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LITTÉRATURE 16 Éditorial DÉCOUVERTE Des proportions ... A lors que la dernière fournée de réfugiés arrive, peut-être, à Cibitoke, fuyant les bruits de bottes et des canons à l’Est de la République Démocratique du Congo, parallèlement, la scène littéraire de la région des Grands Lacs bouge. Et beaucoup. Avec, par exemple, le Festival d’Avignon, qui a rendu hommage à l’histoire contemporaine du Rwanda et de la RDC. Avec, respectivement, la pièce Hate Radio sur le rôle de la Radio Milles Collines dans le déclenchement du génocide de 1994 d’un côté, de l’autre, deux voix importantes de l’actualité litté- raire congolaise : Marie-Louise Bibish Mumbu, et Fiston Mwanza Mujila. Au Burundi, en plus du lancement d’un prix littéraire anglais (Andika Prize) et de son frère en français (Prix Michel Kayoya, à sa cinquième édition), on attend impatiemment l’arrivée de la ver- sion papier de l’anthologie “Littérature de langue burundaise” au Burundi, du Professeur Juvénal Ngorwanubusa. A noter aussi le formidable travail de collecte numérique dans le domaine littéraire qu’effectue le nouvel- liste et poète Thierry Manirambona, sur son blog http://laplumeburundaise.com/ Et puis, comment ne pas oublier toutes les belles initiatives entreprises par l’association Sembura (http://sembura.wor- dpress.com/), dont une série d’ateliers d’écriture à la mi-août à Kigali, sa présence au Babel Festival (Suisse) en ce mois de septembre pour accompagner la littérature des Grands Lacs. Proportionnellement donc aux bruits des armes, les cris d’amitié, de mémoire et d’appel au partage fusent autour de nous. Espérons que ces derniers l’emportent. Roland Rugero Une lecture de «La force d’espérer», de Denise Nkurunziza (Éd. L’Harmattan, Collection Points de vue, 18 Euros - 50.000 Fbu - Juillet 2013) a n’est pas un ouvrage d’histoire. Encore moins un texte de vocation politique. C’est le récit de la vie d’une burundaise ordi- naire, issue de la bourgeoisie rurale (si l’ex- pression existe), et qui se retrouve, une trentaine d’années plus tard, Première Dame du Burundi. Ainsi faut-il comprendre ces nombreux passages où l’épouse de l’actuel numéro un burundais, origi- naire, comme lui, de Ngozi, nous fait voir ses peurs, les combat de chair et de coeur pour rester fidèle à la mémoire d’un mari parti au maquis en quit- tant les amphithéâtres de l’Université du Burundi. Ainsi faut-il comprendre cette description typi- quement mémorielle, où, dans ce chapitre intitulé «La séparation» (p. 89), Nkurunziza est présenté comme l’homme-providence par lequel la rébel- lion Cndd (puis, plus tard, Cndd-Fdd) prend forme. Ou, encore, cet incroyable récit d’une rencontre nocture ô combien romantique, huit ans après, à Ç

Une lecture de «La force d’espérer», de Denise Nkurunziza · 2013. 9. 16. · • Ladivine, Marie Ndiaye, Gallimard • Larosedanslebusjaune, Eugène Ebodé, Galimard • Le

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Page 1: Une lecture de «La force d’espérer», de Denise Nkurunziza · 2013. 9. 16. · • Ladivine, Marie Ndiaye, Gallimard • Larosedanslebusjaune, Eugène Ebodé, Galimard • Le

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Littérature

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Éditorial

DÉCOUVERTE

Des proportions ...

Alors que la dernière fournée de réfugiés arrive, peut-être, à Cibitoke, fuyant les bruits de bottes et des canons à l’Est de la République Démocratique du Congo, parallèlement, la scène littéraire de la région des Grands Lacs bouge. Et beaucoup.

Avec, par exemple, le Festival d’Avignon, qui a rendu hommage à l’histoire contemporaine du Rwanda et de la RDC. Avec, respectivement, la pièce Hate Radio sur le rôle de la Radio Milles Collines dans le déclenchement du génocide de 1994 d’un côté, de l’autre, deux voix importantes de l’actualité litté-raire congolaise : Marie-Louise Bibish Mumbu, et Fiston Mwanza Mujila.

Au Burundi, en plus du lancement d’un prix littéraire anglais (Andika Prize) et de son frère en français (Prix Michel Kayoya, à sa cinquième édition), on attend impatiemment l’arrivée de la ver-sion papier de l’anthologie “Littérature de langue burundaise” au Burundi, du Professeur Juvénal

Ngorwanubusa. A noter aussi le formidable travail de collecte numérique dans le domaine littéraire qu’effectue le nouvel-liste et poète Thierry Manirambona, sur son blog http://laplumeburundaise.com/

Et puis, comment ne pas oublier toutes les belles initiatives entreprises par l’association Sembura (http://sembura.wor-dpress.com/), dont une série d’ateliers d’écriture à la mi-août à Kigali, sa présence au Babel Festival (Suisse) en ce mois de septembre pour accompagner la littérature des Grands Lacs.

