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DanielleSteel

UnsigrandAmour

Roman

27Février2007

PressesdelaCitéEtranger-Romans

Traduitdel’anglais(Etats-Unis)TraduitparVassoulaGALANGAU

Résumé

UnsigrandAmour

Avril1912.LafamilleWinfieldrevientd'unséjourenAngleterreàbordduTitanic,cegéantdesmersdontc'estlapremièretraversée.

Le14ausoir, lepaquebotheurteuniceberg.Lamoitiédespassagerspérirontdansleseauxglacéesdel'Atlantiquenord.EdwinaWinfield,sonfrèreGeorgeetleurjeunesœurAlexiaontréussiàembarquersuruncanotdesauvetage.LeursparentsainsiqueCharles,lemarid'Edwina,n'ontpaseucettechance.DeretouràBoston,EdwinaWinfieldprendlesrênesdu"BostonCourrier",lejournalfondéparsondéfuntpère.Chefdefamilleparlaforcedeschoses,lajeuneveuvepousseGeorgeàcontinuersesétudesetdevientunevéritablesecondemèrepourlapetiteAlexia,traumatiséeparladisparitiondesesparents...Dixans

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plustard,Edwinas'inquiètetoujoursautantpoursa jeunesœur.Bravant lesmisesengarde, l'adolescenteauneliaisonavecMalcolmStone,coureurdejuponsethéroïnomanenotoire.CedernierenlèveAlexiaet l'emmèneenAngleterre.Edwinapartàleurrecherche...

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ÀBéatrice,

dontladouceur

meréjouitetm’émerveille.

Puisses-tumachèreenfant

menerlenaviredetavieàbonport,

entouréed’amis,

surunemercalme

etensoleillée.

Etsijamaissurvenait

latempête,

alors

souviens-toicombiennoust’aimons.

EtàJohnquej’aimetantetnecesseraid’aimerd’unsigrandamour…detoutcœuràjamais.

D.S.

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Chapitre1

10avril1912

Letic-tacdel’imposantependulesculptéequisurmontaitlacheminéeet,çàetlà,lebruissementfeutrédesserviettesdelinbrisaient,seuls,lesilence.Ilyavaitpourtantonzepersonnesdanslavastesalleàmanger.Lefroidyétaitsivifqu’Edwinapouvaitàpeinebougerlesdoigts.Duregard,elleeffleurasabaguedefiançaillesmiroitantdanslalumièrematinale,avantdefixersesparentsassisàl’autreboutdela table.La jeune fille sourit.Lesyeuxbaissés sur lecontenudesonassiette, sonpèrearboraitunairsérieux,maisunemoueimperceptible,pleinedemalice,soulevaitlacommissuredesabouche.Ildevaittenir,souslatable,lamaindelamèred’Edwina,celle-ciétaitprêteàleparier.Cesdeux-lànerataientjamais l’occasion de se chuchoter desmots doux ou de se bécoter. « Pas étonnant qu’ils aient eu sixenfants»,disaientleursamis.

Àquaranteetunans,KateWinfieldavaitgardéuneallured’adolescente;unesilhouetteminceetunetaille finequi n’avaient rien à envier à celles d’Edwina, son aînée, élancée elle aussi, avecdebeauxcheveuxd’unnoirlustréetd’immensesyeuxbleufoncé.

Souventonlesprenaitpourdessœurs.Lesdeuxfemmessesentaienttrèsliées,commed’ailleurstouslesmembresdelafamille.ChezlesWinfield,lesembrassadessuccédaientauxdéclarationsd’amouretlesriresauxplaisanteries.

Lavuedeson frèreGeorges,dont le souffle régulier formaitdepetitsnuagesdevapeurdans l’airglacial,faillitarracherunrireàEdwina.Leuroncleseplaisaitàmaintenirl’atmosphèredumanoiràunetempératurequasipolaire.AyantgrandisouslescieuxplusclémentsdelaCalifornie,lesenfantsWinfieldn’avaientguèrel’habitudedel’inconfort.IlsavaiententreprislelongvoyagedeSanFrancisco,unmoisauparavant,pour annoncer à tanteLiz etoncleRupert les fiançaillesd’Edwinaavecun jeuneAnglais.L’histoireserépétait…Unquartdesiècleplustôt,Élisabeth,lasœurdeKate,avaitaccordésamainàSirRupert,letrèsbritanniqueLordHickham.

Devenue vicomtesse, la maîtresse de Havermoor Manor avait accompagné son noble époux auRoyaume-Uni.Agéedevingtetunansàcetteépoque,Élisabethavaiteuunvéritablecoupdefoudrepourcegentleman,sonaînédetrenteans,quieffectuaitalors,encompagnied’amis,unvoyaged’agrémentsurla côte ouest desÉtats-Unis.Vingt ans après, ses neveux et nièces avaient dumal à comprendre cetteattirance.Hautainetbourru,lelorddistillaitsonhospitalitéaucompte-gouttes.Depuisleurarrivée,aucunsonressemblantàunriren’avaitfranchiseslèvrespincéeset,detouteévidence,laprésencedetouscesturbulentsgaminsl’exaspérait.

—Maisnon,ilnelesapasprisengrippe,s’escrimaitàexpliquertanteLiz,iln’estpashabituéauxenfants,voilàtout.

Laquestions’étaitposéepourlapremièrefoislejouroùGeorgesavaitlaissétombersubrepticementunepoignéedetêtardsdanslabièredumaîtredemaisonquineparutpasapprécierlaplaisanterie.

SirRupertavaitrenoncédepuislongtempsauxjoiesdelapaternité.Plusjeune,ilavaitdésiréunfils,unhéritierauquelillégueraitsonpatrimoine.Ledestinenavaitdécidéautrement.

LapremièreLadyHickham, après unnombre impressionnant de fausses couches,mit aumondeunmort-néquiluicoûtalavie.C’étaitdix-septansavantdeconvoleravecLiz.Hélas,lasecondeépousedeSirRuperts’avéraaussiinapteàporterdesbébésàtermequelapremière,etilluientintrigueur.Certes,

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pour rien au monde il n’aurait voulu de la nombreuse descendance de Kate et Bertram, marmotsinsupportables, dont lemanque de savoir-vivre constituait, à son avis, une insulte aux règles les plusélémentairesdel’éducation.

—Commec’estchoquant!necessait-ilderonchonneràl’adressedesafemme.Queldésordre!Quellaisser-aller!

Bah!LesAméricainsétaientconnuspourleursmauvaisesmanières.Pasuneoncedesang-froid,pasuneombrededignité,etbiensûraucunediscipline.Cependant, le faitqu’Edwinas’apprêtâtàépouserCharles Fitzgerald,membre de la gentry, avait rehaussé lesWinfield dans l’estime du vieux lord. EnapprenantlanouvelleparLiz,ilavaitfaitpreuved’unejoiediscrète.

—Ehbien,toutespoirn’estpasperdu,avait-ilgrommelé.

Le châtelain, qui accusait alors soixante-dix printemps, ne put réprimer unmouvement d’irritationlorsqu’ilsutquetoutelafamilleallaitdébarquerchezlui.

—Jelesaiinvités,annonçaLizentoutesimplicité,unbeaumatinaupetitdéjeuner.

—Etilsvontvenirtous?s’écrialelord,horrifié.

Eneffet,luifût-ilrépondu,lesWinfieldprojetaientdegagnerLondres,afindefairelaconnaissancedesFitzgeraldetdecélébrerlesfiançaillesd’EdwinaetdeCharles.Riendeplusnaturel,biensûr,maisde là à investir Havermoor Manor… Sir Rupert commença par trouver l’initiative de sa femmeextravagante.Noël approchait et l’arrivée des invités avait été fixée enmars, demanière à laisser aumaîtredecéansletempsdesefaireàcetteidée.DumoinsLizl’espérait-elle.Sasœurluimanquait.Ellelanguissaitdes’entourerd’enfantsremuants.

Leurséclatsderire,leurjeunessebriseraientlamonotoniedesonexistence.Ilsapporteraientunpeudegaietédansceslieuxhostilesqu’elleenétaitvenueàdétesteraprèsvingt-quatreansdeviecommuneavec Rupert. Oui, sa sœur lui manquait cruellement. Et les souvenirs de leur enfance heureuse, sousl’éclatantsoleildeCalifornie,l’emplissaientd’unenostalgiesingulière.

Lord Rupert n’était pas un homme facile. Auprès de lui, Liz n’avait pas connu le bonheur auquelaspiretoutejeunemariée.L’aristocrateanglaisl’avaitéblouieparsaprestance,sontitre,sacourtoisie.

Rupert lui avait dépeint l’Angleterre comme le seul pays civilisé digne de ce nom. Et la jeuneAméricainel’avaitsuivi,convaincueque«touslescheminsmenaientàLondres».

Lanouvellechâtelainedéchantabienvite.L’antiquemanoir—immensebâtissedélabrée—netardapas à lui faire l’effet d’unmausolée. Rupert possédait bien une « résidence en ville », au cœur d’unquartierchicdelacapitale,maisn’ymettaitjamaislespieds.Illavenditquatreansplustardàl’undesesamis.S’ilsavaienteudesenfants, leschosesauraientcertainementchangé.Lizdésiraitardemmentdevenirmère, fonderune famille, entendredesvoix fluettes résonner joyeusement à travers la lugubresuccessiondessallesobscures.Malheureusement,ledestinluirefusacettefaveur.

Aufildesans,Lizcompritquesonvœulepluscherneseraitjamaisexaucé.Ellenevivaitplusquepour voir les enfants deKate, lors de ses rares visites à San Francisco et, finalement,même ce petitplaisirluifutretiré.L’étatdesantédeRupertluiinterdisantlesvoyages,ildéclaraqu’ilsesentaittropfatiguépourescortersafemmedanssespérégrinations.Lesrhumatismesetlagoutteleclouèrentbientôtsur un fauteuil. Il avait constamment besoin de soins, et Liz se retrouva prisonnière entre les murssinistresduchâteau.SanFranciscodevintalorsunesortedeterrepromise,unsongelointain.Unmirage.Sonsouhaitleplusardent.Quandpourrait-elleyretourner?Voilàdesannéesqu’ellen’yavaitpasmislespieds.Àsesyeux,l’arrivéedeKateetdesenfantsn’enrevêtitqueplusd’importance.

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—Après tout, ils peuvent rester quelque temps, finit par concéder Sir Rupert— et elle lui en futreconnaissante.

—Dumomentquecen’estpaspourtoujours…

LaréalitéparutàLizencoreplusmerveilleusequelerêve.

Retrouversasœurluiprocuraunejoieintense.Etsepromeneràsoncôtédansleparcl’emplitd’unbien-êtrejusqu’alorsinsoupçonné.

Jadis, les deux sœurs se ressemblaient comme des jumelles. Plus maintenant… Kate, qui avaitconservétoutesajeunesseetsabeauté,paraissaitéperdumentamoureusedeBertram.Unefoisdeplus,Lizregrettaamèrementd’avoirépouséRupert.Etellesedemandaquelleseraitaujourd’huisaviesiellen’avait pas quitté son pays. Si, au lieu de devenir Lady Hickham, elle s’était mariée là-bas avec unAméricain…

Commeelles avaient été heureuses,Kate et elle!Deux jeunes filles insouciantes que leurs parentschérissaienttendrement.Ellen’oublieraitjamaisleurbaldedébutantesàdix-huitansniletourbillondesmondanitésquis’ensuivit.Réceptions,dîners,spectacles…Puis,trèsvite,Rupertentradanssaviepourl’emmener à l’autre bout du monde. Bizarrement, bien qu’elle vécût plus de la moitié de sa vie enAngleterre,Liznes’yhabituajamaistotalement.

Ellenes’ysentaitpastoutàfaitchezelle.UneloirigiderégissaitHavermoorManor,établieunefoispour toutes par Rupert, un ordre immuable auquel Liz n’avait rien pu changer. Elle s’y plia avecl’impressiond’êtreune invitéeplutôtque lamaîtressede samaison,une sortedeparentepauvre sanspouvoirniinfluencequel’onhébergeaitdemauvaisegrâce.N’ayantpasdonnéd’héritierauseigneurdudomaine,saprésencemêmesurleslieuxparaissaitinutile.

Commentsasœurpourrait-ellelacomprendre?Kateportaitsursonvisageépanouivingt-deuxansdefélicitéauprèsd’unséduisantépoux,entouréede sixenfantsmagnifiques.Trois filset trois filles, tousplusbeauxlesunsquelesautres,enpleineforme,intelligents…

Dansl’espritdeLiz,KateetBertformaientlecoupleidéal.Éternelsamoureuxbénisdesdieux,ilsavaient amplement mérité les faveurs dont le ciel les comblait. Des années durant, Liz n’avait pus’empêcher d’envier à sa sœur ce bonheur sans mélange qu’ellemême n’avait jamais éprouvé. Sajalousie,sommetoutecompréhensible,n’avaitriendemesquin…KateetBertforçaientaucontrairesonadmiration par leur gentillesse et leurs qualités de cœur. Mais leur joie de vivre rappelait tropcruellementàLizsesrêvesdéçus.

Alors,prised’uneimmensenostalgie,elleseremémoraitseséchecs,lesenfantsqu’ellen’avaitpaseus, la douce complicité avec un homme qu’elle n’avait pas connue, tous ces merveilleux instantsauxquels Kate et Bert semblaient goûter avec délice. Et ces bavardages, ces murmures, ceschuchotements…L’existencedeLizetdeRupertétait, en revanche,peupléede silences.Envérité, ilsn’avaientrienàsedire.

SirRupertn’avaitjamaisaccordélemoindreintérêtàsonépouse.

Seulessesterreslepassionnaient.Ilconsacraitleplusclairdesontempsàsescanards,sesgrousesetsesfaisans.Plusjeune,ilpassaitdesjournéesentièresàs’occuperdeseschiensoudeseschevaux…

Plustard,lespremièresattaquesdelagoutteluifirententrevoirl’utilitéd’unecompagneàdemeure.LesnouvellesfonctionsdeLizconsistaientàluipassersonverredevin,àsonnerlesdomestiquesàsaplace, à l’aider à se coucher bien que les appartements de son époux fussent éloignés des siens. Ilsavaienttrèsvitefaitchambreàpart,sitôtqu’ils’étaitaperçuqu’elleneluidonneraitpasd’enfant.

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Non,ilsn’avaientrienàsedire,saufdesreproches.Rienàpartager,hormisdesregrets.

L’irruptiondesWinfielddanslevieuxmanoirglacéetsolitairefitàLizl’effetd’unsouffleprintanier.On eût dit que, subitement, les lourds rideaux poussiéreux s’étaient écartés des fenêtres pour laisserpasserlesrayonsdorésdusoleilcalifornien.

Ilyeutunpetithoquetsuivid’ungloussementétoufféàl’autreboutdelatable,faceauxdeuxsœursassisesdepartetd’autredeSirRupert.Celui-cifîtlasourdeoreilleetlesdeuxfemmeséchangèrentunsourire.Depuisl’arrivéedesesinvités,Lizavaitrajeunidedixans.

Ilavaitsuffiqu’ellelesrevoiepourqu’ellesesenteaussitôtunmorald’acier.Katesefaisaitdusoucipour elle. Lizmenait une vie de recluse dans ce château en ruine, au fin fond de lamorne campagneanglaise, près d’un mari taciturne qui manifestement ne l’aimait plus… si toutefois il l’avait jamaisaimée…Lajoiedesretrouvaillesavaitpeut-êtreramenédescouleursàsesjouesflétries,maisàprésentc’étaitfini.LeurséjouràHavermoors’étaitécouléàunevitesseincroyable:dansmoinsd’uneheureilsrepartiraient,etDieuseulsavaitquandilspourraientrevenir.KateavaitbiensûrpresséLizdeserendreàSanFrancisco,afindeparticiperauxpréparatifsdumariaged’Edwina,maissasœuravaitrefusé.Ellene pouvait laisser Rupert seul pendant si longtemps. Kate avait réussi à lui extorquer la promessed’assisteràlacérémonie,aumoisd’août.

Lehoquetrepritdeplusbelledel’autrecôtédelatableetcefutpresqueunsoulagementpourKate.ElleregardaAlexia,safilledesixans.Georges,penchéàsonoreille,devaitsûrementluidébiterunedesessempiternellesplaisanteries,carlapetitefillemontraitlessignesd’unehilaritéquinetarderaitpasàexploser.

—Chut!murmura-t-elleavecunsourireindulgent,puissonregardsetournaversSirRupert.

Si,àlamaison,latabledupetitdéjeunerévoquaitleplussouventunchampdebataille,icilesenfantsavaientintérêtàbiensetenir.

GrâceàDieu,iln’yavaitpaseutropdeproblèmes,carilsavaientacceptédeseplierauxrèglesduvieuxlordet,d’autrepart,cederniers’étaitradouciaufildutemps.Parexemple,ilemmenaàplusieursreprisesPhilipàlachasseetbienquecesrandonnéesfussentpéniblespourl’adolescent—ilavouaplustardàsonpèrequetoutcelalebarbait—,SirRupertn’yvitquedufeu.

Àseizeans,Philippouvaitpasserpourunvéritablepetitgentleman.Bienélevé,poli,ilfaisaitmontreà l’égarddes autresd’uneprévenanceextraordinairepourungarçonde sonâge.De tous ses frères etsœurs,ilétaitleplusresponsable,hormisEdwinanaturellement…MaisEdwinaavaitvingtansetdanscinqmois,elleauraitunmarietunfoyer.Et,sansdoute,aurait-elleunbébédansl’annéequisuivrait.«Onnevoitpaslesenfantsgrandir»,songeaKate,surpriseàlapenséequ’elledeviendraitbientôtgrand-mère.

IlsallaientretournerauxÉtats-UnisoùilsentreprendraientlespréparatifsdelacérémonieetCharlesles accompagnerait. C’était un beau jeune homme de vingt-cinq ans, éperdument épris d’Edwina. Ilss’étaientconnusàSanFranciscoetl’idylleduraitdepuisl’étédernier.

Lemariage serait célébré en aoûtmais il semblait àKate que le temps pressait. Il y avait tant dechosesàfaire,àorganiser,àmettreenplace.Larobedemariéeseraitpositivementravissante,pensa-telleenévoquantlesdizainesdemètresd’organdidesoieivoireachetésàLondresquesafilleremportaitdans ses bagages. Le couturier deKate— lemeilleur de la côte ouest— le ferait broder de perlesminuscules;quantauvoile,MmeFitzgeraldmèreleconfieraitàunemodisteparisienneet l’apporteraitelle-mêmeàSanFranciscooùelleserendraitavecsonmari,débutjuillet…Oui,tantdechosesàfaire,

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soupiraKate.Rienquelalistedesinvités,quelcasse-tête!

Edwina et elle y travaillaient depuis plus d’un mois. En tant que propriétaire du journal le pluspopulaire de la région, Bertram Winfield possédait un vaste cercle de relations. Elles avaient déjàrépertoriéplusdecinqcentsnomsetcen’étaitpasfini.CharlesavaitéclatéderirequandEdwinal’avaitavertiquelalisterallongeaitchaquejourdavantage.

—Ç’auraitétébienpireàLondres, l’assura-t-il.Septcentspersonnesontassistéaumariagedemasœurilyadeuxans.Àcemoment-là,j’étaisencoreàDelhi,Dieumerci.

Charlesn’avaitpascessédevoyagerpendant lesquatredernièresannées.Aprèsunséjourdedeuxansdansl’arméebritanniquedesIndes,lejeunehommes’étaitrenduauKenyachezdesamis.Lerécitdeses voyages fascinait Edwina. Elle avait supplié son futurmari de l’emmener en voyage de noces enAfriquemaisiln’avaitrienvouluentendre.Àsonavis,undécorplussereinconvenaitdavantageàleurlunedemiel.Finalement,ilssemirentd’accordsurunpéripleplusclassique:ilspasseraientl’automneen Italie et en France, regagneraient Londres aux alentours deNoël. Edwina espérait secrètement qued’icilàelleseraitenceinte.ElleaimaitpassionnémentCharlesetdésiraitardemmentavoirdesenfantsdelui, beaucoup d’enfants comme dans sa propre famille. Oh, ils seraient heureux ensemble, elle n’endoutaitpas,aussiheureuxquesesparents,car,auxyeuxdelajeunefilleseuleuneviedecoupleaussiparfaitequecelledeKateetBertvalaitlapeined’êtrevécue.

Certes,lecielbleudeleurféliciténerestaitpastoujourssansnuages.

Parfois de gros orages éclataient et, alors, tous les lustres tremblaient dans la grande maisoncalifornienne.SiKatenemanquaitpasdetempérament,Bertramneselaissaitpasmenerparleboutdunez.

Mais au plus fort de la tourmente, on sentait leur connivence. En pleine dispute, une lueur detendresseadoucissaitsoudainl’œilcourroucédeKate;unenotechaleureusevibraitalorsdanslavoixdeBertetl’onsavaitqueleuramourtriompheraitdeleurquerelle.

C’était exactement ce qu’Edwina souhaitait lorsqu’elle serait l’épouse de Charles…Grâce à unefortunepersonnelleconsidérable,lejeunehommeavaitéchappéjusqu’alorsauximpératifsd’unemploi,etunjourilremplaceraitsonpèreàlaChambredeslords.

LesdéboiresdesatanteLizauprèsdel’irascibleSirRupert luiayantservideleçon,lajeunefillepréféraitlesensmoraldesonfiancéauclinquantdesonnomouauxbiensmatérielsdontildevaithériterplustard.

Toutcommesafutureépouse,CharlesFitzgeraldétaitpartisandesfamillesnombreuses.«Unedemi-douzaine»,disait-ilenriant.

LesWinfieldenavaienteusept.Ilsavaientperduunpetitgarçonenbasâge,entreEdwinaetPhilip.Mais si cette disparition précoce avait exacerbé la sensibilité de ce dernier, elle n’avait pas touchéGeorges.

LesecondfilsdesWinfieldsemblait,contrairementàsonaîné,avoirplacésaviesous lesignedel’insouciance.À douze ans, il avait l’air de croire fermement que sa seulemission en ce basmondeconsistaitàsedonnerdubontemps.Georgestourmentaitsansmercisesjeunessœursetn’hésitaitpasàfaire rager son frère par des facéties de toutes sortes— lit en portefeuille, crapauds au fond de seschaussures,grainsdepimentdans soncafématinal—,histoiredecommencer la journéedubonpied,commeildisait…PhilipenduraitcesbouffonneriesaveclarésignationdesadeptesduKarma.Pouruneraison qui lui échappait, la Providence avait dépêché Georges sur terre dans l’unique but de le

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persécuter.IlsuffisaitquePhilipremarquâtunejeunepersonnedusexeopposéetamorçâtlespremièresprudentesmanœuvres d’approche, pour que, aussitôt, son cadet vole à son secours. Et, enmatière defilles,lesdeuxfrèresétaientlejouretlanuit.AlorsquePhilipmanquaitd’audace,Georgessedistinguaitpar sa témérité. Sur le bateau qui les avait emmenés d’Amérique,Kate et Bert avaient eu souvent lasurprised’êtresaluésparlesautrespassagersd’unjovial«c’estdoncvous,lesparentsdeGeorges!».

Mais lespalmesde la timiditérevenaientsanscontesteàAlexia, lequatrièmeenfantdesWinfield.C’étaitunejoliepetitecréatureauxbouclesd’unblondsiclairqu’ilenparaissaitpresqueblanc,etauxgrandsyeuxétonnésbleupâle—alorsquetoussesfrèresetsœursavaientlescheveuxnoirsetlesyeuxbleussombresdeleursparents.

Si les fées avaient déposé lamalice et le courage dans le berceau deGeorges, elles avaient dotéAlexiadequelquechosederareetdedélicat.Partoutoùelleallait,lesgenss’extasiaientsursabeautééthérée. Un instant elle était là, belle comme un ange, et l’instant d’après elle disparaissait, pourréapparaîtreplustard,silencieuseettranquille.KateetBertl’appelaient«leurbébé»bienqu’ellenefûtpas leur benjamine, car quelque chose de spécial les liait à elle. Alexia parlait peu, ne s’adressaitpratiquement qu’à ses parents, ne s’épanouissait qu’à l’intérieur du cocon familial. À lamaison, ellepassaitdesheuresentièresdanslejardinàtresserdesguirlandesdefleurs«pourlescheveuxdemaman». Sa mère et son père étaient tout pour elle. Alexia témoignait également une grande affection àEdwina…VenaitensuiteFrances,quatreans,que tout lemondeappelaitFannie.Une filletteadorable,toutefossettesetsourires,quiavaithéritédel’heureusenaturedeBert.Et,enfin,Teddy,lepetitdernier,unchérubindedeuxans,dontlerirefusaitàtoutboutdechamp,surtoutlorsqueOona,lajeunefilleaupair,essayaitvainementdelerattraper.D’origineirlandaise,OonaavaitémigréauxÉtats-Unisàquatorzeans.Elle en avait dix-huit àprésent et reprochait à sapatronnede« tropgâter lepetitTeddy».Katel’admettaitdansunrire…Ellelesaimaittoustellement…

Parfois, elle s’étonnait de ce que ses enfants, nés et élevés au sein d’une seule et même famille,fussentsidifférentslesunsdesautres.

Chacunavaitunepersonnalitébiendistincte,surtoutlesplusâgés,Katel’avaitmaintesfoisremarqué.

Philiplesage,Georgesl’insouciant,Edwinalacourageuse…

Edwina,quiavaittoujoursétéunexempledegentillesseetd’abnégation.Edwina,quipensaittoujoursaux autres avant de penser à elle-même… Le fait qu’elle ait rencontré Charles procurait un réelsoulagementàKate.Elleleméritait.Desannéesdurant,lajeunefilleavaitétélamaindroitedesamère.Etmaintenantelleallaitenfinavoirsaproprefamille.

Àl’idéequesafillechérieiraitvivredel’autrecôtédel’Atlantique,lecœurdeKateseserra.Elleavait déjà connu ce déchirement du temps où sa sœur Liz avait embarqué pour Londres, des annéesauparavant.MaisEdwinaseraitsûrementplusheureusequeLiz…

Charlesne ressemblait en rienau taciturneSirRupert.C’étaitun jeunehommepleindecharme. Ilavaituncœurenoret,Katen’endoutaitpas,ilferaitunmerveilleuxmari…

LesWinfieldavaientrendez-vousavecCharlesdanslamatinéeàSouthampton,auxdocksdelaWhiteStar Line, la compagniemaritime qui avait organisé le voyage. Le jeune homme avait accepté de lesaccompagnercarBertleluiavaitdemandécommeuncadeaudefiançaillesàEdwina,etaussiparcequeseséparerd’ellependantquatremois, jusqu’au jourde leurmariage,étaitau-dessusdeses forces. Ilsallaientprendreunpaquebotderêve,leplusgrandconstruitjusqu’alors,quis’apprêtaitàeffectuersonpremiervoyage.

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C’étaituneperspectivegrisante,terriblementexcitante…

Le tic-tac régulier de l’imposante pendule sculptée emplissait la vaste salle àmanger glaciale.Lepetitdéjeunertouchaitàsafin.

Alexiaseremitàglousser,amuséeparlesdiscoursqueluitenaitàmi-voixcechenapandeGeorges.

BertramseretenaitpournepaséclaterderireetcefutalorsqueSirRupertseredressa,mettantfinaux agapes. Kate respira. Ils étaient libres… Se levant à son tour, Bertram contourna la tablemonumentale,lamaintendueverssonhôte.Celui-cisaluasonbeau-frèreavecunechaleurréelle.Àvraidire, il était peiné de se séparer de ses invités. Il appréciait l’humour de Bert et trouvait Kate biensympathique.Lesenfants,quantàeux,nesuscitaientquesaréticence,maispersonnenepouvaitprétendreàlaperfectionencebasmonde.

—Cesquelquesjourspassésenvotrecompagnie,SirRupert,furentundélice.VenezdoncnousrendrevisiteàSanFrancisco,ditBertram.

IIétaitpresquesincère.

—Hélas,moncher,jenepeux…

La réponseduvieux lord soulageaLizquipréféraitde loinaller seuleaumariagede sanièce.Lachâtelainen’enpouvaitplusd’attendre.ElleavaitdéjàchoisisatenueencompagniedeKateetd’Edwinadansuneboutiquedeluxelondonienne.

—Sid’icilàvouschangezd’avis,vousserezlebienvenu,affirmaBert.

Lesdeuxhommeséchangèrentunenouvellepoignéedemains,puislefantômed’unsourireétiraleslèvresdeRupert.Ilavaitétécontentdeleurarrivéeet, toutcomptefait, iln’étaitpasmécontentdelesvoirrepartir.

—Écrivez-nouspournousdirecomments’estpasséelatraverséeàborddecemerveilleuxnavire,ditLordRupertet,l’espaced’uneseconde,unelueurenvieusedansaaufonddesesprunellespâles.

Liz,pourunefois,nefutenvahieparaucunsentimentdejalousie.

Lemaldemerdontellesouffraitlaclouaitinvariablementdanssacabineetellenepouvaitsongeràsonvoyagedejuilletsansqu’unfrissond’horreurlafîtfrémir.

—Allez-vousécrireuncompterendudansvotregazetteàcesujet,Bert?

Bertramsourit.Ilnesignaitpourainsidirejamaisd’articledanssonjournalmaiscettefois-cil’enjeuenvalaitlachandelle.

—Peut-être,peut-être,marmonna-t-il.Jevousenverraiunecopiedel’édition.

Alorsquelesdeuxhommess’avançaientverslasortieendevisant,Kate,LizetOonadirigèrentlesjeunesetremuantsWinfieldverslasalledebains,afindelespomponneravantledépart.

Ilétaitencore tôt.Lepâlesoleilmatinalvenait justede jaillirpardessus lacolline. Ilyavait troisheuresderoutejusqu’àSouthampton.

Sir Rupert avait réquisitionné son chauffeur et deux de ses garçons d’écurie pour conduire lesvoyageurs à leur destinationdans trois voitures différentes.Les domestiques entassèrent le restant desbagages dans les coffres. Les malles, qui avaient été expédiées la veille par chemin de fer, lesattendraientdansleurscabines.

La suite se déroula très vite. En quelques minutes, les enfants prirent place dans les véhicules.

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Edwina,PhilipetGeorgesdanslepremier,Oona,FannieetlepetitTeddydansledeuxième.Kate,BertetAlexia eurent droit à la Silver Ghost personnelle du maître de maison. Liz se proposa de lesaccompagner,maisKatedéclinal’offredesasœur.LevoyageétaittroplongetceseraitpéniblepourLizderetournerseuleaumanoirdansleconvoivide.

Lesdeuxfemmestombèrentdanslesbrasl’unedel’autreetrestèrentainsiunlongmoment.LizserraKatesursonsein,lesyeuxhumides.Uneémotionsingulièreluiétreignaitlagorge.

—Prendssoindetoi,soupira-t-elle,tumemanqueras…vousmemanquereztous…

Kate remit son élégant petit chapeaudroit—un cadeauqueBert lui avait acheté àLondres—etréponditavecunrire:

—Letempspassevite,Liz, tuverras.Nousseronsenaoûtsansque tu t’ensois renducompte…Àbientôt,machérie,àlamaison!

Cedisant,elleembrassasasœursur la joue,puisse recula.DieuqueLizsemblait triste!Tristeetabattue.Pourlaénièmefois,Kateadressaunesecrèteprièreauciel:«Seigneur,faitesquelemariagedemafillesoitplusheureuxqueceluidemasœur.»SirRupertpressaitd’untonhargneuxlesconducteursdepartir.

—Lebateauvaappareilleràmidi,n’est-cepas?demanda-t-ilàBert,ensepenchantàlafenêtredelaSilverGhost.

—Oui,nousavonstoutnotretemps.

Ilétait7h30,le10avril1912.

—Alors,bonvoyage!C’estunbateauextraordinaire,unevraiemerveille,s’époumonalelordalorsquelapremièrevoituredémarraitdansuncrissementdepneus.

Ladeuxièmevoitures’ébranla,puislatroisième.Dederrièrelavitre,Katefîtunsigned’aurevoiràsasœur.

—Jevousaimetous!criacelle-cid’unevoixassezfortepourcouvrirlebruitdumoteur.

Lesmotss’évanouirent…Lizessuyaseslarmes.Uneétrangeinquiétudel’oppressait,ellen’auraitpassudirepourquoi.Elles’efforçadesouriretoutensuivantSirRupertàl’intérieur.Ilallas’enfermerdanssonbureau,commeilavaitl’habitudedelefairecesdernierstemps.LespasdeLizlaramenèrentalorsverslasalleàmanger.Surleseuildelaporte,ellecontemplaleschaisesvidesautourdelalourdetableovaleetuneaffreuse,unepoignantesensationdesolitudelatransperça.

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Chapitre2

La Silver Ghost quimenait le convoi des voitures de LordHickham s’immobilisa devant le pontd’embarquementdelapremièreclasse.

Dans la deuxième voiture, Georges se mit à sautiller sur son siège, donnant libre cours à sonenthousiasme.

—Edwina! Philip! Regardez ça! exulta-t-il, l’index pointé vers le majestueux bâtiment à quatrecheminées.

—Calme-toi,voyons,intimasonfrère.

Contrairement à l’exubérantGeorges, Philip avait soigneusement épluché journaux etmagazines etsavaittoutsurlesujet.Lapresseinternationaleavaitsaluéavecdescrisd’admirationlamiseeneauduplus grand paquebot du monde… Aucun vaisseau ne pouvait s’enorgueillir de tels fastes, pas mêmel’Olympic, son jumeau sorti des mêmes chantiers navals et lancé triomphalement quelques moisauparavant.Lesjournalistesl’avaientsurnommé«leNavire-Merveille»,«leFinduFinduLuxe»ou«leSpécialpourMillionnaires»mais aucunadjectif, aucun superlatif, nepouvait résumervraiment lessplendeursduTitanic…Participeràsonvoyageinauguralreprésentaituneaubaine,unechanceinouïe,unprivilègeraredontPhilipétaitconscient.Georgeslorgnalebateau,bouchebée.Desavie,iln’avaitvuquelquechosed’aussicolossal.

BertramWinfield avait réservé une suite sur le pontB, véritable petit bijoumuni de fenêtres à laplacedeshublotsetd’élégantsmeublesd’époqueanglais, françaisethollandais.LaWhiteStarn’avaitpasregardéàladépense.

Les cabines retenues par les Winfield s’assemblaient à la manière d’un vaste et confortableappartement.

GeorgespartageraitlachambredePhilip,Edwinacelled’Alexia.

Oonadormiraitaveclesdeuxpetits.LapiècelaplusspacieuseavaitétéréservéeàKateetBert.Ellejouxtaitlaluxueusecabinedeleurfuturbeau-fils,CharlesFitzgerald.«Quellebellecroisièrecesera!»

seditGeorges,quinetenaitplusenplace.Iljaillitparlaportièredelaconduiteintérieureets’élançaverslepalaisflottant.LamaindePhilips’agrippaàsonbraspourlefairerevenirsursespas.

—Holà,jeunehomme,oùt’envas-tucommeça?

GeorgesjetaàPhilipunregardexaspéré.

—OncroiraitentendreoncleRupert!

—Peu importe! Tu vas me faire le plaisir de rester sur place, jusqu’à ce que papa t’autorise àembarquer…

Uncoupd’œilpar-dessussonépauledévoilaàGeorgeslespectacled’uneAlexiaenpleurs.

PendantcetempsOonasedébattaitaveclesbagagesdespluspetits,EdwinaaidaitKateàdescendredevoiture,BertdonnaitcongéauxemployésdeSirRupert.

Exactement le genre de situation chaotique que Georges affectionnait tout particulièrement. Ils’apprêtaitàprendrelapoudred’escampette.Hélas,Philiplerappelaàl’ordre,raidecommelajustice.

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—Tudevraist’occuperdeTeddy.

—Seigneur,épargnez-moicecalice,gémitGeorges,horrifié.

Riennelerebutaitdavantagequelebaby-sittingforcéauquelonvoulaitl’astreindretoutàcoup.Sonregarddérivadenouveauendirectionde l’altièresilhouetteduTitanic.Lefougueuxadolescentbrûlaitd’enexplorerchaquerecoin,maisunefoisdeplus,sonrabat-joiedefrèrel’arrêtaenpleinélan.

—Allons,montre-toiserviablepourunefois.

Àcontrecœur,Georgess’approchadespetits,tandisquePhilips’enallaitaiderBertàrassemblerlesbagages.Ducoindel’œil,ilnotaqu’EdwinasepenchaitsurAlexia.

—Nesoispasidiote,mapoupée…

—Elles’agenouillaàmêmelequai,danssajolierobedelainagebleumarinequ’elleavaitdéjàmiseunefoispourfairelaconnaissancedesparentsdeCharles.

—Iln’yapasdequoiavoirpeur.

Regarde,ajouta-t-elleenébauchantunamplegesteapaisantvers le transatlantique,c’estcommeungrand,un trèsgrandhôtelet riendeplus,vois-tu?Dansquelques joursnousseronsàNewYork,et lànousprendronsletrainpourSanFrancisco.

Épouvantée par la taille gigantesque du navire, la petite fille se libéra de l’étreinte d’Edwina etcouruts’accrocherauxjupesdesamère.

—Qu’ya-t-il?demandacelle-ci.

Sur l’embarcadère pavoisé, une bande de musiciens entama avec brio les premières mesuressyncopéesd’unragtimeetlesexplicationsd’Edwinaseperdirentdanslevacarme.

Heureusement, les organisateurs de laWhite Star n’avaient pas cru bon d’abuser de la fanfare etbientôtlesdeuxfemmespurents’entendre.

—Elleapeur,articulatoutbasEdwina.

Kate hocha la tête. Cela ne changeait pas. La pauvre petite Alexia n’avait décidément rien d’uneaventurière.Lemoindrechangementdanssavieprenaitdesalluresdechambardement.Toutcequisortaitde l’ordinaire était source de terreur. Durant l’aller à bord du Mauritania, un bateau de dimensionsbeaucoupplusmodestes,lapetitefilleavaitversétoutesleslarmesdesoncorps.

—J’aipeur,maman.J’aipeurdetomberàl’eau.

Kates’inclinaet,àtraverssongantdedentelle,samainfrôladélicatementlatêteblondedesafille.

Se penchant davantage, elle susurra quelquesmots à l’oreille de l’enfant, une douce promesse quiamena un pauvre sourire sur ses lèvres boudeuses, un instant seulement. Alexia fêterait ses six anspendantlatraverséedel’Atlantique.

—Nousdonneronsunepetitefêteentonhonneur.D’accord,monange?

—D’accord,réponditlafillette,maisàpeinecesmotsfurent-ilsprononcésquedenouvelleslarmesluimouillaientlesjoues.

—Jeneveuxpasyaller!sanglota-t-elle,puis,avantqu’ellenepuisseendiredavantage,desmainspuissanteslasoulevèrentdeterreetelleseretrouvajuchéesurlesépaulescarréesdesonpère.

—Commentça tuneveuxpasyaller, trésor!Tunepréfères toutdemêmepasresterenAngleterre

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sansnous,pasvrai?Cramponne-toiàtonbonvieuxpapa,va!Sais-tucequejeviensd’apercevoir,là-

bas,surunpont?Unejoliepetitefilledetonâgequideviendrasûrementtameilleureamie.

Alexiacessaenfindepleurer.BertdonnalamainàKateet tousdeuxgravirentlapasserellesuivispar le restant de la famille.Une fois à bordBert remitAlexia sur ses jambes, puis tous ensemble ilsprirent ladirectiondugrandescalier auxarmaturesde fer forgéquimenait vers lepont supérieur.Enpassantdevantlegymnase,ilsenprofitèrentpourjeteruncoupd’œilaufameuxchameaumécaniquequiavaittantfaitcoulerd’encredanslesjournaux.

Ilyavaitunmondefousurlepont.Unefoulecompacteetdiapréefourmillaitdanstouslessens.

On admirait le somptueux bar et ses cinq pianos, les cloisons aux panneaux de bois lambrissés etsculptés,leslustresauxornementscompliqués,leslourdestentures,lestapismoelleux.MêmeAlexiasetaisait,émerveillée.Ilsfirentletourdupropriétaireavantdes’engagersurlepontBàlarecherchedeleurscabines.

—LesMilleetUneNuits,murmuraBertàl’intentiondesafemme.

Katesourit.«Dieu,quellechanced’êtresurcebateauaveclui!»

se dit-elle, et son sourire s’épanouit. Elle avait l’intention de confier àOona la charge des petitsderniers,afinqu’ellepuissejouirpleinementdelatraversée.Bertinspectaitleluxueuxfumoiràtraverslavitre,maisellesecouasoussonnezundoigtdésapprobateur.

—Vousnem’échapperezpasdanslebrouillarddevoscigares,BertWinfield,gronda-t-elle.Jecroisquejem’occuperaidevous.

Ilréponditàsonsourire.

—TuveuxdirequeCharlesetEdwinaneserontpaslesseulsamoureuxàbord?murmura-t-il.

—J’espèrequenon,fit-elledansunrirepleind’agréablessous-entendus,etduboutdesdoigtselleluicaressalajoue.

—Attention,toutlemonde.Nousallonsfaireunehaltedansnosquartiers,rangernosaffaires,aprèsquoinousrepartironsexplorerlebateau,d’accord?

Georgeslevasursonpèreunregardbrûlantd’impatience.

—Pourquoipastoutdesuite,papa?

Bert le luiexpliqua.Les tout-petits semblaientépuisés, tout lemondeavaitbesoind’un reposbienméritéavantdeselancerdansdenouvellesaventures.

Georgescommençaparopinermaislatentationétaittropforte.Ilsevolatilisaquelquepartentrelegymnaseetlejardind’hiver.

Alarmée,KatevoulutenvoyerPhilipàsestrousses.

—Laisse-le,chérie,ilnepeutpasallerloin.Enfin,pastantqu’ilresteàl’intérieurdubateau!J’irailecherchermoi-mêmetoutàl’heure,promitBert.

« Pourvu qu’il ne fasse pas trop de bêtises », soupira silencieusementKate.Georges nemanquaitjamaisdesefourrerdanslepétrin…Soninquiétudes’apaisacommeparmagie,quandlaportedeleursappartementss’ouvritsurunsalonsomptueusementdécoré.

Des cris de ravissement fusèrent de toutes parts et ce fut alors que Charles Fitzgerald fît son

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apparition,àlajoiegénérale.

—C’estici?fit-ilenpassantsatêtebiencoifféeparlebattantentrebâillé.

Il portait ses cheveux bruns légèrement gominés, comme l’exigeait la mode masculine. Ses yeuxpervenchepétillaient.Lespommettesenfeu,Edwinaseprécipitadanslesbrasdel’arrivant.

—Charles!

Ilse tournaverselleenriant. Ilsavaientunairdefamille,commeilarrivesouventauxamoureux,avecl’aurasombredeleurscheveluresetlebleuprofonddeleursiris.Lejeunehommepritsafiancéeparlataillepourlafairevirevolter.FannieetAlexias’esclaffèrent.

—Qu’est-cequivousamusetant,jeunesfilles?questionnaCharlesd’unairsérieuxquifitredoublerl’hilaritédespetites.

Il entretenait des rapports privilégiés avec chaquemembre de la familleWinfield. En un rien detemps, il s’était lié d’amitié avec Philip etGeorges.MêmeTeddy, du haut de ses deux ans, semblaitapprécierlaprésencedeCharles.KateetBertleconsidéraientcommeleurproprefils.IlavaiteudelachancederencontrerEdwina.

—Ehbien,sourit-ilensepenchantverslesjeunessœursdesafiancée,avez-vousvuleschiens?Jevousyemmèneraiaprèslasieste.

Fannietapadanssesmains,maislafrimoussed’Alexiaserenfrogna.

—Oùsont-ils?s’enquit-elled’unevoixanxieuse.

—Dansdescages,surlespontsinférieurs.Ilsnepeuventpass’enéchapper,assuraCharles.

Alexia était capable de rester claquemurée dans sa cabine pendant toute la croisière, de peur detomber surquelquechienerrantdans lescoursives.Rassérénée, lapetite fille regardaCharles. Il étaitcommeundeuxièmepèrepourelle,toutcommeEdwinaétaitunesecondemère.

Après que Fannie et Alexia eurent suivi docilement leur gouvernante irlandaise, Charles entraînaEdwinadanssacabine,unecharmantepiècetoutenboiseriesetmeublesanglais.Laporterefermée,ilattiralajeunefillecontreluietl’embrassadoucementsurleslèvres.Subjuguéeparlaproximitédesonfuturmari,Edwinasentitsonsoufflesebloqueraufonddesagorge. Ilyavaitdesmomentsdélicieux,commecelui-ci,desmomentsabsolusetuniquesoùchacunsesentait irrésistiblementattirépar l’autre.Souvent,Edwinasedemandaits’ilsparviendraientàrefrénerleurdésirjusqu’aumoisd’août.Trahirlaconfiancede sesparents,mêmedanscedécormerveilleusement romantique, étaithorsdequestion.EtCharlespensaitcommeelle,ellelesavait.

—Voudriez-vousfaireuntour,mademoiselleWinfield?demanda-t-ilavecundouxsourire.

—Volontiers,monsieurFitzgerald.

Elle le regarda se débarrasser de son lourdmanteau qu’il étala sur le lit. La joie de la revoir sereflétaitsursestraits.QuandEdwinan’étaitpasàsoncôté,ilnepensaitqu’àelle.Etmaintenantqu’elleétaitlà,ilsedemandaitparquelmiracleilavaitsupportédenepaslavoirpendantunesemaineentière.Grâceauciel,ilsétaientdenouveauréunisetilsnesequitteraientplus…Plusjamais.

—Tum’asterriblementmanqué,murmura-t-elle,alorsqu’ilssedirigeaientverslepont-promenade.

—Toiaussi,monamour.Maisdansquelquetemps,nousseronsl’unàl’autrepourtoujours.

Ellehochalatêtejoyeusement,leregardfixésurleCaféFrançaisaménagésurlepassage.Unessaim

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deserveursofficiaitàlaterrasseoùl’onentendaitlesuaveaccentparisien.Laplupartdespassagersdelapremièreclasseavaienttoutdesuiteétéconquisparcebistrotplusvraiquenature,couronnédelierre,l’unedesinnombrablesnouveautésquiavaientvaluauTitaniclesurnomdu«plusbeaubateaudumonde».

—J’ail’impressionquenousdécouvrironsuntasdepetitscoinssecrets,déclaraCharlesenserrantsoussonbrasceluid’Edwinaquiriait.

Ilsvenaientdes’engagerdanslavérandaquipermettaitauxvoyageursd’admirerl’immensitédelamertoutenrestantàl’abriduvent.

—Etmoi, j’ai l’impressionquecebateaun’aplusde secretspourGeorges! soupira la jeune fille.Voilàplusd’uneheurequ’iladisparu.

Cegarnementestinsupportable.Jenesaiscequiretientmamandel’étrangler.

—Hum…soncharmepeut-être?Ne t’en faispas,chérie.Tonfrèresait trèsexactement jusqu’où ilpeutaller.

—Espérons-le.Entoutcas,Philipn’auraitjamaiseucetteaudace.

—Moi non plus… je veux dire, pas à cet âge-là. C’est peut-être la raison pour laquelle j’admireGeorges.Je regretteaujourd’hui toutes lesbêtisesque jen’aipas faites,enfant…Aumoinsnotrepetitaventurierneregretterarien.

Elle lui dédia un sourire lumineux, puis ils s’appuyèrent au bastingage, au milieu de la cohuebigarrée.Lecolossedesmersdécollaalorsduquailentement,presqueimperceptiblement.

«Pourvuquecet idiotn’aitpas eu labonne idéedevisiter leport», songeaEdwina.Soudain, lerauquemugissementdessirènesfixéesauxmonumentalescheminéesduvaisseaulafitsursauter.Uneonded’excitationfitvibrerlafoule.

Entourédesixremorqueurs, l’altiernaviresemitàdescendremajestueusementlarivièreTestsouslesovationsdemilliersdebadauds.IlallaitemprunterlecanaletmettrelecapsurCherbourg.

Là, il prendrait d’autres passagers, après quoi il suivrait la route de Queenstown, puis celle deshautesmersjusqu’enAmérique.Lessirènesmugissaientdeplusbelle,cependantquelecolossedéfilaitlentementdevantuncoupledebateauxaccostésbordcontrebordlelongd’unquai.Soudain,aumomentoùils’apprêtaitàlesdépasser,lesamarresquiretenaientle

NewYork se rompirent dans une série de bruits secs, commedes coups de feu.L’énorme remouscauséparleTitanicbousculalepetitnaviredontlapoupecommençaàdériveràunevitessehallucinante.

Encoreunpeuet ilallaitéperonner legéant.Sur lapasserelle, lespassagers retinrent leursouffle.Maisàladernièreseconde,unerapidemanœuvred’undesremorqueurspermitauTitanicdepassersansencombre.Ils’enétaitfalludepeu.Edwinaexhalaunsoupirdesoulagement.Qu’était-ce?Unsignedudestin?Unmauvaisprésage?

Maisnon,voyons!LeTitanicétaitincoulable,toutlemondelesavait.

Insubmersible, invincible, invulnérable. Une forteressemesurant deux cent soixante-huitmètres delong,avaitditPhilip.L’équivalentdequatrepâtésdemaisons.

Avec ses neuf ponts, le paquebot était aussi haut qu’un immeuble de onze étages…«Pas facile àmanœuvrer»,avait-illâchéd’unairdocteenguisedeconclusion.

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—Ouf,nousl’avonséchappébelle!

Elleavaitencorepeineàcroireàcequ’elleavaitvu.Charlessecoualatête.

—Iln’yaaucunrisque.JesuggèrenéanmoinsquenousfêtionsauChampagnecedépartquelquepeumouvementé.

Peuaprès,ilsétaientinstallésauCaféFrançaisetuninstantplustardGeorgessematérialisaitcommeparmagiedevantleurtable.

—Enfin!souffla-t-il.Oùétiez-vouspassés?

Edwina le gratifia d’un regard où le reproche semêlait à l’indignation. Décoiffé, la casquette detravers,lesvêtementsfripéset,combledemalheur,unemarquedegraissesurlegenoudesonpantalon,legarçonarboraitsonsourireleplusradieux.

—Jepourraisteposerlamêmequestion,luirétorqua-t-elle.Oùdoncas-tudisparu?

Ilébauchaunemouecondescendante,commes’ileûtàfaireàunedemeurée,lançaunvague«jemesuispromené»,avantdereportersonregardpétillantsurCharles.

—Ah,tevoilà,sourit-il,celamefaitplaisirdetevoir.Commentvas-tu?

—Jemeportecommeuncharme,ettoi?Commentas-tutrouvélebateau?

—Fantastique! Quatre ascenseurs, neuf étages, un court de squash et une piscine, s’essouffla legarçon. Il y a même, en fond de cale, la nouvelle limousine Renault qu’un riche passager ramèned’Angleterre…Etlebainturc…et lescuisines…unevraiecaverned’AliBaba.Jesuismontéensuitedans la timonerie, puis redescendu au salon des deuxièmes classes où j’ai fait la connaissance d’unejeunepersonne,mafoi,fortplaisante…

Charles sourit aux fanfaronnadesde son jeunebeau-frère, tandisqu’Edwinaprenaituneexpressionhorrifiée.NonseulementGeorgesavaitdésobéiauxparents,maisilsemblaitseficheréperdumentdesonapparencedégingandée.EtCharles,quiavaitl’airdes’amuserfollement,netrouvapasmieuxquedeleféliciter.

—Bravo,moncher,tuaslesensdel’observation.Maisas-tupousséjusqu’àlapasserelle?Onpeutadmirerunspectacletoutàfaitremarquabledelà-haut.

—J’avoueavoirététenté,maisj’aichangéd’avislorsquej’aivulemondequ’ilyavaitaumomentdudépart.Maisj’iraiplustard,jetelepromets…Tuneveuxpasquenousfassionsunconcoursdenatationaprèsledéjeuner?

—Je n’y vois aucun inconvénient, à moins que ta sœur n’ait d’autres projets… Qu’en penses-tu,chérie?

—JepensequeGeorgesdevraitsemontrerunpeuplusdiscipliné,fulminalajeunefilleetdonnerunmeilleurexempleàFannieetàTeddy,aulieudecourirdanstouslessenscommeunpetitvoyou!

—Oh,Edwina,gémitleGavrochedelafamille,tun’asaucunespritd’aventure.

—L’espritd’aventuren’ajamaisempêchépersonnedesecomporterconvenablement.Jemedemandecequediramamanquandelleverradansquelétattues.

—Ehbien,jeunehomme,fitlavoixdeleurpèredansledosd’Edwina,tuasétébigrementoccupé,ondirait.

Unenoted’amusementvibraitdanscettevoix-làetBertramréprimaunsourireennotantlasuperbe

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tachedesuiequiornaitlefrontdesonfils.

—Ohoui,papa,jubilaGeorgesdeplusenplussatisfaitdesonescapade.Cenavireestlahuitièmemerveilledumonde.

—Jesuisravidetel’entendredire,commençaBert,maisilfutinterrompuparKatequiarrivajusteàcemoment-là.

—Bertram!Commentpeux-tuluipermettreunetellenégligence?

Non,maisregardez-le.Ondirait…ondiraitungalopin!

—As-tucompris,Georges?fitsonpèrecalmement.Tamèreestunpeuchoquéepartatenue,àjustetitre,jecrois.Jesuggèrequetudescendesdanstacabinetemettrequelquechosedeplusdécentsurledosavantdenousrejoindreici-même.

—Etquetuprennesunbainavantdetechanger,renchéritKated’untonsévère.

—Mais,maman…

Elle ne voulut rien entendre. Peu après, en dégringolant le grand escalier couronné dumajestueuxdômedeverrequilaissaitpasserlalumièredujour,GeorgestombasurPhilip.Sonfrèreétudiaitavecunsérieuxdevieuxprofesseurlalistedespassagersdelaclassedeluxe.

Tout le gratin y figurait, remarqua-t-il, presque toutes les grandes familles américaines, lesAstor,biensûr,puisM.etMmeIsidorStrauss,propriétairesdeMacy’sàNewYork,leplusgrandmagasindumonde.D’autresnomscélèbresfaisaientpartieduvoyage,dontceuxdequelquesmembresdelajeunessedorée que Philip aurait bien voulu connaître. Il avait déjà aperçu dans le grand salon des premièresclasses plusieurs jeunes demoiselles de la haute société qu’il espérait pouvoir approcher durant latraversée.PhilipétaitàpeuprèsaumilieudelalistequandsamèreapparutpourleprierdeveilleràcequeGeorgess’habillecorrectement.Illeluipromit,etmitlecapsurleursuite,oùsoninfatigablefrère,denouveausurlepieddeguerre,rêvaitdevisiterlaplateformesupportantl’undescompasdunavire,ainsiquelasalledeschaudières,hautedeplusdecinqmètres.

Philipleregarda,écœuré.

—Dommagequetun’aiespaslemaldemer,grommela-t-il.

La famille au complet se réunit un peu plus tard sur le pont-promenade. Bert et Kate, Edwina etCharlesavaientappréciéledélicieuxmenuduCaféFrançais.IlsvenaientdeterminerquandGeorgesetPhiliparrivèrent,suivisparOonaentouréedestroispetits.FannieetTeddyavaientfaitunebonnesieste,annonçalajeuneIrlandaise,etquantàAlexia,elleavaitl’airmoinseffrayée.

Sagementassiseprèsdesagouvernante,lafilletteregardait,fascinée,passeretrepasserlafouledepromeneurs.Unpeuplustôt,elleavaitfaitlaconnaissancedelapetitefillequesonpèreavaitaperçuesur le pont quand ils étaient encore à terre. Originaire de Montréal, Lorraine— c’est ainsi qu’elles’appelait—étaitplusprèsde l’âgedeFanniequedeceluid’Alexia.Elleavaitunpetit frèrenomméTrevoretpossédaitunepoupéeexactementcommecelled’Alexia…enmoinsjolie,bienévidemment.Ils’agissaitdepoupéesfrançaisestrèschères,vêtuescommedegrandespersonnes.AlexiaavaitbaptisélasienneMrs.Thomas.TanteLizlaluiavaitenvoyéeauNoëlprécédentetlafillettenepouvaitplusfaireunpassansl’emmener.Mrs.Thomasauraitpuêtrefièredesonélégantegarde-robe.Outrelecostumedevoyage, avec chapeau et accessoires assortis, que tante Liz lui avait confectionné, ses possessionss’étaient enrichies d’une robe fuschia et d’une cape de velours noir façonnées par les doigts agilesd’Edwina.Alexiaetsanouvelleamiepassèrentl’après-midiàseraconterlaviedeleurspoupées.

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Lepaquebot,toutilluminé,pénétradansleportdeCherbourglemêmesoir,aumomentoùAlexiasepréparait à se coucher. Fannie etTeddydormaient déjà à poings fermés.Kate etEdwina s’habillaientpourledîner,Georgesrestaitcommed’habitudeintrouvable.

Charles,BertrametPhiliparpentaientlefoyerendiscutant.C’étaitunesoiréesipaisible,sicalme,quelapetitefillenetardapasàs’endormir.

Les voyageurs affluèrent vers la salle à manger, une pièce magnifique, où des lustres de cristaldéversaientdestorrentsdelumièresurlesnappesdamassées,faisantétincelerargenterieetporcelaine.

Des hommes en smoking, des femmes en robe du soir—desmodèles conçus par les plus grandscouturiers des États-Unis et d’Europe—composaient une fresque grandiose, une éclatante vision quisemblait échappée d’un conte de fées, et Edwina se dit, avec émotion, qu’elle n’avait jamais rien vud’aussibeau,puissouritàsonfuturmari.

Aprèsdîner, ilsseprélassèrentdanslavastesallederéceptionégayéeparlesdoucesmélodiesdel’orchestredubord.Auboutd’unlongmoment,laconversationsemitàlanguir,aprèsquoiKateétouffaun bâillement, se déclarant « morte de fatigue ». Ç’avait été une journée interminable, aussi fut-elleheureusederegagnersasuiteescortéeparsonfilsaînéetsonmari,laissantCharlesetEdwinasurleurpetit nuage. Philip souhaita à ses parents une bonne nuit et se retira dans sa cabine pour découvrirGeorgesprofondémentendormi.

Lelendemain,auxalentoursdemidi,lefabuleuxpaquebotaccostaQueenstown,dernièreescaleavantdeprendrelahautemer.

Unefiledenouveauxvoyageurss’étiraitsurlequai.Soudain,Oonapoussaunpetitglapissementens’appuyantaubastingagedupontsupérieur.

—Oh,monDieu!s’exclama-t-elle,madameWinfield,là-bas!C’estmacousine.

—Enêtes-voussûre?

LajeuneIrlandaisehochaénergiquementlatête.

—Ohoui,certaine.

Katehaussaunsourcil,sceptique.Lagouvernanteavaitdéjà,dansd’autrescirconstances,faitmontred’uneimaginationdébordante.

—MaisOona,àcettedistance…

—J’auraispulareconnaîtren’importeoù,madame,mêmeauboutd’untunnel.Elleadeuxansdeplusquemoietnousavonstoujoursétécommedessœurs.C’estelle,là-bas,aveclescheveuxrouxetlapetitefillesurlebras…Oh,madameWinfield,jemettraismamainaufeuquec’estelle,s’écriaOona,etunflotdelarmesnoyasonregard.Elleatoujoursrêvéd’allerauxÉtats-Unis,voussavez.

Seigneur!Commentvais-jelaretrouverdanscettetourdeBabel?

—Nousdemanderonsaucommissairedevérifierlalistedespassagersdelatroisièmeclasse.Votrecousinedoityêtre…Quelestsonnom?

—AliceO’Dare.Sapetitefilles’appelleMary.Elledoitavoircinqansmaintenant.

Vingtans,calculamentalementKate,uneenfantqu’elleaeueàquinze,etprobablementpasdemari.

—Dis,maman,jepourraijoueravecMary?demandaAlexia.

Ellesouriait.Unenuitdansunlitdouilletaucœurdugrandappartementluxueuxavaiteuraisonde

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ses craintes. Aujourd’hui, le Titanic avait perdu son aspect effrayant de géant des mers. Alexiacommençait à s’yhabituer.Stewards et hôtesses lui témoignaient unegrandegentillesse, chaque chosesemblait conçue pour le plaisir des passagers, tous ceux qu’elle aimait formaient autour d’elle unbouclierprotecteur.

Cen’étaitpassimalqueçadevoguersurl’eauàlongueurdejournéeet,lanuit,deselaissergagnerpar lesommeil,bercéepar lesourdronronnementde lamachinerie.Alexiacommençaitàapprécier levoyage.Fannie trouvait cela trèsdrôle également.Lematinmême, elle avaitgrimpédans la couchetted’Edwina,maisàsasurprise,Alexiayétaitdéjà.Etàpeineuneminutes’était-elleécoulée,queTeddydéboulait à son tour.Là-dessus,Georgesvint se poser sur le borddu lit, puis amorçaunemémorablepartiedechatouillesquileslaissatouspantelantsderire.Oonafîtalorsirruptiondanslapièce,alertéeparleurscris,maislespectaclequ’elledécouvrit lafîtsourire.Commeellesouritdetoutessesdents,peuaprès,endéchiffrantlenomdesacousinesurlalistedespassagersdelatroisièmeclasse.C’étaitlà,aussi évident que le nez au milieu de la figure. Alice O’Dare. La jeune Irlandaise courut avertirmademoiselle Edwina, pendant que celle-ci s’apprêtait à se rendre au restaurant avec ses parents etmonsieurCharles.

—Elleestlà!cria-t-elle,lesyeuxbrillants,c’étaitbienelle,j’enétaissûre.

Edwinaluisourit.Oonaétaitunegentillefillequiforçaitsasympathie.

—Vousavezpuvousrencontrer?

Lafièvreauxjoues,Oonaselançadansunelongueexplication.

—M.lecommissairem’apermisd’yaller.L’unedesfemmesdechambreaacceptéderesteraveclespetits pendant l’heure de la sieste, le temps que je descende en troisième classe…MmeWinfield lesavait,ajouta-t-ellesoudainsuruntond’excuse.

—Tuasbienfait,Oona,réponditEdwinaavecsadouceurcoutumière.Tacousineadûêtreraviedeterevoir.

Lesourired’Oonas’épanouit.

—Ohça,oui,elleétaitcontente.EtsapetiteMaryestunange.

Ellealescheveuxdesamère,rougescommelefeu.

Edwinaagrafasesbouclesd’oreillesendiamants,uncadeaudesamère.

—Est-cequ’ellevaàNewYork?

Lagouvernantehochagravementlatête,commefrappéeparl’injusticedelafatalité.

—Aliceavaitdelafamilledanscetteville.Unetantequ’elleamalheureusementperduedevue.Ellem’aditqu’elleessaieraitdevenirenCalifornieetjeluiaipromisdetoutfairepourl’aider.

—Etturéussiras,j’ensuissûre…As-tubienlavétesmainsenremontant?

Kateauraitposélamêmequestion.Oonafîtouidelatête,d’unairchagriné.Auxyeuxdesesmaîtres,lespauvresémigrantsquicroupissaientdanslessoutescouvaienttoutessortesdemaladiescontagieuses.Pourtant,lorsdesabrèvevisite,elleavaitétéagréablementsurprise.Lescagesàlapinsquitenaientlieudecabinesn’avaientrienàvoiraveclessomptueusessuitesdelapremièreclasse,maistoutrespiraitlapropreté, depuis lesplanchers soigneusement cirés, jusqu’aux rideauxde toile à carreaux.Unnouveausourireilluminaalorssonvisagerond.

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—Quellechance,mademoiselleEdwina,s’exclama-t-elle,d’êtresurcebeaubateau,entouréedesafamille!Jen’auraisjamaisespéréunetellechance…

Sur cesmots, elle s’en fut en courant vers la cabine des enfants, cependant qu’Edwina prenait ladirection du parloir pour retrouver Charles et ses parents. Lorsqu’ils entrèrent tous les quatre dansl’élégant restaurant à la carte, la jeune fille eut un soupir en repensant aux paroles d’Oona. Oui, ilsavaienttousdelachance…Cesoirelleavaitoptépourunerobeensatinbleupâleincrustédebandesdeguipure et, commeelledonnait àCharles samainoùbrillait demille feux le solitairede sabaguedefiançailles,unmerveilleuxsentimentdepaixglissadanssoncœur.Ellesutalorsqu’elleétaitentraindevivrelesmomentslesplusextraordinaires,lesplusdélicieuxdetoutesonexistence,desmomentsqu’onneconnaîtqu’uneseulefoisdanslavie.

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Chapitre3

LavieàbordduTitanicressemblaitàunrêvesansfin.Suspenduentrecieletmer,l’immensepalaceflottantoffraitàsespassagersunéventaildeplaisirsprinciers:menusexquis,courtdesquash,piscine,bainturc.

CharlesetPhilipsedépensaientcommedesfousausquashavantdes’adonneràl’équitationsurleschevauxmécaniquesdugymnaseencompagnied’Edwina.Georges,fidèleàsonpenchantd’explorateur,montaitetdescendait inlassablementdanslesascenseurs,s’enfonçaitdanslesentraillesdubateaupourémerger, peu après, sur le grand pont supérieur, liant connaissance avec d’autres voyageurs. Toute lafamilleseretrouvaitautourdelatabledudéjeuner.Lerepasterminé,c’étaitl’heuredelasiestepourlesplus petits, tandis que les plus grands se dispersaient dansdifférents salons.Kate etBert avaient prisl’habitudedeparcourirlepont-promenade,maindanslamain,parlantdetoutessortesdechosesqu’ilsn’avaient jamais eu le tempsd’évoquer auparavant.Mais les jours passaient vite, tropvite, augré deKate.

Ils dînaient soit dans l’immense salle à manger de la première classe soit, le plus souvent, aurestaurant,moinsopulentmaispluschic,quiseyaitdavantageauxgoûtsraffinésdelaclientèle.CefutlàquelecommandantdebordleurprésentalesAstor,lesecondjourduvoyage.LarumeurtenaitAstorpourl’hommeleplusrichedumonde.MmeAstornecessades’extasierauspectacledelafamilleWinfield,cequifitconclureàKatequ’elledevaitattendreunbébé…

Elleétaitcharmante,beaucoupplusjeunequesonmarimaiséperdumentéprisedelui,selonKatequilesavaitsurprisdansleparloirentraindesevolerdesbaisers.

LesStrauss,uncoupled’âgemoyenbienassorti,luiplaisaienttoutautantquelesAstor.Àforcedevivre ensemble,M. etMme Strauss avaient fini par se ressembler comme frère et sœur. Leur tendrecomplicité et, surtout, leur fabuleux sens de l’humour les rendaient d’emblée sympathiques et l’onrecherchaitleurcompagnie.

Lapremièreclassecomptait troiscentvingt-cinqpassagers.Desnomsconnuspour laplupart,dontHelenChurchill-Candee,auteurdeplusieursbest-sellerssurdessujetsvariés…Or,notaKateavecunmalicieux sourire, une cour de prétendants suivait partout l’aguichanteMmeCandee et pas seulementpour son talent. Bert, qui avait suivi son regard, la poussa discrètement du coude, alors qu’ilspoursuivaientpaisiblementleurpromenade.

—Mapauvrechérie!Regardecequetuperdspourm’avoirépousé!

Kate Winfield hocha la tête. Un peu plus loin, adulée par ses admirateurs, Helen Candee laissaéchapperunrireaérien.Celadevaitêtregrisantd’êtreainsi lecentrede l’attentionmasculine,etcetteidéearrachaàKateunnouveausourire.

—Bah,fit-elleàmi-voix,jecroisquejen’airiend’unefemmefatale.

Elleneregrettaitrien,biensûr,surtoutpasd’avoirépouséBert.

Celui-cisetournaverselled’unairfroissé.Ilnemanquaitplusqu’ellemetteencausesespropresgoûtsenmatièreféminine.

—Oh,chérie,pourquoidis-tucela?Tuesravissante,tusais.

UnerougeurtoutevirginaleembrassalesjouesdeKate.Sepenchantverssonmari,elleluieffleurale

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coud’unbaiser.

—Idiot!Ilyadesfemmesquipassentleurvieàséduireleshommesetd’autresquileurcourentaprèspourlessoigner…

J’appartiensàladeuxièmecatégorie,toutsimplement,celledesmèrespoules.

—Seigneur, quel gâchis! Dire qu’au lieu d’avoir gaspillé tes plus belles années à moucher desmouflets,tuauraispuavoirlaterreentièreàtespieds!Tun’auraiseuqu’àapparaîtrepourquetonéclatfassepâlirdejalousietouteslesMmeCandeedumonde.

Ilplaisantait,naturellement,maissesyeuxbrillaientdoucementdesonamourpourelle.Katesentitsoncœurprêtàéclater.

—Tumesuffisamplement,BertramWinfield.Jen’enveuxpasd’autre.

—Ettuastoutemagratitude,machérie.

Il la regardaen luiadressant sonsourirequi la faisait fondreetelle songeaà leurviepassée,auxenfants,aux joiesetauxchagrinsqu’ilsavaientpartagésdurant tantd’années.À leuramourqui s’étaittransforméentendresse,enamitiémême.

—J’espèreseulementqu’unjourEdwinaetCharlessedirontlesmêmesmots,murmura-t-elle.

Bertacquiesça,sachantqu’elleétaitsincère.

—Moiaussi…

Ilsseremirentàmarchersurlepontensetenantparlamain.L’airavaitsingulièrementfraîchietKatefrissonna.Bertl’attiradanssesbraspourl’embrasser.

—Jet’aimetellementKate,chuchota-t-ild’unevoixsérieuse,jeveuxquetulesaches.

Ellel’enveloppad’unregardinquietetseserracontrelui.

—Bert… tu te sens bien? demanda-t-elle, alarmée soudain par la gravité avec laquelle il avaitprononcécesparoles.

—Merveilleusementbien.Maisiln’estpasinterditdeformulersespensées.

Leurslèvress’unirentuninstant,puisilsreprirentleurpromenade,lamaindanslamain.C’étaitundimancheaprès-midi.

Une journée tranquille comme toutes les autres. Lematin, ils avaient assisté ensemble au servicereligieuxprésidépar lecommandantSmithetavaientpriéavec lui«pourceuxquisontaupérilde lamer»…Maintenant,latempératurebaissaitrapidement.Bientôt,lefroidintensechassalespassagersdesponts.Bertdécrétaqu’unthébienchaudleurferaitleplusgrandbien.Surlechemindujardind’hiver,ilss’attardèrent devant le gymnase où l’affriolanteMmeCandee exerçait sa séduction sur le jeuneHughWoolner.

Décoré de palmiers en pots, le grand salon au mobilier de rotin et d’osier blancs fourmillait demonde.M.etMmeAstorprenaientlethédansuncoin.KateetBertlessaluèrentaimablement.

Ilss’apprêtaientàprendreplacelorsqu’ilsaperçurentGeorgesetAlexiaengrandeconversationavecdeuxdamesauxcheveuxblancs.

—Tuasvu?souritBert.Dieuseulsaitcequecegarçonaentête.

DélaissantKateuninstant,ils’enfutrécupérersaprogéniturequ’ilramenaàleurtable,aprèsavoir

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remerciéchaleureusementlescharmantesvieillespersonnes.

—Quefaisiez-vouslà?s’enquit-il,l’airsévère.EtoùestpasséeOona?

Georgessefîtunplaisirdelerenseigner.

—Partie en fond de cale voir sa cousine. Les deux petits sont avec une femme de chambre. J’aipromisàOonadevousamenerAlexia,ajouta-t-ilenhaussantlesépaules,etnousvoilà.Je…

—Ilm’amontrélegymnase,coupalafillettedontlafrimoussereflétaitunravissementsansmélange.Etlapiscineaussi.Etnousavonspristouslesascenseurs.Cequ’onapus’amuser!PuisGeorgesaditquenouspourrionsnous faireoffrirdesgâteaux,alorsnoussommesvenus ici,etcesgentillesgrands-mèresnousontgavésdecakes…

Elles’interrompituninstant,essoufflée,toutefièredesagrandeaventure.

—Jeleuraiditquedemainjevaisfêtermonanniversaire,acheva-t-elledansungloussementdepuresatisfaction.

C’était lavérité.Laveille,Kateavait commandéun superbegâteaud’anniversaireà«monsieur»Joughin,lechefpâtissier.

Ilss’étaientmisd’accordsuruneForêtnoireornéed’arabesquesdechantillyetderosesensucre.

—Ehbien, jesuisraviquevousvoussoyezsibienamusés,ditBertquiavaitdumalàgardersonsérieux.Cependant,laprochainefois,vousviendrezavecnous,plutôtquedevousfaireinviteràprendrelethépardesétrangers.

GeorgesébauchacequecesparentsappelaientsonsouriredeGavroche—unsourireauquelilétaitdifficile de résister. Alexia se pendit au cou de Kate et, vaincue, celle-ci la berça dans ses bras enl’embrassantsurlajoue.

Lapetitefillesemitàronronner.Riennepouvaitluifaireplusplaisirqu’unbaiserdesamaman,dontellechérissaitladouceur.EllehumaavecpassionlescheveuxdeKatequilaserraencoreplusfort.

Unlientrèspuissantlesattachait.Unlienspécialetabsolu.KateadoraitAlexia,cequinevoulaitpasdirequ’ellen’aimaitpassesautresenfants, loindelà.Chacunavaitsaplacedanssoncœurdébordantd’affection,àceciprèsqu’Alexiaoccupaituneplaceunpeuàpart.Commesi,contrairementauxautres,lafilletteserefusaitdequitterunesecondelegironmaternel.Commesi—etKateenavaitconscience—ellenevoulaitpasgrandir.Unjourviendrait,biensûr,oùAlexiavoleraitdesespropresailes,samèrele savait, et pourtant, elle seprenait souvent à rêver qu’elle la garderait sous sa coupepour toujours,surtoutdepuisqu’Edwinaavaitdécidédes’installerenAngleterre.

Lajeunefillepénétraàcemoment-làdanslesalon,escortéeparCharles.

—Seigneur, il faitunfroiddecanard,soupira-t-elleensoufflantsursesdoigtsengourdis.J’ensuisfrigorifiée!

Un sourire radieux brillait sur ses lèvres pleines. Edwina souriait constamment depuis un certaintemps.Katen’avaitjamaisvupersonnenagerdansuntelbien-êtresaufpeut-êtreelle-mêmeaudébutdesonidylleavecBert.Elleluirenditsonsourire,maisEdwinanes’enaperçutpas.Ellen’avaitd’yeuxquepourCharles.Les deux fiancés paraissaient seuls aumonde.Leur félicité n’avait pas échappé à l’œilpertinentdeMmeStrauss.«MonDieu,avait-elleconfiéàKate,leurbonheurfaitplaisiràvoir.»

Bertcommandaduthéetdestoastsbeurréspourtoutlemonde.

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Àpeineassise,Edwinasetournaverslui.

—Jemedemanded’oùvientcefroid.

Sonpèreluijetaunregardrassurant.

—Sans doute s’agit-il de courants en provenance duGroenland. Si nous gardons unœil ouvert cesoir,ilsepeutquenousapercevionsquelquesglaçonsàfleurd’eau.

Edwinas’alarma.

—MonDieu!Est-cedangereux?

Bertattenditquelethéfûtserviavantderépliquerd’unevoixpersuasive.

—Ma chérie, tu peux dormir sur tes deux oreilles. Le Titanic est indestructible, grâce à descompartimentsétanchesqui,dit-on,luipermettentdeflotterindéfiniment.Ilfautbienplusd’unmisérablepetitglacierpourveniràboutd’unpaquebotcommecelui-ci…Etdu reste, s’ilyavait eu lamoindrealerte,notrecapitaineauraitcertainementprisdesdispositionsenconséquence.

Lenaviretaillaitsarouteàtoutevitessesurunemersansride…

Rassérénée,Edwinabutunegorgéedethéparfuméetbrûlant,morditdansuntoast.Lebrouhahadesvoixetdesriresauquelsemêlaientlesjoyeuxaccentsdel’orchestrel’entouraitdesonvoileprotecteur.Non,non…leursécuriténepouvaitêtremiseencausedansuneforteressedelatailleduTitanic.

Aumêmemoment, à son poste sur la passerelle, le commandant Smith se pencha sur unmessageradio,letroisièmedepuislematin.

Unnouvelavertissementleprévenantdelaprésencedechampsdeglacesdevantlui.Jusqu’alors,iln’avaitpas jugénécessairede ralentir l’allure.Pasencore. Il s’étaitcontentéd’épingler sur le tableaud’ordres les trois avis émanant d’autres bateaux en mer, le Caronia, le Baltic et l’Amerika. LecommandantSmithcomptaitparmilesmeilleurscapitainesdelaWhiteStarLine.Ilportaituneconfianceillimitéeàsescapacitésetàcellesdesonnavireréputéinsubmersible.Leprestigieuxvoyageinauguraldu Titanic coïncidait avec sa dernière traversée à lui, avant son départ à la retraite. De sa place, ilpouvaitvoirl’hommedebarre,danslatimonerie,tenantd’unemainfermelarouedugouvernailquilesconduisaitdroitsurNewYork.Toutparaissaitenordre.

Lecommandantsavaitégalementqu’aumoisd’avrililarrivaitfréquemmentdecroiserdesbanquisessur les routes transatlantiques.Bruce Ismay, le président de la compagnie, qui se trouvait également àbord, avait pris connaissance d’un des télégrammes, plus tôt dans la journée, mais s’était borné àl’enfouir au fond de sa poche… Tout était en ordre, songea pour la énième fois le commandant.L’obscuritétombait,leclaironsonnal’appelpourlerepasdusoir,l’étraveenacierduTitaniccontinuaitàfendreleseauxnoiresdel’Océan.

Cesoir-là,Katecouchaelle-mêmelesenfants—Oonaétaitrepartievoirsacousine.Lefroids’étaitaccentué.Katedemandaaustewarddescouverturessupplémentaires,puisbordasoigneusementTeddy,FannieetAlexia.

Unenuitglacialerégnaitàl’extérieur,lorsquelesWinfieldserendirentavecCharlesaurestaurant.LadiscussionportasurPhilip.

L’adolescent avait jeté son dévolu sur une jeune fille de la seconde classe et tous les jours il sepostaitaumêmeendroitdans l’espoirde l’apercevoirpar-dessus labarrière.Maisaujourd’huiellenes’étaitpasmontrée,empêchéeprobablementpar lavaguede froid.Sonmalheureuxsoupirant l’attendit

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pendantdesheures,aprèsquoi,lecœurbriséetlespiedsgelés,ils’enfermadanssacabineetrefusadedîner.

—PauvrePhilip!commentagentimentEdwinaàl’adressedesamère,alorsqu’elless’installaientàleurtablehabituelle.

Retenuuninstantàl’entréedurestaurantparW.T.Stead,célèbrejournalisteetécrivain,auteurd’uneséried’articlesdanslejournalfamilial,Bertéchangeaensuitequelquesproposavecunautrehommeentenuedesoirée,avantdegagnersaplace.

—Chéri,quiétaitcemonsieur?s’enquitKate,faisantallusionaudeuxièmeinterlocuteurdesonmariqu’elleneconnaissaitpas.

—BenjaminGuggenheim.Jel’airencontréàNewYorkilyaquelquesannées.

—Vraiment?

—DuregardKateindiquadiscrètementlablondepulpeusequiaccompagnaitGuggenheim.

—EtilvoyageavecMmeGuggenheim?

—Jenecroispas…luifût-ilrépondusobrement.

Lesujetclos,BertsepenchaversCharles,luidemandantcombiendemillesilsavaientparcourucejour-là.C’étaitunpetitjeuamusantentrelesdeuxhommes.

—Cinqcentquarante-six,devinaCharles,gagnantdumêmecouplepari.

Bertluisourit.Ilsavaientapprisàmieuxseconnaîtredepuisledébutdelacroisièreet,chaquejour,ilappréciaitdavantagelefiancédesafille.IlenavaitparléàKateetelleétaitdumêmeavis.CharlessauraitrendreEdwinaheureuse.

L’orchestrejouaitdanslegrandsalonfeutréoùlespassagersseprélassaientaprèsdîner.

—Onvasepromener?proposaBertàKate.

Ellelesuivitsurlepontdésert.

—Seigneur,non,ilfaittropfroid!seplaignit-elle,toutefrissonnantedanssonmanteaudevison.

Danslanuitclaire,sanslune,unemyriaded’étoilesscintillantescriblaitleveloursnoirdufirmament.Lamerétaitcommemorte.

EntraînéparKate,Bertbattitenretraiteàl’intérieur.Ilsignoraientquelaradiodunavirevenaitderecevoirdeuxnouveauxmessages.

DeuxavisselonlesquelsdesicebergsdérivaientenavantduTitanic.

Versvingt-deuxheurestrente,ilsregagnèrentleurcabine.KateetBertsedévêtirenttoutenbavardant,cependantqueCharlesetEdwinagoûtaientunedernièrecoupedeChampagnedans leconfortablepetitsalondeleursuite.

Il était vingt-trois heures quand Kate et son mari éteignirent la lumière. Et, à peu près au mêmemoment,unnouvelavertissementannonçant laprésencedeglacesdans lesenvironsexplosaitdans lesécouteursdel’opérateurradiodubord.IlémanaitduCalifornianquinaviguaitdansunprochepérimètre.

—Bonsang,nem’interrompezpas!J’aidutravail!grondalejeunetélégraphistePhillips.

Il était sur la brèche depuis des heures, émettant sans répit pour tenter de purger le monceau de

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messagespersonnelsexpédiésparlespassagers.

Etilenrestaitdesdizainesetdesdizainessursonbureau.Aprèstout,onsavaitbienqu’ilyavaitdesicebergsdansl’Atlantique,pensa-t-ilfurieux.Avecunhaussementd’épaulesagacé,ilseremitàlatâche.Àsonavis,prévenirlecommandantconstituaitunepertedetempsaussivainequ’inutile.LecommandantSmith,parfaitementaucourantdelasituation,n’avaitpascrubonjusqu’alorsdeprendredesmesures,etcen’étaitpasuntélégrammedeplusoudemoinsquichangeraitquoiquecesoitàl’affaire.

PhillipscontinuaàenvoyersesmessagesàCapeRace,alorsqueKateetBertselaissaientbercerparleroulis,quelesenfantsWinfieldrêvaientdanslapénombreouatéedelacabineadjacente.Enlacéssurlaméridienne,seulsaumonde,EdwinaetCharlesparlaientdeleursprojetsàmi-voix…Ilétaitpresqueminuitàlapendule.

Soudain,aubeaumilieudeleurstendresconfidences,unlégerchoc!…oh,pasgrandchose,unesortedepetitesecousse…Commes’ilsavaientheurtéunobstacle.Commesi…maisnon,celanepouvaitêtreimportant,carriend’autreneseproduisit.Ilss’apprêtaientàpoursuivreleurcauserie,quandEdwinaseredressa,intriguéeparlesilence.Unsilenceétrange,absolu.Leronronnementsourd,lesvibrationsdesmoteurs, chaque bruit familier s’était tu. Le navire sembla s’immobiliser. Les deux jeunes genséchangèrentunregardet,pourlapremièrefois,Edwinadécelaunelueurd’inquiétudedanslesyeuxdeCharles.

—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elleavantdes’élancerverslafenêtrequis’ouvraitsurletribord.

—Riendegrave,certainement.Rappelle-toicequetonpèreadit,chérie,cebateauestincoulable.

Ils doivent changer de capouprocéder à unequelconquevérification, ajouta-t-il en endossant sonlourdpardessus,jevaisjeteruncoupd’oeil,d’accord?

—Attends!Jeviensavectoi.

—Edwina,non.Ilfaittropfroiddehors.

—Pasaussifroidquedanslasalleàmangerd’oncleRupert.J’ail’habitude.

Soninsistanceamenaunsouriresurleslèvresdujeunehomme.

Aprèstout,querisquaient-ils?Ill’aidaàenfilerl’amplemanteaudevisonqueKateavaitlaissésurunfauteuil,puisilsquittèrentlasuite.

D’autrescurieuxavaient envahi le corridor.Laplupartportaientdesmanteauxde fourrure sur leurrobedechambre.D’autresdéambulaientenpyjamas,piedsnus.CharlesetEdwinagravirentlesmarchesdugrandescalier.Àpremièrevue, lepontsupérieurprésentaitunspectaclerassurant.Àl’évidence, levaisseau s’était arrêté mais les cheminées monumentales fonctionnaient, soufflant d’épais nuages defumée dans l’air glacial. John— JacobAstor émergea sur le pont et semit à questionner un hommed’équipage.

—Nousavonseffleuréuniceberg,finitparavouercelui-ci,maiscen’estpasgrave,retournezvouscoucher.

Astor fit demi-tour. En se penchant par-dessus le bastingage, Charles aperçut des passagers de latroisièmeclassejouantavecdesboulesdeneigetombéessurlespontsinférieurs.

—Viens,dit-ilàEdwina,iln’yarienàvoir.

Ilss’engouffrèrentdanslatrappedel’escalier.Bertlesattendaitdanslesalondeleursuite.Ilavaitl’airinquiet.

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—Quesepasse-t-il?

Ilparlaitàvoixbasse,decraintederéveillerKate.

—Riend’alarmant, répliquaCharles immédiatement, enôtant sonpardessus.Nous avonsheurtéunblocdeglace,cedonttoutlemondesembleseficheréperdument.L’équipageaprisleschosesenmainetjepensequenouspourronsrepartirbientôt.

Tranquillisé,Bertramhocha la tête. Ilavaithonteàprésentdes’êtreainsiaffolémais,comme toutbonpèredefamille,ilavaittenuàs’assurerqu’aucundangernemenaçaitlessiens.

—Ehbien,bonnenuit,dit-il.Edwina,neveillepastroptard.

Ilretournadanssacabineetrefermalaporte.Lapendulesonnalesdouzecoupsdeminuitettoutenbas,danslesentraillesdunavire,uncombatmortels’engagea.C’étaitbienunicebergquiavaitraclélacoqueduTitanic.Uneénormemassedeglacequiavaitsurgitoutàcoupdesténèbres.Aumomentdelacollision, une explosion aussi puissante qu’un coup de canon avait retenti dans l’une des chaufferies.Assaillisparuntorrentfurieuxetglacé,lessoutiersavaientprislafuiteversunlieuplussûr.Et,tandisque les voyageurs s’efforçaient de retrouver le sommeil, l’eau continuait à s’infiltrer impétueusementdanslacarène.Lescinqcompartimentsinférieursdunavireétaientmaintenantcomplètementimmergés.

Sur la passerelle, flanquée de Bruce Ismay, président de la White Star, et de Thomas Andrews,architectenaval,lecommandantSmith,effaré,mesuraitl’ampleurdesdégâts.Auxyeuxdestroishommes,lasituationseprésentaitsousunnouveaujour…Unjourdramatique.

Lamerqui remplissait inexorablement lescalesne tarderaitpasàengloutir, l’unaprès l’autre, lesétagessupérieurs.Iln’avaitpasfallulongtempsàAndrewspourconclurequel’impensablevenaitdeseproduire.LeTitanic,l’invincible,l’orgueilleux,l’irréductibleTitanicétaitentraindesombrer.

—Onpeut tenir un certain temps, fit-il savoir au capitaine,mais combiende temps,nul nepeut ledire.

Minuitcinq.BertramWinfieldsedisposaitàseglisserdanssonlit,prèsdesafemme,quandilsentitleplanchervaciller.C’étaituneoscillationsilégèrequ’ilcrutl’avoirimaginée.

Uneminute s’écoula.Unpeuplusbas, l’eaunoyait avec fracas le court de squash.Enhaut, sur lapasserelle, le commandant donna à ses hommes l’ordre de débâcher les embarcations. Une angoissemortellel’étreignait.Iln’yavaitpaseud’exercicedesauvetage,pasuneseulefois,illesavait.Cenavireavaitétéconçupourluttercontrelesintempériessansjamaiscouleretvoilàqu’unearméedestewardsseruaitdanslescoursivesentambourinantsurlesportesdescabinespourfaireévacuerlespassagers.Unesecondeplustard,Bertfutdenouveauréveilléensursaut.Ilentenditlagalopadelelongducouloir,puisdesvoixétouffées.Charlesavaitdûentrebâillerlaportedusalon,carilparlaitàquelqu’un.Audébut,Bertneputdistinguerlesmots.Ensuite,ilnecompritquetropbiencequisepassait.

