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© ESA-CNES-ARIANESPACE / Optique Vidéo du CSG 16 N°116 - Latitude 5 - DÉCEMBRE 2017 Dossier Une base en chantier(s) Pour accueillir Vega-C et Ariane 6, c’est tout le Centre spatial guyanais qui s’adapte. Si l’impressionnant ELA 4 sort de terre à un rythme effréné, il n’est pas le seul à métamorphoser la base. Le point sur ces chantiers d’adaptation. Dossier réalisé par Céline Bousquet et Rosane Fayet

Une base en chantier(s) Dossier - CNES · car pour construire un massif de lancement, il faut des fondations solides. Du granit, on en trouve sur le littoral ... le sujet principal

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chantier(s)Pour accueillir Vega-C et Ariane 6, c’est tout le Centre spatial guyanais qui s’adapte. Si l’impressionnant ELA 4 sort de terre à un rythme effréné, il n’est pas le seul à métamorphoser la base. Le point sur ces chantiers d’adaptation.

Dossier réalisé par Céline Bousquet et Rosane Fayet

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impressionnant […] C’est une nouveauté dans sa conception, il permet d’éliminer les réverbé-rations acoustiques. »Revenons sur nos pas. Retour au poste de garde pour démarrer un tour du propriétaire. À peine à 5 kilomètres de l’ELA 3, à l’entrée sud du chantier, le regard est tout de suite attiré sur la gauche par la grande charpente métallique du futur bâtiment d’assemblage final (BAL), puis, par les grues géantes au loin (sur le futur pas de tir). Mais avant d’en arriver là, on passe devant les 1 000 m2 de bungalows qui accueillent temporairement près de 80 managers et administratifs d’Eiffage. Juste à côté, trois petits bâtiments “support” pour tout le site (énergie ; potabilisation et incen-die ; climatisation) sont en train d’être finalisés.

Présentation du BAL

Clignotant à gauche. Nous voilà (tout pe-tits) au pied du BAL. Il est plus long qu’il n’est haut (hauteur : 20 m ; largeur : 41 m ; lon-

gueur : 120 m). Une vingtaine de personnes y travaillent. C’est donc là que l’on assemblera le composite inférieur d’Ariane 6. Inspiré du BIL et du MIK, ce bâtiment se compose d’une pre-mière partie abritée, dans laquelle on rentre le conteneur pour déstocker les étages ; dans la se-conde, climatisée, on les intègre. Pour mémoire, le lanceur est assemblé à l’horizontale, grâce à ses systèmes de berceaux, conçus spécifique-ment pour lui. Ce nouveau schéma opérationnel permet à une campagne Ariane 6 de ne durer que quinze jours, soit moitié moins que pour Ariane 5. Charpente, toiture, bardage : OK. C’est bientôt le dallage qui sera coulé.À 600 mètres de là : la zone de lancement. Au milieu, cette grande fosse. Au fond, des kilo-mètres d’escaliers et structures métalliques. Et des centaines d’hommes, qui s’emploient à réaliser les fondations du futur massif de lancement, ainsi que les fameux carneaux : les conduits des gaz propulseurs, servant à canaliser et évacuer les jets du lanceur. Jeune

Au vu des lancements imminents de Vega-C (dans deux ans déjà !) puis Ariane 6, c’est tout le CSG qui est en émulation , exactement comme il y a dix ans, pour l’arrivée de Vega et la construction de l’ensemble de lancement Soyouz. Cette émulation, on l’observe particulièrement sur l’ELA 4. Visite du futur ensemble de lancement d’Ariane 6, jusqu’au cœur de ses carneaux.

Z zzz”, “vroom”, bips de recul à foison, excavateurs, grues, soudure, per-çage, découpe, engins de chantiers de toutes sortes, métaux à perte

de vue… Des casques blancs, verts, bleus, rouges s’activent de partout. Ça fourmille. Nous sommes au milieu du chantier du futur pas de tir d’Ariane 6. Ou plutôt, DES chantiers. Il suffit de tourner la tête pour s’en apercevoir : l’ELA 4 à lui seul, ce sont des chantiers pluriels, parfaitement synchronisés par un chef d’or-chestre (le CNES) et admirablement exécutés par quelque 500 hommes à ce jour.Difficile de dire ce qui impressionne le plus. Ce long bâtiment, appelé le BAL ? L’immen-sité du site ? Les kilomètres de canalisations diverses et variées au fond de leurs tranchées, attendant sagement d’être remblayées ? Ou cet énorme portique en plein montage ? Pour Frédéric Munos, responsable de la sous-direc-tion développement sol au CSG (DLA/SDS), c’est sans doute le déflecteur de jets « le plus

