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Une version abrégée de ce texte a été présentée lors 13 e Colloque Annuel du Conseil Canadien de la PME et de l’Entrepreneuriat (CCSBE-CCPME), qui s'est tenu à Montréal les 31 octobre, 1 er et 2 novembre 1996 à Montréal. Un modèle du processus entrepreneurial en neuf étapes par Christophe Kadji Youaleu et Louis Jacques Filion Cahier de recherche n o 1996-11-04 Avril 1997 ISSN : 0840-853X Copyright © 19__. École des Hautes Études Commerciales (HEC), Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série des Cahiers de recherche HEC n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. La publication de ce Cahier de recherche a été rendue possible grâce à des subventions d'aide à la publication et à la diffusion de la recherche provenant des fonds de l'École des HEC. Direction de la recherche, École des HEC, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) Canada 3T 2A7. H

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Une version abrégée de ce texte a été présentée lors 13e Colloque Annuel du Conseil Canadien de la PME et de l’Entrepreneuriat (CCSBE-CCPME), qui s'est tenu à Montréal les 31 octobre, 1er et 2 novembre 1996 à Montréal.

Un modèle du processus entrepreneurial en neuf étapes par Christophe Kadji Youaleu et Louis Jacques Filion Cahier de recherche no 1996-11-04 Avril 1997

ISSN : 0840-853X

Copyright © 19__. École des Hautes Études Commerciales (HEC), Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série des Cahiers de recherche HEC n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. La publication de ce Cahier de recherche a été rendue possible grâce à des subventions d'aide à la publication et à la diffusion de la recherche provenant des fonds de l'École des HEC. Direction de la recherche, École des HEC, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) Canada

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Résumé À partir de l’étude détaillée du système d’activités de huit entrepreneurs à succès, reliée à la création puis à la mise en place et au développement de leur entreprise, les auteurs ont élaboré et vérifié un modèle empirique des étapes du processus entrepreneurial. Les neuf étapes successives mais non-linéaires de ce processus sont: image différenciée de soi, proactivité et apprentissage, intérêt du domaine, visualisation, action, organisation, positionnement-développement, relations milieu et transférabilité. Chacune des étapes est décrite et illustrée par des propos d’entrepreneurs étudiés. Les implications du modèle pour la recherche future et la pratique sont mentionnées. Abstract This paper aims to provide a better understanding of entrepreneurial process. Using data gathered from empirical research on the activity systems of eight successful entrepreneurs, the authors have developed and verified an empirical model that details nine steps in the entrepreneurial process : self-differentiated image, proactivity and learning, interest for a business sector, visualizing, acting, organizing, positioning and developing, relating with the social environment, and transferring. The steps are described, explained and discussed. The implications of the model for further research and entrepreneurship education are underlined.

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Introduction L’étude des activités de l’entrepreneur est depuis quelques années au centre des préoccupa-tions d’un bon nombre de chercheurs en entrepreneurship. De l’avis de Gartner (1988) et d’autres auteurs (Filion, 1990a, 1991a; Stevenson et Hameling, 1990; Bygrave et Hofer, 1991), il est tout aussi important de comprendre comment se crée et se développe une entreprise, que de continuer à chercher quelles sont les caractéristiques de celles et ceux qui créent une entreprise. D’où la proposition faite aux chercheurs de porter désormais leur attention sur la compréhension et la description du processus entrepreneurial. Les recherches de l’un d’entre nous ont porté essentiellement sur ce processus entrepreneurial, ainsi que sur la façon de penser de l’entrepreneur pour qu’il arrive à faire ce qu’il fait (Filion, 1988, 1990a, 1991a). La présente recherche s’inscrit dans cette perspective, puisqu’elle suggère un modèle en neuf étapes de la création et du développement d’une entreprise. Le modèle empirique des étapes du processus entrepreneurial que nous proposons a comme caractéristiques particulières de se dérouler en neuf étapes et d’être profondément enraciné dans les pratiques des activités des acteurs entrepreneuriaux. Il a été développé suite à l’étude méticuleuse et détaillée des activités de huit entrepreneurs à succès (Filion, 1990b). Il a ensuite été vérifié auprès de 10 entrepreneurs, interrogés sur leur système d’activités, dans le cadre d’autres recherches. Dans chacun des cas, nous avons repris l’analyse détaillée du système d’activités relié à la création, puis à la mise en place et au développement de l’entreprise. Le modèle proposé décrit le processus entrepreneurial comme un processus itératif comportant neuf étapes successives, mais non-linéaires, puisqu’elles s’emboîtent de façon non-symétrique les unes dans les autres (Cf. Tableau 1). Il permet par ailleurs de découvrir les activités qui forment la trame de chacune de ces étapes. Les questions qui ont motivé et guidé cette recherche qualitative et exploratoire s’énoncent explicitement de la manière suivante : (i) Comment comprendre et décrire les manières suivant lesquelles les entrepreneurs s’emploient à créer et à développer avec succès leurs entreprises? (ii) Est-il possible, à partir de la compréhension de ce qu’un entrepreneur dit qu’il fait (ses actions) et du sens qu’il attribue à ses actions, d’identifier des éléments caractéristiques d’une logique spécifique de son fonctionnement? (iii) Comment induire (et décrire) des logiques particulières de fonctionnement de différents entrepreneurs, une qui serait commune et représentative de l’ensemble des entrepreneurs étudiés, et du même coup, qui serait généralisable à la population des entrepreneurs? La nature détaillée de ces questions se veut une traduction de notre préoccupation qui est de comprendre et de décrire les étapes du processus entrepreneurial à partir des activités de l’entrepreneur. Dans les pages qui suivent, nous procédons d’abord par la définition et la précision des sens de nos éléments conceptuels. Nous décrivons ensuite la méthodologie utilisée, ainsi que le processus d’analyse de données. Enfin, nous présentons et discutons les résultats de la

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recherche. En guise de conclusion, nous énonçons les intérêts théoriques et pratiques de ce travail. Les étapes du processus entrepreneurial La littérature en entrepreneurship est riche en modèles théoriques variés qui tentent de décrire le processus entrepreneurial tel qu’il est supposé se dérouler dans les contextes organisationnel et social d’action de l’entrepreneur. La majorité de ces modèles concerne les cas de petites et moyennes entreprises (PME), parce que les auteurs conçoivent que c’est au niveau de celles-ci que l’entrepreneurship peut le plus facilement être observé et compris, et cela, à travers les comportements et actions de leurs propriétaires-dirigeants. De plus, la jeune PME qui vient de naître est considérée comme un système social encore exempt des inerties organisationnelles propres à la grande entreprise, qui viennent restreindre la manifestation des comportements entrepreneuriaux. Toutefois, en dépit de la variété des modèles que la littérature nous propose, nous n’avons retenu que les modèles taxonomique de Vesper (1990) et conceptuel de Gartner (1985), fréquemment cités, pour montrer et faire comprendre les caractéristiques distinctives de notre modèle. Le tableau 1 suivant présente les trois modèles. Tableau 1 Étapes du processus entrepreneurial

Modèle de Vesper (1990)

Modèle de Gartner (1985)

Modèle

(suivant les activités)

1. Acquisition des connaissan-

ces techniques 2. Cristallisation de l’idée

d’entreprise 3. Développement des réseaux

de relations personnelles 4. Acquisition des ressources

physiques et humaines 5. Obtention de commandes de

clients

1.Détection de l’opportunité

d’affaires 2.Accumulation de ressources 3.Vente de produits ou services 4.Production de produits ou

services 5.Construction de l’organi-

sation 6.Responsabilités sociales de

l’entreprise

1.Image différenciée de soi 2.Proactivité et apprentissage 3.Intérêt du domaine 4.Visualisation 5.Action 6.Organisation 7.Positionnement-développe-

ment 8.Relations milieu 9.Transférabilité

À l’exemple du modèle de Vesper, le nôtre est induit des pratiques concrètes de l’entrepre-neurship en contexte de PME. Son caractère empirique le distingue du modèle de nature conceptuelle de Gartner, mais n’empêche pas qu’il partage avec ces deux modèles une vision dynamique, séquentielle et itérative du processus entrepreneurial. La première particularité distinctive de notre modèle se situe d’abord au niveau matériel : alors que Vesper et Gartner nous proposent respectivement leur modèle en cinq et six étapes, le nôtre comporte neuf étapes