—Mettezvosgiletsdesauvetageetmontezsurlepontsupérieur!

Toutdesuite!

Lestewardavaitpassélesconsignesaveclesourire,maisl’onsentaitbienl’urgencedansletondesavoix.Edwinaleregarda.Iln’yavaitpaseudesignald’alarme,paslemoindresondecloche.Rien.

Seulementlesilence,cesilenceétrangementpesant.Lecœurdelajeunefillesemitàbattreplusfort,commechaquefoisquel’undesesfrèresetsœursavaitbesoind’elle.Etc’étaitàeuxqu’ellesongeait,précisément.

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—Avons-nousletempsdenouschanger?demanda-t-elle.

—Non,mademoiselle.Restez comme vous êtes et enfilez votre gilet de sauvetage. Il vous tiendrachaud.Cen’estqu’unesimpleprécautionmaisvousdevezvousdépêcher,maintenant.

Cedisant,ilsemitàcognersurlebattantdelacabinesuivante.

EdwinacherchaduregardCharles.Illuiserralamainensilence.Bert,sortiuninstantdanslesalon,seprécipitapourappelerKate.

—Jevaist’aider,s’offritCharles.

Ilpénétradanslachambredesgarçons,etuneminuteplustard,lesyeuxbouffisdesommeil,lesdeuxfrèresd’Edwinasedébattaientaveclescordonsdeleurgiletdesauvetage.Charlesleuravaitrésumélasituationleplussimplementpossible,afindenepasleseffrayer.

—Chouette! s’écriaGeorges, toujours à l’affût de nouvelles émotions, alors que le paisiblePhilipblêmit,enproieàuneterribleangoisse.

Dans la cabine voisine, Edwina tira Alexia du lit, prit Fannie dans ses bras, secoua gentimentl’épauled’Oonaqui,revenuedesavisite,dormaitprofondémentsursacouchette.

La jeune Irlandaise ouvrit de grands yeux étonnés et Edwina tenta de la mettre au courant desévénementssanseffaroucherlespetits.

—Occupez-vousdeTeddy.

—Oùestmaman?pleurnichaAlexia.

Elles’échappadesbrasdesagrandesœurets’élançaversKate,dont lasilhouetteseprofilaàcemoment-làdanslechambranledelaporte,suiviedeBert,puisdeCharles.

—Quesepasse-t-il?demanda-t-elleenplissantlespaupières.

—SesyeuxallaientdeCharlesàsafilleetdecelle-ciàsonmari.

—J’ail’impressiond’avoirratéquelquechose.

—Nousn’ensavonsrienenfait,réponditBertavecfranchise.Ilyaeu,paraît-il,unaccidentdûàunblocdeglace.Ilyaunedemi-heure,Charles,quiestalléauxnouvelles,aapprisqu’ilnes’agissaitqued’un incident mineur. Les choses ont dû se gâter, car il faut maintenant se présenter au pont desembarcations.

—Très bien, dit Kate d’une voix énergique, cependant que, du regard, elle faisait une rapideinspectiondelapièce.

—Sonœils’attardasurlesfinsescarpinsargentésàtalonsqu’Edwinaavaitauxpieds.

—Edwina,changedechaussures.Oona,couvrez-vousetpréparezTeddyetFannie.Bert,monchéri…

Bertramserepliadans leurcabined’oùil revintpresqueaussitôt,engoncédansungrospardessus,unerobedelainagepourKatesurlebras.Ileutalorslanetteimpressionquelesolpenchaitdavantageet,pourlapremièrefois,uneondedepurefrayeurluiparcourutl’épinedorsale.

—Allons,lesenfants,dépêchez-vous!intimaKateavecuneconvictionqu’elleétaitloind’éprouver.

Philip,GeorgesetAlexiaétaienthabillés.Edwinaavaittroquésesescarpins,contredesbottes,passéunmanteausursarobedesatinbleupâle.Avecdesgestesefficaces,Charlesavaitattachélesgiletsdesauvetagedansledosde

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TeddyetdeFannie.SeuleOona,cheveuxdéfaitsetpiedsnus,arpentait leplancherentremblantdetoussesmembres.

—Oona,habillez-vous!ordonnaKate.

Elle-mêmeenfilapar-dessussachemisedenuitlalourderobedevoyagequeBertluiavaitapportée,glissasespiedsdansdeschaussuresdemarche,sedrapadanssonvison.

—MonDieu…Alice…jedoisallerauprèsd’Alice,marmonnal’Irlandaise,l’airhébété.

Deslarmesmenaçaientdejaillirdesesyeux.Kateluiagrippal’avant-bras.

—Vousn’ireznullepart,OonaRyan!Maintenantmettezvosvêtementsetsuivez-nous.

ElletenaitsolidementAlexiaparlamain,etlapetitefilleavaitcessédepleurer.Tantqu’ellerestaitavecsamèreetsonpère,riennepouvaitluiarriver.Toutlemondeétaitprêt,saufOona,quisetordaitlesmainsenungested’impuissancedésemparée.

—Oh,madame,jenesaispasnager!s’écria-t-ellesoudain,aucombledudésespoir.

—Ne soyez pas ridicule! lui rétorqua durement Kate. Personne ne vous demandera de gagner unchampionnatdenatation.

Ducoindel’œil,ellefitsigneàEdwinadecommenceràévacuerlesenfants,aprèsquoi,s’emparantd’unerobedegrosselaine,ellelafitglisserpresquedeforcepar-dessuslatêtedelagouvernante.

Ensuite,ens’agenouillant,elletirabrutalementsurlebasdelarobe,forçalajeunefilleàmettreseschaussures,puis,seredressant,luijetaunedesesproprescapessurlesépaules,toutensaisissantd’unemain ferme le gilet de sauvetage de sous la couchette. Deuxminutes à peine s’étaient-elles écouléesqu’ellesrejoignaientlesautresdanslecouloir.

Unefouledansdesaccoutrementsbizarresencombraitlepassage.Prisdecourt,lesvoyageursavaientmissurledosn’importequoi.Aucunsignedepaniquenevintperturbercettepaisibleascensionverslepont.Unoudeuxriresperçèrentmêmedansl’assistance,puisquelqu’unditque«toutcelaétaitfâcheux».

Ilétaitalorsprèsd’uneheuredumatinetdanslacabineradio,lejeuneopérateurPhillipsenvoyalepremiersignaldedétressesursonappareildetélégraphiesansfil.L’eaumontaitrapidement,beaucoupplusvitequelecommandantnel’avaitprévu.

Le court de squash était noyé jusqu’au plafond, des trombes d’eau débordaient dans les salles dereposdelatroisièmeclasse.Iln’yavaitpasuneheurequel’icebergavaitheurtéleTitanic.FredWright,lechampiondesquash,saluaPhilipd’unsignedetêtequandill’aperçutaumilieudelafilequis’étiraitverslesembarcations.

—J’aioubliémesbijoux,murmuraKate.

Ellevenaitjusted’ypensermaisilétaittroptardpourrevenirenarrière.Sonregardsebaissasurlabande d’or de son alliance scintillant à son doigt, et elle ne put s’empêcher de penser que cela luisuffisaitamplement.

EllesentitlesdoigtsdeBertsursamain.

—Net’enfaispas,dit-ilavecunsourire,jet’enachèteraid’autressijamaisceux-cisontégarés…

Iln’avaitpasvouludire«perdus»,parunesorted’obscuresuperstitionqui,soudain,fitsurface.Toutàcoup, lamêmeondedeterreurquetoutà l’heure,quandleplanchers’était inclinésoussespieds, le

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transperça.L’idéedecequ’ilpourraitarriveràsafemmeetsesenfantsl’emplissaitd’unepeurinsenséeet primitive. Ils passèrent devant le gymnase. De l’autre côté de la paroi vitrée, Astor et sa femmebavardaient,assis sur leschevauxmécaniques.Lemillionnaireavait sûrementpréféréattendre la suitedesévénementsàl’abridufroid,afindeprotégerlepetitêtrequesonépouseportait.Tousdeuxavaientrevêtudesgiletsdesauvetage,etlui,untroisièmegiletétalésursesgenoux,parlaitàsacompagnetoutentripotantunstyloàplume.

À l’instant où les Winfield débouchèrent sur le tribord avant, l’orchestre du bateau entama unemélodie entraînante. Huit grandes chaloupes venaient d’être dégagées par l’équipage, huit autress’alignaient à bâbord. Il y avait encore quatre canots pliants en toile plastifiée. C’était un spectacleaffligeant,malgré l’atmosphère de fête que les bravesmusiciens s’efforçaient de créer.Bert suivit duregard les marins qui s’activaient dans tous les sens. Son cœur battait la chamade, ses doigts serefermèrentautourdupoignetdesafemme.

KateportaitFannie,Alexia se tenaitcolléeàelle,Philip leuremboîtait lepasavec lepetitTeddydanslesbras.Ilssetenaienttousaussiprèslesunsdesautresqu’ilslepouvaient,dansl’airhorriblementfroid.

Alentour,lesgenss’entretenaientàvoixbasse.KatevitPhilipéchangerquelquesmotsavecungarçonqu’ilavaitconnudèslepremierjourdelatraversée,JackThayer,originairedePhiladelphie.

Ses parents avaient été invités au dîner offert par les Widener, également de Philadelphie, enl’honneur du commandant Smith, si bien que Jack, resté seul dans leur suite, était maintenant à leurrecherche.Aumilieudelacohue,KatereconnutlesAllison,leursamisdeMontréal.LapetiteLorrainedonnaitunemainàsamèreet,del’autre,pressaitsursoncœursachèrepoupée.MmeAllison,pendueaubrasdesonmari,sepenchaitverslagouvernante,etcelle-citransportait,emmitoufléjusqu’auxoreillesdansunegrossecouvertureduveteuse,lepetitfrèredeLorraine,unadorablegarçonnet.

LecommandantensecondLightollersurveillaitseshommesd’unœilattentifdanslequel,cependant,on pouvait déceler une confusion grandissante. Évacuer une telle foule n’était pas une mince affaire,d’autant que la plupart des passagers, ne s’étant pas encore rendu compte de la gravité de l’accident,montraientquelqueréticenceàquitterlevaisseaubrillammentilluminé.

Lesmatelots,parpetitsgroupes,descellaientlescanotsdeleurberceau,yposaientdeslanternesetdesvivres,maislorsquelepremierfutprêtàêtreaffaléàlamer,lespassagersdedevantsereculèrent,horrifiés,endépitdesappelsducommandantensecond.

L’orchestreattaquaunairderagtimeetAlexiafonditen larmes,maisKate lui tapota tendrement lamenotte,luimurmurantd’unevoixdoucequec’étaitdéjàlejourdesonanniversaireetque,plustard,ilsauraienttousdroitàunepartdegâteau.

—Ettoutàl’heure,quandnousseronsrevenussurlebateau,tusoufflerastesbougies,machérie.

Kate cala Fannie sur sa hanche pour entourer les épaules d’Alexia d’un bras protecteur, puis sonregardglissaverssonmari.Bertguettait lesréactionsdesautresvoyageurs.Desmurmuresfusaientdetoutesparts,maispersonneneparaissaitposséderlamoindreinformation.Auboutd’uneminutequiparutincroyablementlongue,quelqu’uncrial’ordredecommencerl’évacuationdansleschaloupes.

«Lesfemmesetlesenfantsd’abord,ajouta-t-il,leshommesensuite.»L’orchestresemitalorsàjouerplusfort,afindecouvrirlebrouhahadesvoix.Kateparvintàsourire,malgrélaterreursournoisequi,peuàpeu,latétanisait.

—Celanepeutpasallersimal,tantqu’onentendcettebellemusique,affirma-t-elle.

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ElleéchangeaunlongregardavecBertetvitlapeurdanssesyeux.Cependant,ilsseturent,soucieuxdenepascommuniquerleurinquiétudeauxenfants.

EdwinaseserraitcontreCharles.Danssaprécipitation,elleavaitoubliésesgants.Lejeunehommes’efforçaitdeluiréchauffersesmainsglacéesdanslessiennes.L’appelinvitantlesfemmesetlesenfantsàprendreplacedanslesembarcationsretentitdenouveau,maispersonnenebougea.LecommandantensecondLightoller eut beau inciter les passagères à avancer, celles-ci se pressaient contre leursmaris,commepétrifiées.Aucuned’elles ne paraissait consciente dudanger, bienque le navire, sensiblementenfoncédel’avant,commençâtàs’inclinerimperceptiblementsurlecôté.

Ensuite,toutseprécipita,lorsqu’ungroupedemarisdécidadeprendreleschosesenmain.Kenyon,Pears et Wick poussèrent leurs épouses éplorées vers les masses sombres des canots. Les femmesprotestaientetsuppliaientleurscompagnonsdelessuivre.

—Allons,mesdames,unpeudecran,hurlaunhomme.Nousseronstousderetourpour lerepasdemidi.Dansquelquesheures,vousserezentraindevousnarrervosaventures.

Cette déclaration fut lancée sur un ton si jovial que quelques rires fusèrent parmi les voyageurs.Timidement,lespremièresfemmesfirentunpasenavant.Presquetoutesétaientaccompagnéesdeleursfemmesdechambre.Lecommandantensecondintimaauxmarisderesterenarrière.Seuleslesfemmeset les enfants embarqueraient, précisa-t-il.Aucune entorse au règlement ne serait tolérée. Il répéta lesordresd’unevoixsècheetcefutalorsqu’Oonaéclataensanglots.

—Oh,madame, je ne peuxpas… je ne veuxpas y aller… je ne sais pas nager…puisAlice…etMary…

Tout en se lamentant, l’Irlandaise se mit à battre en retraite. Kate voulut aller vers elle pour laréconforter,maissoudain,lagouvernantesefonditdanslafoule.Ilfallaitqu’ellerevoieAliceetsapetitefille,illefallaitabsolument.Unefractiondesecondeplustard,ellesefaufilaendirectiondel’écoutillelaplusprocheaveclafermeintentionderetrouversacousine,dût-elleretournerdans lesentraillesdubateau.

Katerebroussachemin,lesbrasballants.

—Faut-ilquej’aillelachercher?demandaPhilipàsamère.

Celle-ciconsultad’unregardanxieuxsonmari,quisecoualatête.

LapetiteFanniecouinaitetEdwinapritTeddydanssesbras.

—Non!ditBertramd’untonsansréplique.

Il était impératifqu’ils restent tousensemble.SiOonaétait assez stupidepourprendre la fuite, ehbien,elleseraitsûrementévacuéed’unautrepointdunavire.

Lafiles’avançaitinexorablement.Kate,hésitante,fixasonépoux.

—Nepouvons-nouspas laisserpassernotre tour?Jeneveuxpaspartirsanstoi.S’il teplaît,Bert,attendonsencoreunpeu.

Soudain, sous leurs pas, le sol chancela. La conscience d’un danger imminent s’imposa alors àl’esprit deBert.Lemoindre retard pouvait s’avérer fatal. Il ignorait qu’un autre drame couvait sur lapasserelle.

ThomasAndrews, leconstructeurdunavire,venaitd’informer lecommandantSmithque leTitanicn’avait plusqu’uneheure àvivre et qu’àbordondisposait demoyensde sauvetagepourmoinsde la

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moitiédespersonnesembarquées.

Depuis lacabine radio,Phillipscontinuaitdebombarderdemessages leCalifornianquicroisaitàquelquesmillesdelà,sansobtenirderéponse.

—Non,Kate,réponditBert.Tudoisembarquermaintenant.

Ils’étaitexpriméavecsoncalmecoutumier,maislapetiteflammeaffoléequibrûlaitaufonddesesprunellesn’échappaguèreàKate.

Elle sut tout à coup ce queBert ressentait.Une peur affreuse etmortelle, une peur immense qu’iln’avaitjamaiséprouvéeauparavant.NesentantplusAlexiadanssesjupes,ellesetournainstinctivementverslaplaceoùlapetitefillesetenait,uneminuteplustôt.Ellen’étaitpluslà.Kateluiavait lâchélamainquandelleavaitcouruderrièreOonaetneserappelaitpasl’avoirrevuedepuis.

Elle tendit le cou, dans l’espoir de l’apercevoir près d’Edwina, mais non. Sa fille aînée disaitquelque chose àCharles etGeorges, à deux pas de là, avait visiblement perdu son enthousiasme despremiersinstants.Unesourdeexplosiondéchiralanuitpolairesuivied’uneclartéblanche,etunecorollelumineuses’épanouitdansl’éther,commeunfeud’artifice.Ilétaitexactementuneheuredumatin,àpeinesoixanteminutesaprèslacollisiondanslaquelleonn’avaitvouluvoirqu’un«incidentmineur».

—Qu’est-cequec’est,Bert?demandaKatetoutencherchantdistraitementAlexiadesyeux.

ElleétaitsûremententraindecomparersapoupéeàcelledelapetiteAllison.

—Cesontdesfuséesdedétresse,Kate.Celaveutdirequec’esttrèsgrave.Ilfautquetupartesaveclesenfantstoutdesuite.

Illuiétreignitlamainetunelarmeperlaauboutdesescils.

—JenevoisplusAlexia,ditKate,effrayée.Elledoitsecacherquelquepart.

—Unflotdelarmesinondasesyeux.

—MonDieu,Bert,oùest-elleallée?

—Jevaislachercher.Resteiciaveclesautres.

Ilsefrayauncheminaumilieudelacohue,courutd’ungroupeàl’autre,furetaconvulsivementdanschaquerecoin.Alexian’étaitnullepart.IlrevintverssafemmequitenaittoujourslapetiteFanniedanslesbras.

—Rienencore,cria-t-il,devançantsesquestions.Ellenepeutpasêtreloin.Ellenet’ajamaisquittéed’unesemelle,alors…

Ils’efforçaitdeparaîtresûrdeluimaislapâleurdesonvisagedémentaitsesparoles.

—Elleadûseperdre,fitKated’unevoixchevrotante.

Ellesesentitsoudainauborddel’évanouissementetduts’appuyercontrelui.

—Maisnon,murmura-t-il,non,Kate,tuavaisraison,elledoitsecacherquelquepart.

Maisoùpouvaitbienêtreuneenfantdesixans,alorsquelechaosrégnaitsurlespontsduTitanicetque les passagers s’entassaient pêle-mêle dans les embarcations de sauvetage? L’image d’une Alexiabouleverséetremblotal’espaced’unesecondedevantlesyeuxfatiguésdeBert—c’étaitpourtantàpeinequatrejoursplustôt—etilcrutlaréentendrecriersapeurdesbateaux,sapeurdel’eau…Katel’avaitalorsconsoléeen luipromettantque riennepouvait leurarrivermais,voilà, c’était fait, etmaintenant

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Alexiaavaitdisparu.

—Lesfemmeset lesenfants!bramait lecommandantensecond,alorsque l’orchestrecontinuaitdejouer.

—Kate…

Bertregardasafemme.Ilsavaitqu’ellenequitteraitjamaislenavireenperditionsansAlexia.Unenouvellegerbedefuséesexplosaau-dessusdeleurtêtemaisKatenedaignapasleverlesyeux.

—Jenepeuxpas!déclara-t-elle.

—Encecas,envoieEdwina.

Unesueurglacéeluicouvraitlefront.Ileutlasensationdevivreuncauchemardontiln’allaitjamaisse réveiller.Sesmains saisirent lapetiteFannie, ses lèvreseffleurant lesboucles soyeusesprèsde satempe.

—Edwinaprendralespetits.Tut’embarquerasdanslecanotsuivantavecAlexia.

—Ettoi?

Lesfusées,là-haut,illuminaientd’uneétrangelueurblêmelevisagedeKate.L’orchestreégrenaitlespremièresmesuresd’unevalse.

—EtGeorges?EtPhilip?EtCharles?insista-t-elle.

—« Les femmes et les enfants d’abord », cita-t-il, n’as-tu pas entendu la consigne? Nous vousrejoindronsplustard.

Eneffet,autourd’eux,leshommesdisaientaurevoiràleursfemmesquis’enallaient.Lespremièreschaloupesétaientpresquerempliesàprésent.LesaiguillesdelamontredegoussetdeBert indiquaientune heure cinq. Ilmit d’autoritéFannie dans les bras d’Edwina.Kate s’approcha à son tour, les yeuxfiévreux.

—TonpèrevoudraitquetuquitteslebordavecFannieetTeddy,expliqua-t-elleàsafilleaînée.EtavecGeorges,ajouta-t-elletoutàcoup.

Georges n’avait que douze ans, pensa-t-elle, ce n’était qu’un enfant. Les traits fins d’Edwina sefigèrent.

—Ettoi?parvint-elleàquestionner.

—JeprendraileprochaincanotavecAlexia…Pourlemoment,jenesaispasoùelleest.Elleadûsecacherquelquepart, tu saiscombienelleestpeureuse…Vas-y,machérie,Georges te serad’ungrandsecours.

Savoixrestaitmiraculeusementcalme,malgré lapaniquequi luinouait lagorge.Unefoisdeplus,elleappelasonmari.

—Bert,l’as-tutrouvée?

Ilsecoua la tête.Katese tournaversEdwina.Unenouvelleénergie l’animait.Toutsonêtre tendaitmaintenant vers un but suprême: sauver Edwina, Georges et les tout-petits, afin qu’elle-même puisseaiderBertdanssesrecherches.ElleverraitplustardpourPhilip…etpourCharles.Pourlemoment,seulcetobjectifcomptait.

Lightoller fit signe au tambour de donner le départ des premières embarcations. Il restait encore

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quelquesplacesdanslenuméro8maisaucundeshommesprésentsneserisquaàtransgresserlesordresdupetitcommandantensecond.Bertétaitrevenusursespas.

—Encorequatrepersonnes!cria-t-il.

LegestedeLightoller restaensuspens.UnmarinharponnaEdwinapar lebras.Lesyeuxagrandis,FannieetTeddyserréscontreelle,lajeunefillelançaunregardéperduendirectiondesesparents,puisdeCharles.

—Mais…

Ellefutentraînéeverslecanot.

—Maman, papa, ne peut-on pas vous attendre? cria-t-elle, avec, sur le visage, une expressiond’enfantperdue.

Savoixsefêla,deslarmesmouillèrentsesjoues.Samèrel’enlaçaetTeddysemitàbrailler.Katerepoussalebébéquitendaitdes’accrocheràelle.

—Non,non,poussin,non,vaavecEdwina.Aurevoirmachérie,àtoutàl’heure.

EllesouritàtraversseslarmesàEdwina.Lasuitesedéroulatrèsvite.Uninstantplustard,soulevéeparlemarin,lajeunefillefutdéposéedanslecanotavecFannieetTeddyquipleuraient,puiscefutletourdeGeorges,malgrésesprotestations.Lemondechaviraet,sous leroulementdu tambour,Edwinacherchadésespérémentàfixerdanssamémoirelesvisagesdesamère,desonpère,etdeCharlesqu’ellen’avaitpaseuletempsd’embrasserunedernièrefois.

—Jet’aime!cria-t-elleàl’adressedesonfiancé.

Illuijetasesgantsqu’elleattrapaauvolavantdes’asseoirsurlebancdebois.

—Soiscourageuse,machérie,jeseraibientôtprèsdetoi.

Lescordagessetendirentdanslespoulies toutesneuvesavecuncrissement,et l’esquifmontadanslesairsavantderedescendrelourdementlelongdelaparoivertigineusedugigantesquepaquebot.Figéesurplace,Kateentendaits’éloignerlespleursdeTeddy.Detoutessesforces,elleserralamaindesonmari. Lorsque lemarin avait empoignéGeorges pour le faire asseoir dans la barque, Lightoller avaitrechigné.Berts’étaitalorsempressédeluidirequelegarçonn’avaitpasencoredouzeans—ilavaittrichédedeuxmois—

puis, sans attendre la réponseducommandant en second, il avait lui-mêmepoussé son filsvers lecanot.Georgesl’avaitsuppliédelelaisserresteraveceuxetPhilipmaisBertn’avaitrienvoulusavoir.

Maintenant,appuyésaubastingage,lesdeuxépouxsuivaientlesmouvementsducanotprêtàseposersurl’eau.

—Tenezbonlesenfants!clamaBert,mamanetmoiseronsviteavecvous.

Il se détourna, afin de dissimuler ses larmes. Kate jeta un dernier regard par-dessus bord. Ungémissementpresqueanimalgonflasapoitrinequandlacarènedelabarqueeffleuralesflotssombresetglacés.C’étaitunemanœuvresubtilecaruneerreurdemanipulation,siinfimefût-elle,auraitaboutiàunecatastropheetLightollerdispensaitsesordresaveclaminutied’unchirurgienprocédantàuneopérationdélicate.Ceuxd’enbas,visagesrenversés,laissaientéchapperunerumeurfaitede«Àbientôt»,«Aurevoir », « Je vous aime ».Mais, tout à coup, lesmains crispées sur la rambarde, Kate vit Edwinas’agiter,gesticuler,pointerledoigtdroitdevantelle…Katesepenchadavantageetalorsellel’aperçut,assiseprèsdelaproue.Cehalodebouclesblondes,presqueblanches,nepouvaientappartenirqu’àune

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seulepersonneaumonde.C’étaitAlexia,iln’yavaitpasdedoute.

—Je l’ai vue! Je l’ai vue! s’époumona-t-elle en réponse, et un immense sentiment de soulagementdétenditlesmusclesdouloureuxdesesépaules.

Sauvée,grâceauciel!Sescinqenfantsétaientsainsetsaufs,dans lamêmebarque!Ellequittasonposted’observationd’unpasléger.Ilnerestaitplusqu’àtirerdelàPhilip,Bert…etCharles,biensûr.Elleseprécipitaverseuxet,pourlapremièrefoisdepuisledébutducauchemar,unsourireilluminasestraits.

—Bert,Bert,elleestaveceux!Alexiaestaveclesautres.

Elleluipassalesbrasautourducoudansunsoupir.

—Dieumerci!Jenesaispourquoiellen’apasvouluattendreavecnous…

—Lesmarinsl’aurontembarquéesansprendregarde,soufflaBert.

Timide comme elle est, elle n’a pas dû protester. C’est ton tourmaintenant, Kate. Je veux que tuprennesleprochaincanot,est-ceclair?

—JepréfèrepartirenmêmetempsquePhilip,Charlesettoi.

Edwinas’occuperatrèsbiendespetits.

Soncœursaignaitàl’idéequesesenfants,lachairdesachair,étaientloind’elle.Pourtant,undésirsingulierlapoussaitàresterprèsdesonmari.SachantmaintenantAlexiaàl’abridudanger,ellefrémitd’unefrayeurrétrospectiveetremerciaunefoisdepluslaProvidence.

Lesembarcationsde sauvetagedéhalaient rapidement.Dans le canotnuméro8,Edwina installadumieux qu’elle put Teddy et Fannie sur le banc haut et dur. Il fallait coûte que coûte attirer l’attentiond’Alexia, toujours assise sur le devant. Malheureusement, les personnes qui s’entassaient entre ellesrendaienttoutmouvementimpossible.Àsoncôté,Georgesmaniaituneramed’unairobstinéetfier.Lajeunefilletouchalebrasdesavoisine,lapriantdefairepasserlemot,puisattendit,alorsquelesautresfemmessepenchaientlesunesverslesautres.Enfin,l’uned’ellesputatteindrelafillettequiseretourna.Edwinacontemplasafrimoussebaignéedelarmesetuncrid’incrédulités’étranglaaufonddesagorge.C’étaitunejoliepetitecréatureauxgrandsyeuxapeurés,etellepleuraitparcequ’elleavaitétéséparéedesamère…Maiscen’étaitpasAlexia.

Edwinademeuraimmobile,accabléeparsonerreur.ÀlapenséequeKate,tranquillisée,nesongeaitplus à rechercher la fillette, un curieux petit sanglot lui échappa. La petite Fannie commença alors àcouineretEdwinadutlareprendredanssesbras.

Uncalmeabsoluenveloppaitlagrandesuiteoù,tranquillementassisesurunlit,AlexiaparlaitàvoixbasseàMrs.Thomas,sapoupée.

Elle l’avait oubliée aumoment où tout lemonde avait déguerpi précipitamment. Une fois là-haut,quandlamaindesamèreavaitlâchéprise,lafillettes’étaitprécipitéesurlestracesd’Oona.Elleneputl’attraper,biensûr,maiselleavaitretrouvélechemindelacabineetyétaitrevenue,afindechercherlapoupée.Alexianevoulaitpasquitterlebateausanselle.Touteréflexionfaite,c’étaitbienplustranquilleici, loinduvacarmeetde la foule.Àquoi cela servirait-il de s’embarquerdans l’unedecesgrandesbarques lugubres, chargées d’inconnus, au risque de tomber dans l’eau noire et glacée?Mieux valaitattendreici,auchaud,leretourdesesparents.Carilsreviendraient,samèreluienavaitfaitlapromesse.

L’airdemusiquequejouaitl’orchestredubordluiparvenaitdetrèsloin,commeàtraversunecloison

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decoton,etiln’yavaitplusdecavalcadesdanslecouloir.

Ilsétaienttouslà-haut,pendantcetemps.L’évacuationdesfemmesetdesenfantssepoursuivaitàunecadence de plus en plus rapide, tandis que les fusées de détresse couronnaient d’une blanche pluied’étoiles levaisseauenperdition.Danssonrepaire, l’opérateurradioPhillipspianotaitfrénétiquementsur sonmanipulateurmorse, s’efforçant d’appeler à l’aide les navires du voisinage. Il avait réussi àentrerencontactavecleFrankfurt,leMountTempleetleVirginiamaisilssetrouvaienttroploinpourarriveràtemps.EtquantauCalifornian,lebateauleplusproche,ilrestaitmuet.

C’étaitletélégraphistedecedernierquiavaitsignalé,dèsonzeheuresdusoir,laprésenced’icebergssurl’itinéraireduTitanic.

Phillipsluiavaitalorsrépondusèchementdenepasl’interrompredanssontravailcequ’ilregrettaitamèrementàprésent.Ilcontinuaàlancersurlesondesdesappelsausecoursquirestèrentsansréponse.L’opérateur radio du Californian avait éteint son poste avant d’aller se coucher. Et les minutess’écoulaient,lentesetinéluctables.

Lesgerbesdefuséesexplosaientsansdiscontinuerdansl’étherglacé.

Quelquesmarins,surlepontduCalifornian,endistinguèrentl’éclat.

Ilsenconclurentquecefeud’artificefaisaitpartiedesfestivitésduvoyageinauguralduTitanic.Nulne soupçonna la tragédie qui se jouait à quelques milles de là… Et qui aurait jamais pensé quel’inconcevables’étaitproduit,parunenuitsiclaire?

Phillipsfondaitmaintenant toussesespoirssur leCarpathia,quinaviguaitàunecentainedemillesplusloin,ausud-ouest.Celui-ciavaitréponduqu’ilsedirigeaitàtoutevapeurverslelieudunaufrage.

LecommandantSmithpassalatêteparlaportedelacabineradio.Ilregardauninstantl’opérateurenvoyerlemessageconventionnelCQD,puisdisparutpourrevenircinqminutesaprès.

—EssayezplutôtleSOS,suggéra-t-il,faisantallusionàl’appelleplusrécentquivenaitjusted’êtreadopté.

Phillipss’exécuta,semitàémettreconvulsivement.Grâceàcenouveausignal,ilsavaientunechanced’êtreentendusmêmepardesradiosamateurs.

Dans la suite silencieuse,Alexia se confiait à sa poupée. Ses parents ne seraient pas contents, lapetitefilleenétaitpersuadée,ilsnemanqueraientcertainementpasdelagronderlorsqu’ilsseraientderetour…Encorequ’onnegrondepasquelqu’unlejourdesonanniversaire.

Elle avait six ans aujourd’hui et sapoupéeétait beaucoupplus âgée.Alexia seplaisait àdirequeMrs.Thomasavaitvingt-quatreans.

C’étaituneadulte.

Lightoller donna l’ordre de faire descendre une nouvelle embarcation à lamer.Quelques hommess’étaientglissésdanslescanots,àl’autreboutdupont.Lecommandantensecondnel’avaitpasremarquésinonilyauraitmisbonordre.Lesmêmesscènessedéroulaientsurlespontsdeladeuxièmeclasse.Enbas,dans lesquartiersde la troisième, régnait laplusviveconfusion.Beaucoupdepassagerserraientsans but, d’autres avaient réussi à renverser les barrières qui les séparaient des autres classes. Lesmembresdel’équipagecommencèrentàlesrefouler, l’armeaupoing,prêtsàabattrequiconqueoseraitpasser,afind’éviterlevoletlepillage.UnepetiteIrlandaiseaccompagnéed’uneautrefemmeetd’unegaminesemitàcrierqu’ellevenaitenfaitdelapremièreclasse.Sesprotestationsn’émurentpersonne,naturellement.Lesmarinssavaientquetouscesgensétaientprêtsàtout,pourvuqu’onleslaissâtaccéder

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aupontdesembarcations.

Kate et Bert avaient cherché refuge dans le gymnase. Ils avaient laissé Philip sur le pont, avecCharles et Jack Thayer. Les jeunes gens s’étaient portés volontaires pour aider femmes et enfants às’installerdanslescanots.LesAstorn’avaientpasbougédelà.

Toujoursassissurleschevauxmécaniques,ilsnemontraientaucunsignedepanique.Ilsn’avaientpasl’airpressésdes’enaller.

Leursdeuxdomestiques,restésdehors,gardaientunœilvigilantsurlesopérations.

—J’espèrequelesenfantsvontbien,soupiraKate.

Berthochalatête.Ilparaissaitsoucieux.Ilavaitétérassérénéquandilavaitsuqu’Alexiaétaitavecles autres rescapés, mais qu’allait-il advenir de Philip et de Kate? Lightoller pourrait à la rigueuraccepterquePhilipquitte lebord. Il y avaitmoinsd’espoirpourCharles et pourBert lui-même, tousdeuxlesavaient.

—Ilsvontbien,répondit-il,désireuxderassurersafemme.C’estuneexpériencequ’ilsn’oublierontcertainementjamais…Etmoinonplus,dureste.

Ils’interrompituninstant,avantdereprendreàvoixbasse:

—Ilvacouler,tusais?

Bertenavaitacquis laconvictionunedemi-heureplus tôt,bienqu’aucunmembredel’équipagenevoulût l’admettre et que labandedemusiciens continuâtde jouerdeplusbelle, commes’il se fût agid’unefête.Brusquement,ilpritlamaindeKatepourlaporteràseslèvres.

—Tuprendraslaprochainebarque,chérie,jel’exige.Jevaissoudoyerl’undesmarinspourquetupuissesemmenerPhilip.Iln’aqueseizeans,c’estpresqueunenfant.

Le problème ne consistait pas à convaincre Kate mais Lightoller, pensa-t-il au même moment,angoissé.

—Maintenant que les petits sont à l’abri, je ne vois pas pourquoi je n’attendrais pas le tour deshommes,répliqua-t-ellepaisiblement.

Edwinaestparfaitementcapabledes’occuperd’euxetdetoutefaçonjenepourraipasl’aider.

Elle réussit à sourire. C’était une terrible souffrance que d’être séparée d’eux,mais à leurs yeuxEdwinaétaitcommeunesecondemère.Peuluiimportaitquecebateaucoule,sitoutefoisilcoulait,—

caraufondellen’ycroyaitpas—pourvuquesonfilsaîné,sonmarietlefiancédesafillefussentensécurité. II n’y avait aucune raison de s’alarmer, avec un peu de patience, tout le monde finirait parprendreplacedanslescanotsqui, lesunsaprès lesautres,étaientaffalésà lamer,avecunerégularitéexemplaire.Etilfallaitdesheuresavantqu’uncolossecommeleTitanicsubisseunmauvaissort.

Surlapasserelle,lecommandantSmithsavait,lui,lavérité.Ilétaituneheureetquartetlasalledesmachinesvenaitd’êtreimmergée.

Ils allaient sombrer dans peu de temps. L’opérateur radio Phillips avait beau s’acharner sur leprojecteurmorse,ilnesubsistaitpourainsidireaucunespoir.LeCalifornian,leseulquiauraitpuleurapporterdessecours,nerépondaittoujourspasàleursappelsincessants.L’OlympicavaitdemandésileTitanicseportaitàsarencontre.Lesautresétaienttroploin…Personnenepouvaitimaginerqueleplusgrand vaisseau du monde s’enfonçait inéluctablement dans les eaux noires, quelque part dans

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l’Atlantique.

LorsqueKateetBertressortirentdugymnase,l’ambianceavaitchangé.Lagaietéfacticeavaitcédélepasàuneangoissemortelle.

Unhommesuppliaitsacompagnedes’enaller,unautretransportaitlasiennedeforceverslescanots.Surletribordavant,l’impassibleLightolleravaitdonnél’ordrederepousserleshommesquiessaieraientdesefaufilerparmilesrescapés.Quelques-unsseruèrentalorscôtébâbord,implorantlesmarinsdeleslaisserpartir.

—Jesuisbonrameur,offritquelqu’un.

Pleurs,lamentations,crisdedésespoiremplissaientlanuit.Iln’yavaitpresqueplusd’enfantsàbord,constataKateenrepensantauxsiensquidevaientvoguerversleursalut.IlrestaitPhilip,biensûr,maisPhillipéchapperaitbientôtàcetenfer,enmêmetempsqu’eux.

Elle remarqua soudain lapetiteLorraineAllisonaccrochéeaubrasde samèreet cela lui rappelaAlexia…Alexia qui se trouvait dans le canot numéro 8, avec ses frères et sœurs.MmeAllison avaitvoulugarderavecelleLorrainelepluslongtempspossible.Sonmarisetenaitàsoncôté.Lanurseetlepetit Trevor avaient été évacués parmi les premiers. Au cours de cette dernière heure, Kate n’avaitcontemplé que trop souvent ces déchirantes scènes d’adieux.Les premières femmes avaient embarquéavec leurs enfants, croyant que leurs maris suivraient bientôt. Et tout à coup, une cruelle évidences’imposait:laplupartdescanotsavaientétélargués,etilrestaitencoreprèsdedeuxmillepersonnesàbord, prisonnières du grand paquebot qui se noyait lentement dans l’Océan. Les constructeurs dutransatlantique ne l’avaient pas doté demoyens de sauvetage suffisants car, au fond, personne n’avaitenvisagéunseulinstantquel’invulnérablegéantdesmerspûtsombrer.

Le commandant Smith était toujours sur la passerelle. Assisté par Thomas Andrews, l’architectenaval,ilaidaitlesmatelotsàchargerlescanots,quandBruceIsmay,leprésidentdelaWhiteStarLine,lecouengoncédanslecoldesongrandmanteau,pritplaceparmilesfemmes.Personnen’osasoufflermot.Leprésidentdelacompagniefutdéposéensûretésurlamercalme,abandonnantsansremordsdeuxmilleâmessurleTitanicdontlaprouecommençaitàs’enfoncer.

—Chérie?—Bertlafixad’unregardpénétrant—es-tuprête?

Sous la féruledeLightoller, lesmatelotspréparaient ladernièrebarquedupont supérieur.Kate fitlentement non de la tête. Elle lui avait toujours obéi, s’était toujours rangée à son opinion,mais pasmaintenant.

—Jen’iraipas,répondit-elled’unevoixétrangementcalme.JevoudraisquePhillips’enaille.Moi,jeresteraiici,prèsdetoi,etnousattendronslessecoursensemble.

Elle se tenait très raide, très droite. Sa décision était prise et rien aumonde ne pourrait lui fairechanger d’avis.Elle aimaitBert. Ils n’avaient pas vécu ensemble pendant vingt-deux ans pour qu’ellel’abandonnemaintenant,àladernièreheure.Tousleursenfantsétaientàl’abri,saufun.MaislaplacedeKateétaitauxcôtésdesonépoux.

—Etsilessecoursn’arriventpas?demanda-t-il.

Depuisqu’ilsavaitlesenfantsensécurité,ilsesentaitallégéd’unlourdfardeau.

Restait cetteépéedeDamoclèsmenaçantde s’abattre surKateet surPhilip.Bert auraitpayécherpourlespréserverdupéril.Oui,ilétaitprêtàpayerceladesaproprevie.Illapritparlesépaulesetlafitpivoterfaceàlui.Pourlapremièrefoisdepuisdesheures,l’idéedelamortluitraversal’esprit.Ilse

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sentaitprêtausacrifice,pourvuquetouslesautres,tousceuxqu’ilchérissait,survivent.EtKatenedevaitpasmourir…

Ilfallaitqu’ellevive,carleursenfantsavaientbesoindeleurmère.

—Non,Kate,tuneresteraspas.Jeneveuxpas…

—Jet’aime,murmura-t-elle,commesicessimplesmotsexpliquaienttout.

—Moiaussijet’aime…

Il la tint enlacéeun longmoment.Maisqu’est-cequi le retenaitde la livrer auxbras robustesdessauveteursqui l’auraientpropulséedanscecanot,malgrésarésistance?Ilavaitdéjàvud’autresmarisagirainsi.Qu’est-cequil’empêchaitdelaforceràfranchirlesquelquesmètresquilaséparaientdesonsalut?…Ilfermalesyeux…

Non, mais non, il ne pouvait pas lui faire subir cette violence, pas à Kate. Ils avaient vécu troplongtempsensembleetill’aimaittroppournepasrespectersavolonté.LedésirdeKatedepériravecluil’emplissaitd’uneexaltationinsoliteetnouvelle.Ilsavaienttoujourspartagécetamourtendreetardent,ilsnefaisaientqu’unseulêtre…

—Siturestes,jereste!répéta-t-elle,etcesparolesrésonnèrentauxoreillesdeBertavecuneclartésingulière.Etsitumeurs,jemourraiaussi.

Iltentadeladissuader,mûparunultimesursautdebonsens.

—Tunelepeuxpas,Kate,penseauxenfants.

Elle y avait déjà pensé. Elle avait pesé le pour et le contre et avait tiré la seule conclusion quis’imposait.Elleportaitune immenseaffectionàsesenfants,elle lesadoraitde toutesses forces,maiselleaimaitaussiBert…Bertauquelsoncœurappartenait.Etsi,parmalheur,elledisparaissait,Edwinaprendraitsoind’euxàsaplace.

D’ailleurs,pourquoipenseraupire?Pourquoinepascontinueràespérerquebientôt,dansquelquesheures,ilsseraientdenouveautousréunisàleurtablehabituelle,danslamagnifiquesalleàmangerduTitanic?Pourquoiselaissaient-ilsinfluencerparcetteatmosphèredemélodrame?ElleleditàBert,quisecoualatête.

—Tutetrompes.Lasituationestbienplusdramatiquequ’onabienvoulunousl’avouer.

Ilnesavaitpassibiendire.Àuneheurequarante,l’ultimefuséededétresseavaitététirée.Etsurlepont des embarcations, les derniers canots faisaient gémir les poulies sous le poids de leur cargaisonhumaine.Etpendantcetemps,sansqu’ilslesachent,Alexiajouaitpaisiblementavecsapoupéedanslasuiteabandonnée,deuxétagesplusbas.

—Kate,tudoispartir,illefaut.Tuesresponsablevis-à-visdesenfants.

C’étaituneferventeprière,unedernièretentativedelaraisonner.

Ellenevoulutrienentendre.

—BertWinfield,jenetequitteraijamais,rétorqua-t-elleenluisaisissantlesmainsdanslessiennes,jamais,comprends-tu?

Unpeuplusloin,MmeStraussavaitfaitlemêmechoix.Àceciprèsqu’elleétaitplusâgéequeKateetqu’ellen’avaitpasd’enfants.

EtMmeAllison avait préféré rester avec sonmari et sa petite fille jusqu’au bout, carmaintenant

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personnenedoutaitplusdel’issuefataledudrame.

—EtPhilip?fitBert,denouveaupréoccupéparlesortdesonfils.

—Essaie,commetul’asdit,desoudoyerl’équipage.

Surlepontdesembarcations,lesmarinsétaiententraindechargerladernièrebarque.Aprèscela,ilneresteraitplusqu’unseulcanotetilétaitsuspenduàl’extérieurdelavéranda,unétageplusbas,surlepont-promenade.Déjà,ungroupedemarinss’escrimaitàouvrirlesfenêtresdelaparoivitrée.

Bert approchaLightoller. Les deux hommes échangèrent quelques propos àmi-voix, après quoi lecommandantensecond jetaunbrefcoupd’oeilendirectiondePhilipavantdesecouerobstinément latête.LegarçonétaitassissuruntransatencompagniedeJackThayer.

Uninstantplustard,BertrapportaàKatelaréponsedeLightoller.

—Pasquestion,tantqu’ilyaencoredesfemmesetdesenfantsàbord.

L’équipagefitmonterquelquesenfantsdeladeuxièmeclasse.

Tousceuxdelapremièreavaientétéévacuésàl’exceptiondelapetiteLorraineAllison,deboutprèsde samère, tenant à bout de bras sa poupée bien-aimée qui ressemblait tant à celle d’Alexia. Sa vueamenaunpâlesouriresurleslèvresdeKate,puiselledétournaleregard.

Peu après, un conciliabule réunit les époux Winfield, Philip et Charles. Bert voulait persuaderLightollerdelaissers’embarquerlesdeuxjeunesgenspeut-êtremêmetouslesquatre.Charleshaussalesépaules,avecuncharmantsourire.Aumilieududésastreiln’avaitpasoubliésesbonnesmanières.

—Jecroisqu’il va falloir quenouspatientions encoreunpeu,déclara-t-il.Quant àvous,madameWinfield,vousdevriezmonterdanscecanot.

—Sonsourires’épanouitquandsoudainilréalisacombienelleressemblaitàEdwina.

—Nevousenfaitespaspournous…Lessecoursnedevraientpastarder.Epargnez-vousladernièrebousculade,celarisquedevousincommoder…Etditesàcettebrute,ajouta-t-ilenbalançantlégèrementlementonversLightoller,devousautoriseràemmenervotrefils.

Oui, mais comment? Le petit commandant en second ne se laisserait jamais convaincre. Aucunargumentaumondenesemblaitassezpathétiquepour l’émouvoir.Unpeuplus tôt,quandungarçondel’âgedePhilipavaittentédesefaufilerparmilesfemmes,habilléenfille,Lightolleravaitdégainésonrevolverpourlefairereculer.Ilétaitinutiled’essayerdececôté-là,seditBert,désespéré.

Il ignorait que sur le bâbord avant, les marins se montraient moins scrupuleux. Les dimensionsgigantesquesdubateauempêchaientlesinformationsdecirculer.

TandisqueKateetBertseremettaientàdiscuteretquePhilipretournaitprèsdesonamiJackThayer,Charles se laissa tomber sur une chaise longue et alluma une cigarette. Ses pensées voguaient versEdwina. Ilexhala la fumée, terrasséparunaffreuxsentimentdesolitude. Iln’avaitplus l’ombred’unechancedes’ensortiretillesavait.

Lepontdudessousétaitvide.Lescabinesaussi, l’équipage lesavait inspectées lesunesaprès lesautres.L’eausaléeavaitenvahilesétagesinférieurs,menaçantd’uninstantàl’autrededéborderdanslescompartimentsdelapremièreclasse.ToutenjouantavecMrs.

Thomas dans le salon de la luxueuse suite, Alexia commençait à trouver le temps long. Là-haut,l’orchestrepoursuivaitsonconcertimprovisé.Unsilencepesantrégnaitdanslecorridoret,detempsà

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autre, lapetitefillepercevait lepaspressédequelquetransfugedelasecondeclasseenquêtedupontdesembarcations.

Mais quand reviendraient-ils, tous? Alexia en avait assez de jouer toute seule. Sa maman luimanquait. Elle avait commis une bêtise qu’elle regrettait. Elle n’aurait pas dû s’esquiver, papa seraitsûrementfurieux.EtEdwinanemanqueraitpasdelaréprimander,commeellelefaisaittoujoursquandAlexiaprenaitlafuite.

Ilyeutalorsdespasplusproches,pluslourds,etellelevalesyeux,surprise,prêteàbondiraucoudepapa,deCharlesoumêmedePhilip.Maislebattantdelaporteroulasurunemoitiédevisagebizarre,ornéed’unebarberousse.

L’inconnus’immobilisa,l’airchoquédevoirlàunepetitefilleavecsapoupée.C’étaitunstewardquiavaitentreprisuneultimeronde,avantqueleseauxfurieusesengloutissentlapremièreclasse.

—Hé,là-bas!

Il fitunpasenavantmais,déjà,Alexiaétaitdans lapièceàcôtédontelleessayaitderefermer laporte.Plusrapidequ’elle,l’hommeavançalepieddanslechambranle.

—Qu’est-cequetufaislà?demanda-t-il.

Commentavait-ellepus’échapper?Pourquoipersonnenel’avaitréclamée?Letempspressait,et ilavaithâtedeseretrouveràl’airlibre.

—Allez,viens.

Ellen’avaitnichapeaunimanteau.

—Ellelesavaitlaissésdanslachambrevoisine,quandelleétaitrevenuechercherMrs.Thomas.

—Non,jeneveuxpas!Jeveuxpasresterici!Jeveuxmamaman!

glapit-elle,lesyeuxnoyésdelarmes,cependantquedesmainsvigoureuseslasoulevaientcommeuneplumeetl’enveloppaientprestementdansunecouvertureavecsapoupée.

—Nousallonslaretrouvertamaman,viens,iln’yapasuneminuteàperdre.

Ildétaladanslacoursivedéserte,semitàmonterquatreàquatrelesmarches,sonlégerfardeauentreles bras. Il déboucha sur le pont-promenade et s’apprêtait à s’engager sur l’escalier menant au pontsupérieurquandunmarinluifitsignedes’arrêter.

—Iln’yaplusdedépartsdupontdesembarcations. Il resteunseulcanot,prêtàappareiller…Lenuméro4.Là-bas!Vite!Vite!

Lestewardpartitaugalopdans ladirection indiquée justeaumomentoùLightolleret seshommesentamaientlamanœuvredestinéeàfairedescendrel’esquifàlamer.

—Attendez!IIyaencoreunenfant!

Les poulies grinçèrent au passage des cordages et le canot se mit à glisser le long de la coquecyclopéennequandlestewardsurgitaumilieudelavéranda.Entroisenjambées,ilfutprèsdelafenêtrebéante.Danssesbras,Alexiagigotaitsouslacouverture,enpleurantetenappelantsamère.L’hommesepenchapar-dessuslerebord,lesyeuxrivéssurlecanotquisebalançaitau-dessusdel’abîme.IlyavaitparmisespassagèresMmeThayer,lamèredeJack,ainsiquelajeuneMmeAstor.Auderniermoment,M.Astoravaittentéd’apitoyerLightollerenluiexpliquantquesafemmeétait«dansunétatintéressant».Lepetitcommandantensecondétait restédemarbreetMadeleineAstoravaitdûs’embarqueravecsa

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bonne,sanssonmari.

Lestewardfixaunefractiondesecondelelongesquifquis’affaissait.Ilétaittroploinpourlefaireremontermaispasassezpourrenonceràydéposerlapetitefille.

Il planta un baiser sur le front d’Alexia, comme il l’aurait fait à son propre enfant, puis la laissatomber,enpriantlecieldeveillersurelle.Oncomptaitdéjàpasmaldechevillesfouléesetdepoignetscassésàmesurequelaconfusiongagnait.Alexiapoussauncriperçant.Lemarinquisetenaitàl’avironlevalesbrasetl’attrapaauvol,amortissantsachute.Elleatterritendouceuraufonddelabarque,entreunedameinconnueetunpetitgarçon,puisLightolleretseshommesfirentdescendrelecanot,mètreaprèsmètre, sur lamer couleur d’encre.Dès que la quille eut touché la surface de l’eau, lesmarins et lesfemmes se mirent à ramer aussi vite qu’ils le pouvaient, comme si quelque chose de terrible allaitsurvenir. Alexia demeura immobile, le regard fixé sur le gigantesque paquebot dont les lumièress’éloignaient.Ilétaitdeuxheuresmoinscinq,lefroidn’avaitcessédes’intensifier,etc’étaitlederniercanotàquitterleTitanic.

Ilnerestaitplusàbordquequatreradeauxdémontables.

Lightolleret sonéquipes’yattaquèrent.Les troispremiersnepurentêtredépliés.Lequatrièmefutenfindégagé.Leradeaudeladernièrechance…Lesmembresdel’équipageformèrentuncercleautourdufrêleesquif,fermementdécidésàrepoussertouthommequiferaitminedes’approcher.

—Lesfemmesetlesenfantsd’abord!aboyapourlacentièmefoislecommandantensecond.

Deux bébés, quelques femmes, quelques adolescentes… Il était deux heures du matin. À la toutedernièreminute, Bert parvint à fairemollir Lightoller. Philip s’installa sur le radeau. Et tout à coup,celui-cifutsoulevéparlescordesavantdecommenceràsebalancerdangereusementverslegouffrenoirdel’océan.

KateetBert,lesoufflecourt,attendirentqu’ileûtatteintsadestination.Puis,ilsseregardèrentsansunmot.C’étaitfini.

L’opérationdesauvetageétait terminée…Iln’yavaitplusderefuge,plusdemoyendes’échapper,plusd’espoir,onnepouvaitallernullepart.

Bertavaitencoredumalàréalisercequis’étaitpassé.Iln’arrivaitpasàcroirequeKateétaitlà.Ilavaitessayédelapousserversleradeau,lorsquePhilipyavaitprisplace,maiselles’étaitaccrochéeàlui.Etmaintenant,illaserraitcontresoncœur,alorsques’écoulaient,lentsetinéluctables,lesderniersinstantsquileurrestaientàvivre.

LesStrausssedonnaientlamain.Unpeuàl’écart,BenjaminGuggenheim,entenuedesoirée,fumaituncigareencompagniedesonvalet.Les lèvresdeKateetdeBert s’unirent…Des imagesdes tempsheureuxtraversèrent leurmémoire.Leurrencontre.Lejourde leurmariage.Lanaissancedechacundeleursenfants.

—C’estl’anniversaired’Alexiaaujourd’hui,murmura-t-elled’unevoixdouce.

Alexiaétaitnéesixansplustôt,àSanFrancisco,parunebellejournéeensoleillée,serappela-t-elle,sesyeuxdanslesyeuxdeBert…

Quiauraitpuimaginerl’incroyable?Àlapenséequ’ellen’allaitplusjamaisrevoirsesenfants,Katetressaillit.EtBertdevaitpenseràlamêmechosecardeslarmesfirentbrillersesprunellesbleusombre.

—J’auraistantaiméquetusoisaveceux,Kate.Ilsonttellementbesoindetoi…

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UneimmensetristessevibraitdanslavoixdeBert.Siseulementilsavaientprisunautrebateau…Siseulementl’icebergnes’étaitpastrouvésurlarouteduTitanic…Oh,siseulement…C’étaitsansfin…

—Jen’auraispaspuvivresanstoi,Bert.

Katesehissasurlapointedespiedspourl’embrasser.Leurbaiserfutlong.Lesmusiciensjouaienttoujourscourageusementmaisdesourdsgrondementsleurparvenaientdufonddunavire.L’eaumontaitàl’assautdespontsdeplusenplusinclinés.Endésespoirdecause,marinsetpassagerssemirentàsauterpar-dessusbord.

CharlesenjambalebastingageetlesWinfieldleperdirentdevue.

BertétreignitKatetrèsfort.Onentendaitleclapotisdelamersurlacoque,sixouseptmètresplusbas,or,sachantqueKatenesavaitpasnager,ilseforçaàl’attente.Ilssauteraient,euxaussi,maisleplustardpossible.Et,quisait,peut-êtrearriveraient-ilsàatteindrelescanotslesplusproches.

Jack Thayer plongea à son tour, juste après Charles. Le contact avec l’eau glaciale lui coupa lesouffle.Miraculeusement,ilréussitàs’accrocherauradeauDoùPhilipavaitprisplace,puisfuthisséàl’intérieur.L’esquifprenaitl’eau.Ilsdurentsemettredebout.

Etàquinzemètresdelà,lesparentsdePhilipattendaientlafin,maindanslamain,alorsquelamerseruaitsurlegéantblessé.Unevaguesubmergeasoudainlepontdesembarcations.Glacéejusqu’auxos,KateseserracontreBert.

—Jet’aime…

Elle sourit. L’instant suivant, elle n’était plus là. Le reflux l’emporta d’entre les bras de soncompagnon.

Lemâtdehunesefracassaalors,etunlourdmorceaudeboisassommaBert.Et,enbas,danslefroidparalysant,CharlesFitzgeraldsesentitaspiréverslesprofondeurs.

L’eau impétueuse immergea la cabine radio et balaya la passerelle. Alentour, assis dans leschaloupes,lesrescapés—femmes,enfants,quelqueshommesquiavaienteulachanced’échapperàlavigilancedeLightoller—assistaient,horrifiésetimpuissants,àlafinduTitanic.LesnotesnostalgiquesdePlusprèsde toimonDieu, ledernierchantexécutépar l’orchestre, restèrentcommesuspenduesaumilieu de l’air figé. Et soudain, la proue plongea si brutalement que la poupe se dressa, énorme etterrifiante,versleciel.Toutesleslumièresdugrandnavireclignotèrentavantdesefondred’unseulcoupdans les ténèbres. Pendant un moment affreux, une éternité, le pont arrière demeura érigé, telle unemontagnemaléfique.Soudain,lamerjaillitdesentraillesduTitanic.

Auvacarmeduboisbriséetdestôlesfroisséesrépondirentalors leshurlements, lescrisd’agonie,lesappelsausecoursdecentainesdevictimes.Brusquement,unfracasinfernalcouvritleslamentations.Lacolossalesilhouettedunaviresefenditentrelatroisièmeetlaquatrièmecheminée,et,depuislecanotnuméro4,Alexia,tremblantedanssacouverture,poussaunlongcrid’angoisse.

Danslenuméro8,Edwinaregarda,pétrifiée,lestroisénormeshélicesdelapoupeseprofilersurlecielétoilé.Ilyeutensuiteunvacarmeaussipuissantquelafoudrecommesilebateausecassaitendeux.SesmainscherchèrentinstinctivementcellesdeGeorges.

Frèreetsœursemirentàsangloter.Edwinasedemandadésespérémentsielle reverrait jamaissesparents,Charles,Alexia.

EllesecollaàGeorgeset tousdeuxcontemplèrent l’incroyable tragédiequiavait frappé lenavirebaptisé«l’incoulable».

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Lorsqu’enfinlapartieavant,détachée,sombra,lapartiearrièretournoyasurelle-même,restadresséeverticalementpendantquelquesinstants,puisdisparutàsontour.Unerumeurdestupeurmontaalorsdeschaloupes.L’océans’étiraitàpertedevuecommesileTitanicn’avaitjamaisexisté.C’étaitle15avrilàdeuxheuresvingtdumatin.Exactementdeuxheuresetquaranteminutesaprèsquel’icebergeutheurtélenavire.

EdwinaentouraFannieetTeddydesesbrass’efforçantdelesréchauffer.Ellerestaassise,prostrée,àcôtédeGeorges.Ilnerestaitplusqu’àprierpourlesalutdeceuxqu’elleaimait.

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Chapitre4

LeCarpathiareçutledernierappeldedétresseduTitanicàuneheurecinquantedumatin.Lemessagestipulait alors que l’eau remplissait entièrement la salle des machines. Ensuite, le silence… Lecommandantdeborddonnal’ordredesedirigeràtoutevitesseverslelieududésastre.Ilsavaitlegrandpaquebotendifficulté.Riennel’avaitpréparéauspectaclequ’ilallaitdécouvrir.

Quatreheuresdumatin.Unlisérédefeupâleàl’horizonannonçaitl’aubequandleCarpathiaarrivaàdestination.Depuislapasserelle,lecapitaineRostronlaissaerreralentourunregardincrédule.Rien.LeTitanicn’étaitnullepart.Oneûtditqu’ils’étaitévaporédanslesairs.

Ilfallutprèsdedixminutespourdistinguerdessignauxvertsdanslelointain.«Levoilà!»songea-t-il, soulagé. Il s’aperçut, peu après, que les lumières provenaient d’une embarcation de sauvetage, etqu’ellesn’étaientpaséloignées,commeill’avaitd’abordsupposé,maistoutesproches.EttandisqueleCarpathiaaccostaitlentementlecanot—c’étaitlenuméro2—,Rostron,atterré,réalisaqueleTitanicavaitcoulé.

Àquatreheurescinq,lapremièrerescapée,MlleÉlisabethAllenmitlepiedàbordduCarpathia.Endépitdel’heurematinale,unefouledecurieuxavaitprisd’assautlespontsetlescoursives.

Durantlanuit,laplupartdespassagersavaientsentiquelenavirechangeaitdecap,aprèsquoi,ayantremarquéleremue-ménagefrénétiqueauquelselivraitl’équipage,ilsavaientconcluquequelquechosedegraves’étaitproduit.Lesplusaudacieuxavaientpressédequestionslesstewardsetpeuàpeu,aufildesheures,larumeurserépanditdanslessalons,danslescouloirs,surlesponts,partout.LeTitanic,lecolosseinsubmersible,avaiteuunaccident…Uniceberg…

LeTitanicavaitdesennuis…

Et alors que l’aubemoirait de reflets blêmes le ciel sombre, ceux qui s’étaient postés sur le pontsupérieur dans l’espoir d’apercevoir le plus grand bateau du monde, ne purent que considérer lespectacleinsolitedequelquesdizainesdechaloupeséparpilléessurlamer.Deschaloupeschargéesdegens,dontlesunsagitaientlamainpoursaluerleurssauveteurs…lesautresdemeurantfigés,levisagedéfait,commeanéantis. Jamais ilsneparviendraientàeffacerde leurmémoire lesderniers instantsduTitanic. Jamais ils n’oublieraient cette carcasse géante dressée vers les étoiles, ni la façon effroyabledontelles’étaitimmergée,emportantàjamaisdansl’abîmeinsondablemaris,frères,parents,amis,êtreschers.

EdwinaremitlebébéàGeorges—lesmainsgeléesdugarçonnepouvaientplusmanierlarame—s’assuraqueFannieétaitbiencouverte,semitàpagayeràcôtédelacomtessedeRothe,quin’avaitpasquittésonpostedepuisledébutdel’incroyableodyssée.Edwinan’avaitcesséderéconforterTeddyetFannie.Lespauvrespetitsn’avaientpasarrêtéderéclamerleurmèreoud’appelerAlexia.

—Nouslesretrouverons,assuraitEdwina.Nouslesretrouverons,vousverrez.

Oui,entre-tempsKateavaitdûdécouvrirAlexia.Encemoment-même,sesparents,Charles,Philipetsa jeune sœur se trouvaient dans l’un des canots, c’était certain, il le fallait. Des cris montaient deschaloupes,àmesurequ’ellesavançaientversleCarpathia,lesrescapésinterrogeaientlesgensdubateausur le sort de parents et amis. Le numéro 8 fendait lentement les flots et il était sept heures dumatinlorsquecefutleurtourd’êtrerecueillis.

Ilyavaitvingt-quatrefemmesetquatremarinsdanslecanot.

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—Onadetoutpetitsgosses!s’époumonaJones,quisetenaittoujoursàl’aviron.

Onleurjetaunsacpostalsolidementattachéàuncordage.

EdwinayplaçadoucementFannie.Apeurée,lafillettesemitàpleurnicher.

—Necrainsrien,machérie.Nousallonstousmonterdanscegrandbateauoùpapaetmamannousattendent.

Ellel’espéraitdetoutessesforces.Ellesuivitduregardlapetitetêtebrunequipointaithorsdusac,cependantquecelui-ciétait tiréverslehaut.Deslarmesluibrûlèrentlesyeux.Georgesglissasamaindans la sienneet elle la serra sansunmot. Ilne fallaitpasqu’elle le regarde, sinonelle éclaterait ensanglots et ce n’était guère lemoment.Elle n’allait pas semettre à pleurer, pasmaintenant, pas avantqu’ellesachecequ’ilétaitadvenudesautres.ElleétaitlàpourprendresoindeTeddy,deFannieetdeGeorges,paspourflancher.

Elleportaittoujourssesbottes,lelourdmanteaupar-dessussarobedesoirée,lesgantsdeCharles.

Elleavaitsifroidàlatêtequ’elleavaitlasensationd’unmillierd’aiguillespicotantsoncuirchevelu.Sesdoigtsengourdis,plusglacésquelemarbre,eurentdumalàrattraperlesacdanslequelellefourraTeddy,aidéeparHart,unmarin.

Lebébéneprotestapas.Sonvisageavaitviréaubleu.Durantlesdernièresheures,Edwinaluiavaitprodiguédessoinsdefortune.Elleluiavaitpatiemmentfrottélesmains,lespieds,lesjoues,impuissanteàréchaufferlepetitcorpstremblantet,plusd’unefoisdanslanuit,elleavaiteupeurqu’ilsuccombeaufroid.

C’étaitsontouràelle.Incapabledesecramponneràlanacelledecordes,ellelaissapasserGeorges.Il se prêta docilement à la manœuvre, comme un enfant sage, lui si turbulent d’habitude, et cetteconstatation emplit les yeux d’Edwina de nouvelles larmes. La nacelle retomba. Hart lui prit le brasgentiment,l’aidaàs’yinstaller.

Elleselaissahisser,yeuxfermés.Unefoissurlepont,ellerouvritlespaupières.Danslepetitmatinlivide,unemerdeglaces’étiraitàpertedevue,hérisséed’icebergsdérivantlentementaugrédesvagues.Et, çà et là, des canots bourrés de gens attendaient d’être secourus. De sa place, Edwina ne pouvaitdistinguer leurs traits. Son cœur s’enfla de l’espoir de retrouver les êtres chers qu’elle avait laissés,quelquesheuresplustôt,surlepontdesembarcationsduTitanic.

—Votrenom,s’ilvousplaît?

Edwina tressaillit.Quelqu’un avait jeté une couverture sur ses épaulesmais elle ne s’en était pasrenducompte.Unevoixcriaqu’ilyavaitducafé,duthéetducognacàl’intérieur.

Sonregarderrasurdescivièresalignéespar terre,captaaupassageGeorges—il tenaitentre lesmainsunetassedechocolatchaud—,passaenrevueuntasdevisagesinconnus,cherchantfébrilementceux de ses parents… Ils n’étaient nulle part. Ni Charles, ni Philip, ni Alexia… Elle se sentitbrusquementtropfaiblepourrépondreetl’hôtesserépétasaquestion.

—EdwinaWinfield,s’entendit-ellearticuler.

—Lesnomsdevosenfants,madameWinfield?

—Demes…oh,non,cesontmesfrèresetsœur.Georges,FrancesetThéodoreWinfield.

—Yavait-ild’autresmembresdevotrefamilleàbord?

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Lajeunefilleparutfournirungrandeffortpournepass’effondrer.

Ellesentaitpesersurellelesregardsdesbadaudsetresserramachinalementlespansdesonmanteausurlalégèrerobedesatinajourédeguipure.

—Oui…Jevoyageaisavecmesparents,M.etMmeWinfielddeSanFrancisco,monfrèrePhilip,masœurAlexiaetmonfiancé,M.CharlesFitzgerald.

L’hôtesselaconduisitjusqu’augrandsalonaménagéensalled’hôpital.

—Savez-vouscequ’ilssontdevenus?

—Je…non…jen’enaipaslamoindreidée…bredouillaEdwinaàtraversseslarmes.

—Mamèrecherchaitmasœurcadettequandnous,nousavonsétéévacués,etj’aicru…ilyavaitunepetitefillequiluiressemblaitdanslecanot,alorsj’ai…j’ai…

Elle s’interrompit, incapable de poursuivre. L’hôtesse lui tapota amicalement l’épaule. Le regardfiévreux d’Edwina parcourut la grande pièce—des femmes rassemblées sur des banquettes, pleurantdoucement leursmaris,etplus loindesenfantsauxvisagesdecireetauxyeuxterrifiés—avantdesefixer,implorant,surl’hôtesse.

—S’ilvousplaît,aidez-moiàlesretrouver.

EllesentitlesmenottesdeFanniesecramponneràsesjupes.

—Maman…Oùestmaman?

Edwinalasoulevadanssesbras.L’hôtessepritcongé,avecunamical«jevoustiendraiaucourant».

Aufildesheures,d’autresrescapésfranchissaient,hagards,leseuildusalon.L’uneaprèsl’autre,lesembarcationssevidaient.UnevagueavaitchaviréleradeauDetsespassagersavaientdûsecramponnerà laquilleunepartiede lanuit. JackThayeravait tenu lecoupmaisquand il fut repêché, il était tropépuisépour remarquersisescompagnonsd’infortuneavaientsurvécu. Il ignoraitencorequesapropremèresetrouvaitdanslecanotleplusproche.

EdwinaconfialesdeuxpetitsàGeorgesetressortitsurlepont.Là,quelquesrescapéesdel’horreurobservaientlesopérationsdesauvetage.

MadeleineAstor considérait les arrivants d’unœil halluciné. Et àmesure que d’autres personnesmontaientàbord,l’espoirderevoirsonmaris’amenuisait.Edwinas’appuyaauparapet,lecoutendu,lecœurbattant,uneferventeprièresur les lèvres.Maisaucunvisagecher,aucunesilhouette familièrenevintatténuerl’angoissequil’oppressait.Lanacellearrivait,lalueurd’espoirseranimaitaufonddesesprunelles, puis une étrangère, une femme qui n’était pas Kate en descendait, et la minuscule flammes’éteignait. Des enfants continuaient à venir, mais pas Alexia. Et parmi les hommes qui gravissaientl’échelle de cordes, il n’y avait pasBert, niPhilip…NiCharles.Un silence absolu s’était abattu surl’assistance.On n’entendait pas un bruit, pas unmot. Pas une voix, pas un pleur d’enfant, hormis, detempsàautre,levagissementd’unbébéaffamé.

Lessauveteursavaientportéplusieursnourrissonsdanslesalonenattendantqueleursmèresviennentlesréclamer.Ils’agissaitprobablementdebébésquedespassagersdelatroisièmeclasse,prisonniersdugigantesquepaquebot,avaientjetésdanslescanots.

Un vent âpre se levait. Edwina battit en retraite vers le salon. Il y avait maintenant une poignéed’hommes avec les femmes.Les uns avaient pu embarquer du côté où ne sévissait pasLightoller.Lesautresavaientcarrémentsautédanslameretavaientpurejoindrelescanots.D’aprèscesderniers,toutle

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monden’avaitpaseucettechance,etlaplupartdesplongeurss’étaientdébattusdansl’eauglacéejusqu’àl’épuisement. Et quant aux autres, des centaines d’autres, le Titanic les avait emportés dans sa chutemortelle.

EdwinareconnutsoudainJackThayer.Ilvenaitdepénétrerdanslapièce.Aumêmemoment,uncridejoiedéchiral’air,etMmeThayers’élançaverssonfils.

—Oùestpapa?questionna-t-ellepeuaprès.

Legarçonesquissaungested’impuissance.Puis,envoyantEdwinas’approcher,ilhochatristementlatête.

—Excusez-moi,fit-elle.Yavait-ilquelqu’undemafamilleavecvous?

—Hélas, non, mademoiselle Winfield. Votre frère était bien sur le radeau, mais nous avons étérenversésetj’ignorecequ’ilestdevenu.

M.Fitzgeraldasautépar-dessusbordàpeuprèsenmêmetempsquemoi,maisjenel’aiplusrevu.Quant à vos parents, la dernière fois que je les ai aperçus, ils étaient encore sur le pont desembarcations…

IIpensaitqu’ilsétaienttousmorts.Maisildit:

—Jesuisdésolé.Jenesaisriendeplus.

—Merci.

Cen’étaitpaspossible,celanepouvaitêtrevrai.L’espaced’unefractiondeseconde,elleavaitcrul’entendredire:«Ilssonttouslà,danslapièceàcôté»,puislesparolesqu’ilavaitprononcéesluifirentl’effet d’un glas. Elle se recula lentement, le visagemouillé— elle ne parvenait plus à contenir seslarmes

—Non,non,celanesepouvait.PasKateetBert.PasAlexia.PasPhilip.EtpasCharles…

Une infirmièrevint à sa rencontre.Lemédecindegardevoulait la voir au sujet deTeddy.Elle lasuivitd’unpasdesomnambule.

Lebébégisaitsurunecouvertureétaléeàmêmeunetable,l’airapathique,lesyeuxfixes.UnhommeenblouseblanchepritEdwinaàpart.Lesprochainesheuresseraientcritiques,déclara-t-il.

—Oh,non!s’écria-t-elle,enclaquantdesdents,ils’enremettra.Ilvabien,regardez!

Elle ne permettrait pas qu’il arrivemalheur àTeddy. Pas aujourd’hui. Pas après ce qu’ils avaientenduré…C’étaithorsdequestion,ellenelesupporteraitpas.

Jusqu’alors,lavieavaitétédoucepourelle.Lescoupsdusortluiavaientétéépargnés.Auseindesafamille,ellen’avaitconnuquebonheuretharmonie.Ilss’aimaienttoustellement,ilsétaientsiheureux,sijoyeux,et iln’avait falluqu’un instantpourque toutbascule,à jamais.EtmaintenantcemédecinosaitprétendrequeTeddyavaitprisfroid.Que,peut-être, ilenmourrait.Edwinaprit lebébédanssesbras,s’efforçantdeluicommuniquerunpeudesaproprechaleur.

—Est-cequ’ils’ensortira?

Georgeslaregardaitdesesgrandsyeuxbleusapeurés.Ilavaituneexpressiondevieux,pensa-t-elletoutàcoup,laissantlibrecoursàseslarmes.

—Dis,Edwina,est-cequ’ilguérira?

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—Oh,monDieu,oui,biensûr…

Georgesseglissaprèsd’elle, leplusprèspossible.LapetiteFannie, toujoursenveloppéedanssacouverture,tirasurlemanteaudesagrandesœur.

—Etmaman?voulut-ellesavoir.Quandest-cequ’elleviendra,maman?

—Bientôt,trésor…bientôt…

D’autresrescapésfirentirruptiondanslesalon.Assisesurunfauteuil,entouréedeGeorgesetFannie,EdwinasemitàbercerlepetitTeddyenpleurantdoucementseschersdisparus.

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Chapitre5

Ilsehissaitpéniblementsurl’échelledesauvetage.Sesdoigtsgelésavaientdumalàs’accrocherauxcordages,maisilauraitpréférémourirplutôtqued’utiliserlanacelleréservéeauxfemmes.Ilavaitétérepêchélongtempsaprèsqueleradeaueutchaviré.Jusqu’alors,ils’étaitcramponnésuruneplancheavecl’énergiedudésespoir,aumilieudel’immensitéliquide.Etquanddesmainssecourablesletirèrenthorsdel’eaupourl’allongeraufondd’unebarque,laforceenluisebrisad’unseulcoup,commeunressorttroptendu,etilrestalà,inerte,presqueinconscient.Maintenant,àmesurequ’ilgravissaitlesbarreauxdebois, la joie d’être encore vivant, une joie incroyable, proche de l’exaltation, prenait le pas sur sonabattement.

Il grimpa sur le pont fourmillant de monde, puis, soudain, des larmes d’émotion jaillirent de sespaupières.Ilnesavaitplustrèsbiencequis’étaitréellementpassé.Toutcedontilsesouvenait,c’étaitqu’ilavaittenubonetqu’ilavaittriomphédelamort.Toutseul,sansquepersonneneluivienneenaide.Qu’était-iladvenudesesparents,desesfrèresetsœurs,iln’auraitpassuledire.Grelottant,lesjambesflageolantes, il se dirigea vers l’intérieur du bateau, pénétra dans le grand salon où les rescapés duTitanic étaient rassemblés. Une marée de visages étrangers, lui sembla-t-il, tandis que d’un regardanxieuxilcherchaitlessiens.

Ilétaithuitheuresetdemiedumatin.Lederniercanotvenaitd’aborderleCarpathia.Plusdemilleseptcentspersonnesavaientpéridanslenaufrage.Ilyavaitseptcentonzesurvivants,maisauxyeuxdePhilip,ilssemblaientdesmilliers.

Unefouledegensenchemisedenuitouentenuedesoirée,emmitouflésdansdegrossescouvertures,affaléssurdesbanquettes.

Ilsnebougeaientpas,n’ouvraientlabouchequepourdemanderlesunsauxautress’ilsavaientvuuntelousitelautreavaitréchappéaunaufrage.

Philipsefrayaunpassageparmilacohue,nesachantparoùcommencersesrecherches.Ilnevoyaitquedesinconnus,nedécouvraitquedesfaceslivides,desyeuxhallucinés.Auboutd’uneheure,iltombasurJackThayer.

—As-tuvuquelqu’undemafamille?s’enquit-ilaussitôt.

Jackhochalatête.Lui-mêmecherchaitsonpère.

—Tasœurétaitlà,ilyauninstant.

—Unsourireilluminasestraitstirés.

—Jesuiscontentdeterevoir.

Lesdeuxgarçonss’étreignirent,lesyeuxbrillantsdelarmes,encoresecouésparlaterribleépreuvequ’ilsavaienttraversée.

Lorsqu’ilsseséparèrent,unenouvelleappréhensionsaisitPhilip.

—Est-cequ’elleétait…seule?parvint-ilàarticuler,redoutantdéjàlaréponse.

—Jen’ensaisrien…Jecroisbienqu’elletenaitunbébé…

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Teddy!Maislesautres?Philipseremitàerrer,ressortitsurlepont,revintsursespas.Ilentraitpourladeuxièmefoisdanslesalonquandillavit.Ellesetenaitdedos,maisilreconnutsescheveuxsombres,sesépaulesminces.Ilyavaitunjeunegarçonprèsd’elle…

Georges!Philips’élançaaumilieudelafouleet,unesecondeaprès,illaserraitdanssesbras.Alors,avecunpetitsanglot,ellesependitàsoncou.

—Oh,monDieu,Philip…Philip…

Cefuttoutcequ’elleputdire.Pendantunlongmoment,aucund’euxn’eutlecouragedeparler.Enfin,Philiposaposerlaquestionquiluibrûlaitleslèvres.

—Lesautres?

Ilavait embrasséGeorgesetFannie.Edwinasecoua tristement la tête. Il sepenchasurunberceauimprovisé,reconnutTeddysouslemonceaudecouvertures.

—Qu’est-cequ’ila?

Elle se contenta de hausser les épaules. Le bébé étaitmal en point.De bleues, ses lèvres avaientpresque viré au noir. Philip prit doucement lamain d’Edwina entre les siennes. Ainsi, pensa-t-il, ilsétaient cinq à avoir survécu. Ils continuèrent cependant leurs recherches.Vers la fin de la journée, ilsn’avaienttoujourspastrouvélesautres.

TeddyetFanniepassèrentlanuitàl’infirmerie.Lafillettesouffraitd’engeluresauxmains.Georges,briséparlafatigue,s’endormitsurunlitdecampdanslesalon.

Tarddanslasoirée,EdwinaetPhilip,appuyésaubastingage,laissèrentensilenceleurregarderrersurl’océanobscur.Ilssesentaientexténuésmaislesommeillesfuyait.

Edwinapoussaunsoupir. Il luisemblaitqueplus jamaisellenedormirait.Quels rêvespouvait-onfaire, lanuit,aprèsavoirvécuuntelcauchemar?Quellesabominablespenséesviendraient lahantersiellenesehâtaitpasde leschasserdesonesprit?Etcommentbalayer leshorriblessouvenirsdecetteincroyable tragédie?En cemoment-même elle avait encore peine à y croire.Un peu plus tôt, lors durepasserviauxrescapés,ellen’avaitcessédefouillerduregardlasalleàmanger.Puis,quandlafoulededîneurscommençaàseclairsemer,elledemeuraimmobileàsaplace,auxaguets,s’attendantàchaqueinstantàdécouvrirsamèreetsonpèreassisàunetable—

Non,elleneparvenaitpasàcroirequesesparents,AlexiaetCharlesavaientdisparu,qu’iln’yauraitpasdemariageenaoût.C’étaitimpossibleàimaginer.Impossibleàcomprendre.Letissuvaporeuxdesarobedemariéedevaitondulerquelquepartparmilesalgues,danslesinsondablesfondsmarins…ellesedemanda tout à coup si sa mère avait tenu la main d’Alexia pendant que la mer avalait le paquebotdévasté,sileursderniersmomentsavaientétédouloureuxourapides.Sielless’étaientdébattuesousi…Edwinaréprimaunfrisson.IlluirestaitPhilipetGeorges.TeddyetFannie…L’opérationdesauvetageétaitterminéedepuislongtemps.Jusqu’auderniermoment,elleavaitattendudanslefolespoirdelesvoirsubitementréapparaître.LeCarpathiaavaiteffectuéunultimetourdereconnaissanceavantdemettrelecapsurNewYork,maisaucunautresurvivantn’avaitpuêtreretirédel’eauglacée.

—Philip?

Savoixrésonna,douceettristedanslapénombre.

—Oui?fit-ilenseretournant,etellevitsesyeuxtourmentés.

Il faisait beaucoup plus âgé que ses seize ans, comme si en quelques heures il avait vieilli de

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plusieursannées.

—Qu’allons-nousfairemaintenant?demanda-t-elle.

Ellen’avaitpasoséajouter«sanseux»maissavaitqu’ilpensaitlamêmechose.Ilébauchaunvaguegeste.

—Jenesaispas…Jesupposequenousallonsrentreràlamaison.

Ilsn’avaientpaslechoix.IlsresteraientàNewYorkletempsnécessairepourfaireexaminerTeddyparunpédiatre,àconditionquelepetitgarçonfûtencoreenvie.D’aprèslemédecindegarde,cettenuitseraitcruciale.Edwinaserefusaitd’envisagerlepire.

PerdreTeddyaussiluiporteraituncoupfatal,elles’enrendaitcompte.Teddyétaitlebenjamindelafamille,lebébé,ledernierenfantdeKate,ilfallaitàtoutprixlesauver.

Plus tard,dans lanursery, alorsqu’elle le tenaitdans sesbrasenprêtant l’oreille à sa respirationlaborieuse, la jeunefillesemitàpenserauxenfantsqu’ellenemettrait jamaisaumondeetdes larmesamères inondèrent ses joues pâles. Les enfants deCharles ne verraient jamais le jour, tous ses rêvesavaientdisparuenmêmetempsquelui.Dessanglotsmuetssecouèrentsesépaules.

Philip s’étaitcouchésurunmatelas,àcôtédu litdecampdeGeorges. Ilneput fermer l’œil.Unemyriadedepenséesgrouillaitdanssatête,millequestionssansréponse.

Sesparentsavaient-ilssautépar-dessusbord?Combiendetempsavaitduréleuragonie?Avaient-ilsessayédenagerjusqu’auxembarcationsdesauvetage?Avaient-ilsétéabandonnésàleursort?

Il avait entendu dire qu’ils avaient été des centaines à plonger. Et que personne n’avait voulu lesrecueillir,craignantdesurchargerlescanots.Ilsavaientflottéainsijusqu’àcequelefroidpolaireaiteuraisondeleursforces.Laplupartavaientpérinoyés,épuisésd’avoirnagéetappeléausecours.L’imagedesesparentssedémenantpourresteràlasurfacedel’eaufittressaillirPhilip.Ilrejetalacouverture,bonditsursesjambes,partitàlarecherched’Edwina.Ilentrasansunmotdanslapièce,selaissatombersurunechaiseàcôtédesasœur.

Unlongsilencesuivit.IlavaitdéjàremarquéquelessurvivantsduTitanicparlaientpeu.Presquepas.

Ilsavaienttendanceàseregrouper,biensûr,maisdanslesilence.

Quelques solitaires se promenaient inlassablement sur le pont ou considéraient lamer d’un regardfixe.

—Jemedemande…

C’était difficile de trouver les termes adéquats. Il se reprit àmi-voix, afin de ne pas déranger lesautresoccupantsdel’infirmerie.

—Jen’arrêtepasdepenserà…àlafin…

Savoixsefêlaetildétournalatête.Lesdoigtsd’EdwinacherchèrentlajouedePhilip.

—N’ypensepas,souffla-t-elle.Qu’est-cequeçachange?

Ellen’avaitpascessédepenserà lamêmechose, lesmêmescauchemarsl’avaientharcelée.Millefoiselles’étaitdemandéepourquoisamèreavaitpréféréresteràbord.EtCharles?EtAlexia?

L’avaient-ilsretrouvée?Philipavaitprisunairstupéfaitquandilavaitréaliséqu’Alexian’étaitpasavecEdwina.Leursparentsnel’avaientpeut-êtrejamaissu.

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Il exhala un lourd soupir, regarda le petit Teddy qui dormait à poings fermés, effleura ses doucesbouclesdebébé,lepetitvisagemortellementpâle.Detempsàautre,uneaffreusequintedetouxsecouaitlecorpsminuscule.Philipavaitprisfroid,luiaussi,bienqu’ilneparûtpass’enpréoccuper.Edwinaleluiavaitfaitremarquer,maisilavaitréponduqu’ilavaitattrapéunrhumel’avant-veille.ElleserappelaalorsqueKate l’avaitsurprisentraind’échangerdesœilladesenamouréesavecuneadolescentede lasecondeclasse…Elledevaitêtremorte,elleaussi,commetantd’autres.

Philipsepenchasursonpetitfrèreendemandant:«Commentva-t-il?»

—Pareil,dit-elleenposantseslèvressurlefrontdel’enfant.Peut-êtreunpeumieux.

Pourvuquecenesoitpasunepneumonie…

—Vatereposer,jeresteraiaveclui,offritPhilip,maisellerefusaavecunsoupir.

—Detoutefaçon,jen’arriveraipasàfermerl’œil.

Nouveausilence.Cematin,lecommandantRostronn’avaitpasvouluappareilleravantdes’assurerqu’ilnelaisseraitenmeraucunsurvivant.LeCarpathiaavaitlongtempssillonnélelieudunaufrage,maisaussi loin que le regard pouvait porter, on ne distinguait que des débris— chaises longues, gilets desauvetage,morceauxdebois,planches,untapisquiressemblaitàceluidelachambred’Edwina,lecorpssansvied’unmarin.

Et maintenant, c’était terminé. Aussi incroyable que cela puisse paraître. Hier soir les Wideneroffraient encore une réception en l’honneur du commandant Smith et aujourd’hui, à peine vingt-quatreheuresplustard,iln’yavaitpluspersonne,nihôtes,niinvités,nicapitaine.LeTitanicreposaitaufonddesatombeliquideainsiquemilleseptcentsdesespassagers.

LebeauvisagedeCharlesémergeadanssamémoire,etEdwinaversadenouveauxpleurssur sonamourperdu.Laveilleencore,ilriaitavecelle.Edwinacrutrevoirsonsourire,réentendresavoixluimurmurerquelebleudesarobeavaitlamêmenuancequesesyeux.

Quesacoiffureluiallaitàravir—elleavaitramassésescheveuxenchignonsurlanuque.Àprésentlajolietoilettedesatinbleupâleétaittoutefripée.Quelqu’unluiavaitproposéunerobedelainebrunemaisellen’avaitguèreeuletempsdesechanger,et…Oh,quelleimportance?Charlesn’étaitpluslà.

EdwinaetPhilipdemeurèrentunlongmomentassiscôteàcôte,évoquantlepasséetessayantdesefigurer l’avenir.Tard dans la nuit, elle lui suggéra de retourner auprès deGeorges.Restée seule, ellecontinuaàveillersurFannieetTeddy.

Lepetit garçon se réveilla pour réclamerde l’eauqu’il but avidement.Fannie cria alorsdans sonsommeiletEdwinadut laprendredanssesbras.Ellesemitalorsàpriersilencieusement,commeellel’avait faitplus tôt,dans lamatinée, lorsdu service funèbreprésidépar lecapitaineduCarpathia.Laplupartdesrescapés,tropaccablés,s’étaientabstenusd’assisteràlaprière.

Edwinafinitpars’endormir,alorsquel’aubeteintaitlehublotd’unelueurgrise.LavoixdeTeddylaréveilla.Illafixaitdesesgrandsyeuxaubleusisemblableàceluideleurmère.

—Oùestmaman?fit-ilsombrement,prêtàfondreenlarmes.

—Mamann’estpaslà,monchéri.

Teddyétaittropjeunepourcomprendre,maisluimentirrépugnaitàEdwina.

—Moiaussijeveuxmaman!s’écriaalorsFannie.

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Edwinalafittaired’unbaiser.

—Allons,Fannie,soisgentille.

