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Une indomptable fiancée - ekladata.comekladata.com/o4nQ5YxPZXs5Ij73Zyw0cp9o-NM/Une_indomptable_fian… · Rocco avait entendu dire par les vieux du village que, quand la mort frappe

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1.

—LeSeigneurnetarderaplusàlerappeleràLui.LevieuxprêtreavaitservidesgénérationsdeMondellidansleurlocaliténataledeVarenna,nichée

auborddu lacdeCôme. Ilpassaunemainauxdoigtsnoueuxdanssachevelureblancheetadressaunregard de compassion aux deux petits-enfants de GiovanniMondelli, personnage emblématique de lamodeitaliennequiallaitbientôts’éteindre.

—Ilestmaintenanttempsdeluidireaurevoir.Sontongravereflétaitlapeineduvillagetoutentier.RoccoMondellieutl’impressionderecevoir

uncoupdepoignardenpleincœur.Songrand-pèrereprésentaittoutpourlui:lepèrequ’iln’avaitpasvraimenteu,sonmentor,sonami,sonconfident.Illuiavaittoutappris,luiprodiguantsesconseilsavisésaprès lui avoir confié la direction générale du groupe familial, et l’aidant à faire de la célébrissimemaisondecoutureitalienneuneentrepriseflorissante,ancréedansleXXIesiècle.

Ilnepouvaitpasl’abandonnermaintenant.Passitôt.Le cœur en staccato,Rocco luttait pour ne pas laisser éclater son chagrin. Sa sœur,Alessandra,

avaitquantàellecapitulé.Leslarmescoulaientsansretenue,baignantsonvisage.Elles’agrippaàsonbras.

—Je…Jen’yarriveraipas,balbutia-t-elle,éperdue.Toutcelaestsisoudain.Rocco déglutit péniblement dans l’espoir de desserrer l’étau qui lui broyait la poitrine. Il se

revoyait à l’âge de sept ans, debout sur le pont du bateau, frissonnant dans son petit costume grisanthracite,tandisquesonpèrerépandaitlescendresdesamèredansleseauxsombresdulac.Ils’étaitditquelavien’étaitpasjuste.Elleluiavaitdonnéunesœur,maisluiavaitrepriscellequ’ilchérissaitalorsleplusaumonde.Etvoilàque,denouveau,elleleprivaitd’unêtreessentielàsonbonheur.

— Si, tu vas y arriver. Il le faut, sorella. Nous ne pouvons pas le laisser partir sans un mot.Ressaisis-toi.Nousn’avonsplusbeaucoupdetemps.

Tremblante,Alessandra se serra contre lui.Orpheline demère dès sa naissance et affublée d’unpère qui avait cherché l’oubli dans le jeu et la boisson, elle était toujours venue trouver réconfort etprotectionauprèsdesonfrèreaîné.

Aujourd’hui toutefois, Rocco ne se sentait pas de taille à la soutenir. Il avait assez à faire pouressayerdenepascraquerlui-même.Ill’écartadoucement.

—Est-ilconscient,docteur?demanda-t-ilaupetithommechauvequisetenaitunpeuenretrait.—Oui,maispluspourtrèslongtemps,jelecrains.Roccopritlamaind’Alessandra.—Allons-y.Ensemble,ilsentrèrentdiscrètementdanslachambredeGiovanni.

Rocco avait entendu dire par les vieux du village que, quand la mort frappe à votre porte, saprésence se sent, elle imprègne tout, jusqu’à l’airquevous respirez. Ici,pourtant, riende tel.Bienaucontraire, l’atmosphère semblait encore chargée de cette belle énergie queGiovanniMondellimettaitdanstoutcequ’ilentreprenait.Roccoavaitl’impressiond’entendreencorerésonnerlerirefranc,àmi-cheminentrelagaietéetl’ironie,desongrand-père.Desentirsonparfumépicéetraffinéflotterdanslapièce.

Toutefois, lavisiondesonaïeulauteintcireux,perdudansunocéandedrapsblancs, luiôtatoutespoir.

—Va,chuchota-t-ilàsasœurenlapoussantendirectiondulit.Alessandras’assitpresquetimidementauborddumatelasetpritlamaindesongrand-pèreentreles

siennes.Celui-cientrouvritlespaupièresetunelarmecoulaàlavuedesapetite-filleauvisageravagéeparlechagrin.

C’enfuttroppourRocco.Ilsedétournaets’approchadelafenêtre,fixantlelacsanslevoir.En apprenant la nouvelle, Alessandra et lui avaient sauté dans un hélicoptère et parcouru les

cinquantekilomètresdepuisMilanenuntempsrecord.Ilétaitmalheureusementdéjàtroptard.Toutelajournée,Giovanniavaitignorélesdouleursquiluicomprimaientlapoitrine.Aprésent,lamédecinenepouvaitplusrienpourlui.

Quelvieilentêté!Siseulementils’étaitsoigné!Maisilavaitsansdoutejugélemomentopportunpourtirersarévérence,àl’apogéedesagloire,justeavantlelancementdelaplussomptueusecollectionautomnehiverquesamaisondecoutureait jamaiscréée.Car legrandcouturiernedédaignaitpas,detempsàautre,unecertainemiseenscène.Ilsavaitaussirecouriràlamanipulationlorsquesesintérêtsl’exigeaient.

Il avait tenubondurantvingt ans, depuis ledécèsdeRosa, lagrand-mèredeRocco, refusantdes’abandonner au désespoir, vivant chaque instant avec intensité. Maintenant, il lâchait prise pourrejoindreenfinl’épousequ’iladorait.

Un sanglot étouffé tira Rocco de ses sombres pensées. Il se retourna au moment où Alessandras’enfuyaitdelachambre.

—Elleauradumalàs’enremettre,murmura-t-ild’unevoixétrangléeparl’émotion.— Je nem’inquiète pas pour elle, lui répondit son grand-père dans un souffle, le simple fait de

parlersemblantluidemanderuneffortconsidérable.Tasœuradel’énergieàrevendre.Viens,assieds-toiprèsdemoi.

Roccoobtempéra.—Nonno…—Chut!Ecoute-moi,miofiglio.Letempspresse.Jen’enaipluspour très longtempset j’aides

chosesimportantesàtedire.Toutd’abord,sachequejesuisfierdetoi.Cequejet’aidonné,tumel’asrenduaucentuple.

Roccosentitsagorgeseserreraffreusement.—Aieconfianceentescapacités,mongrand.Nedoutejamaisdel’amourquej’aipourtoiettâche

decomprendrequej’aiagiuniquementpourtonbien…danstonintérêt.Epuisé,ilfermalesyeux.—Nonno,non!S’ilteplaît.Lespaupièresrougiess’entrouvrirent,maisleregardautrefoissiperçantétaitdevenuvague.—Promets-moideprendresoind’Olivia,marmonnaencorelevieilhomme.—Olivia?Laquestionrestasansréponse.Lespaupièresserefermèrent,cettefoisdéfinitivement.c’enétaitfini

dufondateurdelamaisonMondelliquiavaitrégnésurlemondedelamodeitaliennependantundemi-siècle.Laflammes’étaitéteinte.

Roccoémitungémissementrauqueet,alorsseulement,ils’autorisaàpleurerceluiàquiildevaittout.

***

Rocco réussit à ne rien laisser paraître de sa peine durant la semaine qui suivit le décès de songrand-père.Aidéd’Alessandra,ilentrepritd’organiserlesobsèquesetderéglerlasuccession.Dansuncascommedansl’autre,cen’étaitpasuneminceaffaire.LesMondellipossédaienteneffetdespropriétéset des intérêts financiers dans lemonde entier. Par ailleurs, les funérailles prenaient une ampleur quidépassaitlargementlecadrefamilialetamical.Célébrités,personnalitéspolitiquesenvue,membresdugouvernement:tousceuxettoutescellesqueGiovannihabillaitdepuisdesdécenniestenaientàluirendreundernierhommage.

Sansoublier,biensûr,lestroismousquetaires,troisétudiantsaveclesquelsRoccos’étaitliéd’uneamitié indéfectible dès son arrivée à l’université de Columbia. Réunir le quatuor tenait toujours del’exploit,carsescompèresavaientunagendaaussichargéquelesien.ChristianMarkos,petitgéniedelafinance, se partageait entre sa ville natale d’Athènes et Hong Kong. Stefan Bianco, le beau Sicilienténébreux de la bande, brassait des millions comme spécialiste de l’immobilier de luxe. Bien quedomiciliéofficiellementàManhattan,ilpassaitleplusclairdesontempsàborddesonjetprivéoùilnégociait des transactions portant sur des sommes astronomiques.Quant au cheikh ZayedAlAfzal, ilavaitfortàfairepourmaintenirl’ordreetlajusticedanssonroyaumedeGazbiyaa,perduenpleindésertd’Arabie.

La pensée que ces trois hommes qu’il considérait plus comme des frères que des amis allaienttraverserleglobepourlesoutenirdanscetteépreuveluiréchauffaitlecœur.

Memento vivere, « n’oublie pas de vivre », telle était la devise du groupe. Chacun d’euxl’appliquaitaupieddelalettre,vivantàcentàl’heure,sûrdusoutieninconditionneldesestroisacolytesencasdecoupdur.

—Pouvons-nouscommencer?LavoixdunotaireetamitrèsprochedeGiovanniletiradesarêverie.—Oui,biensûr.Excuse-moi,Adamo.Lejuristejetaunrapidecoupd’œilautestamentqu’ilconnaissaitcertainementparcœurpouravoir

participéàsarédaction.—Giovanni a réparti sonpatrimoine immobilier entreAlessandra et toi, cequi, je le sais, ne te

surprendrapas,puisquevousenaviezdiscutéensemble.TasœurhéritedelavilladeSaint-Barthetdel’appartementdeParis;toi,delaVillaMondellietdel’appartementdeNewYork.

Roccone fut effectivement pas étonnéde ce partage.Alessandra, que sonmétier de photographeentraînait aux quatre coins du globe, avait toujours prétendu que la propriété familiale était bien tropgrandepourelleetqu’elleyerreraitcommeuneâmeenpeinesijamaiselledevaityvivreseule.Rocco,enrevanche,adoraitcelieu.C’étaitsonrefuge,sonpointd’ancrage.

—Etmonpère?— Pour lui, il n’y aura pas de changements. Giovanni a laissé une coquette somme destinée à

Sandro.Chargeàtoidegérercetargentselonvosarrangementsactuels.Roccoacquiesçad’unsignedetête.Depuisdesannées,sonpèrerésidaitgratuitementdansunappartementenpleinMilanet recevait,

chaquesemaine,dequoisenourriretsubveniràsesbesoins,cequipourluiconsistaitàselivreràsonpasse-temps favori : le jeu. Souvent, il perdait son allocation hebdomadaire en une seule nuit à laroulette,etvenaitquémanderunsupplément.Encasderefus, ilselivraitalorsàtoutessortesd’excès,comme cette fois où il était arrivé à la soirée du vingt-cinquième anniversaire d’Alessandra

complètement ivre.S’excuserait-il, un jour, d’avoirdilapidé sa fortuneaupointdedevoirvendre leurmaisonetdeperdrelagardedesesenfants?Roccol’avaitlongtempsespéré;maintenant,iln’ycroyaitplus.

—Giovanni possédait un autre pied-à-terre àMilan qui ne figure pas dans l’héritage. Il l’avaitachetél’andernier.

—Commentcela?Songrand-pèren’aimaitpashabiterenville,préférantrentrerchaquesoiràlavillaenvoitureouen

hélicoptère.Adamorougitlégèrementsoussonhâle.Ilsemblaitembarrassé.— L’appartement est au nom de Giovanni, mais c’est une femme qui l’occupe. D’après mes

informations,ils’agiraitd’unecertaineOliviaFitzgerald.—Lemannequin?—Apriori,oui.Iln’apasétéfaciled’obtenirdesrenseignements,carelleutiliseunfauxnom.Roccotombaitlittéralementdesnues.Topmodelparmilesplusdemandés,OliviaFitzgeraldavait

signéavecungroupedecosmétiquesfrançaisavantdedisparaîtreunanplustôt,rompantsoncontratdefaçonunilatérale,lequelnereprésentaitpasmoinsdetroismillionsdedollars.Lespaparazzisl’avaientrecherchéeenvain.

EllesecacheraitdoncàMilan,chezGiovanni?—Faut-ilendéduirequ’ilsavaientuneliaison?s’enquitRocco,incrédule.—Jen’enaipas lacertitude, réponditAdamo, levisagedeplusenplusempourpré.Néanmoins,

toutporteàlecroire.D’aprèslesvoisins,Giovannirendaitvisiterégulièrementàlajeunefemme,lesoirengénéral.Ilssortaientparfoisdîneraurestaurant,brasdessus,brasdessous,sanscrainteapparemmentduqu’en-dira-t-on.

Rocco semassa les tempes, tentant de refouler la colère et le dégoût qui l’envahissaient. Il n’enrevenaitpas.Commentsongrand-père,unhommequiavaitlargementdépassélessoixante-dixans,avait-ilpuprendrecommemaîtresseunefemmedevingt-cinqanstoutauplus?Et,quiplusest,uneadeptedessoiréesdébridéesquidépensaitsonargentplusvitequ’ellenelegagnait?Celaparaissaitimpensable.

Etpourtant…«Promets-moideprendresoind’Olivia.»N’étaient-cepaslesmotsprononcésparlevieilhommejusteavantderendresonderniersoupir?

Cristo ! Hors de question de laisser cette intrigante qui n’en voulait qu’à l’argent des Mondelli sepavanerchezlui!

—Communique-moi les renseignements dont tu disposes à son sujet. Jeme charge de régler ceproblème.

—Entendu.Maiscen’estpastout.—Perfavore,nemedispasquemongrand-pèreentretenaitunharem!—Non,riendetel,lerassuraAdamoavecunsouriretoutefoisgêné.—Alors,quelleestl’autremauvaisesurprise?—Giovannit’aléguécinquantepourcentdespartsdugroupeMondelli.Lesdixpourcentrestants

reviennent temporairement à Renzo Rialto. Celui-ci te les restituera au moment qu’il jugera le plusopportun.

Abasourdi,Roccos’efforçad’encaissercenouveaucoup,plusterribleencorequeleprécédent.Enagissant ainsi, songrand-père le privait du contrôle de l’entreprise familiale et le livrait enpâture auconseild’administration.Etpourcouronnerletout,ilconfiaitlesdixpourcentquiluiauraientgarantilepouvoirauprésident,unhommequi,manifestement,neleportaitpasdanssoncœur.

—Giovannijugeaitpréférabledenepastetransférertropderesponsabilitésd’uncoup.Ilvoulaittedonnerletempsdetrouvertesmarques.

—Trouvermesmarques!?Cette fois, la colère s’étaitmuéeenune rage sourde, attiséepar ladéception, la frustration. Il la

sentaitpulseràtraverstoutsoncorps.—Silasociétéconnaîtunenotoriétémondiale,c’estgrâceàmoietàpersonned’autre.C’estmoi

quiaipoussépourdévelopperlesventesàl’international.Moiquiaimoderniséunemaisondecouturecertesflorissante,maisqui,àl’époqueoùj’aiprismesfonctions,secontentaitdumarchéitalien.Alors,qu’onneviennepasmeparlerde«trouvermesmarques»!

Adamolevalesmainsdansungested’apaisement.—Reconnais toutdemêmeque tuasunefâcheuse tendanceàenfreindre lesrèglesfixéespar les

administrateursetàtemoquerdeleursconseils.—Parcequeleursdirectivessontarchaïques.Cesgenssecomportentcommedesdinosaures.Sans

moninitiative,nousaurionseudumalàfranchirlecapduXXIesiècle.—Jesuisd’accordavectonanalyse.Toutefois,leconseilnepartagepasforcémentcepointdevue.

Bonnombre de sesmembres s’accrochent à leurs idées conservatrices et ont la nostalgie des vieillesrecettes qui ont jadis contribué au succès du groupe. Tu vas devoir faire preuve de finesse pour lesconvaincre.

De finesse ? En réalité, ce dont ces diplodocus avaient besoin pour bouger, c’était d’un bonélectrochoc!

—Quiplusest,tavieprivéeleurposeproblème.Ilsneteconsidèrentpascommelecandidatidéalpourdirigerl’entreprisedanslerespectdesprincipesmorauxquil’onttoujoursguidée.

—Net’aventurepassurceterrain!grondaRocco.Cettefois,Adamosoutintsonregardsansciller.—Lasituationétaitdélicate,tunepeuxlenier.—Celanejustifiepasunecondamnationsansappeldeleurpart.—Ils’agitdel’époused’unjuge.Etpuis,ilyal’enfant.—Quin’estpasdemoi,précisaRocco.L’analyseADNl’aprouvé.— En effet. Trop tard, malheureusement, pour permettre d’étouffer le scandale. Cette histoire a

causédu tortà l’imagede lamaisonMondelli.Tuavancesparfois tespions tropvite, sansprendre lereculnécessaire.Or,lesadministrateurscraignentqu’avecladisparitiondetongrand-pèrecedéfautnes’accentue.

VoilàdoncpourquoiGiovanniavaitjugébondeluiaffecterunbaby-sitter!Afindel’empêcherdedéraper.Cetteidéeluidonnaitenvied’exploser.

—Lafemmedont tuparlesauraitpum’aviserqu’elleétaitmariée.Parailleurs, jesuisdirecteurgénéraletjen’aiquefairedesopinionsd’unebandedenotablesengluésdansleurconformisme.

Adamohaussalesépaulesavecfatalisme.— Dommage, car tu ne pourras pas te dispenser de leur aval. Tes cinquante pour cent ne te

permettrontpasdepasserenforce.LaclédupouvoirrésideentrelesmainsdeRenzoRialto,leseulàmêmedechangerlasituationàtonavantage.

Roccoselevaets’approchadelabaievitrée.«Tâchedecomprendrequej’aiagiuniquementpourtonbien»,luiavaitditsongrand-pèreavantde

mourir.Ilavaitbeaus’yefforcer,iln’yparvenaitpas.C’étaitcommesiGiovanniavaitvoululuifairepayer

despratiquescommercialesunpeutropagressivesàsongoût,lepunirpoursesnombreuxsuccèsauprèsdes femmes. Pourtant, il avait toujours veillé à séparer vie privée et mission professionnelle— unemissionqu’ilavaitréussieau-delàdetouteslesespérances.Cettedéfiancen’allaitpasaveclediscoursqueluiavaitservisongrand-père:«Sachequejesuisfierdetoi.Cequejet’aidonné,tumel’asrenduaucentuple…»

Toutcelan’avaitaucunsens.A moins qu’échaudé par l’échec de Sandro Giovanni ait préféré répartir les responsabilités ?

S’imaginait-ilquesonpetit-filsrisquaitluiaussidecraquer?—Jen’airiendecommunavecmonpère,déclaraRoccoàvoixhaute.—Jelesais.Enrevanche,tucumuleslesconquêtesfémininescommelui,lesdettesdejeu.—Monpalmarèsestlargementexagéré.—Pastantqueça.N’oubliepas,mongrand,quejet’aivunaîtreetquejeteconnaisbien.—Quedevrais-jefaire,àtonavis?Memarier?—Ce serait une excellente chose, en effet.Celaprouverait que tu asmûri, que tu es capablede

t’engagerdansunerelationdurableetdefonderunefamille.—N’ycomptepastrop,répliqua-t-ilsèchement.Enavons-nousterminé?—Presque.Ilspassèrentenrevuelesdispositionsmineuresdutestament,puisRoccopritcongédunotaire.Ils’engouffradanssoncoupésportLamborghini,unpetitbijouauqueliltenaitcommeàlaprunelle

desesyeux.Ilallaittoutd’abordrendreunevisitedecourtoisieàRenzoRialto.Ensuite,ils’attaqueraitausecondproblème:OliviaFitzgerald.

2.

Roccos’attendaitàtrouverunejoliefemme.Ilavaitadmirélevisageauxtraitsréguliersencadrésd’unecascadedecheveuxblonds,lesyeuxlumineuxetlecorpsauxformesvoluptueusesdesdizainesdefoissurlespagesglacéesdesmagazinesousurlespanneauxd’affichageunpeupartoutenville.Or,laréalité dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer :OliviaFitzgerald était tout simplement d’une beautéstupéfiante.

Maiscequilesurpritencoredavantage,cefutsapropreréactionenvoyantcettesuperbecréature,sansfardnimaquillaged’aucunesorte,vêtued’unsimplejogging.Elleexerçaaussitôtsurluiuneréellefascination.

La jeune femmebuvaitunverre avecdeuxamies—visiblementdeuxbelles Italiennesà lapeaumateetàlacheveluresombre—àlaterrassed’unetrattoriainstalléeaubordd’undescanauxmilanais.Quantà lui, ilavaitprisplaceàunepetite table légèrementenretrait,maissuffisammentprèspour luipermettred’entendrelesondesavoix,d’observerl’éclatparticulierdesesyeuxdontlebleuévoquaitceluideslacsdemontagne.

Pasdedoute,cettefilleavaituncharmefou,etellelesavait.ElleavaitdûendéployerdestrésorsdeséductionpourconvaincreGiovannid’acheterunappartementd’unevaleurdetroismillionsd’euros,lelongducorsoVenezia!

Ilsentitsonhostilitégrandir.Elle avaitmanifestement repéré qu’il s’intéressait à elle, car ses compagnes coulèrent un regard

amusédanssadirection,l’obligeantàseconcentrersurlacarte.Ilcommandaunverredevin.LedétectiveprivédontAdamoavaitlouélesservicespourdécouvrirl’identitédelajeunefemme

s’étaitrévéléunemined’informations.OliviaCampbell—ainsiqu’ellesefaisaitdésormaisappeler—n’avaitguèredeviesociale.Ellepassaitleplusclairdesontempsenferméechezelle.Enrevanche,touslesjeudissoir,elleserendaitàuncoursdeyogaavecsesamiesetterminaitlasoiréedanscettetrattoriadesNavigli.

Ensomme,unevieapparemmentsanshistoires.UnechancequeRoccoconnaisse lespatronsdecetendroit trèsbranché.Sinon, iln’aurait jamais

réussi à obtenir une table aussi bien placée. Au départ, il avait envisagé d’aller débusquer la belleintrigantedanssonluxueuxcocon,puisils’étaitravisé,optantpouruneapprochemoinsdirectequiluidonneraitl’occasiond’observerlajeunefemmeavantdel’aborder.

Apriori,ladisparitiondesonprotecteurnel’avaitpasaffectéetantqueça.Elledevisaitavecsescopines,etletondelaconversationsemblaitplutôtléger.S’apprêtait-elledéjààfondresurunenouvelleproiepourremplacerceluiquiavaitprématurémenttirésarévérence?Voilàpourquoielleluilançaitdesœilladesdemoinsenmoinsdiscrètes.Aprèslegrand-père,lepetit-fils!

Roccoadressaunsourireforcéàlaserveusequivenaitdeluiapportersonverre.Ilbutunelonguegorgée. Il ne s’était jamais senti d’unehumeur aussimassacrante.D’autantque sa réunionavecRenzoRialtoluiavaitlaisséungoûtamer.Ils’étaitpasséexactementcequ’Adamoavaitprévu.Rialton’avaitpas caché ses doutes sur la capacité deRocco à agir avec discernement sans le soutien deGiovanni.« Pose-toi un peu, lui avait-il dit. Prouve-moi que tu as lamaturité suffisante pour assumer l’entièreresponsabilitédugroupeetjetelaconfierai.»

Roccoserradespoingsrageurs.Seposer?Sicevieilarrogant,imbudesapersonne,espéraitleconvaincrederenonceràsaviede

célibatairepoursepasserlacordeaucou,ilenseraitpoursesfrais!CarRoccoavaitbienl’intentiondeprofiterdesplaisirsdel’existencelepluslongtempspossible.

D’ailleurs,OliviaFitzgeraldallaitluienfournirl’occasionsouspeu!

***

Ilavaitmanifestementflashésurelle.Olivias’évertuaitàfeindrel’indifférence,maiscommentresterdemarbresousleregardténébreux

de ce bel Italien d’une rare élégance ? Pourquoi éprouvait-elle un tel trouble ?Dans le cadre de sonmétier,elleavaitpourtantcôtoyédesapollonsdetoushorizonsetaucun,jusqu’àprésent,n’avaitsuscitéen elle une réaction aussi instantanée. Elle en avait presque honte, sans compter que sa tenuevestimentairenelamettaitpasàsonavantage.

L’aurait-elle déjà rencontré quelque part ? Le visage racé et viril de cet homme lui semblaitfamilier. Peut-être s’agissait-il d’un mannequin avec lequel elle avait travaillé ? Non, impossible. Iln’étaitpasdeceuxqu’onoubliefacilement.

Violettaétouffaunbâillement,rejetasescheveuxenarrièreetvidasonverred’untrait.—Ilfautquejerentrepourréviser.Cen’estpasjuste,ajouta-t-ellesurletondelalamentation.Ce

typetedévorelittéralementdesyeux.C’estcommesiSophiaetmoiétionstransparentes.— Pas étonnant ! renchérit celle-ci, moqueuse, Olivia est une vraie déesse. Et puis, c’est bien

connu,lesItaliensontunfaiblepourlesblondesauteintdelaitetauxgrandsyeuxd’azur.—Tandisquemoi,j’envievotrepeaumateetlumineuse.—Jedoispartir,moiaussi,déclaraSophiaenattrapantsonsacdesport.—Vousn’allezpasmeplanterlà,touteseule!protestaOlivia.—Jetepariequetuneleresteraspaslongtemps,rétorquaViolettad’unevoixmalicieuseenjetant

uncoupd’œilappuyéendirectiondel’inconnu.Ilestsubjuguépartoi,mabelle.Alors,lâcheprise,Liv.Ilatoutpourplaire:unphysiquerenversant,unregarddebraiseetuneRolexquivautcertainementdanslesvingt-cinqmilleeuros!Depuisquenousnousconnaissons,tun’asencorejamaisregardéunhomme.Or,celui-ciméritelecoupd’œil.

Lesdeuxjeunesfemmesréglèrentleursconsommations,selevèrentetsedirigèrentverslabouchedemétro,nonsansavoirpriéOliviadelesappelerpourleurraconterdesdétailscroustillants.

Olivianeleurferaitpasceplaisir,carellen’avaitaucuneintentiondes’attarder.Cesoir,elleétaitsortiedansl’uniquebutdesechangerlesidées.SansGiovannipourl’aideràseconstruireunenouvellevie, elle se sentait à la dérive. La disparition de son mentor avait creusé un vide immense en elle.Ensemble,ilsavaienttravailléàlacréationdesacollectiondeprêt-à-porterhautdegamme.Illuiavaitappristouteslesastucesdumétierdestyliste.Ill’avaitencouragée,guidéegrâceàsesconseilsavisésetàsonexpérience.Etmaintenant,elleseretrouvaitlivréeàelle-même.

Laséancedeyogaetlacompagniedesesamiesavaientréussiàdissiperquelquepeusatristesseetsonanxiété,lesquellesrevenaientenforcedepuisleurdépart.

Olivia explora son sac àmain à la recherche de son porte-monnaie.La précarité de sa situationfinancièreactuelleachevaitdeluisaperlemoral.Cen’étaitpasaveccequ’ellegagnaitcommeserveusedansuncaféqu’ellepourraitpayerunloyer,etencoremoinscontinueràvivredansl’appartementmisàsadispositionparGiovanni.Cedernier avaitgénéreusement subvenuà sesbesoinsdurantunan,maiselleavaittenuàassurerunjobd’appoint.Ilenallaitdesadignité.

Inutiledecéderàl’angoisse!Elletrouveraitunesolutionpours’ensortir,commetoujours.Une ombre se dessina sur la table. Olivia vit apparaître une paire de chaussures italiennes

manifestementtrèscoûteusesdanssonchampdevision.Ellerelevalatête.—Bonsoir.Deprès,ilétaitencoreplusbeau,avecsonregardtrèsbrunauquellalueurdeschandellesdonnait

desrefletsambrés.Grand—pasloindumètrequatre-vingt-dix,estimaOliviad’unœilexercépardesannéesdemannequinat—,etparticulièrementbienbâti.

—Puis-jem’asseoir?demanda-t-ildansunanglaisabsolumentparfait.Ilavaitdûremarquerqu’elleparlaitl’italienavecunlégeraccent.—Jem’apprêtaisàpartir,répliquaOlivia,malàl’aise.— Jemeurs d’envie de vous offrir un verre, insista-t-il en lui adressant un sourire éblouissant.

J’étais venu ici pour profiter du crépuscule,mais au lieu d’admirer le paysage, je n’ai fait que vouscontempler,vous.

Ellesentitsoncœurs’emballeretunerougeurintempestivegagnersesjoues.Unevraiemidinette.C’étaitpathétique!Cetinconnucherchaitsansnuldouteuneaventured’unsoir.

—Jedoisvraimentrentrer…Ilesttard,objecta-t-ellesansgrandeconviction.—S’ilvousplaît!Justeunverre.Iln’estque21heures,autantdireledébutdelasoiréeenItalie.Etait-ceparcequelamortdeGiovannil’avaitrenduevulnérable,ouparcequ’elleétaitpersuadée

quecethommebeaucommeundieun’avaitpasbesoindedragueràlaterrassed’uncafépourfairedesconquêtes?Toujoursest-ilqu’elles’entenditrépondre:

—Jevousenprie,asseyez-vous…Il obtempéra. A peine leva-t-il le doigt que la serveuse accourut. Il commanda deux verres de

chiantidansunitalienrapideetchantant.Pouruneraisonobscure,Oliviasesentittoutdesuiteplusdétendue.Lacompagniedecetétranger

avaitquelquechosederassurant.—Etes-vousunhabituédelatrattoria?—L’établissementappartientàdevieuxamis.Jem’appelleTony.—Etmoi,Liv.Elleserralamainqu’illuitendait,soulagéequ’ilnel’aitpasreconnue.—Jolinom.Vosamiessontpartiesprécipitamment.J’espèrenepaslesavoirfaitfuir.—Jecrois,aucontraire,quevousn’attendiezqueça.— Touché ! admit-il avec un sourire enjôleur. Voilà ce que j’aime avec vous autres, les

Américains:vousn’yallezpasparquatrechemins.Vousfaitespreuved’unefranchisedésarmante.—Monaccentnew-yorkaisest-ilsiévident?—Jelereconnaîtraisentremille.J’aieffectuémesétudessupérieuresàl’universitédeColumbia.—Ah,jecomprendsmieux…Permettez-moidoncdememontrerdirecte:pourquoivenirseulici?

D’ordinaire,lesclientss’yretrouventplutôtentreamis.Unelueurétrangetraversaleregardténébreux.—Jecherchaisdesréponsesàcertainesquestionsquejemepose.—Etvouslesaveztrouvées?s’enquit-elle,intriguée.—Possible.Ill’examinaitd’unregardinquisiteur,commes’ilessayaitdelireenelle.

