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t DILEEP PADCAONKAR

ALAIN TOURAINE

OUELE

M1205- 9312 -22,00 F

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un pacte civique contre la misère

Pour annoncer la «Journée internationale pour l'éliminationde la pauvreté», qui a été célébrée pour la première fois auSiège de I'Unesco le 17 octobre 1993, Federico Mayor,directeur général de I'Unesco, et l'abbé Pierre, le pluscélèbre défenseur des pauvres et des sans-abri en France,ont lancé un appel conjoint. L'abbé Pierre a lu lui-même cetappel dont nous publions ci-après le texte complet.

UEL poids de pauvreté et de misère, la liberté et la démocratie peuvent-elles supporter

sans mettre en danger une véritable paix mondiale, quand progresse à ce point le nombre des

plus défavorisés dans chaque et tous les pays?

La misère est une violence, et cette violence se moque bien des frontières.

La journée internationale pour l'élimination de la pauvreté et le refus de la misère

proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies en faveur des plus défavorisés, est

avant tout un appel urgent aux partages et à la solidarité intellectuelle, morale et matériellede l'humanité.

La juste colère qui monte en chacun de nous face à la situation des plus démunis, victimes

de la faim, de la maladie, de l'ignorance et de la violence, est justifiée car c'est un devoir de

refuser, de tout notre être, d'accepter l'inacceptable.

La misère, sous toutes ses formes, met en péril non seulement les pauvres mais aussi

l'humain chez les plus nantis.

Autant de raisons de lui livrer, tous et partout, une guerre audacieuse et sans merci.

Quels que soient, en effet, ses visages et les lieux où elle se terre; dans les banlieues et

ghettos des grandes villes de pays plus ou moins industrialisés, dans les milieux ruraux des

pays les moins ou les plus avancés, quelles que soient les nouvelles priorités des Etats, la

misère requiert de tous une mobilisation générale qui soit une lutte pour sauver l'humain en

chacun de nous, sans toutefois être une lutte contre quiconque.

Cet appel solennel que nous vous lançons aujourd'hui, qui est celui du cdur et de la raison,

s'adresse à vous qui êtes ici présents mais également à tous les décideurs politiques,

économiques, sociaux et culturels à travers le monde et davantage encore à vous les jeunes

qui, de tout temps et d'instinct, êtes révoltés par la misère.

A tous les niveaux de la société, dans tous les cercles de l'organisation sociale de la

famille au club sportif, de l'association professionnelle au groupement de proximité : nous

vous exhortons à prendre un engagement ferme et déterminé.

Un «pacte civique» doit maintenant se reformer, se revitaliser pour mener le combat contre

la misère et en faveur de la dignité humaine.

Aucune idée n'est à écarter, aucune bonne volonté n'est superflue. Colère, détermination,

imagination, audace: voilà ce dont nous avons besoin pour venir à bout de ce drame.

Si le «pacte civique» en est irrigué, il vaincra.

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4 ENTRETIEN

Michel Serres

ACTION UNESCO

EN BREF...

1 ACTION UNESCOARCHIVES

Non à la démission de

l'intelligence

par Aldous Huxley

t Journéeinternationale des

volontaires

par Bill Jackson

ACTION UNESCO

MÉMOIRE DU MONDE

Les grottes peintesde Nogao

parJosé Serra-Vega

48 LIVRES DU MONDE

par Calum Wise

40 DISQUES RÉCENTS

par Isabelle Leymarie

LSommaireDECEMBRE 1993

QU'EST-CE QUELE PROCRES î

Editorial

VOUS AVEZ DIT PROGRÉS?

Un mythe occidental

par Régis Debray

À chacun sa métaphorepar Daniel]. Boorstin

J Une notion toute relative

par Flora Lewis

NORD-SUD: UN CLIVAGE À DÉPASSER?

L'universel et le particulier

par Joseph Ki-Zerbo

I Ni Nord ni Sud: un seul monde

par Alain Touraine

I Opprimés, levez-vous!par Tariq Banuri

f Une crise du futur

par Edgar Morin

L'INTELLECTUEL:

UN AGENT DE LIAISON?

I Poser les bonnes questionspar Dileep Padgaonkar

\ Doublement responsablepar André Brink

Notre couverture: Solans universalis

(1993), collage de l'artiste québécoisAlain Corngou. Une déité inca s'y mêle

à un circuit imprimé dans une visioncosmique qui schématise l'histoire de

l'humanité et sa diversité géo-culturelle.

17Espace vert

41La chronique deFederico Mayor

ie(pURRIER^derUNESCO46' année

Mensuel publié en 31 langues et en braille

«Les gouvernements des États parties à la présente Convention déclarentQue, les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix......Qu'une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l'adhésion unanime, durable et sincère

des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l'humanité.

...Pour ces motifs (ils) décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et d'acquérir uneconnaissance plus précise de leurs coutumes respectives...»

Extrait du préambule de la Convention crew l'Unesco, Londres, le 16 novembre 1945

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ENTRETIEN

MICHEL SERRESrépond aux questions

de François-Bernard Huyghe

Philosophe, professeur et encyclopédiste des idées,

Michel Serres, de l'Académie française, s'intéresse aussi bien à la

science qu'à la peinture, à la littérature qu'à l'écologie. Il cherche

à établir, selon ses propres termes, «la liaison entre sciences,

droit et religion». Attentif à la place du philosophe dans la cité, il

est notamment l'un des membres du «Forum de réflexion ad

hoc» de I'Unesco, qui vise à ouvrir de nouvelles perspectives à la

réflexion et à la coopération intellectuelle mondiale. Auteur d'une

vingtaine d'ouvrages, dont Le Contrat naturel (1990) et Le Tiers-

Instruit (1991), parus tous deux aux éditions François Bourin

(Paris), il a publié récemment, chez le même éditeur, un livre

d'entretiens avec Bruno Latour, Eclaircissements (1992), et La

Légende des anges (Flammarion, Paris, 1993).

Un de vos livres s 'intitule Le contrat

naturel. Faut-il comprendre que l'hommepuissepasser contrat avec Dame Nature?

Dame Nature ne figure pas dans mon

livre. Ce que je décris est un passage nou¬veau, de la terre avec une minuscule, quidésigne la terre-élément, ou la terre de

l'agriculture, à la Terre avec une majus¬cule, qui désigne la planète. Passage doncd'une perception locale à une conception

globale. Du point de vue technique,

FRANÇOIS-BERNARD HUYGHE, numain et scientifique, nous assistonsloumaiiste et écrivain, depuis vingt ans à l'émergence de cette

globalité. C'est pour cela que j'étudie le

mot «terre» dans ses deux sens et que j'uti¬

lise très peu le mot «Nature».

Cette idée de globalité nouvelle est peut-être symbolisée par une photographie prised'un satellite et qui suscite une émotion

qu'à peu près tous les hommes ont dû par¬

tager: cette image montre la planète entière

vue d'un humain. Cette perceptionneuve constitue un événement dans l'his¬

toire de l'humanité. Or, en raison de cette

montée perceptive de l'objet-terre (la pla¬

nète) vers le global, et, comme par un choc

en retour, se construit progressivement

l'unité de l'humanité. Les sociétés ne peu¬

vent se constituer que si elles ont un objet encommun et cet objet, la Terre globalisée,est nouveau: des liens nouveaux se tissent de

ce fait entre l'humanité et la planète.Le «contrat naturel» (qui sonne un peu

comme le «contrat social» de Rousseau)

s'applique à ce lien en formation. Une rela¬

tion juridique avec l'ensemble de la planèteest une idée étrangère aux générations pré¬cédentes. Or, de même que les sociétéshumaines ne peuvent se penser sans lecontrat social, la construction de la globa¬

lité et de l'unité du genre humain ne peut sepenser maintenant sans la notion d'un

contrat naturel. La philosophie desLumières avait déjà conçu une notion del'Universel humain et un droit naturel,

mais cette construction du global ne pou-

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vait pas être pensée avant notre époque. Le

contrat naturel n'est donc pas une méta¬

phore pour décrire nos liens avec la planète,c'est un véritable concept philosophique.

Ne se réfère-t-ilpas à la découverte de

lois les lois de notre survie,par exemple?

Il n'y a pas de lois dans le monde juri¬dique, ou en philosophie du droit, qui ne

soient constituées sans un contrat préa¬

lable. Le contrat est la condition préalablede toute loi. Mais le mot loi se dit d'une loi

physique ou d'une loi humaine que nous

édictons. Ces deux ensembles, jusqu'à pré¬

sent, n'avaient pas d'intersection. Le

contrat naturel établit un rapport entre lessciences exactes et les sciences humaines,

entre les deux sortes de lois.

Connaissez-', ous un seul philosophe

digne de ce nom qui n'ait pas été forcé, en

son temps, de penser à nouveaux frais la

science et le droit, le rapport entre les deux

types de lois qui les gouvernent? Tout le

problème de la philosophie occidentale est

là, dans ce rapport ou cette liaison.

Le travail du philosophe est de décrire

les conditions à partir desquelles pourrontêtre faites les lois et non de décrire le

contenu de ces lois. Il réfléchit sur la nature

du lien qui fonde l'obligation. Quand lecontrat est social, il n'y a de liens qu'entre

les hommes; quand on parle de lois phy¬

siques, on ne se réfère qu'à des liens entre

les choses. Mais quel est le rapport entre lesdeux sortes de liens?

Il y a un lien à inventer entre l'humanitéen train de créer son unité et cet objet nou¬

veau qu'est la planète Terre. C'est ce lienqui entraîne une obligation nouvelleque j'appelle le contrat naturel. Nous pour

rons parler des obligations lorsque les

procès auront lieu. On a vu déjà des procèsentre les utilisateurs d'un parc et le parc lui-

même: le voilà érigé en sujet de droit. Dès

qu'il y aura des procès de ce type et unejurisprudence, elle établira peu à peu detelles obligations. Le droit n'existait pasen ces domaines; il faut donc le penser,

d'abord philosophiquement, puis juridi¬quement, enfin politiquement.

La Terre doit-elle être considérée

comme un sujet?

Tel est précisément le problème prin¬

cipal qui se pose au philosophe: comment

un objet peut-il devenir sujet? Tous les

progrès du droit ont consisté à considérer

des choses qui étaient des objets et à en

faire des sujets: les esclaves, qui étaient des

objets, sont devenus des sujets de droit;

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Quefaire concrètement contre le développement d'une culture universellequi n'est l'expression que d'une seule force? Voilà la question.

de même les enfants, les embryons...Chaque fois que le droit avance, il trans¬

forme ainsi des objets en sujets. La pla¬nète était un objet et je propose d'en faire

un sujet. C'est une nouveauté qui n'est pas

sans susciter des résistances, mais en phi¬losophie il faut apprendre à résister aux

idées reçues, à accepter de rendre compted'un état nouveau de la question.

L'arme atomique a-t-elle contribué à

l'émergence de cette idée de globalité?

La montée du local vers le global a, en

effet, commencé à se révéler il y a quelquetemps. La bombe atomique a été ce que j'aiappelé un «objet-monde», c'est-à-dire un

objet technique dont l'une des dimensionsétait de l'ordre de l'une des dimensions du

monde. Ce fut l'un des échelons de la

montée vers le global. Nos moyens nouspermettent désormais d'évaluer, de mettre

en équations, ce rapport du local avec le

cadre global. Les modèles de climatologienous en fournissent un autre exemple.

Un autre de vos concepts est celui demétissage.

La pédagogie contemporaine forme des

savants qui sont généralement incultes hors

de leur domaine et des hommes cultivés quisont ignorants en matière de sciences. La

plupart des problèmes contemporains vien¬nent de la séparation entre ces deuxgroupes; les uns et les autres devenant des

décideurs, ils ne se comprennent plus. Lesuns édictent des lois humaines sans tenir

compte du fait qu'il existe des objets et

une science, et les autres découvrent et

appliquent des lois naturelles sans consi¬

dérer qu'il y a des hommes. C'est d'abord

là que j'ai utilisé la notion de métissage:imaginons un sociologue qui sache des

sciences, un politicien qui sache de la phy¬sique, chose que Platon imaginait déjà.L'idée de métissage signifie d'abord qu'ilfaut inventer une pédagogie qui ne séparepas les sciences exactes et les humanités

de façon sotte et dangereuse.

Puis il m'est apparu que la notion de

métissage était le concept global de tout

apprentissage. Si demain vous apprenez la

physique, vous changez de peau, de corps,de monde... Vous devenez métis du fait

d'avoir appris. C'est pourquoi je com¬mence mon livre de pédagogie (Le tiers-ins¬

truit) par un portrait et en racontant com¬

ment, alors que j'étais gaucher, j'ai appris àécrire de la main droite. Un gaucher ou

un droitier reste toujours physiquement et

intellectuellement un hémiplégique. Il aun corps dont un côté est paralysé. Si voussavez vous servir de vos deux mains, vous

avez un corps complet. Le métis dont jeparle, c'est ce monstre c'est-à-dire

l'homme qui possède à la fois sa main

droite et sa main gauche. Il renaît, auconfluent des deux sens.

Nous avons un peu cette expérience

quand nous apprenons une langue: le parlerde cette langue nous pénètre, comme si

une seconde personne entrait en nous pourproduire une troisième personne, métissée.

Le métis est cette troisième personne quej'appelle tiers-instruit.

Une conception traditionnelle de la

culture la voit comme quelque chose qui«fait éclore». Y a-t-il un rapport entrevotre propre conception de la culture et

cette métaphore ancienne?

Je n'aime guère ce mot de «culture»

qui, comme celui de «nature» est un des

plus propres à faire se battre les hommes.

Mais, pour filer la métaphore, disons que lemétissage est comparable à une greffe. Dèsqu'il y a apprentissage, il y a accouche¬

ment d'un troisième homme à partir decelui que l'on est et de celui que l'on reçoit.

Vous préconisez un apprentissage qui

nous rendraitperpétuellement autres, quiaiderait chacun à devenir, à sa manière, le

«tiers-instruit» qu'il porte en lui sans lesavoir?

Il faut accepter et reconnaître comme tel

cet Autre qui est l'accompagnateur, quinous conduit à la rencontre d'une seconde

personne. Dès que vous reconnaissez l'alté¬

rité, l'apprentissage devient cette modifi¬

cation. Il ne s'agit pas d'élaborer une phi¬losophie de l'Autre. L'Autre, c'est la

deuxième personne. Il s'agit de parler dutiers-instruit, la troisième personne qui estengendrée par la rencontre du même et del'autre.

Il y a des milliers de livres de péda¬gogie qui n'ont jamais servi de rien sinon

aux inspecteurs pour terroriser les profes¬

seurs. Aucune instruction pédagogique neparvient à vous donner le détail concret

de telle classe, aujourd'hui, de 8 heures à 10heures, avec tels élèves, etc. Par consé-

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quent, plus un manuel est concret, plus ilest illusoire...

En matière de pédagogie, donner une

directive pratique conseiller, parexemple, aux professeurs de faire étudier le

journal à leurs élèves revient souvent àdonner une directive abstraite. Dans la réa¬

lité, il y a tel cas et tel type d'étudiantconcret. Les sciences de l'éducation se

situent en général dans un parcours moyen,

qui n'est ni concret ni abstrait et qui, sous

prétexte de servir, sert bien moins qu'on ne

le croit. La question qui m'intéresse est:

quelle est la condition de l'apprentissage?

Vousparticipez aux travaux du Forum

de réflexion ad hoc de I'Unesco, où il

s'agira d'aller beaucoupplus vers le concret

ou le normatif et de préconiser quelquessolutions...

Dans Le contrat naturel, je prends acte de

quelque chose qui s'est produit, après peut-

être que l'UNESCO eut été fondée: la

construction d'une unité humaine qui n'était

probablement pas prévisible dans les années

de la fondation. Cela pour des raisons mul¬

tiples et en particulier objectives. Le conseil

concret que je donnerai au Forum tiendra

compte de cette montée du global.Nous assistons désormais à une crois¬

sance irrésistible vers le global. Mais le

malheur veut qu'elle soit de plus en plusaccaparée par la raison du plus puissant. Au

fond, l'universel est pervers lorsqu'il estoccupé par une seule puissance et nous

sommes de plus en plus sous le pouvoird'une seule culture.

Que faire concrètement contre le déve¬

loppement d'une culture universelle qui

n'est l'expression que d'une seule force?

Voilà la question.

Les médias ont tendance à considérer le

philosophe comme un oracle auquel ils

demandent des recettes pour sauver le

monde ou des jugements sur tous les évé¬

nements qui se produisent. Comment

réagissez-vous?

Les médias posent effectivement au phi¬

losophe toutes sortes de questions sur une

multitude de sujets. Personnellement, je

ne réponds jamais à ces questions parce

que je ne me crois pas autorisé à avoir des

idées pertinentes sur tout. Je n'y réponds

que dans deux cas de figure: s'il s'agit de

questions sur les sujets traités dans meslivres ou de cas comme celui du Forum ad

hoc. Je ne me suis jamais manifesté dans les

médias dans des cas contraires parce que je

n'ai pas un entendement universel. D'autre

part, je ne participe jamais à une polé¬

mique. La polémique est l'ennemie de touteforme d'invention. Le travail intellectuel a

pour unique but et pour unique objet

l'invention. Si l'on n'invente pas, on n'a

pas le droit de passer pour intellectuel ou

pour philosophe. Or, la polémique est un

obstacle absolu à l'invention de concepts.

Le philosophe n'est pas «compétent» au

sens de l'expertise, mais il a un métier trèsprécis qui est de produire des concepts. Je

préfère donc produire dans mon domaine et

refuser toute question qui le déborde. En

particulier, vous ne me verrez jamais écrire

un livre contre un autre. Au contraire, si je

vois que l'on produit un concept nouveau, je

me réjouis autant que si je l'avais inventé

moi-même. Le concept nouveau est très rare

et très fragile. Il faut le protéger comme un

enfant qui vient de naître. Il produira plus

tard, peut-être cinquante ans après.

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o

LE mur de Berlin s'est écroulé, et avec lui la bipolarité idéologique dans laquelle s'estengluée la vie des idées pendant une longue partie de ce siècle. Les idéologies sont mortes,remplacées par un mondialisme porteur de nouvelles promesses, mais aussi de nouveaux

dangers: des polarités plus diffuses émergent et prolifèrent, selon des lignes de clivage ethniques,religieuses, raciales, régionales et, surtout, selon cette ligne de haute tension qui isole, tragi¬quement, les privilégiés d'un Nord prospère et puissant des innombrables laissés-pour-compte du Sud.

Ces promesses et ces dangers, les intellectuels de tous bords, pour peu qu'ils soientcapables de déjouer ici les illusions du nationalisme, là les pièges du totalitarisme, sont les mieuxplacés pour y réfléchir ensemble et les penser solidairement. A condition de se reconnaître dansun minimum de références intellectuelles et morales, de parler, en somme, un langage commun.

Ainsi une quarantaine d'écrivains et d'artistes de tous les horizons se sont-ils retrouvés ily a quelques mois à l'UNESCO. Organisée à l'initiative du journaliste Jean Daniel, de l'écrivainpolitique Régis Debray, de notre directeur Bahgat Elnadi et de notre rédacteur en chef AdelRifaat et parrainée par les périodiques La Repubblica (Italie), O Estado de Säo Paulo (Brésil),Los Angeles Times Syndicate (Etats-Unis), Le Nouvel Observateur (France), El Pais (Espagne)et Le Courrier de l'UNESCO cette réunion inaugurait une série de «Rencontres des intellectuelset des créateurs pour un seul monde» qui se tiendront tous les ans, à l'abri de toute ingérenceétatique ou mercantile, autour d'un thème précis. Cette année, ce thème était: «Nord et Sudpeuvent-ils partager la même idée du progrès»?

Engageant un fructueux dialogue, dont nous présentons ici quelques arguments extraits descontributions écrites ou des interventions orales, les participants se sont longuement interrogéssur les termes mêmes de la question qui leur était posée. Et d'abord sur la notion, chargéed'ambivalence, de progrès.

Ce mythe de la modernité industrielle, issu de la tradition judéo-chrétienne et érigé depuisles Lumières en une sorte de providence laïcisée, s'est répandu à partir du 19e siècle dans le sillagede l'expansion occidentale. Evident et quantifiable, sous toutes les latitudes et dans toutes lescultures, dans les domaines de la technique et de la science, de l'outil et du savoir, le progrèsn'a cependant aucun sens dans l'art, en religion ou en politique. Et ceux qui ont cru qu'il amè¬nerait la paix internationale, l'harmonie sociale, la fin des superstitions religieuses et de l'eth-nicité, ou encore l'uniformisation des cultures, se sont toujours trompés dans leurs prévisions.

Relayé depuis une quarantaine d'années par son avatar moderne, le développement, ce mythedu progrès a contribué à la mise en place, sous la loi désormais incontestée du marché, d'unsystème économique mondial auquel s'est intégrée une partie des populations du Sud, au prixde l'exclusion du plus grand nombre. Et de destructions, peut-être irréversibles, dans l'envi¬ronnement planétaire.

Quant au binôme Nord-Sud, n'est-il pas, au fond, un autre surgeon du mythe de lamodernité? Peut-on encore situer le Nord et le Sud de part et d'autre de frontières géographiquesou chronologiques, quand le tiers et le quart monde sont installés dans les banlieues des grandesvilles du monde industrialisé, et quand dans chaque pays, riche et pauvre, de nouvelles caté¬gories sociales vivent à l'heure de Paris, Londres ou New York?

Face à ces réalités chaotiques et porteuses de conflits, le rôle de l'intellectuel, clerc dévouéà l'universel selon la définition de Julien Benda, est de s'affranchir des raisonnements binaires

et réducteurs, de briser le silence imposé par la culture ou le pouvoir pour dégager les valeurspropres à l'homme de partout.

Il lui appartient pour cela de lutter, sans messianisme ni mythe mobilisateur, mais dans lerespect d'autrui et de ses croyances, non pour imposer un meilleur idéal, mais pour exorciserle pire la xénophobie, l'intolérance et l'exclusion.

NEDA EL KHAZEN

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Vous avez dit

progrès ?Qu'est-ce que le progrès? Une notion ambiguë, qui apparaît désormais

comme le mythe fondateur de la modernité. Ce mythe vole aujourd'hui en

éclats. Les pays où il a été longtemps le moteur de la croissance techno¬

économique n'y croient plus. Faut-il y renoncer comme à une idéologie

suspecte, ou peut-il encore fonctionner, ici ou là, comme force d'avenir?

Un mythe occidentalpar Régis Debray

«L

Aloalo Soroboko avisoa en

pays Mahafaly (1991-1992),

bois peint (237x45x45 cm)

de l'artiste malgache

Efiaimbelo.

A vérité est une et l'erreur multiple», dit unadage classique. Du strict point de vuede la connaissance, il serait dommage que

le Nord et le Sud cultivent le pluralisme. Ilsauraient l'un et l'autre intérêt à se faire d'abord

une idée juste et donc commune de ce mythepropre à la première modernité industrielle, leprogrès. Fiction circonstanciée ou représenta¬tion convenue mais illusoire, l'idée de «progrès»est l'un des plus beaux emblèmes de ce qu'onappelait jadis «idéologie».

L'illusion réside dans la confusion entre deux

ordres de temporalité, le temps cumulatif du«développement scientifique et technique»,marqué par une évolution linéaire à innovationpermanente, et le temps répétitifde l'univers poli¬tico-symbolique. Dans un cas, on apporte dessolutions successives et de plus en plus perfor¬mantes à des problèmes quantifiables; dans l'autre,on découvre à chaque génération, mais pourl'oublier aussitôt, qu'il existe des problèmes défi¬nitivement sans solution.

On a souvent vu des groupes humainsemprunter une langue moins souple, une religionmoins élaborée, ou encore troquer un état démo¬cratique contre un état dictatorial; on n'en a jamaisvu échanger la charrue contre la houe, la rouecontre la perche, ou l'avion contre la montgolfière.De même qu'il n'y a pas de régression du vivant(les combinaisons génétiques allant du moins au

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Portrait d'une femme à sa

toilette, dit aussi Jeune fille

au miroir (v. 1 5 1 2- 1 5 1 5),

huile sur toile de Titien.

plus complexe), il n'y a pas, sur la longue etmoyenne durée, de régression technique. Lesobjets vont vers leur perfection, et la dynamiquede l'outil, comme celle du savoir, est à l'améliora¬tion constante. Cette tendance universelle tra¬

verse l'histoire et la géographie indépendammentdes déterminations ethniques: le rapport del'homme aux choses est régi par une logique pré¬visible quoiqu'ouverte et non programmable,celle du progrès.

