Ulysse: figure et miroir du pouvoir

Les soubassements idéologiques et pragmatiques du mythe (XIIe-XVe siècles)

GLOR 2390Virginie Minet-Mahy

Epistre OtheaMs La Haye, KB, 74 G

Exemple 98

Eschever dois le port CircésOu les chevaliers UlixésFurent tous en porcs convertisSouviegne toy de ses partis

(Tu dois éviter le port de Circé Où les chevaliers d’Ulysse Furent tous changés en porcs,Souviens toi de ses tours.)

I. IntroductionI. Introduction

1.1. Fils conducteur du cours: Ulysse, double de l’aède/figure

d’auteur

Iliade, III, 202 et sq.Hélène, née de Zeus répondit : « C’est le fils de Laërte, l’ingénieux Ulysse, qui grandit à Ithaque, malgré

la rudesse de ce pays. Il sait toute sorte de ruses et de pensées bien tramées. »

Alors le sage Anténor s’adressa à Hélène :« Femme, c’est bien vrai, ce que tu dis là. Il est déjà venu ici, le divin

Ulysse, à ton sujet, en ambassade, avec Ménélas aimé d’Arès. Je les ai reçus en hôtes, et bien traités dans mon palais. De tous deux, je connus ainsi la prestance et les pensées bien tramées. Quand ils furent au milieu des Troyens assemblés, debout, Ménélas dépassait Ulysse de ses larges épaules ; mais assis tous deux, Ulysse était plus imposant. Quand ils tissaient, pour tous, des paroles et des pensées, Ménélas parlait brièvement, en peu de mots, mais très clairs ; ce n’était pas un orateur abondant ni dont les mots manquassent leur but, quoiqu’il fut plus jeune. Quand l’ingénieux Ulysse se levait, il restait immobile, le regard baissé, les yeux fixés à terre ; il n’agitait son sceptre ni en arrière, ni en avant ; il le tenait immobile, semblable à un ignorant ; on eût dit un homme plein de ressentiment, ou un sot, comme cela. Mais quand il lançait, du fond de sa poitrine, sa grande voix, et ses paroles semblables aux flocons de la neige en hiver, dès lors, avec Ulysse, aucun humain ne pouvait rivaliser ; alors, ce n’était plus tant la beauté d’Ulysse que nous admirions en le voyant. »

1.2. Ulysse et Polyphème chez Guillaume de Machaut

Les tensions du Voir-Dit (dit/récit à insertions lyriques)

Ulysse: poétique de la narrationnarration

La ruse, le mensonge, le fils d’Hermès dieu des songes (songes allégoriques)

Polyphème: le pôle lyriquelyrique

la borgne, le rustre, le laid (le clerc)

Le joueur de flûte

1.4 Perspective : mythe/réécriture et horizon

d’attente

II Cadre ThéoriqueII Cadre Théorique

2. 1. Pragmatique de l’imaginaire

Quelles sont les intentions de communication liées à un contexte

historique qui motivent les choix esthétiques?

Pragmatique: les actes de langage

Esthétique de la réception/valorisation du destinataire (lecteur)

Horizon d’attente/encyclopédie du lecteur

↕

Les choix imaginaires sont « agissants »

Comment expliquer pragmatiquement le succès d’un

mythe?

2.2. L’auteur et le lecteur engagés dans le texte

P. Ricoeur (~W. Iser)

Auteur impliqué

Lecteur impliqué=

Projection au sein du texte de figures idéales de l’auteur et du lecteur

~ Comment l’auteur se représente sa fonction

~ Comment l’auteur entend baliser la lecture

2.3 Le poète et le prince aux XIV et XV siècles

Le bon clerc conseille le prince (joue un rôle politique/engagement)

Le bon prince est clerc et sage (il devient clerc)

« Un prince sans lettres est un âne « Un prince sans lettres est un âne couronné »couronné »

III Mythe et Moyen AgeIII Mythe et Moyen Age

L’allégorie

« Le mythe est un mensonge qui dit la vérité « Le mythe est un mensonge qui dit la vérité en images »en images »

Théon d’Alexandrie, Progymnasmata, 3 (Rhetores Graeci, éd. Spengel, Leipzig, 1854.)