Elle laissaunTeddyboudeurauxsoinsde l’infirmièredegarde,partitavecsapetitesœurdans lasalledebains.Sonrefletdanslemiroirlafitsursauter.Unvisagelivide,destraitstirés,delargescernessouslesyeux.Unairdedésarroiaufonddesprunelles.Oneûtditunevieillefemme.Ellefitrapidementsatoiletteets’occupadeFannie,puisserenditàlasalleàmangeroùlesgarçonsl’attendaient.

Ils avaient mauvaise mine, eux aussi, nota-t-elle sitôt qu’elle eut pénétré dans la pièce. D’autrespassagersduTitanicinstallésàlatablevoisinen’étaientpasenmeilleurétat.Bizarrementaccoutrés,ilsarboraienttouslamêmeexpressiondestupeur.«Noussommesvivants»,s’efforçadeserépéterEdwina.Ellen’osapaspensersicelaenvalaitlapeine.

—CommentvaTeddy?s’enquitGeorges.

Àsonsoulagement,unmincesourireétiraleslèvresdesasœur.

—Mieux,jecrois.Jeluiaipromisderetournerprèsdeluidansdixminutes.

—ElleavaitemmenéFannieavecelle.

—Je pourrais y aller si tu veux, offrit Georges, puis, ses traits se figèrent comme s’il venaitd’apercevoirunfantôme.

Alarmée,Edwinasepenchaverslui.

—Qu’as-tu,Georgie?Quesepasse-t-il?

Incapabled’articulerlemoindremot,ilpointal’indexendirectiondequelquechosequitraînaitparterre,àcôtéd’unmatelas.Ensuite,ilsepenchaetramassaunepoupéedeporcelaine…Mrs.Thomas!

—Elledoitêtreici!s’écriaEdwina,bondissantsursesjambes.

Ilssemirentàinterrogerfébrilementlesautrespassagers.

Personnen’avaitremarquéunepetitefilledesixanscorrespondantàladescriptiond’Alexia.Edwinaconsidéra longuement lapoupée.LapetiteAllisonn’enavait-ellepasune, identique?Philip fitunnonénergiquedelatête.Onnepouvaitpassetromper:C’étaitbienMrs.Thomas,lapoupéedeleursœur.Ill’auraitreconnuen’importeoù,entremille.

—Regarde,Edwina,elleporteencorelarobequetuluiasfaite.

Ellefronçalessourcils,lagorgenouée.C’eûtététropcruelquelapoupéeaitsurvécuàAlexia.

—OùestAlexia?demandaFannieavecl’intonationintriguéequeprenaitBertdesonvivant.

Elleluiressemblaitd’unefaçonbouleversante.Émue,Edwinahaussalesépaules.

—Jenesaispas,machérie.

—Est-cequ’ellesecache,alors?

Fannie connaissait bien les habitudes d’Alexia, mais pour une fois, Edwina ne sourit pas à cetteréflexion.

—Jen’ensaisrien,Fannie.J’espèrequenon.

—Etpapaetmaman?Ilssecachent,euxaussi?

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La jeune fille ne sut quoi répondre. Le reste de la journée s’épuisa en vaines recherches. Alexiarestaitintrouvable.

Personneneselarappelait.Personnenel’avaitremarquée.

Edwinadutretourneràl’infirmerie.Voyantlapoupée,Teddytenditlesbrasverssasœuraînée.

—Mrs.Tho…mas,articula-t-il…Lexia…

Lui aussi s’en souvenait. Il eût été difficile de ne pas reconnaître le jouet favori d’Alexia.Désemparée,Edwinasetournaversl’infirmière.

—Excusez-moi… Comment pourrais-je savoir…— elle s’interrompit, cherchant péniblement lesmotsappropriés.Nousnousdemandonssimapetitesœurestàbord.C’estunepetitefilledesixans.Elleétaitrestéeavecmesparentsetpourtant…

Unefoisdeplus,lesmotsluimanquèrent.L’infirmièreeutunsourirecompréhensif.

—Voicilalistedespersonnesquenousavonsrepêchéesycomprislesenfants,dit-elleenmettantunfeuilletentrelesmainsd’Edwina.Ilestfortpossiblequ’hier,danslaconfusion,ellesesoitperdue.

Qu’est-cequivousfaitpenserqu’elleestici?Etait-elledansl’undescanotsdesauvetage?

—Non…

—D’unrapidecoupd’œilelleparcourutlalistedesnomsmaisceluid’Alexian’yfiguraitpas.

—C’estàcausedecettepoupée,ajoutaEdwinad’unevoixfaible,ellel’emmenaitpartout.

—Êtes-voussûrequ’ils’agitbiendelamêmepoupée?

—Certaine.J’aimoi-mêmecoususarobe.

—Unautreenfantapularécupérer.

—Peut-être…

—Ellen’yavaitmêmepassongé.

—Etsiellecomptaitparmilesenfantsquin’ontpasétéidentifiés?

L’infirmière en doutait. Il y avait bien quelques bébés en bas âge dont le nomn’avait pas pu êtreétabli,maisunefillettedesixansdevaitêtreparfaitementcapable,àsonavis,dedéclinersonnom.

Edwinal’imaginauninstantprostrée,repliéesurelle-même,muette,ignorantquesesfrèresetsœurssetrouvaientsurlemêmebateau.

Elleleditàl’infirmière,quisecoualatête.Non,franchement,ellenelepensaitpas.

Dansl’après-midi,Edwinafituntoursurlepont,s’efforçantdebalayerdesonespritl’imagehideuseduTitanicdressépresqueverticalementavantdesecasserendeuxetdedisparaîtredelasurfacedelamer.D’autresrescapésprenaientl’air.EdwinavitdeloinMlleSerepeca,lagouvernantedeMmeCarter,entraindepromenerlesenfantsdesapatronne.LucilleetWilliamslasuivaientdocilement.Ilsarboraientl’air hébété de tous les petits rescapés du Titanic. Et quant au troisième enfant, une petite fille, ellesemblait carrément sous l’empire de la terreur car elle était littéralement accrochée au bras de lagouvernanteetselaissaittraîner.Commesimettreunpieddevantl’autreétaitau-dessusdesesforces…

Soudain,elletournalevisageversEdwinaetcelle-ciétouffauncri.

L’instantsuivant,elleseprécipitaverslafillette,lasaisitdanssesbras,lasouleva,toutetremblante,

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lecœurbattantàserompre.Ellel’avaitretrouvée!ElleavaitretrouvéAlexia!

Émueauxlarmes,MlleSerepecaselançadansunrécitembrouillédesévénements.Alexiaavaitétéjetée du pont-promenade, expliqua-t-elle, dans le canot de sauvetage numéro 4. Elle était seule,visiblement.MmeCarternetardapasàlaprendresoussonaileprotectrice.Elleespéraitqu’àNewYorkquelqu’undesafamilleviendraitlaréclamer.MlleSerepecas’essuyalesyeux.

—Cettepetiten’apasouvertlabouchedepuisdeuxjours,ajouta-t-elle.Ellen’apasditunmot.Nousnesavionsmêmepassonnom.

MmeCarteravaitbiententédelafaireparlermaissanssuccès.

—C’estMadamequi seracontente,conclut lagouvernante,quandelle sauraque lapauvrepetitearetrouvésamaman…

CederniermoteutledondesortirAlexiadesonapathie,carelletournalatêtedanstouslessens,lesyeuxeffarouchés,cherchantinstinctivementKate.Edwinalapressaplusfortcontresonsein.

—Non,machérie,ellen’estpasavecnous.

Elleregrettaaussitôtsaphrasemaiscommentaurait-ellepuagirautrement?Alexialaregarda,commeabasourdie,puis,relevantlatête,tentadesedégager,nevoulantplusentendrel’atrocevérité.

—Merci,mademoiselleSerepeca.

Edwina prit congé, non sans avoir promis d’aller remercier personnellementMme Carter. Et peuaprès,alorsqu’elleentraînaitAlexiaverslegrandsalon,lapetitefilles’immobilisa,levantsesgrandsyeuxclairssursasœuraînée.Ellen’avaitpasencoreprononcéunmot.Ilyavait,aufonddeceregardunteldésarroi,quelecœurd’Edwinasenoua.

—Oh,machérie,jet’aimetant…murmura-t-elle.Nousétionstoussiinquietspourtoi…

Ilsétaientsixàprésent…Tenirlamenottefroided’Alexialuifitl’effetd’undonduciel.Cependant,elleneputs’empêcherdesongerauxabsents.KateetBert.Charles.Partis,disparusà jamais.Edwinaauraitdonnédixansdesaviepourlesvoirapparaîtresoudainsurlepont.Maisilsn’étaientpaslà.SeuleAlexiaétaitrevenuedel’enfer,petitfantômedupassé.Unpassésiprocheetdéjàsilointain.

QuandelletenditàAlexiasapoupéebien-aimée,lapetitefilles’enemparavivementetlatinttoutprès de son visage. Pas une parole n’avait franchi ses lèvres. Philip fondit en larmes, mais elle leregarda,muette.AvecGeorges,ellemanifestaplusd’émotion.

—Salut,Alexia,dit-ilcalmement.Noust’avonscherchéepartout.

Elleneréponditrienmaisnelequittapasdesyeux,lesuivitpartout,voulutdormiravecluicesoir-là.Georgesluifituneplacesursonmatelasétroit.Lafillettesombradanslesommeil,tenantd’unemaincelledesonfrère,etsapoupéedel’autre.Lepetitgarçonlaregardadormir.Ileutlasensationderevoirlevisagedeleurmère.

Enfin, lorsqu’il s’endormit, il rêva de leurs parents. Il rêvait encore d’eux quand des sanglots leréveillèrentaumilieudelanuit.

—Alexia,murmura-t-il,enl’enlaçant,rendors-toi,allez…

Lessanglotsredoublèrent.

—As-tumal quelque part? demanda-t-il, décontenancé.Es-tumalade?Veux-tu que j’aille chercherEdwina?

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Leursœuraînéeavaitpréférépasserlanuitàl’infirmerie,prèsdeFannieetTeddy.

Ellesecoualentementlatête,s’assitsursonséantenpressantlapoupéesursoncœur.

—Je…veux…maman…

Cenefutqu’unfaiblemurmure.UnflotdelarmesfitbrillerlesyeuxdeGeorgesdansl’obscurité.

—Moiaussi,Lexia…Moiaussi.

Ils se rendormirent,main dans lamain, les jouesmouillées de larmes. Le tendre sourire deKateilluminaleurssongesjusqu’aumatin.

LeCarpathiapoursuivaitsarouteàdestinationdeNewYork.IlconduisaitàbonportlesrescapésduTitanic.Ilsétaientseptcentonze.Lamortavaitfauchélesmilleseptcentsautres.

KateetBertetCharlesneviendraientplus.Leurvies’étaitachevéebrutalement,quelquepartdansl’Atlantique.Ilsavaientdisparu.Pourtoujours…

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Chapitre6

LeCarpathia arriva à destination le jeudi soir.Une pluie fine, presque impalpable jetait surNewYork un voile humide quand le paquebot pénétra dans le port. Depuis le gaillard d’avant, Edwina etPhilipregardèrentlesgratte-cieldeManhattanquisedélayaientdanslabrume.Ilsétaientenfinderetouraupays.LavuedelastatuedelaLibertéravivaleurchagrin.Ilsavaienttoutperdud’unseulcoup.Ilsavaientl’unl’autre,biensûr,puisGeorgesetlespetits,ainsiqu’Edwinanecessaitdeselerépéter.Maislavieneseraitpluslamême,nepourraitplusêtrelamêmesansleursparents.EtsansCharles.Charlesqu’elleauraitépouséquatremoisplustard,Charlesdontlerirerésonnaitencoreàsesoreilles.Charlesetsagentillesse,sachaleur,saprésencesidouce,l’hommequ’elleavaittantaimé,etqu’ellenereverraitplus…Leplusbeaurêved’Edwina,sonsouhaitleplusardent,toussesprojetsd’aveniravaientdisparuenmêmetempsquelui.

Deslarmesruisselèrentsursesjoues,tandisqueleCarpathiasuivaitlesremorqueursdanslesilence,cariln’yeutnisirènes,nicloches,nifanfare.

La nuit précédente, le commandant Rostron avait annoncé sa décision d’interdire son navire à lapresse.Aucunreportern’avaitreçul’autorisationdemonteràbord.LessurvivantsduTitanicavaientledroitdepleurer leursmortsdans le recueillementet ladignité,sansque l’onvienne lesbombarderdequestionsindiscrètes.

Maiscen’étaitpasaux journalistesqu’Edwinasongeait,alorsque lebateaus’apprêtaitàaccoster.Inlassablement,sonespritreproduisait les imagesobsédantesdunaufrage.Ellesentit lamaindePhilipsurlasienne.

—Weenie?

Ilnel’avaitpasappeléeainsidepuisleurenfance,etcediminutifaffectueuxarrachaunpâlesourireàlajeunefille.

—Qu’est-cequ’onvafairemaintenant?demanda-t-il.

Elle n’avait guère eu le temps d’y réfléchir.Teddy, encore gravementmalade,Alexia, visiblementperturbée,avaientaccaparétoutesonattention.Georgesn’étaitplusquel’ombredelui-mêmeetFannieéclatait en sanglots chaque fois qu’Edwina faisaitmine de s’éloigner. Le destin l’avaitmise à la têted’unefamilledéchirée,etcettenouvelleresponsabilitépesaitcommeunécrasantfardeausursesépaules.

—Jene saispas,Philip…Nous rentreronsàSanFranciscodèsqueTeddyseporteramieux.Pourl’instant,noussommesobligésdeprolongernotreséjouràNewYork.

Aucund’euxnesemblaitcapabledeprendreletrain.Ilsavaienttousbesoinderepos…Maisaussitôtd’autresquestionssurgirentdanssatête.Etlamaison?Lejournal?Quis’enoccuperait?Y

répondre s’avérait au-dessus de ses forces. En cemoment, seul le passé comptait. Des fragmentsd’imagesd’unbonheurrévoluluirevinrentbrutalementenmémoire.Elleremontate temps,seretrouvaquelques jours auparavant, se revit sur la piste de danse avecChartes, tournoyant, enlacés, au rythmejoyeuxd’unevalse.

Leur dernière valse… Au cours de la croisière ils avaient tant dansé que tes escarpins argentésd’Edwinaenavaientétéusés.Dorénavant,ellenedanseraitplus.Plusjamais.

—Weenie?

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Unefoisdeplus,elles’étaitreplongéedanssessouvenirs,il1edevinaàlafixitédesonregard.Celaluiarrivaitsouvent.Celaleurarrivaitàtous.

—Oui?Excuse-moi…

Elle contempla le port de NewYork sous la pluie. Alignés contre le bastingage, tes rescapés duTitanic—desveuvespourlaplupart—laissaientlibrecoursàleurslarmes.Àpeinequatrejoursplustôt, ils rêvaient encore tous à un retour glorieux à bord du plusmerveilleux bateau dumonde.Quatrejours,déjàuneéternité…

Beaucoup étaient attendus par des parents ou des amis. Pas les Winfield. Ils ne connaissaientpersonne ici.Bert avait réservédes chambres auRitz-Carltonoù ils comptaientpasserquelques joursavantderegagnerlaCalifornie.Soudain,desproblèmesinattendusdevaientêtrerésolus.Ilsn’avaientniargentnivêtements.Alexiaavaitmêmeperduseschaussures.Edwinacomptaitentoutetpourtoutparmisesmaigrespossessionslatoilettedesatinbleupâletoutefripéeettachéeetlarobedelainebrunequ’onlui avait donné le jour du sauvetage. Elle se demanda, pour la première fois de toute son existence,commentelleallaitpayerl’hôtel,puisdécidad’envoyeruncâbleaubureaudesonpèreàSanFrancisco.

Ils avaient contacté laWhiteStar par radio, demandant à la compagniedenotifier àSirRupert etLadyHickhamqueleursniècesetneveuxétaientsainsetsaufs.EdwinasereprésentaitparfaitementtanteLizprenantconnaissancedumessageetsemettantàpleurerlapertedesonuniquesœur.

Les remorqueurs tiraient le paquebot vers le quai sur les eaux grises du port. Un coup de siffletaigrelet fendit soudain l’airmouillé, puis toutes les barques, toutes les embarcations, tous les bateauxprésents semirentd’unseulcoupà saluer l’arrivéeduCarpathia.Lebouclierde silencequi lesavaitabritésdepuisquatrejourssebrisa.

LatragédieduTitanics’étalaitàlaunedetouslesjournauxmaisEdwinaetPhilipnes’endoutaientpas. Ils s’en rendirent comptebrutalement lorsque, laissantdes traînéesd’écumedans son sillage,unearmadadeyachts,deferriesetdevedettesbourrésdephotographesetdereportersvintàlarencontredunavire.

Fidèleàsaparole,Rostronavaitinterditl’accèsdesonnavireauxjournalistes.Entassésenéquilibreprécaire sur les esquifs, les photographes commencèrent àmitrailler le Carpathia de leurs flashes enattendantquesesoccupantsmettentunpiedsurlaterreferme.L’und’euxréussitàseglisseràbordmaisfutinterceptéetconsignédanslesquartiersdesofficiers.

La coque du bateau frôla doucement le quai à 21 h 35.Lesmachines stoppèrent et, l’espace d’uninstant,unlourdsilencetombasurlesponts.Lelongduparapet,lesrescapésretenaientleursouffle.

Leurterrifiantvoyageétaitsurlepointdeseterminer.LescanotsdesauvetageduTitanicfurenttirésdesbossoirsetdescendusendouceursurleponton,saufquecettefois-cileurchargementseréduisaitàunseulhommed’équipage.

Deséclairszébrèrentlescumulus,ungrondementrouladanslefirmamentet,brutalement,degrossesgouttessediluèrentdanslecrachin,faisantbouillonnerleseauxduport.Oneûtditquelecielversaitdeslarmesdansleschaloupesvidesqui,bientôt,seraientlivréesàlacuriositévoracedupublic.AlexiaetGeorgesavaientrejointEdwinaetPhilip.LavuedescanotssebalançantauboutdescordagesarrachauneplainteàAlexia,quiseblottitcontresasœuraînée.Quandunlongéclairjaillitenpleinciel,etqueletonnerrerugitpeuaprès,lapetitefille,terrifiée,secramponnaàEdwina.

—On…vaaller…encorelà-dedans?balbutia-t-elle.

—Non,machérie,non,réponditEdwina,lesyeuxrivéssurlesprécieusescoquesdenoixauxquelles

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ilsdevaientlavie…etquin’avaientpasétéasseznombreusespoursauverlaviedesautres…

Nepleurepas,Lexia,jet’ensupplie,nepleurepas.

Cefuttoutcequ’elleputdire,alorsqu’ellepressaitlamenottetremblanteentresespaumes.Depuisquelquesjours,elles’étaitjurédeneplusfairedefaussespromessesauxenfants.

Lesabordsduquaiétaientnoirsdemonde.Dansleslueursblafardesdeséclairs,lamaréehumaineavançaitverslebateau.Descentaines.Desmilliers.(Lelendemain,lesjournauxannoncèrenttrentemillepersonnes dans le port et dixmille le long du fleuve.)Edwina détourna les yeux de la foule.Que luiimportaient tous ces gens? Elle avait perdu ceux qu’elle aimait, ses parents et Charles, les seuls quicomptaient.Elle n’avait que faire de ces inconnus. Personne ne les attendait. Personne n’était là pourallégerlefardeauquiincombaitàEdwinaetàcepauvrePhilip.

Àseizeans,celui-ciendosseraitlesresponsabilitésd’unadulte.

Ellel’entenditintimeràGeorgesd’enfilersonmanteau.Leregardd’Edwinapassaenrevuesesfrèresetsœurs; s’attarda tristementsur leursvêtementsenguenilles, leurs figures ravagées. Ils ressemblaienttrèsexactementàcequ’ilsétaient:desorphelins.Lemottransperçasonespritpourlapremièrefois.

Les passagers du Carpathia débarquèrent d’abord. Quand le dernier se fut éloigné, un silencesingulierfigealafoule.Lesrescapéséchangèrentunmotd’adieu,unepoignéedemain,quelquesproposaveclecommandant,avantdes’avancerversledébarcadère.

Deuxfemmes—lesdeuxpremières—s’immobilisèrentsur laplate-formededébarquement, l’airhésitant,n’osantesquisserunpasdeplusenavant.L’uned’elles, levisageruisselantdelarmes,voulutrebrousserchemin,effrayéeparlamultitudequ’illuminaitl’orage.

Enfin,ellessemirentàdescendretoutdoucement,enlacées,etaubeaumilieudeleurparcoursellesdurents’arrêterunenouvelle foiscarun immensebrouhahadevoix traversa lamassehumaine.C’étaitune rumeur de compassion, un cri de fascination, un sourd rugissement funèbre.Alexia se boucha lesoreilles avec ses paumes, terrorisée, et Fannie laissa échapper un piaillement tandis que Philip lasoulevaitdanssesbras.

—Allons,lesenfants,cen’estrien,n’ayezpaspeur…

Lavoixd’Edwinaseperditdansletintamarre.Àmesurequelesrescapésdescendaientlapasserelle,lesflashesdesphotographesétincelaientsurterre,cependantqu’aucieldeséclairsjaillissaiententrelesnuages.Edwinapilotasapetitefamilleverslaplate-forme.

Aprèsledésastre,quepouvait-illeurarriverdepire?

Elle-mêmeportaitAlexiadont lesbras tremblaientautourdesoncou.SuivaitPhilipavec lesdeuxplus petits.Georges fermait le cortège. La pluie drue les trempa jusqu’aux osmais ils continuèrent àavancer.Enbas,lafoules’agitaittoujours.Lalistedessurvivantsn’ayantpasencoreétécommuniquée,des parents et amis des voyageurs du Titanic se renseignaient sur le sort des naufragés. Des nomsperçaientdanslevacarme.

—Chandler!…Harrison!…Gates!…Avez-vousvuGates?

Surlequai,lesThayerembrassèrentleursamisdePhiladelphie.

Sirènes d’ambulances, moteurs de voiture, klaxons, formaient une cacophonie assourdissante. Lesexplosionslumineusesdesflashessepoursuivaient,implacables.

—Maman!Maman!criaAlexia,apeurée.

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UnjournalistevenaitdeharponnerEdwinaparlebras.

—Dites,madame,cesontvosenfants?Étiez-voustoussurleTitanic?

Ilétaitbruyantetvulgaire.Edwinasedémenapourdégagersonbras.

—Non…oui…s’ilvousplaît…

D’autresreportersaffluèrent.Prisedanslesremousdelafoule,Edwinasedébattitfarouchement,afindesefrayerunchemin.Unpeuplustôt,lesphotographesavaientmitraillésansmerciMadeleineAstor.

Lajeunefemmeavaitétéensuiteentraînéeparsonpèreetsonbeau-pèreversunelimousine.Edwinaclignadespaupièressousl’avalanchedesflashes.

—Laissez-nouspasser,implora-t-elle.

Enfin libérés, ils s’engouffrèrent dans l’une des voitures du Ritz-Carlton qui démarra aussitôt etemprunta la Septième Avenue. Enfin rendus au luxueux palace ils furent conduits discrètement àl’ascenseur, afind’échapper à lameutede journalistesquimontait lagardedans levestibule.Edwinas’appuyasurlechambranle.C’étaitcommes’ilsn’étaientjamaispartis.Ilsavaientoccupéexactementlamême suite un mois et demi auparavant, avant d’embarquer sur le Mauritania à destination del’Angleterreoùilsallaientcélébrerlesfiançaillesd’EdwinaavecCharles…

—Weenie,qu’est-cequinevapas?

Elleétaitmortellementpâle.

—Je…vaisbien,réussit-elleàarticuler.

Encore quelques semaines plus tôt, dans cemême décor auxmeubles en cerisier clair, rempli defleurséclatantes,elleétait toutà la joieduvoyage.Alors, l’avenir lui souriaitetvoilàqu’aujourd’huiellesetenaitaumêmeendroit,lecœurbrisé,vêtuedelatoilettedesatinbleuquitombaitenlambeaux.

—Veux-tuquej’ailledemanderdechangerdechambres?

demandaPhilip.

La sentant sur le point de flancher, il la scruta d’unœil inquiet. Si les nerfs d’Edwina lâchaient,qu’allaient-ilsdevenirtous?

Versquisetourneraient-ils?Alarmé,ilvoulutseporteràsonsecoursmaiselleseraffermitsursesjambes en secouant lentement la tête. Les yeux secs, elle considéra ses frères et sœurs. Des êtres àchérir…Etàprotéger.

—Ehbien,jecroisquenousavonstousbesoind’unbonrepas.

Georgeschoisiralemenu,pendantquePhilipaideraFannieetAlexiaàmettreleurchemisedenuit…

Ellesn’enavaientpas,sedit-elle,s’interrompantbrusquement.

Maisquandellefitletourdeschambres,elledécouvritdanschacunetouteunegarde-robemiseàleurdisposition par la direction de l’hôtel.Un assortiment de vêtements pour les enfants, sweaters, jupes,pantalons,chaussettesde laine,chaussureset,étaléssur les lits,deuxpetiteschemisesdenuitpour lesfilles,ainsiquedeuxpoupées,plusunoursonenpeluchepourTeddy.Enpénétrantdans lachambre laplus spacieuse, elle sentit son souffle sebloquerau fondde sagorge. Ilyavait, sur ledouble lit,destenues de nuit destinées à ses parents. Et sur la table basse, un seau à glace avec une bouteille deChampagneassortidecoupesdecristalattendaientleshôtesquineviendraientpas.Unflotdelarmesluibrûlalesyeux,unamerpetitsanglotgonflasapoitrine,maisellen’eutpaslecouragedevisiterlapièce

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adjacente.LachambredeCharles…

Edwinarefermalaporteetretournaprèsdesenfants.

Elle s’occupa de tout avec un calme qu’elle n’éprouvait pas réellement, veilla à ce que les plusjeunesdînentenpremierpuis,baignésetvêtusdeleurschemisesdenuitneuves,soientmisaulit.

Fanniesemitàtrépignerencriantqu’ellenepourraitpasdormirailleursquedanslelitd’Edwina,AlexiarefusadesecouchersanssachèreMrs.Thomas,auméprisdelabellepoupéeofferteparl’hôtel.

Elleseurentgaindecauseet,quandEdwinavoulutéteindrelalumièredanslachambred’Alexia,lestraitsdelafillettereflétèrentunesouffrancequifaisaitpeineàvoir.LepetitTeddydormaitprofondémentdansungrandberceauflambantneuf—autredélicateattentiondeladirection.

Revenuedans le salon, elle se laissa tomber sur le canapé, exténuée, et regardaPhilip etGeorgesengloutirunpouletrôtientier.

Elle-mêmesecontentad’unverredevinqu’ellereposabientôtsansleterminer.

—Demainmatin,ilfaudrasongeràenvoyeruntélégrammeàoncleRupertettanteLiz,annonça-t-elleauxgarçons.

AuxparentsdeCharleségalement…IlsdevaientêtreaucourantdelacatastropheparlaWhiteStar…M.etMmeFitzgerald…Edwinasereprésentaitparfaitementleuraffliction.Ellesepassaunemainsurlefront,commepourchasserlavisionobsédantedesonfiancéaumilieudel’océan,s’ingéniaàénumérerses nombreuses tâches du lendemain. Acheter des vêtements aux enfants. Emmener Teddy chez lepédiatre.SoignerlesdoigtsdeFannierougisparlesengelures,peut-êtremêmeconsulterunspécialiste…Toutcequiauparavantsemblaitallerdesoiluifaisaitàprésentl’effetd’unemontagne.

Soudain,savieavaitbasculédansungouffremais,déjà,àsapropredouleursemêlaitunnouveautourment.Si lasantédeTeddyetFannieprésentait lessignesd’uneaméliorationcertaine, l’abattementdans lequel Alexia semblait plongée était devenu une source d’inquiétude constante pour Edwina. Lapertecruelledesesparents—desamèresurtout—avaitirrémédiablementperturbélepsychismedéjàfragilede la fillette.Celle-ci avait reporté sur sa sœuraînée leprofondattachementqu’elle éprouvaitpourKate.

Lesabsenceslesplusbrèvesd’Edwinalamettaientdansunétatd’angoisseprochedel’hystérie.Biensûr, c’étaitune réactionnormale. Ils avaient tous reçuunchocdont ilsne se relèveraientpasde sitôt.Edwinaelle-mêmeavaitdumalàréprimerles tremblementsdesesmains.Or, lasensibilitéexacerbéed’Alexialarendaitplusvulnérablequelesautres.

Edwinaseredressa.Cen’étaitpaslemomentdepermettreaudoutedelaronger.Letempsguérissaittouteslesblessures,s’efforça-t-elledeserépétersanstropycroire.Ilfallaitrésoudrelesproblèmeslesuns après les autres, àmesure qu’ils se présentaient.C’était à elle, l’aînée, de prendre les choses enmain.

Ellequittalasuite,descenditaurez-de-chaussée,fîtpartàl’employédelaréceptiondesondésirdelouerunevoitureavecchauffeurpourlelendemain.Ledirecteurdel’hôtelsortitdesonbureau,afindel’assurerdetoutesasympathie.LesWinfieldcomptaientparmisaclientèledepuissilongtempsqu’ilenétaitvenuàlesconsidérercommedesamis.

—Jesuisdésolé…murmura-t-il.

Ilavaitl’airsincèrementaffligé.

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Edwinaacceptasescondoléancesd’unairdigne,sansoublierdeleremercierpourlescadeauxqu’ilavaitoffertsauxenfants.Alorsqu’ellereprenaitlechemindesascenseurs,sonregardcaptaaupassagedeuxoutroisfiguresfamilières—desrescapéspris,euxaussi,dansletourbillondelasurvie.

Il était presqueune heure et demie dumatin quand elle regagna la suite.Dans le salon, ses frèresjouaient aux cartes en dégustant des gâteaux et en buvant de l’eau de Seltz. Sous le chambranle del’entrée,elle se figeaun instant,perplexe.Lavie reprenait ledessus, songea-t-elle tristementavantderéaliser que là, justement, résidait leur salut. Répéter les gestes du quotidien. Manger, dormir, seréveiller.Demainseraitunnouveaujour.Àpeinesortisdel’enfance,sesfrèresavaienttoutel’existencedevanteux.Ilss’ensortiraient.

Plus tard, ils fonderaient leur propre foyer… Pas elle. Pas sans Charles. Aucun autre homme neparviendraitàsupplanterCharlesdanssoncœur,elleenavait laconviction.Elleconsacreraitsavieàsesjeunesfrèresetsœurs.Etvoilàtout…

—Vousnecomptezpasvouscouchercesoir,messieurs?

demanda-t-elled’untonaussilégerqu’ellelepouvait,enrefoulantseslarmes.

Ilslevèrentlesyeuxsurelleet,soudain,commes’ilvenaitseulementderemarquersatenuenégligée,Georgeseutunsourire.

Lepremierdepuisqu’ilsavaientquittéleTitanic.

—MonDieu,Edwina,regarde-toi.Tues…affreuse.

IlémitunrireetmêmePhilipsouritmalgrélui.Eneffet,danslasomptueusesuite,larobed’Edwinaavaitquelquechosed’incongruetdepathétiqueàlafois.

—Merci,moncher!—àsontourellesourit—,j’essaieraidem’habillerd’unefaçonplusdécentedemain,afindenepastefairehonte.

—Espérons-le!jeta-t-il,hautain,avantdesereplongerdanssonjeu.

—Netardezpastrop,vousdeux!lesadmonestaEdwina.

Ellesedirigeaverslaluxueusesalledebainsaveclafermeintentiondeprendreunbainmoussant.Peuaprès,nuedevantlegrandmiroir,sarobeàboutdebras,ellecontemplaletissufripé.

L’espaced’un instant, elle eut enviede la jeter,deneplus jamais la revoir.Cependant,unepartied’elle-mêmedésiraitardemmentlagarder.Cettetoilette,ellel’avaitportéeladernièrefoisqu’elleavaitdanséavecCharles…ladernièrefoisqu’elleavaitvusesparents.

C’était la relique d’une vie brisée, le symbole d’un tournant fatal après lequel plus rien ne seraitcommeavant.

Edwinapliasoigneusementlarobedesatinbleupâleetlarangeadansuntiroir.Ellen’auraitpassudirecequ’elleenferaitplustard.

Mais,toutàcoup,ellesutqu’ellenes’ensépareraitjamais.C’étaittoutcequiluirestaitdupassé.Unboutdesatinfroisséetdéchiré.

Unesimple robede soiréequi semblait avoirappartenuàquelqu’und’autre.À l’insouciante jeunefillequ’elleavaitété,qu’ellen’étaitplus,etqu’elleserappelaittrèsvaguement,commeonsesouvientd’unrêve.

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Chapitre7

Le lendemain matin, vêtue de la robe de lainage qu’elle avait eue à bord du Carpathia, Edwinaaccompagnalesenfantschezunmédecinrecommandéparledirecteurdel’hôtel.Àl’issued’unexamenattentif,lepraticienneputcachersasurprise.LespetitsrescapésduTitanicn’avaientgardépratiquementaucuneséquelledeleureffroyableaventure.LesdoigtsdeFannieneretrouveraientpeut-êtreplusjamaisleuranciennesouplesse,maisiln’étaitplusquestionqu’ellelesperdît.C’étaitunmiracle,déclara-t-il,queTeddynesoitpasmortdefroidlorsdecetteatrocenuitpasséeenmerdanslecanotdesauvetage.Legarçonnetsemblaitavoirrécupérésesforcesd’unemanièreremarquable.Enfin,ilbombardaEdwinadequestions à propos du naufrage, tout en précisant qu’il devait s’agir certainement d’une expérienceaffreuse. Elle répondit par monosyllabes, ne voulant pas évoquer devant les enfants les épreuvesterrifiantesqu’ilsavaientendurées.

Mais elle pria l’homme de science d’examiner Alexia. Hormis quelques bleus, quelques légèrescontusions écopées quand elle fut jetée dans la chaloupe, la fillette ne présentait aucun symptômealarmant.Cependant,sisoncorpsdemeuraitintact,sonespritparaissaitatteint.Elleavaitsubiungravetraumatismepsychologique,conclutlepraticien.Edwinaapprouvadelatête.

Alexian’étaitplustoutàfaitlamême,ellel’avaitremarquéimmédiatement,enlarevoyantsurlepontduCarpathia.

Confinéedansunemorneapathie,elleavaitperdul’appétit,n’usaitdelaparolequepourappelersagrande sœur. Le reste lui était indifférent. Comme si, en refusant d’admettre lamort de samère, elles’étaitvolontairementcoupéedelaréalité.

—Il sepeutqu’elle restedanscet étatpendantunbonboutde temps,murmura l’hommeenblouseblanche,ayantprisEdwinaàpart,cependantqu’uneinfirmièreaidaitlesenfantsàserhabiller.

Edwinan’encrutpasunmot.Ellepensaitqu’Alexiaréagissaitselonsapropresensibilité.Unjour,trèsvite,elleparviendraitelleaussiàretrouverl’équilibre.Detous,c’étaitellelaplusattachéeàleurmère.Quoideplusnormalqu’ellefûtégalementlaplustouchéeparsadisparition?Edwinanepermettraitpasqueleurviesoitdéfinitivementbrisée,pascelledesenfantsentoutcas.Ellesel’étaitjuré.

—Vouspourrezprendre lecheminde ferpourSanFranciscodansunesemaine,ajouta lemédecin.Laissez-leurletempsdeseremettre.

Toujoursletemps…Elleenavaitbesoin,elleaussi.

Ils rentrèrent à l’hôtel. Georges et Philip feuilletaient les gazettes du jour. Le New York TimesconsacraitunequinzainedepagesaucauchemarduTitanic.Desinterviewsdesurvivantsalternaientaveclescommentairesdeschroniqueurs.Georgesauraitvoulu lire tous lesarticlesàEdwinamaiselle l’endécouragea. Elle avait déjà refusé trois entretiens, jeté au panier une demi-douzaine de messages dereporters.Lejournaldesonpèrerapporteraitdanslemoindredétail lerécitdunaufrageduplusgrandbateaujamaisconstruit…Elleseraitalorsobligéederépondreauxjournalistes.

Maiselleseréservaitledroitd’évitertoutcontactaveclapresseàsensationnew-yorkaisequ’elledétestait.

Unautremessagel’attendaitàl’hôtel.Unecommissiondesénateursseréuniraitàpartirdulendemain

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auWaldorf-Astoria et elle y était conviée le jour de sa convenance. La commission qui menait uneenquêteapprofondie sur lescirconstancesde l’accident, lut-elle, s’intéressait toutparticulièrementauxappréciationsdetoutepersonneayantréchappéaunaufrageafind’éviter,àl’avenir,quedetelsdésastressereproduisent.

Ellefitmonterundéjeunercopieux,annonçaaudessertqu’ellecomptaitfairedushopping.

—Mince!s’écriaGeorges,retrouvantunpeudesonancienenthousiasme.Onvientaussi,alors?

Elle lui découvrit tout à coup l’airmalicieuxde leur père et cela amena sur ses lèvres un sourirenostalgique.

—JepréfèrequetoietPhiliprestiezaveclespetits.

Elleembaucheraitunenouvellegouvernantedèsqu’ilsseraientàSanFrancisco,sedit-elle,puis,endéployantuneffortsurhumain,elleréussitàchasserlesouvenirdelapauvreOona.Ilsuffisaitd’uninfimedétailcommecelui-ci,d’unsimplemot,d’unepenséefugitivepourressusciterlesfantômesdupassé.

Edwinapassaà labanqueendébutd’après-midi.Delà,elleserenditchezAltman’saucoinde laCinquièmeAvenueetdela34eRue,fitundétourparOppenheimCollins.

Lebureaudesonpèreluiavaitexpédiéunegrossesommeetelles’aperçut,enrentrantàl’hôtelversquatreheuresdel’après-midi,qu’elleavaitdépensésanscompter.

Danslasuite,GeorgesetPhilipavaiententaméunenouvellepartiedecartes.

—Où sont les autres? s’enquit-elle tout en déposant dans l’entrée un monceau de grands sacs depapiercontenantunevéritablegarde-robepourchacundesesjeunescompagnons.

Elleavaittroquélarobedelainecontreunéléganttailleurnoirqu’elleavaitachetéunpeuplustôtaveccinqautresmodèleségalementnoirs.Danssesnouvelles tenuesauxcouleurssombres,elleauraitsûrementl’aird’êtrelamèredesenfants,neput-elles’empêcherdepenser.

Philipindiquad’ungestedelamainlapiècedufond,sansleverleregard.Edwinapoussalaported’unemain leste. Le battant s’ouvrit sur une scène qui lui arracha un cri de joyeuse surprise. Teddy,Fannie etAlexia jouaient paisiblement sous l’œil attendri d’une femme de chambre. Toutes sortes dejouetsjonchaientleparquet—

cheval à bascule, train électrique, une demi-douzaine de poupées, livres illustrés, cahiers decoloriage.Etunpeupartout,desdizainesdepaquetsenrobésdansdupapierglacé.

—Seigneur! gémit-elle en se retournant vers les deux garçons qui poursuivaient de plus belle leurpartie,d’oùvienttoutcebazar?

Georgeseutunlégerhaussementd’épaules,jetasurletapisvertunecartequieutledonderendresonfrèrefurieux.Enfin,Philipdaignarépondre:

—Iln’yaqu’àlirelescartesdevisite.LeNewYorkTimesaenvoyéquelquechose,laWhiteStarLineaussi,etuntasd’autresorganismes…Cesontdescadeaux,jecrois…

Stupéfaite,Edwinalançauncoupd’œildanslapiècetransforméeensallederécréation.Lesenfantss’en donnaient à cœur joie. Teddy galopait sur son cheval à bascule, pendant que ses sœurs faisaientsemblantdeprendre le théencompagniede leurspoupées.Fannieavait l’airdebiens’amuser.MêmeAlexiaavait abandonné sonair lugubre.Quand le regardd’Edwinaaccrocha le sien, lapetite fille luisourit.Mamanetelles’apprêtaientàcélébrersonanniversairelejouroùleTitanicavaitcoulé.Alexian’avaitrienperdupourattendre,carlasplendeurdecettefêteégalaitbiendixanniversairesetunNoël.

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Edwinabattitenretraitedanslesalon.

—MonDieu,oùmettrons-noustouscesobjets?

—Jesupposequenousallonslesrameneràlamaison,rétorquaGeorgescalmement.

Philiplasuivitduregard,cependantqu’ellesedémenaitpourrangersesemplettes.

—As-tutrouvécequetuvoulais?

—Ilétudiasanouvellerobeavecunemouedemécontentement.

—Tutiensvraimentàportercesnippesdegrand-mère?

—Lenoirn’estpasàlamode,mais…

Maiselleétaitendeuil.Elleleresteraitprobablementtoutesavie.

Ellenes’habilleraitplusjamaiscommeunejeunefille.D’ailleurs,Edwinanesesentaitplusjeunedutout.Sajeunesseluiavaitétéravie.Sajeunessegisaitquelquepartaufonddel’immenseocéanglacé,avecl’épaveduTitanic…

Philip,sourcilsfroncés,eutl’airderéaliserenfinpourquoielleétaitennoir.Lesangseretiradesonvisage. Il n’y avait pas pensé tout de suite. Il se demanda soudain siGeorges et lui devraient bientôtporterdescravatesnoiresoudesbrassardsdedeuil,commeilsl’avaientfaitaudécèsdeleursgrands-parents. C’était un signe de respect, leur avait expliqué maman. Papa avait répliqué, alors, qu’il necroyaitguèreàtoutescesbalivernes.Dureste,oncleRupertétaitleseulàpartagersesopinions…OncleRupert!Legarçonsursauta:ill’avaitoubliécelui-là.

—Edwina,nousavonsreçuuncâblogrammed’oncleRupertetdetanteLizcematin.

—MonDieu,oùai-jelatête!J’avaisjustementl’intentiondeleurenvoyerunmotaujourd’hui.Oùest-il?

Philipluiindiqualebureauencombrédetoutessortesdemessages,etelles’yassitpesamment.Enquelqueslignes,sononcleluiannonçaitquetanteLizarriveraitàNewYorklorsduprochainpassagedel’Olympic,afindetouslesramenerenAngleterre.Edwinaseredressa,levisageassombri.

LapauvretanteLizbraveraitenvainsonmaldemer.Pourrienaumondeellenereferaitlatraverséedel’Atlantique.PlusjamaiselleneremonteraitsurunbateausansquelavisionapocalyptiqueduTitanic,poupedresséecontrelecielcribléd’étoiles,n’émergeaussitôtdanssamémoire.

Elle câbla sa réponsedans la soirée, incitant sa tante à renoncer à ceprojet. «Nous repartons enCaliforniedansquelquesjours»,termina-t-elle.

Lelendemain,àlapremièreheure,ellereçutunenouvellemissive.

«Pasquestion!VousretournerezenGrande-BretagneavecvotretanteÉlisabeth.Iln’yapasd’autresolution.Stop.Àbientôt.»

C’étaitsignéRupertHickham.

—Onvavraimentallers’enterrerdanscebled?s’alarmaGeorges.

Là-dessus,Fanniesemitàtrépigner.Non,ellen’iraitpasàHavermoorManor,ladernièrefoiselles’étaittropennuyéeetilyfaisaitsifroid…

—Cessedoncdetelamenter,petitesotte!criaEdwina.Nousnepartironsd’iciquepournousrendreàSanFrancisco,est-ceclair?

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Cinqtêtesacquiescèrent,cinqpairesd’yeuxsefixèrentsursonvisaged’unairgrave,cinqboucheslaissèrent échapper un « oui » en chœur. Il ne restait plus qu’à convaincre LordHickham…Edwinaexpédiarapidementunautrecâble.Larépliquenesefitpasattendre.

Elleriposta.SirRuperttintbon.Àl’issued’unfrénétiqueéchangedetélégrammes,lecombatcessafautede combattants.TanteLiz, clouée au lit parun rhumede cerveau,dut ajourner sonvoyage, et unnouvelaccèsdegoutte interdit lemoindredéplacementàsonépoux tenace.Entre-temps,Edwinaavaitmislespointssurlesi.«PasbesoindeveniràNewYork.Nousrentronsàlamaison.Stop.Vousyserezlesbienvenus.Avectoutemonaffection.»

—Es-tusûrequ’ilsnevontpasdébarqueràSanFranciscopournousemmener?insistaGeorges,l’œilrond.

—Cesontnotreoncleetnotretante,pasdeskidnappeurs.Leurpropositionpartaitd’unbonsentiment,Georges. Ils doivent se faire du souci pour nous.Mais nous leur montrerons que nous pouvons nousdébrouillerseuls.

Elleyavaitréfléchilonguement,chaquenuit,alorsqu’elleseretournaitsansrépitdanssonlit.Sonpèreavaitmisenplaceuneéquipederédacteursparfaitementcapabledepoursuivrel’éditiondujournal.Parfois,Bertdisaitques’illuiarrivaitmalheur,leslecteursneserendraientpascomptedesonabsence.Edwinaespéraitquesonpèrenes’étaitpastrompé.Aprèsavoirpesélepouretlecontre,elleavaitprisladécisiondenepasvendrelejournal.C’étaitleurprincipalesourcederevenus,etilfallaitélevercinqenfants.Autermed’uninterminabledébatintérieur,ellesortaitvictorieuse.Unenouvelleforcel’animait.Personne,niRupert,niLiz,nelaferaitchangerd’avis,elleenétaitàprésentpersuadée.Elleconserveraitpieusementlejournal,lamaison,touteslespossessionsdesesparents.Jusqu’àcequesesfrèresetsœurssoientenmesurededisposerdeleurhéritage.

De soncôté, au fin fondde sa campagneanglaise,SirRupert ruminait d’autresdesseins.Sonplancomportait deux parties: convaincre Edwina à fermer la résidence californienne, à se débarrasser dujournal, puis récupérer les enfants Winfield. Le vieux lord s’occuperait personnellement de leuréducation…C’étaitnepascompteravecl’entêtementdesanièce,quiavaitprisl’irrévocablerésolutiondereconduiresafamillelàd’oùellevenait.Chezeux.ÀSanFrancisco.

La semaine suivante s’écoula à une vitesse hallucinante.Entre les visitesmédicales et les sorties,Edwinanevitpasletempspasser.

L’état de santé des petits s’améliorait de jour en jour. Ils allèrent se promener à Central Park,déjeunèrent au Plaza, firent du lèche-vitrine le long de la Cinquième Avenue. Edwina explora avecGeorgeslesboutiquesenquêted’uneveste—elleluienavaitdéjàachetéune,maisilavaitdécrétéquec’était«unehorreur».Chaquematin,lesenfantssemblaientunpeuplusdétendus,unpeuplusreposés.Leurspetitesfiguress’éclairaientparfoisd’unsourire,etlaflammeanxieusequibrûlaitaufonddeleursprunelles s’amenuisait.Mais la nuit, c’était différent. La nuit apportait son lot de réminiscences et deterreurs. Le silence tombait alors dans les chambres où flottaient les ombres du passé… Et pour lacentième fois, le Titanic se redressait lentement avant de se fendre en deux, puis les flots couronnésd’écumeserefermaientbrutalementsursagigantesquecarcassedémantelée.Souvent,Alexiaseréveillaiten pleine nuit avec un cri d’effroi. Il fallait alors la consoler, etEdwina s’y employait de sonmieux.Edwinaétaittoujourslà…

Lederniersoir,ilsdînèrentdansleursuite.Lasoirées’achevapaisiblementsurunepartiedecartes.Georgeslesfitrireensuiteparunesaisissanteimitationdesvitupérationsd’oncleRupert.

—Tuexagères!l’apostrophaEdwina.Lepauvrehommen’aquedebonnesintentionsànotreendroit.

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Mais pour la première fois depuis des jours et des jours, elle riait, elle aussi. Seule Alexia nesemblaitpasparticiperàl’hilaritégénérale.

Et plus tard, au milieu de la nuit, sa voix plaintive murmura dans la chambre obscure qu’ellepartageaitavecEdwina,FannieetTeddy:

—Jeneveuxpasrentreràlamaison.

Sasœuraînéel’entouraaussitôtd’unbrasprotecteur.

—Pourquoipas?demanda-t-elleàmi-voix,decraintederéveillerlesdeuxautresenfants.

—Ellesentitunejouemouilléecontresonépaule.

—Qu’est-cequitefaitpeur,machérie?Riennepeutnousarriverlà-bas.

Quepeut-ilvousarriverquandvousavezréchappéàl’enfer?

Parfois, Edwina regrettait de ne pas avoir péri, elle aussi, dans le naufrage. Il lui semblait parmomentsquesanssesparentsetCharles,lavieavaitperdutoutsonsens.Ellen’avaitguèreeuleloisirdepleurersonfiancéoud’évoquerlesinstantsmerveilleuxqu’ilsavaientpassésensemble.Lesraresfoisoùcelaluiétaitarrivé,elleavaitcrusuffoquerdedouleur.Unedouleurqueplusriennepourraitadoucir,elles’enrendaitcompte.Seulsondevoirvis-à-visdesenfantsqueledestinluiavaitconfiéslamaintenaitenvie.EllesetournaversAlexia.

—Tureverrastesamis,tescamaradesdeclasse…Tes…

—Maispasmaman,coupalapetitefille,ensecouantvigoureusementlatête.Mamanneserapasàlamaisonquandnousrentrerons.

—Non,Lexia, ellene serapasà lamaison.Elle seradansnoscœursetdansnos souvenirs.Nouspenseronstoujoursàeux,machérie,àmaman,àpapaetàCharles.Là-bastutesentirasplusprèsd’elle,tuverras.

LavastedemeureavaitétédécoréeparKate.Chaquepièce,chaquemeuble,chaqueobjetrappelleraitsonabsence.

—Tun’aspasenviederevoirlesrosiersquemamanaplantésl’étédernier?

—Oh,non,non,sanglotaAlexiadontlesdoigtssenouèrentautourdelanuquedesasœuraînée.

—Nepleurepas,trésor.N’aiepaspeur.Jesuislà…Jeseraitoujourslà…Avectoi…Avecvous…

Alorsqu’elleberçaitdoucementlapetitefille,ellesutqu’ellenelesquitteraitjamais.Ellen’enavaitpasledroit.Elleeutl’impressiond’entendrelavoixlimpidedeKatequidisaitcombienl’amourd’unemère pour ses enfants était immense. Et cependant que le sommeil alourdissait ses paupières, elle sesouvintclairementdesesparoles:«

Unsigrandamour»…Leplusgrand,sansdoute.

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Chapitre8

IlsquittèrentNewYorklevendredi26avril,onzejoursaprèslenaufrageduTitanic.Letempsétaitcouvert, l’oragegrondaitdans leciel.Unevoiture lesdéposaà lagarequandlespremièresgouttesdepluie arrosèrent l’asphalte. Peu après, installée dans leur compartiment, Edwina passa en revue leursbagagesquelechauffeurdetaxiavaitplacésdanslefilet.Lebureaud’expéditionsduRitz-Carltonavaitenvoyé lespaquets-cadeauxparunautre trainàSanFrancisco.Le frontsoucieux,elle laissaerrersonregardsurlesvalisesneuves,alignéesau-dessusdelabanquette.C’étaittoutcequileurrestait.

Les petits derniers ne s’en rendaient pas bien compte, Alexia ne voulait — ou ne pouvait —comprendre.SeulsPhilipetGeorgespossédaientunevueclairedelasituation.Philipquisesentaitprêtàpartagerlefardeauderesponsabilitésavecsagrandesœur.EtGeorgesquilaplaignaitdufondducœur.Depuisquelesortl’avaitélevéeàlapositiondechefdefamille,Edwinanesavaitplusoùdonnerdelatête. Georges avait remarqué qu’elle trimbalait toujours l’un des gosses dans ses bras… Fannie étaitdevenuegrognon,Teddyavaitsanscessebesoindequelquechose.Lepire,c’étaitAlexia.Ellepassaitleplusclairdesontempsaccrochéeàsasœuraînéecommeàunebouéedesauvetage.Siparmalheurunétrangerapparaissait, lapetitefilles’esquivaitaussitôtetEdwinaladécouvraitplustardsouslelitouderrièrelesrideaux.«Elleauraitdûavoirhuitbrasetquatrejambes»,songeatristement

Georges.Ils’étaitpromisdetempérersafougue,afindenepascauserdetracassupplémentairesàEdwina.Luiaussiavaitétébrutalementtirédel’enfance…Luiaussiavaitduchagrin…

Edwinaavaitlouédeuxcompartimentsdansunsoucideconfort—commesileconfortpouvaitleurfaireoublierlenaufrage,lanuitdanslescanots,ouleslitsdecampduCarpathia.Quandletraindémarra,un soupirde soulagement souleva sapoitrine. Ils allaient revenir chez eux…Elleguetta lehalètementrégulier de la locomotive avec une sensation de sécurité.Une douce somnolence l’engourdissait. Elles’enfonçadanssonsiège,selaissantbercerparlemouvementduwagon,maisàpeineeut-ellefermélesyeuxquelevisagedeCharlessedessinasoussespaupièrescloses.Jusqu’alors,ellen’avaitpaseu letempsdepenseràlui,saufenderaresoccasions,tarddanslanuit,alorsquetouslesautresdormaient.Elleavaitconservél’imagedeCharlestelqu’ellel’avaitvuàbordduTitanic,justeavantl’apocalypse.Maintenant,ellerevoyaitsonsourire,sentaitpresquelachaleurdesapaumesursonbras,celledeseslèvressurlessiennes.Ilauraitfaitunmerveilleuxmari…Ill’auraitrendueheureuse.

Elleeut l’impressionque lesrouesqui tournaient inlassablementsur leursessieuxmurmuraientsonnomencadence:«Char-les…

Char-les…Char-les…»puis,«Jet’ai-me…Jet’ai-me…Jet’ai-me…»

Des larmes lui picotèrent les yeux. Combien de fois n’avait-elle pas regretté de n’être pas restéeauprèsdelui,surlepontdesembarcations.Combiendefoisnes’était-ellepasditqu’elleauraitpréférésombrerdanslesprofondeursglacéesdel’océan,samaindanscelledeCharles?Lapenséedesenfantslaramenaitàlaraison.

La lecture de la presse, à mesure qu’ils traversaient les États, leur apprit un peu plus sur lacatastrophe.LeTitanicétaitpartout,danstouslesjournaux,touslesmagazines.Lacommissiond’enquêtedésignéeparleSénatpoursuivaitsestravauxàNewYork.Edwinas’étaitrendueàlaconvocation,pourrépondreauxquestionsdesenquêteurs.

La conclusion des sénateurs s’étalait maintenant dans tous les grands quotidiens. L’iceberg avait

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éperonnél’avanttribordduTitanicavantderaclersonflanc,endommageantirrémédiablementlestôlesdelacoque.Cefutàcetteblessure,longuedetroiscentspieds,quelegéantdesmersavaitsuccombé…«MonDieuquelleimportance?

songeaitEdwinaenparcourantlesreportages,qu’est-cequecelapeutfaire?».

Pourquelleraisonlepublicsemontrait-ilsiavidededétails?

Probablement parce que la vérité, si affreuse fût-elle, était préférable au doute. On amoins peurquand on n’est pas livré aux suppositions fantasques de son imagination. Entre le coup du destin etl’erreurhumaine,lasecondesembleplussupportable.Hélas,d’aprèslesenquêteurs,laréalitédépassaitla fiction. Et les titres de journaux, véritables réquisitoires contre les constructeurs du Titanic,s’accumulaient.Aufaitquelegigantesquepaquebotcomportaitdesmoyensdesauvetageseulementpourlamoitiédespassagerss’ajoutèrentbientôtd’autresinformations,nonmoinsscandaleuses.

La plupart des premières embarcations de sauvetage avaient quitté le navire en détresse àmoitiévides.Etplustard, lorsqued’autrespassagersavaientplongéduhautdesponts, lesrescapésn’avaientpasvoululesrecueillir,decraintedefairechavirerlescanots…

Latragédiesedéroulait,jouraprèsjour,danslesgazettes,àl’allured’unroman-feuilleton.EdwinalaissaitàPhilipetàGeorgesletristeprivilègedenouvellesdécouvertes.Riennepouvaitplusrameneràlavieceuxqu’elleavaitperdus.Tandisqueletrainpoursuivaitsaroute,unjournalannonçaquetroiscentvingt-huitcorpsavaientétéretirésdel’eau.Iln’yavait,parmieux,nisesparentsniCharles,ellel’avaitsuavantmêmedepartirdeNewYork.

UntélégrammedesFitzgeraldluiavaitétéremislejourdudépart.

LepèreetlamèredeCharlesl’assuraientdeleuraffection.Elleavaitversédenouvelleslarmessurlamissive.Puis,bizarrement,sonespritévoqualevoiledemariéequeMmeFitzgeraldauraitapportéenaoût…Oh, elle ne voulait plus y penser! Cette nuit-là, tandis que le train roulait à toute allure, elledemeura éveillée, les yeux fixés sur la vitre obscure.Les gants queCharles lui avait jetés par-dessusbordreposaientaufonddesavalise.Lesregarderdépassaitsesforces.

Maislessavoirlà,toutprèsd’elle,laréconfortait.

Elleavait toujours lesyeuxgrandsouvertsquand lesRocheusessurgirentà l’horizon,nimbéesdespremièreslueursroséesdel’aube.

Leurvoyages’achèveraitlelendemainet,pourlapremièrefoisdepuisquinzejours,ellesesentitunpeumieux.

—Quandest-cequ’onarrive?

C’étaitFannie,scrutantlesmontagnesd’unairsatisfait.Lafilletten’enpouvaitplusd’attendre.Sitôtqu’ellemettraitlespiedsàlamaison,déclara-t-elle,elleferaitungros,unénormegâteau.Ungâteauauchocolat,commeceluidemaman.Edwinahochalatête.Laveille,Georgesavaitdécrétéqu’iln’iraitplusàl’école,afind’aidersasœuràlamaison.

Edwinaavaiteutouteslespeinesdumondeàl’endissuader.

Philip, quant à lui, s’inquiétait de son avenir. Il ne lui restait plus qu’un an avant de se rendre àHarvard,toutcommesonpèrel’avaitfaitavantlui.

—Weenie?insistaFannie,usantdusurnomquiavaittoujoursamusésasœur.

—Oui,Frances?

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—Oh,nem’appellepascommeça!s’écrialafilletted’unevoixempreintedereproches.Dis,tuvasdormirdanslachambredemaman,demainsoir?

—Non…jenecroispas…Jedormiraidansmaproprechambre.

Ilétaithorsdequestionqu’elles’approprielapiècespacieusequiavaitappartenuàsesparents.

—Maispuisquetuesnotremaman,maintenant…

Fannie semit à bouder, et Edwina surprit des larmes dans les yeux de Philip, qui s’empressa dedétournerlatêteverslafenêtre.

—Non,Fannie,jenesuispasvotremaman,expliqua-t-ellelentement,avectristesse.JesuistoujoursEdwina,votregrandesœur.

—Etquiseranotremaman,alors?

Quedire?Quelleréponseinventer?Toutlemondesetutdanslecompartiment,mêmeGeorges.

—Onnechangerapasdemaman,réussit-elleàmurmurer,enfin.

C’était tout ce qu’elle avait trouvé à dire. Fannie fronça les sourcils, et sa lèvre inférieure frémitcommesielleallaitfondreenlarmes.

—Maispuisquemamann’estpluslà,pleurnicha-t-elle.Tuasditquetut’occuperaisdenous…

Edwinal’attiradanssesbras.

—Etjetiendraiparole,machérie.

SonregardglissaversAlexia,pelotonnéedansuncoin,lesyeuxbaissés,avantdereprendred’untonplusassuré:

—J’essaieraidefairetoutcequemamanfaisait…Maisjamaisjenepourrailaremplacer.Elleseratoujoursnotremaman,ànoustous,comprends-tu?

Convaincue,lapetitefillehochalatête.

—Oh,oui…

—Elleplissalespaupières,s’efforçantdeclarifierunultimepoint.

—Tudormirasdansmonlit?

—Ilesttropétroit,non?fitEdwinaavecundouxsourire.

—C’étaitunvéritablepetitbijouqueBertavaitfaitfabriqueràlanaissancedesonpremierenfant.

—Maistupourrasdetempsàautredormiravecmoidansmachambre…Toiaussi,Alexia,ajouta-t-ellesansobtenirderéaction.

—Etmoialors?demandaGeorgesenriant.

Ilappliquaunepichenettesur lenezdeFannie,offritunbonbonàAlexia.«Commeilachangé»,pensaEdwina,etuneétrangeémotion l’étreignit.Elle l’avaitmaintes fois remarquéaucoursdesdeuxdernières semaines. Le garçon turbulent et insouciant s’était métamorphosé en un modèle de bonnesmanières.Cependant,alorsque le rapide longeait lesRocheuses,etque lecielcéruléenviraitaubleufoncé,leurjoiederevoirleurvillenataleseteintaitdetristesse.

Personneneparlapendantunlongmoment.Edwinasedemandaàquoiressembleraitlamaisonsans

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leursparents.Ellesavaitquelesautresseposaientlamêmequestion.

Lanuitsuivante,ladernièreduvoyage,Edwinaparvintàsomnolerdeuxoutroisheures.Àsixheuresdumatin,elleétaitdeboutet,peuaprès,ayantrevêtusapluséléganterobenoire,elletambourinacontrelaportedesgarçons,puisallaréveillerlespetits.Àseptheures,ilsétaientattablésauwagon-restaurant.PhilipetGeorgescommandèrentuncopieuxpetitdéjeuner,EdwinademandadescéréalespourTeddyetFannie,Alexiaplantasafourchettedanssesœufsbrouillésmaisneputenavaleruneseulebouchée.

De retour dans le compartiment, Edwina donna un dernier coup de peigne aux enfants. Elle avaitsoignéleurmiseavecunsoinparticulieretavaitornéderubansneufslescheveuxdeFannieetd’Alexia.Elle ignoraitqui ils rencontreraientà lagare—sansdoutedes reportersdu journaldesonpère—ettenaitàcequ’ilsfassentbonneimpression.

Lapitiédesgensétaitladernièrechosedontilsavaientbesoin.

Leurfiertéenauraitsouffert.Ilsétaientfinprêtslorsqueletrainpénétradanslagare.Edwinasentitlasecoussedesrouessebloquantsurlesrails,puisleconvoideswagonss’immobilisa.

Ilsétaientarrivés.Edwinaregardasesfrèresetsœurs,lagorgenouée.Pasunmotnefutéchangémaistous éprouvaient lamême émotion, lamême pénible sensation, lemême déchirement. Ils étaient enfinrevenus,sidifférentsquelorsqu’ilsétaientpartisdeuxmoisauparavant,siseulset,pourtant,siliéslesunsauxautres.

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Chapitre9

Ilsdescendirentdutrain,dansl’éclatantelumièreduprintemps.

Les arbres et les massifs croulaient sous les fleurs. Sur le marchepied de la voiture, Edwinas’immobilisauninstant,laissanterrersonregardalentour.Elleavaitpenséqueleslieuxseraientrestésidentiquesàceuxqu’elleavaitlaissésdeuxmoisplustôt,maisnon!

Ledécorn’étaitplus lemême.Quelquechosesemblait irrémédiablementchangée.À l’instardesapropre vie, tout paraissait différent. Transformé. Elle avait quitté cette ville le cœur léger, dansl’innocente insouciancedesesvingtans.Avecsesparents.EtavecCharles…La têtepleinede rêves,bercéed’illusions,confortéedanslacertituded’unavenirsansnuages.Alorsqu’ilscheminaientàtraversles États-Unis, les deux fiancés avaient brossé lemerveilleux tableau de leur futur bonheur. Les paysqu’ilsvisiteraient,leslivresqu’ilsliraient,lesspectaclesqu’ilsverraient,lesenfantsqu’ilsauraient…Ils avaient toute la vie devant eux.Etmaintenant, elle revenait brisée par le chagrin, seule aumonde,vêtuedecetterobededeuilquilafaisaitparaîtreplusminceencoreetbienplusâgée.Unchapeaunoirdontelleavaitfait l’acquisitionàNewYorkparachevaitsamiseaustère.Ellemitunpiedà terreet,àtraverslesmaillesfinesdesavoilette,ellelesvit,auboutduquai.Ilslesattendaient,commeellel’avaitsupposé, appareils photo au poing. Des reporters envoyés par le journal de son père ainsi que pard’autrespublications.Àpeineeut-elleesquisséunpasenavantquelesflashescrépitèrent.EllesoulevaTeddydans sesbras,puis semit enmarcheen s’efforçantd’ignorer lesbadaudsqui s’agglutinaient lelongdupassage.

Philip,Alexiaàsoncôté,lasuivitenportantFannie,Georgesappelaunporteur.«Noussommesenfinarrivés»,serépétamachinalementEdwinasansralentirl’allure.Malgrétouscesregardscurieuxqu’ellesentait peser sur elle, un sentiment d’apaisement l’envahissait. Ici, elle avait l’impression d’être ensécurité.Elleétaitparvenueàramenersesfrèresetsessœursàlamaison.Ellecontinuad’avancer,latêtehaute.Lafoulesefenditendeuxpourlalaisserpasser,dansunsilencerespectueux.

—Bonjour,Edwina.Jesuisvraimentdésolé.

Il semblait abattu, eneffet,maisquand sesyeuxaccrochèrent ceuxde l’arrivante, il y lutune telledétressequ’ileutenviedepleurer.BertWinfieldétaitsonmeilleurami.L’annonceduterribleaccidentl’avait plongé dans la consternation. Il avait vainement tenté de contacter la compagniemaritime. Peuaprès,ilreçutladépêched’Edwina.EllesetrouvaitàbordduCarpathiaenrouteversNewYork.Sesfrèresetsœursavaientsurvécu.Maispassesparents,nisonfiancé.Bert,sonadorableépouseKateetlecharmantCharlesavaientpéridanslenaufrage.Accablé,BenJonesavaitalorssanglotélonguement,sansretenue.

Àsavue,lesfrimoussesdesenfantss’illuminèrentd’unsourire.

LesyeuxdeGeorgesbrillèrentde joie,Philip laissaéchapperunsoupirdesoulagement.C’était lepremieramiqu’ilsrencontraientdepuisledésastre.Bendevina,cependant,qu’aucund’euxn’avaitenvied’enparleretsecontentadeteniràdistancelesreporters.

Alorsqu’ils traversaient le hall degare,Georges, retrouvant unpeude son ancien entraindéclaraqu’ilavaitapprisunnouveautourdecartes.Malgrésesvaillantsefforts,legarçonsemblaitaussipâleetfatiguéquesesfrèresetsœurs.Commeilsavaientl’airépuisé!

—J’aihâtedevoirça,ditBen.Tutrichestoujoursaurami?

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Georgesréponditparungloussementquiendisaitlongsursestalentsdejoueur.Legroupesedirigeaverslasortie.Lestraitsd’Alexiareflétaientuneimpassibilitéalarmante,constataBend’uncoupd’œiloblique.Lesdeuxpetitstenaientàpeinesurleursjambeset,quantàEdwina,ellen’étaitplusquel’ombred’elle-même.

Ilsfranchirentlaporteàtambourensilence,débouchèrentsurletrottoirinondédesoleil.Alorsqu’ilsattendaientleursbagages,Fannieannonça:

—Mamanestmorte.

BenneserisquapasderegarderEdwina.Soussavoilette,elledevaitêtremortellementpâle.

—Jelesais,répondit-ilcalmement.J’aiéténavrédel’apprendre…

Ils’interrompitunbrefinstant,cherchantfébrilementlasuitedesaphrase,cependantquelesautresretenaientleursouffle.

—…Maisjesuisravidetesavoirenbonnesanté,Fannie.Nousétionstoustrèsinquiets.

Lapetitefillemanifestasasatisfactiond’unhochementdetêteavantdeselancerdanslerécitdesesaventures.

—M.Gelm’amordulesdoigts,dit-elle,enexhibantsamain.

Teddyaattrapéfroid.Ilabeaucouptoussé,maisilvamieuxmaintenant.

Le porteur arriva avec les bagages. Tout le monde s’engouffra dans la limousine que Ben avaitempruntéeaujournal.

—C’est gentil d’être venu nous chercher,murmuraEdwina, tandis qu’ils roulaient en direction ducentre.

Benacquiesça.Ilconnaissaitdéjàcettedouleurdéchirantequel’onéprouveàlaperted’êtreschers.LetremblementdeterrequiavaitdévastéSanFranciscosixansplustôtavaitemportésafemmeetsonfils.Ilenavaitététerrassé,nes’étaitjamaisremarié.Songarçon,s’ilavaitvécu,auraitl’âgedeGeorges.C’étaitpeut-êtrepourquoicedernieroccupaituneplaceparticulièredanssoncœur.

Letrajetsedérouladansunmornesilence.Toussongeaientàlamêmechose.Àlagrandedemeurevide qu’ils allaient retrouver. Et quand enfin la voiture remonta l’allée familière, Edwina réprima unsanglot.C’étaitpirequ’ellene l’avaitpensé.Les fleursque leurmèreavaitplantéesavant leurdépartrendaient, par leurs couleurs éclatantes, plus affligeante encore la solitude environnante. La limousines’immobilisa,uneminutes’écoula,interminable.

—Allez,venez,dit-elledoucement.

Ilsseretrouvèrentdevantleperron,brasballants,jambesflageolantes.Laporteétaitlà,touteproche,maischacunsecontentade lacontempler, incapabledebouger.Edwinaentra lapremièreet lesautressuivirentsansunmot.Lajeunefillesefigeaaumilieuduvestibuleavecunlégersursaut,croyantentendretoutàcouplavoixdesonpèreenprovenancedupremierétage.Maisiln’yavaitrienàentendre,biensûr,rienquelesilence.Unsilencepesant,insupportable.Sesnerfssetendirentdouloureusement.

—Maman?fitTeddyenlatirantparlamanche.

Ladernièrefoisqu’ilavaitvuKate,c’étaitsurlepontduTitanic.

MaisTeddyétaittropjeune—ilavaitàpeinedeuxans—pourconcevoirlamort.Elles’agenouillaprèsdelui.

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—Mamann’estpasici,monchéri.

—Non?Partie?

—Oui…

Edwinaseredressaavecunlourdsoupiretôtasonchapeauqu’elle jetasuruneconsole.Têtenue,elleparaissaitplusjeune.

—C’estdurderevenir,n’est-cepas?ajouta-t-elled’unevoixplate.

Oui,c’étaitdur.PhilippuisGeorgesacquiescèrent.Alexiasedirigeasans riendirevers l’escalierqui dominait le hall, semit à gravir lesmarches d’un air figé. Il ne fallut pas plus d’une seconde àEdwinapourdevineroùelleallait…Philipl’interrogeaduregard,prêtàintervenir,maisellesecoualatête.

—Celaira.Laisse-la.

Unenouvellepausesuivit,etsoudainlavierepritsoncours.Lechauffeurdelalimousineapportalesbagagesetaumêmemoment,MmeBarnes,leurgouvernantedetoujours,jaillitdelacuisineenessuyantsesmainssursontablierblancfraîchementamidonné.Lavieillefemme,quivouaitunvéritableculteàlamaîtresse demaison, fondit en larmes avant de serrer dans ses bras, l’un après l’autre, les enfants deKate.

«Celaneserapasfacile»,seditEdwina,émueauxlarmeselleaussi.Danslesjourssuivants, ilsseraientamenésàrevoirtouslesprochesdeleursparentsetchaquerencontreremueraitlecouteaudanslaplaie.BertetKateavaientuncercled’amisetderelationstrèsvaste.Ilyauraitsûrementunefouledecondoléances, une multitude de questions auxquelles elle allait devoir répondre. Décrire les scènesatrocesquis’étaientdérouléessurl’océanglacéreprésentaitunetâcheau-dessusdesesforces.

Benpritcongéunedemi-heureplustard.

—Quand voudriez-vous que nous parlions du journal? s’enquit-il sur le seuil de la porte où ellel’avaitraccompagné.

—Quand,eneffet?murmura-t-elle,lesyeuxanxieux.

—Lorsquevousvousensentirezlecourage.

Ils’étaitexpriméd’unevoixapaisante.Ilsefiguraittrèsprécisémentcequ’elledevaitressentiretnevoulaitpaslabrusquer.

Elle se mordit les lèvres, jeta par-dessus son épaule un bref coup d’œil de crainte que cetteconversationneparvienneauxoreillesdesenfants.Ilsn’étaientpluslà…GeorgesetPhilipavaientgagnéleurschambres,MmeBarnesavaitentraînéFannievers lacuisinepour lui fairegoûtersescookies, lepetitTeddyleuravaitemboîtélepas.

Beninsista:

—Nousdevronsprendreuntasdedécisions.

—Àquelsujet?

II fallait qu’elle sache. Il le fallait absolument.Durant ces derniers jours, elle n’avait cessé de semorfondre.Edwina ignorait toutde la situation financièrede sonpère.DuvivantdeBert, tout était sisimple! Le journal semblait être une mine d’or… Mais si, contrairement aux apparences, l’affairepériclitait?EllescrutalevisagedeBen,aucombledel’inquiétude.Entantqueconseillerjuridiquedela

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famille,luiseulpouvaitlarenseigner.

—Ausujetdujournal,biensûr,delamaison,desinvestissementsdeBert,etc.Et…pourquoivouslecacher?D’aprèsvotreoncle, lebonsenscommande la liquidationde tousvosbiens. Ilestd’avisquevousseriezmieuxenAngleterre.Reposez-vous,Edwina,nousessaieronsderésoudrecesproblèmesplustard.

Unetransformationimpressionnantes’étaitopéréesurlevisagedelajeunefille.Pendantunmoment,elleeutl’aird’hésiterentrel’abattementetlacolère.Finalement,lacolèrel’emporta.

—Qu’est-cequemononcleaàvoirlà-dedans?cria-t-elle,sesyeuxlançantdeséclairs.Iln’estpasmontuteur.

—Non, mais conformément aux souhaits de votre mère, vous serez sous la tutelle de votre tante,jusqu’àvotrevingtetunièmeannée.

—Dieumerci,c’estdanstroissemaines.

Illavitsourirepourlapremièrefoisdepuisqu’ill’avaitaperçuesurlequaidelagare.Bensourit,luiaussi.Edwinaluiapparutsoudain,commeunefemmeintelligentequisavaittrèsexactementcequ’ellevoulait.Cetaspectdesapersonnalitéluiavaitjusqu’alorséchappé.

—Pensez-vousquejeseraiobligéedevendrelejournal,Ben?

—Riennepresse.Bertasus’entourerdecollaborateursdévouésetefficaces.Celavousrapporteraun revenu confortable pendant quelques années. Mais chaque entreprise a besoin d’un directeurcompétent, d’unemain fermepour tenir les rênes. J’espère voir un jourPhilip dans le fauteuil de sonpère. Si cela ne l’intéresse pas, vous pourriez alors envisager de lancer une offre d’achat. Enattendant…pourquoipasvous,Edwina?

Ilséchangèrentunsourirecomplice,puisellesecoualatête.Non,saplaceétaitici,prèsdesesfrèresetsœurs,pasdansunbureau.

—Nousenreparleronslasemaineprochaine.Maisautantquevouslesachieztoutdesuite,Ben.Jen’irainullepart.Etjenevendrairien.Jegarderaitoutpourlesenfants.

—Vousendossezunelourderesponsabilité,Edwina.

—Peut-être. C’est pourtant mon devoir. Tout restera exactement comme… comme avant. Je m’yemploieraidetoutesmesforces.

Elle était déterminée, il n’avait aucun doute là-dessus. Ben inclina la tête. Élever cinq enfantsreprésentaitunemissionarduepourunejeunefilledevingtans.Or,Edwinapossédaitlaperspicacitédesonpère,lecœurchaleureuxetlecrandesamère.Peut-êtreavait-elleraison…

Benparti,ellerefermalaporte,s’adossaaubattant,promenaunregardaigusurledécor.Oneûtditunemaisonabandonnée.Pasdefleursdanslesvases,pasd’odeursfraîches,pasdebruitsagréables.

Elle allait y remédier, mais chaque chose en son temps. Les enfants d’abord! De sa place, ellepercevait le gazouillis des deux petits. Ils jouaient donc dans la cuisine, sous l’œil vigilant deMmeBarnes.Lesgrands,maintenant…Deséclatsdevoixtémoignaientd’unedisputehomériqueentrePhilipetGeorges à propos d’une raquette de tennis… égarée? ou cassée? elle n’aurait pas su le dire. Et lachambred’Alexia était vide.Naturellement, elle avait vu juste.La fillette avait dû se réfugier là-haut,danslesappartementsdeleursparents.

Edwinamonta à l’étage,dépassa sapropre chambre, s’engageadans le couloir.C’était péniblede

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pénétrerdanslesquartiersquiavaientappartenuàBertetKate.LesfenêtresdonnaientsurEastBay.Lesoleiltapaitsurlesvitres.Ilyfaisaitunechaleursuffocante,signequ’onn’avaitpasaérerlapiècedepuislongtemps.

—Alexia?appela-t-elledoucement.

—Ellesavaitqu’elleétaitlà.

—Machérieoùes-tu?Tuneveuxpasdescendreaurez-de-chausséeavecmoi?Tunousmanques,tusais…

EtKatemanquaitàAlexia,celaaussiellelesavait.

Ellepassadanslecabinetdetoilettedesamère,unejoliepiècetenduedesatinrosepâle,considéraun instant,enrefoulantses larmes, l’ordreparfaitdeschapeauxalignéssur le rayondeboisblond, leschaussuresélégantesqueKateneremettraitplus,lespotsdecrèmesdebeautédisposéssurlacoiffeuseenacajou.

—Lexia,oùes-tu?

Aucune réponse.Dans le cabinet ensoleilléd’oùémanait encoreunevagueetprécieuse senteurdeparfum,iln’yavaitquelesilence.

Edwinapoussalaporteenmiroirdelapenderie.

—Alex…

Savoixs’étranglalorsqu’ellelavit.Lapetitefilletenaitsachèrepoupéedeporcelaineaucreuxdesesbras.Leslarmeslaissaientunsillonbrillantsursesjoues.Edwinaselaissatombersurlesgenoux.

Sespropreslarmessemêlèrentbientôtàcellesdesasœur.

—Alexia,machérie,jet’aimetellement,murmura-t-elle.Peut-

êtrepasdelamêmefaçonqu’elle,maisjesuislà,prèsdetoi,fais-moiconfiance.

La douce fragrance qui venait des vêtements de Kate éveillait inéluctablement l’insupportablesouvenirdubonheurperduàjamais.

EdwinaeutlavisiondescostumesdeBert,suspendusdanslecabinetvoisin,etpourlapremièrefoisle doute s’insinua dans son esprit. Et si elle avait eu tort? Si elle n’aurait pas dû revenir dans cettemaison?

—Jeveuxmaman!criaAlexiaensecramponnantàsasœur.

—Jesais,trésor,jesais…Maisellepartie…Mamanestaucieletmoijesuislà,Alexia.Jamaisjenetelaisseraitouteseule.

—Cen’estpasvrai!Elleaussim’apromisdenejamaismelaissermaisellel’afait.

Edwinalaserraplusfort.

—Ellenel’apasfaitexprès,chérie.Ellen’arienpuempêcher.Ellenel’apasvoulu,tusais.

Si,ellel’avaitvoulu!pensa-t-elleenmêmetemps.Cettepensée,terrible,obsédante,lahantaitdepuisle début. PourquoiKate avait-elle refusé d’embarquer dans le canot de sauvetage avecEdwina et lesenfants?Ou,plus tard, lorsqu’elleavait cruAlexiaensécurité,pourquoin’avait-ellepaspris lecanotsuivant?D’autreschaloupesavaientquittéleTitanic…MaisKaten’étaitdansaucune.Elleavaitchoisideresteravecsonmari,Edwinal’avaitsuparPhilip.Soudain,elleenvoulutàsamère.Commentavait-

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ellepulesabandonner,tous?Fannie…Alexia…Teddy…Elleregardasasœur,lagorgenouée.

—Jenesaispascequis’estpassé.C’estarrivé,etpuisvoilà…

Mamannousmanque,ellenousmanqueratoujours,maisilfautcontinueràvivre.Telétaitsonsouhait,j’ensuissûre.

Alexiaselaissaredressersursesjambes,maisaumilieudelapièce,elles’immobilisa,hésitante.

—Jeneveuxpasallerenbas.

Unelueurdepurepaniquepassadanssonregardet,alorsqu’Edwinas’efforçaitdel’entraînerhorsducabinetdetoilette,ellesebraquacommesiellecraignaitdeneplusjamaisrevoirlesvêtementsdeKateouderespirersonparfumdélicat.

—Lexia, sois raisonnable. Nous ne pouvons pas rester éternellement ici. Il faut descendre,maintenant.

Tout doucement, elle la prit dans ses bras, la souleva commeun bébé pour la transporter dans sachambre.Peuàpeu,Alexiasecalma.Seslarmestarirent,sessanglotss’apaisèrent.Edwinaregagnalevestibule, rassérénée. Finalement, elle avait eu raison de ramener ici les enfants. La grande demeureparaissaittropvide,troptriste,exactementcommeellel’avaitredouté.Maisilss’habitueraient…

Oui,ilss’habitueraient…

Ils finiraient par accepter l’idée que leurs parents étaient morts. Le souvenir de Kate et de Bertresteraitdansleurmémoire,aussivivantquecesfleurséclatantesdanslejardin.

Cettenuit-là,lapremièrequ’ilspassèrentàlamaison,Edwinalaissasurlatabledechevetd’AlexiaunflacondeparfumquiavaitappartenuàKate.Dèslors,elleenreconnutsouventl’odeursurMrs.

Thomas, la poupée d’Alexia. Cette simple bouffée de parfum, toujours présente, lui rappelaitconstamment Kate. La femme qu’ils avaient tous adorée. Et qui avait préféré mourir avec l’hommequ’elleaimait.

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Chapitre10

EdwinajetaàBenJonesunregardfuribond.

—Jem’enfiche!Jenevendraipaslejournal,unpointc’esttout!

—Votreoncleestd’unaviscontraire,Edwina. Ilme l’aclairementexpliquédans la lettreque j’aireçuede luihier.Faitesaumoins l’effortdeconsidérer sesargumentsavantdemonter survosgrandschevaux.LordHickhamamûrementréfléchiàlaquestion.Ilenaconcluques’iln’yapasunmembredelafamilleWinfieldàlatêtedujournal,celui-ciiraautomatiquementàsaperte.Parailleurs,ilpersisteàdirequevousallezau-devantdegravesennuissivousn’allezpasvousinstallerenAngleterre.

—Balivernes!Philipprendraladirectiondujournald’icicinqans.

Ben laissa échapper un soupir. Edwina avait l’air de savoir ce qu’elle voulait… Et si elle setrompait?Sisononcleavaitraison?

—Danscinqans,Philipaura tout justevingt etunans,observa-t-ild’unevoixà la foisgentille etferme.Iln’aurapaslesdentsassezlonguespours’imposerauxrequinsdelapresse.

Ilpensaitqu’elle-mêmeétaittropjeunepoursefairerespecterparcinqgaminsmaiss’abstintdeledire.

Par un excès d’abnégation, Edwina s’était imposé un fardeau insoutenable. Peut-être, en effet, SirRupertoffrait-illameilleuresolution.

—Papas’étaitentourédepersonnescompétentes,s’entêta-t-elle,vousmel’avezditvous-même.Unjour,Philipseraenpositionde…

—Ets’ilneveutpas?interrompit-il.Sicelaneluiditrien?

—J’aviseraientempsetenheure.Pourlemoment,j’aid’autreschatsàfouetteretrienneprouvequelejournalestenpertedevitesse.

Elle avait les traits tirés. Il la sentait tendue, demauvaise humeur, presque agressive.Depuis sonretour,ellen’avaitpaseuuneminutederépit.Ilyavaittantdedémarchesàeffectuer,tantdeproblèmesàrésoudre.LesobligationsbancairesdeBert,quelquesvaleursboursièresdeKate,leurscomptescourants,un terrain en Californie du Sud…Durant de longues nuits d’insomnie, elle avait pris la décision devendrele terrain.Maiselleconserverait lamaison.Et le journal,biensûr.Enversetcontre tout…Lesenfantsconstituaientunautresujetd’inquiétude.DefréquentesdisputeséclataiententreGeorgesetPhilip.Lepremier avaitobtenudesnotesdésastreusesà l’école, le secondvivaitdans la craintede rater sesexamens.Edwinal’aidaitàrédigersesdevoirstouslessoirs.Etpuis,ilyavaitlescris,leslarmes,lescrisesdenerfsd’Alexia…Etsescauchemars…Àboutdeforces,Edwinaenétaitvenueàredouter latombéedelanuit.Maislesnuitssuccédaientauxjours,lesjoursauxnuits,avecuneeffrayanterégularité.Oneûtditunerondeinfernaledontilfallaitrépéterinlassablementlespas,sansjamaispouvoirs’arrêter.C’étaitsansfin.Dumatinausoir,Edwinaaidait,consolait,guidaitlesautres.

Sesproprestracasnecomptaientpas.Danssonnouvelunivers,iln’yavaitguèredeplacepoursestourments,nipourladouleurconstanted’avoirperduCharles.

—Edwina?

—LavoixdeBenlatirabrutalementdesaméditation.

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—Pourquoin’iriez-vouspaschezvotreoncleetvotretantependantunmoisoudeux?

Ellelescrutad’unairsuspicieux.

—Pourquoifaire?

—Laissez-vous décharger de toutes ces responsabilités qui vous pèsent.Lord etLadyHickhamnedemandentqu’àvousvenirenaide.

Elleneparutpasconvaincue.

—Non, déclara-t-elle finalement, les yeux brillants de larmes. Ils ne veulent pas nous aider. Ilsveulentnousrécupérer…fondergrâceànouslafamillequ’ilsn’ontjamaiseue.Necomprenez-vousdoncpas?Nousn’avonspluspersonneaumonde.

—Non,répondit-ilfermement.Vousêtesensemble.

LenomdesHickhamnefutplusprononcé.Edwinaretournaplusieursfoisdansl’étudejuridiquedeBen, afin d’examiner avec lui tous les dossiers en suspens.Les rares fois où il essaya de ramener laquestionsurletapis,ellesemontraintraitable.

Il étaithorsdequestiondecéder auxexigencesde sononcle.Sa résolution semblait inébranlable.Ellearrivait,s’asseyaitsurlevastefauteuilfaceaubureaudeBen,sepenchaitsurlesfeuilletsqu’illuiprésentait, puis prenait une décision. Lorsqu’un détail lui échappait, elle n’hésitait pas à poser desquestions,carellevouaitàBenuneconfiancesanslimite.Lavivacitédesonesprit,lapertinencedesesobservationsforcèrentbientôtl’admirationdujuriste.

—Noussommesd’accord,n’est-cepas?Jegardelejournal!dit-elleunjour.

Ilneputqu’acquiescer.

—Oui…Tantqu’ilvousrapporteunrevenudécent.Silemoindreproblèmesurvient,nousprendronsalorsd’autresdispositions.

Ilne restaitplusqu’àconvaincreSirRupert.Elle s’yappliquaavecuneconstance remarquable.«Nous vous serons éternellement reconnaissants, expliqua-t-elle à son oncle lors d’une longuecorrespondance,maispourl’instant,nousavonsbesoinderepos.Lesenfantssontencoretrèssecouésparles événements que vous connaissez, un changement total de leurs habitudes nemanquerait pas de lesbouleverserdavantage.Ici,dans lamaisonqui lesavunaître, ilsaurontplusdechancedes’épanouir,j’ensuispersuadée.

Maiss’ilnousestimpossibledequitterlaCalifornie,vous,enrevanche,ainsiquetanteLiz,pourrieznousrendrevisitequandvousvoudrez.Vousserezlesbienvenus.»

Levieuxlordfinitpars’incliner.Ilsesentitmêmesoulagé.Safemmel’avaitsuppliédeprendreenchargelesenfantsdesapauvresœuret,pendantunmoment,ils’étaitprisaujeu.

IlréponditpolimentàEdwinaqu’ilétaitprêtàl’accueilliraucasoùellereviendraitsursadécision.Au fond, il savait qu’elle ne changerait pas d’avis. Tante Liz prit la relève et envoya un courriervolumineux à sa nièce. « J’aimerais tant venir vous voir », répétait-elle inlassablement dans chaquelettre.Hélas,lasantédesonépouxs’étantdétériorée,ellen’osaits’éloignerduchâteau.