Au cœur du chantier de l’ ELA 4

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Pourquoi ce site ? Le choix d’un site de lancement est un savant arbitrage entre des critères géologiques, économiques et des exigences environnementales. Au début du projet Ariane 6, on envisage d’utiliser un site existant, l’ancien pas de tir Diamant. Mais sa proximité avec la zone de lancement Ariane 5, son principal atout, est aussi son point faible majeur : un accident sur un pas de tir peut affecter l’autre. Il faudra donc construire un nouveau site. Et comment choisit-on l’implantation d’un pas de tir ? En jaugeant la présence de granit dans le sol, car pour construire un massif de lancement, il faut des fondations solides. Du granit, on en trouve sur le littoral guyanais, notamment à proximité des cours d’eau. La crique Karouabo longe l’ELA 3. Le choix se porte alors sur la roche Nicole, une ancienne carrière devenue un lac artificiel. Le diagnostic environnemental y révèle une étonnante biodiversité. En s’éloignant, c’est la roche Christine, plus à l’ouest, qui est élue. Son granit, de moins bonne qualité, ne peut être utilisé pour produire du béton. Il sert néanmoins à la dalle et aux remblais (14 tirs de mine ont été effectués en six mois). Pour le béton, on en puise à la carrière Renner (carrière du CSG, un peu plus loin vers Sinnamary).

chef d’équipe, en charge des voiles inclinés, Eder Carlos Lima dos Santos découvre le génie civil et s’y plaît bien. « J’ai suivi des formations d’échaffaudiste en métropole, j’applique ce que j’ai appris ici et j’apprends beaucoup aussi. Je me donne à fond ! »

« C’est un chantier emblématique ! »

L’excavation de ce périmètre a représenté 182 000 m3 de déblais (dont 24 000 m3 rocheux). Une noria de camions se dirige vers la fosse, via une route spécialement conçue à cet effet. Elle est amenée à disparaître – tout comme la fosse  – une fois la dalle en béton coulée jusqu’au niveau 0. Pour combler toute cette zone : 168 000 m3 de matériaux seront déver-sés, soit 67 piscines olympiques ! C’est dire le volume de ce cratère provisoire dans lequel nous nous trouvons (profondeur : 28,5 m ; lar-geur : 200 m, soit 80 de plus qu’à Soyouz).Les hommes sous nos yeux seront bientôt 200 à tourner là-dedans, précise Marc Tritschler, conducteur des travaux pour la partie carneaux. « On a du travail posté, avec des équipes qui tra-

vaillent de 6h à 14h et d’autres de 14h à 22h. Ça nous permet d’accélérer le rythme au vu des délais très tendus. »La concentration et l’effort se lisent sur les vi-sages en sueur. Mais rien d’incompatible avec la bonne humeur : perché sur une énorme masse de ferraille, cet ouvrier fait des vocalises. Sa voix résonne dans la fosse géante. Cédric Perez sourit en entendant les notes de son camarade au loin. Il sourit aussi lorsqu’il nous parle de ce « gros et beau chantier ». L’armaturier, qui sort pourtant de la construction d’un site nucléaire, à Dijon, est admiratif. « C’est beaucoup plus grand, il y a énormément de ferraille. Rien qu’à voir les grues on s’en rend compte : il y en avait deux à Dijon ; là, il y en a six ! Et puis surtout ce qui change, c’est qu’ici tout est incliné. » Ce qui rajoute au challenge. « C’est un ouvrage en pente qui am-plifie les contraintes. Les accès et la sécurité, c’est le sujet principal. Pour limiter les travaux sur les passerelles inclinées, tout est monté à l’extérieur et ramené par les grues. C’est un chantier emblé-matique ! », confirme Marc Tritschler, en pointant du doigt les plateformes béton (200 m3 produits par jour en moyenne) ou ferraillage tout autour.

Assemblage “lego” du plus lourd bâtiment d’Europe

Si Ariane 5 se déplace sur sa table, du BIL au BAF puis jusqu’à son pas de tir avec ses équi-pements, pour Ariane 6 tous les équipements

Au cœur du chantier de l’ ELA 4

À l’entrée sud du chantier, on aperçoit le BAL, déjà monté. Et, derrière lui, les six grues sur la future zone de lancement.

