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Une goutte d’eau à la fois… Lise Paiement Vers un modèle pédagogique de responsabilisation et de leadership culturel en milieu minoritaire

Une goutte d’eau à la fois…...Comme chaque fois que je choisis de prendre la route de l’inconnu, je me sens fébrile. Mes craintes habituelles sont au rendez-vous : l’échec,

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Une goutted’eau à la fois…

Lise Paiement

Vers un modèle pédagogique de responsabilisationet de leadership culturel en milieu minoritaire

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Une goutte d’eau à la fois…

Vers un modèle pédagogique de responsabilisation

et de leadership culturel en milieu minoritaire

LISE PAIEMENT

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Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario, la Ville d’Ottawa et le gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.

Les Éditions David Téléphone : 613-830-3336 335-B, rue Cumberland Télécopieur : 613-830-2819 Ottawa (Ontario) K1N 7J3 [email protected] www.editionsdavid.com

Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 2e trimestre 2013

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Paiement, Lise Une goutte d’eau à la fois-- [ressource électronique] : vers un modèle pédagogique de responsabilisation et de leadership culturel en milieu minoritaire / Lise Paiement.

Comprend des réf. bibliogr. Monographie électronique en format PDF. Publ. aussi en format imprimé. ISBN 978-2-89597-307-2

1. Langue maternelle et éducation — Ontario. 2. Canadiens français — Ontario — Identité ethnique. 3. Minorités linguistiques — Éducation — Ontario. 4. Paiement, Lise. I. Titre.

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À Gérald, L’homme de ma vie…

Parce que son courage m’inspire à me dépasser et qu’auprès de lui je deviens

une meilleure personne à chaque jour.

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Préface

Nous sommes le 15 août 2012, jour de la fête nationale des Acadiens. Je termine la lecture du manuscrit de Lise Paiement et je ne peux m’empêcher d’établir plusieurs similarités entre la vie franco-ontarienne qu’elle décrit dans son livre autobio-graphique et mes propres souvenirs du vécu francophone en Acadie. Ses souvenirs de jeunesse prennent vie et sont racon-tés de façon touchante dans la première partie de son livre, et j’ai l’impression qu’elle nous imprègne de la francophonie d’une autre époque : celle du temps où la nation canadienne-française avait encore sa raison d’être et s’exprimait dans de nombreuses paroisses francophones, en Acadie, au Québec, en Ontario et à l’ouest de cette province.

Lise Paiement raconte sa vie comme francophone de l’ Ontario, mais elle effectue surtout un survol de sa riche carrière d’en-seignante et de son leadership culturel qui dépasse largement les frontières de sa province. Ce livre n’est pas seulement autobiographique, car il constitue un véritable traité péda-gogique. Elle nous présente sept grands principes qui ont façonné sa façon originale et unique d’aborder la réussite scolaire et la construction identitaire des élèves en contexte linguistique minoritaire.

L’auteure se présente comme « trouveuse » plus que comme chercheuse, et les principes pédagogiques qu’elle illustre d’exemples concrets et d’anecdotes sont souvent le reflet d’un sens d’observation affiné, d’une très grande sensibi-lité, mais, surtout, d’un humanisme vibrant et intégré. Elle attribue son approche originale à la force de son intelligence

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émotionnelle. Le livre entier est un témoignage d’authenticité et d’engagement.

Nos recherches ont analysé trois types de socialisation lan-gagière qui contribuent au développement psycholangagier des personnes en situation minoritaire, c’est-à-dire ce qu’elles deviennent linguistiquement et culturellement lorsqu’elles sont confrontées à une langue dominante. Nous dégageons de l’analyse de ces vécus langagiers six éléments fonda-mentaux d’une pédagogie efficace en contexte linguistique minoritaire 1. Le livre de Lise Paiement illustre on ne peut mieux une grande partie de nos catégories conceptuelles et des résultats de notre recherche. J’ai pu observer dans l’as-pect autobiographique de son livre la manifestation de vécus enculturants (les expériences qui permettent à une personne de s’approprier une langue et une culture), autonomisants (celles qui la rendent autonome et intrinsèquement motivée) et conscientisants (celles qui lui permettent d’être consciente de sa situation linguistique minoritaire et engagée) qui ont fait d’elle la francophone fière et engagée qu’elle est devenue. La dimension pédagogique du livre nous présente de façon très originale et vivante, même si les termes sont différents, la plupart des éléments pédagogiques qui sont le fruit de notre recherche.

