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Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 1171-3 © 2004 SPLF, tous droits réservés 1171 Observation Une jeune fille de 16 ans, sans antécédent notable, con- sulte aux urgences pour des douleurs thoraciques droites en hémiceinture. Elle présente depuis quelques jours une bron- chite avec toux grasse et épisodes fébriles avec pics à 38 C. L’examen clinique est normal. La radiographie thoracique de face (fig. 1) met en évi- dence une opacité de la base droite ; le cliché de profil montre une lésion volumineuse du médiastin postérieur. La tomo- densitométrie thoracoabdominale (fig. 2) en fenêtre médiasti- nale objective une masse liquidienne cloisonnée de 5 cm de grand axe non rehaussée après injection d’iode ; elle débute dans le médiastin postéroinférieur droit puis descend à l’étage abdominal entre la veine cave inférieure et l’aorte en arrière de l’œsophage pour finir en dedans et en arrière de la région cor- poréocéphalique du pancréas. La lésion est indépendante de toutes les structures anatomiques de voisinage (diaphragme, plèvre et œsophage). Fig. 1. Radiographie thoracique de face. Opacité rétrocardiaque, para- vertébrale droite à contours nets. Fig. 2. Coupe tomodensitométrique thoracique en coupe médiastinale sans injection de produit de contraste. Masse médiastinale postérieure de nature liquidienne. Réception version princeps à la Revue : 22.04.2003. Retour aux auteurs pour révision : 04.07.2003. Réception 1 ère version revisée : 09.10.2003. Réception 2 e version revisée : 14.09.2004. Acceptation définitive : 29.09.2004. [email protected] 1 Service de pneumologie, 2 Service de radiologie, 3 Service d’anatomopathologie, 4 Service de chirurgie générale et digestive, Hôpital de la Croix Rousse, Lyon. Tirés à part : P. Nesme Service de pneumologie, Hôpital de la Croix Rousse, 69317 Lyon Image et diagnostic Une cause rare d’opacité thoracoabdominale A.S. Blanchet 1 , C. Depagne 1 , P. Nesme 1 , M. Perol 1 , B. Marchand 2 , A. de la Fouchardiere 3 , E. de la Roche 4 , J.C. Guerin 1

Une cause rare d’opacité thoracoabdominale

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Page 1: Une cause rare d’opacité thoracoabdominale

Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 1171-3 © 2004 SPLF, tous droits réservés 1171

Observation

Une jeune fille de 16 ans, sans antécédent notable, con-sulte aux urgences pour des douleurs thoraciques droites enhémiceinture. Elle présente depuis quelques jours une bron-chite avec toux grasse et épisodes fébriles avec pics à 38 C.

L’examen clinique est normal.La radiographie thoracique de face (fig. 1) met en évi-

dence une opacité de la base droite ; le cliché de profil montreune lésion volumineuse du médiastin postérieur. La tomo-densitométrie thoracoabdominale (fig. 2) en fenêtre médiasti-nale objective une masse liquidienne cloisonnée de 5 cm degrand axe non rehaussée après injection d’iode ; elle débutedans le médiastin postéroinférieur droit puis descend à l’étageabdominal entre la veine cave inférieure et l’aorte en arrière del’œsophage pour finir en dedans et en arrière de la région cor-poréocéphalique du pancréas. La lésion est indépendante detoutes les structures anatomiques de voisinage (diaphragme,plèvre et œsophage).

Fig. 1.

Radiographie thoracique de face. Opacité rétrocardiaque, para-vertébrale droite à contours nets.

Fig. 2.

Coupe tomodensitométrique thoracique en coupe médiastinale sansinjection de produit de contraste. Masse médiastinale postérieure denature liquidienne.

Réception version princeps à la Revue : 22.04.2003. Retour aux auteurs pour révision : 04.07.2003. Réception 1ère version revisée : 09.10.2003. Réception 2e version revisée : 14.09.2004. Acceptation définitive : 29.09.2004.

[email protected]

1 Service de pneumologie, 2 Service de radiologie, 3 Service d’anatomopathologie, 4 Service de chirurgie générale et digestive, Hôpital de la Croix

Rousse, Lyon.

Tirés à part : P. Nesme Service de pneumologie, Hôpital de la Croix Rousse, 69317 Lyon

Image et diagnostic

Une cause rare d’opacité thoracoabdominale

A.S. Blanchet1, C. Depagne1, P. Nesme1, M. Perol1, B. Marchand2, A. de la Fouchardiere3,E. de la Roche4, J.C. Guerin1

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A.S. Blanchet et coll.

Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 1171-3 1172

Une échographie transpariétale confirme la nature liqui-dienne de la lésion. L’imagerie par résonance magnétiquenucléaire (IRM) thoracique retrouve la masse de nature liqui-dienne à développement thoracoabdominal s’insinuant par lehiatus diaphragmatique ; elle apparaît en hyposignal en T1 eten hypersignal en T2 avec rehaussement de la paroi aprèsinjection de Gadolinium ; il n’existe pas d’extension intraca-nalaire.

L’écho-endoscopie n’a pas été réalisée.

Quel est votre diagnostic ?

En raison du caractère volumineux et symptomatiquede la lésion, une exérèse chirurgicale vidéo-assistée a été réali-sée par double voie thoracique (mini-thoracotomie droite) etabdominale (cœlioscopie) à visée diagnostique et thérapeuti-que. Macroscopiquement, il s’agissait d’une masse polylobéede 7 3 3 cm, kystique à paroi épaisse remplie d’unliquide visqueux et translucide ; la lésion était indépendantede l’œsophage et de la petite courbure gastrique. Il n’y avaitpas d’hémorragie intrakystique. Au cours de la mini-thoraco-tomie, le clivage de la lésion au contact du diaphragme deve-nant difficile et à risques, l’exérèse a été poursuivie par voieabdominale ; malgré tout, la résection n’a pu être complète.

L’examen histologique (fig. 3) a mis en évidence uneépaisse musculeuse de type digestif à deux assises distinctes(circulaire interne et longitudinale externe) et la coexistencede deux types d’épithélium : un épithélium cylindrique ciliéhaut de type respiratoire et un épithélium malpighien. Il n’yavait aucune structure cartilagineuse.

Aucun stigmate d’infection n’a été retrouvé. La fièvre apu être rattachée à la bronchite présentée par la patiente etn’avait pas de lien avec la tumeur médiastinale. Le diagnosticde kyste paraoesophagien a été retenu. Les suites opératoiresont été simples avec disparition complète des douleurs.

Discussion

Les duplications oesophagiennes sont des malformationsrares appartenant au groupe des duplications gastrointestina-les, « formations sphériques ou tubulaires présentes de la lan-gue à l’anus qui comportent un contact en un pointquelconque au tube digestif, une couche musculaire lisse etune muqueuse de type intestinale ». Les duplications œopha-giennes représentent 15 à 20 % des duplications digestives etcomportent une muqueuse respiratoire ou digestive [1].

De nombreuses hypothèses embryologiques ont été évo-quées pour expliquer la formation de ces kystes, dont l’origineest proche de celle des kystes bronchogéniques ; mais aucunene peut expliquer à elle seule l’ensemble des anomaliesdécrites : dysraphie notochordale (ou Spilt Notochord Syn-drome) expliquant entre autres les malformations diversesassociées à ces duplications (méningocèle, malformations

rachidiennes ou médullaires) ou défaut de reperméation cana-laire du tractus digestif durant le développement embryon-naire [2].

Des malformations leur sont associées dans 50 % des casvoire 70 % dans le cas des formes thoracoabdominales [1].Ces malformations n’ont pas été recherchées chez notrepatiente.

Dans la majorité des cas, la découverte se fait avant l’âgede 2 ans [1, 2]. L’échographie anténatale peut porter le dia-gnostic en cas d’association d’une masse liquidienne intratho-racique à des anomalies vertébrales [1].

Chez l’adulte, les principaux symptômes sont la dyspha-gie, une gêne épigastrique ou des douleurs thoraciques. Dansl’étude de Cioffi et coll. [3], parmi les 11 patients présentantune duplication oesophagienne, 8 (72 %) étaient symptoma-tiques. La fièvre n’est pas un symptôme fréquemment décritsauf en cas de complications infectieuses. Chez notre patiente,la découverte de la tumeur a été fortuite au cours d’un épisodebronchitique traînant sans qu’il y ait un lien évident entre labronchite et le kyste.

Chez l’enfant, les formes asymptomatiques sont rares ;ces kystes se révèlent fréquemment par des symptômes respi-ratoires (dyspnée, toux, broncho-pneumopathies récidivantes,détresse respiratoire aiguë ou stridor correspondant aux locali-sations cervicales). Les symptômes peuvent être le fait d’uneaugmentation de volume du kyste avec compression des orga-nes de voisinage ou d’une complication infectieuse par perfo-ration [1].

