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Une histoire populaire des États-Unis, de 1492 à nos jours Fiche de lecture du livre d’Howard Zinn : « Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1942 à nos jours » (éditions Agone, 2002). C’est le propre de la fiction de transfigurer la réalité. Lorsque cette fiction se met au service d’un État ou d’un système économique, elle se nomme propagande idéologique. On se souvient peut-être de 1492, le film commémorant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, tourné quelque cinq cents ans plus tard. On y voyait Gérard Depardieu, sur une plage de violons, baiser le sable de l’île d’Hispaniola, avant de se frotter à des indigènes menaçants… En réalité, les Arawaks au complet “abandonnèrent leurs villages pour se rendre sur le rivage, puis nagèrent jusqu’à cet étrange et imposant navire afin de mieux l’observer.” Christophe Colomb tenait un journal de bord et il note lui-même que les Arawaks “ont apporté des perroquets, des pelotes de coton, des lances et bien d’autres choses qu’ils échangeaient contre des perles de verre et des grelots. Ils échangeaient volontiers tout ce qu’ils possédaient […] Ils ne portent pas d’armes.” Passée la surprise des premiers instants, le caractère propre à la civilisation occidentale reprend le dessus, et Colomb écrit ce commentaire prophétique : “Ils feraient d’excellents domestiques […] Avec seulement cinquante hommes, nous pourrions les soumettre tous et leur faire faire tout ce que nous voulons.” Les choses étaient dès le départ mal engagées. On sait ce qu’il advint par la suite des Indiens de tout ce continent nouvellement découvert. Et les cinq siècles qui suivirent ne furent guère plus réjouissants. Une entreprise de démythification Toute l’entreprise de Howard Zinn est, dans un premier temps, de détruire les mythes américains.

Une Histoire Populaire Des Etats-Unis Howard Zinn

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Une histoire populaire des États-Unis, de1492 à nos jours

Fiche de lecture du livre d’Howard Zinn : « Une histoirepopulaire des Etats-Unis, de 1942 à nos jours » (éditionsAgone, 2002).

C’est le propre de la fiction de transfigurer la réalité. Lorsque cette fiction se met au service d’unÉtat ou d’un système économique, elle se nomme propagande idéologique. On se souvient peut-êtrede 1492, le film commémorant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, tourné quelquecinq cents ans plus tard. On y voyait Gérard Depardieu, sur une plage de violons, baiser le sable del’île d’Hispaniola, avant de se frotter à des indigènes menaçants… En réalité, les Arawaks aucomplet “abandonnèrent leurs villages pour se rendre sur le rivage, puis nagèrent jusqu’à cetétrange et imposant navire afin de mieux l’observer.” Christophe Colomb tenait un journal de bordet il note lui-même que les Arawaks “ont apporté des perroquets, des pelotes de coton, des lances etbien d’autres choses qu’ils échangeaient contre des perles de verre et des grelots. Ils échangeaientvolontiers tout ce qu’ils possédaient […] Ils ne portent pas d’armes.” Passée la surprise des premiersinstants, le caractère propre à la civilisation occidentale reprend le dessus, et Colomb écrit cecommentaire prophétique : “Ils feraient d’excellents domestiques […] Avec seulement cinquantehommes, nous pourrions les soumettre tous et leur faire faire tout ce que nous voulons.” Les chosesétaient dès le départ mal engagées. On sait ce qu’il advint par la suite des Indiens de tout cecontinent nouvellement découvert. Et les cinq siècles qui suivirent ne furent guère plus réjouissants.

Une entreprise de démythification

Toute l’entreprise de Howard Zinn est, dans un premier temps, de détruire les mythes américains.

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Cette épopée du Nouveau Monde et de ses illustres figures -ses “sauveurs”, comme ils sontconsidérés dans les livres d’histoire outre-Atlantique-, Colomb et les pionniers, les Pères Fondateurspour la Révolution , Lincoln pour la sortie de l’esclavage, Roosevelt pour la Grande Dépression,Carter pour la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate…, Zinn s’attache à la désacraliser, età l’inscrire dans un contexte matérialiste qui fait la part belle aux obscurs, aux sans-grade, à ceuxdont on ne parle jamais mais qui n’en sont pas moins les véritables acteurs de l’histoire. Partant, ilrend ainsi hommage à d’innombrables figures oubliées. Le parti pris est évident et totalementrevendiqué. Selon l’auteur lui-même, il s’agit d’une “histoire irrespectueuse à l’égard desgouvernements et attentive aux mouvements de résistance populaire. Une histoire qui pencheclairement dans une certaine direction, ce qui ne me dérange guère tant les montagnes de livresd’histoire sous lesquelles nous croulons penchent clairement dans l’autre sens.”

Un pays fondamentalement raciste

Même si l’on en parle peu, on connaît assez bien la douloureuse tragédie des Indiens. Véritablegénocide, leur massacre organisé s’est déroulé sur près de quatre cents ans, en fonction desvelléités expansionnistes du nouvel empire qui se constituait. La technique est toujours la même :profiter de la supériorité militaire pour accaparer de nouvelles terres, refouler les Indiens, leurpromettre la tranquillité sur leurs nouveaux lieux de vie, trahir la parole donnée et pousser toujoursplus loin la conquête. Les colons ont toujours utilisé la politique du fait accompli pour refuser derendre les terres volées ; une fois qu’ils étaient installés quelque part, ils ne pouvaient plus seretirer. Le tout s’accompagnant bien sûr de déportations, de massacres, de mensonges etd’hypocrisie humaniste ou sécuritaire. Troublant parallèle avec ce qui se fait actuellement enPalestine occupée… Durant cette cohabitation sanguinaire, près de quatre cents traités ont étésignés entre les Indiens et les différents gouvernements ; aucun n’a été respecté.