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Simplifié et rationnalisé, « l’ELA 4, c’est la synthèse d’Ariane 5, de Soyouz et de Vega », commente Frédéric Munos, chef d’orchestre du chantier.

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sont fixés en ZL ; c’est le lanceur qui vient se connecter à la table. D’où le massif en béton armé qui prend forme sous terre. C’est là que s’implanteront tous les équipements permet-tant la mise en œuvre du lanceur.Ressortons des carneaux. Tiens, pas de voie ferrée à l’horizon. Normal, car ici le lanceur sera transféré sur une voie routière classique, sus-pendu à l’horizontale au-dessus du vide par un système de chariots : les dollies. Il ne sera érigé que d’ici cinq à six mois, mais on devine déjà le futur château d’eau à quelques pas du carneau est. Sa tour en béton de 100 m de haut va être montée à une vitesse vertigineuse : une vingtaine de centimètres toutes les heures, 24h/24h durant trois à quatre semaines !Autre chantier spectaculaire, auquel on assiste ce matin-là : le montage du portique mobile. Il va atteindre les 90 m d’ici juin. Une fois équipé, ce bâtiment “roulant” – destiné aux opérations finales d’assemblage du lanceur – sera le plus lourd d’Europe, avec ses quelque 8 500 tonnes. Devant nous, une grue assemble ses éléments préfabriqués tels des lego géants, par paliers de 15 mètres. La fin du montage est prévue en juin.

Suivez l’avancée du chantier, en vidéo, sur la chaîne Youtube ”CNES CSG”.

Les équipes de nuit à l'œuvre. À noter qu’il arrive près de dix personnes par semaine sur le chantier de l’ELA 4. Sous peu, on atteindra les 600 emplois (plus de 75 % sont locaux). Une quarantaine de jeunes y sont en insertion professionnelle.

Éclair 6 à la réalisation Pour bâtir l’ELA4, le CNES a désigné le groupe-ment d’en treprises de travaux publics Éclair 6. Et c’est Eiffage Génie Civil qui pilote et coor-donne ses travaux et ceux des six autres lots (Eiffage route Guyane, Icop, Eiffage Metal/SEHE, Axima, Eiffage Hydraulique et Clemes-sy). Ce qui veut dire « qu’on intègre et chapeaute le planning général, avec les tâches de tout le monde. Mon rôle est de m’assurer que ce qui est établi en base arrière va continuer comme prévu ici », développe le directeur de site, Philippe Le Coq, dans le rôle du « donneur d’alerte vis-à-vis du CNES, si on voit qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas. Exemple : on attend un équipement à l’intérieur d’un bâtiment avant de couler la dalle supérieure et il est en retard. On doit dire Attention, ce fournisseur doit livrer avant tel jour. On doit avoir une vision globale du projet, pour garantir au CNES qu’on respecte le fil rouge. » Le directeur d’Eiffage tient pour cela « des plannings à trois mois, afin de s’assurer que les travaux sont anticipés et prêts à dé-marrer. Pour le quotidien, on a des plannings à cinq semaines, vraiment pour la gestion au plus près de la

réalité, afin de pouvoir modifier une situation, s’adap-ter si on voit qu’il y a un conteneur bloqué au port… Il faut absolument tout anticiper. On ne peut pas se contenter d’une vision à huit jours ! » Le but c’est, aus-si, de toujours « optimiser le temps et les moyens ».Tout s’emboîte bien jusqu’à présent. « Le site est

suffi samment grand pour qu’on arrive à bien s’organiser et ne pas se gêner. Ça va être un peu plus compliqué en ce début d’année, quand tout le monde va se retrouver en même temps dans les carneaux. » Tout converge vers le pas de tir, comme le mentionne le directeur. Et l’activité va, encore, considérablement s’intensifier. « La simplicité aurait voulu qu’on

arrête tout le reste pendant telle ou telle autre activité, mais vu qu’il faut tenir le rythme, on n’a pas d'autre choix que de travailler ensemble », continue Philippe Le Coq. L’enjeu était aussi de finir certains travaux avant la saison des pluies. C’est pour ça, notamment, que « ce deuxième semestre 2017 a été extrêmement dense en pose de réseaux. Pour pouvoir être à l’abri en début d’année et se concentrer sur les travaux à l’intérieur des bâtiments. »

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Développement Ariane 6 et Vega-C : qui fait quoi ? •— L’ESA est maître d’ouvrage du programme de développement Ariane 6 et Vega-C : l’Agence spatiale européenne supervise l’appro-visionnement et l’architecture des systèmes de lancement dans leur ensemble.

