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Un dictionnaire pratique de la prononciation du français? Author(s): André Martinet Source: La Linguistique, Vol. 27, Fasc. 1 (1991), pp. 87-100 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248634 . Accessed: 16/06/2014 05:20 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.182 on Mon, 16 Jun 2014 05:20:30 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Un dictionnaire pratique de la prononciation du français?

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Un dictionnaire pratique de la prononciation du français?Author(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 27, Fasc. 1 (1991), pp. 87-100Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248634 .

Accessed: 16/06/2014 05:20

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UN DICTIONNAIRE PRATIQUE DE LA PRONONCIATION

DU FRANQAIS ?

par Andr6 MARTINET

Parmi les langues europeennes d'aujourd'hui, le frangais semble etre celle dont la prononciation retient le moins l'attention du public. J'allais ajouter cultiv Mais cette relative indiff6- rence parait s'6tendre, non seulement aux beaux esprits, mais A l'ensemble de la population. On pourra s'6tonner, voire s'indigner, de trouver une faute d'orthographe sous la plume d'un < professeur a la Sorbonne >>. Mais on ne pipe mot si un acad6micien fait rimer arguer et larguer, ou lorsqu'une universitaire en renom prononce demander au conditionnel comme s'il s'agissait d'un verbe * demandre. De temps

' autre, l'attention se fixe sur un mot particulier, comme

gageure dont on rappelle qu'il doit rimer avec parjure plut6t qu'avec majeure, mais sans succes decisif. Notons d'ailleurs que ceux qui interviennent, en l'occurrence, justifient leur verdict au nom de la d6rivation plut6t que par ref6rence a une norme orthoepique.

Pour comprendre ce desint&ret, il faut se rappeler que pour ses usagers, la langue franqaise n'accede a l'existence que lors- qu'elle se pr6sente noir sur blanc : arbre, en cinq lettres, comme ici, est une realite distincte de l'objet qu'il d6signe. Mais la m6me forme, prononcee, s'identifie, pour le locuteur, avec cet objet, ce qui exclut toute perception d'une realit6 phonique distincte. Cela, sans doute, devrait valoir pour toute langue, et il resterait a expliquer pourquoi, plus que d'autres, les francophones sont si peu sensibles a la realite phonique du langage. Les choses etant ce qu'elles sont, il y a peu de chances pour que les dictionnaires La Linguistique, vol. 27, fasc. 1/19gg

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existant de la prononciation fran;aise' trouvent grace aupris du public. On doute que les indications en API (Alphabet phonitique international) qui figurent desormais dans les deux dictionnaires generaux les plus rdpandus retiennent assez l'attention des usagers pour qu'ils prennent la peine de se reporter aux pages oh ils trouveraient la valeur a donner aux signes de la notation phonique.

Dans ces conditions, on ne sait si l'on doit admirer le courage ou s' tonner de la timdrite des 6diteurs du Robert qui ont lance sur le marche, en 1989, un dictionnaire intitul6 Le Robert-Oral- Ecrit, sous-titr6 L'orthographe par la phondtique2. Les entrees y sont dans l'ordre alphabetique des formes en notation phonologique. Ceci implique que l'utilisateur prenne conscience de sa pronon- ciation du mot avant d'en retrouver la forme orthographide suivie de toutes les indications qu'on attend d'un dictionnaire ordinaire.

La notation y est phonologique plut6t que phonetique, dans le sens qu'elle utilise un meme signe en r6firence

. des realisations

phonetiques diffdrentes, mais dont on ne fait pas usage, en fran- gais, pour distinguer mots et formes les uns des autres. La lettre /y/, par exemple, note aussi bien le u non syllabique de puis que celui de pur. On va meme plus loin, puisque le mime /E/, majuscule, note le 6 ferme de prd tout comme le i ouvert de pris. On suit, sur ce

point, l'usage des phonologues qui utilisent frequemment /E/ pour noter 1' < archiphonime a, c'est-.-dire, ici, la voyelle non arrondie de moyenne ouverture, lorsqu'on desire faire abstraction de la distinction entre /e/ et /e/. L'avantage pratique de cette indistinc- tion est que l'utilisateur trouvera, par exemple, exact au meme endroit, sous la forme /EgzAkt/, qu'il prononce le mot [egzakt] ou [egzakt].

