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5 Introduction C e livre retrace l’histoire de quatre garçons dans le vent irlandais : Adam, Larry, Dave et Paul, qui accéderont collectivement, comme les Beatles et quelques autres, à la célébrité mondiale. Ce qui leur vaudra succès et fortune ne relève ni d’un plan marketing savamment orchestré (et recouvrant une coquille vide), ni de scan- dales liés à la vie privée, ni de quelques mémorables frasques médiatiques ou judiciaires. Cette notoriété, qui frise parfois l’adulation pure et simple, ils la doivent avant tout à leur travail. Dès la première réunion des u2, dans la cuisine de la famille Mullen, alors qu’ils n’étaient encore que des gamins de 15 et 16 ans, ce sera en effet le travail qui dominera leur vie. Depuis qu’ils avaient décidé de former un groupe de rock, de chanter des reprises puis d’écrire leurs propres chansons, les u2 se sont principalement consacrés à la musique. Au travail ! Et, du moins les premières années, ils en avaient besoin. À la différence de beaucoup de formations

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Introduction

Ce livre retrace l’histoire de quatre garçons dans le vent irlandais : Adam, Larry, Dave et Paul, qui

accéderont collectivement, comme les Beatles et quelques autres, à la célébrité mondiale. Ce qui leur vaudra succès et fortune ne relève ni d’un plan marketing savamment orchestré (et recouvrant une coquille vide), ni de scan-dales liés à la vie privée, ni de quelques mémorables frasques médiatiques ou judiciaires. Cette notoriété, qui frise parfois l’adulation pure et simple, ils la doivent avant tout à leur travail.

Dès la première réunion des u2, dans la cuisine de la famille Mullen, alors qu’ils n’étaient encore que des gamins de 15 et 16 ans, ce sera en effet le travail qui dominera leur vie. Depuis qu’ils avaient décidé de former un groupe de rock, de chanter des reprises puis d’écrire leurs propres chansons, les u2 se sont principalement consacrés à la musique.

Au travail ! Et, du moins les premières années, ils en avaient besoin. À la différence de beaucoup de formations

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musicales, les u2 n’étaient pas des musiciens hors pair, sauf, peut-être, the Edge et dans une moindre mesure Larry, dont on aurait pu deviner qu’ils n’étaient pas dénués de talent. Ils n’étaient en réalité qu’une bande d’amateurs, au sens noble du terme, armés d’une envie, d’un désir et d’une volonté à toute épreuve de réussir.

De sortir du Dublin où ils avaient grandi – mais où ils continueront de vivre, une bonne partie de l’année – et de conquérir le monde.

Leurs débuts seront difficiles. Il leur fallait non seule-ment apprendre à se connaître les uns les autres, mais à découvrir leurs talents, et à le peaufiner. Leurs années de jeunesse, ils les consacreront à répéter et à courir les concerts, dans l’espoir d’être un jour repérés.

Et ils le furent par un manager dont le rôle sera crucial. Ils ont tout de suite su saisir leur chance, pour ne jamais la lâcher. Mais les années de galères n’étaient pas pour autant terminées. Les u2 mettront un certain temps avant d’ob-tenir la confiance d’une maison de disques prête à parier sur eux, sur une bande de jeunes fougueux, mais irlan-dais – handicap considérable dans un business dominé par les Anglais et les Américains.

Mais, là encore, ils sauront provoquer la chance, attirer l’attention, susciter le désir. Le désir d’Island records, la maison de disques historique, qui misera sur eux, contrai-rement à tant d’autres qui, aujourd’hui, doivent s’en mordre les doigts.

Les u2 sauront parfaitement se montrer durs en affaire ; savoir-faire dont ils feront preuve tout au long de leurs trente années de carrière.

Comme souvent, les premières œuvres sont pleines de fougue, d’innocence et d’énergie. Pas de perfection donc, mais encore quelques fausses notes, des rugosités qui

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affirment en même temps un caractère, une identité musi-cale. Voilà ce qui étonne chez u2 : très vite ils ont su se construire une identité musicale, dans laquelle, heureuse-ment, ils ne se sont pas enfermés. À laquelle ils ne se sont pas arc-boutés, préférant, plutôt, la faire évoluer, l’enri-chir au fil des années.

