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Une saison en enfer et autres poèmes Rimbaud Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 37 établi par Yvon Le Scanff, agrégé de Lettres modernes, docteur ès Lettres, professeur en lycée

Une saison en enfer et autres poèmes - BIBLIO - … · modernité, de l’image, des formes, etc.), de mener une réflexion sur les rapports entre poésie et biographique et de faire

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Une saison en enferet autres poèmes

Rimbaud

L i v r e t p é d a g o g i q u ecorrespondant au livre élève n° 37

établi par Yvon Le Scanff,agrégé de Lettres modernes, docteur ès Lettres,

professeur en lycée

Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Bilan de première lecture (p. 186)...................................................................................................................................................................6

«�Le Dormeur du val�» (p. 21)...........................................................................................................................................................................6! Lecture analytique du poème (pp. 23-24) ..................................................................................................................................6! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 25-30) ....................................................................................................................9

«�Voyelles�» (p. 67)..........................................................................................................................................................................................13! Lecture analytique du poème (pp. 69-70) ................................................................................................................................13! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 71-78) ..................................................................................................................15

«�Mauvais Sang�» (pp. 96 à 104) ....................................................................................................................................................................20! Lecture analytique de l’extrait (pp. 105-106) ...........................................................................................................................20! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 107-112) ..............................................................................................................22

«�Alchimie du verbe�» (pp. 121 à 130) ...........................................................................................................................................................25! Lecture analytique de l’extrait (pp. 131-132) ...........................................................................................................................25! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 133-140) ..............................................................................................................27

«�Adieu�» (pp. 146-147)..................................................................................................................................................................................29! Lecture analytique de l’extrait (pp. 148-149) ...........................................................................................................................29! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 150-156) ..............................................................................................................31

«�Marine�» (p. 168) .........................................................................................................................................................................................35! Lecture analytique du poème (pp. 177-178) ............................................................................................................................35! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 179-185) ..............................................................................................................37

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.© Hachette Livre, 2005.43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.www.hachette-education.com

Une saison en enfer et autres poèmes – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à lafois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ceslectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus detextes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).Ainsi l’étude d’une œuvre poétique peut répondre à plusieurs objectifs. L’examen de divers textespoétiques de Rimbaud et notamment la lecture intégrale d’Une saison en enfer permettront d’aborder lapoésie et le genre poétique sous ses différents aspects (la question du genre, du registre lyrique, de lamodernité, de l’image, des formes, etc.), de mener une réflexion sur les rapports entre poésie etbiographique et de faire une mise au point sur les grands mouvements poétiques du XIXe et duXXe�siècle (Parnasse, décadence, symbolisme, surréalisme).Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvresclassiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois�:–�motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilitela lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux�;–�vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.Cette double perspective a présidé aux choix suivants�:•�Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleinecompréhension.•�Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante etenrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.•�En fin d’ouvrage, le «�dossier Bibliolycée�» propose des études synthétiques et des tableaux quidonnent à l’élève les repères indispensables�: biographie de l’auteur, contexte historique, liens del’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvreintégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence dutexte (sur fond blanc), il comprend�:–�Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Ilse compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sensgénéral de l’œuvre.–�Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre�:l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction duquestionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.–�Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairerchacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire�; ces corpus sont suivis d’un questionnaired’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituerun entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le«�descriptif des lectures et activités�» à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étudeou de documents complémentaires.Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travailefficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet (s) d’étudeet niveau

Compléments auxtravaux d’écriture destinésaux séries technologiques

Le sonnet parnassien(p. 25)

Texte A�: «�Le Dormeur du val�» d’ArthurRimbaud (p. 21).Texte B�: «�Conseil�» de Théodore de Banville(pp.�25-26).Texte C�: «�Paysage polaire�» de Charles-Marie-René Leconte de Lisle (pp. 26-27).Texte D�: «�Soir de bataille�» de José Maria deHeredia (pp. 27-28).Document�: Le Bois sacré de Puvis deChavannes (pp. 28-29).

Un mouvement littéraireet culturel du XIXe siècle�:le Parnasse(Seconde)La poésie(Première)

Question préliminaireCes poèmes sont-ils objectifs ousubjectifs�? témoignent-ils d’unesensibilité ou d’une insensibilité�?Classez-les en fonction de ces critères etjustifiez votre réponse.

CommentaireVous commenterez le texte C à partir duparcours de lecture suivant�:–�Comment s’organise la description dupaysage dans le sonnet�?–�Pourquoi peut-on dire que ce poèmeest fantastique�?

La poésie moderne etle culte de l’image(p. 71)

Texte A�: «�Voyelles�» d’Arthur Rimbaud(p.�67).Texte B�: Extrait du Paysan de Paris de LouisAragon (pp. 71-72).Texte C�: «�Monde�», extrait de Poèmesd’André Breton (p. 73).Texte D�: Extrait de Signe ascendant d’AndréBreton (pp. 73-75).Document�: Le Violon d’Ingres de Man Ray(pp.�75-76).

Un mouvement littéraireet culturel du XXe siècle�: lesurréalisme(Seconde)La poésie(Première)

Question préliminairePeut-on dire que ces textes ne sont pasréalistes�?

CommentaireVous commenterez le texte C à partir duparcours de lecture suivant�:–�En quoi ce poème ressemble-t-il à unsonnet�?–�Comment, dans le poème, le mondesocial et bourgeois se transforme-t-il ennature sauvage�?

Poésie lyrique etquête de soi(p. 107)

Texte A�: Extrait de «�Mauvais Sang�» d’Unesaison en enfer d’Arthur Rimbaud (p. 96, l. 1, àp. 99, l. 74).Texte B�: Extrait du chant premier des Chantsde Maldoror de Lautréamont (pp. 107-109).Texte C�: Extrait de «�Postface�», dans LointainIntérieur d’Henri Michaux (pp. 109-110).Document�: Autoportrait photographiqued’Arthur Rimbaud, à Harar (pp. 110-111).

La poésie(Première)

Question préliminaireQuel registre caractérise le mieux l’effetque produisent ces textes�?

CommentaireVous commenterez le texte B à partir duparcours de lecture suivant�:–�Quels sont les éléments d’unautoportrait dans ce texte�?–�Quels registres caractérisent cetteparole poétique�?

L’autobiographieintellectuelle(p. 133)

Texte A�: «�Alchimie du verbe�», extrait d’Unesaison en enfer d’Arthur Rimbaud (pp. 121-130).Texte B�: Extrait de Petits Châteaux de Bohême,prose et poésie de Gérard de Nerval (pp. 133-136).Texte C�: Extrait des Mots de Jean-Paul Sartre(pp. 136-137).Document�: L’Art de la peinture de JohannesVermeer de Delft (pp. 137-138).

La poésie(Première)Le biographique(Première)

Question préliminaireEn quoi ces textes sont-ilsautobiographiques�?

CommentaireVous commenterez le texte C à partir duparcours de lecture suivant�:–�En quoi ce texte est-il un récitautobiographique�?–�Quelle position Sartre adopte-t-il vis-à-vis de la littérature et du métierd’écrivain�?

Une saison en enfer et autres poèmes – 5

Le poème�:un manifeste poétique(p. 150)

Texte A�: «�Adieu�», extrait d’Une saison enenfer d’Arthur Rimbaud (pp. 146-147).Texte B�: «�La Mort des artistes�», extrait desFleurs du mal de Charles Baudelaire (pp. 150-151).Texte C�: «�Las de l’amer repos…�» deStéphane Mallarmé (pp. 151-152).Texte D�: «�La poésie doit avoir pour but lavérité pratique�» de Paul Eluard (pp. 152-154).Document�: Le Bord de mer à Palavas deGustave Courbet (p. 154).

La poésie(Première)

Question préliminaireQuelles conceptions de la poésieprésentent ces différents poèmes�?

CommentaireVous commenterez le texte B à partir duparcours de lecture suivant�:–�En quoi la composition du sonnetpermet-elle de mieux comprendre lanature des souffrances et des espérancesdes artistes�?–�Quelle(s) conception(s) de la poésie lesonnet présente-t-il�?

Poésie et célébration(p. 179)

Texte A�: «�Marine�», extrait des Illuminationsd’Arthur Rimbaud (p. 168).Texte B�: «�L’échelonnement des haies…�»,extrait de Sagesse de Paul Verlaine (pp. 179-180).Texte C�: «�Le Banyan�», dans Connaissance del’Est de Paul Claudel (pp. 180-181).Texte D�: «�Icebergs�», extrait de La nuit remued’Henri Michaux (p. 182).Document�: Femme à la fenêtre de CasparDavid Friedrich (pp. 182-183).

Éloge et blâme(Seconde)La poésie(Première)

Question préliminaireQuels sont les principaux éléments,objectifs ou subjectifs, qui contribuent àla beauté de ces paysages�?

CommentaireVous commenterez le texte D à partir duparcours de lecture suivant�:–�En quoi «�Icebergs�» présente-t-il unpaysage idéal pour le poète�?–�Comment les ressources de l’écriturepoétique (images, sonorités,typographie) rendent-elles présents lesicebergs dans le poème lui-même�?