L'ordre des signes, dans l'alphabet phonologique utilise, est

parfois inattendu : il semble, par exemple, que /j/ devrait suivre /i/, mais, comme, au moins A l'initiale, /j/ correspond le plus souvent au y de l'orthographe, on le retrouve insere entre /v/ et /z/. Cela

peut etre payant pour /jOgA/ qu'on trouvera la o0i l'on cherche-

I. Dans I'ordre chronologique : Hermann MichaElis et Paul Passy, Dictionnaire phonitique de la languefranGaise, Hanovre, Ire id., 1896; Alfred Barbeau et Emile Rhode, Dictionnaire phonitique de la langue franfaise, Stockholm, 1930; Lion Warnant, Dictionnaire de la prononciation franfaise, Gembloux, t. I, Ire id. 1962, t. II (noms propres), 1966; Andri Martinet et Henriette Walter, Dictionnaire de la prononciation franfaise dans son usage riel, Paris, 1973, citi, ci-aprbs, comme M.-W.; Alain Lerond, Dictionnaire de la prononciation, Paris, Larousse, 1980, LxxvI p. + 589 p.; Lion Warnant, Dictionnaire de la prononciation fran;aise dans so norme actuelle, Paris-Gembloux, Ed. Duculot, 1987, 988 p.

2. Paris, Le Robert.

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rait yoga, mais tant pis pour /jErOglif/ qu'on pourrait vouloir trouver sous h, pour peu qu'on ait pratique les textes. Ceci semble indiquer qu'on ne se fait guere d'illusions sur ce que l'usager sait, au depart, de l'API. On reproduit, d'ailleurs, l'alphabet utilise en marge de chaque page.

Il y a au moins un point o i l'enseignement phonologique n'a pas 't' assimil'. Pourquoi noter le phoneme /r/ au moyen de la petite capitale R ? Que cette bevue, dont certains linguistes se sont rendus coupables, laisse des traces un peu partout n'est pas une excuse. Il est vrai que la consonne initiale de rose n'est aujourd'hui articulee comme une vibrante apicale, celle que I'API note /r/, que par une minorit6 de Franqais, sinon de francophones. Mais ce qu'on entend generalement n'est pas la vibration de la luette qu'on note [R], mais une continue dorsale profonde, version sonore affaiblie de l'ach-Laut allemand. Les responsables de l'API ont pensi, pour le noter, a un R renverse, mais ils ont finalement officialise unjat' cyrillique tote en bas. Si l'on s'en tient absolu- ment A la r6alit6 physique et a la lettre de I'API, c'est ce jat' renverse qu'il faudrait employer. Mais pourquoi compliquer la tache des francophones et ne pas leur offrir un /r/ simple qui leur permettra de s'y retrouver, qu'ils soient Parisiens ou Quebecois, Bourguignons ou Montrealais ?

Je crains fort que l'idie d'un tel dictionnaire soit apparue au contact du Dictionnaire de l'orthographe d'Andre et Jeanne Martinets, dont le titre figure dans la bibliographie du Robert- Oral-Ecrit. < Ce dictionnaire, comme il est dit dans sa preface, est fait pour ceux qui pratiquent alfonic >>, c'est-a-dire une graphie phono- logique qui sert A initier B l'6criture et a la lecture des enfants de la grande section de la Maternelle et du Cours preparatoire. Alfonic a, dans la mesure du possible, conserve la valeur des lettres de la graphie frangaise. En consequence, passer de la lecture d'un texte alfonic a celle d'un texte orthographie ne pose pas de gros problkmes. Certains enfants le font sans aide aucune. Le contexte aidant, l'enfant qui part de /acroh/ identifiera facilement l'accroche de la graphie ordinaire, parce que ce qu'il a pu lire des enseignes de magasin lui a appris qu'd partir de la prononciation, il faut faire abstraction d'une lettre sur quatre dans la graphie

3. Paris, SELAF, 1980.

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des << grands a>. Il saura vite, par exemple, qu'a son /h/ correspond generalement ch.

Voila pour la lecture. Mais 6crire le frangais orthographie pose d'autres problkmes. Si l'enfant veut ecrire un mot qu'il sait

prononcer et dont il connait le sens, oih pourra-t-il en verifier l'orthographe ? Difficilement dans un dictionnaire ordinaire oh il lui faudra tatonner, chercher beau, sous *bo, puis *bau, puis beau, alors que l'entree alfonic /bo/ du Dictionnaire de l'orthographe lui donnera immediatement la reponse : beau. L'enfant part ici du connu et trouve ce qu'il cherche. Mais celui qui a et' des l'abord mis en contact avec la forme orthographiee aura toujours un effort A faire pour identifier la succession des phonemes A travers le voile orthographique qu'on lui a impose des l'abord.

