Une année de rupture - Note d'analyse Géopolitiques n°44

8/3/2019 Une anne de rupture - Note d'analyse Gopolitiques n44

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CLESComprendreLesEnjeuxStratgiquesNote hebdomadaire danalyse gopolitiquede lESC Grenoble. 24 novembre 2011

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Une anne de rup t u re2010-2011 : Dcider et sorganiser en temps de crise

Crise financire et montaire, catastrophes naturelles en cascade, accident

nuclaire de Fukushima, "printemps arabe", rvlations fracassantes

de WikiLeaks Les principaux vnements des derniers mois se

caractrisent par leur brutalit autant que par leur apparente soudainet.

Comme le souligne la dernire dition du "Ramss" codirige par

Thierry de Montbrial et Philippe Moreau Defarges pour lInstitut franais

des relations internationales (IFRI) : "Lanne 2010-2011 a confirm la

fragilit du monde au dbut du XXIesicle. [] Avec une multipolarit

de plus en plus volatile et une htrognit de plus en plus marque, la

mondialisation engendre des interdpendances de plus en plus complexes

et donc difficiles identifier, de sorte que le moindre incident, en un lieu

ou un moment quelconque, peut avoir des rpercussions plantaires."

Pour les deux auteurs, il serait urgent de renforcer, voire de rinventer,

les outils de gouvernance rgionale et mondiale pour faire face aux dfis

scuritaires des socits contemporaines. Un appel qui rclame pour le

moins examen, lheure de la double crise grecque et europenne.

Par Jean-Franois

F io r ina

Directeurde lEcole Suprieurede Commercede Grenoble

Le tempo des relations internationales semble en constante acclration depuisla fin de la guerre froide. Des crises peine amorces en chassent dautres. La"globalisation", qui repose la question des frontires tout en renforant les possibilitsdes individus sen affranchir, fragilise le monde daujourdhui et tend riger en"surprise stratgique" tout vnement imprvu. Pour sarracher du spectacle du monde,

encore faut-il bnficier dune facult dapprciation des situations et dune capacit concevoir des actions collectives - mais ralistes.

Surpr ises stra tgiques

Depuis quelques annes, paraphrasant la terminologie stratgique militaire, onparle volontiers de "surprise" pour dsigner une crise qui na pas t anticipe.Linterdpendance plantaire, qui sous-entend quun incident rgional puisse avoir unersonance mondiale (soit une extrapolation gopolitique de "leffet papillon" cher lathorie du chaos), rend la surprise presque systmatiquement "stratgique".

Ainsi, la fusion partielle de trois racteurs de la centrale de Fukushima a relanc le dbatdu recours lnergie nuclaire dans de nombreux pays, certains comme lAllemagne ou

lItalie ayant mme dcid dinstaurer un moratoire. Dans un autre registre, la destructiondes usines Nissan lors du Tsunami de mars 2011 a provoqu une interruption deschanes de production de lusine Renault de Douai, les pices dtaches produites auJapon ayant fait dfaut au Nord-Pas-de-Calais.

Depuis quelques

annes, paraphrasant la

terminologie stratgique

militaire, on parle voloniters

de "surprise" pour dsigner

une crise qui na pas t

anticipe.

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Le concept de "surprise stratgique" na nanmoins pas fait lobjet dune dfinitionofficielle. lorigine militaire, cette notion ninclut que la menace directe, du fait dunennemi (plus ou moins) identifi. Il sagit "dun vnement de caractre intentionnel, peuou mal anticip, impliquant la dfense et la scurit dun tat " ou encore, pour CorentinBrustlein, chercheur lIFRI, de "la situation de choc ou de sidration psychologique etorganisationnelle rsultant dune action offensive adverse, rvlant une imprparation relativede la victime et lui imposant dajuster les moyens, voire les objectifs, de sa posture stratgique ." cette notion de menace, sajoute celle de risque. lheure de la mondialisation, lescatastrophes naturelles et industrielles comme les secousses gopolitiques brutalisent

leur environnement bien au-del de leur lieu de survenance.

