3
Actualités pharmaceutiques n° 529 octobre 2013 13 dochead Mots clés - dysfonction érectile ; inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase de type 5 ; sildénafil ; Viagra ® Keywords - erectile dysfunction; selective phosphodiesterase type-5 inhibitor; sildenafil; Viagra ® commentaire ordonnance © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.07.003 Une ordonnance de Viagra® chez un homme jeune Un patient jeune souffrant d’une dysfonction érectile sans autre facteur de risques se présente à l’officine avec une ordonnance contenant un inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase de type 5, le sildénafil. A prescription for Viagra® for a young man. A young man suffering from erectile dysfunction without any other risk factors presents the pharmacist with a prescription containing a selective phosphodiesterase type-5 inhibitor, sildenafil. L a dysérection, ou dysfonction érectile, correspond à une incapacité à obtenir ou à main- tenir une érection suffisante pour avoir des rapports sexuels satisfai- sants, sur une période d’au moins 3 mois en continu. Les troubles de l’érection concerneraient entre 130 et 150 millions d’hommes dans le monde. En France, ils touche- raient, tous stades et types confon- dus, environ 50 % des hommes au-delà de 50 ans. L’insuffisance érec- tile augmente en fréquence comme en intensité avec l’âge : sa prévalence passe de 12 % environ entre 40 et 49 ans à 40 % entre 60 et 69 ans, pour atteindre 65 % à partir de 70 ans. Différentes raisons physiologiques expliquent que le pénis ne puisse plus, en vieillissant, se rigidifier : les artérioles perdent leur souplesse et l’influx nerveux n’est plus transmis avec autant d’efficacité. Ce trouble est, par ailleurs, souvent associé à des facteurs de risques cardio- vasculaires ou un diabète. Le marché des médicaments agissant contre la dysfonction érectile est tellement florissant depuis quelques années qu’il attise les convoi- tises financières. La multi plication des contrefaçons, vendues notamment sur internet, a de quoi inquiéter et doit conduire à une grande prudence. Profil du patient M. Pierre Durand, 45 ans, est artisan maçon. Il vit maritalement et son couple est épanoui. Il a deux enfants en bonne santé, de 12 et 15 ans. Il ne fume pas, ne boit pas d’alcool et pratique une activité physique régulière (tennis, jogging). Antécédents pathologiques Le patient se plaint depuis quelques semaines d’une asthénie impor- tante avec des troubles de la libido se traduisant par une nette diminu- tion de la qualité de l’érection. La fonction cardiovasculaire, après examen complet, est normale. Historique médicamenteux Le patient ne prend aucun traite- ment. Sa tension artérielle mesurée © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Françoise COUIC-MARINIER a, * Docteur en pharmacie François PILLON b Docteur en pharmacie et en médecine *Auteur correspondant : Adresse e-mail : [email protected] (F. Couic-Marinier). a 201 bis avenue du Général- Leclerc, 54000 Nancy, France b Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laennec, 8 rue Guillaume- Paradin, 69008 Lyon, France Figure 1. Ordonnance de Viagra ® . © DR

Une ordonnance de Viagra® chez un homme jeune

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Une ordonnance de Viagra® chez un homme jeune

Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 • 13

dochead

Mots clés - dysfonction érectile ; inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase de type 5 ; sildénafi l ; Viagra®

Keywords - erectile dysfunction; selective phosphodiesterase type-5 inhibitor; sildenafi l; Viagra®

commentaire

ordonnance

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.07.003

Une ordonnance de Viagra® chez un homme jeuneUn patient jeune souffrant d’une dysfonction érectile sans autre facteur de risques se

présente à l’officine avec une ordonnance contenant un inhibiteur sélectif de la

phosphodiestérase de type 5, le sildénafil.

A prescription for Viagra® for a young man. A young man suffering from erectile dysfunction without any other risk factors presents the pharmacist with a prescription containing a selective phosphodiesterase type-5 inhibitor, sildenafil.