Avec la trilogie des débuts, les u2 commencent à se faire un sacré nom, grâce à la qualité et à l’énergie de leur composition, où brillent déjà les textes, souvent très poli-tisés, ancrés dans l’histoire et par conséquent aisément identifiables.

L’arrivée de Brian Eno et Daniel Lanois correspond à la mue du groupe, à leur passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Cette collaboration, qui ne s’interrompra qu’à de rares occasions, permettra aux u2 de passer à l’échelon supé-rieur, c’est-à-dire de donner à leur fougue et à leur lyrisme un cadre plus original. Le résultat de cette mutation se nomme The Joshua Tree, incontestablement le plus grand album rock de la décennie 1980.

Avec cet album, plus qu’un nom, les u2 deviennent une référence, et aussi un spectacle, que ce soit en Europe ou surtout aux États-unis, où ils puisent un certain nombre de leurs sources d’inspiration.

Déjà, on peut dire que les u2 conjuguent plusieurs genres musicaux, réalisent une synthèse ou, mieux, une alchimie unique.

Négocier le virage des années 1990 n’était pas aisé pour un groupe désormais reconnaissable, dont le son (la guitare) et le texte (la voix de Bono) sont si célébrés dans le monde. Les u2 auront le courage d’affronter ce passage de la jeunesse à l’âge adulte avec brio, en prenant un maximum de risques.

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Cette notion de risque est une constante chez eux, car jamais ils ne se sont reposés sur leurs lauriers, jamais ils ne se sont contentés de reproduire, de répéter à l’infini des recettes qui marchent.

L’âge adulte ne veut donc pas dire pour eux renon-cement, perte de la fougue, mais au contraire prise de risques.

Payante qui plus est, parce que deux de ces albums des années 1990 sont de purs chefs-d’œuvre dans lesquels ils parviennent – chose rare – à combiner rock primitif et rock alternatif, le tout injecté de musiques électroniques. Durant cette période, les u2 enchaînent des tournées mondiales à guichet fermé, avec une débauche de moyens techniques jamais vue.

Leurs concerts sont désormais des shows mons-trueux, des grands-messes d’où l’on sort subjugué, secoué aussi par les performances scéniques de Bono, dont la fibre politique et ironique fera d’abord merveille. Bono, justement, qui s’engage encore plus fermement dans des causes humanitaires desquelles il ne se départira jamais ; et qui désormais jalonneront son parcours, feront de lui une des célébrités les plus engagées et les plus écoutées de la planète.

Les années 2000, avec leurs trois albums, marqueront une sorte de renouveau, composé du meilleur du passé et du meilleur du présent.

Échappant à la tentation de la mégalomanie qui guette tout groupe d’envergure mondiale, et dans laquelle certains leur reprochent d’avoir versé, les u2 reviendront aux sources, à la mélodie, au rock, bref à la confection de chansons entraînantes et impeccables où leurs divers talents s’expriment avec plus de naturel.

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Ce n’est pas un retour un arrière réactionnaire, simple-ment un bain de jouvence, duquel ne sont pas exclues dans les textes, les questions de la mort, du deuil, de la difficulté des relations.

Durant cette décennie, où l’activisme humanitaire de Bono s’est comme décuplé, les u2 auront semblé à la fois plus sereins et revigorés, plein d’une fougue intacte et d’une maturité sans complexes.

Bono, the Edge, Larry et Adam restent, à bientôt 50 ans, plus que jamais quatre jeunes gens dans le vent, dont l’aventure et les vies extraordinaires ne peuvent que forcer le respect.

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Genèse

Les u2 sont à l’Irlande et à Dublin ce que les Beatles sont à l’Angleterre et à Liverpool.

Impossible aujourd’hui de les citer sans leur asso-cier le nom du pays dont ils sont, en quelque sorte, le porte-drapeau. Parler des u2, c’est donc parler avant tout de l’Irlande. Pour autant, si les membres du groupe y ont passé le plus clair de leur enfance, de leur adolescence et de leur âge adulte, tous ne sont pas des Irlandais « pure souche » (Dave Evans est par exemple d’origine galloise, nous y revien-drons). Mais ils y ont tous grandi et ont donc tous été, d’une manière ou d’une autre, fortement marqués par l’histoire politique et sociale de l’Irlande des années 1960 et 1970 ; histoire qui évidemment irri-guera, avec plus ou moins d’intensité, leur produc-tion musicale tout au long de leurs trente années de carrière. Autrement dit, pour raconter la longue

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trajectoire de u2, il faut en premier lieu comprendre d’où ils viennent, par quelle histoire ils ont été façonnés, de quelle culture ils sont les héritiers.