Cest dailleurs pour faire face aux surprises stratgiques que la France a dcid deplacer au centre de sa rflexion scuritaire le renseignement et lanticipation (cf. noteCLES n40, 27/10/2011). Le Prsident de la Rpublique dclarait ainsi en 2007 que"dautres enjeux, moins vidents, dautres donnes, moins connues, seront dterminants ou vontapparatre en pleine lumire dans les annes venir." Appelant de ses vux "une stratgieglobale de dfense et de scurit nationale actualise qui garantisse les intrts de la nation siune surprise stratgique venait les menacer." Il ne sagit nullement de prophtiser lavenir,mais dtre en mesure danalyser correctement les vnements. Il faut non seulementdisposer des outils propres la comprhension des crises mais aussi tre capable demise en perspective afin de choisir la rponse la plus approprie. Poser le postulat de la"surprise stratgique", cest aussi un tat desprit : celui de se prparer mentalement et

matriellement linattendu.

De la nc essit d une gouvernance globale.. .

Face ltendue des prils, quils soient dorigine naturelle ou humaine,Thierry de Montbrialet Philippe Moreau Defarges estiment que les socits contemporaines devraient tre enmesure de formuler des rponses qui dpassent le seul cadre national, tatique. La crisefinancire amorce en 2008 soulve ainsi la question de la rgulation des marchs. Or,une action entreprise au niveau national dans ce domaine naurait que peu dimpact.Un accord au niveau rgional, au sens des grands espaces gopolitiques, aurait dj plusde poids - et de sens. Mais pour les auteurs du "Ramss 2012", cest plus encore lchelle mondiale que devrait tre porte la concertation. Cest ainsi lOrganisation desNations Unies, le G8 ou encore le G20 qui devraient assurer cette tche pour mieux

faire face aux crises et aux dangers transverses... Quant aux menaces environnementales,elles exigeraient par nature, toujours selon lIFRI, une rponse coordonne lchelleplantaire. LONU assure aujourdhui le plus souvent ce rle dinterface, ou dfaut de"caisse de rsonance" pour les ONG et les diffrents groupes de pression non tatiques.Cest ainsi lONU qui, par exemple, a fini par imposer au calendrier diplomatique desEtats le Protocole de Kyoto visant la rduction des gaz effets de serre - avec lesdifficults de mise en oeuvre que lon sait compte tenu des diffrences dapproche entrepays industrialiss du Nord et puissances mergentes de lhmisphre Sud.

Les rdacteurs de lIFRI soulignent par ailleurs que lvolution des nations du mondearabo-musulman aura un impact sur limmigration, les approvisionnements nergtiquesou encore la menace djihadiste en Europe. L encore, il sagit de dfis qui ne sauraienttrouver rponse qu un niveau europen ou onusien. Car la question est aborde sous

langle des consquences et des moyens. Mieux cooprer permet assurment didentifierdes solutions communes ces risques de dimension gostratgique que plus aucun tatne semble tre en mesure de mettre en uvre seul. Si lon prend limmigration clandestinepar exemple, il apparat que lItalie ou lEspagne ne peuvent ni ne souhaitent faire faceaux flux de clandestins avec leurs seules capacits nationales. Or si lun des ces paysfaillit matriser les flux, la menace stend mcaniquement lensemble de lEurope. Voilpourquoi laction des Etats se trouve complte, voire chapeaute, au niveau supranational- celui de lUnion europenne - via lagence Frontex, en charge de la coordination desoprations de contrle des frontires extrieures de lUE.

Quels que soient les risques ou les menaces considrs, leur traitement relverait ainsichaque jour davantage, selon les observations de lIFRI, des organisations internationales.Dans tous les cas se posent des problmes de gouvernance dont labsence "ouvre

potentiellement la voie au chaos" (Thierry de Montbrial). Pourtant, les solutionssupranationales ne sont pas vertueuses par essence et elles ne sauraient saffranchir desconditions minimales de consensus des parties, au premier rang desquels les Etats, pouresprer tre efficacement mises en oeuvre.

