18

Un grand philosophe et sociologue méconnu : Blanc de Saint

  • Upload
    others

  • View
    9

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Un grand philosophe et sociologue méconnu

BLANC DE SAINT-BONNET

BLANC DE SAINT-BONNET par ARMBRUSTER

Nous devons ce portrait à l'obligeance de la Librairie catholique Emmanuel Vitte, éditeur de l'ouvrage l'AMOUR

ET LA CHUTE par BLANC DE SAINT-BONNET.

MARCEL DE LA BIGNE DE VILLENEUVE Docteur ès lettres, en droit et ès sciences politiques et économiques

Professeur à l'Université Catholique d'Angers.

Un grand philosophe et sociologue méconnu :

BLANC de SAINT-BONNET Lego, eligo et ligo.

BEAUCHESNE Paris

1949

Tous droits de traduction, de reproduction ou d'adaptation réservés pour tous pays.

Copyright 1949 by BEAUCHESNE ET SES FILS.

DILECTISSIMÆ DULCISSIMÆQUE MEMORIÆ CONJUGIS

INTRODUCTION

Nous venons d'écrire, au titre de cette brève étude, le mot reconnu. On peut se demander s'il est exact et suffisant : n'est-ce pas inconnu qu'il conviendrait de dire? Car, sauf un très petit groupe d'esprits ar- dents, enthousiastes de la lumière et de la fermeté de sa pensée, de l'éclatante noblesse de sa forme, le nom de Blanc de Saint-Bonnet n'éveille chez la quasi- totalité de nos contemporains aucune résonance, au- cun souvenir, aucune notion correspondant à quelque réalité assimilée. La gloire qui est le soleil des morts, ne s'est pas levée encore pour l'auteur de Restauration française et de la Légitimité. Et son prestigieux talent ne jouit pas même de la notoriété modeste dont bé- néficient tant de songe-creux et de prétentieux ca- cographes.

De cette iniquité du sort, il semble bien que Bar- bey d'Aurevilly, critique perspicace, malgré tous ses défauts, nous ait donné l'une des raisons les plus valables dans un article qu'il consacrait en 1859 à notre philosophe à propos de la brochure intitulée : De l'affaiblissement de la raison en Europe. Tout en lui offrant le tribut d'admiration qu'il méritait, le critique se refusait tout net à lui prédire une immé-

diate réussite. C'est que, disait-il fort judicieusement, « il faut aux livres comme aux talents destinés au succès rapide, au succès à l'heure même, un côté de médiocrité, soit dans la forme, soit dans le fond, lequel ne déconcerte pas trop la masse des esprits qui se mêlent de les juger. Quand on n'a pas ce bienheureux côté de médiocrité dans le talent qui nous vaut la sympathie vulgaire, on a besoin de temps pour la renommée de son nom ou la vérité qu'on annonce. Or le livre de M. Saint-Bonnet est aussi grandement et artistement écrit qu'il est fer- mement pensé 1 ».

Remarque judicieuse qui nous livre l'une des causes les plus profondes des triomphes et des échecs lit- téraires. C'est ainsi, pour nous borner aux plus grands noms, que l'immense popularité de Victor Hugo s'explique fort bien par la bassesse, la vulgarité, la stupidité fréquente d'une pensée revêtue d'ailleurs d'une forme dont la richesse et la somptuosité sont inégalables. La masse que rebuteraient la splendeur de son rythme, les obscurités étranges et les incohérences de ses rêveries, s'accroche aisément aux banalités, aux erreurs, aux sottises simplistes, dans lesquelles elle reconnaît son niveau mental familier et se guinde ainsi parfois vers quelque beauté supérieure. La sen- siblerie pleurarde qui dépare certains passages de Lamartine a contribué également à lui recruter un public que n'auraient jamais pu conquérir les sublimes essors de ses Méditations.

1. Barbey d'Aurevilly. Les Œuvres et les Hommes, 1 partie, p. 245- 246.

De même, et pour prendre un exemple beaucoup plus bas, la brusque apothéose d'Edmond Rostand est due bien plus encore à tout ce qu'il y a de gentil, de clinquant et de médiocre dans la préciosité de son verbe, qu'à l'incontestable qualité de son talent.

