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ECOLE NORMALE SUPÉRIEURE DE LYON MASTER 2 - 2008 Rapport de stage Turbulence en milieu stratifié Etude expérimentale et rôle de l’instabilité zigzag Pierre AUGIER LadHyX, Ecole Polytechnique Sous la direction de Paul BILLANT et Jean-Marc CHOMAZ

Turbulence en milieu stratifié : Etude expérimentale et rôle de l

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ECOLE NORMALE SUPÉRIEURE DE LYON MASTER 2 - 2008

Rapport de stage

Turbulence en milieu stratifiéEtude expérimentale et rôle de l’instabilité zigzag

Pierre AUGIER

LadHyX,Ecole Polytechnique

Sous la direction de Paul BILLANT et Jean-Marc CHOMAZ

TABLE DES MATIÈRES 2

Table des matières1 Contexte et motivations 3

1.1 Eléments de dynamique des fluides géophysiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.1.1 Caractéristiques et effets physiques prépondérants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.1.2 Echelles caractéristiques et différents régimes d’écoulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51.1.3 Quelques observations en milieu naturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61.1.4 Limitations des modélisations numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

1.2 Nature de la (des) turbulence(s) géophysique(s) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.2.1 Cascade turbulente, turbulence 3D, turbulence 2D et quantités conservées . . . . . . . . . . . 71.2.2 Turbulence quasi-géostrophique et cascade de pseudo-enstrophie potentielle . . . . . . . . . . 71.2.3 Mécanismes, dynamique des structures et instabilités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.2.4 Interprétations des données de turbulence géophysique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

1.3 Milieux stratifiés, instabilité zigzag et régime turbulent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.3.1 Dynamique "en couche" et instabilité zigzag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.3.2 Lois d’échelle et nombre de Reynolds de flottabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

2 Dispositif expérimental et technique de mesure 102.1 Présentation générale du dispositif expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102.2 Mécanisme de forçage, création de l’écoulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112.3 Système de visualisation et vélocimétrie par images de particules (PIV) . . . . . . . . . . . . . . . . 122.4 Ordres de grandeur et séries de mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

3 Résultats et discussions 153.1 Ecoulement après l’allumage d’un moteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

3.1.1 Description qualitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163.1.2 Evolution temporelle de l’énergie, de l’enstrophie et des spectres . . . . . . . . . . . . . . . . 18

3.2 Présentation générale de l’écoulement "6 moteurs" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183.2.1 Champs de vitesse horizontaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183.2.2 Champs de vitesse verticaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

3.3 Comparaison entre écoulements produits par différents forçages (variation de T ) . . . . . . . . . . . . 22

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 3

IntroductionLa dynamique de l’atmosphère et des océans est d’une complexité prodigieuse. La prédiction dans ce domaine

constitue un des enjeux les plus fascinant de la science d’aujourd’hui. Cela nécessite une double démarche (i) d’appro-fondissement de la compréhension des nombreux phénomènes impliqués (démarche analytique, impliquant un largeensemble de disciplines scientifiques) et (ii) de synthèse pour saisir les interactions entre phénomènes, la globalité etla complexité des systèmes étudiés (démarche synthétique, dans laquelle les modélisations numériques constituent unpuissant outil).

Une connaissance fine des mécanismes en jeu dans la turbulence en milieu stratifié aidera à avancer dans ces deuxdirections. D’un côté, ce type de turbulence est impliqué dans de nombreux processus dans l’atmosphère et l’océan. Del’autre, sa compréhension permettra l’amélioration des paramétrisations sous mailles utilisées dans les modélisationsnumériques.

La turbulence et les instabilités hydrodynamiques sont deux grands thèmes de recherche de l’hydrodynamiquephysique. Ces deux axes sont intrinsèquement liés, par exemple par le problème de la transition à la turbulence. Ils serejoignent aussi par l’étude de la turbulence dans l’espace physique et de la dynamique des structures qui la composent(tourbillons, filaments et nappe de vorticité, etc.).

Depuis une dizaine d’années, des progrès significatifs ont été réalisés dans la compréhension de la turbulence enmilieu stratifié, notamment grâce à des expériences sur les instabilités [Billant and Chomaz, 2000] et à des travauxalliant théorie et études numériques sur les deux axes instabilités et turbulence [e.g. Billant and Chomaz, 2001, Lind-borg, 2006, Brethouwer et al., 2007]. La découverte d’une nouvelle instabilité hydrodynamique, appelée instabilitézigzag et ayant pour effet de découper en tranches des tourbillons d’axes verticaux en milieu stratifié, a mené à lamise à jour de l’existence d’un régime turbulent fortement stratifié associé à une cascade directe d’énergie. Le rôle del’instabilité zigzag dans ce régime est cependant encore mal compris.

C’est pour cela que nous avons durant ce stage monté et étudié une expérience mêlant les axes instabilités et turbu-lence. Le principe est de s’appuyer sur les travaux expérimentaux sur l’instabilité zigzag pour réaliser une expériencede turbulence forcée par des tourbillons d’axes verticaux. En plus de la mise au point de l’expérience, le travail aconsisté à caractériser l’écoulement obtenu.

Le travail continuera en thèse. Ce rapport de stage de Master 2 est donc aussi un document de travail pour le débutde la thèse. Nous approfondissons ainsi parfois plus que nécessaire pour une stricte conpréhension du travail réalisépendant le stage.

Dans une première partie, nous dresserons un état des connaissances de manière à souligner les problèmes etquestions ouverts en lien avec la turbulence en milieu stratifié. La deuxième partie sera consacrée à la présentation dudispositif expérimental. Les résultats obtenus seront présentés et discutés dans la troisième partie.

1 Contexte et motivationsCe stage a consisté en la réalisation et l’étude d’une expérience de turbulence en milieu stratifié. Ce type de turbu-

lence est rencontré dans les écoulements océaniques et atmosphériques dans une certaine gamme d’échelle[Lindborg,2006]. Nous commencerons donc par quelques généralités sur la dynamique des deux enveloppes fluides de notre pla-nète. Notre présentation n’a bien sûr aucune ambition à l’exhaustivité et est orientée de façon à mettre en lumière lesquestions et les problèmes ouverts concernant la turbulence dans un milieu stratifié. Dans cette optique, nous seronsensuite amenés à faire quelques rappels et précisions sur d’autres types de turbulence (3D, 2D et quasi-géostrophique).Cela nous permettra d’aborder les notions de cascades directe et inverse, de non-localité des interactions, de structurescohérentes et de montrer en quoi la compréhension profonde des instabilités hydrodynamiques est nécessaire à l’étudede la turbulence en général et de la turbulence en milieu stratifié en particulier.

1.1 Eléments de dynamique des fluides géophysiques1.1.1 Caractéristiques et effets physiques prépondérants

Dans cette sous-partie, on présente quelques caractéristiques générales des écoulements océaniques et atmosphé-riques et deux effets les organisant radicalement : la rotation planétaire et la stratification, c’est à dire la variation dela densité selon la verticale.

Nombre de Reynolds exceptionnellement grand. Les forces visqueuses sont négligeables sur une gamme d’échelleallant du rayon terrestre jusqu’au centimètre. Les forçages à grandes échelles et à temps longs tendent à créer desécoulements dynamiquement instables qui se brisent et se reforment continuellement [Dritschel et al., 1999]. Cettedynamique hautement hors-équilibre est associée à la création d’une très large gamme d’échelles de structures. Ainsil’étude des instabilités hydrodynamiques et de l’aspect turbulent des écoulements est au coeur du problème.

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 4

Stratification. On considère ici le cas d’une stratification stable : le fluide léger est en équilibre stable au dessus dufluide plus dense. Le gradient vertical de densité est du dans l’océan à des gradients de température et de salinité etdans l’atmosphère à des gradients de température1 et de pression.

Intuitivement, on peut entrevoir deux conséquences physiques : (i) sous l’effet de la flottabilité, les mouvementsverticaux sont fortement inhibés (l’équilibre hydrostatique domine sur la verticale) et (ii) une particule fluide miseen mouvement vertical oscille à la fréquence dite de Brunt-Väisälä N =

√−(g/ρ)dρ/dz, où g est l’accélération

de pesanteur et ρ la densité. Typiquement N est d’ordre 10−3rad/s dans les océans profonds et 10−2rad/s dans lathermocline et l’atmosphère [Otheguy, 2005].

A ces deux conséquences, on peut associer lorsque N est grand devant la fréquence caractéristique U/lh des mou-vements du fluide (U est la vitesse horizontale caractéristique et lh l’échelle horizontale typique) deux types de mou-vements très différents : (i) des mouvements quasi-2D non-propagatifs (modes de rotation à dynamique lente) et (ii)des ondes de gravité propageant l’énergie selon la verticale (modes divergents à dynamique rapide). Cette distinctionintuitive se théorise grâce à une analyse multi-échelle (basée sur la différence des échelles de temps d’évolution) per-mettant de dissocier les équations d’évolution des deux types de mouvement interagissant faiblement entre eux. Pourcela, on introduit le nombre de Froude horizontal Fh = U/(Nlh) et le nombre de Froude vertical Fv = U/(Nlv), oùlv est l’échelle caractéristique verticale. La distinction entre les mouvements ondulatoires et rotationels est valide sices deux nombres de Froude sont petits car les termes d’interaction sont de l’ordre du Froude vertical Fv . Dans cettelimite, les mouvements rotationels ont une dynamique 2D. En fait, dans certains cas, cette distinction n’a plus de sens.Voyons tout de suite pourquoi.

La dynamique associée aux modes de rotation est dite en couche car ils mettent en jeu des structures très aplatiesd’épaisseur caractéristique lv ∼ U/N appelée échelle de flottabilité [Billant and Chomaz, 2001]. En d’autres termes,la cohérence verticale est très faible. Cette loi d’échelle lv ∼ U/N liant la hauteur caractéristique lv à l’échelle deflottabilité se reformule en terme du rapport d’aspect, α ≡ lv/lh ∼ Fh.

