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UN OURS COMME-ÇA par P. Havard Williams 1 En 1946 les enfants français ont pu connaître grâce à la traduction de Jacques Papy, deux étonnants petits livres pour enfants, Histoire d'un Ours comme-ça et La Maison d'un Ours comme-ça parus aux Presses de la Cité, livres à découvrir d'abord dans une lecture à haute voix, à savourer ensuite, avec le relais qu'offrent au texte les illustrations de E.H. Shepard, ainsi que les audaces enfantines de l'orthographe et de la typographie. Affadies par une traduction « modernisée », les aventures de Winnie-l'Ourson sont redevenues familières aux enfants par les divers remake télévisuels et tout récemment grâce à la collection des petits livres Gallimard qui restituent la traduction initiale mais transforment l'effet de lecture en isolant les épisodes. Au risque de sembler nostalgiques, nous rêvons d'une réédition intégrale des deux volumes dans la traduction de Papy si fidèle à l'esprit de A.A. Milne. Nous avons demandé à P. Havard Williams, professeur honoraire à l'université Loughborough et ami de longue date de Winnie-the-Pooh, d'évoquer pour nous ce qui fait le charme et l'originalité de ces textes profondément enfantins.

UN OURS COMME-ÇAcnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/...trop de miel et de lait concentré, le person-nage de Winnie-the-Pooh est en train de s'affirmer : il est

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  • UN OURS COMME-ÇApar P. Havard Williams1

    En 1946 les enfants français ont pu connaître grâceà la traduction de Jacques Papy, deux étonnants

    petits livres pour enfants, Histoire d'un Ours comme-çaet La Maison d'un Ours comme-ça parus aux Presses de la Cité,

    livres à découvrir d'abord dans une lecture à haute voix,à savourer ensuite, avec le relais qu'offrent au texte

    les illustrations de E.H. Shepard, ainsi que les audacesenfantines de l'orthographe et de la typographie.

    Affadies par une traduction « modernisée », les aventuresde Winnie-l'Ourson sont redevenues familières aux enfants

    par les divers remake télévisuels et tout récemmentgrâce à la collection des petits livres Gallimard

    qui restituent la traduction initiale mais transformentl'effet de lecture en isolant les épisodes.

    Au risque de sembler nostalgiques, nous rêvonsd'une réédition intégrale des deux volumes dans la traduction de

    Papy si fidèle à l'esprit de A.A. Milne.Nous avons demandé à P. Havard Williams,

    professeur honoraire à l'université Loughboroughet ami de longue date de Winnie-the-Pooh,d'évoquer pour nous ce qui fait le charme

    et l'originalité de ces textes profondément enfantins.

  • W innie-the-Pooh a eu mauvaise presseces dernières années. Les bibliothé-caires pour enfants préfèrent le plus souventles livres modernes récemment édités ; ilsconsidèrent Winnie-the-Pooh comme tropdouceâtre pour les temps modernes et peuadapté à la sensibilité contemporaine.Winnie-the-Pooh et quelques autres vieuxlivres favoris figurent pourtant dans uneliste récente d'ouvrages pour enfants recom-mandés par le Ministère anglais del'Education, citée par le Bulletin del'Association des Bibliothécaires. Pour moi,Winnie-the-Pooh est un personnage de tousles temps et pour tous les âges. Ces livres ontquelque chose de différent à offrir aux trèsjeunes, aux moins jeunes et aux gens âgés.La création de Pooh semblerait être avanttout le fait de Christopher Milne et de samère. Le texte aurait été seulement« rédigé » par A.A. Milne et ensuite dédié àMrs Milne. Les Uvres de Pooh reposent surcertains éléments fondamentaux qui demeu-rent importants, quels que soient le lieu et letemps : la création d'un personnage, l'inti-mité d'une vie de famille, la reconnaissanced'un univers d'enfance et un profond sensde l'humour.

    Naissance d'un personnage

    L'évolution du personnage de Winnie-the-Pooh a été favorisée par les dessins de E.H.Shepard, qui ouvrent le récit : un ours enpeluche descend l'escalier, la tête en bas,traîné par Christopher Robin. C'est alorsmanifestement un jouet. Même son nom resteincertain : au début il s'appelle EdouardOurs (en français l'ours Martin). Mais d'unemanière ou d'une autre, au fil des aven-tures, il est présenté comme « Winnie-the-Pooh » : or Winnie est un nom de fille.« Winnie-the-Pooh » est cependant considé-

    ré, de façon irrationnelle, comme un nomqui lui convient, sans autre explication. Leproblème du nom se complique encore dufait qu'« il vivait tout seul dans une forêtsous le nom de Sanders » l'on trouve icipour la première fois dans le texte ce jeuentre les mots et les choses.