L a dysérection, ou dysfonction érectile, correspond à une incapacité à obtenir ou à main-

tenir une érection suffisante pour avoir des rapports sexuels satisfai-sants, sur une période d’au moins 3 mois en continu. Les troubles de l’érection concerneraient entre 130 et 150 millions d’hommes dans le monde. En France, ils touche-raient, tous stades et types confon-dus, environ 50 % des hommes

au-delà de 50 ans. L’insuffisance érec-tile augmente en fréquence comme en intensité avec l’âge : sa prévalence passe de 12 % environ entre 40 et 49 ans à 40 % entre 60 et 69 ans, pour atteindre 65 % à partir de 70 ans.Différentes raisons physiologiques expliquent que le pénis ne puisse plus, en vieillissant, se rigidifier : les artérioles perdent leur souplesse et l’influx nerveux n’est plus transmis avec autant d’efficacité. Ce trouble

est, par ailleurs, souvent associé à des facteurs de risques cardio-vasculaires ou un diabète. Le marché des médicaments agissant contre la dysfonction érectile est tellement florissant depuis quelques années qu’il attise les convoi-tises financières. La multi plication des contrefaçons, vendues notamment sur internet, a de quoi inquiéter et doit conduire à une grande prudence.

Profi l du patientM. Pierre Durand, 45 ans, est artisan maçon. Il vit maritalement et son couple est épanoui. Il a deux enfants en bonne santé, de 12 et 15 ans. Il ne fume pas, ne boit pas d’alcool et pratique une activité physique régulière (tennis, jogging). 

Antécédents pathologiquesLe patient se plaint depuis quelques semaines d’une asthénie impor-tante avec des troubles de la libido se traduisant par une nette diminu-tion de la qualité de l’érection.La fonction cardiovasculaire, après examen complet, est normale.

Historique médicamenteuxLe patient ne prend aucun traite-ment. Sa tension artérielle mesurée

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

Françoise

COUIC-MARINIERa,*Docteur en pharmacie

François PILLONb

Docteur en pharmacie et en médecine

*Auteur correspondant : Adresse e-mail : [email protected] (F. Couic-Marinier).

a 201 bis avenue du Général-Leclerc, 54000 Nancy, Franceb Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laennec, 8 rue Guillaume-Paradin, 69008 Lyon, France

Figure 1. Ordonnance de Viagra®.

© D

R

Page 2: Une ordonnance de Viagra® chez un homme jeune

Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 •14

docheadordonnancecommentaire

au cabinet est à 120/80. L’historique du dossier patient contient des anti-biotiques prescrits, de temps en temps, lors d’épisodes de bronchite ou de sinusite, et des anti-inflamma-toires destinés à traiter une scia-tique qui le fait souffrir une à deux fois par an.

Recevabilité de l’ordonnance L’ordonnance, qui émane d’un médecin généraliste, est datée, signée et sécurisée. Elle est donc recevable (figure 1).

Questions préalables indispensables « Je vous propose le générique du Viagra® qui vient de sortir, le sildéna-fil, c’est la même efficacité pour un prix moindre. » Réponse : « Non, je vais garder le Viagra®, comme je paie le médicament, merci. »« Prenez-vous d’autres traitements (même en automédication) ? » Réponse : « Non, à part un peu d’homéopathie. » « Ce médicament agit au bout de combien de temps ? » Réponse : « Je vous conseille de le prendre à jeun, 1 heure avant le rapport sexuel

programmé. Il agit dès la première prise. Ne dépassez pas la posologie d’une prise par jour. »

Analyse du traitementViagra 25 mg® : le sildénafil est un inhibiteur puissant et sélectif de la phosphodiestérase de type 5. Physio logiquement, lors d’une stimu-lation sexuelle, l’érection est déclen-chée par une libération de monoxyde d’azote dans le corps caverneux, qui active la guanylate cyclase. L’activa-tion de cette enzyme permet l’aug-mentation des concentrations de guanosine-monophosphate cyclique (GMPc). Un relâchement des muscles lisses du corps caverneux, favorisant l’afflux sanguin dans le pénis, est alors observé. La phosphodiestérase de type 5 dégrade la GMPc dans le corps caverneux. Le sildénafil, en inhibant puissamment et sélectivement la phospho diesérase de type 5, permet la non-dégradation de la GMPc au niveau du corps caverneux et une aug-mentation de celle-ci, puis entraîne un relâchement des muscles lisses et l’afflux sanguin, ce qui provoque l’érection. Mais, pour cela, une stimu-lation sexuelle est nécessaire car le sildénafil n’a pas d’effet relaxant direct sur le tissu du corps caverneux humain isolé, mais il accentue de manière importante les effets relaxants du monoxyde d’azote sur ce tissu.