On sait bien sûr que la richesse des premiers propriétaires terriens de l’Est et du Sud s’estconstituée grâce à l’esclavage. Zinn estime à cinquante millions le nombre de Noirs qui ont eu à ensouffrir. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que l’histoire de ces Noirs n’est qu’une longuesérie de révoltes, d’insoumissions, et de massacres qui n’ont rien à envier à ceux perpétrés contreles Indiens. Nous sommes loin de l’image du bon nègre soumis à l’autorité du maître paternaliste,comme Autant en emporte le vent le laisse suggérer. Ce que l’on tait également, c’est que beaucoupde Blancs -appelés serviteurs sous contrat- étaient aux ordres de ces grands propriétaires, et quebien vite, unis dans une même servitude, exploités blancs et noirs ont donné des signes d’alliancepossible. Zinn montre très bien que, face à cette montée en puissance de conflits de classe, leracisme s’est érigé en instrument de contrôle social. “Si des hommes libres, au désespoir, avaient dûfaire cause commune avec des esclaves désespérés eux aussi, les conséquences auraient pudépasser en violence tout [ce qui se faisait alors]. La solution à ce problème, évidente mais jamaisformulée -simplement progressivement assumée-, était le racisme, seul outil susceptible deségréguer les Blancs dangereux des esclaves dangereux en élevant entre eux le mur du méprissocial.”

Le racisme est donc un élément fondamental de la politique des États-Unis, et ce, dès l’époque despremiers colons. Pendant les siècles qui suivirent, il fut un des instruments de la domination descapitalistes sur les travailleurs, les syndicats eux-mêmes ayant beaucoup de mal à intégrer des Noirsdans leurs rangs. Zinn rappelle ironiquement que l’intervention américaine pendant la secondeguerre mondiale n’obéissait pas encore vraiment à des motivations humanistes : “Faisait-onréellement la guerre pour démontrer que Hitler se trompait quant à la supériorité de la “race”aryenne sur les races inférieures ? Dans les forces armées américaines, les Blancs et les Noirsrestaient séparés. Lorsque, au début de 1945, les troupes furent embarquées sur le Queen Marypour aller combattre sur le sol européen, les soldats noirs prirent place dans les profondeurs du

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navire à côté de la salle des machines, aussi loin que possible de l’air frais du pont, dans une sorted’étrange remake des transports d’esclaves d’autrefois. La Croix-Rouge, avec l’accord dugouvernement, ne mélangeait pas le sang des Noirs avec le sang des Blancs.”

L’intervention américaine obéissait donc à d’autres impératifs. Lesquels ? Toujours les mêmes :satisfaire les besoins expansionnistes du capitalisme dominant. La guerre de Sécession (1861-1865)en fut un exemple significatif. Traditionnellement, on oppose les bons Nordistes et Lincoln auxméchants Sudistes esclavagistes. En réalité, les faits furent un peu plus complexes et les résultatsmoins glorieux qu’on veut bien le prétendre. Les incessantes révoltes des Noirs, appuyées parquelques Blancs abolitionnistes, mettaient en péril un système parfaitement rodé. De nombreuxdocuments témoignent du fait que les propriétaires esclavagistes vivaient dans la peur. Ils étaientobligés d’utiliser les pires méthodes pour mater les Noirs, ce qui ne fonctionnait que trèsépisodiquement. Il faut rappeler également que, du fait de l’arrivée incessante et massive d’esclaves,les Noirs étaient devenus largement majoritaires dans les États du Sud, et les propriétaires sesentaient quelque peu envahis par cette horde de sauvages assoiffés de sang. Il fallait réagir : “Unsoulèvement général risquait de se révéler incontrôlable et de libérer des forces qui pourraient s’enprendre, au-delà de l’esclavage, au système d’enrichissement capitaliste le plus efficace du monde.En cas de guerre généralisée, en revanche, ceux qui la conduiraient pourraient en maîtriser lesconséquences.”

L’abolition ne fut donc pas le fait d’une prise de conscience humaniste, mais obéit à des impératifspurement économiques. Lincoln lui-même, considéré aux États-Unis comme un héros, est présentécomme un personnage fort ambigu. Ses discours semblaient motivés par l’opportunisme le plusévident. Selon le public auquel il s’adressait, il était capable de tenir des propos soit racistes soitabolitionnistes. Toujours est-il que les esclaves furent affranchis et que tout le monde y trouva soncompte -les dirigeants, s’entend. Le capitalisme moderne s’étendit ainsi dans tous les États, du Nordau Sud, les affaires furent plus florissantes que jamais, et des millions de travailleurs, Noirs etBlancs, se retrouvèrent dominés par un nouveau système d’exploitation, beaucoup plus performantet beaucoup plus rentable. Un analyste de la situation de l’époque, W.E.B. Du Bois, affirma quependant cette croissance du capitalisme américain avant et après le guerre de Sécession, Blancs etNoirs vivaient tous en esclavage.

Le racisme ne disparut évidemment pas pour autant : “Lorsque la guerre de Sécession prit fin, dix-neuf des vingt-quatre États du Nord n’accordaient toujours pas le droit de vote aux Noirs. En 1900,tous les États du Sud, par de nouvelles constitutions et de nouveaux statuts, avaient inscrit dans laloi la suppression du droit de vote et la ségrégation pour les Noirs. Un éditorial du New York Timesaffirmait que “les hommes du Nord […] ne dénoncent plus la suppression du droit de vote pour lesNoirs. […] La nécessité de cette suppression, au motif suprême de l’autopréservation, sembledésormais candidement reconnue.” Il faudra attendre les années 1960, et les révoltes en faveur desdroits civiques -autre période particulièrement trouble et sanguinaire-, pour que les Noirs aientaccès aux même titre que les autres à un minimum de représentation. Et le problème est loin d’êtrerésolu. Aux États-Unis, et encore de nos jours même si c’est plus diffus, le racisme se présentecomme un formidable outil de maintien de l’ordre capitaliste.

Une fausse Révolution

La Révolution de 1776 apparaît également dans cet ouvrage comme une vaste fumisterie. Le termen’est pas trop fort tant le “peuple” de l’époque manifesta peu d’intérêt pour aller se battre contre lesAnglais. Les pauvres, Blancs et Noirs, les plus nombreux, ne voyaient pas bien ce que pourrait leurprocurer le fait de changer de maîtres, ou plutôt le fait que leurs maîtres s’émancipassent de latutelle anglaise pour mieux asseoir leur puissance économique. Ils furent pour la plupart enrôlés de

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force dans l’armée de libération et ne manifestèrent guère l’enthousiasme patriotique dont faitpreuve Hollywood lorsque l’industrie du cinéma se penche sur cette période.