Proportionnellement donc aux bruits des armes, les cris d’amitié, de mémoire et d’appel au partage fusent autour de nous. Espérons que ces derniers l’emportent.

Roland Rugero

Une lecture de «La force d’espérer», de Denise Nkurunziza(Éd. L’Harmattan, Collection Points de vue, 18 Euros - 50.000 Fbu - Juillet 2013)

a n’est pas un ouvrage d’histoire. Encore moins un texte de vocation politique. C’est le récit de la vie d’une burundaise ordi-naire, issue de la bourgeoisie rurale (si l’ex-

pression existe), et qui se retrouve, une trentaine d’années plus tard, Première Dame du Burundi. Ainsi faut-il comprendre ces nombreux passages où l’épouse de l’actuel numéro un burundais, origi-naire, comme lui, de Ngozi, nous fait voir ses peurs, les combat de chair et de coeur pour rester fidèle à la mémoire d’un mari parti au maquis en quit-tant les amphithéâtres de l’Université du Burundi. Ainsi faut-il comprendre cette description typi-quement mémorielle, où, dans ce chapitre intitulé «La séparation» (p. 89), Nkurunziza est présenté comme l’homme-providence par lequel la rébel-lion Cndd (puis, plus tard, Cndd-Fdd) prend forme. Ou, encore, cet incroyable récit d’une rencontre nocture ô combien romantique, huit ans après, à

Ç

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Les mots pour le dire

Fiston Mwanza Mujila, le théâtre africain, à Avignon

Dar-es-Salaam, entre l’agent de la Pafe (Police des Airs, des Frontières et des Étrangers) et le chef rebelle, close par une phrase riche : «Ce fut pourtant une très belle et paisible nuit.»

Entre le non-dit et la pudeur typique-ment burundais, il y a quelque chose d’autre, peut-être la grande leçon de cette autobiographie de 176 pages : que la femme burundaise peut et fait corps avec la grande et la petite his-toire du pays. Souvent inconnue, elle est pourtant celle qui a, en grande partie, tenu les fragiles fils du tissu social du Burundi en guerre. Face aux hommes qui ont cru en la force des armes, elle a opposé des larmes,

la patience, l’attente, le déses-poir, parfois, Dieu, souvent, mais surtout l’espoir. Croire que ses enfants vivraient mieux le lende-main, jour après jour. Croire en l’humanité.

Et c’est peut-être parce que le roman est voix d’une femme qui ne fait pas dans la politique (elle s’en méfie, même, lui préférant la foi en Dieu) qu’il porte en lui des maladresses, une partialité qui surprend ... chez une Première dame. «Comment me définir», se demande l’auteur. «Avant tout un serviteur de Dieu ...»

C’est son pari, au récit : raconter le «je» sans les fioritures de la bienséance hy-pocrite. Pari réussi, à mon avis.

On regrettera toutefois les coquilles qui émaillent encore le texte sous sa forme d’édition. Tout comme le prix : 50.000 Fbu l’exemplaire, autant dire qu’il restera inaccessible à la très large majorité de Burundais.

On saluera la force d’espérer, donc, ou mieux !, l’attente d’autres témoignages, des Burundais dans leur diversité, sur ce qui a été, qui est, ou qui serait. La communion de la parole, ijambo.

Roland Rugero

La 67ème édition du Festival d’Avignon été l’occasion de redécouvrir la vitalité du théâtre africain. A côté du triomphe de Hate Radio mise en scène par Milo Rau1, la Radio France Internationale s’est proposée d’offrir «une traversée de la création théâtrale africaine en lecture multimédia»2

Enregistré dans la Cité des papes et présenté par Pascal Paradou, « Ça va, ça va, l’Afrique ! » regroupe six textes de théâtre dirigés par Catherine Boskowitz et est à découvrir sur www.rfi.frIwacu vous propose la rencontre avec l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila, dont le texte «Et les moustiques sont des fruits à pépins» était lu ce 13 juillet à Avignon en première mondiale ...