—Nousnepartonspas,déclaraEdwinaàBen,l’affaireestréglée.

Ilsétaientcommed’habitudedanslebureaudujuriste.

—Je ne crois pas que je serai jamais tentée de retraverser l’Atlantique, ajouta-t-elle d’une voix

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étouffée,presquedansunmurmure.Jedoutemêmed’êtreunjourcapablederemonteràbordd’unbateau.

Lesréminiscencesdunaufragenes’étaientpasestompées.

Chaque nuit apportait son lot de terreurs. À peine Edwina, épuisée par la fatigue de la journée,fermait-ellelesyeuxquelespectrehideuxduTitanicsurgissait.Àpeines’abandonnait-elleausommeilque,du fondde son subconscient, émergeait lacoquemonstrueuse, érigéecontreunpandecielglacé,prêteàplongerdanslegouffrenoir.Lesmêmescauchemarshantaientlesautres.Euxnonplusn’auraientvoulu, pour rien aumonde, remettre les pieds sur un bateau, encoremoins aller vivre dans lemanoirsinistred’oncleRupert.

—Jecomprends,réponditBen.

Ellesursauta,commesielleavaitoubliésaprésence,etillaregardasansparveniràdissimulersonadmiration.

Touteautrejeunefilledesonâgeseseraitbornéeàpleurerlamortinjustedesonfiancé,calfeutréedanssachambre.Paselle.

Edwinaétaitforte.Etfière…Edwinagardaitlatêtehaute.Seulecettelueurd’ineffabletristessequ’ilavaittantdefoisperçuedanssesprunellesd’unbleuprofondtrahissaitsondésarroi.Bentoussotapours’éclaircirlavoixavantd’aborderunnouveauproblème.

—Excusez-moidevousimportuneraveccettepéniblehistoire,maisj’aireçuunenouvellelettredelaWhiteStarLine.Ilsaimeraientsavoirsivousavezl’intentiondeporterplaintecontrelacompagniepourladisparitiondevosparents.Jenesauraistropvousconseillerdelefaire,Edwina.Undédommagementrenfloueraitvosfinances.

D’autrepart…

Leursregardsserencontrèrentetils’interrompit,frappésoudainparsabeauté.L’affreuxcoupdusortqu’ellevenaitdesubirl’avaitmûrie.Lafragilejeunefilles’étaitmuéeenfemme.L’instantsuivant,elledétournalatête.

—Laissez tomber, fit-elle en s’approchant de la fenêtre et en regardant à travers la vitre. Je nedemanderairien.

Enunefractiondeseconde,unemultituded’imageschaotiquesluitraversèrentlatête.Sesparentssurlepontdesembarcations…

Alexia dans la penderie de leurmère…Teddy et Fannie sur leurs petits lits dans l’infirmerie duCarpathia…Lemagnifiquevoiledemariéequ’elleneporteraitpas…LesgantsdeCharlespieusementconservésdansuneboîtedecuiraufonddesacommode…Àcombiens’élevaitlaperted’unpère—etd’unemère? Et d’un homme que l’on aime de toutes ses forces?Quel pouvait être le prix d’une viebrisée?

—Non, rien, répéta-t-elle d’une voix lasse. Aucune somme d’argent ne peut racheter ce que j’aiperdu.

Benhochalatête.Unefoisdeplus,ilcomprenait.

—Vousn’êtespaslaseuleàpenserdelasorte.LesAstor, lesWidener,lesStraussonteulamêmeréactionquevous.Ilsn’entamerontpasdepoursuites.

Elleseretournaetrevintversluiensedemandantsielleparviendraitunjouràtrouverlapaix.

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—Oh,Ben,quandcelas’arrêtera-t-il?QuandAlexiacessera-t-elledesefaufilerdansleplacarddemamanpourreniflerl’odeurdesesfourrures?QuandPhilipperdra-t-ilsonairdemartyr?DanscombiendetempsTeddyneréclamera-t-ilplusnosparents?EtGeorges…

Voyant les larmesperler aubordde ses cils, il contourna lebureauet lui enlaça les épaules.ElleenfouitsonvisagedanslecoudeBen,commeellel’auraitfaitavecsonpère.

—MonDieu,quandvais-jepouvoirm’endormirsansrêverd’eux?

Sansavoirl’impressionqueCharlesestprèsdemoi?

Elle sanglota longuement dans ses bras. Puis, se reprenant, elle se dégagea, sortit de son sac unmouchoirdebatisteets’essuyalenez.

Benémitunsoupir.Quepouvait-onrépondreàunefillequeledestinavaitaussidurementéprouvée?Mêmelemouchoirqu’elletenaitavaitjadisappartenuàsamère.Commentluidirequ’elleallaitoublier?

—Laissezfaireletemps,Edwina.Ilyaseulementdeuxmoisquelemalheurs’estproduit.

Elleacquiesçalentement.

—Oui,biensûr,letemps…Jesuisdésolée…

L’ombred’unsourirefrôlaseslèvres,alorsquesapetitemaingantéeredressaitsonchapeau—unmodèleravissantqueKates’étaitprocuréàParis.Illafîtraccompagnerparsonchauffeur.Alorsqu’ellelesaluaitd’unsignedelamainàtraverslavitredelavoiture,ilserepritàpenserquec’étaitunefilleextraordinaire.Non,pasunefille,secorrigea-t-ilensilencel’instantsuivant,unefemme…Unefemmeremarquable.

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Chapitre11

Mais’écoula,puisjuin.Enjuillet,EdwinaemmenatoutelafamilleaulacTahoe,àl’endroit-mêmeoùlesWinfieldavaientl’habitudedeserendre.Lapropriété,quedesamisdeBertmettaienttouslesansàleurdisposition,comportaitquelquespimpantespetitescabanesdisséminéesdanslesarbres.Lesjourssesuccédaientparesseusementdanslanatureluxurianteet,auboutd’unesemaine,lavieaugrandaircolorad’unrosedélicatlesjouesdesenfants.

GeorgesetPhilipredécouvrirentlesjoiesdelapêcheetdesrandonnéesàtraverslaforêt,pendantqueleurssœursetTeddyseprélassaientsousd’amplesparasolsauborddugrandlacmiroitantausoleiloubarbotaientdansl’eau.

Peu à peu, le sentiment d’angoisse qui n’avait cessé d’oppresser Edwina depuis la nuit fatale dunaufrage s’apaisa.Lanuit, elle restait étendue sur son lit, yeuxouverts, passant en revue lespaisiblesévénementsdelajournée.Invariablement,sespenséessetournaientversCharles.Quoiqu’ellefît,celafinissaittoujoursainsi…Commel’étéprécédentavaitétédifférent!BertetKateavaienteulagentillessed’inviter Charles, dont Edwina avait fait la connaissance à San Francisco, et le jeune Anglais avaitapportédesprésentsàtoutlemonde.UnmonocycleàGeorges,deslivresreliésenbasaneàPhilip.

Desjouetsauxplusjeunes…UnetendreamitiéliaitalorsCharlesetEdwina.Cefutlorsdeceséjourqu’ilss’avouèrentleuramourmutuel,aprèsunelonguepromenade.

Lesoir-même,cenefutplusunsecretpourpersonne.EdwinadutsubirlesimpitoyablestaquineriesdeGeorgesmaisnes’enoffusquapas.Àvraidire,elles’enrenditàpeinecompte.Ellen’avaitd’yeuxquepourCharles.

Revoirlesentierbordédeverdurequ’ilsavaientempruntélapremièrefoisluiavaitcauséunevivedouleur.Maiselleavaitviterefouléseslarmesenseforçantàrevenirauprésent.Lesjourssuivants,lesoucideremplacerKateaccaparasonesprit.ElledonnadesleçonsdenatationàAlexiaetàGeorges,jouaavecFannieetTeddy,prêta,desheuresdurant,uneoreillecomplaisanteauxconfidencesdePhilipquinepensaitplusqu’àsesétudesàHarvard.

Elleétaittoutcequ’ilsavaientaumonde,àprésent,leurmère,leurpère,leuramieetconseillère.

Benleurrenditvisiteunesemaineplustard,avecuntasdecadeauxpourlesenfants,commeill’avaittoujoursfait,etquelqueslivrespourEdwina.Lajeunefemmevenaitderemonterdulac,encompagnied’Alexia,Teddydanssesbras.

—Ehbien,dit-il,jesuisravidevousvoirenaussibonneforme.

Lecœurserré,ilpensaenmêmetempsàsonbonvieilamiBert.

Edwina l’accueillitparunsourirechaleureux,Teddypoussauncrid’allégresse,Alexia,piedsnus,cheveuxauvent,sependitjoyeusementàsoncou.

—Merci,réponditEdwina.Lesenfantsavaientbesoindevacances.

—Vousaussi,machère.Vousavezuneminesuperbe.

Ellesemblaitreposée.Lesoleilavaitteintéd’unlégerhâledorésesavant-brasetsespommettes.Sesyeuxbleusavaientretrouvéleurancienéclat.Iln’eutguèreletempsd’acheversescompliments,carlesenfantssemirentàsautillerautourdelui,l’invitantàjouer.

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Iln’eutplusqu’às’inclineretdutattendredesheurespourreprendresaconversationavecEdwina,confortablement installés sur lapetiteplate-formequi servaitdevérandaà sa cabane,dans la lumièreincertaineducrépuscule.

« C’est merveilleux d’être ici, loin de tout », pensa-t-elle, mais elle garda le silence, craignantd’éveillersessouvenirs.Pourtant,ellesavaitqu’ellepouvaittoutdireàBen.Depuisquelquetempselleavaitenfincomprispourquoielleétait retournéeàTahoe…Pourquoielleavaitvoulurevoir le lieuoùelleavaitétésiheureuseavecsesparents.Audébut,sanss’enrendrecompte,elleavaitreprislecheminsinueuxque,tantdefois,elleavaitempruntéavecKate,Bert…etplustard,avecCharles.Elles’yétaitlonguementaventuréeetavait,toutàcoup,constatéleurabsence.Celal’avaitfrappéesubitement,commeune évidence. Plus jamais Kate et Bert ne flâneraient dans cette forêt… Plus jamais Charles nereviendrait d’Angleterre. Ils étaient tous partis. Définitivement. Aucun d’eux ne réapparaîtrait ici ouailleurs.Laterrecontinueraitdetournersanseux…

Ettandisquelecouchantauréolaitdelueursfauveslamontagne,ellesesurpritàparlerd’euxàBen.Ensemble,ilsévoquèrentlesétéspassés.Partiesdepêche,baignades,baladesenbarquesurlelac.Ilserappela,enriant,lafoisoùBertavaitsurgidusous-boisrecouvertd’unevieilledescentedelitenpeaud’oursetqueKateavaiteusipeur…Edwinas’esclaffa.

Ellen’avaitpasrid’aussiboncœurdepuisuneéternité.ToutparaissaitsisimpleauprèsdeBen.Toutàcoup,onpouvaitparlerdupassésansprendredesminesdecirconstance,onpouvaitmêmeenrire.Etcerireclair,spontanérendaitKate,BertetCharlesplusproches,plushumains.Elleditqu’elleaimeraitbienentendrelesenfantsriredelamêmechose.

—Ilsyarriveront,Edwina.Vousavezfaitdubontravail.

Elleleregarda,reconnaissante.Ellen’enétaitpastoujourssûre.

—J’essaie,répondit-elledansunsoupir.Cen’estpastoujoursfacile.

Ils étaient encore traumatisés, elle le voyait à mille détails. À l’air absent d’Alexia, à l’énormeinquiétudedespetitsdèsqu’Edwinasortaitdeleurchampdevision,àl’étrangedocilitédeGeorges,auxsempiternelsdoutesdePhilipausujetdesesétudes.

—Ce n’est jamais facile d’élever des enfants, bien que ce soit une merveilleuse vocation.Cependant…

—Ils’interrompit,commes’iln’osaitpasluidévoilerlefonddesapensée.

—Edwina, nem’en veuillez pas, mais vos parents ne s’étaient pas entièrement consacrés à votreéducation.BertetKates’amusaient.

Ilsvoyageaient,s’entouraientd’amis.Votremèresepassionnaitpourmillechoses,votrepèreavaitlejournal…

—Essayez-vous,parhasard,demepousseràchercherdutravail?

letaquina-t-elle.

Bensecoua la têteensouriant.C’étaitunbelhomme,pensa-t-elle toutàcoup;elle l’avait toujoursconsidérécommelemeilleuramidesonpère,unesorted’oncleadoptif.

—Biensûrquenon.Vousdevriezplutôtrevoirdesamisdevotreâge,sortir…

DurantsesfiançaillesavecCharlesFitzgerald,ilssortaientpresquetouslessoirs.Benl’avaitsouventaperçuedansdestoilettessplendides,appuyéeaubrasdujeuneBritannique.Iltrouvaitqu’ilsformaient

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untrèsbeaucoupleet l’avaitditàBertetàKate.Avecsonallure,Edwinaétait faitepour lessoiréesmondaines, pas pour mener une existence de recluse, ni pour jouer les veuves éplorées avec cinqorphelinsdanssesjupons.Savieétaitpeut-êtrebriséemaispasterminée,loindelà.

—Quesontdevenuestoutescessomptueusessurprises-partiesoùvousétiezsanscesseinvitée?

IlomitdementionnerlenomdeCharles,afindeluiépargnerunepeineinutile.

—Jen’aipasenvied’yaller,répondit-elle,leregardbas.

Comment pourrait-elle valser dans les bras d’un cavalier qui ne serait pas Charles? C’étaitimpensable. Inconcevable. Les mondanités, les réceptions, les bals, la laissaient indifférente. Nonseulement elle n’irait plus nulle part, mais elle porterait le plus longtemps possible le deuil de sesparents.EllerafraîchitàcesujetlamémoiredeBen,quirestainflexible.

—Non,Edwina.Nevousenfermezpas.Ilnefautpas.

—Unjour,peut-être…

Lesgrandsyeuxbleuprofondrestèrentévasifs,etBennelacrutqu’àmoitié.Elleavaittoutjustevingtet un ans et se comportait commeunevieille dame.Son anniversaire était passé inaperçu cette année.Saufqu’elleavaitatteintsamajoritéetpouvait,dèslors,signertouslespapiersadministratifs.

Bendormitdanslacabanedesgarçons,partitaveceuxàlapêcheauxaurores—ilétaitàpeinecinqheuresdumatin—pendantque les autres rêvaient encore.Lorsqu’ils revinrent, fiers commeArtaban,brandissant un panier nimbé d’une forte odeur de poisson, Edwina était en train de préparer le petitdéjeunerdans lacuisinecommuneassistéeparSheilagh, lanouvelle Irlandaisede service.C’étaitunegentille fille, mais les enfants lui préféraient Oona. Or, ce matin-là, Sheilagh marqua un point en seproposantpournettoyerlepoisson.

Edwina le fit frire enpestant contre l’odeurmais ses frères firent la sourdeoreille. Pour une foisqu’ilsrentraientenrapportantquelquechose,aulieud’expliquerpourquoiilsn’avaientrienattrapé,ilsnegâcheraientpasleurjoiepourunehistoirederelentdefriture.

LeséjourdeBenàTahoepritfinauboutdequelquesjoursquisemblèrentaffreusementcourtsàtoutlemonde.Edwinaservituncopieuxlunchdanslejardin.Lerepasterminé,ilvoulutprendrecongé.PhilipetGeorges brillaient par leur absence.On ne les avait pas vus depuis lematin quand,munis de leuréquipement,ilsétaientpartisàlapêche.BenétaitentraindedireaurevoiràEdwina,quandlavoixdePhilipexplosadanslaclairièreensoleillée.

—Tusaiscequ’ilafait,cepetitsaligaud?hurla-t-il,encourantverssasœuraînée,fouderage.II…il…

Ils’arrêtauninstant,horsd’haleine,avantdepoursuivre:

—Ilm’alaissédormirsurlabergeetquandjemesuisréveillé,qu’est-cequejevois?Sachemise,seschaussuresetsonchapeauflottantsurl’eau.Jel’aiappelé,jel’aicherchépartout,j’aifouillélelacàl’aidedebâtonsdebois…Etj’ai…

Àlapâleurdesonvisage,Edwinadevinasaterreur.Sesvêtementsétaientmaculésdeboue,ilavaitdeuxonglescassés,lesbrascouvertsd’égratignures.Etilclaquaitdesdents.

—J’aicruqu’ils’étaitnoyé!hoqueta-t-il,avantdedétournerlatêtepourdissimulerseslarmes.

ToutsoncorpssemitàtrembleretilseruasurGeorgesqui,àsontour,émergeaitdelafutaie.Sesdoigtscomprimèrentcruellementl’oreilledesonfrère,puiss’agrippèrentàsesépaulespourlesecouer

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sanspitié.

—Nefaisplusjamaisça,as-tucompris?Net’envasplusjamaissansmeprévenir.

Illuiassenaunegifle.

—Jetel’auraisditsitunedormaispas,sedéfenditGeorges,enlarmesluiaussi.Toi,outuronfles,outuaslenezdanstesbouquins.

Tunesaismêmepasparquelboutprendretacanneàpêche.

Philipcontinuadelesecouerdeplusenplusfortsansmêmesoupçonnerqu’illuifaisaitmal.

—Qu’est-cequepapaaditl’annéedernière?Personnenes’éloignesansdireoùilva.Est-ceclair?

Encorequelquesmoisplustôt,ilseseraitmontrécertainementplusindulgentvis-à-visdecettepetiteescapade.Maislapertedeleursparentsconféraitauxincidentslesplusinsignifiantsunparfumdedrame.Nepouvantplusreculer,souspeinedeperdresadignité,Georgesfixasonfrèredansleblancdesyeux.

—Jen’airienàtedire,grogna-t-il.Tun’espasmonpère.

—Non,maisc’estàmoiquetudoisobéirmaintenant.

Furieux,Georgeslançasonpoingenavant,maisPhilipesquivalecoup.Ilssedévisagèrentuninstant,levisagehaineux,lesyeuxfiévreux,puisGeorgeshurla:

—Jen’obéiraiàpersonne!Tun’espaspapa,tuneleserasjamais,et…jetedéteste!

Edwinaretintseslarmes.Lesquerellesdesesfrèresluidéchiraientlecœur.Bens’interposaentrelesdeuxgarçonsqui,telsdespugilistes,s’apprêtaientàs’affronter.

—Allons,lesenfants,envoilàassez.

IlécartadoucementGeorges.Philiprestalà,brasballants,poingsserrés.L’instantsuivant,illançaunregardféroceàEdwinaetcouruts’enfermerdanssacabaneenclaquantlaporte.

Etunefoisàl’intérieur,s’effondrantsursonlit,ilsemitàsangloterdésespérément.Parcequ’ilavaiteupeurqueGeorgessesoitnoyé.Etaussiparcequesonpèreluimanquait.

AuxyeuxdeBen,cettescèneillustraitparfaitementl’étatdechocdanslequelsetrouvaientencorelesenfants.Pourlacentièmefois,ilseditquelesfrêlesépaulesd’Edwinanesupporteraientpaslongtempsunsilourdfardeauets’envoulutdenepasl’avoirpousséeàdéménagerchezlesHickham.Ilouvritlabouchepourluifairepartdesesréflexionsmais,devantsonregardaniméd’unedéterminationfarouche,ilseravisa.Lajeunefemmenetrahiraitjamaissesidées.

Elledésiraitardemmentsauvegarderl’unitédelafamilledansuncadreconnu,iciouàSanFrancisco,pasailleurs.Ileûtétévaind’essayerdelapersuaderducontraire.

Finalement,lesgarçonssecalmèrent.Ilyeutmêmeunetentativederéconciliation,trêvetropfragilepourêtrerespectéeplusd’unjouroudeux.

—Ilsvontbienmaintenant,annonça-t-elle.CelaapprendraàPhilipànepaslancerseshameçonsaularge et quant àGeorges, il faut qu’il comprenne que ses plaisanteries ne sont pas toujours d’un goûtexquis.Ilréfléchiradeuxfoisavantderecommencer.

—Maisvous,Edwina?

Comment parviendrait-elle à s’imposer à deux grands garçons, presque des hommes, tout ens’occupantde troisenfantsplus jeunes,sans lamoindreassistance?Ellenesemblaitpasvraiments’en

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rendrecompte.

—Moi?Jenemedébrouillepassimal…—ellesourit—jelesaime.

—Jelesaime,moiaussi,cequinem’empêchepasd’êtreinquietàvotresujet.Écoutez,monpetit…Sijepeuxaiderenquoiquecesoit,dites-lemoi.

Ellel’embrassagentimentsurlajoue.Benlaregardalongtempsàtraverslavitrearrièredelavoiturequileconduisaitàlagare.Deboutsurlavéranda,danslalumièrevertedel’été,Edwinaagitalamainensigned’aurevoir.

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Chapitre12

En août, ils revinrent à San Francisco. Edwina commença à assister aux réunions du conseild’administration du journal. Souvent, Ben l’accompagnait. S’asseoir dans le fauteuil que Bert avaitoccupépendantde si longuesannéesprocurait à la jeune femmeunmalaisequ’elle segardaitbiendemontrer.Elleprésidaitlesréunionsdansunseulbut:préserverlepostededirectionjusqu’àlamajoritédePhilip.

CefutquelquesjoursaprèsleurretourdeTahoequelepaquetarriva.Arméedecisaillesetdegantsdejardinage,Edwinataillaitlesrosiers,quandellevitlefacteurremonterl’allée.Iltransportaituncolisauxdimensionsimpressionnantes,«postéenAngleterre»,précisa-t-ilàMmeBarnesquienpritlivraisonsurleperron…SansdouteundesenvoisdetanteLiz…Edwinasemitàarracherlesherbesfolles.

Uneheureplustard,sontabliernoircriblédebrinsdegazon,ellepénétradanslevestibuletoutenretirant ses gants de grosse toile froncés aux poignets. Elle ôta ensuite l’ample chapeau de paille quiprotégeaitsapeaudélicatedusoleilcalifornien,etc’estalorsqu’ellerevitlepaquet.MmeBarnesl’avaitlaisséenévidence,etelleavaitbienfait, sinonEdwina l’auraitoublié.Elles’approchaenfrottantsespaumesmoitessursajupepoussiéreuse.Soncœurfitunbondinsensé.Lenomdel’expéditeurn’étaitpascelui desHickham.C’était celui desFitzgerald, et elle reconnut les arabesques finement élaborées del’écrituredelamèredeCharles.

Edwinafitundétourparlacuisinepourselaverlesmains,revintdansl’entrée,montaàl’étagemuniedu paquet. Seule dans sa chambre, elle le posa, tremblante, sur le lit. Par chance, en dehors deMmeBarnes,iln’yavaitpersonneàlamaison.Lesgarçonsétaientsortisavecunebanded’amis,Sheilaghetlestroisplusjeuness’étaientrendusauGoldenGatePark.Personnen’allaitl’interrompre.

Attentivement,avecunelenteurdélibérée,elledéfîtl’emballage.

D’après le cachet de la poste, il avait mis plus d’unmois pour lui parvenir. Sa taille imposanteformaitunétonnantcontrasteavecsalégèreté—commes’iln’yavaitrienàl’intérieur.

Lesderniers fragmentsdepapier s’envolèrentdans la corbeille,mettant à jouruneboîte encartonblancetlisse.Etlà,surledessus,uneenveloppebleupâlefrappéesurlecoinsupérieurgauchedublasondesFitzgerald.Ellelaposasurlacourtepointesansl’ouvrir,dénoualeruban,soulevalecouvercle.Soncœurcessadebattre…

C’étaitlà.Levoiledemariée,d’unblancirréel,queMmeFitzgeraldauraitapportéàlafiancéedeson fils unique si elle était venue au mariage. Des mètres et des mètres de tulle perlé, brodé deminusculesdiadèmesenfildesoie.Sesdoigtsenfiévrés le tirèrentde laboîteet il tourbillonna telunnuage arachnéen dans la pièce.Et tout son corps s’arqua, comme sous l’effet d’une indicible douleur,quand elle le posa sur sa tête.Lemiroir lui renvoya le reflet de son visage luisant de larmes, de sescheveuxdéfaits sous le halo transparent, du tablier dont la couleur noire rappelait trop cruellement leblancivoirind’unerobedesatinperdue,larobequ’elleneporteraitpas.

Edwinas’assitsurlereborddulit,sansôterlevoile,décachetalalettre.

«Edwina,machérie,lut-elle,etoneûtditquelavoixaristocratiquedeMmeFitzgeraldprononçaitdoucementcesparoles.

Nous pensons énormément à vous, mon mari et moi. Voilà quatre mois que vous avez quittél’Angleterre. J’ai peine à le croire, comme j’ai peine à comprendre comment la catastrophe a pu se

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produire.

«Jevousenvoielevoileavectousmesregrets.Monmarietmoi-mêmeenavonslonguementdébattuetavonsconcluquevousseulepourriezleconserver.Ceseralesymboledel’amourquenotreCharlesvousaportéjusqu’àsonderniersouffle.Vousreprésentiezcequ’ilchérissaitleplusaumonde,etjesuisconvaincuequevousauriezététrèsheureuxensemble.Rangezquelquepartcetteboîte,machèreenfant.Ne la regardezpas tropsouvent…Justeune foisde tempsàautre,afindevoussouvenirquemon filsvousadorait.

«J’espèresincèrementvousrevoiriciunjour.Enattendant,embrassezdemapartvosfrèresetsœurset quant à vous,ma très chèreEdwina, recevezmes pensées les plus affectueuses,maintenant et pourtoujours.»

Aveuglée par un brûlant flot de larmes, elle eut du mal à déchiffrer la signature de MargaretFitzgerald.Combiendetempsresta-t-elleainsiprostréesursonlit?Uneminute?Uneheure?Plus?

Le claquement d’une porte la fît sursauter. Elle perçut des éclats de voix dans l’entrée, des pasprécipitéssurlavoléedemarches.

Bondissantsursespieds,elleôtalevoile,lefitruisselerdanslaboîtedontellerabattitlecouvercleavantdelafairedisparaîtreaufondd’unependerie,justeaumomentoùFannieentraitentrombedanslapièce.Toutsourire,l’œilbrillantd’excitation,lafilletteseblottitdanslesbrasdesagrandesœur.

—Leparcaunnouveaucarrousel,babilla-t-elle.

Sans remarquer les paupières gonflées d’Edwina ni son visage ravagé, Fannie se lança dans uneflamboyantedescriptiondecettemerveille. Ilyavaitdeschevauxenboispeintde toutes lescouleurs,avec des harnais de bronze ornés d’étoiles, et de la musique, bien sûr, beaucoup de musique! Et çatournait,çatournait…Etpuisaussidestraîneauxmulticolores,bienquecefûtbeaucoupplusdrôleàdosdecheval.

—Etilyavaitégalementdesbarques,poursuivit-elleenfronçantlessourcils,maisnousonn’aimepaslesbarques,hein,Teddy?

Legarçonnetvenaitd’entrerdans la chambre, suivid’Alexia. Il fit nonde la tête, sesgrandsyeuxfixés sur le visage d’Edwina d’un air interrogateur, comme s’il sentait que quelque chose n’allait pasmaissanspouvoirdirequoi.

Plustard,aprèsquelesplusjeunesfurentaulit,Philipdemanda:

—Quesepasse-t-il?Qu’est-cequetuas,Weenie?

SanatureinquiètelepoussaitparfoisàendosserlerôledeBert.

Elleluisourit,prêteànier.

—Rien,pourquoi?—maissonsourires’effaça.—J’aireçudesnouvellesdeLadyFitzgerald.

—Oh…Commentva-t-elle?

Ellefitunehalte,alorsqu’ilsgravissaientl’escalier.

—Bien…jesuppose…

Il la regarda d’un air compréhensif. À dix-sept ans, il était parfaitement capable de se figurer lasouffrancequ’elleressentait.

Lesnerfsd’Edwinalâchèrentsubitementetelles’appuyasursonfrère.

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—Demain,murmura-t-elled’unepetitevoixtourmentée,àpeineaudible,demainseraitle…le…

Illuifutimpossibled’articulerlasuite.EllesentitlamaindePhilipsursonépaule,setournaverslui,lesjouesbrûléesparuntorrentdelarmes.

—Cen’estrien…Excuse-moi…

—Oh,Weenie…

Ill’entourad’unbrascompatissantpourl’aideràfranchirlesdernièresmarches.Surlepalier,ellechancelaetillaretint.

—Seigneur, pourquoi est-ce arrivé? chuchota-t-elle. Pourquoi n’y avait-il pas assez de canots desauvetage?

Ilneréponditrien,n’osantformulerderéponse.Edwinahaussalementon,aveccetteexpressionderévoltequi,parfois,jetaituneombresursestraits.Pourquoilessecoursn’étaient-ilspasarrivésàtemps?Pourquoi leCalifornian n’avait pas répondu aux appels de détresse? Pourquoi…Mais qu’importait àprésent?Ellesemitàpleurersansbruitdanslesbrasdesonfrère.Plustard,danssonalcôveobscure,ellecontinuaàverserdeslarmesamères.

Longtemps…Celaaussifiniraparpasser,pensa-t-elledanssondésespoir,aprèslanuitvientlejour.Saufquelelendemainauraitdûêtrelejourdesonmariage.

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Chapitre13

LesfêtesdeNoëlsansBertetKatefurentuneépreuveassezpénible,surtoutpourlesaînés.Edwinadéployauneastucieusestratégie,afinquelespetitssoientconstammentoccupés.Benvolaàsonsecours,visitaavec lesgarçons leSalonde l’automobile, emmena tout lemondeà l’illuminationde l’arbredeNoëlàFairmontHotel.

D’autresamisde leursparentsvinrent égalementà la rescousse.Maisces invitationsne firentquerendrel’absencedeKateetBertencorepluscruelle.

Alexiademeuraitunsujetd’inquiétudepermanentepourEdwinaqui,pourtant,neménageaitpassesefforts.Aufildutemps,lapetitefilles’enfonçaitdansunemorositésingulière.Plusd’unefois,Edwinaladécouvrit, après l’avoir cherchée partout, dans la chambre de leurmère ou le dressing-room attenant,assisesurlepoufcapitonnédesatinrose.Etchaquefois,cefutlacroixetlabannièrepourlatirerdelà.

Edwinaéprouvait toujoursuncurieuxpincementaucœurenpénétrantdanslesappartementsdesesparents. La vaste pièce, si gaie autrefois, prit à la longue des allures de mausolée. Rien n’avait étédéplacé,lespenderiesregorgeaientdevêtements—Edwinan’avaitpaseulecouragedes’endéfaire—,lesmeublesetlesobjets,soigneusementépoussetésparMmeBarnes,faisaientpenserauxtémoinsmuetsd’undrame.

Lesbrossesàcheveuxàmanched’ormassifayantappartenuàKate,sespeignesetsesdémêloirsenivoires’alignaientsurlacoiffeuseexactementàlaplaceoùellelesavaitlaissés.

—Jenepeuxpasentrerdanscettepiècesansmemettreàpleurer,seplaignaitlavieillegouvernante.

Auboutd’unmoment,elles’inventadebonsprétextespourneplusy remettre lespiedsetquantàSheilagh,ellerefusasèchementdemonter«là-haut»,mêmepourchercherAlexia.

Detempsàautre,toutcommeAlexia,Edwinaressentait lebesoinimpérieuxdeseréfugierdanscequiétaitdevenuàsesyeuxunesortedesanctuaire.Ellenel’avaitditàpersonne,pasmêmeàPhilip,maislà-haut, aumilieu d’objets familiers, Kate et Bert lui semblaient plus proches. Voilà huit mois qu’ilsétaientmorts.Huitjoursouhuitsiècles…

Aprèslesfêtes,lespremièresqu’ilspassèrentseuls,ellesesentitexténuée.Elleavaitdûsedémenerdesjoursdurantafindecréeruneatmosphèreplaisante,surtoutpourlespetits.EtcommeKatel’avaitfaitles années précédentes, Edwina décora le sapin, enveloppa unemontagne de cadeaux dans du papierdoré,fitrépéterauxplusjeunesleschantsdeNoël,conduisittoutsonpetitmondeàlamessedeminuit.LejourdeNoël,aidéeparMmeBarnes,elleservitlatraditionnelledindedanslagrandesalleàmanger.BenJonesfutleseulinvité,cetteannée-là.Ildéversaunmonceaudeprésentssouslesapin,puistenditàEdwinaunpaquetornéderubanssoyeuxqu’elledéfitprestement.

—Oh…fit-elle,tombantenextasedevantunsplendidechâleencachemireindiend’unbleudélicat.

Elleleporteraitenavril,quandelleauraitfinideporterledeuildesesparentsetdeCharles.

—J’ai failliprendreunchâlenoir,dit-il,mais jemesuis ravisé.J’aihâtedevousrevoirdansdesrobesdecouleur.

—Merci,c’estvraimentmagnifique.

—LescadeauxdeBenmaintenant!jetaGeorges,malicieux.

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Bendéchiralepapier,mettantàjourunepeintureàl’huilequeGeorgesavaitcomposéedansleplusgrandsecret.

—Maisc’estmonchien!s’écria-t-il,reconnaissantaussitôtlemodèle,cequimitlejeuneartisteenherbeaucombledelajoie.

Philip luioffritunporte-plume joliment sculpté.EtEdwina remità leur invitéuneminusculeboîtedans laquelle il trouva une paire de boutons demanchette en saphir sélectionnée avec uneminutieuseattention dans la collection deBert. La jeune femme avait demandé au préalable l’autorisation de sesfrèresetilslaluiavaientaccordéesansuneombred’hésitation.Benétaitlemeilleuramietleconseillerdeleurpère,dirent-ils,ilsauraientplaisiràlevoirportersesboutonsdemanchette.

La journée s’écoula paisiblement. Après le repas que tous les convives trouvèrent succulent, ilspassèrentausalonoùMmeBarnesapportalecaféetlesgâteaux.Benrayonnait.

Noëlavaittoujoursété,pourluiaussi,uncapdifficileàpasser,carilnepouvaits’empêcherdeseremémorer d’autres Noëls, bien plus heureux, auprès de sa femme et de son fils. Alors qu’il sirotaittranquillement l’excellent café en grignotant les délicieux petits gâteaux de Mme Barnes, il eut lasensationd’êtreenfamille,ànouveau…Onpapota,onracontadeshistoires,onritmême.

Finalement, Teddy s’assoupit sur ses genoux. Ben le porta dans son lit, sous le regard attendrid’Edwina.Évidemment,Fanniesautasur l’occasionpour lesupplierde l’emmener,elleaussi,danssachambre.

Il s’exécuta de bonne grâce et dut même aller border une Alexia boudeuse. Au moment où ils’apprêtait à quitter la pièce, la petite fille, sortant de sa réserve habituelle, le gratifia d’un sourirelumineux.

Benrevintausalon.Avantdeprendrecongé,ildégustaunverredeportoencompagnied’Edwinaetdesgarçons.IlquittalagrandedemeuredesWinfieldsubmergéparunbien-êtrequ’iln’avaitpaséprouvédepuislongtemps.

Leréveillonfutfêtédanslasobriétéet,lejourdel’an,tanteLizdébarquaàSanFrancisco.Elleétaitengranddeuil, coifféed’un immense chapeaunoir àvoilede crêpe et gantéedenoir également, à telpointqu’EdwinasedemandasioncleRupertétaitdécédé.Ellefutvitedétrompée.Aprèsavoirverséuntorrentdelarmessursapauvresœuretsoninfortunébeau-frère,Élisabethselançadanslesombrerécitdessouffrancesdesonépoux.

—Le malheureux a souffert le martyre depuis l’automne, mais grâce à Dieu, il a conservé sonhumour…IIvouspassesonbonjour,biensûr,s’empressa-t-elled’ajouter,avantdefondredenouveauenlarmes.

TanteLizexprimaensuiteledésirdefaireletourdelamaison.

Chaquepièce,chaqueobjet,chaquephotoencadréefutlepréluded’unelonguelamentation.

—Je nem’habituerai jamais à la disparition demon unique sœur ni à l’idée que ses enfants sontorphelins.C’estaffreux!

Ellesemoucha,renifla,sanglota,déploralesortinjustequiluiavaitinfligéuncoupaussiécrasant.

—Nous essayons de continuer à vivre, plaida Edwina calmement, mais sa tante ne voulut rienentendre.

—Cespauvrespetitsontuneminedepapiermâché,décréta-t-ellepeuaprès.Quileurfaitlacuisine?

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—Lamêmepersonnequ’avant,tanteLiz.MmeBarnestravaillecheznousdepuisdesannées.Tut’ensouviens,n’est-cepas?

—Georges et Philip sont à un âge difficile, répliqua à brûle-pourpoint l’arrivante, changeantbrusquementdesujetdeconversation.Lesdangerssontinnombrablesdenosjours,j’espèrequetut’enrendscompte,Edwina.Unegrandesœurn’ajamaispuremplacerl’autoritépaternelle.

Ellen’avaitpasprécisélanaturedecesdangersetEdwinasegardabiendeleluidemander.Enhuitmois,Élisabethavaitlittéralementfonduetsemblaitenproieàuneprofondedépression.

Lorsqu’elleentradanslecabinetdetoilettedesadéfuntesœur,elleparutuninstantsurlepointdes’évanouiretlavuedelachambreàcoucherluiarrachauncrid’animalblessé.

—MonDieu,Edwina,commentas-tupufaireunechosepareille?

glapit-elle, l’œil accusateur. Laisser tout comme c’était, comme s’ils allaient réapparaître, d’uninstantàl’autre!Seigneur,jamaisjenem’enremettrai…Ilfautviteempilerleursaffairesdansdesboîtesencarton,changerladispositiondumobilier…MonDieu…

Ellesemitàsuffoquer.Edwinaluitenditunverred’eauquePhilipluiavaitdiscrètementapporté.

—C’est vrai, ma tante, mais nous n’avons pas eu le temps… le courage plutôt, d’effectuer desrangements.Maisnousleferonsdèsquenousenauronslaforce…Écoute,jesaisquetuasdelapeine…

—Ohoui,unepeineimmense.

—Ilfaudrapourtantessayerdelacacher,tanteLiz.Neserait-cequepourlesenfants.Tâchedenepaspleurerdevanteux,celarisquedelesperturber.

—Commesionpouvaits’arrêterdepleurersurcommande.Tun’asdoncpasdecœur?

Lesmots semuèrent en sanglots bruyants,Liz s’effondra sur laméridienne dans le salon privé deKate,levisageempourpré.EdwinalaconfiauninstantàPhilip,sortitsurlepalieretappelaSheilagh.

—Allezfaireunepromenadeauparcaveclesenfants.

LessanglotsdeLizserépercutaientàtraverstoutelademeure.

Revenuedanslepetitsalon,elletrouvasatanteàpeuprèsdanslemêmeétat.Sessanglotss’étaienttransformésenhoquetsetseslarmesmouillaientletissunoirdesarobe.

—Tunepeuxpas imaginerceque j’ai souffert,Edwina.Personnenepeut l’imaginer.Cesderniersmoisontétépourmoiuncalvaire,entends-tu?Uncalvaire!Tuignorespeut-êtrel’affectionquejeportaisàKate.Elleétaitmasœur…monuniqueparente…etjel’aiperdue,comprends-tu?

Siellecomprenait!…Edwinaseforçaaucalme.L’afflictionnepouvaitcertainementpassemesureraunombrededéfunts,maistoutdemême!LamortavaittoutprisàEdwina.Samère,sonpère,sonfiancé.EtmêmelapauvreOona.Lizn’avaitpasl’airdes’enrendrecompte.Seulesapropredouleurcomptait.

—TuauraisdûécouterRupert,quandilt’aimploréedevenirt’installerenAngleterre.J’auraisétélà,j’auraisprissoindetoi,devoustous,reprit-elle,avecunregardendirectiondePhilip,quiétaitrestédebout,dosàlafenêtre.

Unbrefsilencesuivit.Lizpenchalatête,afindedissimulerunegrimacededépit.ElleenvoulaitàEdwina. Elle lui en voulait terriblement. En opposant un refus net et catégorique aux propositions deRupert,saniècel’avaitprivéedurôledemèrequ’elleavaitdésirésiardemmenttoutesavie.Avecsafiertémalplacée,Edwinaluiavaitdérobéladernièrechanced’avoirunefamilleàelle.

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—Bah,avaitditRupert,quandelleseradanslepétrin,ellerepenseraànous.

Cependant,lesmoisétaientpassésetriennes’étaitproduit.

D’aprèscetavocataveclequelRupertétaitrestéencontact,Ben…

comment s’appelait-ildéjà,Bond…Bones…Jones?…Edwinaassumait àmerveille sesnouvellesresponsabilités.

MaisEdwinaétaitjeune,ellereferaitsûrementsavie.PasLiz…Lizcontinueraitàmenersamorneexistencesansjoieetsansespoir.

—Tuasmalagi,continua-t-elle,avecunevéhémenceprochedel’agressivité.

—Masœursaitcequ’elleaàfaire,ditPhilip,furieux.

Edwinas’interposa,priagentimentsonfrèred’allervoirsiGeorgesétaitdanssachambre.Ladisputefutévitéedejustesse.

LeséjourdeLizduravingt-sixjoursetcefutundésastre.Pleurs,crisetjérémiadessesuccédèrentàlongueur de journée. En dépit des efforts d’Edwina, sa tante ne cessa de l’accabler de reproches. Lamaison étaitmal tenue, les enfants indisciplinés, la cuisine deMmeBarnes insipide. Liz insista pourempaqueterlesaffairesdeKateetdeBertetEdwinal’aidaàviderlespenderiesetlestiroirs.Puis,LadyHickham,enlarmes,choisitquelquessouvenirsparmilespossessionsdesasœur—deuxoutroisbijoux,un carnet de bal, une collection de cartes postales jaunies, des photos les montrant toutes deuxadolescentes,desbabiolesauxquellesniEdwinanilesenfantsnetenaientparticulièrement.

Le jour de son départ fut comme une délivrance. Ils l’accompagnèrent en voiture à la station duchemindeferàOakland.

Sur lequai,nouvellecrisede larmes.Enfin,Lizmontadans lewagondepremièreclasse, sansunregardenarrière.Durantcesvingt-sixjoursellen’avaitpasarrêtéuninstantdepleurer.Etellen’avaitpasdécoléré.Sarancuneladévorait.Liz,jadissidouce,envoulaitàlaterreentière.

Elle en voulait à la fatalité qui lui avait arrachéKate, àEdwina qui l’avait privée des enfants deKate,àSirRupertquiluiavaitgâchésavie.

—Jeladéteste!déclaraAlexia,surlecheminduretour.

—Ilnefautpas,réponditEdwinacalmement.

—Si!Ellet’aobligéeàmettrelesrobesdemamandansdespaquets.Ellen’enavaitpasledroit.

—Celan’apasd’importance,Alexia…Onn’oublierapasmamanpourautant.Maispeut-êtreétait-ceunpasversl’oubli,aprèstout.

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Chapitre14

LepremieranniversairedelamortdeBertetKateWinfieldfutcélébréle15avril1913àl’égliseparoissialedevantunevasteassembléederelationsetd’amis.Lepasteur,lorsd’uneémouvanteoraison,rappelalesqualitésdesdisparus.Leurgentillesse; leurparticipationactiveà laviedelacommunauté;l’affection qu’ils portaient à leurs enfants. Ceux-ci, assis au premier rang, buvaient les paroles del’orateurenportantdetempsentempsunmouchoiràleursyeux.

Aprèsleservicefunèbre,Edwinaoffritunlunchàquelquesamis.

C’étaitlapremièrefoisqu’ellerecevaitàlamaisondepuislafinatroceduTitanic.MmeBarnesetSheilaghavaientdressélatablededéjeuneràl’ombredesfeuillages,danslejardininondédesoleil.Ilsfêtèrent également l’anniversaire d’Alexia. La bonne vieille gouvernante avait concocté à cet effet unsublimegâteauauchocolatdécorédecrèmechantillyetderosesensucre—lepréférédeKate

—etlapetitefillesoufflasesseptbougiesdupremiercoup.

Selon les critères de la haute société, la période de deuil de Mlle Winfield étant terminée, lesinvitationscommencèrentàaffluer.Labaguedefiançaillesquimiroitaittoujoursàsonannulairegauchen’avait pas échappé à l’œil perspicace de certaines femmes du monde, et le ministre du culte avaitmentionnéCharlespendantl’office,maisonfitvolontiersabstractiondecesdétails.

Àvingt-deuxans, avec sabeauté et sa fortune,Edwina comptait parmi lesplusbeauxpartis de laville.Àl’occasiondulunch,elleavaitfaitl’objetdetouslesregardsmasculins,Benl’avaitremarqué.

Bizarrement,ilenfutmortifié.

—Quelbelaprès-midi,observa-t-il,aprèsquelesautresinvitésfurentpartis.

Edwinasourit.Elleavaitprisplacesurunebalançoire, tandisquelesenfantss’éparpillaientsurlapelouseensoleillée.

—Eneffet,approuva-t-elled’unairsatisfait.Et ledéjeuneraétéungrandsuccès…Jecroisqu’ilsauraientappréciécela.

—J’ensuisconvaincu.Etilsauraientétéfiersdeleursenfants.Etplusparticulièrementdeleurfilleaînée.

«Latendrepetitechrysalidequi,enl’espaced’unan,s’estmuéeenunpapillonéclatant»,songea-t-il,maisildit:

—Vousavezgagnévotrepari,Edwina.Vousavezréussiàredresserlasituation.

Ellesouritdenouveau.

—Vousmeflattez,moncher,maisc’estloind’êtreterminé.

Chaque enfant réclame une attention particulière. Georges doit améliorer ses résultats scolaires.Philipestmaladed’inquiétudeàl’idéequ’ilpourraitêtrerefuséàHarvard.EtAlexia…

—Elleémitunsoupir,sourcilsfroncés.

—Jenesaisplusquoifaireavecelle,jel’avoue.

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—Onpeutdifficilementfaireplus.Vous…

Ils’interrompitpourpermettreàuncouplederetardatairesdeprendrecongé.Edwinalessaluaavecunegrâceinfinie,prêtauneoreillecomplaisanteàquelquesanecdotesàproposdeBert.

Lorsqu’ilss’éloignèrentenfin,Benn’étaitpluslà.Edwinapassarapidementenrevuelejardin,—surunbanc,GeorgesetPhilipétaientengrandeconversation—etpénétradanslevestibule.

Personne.Ellejetauncoupd’œilàtraverslaportedelacuisineoùTeddy,FannieetAlexia,attablés,dévoraientlerestedugâteau.MmeBarnes,assistéeparSheilagh,rangeaitlesplatslavésetessuyésdansle buffet de la salle à manger… Elle retrouva Ben dans la bibliothèque, absorbé par les titres desvolumesquiencombraientlesrayonnages.Àsonapproche,ilseretourna.

—Vousavezreçuuntasd’invitations,n’est-cepas?

demanda-t-ilaprèsqu’ilseurentéchangéquelquesphrasesanodines.

Il regretta aussitôt ces paroles. Sapristi! Était-il jaloux?C’était difficile à admettre,mais il auraitpréféréqu’elleportâtencoresesternestenuesdedeuil.

—Oui…Lesgensontlamaniedesefierauxsimplesapparences.

Sousprétextequejenesuisplusennoir,ilsdoiventmeconsidérerprêteàsacrifierauxmondanités.Cen’estpaslecas,naturellement,maisilsnepeuventpascomprendre.

Il la regarda, envahi d’un étrange sentiment.Qu’était-ce?Du contentement?Du soulagement?Maispourquelleraison?sedemanda-t-il,incapabled’analysersessentiments.Voyons,Edwinan’étaitqu’uneenfant… la fille de son meilleur ami… Il accepta machinalement le verre de sherry qu’elle lui mitd’autoritéentrelesmains.

—Vousavezl’airsoucieux,remarqua-t-elle.

—Maisnon,pasdutout.

—Oh,si!Tenez,vousme faitespenserà tanteLiz.Dequoiavez-vouspeurau juste?Que,pardessortiesinconsidérées,jeruinemaréputation?EtquelenomdesWinfieldensoitterni?

Elles’étaitexpriméesurletondelaplaisanterie,etilneputs’empêcherderire.

—Onnepeutrienvouscacher!répliqua-t-ilsurlemêmeton,aprèsquoiils’assitsurlecanapé,sanslaquitterdesyeux.

—Edwina,commentpensez-vousorganiservotreviemaintenant?

Danslesilencequis’ensuivit, ileffleuraduregardlabagueendiamantdelajeunefemme.Pourvuqu’elleneleprennepaspourunfou!sedit-il.Pourtant,ilcommençaitàlepenserlui-même.Etcommeelleleconsidéraitsansunmot:

—Jesuissérieux,insista-t-il,etilvitlasurprisedanslesyeuxbleuprofond.Qu’allez-vousfairecetteannée?

Elles’abîmadansuneréflexionsansfin.

—Lamêmechosequel’annéedernière,jesuppose,répondit-ellefinalement.M’occuperdesenfants.Jenedésireriendeplus,Ben.

Pasàvingt-deuxans!s’insurgea-t-ilensilence.

—Edwina, vous regretterezun jour ce sacrificequevousvous imposez.Vous êtes trop jeunepour

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consacrervotrevieentièreàvosfrèresetsœurs.

—Celadépendquelsensondonneaumotsacrifice,sourit-elle,touchéeparsasollicitude.Est-ceunmalsi…

—Cen’estpasunmal,coupa-t-il.C’estdugâchispuretsimple.Ledevoirestcertesunevocationhonorable,maiscelanesuffitpaspourrendrelesgensheureux.Vosparentseux-mêmesnesecontentaientpasderemplirleursobligationsvis-à-visdeleurfamille.Ilsavaientautrechose…Leuramour…

Elleaussiavaiteuautrechose.Elleaussiavaiteul’amourdeCharles.Unamourqueriennepourraitremplacer…Benlafixaitavecunetelleintensitéque,l’espaced’unbrefinstant,ellesetroubla.

—Avez-vouscomprisdequoijeveuxparler,Edwina?

—Oui…biensûr…fit-elle,confuse,voussouhaitezmevoirheureuse…Etjelesuis,d’unecertainefaçon,ici,aveclesenfants.

—Est-ce vraiment ce qu’il vous faut? Je…— son hésitation ne dura pas plus d’une fraction deseconde—…souhaitevousoffriruneautreformedebonheur,Edwina.

Lesyeuxbleuss’agrandirentdémesurément.

—Vousvoulez…Ben…

Elleétaitloindes’endouter.Lapenséequ’ilpourraitnourrirunequelconquepassionàsonégardnel’avaitmêmepas effleurée.Ben la sentit tout à coup terriblement tendue.Et surprise. Il la comprenaitparfaitement.Ilavaitétélepremierétonnélorsqu’ils’étaitaperçudesafascinationpourelle.Audébut,ilavaitmiscelasurlecomptedel’affectionetdelatendressequetouthommeestendroitdetémoignerauxenfantsdesesamis.Peuàpeu,ilavaitvuclairenlui.Ill’aimait!DepuisNoël,ilnepensaitplusqu’àelle.Ils’étaitpromisd’attendrejusqu’enavril.Unanseseraitalorsécouléetlesdouloureusesimagesdupasséseseraientestompées.Soudain,ilsedemanda,angoissé,s’iln’auraitpasdûattendredavantage.

—Je…jenesavaispas.

Les joues en feu, elle détourna la tête, comme si le fait qu’il la désire lamettait dans un pénibleembarras.

—Jesuisdésolé,dit-ilenseredressantrapidementetenluiemprisonnantlesmainsdanslessiennes.J’auraismieuxfaitdemetaire,maistantpis.Maintenant,voussaveztout.Jevousaime…Jevousaimedepuislongtemps.Quellequesoitvotredécision,jesouhaiteconservervotreamitié.Vousêtestoutpourmoi,Edwina,ainsiquelesenfants.Vousperdremeseraitinsupportable.

—Vousnemeperdrezpas,fit-elledansunmurmureens’obligeantàledévisager.

Elleluidevaitbeaucoup.Etellel’aimaitaussi,àsamanière,commeonchéritunbonvieilamidelafamille.Maisc’étaittout.Ellenepouvaitluiaccordercequ’ildemandait…PorterleprécieuxvoiledemariéequigisaitaufonddesaboîtepourunautrehommequeCharless’avéraitau-dessusdesesforces.SoncœurappartenaitàCharlescommeaupremierjour.Etjusqu’audernier.

—Jenepeuxpas,Ben.Jevousaimebeaucoup,maisjenepeuxpas.

Ellen’auraitpasvoululeblesser,pourrienaumonde.

—Pourquoi?Est-ceencoretroptôt?

—Ellesecoualatête.

—Est-ceàcausedesenfants?Dites-lemoi,Edwina.

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Sacraintedelaperdresemuaitenpanique.

—Non,Ben.Lesenfantsn’ontrienàvoirlà-dedans.Vousnonplus,d’ailleurs,ajouta-t-elle,leregardsoudainvoilédelarmes.C’estàcausedeCharles.Jenepeuxpasletrahir.Jene…

Elle se tut, incapable de poursuivre. Ben continuait de la scruter. À présent, il regrettait sonimpatience.Iln’auraitpasdûlabrusquermais,aumoins,ilavaitreçuuneréponse.IlavaitlivrébataillecontrelesfantômesduTitanicetl’avaitperdue.

—Même les veuves se remarient parfois, dit-il cependant, animé par un nouvel espoir.Vous avezdroitaubonheur,Edwina.

—Sansdoute…—maisellen’avaitpasl’airconvaincue—c’estencoretroptôtpourledire…Etpuisnon!Jepréfèreêtrehonnêteavecvous,Ben,jenepensepasquejememarieraijamais.

—Voilàquiestabsurde.

—Peut-être.Entoutcas,lesenfantsm’empêcheraientdedevenirunebonneépouse.Jem’occupetropd’eux.Tôtoutard,monmarimelereprocheraitàjustetitre.

—Pasmoi.

Sonairblessélafitsourire.

—Qu’en savez-vous?Vousméritez qu’une femme vous consacre toute son attention. Pensez àmonemploidu temps: jen’auraipasuneminuteàmoiavantunebonnequinzained’années,dateà laquelleTeddyentamerasesétudesuniversitaires.C’estunpeulong,vousnetrouvezpas?

Ilréponditàsonsourireenhaussantlesépaules.Ilavaitperduetilenavaitconscience.Edwinaétaitune vraie tête demule.Une fois sa décision prise, il était impossible de la faire changer d’avis. Sonentêtementfaisaitpartiedesoncharme;iln’osaleluidire.Or,sesdéfautsnepesaientpaslourddanslabalance,faceàsesqualités.Soncourage,sonferventidéalisme,sonsensdel’humour.Benl’aimaitpourtoutcela.Etilaimaitaussisescheveux,sesyeux,sajeunesse.Ilpritlepartid’enrire.Ou,dumoins,defairesemblant.

—Eneffet,quinzeans,c’estunpeulong.J’auraialorsunebonnesoixantaineetvousnevoudrezplusdemoi.

—Simescinqpetitsdiablescontinuentàpompermonénergie,vousaurezsûrement l’airbienplusfringantquemoi.

Ilséclatèrentd’unmêmerirequis’éteignitpresqueaussitôt.

Edwinaluitenditlamain.

—Nem’enveuillezpas,Ben.Mavieleurappartient.

Elleprendraitsoind’euxjusqu’aubout,enversetcontretout,elleenavaitfaitlesermentàsamère.Lebonheurdesenfantscomptaitplusquelesien.Et,d’ailleurs,àquelbonheurpouvait-elleprétendre?

Leseulmariqu’elleauraitvouluétaitmort.Ellen’envoulaitpasd’autre.PasmêmeBen,malgrésonimmensetendressepourlui.IIlaregardalonguement,etelleperçutlalueurdedésespoiraufonddesesprunelles.

—Resterons-nousamis?interrogea-t-il.

Elleacquiesçadelatête,luttantcontreseslarmes.Commentpouvait-ilseledemander?Benétaitsonamilepluscher.Sonconseilleretsonconfident.Dansunélandesympathie,ellel’entouradesesbras,

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posalajouecontresapoitrine.

—N’endoutezpas,murmura-t-elle.Jenem’enseraisjamaissortiesansvous.

—Voussemblezvousensortirfortbienaucontraire,jeta-t-ilunpeusèchement,puisillaserracontrelui.

Illagardaainsienlacéeunmoment,danslesilence.Ilnetentapasdel’embrasser,nideplaidersacause.

Àdéfautdel’amourd’Edwina,ilsauraitsecontenterdesonamitié.Iltenaittropàellepoursepasserdupeuqu’elleluiaccordait.

Peuaprès,ilfranchitleseuildelademeuredesWinfieldd’unpaslourd.Etcommechaquefoisqu’ilquittaitEdwina,ilsentitsoncœursebriser.

LetélégrammedetanteLizarrivalelendemainmatin.OncleRupertétaitdécédélejouranniversairedelamortdeKateetdeBert.Edwinal’annonçaauxenfantsàl’heuredudîner.Ilseurentl’airaffecté,bien qu’elle feignît un calme qu’elle n’éprouvait pas réellement. Philip l’aida à rédiger un mot decondoléances.

Cependant,toutenenvoyantàsatantesesplusaffectueusespenséesetenl’incitantaustoïcisme,ellesegardabiendel’inviteràSanFrancisco.Saprécédentevisite, troismoisplustôt,avaitsuffisammentcausédedégâts.Touteréflexionfaite,elledécidadenepasporterledeuildeLordHickham.Ressortirles tenues noires queMme Barnes avait rangées au fond d’un placard aurait certainement des effetsnéfastessurlasensibilitédesenfants.Paracquitdeconscience,ellesevêtitdegrispendantunesemaine,puisrecommençaàs’habillernormalement.Elleavaitconstituéunenouvellegarde-robeenteintespastel,beige,rosepoudre,bleuclairassortiauchâledecachemirequeBenluiavaitoffertàNoël.

Elle continua à le voir, en tant qu’ami et conseiller, comme si rien ne s’était passé. Parfois, ilparaissaitembarrassé,maischaquefois,Edwinasavaittrouverlemotjustepourledétendre.Lespetitsne s’étaient aperçus de rien, pasmêmeGeorges. Seul Philip, lui sembla-t-il, s’était douté de quelquechose,carellesurpritàplusieursreprisessonregardfixésurBend’unairinterrogateur.

Enmai,Edwinafitsapremièresortie.Lajeunefemmeserenditchezuncoupleamidesesparents.Cefutunesoiréeagréable,quiauraitétéparfaitesilamaîtressedemaisonnel’avaitpasplacéeàtableprèsdesonfils.Celui-cifitd’honorablestentativespourdériderl’invitéequisetintsursesgardes.Essayait-ondelamarier,parhasard?sedemanda-t-elle,agacée,unefoisrentréechezelle.Lorsd’unedeuxièmeinvitation,ellefutconfortéedanssessuppositions.

Lefilsrestaàsescôtéspendanttoutelasoirée.C’étaitunjeunehommeséduisant.Vingt-quatreans,unegrossefortune,uneimmensepropriétéàSantaBarbara,etunpetitpoisàlaplacedelacervelle.Ellerefusa la troisième invitation.D’autres soupirants s’empressèrent autour d’elle au cours de différentessoirées. Edwina les écoutait gentiment, accepta éventuellement un compliment, mais n’encourageapersonne.Sesamies,toutesmariéesmaintenant—

certainesavaientmêmeunbébé—,nemanquaientjamaisdeluidemanderpourquoiellerefusaitderefairesavie.Ellesnecomprenaientpasquel’onpuisseresterfidèleàlamémoired’unhomme.MaisEdwinacontinuaàarborerlabaguedefiançaillesqueCharlesluiavaitdonnée.Àsesyeux,cettebaguereprésentaitl’époquelaplusheureusedesavie,sonseulamour.C’étaitàCharlesqu’elleavaitaccordésa main et son cœur, à Charles qu’elle avait promis une fidélité éternelle. Aucun autre homme neparviendraitàeffacersonsouvenir.Edwinaavaitrenoncéaubonheur,dèsl’instantoùelleavaitsuqueCharlesneréapparaîtraitpas.Sonexistencen’avaitplusqu’unseulbut,éleversesfrèresetsessœurs,

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elleselerépétaitobstinément,chaquefoisqu’unprétendants’efforçaitd’attirersonattention.

Cefutavecsoulagementqu’ellepartitàTahoe,enaoût,aveclesenfants.

PhilipavaitétéreçuàHarvarddeuxmoisplustôtetilnetenaitplusenplace.Dèsseptembre,ilserendraitàlavilledeCambridgedansleMassachusetts.

—Tuvasnousmanquer,avaitditEdwina,toutémue,enébouriffantlescheveuxdesonfrère.

EllepensaqueKateseraitfièredelui.

Ilss’installèrentàTahoe,danslespimpantespetitescabanesfamilièresenfouiesdanslaverdure.Lesoirde leurarrivée,aprèsque lesenfants furentendormis,PhilipetEdwinaprirentplacesur lapetiteterrassenimbéedeclairdelune.

—Es-tuamoureusedeBen?soufflasoudainPhilip.

Ilavaitlonguementhésitéavantdeposercettequestion.Ellesepenchaverslui,surpriseparletonmalheureuxdesavoix.Lesyeuxdugarçon,fixéssurelle,semblaientemplisd’inquiétude.

—Non,répondit-elle.

—Etlui?

—Quelleimportance?

Ilmarmonnaquelquechosed’inintelligiblequi traduisaitsonanxiété.Edwinarespiraprofondémentl’airfrais,l’esprittournéverslevoiledetullecachédansl’armoiredesachambre.

—Jen’aiaiméqueCharles,murmura-t-elle.Jel’aimeencore.Sansdoutel’aimerai-jetoujours.

—Ah,tantmieux…

—Ilsesentitrougiretbénitl’obscurité.

—Je…excuse-moi,Edwina,jen’aipasvouludireça.

—Maistul’asdit,fit-elleavecundouxsourire.

C’étaitdonccela.Elleappartenaitàsesfrèresetàsessœurs.

Curieusement, leurs parents avaient le droit de s’aimer, de vivre leur vie, de s’amuser. Pas elle.Edwinaétaitàeux.Pour lemeilleuretpour lepire, jusqu’àsamort.Oujusqu’àcequ’ilsn’aientplusbesoindesesservices.Elleleurétaittout.Elleétaitleurmère,leurpère,leurchose.

Tant qu’elle restait là, Philip, puis Georges, et plus tard Alexia, pourraient en toute quiétudeentreprendredesétudes,choisirunmétier,semarier…

—Quelledifférenceyaurait-ilsij’étaistombéeamoureusedeBen,tenta-t-elled’expliquer.Celanevoudraitpasdirequejevousauraisaimémoins.

—Onnesaitjamais.

Elle sourit enhochant la tête, sepenchadavantagepour l’embrasser sur la joue.Cen’était encorequ’unenfant,aprèstout,iln’avaitquedix-huitans.

—Net’enfaispas,dit-elled’unevoixdouce.Jeseraitoujourslà.

Ellen’avaitpascesséderépétercesmotsdepuisqueleurmèreétaitmorte.

—Bonnenuit,Philip,chuchota-t-ellepeuaprès,alorsquechacunsedirigeaitverssacabane.

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Il la regarda, rassuré. Il l’aimait plus que tout au monde. Ils l’aimaient tous. Edwina ne lesabandonneraitjamais.Ilspouvaientluifaireconfiance.

—Bonnenuit,Edwina.

La jeune femme rentra chez elle, referma sa porte, s’adossa contre le battant. Il ne lui restait plusqu’eux,pensa-t-elle,émueauxlarmes.Ellen’avaitplusriend’autre.Sauflevoiledemariéeenseveliaufonddel’armoire…etlabaguedefiançaillesquiflamboyaittoujoursàsondoigt.

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Chapitre15

L’expressdeHarvards’étiraitlelongduquaietlesvoyageurss’engouffraientrapidementdanslafiledes wagons. Une petite foule s’était réunie dans le compartiment de Philip, les Winfield au grandcomplet,biensûr,MmeBarnes,BenJones,unepoignéed’amisdujeuneétudiant,deuxdesesprofesseursfavoris.C’étaitpourluilegrandjour.

—Écris-noussouvent,nenousoubliepas,recommandaEdwina.

Avecunempressementdemèrepoule,elleluidemandaàmi-voix,afinqueluiseulpuissel’entendre,s’ilavaitbienrangélaliassedebilletsdebanquequ’elleluiavaitremiseunpeuplustôt.Ilréponditouid’unsignedetête,lestraitsilluminésd’unlargesourire,etfitminedeluidérobersonélégantchapeauornéd’uneplumed’autruche.

—Arrête!cria-t-elle,tandisqu’ilsedirigeaitverssesamis.

La jeune femme échangea quelques propos avec Ben, rappela Georges à l’ordre, l’empêchant degrimpersur lafenêtre,cherchaAlexiaduregard.Ellene l’aperçutpas toutdesuiteet,alarmée, tournadans tous les sens. Cette manie de s’éclipser… une onde de panique la parcourut. La dernière foisqu’Alexiaavaitdisparu,c’étaitàbordduTitanic.

Edwinaouvrit labouchepourl’appeler, ladécouvritdansuncoin,colléeàMmeBarnes,leregardrivé tristement sur son grand frère qui s’apprêtait à s’en aller…À l’abandonner…La veille au soir,Alexiaavaitpleuréabondamment,Fannieavaitfiniparl’imiter,etmêmeTeddys’étaitjointauchœurdeslamentations.

—Jepeuxveniraussi?dit-ilentirantPhilipparlamanche.

Celui-ciébauchaunemouecomiqueavantdelesouleverpourl’installersursesépaules.Lehautdelatêtedubambintouchaitpresqueleplafond,etillaissaéchapperunecascadederires,follementamuséparcenouveaujeu.EdwinasentitFannieaccrochéeàsajupe.«MonDieu,pensa-t-elle,pourquoifaut-ilqu’ilparte,luiaussi?»Illuisemblatoutàcoupqu’uneautrepériodedesonexistencevenaitdeprendrefin,quecedépartseraitsuivipard’autres,jusqu’àcequelafamillesoitcomplètementdémantelée.

L’instantsuivant,elleseressaisit.Leurpèreauraitététellementfiers’ilavaitétélà…

—Tuneseraspluslemême,l’avait-elleaverti,lorsd’undeleurslongsdébatsàTahoe.Lesétudesouvrentl’esprit,changentlavisiondumonde.Laconnaissanceconduitàlamaturité…etpeut-êtrequ’àtonretournousteferonsl’effetd’unebandedepetits-bourgeoisétriqués.

Philipavaitjuréquenon.IladoraitdiscuteravecEdwina.Ellealliaitl’humouràlasagesseet,malgréson jeune âge, semblait avoir unevuepersonnelle des choses.C’était unepersonne exceptionnelle, sedisait Philip. Charles l’avait également pensé. Ben aussi. Et, bien avant eux, Bert avait su apprécierl’intelligencedesafilleaînée.

—Tunousmanquerasénormément,dit-elleàPhilippourlaénièmefoisenl’embrassant.

Elle avait les yeux secs, car elle s’était promis de ne pas lui gâcher sa joie. Quelques semainesauparavant, Philip s’était déclaré prêt à rester à San Francisco. Elle lui avait opposé un refuscatégorique.

Ç’auraitétéégoïstedelepousseràrenoncerauxétudes.Philipavaitledroitdetentersachance,tout

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commesonpèreetsongrand-pèrel’avaientfaitavantlui.

—Bonnechance,fiston!murmuraBen,enserrantchaleureusementlamaindugarçon.

Onentenditlavoixducontrôleurcrier«envoiture»aumilieuduvacarmedeschariotsdebagagesetdes coups de sifflet.Le cœur serré,Edwina regardaPhilip donner l’accolade à ses amis.Enfin, il setournaverslesenfants,saisitFanniedanssesbrasetluiappliquaunbaisersonoresurlefront.

—Soissage,d’accord?NefaispastropenragerEdwina.

—D’accord!répliqua-t-elle,duhautdesescinqansetdemi,d’unevoixsolennelle.

Elleexhibaunsourireédenté—elleavaitperdudeuxdentsdelaitsurledevant—sesmenottessenouèrentautourducoudesongrandfrèreetdeuxgrosseslarmesroulèrentsursesjouesrondes.

Durantcetteannée,elleenétaitvenueàconsidérerPhilipcommesonpère.

—Reviensvite,souffla-t-elle.

D’un caractère doux, Fannie deviendrait sûrement une parfaite maîtresse de maison. Déjà elle sedistinguaitdanslestravauxdecoutureetdebroderie.«J’auraiquatorzeenfants»,déclara-t-elleunjour,avecunsérieuxquidéclenchal’hilaritégénérale.Philipl’embrassaunesecondefois.

—Jereviendraileplusvitepossible,jetelepromets.

Ils’avançaversAlexiaquileregardaittoujoursfixement.

Lapetitefilleluiportaitunprofondattachement,ilenavaitconscience.Souvent,aumilieudelanuit,alorsque,penchésurunouvrage, ilessayaitdemémoriserunchapitre,Alexiaentraitsurlapointedespieds,posaitunverredelaitsurlatabledetravail,puisressortaitensilence.Ill’enlaçatendrement.

—Prendssoindetoi,Lexia.Jereviendrai.

Elle ne cilla pas. Toutes ces promesses n’étaient que des mots, des paroles creuses, elle l’avaitcompris depuis longtemps.Depuis un an et demi, très précisément. Les gens vous disent gentiment aurevoir,aprèsquoiilssortentdevotrevieetonnelesrevoitplus,ellelesavaitbien.Sesparentsavaientdéjà agi de la sorte et maintenant c’était le tour de Philip. Elle le suivit du regard, cependant qu’ileffleuraitlescheveuxdeTeddyd’unbaiser.

—Etquantàtoi,petitchenapan,quejenetereprennepaslamaindanslaboîtedechocolats.

Legarçonnetgloussa.Unesemaineplustôt,ilavaitattrapéuneindigestionetilavaitfalluappelerlemédecin.

Lecontrôleurémitun«envoiture»tonitruantpourlasecondefois.Quelquesvoyageursdedernièreminutegrimpèrentdanslewagon.

—Horsd’ici,vilainvoyou!murmuraPhilipàGeorges,avecunclind’oeilcomplice.

Lesdeuxgarçonséchangèrentunepoignéedemains.Lesvisiteurssemirentàdescendredutrain,lamachinelâchaunlongjetdevapeurverslesrailsoùils’effilochaenpetitsnuagesblancs.EdwinapassalesbrasautourducoudePhilip.

—Àbientôt,monchéri.Soisbrillantélève…Etamuse-toibien.

—MerciWeenie…Mercidem’avoirpermisd’yaller.Sijamaistuasbesoindemoi…

—Jesais,coupa-t-elledansunsouffle.N’oubliepasquejet’aime.

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Elleleserraunedernièrefois,lesentanttremblantd’émotion,nepouvants’empêcherdepenseràsabrutaleséparationavecCharles…

Charlesquin’avaitpaseuletempsdeluidireaurevoir.

Sentant les larmes luipiquer lesyeux,ellesortitducompartiment,se retrouvasur lequaiavec lesautres, appuyée au bras de Ben. Les employés du chemin de fer semirent à fermer les portières, unhommeenuniformeagitaune lanternedevant le fourgonde tête, ilyeutdeuxcoupsdesifflet.Edwinaportasesmainsgantéesàsonvisage.LasilhouettedePhilipapparutà la fenêtre,unmouchoirblancàboutdebras.Lalocomotiveémitunronflementetl’expresscommençaàglisserlentementhorsdelagare.

Lemouchoir blanc flotta pendant un bout de temps à la fenêtre puis le train prit de la vitesse etEdwinaleperditdevue.

IlsprirenttouslecheminduretourdanslagrosseberlinedeBen.

Personne ne desserra les dents. À l’arrière, Alexia et Fannie essuyaient leurs larmes. Georgess’efforçaitvisiblementdeporterbeau,sansvraimentyparvenir.Etlorsquelademeureapparutauboutdel’allée,Edwinaeutlasensationd’ungrandvide.

Benles laissadevant leportail. Ils traversèrent le jardindansunsilencepesant.L’intérieur leurfitl’effet d’un tombeau.Le soir tombait insensiblement.Georges emmenaTeddydans la cour derrière lamaison.Ilsjouèrentauballonjusqu’àcequ’Edwinasortîtàleurrecherche.Fanniel’avaitaidéeàmettrelatable,cependantqu’Alexia,prostréesurlecanapé,s’abîmaitdanslacontemplationdelabaievitréeoùlalumières’amenuisait.

Cefutungroupesilencieuxquise réunit,cesoir-là,autourde lagrande tableovale.EdwinaavaitdemandéàMmeBarnesdepréparerunpoulet rôtique lesenfantsadoraient.ElleapportaellemêmeleplatetpriaGeorgesdedécouperlavolaille.

—C’esttoil’hommedelamaisonmaintenant!rappela-t-elled’untonquisevoulaitenjoué.

Illorgnalegrandcouteauqu’elleluitendait,s’ensaisitcommed’unpoignardettransperçalepouletdepartenpart.

—Georges!Qu’est-ce…

—Laisse-moifaire,Edwina.

Ilsectionnad’uncoupterribleuneaileaprèsl’autre,faisantgiclerlejussurlanappeblanche.FanniepouffaetTeddyne tardapasà l’imiter.Alexias’esclaffaàson touretpeuaprès, tout lemonderiaitàgorgedéployée,mêmeEdwina.

—Georges,jet’enprie,arrêtecemassacre…

Telletoreroassenantlecoupdegrâceautaureau,legarçondardalalameaffûtéeavantdel’enfoncerdanslachaircroustillanteetdorée,remportantunvifsuccèsparmisesplusjeunesspectateurs.

—Oh,monDieu,c’estaffreux!Georges,arrêteça,criaEdwinaentredeuxhoquetsderire.

GeorgesébauchaunerévérenceàfairepâlirdejalousieSarahBernhardt,présentalemetssaccagéàsagrandesœur,etrepritsaplaceavecunsourired’ineffablesatisfaction.Edwinafitleservice.

—Allons-nousécrireàPhilip,cesoir?s’enquitlapetiteFannie,peuaprès.

Edwinaacquiesça,etcefutalorsquecefiloudeGeorgesexpédiaunecuilleréedepetitspoissurlenezd’Alexia.Lapetitefilleripostaaussitôt,TeddyetFannies’enmêlèrent.Denouveauxéclatsderire

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fusèrentdetoutesparts.

—Georges!grondaEdwina.

Mais soudain, quelque chose se dénoua en elle, comme un nœud qui se défait, et elle plongea safourchettedanslelégumierd’argent.

Labatailledespetitspoislesaccaparaunmoment,et,pendantcetemps,l’expressdeHarvard,lancéàtoutevapeur,roulaitinlassablementverssadestinationdanslanuit.

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Chapitre16

Moinsd’unesemaineaprèsledépartdePhilip,Alexiasemitàbégayer.Elleavaitsouffertdumêmesymptôme après la mort de leurs parents. Mais le bégaiement qui n’avait alors duré que quelquesjourssemblaitcettefois-ciperdurer.Lescauchemarsrecommencèrentetpasunenuitnesepassasansquelapetitefillebondisselittéralementhorsdesonlit,ennage,avecuncriaigu.

De plus en plus anxieuse,Edwina confia le sujet de ses préoccupations àBen, lors de la réunionmensuelleduconseild’administrationaujournal.Ill’exhortaàlapatience.Enrentrantàlamaisonunpeuplustard,sonpremierréflexefutdechercherAlexia.

MmeBarnessortitdesacuisineens’essuyantlesmainssuruntorchon.

—Alexia?Elleestrevenuedel’écoleetelleestressortiepresqueaussitôt.

C’étaitunesplendidejournéed’automne.Lesoleildardaitsesrayonsencorebrûlants.LapetitefilledevaitêtredanslepetitlabyrintheencharmillequeKateappelait«sonjardinsecret».

Edwinaycourutmais ses appels restèrent sans réponse.Cen’étaitpas lapremière foisqu’Alexiafaisaitlasourdeoreille.

—Allons,sorsdelà,petitegourde.NousavonsreçudesnouvellesdenotrePhilip.

Elleavaittrouvél’enveloppesurlaconsoledel’entrée,ainsiqu’unelettred’Angleterre.TanteLizseplaignait—maisquandneseplaignait-ellepas?—del’humidité,desdomestiques,ducoûtdelavie,detout.EllenequittaitsaretraitechampêtrequepourserendrechezsonmédecinàLondresetlorsdesadernière sortie, elle s’était foulé la cheville en trébuchant sur le trottoir.Suivait la longue listede sespetits malheurs quotidiens auxquels elle accordait une importance exagérée. La lettre s’achevait,naturellement,surl’inévitablequestion«as-tuvidélesappartementsdetesparents?»

qui,cejour-là,eutledond’agacerprodigieusementEdwina.Lajeunefemmefuretaduregardparmileshaiesdeverduredansl’espoird’apercevoirAlexia.

—Oùes-tu,trésor?

Pasderéponse.Ellemitlecapsurl’autreboutdujardin,certainequ’Alexias’ycachait,fouilladanslaroseraieetneréussitqu’àfaireunaccrocàsajupesurunetigeépineuse.

—Alexia?

Iln’yavaitquelesilence,briséparledouxbruissementduventdanslesfeuillages.Edwinapassaenrevuetouslesendroitspossiblesetimaginables,sansoublierlepetitcabanonenplanchesqueGeorgesavaitconstruitentrelesbrancheslissesdugrandplatane.Envain…Alexiademeuraitinvisible.

Edwina revint vers lamaison, le front soucieux.À ses nouvelles questions, la vieille gouvernantesecoualentementlatête.

—Non, jene l’aipasvuerentrer.Elles’estassisesur lebanc, là-bas,pendantdesheures,mais ladernièrefoisquej’aijetéuncoupd’œilparlafenêtredelacuisineellen’yétaitplus.

Sheilagh lesavaitquittéspeuaprèsPâques, etMmeBarnesavaitdumalà surveiller à la fois sesfourneauxetlesenfants.

—Est-cequ’elleneseraitpaslà-haut,parhasard?

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Lagouvernanteréponditqu’ellen’ensavaitrien.Lajeunefemmepoursuivitsesinvestigations.Alexian’étaitpasdanssachambrenidanscelled’Edwina.Avecunsoupirrésigné,ellegravitlesmarchesdel’escalier. Pour une fois, Liz avait raison. Elle aurait dû depuis longtemps prendre une décisionconcernantlesanciensquartiersdeKateetBert.Lesmotsrépétésparsatantedanssadernièrelettreluirevinrentenmémoire.« Il estgrand tempsque tuprocèdesaunettoyagedupremierétage. Jemesuis,quantàmoi,débarrasséedetouteslesaffairesdeRupertetc’estbeaucoupmieuxainsi…»

—Alexia, es-tu là? appela-t-elledoucement enpoussant laporteducabinetde toiletteoù lapetitefilleavaitl’habitudedechercherrefuge.

Personnedanslapenderie…Edwinapassadanslapièceadjacente,écartalesrideaux,regardasouslelit.Rien.Unebouleseformaaucreuxdesonestomac.Elleredescenditaurez-de-chaussée.

—Georges,oùestAlexia?

Il ne l’avait pas vue. Ensemble, ils visitèrent chaque pièce, fouillèrent tous les recoins, même labuanderieetlacave.Uneheureplustard,l’appréhensiond’Edwinafrisaitlapanique.

—A-t-elleeuunproblèmeàl’écoleaujourd’hui?

Georges ne sut lui répondre, pas plus que Fannie, et il était inutile de questionner Teddy, pour labonne raison que celui-ci avait passé l’après-midi dans les locaux du journal, sous le regard attendrid’une flopéede jeunes secrétaires, pendantqu’Edwinaprésidait la réunionduconseil…Seigneur!Oùavait-ellepualler?

—Georges,as-tuuneidée?

Il n’en avait pas. Les autres non plus. Edwina se laissa tomber sur le vaste canapé du salon,s’efforçantderassemblersespensées.Riend’extraordinairenes’étaitproduitdanslamatinée,sinonlemaîtred’écolel’auraitprévenue.SelonMmeBarnes,Alexiaétaitrentréeàl’heurehabituelleetn’avaitl’airniaccablée,nibouleversée.Maisalors…Lalumièredu jourdéclinait.L’espoirdevoirsurgir lafilletted’uninstantàl’autreredoublaitl’angoissedel’attente.L’horlogesonnaseptcoups.C’étaitl’heurededîneretAlexianes’étaittoujourspasmontrée.Lajeunefemmeressortitdanslejardin,escortéeparGeorges et Mme Barnes. Ils revinrent bredouilles. Une certitude s’imposa peu à peu, sombre maisinéluctable. Alexia ne se trouvait ni dans le jardin ni à l’intérieur. Elle n’était nulle part. Les mainsd’Edwinasemirentàtrembler.Endésespoirdecause,ellesongeaàBenJones.Luiseulpourraitl’aider.Ellebonditsurl’appareildetéléphone,donnatroisouquatrefrénétiquescoupsdemanivelle,demandaàl’opératricelacommunicationd’unevoixchevrotante.

—J’arrive!dit-ildèsqu’ilfutmisaucourantdelasituation.

Dixminutesaprès,ilsonnaitàlaporte.

—Ques’est-ilpassé?s’enquit-ilenentrant,etl’espaced’unefractiondeseconde,Edwinaluitrouvaunétrangeairdefamilleavecsonpère.

Elleleluiexpliquapluscalmement.Ill’écoutapensivement.

—Est-cequ’elleneseraitpaschezquelqu’un?Uneamieouunecamaradedeclasse?

Edwinafîtnondelatête.Cen’étaitpaslegenred’Alexia.

—Ellen’apourainsidirepasd’amies.En toutcas,elleneveut jamaisallerchezpersonne…Oh,Ben,jesuisaffreusementinquiète!

Vous savez comment elle est…D’une sensibilité excessive, à fleur de peau. Elle ne s’est jamais

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remisedelamortdenosparents,denotremèresurtout.MonDieu!Pensez-vousqu’elleaitprislafuite?

Ben la regarda, alarmé lui aussi. Si la petite fille ne s’était pas enfuie, elle avait pu faire unemauvaiserencontre…Tomberentredesmainscriminelles…Ilseredressa.

—Avez-vousappelélapolice?

Ilavaitposélaquestionaussicalmementqu’illepouvait.

—Non.Jevousaiappeléenpremier.Vouscroyezvraiment…

—Oui,Edwina.

LajeunefemmepriaMmeBarnesdemettrelespetitsaulitet,biensûr,FanniesemitàtrépignerenréclamantAlexia.

Labonnevieillegouvernanteeuttouteslespeinesdumondeàl’entraînerhorsdelapiècealorsqueBens’emparaitdu téléphoneetqueGeorges, les larmesauxyeux,posaitunemain réconfortantesur lebrasd’Edwina.

Ilsdurentattendreencoreunedemi-heurequileurparutinterminable.Lasonnettedelaported’entréegrelottaenfin.Edwinaseprécipita,lebattantroulasurdeuxagentsenuniforme.Elleleurfîtunrécitclairdesévénements.

—Votresœuradisparu?ditl’officierdepolice.Etellen’aqueseptans?Oùsontsesparents?

—Ilssontdécédés.Jesuissatutricelégale.

—Bon.Nousallonsfaireuntourdanslequartier,ellen’estsûrementpasloin.

EllejetaunregardanxieuxàBenquil’avaitsuivieavecGeorges,avantdesetournerdenouveauverslepolicier.

—Nousnepouvonspasvousaccompagner?

—Cen’estpaslapeine,madame!Onlaretrouvera.Restezicitranquillementavecvotremarietvotregarçon.

Laportesereferma.GeorgesconsidéraBen,puisEdwina.

—Pourquoituneluiaspasdit?grommela-t-il.

—Quoidonc,monchéri?

—QueBenn’estpastonmari.

Elleeutcommeunsursautd’étonnement.Elleétaitàmillelieuesdepenseràundétailaussiinfime.

—Pourl’amourduciel,Georgie!explosa-t-elleexaspérée,qu’est-cequecelapeutfaire?

Apparemment, c’était important pour Georges. Les yeux de Ben accrochèrent un instant ceux dugarçon;lalueurpossessivequ’ildéceladansceregardluiôtasesdernièresillusions.Edwinaneseraitjamaislibre.Toutesavie,elleappartiendraitàcesenfantsàquielleavaitvoulutoutdonner.

—J’espèrequ’ellenevapasessayerdeprendreletrain!

La voix d’Edwina le tira de ses réflexions. La jeune femme fronçait les sourcils, assaillie par unpressentimentfuneste.LedépartdePhilipavaitbouleverséAlexia.

—Franchement,celam’étonnerait, réponditBen.Cettepetiteapeurdesonombre.Ellenedoitpas

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êtreloindelamaison.Àmonavis…

—Mince!coupaGeorges,dont levisageétaitsoudaindevenublême.Lasemainedernière,ellen’apas cessé de me poser des questions sur les horaires des trains. Et pas plus tard qu’hier, elle sedemandaitcombiend’heuresonmetpouralleràBoston…Jel’avaisoublié…Bonsang,Weenie,elleestcapabledemonterdansn’importequeltrainsansmêmesavoiroùilva.

Edwina et Ben échangèrent un regard. La pendule indiquait vingt-deux heures. De toute évidencequelquechoseétaitarrivéeàAlexia.

—Je vous conduis à la station du chemin de fer, si vous voulez, proposa-t-il de sa voix calme etposée.Jenecroispasqu’Alexiapuissefaireunechosepareille.

—Vousn’ensavezrien!rétorquaGeorgesd’untoncassant.

Àsesyeux,sitôtquelegendarmeeutprisBenpourlemarid’Edwina,celui-ciavaitquittélecampdesamisdelafamillepourrejoindrelazonediffuseetmenaçantedel’adversité.Or,lajeunefemme,tropsecouéeparlabrutaledisparitiond’Alexia,nefitpasattentionàl’hostilitéquesonfrèretémoignaittoutàcoupàleurinvité.

—Allons-y!fit-elleenattrapantsonchâleetensedirigeantverslasortie.

Elleouvritlaporteaumomentoùl’officierdepolices’apprêtaitàsonner.

—Nous avons passé le quartier au peigne fin, annonça-t-il, devançant les questions d’Edwina.Malheureusement,nousnel’avonspastrouvée.

Peuaprès,dans laberlinedeBenqui roulaità travers laville, la jeunefemmecherchaenvainduregard dans chaque rue sombre une trace hypothétique d’Alexia. La grande horloge qui surmontaitl’entréemarquait22h30quandlavoitures’immobilisadevantlagarepresquedéserte.

Un trainàdestinationdeSanJoséattendaitcontre lequai,unautre,unpeuplus loin,allaitbientôtpartirpourlacôteest.

—Jenecroispasqu’ellesoitici,commençaBen,maisGeorgess’élançadroitdevantluicommeuneflèche.

—Alexia!Alexia!

Sesappelsretentirentenvaindanslanuit.EdwinaseprécipitadanslamêmedirectionetBenleuremboîtalepas.Legarçoncourutlelongdupremiertrain,àperdrehaleine.

—Alexia!necessait-ildecrier.Alexia!

Edwinalesuivitenregardantparlesfenêtresdescompartiments.

Elle se fiait à l’instinct de Georges. Ce dernier semblait plus proche d’Alexia qu’elle-même ouPhilip.Peuaprès,ilslongèrentlaseconderame,sansplusderésultat,allèrentjusqu’àexplorerlamasseopaqued’untronçondetraindormantàladernièreextrémitéduquai.

—Alexia!

Rien. Ben était sur le point de rebrousser chemin, lorsqu’un grondement lointain se fit entendre.C’étaituntraindemarchandisesenprovenancedeLosAngelesqui,touslessoirs,traversaitlagareunpeu avant minuit pour se rendre à Portland, dans l’Oregon. Ils aperçurent les éclairs blancs de lalocomotiveàl’horizonet,soudain,ilyeutuntrèslégermouvementparmilesombresdelatranchée,unmouvementpresqueinvisible,puisGeorgessautasurlesrailsetsemitàtraverseravantqu’Edwinane

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puisse l’arrêter.Pétrifiéepar la stupeur, la jeune femme l’aperçut à son tour:Alexia,pelotonnéeentredeuxwagonsstationnéssurlavoieferrée.

De sa place, elle ne put la distinguer clairementmais il lui sembla que la petite fille pleurait enserrantconvulsivementcontresapoitrineMrs.Thomas,sapoupéedeporcelaine.

—Oh,monDieu!