De fait, la Déclaration d’indépendance obéit à des objectifs moins avouables que ce que l’on croitd’ordinaire : “Vers 1776, certaines personnalités de premier plan des colonies anglaises d’Amérique[Les Pères Fondateurs] firent une découverte qui allait se révéler extrêmement utile au cours desdeux siècles suivants. Ils imaginèrent qu’en inventant une nation, un symbole, une entité légaleappelée “États-Unis”, ils seraient en mesure de s’emparer des terres, des privilèges et des pouvoirsdétenus jusque-là par les protégés de l’Empire britannique. Du même coup, ils pourraient contenirun certain nombre de révoltes en suspens et forger un consensus qui assurerait un soutien populairesuffisant au nouveau gouvernement contrôlé par une nouvelle élite privilégiée.”

Cette idée de génie connut le succès que l’on sait, et c’est ainsi qu’une nouvelle classe dominante fitson apparition, s’appuyant sur une Constitution profondément et fondamentalement libérale, dans lesens où elle donnait tous les pouvoirs aux riches et laissait l’immense masse des pauvres pataugerdans le mythe toujours actuel d’une éventuelle ascension sociale.

La lutte des classes

Dès le début, les États-Unis furent la patrie du capitalisme triomphant, sûr de son bon droit et de saforce. Ce qui ne signifie pas que l’histoire se déroula sans heurts. Au contraire, le livre de Zinnfourmille d’exemples montrant que la lutte de classes a toujours été d’actualité dans cet empire quise constituait peu à peu. Et l’on est étonné face au nombre impressionnant de conflits qui émaillentl’histoire du pays. Que ce soit contre les travailleurs noirs, les ouvriers blancs, parfois -plusrarement- contre les deux unis, les capitalistes ont toujours eu d’énormes problèmes pour assurer lamain-mise sur la classe populaire. Mais ils ont toujours utilisé la même méthode pour en venir àbout, et que l’on cache prudemment dans les manuels d’histoire : la plus extrême violence.

Témoin ce qui se passa en 1914 dans une mine du Colorado : “Dès que la grève éclata, les mineursfurent expulsés des logements qu’ils occupaient dans les villes possédées par la compagnieminière.[…] Ils établirent des campements de tentes dans les collines voisines et poursuivirent lagrève en maintenant les piquets de grève. Le service d’ordre engagé par les représentants desRockefeller utilisait des fusils-mitrailleurs et des carabines et effectuait des raids sur lescampements de grévistes. […] En avril 1914, deux compagnies de la garde nationale se tenaientdans les collines surplombant le plus important campement de mineurs. […] Les femmes et lesenfants creusèrent des fosses sous les tentes pour échapper aux tirs des mitrailleuses. Aucrépuscule, les gardes nationaux descendirent des collines pour mettre le feu au campement. […] Lelendemain, un employé du téléphone passant à travers les ruines du campement souleva une plaqued’acier qui recouvrait une fosse creusée dans l’une des tentes et découvrit les corps carbonisés,recroquevillés.” Cet événement est aujourd’hui connu sous le nom de massacre de Ludlow. Il n’estqu’un exemple parmi la longue liste d’abominations commises par les richissimes patrons pourcontraindre la classe ouvrière à se soumettre.

Il faut dire que celle-ci, malgré la répression permanente, lutta sans interruption, parfois les armes àla main, pour tenter d’obtenir son émancipation. Juste après la première guerre mondiale, denombreuses constitutions de ce que l’on est tenté d’appeler des Soviets firent leur apparition. En1919, à Seattle, la ville fut gérée par les grévistes. “Pendant la grève, la criminalité diminua. Lecommandant du détachement militaire envoyé dans la région confia aux grévistes qu’il n’avait jamaisvu une ville aussi calme et aussi bien gérée.” Mais ces expériences firent toutes long feu, si l’on peutdire, et, peu à peu, la classe ouvrière fut matée. Les rebelles furent exécutés, ou longuementemprisonnés, ou disparurent sans laisser de traces. Ce n’est pas le moindre des mérites de l’ouvragede Zinn que de leur rendre là un dernier hommage. La législation fut savamment adaptée pour

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qu’elle accable toujours les plus faibles.

Incidemment, l’auteur règle son compte à une procédure juridique qui tente de faire son apparitionen France ces derniers temps, celle dite de la “peine négociée” : “L’acte final de la procédure depeine négociée est une vaste supercherie qui rivalise elle-même de malhonnêteté avec le crime dontil est question dans bien des cas. L’accusé est contraint de reconnaître publiquement sa culpabilitépour un crime que, bien souvent, il n’a pas commis. Il doit ensuite préciser qu’il a avoué sans y êtrecontraint […] et sans qu’on lui ait fait aucune promesse en retour. Dans la peine négociée, l’accuséplaide coupable, qu’il le soit ou non, épargnant ainsi à l’État, contre la promesse d’une réduction desa condamnation, la peine d’avoir à le juger.” Les Français sont avertis de ce qui les attend si unetelle loi apparaît dans leur pays.

Le consensus bipartisan

Le peuple américain, vivant dans ce que l’on considère comme la plus grande démocratie du monde,pourrait espérer compter sur ce que l’on appelle l’alternance politique, pour voir ses intérêtsdéfendus de temps à autre. Hélas, en fonction de ce que Zinn nomme le “consensus bipartisan”,républicains et démocrates, au cours de leur longue histoire, ont toujours soutenu de façonindéfectible les intérêts des possédants : “La position politique adoptée par les différents candidatsayant participé aux primaires des principaux partis s’est toujours limitée à l’horizon défini par lesnotions de propriété et d’entreprise. […] Ils acceptaient l’idée que les vertus économiques de laculture capitaliste étaient inhérentes à la nature humaine. […] Et cette culture a toujours étéfondamentalement nationaliste.”