Cela n'a pu chapper aux auteurs du Robert-Oral-Ecrit. Dans leur misdricorde, ils y ont fait figurer un index de 137 pages oh les

quelques 18 ooo mots recueillis sont presentes alphabitiquement sous leur forme orthographique, suivie de leur notation phono- logique et de l'indication de la page oi chacun apparait dans le

corps de l'ouvrage. Il existe un precedent a ce dictionnaire. C'est celui de Michaelis

et Passy, oh les entrees sont 6galement en notation, << phonolo- gique >> avant le terme. Je pense que ce livre n'a eu qu'une trbs faible diffusion. En tout cas, les auteurs des dictionnaires du mefie type qui ont suivi, dont le Pronouncing Dictionary de Daniel

Jones, gendre de Paul Passy, en ont tire la leqon qu'il faut, ici encore, aller du connu vers l'inconnu, c'est-4-dire pour les adultes << lettres >>, partir de la forme orthographique du mot ecrit. Le

MichaElis-Passy est un document precieux qui n'est connu

aujourd'hui que des chercheurs, mais le Pronouncing Dictionary de

Jones est un classique. Peut-on espirer interesser les Franqais A la prononciation de

leur langue, ou doit-on se convaincre que seuls les etrangers feront usage des indications orthoepiques des dictionnaires, gene- raux ou specialists? La distinction est d'importance, car le choix de la notation peut en dependre : a usage interne, pour des franco-

phones unilingues, on pourra prefbrer une notation qui s'6carte le moins possible des habitudes graphiques frangaises, surtout si l'on prend la precaution d'opposer nettement la notation et l'ortho- graphe par la couleur (le bleu dans le Robert-Oral-Ecrit, le rouge dans l'usage manuscrit d'alfonic), par la forme des caract&res

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(< baton > pour alfonic) ou par l'utilisation de barres obliques comme nous l'avons fait ici-meme. Lorsqu'on pense aux etrangers, le choix de I'API pourrait sembler s'imposer : /j/ l'initiale de yoga pourra gener les anglophones et les hispanophones, mais comblera d'aise les Allemands et les Scandinaves, et n'incommodera pas les Italiens. Cependant on pourrait egalement faire valoir que, puisqu'il s'agit du franqais, il n'est pas mauvais que, des le depart, I'etranger s'habitue aux valeurs franqaises des lettres : /jam6/, avec le /j/ initial, le preparera mieux i jamais que le zed a queue de I'API qui a des chances d'etre, pour lui, une nouveaute sans lendemain.

Si l'on veut, ce qui est l1gitime, contrecarrer victorieusement certaines identifications lettre-son prealables, il faut renoncer a l'internationalite et trouver, pour un phon ime tres particulier d'une langue donnee, une graphie tout "a fait originale : on a pu, dans des classes, utiliser, pour la consonne initiale de l'anglais right, une sorte de surimpression de 6 et de 74, ce qui a, des le

depart et definitivement, bloque l'identification de cette consonne avec la premi're du franqais rouge. Mais que les partisans du R

dans la notation du franqais ne triomphent pas trop vite : R, quoique petite capitale, reste identifie comme un r, et il n'empe- cherait pas un Anglais de prononcer le franqais raide comme son red. En tout cas, cela n'est valable que dans le cas de l'utilisation scolaire extensive d'une graphie phonologique.

II apparait donc que, si l'on s'adresse en meme temps aux francophones et aux trangers sans distinction d'origine, le choix peut rester ouvert entre I'API, eventuellement plus ou moins adaptd, et une notation plus proche des habitudes franqaises.

Doit-on, maintenant, envisager la production d'un diction- naire specifique de la prononciation du frangais qui ne ferait pas double emploi avec les ouvrages generaux comme le Petit Larousse ou le Petit Robert, et quel serait l'intiret d'un tel ouvrage ? On peut envisager deux publics diffirents. D'une part, ceux que rebute l'apprentissage d'une notation trop diff6rente de la graphie ordinaire et qui ne s'en interessent pas moins a la prononciation de leur langue, en particulier parce qu'ils doutent de la valeur sociale de leur propre usage et qu'ils sont a la recherche d'une

4. Cf. Andri Martinet, v Le zed A ventre , or a Functional Approach to Phonetic Notation, Journal of the International Phonetic Association, Leeds, 1987, p. 39-45-

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norme. D'autre part, des chercheurs qu'intdressent les conditions reelles de la communication langagiere au-deld des prescriptions ou des recommandations de tous ordres. Presentes dans ces termes, les besoins de ces deux publics semblent contradictoires : d'un c6tb ceux qui cherchent un consensus, de l'autre ceux qu'interesse la variete des usages. Il ne semble toutefois pas impossible de concilier les deux points de vue : la tendance a rapprocher des usages divergents pour faciliter la communication est un fait qui laisse des traces observables. Il conviendra done de relever les divergences, mais de noter le caractere recessif ou dominant de chacune des formes, c'est-A-dire, en d'autres termes, de retrouver la dynamique de la langue. C'est en rif6rence aux donnees du Dictionnaire de la prononciation franGaise dans son usage riele d'Andre Martinet et Henriette Walter, cite desormais comme M.-W., qu'on cherchera a degager cette dynamique.