Réponses aux questions – 6

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 8 6 )

!�Il s’agit bien sûr des «�Effarés�» (pp.�12-13), un poème de 1870 qui porte un titre hugolien (Hugoapprécie en effet particulièrement la famille du mot effaré) et qui évoque la «�misère�» de «�cinq petits�»(cf. p.�220)."�Trois sonnets évoquent explicitement la guerre franco-prussienne de 1870�: «�Le Mal�» (p.�16),«�Rages de Césars�» (p.�18) et, bien entendu, «�Le Dormeur du val�» (p.�21).#�Par sa thématique et son esthétique, on peut rapprocher «�Ophélie�» (pp.�19-20) du «�Dormeur duval�». Les deux poèmes développent la même esthétique parnassienne et le même thème (un corpssans vie et dont la mort est une énigme, allongé au sein d’une nature accueillante). Les deux poèmesont d’ailleurs pu avoir la même source (voir p.�223).$�Il s’agit de «�Voyelles�» (p.�67). Voir aussi p.�71.%�Dans «�Le Bateau ivre�» (pp.�60-65)�: dans ce cas précis, on peut parler de prosopopée.&�Il s’agit de l’incipit du poème de 1870 intitulé «�Roman�» (pp.�14-15).'�De nombreux poèmes de 1870 font référence à la situation biographique de Rimbaud à cetteépoque�: «�À la musique�» (pp.�10-11), «�Roman�» (pp.�14-15), «�Au Cabaret-Vert�» (p.�31), «�LaMaline�» (p.�32) et, bien entendu, «�Ma Bohême�» (p.�34). On a pu voir aussi quelques allusions à lavie quotidienne et familiale de Rimbaud dans «�Les Poètes de sept ans�» (pp.�52-54), un poème de1871. «�Alchimie du verbe�» est une sorte d’autobiographie intellectuelle (voir p.�133). En général,dans Une saison en enfer et dans Illuminations, l’expérience biographique (notamment londonienne) estvéritablement transfigurée et universalisée par le verbe poétique.(�La plupart des poèmes de l’année 1872 sont, selon Rimbaud, des «�espèces de romances�» (p.�124)�: ilscomportent des titres évocateurs («�Chanson de la plus haute tour�») et des refrains («�Chanson de laplus haute tour�», «�Fêtes de la faim�», «�L’Éternité�», «�Ô saisons, ô châteaux…�»).)�«�Le Bateau ivre�» relate une expérience extraordinaire�: le poème fait d’ailleurs sans douteréférence à des romans d’aventures de jeunesse (Jules Verne, Fenimore Cooper, entre autres).*+�Une saison en enfer présente des analogies avec «�Le Bateau ivre�» et restitue également, sur un modesymbolique et dans son déroulement chronologique, une expérience poétique intégrale et profonde.*,�Rimbaud s’adresse à «�Satan�», comme le montre la fin du prologue d’Une saison en enfer. Il estmême le destinataire du livre�: «�je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné�»(p.�96).*-�Mis à part «�Le Bateau ivre�» et Une saison en enfer, Rimbaud expose sa conception du poète-voyantdans les fameuses lettres de mai 1871 adressées à Izambard et à Demeny (voir pp.�35-51).*.�«�Alchimie du verbe�» («�Délires II�», dans Une saison en enfer) et les Lettres du voyant de mai 1871.*/�Précisément dans «�Alchimie du verbe�» («�Délires II�», dans Une saison en enfer).*0�Il s’agit de l’«�aurore�» (p.�147), de l’«�aube�» (p.�167), du «�matin�» (p.�144) qui représententsymboliquement un nouvel essor, un renouveau, une chance de recommencement.

« � L e D o r m e u r d u v a l � » ( p . 2 1 )

! Lecture analytique du poème (pp. 23-24)!�Comme le titre l’indique, il s’agit manifestement de l’évocation d’un homme qui dort au seind’une nature accueillante (le val�: le vallon, la vallée). Le titre est parfaitement illustré et justifié par lepoème�: le premier quatrain décrit ce «�petit val�», ce «�trou de verdure�»�; le second quatrain décrit cetteprésence humaine qu’annonçait le titre («�Un soldat jeune […] dort�»)."�Les tercets reprennent cette thématique�: sommeil profond de l’homme et nature luxuriante. Ils ontune fonction d’amplification par rapport aux quatrains. Ils n’apportent aucune information

Une saison en enfer et autres poèmes – 7

supplémentaire et ne font que reprendre ce qui a déjà été dit par le poète dans les deux quatrains�:présence de l’eau, du soleil (1er�quatrain), motif du sommeil, de l’immobilité et de l’impassibilité(2nd�quatrain).#�Le sonnet est donc organisé selon un système de répétitions et d’amplification�: les quatrains posentde façon très claire et ordonnée (un thème par strophe) le cadre et le sujet du tableau descriptif, et lestercets reprennent et réharmonisent ces motifs en les amplifiant et en les dramatisant. Théodore deBanville, le grand poète parnassien, que le jeune Rimbaud admire au moment de la rédaction de cepoème, a théorisé la poétique du sonnet dans son petit traité de versification française�: «�La forme dusonnet est magnifique, prodigieusement belle –�et cependant infirme en quelque sorte�; car les tercets, qui à euxdeux forment six vers, étant d’une part physiquement plus courts que les quatrains, qui à eux deux forment huitvers�–, et d’autre part semblant infiniment plus courts que les quatrains –�à cause de ce qu’il y a d’allègre et derapide dans le tercet et de pompeux et de lent dans le quatrain […]. L’artifice doit donc consister à grandir lestercets, à leur donner de la pompe, de l’ampleur, de la force et de la magnificence […]. Mais ici il s’agit d’exécuterce grandissement sans rien ôter aux tercets de leur légèreté et de leur rapidité essentielles.�» Il faut donc amplifier,mais aussi dramatiser.$�Le point de vue sollicité pour organiser le regard descriptif est totalement extérieur, c’est-à-direexterne, objectif. L’utilisation des indéfinis en est l’indice�: «�un trou�», «�un petit val�», «�Un soldatjeune�»�; le descripteur semble découvrir en même temps que le lecteur ce qu’il décrit, il ne semble pasconnaître précisément les lieux décrits. Les notations descriptives sont purement objectives�: elles sefondent sur des perceptions simples (la vue notamment) et non sur un savoir omniscient quiprécéderait la description. De la même façon, les déductions qui sont faites partent toutes d’un constatconcret et manifeste�: elles sont fondées sur un examen précis et réel. Ainsi, la position du soldatsuggère l’idée d’un endormissement (c’est une image d’Épinal du soldat en bivouac), la pâleur (v.�8)peut faire penser qu’«�il a froid�» (v.�11), qu’il est «�malade�» (v.�10), et l’absence totale de mouvementsréflexes de son corps (v.�12) et de son cœur (v.�13-14) amène inévitablement le poète à reconsidérersa première interprétation (l’idée d’un assoupissement) pour envisager l’idée de la mort –�ce queconfirment les ultimes constatations objectives de la perception visuelle (v.�14).%�La description progresse selon la simple logique de la focalisation externe. Le descripteur semblelentement cheminer vers le cœur du vallon. La description progresse donc du général (le val dans le1er�quatrain) vers le particulier (le soldat dans la suite du sonnet). Les notations descriptives sont deplus en plus précises�: le soldat est décrit dans son allure générale puis en détail. Le dernier tercet,notamment, présente des remarques qui nécessitent la proximité d’un regard�: absence demouvements de la narine, du cœur, et enfin blessures faites par des balles sur le côté du corps. L’effetproduit est comparable à un zooming (ou effet de focalisation, de mise au point) photographique oucinématographique qui à la fois précise et définit progressivement l’objet décrit et rétrécit le champvisuel à la faveur de cette mise au point.&�Le champ lexical de la couleur est évidemment très représenté, puisqu’il s’agit d’une description.L’éclat lumineux est d’abord l’isotopie la plus importante�: «�argent�», «�luit�», «�lumière�», «�soleil�». Ence qui concerne spécifiquement les couleurs, on note la prédominance du vert (dans les quatrains) etdu bleu (v.�6) à l’arrière-plan. On peut remarquer une antithèse entre l’intensité et la vigueur descouleurs de la nature et la pâleur du seul être humain du tableau (v.�8). Enfin, le coup de théâtreconsiste en l’apparition du rouge dans le vers ultime (v.�14), au premier plan.'�Toutes les perceptions sensorielles sont explicitement ou implicitement évoquées dans le poème. Lavue est bien sûr omniprésente par les notations qui se rapportent à la lumière éclatante et aux couleurs(voir supra). L’ouïe est sollicitée pour décrire le chant de la rivière (v.�1), le toucher est évoqué àpropos de la fraîcheur du cresson (v.�6) et l’odorat à propos des «�parfums�» (des glaïeuls�?) que lesoldat ne peut pourtant pas sentir (!). Le goût est explicitement absent de la description, même sicertaines notations s’y rapportent indirectement et en suggèrent la possibilité inaccomplie («�boucheouverte�» et même «�cresson�»).(�La nature est rapprochée de l’homme grâce à l’utilisation de la personnification�: «�chante�»,«�haillons�», montagne «�fière�» (1er�quatrain). L’apostrophe et la majuscule du vers�11 («�Nature, berce-le�») personnifient également un élément inanimé en en faisant le récepteur du message poétique.Enfin, la périphrase (qui est aussi une métaphore) «�lit vert�» désigne le «�petit val�» et impliqueégalement cet anthropomorphisme que développe l’ensemble du poème.