•— Le CNES assure une assistance à maîtrise d’ouvrage auprès de l’ESA sur tout le programme. Il est maître d’œuvre pour la réalisation du segment sol Ariane 6 (l’ELA4, l’adaptation de la base de lancement et des moyens base), mais aussi de constructions (BSB, EFF, BBP), adaptations (certains bâtiments de l’UPG) et extension (BIP) pour le compte d’ArianeGroup, Avio et Europropulsion. Le CNES est également maître d’œuvre des adaptations du BEAP au P120-C et des adaptations de l’ELA 4 nécessaires aux essais combinés ; et réalisateur d’essais.

•— ELV Avio est maître d’œuvre du développement du lanceur Vega-C et de toutes les adaptations de la base “au contact” du lanceur.

•— L’ESA/IPT a confié à Vitrociset les adaptations “support” de l’ensemble de lancement Vega. Vitrociset est aussi maître d’œuvre, pour ELV Avio, des modifications du banc de contrôle.

•— ArianeGroup est maître d’œuvre du développement du lanceur Ariane 6 et assure une assistance technique auprès de l’ESA en tant qu’architecte du système de lancement.

•— ArianeGroup et ELV Avio confient à Europropulsion le développe-ment et la production du moteur P120-C.

•— Le DLR est maître d’œuvre pour le développement du P5.2 en Alle-magne, le banc d’essais à feu cryogénique.

Le portique mobile en début de montage.

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Antonio Pizzicaroli, chef de site Vega.

La ZLV se prépare aussiTandis que l’ELA 4 prend forme, ailleurs sur la base, d’autres sites prennent un nouveau visage. La zone de lancement de Vega s’adapte aussi à son successeur, Vega-C, qui doit décoller fin 2019.

Le gros des modifications en ZLV (Zone de lancement Vega) dé-marre en ce début d’année. Mais déjà, entre VV 10 et VV 11, le mois

d’août a permis de premières petites avan-cées, comme le renforcement du pont rou-lant. « Il est conçu pour soulever 30 tonnes, c’est grosso modo le poids du deuxième étage. Désormais, on doit arriver à 50 tonnes. Il faut changer tous les systèmes de moteur, d’accro-chage, etc., probablement entre VV 13 et VV 14 (deuxième semestre 2018). Mais avant, il faut tout renforcer, c’est ce qu’on fait », explique Antonio Pizzicaroli (ELV), chef de site et res-ponsable des campagnes Vega. Le nouveau lanceur étant plus haut, « on a aussi monté le système de remplissage au niveau 39,60 (au-jourd’hui tout est au niveau 37), poursuit le chef de site. Il reste à tout connecter. »C’est donc cette année que les principaux chantiers en ZLV battront leur plein : évolu-tion des systèmes du pont roulant ; modifi-cation des niveaux d’accès aux étages ; des équipements du bunker  ; ou encore de la zone nord du portique (elle va être élargie pour l’accès du nouveau fardier). « La deu-xième partie de l’année sera dense en lance-ments. Nous allons concentrer nos travaux sur le premier semestre, particulièrement jusqu’à

avril », précise Marco Giannetti, responsable de la Business area à Vitrociset, le maître d’œuvre du contrat GSM, lié aux moyens supports.

S’organiser entre les campagnes

La difficulté – et c’est le lot de tous les autres chantiers sur la base – c’est d’organiser ces tra-

vaux entre les campagnes, sans perturber l’ac-tivité opérationnelle. « On croise les activités Vega et Vega-C sur un macro-planning, relate Antonio Pizzicaroli. Comme en ce moment, en phase post-lancement VV 11, l’activité prioritaire c’est la décontamination des lignes de remplis-sage. Ce qui empêche, par exemple, les modi-fications sur point chaud (comme la soudure). » Ignasi Pardos – en charge du développement sol Vega et Vega-C pour l’ESA, il y a encore peu de temps – complète : « L’autre défi, c’est la phase de cohabitation. Pendant un à deux ans, les deux lanceurs devront être opérationnels, alors que les systèmes vont être différents : il y aura deux fardiers, deux palettes, deux systèmes de chargement de l’AVUM, etc. » Quant au banc de contrôle – pour lequel Vi-trociset intervient aussi (mais sous contrat GPM, pour ELV Avio) – la qualification se ferait fin 2018. Il est encore en phase de conception, mais l’hypothèse actuelle, rapporte le res-ponsable Vitrociset, prévoit un seul banc de contrôle compatible avec les deux lanceurs. Ce qui nécessiterait (juste) un changement de configuration à chaque lancement.

