de cette législation permet de constater qu’elle recoupe deux réalités

juridiques à la personnalité bien définie : les régimes de retraite et les rapports collectifs

du travail, chacune obéissant à des canons législatifs distincts.

[75] Si l’une et l’autre de ces réalités se conjuguent, par exemple, à l’occasion de la

conclusion d’une convention collective, elles demeurent juridiquement distinctes. Cette

individualité de chacune exige quand il s’agit d’interpréter la législation de prendre garde

de n’attribuer à l’une un sens propre à l’autre en raison de l’emploi chez les deux

d’expressions ou de termes identiques. Je pense ici aux mots « groupe » ou

« groupement ». Nous y reviendrons.

Contexte législatif et débats parlementaires

[76] Les parties ont cité plusieurs extraits des audiences tenues autour du projet ayant

donné naissance à la Loi. Ces débats publics sont pertinents aux fins d’en apprécier le

contexte d’adoption et le but, autant que la genèse de son texte. Si l’on peut y puiser pour

tenter d’y voir clair ou encore, mieux cerner l’intention du législateur, il faut se garder d’y

33 chercher quelque lumière définitive sur le sens de la législation. L’auteur Pierre-André

Côté15écrit à cet égard :

1583. Dans l’interprétation des lois, l’historique parlementaire pertinent peut-être consulté par le juge, sans restrictions ni quant aux circonstances où cette consultation est permise, ni quant aux fins pour lesquelles elle peut être faite. […]

1587. Si les travaux préparatoires sont admissibles sans restrictions, « ils sont à lire avec prudence, car ils ne constituent pas toujours une source fidèle de l’intention du législateur ». Pour cette raison, ils ne peuvent « jouer qu’un rôle limité en matière d’interprétation législative ».

(Notes et références omises)

[77] Ces débats révèlent parfois des joutes bien étrangères à l’expression de l’intention

du législateur. Pour paraphraser l’auteur Côté, la porte est peut-être ouverte mais le juge

doit garder une main ferme sur la poignée.

[78] Un élément de l’historique parlementaire porté à notre attention des deux côtés

est le fait que le projet de loi initial, direct et lapidaire, a été l’objet d’amendements en

cours d’adoption, l’un deux étant devenu l’article 26.

[79] Déjà à sa lecture, mais aussi à celle des consultations parlementaires qui y ont

mené, on voit bien que son adoption visait à procurer un atermoiement au sens propre

du terme, c’est-à-dire un délai.

[80] Les échanges suivant en témoignent éloquemment :

M. Moreau : Bien, parce qu'on a dit : On veut donner la chance aux groupes qui ont pris conscience de l'importance de restructurer avant même que le projet de loi ne soit déposé. On dit : Ces gens-là, là, regarde, un, ils ont une capitalisation qui est quand même importante, même s'ils n'ont pas atteint 100 %, et ils ont une conscience qu'ils doivent travailler eux-mêmes à la restructuration de leur régime, puis ils n'ont pas attendu la loi pour le faire. […] soit qu'ils vont avoir partagé à parts égales les cotisations d'exercice ou des déficits éventuels du service courant, soit qu'ils vont avoir mis sur pied un fonds de stabilisation alimenté par une cotisation, soit qu'ils vont plafonner la cotisation d'exercice à un taux maximal de

15 Pierre-André CÔTÉ et al, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009

34

18 % ou de 20 %, dans le cas des policiers et des pompiers, par rapport à la masse salariale.

[…]

M. Moreau : […] dans l'exemple que vous donnez, on va prendre la capitalisation globale pour déterminer s'il y a ouverture ou non au report. On ne prendra pas un aportionnement lié au groupe, mettons, qui...

[…]16

(Soulignements ajoutés)

[81] Pour faire écho à l’observation faite plus tôt au sujet de la personnalité juridique

distincte des rapports collectifs et des régimes de retraite, la lecture des consultations

parlementaires révèle la présence d’un certain mélange des genres dans l’emploi du mot

« groupe ». Il désigne tantôt les personnes incluses dans une unité d’accréditation, tantôt

un regroupement des participants à l’intérieur d’un régime de retraite.

[82] Ainsi, on entend dans un premier temps le ministre vouloir donner une chance aux

groupes qui ont pris conscience de restructurer leur régime. Puis, plus loin : Alors,

exemple, j'ai un régime puis j'ai trois groupes dans le régime. Pour finir : Si je suis

totalement capitalisé, je suis capitalisé à 80 % et je remplis une des conditions de

restructuration, là, je peux reporter comme régime et pas comme groupe. (Emphases

ajoutés)

[83] De manière générale, un régime de retraite comporte deux groupes : les retraités

et les participants actifs. Ces derniers, c’est le cas à Sherbrooke, se décomposent par

catégorie de personnel ou encore par unité pour les fins du Code du travail. Ensemble,

ils ne constituent qu’un seul groupe pour les fins du régime de retraite, celui des

participants actifs.