Réponses aux questions – 8

)�De la même façon, le soldat est en osmose avec cette nature accueillante, comme le montrel’utilisation très fréquente de la préposition «�dans�» (v.�6-9 et 13) qui relie systématiquement l’hommeet la nature par une relation d’inclusion. L’homme est en contact (et fait le lien) avec l’ensemble deséléments naturels�: terre («�dans le frais cresson bleu�»), air («�sous la nue�»), feu («�dans le soleil�»), eau(«�baignant�», «�les pieds dans les glaïeuls�»).*+�Le val suggère déjà une sorte de giron maternel�: il est «�petit�», caché, accueillant, chaleureux. Sesformes sont douces (et s’opposent à la virilité de la montagne «�fière�»). C’est un creux qui se prête àl’image maternante du «�lit�»�: la Nature a alors pour fonction de bercer le jeune homme (v.�11), voirede prendre soin de lui.*,�Le paysage naturel est également idyllique et idéal car il réunit les contraires�: chaleur et fraîcheur,rivière et soleil, comme l’oxymore du vers le suggère (la «�lumière pleut�») et comme l’indique sansdoute aussi la métaphore du vers�4 («�mousse de rayons�»). Tout y semble fait pour combler lesaspirations de l’homme�: la sollicitation des nombreuses perceptions sensorielles font de ce tableau unpaysage riche, voire sensuel. La nature y est prodigue («�accrochant follement�»), éclatante (v.�3-4, 8 et13) et luxuriante («�mousse de rayons�», «�glaïeuls�», «�cresson�»). La nature donne l’image du bonheur(«�où chante une rivière�») et l’homme semble comblé de satisfactions intimes, comme pourrait lesuggérer sa «�bouche ouverte�» qui indique un complet relâchement du corps et des muscles. C’est cetteimage heureuse qui prévaut, du moins dans les quatrains.*-�Le dernier vers fait l’effet d’un véritable coup de théâtre. Pour reprendre un terme de ladramaturgie classique –�et le poème par son extrême dramatisation nous invite à le faire�–, on pourraitparler ici de «�catastrophe�». Cette ultime péripétie provoque un dénouement rapide, même soudain.Le sonnet invite à ce genre de finale�: le vers�14 est considéré comme la chute du poème et doit finircomme une pointe. Il doit surprendre d’une façon ou d’une autre en achevant définitivement lesonnet�: «�Le dernier vers du Sonnet doit contenir un trait –�exquis, ou surprenant, ou excitant l’admiration parla justesse et par sa force. OUI, le dernier vers du Sonnet doit contenir la pensée du Sonnet tout entière�»(Théodore de Banville).*.�De nombreux rejets émaillent le poème. Rimbaud a volontairement voulu casser l’alexandrin etbriser la coïncidence entre la métrique et la syntaxe�: les vers�3-4, 7 et 14 provoquent un effet desuspense et de surprise par le fait même de la présence de ces rejets. Sur le plan rythmique et dans lecours de la lecture, les rejets semblent ainsi préparer le genre de surprise que recèle le dernier vers.*/�Les répétitions sont nombreuses. On peut même y voir une règle de la poétique qui sous-tendl’écriture du poème�: le vers�4 reprend le vers�1, par exemple. Mais c’est surtout la répétition de l’idéede sommeil et d’endormissement qui est tout à fait marquante�: «�dort�» (v.�7), «�il dort�» (v.�9), «�il faitun somme�» (v.�10), «�il dort�» (v.�13). On ne peut y voir alors qu’une forme d’insistance qui vise àpréparer le coup de théâtre mais aussi à l’annoncer en faisant du sommeil un élément particulièrementénigmatique et inquiétant.*0�Le premier indice est bien sûr la pâleur inexplicable du soldat au vers�8, renforcé par le vers�10 quiévoque, sur le mode de la comparaison, l’idée de la maladie et par le vers�11 qui note qu’«�il a froid�»,alors que le soleil est étincelant. Le dernier tercet est encore plus clair�: l’absence de mouvements ducorps (v.�12) et du cœur (v.�14) indique manifestement que le sommeil est éternel et définitif. D’unecertaine façon, la clausule du sonnet est annoncée dès l’incipit�: le «�trou�» du vers�1 annonce les «�deuxtrous�» du vers�14. Théodore de Banville, poète parnassien que Rimbaud admire en 1870-1871, athéorisé cette alliance de prévisibilité et de surprise que doit ménager le sonnet�: «�Un Sonnet doitressembler à une comédie bien faite, en ceci que chaque mot des quatrains doit faire deviner –�dans une certainemesure�– le trait final, et que cependant ce trait final doit surprendre le lecteur –�non par la pensée qu’il exprime etque le lecteur a devinée�–, mais par la beauté, la hardiesse et le bonheur de l’expression.�»*1�Le décor naturel est de plus en plus en rapport d’opposition avec l’objet même du poème que letitre annonçait. Le poème est d’autant plus cruel qu’il évoque la mort du jeune homme au sein d’unenature pleine de vie. Tout y semble exprimer la fécondité, la vivacité, l’exubérance�: les sens del’homme sont comblés par tant de richesses sensibles, mais le soldat ne sent rien (v.�12), il n’y a pasdroit. On pourrait même parler d’une sorte de mise en scène cruelle qui vise à dénoncer la cruauté dela guerre qui soustrait un homme en pleine possession de ses moyens à la jouissance d’un monde quin’appelle qu’au bonheur, à la beauté et à la sensualité.

Une saison en enfer et autres poèmes – 9

*2�Après la lecture du dernier vers, le titre du poème peut être interprété comme l’expression d’uneuphémisme�: le sommeil est alors l’équivalent atténué de la mort. Celle-ci n’est d’ailleurs jamaisexplicitement évoquée�; même le dernier vers ne signalera que très indirectement sa présence�: «�Il adeux trous rouges au côté droit.�»

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 25-30)

Examen des textes!�Le titre éclaire parfaitement l’intention du poème. Il s’agit en effet d’un «�conseil�» donné au poète.C’est une sorte de leçon poétique qui y est dispensée. Le sonnet est émaillé de nombreusesinjonctions et de verbes au mode impératif (11 exactement pour 14�vers). La forme de discourssollicitée par le poème est donc nettement injonctive."�L’étude des champs lexicaux montre une évolution�: la description du paysage se transforme envision. Il s’agit manifestement d’un paysage (champ lexical de la nature), et en l’occurrence d’unpaysage polaire, comme le titre l’indique (et les champs lexicaux afférents�: «�écume�», «�lueursspectrales�», «�pics étirés en spirales�», «�brouillard�», «�vent�», «�caps�», «�flots�», «�brumeux�», «�congelés�»,«�ours blanchis�», «�neiges�»...). La description sollicite ainsi les perceptions d’usage�: la vue («�lueurs�» auvers�2), l’ouïe («�clameurs�», «�rires�», «�sanglots�», «�cris�»), le goût («�amer�» au vers�4), le toucher(«�rugueux�» et «�âpre�» au vers�5). Mais, très rapidement, la description, en apparence réaliste, devientnettement fantastique et le paysage se transforme en une sorte d’enfer chaotique marqué par laconfusion, la maladie, l’horreur, la terreur et la mort.#�Heredia utilise la structure du sonnet afin de composer son tableau descriptif. Les quatrains présententl’arrière-plan de la scène (décrite à l’imparfait), tandis que les tercets mettent en évidence le sujet principal(au passé simple�: «�apparut�») qui surgit d’un ensemble indifférencié�: «�l’Imperator�». Ainsi, Heredia met enaccord les procédés de la description, mise en relief temporelle (imparfait et passé simple) et compositionpar plans, avec les contraintes prosodiques du sonnet. Enfin, la chute du sonnet est aussi utilisée pourmettre en évidence la révélation finale, longtemps différée (depuis le vers�8) grâce à une habile inversionsyntaxique (le sujet est situé au vers�14 et son verbe au vers�8), à savoir l’apparition de l’«�Imperator�».$�Outre la présence d’un élément architectural qui s’apparente au fronton d’un temple antiqued’ordre ionique, la rigidité ostensible des personnages allégoriques peut se comprendre aussi commeun hommage à l’art grec de la sculpture et de la statuaire. Les figures féminines représentent sansdoute moins un domaine du savoir ou de la culture qu’une représentation artistique de ces domaines.En effet, leurs attitudes et leurs postures font évidemment référence à de grands types dereprésentations codifiées�: l’Apollon du belvédère (au premier plan), Diane au bain, Vénus pudique,Hermès orateur (à l’arrière-plan).

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes sonnets représentent plusieurs formes de discours�:–�les textes de Rimbaud (texte�A) et de Leconte de Lisle (texte�C) sont descriptifs. Ils appréhendentun objet extérieur (un paysage et des figures) par le biais des perceptions sensorielles. La descriptiondu texte�C est cependant statique et panoramique, tandis que le texte�A présente une description enmouvement (itinérante), dynamique et progressive�;–�le texte�B est injonctif�: il délivre un «�conseil�» et des consignes en recourant à de nombreux verbesau mode impératif�;–�enfin, le texte�D est narratif�: les quatrains et les tercets forment une mise en relief temporelle où lepassé simple («�apparut�» au début du premier tercet) vient trancher et faire saillie sur un fondtemporellement indéterminé à l’imparfait (les quatrains).Ils sollicitent également divers registres�:–�le sonnet de Banville (texte�B), par son exaltation, son enthousiasme et son allant, est nettementlyrique�: il n’est en fait que l’amplification de l’exclamation de l’incipit («�Eh bien�!�»)�;

Réponses aux questions – 10

–�le poème de Leconte de Lisle (texte�C) est de registre fantastique (et non de genre fantastique, bienévidemment)�: il déploie une atmosphère malsaine d’horreur morbide et de surnaturel inquiétant�;–�le sonnet de Heredia (texte�D) est épique par son thème glorieux (l’histoire romaine antique) et sontraitement qui suscite l’amplification (par les images�: métaphores, personnifications et comparaisons)et l’hyperbole (v.�8, par exemple), afin de terminer, dans la chute du sonnet, par une véritableapothéose�;–�le sonnet de Rimbaud pose plus de problèmes�: il est lyrique mais impassible et impersonnel, et si savisée est nettement polémique et critique (il s’agit de dénoncer l’horreur de la guerre), sa compositionest ironique (jeu euphémistique sur l’idée du sommeil, contraste entre une nature accueillante etchaleureuse et l’absence de vie du soldat) et dramatique (tout converge vers le coup de théâtre final).De la même façon, le lyrisme joué et feint du poème, qui prend la forme d’une idylle bucolique toutau long du sonnet, est dénoncé par le réalisme cruel de la chute (v.�14).

Commentaire

IntroductionLe thème du paysage polaire développé dans ce sonnet est très original chez Leconte de Lisle qui est plusconnu pour ses évocations exotiques comme Les Éléphants, Le Sommeil du condor, La Panthère noire, LeRêve du jaguar. La notion de barbarie, qui est une clé de ce poème, désigne tout ce qui ne relève pas dela civilisation grecque et de sa tradition polythéiste�: après la mort des dieux antiques, les grandesreligions monothéistes ont, d’après le poète, propagé l’intolérance et la violence de la barbarie.Ce poème est un sonnet de type descriptif, comme sa structure et son titre l’indiquent. Ces deux aspectsinduisent nécessairement de porter une attention toute particulière à l’organisation strophique de ladescription. Cependant, la description «�réaliste�» du paysage polaire est bien vite le prétexte à l’évocationpoétique et imaginaire d’un univers maléfique caractérisé par le mal, le chaos et le surnaturel infernal. Cepaysage naturel, ce paysage polaire (1), est devenu, par le travail du poète, un paysage surnaturel (2).

1.�Forme de discours et thème�: la description d’un paysage polaireA.�La description d’un paysage•�Un paysage. Champ lexical de la nature («�mer�», «�ciel�», «�vent�», «�caps�», «�ours�», etc. = la mer,l’air, la terre et les animaux).•�Une description. Champ lexical des perceptions�: la vue («�lueurs�» au vers�2), l’ouïe («�clameurs�»,«�rires�», «�sanglots�», «�cris�»), le goût («�amer�» au vers 4), le toucher («�rugueux�» et «�âpre�» au vers 5).•�Structure de la description et structure du sonnet. Les quatrains s’opposent aux tercets comme l’arrière-plan (le décor) d’un tableau s’oppose au premier plan (les actions et les personnages). Cette opposition sedouble d’une opposition des quatrains et des tercets entre eux�: en effet, le premier quatrain décrit leplan horizontal du tableau (la mer), alors que le second s’intéresse à la verticalité du paysage (le ciel), lesdeux plans étant reliés par deux vers qui font office de transition (v.�3-4�: les pics et le brouillard). Laperspective que proposent les deux quatrains est donc ascendante. Les tercets, en revanche, privilégientune perspective descendante, puisque le premier tercet évoque «�les hauts caps�», alors que le second meten évidence les ours polaires. La structure est donc un jeu de double opposition organisée en chiasme(bas-haut-haut-bas) qui évoque un crescendo (entre le quatrain�1 et le quatrain�2) et un decrescendo(entre le tercet�1 et le tercet�2 que le «�et�» de mouvement emphatique de type biblique et épique –�etnon de liaison, puisqu’il est totalement inutile ici�– met en valeur).B.�Un paysage polaireIl suffit de faire un relevé du champ lexical du Pôle, du froid, du blanc pour s’en convaincre�:«�écume�», «�lueurs spectrales�», «�pics étirés en spirales�», «�brouillard�», «�vent�», «�caps�», «�flots�»,«�brumeux�», «�congelés�», «�ours blanchis�», «�neiges�»...