    « - Qu'est-ce que ça veut dire : sous le nom ?demanda Christopher Robin- Ça veut dire qu'il avait le nom au-dessusde la porte, en lettres d'or, et qu'il habitaitdessous. »

    Ainsi le nom même de Winnie-ie-Pooh est lerésultat d'un dialogue entre le père-narra-teur et son fils Christopher Robin. Cettecomplicité dans la création donne naissanceau personnage et crée le ton du récit.Au début du récit quand Winnie-the-Poohvole, suspendu à un ballon, dans l'espoir devisiter un nid d'abeilles, aidé de ChristopherRobin qui débarque dans l'histoire, Ours estalors bien un jouet. Dans l'histoire suivante

    (1) P. Havard Williams a été professeur à l'Université Loughborough qui publie la revueInternational Review ofChildren's Literature and Librarianship bien connue des spécialistes du livrepour enfants.

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  • il rend visite à Lapin et à nouveauChristopher Robin le tire d'affaire : bloquédans le terrier de Lapin pour avoir mangétrop de miel et de lait concentré, le person-nage de Winnie-the-Pooh est en train des'affirmer : il est plutôt glouton, gras, et ilreste facilement « coincé dans un trou ».Mais un système social est aussi en cours decréation. Lapin est bien plus organisé et il aplus de bon sens. (Le fait est, dit Lapin, quetu es coincé) Lapin utilise les pattes arrièrede Pooh pour y suspendre ses serviettes detoilette, Christopher Robin lui fait la lecture(comme on pourrait le faire à un enfantmalade) et finalement Christopher Robin,Lapin et ses amis et connaissances le sortentdelà.

    « La-dessus, ayant remercié ses amis d'unsigne de tête, il continua à se promener dansla forêt, en fredonnant fièrement pour luitout seul. Mais Christopher Robin le suivitd'un regard affectueux en se disant :« Vieille bête d'Ours ! »

    Pooh continue à fredonner comme si de rienn'était. Le « Vieille bête d'Ours » est un com-mentaire affectueux, reconnaissant leslimites de Pooh aussi bien que ses qualités.Pooh est en train de devenir un personnage.Cochonnet nous est ensuite présenté. Bienque petit, « il vivait dans une maisonmagnifique au milieu d'un hêtre, au milieude la Forêt » et le petit cochon vivait aumilieu de la maison. Cochonnet commencepar être « le cochonnet » mais « Cochonnet »devient rapidement son nom. Cochonnet(qui avait près de son arbre un écriteau

    cassé portant « DEFENSE D[aniel] » qu'ilpensait être le nom de son grand-père !)Cochonnet donc, trouve Pooh en train desuivre quelque chose, en fait de « pister uneBilotte ». Et comme ils marchent tous deuxautour de l'arbre en créant de nouvellestraces, ils s'interrogent : un troisième animals'est-il joint aux deux premiers ? Lorsquequatre traces apparaissent, Pooh etCochonnet abandonnent la chasse aux« Animaux Hostiles ». Christopher Robinapparaît et demande :

    «... Qu'étais-tu donc en train défaire ?D'abord tu as fait deux fois le tour du petitbois tout seul et puis Cochonnet t'a couruaprès et vous avez encore fait le tourensemble, et puis vous vous apprêtiez à fairele tour une quatrième fois... »

    Winnie-the-Pooh réalise qu'il a été « Stupideet Trompé » et qu'il est « un Ours-Tout-à-fait-Sans-Cervelle ». Il est alors rassuré parChristopher Robin : « Tu es le Meilleur Oursdu Monde Entier ». C'était presque l'heuredu Déjeuner. « Alors Christopher Robinrentra chez lui pour le prendre ». Cecimontre que Pooh garde encore quelquechose du jouet, sinon « ils » seraient allésdéjeuner ensemble, comme on pourra le voirdans un chapitre ultérieur.« Le Vieil Ane Gris, Hi-han » entre alors enscène. Ce doit être le plus vieux jouet deChristopher Robin, celui dont il ne s'occupeplus beaucoup, dit J. Papy dans sa préface.« Parfois il pensait tristement en lui-même :Pourquoi ? et parfois il pensait : Pour quelleraison ?... et parfois il ne savait pas du toutà quoi il pensait vraiment ». Les enfantsposent ainsi des questions mais il arriveaussi que leur esprit soit vide.Pooh découvre que Hi-han n'a plus dequeue. « - Ça Explique Pas Mal de Choses »dit Hi-han d'un air sombre. « - Ça ExpliqueTout. Ça n'est pas Etonnant ». Les majus-cules montrent toute l'importance de ce qui