Suivi du traitement F Avant l’instauration du traite-

ment, un examen complet des fonctions cardiovasculaires doit être réalisé. En effet, toute activité sexuelle comporte un risque car-diaque. De plus, le sildénafil présente des propriétés vasodilatatrices entraînant des diminutions légères et transitoires de la pression artérielle.

F L’efficacité du traitement doit

être surveillée, notamment l’amé-lioration de la qualité des érections et des rapports sexuels.

F La tolérance du traitement doit

également être surveillée, en

recherchant tout signe à type de céphalée, dyspepsie, rougeurs du visage et congestion nasale, troubles de la vision, lombalgies.

Interactions médicamenteusesCertains médicaments peuvent influencer la sexualité soit en dimi-nuant ou en augmentant la libido, soit en entraînant des troubles directs de l’érection et de l’éjacula-tion chez l’homme. Ces troubles sexuels iatrogènes sont réversibles à l’arrêt du traitement.

F Les médicaments diminuant la

libido sont nombreux : les anti-dépresseurs (inhibiteurs du recap-tage de la sérotonine ou IRS, inhibiteurs de la monoamine-oxydase et tricycliques), les anxio-lytiques à forte dose, ainsi que les thymorégulateurs à base de lithium, les fibrates, les diurétiques thiazi-diques, les antifongiques systé-m i q u e s , l a m é t h a d o n e , l a cypro térone, les agonistes de la LH-RH, ainsi que les antipsycho-tiques neuroleptiques qui peuvent diminuer, jusqu’à 60 % pour cer-tains, la libido masculine et entraî-ner parfo is une é jaculat ion rétrograde (qui a lieu alors dans la vessie).

F Les médicaments augmentant

la libido sont les anxiolytiques qui, pris à faible dose, désinhibent et peuvent alors améliorer le désir sexuel, ainsi que la lévodopa et les androgènes anabolisants.

F Les médicaments altérant

l’érection sont aussi très nombreux : les fibrates, les diurétiques thia-zidiques, la clonidine, les bêta-bloquants, les antidépresseurs tricycliques, les antipsychotiques phénothiazidiques et non phénothia-zidiques, le lithium, les anxiolytiques, les traitements substitutifs aux opia-cés, la cyprotérone, les agonistes de la LH-RH, la digoxine, le finastéride… Les antidépresseurs IRS provo-quent, quant à eux, une éjaculation retardée.

Prise de sildénafil : quelques

conseils associés

Adoptez de saines habitudes alimen-taires. Les repas lourds ou riches en graisses retardent l’effet du médi-cament. Mangez mieux, perdez du poids si nécessaire, faites de l’exercice plusieurs fois par semaine. Limitez la prise d’alcool. Un verre d’alcool donne l'impression de lever les inhibitions et de se détendre, mais une consom-mation plus importante peut, au contraire, endormir les réflexes. Gérez votre stress et diminuez les sources de tension. Dormez suffisamment. Consultez votre médecin si vous êtes anxieux ou déprimé. Essayez de prendre le problème avec philosophie.

Page 3: Une ordonnance de Viagra® chez un homme jeune

Actualités pharmaceutiques

• n° 529 • octobre 2013 • 15

dochead

Déclaration d’intérêts 

L'auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.

commentaire

ordonnance

À proscrire avec ce traitement

F La cimétidine, le jus de pam-

plemousse ainsi que, par extra-polation, l’extrait de pépin de pamplemousse, inhibiteurs de l’isoenzyme CYP 3A4 du cyto-chrome P450, sont fortement déconseillés lors de la prise de Viagra®. En effet, le sildénafil est principalement métabolisé par les iso-enzymes 3A4 (voie principale) et 2C9 (voie secondaire) du cyto-chrome P450 (CYP). De ce fait, les inhibiteurs de ces iso-enzymes peu-vent diminuer la clairance du sildé-nafil.