IV Héros et Moyen AgeIV Héros et Moyen Age

Figures exemplaires

Fonction didactique et morale (miroir pour le lecteur)

V Le succès d’Ulysse au V Le succès d’Ulysse au Moyen Age (XIIMoyen Age (XIIee siècle) siècle)

5.1 Un problème de réception

Pas de manuscrit grec du texte de l’Odyssée en Occident avant 1353!

5.2 Les Iliades et (l’Odyssée) latins

L’Iliade latine/ Ilias latina : attribuée à Baebus Italicus (Ie siècle PCN), texte en hexamètres relativement bref (1070 vers)

(Le Journal de la guerre de Troie (Ephemeris belli Troiani), traduction latine d’un original latin attribué à Dictys de Crète, vers la IVe siècle.

L’Histoire de la ruine de Troie (Historia de excidio Troiae) attribué à Darès le Phrygien (V/VIe siècle, mais l’existence du texte grec est sujet à caution)

La Ruine de Troie (Excidium Troiae), traduction d’un texte grec datant du VIe siècle et qui s’étend aussi du Jugement des trois déesses à l’expédition d’Enée.

Ovide, Métamorphoses, livres 12-13-14 Virgile, l’Énéide

5.3 La traduction des classiques

Roman de Thèbes (1150) (trad. Thébaïde de Stace)

Roman d’Eneas (1160) (trad. Enéide)

Roman de Troie Benoît de Sainte-Maure (1165)

Ulysse au XIIUlysse au XIIee siècle? siècle?

Pas de traduction de l’Odyssée…

Mais

600 vers au sein du Roman de Troie consacrés aux aventures d’Ulysse (pérégrination maritime)

200 vers relatifs à la mort d’Ulysse

…

Sur les + de 30000 vers du texte…

CSQ

Ulysse, héros de l’Iliade

Figure du diplomate et de l’orateur

Vers la construction d’un héros « politique »

Enée et DidonParis, B.N.F, fr. 60, f. 148

5.4 L’Ulysse latin: Eneas

• Les manuscrits de l’Énéide et la supériorité du modèle

• Une odyssée suivie d’une iliade

• Un roi fondateur

• Le rôle de la femme: Lavinie ou Pénélope

VI L’Ovide moralisé: la VI L’Ovide moralisé: la sagesse d’Ulysse, la sagesse d’Ulysse, la sagesse du princesagesse du prince

Ms. Lyon, BM 742, f. 4v

PrologueLa création du monde

6.1 Le texte

Traduction intégrale des Métamorphoses début XIVe siècle

Avec gloses allégoriques

Explications de chaque récit selon un plan hiérarchisé

1. Lecture historique

2. Lecture physique

3. Lecture morale/chrétienne

4. Lecture typologique

Les décalages entre le texte d’Ovide et la traduction

→

Témoignages des adaptations idéologiques

Aus celestiaulz se conseille

De cest art, de ceste merveille,

Come il en puisse à chief venir.

Une blanche flour à tenir

Li dona le dieux de loquence / Ovide: pacificateur du Cyllène

Qui moult aïde et moult avence

Celui qui ovuec soi la porte. (OM vv. 2497-2503, livre 14)

6.2 Plan des livres 12-13-14: matières interpolées

Tableau synoptique Livre XII Métamorphoses/traduction XIVe siècle OVIDE Ovide moralisé

