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1 Un système de paiement privé peut-il exister sans référence à une monnaie officielle ? Etude de cas du credito en Argentine (1995-2008) Pepita OULD-AHMED (UMR 201, Université Paris 1, IRD) Abstract Le développement de monnaies privées, parallèles au système monétaire officiel, est analysé par la littérature spécialisée à travers la question de la concurrence ou, au contraire, de la complémentarité que pose de fait la coexistence de ces monnaies; ou bien au travers des conséquences de leur essor, en termes de politique monétaire et de souveraineté des Etats, ou encore en termes de dynamique locale et de transformation de la nature des échanges. L’émergence de telles monnaies soulève également une tout autre question. Elle se pose avec acuité pour celles qui ont pour particularité de ne pas être convertibles avec la monnaie officielle. Celles-ci se développent en particulier au sein de systèmes d’échanges locaux et connaissent un essor croissant depuis le début des années 1980, dans les pays dits développés et dans ceux dits en développement. Néanmoins, l’essor de ces monnaies a de quoi surprendre. En effet, celles-ci sont non seulement inconvertibles avec la monnaie officielle, mais en outre elles offrent un accès à un espace marchand très circonscrit. Aussi, la question que l’on souhaiterait examiner dans cet article est la suivante : pourquoi, et sous quelles conditions, ces monnaies privées inconvertibles avec la monnaie officielle parviennent-elles à être acceptées? Ce qui est proposé ici est de soumettre cette question théorique à un cas concret, celui des « clubs de troc» se sont développés en Argentine à partir de 1995. Ces derniers désignent des espaces d’échanges marchands au sein desquels les transactions économiques sont réglées à l’aide d’une monnaie papier interne, le « credito », émise par les fondateurs de ces clubs, et non convertible avec la monnaie officielle. Cette expérience empirique est d’autant plus intéressante que, contrairement aux autres systèmes monétaires locaux recensés jusque-là, elle a connu une ampleur sans précédent : les « clubs de troc » se sont en effet développés sur tout le territoire national et ont concerné des millions de personnes. Aussi, pour revenir à la question qui nous interpelle ici, comment et pourquoi la monnaie credito a-t-elle été acceptée? Quelles sont les conditions, les référents, qui ont rendu son acceptation possible? En dépit de son inconvertibilité, est-ce que ce système micro-monétaire peut fonctionner de manière indépendante et cloisonnée, ou bien a-t-il besoin de nouer des rapports avec le système macro-monétaire officiel? Telles sont les questions auxquelles cet article se propose de répondre.

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Un système de paiement privé peut-il exister sans référence à une monnaie

officielle ? Etude de cas du credito en Argentine (1995-2008)

Pepita OULD-AHMED

(UMR 201, Université Paris 1, IRD)

Abstract

Le développement de monnaies privées, parallèles au système monétaire officiel, est analysé par la

littérature spécialisée à travers la question de la concurrence ou, au contraire, de la complémentarité que pose de

fait la coexistence de ces monnaies; ou bien au travers des conséquences de leur essor, en termes de politique

monétaire et de souveraineté des Etats, ou encore en termes de dynamique locale et de transformation de la

nature des échanges. L’émergence de telles monnaies soulève également une tout autre question. Elle se pose

avec acuité pour celles qui ont pour particularité de ne pas être convertibles avec la monnaie officielle. Celles-ci

se développent en particulier au sein de systèmes d’échanges locaux et connaissent un essor croissant depuis le

début des années 1980, dans les pays dits développés et dans ceux dits en développement. Néanmoins, l’essor de

ces monnaies a de quoi surprendre. En effet, celles-ci sont non seulement inconvertibles avec la monnaie

officielle, mais en outre elles offrent un accès à un espace marchand très circonscrit. Aussi, la question que l’on

souhaiterait examiner dans cet article est la suivante : pourquoi, et sous quelles conditions, ces monnaies privées

inconvertibles avec la monnaie officielle parviennent-elles à être acceptées?

Ce qui est proposé ici est de soumettre cette question théorique à un cas concret, celui des « clubs de

troc» se sont développés en Argentine à partir de 1995. Ces derniers désignent des espaces d’échanges

marchands au sein desquels les transactions économiques sont réglées à l’aide d’une monnaie papier interne, le

« credito », émise par les fondateurs de ces clubs, et non convertible avec la monnaie officielle. Cette expérience

empirique est d’autant plus intéressante que, contrairement aux autres systèmes monétaires locaux recensés

jusque-là, elle a connu une ampleur sans précédent : les « clubs de troc » se sont en effet développés sur tout le

territoire national et ont concerné des millions de personnes. Aussi, pour revenir à la question qui nous interpelle

ici, comment et pourquoi la monnaie credito a-t-elle été acceptée? Quelles sont les conditions, les référents, qui

ont rendu son acceptation possible? En dépit de son inconvertibilité, est-ce que ce système micro-monétaire peut

fonctionner de manière indépendante et cloisonnée, ou bien a-t-il besoin de nouer des rapports avec le système

macro-monétaire officiel? Telles sont les questions auxquelles cet article se propose de répondre.

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Introduction

Le développement, sur un territoire donné, de monnaies privées, parallèles au système

monétaire officiel, est analysé par la littérature spécialisée à travers la question de la

concurrence1 ou, au contraire, de la complémentarité2 que pose de fait la coexistence de ces

monnaies; ou bien au travers des conséquences de leur essor, en termes de politique

monétaire3 et de souveraineté des Etats4, ou encore en termes de dynamique locale et de

transformation de la nature des échanges5. L’émergence de telles monnaies soulève également

une tout autre question. Elle se pose avec acuité pour celles qui ont pour particularité de ne

pas être convertibles avec la monnaie officielle. Celles-ci se développent en particulier au sein

de systèmes d’échanges locaux6 et connaissent un essor croissant depuis le début des années

1980, dans les pays dits développés d’abord (Canada, Etats-Unis, Japon, France, Allemagne,

Royaume-Uni, etc.), puis, à partir des années 1990, dans les pays dits en développement

(Mexique, Argentine, Brésil, Sénégal, Afrique du Sud, Thaïlande, Indonésie, etc.). Pour

donner une idée de leur importance, on recensait déjà plus de 2 500 monnaies privées non

convertibles dans le monde en 2001 (Lietaer, 2001). On peut citer par exemple, pour

mentionner les plus connus, les LETS7 (Local Exchange Trading Scheme) développés dans de

nombreuses sociétés capitalistes, mais aussi le « time dollar » et l’« Ithaca hour » aux Etats-

Unis, ou le « saltspring », le « Toronto dollar » et le « Calgary dollar » au Canada.

Néanmoins, l’essor de ces monnaies a de quoi surprendre. En effet, non seulement celles-ci

sont inconvertibles, soulignons-le, avec la monnaie officielle. En outre, elles offrent un accès

à un espace marchand très circonscrit. Or, comment le rappelait Adam Smith « tout homme

prudent […] a dû naturellement s’efforcer de gérer ses affaires de façon à avoir par devers

lui […] une quantité d’une certaine denrée ou d’une autre, susceptible d’après lui d’être

acceptée par pratiquement tout le monde en échange du produit de son industrie8 ». Dans ces

1 On pense aux approches monétaires hayekiennes mais aussi aux modèles de prospection monétaire (Kiyotaki and Wright, 1991, 1993; Williamson and Wright, 1994). 2 Lire en particulier Kuroda (2008a; 2008b). 3 (Helwig, 1993; Marvasti and Smyth, 1999; Li, 2001). 4 Voir les travaux relatifs à l’émergence historique des monnaies des Etats-nations contemporains (Cohen, 1998; Glasner, 1998; Gilbert and Helleiner, 1999). 5 (Greco, 1994; Glover, 1995; Douthwaite, 1996; Demeulenare, 2000). 6 (Schuldt, 1997; Boyle, 1999; Hart, 2000; Seyfang and Pearson, 2000; Lietaer, 2001). 7 (Lee, 1996; Williams, 1996; Bowring, 1998; North, 1999). 8 Smith (1995: 25-26). Cité dans Orléan (2009: 26).

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conditions, on peut s’étonner que ces monnaies locales, en dépit de leur inconvertibilité et de

leur accès limité aux biens et services, soient acceptées à la fois par les agents économiques

mais aussi par les autorités monétaires officielles qui pourraient voir dans l’essor de ces

monnaies une contestation de leur souveraineté monétaire, ne serait-ce qu’à une faible

échelle. Aussi, la question que l’on souhaiterait examiner dans cet article est la suivante :

pourquoi, et sous quelles conditions, ces monnaies privées inconvertibles avec la monnaie

officielle parviennent-elles à être acceptées9 ?