    38 /LAREVUE DES LIVRES POUR ENTANTS

  • est dit, tout en gardant au message sa formeénigmatique et apparemment creuse. Hi-hanest l'image de l'enfant morne (ou del'humeur sombre d'un enfant) tandis que

    Pooh est l'incarnation de l'enfant idéal, telque A.A. Milne et sa femme voulaient queChristopher Milne fût. L'enfant idéal est tou-jours prêt à aider, à maitriser la situation ; ila une humeur égale et une nature enjouée.Mais il est aussi légèrement obstiné (il a uneforte volonté), il est légèrement stupide (pastrop malin).Pooh s'en fut à la recherche de la queue deHi-han.Il va jusqu'à la maison de Hibou. L'ortho-graphe n'est pas le fort de Hibou, (il écritson nom Bihou), mais il habite « LesChâtaigniers, une antique demeure pleinede charme », « qui possède à la fois un mar-teau et un cordon de sonnette ».

    « Au-dessous du marteau, il y avait un écri-teau qui disait :SIOVPLÉ SONNÉ SI ON VEU UNERÉPONCEAu-dessous du cordon de sonnette, il y avaitun écriteau qui disait :SIOVPLÉ FRAPÊ SI ON VEU PAS UNERÉPONCECes écriteaux avaient été rédigés parChristopher Robin qui était le seul dans laforêt à connaître l'orthographe.»Finalement, Pooh découvre que le cordon desonnette n'est autre que la queue de Hi-han !« Mon cher ami Hi-han. Il l'aimait beau-coup » « - il l'aimait beaucoup ? » « - il luiétait attaché » dit Winnie-the-Pooh triste-

    ment ». Cet incident absurde est le premierde beaucoup d'autres qui dans leur naïvetéreposent sur la mauvaise interprétation, lemalentendu. Le secret du succès dans ledénouement de ces incidents est la simplicitédu langage et l'humour qu'il sous-tend.

    L'un des cauchemars des jeunes enfants,c'est de rencontrer un gros animal. Ils sontaussi enclins à se vanter.« Cochonnet, j'ai rencontré un Ephalantaujourd'hui », dit Christopher Robin « IIavançait lourdement » « je ne crois pas qu'ilm'ait vu. » Cochonnet pensait qu'il en avaitvu un une fois.« - Moi aussi, j'en ai vu un » dit Pooh, en sedemandant à quoi ressemblait un Ephalant.« - On n'en voit pas souvent », ditChristopher Robin négligemment.« - Pas en cette saison de l'année » dit Pooh.Par ces quelques lignes fantaisistes, le thèmedu chapitre est fixé. Pooh décide d'attraperun Ephalant. Comme d'habitude les événe-ments sont vécus par chacun des person-nages en termes d'intérêt personnel. LesEphalants peuvent être capturés si on placeun pot de miel dans le piège, bien que Poohne puisse résister à l'envie d'en manger etsoit tenté de se relever la nuit pour le finir !Un vrai rêve d'enfant ! Plus tard Cochonnetse lève pour aller voir si un Ephalant a étécapturé. En fait d'Ephalant, il trouve Pooh,la tête coincée dans le pot de miel.« D'abord il pensait qu'il n'y aurait pasd'Ephalant dans le piège puis il pensa qu'ily en aurait un et à mesure qu'il approchait,il fut certain qu'il y en aurait un, car il pou-vait l'entendre éphalantiser tant qu'il pou-vait...

    Et pendant tout ce temps-là Winnie-the-Pooh avait essayé de retirer sa tête du potde miel. Plus il le secouait, plus le pot tenaitferme ».

    Cochonnet pense toujours qu'il s'agit d'unEphalant et s'en va trouver Christopher

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  • Robin. Au retour, ce qu'il trouve, ce n'estque Pooh, il se sent « stupide » et a tellementhonte qu'il va se coucher avec une migraine.« Mais Christopher Robin et Pooh rentrè-rent ensemble pour prendre leur petit déjeu-ner » tout en riant de la mésaventure. Poohprend de plus en plus l'allure d'une person-ne.