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successives mais non-linéaires, parce qu’elles s’emboîtent les unes dans les autres de façon non-symétrique. Sa deuxième particularité est au niveau conceptuel : l’exploration des pratiques entrepreneuriales nous a permis de découvrir que le processus entrepreneurial n’était pas seulement de nature technique et économique, mais qu’il comportait également des éléments de l’historicité et de la socialisation de l’entrepreneur. C’est pour représenter ces caractéristiques sociales, techniques, économiques et historiques, que nous avons conçu les étapes de façon à ce qu’elles rendent compte à la fois du développement progressif personnel de l’entrepreneur, et du développement progressif des arrangements institutionnels. Cette conception est illustrée dans la section consacrée à la présentation des résultats. Ce sont ces spécificités qui fondent l’originalité de notre modèle. Les activités de l’entrepreneur Par activités de l’entrepreneur, nous entendons essentiellement ce que fait un entrepreneur prioritairement dans sa vie professionnelle, mais aussi l’ensemble de ses activités, dans sa vie de tous les jours. Définir les activités de l’entrepreneur nécessite au préalable que nous en ayions une conception systémique (Filion, 1988, 1990a). Autrement dit, une des facettes à partir de laquelle nous pouvons concevoir l’entrepreneurship consiste à le voir comme une série de rôles qu’un individu remplit, au fur et à mesure qu’il s’emploie à mettre sur pied une entreprise et à la développer. Une telle perspective suppose selon nous que pour comprendre le phénomène de l’entrepreneurship, il importe de regarder l’entrepreneur agir, et/ou de le questionner au sujet de ses actes : que fait-il concrètement? Avec qui le fait-il? Où le fait-il? Pourquoi le fait-il? Quelle est la séquence dans l’organisation de ce qu’il fait? etc...Telles sont quelques-unes des questions qui peuvent nous aider à établir une structure du comportement de l’entrepreneur, et partant de là, à regrouper ses activités en étapes. Avec le souci d’arriver à comprendre ce qu’un entrepreneur fait, nous avons choisi d’adopter une approche particulière: celle d’explorer les contenus d’entrevues d’entrepreneurs, à l’aide des questions précédemment énoncées. Cette approche nous a permis de répertorier un ensemble d’activités motrices réalisées par l’entrepreneur depuis son enfance. Nous avons découvert que l’entrepreneur qui veut réussir s’intègre graduellement à la pratique entrepreneuriale en exerçant une variété d’activités au sein des différents systèmes sociaux auxquels il participe : la famille, l’école, les communautés religieuse et ethnique, les cercles d’amis, les associations, les organisations communautaires, et autres. Ces activités sont présentées au fur et à mesure que nous décrivons le modèle, et concernent la création de produits ou services à la manière de l’artiste, le développement d’outils de production comme le fait l’ingénieur, la négociation d’ententes et de contrats commerciaux comme le fait le commerçant, l’allocation et la coordination de ressources à la manière du gestionnaire. En somme nous observons une multiplicité de rôles qui viennent répondre à la multiplicité des activités du métier d’entrepreneur.

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Méthodologie Cette recherche a été conduite au moyen d’une méthodologie qualitative, exploratoire et de type phénoménologique. Elle se situe dans la même veine que les recherches sur les systèmes d’activités humaines (Checkland, 1981; Churchman, 1979; Hutchins, 1996; Mitroff, 1983; Waring, 1996). Comme le choix d’une méthodologie par tout chercheur est explicatif de sa position épistémologique, de la finalité et des objectifs qu’il poursuit(Filion, 1993), nous avons débuté la recherche avec la croyance fondamentale que les phénomènes de l’entrepreneurship, à l’instar des autres phénomènes sociaux, sont socialement construits (Berger et Luckmann, 1967); que les sciences humaines sont faites à partir de modèles et d’interprétation (Barnes, 1990) et conséquemment, que la compréhension de leur essence et des processus qui les sous-tendent passe nécessairement par l’adoption d’une méthode de recherche capable de mettre en exergue les représentations, interprétations et compréhensions que les acteurs entrepreneuriaux entretiennent eux-mêmes de ces phénomènes. La méthode qualitative, par son approche interprétative qui demande que le chercheur accorde une préséance aux actions et expériences du cherché (Miles et Huberman, 1994) nous est apparue adéquate à cet effet. Les entrevues qui ont été analysées sont des données secondaires: elles ont été recueillies dans le cadre d’une recherche antérieure (Filion, 1988, 1990b). Nous n’avons accordé une fiabilité intersubjective à ces données qu’après avoir vérifié le processus de collecte des données primaires et les méthodes antérieurement utilisées pour vérifier leur convergence. Lors de l’étude pilote, les entrevues ont duré en moyenne de trois à cinq heures. L’échantillon que nous avons utilisé pour construire le modèle a été choisi de façon délibérée (’purposive sample’). Sa composition est la suivante : dans l’étude pilote, deux(2) des entrepreneurs étudiés sont de Finlande; deux(2) d’Écosse; un(1) de Suède; un(1) de Suisse et deux(2) du Québec. En Finlande et en Suède, les entrepreneurs étudiés opèrent dans le domaine manufacturier; en Écosse et en Suisse dans les services, au Québec, une des entreprises est dans le domaine de la production et de la distribution, alors que l’autre est dans le commerce de détail. Les deux entreprises québécoises ont été fondées par les entrepreneurs étudiés et sont devenues des multi-nationales. La vérification des étapes du modèle s’est faite à partir de données recueillies lors d’entrevues réalisées auprès de 10 entrepreneurs. Huit de ces entrepreneurs opèrent dans le domaine manufacturier, les deux autres dans celui des services (Filion, 1996). Analyse des données Dans le but d’identifier l’ensemble des activités dans lesquelles les entrepreneurs s’étaient engagés depuis qu’ils avaient eu l’idée de se lancer en affaires, nous avons commencé l’analyse des données par une lecture attentive et répétitive de quatre entrevues sur les huit que comportait notre échantillon. La deuxième étape de notre démarche a consisté à établir l’ordre séquentiel des activités de chaque entrepreneur suivant leur temps d’apparition dans le cheminement de ce dernier. Nous avons procédé par regroupement et classification de ces activités en sous-ensembles et en thèmes qui s’apparentaient. À partir de l’étude de ces activités, nous voulions cartographier le cheminement particulier propre à chacun des entrepreneurs. Par exemple, réduit à son état le plus simple, nous avons décodé qu’il y avait trois temps dans ce cheminement: le prédémarrage, le lancement et la gestion. Dans un deuxième temps, nous avons disséqué plus en détail les activités reliées à

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l’ensemble du cheminement de chacun des huit entrepreneurs étudiés afin d’en identifier les éléments, puis d’établir l’ordre séquentiel des étapes dans leur déroulement. Cette dissection nous a aussi permis d’identifier dans les différents contenus discursifs, les éléments expressifs des émotions et les significations que chaque entrepreneur attribuait à son rôle, à sa réussite, à sa vie personnelle et familiale. Leur considération nous a conduit à envisager un processus entrepreneurial qui ne serait pas essentiellement de nature technique et économique comme il apparaît souvent dans la littérature, mais bien plus, un processus qui dans son essence même, comporterait une part de l’historicité et de la socialisation de l’entrepreneur à ses rôles futurs. Cette conception nous a conduit à concevoir un processus en huit (8) étapes pour l’un des quatre entrepreneurs étudiés, neuf (9) étapes pour un autre, et 10 étapes pour deux autres. Nous présentons dans le tableau 2 ci-dessous ce premier effort de synthèse. Tableau 2 Premières approximations des étapes du processus entrepreneurial 1. Projection-rêve-construction d’une image future de soi. Perception de soi comme

entrepreneur suite à l’influence d’un modèle; 2. Prise en charge individuelle (partielle ou totale); 3. Manifestation d’un intérêt pour un corps de métier; 4. Apprentissage et compréhension du domaine choisi (développement d’un modèle de

pensée et d’action); 5. Engagement dans l’action; 6. Construction d’un contexte organisationnel; 7. Partage de pouvoirs et d’expériences avec les collaborateurs; 8. Positionnement dans le domaine industriel; 9. Perspectives d’avenir 10. Partage d’expériences et diffusion de connaissances dans son environnement.

Lors de la classification des activités, nous avons remarqué qu’il existait de grandes variations dans la hiérarchie des étapes lorsqu’on passait d’un entrepreneur à l’autre. Dans certains cas par exemple, l’étape 6 venait avant l’étape 4 parce que l’entrepreneur avait travaillé et avait acquis une expérience considérable avant de se lancer en affaires. Dans d’autres cas, c’était l’inverse qui se produisait parce que l’entrepreneur avait suivi une formation spécialisée dans le domaine où il avait manifesté un intérêt avant de créer son entreprise. De plus, nous avons relevé tout au long des entrevues que des éléments caractéristiques de certaines étapes, tels ceux reliés à l’apprentissage, étaient récurrents. Pour résoudre ce problème des variations et arriver à représenter les interactions entre ces étapes, nous avons eu recours au diagramme de GANTT, parce qu’il nous offrait la possibilité d’identifier un peu plus clairement les précédences, les chevauchements (interactions) et les successions entre étapes, et de leur attribuer un ordre. Les résultats de cette démarche apparaissent dans le tableau 3 ci-dessous.

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Tableau 3 Conditions et interrelations entre étapes,

dégagées à partir du diagramme de gantt . Étape 1 = f(développement des attitudes nécessaires) . Étape 3 = f(étape 1) . Passage des étapes 2 à 10 = f(acquisition d’un ensemble de compétences et de ressour-

ces) . Étape 2 à 10 = f(1) . Étape 4 est en interaction constante (feed-back) avec les étapes 5 à 10

Munis de ce schéma classificatoire, nous avons alors procédé à une lecture systématique des quatre autres entrevues d’entrepreneurs. Après avoir complété la lecture du septième entrepreneur, nous avons une fois de plus remarqué que certains faits étaient encore marginalisés par notre grille de lecture, et de plus, qu’en portant notre attention aux buts pour lesquels l’entrepreneur réalisait des activités, nous pouvions fusionner certaines étapes et classifier autrement certaines activités. Par exemple, il nous était possible de fusionner les étapes 7 et 10 du tableau 2 ci-dessus, parce qu’elles regroupaient des activités dont les buts consistaient pour l’entrepreneur, à partager certaines de ses connaissances et responsabilités avec les autres acteurs sociaux présents dans son environnement social ou organisationnel. De plus, nous remarquions que tout ce qui portait sur la vision que l’entrepreneur avait de ce qu’il voulait faire avait été omis, de même que les manières de s’organiser pour faciliter la succession à la tête de l’entreprise. Ces remarques, nourries d’échanges et de discussions entre chercheurs, nous ont conduits à refondre notre schéma de classification d’activités et à générer finalement un modèle en neuf étapes. C’est ce dernier qui a été conservé, car il permet de bien situer la dizaine de cas que nous avons étudiés par la suite pour le vérifier. Étapes du processus entrepreneurial Dans les pages précédentes, nous avons caractérisé d’itératif le processus entrepreneurial que présente notre modèle du tableau 1 et l’avons schématisé en neuf étapes successives, mais non-linéaires. Voici une illustration de cette conception. Nous présentons par exemple l’étape 4 avant les étapes 5 et 6, mais ceci n’est qu’une simplification visant à rendre intelligible ce processus plus complexe qu’il ne paraît dans le modèle. En effet, Collins et Moore (1970), Gartner (1984) et Filion (1989, 1990a) ont remarqué que l’entrepreneur qui réussit ne cesse d’apprendre : il vérifie, réfléchit et intériorise ce qu’il fait. Corrélativement, il corrige, ajuste et améliore ses façons de faire. Dans cette optique, il apparaît que l’apprentissage produit l’action, et en retour, est reproduit par celle-ci. C’est ce qui explique la nature itérative du processus. De plus, chez tous les entrepreneurs que nous avons étudiés, nous avons identifié que parallèlement à l’apprentissage et à l’action, il se produit un processus de visualisation. Il s’agit d’entrepreneurs à succès. Filion (1991a) a