2.�Registre et caractérisation du thème�: la représentation d’un univers mauditA.�Un monde maladif et morbide•�La maladie. L’épilepsie («�épileptiques�» au vers�13), qui conserve encore un aspect démoniaque auXIXe�siècle, permet d’expliquer et de mettre en rapport plusieurs symptômes décrits dans le poème, à savoirla crise de nerfs («�rires�», «�sanglots�», «�larmes�», «�râles�», «�cris mélangés�»), la bave («�bavent�», «�écume�»�?), la

Une saison en enfer et autres poèmes – 11

rigidité, la raideur («�se roidissent�»), les mouvements de convulsion («�convulsifs�», «�branlants�», «�balançant�»).Les termes «�lividité�» et «�râles�» connotent même l’éventuelle présence de la mort.•�La mort. Un simple relevé lexical permet de considérer ce thème comme fondamental�: «�mort�»,«�stérile�», «�spectrales�», «�enfer�», «�sépulcrales�», «�sinistre�», «�lividité�»... La syntaxe des phrases mimecette absence de vie�: en effet, les deux premiers quatrains sont constitués de phrases uniquementnominales (absence de verbes comme centre de la phrase). Le verbe donne vie à la phrase�; l’éliminer,c’est «�congeler�» les phrases, les immobiliser définitivement. Dans les tercets, les verbes présents ontpour caractéristiques, d’une part, de signaler l’absence de mouvement («�se roidissent�») et, d’autre part,d’indiquer l’éventuelle présence de la maladie («�bavent�»). Enfin, les sonorités contribuent fortement àévoquer un monde devenu muet�: «�un monde mort, immense écume de la mer�» (allitérations enconsonne nasale bilabiale [«�m�»] renforcées par les voyelles nasales [«�un�», «�on�», «�en�»]). Les nasalessont traditionnellement utilisées pour l’évocation d’une douleur sourde.B.�Un monde chaotique•�Confusion des perceptions�: les synesthésies («�brouillard amer�», «�ciel rugueux�», «�âpre enfer�») et lesantithèses («�ombre�» et «�lueur�» au vers 2, «�rires�» et «�sanglots�» au vers 7).•�Confusion des éléments (repérés dans la partie�1)�: la mer, la terre, l’air ou le ciel et les hommes (auvers 1, la terre = la mer�; au vers 5, le ciel se solidifie en blocs�; au tercet 2, les animaux et les hommeséchangent leurs prérogatives).•�Un monde du mouvement confus�: le chaos, c’est l’état d’inquiétude du monde, l’absence detranquillité («�jets�», «�vont�», «�roulant�», «�passent�», «�arrache�»...).C.�Un paysage fantastique•�Le lexique du thème de l’horreur («�monstrueux�», «�enfer�», «�spectrales�»).•�Une atmosphère angoissante créée par les mots et les sons. Les termes employés par le poèteévoquent un décor visuel et sonore particulièrement effrayant�: «�sinistre�», «�cris aigus�», «�sanglots�»,«�râles�», «�ombre�», «�gouffre�», «�le vent�», «�la brume�», «�le brouillard�»... Les sonorités tissent de façonsous-jacente un décor sonore sinistre�: présence du «�r�» dans les quatrains et dans les tercets.•�Les thèmes fantastiques complètent ce tableau�; on y repère, en effet, deux thèmes complémentaireset antagonistes�: l’animation de l’inanimé, avec les personnifications du paysage aux vers 3 et 9 (onnotera aussi la présence du sous-thème de l’humanisation de l’animal, au second tercet, qui serapporte en fait au thème de l’animation de l’inanimé), et la «�chosification�» de l’animé dans lepremier tercet (les dieux deviennent un élément du paysage).

DissertationOn pourra profiter de cet exercice pour montrer, par l’exemple, comment un plan de type dialectique(qui répond à une question ouverte ou une interrogation totale) peut se fonder sur le raisonnementconcessif.

1.�Certes, tous les registres peuvent être sollicités par la poésieA.�La poésie classique n’est qu’un ornement du discoursLa conception antique et classique de la poésie ne voit dans la poésie qu’un embellissement de la proseet en aucun cas elle ne voit dans le langage poétique un idiome esthétique autonome. Cetteconception classique de la poésie la considère donc comme un ornement de la prose par laversification et la prosodie�: elle ne dit pas autre chose que le langage ordinaire, mais elle le dit mieux,avec beauté et grâce. On se souvient du véritable titre des Fables de La Fontaine�: Fables choisies, misesen vers par J. de La Fontaine.B.�La poésie classique ne peut solliciter que des registres sérieux et noblesLes sujets nobles sont réservés à la poésie (épique, dramatique, lyrique) et les sujets vils et bas auroman (Scarron, Furetière, Lesage, les romans picaresques en général), de la même façon que lasociété est fondée sur des castes nobles (noblesse et une part du clergé) et viles (les vilains�: les paysanset les bourgeois). C’est pourquoi la tragédie doit être écrite en vers, tandis que la comédie ou la farcedoivent être rédigées en prose. La poésie se sert donc d’un vocabulaire poétique et refuse levocabulaire prosaïque. Elle refuse aussi les sujets triviaux et trop réalistes�: tout doit être idéal, noble,et la réalité doit y être embellie, idéalisée (par suppression de tout ce qui peut sembler être tropréaliste) par un style noble et sublime, par des registres sérieux.

Réponses aux questions – 12

1.�La poésie didactique–�La poésie cosmologique�: Hésiode (Théogonie), Du Bartas (La Semaine), Scève (Microcosme).–�La poésie philosophique�: Voltaire (Poème sur le désastre de Lisbonne), Ronsard (Les Hymnes).2. La poésie morale–�La poésie de consolation�: Malherbe (Consolation à M. du Périer).–�La poésie d’exhortation�: Ronsard (les poèmes «�épicuriens�»).3. La poésie politique–�La poésie polémique et satirique�: Ronsard (Les Discours), D’Aubigné (Les Tragiques).–�La poésie épique�: La Chanson de Roland, Voltaire (La Henriade), Ronsard (La Franciade).C.�La poésie moderne�: tout dire, tout montrer•�Voir le corpus sur la poésie moderne (p.�71 du livre de l’élève) et la réponse à la questionpréliminaire sur les registres (p.�9).•�Voir aussi «�Réponse à un acte d’accusation�» de Hugo (Les Contemplations)�: avec l’avènement de ladémocratie, la poésie doit renouveler son style et son sujet pour toucher un public populairebeaucoup plus large, avide d’une littérature qui parle de lui et de son époque, en mêlant les registreshauts (le sublime) et bas (le grotesque), comme le demande la «�Préface�» de Cromwell dès 1827.C’est une des marques distinctives de la poésie moderne�: «�Jusque vers un point assez avancé des tempsmodernes, l’art, poésie et musique surtout, n’a eu pour but que d’enchanter l’esprit en lui présentant des tableauxde béatitude, faisant contraste avec l’horrible vie de contention et de lutte dans laquelle nous sommes plongés�»(Baudelaire, «�Théodore de Banville�»). À partir de là, tous les thèmes et tous les registres entrent dedroit dans la poésie qui n’est pas considérée alors comme un réservoir de thèmes éculés et surannés,mais comme un processus de poétisation�: «�J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or�» affirmera, parexemple, l’auteur d’Une charogne. Le poète est défini alors comme celui qui peut et sait tout dire et lapoésie dénonce de façon réaliste la modernité prosaïque (la ville, le travail, la mort), mais peut rendreaussi le quotidien merveilleux et fantaisiste�: c’est l’ambition des surréalistes, par exemple (cf.�p.�71).

2.�Mais le lyrisme reste le registre privilégié de la poésieLa poésie tend, au cours de son histoire, à devenir exclusivement lyrique�: dès la fin du XIXe�siècle, iln’existe plus guère d’autres formes de poésie. Le lyrisme devient coextensif à la poésie, il en devienten tout cas la forme majeure. Les plus grands poètes sont connus pour leur œuvre lyrique�: on lit leRonsard des Amours plus que celui des Discours, on apprécie Les Regrets de Du Bellay mais on délaisseLes Antiquités de Rome. Cette conception de la poésie privilégie l’intime sur l’oratoire et fait de lapoésie un genre plus analytique et autobiographique que didactique (les exposés scientifiques ouhistoriques) ou rhétorique (les discours en vers).A.�La tonalité élégiaqueAu moment du romantisme, le cœur devient la muse inspiratrice du poète�: «�Ah�! frappe-toi le cœur, c’est làqu’est le génie�» (Alfred de Musset, À mon ami Édouard B.). La souffrance du poète devient le signe de sonélection divine, le dolorisme devient une religion et le poète une sorte de figure christique�: «�L’homme estun apprenti, la douleur est son maître�» (Musset, Nuit d’octobre). On peut parler de dolorisme romantique dansle sens où, par l’intermédiaire d’une analogie entre le Christ et le poète, la souffrance devient le signe d’uneélection puis d’une assomption artistique�: «�Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur�; / Les plusdésespérés sont les chants les plus beaux / Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots�» (Musset, Nuit de mai).Sur le plan des formes, on notera que l’élégie, telle qu’elle a été pratiquée à Rome (Ovide, Tibulle,Properce), va s’affirmer, en passant par la Renaissance (voir Les Regrets de Du Bellay), au moment dupréromantisme et du romantisme, pour couvrir la presque totalité de la production lyrique (voir Les Nuitsde Musset, Les Méditations poétiques de Lamartine, etc.).B.�La tonalité enthousiasteL’enthousiasme poétique est un état qui permet de tout rendre poétique. La poésie ne se définit ni parses sujets, ni par son style, mais par l’état lyrique qu’elle transporte. C’est une vision du monde unique�:Baudelaire parle de la poésie comme d’une «�magie hyperbolique�»�; le poète lyrique, «�en vertu de sanature�», propose un monde «�apothéosé�», «�hyperbolique�», caractérisé par une «�ardente vitalité spirituelle�».Le poète est en proie à un «�état exagéré de la vitalité�» qui transfigure de façon «�carnavalesque�» tout cequ’il touche. Il affirme la vie, et cette affirmation transfigure poétiquement tout ce qu’il traite�: «�la lyreexprime en effet cet état presque surnaturel, cette intensité de vie où l’âme chante, où elle est contrainte de chanter,comme l’arbre, l’oiseau et la mer�» (Baudelaire, «�Théodore de Banville�»).