Le rapport de l'homme à l'homme relève àl'évidence d'autre lois, et la différence entre «sau¬

vages» et «civilisés», qui a un sens rcpérable dansl'histoire technique, n'en a aucun dans l'histoirede l'art, des religions, des langues comme desformes d'autorité. Notre maîtrise de l'énergie aprogressé d'un facteur 1 000 depuis le début denotre ère, mais Martin Luther King n'est pas unepersonnalité morale mille fois supérieure à Jésus-Christ. L'ordinateur marque un progrès par rap¬port au boulier, non Andy Warhol par rapport auTitien, et Husserl n'est pas un philosophe plus«profond» que Platon. La notion de progrès n'aaucun sens dans l'ordre symbolique, intellectuel,affectif ou psychologique. Il serait facile de mon¬trer qu'elle n'en a pas plus dans l'ordre politique(les guerres du 20e siècle sont plus sauvages etplus meurtrières que celles du 19e, qui l'étaient déjàbeaucoup plus que celles du 18e, etc.). Dans

IO

l'outillage technique et scientifique, pour la maî¬trise des choses (ou de l'homme en tant que chosedans la médecine), il y a un avant et un aprèsobjectifs et vérifiables; dans les formes de domi¬nation de l'homme sur l'homme, il n'y a d'avantet d'après que subjectifs et réversibles.

Uniformité des techniques, maisspécificité des culturesLes nobles partisans du progrès qui ont depuisdeux siècles plaqué le temps technique sur le tempspolitique se sont systématiquement trompés dansleurs prévisions. Ils ont annoncé, outre la paixinternationale grâce aux chemins de fer, l'har¬monie sociale par l'électricité et la fin des supers¬titions religieuses par le biais de l'éducation popu¬laire, l'uniformisation des cultures et des religionsdans la foulée de l'uniformisation des objets tech¬niques. Au méga-système productif (ou systèmede production industrielle mondialisée), devaitcorrespondre la méga-ethnie humaine, ou plusexactement la caducité de la structuration eth¬

nique des groupes humains. Or, loin de se diluerdans la convergence d'un milieu technique mon¬dialisé, à évolution accélérée, les milieux ethniques(territorialisés et à évolution lente) se rétractent,durcissent et se multiplient: la mondialisation estbalkanisante, chaque palier d'unité techno-éco¬nomique relançant la diversité ethno-culturelle àun autre niveau. A la fluidité accrue des flux de

marchandises et d'informations répond unenévrose territoriale obsessionnelle. La fièvre migra¬toire a pour pendant la crise obsidionale, dans unvillage toujours plus planétaire et cocardier.

On peut donc fort bien imaginer un principede constance àl'dans l'appareil social, ana¬logue au principe de stabilité de la métapsychologiefreudienne pour l'appareil psychique, soit un rap¬port constant entre les facteurs dits de progrès etles facteurs dits de régression. L'histoire de l'huma¬nité s'écrit sur un livre de comptabilité en partiedouble. Chaque déséquilibre suscité par un pro¬grès technique provoque un rééquilibrage «eth¬nique»; en sorte que les divers chasses-croisés quis'observent aujourd'hui entre l'homogénéisationdu monde et la revendication des différences, entrel'élément «rationnel» et l'élément «national», entrel'impératif économique et le besoin religieux, etc.,toute cette dynamique de déséquilibres pourraits'interpréter comme un jeu à somme nulle ouplutôt une équation aux valeurs variables maiscorrélatives. Pure spéculation, bien sûr.

Admirons en tout cas la sagacité infinimentsupérieure de la mythologie grecque sur nosmythologies économiques du jour. On se sou¬vient que dans le mythe de Protagoras, Zeusconcède à l'espèce humaine, via Promethée, lesavoir-faire technique ou technè tout en se félici¬tant d'avoir retenu par-devers lui, hors d'atteinte,l'«art d'administrer la cité» ou la sagesse. Cettepetite réserve, les Lumières l'avaient oubliée.

Lofait, verifiable, du progrès scientifique ettechnique, est devenu mythe en se transposantindûment dans l'ordre symbolique et politique.Une métaphore qui a été induite par la rencontre

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tardive du messianisme religieux et du machi¬nisme industriel, rencontre d'une tradition cultu¬

relle judéo-chrétienne (le progrès comme Provi¬dence laïcisée) et du premier démarrage industrielou décollage économique des sociétés euro¬péennes. Ce précipité chimique s'est opéré à lafin du siècle des Lumières, en France et en Angle¬terre. Il est lié philosophiquement aux noms deTurgot, Condorcet, Comte. Le 19e siècle a étendula nouvelle religion à la terre entière, au fur et àmesure de l'expansion occidentale, qui fut tout àla fois et naturellement militaire, politique, éco¬nomique et mythologique.

La fin d'une idéologieLes métaphysiciens du progrès posaient en pos¬tulat l'indivisibilité de l'humanité comme sujetunique de l'histoire. Pour Condorcet, l'esprithumain est un; pour Comte, l'espèce humaine estun seul peuple, et c'est cette homogénéité del'espace planétaire qui fonde l'unicité de l'his-

Quatre Marilyn (1962)

du peintre américain

Andy Warhol.

toire universelle. Au nord comme au sud, à l'estcomme à l'ouest, l'humanité suit une mêmemarche, et de simples variations de vitesse nesauraient modifier le sens de la marche ni l'ordre

de succession. Dans cette vision du monde, tousles continents n'ont pas le même fuseau horaire,mais tous ont la même montre et le même calen¬

drier. L'Orient devra rejoindre l'Occident dans samarche, avec obligation de combler son retardpostulat commun au libéralisme et au marxisme.Les idéologies du progrès sont donc antérieuresà l'ethnographie, à l'anthropologie, à la découvertepositive et a fortiori à l'éloge des différences.

L'alternative de la tradition et du progrès, duclos contre l'ouvert est peut-être un héritage rétro¬grade du 19e siècle européen. N'est-ce pas parcequ'ils cultivent leur originalité, leur exception-nalité historique, que les Japonais absorbent aussibien tous les apports de l'extérieur? A l'Expouniverselle de Seville, le pays le plus performant dumonde s'est fait représenter par un temple Shintoen bois, sans bimbeloterie vidéo. L'Orient sur¬

moderne prend de l'avance sur l'Occidentmoderne parce qu'il en est déjà, dans ses construc¬tions symboliques, au bois de pin, et nous encoreau fibrociment.

Quoi de plus vain, par exemple, que l'anti¬thèse rhétorique du «nationalisme» et du «cos¬mopolitisme»? Ce sont les tribus globales, formi¬dablement indigènes et présentes en réseau dansl'univers, qui ont toujours fait avancer la civilisa¬tion: Arabes du Moyen Age, Juifs de la Renais¬sance et des Lumières, Britanniques de la Révo¬lution industrielle.

Globalement positifLe mythe du progrès continue ainsi d'opérer, auNord de façon latente ou résiduelle, au Sud defaçon motrice et propulsive. Une idée plus oumoins mystifiée, mais à laquelle tous adhèrent,devient un fait social objectif, à traiter comme tel.D'autant qu'il joue, dans le tiers monde en par¬ticulier, un rôle «globalement positif». De mêmeque le mépris de l'argent est le privilège des riches,le scepticisme à l'égard du progrès est l'apanagede ceux qui en ont historiquement bénéficié. Larédemption politique par le progrès technique estune idée fausse dont les pauvres et les opprimesont vraiment besoin pour affronter la moder¬nité et son terrible spectacle d'injustices sanstomber dans le désespoir ou la délinquance.

Le problème est que l'Occident riche ne croitplus vraiment en ses idéaux et ses mythes rédemp¬teurs. Après la débandade socialiste, nous n'atten¬dons plus de l'avenir, nous hommes du Nord, descoupures décisives qui puissent modifier notredestin. Nous ne voyons plus de ruptures àconsommer, mais des améliorations à apporterdans le cadre de l'Etat démocratique rationnel.Cela s'appelle «gérer». Le principe Espérance,dans la maison mère, est défunt. Cette mort peut-elle, doit-elle être mondialisée?

Ce serait faire bon marché de la souffrance

humaine. Doubler en l'espace d'un siècle l'espé¬rance de vie moyenne, triompher des microbes et I I

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Way Ahead (Le chemin à

suivre), photographie

d'Eddie Sethna.

des virus, faire baisser les seuils de l'analphabé¬tisme et accroître l'énergie consommable parchacun, voilà des tâches exaltantes et légitimes ensoi qui n'apportent pas à terme la clé du bonheurhumain, ni la société sans classe, mais qui aurontau moins l'immense mérite de combler le fossé

entre les deux hémisphères.Dans l'immédiat, il est clair que Nord et Sud

cultivent d'instinct deux attitudes opposées devantl'Histoire, et donc le progrès. Orphelin du présent,le «Sud», qui ne peut se réfugier dans un passésynonyme du pire, tourne ses regards vers l'avenir,synonyme d'un mieux. Orphelin de l'avenir, le«Nord», au contraire, s'est recentré sur son pré¬sent, qu'il n'éclaire plus à la lumière de l'utopiemais du passé, en exaltant, de toutes les vertusciviques, la mémoire. L'Europe accumule pas¬sionnément ses archives, fait musée et trace detout, s'enivre de commémorations et d'anniver¬

saires. La vision rétrospective ou antiquaire del'Histoire, dont on n'est plus sujet actif mais spec¬tateur nostalgique et attendri, a succédé ici auxvisions prospectives ou messianiques d'antan. LaNature était naguère une valeur «conservatrice»opposée à l'Histoire. L'écologie, seul mouvementpolitique ascendant ou nouveau, en fait un mythemobilisateur. Retour à l'agriculture, aux terroirs,aux traditions, aux modes de vie menacés. Il n'est

pas jusqu'à l'idée de République, telle que ladéfend dans un cadre français l'auteur de ceslignes, qui ne puisse s'interpréter comme uneforme de «retour à l'ancien» face aux dérives com-

munautaristes et mercantiles du modèle anglo-saxon de démocratie, désormais dominant et rava¬

geur. «Conserver» est de nouveau un terme positif,voire chic, sinon d'avant-garde. Tout se passecomme si la croyance en l'avenir s'étant réfugiéechez les plus pauvres de la planète, les riches

s'habituent à voir dans le progrès non la poursuited'un mieux mais «l'annonce du pire», comme ditKundera, et ils ont de bonnes raisons pour cela.

Le danger alors, c'est l'avantage donné aunihilisme et au cynisme. Si le progrès est mort,tout est permis. La loi du «gagneur» est celled'un présent réduit à lui-même, où faire del'argent tout de suite et par n'importe quel moyendevient l'idéal suprême de l'individu.

Comment en sortir? Sans doute pas parl'invention d'une énième utopie, ou d'un nouveaumessianisme séculier. Peut-être par une série deluttes ponctuelles et têtues, à fondement éthique,sinon pour le meilleur idéal, du moins contre lepire réel. Et le pire aujourd'hui nous paraît être cedilemme où le cours des choses voudrait nous

enfermer: ou bien, au nom de la modernité trans¬

former la planète en un supermarché et sou¬mettre toute activité humaine, publique ou privée,à la loi de l'offre et de la demande. Ou bien, aunom de l'identité, s'enfermer dans les fantasmes

vindicatifs du retour, à la pureté perdue, à l'exclu¬sion de l'autre et à l'intégrité idéologique, com¬munautaire ou confessionnelle. Passer de l'illusion

technocratique, selon laquelle le progrès tech¬nique peut suffire à résoudre les problèmes poli¬tiques et culturels, à la fureur idéocratique, selonlaquelle une belle norme morale peut tenir lieu desolution économique et technique, serait passerd'une caricature de Nord à une caricature de

Sud. Entre la politique du dollar et les politiquesde Dieu, on pourrait réinventer une autre sorted'espace public, digne des Lumières mais sans lesillusions des Lumières, et qui joindrait au pessi¬misme de l'intelligence l'optimisme de la volonté.Il va falloir, en somme, faire mentir ceux qui pen¬sent que toute critique du mythe du progrès estnécessairement réactionnaire. H

12

REGIS DEBRAY

philosophe, essayiste et

romancier français, a publié

récemment Cours de médiologie

générale (1991), Vie et mort de

l'image (1992) et L'Etat

séducteur, Les révolutions

médiologiques du pouvoir ( 1 993),tous les trois aux éditions

Gallimard (Paris).

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Prométhée enchaîné ( 1 762),

groupe en marbre du

sculpteur français

Nicolas Sébastien Adam.

A chacun sa métaphorepar Daniel J, Boorstin

LA notion occidentale de progrès, largementrépandue depuis le 18e siècle, se fonde surdeux données propres à l'Occident. D'une

part, la croyance judéo-chrétienne en un Dieucréateur ayant façonné un monde neuf; de l'autre,la naissance des sciences expérimentales, avec lestravaux de Galilée, Harvey, Newton et d'autres,qui ont fourni à l'être humain des moyens sanscesse accrus de connaître et de maîtriser le monde.

Ces deux données initiales étaient en porte àfaux avec les conceptions cycliques de l'histoireprofessées par d'autres religions universelles, ou

même par les anciens Grecs. Si Dieu avait créé lemonde ex nihilo (à partir de rien) et que l'êtrehumain partageait la puissance de ce Dieu, alorscréer devenait possible pour l'être humain etrévélait l'étincelle divine qui sommeillait en lui.

L'engouement de l'Occident pour les sciencesnaturelles s'étendit aux sciences sociales dont

l'ambition était d'améliorer et de rénover les struc¬

tures de la société. Lcs connaissances scientifiques,qui se multiplièrent aux 17e et 18e siècles, étaientpartagées et plébiscitées par toute l'Europe, quimontrait une foi grandissante dans les perspectivesradieuses, utopiques, qu'elles ouvraient pourl'avenir. C'est cette foi qui permit àJefferson et auxrévolutionnaires américains de croire en la possi¬bilité de créer une nation neuve dans un monde

nouveau, qui les lança à la poursuite d'un idéald'égalité, de droit à la vie, à la liberté et au bonheur.La même foi anima la Révolution française de

1789 dans son désir de balayer l'Ancien Régime 13

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14

et d'édifier une République nouvelle, guidée parles principes de Liberté, d'Egalité et de Fraternité,et gouvernée par la Raison.

L'extraordinaire essor industriel de l'Europeau 19e siècle l'invention de la machine à vapeur,la domestication de l'électricité, les vues péné¬trantes d'Adam Smith, d'Auguste Comte, deCharles Darwin, de Karl Marx et d'autres, quimarquèrent leur époque, l'évolution accéléréedes moyens de transport, l'expansion des villes,l'augmentation du niveau de vie , cet essorcontribua à renforcer l'espoir que (pour reprendrela formule de Tennyson): «la roue du monden'arrêterait plus sa course tournoyante sur lesrails vibrants du progrès».

Une telle notion, qui est si distinctement lefruit de l'histoire, de l'expérience et de l'imaginaireoccidentaux, peut-elle prendre racine et s'épa¬nouir ailleurs? Est-elle crédible dans d'autres

régions du monde, qui ne partagent pas lacroyance judéo-chrétienne en un Dieu créateur,un Dieu de la Nouveauté, ni en un être humain

créateur, apôtre de la Nouveauté? Cette notion deprogrès peut-elle persister dans des pays où leniveau de vie n'augmente pas, qui ignorent lestriomphes mélodramatiques de la science et destechniques occidentales, et qui ont échoué dansleurs tentatives d'édification d'une société viable,fondée sur une nouvelle constitution? Peut-on

sincèrement s'attendre que des peuples parta¬gent avec l'Occident le fruit d'une réflexion intel¬lectuelle à laquelle ils n'ont pu prendre part?

Plus élémentaire encore dans la pensée occi¬dentale est cette idée dont Biaise Pascal s'est fait

le rapporteur: «L'homme n'est qu'un roseau, leplus faible de la nature; mais c'est un roseau pen¬sant.» Bien que l'être humain soit voué à êtredétruit par l'univers, la conscience qu'il a de cettesupériorité de l'univers sur lui ne l'en rend queplus noble encore. La grandeur de l'être humainse trouve dans la conscience qu'il a de la place qu'iloccupe au sein de l'univers, de ce que le monde luiréserve et du rôle qu'il peut y jouer. Cetteconscience a conduit les Occidentaux à croire

en la notion de progrès. Mais où cette conscienceva-t-elle mener des êtres humains qui ont jusque-là vécu une histoire radicalement différente?

L'idée de progrès est peut-être une métaphorecaractéristique et révélatrice de l'histoire euro¬péenne, mais il se peut qu'ailleurs, chez despeuples dont le passé est différent, elle n'exprimerien d'autre qu'une utopie amère et ironique.

Quel profit, pour finir, le monde peut-il tirerd'une métaphore vive qui, transposée dans uneautre société, se fige en idéologie? Car toute idéo¬logie est en soi une contradiction et un déni dupouvoir novateur et transformateur infini de l'êtrehumain, pouvoir qui trouve son expression dansla notion même de progrès. Ne profiterions-nouspas mieux de la vaste expérience des êtres humainssi l'on encourageait tous les peuples à développerleur propre métaphore?

DANIEL J. BOORSTIN,

historien américain, a dirigé

pendant de nombreuses

années la Bibliothèque du

Congrès à Washington (Etats-

Unis). Parmi ses

traduites en français, Les

Découvreurs (1988, Paris

Laffont). Son dernier ouvrage,

The Creators (Les Créateurs), a

paru en 1 992.

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__. -

*

h

é*

Une notion toute

relative

par Flora Lewis

.

«

Illustration pour Les

Aventures du baron de

Münchhausen (1786):

le baron de Crac

atteignant la lune.

LE Nord et le Sud partagent-ils la mêmeidée de progrès?» La question est pro¬vocante et appelle une double réponse:

oui et non. Nous avons tous les mêmes besoins

essentiels: de la nourriture, un logement, dessoins et un certain sentiment de dignité. Le

«Sud», au sens métaphorique des sociétés les

plus démunies, est encore loin de répondre àces critères élémentaires. Une évolution positiveen ce sens serait certainement perçue, par lespays du «Sud» aussi bien que par les pays du

«Nord», comme un progrès certain. Mais, mêmeexprimée en termes platement matérialistes,l'idée est loin d'être simple. L'explosion démo¬

graphique est globalement le résultat d'unebaisse spectaculaire des taux de mortalité etd'une augmentation de l'espérance de vie. Les

femmes des pays pauvres n'ont pas plusd'enfants aujourd'hui qu'il y a un siècle, maisgrâce au développement scientifique et tech¬nique infiniment plus rapide que le dévelop¬pement économique , un nombre sans cessecroissant d'entre eux parvient à l'âge adulte.

L'augmentation de la pauvreté est propor¬tionnelle à celle du nombre des pauvres, et elle est

d'autant plus forte qu'elle s'accompagne d'unappauvrissement des ressources naturelles: déser¬tification (au Sahel, par exemple), deforestation,érosion des sols, etc. Le fait qu'un nombre crois¬sant d'individus survive est peut-être un pro¬grès, mais on ne peut certes pas en dire autant desconditions déplorables de cette survie, qui sontparfois bien pires que celles qu'ont connues leursaïeux. Lcs nantis tendent à avoir moins d'enfants,

précisément pour leur assurer une existence plusconfortable. Est-ce cela le progrès? Oui, s'il fautles en croire. En tout cas, cette notion de progrèsmatériel est largement partagée.

Pourtant, d'un point de vue strictement IS

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matériel, dès qu'on dépasse le seuil de la pau¬vreté absolue, pauvreté et progrès deviennentdes conditions toutes relatives, et l'inégalité, dont

l'échelle de mesure est fournie par l'environne¬

ment immédiat, prend alors une importance beau¬

coup plus grande. Il est certain que les émeutiersde Los Angeles (Etats-Unis), que l'on a vu mani¬fester au début de l'année, se considèrent comme

pauvres. Ils vivent dans une ville qui fait étalagede richesses et regardent une télévision qui non

seulement pousse à la consommation, mais lesinitie de surcroît à une aisance et un confort quirestent hors de leur portée. Eux-mêmes sontpourtant bien mieux lotis que des centaines demillions d'Africains, de Latino-américains ou

d'Asiatiques mais la comparaison ne leur vient

pas à l'esprit. Pourquoi le devrait-elle, d'ailleurs?Ils vivent dans une société qui prône la démo¬cratie, l'égalité, la justice, et ils se sentent floués.Est-ce cela le progrès? Peut-être, en ce sens qu'ils

ne se résignent pas à leur sort, mais cherchent par

tous les moyens à l'améliorer, et font entendreleurs doléances. Cette idée-là du progrès est, elleaussi, probablement partagée.

Un défi à la volonté divineMais même ces sociétés qui croient au progrès

un progrès possible et non plus inévitable commele voudrait le précepte victorien ont perdu

toute certitude quant à sa nature. Pour certaines

cultures, c'est une marque d'orgueil démesuré, undéfi odieux à la volonté divine, et elles en rejettentl'idée en bloc. Une grande confusion de sens

règne entre les notions de «modernisation» etde «progrès». Sont-elles synonymes? S'oppo-sent-cllcs? Ou sont-elles simplement différentes?

Chacune de ces questions rassemble des argu¬ments en sa faveur. Il faut cependant remarquerque le désir d'accéder à la modernisation parl'intermédiaire de la science et de la technique, du

développement économique et d'une autonomiegrandissante, est très largement répandu, y com¬pris chez les fondamentalistes, même s'ils préfè¬rent se tourner vers un âge d'or révolu plutôt

que «progresser» vers un avenir incertain.

En plus de l'idée d'amélioration matérielle,la notion de progrès a un contenu moral et phi¬losophique qui, comme les notions de beauté etde justice, est d'ordre purement subjectif. Lareprésentation d'une société idéale, qui serait

l'accomplissement ultime de tout progrès, ne

fait pas l'unanimité entre les cultures ni même

au sein d'une même culture! Des divergences

existent et existeront toujours parce qu'il y aaffrontement permanent entre la conscience de

l'homme en tant qu'individu et la conscience

de l'homme en tant que membre d'une com¬munauté. Et les deux sont essentielles. Il arrive

16

Carnaval (1986),

technique mixte sur bristol

( 1 70 x 130 cm) du peintre

cubain Julio Garcia Fortes.

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que l'une prenne le pas sur l'autre au gré des cir¬constances ou en fonction de l'époque, du lieuou des traditions. Mais tôt ou tard, les effortsconsentis envers l'une sont ressentis comme

une contrainte intolérable pesant sur l'autre,imposant en cela un nouveau changementd'optique. Voilà pourquoi je rejette la théorie dela «fin de l'histoire» de Francis Fukuyama, fût-elle prise dans le sens hégélien étroit du terme.Le dilemme entre le social et l'individuel est

inhérent à la condition humaine; et il est inso¬

luble. Je ne vois donc pas comment l'idée deprogrès pourrait signifier autre chose que larecherche d'un état de contentement de l'homme

un état qui est inévitablement passager.

Un sentiment de vide

Si le «Nord», qui comprend les sociétés indus¬trielles modernes dotées d'un système démo¬cratique, a fait des progrès considérables vers lasatisfaction de certains besoins vitaux, il nourrit

encore en son sein de grandes frustrations etun sentiment croissant de vanité, que la culture

née de la drogue a mis en relief. Je suppose quec'est en ce sens qu'il faut interpréter le motd'André Malraux: «Le 21e siècle sera religieux ou

ne sera pas». Le «Nord» n'a pas su trouver

d'explication à ce sentiment de vide et, par là, enest venu à douter de la réalité même du pro¬

grès. Témoin de ces échecs, le «Sud» s'est lancéen quête d'une conception différente, plus glo¬bale et moins aliénante, du progrès, qui seraitsource d'une plus grande chaleur humaine etd'un plus grand réconfort.

Des divergences apparaissent ainsi au niveaude ces contenus moraux et philosophiques. En cesens précis, l'idée de progrès n'est pas partagée.