Cette loi d’échelle implique Fv ∼ 1 et donc la distinction entre les mouvements divergents (des ondes, supposéesrapides) et les mouvements rotationels (des tourbillons aplatis, supposés lents) ne s’applique plus [Lindborg and Bre-thouwer, 2007] [Billant and Chomaz, 2001]. Une autre conséquence est que les mouvements rotationels ne sont pas2D.

Avant de présenter le système d’équation qui nous permettra d’aller plus avant dans la présentation, il nous sembleutile de présenter une particularité des fluides géophysiques et se faisant d’introduire une quantité fondamentale pourl’étude de leur dynamique : la vorticité potentielle. La particularité provient de la capacité d’un couplage des gradientsde densité et de pression à créer de la vorticité (cela se manifeste par un terme dit barocline dans l’équation de lavorticité). Ainsi, le théorème de Kelvin (conservation de la circulation de la vitesse sur un contour matériel) n’est pasapplicable dans sa version classique. Le théorème d’Ertel [1942] exhibe une quantité scalaire conservée (aux effetsvisqueux près) en suivant la particule fluide, appelée vorticité potentielle et égale2 à (ω ·∇ρ)/ρ, où ω est la vorticité.

Pour les fluides stratifiés newtoniens incompressibles et sous l’approximation de Boussinesq, les équations deNavier-Stokes (conservation de la quantité de mouvement et de la masse) et l’équation de la conservation de l’énergieinterne s’écrivent :

∂u∂t

+ u ·∇u = −∇p− bz + ν∇2u,

∇ · u = 0, (1)∂b

∂t+ u ·∇b = N2w + κ∇2b,

Pour obtenir cette formulation, on a décomposé la densité totale ρtot en sa moyenne ρtot plus les fluctuationsnotées simplement ρ. On définit aussi une densité de référence ρ0. Les densités sont redimensionnées en accélérationen multipliant par g/ρ0. Elles deviennent ainsi des flottabilités notées respectivement btot, btot, b et b0 = g. u est lavitesse, w sa composante verticale, ν et κ sont respectivement la viscosité dynamique et la diffusivité et z est le vecteurunité dans la direction verticale. La pression p a été redimensionalisée en énergie par unité de masse en divisant parρ0. Puisque dans la suite, on ne considère que des profils linéaires de densité moyenne, la fréquence de Brunt-VäisäläN =

√−(g/ρ0)dρtot/dz est constante.

On peut vérifier que le système d’équation (1) admet une vorticité potentielle égale à

Π ≡ ω ·∇btot = −N2ωz + ω ·∇b, (2)

où ωz est la composante verticale de la vorticité. On remarque que cette quantité conservée se compose d’un termelinéaire N2ωz et d’un terme non-linéaire ω ·∇b.

1En fait, il faut considérer la température potentielle.2La formule donnée constitue en fait un cas particulier [Pedlosky, 1987].

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 5

Nous reviendrons plus loin sur ce système d’équation et cette quantité conservée en s’intéressant aux ordres degrandeur des différents termes.

La prise en compte de la rotation planétaire permet d’interpréter les cartes météo (le lien entre gradient de pressionet vitesse notamment). Nous renvoyons le lecteur intéressé aux très nombreux livres traitant de la dynamique desfluides tournants (Cushman-Roisin [1994] et Pedlosky [1987] par exemple). Pour être succinct, nous rappelons sansjustification que la force de Coriolis se traduit par une force massique selon l’horizontale égale à −f z ∧ uh, où uh

est la vitesse horizontale et f = 2Ω sin λ (Ω est le vecteur rotation de la planète dans un référentiel galiléen et λ lalatitude). Dans les latitudes moyennes, f ∼ 10−5rad/s.

Pour quantifier l’importance de la rotation par rapport à l’inertie pour un écoulement de vitesse caractéristique Uet de taille horizontale caractéristique lh, on définit un nombre sans dimension, le nombre de Rossby Ro = U/(flh).

A faible Rossby, l’écoulement se caractérise en première approximation par un équilibre entre la force de Corioliset le gradient horizontal de pression (la pression est proportionnelle à la fonction de courant et la divergence dela vitesse horizontale est nulle). On parle d’un écoulement "géostrophique". A cet ordre d’approximation, la dérivéeverticale de la vitesse horizontale est nulle et la vitesse verticale est nulle ou constante (théorème de Taylor-Proudman).Même si ce théorème ne s’applique strictement qu’à des écoulements lents et faiblement non-linéaires, le caractèrebidimensionnel des écoulements fortement tournant a été montré numériquement et expérimentalement.

Cette approximation (d’ordre 0 en Ro) n’est pas satisfaisante dans le sens où elle n’offre pas d’équation d’évolutiondu système. Pour remédier à ce problème, on peut par exemple pousser l’approximation à l’ordre plus loin, c’est à direau premier ordre en Ro. On appelle ce développement "l’approximation quasi-géostrophique".

L’approximation quasi-géostrophique (Fh < 1 et Ro < 1) consiste en un développement perturbatif en Ro de lavitesse pour obtenir une équation d’évolution pour la pression (qui est proportionnelle à la fonction de courant, quicontient toute l’information sur l’écoulement) dans la limite de forte rotation planétaire et de forte stratification. C’estune limite très intéressante en pratique car elle correspond très bien aux conditions qui prévalent aux grandes échelles(voir sous-partie 1.1.2).

Avant de présenter la formulation très condensée qui émerge de ce développement, revenons un instant sur lestendances des deux effets prédominants. On a vu que la rotation comme la stratification ont tendance à inhiber lesmouvements verticaux, c’est à dire à rendre l’écoulement anisotrope. Mais on a vu aussi que les deux effets sonten compétition pour le choix de l’échelle verticale, la rotation tend à allonger les échelles verticales alors que lastratification tend à les diminuer.

Ce rapport des deux effets l’ordre de grandeur de α : α = lv/lh ∼ f/N . Dans l’océan profond, lv/lh ∼ f/N ∼0, 1 − 0, 01 alors que dans la proche atmosphère et la thermocline lv/lh ∼ f/N ∼ 0, 01 − 0, 001. Les structurestourbillonnaires "quasi-géostrophiques" (par exemple les belles dépressions des cartes météo) ont un aspect très aplati.

En redimensionalisant convenablement les grandeurs (notamment avec une dilatation de z par N/f ), l’évolutiond’un écoulement quasi-géostrophique est donnée par trois équations [Charney, 1971] : (i) une équation de conservationd’une vorticité potentielle notée q (que Charney appelle pseudo-vorticité potentielle car le terme de convection necontient à cet ordre d’approximation que la vitesse horizontale) (∂t + uh · ∇)q = (1/Re)∂zzq, (ii) une équationreliant cette quantité à la pression (fonction de courant) q = ∇2p et (iii) l’équation donnant la vitesse horizontale àpartir de la fonction de courant uh = z ∧∇hp.

Pour comparer la pseudo-vorticité potentielle à la vorticité potentielle “stratifiée“ de l’équation (2), on la développeen utilisant les grandeurs dimensionnées q = −N2ωz + f∂zb. On remarque que le terme non-linéaire est négligeabledans l’approximation quasi-géostrophique, ce qui a une importance théorique considérable.

1.1.2 Echelles caractéristiques et différents régimes d’écoulement

Dans cette sous-partie, on associe aux deux régimes présentés des domaines d’échelles spatiales. Pour cela, préoc-cupons nous de leurs limites.

D’abord la limite aux grandes échelles de l’approximation quasi-géostrophique. L’océan comme l’atmosphèresont deux fines enveloppes : leur hauteur H est bien inférieure à leur étendue horizontale. Les structures "quasi-géostrophiques" dont la "hauteur quasi-géostrophique" lhf/N est supérieure à H sont influencées par le rapportd’aspect aplati du milieu dans lequel elles évoluent. En terme de taille caractéristique horizontale, cette influenceborne le domaine d’échelle dans lequel l’approximation quasi-géostrophique s’applique telle que nous l’avons vue :lh < Rd ≡ HN/f . Rd, appelé le rayon de déformation de Rossby est de l’ordre de 1000km dans l’atmosphère et de50km dans l’océan profond.

A petite échelle, le nombre de Froude Fh = U/(Nlh) devient supérieur à 1, les écoulements ne sont plus influencéspar la stratification et retrouvent leur isotropie.

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 6

régime conditions gamme d’échelles océan gamme d’échelles atmosphèreRd < lh Rd ∼ 50km < lh Rd ∼ 1000km < lh

quasi-géostrophique Fh < 1 et Ro < 1 10km < lh < Rd 100km < lh < Rd

stratifié (≡ "méso-échelles") Fh < 1 et Ro > 1 100m < lh < 10km 1km < lh < 100kmhomogène Fh > 1 et Ro > 1 lh < 100m lh < 1km

TAB. 1 – Gammes d’échelles associées aux différents régimes d’écoulement. Pour évaluer les échelles spatiales, onutilise comme échelles de vitesse caractéristiques U ∼ 1m/s pour l’atmosphère et U ∼ 0, 1m/s pour l’océan.

1.1.3 Quelques observations en milieu naturel

Dans les milieux naturels, les structures tourbillonnaires sont omniprésentes (galaxie, oeil rouge de Jupiter,dépression, tornades, etc.) [Otheguy, 2005]. Les méso-échelles (1-300km) jouent un rôle majeur en particulier endynamique océanique. Peu d’observations existent du fait de la résolution nécessaire, mais DiGiacomo and Holt [2001]répertorient que 75% des tourbillons ont un rayon inférieur à 5km.

Les données de vitesse horizontale et de température collectées par des capteurs montés sur des avions de lignes(évoluant principalement selon l’horizontale) et sur des ballons-sondes (évoluant principalement selon la verticale, etnous informant notamment sur la nature "stratifiée" des écoulements, c’est à dire organisés en couche) nous donnentdes informations sur la statistique des champs. Sur la figure 1, sont représentés les spectres horizontaux (à gauche) etverticaux (à droite) de température et d’énergie cinétique tirés de ce type de données. Sur les spectres horizontaux, onremarque deux zones inertielles en k−3 aux grandes échelles (influencées par la stratification et la rotation) et en k−5/3

aux méso-échelles (influencées seulement par la stratification). Au contraire, les spectres verticaux correspondent àune loi d’échelle en k−3 sur une décade.