Il ne s’agit pas, bien évidemment, de répondre à cette question en toute généralité. En

effet, si dans l’ensemble tous ces systèmes monétaires locaux privés partagent un objectif

économique et social proche, à savoir le soutien d’une dynamique économique de

développement local et d’intégration sociale, il importe de souligner leur grande diversité,

reposant sur un projet politique, une conception monétaire, une logique économique, ou

encore des relations avec les autorités publiques, à chaque fois spécifiques. Ce qui est proposé

ici est de soumettre cette question théorique à un cas concret, celui des « clubs de troc10» qui

se sont développés en Argentine à partir de 1995. Les « clubs de troc » désignent des espaces

d’échanges marchands au sein desquels les biens et les services sont réglés à l’aide d’une

monnaie papier interne, le « credito », émise par les fondateurs de ces clubs, et non

convertible avec la monnaie officielle. Cette expérience empirique est d’autant plus

intéressante que, contrairement aux autres systèmes monétaires locaux recensés jusque-là, elle

a connu une ampleur sans précédent : les « clubs de troc » se sont en effet développés sur tout

le territoire national et ont concerné des millions de personnes. Aussi, pour revenir à la

question qui nous interpelle ici, comment et pourquoi la monnaie credito a-t-elle été acceptée?

Quelles sont les conditions, les référents, qui ont rendu son acceptation possible? En dépit de

son inconvertibilité avec la monnaie officielle, le peso, est-ce que ce système micro-monétaire

peut fonctionner de manière indépendante et cloisonnée, ou bien a-t-il besoin de nouer des

rapports avec le système macro-monétaire officiel? Telles sont les questions auxquelles cet

article se propose de répondre.

9 Le modèle à générations imbriquées (Samuelson, 1958) ne permet pas de comprendre les raisons de l’acceptation de ces monnaies, compte tenu du fait qu’ils s’agit de monnaies locales dont l’acceptation par les autres est circonscrite et à très court terme. 10 L’utilisation de guillemets et d’italiques pour mentionner les « clubs de troc » signifie qu’il s’agit de l’appellation originelle donnée à ces clubs par leurs fondateurs et leurs participants, et qu’il ne s’agit nullement d’une qualification de ma part, d’autant plus qu’il est clairement dit dans ce texte que les « clubs de troc » ne renvoient pas du tout à des espaces d’échanges en nature.

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On montrera que malgré la volonté des fondateurs des « clubs de troc » de créer des

espaces monétaires autonomes et distincts du système officiel, la monnaie privée tient ses

conditions d’existence et d’acceptation de la monnaie officielle. Pour se construire d’abord en

opposition avec le peso, le credito s’avère en fait fortement dépendant de lui et ce à trois

niveaux. En premier lieu, la genèse de cette monnaie privée révèle en effet comment celle-ci

est étroitement corrélée à la monnaie officielle (première section). En second lieu, on

montrera le rôle déterminant que joue le peso pour fonder la confiance dans cette monnaie

privée et son acceptation (deuxième section). Enfin, l’analyse des échanges au sein des

« clubs de troc » permet de mettre au jour l’influence majeure de la monnaie officielle dans la

structuration des échanges et la formation des prix (troisième section).

Ainsi, on verra que, tant pour justifier la création de cette monnaie et son acceptation

que pour la rendre opérationnelle dans ces espaces marchands communautaires, la monnaie

privée ne peut pas se passer de la monnaie officielle. Le système micro-monétaire credito est

fondamentalement arrimé au système macro-monétaire officiel peso.

SECTION 1. LE CREDITO EMERGE EN OPPOSITION AU PESO

L’analyse des conditions d’émergence du credito permet de dévoiler que son essor est

fortement lié à la monnaie officielle. Mais si le lien est très fort entre ces deux monnaies, on

va voir qu’il est d’abord négatif. En effet, d’un point de vue macroéconomique, il apparaît que

le développement de cette monnaie privée trouve son lieu de naissance dans l’accès difficile

au peso à partir du milieu des années 1990 qui se trouvera accentué en 2001-2002. En outre,

d’un point de vue idéologique, la création du credito est justifiée, par les fondateurs des

« clubs de troc » – Horacio Covas, Rubén Ravera et Carlos de Sanzo11 –, comme une réponse

aux limites de la monnaie officielle qu’ils jugent « excluante ». En effet, le credito va être

défini, comme on va le voir, en opposition radicale, terme à terme, avec la monnaie officielle.

Un rapport macroéconomique : l’émergence du credito en réponse à la pénurie du peso

L’essor du credito s’explique par la difficulté pour une part de plus en plus importante

des agents économiques d’accéder à la monnaie officielle. Cette difficulté a des origines

économiques et sociales. En effet, en raison des réformes d’ajustement structurel et de la

11 Horacio Covas, Rubén Ravera et Carlos de Sanzo sont respectivement chimiste, psychologue et bibliothécaire.

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libéralisation soutenues par le FMI12, du régime monétaire imposé par la Convertibilité (parité

officielle dollar-peso à partir de janvier 1991), le rapport salarial va devenir la seule variable

d’ajustement possible. L’ouverture commerciale et la surévaluation de fait du peso ont en

effet contraint les entreprises à une rationalisation des processus de production, se traduisant

d’abord par une rigidité nominale des salaires13, puis par la précarité et l’accroissement du

taux de chômage. Ainsi, le taux de chômage, qui était de 17,3 % en octobre 1997, atteint des

niveaux record en 2001 (18,3 % en octobre puis 20 % en décembre). La dégradation

progressive de l’activité économique14, à partir de 1997, se traduira par l’exclusion sociale, et

donc monétaire15, d’une fraction croissante de la population active. Ainsi, les statistiques

officielles indiquent que la pauvreté des ménages argentins s’élève de 16,2 % en 1991 à 37,7

% en 2001 (INDEC, 2002). Celle-ci s’abat sur les grandes villes : selon une étude concernant

les trois principales agglomérations du pays, 3,7 millions de personnes, issues à 80 % de la

classe moyenne urbaine, passent sous le seuil de pauvreté entre février 2001 et 200216. Plus

généralement, en décembre 2001, près de la moitié de la population argentine vit en dessous

de ce seuil.

Les facteurs économiques et sociaux qui expliquent la difficulté d’accéder à la

monnaie officielle sont renforcés, à partir de 1999, par des facteurs monétaires et financiers.

En effet, les spéculations sur le change et la dévaluation brésilienne de janvier 1999 vont

frapper l’Argentine de plein fouet. Le pays s’enfonce alors dans la récession économique17,

dans la dégradation de ses comptes extérieurs, l’explosion de sa dette18, la crise de confiance

des investisseurs étrangers et la hausse des taux d’intérêt. La fuite des capitaux étrangers et la

précipitation des déposants argentins pour récupérer leur épargne bancaire qui s’en suivent

ont alors pour effet de précipiter la crise de liquidités à partir d’octobre 2001, accentuée par la

suite par le « corralito19» en décembre 2001. Aussi, la difficulté d’accéder à la monnaie

officielle ne concerne plus seulement les classes moyennes et populaires mais aussi l’Etat lui-

même et les banques. Dans ce contexte de crise de liquidités aiguë, les paiements se trouvent

12 Le plan de 1991 repose sur des politiques monétaire et budgétaire restrictives et s’accompagnent de profondes réformes structurelles : privatisations, libéralisation des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux, réformes du système financier et politique de désindexation des salaires. 13 Les conséquences de la libéralisation économique sur les salaires sont analysées dans (Galieni and sanguinetti, 2003). 14 Lire en particulier (Fanelli and Keifman, 2002). 15 Sur la détérioration des revenus des ménages, voir (Altimir and al., 2000; Corbacho and al., 2008). 16 Les données sont fournies par l’agence de consultance Equis, citée dans Peñalva (2003:104). 17 Pour une analyse de la crise argentine, voir (Haussmann and Velasco, 2002). 18 Lire en particulier (Damill and al., 2005). 19 Il fait référence au gel provisoire des dépôts bancaires, promulgué en décembre 2001.

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interrompus, les chaînes d’arriérés se développent, et un moratoire des paiements est décidé

afin d’éviter la faillite des entreprises.

Pour sortir de cette paralysie monétaire, deux stratégies alternatives de survie se

développent : la première publique, la seconde privée. D’une part, en effet, le gouvernement

Duhalde fait approuver le 2 janvier 2002 par le Congrès la loi d’urgence économique,

imposant la dévaluation de 30 % du peso, la fin de la parité dollar-peso et la possibilité pour

l’ensemble des provinces d’émettre leur propre monnaie. La moitié des Etats provinciaux va

alors émettre sa monnaie, l’autre moitié utilisera la Lecop20 (émise au niveau national par la

Banque centrale argentine). Les monnaies provinciales les plus importantes sont le patacón

(émise par la province de Buenos Aires) et la Lecop, représentant à elles deux 78 % de la

valeur nominale du stock total des monnaies provinciales. Parmi les autres monnaies émises

par les provinces, on peut citer le lecor (Cordoba), la Federal (Entre Rios), le Cecacor

(Corrientes), le Bocade (Tucuman), le Quebracho (Chaco) et le Boncafor (Formosa). En

janvier 2002, le stock des monnaies provinciales s’élève à 4 000 millions de pesos, atteignant

un pic en août 2002 de 6 000 millions de pesos21.