Vega-C sur son futur pas de tir, réadapté.

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Répétitions pour le P120-CLe P120-C impose d’autres chantiers d’adaptation au CSG. Le fameux booster, commun à Vega-C et Ariane 6, poursuit ses préparatifs. Ce sont les expérimentées Regulus et Euro-propulsion qui affinent les nouveaux processus.

Nous n’en sommes qu’aux répé-titions du grand show. Mais il s’annonce déjà spectaculaire. L’un de ses principaux protago-

nistes, le P120-C (celui qui va propulser les nouveaux lanceurs européens), répète et s’échauffe en zone propulseurs.Ledit moteur est arrivé à Kourou en août. Si « la phase de conception et de réalisation de la structure inerte se fait en Europe, le centre de l’activité (où il est chargé en propergol et finalisé) est ici », rappelle Massimo Epifani, directeur général délégué et directeur d’établissement d’Europropulsion et Regu-lus. « Europropulsion est le maître d’œuvre du P120. Forts d’une expérience pluri-décennale, nous sommes responsables de la tenue des jalons du programme de développement, de la définition jusqu’à la réalisation des proto-types de qualification et de leurs essais. » Pour l’ultime validation, la mise à feu au BEAP, « il y aura trois tirs au banc. Ils qualifieront les parcours de Vega-C et des deux Ariane 6 », indique-t-il.Le 14 septembre, on assistait à sa toute pre-mière coulée inerte. « Elle est inerte car on suit le processus avec un matériel très repré-sentatif du propergol mais pas pyrotechnique, précise Massimo Epifani. Le but étant de va-lider les nouveaux moyens en toute sécurité. »

Adaptations et moyens spécifiques

Des moyens très automatisés ont été établis pour atteindre les objectifs de coût. « Côté Eu-ropropulsion, l’économie de temps se joue aussi dans le passage à l’intégration horizontale, avec un outil industriel tout neuf et fortement automatisé. Il permettra, en outre, de réduire

le travail en hauteur et les risques associés », résume le directeur.Toute la zone propulseurs se réorganise, afin de s’adapter aux spécificités du nouveau booster et surtout à la nouvelle cadence de produc-tion, qui montera à 35 unités par an. On revoit les infrastructures d’abord : « Nous menons des adaptations importantes dans certains bâtiments. Comme au 305, où s’effectuent les contrôles : les postes de travail sont revus. On agrandit également le bâtiment des cuves de propergol (on passe de 10 à 13). On réalise les grands conteneurs de stockage du polymère… », énumère-t-il. À Europropulsion, l’extension du BIP est en cours : on y ajoute deux nouvelles cel-lules d’intégration. La cellule de basculement est modifiée et un nouveau bâtiment (le BBP), dédié à la réception et au basculement du P120, va voir le jour.« Nous déployons aussi des moyens spécifiques pour produire le P120, souligne Massimo Epifani,

en termes de machines et d’outillage. Tel le noyau du P120. C’est ce qu’on retire pour laisser le ca-nal libre, avec une forme bien spécifique, ex-plique-t-il de façon schématique, à l’aide d’un stylo qu’il hisse au centre d’un gobelet. C’est la géométrie du grain propergol, réalisée grâce à la forme caractéristique de ce noyau, qui va jouer le rôle principal pour obtenir la courbe de poussée. » Cet outil décisif a nécessité près d’un an et demi de développement. Ce qui est « très rapide par rapport aux standards du spatial », commente le directeur. Responsable industriel du P80 en 2004, Massimo Epifani se réjouit de vivre de telles évolutions technologiques. « On n’en voit pas tous les jours. Ce sont des moments d’émotion. Ça fait du bien au CSG, à l’Europe et à l’emploi », conclut le directeur, « fier » d’y participer et d’assister à la première re-présentation de la grande pièce, en avril au banc d’essai.