Soit le cas simple des deux voyelles nasales notees, dans

l'orthographe, in et un. Leur confusion est aujourd'hui quasi g6nerale chez les Parisiens de naissance, A tous les niveaux de la societe, et parait gagner les provinces. Elle est socialement parfaitement acceptable, mais le maintien de la distinction l'est egalement, et la prononciation du un avec arrondissement des

l1vres ne frappe nullement comme un archaisme que ceux qui la pratiquent pourraient &tre tentes d'abandonner. II reste ' voir comment la typographie pourrait rendre compte de cette situa- tion. On pourrait tenter, pour brun, I'entree suivante :

brun, adj., -- brE, br&

oii la representation de l'une et l'autre prononciations dans le meme corps indiquerait leur egale acceptabilitY, mais ouh la fleche prec'dant brg en marquerait le caractere dominant. En d'autres termes, I'usager, desireux d'etre guide dans son choix, devrait comprendre : choisissez, des deux formes, celle qui vous est la plus naturelle ou facile, mais l'dvolution se fait

. l'avantage de la

premiere. Peut-&tre pourrait-on inverser l'ordre et, done, donner avec < br&, -+ brg >>, priorite B la forme traditionnelle, ce qui rendrait plus evidente l'interpretation de la fleche. Mais il faudrait alors, d'une faqon ou d'une autre, marquer la beaucoup plus haute frequence de /bri/ (M.- W., I2 temoins pour /brI/ et 5 pour

5. Cf., ci-dessus, n. i.

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/br&e/; moyenne d'age pour les 12 temoins : 42,5; pour les 5 : 56, ce

qui justifie < -* bre >). Il y aurait, bien entendu, d'autres parametres dont on devrait

tenir compte. Soit le cas des pluriels des articles, demonstratif, ou possessif les, des, ces, mes. Les prononciations en /e/ semblent nettement majoritaires a tous les niveaux de la societe (M.- W., les : 13 le/, 4 /ak/; des : i3 /de/, 4 /de/; ces : I2 /se/, 5 /se/; mes : I /me/, 6 /ms/)6. Toutefois, les formes en /e/ ont I'appui de la diction du thettre, ce qui peut en favoriser l'emploi chez certains, alors que d'autres les trouveront pretentieuses, et deplacees dans

l'usage ordinaire. Comment marquer typographiquement le caractbre majoritaire de /le/ et le statut particulier de /le/? Faire confiance

. l'ordre de presentation ? Done :

les, art. pl., le, le, .

la scene le

ce qui pourrait favoriser indeiment /le/. Ou, d'une fagon ou d'une autre, comme par l'emploi de corps diff6rents, marquer le carac- tere minoritaire, mais non nettement recessif (M.- W. age moyen pour /le/ : 45,7; pour /1e/ : 47,5) de /le/ dans l'usage courant? C'est sans doute a quoi on devrait avoir recours lorsque les donnies indiquent une nette disproportion entre deux usages. A supposer qu'on se fonde simplement sur les resultats de l'enquete qui aboutit a M.-W., que devons-nous faire si, des 17 timoins, 12 se prononcent pour A et cinq pour B? L'experience et le bon sens indiquent que 9 pour A et 8 pour B permettent de conclure a l'egalit4. Dans ce cas A viendrait naturellement en tete et B ensuite; mais, sans autre indication d'une pr4firence donn6e a A, pour quelle proportion devrions-nous marquer plus explicitement une diffdrence ? Pour 16 A et I B, seul A doit apparaitre, mais 14 A et 3 B justifient-ils l'inclusion de B ?

D'autre part quelle difference entre l'age moyen des A et celui des B peut justifier la presence de la fleche notant la domi- nance de l'un d'eux ? Soit le mot mattre. Certains temoins, vraisem- blablement parmi les moins jeunes, marqueront la longueur de la voyelle. En fait, pour M.-W., I'age moyen des Io timoins qui donne /metr/ est 41,6 et celui des 7 qui offrent /me:tr/ est 52,6. Cela justifie donc < -* /metr/ .

6. Noter toutefois pour le pronom les, a la finale de l'Fnonci, 9 lie/, 8 /1c/. On sait que c'est en finale que se maintient bien l'opposition de /e/ / Ie/, et qu'ailleurs, en syllabe ouverte, /e/ tend a l'emporter.