Les deux grands partis ont ainsi pour tradition bien établie d’abandonner la population à la loi du“libre marché”. Un exemple ? “Sous Reagan, le gouvernement avait réduit le nombre de logementssociaux de quatre cent mille à quarante mille ; sous Clinton, on les supprima totalement.” Pasétonnant donc que les différentes campagnes électorales se concentrent davantage sur le fait desavoir si tel ou tel candidat a été un bon patriote, s’il est un bon mari ou si sa femme fait bien lacuisine, se transformant alors en un immense show médiatique et démagogique. Bien évidemment,tout rapprochement effectué avec notre propre alternance française serait purement fortuit…

Nationalisme, colonialisme et mensonges

“Entre nous, […] j’accueillerais avec plaisir n’importe quelle guerre tant il me semble que ce pays ena besoin.” Voilà ce que Théodore Roosevelt écrivait à un ami en 1897. Zinn rappelle que la culturecapitaliste américaine est, comme nous l’avons vu plus haut, “fondamentalement nationaliste.” Eneffet, la guerre présente le triple avantage de souder une conscience nationale et de développer lessentiments patriotiques, de faire ainsi oublier les problèmes internes et les conflits de classe, et depermettre au marché de trouver de nouveaux territoires pour écouler les produits. Ce fait n’est pasnouveau et l’actualité récente en offre bien des exemples. Il est d’ailleurs un des fondements ducapitalisme, comme Lénine l’avait déjà remarqué à son époque. Or, l’histoire des États-Unis n’estqu’une longue série de conflits et de guerres extérieures. Les dirigeants américains ont toujours prissoin de présenter à leurs administrés des ennemis bien définis et bien diaboliques.

Tout le monde a en mémoire Saddam Hussein, l’Islam, et auparavant le communisme. Mais cettefabrication d’un ennemi, devant satisfaire le triple objectif précédemment cité, est une vieillehistoire. Entre 1798 et 1895, par exemple, cent trois opérations extérieures eurent lieu,particulièrement centrées vers Hawaii, le Japon, la Chine, et surtout l’Amérique latine. Définie en1823, la “doctrine Monroe” entendait faire clairement comprendre aux Européens, alors que lespays d’Amérique latine prenaient leur indépendance vis-à-vis de l’Espagne, que les États-unisconsidéraient désormais ces pays comme relevant de leur zone d’influence. On sait par quoi cela se

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traduisit dans les siècles suivants, Zinn en développe les détails les plus significatifs.

Concernant d’ailleurs les relations entretenues avec l’Amérique latine, John O’Sullivan, rédacteur enchef de la Democratic Review, devait utiliser en 1845 cette formule devenue fameuse : c’est la“destinée manifeste du peuple américain que de se répandre sur le continent que la Providence lui aassigné afin de permettre le libre développement de notre population qui croît annuellement deplusieurs millions d’individus.” Destinée manifeste, en effet. De tels propos permettent un peu decomprendre pourquoi, toutes proportions gardées quant aux chiffres, les États-Unis et Israël sesentent si proches aujourd’hui dans leurs justifications idéologiques.

Un fait est frappant lorsqu’on observe les raisons invoquées pour entrer en guerre. Il s’agit bienévidemment de prétextes, d’agressions supposées et d’appels à la légitime défense. Ce fut le caspour l’invasion du Mexique en 1846. Un certain colonel Cross, “disparut au cours d’une expédition lelong du Rio Grande. Son corps fut retrouvé onze jours plus tard, le crâne défoncé. On prétendit qu’ilavait été assassiné par un groupe de guérilleros mexicains ayant osé traverser la rivière.” La guerreétait lancée, faisant quelques milliers de morts de part et d’autre.

En février 1898, un navire de guerre américain, le Maine, qui se trouvait dans le port de La Havanefut détruit par une mystérieuse explosion et sombra avec deux cent soixante-huit hommesd’équipage. “Sans preuves, le rapport officiel américain accusa immédiatement l’Espagne, laquelleproposa aussitôt de confier l’enquête à une commission mixte. Les États-Unis refusèrent. Il estintéressant de noter qu’il n’y eut aucun gradé parmi les victimes. Tous les officiers du Maine, cesoir-là, étaient à une réception en ville.” Toujours est-il que les États-Unis entrèrent en guerre avecl’Espagne, chassèrent les Espagnols de Cuba et occupèrent l’île sans se préoccuper davantage deslégitimes revendications d’indépendance des Cubains.

En 1914, une grave récession avait frappé les États-Unis. Malgré les déclarations de WoodrowWilson qui avait promis que son pays resterait neutre (“Il est des nations trop fières pour se battre”), les États-Unis avaient besoin de stimuler leur économie grâce au marché des armes. Lorsque, audébut de 1915, le paquebot anglais Lusitania fut coulé par un sous-marin allemand, cent vingt-quatre Américains sombrèrent avec lui. Les États-Unis prétendirent que ce paquebot ne transportaitqu’un chargement inoffensif et que les Allemands avaient commis un crime épouvantable quiobligeait l’Amérique à entrer en guerre. “En fait, le Lusitania transportait bel et bien mille deux centquarant-huit caisses d’obus et quatre mille neuf cent vingt-sept boîtes de mille cartouches chacuneainsi que deux mille caisses de munitions pour des armes de poing. Son manifeste fut falsifiéultérieurement pour dissimuler cette réalité, et les gouvernements anglais et américain mentirent àpropos de sa cargaison.”

