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Un système de paiement privé peut-il exister sans référence à une monnaie
officielle ? Etude de cas du credito en Argentine (1995-2008)
Pepita OULD-AHMED
(UMR 201, Université Paris 1, IRD)
Abstract
Le développement de monnaies privées, parallèles au système monétaire officiel, est analysé par la
littérature spécialisée à travers la question de la concurrence ou, au contraire, de la complémentarité que pose de
fait la coexistence de ces monnaies; ou bien au travers des conséquences de leur essor, en termes de politique
monétaire et de souveraineté des Etats, ou encore en termes de dynamique locale et de transformation de la
nature des échanges. L’émergence de telles monnaies soulève également une tout autre question. Elle se pose
avec acuité pour celles qui ont pour particularité de ne pas être convertibles avec la monnaie officielle. Celles-ci
se développent en particulier au sein de systèmes d’échanges locaux et connaissent un essor croissant depuis le
début des années 1980, dans les pays dits développés et dans ceux dits en développement. Néanmoins, l’essor de
ces monnaies a de quoi surprendre. En effet, celles-ci sont non seulement inconvertibles avec la monnaie
officielle, mais en outre elles offrent un accès à un espace marchand très circonscrit. Aussi, la question que l’on
souhaiterait examiner dans cet article est la suivante : pourquoi, et sous quelles conditions, ces monnaies privées
inconvertibles avec la monnaie officielle parviennent-elles à être acceptées?
Ce qui est proposé ici est de soumettre cette question théorique à un cas concret, celui des « clubs de
troc» se sont développés en Argentine à partir de 1995. Ces derniers désignent des espaces d’échanges
marchands au sein desquels les transactions économiques sont réglées à l’aide d’une monnaie papier interne, le
« credito », émise par les fondateurs de ces clubs, et non convertible avec la monnaie officielle. Cette expérience
empirique est d’autant plus intéressante que, contrairement aux autres systèmes monétaires locaux recensés
jusque-là, elle a connu une ampleur sans précédent : les « clubs de troc » se sont en effet développés sur tout le
territoire national et ont concerné des millions de personnes. Aussi, pour revenir à la question qui nous interpelle
ici, comment et pourquoi la monnaie credito a-t-elle été acceptée? Quelles sont les conditions, les référents, qui
ont rendu son acceptation possible? En dépit de son inconvertibilité, est-ce que ce système micro-monétaire peut
fonctionner de manière indépendante et cloisonnée, ou bien a-t-il besoin de nouer des rapports avec le système
macro-monétaire officiel? Telles sont les questions auxquelles cet article se propose de répondre.
2
Introduction
Le développement, sur un territoire donné, de monnaies privées, parallèles au système
monétaire officiel, est analysé par la littérature spécialisée à travers la question de la
concurrence1 ou, au contraire, de la complémentarité2 que pose de fait la coexistence de ces
monnaies; ou bien au travers des conséquences de leur essor, en termes de politique
monétaire3 et de souveraineté des Etats4, ou encore en termes de dynamique locale et de
transformation de la nature des échanges5. L’émergence de telles monnaies soulève également
une tout autre question. Elle se pose avec acuité pour celles qui ont pour particularité de ne
pas être convertibles avec la monnaie officielle. Celles-ci se développent en particulier au sein
de systèmes d’échanges locaux6 et connaissent un essor croissant depuis le début des années
1980, dans les pays dits développés d’abord (Canada, Etats-Unis, Japon, France, Allemagne,
Royaume-Uni, etc.), puis, à partir des années 1990, dans les pays dits en développement
(Mexique, Argentine, Brésil, Sénégal, Afrique du Sud, Thaïlande, Indonésie, etc.). Pour
donner une idée de leur importance, on recensait déjà plus de 2 500 monnaies privées non
convertibles dans le monde en 2001 (Lietaer, 2001). On peut citer par exemple, pour
mentionner les plus connus, les LETS7 (Local Exchange Trading Scheme) développés dans de
nombreuses sociétés capitalistes, mais aussi le « time dollar » et l’« Ithaca hour » aux Etats-
Unis, ou le « saltspring », le « Toronto dollar » et le « Calgary dollar » au Canada.
Néanmoins, l’essor de ces monnaies a de quoi surprendre. En effet, non seulement celles-ci
sont inconvertibles, soulignons-le, avec la monnaie officielle. En outre, elles offrent un accès
à un espace marchand très circonscrit. Or, comment le rappelait Adam Smith « tout homme
prudent […] a dû naturellement s’efforcer de gérer ses affaires de façon à avoir par devers
lui […] une quantité d’une certaine denrée ou d’une autre, susceptible d’après lui d’être
acceptée par pratiquement tout le monde en échange du produit de son industrie8 ». Dans ces
1 On pense aux approches monétaires hayekiennes mais aussi aux modèles de prospection monétaire (Kiyotaki and Wright, 1991, 1993; Williamson and Wright, 1994). 2 Lire en particulier Kuroda (2008a; 2008b). 3 (Helwig, 1993; Marvasti and Smyth, 1999; Li, 2001). 4 Voir les travaux relatifs à l’émergence historique des monnaies des Etats-nations contemporains (Cohen, 1998; Glasner, 1998; Gilbert and Helleiner, 1999). 5 (Greco, 1994; Glover, 1995; Douthwaite, 1996; Demeulenare, 2000). 6 (Schuldt, 1997; Boyle, 1999; Hart, 2000; Seyfang and Pearson, 2000; Lietaer, 2001). 7 (Lee, 1996; Williams, 1996; Bowring, 1998; North, 1999). 8 Smith (1995: 25-26). Cité dans Orléan (2009: 26).
3
conditions, on peut s’étonner que ces monnaies locales, en dépit de leur inconvertibilité et de
leur accès limité aux biens et services, soient acceptées à la fois par les agents économiques
mais aussi par les autorités monétaires officielles qui pourraient voir dans l’essor de ces
monnaies une contestation de leur souveraineté monétaire, ne serait-ce qu’à une faible
échelle. Aussi, la question que l’on souhaiterait examiner dans cet article est la suivante :
pourquoi, et sous quelles conditions, ces monnaies privées inconvertibles avec la monnaie
officielle parviennent-elles à être acceptées9 ?
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de répondre à cette question en toute généralité. En
effet, si dans l’ensemble tous ces systèmes monétaires locaux privés partagent un objectif
économique et social proche, à savoir le soutien d’une dynamique économique de
développement local et d’intégration sociale, il importe de souligner leur grande diversité,
reposant sur un projet politique, une conception monétaire, une logique économique, ou
encore des relations avec les autorités publiques, à chaque fois spécifiques. Ce qui est proposé
ici est de soumettre cette question théorique à un cas concret, celui des « clubs de troc10» qui
se sont développés en Argentine à partir de 1995. Les « clubs de troc » désignent des espaces
d’échanges marchands au sein desquels les biens et les services sont réglés à l’aide d’une
monnaie papier interne, le « credito », émise par les fondateurs de ces clubs, et non
convertible avec la monnaie officielle. Cette expérience empirique est d’autant plus
intéressante que, contrairement aux autres systèmes monétaires locaux recensés jusque-là, elle
a connu une ampleur sans précédent : les « clubs de troc » se sont en effet développés sur tout
le territoire national et ont concerné des millions de personnes. Aussi, pour revenir à la
question qui nous interpelle ici, comment et pourquoi la monnaie credito a-t-elle été acceptée?
Quelles sont les conditions, les référents, qui ont rendu son acceptation possible? En dépit de
son inconvertibilité avec la monnaie officielle, le peso, est-ce que ce système micro-monétaire
peut fonctionner de manière indépendante et cloisonnée, ou bien a-t-il besoin de nouer des
rapports avec le système macro-monétaire officiel? Telles sont les questions auxquelles cet
article se propose de répondre.
9 Le modèle à générations imbriquées (Samuelson, 1958) ne permet pas de comprendre les raisons de l’acceptation de ces monnaies, compte tenu du fait qu’ils s’agit de monnaies locales dont l’acceptation par les autres est circonscrite et à très court terme. 10 L’utilisation de guillemets et d’italiques pour mentionner les « clubs de troc » signifie qu’il s’agit de l’appellation originelle donnée à ces clubs par leurs fondateurs et leurs participants, et qu’il ne s’agit nullement d’une qualification de ma part, d’autant plus qu’il est clairement dit dans ce texte que les « clubs de troc » ne renvoient pas du tout à des espaces d’échanges en nature.