Mais il n'y a pas, il ne devrait pas y avoir làmotif d'affrontement. Pourvu que personne netombe dans le piège qui consiste à blâmerl'«ennemi» pour tout ce qui va de travers dela même façon que nous avions coutumed'incriminer la «volonté divine» , les sociétés

ont amplement de quoi s'enrichir mutuellementpar le partage et l'échange. Au fond, que nousn'adhérions pas tous à la même idée du progrèsn'a guère d'importance. Dès qu'on touche auxaffaires humaines et à l'organisation sociale, lesidées arrêtées sont le plus sûr moyen de com¬mettre des erreurs; elles sont aussi à l'origine de

bien des maux que les peuples se sont infligésmutuellement. Mieux vaut que chacun s'efforce,à sa manière, de réaliser les aspirations qui sontles siennes.

Mille couleurs ( 1989),

projet de fresque de

Daoud Krouri.

FLORA LEWIS,

journaliste américaine

spécialisée en politique

internationale, est responsable

de la rubrique des affaires

étrangères au New York Times

où elle tient une chronique

régulière. Entre autres livres

elle a publié Europe: Road to

Unity (1991, Europe: le chemin

de l'unité).n

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Nord-Sud:

un clivage à dépasser?Dans le feu du débat... quelques temps forts...

Pour certains, le progrès masque une hégémonie dont il faut prendre

conscience pour inventer sa propre voie. D'autres estiment qu'il n'y a qu'un

seul monde - atteint, à des degrés divers, des mêmes maux. Pour sortir de

l'impasse, il faut repenser l'idée de progrès sous le signe de la

communauté humaine.

L'universel et

le particulierpar Joseph Ki-Zerbo

18

JE voudrais rappeler simplement quelquesidées que je m'évertue à défendre depuis uncertain temps. L'universel est une notion

qui est invoquée, ici ou là, à partir de lieux depuissance, de lieux de domination à l'égard dureste du monde. Le spectacle du chaos régnantdans le monde actuel nous mène à nous replier,comme dans une forteresse, sur ce concept del'universel. Nous l'invoquons face aux dangers,comme une sorte de bouée de sauvetage àlaquelle nous nous agrippons parce que noussentons qu'elle peut sauver le monde.

Or, les termes d'universel, de progrès, dedéveloppement, demandent à être abordés avecbeaucoup de vigilance et d'esprit critique. Jesuis d'accord pour que nous invoquions l'uni¬versel, mais sans oublier sa contrepartie, le par¬ticulier, en les articulant non pas dans un anta¬gonisme binaire, mais de façon dialectique.L'universel se nourrit de particuliers et les par¬ticuliers doivent tirer parti de l'universel.

Cette perspective dialectique me paraît rendreà ce concept toute sa fécondité. Etant entendu, dèsle départ, qu'il y a une parcelle d'universel danschaque particulier. En matière de démocratie,par exemple, soit on dit que la démocratie qui doits'imposer au monde est celle conçue en Occident

l'on risque alors de se heurter à des objections,voire à des insurrections contre une telle intru¬

sion , soit on essaie de trouver dans chaqueculture quelques prémices, quelques points dedépart à la démocratie.

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Ci-dessus, your de fête

( 1 984), acrylique sur toile

(100x300 cm) de

Fatima Hassan, artiste

d'origine marocaine.

En bas à gauche,

Germination (1992),

du peintre brésilien Kinkas.

JOSEPH KI-ZERBO,

historien burkinabé, auteur

notamment d'une Histoire de

l'Afrique noire (1978), a dirigé le

premier volume de l'Histoire

générale de l'Afrique, en huit

volumes, lancée par I'Unesco.

Prenons le cas africain: il est clair que l'ontrouve dans l'expérience historique de ce conti¬nent certaines préfigurations de l'Etat de droit.En Afrique on dit: «Ce n'est pas le roi qui a laroyauté, c'est la royauté qui a le roi.» Celasignifie que le roi, lui aussi, est assujetti à une ins¬tance supérieure. Cette idée évoque le conceptde l'Etat de droit. J'ai pu le vérifier moi-mêmeà propos de l'empereur des Mossis. Ce souverainreste assis et entouré de gens qui, à tout instant,se penchent vers lui pour lui suggérer ce qu'ildoit faire. Il est littéralement le premier esclavedu droit, de la coutume.

Voilà qui contredit nos dictateurs africainsd'aujourd'hui lorsqu'ils affirment que la démo¬cratie n'a jamais existé en Afrique, qu'elle est unenotion étrangère à notre culture. Ceux qui pen¬sent ainsi ignorent la réalité de leur culture et deleur histoire: ce type de particularisme est àexclure.

Considérons par ailleurs le rapport à lanature, à la santé, à la vie, à la mort. Toutes les

cultures offrent dans ce domaine des aspects àretenir et d'autres à rejeter, du positif et dunégatif. L'universel doit fonctionner à partir desparticuliers positifs. Je pense qu'aucun d'entrenous ne défend une «tribalisation» des prin¬cipes. L'universalité des droits de l'Homme estune idée juste pour la simple raison que nousavons tous une identité humaine. C'est en tant

qu'êtres humains que nous pouvons, les uns etles autres, réclamer l'application de ces droits.

A propos du progrès, j'ai écrit dernièrement:«Aller vite, oui, mais aller où?» On ne peut pasparler de progrès en se référant uniquement auxmoyens. Il faut, dès le départ, définir la directionet fixer les objectifs terminaux. Bref, il est impos¬sible de parler de progrès sans poser la questionde sa finalité. Ce qui pose un problème d'ordreéthique: il faut choisir un modèle, un projet desociété. Cet aspect du problème est souventexclu des débats. Quelle société veut-onconstruire? Le développement a servi à cet égardde masque et même de massue à la domi¬nation. Nous avons entendu certains dirigeantsoccidentaux je pense en particulier à RonaldReagan dire: «Ils n'ont qu'à faire commenous!» Le développement, dans cette logique,devient un moyen d'assujettissement à unmodèle déterminé.

Il est important de constater le retard dessciences humaines et sociales par rapport auxautres sciences. A mon avis, il n'y a pas de déve¬loppement possible sans développement despremières. Depuis dix ans, le monde a vu seproduire une multitude d'événements que per¬sonne n'avait prévus. Pourquoi? Pour avoiroutrancièrement privilégié les sciences contri¬buant au développement matériel: on s'estattaché à ce que j'appellerai la ferraille de l'intel¬ligence, au détriment du moteur qui fait avancerla caravane humaine.

Nous en sommes arrivés à une désagrégation,à un démembrement de l'homme en tant

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OnlOff (1991), matériaux

divers (48 x 39 x 25 cm),

muvre de l'artiste béninois

Romuald Hazoumé.

qu'individu. Dans le rapport perdu avec cer¬taines valeurs transcendantes, mais aussi entremembres d'une même communauté. Pour tra¬

duire cette dissociation, une autre image mevient à l'esprit, celle du dieu-roi Osiris dont lecorps est découpé en morceaux par son frèreavant d'être reconstitué. Je pense que ce mytheégyptien s'applique aujourd'hui à la sociétéhumaine dans son ensemble: il est temps de rac¬commoder l'homme, de le remembrer.

L'intellectuel, à cet égard, peut jouer un rôledécisif, non seulement en tissant les rêves, les

mythes indispensables aux humains qui y pui¬sent des raisons de vivre , mais en traçant les

chemins qui permettent à tous de se rassembler,et de se reconnaître. Sur la base de l'universel. Un

étudiant sénégalais, récemment, me disait: «Mon¬sieur le professeur, ce qui nous intéresseaujourd'hui, ce n'est pas le développement, c'estle bonheur.» Cette phrase m'a frappé. On prêchepartout et toujours le progrès, le développement;ce jeune homme nous ramène à l'essentiel. Maisil est aussi difficile, me rétorquera-t-on, de définirle bonheur que le progrès! Ce n'en est pas moinsdans cette voie qu'il faut aller.

L'universel, tel que l'entend l'Occident, esttronqué: il ne s'appuie que sur un pan de l'His¬toire. J'ai souvent reproché à mes collègues occi¬dentaux leur opacité vis-à-vis des autres his¬toires, leur hermétisme, et leur propension àpenser qu'il ne se passe quelque chose quedepuis... quatre siècles. S'ils remontent plus loin,c'est pour faire de la Grèce antique le point de

20

départ absolu, oubliant d'ailleurs que la Grèce aété elle-même influencée par d'autres histoires,en particulier celle de l'Egypte qui, à son tour,doit beaucoup à l'Afrique.

Mais reprenons l'argumentation de RonaldReagan. Elle ne tient pas la route. Prenons, parexemple, la consommation d'énergie. Si lemonde entier essayait de suivre le modèle nord-américain et consommait autant, par tête d'habi¬tant, la Terre s'écroulerait. Il ne suffit même pasde dire que ce modèle n'est pas souhaitable: il estimpossible. Vouloir que tous le suivent est untragique malentendu. En persistant dans sanature la pensée occidentale tenden fait à l'exclusion.

Ne pourrait-on proposer aux intellectuelsde se pencher sérieusement sur cette dialectiquede l'universel et du particulier? Cela permettraitde s'entendre sur quelques principes intangibleset valables pour tous les êtres humains, commele respect de la vie, le rapport à la nature et à laconnaissance. Peut-on prôner l'universel alorsque dans mon pays 70 à 75% de la population nesavent ni lire ni écrire? En Afrique, nous sommesen train de passer sans transition de l'oralité(l'audiovisuel traditionnel) à l'audiovisuel post¬industriel, en brûlant l'étape, pourtant capitale,de l'écriture.

Proposer l'universel à des peuples qui sontdans une situation où les conditions préalablesn'ont pas été remplies, c'est de l'utopie. Le prin¬cipe de l'intercommunication se connaîtresoi-même et se connaître entre communautés

est nécessaire. J'ai déjà proposé que l'on ajouteà la liste des droits de chaque individu celui dese connaître et celui d'être connu. J'y vois undroit élémentaire. Nombreux sont ceux, sur¬

tout dans les pays développés, qui estimentaujourd'hui qu'il n'y a rien d'intéressant àconnaître dans les pays du Sud. On s'y rend entouriste, mais on n'entre pas réellement dansleur histoire, leur culture ou leur civilisation.

Impossible, dès lors, d'atteindre à cette co-responsabilité dont on entend parler ici ou là.

Il faudrait renforcer les bases de l'universel

et créer une autre organisation des peuples.L'Organisation des Nations Unies, dit-on, repré¬sente les peuples du monde. Cela n'est plus vraiaujourd'hui. Les Etats ont pris le dessus. On ditque ce sont des monstres froids, je me demandes'ils ne sont pas déjà des monstres surgelés...

Dépasser le paradigme de l'Etat national, quia été transmis par l'Europe du 19e siècle, telle est,à mon sens, l'une des voies d'accès à l'universel.

Les acquis technologiques de l'homme modernecréent de nouvelles configurations, une nouvelleimage du monde, qui rend caduc ce cadre. Ilfaudra partout dépasser l'Etat-nation, s'orientervers la création de communautés plus vivantes etplus ouvertes. Quand nous avancerons dans cettedirection, nous serons plus proches de l'universelet du progrès.

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Ni Nord ni Sud: un seul monde

par Alain Touraine

L'Univers: / 000 000 000 000

de galaxies ( 1980- 1990),

photomontage

(100 x 100 cm) du peintre

russe George Kuzmiñ.

ON accepte souvent comme allant de soi

l'idée qu'il existe une tendance prédo¬

minante au progrès, à l'universalisme, et

qu'il y a des contre-mouvements, des retours en

arrière à la religion, à l'irrationnel.

Cette vision des choses est très éloignée de la

réalité. Je voudrais rappeler, dans le cas occi¬

dental, qu'il y a une autre manière de voir les

choses, qui me semble beaucoup plus proche du

réel. L'idée de progrès en Occident a dominé

quelques esprits, intellectuels et politiques, pen¬dant un siècle. A partir de 1870, on n'en parle plus.L'histoire de l'Occident, c'est tout autre chose. Je

dirai même, pour aller jusqu'aux limites du para¬

doxe, que s'il y a une époque où l'on a cru au pro¬

grès, c'était surtout au Moyen Age.La modernité élimine l'idée d'un mouve¬

ment général de la nature, de la société et de M. I

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Coup d'sil au dehors

(1993). Collographie

de l'artiste finlandaise

Raija Patchett.

l'individu. Ces domaines se séparent et je penseque la vie politique et culturelle, en Occident, a

consisté à gérer les relations entre ces domaines

dissociés. D'un côté, l'idée de progrès s'est brisée

au profit de celle de croissance économique, del'autre on a vu apparaître ce qui est totale¬

ment étranger à l'idée même de progrès l'idéede démocratie, liée à celle d'individualisme. Aucun

des grands tenants de l'idée de progrès au 18siècle, pas plus Rousseau que Voltaire, ne s'étaitdit, officiellement et ouvertement, démocrate,

bien au contraire. Enfin, le concept de nation,apparu d'abord en Allemagne, est le conceptdominant du 20e siècle.

Autrement dit, l'histoire de l'Occident, ce

n'est pas le triomphe universel de la raison, c'est

l'apprentissage de la gestion des relations entre la

croissance économique, ou la raison pratique, etles notions de nation et de liberté.

Ce grand mouvement, qui a été un mouvement

de combinaison, devient aujourd'hui un mouve¬ment d'éclatement au niveau mondial. Pour

reprendre des expressions qui sont devenues

presque des slogans, on a l'impression que nousvivons désormais dans un monde où l'univers des

11

marchés, l'univers des tribus, l'univers de la sub¬

jectivité se disjoignent. Il n'y a plus de société dutout. C'est important. Toute solution qui consisteà dire: reconstruisons un monde autour de l'uni¬

versel, ou bien: reconstruisons un monde autour

du particulier, autour de l'économie ou autourdes cultures, est vouée à l'échec et ne peut menerqu'aux catastrophes. Nous vivons dans un mondeoù l'objectivité des marchés est complètementdissociée de la pluralité des subjectivités et descultures.

Reste à l'Occident, comme à bien d'autres

parties du monde, de réfléchir à la manière de

vivre selon plusieurs principes à la fois. Je répète:le propre de la modernité occidentale, ce n'estpas l'universalisme du progrès, mais la combi¬naison de l'universalisme de la raison, de la par¬ticularité des nations plus marquée, évidem¬ment, dans les nations tardivement constituées,

comme l'Italie et l'Allemagne et de l'univer¬salité des droits de l'homme, donc de l'indivi¬dualisme et de la démocratie.

Je crois que le problème devant lequel nousnous trouvons réside là. Surtout ne pas plaiderl'universel contre le particulier, mais plaider lanécessité, pour une société, un pays ou unensemble de pays, ou pour le monde entier, decombiner plusieurs principes. Le danger fonda¬mental aujourd'hui, c'est de vouloir faire des

sociétés unidimensionnelles. Ethniquement puresou consacrées à la rationalité du marché, ou jedirai même entièrement consacrées à la subjecti¬vité. Apprendre, dans toutes les parties du monde,à combiner plusieurs principes est essentiel.

Il me semble particulièrement important deparler de ces problèmes au niveau d'un seulmonde. Je crois qu'il est devenu dangereux dedire «le tiers monde», «le premier monde», «ledeuxième monde». Il est dangereux de croirequ'il existe même une séparation Nord-Sud.C'est une présentation fausse de la réalité. Les

mêmes problèmes se posent aujourd'hui, dansdes proportions différentes. Au lieu de dire qu'ily a la raison au Nord, avec ses défauts, et les par¬ticularismes au Sud, je pense qu'on doit poser,dans les mêmes termes, le problème de ces com¬binaisons dont je parle pour toutes les parties dumonde. Sans quoi, on va à des oppositions fron¬tales entre ceux qui diront «priorité à la raison»et ceux qui diront «priorité à la pluralité et à ladiversité des cultures».

ALAIN TOURAINE,

sociologue français, est directeur d'études et directeur du

Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS)

de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris).

Entre autres ouvrages il a publié: La Parole et le sang, Politique

et socialisme en Amérique latine (Odile Jacob, Paris 1 988) etCritique de la modernité (Fayard, Paris 1 992).

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Opprimés, levez-vous!parTariq Banuri

Soldaderas

(1926, Femmes

accompagnant les soldats),

huile sur toile

(81 x 95,5 cm) du peintre

mexicain José Clemente

Orozco.

SI tous les pays du monde n'en faisaient

plus qu'un, ce serait certainement un paysdu «tiers monde». La somme des données

économiques, sociales et environnementales de

la planète reflète assez bien, toutes proportionsgardées, la situation d'un quelconque pays dutiers monde. N'est-ce pas là que se concentrentde nos jours les plus grandes inégalités dans la

répartition des richesses, dans la capacité deconsommation et dans l'exercice de l'autorité, de

même que la plus grande diversité des cultures,

des religions et des langues, ainsi que les conflits

de toute nature qui en résultent? N'est-ce pas là

aussi que l'on trouve la plus grande variété géné¬

tique, et le plus grand nombre d'espèces en voie

de disparition?

Mais le parallèle ne s'arrête pas là: au-delàdes inégalités, de la diversité et de la violence, on

déplore aussi une certaine absence de solidarité

collective. Il n'y a pas, à l'échelle de la planète, niau sein des sociétés du Sud, de véritable sens de la

communauté. Supposez qu'on veuille obtenirune réduction de la consommation à l'échelle

mondiale pour préserver l'environnement; 23

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Le Moteur (1918),

huile sur toile

(135 x 118 cm) de

Fernand Léger.

croyez-vous qu'on parviendra à désigner d'un

commun accord ceux qui devraient consentir ce

sacrifice? Faut-il que les pauvres crèvent pour

que les riches conservent leur standing, ou doit-on demander à ces derniers de renoncer à des

siècles de progrès pour revenir à des modes de vie

qu'ils sont en droit de considérer comme infé¬

rieurs? Ces dilemmes trouvent plus facilement des

réponses dans le cadre restreint des pays du

Nord qu'à l'échelle de la planète entière.

Aussi, ne nous demandons pas si le Nord et

le Sud peuvent partager la même idée de progrès,

mais tout simplement si une telle concordance de

vues est déjà possible au Sud à supposer que

l'idée même de progrès n'y soit pas totalement

étrangère. En d'autres termes, avant de recher¬cher un consensus entre le Nord et le Sud,

sachons d'abord si les bases d'un tel consensus

existent bien, de chaque côté de la ligneNord/Sud.

Prenez le colonialisme, une notion qui éveille

toujours de profondes résonances. Les diver¬

gences qui se font jour autour du progrès sont

comparables à celles qui opposent les partisans(même involontaires) du colonialisme à ses

détracteurs. Un demi-siècle après la prétendue

dissolution des empires coloniaux, ces deux

24

courants de pensée ne sont pas encore parvenus

à se rejoindre. Au contraire, on relève déjà

quelques signes avant-coureurs d'un retour du

colonialisme, d'abord dans le Sud, puis dans le

reste du monde. Aux yeux de l'Histoire, la

deuxième moitié de ce siècle risque fort de

n'avoir été qu'un bref intermède dans une tra¬

dition persistante d'expansion coloniale.

Disons donc, au risque d'être polémique,

que toute analyse du progrès qui se limiterait à

ses seules finalités est possible au Nord (sans

doute parce que les institutions et les processus

sociaux, politiques et économiques y rencontrent

cette unanimité qui est supposée signer la fin de

l'Histoire), mais elle n'est pas envisageable dans

un Sud dont l'histoire continue d'être marquée

par la faiblesse et l'injustice. L'objectif ultime du

progrès (un développement respectueux de

l'environnement) est donc bien moins problé¬

matique, en ce qui concerne le Sud, que les

moyens à mettre en pour l'atteindre. On

peut raisonnablement élaborer pour le Nord

des théories rédemptrices (qui ne font guère

plus que «justifier l'action présente»), mais pour

le Sud, il faut nécessairement partir d'une théorie

de l'oppression.

Afin que l'idée de progrès trouve sa légitimité

aux yeux d'une bonne partie des populations du

Sud, il faut qu'elle se traduise, selon la formule

d'Ashis Nandy, en «une prise de conscience

accrue de l'oppression». Or ce n'est générale¬

ment pas ainsi que les élites du Nord, comme du

Sud, définissent le progrès.On l'a bien vu à la Conférence des Nations

Unies sur l'environnement et le développement,

qui face à l'imminence d'une catastrophe écolo¬

gique, s'était déjà évertuée à trouver une défini¬

tion commune du progrès. Mais là où le Nord, qui

se prenait pour Noé construisant son arche pour

nous sauver du Déluge, parlait de technique et

d'organisation, le Sud, qui se voyait cloué comme

Christ en croix pour tous les péchés de l'huma¬

nité, préférait centrer le débat sur le terrain poli¬

tique et dénoncer l'injustice. La morale de cette

histoire reste incompréhensible pour qui ne veut

y voir que l'usage qu'on peut faire d'un peu de

bois, mais elle s'éclaire dès qu'il s'agit de savoir à

qui, de Noé ou de Jésus, ce bois est destiné.

TARIQ BANURI

journaliste et écrivain pakistanais

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Une crise du futur par Edgar Morin

La Condition

humaine

(1992), huile

sur toile

(80 x 60 cm)

du peintre

vietnamien

Duong Dinh

Sang.

NOUS devons prendre conscience et faire

prendre conscience de notre destin

commun. L'unité, parvenue à l'ère pla¬

nétaire, se conjugue désormais comme un destincommun de vie et de mort. L'universel n'est

plus abstrait, mais singulier et concret, puisqu'ils'agit d'une planète singulière, d'une humanité

singulière qui affronte des problèmes concrets de

vie, de mort et de progrès.

Le progrès est sans doute l'idée-clé de la

modernité occidentale, qui a pris cours aux 18eet 19e siècles, et s'est universalisée. Cette idée de

progrès a semblé une véritable loi du devenir.

Elle se fondait sur le déterminisme scientifique

25

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¡e mwezangu matunda haya

matamu (Ces fruits ont-Us du

goût?),

1992, acrylique sur

contreplaqué (6 1 ,5 x 6 1 cm)

de l'artiste tanzanien

Georges Lilanga di Nyama.

26

EDGAR MORIN,

sociologue français, estdirecteur de recherches

émérite au Centre national de

la recherche scientifique

(CNRS). Parmi ses publications

récentes: Les Idées, Leur habitat,

leur vie, leurs mours, leur

organisation (tome 4 de «La

Méthode», 1 99 1 ), Autocritique

(réédition, 1992) et Terre-Patrie

(1993), parus aux éditions du

Seuil (Paris).

qui régnait alors comme une sorte de loi histo¬

rique que l'on pouvait dessiner de différentes

manières, aussi bien celle d'Auguste Comte que

de Karl Marx. Elle semblait renforcée par l'idée

d'une évolution biologique partant des êtres

unicellulaires pour arriver jusqu'à l'espècehumaine. Et elle semblait trouver aussi un sou¬

tien absolu dans les développements, qui ne

pouvaient être que bénéfiques, de la science et de

la raison. Il s'agissait, autrement dit, d'un progrès

nécessaire, inéluctable. C'est cette idée qui s'est

répandue. Les guerres mondiales, les régres¬sions, semblaient des accidents dus à d'ultimes

soubresauts des forces réactionnaires ou anti¬

progressistes.

Par ailleurs, le concept de développement,

qui a été lui-même généralisé après la deuxième

guerre mondiale, a créé une sorte de modèle

techno-économique du progrès dans lequel la

croissance économique est apparue, si je puisdire, comme la locomotive, nécessaire et suffi¬

sante, de tous les progrès humains, notamment

les possibilités d'épanouissement personnel. On

a totalement occulté, dans cette conception,

tous les aspects destructeurs de la croissance ou

du développement technique ou économique

sur les cultures. Cela avait commencé en Europe

même, mais les destructions ont été beaucoup

plus importantes dans le reste du monde.

Qu'en est-il aujourd'hui? On est pris dans

une crise du progrès, qui est une crise du futur.

Elle s'annonçait déjà avant la guerre, mais elle estmaintenant installée et universelle. Elle concerne

tout le monde et notamment les pays dits en

développement, puisqu'on s'est rendu compte

que les recettes du développement qui étaient

proposées, que ce soit celles de l'Est ou de

l'Ouest, aboutissaient, le plus souvent, à deséchecs.