Les Grecs à Aulis 1-23 Iphigénie 24-38

1-1204 Récit du rapt d’Hélène par Pâris. 878-1003 : retour de Ménélas qui se plaint du rapt de son épouse. 1004-1075 : Ulysse feint la folie pour ne pas embarquer. 1076-1204 : Agamemnon est élu chef de la flotte grecque. Ulysse, par sa ruse, déniche Achille caché par Thétis pour échapper au destin dans une abbaye de nones et que le prophète Calchas a nommé comme indispensable à l’expédition. 1205-1316 gloses. Ulysse (semeur de la parole) représente le Christ. 1317-1510 Rassemblement de l’armée grecque, prophétie de Calchas. Ulysse part en ambassade à Sparte pour aller chercher Iphigénie et convainc, par sa tromperie, la mère de laisser partir sa fille. Sacrifice d’Iphigénie, départ pour Troie. 1511-1582 gloses. 1583-1656 la maison de Renommée 1657-1708 gloses

la Renommée 39-63

1712-1754 Intervention sur Benoît de Sainte-Maure et de Homère Achille et Cygnus 64-145

1755-1924 Cygnus 1925-2044 gloses

Cénée 145-209 2045-2083 2084-2155 gloses 2156-2264

Combats des Lapithes et des Centaures 210-459 Métamorphoses de Cénée 460-535

2265-2880 2821-3034 gloses

3226-3346 Ilias latina livre I : Rapt de Criséis par Agamemnon, punition de Phébus (peste) et Calchas révèle qu’il faut rendre Criséis pour apaiser la colère du dieu. Agamemnon se venge d’Achille en lui prenant Briseis. 3347-3423 gloses. 3424-3526 Ilias latina 805-838 : Hector tue Patrocle 3527-3582 gloses. Patrocle représente les prophètes qui révèlent les secrets divins avec les armes de Dieu (d’Achille) 3583-3614 Ilias latina 839-853 douleur d’Achille 3615-3787 Ilias latina 853-891 les nouvelles armes d’Achille forgées par Vulcain. Elles représentent la totalité du monde, des connaissances et les arts libéraux. 3788-4183 Ilias latina 892-1056 bataille d’Achille et d’Hector, mort d’Hector 4184-4304 : gloses. Après la mort des prophètes (Patrocle), Dieu/Achille revêt 4305-4579 Mort d’Achille (version 1)

Périclymène 536-579

Mort d’Achille 580-628

4580-4706 4703-4794 gloses

6.2.1 Ulysse : la parole triomphe de la force

6.2.2 Ulysse médiateur, diplomate de l’armée grecque

6.2.3 La description du bouclier d’Achille et la dispute des armes

LL’’IIRREE DD’’AAJJAAXX Ajax n’i vait plus atendant, Ains s’est dreciez en son estant Si regarda vers le rivage, Et tent ses mains vers le navage, Et par desdaing comence a dire, Come impaciens et plains d’ire. (OM, XIII vv. 5-10) Ajax ne perd plus de temps, aussitôt il se met debout et regarde le rivage et tend ses mains vers la nef et avec orgueil il commence à parler, comme impatient et plein d’ire. Surgit ad hos clipei dominus septemplicis Aiax ; Utque erat impatiens irae, Sigae toruo Litora respexit classemque in litore vultu Intendens que manus… (Mét. vv. 2-5) Se lève le héros au bouclier recouvert de sept peaux, Ajax ; impuissant à maîtriser sa colère, il tourne des regards farouches vers le rivage de Sigée et vers la flotte qui le couvre, puis, tendant les mains... trad. George Lafaye

LLAA SSAAGGEESSSSEE DD’’UULLYYSSSSEE Ulixes fu de grant savoir Sagement se sot contenir. Le murmure lessa fenir. En piez fu, la teste enclinee. Quant la noise fu affinee, Ulixes adresça son vis Puis comença, ce m’est à vis, Sa raison gracieusement Puis parole moult sagement. (OM, XIII vv. 344-352) Ulysse était d’une grande sagesse et il sut se contenir sagement. Il laissa s’apaiser le murmure. Il se mit debout, la tête inclinée. Lorsque le silence se fit, Ulysse releva le visage et commença, je pense, son discours avec grâce, puis il parla avec sagesse. [...] Donec Laertius heros Adstitit atque oculos paulum tellure moratos Sustulit ad proceres expectatoque resoluit Ora sono ; neque abest facundis gratia dictis. (Mét. XIII vv. 124-127) Alors le héros, fils de Laërte, se dresse ; il tient quelque temps ses regards attachés à la terre ; puis il se lève vers les chefs et, répondant à l’attente générale, il prononce ce discours où il répand tout le charme de son éloquence.