J’estime que les enseignants qui œuvrent dans une école de langue française trouveront tous inspiration et conseil dans ce livre. Comme elle le dit, elle a vécu des expériences de conscientisation à la francophonie qui l’ont profondément marquée et qui lui ont permis d’acquérir la ferme volonté de s’investir dans une carrière d’enseignante de théâtre non seulement pour mettre en valeur l’art de la scène, mais pour faire de cette matière d’enseignement une véritable source d’animation culturelle, une façon de découvrir et de vivre la

1. Pour les intéressés, voir : Rodrigue Landry, Réal Allard et Kenneth Deveau (2010), École et autonomie culturelle, Ottawa / Moncton, Patrimoine canadien / Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Ce livre est diffusé en version numérique sur le site de Patrimoine canadien et peut aussi être obtenu gratuitement en version papier.

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culture et la langue françaises et de contribuer à la prise en charge par les élèves de leur propre construction identitaire. Je l’ai entendue tellement de fois comme conférencière faire des présentations vivantes et touchantes que je ne peux être bon juge de l’influence de cet ouvrage sur les personnes qui découvriront sa méthode pédagogique uniquement par l’in-termédiaire de l’écrit. Le livre conserve toutefois de nombreux atouts de ses conférences et de sa personnalité. J’y trouve la même personne, qui s’exprime franchement et directement, ce qui est de bon augure pour le livre. À défaut de pouvoir cloner de multiples Lise Paiement comme agents de francisa-tion dans les écoles de langue française, je me suis demandé, à la suite de ma lecture, s’il n’y aurait pas lieu de créer plus de postes dans le domaine de l’enseignement du théâtre dans les écoles secondaires, précieux médium d’enculturation et instrument d’un aussi riche potentiel de conscientisation.

Grâce à ce livre, Lise Paiement devient un « modèle acces-sible » 2 non seulement pour le personnel enseignant, mais aussi pour tous les francophones qui s’interrogent sur leur rôle d’agent de francisation. Il lui permet de le devenir égale-ment sur un autre plan. Si elle se décrit comme « trouveuse », un peu pour se démarquer des chercheurs en éducation, elle n’en est pas moins chercheuse. Son approche pédagogique n’est pas issue de trouvailles fortuites ou née d’heureuses coïncidences ; c’est le produit d’une recherche expérientielle fructueuse et continue tout autant que d’un questionnement constant sur son rôle d’enseignante dans une école de langue française. La francophonie a besoin de « trouveuses » et de « trouveurs » de sa trempe.

Les défis sont redoutables. Aujourd’hui, construire une iden-tité francophone, c’est affronter la diversité de la franco-phonie et l’irrésistible pouvoir d’attraction de la langue anglaise. La nation canadienne-française qui s’affirmait encore timidement durant les années de jeunesse de Lise

2. Expression qui illustre un de ses principes pédagogiques et qui nous amène à concevoir l’importance pour les jeunes de pouvoir s’identifier à des modèles sociaux.

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Paiement s’est fragmentée et diversifiée, au point de devenir peu à peu étrangère aux origines ethniques et religieuses qui unissaient alors le Québec et tous les francophones du pays, voire de l’Amérique ; elle se manifeste encore, mais à partir de prémisses différentes sur une pluralité de territoires poli-tiques aux identités distinctes qui n’accueillent pas toujours la culture sociétale de langue française d’origine qui en a été la source. Les deux tiers des enfants des ayants droit fran-cophones que reconnaît l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés partagent avec celui de la francophonie d’autres héritages culturels et de plus en plus d’élèves venus d’ailleurs n’ont aucun ancêtre francophone. Pour continuer à promouvoir la francophonie et favoriser la construction iden-titaire francophone, devenir « trouveur » ou « trouveuse » n’est pas un luxe, mais une nécessité ! Le livre de Lise Paiement offre un excellent « modèle accessible » des caractéristiques essentielles à ce rôle considérable qui commande pour son bon exercice, sensibilité, respect, humanisme et engagement.