Une saison en enfer et autres poèmes – 13

C.�La poésie de célébration (voir le corpus, p.�179)De même que l’ode a toujours concurrencé l’élégie, de même la poésie s’est toujours aussi bien tournéevers la célébration que vers la déploration. On peut même considérer que les plus belles réussites de lamodernité poétique ressortissent plutôt à une poésie de l’enthousiasme cosmique et universel.•�La célébration amoureuse�: la poésie de la Renaissance et la célébration amoureuse (Ronsard, DuBellay, etc.)�; la poésie surréaliste et l’éloge de la femme (Breton, Eluard, Aragon, Desnos).•�Une poésie du bonheur�: Hugo (la veine fantaisiste�: les trois premiers livres des Contemplations, LesChansons des rues et des bois, L’Art d’être grand-père)�; Verlaine (La Bonne Chanson, Amour, Sagesse).•�Une poésie de l’affirmation exaltée�: Rimbaud (Illuminations)�; Char (Fureur et Mystère).•�Une poésie de la célébration du monde�: Claudel (Connaissance de l’Est)�; Saint-John Perse (Éloges).•�Une poésie matérielle�: l’éloge des objets (Ponge, Le Parti pris des choses), Guillevic (Étier).

Écriture d’invention•�Au genre d’écrit d’invention demandé sont liées trois nécessités formelles�: argumentation,progression, cohérence textuelle.Il s’agit d’un dialogue «�argumentatif�»�: il faut donc enchaîner des arguments et non seulement desparoles ou même de simples idées�; il faut construire un seul discours à deux voix (dia-logue). Il nedoit pas se réduire à un dialogue de sourds�: les positions ne doivent pas être absolument étrangères�; ildoit pouvoir exister des passages de l’une à l’autre position (réfutation, concession, progression parreprise, démonstration). La connaissance des lois du dialogue, de l’enchaînement des répliques doitêtre maîtrisée (prendre l’exemple de certains dialogues théâtraux à enjeu argumentatif).S’il faut enchaîner, cela nécessite une progression, donc un plan (l’écriture d’invention est avant tout untravail d’argumentation –�contextualisée�– et d’expression) et une conclusion ou une fin. Il faut, enoutre, décider si les deux personnages sont sur le même plan ou s’il y a un meneur et un contradicteur.•�Le sujet.En ce qui concerne le contenu, on peut fournir aux élèves deux arts poétiques opposés�: celui d’unGautier parnassien («�L’Art�», daté de 1857, qui est une réponse à une odelette de Banville, dédiée àGautier en 1856) et celui d’un Verlaine symboliste («�Art poétique�», dans Jadis et Naguère, 1884). Cepeut être l’occasion de faire un point théorique sur les mouvements du Parnasse et du symbolisme àpartir du dossier situé à la fin du livre de l’élève (cf.�«�Du Parnasse au symbolisme�», p.�218). Il y a eneffet une convergence entre la volonté de décrire du Parnasse et le désir de suggérer du symbolisme.Le goût de la matérialité et de la perfection hante le Parnasse, alors que le symbolisme est attiré parl’immatériel et l’indétermination (la fameuse méprise mallarméenne et le «�vague�» verlainien, parexemple). Les deux courants s’opposent également sur la nature même de l’image qu’il donne del’artiste et de son travail�: le Parnasse fait l’éloge du travail artisanal (le poète est un ouvrier, un artisan,un technicien), tandis que le symbolisme représente l’artiste, nécessairement «�maudit�» (voir Les Poètesmaudits de Verlaine en 1884), comme un être d’exception, mystérieux et raffiné, comme unintellectuel mystique et inspiré, souvent retiré du monde.

« � V o y e l l e s � » ( p . 6 7 )

! Lecture analytique du poème (pp. 69-70)!�Le poème respecte l’organisation strophique du sonnet�: on constate bien la présence de 2�quatrainset de 2�tercets. Les 2�quatrains présentent les «�A�», «�E�» et «�I�», tandis que les tercets évoquent les«�U�» et «�O�». Les quatrains sont reliés entre eux par un rejet au vers 5. En revanche, les tercets sontnettement séparés de ceux-ci sur le plan prosodique. Ils le sont aussi d’ailleurs entre eux�: le 1er�tercetévoque le «�U�» et le 2nd, le «�O�». Les quatrains sont plutôt organisés en distiques�: présentation desvoyelles (v.�1-2), du «�A�» (v.�3-4), du «�E�» (v.�5-6) et du «�I�» (v.�7-8)."�En revanche, ce sonnet n’est pas régulier�: dans les quatrains, les rimes sont toutes féminines (il n’ya donc pas d’alternance «�réglementaire�» avec des rimes masculines)�; le rejet du 1er�quatrain sur le 2nd

n’est pas non plus acceptable en bonne prosodie classique car les strophes doivent être autonomes surle plan syntaxique et l’alexandrin est malmené�: des groupes fonctionnels «�enjambent�» la césure (v.�3et 8).

Réponses aux questions – 14

#�L’ordre choisi par le poète ne coïncide pas tout à fait avec l’ordre alphabétique�: si les premièresvoyelles («�A�», «�E�», «�I�») déclinent l’ordre de l’alphabet, en revanche le «�U�» et le «�O�» sontinversés. Rimbaud a sciemment placé le «�O�» en fin de liste (v.�1) et à la fin du poème (2nd�tercet).En s’appuyant sur le dernier vers, on peut comprendre qu’il organise le sonnet en fonction de l’ordrealphabétique grec qui va de l’alpha à l’«�Oméga�» (v.�14). On se souviendra aussi que l’expression«�l’alpha et l’oméga�» signifie�: la perfection, la complétude, la finitude�; à tel point qu’on a pul’appliquer à la divinité, alpha et oméga de toutes choses. Le sonnet dessinerait donc un cercle parfait.$�Le vers�14 du sonnet produit un effet de chute au sens où il introduit un élément nouveau etinconnu jusque-là, qui forme une sorte de coup de théâtre (c’est la «�catastrophe�» du poème)�: lepoème peut prendre alors un (autre) sens très différent. En effet, les deux derniers mots du sonnet fontallusion à une personne («�Ses�»), à un être humain («�Yeux�») dont le poème pourrait être alors leportrait alphabétique et crypté.%�La description des voyelles est peut-être fondée sur le principe de la synesthésie�: au son de chaquevoyelle correspondrait alors une couleur. Les perceptions de l’ouïe sont décrites par le recours à lavue.&�Les trois autres sens participent aussi à cette description synesthésique�: le toucher («�velu�»,«�vapeurs�», «�frissons�», «�vibrements�»), l’odorat («�puanteurs�», «�ombelles�»�?), voire le goût («�sangcraché�», «�lèvres�»�?). Hormis la synesthésie fondamentale (entre son et couleur), le sonnet solliciteencore de nombreux éléments perceptifs relevant des sens de l’ouïe («�bombinent�», «�clairon�»,«�strideurs�», etc.) et de la vue («�ombre�», «�candeurs�», «�blancs�», «�pourpres�», «�virides�», «�violet�», etc.).'�Le travail poétique sur les sonorités se présente aussi comme un ensemble d’associations�: de mêmeque les sens s’associent les uns aux autres, de même les sons s’engendrent les uns les autres. Ainsi, parexemple, au vers�5, «�candeurs�» semble appeler «�vapeurs�» (homéotéleute) et, au vers�10, «�paix�»semble appeler «�pâtis�». Plus profondément, certaines allitérations tissent une entité sonore qui relie leson et le sens�: ainsi le vers�9 est fondé sur l’association de consonnes spirantes et de liquides («�v�» +«�r�») qui rappelle la matière sonore du mot «�vert�». Le 2nd tercet sollicite, par exemple, la spirantedentale («�s�»), qui rappelle le son strident émis par l’«�Oméga�».(�Les rimes sont suffisantes (v.�1 et 4, 11 et 14, 12-13) mais majoritairement riches, afin de créer ununivers sonore saturé de répétitions phonétiques. Ainsi certains mots se trouvent répétés dans la rime�:«�latentes�» dans «�éclatantes�», «�tentes�» dans «�pénitentes�», «�belles�» dans «�ombelles�», «�rides�» dans«�virides�», «�anges�» dans «�étranges�» et «�yeux�» dans «�studieux�», jusqu’à créer des effets d’holorimes.)�Le lexique, comme le montre l’annotation, est rare et recherché, afin de créer une atmosphèreétrange, mystérieuse et savante qu’évoque l’allusion à l’alchimie (v.�11). C’est d’ailleurs dans «�Alchimiedu verbe�» que Rimbaud citera ce poème comme exemple de son «�délire�» poétique. L’utilisation pré-symboliste et mallarméenne du latinisme («�virides�»), du néologisme («�vibrements�») et de mots rares(«�bombinent�», «�strideurs�», «�pâtis�») confère au poème une signification hermétique (de Hermès, dieu dela Magie, de la Chimie secrète, de l’Alchimie) dont Rimbaud «�réserv[e] la traduction�».*+�La progression de l’information (enchaînement du thème et du propos) se fonde sur l’attributiondirecte, sur l’apposition entre sujet et objet, entre thème et prédicat. Le vers�1 en donne d’ailleursl’exemple. Chaque voyelle est décrite selon la même déclinaison d’appositions�: aucun verbed’attribution ou d’état n’est sollicité comme support du groupe nominal qui régit la proposition (onne peut même pas parler de «�sujet�» grammatical, puisqu’il n’y a pas de verbe).*,�L’enchaînement syntaxique est au diapason�: la juxtaposition est la règle. L’apposition implique cetype de liaison (ou d’absence de liaison) et les propositions s’enchaînent directement par accumulationet addition grâce à la seule ponctuation. On peut donc parler de parataxe, c’est-à-dire d’absence desyntaxe, de liens logiques qui organisent la phrase par la coordination ou la subordination (qui est icimarginale, puisqu’elle n’apparaît que dans les groupes secondaires caractérisants ou déterminants enfonction de relatives adjectives).*-�Le sonnet ne compte qu’une seule phrase qui s’étend donc sur 14�vers. L’évocation de chaque voyelleest ponctuée de points-virgules qui rythment les différentes séquences du poème. Le sonnet se clôt par leseul point d’exclamation du poème qui semble marquer ainsi un point d’acmé, une apothéose de laphrase. En effet, dans la tonalité de l’exclamation, il n’y a qu’une protase qui monte continûment jusqu’àl’acmé sans retomber dans une apodose finale (comme dans la phrase déclarative).