Ellefîtunpasenavant,sentitlamainfermedeBenl’attirerenarrière.

—Non,Edwina,non.

D’unmouvementbrusque,elles’arrachaàsonétreinteavantdepartirsurlestracesdesonfrère.

—Georges!cria-t-elle.Georges!

Levacarmeduconvoiqui s’approchaitcouvrit savoix.Benchercha frénétiquementunquelconquesignald’alarme,dansl’espoird’arrêterlamachineinfernaleenmarche.Envain.Georgescontinuaitsaprogressionàtraversl’inextricablelacisdesrailsetEdwinalesuivaitensoulevantlebasdesajupe.

—Georges!Alexia!

Les sifflements de la locomotive lui coupèrent la parole. Elle sentit soudain Ben à son côté, seretrouvacolléeparunepoignedefercontrelaparoifroideetlissedupremierwagonenstationnement,puisletrainpassadansunfracasd’orage,menaçantdelesemporter.

Edwina jeta un cri aigu. Tout s’était déroulé à une vitesse hallucinante. La jeune femme semit àappelerdésespérémentGeorgesetAlexia.Avaient-ilseuletempsdesemettreàl’abri?

Étaient-ilsblessés?…oumorts?

Un sanglot l’étrangla et elle se cramponna à Ben dont elle distinguait le visage livide dans lapénombre.Toutàcoup,ellelesvit.

Couchés sous le deuxième wagon. Georges avait eu le réflexe d’y pousser Alexia avant de larecouvrirdesonproprecorps.Deslarmesluipicotèrentlesyeux.

—Georges…Alexia…jevousaimetellement…

Cefuttoutcequ’elleputdire.Bensepencha,lebrastendu,tiraAlexiahorsdesacachette.Lapetitefilletremblaitdetoussesmembres.Unefinepelliculedesuierecouvraitsescheveuxblonds,sesjambesflageolaient.Benlasoulevadanssesbraspourlatransporterdanssavoiture.Georgessortitàsontourdedessouslewagon.Àtreizeans,ilavaitagicommeunhomme,pensaEdwina,lagorgenouéed’émotionetdefierté.

Danslaberlinequilesramenaitàlamaison,Alexiaconfirmacequ’ilsavaientdéjàsubodoré.ElleavaittoutsimplementvouluallerrejoindrePhilip.

—Nefaisplusjamaisça!luiditEdwina,plustard,alorsquelapetitefille,baignéeetsustentée,sereposaitdanssonlit,entredesdrapspropresquisentaientlalavande.

C’étaitladeuxièmefoisqu’Alexiadisparaissait.Ladeuxièmefoisqu’ellemettaitsavieendanger.Latroisièmepourraits’avérerfatale,Edwinaenavaitconscience.

—Jamais,tum’entends?insista-t-elle.

—Oui,Weenie…

Lapetite filleneprendraitplus la fuite.Elleen fit lapromesse solennelle.De toute façon,ellene

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l’avaitpasfaitexprès.Philipluimanquaitetvoilàtout.

—Ilreviendrabientôt,répliquaEdwinapensivement.

—Mamanetpapanesontpasrevenus,objectaAlexiad’unevoixétrangementcalme.

—Cen’estpaslamêmechose.Philipreviendraauprintemps.Dorsmaintenant.

Elleéteignitlalumière,pritladirectiondelacuisineoùBenetGeorgesl’attendaient.Uncoupd’oeilvers lemiroir, enpassant, la fit sursauter.Une traînée sombre luimaculait le front,une finepoussièrenoirâtresaupoudraitsesvêtements.

ElleentrapeuaprèsdanslacuisineoùGeorges,assisàtable,dévoraitunrestedudîner.

—Commentva-t-elle?demandaBen.

—Bien.

Aussibienquepossible…Alexian’auraitplusjamaisconfianceenpersonne.Commentlepourrait-elle?

—Edwina,celanepeutplusdurer…

Ill’avaitsuiviedanslevestibuleenarborantunairterriblementmalheureuxoùsemêlaitunefureurcontenue.

—Vousnevousensortirezpasetvouslesavez,poursuivit-ilavecunevéhémenceinattendue.C’esttropdifficile.Tropdurpourunepersonneseule.Vosparentss’aidaientmutuellement,aumoins.

—Celaira,dit-ellecalmement.

L’hostilité à peine déguisée deGeorges à l’égard deBen ne lui avait pas échappémais c’était ladernièrechosedontelleavaitenviedeparler.

—Vousvoulezdirequevouscontinuerezainsijusqu’àcequ’ilssoientgrands?

Sanss’enrendrecompte, ilavaithaussé le ton.Safrustration,ajoutéeà la frayeurqu’ilsoitarrivémalheuràAlexia,s’étaitmuéeenunesombreexaspérationqu’ilavaitdumalàcontenir.

—Quevoulez-vousquej’enfasse?rétorqua-t-elledecetonsecqu’ildétestait.Quejelesabandonne?

—Mariez-vous,bonsang!Vous…

Il s’interrompit, étonnéde sapropreviolence,puis la regardaavecuneexpressionempreinted’unsecretespoir—aprèstout,n’avait-ellepasfaitappelàlui?—maisEdwinahaussalesépaules.

—Enfin,Ben,unmariestautrechosequ’unebonned’enfants!Onnesemariepassousunprétexteaussifutile.Jerefused’épouserquelqu’unsijenel’aimepasautantquej’aiaiméCharles.

Ilsecontentadelaregarderd’unairulcéré.Edwinaémitunlourdsoupir.Ellen’avaitpasvoululeblesser, car elle lui portait une immense tendresse et une amitié sans limites… Des sentiments tropmièvresenregarddelapassionqu’elleavaitéprouvéepourCharles.

—Parailleurs,ajouta-t-elle,radoucie,jepensequesijememariais,lesenfantsensouffriraient.Unjour,peut-être,quandilsserontprêtsàl’accepter…

—Cejour-làn’arriverajamais,Edwina,souffla-t-ild’unevoixblanche.Ilsnevouslaisserontjamaisrefairevotrevie…Philip,Georges,Alexia, lespetitsont tropbesoindevouspourvouspartageravecquelqu’und’autre.C’estuneformed’égoïsme,quevouslevouliezounon,dontvousnevousrendezpas

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encorebiencompte.

Quandilsaurontgrandi,vousvousretrouverezseuleet jeseraialorstropvieuxpourvoleràvotresecours.

Ilsedirigeaverslasortie.Commeellenedisaitrien,ilseretournalentement.

—Vousêtesentraindeleursacrifiervosplusbellesannées,Edwina.

Ellesoutintsonregardenhochantgravementlatête.

—Jelesais,Ben.Etc’estexactementcequejesouhaite.Mesparentsm’auraientapprouvée,j’ensuispersuadée.

—Non, ma chère, là aussi vous vous trompez. Vos parents désiraient vous voir heureuse. Aussiheureusequ’ilsl’ontété.

Elleserraleslèvres,afinderefoulerlebrûlantflotdelarmesquimenaçaitdejaillir.«Taisez-vousdonc!Monseulamourestmort,iln’yaplusdebonheurpossible»,aurait-ellevoulucrier,maiselleditplatement:

—Jesuisdésolée,Ben.

Illascrutaunedernièrefois.

—Moiaussi,Edwina.

L’instant suivant, la porte claqua derrière lui. La jeune femme se retourna. Depuis le seuil de lacuisine,Georges la regardait…Depuisquandétait-il là?Sûrementdepuisunbonmoment,conclut-ellesansrienoserluidemander.

—Toutvabien?s’enquit-il.

Ils’approchad’elle,lafiguremaussade,lesyeuxanxieux.

—Oui,sourit-elle.

—Es-tutristedenepouvoirépouserBen?

IlavaitdonctoutentenduetréagissaitexactementcommePhilipl’avaitfaitquelquesmoisauparavant.Edwinaluiébouriffalescheveuxd’ungestepleindetendresse.

—Non,pasvraiment,répondit-elleavecsafranchisehabituelle.Sijel’aimais,jeluiauraisaccordémamainlapremièrefoisqu’ilmel’ademandée.

—Etplustard?Tutemarierasplustard?

Soninquiétudearrachaunrireàlajeunefemme.Ellesuttoutàcoupqu’ellenesemarieraitpas.Nimaintenant,niplustard.Sescinqpetitsdiablesneluilaissaientmêmepasletempsd’ysonger.Et,aufonddesoncœur,elledemeuraitfidèleàCharles.

—J’endoute,dit-elle.

—Pourquoipas?

—Oh,àcaused’untasderaisons.D’abordparcequejevousaimetrop.Puis…—soncœurmanquaunbattement—parcequejen’aipasoubliéCharles.

Sans doute qu’une partie d’elle-même étaitmorte avec le jeune aristocrate anglais. Ce qui restaitappartenaitàsesfrèresetsœurs.

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Georges disparut dans la salle de bains.Une demi-heure plus tard, Edwina le borda dans son lit,l’embrassagentimentenluisouhaitantunebonnenuit,éteignitlalampedechevetetrefermadoucementlaporte de la chambre derrière elle. Elle s’assura que Teddy et Fannie dormaient, entrebâilla la ported’Alexiadontlatêteformaitunetachedoréesurl’oreillerclair.

Bien plus tard, dans le secret de sa chambre, elle s’assit sur le bord du lit, exténuée et songeuse.C’étaitlà,aufonddel’armoire,danslajolieboîteencartonlisseetblanc.Depuisdesmoiselleavaitrésisté à la tentation de le regarder. Peu après, elle posa la boîte sur la courtepointe, au milieu durectangleblancqueleclairdeluneformaitenfiltrantparlafenêtre.

Sesdoigtsdéfirent lesrubansdetaffetasbleu,soulevèrent lecouvercle, tirèrenthorsdesonétui letissu arachnéen brodé de fils de soie et de minuscules perles couleur de nacre. Le voile traça untourbillonscintillantdanslasemi-obscurité.Toutàl’heure,ellen’avaitpasmentiàGeorges…Cevoiledemariée, Edwina ne le porterait jamais. Elle le plia soigneusement, le remit dans la boîte. Le seulhommequiavaitméritésonamourn’étaitplusetiln’yenauraitpasd’autre,ellelesutavecunecertitudeabsolue.

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Chapitre17

Philip revint àSanFrancisco le14 juin1914.Alorsque le train entrait engare, il sepenchaà lafenêtreet, l’instantsuivant,soncœurfaillitéclater.Ilsétaienttouslà,reconnaissablesdeloinparmilafoulebigarrée,dansl’éclatante lumièreestivale,Edwina,Georges,Alexia,FannieetTeddy,agitant lesbras comme des fous.Neufmois s’étaient écoulés depuis son départ àHarvard, avec la lenteur d’unsiècle.

Il fut lepremieràsautersur lequai,quandl’interminablesuccessiondewagonss’immobilisa.Sesbras se refermèrent aussitôt autour d’une Edwina souriante, aux yeux humides. Georges poussa un «hourra » enthousiaste, et les petits se mirent à sautiller, tout excités. Seule Alexia ne semblait pasparticiperàlajoiegénérale.Ellesetenaitàl’écart,fixantsursongrandfrèreunregardfasciné,presqueincrédule.CommesilefaitquePhilipfûtenfinlà,enchairetenos,tîntdumiracle.Durantceslongsmoisd’absence, malgré les promesses d’Edwina, la petite fille avait vécu dans le doute. Et voilà quemaintenantsonvœulepluschervenaitd’êtreexaucé.Onpouvaitdoncpartiretrevenir…LeretourdePhilipavaitrompulamalédictionquipesaitsurlafamilledepuislanuittragiquedunaufrage.

—Salut,mapetitechérie,dit-ilenlaserrantdanssesbrasetenl’embrassant.

Alexiafermalespaupières,lestraitsilluminésd’unsourirerayonnant,lapoitrinegonfléed’unejoiesansmélange.Sesanciennesfrayeurss’apaisèrentd’unseulcoup…Philipétaitrevenu…Ilavaittenusapromesse.

Georgesnetenaitplusenplaceetquandfinalementsongrandfrères’avançaverslui,ilfitminedeluiassenerundirectdroitaumenton,avantdeluitirerlescheveuxunebonnedouzainedefois.

Sessimagréesarrachèrentunriretonitruantàl’arrivant.

Edwinasetamponnadiscrètementlesyeuxavecsonmouchoir.

Philipavait regagnésoncompartimentetpassaità travers la fenêtresesbagagesàGeorgesqui lesalignait méthodiquement sur le quai. « Comme il a grandi », songea-t-elle machinalement, puis ellel’observaplusattentivement,àladérobée.Lejeuneécolierqu’elleavaitaccompagnéàlagareprèsd’unanplus tôtavaitcédé lepasàunétudiantauxépaules larges,auxgestesaffirmés. Ilavaitdix-neufansmaisparaissait plus âgé. «C’est unhommemaintenant », sedit-elle et, denouveau, elle eut enviedepleurer.

—Àquoipenses-tu?

Savoix,bienplusmasculinequ’avant,lafitsursauter.

—Maisàtoi,moncherfrère.Tuesdevenuungrandbeaujeunehomme,lesavais-tu?

Leurs regards s’accrochèrent un instant. Ils avaient les iris d’unmême bleu et tous deux savaientcombienilsressemblaientàleurmère.Philipsourit.

—Complimentpourcompliment,tun’espasmalnonplus.

II omit d’ajouter qu’il ne s’était pas couché une seule nuit là-bas sans se sentir submergé par unevaguedenostalgie.Pourtant,lavied’étudiantnemanquaitpasd’attraits.Avantsondépart,BenJonesluiavaitditquelquechosecomme«lesannéesd’étudessontlesplusbellesdetoutes,tuverras»etilavaiteuparfaitementraison.Ilselanguissaitpeut-êtredeSanFranciscomaiss’étaitmerveilleusementadaptéà

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Harvardoùils’étaitfaittouteunepléiadedenouveauxamis.Ilavaitsouventeulasensationd’êtresuruneautreplanèteoudevivreàl’autreboutdumonde.Sonvoyageentrainavaitduréquatrejours.Uneéternité.IlavaitpasséNoëlàNewYork,danslafamilled’undesescamaradesetn’avaitcessédepenserà Edwina et aux autres. Ils lui manquaient cruellement. Or, il leur manquait encore davantage, il nel’ignoraitpas.

UnegrossePackard lesattendaitdevant la sortiede lagare.PhilipcherchamachinalementBenduregard.

—OùestBen?s’enquit-ilnelevoyantnullepart.

—ÀLosAngeles,souritEdwina.Ilt’envoiesonaffection.Jecroisqu’ilahâtedeterevoir,afindeparlerdeHarvardavectoi.

Elle-mêmemourait d’envie de le bombarder d’unmillier de questions. Comment était-ce, là-bas?Quelle sorte de personnes rencontrait-on dans une université? Quels cours suivait-il? Qui étaient sesprofesseurs?Parfois,unesombreenvieàl’égarddePhilips‘immisçaitdanssonesprit.Elleaussiauraitpufairedesétudes…Unetelleidéenel’auraitjamaiseffleuréeavant…

Avant lamortdesesparentsetdeCharles,Edwinaaspiraitaubonheursimpleréservéà toutes lesjeunes filles de son âge. Se marier, tenir sa maison, avoir des enfants. Du jour au lendemain, ayantendossédelourdesresponsabilités,seslacunesluiétaientapparues.Etquandellecommençaàprésiderlesréunionsduconseilaujournal,elles’aperçutdesonignorancesuruntasdesujets.Àlamaison,cefutlamêmechose.Elleauraitaiméinculqueràsesjeunesfrèresetsœursdesconnaissancesplusprofondesquedesleçonsdecuisineoudejardinage.

—Maisalorsquivousaemmenésici?demandaPhilip,intrigué.

Il avait Teddy sur le bras, cependant que Fannie et Alexia se disputaient son bras libre, tout enessayantdésespérément,aumêmemoment,d’aiderGeorgesàcalerunegrosseboîteencartonbourréedelivresdanslecoffredelavoiture.Naturellement,laboîtebasculadéversantsonprécieuxcontenusurlachausséeettoussemirentàramasserleslivresépars.CettescènefamilièrefitrireEdwina.

—C’estmoi,qu’est-cequetucrois?répondit-elleavecfierté.

—Quoi?s’esclaffa-t-ilcommeàunebonnevieilleplaisanterie.Cen’estpassérieux.

—Jen’aipourtantjamaisétéplussérieuse.J’aiapprisàconduireetvoilàtout.

Il jeta un coup d’œil oblique à la rutilante limousine bleu ciel qu’Edwina s’était offerte pour sesvingt-troisans.

—Tusais…conduire?dit-il,bouchebée,partagéentrel’incrédulitéetl’admiration.

Ilavaitdumalàimaginersasœuraînée,simenue,sifragile,pilotantcemastodonte.

—Parfaitement,monsieur!Etjevaisvousendonnerlapreuve.

Allez,lesenfants,enroute.

Les bagages furent enfin empilés dans le coffre et tout le monde s’engouffra dans la conduiteintérieure.Lorsqu’Edwinapritlevolant,Philipretintsonsouffle.Àsagrandesurprise,elledémarraendouceuretpeuaprès,laPackardroulaitendirectiondelamaisonsanslamoindreanicroche.Àl’arrière,touslespetitspassagersparlaientenmêmetempsetquantàGeorges,ilnecessadeposerlesquestionslesplusfarfeluesàsongrandfrère.Enfinarrivés,ilstransportèrentlesvalisesetlaboîteencartondanslevestibuleoùrégnaituneagréablefraîcheur.

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—Àceque jevois, rienn’achangé,plaisantaPhilip,unpeuétourdipar l’émotionet la fatigueduvoyage.

Il fit un clind’œil àEdwina,puis l’observaplus attentivement, remarquapour lapremière fois laperfection de ses traits, sa silhouette racée, son élégance. Il ne l’avait jamais vue aussi belle, aussiradieuse.Ilréalisasoudainquecetteravissantejeunefemmeétaitsasœuretpassamère…etsedemandaobscurémentpourquoielleavaitoptépouruneexistencesolitaire,uneviedechasteté,afind’éleverdesenfantsqui,aprèstout,n’étaientpaslessiens.

—Tuvasbien?interrogea-t-ilavecuneintensitéquiparutlafrapper.

Àsontour,elleleregarda.Ilétaitbienplusgrandqu’elle,aussigrandqueleurpère,peut-êtremêmeunpeuplus.

—Trèsbien,ettoi?TuteplaisvraimentàHarvard?

—Énormément. Les études ouvrent l’esprit et j’ai rencontré un tas de gens intéressants. Mais jem’ennuiedevous…Dommagequecesoitsiloin,j’auraispuvenirplussouvent.

—Net’enfaispas,répondit-elled’untonoptimiste,ilneresteplusquetroisans…Celapasseravite.Situsavaiscommeilmetardedetevoiràlatêtedujournal.Surtout…

—Etàmoidonc!sourit-il.

—Surtoutchaquefoisquejedoisassisteràcesassommantesréunionsduconseild’administration.

« Et subir les reproches muets de Ben », ajouta-t-elle mentalement. Bien sûr, leur amitié restaitintacte,mais depuis le fameux soir oùAlexia avait failli se faire écraser par le train, leurs rapportss’étaientdétériorés.

—Irons-nousàTahoecetteannée?demandaPhilip.

—Oui, en juillet comme toujours.Nousy resteronsquatrebonnes semaines.Quels sont tesprojetspourlemoisd’août?

Iln’enavaitpas.Enseptembre,ildevaitretourneràHarvardmaisellepréféraitnepasysonger.Pourl’instant,ilsavaientdeuxmoisetdemidevanteux.

Lapremièresemainepassarapidement.Ilssortirentpresquetouslessoirs,dînèrentdanslesmeilleursrestaurants.Toutà la joiedesretrouvailles,Philipvoulutrevoir toussesamis.Etvers ledébut juillet,Edwinaremarquaquesonfrèretémoignaitunenettepréférenceàunedélicieusejeunepersonnedeleurentourage.BeckyHancock—dontlesparentspossédaientfortàproposunesplendidevillaàTahoe—étaituneblonderavissante.Chaquefoisqu’ellerencontraitPhilip,lorsdedînersenvilleouàlamaison,ellesemblaitlittéralementsuspendueàseslèvres.Elleavaittoutjustedix-huitansettraitaitEdwinaavecladéférencerespectueusequel’onréserved’habitudeauxvieillesdames.

—Maparole,cettepetitemeprendpourtamère,fit-elleremarquerenriantàPhilip.

—Jediraisplutôtquetuasproduitsurelleuneforteimpression.

—Penses-tu!Elledoitvraimentpenserquej’aiunâgecanonique.

LesHancockserendirentàTahoeenmêmetempsquelesWinfield,etBeckynetardapasàinvestirleslieux.Bientôt,onnevitplusqu’elle.Unjour,elleinvitaEdwina,PhilipetGeorgesàunepartiededoubles sur le court de tennis avoisinant. Après plusieurs sets, Becky demanda à Philip de laraccompagneretEdwinaleurprêtasavoiture.EllepoursuivitlejeuavecGeorgesqu’elleréussitàbattre

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àplatescoutures.

—Hum…pasmalpourunepetitevieille!railla-t-il.

Elleluilançarageusementuneballequ’ilmanqua.

—Continuecommeçaetj’arrêtelesleçonsdeconduite.

Ilfeignitlaplusprofondecontrition.

—Millepardons!

Edwinaluilançaunedeuxièmeballeetcettefois-ciillaluirenvoyad’unredoutablecoupderaquettequilafitsourire.C’étaitungarçondouépourtout…IlavaitapprisàconduirelagrossePackardavecuneétonnantefacilitépoursesquatorzeans.Iltravaillaitbeaucoupmieuxàl’écoleet,depuisquelquetemps,avaitremarquéEdwina,lesjeunesfillessemblaientexercersurluiunpuissantattrait.

Etilavaitdesopinionssurtout…

—JemedemandepourquoiilfréquentecetteBecky,avait-ildéclaréquelquesjoursplustôtdebutenblanc, alors qu’il s’exerçait à piloter la Packard sur un chemin de campagne près du lac. (Ils avaientlaisséPhilipaveclesplusjeunes.)

—Pourquoidis-tucela?demandaEdwina.

Aufond,elleseposaitlamêmequestion.

—Parce que… dit-il, mystérieux, puis, comme s’il se décidait subitement à livrer le fond de sapensée:àmonavis,elletientàluipourdemauvaisesraisons.

C’étaituneobservationintéressante.

—Oui?Lesquelles?

Ilprituneexpressionsongeuse,négociaunvirageavecunehabiletéquiluivalutuncompliment.

—Bah, continua-t-il, revenant sur le sujet de sa réflexion, parfois, jeme dis qu’elle fait semblantd’apprécierPhilipàcause…àcausedujournaldepapa.

Edwina réprima un sourire amusé. Si les parents de Becky, propriétaires de deux hôtels et d’unrestaurant,n’avaientguèrebesoind’appuifinancier,lejournal—quidetoutefaçonrapportaitdavantageque toutes leursaffaires réunies—ajoutaitunéclatprestigieuxà la fortune.Philipdeviendraitun jouraussiimportantquel’avaitétésonpère.SilajeuneBeckys’adonnaitdéjààlachasseaumari,elleavaitcertainementchoisiunebelleproie.

—Tun’aspeut-êtrepas tort…Bienque ton frèresoit tropséduisantpourque les filles luicourentaprèsuniquementpourlejournal.

Georgessecontentadehausserdédaigneusementlesépaules,fitdemi-touretlançalaPackardsurlecheminduretour.

—Edwina, ne le prends pasmal,mais quand je serai grand je ne pense pas que je travaillerai aujournal…

Elleluijetaunregarddebiais,étonnée.

—Non?Etqueferas-tu?

—Je n’en sais rien… Cela doit être un job parfait pour quelqu’un comme Philip. Moi, je m’y

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ennuieraisàpérir.

Ilavaitl’airsisûrdeluiqu’elleneputs’empêcherdeluiébourifferlescheveux.Cen’étaitencorequ’unenfant,ilavaitletempsdechangerd’avis.

—Tudoisquandmêmeavoirunevagueidéesurlemétierquit’intéresse,hasarda-t-elle.

Ilaffichapendantuninstantunprofildepenseur.

—Jen’ensuispascertain…

—Uneombred’hésitationflottasursestraits.

—Jecroisquej’aimeraisfairedesfilms.

L’étonnementd’Edwinadevintstupéfaction.

—Desfilms?

Ilhochalatêted’unairsérieux,puisselançadansladescriptiond’unfilmavecMaryPickfordqu’ilavaitvurécemment.

—Vraiment?Etquandes-tualléaucinéma?s’enquit-elle,lessourcilsfroncés,encroisantlesbras.

Ellesurveillaitpourtantsoigneusementsessorties.

—Quand?fit-ilavecunlargesourire…lejouroùj’aifaitl’écolebuissonnière.

—Oh…murmura-t-elle, horrifiée, après quoi tous deux éclatèrent d’un même rire. Tu n’es qu’unmisérablepetitmenteur!

—Jesais…Etc’estcequifaitmoncharme.

Ilavaitréponseàtout.LaPackards’enfonçasousledômefeuilludesarbres,danslecheminsinueuxquiconduisaitàlapropriété,puiss’arrêtadevantleportailenbois.Lamainsurlapoignéedelaportière,Edwinasetournaunedernièrefoisverssonjeunefrère.

—Toutàl’heuretuparlaissérieusement,n’est-cepas?

«Cene sontquedes illusions, susurraunepetitevoixdans sa tête.Des rêvesdegloired’unpetitgarçon.»Elle s’attendit à levoir se troubler,mais il réponditouide la tête avecuneassuranceetunaplombinattendus.

—Absolument. Un jour je ferai des films. Philip sera directeur du journal et moi réalisateur decinéma,tuverras.

—J’espèrequevousnemelaisserezpaslejournalsurledos.

—Onpourratoujourslevendre,jetalegarçond’unevoixinsouciante.

«Justement,non!Onnelepourrapastoujours.»

Edwina se garda bien de formuler sa pensée à haute voix. Depuis près d’un an, l’entrepriseconnaissaitdesdifficultésmatériellesenveniméesparunegrèvedupersonnel.Lespertess’accumulaient,bienquelesbénéficesfussentencoreassezimportants.Edwinaavaitdéjàrefuséplusieursoffresd’achat.Elles’étaitfixéunbut,etellen’étaitpasprêteàletrahir:tenirtroisans,jusqu’àcequePhilipsoitapteàprendreenmainlejournal.Après,ilferaitcequ’ilvoudrait.

«Troisans»,sedit-elleetsoudainletempsluiparutlong.

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—Alors,cetteleçondeconduite?questionnaPhilip,lesvoyants’approcher.

Teddy faisait sa sieste dans le hamac à l’ombre des tilleuls et Philip avait eu une intéressantediscussion avec Fannie et Alexia. Edwina se laissa tomber sur un siège en osier en respirantprofondément l’air frais du jardin. Elle aimait la douceur des après-midi au cœur de la montagne…Georgess’enfut,repassadevanteuxmunid’unecanneàpêcheencriantqu’ilavaitrendez-vousavecundeleursvoisinssurlajetée.

—Préparez-vousàmangerdestruites!

Il dégringola le sentier quimenait au grand lac. Edwina et Philip restèrent assis dans le silence,goûtantàlapaixdumoment.

—À propos, quel était le sujet de cette grande discussion avec les filles? demanda finalementEdwina.

—Maman,biensûr.Nousnousdisionscombienelleétaitbelle.

J’airarementvuAlexiaaussibéate.

C’étaitunedesnouvelles lubiesd’Alexia,d’évoquerdesheuresdurant lesnombreusesqualitésdeleurmère. Sa beauté, sa gentillesse, sa douceur. Souvent, la nuit, la petite fille se faufilait dans le litd’Edwina, lui posait mille questions sur Kate. Ces longs entretiens, parfois pénibles pour les aînés,semblaientpassionnerlescadets.Teddy,lui,vouaituneadorationsanslimiteàleurpère.

—Weenie, pourquoi nos parents sont morts? demanda-t-il un jour, et elle lui fit la seule réponsequ’ellepûttrouver.

—Dieulesarappelésàlui.

—Pourquoi?

—Parcequ’illesaimait,jesuppose.

Teddyeutl’airsatisfaitmais,l’instantsuivant,sapetitefrimousses’assombrit.

—Est-cequeDieut’aimeaussi,Weenie?

—Pastantquecela,monchéri.

—Ahbon…murmuraTeddy,pleinementrassuré.

DeKateetdeBert,iln’avaitconservéqu’unsouvenirassezvague

— images floues de deux visages avenants. Les deux ans écoulés depuis leur disparition avaientatténuéladéchirantedouleurdespremierstemps.

LavoixdePhiliplatiradesaméditation.

—As-tuprislejournalaujourd’hui?

—Jen’aipaseuletemps.Enfaitj’aicomplètementoublié.

Il répondit quecelane faisait rien etqu’il s’en chargerait lui-mêmequand il irait chercherBecky.L’actualité le préoccupait.Quelques semaines plus tôt, l’assassinat de l’archiduc d’Autriche et de sonépouseàSarajevoavaitéclatécommeunebombedanslapresse.

SelonPhilip,cetincidentmenaçaitdeporteruncoupfatalàl’équilibredesallianceseuropéennes…

Et une heure après, la manchette du Telegraph Sun — le journal des Winfield — confirma ses

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craintes.L’Europeétaitàfeuetàsang.

L’attentat contre l’archiduc avait fourni à l’Autriche le prétexte idéal pour déclarer la guerre à laSerbie.LaRussieetlaFrancereçurentladéclarationdeguerredel’Allemagne,alorsquelestroupesdecettedernièreviolaientlaneutralitédelaBelgique.EtlaGrande-Bretagnedéclaraàsontourlaguerreaux Empires centraux. En l’espace d’une semaine, la fièvre meurtrière avait gagné tous les payseuropéens…

—CommentréagirontlesÉtats-Unis?demandaEdwinaquelquesjoursaprès,danslaPackardquilesramenaitàSanFrancisco.J’espèrequenotrepaysnes’impliquerapasdanscettefolie.

—Pour le moment je n’en vois pas la raison, répliqua Philip avec un haussement d’épaules. Parailleurs,leprésidentWilsonestunneutralisteconvaincu.

Ilavaitdévorétoutesleséditionsdelapresse.ÀSanFrancisco,ilserenditaujournaldesonpèredans l’espoir de glaner d’autres informations, passa des nuits entières à discuter avecBen— revenuentre-tempsdeLosAngeles—del’évolutiondesévénementsenEurope.

Durantlemoisquisuivit,leconflitpritdesproportionsalarmantes,avecl’entréeenguerreduJaponaux côtés de l’entente franco-anglaise, et avec l’offensive allemande en France. L’incendie allumé àSarajevos’enflatrèsviteenungigantesquebrasier,menaçantderéduireencendreslamoitiédumonde,cependantquel’autremoitiéassistait,stupéfaite,aucarnage.

Philip suivait le développement des hostilités avec un intérêt qui frisait la passion. Une sorted’exaltation juvénile qui ne tarda pas à inquiéter Edwina. Et lorsqu’il repartit àHarvard, elle ne putretenirseslarmes.Ellen’avaitrienvouludireàPhilipàproposdujournal,afindeluiépargnerunsujetde tracas supplémentaire, mais la situation entre le conseil d’administration et les syndicats devenaitchaque jour plus tendue, plus insoutenable. Seule à nouveau, elle se demanda avec angoisse si ellepourraittenirencoretroisans.

Brusquement, attendre la fin des études de Philip lui parut au-dessus de ses forces. Souvent, lesréunionsdégénéraientendisputesviolentesentre lesmembresduconseild’administration.Àplusieursreprises,lajeuneprésidenteessuyadescritiquesacerbesàcausedesapolitiquetropprudente.Ellenelâcha pas prise. Il fallait patienter, se disait-elle, agir au coup par coup, gagner du temps à tout prix,jusqu’aujouroùelleremettraitleflambeauentrelesmainsdePhilip.

Etnaturellement,vendreleTelegraphSunrestaithorsdequestion.

Durant l’année1915,alorsquePhilippoursuivait sasecondeannéed’étudesàHarvard, laGrandeGuerres’intensifia.L’Angleterredutsubirleblocusdelamarineallemande.DerareslettresdetanteLizparvenaient encore à Edwina. Dans un style larmoyant, Lady Hickham exhortait sa nièce, avec uneremarquablepersévérance,àbazarderlesaffairesdesesparents,«ilfautabsolumentnettoyerlespiècesduhaut»,vendrelamaisonetlejournal,«tut’enrepentirasplustard»et,pourfinir,venirs’installeràHavermoorManor,«jesuisaprèstoutlasœurdetamère,nel’oubliepas».Ilyavaitlongtempsqueles«piècesduhaut»avaientéténettoyées,maisEdwinaavaitrenoncéàlerépéteràsatante.Commeelleavaitrenoncéàluiexpliquersonrefusd’allervivredanssonchâteaudélabré.

Enfévrier,l’expositionPanama-Pacifiqueouvritsesportesendépitdelaguerre.Edwinalavisitaencompagniedesenfants,quivoulurentyretournertouteslessemaines.Unmoisplustôt,lenouveauréseautéléphoniqueavaitreliéNewYorkàSanFranciscoet,depassagechezsesamis,Philipleuravaitfaitlasurprise de les appeler. C’était un soir, à l’heure du dîner. Le téléphone avait sonné alors queMmeBarnes venait de poser une soupière fumante sur la table etEdwina avait décroché sans y penser. La

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communication était épouvantable, il y avait de la friture sur la ligne mais la voix chaleureuse dansl’écouteurlafîtbondirdejoie.

—Philip!

Quatretêtesseretournèrentsimultanémentverselle,quatrepairesd’yeuxétincelèrentenmêmetemps.Puis,chacunvoulutparleràPhilip,quiriaitauboutdufil.

—Jevousembrassetous.

Uneinvitationl’attendaitàHarvard,leconviantàassisteràl’inaugurationdelaWidenerMemorialLibraryqueMmeWideneravaitfondéeàlamémoiredesonfils.Enparcourantlepetitbristol,Philipfutenvahipar lesdouloureusesréminiscencesqui,avecle temps,avaientcommencéàs’estomper.Ilavaitfait laconnaissanced’HarryWidener sur leTitanicet s’ensouvenaitparfaitement.HarryainsiqueM.Widenerpèrecomptaientparmilesvictimesdel’effroyablecatastrophe.Lacérémonie,sobreettriste,sedérouladansuneatmosphèrederecueillement.

JackThayerfiguraitparmilesinvités.Lesdeuxjeunesgenséchangèrentquelquesproposavantdeseséparer…

Des propos ordinaires, sans consistance, le genre de paroles anodines que l’on prononce pourdissimulersesvéritablespensées.

Chacunsavaitparfaitementcequel’autreserappelait.Leursyeuxsecomprenaient.«Commec’estétrangedeserevoirdansunesoiréemondaine,aprèsavoirpasséunenuitaccrochésaumêmecanotdesauvetage,surunemernoireetglacée»,songeaPhilip.IlpritvitecongédeMmeWidener.

Deux journalistesà l’entréede l’édifice, flashaupoing, interrogeaientmollementunautre rescapé.Philip s’esquiva adroitement. Le lendemain, un mince entrefilet dans un journal local annonça lacommémoration des victimes du Titanic. La tragédie, vieille de trois ans, n’attirait plus l’attention,délogéeparuneactualitébeaucoupplusbrûlante.

Dansunedeseslettres,PhilipmentionnasarencontreavecJackThayermaisdanssaréponseEdwinan’yfitaucuneallusion.Àl’instardublesséquiévitetoutmouvementpouvantrouvrirsablessure,lajeunefemmes’épargnaitcertainesconversationstropdouloureuses.

Parfois,Philipjugeaitsonattitudeexcessive.Parfois,ilcomprenait.

Contrairementauxautressurvivantsdelacatastrophe,Edwinan’avaitpasseulementperdudesêtreschers.Elleavaitlaisséunepartied’elle-mêmeaufonddel’abysse,lafrivolejeunefillequ’elleavaitétéetdontelleneretrouveraitplusjamaislajoiedevivre.

Ilregrettades’êtrerenduàl’invitationdeMmeWideneret,plusencore,d’enavoirparléàEdwina.Oncroitavoirenterré lepassé, surmontéses frayeurs,et il suffitdequelquechosed’insignifiant,d’unmotoud’unerencontre,pourquelesombresresurgissent…Enmai,unincidentsanglantrappelaàPhilippluscruellementencorelesfantômesduTitanic.

Lejeunehommesetrouvaitsurlecampusquandlanouvelleserépanditcommeunetraméedepoudre,suscitant l’indignation de l’opinion américaine. Le Lusitania, simple bateau de croisière, avait coulé,torpilléparlesAllemands.Ilyavaitmilledeuxcentspassagersàbord.Philiplutetrelutlesreportages,abasourdi.Commentnepas se remémorerun autrenaufrage, survenuparunenuit aussi glaciale, aussiidentique,troisansplustôt?Toutelajournée,ilfutincapabledepenseràautrechosequ’àEdwina.Ilsefiguraitparfaitementlechocqu’elleavaitdûrecevoir.«Ilfautquejel’appelle.Ilfautquejeluiparle»,necessa-t-ildeserépéter.

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Philipnes’étaitpastrompé.Edwinaappritledrameaujournal.

Ses yeux se fermèrent, ses traits se contractèrent et, pour la première fois, elle quitta la salle duconseilavantlafindelaréunion.

Benseprécipitaderrièrelajeunefemme,frappéparsasoudainepâleur,luioffritdelaraccompagnerenvoiture.Ellerefusaparunsimplemouvementdelatête,sansunmotetsansunregard.Il laregardadégringolerlesmarchesdel’immeuble.L’instantsuivant,elleétaitdanslarue.Sesjambesflageolaientmais elle s’obligea à avancer. Edwinamarcha longtemps, d’un pas de somnambule. Par quelmiracleatteignit-elleCaliforniaStreet,ellen’auraitpassuledire.

Mais tout le long du chemin, la tragédie du Lusitania se confondit dans son esprit avec celle duTitanic.Enfouiesdanssonsubconscient,auprixd’uneluttedechaqueinstantduranttroislonguesannées,lesterrifiantesimagesrejaillirentavecuneforcerancunière—commecesdémonsdelégendeenfermésdansdesbouteillesmaisqui,unefoislibérés,semontrentencoreplusféroces.

LesvisagesdeKate,deBert,deCharles flottèrentdevant sesyeuxvoilésde larmes.Elle remontal’allée,entradanslamaisonenpriantpourlereposdesâmesperduesduLusitaniamaiscefutlepontdesembarcations du Titanic qu’elle vit. Aumilieu du vestibule elle se figea, croyant entendre le dernierhymnejouéparl’orchestredubord,l’affreuxcrissementdescordagespassantdanslespoulies,lescrisplaintifs des victimes qui se noyaient, l’atroce craquement du paquebot une minute avant qu’il soitenglouti.

—Edwina?Quesepasse-t-il?

Alexia observa sa sœur aînée. Celle-ci venait de retirer son chapeau à voilette exhibant une facelivide.

—Rien,machérie,riendutout,répondit-elleenluicaressantlajoue.Jesuisjusteunpeufatiguée.

Edwinasuivitduregardsapetitesœurdeneufansetquandellefutdenouveauseule,elleselaissatombersurlecanapé,commeanéantie.

Philipréussitàl’appelerlemêmesoir.

—C’estmochelaguerre!s’époumona-t-ilàl’autreboutdelalignepourcouvrirlafriture.

—Commentcesmonstresont-ilsoséattaquerunbateaucivil?

—Weenie,jesaiscequeturessens.Essaiedeneplusypenser.

C’était impossible et il en avait conscience. Edwina ne ferma pas l’œil de la nuit.Des lambeauxd’imagescontinuèrentàdéfiler sur l’écrandesamémoire.Desscènesnettes,précises,obsédantes.Lecielcribléd’étoiles,leventglacé…legrincementdescanotsaffalésàlamer…l’effroyableetfunèbrelamentationdesnageurs,diminuantàmesurequelefroidpolaireavaitraisondeleursforces—Charles,KateetBertsurlepontdesembarcationsqui,lentement,s’inclinait…

Cesdernierstemps,elleenétaitvenueàconclurequ’elleparviendraitàvivrenormalement.Quelesmauvais souvenirs pâliraient au fil des ans jusqu’à disparaître. « Cela ne s’en ira donc jamais? »s’interrogea-t-elle,enseretournantinlassablementsursonlitsanspouvoirtrouverlerepos.Puis,effarée,elle se surprit à comparer l’existence dorée qu’elle aurait connue auprès deCharles à celle, terne etaustère,qu’elleavaitchoisidemeneraveclesenfants.

Etcecontrasteluilaissaungoûtamerdanslabouche.

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Chapitre18

Peu après le torpillage du Lusitania (Paquebot anglais torpillé, le 7mai 1915, par un sous-marinallemand.Denombreuxpassagersaméricainss’ytrouvaient,cequiprovoquauneviveémotionauxÉtats-Unis,sanspourautantmodifierlapolitiquedecepays.)l’Italierompitsonallianceavecl’Allemagneetserangeaducôtédel’Entente.Lesfrontssemultipliaientàtraverstoutel’Europe,danslegolfePersique,enMésopotamie,enAfrique.Enseptembre,lesRusses,quiavaientperduprèsd’unmilliondesoldats,furent chassés de Pologne et de Lituanie par l’offensive germanique. La guerre prenait une tournureextravagante,maisl’Amériquerestaitsursesgardes.

Lemassacres’amplifiait.L’annéesuivante,en1916,septcentmilleFrançaisetAllemandstombèrentàVerdun et, lors de la bataille de la Somme, les belligérants subirent de lourdes pertes—plus d’unmillion d’hommes.L’escadre allemande poursuivit le harcèlement des côtes britanniques, coulant sansdistinction paquebots, navires marchands et vaisseaux de guerre. Les forces aériennes des Empirescentrauxeffectuèrentplusieurs raids surLondres et surParis, tandisque les Italiensbombardaientdesvillesautrichiennes.Entraînédanslaguerre,lePortugalamassaitsestroupesàsesfrontièresetversledétroitdeGibraltar.

Wilson, réélu en décembre, réaffirma la neutralité américaine, tout en se réservant un rôle demédiateur.Cependant, l’état-major allemand jugeait que l’issueduconflit passait par le torpillagedesapprovisionnements desAnglais, des Français et de leurs alliés. Le 31 janvier 1917,Berlin notifia àWashingtonquesessous-marinsavaientreçul’ordredecoulertouslesnaviresmarchandsenprovenancedesÉtats-Unis…Unultimatummettantàrudeépreuveladiplomatieduprésidentaméricain.Wilsonqui,quelquesmoisplustôt,plaçaitsonpays«au-dessusdelamêlée»,sefitdujouraulendemainl’ardentdéfenseur«deslibertéschèresaupeupleaméricain».

Edwina refusait l’idée même que des soldats américains puissent aller grossir les rangs descombattantsetdureste,ellen’étaitpaslaseuleàlepenser.Ben,toutcommelaplupartdesmembresduconseil du Telegraph Sun, partageait son opinion. Les reportages de guerre occupaient les premièrespagesdujournalmaisl’attentiond’Edwinasefixaitsurd’autresproblèmes.L’affairejadisprospèrequeBertWinfieldavaitfondéeàlaforcedupoignetavaitsérieusementdéclinéaucoursdesdernièresannées.À la crise économique créée par les syndicats de journalistes s’ajoutait la rude compétition menéetambour battant par les magnats de la presse de San Francisco, comme les Young, dont la puissancen’avait cessé de s’étendre. Cinq ans après la disparition de Bert, son absence se faisait durementressentir.Lerevenufamilialavaitsensiblementbaissé,bienque leur traindevierestât lemême.Maisjusqu’àquand?Seulunhommedepouvoirparviendraitàsauverlejournaldelaruine.Philipseraitcethomme-là,Edwinaenétaitconvaincue.Heureusement,sesétudestouchaientàleurfin.Bientôt,ilseraitlà…Ilprendraittoutenmainetdansunanoudeuxl’entrepriseretrouveraitsonanciennesplendeur.

EtEdwinapourraitenfinsereposerunpeu.

LeCongrèsaméricainvotalaguerrecontre lesEmpirescentrauxle2avril1917.Edwinaapprit lanouvelleaujournal.Unefoisdeplus,cefutauprèsdeBenJonesqu’ellechercharefuge.Ben,sonamidetoujours,sonconseilleretconfident.Leuramitiéavaitprisunnouvelessordujouroùl’avocatavaiteuuneliaisonavecuneautrefemme.

Edwinanes’enétaitnullementoffusquée.Ellesavaitdepuislongtempsqu’ellen’épouseraitniBen,nipersonne,d’ailleurs.Ill’accueillitgentiment,commetoujours,etelleluifitpartdesescraintes.

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—N’ayezpaspeur,Edwina,vosdeuxfrèressontàl’abridelamobilisation.Dieumerci,Philipestencoreétudiant.EtquantàGeorges,ilesttropjeune.

Ellefinitparsourire,rassurée.

—Vousavezraison,Ben.Jemesuislaisséeinfluencerparlalecturedetouscesrapportsdeguerresanglantsquiaffluentchaquejouraujournal.

Ceschampsdebataille ravagés, jonchésdecentainesdemilliersdecadavres—de jeunesgensàpeineplusâgésquesesfrères—lahantaient.«Oui,serépéta-t-ellesurlechemindelamaison,Philipnerisque rien. Il reviendra bientôt et tout ira bien. » Et à l’automne,Georges entamerait à son tour desétudesdequatreansàHarvard.

—Philipatéléphoné,annonçaAlexia,dèsquesasœurfutrentrée.

Iladitqu’ilrappelleraplustard.

MaisilnelefitpasetEdwinan’ypensaplus.Celanedevaitpasêtreimportant.

Souvent,Philip l’appelait justepourdemanderdesnouvellesfraîchesoupour luicommuniquersesimpressions sur telle ou telle opération militaire. Elle l’écoutait flattée, au fond, de cette délicateattention.Philipétait tellementpluséruditqu’elle…Biensûr,elleauraitpusecultiver,elleaussi, liredavantage, se documenter sur un tas dematières passionnantes,mais le temps luimanquait. Entre lesréunionsaujournaletlesenfants,lesjournéesfilaientàunerapiditévertigineuse.Edwinapassaitsavieàtresser des nattes, essuyer des nez, ramasser des poupées, des cahiers et de petits soldats de plomb,courir aprèsTeddyavecunverrede lait, surveillerFannie, consolerAlexia.Sanscesse,quelquepartdans la maison, quelqu’un avait besoin d’elle. Après cela, un échange de vues avec Philip sur lesdestinéesdumondeluiprocuraitunerafraîchissantesensationderépit.Laguerredemeurait lesujetdeprédilectiondujeunehomme.

Georgesaussimontraitunvifintérêtpourlaguerre,maisàtraverslesfilmsd’actualité.Ilfréquentaitassidûment les salles de cinéma, en y traînant toujours l’une de ses innombrables petites amies. Enquelquesannées, lepetit«Gavroche»deKateetBert s’était transforméenunvéritablebourreaudescœurs.Lesinvitationsqu’ilrecevaitnesecomptaientplus.

—Tut’amusestrop!maugréaitEdwina,pourleprincipe.

—Ettoipasassez!rétorquait-ildutacautac.

C’était la stricte vérité. Les règles les plus élémentaires de l’éducation interdisaient à une jeunefemmedebonnefamilledesortirsansêtreaccompagnée.C’étaitjustementcequ’Edwinavoulaitéviter.Ellenedésiraitlacompagnied’aucunhomme.

—Pourquoitunesorspluscomme…commetoutlemonde?

Georgess’étaitreprisavantd’ajouter«commeavant».Ilserappelaitparfaitementcommentc’était,avant, du temps où leurs parents se rendaient à quelque réception en ville avec Charles et Edwinasomptueusement vêtue. Évidemment, elle n’en parlait jamais, à tel point que Georges se demandaitparfois si elle s’en souvenait encore.Une fois, il avait essayéd’aborder laquestion,mais elle l’avaitenvoyésurlesroses.Puis,elles’étaitexcusée.SiFannieetAlexialesentendaient,expliqua-t-elle,ellesvoudraientabsolumentvoirsesanciennestoilettes,etellen’avaitnulleenviedelesmontrer.

Devant cet argument,Georges garda un silence circonspect. C’était un prétexte, il le savait. Cettegarde-robedeprincesseavaitdûêtreenfouieDieusaitdansquellemalledugrenierparMmeBarnesetEdwinaavaitdéfinitivementoptépourdestenuesstrictes.«Desrobesdemonâge»,disait-elle,avecsa

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maniedesevieillir.Aprèstout,ellen’avaitpasencoretoutàfaitvingt-sixans…

—Maisjesors,répondit-elle.LasemainedernièrejesuisalléeauconcertavecBenetsonamie.

—Tusaisbiencequejeveuxdire.

EllehaussalesépaulesetGeorgesn’insistapas.D’uncôté,ilreprochaitàsasœursaviedereclusemaisde l’autre, tout commePhilip et les enfants, cela le rassurait.De toutes lesmanières,Edwinanevoulaitpasrefairesavie.Aprèscinqans,ellerêvaittoujoursdesonfiancé.LebeauvisagedeCharless’étaitunpeuestompémaissoncœurrestaitfidèleàsamémoire.Edwinadétestaitlesragotsdesalonquesonattitudeavaitsuscités.

Lorsdesesraressortieselleavaitaperçuquelquesregardscontrits,sonoreilleavaitcaptéquelquesmurmuresdecompassion…

«Te rends-tucompte?»…«Pauvrepetite»…«Si jolieetpasdemari»…ou«MonDieu,queldrame!»,etmêmeunefois«Vieillefille».Ellen’avaitpasbronché.

Elleétaittropfièrepourpermettreàquiconquedelaplaindre.Oudelajuger.Onnesemariaitpaspourfairetairelesmauvaiseslangues.Levoiledetulleperléétaittoujourslà,danssonarmoire.

Elle ne l’avait pas regardé depuis plus de trois ansmaintenant, afin de s’épargner une souffranceinutile.Ellene leporterait jamais, ce chapitrede savie était définitivement clos.Peut-êtreAlexiaouFannieleporteraient-ellesunjour…

Ellesecoualatêtepourchassersesidéesnoires.Àquoibonressassercesvieilleshistoires?Malgréelle,sonregardfrôlaletéléphonequirestaitmuet.«Philipn’apasrappelé»,sesouvint-elle.

Ellesourit.Sonfrèreavaitsûrementvoulu lui fairepartd’uncommentairepertinentsur l’entréeenguerredesÉtats-Unis.Ildevaitavoirsonidéelà-dessus,ellen’endoutaitpas.

Laported’entréeclaqua,puisGeorgesentradanslesalonoùelleétaitassise.

—La mobilisation a commencé! lança-t-il, les yeux brillants. On cherche des volontaires. S’ilsavaientvouludemoi,j’auraisdéjàétésouslesdrapeaux…Tiens,tuesmignonneaujourd’hui,ajouta-t-il,sautantducoqàl’âne.

Elleétaitravissante,eneffet,avecsaluxuriantechevelured’unnoirbrillantquiflottaitlibrementsursesépaulesetdanssondos,etvêtued’unerobefluide.Sescheveuxdénouésluidonnaientunairdejeunefille, contrairement aux coiffures guindées exigées par lamode qui la vieillissaient.Georges semit àarpenterletapis,revenantàsapremièreidée.

—J’auraistellementaiméendosserl’uniformedelaglorieusearméeaméricaine,gémit-il.

Ellelefixasanssourire.

—Laisselaguerreauxadultes!jeta-t-ellefroidement.Toi,tuestropjeune,etPhilipaunjournalsurlesbras.

Illaregarda,impressionnéparsonautoritéet,pourunefois,netrouvarienàredire.

Edwinatraversalejardin,lesbraschargésd’uneénormegerbederoses-thé,cellesquesamèreavaitplantéesdesannéesauparavant.

Cinq jours s’étaient écoulés depuis la déclaration de guerre votée par le Congrès. Songeuse, ellecontournalademeure,etsoudainsonpassefigea.Unesilhouettemasculine,grandeetathlétique,venaitdesurgirsouslamarquisedel’entréedeservice.Elleplissalespaupièresdanslecontre-jouréclatant.

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—Philip!

Lesrosess’éparpillèrentsurlegazonetelleseprécipitadanslesbrasdesonfrère.Commechaquefoisqu’ellelevoyait,ellefutfrappéeparlacarruredesesépaules.«Maisc’estvraiqu’ilavingtetunansmaintenant»,serappela-t-elleavecémotion.

—Ehbien,fit-elle,souriante,quenousvautl’honneurdetavisite?

L’instantsuivant,sonsourires’effaça.Philipaffichaitunairsérieux,presquesolennel.Ques’était-ilpassé?

—J’aiàteparler.

Iln’auraitjamaisprisunedécisiond’unetelleimportancesanslaconsulter.Illarespectaittroppoursepasserdesonopinion.

—Tudoisavoirunebonneraison,pouravoirobtenulapermissiondequitterHarvard.

Elleavaitparlésuruntonlégermaislecœurn’yétaitpas.Unsombrepressentimentl’avaitenvahiesoudain.Non,non,sescraintesnepouvaientêtrefondées.Ellelesuivitdanslacuisine,d’unpaslent.

Peut-êtreneluiannoncerait-ilpascequ’elleredoutaitpar-dessustout.Peut-êtreavait-ilétérenvoyédel’université,toutsimplement.

Peut-être…

—J’aidemandél’autorisationdem’absenter,dit-il.

Elles’assitpesammentsurunechaise.

—Oh…pourcombiendejours?

Iln’osapasleluidiretoutdesuite.Mieuxvalaitlaménager.Unbruissementd’étoffeluifittournerlatête.MmeBarnesdevaits’affairerdanslegarde-manger.

—Edwina,allonsdansunepiècepluscalme.Ilfautquejeteparle.

Edwinaleconduisitausalon,sansunmot.

—Tuauraispumepasseruncoupdefilavantdevenir,luireprocha-t-elle,aprèsqu’ileutferméladoubleportesculptée.

ElleluiauraitditdenepasbougerdeHarvard…Ellen’avaitaucuneenvied’entendrelesmotsqu’ils’apprêtaitàprononcer.

—Jel’aifaitmaistun’étaispaslà.Alexianetel’apasdit?

—Ellem’aditaussiquetuallaisrappeler.

Unsilencesuivit,pendantlequelellesesentitauborddeslarmes.

Ilétaitsibeau…sicharmant…sitendreencore…Ellelevitrespirerprofondément,commepoursedonnerducourage.

—Jen’aipasrappeléparcequej’aiprisletrainlejour-même…

—Ilaspiraunenouvelleboufféed’air.

—Jesuisenrôlédansl’armée,Edwina.Jemesuisportévolontaire.

Lesangseretiradesjouesdelajeunefemme.Elles’étaitpourtantattendueàcettedéclaration.Elle

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l’avaitredoutée.Maisdetoutessesforceselleavaitespérésetromper.

Bondissanthorsdufauteuiloùelleavaitprisplace,ellesemitàarpenterlapièceensetordantlesmains.

—Edwina…

—Tais-toidonc!Commentas-tupufaireunechosepareille?Dequeldroitvas-tubouleversernotrevie après tout ce que nous avons enduré? Les enfants ont besoin de toi… commeGeorges… commemoi…

Il y avait une bonne douzaine de raisons pour empêcher Philip de partir à la guerre. Son esprits’arrêtaàuneseule:ellenevoulaitpas,ellerefusaitdeleperdre.

—Tunepeuxpasfaireça!hurla-t-elle.Notreavenirdépenddetoi…Nous…

Savoixsebrisaetelledétournalatête.

—Nefaispasça…murmura-t-elle…Jet’ensupplie,nefaispasça…

Nelefaispas…

EllesentitlamaindePhilipsursonépaule.

—Edwina,tâchedecomprendre.Jenepeuxpasresterauchaudàliredanslesjournauxlescomptesrendusdescombats,sansêtreétoufféparlahonte.Ilestdemondevoirdeservirmonpays.

—Balivernes!fulmina-t-elle,enfaisantdemi-tourpourlefixerdroitdanslesyeux.Tondevoirestici!Tondevoirdevraitt’inciterplutôtàterminertesétudesetàt’occuperdetesfrèresetdetessœurs.

—J’aiattendupendantdesannéesquetugrandisses—nousavonstousattendu—pourassumertesresponsabilités.Paspourtevoirprendrelafuite…

—Jeneprendspaslafuite,Weenie.Jem’envaisàlaguerre…

pourquelquetemps.Ceneserapaslong.Jeseraivitederetouretm’occuperaidelafamille…Jetelejure.

Il se sentait terriblement coupable,mais sa décision demeurait inébranlable. Son pays aussi avaitbesoindeluietilavaitréponduàcetappel.Aufonddesoncœur,ilsavaitquesonpèreauraitapprouvésa conduite.Un grand nombre d’étudiants avait déjà rejoint les forcesmilitaires américaines et aucunprofesseurn’avait tentéde lesdissuader.Aucunhommedignedecenomn’auraitosé lui suggéreruneattitude de lâche. Mais Edwina était une femme. À ses yeux, ce départ équivalait à une trahison. Àprésent,elleluifaisaitfaceetlefoudroyaitd’unregardnoir.

—Jenetelaisseraipas…

Lesdoublesbattants sculptés s’écartèrentbrutalement, livrantpassageàGeorgesqui s’immobilisa,perplexe,lessourcilsfroncés.

Sonregardsereportavivementdesasœuràsonfrère.Ilneluifallutpasplusd’unesecondepourcomprendrequequelquechosedegravevenaitdeseproduire.

—Weenie?Quesepasse-t-il?

—Tonfrèrevientdem’annoncersonintentiondes’engagerdansl’armée.

Si Philip avait commis un crime, elle n’aurait pas utilisé un autre ton. Georges encaissa le chocdignement,puis,l’œilallumé,ils’élançaversPhilipetluitapotavigoureusementledos.

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—Bravo,monvieux!Montre-leurcequetuvaux,àcessalopards!

Fais-leurenvoirdetouteslescouleurs!Jete…

Ils’interrompitentoussotant,serappelantsoudainlaprésenced’Edwina.Celle-cifitunpasverssesdeuxfrères,rejetantenarrièreseslongscheveuxdansungestevindicatif.

—Etsic’étaiteuxquiluienfaisaientvoirdetouteslescouleurs,Georges?Etsi,aulieudedevenirlehérosdontturêves,ilétaitabattutoutbêtementd’uneballeennemie?Ah!ceseraitsûrementmoinsdrôle.Moinsexcitant.Moinsgrandiose.

—Ellelesregardatouràtour.

—Écoutez-moibien,touslesdeux!Avantd’agir,réfléchissez.

Maintenantetàl’avenir.CettefamilleexisteencoregrâceàDieu,jenevouslaisseraipasladétruire.

Ellesedirigeaverslasortie,trèsdroite,d’unedémarcherigide.

Surleseuil,elleseretourna.

—Tu ne t’en iras pas! déclara-t-elle d’une voix dure à l’adresse de Philip. Débrouille-toi avecl’armée,dis-leurqu’ilyaeuerreur,maistunepartiraspas,est-ceclair?Jetel’interdis!

Laporteclaquafurieusementderrièreelleet,l’instantsuivant,ilsentendirentsespassurlesmarchesdel’escalier.

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Chapitre19

—Pourquoi Philip est-il à lamaison? demandaAlexia tout en coiffant énergiquement les cheveuxdorésdesoninséparablepoupéeMrs.Thomas.Ilaétéfichuàlaportedesonécole?

Edwinaposaunplatd’œufsbrouillésdevantFannie,puisservitunverredechocolataulaitchaudàTeddy.Laveilleau soir, lesdeuxgarçonsavaientdînéaucerclede leurpèreoù ilsavaient rencontréBen. C’était tout ce qu’elle savait. Elle n’avait plus adressé la parole à Philip depuis l’après-midiprécédent.

—Philipestvenusimplementnousrendrevisite…IlretourneraàHarvarddemainouaprès-demain.

Letondesavoix,fermepourtant,netrompapersonne.Sonvisagepâleauxtraitstirésdémentaitsesparoles,mêmeTeddyeutl’airdes’enrendrecompte.Edwinaneleurlaissapasl’occasiond’ergoter.

Elle ramassa prestement les restes du petit déjeuner, empila tasses et soucoupes dans l’évier,embrassalesenfantsd’unairabsent.

—Vite,vousallezvousmettreenretardpourl’école.

Lorsqu’ilsfurentpartis,ellesortitdanslejardin,ramassalesroses-thédisséminéessurlegazongras.Lesfleurs,légèrementdéfraîchies,commençaientàécloremaiselleneleremarquapas.

EnregarddecequePhilipluiavaitdit,plusrienn’avaitd’importance.Edwinarespiraàfondl’airmatinalpommelédesoleil.

Non,iln’iraitpassefairetueràl’autreboutdumonde,ellenelepermettraitpas.Elleignoraitencorecommentelle s’yprendraitmaisPhilipnedeviendraitpasde lachairàcanon. Ilne lesabandonneraitpas…pasàcemoment-là,iln’enavaitpasledroit.

Elleremplitunvased’eaufraîche,semitàdisposerlesroses,l’uneaprèsl’autre,lefrontbuté,l’œilfixe.Etpluslesrosess’accumulaientdanslerécipientdecristal,plussaconvictionserenforçait.EllesongeaitàtéléphoneràBen,quandGeorgespénétradanslapièce,uncartabledéforméparleslivressouslebras.Ilétaitenretardpourlelycée,commetoujours,or,pourunefois,ilnecherchaaucuneexcuse.

—Weenie,vas-tuvraimentessayerdel’arrêter?

Ilavaitparlétoutdoucement,avec,dansleregard,unepetitelueurmorose…Edwinaavaitperdulapartie,illesavait,mêmesiellenevoulaitpasl’admettre.GeorgescomprenaitparfaitementlepointdevuedePhilip.Peut-êtreparcequ’ilétaitunhomme,luiaussi.Sasœurleregarda.Siellenemettaitpasleholàaux fredainesde l’aîné, lecadet serait toutà fait capablede le suivre sur leschampsdebatailleeuropéensdèsqu’illepourrait.

—Jenevaispasessayer,jevaism’yopposer,déclara-t-ellefroidement.

—Elleflanqualesdernièresrosesdanslevaseavecuneforceinutile.

—Iln’apasledroitdeprendredesinitiativesaussicapitalessansmedemandermonavis.

«Messagereçu»,pensaGeorges,maisildit:

—Tuastortdetebraquer.Papan’auraitpasditnonàPhilip…

Papaatoujoursditqu’ilfautsebattrepoursesidées.

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Ellelefixadenouveauet,l’espaced’uneseconde,unéclaird’aciertraversalebleuintensedesesprunelles.

—Papan’estpluslà,observa-t-elled’unevoixâpre,etGeorgesréalisasoudaincombienelleavaitdûsouffrir.Maisjenepensepasqu’ill’auraitautoriséànousquitter.Leschosessontdifférentesmaintenant.Jerefusedenepluspouvoircomptersurpersonnepour…pour…

—Jesuislà,moi…

Ellesecoualatête.

—Non.Àpartirdeseptembretuneseraspluslà,justement.

Ilvenaitderecevoirsonadmissionàl’universitéet,selonlatraditionfamiliale,ilparachèveraitsonéducationàHarvard.

—Écoute,Weenie…

—Net’enmêlepas,s’ilteplaît.Ils’agitd’uneaffaireentrePhilipetmoi.

—Pasdutout,objecta-t-il.C’estuneaffaireentrePhilipetlui-même.Ladécisionluiappartientquetuleveuillesounon.Etiladécidédedéfendresesidées.Desebattrepourlajusticedanslemonde,aurisquedenousdéplaireoudenouschoquer,tudevraislecomprendre.

—Je n’ai rien à comprendre! s’écria-t-elle en détournant la tête, afin de dissimuler ses larmes.Dépêche-toi,maintenant,situneveuxpasratertescours.

Legarçonfitdemi-touràcontrecœur.Danslevestibule,ilcroisaPhilipquidescendaitl’escalier.

—Commentva-t-elle?

Ilsavaient tourné leproblèmedans tous lessens laveille, jusqu’àuneheureavancéede lanuit,etPhilipavaitprislafermerésolutiondepartir.

—Pastrèsbien.Jecroisqu’elleestentraindepleurer.

Lesdeuxfrèreséchangèrentunepoignéedemain,puisGeorgess’enfut.Ilétaitterriblementenretardmaisne s’en souciait pas.Ledernier trimestre était presque fini.En juin, il serait lauréat de laDrewSchooletenseptembre,ilserendraitàHarvard.Àsesyeux,l’écolereprésentaitl’endroitidéalpoursefairedescopainsetdraguerdesfilles.Lelieuoùl’ons’amuseavantderentrermettrelespiedssouslatable à lamaison.Moins studieux quePhilip, il comptait néanmoins parmi lesmeilleurs élèves de sapromotion.Ilpoussaleportailavecunsoupir.

Toutcomptefait,laviedesoldat,çanedevaitpasêtredrôletouslesjours.Aufond,GeorgesauraitpréféréquePhiliprestâtsagementauxÉtats-Unis,ensécurité.«Enfin,lechoixluiappartient,songea-t-il,enlongeantletrottoirinondédesoleil.Edwinaatortdes’entêter.

Papaleluiauraitdit.ElletraitePhilipcommeungamin.»

Philip retrouva Edwina dans le jardin. À ses arguments, elle opposa un silence obstiné. En luitournantledos,ellesemitàarracherlesherbesfolles,avecunesortederagequiendisaitlongsursonhumeur.Maisilcontinuaàparleretauboutd’unmoment,ellesetournaverslui,lesjouesruisselantesdelarmes.

—Puisquetun’esplusunpetitgarçon,commetuasl’airdeleproclamer,alorsmontre-moiquetuesunhomme.Jemesuiscramponnéeàcefichujournalpendantcinqans,afinquetupuissesenprendreladirection.Etqu’est-cequetumeproposesmaintenant?

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D’attendre…oudevendre,peut-être?

—Lejournalpeutsepasserdemoiencorequelquetemps.Leproblèmen’estpaslàettulesais.

—Leproblèmeest…

Elle chercha frénétiquement les mots appropriés qui se dérobaient. Lui restait debout, les brasballants, les yeux pleins de confiance. Machinalement, elle laissa tomber ses gants de jardinage,s’approchadelui,posasespaumessursesépaules.

—Leproblèmeest…

—Denouveau,savoixgrelotta.Seslarmessemuèrentensanglots.

—Je ne veux pas que tu t’en ailles. Je t’aime etm’inquiète pour toi. Philip, reprends-toi, je t’ensupplie.Penseà…

—Edwina,n’insistepas.

—Tunepeuxpas…

Lesmotsfurentétouffésparlessanglots.Detoutessesforcesellerepoussaitl’idéeterrifiantedecettenouvelle épreuve. Teddy, Fannie,Alexia, elle-même, tous avaient besoin de lui. S’il s’en allait, il neresteraitplusqueGeorges.MaisGeorgesn’étaitencorequ’unadolescentétourdi,unenfantcapricieux,unoiseauquinedemandaitqu’às’envoler loindunid.Soudain, l’angoisse luiserra lecœurdansunétaumortel.Lesenfantsgrandissaient,ilsallaienttouslaquitter.

Etellen’avaitplusqu’euxaumonde.Commentsupporterait-elledelesperdre?Non,ilfallaitqu’ilsrestenttousensemble,telleunefamilleheureuseetunie.

—Jet’enprie…

Ellefixaitsurluiunregardsiimplorantqu’ileneutleslarmesauxyeux,luiaussi.Ilavaitparcourudesmilliersdekilomètresàseulefindelaconvaincre.Ils’étaitattenduàuneréactionnégativemaispasàcepoint.

—Je ne partirai pas sans ta bénédiction, dit-il enfin, et chaque mot parut lui causer une vivesouffrance.Silasituationestréellementaussipénible,simaprésenceaujournaletàlamaisonestaussiindispensablequetuleprétends,jemeverraiobligédeleurdirequej’aichangéd’avis…Quejen’iraipasaveceuxet…

Il se tut, hors d’haleine, comme après un effort surhumain, et ses yeux devinrent deux gouffres dedésespoir.

—Etsitun’yvaspas,queva-t-ilsepasser?

—Jen’ensaisrien…

Son regard erra sur les rosiers de leur mère, le chêne feuillu sous lequel leur père aimait à seprélasser,puisscrutalevisaged’Edwina.

—J’aurail’impressiond’êtreuntraîtrejusqu’àlafindemesjours,fit-ild’unevoixpitoyable.

—Puis,mûparunregaind’énergie:Oh,Weenie,jenem’enremettraijamais.C’estplusfortquemoi,jenepeuxpaslaisserlesautressebattreàmaplace.

Ellesecontentadeleconsidéreravecuneattentionsoutenue.Ilsemblaitsisûrdelui,siexaltéetsitristeàlafois,qu’elleeneutlecœurbrisé.Edwinanesaisissaitpastrèsbienl’engouementdeshommes

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pourlaguerre.Ils’agissaitprobablementd’uneexpérience,d’unesortederitedepassageàl’âgeadulte.Elle sut instinctivement que, si elle empêchait Philip de sortir de son enfance, jamais il ne le luipardonnerait.

—Ta place n’est-elle pas ici? questionna-t-elle d’une voix radoucie, mais il n’aperçut pas sonsourire.

—C’esttoiquilepenses!Tumeprendspourunbébé,maisjesuisunhomme,maintenant.Maplaceestlà-bas,Edwina.

Elle hocha la tête en silence, épousseta machinalement sa jupe veloutée de poussière et de brinsd’herbed’unvertbrillant,levaleregardversl’azuréclatantoùungrosnuages’effilochaitdessinantdessignesétranges.

—Ehbien,tul’as!déclara-t-ellesolennellement,d’unevoixquitremblaitlégèrement.

Philip avait raison, il n’était plus un bébé. C’était un grand garçonmaintenant.Un homme dont ilfallaitrespecterlesopinions.Etilavaitledroitdesebattrepourdéfendresesprincipes.

—Quoidonc?

Lesourired’Edwinas’épanouit.

—Mabénédiction,imbécile!Jetementiraissijetedisaisquejetel’accordedegaietédecœur.Maistoiseulesresponsabledetondestin.

—Sonsourires’effaça,sesyeuxs’embuèrent.

—Seulement, tâchede revenir.Promets-moique tuprendras soinde toi, car s’il t’arrivait quelquechose,jenetesurvivraispas.

—Jetelepromets…Jet’endonnemaparole…Jereviendrai,Edwina.Jeseraidenouveaulà,danspaslongtemps,tuverras.

Ils tombèrentdans lesbras l’unde l’autre et restèrent enlacéspendantun longmoment, tandisqueTeddylesregardaitdepuisunefenêtredupremierétage.

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Chapitre20

Philip boucla ses bagages le soir-même, assisté par Georges. Les deux frères évoquèrent ensuitetoutessortesdequestionsjusqu’àuneheuretardive.Ilétaitminuitpassélorsque,affamés,ilsserendirentdanslacuisinetraversantlamaisonendormie.

Bientôt,attablédevantunpoulet froid-mayonnaisearrosédebièreblonde,Georgessemitàparleravecanimation.

—Jet’envie,tusais,departirenEurope,conclut-il,agitantlacuissedepouletqu’ilétaitentraindegrignoter.TuvassûrementrencontreruneribambelledejoliesfillesenFrance.

Philipsourit.Ilpartaitàlaguerre,pasenvoyaged’agrément.

—SoisgentilavecEdwina,recommanda-t-il.

Donne-luirégulièrementdetesnouvellesquandtuserasàHarvard.

—Netetracassepas,jeseraiunfrèreexemplaire.

Georgesremplitdenouveauleurschopesdebière.Ilsavaienttoutelanuitdevanteuxpourdiscuter.Leurdernièrenuit…avantunbonboutdetemps.

—Je compte sur toi, insista Philip, soucieux. Nous devons tous une fière chandelle à Edwina, nel’oubliepas.

Ilyavaitexactementcinqansqueleursparentsétaientmorts.

—Oui, elle s’est entièrement dévouée pour nous, mais elle l’a bienvoulu, répondit Georges avec nonchalance, en sirotant tranquillement une gorgée de son breuvagepétillant.

Ilauraitadorévoirsonfrèreenuniforme.

—Ellen’avaitpaslechoix.Sansnous,elleseseraitpeut-êtremariée,répliquaPhilip,l’airsongeur…Encoreque…Jeme suis souventdemandé si ellen’estpas toujoursamoureusedeCharles.Si ellenepensepastoujoursàlui.

—Edwinan’oublierajamaisCharles.C’étaitl’hommedesavieetiln’yenaurapasd’autre.

Philiphochalatête.

—Tu as sans doute raison.Essaie tout demêmed’être présent chaque fois qu’elle aura besoin detoi…Etprendssoind’elle.

Ilfitunepause,butunegorgéedebièreetcouvasonjeunefrèred’unregardaffectueux.

—Tu me manqueras, petit voyou, murmura-t-il en ébouriffant d’un geste taquin les cheveux biencoiffésdeGeorges.

Celui-ci réprimaunsoupirenvieux. Ilenavaitde lachance,Philip,depouvoirpartirà l’aventure.Georgesl’auraitvolontierssuivilà-

bas…Ilsaisitsachope,latintunlongmomentenl’air, l’œilfixe,tandisquelesimageséclatantesd’uneprodigieuseépopée jaillissaientde son imaginationenfiévrée.Enfin, se ressaisissant, il porta lachopeàseslèvres.

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—Toi aussi tu me manqueras, affirma-t-il. Tu es un sacré veinard, tu sais… Je suis fier de toi.Seulement…—ileutl’airdecherchersesmotsetuneombrefugitivetremblotauninstantsursestraitsjuvéniles—…tâchederevenir,acheva-t-ilsobrement.

Exactementlamêmephrasequ’Edwina.Philipacquiesça.

—C’estpromis.Et toi,passeuneexcellentepremièreannéed’étudesàHarvard.Tume raconterastoutquandnousnousreverrons.

—Peut-êtrenousreverrons-nousplustôtquetunelepenses,laissaéchapperGeorges.

Philipseredressad’unbond.

—Ilesthorsdequestionque tu soisenrôlé toiaussi.Unhommedanschaque famille suffit. Ilsontbesoindetoiici.

—Jen’airiendit…soupiraGeorges,leregardnostalgique.

IIsongeaittoujoursauxaventuresdesonfrèreenFrance.

Ils allèrent se coucher après deux heures dumatin, longèrent le couloir bras dessus bras dessous,commedevieuxamis.Lelendemainmatin,quandilsretournèrentàlacuisine,toutlemondeétaitdéjàlà.Edwinaavaittenuàpréparerelle-mêmelepetitdéjeuner,augranddamdeMmeBarnes.

—Vousvousêtescouchéstard,jeparie,remarqua-t-elleavecunsourire,enfaisantallusionauxtraitschiffonnésdesesfrères.

—Tut’envas?ditenmêmetempsFannieauborddeslarmes.

Lesminutess’égrenaientàunevitesseincroyable.ÀpeinePhilipavait-ilprisdeuxgorgéesdecaféaulait—ilneputrienavalerd’autre—quec’étaitl’heuredepartir.Etuninstantplustard,toutlemondeétait dans laPackard.Sur le seuil de lamaison,MmeBarnes s’essuyait lesyeuxavec lebordde sontablier.Letrajetjusqu’àlagare,pluscourtquejamais,sedérouladansuneambiancedegaietéfactice,aprèsquoi,Philipseretrouvasurlequaibondédejeunesgensqui,commelui,s’apprêtaientàrejoindrel’armée. Fannie semit à pleurnicher, tandis qu’Alexia se cantonnait dans son éternelmutisme.C’étaitaujourd’huilejourdesononzièmeanniversaire.

—Prendssoindetoi,murmuraEdwina,nete…

Lafindesaphrasefutperduedanslevacarmedutrainquis’approchait.Lessecoussesrégulièresdesroues sur les rails firent tressaillir Edwina. Lorsque la locomotive s’immobilisa, le temps parut seprécipiter.Lamaréedevoyageurss’écoula rapidementà l’intérieurde la longue filedeswagons.Prisdanslesremousdelafoule,Philipduts’avancer,sonbagageàboutdebras,seretournantàdemiverslessiensrestésenarrière.

—Quandreviendras-tu?criaTeddy,etunegrosselarmefestonnasescils.

—Bientôt…Soyezsages,lesenfants…Edwina,Georges,écrivez-moi…

L’appelducontrôleurperçadanslebrouhahadesvoix.

—Envoiture!

Le train émit un sifflement impatient, un brûlant jet de vapeur se dilua dans l’air matinal. Sur lemarchepied,Philipjetaunderniercoupd’oeilpar-dessussonépaule.

Ilsétaientencorelà,EdwinatenantTeddydanssesbras,GeorgesdonnantunemainàFannieetl’autreàAlexia,figéscommesurunephoto.Uneimagepathétiquequisegravapourtoujoursdanslamémoirede

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Philip.Lamachineémitunhalètement,ilyeutdeuxcoupsdesifflet,letrains’ébranlaetuneminuteaprèsilavaitdisparu,commes’iln’avaitjamaisétélà,commesiPhilipn’avaitjamaiseffectuécebrefretouràlamaison.

Edwinasedirigeaaveclesautresverslasortie,terrasséeparuneaffreusesensationdevide.Etaumêmemoment,dans le trainqui filait à touteallurevers sadestination,Philip laissa librecoursà seslarmes.

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Chapitre21

La guerre se poursuivait, implacable, accumulant les victimes sur les champs de bataille. Ennovembre,lesforcesanglo-américainesmasséesàCambraientamèrentunelenteprogression,etdixjoursaprès, la contre-offensive allemande les obligea à amorcer une retraite qui les ramena presque à leurpointdedépart.

Chaquejourlesjournauxpubliaientlescomptesrendusdescombats,etlenombredesmorts,toujourscroissant,faisaitfrémirEdwina.Fidèleàsapromesse,Philipluiécrivaitrégulièrement,décrivantl’enferdestranchées—laboue,lapluie,laneige—maispassantsoussilencelespectaclehideuxdedizainesdemilliersdecorpsensanglantés,lescrisd’agoniedesmourants,lapeurconstantedelamortviolente.

AuxÉtats-Unis,lesaffichesdemobilisationoùl’onvoyaitunOncleSamavancerundoigtaccusateursurfonddebannièreétoiléesemultipliaient.EtenRussie,letsarvenaitdeperdresontrôneetlafamilleimpérialeavaitprislechemindel’exil.

—Est-ce que Georges sera également un héros? questionna Fannie un jour aux approches deThanksgiving.

—Non!s’empressaderépondreEdwinad’untonsec.

C’étaitdéjàassezpénibledes’inquiéter jouretnuitpourPhilip,ellen’avaitguèrebesoind’autressoucis.Heureusement,GeorgesétaitensécuritéàHarvard. Il l’appelait fréquemment, luiadressaitdeslettres pleines d’humour qui la faisaient sourire, narrant sesrencontres,sesinnombrablesconquêtesféminines,sesdéplacementsàNewYorkoùilhantaitlessallesobscures. Sa passion du septième art s’était amplifiée au fil du temps. Il vouait une admiration sansbornesàCharlieChaplin.Souvent,aprèsavoirdécouvertunfilm,ilenvoyaitàEdwinadespagesetdespages d’observations qui, d’emblée, frappaient par leur finesse. Elle se demandait alors si, comme ill’avait déclaré trois ans plus tôt, il ferait carrière dans le cinéma.Mais, pour lemoment,HollywoodsemblaitsiloindeHarvard…

GeorgesvintpasserThanksgivingà lamaison.MmeBarnespréparaun repasde fêteet lorsque lapetite famille se réunit autour de la table, dans la grande salle à manger, Edwina fit la prièretraditionnelleenpensantàPhilipquidevaitêtreaufondd’unetranchée,quelquepartenFrance.

—..etDieubénisseGeorges,quinesera jamaisunhéros,àcaused’Edwina,psalmodiaTeddy,duhautdesesseptans.

LebenjamindesWinfields’étaittransforméenunadorablepetitelfepresqueconstammentpenduauxjuponsdesagrandesœur.Iln’avaitgardéqu’unsouvenirfloudeKate.Àsesyeux,Edwinaétaitsavraiemère.

Georgesrepartitlejour-mêmepourBostonoùdesamisl’avaientinvité.L’après-midi,lesoleilperçalesnuageset,profitantdubeautemps,Edwinaetlesenfantssortirentdanslejardin.

Les filles se mirent à bavarder, tandis que Teddy s’acharnait sur un ballon. Le soir tombapaisiblement.Aprèsunlégerdîneretlebaintraditionnel,Edwinaenvoyalesenfantsaulit.Elleseretiradanssachambreàsontouretellen’étaitpasencoretoutàfaitendormie,quandlasonnettedel’entréerésonnadanslademeuresilencieuse.

Lajeunefemmes’assitsursonséant,l’airsurpris.Deuxièmesonnerie.Cevisiteurtardiffiniraitpar

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ameutertoutelamaisonnée—maisquicelapouvait-ilbienêtre?UnamideGeorges,sansdoute.

Elle bondit hors du lit, enfila une robe de chambre, dégringola les marches, ouvrit le battantrapidement,afind’éviteruntroisièmecoupdesonnette.Unesilhouettemassivesedécoupadansleclairdelune.Unhommequ’elleneconnaissaitpas.Uneerreur,probablement.

—Oui?

Il la regarda. Avec ses cheveux défaits encadrant son fin visage et sa taille menue, elle devaitressembleràunetoutejeunefille,carildit:

—Votremèreestlà?

—Euh…c’estmoi,bredouilla-t-elle,intriguée,quevoulez-vous?

Il baissa les yeux sur l’enveloppe qu’il tenait entre les doigts et que la jeune femme découvritsubitement.

—EdwinaWinfieldc’estvous?

—Oui…dequois’agit-il?

Mais,déjà,unemainglacéeserefermaitsursoncœur.Lesoufflecourt,ellesaisitletélégramme.Laporterefermée,ellepassadanslesalon,allumalalampeprèsdugrandcanapéoùellepritplace.

L’enveloppe fut décachetée à la hâte, livrant un feuillet que, le cœur battant à se rompre, Edwinaapprochadelalumière.L’abat-jourdessinauncercleblancsurlepapieretsoudain,leslettrestracéesàl’intérieurdececerclesemirentàdanserfollementdevantsesyeux.

«… sommes au regret de vous informer que votre frère, Philip Bertram Winfield, est mortaujourd’hui,le28novembre1917,auchampd’honneuràCambrai.»Unesignatureillisiblebalafraitlebasdelapage.

Lajeunefemmedemeuraunlongmomentfigée,commeanéantie.Philipavaitréchappédel’horreurduTitanicmaisledestinneluiavaitpasaccordéplusdecinqansdesursis.Elleportalentementlamainàsaboucheetun longsanglot lasecoua.«Cinqans»,serépéta-t-elle, tandisqu’unflotde larmes luibrouillaitlavue.

Cinqanspourdevenirunhomme.Cinqanspourallersefairetueràl’autreboutdumondepardessoldatsallemands.

Elleremontal’escalierd’unedémarchechancelante.Danslasemi-obscuritéquienveloppaitlepalier,elledistinguaunepetitefigureblanche…Alexia.Lesdoigtsd’Edwinasecrispèrentsurletélégramme.Sajeunesœurlaregarda,n’osantprononcerunmot.

MaisquandEdwinaluirenditsonregard,ellesutimmédiatementcequis’étaitpassé.Ellestombèrentdans lesbras l’unede l’autre, et restèrent là longtemps, immobiles, étroitement enlacées, commedeuxenfantsperdues.

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Chapitre22

—Allô…allô…hurlaEdwina.

Il avait fallu attendre deux jours avant queGeorges, en visite àBoston, ait regagnéHarvard.Elleavaitdemandélacommunicationàl’opératrice,delonguessonneriess’étaientégrenéesdanslesilence,puisunevoixflottasurlaligne,àdeuxmillekilomètresdelà,aumilieud’unefritureépouvantable.

—MonsieurWinfield,s’ilvousplaît!s’époumona-t-elle.

Onlapriadenepasquitter,etpendantunlongmoment,unmomentinterminable,iln’yeutplusquelesilence.Enfin,lavoixfamilièredeGeorgesrésonnadansl’écouteur.

—Allô!Allô!Quiestàl’appareil?

Elleavalasasalive, incapabledeprononcer lesmotsfunestes,mais il lefallait.Georgesavait, luiaussi,ledroitdesavoir,toutcommelesautres.Lesenfantsavaientpleurésansretenuedesheuresdurantetmaintenant,assistouslestroissurlesmarchesdel’escalier,ilsl’observaientdeleursyeuxtristes.

—Georges,c’estmoi.Tum’entends?

—Oui…Quesepasse-t-il?

Elleouvritlabouchemaisaucunsonneputfranchirseslèvrespâles.Leslarmesjaillirent,traçantdessillonsbrillantssursesjoues.

—C’estausujetdePhilip…réussit-elleenfinàarticuler,maisavantqu’elleneterminesaphrase,ilavaitcompris.

—MonDieu!s’écria-t-il,sentantsonsangseglacerdanssesveines.Est-cequ’ilest…

—Nous avons reçu un télégramme il y a deux jours. Il a été tué en France… Il est morthonorablement,secrut-elleobligéed’ajouter,soudainsoucieusedecedétail.Ilest…

Elles’interrompitunenouvellefois,accablée.

—Jereviensàlamaison,déclara-t-il,d’unevoixhachéedesanglots.

Ils pleuraient tous les deux à présent. Alexia se redressa alors, remonta les dernières marches,disparut à l’étage. Edwina se figurait parfaitement où elle se rendait. La petite fille ne s’était pasenferméedanslesappartementsqui,autrefois,abritaientlachambredeleursparentsdepuislongtemps.

—ÉcouteGeorges,poursuivit-elle,lesyeuxfixéssurlepaliervide,tun’aspasbesoindevenir.

Ilneparutpasconvaincu.

—Je serai à la maison dans quatre jours, répéta-t-il sans se donner la peine de dissimuler sessanglots.

LamortdePhilipl’emplissaitd’unimpétueuxsentimentderévolte.Leurdernièrerencontreluirevintenmémoireetilsemorditcruellementleslèvres.Direqu’ill’avaitencouragé,enviémême…

Edwinaavaitraison.Ellen’auraitjamaisdûlelaisserpartir.Elleauraitdûs’imposer.

—Non,Georges, ce n’est pas indispensable, plaida-t-elle, craignant que ses absences répétées luiportentpréjudiceàHarvard.

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Pendantun instantellecrutque lacommunicationavaitétécoupée,puis lavoixdeson frère flottadansladistance,commeàtraversunlongtunnel.

—…vontlespetits?

—Ilsvontaussibienquepossible.

FannieetTeddynelaquittaientplusd’unesemelle.Àpeines’éloignait-elledequelquespasqu’ilséclataientensanglots.

Visiblement, ils avaient peur qu’ellemeure, elle aussi.Alexia présentait tous les signes d’un totalabattement.

LafrituresurlalignesedissipaetlavoixdeGeorges,aussiclaireques’ilavaitétédanslapièceàcôté,dit:

—Ettoi?

Ellesecoualatête,s’efforçantdeseconcentrersursaréponse,maisàsoninsu,sonespritdérivaunefoisdeplusversPhilipquiavaitdûexpirerdanslasolitudeetlefroid.

—Bien…répliqua-t-elle.

—Alorsàdansquatrejours.

Elle ouvrit la bouche pour le dissuader d’entreprendre ce nouveau voyage mais il avait déjàraccroché.Ellereposal’écouteursurlecombiné,levaleregardversFannieetTeddytoujoursassissurlamarcheaumilieudel’escalier.

—Georgesviendra,annonça-t-elle.

Lajournéesedéroulaaveclenteur.Edwinafitdînerlesenfantsplustôtqued’habitude,lesfitcoucherdanssaproprechambre.

Ensemble,avantqu’ilss’endorment,ilsévoquèrentPhilip.Sagentillesse,sonboncœur,sonélégancenaturelle. Son intelligence aussi. Des scènes du dernier été à Tahoe, avec Becky Hancock… Enfin,vaincusparlafatigue,lespetitss’endormirent.Edwinapritplacedanslevastefauteuiljouffluquifaisaitfaceaulit.Ettoutencontemplantlestroistêtesboucléesalignéessurl’oreiller,uneréminiscencefulguradanssamémoireet,l’espaced’uneseconde,elleserevitdanslecanotdesauvetageglissantsurlamerd’encre.Ilsavaientalorstraversélanuitglacéedansl’espoirquelejourlesréuniraitlelendemain.Maiscesoir,iln’yavaitplusd’espoir.