[84] Que retenir des travaux parlementaires ? Qu’ils ont vu apparaître à des conditions

strictes et s’articuler une exception offrant la possibilité de différer de onze (11) mois la

négociation imposée. Également, que la négociation, immédiate ou retardée, s’intéresse

16 Document DC-17, p.26.

35 au régime de retraite comme instrument financier intégré ayant l’ensemble de ses

participants actifs comme fondation.

Directives de Retraite Québec

[85] La Loi confie un rôle très important à Retraite Québec, dont le suivant à l’article

68 :

68. Retraite Québec peut émettre des directives techniques relativement à l'application de la présente loi.

[86] Selon la doctrine, la valeur persuasive d’une directive ou d’un avis de la sorte est

susceptible de varier suivant la complexité du sujet traité et bien sûr l’expertise et l’autorité

du locuteur qui les donne. La professeure Sullivan écrit :

The usual justification for consulting administrative interpretation is that it offers persuasive opinion about the purpose or meaning of legislation. It is not surprising that those who administer legislation on a day-to-day basis, or are responsible for its administration, would develop an expertise or perspective that lends authority to their opinion17.

[87] Si la retraite est une matière spécialisée, elle est le pain et le beurre de Retraite-

Québec. Pourquoi ? Tous les régimes visés par la Loi doivent être évalués et cette

évaluation transmise à Retraite Québec (art. 8). Elle reçoit les données de partage de

déficit (art. 12). Elle est informée par décision motivée et compte-rendu des tractations

entre les intéressés lorsqu’une municipalité suspend l’indexation automatique des rentes

(art. 16 et 17).

[88] L’article 50 de la Loi prévoit que toute modification apportée à un régime, en

application de la Loi, par entente, par conciliation ou même par arbitrage doit

obligatoirement être produite auprès de Retraite Québec pour enregistrement,

accompagnée d’une nouvelle évaluation actuarielle (art. 51). Or, Retraite Québec a

l’autorité de décider seule qu’une modification n’est pas conforme à la Loi et le pouvoir

d’exiger des parties ou de l’arbitre de la modifier.

17 Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the construction of statutes, 4e éd, Markham, Butterworth, 2002,

p. 503.

36 [89] Ceci donne une idée du poids à donner aux directives techniques de Retraite

Québec puisqu’en fin de compte, et soit dit avec tous égards, elle est le seul véritable et

ultime décideur de la conformité de toutes les restructurations conséquentes à cette

législation.

[90] Retraite Québec s’est commise à deux reprises en l’instance. D’abord dans un

avis du 8 décembre 2014, ensuite dans une note explicative parue plus tard sur son site

internet.

[91] D’abord l’avis :

- L’évaluation actuarielle [du régime] au 31 décembre 2013 requise par la Loi démontre que son taux de capitalisation est d’au moins 80%, et que l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie :

- la cotisation d’exercice établie dans cette évaluation n’excède pas la limite prévue par la Loi, soit 20% dans le cas des policiers ou de pompiers, 18% pour les autres participants, avec possibilité de majoration dans certains cas.

(Emphases de Retraite Québec)

[92] Maintenant la note ou directive parue sur le site internet:

Limite à la cotisation d’exercice

[…]

Si le régime compte des personnes faisant partie de ces deux groupes [policiers/pompiers et autres participants], la cotisation d’exercice doit être établie pour chacun de ces groupes. Afin de pouvoir reporter le début des négociations, il faut que la limite soit respectée pour chacun de ces deux groupes18.

(Emphases et soulignements ajoutés)

[93] À l’examen et tenant compte de l’objet de la Loi, les mots tout comme la forme

utilisés dans ces deux textes ont beau varier il reste qu’un même sens parait dominer.

18 Pièce DC-22, p.3.

37 [94] Dans le premier cas, on affirme explicitement que l’une « ou » l’autre condition doit

être remplie avant d’enchaîner en identifiant les deux « groupes » susceptibles de

rassembler les participants au sein d’un régime. D’un côté, les policiers et pompiers ; puis

de l’autre, l’ensemble des autres. Quand on sait que l’article 8 de la Loi traite explicitement

ces deux composantes de manière distincte et que suivant qu’il est question des

pompiers ou des autres, le plafond de la cotisation permis est de 20 % ou de 18% suivant

le groupe, il paraît difficile d’interpréter cet avis comme gommant la distinction et ses

conséquences.