—Etvous,Liv,quefaites-vousdanslavie?Ellehésita.DepuissonarrivéeàMilan,unanplus tôt,ellen’avaitparlédesonprojetqu’à trois

personnes:Giovanni,biensûr,ViolettaetSophia.—Jesuiscréatricedemode.Jetravailleactuellementsurmapremièrecollection.Ileutl’airàlafoissurprisetintéressé.—Envisagez-vousdecollaboreravecunemaisondecoutureitalienne?—C’esteneffetmonobjectif.—Oùavez-voussuivivotreformation?— A New York, au Pratt Institute. Vous le connaissez ? ajouta-t-elle en voyant son expression

visiblementimpressionnée.—Deréputationseulement.—Pourquoiavoirchoisidevouslanceràl’étrangeretnonauxEtats-Unis?Pourtournerlapageettenterd’oublier.Maiscela,iln’avaitpasbesoindelesavoir.—Pourprendreunnouveaudépart,secontenta-t-elled’expliquer.—Enmatièredemode,Milanestlavilleparfaitepourselancer.Ilsouritàlaserveusequileurapportaitleursconsommationsetattenditqu’elleaittournélestalons

pourleversonverre.—Auxnouvelles…amitiés.Ellel’imitatandisquesonpoulss’accélérait.—Etauxréponsesquevousespéreztrouver.—Cetterencontreconstituepeut-êtrelameilleured’entreelles,dit-ilavecunsourireénigmatique.Troublée, elle but une gorgée de chianti pour se donner une contenance. Il s’agissait d’un bien

meilleurcruqueceluiqu’elleavaitcommandéprécédemment.—Avez-vousdéjàapprochédesmaisonsdecouturelocales?— Oui. J’avais posé quelques… jalons, mais un douloureux événement a stoppé net ce projet.

Maintenant,jenesaispastrèsbiencommenttoutcelavatourner.—Jesuissûrqued’autresopportunitésseprésenteront.—Et je compte bien les saisir. Je ferai tout ce qui est enmon pouvoir pour réalisermon rêve,

répliqua-t-elle.—Jen’endoutepasuninstant,commentasoninterlocuteur.Savoixétaitsoudaindevenuesèche,etl’expressiondesonvisage,crispée.—Avotretourdemeparlerdevous!lançaOliviapourdétendrel’atmosphère.Dansqueldomaine

travaillez-vous?—Les affaires. Jem’évertue à rendre rentables les idées de génie des créatifs, précisa-t-il, de

nouveausurletondel’humour.Décidément,cethommeavaitledondesoufflerlechaudetlefroid.—Nevousmoquezpas,carlemondeseraitbienternesanseux.—Toutàfaitd’accord.Unsilencepesants’installaentreeux.Tony,trèsàl’aise,nelaquittaitpasdesyeux.Quantàelle,

elle cherchait désespérément quelque chose à dire. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas flirtéqu’elle ne savait plus comment s’y prendre. La dernière fois, c’était avecGuillermoVillanueva. Elleavait rencontré le photographe lors d’un défilé demode et avait vécu quelque temps avec lui,malgrél’absencedepassionqu’elleéprouvaitàsonégard.Leurrupturedataitdeplusd’unan.Depuis,elletenaitleshommesàdistance.

—Avez-vousdîné?s’enquitTony.Laquestionlapritdecourt.

—Jecomptaislefaireenrentrantchezmoi.Ilparcourutlacarteet,sanslaconsulter,commandaunassortimentd’amuse-bouche.Curieusement,

elle,quiplaçaitsonindépendanceau-dessusdetout,nes’enoffusquapas.Pireencore:cetteinitiativelaséduisit. En fait, tout chez Tony lui plaisait : son physique viril, ses manières élégantes, jusqu’à saconversation qui démontrait un quotient intellectuel nettement supérieur à la moyenne et une cultureapprofondie.Toutengrignotant,ilsparlèrentpolitique,littérature,musique…

—Pourquoiavoirchoisil’universitédeColumbia?demanda-t-elleenfin.Avez-vousdelafamilleauxEtats-Unis?

—Commevous,j’avaisbesoindechangerd’air,dedéployermesailes.NewYorkcorrespondaitparfaitementàmesaspirations.

—Etvousêtesdoncdevenuunasdelafinance,habituéàbrasserdesfortunes,plaisanta-t-elle.—Un as, je n’irais pas jusque-là. En revanche, il est vrai que certains contrats se chiffrent en

millions.Elle se surpritunenouvelle foisà fixer sabouche.Queleffetcela ferait-ilde l’embrasser?Bon

sang, elle délirait complètement ! Furieuse contre elle-même, elle reposa son verre vide d’un gestebrusque.

—Unautre?—Nonmerci.Jedoisrentrer.J’aiunelonguejournéedetravailenperspective,demain.—Danscecas,jevousraccompagne.Ildemandal’addition.—Cen’estpaslapeine,jevousassure,murmura-t-ellealorsqu’ellemouraitd’envied’accepter.Ilinterprétasansdoutesaréticencecommeunepreuvedeméfiance,carilsetournaverslaserveuse

pourobtenirsonsoutien.—Cecilia,j’aimeraisescortercettejeunefemmejusquechezelle.Auriez-vouslagentillessedeme

recommanderauprèsd’elle?LajeunebruneéclataderireetsetournaversOlivia.—Vousn’avezrienàcraindredecemonsieur,jevousleconfirme.Aenjugerparl’émoiqu’ilsuscitaitenelle,Olivian’enétaitpassisûre!Néanmoins,ellecédaetle

suivit jusqu’à une rue adjacente où se trouvait garé un superbe bolide jaune. Galant, il lui ouvrit laportièreetl’aidaàmonter.Ellefrémitaucontactdesamainsursonbras.

Lorsque lecoupésportdémarradansun rugissementdemoteur,elleéprouvaunesorted’ivresse.Elle avait l’impression de revivre, après desmois passés à tenter de se reconstruire, de chasser lescauchemarsetlessouvenirsdouloureux.

Quiétait-elleaujourd’hui?Ellenelesavaitmêmepas.Tony ne parla guère durant le trajet. Il semblait connaîtreMilan comme sa poche, navigant sans

hésiterdanslesruesduquartierhuppéquireliaitlecorsoVeneziaàlaViaPalestro.Oliviaéprouvaunecurieuseémotionlorsqu’ilslongèrentlesavenuesélégantesdufiefmilanaisde

la mode, bordées de beaux bâtiments baroques et néoclassiques. Parmi ces splendeurs figurait lesplendide palais qu’elle admirait depuis sa terrasse à chaque fois qu’elle s’accordait une pause pourboireuncaféetnourrir lesoiseaux. Ici,elle sesentaitchezelle,et laperspectivededevoirpartir luivrillait le cœur.Elle s’y était réfugiée après queNewYork fut devenupour elle uneprison et, quandGiovanniluiavaitmontrél’appartementqu’ilvenaitd’acquérir,elleavaiteulecoupdefoudre.

Tonys’engageadansl’alléedel’immeuble.—Ya-t-ilunparking?Jetiensàvousraccompagnerjusqu’àvotreporte.Ellesentitsonestomacsenouerd’appréhension.Jamaisencoreellen’avait invitéunhommechez

elledèsleurpremièrerencontre.Etpourtant…

— Il y a un parking souterrain là-bas, s’entendit-elle répondre, la bouche sèche, en indiquantl’entréesituéeàl’extrémité.

Tonygarasonvéhiculeàlaplacequi,ilyapeu,accueillaitquotidiennementoupresquelavoituredeGiovanni,puisillasuivitdansl’ascenseur.

—Belendroitpouruneartistedébutante,commenta-t-ilnonchalamment.—Unamimeprêtaitsonappartement.Ilarqualessourcils.—Unami?—Pas un petit ami, si c’est ce que vous voulez savoir, précisa-t-elle, notant au passage le ton

légèrementagressifdesoninterlocuteur.—Unhommeneprêtepasunappartementdeplusieursmillionsd’eurosàunefemmesansavoirune

idéederrièrelatête.—Ehbienlui,si!Heureusement,lacabines’immobilisaaudixièmeétage,coupantcourtàlaconversation.—Mevoiciarrivée.—J’insistepourvousescorterjusqu’àvotreporte.Le cœurbattant la chamade, elle introduisit la clédans la serrure, puis se retournapourprendre

congédeTony.Ilsetenaitàunmètred’elleàpeineetcetteproximitéachevadeladéstabiliser.—Merci,balbutia-t-elled’unevoixétranglée.Illuiadressaunsourireravageur.—Vousnemeproposezpasunexpresso?Elleeutl’impressionquesesjambesnelaportaientplus.—Je…jenesaispas.La bienséance aurait voulu qu’elle réponde par la négative,mais le charme deTony semblait la

priverdetoutevolonté.—Liv,s’ilteplaît.Etait-ceparcequ’ilétaitpasséaututoiementouparcequ’ilavaitfranchiladistancequilesséparait

encore?Ellecéda,etquandilsepenchaverselle,ellen’essayapasdes’esquiver.Ilposaseslèvressurles siennes. Sa bouche était à la fois douce et exigeante. Leurs langues s’unirent dans une danse d’unérotismefouetellesutalorsavecunecertitudeabsoluequesaraisonavaitperdulapartie.

Lorsqu’iltournalaclédanslaserrurepourouvrirlaporte,ellenesongeamêmepasàprotester.UnepetitevoixsoufflaitàRoccoqu’iln’avaitpasbesoindepoussercepetitjeuplusloin.Ilavait

obtenulapreuvequ’ilcherchait :malgrésesréticencesinitiales,OliviaFitzgeraldétaitprêteà tomberdanslesbrasd’uninconnupossédantunemontredeluxeetunevoituredesportpourtenterd’échapperàsa situation précaire.La vulnérabilité qu’il percevait pourtant en elle n’avait pas à entrer en ligne decompte.Ils’agissaitsansdouted’unecomédiesoigneusementmiseaupoint.

Lapartiemoinsrationnelledesoncerveauluidictaitnéanmoinsdepoursuivrecettemascaradepourenavoirlecœurnet,pourdécouvrirjusqu’oùiraitlajeunefemme.

Roccoposaletrousseaudecléssurlaconsoledel’entréeetrefermalaportederrièreeux.—Toutbienréfléchi,jemepasseraisvolontiersdecafé.Pastoi?Ellesecontentadehocher la tête,adosséecontre lemur, lesbrasballantscommesielle ignorait

quellecontenanceadopter,sespetitesdentsblanchesmartyrisantsalèvreinférieure.Ils’approchaetplaqualesmainsdepartetd’autredesonvisage.Commentpouvait-iléprouverun

désir aussi fort, sachant qui elle était et ce qu’elle avait représenté pour son grand-père ? C’étaitinconcevable.Choquant,même.

Pourtant,ilavaituneenviefolledelatoucher,desentirleparfumdesoncorps.Ilglissalesdoigtssous sonT-shirt et caressa lapeaude sonventre, douce commede la soie.Olivia avait dequoi faire

perdrelatêteàn’importequelhomme,mêmeleplusraisonnable,àcommencerparsongrand-pèrequines’étaitjamaisintéresséàunefemmedepuislamortdesaRosa.Ellepoussaunsoupiretfermalesyeux,attendantvisiblementqu’ill’embrasse.

—Tuaslepouvoird’envoûterleshommes,ettulesais,n’est-cepas,Liv?murmura-t-ilcontresabouche.

Ellearqualessourcils,entrouvritleslèvres,etilenprofitapours’enemparer.Toutd’abord,illasentitseraidirpuis,trèsvite,ellesedétenditetréponditàsonbaiser.

—Lèvelesbras,ordonna-t-ild’unevoixrauque.Elleobtempéraetgardasonregardrivéausientandisqu’illuiôtaitsonT-shirt.Sonbusteminceaux

seinsfermesetaumaintienaussidroitqueceluid’unedanseuseévoquaitunesculpture.Incapablederésisteràtantdebeauté,Roccosepencha.Ilsaisitentreseslèvresl’unedespointes

rosetendrequisetendaientverslui.Ilsemittouràtouràlacaresseretàlatitillerdelalangue.Oliviapoussauneplaintedevoluptéetilsentitsonpropresexesedurcirdavantagejusqu’àendevenirpresquedouloureux.

—Tony,gémit-elleàsonoreille.Ilne fallutpasplusquecetaveude redditionpourqueRocco reprennebrutalementpiedavec la

réalité.Ilavaitlaconfirmationdecequ’ilpensait.—Danslavraievie,jem’appelleRocco,déclara-t-ilens’écartant.Ilvitlastupéfactionsepeindresurlevisaged’Oliviadontlesprunellesbleuesvirèrentpresqueau

violet.Dansungesteinstinctif,lajeunefemmesecouvritlapoitrinedesesmains.—Rocco?balbutia-t-elleenfin.Pourquoias-tuprétendu…—MondeuxièmeprénomestAntonio.—RoccoAntonio…Tu…tueslepetit-filsdeGiovanni?—Exact.Queleffetcelaprocure-t-ildeséduiredeuxgénérationsdeMondelli?—Tudisn’importequoi!Giovannietmoin’avionspasderelationdecettenature.Roccofaillit sortirdesesgonds.Cette intrigantenemanquaitdécidémentpasde toupetpournier

l’évidenceavecautantd’aplomb.—Tuespèresmefairecroirequ’unhommeachèteraitunappartementdetroismillionsd’eurospour

unefemmeparpurebonté?Parsensdel’amitié?Mongrand-pèren’apasparlédetoiuneseulefois,cequiprouvequ’ilnesesentaitpastrèsàl’aise.

OliviaramassasonT-shirtetl’enfilaàlahâte.—Ma présence à Milan devait rester secrète. Giovanni protégeait mon anonymat. Il était mon

mentor,monami,etnonmonamant.Commentpeux-tuimaginerça?C’estabsurde!—Pasplusquedecroirequetut’intéressaisàceseptuagénairepourautrechosequesonargent,

rétorqua-t-il,furieux.Ilfautreconnaîtrequetusaist’yprendreavecleshommes.Ilinterceptasamainjusteavantqu’elleneviennelegifler.—Commentoses-tuproférerdetellesaccusations?—Jeconnaismongrand-père.Ilétaittrèsamoureuxdemagrand-mèreetiln’auraitjamaiseuune

aventureavecuneautre,afortioridel’âgedesapetite-fille,s’iln’avaitpasétécomplètementdépasséparsespulsions.

—Tutetrompes.—Situn’asrienàtereprocher,pourquoitecaches-tu?—Celaneteregardepas.Etmaintenant,va-t’en!rétorqua-t-elled’unevoixvibrantedecolère.—Jet’informe,machère,quedésormaisjesuisicichezmoi.Unechosem’intrigue:pourquelle

raisonas-tujetétondévolusurunvieuxmonsieur?Tupeuxattirerdanstesfiletsn’importequelhommetoutaussiriche,etbienplusjeune.

—Jeterépètequetufaisfausseroute,gronda-t-elleenserrantdespoingsrageurs.

—Alors,explique-moipourquoiGiovanniteversaitrégulièrementdel’argent.Elleledéfiaitduregard,maisilsurpritdanssesyeuxunelueurd’émotion.—Les chèques permettaient de régler les fournisseurs.Nous travaillions ensemble surma future

collection.— Je dirige le groupe familial, affirmaRocco. Je collaborais à chacun des projets sur lesquels

travaillait Giovanni parce que, comme tout créatif, il avait une fâcheuse tendance à privilégier ledéveloppementd’idéesnouvellessanssesoucierdeleurrentabilité.Or,jen’aijamaisentenduparlerdutien.

Sansdireunmot,ellelecontournaetsedirigeaverslehalld’entrée.Illasuivitjusqu’àunepiècespacieuseetlumineuse,situéeaufonddel’appartement.Ilydécouvritavecsurpriseunvéritableatelierdecouture.Desvêtementss’alignaientsurdescintres.Surunetable trônaitunemachineàcoudre ;suruneautres’accumulaientdescroquis.

Il choisit au hasard quelques créations. Toutes étaient taillées dans des étoffes de qualité etaffichaient une véritable originalité, associée au penchant deGiovanni pour la symétrie.Un parti prisd’élégance,desimplicitéetdelibertéuniqueensongenre.

Roccosentituneétrangeémotionluiserrerlagorge.—Celaneprouve rien, si cen’estque tu te servaisdemongrand-pèrepourparvenir à tes fins.

Qu’as-tuditàlatrattoria?Ahoui,quetuferaistoutcequiestentonpouvoirpourréalisertonrêve.—Cettephraseestsortiedesoncontexte,observa-t-ellefroidement.—Peut-être,mais elle décrit très bien la situation. Tu n’as pas hésité à boire un verre avec un

parfaitinconnu.Sansdoutevoyais-tudéjàenmoitonfuturmécène?QuandjepensequetuétaisprêteàremplacerGiovanniseptjoursseulementaprèssondécès!Cettepenséemerépugne!

—Tuastoutmanigancédepuisledébut!s’exclama-t-elle,livide.— En fait, l’idée de te séduire m’est apparue quand je t’observais sur la terrasse, en train de

plaisanteravectesamies,alorsquetonamantvenaitdemourir.Jevoulaiscomprendreexactementàqueltypedefemmej’avaisaffaireavantdelajeteràlaportedechezmoi.

— Je sais que ton grand-père et toi étiez très proches. Toutefois, tu n’as pas lemonopole de ladouleur.Moiaussi,j’aimaisGiovanni,etjenetelaisseraipassalirlarelationquenouspartagionsavectesinsinuationsécœurantes.

—Maisvraies.—Paslemoinsdumonde.—Alors,explique-toi.Elleparutpeser lepouret lecontre,puisprituneprofonde inspirationcommepoursedonnerdu

courage.—Giovanniavécudeuxgrandeshistoiresd’amour,dontl’uneavecmamère,Tatum.—Tumens!—Absolumentpas.— Ils ont eu une liaison quandmamère était mannequin chezMondelli, dans les années 1980.

GiovanniétaitécarteléentreRosaetTatum.Ilafinalementchoisideresteravecsafemmeetaromputoutlienavecmamère.

UneliaisonavecTatumFitzgerald?Roccorefusaitdelecroire.Lecoupledesesgrands-parentsétait le symbolemêmede l’amour. Jamais iln’avaitvuune telleosmoseentredeuxêtres. Ils s’étaientmariéstrèsjeunesetétaientrestésamoureuxjusqu’àcequelamortdeRosalessépare.

—Commentas-tuappriscettehistoire?demanda-t-ilàOliviad’untonsoupçonneux.—Jetraversaisunepériodedifficile.Giovannis’estprésentélorsd’uneréceptionprofessionnelle,

àNewYork,etm’atoutraconté.Ils’envoulaitcertainementausujetdemamèrecar,aprèsleurrupture,

elleafaitunegravedépressionetsacarrièreenapâti.Elleaensuiteépousémonpèredontelleafinipardivorcer,quelquesannéesplustard.

—Saculpabilitél’auraitdoncpousséàt’hébergergratuitementdansunappartementdeluxe?Pouruneaventureterminéedepuisdesdécennies?Désolé,maiscelatientdel’affabulation.

—J’avaisbesoindequelqu’unsurquicompter.Ilaétélàpourmoi.— Et ce soir, tu es sortie pour tâcher de l’oublier ? conclut Rocco, sarcastique. Dis-moi : te

comportes-tutoujoursdelamêmemanièreavecleshommesquit’offrentunverre?—C’esttoiquiascherchéàmeséduire,s’insurgea-t-elle.—Admetsquetunet’espasfaitprier.OliviaFitzgeraldavaitunsacrécran,carelleencaissal’injuresansciller.—Puisquetuneveuxpasmecroire,va-t’en.Net’inquiètepas,j’auraidéménagéd’iciàlafindela

semaineprochaine.Jamaisellen’arriveraitàtrouverensipeudetempsunlocalassezgrandpouryinstallersonatelier,

songeaRoccoenjaugeantduregardl’enfiladedesportemanteaux.—Jetelaisseunmois.Après,jerécupérerailesclés.Ilnes’attendaitpasàcequ’elleleraccompagnejusqu’àlaporte.Aussinefut-ilpasdéçu.Toutjuste

unpeutroubléparladétressequ’ilcrutliredanslesmagnifiquesyeuxbleus.

3.

Roccose trouvaitavecChristianMarkossur le tarmacde l’aéroportdeMilanLinate.DernierduquatuordeColumbia àpartir après lesobsèquesdeGiovanni,Christian se rendait àHongKongpouraffaires.Commeàchaquefoisqu’ilquittaitsesamislespluschers,Roccoéprouvaitunsentimentdevideimmenseaufonddelui.Ilsavaitpourtantqu’illesreverraitbientôt,lesquatrecompèress’étantpromis,avantde s’élancerchacunde soncôtéà laconquêteduglobe,de se réunirchaque trimestre.Un rituelauquelnuln’auraitdérogépourrienaumonde.

Commes’illisaitdanssespensées,Christianluimitlamainsurl’épaule.—Ilsepeutquej’aieunweek-endlibrelemoisprochain.Pourquoinepasenprofiterpourfaire

unesortieavectonbateau?—Amoinsquetunedécrochesencorel’affairedusièclequit’obligeàt’envoleràl’autreboutde

laTerre!J’ycroiraiquandnousseronsentraindeboireunePeronisurlepont,fratello.Christianpritunairindigné.—Madernièreaffaireendatereprésentaitplusieurscentainesdemillionsdedollars.Jenepouvais

toutdemêmepaslaisserpasserunetelleoccasion!—Pasplusquelabrunepulpeusequiparticipaitauxnégociations.—Exact.Apropos,quiestlasuperbecréatureblondeaveclaquelletuaseuunaccrochage,toutà

l’heure?Eneffet,OliviaFitzgeraldavaitassistéauxfunéraillesdeGiovanni.Scandalisé,Roccol’avaitpriée

departirendestermespeuamènes,cequ’elleavaitrefusécatégoriquement.Ilavaitfiniparcéderafind’éviterunescène.Etcommesicelanesuffisaitpas,sonpère,passablementéméché,avaitluiaussifaituneapparition.

—OliviaFitzgerald.Elleestvenuesansyêtreinvitée.—Letopmodel?Jenel’aipasreconnue.Jecroyaisqu’elleavaitdisparudelacirculation.—Ellese terreàMilandepuisunan.Elleestimaitmongrand-pèreet tenaità luidireundernier

adieu.—Enquoicelatepose-t-ilunproblème?—C’est…compliqué.—Avectoi, toutest toujourscompliqué.Aulieudel’éjecter, tuferaismieux,aucontraire,delui

proposeruncontrat.Leconseild’administrationtebaiseraitlespiedssituparvenaisàsigneravecelle.—Ellepréfèreresterdansl’ombre.Pourquoi?Ill’ignoraittoujours.LeGreceutunsourireamusé.

—L’undemescollaborateursavaitunephotod’elle,àmoitiénuesurlaplage,enfondd’écran.Jeluiaidemandéd’enchanger.Celanuisaitàsaconcentration.

—Tum’étonnes!Rocco connaissait l’image en question. La publicité pour la célèbremarque demaillots de bain

avaitfaitletourdelaplanèteoupresque.Oliviayfiguraitdansunbikiniquinecachaitpasgrand-chosedesesappâts.

LesmoteursdujetprivédeChristiansemirentàronronner.—Désolépourledécèsdetongrand-père,ajouta-t-il.Jesaisàquelpointtul’aimais.Etpourton

pèreaussi.Celan’apasdûêtrefacilepourtoidelevoirarriverdanscetétat.—HeureusementqueZayedettoivousêteschargésdel’encadrer.—Neportepascettecroixsurtesépaulestoutetavie,monami.Ilssedonnèrentuneaccoladefraternelle,puisRoccorestaplantélà,tandisquel’avions’éloignait

pourrejoindrelapistededécollage.Malgrésesmultiplespréoccupations,ilneparvenaitpasàchasserdesamémoirelesouvenirdelasoiréeavecOliviaetcequ’elleluiavaitrévélé.Yavait-ilunepartdevérité?

Roccoavaittoutàcoupl’impressionquecertainsaspectsdelapersonnalitédesongrand-pèreluiavaientéchappé.Giovanniavait-il réellement trompéRosaalorsqu’il l’adorait?Certes, ilnourrissaitunesortedefascinationàl’égarddesfemmes,maisquoideplusnaturelpouruncréateurdemodeéprisd’esthétisme?Delààpenserqu’ilaitétéinfidèle,ilyavaitunpasqueRoccoserefusaitàfranchir.

Levieilhommeétait-iltombéamoureuxd’OliviaFitzgerald,laquelleavaitletiersdesonâge?Cesderniersmois, ilavaitquelquepeuperduson ironiecinglante, il s’étaitadouci.Ledevait-ilà la jeunefemme?Aprèslamère,lafille…

Acetteidée,Roccoéprouvaunesensationétrangequ’ilpréféranepasanalyser.A en juger par le génie qui avait inspiré leurs créations communes, ces deux êtres étaient

incontestablementliésparuneprofondecomplémentarité.Aprèstout,pourquois’ensoucier?OliviaFitzgeraldnetarderaitpasàsortirdesavie.Toutàcoup,sonvisage,quandelleétaitentréedansl’église,aujourd’hui,resurgitdanssonesprit.

Ses traits crispés exprimaient alors touteunepaletted’émotions : la crainted’être reconnuemalgré lefoulard dont elle s’était coiffée et qui dissimulait en partie son visage, la rancune, quand elle l’avaitaperçu,ledéfi,lorsqu’elleavaitrefusédepartiret,surtout,lapeine.

C’est parceque cette peineparaissait réellement sincère qu’il n’avait pas eu le cœurde la jeterdehors. D’ailleurs, elle s’était éclipsée dès la fin de l’office. Elle occupait toujours l’appartement ;Roccotenaitl’informationduconciergedel’immeuble.Sansdouteavait-elledesdifficultésàtrouverunendroitabordablepourvivreettravailler.

Roccoregardaitsanslevoirlejetdisparaîtreàl’horizon.C’estalorsquelesparolesdesonamiluirevinrentenmémoire:«Leconseild’administrationtebaiseraitlespiedssituparvenaisàsigneravecelle.»

Christian n’avait pas tort. L’association de deux sommités de la mode permettrait, à coup sûr,d’accroître considérablement les ventes. La disparition inexpliquée d’Olivia, alors au firmament,continuaitdefairecoulerbeaucoupd’encre.

Plongédanssespensées,Roccorepritladirectionduparking.Ilimaginaitdéjàlesgrostitresdelapresse spécialisée. Un sacré scoop. Seul hic : Olivia avait, semble-t-il, tiré un trait définitif sur sonpassé. Pour quelle raison, si ce n’était pas pour fuir ses créanciers ? Pourquoi avait-elle rompuunilatéralementun contrat de troismillionsdedollars au lieud’aller jusqu’aubout, puisd’aborder sareconversionprofessionnelle?

SansGiovanni,seschancesderéussiràlancersaproprecollectionavaientfonducommeneigeausoleil.C’enétaitfinidesonrêve.Amoinsqu’ellenedénicheunnouveaupartenairefinancier…

Roccos’immobilisa.Soudain,uneidéelumineusevenaitdesefairejourdanssonesprit.Entantquedirecteur général d’une des maisons de couture les plus renommées au monde, il pouvait apporter àOlivial’aidedontelleavaitbesoin.Lajeunefemme,poursapart,serviraitsesintérêtssielleacceptaitdedevenirl’égériedeMondellipendantunan.Sanotoriétéetlemystèrequil’entouraitdonneraientunenouvelledimensionàl’entreprise.Quiplusest,cecoupd’éclatpermettraitàRoccoderécupérerlesdixpourcentquiluimanquaientpouravoirlescoudéesfranchesvis-à-visduconseild’administration.

Roccosentitl’adrénalines’infiltrerdanssesveines,luiprocurantunregaind’énergie.IldevaitfaireàOliviaunepropositionsialléchantequ’ellenepourraitpas larefuser.C’estalorsqu’ilsongeaàuneoptionsupplémentaire, lacerisesur legâteauenquelquesorte.Ense fiançantà l’icônede lamode, ilgagneraitàcoupsûr laconfianceet lagratitudede tous lesadministrateurs.RenzoRialtoviendrait luimangerdanslamain.

***

Olivia finissaitde rassembler sescroquisdansuncartonquandquelqu’un frappaàsaporteavecinsistance. Il s’agissait sans doute de Violetta, venue lui prêter main-forte pour son déménagement.N’importequelledistractionsusceptibledeluiremonterlemoralseraitdetoutefaçonlabienvenue.

Lorsqu’ellevitquisetenaitsurleseuil,ellechangead’avis.N’importequelledistraction,hormislebeauRoccoMondelli,d’uneéléganceraredanslecostumesombrequ’ilportaitcematinauxobsèquesdeGiovanni.Malgrésadéterminationàlehaïr,elleneputempêchersoncœurdemarqueruntempsd’arrêt.

—Tum’avaisaccordéunmoisdesursis.—Exact,répondit-ilenentrantsansattendred’yêtreinvité.Etjetiendraiparole.As-tudéjàtrouvé

unautreappartement?Commesiellepouvaitsefieràsaparole!Elleletoisaduregardetrefermalaportederrièrelui.—Non,mais ilm’a semblé judicieux de commencer à empaquetermes affaires avant que tu ne

m’envoiesleshuissiers.—Ceneserapasutile.Cettefois,jeprendraivolontiersunexpresso.— Tu as failli me mettre dehors, à l’église, et tu te figures que je vais te préparer un café !

s’exclama-t-elle,abasourdieparsonaudace.—J’aiunepropositionquidevraitt’intéresser,répondit-ilsanssedémonter.Garde-lapourtoi!songea-t-elle,furieuse.—Allez,Olivia,offre-moiuncafé,s’ilteplaît.Ellecédaàcontrecœur.Aprèstout,ellenesetrouvaitpasvraimentenpositiondeforce.Ilavaitle

pouvoirdelajeteràlaruequandbonluisemblerait.Mieuxvalaittransigeretécoutercequ’ilavaitàluidire.

—Tapeinem’aparusincère,cematin.—J’aimaisGiovanni.— Parce qu’il s’agit d’amour, maintenant ! lança-t-il avec une ironie détestable. Vous filiez la

parfaiteidylle,j’imagine!—Si tu engages la discussion sur ce ton, autant t’en aller tout de suite. Je neme laisserai plus

insulterpartoi.—Nessuno, Liv. J’ai quelque chose à te proposer que tu ne pourras pas refuser et qui nous

permettra,àtouslesdeux,denoustirerdecettesituationdélicate.—Aprèslafaçondonttum’astraitée,riennesaurameconvaincred’avoirquoiquecesoitàvoir

avectoi.

— Ne parle pas trop vite, écoute d’abord. Tu n’as pas les moyens de payer le loyer d’unappartementdecettetaille,mêmedansunquartiermoinschic.Or,untroispiècesseraittroppetitpouryloger et y installer ton atelier. Tu m’as expliqué que tu ne souhaitais ni reprendre ta vie d’avant, nirenoueravectesamisoutafamille.Donc,laseulepersonnesusceptibledet’aider,c’estmoi.