Georges arriva quatre jours plus tard, comme il l’avait annoncé. La grande demeure silencieuserésonna de son pas allègre sur les marches, de sa voix chaleureuse à travers les pièces. Il posa sesbagages,ressortitpresqueaussitôtdanslejardinàlarecherched’Edwina.Elleétaitdanslaroseraie.Illaserradanssesbras,lesyeuxembués.

—Finalement, je suis contente que tu sois venu, admit-elle plus tard dans la soirée, après que lesenfantsfurentcouchés…LamaisonestsitristesansPhilip.Iln’yariendeplusterriblequedesedire:«Jamaisplusiln’entreradanscettepièceounemonteracetescalier.»

Georges hocha la tête. Il éprouvait exactement lamême sensation.Dans l’après-midi, il était allés’enfermerdanslachambredesonfrèrepourpleurer.Lorsqu’ilavaitpénétréàl’intérieurdelamaison,ils’attendait,plusoumoinsconsciemment,àtrouverPhiliplà.

—Oui, c’est bizarre, dit-il. Je ne parviens pas à me faire à l’idée qu’il ne reviendra plus. J’ai

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toujoursl’impressionqu’ilestenFranceetqu’unjourilrentreraaupays.Quelaportes’ouvriraetquePhilipapparaîtrasurleseuil.

Unpâlesourirefrôlaleslèvresd’Edwina.

—Oui, je sais. J’ai pensé la même chose pour maman, papa… et pour Charles, une sorte deconvictionirraisonnéeselonlaquelleunjourilsreviendraient…Maisilsnesontpasrevenus.

—Oui,fit-il,songeur.Àl’époquej’étaisencoretropjeunepouranalysermessentiments.Commetuasdûsouffrir,Edwina!

—Nousavonstoussouffert.

—Non,pasautantquetoi.

—Ils’enétaitrenducomptebrusquement.

—Enplusdenosparents,tuasperduCharles.C’estaffreuxdeperdrequelqu’undejeunequin’apaseuletempsdecommencersavie.

Il s’interrompitun instant,puis la regarda. IlyavaiteuBen,biensûr,maisGeorges savaitqu’ellel’avaitrepoussé.Ensuite,elles’étaitingéniéeàdécouragerlesprétendantslesplustéméraires.

—Edwina,tun’asjamaisaimépersonned’autre,n’est-cepas?

Unnouveausourirebrillasurleslèvresdelajeunefemme.

—Non.L’amourestunchapitrequej’aiclosdepuislongtemps.

Unevien’est pas assez longuepour contenirdeuxamoursd’une force égale.Celan’arrivequ’unefois,jesuppose.Etpourmoi,cettefois-làestpassée.

SavoixsefêlaetGeorgessepenchaverselle.

—Cen’estpasjuste,Weenie…Tuméritesunfoyerheureux,unefamille.Tunevoudraispasavoirdesenfants?

Elleémitunrireamusé.

—Encore?Nonmerci!J’enaidéjàeucinq,moncher,l’aurais-tuoublié?

—Cen’estpaslamêmechose,répondit-ild’unevoixsérieuse.

—Quelleestladifférenceentrefaireunenfantetl’élever?Onlechéritdelamêmemanière…

Etcommeillaconsidéraitattentivement:

—J’aipromisàmamandem’occuperdevous,Georges,etj’aitenuparole…Jeneveuxriend’autre.

Elleparaissaitsatisfaiteetsemblaitnerienregretter.

—Quandretournes-tuàl’université?

—Justement,àcepropos…J’avaisl’intentiondet’enparlermaisparpitié!pascesoir.

Edwinaredressalebuste,alarmée.

—Àquelpropos?Ya-t-ilunproblèmeavectesétudes,Georges?

Àquoi bon le lui cacher plus longtemps?Le jeune homme se cala dans son fauteuil et prit un airdécontracté.

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—Non,iln’yaaucunproblème,Weenie.Maisj’aidécidédeneplusyretourner.

Pendantunelongueminuteelleledévisageacommesielleessayaitdedéchiffrerlesensdecesmots.SaréactionfutexactementcellequeGeorgesattendait.

—Comment?Tunetermineraspastesétudes?

Depuistroisgénérations,lesWinfieldétaientdiplômésdeHarvard.Grand-pèreWinfield,puisBertetPhilip.Teddyauraitcertainementlamêmeéducation.

Etplustard,lesenfantsdeTeddyetdeGeorgessuivraientlatraditionfamiliale.C’étaitdansl’ordredes choses, un ordre immuable qu’Edwina n’avait jamais songé à remettre en question. Elle le dit àGeorgesmaisilneparutpasimpressionné.

—Jeregrette,Weenie.

Cettedécisions’étaitimposéeàluiquandPhilipétaitpartiàlaguerre.Aucunargumentnepourraitlefairechangerd’avis.

—Maispourquoi?

—Maplaceestici.Àvraidire,jenemesuisjamaisvraimenthabituéàHarvard.Jem’ysuisamusé,j’ai fait laconnaissanced’un tasdegens intéressants,mais lemondedes livresn’estpas lemien.J’aienviedequelquechosedeplusexcitant…deplusvivant.Lesouvragessavantsquidécortiquenttelmythegrecoutelleéquationmathématiquem’ennuientprofondément.JesuisdifférentdePhilip.

J’aibesoindeconcret.Jecroisquejememettraiàtravailler.

Edwina baissa le regard afin de dissimuler sa déception et sa colère. Georges restait le gamininsouciantqu’elleavaittoujoursconnu.Lesévénementsnel’avaientpasmûri,ilnes’étaitpasdonnélapeinederéfléchir…Lesjourssuivants,elletentadeledissuader;toutediscussions’avérainutile.ElleentouchadeuxmotsàBenJones,maisrienn’yfît.Georgesrestasursespositionset,quinzejoursplustard,ilcommençasonapprentissageaujournaldesonpère.

Lematin,ilsemettait invariablementenretard,cequil’obligeaitàpartirencatastrophe.Ilrentraittarddanslasoirée.

Son air affairé arrachait parfois un sourire à Edwina. À ses yeux, son frère n’était encore qu’unenfant.Auxprisesavecdesresponsabilitésd’adultes,iln’enétaitqueplusattendrissant.

Ses flirts le rendirent très vite célèbre et le tout San Francisco voulut bientôt le connaître. Lesinvitationsaffluèrentdetoutespartsetlesfamilleslesplushuppées,lesYoung,lesCrocker,lesSprecklefirent des pieds et des mains pour l’avoir à leur table. Edwina l’accompagnait parfois, bien que, laplupartdutemps,ellepréférâtunesoiréetranquillechezelle.Etpeuàpeu,lepenchantdeGeorgespourlesmondanitéssupplantal’intérêtqu’ilavaittémoignéaujournal.Naturellement,ilsemitàmanquerauxréunionsduconseil.

Sapassionducinémanetardapasàresurgiretildésertalebureaudirectorialpoursefaufilerdansquelquesalleobscure.

Quelquesmoisplustard,enjuin,Edwinalepritàpartie.

—Pourl’amourduciel,Georges,soissérieux!Aprèstoutcejournalt’appartiendraunjour.

Il s’excusa platement. Le mois suivant, la situation empira et elle dut le menacer de réduire sonsalaire.

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—Edwina,jetedemandepardon,maisjen’enpeuxplus.C’estau-dessusdemesforces.ChaquefoisquelesemployésmeserventdumonsieurWinfield,j’ail’impressionqu’ilsappellentpapa.Oh,etpuiszut!jenecomprendsrienàcefichumétier.

—Alorsrenseigne-toi,bonsang!Personnen’alascienceinfuse,tusais.Tuaslâchétesétudespourtravailler,alorsfais-le!

Ilsétaientdeboutetsefaisaientfaceaumilieudugrandsalonoùlesoirdessinaitdelonguesombres.

—Pourquoinediriges-tupastoi-mêmecesatanéjournal?

explosa-t-ilsoudain,àboutdenerfs.Tuaimesça,diriger!Lamaison,lesenfants,tout.Ehbien,tunem’auraspas,machère!TunemedomineraspascommetuaspudominerPhilip.

Elleledévisageaunefractiondeseconde,indignée,puissamainselevaets’abattitsèchementsurlevisagedeGeorges,quireculad’unpas,stupéfait.Lagifleavait laisséuneempreinterougesursa jouemaisilneparutpass’ensoucier.

—Oh,Edwina,excuse-moi.Je…jen’aipasvouludireça.

—Maistul’asdit!Tuasclairementexprimétapensée,Georges.

Voilàdoncl’imagequetuasdemoi.

—Elleluidécochaunregardétincelantquiluifitbaisserlesyeux.

—Jemesuisbattuependant toutescesannéespour lasurviedecettefamille.C’étaitmonseulbut.Peut-êtreai-jeeutort,eneffet.

Peut-êtreaurais-jedûvousabandonneràvotresort…OuvousconfieràoncleRupertettanteLiz.Tum’enauraisvoulutoutautant.

Ellemarquaunepause,lesoufflecourt,lesyeuxvoilésdelarmes,s’efforçantdegarderunsemblantdecalme.Unsanglotlasecoua,puissacolère,troplongtempsretenue,éclatadenouveau.

—Je suis restée près de vous parce que mamanme l’avait demandé. Et aussi parce que je vousaimais…

—Vousn’aviezpluspersonneaumondeendehorsdemoi.Papaétaitmort…etquantàmaman…

Elles’interrompitunefoisdeplusensedemandantpourquoiKaten’avaitpasvouluprendreplacedansl’undescanotsdesauvetagependantqu’ilétaitencoretemps.Celafaisaitcinqansqu’elleseposaitlaquestionsanstrouverderéponse.

—…mamanachoisidemouriravec lui,poursuivit-elle, regrettantaussitôtd’êtrealléeaussi loin,maisnepouvantpluss’arrêter.Alors,Georges,quirestait,àpartmoi?Toi,biensûr,maistun’avaisquedouzeans.EtPhilip,quienavaitseize.

Elleluitournaledosetillasuivitdanslapièceadjacentequi,jadis,servaitdebureauàleurpère.

—Edwina,pardonne-moi.Jen’avaispasl’intentiondeteblesser.

Jemesuislaisséemporterparceque,aufond,j’aimauvaiseconscience…Edwina,comprends-moi,je t’ensupplie.Jenem’ensortirai jamaisaveccefoutujournal.Jen’aipas lapersonnalitédepapanicellede

Philip.Jen’aipas toncourage…Il fautque tum’acceptescommejesuis.Jen’aipas l’étoffed’undirecteur de journal,Weenie, je n’y peux rien. Je ne suis pas fait pour cemétier et ce n’est pas faute

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d’avoiressayé.Jeleregrette,crois-moi.

Elle se retourna lentement pour le dévisager. Il semblait sincèrement accablé et prêt à fondre enlarmes.

—Sais-tuseulementquelmétiertuvoudraisexercer?demanda-telle,radoucie,commeunemèrequinepeuttenirlongtempsrigueuràsonenfant.

—Tu le sais aussi bien quemoi,Weenie. J’aimerais tenterma chance àHollywood. Produire desfilms.C’estunvieuxrêvequimetienttoujoursàcœur.

Produiredesfilms!Àdix-neufans…C’étaituneidéefolle.Uneillusion.

—Commentcomptes-tut’yprendre?

LesyeuxdeGeorgess’allumèrent.

—J’ai quelques relations. Une relation plus exactement, rectifia-t-il sous son regard scrutateur.L’oncled’undemesamisfaitlapluieetlebeautempsdanslesplusgrandsstudios,là-bas.

—Cesontdeschimères,toutça,Georges,j’espèrequetut’enrendscompte.

—Maispourquoi?Qu’est-ceque tu en sais?Commentpeux-tuprédireque jenedeviendrai pas leplusgrandproducteurdecinémadesÉtats-Unis?Dumondeentier,même?

Sonenthousiasmelafitrire.Lamoitiéd’elle-mêmenedemandaitqu’àlecroire.L’autremoitié,plusraisonnable,l’exhortaitàlacirconspection.

—Edwina, ma petite sœur chérie, réattaqua-t-il, encouragé par son rire. Laisse-moi essayer, aumoins.

—Etsijerefuse?

Le sourire de Georges s’effaça immédiatement, ses yeux s’éteignirent, ses traits reflétèrent uneimmensedéception.

—Alors,jeresterai,murmura-t-ildansunsoupir.Jemerésignerai…Maissitum’autorisesàyaller,jeteprometsdevenirpassertousmesweek-endsàlamaison.

Ellelaissaéchapperunnouveaurire…Ilétaitirrésistible.

—Vraiment?Etoùallons-nouslogertesadmiratrices?

—Ellescamperontdanslejardin.Ehbien?Melaisseras-tudevenirricheetcélèbre?

—Celasepourrait…répondit-elle,puiselles’assombrit.Etlejournal?

—Je n’en sais rien, dit-il franchement, après un silence. Je n’arriverai jamais à le dirigerconvenablement.

Un soupir gonfla la poitrine d’Edwina. La situation économique duTelegraph Sun lui donnait desmigraines.Unefoisdeplus,leproblèmeseposait,aussiaiguqu’aupremierjour.Sansunhommedelafamilleàsatête,lejournalnepourraitplusfairefaceauxgrandesdynastiesdelapresse.

—Peut-êtrefaut-ilsedécideràvendre,suggéraprudemmentGeorges.Philipétaitleseuld’entrenousquipossédaitl’étoffed’undirecteur.

MaisPhilipétaitmortseptmoisplustôtetTeddyavaithuitansàpeine.

—Jesuisdésolé,Edwina,ajouta-t-ild’unairpenaud.JenesuispasPhilip…

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—Jelesais.

—Ellesourit.

—Etjet’aimetelquetues.

—Est-cequecelaveutdire…

Iln’osa formuler jusqu’aubout saquestion.Puis, lorsqu’elle luipassa lesbras autourducou, sonvisages’illumina.

—Maisoui,petitvoyou!Tuastrèsbiencompris.Jen’aipasledroitdet’empêcherd’accomplirtondestin.

«Sait-onjamais?pensa-t-elle.Pourquoineréussirait-ilpasdanslecinéma?»Tandisqu’iljubilait,elledemanda:

—Àproposquiestl’oncledetonami?Unhommerespectable,j’espère.

—Lemeilleurdetous.

Ilcitaunnomqu’ellen’avaitjamaisentendu.Edwinahochalatête,àmoitiérassurée.

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Chapitre23

Le temps semit à défiler à unevitesse incroyable et vers la fin juillet, à la fin de leurs vacancesannuellesàTahoe,GeorgespartitpourHollywood.Leséjourprèsdugrandlac,danslamêmepropriétéque,depuisdesannées,lesamisdeBertmettaientàleurdisposition,futunrépit.Edwinaenprofitapoursedétendre.Ellenageait régulièrement, très tôt lematin,afinque lesoleilnepatinepas l’éclatdesonteint,jouaitautennisavecsessœursetGeorges,seprélassaitsurunechaiselongue,àl’ombred’ungrandparasol.Delonguespromenadesàtraverslaforêtl’amenèrentàprendreunedécisionausujetdujournal.Laseulequis’imposaitetqu’elleauraitpeut-êtredûprendredepuislongtemps.Vendre…Vendreleplusvitepossiblepouréviterlafaillite.

Ici,danscevertparadis,l’absencedePhilipparaissaitencorepluscruelle.Toutdevenaitunprétextepourselerappeler,lespartiesdetennis,lesbalades,lesécrevissesqueGeorgesattrapaitàl’aided’uneépuisetteetdontPhilipraffolait.

DeretouràSanFrancisco,EdwinachargeaBenJonesdeproposeruneoffred’achatauxYoung.Deuxjours plus tôt, Georges avait grimpé dans l’express de Los Angeles, mais ses amis continuaient àl’appeleràlamaisonauxheureslesplusincongrues.Edwinaavaitregardéletrains’éloigneravecunevagueappréhension.Àsesyeux,Hollywoodconstituaitunesortede junglesophistiquéeoù le jeuneetbouillantGeorgesWinfieldnetarderaitpasàs’égarer.

D’aprèslesrumeurs,lacapitaleducinémaaméricainétaitpeupléed’unefaunedevampsenmanteaude chinchilla et de millionnaires en quête d’aventures, sillonnant les larges avenues au volant delimousines étincelantes. Bien sûr, du jour au lendemain on pouvait remporter un succès éclatant —Edwinan’endoutaitpas—maisonpouvaitégalementessuyerdecuisantséchecs.

—Est-cequej’airaisondevendrelejournaltoutdesuite?

demanda-t-elleàBen,lorsd’unedesréunions.Nevaut-ilpasmieuxattendreunpeu?SiGeorgesneseplaîtpasàHollywood,s’ilchanged’avis…

—C’esttroptard,Edwina,répondit-ilavecfranchise.

—Ilneluiavaitjamaisriencachéetellel’appréciaitpourcela.

—Lespertesexcèdentlesbénéfices.Vendezmaintenantsivousnevoulezpasêtreruinée.

Elledonnasonaccord.LesYoungdéclinèrentcourtoisementl’offred’achat.Unmoisaprès,ungrouped’édition établi à Sacramento fit une contre-proposition. Après étude du dossier, Ben incita la jeunefemmeàaccepter.

—Lasommen’estpasfabuleuse,Edwina,maisellevouspermettradevivredécemmentpendantunebonnevingtained’annéesetd’assurerl’éducationdevossœursetdeTeddy.

—Etaprès?demanda-t-ellecalmement.

Dansvingtanselleauraitquarante-septans.Pasdemarietdoncpasderevenus—saufsiGeorgesetlesautresavaientlesmoyensdesubveniràsesbesoins.

—Entre deux maux il faut choisir le moindre, répondit Ben. Garder le journal est la pire dessolutions.Vendez,Edwina,pendantqu’ilestencoretemps.Jevousconseilleraidequellemanièreplacerunepartiedevotrecapital.Ilfautsignerl’actedevente,vousn’avezpaslechoix.

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Lechoix,elle l’avaiteuquelquesannéesauparavant,maiselle l’avaitécartéen refusantsamainàBen,puisendéclinanttoutedemandeenmariage.Elleeneutsoudainuneconscienceaiguë.«Pourquoiressasser lepassé?»sedit-elle. Ilétait trop tardpour revenirenarrière.Elleavaitpassé l’âgedesemarier. Une femme ne se marie pas à vingt-sept ans. Oh, peu lui importait! Elle ne regrettait rien.Pourtant,lejourdudépartdeGeorges,aumomentoùelleallaitluidireaurevoir,enregardantsonvisageradieux,elleavaiteu l’impressiond’êtrepasséeàcôtéde lavie.Lasensationn’avaitduréqu’unbrefinstant.Edwinas’étaitempresséedelabalayerdesonesprit.

Fidèleàsapromesse,Georgesluiécrivitdeuxfoisparsemaine.

Seslettres,lesunesplusdrôlesquelesautres,faisaientrireauxlarmeslesfillesetTeddy.Edwinaleslisaitàhautevoixetlesautresécoutaientens’esclaffant.Avecuntalentinnédenarrateur,ilfaisaitdéfiler à travers ses écrits personnages extravagants, starlettes couvertes de strass et de paillettes,actricesemmitoufléesdansdesomptueusesfourruresetpoursuiviesparunehordedemillionnaires.

«J’aiassistépourlapremièrefoisàuntournagehieretc’estfabuleux…

L’undesadmirateursdela jeunepremièreafaillimarchersurunserpentapprivoiséquelavedettetrimbalepartoutsurleplateaucommeunpetitchien.Cefutquasimentl’émeuteetlepauvrehommeaétéexpulsédustudio.»Etdansuneautrelettre:«…J’aienfinrencontrél’oncledemonami.Ilm’aaussitôtcolléunecaméraentrelesmainspourapprendrelemétierparlebasdel’échelle”,commeiladit,etjecommence à tourner dans deux semaines. » Puis, dans une troisième: « Je me suis fait pas mal derelations…Jem’amuseénormémenttoutentravaillantd’arrache-pied…»

—Georgesdeviendraunevraiestar!déclaraunjourFannie,avecuneconvictionabsolue.

Elle avait dix ansmaintenant et vouait une admiration sans limites à son grand frère.Hollywood,surnommé«l’usineàrêves»parlesmagazines,exerçaitsurelleunevéritablefascination.Alexiaaussisemblait envoûtée par l’industrie cinématographique.À douze ans, c’était une véritable beauté.Mincecommeuneliane,avecdesyeuxlumineuxetdescheveuxd’unblondirréel,elleattiraittouslesregards.Satimiditéluidonnaitunairdistant,presqueinaccessible.

En public, elle se cantonnait dans un mutisme forcené, signe d’une sensibilité maladive qui nemanquaitjamaisd’inquiéterEdwina.Sasœurnes’étaitjamaistoutàfaitremisedeladisparitiondeleursparents et lamort de Philip n’avait guère arrangé les choses. Alexia avait reporté sur Georges toutel’affectionqu’elleavaitéprouvépourKate,puispourPhilip.Elleluitémoignaitunattachementexcessif.

Quandilétaitencoreàlamaison,ellelesuivaitpartoutcommesonombre.Etlorsque

Georgessortaitlesoir,illatrouvaitenrentranttarddanslanuit,assisesurlesmarchesdel’escalieràl’attendre.

—Edwina,quandirons-nousvoirGeorgesàHollywood?necessait-ellededemanderdepuisquesonfrèreétaitparti.

—Pasavantquelejournalsoitvendu,répondaitinvariablementEdwina.

Elleacceptal’offredugroupedeSacramentoauxalentoursdeThanksgiving.Latransaction,commeBen l’avaitdit, lui rapporteraitune sommeassez rondelettepourvivrehonorablementpendantenvironvingtans…àconditionderéduiresontraindevie.

—Plusdenouvellegarde-robe,pasd’achatsinconsidérésetsurtoutpasdenouvellevoiture,l’avaitprévenuel’avocat.

—Oh,jepeuxparfaitementmepasserdetoutesceschosesfutiles,Ben.Cequicompte,c’estréussirà

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veniràboutdel’éducationdesenfants.

Lajeunefemmeserenditpourladernièrefoisdanslebureaudesonpèrelejourdelasignaturedel’actedevente.Unnouveaudirecteuroccupaitmaintenant le fauteuildirectorialmaisdans l’espritdesemployés,c’étaitencorelebureaudeBertWinfield.

Elle avait soigneusement vidé les tiroirs et empaqueté ses affaires personnelles. Il ne restait plusqu’unephotoencadréeaumur représentantEdwinaà l’âgede troisansavecsamère.La jeune femmedécrochalecadre,l’enveloppadansdupapierdesoie,avantdelerangeraufonddesonsac.ElleapposaensuitesasignatureenbasdudocumentqueBenluiprésenta.

—Ehbien,voilà!fit-elledansunsoupir,l’airdedire«c’estfini».

—Vousavezagipourlemieux,Edwina,répondit-ilavecunpetitsouriretriste.

Ilavait l’impressiond’assisteraudénouementd’undrame. IlauraitétéheureuxdevoirPhilipà laplacedesonpèremaisledestinenavaitdécidéautrement.

—CommentvaGeorges?s’enquit-il,tandisqu’ilescortaitEdwinaverslasortie.

—Commeunpoissondansl’eau!Jecroisqu’ilaenfintrouvésavoie…Dumoinsjel’espère.

—Tantmieux.J’ensuisravi.

IlpensaitqueGeorgesauraitfiniparruinercomplètementlejournal.

Ilsrestèrenttouslesdeuxunmomentdevantl’entréedel’immeuble.

—Vouspouveztoujourscomptersurmoi,Edwina.

ElleleremerciaetilluiouvritlaportièredelaPackard.Ilrestaplantésurletrottoirjusqu’àcequela grosse voiture disparût au coin de la rue. Edwina reprit le chemin de la maison, en proie à uneindicibleémotion.LamortdePhilipetlaventedujournalavaientclosunimportantchapitredesavie.

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Chapitre24

GeorgesvintpasserlesfêtesdeThanksgivingaveclafamille.

Jamais Edwina ne l’avait vu aussi resplendissant. Son entrain faisait plaisir à voir. Le garçonnonchalants’étaitmuéenunjeunecréateuraniméd’uneénergienouvelle.Àpeineavait-ilposéunpieddanslamaisonqu’ilselançaitdanslerécitenthousiastedesesaventures.Ilavaitrencontréunefaunedegens«épatants»,selonsesproprestermes,lorsdesurprises-parties«insensées».Durantlerepas,ilfitrirelesenfantsgrâceàunefouled’anecdotesamusantes.ÀHollywood,expliquait-il,onpouvaitsefairedes relations intéressantes, comme les frèresWarner ouNorma etConstanceTalmadge, en se rendantsimplementàuneréception.IlavaitétéprésentéàCharlieChaplinenpersonne,avaitéchangéquelquesproposavecTomMixaucoursd’unesoirée.Àtraverssesparoles,Hollywoodévoquaitunparadisoùrégnaientlaliberté,l’ouvertured’esprit,lapassiondel’art.Exactementcequ’illuifallait.

L’oncledesonamis’appelaitSamHorowitz.

—Un homme exceptionnel doublé d’un businessman hors pair, déclara Georges à son auditoiresubjugué.Ilconnaîtabsolumenttoutlemonde,dubalayeuraupremierrôleenpassantparlesplusgrosproducteursdelaville.Samafondésonproprestudioilyaquatreansmaintenant…Unjour,il iraausommet.

—C’est un type bourré de qualités. Intelligent, talentueux, plein de charme. On l’adore sur lesplateauxdetournage.

IIcontinuaàchanterleslouangesdeSamHorowitzpendantunbonboutdetemps.

—Safilleestdélicieuse,poursuivit-il,etcettedernièreremarquecaptatoutel’attentiond’Edwina.

D’aprèsGeorges,lafilleuniquedeSam,ayantperdusamèredansuntragiqueaccidentdetrain,avaitétéélevéeparsonpèrequil’adorait.Lejeunehommesemblaitensavoirlongàsonsujet,maisEdwinarefrénantsacuriositéneposaaucunequestionindiscrète.

—Onpourravenirtevoirlà-bas?interrogeaAlexiad’unevoixempreinted’admiration.

Àsesyeux,sonfrèrerevêtaitlastatured’ungrandhomme.C’étaitungénieincomparable,bienplusimportant que toutes les stars de cinéma réunies. Bien sûr, pour le moment, il exerçait la modesteprofession d’assistant cameraman, mais très vite il volerait de ses propres ailes. Georges rêvait dedirigerundecesstudiosquifabriquaientdesrêvesetilyparviendrait,Alexiaenétaitconvaincue.

—Samm’apromisunposted’assistantdeproductionl’annéeprochaine,ditGeorges,sansrépondreàlaquestiondesapetitesœur.Ilvoudraitquejefassemespreuvessurleplateau.

—J’espèrequetutravaillesdavantagequ’aujournal,ditEdwina.

—Etbienplusencorequ’àHarvard,sourit-il.

Lecinémaétaitunevocation,ajouta-t-il,unepassiondévorantequinetoléraitaucuneparesse.Ons’yjetait à corps perdu ou on abandonnait. Il n’y avait pas de demi-mesure.Georges se félicitait d’avoirenfintrouvéunbutetregrettaitquePhilipnefûtpluslàpourpartagersajoie.

LaguerreavaitprisfinquelquessemainesplustôtetcelaavaitrappeléàEdwinapluscruellementencorel’injustedisparitiondePhilip.Ilavaitsacrifiésavieàunecauseabsurdequ’ellenecomprenaittoujourspas.Lesbelligérantsd’hieréchangeaientaujourd’huidespoignéesdemains,signaientdestraités

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depaixetmesuraientleurspertes.Dixmillionsdemortsrienqueducôtédel’Entente.Vingtmillionsdemutilés.Untributcolossalpayéparl’humanitéaunomdelaraisond’État.

TanteLizn’avaitplusdonnédesesnouvellesdepuisunan.ElleavaitsimplementenvoyéunmotdecondoléancesàEdwinaaprèslamortdePhilip,puisplusrien.

—Ilfautquej’écriveàtanteLiz,semorigéna-t-elle.

EllelefitaprèsThanksgiving,quandGeorgesfutrepartipourLosAngeles.Laréponsesefitattendre.Georgesrevintdeuxmoisplustard,afindepasserNoëlenfamille.Durantsonbrefséjour,illesrégaladenouvelleshistoiressurlemondeducinéma.Ilparaissaittoujoursaussienjoué,maisEdwinaremarquaquelenomd’HelenHorowitzrevenaitdeplusenplussouventsurseslèvres.Ildevaitêtreéperdumentamoureuxdelafilledesonemployeur,conclut-elle,et,unefoisdeplus,ellecontintsacuriosité.

AlexiaévoqualeurvisitehypothétiqueàHollywoodet,toutcommelapremièrefois,Georgeséludalaquestion.Edwina sedemandas’ils seraient lesbienvenus.Peut-êtreavait-ilbesoind’indépendance.Seul,ildevaitsesentirplusapteàs’affirmer.Aprèstout,iln’avaitpasencorevingtans…«Plustoutàfaitungamin,pasencoretoutàfaitunhomme»,sedit-elleenleregardantjoueravecTeddyetsessœurs.Physiquement,ilressemblaitàtouslesjeunesdandysdesonâge.Maisilavaitgardéuncœurd’enfant.

Ilavaitapportédesomptueuxcadeauxauxfilles—poupées,robes,chaussures—,unebicycletteetunepaired’échassesàTeddy.

Et unemagnifique veste de renard argenté à Edwina, qui rappelait les fourrures dont se parait samère. Il insista pour qu’elle la porte au petit déjeuner le matin du 25 décembre. Par sa chaleureuseprésenceetsesplaisanteriesintarissables,Georgesmettaitunenotedegaietépermanentedanslagrandedemeure.Conviveagréable,iltransformaitlesrepasenpartiesderires.LejourdeNoël,ilallasaluerlesvoisinspar-dessusleshaiesdujardin,juchésurleséchassesqu’ilavaitapportéesàTeddy.Etlorsqu’ilrepartit,lamaisonfutdenouveausilencieuse.

Une lettre d’Angleterre arriva quelques jours après le départ de Georges. Edwina décachetal’enveloppe,maislefeuilletqu’elleenretiran’étaitpasrecouvertdelafineécritureserréedetanteLiz,maisdecelle,pluslarge,desonnotaire.

L’homme de loi l’informait du décès deLadyHickham survenu vers la fin octobre. Les lourdeursadministratives,aggravéesparlesconséquencesdelaguerre,l’avaientempêchédelacontacterplustôt.SirRupert,poursuivait-il,avaitléguésontitreetsesterresàsonuniqueneveuethéritierdelabranchedesHickham.

Néanmoins, conformément à la loi et à sa conscience, le lord avait doté sa veuve d’une sommeconfortabledestinéeà lamettreà l’abridubesoin…Edwinasepenchasur le feuillet…«sommequevotretantevousaléguéepartestament…»Lajeunefemmeinterrompitsalecture,restaunlongmomentfigée, lesyeuxrivéssurlechiffretracésurlafeuilleparsoncorrespondant.Unchiffreimportant,bienplus élevé que le montant rapporté par la vente du journal. Une petite fortune qui, certes, ne luipermettraitpasderoulerenRolls-Royceoudes’engagerdansdefollesdépenses,maisquiluiassureraitune indépendance financière jusqu’à la fin de ses jours. Elle ferma les paupières, submergée par unineffablesentimentdereconnaissance.

Cettelettrereprésentaitlaréponseàsesprières,l’apaisementdetoutessesappréhensions.TanteLizl’avaitsauvée.Elleadressaunmuetremerciementàcettefemmequ’ellen’avaitpourtantjamaisvraimentportédanssoncœur.

—Oh,monDieu,murmura-t-elleenselaissanttomberdansunsiègeetenpliantlentementlafeuille

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blanche.

Laporteclaquadansl’entrée.Touslessamedis,Alexia,quin’avaitpasécole,s’occupaitdujardin—elle avait lamain verte comme leurmère.À la vue de sa grande sœur, assise dans la grande salle àmanger,lespaumesposéesàplatsurleplateaupolidelatable,ellesefigea.

—Qu’est-cequec’est,cettelettre?Demauvaisesnouvelles?

s’enquit-elled’unevoixanxieuse.

Alexiaseméfiaitdeslettresetdestélégrammescommedelapeste.

—Ouietnon…TanteLiznousaquittés.Maisellenousalaisséunprésentd’unegrandegénérosité,Lexia.Undonquetuserasraviederecevoirunjour.

Dèslundi,elledemanderaitàsonbanquierdeluiindiquerlesplacementslesplussûrspourelle…etpour les enfants. Alexia resta debout à la regarder, sans broncher. L’héritage ne semblait guèrel’impressionner,maiselledemanda:

—Dequoiest-ellemorte?

—Jenesaispas…

—Ellerouvritlalettre,laparcourutrapidement.

—Lenotairen’enparlepas…

—Ellereplialafeuillenerveusement,avecunesensationdegêne.

Ne devrait-elle pas éprouver plus d’affliction devant ce nouveau deuil? Liz était tout de mêmel’uniquesœurdeKate.

—Jenesaispas,répéta-t-elle.Peut-êtrea-t-ellesuccombéàlagrippeespagnole.

Cetteannée-là,laredoutableépidémieavaitexercésesravagesenEuropeetauxÉtats-UnisajoutantsesvictimesàcellesdelaGrandeGuerre.Edwinasedemandaquelâgepouvaitavoirsatante.

SiKateavaitvécuelleauraiteuquarante-huitans.Liz,sonaînéedetroisans,étaitdoncmortedanssacinquanteetunièmeannée.

—C’estgentildesapartd’avoirpenséànous,murmura-t-elle.

Alexiahochalatête.

—Nous sommes riches maintenant? fit-elle en s’asseyant près d’Edwina qui sourit. Allons-nouspouvoirrendrevisiteàGeorges?

Lesouriredelajeunefemmesecrispa.

—Jene suispas sûrequ’il ait enviedenousvoirdébarquer chez lui avec armes et bagages…Enrevanche,nousauronslesmoyensdefairerepeindrelamaisonetd’engagerunecuisinièreetunjardinier.

MmeBarnes avait pris sa retraite l’été précédent, et Edwina avait eu recours aux services d’unefemmedecharge.

L’idée d’aller à Hollywood ne l’enchantait pas. Avec sesmondanités et ses vices, la capitale ducinémane lui inspirait guère confiance.AuprèsdeLosAngeles,SanFrancisco faisait figuredepetiteville provinciale et, pourtant, préserverAlexia de certains dangers s’avérait chaque jour une tâchedeplusenplusardue.

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Naturellement,l’adolescentenes’enrendaitpascompte,or,Edwinaavaitsouventcaptélesregardsbrûlantsdeconvoitisedontleshommescouvaientsapetitesœur.

—JeveuxvoirHollywood,gémitcelle-ci.Quandirons-nouslà-bas?

Tumel’aspromis.

Tout en parlant elle s’était redressée en rejetant en arrière la manne dorée de sa chevelure. Ellepossédait ce genre de beauté frappante qui ne passe jamais inaperçue. Il suffisait qu’elle apparaissequelquepartpourqu’ellesoitlepointdemiredetouslesregards,bienqueFannieetEdwinaeussentdestraitsd’uneplusgrandepureté.

Tous lesWinfield étaient beaux, à commencer par Kate et Bert, ils avaient tous du charme, ainsiqu’une élégance et une grâce naturelles.Mais avec Alexia, c’était différent. Alexia attirait les autrescomme un aimant… Les hommes surtout. Elle n’avait que treize ans mais paraissait plus âgée. LapromenerdansHollywoodserait l’exposerà laconcupiscencedecertains individusenquêtede joliesfilles.Lesscrupulesd’EdwinafurentfinalementbalayésparuncoupdefildeGeorges.EnapprenantqueLadyHickhamleuravaitlaissétoutesafortune,lejeunehommeincitaEdwinaàsauterdanslepremiertrainaveclesenfantsetàlerejoindre.

—Nousallonsfêterça!jeta-t-il,puis,sereprenant:Jesuisnavré,Edwina.J’auraisdûmontrerunpeuderespectàl’égarddelapauvretanteLiz.

C’était plus fort que lui.Georges était incapable de dissimuler ses sentiments.Heureux, il laissaitexplosersajoie.Triste,ildonnaitlibrecoursàsondésespoir.Etdanslecasprésent,ilnepouvaitfeindreunchagrinqu’iln’éprouvaitpas.Onadelapeinepourceuxquel’onaime.Et,aufond,oncleRupertettanteLizn’avaientpassususciterl’affectiondesenfantsWinfield.

—Jesuiscommetoi,confiaEdwina.Jen’arrivepasàm’attrister.

Une partie de moi-même porte le deuil de tante Liz, mais l’autre partie, je l’avoue, demeureindifférente…Cependant,j’aidelagratitudepourelle.Grâceàsonhéritage,jenefiniraipasmesvieuxjourssousunpont.

LeriredeGeorgesfusadansl’écouteur.

—Jenet’auraispaslaisséesousunpont,Edwina!Oualorsjeseraisvenutetenircompagnie.

—Mmmm,celam’étonneraitquej’acceptedepartagermonespaceavectoi.

Nouveauriredansl’écouteur.

—Alors?Quandviendrez-vous?

—À Pâques, quand les écoles seront fermées, répondit-elle, trahissant du même coup toutes sesbonnesrésolutions.

ElleraccrochaetaperçutTeddyaupieddel’escalier.

—C’estvraiquetufinirastesvieuxjourssousunpont?interrogea-t-il,alarmé.

—Maisnon,petitfuté!JeplaisantaisavecGeorges.Quit’aapprisàécouterauxportes?

—Moiaussij’aientendu!coupaAlexiaensurgissantdanslevestibule,levisageilluminéd’unlargesourire.J’aihâted’yêtre.

Lecontre-jourdessinaitunlisérélumineuxautourdesescheveux.

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Elleétaitbellecommeuneapparition.Unefoisdeplus,l’ombredel’appréhensionflottasurEdwina.Etsiellecommettaituneerreur?SielleconduisaitAlexiadroitdanslagueuleduloup?«Bah,songea-telleplustard,cen’estqu’unepetitefille.»Elleavaitpeut-êtrel’aird’unefemmeenminiature,elleallaitsûrement être un objet d’admiration pour tous les hommes alentour, mais Edwina serait là pour laprotéger.

Fanniepointasonpetitnezunesecondeaprès.

—OnvaàHollywood?exulta-t-elle.

—Oui,àPâques…Sivousêtessages.

Troispairesd’yeuxétincelèrent,troisboucheslâchèrentunmêmecridejubilation.Edwinasemitàrireaveceux,puislesembrassa.

Leurjoieseulejustifiaittoussessacrifices.Elleneregrettaitrien.

Soudain,lavieluiparutsimple.Etfacile.

LajeunefemmereçutdeuxautresmissivesdunotairedetanteLiz,danslasemaine.L’hommedelois’enquéraitdesavoirsiMlleWinfieldvoudraitserendresurplacepourtouchersonhéritageetvisiterHavermoor une dernière fois avant que le nouveau lord prenne possession du manoir. Par retour ducourrier,ellepriasoncorrespondantdes’occuperdesformalités.«Ilm’estimpossibleactuellementdequitterSanFrancisco»,répondit-elle,sansenpréciserlaraison.Rienaumondenepourraitlapersuaderdereprendrelebateau.L’idéemêmedelalonguetraverséelafaisaitfrémird’horreur.Lebravehommeréponditquesaprésencen’étaitpasnécessaire,maisquesi,unjour,elleressentaittoutefoislebesoinderevoirlechâteau…Elles’empressadel’assurerqu’ellenemanqueraitpasdeleluifairesavoir.

Ilscélébrèrentparunservicefunèbreladateanniversairedeleursparents,commetouslesans.Pourlapremièrefoisdepuisseptans,Georgesn’avaitpaspuselibérer—ilétaitenpleintournage.IlenvoyauncadeauàAlexiapoursestreizeans.Alexiasoufflasesbougiesle1eravril.

Surleconseild’Edwina,elleavaitcessédecélébrersonanniversaireàlabonnedate,évitantainsilesdouloureuxsouvenirsdunaufrageduTitanic.

Edwinaluioffritunerobeetunejaquetteassorties,envuedeleurvoyageàHollywood.C’étaitunjolimodèle, déniché chezMagnin’s, en taffetas bleu ciel orné d’un large col de dentelle.L’ensemble,aveclajaquetteajustéeàlataille,luiseyaitàravir.Lorsqu’elles’enrevêtit,Edwinaeutlagorgeserréed’émotion.

Enfin,lejourtantattenduarriva.Edwinaetlesenfantsprirentl’expressàdestinationdeLosAngeles.Alorsquelalonguechenilledewagonss’éloignaitlentementdelagaredeSanFrancisco,Teddylançauntonitruant«Hollywoodnousvoilà!»quifitriresessœursauxéclats.

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Chapitre25

LavisiteàHollywooddépassalesplusfollesespérancesd’Alexia.

Georges, venu les chercher à la station de chemin de fer dans une superbe Cadillac louée, lesconduisit auBeverlyHillsHotel, un palace de grand luxe construit sept ans plus tôt, où il leur avaitréservédeschambres.

—Touteslesvedettescrèchentici,annonça-t-ildèsqu’ilsfurentdanslegrandhall.

Au dire de Georges, ils pouvaient à tout bout de champ tomber nez à nez avec Mary Pickford,DouglasFairbanksouGloriaSwanson.

Fannie et Alexia ouvrirent de grands yeux émerveillés. Un peu plus tôt, en arrivant, elles avaientaperçuChaplinau fondd’une limousinepilotéeparunchauffeur japonais.Postédevant labaievitrée,Teddypréféraitregarderlesvoitures.

—Oh,Edwina,regarde!UneStutzBearcat!

Undeuxièmevéhiculede lamêmemarque leclouasurplace,éperdud’admiration.Dès lepremierjour,ildénombraquatreRolls-Royce,uneMercerRaceabout,uneKisseletunePierce-Arrow.

Chaquefoisils’efforçad’attirerl’attentiondesessœurssurcesmerveillesdel’industrieautomobile.Envain,carellessemblaientbeaucoupplusintéresséesparlamodeféminine.

Edwinaavaitconstituéunepetitegarde-robedevoyagepourAlexiaetpourelle-même.Elleavait,biensûr,prislasomptueusevestederenardargentéqueGeorgesluiavaitofferteàNoël.Maiscomparésauxmodèles envogue ici,—corsages pailletés et longues jupesmoulantes découvrant unepartie desmollets—sesvêtements, tropsobres,paraissaientdémodés.Ellefit le tourdesmaisonsdecoutureencompagniedeGeorges,selaissatenterparquelqueschapeaux…Cederniern’avaitpasmenti.IIyavaitquelquechosed’enivrantdans l’air,unesortede joiedevivrepermanenteet fébrilequivouspoussaitverslesdivertissements.UnsoiroùilsdînèrentauSunsetInn,àSantaMonica,ellevoulutapprendrelefox-trotetGeorgesl’entraînasurlapisteenriant.

—Un pas en avant, un pas en arrière, un pas sur le côté, chantonna-t-il au rythme saccadé de lanouvelledanse…Ah!monDieu!Monpauvrepied!

Elle éclata de rire. Oui, la gaieté était contagieuse à Hollywood. Il y avait longtemps qu’elle nes’étaitpasamuséeautant.Unfragmentdesouvenirsurgitunbrefinstant,ellerevitsonpèreentraindeluiapprendre unpas de danse—Georges n’était alors qu’unbébé—mais la vision s’éteignit laminutesuivante.Lamusiques’arrêtaet ils regagnèrent leurplace,essoufflés.EdwinacomprenaitàprésentcequiavaitattiréGeorgesdanscetteville,verscettepopulationdejeunes«fousdecinéma»quimettaientleursrêvesenimage.Desdiscussionsaniméesfusaientalentour,onparlaitdescréationsdeMayeroudeD.W.Griffith,oncitaitdesnomscommeSamuelGoldwynetJessLasky…EtGeorges,radieux,brodaitl’élogedeSamHorowitzetdeleurprochainscénario.

Lesjoursfilaientdansuntourbillondesorties.GeorgesfitdécouvrirauxenfantsladernièrecomédiedeMack Sennett, qui les enchanta, puis les films deChaplin. Il les emmena déjeuner au célèbreNatGoodwin’sCafé,àOceanPark,lesentraîna,avecl’autorisationd’Edwina,auThreeO’ClockBallroom,uneboîtesophistiquéedesenvironsetauluxueuxDanceland,àCulverCity.Lemêmesoir,il lesinvitatousaufameuxrestaurantd’AlexandriaHotel,heuderendez-vousdescélébritésdel’écran.

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—Avecunpeudechance,vousyverrezuneoudeuxstars.

Lachanceleursourit—maiscelasemblaitévidentàHollywood—carilspurentadmirerentoutequiétude Gloria Swanson et Lillian de Gish, assises deux tables plus loin au milieu d’une courd’admirateurs,ainsiqueDouglasFairbanks,dînantentêteàtêteavecMaryPickford.

D’aprèslarumeur,leuridyllenetarderaitpasàlesmeneraumariage.

Lelendemain,ilsrencontrèrentGeorgesaustudio,afind’assisterautournage.

—C’estvraimentfascinant,déclaraEdwina.Est-cequevoustravailleztoujoursaussivite?

—Il le faut. Un film est tourné enmoins de trois semaines… Je regrette que Sam ne soit pas là,Edwina.J’auraisbienvouluteleprésenter.

En revanche, il lui présenta Helen Horowitz, la fille de Sam, lors d’un dîner qu’il organisa àHollywoodHotel,lerestaurantlepluschicdelaville.

Ellearrivaavecunlégerretard,vêtued’unesomptueuserobedesoieblanchetrèsmoulante.Edwinalaregardaensouriant.Unvisageparfait,descheveuxd’unblondlumineuxcoiffésenarrière,unepeautranslucide. C’était une fille d’une beauté impressionnante, presque aussi grande que Georges etincroyablement mince. Curieusement, elle alliait une retenue naturelle à une classe folle. Elle rendittimidementsonsourireàEdwinaquiluifitcomplimentsursatenue.

—Oh,c’estunmodèlequePoiretaconçupourmoi,répliqua-t-elleinnocemment,commesis’habillerchezlegrandcouturierparisienétaitlachoselaplusnaturelledumonde.

C’étaitunecréatureéthéréedanslemêmegenrequ’Alexia,aveclamêmedouceur,lamêmefragilité.Et toutcommeAlexia,Helennese rendaitabsolumentpascomptede l’effetqu’elleproduisaitsursonentourage.ElleavaitgrandiàLosAngeles,àl’écartdecequesonpèreappelait«lafièvredesstudios».Aucinéma,ellepréféraitl’équitation.

—Vousaimezleschevaux?demanda-t-elle.

Ellelesinvitaàsonranch,àSanFernando,avecunespontanéitéquiravitEdwina.Lafilledutout-puissantproducteurhollywoodienétait,finalement,unejeunefilletoutesimple,dansunetoiletteruineuse.

—Merci, ma chère, mais Alexia a la phobie des chevaux… Vous connaissez Georges depuislongtemps?

Heleninclinalatête,lespommettescoloréesd’unedélicaterougeur.Edwinasourit.CettedélicieuseenfantneressemblaitguèreauxflirtshabituelsdeGeorges.

Elle l’avait immédiatement senti en la voyant traverser la salle de restaurant, alors que tous lesregardssetournaientsursonpassage.

LevisagedeGeorgess’étaitilluminé.Et,ensuite,Edwinalesavaitregardésdanser.Ilsformaientunbeaucouple,leurspass’accordaientàmerveille,leursregardss’accrochaient.Cequ’ilséprouvaientl’unpourl’autren’avaitrienàvoiravecunengouementpassager.Edwinalesavaitpourl’avoirressentienprésence de Charles. C’était de l’amour, pensa-t-elle, la gorge nouée d’émotion, cet amour ardent etuniquequinevousarrivequ’uneseulefoisdanslavie.

—Dommagequepapanesoitpasenville,ditHelenunpeuplus tard. Il faitconstruireunevillaàPalmSpringetilestallésurveillerlestravaux.Ilnereviendrapasavantunesemaine.Vousluiauriezplu,j’ensuissûre.

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—Cen’estquepartieremise,réponditEdwina,sansquitterGeorgesdesyeux.

Le jeunehommeétait engrandeconversationavecungrouped’amisqui s’était arrêtéà leur table.Desjeunesgensd’uneéléganceinsolentequiavaientl’airdes’amusercommedesfous.Georgesriait…«Ilestheureux,songeaEdwina,etunsourireaffectueuxbrillasurseslèvres.Ilestheureuxetilaenfintrouvésavéritablevocation.»

Ils retournèrent au studio quelques jours plus tard, pour assister à la fin du tournage. L’équipes’activait,carilfallaitterminerlesdernièresséquencesentirantpartidelalumièredujour.Lorsquetoutfut terminé, l’un des réalisateurs accostaEdwina et lui demanda l’autorisation de faire tournerAlexiadanssonprochainfilm.

Lajeunefemmehésita,maisGeorgesladevançaparun«iln’enestpasquestion»,quimitAlexiaaudésespoir.

—Ilsn’exploiterontjamaismapetitesœur,dit-ilplustard,l’airsombre,jenelepermettraipas.Ilsneprofiterontpasdesonjeuneâge.Lesfilmssontuneaffaired’adultes,tuesd’accord?

Edwinal’étaitpleinement.ElleregardaGeorges,cependant,surpriseparsonespritconservateur.

—Tuaseuraisondet’établirdanscetteville,dit-ellesoudain,lesyeuxhumides.Etj’aibienfaitdenepast’avoirdissuadé.

Lesderniersjourss’écoulèrentàtouteallure.L’heuredudépartsonna.Georgesvintleschercherafindelesconduireàlagare.Lesenfantsl’entourèrentaussitôt.

—Tunousréinviteras,n’est-cepas?voulurent-ilssavoir.

—Ilnousapeut-êtreassezvus,plaisantaEdwina.

—Aucontraire,laprochainefoisjeseraienmesuredevousoffrirl’hospitalitéchezmoi.

Il pensait utiliser sapart d’héritagede tanteLizpour faire l’acquisitiond’unepetitevilla.Pour lemoment,ilpartageaitavecunamiunappartementàBeverlyHills,labanlieuelapluscossuedelaville.

Georgeslesraccompagnaàlastationduchemindefer,attenditsurlequaijusqu’àcequeletrainfûthorsdevue.

Danslecompartiment,Edwinalaissasatêteseposersurledossiercapitonné.Touts’étaitdéroulésivite!Etd’unemanièresiplaisante!Elleeutunsoupirsatisfait.ToutessesinquiétudesausujetdeGeorgess’étaientapaiséesd’unseulcoup.Pour lapremière foisdesavie, sonfrère travaillaitd’arrache-pied,prêtàtouslessacrificespouratteindrelebutqu’ils’étaitfixé.Lajeunefemmesouritdistraitement.Voilàdesannéesqu’ellenes’étaitpasamuséeautant.

Ellesesentaitrajeunie…Lavoixd’Alexialafitdescendredesonpetitnuage.

—Jeretournerailà-basunjour.

—Nousyretourneronstous,machérie.

Alexiacontinuadelafixeravecuneintensitésingulière.

—Jevoulaisdirequejeretourneraivivrelà-bas.

Elleavaitprononcécesmotsd’untonsansréplique.

—CommeGeorges?fitEdwina,tentantderamenerlesujetsurleurfrère.

La petite fille se contenta de lui lancer un drôle de regard dans lequel se reflétait un immense

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ressentiment. Et des heures plus tard, tandis que le train fonçait vers San Francisco, les yeux plissés,Alexiascrutadenouveausagrandesœur.

—Pourquelleraisonvousnem’avezpaslaisséfaireducinéma?

—Georgesapensé,àjustetitre,quecen’étaitpasunebonneidée.

—Pourquoi?

Edwina s’accorda un temps de réflexion qu’elle meubla par une série de gestes quotidiens —remonterlesmanchesdeFannie,boutonnerlevestondeTeddy.

—Probablement parce qu’il s’agit d’un monde réservé aux adultes, répondit-elle finalement. Unmondequetunecomprendspasencoreetquipourraitteblesser.

Alexianeparutpasappréciercetteremarque.

—Unjourjedeviendraiactriceettunepourraspasm’enempêcher,déclara-t-elleavecunesombrevéhémencequialertaEdwina.

—Qu’est-cequi tepousseàcroirequej’essaieraide t’enempêcher?questionna-t-elle, lessourcilsfroncés.

—Jelesais.Tul’asdéjàfait.EtGeorgesaussi.Maislaprochainefois…ceseradifférent.

Lesilencetombacommeunechapedeplombdanslecompartiment.TeddyetFannienetardèrentpasà s’endormir, leurs têtes posées sur chaque épaule d’Edwina. Celle-ci laissa vagabonder ses penséesversHelenetGeorges,finitpars’assoupir,bercéepar lacadencerégulièredesrouessur lesrails.Et,assisesurlabanquetted’enface,levisagetournéverslafenêtre,Alexiafixaitlavitreobscured’unairbuté.

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Chapitre26

LesquatreannéessuivantesfurentpourGeorgesrichesenexpériences.DesfilmscommeCopperheadouLeCheikh remportèrent unvif succès auprèsdupublic, et aumêmemoment,CecilB.DeMille sedistinguaavecL’ÉchangeetLeParadisd’unfou,unecomédiedésopilante.Lefrèred’Edwinapoursuivaitson apprentissage auprès de Sam Horowitz. Il avait déjà participé à des dizaines de films et avaitpatiemmentgravileséchelonsdumétier.

D’assistant caméraman, il fut nommé sous-directeur du studio, puis producteur, enfin. Son rêved’enfant,ainsiquelapromessequ’ilavaitfaiteàEdwinaàlamortdePhilip,devintréalitéen1923.

Georges connaissait tout le monde à présent, des directeurs de la Paramount et de Universal auxétoileslesplusenvuedugrandécran.

C’était lui qui remplaçait Sam quand ce dernier partait en voyage d’affaires ou allait discuter lebudgetd’unnouveau filmavec lesbanquiersdeWallStreet àNewYork.Entre-temps, lesmaisonsdedistribution, qui s’étaient multipliées sur Sunset Boulevard, faisaient la loi et, afin de préserver leurindépendanceartistique,Chaplin,Griffith,MaryPickfordetDouglasFairbanksavaientfondé laUnitedArtists.

Edwinaetlesenfantsprirentl’habitudedeserendreàHollywooddeuxfoisparan.Georgesvenaitles chercher à la gare, puis les conduisait chez lui: il possédait une pimpante petite villa sur NorthCrescentDrive,dansunquartierrésidentiel.

Il gagnait suffisamment d’argent maintenant pour s’assurer les services d’un majordome et d’uncuisinier. Georges Winfield passait pour l’un des hommes les plus influents de l’industriecinématographique.

—IlestencoreplusbeauqueRudolphValentino!s’extasiaitFannie.

Ellen’était sansdoutepas la seule à le penser, car unepléthorede créaturesde rêve—actrices,starlettes, figurantes,— recherchait la compagnie du jeune homme. Il les charmait par un sourire, lesemmenaitdînerdanslesplusgrandsrestaurants,leurenvoyaitdesfleurs,maisuneseulecomptaitàsesyeux:HelenHorowitz. Edwina l’avait constaté àmaintes reprises. La jeune fille avait vingt-deux ansmaintenant.Sabeauté s’était épanouie.Elle semblait sincèrement attachée àGeorges.Ladernière foisqu’Edwina l’avait rencontrée, elle portait une époustouflante robe lamée argent quimoulait son corpsravissantcommeunedeuxièmepeau.Elleavaittraversél’immensesalleduCocoanutGroveaubrasdeGeorges,inconscientedesravagesqu’elleproduisaitsurlecœurdeshommesetsansunregardverslesappareilsphotoquilamitraillaientd’unepluiedeflashes.

—Elleestsibelle…,murmurapeuaprèsEdwinaàGeorges.

Pourquoinejoue-t-ellepasdanslesfilmsdesonpère?

—J’aiposélamêmequestionàSamilyaunanetils’yestopposéformellement.Ildésirepréserversafilledelajunglehollywoodienne.

Edwinaseretintpournepasposeruneautrequestionqui,depuislongtemps,luibrûlaitleslèvres.

VoilàquatreansqueGeorgesfréquentaitHelen.Visiblement,ilétaitfollementéprisd’elleetc’étaitréciproque.Pourquoinesemariaient-ilspas?

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ElleretournaàSanFranciscosansobtenirderéponse.Unesemaineplustard,unedisputeéclataentreEdwina et Alexia à propos de Loves of Pharaon, un film trop osé au goût d’Edwinamais qu’Alexiavoulaitvoiràtoutprix.Lasonneriedutéléphoneinterrompitleurquerelle.C’étaitGeorges.

—Edwina,jet’inviteàlapremièredenotrenouveaufilm.DouglasFairbanksmefaitl’amitiédemeprêtersavilladePickfairpourlasoiréedegala,çavaêtreépatant…Tuviendras,n’est-cepas?Ceseral’occasiond’échapperàtespetitsmonstres,histoiredesoufflerunpeu,qu’enpenses-tu?

Elleenpensait leplusgrandbien,biensûr,maisavaitscrupuleà laisser les troisenfantsseuls.EtcommeGeorges insistait, elle finit par grimper une fois de plus dans l’express de LosAngeles… enemmenantlapetitetroupeavecelle.Alexia,àprèsdedix-septans,rivalisaitdebeautéaveclafilledeSamHorowitz,àceciprèsqu’ellen’avaitpassacrifiéàlamodedescheveuxcourts,niàcelledestenuesmoulantesenlamé.Edwinasedémenaitpourteniràdistancelesnombreuxsoupirantsdesajeunesœur.Dieumerci,celle-citémoignaituneméfiancenaturelleàl’égarddesétrangers,nesesentantensécuritéqu’au seinde sa famille.Fannie,quivenaitde fêter sesquinzeans,promettaitdedeveniruneparfaitefemmed’intérieurdoubléed’uncordonbleu.Edwinaluiconfiaitvolontierslamaison,lorsdesesraressorties en ville— rendez-vous avec son banquier ou avec Ben Jones. L’avocat était resté son fidèleconseillé.

Ils’étaitmariédeuxansplustôtmaisavaitconservéàEdwinatoutesonamitié.

Naturellement,Teddyfaisaitpartieduvoyage.Ilavaittreizeans,songeaitdéjààsesfuturesétudesàHarvard,rêvaitdedirigerunebanque.IltenaitdeBert,songeaitEdwina,émue,…etdePhilip.

Cette fois-ci, ils descendirent auBeverlyHillsHotel, carGeorges hébergeait un groupe d’invitésnew-yorkais.Lesenfants—Edwinacontinuaitàlesappelerainsiaugranddamd’Alexia—adoraientleluxueux palace. La vie y était plus excitante. L’hôtel comptait parmi ses pensionnaires Pola Negri,LeatriceJoy,NoahBeery.OnyvoyaitsouventCharlieChaplinetdèslepremierjour,TeddyaperçutdanslevastesalonauxlargesbaiesvitréesWillRogersetTomMix,sesidoles.

Edwina accompagna Georges au gala, vêtue pour la circonstance d’un modèle lamé or, créé parChanel.Elles’étaitfaitcouperlescheveuxet,endépitdesestrenteetunans,bientôt trente-deux,elleavait conservé son allure de jeune fille.Les années n’avaient guère terni l’éclat de sa peau ni de sesimmensesyeuxbleuprofond.EllepénétraaubrasdesonfrèredanslepetitpalaisqueDouglasFairbanksavaitfaitconstruirepourMaryPickfordtroisansplustôtàl’occasiondeleurmariage.

—OùestHelen?demanda-t-elle,peuaprès.

Ilsétaientdanslejardin,unecoupedeChampagneàlamain,sedélectantduspectacledescouplesquiévoluaientgracieusementsurlapistededanse.

Après avoir salué un nombre incalculable d’invités, Georges était revenu vers sa sœur. Pour lapremièrefoisdepuisquatreans,iln’avaitpasmentionnéHelen.

—ElleestàPalmSpringsavecsonpère,répondit-ilvite.

—Tropvite.

—Samneveutplusqu’onsevoie,ajouta-t-ilsoudaintoutaussirapidement.

C’étaitsûrementlaraisonpourlaquelleilavaitpriéEdwinadel’accompagneràlaréception.Elleleregarda, stupéfaite par la tristesse qui se reflétait dans ses yeux. Le sentant brisé tout à coup, elledemandadansunmurmure:

—Non?Maispourquoi?

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—Ilpensequenotreidylleaassezduré…fit-ild’untonévasif,avantdesaisirunenouvellecoupedeChampagnesurleplateaud’unserveurenlivrée.

« Il boit trop! » pensa-t-elle, affolée. La Prohibition n’avait fait qu’augmenter la consommationd’alcooldeshabitantsd’Hollywood.

Dansl’universscintillantducinéma,onrespectait la loienpublicetonserattrapaitenprivé.EllefixaGeorges,dontlevisaged’habitudejoyeuxs’étaitassombri.

—Pourquoine l’épouses-tupas, alors?questionna-t-elle, au risquede semontrer indiscrète.Tuesamoureuxd’elle,n’est-cepas?

Ilsirotaunegorgée,hochalatêteavecunpetitsouriretriste.

—Oui,soupira-t-il.Jel’aimeéperdument.Maisjenepeuxpaslademanderenmariage.

—Pourquoipas?

—Àcausedesrumeurs.Ah,lescommèresd’Hollywoodferontdesgorgeschaudes…Jelesentendsd’ici. «Winfield épouse la fille, afin demettre le père dans sa poche…Encore un qui semarie parintérêt.»

—Iljetaunregardmalheureuxàsasœur.

—Sammeproposedem’associer à lui.Alors…— ilportadenouveau la coupeà ses lèvres—,c’estlejobouHelen.Onnepeutpastoutavoir,queveux-tu?

—MaisGeorges…

—Jeneveuxpasqu’ondisequej’aiagiàsonégardparintérêt.Jenelesupporteraipas.Etellenonplus, j’en suis convaincu…Voilà desmois que j’essaie de résoudre ce dilemme, Edwina. Je ne voisaucunesolution.Àmoinsdedémissionner.De toutquitteretdereveniràSanFranciscoavecHelen…Saufquejesuisquelqu’unicietquelà-basjenesuisriendutout,acheva-t-ild’unevoixmorose.

Ildevaitpenserautraindeviefabuleuxqu’ilmenaitàHollywood,àsasuperbevilla,àsonécurie,àsapartd’héritagedontilnerestaitplusunsou.

—Voilà,machère,tusaistout.Sijedemandelamaindelafilleuniquedemonfuturpartenaire,nousseronsvitesoupçonnésdefavoritismetouslesdeux.

Ilreposasonverred’unairdégoûté.Ilenavaitassez.Cesoir,iln’avaitmêmepasenviedes’enivrer.S’ils’étaitécouté,ilauraitpleurédanslegirondesagrandesœur.

—C’estabsurde!affirmaEdwinaénergiquement.Absurdeetridicule.SiSamtejugeassezfortpourfairedetoisonassocié,iln’yapasderaisonqu’ilterefusecommegendre.Tutemésestimes,Georges.Tuesaujourd’huil’undespluscélèbresproducteursdecetteville.

—Etleplussolitaire.

—Ilémitunriregrinçant.

—Laissetomber,Edwina.JerefusedelaissersupposeràHelenquejedésireunmariagederaison.J’enmourrais,sijamaisellelepensait.

—Luienas-tuparlé?

—Non…NousenavonsdiscutéavecSam.Helenavingt-deuxans.

Sonpèrepense, à juste titre, que si elle nem’épousepas, elle devrabientôt fonderun foyer avec

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quelqu’und’autre.

Edwinal’enveloppad’unregardempreintdetendresse.Iln’avaitpasencorevingt-quatreans,ilavaittoutpourêtreheureux,etils’apprêtaitàpasseràcôtédubonheur.

Aunomdeprincipesdontluiseulsesouciait…Elletentadeleluiexpliquer,maisilrestadeglace.Etplustard,enlaraccompagnantàsonhôteldanssaquarante-chevauxLincoln,unegrossevoiturehautesurroues,carrosséeenphaéton,ilmurmura:

—Jenepeuxpasfaireça,Weenie.Helenn’estpasuneprimepourservicesrendus.

Elleledévisagea,exaspérée.

—Voyons,Georges,cessededébiterdesbêtises.Tul’aimes,ouiounon?

—Oui,seulement…

—Alors,épouse-la.Lavieesttropcourte,nelagâchepas.Nelaissepaspassertachance.Onn’aimequ’unefois,Georges…

Ilvitmiroiteruneminusculelarmeauborddesescilsetdevinaàquiellepensait.Ellen’avaitjamaisoubliéCharles.Aprèstantd’années,soncœurappartenaittoujoursaufiancéperduàbordduTitanic.Ilouvritlabouche,maiselleluicoupalaparole.

—JesupposequetuestentéégalementparlapropositiondeSam?Quetudésiresêtresonassocié?

—Oui,justement…

—Alors,accepte!Etdemande-luilamaindesafille.Ilseraravidetel’accorder.

—Ellesepenchaverslui,passantunbrasautourdesesépaules.

—Ona ledroitd’êtreheureux,Georges, fit-elled’unevoixvibrante.Onenamême ledevoir.Neperdspastontempsàrenonceraubonheurpourdesraisonsquin’envalentpaslapeine.

Sam t’offre une occasion exceptionnelle. Prends-la. Hélène est la femme de ta vie, prends-laégalement.Mais, pour l’amour duCiel, ne renonce à rien.Tun’appartiens plus àSanFrancisco,monpetit,tavieestici.C’esticiqueturéaliserastesrêves,iciquetugravirasleséchelonsdelaréussite.Etturéussiras,Georges,ilsuffitdelevouloir…tuasdéjàréussi.Alors,cen’estpaslemomentdeflancher.

—Elleluisouritàtraversseslarmes.

—Achète-lui une jolie bague de fiançailles et cesse de te morfondre. Tu mérites de devenir lepartenairedeSam…EttuméritesHelen.

Illadévisagea,abasourdi.

—Tucrois…vraiment…

—J’ensuissûre,petitvoyou!s’écria-t-elle,enluiébouriffantsescheveuxméticuleusementgominésetcoiffésenarrière.

Ilséclatèrentderireenmêmetemps,etGeorgesposalatêtesurl’épauledesasœur.«Elleestencoresimignonne!»sedit-il,émuauxlarmes.Ilaimaitsanouvellecoiffurecourteetondulée.

«Dommagequ’ellenesesoitpasmariée,qu’ellen’aitaimépersonneaprèsCharles»,pensa-t-il.LeChampagne qu’il avait ingurgité l’ayant grisé, il osa poser la question qui le tourmentait depuislongtemps.

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—Tuneregrettespasd’êtrerestéecélibataire,Weenie?Tunedétestespascettesolitudeforcée?

Illutlaréponsedanslesprunellesbleusombreavantqu’elleouvrelabouche.

—Jenemesenspasseule,Georges,avecvoustousautourdemoi.

Je vous aime tant que rien d’autre ne compte à mes yeux… Bien sûr, si j’avais épousé Charles,j’auraisétéplusheureuse.Maisjenemeplainspas.

Elleavaitsongéplusd’unefoisàlaterriblesolitudequil’attendaitetavaitfinipars’habitueràcetteidée.Danscinqans,TeddycommenceraitsesétudesàHarvard.Lesfillesseraientcertainementmariéesd’ici làetGeorgeségalement.Chacunauraitsaproprefamille,sespropressoucis.EtEdwinaresteraittouteseule,danslagrandedemeuredesWinfield.

—Jeneregretterien,répéta-t-elle,commepours’enassurerellemême,etensepenchant,elleeffleurala joue deGeorges d’un baiser. La vie est devant toi,mon chéri.Va à PalmSprings chercherHelen,profites-enpourdireàSamquetuacceptessapropositionetoublielesmauvaiseslangues.Peuimportecequelesautresenpenseront.

Ilsourit.

—Weenie,est-cequ’ont’adéjàditquetuétaisunefilleépatante?

Tandisqu’ill’escortaitversl’hôtel,ilfutassaillipardesremords.

Edwinaavaitsacrifiésaviepoureux…

Ilouvritlabouchepourluienfairelaremarquemaisaucunmotneputfranchirseslèvres.Ilsefigea,l’œilrond.Unesuperbecréaturetraversaitlevestibule…Alexia!Maisoùavait-elledénichécetterobedesoiegrisperlequimettaitsesjeunesformesenvaleur?Etceserre-têtetoutétincelantdestrassetornéd’unevaporeuseplumeblanche?Quil’avaitcoiffée?…Etcommentosait-elles’appuyeraubrasdecethommequeGeorgesconnaissaitbienetqu’Edwinan’avaitjamaisvuauparavant?

—MonDieu!chuchotaEdwina,effarée.

Elles’étaitrendueàlaréception,croyantsajeunesœuraufonddesonlitdouillet.Alexianelesavaitpasencoreaperçus.

Visiblement,ellerentrait,elleaussi.EdwinaregardaGeorges.

—Quiestcethomme?

Ilétaitgrand,élégant,séduisant…etilauraitpuêtrelepèred’Alexia.Georgesétaitdevenublême.

—Ils’appelleMalcolmStone,fit-ilàmi-voix.C’estunhistriondesecondordre,unCasanovadebasétage qui exerce ses talents de séducteur sur les femmes… Surtout quand elles sont très jeunes… etriches.IladéjàjetésondévolusurHelen.

Unelueurmeurtrièretraversasesyeux,puissavoixtonnaàtraverslelobby.

—Stone!

Lecoupleseretournaetuneexpressiondepurepaniquefigealestraitsdélicatsd’Alexia.ElleavaitpourtantbienditàMalcolmqu’ilfallaitlarameneravantminuit.Ilsétaientallésdanseràl’HollywoodHoteletletempsavaitfilésansqu’elles’enaperçoive.Ellel’avaitrencontréplusieursfoisdanslegrandsalondupalaceetilsavaientliéconnaissance.Lorsquelajeunefilleluiditsonnom,ildemandasielleétaitapparentéeàGeorgesWinfield, le jeuneproducteur«quimontait».Flattée,elle réponditqu’elleétait sa sœur.Alors, il l’invita à déjeuner.Edwina avait emmenéTeddy et Fannie en ville.Alexia en

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profitapourserendreaurendez-vous.Pendantlerepas,MalcolmStoneluifitunecourpressante.Ilavaitinfiniment d’esprit et cela l’avait impressionnée. Et maintenant, Georges était là, le visage blanc decolère.

—Qu’est-cequevousfaiteslàavecmasœur?

Unsourirenarquoisétiraleslèvresducomédien.

—Riendemal,cherami. Jemesuispermisde l’inviteràdanseretnousavons,ma foi,passéunecharmantesoirée.

Ils’exprimaitavecunevoixempruntéeetunaccentbritanniquesurfait.Desaplace,Edwinapouvaitparfaitementserendrecompte,àlafaçondontAlexialecouvaitduregard,qu’elleétaitsouslecharme.Enfanttimide,sasœuravaittoujoursmontréunpenchantpourleshommesmûrs.

—Ellen’apasencoredix-septans,lesaviez-vous?hurlaGeorges,horsdelui.

Lesourireduséducteurs’épanouit.IlsetournaversAlexia.

—Ilyaunlégermalentendu,jecrois…Lademoisellem’aaffirméqu’elleenavaitvingtetun.Nelagrondez pas, Winfield. C’est une jeune fille délicieuse, ajouta-t-il en prenant la main d’une Alexiaécarlatepourlamettreentrecellesdesonfrère…Excusez-moi,monvieux!dit-ild’untonnonchalant.

Georgesplissalespaupières.

—Nevousavisezplusdevousapprocherd’elle.

—Naturellement,cherami.

Il s’inclina légèrement, puis s’en fut. Georges harponna le bras d’Alexia l’entraînant, à travers lejardin,vers lebungalowqu’ellepartageaitavecEdwinaetcelle-ci lessuivit.Unefoisà l’intérieur, lajeunefillefonditenlarmesenbaissantobstinémentlatête.

—Qu’est-cequi t’a pris, bon sang? explosaGeorges.Es-tudevenue folle pour sortir avecun typecommelui?

IlavaitsouventreprochéàEdwinad’êtretropsévèrevis-à-visdeleursœur.Plusmaintenant…Ilseretint pour ne pas donner une bonne fessée à Alexia. Or, ce n’était plus une enfant et de toute façonEdwinanel’auraitpaspermis.

—C’estunescroc!hurla-t-il.Uninfâmecoureurdedotdénuédescrupules.Unratéquirôdeautourdesstudios,prêtàtoutpoursefairedesrelations.

Lespleursd’Alexiasemuèrentensanglots.

—Tu mens! s’écria-t-elle en soutenant le regard réprobateur de son frère. Malcolm n’a rien del’individuquetudécris.

—IIestgentil…pleind’égards.Ilm’apromisdemetrouverunrôledanssonprochainfilm.Alorsquetoi,Georges,tufaistoutpourm’empêcherdedeveniruneactrice!

—Etjecontinuerai!glapit-il,àmoitiéétrangléparlacolère.

Qu’est-cequetucrois?Quejetelaisseraifréquenterdessalaudsdesonespèce?Nesoispasstupide,Alexia.Tun’esencorequ’unbébé…

Unpetitpapillonquipourraitsebrûlerlesailesauxfeuxdelarampe.

Jet’interdisderevoircetteordure.

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—Tun’aspasledroitdem’interdirequoiquecesoit!cria-t-elleenluiéchappantetens’effondrantdansunfauteuil,lesépaulessecouéesdesanglots,sousleregardattentifd’Edwina.

—Chérie,murmura celle-ci d’une voix douce, pourquoi nem’as-tu pas demandé l’autorisation desortir?Pourquoinem’as-tupasprésentétonami?

Depuissaplustendreenfance,Alexianes’était jamaisconfiéeàpersonne.Ellen’enavait toujoursfait qu’à sa tête et cela avait déjà failli lui coûter deux fois la vie. La jeune fille secoua la tête. Sessanglotsredoublèrent.

—Parceque…hoqueta-t-elle,lesdoigtscrispéssurunmouchoir,seslarmesarrosantletissusatinédelarobequ’elleavaitprisedanslapenderied’Edwina,parcequetum’auraisdéfendudemettrelenezdehors.

—Jevois…Etpuis-jesavoirl’âgedecemonsieur?

—Unenoteinfimededésapprobations’étaitglisséedansletondesavoix.

—Malcolmatrente-cinqans,réponditdignementAlexia.

Georgesricana.

—Monœil!Ilalacinquantainebiensonnée…Bonsang!Ondiraitquetuestombéedeladernièrepluie.

Il ébaucha un ample geste d’exaspération, cherchant du regard l’approbation d’Edwina. Celle-cigarda le silence. Tout cela n’était pas seulement une question de naïveté. Lasse du somnolent SanFrancisco, Alexia avait cru découvrir le vrai sens de la vie dans l’éclatante succession des fêteshollywoodiennes.

—Fréquenter ce monstre comporte certains risques dont tu devrais prendre conscience, continuaGeorges,implacable.Edwina,jetelaisselesoindeleluiexpliquer.

Levisageenfouidanssesmains,Alexiaréponditpardespleursencorepluspathétiquesquieurentledond’augmenterlafureurdeGeorges.

—Quant à toi, tu auras de la chance si je ne te renvoie pas à la maison avant ton anniversaire,grommela-t-il.

Ils’étaitmisd’accordavecEdwinapourcélébrerlesdix-septansd’AlexiadansunrestaurantdeluxedeSunsetBoulevard.Dans la semaine qui suivit, la situation se dégrada.La tension entreGeorges etAlexiadevintinsoutenable.

Edwina tenta vainement de les réconcilier. À plusieurs reprises, elle prit à part Alexia pour lasermonner.Rienn’yfit.L’ennui,c’étaitquelajeunefilleattiraitleshommescommedesmouches.Partoutoù ils allaient, sa beauté resplendissante éclipsait instantanément celle des autres femmes présentes, ycompris ses sœurs. Pour couronner le tout, le surlendemain de l’épisode avec Stone, un chasseur detalentsdelaFox,quiavaitmontélagardedanslelobbydeleurhôtel,accostaAlexia.

—Vousaimeriezfaireducinéma,mademoiselle?

Edwinadéclinagentimentl’offreàlaplacedel’intéressée,cequidéclenchaimmanquablementunenouvelle crise de larmes. Alexia traversa le salon comme une flèche, se réfugia dans leur bungalow,pestantcontrelaterreentièreengénéraletcontresasœuraînéeenparticulier.

—Quesepasse-t-ilavecelle?s’enquitGeorges,lemêmesoir.

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Qu’est-cequinevapas?

Edwinahaussalesépaules.Alexian’avaitjamaisétéuneenfantfacile,loindelà.Depuisqueleursparents étaient décédés, elle avait constitué un souci constant pour Edwina. En dépit d’une timiditémaladive,l’adolescentebrûlaitdefairecarrièredanslecinéma.

—Elleestàunâgedifficile,expliqua-t-elleàGeorges,peuaprès,quandilsfurentseuls.C’estunejeune fille ravissante… Parfois, la beauté est source de confusion. Les gens lui offrent des contratsmirifiquessurunplateaud’argentetnous,parderrière,luirépétonsqu’ellenedoitpasytoucher.Danssatête,c’estnouslesméchants…

Enfin,moi,surtout.

—Dieumerci,tueslà,Edwina.

—Ilvenaitderéaliserseulementparquellesépreuvessasœuraînéeétaitpassée.

—Qu’allons-nousfaireaveccettetêtedemule?

Lajeunefemmeémitunrireindulgent.Aprèstout,Alexian’avaitcommisaucuncrime.

—Rien,répondit-ellepaisiblement.NousrepartironsàSanFranciscoettoutrentreradansl’ordre.Tun’asplusqu’àprierlecieldeluienvoyerunbonmarileplusvitepossible…Après,ceseraàluidesemorfondredessuccèsd’Alexia.

—Nomd’unchien,murmuraGeorges,décontenancé.J’espèrequejen’auraijamaisdefilles.

—Etmoi j’espère que tu en auras une douzaine! le taquina-t-elle en riant.Mais, au fait, qu’as-tudécidéàproposd’Helen?Qu’est-cequetuattendspouralleràPalmSprings?

—J’ai téléphoné.D’après lemajordome quim’a répondu,Monsieur etMademoiselle visitent desamisàSanDiego.J’irailesvoirdèsleurretour.Jeregrettequetun’aiespurencontrerSamcettefois-ci,ilt’apprécieénormément,tusais.

C’étaitréciproque.GeorgesluiavaitprésentéSamHorowitztroisansplustôt.Ungrandhommeauxlargesépaules.Ilavaitdesyeuxpétillantsd’intelligence,unvisagerespirantlasagesse.

Toutenlui—démarcheénergique,franchepoignéedemain—dénotaitl’hommedepouvoir.

—Jeleverrailaprochainefois…Etgareàtoisituneluiaspasparléd’icilà.Jenetepermettraipasdegalvauderteschances.

—Bien,chef!Tupourraisdonnerlemêmeconseilànotreétourdiedesœur.

Après avoir versé des torrents de larmes sur sa carrière tuée dans l’œuf, Alexia eut l’air de sereprendre.Sonanniversairesedérouladanslajoie.Ilnerestaitplusqu’unejournéeavantdereprendrelechemin du retour. Edwina en profita pour emmener Teddy et Fannie sur les lieux du tournage d’unnouveaufilmauquelGeorgesparticipait.Ilsnefirentquel’entr’apercevoircarilétaitcalfeutrédanslesbureauxdelaproduction,maiseurentleloisird’admirerLillianGishdevantlescaméras.Ilréapparutàlafindelaséquence.

—Quandproposeras-tuunrôleàAlexia?interrogeaEdwina,posantenfinlaquestionquilatracassaitdepuislejouroùl’émissairedelaFoxavaitabordésasœur.

—Je n’en sais rien, soupira-t-il, après un temps de réflexion, en se renversant sur sa chaise.Pourquoi?Tuessonimprésario?

—Non,maisjepensequ’unetelleproposition,venantdetoi,luimettraitdubaumeaucœur.Elleala

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passionquetuaspuavoirpourlecinéma,Georges…Etelleestsijolie…Jesaisqu’elleesttropjeune,tropimmaturesurtout,maisdansunanoudeux…

—Nem’embrouillepas,Edwina.Ilfautavoirlesdentslonguespourréussirdanscemétier.

Il voyaitmalAlexia là-dedans. Il était commeSam, qui avait soigneusement tenu sa fille loin desturpitudesdustar-system.IlleditàEdwinaetelleacquiesça.

—Oui,Helennes’enportepasplusmal,eneffet.

—Sonpèrel’auraitenferméeàcléplutôtquedel’autoriseràdeveniractrice.IlconnaîttropbiencemilieufrelatépourlaisserHelens’yaventurer.

C’étaitunefindenon-recevoir.Edwinahochalatête.

—Encecasjem’incline.C’étaitjusteuneidéequim’avaittraversél’esprit.

—Aufait,oùest-elle?

—Àl’hôtel.Ellevoulaitsereposer.

—Enes-tusûre?

SaquestionarrachaunsourireàEdwina.Depuisquelquetemps,lesréticencesdeGeorgestournaientàlasuspicionpureetsimple.

Danschaquehommequiadressait laparoleàAlexia, ilvoyaitunêtremalintentionnédont il fallaitd’embléeseméfier.Elleluienfitlaremarqueetilritavecelle.

Aprèsletournage,ilsallèrentdéjeuner,puisGeorgeslesraccompagnaenvoitureàl’hôtel,avantderepartiraustudio.

Alexian’étaitpasdanssachambre.EdwinaenvoyaTeddyàsarecherche.Lepetitgarçonrevintpeuaprès,bredouille.Alexian’étaitnidanslegrandsalon,niprèsdelapiscine.

—Elle a dû aller faire un tour, conclut-il, avant de ressortir en coup de vent, dans l’espoird’apercevoirunedernièrefoisTomMixdanslesparages.

Fannie aida Edwina à boucler leurs bagages. À la tombée de la nuit, Alexia n’avait pas reparu.L’inquiétude d’Edwina commença à semuer lentement en panique. Et siGeorges avait eu raison? Lajeunefemmeselaissatombersurlecanapé,enproieàunvifdésarroi.Ellen’auraitpasdemandémieuxquedefaireconfianceàAlexia…Maiscelle-ciétaitsidifférentedesautresmembresdelafamille.Sirenfermée. Simystérieuse.Et craintive.Durant toute son enfance, elle s’était cramponnée aux adultes,commeellelefaisaitmaintenant.EllevouaituneprofondeaffectionàEdwinaetàGeorgesmaisnes’étaitjamaistoutàfaitremisedelamortdePhilip,quisemblaitl’avoiraffectéeplusencorequecelledeleursparents.

C’étaitunêtrefragile,uneâmesensible.Petitefille,soninsatiablebesoindesécurité lapoussaitàs’attacher,avecuneferveurquin’avaitjamaismanquéd’intriguerEdwina,àdeshommesplusâgés—

desamisdeBertet,biensûr,Philip.Etcettequêtedésespéréed’unpères’étaitexacerbéeaufildesans.

Àvingtheures,elleappelaGeorgesautéléphone.

—Désoléedetegâcherlasoirée.Alexian’estpaslàetjenesaispasoùelleestpassée.

Ilremitàplustardsonprojetdesortie,débarquaàl’hôteldixminutesplustard,ensmoking.

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—Tunel’aspasvueavecquelqu’un?J’espèrequ’ellen’estpasavecMalcolmStone.Ellen’estpasbêteàcepoint,toutdemême.

—Alexian’estpasbête,rectifiaEdwinaenrefoulantseslarmes.

Elleestjeune.

—Lajeunessen’estpasuneexcuse.Moiaussij’aiétéjeune,assenaGeorges,oubliantqu’iln’avaitquevingt-quatreans.Jenedisparaissaispas toutes les trentesecondespourautant,etencoremoinsencompagniedequinquagénairesdécatis!

—Georges,neperdonspasdetemps,jet’ensupplie.SiquelquechoseestarrivéàAlexia…

Ileutunfurieuxhaussementd’épaules.Maisnon,rienn’étaitarrivéàcetteidiote.Hollywoodn’étaitpasunrepairedebrigands.Onn’enlevaitpersonnedeforce.Elleavaitdûsuivrequelqu’undesonpleingréetcequelqu’unn’étaitautrequel’infâmeMalcolmStone.

Georgeseneutdesfourmillementsdanslespaumes.

—Quelle gourde! explosa-t-il.À force de semontrer avec ce saligauddans des boîtes truffées dereportersàl’affûtd’unscoop,lapresseàsensationnevapastarderàavoirventdecetteaffaire…

C’estexactementcequejevoudraiséviter.

IllaissaseuleEdwina,serenditàlaréception,bombardadequestionslesemployésdel’hôtel,glissadiscrètementquelquespourboiresdansdeuxoutroispoches,revintpeuaprès,furibond.

—Ta sœur s’amuse tout simplement au Rosarita Beach avec Malcolm Stone! fulmina-t-il. Cettecanaillealouéunevoiture…

—Ilimitarageusementlavoixdesoninformateur.

—«Oui,ilétaitaccompagnéd’unetrèsjoliefilleblonde»…Tusaiscequec’est,leRosaritaBeach?Uncélèbretripotdel’autrecôtédelafrontièremexicaineoùl’alcoolnetombepassouslecoupdelaloietoùuncouplepeutdégoterunechambrepourlanuit.

—Seigneur!

—Edwina commença par expédier Teddy et Fannie dans leurs chambres respectives, afin de leurépargnercettepéniblediscussionetsetournaensuiteversGeorges.

—Qu’est-cequ’onvafaire,alors?

—Jevaisteledire, tempêta-t-il,enjetantuncoupd’œilàlapenduledontlesaiguillesmarquaientvingtheurestrente.

S’ilssedépêchaient,ilsseraientsurplaceavantvingt-troisheures.

Ilprialecielpourqu’ilsarriventàtemps.

—Ilfautyaller, reprit-il,d’unevoixblanche.NousallonsramenerAlexia.Ets’ilaoséportersessalespattessurelle,jeletuerai!

Edwinapréféramettrecesmenacessurlecomptedelacolère.

Elleenfilaunmanteauqu’elletirarapidementdelapenderie,alladireàFannieetTeddydenesortirsousaucunprétexte.L’instantsuivant,elles’élançasur les tracesdeGeorgesà travers le lobbyetpeuaprès,laLincolnroulaitàtoutevitesseendirectiondusud.

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Ilsarrivèrentàdestinationdeuxheuresplustard.

L’établissement s’étirait sur une plage déserte et l’on pouvait voir à la lueur de son enseignelumineuse plusieurs limousines américaines garées côte à côte.Les gens venaient ici deLosAngeles,fuyantlarigueurdelaProhibition.

Ilsfranchirentleseuilsansunmot.EllesentaitGeorgestendu,prêtàcauserunesclandreetàpasserleschambresdupremieraupeignefinpourretrouverAlexia.Parchance,lecoupleétaitencoredanslasalledejeux.MalcolmStone,assisàunetable,jouaitaubaccara.Ilavaitl’airivre.Alexiasetenaitprèsde lui. Elle avait dû boire elle aussi, mais pas suffisamment pour apaiser sa nervosité. Elle fut lapremièreàlesapercevoiretparutsurlepointdes’évanouir.

Georgestraversalasalleendeuxenjambées,lasaisitparlebras,larepoussabrutalementverslebar.

—Oh…Je…

Ellefutincapabledepoursuivre.Malcolmlevaleregard.

—Tiens,vousici,fit-ilfroidement,enexhibantsesdentsparfaitesdansunsourirenarquois.

Georgesnesouritpas.

—J’ai l’impressionquevousnem’avezpas trèsbiencompris lapremière fois, lâcha-t-ilentre lesdents.Jeseraidoncplusclair.Alexiaadix-septans.Continuezàtournerautourd’elleetjevousflanqueunprocèssurledospourdétournementdemineure.Vouspourrezdireadieuàvotrecarrièredecomédien,Stone…Mesuis-jebienfaitcomprendre,cettefois-ci?

—Absolument.J’aidûeneffetmalcomprendrevotrepremieravertissement.