[95] Quant à la note parue sur le site internet, on l’a sans doute rédigée de manière

plus pointue, peut-être en pensant à Damoclès et son épée, soucieux de s’assurer de

plus de clarté. Elle réitère donc que la cotisation d’exercice maximale permise selon qu’il

est question des policiers et pompiers ou des autres, ne doit pas excéder de 20% ou de

18%, selon le cas, et que ce maximum doit être respecté pour chacun de ces deux

groupes pour qu’il y ait report.

Caractère exceptionnel et analyse textuelle et grammaticale

[96] La Loi comporte 74 articles répartis sur 5 chapitres. On a déjà vu qu’il s’agit d’une

législation d’ordre public.

[97] Les travaux parlementaires attestent de l’urgence perçue par le gouvernement à

redresser la santé financière des régimes de retraite municipaux. Cette loi regorge en

effet de dispositions qui sonnent la charge. Des exemples ? Les articles 4, 7, 8, 12, 16,

18, 20, 23, 25, 26, 28, 29, 31, 32, 36, 37, 40, 43, 50, 53, etc.

[98] Son but : imposer la modification fondamentale de ces régimes de retraite de trois

façons : la négociation, la conciliation, l’arbitrage. C’est le chapitre 4 de la Loi qui en traite

plus spécifiquement. Il englobe les articles 25 à 56.

[99] À l’évidence soucieux de diligence et même de célérité et consciente qu’on n’allait

peut-être pas se bousculer aux tourniquets de la négociation ou de la conciliation, la Loi

créé de toutes pièces un mécanisme de résolution par un tiers du différend qu’elle définit.

38 [100] Il s’agit d’un mécanisme d’arbitrage maison taillé sur mesure et chargé de la

mission exclusive d’amener la modification des régimes.

[101] Il s’agit d’une législation d’exception en ce qu’elle s’éloigne résolument de celle

relative aux rapports collectifs du travail. En font foi de manière éloquente ses dispositions

suivantes :

53. L'existence d'une convention collective ou de toute autre entente en cours de validité n'empêche pas l'application de la présente loi.

56. Si une entente collective est en vigueur, une entente ou une décision de l'arbitre en application du présent chapitre qui en modifie les termes a l'effet d'une modification de l'entente collective. Si l'entente collective fait l'objet d'une négociation en vue de son renouvellement, l'entente ou la décision est, à compter de la date où elle prend effet, réputée faire partie de la dernière entente collective.

[102] Un autre trait qui fait exception à la législation du travail est le mécanisme de

résolution des différends.

[103] Ainsi, contrairement à la sentence rendue par un arbitre de grief (Code du travail,

art. 101) et Loi instituant le tribunal administratif du travail, (R.L.R.Q. c. T-15.1), art. 51),

ou par un arbitre de différend agissant en vertu du Code du travail (art. 93), la décision

de l’arbitre de la loi n’est pas exécutoire même si elle « lie les parties et n’est pas sujette

à appel » (art. 46 de la Loi).

[104] En effet, aucune entente négociée (art. 30) ni conclue en conciliation (art. 35), ni

aucune décision d’un arbitre (art. 47) de la loi ne sont jamais exécutoires. Toutes trois

sont sujettes à enregistrement auprès de Retraite Québec (art. 50) accompagnées d’une

nouvelle évaluation actuarielle (art. 51). Or, cet enregistrement n’est pas que simple

formalité.

[105] Suivant l’article 52, en effet, Retraite Québec peut en refuser l’enregistrement si

elle décide19 que la modification résultant d’une entente ou d’une décision arbitrale n’est

pas « conforme à [la Loi] ou à la Loi sur les régimes complémentaires ». Dans ce cas (…)

19 Les second et troisième alinéa emploient chacun l’expression la « décision de Retraite Québec ».

39 Retraite Québec en avise le comité de retraite qui à son tour demande aux parties à

l’entente de la modifier ; ou « l’arbitre qui a rendu la décision de la décision de Retraite

Québec et lui demande de la modifier dans les 30 jours ».

[106] On peut difficilement imaginer en présence de cette disposition comment l’avis de

cette agence gouvernementale mandataire de l’état pourrait être considéré comme de

peu de poids.

[107] Finalement, bien que suivant l’article 72 de la Loi, le ministre de l’Emploi et de la

Solidarité sociale en soit responsable, c’est désormais le ministre des Finances qui

exerce les fonctions que la Loi confie formellement au premier20.

[108] Venons en à l’article 25 qui pourvoit à la restructuration d’office des régimes en

vue de les assainir.