La statistique des incréments de vitesse a aussi fait l’objet d’études poussées ([Lindborg, 1999], [Cho and Lind-borg, 2001] et [Lindborg and Cho, 2001]), dont nous reparlerons dans la sous-partie 1.2.4.

FIG. 1 – Spectres horizontaux [Nastrom et al., 1984] et verticaux [Cot, 2001].

1.1.4 Limitations des modélisations numériques

Comme on l’a déjà dit, les nombres de Reynolds associés aux écoulements océaniques et atmosphériques sontgigantesques. Si bien qu’il est totalement inenvisageable de calculer exactement toutes les échelles de l’écoulement.Les codes de modélisations numériques sont basés sur des méthodes plus ou moins brutales de fermeture des équationspermettant de ne pas calculer les petites échelles. Seule l’évolution des grands tourbillons est calculée et l’effet despetites échelles est simulé par des modèles sous-mailles plus ou moins empiriques.

Il a été montré que les paramétrisations sous-mailles sont critiques pour ces codes [Lesieur, 1983] et il n’existeactuellement pas de méthode satisfaisante de paramétrisation fine. De ce point de vue, comprendre en profondeur lanature des turbulences quasi-géostrophique et stratifiée est fondamental pour élaborer des paramétrisations adéquates.

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 7

1.2 Nature de la (des) turbulence(s) géophysique(s)1.2.1 Cascade turbulente, turbulence 3D, turbulence 2D et quantités conservées

La stratification combinée à la rotation ont tendance à bidimensionaliser les écoulements. C’est pourquoi Kraich-nan [1967] étudia la turbulence 2D et interpréta des données atmosphériques à la lumière de ses résultats. Cettesous-partie introduit quelques rappels sur la turbulence 2D. On va dans un premier temps s’intéresser à la descrip-tion statistique et discuter des transferts entre échelles pour ensuite dire quelques mots à propos des mécanismes quisous-tendent ces transferts.

De manière générale, la turbulence peut s’interpréter comme une superposition de structures sur une large gammed’échelles.

Turbulence 3D Puisque la viscosité ne peut pas dissiper l’énergie aux grandes échelles, Richardson a introduit l’idéed’une cascade d’énergie des grandes échelles où l’énergie est injectée vers les petites, où la viscosité moléculaire estcapable de la dissiper. Kolmogorov [1941] a proposé une théorie extrêmement efficace pour décrire statistiquement etau premier ordre la turbulence 3D. Sous des hypothèses d’homogénéité, d’isotropie, d’auto-similarité entre échelleset de localité (dans l’espace de Fourier) des interactions, il déduit l’universalité de la turbulence dans le domaineinertiel (qui ne dépend que de ε le taux de dissipation d’énergie massique), retrouve la loi d’échelle de Taylor [1935]u(l) ∼ (εl)1/3 et prédit le fameux et très robuste spectre E(k) = ε2/3k−5/3.

Sur la théorie K41, on rajoutera juste que Kolmogorov justifie l’hypothèse de localité des interactions (entre autre)en arguant que le temps caractéristique associé à une échelle l varie en l/u ∼ ε−1/3l2/3 : les différentes échellesévoluent selon des temps caractéristiques différents.

Kraichnan [1967] a montré qu’en turbulence 2D le scénario est profondément différent.Pour comprendre, remarquons que l’équation qui gouverne l’énergie massique totale d’un volume de fluide est :

dEtot/dt = Ptot − νZtot où Ptot est le taux d’injection totale et Ztot l’enstrophie (le module carré de la vorticité)totale [Lesieur, 1983]. Imaginons un système stationnaire où Ptot est constant (turbulence forcée).

En turbulence 3D et à grand nombre de Reynolds, l’énergie injectée est en moyenne égale à l’énergie dissipée,et ceci quelle que soit la valeur de la viscosité. La dissipation d’énergie ne tend pas vers 0 lorsque la viscosité tendvers 0 donc Ztot diverge comme 1/ν. Cela signifie que la vorticité se concentre encore et encore lorsque ν → 0. Ceciest possible puisque qu’un mécanisme (l’étirement des lignes de vorticité par la vitesse associé à un terme source enω ·∇u) permet cette concentration.

En turbulence 2D, ce mécanisme est inhibé pour une raison géométrique (la vitesse est perpendiculaire à la vor-ticité). La vorticité est une constante en suivant la particule fluide et ne peut donc pas se concentrer. L’enstrophie nepeut que décroitre et donc la dissipation d’énergie totale tend vers 0 lorsque la viscosité tend vers 0.

Kraichnan a montré qu’aux deux quantités conservées (énergie et enstrophie), on devait associer deux flux à traversles échelles (respectivement P et εω) et donc deux domaines inertiels. Par analyse dimensionelle, on trouve deux loisd’échelle E(k) = P 2/3k−5/3 et E(k) = ε

2/3ω k−3. En considérant les triades d’interaction, il montre que (i) les deux

cascades sont exclusives (dans le sens où, à une échelle un flux d’énergie non nul est associé à un flux d’enstrophienul, et inversement), (ii) que les deux flux ont des signes opposés.

En considérant les transferts d’énergie et d’enstrophiepour une triade et les lois de conservation associées(dE1 +dE2 +dE3 = 0 et k2

1dE1 +k22dE2 +k2

3dE3 = 0),on peut exhiber des triades associées à une cascade in-verse d’énergie et une cascade directe d’enstrophie [Le-sieur, 1994]. Par contre, cela ne prouve rien sur les fluxglobaux.

Kraichnan propose une cascade inverse (vers les grandeséchelles) d’énergie et une cascade directe (vers les petiteséchelles) d’enstrophie. Ce résultat a depuis été vérifié nu-mériquement et expérimentalement. FIG. 2 – Spectre en turbulence 2D [Morize, 2006]. NB :

ε = P et β = εω.

1.2.2 Turbulence quasi-géostrophique et cascade de pseudo-enstrophie potentielle

Charney [1971] a montré que, même si la dynamique quasi-géostrophique n’a pas une structure 2D, la conservation

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 8

de la pseudo-vorticité potentielle (quantité linéaire) a les mêmes conséquences que la conservation de la vorticitéen turbulence 2D. Ainsi la turbulence quasi-géostrophique est associée à deux domaines inertiels et à deux lois depuissance pour le spectre.

Les structures cohérentes de la turbulence géostrophique sont des tourbillons pancakes de rapport d’aspect f/N([Dritschel et al., 1999] et [Praud et al., 2005]). Ceci est lié à l’existence d’une instabilité 3D appelée "tall-collumn"[Dritschel and d. T. Juarez, 1996].

1.2.3 Mécanismes, dynamique des structures et instabilités

Un aspect complémentaire de l’étude de la turbulence a trait à la dynamique des structures dans l’espace physiqueet aux mécanismes de cascade.

On sait que la turbulence est composée de structures tourbillonnaires. En 3D, leur dynamique est liée à la concen-tration de vorticité et à l’intermittence. En 2D, la cascade inverse se traduit dans le domaine spatial par l’appariementtourbillonnaire alors que le pendant de la cascade directe d’enstrophie est l’étirement des nappes de vorticité et leur fi-lamentation par des structures de grandes tailles. Cette interprétation contredit l’hypothèse de localité des interactions.En fait, le concept de cascade d’enstropie est intrinsèquement non local puisque le temps caractéristique associé à uneéchelle l, l/u = ε−1

ω , n’est pas fonction de l. La non-localité rend impossible une paramétrisation correcte des petiteséchelles par une viscosité turbulente [Lesieur, 1983].

1.2.4 Interprétations des données de turbulence géophysique

Kraichnan [1967] a proposé que la turbulence géophysique est essentiellement 2D avec une cascade inverse d’éner-gie. Charney [1971] a montré que bien que n’ayant pas une structure 2D dans l’espace physique, la turbulence quasi-géostrophique est similaire à la turbulence 2D. Remarquons que si l’on observe bien les deux lois de puissance enk−3 et en k−5/3, elles sont inversées (comparer les figures 1 et 2, dans l’atmosphère le spectre en k−3 se trouve auxgrandes échelles).

Lilly [1983], en s’appuyant sur décomposition ondes/tourbillons pour Fh ¿ 1 et Fv ¿ 1 et le fait que la dyna-mique des tourbillons est 2D dans cette limite, proposa que la turbulence stratifiée soit associée à une cascade inversed’énergie. Affectée par les petites structures (viscosité turbulente), la dynamique des gros tourbillons serait dominéepar l’appariement [Riley and de bruyn Kops, 2003]. La confrontation de cette hypothèse aux données [Lilly et al.,1998] n’a pas réellement permis sa corroboration.

En considérant plusieurs échelles d’injection d’énergie, Lindborg [1999] a montré que les spectres horizontauxpouvaient correspondre à une turbulence type 2D. Par contre, l’étude de la statistique des incréments de vitesse ([Choand Lindborg, 2001], [Lindborg and Cho, 2001]) a montré que si le domaine en k−3 (les grandes échelles, régime"quasi-géostrophique") correspondait bien à une cascade directe de pseudo-enstrophie potentielle, le domaine en k−5/3

(les méso-échelles, régime "stratifié") ne correspondait pas à une cascade inverse d’énergie, mais à une cascade directe.En se basant sur la loi d’échelle lv ∼ U/N , Lindborg [2006] montre qu’un régime de turbulence en milieu stratifié

permet d’expliquer les spectres verticaux et horizontaux. La dernière sous-partie approfondi la description de ce régimeet de sa dynamique. Signalons également qu’une turbulence d’ondes internes permet d’expliquer les spectres verticaux([Hines, 1991] et pour une revue, [Waite and Bartello, 2006]).