—Jeneveuxriendetoi.Jetrouveraiunesolutionparmoi-même.—Etsi jetedisaisquejesuisprêtàhonorerlesengagementsprisparmongrand-père?Voireà

allerplusloin,enmettantàtadispositionlesmoyenstechniquesetmarketingdeMondelli?Tucréeraistacollectionsousnotrenometnouslalancerionsl’annéeprochaine.

Olivia n’en croyait pas ses oreilles. Il envisageait de commercialiser ses créations sous le nomprestigieuxdeMondellialorsque,manifestement,ilavaitunepiètreopiniond’elle.Pourquelleraison?

—Tuas quelque chosequim’intéresse, reprit-il comme s’il lisait dans ses pensées.Mondelli abesoind’unenouvelleégérie.LecontratavecBridgetThomasexpireàlafindumoisetjenecomptepasle renouveler. En contrepartie, tu recevrais cinq millions de dollars. Ton retour ferait sensation etpermettraitd’augmenternotrechiffred’affairesdefaçonexponentielle.

Oliviasentitunebouled’angoisse,hélasfamilière,seformeraucreuxdesonestomac.—J’aiquittélemétier.—Jelesais.Toutefois,lejeuenvautlachandelle,non?Unandetavieenéchanged’unecoquette

sommeetdel’assurancedevoirtonrêveseréaliser.Cen’estpassicherpayer.—Non!répondit-elleavecvéhémence.Inutiled’insister.—Pourquoi?Ques’est-ilpassépourtedégoûteràcepointdumannequinat?Sadernière apparition surunpodium…L’overdosede sonamie juste après avoirdéfilédans ce

mêmelieu,quelquesmoisplustôt…Lessouvenirsqu’elles’appliquaitàrefoulerremontaientàlasurface,plussombresetterrifiantsque

jamais. Olivia serra les poings jusqu’à ce que ses phalanges blanchissent. Ce soir-là, elle avaitcomplètementcraqué,etlestressavaitfiniparépuisersescapacitésderésistance.Pournepassombrerdansl’abîme,danscepuitssansfond,commesonamie,elleavaitdéfinitivementtournéledosàcetteviequimenaçaitdel’engloutir.

—Peuimportelaraison,jeneremonteraipassurunpodium.—Quitteàrenonceràtonprojet?Ilneteserapasfaciledetrouverunetellepropositionailleurs.

Or, si tu lances ta collection sous le nom deMondelli, tu connaîtras un succès immédiat. Pas besoind’allerfrapperauxportespourobteniruneaidefinancièreoutechnique.Après,tupourrastireruntraitdéfinitifsurlemannequinat,etilt’appartiendradetracertaroutedanslemondedustylisme.

Olivia se massa les tempes. Rocco avait raison et son offre était vraiment tentante. Elle avaitremercié sa bonne étoile quandGiovanni l’avait prise sous son aile, parce que son soutien allait luipermettredesefaireunnomdansununiversimpitoyableoùpercertenaitdumiracle.

Devait-elle pour cela reprendre lemétier de topmodel ?Semettre denouveau endanger ?Uneboufféedepanique la saisit.Les paumesmoites, les oreilles bourdonnantes…Elle ne connaissait quetropbiencessymptômes,annonciateursd’unecrised’angoisse…

Non,impossible!Carcettefoisellerisquaitdeperdrenonseulementlasanté,maisaussisonâme.—Désolée.Jenepeuxpasaccepter.— Même si j’ajoute au package le remboursement des trois millions que tu dois à la Société

françaisedecosmétiquespourrupturedecontrat?Décidément, ilne reculaitdevant rienpour laconvaincre.Roccoavait l’artde remuer lecouteau

danslaplaie.Ilsemblaitmêmeyprendreuncertainplaisir.—Non,répéta-t-elle.—Danscecas,ilneteresteplusqu’àcontinueràfairetescartons,lança-t-ilfroidement.

—Tuaseuunaperçudemescréations.J’aidutalent,neleniepas!Laisse-moiteprésenter lesautresmodèles.Cettecollectioncorrespondàl’espritdelagriffeMondelli,etl’associationdunomdeGiovannietdumiensuffiraàsusciterlebuzzqueturecherches.

Ilsecoualatête.—Tun’asaucunecotesurlemarchéentantquestyliste.Dansunpremiertemps,jeteveuxcomme

égérie.C’estàprendreouàlaisser.—Alorsjelaisse.Plutôtmendierdanslesruesquededéfilerdenouveau!—Ataplace,j’yréfléchiraisàdeuxfois.D’ailleursàcepropos, jesouhaite teparlerdusecond

voletdemonoffre:l’annoncedenosfiançailles.—Comment?s’exclama-t-elle,abasourdie.—Celacréeraituncoupdetonnerremédiatique.Songeunpeu:l’alliancedupatron—célibataire

endurci,desurcroît—de l’unedesmaisonsdecouture lesplusconnuesetde labelle,de lasuperbeOliviaFitzgerald,topmodelparmilesmieuxpayésaumonde.

—C’estridicule.—Aucontraire,c’estgénial.Nousbénéficierionstouslesdeuxdesretombéespublicitaires.—Maisnousnousdétestons!objecta-t-elle.Ileutunsourirecynique.—Eneffet.Toutefois,nouséprouvonsl’unpourl’autreuneattirancephysiqueincontestable,bella.

Jetepariequenousserionstrèsconvaincantsdanslerôledetourtereaux.Detoutefaçon,celanedureraitque le temps de ton contrat demannequinat. Ensuite, nous romprions en douceur. Tu aurais ta proprecollectionchezMondellietmapromessedet’apportertoutel’aidenécessaire.

—Tum’endemandesvraimenttrop.—Atoidevoir.Tuasunesemainepourrevenirversmoiavecuneréponsedéfinitive.Encasde

refus,dépêche-toidetetrouverunplanB…etunlogement.Surcesmots,iltournalestalons,claquantlaportederrièrelui.Pétrifiée, Olivia ne tenta pas de le retenir. Elle avait beau chercher, elle n’entrevoyait aucune

solutionde secours.Quelque soit l’angle sous lequel elle envisageait sa situation, elle parvenait à lamêmeconclusion:elleétaitcoincée…EtRoccolesavaitpertinemment.

4.

Olivia avait consacré le reste de la semaine à explorerMilan à la recherche d’un appartementcorrespondant à sesbesoins.Envain.Ceuxdont la taille auraitpuconvenir se situaient largement au-dessusdesesmoyens,mêmeenlespartageantavecunecolocataire.Encomparaison,celuiqueGiovanniavaitmisàsadispositions’apparentaitàunvéritablepalace.

Abattue,elleôtasontablier.Ellevenaitdeterminersajournéeaucafé.Elleseservitunexpressoetsortit leboireenterrasse.Elledevait libérerleslieuxdemainets’étaitrésignéeàl’idéedes’installermomentanément dans lamaison déjà bondée qu’occupait Violetta. Ensuite, il lui faudrait frapper à laportede tous les stylistes locauxpour leurproposer ses services, sansgrandespoirde succèscomptetenudelaconcurrenceférocequirégnaitsurcemarché.

Autreoption:rentrerpiteusementàNewYorketréactiverquelquescontactssurplace.Maislà-basnonplusceneseraitpaschosefacile,etlaperspectived’avoiràrépondreàunebatteriedequestionssurlesraisonsdesafuitelapaniquait.Ellen’étaitpasprêteàaffrontercepassé,pasencore.

Elles’obligeaàinspirerprofondément.Sielleavaitmieuxcontrôlésesfinances,elleneseseraitpas retrouvéedansune tellesituation.Elleavaiteu tortdeconfieràsamère lagestionde leurargent.Happéeparlescontraintesdesaprofession,toujoursentredeuxaéroportsquelquepartdanslemonde,ellel’avaitlaisséedilapidercequ’ellegagnait—dessommescolossales,fruitd’untravailacharné.

Après que sa carrière de mannequin eut brutalement pris fin, Tatum n’avait jamais réussi à sereconvertir.ElleavaitfiniparépouserDeaconFitzgeraldquiavaitfuineufansplustard.Olivian’avaitalorsquehuitans.Sonpèreavait toutabandonné—femme,enfant,métier—pour reconstruiresavieailleurs,dans l’espoird’oubliercellequi luiavaitbrisé lecœur.Dansunpremier temps,Oliviaet samère avaient vivoté grâce à la pension qu’il leur versait néanmoins. PuisOlivia avait fait une entréefracassantedansl’universdelamodeetavaittrèsvitepusubveniràleursbesoinsàtouteslesdeux.

Dumoinslecroyait-ellejusqu’aujouroùelleavaitdécouvertque,malgrésesdires,Tatumn’avaitpasplacélemoindredollar.Lechoc,ajoutéàceluidelamortdePetra,avaitachevédeladétruire.

Solliciteruneaidefinancièreauprèsdesonpèrenefaisaitpasnonpluspartiedesoptionspossibles.Depuisqu’elleavaitatteint l’adolescence, ilsnese téléphonaientquasimentpluset sevoyaientencoremoins.

Pourcequiétaitdesafamille,ellen’étaitfranchementpasgâtée,songeaOliviaensemordillantlalèvre.

Ellen’avaitpersonneversquisetourner.Acculée.Elleseretrouvaitacculéeavecpourseulealternativederenonceràsonrêveoud’accepter

lapropositiondeRoccoMondelli,cequisupposaitderenoueravecuneprofessionqu’elles’étaitjurédequitterdéfinitivement,uneprofessionquiavaitfailliluivolersonâme.

«Lapassion,ragazzamia,iln’yaqueçaquidonnedupimentàlavie.Ilfautt’ycramponneretnejamaislâcherquoiqu’ilt’encoûte.»

Ce conseil prodigué par Giovanni au début de leur rencontre lui revint subitement en mémoire.Alors,ellesutcequ’elledevaitfaire.

***

Olivia Fitzgerald se présenta à son bureau quarante-huit heures plus tard que Rocco ne l’avaitprévu.

—Vous pouvez rentrer chez vous,Gabriella, dit-il à son assistante. Jem’apprêtais, d’ailleurs, àpartir.Buonaserata.

La secrétaire prit congé, le laissant en tête à tête avec Olivia qui lui opposait un visageindéchiffrable.Seullelégertremblementdesesmainstrahissaitunecertainenervosité.

Detouteévidence,lajeunefemmen’avaitpassoignésamise.Sansdouteunactevolontairedesapart.Elleportaitunjeannoirquimoulaitnéanmoinsagréablementsesformesetunchemisiertoutaussiajusté.Elles’étaitabstenuedetoutmaquillageetavaitcoiffésescheveuxblondsenunesimplequeue-de-cheval.Mêmeainsipourtant,elleétaitd’unebeautéàcouperlesouffle.

Malgrélui,Roccosentitundésirbrûlants’éveillerenlui,commelorsdeleurpremièresoirée.—Jepeuxrevenirdemain,suggéraOliviad’untonfroid.Ilselevaetattrapasonattaché-case.—Pasdutout.Cesoir,jeresteàMilan,dansmonappartement.Nousyseronsmieuxpourdiscuter.—Inutile.Jeneteretiendraipastrèslongtemps.—Tuviensm’annoncerquetuacceptesmaproposition,jesuppose?—Oui,répondit-elle,manifestementàcontrecœur.—Danscecas,nousavonsbeaucoupdechosesànousdire.Nousdiscuteronspendantledîner.—Jenevoudraispastegâcherlasoirée.Pourquoinepas…—Olivia,l’interrompit-il,jouonscartessurtable.Dorénavant,c’estmoiquifixelesrègles.Toi,tu

tecontentesdelessuivre.Comptetenudecequecettetransactionvamecoûter,net’attendssurtoutpasàcequenoustraitionsd’égalàégal.

—Jen’aiencoreriensigné!objecta-t-elleenlefusillantduregard.—Tuvassigner.Sinon,tuneseraispasvenuemetrouver.Ilfourraunepilededocumentsdanssamallettequ’ilrefermad’uncoupsec.—Traites-tutoutescellesquicèdentàtesavancescommedesesclaves?—Habituellement, je faispreuvedeplusd’élégance, rétorqua-t-il,comprenant l’allusionàdemi-

mot.Enl’occurrence,jen’envoispasl’utilité.Sachequecebaiser,l’autresoir,n’avaitqu’unobjectif:découvriràquelgenredefemmej’avaisaffaire.Riend’autre.

Horsdequestiond’admettredevantellequ’ilavaitcédéàsespulsions.D’autantqu’elleavaitétélamaîtresse de Giovanni. Leur relation se bornerait à des rapports d’ordre professionnel, et il avait lafermeintentiondegardersesdistancesvis-à-visdesaprétenduefiancée.

Ellerelevalementondansuneattitudededéfi.—Félicitations!Tujouesformidablementlacomédie.Unpeuplus,etjem’yseraislaisséprendre

tanttuasmisd’ardeuràmeconvaincre.—Désoléde tedécevoir,mais tun’espasmon type. J’ai un faiblepour les Italiennesbrunes et

pulpeuses.Unechancepourtoi.Ainsi,tun’aspasd’inquiétudesàavoiràcesujet.Uneombrefurtiveobscurcitlesbeauxyeuxsaphir.Bene.Plusilsnieraientleurattirancephysique

l’unpourl’autre,mieuxcelavaudraitpourlesuccèsdel’opération.

—Jeteplains,cartevoiciliépourunanàuneblondeaméricainequi,pourcombledemalheur,n’apasl’habitudedemâchersesmots!

Ilneputs’empêcherdesourire.— Ta sollicitude me touche. Toutefois, n’oublie pas que je possède tous les atouts. Dans cette

partie,quetuleveuillesounon,c’estmoiquidétienslepouvoir.—Tuasnéanmoinsunpointfaible:tonarroganceincommensurable.Explique-moicommenttuvois

les choses. Ta libido exacerbée n’est un secret pour personne. Envisages-tu d’entretenir une ou deuxliaisonsdiscrètestandisquenousjouonslesamoureuxtransis?

—Quiaparlédelibidoexacerbée?Moi,jelatrouvenormalepourunhommedemonâgeenbonnesanté.

—Taréputationteprécède.Ellemarquaunsilenceavantd’ajouter:—SelonGiovanni,celareflèteuncertain…manquedematuritéaffective.Ilpensequ’enmultipliant

lesconquêtestucherchesàfuirtoutengagementémotionnel.Lecoupétaitbas.Dansleurjouteverbale,ellevenaitdemarquerunpoint.—Ilavraimentditça?—Oui.D’après lui,Alessandra et toi avez souffert de l’absencedevosparents. Il a fait de son

mieuxpourcomblercevide,maisrienneremplacel’amourparental.Il éprouva un sentiment de trahison. Etait-ce cemanque dematurité supposé qui avait incité son

grand-pèreànepasluiléguertoutdesuitelamajoritéducontrôleauseindugroupefamilial?Etpuis,pourquoiGiovanniavait-ilconfiésespensées lesplus intimesàcettefemmequ’ilconnaissaitàpeine,alorsqu’ilselivraitsipeud’ordinaire?Desconfidencessurl’oreiller?

—T’a-t-il révéléd’autres scoopsde cegenre ? s’enquitRocco en s’efforçant dene rien laisserparaîtredesafrustration.

Elleluilançaunregardprudent,commesiellecraignaitd’êtrealléetroploin.— Giovanni restait très discret concernant sa vie privée et sa famille. Tout juste un ou deux

commentaires,àl’occasiondenosconversations.Passidiscretqueça!Ilpréférarevenirausujetprincipaldeladiscussion.—Ni toinimoinedevronsavoird’aventures aucoursdesdouzeprochainsmois. Il esthorsde

questionde risquerde fairecapoterunprojetquimecoûtecinqmillionsdedollars—ouplutôthuit,puisquejevaiségalementavoiràremboursertadetteauprèsdelaSociétéfrançaisedecosmétiques—poursatisfairedespulsionssexuelles.

Ilvitsesjouess’empourprer.—Jecherchesimplementàcomprendrelesprincipesdebase.—Jetelesexpliqueraiendétailpendantledîner.OlivianeprononçapasunmotaucoursdutrajetetRoccoluiensutgré.Ilavaitdumalàaccepter

quesongrand-pèreaitpuse fiersuffisammentàuneétrangèrepourévoqueravecelledessujetsaussipersonnels.

***

Rocco occupait les trois derniers étages d’un bel immeublemoderne, dans le quartier central deGaleriaPassarella.IlavaitchoisicetriplexpoursavueimprenablesurMilan,maisaussietsurtoutpoursonjardinluxuriant,avecpiscine,aménagéauxdeuxétagessupérieurs.

Aprèsavoircommandéunrepas légerà lagouvernante, ilconduisitOliviaàsonpetitparadisdeverdure auquel on accédait par un escalier en pierre.A en juger par l’expression de son invitée, elle

tombaaussitôtsouslecharmedulieu.—Jamaisjen’auraisimaginéqu’untelendroitpuisseexisterenpleinMilan.—C’est ce quim’a décidé à l’acheter. J’ai également fait installer un système de chauffage qui

permetd’ymaintenirunetempératureagréabletoutel’année.Ilsortitlecontratdesamalletteetleluitendit.—Tiens,lisçapendantjenoussersunverre.Ellearqualessourcils.—Tuétaissisûrdemaréponse?—Poursuivresonrêveamèneàfairedescompromis.Elleouvritlabouche,commepourprotester,maisneditrien.—Queveux-tuboire?—Unverredevin,s’ilteplaît.Ildébouchaitunebouteillederosébienfraislorsqu’ill’entendits’exclamer:—Uneclausedetoxicologie!—Ils’agitd’uneconditionstandard.—Uniquementpourlesmannequinsayantsouffertd’addiction.—Avouequelorsqu’untopmodelréputépoursaconscienceprofessionnellecommenceàarriver

systématiquement en retard aux séances photo, flanche lors de défilés ou rompt un contrat de troismillionsdedollars,ilyadequoiseposerdesquestions.Jem’efforcedeprotégermesarrières.

— Je n’ai jamais eu de problèmes de drogue, déclara-t-elle sur le ton du défi. Amoins que tuconsidèrescommeunabusquelquescoupesdechampagnelorsd’unesoirée.

—Oui,sicelanuitàlaqualitédetontravail.—Celan’apasétélecas.—Pourquoias-tutoutplaquéalorsquetutetrouvaisausommetdelagloireetque,contrairementà

bonnombredetesconsœurs,tubénéficiaisd’uneexcellenteréputation?—L’hérédité finit toujoursparnous rattraper, répondit-elle, laminebutée. Je suis la filledema

mère,aprèstout!—Audébutdetacarrière,tul’étaisaussi,cequinet’apasempêchéederéussirbrillamment.Ellehaussalesépaulesetpritleverrequ’illuitendait.—Peut-êtreai-jefiniparmelasser?Iln’encroyaitpasunmot.—As-tufuiNewYorkàcaused’unhomme?—Iln’yaeuqueGuillermoVillanuevadansmavie,etnousnoussommesséparésenbonstermes.Villanueva,Vénézuéliend’origine,étaitl’undesmeilleursphotographesdemode.Iln’avaitpasson

pareil pour donner un relief nouveau à un visage, un corps ou un paysage pourtant photographié descentaines de fois. L’homme était également réputé pour son physique de don Juan et la facilité aveclaquelleilarrivaitàsesfinsaveclesmannequinslespluscapricieux.Enavait-ilétéainsiavecOlivia?

Roccochassadesonespritcettequestionincongrue.—Votrerelationadurécombiendetemps?—Enquoicelaconcerne-t-ilnotreaffaire?—Une fois nos fiançailles annoncées publiquement, nous serons sous les feux de la rampe. J’ai

besoindeconnaîtreuncertainnombredechosessurtonpassé.—Troisans,soupira-t-elle.Trois ans ? Autant dire une éternité ! Pour lui, rester deuxmois avec lamême femme tenait de

l’exploit. Il se demanda siVillanueva avait trompéOlivia. Cela n’aurait rien eu d’étonnant, avec cessplendidescréaturesquipapillonnaientautourdelui.

—As-tufuilesEtats-Unisàcausedelui?

Ilsurpritunelueurd’émotiondansleregardd’Olivia.—Guillermoaétél’élémentleplusstabledemonexistenced’alors.—Danscecas,pourquoil’as-tuquitté?Elledemeurasilencieuseunlongmoment,lesyeuxfixéssurlescascadesquialimentaientlapiscine.—J’aicessédel’aimer.Jen’étaispasavecluipourlesbonnesraisons.Le détachement de son ton raviva la colère en lui. A priori,Mlle Fitzgerald avait une fâcheuse

tendanceàseservirdeshommesquisuccombaientàsoncharme.Elles’étaitintéresséeàGiovannipoursonargentetsaréputationdestyliste.Qu’enétait-ilpourVillanueva?L’avait-elleutiliséaussicommementor,parcequ’illuiservaitdetremplinpoursatisfairesesambitionsprofessionnelles?

Rocco éprouva soudain une profonde compassion pour le photographe. Sans doute le pauvren’avait-ilrienvuvenir,aveugléqu’ilétaitparlabeautérayonnantedesacompagne?CommeStefan,quiavaittoutsacrifiépourunefemmejusqu’àcequ’ilserendecomptequecelle-ciétaitsurtoutattiréeparsoncompteenbanque !Confiantparnature, lebrillantSicilienétaitdevenu leplusdurduquatuordeColumbia.

C’était cela, l’amour.Dansun couple, il y en avait toujoursunqui aimait plusque l’autre et quifinissaitparsouffrir.

—Terminelalecturedudocument.Ilnousrestepasmaldepointsàdiscuter.Ilnes’attendaitpasàceque lecontrat luiposeproblème,car ilcomportaitdesconditionsassez

standard.Olivia réservait l’exclusivitéde son imageà lamaisonMondelli durant lesdouzeprochainsmois.Encontrepartie,ellerecevraitcinqmillionsdedollars,puisunaccorddepartenariatdestylismeprendraitlerelais.

—Celameconvient,déclara-t-elleaprèsavoirachevédelireledocument.Saufencequiconcernelaclausedetoxicologie.

—Olivia…—Non!Cen’estpasnégociable.Soittumefaisconfiance,soitcelanemarchepas.Il lui faisait autant confiance qu’à un serpent venimeux. Pour autant, il fallait qu’elle signe. Il

s’inclina.—OK.Toutefois,àlamoindreincartadedetapart,sachequelecontratdeviendraaussitôtnulet

nonavenu.Peux-tufairevalidercedocumentpartonavocatdèsdemain?J’aiégalementpréparéceluirelatifauremboursementdetadette.

—Pasdeproblème…Etmerci.Tum’ôtesungrandpoidsdelaconscience.Cetaveulesurprit.Ilyavaitdelavulnérabilitéenelle,unefragilitéqu’ellecachaitavecsoin,mais

quisurgissaitparmoments,quandlaspontanéitéprenaitledessus.—Jecomptesurtoipourobservertesengagementscettefois,lança-t-ildurement.Lemondedela

hautecouturevaavoirlesyeuxbraquéssurnous,etdesmillionsdedollarssontenjeu.Oublieuneseuleséancephoto,bâcleunseuldéfilé,ettuleregretterasamèrement,crois-moi.

Intimidation,colère,animosité?Unrictusqu’ilnesutdéchiffrercrispalevisagedelajeunefemme.—Jemèneraiàbiencettemissiondelamanièrelaplusprofessionnellepossible,rétorqua-t-elleen

leregardantdroitdanslesyeux.Jet’endonnemaparole.Quantàtoi,veilleàrespecterlatienne.—N’aieaucuneinquiétudeàcesujet.Apropos,quedirais-tudetravailleravecMarioMasini?—Tuessérieux?s’exclama-t-elle,manifestementpartagéeentreledouteetl’enthousiasme.—Jeneplaisantejamaisenaffaires.Rocco comprenait sa réaction. Dans l’univers de la mode, Masini était une légende. Il s’était

associé avec Giovanni quand ils avaient tous deux une vingtaine d’années. Ses modèles, dont leclassicisme éclairé avait l’art demettre en valeur la qualité des étoffes et la perfection de la coupe,habillaientlesgrandsdecemonde.

—Bon, venons-enmaintenant aux détails, reprit Rocco en remplissant de nouveau leurs verres.Nousn’avonsqu’uneannéedevantnous,etdoncpasdetempsàperdre.

Oliviasecontentad’acquiescerd’unhochementdetête.—UncolloquesetientàNewYorklasemaineprochaine.Nousyassisteronsensembleetnouste

présenterons comme la nouvelle égérie Mondelli le jour de l’inauguration, lors de la conférence depresse.

Ellepâlitsubitement.—Déjà!—Onnesauraitrêverplusbelleopportunité.Toutlegothaseralà.Ellesemitàsemordillerlalèvre—unticqu’elleallaitdevoircorriger.—Etpourcequiconcernenosfiançailles?—Nouslaisseronslarumeurfairesonœuvre.Nousironsacheterunebaguedemain.Lesexpertsen

ragotsnemanquerontpasderemarquerqu’uneénormepierreornetonannulairegauche.Depâle,elledevintlivide.—Ettafamille?Quandcomptes-tul’informer?—NousdîneronsdemainavecAlessandra.Tul’asdéjàrencontrée,jecrois?—Oui,ilyaquelquesannées,lorsd’unshow.—Bene.Jepréfèrenepaslamettredanslaconfidence.Masœurestuneincorrigiblebavarde.—Nevaudrait-ilpasmieuxsepasserdesfiançailles?Monretoursurlespodiumssuffiraàcréerle

buzz.—Jeneveuxpasmecontenterd’uncoupdepubéphémère.—Quesepassera-t-ilquandnousromprons?—Lesmédiass’emparerontdelanouvelleavecdélectation.Ilsadorentleshistoiresd’amourqui

tournentmal.Elleleregardacommes’ilavaitréponseàtout.— Je ferai transporter tes affaires à la VillaMondelli cette semaine. Il s’agit de ma résidence

principale.Enrevanche,tunet’yinstalleraseffectivementavecmoiqu’aprèsnotreretourdeNewYork,card’icilàjedoism’absenteràLondresplusieursjours.

Levisagedelajeunefemmeperditlepeudecouleurquiluirestait.—Parcequenousallonsvivreensemble?—Biensûr,Liv.Jeterappellequenoussommeséperdumentamoureuxl’undel’autre.—D’accord,mais…nepourrions-nouspassimplementprétexterunesurchargedetravailethabiter

chacunchezsoi?Tuvoyagesbeaucoupetilenirabientôtdemêmepourmoi.Ilsuffiraitque,detempsentemps,nous…

—… couchions l’un chez l’autre ? l’interrompit-il. Désolé de te décevoir, bella, je n’ai pasl’intentiondedormirsurtonsofadansleseulbutd’alimenterlesrumeurs.

—Quecomptes-tufairedel’appartementdeGiovanni?—Legarder.Ils’agitd’unboninvestissement.Etsi,cettefois-ci,tunegaspillespastonargent,qui

sait,jetelevendraipeut-êtreparlasuite.Lapiqueparutlablesser,maisellen’yréponditpas.— Nous allons devoir préparer notre scénario avec minutie. Nous parviendrons sans trop de

difficultéàconvaincreAlessandra.Elleestd’unromantisme incorrigible.Enrevanche,avecStefan—quivoudraabsolumentnousvoiràNewYork—,ceserauneautrepairedemanches.

—Commentcela?—Al’universitédeColumbia,jemesuisliéd’amitiéavectroiscondisciples.Tousdescélibataires

endurcis,commemoi.Pourleurfairecroireàunevolte-facedemapart,ilvafalloirquenousjouionslacomédiedel’amouràlaperfection.

—Quesuggères-tu?—Deraconterquenousnoussommesrencontrésdansuncaféetqu’entrenousç’aétélecoupde

foudreimmédiat.—Quandcelaa-t-ileulieu?—Ilyaunmois.Nousavonspréférégardernotreliaisonsecrète,maistonretoursurlespodiums

nousobligeàl’annoncerofficiellement.Quidois-tuprévenirenpriorité?—Mesparents.JeleferaiunefoisàNewYork.—Pasavant?—Inutile.Nousnesommespastrèsproches.—Desfrèresetsœurs,desamis?Uneombreobscurcitlebeauregardbleu.— Je suis fille unique, répondit-elle d’un ton détaché qui contrastait avec la tristesse de son

expression.Ilfaudrajustequej’informemesdeuxamiesmilanaises,ViolettaetSophia.—Ya-t-ild’autresdétailsquejedoiveconnaître?—Non.Etencequi teconcerne?Quesuis-jecenséeconnaîtredemonfiancé,endehorsdeson

cynismeetdesonarrogance?—ChristianMarkosetZayedAlAfzalsontlesdeuxautresmembresduquatuordeColumbia.Petit

génie de la finance, Christian vit à Athènes. Zayed vient, quant à lui, de rentrer dans son pays poursuccéderàsonpèresurletrône.

—Ilestroi?—Cheikh.Gazbiyaasetrouveaucœurdudésert.—EtStefan?Quefait-il?— Il sévit dans l’immobilier, et ne s’intéresse qu’aux transactions supérieures à dixmillions de

dollars.—Sijecomprendsbien,jevaisavoiraffaireàlabandedessurdoués!s’exclama-t-elleensouriant.Dio!Quandellesouriait,elledevenaitencorepluscraquante.—Nousavonségalementcrééunefondationpouraiderdesjeunesdéfavorisésàs’insérerdansle

mondedu travail.Le siège se trouve àNewYork,mais nousmenons aussi des actions dans nos paysrespectifs.

—Quellebelleidée!—EllevientdeChristian.Celui-ciagrandidanslesruesd’Athènes.Iln’avaitpasdepèreetadû

lutterpoursesortirdelapauvreté.—Cestroisamissemblentteconnaîtreparcœur.Jecrainsqu’ilsneselaissentpasduper.—Comporte-toicommelesoirdenotrepremièrerencontre.Commesitubrûlaisdedésirpourmoi

etnepouvaist’empêcherdemetoucher,detelovercontremoi…Celasuffiraàlesconvaincre.Ilvitsesjouess’empourprer.— Cela sera beaucoup moins facile maintenant que je sais quel genre d’homme tu es, rétorqua

Oliviavertement.Illuiadressaunegrimaceironique.—Parchance,cara,laproductiondesphéromonesn’obéitpasaucerveau.Ellenerelevapasl’insultemais,àenjugerparlafaçondontsesdoigtssecrispèrentautourdeson

verre,ilcompritqu’ellel’auraitvolontiersgiflé.OliviaFitzgeraldavaitdurépondant.Aucundouteàcesujet.Restaitàespérerqu’ellesemontrerait

àlahauteurdurôlequ’illuidemandaitd’interpréter.Cardanscettepartieilrisquaitgros:c’étaitquitteoudouble.

5.