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Soit maintenant maille. Ici /maj/ l'emporte (de peu) avec 9 temoins sur /maj/ avec 8. Mais l'age moyen pour /maj/ est 49,2 et, pour /maj/, 42,6. La disproportion suggere un flechage pour /maj/. C'est d'ailleurs un fait etabli que l'opposition /a/ ~ /a/ flechit chez les jeunes a l'avantage de /a/. Ce sera done souvent la refdrence a l'experience globale, et notamment a celle qui a 't' recueillie pour l'tablissement du M.-W., qui justifiera la presence ou l'absence de la fleche devant une des formes

donnies pour chaque mot. En la matibre, le cas des mots panier et gagner merite d'etre

signalk. Pour panier, M.- W. nous donne 14 /panje/ et 3 /pajie/. La premiere forme etant celle qui correspond a la graphie, on peut penser que /pajle/ represente une innovation. Mais il ne faudrait pas se hater de lui accorder le flichage. En effet, I'age moyen des trois temoins qui pratiquent cette prononciation est 57', excadant de plus de dix ans l'Age moyen 46,1 de l'ensemble des informateurs. Cela indique que le processus de confusion de /n + j/ en /j/ est recessif. La seule question qui se pose pour nous ici, nous l'avons vu, est si nous devons ou non faire etat de /pajle/. Pour gagner, un t6moin a donne deux formes, l'une avec /p/, l'autre avec /nj/. Nous en ferons donc abstraction. Les 16 restant se partagent ainsi : 9 /ganje/ ou /gcnje/ et 7 /gajie/ ou /gapje/. L'innovation que represente /nj/ par rapport a l'orthographe sugg6re un flechage pour /ganje/ (qui l'emporte sur /ganje/ par 7 contre 2) ce qui est confirme par les moyennes d'&ge qui sont 39,9 pour /-nj-/ et 53 pour /-Pj-/. Il ne fait donc aucun doute que si l'on fait confiance au M.-W., c'est /ganje/ qu'il faut flicher, d'oi :

gagner, v., gape, - /ganje/, /ga-/. On peut en effet vouloir mentionner /ga-/ avec < a d'arriere >> comme le fait de 4 temoins sur 16, avec une hesitation entre /a/ et /a/ pour le 17e. On serait tents toutefois d'utiliser un corps diff6rent ou quelqu'autre marque, comme la mise entre paren- theses, lorsque le nombre de temoins n'atteint pas le chiffre de 5.

Un autre probleme est celui du credit a accorder aux diff6- rentes sources. Pendant longtemps, les donndes relatives a la prononciation franqaise ont reflete un usage particulier, souvent

7. I1 s'agit de l'ige des temoins en 1970.

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celui du chercheur, persuade qu'il detenait la norme. C'est

l'enquete faite, en 1941, A Weinsberg, au Wurtemberg, dans un

camp d'officiers prisonniers, et ses resultats presentes dans La

prononciation dufranfais contemporain8 qui ont commence, lentement, vu la faible diffusion du livre, A convaincre les specialistes de la varietd des usages, meme parmi les personnes cultivies de la France non miridionale. Mais il reste trop de cas oh l'on ne croit

pas necessaire de preciser la nature de sa documentation, convaincu que l'on reste qu'il existe en la matiere une sorte de consensus. Un exemple : on nous a appris A l' cole qu'on distinguait, A la pre- miere personne, le futur du conditionnel du fait de la qualite de la voyelle finale, /e/ pour le futur, /e/ pour le conditionnel. Lorsqu'on prend la peine d'ecouter, on constate que la voyelle ouverte est largement majoritaire au futur, done /ire/ pourj'irai, comme pour j'irais. Il resterait A d6terminer si l'on doit se laisser influencer

par un consensus d'origine scolaire si l'on constate qu'il fait l'unanimite parmi les < irresponsables >>. On pourrait, en effet, arguer que ce consensus est un fait observable (v je dis /irE/, mais il faudrait dire /ire/ >>) qui doit constamment influencer une partie appreciable des sujets.