En plus de ces monnaies provinciales, l’économie argentine peut compter, d’autre part,

sur le développement d’une monnaie privée, inconvertible avec la monnaie officielle et émise

par les fondateurs des « clubs de troc », circulant à l’intérieur de ces espaces marchands

privés. Le recours à ces clubs devient massif à partir de fin 2001, au moment où la crise

argentine explose. Des millions de personnes issues des classes moyennes et populaires s’y

rendent alors afin de trouver les produits les plus basiques22 (alimentation et vêtements). Il

n’existe pas de quantification précise du nombre de ces clubs, et encore moins de celui des

participants, sur la période 1995-2008. Les principales données globales qui circulent sont

fournies par les fondateurs et les organisateurs des clubs, relayées par les médias, et ont

tendance à être surgonflées. La quantification réalisée par les chercheurs lors de leur

monographie, concernant un club précis à un moment donné, reste la seule information fiable

mais ne propose malheureusement qu’une vision très partielle du phénomène23. Cependant,

même si les chiffres fournis par les responsables des clubs n’offrent qu’une quantification

approximative, ils nous renseignent malgré tout sur l’ordre de grandeur de ce phénomène

20 LECOP est l’acronyme de Letras de Cancelacion de Obligaciones Provinciales. 21 Voir Schvarzer et Finkelstein (2003: 80). 22Sur les problèmes alimentaires et de pauvreté, lire (Fiszbein and Giovagnoli, 2003; World Bank, 2000). 23 (Powell, 2002; González Bombal and Leoni, 2003; Feliz, 2003; Leoni, 2003; Abramovich and Vázquez, 2007; Gómez, 2008; Gómez and Helmsing, 2008; Plasencia, 2008).

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social et sur ses grandes évolutions. Ainsi, selon ces sources, si le premier « club de troc »

apparaît en mai 1995, deux ans plus tard, on en recensait déjà 50, comptant 40 000

participants aux échanges. A partir de l’an 2000, le nombre de ces clubs croît rapidement : les

fondateurs parlent de 320 000 adhérents, répartis dans 400 « clubs de troc ». Avec la

profondeur de la crise, les creditos connaissent un franc succès et circulent à l’échelle

nationale mais toujours au sein de ces clubs, de 2001 à 2003. Ce qui conduit l’un des

fondateurs des « clubs de troc », Horacio Covas, à dire qu’après le peso et le dollar : « Nous

sommes la troisième monnaie24». Avec la crise du système bancaire et la pénurie de liquidités,

ces espaces marchands privés atteignent en effet leur niveau de fréquentation le plus haut à la

mi-2002 : on recenserait plus de 3,3 millions d’adhérents et 5 800 clubs. Pour assurer les

transactions économiques, en août 2002, les fondateurs auraient mis en circulation 140

millions de creditos25. Cependant, à partir de cette période, alors que les « clubs de troc » sont

en pleine expansion, ceux-ci sont brutalement rattrapés par des problèmes de surabondance de

creditos en circulation, liée à un problème de falsification de ces billets, qui engendrent alors,

comme on le verra, de l’hyperinflation et une pénurie des produits de base. Dès octobre 2002,

40 % de ces clubs auraient déjà fermé26. Le retrait des adhérents sera renforcé par ailleurs par

l’amélioration de la situation macroéconomique du pays. Avec la reprise progressive de la

croissance économique et la résorption de la crise de liquidités, les personnes qui retrouvent

du travail se détournent en effet des clubs. A partir de 2004, le nombre de « clubs de troc » est

très nettement en recul, leur ordre de grandeur serait la centaine et non plus le millier. Ceux-ci

sont à présent fréquentés essentiellement par des mères de famille qui voient dans ces espaces

marchands privés l’opportunité de contribuer modestement à l’amélioration des conditions

matérielles du foyer.

Un rapport idéologique : quand la monnaie « accessible » chasse la monnaie « excluante »

L’apparition du credito est liée, on l’a vu, d’un point de vue macroéconomique, à

l’impossibilité d’accéder à la monnaie officielle pour une part croissante des agents

économiques. Il importe de voir à présent que, d’un point de vue idéologique, également, la

création de cette monnaie privée se justifie par son rapport à la monnaie officielle. Le credito

se veut en effet une réponse aux limites du peso. Il est défini par ses fondateurs dans un

24 Dans Pagina 12, 10 février 2002. 25 Los Andes, 17 août 2002 ; La Nacion, 23 août 2002. 26 Clarin, jeudi 17 octobre 2002.

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rapport de différenciation, d’opposition même, avec la monnaie officielle. Et, ce rapport

idéologique est d’autant plus marqué que cette nouvelle monnaie est au cœur du projet de

construction des « clubs de troc », censés constituer des systèmes monétaires et marchands

alternatifs dits « solidaires ».

Le projet des trois fondateurs des « clubs de troc » part d’une critique du capitalisme

actuel qui ne laisserait libre cours qu’au développement de rapports marchands et monétaires

mus par la concurrence, l’intérêt, le calcul et l’égoïsme. Ainsi, nous explique Horacio Covas,

l’un des fondateurs des clubs: « Le système dominant a fait des ressources les plus

élémentaires, travail, nature et symbole cohésif (argent originel), des marchandises qui

servent pour gagner de l’argent, grâce à l’empire de la valeur d’échange sur la valeur

d’usage. Prolifèrent ainsi l’ambition, l’avarice, l’égoïsme et la loi du plus fort27». Cette

société régie par le Marché, qui ne cesse de dévaloriser la force de travail, conduirait alors à

l’exclusion sociale et à l’extension de la pauvreté du plus grand nombre. La monnaie telle

qu’elle s’exprime dans les économies capitalistes contemporaines est, selon les fondateurs,

l’un des principaux maux de la société, l’objet qui corrompt les « valeurs humaines ». Le

projet des « clubs de troc » consiste alors à construire d’autres types d’échanges marchands

qui respecteraient pleinement la valeur travail et d’autres « valeurs humaines » telles que la

« solidarité », la « self-esteem », le « partage », la « réciprocité », etc. Ces valeurs figurent

dans la Déclaration des principes du Réseau Global de Troc (cf. annexe 1) qui stipule les

principes moraux et pratiques que tout membre du Club doit respecter. Le credito jouerait un

rôle structurant dans ces nouveaux espaces marchands privés puisqu’il est posé par les

fondateurs comme l’opérateur du changement des rapports économiques. En effet, nous disent

les fondateurs : « Le credito est l’unité qui nous permet de reconceptualiser la valeur que

nous donnons à chaque produit, c’est une monnaie dont l’adossement n’a rien à voir avec

l’argent, l’argent a son propre adossement et sa propre logique, le credito, lui, a un

adossement lié à la dignité, la vertu et la production des milliers de personnes qui

aujourd’hui échangent dans le réseau global de troc28 ». A l’inverse du Marché, les « clubs

de troc », reposant sur d’autres valeurs et notamment sur la prise en compte de la valeur

travail dans la fixation des prix des biens, conduiraient alors à l’abondance économique et au

bien-être social. Aussi, à l’inverse de la monnaie officielle jugée « excluante », le credito

serait par essence une monnaie accessible à tous.

27 Covas (1999: 2). 28 Ravera dans Clarin, Ecos del Mar, août 2000.

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Ceci est rendu possible par le fait que la monnaie privée s’oppose fondamentalement,

selon les fondateurs, à la monnaie officielle. Trois caractéristiques la distingueraient en effet

du peso. Tout d’abord, contrairement à la monnaie officielle, le credito serait donné, dès le

départ, aux agents économiques. Lors de leur adhésion aux « clubs de troc », ceux-ci

reçoivent en effet en dotation la somme de 50 creditos. Il s’agit-là, nous expliquent les

fondateurs, d’une avance gratuite en capital, sans intérêt, en contrepartie de quoi les

participants des clubs s’engagent à produire des biens ou des services pour un montant

équivalent : « Les creditos entrent dans le système à travers une distribution équitable entre

les membres du réseau comme un prêt sans intérêt, avec pour obligation de fournir comme

minimum des biens et des services pour un montant équivalent à celui reçu et de rendre ce

montant en cas d’abandon du système29 ». Cependant, en réalité, il importe de préciser qu’il

ne s’agit nullement d’une donation, ou d’un prêt sans intérêt. En effet, pour adhérer aux

« clubs de troc », les nouveaux membres doivent verser une contribution monétaire – au

surplus en monnaie officielle. Ce n’est qu’en contrepartie de ces frais d’inscription qu’ils

reçoivent leur carte de membre et les creditos initiaux. Aussi, si la monnaie privée est

« donnée » au départ, elle l’est moyennant un paiement en monnaie officielle ! Et,

contrairement à ce que les fondateurs déclarent, ce sont les participants eux-mêmes qui

effectuent une avance en capital et prennent un risque, à savoir celui de céder de la monnaie

officielle contre de la monnaie privée en escomptant qu’ils auront des opportunités

d’échanges plus grandes au sein des espaces marchands dits « solidaires ».