Rodrigue Landry

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Avant-propos

Ce matin, journée pluvieuse de novembre, je m’assois devant mon ordinateur pour rédiger la toute première page de ce livre qui m’habite depuis longtemps. Comme chaque fois que je choisis de prendre la route de l’inconnu, je me sens fébrile. Mes craintes habituelles sont au rendez-vous : l’échec, le rejet, l’égo qui risque l’humiliation, les « qu’est-ce que le monde va dire » et j’en passe…

Je tente d’apaiser mon vertige en m’inspirant encore une fois des propos de Rémi Tremblay, auteur de J’ai perdu ma montre au fond du lac 1, qui partage, dans un récit simple et coloré, ses réflexions sur le leadership. Il attribue trois grandes qua-lités à un leader : le courage, l’humilité et l’amour. Je vais donc tenter de m’accrocher à ces trois mousquetons afin de me permettre de risquer, de ne pas lâcher prise du rocher de mon rêve et d’éviter surtout de tomber dans le vide.

Pourquoi ce titre ?

Au départ, je cherchais un titre simple, sans prétention, avec un brin de poésie, à l’image du récit. Une goutte d’eau à la fois… raconte l’évolution d’une petite idée pédagogique qui, à ma grande surprise, a fait bien du chemin. Je ne me suis pas levée un bon jour en me disant : « Je vais créer une approche de leadership ou un modèle d’enseignement en milieu mino-ritaire ». Pas du tout !

1. Rémi Tremblay et Diane Bérard, J’ai perdu ma montre au fond du lac. Retrouver la tranquillité pour mieux gérer, mieux vivre, Montréal, Les Éditions Transcontinentales, 2009.

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Je ne me suis pas couchée un bon soir en me disant que j’ai découvert LE modèle d’enseignement en milieu minoritaire non plus. Bien au contraire, ce que je souhaite, c’est que mon expérience inspire, rassure ou amène la réflexion péda-gogique plus loin. À mes débuts dans l’enseignement, on ne parlait même pas d’une approche pédagogique propre à l’enseignement en milieu minoritaire. Je trouve rafraîchissant aujourd’hui de voir les communautés éducatives et divers organismes en quête d’un modèle spécifique pouvant assurer la réussite scolaire des élèves francophones du Canada.

Ce livre est plutôt une histoire que je vous raconte, l’histoire non dans un sens historique, mais tel un témoignage que je vous livre : mon histoire dans l’enseignement en milieu minoritaire et les pratiques gagnantes que je découvre à tra-vers le temps. Les sept principes abordés dans la troisième partie ne sont pas le point de départ de ma démarche, mais la conclusion d’un parcours qui s’articule dans une approche conceptualisée intuitivement au fil de ma vie en salle de classe et ailleurs. Je sais très bien que ce n’est pas le seul modèle pédagogique misant sur la responsabilisation de l’élève, mais c’est le mien ; j’ai été témoin de son impact, il m’a bien servi et ce que j’aimerais, c’est qu’il puisse être utile, tout simplement.

Je m’engage donc à faire preuve de « courage », à me dévoiler, à partager les réflexions, les anecdotes et les expériences qui m’ont fait cheminer, tant sur le plan professionnel que personnel. Se mettre ainsi à nu entraîne un double risque : les gens se laissent séduire par l’authenticité, le vrai, l’intimité ou bien, au contraire, ils n’y voient que les vergetures, les bourrelets, les cicatrices, enfin les choses moins « sexy », et ne se laissent pas séduire du tout. Donc, ça me demande du courage.