A lheure de la

mondialisation, les

catastrophes naturelles et

industrielles comme les

secousses gopolitiques

brutalisent leur

environnement bien au-del

de leur lieu de survenance.

Sagissant de limmigration

clandestine par exemple,

laction des Etats se

trouve complte, voire

chapeaute, au niveau

supranational - celui

de lUE - via lagence

europenne Frontex.


Face ltendue des

prils, il importerait que les

socits contemporaines

soient en mesure de

formuler des rponses qui

dpassent le seul cadre

national, tatique.


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Conci l ier gouvernance supranationale et souverainet des Etats ?

Si lappel la mise en place dune gouvernance rgionale ou mondiale plus forte peutparatre sduisant, il nest en rien orginal et peut facilement se heurter au principede ralit quest notamment, laune des relations internationales, la souverainetnationale. La tentation est grande en effet dadopter dans lurgence des dcisions prises,parfois sous la pression, dans un cnacle international sans y associer les parlementsnationaux ou plus directement les peuples concerns.

Lexemple grec pose en pratique cette question de lgitimit. Le FMI et les instances de lazone euro ont conditionn leur aide ladoption dun plan daustrit drastique qui doitconduire une rduction consquente de la dette publique du pays. Si le gouvernementet le parlement se sont spontanment plis cette condition, force est de constaterla trs forte rticence de la population accepter les restrictions entrines par sesreprsentants lgaux. Indpendamment des suites rserves au projet de rfrendumannonc en Grce, ce dernier incident souligne les limites de lexercice du mandatreprsentatif ds lors quil sagit dautoriser, mme temporairement, un transfert desouverainet. La longue crise de la zone euro en atteste aujourdhui.

Lune des caractristiques du monde post-bipolaire est en effet la place dacteurs partentire quoccupent les opinions publiques et les peuples dans les affaires internationales.

Du point vu de ltat de droit, les nations devraient tre consultes pralablement toute prise de dcision susceptible de porter atteinte leur souverainet. Il sagitde ne pas loublier lheure de la monte en puissance des formes de gouvernancesupranationale censes rpondre aux multiples crises du monde contemporain.

Pour aller plus loin :"Ramss 2012 - Les tats submergs ?", sous la direction de Thierry deMontbrial et Philippe Moreau Defarges, ditions Dunod, 336 p., 25 ; "La surprise stratgique.De la notion aux implications", par Corentin Brustlein, Focus stratgique n10, IFRI.


Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de go-politique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager lesstratgies adquates.

Il sagit toutefois dune approcheoriginale de la gopolitique. tra-vers ses enseignements et sesactivits de recherche, Grenoblecole de Management envisagecelle-ci sous un angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide la dcision ncessaires pour na-viguer dans un environnement ausein duquel les risques et les op-portunits voluent sans cesse.

Avec la publication des notesCLES, Grenoble Ecole de Mana-gement souhaite partager, chaquesemaine, avec ses partenaires, lefruit de ses recherches en matirede gopolitique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-vient la performance.

Pou r quoi CLES ? ComprendreLes Enjeux Stratgiques

Retrouvez dautres analyses gopolitiques sur www.diploweb.com et sur www.grenoble-em.com/geopolitique.

EXTRAIT :

De la gouvernance mondiale "La gouvernance mondiale est fossilise, alors que les interdpendances de toutes sortes,non linaires, se multiplient en crant les conditions de crises terribles, dont certaines peuvent tre difficiles imaginer. Dans cesconditions, la mondialisation devient anxiogne et des ractions protectionnistes ont toutes les chances de se multiplier, contribuantparadoxalement susciter dautres crises. Or il en va de la mondialisation comme de lUnion europenne elle-mme : cest enapprenant partager la souverainet, en multipliant les passerelles et non les murs, que lhumanit parviendra crer les conditionsde son panouissement durable." (Thierry de Montbrial, op. cit.)

Lexemple grec pose en

pratique la question de

la lgitimit de dcisions

prises, parfois sous la

pression, dans un cnacle

international sans y

associer les peuples

concerns.

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