Une saison en enfer et autres poèmes – 15

*.�Ce finale exclamatif donne une allure triomphante et triomphale au sonnet qui finit comme uncoup de «�Clairon�». L’exclamation qui clôt l’unique phrase du poème lui donne un rythme et unegradation qui progressent en quantité et en qualité vers le triomphe final. Elle lui confère ainsi un élanenthousiaste et exalté qui finit en apothéose lyrique.*/�Le sonnet est donc lyrique. On sait, depuis Paul Valéry, que l’exclamation est l’emblème syntaxique dulyrisme. Son ton d’éloge exalté et hyperbolique et sa forme appositive qui fonctionne comme un systèmed’apostrophes lyriques ou d’interpellations laudatives lui confèrent un élan lyrique évident. La fin dusonnet, qui amorce le thème amoureux, confirme également une telle impression de lyrisme exalté.*0�Le dernier vers invite le lecteur à relire le sonnet non seulement comme un éloge des voyelles, maisaussi comme un blason du corps féminin. Hormis les derniers mots du poème, plusieurs allusions sontrepérables�: «�corset�» (v.�3), «�lèvres�» (v.�7), «�rides�» (v.�10), «�fronts�» (v.�11). Ce repérage lexical amême pu donner une certaine légitimité à une lecture érotique de ce poème que confirmeraient, parexemple, les expressions suivantes qui désigneraient des endroits intimes du corps féminin�: «�noir corsetvelu�», «�Golfes d’ombres�», «�sang craché�», «�lèvres belles�», «�cycles�». En outre, un tel type de lecturejustifierait l’omniprésence des rimes féminines qui caractérisent la prosodie si particulière de ce sonnet.

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 71-78)

Examen des textes!�À propos de l’«�esprit�» du blond, le texte d’Aragon développe un certain nombre de synesthésiesqu’il évoque par la très belle image de «�pitchpin des sens�». La vue de la couleur blonde est assimilée àl’«�odeur des sainfoins�», au «�parfum des gants�» (odorat), au «�silence des matinées�», au «�bruit des pluies�»,au «�chant des miroirs�», au «�cri de la chouette�» (ouïe), aux «�ravages des frôlements�», aux «�battements ducœur�», aux «�vents�», aux «�caresses dans l’air�» (toucher), à la «�poudre d’orangeade�» (goût). La blondeurdevient en fait une sorte de sixième sens qui unifie tout un pan de l’expérience sensible�; le blond estun concept poétique qui unifie et approfondit le monde immanent."�La forme de ce poème peut être rapprochée de celle du sonnet. «�Monde�» est en effet composé de13 vers, soit 1�vers de moins qu’un sonnet, mais surtout il indique, par l’utilisation de l’anaphore et dela répétition, une structure qui correspond presque à celle du sonnet. En effet, la répétition du mêmevers aux vers�1, 5 et 9 et sa reformulation très voisine au vers�12 montrent une structure composée de2�quatrains (v.�1 à 4, 5 à 8�: la structure est encore marquée par la répétition de «�et�» en début dechacun des derniers vers des quatrains, soit aux vers�4 et 8), puis de 1�tercet complet (v.�9 à 11) etenfin de 1�tercet tronqué et réduit au format d’un distique (v.�12-13�: il manque donc le vers�14 pourque le 2e�tercet et le sonnet soient complets). La fin du poème (v.�12-13) correspond pourtant à unerègle essentielle du sonnet qui veut qu’il s’achève sur une chute qui le clôt par une «�pointe�»surprenante et qui à la fois donne l’impression d’ensemble et un sens final au poème.#�On remarque très nettement que le poème semble coupé en deux, dans le sens de sa hauteur,puisque son côté gauche est réservé à l’intérieur (le salon de Madame des Ricochets), alors que soncôté droit évoque un élément extérieur et naturel. Le système de ricochets qui régit ces images estassez simple. Il consiste à associer à un élément d’un intérieur bourgeois (première moitié du vers) unélément naturel correspondant (seconde moitié du vers).$�D’après le texte D, on peut définir le surréalisme comme�:–�le primat de l’image et de l’analogie sur la raison et la rationalité («�comme�» et non «�donc�») dansun sens unilatéral (du réel vers l’inconscient) entre des réalités sans rapport évident, très éloignées, enapparence�;–�le primat de l’inconscient («�rapport simultané, extralucide, insolent qui s’établit dans certaines conditionsentre telle chose et telle autre�»)�;–�le primat de l’immanence contre la transcendance (l’analogie mystique) –�recherche d’unmerveilleux du réel (ni raison, ni religion)�: le surréel.%�Le corps de la femme est associé à un violon ou à un violoncelle�: l’analogie est formelle, puisqu’elleest fondée par la similitude entre le corps féminin et l’instrument de musique. Cependant, le travailphotographique est également fondé sur une analogie linguistique (un jeu de mots) entre l’idée du

Réponses aux questions – 16

violon et l’image d’une femme vue de dos avec la tête légèrement tournée de trois quarts qui rappelle lapeinture d’Ingres. Cette posture est en effet immédiatement identifiable à la manière et au stylepicturaux d’Ingres et à sa thématique privilégiée. Le photographe prend à la lettre le cliché de «�violond’Ingres�» et lui redonne sens�: le violon d’Ingres de M.�Ingres, c’est aussi la femme nue de dos�!

Travaux d’écriture

Question préliminaireComme le préconise Signe ascendant, les trois textes sont fondés sur une exploitation libre desressources de l’analogie poétique qui signe la «�défaite de la raison�» (texte�B)�: Rimbaud rêve à desassociations entre les voyelles de l’alphabet et des couleurs particulières�; Aragon évoque toutes lessuggestions analogiques que provoque en lui «�l’esprit�» du blond�; Breton transfigure un intérieurbourgeois par la métaphore généralisée qui a valeur de métamorphose universelle (à développer et àétayer par des analyses précises des textes).Les textes du corpus proposent également une représentation utopique et merveilleuse du monde parla grâce de l’image�: les poèmes indiquent un possible qui se présente comme une unification et unapprofondissement du monde et de l’immanence. Les textes de Rimbaud et d’Aragon ré-enchantentle monde et en retissent l’étoffe par le recours à des synesthésies que l’on peut assimiler à desmétaphores (ou tropes) entre les sens. Le poème de Breton réunifie les mondes du social et du naturelet semble ouvrir le «�monde�» de la bourgeoisie vers un horizon de libération qui donne libre cours audésir. C’est également un point commun sous-jacent à ces trois textes poétiques de faire de l’amour etdu désir un levier de création, de métamorphose et d’approfondissement du monde�: on peut lire eneffet ces textes comme des évocations érotiques, au sens le plus large du terme.

Commentaire

IntroductionD’une part, ce poème revêt une forme moderne qui renouvelle la tradition poétique et, d’autre part,il propose un paysage idéal de type surréaliste.

1.�Un poème de facture moderne qui renouvelle la tradition classiqueA.�Un poème en vers libres sans ponctuation et sans rimes…•�L’absence de ponctuation a été introduite en poésie moderne par Apollinaire, quand il décided’enlever tous les signes de son poème «�Sous le pont Mirabeau�» (dans Alcools, 1913�; le motsurréalisme a d’ailleurs été inventé par lui). Le poème gagne ainsi en ambiguïté et laisse une plus grandeplace à l’interprétation du lecteur.•�Dans «�Monde�», l’absence de ponctuation montre une volonté de se débarrasser de tout ce qui estrationnel pour laisser la place à de libres associations poétiques. L’absence de rimes montre là aussi unelibération du poème envers tout ce qui n’est pas purement poétique. La rime est une contraintegratuite, puisqu’elle ne définit pas en tant que telle la poésie�; elle est donc conventionnelle et inutile.•�Ce qui caractérise la poésie, c’est un certain rythme (qu’impose notamment le vers) et le travail surles mots (images et sonorités). C’est pourquoi «�Monde�» est un poème en vers libres, groupés dansune strophe de 13 vers.B.�… qui joue avec la tradition poétique•�Les vers libres de ce poème jouent à parodier le mètre le plus célèbre de la poésie française�:l’alexandrin. Il revient comme une litanie dans le poème aux vers�1, 5 et 9, avec la répétition dugroupe complément circonstanciel de lieu «�dans le salon de madame des Ricochets�» (auxquels il fautajouter le vers�10). D’autres vers tournent autour de ce type de vers�: ainsi les vers�2, 3 et 7(11�syllabes), les vers�6 et 11 (14 et 15�syllabes) et les vers�4 et 12 (9�syllabes). Tout cela restenéanmoins très irrégulier, comme en témoignent notamment les vers�8 et 13 qui excèdent trèsnettement les 12�syllabes. Le poème n’a en effet comme seule règle que la dictature de l’imaginaire,mais on peut penser que l’alexandrin correspond peut-être à un rythme profondément etinconsciemment ancré dans notre sensibilité poétique.

Une saison en enfer et autres poèmes – 17

•�Si les vers ne riment pas, en revanche ils jouent là encore avec la règle classique de l’alternance desrimes masculines (6�vers) et féminines (7�vers)�: ainsi les vers 1-2, 5-6, 9 et 11 finissent par dessonorités masculines et les vers 3-4, 7-8, 10 et 12-13 se terminent par des sonorités féminines.C.�Une réécriture moderne du sonnet�?•�La structure. Ce qui frappe surtout le lecteur de ce poème est la proximité structurelle qu’ilentretient avec le genre du sonnet. «�Monde�» est en effet composé de 13�vers, soit 1�vers de moinsqu’un sonnet, mais surtout il indique, par l’utilisation de l’anaphore et de la répétition, une structurequi correspond presque à celle du sonnet. En effet, la répétition du même vers aux vers�1, 5 et 9 et sareformulation très voisine au vers�12 montrent une structure composée de 2�quatrains (v.�1-4 et 5-8�:la structure est encore marquée par la répétition de «�et�» en début de chacun des derniers vers desquatrains, soit aux vers 4 et 8), puis de 1�tercet complet (v.�9 et 10-11) et enfin de 1�tercet tronqué etréduit au format d’un distique (v.�12-13�: il manque donc le vers�14 pour que le 2e�tercet et le sonnetsoient complets).•�La chute. La fin du poème (v.�12-13) correspond pourtant à une règle essentielle du sonnet quiveut qu’il s’achève sur une chute qui le clôt par une «�pointe�» surprenante et qui à la fois donnel’impression d’ensemble et un sens final au poème. Les deux derniers vers surprennent car ilsmodifient la structure récurrente des vers�1, 5 et 9 et ouvrent sur une image qui elle-même seprésente comme une ouverture sur le rêve, le merveilleux et le fantasme. Les enjambements duvers�10 sur le vers�11 et du vers�12 sur le vers�13 créent un mouvement d’amplification et de suspens(effet de suspension ou de retardement) qui est typique de la chute traditionnelle des sonnets classiques.

