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Date: 04/10/2005 OJD: 398939 Page: 20 Edition:O Suppl.: Rubrique: feIlIoudre Une géographie très politique lA POLmQUE a souvent rattra- pé les géographes, lors du 16' Festi- val international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges organisé autour du thème des réseaux. Ven- dredi 30 septembre, lors d'une table ronde sur l'avenir des servi- ces publics, le clivage est apparu classique, mais vif, entre Béatrice Giblin, géographe à l'université Paris-VIII, qui a invité les élus à fai- re montre de «réalisme» dans leur défense des services publics pour éviter une «catastrophe », et Christian Pierret, fondateur du fes- tival, ancien ministre socialiste et maire de Saint-Dié, qui a appelé à une « levée en masse» pour préser- ver ce qui fait, selon lui, «la chair et le sang de la République ». Devant une salle très largement acquise aux services publics à la française, M. Pierret a rappelé que l'inquiétude sur ce sujet avait contribué au résultat du référen- dum du 29 mai. il a souligné que son expérience, notamment de ministre de la poste, a fait de lui un praticien, à la fois des services publics et de l'Europe. L'élu a évo- qué la SNCM, en jugeant qu'un ser- vice public ne peut pas perdre de l'argent en permanence. Mais, pour lui, le problème de la France avec ses partenaires de l'Union européenne n'est pas là. Ni même dans le statut des entreprises char- gées d'assurer les services publics. « Certains pays, a-t-il lancé, veulent allerjusqu'à laprofitabilité financiè- re, ce qui n'est pas la même chose que la rentabilité économique. Le "toujours plus" aux actionnaires, c'est ça, le vrai sujet. » La Poste était représentée par Raymond Uanès, chargé des rela- tions avec les élus, qui s'est borné à expliquer les métiers de son entreprise en affirmant que celle-ci remplissait bien ses missions de service public. Michel Derdevet, directeur de la communication et des relations extérieures de RTE, filiale d'EDF chargée du transport de l'électricité, est davantage ren- tré dans le débat, en soulignant qu'il revenait aux politiques de des- siner un nouveau cadre juridique et politique, d'effectuer des « choix» et d'assigner des « priori- tés» aux services publics. Le dialo- gue de sourds était évident entre M"" Giblin, persuadée que, avec un « cahier des charges» strict et bien contrôlé, des entreprises privées pouvaient parfaitement remplir une mission de service public, et Bertrand Mertz, vice-président PS de la région Lorraine, qui lui a rétorqué : «Le cahier des charges est simple. n est inscrit sur lefronton de toutes nos TlJairies:liberté, égali- té,fraternité! » Autre géographe, de l'université de Toulouse, Robert Marconis a tenté de jouer les conciliateurs, en demandant par exemple que l'Etat, s'il ferme une maternité de proxi- mité, « s'assure que les soins soient meilleurs et l'accessibilité identi- que ». Ou en soulignant que, sauf à le condamner à terme, les pou- voirs publics ne peuvent pas priver un service public de ses branches bénéficiaires pour ne lui laisser que les secteurs déficitaires. Le sujet des services publics a nourri vendredi, sur un autre site du festival, une conférence spéciali- sée, elle aussi en résonance avec l'actualité : «France radiale et France transversale: quels réseaux pour quelles hiérarchies?» Le conférencier, Michel Vrac, géogra- phe à l'IUFM de Franche-Comté, a rappelé que le réseau ferré français a été construit, à partir de la moitié du XIX' siècle, sous la forme d'une étoile autour de Paris, en radiale. Les lignes transversales se sont développées beaucoup plus tard et non sans difficulté. Une vive polé- mique a surgi pendant l'été, lors- que élus et syndicats ont précisé- ment appris que la SNCF envisa- geait de supprimer plusieurs liaisons transversales, jugées trop déficitaires. SERVICE PUBLIC L'arrivée du TGV a eu un impact déterminant sur ces lignes secon- daires. Aujourd'hui, une partie de ces liaisons sont intégrées au réseau à grande vitesse. Celles-là n'ont jamais été aussi performan- tes. Mais leur amélioration s'est fai- te au détriment des régions inter- médiaires, et certains itinéraires sont plus marginalisés que jamais. Or cette situation, pour M. Vrac, est le fruit de choix politiques : « Le désengagement de l'Etat est total », selon l'enseignant, qui ne sait plus «comment l'Etat pense aujourd'hui l'espace national ». Les pouvoirs publics et la SNCF s'emploient maintenant à transfé- rer aux régions la gestion de ces lignes transversales. Résultat? « Les discontinuités se multiplient. » Car chaque région fait évoluer réseau et dessertes en fonction de sa géographie et de ses impératifs. Et les exécutifs régionaux hésitent à se lancer dans l'interrégionalité ferroviaire en raison de sa com- plexité et de son coût financier. Ainsi se construisent de nouvelles radiales, autour des grandes métro- poles régionales cette fois, tandis que certains tronçons sont oubliés. Autrement dit, il n'est pas possi- ble, selon M. Vrac, de passer impu- nément d'une logique nationale à une logique régionale, en matière d'aménagement du territoire et d'égalité dans l'accès au service public. Un tel transfert, en effet, ne peut que déboucher sur « unefrag- mentation, s'il n'y a pas un acteur qui assure la cohésion ». Jean-Louis Andreani Tous droits de reproduction réservés

Une géographie très politique

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Les services publics, regards croisés de géographes et de politiques