Si l’on met de côté la soit disant gratuité des premiers creditos, par la suite, disent les

fondateurs, il est très simple d’en obtenir davantage, c’est très simple. Il suffit de produire : la

vente des productions individuelles permet alors d’obtenir de nouveaux creditos. Autrement

dit, il suffirait d’activer sa force de travail pour créer de la richesse et en tirer de la monnaie

credito. La monnaie étant l’expression des richesses produites, la règle monétaire se déduit de

ce qui précède : « le circulant et la liquidité augmentent en fonction de l’augmentation de la

richesse individuelle et collective30 ». Néanmoins, pour que la monnaie soit assurément

accessible à tous, encore faut-il, ajouter une condition, nous expliquent les fondateurs : les

participants doivent autant être des producteurs que des consommateurs. Ce double

comportement économique est illustré par le terme « prosommateur » (dérivé de producteur-

29 Citation tirée du site officiel du Réseau Global de Troc : www.truequeclub.com.ar. 30 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia. Manual de consulta con las preguntas y respuestas fundamentales para conocer la Red Global de Trueque, p. 3.

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consommateur) qu’ils reprennent à Alvin Toffler31 pour qualifier les membres des « clubs de

troc ». Mais, pour que tous soient à la fois producteurs et consommateurs, la monnaie doit

circuler et non pas être stockée, accumulée. Autrement dit, en on en vient à la deuxième

caractéristique de cette monnaie privée, contrairement au peso, elle doit être seulement un

moyen et non une fin des échanges. Ainsi, nous disent les fondateurs, dans une nuance subtile,

le credito est « unité de valeur mais pas une valeur32 ». La seule valeur que le credito, qualifié

de « bon d’escompte33», détient est celle d’être un intermédiaire des échanges : « Les valoirs

sont une expression numérique pour ordonner et quantifier les échanges non lucratifs,

n’ayant pas plus de valeur en soi que celle de faciliter les relations de solidarité dans la

production et la distribution des biens et des services34 ». C’est d’ailleurs pour remplir

précisément cette seule fonction d’intermédiaire des échanges qu’elle aurait été créée. En

effet, les fondateurs des clubs expliquent qu’ils l’auraient inventée afin de rendre plus aisée la

réalisation des échanges au sein de ces espaces marchands privés. Le volume des transactions

et le nombre de participants étaient en effet devenus très importants, rendant alors impossible

la poursuite des échanges qui se déroulaient jusque-là en nature. D’où l’appellation originelle

de ces espaces comme clubs de « troc ». Ainsi nous racontent-ils : « Le système initial de

notes sur un carnet ou encore celui de centralisation des échanges sur un ordinateur a été

dépassé par la réalité et la nécessité de mettre en place un système de plus grande complexité.

Apparaît alors le credito comme instrument d’échange, espèce de “monnaie” adossée à la

production des membres du réseau35». A partir de 1997, le credito n’est plus seulement une

unité de compte mais devient aussi un intermédiaire des échanges à travers l’émission d’une

monnaie-papier.

D’un point de vue théorique, il est frappant de constater que cette conception rejoint

celle de la théorie économique classique et néoclassique sur deux points, et ce alors que la

première approche se veut aux antipodes idéologiques de la seconde. Le premier point en

commun est de considérer la fonction d’instrument des échanges comme étant la fonction la

plus importante de la monnaie. On retrouve en effet cette idée par exemple chez Schumpeter

pour qui la monnaie joue : « le modeste rôle d’un expédient technique adopté en vue de

faciliter les transactions36 »… La seule valeur qui est reconnue à la monnaie serait celle de

31 Toffler (1980). 32 Covas and al. (1998: 13). 33 Covas and al. (1998: 18). 34 Pautas. p. 10. 35 Référence. 36 Schumpeter (1983: 389). Cité dans Orléan (2009).

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faciliter les échanges. C’est pourquoi, nous dit Samuelson: « La monnaie est recherchée, non

pas pour elle-même, mais pour les choses qu’elle permet d’acheter37». Outre cette même

conception instrumentale de la monnaie, le deuxième point commun entre ces deux approches

repose sur la manière de justifier historiquement l’invention de la monnaie: au

commencement était le troc, la monnaie serait ensuite apparue afin de dépasser le fameux

problème de la double coïncidence des besoins. Ce dépassement de la double coïncidence des

besoins est un classique en économie pour expliquer l’apparition de la monnaie. Il est déjà

présent chez Smith (1776), puis chez Jevons (1875) et chez Menger (1892), et persiste

implicitement aujourd’hui dans les modèles de théorie monétaire pure38, et ce malgré un large

consensus entre historiens, anthropologues, économistes et sociologues de la monnaie39 pour

réfuter cette genèse imaginaire de la monnaie et la faible occurrence historique des systèmes

d’échanges par troc.

La référence maintenue au terme de « troc » pour qualifier les clubs et les échanges

marchands qui s’y déroulent (« troc multiréciproque »), malgré l’utilisation des billets

creditos comme intermédiaire des échanges, peut être interprétée comme une volonté de la

part des fondateurs d’insister sur le fait que la finalité des échanges dans les clubs est bien

d’échanger des biens contre d’autres biens et non des biens contre de la monnaie. Le credito

ne doit donc pas être désiré pour lui-même mais pour faciliter les échanges. L’accumulation

de monnaie est donc jugée indésirable car elle est perçue comme un frein à la création et à la

circulation des richesses produites. Elle sera même sanctionnée dans la pratique. Inspirés par

les travaux monétaires de l’économiste Silvio Gesell40, les fondateurs soumettent en effet le

credito au principe d’oxydation monétaire. Ce principe fonctionne de la manière suivante :

tous les ans, de nouveaux billets sont émis, les anciens étant échangés contre les nouveaux

mais avec une décote annuelle (d’au moins 12%) progressive et variant avec le montant des

creditos à échanger41. Ce principe sera mentionné en gras sur le dos des billets émis à partir de

2003 (cf. photo 1). L’objectif recherché est simple explique Rubén Ravera, l’un des

fondateurs des clubs: « Notre objectif est de créer une monnaie affectée d’un processus

d’oxydation pour décourager l’accumulation des creditos et ainsi promouvoir la circulation

37 Samuelson (1976: 276). Cité dans Orléan (2009) 38 (Ostroy and Starr, 1990; Kiyotaki and Wright, 1989, 1991). 39 (Innes, 1913, 1914; Aglietta and Orléan, 1998; Wray, 1999; Ingham, 2000). 40 Silvio Gesell (1862-1930) écrit L’ordre économique naturel en 1906. Son portrait est dessiné sur les murs de du club « El comedero ». Les fondateurs font explicitement référence à lui également en 2005 dans les fiches éditées par le PAR et données au moment de l’échange de billets. 41 Pour un montant de billets supérieur à 50 creditos, la décote est de 12%, mais pour un montant de 1000, elle est de 33%. La décote peut aller jusqu’à 90% pour ceux qui souhaitent échanger plus de 5000 creditos. On peut retrouver ces informations sur le site officiel : www.truequeclub.com.ar

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des bons42 ». Dans une telle perspective, le prosommateur devra faire un choix : « ou

consommer ce que les autres produisent et activer ce marché, ou perdre la valeur de son

credito, alors les gens vont préférer être solidaires et consommer ce que les autres

produisent43 ».

Photo 1 – Billet credito du Réseau Global de Troc, édition 2003(recto et verso)

Source : Photo prise par l’auteur.

La troisième caractéristique du credito découle de tout ce qui vient d’être dit. Parce

que chaque participant fait le choix de consommer autant qu’il produit, les échanges sont dits

« réciproques ». La réciprocité est, selon les fondateurs, le principe qui régit les rapports

marchands dans les « clubs de troc ». Horacio Covas n’hésite pas à parler même de don : « En

réalité, c’est un modèle de don, on l’appelle troc pour le présenter d’une certaine manière

mais c’est un échange multiréciproque ; la réciprocité est le soutien de tout cela. Ici il n’y a

pas de lucre démesuré, ni de chefs, ni de concurrence, chacun a besoin de l’autre, le négoce

42 La Nacion, 23 août 2002. Les mêmes propos sont tenus par de Sanzo dans (Cronica, 23 août 2002) et par Covas dans (Uno, 17 août 2002). 43 Clarin, Ecos del Mar, août 2000.