2.�Un paysage idéal de type surréalisteA.�Les images�: des «�ricochets�» analogiques•�Les figures employées. Hormis une comparaison au vers�4, l’ensemble des images inventéesreposent apparemment sur des métaphores (v.�2-3, 6-8, 11 et 13). Certaines de ces métaphoresimpliquent d’ailleurs des personnifications�: «�la console est faite d’un bras�» (v.�3), «�le tapis meurt�» (v.�4)et «�des lampes basses […] lutinent la cheminée�» (v.�11).•�Le système d’organisation des images. Le système de ricochets qui régit ces images est assezsimple. Il consiste à associer à un élément d’un intérieur bourgeois un élément naturel correspondant.Au niveau même de leur disposition spatiale, on remarque très nettement que le poème semble coupéen deux dans le sens de sa hauteur, puisque son côté gauche est réservé à l’intérieur (le salon deMadame des Ricochets), alors que son côté droit évoque un élément extérieur et naturel. Voir letableau ci-dessous�:

Localisation À gauche�: l’intérieur À droite�: l’extérieurv.�2 «�Les miroirs�» «�grains de rosée�pressés�»v.�3 «�La console�» «�un bras dans du lierre�»v.�4 «�le tapis�» «�comme les vagues�»v.�6 «�Le thé�» «�lune […] œufs d’engoulevent�»v.�7 «�Les rideaux�» «�la fonte des neiges�»v.�8 «�le piano�» «�dans la nacre�»v.�10 «�Des lampes basses�» «�feuilles de tremble�»v.�11 «�la cheminée�» «�en écailles de pangolin�»v.�13 «�Les portes�» «�en escarpolette�»

B.�Interprétations�: le fantastique et l’érotisme•�Deux interprétations s’imposent à première vue�:–�par l’intermédiaire des images, le monde stable d’un intérieur bourgeois verse dans le fantastique.Tout semble prendre vie, et une vie mystérieuse régie par la loi de l’animisme. L’imagination sembleprendre appui sur la mémoire et les souvenirs d’enfance de l’auteur, tant ce monde semble recréé parl’imagination magique et fantastique de l’enfant qui ne connaît pas encore les lois de la raison et lecloisonnement entre réel et imaginaire qu’elles imposent. L’atmosphère est onirique�: on part du réelpour déboucher dans le rêve�;–�l’autre interprétation suggérée ici est liée à l’atmosphère érotique et badine qui émane de ce poème.Elle s’impose notamment à la fin du poème et marque une nouvelle étape dans la progression de la

Réponses aux questions – 18

folie débridée que le poème met en place. À partir du vers�9 (qui correspond au début du «�1er�tercet�»selon nos analyses), le thème érotique est suggéré notamment par l’apparition du verbe lutiner (v.�11)et par la mention des «�servantes en escarpolette�» qui clôt le texte et qui renvoie à toute une traditionpicturale et libertine de révélation des «�dessous�» (v.�10)…•�Ainsi, dans les «�quatrains�» se trouve développé le thème fantastique et animiste, alors que dans les«�tercets�» apparaît un autre thème lié à l’amour et l’érotisme. Là encore, le poème respecte une deslois que la symétrie classique imposait dans le sonnet aux thèmes (un thème dans les quatrains et unthème dans les tercets).•�Cette dualité renvoie aussi aux deux grands thèmes surréalistes�: la fantaisie de la liberté et le désir del’amour qui se conjuguent ici pour mettre poétiquement en place une révolution surréaliste visant à libérerles êtres et les choses du carcan bourgeois et rationnel dans lequel on veut les enfermer et les réduire.C.�«�Monde�» = un univers surréaliste•�Le poème illustre parfaitement les grandes tendances esthétiques et poétiques que Breton exposedans Signe ascendant�: «�Je n’ai jamais éprouvé le plaisir intellectuel que sur un plan analogique. Pour moi laseule évidence au monde est commandée par le rapport spontané, extralucide, insolent qui s’établit, dans certainesconditions, entre telle chose et telle autre, que le sens commun retiendrait de confronter.�»•�Dans ce texte théorique, Breton semble donc donner le principe poétique qui régit la création de«�Monde�»�: «�Elle [l’analogie poétique] se meut, entre les deux réalités en présence, dans un sens déterminé,qui n’est aucunement réversible. De la première de ces réalités à la seconde, elle marque une tension vitale tournéeau possible vers la santé, le plaisir, la quiétude, la grâce rendue, les usages consentis.�» Comme on le remarquedans «�Monde�», l’univers bascule de la gauche vers la droite du vers dans le sens d’une libérationphilosophique (l’animisme), morale (l’érotisme) et politique (le beau monde bourgeois éclate).

Dissertation

1.�Poésie�: un art du langage�?A.�La poésie comme art sublime du discours rhétoriqueLa conception classique de la poésie ne voit en elle qu’un discours sublime où la rhétorique est àl’apogée de son art. La poésie est donc un discours en vers. Cette conception classique de la poésie laconsidère comme un ornement de la prose par la versification et la prosodie�: elle ne dit pas autrechose que le langage ordinaire, mais elle le dit mieux, avec beauté et grâce. On pourra reprendre cepassage caractéristique de cette conception classique de la poésie extrait des Lettres philosophiques deVoltaire�: «�On sait très bien en quoi consiste l’objet de la poésie, il consiste à peindre avec force, netteté,délicatesse et harmonie�: la poésie est l’éloquence harmonieuse.�»B.�La poésie comme art du langageCette conception formaliste de la poésie se retrouve aussi bien�:–�au XVe et au début du XVIe siècle, chez les «�grands rhétoriqueurs�» (voir l’Anthologie des grandsrhétoriqueurs de Paul Zumthor en collection «�10/18�»)�;–�au milieu du XIXe siècle, chez les tenants de l’école de l’art (ou «�l’art pour l’art�», ou encore«�Parnasse�»�: voir le poème «�L’Art�» de Théophile Gautier, dans Émaux et Camées)�;–�au XXe siècle, chez Aragon (parfois) et dans le mouvement OuLiPo (Queneau, Perec, Roubaud,etc.)�: «�La poésie est un art simple et tout d’exécution�», dit le Second Manifeste de la littérature potentielle.C.�La poésie comme expérience du langage•�Dans les deux poèmes qui ferment respectivement les éditions de 1857 et de 1861 des Fleurs du mal,«�La Mort des artistes�» et «�Le Voyage�», Baudelaire a indiqué la voie d’une poésie qui se définitcomme une insatiable recherche d’une langue poétique susceptible de dire ou de suggérer l’absolud’une beauté inconnue et intangible, que l’expérience nouvelle d’un langage inouï peut seule révéler(«�Plonger au fond du gouffre… Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau�!�»). Dans ses lettres du«�voyant�» de mai 1871 (pp.�35-51), Rimbaud s’inscrit dans une telle démarche et la radicalise. Lepoète «�arrive à l’inconnu�», découvre des «�choses inouïes et innommables�», voire informes, et doit alors«�trouver une langue [pour] faire sentir, palper, écouter ses inventions�».•�La poésie symboliste a montré que le langage poétique était un langage tout autre que celui de laprose�: c’est un art de la suggestion plus que de la signification�: «�Je pense qu’il faut, au contraire, qu’iln’y ait qu’allusion. La contemplation des objets, l’image s’envolant des rêveries suscitées par eux sont le chant�»

Une saison en enfer et autres poèmes – 19

(Mallarmé, Réponse à l’enquête sur l’évolution littéraire). Dans ce même texte, Mallarmé refuse la vertupoétique à l’acte de «�nommer�» pour lui préférer la suggestion�: «�Suggérer, voilà le rêve. C’est le parfaitusage de ce mystère qui constitue le symbole�: évoquer petit à petit un objet.�»•�À partir du mouvement symboliste, les poètes commencent à s’intéresser aux théories du langage etdécouvrent (avant que Jakobson ne la théorise) la fonction poétique du langage, c’est-à-dire ce quifonde le langage poétique en tant que tel�: voir les recherches de Stéphane Mallarmé (Crise de vers) etde Paul Valéry («�le poète se consacre et se consume donc à définir et à construire un langage dans le langage�»,dans «�Situation de Baudelaire�», Variété�II) et la troisième partie de la dissertation suivante. Mallarmédéfinit la poésie comme un acte de véritable création langagière�: en cherchant l’indicible, le poèterecrée une langue plus pure, inédite et inouïe («�le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf,étranger à la langue et comme incantatoire achève cet isolement de la parole�», dans Crise de vers). Le langagepoétique devient donc l’ambition d’un langage plus juste, plus légitime, qui abolirait l’arbitraire dusigne en faisant que le mot soit la chose�; ainsi, comme le dit Mallarmé, le «�vers rémunère le défaut deslangues�».

2.�Poésie�: un art de l’image�?A.�La poésie de la Renaissance•�À la Renaissance, le savoir est fondé sur l’idée de similitude�; il est donc d’emblée d’ordre poétique,dans le sens où il se présente comme le catalogue de la totalité des images que le monde met en scènesous les formes spéculatives de miroirs infinis�: «�Chercher le sens, c’est mettre au jour ce qui se ressemble.Chercher la loi des signes, c’est découvrir les choses qui sont semblables�» (Michel Foucault).•�Pour la Renaissance, la connaissance n’est qu’interprétation�; les mots font parler les choses et lanature est un livre, une prose savante qu’il faut savoir lire poétiquement, et c’est là la fonction dusavant, du poète, de l’alchimiste, de l’astrologue.B.�La poésie romantique et symboliste (voir texte A du corpus)Si, pour les poètes de la Renaissance, la poésie est la clé de la connaissance du monde, pour lesromantiques, il semble que le monde soit d’emblée conçu comme un poème�: «�L’univers ressembleplus à un poème qu’à une machine�; et s’il fallait choisir, pour le concevoir, de l’imagination ou de l’espritmathématique, l’imagination approcherait davantage de la vérité�» (Mme de Staël)�; voir Hugo («�Ce que ditla bouche d’ombre�»), Nerval («�Vers dorés�») ou encore Baudelaire («�Correspondances�»).L’imagination devient une faculté de l’infini, l’instrument de connaissance de la nature le plus completet le plus fécond. Si l’imagination est, pour Baudelaire, la «�reine des facultés�», c’est parce qu’ellepermet à l’homme d’assouvir son «�aspiration vers l’infini�»�: l’«�imagination est la reine du vrai, et lepossible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l’infini�» (Salons). L’art et enparticulier la poésie vont avoir comme fonction de révéler cette infinité inscrite au sein du monde etau cœur de l’homme. Baudelaire va faire le lien entre cette faculté maîtresse qui sympathise avecl’infinité du monde et avec sa structure profondément analogique�: «�L’imagination est la plus scientifiquedes facultés, parce que seule elle comprend l’analogie universelle, ou ce qu’une religion mystique appelle “lacorrespondance”. La Nature est un verbe, une allégorie�» (lettre du 21�janvier 1856)�; voir les poèmessynesthésiques de Baudelaire («�Parfum exotique�», par exemple) et de Rimbaud («�Voyelles�», texte�Adu corpus).Remarque�: Baudelaire définit la synesthésie comme «�métamorphose mystique de tous les sens fondus en Un�».C.�La poésie surréaliste (voir le corpus�: textes B, C et D)Le surréalisme reprend à son compte ces conceptions de la poésie et ce primat de l’image et del’imagination sur toutes les autres facultés poétiques�; l’intuition, l’évidence poétiques sontcommandées par la métaphore généralisée�:–�qui métamorphose le quotidien (voir les textes B et C du corpus) en surréel (sans nier la réalité)�;–�qui donne accès à la loi de l’univers (le monde comme l’homme, le réel comme l’inconscient)�:l’universelle analogie ou théorie des «�vases communicants�» (voir Le Manifeste du surréalisme et Signeascendant –�texte D du corpus�– de Breton).