Première coulée inerte du P120-C, depuis le poste de commande 310, en septembre. Chez Regulus, le chargement du nouveau propulseur s’étend sur six semaines environ. Après une phase de préparation et de montage du noyau, la structure en puits est chargée en propergol ; suite à ladite “campagne de coulée”, une phase de cuisson permet au chargement d’obtenir, au bout de dix jours, les propriétés attendues ; puis on extrait le noyau refroidi et on achève la réalisation du corps propulseur, qui sera scrupuleusement contrôlé avant sa livraison à l’intégrateur, Europropulsion.

Transfert sur fardier du P120. Du 304 (puits de coulée) au 305

(contrôle non destructif).

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« Un challenge à relever tous ensemble »L’Agence spatiale européenne est maître d’ouvrage d’Ariane 6 et Vega-C. Architecte du dévelop-pement général des deux lanceurs, l’ESA travaille en parallèle à poser les bases de leur future exploitation. Un double challenge qu’évoque pour Latitude 5 Stefano Bianchi, à la tête du Déve-loppement du Transport spatial de l’ESA.

Quel est le rôle de l’Agence spatiale européenne dans le programme Vega-C et Ariane 6 ?

L’ESA supervise l’approvision-nement et l’architecture des systèmes de lancement dans leur ensemble. Elle passe les contrats, avec le CNES par ex emple pour le développement de la base de lancement ELA 4, et ArianeGroup pour le développe-ment du lanceur Ariane 6.Nous avons un rôle “programme” lié à la mise en œuvre d’Ariane 6 et Vega-C, nous devons gérer les interfaces et la cohérence entre le lanceur et les bases de lancement. Nous assurons un suivi, avec des exigences très fortes au niveau des performances, des délais, des coûts. Nous n’entrons pas dans tous les détails techniques (dont la défini-tion est à la charge de l’industrie), nous veil-lons à ce que tout avance sur les bons rails.

Avec Ariane 6 et Vega-C, l’ESA a changé sa façon de travailler avec l’industrie, qui a une responsabilité plus grande dans la conception et l’exploitation des lanceurs. Comment cela se passe-t-il ? L’industriel prend en effet la responsabilité des choix qu’il fait et de leurs conséquences. Pour l’ELA 4 par exemple, nous laissons au CNES la liberté de définir son projet et son design. Par contre, nous suivons les activités pour veiller au respect du contrat.Nous demandons à l’industrie européenne d’assumer ses responsabilités sur le choix du projet et sur la future exploitation commer-

ciale. En échange, les États européens financent une partie du développement et s’engagent pour un cer-tain nom bre de lancements institution nels annuels. Nous travaillons avec les insti-tutions européennes pour mettre au point ce concept de préférence européenne

pour un lanceur européen, comme c’est le cas aux États-Unis.

C’est aussi le rôle de l’ESA d’assurer un marché institutionnel aux futurs lanceurs ?

Oui, nous travaillons sur les deux fronts. Le pre-mier, le programme, est un front dur, parce que les échéances sont très serrées. Nous n’avons pas fait Ariane 6 pour ajouter un lanceur à la gamme, mais pour avoir un outil compétitif. Il faut respec-ter les délais pour ne pas arriver en retard sur le marché et aussi introduire des réductions de coûts importantes par rapport à Ariane 5. L’autre front, c’est en effet d’assurer l’exploitation institutionnelle des deux lanceurs. Dans notre do-maine, l’anticipation est fondamentale : les chantiers de dévelop-pement sont assez longs et il faut encore compter à peu près deux ans entre le début

des activités pour préparer un lancement et le lancement en lui-même. Il faut donc prévoir les lancements bien en avance, du côté des clients institutionnels comme com-merciaux.C’est pour cela que nous devons convaincre dès aujourd’hui les États participants et les institutions européennes d’assurer cette base de lancements institutionnels aux lan-ceurs européens. Mais la contrepartie, c’est qu’il faut leur offrir un prix raisonnable.

Vega-C doit décoller en 2019, Ariane 6 en 2020. Tout va très vite, non ?