Cette crise a couvé dans le monde totalitaire

de l'Est, qui proposait aux hommes un avenir

radieux, lequel avenir s'est effondré ces der¬nières années. Mais elle a atteint également le

monde occidental où on ne croit plus, à justetitre, à un déterminisme, non seulement histo¬

rique, mais même physique. On s'est rendu

compte que la science peut avoir aussi bien des

effets manipulateurs, asservissants ou destruc¬

teurs, que des effets bienfaisants. Et on a com¬

pris que se sont diffusées, sous le couvert de la«raison», des formes obtuses de rationalisation

pensées logiques dans l'abstrait, mais dénuées

de tout fondement empirique.

Je pense donc que nous vivons, sous des

aspects différents, une crise commune du pro¬

grès. Je crois aussi que le retour actuel à l'ethnie

ou à la religion, est une conséquence de l'uni¬

versalisation de cette crise du progrès: quand on

perd le futur et que le présent est malheureux,

misérable, angoissant, il ne reste plus que le

passé. J'estime que nous avons pour premier

devoir d'abandonner l'idée d'un progrès méca¬

nique et celle d'un progrès fondé sur la seule base

techno-économique.

Nous devons comprendre qu'au fond de

l'idée de progrès, il y avait l'idée de «vivre

mieux». Vivre de façon humaine, civilisée à

l'égard d'autrui. Cet impératif éthique doit

désormais régir l'idée de progrès lequel

devient dès lors quelque chose de souhaitable, de

possible, et non plus un mécanisme inéluctable.

Dans cette conception il faut, je crois, aban¬

donner la perspective linéaire selon laquelle il yavait un monde avancé, un monde arriéré et un

monde dit primitif, qui tous devaient partager la

même conception. Il faut reconnaître que toute

civilisation, toute culture, est un mélange

d'ingrédients les plus divers superstitions,

croyances arbitraires, vérités profondes, sagesse

millénaire et que cela vaut aussi bien pour le

monde européen, qui a ses vérités, mais aussi ses

mythes, ses illusions, à commencer par l'illusion

du progrès.

Repenser l'idée de progrès devient une tâche

prioritaire.

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LE COURRIER DE L'UNESCO -DECEMBRE 1993

AUTOCHTONES

UlfUI

"FF

PAR FRANCE BEQUETTE

Si les habitants des îles Nicobar,

dans le golfe du Bengale, au suddu Myanmar, n'avaient suivileurs traditions pour gérer lesressources de leur écosystème, la

nature dans laquelle ils viventn'aurait pas résisté longtemps. Parmiles vingt-deux îles d'inégale gran¬deur qui composent l'archipel, lesunes sont peu boisées, les autres sontcouvertes de forêts denses au sein

desquelles poussent des essencesrares. Bien que certaines soient sur¬peuplées, telles Carnicobar etChowra, chacun y mange à sa faim etpeut se procurer le bois nécessairepour édifier une maison et construireun bateau de pêche. Selon une étudemenée par G. Prakash Reddy, pro¬fesseur d'anthropologie sociale àl'université delïrupati (Inde), l'équi¬libre est respecté entre forêts, prairieset terres agricoles. Chaque fois qu'un

villageois a besoin d'herbe pour cou¬vrir sa maison ou de bois pour laréparer, il en fait la demande auConseil de l'île. Celui qui coupe unarbre doit replanter la même essenceau même endroit. Le Conseil préco¬nise de brûler, pour la cuisine, descoquilles de noix de coco sèches oudes déchets végétaux, sauf pour lesgrandes fêtes lors desquelles l'on uti¬lise du bois mort. Autre tradition: au

cours des cérémonies qui jalonnentl'année, des porcs sont sacrifiés afinqu'ils ne soient pas trop nombreuxquand la nourriture des hommes etdes bêtes vient à se faire rare.

Cet exemple montre que, contrai¬rement à une opinion fort répandueaujourd'hui, les habitants de la pla¬nète n'ont pas attendu les années 70pour prendre soin de leur environ¬nement. Sur tous les continents, une

tradition sociale ou religieuse peut

Deux initiés

sortent de la

forêt sacrée

(Côte d'Ivoire).

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AUTOCHTONES

U NATI

permettre de gérer la nature sans ladétruire.

Le voyageur qui parcourt lasavane, en Afrique de l'Ouest parexemple, remarque une forêt denseou un petit bois qui ont été respectésparce que sacrés. Ces espaces fontactuellement l'objet d'étudesmenées pour le compte de I'Unesco,notamment en Casamance (Séné¬

gal). Le Casamançais Eugène Faty aobservé pour I'Unesco la forêt sacréed'Oussouye, au sud de Dakar. Il estinterdit d'y pénétrer. Les fruits y sontintouchables. Ils tombent à terre et

les graines, en germant, donnentnaissance à un sous-bois touffu.

Arbres et animaux sont strictement

protégés. Des prélèvements ne sontautorisés que lors des initiationsqui ont lieu tous les vingt ou vingt-cinq ans. Si un arbre doit être coupéou un animal tué, il faut d'abord lui

demander pardon. La même atti¬tude se retrouvait traditionnellement

chez les chasseurs de Parakou et de

Savé, au nord du Bénin. Les chas¬

seurs étaient également guérisseurs.Ils entretenaient des liens étroits

avec la faune et la flore, dont ilssavaient tirer des médicaments. Tous

n'avaient pas le droit de tuer le lionou le buffle. Avant et après la chasse,les privilégiés devaient offrir dessacrifices qui leur coûtaient fort cher,ce qui régulait tout naturellementles prélèvements.

LA NATURE A LIVRE OUVERT

Bien que la colonisation blanche aitgravement altéré la qualité de vie

des Aborigènes d'Australie, ceux-cicontinuent à interpréter la nature àlivre ouvert. N'ayant ni montre, nicalendrier, ils se laissent guider par lafloraison des plantes ou des arbres.Ainsi, lorsque s'épanouissent desfleurs d'un blanc laiteux, appelées«fleurs d'huître», les huîtres sont

grasses et blanches, prêtes à êtrerécoltées. La floraison de la bruyèrerose de Darwin (Territoire du Nord)

indique que le miel est abondant.La nourriture est intimement liée à la

religion: les hommes, la terre, les ani¬maux et les plantes appartiennentà un vaste système de lois créées lorsdu «Temps du rêve», par les espritsdes ancêtres. Les fourmis à miel de

Papunya, au centre du pays, sontune réincarnation bienfaisante de

ces esprits, car elles fournissent auxAborigènes les sucreries dont ils sontfriands. Certains aliments devien¬

nent des totems, qu'il est parfoispermis de consommer au cours decérémonies, ce qui en même tempspermet de réguler chasse etcueillette. Chez les Tiwi de l'île

Bathurst, non loin de Darwin, la cou¬

tume exige de toujours remettre enterre un morceau d'igname, afin quele tubercule se régénère aussitôt.

Auxîles Tonga, la pêche au requinest une activité rituelle. Loin de toute

préoccupation de rendement et deprofit, cette pêche n'autorise pas lasurexploitation des richesses de lamer. «Dans tout le Pacifique, écritMarie-Claire Bataille-Benguigui, duMuséum national français d'histoirenaturelle, le requin est un animalprivilégié, sinon sacré; selon les lieux,il est l'incarnation de dieux ou

d'ancêtres.» Aux îles Tonga, il est unprésent d'amour de la déité Hina,figure féminine observée dans lalune, au monde des hommes. Har¬

ponné, péché au filet ou auncoulant, le squale est partagé mais ilne peut être vendu et ses morceauxne doivent pas sortir du village. Tou¬tefois, la pêche traditionnelle tendà disparaître au profit de techniques

28

Fête d'initiation

dans la forêt de

Kalounaye

(Sénégal).

plus efficaces et plus dangereusespour le milieu.

Au Bhoutan, petit royaume situéau nord-est de l'Inde, ce sont aussi

les croyances religieuses qui pro¬tègent l'environnement. Selon unespécialiste, qui y a séjourné unedizaine d'années, les Bhoutanais,

imprégnés de philosophie boud¬dhique, ont un grand respect pourles cours d'eau et les montagnes,dont il est interdit de gravir certainssommets. Parce qu'on ne tue jamaispour le plaisir, des espèces ani¬males devenues très rares, comme

la panthère des neiges ou l'ours àcollier, y vivent en paix. De même,lorsque les grues à col noir venuesde Sibérie ou du nord du Tibet pourhiverner se posent en grandsgroupes dans les champs, la popu¬lation, qui respecte les oiseaux, yvoit un excellent présage.

En revanche, la forêt n'a pas étéépargnée. L'affouage et les défriche¬ments en ont gravement compromisl'équilibre. Aussi, le gouvernementvient-il de lancer un programme de8,9 millions de dollars pour amé¬nager de grandes réserves forestièreset inciter les fermiers à planter desarbres autour de leur domaine, car lebois couvre 98% de leurs besoins en

énergie. Un rapport de la Banquemondiale indique toutefois que«l'exploitation abusive de la forêt nesemble pas pour autant susciter deprise de conscience parmi la popu¬lation» qui, de plus, s'accroît à unrythme rapide.

En Bolivie centrale, et plus pré¬cisément à Cochabamba où, depuistrois ans, travaille le forestier Michel

Schlaifer, comment, en voyant desterrains nus, érodés et secs, pour¬rait-on croire qu'au 19e siècle encorey poussait une végétation tropicaleluxuriante? Qui porte la responsa¬bilité de cette destruction? Les

arbres tenaient une grande placedans la mythologie inca: «Lesracines, écrit ce spécialiste, font lelien avec les ancêtres du monde

"d'en bas"; le tronc représente lemonde "actuel" et les branches

symbolisent la relation avec lesdieux du monde "d'en haut".» Dans

son Histoire du Nouveau Monde

(1653), l'historien espagnol BernabéCobo observe que l'on brûle plusde bois en un jour dans la maisond'un Espagnol qu'en un mois chezun Indien. En effet, les Espagnolscuisinaient plusieurs fois par jouralors que les Indiens préparaienten une seule fois tous leurs aliments

de la journée. L'architecture colo¬niale, à la différence des cases en

pisé, a fait appel au bois (char¬pentes, meubles, portes). Les nom¬breuses mines réclamaient des étais

et autres pièces de soutènement.Plus tard, la construction des che¬mins de fer a demandé traverses et

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-

Pêcheur

lacandon à

Bonampak,

dans la

Réserve de

biosphère

Maya

(Mexique).

combustible. Et personne ne s'estattaché à reboiser.

LE ROLE DU SACRE

La responsabilité de la rupture del'équilibre entre l'homme et la naturen'incombe toutefois pas uniquementà la colonisation qui a trop souventprivilégié les cultures de rente et leprofit rapide. Selon certains spécia¬listes, faute d'avoir été protégé par untabou, le «moa» de Nouvelle-Zélande

(ou dinornis) un oiseau géantincapable de voler et proie trop faciledes chasseurs polynésiens aaujourd'hui disparu. En Nouvelle-Calédonie, où l'on poursuit desrecherches dans ce domaine, la dis¬

parition de la macrofaune s'expli¬querait pour des raisons analogues.

Le sociologue zaïrois SimonMukuna souligne toutefois que lesgestes observés chez les populationsautochtones et que l'on assimile troprapidement à une protection del'environnement sont d'une autre

nature. Siles Baoulé de Côte d'Ivoire

respectent les arbres de la montagnesacrée, c'est parce que les esprits desmorts habitent ces arbres, et qu'illeur faut préserver une harmonieentre eux et les esprits de la forêt. Lasacralisation de la nature serait-elle

sa meilleure protection? Luis VUloro,philosophe mexicain, écrit dans larevue Diogène (n°159, juillet-sep¬tembre 1992, pp. 64-66) à propos dela civilisation aztèque: «Le sacréordonnait son temps et son espace,imprégnait ses institutions, ses acti¬vités quotidiennes, ses créationsartistiques, était à la base de toutes

ses croyances (...) Les dieux sont uneprésence tangible en toutes choses,les arbres, les fleuves, les montagnes,les phases du temps, les dimensionsde l'espace, les activités journalièresdes hommes (...) Avec le mono¬théisme transcendant a commencé

la désacralisation de la nature et de

la société. L'éloignement du sacrés'accentua à partir de la Renaissance.La nature n'est plus vestige et signede la divinité, mais devient un objetmanipulable destiné à être maîtriséet façonné par l'homme.»

Au Ghana, c'est bien la sacralisa¬

tion des forêts qui a permis leurconservation. Aussi, I'Unesco vient-

elle de lancer un projet de trois ansintitulé: «Cooperative integrated Pro¬ject on Savanna Ecosystems inGhana». Il s'agit d'étudier, avec l'aidedes féticheurs, des communautés

villageoises, des fermiers, desfemmes et des autorités locales, les

forêts sacrées soigneusement pré¬servées afin de reconstituer alen¬

tour, sur ce modèle, la flore origi¬nelle la mieux adaptée au climat etau sol. Un bel exemple de valorisa¬tion du savoir et des pratiques despopulations autochtones, en cetteAnnée internationale qui leur a étéconsacrée.

Drapeaux

de prière au

Bhoutan.

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AUTOUR DU MONDE qUAND la PROSPÉRITÉ AUGMENTE LA POLLUTION

30

COMMENT BLANCHIR LA

MER NOIRE?

Chaque jour, 5 grands fleuves (leDanube, le Dniepr, le Dniestr, le Donet le Kuban) et 165 millions d'habi¬

tants de 17 pays déversent leur pol¬lution dans la mer Noire. Eaux usées

des villes, pesticides et engrais agri¬coles, déchets rejetés par les usines etpétrole déversé par les navires ontdéjà provoqué de graves dommages.Les algues, en proliférant dans l'eaupolluée, ont tué la vie marine et ruinéla pêche jadis florissante. Les prisesde poissons sont tombées, parexemple, de 900 000 tonnes en 1986à 100 000 tonnes en 1992. De nom¬

breuses plages sont interdites à labaignade, privant ces régions desrecettes du tourisme. Aussi, les six

pays riverains, Bulgarie, Géorgie,Roumanie, Russie, Turquie etUkraine, ont-ils décidé de réagir enlançant un projet triennal de 30 mil¬lions de dollars avec l'aide du

Fonds pour l'environnement mon¬dial afin de rétablir l'équilibre éco¬logique de la mer Noire. La tâche serarépartie entre les pays concernés.Ainsi, la Roumanie travaillera sur les

entreprises de pêche, la Géorgie surla diversité biologique et la Bulgariesur les mesures d'urgence à adopteren cas de catastrophe.

LE PETROLE SE DETECTE

A QUATRE PATTESPour détecter les fuites de pétrole,de gaz naturel ou de produits chi¬miques dans les pipelines enterrés,une compagnie canadienne, Impe¬rial Oil Resources Limited, a eu l'idéed'embaucher des chiens renifleurs.

Des labradors, abandonnant leur

vocation de chasseurs de drogue oude conducteurs d'aveugles, par¬viennent à localiser des fuites qui seproduisent à plus de cinq mètressous terre. Pour ce faire, une sub¬stance fortement malodorante est

introduite dans le conduit suspect.C'est cette substance chimique par¬ticulière, développée spécialementpar la firme canadienne, que détec¬tent en fait les chiens. Selon Ron

Quaife, d'Impérial Oil, qui a eu cetteidée brillante, sur 136 opérations,les chiens n'ont échoué que deuxfois et ont fait économiser à leurs

employeurs des millions de dollars.

Dans de nombreuses villes

d'Europe centrale et orientale, enété comme en hiver, des épisodes desmog mettent en danger la santédes habitants. A Cracovie, parexemple, des malades atteints demaladies respiratoires vont passer lanuit dans la mine de sel de Wie-

liczka pour tenter d'y trouverquelque soulagement. Si cesbrouillards industriels ont prati¬quement disparu de toutes lesgrandes villes d'Europe de l'Ouest,ils se multiplient à l'Est où le parcautomobile démuni de pot cataly-tique double tous les sept ans. Lesmogd'hiver est causé par un cock¬tail de polluants dits «primaires»:dioxyde de soufre, particules en sus¬pension, oxydes d'azote etmonoxyde de carbone. En été, il estdû à l'ozone, un polluant dit «secon¬daire», né de réactions chimiques

LA MER ATTAQUE LESARBRES

Sur plusieurs façades maritimes duglobe, les arbres jaunissent et dépé¬rissent. La côte méditerranéenne

française est touchée, tout comme lacôte italienne dans la région del'embouchure de l'Arno, en Toscane.

En 1992, l'Institut national françaisde la recherche agronomique (INRA)a lancé un programme pour étudierles embruns marins. Conclusion:

ceux-ci concentrent les détergentset les hydrocarbures présents à lasurface de la mer. Transportés parles vents, ces polluants attaquent lesfeuilles et les aiguilles de pin, dégra¬dent leur surface et permettent au seld'ypénétrer. Le remède sera d'autantplus difficile à trouver que les villescôtières et le trafic maritime ne ces¬

sent de se développer.

complexes entre les polluants pri¬maires et le rayonnement solaire.Bratislava (Slovaquie), Budapest(Hongrie) et Prague (Républiquetchèque) sont sérieusement mena¬cées, d'autant que plus le niveau devie s'élève, plus le nombre de véhi¬cules en circulation augmente, plusles particuliers se chauffent et plusles industries produisent, d'où unepollution accélérée.

POUR BIEN COMPRENDRE RIOLe «Centre pour notre avenir à tous» vient de publier unremarquable petit livre intitulé: Sommet de la Terre1992. Un programme d'action. Version pour le grandpublic de l'Agenda 21 et des autres accords de Rio. Diviséen quatre parties, il présente les dimensions sociales etéconomiques de l'Agenda, la conservation et la gestiondes ressources, le rôle des principaux secteurs de lasociété et la mise en d'un développementdurable. Tous les thèmes liés à l'environnement sont

traités en une ou deux pages illustrées de tableaux et degraphiques d'une grande clarté. Existe en français, enanglais, en espagnol, en italien et en russe (en prépa¬ration: polonais, tagal et catalan).

S'adresser au «Centre pour notre avenir à tous»,52, rue des Pâquis, 1201 Genève, Suisse. Tél.: (41-22)732 71 17; télécopie: 738 50 46.

*

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LE MANIOC LE PLUS

FROID DU MONDECe tubercule qui nourrit environ800 millions d'hommes sur la pla¬nète, soit un être vivant sur sept, estétudié par le Centre internationald'agriculture tropicale (CIAT) deCali, en Colombie. En le plongeantdans l'azote liquide à -196°C, sescellules cessent de fonctionner et

les plants de manioc peuvent êtreconservés indéfiniment. Comme

l'affirme Rigoberto Hidalgo, unchercheur du Centre: «La diversité

biologique ne peut pas être recrééesi elle disparaît; aussi, les banquesde gènes garantissent-elles les res¬sources alimentaire du futur.» Le

CIAT, qui a réussi, en 1991, àcongeler des parties de plantes dansde l'azote liquide, à les en ressortiret à les faire pousser normalement,envisage déjà d'étendre ce procédé

jusqu'ici appliqué seulement àla conservation du manioc à

d'autres espèces tropicales tellesque la pomme de terre, la patatedouce et la banane.

PROTEGER L'ARCHIPEL

DES BIJAGOSEntre Sénégal et Guinée, la Guinée-Bissau est formée d'une partie conti¬nentale et d'un chapelet d'îles quifont désormais partie du réseauArchipel (Réseau des réserves de labiosphère insulaires et côtières),intégré au programme l'Homme etla biosphère (MAB) de I'Unesco.Constitué d'un ensemble d'environ

80 îles couvrant quelque 900 km2,l'archipel des Bijagos présenté ungrand intérêt dans le domaine del'anthropologie sociale et culturelleet sur le plan ornithologique. Bienque son environnement soit encorepréservé, des constructions nou¬

velles commencent à s'implantersur le littoral pour encourager le tou¬risme: leur prolifération pourraitmenacer l'intégrité du site. Aussi, legouvernement et des organisationsnationales et internationales ont-

ils décidé de promouvoir la réalisa¬tion d'un Parc national et d'une

Réserve de biosphère. Un travail quia d'autant plus de chances d'aboutirqu'il s'accompagne d'une campagnede sensibilisation, d'information et

de formation des populationslocales et d'un projet de planifica¬tion côtière dont sont déjà issuesplusieurs cartes d'utilisation des sols

de la Guinée-Bissau et de l'archipeldes Bijagos.

INITIATIVES

CONSERVATION INTERNATIONAL

yoilà six ans que Conservation International (CI),une organisation non gouvernementale américaine,cherche à innover dans le domaine de la protec¬tion de la nature. C'est elle qui réalise, en 1987, le pre¬mier échange dette-nature, en rachetant sur le

marché une partie de la dette extérieure de la Bolivie.Grâce aux devises réunies par CI, le gouvernement est enmesure de classer en «réserve de biosphère» 1, 5 milliond'hectares de la forêt tropicale humide du Béni, au centredu pays.

Plus ambitieux encore est le projet destiné à dépasserles frontières politiques entre les écosystèmes en défi¬nissant des «bio-régions». Ainsi un accord a pu êtreconclu entre le Costa Rica et Panama pour créer la réservede biosphère LaAmistad. Dans le même esprit, en 1991,CI réunit des représentants du Guatemala, du Mexiqueet du Belize afin de définir un espace de forêt tropicalecorrespondant à l'ancien empire Maya. Au Guatemala,25 000 kilomètres carrés deviennent la réserve de bio¬

sphère Maya et d'autres réserves la complètent dans lespays voisins.

Ces grandes actions, poursuivies actuellement dansdix-sept pays et qui ont valu à CI sa notoriété, sontaccompagnées de nombreuses activités annexes. Ainsi,des équipes de spécialistes de CI procèdent à l'évaluationrapide de la diversité des espèces animales et végétalesde régions inconnues en Amazonie ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée. De même, ils exploitent les systèmesd'information géographiques pour identifier les zones lesplus intéressantes à protéger dans une région et à enorienter la gestion. CI encourage les jeunes du CostaRica et du Surinam à étudier la pharmacopée tradition¬nelle auprès des chamans, afin que leur science ne soitpas perdue. En même temps, elle promeut l'exploitationdurable des multiples ressources de la forêt, telles qu'unenoix de palme, appelée aussi tagua ou ivoire végétal, les

plantes ornementales, les épices,les cires ou les résines. Ainsi, au Gua¬

temala, des villageois recueillentdu chicle, latex d'un arbre, qui sertde base au chewing-gum.

CI a pleinement adopté leconcept défini par I'Unesco de«réserve de biosphère» où laconservation de la nature est asso¬

ciée au développement des popu¬lations locales et à la recherche

scientifique (dans son conseil^d'administration siège notam¬

ment Michel Bâtisse, ancien

sous-directeur général dessciences à I'Unesco) . L'Unesco et

CI ont réalisé un film pédago¬gique intitulé «Réserves de labiosphère en Amérique tropi¬cale» disponible en français,anglais, espagnol et portugais.

I Conservation International,1 1015 Eighteenth St. N.W.

Suite 1000, WashingtonI DC. 20036 Etats-Unis.I Téléphone: (202) 429 56 60.I Télécopie: (202) 887 51 88

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L'intellectuel:

un agent de liaison?Les intellectuels ont un rôle d'éclaireur dans l'exploration des enjeux de

demain. Insensibles aux sirènes des doctrinaires et des utopistes qui ont

égaré tant de leurs aînés, ils feront nuvre utile à condition de délimiter

exactement le champ de responsabilité qui leur est propre.

,

<:

4&Cl

Poser les bonnes

questionspar Dileep Padgaonkar

32

DILEEP PADGAONKAR,

journaliste indien, ancienfonctionnaire de I'Unesco où il

a notamment dirigé l'Office de

l'information du public, estactuellement rédacteur en chef

du Times of India (New Delhi).

SOMMES-NOUS tous dépassés par les évé¬nements? Nous n'avons pas su prévoir lechaos, l'anarchie et la violence qui sévissent

un peu partout depuis quelques années. Nousn'étions pas prêts, ni intellectuellement ni mora¬lement, à affronter l'implosion de l'Union sovié¬tique, les flambées de haine ethnique, nationalisteou religieuse en Europe, en Asie et en Afrique,le spectacle d'hommes trop affamés ou terroriséspour énoncer une pensée cohérente, voireexprimer le moindre sentiment.