4
On montrera que malgré la volonté des fondateurs des « clubs de troc » de créer des
espaces monétaires autonomes et distincts du système officiel, la monnaie privée tient ses
conditions d’existence et d’acceptation de la monnaie officielle. Pour se construire d’abord en
opposition avec le peso, le credito s’avère en fait fortement dépendant de lui et ce à trois
niveaux. En premier lieu, la genèse de cette monnaie privée révèle en effet comment celle-ci
est étroitement corrélée à la monnaie officielle (première section). En second lieu, on
montrera le rôle déterminant que joue le peso pour fonder la confiance dans cette monnaie
privée et son acceptation (deuxième section). Enfin, l’analyse des échanges au sein des
« clubs de troc » permet de mettre au jour l’influence majeure de la monnaie officielle dans la
structuration des échanges et la formation des prix (troisième section).
Ainsi, on verra que, tant pour justifier la création de cette monnaie et son acceptation
que pour la rendre opérationnelle dans ces espaces marchands communautaires, la monnaie
privée ne peut pas se passer de la monnaie officielle. Le système micro-monétaire credito est
fondamentalement arrimé au système macro-monétaire officiel peso.
SECTION 1. LE CREDITO EMERGE EN OPPOSITION AU PESO
L’analyse des conditions d’émergence du credito permet de dévoiler que son essor est
fortement lié à la monnaie officielle. Mais si le lien est très fort entre ces deux monnaies, on
va voir qu’il est d’abord négatif. En effet, d’un point de vue macroéconomique, il apparaît que
le développement de cette monnaie privée trouve son lieu de naissance dans l’accès difficile
au peso à partir du milieu des années 1990 qui se trouvera accentué en 2001-2002. En outre,
d’un point de vue idéologique, la création du credito est justifiée, par les fondateurs des
« clubs de troc » – Horacio Covas, Rubén Ravera et Carlos de Sanzo11 –, comme une réponse
aux limites de la monnaie officielle qu’ils jugent « excluante ». En effet, le credito va être
défini, comme on va le voir, en opposition radicale, terme à terme, avec la monnaie officielle.
Un rapport macroéconomique : l’émergence du credito en réponse à la pénurie du peso
L’essor du credito s’explique par la difficulté pour une part de plus en plus importante
des agents économiques d’accéder à la monnaie officielle. Cette difficulté a des origines
économiques et sociales. En effet, en raison des réformes d’ajustement structurel et de la
11 Horacio Covas, Rubén Ravera et Carlos de Sanzo sont respectivement chimiste, psychologue et bibliothécaire.
5
libéralisation soutenues par le FMI12, du régime monétaire imposé par la Convertibilité (parité
officielle dollar-peso à partir de janvier 1991), le rapport salarial va devenir la seule variable
d’ajustement possible. L’ouverture commerciale et la surévaluation de fait du peso ont en
effet contraint les entreprises à une rationalisation des processus de production, se traduisant
d’abord par une rigidité nominale des salaires13, puis par la précarité et l’accroissement du
taux de chômage. Ainsi, le taux de chômage, qui était de 17,3 % en octobre 1997, atteint des
niveaux record en 2001 (18,3 % en octobre puis 20 % en décembre). La dégradation
progressive de l’activité économique14, à partir de 1997, se traduira par l’exclusion sociale, et
donc monétaire15, d’une fraction croissante de la population active. Ainsi, les statistiques
officielles indiquent que la pauvreté des ménages argentins s’élève de 16,2 % en 1991 à 37,7
% en 2001 (INDEC, 2002). Celle-ci s’abat sur les grandes villes : selon une étude concernant
les trois principales agglomérations du pays, 3,7 millions de personnes, issues à 80 % de la
classe moyenne urbaine, passent sous le seuil de pauvreté entre février 2001 et 200216. Plus
généralement, en décembre 2001, près de la moitié de la population argentine vit en dessous
de ce seuil.
Les facteurs économiques et sociaux qui expliquent la difficulté d’accéder à la
monnaie officielle sont renforcés, à partir de 1999, par des facteurs monétaires et financiers.
En effet, les spéculations sur le change et la dévaluation brésilienne de janvier 1999 vont
frapper l’Argentine de plein fouet. Le pays s’enfonce alors dans la récession économique17,
dans la dégradation de ses comptes extérieurs, l’explosion de sa dette18, la crise de confiance
des investisseurs étrangers et la hausse des taux d’intérêt. La fuite des capitaux étrangers et la
précipitation des déposants argentins pour récupérer leur épargne bancaire qui s’en suivent
ont alors pour effet de précipiter la crise de liquidités à partir d’octobre 2001, accentuée par la
suite par le « corralito19» en décembre 2001. Aussi, la difficulté d’accéder à la monnaie
officielle ne concerne plus seulement les classes moyennes et populaires mais aussi l’Etat lui-
même et les banques. Dans ce contexte de crise de liquidités aiguë, les paiements se trouvent
12 Le plan de 1991 repose sur des politiques monétaire et budgétaire restrictives et s’accompagnent de profondes réformes structurelles : privatisations, libéralisation des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux, réformes du système financier et politique de désindexation des salaires. 13 Les conséquences de la libéralisation économique sur les salaires sont analysées dans (Galieni and sanguinetti, 2003). 14 Lire en particulier (Fanelli and Keifman, 2002). 15 Sur la détérioration des revenus des ménages, voir (Altimir and al., 2000; Corbacho and al., 2008). 16 Les données sont fournies par l’agence de consultance Equis, citée dans Peñalva (2003:104). 17 Pour une analyse de la crise argentine, voir (Haussmann and Velasco, 2002). 18 Lire en particulier (Damill and al., 2005). 19 Il fait référence au gel provisoire des dépôts bancaires, promulgué en décembre 2001.
6
interrompus, les chaînes d’arriérés se développent, et un moratoire des paiements est décidé
afin d’éviter la faillite des entreprises.
Pour sortir de cette paralysie monétaire, deux stratégies alternatives de survie se
développent : la première publique, la seconde privée. D’une part, en effet, le gouvernement
Duhalde fait approuver le 2 janvier 2002 par le Congrès la loi d’urgence économique,
imposant la dévaluation de 30 % du peso, la fin de la parité dollar-peso et la possibilité pour
l’ensemble des provinces d’émettre leur propre monnaie. La moitié des Etats provinciaux va
alors émettre sa monnaie, l’autre moitié utilisera la Lecop20 (émise au niveau national par la
Banque centrale argentine). Les monnaies provinciales les plus importantes sont le patacón
(émise par la province de Buenos Aires) et la Lecop, représentant à elles deux 78 % de la
valeur nominale du stock total des monnaies provinciales. Parmi les autres monnaies émises
par les provinces, on peut citer le lecor (Cordoba), la Federal (Entre Rios), le Cecacor
(Corrientes), le Bocade (Tucuman), le Quebracho (Chaco) et le Boncafor (Formosa). En
janvier 2002, le stock des monnaies provinciales s’élève à 4 000 millions de pesos, atteignant
un pic en août 2002 de 6 000 millions de pesos21.
En plus de ces monnaies provinciales, l’économie argentine peut compter, d’autre part,
sur le développement d’une monnaie privée, inconvertible avec la monnaie officielle et émise
par les fondateurs des « clubs de troc », circulant à l’intérieur de ces espaces marchands
privés. Le recours à ces clubs devient massif à partir de fin 2001, au moment où la crise
argentine explose. Des millions de personnes issues des classes moyennes et populaires s’y
rendent alors afin de trouver les produits les plus basiques22 (alimentation et vêtements). Il
n’existe pas de quantification précise du nombre de ces clubs, et encore moins de celui des
participants, sur la période 1995-2008. Les principales données globales qui circulent sont
fournies par les fondateurs et les organisateurs des clubs, relayées par les médias, et ont
tendance à être surgonflées. La quantification réalisée par les chercheurs lors de leur
monographie, concernant un club précis à un moment donné, reste la seule information fiable
mais ne propose malheureusement qu’une vision très partielle du phénomène23. Cependant,
même si les chiffres fournis par les responsables des clubs n’offrent qu’une quantification
approximative, ils nous renseignent malgré tout sur l’ordre de grandeur de ce phénomène
20 LECOP est l’acronyme de Letras de Cancelacion de Obligaciones Provinciales. 21 Voir Schvarzer et Finkelstein (2003: 80). 22Sur les problèmes alimentaires et de pauvreté, lire (Fiszbein and Giovagnoli, 2003; World Bank, 2000). 23 (Powell, 2002; González Bombal and Leoni, 2003; Feliz, 2003; Leoni, 2003; Abramovich and Vázquez, 2007; Gómez, 2008; Gómez and Helmsing, 2008; Plasencia, 2008).