LLAA FFOORRCCEE CCOONNTTRREE LLEE SSAAVVOOIIRR Les riches armes doit avoir Cil qui par force ou par savoir Avra plus de proësces faites. Ajax a les soies retraites, Si m’estuet les moies retraire. (OM, XIII vv. 425-429.) Il doit recevoir les riches armes, celui qui aura fait le plus de prouesses, soit par sa force, soit par son savoir. Ajax a raconté les siennes, maintenant, c’est à mon tour. « Ergo operum quoniam nudum certamen habetur » « puisque le débat porte sur nos actions », v. 159

IINNTTEERRPPRRÉÉTTEERR LLEESS OORRNNEEMMEENNTTSS DDUU BBOOUUCCLLIIEERR :: LL’’AATTTTRRIIBBUUTT DDUU

SSAAGGEE Bien savrai les armes baillier, Et bien savrai que vaudront dire L’entailleüre et la matire Qui sont dedens l’escu portraites Furent por ce les armes faites, Où tant a clergie et savoir, Que cis folz les deüst avoir ? (vv. 728-734) Je saurai bien porter les armes, l’ornement et la matière qui sont représentées sur l’écu. Est-ce que les armes où il y a tant de clergie et de savoir ont été faites pour qu’un tel fou les reçoive ? Artis opus tantae, rudis et sine pectore miles / Indueret ? Neque enim clipei caelamina nouit, Oceanum… , vv. 290-291 Il est incapable de reconnaître les images ciselées sur le bouclier, l’océan

LLAA VVIICCTTOOIIRREE DD’’UULLYYSSSSEE Les armes au fort chevalier Donerent au sage amparlier. (OM vv. 929-930) Ils donnèrent les armes du fort chevalier à l’orateur sage. Mota manus procerum est et, quid facundia posset, Re patuit, fortisque uiri tulit arma disertus. (vv. 382-383)

6.2.2 Énée roi fondateur

Livre 14. Tableau synoptique Métamorphoses/traduction du XIVe siècle

OVIDE Ovide moralisé Scylla et Circé (1-74). Scylla changée en rocher par sa rivale

Scylla et Circé (1-202) Moralisation (203-301)

Allusion à la navigation d’Enée (75-81)

Amplification de cette allusion à Enée (302-526) qui arrive chez Didon et plainte de Didon (Epître VII des Héroïdes d’Ovide). Important passage dans le développement de la figure d’Enée. Suicide de Didon (figure de reine sage) (v. 501) Moralisation (527-596)

Cercopes (métamoprhosés en singes 82-100)

Cercopes (597-654). Moralisations (655-790)

La Sibylle (101-153).

Sibylle (791-972) emmène Enée pour réaliser la catabase. La prophétie est largement amplifiée et le destin du héros fondateur (origine troyenne d’Enée et amour futur de Lavinie, guerre contre Turnus…) Moralisations

Mort de la nourrice d’Ulysse 1717-1738 Moralisation 1739-1750

Achéménide et Polyphème (158-220)

Achéménide 1753-1953 Moralisations 1953-2100 :

Macareus (221-244), les vents libérés de l’outre Ulysse et Circé (245-307)

Macareus et les vents : 2101-2206 Moralisations Circé 2355-2562 Moralisations : 2563-2674

Picus et Canens (308-396) Picus changé en pivert par Circé (2677-2956) Moralisations : Canens 3267-3316, l’épouse de Picus de tristesse s’évapore Moralisation : 3317-52 Fin du récit de Macareus 3453-3480

Enée arrive chez le roi Latinus et épouse Lavinie (3551-3624) Moralisations : 3625-3690

Les compagnons de Diomède (457-511) Les compagnons de Diomède changés en mouettes (3691-3878) Moralisations (3879-4044)

L’olivier sauvage (512-526) 4045-4085 Annonce de la guerre entre Enée et Turnus (4086-4094) Moralisation (4095-4208)