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c’est d’être dans le réseau, le privilège c’est d’y appartenir, et notre éthique est que tous

peuvent participer, il n’y a pas d’exclusions44 ». Parce qu’il n’exclue personne et profite à

tous, le « club de troc » correspond à « un marché social. […] C’est un marché dans lequel ce

qui est recherché est que tous gagnent et que tous les intégrants du modèle puissent rentrer

chez eux satisfaits par l’échange réalisé45 ». Le caractère social de ce marché serait

intrinsèquement lié à la spécificité de la monnaie credito elle-même qualifiée de « sociale »

par les fondateurs. En effet, nous disent-ils, le credito « est une monnaie sociale parce qu’elle

bénéficie à tous et évite les déviations, […] faisant souffrir notre société à travers l’inflation

et les intérêts, et qui sont le produit de l’accumulation monétaire46 ». Aussi, à l’inverse de la

monnaie officielle, cette monnaie privée libèrerait la force du travail que détient chaque

individu permettant l’intégration de tous : « La libre circulation des offres et des demandes et

la monnaie sociale sont les clefs pour le plein emploi, la création d’un état de bien être sans

discrimination ni exclusion47 ». A cet égard, d’un point de vue théorique, il importe de faire

remarquer qu’une telle conception est proche de celle des partisans d’une monnaie

communautaire telle qu’elle s’exprime au sein du mouvement politique du guild socialism au

début du 20ème siècle en Grande-Bretagne et parmi les communautaristes (Hart, 2000). Selon

eux, la monnaie communautaire permettrait de libérer le capital humain des individus,

opprimé dans les économies capitalistes.

Ainsi, cette monnaie privée trouve ses conditions d’existence dans la monnaie

officielle mais sur un mode négatif. Le credito, on l’a vu, répond à un souci de double

dépassement de la monnaie officielle : d’une part, il se veut une réponse à la rareté du peso

dans l’économie ; d’autre part, il se pose comme une alternative au peso jugé « excluant ».

SECTION 2. UNE CONFIANCE INDEXEE SUR LA MONNAIE ET LES INSTITUTIONS OFFICIELLES

AUTANT QUE FAIRE SE PEUT

Si pour justifier sa création, les fondateurs des « clubs de troc » s’attachent à

distinguer le plus possible leur monnaie de la monnaie officielle, paradoxalement, comme on

va le voir, ils s’appuient sur celle-ci et sur les institutions officielles qui garantissent sa valeur,

pour fonder la confiance dans le credito et favoriser son acceptation. En effet, d’une part, les

44 Covas, Su dinero personal, 10/01/1997. 45 Réseau Global de Troc, p. 9, 8 mars 2002. 46 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia (1999: 4). 47 Id., p. 4.

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fondateurs ne cessent de rechercher l’aval des institutions officielles afin d’être reconnus

comme des pouvoirs monétaires privés légitimes. D’autre part, ils n’hésitent pas à rapprocher

leur monnaie du peso, en lui empruntant, dès qu’il le faut, ses référents symboliques afin

d’asseoir la confiance dans leur monnaie privée.

Des puissances monétaires privées en quête d’un pouvoir monétaire privé officialisé

Par la création du credito, les fondateurs des clubs sont confrontés à un problème. Ils

ont conscience que la création d’une monnaie parallèle au peso est un problème en soi pour la

puissance monétaire publique qui voit-là une contestation de sa souveraineté monétaire. Or,

pour exister, ils ont besoin d’une reconnaissance officielle, fut-ce sous la forme minimale de

la tolérance. La question qu’ils se posent est donc de parvenir à se faire reconnaître par les

autorités officielles comme un pouvoir monétaire privé. Comment vont-ils s’y prendre pour

coexister avec la monnaie officielle? Les fondateurs vont se lancer dans un processus de

légitimation et d’institutionnalisation des « clubs de troc ».

En quête de légitimité, ils vont mobiliser les médias, les hommes politiques et les

universitaires pour donner une expression visible aux clubs. D’une part, ils s’adressent au

champ académique et aux médias, en multipliant les entretiens dans la presse écrite, les

émissions radio et TV, ainsi que les conférences. En avril 1998, ils publient Réinventer le

marché. L’expérience du Réseau Global de Troc48 qui vise à présenter formellement leur

projet. D’autre part, les fondateurs recherchent une reconnaissance auprès du champ politique

institutionnel. Pour ce faire, ils affichent leur volonté de compter et d’interagir avec les autres

institutions publiques et les entreprises, et refusent d’être associés à un mouvement porteur

d’un projet utopique révolutionnaire anti-système: « Nous inventons un système

complémentaire, non contestataire49 ». En effet, expliquent-ils sur la base d’une

argumentation purement économique, les « clubs de troc » correspondent à des espaces

marchands complémentaires et non substituables au Marché et aux autres institutions

économiques : « Le marché formel semble s’être rendu compte qu’il n’y avait pas de

concurrence déloyale, mais bien tout le contraire: ce n’est pas un jeu à “somme nulle” mais

un jeu“gagnant-gagnant”, puisque ce que les gens économisent “en troquant” dégage une

48 Covas and al. (1998). 49 Rubén Ravera, in Quilmes, 13 septembre 1997.

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quote-part disponible à utiliser sur le marché formel50 ». Au plus fort de leur succès, les

fondateurs déposeront un projet de loi51 en mai 2002 au Parlement pour demander la

réglementation des « clubs de troc ». Par cette requête, est visée la reconnaissance officielle

des clubs et de leur pouvoir monétaire privé.

Parallèlement à cette quête de légitimité, les fondateurs prouvent leur sérieux en se

lançant également dans un processus d’institutionnalisation des clubs. Ces derniers vont être

structurés autour du « Réseau Global de Troc » (RGT). En outre, l’institution RGT proclame

sa « Déclaration de principes » (cf. annexe 1), définissant les valeurs humaines (solidarité,

réciprocité, etc.) qui doivent être respectées par les membres des clubs. Pour favoriser la

promotion de ces valeurs, le Réseau Global de Troc offre une formation aux nouveaux

membres. Cette institution se dote, enfin, d’une direction centrale, le « Conseil consultant du

PAR52 » (il s’agit des trois fondateurs), chargée de l’émission du credito. Les foires, qui sont

les lieux où se réunissent les participants des clubs pour procéder aux échanges, reposent,

elles aussi, sur un dispositif très structuré : elles disposent d’un personnel pour assurer leur

bon déroulement, d’horaires et de lieux fixes, de règles d’échange internes... L’importance du

nombre de clubs devient telle que le RGT est contraint de s’organiser en réseaux, selon les

zones géographiques53. À partir de 1999, les fondateurs mettront également en place ce qu’ils

appellent une « franchise sociale54 ». Il s’agit d’un « kit » destiné aux personnes souhaitant

ouvrir un « club de troc », comprenant, pour l’essentiel, les éléments suivants : des gilets et

des manuels de formation pour les coordinateurs des clubs, des billets creditos émis par le

RGT et des cartes d’adhérents au RGT.

Cependant, d’un point de vue monétaire, Horacio Covas, Rubén Ravera et Carlos de

Sanzo sont soucieux de rassurer les autorités monétaires officielles et de ne pas se mettre hors

la loi. Ainsi, écrivent-ils dans le manuel officiel donné aux membres lors de leur adhésion au

Réseau Global de Troc : « L’utilisation des creditos pour faciliter les opérations d’échanges

de biens et de services au sein du Réseau global de troc est une initiative responsable et

respectueuse des lois en vigueur55». Il faut rappeler en effet que seule la Banque centrale de la

50 Ibid, p. 5. 51 Congreso (2002), Proyecto de Ley del Trueque- Expte.: 8444-D-01, Buenos Aires. 52 Le PAR est l’acronyme de Programme d’Autosuffisance Régional. Il s’agit d’une ONG, créée en 1989 par Carlos de Sanzo et Rubén Ravera, avec pour objectif, au départ, de développer de nouvelles technologies permettant de concilier environnement et utilisation optimale des ressources disponibles. Elle est également par la suite l’institution officielle à laquelle se rattache le Réseau Global de Troc. 53 La province de Buenos Aires est alors découpée en quatre zones : le Sud, l’Ouest, le Nord et la capitale. 54 Pour plus de détails, voir www.autosuficiencia.com.ar/img/Edit_PAR_OrgClubtrueque.htm 55 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia (1999: 10).

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république d’Argentine détient le monopole de l’émission monétaire sur le territoire national.

Dans ces conditions, on comprend que les fondateurs adoptent un profil bas devant les

pouvoirs publics… quitte à nier, quand il le faut, le caractère monétaire du credito. Ainsi par

exemple, n’hésitent- ils pas à déclarer que le credito n’est pas un moyen de paiement et n’a

aucune validité juridique : « Les creditos utilisés dans le Réseau Global de Troc […] n’ont

aucune validité ni de conséquences juridiques. Ils ne sont pas non plus une promesse ni un

moyen de paiement, n’ont pas de force compensatoire, etc.56 ». Ceci sera à nouveau spécifié

en 2002 dans le projet de loi de réglementation du troc soumis au Congrès qui vise à établir

les bases juridiques et institutionnelles des « clubs de troc ». L’article 3 de ce projet qualifie le

credito de « valoir »: « […] le valoir imprimé par le Réseau a pour fonction d’agir comme un

élément compensatoire des transactions. C’est un signe représentatif de valeur seulement

pour les adhérents des clubs de troc, non convertible avec la monnaie en circulation57 ».