Ledimanchesuivant,danslejetprivélesconduisantàManhattan,Oliviaavaittouteslespeinesdumonde à refouler le stress qui augmentait àmesure que l’avion avalait les kilomètres. Elle sentait lemasqued’impassibilitéqu’elles’étaitcomposésecraquelerdeminuteenminute.

Il lui semblaitmême que le diamant ornant sa bague de fiançailles pesait de plus en plus lourd.L’énormepierreavaitdéjàfaitcoulerbeaucoupd’encredanslapressepeople,despaparazzislesayantsurprisalorsqu’ilssortaientd’unebijouteriedeluxedelaviadellaSpiga.Lesjournalistesn’avaientpastardéàs’emparerdel’histoireavecunevoracitédécupléeparladisparition,depuisunan,del’undesmannequinslespluscélèbresduglobe.

Oliviaétaitparéepouraffronter lacuriositémédiatique.MarioMasiniavaitmisà sadispositionune garde-robe complète.Coiffure,manucure et formation auprès de l’équipe de communication de lamaisonMondelliafindedélivrerlesbonsmessages:rienn’avaitétélaisséauhasard.

Auplanpsychologique,enrevanche,ellen’étaitpasprêtedutout.Ellecoulaunregardencoinàson«fiancé»dontlecalmecontrastaitétrangementavecletumulte

intérieur qu’elle éprouvait. Depuis le décollage, il n’avait quasiment pas relevé la tête d’une pile dedossiersqui,àenjugerparsaconcentration,étaientdelaplushauteimportance.

Elle enprofita pour l’examiner à la dérobée. Il n’était peut-être pas attiré par elle,mais elle, letrouvaittrèsséduisant.Surtoutdanscecostumecoupéàlaperfectionquimettaitenvaleursamusculatureet sa virilité. C’était d’autant plus pathétique que, depuis le baiser, il évitait tout contact physique,exceptionfaitedequelquesgestesdestinésàconvaincreAlessandra,lorsdudîneravecsasœur.

Etpuis,detoutefaçon,ilnefallaitpasperdredevuequ’illadétestait,s’étantmisentêtequ’elleavaiteuuneliaisonavecsongrand-père.Mieuxvalaitgardersesdistancesaveccemachoarrogant.

Elle soupira et tapota de ses ongles la couverture dumagazine posé sur ses genoux. Le battagemédiatique avait aumoins un côté positif : elle n’avait pas eu à informer ses parents. Samère avaitappelé aussitôt, sans nul doute appâtée par la manne financière inespérée que représentait RoccoMondelli.Elleallaitvitedéchanter!

OliviasongeaauxconfidencesqueluiavaitfaitesAlessandraaurestaurant,lorsqueRoccolesavaitlaissées seules pour aller saluer une connaissance. Fascinée par ces soudaines fiançailles et laréapparitiontoutaussiinattendued’Olivia,lajeunefemmeluiavaitlivrédeprécieusesinformationssurlapersonnalitédesonfrère,aussiferméqu’unehuître.

«Iln’estpasdugenreextraverti,avait-ellereconnu.Toutefois,ilfautdireàsadéchargequ’ila,trèsjeune,assumédelourdesresponsabilités.Ilm’atoutd’abordprotégéedesonmieuxcontrelesfrasquesdenotrepère,puisiladûredresserlabarrequandnotregrand-père,emportéparsacréativité,négligeait

l’équilibrefinancierdel’entreprisefamiliale.Et lapertedeGiovannin’arrangerien.Roccoensouffreterriblementmais,fidèleàlui-même,ilintériorisesadouleur.»

CeportraitdépeignaitRoccosousunjourplussympathique,plushumain.Pourautant,Oliviasavaitqu’ilnedévoileraitjamaiscettefacettedevantelle.Lapiquequ’illuilançaluienfournitlapreuve.

— Cesse de gigoter sur ton siège ! On croirait une gamine de six ans tout excitée à l’idée derecevoirlecadeaudesesrêves.

—Désolée,rétorqua-t-elletoutaussisèchement.Laperspectived’affronterlameutedespaparazzism’angoisse.

—Tudevraispourtantyêtrehabituée,depuisletemps.—Jenemeferaijamaisàleurcuriositémalsaine.Parailleurs,jesuisunpeuanxieuseàl’idéede

rencontrerStefancesoir.J’auraispréféréavoirunesoiréedetranquillitéafindem’ypréparer.Illuiadressaunsourireironique.—Quecrains-tu?Denepasréussiràcontrôlertespulsions…commel’autresoir?—Oui,notammentcelledet’arracherlesyeux!—Tuvois,ceneserapastropdifficiledejouerlacomédie.Nousnousdisputonsdéjàcommeun

vieuxcouple.—Parchance,nousn’auronspasl’occasiondevieillirensemble.Sarepartieluivalutunrireamusé.—As-tul’intentiondetemarierunjour?luidemanda-t-ilsuruntonplussérieux.—Celanefigurepasparmimespriorités.—Touteslesfemmesrêventd’unebellerobeblancheetdepromesseséternelles.—Pasmoi.Jenepensepasêtredouéepourcetyped’engagement.—Idempourmoi!Voilàpourquoil’idéedejouerlerôledufiancééperdud’amourmeplaîtassez.Denouveauce cynismequi, chezRocco, s’apparentait à une secondenature.Giovanni etSandro

avaient aimé passionnément leurs femmes. A priori, il n’en irait pas de même pour la générationsuivante…

L’avionamorçabientôtsadescente,interrompantlaconversation.Unelimousineavecchauffeurlesattendaitàleurarrivéepourlesconduireaupied-à-terrenew-yorkaisdesMondelli.

Tandis qu’ils circulaient dans les rues encombrées, Olivia sentait croître son anxiété. L’énergietrépidante de lamétropole tentaculaire, les concerts de klaxons entrecoupés de sirènes l’oppressaient.Elleavaitpourtantadorécetteville,ypuisantsavitalité.Aujourd’hui,ellelaredoutait,etcettepeurlaparalysait.

Lorsqu’ellesortitdelavoiture,elleéprouvaunesortedevertigeetseretintàlaportièrepournepastomber.

—Çanevapas?s’enquitRoccoquis’étaitprécipitéàsonsecours.Non,celan’allaitpas.Pasdutout.Celieuluirappelaittropdemauvaissouvenirs.Ilavaitbroyé

Petraet,siOlivianel’avaitpasfui,ilauraitfiniparladétruireelleaussi.SadéfaillancelorsdudéfiléauLincolnCenteravaitachevédelaconvaincredepartirloind’ici.C’étaitunequestiondesurvie.

Roccoluipritlebraspourlaconduiredanslehallsomptueuxdel’immeubleréservéàuneéliteoùunconciergelesaccueillitchaleureusementetlesescortajusqu’àl’ascenseur.Perchéauvingtièmeétage,l’appartement des Mondelli était tout aussi raffiné avec ses tons pastel et ses boiseries en acajousuperbementouvragées.

Oliviaserenditdirectementsurlaterrassedonnantsurleparc.Rocconetardapasàl’yrejoindre.Ilavaitôtésonvestonetdesserrésacravate.

—Quesepasse-t-il,Liv?Pourquoicettevillequiafaitdetoiunestartemet-elledanscetétat?L’inquiétude sincère qu’exprimait son visage, la douceur inhabituelle de son ton, lui donnèrent

presqueenviedecroirequ’ilsesouciaitréellementd’elle.Toutefois,baissersagardeaveccethomme

qui,ellelesavait,neluiferaitpasdecadeau,auraitétécomplètementstupide.—Ellem’évoqueunpasséquejepréféreraisoublier.Jenesuispluslajeunefillenaïve,éblouie

parlestrassetlespaillettes,quej’étaisilyapeudetempsencore.—Nousavonstousdesmauvaissouvenirs.Letout,c’estdenepasleslaisserprendreledessus.—Jem’yefforce.D’ailleurs,jem’apprêteàdînerdansl’undesmeilleursrestaurantsnew-yorkais,

àrencontrerl’illustreStefanBiancoetàredevenirl’égéried’unemarqueprestigieuse.Quedemanderdeplus?

Elle réprima un frisson et rentra. La visite des lieux lui confirma l’une de ses craintes :l’appartementnecomportaitqu’uneseulechambre,dotéed’unlitdouble.

Ilsn’allaienttoutdemêmepaspousserlamascaradejusqu’àpartagerlemêmelit!Ellejetauncoupd’œildésespéréautourd’elle,maisnedécouvritrienquiressemblâtdeprèsoude

loinàuncanapé.Roccodutdevinersondésarroi.—Désolé,princessa.Iln’yaeneffetqu’unechambre.Cetappartementestunpied-à-terre,jetele

rappelle.Elleinspiraprofondément.Aborderlesproblèmeslesunsaprèslesautres:voilàcequ’ilconvenait

de faire afindenepas céder à la panique.Lapriorité, c’était ce fichudîner avec l’amideRocco—d’autantqu’ellen’avaitplusqu’unquartd’heurepoursepréparer.Ensuite,elleaviserait.

Elleattrapasonvanity-caseets’engouffradanslasalledebainsdontelleressortitdixminutesplustard,siprécipitammentqu’elleseheurtadepleinfouetdansRocco.Illaretintparlataille.

—Pardon,bredouilla-t-elle,sentantsonpoulss’accélérer.Elles’écartaets’aperçutalorsqu’il la fixaitavecétonnement.Elleencompritsoudain la raison.

Danssahâte,ellen’avaitpasprislapeinedeserhabilleretneportaitquesessous-vêtements.L’habitudededéambulerainsiàmoitiénueluivenaitdesonancienmétier,lesmannequinsnedisposantquedetrèspeudetempspoursechangerentrechaqueapparitionsurlepodium.

L’expressiondeRoccotrahissaitégalementautrechosequedelasurprise.Dudésir.Undésird’unetelleintensitéqu’ilneparvenaitpasàlecacher.Ainsi,son«fiancé»luiavaitmentienprétendantqu’ellen’étaitpassongenre…

***

Rocco demeura immobile, pétrifié, tandis qu’Olivia se penchait au-dessus de sa valise pour ychoisirune tenue.La jeune femme lui tournait ledos et il put admirer la rondeurde ses fessesque ladentelleduslipdissimulaitàpeine,legalbedesesjambes,qu’ilimaginaitsanspeineenrouléesautourdelui,lafinessedeseschevilles…

Parchance,ellesedépêchad’enfilerunerobe,mettantainsi finà la torturedeses fantasmes.Oupresque, car la soie épousait à la perfection les courbes féminines de cette dangereuse créature ! S’iln’avaitécoutéquesessens,il luiauraitvolontiersfait l’amour,làmaintenant,parterre.Maisiln’étaitpas homme à céder à ses pulsions, surtout lorsqu’elles risquaient de l’entraîner sur un terrainextrêmementdangereux.

IlsretrouvèrentStefanaubardurestaurantqu’ilvenaitd’acquériravecunassocié,enpleinChelsea.—BienvenueàlaTempestaDiFuoco!lança-t-ilavecunlargesourirequidissimulaituncaractère

bientrempé.Roccoembrassasonami.—Superbeendroit,fratello!Liv,permets-moideteprésenterStefanBianco.Unconseil:netefie

pasàsonextrêmeamabilité,cartuasdevanttoiunjeuneloupauxdentsaiguisées!—Tuexagères,jesuisdouxcommeunagneau!répliqualeSicilienenriant.

Ils’inclinacérémonieusementdevantOlivia.—Vousêtesencoreplusbelleenréalitéqu’enphoto.Jecomprendspourquoimonamiaperdula

tête.—Etvousencoreplus…charismatiquequenemel’aditRocco.Stefaneutunsourireironique.—Jeseraiscurieuxdesavoirquelportraitilafaitdemoi!—Rassure-toi.Jen’airienditquetuneconnaissesdéjà,monfrère.Rocco et Olivia s’installèrent côte à côte tandis que Stefan prenait place en face d’eux et leur

commandaittroisverresdechardonnayenguised’apéritif.—J’espèrequevousaimezcecépage.—Jel’adore,réponditOliviaenluiadressantunsourireenjôleur.Acerythme-là,Stefanluimangeraitdanslamaind’iciàlafindurepas!songeaRocco,légèrement

agacé.—Dites-moi, comment avez-vous réussi à prendre dans vos filets un célibataire endurci tel que

lui?—Envérité,c’est luiquim’aabordéeàla terrassed’uncaféaprèss’êtrearrangépourfairefuir

mesamies.Audébut,ils’agissaitplusd’une…attirancephysiquequed’uncoupdefoudre.—Voilà quime rassure, répondit Stefan,moqueur. Cela lui ressemble plus. Je ne le voyais pas

succomberaupremierregard.D’autantquej’auraispariéqu’ilattendraitlaquarantainepourépouserunebeautédelanoblesseitalienneafind’assurersadescendance!

—Charmanttableau!grommelaRocco.Oliviatressaillit,maisseressaisitaussitôt.Ilfaillitsursauterlorsqu’elleluiposalamainsurlacuisse.—J’airéussiàledétournerdudroitchemin,susurralajeunefemmed’unevoixlangoureuse.N’est-

cepas,chéri?Ilneréponditpas,tropconcentréàrefoulerl’élandedésirquiluivrillaitleventre.—JevousaiaperçueauxobsèquesdeGiovanni,mesemble-t-il,poursuivitStefan.—Eneffet.J’aiquittél’églisedèslafindelacérémonie.Roccom’avaitfaitunecrisedejalousiela

veilleausoir,ausujetdeGuillermoVillanueva,monex-petitami.C’étaitridicule;ilsaitbienquejen’aid’yeuxquepourlui.

Elle semit à lui caresser la cuisse, ses doigts s’approchant dangereusement de la partie la plussensibledesonanatomie.

—Depuis,iln’adecessedesefairepardonner.Bouquetsdefleurs,parfum…J’aimêmeeudroitàunpoème.

Cettefois,elledépassaitlesbornes!Illuisaisitlamainetlaplaquasurlatable,l’emprisonnantsouslasienne.—Nedévoilepastousnospetitssecrets,amoremio,dit-ilsuruntonqu’ilespéraitenjoué,malgré

lacolèrequibouillonnaitenlui.JenecroispasquecelaintéresseStefan.— Au contraire, objecta ce dernier, hilare, cela me passionne. Avez-vous déjà fixé la date du

mariage?Rocco le fusilladuregard. Ilavait lesentimentdésagréableque lapartiese jouaitsans lui,qu’il

avait complètement perdu le contrôle de la situation.D’autant qu’Olivia pressaitmaintenant sa jambecontrelasienne.

—Pasencore,réponditlajeunefemme,apparemmentàl’aisedanssonrôledecomposition.Nousallonsêtretrèsoccupéscetteannée,touslesdeux.Peut-êtrel’étéprochain.

—Dois-je en conclure qu’un petit bambino se profilera à l’horizon l’année suivante ? s’enquitStefan,visiblementréjouiparletourqueprenaitlaconversation.

C’enétaitassezdetoutescesinepties!Roccosedécidaàintervenir.—Hé,passivite!Jen’aipaschangéàcepoint.Nousn’ensommespasencoreàenvisagerd’avoir

desenfants.—Ilne faudrapourtantpasattendre trop longtemps,moncœur, insistaOlivia. J’aidéjàvingt-six

ans.Vivementquecettesoiréeseterminepourquejepuissel’étranglerdemespropresmains!—Tuas tout le tempsdedevenirmère,ma chérie.Pour lemoment, je neme sens pas prêt à te

partageravecquiquecesoit.Etsinouscommandions?suggéra-t-ilens’emparantdelacarte.—Inutile.Lechefnousapréparéunmenuspécial,àlahauteurdel’événement,rétorquaStefan,lui

ôtanttoutespoirdediversion.Alorsprofite,fratello!Profiter?Roccos’yemployadesonmieuxaucoursdurepas.Ilappréciaitl’ambiancedécontractée

durestaurant,laqualitédesmetsetlasympathiedelaconversationavecsonamidelonguedate.Leseulproblème,c’étaitOlivia.Sonparfumépicéetentêtant,samainqu’ellegardaitdésormaisau-dessusdelatable, mais qui venait régulièrement se poser sur son avant-bras, et surtout son pied qu’elle avaitdéchausséetquinecessaitdeluieffleurerlacheville.

Ils’efforçadeseconcentrersurleprojetqueluisoumettaitStefan.Cederniersouhaitaitorganiserunmatchavecdessuperstarsdubasket-ballafindecollecterdesfondspourleurfondation.

—L’idéemeparaîtexcellente.Quandcomptes-tulamettreenœuvre?—Enseptembreprochain.—Jepourraispeut-êtreapportermacontribution,proposaOliviaensepenchantversStefan.Rocco vit son ami faire un effort méritoire pour éviter de plonger son regard dans le décolleté

vertigineuxdelajeunefemmeet,bizarrement,illuiensutgré.—J’aiuncoupdefilàpasser,grommela-t-il.Stefan,jeteconfiemafiancée.—Avecgrandplaisir!Ilsortitsurletrottoiret,avantdetéléphoner,ilinspiraàpleinspoumonsafind’éteindrelebrasier

qu’Oliviaavaitalluméenlui.Unbrasieralimentéparlacolèreetledésir.IlvenaitderaccrocherquandStefanlerejoignit.

—Besoindeterafraîchirlesidées?lançacelui-ci,goguenard.Roccoluiadressaunregardnoir.—Oùest-elle?—Auxtoilettes.Disdonc,jenet’aijamaisvuréagircommeça.Ilfautreconnaîtrequecettefilleest

unevraiebombe.Roccoseretintdejustessedeluiavouerlavérité.—Jemeposenéanmoinsunequestion :ces fiançaillesn’auraient-ellespasquelquechoseàvoir

avecunetentativepourredorertonblasonauprèsdesadministrateursdeMondelli,parhasard?—Jememoquepasmaldeleurjugement.—Pournerientecacher,toutcelamesembleuntantinetprécipité.J’ail’impressionquetuaspris

tadécisiondujouraulendemain.Or,semariermériteréflexion,surtoutpourlescélibatairesendurcisquenoussommes.

—C’estlaraisonpourlaquellenousprolongeronslesfiançailles.Sonexplicationluivalutunregarddubitatif.

***

Le claquement de la porte de l’appartement annonça le début des hostilités.Anxieuse,Olivia seretourna et, à la vue des traits crispés de Rocco, de son regard furieux, elle comprit que ses

appréhensionsétaientfondées.Déjà,lemutismetotaldeson«fiancé»durantletrajetduretourluiavaitdonnéunavant-goûtdelascènequil’attendait!

—Aquoirimaittoutcecirque?gronda-t-ilsansplusretenirsonexaspération.—Quelcirque?Tum’asdemandédememontrerconvaincante.Jem’ysuisefforcée.Stefann’aurait

jamaiscruàlaversionducoupdefoudre.Ilteconnaîttropbien.Alors,j’aichoisidejouersurunautreregistre.

L’airmenaçant,ils’avançaàgrandesenjambéesets’arrêtaàquelquescentimètresd’elle.Sacolèreétaitpresquepalpable.

—Tun’aspasessayédeconvaincreStefan,tuasdélibérémenttentédemerendredingue.Aupointdemefairepasserpourunpantin!

—Désoléesijesuisalléeunpeutroploin.—Unpeutroploin?Dois-jeterappelerquetun’ascessédemecaresserlacuissependanttoutle

débutdelasoirée?Ellesentitsesjouess’empourprer.—Jeterépètequejem’excuse!—SituasdéployéuntelnumérodecharmeavecGiovanni,jenem’étonnepasquelepauvren’ait

passurésister.Quelgoujat!—C’estdécidémentuneidéefixe!s’exclama-t-elle,indignée.Detoutefaçon,jenet’attirepas,tu

me l’asdit toi-même.Alors, jenecomprendspaspourquoi tu temetsdansun telétat.Amoinsque tum’aiesmenti…

—Si tuveuxenavoir le cœurnet,cara, pourquoinepas finir ceque tu as sibiencommencé?murmura-t-ild’unevoixsoudainmoinsagressive.

Oliviasentituneondedechaleurl’envahir.Uninstant,ellefuttentéed’accepter,malgrélarancunequecethommeluiinspirait.Avectoutecetteénergie,toutecettevirilité,quinedemandaitqu’àselibérer,Roccodevaitêtreunamantpassionné.

Cettepenséelafitrougir.Parchance,soncerveaurepritviteledessus,luienjoignantdebattreenretraite.Lasituationétaitdéjàassezcompliquée.

—Jemevoisdans l’obligationdedécliner taproposition,déclara-t-ellesur le tonleplusneutrepossible.Celaneferaitquerendrenosrelationsencoreplusexplosives.Tenons-nous-enaucontrat.

Illuilançaunregardappuyé,commes’ilvoulaitlamettreengarde.—Jesuisd’accordavectoi.Maisencoreuneséancedecegenre,etjenerépondraiplusderien.—Jesauraim’ensouvenir.Surcesmots,elleleplantalà,aubeaumilieudusalon,etsedirigeaverslasalledebains.Lapremièreépreuveétaitpassée.Illuifallaitmaintenantseprépareràaffronterlasuivante,celle

delaconférencedepressedulendemain.Rienqued’ysonger,elleenavaitlanausée.

6.

Danslasalle,l’agitationétaitàsoncomble.Lesphotographessedisputaientlesmeilleuresplacestandisque les journalistes,unénormegobeletdecaféà lamain, jouaientdescoudespouraccéderauxpremièresloges.Larumeurd’unscoopimminentcirculait,prenantchaquefoisplusd’ampleur.

Rienn’achangé…—Onsecroiraitdanslemétroauxheuresdepointe,commentaSavannaPiers,l’attachéedepresse

dugroupeMondelli.Jelesairarementvusaussiexcités.Ensacompagnie,OliviaattendaitavecRoccodansl’atriumdel’hôtelquiaccueillaitlerendez-vous

annuelinternationaldelahautecoutureauquellaconférencedepressedonneraitlecoupd’envoi.Acôtéd’eux se trouvaient les représentants d’autres maisons prestigieuses, originaires des quatre coins duglobe, mais celle qui alimentait toutes les conversations, qui captait tous les regards — le clou del’événementenquelquesorte—,c’étaitOliviaFitzgerald,letopmodelqui,ausommetdesagloire,avaitabandonnésacarrière,rompuuncontratdetroismillionsdedollarsetdisparudanslanature.

Les mains moites, le cœur cognant dans sa poitrine, Olivia respirait laborieusement. Elle avaitl’impressionquel’oxygèneseraréfiaitdeminuteenminute.Lehall,lesgensautourd’elle,toutdevenaitdeplusenplusflou.

Ces symptômes, elle ne les connaissait hélasque tropbien. Ils annonçaient une crised’angoisse.Elle inspiraprofondémentdans l’espoirderefouler lapaniquequ’ellesentaits’insinuer, telleunebêtesournoise,partouslesporesdesapeauetqui,ellelesavait,netarderaitpasàs’emparerdesonesprit,annihilanttoutessesfacultés.

—J’aibesoind’air,bredouilla-t-elle,avantdebattreenretraite.Elleseréfugiadansuncouloirapparemmentréservéauservice.Accroupie,ledosappuyécontrele

mur et les paupièresmi-closes, elle s’obligea à se concentrer sur sa respiration ainsi que le lui avaitapprissonpsychothérapeute.

Ellesouffraitdecrisesd’angoissedepuisonzeans.Troublesd’anxiétégénéralisésliésaustressdedevoirtoujoursêtrelameilleuresurlespodiumsetauvideaffectifcréépardesparentsquin’assumaientpasleurrôledeprotecteurs,avaitdiagnostiquélemédecin.

Les attaques étaient chaque fois aussi violentes, terrifiantes, paralysantes. La première s’étaitdéclenchéeàBerlin.Olivian’avaitalorsquequinzeans.Petral’avaitfinalementconvaincuedeconsulterunspécialistesusceptibledel’aideràgérercescrisesinvalidantesquilaterrassaient.Malgréquelquesprogrès,elleneparvenaittoujourspasàlutterquandlapressiondevenaittropforte.Commelorsdecettesoirée,auLincolnCenter,quiavaitmisuntermeàsacarrière…

—Olivia?

Roccol’avaitrejointe.Elleouvritlesyeux,maistouttanguaitautourd’elleetelles’empressadelesrefermer.

—J’étouffaisdanscehall,murmura-t-elled’unevoixlasse.Ils’agenouilladevantelleetpritsesmainsentrelessiennes.—Détends-toi.Faislevidedanstatête.Elle avait beau s’y efforcer, elle n’y arrivait pas. Elle avait l’impression que ses poumons ne

parvenaient pas à emmagasiner assez d’oxygène pour la tirer de cet état comateux. Lâcher prise, sesoustraireàlaréalité,s’enfoncerdanslenéantquilahappait…

—Olivia!La voix impérieuse de Rocco et la pression de ses doigts froids l’empêchèrent de justesse de

sombrer.Peuàpeu,l’airrevintetsarespirationsefitplusrégulière.—Celavamieux?s’enquitRocco,sonregardinquietcherchantlesien.—Oui,réussit-elleàarticuler.Ill’aidaàserelever.—Laconférencedepressedébutedanscinqminutes.Tutesensprête?Elleacquiesçad’unsignedetête.Illuioffritlebrasetelles’yaccrocha,telleunenaufragée,tandisqu’illaguidaitversl’arène.Savannalesconduisitàcôtédel’estrade.—Concentre-toisurlecontedeféesquevousvivez,Roccoettoi,conseilla-t-elleàOliviaafinde

larassurer.AuxyeuxdesAméricains,tuesuneprincesse,alorscontente-toidejouercerôle.Elleavaitbeauêtreuneprincesse, tousattendaientqu’elle leur rendedescompteset explique sa

désertion.Durantlediscoursd’introductionduprésident,elletentadeseréfugierenelle-mêmepourypuiser

desforcesmais,quandvint le tourde lamaisonMondellides’exprimer,sesgenouxs’entrechoquaientlittéralement.

Roccoluipritlamain.Agrippéeàlui,ellelesuivitàregretsurl’estrade.—Calme-toi.Jesuislà,luimurmura-t-il.Malgrél’antagonismequ’elleéprouvaittoujoursàsonégard,elleluisutgrédesasollicitude.Cet

hommeétaitcommeunchêneindéracinable,unrocindestructible.Ilsn’avaientpasencoreatteintlemicrophonequelesquestionsfusaientdéjàdepartout.D’unemain,

Roccoimposalesilence.—Laissez-moid’abordvousannoncerquelquesbonnesnouvelles.Ensuite,vousaureztoutletemps

deposervosquestions.Lebrouhahacessapeuàpeu.—Jesaisqu’ellevousamanqué,etc’estpourquoijesuisparticulièrementheureuxdesouhaiterla

bienvenueàOliviaFitzgerald,nouvelleégériedeMondelli.Letumulterepritdeplusbelle.Roccoattenditquelecalmerevienneavantdepoursuivre.—L’associationentreun topmodelaussi talentueuxetuncouturierdenotoriété internationalene

pourraquebénéficieraumondedelamode.Mais…ilyauneautreinformationdontjetiensàvousfairepartenavant-premièreetqui,j’ensuissûr,vousréjouiraautantquemoi:vousavez,eneffet,devantvouslafutureMmeMondelli.

Le scoop déclencha une véritable cacophonie. Savanna s’avança sur le devant de la scène pourorchestrerlaséquencedesquestions-réponses.

—Oui,Francesca?dit-elleenpointantledoigtversunefemmeblonded’uncertainâge.—Félicitationsà tous lesdeuxpourcesexcellentesnouvelles.Maintenant,Olivia,pourriez-vous

nousexpliquerpourquoivousvousêtesvolatilisée,àl’apogéedevotrecarrière?

La bouche sèche, Olivia déglutit péniblement. Pourquoi ces gens s’obstinaient-ils à déterrer lepassé?

—J’avaisbesoinde…solitudepourmeconsacreràunprojetdontjevousparleraidansunavenirproche.

—Vousavezrompuuncontratdetroismillionsdedollarspar«besoindesolitude»? insista lajournaliste,manifestementincrédule.

Etvoilàquetoutrecommençait!—Cetteaffaireestdésormais réglée.Pourdes raisonsd’ordre juridique, jenepeuxpasvousen

direpluspourl’instant.—Toujours est-il que, d’après les rumeurs, la Société française de cosmétiques vous en veut à

mort.Necraignez-vouspasqu’ellevousmettedesbâtonsdanslesroues?—Quelintérêtaurait-elleànuireàl’ambassadriced’unemaisondecoutureaussiprestigieuseque

Mondelli?Ellesedécrédibiliseraitauxyeuxdetous.Lablondeeutunemouedubitative.—Oùvouscachiez-vous?Laquestionavaitfuséducentredel’assistance.—AMilan.C’estd’ailleurslà-basquej’airencontréRocco,précisa-t-elle,retrouvantunsemblant

d’assurance.—Dan?intervintSavanna.—Quandreverrons-nousMlleFitzgeraldsurunpodium?—Lemoisprochain,réponditRocco,àlaFashionWeekdeNewYork.Savannadonnaensuitelaparoleàuneroussequ’Olivianereconnutpas.— La maison Mondelli réussira-t-elle à surmonter la disparition de son fondateur ? Certains

prétendentqueMarioauradumalàs’ensortirseul.—Iln’estpasseul.Ilencadreuneéquiped’unedemi-douzainedejeunestalents, tousforméspar

Giovanni.Aucune entreprise ne peut se permettre de se reposer sur ses lauriers.C’est pourquoi nousavonsjugébond’injecterunpeudesangneuf.

—Olivia,lançaunejournalisteconnuepoursesproposassassinsdanslescolonnesdelapresseàscandale, à quoi attribuez-vous votre chance d’avoirmis le grappin sur l’un des célibataires les plusséduisantsetlesplusrichesdelaplanète?

—J’aidûnaîtresousunebonneétoile.Roccopassaostensiblementunbrasautourdesataille.—Embrassez-vous!réclamèrentplusieursphotographesdeconcert.—Avecplaisir,leurrétorquaRoccoenriant.Oliviasentit soncœurs’emballerquand il sepenchaverselleet s’emparadeses lèvresdansun

baiser torride.Elle ferma lesyeux, s’abandonnant, tandisque les appareils-photo crépitaientde toutesparts.

Lorsqueleursbouchesseséparèrent,elleéprouvaitunnouveautrouble,d’unenaturetrèsdifférentedustress.C’estpourquoilaquestionsuivante,aussipoliequeperfide,luifitencoreplusl’effetd’uncoupdemassue.

—MademoiselleFitzgerald,auriez-vousl’obligeancedenousexpliquercequis’estpasséaudéfiléduLincolnCenter?Pourquelleraisonavez-vouscraqué,cesoir-là?

Olivia se figea. Ce soir-là, la crise d’angoisse avait atteint de telles proportions que Frédéric,organisateur du show et ami de longue date, avait été contraint de la remplacer au pied levé. Il avaitinterditàtouslestémoinsdel’incidentd’enparleràlapresse.Apparemment,quelqu’unavaitnéanmoinsfiniparvendrelamèche.