Je veux faire preuve d’« humilité », par ma façon honnête de vous raconter l’histoire, avec les hauts et les bas, les erreurs de parcours comme les bons coups, sur un ton dénudé de prétention et avec des mots simples. Je veux aussi rendre

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hommage à toutes ces personnes (modèles, mentors, inspira-teurs) qui ont été indispensables à mon évolution en décri-vant l’impact de leurs actions sur mon parcours. Parler de ces petites gouttes d’eau qui ont résonné dans ma vie en quelque sorte.

Je veux faire preuve d’« amour ». Partager avec vous ma pas-sion, vous confier les premières étincelles de ce feu que j’ai dans le ventre : mon amour profond envers l’éducation, mon engagement sincère envers la communauté francophone et ma soif insatiable de contribuer à un monde idéal où la magie des relations humaines est possible.

Mon but est de vous permettre de faire du pouce, pour repren-dre cette expression de chez nous, de cheminer avec moi, de renouer avec divers concepts porteurs de changements et de revenir à l’essentiel, soit se laisser guider par son instinct, donner raison à son intuition et poser un regard critique sur le milieu, non seulement pour le comprendre, mais davantage pour l’améliorer.

Dans la poursuite de l’idéal selon lequel poser un petit geste ou lancer une idée folle dans l’univers peut avoir de l’impact sur notre façon de voir le monde et, surtout, de nourrir notre désir de vouloir le changer un peu, pour en faire un monde meilleur.

N.B. : Bien que ce livre traite surtout du milieu de l’enseigne-ment en milieu minoritaire, il s’adresse aux parents, premiers éducateurs de l’enfant, ainsi qu’à toute personne ayant le désir d’œuvrer comme agente ou agent de changement sur l’espace francophone dans son milieu.

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PARTIE 1

LA source DE MON ÉVOLUTION

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L’un des principes fondamentaux dans l’approche pédagogique de la responsabilisation est la connaissance de soi et de l’autre. Afin de nous permettre de nous connaître

davantage, cette première partie servira à dévoiler quelques aspects de ma vie et à souligner les moments marquants qui ont influencé ma propre construction identitaire. Je décrirai donc les trois éléments qui se

retrouvent à la source de mon évolution personnelle : le dir d’enseigner, l’engagement à l’éducation et à la communauté francophone, et la quête de l’excellence.

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1. LE DéSIr D’ENSEIGNEr

1. LE désir D’ENSEIGNER

À quel moment naît ce goût pour l’enseignement ?

Dès mon jeune âge !

J’ai grandi à Sturgeon Falls, en Ontario, deuxième fille d’une famille de quatre enfants, soit trois filles et un garçon. Je me rappelle ce temps comme une époque où la vie était simple. Il y a plusieurs images que je garde avec attachement dans un coin de mes souvenirs d’enfance.

Au printemps, on creusait des rigoles pour accélérer le pro-cessus de la fonte des neiges, pour pouvoir sortir les bécyques et les cordes à danser au plus vite.

L’été, c’était le chalet, les « maman, maman, r’garde j’va sauter dans l’eau », et le temps de cueillir les petites fraises des champs.

L’automne, l’Halloween ! On n’avait pas besoin d’adultes pour nous accompagner, les rues appartenaient aux enfants et la tirelire Unicef était orange et noire avec une texture cirée.

L’hiver, on patinait dehors à l’École Saint-Joseph, on marchait sur la neige et nos bottes faisaient crounch crounch et, bien entendu, il y avait la magie du temps des Fêtes. À Noël, ma cousine Hélène et moi jouions « à quelle ma tante appartient le manteau ? ». On se couchait sous la montagne de manteaux d’hiver entassés sur le lit de mes parents. Le jeu consistait à humer le parfum qui, comme une empreinte odorante sur le foulard, nous permettait de deviner qui était la propriétaire du manteau de vison, du manteau de drap ou du manteau de mouton de Perse. Mon collègue, Raymond Boyer, de Sudbury, me dit que son frère et lui se livraient à un jeu semblable,

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mais le plaisir consistait à vider les poches des manteaux pour trouver de la « p’tite monnaie » et s’organiser pour ne pas « s’ faire pogner » !

Ah ! le bon temps, le bel âge où un petit rien nous permettait de nous construire un univers de plaisirs ! Avec seulement trois « postes » de télévision, il fallait faire preuve de créativité.