Les changements opérés sur les billets à partir de 2004 témoignent par leur tonalité,

beaucoup plus formelle, de leur souci de se protéger juridiquement. Aussi, sur les billets sera

supprimée à présent toute référence monétaire pour qualifier le credito, et seront mentionnées

ses restrictions d’usage. En effet, si sur les billets édités en 2003 le credito était qualifié de

« monnaie sociale » (cf. photo 1), ce ne sera plus le cas à partir de l’année suivante où il sera

défini dorénavant comme « bon d’escompte » (« bono de descuento »).

Photo 2 – Billet du Réseau Global de Troc : édition de 2004 (à gauche) comparée à celle de 2006 (à droite)

Source : Photo de l’auteur.

En outre, il sera à présent formellement mentionné sur les billets que le credito n’est

pas convertible ni négociable contre une monnaie de cours légal. Son caractère soit disant non

monétaire sera poussé davantage à l’explicite, à partir de 2005, par le changement du nom de

56 Primavera and al. (1998: 13). 57 Extrait tiré du journal Club del trueque zona oeste, n° 12, avril-juin 2002.

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l’unité de mesure sur le billet : à la place de « credito », on parle désormais de « troc » pour

désigner la nouvelle unité conventionnelle d’escompte58. Ainsi, sur le verso du billet d’un

credito, on ne lit plus « ceci vaut un credito » mais « ceci vaut un troc » (cf. photo 2).

Des emprunts aux référents symboliques du peso

Si pour faire accepter par les autorités officielles leur monnaie privée, les fondateurs

des clubs sont contraints, on l’a vu, de dissocier le credito du peso et d’aller jusqu’à nier son

caractère monétaire ; pour fonder la confiance dans leur monnaie et faciliter son acceptation

auprès des participants, au contraire, ils ne cessent d’opérer des rapprochements entre ces

deux monnaies. Et, ce besoin de la monnaie privée d’emprunter aux référents de la monnaie

officielle se manifeste autant en régime qu’en période de crise.

En régime, tout d’abord, deux exemples attestent de cet emprunt au peso. Le premier

renvoie à la relation d’équivalence qu’établissent les fondateurs entre ces deux monnaies, dès

le départ, pour décréter la valeur du credito : ils posent en effet que celui-ci équivaut à un

peso. Autrement dit, ce rapport de parité entre les deux monnaies sert, pour reprendre les

termes de Knapp (1924), à établir la « valeur décrétée » du credito, même si en réalité celle-ci

sera bien différente de sa « valeur effective ». Il ne faut pas se tromper sur le sens à donner ici

aux mots « valeur effective ». Il ne s’agit pas d’une valeur qui résulterait d’une transaction de

marché credito contre peso puisque la convertibilité est une pratique formellement prohibée

par les règles des clubs. Il s’agit donc ici non d’une convertibilité mais d’une simple

conversion, donc limitée au registre de l’unité de compte, et par laquelle les participants

ramènent la valeur de leur credito au référent peso. Au demeurant il importe de préciser que

ce rapport de conversion entre unités de compte, initialement fixé à la parité par les

fondateurs, a connu par la suite des variations et mêmes dans des proportions considérables, à

partir de 2001. On observe en effet que le rapport entre le credito et le peso fluctue selon les

clubs et les périodes étudiés. Le rapport en vigueur dans les clubs, respecté par les

participants, va évoluer selon la dépréciation progressive du credito et la qualité et quantité

variables des biens proposés dans les foires. A titre d’exemple, en novembre 2005, dans le

club « El comedero » où sont majoritairement proposés à l’échange des biens d’occasion et

trop peu de produits alimentaires de base, le rapport entre ces deux unités de compte était d’un

à mille (1 peso = 1000 creditos). A l’inverse, dans les clubs disposant de produits de base et 58 Malgré le changement d’unité de compte, les participants continuent de parler et de fixer leurs prix en creditos.

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des biens neufs, le rapport entre le credito et le peso était moins distendu (il s’agit en

particulier des clubs de la zone ouest de la province de Buenos aires).

On l’aura compris : cette relation d’équivalence entre ces deux monnaies n’implique

pas de convertibilité légale mais seulement une convertibilité symbolique. Les fondateurs

prennent d’ailleurs le soin de le préciser à de multiples occasions, on l’a vu, sur le dos des

billets à partir de 2004, ou encore dans le manuel officiel du troc du RGT : « Bien qu’il y ait

des coïncidences avec des étalons de mesure externes dans le calcul des équivalences dans les

échanges, le parallélisme nominal n’implique aucune convertibilité avec un quelconque type

d’argent ou de valeur59 ». Même si cette relation d’équivalence est symbolique, elle s’avère

dans la pratique totalement indispensable : elle fournit en effet aux participants des repères

pour fixer les prix et échanger dans les clubs. C’est d’ailleurs pour cette raison que les

fondateurs justifient l’instauration de ce rapport d’équivalence : « L’utilisation d’un étalon

externe ou d’une référence à une monnaie donnée a pour seul but d’avoir un indicateur

servant de guide pour assurer l’équité dans les échanges60». Ce rapport credito/peso joue

effectivement dans les têtes de tous les participants. Ceci ressort notamment dans les

entretiens réalisés dans les différents clubs étudiés61. Quand on leur demande comment ils

font pour fixer le prix d’un bien, les participants répondent qu’ils se basent sur son prix en

monnaie officielle qu’ils convertissent ensuite selon la règle d’équivalence credito/peso du

moment (correspondant à la « valeur effective » du credito), avec en plus une prise en charge

de la rareté de ce bien dans ces espaces marchands privés. Aussi, d’un point de vue théorique,

il importe de souligner que seule la monnaie officielle demeure la véritable unité de compte

pertinente au sein de ce système micro-monétaire, le credito ne constituant qu’une unité de

compte subordonnée.

Un deuxième emprunt symbolique au peso doit être mentionné. Il se produit au

moment où les « clubs de troc » connaissent un succès retentissant. Avec la croissance

exponentielle des participants à partir de la fin 2001, les fondateurs vont être confrontés à une

augmentation très importante de la demande de monnaie creditos. Or, cet afflux brutal et très

important de nouveaux candidats à l’échange sème le doute sur la capacité technique des

fondateurs à assurer l’impression des billets en quantité suffisante. Pour lever le doute, les

59 Pautas. Principios, Tradiciones, Franquicia (1999: 10). 60 Covas, de Sanzo (1998), p. 14. 61 Ce travail repose sur une enquête de terrain menée dans une vingtaine de clubs dans la province de Buenos Aires, et sur une monographie du club dénommé « El Comedero » (« Le réfectoire »), à Bernal dans la province de Buenos Aires. L’enquête de terrain sur les différents clubs et la monographie ont été réalisées pendant la période d’octobre 2005 à octobre 2007.

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fondateurs vont alors établir, une nouvelle fois, une homologie entre leur monnaie et le peso,

ainsi qu’entre eux-mêmes et les autorités officielles qui garantissent la valeur de la monnaie

officielle. Ceci se trouve illustré par deux photos parues dans le journal national Pagina 12,

datant du 10 février 2002, accompagnant un article significativement intitulé « Monnaie

forte» dont le contenu est rappelé ici brièvement. Dans cet article, la journaliste Mariana

Carbajal relate que, victimes de leur succès, les fondateurs sont dépassés techniquement par

l’impression des billets. Ils seraient alors en négociation avec la Casa de Moneda de la nation,

qui est l’autorité officielle fabriquant la monnaie nationale, afin de faire imprimer le credito

par cette autorité. Mais les deux photos qui accompagnent l’article de presse illustrent bien

plus, comme on va le voir, qu’un problème technique, pratique, d’impression de billets. Et les

fondateurs le savent bien. Ce n’est évidemment pas banal qu’ils choisissent de se faire

photographier avec leurs billets à la main devant la Casa de la Moneda. Rappelons ce que

disait l’un des fondateurs, Horacio Covas : « Nous sommes la troisième monnaie » – citation

tirée d’ailleurs de cet article de presse. En effet, la première photo (cf. photo 3), qui montre les

billets creditos en premier plan avec la Casa de la Moneda de la nation en second plan, donne

à croire que ces billets proviennent de cette institution, ou en proviendront dans un avenir très

proche.

Photo 3– Les creditos devant la casa de moneda

Source : Photo de Sandra Cartasso, in Pagina 12, 10 février 2002.