1.3 Milieux stratifiés, instabilité zigzag et régime turbulentAprès ces rappels et approfondissements, on aborde la dynamique des écoulements en milieu stratifié.

1.3.1 Dynamique "en couche" et instabilité zigzag

On a déjà dit que l’effet de la stratification était d’organiser l’écoulement en couche d’épaisseur lv ∼ U/N . Quelssont les mécanismes impliqués dans cette structuration de l’écoulement ?

Les écoulements stratifiés sont sujets à des instabilités 3D. Leblanc [2003] a montré l’existence d’une instabilitéparamétrique 3D des ondes internes lorsqu’elles sont soumises à un champ d’étirement périodique.

Un autre type d’instabilité 3D en milieu stratifié est l’instabilité "zigzag" [Billant and Chomaz, 2000] qui agit surdes tourbillons interagissant ensemble en les pliant en zigzag avec très peu de déformation du coeur (cf. figure 3 et4). Elle est très différente de l’instabilité elliptique qui déforme le coeur du tourbillon. La condition d’existence del’instabilité zigzag est Fh < 0, 1 alors que l’instabilité elliptique apparaît pour Fh > 10 [Otheguy et al., 2006a].

1 CONTEXTE ET MOTIVATIONS 9

FIG. 3 – Développement temporel de l’instabilité zigzag dans le cas de deux tourbillons contra-rotatifs. A gauche, ledipôle avance vers le lecteur. Tiré de [Billant and Chomaz, 2000].

Après la découverte de l’instabilité sur deux tourbillons contra-rotatifs, Otheguy et al. [2006a] ont étudié le casde deux tourbillons co-rotatifs ainsi que l’effet de la rotation sur le développement de l’instabilité [Otheguy et al.,2006b]. Des études sur des configurations plus compliquées mettant en jeu un nombre plus importants de tourbillons(par exemple une allée de Von Karmán) ont montré que l’instabilité zigzag était générique [Deloncle, 2007].

L’instabilité zigzag ne sature pas et son évolution non linéairemène à la formation de tourbillon de rapport d’aspect ∼ U/Nappelés tourbillons-pancake. Une instabilité secondaire de typeKelvin-Helmoltz a été repérée [Deloncle, 2007]. Cela permetd’imaginer des mécanismes de cascade non-locale.

Des descriptions théoriques ([Otheguy et al., 2007] et [Billantet al., 2008]) ont montré que l’instabilité zigzag résulte du cou-plage entre la déformation de pliage d’un tourbillon et l’étire-ment induit par l’autre tourbillon. FIG. 4 – Développement non-linéaire de l’instabi-

lité zigzag menant à la formation de tourbillons-pancake. Tiré de Deloncle [2007].

1.3.2 Lois d’échelle et nombre de Reynolds de flottabilité

On va revenir sur la loi d’échelle en étant un peu plus précis. Pour cela, on sépare l’évolution horizontale del’évolution verticale et on adimensionne sans préjuger du rapport d’aspect [Brethouwer et al., 2007]. Dans la limiteFh → 0, on obtient :

∂uh

∂t+ uh · ∇huh +

F 2h

α2w

∂uh

∂z= −∇hp +

1Reα2

∂2uh

∂z2, (3)

0 = −∂p

∂z− b, (4)

∇h · uh +F 2

h

α2

∂w

∂z= 0, (5)

∂b

∂t+ uh · ∇hb +

F 2h

α2w

∂b

∂z= w +

Sc

Reα2

∂2b

∂z2, (6)

Le rapport du terme de convection par la vitesse verticale sur le terme de dissipation est d’ordre R ≡ ReF 2h . Ce

nombre sans dimension, appelé nombre de Reynolds de flottabilité [Smyth and Moum, 2000] contrôle le régime del’écoulement.

Si R < 1, le terme de viscosité l’emporte. L’écoulement est tel que α2 ∼ 1/Re donc quasi-2D et visqueux àtoutes les échelles [Godoy-Diana et al., 2004].

Par contre si RÀ 1 (c’est le cas en turbulence géophysique stratifié), l’écoulement est tel qu’il y a équilibre entreles termes de convection horizontaux et verticaux (la loi d’échelle Fv ∼ 1 s’applique) et la viscosité est négligeablesur une large gamme d’échelle [Billant and Chomaz, 2001]. On peut alors supposer valide l’estimation de Tayloru ∼ (εlh)1/3.

2 DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ET TECHNIQUE DE MESURE 10

Lindborg [2006] en tire des estimations pour les spectres verticaux et horizontaux (valables pour les énergiespotentielles et cinétiques) respectivement en ε2/3k

−5/3h et en N2k−3

v .Remarquons que la condition R À 1 implique qu’une partie du domaine inertiel n’est pas influencée par la

stratification, car lo/η ∼ R3/4, où η est l’échelle de Kolmogorov. Les échelles comprises entre lo et η ont un nombrede Froude supérieur à 1.

Le nombre de Richardson local Ri est relié au nombre de Reynolds de flottabilité global par Ri ∼ R−1. Ainsi laconditionR > 4 est associée à la présence d’instabilités de Kelvin-Helmoltz dues aux cisaillement verticaux alors quela condition plus forte RÀ 1 est associée à une cascade directe d’énergie [Lindborg, 2006, Brethouwer et al., 2007].

L’équation de conservation de l’énergie totale est

d

dt

(uh

2

2+

b2

2

)= −∇ · (pu) +

1R (|∂zuh|2 + |∂zb|2) (7)

La vorticité peut se décomposer en un terme horizontal d’ordre 1/Fh, ω0 = −∂zvx+∂zuy (donc |∂zuh|2 = ω02)

et un terme vertical d’ordre 1, ωz z = (∂xv − ∂yu)z.La vorticité potentielle est d’ordre 1. En conservant seulement les termes de cet ordre, on obtient Π = −ωz + ω0 ·

∇hb + ωz∂zb. La vorticité potentielle dans ce régime est non-linéaire.

2 Dispositif expérimental et technique de mesure

2.1 Présentation générale du dispositif expérimentalCe stage a consisté à mettre au point et étudier une expérience conçue pour l’étude de la turbulence en milieu

stratifié. L’injection d’énergie s’effectue par la création continue aléatoire de dipôles d’axe vertical (forçage kv = 0,mode tourbillonaire) par 12 paires de flaps (voir figure 5). Ainsi aucune taille caractéristique verticale n’est imposéeà l’écoulement. On s’attend à ce qu’il se tridimensionnalise de lui même par l’interaction des dipôles via l’instabilitézigzag pour générer une turbulence stratifiée constituée de "tourbillons-ondes" (non dissociables lorsque le Froudevertical est d’ordre 1) entretenue par des modes tourbillonnaires.

FIG. 5 – Photographie plongeante de l’expé-rience. La zone agitée par le forçage est unquasi-cylindre d’environ 30cm de rayon et de57cm de hauteur.

Les mesures de champs de vitesse sont effectués par PIV (vé-locimétrie par images de particules), soit dans un plan horizon-tal (deux composantes horizontales), soit dans un plan vertical(composante verticale et la composante horizontale parallèle àla nappe laser). On peut aussi faire des visualisations directes.

Le travail effectué sur cette expérience n’est qu’une premièreétape puisqu’il est prévu d’y adapter un système permettantd’obtenir des champs tridimensionnels de deux composantes(2C) de la vitesse, la PIV 3D2C. Une post-doctorante tra-vaillera notamment dans cette direction. Il est aussi envisagéde faire des mesures de densité grâce à des sondes mesurant laconductivité.

Le gradient linéaire de concentration en sel est obtenu avec une méthode classique de remplissage impliquant deuxcuves : une cuve d’eau saturée en sel ρtot ' 1200kg.m−3 et l’autre d’eau claire ρtot ' 1000kg.m−3) et deux pompes :une pompant de la cuve "saturée" vers la cuve d’eau claire avec un débit D et l’autre de la cuve de mélange vers la cuved’expérience avec un débit 2D. On remplit la cuve de 1 × 2m2 par 1m de hauteur avec 1, 14m3 d’eau plus ou moinssalée, ce qui correspond à une profondeur de 57cm. Sur la figure 9, sont tracés deux profils de densité, l’un mesuréun jour après le remplissage et l’autre deux mois après. Remarquons que le profil linéaire, dont la dérivée secondeest nulle, n’est modifiée par la diffusion (visqueuse et turbulente) que sur les bords. Ainsi la fréquence de Brunt-Väisälä dans la partie centrale de la cuve reste constante pendant un plusieurs semaines. On a effectué l’opérationde remplissage de la cuve d’expérience deux fois en quatre mois, mais les données retenues ont été obtenues dans lepremier mois après le remplissage.

2 DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ET TECHNIQUE DE MESURE 11

2.2 Mécanisme de forçage, création de l’écoulementDescription générale du mécanisme de forçage par "flaps". On force le mouvement à l’aide de 12 paires de flapscréant chacune régulièrement un dipôle (deux tourbillons contra-rotatifs d’axe vertical, voir figure 6 à gauche).

Une paire de flaps produit un dipôle contra-rotatif par sa fermeture (associée à une contra-rotation des deux flaps).Un flap est une plaque biseautée d’une hauteur de 65cm et d’une largeur de 15cm. Pour produire un beau dipôle,une paire de flaps doit avoir un mouvement précis et régulier : position "ouverte" flaps parallèles, fermeture lenteet régulière jusqu’à la position "fermée" - bords des dipôles distant de 1, 5cm -, temps d’arrêt pour laisser le dipôles’éloigner, ouverture vers la position "ouverte" lente et régulière, temps d’arrêt pour laisser le dipôle créé à l’intérieurde la paire de flaps se dissiper.

A droite de la figure, on voit une des structures en PVC et aluminium supportant deux paires de flaps et le mé-canisme de contrôle de fermeture/ouverture des deux paires de flaps, constitué entre autre d’un moteur électriqued’essuie-glace de voiture, d’engrenages et de barres d’aluminium. Les deux paires de flaps sont connectés deux àdeux par une tige transversale. De ce fait, un seul moteur suffit à actionner les deux paires de flaps mais cela im-plique qu’elles fonctionnent en phase et donc génèrent des paires de tourbillons simultanément (un "bi-dipôle"). Cesbigénérateurs de tourbillons sont au nombre de six et sont disposés à la périphérie de la zone de mesure (figure 5).