Nous ne savons plus poser les bonnes ques¬tions. Lcs nobles interrogations auxquelles nouspoussaient, pas plus tard qu'hier, notre vision dumonde ou nos choix idéologiques, n'inspirentplus que la dérision, le mépris ou, pire encore,

une molle indifférence. Nous ne sommes plus àla hauteur de notre vocation, qui est de faire lelien entre les hommes et les événements, entre les

grands courants qui traversent notre époque etla vie des idées. Et c'est par impuissance quenous nous laissons aller de plus en plus à justi¬fier les forces incontrôlables qui s'emparent denos esprits en jouant les Cassandres ou en nous

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all y a plus de vérité dans

l'encre des savants que dans

le sang des martyrs»,

technique mixte sur toile

(0,89 x M 6 cm) du peintre

marocain Hamid.

répandant sans retenue sur nous-mêmes. Nousne savons plus dire, avec Malraux: «Qu'importece qui n'importe qu'à moi?»

Mais comment pourrions-nous éviter denous interroger sur nos parti pris, sur la logiqueque nous avons suivie et les buts que nous noussommes donnés tout au long de notre parcoursd'intellectuels? Ce sont, reconnaissons-le, de

grandes questions auxquelles on ne peutapporter que des réponses hésitantes, vagues ettrès générales. Mais nous n'avons plus le droit deles éluder. Conservateurs, libéraux ou marxistes,le progrès était généralement pour nous unedonnée linéaire et mesurable. Il consistait à «aller

de l'avant» en s'appuyant sur le capital, la tech¬nologie, le management, le marketing ou, selonsa position sur l'échiquier idéologique, sur larépartition des avoirs et des revenus, la créa¬tion de biens et de services culturels.

Nous pensions que le bien-être matériel,l'ordre social et la réciprocité des échanges cul¬turels étaient des objectifs communs à l'ensemblede l'humanité, auxquels s'opposaient les intérêtsde classe, l'esprit mercantile et l'insatiable appétitde pouvoir et d'influence de certains pays ougroupes de pays. Nous avions des a priori liber¬taires et égalitaires. Et nous mettions notre foidans la raison et la logique. Nous avons toujourscru que le progrès économique, la justice sociale,l'éducation, la culture et la santé, l'égalité devantla loi et toutes les garanties de la démocratienous mettaient définitivement à l'abri des pré¬jugés, de la haine et du pharisaïsme.

Faux messianismes

Nous avions tort. On peut le dire avec le recul,nous avons sous-estimé plusieurs facteurs quijouent aujourd'hui un rôle de premier plan dansnos destinées individuelles et dans le devenir

des peuples et des nations. Ainsi, nous nesommes pas suffisamment intéressés au fait que,dans deux domaines essentiels l'économie et

l'information , les pouvoirs de décision desautorités locales ou nationales étaient, de plus enplus souvent, confisqués par des oligarchiestransnationales: banquiers, spéculateurs, illu¬sionnistes des grands médias. Dans ces deuxdomaines, la souveraineté des Etats est quoti¬diennement battue en brèche au nom du marché

libre, de l'interdépendance des économies et dela libre circulation des idées et des images.

Nous n'avons pas vraiment su voir quel'espoir grandissant d'une vie meilleure, mesurée

à la seule aune de la consommation, ne pouvaitqu'engendrer des frustrations, et que celles-cientraîneraient l'atomisation et la déstabilisation

des sociétés, ainsi que la désorganisation pro¬gressive des institutions chargées de protégerles hommes et les biens, de dispenser la justice etde tempérer l'âpreté des rapports sociaux. Faceà cette défaillance des individus, des sociétés et

des organes de gouvernement, faux messia¬nismes et millénarismes de pacotille promet¬tent en vrac la stabilité sociale, le réconfort spi¬rituel et la prospérité matérielle. Restéesmarginales après la seconde guerre mondiale,ces doctrines fantaisistes qui revendiquent un 33

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passé glorieux, libre de toute «impureté» eth¬nique, raciale, linguistique ou religieusemenacent aujourd'hui, au Nord comme au Sud,d'occuper le devant de la scène politique. Enne¬mies de la pensée, elles se méfient de l'objectivité,décrient la tolérance, méprisent le siècle et vouentla modernité aux gémonies.

Ne vous y méprenez pas. Ceux qui redoutentle désordre et la misère des temps sont d'autantplus sensibles aux sirènes de l'intégrisme qu'ilssont profondément déçus par le discours rationnelet laïque, avec ses promesses sans lendemain, salangue de bois, son hypocrisie et son arrogance.Moralement, le discours des fondamentalistes et

«purificateurs» de toute obédience n'est guèreplus convaincant. Mais bien peu, aujourd'hui,acceptent d'entendre un tel argument.

L'Inde d'où je viens n'est plus celle duMahatma Gandhi et de Jawaharlal Nehru, où jesuis né et où j'ai grandi. Lorsque ces deux géantsdominaient le pays, nous étions tous confrontésà un impérieux pari: gommer progressivement,sinon supprimer, les différences qui nous sépa¬raient dès la naissance de par la religion,l'appartenance à une caste, la langue et lesattaches provinciales afin de mieux nousrejoindre au sein d'une vaste communauté natio¬

nale où toutes les cultures et toutes les religionsavaient leur place. En paix avec nous-mêmes,nous le serions aussi avec l'univers entier.

Un double piègeNous professions alors la démocratie, la laïcité,le socialisme et le non-alignement. Nous noustarguions d'être une vieille civilisation mais une

jeune nation, dont le peuple, pauvre et généra¬lement analphabète, avait cependant le pouvoirde choisir et de révoquer son gouvernement.Nous jouissions de la liberté de presse, et malgréla partition religieuse qui divisait notre paysdepuis 1947, nous refusions, de ce côté-ci de laligne de partition, de nous engager sur la voie dela théocratie. Nous étions persuadés que l'hin¬douisme, qui tient son génie de son éclectisme etde sa tolérance, nous préserverait du confor¬misme, et que notre système politique se gar¬derait des excès du capitalisme comme du com¬munisme. Nous allions bâtir un pays modernesur les soubassements d'une civilisation millé¬

naire, qui avait donné à l'humanité de grandespensées philosophiques et quelques-unes de sesplus belles éuvres d'art.

Aujourd'hui, l'argent et la force brutale ontremplacé les programmes politiques. La cor¬ruption est partout. Les gens ne croient plusguère en l'équité ni en l'efficacité de la justice.Notre laïcité elle-même est menacée par l'exploi-tation de la religion à des fins électorales. On

¡» T incite les minorités à rejeter toute réforme sous

La Panique ( 1 987),

gouache sur papier

(57 x 82 cm) du peintre

tunisien Gouider Triki.

prétexte qu'elle menacerait leur identité. Quantà la majorité, on l'a convaincue qu'elle avaitassez fait de concessions aux minorités. Les par¬tisans de l'Etat laïque sont clairement sur ladéfensive.

En s'effondrant, l'Union soviétique aentraîné ce qui subsistait de l'héritage Nehru, àsavoir le socialisme et le non-alignement. L'inter¬dépendance économique consiste désormais àobéir purement et simplement aux diktats desinstitutions financières et des conglomératsinternationaux, quel qu'en soit le prix du pointde vue de la justice sociale et de la souveraineté

nationale. Quant au non-alignement, mieuxvaut ne pas en parler: c'est un combat qui acessé, faute de combattants. L'heure est au «prag¬matisme» et le pouvoir va désormais aux riches,

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aux puissants (surtout s'ils possèdent la forceatomique) ainsi qu'aux tenants de l'«ordre»politique et social.

Peu désireux de rejoindre le cirque média¬tique, foncièrement indifférent aux tentationsmarchandes, profondément méfiant à l'égarddes fondamentalistes, témoin impuissant face àdes nations qui abdiquent leur souveraineté etdes sociétés qui redéfinissent leur identité sur lemode agressif de l'exclusion, l'intellectuel setrouve apparemment confronté à deux conclu¬sions décourageantes: un, la ligne de partageNord/Sud n'est pas géographique, ni mêmeculturelle, elle est dans l'esprit des hommes soustoutes les latitudes; et deux, cette dichotomie

reste, pour l'instant du moins, insurmontable, carelle s'appuie sur la volonté de puissance chez lesuns, et sur la quête de soi chez les autres. Dansun cas elle se fonde sur les discours du Fonds

monétaire international et du Pentagone et deleurs agents partout dans le monde , tandis quedans l'autre elle s'inspire du discours religieux.Les nations se font ou se défont, mais les genssont de toute manière invités à sacrifier soit au

culte de Mammon soit à celui du Tout-puis¬sant, directement ou par le truchement de sesreprésentants ici-bas.

RééquilibrerFinanciers, communicateurs et religieux tien¬nent le haut du pavé: ils n'ont que faire de pen¬sées élaborées, de la logique ou de la raison sichère aux philosophes des Lumières. Le douteleur est étranger: leur seul souci est de vendre aumieux leurs certitudes. Le financier veut toujoursplus d'argent, le communicateur des messagesplus attrayants, et le religieux des explicationstoujours plus simplificatrices aux tourments del'âme. Bref, pour bien jouer son rôle, l'intellec¬tuel ne doit pas se contenter de dénigrer l'argent,se parer de la séduction des médias ou dénoncerla consternante platitude du discours fonda¬mentaliste, mais proposer des solutions qui nerelèvent ni d'une idéologie triomphaliste ni de sacontrefaçon, le fanatisme religieux.

C'est, bien sûr, plus facile à dire qu'à faire.Notre intellectuel pourrait néanmoins com¬

mencer par chercher à concilier les exigencesdu progrès économique entraîné par la scienceet la technique avec une gestion plus efficacedes ressources humaines et naturelles, le res¬

pect des droits de l'homme, la protection del'environnement, l'affirmation de l'identité cul¬

turelle sans agressivité ni apologie, ainsi qu'unsouci constant des aspirations spirituelles etmorales des individus partout dans le monde.Car si, aujourd'hui, le monde ne tourne plusrond, c'est sans doute parce qu'un de ces impé¬ratifs a pris le pas sur tous les autres.

Les participants à lapremière Rencontre desintellectuels et des créateurs

pour un seul monde

Tariq Banuri (Pakistan),

Tahar Ben jelloun (Maroc),

Jacques Berque (France),

Daniel J. Boorstin (Etats-Unis),

André Brink (Afrique du Sud),

Lester Brown (Etats-Unis),

Fawzia Charfi (Tunisie),

Mustafa Chérif (Algérie),

Jean Daniel (Le Nouvel Observateur),

Régis Debray (France),

Amos Elon (¡sraëi),

Luc Ferry (France),

Celso Furtado (Brésil),

Nathan Cardeis (Los Angeles Times Syndicate),

Susan George (Etats-Unis),

Bernard Guetta (France),

Mahmoud Hussein (Le Courrier de I'Unesco),

Joseph Ki-Zerbo (Burkina Faso),

Jean Lacouture (France),

Gilles Lapouge (0 Estado de Söo Paulo),

Flora Lewis (Etats-Unis),

Antonin Liehm (République tchèque),

Pavel Lounguine (Russie),

Adam Michnik (Pologne),

Edgar Morin (France),

Sami Naïr (France),

Ehsan Naraghi (Iran),

Olesegun Obasango (Nigeria),

Erik Orsenna (France),

Dileep Padgaonkar (Inde),

Stanley Sheinbaum (Etats-Unis),

Oliver Stone (Etats-Unis),

Alain Touraine (France),

Immanuel Wallerstein (Etats-Unis).

35

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Doublement responsablepar André Brink

Course de l'homme,

chronophotographie

géométrique partielle (1886)

d'Etienne Jules Marey.

Musée Marey, Beaune.

DANS un monde où les points de repère tra¬ditionnels s'estompent, il faut d'abord,bien entendu, préciser ce que nous enten¬

dons au juste par «progrès», par «Nord» et par«Sud». (Nord de quoi, Sud de quoi? La notion derelativité s'impose en l'occurrence, et depuisCopernic, plus personne n'adhère à la distribution«objective» entre deux hémisphères scindés parla neutralité de l'équateur).

L'idée de progrès est celle d'un mouvementorienté, d'un point vers un autre. Avant toutechose, il faut donc s'assurer, au niveau du langage,que le Nord et le Sud sont bien d'accord sur lespoints de départ et (au moins provisoirement)d'arrivée. On a eu trop tendance jusqu'ici àdécider que le point de départ était celui où setrouvait le Sud à un moment donné et le pointd'arrivé celui où se trouvait le Nord. Pour ma partj'estime qu'il faudrait à tout le moins s'inspirer dece que disait Camus à propos de la liberté et de lajustice: tout en sachant qu'elles sont inaccessiblesdans l'absolu, reconnaissons que, dans n'importequelle situation, il est toujours possible d'aspirerà davantage de liberté et de justice.

De quel progrès s'agit-il?Mais une fois posé ce postulat, encore faut-ildéfinir la nature du progrès auquel nous pen¬sons. S'agit-il de technologie, ou bien d'éco¬nomie, de normes sociales, de système judi¬ciaire, de politique? Là encore, c'est le point devue d'où l'on se place qui est déterminant. Il

n'est pas difficile de prédire la position des gensqui, dans l'hémisphère Nord, voient dans lafaillite du marxisme la preuve définitive du bien-fondé du capitalisme. Mais, la notion mêmed'universalité devient suspecte dès lors qu'on sedemande qui s'en fait l'avocat.

S'agit-il de progrès esthétique? Si oui, lagrande tradition occidentale (qui est celle del'hémisphère Nord) de la recherche de l'har¬monie, du culte des chefs-d'suvre, de l'excel¬

lence, de la beauté en général pourrait servir,sinon d'idéal de consommation, du moins de

point de départ un point de départ renducrédible par l'épreuve du temps. Mais il suffit depenser au contexte sud-africain pour ques¬tionner, sinon rejeter, une telle affirmation. Que«vaut» en effet une tradition héritée des anciens

Grecs, qui n'avaient tout le loisir de s'adonner

aux recherches esthétiques que parce qu'ils pos¬sédaient suffisamment d'esclaves pour s'acquitterdes tâches manuelles?

C'est la dangereuse distinction entre tâches«nobles» et tâches «subalternes» qui doit ainsiêtre remise en cause. (Et pourtant, commentdénoncer une tradition qui nous a donné lesduvres d'Homère et Sophocle, Chaucer et Ron¬sard, Michel-Ange et Shakespeare, Rembrandt,Mozart, Tolstoï et tant d'autres phares de la cul¬ture universelle?) En fait, dès qu'on parle devalidité, il faut immédiatement se demander

«validité pour qui», ce qui anéantit toute pré¬tention à l'objectivité comme à l'universalité. Il

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L'Aurore (détail), tombeau

de Laurent de Médicis dû à

Michel-Ange (v. 1521).

est tellement facile de faire de ces questions unenjeu parmi d'autres dans la bataille pour lepouvoir dont notre planète est le théâtre! Pour¬tant, je suis sûr, ou du moins je l'espère, quequand nous parlons de progrès aujourd'hui, cen'est certainement pas dans le sens d'un accrois¬

sement de l'efficacité des pouvoirs en place. (Ceserait plutôt le contraire: infléchir le pouvoir,minimiser le pouvoir pour exalter la liberté, lajustice et la quête de la vérité.)

En tant qu'écrivain, je serais plutôt enclin àparler avant tout de progrès culturel, ou de pro¬grès dans le contexte culturel: pour être précis,à mettre l'accent sur cette dynamique de laculture axée sur la production de sens et la défi¬nition de la moralité, de la responsabilité esthé

tique. Si l'on accepte encore une fois avec Camusqu'il n'existe pas de référence objective, absolue,en termes de systèmes de valeurs, on peut néan¬moins toujours tendre à un accroissement ou àun renforcement de ces notions de significationet de moralité, dans quelque contexte, social ou

autre, que ce soit.

Il est certain qu'on peut toujours chercher àaccroître l'impact de ses actes, de ses projets ou deses produits, c'est-à-dire leur signification ouleur portée morale, auprès d'un nombre croissantd'individus. On peut objecter que cela ne résoutpas le problème du point de référence: qui vadécider de ce qui rend un événement, un acteculturel plus moral, plus chargé de sens? Une foisde plus, le risque de se voir imposer des critères 37

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38

ANDRE BRINK,

écrivain sud-africain, est

professeur de littérature

contemporaine à l'université

de Rhodes (Afrique du Sud).Parmi ses auvres récentes

traduites en français: Etats

d'urgence (1990), Un Acte de

terreur ( 1 993) et Adamastor

(1993), toutes publiées auxéditions Stock, Paris.

de l'extérieur n'est que trop réel. (Mais qui sait sil'on ne peut précisément définir le sens du mot«valeur» en termes de risques à encourir, de dif¬ficultés à surmonter, de barrières à dépasser?)

L'intérêt d'une telle approche, selon moi,c'est qu'elle minimise les risques d'ingérenceen obligeant chaque individu à réfléchir sur sapropre expérience (culturelle ou autre). C'est

certainement le postulat idéal d'une véritabledémocratie, puisqu'elle fait de l'expérience dechacun le point de départ du progrès culturel,cette expérience restant néanmoins constam¬

ment insérée dans le contexte des échangessociaux et de la responsabilité collective.

Voilà qui va évidemment bien au-delà (sansnécessairement les exclure) des deux concep¬tions de la culture qui prédominent aujourd'huidans le monde: «aménagement des loisirs» auNord et «prise de conscience» au Sud.

L'intellectuel,

un animal dangereuxEt l'intellectuel dans tout ça? Nous savons

depuis La Trahison des clercs de Benda que lemot est suspect. Camus ne voyait-il pas en lui unanimal dangereux, capable de trahison? Maisqui entretient encore l'idée de l'intellectuel soli¬taire et désintéressé enfermé dans une tour

d'ivoire d'où il juge les actions humaines commeun arbitre souverain du Bien et du Mal? Nous

savons que le fameux «libre arbitre» des ratio¬nalistes n'était qu'une chimère: nous sommestous plus ou moins le jouet des idéologies, quenous en soyons conscients ou non; et le

marxisme nous aura au moins appris à accepternotre implication, pour ne pas dire notre enga¬gement, dans le contexte historique et social.

Sans que cela diminue pour autant notre res¬ponsabilité.

Responsabilité: c'est selon moi la notion clé

pour définir le rôle de l'intellectuel, dans le pro¬cessus du changement universel qui est le lot dechaque individu et de chaque société, commedans le contexte convulsif particulier à cette fin desiècle. Responsabilité aussi bien envers chaqueconscience individuelle qu'envers la collectivité;envers l'histoire aussi (c'est-à-dire pas seulementdans le présent, mais vis-à-vis du passé et del'avenir) et envers les valeurs qui constituent lespoints de référence de notre humanité: liberté,vérité, justice. Mais cette responsabilité doit aussis'exercer à ¡'encontre de tout ce qui comprometcette humanité, à commencer par les idéologies,les dogmatismes. Aujourd'hui, la devise de l'intel¬lectuel n'est plus «J'accuse», mais «J'assume maresponsabilité».

Cette responsabilité de l'intellectuel au ser¬vice du progrès devrait impliquer d'abord l'éli¬mination (en soi, au sein de la collectivité) des

attitudes et mentalités associées à nos clivagestraditionnels opposant civilisés et barbares, estet ouest, nord et sud, et qui se traduisent, auNord, par un sentiment de supériorité ethno-centrique, au Sud par une mentalité de victime

qui tend à rejeter sur les autres la responsabilitéde toutes les difficultés et de tous les problèmes.Là encore, on peut observer ces deux attitudes

de façon presque caricaturale en Afrique du Sudaujourd'hui; mais ce qui prouve la vérité decette observation, c'est qu'elle peut se vérifier unpeu partout dans le monde sous diverses formes

allant des plaisanteries racistes au génocide.

La tentation du pouvoirExercer sa responsabilité comporte un grandrisque, à savoir, une fois de plus, la tentationdu pouvoir. En Afrique du Sud, la minoritéblanche a longtemps imposé son discours et uti¬lisé sa maîtrise des médias et de la productionculturelle pour affirmer son pouvoir politique;et dans l'actuelle période de transition, il sem¬blerait que certains commissaires politiques (auxrelents curieusement paléo-staliniens) s'efforcentd'imposer aux autres leur idéologie pour sedéfaire de leurs opposants. Même si l'on com¬prend ce qui sous-tend de telles démarches, ellesne font que perpétuer le principe manichéenqui entraîné la ruine de l'ancien régime.

L'intellectuel, et je pense surtout à l'écrivain,doit donc distinguer entre les deux rôles quis'offrent à lui. En tant qu'écrivain, que créa¬teur, il doit faire appel à son expérience et à saconscience d'individu, assumer sa responsabilitéindividuelle d'artiste tendu vers l'excellence

(c'est dans ce sens que Marquez a pu dire qu'êtrerévolutionnaire pour un écrivain, c'est «écrireaussi bien que possible»). Mais l'écrivain peutêtre aussi une vedette, du fait qu'il est écrivain.(Le fait d'écrire bien quoi que cela puissesignifier dans tel ou tel contexte lui vaut une

notoriété dont il peut se servir pour influencerle débat socio-culturel et politique). Il est indis¬pensable de ne pas confondre ces deux aspects.Le premier rôle comporte un seul danger, celuide l'isolement; mais je crois que c'est le prixque la société doit être disposée à payer enéchange de la promesse (et non de la garantie)d'un produit culturel de qualité. Car il n'est paspossible de programmer l'écrivain (pas plus quen'importe quel créateur) puisque c'est la totalitéde l'individu au sein de la société qui s'investitdans cette démarche créatrice. Il est significatifqu'en Afrique du Sud, après des décennies de lit¬térature militante (souvent de très grande qua¬lité, je m'empresse de le souligner), l'ANC lui-même privilégie de plus en plus dans son actionculturelle ce qui touche à la responsabilité del'individu en tant qu'acteur imprévisible.

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H )

ai pi!

p

La deuxième fonction de l'écrivain (agentculturel) comporte un danger tout aussi réel,celui de collusion avec les pouvoirs, qu'on nepeut évacuer, ni nier. Dans un monde ultra-médiatisé, cette fonction de l'écrivain lui offre un

énorme pouvoir potentiel. C'est justement pourcela qu'il faut en revenir à la notion de respon¬sabilité envers toutes les forces sociales et

morales que j'ai évoquées plus haut.Pour conclure, je dirai que le processus du

progrès culturel confirme et transcende à la foisles différences que nous associons à la distinctionentre le Nord et le Sud. L'exploration créatricede nos différences nous amène à affirmer notre

commune humanité; une même soif d'excel

lence suscite le respect mutuel; c'est par notreadhésion à l'humanité que nous créons un espacepour chaque individu; et c'est en assumant notreresponsabilité que nous nous autorisons réci¬proquement à revendiquer notre pleine valeur entant que membres de la grande famille humaine.Le progrès est le même pour tous, et jamaispourtant le même; il postule au départ une prisede conscience de nos différences et de notre

diversité, mais ne cesse jamais d'affirmer quetous autant que nous sommes, hommes etfemmes du Nord comme du Sud, nous sommes

aussi faibles que le plus faible, aussi fort que leplus fort d'entre nous. Ce que je suis, nous lesommes, ce que nous sommes, je le suis.

Sans titre (1 992), collage

(160 x 120 cm) de l'artiste

français Pascal Lièvre.

39

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40

181

C'est le nombre d'Etats membres

que compte I'Unesco au 28octobre 1 993. Parmi les derniers à

avoir signé à cette date l'Acteconstitutif de l'Organisation: laSlovaquie, la République tchèque,le Tadjikistan, la Bosnie-Herzégovine, l'ex-Républiqueyougoslave de Macédoine, leTurkménistan, l'Erythrée, les IlesSalomon, Andorre, l'Ouzbékistan

et Nioué.

APPRENDRE POUR UN SEUL

MONDE

Le Système des écoles associéesde I'Unesco (SEA), qui compteplus de 2 900 établissements de

1 16 pays, de la maternelle à l'écolenormale d'instituteurs, a célébré

son quarantième anniversaire le 17septembre 1993. Ce réseauinternational vise à renforcer partoute une série d'initiatives

(programmes d'échanges scolaires,formation des enseignants,méthodes pédagogiques,publications et matériel audiovisuelentre autres) le rôle de l'éducationpour former des citoyens avertis etconscients de leur responsabilitédans la communauté

internationale. Son action s'est

concentrée, ces dix dernières

années, sur quatre domainesd'études principaux: les problèmesmondiaux, le rôle du système desNations Unies pour les résoudre,les droits de l'homme, la

connaissance des autres cultures et

la sensibilisation à l'environnement.