Concernant l’entrée en guerre des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, s’il est évidentqu’ils n’ont pas bombardé eux-mêmes Pearl Harbor, il n’en reste pas moins vrai qu’ils ont tout faitpour que le Japon le fasse. Il est désormais certain que Franklin Roosevelt mentit à propos de deuxévénements impliquant des sous-marins allemands et un destroyer américain. L’un des juges duprocès pour crimes de guerre qui se tint à Tokyo après la Seconde Guerre mondiale, affirma que lesÉtats-Unis, en décrétant l’embargo sur le fer et le pétrole qui menaçait l’existence même du Japon,avaient à l’évidence provoqué la guerre avec le Japon et qu’ils avaient espéré que le Japon réagirait.“Les archives montrent qu’une réunion à la Maison-Blanche, deux semaines avant Pearl Harbor,anticipait une guerre et s’interrogeait sur les moyens de la justifier.” Les Japonais ayant attaqué, lesAméricains leur déclarèrent la guerre ; les Allemands déclarèrent à leur tour la guerre aux États-Unis, qui finirent par débarquer en Europe, et l’on connaît la suite…

Au mois d’août 1964, Lyndon Johnson et son secrétaire d’État à la Défense, Robert MacNamara,informèrent la population américaine que des événements tragiques avaient eu lieu dans le golfe du

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Tonkin, pour démarrer une guerre de grande ampleur au Vietnam. MacNamara affirma que, “aucours d’une patrouille de routine dans les eaux internationales, le destroyer américain Maddox avaitété l’objet d’une agression injustifiable” de la part des torpilleurs nord-vietnamiens. “En réalité, laCIA était bel et bien engagée dans une opération secrète dont la cible était les installations côtièresnord-vietnamiennes. Ainsi, s’il y avait bien eu attaque, elle n’était pas “injustifiable”. En outre, leMaddox était en mission d’espionnage. De même, il ne naviguait pas dans les eaux internationales,mais en zone vietnamienne. […] Une autre “attaque” contre un autre destroyer américain, deux nuitsplus tard -agression que Johnson qualifia d’”agression délibérée”- semble également avoir étéinventée de toutes pièces.”

Cette longue série de prétextes et de mensonges -non exhaustive ici- pour satisfaire desintérêts peu avouables, ne manque pas d’interroger. Howard Zinn livre peu d’informationsconcernant les attentats du 11 septembre 2001. L’actualité est encore trop chaude et nous nedisposons pas encore de suffisamment d’éléments pour analyser cet événement de façon à encomprendre clairement les tenants et aboutissants. Toutefois, à la lumière de ce que fut l’histoiredes États-Unis par le passé, il n’est pas interdit de penser que les faits ne se déroulèrent peut-êtrepas de la façon dont les médias, bien aidés en cela par l’Administration américaine, en rendirentcompte. Toujours est-il que désormais, nous savons que les États-Unis sont capables de mentirofficiellement, et de sacrifier un certain nombre de leurs compatriotes pour satisfaire des intérêtséconomiques. Si certains en doutaient encore, l’ouvrage de Zinn leur sera d’une lecture édifiante.

Un ouvrage salutaire

On reste quelque peu assommé après avoir terminé ce livre monumental, impossible à résumer etdont on ne peut évidemment rendre compte dans sa totalité. Face à tant de bassesses, de turpitudes,d’hypocrisie, de soutiens inconditionnels aux régimes les plus malodorants -il y aurait beaucoup àdire sur l’histoire de la CIA-, on est tenté de croire que les États-Unis figurent parmi les États lesmoins fréquentables au monde. Et qu’ils sont même l’État le moins fréquentable, compte tenu durôle de superpuissance mondiale qu’il possède désormais, et de l’influence qu’il exerce sur la totalitédu globe.

Toutefois, le but poursuivi par Howard Zinn n’est pas de détruire son pays. Mais il tientmanifestement à ce que tous ouvrent les yeux sur la réalité de ce que l’on cite toujours comme unmodèle de démocratie, d’intégration et de liberté.

On ne résiste pas ici à l’envie de reproduire dans son intégralité un passage dans lequel l’auteurdécrit ironiquement ce que l’on considère souvent comme des avancées sociales :“N’est-ce pas une formidable idée que de faire payer par la classe moyenne les impôts quigarantiront l’aide sociale apportée aux pauvres ? -ajoutant ainsi la rancœur des premiers àl’humiliation des seconds. Et que dire de la politique qui consiste à déplacer, par l’intermédiaire duramassage scolaire, les écoliers noirs des milieux défavorisés vers les écoles des quartiers blancsdéfavorisés en une sorte d’échange cynique entre écoles de pauvres ? Pendant ce temps-là, lesécoles réservées aux riches étaient protégées, et les fonds publics distribués avec tant de parcimonieaux enfants nécessiteux étaient engloutis dans la construction d’avions de combat coûtant desmilliards de dollars. Ingénieux, également, de répondre aux revendications d’égalité des femmes etdes Noirs en leur accordant de maigres privilèges spécifiques et en les mettant en compétition avectous les autres pour la recherche de ces emplois qu’un système irrationnel et incohérent rendaitextrêmement rares. Pas mal non plus, cette idée de focaliser les craintes et la colère de la majoritésilencieuse sur une classe de criminels, fruits de l’injustice économique toujours produits en plusgrand nombre qu’il n’est possible d’en emprisonner, permettant ainsi de mieux dissimuler legigantesque pillage des ressources nationales entrepris en toute légalité par de nombreux

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dirigeants.”

Dans un autre paragraphe, Howard Zinn offre un concentré de ce que semblent être les U.S.A : “Iln’existe pas d’autres systèmes de contrôle capables d’offrir autant d’opportunités, de possibilités, delatitude, de souplesse et de récompenses aux heureux gagnants de la loterie sociale. Il n’en est pasnon plus qui répartisse ses outils de contrôle de manière aussi sophistiquée -par le vote, lahiérarchie du travail, l’Église, la famille, l’enseignement, les mass-médias-, ni aucun qui ne sacheaussi bien endormir son opposition en faisant quelques réformes, en isolant les individus, en mettantl’accent sur la loyauté patriotique.”