7
social et sur ses grandes évolutions. Ainsi, selon ces sources, si le premier « club de troc »
apparaît en mai 1995, deux ans plus tard, on en recensait déjà 50, comptant 40 000
participants aux échanges. A partir de l’an 2000, le nombre de ces clubs croît rapidement : les
fondateurs parlent de 320 000 adhérents, répartis dans 400 « clubs de troc ». Avec la
profondeur de la crise, les creditos connaissent un franc succès et circulent à l’échelle
nationale mais toujours au sein de ces clubs, de 2001 à 2003. Ce qui conduit l’un des
fondateurs des « clubs de troc », Horacio Covas, à dire qu’après le peso et le dollar : « Nous
sommes la troisième monnaie24». Avec la crise du système bancaire et la pénurie de liquidités,
ces espaces marchands privés atteignent en effet leur niveau de fréquentation le plus haut à la
mi-2002 : on recenserait plus de 3,3 millions d’adhérents et 5 800 clubs. Pour assurer les
transactions économiques, en août 2002, les fondateurs auraient mis en circulation 140
millions de creditos25. Cependant, à partir de cette période, alors que les « clubs de troc » sont
en pleine expansion, ceux-ci sont brutalement rattrapés par des problèmes de surabondance de
creditos en circulation, liée à un problème de falsification de ces billets, qui engendrent alors,
comme on le verra, de l’hyperinflation et une pénurie des produits de base. Dès octobre 2002,
40 % de ces clubs auraient déjà fermé26. Le retrait des adhérents sera renforcé par ailleurs par
l’amélioration de la situation macroéconomique du pays. Avec la reprise progressive de la
croissance économique et la résorption de la crise de liquidités, les personnes qui retrouvent
du travail se détournent en effet des clubs. A partir de 2004, le nombre de « clubs de troc » est
très nettement en recul, leur ordre de grandeur serait la centaine et non plus le millier. Ceux-ci
sont à présent fréquentés essentiellement par des mères de famille qui voient dans ces espaces
marchands privés l’opportunité de contribuer modestement à l’amélioration des conditions
matérielles du foyer.
Un rapport idéologique : quand la monnaie « accessible » chasse la monnaie « excluante »
L’apparition du credito est liée, on l’a vu, d’un point de vue macroéconomique, à
l’impossibilité d’accéder à la monnaie officielle pour une part croissante des agents
économiques. Il importe de voir à présent que, d’un point de vue idéologique, également, la
création de cette monnaie privée se justifie par son rapport à la monnaie officielle. Le credito
se veut en effet une réponse aux limites du peso. Il est défini par ses fondateurs dans un
24 Dans Pagina 12, 10 février 2002. 25 Los Andes, 17 août 2002 ; La Nacion, 23 août 2002. 26 Clarin, jeudi 17 octobre 2002.
8
rapport de différenciation, d’opposition même, avec la monnaie officielle. Et, ce rapport
idéologique est d’autant plus marqué que cette nouvelle monnaie est au cœur du projet de
construction des « clubs de troc », censés constituer des systèmes monétaires et marchands
alternatifs dits « solidaires ».
Le projet des trois fondateurs des « clubs de troc » part d’une critique du capitalisme
actuel qui ne laisserait libre cours qu’au développement de rapports marchands et monétaires
mus par la concurrence, l’intérêt, le calcul et l’égoïsme. Ainsi, nous explique Horacio Covas,
l’un des fondateurs des clubs: « Le système dominant a fait des ressources les plus
élémentaires, travail, nature et symbole cohésif (argent originel), des marchandises qui
servent pour gagner de l’argent, grâce à l’empire de la valeur d’échange sur la valeur
d’usage. Prolifèrent ainsi l’ambition, l’avarice, l’égoïsme et la loi du plus fort27». Cette
société régie par le Marché, qui ne cesse de dévaloriser la force de travail, conduirait alors à
l’exclusion sociale et à l’extension de la pauvreté du plus grand nombre. La monnaie telle
qu’elle s’exprime dans les économies capitalistes contemporaines est, selon les fondateurs,
l’un des principaux maux de la société, l’objet qui corrompt les « valeurs humaines ». Le
projet des « clubs de troc » consiste alors à construire d’autres types d’échanges marchands
qui respecteraient pleinement la valeur travail et d’autres « valeurs humaines » telles que la
« solidarité », la « self-esteem », le « partage », la « réciprocité », etc. Ces valeurs figurent
dans la Déclaration des principes du Réseau Global de Troc (cf. annexe 1) qui stipule les
principes moraux et pratiques que tout membre du Club doit respecter. Le credito jouerait un
rôle structurant dans ces nouveaux espaces marchands privés puisqu’il est posé par les
fondateurs comme l’opérateur du changement des rapports économiques. En effet, nous disent
les fondateurs : « Le credito est l’unité qui nous permet de reconceptualiser la valeur que
nous donnons à chaque produit, c’est une monnaie dont l’adossement n’a rien à voir avec
l’argent, l’argent a son propre adossement et sa propre logique, le credito, lui, a un
adossement lié à la dignité, la vertu et la production des milliers de personnes qui
aujourd’hui échangent dans le réseau global de troc28 ». A l’inverse du Marché, les « clubs
de troc », reposant sur d’autres valeurs et notamment sur la prise en compte de la valeur
travail dans la fixation des prix des biens, conduiraient alors à l’abondance économique et au
bien-être social. Aussi, à l’inverse de la monnaie officielle jugée « excluante », le credito
serait par essence une monnaie accessible à tous.
27 Covas (1999: 2). 28 Ravera dans Clarin, Ecos del Mar, août 2000.
9
Ceci est rendu possible par le fait que la monnaie privée s’oppose fondamentalement,
selon les fondateurs, à la monnaie officielle. Trois caractéristiques la distingueraient en effet
du peso. Tout d’abord, contrairement à la monnaie officielle, le credito serait donné, dès le
départ, aux agents économiques. Lors de leur adhésion aux « clubs de troc », ceux-ci
reçoivent en effet en dotation la somme de 50 creditos. Il s’agit-là, nous expliquent les
fondateurs, d’une avance gratuite en capital, sans intérêt, en contrepartie de quoi les
participants des clubs s’engagent à produire des biens ou des services pour un montant
équivalent : « Les creditos entrent dans le système à travers une distribution équitable entre
les membres du réseau comme un prêt sans intérêt, avec pour obligation de fournir comme
minimum des biens et des services pour un montant équivalent à celui reçu et de rendre ce
montant en cas d’abandon du système29 ». Cependant, en réalité, il importe de préciser qu’il
ne s’agit nullement d’une donation, ou d’un prêt sans intérêt. En effet, pour adhérer aux
« clubs de troc », les nouveaux membres doivent verser une contribution monétaire – au
surplus en monnaie officielle. Ce n’est qu’en contrepartie de ces frais d’inscription qu’ils
reçoivent leur carte de membre et les creditos initiaux. Aussi, si la monnaie privée est
« donnée » au départ, elle l’est moyennant un paiement en monnaie officielle ! Et,
contrairement à ce que les fondateurs déclarent, ce sont les participants eux-mêmes qui
effectuent une avance en capital et prennent un risque, à savoir celui de céder de la monnaie
officielle contre de la monnaie privée en escomptant qu’ils auront des opportunités
d’échanges plus grandes au sein des espaces marchands dits « solidaires ».
Si l’on met de côté la soit disant gratuité des premiers creditos, par la suite, disent les
fondateurs, il est très simple d’en obtenir davantage, c’est très simple. Il suffit de produire : la
vente des productions individuelles permet alors d’obtenir de nouveaux creditos. Autrement
dit, il suffirait d’activer sa force de travail pour créer de la richesse et en tirer de la monnaie
credito. La monnaie étant l’expression des richesses produites, la règle monétaire se déduit de
ce qui précède : « le circulant et la liquidité augmentent en fonction de l’augmentation de la
richesse individuelle et collective30 ». Néanmoins, pour que la monnaie soit assurément
accessible à tous, encore faut-il, ajouter une condition, nous expliquent les fondateurs : les
participants doivent autant être des producteurs que des consommateurs. Ce double
comportement économique est illustré par le terme « prosommateur » (dérivé de producteur-
29 Citation tirée du site officiel du Réseau Global de Troc : www.truequeclub.com.ar. 30 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia. Manual de consulta con las preguntas y respuestas fundamentales para conocer la Red Global de Trueque, p. 3.