LE LIVRE INTERNATIONAL

DE LA PAIX

Le Livre international de la paix aété présenté le 1 2 octobre au

Siège de I'Unesco à Paris. Les prixNobel de la paix mère Teresa,Rigoberta Menchu et le présidentpolonais Lech Walesa, le pape Jean-Paul II, l'ancien président sénégalaisLeopold Sédar-Senghor sont parmiles signataires du Livre qui se sontpersonnellement engagés pour que«la paix ne soit plus définie parl'absence de guerre et de violence,mais devienne un objectif

volontairement fixé et sans cesse

reconstruit». Placé sous la

présidence d'honneur de FedericoMayor, directeur général deI'Unesco, l'ouvrage rassemble lesmessages de plus de deux centspersonnalités de soixante-douzepays, parmi lesquelles l'écrivainlibanais Amin Maalouf, la cantatrice

américaine Barbara Hendricks,

Boutros Boutros-Ghali, secrétaire

général de l'Organisation desNations Unies, l'ancien chancelier

allemand Willy Brandt et JohanJörgen Holst, ministre norvégiendes Affaires étrangères, qui a jouéun rôle de premier plan dans lerécent accord israélo-palestinien.

CARTES INTERNATIONALES

JEUNES/ÉTUDIANTSPlus de trois millions de jeunes,dont soixante pour centd'Européens, possèdentactuellement une carte de la

Fédération des organisationsinternationales des voyages dejeunes (FIYTO) et la Conférenceinternationale du tourisme

étudiant (ISTC). Destinée auxmoins de vingt-six ans et auxétudiants, elle facilite l'accès aux

musées et aux manifestations

culturelles, et permet de voyager àdes conditions avantageuses. Le 8octobre à Vienne, I'Unesco a signéavec la FIYTO et l'ISTC un accord

pour la promotion de ces «cartesinternationales jeunes/étudiants».En les rendant accessibles à un plusgrand nombre de jeunes, onrenforcera les échanges à travers lemonde et on contribuera à une

meilleure compréhension desdifférences.

COMITE INTERNATIONAL DE

BIOÉTHIQUE: PREMIERE SESSION

La première session du Comitéinternational de bioéthique (CIB)s'est tenue au siège de I'Unesco les15 et 16 septembre 1993. Unequarantaine d'éminentespersonnalités scientifiques y ontexaminé un rapport sur le génomehumain préparé par une équipeinterdisciplinaire que dirigeaitNoëlle Lenoir, présidente du CIBet membre du Conseil

constitutionnel français. Le Comité

a chargé son bureau de définir laforme et le contenu d'un éventuel

instrument normatif international

pour la protection du génomehumain et de rédiger un rapportsur les quatre thèmes qui serontexaminés lors de la deuxième

session du CIB en 1994, à savoir: le

statut de la connaissance en

génétique; la génétique despopulations, développement etdémographie; les applicationsthérapeutiques des recherches engénétique; le dépistage génétiqueet les tests génétiques individuels:facteurs de liberté ou sources de

contrainte?

LA

CHRONIQUE

FEDERICO

NAYOR

Le Directeur général

de I'Unesco, tout

récemment réélu par la

Conférence générale,

dessine pour les lecteurs

du Courrier les grands

axes de sa réflexion et de

son action

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((ÉCOUTER LE BLÉ OUI LÈVE»

HOTRE fin de siècle vit un tournant historique. Parce qu'unordre ancien s'est défait, l'écorce du monde craque detoutes parts, comme si l'histoire était soumise à la tecto¬

nique des plaques.Nous ne pouvons assister en observateurs passifs aux chan¬

gements accélérés par lesquels ce monde, le nôtre, s'adapte à desbouleversements économiques, sociaux et culturels sans précédent.Nous avons l'obligation d'inventer les nouveaux passages quiaffranchiront l'espèce humaine des défis et des peurs de cette finde siècle.

Certes, la pauvreté et le sous-développement, l'analphabétismeet l'inégalité d'accès à la santé, les guerres et les génocides, la faimet la malnutrition, le surendettement, le chômage, l'inégalitéentre les hommes et les femmes, les disparités inacceptablesentre l'extrême richesse et l'extrême misère, l'explosion démo¬graphique, les affrontements entre communautés, tout cela ne dateni d'aujourd'hui ni même d'hier. Ce n'est pas moi qui ferail'éloge des années 60 ou 70. Ces années-là, en vérité, n'ont étébelles que pour quelques-uns. Pour la grande majorité, ce furentdes années de plomb, où la détresse humaine était refoulée sousle couvercle épais des dictatures et des régimes totalitaires.

Mais aujourd'hui, c'est l'espoir né de la révolution démo¬cratique, à l'Est comme au Sud, qui se change en anxiété etnourrit le désespoir, face au gouffre qui se creuse entre l'idéal etle réel, entre les aspirations des peuples et l'immensité des pro¬blèmes, face à l'échec du développement dans de vastes régionsdu monde. Et surtout face à la faillite de cette recherche du bon¬

heur poursuivie dans les pays les plus avancés, où les procé¬dures et mécanismes habituels se sont révélés périmés.

Il faut inventer l'avenir, il faut redistribuer avec imagination letravail et le loisir. Il faut donner un peu de nous-mêmes. Il faut «sedonner» un peu dans la recherche de nouvelles approches. Il fautmieux partager la seule richesse qui nous reste encore intacte: lefutur.

Avant l'irruption de la modernité, l'activité économique étaitconçue dans les société dites «traditionnelles» comme un momentparmi d'autres de l'existence. Elle était inscrite dans un cycled'impératifs définis par les rythmes de la nature, les systèmes decroyance et les rapports sociaux. Les moyens de productions'affirmaient ou se transformaient lentement, au fil des siècles, enharmonie avec l'environnement et les saisons, en symbiose avec lesmythes et les coutumes. L'initiative individuelle s'intégrait à l'aven¬ture collective. Chaque membre d'une même communauté socialepouvait avoir une appréhension globale de la culture, des normesgénérales du groupe auxquelles il ajustait ses comportements.

C'est essentiellement en Europe que s'est opérée d'abord la rup¬ture rapide de ces équilibres. Avec le progrès de la science et de latechnologie et l'avènement des sociétés industrielles, s'est ins¬tauré de plus en plus un système d'organisation et de productionqui a eu tendance à séparer l'individu de la collectivité, la nature dela culture, le travail du loisir à morceler enfin l'homme lui-même,en fragmentant de plus en plus son travail productif. La révolutionindustrielle, en réduisant progressivement les rapports humains àdes valeurs quantifiablcs, a tendu à effacer les spécificités, à homo¬généiser les normes, à aiguiser les conflits sociaux, à transformerles êtres et les choses en unités abstraites, susceptibles d'être comp¬tées, additionnées, manipulées, à disjoindre le monde matériel etla sphère des valeurs cuturelles ou spirituelles.

C'est dans cette logique de la dissociation et de la réduction

systématique d'entités complexes en éléments de plus en plussimples que la société industrielle puise sans doute une part dupouvoir qu'elle a acquis sur le monde matériel. Mais en cheminelle y a perdu une vision globale de la vie, un vrai regard surl'Autre, et la nécessaire solidarité entre tous les humains.

Le fossé s'est creuse non seulement à l'échelon international,mais aussi au sein même des nations. En effet, dans les pays endéveloppement, une polarisation sociale, le plus souvent inconnuejusque-là, accentue l'écart entre le revenu de certaines couches pri¬vilégiées et celui des autres. Ainsi se développent des disparitésen matière d'accès à l'éducation, de participation à la vie cultu¬relle et à la vie publique.

LA LEÇON DU POÈTEAvons-nous le droit d'assister passifs au face à face muet dessociétés d'abondance et des sociétés de pénurie? Il faudrait parlerici, comme Hannah Arendt, d'une «crise de la culture». Mais toutecrise de la culture est d'abord crise de la société et crise des

valeurs qui la fondent. Comment la culture industrielle éviterait-elle la crise si, face aux progrès de la productivité et aux muta¬tions d'un travail toujours plus rare, ce dernier n'était pas partagé?C'est par un tel partage que nous serons à même de redonner unsens à la notion de développement des sociétés industrielles, enl'orientant vers les finalités culturelles et éducatives qui lui serontnécessairement associées, dès lors que s'estompe le systèmerigide des trois âges de la vie. La jeunesse apprenait, l'âge mûr pro¬duisait, la vieillesse se reposait en attendant la mort. La culturede demain devra irriguer la vie entière, tout au long de l'existencede chacun.

Mais si, dans les sociétés d'abondance, il s'agit de retrouverle sens perdu de la plénitude de la vie, qui trouvera les motspour décrire la détresse des sociétés de pénurie, où le mur entrepauvreté et richesse est encore plus absolu, plus infranchissable,plus épais, où l'extrême pauvreté ôte souvent tout espoir d'accéderà la stabilité du travail et au développement humain? Accéder auxformes de culture liées à l'investissement scientifique, technolo¬gique et éducatif y est pour la plupart tout simplement impossible.

Younous Emré, grand poète turc d'Anatolie, dont nous célé¬brions voici un an le 750e anniversaire, a écrit: «Le seul ennemique nous ayons, c'est l'animosité elle-même. Nous ne gardonsrancune à personne. Pour nous l'humanité est indivisible.» Pardelà les siècles, c'est un homme de science, l'anthropologueClaude Lévi-Strauss, qui répond au message d'universalité dupoète par une leçon de diversité, professée dans le cadre d'uneétude célèbre préparée pour I'Unesco, Race et Histoire: «C'estle fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historiqueque chaque époque lui a donné et qu'aucune ne saurait perpétuerau-delà d'elle-même. Il faut donc écouter le blé qui lève, encou¬rager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivreensemble que l'histoire tient en réserve (.. .) La tolérance (...) est uneattitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et àpromouvoir ce qui veut être. La diversité des cultures est derrièrenous, autour de nous, et devant nous.»

C'est en tenant ferme les deux anses l'universalité et la

diversité qui font la singularité de la culture que nous resteronsfidèles à la leçon du poète comme aux raisons de l'homme delaboratoire. 4 I

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Non à la démission de l'intelligenceparAldous Huxley

L'Entretien sur «l'avenir de l'espriteuropéen», tenu à Paris en octobre1 933 par l'Institut international decoopération intellectuelle ancêtrede I'Unesco est pourAldous Huxleyl'occasion de s'insurger contrel'avilissement de la penséecontemporaine. Le célèbre romancierbritannique, qui vient de publierLeMeilleur des Mondes (1932), défendavec passion, et humour, des valeurs

intellectuelles battues en brèche parl'extension de la culture de masse. Il

s'exprime enfrançais, langue danslaquelle «cet esprit, cette bonnevolonté rationnelle de l'âge deVoltaire... trouvait son véhicule et

voyageait d'un bout de l'Europe àl'autre...».

N' ous sommes ici pour discuter l'état

actuel de l'esprit européen et les

moyens de sauvegarder les acqui¬sitions déjà faites. L'examen des phéno¬mènes de la vie intellectuelle contempo¬raine (je parle de la vie des masses et nondes élites) met en lumière deux faits de la

plus haute importance: 1° que l'intelli¬gence et son instrument, la logique, sontgénéralement dénigrées. Et secundo, quece que je puis appeler le style de la viecontemporaine est d'une vulgarité et d'unebassesse remarquables. L'amélioration dustyle de la vie est désirable en soi. Nous

avons une intuition immédiate de la supé¬riorité du beau sur le laid. La réaffirmation

des valeurs intellectuelles est désirable en

soi, mais aussi et surtout désirable en tant

que ce n'est qu'au nom des valeurs intel¬

lectuelles telles que la vérité et la justiceque l'Europe puisse se mettre d'accord.

On ne fait de sacrifices et comme Mon-

_ Ä sieur Benda l'a si justement dit hier, il fautM. faire des sacrifices que pour des entités

auxquelles on croit et auxquelles onattribue une valeur suprême.

L'anti-intellectualisme est un mouve¬

ment déjà vieux et qui se manifeste sous

diverses formes le Bergsonisme, le Freu¬disme et le Behaviorisme de Watson.

Résumer ces doctrines serait complète¬ment inutile, puisque tout le monde ici saittrès bien de quoi il s'agit. Ce qui nous inté¬resse est de savoir pourquoi l'anti-intellec¬tualisme a joui et jouit encore d'une sigrande popularité et en second lieu parquels moyens il peut être combattu. Lesraisons de sa popularité sont, malheureu¬sement, trop évidentes. Il flatte les passionsdes hommes, d'abord la paresse: il est sidifficile de raisonner, si facile de se fier à des

instincts et des intuitions. S'il était questionseulement de paresse, le mal ne serait pastrès grave. Mais l'anti-intellectualisme flatte

aussi des passions plus dangereuses. Il estadmirablement bien adapté à justifier cecomplexe de haines et de vanités qui estl'essence même du nationalisme. Dans la

philosophie nationale-socialiste, parexemple, il est constamment question de«Vérités particulières» qui s'opposent auxvulgaires vérités objectives des intellec¬tuels. Puis il y a les instincts nordiques, lesinfaillibles intuitions d'hommes blonds.

Quels sont les moyens de combattrel'anti-intellectualisme? De fortifier cette

Aldous Huxley (1894-1963).

foi dans la raison sans laquelle l'unité poli¬tique de l'Europe sera irréalisable? D'abord

il y a le moyen logique. Toute doctrine anti¬intellectuelle se détruit elle-même. Par

exemple, vous dites avec Freud que toutesles constructions intellectuelles ne sont

que des rationalisations de désirsconscients ou inconscients. Très bien.

Parmi ces constructions intellectuelles

figure votre propre doctrine anti-intellec¬tualiste. Vous vous trouvez sur les cornes

d'un dilemme; ou votre doctrine est vraie;

dans ce cas elle ne représente que l'expres¬sion d'un désir refoulé, probablement

sexuel et ne possède aucune significationobjective. Ou elle possède une significa¬tion objective et en ce cas elle est fausse.

Malheureusement la logique a très peude prise sur les masses. Aux masses, il fautparler en termes d'autorité absolue, commeJéhovah aux Israélites, ou en termes de

paraboles, c'est-à-dire en termes de l'art. Ce

n'est qu'aux enfants et aux faibles d'espritmalheureusement assez nombreux

qu'on peut parler avec autorité: et cette

autorité, il faut d'abord qu'on la possède.Les différents systèmes d'enseignementnational ne sont pas dans nos mains et

nous ne sommes pas des démagogues, desmeneurs de foule. Donc, pour nous, la seulemanière d'agir sur les esprits est la persua¬sion c'est-à-dire l'art. La logique détruitl'anti-intellectualisme. Mais les masses

n'acceptent cette logique que quand elle aété incarnée dans une d'art. Mal¬

heureusement les suvres d'art ne se com¬

mandent pas. C'est un fait que Napoléon etles Bolcheviks ont constaté avec un éton-

nement douloureux. La seule chose quenous puissions faire, c'est d'espérer. Unartiste de l'intellectualité apparaîtra peut-être peut-être n'apparaîtra-t-il pas. Iln'est pas en notre pouvoir de le créer. Onpeut organiser tout, sauf l'art.

DE LA MAUVAISE LITTERATURE EN

QUANTITÉ INDUSTRIELLE

J'en viens maintenant à la seconde consta¬

tation que nous avons faite en examinant lemonde actuel. Notre époque est anti-

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V

intellectualiste: elle est aussi vulgaire. Lestyle de la vie contemporaine est franche¬ment dégoûtant. Nous vivons du Ponson du

Terrail, du Paul de Kock. La vulgarité touteparticulière de notre époque se traduit dansla vulgarité toute particulière de notre artpopulaire qui en est en même temps lacause. Comme il arrive presque toujours, lemouvement est circulaire et vicieux. Quelles

sont les causes de cette vulgarité? Elles sonten partie économiques, démographiques,en partie intellectuelles et esthétiques. Ledéveloppement du système industriel et

des terres vierges du Nouveau-Monde apermis une expansion subite de la popu¬lation de l'Europe, qui en un siècle a plusque doublé. Vint ensuite l'instruction pri¬maire pour tous. Un immense public delecteurs potentiels était créé. Pour ce public,les entrepreneurs ont monté une nouvelleindustrie l'industrie de la matière lisible.

Or, cette matière lisible ne pouvait et jamaisne pourra être que de très mauvaise qualité.Pourquoi? C'est une question d'arithmé¬tique. Le nombre d'écrivains ayant un talentartistique est toujours très limité. Donc, il

suit qu'à n'importe quelle époque la plusgrande partie de la littérature contempo¬raine a toujours été mauvaise. Or, la quan¬tité de littérature produite annuellements'est accrue plus rapidement que la popu¬lation. Nous sommes deux fois plus nom¬breux que nous n'étions au commence¬ment du dix-neuvième siècle. Mais le

nombre de mots imprimés que nousconsommons par an est au moins cin¬

quante peut-être cent fois plus grandque le nombre consommé par nos arrière-grands-pères. D'où il suit que le pourcen¬tage de mauvaise littérature dans le totaldoit être plus grand que jamais. Les Euro¬péens ont pris l'habitude de lire tout le

temps. C'est un vice, comme de fumer descigarettes ou plutôt, peut-être, comme defumer de l'opium ou de priser de la cocaïne:car cette littérature presque exclusivement

mauvaise est un succédané spirituel dedrogues narcotiques et hallucinantes.L'Europe est nourrie bourrée pourrait-ondire de littérature de dixième ordre.

Ceci est complètement nouveau. Dans

le passé, on ne connaissait directementou en seconde main que quelques rareslivres mais de très bonne qualité. Jeciterai le cas des Anglais qui, jusqu'à destemps assez récents, grandissaient avecla Bible et le Pilgrim's Progress de Bunyan,tous les deux d'une pureté et d'une

noblesse de style incomparables.Aujourd'hui ils grandissent avec le DailyExpress, les magazines et les romans poli¬ciers. L'instruction universelle a eu ce

résultat déplorable qu'au lieu de lire rare

ment des chefs-d'duvre, on lit continuel¬

lement des infamies et des imbécillités.

Un autre phénomène très alarmant estceci: que la langue elle-même est en traind'être corrompue par les faiseurs de publi¬cité commerciale. Le mal n'est pas allé aussiloin en France qu'enAmérique et en Angle¬terre où la publicité a déjà sali un grandnombre des mots les plus nobles. Parexemple, le mot «service» revient à tout

moment dans la publicité anglo-saxonne.On parle de la fabrication de pilules ou deconserves comme autrefois on parlait desactivités de saint François d'Assise. Voilàun monsieur qui vous vend avec vingt pourcent de bénéfice net des haricots en boîte.

Très bien. Mais il est inadmissible qu'il vousparle avec une onction cléricale du «ser¬vice» dans le sens chrétien du mot

qu'il vous a rendu. La même chose estarrivée avec bien d'autres mots. Beauté,

Grâce, Aventure, Viril, Romanesque, toutunvocabulaire de beaux mots a été employédans la publicité et ainsi rendu suspect. Oncommence à ne pouvoir entendre un deces mots sans réagir immédiatement par un

accès de cynisme. Il est très difficile deséparer les mots des choses qu'ils signi¬fient; et quand les mots ont été salis comme

ils le sont journellement, les valeurs repré¬sentées sont aussi salies. Chaque langueest un véhicule de la meilleure tradition de

la race. Si vous ruinez ce véhicule et les

faiseurs de publicité sont en train de le fairevous détruisez cette tradition.

LES MIAULEMENTS ABJECTS

DE LA MUSIQUE POPULAIRE

Ce qui est arrivé dans le domaine de la lit¬térature est arrivé également dans celui dela musique populaire. Mais ici ce n'est pas

l'instruction primaire qui a créé le grandpublic des auditeurs, c'est l'invention desmachines parlantes. (Entre parenthèses,c'est l'invention de la presse rotative qui apermis à l'industrie littéraire son essoractuel). Pour cet énorme public d'audi¬teurs, il faut de la matière audible. On la

fabrique, et, inévitablement, elle est de trèsmauvaise qualité. Mais, dans le cas de lamusique populaire, les choses sont com¬pliquées par des faits esthétiques. Depuiscent trente ans, les musiciens ont énormé¬

ment développé leurs moyens techniquespour l'expression de leurs sentiments.Beethoven a créé tout un répertoire de

moyens techniques pour exprimer les pas¬sions moyens inconnus à ses prédéces¬seurs, même les plus géniaux. L'enrichis¬sement de la technique musicale a progressépendant tout le dix-neuvième siècle. Berlioz,Wagner, Verdi, les Russes, Debussy tous

Texte choisi et présentépar Edgardo Canton

ont apporté de nouveaux moyens d'expres¬sion au stock commun. Naturellement les

sentiments que ces compositeurs voulaient

exprimer n'avaient pas toujours cette qua¬lité de pureté et de noblesse qui caractériseles sentiments de Beethoven. Wagner, sur¬tout, a donné à la musique la puissanced'exprimer avec quelle force de persua¬sion artistique des choses qui sont aufond assez ignobles. Les compositeurspopulaires ont appris leur métier des grandsartistes. Grâce à Beethoven, à Berlioz, à

Wagner, à Rimsky-Korsakoff et à Debussy,ils sont actuellement dans la possibilitéd'exprimer avec une puissance saisissanteles émotions les plus basses, la sentimen¬talité la plus abjecte, la sexualité la plusanimale, la joie collective la plus frénétique.

Le mal n'est pas complètement guéris¬sable. Mais je crois qu'il peut être atténué,

d'abord par l'éducation. On néglige trop ledéveloppement du goût et du sens cri¬tique, ou, si on tâche de les développer,

on choisit toujours des exemples lointainset inactuels. Si je devais apprendre auxjeunes l'art de distinguer le beau du laid, levrai du factice, je tâcherais de choisir mesexemples dans le monde contemporain.J'exercerais leur sens critique sur les dis¬cours des hommes politiques et sur la

publicité commerciale. Je leur feraisentendre les différences qualitatives entre

un morceau de jazz et un des derniers qua¬tuors de Beethoven. Je leur ferais lire

n'importe quel roman policier puis Crimeet Châtiment ou Les Possédés.

Voilà pour ce qui est organisable. Mais ilexiste aussi des forces inorganisables. Nousrevenons encore une fois à l'art. Si l'art

supérieur reste pur, tout n'est pas perdu. Ily aura toujours une élite pour répondre àl'appel de cet art, pour se laisser moulerpar lui, pour vivre son style. Une énormeresponsabilité pèse sur tous les artistes.

C'est à eux, surtout dans ce temps où lesreligions organisées ont perdu leur force,c'est à eux qu'incombe la tâche de formuler,d'exprimer d'une façon vivante, de sauve¬

garder les valeurs de l'esprit. S'ils transi¬gent avec le monde, dans le sens chrétiendu mot, ils perdent non seulement leurâme d'artistes, mais en même temps lesâmes de toute une élite en puissance. TT i

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JournéeInternationaledes Volontaires

parBillJackson

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LaJournée internationale des volon¬

taires a été créée en 1985 à l'initia¬

tive du Programme des Volontaires

des Nations Unies (UNV). Elle est célé¬

brée nationalement, chaque 5 décembre,

dans 90 pays au moins en hommage aux

millions de volontaires qui donnent de

leur temps, à travers le monde entier, pourvenir en aide à leurs semblables.

La tendance mondiale étant au désen¬

gagement de l'Etat vis-à-vis des services

sociaux, les organisations internationales,

nationales et locales de volontaires consti¬

tuent, au Nord comme au Sud, un mortier

indispensable au maintien de la cohésion

des communautés les plus démunies.

Dans les pays développés, le Centre

des Volontaires de Nouvelle-Galles du Sud

définit ainsi les volontaires: «Ce sont les

gens qui livrent les repas à domicile, ser¬

vent dans les cantines scolaires, rassem¬

blent des fonds pour l'achat de biens

d'équipement, combattent les incendies,

font tourner des centres d'accueil, font la

collecte et la redistribution de vêtements

usagés et rendent toutes sortes de services

dont la communauté a besoin mais qu'elle

n'a pas les moyens d'assurer.»