On comprend très bien l’intention des fondateurs. En effet, cette première photo vise à

associer la monnaie privée à l’autorité monétaire officielle qui fabrique le peso. Et, si la

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monnaie credito est fabriquée là où on fabrique la monnaie légale, celle-ci se retrouve alors

dotée d’une « réelle » valeur, puisqu’elle serait par le fait reconnue d’une certaine manière par

les autorités officielles. Le credito bénéficieraient ainsi d’authenticité, voire d’une quasi

légalité. Autrement dit, cette photo laisse suggérer que la convertibilité symbolique qui lie la

monnaie privée au peso se rapprocherait à pas de géant d’une convertibilité officielle. Ceci

conforte l’interprétation qui se dégage de la deuxième photo. En effet, celle-ci montre en

premier plan deux des fondateurs des « clubs de troc », Horacio Covas et Rubén Ravera,

tenant chacun à la main le billet credito avec en arrière plan la Casa de Moneda de la nation.

Cette photo conforte ainsi l’impression que les fondateurs des clubs, ces puissances

monétaires privées, seraient en train de parvenir à se faire reconnaître par la puissance

monétaire publique comme pouvoirs privés légitimes… même si, pour révéler le fin mot de

l’histoire, cette reconnaissance ils ne l’auront pas, pas plus que des contacts de quelque nature

que ce soit avec les autorités monétaires officielles...

Photo 4 – Horacio Covas (à gauche) et Rubén Ravera devant la Casa de la Moneda de la nation

Source : Photo de Sandra Cartasso, in Pagina 12, 10 février 2002.

L’emprunt symbolique au peso, même à la limite du mensonge, est indispensable en

régime, il le sera davantage encore pour surmonter la crise de confiance qui s’abat durement

sur la monnaie privée au moment même où la fréquentation des « clubs de troc » atteint son

niveau le plus haut. A partir de juin 2002, des problèmes de falsification des billets creditos,

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on l’a vu, commencent en effet à être recensés ici et là. De l’aveu même des responsables du

RGT, le 24 juin 2002, 30 % des creditos qui circulent au sein des 5800 « clubs de troc »

seraient faux62. Deux premiers cas de falsification parviennent à être démantelés, au cours de

ce mois, par la brigade du département de recherche des fraudes économiques de la police

fédérale : le premier concerne l’arrestation de cinq personnes à San Martin (province de

Buenos Aires), en possession de 550 planches de billets du RGT, pour une valeur de 168 000

creditos ; une deuxième arrestation a lieu à Desaguadero (province de Mendoza63), impliquant

deux hommes avec cette fois un million de faux creditos. Un troisième cas sera révélé, un

mois plus tard64 à peine, le 6 juillet 2002, par la Délégation des délits complexes de la police

fédérale de Buenos Aires : celle-ci procèdera à l’arrestation de six personnes qui possédaient

2 250 000 creditos falsifiés. Mais ces arrestations ne vont pas suffir à contenir le problème.

Une très grande quantité de billets falsifiés circule déjà au sein des clubs. La situation se

dégrade en effet terriblement en l’espace de quelques mois : en octobre, les fondateurs

estiment que 90 % des creditos en circulation seraient faux. Les conséquences ne se font pas

attendre. La surabondance de liquidités, dans un tel contexte de discrédit porté à la valeur

nominale de cette monnaie, a un double effet qui enferme les clubs dans un cercle vicieux :

d’une part, elle conduit au retrait massif du nombre de ses participants, provoquant alors une

contraction du volume des biens sur ce marché; d’autre part, la surabondance de circulant,

doublée d’une chute de l’offre de biens, engendrent alors, à leur tour, une hausse très

importante des prix et une fuite encore plus prononcée des participants. Au cours des six

premiers mois de 2002, on recensait dans les « clubs de troc » une augmentation des prix des

produits de base tels que le lait ou le sucre65 d’au moins 50 %.

Pour tenter de faire face à cette crise de confiance dans la valeur du credito, les

fondateurs réagissent, dès les premières arrestations, en annonçant leur intention de remédier

à la falsification des billets. Ils procèderont disent-ils le plus rapidement possible, en l’espace

de 20 jours66, à l’échange de l’ensemble des billets par de nouveaux qui seront dorénavant

infalsifiables. Et, pour rétablir la confiance dans ce nouveau billet, les fondateurs cherchent

une nouvelle fois à arrimer le credito au peso. Ils multiplient en effet les déclarations dans la

presse nationale et provinciale pour informer que le nouveau billet sera doté de nouvelles

normes de sécurité similaires en matière d’impression à celles de la monnaie officielle (cf.

62 Pagina 12, 13 juin 2002 ; Clarin, 24 juin 2002. 63 Un village à 200 km de Mendoza Capitale. 64 Perspectiva Sur, 19 juin 2002. 65 Alors que le prix du sucre s’élevait à un ou deux creditos en décembre 2001, il s’élève en juin 2002 à 4 ou 5 creditos (Pagina 12, 13 juin 2002). 66 Clarin, 13 juin 2002.

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annexe 2) : marque d’eau ; microlettres ; impression dans une teinte invisible (seulement

visible à la lumière ultraviolette) ; fil de sécurité ; teinte optique variable (les points de

couleur changent de couleur à la lumière ultraviolette) ; numérotation, etc. Le nouveau billet

est présenté, le 10 juillet 2002, dans le journal national Clarín, puis dans les autres principaux

journaux du pays. Il est décortiqué à la loupe afin de montrer toutes les nouvelles normes de

sécurité qu’il respecte : tous les aspects techniques le rendant infalsifiable sont longuement

explicités. Pour rassurer davantage, les fondateurs informent que chaque participant pourra

lui-même, en cas de doute, s’assurer de l’authenticité des billets grâce à la distribution gratuite

d’un « validateur67 » (« validador ») qui lui permettra de lire sur le dos du billet les deux

bandes ayant une trame codifiée : dans la première, on pourra y lire « sert à produire », la

deuxième indiquera l’année d’édition du billet. En plus de la création d’un nouveau billet, de

nouvelles dispositions devraient être prises pour sécuriser également les échanges dans les

« clubs de troc ». En effet, ils annoncent qu’ils procéderont à la réinscription de tous les

membres des clubs. Lors de l’échange de billets, un carnet d’identification (une sorte de

passeport) sera donné à chaque membre sur lequel figureront sa photo et des informations

personnelles. Par la suite, nous disent les fondateurs, cette carte devra passer dans un lecteur

optique à l’entrée de la foire (ceci, précisons-le ne verra pas le jour). Cependant, tout ceci ne

suffira pas à rassurer les participants. La falsification des creditos, couplée avec

l’hyperinflation, fait fuir rapidement et définitivement la grande majorité des participants.

Ainsi, on vient de voir qu’en raison de l’inconvertibilité du credito avec la monnaie

officielle, les fondateurs des « clubs de troc » cherchent à donner des gages pour fonder la

confiance dans cette monnaie privée. Pour ce faire, ils tenteront d’ancrer autant que possible

la monnaie privée à la monnaie officielle de référence. Mais les rapprochements symboliques,

à défaut de mieux, ne suffisent pas à rassurer les participants. A la première crise monétaire

credito (surnuméraire, hyperinflation), les participants abandonnent cette monnaie privée et

les « clubs de troc ». Seuls ceux qui n’ont pas d’autre alternative, continuent d’y recourir mais

par nécessité. Cependant, ces derniers, comme on va le voir, chercheront à développer des

stratégies d’échanges qui contournent le credito.

67 Cet aspect est présenté le 22 août 2002 lors de la conférence de presse des fondateurs qui se tient au célèbre café Tortoni de Buenos Aires. Le journal Clarin datant du 22 août 2002 relate cette réunion officielle.

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SECTION 3. UN MARCHE FORTEMENT DEPENDANT DU SYSTEME MARCHAND ET MONETAIRE

PESO

On vient d’examiner le rapport qui lie le credito au peso au travers du projet monétaire

spécifique et explicite porté par la monnaie privée, puis au travers du rapport politique et

symbolique que cherchent à établir les fondateurs pour faire accepter leur monnaie auprès des

autorités publiques officielles et auprès des participants. Mais ceci n’épuise pas les types de

rapports qui lient ces deux monnaies. Les rapports entre ces deux monnaies se donnent à voir

également dans le fonctionnement même du microscosme monétaire privé, c’est-à-dire dans

les foires où se déroulent les échanges. En effet, l’analyse du déroulement des échanges révèle

que le microcosme credito n’est pas du tout une enclave hermétiquement séparée du

macrocosme monétaire peso. En réalité, le peso est en arrière plan, omniprésent, dans l’espace

marchand credito.