Pour Blanc de Saint-Bonnet, son échec prolongé devient clair par le jeu de raisons du même ordre, mais opposées et développant, bien entendu, des conséquences inverses. Il eut la malechance de vivre dans une ère de lamentable abaissement intellectuel qu'il surclasse incomparablement. Rien ne préparait à le comprendre ce « stupide XIX siècle », dont Léon Bloy a écrit avec une juste férocité : « Je défie qu'on me cite une époque de l'histoire intellectuelle où la nécessité d'être idiot ait été si universellement sentie et promulguée par de si compétents législateurs. » Dans le flot fangeux de l'imbécillité ambiante, qui donc aurait pu apprécier une aussi robuste pensée? Les hommes qui consentaient encore à faire usage de leur discernement et de leur raison n'apparais- saient plus que comme des exceptions rarissimes. « Qu'on les cherche dans le clergé, dans l'armée de terre ou de mer, dans le monde littéraire ou le monde savant, dans le grouillement de la magistrature ou de la finance, à la Sorbonne, à l'Académie et surtout au Parlement, on sera épouvanté 1 » C'était le mo- ment de gémir avec Le Cardonnel :

Le temps semble arrivé des ténèbres prédites. La Bête est déchaînée et fait la guerre aux Saints. 1. L. Bloy. Au seuil de l'Apocalypse, 123.

Or, voici que, dans cette déliquescence générale, paraît un homme qui n'éprouve aucun des bas appé- tits de la foule, qui méprise et ignore les combinai- sons, les intrigues et les ambitions puériles auxquelles les pauvres cerveaux de ses contemporains consacrent tout ce qui leur reste de puissance et dont l'œuvre tout entière n'est qu'un hymne à la sublimité de l'esprit. Voici un homme qui peut dire, ainsi qu'il est écrit au Livre de la Sagesse : « J'ai désiré l'intel- ligence et elle m'a été donnée; j'ai invoqué le Sei- gneur et l'esprit de sagesse est venu en moi... et j'ai estimé que les richesses n'étaient rien auprès d'elle... Et j'ai résolu de la prendre pour ma lumière, car sa clarté ne peut s'éteindre. Je l'ai apprise sans arrière-pensée et je la communique sans envie. » La vérité qu'il a conquise par la méditation et l'effort, il ne veut point en effet la garder pour lui. Confiant dans son efficacité, il entend, sans en sacrifier une parcelle, en faire partager le bienfait à ses frères. Il entend en tirer des armes pour défendre la Société des périls qui menacent de la détruire, en faire, pour protéger ses compatriotes et ses contemporains, un rempart dont il assume la garde avec un dévoue- ment total et une vigilance sans éclipse. Ce philo- sophe, ce logicien a l'âme tout à la fois d'un apôtre et d'un chevalier. Disons mieux : d'un croisé, car sa charité et sa vaillance ne savent pas se séparer de sa foi. Si le destin, dans une ironie décevante, veut qu'il n'ait à la main qu'une plume et non pas un estoc, du moins, comme l'écrivait si bien M. B. de Vesins, « il manie les images comme une épée »

et met dans l'ardeur de sa conviction et dans l'éclat de son verbe l'étincelle et le flamboiement de l'acier. Mais, en nos temps dégénérés, c'est contre l'épaisse et vulgaire sottise des foules ignares, c'est contre la masse amoncelée et vile des prétentions, des avidités, des lâchetés, des reniements, des incompréhensions et des indifférences qu'il doit déployer sa valeur. Peu importe. A cette incarnation ignoble de l'Ennemi protéiforme du genre humain, il fait front avec au- tant d'héroïsme qu'il en eût déployé contre un adver- saire digne de lui, en bataille loyale sous le soleil de Dieu. Et c'est alors plutôt l'image des confesseurs chrétiens livrés aux caprices homicides de la plèbe et à la fureur sanguinaire des bêtes qu'il évoque dans notre esprit. Car voici toute la tourbe brutale de nos vices et de nos égoïsmes féroces qui se dé- chaîne contre ce prêcheur de réforme et ce prophète de malheur. Mais il refuse de se laisser accabler sans opposer la plus acharnée des résistances. Et dans son élan de splendide bravoure, il attaque. Il garde confiance dans l'issue finale de la lutte. Certes, ainsi engagée, il sait bien qu'il ne peut espérer de victoire prochaine et qu'il court mille fois le risque personnel de succomber à la tâche. Soit ! A la cohorte des profiteurs et des renégats, à la tourbe des insou- ciants, au troupeau tremblant des imbéciles, il lance son credo comme un défi. Contre les insulteurs et les dénigreurs de l'Église, il revendique et proclame l'intégralité du dogme dans ce qu'il peut avoir de plus choquant pour la prudence à courte vue des timides et des effarés; avant même la définition offi-