1http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/07/23/radio-mille-collines-la-tuerie-dans-la-bonne-humeur_3451319_3246.html2 Un projet de RFI en partenariat avec le 67ème Festival d’Avignon et le soutien de la SACD dans le cadre de son action culturelle radio

Les comédiens Moanda Daddy Kamono, Richard Sammut, Annie Mercier, Raoul Fernandez et Abdon Fortune Koumbha lors de la lecture de «Et les moustiques sont des fruits à pépins», de Fiston Nasser Mwanza.© RFI/Pascal Gely

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Et les moustiques sont des fruits à pépins ! En êtes vous sûr ?

Oui, je pense que c’est la belle figure pour expri-mer le chaos.

C’est une pièce familiale ou politique ? Je pense qu’il y a toujours quelque chose de poli-tique dans la famille, et la politique commence dans la cellule familiale.

Où s’inscrire cette pièce dans votre travail, puisque vous êtes un jeune auteur, vivant en Autriche, souvent à Bruxelles, originaire de la RDC, on vous découvre, d’une certain façon, en France ici à Avignon ...Pour moi, ce qui est important ce n’est pas le genre littéraire, mais la langue. Quand j’étais enfant, je rêvais d’être saxophoniste et comme on n’avait pas d’école de saxophone chez nous à Lubumbashi, j’ai appris à travailler mon français comme cet instrument. Les mots deviennent des notes. Et ce travail-là qui m’importe le plus, au-delà des genres définis comme la poésie, la nouvelle, le théâtre.

Mais vous écrivez aussi en allemand ...J’écris de la poésie en allemand, mais je suis retourné au français, ma langue de base. Il y a une dimension historique avec le français, comme si c’est «ma» langue, car le français est devenue une langue africaine au même titre que le lingala ou le kikongo. Avec l’allemand, j’ai l’impression que j’abîme la langue.

Mais ce que vous racontez dans cette pièce est terrible, parce que ce que vous y racontez est terrible. Personne ne survit : ni les idéologies, ni les jeunes gens qui rêvent de liberté. C’est votre vision du monde, en 2013 ?J’ai fini le texte récemment, et si je reviens sur la mort, c’est qu’elle m’apparaît être une forme de libération. Du corps, et de l’esprit.

Vous êtiez heureux d’entendre lire ce texte ?Très heureux. Je remercie les acteurs qui l’ont porté, et c’est un peu cela aussi, la joie de l’écrivain. La solitude vous enveloppe quand vous composez votre texte, et quand votre texte est porté par des tiers, la littérature revêt sa plus belle robe.

Fiston Nasser Mwanza, à Bruxelles ©Gaël Turine/Agence Vu pour «Le Monde»

L’histoire : la mère cite la Bible à tout bout de champ. Le père ne jure que par Marx. Et le fils compte les points. Une famille hystérique dans un monde chao-tique. Avec dans le rôle de la mère Annie Mercier, dans le rôle du père Richard Sammut et celui du fils Moanda Daddy Kamono. Deux chœurs apparaissent : celui des officiers et des politiciens, joué par Abdon Fortuné Koumbha et celui des créatures de merde, interprété par Raoul Fernandes. Une lecture dirigée par Catherine Boskowitz. A découvrir sur http://rfi.my/18N7Ynm

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Pêle-mêle

Le Burundi et le Rwanda à l’honneur du Babel Festival. L’édition 2013 de cette rencontre littéraire annuelle qui se tiendra à Bellinzona (Suisse), du 12 au 16 septembre 2013 est consacrée à la découverte de nouvelles voix littéraires de l’Afrique francophone. Parmi les invités, le romancier burundais Roland Rugero et le dramaturge et acteur rwandais Dorcy Rugamba. Ces deux auteurs des Grands Lacs clôtureront un festival qui verra notamment la participation de l’écrivain et éditeur malgache Jean-Luc Raharimanana. A suivre sur http://www.babelfestival.com/

Nouveaux titres à la médiathèque de l’IFB :

• LesermonsurlachutedeRome, Jérôme Ferrari, Actes sud (Prix Goncourt 2012)

• Ladivine, Marie Ndiaye, Gallimard

• Larosedanslebusjaune, Eugène Ebodé, Galimard

• Lecielsansdétours, Kebir M. Ammi, Gallimard (en écho aux ateliers d’écriture menés par l’écrivain en avril dernier)

• En plus d’une sélection de la collec-tion BD de l’Harmattan d’auteurs et dessinateurs africains, l’institut s’est doté d’une borne d’écoute CD réser-vée aux enfants. Une commande de livres CD va suivre d’ici peu afin que les enfants puissent lire en écoutant, un moyen d’accompagner leur appren-tissage du français de manière plus complète et (surtout) plus ludique

Prix littéraire Michel Kayoya, édition 2013 en cours. Les nouvellles sont à envoyer sur [email protected]

L’Andika Prize en cours. Les nouvelles (short-stories) écrites en anglais sont à envoyer sur [email protected]