L'enqu^te de Weinsberg a permis de degager les tendances generales de l'usage phonologique contemporain et de constater que les traits dominants releves dans la region parisienne s'identi- fient avec la moyenne de ceux de la France non meridionale. Les causes de cette convergence sont faciles a deceler : la popula- tion de la Capitale se recrute majoritairement dans les provinces. Dans ce creuset parisien, les echanges langagiers tendent 'a eli- miner de l'usage tout ce qui pourrait les rendre moins efficaces, sans aboutir toutefois a une uniformisation totale. Une enquete menee dans un milieu socialement plus heteroclite que celui de Weinsberg aurait, vraisemblablement, donne une image moins nette de la convergence en accroissant la frequence des particula- rites provinciales. C'est cette norme, souple et lache, qu'a vise "a d6terminer, dans le detail, I'enquete qui a abouti au M.- W. Si l'on s'inspire des donnees de ce dictionnaire, il ne peut tre ques- tion de rien prescrire. On ne peut que presenter le resultat de certaines observations en faisant connaitre, au prealable, les circonstances dans lesquelles elles ont 6te recueillies.

8. Andr6 Martinet, Paris-Geneve, Droz, 1945.

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Les donnees ainsi presenties peuvent conforter les utilisateurs dans leurs habitudes. Mais ne peut-il y avoir des cas o0 le public, s'il est duiment renseigne sur certains antecedents, pourrait etre tent6 de les modifier ? Soit certains mots d'origine etrang&re, les mots japonais kamikaze et bonsai, par exemple. Le premier semble9 majoritairement prononc6 /kamikaz/ par les Franqais. La raison en est evidente : un -e final sans accent est traite comme un << e muet >>, c'est-a-dire, ailleurs que dans le Midi, comme zero. Bonsai s'entend normalement comme /b6zaj/, done avec un /z/ que ne justifie pas la graphie. Ont pu jouer les analogies de bonze et du cri de guerre japonais banzai. On est tente de ridiger comme suit les entrees pour ces deux mots :

kamikaze, n. m., kamikaz, kamikaze; jap. kamikaze, et

bonsai, n. m., b6zaj; jap. bonsaj.

Une solution analogue pourrait &tre utilisee pour des pronon- ciations traditionnelles affecties par des inconsequences ortho-

graphiques. Les mots arguer et gageure pourraient done figurer sous la forme suivante :

arguer, v. intr., arge, argqe, argye, &tym. argye10, gageure, n. f., ga3yr, ga3'er, 6tym. ga3yr".

Le problkme que pose initialement l'Ctablissement de tout dictionnaire est le choix du vocabulaire a inclure. Dans le cas

present, on peut, comme on l'a fait pour le M.- W., inclure auto-

matiquement toutes les entries d'un dictionnaire general, Le Petit Robert en l'occurrence. Mais l'inclusion, certainement desirable, des noms propres, reclame qu'on suive, en la matiere, un autre

modtle, le Petit Larousse, probablement, mais en plaqant les noms

propres dans le meme ordre alphabetique que le reste du vocabu- laire, ce qui facilite beaucoup les consultations. Malheureusement, il n'existe pas,

" ma connaissance, d'enquete qui renseigne sur la

9. Le mot n'a pas 6t6 soumis A l'enqu^te pour Martinet-Walter; les indications qu'on y trouve (/kamikaze, kamikaz/) reproduisent celles du Petit Robert.

to. Dans le M.-W., /arge/ est majoritaire avec io temoignages, contre 4 pour /argqe/ et 3 pour /argye/, mais la graphie argiier qu'on recommande aujourd'hui pourrait renverser la vapeur.

II. Dans le M.-W., 9 /-y/, 8 pour /-oe-/.

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variete' reelle des prononciations des noms propres. II faudrait donc prevoir une recherche prealable, de preference auprbs des sujets qui ont pret6 leur concours pour l'Ctablissement du M.- W. dans la mesure oh ils restent accessibles, ou, en tout cas, en s'adres- sant a des personnes appartenant aux mimes classes d'age, de

fagon h viser a l'homogineit&. La vitalite du nom propre est, bien entendu, tout autre que celle du vocabulaire de la langue. Ce dernier est, sans doute, moins stable que l'on tend a l'imaginer, mais le nom propre apparait et disparait avec la notoriete de celui

qui le porte, et on se consolerait aisement de ne pas trouver Miline, voire Queuille, dans un dictionnaire de prononciation a la fin du xxe sieicle. Mais, 'a partir d'une liste preitablie, on ne peut gubre, sans arbitraire, proceder "a des eliminations, voire a des additions.