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La tragédie irlandaise, rappel historique

Le territoire irlandais, cette île au nord-ouest de l’An-gleterre, est évangélisé à partir du IVe siècle par saint Patrick (devenu saint protecteur et emblème de l’Irlande, fêté le 17 mars dans tous les pubs irlandais du monde). Au VIe siècle, l’Irlande est entièrement catholique.

or, dès le XIIe siècle, puis, de manière accrue et intense, au 16e siècle et au début du XVIIe siècle, la couronne britannique étend son empire sur l’île ; l’émigra-tion protestante (d’Angleterre et d’Écosse) qui s’ensuivit, principalement dans le nord du territoire, l’ulster (époque dite de la Plantation), cette émigration aura donc pour premier effet la confiscation d’un grand nombre de terres aux Irlandais. En 1800, l’Irlande est purement et simple-ment annexée à la couronne (union Act), et placée ainsi sous la domination politique des protestants (le Parlement irlandais est supprimé lui aussi).

Pour tempérer cette annexion qui suscite déjà le mécontentement de la population locale, qui souffre aussi de famine, la couronne accordera aux Irlandais catho-liques leur émancipation en 1829, c’est-à-dire non pas leur indépendance mais une atténuation des discriminations dont ils sont victimes. De cette époque date en réalité le début du conflit en Irlande, celui opposant les partisans de l’union Act, les unionistes protestants, et les républicains (catholiques) favorables à l’abrogation de l’union et à l’in-dépendance du pays.

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Genèse

La deuxième étape majeure de l’histoire irlandaise remonte au début du XXe siècle, en 1912, lorsque la Chambre des communes décide de voter l’autonomie (home rule) de l’Irlande. sauf que la Chambre des lords votera contre l’adoption de ce texte.

Malgré l’échec de ce vote et, par conséquent, la victoire de leur camp, les unionistes vont quand même créer les ulster Volunteers, groupement armé chargé de résister par la force à toute velléité d’autonomie irlandaise. réponse du berger à la bergère : les républicains ou indé-pendantistes favorables au home rule vont à leur tour se doter d’une organisation paramilitaire, qui portera le nom d’Irish Volunteers.

Le 24 avril 1916 éclatent les émeutes sanglantes de Pâques : les groupes armés républicains déclarent l’indé-pendance du pays avant de se faire lourdement mater par l’armée de la couronne. Cet échec des indépendantistes se transformera deux ans plus tard en victoire électorale, puisque le camp républicain (le sinn Féin, avec à sa tête Eamon de Valera) emportera la majorité des sièges au Parlement.

En 1919, l’indépendance de l’Irlande est à nouveau déclarée. s’ensuivra alors le couple infernal insurrection et répression (l’IrA, devenue célèbre depuis, est créée dans ces années-là, sous la houlette de Michael Collins ; elle sera à la pointe de la révolte).

Ces turbulences meurtrières pousseront le gouverne-ment britannique à proposer une scission de l’île en deux territoires juridiquement distincts : le Nord (protestant et unioniste) et le sud (catholique et séparatiste). La tragé-die irlandaise n’en est pas pour autant close, car l’adop-tion de ce traité provoquera à son tour une confrontation armée, une guerre civile entre l’aile dure de l’IrA, emme-

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née par de Valera, et l’aile modérée de Collins, laquelle finira tout de même par l’emporter. résultat des courses : 4 000 morts et, au plan politique, l’acceptation de la divi-sion de l’Irlande. Le Nord (ulster) sera sous gouvernance directement britannique (du moins jusqu’en 1972, date à laquelle le lien organique entre le Nord et la couronne sera distendu) et le sud, soit la république d’Irlande.

Cette partition ne réglera pas le problème de façon définitive. si le sud est épargné par les tourments de l’histoire, le Nord ne le sera pas.