[109] Son second alinéa décrit le processus général pour y arriver, notant que les

participants actifs peuvent en totalité ou en partie appartenir ou non à des associations,

sans mention que celles-ci puissent être syndicales. C’est le cas échéant avec ces

associations innommées que l’organisme municipal doit négocier à compter du 1er février

2015.

[110] Par dérogation au délai imparti à l’article 25, l’article 26 accorde aux intéressés un

certain atermoiement sous la forme d’un point de départ différent pour la négociation.

L’article 26 ne concerne en effet que le moment quand commencer et conséquemment

bien sûr, la base actuarielle sur laquelle on déterminera la charge à restructurer. Le texte

de cet article ne concerne, ni n’entame ni ne modifie la nécessité explicitement énoncée

à l’article 25 de « modifier le régime de retraite conformément à la Loi ».

[111] Or, cet objectif que rappelle la condition du report prévu à l’article 26 est

explicitement énoncé au premier alinéa de l’article 8 qui ne souffre guère d’obscurité :

8. Le 1er janvier 2014, la cotisation d'exercice ne doit pas excéder 18% de la masse salariale des participants actifs, telle que définie

20 Décret 55-2016, 3 février 2016, (2016), 148 G.O. 2, 1272. Le même décret concerne également la Loi

sur Retraite Québec (R.L.R.Q., R-26.3) confiée désormais au ministre des Finances plutôt qu’à celui ou celle de la Solidarité sociale.

40

au régime aux fins de l'établissement de la rente. Cette cotisation ne peut excéder 20% pour les policiers et les pompiers.

[…]

[112] Les dispositions d’une loi s’interprètent les unes par les autres. La distinction entre

policiers, pompiers et les autres de l’article 26 ne fait que répéter celle de l’article 8 faisant

des policiers et pompiers une espèce de sous-groupe à l’intérieur des participants actifs

mais sans les en extraire. Rien à l’article 26 ne permet raisonnablement de soutenir que

le législateur voulait par ce report scinder les participants actifs en deux groupes étanches

de la façon demandée par les syndicats.

[113] En toute logique, l’article 26 pose comme une condition au report le poids relatif

de la cotisation d'exercice sur la masse salariale, soit au maximum 18% pour tous et

exceptionnellement 20% pour les policiers et pompiers. Cette règle vise donc l’ensemble

des participants actifs. Conséquemment, quand l’ensemble ne satisfait pas à la condition

des 18%, mais seulement les pompiers, à celle des 20%, une disposition d’exception

comme l’article 26 qui commande une interprétation restrictive ne saurait l’en dispenser.

[114] Avec égards, le texte comme le contexte, le sens grammatical et usuel des mots

utilisés, le rôle et l’objet de cette Loi pointent tous en direction d’une seule et même

interprétation, celle avancée par la Ville.

[115] La restructuration imposée vise tous les participants actifs d’un régime vus comme

formant un ensemble intégré. Interpréter la chose autrement, en outre de n’être pas

soutenu par les règles pertinentes d’interprétation, exigerait d’ignorer l’objet impérieux de

cette législation et en fait, d’y voir des distinctions qu’elle ne fait pas. Pareille latitude n’est

pas donnée à l’arbitre de grief.

[116] En l’espèce, s’agissant du poids de la cotisation d’exercice des participants actifs,

celle du sous-groupe des pompiers rencontre la condition des 20% mais pas celle des

autres qui excède le maximum de 18% en dépit des efforts passés pour assainir leur

régime. Puisque toutes les composantes d’un régime doivent satisfaire la condition de

l’article 8, les pompiers n’ayant pas un régime distinct pour les fins de la Loi, leur grief est

donc mal fondé.

41

V

CONCLUSION ET DISPOSITIF

[117] POUR TOUS CES MOTIFS, le Tribunal

REJETTE le grief du Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale

Sherbrooke de même que tous les autres griefs au même effet identifiés plus haut. Le

recours de l’Association du personnel cadre est également rejeté.

Conséquemment, DÉCLARE que les négociations auxquelles les parties sont assujetties

sont régies par l’article 25 de la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des

régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal et qu’elles devaient

conséquemment commencer le 15 février 2015.

Montréal, le 13 juin 2016.

[original signé] Serge Brault ________________________________ Serge Brault, IMAQ, NAA Arbitre

POUR L’EMPLOYEUR : Me Richard Coutu (Bélanger Sauvé)

et Me Serge Cormier, Ville de Sherbrooke POUR LES SYNDICATS : Me Yves Morin (Lamoureux Morin Lamoureux)

Me Laurent Roy (Roy Bélanger Dupras) M. Gaétan Desnoyers (FISA)

POUR L’ASSOCIATION : M. Michael Howard (APCVS) Ministère du Travail Adjudex inc. SB-1602-15411-QP S/A-634-16