Oui, absolument. Les échéances sont ré-duites par rapport à ce qu’on a connu pour

Ariane 5 et Vega.Le grand défi de ce programme, c’est de respecter les éché-ances pour arriver sur le marché avec des produits compétitifs, et qui fonctionnent tout de suite. Nous avons aussi un souci de co-hérence, d’avoir une famille de lanceurs qui ne se marchent pas sur les pieds. L’objectif, au f inal, c ’est d ’augmenter le nombre de lance-ments de manière as-sez importante. Mais si nous ne sommes pas assez compéti-

tifs, nous n’aurons pas assez de lancements. C’est un challenge que doivent relever in-dustriels et agences, tous ensemble.

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Le grand défi de ce programme,c’est de respecter

les échéancespour arriver sur le marché avec des

produits compétitifs, et qui fonctionnent

tout de suite. ”

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RENCONTRE

25 ans de développement en Guyane Responsable de la sous-direction développe-ment sol du CNES en Guyane (DLA/SDS-G), Frédéric Munos supervise le plus imposant chantier que la base a connu depuis vingt ans. Avec le souci des délais mais aussi de la transmission des savoirs.

Il en a connu, des chantiers. Le premier, c’était pour Ariane 5 : jeune ingénieur chez Snecma, il se retrouve dès 1991 en charge du déploiement des moyens

fluides et automatiques sur l’ELA 3. Puis il y a eu le développement logiciel de l’étage supérieur cryogénique ESC-A au début des années 2000, les modifications du BEAP pour recevoir le P80… Et depuis 2006 en tant que respon-sable de la sous-direction développement sol de la Direction des lanceurs du CNES au CSG, pas moins de trois pas de tir à faire sortir de terre pour Soyouz, Vega et Ariane 6. « Avec l’ELA 4, je boucle un peu la boucle de vingt-cinq ans de développement, confie Frédéric Munos. Je retrouve l’organisation et les essais qu’on a pu conduire dans les années 1994-1995 sur l’ELA 3. Bien sûr on a progressé sur l’ensemble des moyens techniques, mais ce sont exactement les mêmes spécialités, on fait le même métier. » Avec, en point d’orgue, les essais captifs sur le pas de tir, qui permettent de valider les interfaces avec le lanceur. « Pour quelqu’un qui développe des moyens sols, c’est l’aboutissement », explique le chef de service. Un moment fort qui n’arrive que tous les dix ou quinze ans. « Il faut monter des équipes passionnées, qui ont le goût des pre-mières, car sur une durée courte ce sont des projets qui demandent un investissement très fort. » Lui qui a été « de passage » avant de s’installer durablement en Guyane estime avoir égale-ment un rôle social : « Il faut développer des compétences qui restent, avec des équipes qui ont vocation à s’installer dans la durée. On doit faire en sorte que l’exploitation soit fiable, pé-renne et la plus guyanaise possible », poursuit-il. L’autre challenge, de taille, c’est le respect des plannings : entre le début des terrassements et le premier lancement d’Ariane 6, il ne doit

se passer que cinq ans, trois années de moins que pour Soyouz et Vega.

Objectif numéro 1 : la sécurité

Depuis le début du génie civil, en août 2016, le chantier est en activité de 6 heures à 22 heures. SDS-G s’appuie également sur la modélisation numérique, qui est utilisée pour la première fois par le CNES hors conception, pour la planification et l’ordonnancement des tâches. « Avec les maquettes, on peut voir toutes les interactions entre les différentes par-ties du process industriel, ce qui nous permet de paralléliser un maximum les interventions. » Une modification à apporter sur les réseaux fluides ? On voit instantanément les consé-quences sur les autres lots et les aménage-

ments à apporter. « Cela permet aussi de mettre des contraintes de sécurité ciblées », précise Fré-déric Munos. Et ce n’est pas anodin, puisque la sécurité, c’est le souci numéro un du chef de service, une préoccupation quotidienne. « La phase de génie civil, c’est la plus risquée en termes d’exposition des personnes. On est dans du chantier lourd, avec beaucoup de monde. Malgré la pression des délais, il faut arriver à faire com-prendre à tout le monde qu’on a le temps de faire les choses et qu’on privilégie la sécurité. » Avec expérience et pragmatisme, il veille à tout, car à SDS-G, « on va du béton jusqu’à la séquence synchro », rappelle Frédéric Munos, qui se plaît volontiers dans son « rôle de chef d’orchestre, pour mettre tout ça en musique ». Il faut dire que l’incroyable partition qui se joue sur la base n’a pas fini de nous tenir en haleine.

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