Pour autant, si Zinn dénonce les agissements et les structures politiques et économiques de sonpays, il n’en reste pas moins vrai qu’il éprouve un profond respect pour son peuple -ou devrait-ondire ses peuples ? Tout l’ouvrage en témoigne, en lui donnant la parole, en mettant l’accent sur sesréactions et ses révoltes, bien plus nombreuses et farouches qu’on ne le croit. Car, aussi sophistiquésoit-il, aucun système n’a jamais réussi à se garantir des révoltes populaires. Et aucune élite aupouvoir n’a pu définitivement se prémunir contre cette capacité des gens apparemment désarmés àrésister, des gens apparemment satisfaits à envisager des changements. Pour tous ces gens-là, pources oubliés de l’histoire, il fallait faire un livre. Il fallait écrire une histoire. “Faire cette histoire,c’est retrouver chez l’homme ce formidable besoin d’affirmer sa propre humanité. C’est égalementaffirmer, même dans les périodes les plus pessimistes, la possibilité de changements surprenants.”

On l’aura certainement compris, cette Histoire populaire des États-Unis n’est nullement un brûlotanti-américain, encore moins un manifeste anti-américains. Il est juste un formidable ouvrage quimet en lumière les iniquités d’un système économique aberrant, fondamentalement injuste, racisteet colonialiste : le capitalisme.

Autant dire que l’on ferait œuvre de salubrité publique si l’on imposait sa lecture dans toutes lesécoles de ce monde en proie aux manipulations de toutes sortes. Il n’est pas interdit de rêver…

Serge L.

De Isdud à Ashdod ou comment rayer laPalestine de la carte

Bordeaux est jumelé avec la ville israélienne d’Ashdod depuis plus de 20 ans. Cette ville estl’exemple même de la politique sioniste de destruction de la Palestine et de mystification de sonhistoire. Cette ville a été construite sur les ruines du village palestinien d’Isdud détruit en 1948 parles forces militaires juives lors de la création d’Israël. Ces 4000 habitants palestiniens de l’époquesont tous devenus des réfugiés.

d’après les informations tirées d’un article paru sur IMEMC (International Middle East MediaCenter), le 13 avril 2006 « De Isdud à Ashdod, le rêve d’un colon, le cauchemar d’un réfugié ».

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Traduit et adapté par N. Ollat.

Isdud est l’un des villages auxquels l’ancien ministre de la Défense israélien Moshe Dayan faisaitréférence au cours d’une conférence donnée en 1969 devant des étudiants juifs à Haifa : « Lesvillages juifs ont été construits en lieu et place des villages arabes. Vous ne connaissez même pas lenom de ces villages arabes, et je ne vous en tiens pas rigueur puisque les livres de géographien’existent plus. Au delà des livres, ce sont les villages qui ont disparu. Nahlal a pris la place deMahlul, Kibbutz Gvat la place de Jibta, Kibbutz Sarid celle de Huneifis, et Kefar Yehushua, celle deTal al-Shuman. Il n’y a pas une seule localité dans ce pays qui n’ait pas eu une population arabeauparavant ».En 1948, environ 750 000 Palestiniens ont été forcés d’abandonner leurs maisons dans ce qui estmaintenant Israël, et de devenir des réfugiés en Cisjordanie, à Gaza et dans les pays voisins lors dela formation de l’Etat juif.

L’histoire sioniste d’Ashdod

Jusqu’à la conquête du pays par les les Turcs et la fondation de l’Empire Ottoman, il n’y a aucuneinformation. Les Turcs fondent Isdoud qui est une importante localité arabe et El-Soukrir qui faitfonction de station pour le passage des marchandises. Avec l’arrivée des Britanniques, Isdouddevient une ville importante sur la côte et, à proximité, est construite la gare desservant la ligneLod-Gaza-Egypte. Lors des combats de la guerre d’Indépendance, l’armée égyptienne qui étaitpostée aux abords sud de la ville, fut repoussée par nos forces qui firent exploser le pont Ad Halom,et la localité arabe d’Isdoud fut abandonnée et détruite » extrait du site internet de la ville d’Ashdod.

En 1956, la ville israélienne de Ashdod (transformation du nom arabe de Isdud) a été construite surles ruines du village d’Isdud. La « création » de la ville d’Ashdod sur la ville fantôme de Isdud acommencé par une lettre du ministre israélien des finances, Levi Eshkol, envoyée le 15 mai 1956 àMr Oved Ben Ami, Netanya, et à Mr Philip Klutznik, Park Forest, Illinois, USA, deux hommesd’affaires juifs qui étaient considérés comme des financeurs possibles de la nouvelle ville juive. Dansla partie intitulée « hypothèses », Eshkol a écrit : « selon le plan gouvernemental de judéisation duterritoire (un plan établi par l’un des premiers gouvernements israéliens pour installer la populationjuive sur tout le territoire palestinien), un centre urbain doit être construit dans le sud du pays; lazone la plus appropriée pour cela est celle qui s’étend entre l’ancienne ville d’Ashdod et la côte (ycompris l’emplacement appelé « Wadi Sukari ») et jusqu’aux dunes de Yavneh au nord »

« Quand nous sommes arrivés là, il n’y avait que du sable et la mer, quelques tentes et quelquesbungalows » dit le premier maire de Ashdod. Cette ville comprend aujourd’hui 250 000 habitants.

Mais la ville d’Ashdod représente pour les Palestiniens qui vivaient là depuis des siècles, un lieud’expulsion, de douleur, de sang et de larmes, de séparation des familles, couvre-feu, loi martiale,emprisonnement et départ forcé.

Comment Isdud a été détruite et la population palestinienneprogressivement déportée

Abdullah Zaqut, un habitant du village d’Isdud, expulsé en 1948, raconte :

« Je suis né à Isdud en 1923 ». Environ 4000 personnes vivaient là. Je suis né dans une famille depaysans. Nous avions des terres, des vignobles, des vergers. Isdud était l’un des plus grand village,

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près de 60 000 dunums (6000 ha). La population vivait de l’agriculture. Pendant la seconde guerremondiale, ils ont travaillé dans les camps militaires britanniques. Une vie simple. Les gens n’avaientpas faim. Il y avait beaucoup de vignobles et de vergers ».