FIG. 6 – A gauche, une paire de flaps, le dipôle créé et le dipôle déformé par l’instabilité zigzag. A droite, la structureen PVC et aluminium supportant deux paires de flaps solidarisées. Au premier plan, on aperçoit une plaque de plexiglasfixée entre la caméra et la nappe laser à la surface de l’eau pour éviter les effets optiques liés à sa déformation (ondesde surface).

Problèmes rencontrés– Impossibilité de régler (diminuer) la vitesse de fermeture. A l’origine, les flaps était ouvert par le moteur

(à vitesse réglable) et se refermaient sous l’effet d’élastique(s). Avec seulement un élastique, les flaps ne sefermaient pas complètement ce qui ne permet pas de produire des dipôles "propres". Avec deux élastiques, lavitesse de fermeture était trop grande et les tourbillons créés étaient instables par rapport à l’instabilité elliptique(le Froude associé étant trop grand, cf. sous-partie 1.3.1). L’évolution non-linéaire de l’instabilité elliptique mèneà une "explosion du coeur" du tourbillon (cf. figure 8) et ainsi à la création de petites échelles peu sensiblesà la stratification. Les tourbillons constituent dans ce cas des générateurs de turbulence faiblement stratifiéeavec beaucoup de retournements et mélanges. Les gradients importants de densité et d’indice associés à cetteturbulence 3D ont pour effet de rendre le fluide stratifié trouble empêchant toute visualisation correcte.

– Basculement des structures supportantes vers l’avant et frottement des flaps sur le fond. Nous noussommes aperçus de la tendance des structures qui maintiennent les 2 paires de flaps à basculer vers l’avant(elles sont posées simplement sur le fond de la cuve). De ce fait, les bords inférieurs des flaps frottent sur le fondde la cuve, ce qui gène leur mouvement.

– Anisotropie horizontale et inhomogénéïté du forçage. L’idéal serait que le forçage soit symétrique par rotation2π/6 selon l’axe vertical central pour créer une turbulence la plus homogène possible au centre de la cuve.Malheureusement, nous sommes forcés de laisser un espace important au moins entre deux bi-générateurs pourpermettre l’arrivée de la nappe laser (cf. figure 5). De plus, en raison de la taille de la cuve (2 × 1m2 desurface horizontale), il n’est pas possible d’espacer tous les flaps de façon à ce que le forçage soit symétrique.L’espacement des bi-générateurs est un paramètre physique essentiel contrôlant l’importance des interactionsentre tourbillons et le taux d’injection d’énergie massique (cf. équation (8)).

2 DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ET TECHNIQUE DE MESURE 12

FIG. 7 – Mécanisme pour contrôle ouverture/fermeture. On voit les flaps, la barre reliant les deux paires de flaps, lesengrenages, les barres d’aluminium, le moteur et le potentiomètre. A gauche, les flaps sont en position ouverte et àdroite, en position fermée.

Principales améliorations effectuées– Conception et réalisation d’un mécanisme pour le contrôle de l’ouverture et de la fermeture. Après divers

essais pour ralentir et mieux contrôler la vitesse de fermeture des flaps (notamment avec des élastiques et desmini-charnières réglables), nous avons trouvé une solution en utilisant le moteur pour contrôler à la fois l’ou-verture et la fermeture au moyen de barres fixées sur les engrenages (cf. figure 7). Une barre fixée à un pivotmis en mouvement par le moteur pousse alternativement deux barres fixées sur les engrenages, l’une fermantles flaps et l’autre les ouvrant. L’inconvénient de cette méthode est que le temps de fermeture des flaps et letemps entre deux fermetures ne sont plus découplés : ces deux temps proportionnels sont liés à la vitesse dumoteur. Par contre, le rapport de ces deux temps est fonction de la longueur des bras qui effectuent la fermetureet l’ouverture. Ainsi, les barres sont fixées sur les engrenages extérieurs de manière à ce qu’elles soient lesplus longues possibles. Le mécanisme adopté est complexe et difficile à régler. C’est un problème à nombre deparamètres assez élevés qui met en jeu plusieurs écrous et vis pas toujours faciles d’accès. Le réglage a doncnécessité plusieurs jours.Pour permettre le réglage de la vitesse de rotation de chaque moteur, nous avons rajouté six potentiomètres.Malheureusement, la gamme de vitesses de rotation intéressante est telle que les moteurs travaillent en sous-régime. Cela a pour conséquence qu’à faible vitesse il arrive qu’un moteur s’arrête subitement et qu’il n’est paspossible d’éteindre le forçage puis de le rallumer en conservant les réglages de vitesse de rotation.

– Stabilisation des flaps : de petites plaques de PVC ont été collées sous les bi-générateurs de tourbillons pourles stabiliser et les surélever afin que les mouvements des flaps soient libres.

2.3 Système de visualisation et vélocimétrie par images de particules (PIV)Visualisation directe On a tout d’abord effectué des visualisations directes d’écoulement simple (1 ou 2 dipôles) eninjectant dans les flaps soit de la fluorescéine, soit de l’eau concentrée en particules. Nous avons enregistré des imagesrespectivement avec un camescope (éclairage avec deux lampes UV) et avec une caméra CCD (éclairage avec unenappe laser).

FIG. 8 – Visualisation directe d’un dipôle dans un plan horizontal avec injection d’eau concentrée en particules. Laphoto de gauche montre un dipôle stable vis à vis de l’instabilité elliptique et les photos de droite montrent un dipôleà deux temps successifs (∆t ∼ 2s) se désorganisant du fait de l’instabilité elliptique.

2 DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ET TECHNIQUE DE MESURE 13

Dans cette sous-partie, on présente notre principale technique de mesure, la PIV 2D. La PIV 2D est une tech-nique de mesure de champs 2D (dans un plan) de vitesse 2D (les deux composantes parallèles au plan) basée sur lacomparaison entre deux images de particules dans un plan éclairé par une nappe laser ; prisent à deux instants prochesséparés par un intervalle de temps dt [Morize, 2006]. Les particules sont suffisamment petite pour suivre le mouve-ment du fluide. Avec le logiciel utilisé au laboratoire (LaVision), le calcul des déplacements des particules est basé surdes calculs de fonction de corrélation sur des fenêtres d’interrogation de plus en plus petites. La qualité du champ devitesse obtenu est conditionnée par la qualité du doublet d’images utilisé.

Pour éclairer les particules contenues dans le plan choisi, la nappe laser doit être suffisamment intense. Pourcela, on utilise un laser YAG (50mJ) qui génère des pulses laser plutôt qu’un laser continue. En pratique, le systèmed’acquisition s’organise autour d’un ordinateur qui (i) commande le laser et une caméra CCD (1280 × 1024 pixels)placée perpendiculairement à la nappe laser et (ii) enregistre les images.

On utilise la configuration "double frame" qui consiste à prendre deux images à deux temps très rapprochés puis àattendre un laps de temps plus important. Le laser étant en fait constitué de deux cavités est donc capable de produiredeux flash très rapprochés à une fréquence maximale de 15Hz. Puisque la caméra ne peut acquérir que quatre pairesd’images par seconde, nous sommes limités en fréquence avec cette méthode à 4 doublets d’images par seconde.

Un mauvais réglage du laser a fait que les deux nappes laser n’étaient pas exactement sur le même plan et n’avaientpas exactement la même forme, le problème étant plus important sur les côtés des nappes. Sur les deux images, deuxensembles de particules ne se recoupant pas tout à fait sont visualisés, ce qui est catastrophique pour les calculs decorrélation. La première solution employée a été de reculer le laser pour n’utiliser que le centre de la nappe (on apour cela été amené à changer la configuration du dispositif pour pouvoir éloigner le laser de la cuve) et d’augmenterl’épaisseur des nappes (ce qui n’est pas sans poser problème, voir plus bas). On s’est rendu compte que les résultatsétaient bien meilleurs en mode simple frame (en utilisant qu’une seule nappe donc). Mais cette technique est limitéeà des dt > 1/8s et à des acquisitions courtes (les temps entre deux doublets d’images et entre deux images sontégaux, et nous sommes limités à ∼ 350 images par acquisition). C’est seulement après que les miroirs du mélangeurde faisceaux du laser aient été réglés que l’on a obtenu des champs de vitesse satisfaisant en mode double-frame.

PIV : difficultés particulières à cette expérience de turbulence en milieu stratifié.– Les choix de l’intervalle de temps dt et de la taille du champ de la caméra sont difficiles dans une expérience

de turbulence car de grandes gammes d’échelles de vitesse et de taille interviennent.– Le phénomène de turbulence d’indice dont on a déjà parlé (cf. partie 2.2) nous interdit presque toute étude

de la turbulence faiblement stratifiée dans laquelle l’instabilité elliptique interviendrait. Même lorsque les tour-billons sont stables elliptiques, des retournements interviennent localement dans certains cas (instabilité deKelvin-Helmoltz ?), ce qui a pour effet de rendre l’image localement floue. Jusqu’à un certain point, on peuts’en accommoder, mais cela peut entraîner des erreurs localisées dans le temps et l’espace sur les champs devitesse.

– La stratification en densité restreint le type de particule utilisable. Les particules doivent avoir une densitémoyenne peu éloignée de la densité du fluide au niveau de la nappe laser. Les particules ont été triées en leslaissant décanter dans des béchers d’eau stratifiée mais cela réduit le nombre de particules utilisables.

– La taille de la cuve est telle que l’on ne peut pas ensemencer les particules de manière homogène danstoute la cuve. De plus, la dispersion horizontale des particules est grandement accélérée par la turbulence. Ainsiun ensemencement adéquat ne dure pas.

– La structure en couche et les forts cisaillements verticaux obligent à utiliser une nappe très fine.