Le diagnostic préopératoire est difficile. Cliniquement,les symptômes sont totalement aspécifiques ; en revanche, lamise en évidence d’anomalies vertébrales à l’examen physiquepeut orienter le diagnostic [2].

La radiographie thoracique de face montre une opacitémédiastinale, postérieure le plus souvent. Ces kystes se situent

Fig. 3.

Anatomo-pathologie : Coexistence d’une muqueuse respiratoire(à gauche) et d’une muqueuse malpighienne (à droite). Colorationpar l’hématéine éosine safran ( 200).

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Une cause rare d’opacité thoracoabdominale

© 2004 SPLF, tous droits réservés 1173

préférentiellement dans le médiastin postéroinférieur ; Cioffiet coll. [3] ont rapporté 11 cas de duplications oesophagien-nes dont 9 situés dans le médiastin postéroinférieur. La tomo-densitométrie thoracique retrouve une opacité de densitéliquidienne et permet d’étudier les rapports avec les organesde voisinage. Face à une tumeur kystique médiastinale posté-rieure, les autres techniques d’imagerie plus sophistiquées, tel-les que l’IRM thoracique, permettent de compléter le biland’extension, de caractériser la nature du contenu liquidien [3]et de mieux préciser ces rapports avec le rachis. L’IRM thora-cique met en évidence une lésion liquidienne en hyposignalen T1 et en hypersignal en T2 ; le rehaussement de la paroiaprès injection de gadolinium est plus marqué dans les formescompliquées (remaniements inflammatoires, hémorragiquesou infectieux).

L’écho-endoscopie précise les rapports de la tumeur avecla paroi oesophagienne ; associée à la tomodensitométrie, ellepermet au mieux l’exploration de ce type de lésion [3].

Les kystes sont généralement réséqués car le diagnosticdéfinitif ne peut être obtenu que sur la pièce chirurgicale.L’examen histologique montre une musculeuse de type diges-tif avec 2 assises distinctes et une muqueuse œsophagienne,respiratoire, intestinale ou plus rarement mixte comme dansnotre observation.

La chirurgie se justifie également par le fait que la plu-part de ces kystes, à la longue, deviennent symptomatiques ousont la source de complications (infections, hémorragies…)[3, 4]. La récidive est décrite après résection incomplète etnécessite un suivi.

Le kyste bronchogénique est le principal diagnostic dif-férentiel à évoquer ; il est 5 fois plus fréquent que le kysteparaoesophagien [1]. Il se localise préférentiellement dans le

médiastin moyen et la présence de cartilages sur les coupespermet d’évoquer le diagnostic. Le lymphangiome kystique,tumeur d’origine embryonnaire, est plus fréquemment situédans le médiastin antérieur. Les méningocèles sont des lésionsexceptionnelles du médiastin postérieur dont le diagnosticpeut être évoqué sur le myéloscanner (passage de produit decontraste dans le méningocèle).

Conclusion

Le kyste paraoesophagien fait partie du groupe desduplications digestives. Il est généralement asymptomatiquechez l’adulte. Le diagnostic est éventuellement évoqué par lesrésultats du scanner thoracique et de l’écho-endoscopie maisla confirmation nécessite l’exérèse chirurgicale et l’examenhistologique de la pièce.

Références

1 Mekki M, Belghith M, Krichene I, Chelly S, Golli M, Zakhama A,Gannouni A, Nouri A : Duplication oesophagienne chez l’enfant. Àpropos de sept cas. Arch Pediatr 2001 ; 8 : 55-61.

2 Stern LE, Warner BW : Gastrointestinal duplications. Semin PediatrSurg 2000 ; 9 : 135-40.

3 Cioffi U, Bonavina L, De Simone M, Santambrogio L, Pavoni G, TestoriA, Peracchia A : Presentation and surgical management of bronchogenicand esophageal duplication cysts in adults. Chest 1998 ; 113 : 1492-6.

4 Michel JL, Revillon Y, Montupet P, Sauvat F, Sarnacki S, Sayegh N,N-Fekete C : Thoracoscopic treatment of mediastinal cysts in chil-dren. J Pediatr Surg 1998 ; 33 : 1745-8.