« A l’âge de 9 ans, j’ai commencé à aller à l’école. J’ai étudié à Isdud pendant 5 ans, puis à Majdalpendant 3 ans, et à Gaza 2 ans. Ensuite j’ai commencé une formation pour être instituteur. J’ai étéinstituteur à Isdud. Jusqu’en 1948, Isdud était incluse dans la partie palestinienne du plan departition. L’armée égyptienne est arrivée, il y a eu des combats contre les forces britanniques. A lafin de 1948, l’armée égyptienne s’est retirée. Nous sommes restés dans le village et nous avonsencouragé les gens à rester, nous pensions vivre avec les juifs. A Isdud, il y avait environ 4000habitants et 500 sont restés.

« L’armée israélienne est arrivée et a instauré un couvre-feu. Puis des officiers sont venus voir desavions qui étaient tombés. Le jour suivant, ils nous ont dit de nous rassembler dans la rue. Nous nepensions pas qu’ils allaient nous faire prisonniers. Les jeunes âgés de plus de 17 ans ont été faitsprisonniers. Les plus âgés et les femmes ont été expulsés à Majdal ».

« Quelques jours plus tard, des officiers israéliens ont ouvert la route entre Majdal et Gaza. A la finde 1948, il n’y avait plus de majorité arabe. Les Israéliens nous avaient expulsés. Mais personne nedisait que nous avions été expulsés. Ils disaient que les armées arabes avaient appelé la population àpartir, ce qui n’est pas vrai. Ils nous ont expulsés. Ils m’ont expulsé à Majdal. J’ai été enseignant là-bas. Il y avait un gouverneur militaire à Gadera, Zuckerman, qui a essayé de nous aider. Lespersonnes ont commencé à partir. La nuit, il y avait un couvre-feu. Nous vivions dans un guetto.Nous allions travailler sous le contrôle des gardes et nous revenions sous le contrôle des gardes. Lesgens travaillaient, essayaient de vivre. Mais après trois mois, ils ont décidé à nouveau d’expulser lesrésidents. L’armée venait la nuit pour faire peur aux gens. Ils distribuaient de l’argent, ilssoudoyaient les personnes pour qu’elles vendent leurs biens et partent à Gaza. Ceux qui ne voulaientpas aller à Gaza ont été amenés à Lod. Une partie de ma famille est à Gaza.

Au début de 1950, Zuckerman n’a plus été gouverneur. D’autres sont venus. Ils ont décidéd’expulser les gens au début de 1950. Ils ne pouvaient pas officiellement chasser les gens. Israëlétait reconnu par les Nations Unies. J’étais parmi ceux qui étaient opposés à l’expulsion. Nouspensions qu’il y aurait la paix, que les gens pourraient rentrer et que nous pourrions vivre dans nosvillages. Mais ils se sont aperçus que ça ne se passerait pas comme ça. Israël était un état récent. Ilsétaient malins afin que le Monde pense que ce n’étaient pas eux qui forçaient les gens à partir. Ilsn’ont pas agi directement.

« Ils ne m’ont pas laissé enseigner à l’école. Je voulais rester à Majdal. Je ne suis pas parti. Nousétions tout un groupe de jeunes gens instruits opposés à l’expulsion. Je n’ai pas collaboré. Ils m’ontdéporté à Acre. Ils n’avaient encore commencé à expulser les gens. Ils ne le pouvaient pas, le mondeaurait vu. Dans le guetto de Majdal, les gens travaillaient. Des entrepreneurs juifs sont venus pourembaucher les gens. Environ 3000 personnes vivaient dans le guetto. Les juifs ont commencé àarriver à Majdal au milieu de 1949. Les juifs vivaient à l’extérieur du guetto. J’ai travaillé dans leschamps avec des juifs. Les gens de Amal venaient dans le guetto pour prendre le café. En avril 1950,j’ai été déporté à Acre ».

« Nous devions nous présenter tous les jours devant le gouverneur militaire de la Galiléeoccidentale. Chaque village en Galilée avait un gouverneur. Après quelques semaines, j’ai étédéporté à Tarshicha. Le gouverneur militaire m’a conduit de Acre à Tarshicha. Son nom était MosheReiss. Il disait que nous faisions de la propagande contre le gouvernement. Ils m’ont déporté parceque j’étais contre l’expulsion ».

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« Nous sommes arrivés à Tarshicha. Je devais me présenter deux fois par jour au poste de police.Pas de maison, pas de travail, rien et il était interdit de sortir du village. Aller à la police et signer.J’ai demandé où se trouvait la famille Bishara, je cherchais quelqu’un qui une fois avait été reçu dansma famille. Quand Ramlé a été occupé, les habitants se sont pliés aux ordres militaires, malgré cela,ils ont expulsé tous les habitants après quelques jours. Il y avait un homme qui était resté pourréclamer ses terres, et ils l’ont déporté à Tarshicha. J’avais entendu dire qu’il restait avec la familleBishara. J’ai vécu là. Je devais me présenter tous les jours au poste de police ».

« Un jour j’ai entendu dire qu’il y avait une réunion à Pki’in. Je voulais m’y rendre pour avoir desnouvelles de ma femme et de ma fille. Mais c’était interdit de sortir de Tarshicha. Ma femme et mafille étaient restées à Majdal. J’ai réussi à aller à Pki’in. La police est venue à ma recherche, etcertaines personnes m’ont caché chez des paysans. La police ne m’a pas trouvé. Le jour suivant jesuis retourné à Tarshicha. Ils m’ont dit que la police était à ma recherche. Le capitaine m’a dit quej’étais allé à Pki’in et par punition, m’a ordonné de nettoyer les écuries. J’ai refusé, et il m’a battu. Jelui ai dit qu’il devrait payer pour ça. Il m’a ramené à Acre. De là ils m’ont ramené à Tarshicha. J’aiété emprisonné. Dans la soirée, un représentant de l’armée est venu, il s’est excusé pour les coups etm’a dit que je serai libre à condition de ne pas porter plainte devant le parlement ou auprès d’unavocat. Libre d’être à Tarshicha. Si je portais plainte, ils me jugeraient. J’ai accepté. Je suis retournédans la famille Bishara. Je voulais sortir pour travailler, quitter cette prison. J’ai accepté de ne pasporter plainte. Des membres du parti communiste qui voulaient eux que je porte plainte ont alorsposé une question à la Knesset à ce sujet. J’ai donc été jugé et condamné à 4 mois de prison à Jaffa.Je suis sorti en septembre 1950.