Choix des paramètres en jeu– Type de particules (distribution en taille et en densité). La taille caractéristique des particules est un paramètre

fondamental puisque c’est comme nous allons le voir le paramètre contrôlant la résolution maximale. Plus lesparticules utilisées sont petites, plus on peut résoudre les petites échelles de l’écoulement. Cette affirmationayant bien sûr une limite liée au phénomène de diffusion multiple. Les particules apparaissent comme une tached’environ 0, 35mm de rayon.

– La taille d’un pixel est fonction de la distance entre la caméra et la nappe, que nous choisissons de façon à ceque les particules soient vues comme des taches d’environ quatre pixel (ce choix maximise la gamme d’échellesrésolues).

– Taille des fenêtres d’interrogation (32 ou 16 pixels). L’idéal est d’avoir 3-4 particules dans une fenêtre d’in-terrogation. La taille de la plus petite fenêtre d’interrogation dépend donc directement de l’ensemencement etde la qualité des images. Pour les plans horizontaux, on a réussi à obtenir de bons résultats avec des fenêtresd’interrogation de 16 pixels (correspondant à une résolution égale à 3,8mm). Pour les plans verticaux, on doitse contenter de fenêtre d’interrogation de 32 pixels car il est plus difficile d’avoir un ensemencement dense ethomogène.

2 DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ET TECHNIQUE DE MESURE 14

– Le choix de l’intervalle de temps entre les deux images du doublet découle d’un compromis. On veutmaximiser les déplacements des particules pour limiter les incertitudes sur les faibles vitesses mais il ne faut pasque la disposition relative des particules ne change de trop entre les deux instants. Sinon les corrélations sontmauvaises. Il ne faut pas également que trop de particules disparaissent ou apparaissent dans la nappe laser entreles deux prises de vues (mouvement perpendiculaire à la nappe). Après plusieurs essais, la valeur dt = 90mss’est avérée optimale.

2.4 Ordres de grandeur et séries de mesureLes paramètres physiques constants sont le profil de densité et la viscosité.

FIG. 9 – Deux profils de densité. En bleu, un jour après leremplissage et en rouge, après deux mois de manipulation.

Sur la figure 9 sont tracés deux profils de densité.On prend pour densité de référence ρ0 la valeur mé-diane entre la densité maximum (1, 16kg.m−3) et ladensité minimum (1kg.m−3) : 1, 08kg.m−3. La fré-quence de Brunt-Väisälä N =

√−(g/ρ0)dρtot/dz vaut

1, 6rad/s, ce qui correspond à un temps de 2π/N ' 4s.La fréquence de Brunt-Väisälä est gardée constante etégale à sa valeur maximale pour l’expérience (hauteurde fluide ∼ 60cm) pour avoir un nombre de Froude leplus petit possible.

On néglige les variations de la viscosité sur la verticaleet on prendra ν égale à la viscosité au centre de la cuve :1, 2.10−6m2/s.

Les paramètres physiques que l’on a fait varier sont : T la période de rotation des moteurs et nm le nombre demoteurs en marche. Outre l’orientation de la nappe laser (horizontale ou verticale), une série d’images est caractériséepar la donnée de ces deux paramètres et de deux autres paramètres qualifiant les mesures effectuées : Lh la longueurde l’image et fa la fréquence d’acquisition. On note les séries avec un code (par exemple 17s6m-H1Hz30cm ou15s3m-V2Hz30cm) de façon à ce qu’il contienne toute l’information nécessaire à leur caractérisation.

Ordre de grandeur et définitions des nombres sans dimension : Nous devons lier les paramètres physiques va-riables T et nm à des nombres sans dimension ayant plus de sens hydrodynamiques. Deux choix s’offrent à nous, soitprendre en compte les quantités physiques associées à une structure créée (à un tourbillon), soit considérer l’ensembledésordonné résultant du forçage. Les deux possibilités sont considérées.

Quantités physiques associés à un tourbillon injecté : Lh et circulation Γ .

Pour évaluer la taille Lh d’un tourbillon et sa circulation, onconsidère le cas où un seul moteur est allumé. L’écoulementest alors assez ordonné, au moins lors des premiers lancésde dipôles après l’allumage. Sur des champs de vitesse aussipropre que celui de la figure 10, on peut ajuster les donnéesavec des tourbillons de Lamb-Oseen (tourbillons gaussiensdont la vorticité est donnée par ωz = Γ/(πL2

h) exp(−r2/L2h),

où r est la distance à l’axe du tourbillon) avec une méthodede minimisation des moindres carrés. Lh, égale à 0, 015m nevarie pas significativement avec T . La distance entre les deuxtourbillons d’un dipôle est b ' 4cm.

T (s) 15 17 20Γ (m2/s) 0,0025 0,0020 0,0015Lh (m) 0,015 0,015 0,015

TAB. 2 – Variation de Γ avec T . Les variation de Lh ne sontpas significatives.

FIG. 10 – On calcule les quantités caractéristiquesdes dipôles produit en ajustement des tourbillons deLamb-Oseen pour reproduire les champs de vitessemesurés.

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 15

Les nombres sans dimension associés à un tourbillon sont le nombre de Froude F sh , le nombre de Reynolds Rs

e etle nombre de Reynolds de flottabilité Rs définis comme suit :

F sh =

Γ2πL2

hN, Rs

e =Γ

2πνet Rs =

Γ3

(2π)3L4hN2ν

.

Quantités physiques associées à la turbulence : taux d’injection d’énergie Pe et vitesse caractéristique. Onchoisit pour vitesse caractéristique U la moyenne des vitesses quadratiques supérieures à 1,5 fois la vitesse quadratiquela plus probable de la série de mesure (le maximum de la densité de probabilité de vitesse). Cette évaluation arbitrairedonne une valeur assez supérieure à la vitesse quadratique moyenne et reflettant mieux les vitesses caractéristiquesobservées. Le taux d’injection d’énergie est évalué comme suit Pe ' 4nm/T×etourb, où etourb est l’énergie cinétiquemassique moyenne d’un tourbillon dans le volume agité par les flaps et nm est le nombre de moteurs allumés. On sebase sur les résultats sur la circulation et la taille d’un tourbillon obtenu plus haut pour évaluer cette quantité :

etourb '(

Γ2πLh

)2 (HπL2

h

HπR2h

)=

2πRh

)2

,

où Rh est le rayon du quasi-cylindre agité par le forçage. Finalement, Pe est calculé par la formule

Pe ' nm

T

πRh

)2

. (8)

Les expressions des nombres sans dimension associés à la turbulence sont [Brethouwer et al., 2007] :

F th =

Pe

U2N, Rt

e =U4

Peνet Rt =

Pe

νN2.

Le tableau 3 présente les ordres de grandeur des quantités définies plus haut pour les différents écoulementsproduits. On évalue l’échelle d’Ozmidov lo, définit par la relation Fh(lo) = 1, à quelques millimètres.

T Γ F sh LhF l

h Rse Rs nm Pe U F t

h Rte Rt

unité s 10−4m2/s - mm - - - 10−7m/s3 mm/s - - -15s6m 15 25 1,10 17 330 405 6 63 7,7 0,066 475 2,117s6m 17 20 0,88 13 265 210 6 36 6,3 0,055 380 1,220s6m 20 15 0,66 10 200 90 6 17 5,9 0,031 575 0,5615s3m 15 25 1,10 17 330 405 3 32 7,6 0,034 870 1,017s3m 17 20 0,88 13 265 210 3 18 7,2 0,022 1230 0,58

TAB. 3 – Paramètres associés aux différents écoulements statistiquement stationnaires obtenus.

Nous nous sommes concentrés sur des mesures de vitesse sur le plan horizontal et pour des écoulements supposésstatistiquement stationnaires. A chaque configuration de l’écoulement du tableau 3, on a pris des séries de mesureavec différentes fréquences d’acquisition, ce qui nous permet de pouvoir présenter des études spectrales sur une assezimportante gamme d’échelles temporelles. Nous avons aussi pris quelques séries juste après l’allumage ou l’arrêt desmoteurs et quelques séries "verticales" pour lesquelles la nappe du laser est verticale et la caméra est placée sur le côtéde la cuve.

Pour finir, comparons les conditions de l’expérience avec les conditions des écoulements géophysiques. Les résul-tats du tableau 3 montrent que, contrairement aux conditions naturelles (dans la nature, R est de l’ordre du million !),nous sommes à la limite du régime fortement stratifié (faible Fh) turbulent (très grand Re et donc grand R). Lenombre de Reynolds de flottabilité R est de l’ordre de l’unité ce qui signifie que les termes de dissipation visqueusedus aux cisaillements verticaux ne sont pas clairement négligeables. Ces valeurs de R sont cependant du même ordrede grandeur que celles étudiées par DNS [Brethouwer et al., 2007]. Cette contrainte est le défi majeur des études de laturbulence stratifiée. Ainsi si on peut espérer étudier quelques mécanismes à l’oeuvre, nous n’obtiendrons pas de loisde puissance sur plusieurs décades comme sur les spectres méso-échelles de la figure 1.

3 Résultats et discussions

3.1 Ecoulement après l’allumage d’un moteurOn s’intéresse dans un premier temps à l’écoulement créé par uniquement deux paires de flaps juste après l’allu-

mage du moteur.

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 16

3.1.1 Description qualitative

Sur la figure 11, six champs de vecteurs dans un plan horizontal à des instants successifs sont représentés. Leschamps de vorticité sont représentés à l’arrière plan par une échelle de couleur (le rouge correspondant à une valeurpositive et le vert à une valeur négative). Les instants choisis correspondent à six étapes caractéristiques de l’écoule-ment observé juste après l’allumage d’un moteur à partir d’un état au repos. Les champs ont été acquis durant uneminute, temps correspondant à environ trois cycles ouverture/fermeture et donc trois productions de deux dipôles.