Les navires d’Enée changés en Naïades (530-565) Ardéa changée en oiseau (566-582)

4209-4307 4308-4366 Moralisations : 4367-4590

Enée dieu indigète (583-608) 4591-4670 Moralisation 4671-4742

Pomone et Vertumne 623-697 Iphis et Anaxarète (récit de Vertumnus) 698-764

4865-5119 5120-5267 Moralisations : (5289-5644)

Mét. 772-777 allusions au long récit que développe l’OM

Longue interpolation (5645-5871) Récit de la naissance de Mars, de Romulus et Remus, fondation de Rome, rapt des Sabines, trahison de Tarpée

Les Naïades sauvent Rome (778-802) 5872-5910 Interpolation du récit de l’intervention des femmes dans la guerre entre les Romains et les

Sabins (5911-5994) Moralisations (5995-6407)

Romulus et Hersilia (805-fin) Déification de Romulus (6408-6478) Moralisations (6479-6528) Déification d’Hersilie (6529-6594)

LLAA MMIISSEE EENN EEVVIIDDEENNCCEE DDUU LLIIGGNNAAGGEE Romulus, qui de grant renom Devoit estre et de grant barnage Et descendroit de son lignage, Devoit fonder une cité, Riche et de grant auctorité, Qui dou mont seroit dame et mestre Plus que Troie ne soloie estre. (vv. 882-888, livre 14) Romulus qui devait être de grande renommée et de grande prouesse et qui descendait de son lignage, devait fonder une cité, riche et de grande autorité, qui serait dame et maîtresse du monde, plus que Troie ne pouvait l’être.

6.2.3 Les gloses: une lecture christique des héros

Ulysse et Enée: personnages principaux de la glose, figure du Christ (Sagesse) et

figure de l’Eglise

Ms. Lyon BM, 742Illustrations Livres 12-13-14

Mise en relief du personnage d’Ulysse

Enlèvement d’Hélène, f. 203

Folie d’Ulysse, f. 205

Parîs tuant Achille, f. 222v

Ulysse reçoit les armes d’Achille 224v

Glaucus et Circé, f. 241v

Suicide de Didon f. 243v

VII La figure de VII La figure de l’inventionl’invention

7.1 Invention, création, figure d’auteur

7.2 Ovide moralisé: l’outre des vents

LL’’OOUUTTRREE DDEESS VVEENNTTSS Lors a Machareüs retraites Les grans paines qu’il orent traites Si dist : « En la toscane mer Regne Eolus, qu’en seult nomer Filz Ypoti. C’est cil qui regne Sor les vens. Quant en celui regne Fumes venu par mer à nage, Ulixes, qui le cuer ot sage Et plain de grant advertissance, Enferma par sa sapiance Les vens, qui lonc temps nous avoient Desvoiez et trop nous grevoient, Pour ce que des or en avant Ne nous peüst force de vant Faire anui ne destorbement, Qu’Ulixes moult subtivement En cuir de buef cousi forment. (vv. 2114-2131) Alors Macareus a raconté les grandes peines qu’ils avaient endurées, il dit : « Sur la mer de Toscane règne Eole, qu’on appelle couramment le fils d’Hippotès. C’est celui qui règne sur les vents. Lorsque nous sommes arrivés dans ce royaume par bateau, Ulysse, qui a le cœur sage et de grande intelligence enferma, par sa sagesse, les vents, qui nous avaient longtemps dévoyé et qui nous faisaient tellement de mal, de sorte que dès lors, la puissance du vent ne puisse nous faire de peine, ni de trouble, puisqu’Ulysse, de manière très subtile l’avait enfermé dans un cuir de bœuf cousu. »