« Je suis rentré à Majdal. L’armée contrôlait la ville. J’ai vu des gens avec des meubles et desbagages. Il y avait des gens qui voulaient partir en Jordanie, d’autres qui voulaient rester. Le joursuivant, ils m’ont ramené à Acre et à Tarschida. Je ne m’étais pas présenté au poste de police, j’aitravaillé un peu. En novembre 1950, j’ai reçu une lettre m’apprenant que ma femme et ma filleétaient à Lod. Je suis retourné à Acre afin d’obtenir un permis pour aller les rejoindre. Reiss, legouverneur, était en charge de toute la Galilée. Il m’a dit qu’il me donnerait une maison, et que jepouvais retourner travailler. Je lui ai répondu que tant qu’il porterait un uniforme militaire, jen’accepterais rien de lui. Il m’a remis une lettre. J’ai pu aller à Lod, puis de là à Ramlé où j’ai assuréla direction de la section locale du parti communiste. Je ne voulais pas aller à la prison de Tarshicha.A Tarshicha, j’étais en prison, je ne pouvais pas dépasser les limites du village. A Ramlé j’ai travaillédans l’agriculture, puis dans une usine jusqu’à ma retraite. J’ai élevé 7 enfants. »

« Avant 1948, à Majdal, le tissage représentait une source importante de revenus pour la population.Chaque maison possédait un métier à tisser, et les gens pouvaient vivre de cette activité. Toute lafamille travaillait. Le niveau de vie était bon. Pendant la seconde guerre mondiale, Majdal estdevenue une ville riche, ils avaient permis l’installation d’une usine de tissage en provenance d’Inde.Toute la famille travaillait aux tissages. Il y avait aussi des fermes et des vergers. Une grande villeprospère. Les gens venaient de partout pour le marché et le moulin à farine. Pendant la période sousloi martiale, les gens ont continué à travailler du tissage et de l’agriculture en coopération avecHistadrut (le syndicat national des travailleurs israéliens). Mor, de Histadrut, ne les a pas laisséexpulser les gens. Ils ne pouvaient pas expulser les gens sans leur accord ».

Le sionisme ou la réécriture de l’Histoire

Les Palestiniens, citoyens arabes d’Israël sont ceux qui ont réussi à rester en Israël en 1948. Ilsreprésentent maintenant 20% de la population israélienne. Ils sont soumis à de nombreuses lois etpolitiques discriminatoires. L’enseignement de l’Histoire dans les écoles israéliennes révèleparfaitement le négationisme sur lequel est construit cet état.

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Ce négationnisme concerne toutes les générations d’Israéliens depuis 1948, mais la pression duministre de l’Education, Limor Livnat, est grandissante afin que les écoles insistent sur l’héritage juifet sioniste au cours de la formation des élèves. En rejoignant le gouvernement en 2001, l’une despremières initiatives de ce ministre a été de menacer les écoles arabes de pénalités financières sielles omettaient d’arborer le drapeau israélien ou de jouer l’hymne national chaque matin, faisant fides arguments disant que les paroles de l’hymne et que le symbole de l’Etoile de David excluaientcomplètement les citoyens arabes.

En septembre 2003, ce ministre a pris de nouvelles mesures, demandant à toutes les écoles departiciper à un projet pédagogique « 100 mots pour décrire l’héritage juif, le sionisme et ladémocratie ». Tous les élèves devaient apprendre la vie des personnages juifs importants, y comprisMenachem Begin, Yitzhak Rabin et le Baron Edmond de Rothshild, et ils devaient mémoriser 33mots de base de l’histoire sioniste, comme « Etat démocratique juif », « la Guerre d’Indépendance »,« la loi du Retour [des juifs, ndlt] » et « Fonds national juif ». Ce programme n’avait non seulementaucune réalité pour les élèves arabes, mais il était établi pour exclure leur histoire ».

Depuis 1948 et la création de l’Israël, le Shin Bet, le service de sécurité intérieur, réalise desenquêtes très poussées sur les enseignants arabes; ce qui a eu des conséquences très négatives surl’éducation des populations palestiniennes.

Des enseignants du département des sciences politiques à l’Université de Haifa, ont édité unnouveau manuel scolaire à destination des élèves arabes afin qu’ils puissent apprendre la véritablehistoire de leurs villages comme Isdud. Mais ce nouveau manuel a du être envoyé directement audomicile des élèves, le Ministère de l’Education empêchant son envoi dans les écoles.

En apprenant la publication de ce manuel, le ministre de l’Education a déclaré : « Le Ministère del’Education est seul autorisé à déterminer le contenu des manuels scolaires, et aucune autreinstitution, y compris le comité de contrôle, a autorité pour distribuer du matériel scolaire dans lesécoles arabes. Elle a jouté qu’elle déposerait une requête auprès du tribunal pour déterminer si lapublication de ce livre était légale ou non.

Au même moment, le Ministère de l’Education a publié une circulaire destinée à toutes les écoles, ycompris arabes, demandant de commencer à enseigner l’histoire de Rehavam Ze’evi, le chef du partid’extrême droite Modelet, assassiné par des Palestiniens en octobre 2001. Ze’evi avait de son vivantcontinuellement appelé au transfert ou à l’expulsion des palestiniens des territoires occupés et à des« incitations » pour favoriser le départ des citoyens arabes.

Une loi israélienne a été votée en 2005, pour la création d’un Centre pour l’Héritage de Ze’evi. Cetteloi demande aux écoles de mettre en place un programme en l’honneur de la mémoire de Zeev. Leslégislateurs ont précisé qu’ils n’ ‘étaient pas intéressés par le point de vue politique de l’hommemais qu’ils voulaient enseigner aux enfants, son « amour de la patrie ».

Voilà comment le sionisme a d’abord contribué à rayer concrètement la Palestine de lacarte, puis tente, génération après génération, de réécrire l’Histoire de la Palestine. Lesvilles françaises se jumelant avec des villes israéliennes collaborent à cette politiquenégationiste.