Sur le champ (a) (12s après l’allumage), nous voyons deux dipôles très bien définis et laminaires. Chacun desdipôles avance vers le milieu de la cuve sous l’effet de l’induction mutuelle de chaque tourbillon sur son partenaire.Par exemple, le champ de vitesse correspondant au tourbillon "h1−" (c’est à dire le tourbillon négatif "−" du premierdipôle "1" produit par le double flap du haut "h") a pour effet au premier ordre de faire tourner le tourbillon h1+autour du tourbillon h1−. Puisque h1+ influence symétriquement h1−, l’effet totale se réduit au premier ordre à undéplacement rectiligne du dipôle. Le deuxième ordre correspond à un étirement responsable de l’instabilité zigzag.Cependant, les mesures dans un plan horizontal ne permettent pas son observation.

Sur le champ (b) (22s après l’allumage), les deux premiers dipôles ont avancé tout en se rapprochant. Cela s’ex-plique par l’interaction entre les deux dipôles et sur la relative "localité" des interactions entre tourbillons. Par exemplele dipôle du haut "h" ressent plus l’effet du tourbillon b1− que celui du tourbillon b1+ ("b" comme bas). Et l’effet dutourbillon b1− est plus important sur la trajectoire du tourbillon h1+ que sur celle du tourbillon h1−. Ainsi l’effetrelatif du tourbillon b1− ralenti l’avancée du tourbillon h1+ relativement au tourbillon h1− ce qui modifie la direc-tion du dipôle h comme observé sur la figure. Le même effet se produit pour le dipôle b et donc les deux dipôles onttendance à se déplacer obliquement l’un vers l’autre et à se rencontrer. A cette étape, les deux tourbillons centraux(h1+ et b1−) forment un nouveau dipôle allant à rebours (vers la droite) des deux dipôles initiaux et rapprochant lesdeux tourbillons extérieurs (h1− et b1+). En retour, les deux tourbillons centraux subissent un étirement important.Remarquons que pour l’instant seuls des effets d’induction mutuelle (2D et non visqueux) ont été invoqués. Sur cechamp de vitesse (b), nous voyons aussi deux nouveaux dipôles (appelés "2" dans notre nomenclature) venant d’êtrecréés par les deux paires de flaps. On s’aperçoit qu’ils sont moins réguliers, du fait de la non-nullité de la vitesse aumoment de leur formation.

Sur le champ (c) (30s après l’allumage), nous retrouvons les différents tourbillons du champ (b). Les tourbillonsextérieurs forment maintenant un gros dipôle. La taille de leur coeur a augmenté ce qui peut s’expliquer par des effetsvisqueux et 3D. Entre ces deux tourbillons, on distingue deux nappes de vorticité (+ et −) résultant de l’étirementdes deux tourbillons centraux. Ces deux tourbillons, affaiblis et étirés, forment maintenant un dipôle se dirigeant ensens opposé vers la droite de l’image. Plus près des flaps, l’écoulement a complètement perdu sa symétrie initiale. Ledipôle h2, quoiqu’un peu déformé, suit une trajectoire assez similaire à son prédécesseur le dipôle h1. Par contre,ledipôle b2 ne se dirige pas vers le centre de la cuve mais tourne autour de son tourbillon b2− car le tourbillon b2+ estpeu concentré.

Sur le champ (d) (33s après l’allumage), nous distinguons un gros tourbillon positif formé des trois tourbillonsh1+, h2+ et b2+. Nous voyons aussi que l’étirement des nappes de vorticité favorise leur étalement visqueux.

Sur le champ (e) (40s après l’allumage), nous voyons que les nappes de vorticité h2− et h2+ ont été complètementétirées. Nous devinons aussi le début du processus de fusion entre les nappes h1− et h2−.

Sur le champ (f) (62s après l’allumage), nous retrouvons le résultat de la fusion annoncée. L’étirement, l’étalementvisqueux et la rencontre de nappes de vorticité de même signe permettent la formation de gros tourbillons. A droite dela cuve, deux dipôles sont à nouveau générés.

Si les effets 3D ne sont pas clairement visibles sur ces six champs, nous savons que l’écoulement présenté n’estpas 2D par des visualisations directes dans des plans verticaux. De plus, si l’on augmente l’épaisseur de la nappe laser,nous voyons plusieurs ensembles de particules ayant des directions différentes.

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 17

(a) 12s après l’allumage b) 22s après l’allumage

(c) 30s après l’allumage (d) 33s après l’allumage

(e) 40s après l’allumage (f) 62s après l’allumage

FIG. 11 – Evolution de l’écoulement juste après l’allumage d’un moteur à partir d’un état au repos. Deux paires deflaps produisent toutes les 20s approximativement deux dipôles. Après leur production, les dipôles avancent vers lemilieu de la cuve et interagissent entre eux.

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 18

3.1.2 Evolution temporelle de l’énergie, de l’enstrophie et des spectres

Nous avons également étudié l’évolution temporelle de l’énergie, de l’enstrophie et des spectres de l’écoulementde la figure 3.1.1. L’étude de ces quantités nous aidera à interpréter l’écoulement produit par six moteurs. Sur la figure12 à gauche, sont tracées les moyennes spatiales de l’énergie et de l’enstrophie en fonction du temps. Les oscillationscorrespondent à la production cyclique des dipôles par les paires de flaps.

Sur la figure 12 à droite, des psd compensés (c’est à dire multipliées par k5/3) sont tracés pour quatre périodesde l’écoulement ("pas de dipôle", "deux dipôles", "plusieurs nappes interagissantes" et "désordre final"). Les psd sontcalculés à partir d’un signal 1D créé à partir du champ de vitesse 2D : on aligne à la suite des autres une centainede lignes parallèles à l’axe des x. En faisant cela, on obtient un spectre fonction de kx. Deux signaux différents sontobtenus en utilisant la composante de la vitesse selon x (parallèle à kx) ou selon y (perpendiculaire à kx). Les spectres"parallèles" sont tracés en pointillé et les spectres "perpendiculaires" sont tracés en continu. A la première période(presque pas d’écoulement, courbes noires) correspond un spectre faible du au bruit de associé à nos mesures. Il estassez étonnant que ce spectre soit approximativement en k−5/3.

Il est intéressant de noter que les spectres compensés associés à l’écoulement composé de deux dipôles composésde tourbillons de rayon Lh ∼ 1, 5cm espacés de b ∼ 4cm (courbes bleues) aient des maximums à des échellesnettement plus importantes (∼ 7cm pour le spectre perpendiculaire et∼ 10cm pour le spectre parallèle) correspondantapproximativement à la taille d’une paire de tourbillons et non à celle d’un tourbillon isolé. La différence entre lesdeux types de spectres peut s’expliquer par la structure de l’écoulement d’un dipôle se dirigeant selon l’axe Ox : leséchelles spatiales de la vitesse selon l’axe Oy sont inférieures à celles de la vitesse selon l’axe Ox.

Nous retrouvons les mêmes tendances sur les spectres de la période "plusieurs nappes interagissantes" (courbesrouges) avec en plus, une augmentation de l’énergie globale (plus de dipôles), plus d’énergie à grande échelle (phé-nomène de fusion de tourbillons et d’étalement) et plus d’énergie aux petites échelles. Les spectres correspondant àla période de désordre (courbes noires avec des croix) se rapprochent du spectre en k−5/3 avec une augmentation del’énergie aux petites échelles.

(a) (b)

FIG. 12 – Evolution de l’énergie, l’enstrophie (à gauche) et des spectres (à droite) juste après l’allumage d’un moteur.

3.2 Présentation générale de l’écoulement "6 moteurs"Nous nous concentrons dans un premier temps sur la présentation des résultats en régime permanent obtenu lorsque

les six moteurs sont en marche avec production continu de dipôles toutes les 17s. On présente les champs de vitessehorizontaux avant les champs de vitesse verticaux. Pour caractériser cet écoulement, nous avons cherché à déterminers’il est statistiquement stationnaire, turbulent, homogène, 3D, isotrope. Ces différents points, ainsi que les spectresd’énergie, sont analysés successivement ci-dessous :

3.2.1 Champs de vitesse horizontaux

Sur la figure 13, sont représentés deux champs de vitesse caractéristiques de l’écoulement 5 minutes après la miseen marche des moteurs. La vorticité est représentée en arrière plan par une échelle de couleur. L’écoulement peudivergent est constitué de tourbillons de tailles différentes et de courants. Par endroit, on observe des cisaillementshorizontaux importants. Certains endroits (par exemple le coin en bas à droite), proches des lieux de formation desdipôles, sont plus agités que d’autres (cf. figures 15 et 16). La texture tachetée visible dans le champ de vorticité estprincipalement due aux incertitudes de mesures.

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 19

FIG. 13 – Visualisation de deux champs de vitesse caractéristiques de l’écoulement statistiquement stationnaire produitlorsque les six moteurs sont en marche. Seul un vecteur sur quatre est représenté.

L’écoulement est-il statistiquement stationnaire etturbulent ? L’évolution des moyennes spatiales del’énergie cinétique et de l’enstrophie est représentéesur la figure 14. Les signaux sont très fluctuants : lavaleur rms est du même ordre que la valeur moyenne.Ils semblent être statistiquement stationnaires sur lapériode présentée (30min). Il sera intéressant d’étu-dier plus en détail leur statistique (que l’on sait déjàêtre très intermittente par rapport à la turbulence iso-trope homogène) et de tenter de lier les résultats auxmécanismes à l’oeuvre.

FIG. 14 – Evolution temporelle de l’énergie moyenne etde l’enstrophie moyenne. L’énergie est normalisée par U2

et l’enstrophie par U2/L2h.

L’écoulement est-il homogène dans le plan horizontal ? La figure 15 sur laquelle est représentée la moyennetemporelle de l’énergie cinétique montre que le forçage, crée un écoulement non-homogène beaucoup plus énergétiqueprès des bords, là où les dipôles sont injectés. Cela est confirmé par la figure 16, sur laquelle sont tracées en fonctiondu temps l’énergie et l’enstrophie moyennées sur quatre zones carrées de 8cm de côté indiquées sur la figure 15.

FIG. 15 – Moyenne de l’énergie cinétique.