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montré que la vision est l’élément motivateur par excellence de l’apprentissage. Nous avons également pu confirmer que le développement de la vision chez l’entrepreneur est le résultat de la compréhension graduelle qu’il acquiert de son secteur d’activités d’affaires suite à l’apprentissage continu dans lequel il est engagé. Ces illustrations montrent bien qu’il s’agit d’un processus non-linéaire, puisque les étapes s’influencent entre elles et s’emboîtent de façon non-symétrique les unes dans les autres; elles sont aussi de durées variables et se produisent de façon différente d’un entrepreneur à l’autre, mais elles sont là. Elles se produisent suivant un ordre séquentiel similaire. En général, on voit que l’entrepreneur passe des tâches opérationnelles aux tâches stratégiques, plus exigeantes en termes de réflexion, de connaissances, et de responsabilités. De la projection de soi au transfert des connaissances, expériences, et biens matériels et financiers, nous remarquons donc que l’entrepreneur connaît un développement personnel et progressif qui se reflète dans le processus de croissance de son entreprise et dans les façons suivant lesquelles il structure son contexte et délègue les tâches. D’où le second volet de nos suggestions consistant à dire que les étapes de ce processus soient également vues comme le reflet du développement progressif de la personne de l’entrepreneur sur les arrangements institutionnels. Décrivons et parlons maintenant de chacune de ces étapes que nous avons identifiées. Image différenciée de soi Nous définissons l’image de soi comme la prise de conscience par l’individu de ce qui fait sa spécificité en tant qu’être humain, c’est-à-dire, de ce qui le différencie des autres individus de sa société. Nos recherches nous ont permis de découvrir que l’entrepreneur potentiel vit très tôt dans son cheminement un sentiment de marginalité du fait qu’il prend conscience de ses différences, les accepte comme telles et éprouve un grand besoin de les exprimer dans un contexte qu’il veut différent de celui du commun des mortels. Voici comment certains des entrepreneurs étudiés nous ont décrit l’image qu’ils entretenaient d’eux-mêmes alors qu’ils n’avaient pas encore crée leur entreprise. Heikki Bachman est un entrepreneur finlandais qui a développé une entreprise florissante dans le domaine des coffres-forts et de l’équipement de sécurité. Il s’est perçu différent de ses camarades depuis le temps qu’il était étudiant : «Au cours des années où j’étais étudiant, par exemple, je n’aimais pasm’habillerde la

même façon que les autres. J'ai toujours eu un très fort besoin d'être différent, d'être moi-même. J’aime faire des choses que les autres n’ont pas faites, des choses différentes, et je me suis fixé des buts pour ma vie en affaires pendant les premières années où j'étais à l'université, parce que j'éprouvais de très forts besoins d'accomplir certaines choses.» (Filion, 1990b : 79)

David Murray est l'homme d’une des histoires à succès parmi les plus extraordinaires en Grande-Bretagne. Il fut l’entrepreneur de l’année en Écosse alors qu’il n’était âgé que de 32 ans : «À l'école, je n'étais pas intéressé. Lorsque j'ai eu 14 ou 15 ans, je savais que j'allais me

lancer en affaires. J'avais l'habitude de dire aux gens que je serais millionnaire avant l'âge de 30 ans. Mais ils riaient toujours de moi.» (Filion,1990b : 285)

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«Je suis très spécial. Vous n’en trouverez pas d’autre comme moi!» (Filion, 1990b :

289) Gustaf Jonsas est un entrepreneur finlandais qui a mis sur pied une entreprise rayonnant au plan international, très axée sur le développement de produits (électroniques, imprimerie, oculiste). Pour nous expliquer les raisons qui l’ont poussé en affaires, Gustaf est remonté le plus loin dans l’image qu’il avait de lui lorsqu’il était étudiant : «J’étais très paresseux à l’école. Je n’étais pas motivé du tout par les études. J’avais

beaucoup de difficultés à me concentrer.» (Filion,1990b: 84) Quant à Gio Benedetti, entrepreneur écossais qui a bâti une entreprise prospère dans le domaine du reconditionnement des gants industriels, c’est dès l’âge de 10 ans qu’il a commencé à se percevoir comme dirigeant d’entreprise. Ce qui est devenu réalité lorsqu’il a eu 20 ans. «Je me souviens que j’ai toujours été ambitieux et que je désirais accomplir quelque

chose. J’étais un peu comme un rêveur, et j’ai toujours rêvé qu’un jour je serais à la direction d’une grande entreprise ... Quand j’ai eu 19 ans, je travaillais encore au bistro, mais j’avais déjà réalisé qu’il n’y avait pas d’avenir pour moi là. Je voulais faire quelque chose et je ne pouvais voir aucune progression dans le domaine scolaire, de telle sorte que j’ai décidé de quitter le bistro.» (Filion,1990b : 92)

Plus près de nous, Rémi Marcoux a bâti en 10 ans un des grands groupes dans le domaine de l’imprimerie au Québec. Il a travaillé pendant longtemps au service d’une autre grande entreprise québécoise opérant, dans le même domaine que l’entreprise qu’il a créée. Durant tout ce temps, il a conservé une image particulière de lui : «Chez Québécor, j’étais vice-président aux opérations et Québécor prenait de l’expan-

sion aux quatre coins du Québec (...) ce qui voulait dire pour moi voyager beaucoup... Pour moi, ce travail devenait difficile à concilier avec la vie familiale. D’autre part, je demeurais strictement un salarié (...). Le temps passait et j’étais toujours un salarié, très bien payé, mais strictement un salarié.» (Filion, 1990b : 25).

Nous avons donc identifié la prise de conscience d’une image différenciée de soi comme le point de départ du cheminement entrepreneurial. C’est ce qui fait que l’entrepreneur potentiel se donne une orientation qui se reflète par la suite dans sa vie, dans les choix qu’il fera en ce qui concerne sa vie professionnelle. C’est ce qui l’amène à créer une entreprise, à se lancer en affaires. Proactivité et apprentissage La plupart des entrepreneurs que nous avons étudiés ont manifesté l’esprit d’initiative et le goût de se prendre en charge eux-mêmes alors qu’ils étaient très jeunes, parfois 10, 12 ou 14 ans. Parce qu’on veut se réaliser en accomplissant des choses, on acquiert jeune une culture de l’apprentissage. Ceci se produit aussi dans bien des cas à cause de la nécessité reliée à la

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situation de vie de la personne. On pourrait présumer, comme l’ont mentionné les auteurs Timmons (1978) et Hornaday (1982), que c’est le désir d’indépendance ou d’autonomie qui pousse précocement les entrepreneurs vers l’action. Pour ce faire, on doit apprendre à apprendre vite. Nous soutenons que les valeurs et la culture entrepreneuriale provenant de la famille, et l’expérience des affaires acquises jeunes sont d’autres facteurs pouvant nous aider à comprendre ce comportement. Les extraits d’entrevues qui suivent nous permettent de l’illustrer. Gustaf Jonsas a débuté sa vie professionnelle à 15 ans : «J’ai commencé à travailler vers l’âge de 15 ou 16 ans : j’étais commis dans une

quincaillerie. J’ai su dès ce moment que l’avenir pour moi consistait à pouvoir me lancer en affaires. Cette idée devint encore plus présente lorsque j’ai eu 18 ou 19 ans.» (Filion, 1990b : 84)

Rémi Marcoux a été poussé à l’action à l’âge de 12 ans : «Mon père était cultivateur. En 1945, il a vendu la ferme pour bâtir un magasin général

dans le village....Toute la famille vivait du commerce 24 heures sur 24. J’étais beaucoup dans le magasin. J’ai été un peu élevé parmi le public, les clients. Comme j’étais le plus vieux de la famille, parmi les garçons, j’ai travaillé le soir, le samedi, durant l’été, etc... On travaillait tout le temps.» (Filion, 1990b : 17)

Jean Coutu, c’est l’histoire d’un des plus grands groupes de commerce de détail (en dehors de l’alimentation) construit par un seul homme dans l’histoire du Québec et du Canada. Il a intégré la culture de commerce de détail très tôt par l’éducation familiale. «Mon père était médecin (...) Un de mes grands-parents était tavernier, hôtelier plutôt

et l’autre a été marchand. Ses frères et soeurs, la plupart, étaient des cultivateurs, des fermiers (...) Quand j’étais jeune, j’ai travaillé dans des milieux difficiles. J’ai travaillé dans des milieux d’ouvriers non spécialisés où c’étaient les bras qui menaient toute l’histoire... Quand j’étais étudiant en médecine et en pharmacie, j’ai travaillé à la compagnie Coca-Cola dans le temps. J’étais pileur de caisses de Coca-Cola.» (Filion, 1990b : 136 et 173)