10
consommateur) qu’ils reprennent à Alvin Toffler31 pour qualifier les membres des « clubs de
troc ». Mais, pour que tous soient à la fois producteurs et consommateurs, la monnaie doit
circuler et non pas être stockée, accumulée. Autrement dit, en on en vient à la deuxième
caractéristique de cette monnaie privée, contrairement au peso, elle doit être seulement un
moyen et non une fin des échanges. Ainsi, nous disent les fondateurs, dans une nuance subtile,
le credito est « unité de valeur mais pas une valeur32 ». La seule valeur que le credito, qualifié
de « bon d’escompte33», détient est celle d’être un intermédiaire des échanges : « Les valoirs
sont une expression numérique pour ordonner et quantifier les échanges non lucratifs,
n’ayant pas plus de valeur en soi que celle de faciliter les relations de solidarité dans la
production et la distribution des biens et des services34 ». C’est d’ailleurs pour remplir
précisément cette seule fonction d’intermédiaire des échanges qu’elle aurait été créée. En
effet, les fondateurs des clubs expliquent qu’ils l’auraient inventée afin de rendre plus aisée la
réalisation des échanges au sein de ces espaces marchands privés. Le volume des transactions
et le nombre de participants étaient en effet devenus très importants, rendant alors impossible
la poursuite des échanges qui se déroulaient jusque-là en nature. D’où l’appellation originelle
de ces espaces comme clubs de « troc ». Ainsi nous racontent-ils : « Le système initial de
notes sur un carnet ou encore celui de centralisation des échanges sur un ordinateur a été
dépassé par la réalité et la nécessité de mettre en place un système de plus grande complexité.
Apparaît alors le credito comme instrument d’échange, espèce de “monnaie” adossée à la
production des membres du réseau35». A partir de 1997, le credito n’est plus seulement une
unité de compte mais devient aussi un intermédiaire des échanges à travers l’émission d’une
monnaie-papier.
D’un point de vue théorique, il est frappant de constater que cette conception rejoint
celle de la théorie économique classique et néoclassique sur deux points, et ce alors que la
première approche se veut aux antipodes idéologiques de la seconde. Le premier point en
commun est de considérer la fonction d’instrument des échanges comme étant la fonction la
plus importante de la monnaie. On retrouve en effet cette idée par exemple chez Schumpeter
pour qui la monnaie joue : « le modeste rôle d’un expédient technique adopté en vue de
faciliter les transactions36 »… La seule valeur qui est reconnue à la monnaie serait celle de
31 Toffler (1980). 32 Covas and al. (1998: 13). 33 Covas and al. (1998: 18). 34 Pautas. p. 10. 35 Référence. 36 Schumpeter (1983: 389). Cité dans Orléan (2009).
11
faciliter les échanges. C’est pourquoi, nous dit Samuelson: « La monnaie est recherchée, non
pas pour elle-même, mais pour les choses qu’elle permet d’acheter37». Outre cette même
conception instrumentale de la monnaie, le deuxième point commun entre ces deux approches
repose sur la manière de justifier historiquement l’invention de la monnaie: au
commencement était le troc, la monnaie serait ensuite apparue afin de dépasser le fameux
problème de la double coïncidence des besoins. Ce dépassement de la double coïncidence des
besoins est un classique en économie pour expliquer l’apparition de la monnaie. Il est déjà
présent chez Smith (1776), puis chez Jevons (1875) et chez Menger (1892), et persiste
implicitement aujourd’hui dans les modèles de théorie monétaire pure38, et ce malgré un large
consensus entre historiens, anthropologues, économistes et sociologues de la monnaie39 pour
réfuter cette genèse imaginaire de la monnaie et la faible occurrence historique des systèmes
d’échanges par troc.
La référence maintenue au terme de « troc » pour qualifier les clubs et les échanges
marchands qui s’y déroulent (« troc multiréciproque »), malgré l’utilisation des billets
creditos comme intermédiaire des échanges, peut être interprétée comme une volonté de la
part des fondateurs d’insister sur le fait que la finalité des échanges dans les clubs est bien
d’échanger des biens contre d’autres biens et non des biens contre de la monnaie. Le credito
ne doit donc pas être désiré pour lui-même mais pour faciliter les échanges. L’accumulation
de monnaie est donc jugée indésirable car elle est perçue comme un frein à la création et à la
circulation des richesses produites. Elle sera même sanctionnée dans la pratique. Inspirés par
les travaux monétaires de l’économiste Silvio Gesell40, les fondateurs soumettent en effet le
credito au principe d’oxydation monétaire. Ce principe fonctionne de la manière suivante :
tous les ans, de nouveaux billets sont émis, les anciens étant échangés contre les nouveaux
mais avec une décote annuelle (d’au moins 12%) progressive et variant avec le montant des
creditos à échanger41. Ce principe sera mentionné en gras sur le dos des billets émis à partir de
2003 (cf. photo 1). L’objectif recherché est simple explique Rubén Ravera, l’un des
fondateurs des clubs: « Notre objectif est de créer une monnaie affectée d’un processus
d’oxydation pour décourager l’accumulation des creditos et ainsi promouvoir la circulation
37 Samuelson (1976: 276). Cité dans Orléan (2009) 38 (Ostroy and Starr, 1990; Kiyotaki and Wright, 1989, 1991). 39 (Innes, 1913, 1914; Aglietta and Orléan, 1998; Wray, 1999; Ingham, 2000). 40 Silvio Gesell (1862-1930) écrit L’ordre économique naturel en 1906. Son portrait est dessiné sur les murs de du club « El comedero ». Les fondateurs font explicitement référence à lui également en 2005 dans les fiches éditées par le PAR et données au moment de l’échange de billets. 41 Pour un montant de billets supérieur à 50 creditos, la décote est de 12%, mais pour un montant de 1000, elle est de 33%. La décote peut aller jusqu’à 90% pour ceux qui souhaitent échanger plus de 5000 creditos. On peut retrouver ces informations sur le site officiel : www.truequeclub.com.ar
12
des bons42 ». Dans une telle perspective, le prosommateur devra faire un choix : « ou
consommer ce que les autres produisent et activer ce marché, ou perdre la valeur de son
credito, alors les gens vont préférer être solidaires et consommer ce que les autres
produisent43 ».
Photo 1 – Billet credito du Réseau Global de Troc, édition 2003(recto et verso)
Source : Photo prise par l’auteur.
La troisième caractéristique du credito découle de tout ce qui vient d’être dit. Parce
que chaque participant fait le choix de consommer autant qu’il produit, les échanges sont dits
« réciproques ». La réciprocité est, selon les fondateurs, le principe qui régit les rapports
marchands dans les « clubs de troc ». Horacio Covas n’hésite pas à parler même de don : « En
réalité, c’est un modèle de don, on l’appelle troc pour le présenter d’une certaine manière
mais c’est un échange multiréciproque ; la réciprocité est le soutien de tout cela. Ici il n’y a
pas de lucre démesuré, ni de chefs, ni de concurrence, chacun a besoin de l’autre, le négoce
42 La Nacion, 23 août 2002. Les mêmes propos sont tenus par de Sanzo dans (Cronica, 23 août 2002) et par Covas dans (Uno, 17 août 2002). 43 Clarin, Ecos del Mar, août 2000.
13
c’est d’être dans le réseau, le privilège c’est d’y appartenir, et notre éthique est que tous
peuvent participer, il n’y a pas d’exclusions44 ». Parce qu’il n’exclue personne et profite à
tous, le « club de troc » correspond à « un marché social. […] C’est un marché dans lequel ce
qui est recherché est que tous gagnent et que tous les intégrants du modèle puissent rentrer
chez eux satisfaits par l’échange réalisé45 ». Le caractère social de ce marché serait
intrinsèquement lié à la spécificité de la monnaie credito elle-même qualifiée de « sociale »
par les fondateurs. En effet, nous disent-ils, le credito « est une monnaie sociale parce qu’elle
bénéficie à tous et évite les déviations, […] faisant souffrir notre société à travers l’inflation
et les intérêts, et qui sont le produit de l’accumulation monétaire46 ». Aussi, à l’inverse de la
monnaie officielle, cette monnaie privée libèrerait la force du travail que détient chaque
individu permettant l’intégration de tous : « La libre circulation des offres et des demandes et
la monnaie sociale sont les clefs pour le plein emploi, la création d’un état de bien être sans
discrimination ni exclusion47 ». A cet égard, d’un point de vue théorique, il importe de faire
remarquer qu’une telle conception est proche de celle des partisans d’une monnaie
communautaire telle qu’elle s’exprime au sein du mouvement politique du guild socialism au
début du 20ème siècle en Grande-Bretagne et parmi les communautaristes (Hart, 2000). Selon
eux, la monnaie communautaire permettrait de libérer le capital humain des individus,
opprimé dans les économies capitalistes.