Cela me ramène au thème de ce chapitre, le jeu préféré de mon enfance : jouer à l’école ! C’est la preuve que mon désir d’enseigner m’habite depuis toujours. Enfant, je suis un peu bosse-crotte (dire aux autres quoi faire), et jouer à l’école me permet de faire ça. Donc, si pour certaines petites filles le plaisir est de jouer à la Barbie, à l’infirmière ou au magasin, pour moi, c’est de jouer à la « maîtresse ».

Comme mes deux parents enseignent, je suis inspirée et sur-tout très bien équipée pour jouer à la « maîtresse ». Mon père nous a aménagé un coin du sous-sol avec tout un paquet de vieilles affaires recyclées : des pupitres, des brosses et des craies de tableau, un bout d’ardoise noire, sans oublier la précieuse douille de bois pour pointer. Bien que la salle de classe soit efficace et organisée, le groupe d’élèves, lui, est parfois imaginaire. Plus souvent qu’autrement, c’est la plus jeune de mes sœurs, Nicole, et son amie, Suzanne Lavoie, qui sont les heureuses élues dans le rôle de mes élèves.

Elles deviennent vite des élèves modèles. Dociles, intéressées, elles lèvent la main pour répondre, ont presque toujours la bonne réponse et reçoivent des étoiles et des compliments de la « maîtresse », patiente et attentionnée, que je personnifie.

Pour rendre ça plus intéressant, on décide d’ajouter « l’élève problème ». Ce personnage imaginaire, appelons-le Françoise Lebrun, devient donc la proie des réprimandes et la source de mécontentements de la « maîtresse ».

Je dois maintes fois interrompre mon enseignement pour réprimander Françoise Lebrun pour ses comportements désagréables et m’adresser sévèrement à ce pupitre vide : « Françoise Lebrun, (soupir), si tu continues, tu vas aller au bureau », « Françoise Lebrun, (yeux sévères), tu n’as pas fait

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1. LE DéSIr D’ENSEIGNEr

ton devoir, tu ne mérites pas d’étoile », « Françoise Lebrun, (index en l’air), si tu n’arrêtes pas de déranger, tu vas rester après l’école »… Et ceci se prolonge tout au long de la séance pédagogique.

Plus tard, je pris conscience que j’imitais la dynamique de la classe dans laquelle je me retrouvais à l’école et que Françoise Lebrun existait vraiment dans la vie. Bien que la candeur de l’enfance ait pu expliquer à l’époque ce manque de gentillesse et de compassion pour Françoise Lebrun, aujourd’hui, en tant que pédagogue, je me demande encore ce qui a pu arriver à cette petite fille, pour qui l’école a dû être un cauchemar.

Au fil du temps, le jeu de la « maîtresse » se fond tranquille-ment au printemps de mon adolescence et je passe à d’autres intérêts comme… le théâtre !

Est-ce de là que vient mon ambition de faire de la scène ? Une chose est certaine : c’est à l’adolescence que se confirme mon désir de devenir enseignante d’art dramatique. Rassurez-vous : je n’ai pas choisi l’enseignement par désir de répri-mander, de faire la police ou de punir les élèves. La période Françoise Lebrun était bel et bien terminée.

Pour être une bonne enseignante, est-ce qu’il faut avoir aimé l’école ?

Malgré le fait que j’aie aimé jouer à l’école comme enfant, je n’ai jamais vraiment aimé fréquenter l’école. De fait, en 2e année, je demande à ma mère quel âge je dois avoir pour laisser l’école. Question un peu inquiétante pour mes parents ! Je suis une enfant pleine d’énergie et malgré le fait que l’on reconnaisse mon enthousiasme, on me fait souvent le reproche de déranger en classe. Je trouve pénible d’avoir à m’asseoir, de garder le silence et d’écouter. Je tiens à mentionner que les termes « déficit d’attention » ou « hyperactivité » n’existent

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pas à l’époque. Avec le recul, je crois que si j’ai survécu à mes années de scolarité, c’est parce que j’ai eu la chance d’avoir des enseignantes et des enseignants qui proposaient du tra-vail en équipe, des projets, des présentations orales, toutes sortes d’activités pédagogiques qui ont tissé un peu d’action et de vie sociale dans mon apprentissage. Je fais vite le lien entre l’enseignement créatif et interactif et ma motivation à fréquenter l’école. Ceci aura un grand impact sur ma façon de percevoir mon rôle de pédagogue et ma façon d’enseigner.