Reste le problkme du choix d'une notation phonologique. Contrairement "a ce que beaucoup seraient tent6s de penser, une notation moins 6loign'e des habitudes graphiques frangaises ne serait pas necessairement moins scientifique que l'API. L'iddal d'une notation phonologique est, bien entendu, que chaque phoneime de la langue y reqoive toujours la meme notation et

que deux phonemes diffirents y trouvent des notations distinctes. Cela n'exclut pas necessairement les digraphes : employer /ch/ pour la chuintante sourde du franqais ne presente pas grand inconvenient si ni /c/ ni /h/ ne se rencontrent ailleurs. Mais si l'on cherche a ne pas heurter les habitudes des usagers et V rendre la notation immtdiatement utilisable sans consultations prialables, on sera tent6 de faire des entorses a la regle enoncie ci-dessus. Soit la notation du phoneme initial de gare et de gui. C'est dvi- demment /g/ qu'on est tente de choisir, comme le fait I'API, mais /gi/ pourrait etre lu /ji/ et on penserait a un digraphe, comme /gh/. Mais va-t-on, par fidelit6

. la reigle, I'imposer dans

tous les cas : /ghi/, mais aussi /ghar/, qui, certainement, causerait un recul chez l'usager ?

Dans une notation de ce type pour le franqais, il serait recom- mandi de separer les syllabes prononcees par un trait d'union. On distinguerait ainsi les deux prononciations possibles de buje : /bu6/ et /bu-e/. On pourrait conserver le digraphe /ou/ pour la voyelle de loup, puisque tohu-bohu apparaitrait comme /to-u-bo-u/; et, de meme, /eu/ pour la voyelle dejeu, puisque Jahu serait /ji-u/.

Des digraphes seraient conserves galement pour les voyelles

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98 Andri Martinet

nasales, done /in/, /an/, /on/, /un/. Pour distinguer fine de fin, not6 /fin/, on pourrait penser "a garder le o e muet >, en conservant la notation en une syllabe, done /fine/ qui s'opposerait ainsi a la prononciation meridionale notee, si n6cessaire, comme /fi-ne/. Mais l'apostrophe dans /fin'/ serait sans doute plus suggestive de la prononciation recommandable, monosyllabique, de la forme. L'apostrophe serait egalement une bonne precaution apres /t/, /d/, /s/, /z/ finals de syllabe, par exemple, dans /chat'/ pour chatte, /pas'/ pour passe en face de chat et pas. Il en irait de meme pour /y'/, par exemple, dans /pey'/ pour paye.

Ii faudrait egalement prevoir pour aiguille, un trema sur le /u/, done /-gfiiy'/ pour eviter une lecture de /-gui-/ comme gui, done certaines pr6cautions dont on fait l'iconomie lorsque l'on suppose, parfois a tort, que les usagers de la notation font totalement abstraction des valeurs courantes des lettres employees.

Le < e muet >> pose des problkmes, quelle que soit la notation employee. Il s'agit d'abord de son caractere instable qui reclame n6cessairement qu'on presente deux formes, I'une avec et l'autre sans lui, pour cerise, par exemple, en API, /sarizf et /sriz/. A moins que, plus economiquement, on proc6de a la mise entre parentheses de l'llment instable, done /s(a)riz/. Mais, comme les usages contemporains semblent favoriser le maintien de la voyelle instable de la premiere syllabe, il serait indique que /sariz/ soit mis en valeur aux depens de /sriz/ au moyen de la fleche, done : -+ /sariz/.

L'autre probleme est celui que pose la tendance, qui gagne aupres des nouvelles gendrations, B confondre cette voyelle avec

l'antdrieure arrondie moyenne, eu de l'orthographe, soit sous sa forme ouverte, celle de peur, soit sous sa forme ferm&e, celle de peu. Il reste toutefois g voir dans quelle mesure l'instabilit6 de la voyelle entraine, au moins dans certaines positions, un abrigement ou un affaiblissement de la voyelle lorsqu'elle est prononc6e, ce qui empecherait I'identite totale, de < e muet > prononc6, avec les valeurs du eu de l'orthographe. II pourrait done paraitre indiqud de conserver une notation distincte pour le << e muet >>, done /;/, partout oi il se revAle instable. La meme oi il est stable, comme dans brebis, crever, il serait sans doute prefirable de conserver /la qui couvrirait, ici aussi, les articulations [b~abi] tout comme [b-aobi] et [bilcebi]. La notation /;/ serait done B interpreter comme couvrant des articulations arrondies (de type eu) fermnes, ouvertes ou intermediaires, et une centrale non arrondie, entre

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Un dictionnaire pratique de la prononciation du franfais ? 99

lesquelles les usagers peuvent choisir sans dommage pour la

comprehension mutuelle, avec toutefois la precision que les arti- culations arrondies tendent a se generaliser et qu'elles sont a recommander a tous ceux (les Allemands, par ex.) qui pourraient etre tentes de confondre << e muet >> et /e/ ou /e/.