Ainsi, cette monnaie privée trouve ses conditions d’existence dans la monnaie
officielle mais sur un mode négatif. Le credito, on l’a vu, répond à un souci de double
dépassement de la monnaie officielle : d’une part, il se veut une réponse à la rareté du peso
dans l’économie ; d’autre part, il se pose comme une alternative au peso jugé « excluant ».
SECTION 2. UNE CONFIANCE INDEXEE SUR LA MONNAIE ET LES INSTITUTIONS OFFICIELLES
AUTANT QUE FAIRE SE PEUT
Si pour justifier sa création, les fondateurs des « clubs de troc » s’attachent à
distinguer le plus possible leur monnaie de la monnaie officielle, paradoxalement, comme on
va le voir, ils s’appuient sur celle-ci et sur les institutions officielles qui garantissent sa valeur,
pour fonder la confiance dans le credito et favoriser son acceptation. En effet, d’une part, les
44 Covas, Su dinero personal, 10/01/1997. 45 Réseau Global de Troc, p. 9, 8 mars 2002. 46 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia (1999: 4). 47 Id., p. 4.
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fondateurs ne cessent de rechercher l’aval des institutions officielles afin d’être reconnus
comme des pouvoirs monétaires privés légitimes. D’autre part, ils n’hésitent pas à rapprocher
leur monnaie du peso, en lui empruntant, dès qu’il le faut, ses référents symboliques afin
d’asseoir la confiance dans leur monnaie privée.
Des puissances monétaires privées en quête d’un pouvoir monétaire privé officialisé
Par la création du credito, les fondateurs des clubs sont confrontés à un problème. Ils
ont conscience que la création d’une monnaie parallèle au peso est un problème en soi pour la
puissance monétaire publique qui voit-là une contestation de sa souveraineté monétaire. Or,
pour exister, ils ont besoin d’une reconnaissance officielle, fut-ce sous la forme minimale de
la tolérance. La question qu’ils se posent est donc de parvenir à se faire reconnaître par les
autorités officielles comme un pouvoir monétaire privé. Comment vont-ils s’y prendre pour
coexister avec la monnaie officielle? Les fondateurs vont se lancer dans un processus de
légitimation et d’institutionnalisation des « clubs de troc ».
En quête de légitimité, ils vont mobiliser les médias, les hommes politiques et les
universitaires pour donner une expression visible aux clubs. D’une part, ils s’adressent au
champ académique et aux médias, en multipliant les entretiens dans la presse écrite, les
émissions radio et TV, ainsi que les conférences. En avril 1998, ils publient Réinventer le
marché. L’expérience du Réseau Global de Troc48 qui vise à présenter formellement leur
projet. D’autre part, les fondateurs recherchent une reconnaissance auprès du champ politique
institutionnel. Pour ce faire, ils affichent leur volonté de compter et d’interagir avec les autres
institutions publiques et les entreprises, et refusent d’être associés à un mouvement porteur
d’un projet utopique révolutionnaire anti-système: « Nous inventons un système
complémentaire, non contestataire49 ». En effet, expliquent-ils sur la base d’une
argumentation purement économique, les « clubs de troc » correspondent à des espaces
marchands complémentaires et non substituables au Marché et aux autres institutions
économiques : « Le marché formel semble s’être rendu compte qu’il n’y avait pas de
concurrence déloyale, mais bien tout le contraire: ce n’est pas un jeu à “somme nulle” mais
un jeu“gagnant-gagnant”, puisque ce que les gens économisent “en troquant” dégage une
48 Covas and al. (1998). 49 Rubén Ravera, in Quilmes, 13 septembre 1997.
15
quote-part disponible à utiliser sur le marché formel50 ». Au plus fort de leur succès, les
fondateurs déposeront un projet de loi51 en mai 2002 au Parlement pour demander la
réglementation des « clubs de troc ». Par cette requête, est visée la reconnaissance officielle
des clubs et de leur pouvoir monétaire privé.
Parallèlement à cette quête de légitimité, les fondateurs prouvent leur sérieux en se
lançant également dans un processus d’institutionnalisation des clubs. Ces derniers vont être
structurés autour du « Réseau Global de Troc » (RGT). En outre, l’institution RGT proclame
sa « Déclaration de principes » (cf. annexe 1), définissant les valeurs humaines (solidarité,
réciprocité, etc.) qui doivent être respectées par les membres des clubs. Pour favoriser la
promotion de ces valeurs, le Réseau Global de Troc offre une formation aux nouveaux
membres. Cette institution se dote, enfin, d’une direction centrale, le « Conseil consultant du
PAR52 » (il s’agit des trois fondateurs), chargée de l’émission du credito. Les foires, qui sont
les lieux où se réunissent les participants des clubs pour procéder aux échanges, reposent,
elles aussi, sur un dispositif très structuré : elles disposent d’un personnel pour assurer leur
bon déroulement, d’horaires et de lieux fixes, de règles d’échange internes... L’importance du
nombre de clubs devient telle que le RGT est contraint de s’organiser en réseaux, selon les
zones géographiques53. À partir de 1999, les fondateurs mettront également en place ce qu’ils
appellent une « franchise sociale54 ». Il s’agit d’un « kit » destiné aux personnes souhaitant
ouvrir un « club de troc », comprenant, pour l’essentiel, les éléments suivants : des gilets et
des manuels de formation pour les coordinateurs des clubs, des billets creditos émis par le
RGT et des cartes d’adhérents au RGT.
Cependant, d’un point de vue monétaire, Horacio Covas, Rubén Ravera et Carlos de
Sanzo sont soucieux de rassurer les autorités monétaires officielles et de ne pas se mettre hors
la loi. Ainsi, écrivent-ils dans le manuel officiel donné aux membres lors de leur adhésion au
Réseau Global de Troc : « L’utilisation des creditos pour faciliter les opérations d’échanges
de biens et de services au sein du Réseau global de troc est une initiative responsable et
respectueuse des lois en vigueur55». Il faut rappeler en effet que seule la Banque centrale de la
50 Ibid, p. 5. 51 Congreso (2002), Proyecto de Ley del Trueque- Expte.: 8444-D-01, Buenos Aires. 52 Le PAR est l’acronyme de Programme d’Autosuffisance Régional. Il s’agit d’une ONG, créée en 1989 par Carlos de Sanzo et Rubén Ravera, avec pour objectif, au départ, de développer de nouvelles technologies permettant de concilier environnement et utilisation optimale des ressources disponibles. Elle est également par la suite l’institution officielle à laquelle se rattache le Réseau Global de Troc. 53 La province de Buenos Aires est alors découpée en quatre zones : le Sud, l’Ouest, le Nord et la capitale. 54 Pour plus de détails, voir www.autosuficiencia.com.ar/img/Edit_PAR_OrgClubtrueque.htm 55 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia (1999: 10).
16
république d’Argentine détient le monopole de l’émission monétaire sur le territoire national.
Dans ces conditions, on comprend que les fondateurs adoptent un profil bas devant les
pouvoirs publics… quitte à nier, quand il le faut, le caractère monétaire du credito. Ainsi par
exemple, n’hésitent- ils pas à déclarer que le credito n’est pas un moyen de paiement et n’a
aucune validité juridique : « Les creditos utilisés dans le Réseau Global de Troc […] n’ont
aucune validité ni de conséquences juridiques. Ils ne sont pas non plus une promesse ni un
moyen de paiement, n’ont pas de force compensatoire, etc.56 ». Ceci sera à nouveau spécifié
en 2002 dans le projet de loi de réglementation du troc soumis au Congrès qui vise à établir
les bases juridiques et institutionnelles des « clubs de troc ». L’article 3 de ce projet qualifie le
credito de « valoir »: « […] le valoir imprimé par le Réseau a pour fonction d’agir comme un
élément compensatoire des transactions. C’est un signe représentatif de valeur seulement
pour les adhérents des clubs de troc, non convertible avec la monnaie en circulation57 ».
Les changements opérés sur les billets à partir de 2004 témoignent par leur tonalité,
beaucoup plus formelle, de leur souci de se protéger juridiquement. Aussi, sur les billets sera
supprimée à présent toute référence monétaire pour qualifier le credito, et seront mentionnées
ses restrictions d’usage. En effet, si sur les billets édités en 2003 le credito était qualifié de
« monnaie sociale » (cf. photo 1), ce ne sera plus le cas à partir de l’année suivante où il sera
défini dorénavant comme « bon d’escompte » (« bono de descuento »).