Bernard Vonlanthen est cet entrepreneur Suisse qui à 33 ans, a créé et développé avec succès son entreprise dans le domaine des services de l’entretien régulier de bureau. Mais c’est depuis l’âge de 13 ans qu’il s’est pris en charge en commençant par assumer lui-même ses coûts de scolarité au secondaire : «À l’âge de 13 ou 14 ans, j’ai travaillé chez un agriculteur qui était député et j’ai gagné

les quatre cents francs requis pour payer la première année de l’école secondaire. D’ailleurs pendant l’école primaire, je travaillais déjà chez des agriculteurs. Je travaillais le soir, le matin et pendant les vacances. Je gagnais cinquante francs par mois. Une fois à l’école secondaire, je ne gagnais plus car je faisais du travail chez ma tante pour payer ma pension. Après l’école secondaire, j’avais 17 ans, j’ai fait un apprentissage accéléré de mécanicien-ajusteur. J’ai travaillé pendant quatre ou cinq ans comme mécanicien-ajusteur dans différentes entreprises de la région.» (Filion, 1990b :

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211) David Murray nous a confié que son premier emploi fut de passer le journal du dimanche alors qu’il n’avait que sept ans, mais aussi que plus tard, il s’est pris en charge en accomplissant plusieurs autres activités le préparant à se lancer en affaires : «J’avais l’habitude de faire le tour des maisons à Edimburg et de dire aux gens que

j’étais un étudiant à l’université qui avait besoin d’argent, et je leur offrais de nettoyer leur sous-sol pour 20 livres. J’ai fait 20 ou 30 sous-sols de cette façon. Je travaillais aussi comme garçon de table dans un restaurant... Lorsque j’ai eu 16 ans, j’ai été engagé par une petite entreprise oeuvrant dans le domaine des métaux et j’ai commencé à £7 par semaine. Je marchais 4 miles (7 kilomètres) chaque jour pour me rendre au travail. Ainsi j’ai coupé le métal, je le livrais, je le commandais, je l’expédiais, je collectais de l’argent : enfin je faisais tout. Ce fut une formation fantastique. J’ai travaillé là entre 16 et 20 ans.» (Filion, 1990b : 285-286)

Gio Benedetti a commencé par travailler au bistro de son oncle, alors qu’il n’avait que 12 ans : «Je travaillais au bistro sept jours par semaine. J’avais l’habitude de terminer l’école à

4 h et de travailler au bistro jusqu’aux environs de 10 h le soir, même lorsque je n’avais que 12 ou 13 ans.» (Filion, 1990b : 93)

Avant de devenir directeur général de l’entreprise qu’avait créée son père, Heikki Bachmann a eu à s’y occuper de la comptabilité pendant qu’il était étudiant. (Filion, 1990b : 69) La manifestation d’un comportement proactif est une caractéristique que l’on observe chez l’entrepreneur qui a pris conscience de ses différences et qui s’est donné une première orientation de vie professionnelle. Dans tous les cas étudiés nous remarquons que l’entrepreneur potentiel démontre assez tôt dans son cheminement une forte propension à l’action et à l’apprentissage, et que la majorité d’entre eux créent leur entreprise dans le domaine où ils acquièrent leurs premières expériences de travail. En fait, le contact avec le marché du travail marque pour plusieurs de ces entrepreneurs en devenir, non seulement le début d’une culture de l’apprentissage pratique, mais aussi celui du processus d’exploration d’une opportunité d’affaire. Intérêt du domaine Filion (1991a) a montré que l’identification d’un intérêt pour un secteur d’activités d’affaires constitue le premier jalon de ce que deviendra le point d’ancrage du système d’activités de l’entrepreneur. Dans son modèle, Gartner (1985) a mentionné la détection d’opportunités comme la première étape du processus entrepreneurial (Voir tableau 1). Belley (1990) a bonifié le modèle de création d’entreprises proposé par Shapero et Sokol (1982) en y incluant une dimension importante: celle de l’opportunité à exploiter, identifiée par l’entrepreneur potentiel qui vit une discontinuité dans sa trajectoire de vie, en présence de forces positives ou négatives du changement. Cette étude nous a permis de réaliser que les

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entrepreneurs s’intéressent surtout à ce qui les passionne, à ce qu’ils ont identifié ou perçoivent qu’ils aiment et peuvent faire, à ce dans quoi ils pensent qu’ils peuvent être le plus créatifs, ou encore, à ce qui peut leur permettre de se réaliser sur les plans personnels et professionnels. Lorsque nous regardons les réponses des entrepreneurs sur les raisons de leur choix de secteur d’activités, nous notons que tous ont insisté sur la nécessité d’avoir un intérêt, même si ce dernier peut parfois n’être que faible au départ. Par exemple, Staffan Preutz est un entrepreneur suédois qui a choisi de se spécialiser dans la fabrication et la vente des montures de lunettes. Malgré la tradition familiale dans le métier d’opticien, il a réalisé lui-même qu’il entretenait pour ce domaine un intérêt : «Je pratique le même métier que mon père qui était aussi opticien, et en plus horloger.

Il fabriquait des montres. Mon grand-père était aussi opticien et horloger. Il m’est apparu plus facile d’entrer dans ce métier. Toutefois, j’ai toujours été très intéressé par le design et la peinture. À cause de ce côté artistique, je tenais à produire mes propres designs pour les montures de lunettes.» (Filion, 1990b : 58)

Dans la même veine, Pekka Antilla, cet entrepreneur finlandais qui a acquis une réputation mondiale quant à l’originalité du design de ses bijoux, nous a confié qu’il savait dès le départ ce qu’il n’aimait pas faire, et a cherché pour trouver un domaine qui l’intéresserait : «Comme je venais de la campagne j’avais été habitué à travailler dur. Je faisais du

travail qui demandait un effort physique considérable. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller dans un domaine où je n’aurais pas à faire du travail physique trop dur. J’ai lu différents livres et j’ai trouvé que joaillier et bijoutier étaient des métiers qui pouvaient m’intéresser. Alors j’ai choisi d’être joaillier.» (Filion, 1990b : 263)

L’intérêt de David Murray pour les métaux est né de l’impression qu’avait exercé sur lui un de ses oncles qui travaillait dans ce domaine, alors qu’il était encore jeune : «J’ai un oncle qui était dans le domaine de la ferraille. Quand j’étais jeune homme, il a

exercé une impression sur moi parce qu’il semblait être une personne très influente et il m’apparaissait un homme d’affaires qui s’occupait de véritables affaires. Il est celui qui m’a obtenu la première entrevue dans le domaine des métaux avec un compagnie située à Glasgow .... Un jour, j’ai vu une annonce dans un journal: ’petite entreprise dans le domaine des métaux a besoin d’un garçon. 7 livres par semaine’. J’ai écrit une lettre et j’ai été engagé.» (Filion, 1990b : 280)

L’intérêt de Jean Coutu pour la pharmacie a aussi en bonne partie été stimulé par une de ses relations familiales, mais son côté leader (chef de bande) semble également l’expliquer : «J’étais en deuxième année de médecine. J’ai abandonné. Ça a fait un peu de peine à

mon père. J’avais un cousin qui était pharmacien. J’aimais ça la pharmacie. J’aimais ça parce que ça nous impliquait plus. Dans ce temps là, on ne donnait pas d’importance aux facteurs humains. J’ai dit: "Bonté divine, moi, j’aimerais ça être pharmacien.» (Filion,1990b : 142-143)

«Par ailleurs, au cours de mes deux dernières années en philosophie, j’étais président

de ma classe. J’organisais un paquet d’affaires : des soirées pour les jeunes, des danses

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et tout ça. J’ai toujours bien aimé ça. C’est une des raisons pour laquelle j’ai pris la pharmacie après avoir quitté la médecine. Je me suis dit: ’en pharmacie, je vais peut-être avoir la chance d’avoir avec moi un paquet de garçons et de filles avec qui on pourrait faire quelque chose de différent.» (Filion,1990b : 145)

Quant à Gustaf Jonsas, il n’a développé un intérêt pour la vente des produits de quincaillerie qu’après avoir travaillé comme commis dans ce domaine, et suivi une formation dans une école de commerce : «Après l’école de commerce, j’ai commencé à vendre à l’industrie: du papier sablé et

d’autres matériels de quincaillerie, et ce, à toutes sortes d’industries partout en Finlande. J’ai alors décidé de produire une lampe pour les enfants et de la vendre ... J’étais familier avec ce domaine compte tenu de nombreux voyages que j’avais faits un peu partout en Finlande à visiter les entreprises... Au même moment, j’ai obtenu le droit d'importer les tirelires et les compteurs d’argent sonnant et j’ai commencé à vendre ces produits-là plutôt que les lampes. J’ai trouvé qu’il s’agissait là d’une meilleure opportunité pour faire les affaires, de telle sorte que j’ai laissé les lampes de côté.» (Filion, 1990b : 84)

Bernard Vonlanthen a dû quitter son emploi de cadre dans l’entreprise où il travaillait depuis cinq ans, pour créer et développer sa propre entreprise. Tel qu’il nous l’a confié, cette décision était en partie une réponse à une opportunité qu’il avait perçue dans ce domaine. «Deux choses ont provoqué ma décision de lancer SEREG. La première, c’est que je

suis arrivé comme chef de ventes et après comme chef de succursales dans cette entreprise à Genève et je me suis rendu compte tout de suite que c’était un secteur où l’on gagnait de l’argent et qu’il y avait un marché très grand. Il y avait possibilité de faire des choses extraordinaires au niveau du développement (...) La deuxième raison qui est peut-être plus fondamentale que la première, c’est que dans cette entreprise, j’avais un supérieur, le directeur général de l’entreprise, qui était et qui est toujours une nullité totale. Il était avocat et ne savait pas du tout ce qu’est une entreprise.» (Filion, 1990b :214)