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Date: 04/10/2005OJD: 398939Page: 20Edition:OSuppl.:Rubrique:

feIlIoudre

Une géographie très politiquelA POLmQUE a souvent rattra-

pé les géographes, lors du 16' Festi-val international de géographie deSaint-Dié-des-Vosges organiséautour du thème des réseaux. Ven-dredi 30 septembre, lors d'unetable ronde sur l'avenir des servi-ces publics, le clivage est apparuclassique, mais vif, entre BéatriceGiblin, géographe à l'universitéParis-VIII, qui a invité les élus à fai-re montre de «réalisme» dansleur défense des services publicspour éviter une «catastrophe », etChristian Pierret, fondateur du fes-tival, ancien ministre socialiste etmaire de Saint-Dié, qui a appelé àune « levée en masse» pour préser-ver ce qui fait, selon lui, «la chairet le sang de la République ».

Devant une salle très largementacquise aux services publics à lafrançaise, M. Pierret a rappelé quel'inquiétude sur ce sujet avaitcontribué au résultat du référen-dum du 29 mai. il a souligné queson expérience, notamment deministre de la poste, a fait de lui unpraticien, à la fois des servicespublics et de l'Europe. L'élu a évo-

qué la SNCM, en jugeant qu'un ser-vice public ne peut pas perdre del'argent en permanence. Mais,pour lui, le problème de la Franceavec ses partenaires de l'Unioneuropéenne n'est pas là. Ni mêmedans le statut des entreprises char-gées d'assurer les services publics.« Certains pays, a-t-il lancé, veulentallerjusqu'à laprofitabilité financiè-re, ce qui n'est pas la même choseque la rentabilité économique. Le"toujours plus" aux actionnaires,c'est ça, le vrai sujet. »

La Poste était représentée parRaymond Uanès, chargé des rela-tions avec les élus, qui s'est bornéà expliquer les métiers de sonentreprise en affirmant que celle-ciremplissait bien ses missions deservice public. Michel Derdevet,directeur de la communication et

des relations extérieures de RTE,filiale d'EDF chargée du transportde l'électricité, est davantage ren-tré dans le débat, en soulignantqu'il revenait aux politiques de des-siner un nouveau cadre juridiqueet politique, d'effectuer des« choix» et d'assigner des « priori-tés» aux services publics. Le dialo-gue de sourds était évident entreM""Giblin, persuadée que, avec un« cahier des charges» strict et biencontrôlé, des entreprises privéespouvaient parfaitement remplirune mission de service public, etBertrand Mertz, vice-président PSde la région Lorraine, qui lui arétorqué : «Le cahier des chargesest simple. n est inscrit sur lefrontonde toutes nos TlJairies: liberté, égali-té,fraternité! »

Autre géographe, de l'universitéde Toulouse, Robert Marconis atenté de jouer les conciliateurs, endemandant par exemple que l'Etat,s'il ferme une maternité de proxi-mité, « s'assure que les soins soientmeilleurs et l'accessibilité identi-que ». Ou en soulignant que, sauf àle condamner à terme, les pou-voirs publics ne peuvent pas priverun service public de ses branchesbénéficiaires pour ne lui laisserque les secteurs déficitaires.

Le sujet des services publics anourri vendredi, sur un autre sitedu festival, une conférence spéciali-sée, elle aussi en résonance avecl'actualité : «France radiale etFrance transversale: quels réseauxpour quelles hiérarchies?» Leconférencier, Michel Vrac, géogra-phe à l'IUFM de Franche-Comté, arappelé que le réseau ferré françaisa été construit, à partir de la moitiédu XIX' siècle, sous la forme d'uneétoile autour de Paris, en radiale.Les lignes transversales se sontdéveloppées beaucoup plus tard etnon sans difficulté. Une vive polé-mique a surgi pendant l'été, lors-que élus et syndicats ont précisé-

ment appris que la SNCF envisa-geait de supprimer plusieursliaisons transversales, jugées tropdéficitaires.

SERVICE PUBLICL'arrivée du TGV a eu un impact

déterminant sur ces lignes secon-daires. Aujourd'hui, une partie deces liaisons sont intégrées auréseau à grande vitesse. Celles-làn'ont jamais été aussi performan-tes. Mais leur amélioration s'est fai-te au détriment des régions inter-médiaires, et certains itinérairessont plus marginalisés que jamais.Or cette situation, pour M. Vrac,est le fruit de choix politiques :« Le désengagement de l'Etat esttotal », selon l'enseignant, qui nesait plus «comment l'Etat penseaujourd'hui l'espace national ».

Les pouvoirs publics et la SNCFs'emploient maintenant à transfé-rer aux régions la gestion de ceslignes transversales. Résultat?« Les discontinuités se multiplient. »Car chaque région fait évoluerréseau et dessertes en fonction desa géographie et de ses impératifs.Et les exécutifs régionaux hésitentà se lancer dans l'interrégionalitéferroviaire en raison de sa com-plexité et de son coût financier.Ainsi se construisent de nouvellesradiales, autour des grandes métro-poles régionales cette fois, tandisque certains tronçons sont oubliés.

Autrement dit, il n'est pas possi-ble, selon M. Vrac, de passer impu-nément d'une logique nationale àune logique régionale, en matièred'aménagement du territoire etd'égalité dans l'accès au servicepublic. Un tel transfert, en effet, nepeut que déboucher sur « unefrag-mentation, s'il n'y a pas un acteurqui assure la cohésion ».

Jean-Louis Andreani

Tous droits de reproduction réservés