    Pour l'anniversaire de Hi-han, Pooh luioffre un pot délesté de son miel sur lequel estécrit « Bon anniversaire » dans le style deHibou et Cochonnet lui offre un balloncrevé ; Christopher Robin arrive seulementà la fin, ayant manifestement oublié lui aussil'anniversaire de Hi-han.« Et moi, est-ce que je n'ai rien donné ? »demanda tristement Christopher Robin.« - Bien sûr que si » lui dis-je (c'est A.A.Milne qui parle) « tu lui as donné (tu te sou-viens bien), une petite, une petite... »« - Je lui ai donné une boîte d'aquarellepour peindre des choses »« - C'est ça. »

    Le narrateur vient ici au secours deChristopher Robin en entrant dans le jeu.

    Kangou et son petit Rou entrent en scèneplus tard que les autres animaux et commec'est généralement le cas, les nouveaux arri-vants ne sont pas les bienvenus dans ungroupe d'enfants. Aussi ce groupe décide-t-il, pour les décourager, de prendre Rou enotage et de le remplacer par Cochonnet.L'aventure ne tourne pas tout à fait commeprévu. Cochonnet saute dans la poche ven-trale de Kangou, subit un bain froid, sa cou-

    40 /LAREVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

    leur éclaircit après cette toilette etChristopher Robin entre dans le jeu deKangou :« Peut-être est-ce un parent de Pooh, ditChristopher Robin. Un neveu, un oncle ouquelque chose de ce genre. »« - Je l'appellerai Pootel, Henry Pootelpour faire court » Henry Pootel Cochonnetcourut très vite chez lui et se roula par terreen chemin « pour retrouver sa couleur à lui,si agréable et si commode. »

    La vue d'un événement naturel spectaculairepeut fortement impressionner un enfant. Lamaison de Cochonnet a été complètemententourée d'eau « après qu'il ait plu et plu etplu ». Si seulement il n'avait pas été toutseul dans sa maison : « alors j'aurais eu toutle temps de la compagnie, dit-il - c'est unpeu angoissant se disait-il d'être un Très-Petit-Animal-Complètement-Entouré-d'Eau.Tous les autres pourraient se sauver [...]Hi-han en faisant un Grand Bruit Jusqu'àce qu'On Vienne le Secourir, et moi me voici,tout entouré d'eau et je ne peux rien faire. »Cochonnet se souvient de l'histoire d'unhomme sur une île déserte, qui avait jeté à lamer une bouteille contenant un message. Ilécrit sur un côté d'un morceau de papier :« POUR LA PERSONNE QUI LE TROU-VERA AU SECOURS ! PAR PITIÉ !COCHONNET (MOI) » et sur l'autre côté« C'EST MOI COCHONNET, AU SECOURSAU SECOURS ! » Le désespoir rendCochonnet relativement lettré.De son côté, Pooh, qui a bien mangé, installésur son arbre, fait un cauchemar, rêved'expédition dans un pays glacé et debilottes sauvages qui lui grignotent lesjambes lorsqu'il est réveillé par l'inondationqui lui mouille les pieds. Prévoyant, il attra-pe ses dix pots de miel qu'il termine enquatre jours ! Il trouve la bouteille deCochonnet, l'ouvre et reconnait les « P » surle papier et pense alors que cela pourrait êtrepour lui. Il utilise la bouteille après quelques

  • difficultés, pour flotter jusqu'à ChristopherRobin, qui habite au-dessus du niveau de lacrue et qui est ravi de le voir ; ChristopherRobin envoie Hibou chercher Cochonnet;Entre temps, Pooh a eu la brillante idée deflotter jusqu'à Cochonnet en utilisant leparapluie de Christopher Robin.

    « Et comme c'est vraiment la fin de l'histoireet que je suis très fatigué après cette derniè-re [très longue] phrase, je crois que je vaism'arrêter ici. »

    L'auteur-narrateur réapparaît ici pouramorcer la fin de cette série d'aventures.Très présent dans le premier chapitre(l'ouverture) où il est sollicité parChristopher Robin pour « raconter une his-toire à Winnie-the-Pooh », par la doublemagie du conteur, il donne vie à Winnie-le-Pooh et introduit Christopher Robin dansl'univers des jouet-amis.« La première personne à qui il [Winnie-the-Pooh] pensa fut Christopher Robin.Etait-ce moi ? dit Christopher Robin d'unevoix étranglée par l'émotion, osant à peineen croire ses oreilles.- C'était toi. »

    II s'efface ensuite et n'intervient qu'une foisavant de clore le récit comme il a commencé,un peu avant l'heure du bain, cependantque Winnie reprend son allure d'ours enpeluche (ce que révèle le dessin de Shepard).