Gio Benedetti par contre n’avait pas travaillé auparavant dans le domaine du nettoyage à sec. Il a cependant décidé d’acheter une entreprise dans ce domaine parce qu’il s’agissait d’une opportunité qui correspondait à ses désirs : «Quand j’ai eu 20 ans, j’ai décidé de faire quelque chose de ma vie. J’étais bien décidé

à ne pas passer ma vie à servir du café ... J’ai décidé que je voulais faire quelque chose de ma vie et j’ai regardé autour pour acheter une entreprise. Je ne voulais pas acheter une entreprise de fish and chips ou un bistro ou quoi que ce soit de cette nature. J’ai vu une entreprise de nettoyage à sec qui était à vendre. Je ne connaissais rien au sujet du nettoyage à sec, mais cette entreprise semblait être à considérer ... J’ai pensé que c’était la sorte d’entreprise que je voulais parce que je voulais commencer complètement en bas de l’échelle et monter l’affaire. (Filion, 1990b : 95)

Heikki Bachmann a accepté la direction générale de l’entreprise familiale, non seulement parce qu’il avait les capacités d’analyse et le sens d’organisation propres aux gestionnaires,

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mais aussi parce qu’il y avait travaillé depuis qu’il était étudiant, et percevait alors qu’il pouvait identifier des opportunités à exploiter, ou qu’il pouvait mieux concevoir les actions à initier pour favoriser le développement de l’entreprise : «Lorsque j’ai pris la charge de l’entreprise, j’avais quelques idées quant à la façon de

la gérer. Je savais qu’on devait bouger. Je savais que je devais préparer un plan pour le développement de l’entreprise et le présenter à la banque. Je devais aller plus loin, parce que mon père était cette sorte de personne qui travaille essentiellement avec ses mains. Il ne voyait pas l’entreprise à travers les yeux d’un homme d’affaires.» (Filion, 1990b : 69)

Rémi Marcoux a développé son intérêt pour le secteur de l’édition, de l’impression et de la distribution suite à sa longue expérience professionnelle chez Québécor, laquelle l’a conduit jusqu’au poste de vice-président des opérations. Mais auparavant, c’est lors d’un stage dans un bureau de comptables agréés, du temps où il était encore étudiant, qu’il découvrit son intérêt pour l’administration et le développement des entreprises : «J’ai beaucoup aimé faire mon stage dans un bureau de CA parce que ça nous exposait

à différentes entreprises. Ce que j’aimais lorsque j’ai fait mon stage, ce n’était pas strictement de faire de la vérification, ça faisait partie du travail, mais je m’enthousiasmais surtout pour l’administration, l’évolution de ces entreprises-là. J’aimais porter des jugements sur l’administration de l’entreprise. Une fois mon stage terminé, j’étais très heureux d’aller chez Québécor en 1968. Québécor correspondait à l’entreprise où il y avait beaucoup d’entrepreneurship, beaucoup d’ambition, beaucoup de latitude... J’ai quitté Québécor le 4 juin 1975. En septembre, comme je n’avais pas de capital, j’ai commencé par regarder pour trouver une entreprise en difficultés et pour prendre des participations dans une entreprise existante. À la fin septembre, j’ai acheté un intérêt de 75 % dans un atelier de composition et 25 % dans une société d’édition.» (Filion, 1990b : 19)

Le développement d’un intérêt pour un secteur d’activités d’affaires est donc une étape cruciale dans le cheminement entrepreneurial du futur entrepreneur. Nous remarquons que cet intérêt se développe souvent pour le domaine dans lequel l’entrepreneur trouve son premier emploi, même s’il ne peut l’identifier qu’après un certain cheminement dans cet emploi. Dans plusieurs cas, nous avons noté que cet intérêt a été stimulé et soutenu par le milieu familial. Toutefois, l’intérêt manifesté par l’entrepreneur pour un secteur dépend surtout de la perception qu’il a de pouvoir y réussir en créant une entreprise à son image, et de pouvoir y progresser. Visualisation La vision est définie comme «...“une image projetée dans le futur de la place qu’on veut voir occupée par ses produits sur le marché ainsi que l’image projettée du type d’organisation dont on a besoin pour y parvenir.» (Filion, 1991a :109-110). Dans son modèle du processus entrepreneurial, Vesper (1990) reconnaît que la création de toute entreprise passe d’abord par une étape de cristallisation d’idée. Dans les cas d’entrepreneurs que nous avons étudiés, nous remarquons que la visualisation de ce que l’entrepreneur veut faire est une étape critique de son cheminement. C’est par la visualisation que l’entrepreneur détermine la qualité des produits ou

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services qu’il veut offrir, le type de technologie dont il a besoin et l’étendue du marché qu’il veut couvrir de façon différenciée. De plus, “la vision génère un fil conducteur autour duquel l’entrepreneur imagine et définit le contexte organisationnel dont il a besoin pour réaliser ce qu’il souhaite (Filion, 1991a). Une fois l’opportunité détectée, la vision vient fournir les directions au plan d’ensemble pour la mise en oeuvre” (Filion, 1991a). Les entrepreneurs que nous avons étudiés nous l’ont exprimé clairement de la façon suivante : - David Murray : «Je veux bâtir un conglomérat majeur dans l’économie de l’Écosse : quelque chose

d’énorme. Je veux que Murray International soit partout, un peu comme une pieuvre. C’est toujours important d’avoir un bon produit. Nous travaillons très fort pour demeurer innovateurs. Maintenant nous avons des bases solides pour pouvoir croître plus vite. C’est important pour nous de pouvoir projeter l’image d’une bonne entreprise. Nous sommes très orientés vers le marché.» (Filion, 1990b : 278)

- Rémi Marcoux : «Au départ, on s’est spécialisé. On a dit : "On ne peut être bons dans tout. Ce qu’on va

faire: c’est de la circulaire et des journaux de quartier." On a vendu tout le surplus d’équipement qui n’était pas nécessaire pour notre spécialisation. C’est la visite d’une entreprise aux États-Unis fabriquant de la circulaire qui nous a convaincus que la circulaire deviendrait un véhicule publicitaire important dans l’avenir. Donc après avoir identifié ce marché, on a continuellement travaillé à le développer et à le faire évoluer aussi.» (Filion,1990b : 28)

«On a toujours été une organisation qui travaille très fort. Il n’y a pas de grands

discours. Nous sommes très orientés vers l’action. Nous avons toujours été innovateurs à tous les niveaux. On a su saisir les opportunités quand elles se présentaient. Nous dépensons beaucoup d’énergie avec notre personnel.» (Filion,1990b :33)

«Ce que j’aimerais, c’est qu’au même titre qu’on a des entreprises nationales,

Transcontinental devienne une grande entreprise nationale ou nord-américaine si vous voulez. C’est ça que je poursuis.» (Filion, 1990b: 37)

- Bernard Vonlanthen : «Notre implantation s’est d’abord faite sur le marché lausannois. Le marché lausannois

à l’époque était assez particulier dans le sens qu’une entreprise de l’endroit détenait 80 % de ce marché. J’ai regardé comment cette entreprise travaillait. Immédiatement, j’ai vu qu’elle avait très peu de croissance. C’était un marché rêvé pour me positionner rapidement.» (Filion, 1990b : 216)

«Ensuite, parce que je voulais voir un peu plus loin que mes concurrents, je suis allé

voir un peu ce qui se passait ailleurs. J’ai vu qu’aux États-Unis, le nettoyage industriel ne pouvait se faire sans désinfection. Je me suis dit que c’était la bonne voie. J’ai acheté une entreprise de désinfection pour être actif rapidement dans ce domaine. J’étais un des premiers entrepreneurs sur la place de Lausanne à avoir des contrats de

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nettoyage et de désinfection de restaurants.» (Filion, 1990b :218-219) «L’objectif que nous nous sommes fixé depuis le début : être la plus grande entreprise

de Suisse.» (Filion, 1990b : 222) «À cet effet, nous voulons une organisation par centres de profits totalement

indépendants les uns des autres.» (Filion, 1990b : 253) - Heikki Bachmann : «Notre marché consiste essentiellement dans celui des institutions financières et des

banques. Ce sont des gens de tradition qui sont très conservateurs... Nous sommes certainement le leader sur ce marché en Finlande. Notre produit est très bon et nous avons un bon système de management et de suivi de ventes. Notre système de contrôle est très bon aussi. En plus de cela, nous avons un bon climat organisationnel et une tradition qui nous a permis d’acquérir une bonne expertise du domaine. Nous avons des ressources humaines qui sont compétentes, expérimentées et qui connaissent bien notre champ d’opération.» (Filion, 1990b : 77-78)

La visualisation est un processus dynamique que nous devons comprendre en relation avec la culture d’apprentissage intégrée par l’entrepreneur qui veut réussir. Le temps requis à l’entrepreneur pour apprendre et comprendre un secteur d’activités d’affaires, et pouvoir y visualiser avec plus de justesse une niche est variable, dépendamment de la complexité de ce secteur, du niveau de connaissances ou d’expertises préalables qu’il en avait avant d’y travailler activement. Action L’action est une caractéristique distinctive de l’entrepreneur. Gasse (1982) fait remarquer que les entrepreneurs sont des individus résolument tournés vers l’action. Pinchot (1986) suggère que les intrapreneurs sont «des rêveurs qui passent à l’action». C’est en référence à l’action que Filion (1991a) mentionne que les entrepreneurs aiment apprendre et travailler sur du concret. En effet, telle que nous la concevons dans notre modèle, «l’action» renvoie à une variété d’activités entreprises en vue de mettre en place l’entreprise. Ces activités vont de la conception des produits ou services jusqu’à leur mise en marché. Mais il ne faut pas voir ces délimitations comme des frontières étanches, puisque nous avons dit précédemment que les étapes du modèle s’interpénètrent entre elles; dans ce sens, nous comprenons que l’action en tant que telle se produit de façon continue dans le cheminement de l’entrepreneur. Parce que nous l’avons conçue de façon plus inclusive, l’étape de l’action dans notre modèle englobe les étapes 3, 4 et 5 du modèle de Vesper (1990), de même que les étapes 2, 3 et 4 du modèle de Gartner (1985). À partir des différents cas que nous avons étudiés, nous avons pu dégager quelques constantes dans cette étape de l’action entrepreneuriale. Elles sont présentées sous la forme des activités dans le tableau 4 suivant :