En effet, l’ulster abrite une forte minorité catholique, qui souffre de discriminations qui le confinent au rang de citoyens de seconde zone. or l’époque, partout dans le monde, est aux mouvements de droits civiques et aux révoltes en faveur de l’égalité. C’est donc en toute logique que cette demande d’égalité et de fin de l’injustice voit le jour en Irlande du Nord.

À partir de 1968, des groupes catholiques pacifistes entameront donc manifestations, marches et sit-in afin d’obtenir des autorités que leur statut soit revalorisé, mis à égalité avec la majorité protestante. Ces mouvements seront hélas réprimés par les forces de l’ordre et, surtout, aveuglement harcelés par des groupuscules protestants radicaux, comme l’orange order.

En 1969, la population catholique, qui continue de lutter pour ses droits, est de plus en plus terrorisée par les radicaux protestants, à coup d’attentats, d’incendies et d’attaques en tout genre, faisant chaque fois plusieurs morts et des centaines de blessés.

L’envoi de l’armée britannique, s’il apaise les choses pour quelques mois, ne réglera évidemment pas le problème, d’autant plus qu’il coïncidera avec le renouveau de l’IrA en ulster.

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Genèse

Le point d’orgue, le paroxysme sanglant de cette tension, aura lieu trois ans plus tard, le 30 janvier 1972 : face aux manifestants, l’armée britannique tire à balles réelles. Quatorze civils tomberont sous le feu. C’est le tristement célèbre Bloody sunday. Pour se venger de cette répression inique, l’IrA commettra le 21 juillet de la même année pas moins de 22 attentats à la bombe dans différents quartiers de Belfast, tuant à son tour 16 personnes.

L’Irlande du Nord basculera dès lors dans un engre-nage cauchemardesque opposant IrA d’une part (et par là même toute la minorité catholique) et, d’autre part, l’armée britannique et ses alliés locaux orange. Ce conflit terrible ne trouvera d’issue que vers la fin des années 1990, sous l’ère de tony Blair.

Encore adolescents à l’époque du Bloody sunday, et bien que vivant dans une république d’Irlande à laquelle sont épargnées les violences de l’ulster, les membres de u2 ont reçu toute cette histoire tragique en héritage. Ils furent très tôt confrontés à la situation politique de leur pays divisé, contraints ainsi d’assister, de certes de plus loin, à l’effusion d’une violence inouïe que plusieurs siècles d’histoire n’auront pas réussi à résorber.

De cet héritage-là, de ce contexte particulier dans lequel ils grandiront, de ces événements sanglants dont ils sont déjà les contemporains, de tout cela provient sans doute la conscience politique aiguë qui anime les quatre membres du groupe, et spécialement Bono. Que l’une de leurs chansons les plus emblématiques soit inti-tulée Sunday Bloody Sunday, qui plus est dans un album portant lui-même le nom de War, n’est pas un hasard.

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Contexte musical des années 1970

Le rock des origines, disons celui des années 1960, celui des Beatles, des stones, d’Elvis s’il faut remonter plus loin, etc. commence, à l’orée des années 1970, par s’essouffler et s’assagir. s’il a permis à toute une géné-ration de jeunes de se révolter en masse, de danser, d’af-firmer la puissance de leur jeunesse contre les conserva-tismes sociaux de l’époque, ce rock-là entrait désormais dans une sorte de cycle d’affadissement. L’énergie brutale et sauvage des débuts, le scandale rock en d’autres termes, se transformait peu à peu en quelque chose de bourgeois, de conforme, de normatif. Des centaines de groupes se réclamant de l’étiquette rock arrivaient sur le marché (car c’était déjà un marché) et en ressortaient presque aussitôt sans laisser de traces, sinon celles de quelques ventes plus ou moins juteuses dans les hit-parades.

À cela s’ajoute bien sûr le contexte politique lui-même, qui sera moins propice à la contestation et qui, plus signi-ficatif encore, troque la radicalité des origines (celle du rock mais aussi des songs writers engagés, tel Bob Dylan) contre la culture hippie naissante, faite d’idéalisme naïf et d’appels non moins naïfs à l’amour généralisé.