II est tout a fait vraisemblable que la confusion, chez une

majorit6 croissante de sujets, de la voyelle instable prononcee et des phonemes notes eu est a la source, non seulement de pronon- ciations de dejeuner comme /de3ne/, done avec chute du eu, comme il y a chute du e dans samedi, mais egalement de la tendance a supprimer la caduciti de -e- dans cerise dont l'initiale se confond desormais avec celle de seurette. Les langues slaves ont connu autrefois deux voyelles instables, ditesjers, qui se sont, au cours du

temps, identifiees avec des voyelles stables, en russe, par exemple, e et o, en serbo-croate uniformement a. L'instabilite a 6te rem-

placee par des alternances, comme dans le russe orel < aigle >> qui fait orly au pluriel2.

Dans le cas de l'utilisation d'une notation plus proche des

graphies frangaises que I'API, on pourrait recourir a des formes a accent graphique /e/ et /e/ pour noter les anterieures non arron- dies, et reserver /e/ pour les << e instables a) prononces. On aurait

done /se-riz/, /sriz/ pour cerise, mais /sam'-di/ pour samedi oi, en

prononciation << parisienne >>, e est toujours muet. On pourrait noter brebis comme /bre-bi/ ou, peut-etre, si l'on veut noter la dynamique, < /bre-bi/, --+/breu-bi/ >>, avec un /eu/ notant en prin- cipe la voyelle ouverte, la voyelle fermee apparaissant comme /eu/, dans << veule adj., /veil/>>, par exemple, mais, en syllabe non finale, indiquant seulement l'arrondissement.

II est tres difficile de se prononcer, ici, pour I'API ou pour une notation specifique. II faudrait tout d'abord savoir a qui l'on s'adresse en priorite, et cela demanderait de tres delicates etudes de march&. Quel est le degre de familiarite avec l'API des publics en cause ? Quels sont, par exemple, parmi les Italiens qui desirent apprendre le frangais, ceux qui se contenteront, dans tous les cas, de ce qu'ils peuvent attraper a l'oral, a la television, ou conclure a partir des graphies, et ceux qui, desireux d'aller plus loin, prendraient la peine de se familiariser avec les conventions de

12. L'alternance est /e/-z6ro dans la graphie, mais /o/-ziro i l'oral; qu'on pense i la graphie Gorbatchev et la prononciation Gorbatchov.

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xoo Andre' Martinet

I'API ? Bien entendu, ce qui vaudrait pour les Italiens ne devrait

pas necessairement etre le fait des Serbo-Croates ou des Allemands. Mais, plus simplement, quel public, frangais ou francophone, devrions-nous chercher a atteindre ? Et parmi ces gens, quels seraient ceux qui ne se laisseraient pas derouter par l'API ? En

Belgique, en Suisse, au Canada, en Afrique ? Dans chaque cas, on pourrait tenter d'etablir le pourcentage de ceux qui declarent utiliser les notations en API des dictionnaires existants.

Ce qui parait s'imposer, dans un dictionnaire comme celui

que nous envisageons, ce sont des notations qui permettent a chacun de choisir, dans chaque cas, parmi les phonemes qu'il pratique. Il ne peut y etre question de chercher a modifier, chez les sujets, l'articulation des sons de la langue. Si un MWridional est capable de distinguer chantait de chanter, il pourra, s'il le d6sire, tirer avantage de la recommandation d'employer, pour poulet, plut6t /pule/ que /pule/ ou, a la franaise, plut6t /pou-l/ que /pou-6l/. Mais s'il n'entend pas la diff6rence ou ne peut la

reproduire, ce n'est pas a un dictionnaire qu'il faut le renvoyer, mais & un manuel de phonetique ou a un jeu de cassettes. On

peut aussi le laisser se tirer d'affaire, comme il l'a toujours fait, dans ses rapports avec ceux << qui parlent pointu o, en offrant

toujours des contextes qui 6viteront les confusions. Rappelons-nous que l'ensemble des francophones ne se laisse pas troubler par l'homophonie de chanterai et chanterais qui, en d6pit de l'ecole, doit &tre le fait d'au moins 80o % des usagers. Mais n'est-ce pas parce qu'ils arrivent toujours a communiquer oralement entre eux, que les Frangais sont si peu tent6s de recourir A une autorite en la matiere ? Ne serait-ce pas plut6t dans les marges de la franco-

phonie qu'on trouvera ceux qui cherchent un guide. C'est ce que sugg&re la constatation que c'est un Belge, Leon Warnant, qui a

produit le dictionnaire le plus resolument prescriptif de la pronon- ciation de la langue. Mais ne pourrait-on envisager, pour le meme

public, un recueil plus liberal des varietes acceptables, moins tourne vers les normes du pass6 et esquissant la dynamique de

l'usage contemporain ?

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