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Tableau 4 Synthèse des activités de l'étape «Action» 1. Concevoir les produits 3. Préparer un plan d'affaires 5. Trouver des partenaires 7. Développer les outils de production 9. Recruter et former les premiers employés

2.Trouver un nom à l'entreprise 4.Rechercher du financement auprès des

banques 6.Louer un espace pour loger l'entreprise 8.Fabriquer les produits 10. Se consacrer aux activits de gestion

Nous observons que les entrepreneurs à succès entretiennent une conception polychronique du temps, parce qu’ils embrassent plusieurs de ces activités à la fois. Une autre remarque porte sur la polyvalence de l’entrepreneur. Lorsque nous regardons les activités ci-dessus, nous constatons qu’ils font appel à une variété de connaissances et d’aptitudes. Par exemple, la conception des produits ou services fait notamment appel à l’esprit créateur qui caractérise en général l’artiste. Mais plus encore, la fabrication des produits exige que l’entrepreneur traduise dans le concret sa perception originale du produit; le développement des outils de production nécessite chez l’entrepreneur les talents et habiletés de l’ingénieur; la recherche du financement ou d’un espace physique pour loger l’entreprise requiert les talents de négociation du commerçant; le passage des tâches opérationnelles aux activités de gestion nécessite qu’il ait le mode de pensée généraliste et analytique du gestionnaire, de même que des habiletés dans l’allocation et la coordination des ressources; la formation des employés nécessite des talents d’éducateur qui doit maîtriser ce qu’il transmet. Cette étape fait donc voir la variété des rôles qui interpellent les entrepreneurs. Même s’ils doivent les embrasser presque tous, ils reconnaissent exceller à jouer certains rôles plutôt que d’autres et au fur et à mesure du temps. C’est du moins ce que nous font comprendre les affirmations suivantes: - Rémi Marcoux : «Les activités que j’aime, c’est de mettre les choses en marche, élaborer des plans,

aller chercher des hommes et structurer. Je prends beaucoup de plaisir à faire ça. En d’autres termes, j’ai toujours été très près de opérations: établir des systèmes pour être capable de mesurer les résultats. Ces dernières années je m’occupe davantage du développement, donc d’analyser les entreprises, de négocier, de voir l’évolution de ça, de voir comment on peut tirer notre épingle du jeu à travers tout ça. D’autre part, je passe beaucoup de temps à développer des relations pour mieux faire connaître le groupe. Aujourd’hui, ce qui occupe le plus de mon temps, c’est le développement qu’on fait à l’échelle canadienne et américaine.» (Filion, 1990b : 33-34)

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- Pekka Antilla : «Nous avons lancé notre entreprise de joaillerie en 1960. Au début, je faisais

littéralement tout: mes propres conceptions, et ensuite la fabrication des bijoux que j’avais conçus. Mais ma femme m’a beaucoup aidé (...) Lorsqu’en 1964 Weckstron, qui était un de mes collègues de l’école de joaillerie s’est joint à nous, j’ai délaissé la conception et la production de plus en plus et je suis devenu de plus en plus un directeur général. Aujourd’hui, je délègue tout ce que je peux. Je suis davantage concerné par la mise en marché et la publicité sur les marchés étrangers. J’ai délégué à ma femme les questions de personnel, des employés et tout ce qui concerne la Finlande.» (Filion, 1990b : 264-265)

- Staffan Preutz : «Au début, j’étais très impliqué dans les opérations quotidiennes beaucoup trop en

fait. Je le suis de moins en moins, parce que cela me laisse beaucoup de temps pour faire autre chose et en particulier pour travailler sur le développement. Je dois dire que je passe la plupart de mon temps à travailler avec les gens de recherche et développement de même qu’avec les gens du département des exportations. Ce sont là mes deux activités principales.» (Filion, 1990b : 61)

- Heikki Bachmann : «Ce que j’accomplis comme activités dépend du temps, de la position de l’entreprise

et des cycles que nous sommes en train de traverser. Je dois dire cependant que je passe beaucoup de temps avec le directeur financier et à régler les problèmes administratifs.» (Filion, 1990b : 75)

- David Murray : «Je suis un négociant et non pas un fabricant. Si j’avais à nommer certaines choses

que j’ai mal faites dans ma vie, une serait certainement que je suis meilleur à lancer des entreprises qu’à acheter des entreprises déjà existantes.» (Filion, 1990b : 292)

- Gio Benedetti : «Maintenant, je n’ai plus le temps du tout d’aller dans la manufacture et de faire du

travail pratique comme j’avais l’habitude d’en faire. Je fais surtout de la vente, et j’essaie de faire mon travail en tant que dirigeant de cette entreprise autant que possible. Je crois maintenant que mon travail consiste à regarder l’ensemble et à m’assurer que les gens vont faire les choses.» (Filion, 1990b: 98-99).

- Jean Coutu : «J’ai toujours aimé la publicité, j’ai toujours fait de la publicité. Les slogans, moi, je

suis fou de ça. J’aime ça.» (Filion, 1990b: 176) L’action en tant que prolongement de la vision, n’est pas seulement orientée vers

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l’extérieur, c’est-à-dire vers le marché. L’entrepreneur réalise une variété d’activités en vue de créer graduellement un contexte organisationnel favorable à la réalisation de son projet, à son développement personnel et de celui des autres membres de l’entreprise. Vu sous l’angle de l’action, l’entrepreneur peut être considéré comme un concepteur et un réalisateur de projets. Organisation Cette étape de notre modèle correspond à l’étape 5 de celui de Gartner (1985) lorsqu’il parle de »construction de l’organisation». Nous avons remarqué dans notre étude qu’une fois que l’entrepreneur a défini sa vision centrale, c’est-à-dire la place qu’il veut occuper sur le marché (Filion, 1991a), il imagine le type d’organisation dont il a besoin pour y parvenir. La création du contexte organisationnel semble ainsi vouloir répondre à deux préoccupations: la vérification de gestion et la créativité. La vérification de gestion est une préoccupation de l’entrepreneur de surveiller ce qui est accompli. Elle s’observe par la définition des tâches à réaliser (visions complémentaires), la structuration originale de l’entreprise la délégation des pouvoirs et responsabilités, l’instauration des procédures écrites de travail, et la constitution d’un conseil d’administration. Mais la vérification, c’est également l’analyse des écarts de résultats par rapport aux prévisions, et les corrections, ajustements et améliorations nécessaires. Nous avons remarqué que c’est avec la croissance des activités que les entrepreneurs étudiés procédaient à cet aspect de la vérification, notamment par l’implantation d’un système de contrôle de coûts de revient. Par ailleurs, comme nous l’ont expliqué chacun des entrepreneurs étudiés, l’organisation mise en place était originale dans son fonctionnement, la plupart ayant très peu de niveaux hiérarchiques et procédures formelles. - Staffan Preutz : «Nous essayons d’être aussi flexibles et efficients que possible. Nous avons plusieurs

procédures écrites qui expliquent quoi faire et comment le faire. Nous voulons en arriver à avoir les relations avec nos chefs de service qui soient définies aussi clairement que possible.» (Filion, 1990b : 61)

«Les relations avec les employés sont dans l’ensemble très étroites. Il n’existe

pratiquement pas d’hiérarchie à l’intérieur de l’entreprise. Les employés n’ont pas de respect pour moi en tant que directeur, mais ils établissent une relation envers moi davantage en tant que compagnon, camarade de travail. Il n’y a pas de respect spécial pour le patron.» (Filion, 1990b : 63)

«Nous aimons avoir le respect des gens en relation avec leur compétence. C’est la

façon de fonctionner ici, et j’aime bien ça de cette façon... Nous avons un système de coûts de revient et nous suivons nos coûts de très près.» (Filion, 1990b : 64)

- Pekka Antilla : «J’ai huit personnes qui se rapportent à moi, mais nous avons quatre départements.»