    Ainsi, au cours du premier récit, deux jouetsdeviennent des personnes, et cette personni-fication est encore plus sensible dans lasuite : La Maison d'un Ours comme-ça.Lorsque Tigre apparaît, il n'est pas considé-ré comme un jouet, mais comme un enfantcapricieux et très difficile pour sanourriture. Il n'aime pas le miel (heureuse-ment pour Pooh !) ni les glands (Cochonnet),ni les chardons (Hi-han), mais par contre ilaime l'Extrait de Malt (le « RemèdeFortifiant » de Rou). Mais Cochonnet, qui letrouve tellement bondissant, trouve « qu'il a

    Christopher Robin vu par Shepard etphotographié par son père (1924)

    in : Ann Twaite : A.A. Milne, his life,Faber and Faber

    été bien assez fortifié ».Même Petiot (nom complet : Très PetitScarabée) est personnifié et lorsqu'il seperd, tous les animaux « organdisent » unerecherche. Christopher Robin les sort de lasablière et « ils sont tous partis ensemble, lamain dans la main. »

    Les animaux signent tous une « rissolution »,qui est présentée par Hi-han, car ils saventque Christopher Robin va les quitter. Hi-han offre aussi un POEME :

    « Christopher Robin s'en va.« Du moins nous le pensons.« Là ou ailleurs ?« Nul ne lésait... »

    Pooh et Christopher Robin restent enarrière « et pensant à ceci et cela, ils arrivè-rent à un lieu enchanté, tout en haut de laForêt, appelé le Creux des Galons. »

    N° 150 PRINTEMPS 1993/ 41

  • L'évolution des personnages est terminée,car Christopher Robin envisage sa vie futu-re, tandis que Pooh reste son compagnonfavori. Même Pooh comprend que bien que« Manger du Miel soit une très bonne choseà faire »... « ce que j'aime le plus au mondec'est que Moi et Cochonnet on aille Te voir etque Tu nous dises « - si on prenait un petitquelque chose ? » et que je réponde « Ehbien, je n'ai rien contre un petit quelquechose, n'est-ce pas Cochonnet ? » et quedehors ce soit un jour à bourdonnement etque les oiseaux chantent. »

    Le conte est fini. Dans le second volume, lenarrateur a disparu, l'enfant et ses amis ontleur vie propre et c'est Christopher Robinlui-même qui mettra fin au jeu de l'imaginai-re et de l'enfance.« Pooh quand je serai - tu sais bien - quandje ne serai plus en train de faire Rien, vien-dras-tu ici quelquefois ?[...]Pooh, jure-moi que tu ne m'oublierasjamais. Même quand j'aurai cent ans. »

    L'auteur-narrateur se contentera dans lesdernières lignes du second récit, de regarderà distance l'univers qu'il a créé mais dont ilest par sa fonction même, exclu.Voilà ce que sont ces Uvres : ils donnent auxenfants la sécurité d'un environnement fami-lier, avec divers amis qui ont chacun leurspropres traits : se sentir petit commeCochonnet, être triste comme Hi-han, ver-beux comme Hibou. Mais ces traits sontaussi les différentes facettes de la personnali-té de Christopher Robin (et de n'importequel enfant). A travers les dialogues,l'enfant lecteur prend conscience de sespropres humeurs et de celles des autres.A.A. Milne (ou sa femme) considérait que lesjouets, s'ils sont aimés, deviennent des per-sonnes ou tout au moins des personnages etcréent un environnement, qui, spécialementpour un enfant unique, favorise le jeu de

    l'imagination et le sens de la sécurité siessentiel pour les enfants.

    Les bourdonnements de PoohLe plaisir de ce texte provient aussi del'humour et des vers qui émaillent le texte-les fameux « bourdonnements » de Pooh,mêlant, comme c'est souvent le cas dans latradition littéraire anglaise pour les enfants,de petits vers « sans importance » à uneprose pleine de surprises.

    « C'est très curieux vraimentqu'un ours soit si gourmand de mielJe voudrais bien ma foiQu'on me dise pourquoi »J'aime passionnément le miel.