FIG. 16 – Evolution de l’énergie et de l’enstrophie moyennées sur lesdifférentes zones indiquées sur la figure 15.

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 20

Spectres temporels. Sur la figure 17, sont tracés des spectrestemporels obtenus en transformant une série de champs de vitesseen signal 1D fonction du temps. On accole les signaux temporelsde vitesse d’une centaine de points choisis au hasard. Pour aug-menter la gamme d’échelles temporelles, on superpose les spectrescalculés à partir de séries obtenues avec des fréquences d’acqui-sition différentes (4Hz en magenta, 2Hz en cyan, 1Hz en noir et0,2Hz en bleu). Les petites échelles de chaque spectre sont brui-tées. La fréquence de Brunt-Väisälä N , repérée par un trait bleu,n’est pas particulièrement marquée dans le spectre de la compo-sante horizontale de la vitesse. On voit nettement un pic à la fré-quence de forçage (∼ 0, 05Hz) mais le spectre est approximati-vement en f−5/3 jusqu’à des fréquences bien inférieures (prati-quement un ordre de grandeur). Deux autres pics sont repérablesentre 0, 1Hz et N . Peut-être correspondent-ils à des mouvementsondulatoires (cf. figure 24) ou à des harmoniques de la fréquencede forçage.

FIG. 17 – Spectres temporels de la vitesse ho-rizontale.

FIG. 18 – Spectres spatiaux compensés enfonction du nombre d’onde horizontal.

Les spectres spatiaux horizontaux compensés obtenus avec lamême méthode que ceux présentés dans la sous-partie 3.1.2 sonttracés sur la figure 18. Aux échelles supérieures à l’échelle d’in-jection (kf/k0 ∼ 0, 3), on retrouve le même comportement : lesspectres sont très pentus (approximativement en k−3). Nous pen-sons que ces grandes échelles sont générées entre autre par le mé-canisme de fusion-étalement décrit dans la sous-partie 3.1.1. Onobserve maintenant une étroite bande inertielle (allant de∼ 3, 3cmà ∼ 1, 25cm) associée à un spectre en k−5/3. La coupure à∼ 1, 25cm peut être associée à notre résolution (3, 8mm) et àla méthode de calcul de PIV intégrant un lissage spatial. Ainsion ne résout pas les échelles d’Ozmidov et de Kolmogorov (dumême ordre lorsque le nombre de Reynolds de flottabilité est del’ordre de l’unité). Ces spectres sont très similaires aux spectres deDNS de turbulence stratifiée forcée obtenus par Brethouwer et al.[2007].

Quelles dynamiques aux petites échelles ? Les zooms sur deux champs de vitesse pris à deux instants séparésde 0, 25s (figure 19) permettent de distinguer des petites structures évoluant rapidement. Après vérification, on peutaffirmer que ce ne sont pas des effets numériques et que ces taches correspondent bien à des petites échelles del’écoulement. Des mesures à plus petites échelles seront nécessaires pour étudier cet aspect de la dynamique.

FIG. 19 – Zoom sur deux champs de vitesse pris à 0, 25s d’intervalle. La couleur des vecteurs correspond à la normede la vitesse. Les flèches indiquent des structures de petites tailles (∼ 5− 10mm) apparaissant sur les deux champs.

3.2.2 Champs de vitesse verticaux

Les champs de vitesse verticaux, plus difficiles à mesurer par PIV, contiennent d’intéressantes informations surl’écoulement. Ils permettent notamment de répondre aux questions :

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 21

L’écoulement est-il 2D ou 3D ? Les champs de vitesse représentés sur la figure 20 sont explicites. Les vitesses verti-cales sont dans l’ensemble inférieures aux vitesses horizontales mais sont visiblement non-négligeables. L’écoulementa une structure 3D et est organisé en couches de taille caractéristique ∼ 10 − 20mm. Le zoom à droite de la figurepermet d’insister sur l’existence de forts cisaillements verticaux et de tourbillons d’axes horizontaux qui peuvent êtreliés à des instabilités type Kelvin-Helmoltz.

FIG. 20 – Visualisation de deux champs de vitesse dans un plan vertical caractéristiques de l’écoulement produitlorsque les six moteurs sont en marche. A gauche, seul un vecteur sur deux est représenté.

FIG. 21 – Evolution des moyennes spatiales de l’énergie(composante horizontale et verticale) et de l’enstrophie.

L’écoulement est-il isotrope ? Et quelles lois d’échelle ?Sur la figure 21, sont tracées les moyennes spatialesde l’énergie horizontale 2〈u2〉 (normalisée par U2), del’énergie verticale 〈w2〉 (normalisée par F 2

hU2) et de l’en-strophie (normalisée par N2). Avec ces normalisations,l’énergie verticale est d’ordre 0, 2 (à comparer à 0, 5 pourrespecter strictement la loi d’échelle). Sur la figure 22,sont représentés à gauche la composante horizontale de lavitesse et à droite le gradient vertical de la vitesse horizon-tale (le terme de vorticité ω0 d’ordre N ). Normalisée parN , cette quantité est bien localement proche de 1. Rappe-lons que (ω0/N)2 = Rlocal = Ri−1 et donc le seuil del’instabilité de Kelvin-Helmoltz (Ric = 1/4) est associéà une valeur de ω0/N égale à 2. Pour finir, on a évalué enutilisant une série horizontale et une série verticale le rap-port ωz/ω0 à ∼ 0, 8, ce qui est bien du même ordre que lenombre de Froude comme le prédit la théorie.

Vomega0

FIG. 22 – Visualisations de la composante horizontale de la vitesse (à gauche) et de y · ω0 = ∂zu (à droite).

3 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 22

Spectres spatiaux horizontaux et verticaux. Sur la figure 23 (à gauche), sont tracés les spectres de la composantehorizontale de la vitesse selon le nombre d’onde horizontal (courbes bleues, donnant approximativement le mêmerésultat que sur la figure 18) et selon le nombre d’onde vertical (courbes noires). Les résultats sont alors moins clairs.La loi de puissance associée au spectre vertical devrait théoriquement être en k−3. Cette prédiction est à peu prèscompatible avec les résultats obtenus dans l’étroite zone inertielle. A droite, plusieurs spectres obtenus plus localementsont tracés. Même si la convergence statistique est loin d’être atteinte, certains de ces spectres locaux semblent assezbien compatibles avec un comportement en k−3 sur la zone inertielle considérée.

FIG. 23 – Spectres de la composante horizontale de la vitesse selon le nombre d’onde horizontal (courbes bleues)et selon le nombre d’onde vertical (courbes noires). A gauche, les spectres sont globaux (calculés en tenant comptede tous les champs de vitesse) et à droite, les spectres sont locaux (calculés sur une zone restreinte spatialement ettemporellement).

Des spectres temporels de la composante verticale de la vitessesont tracés sur la figure 24. Ils sont très différents des spectres dela composante horizontale présentés sur la figure 17. Même si on re-trouve la fréquence de forçage, la densité spectrale associée est trèsfaible au grandes échelles de temps. Au contraire, des pics très mar-qués sont visibles à la fréquence N et à des fréquences entre 0,1Hz etN . Ces pics doivent être liés à la dynamique des ondes internes. Eneffet, en observant visuellement les champs de vitesse dans des plansverticaux, on voit clairement les tourbillons et les courants osciller.

FIG. 24 – Spectres temporels de la composante verticale de la vitesse.

3.3 Comparaison entre écoulements produits par différents forçages (variation de T )

Pour comparer les différents écoulements produits lorsque l’on fait varierla fréquence de forçage, on présente les spectres horizontaux normaliséspar P

2/3e L

5/3h sur la figure 25. Cette normalisation permet de superpo-

ser remarquablement bien ces spectres. De plus, on retrouve les formescaractéristiques des spectres présentés par Brethouwer et al. [2007] asso-ciés à des écoulements de nombre de Reynolds de flottabilité R prochede l’unité : les courbes noires (Rt . 1) remontent légèrement dans lazone inertielle. Les courbes cyans (Rt ' 1) sont presque parfaitementplates et deviennent très vite très pentues en quittant la zone inertiellevers les grandes échelles. Enfin, le domaine inertiel des courbes bleues(Rt & 1) très légèrement plus pentues que k−5/3 semble s’étaler vers lesgrandes échelles.

FIG. 25 – Spectres spatiaux normalisés et compensés en fonction dunombre d’onde horizontal pour plusieurs écoulements produits par desforçages différents : courbes bleues T = 15s, courbes cyans T = 17s etcourbes noires T = 20s.

RÉFÉRENCES 23

Conclusions et perspectivesCe rapport de Master 2 a présenté mon travail de mise au point et d’étude d’une nouvelle expérience de turbulence

en milieu stratifié. L’écoulement est crée par 12 générateurs de paires de tourbillons fonctionnant en continu. Nousavons montré que l’écoulement est turbulent, anisotrope et a une structure 3D et en couche.

De manière remarquable, les spectres horizontaux obtenus sont très similaires aux spectres de turbulence stratifiéeforcée obtenus par DNS à haute résolution par Brethouwer et al. [2007]. Cela permet de conclure que l’écoulementest dans le régime de turbulence fortement stratifié. Ainsi, l’étude des mécanismes à l’oeuvre s’annonce prometteuse.L’analyse des résultats obtenus doit donc être poursuivie et approfondie.

Des améliorations techniques vont également être effectuées : le déménagement des bigénérateurs dans une cuvede géométrie plus adaptée permettra de varier leur espacement. Une augmentation de la stratification (on peut espérerun facteur deux) en diminuant la hauteur d’eau, pourrait permettre de travailler avec des tourbillons plus rapides touten ayant le même nombre de Froude et ainsi d’augmenter la valeur du nombre de Reynolds de flottabilité. Enfin, nousallons travailler à la mise au point de la technique de mesure de PIV 3D2C.

Par cette expérience et par d’autres moyens, numériques, théoriques et expérimentaux, l’étude des mécanismes etdes instabilités en turbulence fortement stratifiée continuera en thèse.

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