(Filion, 1990b : 262)

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«Habituellement, les concepteurs travaillent la plupart de temps chez eux, mais il

arrive qu’à l’occasion ils travaillent ici, dépendamment de ce qu’ils veulent faire.» (Filion, 1990b : 268)

«Nous aimons à ce que les gens soient le plus indépendants possible, et qu’ils puissent

travailler de façon aussi indépendante... Nous avons des politiques écrites et des descriptions pour quelques tâches .... Tous les mouvements que nous utilisons dans nos montres sont faits en Suisse et assemblés en Allemagne. Ils sont alors envoyés ici pour être polis. Nous sous-traitons aussi plusieurs autres éléments. Je dirai qu’à l’exception des montres, nous sous-traitons environ 2 % de notre production. Je dois ajouter que nous agissons aussi comme sous-traitants pour d’autres firmes.» (Filion, 1990b : 272-273)

- Heikki Bachmann : «Chacune des filiales que nous avons à l’étranger a un gérant général et est très

autonome quant à ses façons de fonctionner. Chez Kaso, nous avons trois départements : comptabilité, marketing et production. Pour chacun, nous avons un vice-président... Nous avons une séance de conseil exécutif toutes les deux semaines où nous discutons toutes sortes de problèmes administratifs et de gestion. En fait, même dans les compagnies affiliées, je n’aime pas donner des instructions directes. Je ne suis qu’un membre de leur conseil. J’aime à ce que les compagnies fonctionnent, autant que possible, sans ma présence... Les gens ont leur propre plan d’action annuel. Ils les acceptent avant de commencer à les mettre en place. Je les laisse faire. En fait, s’ils réussissent à atteindre les objectifs fixés dans le plan, ils obtiendront normalement un bonus.» (Filion, 1990b : 74-76)

- Gustaf Jonsas : «Nous avons très peu de choses écrites dans cette entreprises, mais nous avons

quelques politiques qui sont écrites et quelques descriptions de tâches qui sont écrites... J’essaie de m’entourer de quelques gens qui peuvent être un peu plus créatifs, de gens qui peuvent travailler astucieusement.» (Filion, 1990b : 87)

- Rémi Marcoux : «Nous avons un conseil d’administration, un comité de direction, un comité de

secteur, un comité de planification, un comité de développement, de systèmes d’information et d’informatique, etc ... Je pousse très fort sur l’implantation des cercles de qualité. Il me semble que ça devient évident. Nous n’avons pas le choix si nous voulons être là demain, être une grande entreprise prospère.» (Filion, 1990b : 34)

«Nous avons comme objectif de devenir une grande entreprise dont les structures et

les systèmes d’information sont très importants. Chacun des secteurs est géré comme un centre de profits avec un président à la tête de chacun des secteurs. Les secteurs étant indépendants, il faut développer le maximum de synergie entre les différentes

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unités d’un secteur et les secteurs entre eux. Pour grandir, nous devons déléguer, accepter les différences, faire confiance; d’autre part, les dirigeants doivent communiquer les objectifs, motiver les décisions.» (Filion, 1990b: 36)

«Chaque semaine ou chaque mois, peu importe, il y a un petit bulletin de liaison dans

l’enveloppe de paie ... Il me fallait aussi avoir au niveau du groupe une espèce de bulletin de liaison. Le Transcontinental Express sert à ça. C’est un outil d’information qui me permet d’expliquer à tout le monde les grands développements, les politiques, les bons coups des membres du groupe, etc.» (Filion, 1990b: 39-40)

Jean Coutu: «Dans le commerce de détail, on a été les premiers à avoir des cercles de qualité, des

groupes de gestion. On n’a pas ça parce que les Japonais ont ça. On a ça parce que c’est nécessaire. C’est motivant. On a fait des groupes de gestion ... On a beaucoup de comités consultatifs ... Si on regarde l’organigramme de ma compagnie, on est une compagnie publique, on a un conseil d’administration. On n’est pas obligé d’être public pour avoir un conseil d’administration, mais nous, on en a un depuis qu’on est public... On a un comité administratif. On se réunit deux fois par semaine ... Sur l’organigramme, il n’y a aucun vice-président marketing ou de département de marketing. Il en est ainsi parce que le marketing c’est l’affaire de tous.» (Filion, 1990b: 179-180)

Bernard Vonlanthen: «Nous avons instauré un contrôle budgétaire extrêmement strict. Il est mensuel. On a

le bilan, le compte d’exploitation tous les mois, et de toute l’entreprise par centre de profits.» (Filion, 1990b:226)

«Normalement, dans chacun des trois centres de profits, trois personnes se rapportent directement à moi ... Nous avons beaucoup moins de procédures écrites de travail que ce qu’on devrait avoir, mais ce n’est pas une nécessité.» (Filion, 1990b:239)

«Notre problème dans l’avenir, c’est d’instaurer une direction collective et

participative par objectifs.» (Filion, 1990b: 252) David Murray: «Je me tiens très au fait de ce qui se passe. J’ai organisé toutes mes entreprises de

façon à ce que je sache quels sont les coûts fixes chaque semaine, et combien de profits elles doivent faire chaque semaine. Nous ne pensons pas en termes de ventes totales, nous pensons en termes de profits. C’est de cette façon qu’on travaille ici.» (Filion, 1990b: 300)

Gio Benedetti: «Nous avons des descriptions de tâches jusqu’à un certain degré, mais pas assez ...

Nous avons un bon système de rapports de comptes chaque mois, et nous venons d’investir dans un ordinateur... Chaque année, j’ai décidé de dépenser environ un

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quart de million pour remplacer la machinerie et l’équipement.» (Filion, 1990b : 116-117)

«Tous les cadres principaux se rapportent à moi: le directeur général, le directeur des

ventes, le directeur de la production, et quelques fois l’acheteur et le comptable.» (Filion, 1990b: 119)

«Nous sommes en train de regarder la possibilité d’acheter des habits qui seraient

fournis par la compagnie à tous les employés ... Nous espérons produire une lettre aux employés chaque mois pour les informer de ce qui se passe, et essayer d’établir des moyens de communication avec le personnel.» (Filion, 1990b: 123)

Une fois que l’entrepreneur a organisé son contexte de façon à ce qu’il puisse fonctionner même en son absence, on le voit prendre des initiatives diverses en vue de s’étendre dans sa niche. C’est l’étape du positionnement. Positionnement-développement Dans la littérature, les auteurs ont souvent utilisé la croissance comme base de différenciation des entrepreneurs par rapport aux propriétaires de petites entreprises (Carland et al, 1984). Schumpeter (1934) a mentionné l’innovation comme l’essence même de l’entrepreneurship. Cette étape est celle à laquelle l’entrepreneur, après avoir délégué les tâches opérationnelles à ses collaborateurs et personnalisé les rapports avec ceux-ci, se consacre aux activités stratégiques afin de développer l’entreprise. Ces activités sont également variées, allant du développement de nouvelles lignes de produits et de nouveaux territoires de vente, à l’ouverture des filiales de l’entreprise dans des pays étrangers, en passant par des acquisitions d’entreprises et l’ouverture de filiales au niveau national, et dans certains cas, l’inscription de l’entreprise à la bourse. En fait, nous avons remarqué que les stratégies utilisées par les entrepreneurs étaient très variées, mais que la plus utilisée était la délégation des pouvoirs et des responsabilités. Illustrons le par quelques affirmations d’entrepreneurs: - Pekka Antilla: «Aujourd’hui, nous avons trois bureaux à l’étranger: à Francfort en Allemagne, à

Stockholm en Suède, et à Sydney en Australie.» (Filion, 1990b 262) «Nous avons commencé à vendre en Allemagne, et alors nous nous sommes

graduellement déplacés vers la Suède. Au début, nos dessins étaient vus comme trop avant-gardistes, mais par la suite, ils sont devenus plus acceptés, plus acceptables, parce que nous avons gagné beaucoup de prix. Dans plusieurs pays, nous sommes devenus des leaders, des gens qui établissaient la norme de la nouveauté dans le domaine de la bijouterie, parce que nous avons gagné beaucoup de prix. Le marché est toujours demeuré très difficile et sélectif dans notre domaine. C’est pour ça que vous devez toujours être très innovateur si vous voulez continuer à attirer l’attention et à progresser.» (Filion, 1990b : 266)

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- Staffan Preutz: «Nous avons trois filiales dont une est aux États-Unis située à Washington, qui ne

fabrique pas, mais n’est qu’un bureau de ventes; une autre est en Allemagne, et fabrique des montures, de même que celle qui est en Angleterre. Nous avons plusieurs grossistes dans plusieurs autres pays qui vendent nos produits, incluant un qui opère à partir de Montréal ... Sept personnes incluant les trois responsables de filiales se rapportent directement à moi. Je délègue autant que je peux, parce que je vois la délégation comme une façon de croître.» (Filion, 1990b : 59)

- Heikki Bachmann: «Nous sommes un groupe de quatre entreprises : Kaso située à Helsinki; Kaipio Oy

située à Tampere; Pisari Oy située à Pietarsaari; et Tesa Tuote Oy située à Kuopio. Nous avons aussi des bureaux aux États-Unis, en Allemagne de l’ouest et dans les Émirats Arabes Unis. Nous avons des représentants dans la plupart des pays du monde ... Dans le cas des filiales, je rencontre les gérants généraux environ une fois par mois pour discuter de la façon dont les choses évoluent. Dans le cas de Kaso (que je dirige) j’essaie de ne pas m’impliquer dans les opérations journalières. J’essaie de déléguer autant que je peux. Je demande des propositions de la part des cadres.» (Filion, 1990b : 74)

- Rémi Marcoux : «On est vraiment devenus national avec nos usines localisées à différents endroits du

pays. C’est un réseau d’usines vraiment intégré d’un bout à l’autre du pays. On a commencé à faire des ventes via Montréal et aujourd’hui, on a cinq ou six bureaux de vente aux États-Unis.» (Filion, 1990b : 32)

«Récemment, on a acheté une usine à Orlando, en Floride.» (Filion, 1990b : 39) «Et depuis 1984, nous sommes allés public pour plusieurs raisons.» (Filion, 1990b :

46) - Gio Benedetti: «J’ai toujours été un «gambler», toute ma vie. Non pas sur les chevaux, mais je mets tout

sur mon entreprise. J’ai dû hypothéquer ma maison deux fois pour pouvoir continuer à opérer et à progresser.» (Filion, 1990b : 121)

- Bernard Vonlanthen: «Pour aller plus vite, croître, nous avons acheté à Genève une entreprise de nettoyage

... J’ai toujours cherché à reprendre des concurrents.» (Filion, 1990b: 224) - Jean Coutu: «On a aux États-Unis trois compagnies : une qui s’appelle Jean Coutu Groupe USA.