Quesavaitprécisémentcejournaliste?

Lesouvenircrueldecetépisodepeuglorieuxdesacarrièresurgitdanssamémoire.Sonregardsevoila,sesoreillessemirentàbourdonneretlasensationd’étouffementrepritdeplusbelle.Illuisemblaqu’elleallaits’évanouir.

—Olivia?chuchotaRoccoenaccentuantlapressiondesonbrasautourdesataille.—Il…Ilfaisaitterriblementchaudencoulissesetj’aieuunmalaise,parvint-elleàarticuler.Roccopritaussitôtlerelais.Ilprésentalesgrandeslignesdelafuturecampagnepromotionnellede

Mondellietl’espritdelaprochainecollection,avantderemercierl’assistance.Malgrésonépuisement,Oliviaparvintàafficherunsourirefacticeduranttoutletempsquedurale

cocktail à l’issue de la conférence de presse. Elle s’était acquittée tant bien quemal de la premièreépreuve. D’autres, sans doute plus difficiles, lui succéderaient. Elle le savait et cette perspective laterrifiait.

***

Trois heures plus tard, après une réception ennuyeuse àmourir,Rocco s’efforçait de contenir samauvaisehumeur.Endépitde leurs tentativesrépétées,ni luiniSavannan’avaient réussiàconvaincreOliviadeleurconfiersonsecret.Lesattaquesdesmédiasneseborneraientcertainementpasàcelledecesoir,etmieuxauraitvalumettreenplaceunpare-feupendantqu’ilenétaitencoretemps.Mais,pourcela,ilfallaitconnaîtrelavérité.Or,Oliviasefermaitcommeunehuîtredèsqu’ilsabordaientlesujet.

«Pourquelleraisonavez-vouscraqué,cesoir-là?»LaphrasedureporterrésonnaitencoredanslatêtedeRocco,attisantsonsentimentdefrustration.Il

avaitlaconvictionqu’elleétaitlaclédetout.Ques’était-ilréellementpasséauLincolnCenter?IlavaitposélaquestiondurantlecocktailàFrédéricBeaumont,l’organisateurdushow,quiavaitmontréunbelexempledesolidarité.

—Comme l’a expliqué votre fiancée, la chaleur était insupportable en coulisses, ce soir-là.Lesmannequinsn’enpouvaientplus!

Rocco tenditàOliviaunverredebrandyets’enservitun.Depuis leur retourà l’appartement, lajeunefemmen’avaitpasdesserrélesdentsetsapâleurfaisaitpeineàvoir.

—Commentveux-tuquejet’aidesiturefusesdemeparler?—Jen’aipasbesoind’aide.C’estdel’histoireancienne.—Passianciennequeça.Aucasoùtunel’auraispasremarqué,ellearesurgicesoir,etcelase

répéteraaussilongtempsquetun’auraspaslivréàlapresseuneversionpluscrédible.—C’estpourtantvrai:onétouffaitdanslescoulissesetj’aieuunmalaise.—Lejournalisteaévoquéunecrisedenerfsouquelquechosedanslegenre.—Tulesconnais,ilfauttoujoursqu’ilsdramatisent.Sielles’imaginaitqu’ilallaitgobersonmensonge,ellesetrompait!Ilsentitlamoutardeluimonter

au nez. Cette affaire représentait la bagatelle de cinq millions de dollars, sans compter les troissupplémentairesdestinésàlibérersanouvelleégérieduprécédentcontratqu’ellen’avaitpashonoré.

—Danscecas,pourquoit’es-tulittéralementliquéfiéequandilt’aposélaquestion?—Parcequej’enaiassezquecesgensfouillentdansmonpasséàlarecherchedequelquedétail

croustillant.Mavieprivéeneregardequemoi.—Faux!Quetuleveuillesounon,larenomméeafaitdetoiunpersonnagepublic,admirépardes

millionsdefans.Ellesemuradansunsilencebuté.— Bon sang, Olivia, gronda-t-il, excédé, il serait temps que tu retrouves ton professionnalisme

légendaire!Illavitserecroquevillerunpeuplusdanssonfauteuil,telunanimalacculé.

— Pour toi, je ne représente qu’un investissement, j’en ai parfaitement conscience. Alors, net’inquiètepas,tunedépenseraspasunefortuneenvain.Jerespecterainotreaccordàlalettre.

—Laquestionn’estpaslà.Jesouhaiteréellementtevenirenaide.—Ahoui?s’exclama-t-elle,lesyeuxluisantdecolère.Commelorsquetum’asséduite,lepremier

soir, afin de savoir à quel genre de femme tu avais affaire ?Ouque tum’as forcée par le biais d’unchantageàreprendreunmétierquej’ensuisvenueàdétester?Allons,Rocco,jouonsfranc-jeu,veux-tu,etcessonsdeprétendrequenouséprouvonsunequelconquesympathiel’unpourl’autre!

N’eussentétélavulnérabilitéetlatristesseinsondablequetrahissaitsonregardoul’extrêmepâleurdesonvisage,ilseseraitlaisséprendreàsabravade.

Ils’accroupitdevantelleetl’obligeaàleregarder.—Parle-moi,s’ilteplaît!Il fut surpris de la tendresse de son ton.Elle aussi,manifestement, car elle le fixa de ses belles

prunellesbleues,incrédule.Dio!Queluiarrivait-il?Pourquoiéprouvait-iluntelbesoindelaprotéger,unetelleenviedela

toucher,delaprendredanssesbrasetdeluifairel’amourpourchasserlesdémonsquilahantaient?Etait-ilentraindetomberamoureux?Non,impossible!Elledutdevinerlecoursdesespensées,carelleselevabrusquementetposasurlatablebassele

verredebrandyauquelellen’avaitpastouché.—Excuse-moi,maisjesuisépuisée.Jevaismecoucher.Bonsoir.Il ne tenta pas de la retenir. La veille au soir, il avait attendu longtemps afin d’être sûr qu’elle

dormait. Puis, il s’était glissé dans le lit et était resté un longmoment allongé, immobile, le plus loinpossibled’elle,sanstrouverlesommeil.Asonréveil,à5heuresdumatin,ilavaitrisquéuncoupd’œilendirectiond’Oliviaavantdeselever,etlespectacledelajeunefemmeendormie,sescheveuxblondsformantuneauréoleautourdesonravissantvisage,l’avaitému.Oui,ému.

Roccoavalaunegrandelampéedebrandy.Oliviaavaitmenticesoir.Demêmequ’elleavaitmentilorsdelaconférencedepresse.Acesdeux

occasions,sonregardétaitdevenuabsent,commesielleprenaitdeladistanceautantvis-à-visdesautresque d’elle-même.Or son visage s’était au contraire animé quand elle avait nié avec véhémence touteliaisonavecGiovanni,ouparfoisassombrilorsqu’elleavaitrépondusanssedéroberauxinnombrablesquestionsqu’illuiposaitafindeparfaireleurscénario.

CequisignifiaitquelajeunefemmeavaitaussiditlavéritéenaffirmantquesamèreetGiovanniavaientvécuunegrandehistoired’amour…

UncommentairedeFrédéricBeaumontluirevintenmémoire.Cettesommitéfrançaisedelamodel’avaitfélicitéd’avoircapturédanssesfilets«lacréaturelaplusdélicieuseaveclaquelleilaitjamaistravaillé ». Puis, il avait ajouté quelque chose concernant l’attirance que semblaient éprouver lesMondelli pour les Fitzgerald, mère et fille. Devant le froncement de sourcils de Rocco, il s’étaitempressédesejustifier,déclarantqueTatumavaitétél’uniquemusedeGiovanni.

Maintenant,toutbienréfléchi,Roccomesuraitsonerreurconcernantlafille.Olivian’avaitpasétélamaîtressedesongrand-père.Elleavaitsimplementinsuffléunsecondsouffleàuneimaginationunpeuvieillissante.Lesmodèlesquelesdeuxstylistesavaientcréésensembleleprouvaient.

Ilvidasonverred’untrait,contemplantsanslesvoirleslumièresdeManhattan.Quoiqu’ilensoit,celanechangeaitrienàlanaturedesesrelationsaveclaprotégéedeGiovanni.

Leurallianceétait,etresterait,professionnelleetnonsentimentale.Ilnepermettraitpasàlajeunefemmede trouver le chemin de son cœur. Il avait été le témoin et la victime collatérale de la déchéance àlaquellemèneparfoisl’amour.Cettedéchéance,ill’avaitsurprisedansleregardcoupabledesonpèrele

jouroùGiovanniétaitvenuleurdemander,àAlessandraetàlui,derassemblerleursaffairesavantqueleshuissiersnesaisissentlamaisondesonenfance.

7.

Ilyavaitmaintenantunesemainequ’ilsétaientrentrésàMilan,etleplandeRoccofonctionnaitàmerveille.L’annonceduretourd’Oliviasurlespodiumsentantqu’égérieducouturierMondellifaisaitcoulerbeaucoupd’encredanslapresse.Certainsjournalistescontinuaientàspéculersurlesraisonsdeson absencemais, dans leur grandemajorité, ils se félicitaient de cette association, et plus encore del’unionprochaineentreletopmodeletl’undescélibataireslesplusconvoitésdumondedelamode.

Rocco jeta un regard satisfait à la couverture d’unhebdomadaire qui, d’ordinaire, s’intéressait àl’actualitédesfamillesroyales.Onl’yvoyaitentraind’échangerunbaisertorrideavecsafiancée,lorsdelaconférencedepressedeNewYork.

Olivia,quantàelle,avaitrecommencéàsouriredèsqu’ilsavaientquittélesolaméricain.ElleavaitséduitlepersonneldelaVillaMondelli,quidevançaitsesmoindresdésirs,etaimaitsepromenerdansleparcdelapropriétéfamiliale.Leseulmomentdelajournéeoùlatensionsemanifestaitdenouveauentreeux,c’était lesoir,aumomentducoucher.AussiRoccoavait-ilpris l’habitudedesecloîtrerdanssonbureaujusqu’àuneheureavancéedelanuit.

Songeur,ilbutsonexpressoàpetitesgorgées.Seseffortspourjugulersonattirancevis-à-visdelajeune femme portaient leurs fruits. Tant qu’il saurait garder ses distances, il ne risquerait pas desuccomberaudésirfouqu’elleluiinspirait.

Un coup discret frappé à la porte interrompit le cours de ses pensées. Une seconde plus tard,Gabriellaentraitdanssonbureau.

—Sivousnepartezpasmaintenant,vousneserezpasàl’heurepourvotredéjeuner.—Mêmeavecmonstyledeconduite?rétorqua-t-ilavecunsourireamusé.—Même!—Bon,j’yvais.Une demi-heure plus tard, Rocco pénétrait dans le célèbre restaurant de fruits demer où Renzo

Rialtoluiavaitdonnérendez-vous.LeprésidentdugroupeMondelliétaitattabléprèsdelabaievitrée.Rocco levit consulterostensiblement samontre.Une façonde lui signalerqu’il avait cinqminutesderetard.

—J’aiestiméqu’ilconvenaitdecélébrertonsuccèsmédiatiqueetj’aicommandéunebouteilledevin.

—Excellenteidée.—Faired’OliviaFitzgeraldl’ambassadricedenotregriffeettafuturefemme:ilfallaitypenser.

Bravo!Jemesuisditquetuavaisprismonconseilsacrémentaupieddelalettre.Toutefois,comptetenudetonaversionnotoirepourlemariage,j’avoueavoirétésurpris.

—J’ai,eneffet,révisémonjugement,réponditprudemmentRocco.Vousm’avezdemandédefairepasserlesintérêtsdel’entrepriseavantlesmiens;jemeconformeàvotrerequête.

—Cequimegênenéanmoins,c’est larapiditéaveclaquelletuasréagi.Nousnesommespasentraindedisputerunepartied’échecs.C’est l’avenirdelamaisondecouturefondéepartongrand-pèrequiestenjeu.Quandjet’aiparlédestabilitéàlongterme,lorsdenotredernièrediscussion,jesongeaisàunengagementdurabledetapart,etnonàunécrandefumée.

—Oùvoulez-vousenvenir?Voussemblezoublierquec’estengrandepartiegrâceàmoiquelavaleurboursièredeMondelliaquadrupléenseulementdeuxans.Lesintérêtsdel’entreprisefamilialemetiennenttoutautantàcœurqu’àvous.Etcettealliancestratégiqueleprouve,non?

—Jeneniepasqu’OliviaFitzgeraldréunisseuncertainnombred’atouts,notammententermesdesex-appeal.Elleatoutcequ’ilfautpourfairecraquerunhomme,mêmelecélibataireleplusconvaincu!Enrevanche,comptetenudesonpassérécent,permets-moidedouterdesafiabilité.

—Vousvoustrompez,répliquasèchementRocco,exaspéréparunetellesuffisance.RenzoRialtol’examinalonguementavantdereveniràlacharge.—Tuneveuxdécidémentpascomprendre.—Comprendrequoi?—LafaiblessedesMondelli,depèreenfils,dèsqu’ils’agitdesfemmes.—Je…Rialtol’interrompitd’ungestedelamain.—Giovanniaperdu toutbon sensàcausedeTatumFitzgerald.Obsédéparcette femme, il ena

oubliésespriorités,etlasociétéenasouffert.Pourtant,ilétaitmarié,etheureuxenménage,mesemble-t-il.Quantàtonpère,lapassionl’aconduitàunecertaine…déchéance.Net’égarepasàtontour.

Roccosentitsonpoulss’accélérersous l’effetde lacolère. Ilsepenchaversson interlocuteuretplantasonregarddanslesien.

—Jenesuisnimonpère,nimongrand-père,Renzo.Jesuisceluiquiasuredresserlabarred’uneentreprisecertesrenommée,maisfragilefinancièrement.Vousavezbesoindemoi,ne leperdezpasdevue.

—Tu as tout autant besoin de nous.LamaisonMondelli te doit beaucoup, en effet. Personneneprétendlecontraire.Jetedonnesimplementunconseild’ami.

—Maintenantquec’estchosefaite,nouspourrionspeut-êtrepasseràautrechose?—Fixeunedate.—Pardon?—Si tuveuxconvaincre leconseild’administrationque tu t’esvraimentassagi, fixeunedatede

mariage.—Vousplaisantez!protestaRocco,abasourdi.—Lecontrôledugroupenetereviendrapasavantquetuaiesdémontrédavantagedematuritéau

plan personnel.C’est le deal et je dois rendre des comptes aux actionnaires sur ce sujet.Or, pour lemoment,ceux-citeconsidèrentcommeunélectronlibre.PuisqueOliviaFitzgeraldsembleêtrel’éluedetoncœur,épouse-la.Vajusqu’auboutdetesintentions.

—Noussommestropoccupéspourlemoment.—Jen’endoutepas.Pourautant,jet’incitevivementàréfléchiràlaquestion.LeregardappuyédeRialtocontenaitunavertissement.—Vousmedemandezdeprécipitermonmariagedansleseulbutd’améliorermonimageauprèsdes

administrateurs?insistaRocco,incrédule.— Nous devons tous, un jour ou l’autre, consentir des sacrifices afin d’obtenir le pouvoir. A

commencerparmoi.Jen’aimepasmafemme.Jel’aiépouséeparcequ’elleavaitleprofilparfaitpourtenirlerangauquelj’aspirais.

Roccoseretintdejustessedeluirépondrequesoncynismel’écœurait.Pourautant,Renzon’avaitpascomplètement tort :cequicomptaitavant tout,c’était laconfiancedesadministrateurs.Or,ceux-cihésitaientàlaluiaccorderdufaitdesajeunesseetdesoncaractèreparfoistropimpétueuxàleurgoût.

Roccon’avait jamais envisagéde semarier par amour.Alors, pourquoi nepas épouserOlivia ?Finalement,celaneferaitquedonnerplusdecrédibilitéàsonplan.

Ilétaitégalementd’accordavecRenzosurunautrepoint:ilnefallaitpassous-estimerlepotentieldeséductiondelajeunefemme.Ilcroyaitpeut-êtremaîtriserlasituation,maisenréalitéellereprésentaitundangerpourlui.ToutcommeTatumpourGiovanni…

Horsdequestionderépéterl’erreurdesongrand-père!

***

Olivia discutait de certains modèles avec Mario Masini quand Rocco fit son apparition dansl’atelier,plusélégantquejamais,etplussexyaussi.DepuisleurretourdeNewYork,ilneluiavaitpasaccordé beaucoup de son temps précieux, s’absorbant dans son travail quatorze heures par jour et nedaignantluiadresserquequelquesmotslorsdudîner,seulmomentdelajournéeoùilsseretrouvaiententêteàtête.

Il l’évitait, ce qui, pour être franche, l’arrangeait elle aussi. Alors, pourquoi ce sentiment defrustrationenarrière-plan,cetteimpressiondésagréablederejet?

MarioembrassaRoccoaveceffusion.—Ciao,secontenta-t-elledemurmurer,unpeumalàl’aise.Est-ildéjàl’heuredepartir?—Riennepresse,nousdînonsàlamaison,cesoir.Elle aurait nettement préféré passer la soirée à la Villa Mondelli dont les pièces immenses

permettaient de garder ses distances au sens propre comme au sens figuré. Toutefois, elle avait uneséancephotoavecAlessandralelendemainmatinà7heures.AussiRoccoavait-ilproposédeséjourneràl’appartementdeMilan,afindeluiéviterdeseleverauxaurores.

—Tafiancéeadutalentàrevendre,déclaraMarioavecemphase.Ilneluifaudrapas longtempspours’imposeretdevenirl’unedesstarsdustylisme.

Oliviasentitsoncœursegonflerdegratitude.Elles’attendaitàrencontrerunecertaineréservechezle couturier qui, au contraire, faisait preuve depuis le début de leur collaboration d’un enthousiasmeinespéré.Elleleremerciad’unsourire.Grâceàcementoraussigénéreuxqu’expérimenté,sonrêveallaitenfindevenirréalité.

—Tuprêchesunconvaincu.Continuezà travailler sansvousoccuperdemoi. J’aidese-mailsàenvoyer.

Maisiln’enfitrienetsemit,aucontraire,àfureterdansl’atelier.OliviaavaitbeauessayerdeseconcentrersursadiscussionavecMarioausujetdesétoffeslesmieuxadaptéespourtelleoutellepiècedelacollection,ellen’yparvenaitpas.Lecouturierfinitparémettreuncommentaireamusésurlatensionpresque palpable entre les « jeunes tourtereaux », puis il déclara qu’ils en avaient terminé pouraujourd’huiets’éclipsa,leslaissantseuls.

— Tes talents de comédienne s’améliorent-ils de jour en jour ou ma présence te rend-elleréellementnerveuse?lançaRoccoenlaregardantd’unœilmoqueur.

—C’estlapremièrefoisquetutedonneslapeined’étudierdeprèsmesmodèles.Or,monavenirdestylistedépendengrandepartiedetonavis.Commentvoudrais-tuquejenemesentepasfébrile?

—Etmoiquiyvoyaisl’effetdemonsex-appeal,bella!—Cetteremarquem’étonnevenantd’unhommequiseforceàtravaillerjusqu’à1heuredumatinde

peurdeseretrouverdanslamêmechambrequesaprétenduefiancée!répondit-elledutacautac.Prendsgarde,onpourraitcroirequetonself-controlcommenceàprésenterdessignesdefaiblesse.

—Vu la façon dont tu m’as allumé lors du dîner avec Stefan, il est effectivement mis à rudeépreuve.Certainssoirs,quandjeterejoinsdanslelitetquetum’obligesàdormirauborddumatelasparce que tu prends toute la place, la tentation est grande de te toucher. D’autant que la chasteté n’ajamaisétémonfortetque,j’ensuissûr,tunedemanderaispasmieux.

Partagée entre l’indignation et les images érotiques que faisait naître une telle suggestion,Oliviafrémitmalgréelle.

—Maiscelaneseproduirapas,n’est-cepas,Rocco?Commentpourrais-tuposerlamainsurlamaîtressedetongrand-père?

—Jetedoisdesexcusesàcesujet,dit-il,soudainbeaucoupmoinsarrogant.Lesfaitsm’ontinduitenerreur.Giovanniatoutdemêmeachetéunappartementspécialementpourtoi.Ilteversaitdegrossessommes d’argent et n’a jamaismentionné ton existence.Reconnais qu’il y avait de quoi se poser desquestions.

—Toujoursest-ilquecelanetedonnaitpasledroitdemetraitercommetul’asfait.—Jem’excuse,répéta-t-il.Aenjugerparlacrispationdesonvisage,celaneluiarrivaitpassouvent!Unsilencepesants’installaentreeux.Poursedonnerunecontenance,Oliviasemitàrangerlescroquiséparpilléssurlatabletandisque

Roccos’approchaitdesportemanteauxoùs’alignaientsestoutesdernièrescréations.—Marioaraison,tuasvraimentdutalent,finit-ilpardire,luitournantledos.Acepropos,ilya

unchangementdansnotreaccord.Ellesefigea,attendantlasuite.Uneangoissesourdeluitorditl’estomac.Allait-iltoutremettreen

question alors qu’elle touchait au but ? L’idée de devoir renoncer à son rêve lui donnait presque lanausée.

—J’ai rencontré leprésidentdugroupeaujourd’hui.Selon lui, le conseil d’administrationet lesactionnairesredoutentqu’enl’absencedeGiovannijenedevienneunélectronlibre.Mafaçondegérerles affaires tambour battant heurte leur sensibilité, semble-t-il. Et celle de mener ma vie, aussi. Ilssouhaitentquejemepose…Quejememarie.

Un sentiment de malaise envahit Olivia. Voilà donc pourquoi Rocco avait imaginé toute cettemascarade.Lesadministrateursn’appréciaientguèred’avoirpourdirecteurgénéralunjeunecélibatairedontl’impétuositéetlaréputationdeséducteurn’étaientunsecretpourpersonne.

—Maisnousvenonsjusted’annoncernosfiançailles,objecta-t-elle.Celaneleursuffitpas?—Apriori,non.Ilsveulentquenousfixionsunedatefermeetdéfinitive.Ellesentitsesjambessedérobersouselleetduts’appuyercontrelatabledetravail.—Tuparlesdenocesofficielles,avecrobedemariéeetéchanged’alliances?—Exactement,cara.Ellen’aimaitpasdutoutsonairàlafoisruséetdéterminé,commes’ilavaitdéjàtoutprémédité.

Elleeutl’impressionquelepiègeserefermaitinexorablementsurelle.— Rassure-toi, les grandes lignes de notre contrat demeurent inchangées. Tu seras notre égérie

durantunanetnoust’aideronsàlancertacollectionsouslenomdeMondelli.Seulemodificationànosaccordsinitiaux:nousnousmarionsdanssixsemaines.

—Sixsemaines!s’écria-t-elle,horrifiée.Roccohaussalesépaulesavecunedésinvoltureexaspérante.—Nous divorcerons à l’amiable au bout d’un an, voilà tout. Tu m’as déclaré toi-même que tu

n’envisageais pas de te marier un jour. Alors, fiancée ou mariée, qu’est-ce que ça change pour toipuisqu’ils’agitd’uneunionfactice?

Qu’est-cequeçachangeait?Oliviasentitmonteruneragesourde.Ellecomprenaitmaintenantcettedouceurinsolite,cescomplimentsausujetdesesmodèles…Roccocherchaitàflattersonegopourmieux

lamanipuler.—Désolée,maistum’endemandestrop.— Cette comédie me déplaît autant qu’à toi, insista-t-il. Toutefois, je crains qu’il n’y ait pas

d’échappatoire,niaucuneautresolutionpourparvenirànosobjectifsrespectifs.Olivia se remémora le battagemédiatique qu’avaient suscité leurs fiançailles. Unmariage aussi

précipitéallaitdéchaîner lameutedespaparazzis.L’angoissedeseretrouverencoreplusexposéeà lacuriositémalsainedelapresseàscandaleluiétreignitlagorge.

—Disauconseild’administrationque jenememarieraipasà lava-vitepour leur faireplaisir.Inventen’importequelleexcuse,maisunechoseestsûre:cettecérémonien’aurapaslieu.

8.

Lesphotographesdemoden’étaientpasconnuspourleurextrêmesubtilité.Oliviaenavaitcroisédetoutessortes:desmanipulateursusantetabusantdeleurpouvoirdeséduction,desêtresfroidsetdistantsàl’egodémesuré,ouencoredescaractérielsquisemettaientdansdescolèresterriblesetvouslançaientauvisagequevousn’arriviezpasàlachevilledumodèleprécédent.

Alessandra,quantàelle,faisaitexceptionàlarègle.Ellesemontraitd’unepatienceinfinieetsavaitdonnerconfianceauxmannequinsaveclesquelselletravaillait.Pourautant,Olivianeparvenaitpasàseglisserdans lapeaudupersonnagequ’elleétaitcensée incarner,celuid’unejeunefemmequi,appuyéecontreunebarrière,attendaitavecuneimpatiencefébrilel’hommedesavie.Elleportaitpourl’occasionunefabuleuserobeencrêpedesoie,l’undesfleuronsdelafuturecollectionautomnehiverdeMondelli.

Quatreheuresdéjàqu’elletentaitvainementderetrouverlesautomatismesdumétier.C’étaitcommesielleavaitperduletalentetlagrâcequil’avaientpropulséesurledevantdelascène.

—Faisonsunbreak,finitparsuggérerAlessandraenposantsonappareil-photo.Nousreprendronsdansquinzeminutes.

Olivia lui sut gré de ne pas ajouter : « Profites-en pour te ressaisir, parce que ton manque deprofessionnalismecommenceàmetapersurlesnerfs!»

—Jesupposequemonfrèren’estpasétrangeràcesombresquel’ondevinesoustesyeuxmalgrélemaquillage,déclaralaphotographeavecunsouriremalicieux.

Ellenecroyaitpassibiendire!Simplement,elleseméprenaitsurlaraisondecetteinsomnie.CarsiOlivian’avaiteffectivementpasréussiàtrouverlesommeilavantlepetitmatin,cen’étaitpasàcaused’ébatsnocturnes,maisdelaperspectivededevoirépouserRocco.

—Tonfrèrea-t-iltoujourscettefâcheusetendanceàsecomporterendictateur?Alessandras’esclaffa.—Oui,lorsqu’ilestpersuadédubien-fondédesesdécisions,etilparvientgénéralementàsesfins!—Ilveutquenousnousmariionsdanssixsemaines.—Sixsemaines!s’exclamalajeunefemme,stupéfaite.Pourquoisitôt?—C’est le souhait du conseil d’administration et, a priori, une condition pour qu’il accorde sa

totaleconfianceàRocco.Laphotographeesquissaunemoue.— La façon dont Rocco menait sa vie de célibataire, sans trop se soucier des convenances, a

toujoursagacélesadministrateurs.Or,monfrèresetrouvepiedsetpoingsliés,carGiovannineluiapasléguédansl’immédiatunepartdecapitalluipermettantdecontrôlerlastratégiedugroupe.

—Pourquoiavoiragiainsi?s’étonnaOlivia.

—Pour lui laisser le temps de prendre complètement sesmarques. Il a confié les dix pour centmanquants à Renzo Rialto, l’actuel président, qui les transmettra à Rocco lorsqu’il l’estimera prêt àassumerlerôledeP-DG.Monfrèreestbrillantetc’estgrâceàluiquelasociétéconnaîtuntelsuccèsinternational.Toutefois,Giovanniétaitlàpourlecoacher.

Les pièces du puzzle s’assemblaient. Voilà pourquoi Rocco n’avait pas envoyé paître lesadministrateurs.Ilnepouvaitpas.

Oliviapoussaunsoupird’écœurement.—J’aibesoindeprendrel’air.

***

Aufondde lui,Roccosavaitqu’ilvenaitvérifiersi toutsepassaitbien.Cematin,Olivian’avaitquasimentpasdesserré lesdents.Allait-elle refuser lanouvelleconditionqu’il lui imposait? Il fallaitqu’ils’assureducontraire,carlacampagnepromotionnellepourlafuturecollectionautomnehiverallaitcoûterdanslesdixmillionsdedollars.Cequijustifiaitsaprésencesurleslieuxdushootingalorsqu’ilauraitdûsetrouverenfermédanssonbureauavecledirecteurfinancieràpasserenrevueleschiffresdumois.

Alessandral’accueillitavecunsouriremoqueur.—Tufaisunpetittourd’inspection?—Pasexactement.Commentsedébrouille-t-elle?—Elleestextrêmementtendueetabeaucoupdemalàseconcentrer.Rienàvoiravecletopmodel

quej’aiphotographiéilyadeuxans.Jemedemandecequiabienpuluiarriver.—Je l’ignore.Etpourtant,cen’estpas fauted’avoiressayédecomprendre,crois-moi,maisdès

quej’abordelesujet,elleseferme.—Peux-tuallerluiparler,s’ilteplaît?Laséancephotodecematinn’ariendonnéd’exploitable.

Sicelacontinuecommeça,nousauronsperdulajournée.RoccorejoignitOliviasurlaterrasse.Accoudéeaugarde-corps,elleregardaitlacourencontrebas.

Elleparaissaitsivulnérable…Aussitôt,lesentimentdeculpabilitéresurgit.Il s’empressa de l’enfouir au plus profond de lui.Après tout, la jeune femmene perdrait pas au

change.Jouerlacomédiependantdouzemois,cen’étaitpascherpayerpourréalisersonrêve.Ellenecachapassasurpriseenl’apercevant.—Jepensaisquetuavaisunemploidutempschargéaujourd’hui.—Jepassejusteprendredetesnouvelles,puisjem’éclipse.Tun’avaispasl’airbien,cematin.Unéclairdecolèretraversasesmagnifiquesyeuxbleus.—Commentveux-tuquej’aillebien?Tumeforcesàt’épouser,àmentirsurmessentimentsdevant

unprêtre.Excuse-moi,jetrouvequetupousseslamascaradeunpeuloin!—Jel’admets,maisjen’aipaslechoix.— Et moi, ai-je le choix ? Mon projet me tient trop à cœur. Hors de question d’y renoncer

maintenant.J’acceptedonc,maisàunecondition:quemacollectionsoitlancéesousmonproprenometnonceluideMondelli.

—Ilnousfautl’avaldeMario.—Obtiens-le.Sinon,cherche-toiuneautrefiancée.Asonexpressionbutée,ilcompritque,cettefois,ellenecéderaitpas.—Entendu.Ya-t-ilautrechosequitecontrarie?Sestraitssecrispèrentdavantage.—Alessandraadûtedirequej’avaisétécomplètementnulle.