Photo 2 – Billet du Réseau Global de Troc : édition de 2004 (à gauche) comparée à celle de 2006 (à droite)
Source : Photo de l’auteur.
En outre, il sera à présent formellement mentionné sur les billets que le credito n’est
pas convertible ni négociable contre une monnaie de cours légal. Son caractère soit disant non
monétaire sera poussé davantage à l’explicite, à partir de 2005, par le changement du nom de
56 Primavera and al. (1998: 13). 57 Extrait tiré du journal Club del trueque zona oeste, n° 12, avril-juin 2002.
17
l’unité de mesure sur le billet : à la place de « credito », on parle désormais de « troc » pour
désigner la nouvelle unité conventionnelle d’escompte58. Ainsi, sur le verso du billet d’un
credito, on ne lit plus « ceci vaut un credito » mais « ceci vaut un troc » (cf. photo 2).
Des emprunts aux référents symboliques du peso
Si pour faire accepter par les autorités officielles leur monnaie privée, les fondateurs
des clubs sont contraints, on l’a vu, de dissocier le credito du peso et d’aller jusqu’à nier son
caractère monétaire ; pour fonder la confiance dans leur monnaie et faciliter son acceptation
auprès des participants, au contraire, ils ne cessent d’opérer des rapprochements entre ces
deux monnaies. Et, ce besoin de la monnaie privée d’emprunter aux référents de la monnaie
officielle se manifeste autant en régime qu’en période de crise.
En régime, tout d’abord, deux exemples attestent de cet emprunt au peso. Le premier
renvoie à la relation d’équivalence qu’établissent les fondateurs entre ces deux monnaies, dès
le départ, pour décréter la valeur du credito : ils posent en effet que celui-ci équivaut à un
peso. Autrement dit, ce rapport de parité entre les deux monnaies sert, pour reprendre les
termes de Knapp (1924), à établir la « valeur décrétée » du credito, même si en réalité celle-ci
sera bien différente de sa « valeur effective ». Il ne faut pas se tromper sur le sens à donner ici
aux mots « valeur effective ». Il ne s’agit pas d’une valeur qui résulterait d’une transaction de
marché credito contre peso puisque la convertibilité est une pratique formellement prohibée
par les règles des clubs. Il s’agit donc ici non d’une convertibilité mais d’une simple
conversion, donc limitée au registre de l’unité de compte, et par laquelle les participants
ramènent la valeur de leur credito au référent peso. Au demeurant il importe de préciser que
ce rapport de conversion entre unités de compte, initialement fixé à la parité par les
fondateurs, a connu par la suite des variations et mêmes dans des proportions considérables, à
partir de 2001. On observe en effet que le rapport entre le credito et le peso fluctue selon les
clubs et les périodes étudiés. Le rapport en vigueur dans les clubs, respecté par les
participants, va évoluer selon la dépréciation progressive du credito et la qualité et quantité
variables des biens proposés dans les foires. A titre d’exemple, en novembre 2005, dans le
club « El comedero » où sont majoritairement proposés à l’échange des biens d’occasion et
trop peu de produits alimentaires de base, le rapport entre ces deux unités de compte était d’un
à mille (1 peso = 1000 creditos). A l’inverse, dans les clubs disposant de produits de base et 58 Malgré le changement d’unité de compte, les participants continuent de parler et de fixer leurs prix en creditos.
18
des biens neufs, le rapport entre le credito et le peso était moins distendu (il s’agit en
particulier des clubs de la zone ouest de la province de Buenos aires).
On l’aura compris : cette relation d’équivalence entre ces deux monnaies n’implique
pas de convertibilité légale mais seulement une convertibilité symbolique. Les fondateurs
prennent d’ailleurs le soin de le préciser à de multiples occasions, on l’a vu, sur le dos des
billets à partir de 2004, ou encore dans le manuel officiel du troc du RGT : « Bien qu’il y ait
des coïncidences avec des étalons de mesure externes dans le calcul des équivalences dans les
échanges, le parallélisme nominal n’implique aucune convertibilité avec un quelconque type
d’argent ou de valeur59 ». Même si cette relation d’équivalence est symbolique, elle s’avère
dans la pratique totalement indispensable : elle fournit en effet aux participants des repères
pour fixer les prix et échanger dans les clubs. C’est d’ailleurs pour cette raison que les
fondateurs justifient l’instauration de ce rapport d’équivalence : « L’utilisation d’un étalon
externe ou d’une référence à une monnaie donnée a pour seul but d’avoir un indicateur
servant de guide pour assurer l’équité dans les échanges60». Ce rapport credito/peso joue
effectivement dans les têtes de tous les participants. Ceci ressort notamment dans les
entretiens réalisés dans les différents clubs étudiés61. Quand on leur demande comment ils
font pour fixer le prix d’un bien, les participants répondent qu’ils se basent sur son prix en
monnaie officielle qu’ils convertissent ensuite selon la règle d’équivalence credito/peso du
moment (correspondant à la « valeur effective » du credito), avec en plus une prise en charge
de la rareté de ce bien dans ces espaces marchands privés. Aussi, d’un point de vue théorique,
il importe de souligner que seule la monnaie officielle demeure la véritable unité de compte
pertinente au sein de ce système micro-monétaire, le credito ne constituant qu’une unité de
compte subordonnée.
Un deuxième emprunt symbolique au peso doit être mentionné. Il se produit au
moment où les « clubs de troc » connaissent un succès retentissant. Avec la croissance
exponentielle des participants à partir de la fin 2001, les fondateurs vont être confrontés à une
augmentation très importante de la demande de monnaie creditos. Or, cet afflux brutal et très
important de nouveaux candidats à l’échange sème le doute sur la capacité technique des
fondateurs à assurer l’impression des billets en quantité suffisante. Pour lever le doute, les
59 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia (1999: 10). 60 Covas, de Sanzo (1998), p. 14. 61 Ce travail repose sur une enquête de terrain menée dans une vingtaine de clubs dans la province de Buenos Aires, et sur une monographie du club dénommé « El Comedero » (« Le réfectoire »), à Bernal dans la province de Buenos Aires. L’enquête de terrain sur les différents clubs et la monographie ont été réalisées pendant la période d’octobre 2005 à octobre 2007.
19
fondateurs vont alors établir, une nouvelle fois, une homologie entre leur monnaie et le peso,
ainsi qu’entre eux-mêmes et les autorités officielles qui garantissent la valeur de la monnaie
officielle. Ceci se trouve illustré par deux photos parues dans le journal national Pagina 12,
datant du 10 février 2002, accompagnant un article significativement intitulé « Monnaie
forte» dont le contenu est rappelé ici brièvement. Dans cet article, la journaliste Mariana
Carbajal relate que, victimes de leur succès, les fondateurs sont dépassés techniquement par
l’impression des billets. Ils seraient alors en négociation avec la Casa de Moneda de la nation,
qui est l’autorité officielle fabriquant la monnaie nationale, afin de faire imprimer le credito
par cette autorité. Mais les deux photos qui accompagnent l’article de presse illustrent bien
plus, comme on va le voir, qu’un problème technique, pratique, d’impression de billets. Et les
fondateurs le savent bien. Ce n’est évidemment pas banal qu’ils choisissent de se faire
photographier avec leurs billets à la main devant la Casa de la Moneda. Rappelons ce que
disait l’un des fondateurs, Horacio Covas : « Nous sommes la troisième monnaie » – citation
tirée d’ailleurs de cet article de presse. En effet, la première photo (cf. photo 3), qui montre les
billets creditos en premier plan avec la Casa de la Moneda de la nation en second plan, donne
à croire que ces billets proviennent de cette institution, ou en proviendront dans un avenir très
proche.
Photo 3– Les creditos devant la casa de moneda
Source : Photo de Sandra Cartasso, in Pagina 12, 10 février 2002.
On comprend très bien l’intention des fondateurs. En effet, cette première photo vise à
associer la monnaie privée à l’autorité monétaire officielle qui fabrique le peso. Et, si la
20
monnaie credito est fabriquée là où on fabrique la monnaie légale, celle-ci se retrouve alors
dotée d’une « réelle » valeur, puisqu’elle serait par le fait reconnue d’une certaine manière par
les autorités officielles. Le credito bénéficieraient ainsi d’authenticité, voire d’une quasi
légalité. Autrement dit, cette photo laisse suggérer que la convertibilité symbolique qui lie la
monnaie privée au peso se rapprocherait à pas de géant d’une convertibilité officielle. Ceci
conforte l’interprétation qui se dégage de la deuxième photo. En effet, celle-ci montre en
premier plan deux des fondateurs des « clubs de troc », Horacio Covas et Rubén Ravera,
tenant chacun à la main le billet credito avec en arrière plan la Casa de Moneda de la nation.