Georgesôtasavestedesmokingetlajetasurunechaise.IlattrapaMalcolmparlecol,leforçantàseredresser,luiassenaunviolentcoupdepoingsurlamâchoire,puisundeuxièmedansleplexus.

—Tâchezdevousensouvenir,dorénavant,gronda-t-il.

MalcolmStones’étaitabattusurlesgenoux,l’airsonné.

Sous les regards médusés de l’assistance, Georges récupéra sa veste et poussa Alexia sansménagementverslasortie,bientôtsuiviparEdwina.

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Chapitre27

LeretouràSanFranciscofutpéniblepourtoutlemondeetplusparticulièrementpourAlexia.Durantle trajet, la jeune fille pleura à chaudes larmes, sans répit. Plus que la punition dontGeorges l’avaitmenacée,l’attitudedeMalcolml’avaitmortifiée.Audébutdesonescapade,l’idéequelecomédienavaitl’intentiondepasserlanuitavecellenel’avaitpaseffleurée.Maisellel’avaitsuinstinctivement,quandGeorges avait surgi aumilieu de la salle enfumée, tel un vaillant chevalier en armure étincelante. Lavéritéluiétaitalorsapparueetelles’étaitsentiehumiliée.Malcolmavaitpourtanttoutmisenœuvrepourgagnersaconfiance.Illatraitaitcommeunepetitefille,l’appelant«sonbébé»d’unevoixenjôleusequil’emplissait d’un bien-être singulier. Or, rien ne pouvait remplacer le sentiment de sécurité qu’elleéprouvaitauprèsd’Edwina…AlexiaavaitprisplacedanslaLincolnavecunimmensesoulagement.

Georgesl’accablad’amersreprochestoutlelongducheminentrelafrontièremexicaineetl’hôtel.

—Tuneremettraspluslespiedsici,tonna-t-il,enguisedeconclusion,quand,enfin,ilsfurentarrivés.Onnepeutpassefieràtaparoleetàlaplaced’Edwina,jet’auraisenferméedansuncouvent.

Tuasdelachancedevivreavecelleetpasavecmoi.

Alexiapartitsecoucher,ulcérée,etGeorgespritundernierverreencompagniedesasœuraînée.Iln’avaitpasdécoléré.

—Bon sang, cette imbécile ne se rend même pas compte dans quel pétrin elle allait se fourrer!explosa-t-ilenprenantunegorgéedewhiskyetense laissant tombersur laméridienneavecunsoupirexaspéré.Nousaurionspunousretrouveravecunpetitbâtardsurlesbrassinousn’étionspasintervenusàtemps…Ilnemanquaitplusqueça.

—Georges!

—Parfaitement,machère.Maiselleestincapabledecomprendre.

—Elleacomprismaintenant.

Alexialeluiavaitaffirméunpeuplustôt,alorsqu’ellel’aidaitàsedéshabiller.Deslarmesdehonteavaientvoilésesyeux.Edwinal’avaitmiseaulitetl’avaitbordéetendrement,commeellel’auraitfaitpouruntoutpetitenfantégaré.Alexiaétaitunefemmemaintenant,malgrécertainsaspectspuérilsdesoncaractère.Leschocspsychologiquesqu’elleavaitsubisdanslepassél’avaientrenduetropfragile,tropdémuniefaceauxduresréalitésdel’existence.Personneaumondenepourraitjamaisluidonnercedontelleavaitbesoinetquiluimanquaitcruellement…Alexiaseraittoujoursàlarecherchedupèreetdelamèrequ’elleavaitperdusàl’âgedesixans,lorsdecetteaffreusenuitoùdesmainsinconnuesl’avaientpropulséepar-dessusbord,avecsapoupée,dansuncanotdesauvetage.

—Illuiavaitpromisdelaramener,expliqua-t-elleàGeorges.Elleignoraittoutdesonplan,biensûr,mais elle y a vu clair quand nous sommes arrivés à la rescousse, comme des héros dans un filmd’aventures.

—Elleaune sacréeveine, fit-il en remuant sesdoigtsencoredouloureuxpar lescoupsqu’il avaitassenésàMalcolm.Leshérossefontraresdanslavie,surtoutlorsqu’onaàfaireàdesmalpropresdel’espècedeStone…J’aidesenviesdemeurtresrienqued’ypenser.

Ah,sijamaisilosaitrepointersonnez…

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—Ilneleferapas.Demain,nousrentronsàSanFranciscoetjusqu’àcequenousrevenions,ilauracertainementtrouvéuneautrevictime…Dansquelmondetuvis,monpauvrechéri!

Sataquinerielefitrire.Finalement,ilyavaiteuplusdepeurquedemal.

—Note, reprit-elle d’une voix malicieuse, je commence à prendre goût à cette ville pleined’imprévus,malgrémongrandâge.

Ilsetournaverselle,avecunnouveaurire.Etcommechaquefoisqu’illaregardait,ilfutfrappéparl’éclatdesesyeux.Edwinaétaitplusjoliequejamais,avecsacoiffureàlaJeanned’Arcquiencadraitsonfinvisage…«Etdirequ’ellenes’estpasmariée»…cettepensées’insinuaunefoisdeplusdanssonesprit,commeunremords.

—Tuesvraimentbelle,Weenie!Attendsunpeuetjetetrouveraibienunmari.

Elles’esclaffa,l’airdedirequelemariagenefiguraitpasentêtedelistedesespréoccupations.Desmaris,ilfallaitentrouverpourAlexiaetFannie…SansoublierHelen.

—Tuveuxdirequelqu’uncommeMalcolmStone?C’estterriblementexcitant.

—Ildoityavoirmieuxdanslesparages.

—Formidable! Fais-moi signe dès que tu auras déniché cet oiseau rare. En attendant, cher petitfrère…—elle s’était redressée en s’étirantgracieusement— jevais retourner ànotrebonvieuxSanFranciscooùlesmondanitésconsistentàunevagueréceptionchezlesCrockeretoùlespotinslesplusfurieuxserésumentàpeudechoses…«Avez-vousvulanouvellevoitured’untel?Remarquélesregardséchangésentreunteletunetellependantlasoiréed’ouverturedel’opéra?»

—DouxJésus,gémit-il.Pasétonnantquejesoispartidecebled.

—Saufquelà-bas,personnen’aencoreséduittapetitesœur,luifit-elleremarquerdansunbâillementviteréprimé,tandisqu’elleleraccompagnaitàlaporte.

—Voilàunbonpoint.Bonnenuit,Weenie.

—Bonnenuit,monchéri.Mercipourtout,Georges.

Ill’embrassagentimentsurlajoueavantdesortir.SachèreLincoln,couvertedelapoussièredeleurfolleéquipée,l’attendaitdevantl’hôtel.Ildémarradoucement,enpensantàHelen,quiluimanquait,puissespenséesdérivèrentversEdwinadontilétaitsifier…

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Chapitre28

GeorgesdébarquadeuxmoisplustardàSanFranciscosansprévenir.Iln’avaitpasdonnésignedeviedepuisquelquetempsmais,lesachantaccaparéparsontravail,Edwinanes’enétaitpasinquiétée.Ilremontal’alléeencourant,levisageilluminéd’unlargesourire.Ilavaitdemandélamaind’Helenetlajeunefillelaluiavaitaccordée,annonça-t-iltriomphalement…Lemondeluiappartenait.

Deslarmesdejoieinondèrentlesyeuxd’Edwina.

—EttonassociationavecSam?questionna-t-ellel’instantsuivant,soudainalarmée.

Ileutunsouriredepetitgarçonàquil’onvientd’offrirunmerveilleuxprésent.

—Tu avais raison. Helen a réagi exactement comme toi, et Sam aussi. Quand je lui ai narrémesréticences,ilm’atoutsimplementrétorquéquej’étaisstupide.Ilconnaîtmessentimentsvis-à-visdesafille,seficheéperdumentdesragots,ettientabsolumentàcequejel’épouse.

—Félicitations!s’écria-t-elle,rayonnante.C’estquand,cebeaumariage?

Ilsétaientenjuin.S’ilnetenaitqu’àlui,ill’auraitépouséetoutdesuite.

—Pasavantseptembre.Helenveutprendresontemps…Ellesedémènepourorganiseruneréceptiondigne des plus grandes mises en scène de Cecil B. DeMille, pouffa-t-il. Nous allons embaucher unmillierd’extra.

Edwina sourit. Cela promettait, en effet, d’être un mariage splendide, dans la plus pure traditionhollywoodienne.Ellen’avaitjamaisvuGeorgesaussiheureux.

—Jevoudraisteparlerégalementd’uneautreaffaire,enchaîna-t-il.Tusaiscombientesconseilsmesontprécieux.

Ellelefixa,flattéedecettedélicateattention.

—Dequoiest-ilquestion?

—D’unscénarioauquelnouspensonsdepuisdeuxans,avecSam,etquenousavonsgardédansnostiroirsdansl’espoirdedécouvrirlapersonneidéalepourinterpréterlerôled’unejeuneorpheline…

L’autrejour,ilaeuuneidéeinsensée…Maisjenesaispas,Edwina,j’hésite…

Son sourire s’était effacé et il fronça les sourcils. Puis, comme elle continuait de le fixer sanscomprendre:

—Tul’assansdoutedeviné,ils’agitd’Alexia.Qu’endis-tu?

Elleleregarda,sidérée,seremémorantlechasseurdetalentsdelaFox.

Évidemment si Alexia tournait sous les ordres de son frère, il n’y aurait aucun souci à se faire.Georgesdutpenseràlamêmechose,carilseurentunéclatderireamusé.Ilfutlepremieràredevenirsérieux.

—Jen’arrivepas àprendreunedécision,Weenie.D’aprèsSam,Alexia estnotrepersonnageet jesuisd’accordaveclui.Jesaisqu’elleincarneral’héroïneàlaperfectionet,dureste,ellen’apascessédemebombarderdelettresmesuppliantdelaprendreàl’essai…D’uncôtéjem’yrefuse,del’autre,jemedemandesiellen’apasvraimentdutalent…Bref,jenesaisplusoùj’ensuis.

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Ilparaissaitsincèrementdéchiré.Edwinahaussalesépaules.

—Jeme suis longuement posé la même question. Elle a l’air si passionnée et enmême temps sivulnérable.

—Mais ilyaencoredeuxmois, tusemblais fermementcontre l’idéemêmequ’ellepuisse jouer lemoindrepetitrôle.Qu’est-cequit’apousséàchangerd’avis?

—Letemps,répondit-ilpensivement.Audébut,laseulepenséequ’unquelconqueréalisateurallaitluimettrelegrappindessusmerévulsait.Maintenant,c’estdifférent…jepourraisluifairesigneruncontratd’exclusivité la mettant à l’abri de ce genre de péril… À condition, naturellement, qu’elle nerecommencepasàperdrelatêtepourlepremierbellâtrevenu.

Iln’étaitpasprêtàoublierlamésaventured’AlexiaavecMalcolmStone,nilafaçondontill’avaittiréedesesgriffes.

—Ilfaudragarderconstammentunœilsurelle.Alexiaestuneenfant,aufond.Quandonnes’occupepasassezdesesétatsd’âme,ellefaitdesbêtisespourattirerl’attention.

—Alors,elleseraunestar!sourit-il.Ellessonttoutescommeça.

—Quandvoudrais-tuqu’ellecommence?

—Dansunesemaineoudeux.Elleseralibreàlafindel’été.

Riennes’yopposait.Alexiavenaitde terminer le lycée, lesdeuxautresentamaient leursvacancesd’été. Comme la plupart des jeunes filles, les sœurs d’Edwina ne souhaitaient pas entamer d’étudessupérieures.Or le film finissantenaoût laissaitàEdwina le tempsde regagnerSanFranciscopour larentréescolairedesplusjeunes.

TeddyentraitenhuitièmeetFannien’enavaitplusquepourdeuxansàlaHighSchooldeMissSarahDixHamlin.

—Naturellement, vous n’irez pas à Tahoe cette année, poursuivit Georges, mais je vous enverraiéventuellementàDelCoronadoouàCatalina.Parailleurs…

Ils’interrompitetuneombresongeuseflottauninstantsursestraits.

—Bah,fit-il,peu importe.Leproblèmeconsisteàsavoirsionpeutprendre lerisquedesoumettreAlexiaauxexigencesetaustressd’untournage.

Deboutdevantlafenêtre,lajeunefemmepromenasonregarddanslejardin.Lesrosiersplantésparsamèretantd’annéesauparavants’épanouissaientdanslalumièreéclatante,parmilesazaléesqu’Edwinaavaitrepiquéesunanplustôt.

—Jecroisqu’ilfautl’aideràréalisersesrêves,dit-elleauboutd’unmoment.

—Pourquoi?interrogea-t-il,denouveauhésitant.

—Parce qu’elle ne nous pardonnera jamais de n’avoir pas levé le petit doigt pour elle alors quel’occasions’estprésentée.

—Nousnesommespasobligésdeleluidire.Ellen’apasbesoindelesavoir.

—Non, bien sûr… dit-elle en se dirigeant vers le canapé et en s’y installant.Mais nous, nous lesaurons.AlexiamériteplusqueSanFranciscopeutluidonner.Grâceàsabeauté,ellesortdel’ordinaire.

—Elleeutlesourired’unemèrefièredesafille.

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—Tuesvenumedemandermonavis,Georges,levoilà:donne-luisachance.Etsiparmalheurellesetientmal,nousl’enfermeronsdanssachambreetnousjeteronslacléàl’égout!

Elleattenditqu’ils’arrêtederireavantdereprendre:

—Chacunaledroitdetentersachanceunefoisdanslavie.Tuasbieneulatienne.

—Ettoi?murmura-t-il,presquemalgrélui,etelleeutunsourire.

—Je suis parfaitement heureuse.Mais revenons à nosmoutons,GeorgesWinfield. Puis-je appelerAlexia?

Ilacquiesçalentement.

Alexiapénétradanslesalon,unpeuavantledîner.Lajeunefilleavaitpassél’après-midiavecuneamie dans les boutiques les plus élégantes de la ville. C’était une élève assezmédiocre, tout commeFannie d’ailleurs, ce qui rappelait àEdwina une phrase prononcée des années auparavant parBert: «Edwina, Philip et Teddy sont les cerveaux de cette famille ». Il aurait été enchanté de constater lesprogrèsdeGeorges.

Alexiaentradanslapièce,d’unairanxieux.

—Ilparaîtquevousvoulezmeparler.Quesepasse-t-il?

LalumièretardivenimbaitsasuperbechevelureblondmaïsetGeorgespensaspontanémentqu’elleétaitvraimentfaitepourlerôle.

—Riendegrave,souritEdwina.Georgesaquelquechoseàt’annoncerqui,jecrois,teferaplaisir.

Leregardlimpided’Alexiasereportadel’unàl’autre.

—Tutemaries?demanda-t-elleenfin.

Ilhochalatêteensouriant.

—Biendeviné,Lexia.Helenetmoiunironsnosdestinéesenseptembre.Enattendant,nousavonsdesprojetspourtoi,avecEdwina.

L’espaced’uneseconde,levisaged’Alexiaseferma.Dequelsprojetss’agissait-il?

Allaient-ilsl’envoyerdansundecessinistrespensionnatsoùlesjeunesfillesdebonnefamilleétaientcenséesparfaireleuréducation?Georgesdevançasesquestions.

—Aimerais-tuveniràLosAngeles…—etàmesurequ’ilformulaitlesmots,lepetitvisageenfacedeluis’éclairait—…pourjouerdansunfilm?

Elleleregardapendantunlongmoment,puiss’élançaverslui,l’entourantdesesbras.

—C’estvrai?Oh,monDieu,est-cebienvrai?Jepourraiyaller,Edwina?Vraiment?Tumelaisseras?

Sa joie impétueuse fît rire les autres et Georges manqua étouffer sous une avalanche de baisersreconnaissants.

—Oui,oui,oui, fit-ilendénouant lesbrasqui l’étreignaientetensecouantsous lenezd’Alexiaunindexmenaçant,maisjetiensàteprévenir:jeneveuxpasd’histoires!Net’avisepasàrecommencertonpetitmanèged’ilyadeuxmois,sinontupeuxd’oresetdéjàoublierlecinéma.

Elles’empressad’acquiescer,sependitàsoncouensecouantfarouchementlatête.

—Georges,tupeuxcomptersurmoi.Jeseraiunmodèledebonneconduite.Jetelejure…Aprèsle

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film,nousvivronstousàHollywood,n’est-cepas?

GeorgeséchangeaunregardavecEdwina.Ilsn’yavaientmêmepaspensé.

—Non,Alexia.Vous retournerez àSanFrancisco afin queTeddy etFannie puissent terminer leursétudes.

—IlyabiendeslycéesàHollywoodnon?s’exclama-t-elle,l’œilsuppliant,aprèsquoielleeutunemeilleureidée.Oualors,jepourraisvivreavecHelenettoi.

—Non!gémit-il,tandisqu’Edwinariaitsouscape.

—Pourquoipas?

—Toutsimplementparcequejen’aipasenviedecommettreunmeurtreoudedivorceravantlafindel’année.

Elleparutdécontenancée,maisl’instantsuivantuneautreidéefusaplusgrandioseencore.

—Si je deviens une grande vedette, j’auraima propremaison à Sunset Boulevard. Comme PaulaNegri. Une superbe villa avec des domestiques. Des femmes de chambre, un majordome… Et unevoiture…Oh!etdeuxlévriersd’Irlande!

Elle quitta la pièce en trombe à la poursuite de son rêve. Georges dédia à Edwina un souriremalicieux.

—Etvoilà!soupira-t-il.Nousallonsau-devantdegravesennuis,j’enaipeur.J’aiditàSamquejevoulaisbienautorisermasœuràtourner,àconditionqu’elleneselaissepasgriserparlesuccès.

—Qu’a-t-ilrépondu?

—Qu’ilavaitdéjàpayésontributàlasociétéetquesafilleetmasœurn’étaientplussonproblèmemaislemien.

—Voilàunhommedebonsens.

—Jelesais…Àpropos,ilal’intentiondenousinviterdansunexcellentrestaurantpourcélébrermesfiançaillesavecHelen.

—Trèsbonneidée,sourit-elleenselevant.Allonsdînermaintenant.

À table,Edwinaannonçaauxenfants lesnouvelles.TeddyetFannie,quiappréciaient la ravissanteHelen, félicitèrent chaleureusementGeorges, enchantés par la perspective d’un nouveau voyage à LosAngeles.Ilseurentl’airravid’apprendrequelafamillecomptaitunefuturestardecinéma.Pendantunbrefinstant,EdwinaavaitredoutélaréactiondeFannie.Celle-cinemontra,pourtant,aucunejalousieàl’égardd’Alexia.Safrimousses’illuminad’unlargesourireetellevoulutsavoiraussitôtsiellepourraitassisterautournage.

—Nousreviendronsici,n’est-cepasWeenie?s’enquit-elle,peuaprès,anxieusement.

Pour rien aumonde Fannie n’aurait quitté lamaison et la ville qui l’avaient vu naître. C’était iciqu’elledésiraitvivre.PasàHollywood,fût-cedansunesuperbevillaavecdeslévriersd’Irlande…

—Absolument,larassuraEdwina.

—Ah,bien.

Fannies’attaquaàsonplatensoupirantd’aise.EtEdwinasedemandacommentdesenfantsélevésensemblepouvaientdévelopper,engrandissant,despersonnalitésaussidifférentes.

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Chapitre29

Ils se rendirentàLosAngelesquinze joursplus tardet cette fois-ci, ils logèrentchezGeorgesquitenaitàgarderunœilvigilantsurAlexia.

Dèslepremierjour,Teddyfutfascinéparl’écuriedesongrandfrère.

Lelendemain,installéeàl’ombrefraîchedelavéranda,Edwinaregardaitlepetitgarçonsepavaneràcheval,quandune limousineseglissadans leparcet s’immobilisadevant leperron.UneRolls-Roycenoire au chrome étincelant. Un ami de Georges sans doute, supposa-t-elle. Le chauffeur en uniformeouvritlaportière,etunhommeémergeadanslecontre-jour,éblouissant.Grand,athlétique,avecdelargesépaulesetunhalodecheveuxargentés,ilsefigeauninstant,commepourmieuxétudierlajeunefemmedont il apprécia la fine silhouetteélancéeélégammentdrapéedansune robede soiebleumarine.Elleavait des cheveux courts d’unnoir lustré, tenait délicatement une cigarette entre ses doigtsminces. Ilss’observèrentuncourtmoment,puisellejetasacigarette,levisageéclairéd’uncharmantsourire.

—Pardonnez-moi,jenevousavaispasreconnu,murmura-t-elle.

VousêtesmonsieurHorowitz,n’est-cepas?

Ilsaisitlamainmenuequ’elleluitendait,souriantàsontour.

Georgeslaluiavaitprésentéequelquesannéesplustôt,lorsd’unesoirée.Ilavaitétéséduitparsonintelligence, sa classe, sa grâce. Et maintenant, comme s’il venait seulement de la découvrir, il étaitfrappéparsabeauté…

—Jevouspriedem’excuserégalement,répondit-ild’unevoixposée,presquenonchalante,jenevousavaispasreconnuenonplus.

Pendantunmoment,jemesuissurprisàmedemandercequ’unejeuneetjoliepersonnevenaitfairechezmonfuturgendre.

…Unebeautéépanouie,songea-t-il,reprenantmalgréluilecoursdesespensées,rayonnante,malgrélasobriétédesamiseetl’absencedebijouxtapageurs.

—Jesuisraviquevoussoyezvenue,ajouta-t-il,etHelenaussi.Etjevousremercied’avoiracceptéd’assisterautournagedufilm.

Georgesenesttrèsheureux.

Touten luidénotait l’hommedepouvoir.Pourtant,SamHorowitzn’avait rienàvoiravec la fauneprétentieuseducinéma. Ilavait suconserver lenaturelet la simplicitéqu’EdwinaavaitdéjàobservéschezHelen.Endépitdesapositionsocialeélevée,ils’exprimaitavecunesortedegentillesseamicalequimettait à l’aise ses interlocuteurs.Unsilence suivit.Côteàcôte, ils contemplèrent le spectacledeTeddysursamonture.Aupassage,lepetitcavalierleuradressaunsignedelamain,auquelSamréponditaussitôt. Il n’avait pas encore fait la connaissance des plus jeunes Winfield. Par Georges, il savaitl’histoiredouloureusede leur famille.Un soir, son jeuneassocié lui avait contépar lemenucommentleursparentsavaientpéritragiquementetcommentEdwinaavaitélevésesfrèresetsœurs.Illuijetauncoupd’œilobliquesansdissimulersonadmiration.«Belleetcourageuse»,sedit-il.

Savoixleramenasurterre.

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—Aimeriez-vousunetassedethé?

«Enfin, quelqu’un qui ne vous force pas à ingurgiter duChampagne à onze heures dumatin! » Ilaccepta, soulagé, la suivit à l’intérieur en sedémenantpournepas regarder ses jambes fuseléesni lelégerbalancementdeseshanchessousl’étoffesoyeuse.

La jeunefemmepria lemajordomedeservir le théavantdeconduireson invité,à travers lavastebibliothèqueauxvoletsclos,dansunpatioombragé,meublédetablesdejardinetdefauteuilsenrotinanglais.

—Est-cequevousvousplaisezàLosAngeles?interrogea-t-ilaprèsquelemajordomeeutapportélethé.

—Enormément. Je garde unmerveilleux souvenir de nos précédents séjours dans votre ville. Lesenfantsyreviennentavecjoie.

—Ellesourit.

—Ce film est un grand événement pour eux, vous savez, et quant àAlexia, elle est au comble dubonheur.Elleadelachance,cettepetite.

—Elleasurtoutlachancedevousavoirauprèsd’elle.Helenauraitpayécherpouravoirunefamillecommelavôtre…Lapauvreenfantapassédesannéesbiensolitairesencompagniedesonvieuxpère.

Unelueurdecompassiontremblotaaufonddesprunellesbleuintense,puislajeunefemmedétournaleregard.

—Chaquefamilleasesabsentsetsesblessures,fit-elleàmi-voix…

Finalementnousavons fait faceà l’adversité, ajouta-t-elle etun sourirevictorieuxétincela sur seslèvrespleines.

Il inclina la tête, impressionné. C’était un être exceptionnel, une femme hors du commun et passeulement à cause de sa beauté ou de son élégance. Une force sereine émanait d’elle, il l’avait déjàremarquélorsdeleurpremièrerencontre.Etunerarefiertéquinelarendaitqueplusattachante.

—Quelssontvosprojetspourlesprochainsjours?demanda-t-il,avecunecuriositéingénuequilafitde nouveau sourire. Allez-vous profiter de nos fabuleux sites touristiques? Rendrez-vous visite à desamis?

Ellelaissaéchapperunrireaérienet,denouveau,Samsesentitsouslecharme.Elleluirappelaitsafilleparmoments,bienquelapersonnalitéd’Edwinafûtplusforte,plusindépendante.

—Jemechargeraidurôleingratdechaperonauprèsdevotrefuturestar,monsieurHorowitz.

Visiblement, Georges ne l’avait pas mis au courant de la mésaventure d’Alexia. Néanmoins, ilacquiesçad’unairsérieux.Ilcomprenaitparfaitement.Iln’auraitpasfaitmoinspourHelen.

—Aujourd’hui,elleestenvilleencompagniedeGeorges,poursuivit-elle,c’estpourquoijesuisici,aveclesdeuxplusjeunes.

Maisàpartirdedemain,jecumulerailesfonctionsdegardeducorps,d’habilleuseetdementor.

—UntravaildeRomain,renchérit-il,endéposanttasseetsoucoupesurleplateauetenallongeantseslonguesjambes.

Ildevaitavoirunecinquantained’années…C’était indéniablementunhommeséduisant sansmêmes’enrendrecompte.Soudain,Edwinaeutconscienced’unfaitnouveau.Ilsétaientseulsetilsbavardaient

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depuis plus d’une demi-heure avec la familiarité de deuxvieux amis.L’arrivée deTeddymit fin à sarêverie.Edwina fit lesprésentations.Lepetit garçon serra lamaindeSam.Aprèsunbref échangedeformulesdepolitesse,Teddy,lesyeuxbrillantsd’excitation,setournaverssasœur.

—Ceschevauxsontfabuleux,Weenie!J’enaiessayédeux.

Ilavaitvoulucommencerparl’étalonarabemaislegarçond’écurieluiavaitsuggéréunchevalmoinsfougeux.

—J’aimeraisbiensavoiroùGeorgeslesaachetés,continua-t-ilàbrûle-pourpoint.

—Jenesaispas,monchéri.Ilfaudraleluidemander.

—Jeluienaicédéun,celuiquetumontaistoutàl’heure,ditSam.

Unebêtesuperbe.Parfois,jelaregrette.

Ils’étaitadresséàTeddydecetonamicaletdétenduquiplaisait tantàEdwina.Lepetitgarçonleregarda,incrédule.

—Alorspourquoil’avez-vousvendu?

—GeorgesetHelenadorentl’équitation.Etquantàmoi,j’aipassél’âgedecegenred’exercice.

Ilavaitparlésurletondelaplaisanterie.Edwinaébauchaungested’indignation.

—Nevousmésestimezpas,monsieurHorowitz.

—Appelez-moiSam,sinonjemesentiraiencoreplusvieux!

N’oubliezpasquejeseraibientôtgrand-père.

Teddysemitàrire,Saml’imita,Edwinas’ymitàsontour.

L’instantsuivant,ellehaussaunsourcil.

—Ya-t-ilquelquechosequejedevraissavoirsurcemariage?

Ils’empressadelarassurer.Ilavaitsimplementexpriméunespoir.

En fait, son souhait le plus cher.Une ribambelle de petits-enfants gambadant partout. Il aurait lui-même eu une famille nombreuse si la mère d’Helen n’avait pas disparu si prématurément… Edwinaremplitunenouvellefoisdethéleurstassesenporcelaine.

—Celadoitfaireundrôled’effetd’êtrelatanted’unepetitefilleoud’unpetitgarçon,marmonna-t-elle.

Jusqu’alors,ellen’yavaitpassongé.Elleavaitélevécinqenfantscommes’ilsavaientétélessiensmais ne s’était jamais occupéedes enfants des autres…Elle se promit de se pencher plus tard sur laquestion.

Avantdeprendrecongé,Saml’invitaàlamaisonlesoir-même.

—Lesenfantsaussi,bienentendu.

—Àvotreplace,j’yréfléchiraisàdeuxfoisavantdemelancerdansunetelleentreprise,monsieurHoro…oh,pardon!…Sam.

Unedélicaterougeurcolorasespommettes.Ilsourit.

—Ceseraunplaisir,aucontraire.JetiensàavoirTeddyàmatable.Fannieégalement.EtAlexia.Et

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Georges,naturellement…Jen’oubliepersonne,n’est-cepas?

Ilseredressa,ladominantdetoutesastature.Ellelevasurluiunregardétonné.Unefoisdeplus,laséductionquisedégageaitdecethommel’enveloppacommeuneaura. Ilétait trèsgrand,eneffet, trèsattirant…Envoilàuneidéeabsurde!C’étaitlepèredesafuturebellesœur.Riendeplus.

—J’enverraimonchauffeurvouschercheràdix-neufheures.

—Merci…

ElleleraccompagnaavecTeddyjusqu’àlasortie.

—Alors,àcesoir,dit-il.

Ilparuthésiter longuementavantde luiserrer lamain,puisseglissasur labanquettearrièrede laRollset,uneminuteaprès,lasomptueusevoitures’éloigna.

—Quiétait-ce?demandaFannieensortantsurleperron.

—Lepèred’Helen.Ilnousainvitéscesoir,réponditEdwinasuruntonuni,lesyeuxvagues.

Teddyseremitàchanterleslouangesdeschevaux.

—Jem’envaisessayerl’étalonarabe,conclut-il.

—Tunedevraispas,trésor.

Teddypritunairoffensé,maisFannieneluilaissapasletempsdeprotester.

—Dis,Weenie,faut-ilvraimentalleràcedîner?

—Oui,machérie.Illefaut.

Alexiarentrapeuaprèset,contrairementàFannie,montraunvifenthousiasmepourl’invitationdesHorowitz.Uninstantplustard,s’inquiétantdesatenue,elledemandaàEdwinadeluiprêterunedesesrobes.EllevenaitdesignerlecontratmisaupointparGeorgesetsesentaitpousserdesailes.

—J’aitellementenviedem’amusercesoir,soupirât-elleplustard,alorsqu’elles’habillait.

La Rolls, qui vint les chercher à dix-neuf heures tapantes, comme convenu, arracha un crid’admirationàAlexia.Elles’empressad’yprendreplace,suivieparlesdeuxjeunesetEdwina.GeorgesavaitpréféréprendresaproprevoitureaucasoùHelendésireraitsortiraprèsdîner.

La résidence des Horowitz faisait l’effet d’un palais, écrasant par sa splendeur les imposantesdemeures du voisinage. L’intérieur alliait le bon goût à l’opulence— succession de salles hautes deplafond,boiseriesetstucsprécieux,mobilierd’époque,tableauxdemaîtres,dallagedemarbreblancquimettaitenreliefdemagnifiquestapisd’Aubussonauxnuancessubtiles.

Samaccueillitsesinvitésavecsonhabituellesimplicité,embrassaEdwinasurlajouecommes’illaconnaissaitdepuistoujours,prialesplusjeunesdesemettreàl’aise.Helen,resplendissante,fitvisitersachambre à Fannie et Alexia. La première tomba en arrêt devant sa collection de vieilles poupées deporcelaine, la seconde futéblouiepar la salledebainsavec l’immensebaignoireencastréeenmarbrerose.

Aumêmemoment,SammontraitsesécuriesàTeddyetEdwina.

Des pur-sang arabes, champions de courses duKentucky, trottaient et s’ébrouaient aumilieu d’unenclosverdoyant,danslalumièrebleutéedusoir.Ici,toutrespiraitleluxeet,soudain,EdwinacompritpourquoiGeorgesavaittanthésitéavantdedemanderlamaind’Helen.

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Pendantledîner,laconversationroulasurdessujetsanodins.

Helen exposa avec animation ses projets d’avenir. En dépit de son allure folle et de ses tenuessophistiquées,ellen’aspiraitqu’àdevenirunebonnemaîtressedemaisonetàéleversesenfants.Fannies’empressadeserangeràl’opiniond’Helen.

—Oh, non, jeta Alexia dont les lèvres se tordirent en une moue moqueuse. Moi, je ne suis pascasanière.

—Vraiment?ditSam,l’airamusé.Quelleestdoncvotreconceptiondelavie,jeunedemoiselle?

Ellen’hésitapasuneseconde.

—Sortir,s’amuser,dansertoutelanuit,tournerdesfilms…

échapperaujougconjugal.

—Vasteprogramme!souritlemaîtredemaison.J’espèrequevosvœuxseréaliseront,monpetit,maispastous.Ceseraitvraimentdommagequevousrestiezvieillefille.

Àpeinelederniermotprononcé,sonsourires’effaçaetsonregardcherchaceluid’Edwinad’unairdésolé.Elleémitunrirefrais.

—Nevousenfaitespas,Sam.Jesuisvieillefilleetfièredel’être.

Ilcontinuadelafixersanssourire.

—Nesoyezpasridicule,grommela-t-il.Sivosparentsétaientencoredecemonde,ilyalongtempsquevousauriezfondéunefamille.

Elle se contentade secouer la tête.Pas forcément.Ledestinvous joueparfoisdedrôlesde tours.Évidemment,siCharlesavaitvécu…

bienque,maintenant,illuifûtimpossibled’imagineruneviedifférente.

—Onnepeutpaschangerl’ordredeschoses,dit-ellepaisiblement.

Helenchangeasubtilementdesujetdeconversation.Plustard,endégustantundigestifausalon,elletaquinagentimentsonpèreenaparté.Sams’assombrit.

—Jesuisunincorrigiblegaffeur.

Ilneputs’empêcherdes’interrogersurlemystérieuxfiancéquiavaitpéridesannéesauparavantàbordduTitanic.CeCharlesdontEdwinavénéraitlamémoire.

—Ilsefaittard,déclaracelle-ci.Ilesttempsderamenerlesenfantsàlamaison.

Ellelesappelaittoujoursainsi,augranddésespoird’Alexia.

—JevousinvitepourundernierverreauCocoanutGrove,avecGeorgesetHelen,proposaSam.

—Pourquoipas?

Danslalimousinequilesreconduisaitàlamaison,Alexiasemitàbouder.Pourquoin’était-ellepasinvitée,elleaussi?Pourquoilatraitait-oncommeunegamine?Edwinarestademarbre.

—Tuesencoretropjeune,chérie.Tuastoutelaviedevanttoipourt’amuser.

Lerestedutrajetsedérouladansunsilencepesant.

Edwinaconfia«lesenfants»aumajordomedeGeorges,puisressortitets’avançaverslaRolls.Sam

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l’accueillit sur labanquette arrière, lui tenditunecoupedeChampagne frappéqu’il avaitmis au fraisdanslebardelavoiture.

—Mmm,cettehabitudede trinquerà toutboutdechamppourrait s’avérernéfaste, remarqua-t-elle,amuséeparlesextravaganceshollywoodiennes.

Ilfitsigneauchauffeurdedémarrer.

—Jenecroispasquevoussoyezprêteàvousplierauxhabitudes,machère.Vousêtesbeaucoupplusfortequecela.

Leursregardsserencontrèrent.Ilavaitdesirisbleuclairquiscintillaientdanslasemi-obscurité.

—C’estpeut-êtrevrai,admit-elle.

—Paspeut-être.Sûrement.Sinonvousn’auriezpassacrifiévotreviepourélevercinqmarmots.

Illevasacoupeenuntoastsilencieux.Edwinal’imita.

—Ànosdeuxfiancés,dit-elle.

Samsourit.GeorgesetHelen lessuivaientdans lavoituredu jeunehomme,maispour lapremièrefoissafillechérien’étaitpasl’uniqueobjetdesespensées.

IlsdansèrentpendantdesheuresauCocoanutGrove,commequatrevieuxcopains.Samracontadeshistoires drôles et Georges renchérit. Ensuite, Helen dansa le tango avec son père et Georges avecEdwina.Enfin,SametEdwinaserejoignirent.Lorsqu’ill’enlaça,ellefutenvahied’unétrangebien-être.Leurspass’accordèrentaussitôt,commes’ilsavaientdanséensembledepuistoujours.DanslesbrasdeSam,ellesesentitaussilégèrequ’uneplume.

Ilsretournèrentàleurtable,alorsquelesfiancésrestaientsurlapiste,seulsaumonde.Samsemitàparlerdupassé.Luiaussiavaittraversédepéniblesépreuves.

—Cen’étaitpasfacile,murmura-t-ilenguisedeconclusion.Helenm’asouventreprochéd’êtretropsévère.Onnesaitpastoujourscommentsecomportervis-à-visd’unenfant.

—Ellevousadore.

Helen etGeorges dansaient toujours. Ils semblaient être faits l’un pour l’autre. Leur bonheur, tropvisible,emplissaitEdwinad’unevivejoieàlaquellevenaitsemêlerunesingulièremélancolie.Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,lepâlefantômedeCharlesjaillitdansuncoindesamémoire.Elleavaitretirésabaguedefiançaillesquelquesannéesplustôt.Souvent,enfuretantdanssoncoffretàbijoux,sondoigtfrôlaitpensivementlediamantmagnifiquementsertiet,alors,sesyeuxs’embuaient.

Sam la pria de lui accorder un dernier tango.Elle se leva, ravie d’échapper à ses réminiscences.Tandisqu’elleselaissaitgriserparlamusique,sonregardseposasurGeorgesetHelen.Ilsformaientunbeaucouple.Georgesétaitunmerveilleuxdanseur,pensa-t-elleavec fierté…Puiselle seditqueSamn’avaitrienàluienvier.

Il était trois heures dumatin, lorsqu’ils décidèrent de rentrer. Sur le perron de la villa, Georgesembrassasafiancée.AvantderejoindresafilledanslaRolls,Samsepenchasurlamainfined’Edwina.

—Ilseredressa.

—Nousdevrionsallerdanserplussouvent,répondit-il,etl’espaced’uneseconde,Edwinaéprouvauneétrangesensationderegret.

Le tournage commença le lendemainmatin.Alexia s’avança dans le champ des caméras, la gorge

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nouéeparletrac.Contretouteattente,ellenefitaucuncaprice,sepliadebonnegrâceauxexigencesduréalisateur,recommençalaprisedevueplusieursfois,sansmotdire.

Etlesjourssuivants,ellesemontrad’unedocilitéexemplaire.Auboutd’unmoment,Edwinasesentitinutile.Sasœurs’acquittaitadmirablementdesonrôleettoutelatroupe,delastaraudernierfigurant,l’adorait.Oneûtditque,enfin,Alexias’étaitadaptéeaumondeenvironnant.Unmondetronqué,biensûr.Un monde plein d’artifices et d’illusions, le seul qui fût à sa mesure. On la cajolait, on lui parlaitgentiment, on la portait aux nues, comme une petite fille gâtée. Naturellement, elle ne demandait pasmieux.

—C’estunmiracle,ditEdwinaunsoir.Elleestcomplètementtransformée.

Ils étaient à leur table habituelle, auCocoanutGrove. L’orchestre jouait desmélodies à lamode.Parmilesdanseurs,RudolphValentinoenlaçaitConstanceTalmadge.Edwinalesavaitsuivisduregardpendant un petit moment. C’était une agréable soirée, bien que Sam ne fût pas là… Il lui manquait,constata-t-elleavecstupéfaction.

GeorgesemplitdeChampagnelescoupesdesasœuretdesafutureépouse.

—Oui,Alexiaestdouée,convint-il.Onmurmuredanslescoulissesqu’ellevacreverl’écran.Enfait,elleadépassétoutesmesespérances…etc’estprécisémentcequim’inquiète.

—Pourquelleraison?demandaEdwina.

—Les producteurs à l’affût de nouveaux talents ne tarderont pas à lui proposer d’autres contrats,comprends-tu?

Ellecomprenaitparfaitement.Elleavaitdéjàétudiélaquestionsoustoutessesformes,maisaucunesolutionnes’étaitprésentéeàsonesprit.

Georges avait sa propre vie à présent et malgré ce qu’Alexia pensait, elle était trop jeune pours’établirseuleàLosAngeles.

—Je ne peux pas rester à Hollywood, Georges. Fannie et Teddy ont besoin de moi. Je dois lesraccompagneràSanFrancisco.Bah,net’enfaispastrop.Jefiniraiparrésoudreceproblème.

Le tournage se termina fin août et Edwina en profita pour ramener tout son petit monde à SanFrancisco.FannieetTeddyretournèrentàl’école.LagrandemaisondesWinfieldsemblaitbienterneencomparaison des fêtes étincelantes d’Hollywood. Parfois, alors qu’elle se prélassait dans le jardin,Edwinaseprenaitàregretterlessoiréesmondainesdelacapitaleducinéma.Alors,ellesedisait,

«GeorgesetHelendoiventdîneràtelendroit»ou«ilssontpeut-êtreentraindedanser».

Desoncôté,Alexian’avaitdecessederetourneràHollywood.

Heureusement, ils devaient s’y rendre à la fin dumois, pour assister au fameuxmariage. Edwinaespéraitetredoutaitàlafoiscemoment.

Alexiavoudraitresteretleproblèmesereposerait.

«Seigneur,quelcasse-tête!»Ellen’avait toujourspastrouvédesolutionlorsqu’ellereprit le trainpourLosAngeles.

GeorgeslesattendaitàlagarepourlesconduireauBeverlyHillsHotel.Sitôtlaportedubungalowrefermée,ilselaissatombersurlecanapé,avecunlourdsoupir.

—Toutescessorties…gémit-il.HiersoirnousavonsdînéauAlexandriaHotel,avanthieràPickfair.

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—Helennesaitplusoùdonnerdela têteaveclespréparatifsdelaréception.C’estépuisantdesemarier.

—Pauvrechéri,railla-t-elle.Commentseportetafutureépouse?

—Commeuncharme.Cettefragilecréaturecacheuneforceinsoupçonnée.Etquellemémoire!Ellesesouvientabsolumentdetout.Aucundétailneluiéchappe.Quidoitvenir,oùildoitêtreplacé,elleatoutprévu.Jen’auraiqu’àm’habiller,àvérifierquejen’aipasoubliélabague,etàréglerlesbilletsdenotrevoyagedenoces.Sanselle,jenem’enseraisjamaissorti.

Edwinasourit.Unmoisplustôt,Helenluiavaitdemandéd’êtresapremièredemoiselled’honneur.Elleavaitététouchéeparcettedélicateattention.

Le mariage aurait lieu dans la somptueuse résidence des Horowitz, sous le belvédère au dômerecouvertderosesetdegardénias.Les innombrables invités—parmi lesquels figuraient lesnoms lesplus glorieux du cinéma — se presseraient ensuite autour d’un pantagruélique buffet. Deux daisgigantesquesdressésdansleparcabriteraientlesdeuxorchestresquiégaieraientlasoirée.

Georgesseredressa.

—Cesoir,j’enterremaviedegarçon.

Denouveauseule,Edwinasongeaaucadeaudemariagequ’elleavaitapportéàHelen.Fanniepassalatêteparlaporteentrebâilléedesachambre.

—Weenie,onvafaireuntouravecTeddyetAlexia.

—Soyezprudents,répondit-ellemachinalement.

C’était ici-mêmequ’Alexiaavait rencontréMalcolmStone.Mais,d’aprèsGeorges, celui-ci s’étaitvolatilisé,etAlexiaavaitchangé.

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Chapitre30

Dèsonzeheuresetdemiedumatin,toutétaitprêtpourcélébrerlemariage.Lesdeuxtentesavaientétéérigées de part et d’autre du parc, les orchestres y avaient pris place. Bientôt, une foule distinguéecommença à s’écouler de l’une à l’autre, attirée par les suaves mélodies de Paul Whiteman et saformationauxquellesrépondaitlesoncuivrédujazz-banddeKingOliver.

À midi sonnant, un somptueux lunch fut servi par une armada de domestiques en livrée dansl’immense salle à manger. Fidèle aux traditions, la jeune mariée resta invisible. Sam Horowitz, encostume de ville, saluait les invités. Lorsqu’il aperçut Edwina, il l’accueillit d’un large sourire. Elles’approcha, rayonnante dans sa robe fluide de soie blanche rehaussée d’un long collier de perles auxrefletsirisésquiavaitappartenuàsamère.

—C’estungrandjourpourlesWinfield,murmura-t-elle.

—PourlesHorowitzaussi,répondit-il.

Elleopinadelatête.Ellesavaitparfaitementcequ’ildevaitressentiràlaveilledeseséparerdesafilleunique.Uncurieuxmélangede joieetdedéchirement.Edwinaavait lamêmesensation,bienqueGeorgeseûtquittélamaisonfamilialequatreansplustôt.

Ellesourit.

—Àtoutàl’heure,Sam.Jevaisdirebonjouràvotrefille.

AlexiaetFannies’étaientretiréesdanslesappartementsréservésauxdemoisellesd’honneur.Teddyavaitrejointl’escortedujeunemarié…Edwinapritladirectiondelachambred’Helen.

Celle-ci,assiseàsatabledetoilette,affichaituncalmeolympien.

Elleétaitencoreenjuponmaissescheveuxétaientcoiffés,sesonglesfaits.Ellen’auraitplusqu’àpasser ses escarpins de satin et la somptueuse robe de mariée étalée en corolle sur le lit. Edwinal’embrassa sur la joue, laissa errer son regard sur lesvolants endentelledeChantilly, lesminusculesboutons de nacre, le tulle brodé de la traîne…Le voile, fraîchement lavé et repassé, trônait dans ledressing-roomadjacentdontilemplissaitpresquetoutl’espace.Asavue,deslarmesperlèrententrelescils d’Edwina.C’était là, tel un nuage, aussimagique qu’il l’avait été onze ans plus tôt quand, jeunefiancée,EdwinaavaitrêvédeleporterpourCharles.Ellel’avaitoffertàHelen…Unpasfurtiflafitseretourner.La jeunemariée se tenait sur le seuilde lapièce, lesyeuxhumides.Samain s’avançapourtouchergentimentl’épauled’Edwina.Lesdeuxfemmeséchangèrentunlongregardfraternel.Unsourirefrôla les lèvresd’Edwina.Après toutescesannées,Charlesétait toujoursprésentdanssonesprit.Ellefermalespaupièreset,aussitôt,sonchervisageluiapparut,aussiradieuxqu’aupremierjour.Ellerouvritlesyeux,surpriseparlaclartédusouvenir.

—Mercid’avoiracceptéceprésent,Helen.

—Mercidemel’avoirdonné…J’auraistantvouluquetuleportes,toiaussi.

—Je l’ai porté dansmon cœur, dit Edwina en souriant à sa nouvelle sœur. Et je ne regrette pasd’avoiraimécethommemerveilleux…

Savoixsefêlalégèrement.C’étaitlapremièrefoisqu’ellementionnaitCharlesdepuislongtemps.

—Et Georges est un être merveilleux également, réussit-elle à ajouter. Je vous souhaite tout le

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bonheurdumonde,machérie.

Lesdeuxfemmess’enlacèrent,puisHelenramenasapremièredemoiselled’honneurverslachambre.Lacérémonieavaitétéfixéeàcinqheuresdel’après-midi.Uneheureavant,Edwinaaidalajeunemariéeàenfilersarobe,puisfixalacouronnedefleursd’orangeretlevoilevaporeuxsursesbouclesblondessavammentordonnées.

Ainsiparée,Helenressemblaitàuneapparition.

Cefutuneprincessebellecommelejourquidescenditlesmarchesdel’escaliermonumentalmenantaurez-de-chausséeoùsonpèrel’attendaitpourlaconduireàsonfuturépoux.Lesdemoisellesd’honneursuivirentendéployantl’interminabletraînearachnéenne.

Samcontempla sa fille chérie avec une expression empreinte de tendresse. Son regard glissa versEdwinaquifermaitlecortège.Lajeunefemmeavaittroquésarobedesoieblanchepourunetenueplusofficielle. Un précieux ensemble incrusté de dentelle bleu lavande dont la jupe, assez courte sur ledevant, se rallongeait derrière avec une grâce infinie. Son chapeau-cloche—unmodèle dePoiret—enfoncéjusqu’auxyeuxluidonnaitunairàlafoistimideetcoquin.Sesmainsgantéestenaientunbouquetd’orchidéesblanches.

SamtenditlebrasàHelen.Elles’yappuya;aprèsquoipèreetfillesefrayèrentunpassageparmilesinvitésquisefendirentendeuxpourleslaisserpasser.Desmurmuresd’admirations’élevaientdanslafoule à la vue d’Helen et, à la démarche un peu rigide de Sam, on pouvait deviner son émotion. Lecortègede lamariée entra dans la piècequeSamavait fait aménager en salle de cérémonie.Georgesattendait au bout de la travée centrale, entouré de ses garçons d’honneur.Auxpremiers accents deLaMarchenuptiale,ilseretourna.Quandilaperçutsajeuneépouse,sonvisages’illumina.SiBertetKateavaientétéprésents,ilsauraientététellementheureuxetfiers…Edwinaretintseslarmes.

La suite se déroula commedans un rêve. Samprit lamain gantée de blanc de sa fille et, avec unsourire triste, la remitentre lesmainsdesonfuturmari.Cegestesolennelarrachadessoupirsémusàtouteslesfemmesdel’assistance.Suividesestémoins,lecoupleallaensuiteseplacersousledaisselonlatraditionimposéeparlareligiond’Helen.Deboutàcôtédelamariée,Edwinasentitunflotdelarmeslui piquer les yeux.Des larmes de joie qui, àmesure que son amour perdu lui revint enmémoire, seteintèrentd’amertume.

Georges fit glisser l’anneau en or le long du doigt fin deHelen, brisa sous son talon un verre decristal,puis,sousl’avalanchedesapplaudissements,lesjeunesmariéséchangèrentunbaiserardent…

Edwinaessuyasesyeux.

Etpeuaprès,danslejardin,Samsemitàraconterdeshistoiresdrôlesetleriretriomphadeslarmes.Lesinvitéss’étaientéparpilléssurlespelousesvertesetàtraversleparc.Lesdeuxorchestresjouaientàtoutrompre,leChampagnecoulaitàflots.EdwinadécouvritSamsousunjournouveau.

Chaleureux,pleind’énergie,dotéd’unhumourirrésistible.Hôteparfait, ilnenégligeaaucundesesinvitésmaischaquefoisqu’illeput,ilrevintverselle,luifaisantpartd’uneremarqueamusanteouluicontantuneanecdotedésopilante.ElleleprésentaàtouslesinvitésdeGeorges,desamisdeleursparentspourlaplupart,dontBenJonesvenuavecsonépousequiattendaitvisiblementunbébé.

Lesheures filaient, lesmusiciensenchaînaient les succèsde l’année, le soirenveloppad’ombre lejardinoùdesguirlandeslumineusess’allumèrent.Lesjeunesmariésdansaient…EdwinadansaletangoavecSam,lefox-trotavecGeorges,lecharlestonavecunevedettedecinéma,lavalseavecTeddy.Ellegoûtaauxmetsexquisprésentéspardesserveurssurdesplateauxd’argent,butduChampagne,bavarda

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avecuntasdegensfollementdrôlesqu’elleneconnaissaitpasetnereverraitsansdouteplusjamais.

Versminuit,lesjeunesmariéss’éclipsèrentdansleurrutilanteDuesenberg—uncadeaudeSam.IlscomptaientprendreletraindulendemainmatinpourNewYorketpousserjusqu’auCanada.Audébut,ilavaitétéquestiond’unelunedemielenEuropemaislaseuleidéedelatraverséeenbateauavaitrebutéGeorges.Helennevitaucuninconvénientàcequ’ilsrestentsurlecontinentaméricain.

ElleauraitétéheureuseavecGeorgesn’importeoù.

Lalimousinefranchitleportaildelapropriétésousleregardattendrid’Edwina.UnsoupirenflasapoitrineetellesedemandaoùétaientpasséesFannieetAlexia.Ellelesavaitperduesdevuedepuisunbonmoment… Ses sœurs devaient probablement s’amuser en compagnie de jeunes gens de leur âge,supposa-t-elleensetournantversSam.

—C’étaitunbeaumariage,murmura-t-elle.

—Oui.Votrefrèreestungarçonfortsympathique.

Souriante,elleluirenditlecompliment.

—Votrefilleestunêtredélicieux.

Ill’invitaàunedernièredanse,l’entraînantsurlapisteaumilieudescouplesenlacés.Unhommesedétachal’espaced’uneseconded’ungrouped’invités.Edwinafronçalessourcils.MalcolmStone!

Quelqu’un l’avait sûrement emmené à la fête… La musique s’éteignit et Edwina en profita pourrassemblersapetitefamille.

Bienplustard,àl’hôtel,alorsquelestroissœurssedéshabillaient,elleposaàAlexialaquestionquiluibrûlaitleslèvres.

—Stoneétaitàlaréception.L’as-tuvu?

Lajeunefilleneréponditpastoutdesuite.Aprèsunsilence,ellehochasimplementlatête.Oui,ellel’avaitvu.Elleavaitmêmedanséavecluimaisellesegardabiendel’avoueràEdwina.L’acteurétaitarrivéàuneheuretardiveet,quandlemajordomedesHorowitzluiavaitréclamésoncartond’invitation,ilavaitprétendul’avoirégaré.

—Oui,jel’aiaperçu,finit-elleparrépliquerd’unevoixindifférente,toutenôtantlerangdeperlesqu’elleavaitempruntéàEdwina.

Celle-cis’assitdevantlacoiffeuse,l’airinquiet.

—Ilt’aparlé?

—Pasvraiment.Ons’estjustesalués.

—Ehbien,ilnemanquepasdetoupet.

Alexianedit rien.Elleavaitmentieffrontémentsansuneombrederemords.Elleavait longuementbavardéavecMalcolm.

—Nousallonscertainement jouer ensembledans tonprochain film, avait-il affirmé. J’aipasséuneauditionpourlecasting.

N’ayant signé aucun contrat, Alexia l’avait regardé, étonnée. Il semblait si sincère, si sûr de lui-même…Lavoixd’Edwinalaramenaauprésent.

—J’aipasséuneexcellentesoirée,pasvous?

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Elleavaitdécidéd’oublierMalcolmStone.Aprèstout,c’étaitdel’histoireancienne.

—Cequ’elleétaitbelle,lajeunemariée…s’extasiaFannie,rêveuse.

Tous les avis concordèrent.Helen était positivement ravissante. EtGeorges superbe…Une demi-heureplustard,Edwinaéteignitsalampedechevet.Epuiséeparlesémotionsdelajournée,elleselaissaglisser dans un sommeil réparateur. Sa dernière pensée fut pour les jeunes mariés et elle se réjouitd’avoirdonnélevoileàHelen.

Dans lachambrevoisine,Alexiagardait lesyeuxgrandsouvertsdans l’obscurité.La jeunefillenesongeaitguèreaunouveaucouple.

EllerêvaitàMalcolm.Etàleurrendez-vousdulendemain.

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Chapitre31

Alexia et Malcolm se retrouvèrent à l’Ambassador Hotel comme convenu. Elle pénétra dans laluxueusesalleàmangeroùill’attendait,pritplaceàtableetcommençaàretirersesgantsavecdesgestessaccadésquitrahissaientsanervosité.Personnedesafamillenesavaitoùellesetrouvaitencemoment.EdwinaavaitdûfaireunecoursepourGeorgesetsonabsencefutuneaubainepourAlexia.Teddyétaitàla piscine.C’était facile d’abuser Fannie, installée dans le salon de leur suite, le nez dans un roman.Alexia avait déclaré qu’elle allait voir « une amie ». Une fois dans le lobby, elle avait demandé auportierdeluiappeleruntaxi.

—Masœurserafurieusesielleaventdecetterencontre,soupira-t-elle.

Ilembrassaduregardletailleurclairquimettaitenvaleurlesformessveltesdesoncorps,remontalentement vers le visage. « Adorable », ne pût-il s’empêcher de penser. Elle portait un coquet petitchapeaudontlavoilettejetaituneombreveloutéesursesyeuxsiclairs,presquetransparents,fixéssurluiavecuneconfianceabsolue.

—Il n’y a aucune raison qu’elle l’apprenne, sourit-il, en effleurant du bout des doigts le poignetd’Alexia.

Lapeaudelajeunefillesemitàpicoteràl’endroitoùill’avaittouchée.Laraisondecephénomèneluiéchappa.Malcolmétaitlà,bienplusséduisantquedanssonsouvenir…unrieninquiétantquandilsepenchaitversellemaissigentil.

—Aumoins,toncherfrèren’estpasenville,poursuivit-ildansunrire.Ildoitfilerleparfaitamourquelqueparten…oùsont-ilsallés,aufait?

—ÀNewYorketauCanada.

—Tiens,pasenEurope?Cegarçonmesurprendratoujours.(Etcommeellenedisaitrien):resteront-ilsabsentslongtemps?

—Sixsemaines.

Illuipritlamain,déposaunbaiserbrûlantaucreuxdesapaume.

—Pauvrechérie,queferas-tusanslui?Ilnesongequ’àsajoliepetitefemme,levilain!Monpauvreamour,tevoilàseuleaumonde…

Il avait eu d’autres occasions de constater son pouvoir de suggestion sur elle. Il avait omisvolontairementdementionnercecerbèred’Edwinaetçan’avaitpas raté.Le regard translucides’étaitembuésouslavoilette.

—N’aiecrainte,bébé.OncleMalcolmprendrasoindetoi.

Elleinclinalatête.Visiblement,elleavaitoubliél’incidentduRosaritaBeach.

—Oùenesttonprochainfilm?s’enquit-il,changeantbrusquementdesujetdeconversation.

—Georgesneveutpasquejesignequoiquecesoitavantsonretour.

—Alorstuseraslibrecommel’airpendantdeuxmois!s’écria-t-il,lamineréjouie.

—C’est-à-dire,pastoutàfait.JedoisretourneràSanFranciscoparcequemonfrèreetmasœursont

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encoreàl’école.

MalcolmStone lui sourit. Il se sentait de taille à abattre ce nouvel obstacle qui surgissait sur sonchemin.Riennepouvaitplus ledétournerdesonbut.Alexia leregardaitavecadoration.Elleavaituncôté femme-enfant qui le rendait fou de désir. Il allongea lamain, ses doigts froissèrent une boucletteblondemais,quandilsepenchadavantageafindecueillirunardentbaisersurseslèvres,elledétournalevisageetileutdroitàsajouesatinée.

—Jedoisyallermaintenant,souffla-t-elle,soudaineffrayée.

Iln’auraitpasdû labousculer. Il s’empressadecommanderun repas fin, abondamment arrosé.Letout,c’étaitd’entraînersajeuneproieàboire.Ellegoûtalepremierverredevinduboutdeslèvres.Lesecond,puisletroisièmevainquirentsesréticences.Verslafindel’après-midi,elleselaissaembrasserenpublicengloussant.Etpeuaprès,affaléedanslavoituredeMalcolmquilesmenaitchezlui,elleémitune cascade de rires insouciants. Un gendarme sur un trottoir, une dame promenant son chien, toutsuscitaitsonhilarité.Elles’amusaitfollement,pourunefois,etmêmel’idéequ’Edwinadevaitl’attendre—oùdéjà?—provoquadenouveauxéclatsderire.

Illafîtmonterdanssonappartement,débouchauneautrebouteilledevinqu’ilavaitmiseaufrais.Ilstrinquèrentàleuramouretàleurssuccès.Latêted’Alexialuitournait.Àtraverslesvapeursdel’alcool,elle sentit la pluiebrûlantede sesbaisers.Toute sapeau en fut inondée…Elle aurait vouluque cettesensations’arrête,orsesmembresn’obéissaientplusàsonesprit.Auboutd’unmoment,lasensationlasubmergeaetelleseditqueMalcolmétaitsonmari.

Elleétaitinconscientelorsque,uneheureplustard,illaremitdanslavoitureavantdejeterunevalisesurlabanquettearrière.

C’était la deuxième partie du plan. Un plan grandiose grâce auquel il allait résoudre tous sesproblèmes.Ilavaitlaissél’argentduloyerdansuneenveloppesurlatabledecuisineetavaitl’intentiond’abandonner la voiture près de la gare, avec un mot sur le pare-brise. De toute façon, il l’avaitempruntéeàunami.

Letrainattendaitlelongduquai.IlpoussaAlexiadansuncompartimentvide.Soudain,elleouvritlesyeux,jetaunregardbrumeuxalentour.

—Oùallons-nous?murmura-t-elle.

Ilseglissaàsoncôté,l’entourantdesesbras.

—ÀNewYork,voirGeorges.

—Oui?Etpourquoi?

—Détends-toi,mapetitechérie.Toutirabien.

Ill’embrassa.Alexiaétaitsonticketverslesuccès.Oui,iltenaitlàleplanparfait:compromettreunmaximumlajeunesœurdeGeorgesWinfield.

Bientôt,lejeuneetambitieuxproducteurn’auraitpluslecontrôledelasituation.AprèssonmariageaveclafilledeSamHorowitz,ilnepourraitsepermettred’affronterlescandale.

Letrains’ébranlaetsemitàrouleravecunhalètementrégulier.

MalcolmregardaAlexiaquironflaitlégèrementsurlabanquette.Iln’auraitpasputombermieux,sefélicita-t-il.C’étaitunetrèsjoliefille.

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Unevraiebeauté.

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Chapitre32

—Commentça,tunesaispasoùelleestallée?

IlyavaittrèsexactementcinqminutesquelerapidedeNewYorkavaitquittélagaredeLosAngeles.

Fanniefonditenlarmes.

—Jenesaispas,répéta-t-ellelamentablement.Elleasimplementdit«jevaisvoiruneamie»sanspréciserlaquelle.

—Etbiensûr,tun’aspasvucetteamie.

L’adolescentesecoualatête.

—Non…Alexias’estpomponnéependantdesheures,puiselleestpartie.

UnfrissonparcourutEdwina.«Stone!Celanepeutêtrequelui!»

Lapenséejaillitspontanémentdanssonespritetelleeuttoutàcouplacertitudequ’Alexialuiavaitmentilaveille…Ellenel’avaitcruequ’àmoitiémaisn’avaitpasvouluinsister.

Lajeunefemmeseprécipitadanslevestibuledel’hôtel.Leportierluiappritquesasœuravaitprisun taxi. Elle remonta dans la suite, désemparée. Lorsque, à vingt et une heures passées,Alexia ne semontra pas, elle décrocha le téléphone et pria l’opératrice de lui passer le numéro personnel de SamHorowitz.

—Sam,excusez-moidevousdérangeràcetteheure-ci.

Enquelquesphrases,elleluiexposaleproblème.IlfallaitcoûtequecoûtearracherAlexiaauxfiletsdeMalcolmStone,sitoutefoiselleétaitpartieleretrouver.

—Jem’encharge,répondit-ilavantderaccrocher.

LajeunefemmeenvoyaFannieetTeddyaulit,s’installadanslesalon.Samlarappeladeuxheuresplustard.

—J’ai obtenu l’adresse de cet individu par un de ses amis comédiens. Il crèche dans un quartierminable…Edwina,jevousinterdisdebouger.Jepeuxm’yrendretoutdesuite,sivousvoulez.

Ellerefusa.C’étaitàelledeprendreleschosesenmain.

Finalement,ilssemirentd’accordpouryallerensemble.Ilétaitminuitpasséquandilsarrivèrentàdestination. Leurs longs coups de sonnette demeurèrent sans réponse. De toute évidence, il n’y avaitpersonnedansl’appartementobscur.

«Lapolice!»songea-t-elle,affolée.Ettantpispourlescandale.

Samlaraccompagnaàl’hôtel.

—Edwina,désirez-vousquejeresteavecvous?

Non,ellepréféraitresterseule.Elleregrettaitàprésentd’avoirmêlélebeau-pèredeGeorgesdanscetteaffaire.Ilrepartitàcontrecœur.Lapenduleindiquaituneheuredumatinaumomentoùelleregagnalasuitesilencieuse,lecœurgonfléd’unvagueespoir…

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Hélas,Alexian’étaittoujourspasrentrée.

Elle passa une nuit blanche près du téléphonequi restamuet.Le lendemain, aux aurores, elle allasignalerladisparitiondesasœuràlapolice.Ellesavaitpeudechosesenvéritéetneputquerépéterlesinformationsqu’elletenaitdeFannie.Alexiaétaitpartie«voiruneamie»etn’étaitpasrevenue.Aufildesheures,sescraintessemuèrentenpanique.Elleretournaàl’hôtel,attenditencore.Uninspecteurfinitpar l’appeler. L’enquête n’avait encore rien donné. Le nomméMalcolm Stone demeurait introuvable.Aucunejeunefillecorrespondantàladescriptiond’Alexian’avaitétéaperçueaveclui.

EtaucuneMlleWinfieldn’avaitétéhospitaliséelesdernièresvingt-quatreheures…Edwinareposalecombinéavecunesensationdevide.Alexian’avaitpaspus’évanouirdanslesairs.Elledevaitbiensetrouverquelquepart…Maisavecqui?Elleeutbeauchercher,seullenomdeMalcolmStoneluivenaitàl’esprit. Peut-être se trompait-elle… Edwina avait du mal à croire qu’après les avertissements deGeorges, cevil séducteurait renouvelé ses tentatives…Lasonneriedu téléphone la fitbondir. Il étaitmidi.

—Vousaviezraison,ditlavoixdeSam.

Ilavaitmenédesoncôtéuneenquêteminutieuse.Stoneavaitréglésonloyeravantdedéguerpir.Parlepluspurdeshasards,ilavaitcroiséunevieilleconnaissancedel’acteurlematin-même,austudio.Lavoitureempruntéeavaitétéretrouvéeprèsdelagareavecunmotgriffonnéàlahâte.

—Ilyatoutlieudepenserquenotreamiaquittélaville…

Les doigts fins d’Edwina se crispèrent sur le récepteur. Avait-il osé entraîner Alexia dans sonsillage?

—Vouspourriezporterplaintecontreluipourkidnapping,suggéraSam.

EtsiAlexial’avaitsuividesonpropregré?Lapresseàsensationnemanqueraitpasdes’emparerdel’affaire,ruinantàjamaislaréputationdelajeunefille.EtGeorgesquin’étaitpaslà!

—Edwina, si je peuxme rendre utile à quelque chose, dites-lemoi, poursuivit-il, alarmé par sonsilence.

Non, non, elle trouverait bien une solution. Il s’agissait certainement d’un malentendu. Elle letiendraitaucourantdèsqu’elleauraiteudesnouvellesd’Alexia.Unnouveauprojetprenaitformedanssatête.Surtoutnepasébruitercettefâcheuseaventure.

Empêchercoûtequecoûtelescandaled’éclabousserGeorges,HelenetSam.

IldevaitbienexisterunmoyendemettrelamainsurMalcolmStone.DerécupérerAlexia…Lajeunefemme mit fin à la communication, l’esprit enfiévré. Soudain, une lueur d’espoir tremblota dans lesténèbres.ElleconnaissaitbienAlexia.Celle-cinetarderaitpasàlacontacter.LadécisionderetourneràSanFranciscol’emportasursondésarroi.Elleattendraitquesasœursemanifestelà-bas,dansledécorfamilierdelamaison.

Edwina rappela brièvement Sam pour lui dire au revoir, demanda aux deux petits de se préparer,bouclasesbagages.Lelendemainàlapremièreheure,ilsétaientdansletrain.

Lelongtrajetsedérouladansunsilencelourd.Lespenséesd’EdwinavoguaientinlassablementversAlexia.Etpluselles’efforçaitd’imaginersesfaitsetgestes,plusunemortelleangoissel’étreignait.

Teddys’étaitassoupi.Fannieversaitdeslarmesmuettesdanssoncoin.

—J’auraisdûmedouterdequelquechose,renifla-t-elle.J’auraisdûluiposerdesquestions…Tout

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estdemafaute.

Edwinalaserradanssesbras.

—Non,machérie,tun’yespourrienaucontraire.

Fanniefixasursonaînéesesgrandsyeuxembués.

—Etsiellenerevientplus?Plusjamais?

Unpâlesourirefrôla les lèvresd’Edwina.Pourrevenir,elle reviendrait, iln’yavaitpasdedoute.Maisquand,comment,dansquelétat,Dieuseullesavait.Curieusement,savoirAlexiaencompagniedeMalcolmStone, si infâme fût-il, la rassurait. La vérité est toujours plus supportable que l’incertitude.Lorsque la longue file des wagons pénétra dans la gare de San Francisco, un soupir de soulagementanticipésoulevalapoitrined’Edwina.

Troisjourspassèrentdansl’attente.TroisjoursinterminablespendantlesquelsEdwinacrutdevenirfolled’inquiétude.Enfin,lecoupdefiltantattenduarrivaunsoirversvingt-deuxheures.

—Bonsang,Alexia!Terends-tuseulementcomptedecequetunousasfaitsubir?Oùes-tu?

—Écoute,Weenie…

La voix d’Alexia se brisa. Elle n’aurait pas eu le courage d’appeler siMalcolm n’avait pas tantinsisté.Ladernièresemaines’étaitécouléetelunmauvaisrêvedontonn’arrivepasàseréveiller.

Dans le train, elle avait étémalade comme un chien et aumatin,Malcolm lui avait dit, en riant,qu’elle avait ronflé durant leur nuit de noces. À ses dires, ils s’étaient mariés à Los Angeles, alorsqu’Alexiaétaitdansunétatd’ébriétéavancé.Pourleluiprouver,illuifitl’amour.Cefutuneexpériencepéniblequineprocuraaucunplaisiràlajeunefille.Maintenant,elleregrettaitamèrementd’avoirépouséMalcolm…Elleavaitétémanipulée,elleenavaitconsciencemaiselleauraitpréférémourirplutôtqued’avouersahonteàEdwina.

—Je vais bien! réussit-elle enfin à affirmer d’un ton qui sembla peu convaincant aux oreillesattentivesdesacorrespondante.JesuisavecMalcolm.

—Jem’endoutais…Pourquoias-tufaitça,Alexia?Pourquoim’as-tumenti?

—Maisjenet’aipasmenti.Ilm’aàpeineadressélaparolecesoir-là.J’aijustedanséunefoisavecluietj’aiacceptédelerevoirlelendemainpourdéjeuner.

Ce fut certainement le plus long déjeuner de sa vie, songea Edwina, horrifiée. Elle ne se faisaitaucuneillusionsurcequiavaitdûsepasserparlasuiteentresajeunesœuretcettecrapuledénuéedescrupules.

—Alexiaoùes-tu?

—ÀNewYork.

Elledécelaunenotedenervositédanslavoixdesoninterlocutrice,futtentéeuninstantdecontacterGeorges,seravisal’instantsuivant.

Celui-ciétaitenpleinelunedemielquelquepartauCanada.Aquoicelaservirait-ildeledéranger?Brusquement,uneautreidéesurvint.Georgesn’avaitguèrebesoindesavoir.EncoremoinsSam.

L’affairedevaitêtrerégléedanslaplusstricteintimité.C’étaitimpératif,sielletenaitàpréserverlaréputationdesasœur.

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—ÀNewYork?insista-t-elle.Àquelendroitexactement?

—Àl’IllinoisHotel…

Alexia cita une rue dans le fin fond de West Side. Ce n’était pas le Plaza, ni le Ritz-Carlton,évidemment,etcelacollaitparfaitementaupersonnagedeMalcolmStone.

—Et,Weenie…

—Alexias’interrompituneseconde,hésitante,aprèsquoielleselança:—ons’estmariés.

Lesolsedérobasouslespiedsd’Edwina.

—Quoi?Vousvousêtes…

—Mariés,oui.Avantdeprendreletrain.

Elleomitdesignalerqu’ellenegardaitaucunsouvenirdelacérémonie.

—Quandreviendrez-vous?

«Elleestmineure!pensa-t-elleenmêmetemps.Ilneserapasdifficileàunbonavocatd’obteniruneannulationenbonneetdueforme.»Ilyeutunsilenceàl’autreboutdelaligne.

—Jen’ensaisrien,réponditenfinAlexiadansunpetitsoufflebizarre,commesielledéployaitdeseffortssurhumainspourréprimerseslarmes.MalcolmvoudraittentersachanceàBroadway.

Yeuxfermés,Edwinaselivraàunrapidecalculmental.

—Alexia,écoute-moi.Resteoùtues,d’accord?Jeviendraitechercher.

Nouveausilence.Enfin,ellelasentitlâcherprise.

—Est-ceque…tuvasledireàGeorges?

—Non! répliqua-t-elleénergiquement. Jenesouffleraimotàpersonne.Et toinonplusd’ailleurs…Moins il y aura de gens au courant,mieux ce sera.Alexia, écoute-moi.Ne bouge pas. Je viendrai techercher.Jeteramèneraiàlamaison,nousferonsannulercemariageabsurde.Celaresteraentrenous.Est-ceclair?

LesmotsdeGeorgesluirevinrentenmémoire.«Pourvuqu’onneseretrouvepasavecunbébésurlesbras»,pensa-t-elle.

Àpeineavait-elleraccrochéque,déjà,Alexiaregrettaitsonappel.

Etuneheureplustard,ellechangeacomplètementd’avis.

Malcolms’étaitmontrégentil,ilsavaientfaitl’amour,etcettefois-cielleenavaitéprouvéduplaisir.Touteréflexionfaite,ellenevoulaitplusrentrerenCalifornie.EllepréféraitresteràNewYorkaveclui.

Ilsétaientdescendusdansunhôtelmiteuxqui,audébut,avaitrebutéAlexia.Lespremiersjours,ellen’avaitcessédepleurer.

Malcolml’avaitattiréedansunguet-apensetelleluienvoulait.Àprésent,allongéeàsoncôté,ellesedécouvritamoureuse.Aprèstout,c’étaitl’hommedesavie.Parfois,quandilavaittropbu,ildevenaitbrutal. Ses mains laissaient alors des empreintes rouges sur la peau délicate d’Alexia.Mais lorsquel’emprisedel’alcoolsedissipait,ilredevenaittendre.Illatraitaitavecdouceur,l’appelait«sonbébé».Lapremièrefoisqu’ill’avaitprésentéeàquelqu’uncommesafemme,uneétrangefiertél’avaitenvahie.Elles’étaitsentieadulte.

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Lelendemainmatin,l’appréhensiond’Alexiasemuaenconviction.

ElleavaiteutortdedonnersonadresseàEdwina.Elleseprécipitasurletéléphonepourluisignifierqu’ilétaitinutiledesedéplacer.

Malheureusement,c’était trop tard.Fannie luiannonçaque leur sœuraînéeétaitdéjàen routeversNewYork.

—Oh,Lexia,pourquoias-tufaitunechosepareille?

LesdoigtsdeMalcolmsursacuissefirentfrissonnerAlexia.

—Nousallonsjouerensembledansdesfilms,rétorqua-t-elleétourdiment,commesicelaexpliquaittout.Etpuis,jevoulaisdevenirsafemme.

—Comment?s’étranglaFannieàl’autreboutdelaligne.Tuesmariée?

Edwinane luiavait riendit.Alexiaserappelasoudainqu’elleétaitsupposéegarder lesilencesurcettehistoire.

—Enquelquesorte,répondit-elle,confuse.

Plustard,elleconfiasescraintesàMalcolm.Edwinan’hésiteraitpasàfaireannulerleurmariage.Illafitbasculersurlelitetsemitàdéboutonnerlecorsagebonmarchéqu’illuiavaitachetélorsdeleurescaleàChicago.

—Net’enfaispasbébé,susurra-t-il.J’aiunesurprisepourtoi.

L’idée avait surgi tout naturellement, dès qu’il eut compris queBroadway ne lui ouvrirait pas sesportes…Uneétreintepassionnée,plusardentequelesprécédentes,lesunit,puisMalcolmserhabillaetquittalapetitepiècesombre.Ilrevintlongtempsaprèsentitubantetenbrandissantdeuxbilletsdebateau.

—Toutvas’arranger,bébé.Demain,nouspartonspourLondres.

Seuls lesBritanniques, rompus à une longue tradition théâtrale, étaient enmesure d’apprécier sontalent, décréta-t-il. Une fois célèbre en Angleterre, il retournerait, victorieux, en Californie… Et lagrandesœurd’Alexiaferaitchoublanc,ajouta-t-ilmentalementavecunsouriresournois.Avecunpeudechance,Alexiaseraitenceintetrèsvite.Àdéfaut,lescandalesuffiraitàrabattrelecaquetauxWinfieldquil’exhorteraientàlaréparation.Etalors,lui,MalcolmStone,mèneraitenfingrandtrainauxcrochetsdeGeorgesWinfield.

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Chapitre33

AvantdequitterlaCalifornie,EdwinaavaittenuàrassurerSam.

Tout allait bien, affirma-t-elle au téléphone. Comme elle l’avait supposé, il s’agissait d’unmalentendu.Àlasuited’unepetitedispute,Alexia,vexée,avaitprisseuleletrainpourSanFrancisco.Ilsl’avaientretrouvéeàlamaison.

—EtMalcolmStone?demanda-t-il,suspicieux.

Ilnel’avaitcruequ’àmoitié.

—Oh,ellenel’apasvu,répliqua-t-elleavecuneconvictionremarquablementsimulée.Mercipourvotreaide,Sam.

Iln’yavaitpasuneminuteàperdre.Edwinaconfialesenfantsàlanouvellegouvernante,lesfitjurerdegarderlesecretenleurpromettantderevenirleplusvitepossible.

—Quoiqu’ilarrive,pasunmotàGeorgess’ilappelle.

Elle monta dans l’express de New York, le cœur empli d’appréhension. Les douloureusesréminiscencessisoigneusementenfouiesdanssonsubconscientnetardèrentpasàfairesurface.Et,tandisqueletrainfonçaitdanslanuit,lesouvenird’unautrevoyagejaillitdanssamémoire.

Desfragmentsd’imagesoubliéesluirevinrentenmémoireetelleserevitonzeansplustôt,dansuncompartiment semblable à celui-ci, avec ses parents, Charles et ses jeunes frères et sœurs. Ils serendaientalorsàNewYork,afind’embarquersurleMauritaniapourallerenAngleterre,sanssedouterdelatragédiequilesattendait.

Ellearrivaàdestination,épuisée,serenditdirectementdelagareàl’IllinoisHotel.Ellepénétradansl’établissement délabré, cherchant du regard une Alexia repentie, prête à brandir contre Malcolm lespectredelaloi…UnemployéàmoitiéivreluiappritqueM.etMmeStonenefiguraientplusparmilespensionnairesdel’hôtel.Ilsavaientlaisséunelettre.

Lesdoigtsnerveuxd’Edwinadécachetèrentl’enveloppe,sesyeuxincrédulesdéchiffrèrentrapidementl’écritureenfantinedesasœur.

«NouspartonspourLondres.Malcolmvoudraitpasserdesauditionslà-bas.»Touteépousesedevaitdesuivresonmari,terminaitsacorrespondante…Elledevaitêtreéperdumentéprisepourpasseroutresaphobiedesbateaux.EtquantàStone,ilnesavaitcertainementpasoùilmettaitlespieds,carAlexianementionnaitjamaisleTitanic.

Dansle taxiqui laconduisaitauRitz-Carlton,Edwinafonditenlarmes.Plustard,danslachambrespacieuse,hantéepar le souvenirdesonprécédent séjour,elle s’efforçademettrede l’ordredanssesidées.Siseulementquelqu’unpouvaitluivenirenaide.Maisqui?SesparentsetPhilipétaientmorts…Georgesvenaitdesemarier…elleconnaissaitàpeineSam.EtBen?Samains’avançaversletéléphonepourretomberlourdement.Ellen’avaitnulleenvied’avouersonéchec…Non!Unedécisions’imposaitetelledevaitlaprendreseule.

Commeellel’avaittoujoursfait.

La nuit s’écoula dans la réflexion. Allongée sur le grand lit, les yeux brûlants, Edwina passa etrepassadanssonespritlefilmdesderniersévénements.«C’estfini.Jenepourraijamaismonteràbord

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d’un bateau. Après tout Alexia a peut-être fait son choix », songea-t-elle, au comble du désespoir.L’instantsuivant,elleseravisa.Allait-ellelaissersasœurdedix-septansgâcherdéfinitivementsaviesans bouger le petit doigt? C’était impensable. Inacceptable. Le coup de fil d’Alexia ne pouvait êtrequ’unappelausecours.Ilétaitdesondevoird’yrépondre.

Lematin la trouva exténuée. Elle avait pris connaissance, la veille, de la liste des paquebots enpartancepourl’Europe.Pendantunmoment,ellecruttenirlasolution.EnvoyeruncâbleaunomdeMmeStonesurchaquebateau,puis,denouveau,ellechangead’avis.Untélégrammen’avaitjamaisramenéàlaraisonunefemmeamoureuse…Non.Ilfallaitagir.Agirvite…

Ellecrutalorsvoir levisagedesamèreà travers levoiledeses larmesetsutcequi lui restaitàfaire.

L’après-midimême,elleréservaunecabinesur leParis.Alexiaavaitembarquétrois joursplustôtsurleBremen…

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Chapitre34

Alexia paraissait très pâle et étonnamment calme.Malcolm s’efforça vainement de lui remonter lemoral.Bientôt, renonçant à lui décrire les fastes de la capitale britannique, il supposa qu’elle n’avaitjamaisprislebateau.IlcommandaduChampagne,lacouvritdebaisers.

—Unjour,nousvoyageronsenclassedeluxe,bébé,penses-y!

Elle n’eut pas un sourire. Et lorsque le Bremen leva l’ancre, elle se mit à trembler de tous sesmembres.

—Tun’aspaslemaldemeraumoins…

Pasderéponse.Malcolmhaussalesépaules.Ilvenaitdedépensersesdernierssouspourpayerunecabinedesecondeclassesurcetépouvantablerafiot.Bah,ilavaitconnupire.Cen’étaitpassimalqueça, après tout. Les passagers allemands n’hésitaient pas à forcer sur la bouteille, affectionnaient lesplaisanteriesgrasseset,sisachancetournait,ilpourraitserefaireaupokertoutensepavanantaubrasdesajolie«petitefemmechérie».Or,tandisquelevieuxpaquebotseglissaithorsduport,Alexiaselaissatombersurlacouchette,lesyeuxfixes.Etlesoir,sonétatempira.Ilsepenchasurellemaisellen’eutpasl’airdes’enapercevoir.Ellehaletait.Effrayé,Malcolmsonnalesteward.

—Meinherr?fitcelui-cienpassantlatêteparlaporteentrebâillée.

Ilavaitdéjàremarquélaravissanteépousedel’Américain.Dureste,ilsformaientunbeaucouple,àceciprèsqu’ilauraitpuêtresonpère.

—Mafemme…Elleestmalade.Appeleztoutdesuitelemédecindubord.

Lestewardsourit.

—Certainement,Monsieur…Sivouspermettez,àmonavis,Madamealemaldemer.Unetassedebouillonetquelquesbiscuitsluiferaientleplusgrandbien.

Un gémissement l’interrompit. Une sorte de grognement d’animal à l’agonie. Les deux hommes seretournèrent.Alexiaétaitinertesurlelit,pluspâlequ’unestatuedecire.

—Elles’estévanouie.Lemédecin!Vite!

Lestewarddisparut…Stones’assitsurlereborddulit,mortdepeur.S’ilarrivaitquelquechoseàAlexia,ilpouvaitdireadieuauxvillas,auxrutilantesvoituresetàtoutcedontilavaittantrêvé.

GeorgesWinfieldl’étrangleraitdesespropresmains.

Lemédecinquiarrivapeuaprèsvoulutsavoirsi lapatienteneprésentaitpasdessignesde faussecouche.Malcolmleregarda,déconcerté.Commentlesaurait-il?Iln’yavaitmêmepaspensé…

Non,celanesepouvait.

Elleétaitencoreviergequandilss’étaientenfuis.Ilréponditqu’iln’ensavaitrien,aprèsquoiilfutpriéd’attendredanslecorridor.

Illuisemblaquedesheuress’étaientécouléesavantquelepraticienréapparaisse.

—Commentva-t-elle?

—Elledort.Jeluiaiadministréunepiqûrecalmante…

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Illuifitsignedelesuivredansunepetitesalledereposoùils’assitlourdement,enlefixantd’unairmécontent,presquefurieux.

—Étiez-vousobligésdevousrendreenEurope,monsieurStone?

Malcolmleregardasanscomprendre.

—Ehbien…oui…jesuiscomédien.Jedoisjouerdansunthéâtrelondonien…unrôleimportantdurépertoireclassique.

C’était unmensonge, évidemment,mais sa vie entière était un tissu demensonges. Sous le regardscrutateurdesoninterlocuteur,ils’empressad’allumerunecigarette.

—Votrefemmenevousariendit,n’est-cepas?Est-ceque…

Ledocteurallemands’interrompit.«Sont-ilsvraimentmariés?»

sedemanda-t-ilsoudain.Elleétaitsijeuneetportaitdeschaussureshorsdeprix.

—Pardon?fitMalcolm,étonné.Qu’est-cequ’elleauraitdûmedire?

—EllenevousapasparlédesonprécédentséjourenEurope?

Levisagepathétiquedelajeunefemmeluirevintenmémoire.Ensanglotant,elles’étaitaccrochéeàlui.

—Jenepeuxpasrestersurcebateau,s’était-elleécriée,affolée.Ilvacouler.

Il l’avait rassurée de sonmieux et avait pris la décision de lamettre sous sédatifs durant toute latraversée.Etsil’Américainluidonnaitsonaccord,ilavaitl’intentiondelafairetransféreràl’infirmerie.

—Jenecomprendspas,ditMalcolm,l’airagacé.Dequois’agit-il?

—Vousnesaviezpasqu’elleavoyagésurleTitanic?

Lecomédien restabouchebée.« Iln’apas l’airde savoirgrand-chose sur saprétendue femme»,pensalepraticien.

—Vraiment?fitMalcolmd’unevoixcirconspecte.Elledevaitêtretoutepetite,alors…

—Elleavaitsixans.Sesparentsetlefiancédesasœurontpéridanslenaufrage.

Stone hocha la tête. Cela expliquait pourquoi seuls Georges et la vigilante Edwina veillaient surAlexia.

L’idéedeluidemandercequ’ilétaitadvenudeleursparentsnel’avaitjamaiseffleuré.Parailleurs,Alexianesemblaitpasenclineauxconfidencesetcelaluiconvenaitparfaitement.

—Elleaétéséparéedesafamillependantlesopérationsdesauvetage,poursuivitlepraticien.Ellearetrouvésesfrèresetsœursbienaprès…

Unsilencesuivitpendantlequellevisagedumédecinseferma.Àl’époque,ilétaitdeserviceàbordduFrankfurtetavaitparcourulesmessagesdedétressedunavireenperdition.

—Voilà ce que je suggère, reprit-il. Nous allons garder votre épouse sous sédatifs à l’infirmeriejusqu’àlafinduvoyage.

Autrement, j’ai peur qu’elle ne soit pas capable de surmonter ses angoisses. Elle est très fragilepsychiquement,voussavez.

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MalcolmStoneserenversasursachaiseenexhalantunnuagedefumée.C’étaitdoncaussibêtequecela.UnegaminehystériquequiavaitperdulamoitiédesafamilledanslenaufrageduTitanic.

L’espaced’uneseconde, il sedemandacommentdiable il allaitpouvoir la ramenerauxÉtats-Unisquandtoutseraitterminé…Ilverraitbien…Aprèstout,GeorgesetEdwinas’enchargeraient.D’icilà,Alexia serait totalement sous sa coupe. Ils seraient bien obligés de traiter avec lui. Et d’accepter sesconditions.

—Trèsbien,approuva-t-il.

Tantpis…Iljoueraitaupoker.

—Vousm’autorisezdoncàladéplacer,monsieurStone?

—Oui,biensûr,fit-ilendédiantaudocteursonplusbeausouriredescène.

Peu après, Alexia fut transférée à l’infirmerie où elle fut placée sous bonne garde. Grâce auxtranquillisantssavammentdosés,elledormittoutlelongdelatraversée,n’émergeantdesatorpeurquepourysombrerànouveau.Elleserappelaitvaguementqu’ellesetrouvaitàbordd’unbateau…Lequel,ellel’ignorait.Plusd’unefois,elleappelasamèredansl’obscurité.Maissamèrenevintpas.Ilyavaitbienunefemmeauprèsd’elle,unefigureblanche,quidetempsàautreluimurmuraitdesmotsauxquelsellenecomprenaitrien.