Le fait de ne pas avoir aimé l’école ne m’amène pas à remettre en question mon goût d’enseigner. Au contraire, il m’encou-rage. Je sens naître en moi la motivation de vouloir changer un peu l’enseignement et de contribuer à créer un milieu scolaire plus intéressant pour les hyperactifs et, surtout, plus compréhensif et gentil pour les Françoise Lebrun.

Quelles personnes m’ont inspirée à vouloir devenir enseignante ?

Je pense que ce sont tout d’abord et surtout mes parents et, par la suite, des enseignants dont la passion m’a inspirée. Puisque ma mère m’a enseigné et que mon père a été mon collègue, tous deux ont exercé beaucoup d’influence non seulement sur mon choix de carrière, mais également sur ma façon d’enseigner. Au-delà d’avoir l’enseignement dans le sang, ce que j’ai reçu de mes parents, c’est l’exemple de leur engagement, de leur passion et de leur plaisir d’enseigner. Ils n’ont jamais compté leur temps, ils avaient tous deux le goût de faire une différence et de faire du bien. Leur quête d’excellence a toujours été présente. C’est ce que je tente de partager à mon tour.

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Table des matières

Préface ................................................................................9

Avant-propos ....................................................................13

PARTIE 1 LA SOURCE DE MON ÉVOLUTION ............. 17

1. Le désir d’enseigner ...................................................21

2. L’engagement envers la francophonie ...........................33

3. La quête de l’excellence ..............................................63

PARTIE 2 LE CONTEXTE ÉDUCATIF .......................... 77

1. La réussite scolaire ....................................................79

1.1 Les deux volets de la réussite scolaire en milieu minoritaire ..............................................80

1.2 La réussite scolaire et la responsabilisation ................82

1.3 La construction de sens ...........................................85

1.4 La construction de sens et la responsabilisation ..........94

1.5 Les trois éléments d’un accompagnement efficace .......98

2. L’élément déclencheur : la formation en leadership jeunesse à Couchiching ! ........................................... 102

2.1 Le contexte de formation que propose Couchiching .... 103

2.2 Les sept éléments-clés d’un modèle de responsabilisation en milieu minoritaire .............. 105

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PARTIE 3 L’INTÉGRATION DES PRINCIPES DE RESPONSABILISATION ET DE LEADERSHIP CULTUREL À L’APPROCHE PÉDAGOGIQUE ................109

PRINCIPE 1 : LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE, UN PROCESSUS D’ÉVOLUTION HUMAINE ........................113

1.1 La construction identitaire et son vocabulaire ..........114

1.2 La construction identitaire et la responsabilisation ....120

1.3 La construction identitaire, une transformation individuelle et collective ....................................125

1.4 La construction identitaire et la francité ................132

PRINCIPE 2 : LA CRÉATION D’UN CLIMAT DE CONFIANCE ...141

2.1 L’accueil ........................................................144

2.2 Le respect ......................................................156

2.3 Le plaisir .......................................................162

2.4 La connaissance de soi et de l’autre ......................171

2.5 L’estime de soi ................................................182

2.6 La gestion d’un contexte harmonieux ....................189

2.7 Le climat de confiance et la pédagogie en milieu minoritaire ........................................204

PRINCIPE 3 : LA COMMUNICATION ORALE .....................219

3.1 L’art de la communication ..................................222

3.2 La communication orale en contexte minoritaire .......236

3.3 La communication orale et la pédagogie en milieu minoritaire ........................................250

3.4 Le sens du mot DIRE .........................................264

3.5 Le plaisir de SE DIRE .........................................270

3.6 L’audace d’OSER DIRE ........................................285

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PRINCIPE 4 : LA CONGRUENCE ET L’IMPACT POSITIF DES MODÈLES..........................................................303