—Pasnulle.Simplementpastoi-même.Ellesedétourna.—J’ail’impressiond’avoirperdutouttalent.J’aibeaum’efforcerdemeconcentrer,ledéclicnese

produit pas.Avant, j’adorais poser, je savais d’instinct ce que le photographe attendait demoi, alorsqu’aujourd’hui…

Ellen’achevapassaphrase.L’angoissesemblaitlarongerdel’intérieur.—Olivia…Ilpassaunbrasautourdesatailleetlacontraignitàsetournerverslui.—Cequis’estpasséilyaunanetdontturefusesdeparler,c’estdel’histoireancienne.Nelaisse

paslepassécompromettretonavenir.—Etsijamaisjen’yarrivaispas?murmura-t-elled’unevoixétranglée.Sijetefaisaisperdrecinq

millionsdedollarsparcequejenememontrepasàlahauteur?— Cela ne se produira pas. Le talent, tu l’as toujours en toi. Seulement, tu l’empêches

inconsciemmentdes’exprimer.Débarrasse-toideceblocageettoutirabien.Elleeutunemouedubitative.—Tusaisquej’airaison.—Pourtoi,toutsemblefacile.Evidemment,puisquetun’asjamaiseuàdouterdetescapacités!—Détrompe-toi.MesdébutschezMondellin’ontpasétéglorieux.Monimpatiencem’a jouédes

tours.Contre l’avisdeGiovanni, j’aisignéunpremiergroscontratquiabienfaillimener l’entreprisedroitàlafaillite.

Médusée,elleécarquillalesyeux.—CommentGiovannia-t-ilréagi?— Il ne m’a pas fait la morale. Il m’a simplement expliqué que les erreurs permettaient de

progresserdanslavieàconditiond’entirerlesleçons.Ilm’afalludesmoispourm’enremettre.J’avaispeurdemetromperdansmesdécisions.Puis,peuàpeu,j’aiapprisàmefierdenouveauàmonjugementetàmoninstinct.Iln’yaaucuneraisonpourqu’iln’enaillepasdemêmepourtoi.

Oliviademeuraitsceptique.Voulait-il la convaincre, l’aider à se décontracter ? Il n’aurait su le dire mais, oubliant toute

prudence,ill’attiracontrelui.—Qu’est-ceque…Ilneluilaissapasletempsdeprotesterets’emparadeseslèvres.Iln’ypouvaitrien,c’étaitplus

fortquelui.Cettefillel’attiraitcommeunaimant.Ledésirresurgit,intact,inassouvi.Quandelleentrouvritleslèvres,illuisemblaqu’elles’abandonnaitàladouceurdecebaiser.Une toux discrète interrompit cemoment d’intimité.Alessandra les avait rejoints sur la terrasse.

Ellelesobservaitavecunsourireamusé.—Désolée,lesamoureux,lequartd’heuredepauseestlargementécoulé.Olivias’écartaàlahâte.—J’ignorecequit’apris,murmura-t-elle,manifestementfurieuse,unefoisAlessandrapartie.Que

cherchais-tuàprouvercettefois-ci?—Riendutout,répliquaRoccosurlemêmeton.J’essayaisjustedet’apporterunpeuderéconfort.

Quetuleveuillesounon,nousformonsuneéquipe.—Uneéquipe?J’aiplutôtl’impressionquetumeconsidèrescommeuninvestissement.—Etsinousmarquionsunetrêveaulieudenousaffrontersanscesse?—Pardonne-moi,maisj’aiunpeudemalàtesuivre.Qu’est-cequimevautcettesoudainevolte-

face?—Ilst’attendent,tudevraisyretourner,secontenta-t-ilderépondre,piquéparl’ironiedesonton.Ellel’examinaunmomentsansriendire,avantdetournerlestalons.

Il resta seul, accoudé au garde-corps.Que lui arrivait-il ? Pourquoi la vulnérabilité de la jeunefemme,perceptiblemalgréseseffortspourladissimuler,letouchait-elleàcepoint?

Ilétouffaunjuron.Plutôtquedeselaisserenvahirparlesémotions, ilferaitmieuxdeseconcentrersursonobjectif

professionnel.Riend’autrenedevaitcompter!

***

Bouleversée,Oliviavit du coinde l’œilRocco s’engouffrerdans l’ascenseur.Elle s’efforçait envaind’analysercequivenaitdesepassertoutenseprêtantauxretouchesdemaquillage.

Rocco l’avait-il vraiment embrassée pour lui apporter un peu de réconfort, comme il l’avaitprétendu, ou, une fois deplus, cherchait-il à lamanipuler pourmieux l’utiliser à ses fins ?Avait-elleinventélapassiondanssesyeux?

Elleavaitl’impressiondesentirencoresurseslèvreslabrûluredeleurbaiserquandellerepritlaposeprèsdelabarrière.

«Letalent,tul’astoujoursentoi»,avait-ilaffirmé.Elles’imaginadans lapeaud’unefiancéeattendant l’éludesoncœur.Ellesedemandacequise

produiraitsiellecommettaitlastupiditédepartagerréellementsesnuitsavecRocco…—C’estbon,nousenavonsterminépouraujourd’hui!annonçaAlessandraauboutd’uneheureet

demie.—Tuascequetuvoulais?s’enquitOlivia,inquiètedelaréponse.—Bienplusmêmequejenel’espérais!Tiens,regarde.EllemontraàOlivial’aperçudecinqphotosnumériques.Surlepetitécranfiguraitunejeunefemme

àl’expressionéperdumentamoureuse…

9.

Durant laFashionWeek, New York, déjà débordante d’énergie en temps normal, était prise defrénésie.C’était l’occasionou jamaisdevoir etd’êtrevu.Tous les acteursde lamode, renommésouillustresinconnus,déferlaientsurlamétropolecommeunenuéedesauterelles,prêtsàtoutpourasseoirleur notoriété ou se faire un nom. Journalistes et paparazzis s’en donnaient à cœur joie tandis que lechampagnecoulaitàflotslorsdessoiréesprivéesorganiséesunpeupartoutenville.

Quelquesheuresavantledéfilédelacélébrissimegriffeitalienneetleretournonmoinsattendusurles podiums de sa nouvelle égérie, l’ambiance n’était pourtant pas à la fête dans l’appartement desMondelli.L’imminencedel’événement,ajoutéeauxpréparatifsdelacérémoniedemariage,mettait lesnerfsd’Oliviaàvif,etRoccoavaitl’impressionqu’ellerisquaitdecraqueràtoutmoment.

Campéedevantlui,ellelefusillaitduregard.—Choisislacouleurquetuveuxpourlemariage.Jem’enmoqueéperdument.Pourquoipasnoiret

blancpoursymboliserlesténèbresetlalumière?Elleluirenditlalistedesinvités.—Demoncôté,iln’yauraquemesparents,SophiaetVioletta.Personned’autre.Etilesthorsde

questionquemonpèremeconduiseàl’autel.—Pourquoi?—Ilafondéunsecondfoyer.Parailleurs,jenesaismêmepass’ilpourraselibérerets’ilales

moyensdesepayerlevoyage.—L’aspect financier n’est pas un problème. Je lui enverrai l’argent nécessaire pour couvrir ses

fraisetceuxdesafamille.—Jetel’interdis!Celafaitdesannéesqu’ilacoupélespontsavecmamèreetmoi.Cettehistoire

neleconcerneplus.—Danscecas,parlonsdetesrapportsavecTatum.Pourquoiéprouves-tuunetelleanimositéàson

égard?AcausedesonancienneliaisonavecGiovanni?—Celan’arienàvoir.—Alors,pourquoi?insistaRocco.Jeterappellequejevaislarencontrercesoirpourlapremière

fois,etj’aimeraisbiensavoiràquoim’attendre.—Toutcequil’intéresse,c’estd’épaterlagalerieenaffichantdessignesextérieursderichesse.—Celan’apasdûêtrefacilepourelledeperdreGiovanni,puistonpère,objecta-t-il,étonnéparla

duretédesespropos.— Elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Ce qui ne l’a pas empêchée de faire payer les

membresdesonentourage,moinotamment.—Queveux-tudire?

Oliviasemitàquatrepattes.—Bonsang,oùsontpasséesmesbaskets?lança-t-elleavecagacementenjetantuncoupd’œilsous

lecanapé.Tuessûrdenepaslesavoirvues?Roccopartitexplorerledressing.—Lesvoilà,déclara-t-ilenlestenanthorsdesaportée.Lajeunefemmeserelevaetfitminedelesattraper.—Non,réponds-moid’abord.—Décidément,avectoi,c’esttoujoursdonnantdonnant!Quandj’aicommencéàavoirdusuccès,

machèremères’estmiseàmeconsidérercommesongagne-pain.Ellen’avaitplusaucunavenirdanslemannequinat et avait raté sa reconversion.Pourelle, je représentaisune aubaine.Elle adoncdépensésanscompterafindemaintenirsontraindeviefastueux.Plusellesefaisaitplaisir,plusjedevaistrimerpourréglersesfactures.Jusqu’àl’épuisement.Unjour,auretourd’unetournéeenEuropeoùmacartedecrédit avait été refusée, j’ai découvert qu’elle avait complètement vidé mes comptes bancaires surlesquels,dansmagrandenaïveté,jeluiavaisdonnéprocuration.Tous,sansexception.

—Qu’a-t-elleachetéavectoutcetargent?—Unappartementplusgrand,unevoituredesport,desbilletsd’avionpourallerrendrevisiteàses

amiessurlaCôted’Azur,quesais-jeencore…Quantàmoi,j’enchaînaislesdéplacementsprofessionnelsàl’étranger.Jen’avaispasletempsdegérermesfinances.

—Ettuluifaisaisconfiance.—Normal,non?Unemèren’est-ellepascenséeprotégerlesintérêtsdesesenfants?Roccosentitunebouleseformeraucreuxdesonestomac.Alacolèrequ’ilressentaitcontrecette

femmequi n’avait pas hésité à spolier sa propre fille semêlait un sentiment de culpabilité désormaisfamilier. Olivia n’avait pas jeté l’argent par les fenêtres, comme il l’imaginait ; elle avait assuméfinancièrementlesextravagancesdesamère.

—Midispiace,murmura-t-il,embarrassé.Je t’aimal jugéedepuis ledébut,et je teprésentemesexcuses.

L’air surpris, elle l’observa un long moment sans rien dire. Puis elle chaussa ses baskets et sedirigeaverslaported’entrée.

—Ilfautyaller.Ledéfilécommencedansuneheureetdemie.

***

Tandisqu’ilsrejoignaientàpiedleLincolnCenter,situénonloindel’appartement,Oliviasongeaità l’évolution de ses relations avec Rocco. Celui-ci avait beau l’éviter depuis deux semaines, il secomportait différemment avec elle. Il lui témoignait du respect. Quant à elle, elle préférait ne pass’interrogersurlanaturedesessentimentsàsonégard.

Il l’accompagna jusqu’en coulisses pour saluer stylistes et modèles. Frédéric, l’organisateur dudéfilé,serraOliviadanssesbrasetl’embrassasurlesdeuxjoues.

—Chasse lesnuagesde ton regard,mabelle, luimurmura-t-ilà l’oreille.Cesoir, tuvasbriller,tellel’étoilequetuastoujoursété.

Cettedernièrephraseeutpoureffetdefairegrimpersonstressdeplusieurscrans.—Apropos,ajouta-t-il,c’estGuillermoquicouvrel’événementenbackstage,cesoir.—Ah?Ellesemordillalalèvrenerveusement.Ellen’avaitpasrevulephotographedepuislejouroùelle

l’avaitquitté,lecœurenmiettes.—Mercipourl’info.Commentva-t-il?

— Bien. Toujours aussi séduisant… et célibataire, répondit-il en l’entraînant vers la salle demaquillage.

Olivias’installadans le fauteuil.Elles’efforçade faire levideenelle.Amesureque l’heuredushowapprochait, la tensiondevenait deplus enpluspalpable.Les techniciens couraient en tous sens,s’interpellant,afinderéglerlesderniersdétails.

Lamaquilleusereposaitpalette,pinceauxetépongeslorsqueOliviaentenditunevoixfamilière.Acontrecœur,elleselevapouraccueillirsamère,tiréeàquatreépinglescommeàsonhabitude,etescortéedeRocco.

—Jecroyaisquenousdevionsnousretrouveraprèsledéfilé,àlaréception,dit-ellefroidement.— Jemourais d’impatience de rencontrer ton prince charmant ! Et puis, bien sûr, je tenais à te

souhaiterbonnechancepourtonretoursurlespodiums,machérie.—Merci,maman.Maintenant,situveuxbien,j’aimeraisresterseule.Tatumfronçalessourcils,visiblementcontrariée.—Tuvasbien?Tumesemblesfébrile.Fébrile?Lemotétait faible!Oliviasesentaitaubordde lacrisedenerfs,et laprésencedesa

mèren’arrangeaitrien.Sielles’étaitécoutée,elleauraitsautédanssesvêtementsetauraitfuiloindecetendroitquineluirappelaitquedesmauvaissouvenirs.

RoccodutlepercevoircarilglissasonbrassousceluideTatum.—Venez.Jevaisvousconduirejusqu’àvotreplace.Nousauronstoutletempsdediscuteraprèsle

défilé.Tanya,l’unedesstylistes,apparutquelquesminutesplustardavecuneravissanterobedecocktail

vertémeraude.ElleaidaOliviaàl’enfiler,puisvirevoltaautourd’elle,procédantàd’ultimesretouches,avantdesedéclarersatisfaitedurésultat.

Telleunautomate,Oliviarejoignitlesautresmannequinsquiattendaient,toutexcitées,leurentréeenscène.Soncœurtambourinaitdanssapoitrine.

Tupeuxlefaire,tupeuxlefaire…—Livvie!Guillermoapparutdevantelle.Iln’avaitrienperdudesabeautéténébreusequirehaussaitl’éclatde

sesyeuxverts.Illacontemplaavecaffection.—Tuestoujoursaussisublime.—Merci,Gui.Commentvas-tu?Ileutunsourireironique.— Mieux depuis que j’ai réussi à digérer notre rupture. Néanmoins, je m’inquiétais pour toi.

Pourquoit’es-tuainsivolatilisée?Tuauraispumedireoùtuallais,aumoins!—J’aipenséqu’ilvalaitmieuxnepasnousrevoirpendantquelquetemps.—Etsinousendiscutionsaprèsledéfilé?JesaisquetuesfiancéeàMondelli,mais…Olivia semordilla la lèvre.Elle commençait à comprendre ce qu’unepersonnepouvait ressentir

lorsquesessentimentsn’étaientpaspayésderetour.Elles’apprêtaitàl’éconduirequandellevitpasserdu coin de l’œil une chevelure d’une blondeur familière. Elle se retourna vers le mannequin dontl’expressiontrahissaitlesdébutsdanslemétier,etsentitsesjambesvaciller.

Ces pommettes hautes constellées de taches de rousseur, ces yeux d’un bleu pâle, ce petit nezlégèrementretrousséquidonnaitauvisageunairmutin…

Petra!Maisnon,çanepouvaitpasêtreelle.Petraétaitmorte…Guillermodutpercevoirsondésarroicarilluipritlamainetlapressadoucement.—C’estNatasha,luimurmura-t-ilàl’oreille.LasœurcadettedePetra.Olivia sentit son cœur se serrer.La jeune fille ressemblait à s’yméprendre à sameilleure amie.

L’imagedePetragisantsurlesofa,livideetleregardvague,cetteimagequilahantaitdepuisledrame

s’imposadenouveau.Oliviaeuttoutàcoupl’impressionderevivrelascène.Elleavaitaussitôtappelélessecours,maisilétaitdéjàtroptard.

Elleneputreteniruneplaintesourdeetdégageasamain.—Liv…Non,ellenevoulaitplusrienentendre.Ellevoulaitpartir,seretrouverseule,loindetouscesgens,

loindetoutcestress.EllevituneexpressiondesurprisesepeindresurlevisagedeFrédériclorsqu’elleledépassa.Iltentadelaretenirparlebras,maiselleréussitàl’esquiver.

—Olivia,qu’est-cequetufais?Ledéfilédébutedansdixminutesetc’esttoiquil’inaugures!—Jenepeuxpas,bredouilla-t-elle.Excuse-moi,jenepeuxpas.Elleseréfugiaaufonddescoulisses,s’assitsurunechaiseetsepritlatêteentrelesmains.Surtout,inspireprofondémentetferme-toiaumondeextérieur…—Liv,quesepasse-t-il?LavoixinquiètedeRoccolatiradesonétatdeprostration.—Fiche-moilapaix!parvint-elleàarticuler.—Horsdequestion,répondit-ilenl’obligeantàreleverlementon.Regarde-moi.Regarde-moi!Je

netelaisseraipastedétruire.Etmaintenant,dis-moicequinevapas.—Mameilleureamieestmorted’uneoverdoseaprèsavoirdéfilé ici.Ellene supportaitplus la

pression.C’estpourçaquej’aitoutabandonnédujouraulendemain.—Jel’ignorais.Jesuisdésolé,murmuraRocco,manifestementdéstabilisé.—Denousdeux,c’étaitpourtantellelaplusforte.Elleétaittoujourslàpourmesoutenir,pourme

remonterlemoral.Etmoi,jen’aipasétélàquandelleaeubesoindemoi.— Tu n’aurais pas réussi à la sauver contre son gré, Olivia. Ton amie souffrait, et ce type de

souffrancerequiertl’expérienced’unmédecinspécialisé.Ellefermalesyeux.—Jen’yarriveraipas.DemandeàFrédéricdemeremplacer.Illapritparlesépaules.— Si, tu y arriveras. Il s’agit de parcourir quelques mètres sur un podium. Rien d’autre. Fais

confianceàtontalent,laisse-les’exprimer,ettoutsepasserabien.Si,enrevanche,tut’avouesvaincuecesoir,si tufaisfauxbondàcesgens, tuvastemettreàdostousceuxquicomptentdanslemondedelamode,tousceuxquiontlepouvoirdedonneràtesfuturescollectionsl’avenirqu’ellesméritent.Tuasdugénie,cara,nel’oubliepas.Montre-leurdequoituescapable.

—Tun’aspasbesoindedireça.—Jeledisparcequejelepense.Lemomentestvenudevaincretesvieuxdémonsunefoispour

toutes.Oliviasentitsonsangseglacerenentendantlamusiquedushowretentir.—Quatrepassages,insistaRocco.Branchelepiloteautomatiqueet,tuverras,toncorpsretrouvera

d’instinctlesbonsgestes.Il avait raison. Si elle gâchait sa seconde chance, elle ternirait définitivement son image. Elle

devraitalorsrenonceràsonrêveettrahiraitparlamêmeoccasionlesespoirsqueGiovanniavaitplacésenelle.

—D’accord,murmura-t-elled’unevoixtremblante.Illuiadressaunsourired’encouragement.—Jet’attendsici.Ensuite, tout s’enchaîna très vite. A quatre reprises, elle s’avança sous le feu des projecteurs

jusqu’auboutdupodiumdesadémarchechaloupée, leregardrivéauloin,marquaunepause le tempsquelesappareils-photocrépitent,avantdepivoteretderevenirsursespas.Puiscefutletourd’honneur,

avecl’ensembledesmannequinsetdesstylistes,Marioentête.Untonnerred’applaudissementssaluacedernierpassage.

***

Ravi,Rocco écoutait l’hommage des invités.Voilà de quoi faire taire lesmauvaises langues quiprédisaientledéclindelamaisonMondelliaprèsledécèsdeGiovanni!

Lesdesignersregagnèrentlescoulisses.Illesfélicitatoutenguettantleretourd’Olivia.Lerideaus’écartaaupassaged’unenuéedejeunesmannequins.Elleapparutenfin.Ellesemblaitépuisée.Indécise,elleinspectaleslieuxduregardcommesiellecherchaitquelqu’un.

Acetinstantprécis,RoccovitGuillermos’avancer,s’interposantentreelleetlui.Ilsentitsoncœurseserrerdouloureusementdanssapoitrinelorsqu’ellesedirigeaverssonex-compagnon.Mais,trèsvite,il remarqua que la jeune femme ne semblait pas se soucier le moins du monde de la présence deVillanueva.C’étaitversluiqu’ellemarchait.

Leursregardssesoudèrent.Ladétressequ’exprimaitceluid’Oliviaachevadelebouleverser.Illuitenditlesbrasetellevintseblottircontrelui.Enlesvoyantainsienlacés,Guillermoeutunegrimacededépit.

—Tuasétémagnifique,murmuraRoccoàl’oreilledelajeunefemme.Elleluioffritunpâlesourire.—Tuavaisraison.Ilsuffisaitd’arpentercefichupodium.SuivantàlalettrelesinstructionsdeSavanna,Oliviasetirafortbiendel’épreuvedelaconférence

de presse. Durant la réception qui suivit, Rocco resta en permanence à ses côtés pour l’épauler. Iléprouvaitunétrangebesoindelaprotégercontretouscesgensquinecessaientdeluiposerdesquestionsindiscrètes.Lemannequinvedetteétaitmanifestementlecentred’intérêt,cequin’avaitriend’étonnant.Elleétaitabsolumentsublimedanssarobefourreaubleunuitquiépousaitsesformesàlaperfectionetrehaussaitl’éclatdesesyeuxainsiquelablondeurdesachevelure.

Ils discutèrent avec Tatum Fitzgerald qu’il jugea vaniteuse et narcissique. Hormis une certaineressemblancephysique,lamèreetlafillen’avaientdécidémentrienencommun.Roccol’invitaàvenirleurrendrevisiteenItalie.Puisilss’esquivèrent,tandisquelafêtebattaitencoresonplein.

10.

Le calme de l’appartement faiblement éclairé par le halo des lumières deNewYork contrastaitétrangementavecl’effervescencedelaréception.

Roccoôtasavesteetdénouasacravate,tandisqu’Oliviasedébarrassaitdesesescarpins.—Tuveuxunverre?—Volontiers.Elle s’était postée devant la baie vitrée. Il lui apporta un verre de vin blanc, puis se servit un

whisky.—Ellen’avaitquevingt-cinqansquandelleestmorte,murmuraOlivia,commeseparlantàelle-

même.Nousnoussommesrencontréessurletournaged’unepublicitépourdescollants.Nousavionsdix-neufans.Lescénarioétaitridicule,etnousdevionsnousretenirpournepaspiquerdesfousrires.Aprèscela,noussommesdevenueslesmeilleuresamiesdumondeetnousnenoussommesplusquittées.

Roccol’écoutait,admirantsonprofilparfaitquisedécoupaitdanslademi-pénombre.—C’estgrâceàPetrasij’aisugarderlespiedssurterre.Nousétionssijeunesàl’époque,etdéjà

si riches ! Tout nous réussissait.Nous étions les coqueluches de la société branchée new-yorkaise etenchaînionslessoiréesbienarrosées.Jebuvaistrop,maisjamaisjusqu’àl’ivresse.Petra,enrevanche,apeuàpeudéveloppéunedépendanceàl’alcool.Etpuiselles’estentichéedeBen,unamateurdedroguesentousgenres.Plusieursfois,jeluiaiconseilléderompre.Unsoir,aprèsavoirdéfiléauLincolnCenter,elleestrentréeaveccetypetandisquejem’attardaisàlaréception.Ellemesemblaitassezdéprimée,alorsjesuispasséechezelle,troisheuresplustard,pourvoircommentelleallait.Jel’aitrouvéeaffaléesurlecanapé,lesyeuxrévulsés.Elleavaitcesséderespirer.

—Celaadûêtreuneexpériencehorrible.Illuipritlamainetlaserratrèsfortdanslasienne.Ellelevaversluiunregardembuédelarmes.—Situn’avaispasétélàpourm’encouragercesoir,jecroisquej’auraisdenouveaucraqué.Tu

m’asdonnélecouraged’affronterlepassé.Enfait,iln’yétaitpaspourgrand-chose.Iln’avaitfaitqueréveillerenellesoninstinctdesurvie.

Oliviaappartenaità la racedesbattantes.Cette femmen’étaitpasseulementbellede l’extérieur ;ellel’étaitaussiàl’intérieur.

—Est-celedécèsdePetraquiadéclenchétescrisesd’angoisse?—Non,ellesontcommencéàlapériodedel’adolescence.Jevoyageaisdéjàbeaucoup.J’avaisune

pression dingue sur les épaules, et personne pourme soutenir.Mamère n’a pas franchement la fibrematernelle.Quantàmonpère,ilétaitpartietnesepréoccupaitguèredemoi.J’aiconsultéunthérapeutequi m’a appris à gérer ces crises. Mais je n’ai jamais réussi à m’en débarrasser, ni à les contrôlervraiment.

—C’estcequit’estarrivélorsdudéfiléauLincolnCenter,l’annéedernière?—Oui. J’étaiscomplètement tétanisée,dans l’incapacitéde raisonner.Aprèscela, j’aidécidéde

mettreuntermeàmacarrièredemannequin.—Pasdéfinitif.Cesoir,nousavonstouspuadmirertontalent.Elleeutunemouedubitative.—Etsinousarrêtionsdeparler?suggéra-t-ellepresquetimidement.ChezRocco,l’étincelledudésirrejaillitaussitôt.Undésirpuissant,incontrôlable.Undésircomme

iln’enavaitencorejamaisressentipouraucunefemme.Ilportalamaind’Oliviaàseslèvresetdéposaaucreuxdesapaumeunbaiserd’unedouceurquile

surpritlui-même.—Tul’aimestoujours?—Qui?Guillermo?Jenel’aijamaisvraimentaimé.—Oui,maisteplaît-ilencore?Physiquement,jeveuxdire.—Atonavis?répondit-elleavecunsouriremutin.Ilposaunpeubrutalementleursdeuxverressurlatablebasse.Illavitécarquillerlesyeuxquandil

sepenchaversellepourluiembrasserl’épaule.Illaissasaboucheerrersursapeaudouceauparfumsidélicat,s’aventurerjusqu’àlabasedesoncoufieretgracile.

Ellefrémitsouslacaresseetilsentitsonpoulss’accélérersousseslèvres.—Rocco?murmura-t-elledansunsouffle.—Oui?—Cemomentest-ilbienréel?Il se figea. Il eut envie de lui répondre que jamais il n’avait été plus sincère,mais lesmots se

dérobèrent.—Jenedemandepasdegrandespromesses,insista-t-elle.Jesouhaitesimplementsavoirsi,cesoir,

tunejouespasunenouvellefoislacomédie.Leseulmoyenqu’iltrouvapourtenterdelaconvaincrefutdeluiprendrelamainetdelaplaquer

contresapoitrineoùlesbattementsdésordonnésdesoncœurattestaientdesontrouble.—Atonavis?Alors, elle enfouit ses doigts dans ses cheveux et l’attira vers elle. Leurs langues se mêlèrent,

d’abord avec douceur, puis avec fébrilité, pour rattraper tout ce temps perdu, toutes ces semaines defrustration,debesoininassouvi.

Quand,àboutdesouffle, ils finirentpar rompre lamagiedecebaiser, ilsse regardèrentun longmomentsansriendire,commesichacuncherchaitàlireenl’autre.CefutOliviaquipritl’initiative.ElledéfitunàunlesboutonsdelachemisedeRoccoavecunelenteurdélibérée.

Ilretenaitsonsouffle.Denombreusesfemmesl’avaientdéshabillé,maisaucunen’avaitsuéveillerenluiunetelleimpatience.

—Tuesleplusbelhommequej’aiejamaisvu,chuchota-t-elleeneffleurantlapeaudesontorse.Etpourtant,j’enaivuuncertainnombre.

—Jen’aipastrèsenviedeparlerdetesanciensamants.—Jen’enaieuqu’un:Guillermo.Roccoserembrunit.Ildétestaitl’idéequeleVénézuélienait,lepremier,posélesmainssurlecorps

d’Olivia.Enfait,ildétestaitcetype,toutcourt.Ilchassatrèsvitecessombrespenséeslorsquelajeunefemmeentrepritd’explorerchaqueparcelle

desontorse.Ilaimaitlecontactdeseslèvressursapeau,desalanguequiagaçaitsestétons.Ilfermalesyeuxets’abandonnaauplaisir.

—Surlaphotoqu’Alessandraaprisedetoi,tupensaisàmoi?—Devine!répondit-elleavecunpetitrire.

Alors,illasoulevadanssesbrasetlaportadanslachambreoùillareposaàterre.Cesoir,ilavaitla ferme intentionde transformercettepièce, théâtrede leursaffrontements,enunnidd’érotismeetdevolupté.

—Tusais,jen’aipasoubliélatorturequetum’asfaitsubirlorsdudîneraurestaurantavecStefan.Ellerougitviolemment,maisnebaissapaslesyeux.—C’étaittellementbonquejen’arrivaispasàmeconcentrersurlaconversation.J’avaisuneenvie

folledetoi.J’imaginaistesmainssurmonsexe…Il s’interrompit, tentant vainement demaîtriser le flux de ses émotions, tandis qu’Olivia, sans le

quitterduregard,débouclaitsaceinture,déboutonnaitsonpantalonetfaisaitglisserlafermetureEclair.Puis,glissantlamaindanssoncaleçon,ellesaisitsonmembreérigéquisetenditplusencoresousl’effetdesescaresses.

Ilneputréprimerungémissementrauqueetrenversalatêteenarrière.—Oui,oui,cara,l’encouragea-t-ilàmi-voix.Alors, elle s’agenouilla devant lui, le débarrassa de son boxer-short et le prit entre ses lèvres,

tandis qu’il enfouissait les doigts dans ses cheveuxblonds.La chaleur de cette bouche, la douceur decettelanguecontrel’extrémitésisensibledesonpénis,faillirentluifaireperdrelepeudecontrôlequ’illuirestait.Etquandilsentitqu’ilallaitbientôtbasculerdansleplaisir,ils’écarta,larelevaetl’embrassafougueusement,goûtantàlasaveurdesonpropresexe.

Plaquéecontrelui,sondésirexacerbéparceluideRocco,Olivialuirenditsonbaiseravecpassion.—Amontourdetecaresser,cara,murmura-t-ilcontreseslèvres.Tuveuxbien?Incapabledeprononcerunmot,ellesecontentad’acquiescer,tandisqu’ill’attiraitentresesjambes.

Ellesentaitsoncœurtambourinerdanssapoitrine,soncorpsvibrerd’impatience.Quandilfitglisserlesépaulettesretenantsarobe,ellefrémitaucontactdesesdoigtssursapeau.

—Jesaisquetuasautantbesoindemoiquemoidetoi,chuchota-t-ilencored’unevoixrauque.Cedésirn’allait-ilpaslaconsumertoutentière?Quesepasserait-ilensuite?Bienqueconsciente

ducaractèreirréversibledel’actequ’elles’apprêtaitàcommettre,Oliviachassaaussitôtcetteinquiétudepourprofiterdel’instantprésent.

Ildégrafasonsoutien-gorgequipartit rejoindre larobesur leparquet.Seulunstringbleumarineprotégeait encore sa nudité du regard brûlant de Rocco qui la contemplait avec une envie presqueanimale.