Dans les pays en développement, l'on

a pu entendre soulever les questions sui¬vantes: A-t-on vraiment besoin des volon¬

taires internationaux? Le volontariat n'est-

il pas un concept dépassé? une survivance

du colonialisme? Mais il suffit de prendre

en considération le degré de dénuement et

de souffrance de certaines populations

ou de certaines régions en Angola, en

Ethiopie, en Bosnie, au Soudan pour

se rendre compte de l'urgence de leurs

besoins.

Sur le long chemin qui mène au déve¬

loppement, quelque 120 pays accueillent

des spécialistes de l'UNV et d'autres orga¬

nismes internationaux qui s'activent aux

côtés des organisations locales. «L'action

de milliers d'organisations sociales volon¬

taires, déclarait le gouverneur du Pendjab

lors de la dernière Journée internationale

des volontaires, qui emploient des cen¬

taines de milliers de bénévoles dans le

En haut, un spécialiste des Volontaires des

Nations Unies (à gauche) supervise un

déchargement de sacs de grains en

Afghanistan. Ci-dessus, deux Volontaires

des Nations Unies, l'une britannique, l'autre

néerlandais, et leur interprète expliquent le

processus électoral aux villageois d'un

district cambodgien, lors des élections qui

ont eu lieu dans ce pays en mai 1993. Avec

la participation de près de 50 000

Cambodgiens spécialement formés à cet

effet, 465 Volontaires des Nations Unies

originaires de 45 pays ont entrepris dans

tout le pays une campagne d'information

civique, établi une liste de 4,7 millions

d'électeurs et surveillé le déroulement du

scrutin dans les bureaux de vote.

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pays, et suppléent ainsi, et dans tous les

champs d'application sociale possibles,

aux efforts du gouvernement, est pour

moi un sujet de grande fierté.»

Ces deux dernières années ont apporté

beaucoup de changements pour les orga¬

nisations internationales, tel l'UNV, qui

envoient des volontaires de par le monde.

La mondialisation des problèmes, l'échelle

et la fréquence des famines, l'amplitude

sans précédent des mouvements de réfu¬

giés ont exigé que les programmes, jusqu'à

présent exclusivement orientés vers un

développement à long terme, compren¬

nent désormais des unités d'intervention

humanitaire ponctuelles.

La tendance actuelle, dans les pays en

développement, est à la stimulation des

initiatives des communautés locales. On

peut espérer que l'accent sera de plus en

plus mis sur une répartition plus égalitaire

des tâches entre volontaires internationaux

et locaux dans les domaines tels que:

l'alphabétisation des adultes, l'encourage¬

ment à l'initiative des jeunes, l'éducation à

Ci-dessus, une Volontaire des Nations Unies

originaire de Myanmar (au centre) et son

homologue dans une campagne de

vaccination aux Comores.

Ci-dessous, au Bhoutan, un Volontaire des

Nations Unies ougandais enseigne à ses

jeunes étudiants le fonctionnement d'un

appareil pour surveiller la direction du vent.

la vie de famille, ainsi que la protection des

droits de l'homme, la réflexion sur les

aspects culturels du processus de dévelop¬

pement, ou la restauration des sites archéo¬

logiques d'importance nationale.

Federico Mayor, directeur général de

I'Unesco, et Brenda Gael McSweeney, coor-dinatrice executive des Volontaires des

Nations Unies, viennent de lancer un appel

conjoint en vue de développer le volonta¬

riat international: «(...) Le monde a un

besoin urgent de volontaires en tant que

médiateurs et que messagers du change¬

ment. Nous en appelons aux gouverne¬

ments, aux institutions des Nations Unies,

aux organisations non gouvernementales

et à tous les décideurs du monde: sai¬

sissez-vous de l'occasion que vous offre la

Journée internationale des volontaires

pour encourager et favoriser le dévelop¬

pement du service social volontaire! Nous

n'avons jamais eu tant besoin, et vous ne

trouverez jamais meilleure occasion, de

mobiliser des volontaires pour toutes

sortes de programmes internationaux. Lcs

volontaires sont une source d'énergie, de

force d'action et d'espoir sans équivalent:

leurs efforts doivent être soutenus de

toutes les manières possibles pour faire

de ce monde un monde meilleur et faire

d'eux des exemples pour les générations à

venir.»

BILL JACKSON,

d'Irlande, dirige la Division dés relationsextérieures des Volontaires des Nations Unies.

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Les grottes peintes deMogäO parJosé Serra-VegaAvne ses chemins bordés de peupliers

élancés et ses ruisseaux d'eau

fraîche, l'oasis de Dunhuang, auxconfins des déserts de Gobi et de Takla-

Makan, dans la province chinoise de Gansu,fait figure d'îlot de verdure dans un pay¬sage désolé. A quelque vingt-cinq kilo¬mètres au sud-est, une impressionnantefalaise, dominant en à pic les flots duDachuan, abrite sur une longueur de 1 600mètres, 492 grottes et sanctuaires rupestres.Ce sont les célèbres grottes de Mogao,témoignage unique de l'apogée du boud¬dhisme en Chine et du pouvoir de ladynastie Tang (618-907).

L'histoire de cette région est étroitementliée à celle des premières expéditions chi¬noises contre les nomades de l'Asie cen¬

trale. La lutte pour le contrôle des routescommerciales et du couloir de Hexi était la

cause d'affrontements incessants entre les

empereurs de Chine et les hordes nomadesdes Huns, des Mongols ou des Turcs.

Un long tronçon de la Grande Murailledéfendait la frontière de l'Empire au nord.Vers 117 avant J.-C, cette ligne de fortifica¬tions abrita deux garnisons, dont l'une àDunhuang, qui allait devenir pendant plu¬sieurs siècles l'ultime bastion de la civilisa¬

tion à la pointe occidentale de l'Empire.Au-delà s'étendait un immense désert de sel

où il fallait faire s'agenouiller les chameauxsur des tapis de cuir pour leur éviter lesbrûlures.

UN CARREFOUR DES CULTURES

Parmi les nombreux itinéraires empruntéspar les marchands pour se rendre en Chine,les deux plus fréquentés suivaient la route

des oasis, qui s'échelonnaient au nord et ausud de l'Asie centrale. Le premier suivait lecours du Tarim, sur les franges des sables duTakla-Makan, alors que le deuxième traver¬sait les oasis alimentées en eaux par la fontedes glaces du mont Kunlun. Mais tous deuxpassaient par la commanderie de Dun¬huang, qui surplombait le corridor déser¬tique reliant le Pamir au désert de Gobi.

Carrefour statégique des routes de laSoie qui, depuis les Han, avaient mis laChine en contact avec les civilisations indo¬

iraniennes et l'Europe méditerranéenne,Dunhuang a conservé pendant un millé¬naire son rôle de poste frontière vivant aurythme des caravanes, mais aussi celui depoint de passage obligé pour un trafic com¬mercial intense et de centre bouddhiste

très actif.

Là, les voyageurs épuisés par les rigueursdu climat et les attaques des pillards dudésert trouvaient la protection de la gar¬nison, des tavernes bien garnies et desjeunes femmes accueillantes. C'est là aussiqu'on pouvait louer des chameaux pourla longue route (1 700 kilomètres) quimenait à la capitale de l'Empire, déposer del'argent ou en emprunter. Des entrepôtsaccueillaient les marchandises et de nom¬

breux artisans offraient leurs services aux

voyageurs. On payait en or et en devises,

A gauche, le portique d'accès aux grottes.

A droite, vue intérieure de la

grotte 296 (dynastie Zhou du Nord)

dont le thème principal est centré sur les

extraits du Jataka relatant les vies

antérieures de Bouddha.

ACTION UNESCO

MÉMOIRE DU MONDE

mais aussi en textiles ou en céréales. Les

mauvais débiteurs étaient pénalisés parde lourds intérêts et, dans les cas extrêmes,

par la confiscation de leurs biens.

UN MICROCOSME RELIGIEUX

Coupé du reste de l'Empire pendant delongues périodes, Dunhuang était uneenclave cosmopolite où se donnaientrendez-vous une foule d'étrangers venusd'un peu partout et mus par des motifsdivers. L'activité économique et commer¬ciale du lieu n'était surpassée que par l'acti¬vité religieuse des moines et missionnairesde toutes les religions qui s'y côtoyaient:pèlerins bouddhistes, manichéens, nesto-riens, musulmans.

Le bouddhisme, né en Inde au 5e siècle

avant J.-C, a commencé à pénétrer en Chinesous les Han (206 avant J.-C. - 220 aprèsJ.-C). Mais c'est pendant les quatre pre¬miers siècles de notre ère que la culture, lapensée et l'art bouddhiques ont connu unetrès large diffusion dans toute l'Asie cen¬trale sous l'impulsion des Kouchan, si bienque les grottes de Mogao ne constituentqu'un maillon, le plus fameux il est vrai,d'une longue chaîne de sanctuairesrupestres qui s'étend de l'Afghanistan aucde la Chine.

D'après une inscription déchiffrée surplace, c'est le moine Luzun qui aurait faitconstruire la première grotte en l'an 361de notre ère, soit près d'un siècle avant lareconnaissance du bouddhisme comme

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religion officielle (444 après J.-C.) . C'était lapremière étape de la construction d'un

gigantesque complexe rupestre qui s'estprolongée pendant un millénaire (du 5e au14e siècle).

Pendant toute cette période, les moinesmissionnaires partis sur les routes de laSoie pour convertir la Chine au boud¬

dhisme croisaient les moines et pèlerinschinois qui se rendaient en Inde pour yretrouver les sources de la religion. Pourcontourner l'Himalaya, il leur fallait entre¬prendre un long et pénible voyage à tra¬vers d'immenses territoires hostiles ou peusûrs, et franchir les déserts et les hauts pla¬teaux du Tian Shan, du Pamir et de l'HindouKouch avant de déboucher enfin sur la

vallée du Gange. Après s'être purifiés dansles eaux du fleuve sacré à Bénarès et avoir

visité le site de l'illumination à Bodh Gaya,ils apprenaient le sanskrit et les arcanes dela pensée bouddhiste, puis ils repartaientchargés de reliques et de textes sacrés.

UNE ANTHOLOGIE DE L'ART BOUDDHIQUE

Les grottes de Dunhuang témoignent dequelques-uns des grands moments de l'his¬toire de l'Asie centrale. L'emprise accruedes Tang sur les routes de la Soie au 7" sièclese traduit par le caractère monumental desiuvres, statues colossales de Bouddha ou

fresques exprimant une doctrine trans-cendantale. L'occupation du site par lesTibétains de 790 à 851 correspond à l'appa¬rition des premiers thèmes tantriques.Ceux-ci se multiplient avec la conquête duGansu par les Tangoutes en 1036 et la pro¬lifération des sectes lamaïques sous les Xiade l'Ouest (1036-1227).

Cet ensemble artistique profondémentenraciné dans la réalité historique chinoiseconstitue par ailleurs une véritable antho¬logie de mille ans d'art bouddhique. Onpénètre dans les sanctuaires par une cha¬pelle prolongée par un large corridor sousune voûte conique d'une très grande hau¬teur. Des fresques magnifiques représententla naissance, la vie et la mort de Bouddha;

les Jataka, représentations graphiques deses incarnations successives; d'importantesprocessions de Bodhisattva et autres saints

du panthéon bouddhiste; des anges dan¬seurs et musiciens, des disciples et desfidèles, des palais et des monastères aumilieu de paysages grandioses; des dra¬gons, des éléphants et des fauves, des bou¬quets et des guirlandes de fleurs.

Ce magnifique ensemble de fresques(couvrant environ 45 000 m2) se double

d'un véritable musée de sculptures (plus de2 400 statues polychromes) remarquablespar leur finesse et leur beauté plastique.

Aussi bien les fresques que les sculpturesoffrent un mélange raffiné d'influences hin¬doues, persanes, indo-helléniques et gréco-romaines, associées aux traits caractéris¬

tiques de l'art chinois. Ceux-ci prévalentdans la représentation d'architectures et depaysages, dans les vêtements, les coiffuresféminines et l'expression des visages.

Portrait du roi Uygur,

donateur principal de la grotte 409

(dynastie des Xia de l'Ouest). Le roi, tenant

en main un brûle-parfum, avance vers le

Bouddha pour lui rendre hommage.

Au moment de sa splendeur (fin du 7e etdébut du 8e siècle), le site devait offrir un

spectacle impressionnant avec plus d'unmillier de grottes artificielles. Si quelques-unes sont sans doute dues à des initiatives

privées, la plupart ont dû être financéespar des clans politiques puissants dont desstèles sculptées commémorent les entre¬prises. D'autres sont dues aux confrériesbouddhistes ou consacrées à une divinité

particulière comme le dieu du foyer ou évo¬quent diverses scènes de la vie festive ouculturelle: moments d'entraide lors d'une

catastrophe naturelle, banquets de prin¬temps, funérailles, etc.

L'usure du temps, les invasions, l'his¬toire mouvementée de la Chine médiévale

ont perturbé la vie paisible des commu¬nautés bouddhistes de Dunhuang; laconservation des sanctuaires en a souffert.

Pillages et profanations se sont succédéjusqu'à une époque récente. En 1920, destroupes des armées blanches refluant deSibérie passèrent leurs quartiers d'hiverdans les grottes, recouvrant de suie et defumée les effigies de Bouddha. Dans cesconditions, il est presque miraculeux queprès de la moitié des sanctuaires aient sur¬vécu au vandalisme.

Depuis 1949, l'Institut du patrimoine deDunhuang poursuit un travail méritoirede conservation, de recherche et d'ana¬

lyse, et les seules invasions sont celles destouristes...

A la fin du siècle dernier, Dunhuang vitarriver un flot de réfugiés fuyant les catas¬trophes et les conflits qui désolaient laChine. En 1900, le moine taoïste Wang YuanLu (Wang Gulu), qui s'efforçait de restaurer

avec ses maigres deniers l'un des sanc¬tuaires de Mogao, découvrit derrière uneparoi une cachette où les moines avaient

dissimulé quelque 30 000 manuscrits etreliques lors de l'invasion du site par lesXia en 1036.

Quelques années plus tard (1907),l'explorateur britannique sir Aurel Stein,ayant eu vent de cette découverte alorsqu'il visitait les oasis du Takla-Makan, serendit à Dunhuang pour examiner, avec lafièvre que l'on devine, les documents. Lepremier texte se révéla être un traité de

droit canon bouddhiste traduit par XuanZhang lui-même, le plus célèbre des pèle¬rins bouddhistes chinois qui visita l'Indeancienne au T siècle. Il voisinait avec des

rouleaux du 5e siècle rédigés en écriturebrahmi, des textes religieux tibétains, despeintures sursoie, des bannières religieuses.Au milieu de l'indifférence générale, le visi¬teur recensa 3000 rouleaux et 6 000 manus¬

crits, objets et peintures, qui prirent lechemin du British Museum à Londres.

Ce n'était que la première d'une longuesérie de visiteurs. Le sinologue français PaulPelliot entreprit à son tour d'examiner à lalumière d'une bougie quelque 20 000 docu¬ments, au début au rythme incroyable d'unmillier par jour, jusqu'à ce que fassent sentirles effets de la fatigue et de la poussière sedégageant des vieux manuscrits. Il décou¬vrit ainsi des manuscrits tibétains conservés

entre deux planchettes nouées l'une àl'autre, des apocryphes bouddhistes qui sedonnaient pour des traductions autoriséesmais étaient en réalité des textes originaux,des poèmes, des contes populaires, deslivres de compte, des écrits notamment enchinois, en sogdiane, en ouïgour, en kho-tanais, en kouchan, en sanskrit, en hébreu,

en syriaque. En tout, quelque quatre milledocuments prirent le chemin du muséeGuimet à Paris.

Informées de cet intérêt des étrangerspour le patrimoine national, les autorités deBeijing ordonnèrent alors le transfert dansla capitale d'environ 10 000 documents,mais dans de telles conditions que beau¬coup se perdirent en route. D'autres réap¬parurent à Berlin, Saint-Pétersbourg ouKyoto, et peu après, une florissante indus¬trie de faux manuscrits, fondée à Tianjin,inonda le marché.

Cette collection impressionnante,aujourd'hui dispersée, fournit un témoi¬gnage capital sur l'histoire de l'Asie, et enparticulier sur la diffusion du bouddhismeen Chine sous les Tang. En outre, ces docu¬ments constituent avec les grottes où onles a trouvés l'exemple le plus spectaculairede l'interpénétration culturelle et artistiquequ'ont suscitée les routes de la Soie.

JOSE SERRA-VEGA,

ingénieur péruvien, ancien fonctionnaire au

Programme des Nations Unies pour

l'environnement (PNUE), a travaillé dans le sous-

continent indien sur des technologies adaptées à

la préservation de l'environnement. 47

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LIVRES DU

par Calum Wise

MEMORIA DE AMERICA

EN LA POESÍA. ANTOLOGÍA

I 492- I 992. Textes choisis parFernando Ainsa et Edgar Montiel.

313 p. Editions Unesco. Collection

Unesco d'luvres représentatives.

(En espagnol).

L'Unesco a marqué l'année dernière le «Cin¬quième centenaire de la rencontre de deuxmondes» par toute une série de manifesta¬tions. Le Courrier de I'Unisco a consacré son

numéro de mai à cet événement sous le titre

«Redécouvrir 1492». Les articles de ce

numéro retraçaient non seulement les péri¬péties de cette rencontre, mais aussi sesnombreux prolongements intellectuels,culturels et artistiques, qui ont bouleversénotre conception du monde. L'un desauteurs concluait d'ailleurs en proposant

que «nous commencions dès aujourd'hui àpréparer le Cinquième centenaire... de 1992».

C'est sans doute en pensant aux généra¬

tions actuelles, mais aussi aux générationsfutures que deux autres des collaborateurs dece numéro ont composé cette anthologiequi couvre, avec 97 écrivains différents, prèsde cinq siècles de poésie de langues espa¬gnole et portugaise. Aux côtés des noms lesplus prestigieux, de ceux qui ont fait le tourdu monde et sont connus dans' toutes les

langues, notamment Asturias, Borges, Lorca,Lope de Vega, Camoens, Neruda ou Paz,figurent les grands auteurs nationaux, ainsiqu'un certain nombre d'anonymes, Gua¬rani, Quechua ou Náhuatl. Ce florilège n'estévidemment pas gratuit. A l'image dunuméro du Courrier, il parle directementtant au ctur qu'à l'esprit du lecteur en lui

offrant un très large éventail de talents, oùs'expriment toutes les sensibilités autourd'un thème central: l'Amérique, cette Amé¬

rique qui a enfanté l'un des grands mythesoccidentaux modernes celui de la terre

d'abondance.*

PAROLES DEVOILEES

Anthologie de nouvelles turquescontemporaines écrites par des femmes.

Textes choisis par Nedim Giirsel.

278 pages. Arcantère/Editions Unesco.Collection Unesco d'ouvres

représentatives. (En français).

«Une spécificité de l'écriture féminine existe»,

/* o affirme Nedim Giirsel dans son «avant-dire»TO spécificité, cependant, que personne, pas

'">nt}

plus en turc qu'en aucune autre langue, n'a

jamais réussi à isoler. Qu'il y ait une littératureféminine (c'est-à-dire écrite par des femmes)

turque est, en revanche, une affirmationbeaucoup plus concrète. Ce livre est là pouren témoigner. En marge des idées d'un fémi¬nisme militant et d'une littérature moderne

plus théorisante, les auteurs de Paroles dévoi¬lées cherchent l'introspection et le regardintime du cercle familial; tout en restant

ancré dans la terre turque (celle de Mémed,le personnage de Yachar Kémal) et l'actualitésociale nationale, leur univers s'apparente à

celui de romancières comme Virginia Woolfou Katherine Mansfield.

Non plus militantes socialistes ou com¬battantes républicaines il y en a eu lesseize écrivains-femmes choisies ici parNedim Gürsel sont nées entre 1925 et 1957,

avec la République (1923) pourrait-on dire,héritières et bénéficiaires des réformes de

Mustafa Kémal Atatùrk. Et comme pour

donner un certain poids symbolique à cesreprésentantes d'une première véritable

génération d'écrivains-femmes, le recueil

débute par une nouvelle de Halide EdipAdivar, romancière «idéologique» du débutdu siècle. Apre et sensible, le ton de ces nou¬velles introduit le lecteur dans un univers

romanesque objectif, souvent narré à la pre¬mière personne, où les drames quotidiensjouent désormais, à la place du drame poli¬

tique ou national, le rôle de premier plan.

AN ELUSIVE EAGLE SOARS

Anthologie de la poésie albanaisemoderne.

Textes choisis, traduits et présentés parRobert Elsie.

213 p. Forest Books/UNESCO. Collection

Unesco d'ruvres représentatives. (En

anglais).

L'albanais est aujourd'hui parlé par quelquesix millions de locuteurs dans les Balkans. La

langue elle-même se divise en deux dialectesle guègue au nord et le tosque au sud,

géographiquement séparés par le cours duShkumbi, que suivait dans l'Antiquité la ViaEgnatia, prolongement de la Via Appia. Lalangue littéraire, cependant, est un com¬posé des deux, comprenant environ 80% detosque. Les premiers textes en langue ver-naculaire remontent à l'époque de la Contre-Réforme; le plus ancien poème albanais date

de 1592. Mais la poésie moderne naît dans lesannées 30, quand Lasgush Poradeci et Mig-

jeni rompent avec la tradition du roman¬tisme national qui avait jusque-là dominé

toute la production. Comme le dit RobertElsie dans sa préface, «le vingtième siècleest arrivé tard en Albanie».

Un autre tournant fut pris lors de la rup¬ture avec les modèles socialistes du réalisme

socialiste. Une vigoureuse controverse litté¬raire s'ensuivit, qui opposa deux mouve¬

ments antagonistes, l'un traditionaliste,l'autre novateur ce dernier étant mené

par Ismail Kadaré. C'est un peu ce parcoursmouvementé, ces convulsions d'une nais¬

sance difficile, que retrace cette anthologie àtravers un choix représentatif de poèmes et depoètes de la diaspora albanaise. Outre unepréface très instructive, l'ouvrage est com¬

plété par une bibliographie élaborée regrou¬pant des ouvrages publiés en cinq langues.On trouve, sous la plume de MimozaAhmeti,le plus jeune poète de ce recueil (elle est néeen 1963), les vers suivants: «Ce serait terrible

/ Que de s'éveiller chaque matin et d'être lemême / Mais ce serait pire encore / De voir

finir le jour / Avec les yeux du matin.»

* On lira à ce propos El Dorado, le récit des voyages deSir Walter Raleigh, tour à tour explorateur et flisbus-ticr au service d'Elizabeth I, récit qui contribua en

grande partie à l'expansion et au succès de ce mytheen Europe, et dont I'Unlsco et les éditions Retz pré¬sentent cette année pour la première fois en fran¬çais une traduction intégrale.

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DISQUES RÉCENTSpar Isabelle Leymarie

JAZZ

MICHEL CAMILO.

Rendez-vous.

CD Columbia 473772 2.

Camilo (piano), AnthonyJackson (contrebasseélectrique), Dave Weckl(batterie).

Le pianiste dominicain, icientouré de deux musiciens de

studio chevronnés, AnthonyJackson et Dave Weckl, continue

de s'exprimer avec la mêmeimpétuosité, le même besoinirrépressible de jouer. II nousoffre, dans cet album

sympathique, uneinterprétation funky etextrêmement inventive de

«Caravan», avec des accents

judicieusement placés, uneballade rêveuse,«Remembrance», et diversmorceaux animés de cette

prodigieuse énergie dont luiseul semble avoir le secret.

GABRIELLE GOODMAN.

Trove/in' Light.CDJMT 514 006-2.Goodman (chant), Don Alias(conga, perc), David Bunn etBarry Miles (piano,synthétiseur), Tony Bunn,Anthony Cox et RubenRodriguez (basse), Mike Cain(piano), Kevin Eubanks etWolfgang Muthspiel (guitare),Mark Feldman (violon), GaryThomas (sax soprano etténor), Buddy Williams(batterie).