F Toute prise alimentaire est sus-ceptible de différer l’efficacité du sildénafil.

Chronobiologie du traitement (sauf indication médicale contraire)Viagra 25 mg® : un comprimé par jour, 1 heure avant l’activité sexuelle, à avaler avec un verre d’eau, en dehors des repas (si le médicament est pris avec de la nourriture, l’ac-tion peut être retardée) et tel quel, sans être croqué, écrasé ou mâché. Le délai d’action est de 25 minutes

et la durée d’action de 4 à 5 heures.Les comprimés se conservent à une température ne dépassant pas 30 °C, dans le conditionnement d’origine et à l’abri de l’humidité.

Recommandations aux patients

F Le médecin doit être immé-

diatement contacté dans les cas suivants :• douleurs à la poitrine pendant ou

après un rapport sexuel ; il est recommandé au patient de se mettre en position semi-assise, d’essayer de se détendre en attendant les secours et de ne pas prendre de dérivés nitrés ;

• respiration sifflante souda ine, dif-ficultés à respirer ou sensations vertigineuses, ou encore gonfle-ment des paupières, du visage, des lèvres ou de la gorge ;

• érection qui persiste de manière cont inue pendant p lus de 4 heures ;

• diminution ou perte soudaine de la vision. F Il est déconseillé de boire de

l’alcool en grande quantité avant de prendre le sildénafil.

F La prudence est de mise en

cas de conduite de véhicules ou

d’utilisation de machines (sensa-tions vertigineuses, troubles de la vision).

Ce qu’il ne faut surtout pas oublier de direUne stimulation sexuelle est néces-saire pour que le médicament soit efficace.Ce médicament ne doit en aucun cas être utilisé plus d’une fois par jour.Après avoir pris le médicament, un risque de vertiges ou de troubles visuels existe, déconseillant la conduite.Ce médicament ne doit jamais être conseillé à un proche souffrant des mêmes troubles.Sur internet et dans certains pays touristiques, il est possible d'acheter des médicaments, notamment indi-qués dans la dysfonction érectile. Souvent contrefaits, ces derniers peuvent contenir des excipients nocifs, comme de l’arsenic ou de l’aluminium, ainsi que des posologies très aléatoires de sildénafil (posologie inexistante, trop faible ou trop forte). Les risques de cet usage peuvent aller de la non-efficacité du médica-ment à des effets secondaires impor-tants, voire au décès (encadré 1). w

Depuis 2003, de plus en plus de sites internet proposent du “Viagra®” « moins cher »… En 2004, l’organisme des Nations Unies chargé de lutter contre les stupéfiants (International Narcotics Control Board) estimait que la vente en ligne de médicaments illégaux consti-tuait une alternative au trafic de drogue. Conscient de ce phénomène, les orga-nismes internationaux et les autorités sanitaires nationales ont rappelé le caractère illégal de la vente en ligne des médicaments dans les pays où la loi requiert une délivrance en pharmacie. En France, la vente du Viagra®, comme celle de tout médicament faisant partie du monopole pharmaceutique, est pas-

sible de sanctions pénales prévues par l’article L. 4223-1 du Code de la santé publique. Malheureusement, il est diffi-cile de contrôler les sites internet étran-gers, ainsi que les ventes dans des pays “touristiques”. La seule possibilité, en France, est de sanctionner l’acheteur de ces médicaments s’ils sont interceptés par la Direction générale de la concur-rence, de la consommation et de la répression des fraudes. L’imprudent risque alors une amende et la confis-cation des produits. Il convient donc d’informer nos patients qui seraient tentés d’acheter ce genre de produits non remboursés sur internet des risques encourus.

Encadré 1. Méfiance vis-à-vis des contrefaçons

Les médicaments achetés sur internet peuvent être contrefaits ou contenir des posologies aléatoires.

© F

otol

ia.c

om/P

hoto

-dav

e