Lorsqu’ilglissalamainentresescuisses,ellefermalespaupières.—Ouvre-toi,Liv.Etregarde-moi.Jeveuxvoirledésirdanstesyeux.Elleobtempéra.Ilécartaladentellehumidedusous-vêtementeteffleuradupoucelepetitboutondechairsensible

aucœurdesaféminité.Ellesentitdedélicieusesondesluiparcourirlecorpstandisqu’ilaccentuaitsapressionsursonclitoris,luiarrachantuneplaintedevolupté.

Il introduisit un doigt, puis deux, et semit à aller et venir en elle. Surprise par l’intensité et larapiditédesajouissance,elleneputreteniruncri.

Alors,illarenversasurlelitetluiôtasonsous-vêtement.Ellecrutqu’ilallaits’allongersurelle.—Viens,gémit-elleentendantlesbrasverslui.—Non,pasencore.Il s’agenouilla devant elle et, instinctivement, elle écarta les cuisses, s’offrant sans retenue aux

capricesduplaisir.D’unelangueexperte,Roccoexploralesmoindresreplisdesonintimité,jusqu’àceque la caresse devienne supplice. De nouveau, une vague de plaisir monta en elle, l’emportantinexorablementverslessommetsdel’extase.Cettefois,sonplaisirfutplusdoux,pluscomplet.

LorsqueOlivia reprit pieddans la réalité,Roccoavaitdéjà enfiléunpréservatif. Il s’étendit au-dessus d’elle, entre ses jambes.Alors, elle se cambra et il la pénétra.D’emblée, leurs deux corps se

mirentaudiapason,commes’ilsétaientfaitsl’unpourl’autre,commes’ilsvenaientenfindesetrouveraprèss’êtrecherchéstroplongtemps.

OliviasentaitcontresonoreillelesouffledeRoccodevenirdeplusenplussaccadé,etl’imminenceduplaisirchezcethommequi luienavait tantdonnédécuplaitsapropreexcitation.Lerythmede leurdanse érotique s’accéléra jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus retarder l’instant ultime de l’orgasme.Ensemble,ilslâchèrentprise,etaucridebonheurd’OliviaréponditlegémissementrauquedeRocco.

Ils restèrent ainsi un longmoment, soudés l’un à l’autre, sans échanger unmot, attendant que lesbattementsaffolésdeleurscœurss’apaisent.Avantdesombrerdanslesommeil,Oliviasongeaquecetteparenthèsedefélicitérisquaitdeluicoûtersonâme.

***

Roccos’éveilla,commeàsonhabitude,vers2heuresdumatin.Oliviadormaitdanssesbras,lovéecontrelui.Pensif,ilpritunemèchedesescheveuxblondsets’amusaàl’enroulerautourdesondoigt.Lesouvenir des moments d’intimité qu’ils venaient de partager le troublait profondément. Il avait lesentiment d’avoir franchi une frontière interdite, de s’êtremis en danger. Jamais encore il n’avait faitl’amouràunefemmeavectantdepassion,niéprouvédetellessensations.N’était-ilpasentraindejoueraveclefeu?

Ilsedégageadoucementetseglissahorsdulit.Ilenfilaensilencesoncaleçonquitraînaitsurleparquetpuis,munid’unebouteilled’eaufraîche,ils’installadanslesalon.L’insomniedureraituneheureoudeux,illesavait.Ilenétaitainsidepuislamortdesamèreetladescenteauxenfersdesonpère.Quedefoisils’étaitréveilléenpleinenuitpourconstaterqueSandrolesavaitlaissésseuls,Alessandraetlui, afin de satisfaire son addiction au jeu ! Il veillait alors sur sa sœur jusqu’à ce que ses paupièresdeviennent trop lourdesouqu’ilentende lecliquetisde laclédans laserrure,puis lepasdesonpèrerenduchancelantparl’abusd’alcool.

Plustard,quandGiovannilesavaitrecueillisàlaVillaMondelli,lesinsomniesavaientpersisté.Lanuit, il se faufilait sur la terrasse dominant le lac, et contemplait le plan d’eau sombre, immobile,angoissant. Pour se rassurer, il s’imaginait que des fées et d’étranges créatures amicales tenaientcompagnieàsamère,aufonddulac,qu’unjourellesviendraientlechercherpourqu’illuirendevisite,puisleramèneraientsurlariveavantl’aube.

Etmaintenant, des annéesplus tard, l’inquiétudequi le tenaillait était d’une tout autre nature. EnvoulantaiderOliviaàchasser lesfantômesdupassé, ilavaitprisunrisqueconsidérable :celuideseperdrelui-même,dedétruirecebeléquilibrequ’ilavaitmistantdetempsàseforger.Ilavaitrompulapromessequ’ils’étaitfaitedenepastoucheràcettefemme.Unactelourddeconséquences,ilenavaitl’intimeconviction.

Aprèscequis’étaitpasséentreeuxcettenuit,pourrait-ilrevenirenarrière?Enavait-ilseulementenvie?

Roccobutunelonguegorgéed’eaufraîche.Assisdanssonfauteuilpréféré,devantlabaievitrée,ilcontemplaManhattanqui,malgrél’heuretardive,nedormaitpas.

Olivia Fitzgerald avait-elle su trouver le chemin de son cœur ? Impossible. Il était incapabled’aimer,ils’étaitjurédeneplusjamaisaimeraupointd’ensouffrir.Tousceux,oupresque,auxquelsiltenaitl’avaientabandonné:samèreetGiovannienmourantprématurément,sonpèreenselivrantàsesexcès.Mieuxvalaitn’avoirbesoindepersonne,necompterquesursoi-même.

Detoutefaçon,Oliviaméritaitmieux.Elleméritaitunhommecomme…GuillermoVillanueva.Rocco eut un rictus. Il se remémorait l’expression blessée duVénézuélien lorsqueOlivia l’avait

ignoréetavaitcherchérefugedanslesbrasdesonprétendufiancé.

Non.Ilnepermettraitpasàlajeunefemmedeluifairesubircegenred’humiliation.Pourautant,àquoibonsementiràlui-même?Ilneréussiraitpasàgardersesdistances.

Etsij’abordaisleproblèmeàl’envers?songea-t-ilsoudain.Au lieu de lutter, peut-être devait-il au contraire céder sans arrière-pensée à l’attirance qu’il

éprouvait pour Olivia, agir avec elle comme avec toutes les autres femmes, en sachant qu’un jour,inévitablement,ilfiniraitparselasser.

***

Olivias’éveilla,désorientéeetassoiffée.Illuifallutquelquessecondespoursesouvenirqu’ellesetrouvaitàNewYork,qu’elleavaitdéfilélaveilleàl’occasiondelaFashionWeeketqueRoccoetelleavaientfaitl’amouravecunepassionquiresteraitprobablementàjamaisgravéedanssamémoire.

A en juger par l’obscurité qui régnait dans la chambre, il devait être encore très tôt.Elle tâta laplacevideàcôtéd’elle.Manifestement,Roccoétait levédepuisunbonmoment. Ilsemblaitne jamaisdormirplusdecinqheuresparnuit.GiovanniexpliquaitcesinsomniesparlebesoininstinctifdeveillersurAlessandralorsdesexpéditionsnocturnesdeSandro.

Oliviabutungrandverred’eau,enfilaunT-shirtquitraînaitsurledossierd’unechaiseetpartitàlarecherchedeRocco.Elleledécouvritdanslesalon,plongédanssespenséesetvêtusimplementdesonboxer-short.

—Pourquoinedors-tupas?Ilsursauta.—Lesommeiln’estpasmonfort.Ens’approchant,elleconstataqu’ilavaitl’airépuisé.Desridesdefatiguemarquaientsesyeuxet

lescommissuresdesabouche.— Tu devrais apprendre à lâcher prise de temps en temps, hasarda-t-elle. Tu te sens toujours

responsabledetout:deMondelli,d’Alessandra…Tasœuradelachancedet’avoir.Ilhaussalesépaules.—J’aifaitcequejepouvaispourcompenserl’absencedenosparents.Unsilencepesants’installaentreeux.Oliviahésitaitsurlaconduiteàtenir.Devait-elleresteroule

laisserseul?Ilneparaissaitpasd’humeurtrèsloquace.—PourquelleraisonGiovanninet’a-t-ilpasléguétoutdesuiteunnombresuffisantdepartspour

contrôlerl’entreprisefamiliale?Cettedécisionn’aaucunsens.Laquestionavaitsurgispontanémentet,maintenant,ilétaittroptardpourfairemachinearrière.Elle

levitfroncerlessourcils.—Commentl’as-tuappris?—Jel’aientendudirechezMondelli.—Jen’aiaucuneidéedecequiluiestpasséparlatête.Sansdoutenemejugeait-ilpasàlahauteur

delamission.—Tutetrompes.Ilavaitunehauteopiniondetoi.Ilteconsidéraitcommequelqu’und’extrêmement

brillant.Illuilançaunregardacéré.—Décidément,tusaisbeaucoupdechosesquej’ignore!ironisa-t-il.Lesarcasmelablessa.Elles’apprêtaitàbattreenretraitedanslachambrequandillasaisitparla

tailleetl’attirasursesgenoux.—Puisquenoussommestouslesdeuxréveillés,autantenprofiter.Elletentadeluirésister,maisellen’étaitpasdetaille.—Nousdevrionspeut-être…

—…recommencer,l’interrompit-il.IlsoulevaleT-shirtetpritsesseinsencoupe.—Jelesainégligéshiersoiretjetiensàréparercetteomission.Ilssontmagnifiques.Du pouce, il en effleura les pointes qui se durcirent sous la caresse.Olivia retint sa respiration

tandisqu’uneondedechaleurserépandaitdanstoutsoncorps,balayanttouteenviedefuir.Souselle,lemembredeRoccosedurcitinstantanément.

Il se pencha vers sa poitrine et aspira l’un desmamelons gonflés de désir entre ses lèvres puis,d’unelangueexperte,ilsemitàletitillertoutenglissantsamainentresescuisses.Oliviasentitleplaisirinondersonsexe.

—Viens,murmura-t-ild’unevoixrauque.Cédant à l’appel de ses sens, Olivia obtempéra. Curieusement, elle n’éprouvait aucune gêne,

seulementunbesoinimpérieuxdesatisfairesalibido.Elleseleva,luiôtasoncaleçonetsedébarrassadesonT-shirt.Leregardrivéausien,ellevintse

placer à califourchon au-dessus de lui et, prenant appui sur les accoudoirs du fauteuil, elle descenditlentementverssonsexeérigé.

—Doucement,cara,dit-il,lesmainsplaquéessurseshanches.Ellel’introduisitenelle,excitéeparl’accordparfaitdeleurscorps,puissemitàondulerlentement.—Continue,murmura-t-il,faisantuneffortmanifestepourseretenir.Ensemble, ils accélèrent le rythme jusqu’à ce qu’incapables de se retenir plus longtemps ils

s’abandonnentauplaisir.L’orgasme,d’uneintensitéinouïe,lessaisitenmêmetemps.Peu de temps après l’avoir portée jusqu’au lit, Rocco sombra dans le sommeil. Avant de le

rejoindredanslesbrasdeMorphée,Oliviasefélicitad’avoirmaintenusontraitementcontraceptifcar,dansleurempressement,ilsn’avaientmêmepaspenséàutiliserdepréservatif.Ellesongeaaussiquecethommeavaittoutpourqu’elleentombeamoureuse,etcetteidéeluifitpeur.

11.

Roccoenvisageaitd’allerretrouverOliviapourl’emmeneràlasoiréed’inaugurationdelaFashionWeekdeMilanlorsqueGabriellapointasonnezàlaportedesonbureau,laminehorrifiée.

—Nemeditespasquevousavezoubliévotrerendez-vousavecRenzoRialto!gronda-t-elle.Roccosefigea.Bonsang!Occupéàréglerlesderniersdétailsdespréparatifsdumariage,ilavait

complètementoubliécerendez-vous.—Sonassistantevientdem’appeler.Gabriella l’observait avec l’air inquiet d’une mère poule craignant que son poussin ne file un

mauvaiscoton.Etellen’avaitpasfranchementtortdes’inquiéteràsonsujet.DepuissonretourdeNewYork,dix

joursplustôt,iln’avaitplustoutàfaitsatêteàlui.Sestentativespourromprelecharmequ’exerçaitsurluisafutureépouseavaientéchoué lamentablement. Ilétaitdistrait, incapabledeseconcentrersursontravailcommeavant.

—Meaculpa.Qu’avez-vousinventécommeprétextepourm’excuser?—J’airacontéquevotreprécédenteréunions’étaitprolongéeetqu’ilvousavaitétéimpossiblede

vousenéchapper.Quevousétiezvraimentdésoléetquevousm’aviezdemandédefixerunautrerendez-vous.

— Parfait. Que ferais-je sans vous ? répondit Rocco en adressant à sa secrétaire un sourire degratitude.

En son for intérieur, il s’en voulait terriblement. Il devait rencontrer le P-DG deMondelli pourdiscuterdelastratégiecommercialeauxEtats-Unis,unmarchéd’uneimportancecrucialepourl’avenirdelamaisondecouture.RenzoRialtonemanqueraitpasdes’interrogersursonsensdespriorités,cequin’allaitpasarrangersesaffaires.

—Quelledatevousconviendrait?—Disonslasemaineprochaine,mêmejour,mêmeheure.Gabriellaacquiesçaetregagnasonbureau.Roccoassenauncoupdepoing rageursur sa tablede travail.L’organisationdece fichumariage

commençaitàprendre tropd’ampleur.Lestressd’Oliviaaussi.Etpourtant, la jeunefemmedémontraitbeaucoupdecourage.ElleavaitprissurellepoursurmontertantbienquemalsonanxiétélorsdudéfilédelaFashionWeekdeLondres.Elleaffrontaitavecdignitélescommentairesdesjournalistesmettantendoutesontalentetseperdantenconjecturessurcequis’étaitpasséencoulisses,àNewYork.

«OliviaFitzgeraldaperdudesoncharisme»,proclamaitun tabloïd.«LemannequinvedettedeMondelli, victime d’une crise d’angoisse », titrait un autre, sans doute renseigné par l’un des jeunesmodèlesdévorésd’ambitionquiavaientdéfilécesoir-làauLincolnCenter.

Lajeunefemmeparaissaitportéepar l’idéequ’auboutdecechemindecroixsonrêvede lancerenfinsaproprecollectionseréaliserait.Toutefois, toutescescritiqueslaminaient,sapaientsonmoral.C’étaitévident.Elleavaitlestraitstirés,dormaitpeuetsenourrissaitencoremoins.C’étaitcommesisaflammeintérieures’éteignaitpeuàpeu,etRoccosesentaittotalementimpuissant.

Ilauraitpourtantdûse réjouirquesapartenaire respecte les termesde leurcontrat,qu’elle fassebonnefigureenpublic.Sonavenirendépendait.Jamaislavaleurdel’actionMondellin’avaitatteintdetelssommetset,grâceengrandepartieàlanotoriétéd’Olivia,lesventesbattaientdesrecords.

Il semblait que plusLiv s’étiolait, plus les spéculations à son sujet allaient bon train, et plus lechiffred’affairesmontaitenflèche.

Assailliparunsentimentdeculpabilitédésormaisfamilier,Roccosemassalestempes.Lesseulsmomentsoùillavoyaitheureuse,c’étaitlorsqu’elletravaillaitavecMario,àl’atelierde

couture.Ouaulit,aveclui,cequicréaitunesourcesupplémentairedemalentenduentreeux.Pourlui,ilnepouvaits’agirqued’unerelationpurementphysique,tandisqu’Oliviasemblaityattacherunetoutautreimportance.L’éclatparticulierde son regardaprès leurs ébatsnocturnes la trahissait.Rocco se faisaitalorsl’effetd’unprofiteurdéloyal.

Sonregardtombasurlapilededossiersqu’ilavaitpréparéeenprévisiondesonrendez-vousavecRenzoRialto.

Queluiarrivait-il?Jamaisjusqu’àprésent,iln’avaitmanquélemoindrerendez-vous.Lesouvenird’unesoiréeentêteàtêteavecGiovanniàlaVillaMondelliluirevintenmémoire.A

l’occasiondesarécentenominationaupostededirecteurgénéral,songrand-pèreavaitsortiunexcellentcrudesacave.Levinaidant,leslanguess’étaientdéliées.

—Turessemblesàtonpèrequandilavaittonâge,luiavaitconfiéGiovanni.Lemêmeespritincisif,lemêmeflairpourlesaffaires.Malheureusement,Sandroestfragilepsychologiquementetcettefaiblesseamaintenantpris ledessus.Malgrél’amourquejecontinuedeluiporter, ilmefaithonte.Personnenem’aautantdéçuquelui.

Parlasuite, iln’avaitplusjamaisabordélesujet,maiscetteconversationavait instilléenRoccounesourdeangoissequi,depuis,nelequittaitpas:lapeurd’avoirhéritédelatarepaternelle.

Or,cettecrainterevenaitenforceletenaillerdepuisqu’ilavaitrencontréOlivia.Allait-illuiaussiselaisserentraînersurlapenteglissantequimèneàladéchéance?

Horsdequestion!Ildevaitseressaisir,nepasperdredevuesonobjectif.Ilpritlesdeuxinvitationspourlasoiréedegalaetserenditàl’atelierdecoutureoùiltrouvaOlivia

encompagniedeMarioetd’ungrouped’apprenties.Dixpairesd’yeuxsebraquèrentsurlui.Leprogrammedecoaching.Encoreunechosequiluiétaitsortiedel’esprit!Olivialuienavaitpourtantparlécematin,dansla

voiture.D’un signe, la jeune femme lui signifia qu’elle n’en avait plus pour très longtemps. Il choisit un

siège assez éloigné de la table de découpe autour de laquelle les échanges allaient bon train, maissuffisamment près pour lui permettre d’observerOlivia à son insu. Celle-ci semblaitmétamorphosée.L’enthousiasmeredonnaitunpeudecouleuràsesjouesetsesprunellesbleuesbrillaientd’enthousiasme.SonbonheurmanifesteachevadedonnerdesremordsàRocco.

Voilàcepourquoielleétaitfaite,etnonpours’exhibersurunpodiumouposerdevantunappareil-photo.Elleméritaitdevivresapassion,aulieud’enchaînerlessoiréesmondainessuperficiellesetlesdéfilésdemode.

Ilpritaussitôtsadécision:cesoir,ilneluiimposeraitpasunenouvelleépreuve.

***

Olivia attendit que l’équipe des apprenties ait quitté la salle avant de s’approcher de Rocco,retardantlepluspossiblelaconfrontationavecson«fiancé»quiparaissaitd’humeurplutôtsombre.

—J’aiapportémarobedecocktail.Jeseraiprêtedansdixminutes.Tunemetspastonsmoking?—Nousn’allonspasàlasoirée.—Vraiment?s’étonna-t-elle,s’efforçantdenerienlaisserparaîtreduplaisirqueluicausaitcette

nouvelle.—Vraiment.—Maispourquoi?—Parcequenitoinimoin’enavonsenvie,etquetuasbesoindetereposer.— Je peux très bien y assister, tu sais, si tu juges que cette réception est importante

professionnellement.S’est-ilproduitunévénementparticulieraujourd’hui?—Niente.Simplement,ilvautmieuxquetupassesunebonnenuitdesommeilafind’êtreenforme

pour le défilé de demain. Ce sera ta première apparition en Italie en tant que mannequin vedette deMondelli,ettoutlemonden’aurad’yeuxquepourtoi.

Olivia sentit sonestomacsenouer.Une foisdeplus, les journalistesguetteraient lemoindre fauxpas,telsdesprédateursàl’affût.Combiendetempsréussirait-elleàteniravantdecraquerpourdebon?

—Situasl’intentiondemeparlerdel’organisationdumariage,jepréfèreencoremerendreàlasoiréedegala,dit-elleprudemment.

Lanoceauraitlieudanstroissemainesetdemie,peuaprèslaFashionWeekdeParis.—Rassure-toi,nousn’aborderonspas le sujet. J’ainéanmoinsunequestion :oùenes-tuavec ta

robedemariée?—Marioetmoiavonsbienprogressé.Noussommestombésd’accordsurlemodèle.Unevraierobedeprincessedecontedefées, toutenéléganceetensimplicité, tropparfaitesans

doutepourunmariagefactice.—Super.Maintenant,rentronsàlavilla.A la perspective d’une soirée tranquille en tête à tête, Olivia éprouva un élan de joie, qu’elle

réprimaaussitôt.Elle était pathétique. Qu’espérait-elle au juste ? Que Rocco finisse par tomber éperdument

amoureuxd’elle?Inutiledesefairedesillusions.Ilneressentaitpourellequedudésir,riend’autre.

***

Ilsdînèrentdanslepatiodonnantsurlelac.Roccosemontraparticulièrementdrôleetprévenant.PlusOliviaapprenaitàleconnaître,plusellesuccombaitàsoncharme.Cethommen’étaitpasseulementbeauetsexy;ilavaitdel’humouretuneintelligencenettementau-dessusdelamoyenne.Sansoublierunegrandesensibilitéqu’ils’appliquaithélasleplussouventàdissimulerderrièreunmasqued’indifférenceetdefroideur.

Alafindurepas,ilseleva.—Prendstonverreetviensavecmoi,luidit-il.Ellelesuivitjusquesurlarivedulacoùunescalierenpierre,flanquédedeuxstatuesdedivinités

romaines,servaitdedébarcadèreauxinvitésarrivantàlavillaenbateau.Ilss’assirentcôteàcôtesurlaplus hautemarche et achevèrent de déguster leur vin en contemplant le coucher de soleil sur le pland’eau.

Roccofutlepremieràromprelesilence.—Jevenaissouvent ici lanuitquandj’étaisenfant.C’est iciquelescendresdemamèreontété

répandues.Lagorgeserrée,Olivianeditrien.

—Lecalmedecelieum’apaisait.Duhautdemesseptans,j’essayaisdecomprendrepourquoiledestinm’avaitprivédemèreetavaitdétournémonpèredudroitchemin.Pourcomblercevideaffectif,jem’étaisinventédesféesetdescréaturesimaginairesquihabitaientaufonddulac.

—Aquoiressemblaient-elles?—Adegentilsmonstresrecouvertsd’écaillesvertesetpourvusd’unelonguequeue.Emueparlaconfiancequ’illuitémoignaitenluilivrantcetteconfidence,Oliviaglissasamaindans

la sienne. Ils restèrent ainsi, immobiles, jusqu’à ce que le soleil ait disparu à l’horizon, puis ilsregagnèrentàpaslentslavilla.

Ellepensaitqu’ilserendraitdirectementdanssonbureaupourtravailler,maisill’accompagnadanslachambre.Quandelleeutachevédesedéshabiller,illapritdanssesbras,ladéposasurlelitetluifitl’amour avec une douceur qui la bouleversa. Il la regardait avec une telle intensité qu’un instant ellesongeaqu’ilavaitpeut-êtredessentimentspourelle.

12.

Dominéeparsonimposantecathédralegothique,lapiazzadelDuomobruissaitd’animation.C’estcetteplace—laplusgrandedeMilan—quelamaisondecoutureMondelliavaitchoisiepourorganiserledéfiléleplusattendudelaFashionWeekdeMilan.Pourl’occasion,desspotsbleusetvertsdonnaientàcelieuprestigieuxunaspectpresqueirréel.

Rocco se fraya un chemin dans la foule surexcitée en direction de la tente qui abritait lesmannequins.Ducoindel’œil,ilvitRenzoRialto,accompagnédesonépouse,luiadresserunsignedelamain.Impossibledesedérober.Ils’approcha.

Bien que sexagénaire, Veronica Rialto symbolisait une élégance tout italienne avec ses cheveuxargentés coupés court et sa robe de cocktail noire. En se penchant pour l’embrasser, Rocco ne puts’empêcherdesedemanderàquoiressemblaituneviedecouplesansamour.Ilavaittoujourspenséqu’ilen serait ainsi pour lui si jamais il se mariait un jour. Toutefois, depuis quelque temps, il se disaitqu’aprèsOliviailresteraitfortprobablementcélibataire.

Veronicasavait-ellequeRenzol’avaitépouséeparintérêt?Etlecaséchéant,ensouffrait-elle?—Tuesunvéritablemagicien!s’exclamacelle-ciavecchaleur.Cesderniersjours,iln’yenaque

pourMondelli.Ilestvrai,ajouta-t-elleavecunsouriretaquin,quevousledevezsurtoutàtaravissantefiancée.J’aihâtedelavoircesoir.

Roccosentitdenouveau laculpabilité lui tordre l’estomac. Il fallaitqu’ilparleàOliviaavant leshow.Ellen’avaitvraimentpasl’airenforme,cematin.

—Sivousvoulezbienm’excuser.Jem’apprêtaisjustementàallerlaretrouver.Derrière lerideauquifermait la tente, ildécouvrit lafrénésiehabituellequiprécèdelesdéfilés :

modèlesàdemi-nus,maquilleusesetdesignerscourantentoussens,lesunesarméesdeleurspinceauxetpalettes,lesautresdeleursépinglesetciseaux.

—OùestOlivia?s’enquit-ilauprèsd’unmannequinquipassaitàcôtédelui.—Auxtoilettes.Ilsedirigeaitverslessanitairesquandillavitensortir.Elleétaitd’unepâleurdecire.—Vatuttobene?luidemanda-t-il,aucombledel’inquiétude.—Oui,merci,jevaisonnepeutmieux,répondit-elled’untonsarcastique.Ill’attrapaparlebras.—Liv,quesepasse-t-il?Levolumesonoredelamusiqueaugmenta,annonçantledébutimminentduspectacle.—Lesennuisgastriqueshabituels.Jedoisyaller,maintenant.Plongédanssespensées,RocconeperçutlaprésencedeSavannaquelorsquecelle-ciluiadressala

parole.

—J’ignoraisquel’éditorialisteduFashionReportavait réussiàobtenirunlaissez-passer.Avantquejen’intervienne,ilparaîtqu’ellen’apascessédeharcelerOlivia.

Ilfituneffortpournepasexploserdecolère.—Ilfaudraveilleràl’aveniràcequecegenrededésagrémentnesereproduiseplus.—Oui.Jesuisdésolée.Rocco gagna sa place au premier rang. Il était furieux contre cette fouineuse qui avait importuné

Oliviaaupointdelarendremalade.Furieuxcontrelui-mêmequin’avaitpassulaprotéger.Décidément,ilavaitbeaudirigerunempirepesantplusieursmilliardsdedollars,dèsqu’ils’agissaitd’Olivia,ilnesemontraitpasàlahauteur.

Celle-ciapparutsurlascène,vêtued’unemagnifiquerobedusoirquidécouvraitsondosjusqu’aucreuxdesreins.Lesappareils-photocrépitèrentde toutesparts tandisqu’elleposaitsousunspotbleu.Avecsescheveuxblondsdénouésquitombaientencascadesursesépaules,sonregardbrillantrehausséparuntraitdekhôl,elleressemblaitàuneprincessevenued’unautremonde.

Rocco connaissait chaque parcelle de sa peau soyeuse, chaque courbe de son corps voluptueux.Pourtant,ilavaitlesentimentquel’essentielluiéchappait,etcontinueraitdeluiéchapperaussilongtempsqu’ils’évertueraitàmaltraitersasensibilité.

Aprèsleshow,RoccoetOliviadurentseprêteràuneséried’interviews.Ilsnes’attardèrentpasàlaréceptionquisuivit.Letempsdedistribuerdespoignéesdemain,d’échangerquelquesmotsaveclesinvitéslesplusimportants,puisilss’éclipsèrent.

Une fois de retour à l’appartement, Olivia se rendit directement sur la terrasse. Quand il l’yrejoignit,illatrouvaentrainderegarderfixementlapiscine,l’airabsent.

—Ques’est-ilpasséencoulisses?Ellesetournaverslui.— Le Fashion Report va publier un article sur moi, la semaine prochaine, avec comme fil

conducteurlescrisesd’angoissequi,paraît-il,sontcouranteschezlesmannequins.L’éditorialisteàquij’airefusédemeconfieral’intentiond’interrogerd’autresmodèlessouffrantdetroublesliésaustress.

Roccoserralespoings.—Jeferaiinterdirelaparution!gronda-t-il.Ellepritunairrésigné.—A quoi bon ? C’est toi qui m’as dit que je devais cesser de fuir, non ? Alors, laissons les

journalistesécrireleursragots.Après,ilsfinirontpeut-êtreparselasser.Sceptique,ilneréponditrien.—Tusaispertinemmentquepluslapressemesalit,pluslacotedeMondelligrimpe,ajouta-t-elle

d’untonamer.Laseulesolutionpourmettrefinàtoutcelaseraitquetumelibèresdemesengagements.Commetuneleferaspas,ilmeparaîtinutiledepoursuivrecettediscussion.

—Mêmesijelevoulais,jenelepourraispas.Lesenjeuxsonttropimportants,ilsnousdépassent.Tuasétésuperbe,cesoir.Continuesurcettevoie.AprèslaFashionWeekdeParis,lapresseteficheralapaixettuaurastoutleloisirdeteconsacreràlacréationdetesmodèles.

— Tu sembles oublier les défilés planifiés l’automne prochain pour présenter la collectionprintempsété.

—Jeterappellequetuasacceptélestermesdenotrecontrat.Tuétaisd’accordpourresterl’égériedeMondellipendantunan.Etcen’estpasenteremplaçantquejeterendraiservice,quejet’aideraiàvaincretesdémons.Aucontraire.Celateplaceraitensituationd’échec,bienplusquelescommentairesdesmagazines.

Ellelefusilladuregard.—Contrairementàtoi,jen’airiend’uneextraterrestre.Jesuisincapablederefoulermesémotions

parunsimpleeffortdevolonté,defairepasserlesobligationsprofessionnellesavanttoutlereste.

Cettecritiqueluifitl’effetd’uncoupdepoignard.—Jetetrouveparticulièrementinjusteàmonégard,objecta-t-ilfroidement.Depuisdessemaines,

jetesoutiensdumieuxquejepeux,chaquefoisquetuenasbesoin.J’aitoujoursétélàpourmafamilleetpourceuxquim’entourent.Alors,s’ilteplaît,nem’accusepasdeprivilégierletravailàtoutprix.

—Tut’apprêtesàm’épouserpour laseuleetuniqueraisonqueleconseild’administrationte l’aimplicitement demandé. Quelle autre preuve te faut-il pour admettre qu’en réalité tu es marié àMondelli?

— Donner un an de mon existence ne me paraît pas un sacrifice insurmontable au regard desbénéficesqu’entireral’entreprisecrééeparmongrand-père.

—Tuapportesdel’eauàmonmoulin.Jecomprendsquecettemascaradenetepèsepas,d’unepartparcequec’est toiqui enas eu l’idée, etd’autrepartparceque tune t’autorises jamais à écouter tessentimentsdepeurderessembleràtonpère.