7.3 Christine de Pizan: le jeu d’échec

CHRISTINE DE PIZAN, Epistre Othea, Exemple 83 Tu peux bien te divertir aux jeux, Ulysse, car ils sont très subtils et honnêtes pendant les trêves et les fêtes. Glose : Ulysse était un baron de Grèce, plein de subtilité, et pendant le long siège devant Troie, qui dura dix ans, pendant les trêves, il inventait des jeux subtils et très beaux pour réjouir les chevaliers pendant qu’ils étaient en repos. Et certains disent qu’il inventa le jeu d’échec et d’autres semblables. Pour cela on dit au bon chevalier qu’en temps de paix on peut se divertir avec de tels jeux. Et Solin dit : « toute chose subtile et honnête est loyale à faire. » Allégorie On peut comprendre de cette manière les jeux d’Ulysse. Lorsque l’esprit chevaleresque sera lassé d’adorer et d’être en contemplation, il pourra bien se divertir en lisant les Ecritures Saintes, car comme dit saint Jérôme dans les Moralia, « L’Ecriture Sainte se présente aux yeux de notre cœur comme un miroir, de sorte que nous voyons l’entière face de notre âme. Là, nous pouvons voir notre beauté, là nous pouvons voir notre laideur, là nous pouvons voir combien nous profitons et combien nous sommes loin de profiter. A ce propos, le Seigneur dit dans l’Evangile : « Nous cherchons dans les écritures par quelles manières nous pouvons avoir la vie éternelle » (Jean, chap. 5).

Epistre OtheaParis, B.N.F, fr. 606, f. 39

7.4 Les Douze Dames de Rhétorique: deux (prince/poète)

en un (Ulysse)

EXTRAIT D’UNE EPITRE LATINE DE ROBERTET A CHASTELAIN « Qu’est ce que je pourrais dire de plus de lui, à ton avis, à moins que je ne le célèbre avec Homère comme un second Ulysse, qui, accompagné de Minerve, s’exposa à toutes les horreurs, expérimenta toutes les épreuves et surmonta toute adversité ? Certes, celui-ci, aidé par la Sapience, entra dans l’antre du Cyclope mais en sortit ; il vit les bœufs du Soleil mais n’y toucha pas ; il descendit aux enfers, puis en remonta ; il côtoya Scylla avec ce même guide sans être englouti ; il fut enclos par Charybde sans être pris ; il but la coupe de Circé sans être transformé ; il visita les Lotophages mais n’y resta pas ; il écouta les Sirènes mais ne s’approcha pas. Quant à ton maître lui-même, bien qu’il soit un prince illustre et invincible, et bien qu’il soit regardé, pour ainsi dire, comme une sorte de divinité sur terre, il doit se montrer reconnaissant envers Dieu sans cesse pour avoir fait en sorte que tout ce qu’il a accompli par la force de sa main droite victorieuse, c’est-à-dire vaincre ses ennemis et à plusieurs reprises, subjuguer et assujettir, par sa force, l’audace de son esprit et son énergie, des nations féroces et belliqueuses qui se sont révoltées contre son autorité ou qui ont été jalouses de sa gloire, aussi vaincre et dompter beaucoup d’autres ennemis par des services et des dons, là où il pouvait éviter de faire verser du sang humain, et, finalement, vivre si pieusement, que tout cela sera livré et transmis à tous les siècles à venir par tes efforts, ton génie et ton zèle dans tes écrits, tes chroniques et mémoires dédiés à la gloire éternelle de son nom et de sa maison. Car Hector ne serait pas si digne d’être honoré pour ses faits d’armes et sa magnanimité, ni Achille d’être célébré pour sa valeur guerrière, ni le fameux Énée d’être élevé au-dessus des autres pour sa piété, et l’on ne compterait pas parmi les gens illustres ni Caton pour sa sévérité, ni Gaius César pour sa libéralité, ni Fabius pour sa bonne foi et son intégrité d’esprit (je suis obligé d’omettre beaucoup d’hommes dignes de mémoire, que je pourrais citer ici comme exemples afin d’appuyer mon raisonnement), si les mots écrit d’Homère, de Virgile, de Tite-Live, de Salluste et du reste des écrivains célèbres romains et grecs qui les exaltèrent pour leurs mérites n’étaient pas venus jusqu’à nous. », Les Douze Dames de Rhétorique, éd. cit., p. 102-103. trad. D. Cowling, p. 104-105