    Il pense à une autre chanson en grimpantdans l'arbre :

    Si les Ours étaient des abeilles,Ce serait chose sans pareille :C'est sur le sol qu'ils bâtiraient leur nid.Donc si les Abeilles étaient des OursÇa rendrait mon chemin plus courtJe n'aurais pas à grimper jusqu'ici.

    Ces vers ont une logique, même s'ils procu-rent un éclairage plutôt surréaliste sur lesours et les abeilles et la logique crée deseffets humoristiques.Dans le premier chapitre de La Maison d'unOurs comme-ça, Pooh est à la recherche deCochonnet :

    « à sa grande surprise, il vit que la porteétait ouverte et plus il regardait à l'inté-rieur, plus Cochonnet n'était pas là. « - IIest sorti » dit Pooh tristement, « - Voilà ceque c'est. Il n'est pas chez lui »... Maisd'abord il pensa qu'il ferait bien de frappertrès fort, juste pour être tout à fait sûr... etpendant qu'il attendait que Cochonnet neréponde pas, il sautait de bas en haut pourse réchauffer. »Ceci est le genre de « logique alternative »qui plaisait tellement aux Taoïstes.

    42 /LAREVUE DES LIVRES POUR ENTANTS

  • L'humour réside aussi dans la répétition deseffets. Pooh aime le miel et dans Histoired'un Ours comme-ça il y fait référenceconstante, jusque dans sa chanson vers la findu livre :« Oh ! Quel bonheur d'être un Ours !Oh ! Quel bonheur d'être Pooh !Je me sens tout heureuxEt dans une heure ou deux.Je vais prendre un petit quelque chose dedoux ! »

    Cette formule est devenue un dire bienconnu dans beaucoup de familles anglaises.Par pudeur on ne veut pas être trop préciset on a juste besoin d'un « petit quelquechose », spécialement vers onze heures dumatin.

    « II est Presque onze heures » dit Pooh toutheureux, « tu es arrivé à temps juste pourprendre un petit bout de quelque chose » etil fourra la tête dans le buffet. »... sa pen-dule s'était arrêtée à onze heures moins cinqquelques semaines auparavant, de sortequ'il était toujours providentiellementl'heure d'un « petit quelque chose. »

    Le charme de ce récit et son pouvoir deséduction qui agit sur les enfants comme surles adultes, c'est cet emploi renouvelé dulangage et de ses possibilités. Ces confusions,cette découverte émerveillée et étonnée desmots qui est le propre du jeune enfant. Icil'humour rejoint la poésie :

    Hi-han dit « Comment vas-tu ? » d'une voixsombre.- « Et toi comment vas-tu ? » dit Winnie-the-Pooh. Hi-han secoua la tête de droite àgauche et de gauche à droite. - « Pas trèscomment », dit-il ; il y a bien longtemps, àce qu'il me semble, que je ne me suis passenti comment. »« - Mon Dieu, mon Dieu, dit Pooh, j'en suisdésolé. »

    ou encore :

    «... et les flocons de neige, fatigués de tour-billonner en cercles en essayant de s'attra-per les uns les autres, descendaient douce-ment en voltigeant jusqu'à ce qu'ils trouventun endroit où se poser ; et cet endroit c'étaitparfois le nez de Pooh et parfois ce n'étaitpas le nez de Pooh, et, au bout d'unmoment, Cochonnet avait un cache-nezblanc autour du cou et ne s'était jamaissenti aussi neigeux derrière les oreilles. »

    La personnification de la neige, la tendresseet l'humour des notations, la naïveté desconstructions et l'emploi inusité et si subjec-tif de l'adjectif « neigeux », traduisent par-faitement la rencontre d'un regard adulteavec les impressions et les sensations uniquesde l'enfance..

    L'humour subtil qui est sous-jacent dans ladescription et la personnification de la natu-re, la création d'une ambiance dans laquelleles personnes, à un degré plus ou moinsgrand, peuvent rire de leurs insuffisances etles affronter ainsi, tout cela est une contribu-tion de valeur à la littérature de l'enfance.On trouve les livres de Pooh sur les rayonsdes bibliothèques des étudiants et même chezles gens plus âgés. C'est alors le souvenird'une enfance heureuse, l'humour de« l'Ours de Peu de Cervelle », le style anglaisaisé et l'évocation de la nature, qui permet-tent d'apprécier Winnie-the-Pooh à un âgeadulte.

    Avez vous lu Winnie-the-Pooh ? •

    (traduction de Pierre Bonhomme ;Jacques Papy pour les citations.

    Illustrations de E.H. Shepard)

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