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On a PJC Realties. C’est une compagnie qui fait des acquisitions immobilières. Et on a MaxiDrug. C’est le nom de nos entreprises de détail.» (Filion, 1990b: 136)

L’entrepreneur pense à la croissance. Il ne cesse de consacrer temps et énergie pour soutenir sa croissance. En fait, on le qualifiera d’entrepreneur tant et aussi longtemps qu’il sera axé sur la croissance et le développement. Relations milieu Un entrepreneur vit, opère et se développe dans un milieu. Cette étape reflète les diverses activités réalisées par les entrepreneurs en relation avec leur milieu. On peut même voir qu’une des différences entre la PME et la grande entreprise réside dans cette interrelation parfois intense qui existe entre l’entrepreneur, son entreprise et son milieu. À l’origine, le transfert se produit du milieu vers l’entrepreneur et sa petite entreprise; mais graduellement, on verra des liens se tisser. Plus l’entreprise réussira, croîtra et deviendra grande, plus elle contribuera au développement de son milieu. Gartner (1985) y fait référence à l’étape 6 de son modèle lorsqu’il parle de responsabilité sociale de l’entreprise. Les entrepreneurs que nous avons étudiés nous ont confirmé cette interrelation avec leur milieu de par le temps qu’ils y investissent à travers diverses activités: - Bernard Vonlanthen: «Je suis membre de plusieurs associations. J’en ai compté plus d’une trentaine à une

époque. Maintenant j’en ai lâché un peu. Un peu plus de la moitié sont à but professionnel : des associations professionnelles de nettoyage, de désinfection, cantonale, régionale, suisse, européenne, mondiale et tout. Je suis membre d’associations américaines de nettoyage simplement pour être informé de ce qu’ils font là-bas (...) Aussi dans plusieurs associations économiques, associations de services, clubs d’investissement. Je suis actif aussi, pas seulement membre, dans des comités, à la présidence. Je suis toujours assez actif. Aux activités d’association et autres choses comme ça, je consacre environ deux ou trois heures quotidiennement. Le reste est consacré à la réflexion.» (Filion, 1990b : 235)

- Staffan Preutz: «Je ne suis membre d’aucun autre conseil d’administration; je participe à la vie sociale

ainsi qu’aux activités d’affaires dans la région de Boden, mais je n’ai pas le temps de m’impliquer dans d’autres entreprises.» (Filion, 1990b : 60)

- Pekka Antilla : «En 1972 (12 ans après la création de l’entreprise), nous avons gagné le prix de

l’entrepreneurship de l’année en Finlande, et ceci nous a fourni beaucoup de publicité parce que nous avons eu une très forte couverture de presse à beaucoup d’endroits, dans toutes sortes de magazines et dans la presse en général, et en particulier dans les magazines qui s’adressent aux femmes. Il y a eu tellement de reportages sur notre entreprises que cela nous a donné un très grand élan. On peut considérer cela comme

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un facteur très important ... Je suis membre du conseil de l’association des grossistes. J’ai été aussi membre de l’Association des joailliers depuis le début, c’est-à-dire depuis 1960. Je suis demeuré très actif à l’école des joailliers parce que j’ai été président du conseil d’administration.» (Filion, 1990b : 271)

- Heikki Bachmann: «Je suis membre de conseil dans une entreprise de vêtements pour homme, une

entreprise de fabrication et dans plusieurs autres entreprises ... Mon entreprise a atteint un certain niveau de stabilité. Elle est assez grande maintenant pour offrir une situation financière stable de telle sorte que je n’ai plus besoin d’y accorder autant de temps qu’auparavant pour la diriger. Je veux faire ma part pour supporter d’autres entreprises. C’est pourquoi je suis si actif au niveau du support à l’entreprise privée.» (Filion, 1990b : 72)

- Rémi Marcoux: «Je partage mon temps extérieur entre différentes activités. J’apporte ma contribution

à l’avancement des entreprises, donc je participe activement à quelques conseils d’administration d’entreprises petites et moyennes ... C’est très gratifiant de donner du temps à des jeunes entreprises et de voir qu’elles se développent bien ... Je siège également au conseil d’administration du collège Ahunstic, un centre de formation spécialisé dans les arts graphiques ... Je collabore également à la Chambre de commerce de Montréal. J’y passe beaucoup de temps ... Je suis également membre au conseil de Domtar et de la Banque de Nouvelle-Ecosse; c’est très intéressant de voir comment ces entreprises fonctionnent ... Je siège aussi sur différents comités, campagnes de levée de fonds, etc... C’est la dimension nationale ou internationale de l’entreprise, le réseau de contacts qu’on développe.» (Filion, 1990b :41-42)

- Jean Coutu: «Je suis membre de cinq conseils d’administration. À la plupart des endroits, je pense

qu’ils m’ont demandé d’être administrateur parce que nous avons une certaine notoriété en marketing, en ’merchandising’. Vous savez cette touche du public consommateur, ce doigté avec le consommateur. Je peux vous dire que pour moi, j’apprends beaucoup de choses là-dedans. Ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire.» (Filion, 1990b : 196-197)

- Gio Benedetti: «Je suis le directeur d’une compagnie qui a été mise en place pour créer des emplois

dans cette région. Je donne des avis aux gens qui sont intéressés à partir de nouvelles entreprises. Je suis aussi président du conseil d’un comité local de conseillers pour l’IBA (Independent Broadcasting Authority) et en fait, la station de radio locale.» (Filion, 1990b : 127)

L’entrepreneur apprend. Il intègre graduellement sa culture d’apprentissage à l’entreprise. Les soutiens en provenance du milieu expliquent la survie, puis la réussite de plus d’une petite

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entreprise. L’entrepreneur reflète son milieu et finit par lui retourner ce que le milieu lui a attribué. Nous remarquons que dans bien des cas, l’entrepreneur finit par jouer un rôle moteur dans l’évolution de son milieu. Transférabilité Les entrepreneurs qui ont réalisé une vision tiennent à ce que l’entreprise leur survive et ils s’organisent en conséquence. Chez Jean Coutu, la conscience de la relève et la préoccupation à préserver son succès ont conduit l’entrepreneur à s’assurer de la continuité après son départ: «Tous mes enfants ont travaillé dans l’entreprise. Ce sont des gens qui comprennent,

qui sont fiers de faire partie de l’organisation. Il n’y a pas un de mes enfants qui est mon bras droit à l’heure actuelle ici. Il y en a un qui va le devenir. Il y en a un autre qui va aller aux États-Unis. Il y en a ici qui sont avec moi depuis un bout de temps (...) Quand je prendrai ma retraite, je voudrais avoir laissé une entreprise, mais surtout une mentalité. Une mentalité qui fait que quel que soit le milieu d’où vous veniez, de quelque nationalité que vous soyez, vous puissiez bien y évoluer et vous y réaliser.» (Filion, 1990b : 188-189)

Avec Rémi Marcoux, la relève passe par la formation du personnel: «C’est le fun la génération des entrepreneurs au Québec. Je suis le plus vieux dans

l’entreprise à 47 ans. On a des managers de 40-45 ans. On a l’autre groupe qui ont 30 ans qui vont bientôt prendre la relève, qui sont en train de s’initier à cette entreprise. La relève est importante.» (Filion, 1990b : 37)

Nous voyons dans le processus de mise en place de la relève, la dernière des étapes de notre modèle du processus entrepreneurial. Conclusion À partir de l’étude détaillée du système d’activités de huit entrepreneurs à succès, nous avons élaboré et vérifié un modèle en neuf étapes successives, mais non-linéaires du processus entrepreneurial. Chacune de ces étapes a été décrite et illustrée par des propos d’entrepreneurs étudiés. Dans leur ensemble, ces étapes proposent une conception itérative du processus entrepreneurial puisqu’elles s’emboîtent les unes dans les autres de façon non- symétrique. L’utilité d’élaborer et de proposer un tel modèle réside dans le fait qu’une des questions centrales en entrepreneurship demeure la compréhension du processus entrepreneurial et de ses étapes tel qu’il se déroule dans le temps et l’espace, afin d’aider les entrepreneurs actuels et en devenir à mieux cerner sa dynamique et à se construire des passerelles qui leur permettent d’apprendre ce qu’il faut pour y embarquer avec le plus d’assurance possible. Car même si l’action entrepreneuriale peut signifier pour la personne entreprenante un pari téméraire sur l’inconnu, l’incertain, le diffus, il n’en demeure pas moins qu’elle requiert de sa part une dose suffisante de confiance en sa capacité de changer les règles du jeu du secteur d’activités d’affaires qui l’intéresse et d’y imposer les siennes. C’est dans cette optique que nous avons proposé un modèle du processus entrepreneurial élaboré à partir de données empiriques,

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modèle ensuite vérifié auprès de dix entrepreneurs. L’identification des activités concrètes des entrepreneurs telle que nous l’avons faits dans cette recherche revêt une importance capitale au regard des préoccupations contemporaines en matière d’identification des compétences et de formation des entrepreneurs. En effet, nous pensons que du moment où les activités reliées à chaque étape sont clairement définies, il devient possible d’entreprendre une recherche complémentaire sur les conditions et compétences nécessaires à leur réalisation. Dans cette perspective, on pourrait mieux concevoir les contenus des programmes de formation de façon à ce qu’ils répondent plus adéquatement aux besoins des entrepreneurs. C’est là une des avenues intéressantes de recherche que permet celle-ci. Une seconde avenue de recherche, qui par ailleurs met en relief une des insuffisances du matériel empirique pour aller plus loin dans la compréhension de notre modèle, serait de compléter les données d’entrevues par des données d’observation. Car il faut dire que dans la présente recherche, nous nous sommes limités au discours des entrepreneurs, c’est-à-dire à ce qu’ils disent de ce qu’ils font. Il serait cependant intéressant de les observer à l’oeuvre, de collecter et confronter les données de cette observation avec celles des entrevues, dans le but de mieux apprécier leur degré de convergence. Nous demeurons convaincus, en dépit de ces insuffisances, de l’intérêt du modèle proposé dans ce travail autant pour l’accroissement de notre compréhension des pratiques entrepreneuriales que pour l’avancement de la recherche sur le processus entrepreneurial.

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