Parfois,ellesedemandaitsilegigantesquepaquebotavaitcouléetsielleavaitétérecueillieparunautrenavire…Peut-êtreretrouverait-elleenfinsamère…Oupeut-êtreétait-ceseulementEdwina…

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Chapitre35

Dèsqu’elleeutpénétrédanssacabinedepremièreclasse,Edwinatira lesrideauxsur leshublots.Croyantquel’aventures’achèveraitàNewYork,elleavaitemportéentoutetpourtoutunsacdevoyage,et pas de robe de soirée, bien sûr… « Aucune importance », se dit-elle en rangeant ses maigrespossessions dans la penderie. Elle n’en aurait pas besoin. Elle avait franchi la passerelled’embarquementlecœurnouéd’angoisse,dansl’uniquebutdeserendreàLondresafinderécupérersasœur.Leresteluiétaitindifférent…EdwinaavaitparcouruplusieursfoislalettredanslaquelleAlexiachantaitsurtouslestonssonbonheurauprèsdeMalcolm.Enlisantentreleslignes,elleavaitsuqu’elleavait pris la bonne décision. De toute évidence, la naïve Alexia pourchassait un bonheur illusoire.Edwinan’avaitpasl’intentiond’abandonner lapartie.CetteorduredeStoneavaitprofitédesonjeuneâgeetdesoninexpérience.Iln’auraitpaslederniermot.Edwinasebattraitjusqu’auboutpourlatirerdecemauvaispas.EllelaramèneraitàSanFranciscoet,avecunpeudechance,personnen’auraitjamaisventdecette lamentableaffaire.La jeune femmeétaitprêteà tout,mêmeaumensonge,pourpréserverl’honneurde sa sœur.Elle traversa l’embarcadère, les jambes flageolantes, suivit l’hôtesse jusqu’à sacabine où elle se laissa tomber sur le canapé, yeux clos, s’efforçant de contrôler sa respirationdésordonnée.

L’hôtesse jeta un regard plein de sollicitude à cette passagère dont la pâleur trahissait un secretmalaise.

—Avez-vousbesoindequelquechose?s’enquit-ellegentiment,enfrançais.Préférez-vousmontersurlepont-promenade?Unbold’airfraisvousferadubien.

—Nonmerci.Plustard,peut-être.

Ellen’avaitpasl’intentiondebouger.Plustard,quandlasirènedupaquebotannonçaledépart,elledemeuraassise, figée, lesdoigtscrispéssur lesbrasdu fauteuil…Penseràautrechose.ÀGeorgesetHelenquidevaientpoursuivrepaisiblementleurlunedemiel…Auxenfantsrestésàlamaison.Dûmentchapitrés,ilsavaientpromisdenerienlaissertranspireraucasoùGeorgesappellerait.AvantdequitterNewYork, elle les avaitmis au courant des événementsmais ni l’un ni l’autre n’avaient eu l’air dedeviner sonappréhension.À lamort tragiquede leursparents,Fannie etTeddyétaient respectivementâgés de quatre et deux ans. Ils n’avaient conservé qu’un souvenir flou du Titanic… Alors que pourEdwina lenombredesannéesn’avaientpaseffacé lecauchemar.PourAlexianonplus, supposa-t-elleavecundouloureuxpincementaucœur.

Lapremièrenuit,elledînadanssachambre,touchaàpeineauplateausomptueusementgarni.Revenudébarrasser la table, le steward lança un coup d’œil désapprobateur aux plats restés intacts, puis auxrideauxquimasquaienttoujoursleshublots.Lelendemain,illatrouvapluspâleencore.

—Madamealemaldemer?

Ellelevalesyeuxdufeuilletqu’elleétaitentraindenoircird’unefineécriture.

—Non,non,toutvabien.

Ilhaussaunsourcil,intrigué.Edwinasepenchadenouveausurlepetitsecrétaire.Afind’oubliersescraintes,elleavaitcommencéàécrireune longue lettreàAlexiaqu’ellecomptait lui remettreenmainproprequandellelareverrait.Lestewardrepartitenemportantleplateaudupetitdéjeuner.C’étaitunefemme«sérieuse»,décida-t-il.Plustard,l’ayantretrouvéeàlamêmeplacedevantlesecrétaire, ilse

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demanda si elle était écrivain. Ou si elle n’adressait pas une correspondance à un amant qui l’auraitabandonnée.Maisquelleidéedevivreainsicalfeutrée,rideauxfermés.Enluiapportantlerepasdemidi,il osa lui suggérer d’aller s’aérer sur le pont. C’était une splendide journée d’octobre, affirma-t-il,Madamedevraitenprofiter.Ellese levaavecunrire, jetaunregardcirculaire,dans lacabinequ’ellen’avaitpasquittéedepuisdeuxjours,pritsonmanteau.

L’air fraisdu large l’assaillit sur lepont-promenade.Elle s’accrochaaubastingage, les jambesencoton.Ilyavaitdesembarcationsdesauvetagelelongdupont…Elledutsefaireviolencepournepasrebrousserchemin.

Unemusiqueentraînanteenprovenancedusalonde thé l’enveloppa.Unevalse…Lavalsequ’elleavaitdanséeavecCharleslederniersoir,justeavantledrame.Deslarmesbrouillèrentsonregard.

Elles’élançaenavant,commepoursuivie,etentraencollisionavecunhommequisortaitsurlepont.

—Oh,pardon,jesuisdésolée,marmonna-t-elle.

Elleavaittrébuchéetill’avaitsoutenued’unemaingantéeétonnammentferme.

—C’estmafaute…

Il portait unpardessus impeccablement taillé avecun col en fourrure de castor.Un chapeau feutrecoiffaitsescheveuxblonds.Ilétaitgrandetdevaitavoirunequarantained’années.

—Excusez-moi,ajouta-t-ilenramassantunjournaletdeuxlivrestombésàterre.

Ungesteanodin,quotidien,quisoulageaEdwina.Parmoments,àlaseulepenséequ’ellesetrouvaitàbordd’unnavireenpleinmilieudel’océan,elleavaitenviedesautersursongiletdesauvetage.

L’hommeseredressa,souriant.

—Çava?s’enquit-il,etsonsourires’effaça.

Visiblement, ça n’allait pas. La jeune femme semblait sur le point de s’évanouir. Le halo de sescheveuxnoirsaccentuaitlapâleurdesonvisage.

—Oui,trèsbien,répondit-elled’unevoixfaible.Excusez-moiencore.Jepensaisàautrechose.

«Àunhommesûrement»,présuma-t-il.Unefemmecommeellenedevaitpasresterlongtempsseule.

—Cen’estpasgrave.Alliez-vousprendrelethé?

Iln’avaitpasl’airpressédelaquitter.

—Non…Enfait,jem’apprêtaisàretournerdansmacabine.

Déçu,illaregardas’éloigner.

Enregagnantsachambre,Edwinatombasurlesteward.

—Madame a eu raison de sortir, l’encouragea-t-il, avec une sollicitude toute paternelle qui la fitsourire.

—Oui,j’aifaitunebellepromenade.Vousaviezraison.

—Prendriez-vousunetassedethé?

Elle accepta. Il revint peu après avecunplateau chargéd’unpot de thé fumant et de biscuits à lacannelle.

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—Vous ne devriez pas rester enfermée, vous savez. Je ne connais qu’un remède pour soigner lechagrin.Airfrais,soleil,rencontresamusantes,musique.

—Oui?Ai-jel’airsitriste?

Ellen’allaitcertainementpass’étendresursaphobiedesbateaux.

Lestewardhochalatête.

—Moinsmaintenant.Vousavezdéjàmeilleuremine.

Il le pensait sincèrement.Une femme aussi attirante que celle-ci feraitmieux de s’amuser là-haut,plutôt que de se morfondre entre quatre murs. Et maintenant que le premier pas était accompli… Ill’entenditcomposersonmenudusoir.

—Madamenedevraitpasdînerici,observa-t-il,chagriné.Nousdisposonsd’unemagnifiquesalleàmangerenclassedeluxe.

—Jen’airienàmemettresurledos,j’enaipeur.

—Unejoliefemmen’aguèrebesoindeparures.Unesimplerobenoiresuffitamplement.

Commel’éléganterobedelainequ’elleportaitl’après-midimême.

—Non,pascesoir.Peut-êtredemain.

Ilacquiesçadansunsoupiravantdenotersacommande.

Aspergessaucehollandaise,filetmignongarnidepommessoufflées,letoutarroséd’unebouteilledesancerre…Edwinaneputrienavaler.

—Madamen’apasd’appétit,marmonnalestewardenremportantleplateau.

Mais lorsqu’il revint plus tard pour défaire le lit, il constata avec satisfaction que sa passagèrepréféréeétaitsortie…Edwinaémergeasurlepont-promenade,respiraprofondémentl’airmouilléenseforçantaucalme.Elle longeaprudemment legarde-fou, le regardbas,decrainted’apercevoirquelquechosed’effrayantsurlamercouleurd’encre…Unfantôme.

Ouun iceberg…Son cœur cognait sourdementdans sapoitrine et elle éprouvait la sensationd’undanger imminent.Unpas après l’autre, s’efforça-t-elle de se répéter, un pied devant l’autre…Elle seconcentrasurseschaussuresetsoudaincelles-cibutèrentcontreunepairedemocassins.Surprise,ellerelevalatête.Sesyeuxaccrochèrentdesyeuxcouleurd’agatequiluisouriaient.

—Décidément, s’exclama-t-elle avec un petit rire nerveux, en reconnaissant le grand blond del’après-midi,jesuisincorrigible.

—Jecroisquenousavonslemêmeproblème.Êtes-voustoujoursaussidistraite?

Ellesentitsespommettess’empourprer.

—Non…oui…j’étaisunpeuailleurs.

—Moiaussi…Lespectacledel’eausousleclairdeluneestfascinant,vousnetrouvezpas?

Ellen’eutpasunregardverslamer.Parsonallurearistocratiquel’inconnuluirappelaitCharles,bienqu’ilfûtblondetplusâgéquelefiancéd’Edwina.

—Puis-jevousinviteràboireunverre?demanda-t-ilpoliment.

Elle regarda le bras qu’il lui offrait, cherchant fébrilement une bonne raison pour décliner sa

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propositionetn’entrouvaaucune.

—Jemesensunpeufatiguée.J’étaissurlepointdemeretirer.

—Jesongeaisàlamêmechose,maisplusmaintenant.Unebonnepromenadeéclaircitlesidées…

Elle s’appuya à son bras sans réfléchir, le suivit le long du pont sans un mot. Elle n’avait pasl’habitudedeparlerauxétrangers.Ilfutlepremieràbriserlesilence.

—D’oùêtes-vous?DeNewYork?

—N…non.DeSanFrancisco.

—Ah,jevois…EtvousallezàLondresvisiterdesamis.OuàParis,peut-être?

—ÀLondres…

« Sauver ma sœur de dix-sept ans des griffes d’un Casanova quinquagénaire », pensa-t-elletristement,maiselleajouta:

—Pourquelquesjoursseulement.

—C’estunelonguetraverséepourunséjouraussibref.Vousdevezadorerlesvoyages…Aimeriez-vousvousasseoirunmoment?

Elleseposasuruntransatsanstropsavoirpourquoi,probablementparcequec’étaitplusfacilequedesedéplacer.Ils’installasurlachaiselonguevoisine,luipassagalammentunplaiddontellerecouvritsesjambes.

—Seigneur,oùavais-jelatête?Jenemesuismêmepasprésenté.

Jem’appellePatrickSparks-Kellyetj’habiteàLondres.

—JesuisEdwinaWinfield,dit-elleenserrantlamainqu’ilavançait.

—Madame?Mademoiselle?…

Ellefitouidelatêteetilhaussaunsourcil,étonné.

—Ah!Lemystères’épaissit,observa-t-ilplaisamment.Onneparlequedevoussurcebateau.

—Vraiment?rit-elle.Jenevouscroispas.

—C’estpourtantlavérité.Pasplustardquecetaprès-midi,deuxvieillesdamesm’ontaffirméqu’ilyavaitàbordune ravissante jeune femmequisepromène touteseule,n’adresse laparoleàpersonneetprendtoussesrepasdanssacabine.

—Ellesfaisaientsûrementallusionàquelqu’und’autre.

—Permettez-moid’endouter…Vousétiezbiensurlepont-promenadecetaprès-midi,jenevousaijamaisvuedanslasalleàmangeretvousêtes,eneffet,ravissante.

—Ehbien,ilestvraiquejepréfèredînerseule,mais…

—J’avais donc raison! triompha-t-il, tandis qu’un sourire éclairait ses traits ciselés. Belle etinaccessible…Vousavezsanslevouloirenflammél’imaginationdetouslespassagers,machère!Lesunsvous tiennentpourunericheveuve inconsolableenroutevers l’Europe,vouspassezauprèsdesautrespour une divorcée au passé trouble et d’autres sont convaincus que vous êtes une star qui voyageincognito…

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—Personnen’aencorepercévotrevéritableidentité,jevousl’accorde,mais,d’aprèslarumeur,vousdevezêtreaussicélèbreque…—ilplissalespaupières,ménageantunsuspense—ThedaBara.

Elleéclatafranchementderire.

—Voussemblezavoiruneimaginationdébridée,monsieurSparks-Kelly.

—Pitié!Jesuisaffubléd’unnomassezcompliquépourparaîtreridiculedanslabouched’unejoliefemme.Appelez-moiPatrick…Etquantàvous,vousserezbientôtobligéedenousdirequivousêtesetdansquelsfilmsvousavezjoué,mettantfinaufurieuxjeudedevinettesauquelselivrentnoscompagnonsdevoyage.

—Aurisquededécevoir tout lemonde, jenesuisqu’unesimplefemmequiserendenAngleterre,afind’yrencontrersasœur.

Elleavaitprononcécettephrased’untonuni,presqueindifférent.

Pourtant,ilparutintéressé.

—Etvousnerestezquequelquesjours?Queldommagepournous.

Ilsouritdenouveauetpourlapremièrefoiselleletrouvaséduisant.C’étaitunesimpleconstatationdépourvued’émotion.

—Commentvousyêtes-vousprisepouréchapperaupiègedumariage?LesAméricainessemblentdécidémentbienpluslibéréesquenospauvresAnglaisesquifontlachasseaumaridèsl’âgededouzeans.

Ilavaituneformed’humourirrésistible.

—Jenecroispasque lecélibatsoit leproprede lafemmeaméricaine,rétorqua-t-elleenriant.Entoutcas,lesAnglaisessontmieuxélevées.Ellesnesedisputentjamaisavecleurmari.

—LafigureprématurémentvieilliedetanteLizluirevintenmémoire.

—MatanteaépouséunBritannique.

—Oui?Qui?

—LordHickham…RupertHickham.Ilestmortilyaquelquesannéesetellel’asuividanslatombepeuaprès…Ilsn’ontpaseud’enfants.

Ils’accordauntempsderéflexion.

—Mon père comptait Lord Hickham parmi ses relations. Je comprends pourquoi votre infortunéetanten’ajamaishausséletondevantsonépoux.Celadevaitêtredurpourelle.

AinsiilconnaissaitSirRupert.

—Pasdur. Impossible. Il était si autoritaire…Lamalheureuseavaitpeurde sonombre.Nous leuravonsrenduvisiteàHavermoorManorilya…—ellesemorditlalèvrepournepasmentionnerladate—

longtemps.JenesuispasretournéeenAngleterredepuis…

Surlesderniersmots,unenotebizarrevibradanssavoix.Illaregarda.

—Depuisquand?

—Onzeans.

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—Ilyalongtempseneffet,dit-ilnonchalamment,feignantnepasavoirremarquél’ombrequiavaitobscurcilevisagedesoninterlocutrice.

Celle-ciseredressad’unseulcoup,commesiunbesoinimpérieuxlapoussaitàprendrelafuite.

—Jedoisyaller.J’aibeaucoupappréciévotrecompagnie,monsieurSparks-Kelly.

—Patrick, corrigea-t-il, se levant à son tour. Puis-je vous offrir une coupe de Champagne? Ladécorationdugrandsalonvautledétour.

Ellesecouala tête.Non,ellen’avaitnulleenvied’admirer legrandsalon.Aucungrandsalondansaucunpaquebotaumondenepourraiteffacersessouvenirs.

—Non,merci.

—M’autorisez-vousencecasàvousraccompagnerjusqu’àvotreporte?

Maiselleétaitdéjàpartie.

Edwinaseruaverssacabine.Devantlaportefermée,elles’immobilisa,horsd’haleine,lamainsurlapoignée.

Elleavaitcruytrouverunrefuge.Elles’étaittrompée.Oubliéeuninstant,lapeurlapritdenouveauàlagorge.Non,ellenepouvaitpasresterseulelà-dedanssanssuffoquer.Lecauchemarétaittapiderrièrelebattantclos.Lajeunefemmefitdemi-tour,ressortitsurlepont,s’appuyantlourdementaubastingage,essouffléecommeunanimalprisaupiège.

Unevoixfamilièredansl’obscuritélatiradesatorpeur.

—Quelquesoitleproblème,mademoiselleWinfield,dites-vousqu’ilyatoujoursunesolution.

Ellenebougeapas,sentitunemainsursonépaule.

—Excusez-moi,murmura-t-il.Jen’aipasl’habitudedememêlerdecequinemeregardepas.Maisvousaviezl’airsibouleverséetoutàl’heurequejemesuisinquiété.

Edwinaseretourna,enfin,etilputvoirdeslarmesbrillerdanssesyeux.

—Jepassemontempsàrassurerlesgenssurmonétat,essaya-telledeplaisantersansyparvenir.

Patrickluisourit.

—Jesupposequevousn’avezconvaincupersonne,fit-ilremarquergentiment.

Ilétaitamical,charmantmême.Elleregrettapresquedeluiavoirparlé.Toutcelan’avaitpasdesens.

Elle avait pris cemaudit bateau à seule finde retrouverAlexia, paspour se lier d’amitié avec lepremiervenu.

—Eneffet,avoua-t-elleavecundemi-sourire.Jenesuispastrèsconvaincante.

—Vousdevriezfaireuneffort.

Ilsetutuninstantavantdedemanderdoucement:

—Qu’est-cequivoustourmenteàcepoint?Quevousest-ilarrivé?

Une expression d’indicible souffrance, la même que celle qu’il avait déjà remarquée depuis leurdépartdeNewYork,décomposalestraitsfinsdelajeunefemme.

—Rien,souffla-t-elle,essuyantseslarmesd’unemaingracieuse.

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Enfin…pasrécemment.Jen’aimepaslesbateaux,voilàtout.

—Pourquelleraison?Avez-vouslemaldemer?

—Pasvraiment,répondit-elled’untonévasif.Jem’ysensmalàl’aise…Jeneconnaisriendeplusassommantquecesgrandstransatlantiques.Riendeplus…

Elle refoula lemotmortel tropéquivoqueàsongoût. Ilcontinuade la fixeravecsympathie, telunvieilami,etellesentit,soudain,qu’ellepouvaitluifaireconfiance.Qu’ellepouvaittoutluidire.

—J’étaisàbordduTitanic,dit-elled’unevoixétrangementplate.

J’aiperdudanslenaufragemesparentsainsiquel’hommequej’allaisépouser.

UnelueurdestupeurtraversaleregarddePatrick.

—Oh,monDieu! Je suis désolé…murmura-t-il. Je ne sais quoi vous dire. Sinon que vous devezavoirbienducouragepourêtreici.

C’estvotrepremièretraverséedepuisl’accident?

—Oui.Cen’estpasfacile.Jem’étaisjuréedeneplusjamaisremettrelespiedssurunpaquebot.Sicen’étaitpourallercherchermasœur…

—ElleavaitprisleTitanic,elleaussi?

Ileutpeurd’avoircommisuneindiscrétion,maisellesemblaitpresséedeseraconter,àprésent.

—Oui.Elleavaitsixans,à l’époque.Lebateauacoulé le jourdesonanniversaire.Nousl’avionsperduependantl’opérationdesauvetage…Enfait,elleétaitretournéedanslacabinecherchersapoupée.Jel’airetrouvéeàborddunavirequinousarecueillis.Lapauvrepetiteétaitdansuntelétatdechoc…Etdepuis…C’estuneenfantdifficile.Tropsensible…

Ilobservaunsilencesanslaquitterdesyeux.Elleétaitexactementcequ’ilavaitimaginé.Unefemmebelleetmystérieuse.

—Vousn’aviezpasd’autresparentsàbord?

—Trois frères et deux sœurs. Nous avons tous survécu. Seuls papa etmaman sontmorts. Etmonfiancé.

—Unvaguesouriretremblotasurseslèvrespleines.

—Ilétaitanglais,commevous.Ils’appelaitCharlesFitzgerald.

Savoixsefêlaquandelleprononçasonnom.L’espaced’uneseconde,ellecherchafébrilementàsondoigt labaguede fiançaillesqu’elleneportaitplusdepuis si longtemps.Le regarddePatrickSparks-Kellyaccrochalesien.Ilavaitl’aird’avoirvuunfantôme.

—Commec’estbizarre,souffla-t-il.J’aientenduparlerdevous,ilyaonzeoudouzeans…UnejeunefilledeSanFrancisco…Àl’époquejem’apprêtaisàmemarier,moiaussi.

Etcommeellelescrutaitsanscomprendre:

—CharlesFitzgeraldétaitmoncousinparalliance.Dieuquelemondeestpetit!

Elleacquiesçaensilenceetilpoursuivit.

—Samortaplongédans laconsternationtoute lafamille.Sespauvresparents l’ontpleurépendantdesannées.

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—Moiaussi.

Vousnevousêtesjamaismariée…àcausedelui?

—Àcausedeluietàcausedesenfants.J’avaiscinqjeunesfrèresetsœursàélever.PhilipavaitseizeansetGeorgesdouze,mais lesautresétaientencore toutpetits.Alexiaétaitâgéedesixans,commejevousl’aidéjàdit.Fannien’enavaitquequatreetquantàTeddy,c’étaitunbébé.

Illacontemplaavecuneadmirationnonfeinte.

—Vouslesavezélevéstouteseule?

—J’ai fait demonmieux…Avec des hauts et des bas. Enfin, grâce à Dieu, nous avons survécu.ExceptéPhilipquiestmortpendantlaGrandeGuerre,ilyasixans.

Enévoquantsesfrèresetsœurs,elles’étaitanimée.

—Georgesestlehérosdelafamille,continua-t-elleavecunsourirepleindetendresse.Ilvientdesemarieràunefilleravissante…CepetitvoyoualaissétombersesétudesàHarvardpourallertentersachanceàHollywoodet,mafoi,ilafortbienréussi.

—Ilestcomédien?

—Non,producteurdansungrandstudio…

Elle continua son récit. Fannie qui avait quinze ans maintenant était un véritable cordon-bleu. EtTeddy,àtreizeans,promettaitdedevenirunredoutablehommed’affaires…Elleétaitfièred’euxetcelaavaitquelquechosedetouchant.

—Ehbien,vousavezréussiunsacrétourdeforce.Vousêtesunepersonnehorsducommun,Edwina.

—J’aifaitcequej’aipu,répondit-ellemodestement.Jouraprèsjour.Jen’avaispasd’autrechoix.Jelesaimaistellement…Etpuisj’avaispromisàmamèredem’occuperd’eux…MamanadûresteràbordpourchercherAlexia.

—Quandellecompritqu’iln’yauraitpasdecanotsdesauvetagepourtoutlemonde,elleachoisidemouriravecpapa.

Ellemarquaunepause,levisagetournéverslamersombre,seremémorantcettenuitterriblequilahanteraitjusqu’àlafindesesjours.Ilsetutégalement,respectantsonsilence.

—Au début, personne ne s’était vraiment rendu compte de la gravité de la situation, reprit-ellepéniblement.Onnousaréunissurlepontdesembarcationssansriennouspréciser.L’orchestrejouaitduragtimecommes’ilsefutagid’unefête…Mamanadûattendredansl’espoird’embarquerdanslemêmecanotquemonpère…

Hélas,elleaattendutroplongtemps…

Elleregardasoudaincetétrangerquiauraitpuêtresoncousinsiledestinn’avaitpasbrisésavie.Lesmotssilongtempsenfouisautréfondsdesonâmefranchirentenfinseslèvres.

—Jel’aidétestéepourcela.Desannéesdurantjeluienaivoulu.

Oh,pasparcequ’ellem’alaissélesenfants,non.Parcequ’elleapréférémouriravecluiaulieudevivre avec nous…Peut-être l’aimait-elle plus que tout aumonde… Je ne sais pas. Cette penséem’alongtempstourmentée.Jemesuissentietellementcoupabled’avoirsurvécuàmesparentsetàCharles.Sijem’étaisécoutée,maisjeseraisrestéeaussi.Exactementcommeellel’afait.

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Maisellem’enaempêchée.Sansdouten’ai-jepaseuassezdecourage.J’aiprislepremiercanotdesauvetageaveclespetitsetj’ailaissémaman,papaetCharlesàleursort.

Des larmes étincelèrent au bout de ses longs cils et brusquement, elle se sentit allégée d’un lourdfardeau.

—Jeleuraiditaurevoir,murmura-t-elleenétouffantunsanglot,sanssavoirquec’étaitunadieu.Jen’aimêmepaseuletempsd’embrasserCharles…Jenepouvaispassavoirquelebateauallaitcouler.Personnenepouvaitsavoir.

Ellevacillasursesjambesetill’entouradesesbras.

—Vousavezagipourlemieux,Edwina.Cen’estpasvotrefautesivousavezéchappéaunaufrage.

—Oh,Patrick,pourquoiest-ellerestéeavecpapa?

Iln’ensavaitrien.Ilnepouvaitqu’essayerdedeviner.

—Votre mère était certainement trop attachée à votre père pour envisager de vivre sans lui. Parailleurs,ellesavaitbienquevousalliezlaremplacerauprèsdesenfants.

—Maiscen’estpas juste! s’écria-t-elle, levisageenflammédecolère.Ellen’apaspenséunseulinstantàmoi,àmessentiments.Jel’aihaïeparcequej’aisurvécuetpaselle.Pourquoifallait-ilquejecontinueàvivredanslechagrin?Moiaussij’avaisledroitdemourirauprèsdel’hommequej’aimais.Moiaussi…

Laphrasedemeurainachevée.Àquoiboncontinuerdedéversersonamertume?

—Lavieestsouventinjuste,Edwina.

Ilavaitdeslarmesauxyeux,luiaussi.

—Jesuisdésolée.Jen’auraispasdûressassertoutescesvieilleshistoires.

Illuitenditunmouchoirdefinebatistegravédesesinitialesqu’elleacceptaavecgratitude.

—D’habitudejen’enparlepas,murmura-t-elle.

—Jem’endoute.—Ilsourit.

—Si jevousavaisconnue ilyaonzeans, jevousauraisvoléeàCharles.Celam’auraitévitédecontracteruneuniondésastreuse…

J’aiépouséunecousinegermainedeCharlesducôtédesamère.Oh,unejoliecréature!Ilm’afalluuncertaintempspourréaliserqu’ellenem’aimaitpas.Qu’ellenem’avaitjamaisaimé.

—Êtes-voustoujoursmariéavecelle?demanda-t-elleetunpâlesourireéclairasestraitsàlapenséequ’elleauraitputomberamoureusedePatrickàlaplacedeCharles.

—Hélas!soupira-t-ild’unairrésigné.Nousavonstroisfilsetéchangeonsquelquesproposunefoistous les quinze jours au petit déjeuner, entre deux voyages. Ma femme apprécie énormément mesabsences.Ellemepréfèredeloinsesamiesetseschevaux.

Edwinaluijetaunregardinterloqué.Elleneparvenaitpasàconcevoirlemariagesansamour.

—Vousn’avezjamaissongéàdivorcer?

—Non… pour plusieurs raisons. D’abord, les enfants.Mes parents, ensuite. Personne n’a encoredivorcédansnotrefamille,voyez-vous.

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Ilsnelesupporteraientpas.Pourcouronnerletout,grâceàunegrand-mèrefrançaise,jesuisl’undecesspécimenssiraresenGrande-Bretagne…Anglaisetcatholique!J’aibienpeurquePhilippaetmoisoyonsunispourlemeilleuretpourlepire—lepiresurtout!—jusqu’àlafindestemps…

Sousletonlégerdesavoix,elledécelauneprofondesolitude.

—Alorsquittez-la.C’estridiculedecontinueràvivreainsi.

C’étaitincroyable!Ilsseconnaissaientàpeineet,pourtant,ilslivraientl’unàl’autreleurssecretslesplusintimes.Sansdouteseconfiait-onplusvolontiersàbordd’unbateau,aumilieudenullepart,àunepersonnequ’onn’étaitpasappeléàrevoir.

—Jen’aipaslechoix,répondit-ilavecnonchalance.Jesuiscommevous,machère.Ledevoiravanttout.Noblesseoblige,auraitditmagrand-mère.Souvent,ledevoirl’emportesurlesautressentiments.

C’estmoncas.Mesgarçonsontgrandi.Ilssont tousenpension.Lepetitdernier,Richard,quiaeuseptanscetteannée,arejointsesfrèresàl’internat…Maprésencen’estplusnécessaireàlamaison.Ehbien, je ne m’en porte pas plus mal. Je suis avocat d’affaires, je représente mon père et je voyageénormément…JesuisplussouventàNewYorkouàParisqu’àLondres.J’aidebonsamisàRomeetàBerlin…Bah!Cen’estpassimalqueça.

—Voustrouvez?fit-elleavecsafranchisehabituelle.

Jepenseaucontrairequevotreexistenceestcomplètementvide.

—Vousavezraison,Edwina.Cen’estpasunevie,commeondit,mais jen’enaipasd’autre.Toutcomptefait,noussommespareils,touslesdeux.Vousavezpassévosplusbellesannéesàporterledeuild’un homme que vous avez aimé quand vous aviez vingt ans. Pensez-y! Le connaissiez-voussuffisamment?Comment pouvez-vous être certaine qu’il vous aurait rendue heureuse?Vous n’en savezrien…

Alors vous vous êtes drapée dans votre dignité et vous vous êtes consacrée à l’éducation de vosfrèresetsœurs.J’aifaitlamêmechoseavecmesfils.Or,ilyaunedifférencefondamentaleentrenous,Edwina.Jesuismarié,vousêteslibre!Libred’aimerànouveau,derefairevotrevie,defonderunfoyer.

Ellelaissaéchapperunrirequisonnaitfaux.

—Nesoyezpasridicule!J’aitrente-deuxans.Mavieestdéjàfichue.

—La mienne aussi. J’ai trente-neuf ans. Pourtant, si une nouvelle occasion se présentait, jen’hésiteraispasuneseconde.Jemeremarierais,j’auraisd’autresenfants.Je…

Il s’interrompit et, tout à coup, il écrasa les lèvres d’Edwina sous les siennes. Il l’embrassalonguement, comme elle n’avait jamais été embrassée depuis lamort deCharles. L’esprit de la jeunefemmevacilla,commesicebaiserbrûlantauquelelleréponditsansréfléchiravaitbalayélesombresdupassé.Cen’était pas sonamourpourCharlesqui était en cause.Elle l’avait adoré, il n’y avait aucundoute.

Maislaraisonpourlaquelleelleétait tantattachéeàsamémoireluiéchappait.Qu’était-ce?Rêve?Illusion?Réminiscencelointaine?

Avait-elledoncchangé,aufildesannées?Avait-elleportélefardeautroplongtemps?Ellen’auraitpassuledire,pasmaintenant.

Ettandisquelebaiserseprolongeait,elleperditlanotiondumondeenvironnant.

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Enfin,Patrickrelâchasonétreinte,puisl’embrassantdenouveau,plustendrement:

—Edwina,dit-ildansun souffle,quoiqu’il arriveentrenous, jenepourraipasvousépouser.Peuimportemapassionpourvous,jeresteraienchaînéàuneautrejusqu’aujugementdernier.Jenevoudraispasvousdétruire,c’estpourquoijepréfèreêtreclair:Jenem’accrocheraipasàvousetvousempêcheraidevousaccrocheràmoi,comprenez-vous?

—Oui,répondit-elled’unevoixenrouée.

Siseulementelleneluiavaitpasadressélaparole…Siseulementellenelechérissaitpasdéjà…Oh,toutcelaétaitabsurde!

—JevousinterdiraiderefairecequevousavezfaitavecCharles.

Vivredanslessouvenirs.J’aienviedevousaimertrèsfort,machérie,devousdonnerdubonheuretdevousrendrelaliberté,afinquevouspuissiezépouserquelqu’und’autre.

—Cessezdoncdevousmorfondre,sourit-elle.Onnesaitcequel’avenirnousréserve.Onnedevraitpassesentirdéfinitivementliéàunepersonnealorsquelamortpeutvoussépareràtoutinstant…

Maispeut-êtrePhilippadécidera-t-elledevousquitter.

—Jerefusedebâtirl’avenirsurdes«si»etdes«peut-être».Cesontdespiègesterribles,Edwina.Souvenez-vousen,monamour.Jevousrendraivotrelibertéunjour.J’ouvrirailaportedelacageetvousvousenvolerez,telunpetitoiseauenfinlibre.

—Pasencore,implora-t-elleenluipassantlesbrasautourducou.

—Oh,non,pasencore,chuchota-t-iltoutcontresescheveux.Jevousaime,machérie…

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Chapitre36

C’était le genre de situation qui n’arrive que dans les films. Ou dans les romans. « Un hommerencontreunefemmeàbordd’unpaquebot.Ilss’éprennentfollementl’undel’autre.Elleporteledeuildesonfiancé.Ilestmarié.Leuridylledureletempsdelatraversée.

Puislaviereprendsoncours…»

Oui,c’étaitunbeauscénario.MaisEdwinanes’ensouciaitpas.

Ellequiavait toutsacrifiéaupasséredécouvrait l’instantprésent. Ilsfirentde longuespromenadessur lepont,maindans lamain,bavardant, riant, sevolantdesbaisers, sous les regardscomplicesdesautrespassagers.Peuàpeu,saphobiedesbateauxsedissipa.Patrickl’accompagnalorsdel’exercicedesauvetage,etelleluienfutreconnaissante.

Le temps était aboli.Chacun se délectait desmoments passés auprès de l’autre. Patrick prétendaitque,depuissonmariage, iln’avait jamaisétéamoureuxetEdwinalecrut,bienqu’elle lesuspectâtdequelquesinfidélitésàl’égarddesonépouse.

—Commentétiez-vouspetitefille?demanda-t-ilunsoir.

Ildésiraittoutconnaîtred’elle,jusqu’aumoindredétail.

—Jen’ensaistroprien,répondit-elleavecunsourirelumineux.

Unepetitefillesage,jesuppose.Jusqu’àlamortdemesparents,nousmenionsuneviedefamilletoutàfaitnormale.

—Nous étions heureux.Maman avait lamain verte et j’adorais l’aider à jardiner…Après, ce futdifférent.

Jemerendaisdanslejardin,meposaisunmillierdequestions,toujourslesmêmes.Pourquoin’avait-ellepasembarquédanslecanotavecnous?C’étaitsansfin…

—Sij’aibiencompris,vousn’avezjamaiseularéponse.

—Non,maisjemesuistoujourssentiemieuxaprès.

—J’aimebienlejardinage,répondit-il.

Ilsbavardaientdesheuresdurant, évoquant toutes sortesde sujetsallantde leursamisd’enfanceàleurssportsfavorisenpassantparleurslivrespréférés.Patrickétaitférudelittératureclassique.

Edwina penchait davantage pour des auteurs plusmodernes, Scott Fitzgerald ou JohnDos Passos.Tousdeuxappréciaientlapoésie,lescrépuscules,leclairdelune,ladanse…Ilssedécouvrirentuntasdepointscommuns,negardèrentaucunsecret l’unpour l’autre.Edwina lui racontaqu’elleavaitoffertsonvoiledemariéeàHelen.Ileneutleslarmesauxyeux.

—J’auraissouhaitéquevousl’ayezportépourmoi.

—Moiaussi,murmura-t-elle.

Cesoir-là,lesurlendemaindeleurrencontre,ilsallèrentdanser.

—Jen’airienàmemettre,avaitdéploréEdwina.

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UnehôtesseluiprêtaunetoiletteportantlagriffedeChanel.Unmodèlequiseyaitparfaitementàsamincesilhouette.

Ilsdansèrent toute lanuit, enlacés sur lapistedugrand salon, seuls aumonde, tandisque leParisfendaitlesflotsàtoutevapeur.

Lebateaunecoulapas…Ilarrivaàbonport tropvite.Devant lesbâtimentsgrisdeSouthampton,Edwinainterrogeapourlamillièmefoissoncompagnon:

—Qu’allons-nousfairemaintenant?

Ilss’étaientdéjàlonguementexpliquéslà-dessus.

—Exactementcedontnoussommesconvenus.Vousrécupérezvotresœur,jevousinviteàdîner,aprèsquoivousretournezàSanFranciscoetvouscherchezunmaridignedevous.

—Vraiment?dit-elleenreniflant.Commentdois-jem’yprendreàvotreavis?Faireparaîtreunepetiteannoncedansunjournal?

—Cela ne sera pas nécessaire. Cessez de vous comporter comme une veuve éplorée et tous lesfringantscélibatairesdelacôteouestsejetterontàvospieds.

—Balivernes!

Ellenevoulaitd’aucuncélibatairedelacôteouest.EllevoulaitPatrick.

Elle l’avaitmis tout naturellement au courant de l’aventure d’Alexia et avait librement exprimé ledégoûtqueluiinspiraitMalcolmStone.

Patrickl’avaitécouté,furieux,avantdeluiproposersonaide.

Ensemble,ilspourraientplusfacilementpasseraupeignefintouslespetitshôtelsborgnesdeLondresoù,sansdoute,l’infâmeséducteuravaitentraînésavictime.

—Jepasseraid’abordàmonbureauetvous retrouverai le soir, expliqua-t-il.Nouscommenceronsalorsnotrepetiteenquête.Jepensequenouslesdébusqueronstrèsvite.

Edwinaacquiesça, songeuse.NeplusvoirPatrickpendantquelquesheuresaprèsavoirpassé troisjoursmerveilleuxensacompagnie luisembla toutàcoupde l’ordrede l’impossible…Ilsnes’étaientpasquittésuninstant,jusqu’alors.Sauflanuit…Illaraccompagnaitjusqu’àsacabine,l’embrassaitunedernièrefoisenlaserrantdanssesbraset,parunaccordtacite,ilsseséparaientlà.

Patrick n’avait pas voulu abuser de la situation. Il avait laissé à Edwina l’initiative de l’étapesuivantemaiscetteétapen’avait jamaisétéfranchie.Etmaintenant,alorsque,appuyéeaubastingageàcôté de lui, elle contemplait le port de Southampton, un rire amusé la secoua… L’incongruité de lasituation fit redoubler son hilarité. Sa jeune sœur de dix-sept ans s’était jetée à corps perdu dans lapassionetelle,àtrente-deuxans,s’apprêtaitàregagnerSanFrancisco,toujoursviergeetmartyre!

—Qu’ya-t-ildesidrôle?s’enquitPatrick.

Edwinaleluiditetiléclataderireavecelle.Lajeunefemmesetutlapremière.Elleauraitsouhaitéqueleschosesfussentdifférentes.Letempsavaitmanqué.SielleavaitconnuPatrickpluslongtemps,ellen’aurait pas hésité une seconde à se donner à lui. Elle continua de regarder le ciel nébuleux deSouthamptonsansunmot.

IlsprirentensembleletrainpourLondres.Philippanesavaitrienduretourdesonmarietduresteelles’enfichaitéperdument.AudiredePatrick,MmeSparks-KellydevaitêtreenÉcossepourlavente

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annuelledechevaux.

IllalaissaauClaridgeenpromettantdereveniràdix-septheures.

Il était à peine midi… Edwina envoya immédiatement un câble aux enfants leur demandant del’appelersijamaisilsavaienteudesnouvellesd’Alexia.Ellepritunbainetsortit.ChezHarrod’s,ellefitl’acquisitiond’unegarde-robeprincière,puiselleserenditchezlecoiffeur,etrevintàl’hôtelentaxi.LorsquePatrickarriva,ellel’attendaitausalon,trèsélégantedanssanouvelletenue.

—Seigneur!sourit-il,vousavezdûdévalisertouslesgrandsmagasins.

Lui aussi avait fait des emplettes. Il lui remit un exemplaire rare d’un livre de Elisabeth BarretBrowning ainsi qu’un paquet joliment enrobé dans du papier glacé de chez Wartski’s. Edwina défitlentementlerubandetaffetas,mettantàjourunécrinveloutéqu’elleouvrit.Bouchebée,elleadmiraunétroitbraceletendiamantsbrillantdemillefeuxsurunlitdesatinblanc.D’aprèslalégendeinscritesurunpetit bristol, le bijou avait été offert jadis à la reineVictoria par le princeAlbert…Elle ajusta lebraceletàsonpoignet,sachantqu’elleleporteraitnuitetjourpendantlongtemps.

PatrickavaitapportéégalementunebouteilledeChampagne.Ilsdégustèrentunecoupe,aprèsquoiildéclara:

—Ilestgrandtempsdecommencernosinvestigations.

Ilavaitlouéàceteffetunelimousineavecchauffeur.

Ilsfirentletourd’unepléiaded’établissementsdesecondordreaucœurdeSohosansrésultat.Auxalentours de vingt heures, ils décidèrent de s’accorder une dernière chance avant de remettre aulendemainlasuitedeleurenquête.Edwinapénétraenpremierdansunpetitlobbyminable,munied’unephotod’Alexia,Patrickluiemboîtantlepas.Ilssedirigèrentensilenceverslaréception.Edwinamitleclichésouslenezdel’employé,tandisquePatrickluiglissaitunbilletdecinqlivresdanslamain.

—Avez-vousvucette fille?demanda-t-elle.Elle est avecuncertainMalcolmStone,unhommedegrandetaille,d’unecinquantained’années.

Le regard du réceptionniste se reporta d’Edwina à Patrick, puis du billet qu’il froissait entre sesdoigtsàlaphoto.Finalement,ilhochalatête.

—Oui,ilsontlouéunechambreici.Qu’est-cequ’ilsontfait?Ilssontaméricains,voussavez,ajouta-t-ill’airdedirequ’ils’enétaitméfiédupremiercoupd’œil.

Iln’avaitpasremarquél’accentd’Edwinaet,detoutefaçon,c’étaitPatrickquipayait.

—Sont-ilsencoreici?

—Ilssontpartishier…Ilsnesontpasrestésplusdedeuxoutroisjours,jepourraisretrouverdansleregistre la date exacte de leur arrivée si vous voulez. C’est une jolie petite poule avec de superbescheveuxblonds.Unevraiebeauté.

Edwina sentit son cœur cogner lourdement contre sa cage thoracique. Si près du but, une partied’elle-même se prit à regretter d’avoir trouvé les traces d’Alexia aussi vite. Cela voudrait dire qu’ilfaudraitrepartir.QuitterPatrick…

—IlssontallésàParis,poursuivitl’autreenempochantlebilletdebanque.Dumoins,c’estcequ’iladit.Ilsontlibérélachambrepourdeuxsemaines.Ils lareprendrontàleurretour…Letypealaissésavalise.

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—Peut-onlavoir?interrogeaPatrick.

Undeuxièmebilletd’unelivrevintàboutdesscrupulesdesoninterlocuteur.Celui-cidisparutpourreparaîtrepresqueaussitôt,unbagageàboutdebras.Edwinasoulevalecouvercleensimilicuir.Iln’yavaitquedesvêtementsd’homme.Samainfineeffleuraunsoyeuxtissucrèmeposésurledessus.

—Ça y est! s’écria-t-elle, les yeux brillant de larmes. Je le reconnais. C’est le tailleur qu’AlexiaportaitàLosAngeleslejourdesadisparition.

Unjourencoreprocheetsiterriblementlointain.Voilàplusdequinzejoursquesasœuravaitprislafuite.

—Quecomptez-vousfaireàprésent?voulutsavoirPatrick,alorsquel’employés’enretournaitàsonbureaupourrépondreautéléphone.

—Jenesaispas.Iladitqu’ilss’absenterontpendantdeuxsemaines.

—Venez,dit-il.Allonsdîneravantdeprendreunedécision.

—Qu’est-cequejeleurdisquandilsvontserepointer?crial’employé.

—Riendutout,ditEdwina.

Unsupplémentd’unelivrelesassuradesonsilence.

—Désirez-vouslessuivreàParis?demandaPatrickplustard,tandisqu’ilsdînaientauClaridge.

Ellehaussalesépaules.Unechasseàl’hommeàtraversl’Europes’avéraitàsonavisimpossible.

—Jecroisqu’ilvautmieuxlesattendreici,conclut-elle.

Ilsdisposaientdedeuxsemaines.

—Sivousnetenezpasàrestersurplace,jevousemmèneenIrlande,laissa-t-iltomber.

Il rêvaitdecevoyagedepuisdesannéeset souhaitait revoir ledécor romantiquequ’ilavaitconnuadolescent.Lajeunefemmebaissalesyeuxsurlebraceletquiétincelaitàsonpoignet.

—Edwina,venezavecmoi…Vousviendrezn’est-cepas?

Elleinclinasimplementlatêteetileutunsouriredepetitgarçonravi.Puis,ensepenchant,ilposadoucementseslèvressurlatempedesacompagne.

—Edwina,dites-moioui.

Le lendemain, elle téléphona aux enfants pour les rassurer. Patrick vint la chercher et ce fut denouveauletrain.Unferry-boatlesemmenaensuitesurlescôtesverdoyantesd’Irlande.Ilslouèrentunevoiture,serendirentàCashel.Danslesoirquitombait,ilscontemplèrentlonguementlefameuxRockofCashel.Unsilenceimposantrégnaitsurlepitonrocheuxsurplombantdeschampsd’ajoncsetdebruyères.Etlà,dansleslueurscuivréesducrépuscule,ill’enlaçaetcherchaseslèvres.

—Vousavezfaitunlongchemin,Edwina,pourmerencontrer.

Unsouffledeventfraisridaleseauxdulac.Lajeunefemmefrissonna.

—Oui,murmura-t-elle.Nousétionsdestinésànousconnaître.

—Absolument!répliqua-t-ilenriantetenimitantlerudeaccentirlandais.

—Puis,redevenantsérieux:jemesouviendraidecemomentjusqu’àlafindemesjours,monamour.

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Ils retournèrent paisiblement à leur hôtel. Patrick y avait réservé une chambre double, tous deuxsavaientpourquoi.Ilsavaientsipeudetempsdevanteuxettantdechosesàpartager.

LorsquePatrickfitglisserlarobed’Edwinasursesépaules,ellesutquelemomentétaitarrivé.Etplustard,alorsqu’ill’étreignaitavecpassionetdouceur,ellesedit:«Lavoilàmanuitdenoces.»

Oh,pascellequ’elleauraitdûavoiravecCharles…CettenuitétaitdestinéeàPatricketàluiseul.

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Chapitre37

Lesjoursfilèrentrapidementenlonguespromenadesàtraverschampsetauxabordsdulac.PatricketEdwinavisitèrent les ruinesmédiévalesdeCashel, photographièrent la charmantevieille abbaye et lacathédrale gothique… Chaque nuit, ils s’endormirent étroitement enlacés sur le grand lit. Hélas, leurséjour enchanté prit fin en un clin d’œil. Ils prirent le chemindu retour en silence, le cœur lourd. Ilsavaientvolédeuxjourssupplémentairesmaisàprésentc’étaitterminé.Edwinasedevaitdepoursuivrelebutqu’elles’étaitfixé:retrouverAlexia.

Parmoments,unesorted’obscureenvievenaitentachersonaffectionàl’égarddesajeunesœur.Aumoinscelle-ciavaitépousél’hommequ’elleaimait—sitoutefoisilsétaientvraimentmariés.

Accepterait-elledesuivreEdwina?Autermed’unsilongvoyage,celle-cienétaitvenueàendouter.Elleavaitdumalà imaginerque l’onpuisses’attacheràunMalcolmStonemaissavait-on jamais?Etalors?Quedirait-elleàGeorges?Commentluiavouerait-ellelavérité?

Unsoupirenflasapoitrine.Enfait,ellenepensaitpasàAlexianiàGeorges.EllepensaitàPatrick.Samainseglissadanscelledesoncompagnon.Pourlamillièmefoislesregretsl’assaillirent.Souvent,aucœurdelanuit,elles’étaitsurpriseàinventercequ’auraitétéleurviesiPatrickavaitétélibre.Maisilétaitmariéetleresterait.Illeluiavaitditdèsledébut…Iln’yavaitrienàfaire.Rienàespérer.

Le rêve était devenu réalité l’espace d’un instant seulement. Et maintenant, la réalité reprenait ledessus,brisantnetunbonheurfugitifd’àpeinedeuxsemaines.

Lorsque, en compagniedePatrick,Edwina se retrouvadevant l’hôtel sordidedeSoho, son regardfrôlalebraceletflamboyantàsonpoignet.Danslelobbyexigu,PatrickdemandaM.Stone.

—Ilssontlà,réponditlenouvelemployé.Quidois-jeannoncer?

—Personne.C’estunesurprise.

—IlsetournaversEdwina.

—Mieuxvautquejelevoieseul.

—Non,celarisquedefairepeuràAlexia.Jemonteavectoi.

Ellelesuivitdanslesétages,lagorgeserrée.Plusd’unmoiss’étaitécoulédepuisquesajeunesœuravaitdisparu.Georgesreviendraitdesonvoyagedenocesdansdeuxoutroissemaines.Iln’yavaitpasune minute à perdre, or, maintenant que le dénouement était proche, une nouvelle appréhensionl’accablait.Dansquelétatretrouverait-elleAlexia?

Patricks’immobilisadevantlenuméroquel’employéluiavaitindiqué.Elleattenditsurlepalier,lesmainstremblantes,tandisqu’iltambourinaitcontrelaporte.Lebattantroulasurungrandhommeencoreséduisantmalgrésonvisagemarqué.Ilétaitpiedsnus,avecuncigareaucoindeslèvresetunebouteilledewhiskyàboutdebras.Unejoliefilleencombinaisonsetenaitderrièrelui.

Il fallut une minute à Edwina pour reconnaître sa sœur. La manne de cheveux blonds avait étésacrifiéeàunecoiffurecourteetfrisottée.Lestraitsfinsd’Alexiaétaientfardés—beaucoupdepoudre,beaucoupderouge,beaucoupdemascara.Dèsqu’ellelesvit,ellefonditenlarmes.

Malcolmébauchaunerévérencemoqueuse.«Allonsbon,sedit-il, laviragoadégotéunchevalierservant.»

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—Tiens, tiens, voilà de la famille! s’exclama-t-il d’une voix suintant le sarcasme. Que me vautl’honneurdevotrevisite,mademoiselleWinfield?

Patrickrefrénasonenvied’écrasersonpoingsur lamâchoireducomédien.SonregardglissaversEdwina.Celle-cifixasasœur.Toutetracededouceuravaitdisparudesonvisage.

—Alexia,soisgentilledebouclerimmédiatementtesbagages.

EllejetaensuiteàMalcolmuncoupd’œilméprisant.

—Avez-vousparhasardl’intentiond’emmenermafemmequelquepart?s’enquit-ilavecarrogance.

Ilsentaitlecigarebonmarchéetl’alcool.Edwinaréprimaunfrissondedégoût.

—Votreprétenduefemmeadix-septans,monsieurStone,rétorqua-t-ellefroidement.Et,àmoinsquevousvouliezrépondrederaptetdevioldevantlesjuges,jevoussuggèredelalaisserveniravecmoi.

—NousnesommespasenCalifornie,mademoiselleWinfield.

NoussommesenGrande-Bretagne.Jesuislemarid’Alexia.Vousn’avezplusaucundroitsurelle.

Edwinal’ignora.

—Ehbien,Alexia,jet’attends.

—Oh,Weenie…Jel’aime,tusais.

CesmotseurentsurEdwinal’effetd’uncoupdepoignard.Patricklaconnaissaitassezbienpours’enrendrecompte.Pourtoutautretémoindelascène,ileûtétéimpossibledeledeviner,carellen’enlaissarien paraître. Le menton haut, les prunelles traversées d’un éclair belliqueux, elle lança un regardcirculairedans lapièce.Rienne lui échappa.Ni lesnombreusesbouteillesvides, ni lesvêtements entaponsurlelit,nilescendriersdébordantdemégots.

—C’est vraiment ça que tu désires,Alexia?dit-elle lentement, d’un tonqui aurait fait honte à unereine.Oùsontpasséstesrêves?

Tes ambitions? Où est la grande star d’Hollywood? Les villas somptueuses? Les voituresétincelantes?Onpeutdifficilementimaginerfaillitepluscomplète.

Alexia,quiavaitpâli,marmonnaunephraseinintelligible.Aufonddesoncœur,Edwinaregrettalecoup qu’elle venait de lui assener. Ce n’était guère par hasard que la jeune fille avait disparu aulendemaindumariagedeGeorges.ElleavaitagidemêmeaprèsledépartdePhilipàHarvard…Alexiacherchaitunpère.Illuienfallaitun,n’importelequelpourvuqu’ils’occupâtd’elle.

—MonDieu,Edwina…Jenesaisplusoùj’ensuis…

Alexiase remitàpleureràchaudes larmes.Sesespérancess’étaienteffritées lamentablement.Elleavaitcru trouver legrandamourmaisvoilàquelquessemaineselleavaitsu lavérité.Malcolml’avaitpurementetsimplementutiliséedetouteslesfaçons.Laromancetournaitàlafarce.ÀParis,ç’avaitétéaffreux. Il n’avait pratiquement pas dessaoulé et n’avait cessé de tourner autour d’autres femmes. Ill’avaittrompéeàplusieursreprisesmais,bizarrement,elles’étaitmontréearrangeante.Pendantcetemps,il lui fichait lapaix.Les rapportsphysiquesavec lui la laissaient indifférente.Ellenevoulaitquesonamour.Etsesmotstendres.Elleauraitfaitn’importequoipourl’entendrel’appelersonbébé.

—Habille-toi,ditcalmementEdwina,sousleregardadmiratifdePatrick.

—MademoiselleWinfield,vousaveztortdevousenprendreàmafemme.

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Toutenparlant,Malcolmébauchaunpasmenaçantdansladirectiond’Edwina.Celle-cicaptaducoinde l’œil un mouvement de Patrick, mais elle l’arrêta net d’un geste de la main. Elle n’avait aucuneintentiondequittercettepièceavantdeconnaîtrelefinmotdel’histoire.Cetindividuquis’efforçaitdel’intimidern’étaitpasdugenreàépouserquiquecesoit.

—Avez-vous une preuve de votremariage avecma sœur,monsieur Stone? s’enquit-elle avec unepolitesse glacée.À propos,Alexia, comment as-tu réussi à te déplacer sans papiers?As-tu obtenu unpasseportàNewYork?

LajeunefilleavaitrevêtuunetenuedesoieécarlatequifîtgrincerdesdentsàEdwina.

—Malcolmaditaucommandantdebordquej’avaiségarémonpasseport.J’aiétésimaladependantlatraverséequ’onn’apasvoulumedéranger.

—Malade?

Edwinasefiguraitparfaitementparquellesaffressasœuravaitdûpasser.

—Lemédecinm’adroguéeetj’aidûrestercouchéetoutlelongduvoyage,réponditnaïvementcettedernièreenenfilantsesescarpins.

EdwinahaussalessourcilsetsonregardseposasurMalcolm.

—Droguée?Leschargess’accumulent,monsieurStones.

Détournementdemineure,viol,usagedestupéfiants…N’importequellecourvouscondamneraitsansappelsijamaislafantaisievousprenaitderetournerauxÉtats-Unis.

L’acteurgrimaçaunsourire.

—Oui?AllonsmademoiselleWinfield,nesoyezpasstupide.Votrefrèreseratropcontentd’étoufferl’affaire.Savez-vouscommentilseconduiralegrandhomme,mademoiselleWinfield?Ilsetaira.Toutcomme vous, d’ailleurs. Vous êtes trop soucieux de l’honneur familial pour me traîner devant lestribunaux.

—Georgesn’auraplusqu’àchercherdescontratsmirobolantsàsonbeau-frère.Àdéfaut,jepourraismecontenterd’unepetiterente.

Elleleregarda,horrifiée,tandisqu’iléclataitd’unrirenarquois.

—Alexia,ditEdwinaenfixantsasœurdanslesyeux,as-tuépousécethomme?Réponds-moi, il lefaut.Auras-tulecouragedecontinueràmentiraprèscequetuasentendu?

Unsilencesuivit,interminable.Lesjouesenfeu,AlexiafinitparsecouerlatêteetMalcolmlâchaunjuronàmi-voix.

—Je l’aicruaudébut. Ilm’a faitcroireque j’étais trop ivrepourme le rappeler. J’ai suaprès lavérité.Cemariagen’ajamaiseulieu.

Alors,ilm’apromisdem’épouseràParis.Maisilm’abernéeunefoisdeplus…Etje…

Leslarmesétranglèrentsavoix.Edwinarefoulauncridetriomphe.

—Patrick,emmenez-la.

—Je ne vous le permets pas! grinça Stone, cherchant frénétiquement un nouveau stratagème. Vousserieztousbienembêtéssielleétaitenceinte.

—Jenelesuispas!jetaaussitôtAlexiaenallantseplaceràcôtédesasœuraînée.Tunem’asjamais

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vraimentaimée,Malcolm.

—Maissi,jetelejure.Net’envapas,bébé.Nousnousmarieronsdèsdemainsituveux.

Edwinas’interposa.

—Assez,monsieur.JenepartiraipassansAlexia,dussé-jeuserdelaforce.

—Essayezdonc!…

—Ilfitunpasenavant,puisavecuncoupd’œilobliqueendirectiondePatrick:—etd’abordquiest-ce,celui-là?

EdwinaouvritlabouchepourrépondremaisPatrickladevança.

—Jesuismagistrat,déclara-t-ild’untonsansréplique.Ditesencoreunmot,essayezencoreunefoisderetenircetteenfantetjevousflanqueenprisonavantdevousinterdiredeséjourdanscepays.

Pour lapremièrefois,MalcolmStoneparutdésarçonné.Unmagistrat…Ilavaitperdulapartie.Safigurevira augris cendre.Avecungested’impuissance, il les regarda sortir.Sur le seuilde laporte,Alexiatournalatête.Leursregardss’accrochèrentuninstantseulement.L’instantsuivant,ellen’étaitpluslà.

DanslavoiturequilesconduisaitauClaridge,Edwinaremerciasilencieusementleciel.Ilnerestaitplusqu’àramenerAlexiaàSanFrancisco.Etàlaconsoler.

À l’hôtel, Alexia éclata en sanglots hystériques implorant le pardon d’Edwina et celle-ci la tintenlacéecommeuneenfant,jusqu’àcequesespleurssesoientapaisés.Puis,lalaissantdanslachambreoùelleavaitfinipars’endormir,Edwinadescenditausalon.Patrickl’attendait.

—Commentva-t-elle?

Il paraissait sincèrement inquiet. Il ne lui avait pas fallu plus de cinqminutes pour comprendre lasituation.Une petite fille innocente et fragile, une crapule qui avait abusé de sa naïveté et de sa soifd’affection.

—Elleserepose,réponditEdwinaenselaissanttomberdansunfauteuiletenacceptantlaflûtedeChampagnequ’illuitendait.

—Queltristesire!J’espèrequ’ilnevousimportuneraplus.

—Je l’espère également. Dieu merci, il s’est montré trop paresseux pour l’épouser. J’aurais faitannulerlemariage,biensûr.Jen’avaisqu’unehantise:quelesjournauxs’emparentdecettelamentablehistoire.

—Etmaintenant,Edwina?

—Nous rentrons chez nous… Avec un peu de chance, personne n’en saura rien. Mais il faut unpasseportàAlexia.

Ilhochalatête.

—L’ambassadeuraméricainestunami.Jepeuxluidemanderceservice.

Ilsourit,sachantqu’ilutiliseraitlesubterfugedecefumierdeStone.Ilraconteraitaudiplomatequelajeunefilleavaitperdusespapiersenvoyageantavecsasœur.

—Peux-tume rendreun autre service,Patrick? Jevoudraisque tu appellesMmeFitzgeralddemapart. Elle ne doit plus être de la première jeunesse et je n’ose pas la déranger.Cependant, si elle le

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désire,j’aimeraisluirendrevisite.

—Oui,fit-ilaprèsunsilence.

—J’aienviedeluifairemesadieux,poursuivit-elledoucement.

Ellen’enavaitpaseul’occasionparlepassé.Maisc’étaitàCharlesqu’elleadresseraitcesadieux,elle le savait au fond de son cœur. Et, peut-être sans le savoir, Patrick l’avait aidée à prendre cettedécision.

—Jeluitéléphoneraidanslamatinée,promit-ilenselevantpourposeruntendrebaisersursajoue.Àdemain.

—Jet’aime,murmura-t-elle.

Ellelevitsourire,sentitsesmainssursesépaules.

—Moiaussi.

Lafindeleurrencontreétaitproche,tousdeuxlesavaient.Ilsedétachad’elleetpritladirectiondela sortie d’un pas lent, à contrecœur. Edwina le suivit d’un regard désolé. L’idée de leur séparationimminenteluiétaitintolérable.

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Chapitre38

Onfrappaà laporte.Alexiaallaouvrir.L’espaced’unesecondeelle regarda levisiteur,pétrifiée,avantdes’élanceràtraverslasuiteverslachambred’Edwina.

—Lemagistratestrevenu,chuchota-t-elle,affolée.

Lajeunefemmesortitdanslesalon.

—Iln’estpasmagistrat,fit-elleenriant.C’estPatrickSparks-Kelly,unami.

—Commesasœurlascrutait,ellesecrutobligéed’ajouter:ilestlecousindeCharles.

—Pourtant,hier…iladit…

Patrickluisourit.Sanssonlourdmaquillage,Alexiaavaitretrouvétoutelafraîcheurdesesdix-septans.

—J’aijustevoulufairepeuràvotreRoméodepacotille.Etdurestecelaafortbienmarché.

IlsetournaversEdwina.Ilsdevaientpasserau4GrovesnorGardenschercherlepasseportd’Alexia,dit-il.Parailleurs,LadyFitzgeraldlesattendaitàonzeheures.

—A-t-elleétésurprised’entendredemesnouvelles?

—Elles’estsimplementdemandécommentnousnoussommesrencontrés.

Uneombred’inquiétudepassadansleregarddelajeunefemme.

—Etaprès?

—Jeluiaiexpliquéque,paruneheureusecoïncidence,nousavonsfaitconnaissancesurlebateau.

—Jecrainsqu’ellenesoitbouleverséeparmavisite.

LamèredeCharlesdevaitavoirsoixante-dixansmaintenantetEdwinaauraitvoululuiévitertouteémotioninutile.

—Aucontraire,ellem’aeul’airravie.Ellea,jepense,depuislongtempstrouvélapaixdel’esprit.

Ilavaitditvrai,Edwinaputleconstateruneheureplustard.MmeFitzgeraldl’accueillitavecchaleur.Discrètement,PatricketAlexiaseretirèrentsousprétexted’admirerleparcàlafrançaise,laissantseuleslesdeuxfemmes.

—J’aitoujoursespéréquevousalliezrefairevotrevie,Edwina,déclaradoucementlavieilledame.Je présume que vos devoirs vis-à-vis de vos frères et sœurs vous ont entièrement accaparée…Queldommagequevotremamansoitmortedansl’accidentavecvotrepère…Seigneur,quelgâchis!

—Toutescesviesperduespourrien.Parlanégligencedelacompagniequin’apasprévuunnombresuffisantdecanotsdesauvetage…Oh,silecommandantdebordn’avaitpasétéassezbornépourallerjeter sonnaviresurun iceberg…Si la radiodubateau leplusprocheavait fonctionné…Si…—ellemarquaunelégèrepause.

—Jen’aipascesséd’yréfléchirdesannéesdurant.J’enaiconcluquemonCharlesn’auraitpaspusurvivre.Ledestinl’avouluainsi…

Vousdevriezêtrereconnaissanted’avoirétéépargnée,machèreenfant,etprofiterdechaqueinstant

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delavie.

Edwinaluisouritencontenantseslarmes.Enunéclair,ellerevitsapremièrerencontreavecCharles,puissongeaàsonvoiledemariéeetremerciaMmeFitzgeralddeleluiavoirenvoyé.

—Ilétaitàvous,Edwina.Jen’avaispasledroitdeleconserver.

—Mabelle-sœurl’aportéilyaunmois…

Ellepromitàsonhôtessedeluienvoyerdesphotosdumariage.

Lavieille ladyhochala tête.Sonmaris’étaitéteintunanplus tôt,sapropresantés’étaitdégradéemaisrevoirlafiancéedesonfilsluiréchauffaitlecœur.

—LapetiteAlexiaestaussiravissantequevousl’étiezàsonâge,bienquesescheveuxsoientplusclairs…

—J’espèrequejen’étaispasaussiétourdiequ’elle,souritEdwina,flattéed’êtrecomparéeàAlexia.

—Oh, vous étiez loin d’être étourdie. Et, par la suite, vous avez fait preuve d’un courageexceptionnel.Jevoussouhaitederencontrerunhommedignedevous…Durant toutescesannéesvousvousêtesaccrochéeàlamémoiredeCharles,n’est-cepas?

Deslarmesfestonnèrentlescilsd’Edwina.ElleregardaMargaretFitzgeraldet,pendantuninstant,lesouvenirdeCharlesfutsifortqu’elleenfutsuffoquée.Ensepenchant,lavieilledameluieffleuralajoued’unbaiser.

—Ilestheureuxlàoùilest,toutcommevosparents,murmura-telle.Ilfautlaisserlesmortsenpaix,machérie.Ilesttempsquevoussongiezàvotrebonheur…Charlesl’auraitsouhaité.

—J’aiétéheureuseaveclesenfants,protestalajeunefemmeensemouchantàl’aidedumouchoirquePatrickluiavaitdonné.

—Ce n’est pas ça le bonheur, Edwina, vous le savez… Reviendrez-vous de temps en temps enAngleterre?fit-ellepeuaprès,tandisqu’ellesallaientrejoindrelesautresdanslejardin.

Lajeunefemmeréponditparunvaguesignedelatête.Ellesesentaitépuisée.MmeFitzgeraldavaitraison…Lebonheur,c’étaitautrechose.Depuisqu’elleavaitconnuPatrick,ellenepouvaitplusse lecacher…Patrickqu’elledevraitbientôtquitter.

EllefitsesadieuxàlamèredeCharlesversmidi.PatrickinvitalesdeuxsœursàdéjeunerauRitz…Dans l’après-midi, ils réservèrent deux cabines de première classe à bord de l’Olympic et allèrentensuitechercherlepasseportd’Alexia.

Lesdeuxjeunesdamesavaientbiendelachance,fitremarquerl’employédel’agencedevoyages.Legrandpaquebotappareillait le lendemainmatin…Uneondedepanique transperçaEdwina.SonregardcherchafébrilementceluidePatrick.Ellevitlatristessedanssesprunelles.

Danslasoirée,Alexia,quisemblaitavoiracquisunecertaineexpériencedelavie,seretiratôt,sousprétextequ’elletombaitdesommeil.Restésseuls,PatricketEdwinadégustèrentunedernièrecoupeaubarduClaridge.

—Jenesaiscommentjeferaipourtedireadieudemain,admit-elleàvoixbasse.Oh,Patrick,nousvenonsjustedenoustrouver,pourquoifaut-ilseséparer?

Saquestionsepassaitderéponse.ElleavaitmisplusdeonzeanspourdireadieuàCharles.

—Nousaccompagneras-tuàSouthampton?questionna-t-ellepeuaprès.

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—Non,machérie.Ceseraittropdur…Noslarmespourraientéveillerl’attentiond’Alexia.

—Jecroisqu’elleatoutcompris.

—Alorsvousaurezchacunevotresecret.

Ils’inclinapourl’embrasser.Ilsavaientpartagéunmomentunique.

Obscurément,EdwinasentaitquePatrickl’avaitlibéréedescontraintesqu’elles’étaitimposées.Ilselevaitpourprendrecongéetelledemanda:

—Allons-nousnousrevoir?

—Sansdoute…Situreviensici.Ousijevaislà-bas.JenesuisjamaisalléenCalifornie.

Elleleregarda,sachantpertinemmentqu’ilsnesereverraientplus.Ilsenétaientconvenusdepuisledébut.Parsonamour,Patrickavaitbriséleslourdeschaînesquil’avaiententravéedepuissilongtemps.Ellel’accompagnajusqu’àsavoiture.

—Jet’aime,chuchota-t-il.Jet’aimedésespérément.Jet’aimeraitoujours.Jen’oublieraijamaisnotreséjourenIrlande.

Leurs lèvres s’unirent une dernière fois… Puis il se glissa derrière le volant et démarra sans unregardenarrière.Edwinarestadeboutsurletrottoirunlongmoment,donnantlibrecoursàseslarmes.

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Chapitre39

Elles partirent le lendemain matin pour Southampton. Elles connaissaient le trajet pour l’avoireffectuédesannéesauparavant.Àceciprèsque,cettefois-ci,ellesétaientseules.Deuxsurvivantes,deuxsœursetamies…Lavoiturefilaitsurlaroute,leregardd’Edwinademeuraitrivésurlavitre,Alexiasetaisait,respectantsonchagrin.

Unefoisàborddel’Olympic,ellesserendirentimmédiatementdansleurscabines.Peuaprès,àlagrandesurprised’Alexia,Edwinavoulutmontersurlepontsupérieurafind’assisteraudépart.Elles’yrenditseule—Alexiaavaitpréférésereposer.

Legigantesquetransatlantiquesemitàfendrelentementleseauxgrisâtresduportausonrauquedessirènes.Appuyéeaubastingage,Edwinacontemplauneultimefois lacôtebritannique.Soudain,elle levit.Ilsetenaitsurlequai,lesyeuxfixéssurelle,lamainlevéeenungested’adieususpendu.Àtraversseslarmes,elleluisoufflaunbaiser.Patrickrestalà,immobile,jusqu’àcequelenavirenefûtplusqu’unpointblancàl’horizon.

QuandEdwinaregagnasacabine,Alexias’étaitendormie.Plustard,danslamêmejournée,ilyeutunexercicedesauvetage.Maiscurieusement,cefutPatricketnonCharlesquis’imposaàsonesprit.

Unsourireempreintdenostalgiebrillasurseslèvresetellerevitlesscènesdeleurbrèverencontreavecunehallucinanteprécision.

Unemouettesurvolalebateauàtire-d’aileluirappelantlesmotsdePatrick.«J’ouvrirailacageetvous serez libredevous envoler. »Son sourire s’élargit…À trente-deux ans, elle avait été follementaiméepardeuxhommes,cen’étaitpassimalpourune«vieillefille».

—Tues tombéeamoureusede lui, n’est-cepas?demandaplus tardAlexia.EtEdwinadétourna leregard.

—C’étaituncousindeCharles.

Cen’étaitpasuneréponsemaissasœurn’insistapas.

—Tu crois queGeorges apprendra ce qui s’est passé avecMalcolm? fitAlexia après un silence,revenantàsonprincipalsujetdepréoccupation.

—Iln’ensaurarien,àconditionqueturestesdiscrète.

—EtsiFannieaparlé?Ouquelqu’und’autre…

—Alors tantpis!ditEdwinaluiparlantpour lapremièrefoiscommeàuneadulte.Tuprendras tesresponsabilitésetilfiniraparcomprendre.C’estàcelaqueserventlesépreuvesdelavie.Àseforgerunepersonnalité.Quandtuparviendrasàfairelapaixavectoi-même,tugagneraslapartie.

Alexial’embrassagentimentsurlajoue.

—Mercidem’avoirtiréedecemauvaispas.Jecroisquej’aireçuunebonneleçon.

«Moiaussi»,songeaEdwina,maisellerépliqua:

—Jeseraitoujours,làchaquefoisquetuaurasbesoindemoi…

Pasavantunbonboutdetemps,espérons-le,ajouta-t-elledansunrireclair.

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—Oh,sûrement,rétorquaAlexiaenriantelleaussi.

Durant la traversée, lesdeux femmes restèrent laplupartdu tempsdans leurs cabines.Elles lurentbeaucoup,jouèrentauxcartes,parlèrentdemillechoses.Audired’Alexia,lecinémarestaitsapassion.Edwinaluisuggérad’attendresesdix-huitansavantdeprendreunedécisionetelleaccepta.SonaventureavecMalcolmStonel’avaitmûrie.Àprésent,elleseméfieraitdeshommes.

Heureusement,Edwinasauraitlaprotéger.

—Laprochainefois,tuserascapabledeteprotégertouteseule,Alexia.

Celle-ciendoutait.Àsesyeux,Fannieavaitunesacréechance.Illuifallaitjusteunmarietunfoyerpourêtreheureuse.Riennelasatisfaisaitdavantagequeréussirunbondîner.

—Toutlemonden’estpasfaitpourreleverdesdéfis,réponditEdwina.C’estundomaineréservéàunpetitnombre.Ceuxquisetrouventhorsdececerclemagiquenecomprennentpastoujours.

Elles firent quelques connaissances parmi les passagers et toutes deux éprouvèrent un immensesoulagementquandlesgratte-cieldeNewYorkseprofilèrentàl’horizon.Edwinaneputs’empêcherdepenseràPatrickquidevaitavoirgagnésademeurelondonienne.Illuiavaitenvoyéunegerbederosessurlebateaulejourdudépart,avecunmot.«Jet’aime,P.»Unenouvellegerbel’attendaitdanssasuiteduRitz-Carlton.«Jet’aime.Adieu…»Ellecontemplauninstantleséclatantescorollespourpresavantd’enfouirlacartedebristoldanssamallettedevoyage.

Le soir-même, elles appelèrent les enfants de l’hôtel. Georges avait téléphoné deux fois, annonçaFannie.

—Jeluiaiditqu’Alexiaétaitsortieetqu’Edwinanepouvaitpasluiparlercarellesouffraitd’unelaryngite, pouffa-t-elle, assez fière de sa prestation…M.Horowitz a téléphoné également et je lui airacontélamêmechose.Venezvite!VousmemanquezetàTeddyaussi.

Le lendemain, Edwina etAlexia grimpèrent dans le rapide deLosAngeles et, quatre jours après,ellesétaientenfinàlamaison.Lesretrouvaillesfurentémouvantes.TeddyetFannieexultaient.

—Plusjamaisjenerepartiraid’ici,affirmaAlexiaenlesserrantdanssesbras.

—PasmêmeàHollywood?lataquinaEdwina.

La sonnerie du téléphone interrompit leurs effusions. C’était Georges, fraîchement revenu de sonvoyagedenoces.Helenpritàsontourl’appareil.

—Edwina?Jen’ensuispasencoresûremaisjecroisêtreenceinte,murmura-t-elle.

—Oh,maisc’estmerveilleux!

Pourtant,unepointed’envieluipiqualecœur.Helenétaitdedixanssacadetteetavaitunmariquil’adorait…

—Commentvatagorge?

C’étaitGeorges,denouveau.

—Comment?

—Ellesesouvintbrusquementdel’histoiredeFannie.

—Ah,oui,beaucoupmieux.J’aidûattraperfroid.Maisc’estfinimaintenant.

—J’ensuisravi.J’airêvédetoi,tusais.Unrêvebizarre…

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Il l’avait imaginéesurunpaquebot,s’était réveilléensursaut,enproieàuneviveangoisse.Helenl’avaitconsolédesonmieuxetcefutcettenuit-làquelebébéfutconçu.

—Quandviendrez-vousnousvoir?demanda-t-il.

Edwinasetut,hésitante.L’idéemêmedudéplacementl’emplittoutàcoupd’appréhension.

—Etvous?Viendrez-vouspourThanksgiving?tergiversa-t-elle.

—Justement,Samvoudraitvousinviterchezluicetteannée…

IlavaitpromisàHelendemettreEdwinadevant le faitaccomplienprécisant toutefoisquesiellerefusaitilsiraientàSanFrancisco.

—Pourquoipas…fit-elleaprès réflexion.Celanouschangera.EtFanniequivoulaitnouspréparerunedinderôtie…Lapauvrepetiteseradéçue.

—Qu’àcelanetienne,ellelaferarôtirchezSam,gloussaGeorgesàl’autreboutdufil,entapotantleventreplatdeHelen.Tuluidonnerasuncoupdemain,n’est-cepasmachérie?

Helenémitungémissementdésespéré.Elleétaitincapabledefairedesœufsauplat.

—C’estpeut-êtrepourçaqueSamaappelé,ditEdwinapensivement.

—Sansdoute…Alors,àdansunmois,Weenie.

Elleraccrocha.Àl’annoncedeleurprochainvoyageàLosAngeles,TeddyetFanniepoussèrentdescrisdejoie.MêmeAlexiaparutenchantée.

—Jenepensaispassortirsivitedecettemaison,fit-elleetEdwinaeutunrire.

Leur grande aventure avait fait naître une nouvelle complicité entre elles.De leur côté, Fannie etTeddysemblaients’entendreàmerveille,nepouvantsepasserl’undel’autre.

Soudain,iln’yavaitplus«d’enfants»,seditEdwinaensecouchantcesoir-là.Oneûtditdegrandespersonnes. Le sommeil alourdit ses paupières et, comme toutes les nuits depuis qu’elle avait quittél’Angleterre,lajeunefemmesepritàpenseràPatrick.Etcommedansunrêve,ellerevécutleurbrèveidylle.Lebateau,letrain,leséjourenIrlande,leursétreintespassionnées,lascèneavecMalcolmStoneetAlexia,lebraceletendiamants,lavisiteàMmeFitzgerald…Unesuccessiond’imagesfulgurantesquijamaisnepâliraient.

LesvacancesdeThanksgivingarrivèrentsansqu’elles’enaperçoive.ToutelafamilleseretrouvaàLosAngeles.HelenetGeorges lesattendaientsur lequaide lagare. Ilsétaient resplendissants.HelenavaiteuconfirmationdesagrossesseetSamexultait.«Ceseraungarçon»,avait-ildécrété.

Ledînerfutparfait.Fannieprouvasestalentsdecuisinièreenpréparantunedinde«spéciale»quiluivalutunefouledecompliments.Peuaprès,setournantversHelen,l’adolescentedemandasiellepourraitvenirs’occuperdubébé.Laquestionpritlafuturemamandecourt.Lanaissanceétaitattendueenjuin,audébutdesvacancesscolaires,etcelasemblacomblerd’aiseFannie.

—Etmoi?geignitTeddy.Quivametenircompagniecetété?

—Tuserasoccupéaustudio,fitGeorgesensouriant.Ontetrouverabienunpetitjob.

Teddyavalaenjubilantunebouchéedetarteaupotiron—uneautredesfameusesrecettesdeFannie.Lerepass’achevadanslabonnehumeurgénérale.Legroupes’éparpilladanslesalon.

HelenproposaunepartiedecartesauxdeuxjeunesWinfield,GeorgessemitàdiscuteravecAlexia

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desonprochaincontrat.SaminvitaEdwinaàfaireuntour.

—Mercidevotrehospitalité,dit-elletandisqu’ilssepromenaientdanslejardin.Lesenfantsensontravis.

—Vouspouvezêtrefièred’eux,Edwina.Vossacrificesn’aurontpasétévains…Maisqu’allez-vousfairequandilsserontgrands?

—La même chose que vous, Sam. Vous attendez des petits-enfants, j’attendrai des neveux et desnièces.

Danssonesprit,ilsétaientdelamêmegénération,cequiétaitfaux.Elleavaittrente-deuxansetSamenavaitcinquante-cinq.Ilsecouala tête tandisqu’ilscontinuaient leurpromenadedanslafraîcheurdusoir.

—Cen’estpaslamêmechose,Edwina.J’ai toutunpasséderrièremoi, j’aieuunefemmequej’aiadorée… et qui m’a cruellement blessé. Mais au moins j’ai vécu ma vie. Pas vous. Vous vous êtesentièrementdévouéeàcesgamins.Vousleuraveztoutdonnéetc’esttoutenvotrehonneur.Or,ilestgrandtempsdepenseràvous.

Vousavezbesoind’autrechosequedeneveuxetdenièces.Ilvousfautunmari,desenfantsàvous…

Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous? Pourquoi la terre entière s’acharnait-elle à lamarier? Patrick,LadyFitzgeraldetmaintenantSam…Ellesourit.

—J’aiélevécinqenfants,murmura-t-elle.Etjelesaiaiméscommes’ilsavaientétémiens…Oui,jecroisquejelesaiaimésplusqueleurpropremère,acheva-t-elleaprèsunehésitation.

Kateleuravaitpréférésonmari,ajouta-t-ellementalementet,pourlapremièrefois,cettepenséenesuscita pas sa colère. Elle regarda Sam, surprise de se sentir aussi à l’aise en sa présence, puis osaformulerunequestionsanscraindredeparaîtreindiscrète.

—Pourquoi avez-vous dit que votre femme vous a blessé? Je croyais qu’elle était morte dans unaccidentdetrain.

Illuirenditsonregardavecunpetitsourireamer.

—Eneffet.Ellem’avaitquittéetavaitpriscetrainavecunautrehomme.Helenn’avaitqueneufmoisàl’époque.Jeneluiaijamaisdévoilélavérité.

Edwinaleconsidéra,interloquée.

—Oh…celaadûêtreaffreux.

Ilfitouidelatêteetunevagued’émotionmêléed’admirationsubmergeaEdwina.

—Jeluienaivoulupendanttrèslongtemps,dit-ilenfin.Marancunem’adévorédesannéesdurant.Àlalongue,jeluiaipardonné…Aprèstout,ellem’alaisséHelen.

Lajeunefemmeacquiesçaensilence.CesaveuxjetaientunenouvellelumièresurlapersonnalitédeSamHorowitzetsurlanoblessedesessentiments.«Dommagequ’ilnesesoitpasremarié,pensa-t-elledistraitement,vingtetunansdesolitude,c’estlongpourunhomme.»Biensûr,ilavaiteuquelquesflirts,quelquesliaisonséphémèresavecdesactrices,ellelesavaitparGeorges.Riendesérieux.Sams’étaitconsacréàsafilleetàsonmétier…Àsontour,ilposaunequestionquiclouaEdwinasurplace.

—Aufait,comments’estpassévotrevoyageenEurope?

—Euh…qu’est-cequivousfaitpenserquej’aiétéenEurope?

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—Pardéduction. J’ai téléphonéuneoudeux fois chezvous et votrepetiteFanniem’a racontéunehistoiredelaryngiteàdormirdebout.«Edwinanepeutpasparler,ellen’aplusdutoutdevoix»,singea-t-il,tandisquelajeunefemmeéclataitderiremalgréelle.

Ilssedévisagèrentuninstant.Lesoirétaittombé,leclairdelunericochaitsurlestraitsvirilsdeSam.

—J’aimenémapetiteenquête,poursuivit-il,etj’aifinipardécouvrirlepotauxroses.M.Stoneavaitbeletbiendisparuencompagnied’Alexia.Parrecoupement,j’aiconcluquevotrefameuselaryngiteétaitpureinvention.Vousauriezpumedemanderdel’aide,Edwina.J’aiétéunpeudéçuquevousnel’ayezpasfait…Vousavezprislebateautouteseule?

Elleopinadelatête.

—Celan’apasdûêtreunepartiedeplaisir…Etvousl’avezretrouvée,n’est-cepas?Oùétait-elle?

EllesouritausouvenirdePatrickjouantsonrôledemagistrat.

—ÀLondres.

—AvecStone?

—Oui,répondit-elleaprèsuninstantd’hésitation.Georgesn’estpasaucourant.

—Jesuisunetombe,fit-ild’unairmalicieux.N’ayezcrainte.

Elle sut qu’elle pouvait lui faire totalement confiance. C’était un homme intelligent, discret,respectueuxdesautres.

—EtStone?demanda-t-il.

—IlestrestéenAngleterre.IlaunepeurbleuedeGeorges.

—Ehbien,iladuflair.Votrefrèrel’auraittués’ilavaitsuetiln’auraitpastort.Monépouseinfidèlem’aenseignéuneméfiancedont jemeseraisbienpassé,maisgrâceà laquelle j’aisoupçonnélafugued’Alexia.GrâceàDieu,ellesembles’êtreassagie.

—Toutàfait.Ellenesongeplusqu’àsacarrière.

Lorsqu’elleauradix-huitans,ellerecommenceraàtourner.SiGeorgesestd’accord.Maisillesera.

—Etvous,Edwina?Qu’allez-vousfairemaintenant?

Ilplongeasonregarddansceluid’Edwina.IlyavaituneinterrogationmuettedansceluideSam.

—Jen’ensaisrien,soupira-t-elle,presqueavecinsouciance.Jecontinueraiàm’occuperd’euxtantqu’ilsaurontbesoindemoi.

Ildemeurasilencieuxunlongmoment,refoulantunephrasequiluibrûlaitleslèvresetqu’iln’osaitpasencoreformuler.Ilss’étaientarrêtésdemarcheretsefaisaientface.Dansleclairdelune,levisaged’Edwinaencadrédesasombrecheveluresemblait taillédansl’albâtre.Sesyeuxbleusbrillaientd’unéclatdiamanté.

—Prenezgarde,murmura-t-il.Unjourvousvousretrouverezseulecommemoi.Ilsseronttouspartissansmêmequevousvousenrendiezcompte.Onn’estpasfaitpourvivreseul,Edwina.Jel’aicomprislejouroùHelenaépouséGeorges.J’avaisbâtiunempirepourelleetsoudainellen’étaitpluslà.Puisj’aidécouvert aussi que cet empire, je l’avais bâti pour moi-même et que je n’avais personne pour lepartager…Jemesuissentialorsterriblementseul.Commesitoutcetamourquej’avaisdonnéàmafilleet,avantelle,àmafemme,n’avaitserviàrien.Biensûr,j’auraibientôtdespetits-enfants…maiscelane

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suffitpas.Jevousaibienregardéecejour-là,Edwina…

Ils’interrompit.Salargemainemprisonnacelledelajeunefemme,sonvisageserapprochantdusien.Elleleregarda,étonnéeparsonattirancepourlui.C’étaitlegenred’hommequel’onaenviedechérir,avec lequel on voudrait faire un bout de chemin… La sensation fut si forte que, soudain, elle pensaqu’ellel’aimait.

Ettandisqu’elles’efforçaitd’analysercesentimentsiinattendu,ileutunsourire.

—Jevoudraisvousrendreheureuse,Edwina.C’estmondésirlepluscher.Voustenirlamain,vousconsolerquandvousavezdelapeine,rireavecvousquandvousvousamusez.Êtreàvoscôtéschaquefoisquevousenaurezbesoin.Nousavonsdroitnousaussiàunepartdebonheur.

Elle se tut un instant, ne sachant quoi répondre. Elle avait passionnément aimé Charles, avait étéfollementéprisedePatrick…

Et,curieusement,Samétaitpeut-êtrel’hommequ’elleavaitcherchédepuisdesannéessansmêmelesavoir.Ellelesutsoudaincommeonserendcompted’uneévidence.«Unsigrandamour»,disaitKate.

Edwinacompritbrusquement le sensdecesparoles.C’était biencela, sedit-elle, cegrandamourpourlequelonsesentprêtàtout.Mêmeàmourir…PrèsdeSamelleconnaîtraitunbonheuraussiparfaitqueceluidesesparents,elleeneutbrusquementlaconvictionabsolue.

—Jenesaisquoirépondre,fit-elleavecunsouriretimide.

Jusqu’alorsellel’avaitsimplementconsidérécommelepèred’Helen…Oulebeau-pèredeGeorges.L’ami fidèle qui l’avait réconfortée quand Alexia avait pris la fuite. Quelqu’un sur lequel on peutcompter.Etquel’onpeutaimertoutnaturellement.

—QuedirontHelen,Georgesetlesautres?s’inquiéta-t-elle.

—Ilsdirontquej’aiunesacréchance.Edwina,neditesrien…

prenezletempsderéfléchir…ouplutôt,sivouspensezquejesuisfou,dites-lemoi.

Ilfixasurelleunregardimplorantetcharmeur,unregarddepetitgarçonquilafitrire.

—C’esttoutréfléchi,Sam.Nousdevonsêtrefoustouslesdeux,maisjecroisqueçaenvautlapeine.

Ellevitlablancheurdesonsouriredanslasemi-obscurité,puisillapritdanssesbrasetunardentbaiserlesunit.