C’était comme si le rock avait renoncé à sa subversion initiale pour adopter un mode d’expression inoffensif et des valeurs sociales plus tranquilles.

Car il faut se souvenir qu’au début des années 1970, des artistes (quel que soit leur talent) aussi mous que simon and Garfunkel s’étaient arrogés l’étiquette rock’n’roll. outre cette entrée néfaste de la variété pop dans le domaine du rock, il y avait aussi un autre phéno-mène, peut-être moins mou mais en somme assez éloigné de la culture rock originelle (même s’il y puise égale-

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Genèse

ment sa source) : le rock psychédélique, c’est-à-dire le pendant musical du mouvement hippie, dont le succès fut foudroyant (Jimmy hendrix, Jefferson Airplane, Doors, etc.). or, pour quiconque écoutait le rock rageur des années 1960, ce basculement vers la mollesse de la variété et ce renoncement à la subversion pure et dure au profit du psychédélisme sonnaient comme une trahison, comme une fin de partie.

Et ils étaient en effet nombreux ceux qui estimèrent que le rock se fourvoyait gravement. De ce rejet naîtront quelques tendances rock nouvelles qui, sans reproduire le rock des années 1960, tenteront de le renouveler, d’en retrouver le geste inaugural, bref, de lui donner un second souffle.

C’était le cas du hard rock, en germe dès le milieu des années 1960, mais arrivé massivement au devant de la scène en 1970, avec des groupes comme Led Zeppelin ou Black sabbath ; c’était surtout le cas du glam rock des David Bowie, t-rex et autres roxy Music (où évoluait un certain Brian Eno, futur producteur de u2).

Le glam rock s’articulait, grosso modo, autour de deux axes : le scandale et la recherche de la provocation pour ce qui était des tenues vestimentaires et des mœurs (andro-gynie, dandysme, bisexualité, etc.) ; le retour à l’intensité et à la rapidité des rythmes pour la musique (par opposi-tion donc aux lenteurs sinueuses du psychédélisme). sauf que le glam rock, lui aussi, épuisera au bout de cinq ou six ans sa portée subversive. replié sur ses figures tutélaires, de plus en plus assimilé au culte de l’esthétisme, le glam ne pouvait plus s’adresser ou servir de porte-voix à cette révolte collective qui sous-tendait le rock originel. Mais il aura tout de même, par l’influence directe ou souterraine qu’il exercera sur bon nombre de groupes futurs, favori-

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ser l’émergence, au milieu des années 1970, d’un nouveau mouvement, pour le coup radical : le punk.

Le punk (qui veut dire, littéralement, voyou) est né entre 1974 et 1976, aux États-unis d’abord, puis ensuite au royaume-uni et dans le reste du monde.

D’un point de vue strictement musical, il tient du garage rock, du protopunk, du glam et de l’expérimental. Les stooges, les Kinks, les suicides, Patti smith ou encore les New York Dolls sont parmi ces groupes qui annoncent et préparent la vague punk qui s’apprête à déferler partout dans le monde occidental. Aux États-unis, le groupe punk phare se nommera the ramones (dont les premiers concerts auront lieu au mythique CGBG de New York) et pour l’Angleterre, à partir de 1975, ce seront les sex Pistols de Malcom McLaren et Johnny rotten et, un peu plus tard, les Clash de Joe strummer. Cette musique se veut d’abord comme un refus.

un refus de la soupe et de la guimauve pop rock, mais aussi un refus du raffinement, de la maestria, de toutes ces nappes de synthé et ces longs solos de guitare qui n’ont de but que de montrer la virtuosité de l’artiste. La musique punk, pour le dire platement, c’est deux guitares, une basse, une batterie. Point. C’est un retour aux fonda-mentaux perdus du rock, quelque chose de brutal, de nu et de peu sophistiqué.

Les chansons sont très courtes, pleines d’énergie sauvage et dépourvues de grandes mélodies. Leurs rythmes sont basiques, de même que leur composition. C’est comme une espèce de décharge violente, un cri bref et intense.

Comme le résumera plus tard le regretté Kurt Cobain, le punk « est l’expression de la liberté en musique. Ce qui veut dire faire et jouer ce qu’on veut ».