Gênéparletourqueprenaitlaconversation,ilfronçalessourcils.—Dequoiparlons-nousexactement?Simamémoireestbonne,tuasaccepténotreaccordcartu

necroispasplusquemoiaugrandamour.—C’étaitavantdeteconnaîtrevraiment.Ils’aventuraitsurunterrainminéetiln’enavaitpaslamoindreenvie!—Olivia…—Désolée,Rocco,l’interrompit-elle,tuvasm’écouterjusqu’aubout.J’enaiassezdetapolitique

del’autruche.Quetuleveuillesounon,jesuistombéeamoureusedetoi.Neprétendssurtoutpasquetunet’esrenducomptederien.Aquandcelaremonte-t-il?Jel’ignore.Detoutefaçon,peuimportepuisquemes sentiments t’encombrent. J’ai commis l’erreur fatale de m’amouracher d’unMondelli. L’histoire,hélas,serépète.Or,j’aivulesdégâtsquecettepassionacauséschezmamère.

Il s’avança vers elle afin de la prendre dans ses bras pour que cesse cet échange stérile, pourrétablirlecontact,maisellebattitenretraite.

—Non,Rocco.Lesexenerésoutpastout.Cettefois-ci,tuneréussiraspasàm’amadouer…malgrédestalentsindéniables,jetel’accorde.Celanemarcheplus.

—Bonsang,Olivia!Queveux-tum’entendredire?Quej’éprouvequelquechosepourtoi?C’estlecasettulesais.

—Sicelal’était,tumerendraismaliberté.Tunem’obligeraispasàjouerunrôlequimedétruitàpetitfeu.Etpuis,tum’expliqueraiscequeturessensréellementpourmoi.

—Tumedemandesl’impossible.Elleeutunsouriretriste.—Giovannim’aditunjourqu’ilfallaittoujoursessayerdeviserl’impossible.Jem’étonnequ’ilne

tel’aitpasenseigné.J’assurerailedéfilédeParis.Pourlasuite,jeneteprometsrien.Ilsentitsonestomacsenouerensongeantàleurmariagequidevaitêtrecélébrésouspeuetauquelil

avaitinvitéprèsdecinqcentspersonnes.—Olivia!— Inutile d’insister. Tu as le pouvoir d’anéantir mon avenir professionnel, j’en ai parfaitement

conscience,maisjenetiendraipasunansousunetellepression.Surcesmots,elle tourna les talons, le laissantseulavecunsentimentdefrustration telqu’iln’en

avaitjamaisconnu.Pourlapremièrefoisdesavie,ilavaitl’impressiond’êtreécarteléentredeuxchoix.Pourautant,ilnepouvaitsepermettredelaisserlasituationéchapperàsoncontrôle.

13.

OliviapassalesquelquesjoursprécédantsondépartpourParisà l’appartementdeMilan,Roccoayantfinalementacceptéàcontrecœurdeluidonnerunpeud’espace.ElleconsacraleplusclairdesontempsàtravaillersursacollectionavecMario,toutensepréparantmentalementàsondernierdéfiléentantquemannequin.Après?Ellenesavait franchementpascequ’elleallait faire.Etpuis il lui fallaitdécidersi,ouiounon,elleserendraitàl’églisepourépouserunhommequinel’aimaitpas…

LeFashion Report publia son article la veille de lamanifestation. En réalité, il s’agissait d’undossier très complet sur les pressions auxquelles se trouvent confrontées les topmodels.En le lisant,seuledanssachambred’hôtel—elleavaitinsistépourqueRoccoresteàMilan—,Oliviaappritquebonnombrede ses collègues souffraientdesmêmesangoissesqu’elle, cequi la rassura.En revanche,l’idéequechacundansl’assistanceconnaissesespeursviscéralesrendaitleshowencoreplusintimidant.

Durantledéfilé,ellepuisasoncouragedanslacertitudequ’ilnetenaitqu’àelledeneplusjamaiss’exhibersurunpodium,maisaussidanslavolontédenepasdécevoirRocco.Saprestationluivalutlesovationsdupublic.

Le lendemain, elle fit comme prévu. Au lieu d’embarquer à bord du jet privé des Mondelli àl’aéroportCharles-de-Gaulle,ellepritunvolàdestinationdeNewYork.

C’étaitbienledernierendroitsurterreoùelleavaitenviedeserendremais,siellevoulaitvaincresesvieuxdémons,iln’yavaitpasd’autresolution.

Elletrouvasamèreentraindepréparersesvalisesenprévisiondumariageetdesdeuxsemainesdevacancesqu’ellecomptaits’accorderparlasuite.

—Nemedispasquetuaschangéd’avis!lançaTatumens’installantdanslesuperbecanapéencuirqu’elle avait achetéavec l’argentde sa fille— tout comme lenonmoins luxueuxappartement aucœurdeChelsea,d’ailleurs.

—Pourquoi?Parcequetucrainsquejenelaisseéchapperlegroslot?Samère,d’ordinaireimpassible,rougitviolemment.—Jeméritececommentaire, répondit-elleen lui adressantun regard implorant. J’ai abuséde ta

confiance et, crois-moi, je le regrette amèrement.Mais je te jure que j’ignorais que c’était à ce pointdifficilepourtoi.Sinon,jamaisje…

—Peuimporte,désormais,l’interrompitOliviaenbalayantsesexcusesd’unreversdemain.Jetepardonnedem’avoir ruinée.Ceque jene tepardonnepas,enrevanche,c’estden’avoir jamaisété làpourmoi,d’avoircontinuéàfairepressionsurmoialorsquej’étaisauborddugouffre.

Tatumbaissalesyeux.—J’aicommisuneerreur. Jepensaisque tumeressemblais,quepour toiaussi lestressétaitun

moteur,nonunfrein.

—Dois-jeterappelerquej’aieumespremièrescrisesd’angoisseàl’âgedequinzeans?objectaOliviadontletonmontad’uncran.Quinzeans!Commentpouvais-tuimagineruneseulesecondequejevivaisuncontedefées?

—Tuas raison.Jesuisunmonstred’égocentrisme.Jenemesuis jamaisvraiment intéresséeauxautres,j’enaiprisconsciencedepuispeu.

—MêmeàGiovanni?Ellevitlevisageliftédesamèresecrisper.—Lui,c’étaitdifférent.—Commentça,«différent»?—Jel’aimais,avouaTatumenhaussantlesépaules.—Ecoute,maman:jen’aipasparcourudesmilliersdekilomètrespourt’entendremeraconterdes

banalitésdignesdelapressepeople!Tumedoisuneexplication.—Giovanniavait toutceque j’attendaisd’unhomme.Jesavaisbienqu’iln’étaitpas libre,mais

c’étaitplusfortquemoi.Jelevoulais.Etquandilm’alaisséetomber,j’aivoulumourir.Oliviasentituneétrangeémotionluinouerlagorge.C’étaitlapremièrefoisquesamèremontraitun

peudesincérité.—As-tuseulementpenséàsafemme?Acequ’elledevaitendurer?—Nouséprouvionsl’unpourl’autreunepassionunique,dévorante,commetun’enconnaisqu’une

seuledanstonexistence—etencore,toutlemonden’apascettechance.Etait-elle comparable à ce que je ressens pourRocco ? s’interrogeaOlivia en semordillant la

lèvre.— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu t’es exposée à souffrir. Tu sortais avec un homme

marié.Qu’espérais-tu?—Qu’ilmechoisisse,moi.J’avaislaconvictionqu’ilquitteraitRosapourvivreavecmoi.Mais Giovanni en avait décidé autrement. La raison avait fini par primer. Il s’était détourné de

Tatum.Pardépit,celle-ciavaitfiniparenépouserunautreàquielleavaitensuitebrisélecœur.Olivianecommettraitpaslamêmeerreurquesonpère.Uncouplefondésurunamournonpartagé

étaitvouéàl’échec.Voilàpourquoiellenedevaitàaucunprixs’investirdanssarelationavecRocco.Elleobservasamèreensilence.Danssonregardaussibleuquelesien,ellesurpritunelueurde

fragilité.—Si tu avais le pouvoir d’effacer le passé pour tout reprendre à zéro, te comporterais-tu de la

mêmemanière?— Je l’ignore. Toutefois, ce qui importe aujourd’hui, c’est toi. Toi et cette vulnérabilité qui

t’empêchedevivreetdontjem’estimeengrandepartieresponsable.Aprésent,ilesttempspourtoidetourner la page. Nous ne sommes peut-être pas très proches,mais je peux t’affirmer que ta façon deregarderRocconelaissepasdeplaceaudoute.Tuaimescethomme.C’estévident.Alorsépouse-leetsoyezheureuxensemble.

Sauf qu’il s’agissait d’un mariage factice ! D’une comédie destinée à satisfaire leurs ambitionsprofessionnellesrespectives.

Oliviasentitsagorgeseserrer.Pourtant, ilexistaitentreeuxuneattiranceprofonde,unesortedelieninvisiblequilesunissaitl’unàl’autre.Leurpassionétaitmutuelle,elleenavaitl’intimeconviction.Demêmequ’ellen’avaitpasinventélesattentionsdontill’entourait,nil’expressiondetristessesursonvisagequandelleavaitembarquépourParis.Iléprouvaitdessentimentspourelle,ellevenaitjusted’enprendre conscience. Simplement, il ignorait comment le lui avouer. Ses appels téléphoniques répétésauxquelsellenerépondaitpassignifiaientqu’ilavaitautantbesoind’ellequ’elledelui.

Elle refoula les larmesqui luibrûlaient lespaupières. Il fallaitqu’elle levoie,qu’elle luiparle.Mais,avant,elleavaitunedernièredémarcheàeffectuer.

—Jedoisallerquelquepart.Veux-tum’accompagner?Samèrefronçalessourcils.—Tutemariesdansdeuxjours,Olivia!—Jesais.

***

SouslesoleilaveuglantdeMilan,Roccoattendaitnonloindelapisteréservéeauxvolsprivés,unbouquetdelysà lamain.Lesfleursfétichesd’Olivia,d’aprèslepeud’informationsquesafiancéeluiavaitdévoilésursesgoûtsetsespréférences.C’étaitlapremièrefoisqu’ilaccueillaitunefemmeaveccegenred’attentions,etilsesentaitunpeuridicule.

Ilvitsonjetamorcersadescenteetéprouvauneboufféed’impatience.Ilavaiteutortd’accepterderestericiaulieud’accompagnerOliviaàParispourlasoutenirdanscetteépreuvequiclôturaitlasaison.Lorsqu’ill’avaitimaginée,seuledanssachambred’hôtel,entraindelirel’articleduFashionReport,laveilledudéfilé,ils’étaitdégoûté.Quelégoïste!Sanstenircomptedel’angoissequilarongeait,ilavaitexercéunepression terrible sur la jeune femme.Et toutçapourquoi?Parceque l’égériedeMondellirapportaitgrosàlamaisondecouture!

Finalement, Olivia avait raison : il privilégiait les affaires avant toute chose, il avançait tel unbulldozer,sanssesoucierdesdommagescollatérauxqu’ilpouvaitcauser.

Il sesentait las.Cesderniers temps, il s’était jetéàcorpsperdudans le travailafinde la teniràdistance,alorsqu’iln’avaitqu’uneenvie:êtreavecelle.Etpasuniquementaulit.Laprésenced’Oliviailluminaitsonquotidien.Cematin,tandisqu’ilpassaitenrevuelesexcellentsrésultatsdumois,ilavaitsoudainréaliséquel’argentetlesuccèsnevalentriensansquelqu’unavecquilespartager.Ildevaitsesortirdelatêtecetteidéeridiculeselonlaquelleaimerrendvulnérable,ildevaitcesserdesementiràlui-même.Oliviaétaitlafemmedesavie,ilenavaitlacertitudeabsolue.Etilseraitunsacréimbéciles’illaissaitpassersachanced’êtreheureux.

Lejetatterritendouceuretvintsegareràquelquesdizainesdemètresdelui.DeuxdesassistantesdeMario—lequelavaitdécidédeprolongersonséjouràParis—endescendirent.Illessalua,notantaupassageuncertainembarrasdansleurattitudeàsonégard.

Toujourspasd’Olivia.Quefabriquait-elledoncdanscetavion?Il vitChris, le pilote, débarquer à son tour et s’approcher de lui, l’airmanifestement surpris en

apercevantlebouquetdefleurs.—Olivianevousa-t-ellepasprévenuqu’elleprenaitunautrevol?—Miscusi?Chrisrougit.—Ellen’estpasrentréeavecnous.Ellenousaditqu’elleavaitbesoindefaireunbreak.Jepensais

qu’ellevousavaitaverti.Rocco eut l’impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine. Il avait espéré que les

quelquesjoursdeséparationluiauraientsuffi,qu’ellereviendraitpourtirerleschosesauclairaveclui.Ilavaitattendutroplongtempset,maintenant,elleluiéchappait!

—Ellem’aconfiécecipourvous,ajoutalepiloteenluitendantuneenveloppe.Roccos’enempara.Lalettreserésumaitàtroisphrasestrèscourtes.

J’aidesaffairesàrégleràNewYork.J’aibesoinde tempspourréfléchir.J’espèrequetucomprendras.

Incrédule,ilrelutlemessage.Besoinde temps?Combiende tempsexactement?Dansdeux jours, ilsétaientcenséssemarier

devantcinqcentspersonnes!Furieuxcontreelle,contrelui-même,contrelaterreentière,iljetaleslysdanslapremièrepoubelle

venueets’engouffradanssavoiture.DeretourausiègedeMondelli,iltrouvaAdamoquil’attendait.—Qu’ya-t-ilencore?aboya-t-il.—Bonjour,réponditcalmementlenotaire,sansselaisserdémonterparcetaccèsd’agressivité.Je

t’apportelaversiondéfinitiveducontratdemariage.L’ironie de la situation achevademettreRocco en colère. La futuremariée ayant pris la poudre

d’escampette,cefichudocumentn’avaitpluslieud’être.Ilsaisitlecontratetledéchirasousleregardmédusédesonvisiteur.—J’aiautrechosed’importantpourtoi…Jeterecommanded’enprendreconnaissanceavantdele

réduireenconfettis.Adamoseleva,déposauneenveloppesurlebureauetsortitsansajouterunmot.Sur l’enveloppe était indiqué : «A remettre au destinataire juste avant sonmariage ». Rocco

reconnut immédiatement l’écriture de Giovanni. Voilà que son grand-père s’adressait à lui depuis leroyaumedesmorts!

Unesourdeappréhensions’emparadelui.Ilouvritlecourrier.

Montrèscherpetit-fils,Quand tu recevras cette lettre, je serai mort depuis un certain temps. Toi mieux quequiconque sais combien je me réjouis de retrouver ma Rosa après toutes ces années deséparation.Depuisqu’ellem’aquitté,jenevisplusqu’àmoitié.Lorsquetulirasceslignes,tuaurasaussiapprismaliaisonavecTatum.Iln’ajamaisétédansmesintentionsdetrahirlesvœuxquim’unissaientàtagrand-mère.Jemedoutequelapiluleteparaîtradureàavaler,toiquiplaceslesensdel’honneuretdesresponsabilitésau-dessusdetout.Jesouhaitenéanmoinsque,toiaussi,tuvivesunerelationpassionnelleaveccellequetut’apprêtesàépouser.Celat’aidera,sinonàexpliquermesactes,dumoinsàlesjustifier.Parailleurs,tut’interrogescertainementsurlesraisonsquim’ontincitéànepasteléguerd’emblée toutesmes parts de l’entreprise familiale.Ne t’imagine surtout pas qu’il s’agitd’unmanquedeconfiance.Tuasplusdedroitureetd’énergiequetonpèreetmoiréunis.Cefaisant,jevoulaissimplementtelaisserletempsdedécouvrirquituesvraiment,aufonddetoi,decomprendrequel’amourneconstituepasunefaiblesse,maisuneforce.Si, comme je le pressens et comme je l’espère, l’élue de ton cœur n’est autre qu’Olivia,sache l’entourer de tendresse. Cette jeune femme est un pur joyau. Elle a traversé desmomentsdifficilesetadroitaubonheur.Dèsquejel’airencontrée,j’aitoutdesuitesuquevousétiez faits l’unpourl’autre.Jecroiselesdoigtspourquemonintuitionnem’aitpastrompé.Poursuis ton chemin comme tu l’as toujours fait, Rocco, avec courage et détermination,maisn’oubliepastasensibilitésurleborddelaroute.Jet’embrasse,Tongrand-pèrequit’aime.

Submergéparl’émotion,Roccodemeuraassisunlongmoment,leregardembuédelarmesetperdudanslevague.

LaclairvoyancedeGiovanni le stupéfiait.Ceque levieilhommen’avait en revanchepasprévu,c’estquesonpetit-filspouvaitsemontrerlâchequandils’agissaitdes’engagersentimentalement.

Roccoenfouitsonvisagedanssesmains.Pourlapremièrefoisdesavie,ilsesentaitimpuissant.

14.

Un soleil radieux brillait dans un ciel sans nuages, au-dessus du lac de Côme dont la surfacemiroitante reflétait l’écrin des montagnes alentour. Sur les pelouses tondues de près, une fouled’employéscouraiententoussens,occupésàdresserlestablesducocktailetàinstallerlesbancsdevantlapetitechapelleoùl’archevêqueenpersonneavaitacceptéd’unirRoccoMondellietOliviaFitzgerald.Lapropriétén’avaitjamaisétéaussibelle.

Un cadre parfait pour lemariage qui fait la une des journauxmondains ! songeaRocco avecamertume.

Aseulementquatreheuresdelacérémonie,riennemanquait…sauflafuturemariée.Debout sur la terrasse, en compagnie de Stefan Bianco, ChristianMarkos et Zayed Al Afzal, il

observaitlespectacledecetteruchequis’agitaitpeut-êtreenvain.Oliviaallait-elleluiinfligerl’humiliationdenepasvenir?Deleplanterlà,devantl’autel,enface

decinqcentspersonnes?A leurs mines, Rocco devinait que ses trois compères partageaient son anxiété. Christian

réfléchissaitmanifestementàunplanB,tandisqueStefansemblaitauborddel’apoplexie.«Jet’avaisbienditqueturisquaisgrosaveccettefille»,avait-ildéclaréàsonarrivée,laveilleau

soir,lorsqu’ilavaitapprisquelafiancéerestaitintrouvablevingt-quatreheuresavantlanoce.Quant à Zayed, il paraissait plutôt choqué. Lui, qui gouvernait pourtant avec intelligence et

perspicacitéunroyaumedeplusieursmillionsd’habitants,semblaitdépasséparlesévénements.—Bon,ilfautagir,maintenant,lançaChristian.Quefait-on?—Siellem’aime,elleviendra.—Bienvu!renchéritZayed.—Sijeluimetslamaindessus,ellevapasserunsalequartd’heure!explosaStefan.Jevousle

garantis!—Celan’arrangeraitpaslasituation,objectaZayed.Jesuggèrequenousgardionsnotresang-froid.—D’accord,maisdansquatreheures,cinqcentsinvitésvontdéboulerici.Alors,situasuneidée

lumineuse,c’estlemomentoujamaisdenouslacommuniquer!Roccosedécidaàintervenirafind’éviterqueletonmonte.—Jevais faireunsautà l’appartementdeMilan.Oliviaadore la terrasse.Elle s’yestpeut-être

réfugiée.—Elleaapprisàseservird’untéléphoneportable,non?rétorquaStefan.Elleauraittoutdemême

putepasseruncoupdefil.Roccoluiadressaunregarddereproche.Ilsavaitquesafiancéesetrouvaitsurlesolitalien.Levol

enprovenancedeNewYorkavaitatterriàMilanendébutdematinée.Depuis, la jeunefemmen’avait

donnéaucunenouvelle.Pourquoi?Ildevaitenavoirlecœurnet.—Zayedettoi,vousrestezicietvoussupervisezlesopérations.Quantàtoi,ajouta-t-ilenlançant

sesclésdevoitureàChristian,tum’accompagnes.Prendslevolant.Il ne se sentait pas en état de conduire. Il avait besoin demettre de l’ordre dans ses idées, de

réfléchiràcequ’ildiraitàOlivia…sijamaisilenavaitl’occasion.Cinquanteminutes plus tard,montre enmain, le bolide se garait devant l’immeublemilanais. La

gouvernanteeutunairscandaliséenapercevantRocco.Elleseradoucitenapprenantl’objetdesavisiteetréponditquenon,ellen’avaitpasvuMlleFitzgeralddepuisunesemaine.

Les deux hommes repartirent aussitôt en direction de la VillaMondelli. Ils étaient à mi-cheminquandlasonneriedutéléphoneportablelestiradeleurmutisme.

C’étaitStefan.—J’aipenséquetuaimeraissavoirquetafiancéearefaitsurface.Enfin,pasvraiment,puisqu’elle

s’estdenouveauvolatilisée,kidnappéeparAlessandraetMario.Cecidit,tupeuxencorechangerd’avisausujetdumariage.Auquelcas,jemeferaiunplaisirdeluitransmettrelemessage.

Roccosentitsoncœurtambourinerdanssapoitrine.Desoulagement.Debonheur?—Fiche-luilapaix.Nousrentrons.Pourcombledemalheur,unaccidentdelacirculationbloquaitl’autoroute.Roccorepritlevolantet,

piedauplancher,empruntal’itinérairesecondairequimenaitaulacenpriantpourarriveràtemps.

***

—Ilsreviennent,annonçaAlessandra.La futuremariée s’arracha à la contemplation du lac et adressa un pâle sourire à sa demoiselle

d’honneur.Laveille,elles’étaitrendueavecsamèreàBrooklynsurlatombedePetra,pourlapremièrefois.

Cette démarche l’avait aidée à accepter que son amie ait disparu à jamais. L’épreuve avait été plusdouloureuse que prévue, mais Olivia avait quitté New York avec le sentiment que cette ville ne lahanteraitplus,qu’ellepourraityretournersansarrière-penséeetpeut-êtremêmerenoueravecsamère.

Il était tempspourellede faire sondeuil, de tourner lapagepour se consacrer à sonavenir.Unavenirqu’ellen’envisageaitplussansRocco.Ettantpissielles’exposaitàsouffrir.Nevalait-ilpaslapeinedeprendredesrisquesplutôtquedepasseràcôtédubonheur?

Ilfallaitabsolumentqu’elleparleàRocco.—S’il vous plaît, insista-t-elle en lançant un regard implorant à la blonde stressée, chargée de

l’organisationdelaréception.—Impossible,répliquacelle-ci,inflexible.Certainshautsdignitairesdoiventpartirdèslafindela

cérémonie, et nous avonsdéjà unedemi-heure de retard sur le planning.Après, vous pourrez discuterautantquevouslevoudrez,maispasmaintenant.

Oliviaduts’incliner.Ellerejoignitlachapelleenbateau.Elleavaitbeausesentirrassuréeparlaprésenced’Alessandra

à ses côtés, elle ne put réprimer un frisson d’angoisse en découvrant les cinq cents invités, en tenued’apparat,quin’attendaientplusqu’elle.

Prioriténuméroun:inspirerprofondémentpoursedécontracteretéviterainsidegâchersonarrivéeparunechutespectaculairesurlepontonassezglissantdudébarcadère.

Flanquédesestroisamis,Roccosetenaitdeboutdevantlachapelle,àunetrentainedemètresdelarive.Ilétaitsibeaudanssonsmokingqu’elleeneutlesoufflecoupé.Ellerivasonregardausien,commecherchantlaréponseàlaquestionquilataraudait:etsielles’étaittrompée?Ets’ilnel’aimaitpas?Il

était hélas trop loin pour qu’elle puisse déceler lamoindre émotion dans les yeux sombres qui ne laquittaientpas.

Lequartetentonna leCanondePachelbel.Auprixd’unviolenteffort,elle refoula les larmesquimenaçaientdedéborderetserrafurieusementsonbouquetdelys.Ellefitunpremierpasversl’autel,puisunsecond.Lessuivantsluiparurentmoinsdifficilesàenchaîner.

S’apprêtait-elleàsacrifierdouzemoisdesonexistencepourréalisersonrêveprofessionnelouàunirsondestinàceluiquiavaitravisoncœur?Elleavaitbesoindelesavoir.

Devinantl’hésitationd’Olivia,Roccosentitlapaniquelegagner.Allait-ellerebrousserchemin?Ilformula une prière muette. Son pouls martelait si fort ses tempes qu’il ne perçut pas les murmuresadmiratifs qui accompagnaient la jeune femme tandis qu’elle s’avançait lentement vers lui, un sourirecrispéplaquésurleslèvres.Elleétaitabsolumentmagnifiquedanssarobedetulleivoirequiépousaitsescourbesravissantes.

A son regard chargéd’appréhension, il sut cequ’il devait faire. Il alla à sa rencontre et prit sesmainsglacéesdanslessiennes.

—Turessemblesàunefée,murmura-t-ild’unevoixétrangléeparl’émotion.—Commecellesquipeuplentlefonddulac?—Plusbelleencore.—J’avaispeurquetuchangesd’avisetquetuneviennespas.J’avaispeurdenepaspouvoir te

direcequejeressenspourtoi.—Dis-le-moi.J’aibesoindel’entendre.Indifférentauxcentainesdepairesd’yeuxcurieux, interloquésouattendris,braqués sureux, il se

penchavers sonoreille. Peu importait l’étiquette.Cequi comptaitmaintenant, c’était de lui avouer lavérité,tellequ’ill’acceptaitenfin.

—OliviaFitzgerald,jet’aimecommeunfoudepuislesoiroùtut’esréfugiéedansmesbras,àNewYork,aprèsledéfilé.Quandjet’aivuetedirigerversGuillermoVillanueva,j’aicruquemoncœurallaitcesser de battre.Mais je ne voulais pas l’admettre. Je craignais de devenir commemon père, d’êtrefaible,desouffrir.Cequejen’avaispasprévu,c’estqu’unefoisquetuentreraisdansmonuniversjenevoudraisplust’enlaissersortir.

—Rocco…,marmonna-t-elle,émueauxlarmes.Ilposaundoigtsurseslèvrespourl’empêcherdepoursuivre.Ildevaitallerjusqu’aubout.—Je te libèredenotrecontrat,ycomprisde laclausedumariagesi tu lesouhaites. Iln’estpas

encore trop tard pour fairemachine arrière.Tupourras toujours compter sur le groupeMondelli pourt’aideràlancertacollection.Uneseulechosemepréoccupedésormais:tonbonheur.

Quandelleluiadressaunsourireéblouissant,unsourireàfairefondrelecœurleplusendurci,ilsesentitchavirer.

— Je me suis rendue sur la tombe de Petra. Maintenant, je suis prête à tourner la page. C’estpourquoijerespecteraimonengagementàlalettre,àcommencerparcemariage.Carmaintenantjesaisqu’ilnes’agitplusd’unemascarade.Tunebluffespas,n’est-cepas?

—Jen’aijamaisétéaussisérieuxdemavie,monamour.L’orchestre, indécis, entonna lemorceau prévu pour la fin, tandis que la blonde chargée du bon

déroulementdelaréceptionroulaitdesyeuxexorbités.Ellesemblaitauborddel’apoplexie.—Nousavonsdéjàassezabusédelapatiencedenosinvités,cara.Jesuggèredenepaslesfaire

attendrepluslongtemps.Illuipritlamainetnelalâchaplusdetoutelacérémonie,saufpourl’échangedesalliances.C’est

avec une gravité solennelle qu’ils s’engagèrent mutuellement, devant un archevêque quelque peudésarçonnéparlatournureinsolitedesévénements,àsechérirjusqu’àcequelamortlessépare.

Saluéparuntonnerred’applaudissements,unbaiserscellaleursvœux.

***

AprèsqueRocco lui eutdéclaré sonamour,Oliviaeut l’impressionde flotter surunpetitnuage.Félicitations, champagne, petits fours, séance de photographie, puis dîner fin : tout se déroula commedansunrêve.

Les jeunes mariés partagèrent leur table avec leurs amis et Alessandra. Stefan et Zayed nesemblaientpasinsensiblesaucharmedeViolettaetdeSophia.QuantàChristianetAlessandra,assiscôteàcôte,ilssemontrèrentétonnammentsilencieux.

TatumFitzgeraldavait,elle,lamissiondesurveillerSandroafinqu’ilneselivrepasàsesexcèshabituels,cequinel’empêchapasdeflirteravecsonvoisindetable,unprincesaoudien.

Olivia fut soulagée de constater que son père et sa belle-mère, placés à l’autre bout de la salle,avaient,euxaussi, finiparsedétendreetparaissaients’amuserencompagniedeprochesde lafamilleMondelli.

Unefoislesdessertsservis,l’orchestreentamaunslowlangoureux,etelleouvritlebalavecRocco.—Merci,monchéri,murmura-t-elle,lovéecontrelui.Toutestabsolumentparfait.—Ilnemanqueplusqu’unechose,maispourcelanousdevronshélasattendreunpeu,répondit-il

avecunsouriredeconnivence.Olivia valsa ensuite avec sonpère.Audébut, elle fut un peu crispée.Elle avait l’impressionde

danseravecunétranger.—Tuasl’airheureuxavecElla,dit-elle.—EttoiavecRocco.Liv,je…—Inutiledetejustifier,papa.Jecomprends,jet’assure.Ellesurprituneémotionintensedansleregardpaternel.—Parfois,tusais,tuluiressemblaistellementquelesimplefaitdeteregardermerappelaittoutce

quej’avaisperdu.—Neparlonsplusdupassé,veux-tu?Pensonsauprésent.Jesuisheureusequetusoislà.Lorsqu’elleeutdanséaveclestroisautresmembresduquatuordeColumbia,elleseretrouvaenfin

dans les bras de son mari. Entre-temps, celui-ci avait discuté avec son propre père. Il leur restaitbeaucoup de chemin à parcourir,mais ils avaient néanmoins franchi un premier pas sur la voie de laréconciliation.

—Rocco?—Oui,tesoro?—Etsinousnouséclipsions?Enguisederéponse,il l’entraînadiscrètementàsasuite.Unefoisàl’abridesregardsindiscrets,

Oliviarelevasarobejusqu’auxgenoux,etilsmontèrentquatreàquatrelesdeuxétagesquilesséparaientdeleurchambre.

Là, ilssedonnèrent l’unà l’autresansretenue,sansarrière-penséeetsanspeurdulendemain.Ilsavaient, chacun, terrassé définitivement leurs vieux démons. Il leur appartenait désormais de bâtir unavenircommun.

Olivias’endormittarddanslanuit,comblée,lesourireauxlèvresensongeantàtouslesbonheursquil’attendaient.

***

SivousavezaiméUneindomptablefiancée,

nemanquezpaslasuitedelasérie:«Lesmariésdel’été»,

dèslemoisprochaindansvotrecollectionAzur!

TITREORIGINAL:THEITALIAN’SDEALFORIDO

Traductionfrançaise:SOPHIEBRUN

HARLEQUIN®

estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin

Azur®estunemarquedéposéeparHarlequin

©2015,HarlequinBooksS.A.

©2016,Traductionfrançaise:Harlequin.

Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:

HARLEQUINBOOKSS.A.

Tousdroitsréservés.

ISBN978-2-2803-5420-2

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

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