cielle, il inscrit en grosses lettres Autorité, Infailli- bilité comme mots d'ordre sur sa bannière. Les habi- letés, les abandons, les confusions intéressées, les trahisons secrètes des exploiteurs de la politique et la résignation des dupes qui se croient sages, il les dénonce et les démasque et les fustige sans leur consentir le moindre ménagement. Et contre eux il affirme haut et clair, il claironne de toute sa puissante voix la conviction qu'il a puisée dans la religion, dans la réflexion, dans la raison et dans l'expérience. « La démocratie triomphe et je viens combattre la démocratie. Les aristocraties sont repoussées et je viens dire que ce sont elles qui ont créé les peuples; les dogmes sont rejetés et je viens dire que ce sont les dogmes qui ont créé les aristocraties et le capital, ces deux colonnes de toute Civilisation. L'industrie, le crédit, les banques, les emprunts sont proclamés et je viens dire qu'ils ruineront les peuples. Partout la fausse Liberté et la Révolution s'annoncent et je viens, avec ma conscience seule, combattre la Révo- lution 1 » Ah ! certes, quiconque a gardé le respect et l'admiration du courage intellectuel, du désinté- ressement, de l'intrépidité, du talent fièrement dé- taché de tout autre souci que celui du vrai, du beau et du bien doit s'incliner très bas devant Blanc de Saint-Bonnet.

Las! ce qui fait sa grandeur fait naturellement aussi son isolement. De qui pourrait-il être compris? Déjà les spéculations de philosophie politique, so-

1. Restauration française, p. 5-6.

ciale et religieuse auxquelles il s'adonne rebutent les pense-petit et les utilitaires effrayés d'un effort dont ils ne peuvent attendre aucun profit matériel et, bien au contraire, qui ne saurait les conduire qu'à une vérité supérieure dont ils ne se soucient guère ou même qu'ils redoutent. Et le maître décourage encore ses disciples par le niveau très élevé auquel il les maintient. Impitoyablement, il les entraîne vers les sommets. Sa doctrine est un bloc vertigineux, abrupt et sans fissure, auquel on ne saurait accéder que par la volonté tendue d'un cœur bardé d'un triple airain ! Aussi presque tous ceux qui avaient d'abord été séduits par la noblesse de ses conceptions désertent-ils les uns après les autres, exténués par l'ahan qu'il leur impose, ou repris par la nostalgie des faciles délices et des gras pâturages de la plaine. Et peu à peu, le chef se trouve abandonné. Il ne s'en étonne certes pas, car

Il sait que les hauts lieux ne sont pas habités.

Mais cette désertion ne l'empêche pas de continuer sa route. Un peu comme ce pèlerin téméraire au pays de l'Absolu dont nous parle Léon Bloy, tandis qu'au- tour de lui le vide se fait de plus en plus complet, imperturbable et fier, sans détourner la tête, il s'avance dans l'épaisse ténèbre portant devant lui sa pensée comme un flambeau.

Pourtant, lui qui voulait montrer à ses compa- triotes le chemin, escarpé mais unique du salut, son

CHEZ BEAUCHESNE ET SES FILS

R. P. HENRI LE FLOCH, S. SP. LE CARDINAL BILLOT

LUMIÈRE DE LA THÉOLOGIE

Un volume in-16 grand jésus de 160 pages

Chanoine CH. CORDONNIER MONSEIGNEUR FUZET

ARCHEVÊQUE DE ROUEN Déjà paru :

Tome I. LES ORIGINES. L'ÉPISCOPAT A LA RÉUNION ET A BEAULIEU.

A paraître : Tome II. L'ARCHEVÊCHÉ DE ROUEN.

2 volumes in-16 grand jésus de 385 et 388 pages

A. MOLIEN Prêtre de l'Oratoire

LE CARDINAL DE BÉRULLE

HISTOIRE. DOCTRINE. LES MEILLEURS TEXTES

2 volumes in-16 grand jésus de 392 et 400 pages

Imprima en France

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections

de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.