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Genèse

Mais cette mouvance est bien plus qu’une musique, ou le ras-le-bol d’une certaine musique consacrée. Il est le reflet et le produit d’une angoisse sociale, d’une perte d’espoir générationnelle (premier choc pétrolier, débuts du chômage), un nihilisme revendiqué. Être punk, dans ces années-là, signifiait donc, aussi, être anarchiste ; il faut refuser et pourquoi pas détruire l’ordre social morti-fère, ses injonctions utilitaristes, ses codes bourgeois, qui n’offrent aucun horizon valable, aucune porte de sortie. Le punk dit : « Le rien plutôt que le monde tel qu’il est. » Mieux vaut détruire ce qui existe plutôt que de le caution-ner. on à peine à imaginer aujourd’hui la virulence et la charge subversive du premier mouvement punk de l’époque ; or il s’agit d’une véritable révolution culturelle, qui transformera durablement – à défaut de les détruire – nos sociétés modernes.

un autre aspect fondamental de ce mouvement, à mi-chemin entre la musique et la politique, pourrait être résumé par la fameuse formule: « Do it yourself » (fais-le toi-même). Puisque le punk refuse la maestria, il invite tout un chacun à prendre une guitare, à monter sur scène et à gueuler devant le public. Et, pour cela, pour faire du bruit et hurler, il est absolument inutile de maîtriser au préalable un quelconque instrument (c’est même recom-mandé). La maîtrise et la virtuosité n’ont rien à voir avec le rock ; elles constituent presque un frein à son avènement, elles en sont un genre d’antithèse. Derrière ce propos radi-cal et provocateur, il y a en réalité cette idée précieuse, fidèle en tout cas à l’esprit du rock primitif, celle que tout le monde, vraiment n’importe qui, peut s’improviser musicien et chanteur. L’absence de professionnalisme ne saurait être un obstacle à l’expression, voilà ce que dit en substance le message punk.

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Ce message novateur, hurlé aux quatre coins du monde occidental, beaucoup de jeunes gens de l’époque l’entendront. Même si tous ne produiront pas, à leur tour, de la musique punk rock, ils auront néanmoins bénéficié du climat favorable, du souffle libérateur du mouvement punk. Et parmi ces jeunes gens, justement, il y en a quatre en Irlande, qui formeront le groupe u2.

***

Qui sont les Fabulous four irlandais ?

tout commence à la Mount temple school de Dublin, une des premières écoles œcuméniques et mixtes de la ville, c’est-à-dire plutôt libérale, réputée aussi pour ensei-gner et encourager les vocations dans des domaines autres que purement académiques, comme la musique, les arts, etc.

tout commence donc par une affiche placardée en 1976 dans les locaux de la Mount temple, annonçant la recherche de musiciens afin de constituer un groupe de rock (les termes exacts, plus nonchalants, étaient « Cherche guitaristes pour former un groupe »).

L’auteur de cette annonce, Larry Mullen Junior, est un mordu de batterie, quelqu’un qui « aime taper sur des choses ». Né le 31 octobre 1961 de parents irlandais, il grandit dans un quartier tranquille de Dublin, où, dès l’âge de neuf ans, il découvre la batterie. L’instrument devient son obsession, il suit en 1971 des cours avec le célèbre Joe Bonnie, tape sur une batterie de bric et de broc en rentrant chez lui le soir, s’enthousiasme pour le glam rock de Bowie et roxy Music. sa sœur Cécilia finit par lui offrir une vraie batterie en 1973 (pour la modique

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Genèse

somme de 17 Livres), sur laquelle il va continuer de s’exer-cer, avant de se faire la main en public – lors de concerts pour les défilés de la saint-Patrick par exemple – dans un orchestre des travailleurs de la Poste. Face à cette persé-vérance, les parents de Larry se résignent sans grand mal à l’idée que leur rejeton ferait peut-être carrière dans la musique et l’inscrivent à la très libérale Mount temple school, où ses dons pourraient s’épanouir dans un cadre propice. C’est même à l’invitation de son professeur de musique que Larry Mullen écrira cette fameuse annonce citée plus haut, et qui signera en quelque sorte l’acte de naissance de u2.

Le premier à répondre à l’appel n’est autre qu’Adam Clayton, né le 13 mars 1960.