Alors que les grandes divasdu jazz, Billie Holiday, DinahWashington, Sarah Vaughan,Ella Fitzgerald, sont mortes oune chantent plus, il estréconfortant de constater

qu'une nouvelle génération dechanteuses s'apprête à assurerla relève. Tel est le cas de

Gabrielle Goodman, dont

Travelin' Light constitue lepremier enregistrement.Formée à l'école du gospel et duchant classique, Goodman eststupéfiante d'aisance et denaturel, et ses ascensions dansl'aigu rappellent celles de lachanteuse pop des années 70Minnie Ripperton. Du travailsplendide, avec des musiciensinventifs: Mike Cain et AnthonyCox, qui se produisent souventensemble, Kevin Eubanks, Gary

Thomas, connus pour leuresprit de recherche, refusanttoutes concessions

commerciales.

MUSIQUES DUMONDE

AZERBAÏDJAN. Le Mougamd'Azerbaïdjan.Bah ram Mansurov, tor.

Anthologie des MusiquesTraditionnelles.

CD UNESCO/Auvidis D 8045.

Belle musique d'expressionarabe, basée sur divers mougamscontemplatifs (modes prochesdes maqams ou des ragas),interprétée au tar, luth auxsonorités métalliques, par levirtuose Bahram Mansurov.

Ancienne terre des Satrapes,dominé par les Mongols au 13"siècle et situé au sud-est du

Caucase, l'Azerbaïdjan fut fertileen artistes de renom, mais on en

connaissait toujours mal lefolklore. Cet enregistrement dequalité, qui vient combler noslacunes, s'inscrit dans la

splendide série que produitI'Unesco pour sauvegarder lepatrimoine musical du mondeentier.

BAHREIN. Le Fldjeri: Chantsdes pêcheurs de perles.Coll. Musiques et Musiciens duMonde.

CD UNESCO/Auvidis D 8046.

Ces anciennes chansons,

interprétées par les voix rauquesdes pêcheurs de perlesbahreinis, ont une originemythique. Elles évoquent,scandées par quelquesinstruments de musique, dontdes tambours, et des

claquements de mains, larudesse de la vie en mer ou

exaltent la grandeur d'Allah.Elles permettent en mêmetemps de réaffirmer la solidaritéde ces hommes à l'existence

précaire et de maintenir, face auprogrès technique et à laconcurrence des bijouxindustriels, une traditionculturelle, un mode de vie en

voie de disparition.

...

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fii-^SsffitíEK^SI

White Country Blues.1926-1938, A Lighter Shadeof Blue.Coffret 2 CD. Roots n' Blues

472886 2.

Cette anthologie nousdonne à découvrir une série de

chanteurs blancs du Sud des

Etats-Unis, inconnus du grandpublic, même dans leur pays,mais pourtant à l'origine detoute une génération d'artistesde folk song et de hootenanny,d'Arlo Guthrie à Bob Dylan.Fortement influencés par lesbluesmen noirs, dont il estsouvent difficile de les

distinguer, ils participent enmême temps, avec leurs voixnasales et leurs instruments

campagnards, à la tradition duhillbilly. Certaines chansonscomiques, telle «Adam andEve», interprétée par Mr andMrs Chris Bouchillon, sont

également issues du vaudeville,dont l'essor de l'industrie du

disque dans les années 20annonça le déclin.

MUSIQUECLASSIQUE

MAURICE RAVEL.

Daphnis et Chloé.London Symphony Orchestra& Chturs sous la direction de

Kent Nagano.CD Erato 4509-91712-2.

Cette splendide «symphoniechorégraphique» en trois parties,commandée à Ravel par lecritique et imprésario Serge deDiaghilev, avec un argument duchorégraphe des Ballets RussesMichel Fokine, est l'une des

puvres majeures ducompositeur. De sa luxuriancede timbres et de couleurs tonales

émane un climat oniriqueprenant, une ineffablesensualité. «Mon intention en

l'écrivant, confie Ravel, était de

composer une vaste fresquemusicale, moins soucieuse

d'archaïsme que de fidélité à laGrèce de mes rêves, quis'apparente assez volontiers àcelle qu'ont imaginée etdépeinte les artistes français de

la fin du 18e siècle.» Le London

Symphony Orchestra et leschours font merveille sous la

baguette fine et attentive deKent Nagano.

FRANZ SCHUBERT.

Sonates pour piano D 664 etD 959. Elisabeth Leonskaja. CDTeldec 903 1-74865-2.

Après ses récentsenregistrements de Brahms etde Liszt, vivement acclamés parla critique, la pianiste russeElisabeth Leonskaja interprèteavec intelligence et brio cesdeux sonates de Schubert.

Composées, l'une vers 1819,l'autre en 1828 comme second

volet d'une trilogie célèbre,dégagées de l'influence deBeethoven et annonçant déjàBruckner, elles sont empreintesd'un charme singulier quisubsiste longtemps aprèsl'écoute.

J.F. REBEL.Les Elémens. Les Caractères de

la Danse. Le tombeau de M. de

Lully.Les Musiciens du Louvre.

Marc Minkowski.

CD Musifrance 2292-45974-2.

Ce disque nous permet desavourerl' demeurée

secrète, de cet élève de Lully,voué aux musiques et auxdanses galantes, mais beaucoupplus profond sur le plan musicalque ne le laissent supposer depremier abord les titres de sesmorceaux. «Les Elémens»

débute par un «Cahos»saisissant, aux sonorités

audacieuses, presquewagnériennes, dont le Mercurede France de 1738 écrivait qu'il«passe de l'aveu des plus grandsConnoisseurs, pour un des plusbeaux morceaux de Symphoniequ'il y ait en ce genre». «J'ay oséentreprendre de joindre à l'idéede la confusion des Elémens,

explique Rebel, celle de laconfusion de l'harmonie.» Sa

tentative réussit pleinement. Leravissant «Rossignols» ou lesdeux «Tambourins» de la même

suite musicale contrastent parleur légèreté avec le «Cahos»d'ouverture. La deuxième partiede ce disque, «Les Caractères dela Danse», consiste en une sériede danses: «Bourrée»,

«Chaconne», «Sarabande»,

«Rigaudon», moins inattendues,mais tout aussi séduisantes, que«Les Elémens».

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INDEX DU COURRIER DE L'UNESCO 1993

JANVIER. Espace, Les banlieues de l'infini. Entretien avec Hubert Reeves. L'ère du satellite (N. Hcnbcst).L'outil de la télédétection (K. Karnik). Mars: le rêve et la réalité (F. Leary). Face à face avec l'infini (N.Roukavichnikov). L'océan vu du ciel (I. S. Robinson). Bilko, la maîtrise des mers. Où sont-ils donc passés?(N. Longdon). Le dépotoir céleste (H. Brabyn). Espace vert: Le papier, un trésor à respecter (F. Bequette). Laculture et les nouvelles libertés (F. Mayor). Aurovillc, laboratoire d'une humanité nouvelle (L. Soliman).

FÉVRIER. Violences. Entretien avec José Carreras. Emeutes dans la ville (L. J. D. Wacquant). Lcs ruses duracisme (M. Wieviorka). Risques d'avalanche (A. Nouikinc). L'inconscient et la guerre (I. Colovic). Lesmédias en question (D. Hermant). Violence de la musique (I. Leymarie). Le manifeste de Seville. L'antidotepolitique (S. Nair). Espace vert: Une histoire d'amour entre industrie et environnement (F. Bequette). Bâtir ladiversité (F. Mayor). Le mur d'Hadrien (A. Allan). La vallée de l'Indus, berceau de la démocratie? (S. A. A.Naqvi).

MARS. Psychanalyse, La règle du je. Document: Sigmund Freud écrit à Albert Einstein. L'euvre freudienneQ. Hassoun). L'aventure intérieure (O. Marc). Comment dire je (E. A. Lévy-Valcnsi). Japon: le jeu del'indulgence (E. Barrai). Afrique: les mots guérisseurs (A.-M. Kaufmant). Parole bâillonnée, corps déchaîne(C. Azouri). Russie: homme du besoin et homme du désir (A. Mikhalévitch). Québec: le prix de la survie (M.Panaccio). Espace vert: Le droit à l'air pur (F. Bequette). Guerre et paix dans l'esprit des nommes (F. Mayor).Livres du monde: Un grand atlas des littératures (È. Rcichmann).AVRIL. L'amour au présent. Entretien avec Luc Ferry. Un langage à réinventer (A. Brink). L'amour métis (I LLopes). L'angoisse du séducteur à l'approche du printemps (XBen Jclloun). Double portrait au verre de vin(L. Futoransky). Le souvenir de toi, Oriya (J. M. G. Le Clézio). A l'heure du coq et du jardin enchanté (R.Depestrc). Pourquoi Ulysse? (M. Hussein). Mademoiselle Savitri et son ombre (N. Sibal). Bas les masques (T.Charyn). A une jeune fille éperdue d'amour (J. E. Adoum). Espace vert: Peut-on nourrir l'humanité sans Tachimie,? L'UNESCO se penche sur le génome (F. Mayor).

MAI. Eau de vie. Entretien avec Charles Malamoud. Il était une fois à Sumcr (A. S. Issar). Lcs réserves secrètes(J. Margat). Une pénurie annoncée (S. Postcl). Des climats et des hommes il. A. Shiklomanov). La montée dessables (H. Dregne). Le partage des eaux (A. K. Biswas). Le haut barrage d'Assouan, 25 ans après (M. Abou-Zcid et M. B. A. Saad). Symbolique africaine (C. Talkcu Tounounga). Rôles de femmes (Tassoum L. Douai).L'action de I'Unesco (A. Szöllögi-Nagy). Espace vert: Nature en péril (F. Bequette). L'éducation, une prioritépour tous (F. Mayor).

JUIN. La condition minoritaire. Entretien avec Umberto Eco. Qu'est-ce qu'une minorité (D. Meintcl). Lcsdeux visages de l'identité (M. Percssini). Le réveil communautaire (E. Picard). Lcs sirènes del'autodétermination (R. Lcmarchand). Immigrés, même horizon (R. Kastoryano). La conscience d'êtredifférent (Y. Plasseraud). Ex-Yougoslavie: le piège (P. Garde). Une pâque juive pas comme les autres (L.Davico). Pourquoi? (B. Elnadi et A. Rifaat). Protections internationales (J. Symonidcs). Espace vert:Apprendre pour agir (F. Bequette). Aït-Ben-Haddou, ou l'urbanisme au désert (L. Werner). Anvers 93,capitale culturelle de l'Europe.

JUILLET-AOÛT. Qu'est-ce que le moderne? Entretien avec Oliver Stone. La preuve par le neuf (A. Wasscf).La course au minuscule (A. Levy et P. Lionni). Micro-Mcga (Y. Bcauvais et A. Poulain). Voler... fuser, peut-être? (E. Petit). Regard, image, mirage (S. Younan). Peindre la pomme (N. Mcrkado). La vie superlative (R. F.Amonoo). Corps réparé, corps en pièces (B. Tco). Lcs murs du son (R. M. Schafer). La tentation du désordre(F. et D. Montes). «La troisième rive du fleuve»... (R. DaMatta). Lcs voix de l'invention musicale (I.Leymarie). Le narrateur, son ombre et son double (S. Lane). La partition éclatée (L. Milo). Rimbaud, le voleurde feu (S. Naïr). Espace vert: Climat: Au secours, tout va bien (F. Bequette). «Alors qu'ils pouvaient tant, ilsont osé si peu...» (F. Mayor). La beauté tranquille de Trinidad (E. Bailby). Traditions pour demain (D. Gradis).Mahmoud Mokhtar (1891-1934) (M. Yousscf). Livres du monde: Un voyage à travers l'Europe des Lettres (E.Reichmann).

SEPTEMBRE. Geste, rythme et sacré, La nostalgie des origines. Le bébé et le saint (V. Marc). Le clur, lejour, la nuit (Y Tardan-Masquclicr). L'hommc-gcste selon Marcel Jousse. Parole africaine (A. Hampâté Bâ).Le corps rythmique (E. Gasarabwc-Laroche). Mudra, la main enchantée (S. Naïr). Vie à deux temps (A.Dioun). Espace vert: Sauver la Méditerranée (F. Bequette). Lcs droits de l'homme sont universels (F. Mayor).Archives: La nation des esprits (P. Valéry), Atteindre la conscience générale (P. Valéry et H. Focillon).

OCTOBRE. Le temps de désarmer. Entretien avec James D. Watson. Comment désarmer? (D. David).Changer de logique (J. Klein). Europe: l'après-guerre froide (A. Zagorski). Appel à la non-violence (F.Mayor). Un développement sans armes (J. Fontanel). Marchands de canons: la fuite en avant (C. Carie). Labombe ou la paix (J. Singh). Espace vert: Le MAB a 25 ans (M. Bâtisse). Au commencement et à la fin, laculture (F. Mayor). Archives: Gethe ou le souci d'universel (T. Mann, G. Opresco et P. Valéry). Patrimoine:Portobelo, passerelle entre deux océans (J. Serra-Vega). Livres du monde (C. Wise).NOVEMBRE. Naissance des nombres, Comptes et légendes. Entretien avec Amos Oz. Aucommencement, le nombre (T. Lévy). Mésopotamie, une énigme résolue? Q. Ritter). Chiffres en barre (DuShi-ran). Lcs glyphes et les étoiles (B. Riese). Le triomphe du zéro (P.-S. Filliozat). L'Occident médiéval àl'heure indo-arabe (A. Allard). Paroles, gestes et symboles (P. Gerdes et M. Cherinda). Espace vert: L'UNESCOau secours de la maison-terre (F. Bequette). Patrimoine: Vallées du Niger (J. Dévisse). Archives: Unamuno etl'avenir de la culture. Conférence générale de l'UNESCO: Une éthique du partage (F. Mayor). Programme pour1994-1995: «Cap sur la solidarité».

DÉCEMBRE. Qu'est-ce que le progrès?, Un débat Nord-Sud. Un mythe occidental (R. Debray). A chacunsa métaphore (D. J. Boorstin). Une notion toute relative (F. Lewis). L'universel et le particulier (J. Ki-Zerbo).Ni Nord ni Sud: un seul monde (A. Touraine). Opprimés, levez-vous! (T. Banuri). Une crise du futur (E.Morin). Poser les bonnes questions (D. Padgaonkar). Doublement responsable (A. Brink). Espace vert:Autochtones, La nature sacralisée (F. Bequette). L'invention du futur (F. Mayor). Archives: Non à ladémission de l'intelligence (A. Huxley). Les grottes peintes de Mogao Q. Serra-Vega). Journée internationaledes volontaires (B.Jackson). Livres du monde (C. Wise).

SO

CREDITS PHOTOGRAPHIQUES

Couverture, page 3: ©Alain Corrigou, Québec. Page S: Ulf Anderson © Gamma, Paris. Page 7: J. Mimouni ©Gamma, Paris. Page 9: André Magnin ©Jean Pigozzi Collection. Page 1 0: © Giraudon, Musée du Louvre, Paris. Page

1 1 : © Giraudon/Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, New York. Page 1 2: © Dr. H. R. Sethna, Royaume-Uni. Page 1 3: © Lauros-Giraudon, Musée du Louvre, Pans. Page 14-15:© Edimedia/Snark Archives, Paris. Page

1 6: ©Julio Garcia Fortes, La Havane. Page 1 7: Olivier Pasquiers © Le Bar Floréal, Pans. Page 1 8: © Kinkas, Paris.Pages 1 8- 1 9, 34: © Philippe Maillard, Institut du Monde Arabe, Paris. Pages 20, 26: Claude Postel ©Jean PigozziCollection. Page 2 1 :© George Kuzmin, Moscou. Page 22: David Patchett © Raija Patchett, Royaume-Uni. Page23: Roland © Artephot, Paris. Musée d'Art Moderne, Mexico. Page 24: Babey © Artephot, Pans. Page 25: © DuongDinh Sang, Hué. Pages 27, 28, 29: © François Guénet, Paris. Page 30 en haut: © Alain Guillou, Le Croisic. Page30 en bas: Méro ©Jacana, Paris. Page 3 1 en haut: R. König ©Jacana, Pans. Page 3 1 en bas: Unesco. Page 32-33: © Hamid, Martinique. Page 36: © Musée Marey, Beaune. Page 37: © Lauros-Giraudon, Paris. Page 39: Jean-Claude Roche © Pascal Lièvre/Musée de la Poste, Paris. Page 40: UNESCO-Michel Claude. Page 42: © New YorkTimes. Page 44 en haut: H. Oikawa © VNU. Page 44 en bas: © VNU. Page 45 en haut: Jensen © VNU. Page45 en bas: Pommaret © VNU. Pages 46, 47: © Rinnie Tang, Paris.

lefbllRRIERs^ciei UNESCO

46 année

Mensuel publié en 32 langues et en braille parl'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, lascience et la culture.

31, rue François Bonvin, 75015 Paris, France.Téléphone: sour joindre directement votre correspondant,composez le 45.68 ... suiv des quatre chiffres qui figurent entreparenthèses à la suite de enaque nom.Télécopie: 45.66.92.70

Directeur: Bahgat ElnadiRédacteur en chef: Adel Rifaat

RÉDACTION AU SIÈGESecrétaire de rédaction: Gillian Whitcomb

Français: Alain Lévêque, Neda El KnazenAnglais: Roy MalkinEspagnol: Miguel Labarca, Araceli Ortiz de UrbinaUnité artistique, fabrication: Georges Servac (47.25)Illustration: Ariane Bailey (46.90)Documentation:

Relations éditions hors Siège et presse: Solange Belin(46.87)Secrétariat de direction: Annie Brächet (47.15),Assistant administratif:

Editions en braille (français, anglais, espagnol etcoréen): Mouna Chatta (47.14).

ÉDITIONS HORS SIÈGE

Russe: Alexandre Melnikov (Moscou)Allemand: Werner Merkli (Berne)Arabe: El-Saïd Mahmoud El Sheniti (Le Caire)Italien: Mario Guidotti (Rome)Hindi: Gangs Prasad Virnal (Delhi)Tamoul: M. Mohammed Mustapha (Madras)Persan: H. Sadough Van. ni (Téhéran)Néerlandais: Claude Montrieux (Anvers)Portugais: Benedicto Silva (Rio de Janeiro)Turc: Ssrpil Gogen (Ankara)Ourdou: Wali Mohammad Zaki (Islamabad)Catalan: Joan Carreras ¡ Marti (Barcelone)Malais: Sidin Ahmad lshak(Kuala Lumpur)Coréen: Yi Tong-ok (Séoul)Kiswahili: Leonard J. Shuma (Dar-es-Salaam)Slovène: Aleksandra Kernhäuser (Ljubljana)Chinois: Shen Guofen (Beijing)Bulgare: Dragomir Petrov (Sofia)Grec: Sophie Costopoulos (Athènes)Cinghalais: Neville Piyadigama (Colombo)Finnois: Marjatta Oksanen (Helsinki)Basque: Juxto Egaña (Donostia)Thaï: Duangt p Surintatip (Bangkok)Vietnamien: Do phuong (Hanoi)Pachto: Gho:i Khaweri (Kaboul)Haoussa: Habib A hassan (Sokoto)Bengali: Abdullah A.M. Sharafuddin (Dacca)Ukrainien: Victor Stelmakh (Kiev)Galicien: Xavier Senín Fernáncez (Saint-jacques-de-Compostelle)

VENTES ET PROMOTION

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Liaison agents et abonnés: Ginette Motreff (45.64)Comptabilité: (45.65). Magasin: (47.50)

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Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits a conditiond'âtre accompagnés du nom de l'auteur et de ta mention «Reproduits duCourrier de I'Unesco», en précisant la date du numéro. Tro s justif :a-tifs devront être envoyés à la direction du Courrier. Les photos roncopyright seront fourmes aux publications qui en feront la demande. Lesmanuserts nor sollicités par la Récaction ne seront renvoyés que s'ilssont accompagnés c"un coupon-réponse international. Les artices parais¬sant dans le Courrier de I'Unesco expriment l'opinion de leurs auteurset non pas nécessairement celles ce I'Unesco ou de la Rédaction. Lcstitres des articles et légendes des photos sont de la Récaction. Enfin, lesfrontières qui fgurent sur les cartes que nous publions n'implquent Dasreconnaissance officielle par :'Un£SCO ou tes Nations Unies.

IMPRIMÉ EN FRANCE (Printed in France)DEPOT LÉGAL: Cl -DÉCEMBRE 1993.COMMISSION PARITAIRE N 7 1 842 - DIFFUSE PAR LES N.M.P.?.

Pn otocorn posit on. Photogravure: Le Courrier de I'Unesco.Impression: IMAYE GRAPHIC. Z.I. des Touches. Bd Henri-Becquerel,53021 Uval Ccdex.(Francc)IS5N03C4-3II8 N3l2-l993-OPI-93-52l =

Ce numéro comprend 52 pages et un encart de 4 pages situé entre lespages 10-M et 42-43

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DU 7 AU 10 DECEMBRE , CNIT, PARIS-LA DÉFENSE

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INCONTOURNABLESDE CETTE FIN D'ANNÉE !

L'HEBDOMADAIRE

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ki***ri*;l Afrique du sudP* Nobel d« li fin

LES.CLES, ^¡mmHo hartim itp

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Sous le haut patronage de:François BAYROU, Ministre de l'Education Nationale.

François FIliON, Ministre de l'Enseignement Supérieur et de laRecherche.

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le CourrierdeiUNESCO

CHAQUE HOIS, LE NACAZINE

mWAwmmmD'AUJOURD'HUI ET LESENJEUX DE DEMAIN

ONALITÉSETDES

LE PARI DÉMOCRATIQUE... SPORT ET

COMPÉTITION... ESPACE: LES BANLIEUES DE

L'INFINI... VIOLENCES... PSYCHANALYSE: LA

RÈGLE D« JE... L'AMOUR AU PRÉSENT... EAU

DE VIE... LA CONDITION MINORITAIRE...

QU'EST-CE QUE LE MODERNE?... LA NOSTALGIE

DES ORIGINES... LE TEMPS DE DÉSARMER...

NAISSANCE DES NOMBRES: COMPTES ET

LÉGENDES... UN DÉBAT NORD-SUD: QU'EST-CE

LE PROGRÈS?...

OUEMOIS:\.iull ITP<

LETTRES,

FRANCOIS MITTERRAND... JORGE AMADO...RICHARD ATTENBOROUGH... JEAN-CLAUDE

CARRIÈRE... JEAN LACOUTURE... FEDERICO

MAYOR... HAGUIB MAHFOUZ... SEMBENE

OUSNANE... ANDRÉ VOZNESSENSKI...FRÉDÉRIC ROSSIF... HINNERK BRUHNS...

CAMILO JOSÉ CELA... VACLAV HAVEL...

SERGUEÏ S. AVERINTSEV... ERNESTO

SABATO... GRO HARLEM BRUNDTLAND...

CLAUDE LÉVI-STRAUSS... LEOPOLDO ZEA...

PAULO FREIRÉ... DANIEL J. BOORSTIN...

FRANCOIS JACOB... MANU DIBANGO...FAROUK HOSNY... SADRUDDIN AGHA

KHAN... JORGE LAVELLI... LÉON

SCHWARTZENBERG... TAHAR BEN JELLOUN...

GABRIEL GARCÍA MARQUEZ... JACQUES-YVES

COUSTEAU... MEUNA MERCOURI... CARLOS

FUENTES... JOSEPH KI-ZERBO... VANDANA

SHIVA... WILLIAM STYRON... OSCAR

NIEMEYER... MIKIS THEODORAKIS...

ATAHUALPA YUPANQUI... HERVÉ BOURGES...

ABDEL RAHMAN EL BACHA... SUSANA

RINALDI... HUBERT REEVES... JOSÉ

CARRERAS... SIGMUND FREUD ÉCRIT A

ALBERT EINSTEIN... LUC FERRY...

CHARLES MALANOUD... UMBERTO ECO...

OLIVER STONE... ANDRÉ BRINK... JAMES. D.

WATSON... ANOSOZ... MICHEL SERRES...

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NOTRE PROCHAIN NUMÉRO

(JANVIER 1994)AURA POUR THÈME:

LE DÉSERT

IL SERA PRÉCÉDÉD'UN ENTRETIEN AVEC LE NATURALISTE

ET ÉCRIVAIN FRANÇAIS

THÉODORE MONOD