Cette photo conforte ainsi l’impression que les fondateurs des clubs, ces puissances
monétaires privées, seraient en train de parvenir à se faire reconnaître par la puissance
monétaire publique comme pouvoirs privés légitimes… même si, pour révéler le fin mot de
l’histoire, cette reconnaissance ils ne l’auront pas, pas plus que des contacts de quelque nature
que ce soit avec les autorités monétaires officielles...
Photo 4 – Horacio Covas (à gauche) et Rubén Ravera devant la Casa de la Moneda de la nation
Source : Photo de Sandra Cartasso, in Pagina 12, 10 février 2002.
L’emprunt symbolique au peso, même à la limite du mensonge, est indispensable en
régime, il le sera davantage encore pour surmonter la crise de confiance qui s’abat durement
sur la monnaie privée au moment même où la fréquentation des « clubs de troc » atteint son
niveau le plus haut. A partir de juin 2002, des problèmes de falsification des billets creditos,
21
on l’a vu, commencent en effet à être recensés ici et là. De l’aveu même des responsables du
RGT, le 24 juin 2002, 30 % des creditos qui circulent au sein des 5800 « clubs de troc »
seraient faux62. Deux premiers cas de falsification parviennent à être démantelés, au cours de
ce mois, par la brigade du département de recherche des fraudes économiques de la police
fédérale : le premier concerne l’arrestation de cinq personnes à San Martin (province de
Buenos Aires), en possession de 550 planches de billets du RGT, pour une valeur de 168 000
creditos ; une deuxième arrestation a lieu à Desaguadero (province de Mendoza63), impliquant
deux hommes avec cette fois un million de faux creditos. Un troisième cas sera révélé, un
mois plus tard64 à peine, le 6 juillet 2002, par la Délégation des délits complexes de la police
fédérale de Buenos Aires : celle-ci procèdera à l’arrestation de six personnes qui possédaient
2 250 000 creditos falsifiés. Mais ces arrestations ne vont pas suffir à contenir le problème.
Une très grande quantité de billets falsifiés circule déjà au sein des clubs. La situation se
dégrade en effet terriblement en l’espace de quelques mois : en octobre, les fondateurs
estiment que 90 % des creditos en circulation seraient faux. Les conséquences ne se font pas
attendre. La surabondance de liquidités, dans un tel contexte de discrédit porté à la valeur
nominale de cette monnaie, a un double effet qui enferme les clubs dans un cercle vicieux :
d’une part, elle conduit au retrait massif du nombre de ses participants, provoquant alors une
contraction du volume des biens sur ce marché; d’autre part, la surabondance de circulant,
doublée d’une chute de l’offre de biens, engendrent alors, à leur tour, une hausse très
importante des prix et une fuite encore plus prononcée des participants. Au cours des six
premiers mois de 2002, on recensait dans les « clubs de troc » une augmentation des prix des
produits de base tels que le lait ou le sucre65 d’au moins 50 %.
Pour tenter de faire face à cette crise de confiance dans la valeur du credito, les
fondateurs réagissent, dès les premières arrestations, en annonçant leur intention de remédier
à la falsification des billets. Ils procèderont disent-ils le plus rapidement possible, en l’espace
de 20 jours66, à l’échange de l’ensemble des billets par de nouveaux qui seront dorénavant
infalsifiables. Et, pour rétablir la confiance dans ce nouveau billet, les fondateurs cherchent
une nouvelle fois à arrimer le credito au peso. Ils multiplient en effet les déclarations dans la
presse nationale et provinciale pour informer que le nouveau billet sera doté de nouvelles
normes de sécurité similaires en matière d’impression à celles de la monnaie officielle (cf.
62 Pagina 12, 13 juin 2002 ; Clarin, 24 juin 2002. 63 Un village à 200 km de Mendoza Capitale. 64 Perspectiva Sur, 19 juin 2002. 65 Alors que le prix du sucre s’élevait à un ou deux creditos en décembre 2001, il s’élève en juin 2002 à 4 ou 5 creditos (Pagina 12, 13 juin 2002). 66 Clarin, 13 juin 2002.
22
annexe 2) : marque d’eau ; microlettres ; impression dans une teinte invisible (seulement
visible à la lumière ultraviolette) ; fil de sécurité ; teinte optique variable (les points de
couleur changent de couleur à la lumière ultraviolette) ; numérotation, etc. Le nouveau billet
est présenté, le 10 juillet 2002, dans le journal national Clarín, puis dans les autres principaux
journaux du pays. Il est décortiqué à la loupe afin de montrer toutes les nouvelles normes de
sécurité qu’il respecte : tous les aspects techniques le rendant infalsifiable sont longuement
explicités. Pour rassurer davantage, les fondateurs informent que chaque participant pourra
lui-même, en cas de doute, s’assurer de l’authenticité des billets grâce à la distribution gratuite
d’un « validateur67 » (« validador ») qui lui permettra de lire sur le dos du billet les deux
bandes ayant une trame codifiée : dans la première, on pourra y lire « sert à produire », la
deuxième indiquera l’année d’édition du billet. En plus de la création d’un nouveau billet, de
nouvelles dispositions devraient être prises pour sécuriser également les échanges dans les
« clubs de troc ». En effet, ils annoncent qu’ils procéderont à la réinscription de tous les
membres des clubs. Lors de l’échange de billets, un carnet d’identification (une sorte de
passeport) sera donné à chaque membre sur lequel figureront sa photo et des informations
personnelles. Par la suite, nous disent les fondateurs, cette carte devra passer dans un lecteur
optique à l’entrée de la foire (ceci, précisons-le ne verra pas le jour). Cependant, tout ceci ne
suffira pas à rassurer les participants. La falsification des creditos, couplée avec
l’hyperinflation, fait fuir rapidement et définitivement la grande majorité des participants.
Ainsi, on vient de voir qu’en raison de l’inconvertibilité du credito avec la monnaie
officielle, les fondateurs des « clubs de troc » cherchent à donner des gages pour fonder la
confiance dans cette monnaie privée. Pour ce faire, ils tenteront d’ancrer autant que possible
la monnaie privée à la monnaie officielle de référence. Mais les rapprochements symboliques,
à défaut de mieux, ne suffisent pas à rassurer les participants. A la première crise monétaire
credito (surnuméraire, hyperinflation), les participants abandonnent cette monnaie privée et
les « clubs de troc ». Seuls ceux qui n’ont pas d’autre alternative, continuent d’y recourir mais
par nécessité. Cependant, ces derniers, comme on va le voir, chercheront à développer des
stratégies d’échanges qui contournent le credito.
67 Cet aspect est présenté le 22 août 2002 lors de la conférence de presse des fondateurs qui se tient au célèbre café Tortoni de Buenos Aires. Le journal Clarin datant du 22 août 2002 relate cette réunion officielle.
23
SECTION 3. UN MARCHE FORTEMENT DEPENDANT DU SYSTEME MARCHAND ET MONETAIRE
PESO
On vient d’examiner le rapport qui lie le credito au peso au travers du projet monétaire
spécifique et explicite porté par la monnaie privée, puis au travers du rapport politique et
symbolique que cherchent à établir les fondateurs pour faire accepter leur monnaie auprès des
autorités publiques officielles et auprès des participants. Mais ceci n’épuise pas les types de
rapports qui lient ces deux monnaies. Les rapports entre ces deux monnaies se donnent à voir
également dans le fonctionnement même du microscosme monétaire privé, c’est-à-dire dans
les foires où se déroulent les échanges. En effet, l’analyse du déroulement des échanges révèle
que le microcosme credito n’est pas du tout une enclave hermétiquement séparée du
macrocosme monétaire peso. En réalité, le peso est en arrière plan, omniprésent, dans l’espace
marchand credito.
La monnaie officielle est en effet indispensable dans les « clubs de troc ». Elle
conditionne l’accès au système marchand privé. Outre les droits d’adhésion au club, on l’a vu,
réglés en pesos en contrepartie de quoi les nouveaux membres reçoivent leurs premiers
creditos (2 pesos en échange des 50 creditos), ils doivent également payer des tickets d’entrée
libellés en peso et en credito, chaque fois qu’ils se rendent à une foire pour réaliser des
échanges. Le montant des coûts d’entrée varie selon les clubs et les périodes étudiés. On peut
néanmoins dire que le coût d’entrée réglé en pesos n’a cessé d’augmenter depuis le début de
la formation de ces clubs, et se situe dans une fourchette de 2 à 9 pesos. A titre d’exemple,
dans le club « El Comedero », alors que les coûts d’entrée étaient de trois pesos en 2005, ils
s’élevaient, en septembre 2007, à 9 pesos68.