De nationalité britannique bien qu’ayant grandi à Dublin, Clayton est ce qu’on pourrait appeler un adoles-cent un tantinet rebelle et surtout excentrique : tenue hors du commun et lunettes de soleil, attitude hippie et zeste de nonchalance (il vient de passer plus d’un mois au Pakistan avec un de ses amis, s’initiant par la même occasion au « haschich, à Bob Marley et à la glande »).

Mais la curiosité principale de Clayton vient du fait qu’il se présente en tant que bassiste (guitare et ampli font partie de sa panoplie), alors qu’il ne maîtrise pas vraiment cet instrument. Prenant exemple sur Éric Clapton, qui ne s’était mis que tardivement à la guitare, « qu’il avait encore largement le temps pour apprendre ». Clayton prendra donc son temps, du moins pas au début, car il deviendra, au fur et à mesure de la montée en puissance du groupe, un musicien hors pair, livrant des lignes de basses solides et rugueuses.

Ensuite, à ce premier rendez-vous fixé chez Mullen, il y aura Dave et Dick Evans. D’origine galloise et né le

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U2 - Biographie

8 août 1961, Dave Evans, futur the Edge, est élevé dans une famille protestante plutôt cultivée et portée sur la musique (sa mère est violoncelliste, son père pianiste).

suivant les traces de son frère aîné Dick, il apprend assez tôt le piano et surtout la guitare, pour laquelle il fait montre de réelles dispositions ; tous les deux joue-ront souvent ensemble, chez eux, reprenant des tubes de l’époque, comme ceux des Beatles.

très vite, l’idée de monter un groupe de rock les titille, et c’est donc avec un certain enthousiasme qu’ils débar-quent dans la cuisine de Larry Mullen lors de ce premier rendez-vous.

Le dernier à se joindre à la bande est Paul David hewson, futur Bono, né à Dublin le 10 mai 1960. C’est un irlandais pure souche, comme on dit, et qui porte toute-fois en lui la division religieuse du pays : il est de mère protestante et de père catholique, union qui, à l’époque, scandalisait la société irlandaise.

Norman, le frère aîné, et Paul iront tous les dimanches au temple avec leur mère Iris, tandis que le père, Bobby, fréquentera de son côté l’église catholique du quartier.

Paul est un adolescent plutôt sauvage et rêveur, inté-ressé déjà par la spiritualité, la littérature, les échecs, le théâtre et bien sûr la musique.

ses rapports avec son père, un homme « très intelli-gent, lecteur de shakespeare et amateur d’opéra » et qui a pourtant du mal à le comprendre, sont tendus et brutaux ; sa mère, Iris, le soutient pourtant et joue le rôle de tampon entre le père et le fils.

sa scolarité est difficile, chaotique, d’où son inscription au Mount temple, école qui lui permettra enfin de s’épa-nouir. hélas, Paul perdra sa mère dès 1974, qui succombe à une hémorragie cérébrale.

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Genèse

Cet événement tragique va l’isoler davantage et aggra-ver son divorce d’avec son père Bobby. Paul fuit de plus en plus la maison, traîne avec ses amis, notamment Derek rowen et Fionan hanvey, avec lesquels il forme une espèce de bande, les Lypton Village, qui tient à la fois du groupe de musique et de la troupe de théâtre de rue, mêlant humour langagier et surréalisme à la sauce Monty Python.

Parmi eux, Paul sera baptisé Bono (et, plus tard, toujours grâce au Lypton Village, Dave Evans sera affu-blé du pseudonyme the Edge). C’est par l’intermédiaire de Derek rowen, également ami de Dick Evans, que Paul hewson est invité à la première répétition chez Mullen.

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à Dublin, Bono, adolescent romantique et perturbé, fonde en 1976 un groupe de rock, avec ses amis de lycée Adam Clayton, Larry Mullen Junior et Dave

Evans dit The Edge. Les premiers morceaux s’inspirent de l’actualité et notamment du conflit entre leur Irlande natale et l’Angleterre.

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Les premiers 45 tours, U2-3 et Another Day, lancent le groupe qui enchaîne rapidement sur une série

impressionnante de concerts (Canada, États-Unis) qui permettent à Bono d’exploiter tout son talent scénique (Belgique, 1982).