4.1.Les.personnes.d’influence....................................3054.2.Le.modèle.accessible.........................................3064.3.Le.milieu.scolaire,.contexte.propice.d’influence.

et.de.francité..................................................3164.4.Le.milieu.scolaire.et.l’accueil.des.modèles.accessibles.326

PRINCIPE 5 : LE LEADERSHIP ÉMERGENT, UNE INFLUENCE PARTAGÉE.........................................335

5.1.Le.pouvoir.et.le.leadership.................................. 3375.2.L’intuition.......................................................3435.3.L’émergence.....................................................3555.4.L’émergence.du.leadership,.résultat.d’un.impact..

individuel............................................................ 3555.5.L’émergence.du.leadership,.résultat.d’un.impact..

collectif.........................................................366

PRINCIPE 6 : LA CULTURE DE L’ÉVALUATION...................379

6.1.L’évaluation.de.l’enseignement..............................3826.2.Les.cinq.éléments.d’un.schème.de.valeurs................3896.3.L’évaluation.et.la.construction.identitaire................3986.4.Le.prisme.de.la.transformation.............................4026.5.Les.indicateurs.de.réussite.................................. 407

PRINCIPE 7 : LA RESPONSABILISATION, SOURCE DE LEADERSHIP CULTUREL...............................415

7.1.La.définition.du.terme.«.responsabilisation.».............4197.2.L’accompagnement.pédagogique.et..

la.responsabilisation..........................................4297.3.Les.sept.étapes.de.l’organisation.d’une.activité.........4367.4.La.manifestation.d’une.«.responsabilisation.durable.»..443

Conclusion.................................................................453

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Couverture : Shutterstock® images / somchaij Photographie de l’auteure : Sylvain Nadeau

Maquette et mise en pages : Anne-Marie Berthiaume

Achevé d’imprimer en avril 2013 sur les presses de Marquis Imprimeur

Montmagny (Québec) Canada

Imprimé sur papier Silva Enviro 100 % postconsommation

traité sans chlore, accrédité Éco-Logo et fait à partir de biogaz.

Couverture 30 % de fibres postconsommation Certifié FSC®

Fabriqué à l’aide d’énergie renouvelable, sans chlore élémentaire, sans acide.

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HORS COLLECTION www.editionsdavid.com

Puisant dans sa vaste expérience d’enseignante dans le milieu franco-ontarien, Lise Paiement témoigne ici de sa passion et de son engagement envers l’éducation et la francophonie. À travers des anecdotes touchantes, l’auteure pose les balises d’une approche pédagogique inédite fondée sur sept principes allant de la construc-tion identitaire à la responsabilisation, en passant par la confiance, la motivation et le leadership. Elle identifie ainsi les conditions nécessaires à la réussite scolaire et à l’affirmation culturelle, notamment en situation mino-ritaire. Une goutte d’eau à la fois… raconte l’évolution d’une petite idée de l’enseignement qui, rappelle la péda-gogue, « a fait bien du chemin ».

Grâce à ce livre, Lise Paiement devient un « modèle acces-sible » non seulement pour le personnel enseignant, mais aussi pour tous les francophones qui s’interrogent sur leur rôle d’agent de francisation. Son approche pédago-gique […] est le produit d’une recherche expérientielle fructueuse et continue tout autant que d’un question-nement constant sur son rôle d’enseignante dans une école de langue française. La francophonie a besoin de « trouveuses » et de « trouveurs » de sa trempe.

Rodrigue Landry

Ayant fait carrière dans le monde de l’éducation, Lise Paiement est aujourd’hui une conférencière reconnue pour son charisme, son enthousiasme, son leadership et son implication constante dans les com-munautés francophones du Canada. Elle est récipiendaire de plusieurs honneurs, dont le Mérite franco-ontarien en éducation (AEFO), le Prix Bernard-Grandmaître (ACFO) et le Prix du premier ministre du Canada pour l’excellence dans l’enseignement.