La monnaie officielle est en effet indispensable dans les « clubs de troc ». Elle

conditionne l’accès au système marchand privé. Outre les droits d’adhésion au club, on l’a vu,

réglés en pesos en contrepartie de quoi les nouveaux membres reçoivent leurs premiers

creditos (2 pesos en échange des 50 creditos), ils doivent également payer des tickets d’entrée

libellés en peso et en credito, chaque fois qu’ils se rendent à une foire pour réaliser des

échanges. Le montant des coûts d’entrée varie selon les clubs et les périodes étudiés. On peut

néanmoins dire que le coût d’entrée réglé en pesos n’a cessé d’augmenter depuis le début de

la formation de ces clubs, et se situe dans une fourchette de 2 à 9 pesos. A titre d’exemple,

dans le club « El Comedero », alors que les coûts d’entrée étaient de trois pesos en 2005, ils

s’élevaient, en septembre 2007, à 9 pesos68.

Si elle conditionne l’entrée au système marchand credito, la monnaie officielle exerce

aussi une influence sur la structuration même des échanges et sur la formation des prix au sein

des clubs. En effet, le peso permet à ceux qui en détiennent d’acheter sur les marchés officiels

les produits les plus recherchés (alimentation), et de les utiliser dans les clubs soit pour les

vendre directement comme produits finis, soit comme inputs pour réaliser des produits à

vendre ensuite. Les agents économiques qui disposent de pesos sont principalement les

travailleurs sur les marchés formel et informel, les retraités, les bénéficiaires de plans sociaux

68 Ce club a cessé de fonctionner au printemps 2007 mais a été remplacé par un autre, le club « Vercelli », inauguré le 15 septembre 2007.

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(en particulier du « Plan chefs de famille sans emploi69 »), et enfin toutes les personnes qui

travaillent à l’organisation des foires, à savoir les fondateurs, les coordinateurs, les caissiers,

les responsables de la sécurité sanitaire, etc. A l’inverse, l’accès très limité à la monnaie

nationale touche en particulier les chômeurs et les femmes au foyer70 (les plus nombreuses

aujourd’hui dans les clubs).

Compte tenu de la rareté des produits alimentaires qui sont les plus désirés, les

détenteurs de ces biens disposent alors d’un véritable pouvoir sur la formation des prix au sein

du club. On assiste ainsi, dans les clubs où le prix se fixe selon la loi de l’offre et de la

demande, à une inflation de deux types, à partir de 2002 : une inflation par la demande, liée à

l’insuffisance des biens les plus désirés ; et, une inflation par les coûts, relative à la

répercussion de la hausse des coûts de production sur le prix de vente. Si bien qu’un certain

nombre de clubs se trouve pris dans un cercle vicieux avec une pénurie de biens auto-

alimentée : la rareté des biens les plus recherchés engendre, comme on vient de le voir, une

hausse généralisée des prix ; cette inflation décourage les acheteurs, or le propre des « clubs

de troc » est que les acheteurs doivent avoir préalablement vendu leur marchandise. Ainsi au

total, et paradoxalement, l’inflation des biens les plus demandés va déprimer les ventes

globales. Cette désincitation à vendre se traduit alors inévitablement par une pénurie accrue

de biens dans les clubs.

Par conséquent, la détention de monnaie officielle est un facteur d’inégalité au sein des

« clubs de troc ». Il importe de souligner que ce constat n’est d’ailleurs pas exclusif à ce

système monétaire local en particulier. Des analyses menées sur les LETS, notamment,

montrent comment s’opère également la reproduction, au sein de ces systèmes, des inégalités

de revenu et de genre telles qu’on les trouve sur les marchés formels71.

Pour préserver malgré tout un certain pouvoir dans la formation des prix et un accès

aux biens, des stratégies d’échanges se développent, en particulier de la part des plus

dépourvus de pesos. On peut en citer brièvement deux. La première consiste à échanger à prix

mixtes (en peso et en credito), permettant ainsi d’acheter à l’extérieur des clubs et de vendre

ensuite à l’intérieur. Mais cette solution ne fait que renforcer à son tour l’exclusion de tous 69 « Plan Jefes y Jefas de Hogar Desocupados ». Il s’agit de plans sociaux qui allouent une subvention mensuelle aux intéressés de 150 à 200 pesos pendant une période de six mois renouvelable en contrepartie d’un travail de 4 heures par jour. Pour une analyse de l’impact de ce plan au niveau économique et social, lire (Galasso and ravallion, 2004). 70 Pour une analyse des perspectives de développement économique offertes aux femmes par leur participation aux « clubs de troc », voir (Bogani and Parysow, 2005). 71 Voir en particulier (Bowring, 1998). Pour une analyse de la reproduction des inégalités de genre au sein des clubs, lire (Powell, 2002).

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ceux qui ne disposent pas de monnaie officielle. Une autre stratégie repose sur l’utilisation de

ce que l’on pourrait appeler un « capital de socialisation ». Il faut souligner en effet qu’il

existe un intérêt économique rationnel à socialiser à l’intérieur des clubs. En témoignent les

deux exemples suivants de pratiques observées : d’une part, même si la réglementation

interdit tout échange avant de rentrer dans les foires, force est de constater que pendant la file

d’attente un grand nombre d’arrangements est déjà passé entre habitués de connaissance

mutuelle. D’autre part, le troc direct qui se pratique entre échangistes de confiance constitue

une autre formule très efficace pour accéder aux biens. Cette pratique présente en effet deux

avantages importants : l’échange est réalisé sans avoir recours à aucun moyen de paiement ;

en outre, les échangistes s’assurent une certaine stabilité des prix, fort appréciable dans un

contexte d’inflation endogène.

CONCLUSION

L’analyse de cette monnaie privée, inconvertible avec la monnaie officielle, et

circulant dans des espaces marchands cloisonnés, permet de dégager un résultat principal.

Malgré la volonté des fondateurs des « clubs de troc » de créer un système monétaire

indépendant, ce système de paiement privé ne peut pas se fermer sur lui-même et a besoin de

se rattacher à la monnaie officielle pour avoir une existence propre. En effet, la monnaie

officielle s’avère indispensable dans ce système monétaire privé comme moyen de paiement,

non seulement pour accéder à l’espace marchand privé (tickets d’entrée, frais d’adhésion)

mais aussi pour régler les transactions économiques (prix mixtes), ou bien pour constituer un

avantage compétitif lié à la possibilité d’acquérir (en peso) des intrants permettant de produire

les biens les plus désirés dans le club. En outre, et plus fondamentalement, la monnaie

officielle représente la seule unité de compte pertinente dans les « clubs de troc » pour fixer

les prix des biens. Les prix étant ensuite convertis en credito, la monnaie privée ne constitue

alors qu’une unité de compte subordonnée. A cet égard, le maintien permanent d’un rapport

de conversion entre le credito et le peso par les fondateurs sonne comme un aveu de leur

impossibilité de se passer de l’unité de compte officielle. Enfin, la référence au peso est

essentielle, on l’a vu, pour fonder la confiance dans cette monnaie privée et son acceptation.

En effet, à la fois en régime mais surtout en période de crise, les fondateurs des « clubs de

troc » mobilisent les référents de la monnaie officielle, et n’hésitent pas à créer des

homologies symboliques, voire imaginaires, avec le peso mais aussi avec les institutions

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monétaires qui garantissent la valeur et la confiance dans la monnaie officielle (Casa de la

Moneda de la nation, normes de sécurité des billets, rapport d’équivalence).

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Annex 1-Declaration of Principles

1. Our fulfillment as human beings need not be conditioned by money, and people ought not

want for their needs to be met. 2. We aim not to promote products or services, but our mutual help in accomplishing a better

way of life, through work, solidarity and fair trade. 3. We believe in the possibility of replacing competition, profit and speculation by reciprocity

among people. 4. We assume that our actions, products and services respond to ethical and ecological

standards more than to the will of the market, consumerism and short term profit. 5. The only conditions to be a member of the Global Exchange Network are: assisting and

participating at the weekly group meetings for trade, being trained permanently, and being "prosumers" (both producer and consumer) of goods, services and knowledge and to be accepting of the opinions of the Quality and Price Control circles which aims to improve the network.

6. As we are an association of individuals, each member is responsible for her/his actions, as well as goods or services offered in the Network.

7. We believe that belonging to a group means no relationship of dependence, since individual participation is free and common to every member of the Network.

8. We claim that groups are not necessarily due to be formally organized, in a permanent way, since the network model implies permanent change of roles and functions.

9. We believe it is possible to combine the autonomy of groups (Clubs or Nodes), in the management of internal affairs with all the principles of the Network.

10. We recommend not to support, as members of the Network, moral or materially any activity that might keep us apart from the main goals of our Network.

11. We believe our best example is our behavior in and out of the Network. We keep confidentiality about our private lives and prudence in the public treatment of those matters that might alter the growth of the Network.

12. We deeply believe in an idea of progress founded upon the sustainable mutual support of the great majority of people of all societies

Source : Covas and al. (1998).

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Annex 2 - Nouvelles normes de sécurité des billets creditos

Source : Constanza Durán, Clarin, 23 août 2002.