Si elle conditionne l’entrée au système marchand credito, la monnaie officielle exerce
aussi une influence sur la structuration même des échanges et sur la formation des prix au sein
des clubs. En effet, le peso permet à ceux qui en détiennent d’acheter sur les marchés officiels
les produits les plus recherchés (alimentation), et de les utiliser dans les clubs soit pour les
vendre directement comme produits finis, soit comme inputs pour réaliser des produits à
vendre ensuite. Les agents économiques qui disposent de pesos sont principalement les
travailleurs sur les marchés formel et informel, les retraités, les bénéficiaires de plans sociaux
68 Ce club a cessé de fonctionner au printemps 2007 mais a été remplacé par un autre, le club « Vercelli », inauguré le 15 septembre 2007.
24
(en particulier du « Plan chefs de famille sans emploi69 »), et enfin toutes les personnes qui
travaillent à l’organisation des foires, à savoir les fondateurs, les coordinateurs, les caissiers,
les responsables de la sécurité sanitaire, etc. A l’inverse, l’accès très limité à la monnaie
nationale touche en particulier les chômeurs et les femmes au foyer70 (les plus nombreuses
aujourd’hui dans les clubs).
Compte tenu de la rareté des produits alimentaires qui sont les plus désirés, les
détenteurs de ces biens disposent alors d’un véritable pouvoir sur la formation des prix au sein
du club. On assiste ainsi, dans les clubs où le prix se fixe selon la loi de l’offre et de la
demande, à une inflation de deux types, à partir de 2002 : une inflation par la demande, liée à
l’insuffisance des biens les plus désirés ; et, une inflation par les coûts, relative à la
répercussion de la hausse des coûts de production sur le prix de vente. Si bien qu’un certain
nombre de clubs se trouve pris dans un cercle vicieux avec une pénurie de biens auto-
alimentée : la rareté des biens les plus recherchés engendre, comme on vient de le voir, une
hausse généralisée des prix ; cette inflation décourage les acheteurs, or le propre des « clubs
de troc » est que les acheteurs doivent avoir préalablement vendu leur marchandise. Ainsi au
total, et paradoxalement, l’inflation des biens les plus demandés va déprimer les ventes
globales. Cette désincitation à vendre se traduit alors inévitablement par une pénurie accrue
de biens dans les clubs.
Par conséquent, la détention de monnaie officielle est un facteur d’inégalité au sein des
« clubs de troc ». Il importe de souligner que ce constat n’est d’ailleurs pas exclusif à ce
système monétaire local en particulier. Des analyses menées sur les LETS, notamment,
montrent comment s’opère également la reproduction, au sein de ces systèmes, des inégalités
de revenu et de genre telles qu’on les trouve sur les marchés formels71.
Pour préserver malgré tout un certain pouvoir dans la formation des prix et un accès
aux biens, des stratégies d’échanges se développent, en particulier de la part des plus
dépourvus de pesos. On peut en citer brièvement deux. La première consiste à échanger à prix
mixtes (en peso et en credito), permettant ainsi d’acheter à l’extérieur des clubs et de vendre
ensuite à l’intérieur. Mais cette solution ne fait que renforcer à son tour l’exclusion de tous 69 « Plan Jefes y Jefas de Hogar Desocupados ». Il s’agit de plans sociaux qui allouent une subvention mensuelle aux intéressés de 150 à 200 pesos pendant une période de six mois renouvelable en contrepartie d’un travail de 4 heures par jour. Pour une analyse de l’impact de ce plan au niveau économique et social, lire (Galasso and ravallion, 2004). 70 Pour une analyse des perspectives de développement économique offertes aux femmes par leur participation aux « clubs de troc », voir (Bogani and Parysow, 2005). 71 Voir en particulier (Bowring, 1998). Pour une analyse de la reproduction des inégalités de genre au sein des clubs, lire (Powell, 2002).
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ceux qui ne disposent pas de monnaie officielle. Une autre stratégie repose sur l’utilisation de
ce que l’on pourrait appeler un « capital de socialisation ». Il faut souligner en effet qu’il
existe un intérêt économique rationnel à socialiser à l’intérieur des clubs. En témoignent les
deux exemples suivants de pratiques observées : d’une part, même si la réglementation
interdit tout échange avant de rentrer dans les foires, force est de constater que pendant la file
d’attente un grand nombre d’arrangements est déjà passé entre habitués de connaissance
mutuelle. D’autre part, le troc direct qui se pratique entre échangistes de confiance constitue
une autre formule très efficace pour accéder aux biens. Cette pratique présente en effet deux
avantages importants : l’échange est réalisé sans avoir recours à aucun moyen de paiement ;
en outre, les échangistes s’assurent une certaine stabilité des prix, fort appréciable dans un
contexte d’inflation endogène.
CONCLUSION
L’analyse de cette monnaie privée, inconvertible avec la monnaie officielle, et
circulant dans des espaces marchands cloisonnés, permet de dégager un résultat principal.
Malgré la volonté des fondateurs des « clubs de troc » de créer un système monétaire
indépendant, ce système de paiement privé ne peut pas se fermer sur lui-même et a besoin de
se rattacher à la monnaie officielle pour avoir une existence propre. En effet, la monnaie
officielle s’avère indispensable dans ce système monétaire privé comme moyen de paiement,
non seulement pour accéder à l’espace marchand privé (tickets d’entrée, frais d’adhésion)
mais aussi pour régler les transactions économiques (prix mixtes), ou bien pour constituer un
avantage compétitif lié à la possibilité d’acquérir (en peso) des intrants permettant de produire
les biens les plus désirés dans le club. En outre, et plus fondamentalement, la monnaie
officielle représente la seule unité de compte pertinente dans les « clubs de troc » pour fixer
les prix des biens. Les prix étant ensuite convertis en credito, la monnaie privée ne constitue
alors qu’une unité de compte subordonnée. A cet égard, le maintien permanent d’un rapport
de conversion entre le credito et le peso par les fondateurs sonne comme un aveu de leur
impossibilité de se passer de l’unité de compte officielle. Enfin, la référence au peso est
essentielle, on l’a vu, pour fonder la confiance dans cette monnaie privée et son acceptation.
En effet, à la fois en régime mais surtout en période de crise, les fondateurs des « clubs de
troc » mobilisent les référents de la monnaie officielle, et n’hésitent pas à créer des
homologies symboliques, voire imaginaires, avec le peso mais aussi avec les institutions
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monétaires qui garantissent la valeur et la confiance dans la monnaie officielle (Casa de la
Moneda de la nation, normes de sécurité des billets, rapport d’équivalence).
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Annex 1-Declaration of Principles
1. Our fulfillment as human beings need not be conditioned by money, and people ought not
want for their needs to be met. 2. We aim not to promote products or services, but our mutual help in accomplishing a better
way of life, through work, solidarity and fair trade. 3. We believe in the possibility of replacing competition, profit and speculation by reciprocity
among people. 4. We assume that our actions, products and services respond to ethical and ecological
standards more than to the will of the market, consumerism and short term profit. 5. The only conditions to be a member of the Global Exchange Network are: assisting and
participating at the weekly group meetings for trade, being trained permanently, and being "prosumers" (both producer and consumer) of goods, services and knowledge and to be accepting of the opinions of the Quality and Price Control circles which aims to improve the network.
6. As we are an association of individuals, each member is responsible for her/his actions, as well as goods or services offered in the Network.
7. We believe that belonging to a group means no relationship of dependence, since individual participation is free and common to every member of the Network.
8. We claim that groups are not necessarily due to be formally organized, in a permanent way, since the network model implies permanent change of roles and functions.
9. We believe it is possible to combine the autonomy of groups (Clubs or Nodes), in the management of internal affairs with all the principles of the Network.
10. We recommend not to support, as members of the Network, moral or materially any activity that might keep us apart from the main goals of our Network.
11. We believe our best example is our behavior in and out of the Network. We keep confidentiality about our private lives and prudence in the public treatment of those matters that might alter the growth of the Network.
12. We deeply believe in an idea of progress founded upon the sustainable mutual support of the great majority of people of all societies
Source : Covas and al. (1998).
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Annex 2 - Nouvelles normes de sécurité des billets creditos
Source : Constanza Durán, Clarin, 23 août 2002.