Écriture d’inventionOn peut prendre comme exemple de texte critique un extrait de Je disais à Stéphane Mallarmé de PaulValéry (1931)�: c’est un bon support pour un exercice d’initiation à l’écriture d’invention car il donne

Réponses aux questions – 20

un cadre soutenu à la polémique et peut ainsi éviter la dérive de l’insulte. Pour l’adapter au sujet, ils’agirait seulement de l’amplifier en l’illustrant d’exemples précis et en le rendant plus «�véhément�».Paul Valéry y fustige, sans le nommer, le surréalisme, et notamment le primat de l’écriture immédiateet de l’inconscient, redéfini comme inconscience. Paul Valéry considère cette conception de la poésiecomme médiocre, et démocratique aussi en un sens car tout le monde peut se présenter alors commepoète, puisque, de cette manière, «�l’individu le plus ordinaire peut parfois émouvoir les gens�». La poésie abesoin en revanche de constance, de régularité et de lucidité dans le travail. La poésie est un métierqui permet aux plus habiles «�de changer leur désordre en ordre et la chance en pouvoir�; c’est là la merveille�».Le génie poétique n’est rien sans cette élaboration laborieuse qui permet d’atteindre consciemment etrégulièrement l’excellence�; sans ce travail, on n’est poète que par intermittence. Paul Valéryrevendique donc la pratique du métier contre l’inspiration du génie (qu’il soit muse, dieu ouinconscient). Elle seule permet d’unifier intention et exécution, inspiration et création, c’est-à-dire defaire œuvre, de créer un objet poétique, d’écrire un poème�: «�La pratique, peu à peu, nous habitue à neconcevoir que ce que nous pouvons exécuter. Elle agit insensiblement pour nous restreindre à une économie exactede nos ambitions et de nos actes. Ce n’est point là autre chose que se défendre, jusque dans le détail et lefonctionnement élémentaire de la vie mentale, contre l’automatisme.�»

« � M a u v a i s S a n g � » ( p p . 9 6 à 1 0 4 )

! Lecture analytique de l’extrait (pp. 105-106)!�Le «�sang�» désigne l’origine, l’hérédité. On reconnaît dans un tel titre certains adages de la noblesseou les maximes qui en guident le comportement comme «�Bon sang ne peut mentir�», mais les valeurss’inversent, en conformité avec la logique d’un livre qui se veut comme une inversion, voire unenégation des valeurs. Il s’agit donc d’un adage paradoxal qui revendique la bassesse de l’extractionsociale et familiale."�Le portrait physique et moral d’un individu est bien l’objet du texte. En outre, ce portrait est établipar ce même individu qui en est l’objet, ainsi que l’énonciation subjective le montre�: le «�je�» estobjet et sujet du texte. Il s’agit donc d’un autoportrait qui se compose très logiquement d’un portraitphysique (1re�section, §�1, et 3e�section, §�3-4) et surtout moral (1re�section, §�2-4, et 2e�section).#�Les trois sections de cet autoportrait sont organisées logiquement et chronologiquement�: la1re�section dresse un autoportrait au présent entre être et avoir («�j’ai�»), la 2e�section évoque le passé etles origines («�Je me rappelle�», «�Je ne me souviens pas�») et la 3e�section envisage un avenir utopique(«�Je reviendrai�», «�J’aurai�», «�Je serai�»). L’autoportrait est lié à une recherche de l’identité au présent,dans le passé ou dans un futur hypothétique.$�Dans la 1re�section, les éléments caractéristiques du portrait physique couvrent essentiellement le1er�paragraphe. Le locuteur se présente comme un descendant des barbares du Nord (aux yeux bleus),mais très rapidement la description prend une connotation morale�: la cervelle est «�étroite�»�; il y estaussi question d’une certaine «�maladresse�». Le portrait moral met lui aussi en avant ce que les valeurstraditionnelles interprètent comme des défauts�: «�idolâtrie�», «�sacrilège�», «�vices�», «�colère�», «�luxure�»,«�paresse�», perfidie. La 1re�section dresse donc un autoportrait négatif et paradoxal qui inverse lesvaleurs�: le locuteur se présente comme un antihéros tant physique que moral.%�Dans la 2e�section, Rimbaud (si on peut l’assimiler au locuteur) envisage ses origines comme unemalédiction marquée du sceau de la marginalité absolue�: infériorité, invisibilité sociale et historique.L’absence même d’historicité est la marque maudite de ces origines («�je ne me retrouve qu’aujourd’hui�»,«�Je ne me vois jamais�»)�; alors le locuteur se rêve une présence passée de pèlerin, de lépreux, demercenaire. Il se voit comme un élément de la race nouvelle, démocratique et donc inférieure, quin’a pas d’histoire, qui est issue d’un retournement historique (la révolution, au sens propre du terme)et qui a fait table rase du passé.&�Dans la 3e�section, Rimbaud se rêve comme un barbare païen, régénéré et endurci, qui tourne ledos aux valeurs européennes occidentales. L’autoportrait utopique reprend les caractéristiques del’autoportrait de la 1re�section (oisiveté, brutalité, jouissance) tout en convertissant la faiblesse enforce�: la filiation maudite est revendiquée et affirmée comme une force («�on me jugera d’une raceforte�»).

Une saison en enfer et autres poèmes – 21

'�Cet autoportrait se présente comme universel car il s’inscrit dans un mouvement historique quitranscende l’individu. Le locuteur se veut le héraut et le héros de générations dégénérées�: laRévolution et l’avènement de la «�déclaration des Droits de l’Homme�» ont rendu universelle une racemaudite et inférieure (la race païenne), qui n’a aucune référence originale ni particularité, si ce n’estdans le fait même de sa négativité. Son universalité est liée au mouvement démocratique qui la placeau pinacle de la société et la fait exister�: «�Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. –�J’entends desfamilles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l’Homme.�»(�De façon très étonnante, le texte débute par un signe ouvrant de guillemets, comme s’il s’agissaitd’un discours (on notera que les guillemets ne se fermeront jamais).)�Le texte sollicite le registre oratoire par le recours à une ponctuation expressive (commel’exclamation) ou dialogique (comme l’interrogation directe), à des figures de style caractéristiquescomme l’anaphore rhétorique (répétitions de «�j’ai�», par exemple, et plus généralement de la1re�personne à l’initiale des propositions) ou à des tournures elliptiques typiques du discours oral(«�D’eux j’ai�», «�Mais non, rien�», «�Mais�!�», «�Ah�! encore�», etc.).*+�L’utilisation fréquente, voire abusive de l’hyperbole rend parfois peu crédible ce qui est énoncé.Certains énoncés pourraient même se présenter comme des commentaires ironiques (voir la fin de la2e�section), tant le décalage semble marqué entre la réalité et son discours�: «�La science, la nouvellenoblesse�! Le progrès. Le monde marche�! Pourquoi ne tournerait-il pas�? […] Nous allons à l’Esprit. C’est très-certain, c’est oracle, ce que je dis.�»*,�D’une certaine manière, le discours rimbaldien se présente ici comme une parodie du discoursévangélique. Il s’agit d’un sermon qui revendique, par certains de ses énoncés apodictiques («�c’estoracle, ce que je dis�») et par son style affirmatif (les exclamations, les apostrophes), un caractère religieuxet prescriptif. En ce sens, il se présente comme un anti-Évangile, puisqu’il est la bonne parole quiannonce le retour du paganisme («�Le sang païen revient�!�») et la fin de l’Évangile chrétien («�l’Évangilea passé�!�»).*-�La prose progresse par accumulation de propositions juxtaposées. On remarque une absencepresque totale de structuration syntaxique en phrases complexes (subordination) ou en périodesrhétoriques�: le style est paratactique, les propositions sont scandées par une très riche ponctuation. Lestournures sont parfois elliptiques�: certaines propositions s’apparentent à des maximes ou à desaphorismes isolés. Cette prose est poétique et se présente comme formulaire�: chaque propositionsemble autonome, sans linéarité ni continuité, et pourtant les sections progressent de façon évidente.*.�Comme on l’a vu, Rimbaud souligne, non sans une certaine distance, cette caractéristique de sonécriture oraculaire («�c’est oracle, ce que je dis�»). Certains énoncés au présent, dits précisément«�prophétiques�», prennent la forme (parodique) de prophéties, notamment à la fin de la 2e�section�:«�Nous allons à l’Esprit�», «�Le sang païen revient�! L’esprit est proche�».*/�Le texte de Rimbaud fait une véritable critique, notamment par l’ironie, de la modernité, duprogrès, de la rationalité positiviste et du régime démocratique (fin de la 2e�section). Il se présenteainsi comme un texte apocalyptique�: le présent est nié, dévalué comme le temps de l’erreur et de ladégradation («�Maintenant je suis maudit�») au profit du futur (3e�section) dont on attend unerégénération et un salut («�J’attends Dieu avec gourmandise�»). C’est cette ambition sotériologique (c’est-à-dire liée à la recherche du salut) qui rapproche le texte de Rimbaud des textes mystiquesapocalyptiques.*0�Le style hyperbolique (qui fait de l’ensemble du texte une sorte d’adynaton ou hyperboleimpossible à force d’exagération) et le ton exalté du texte donnent aux énoncés une allure visionnairedont la vérité se situerait à un niveau symbolique et imaginaire�: «�Sans me servir pour vivre même de moncorps�», «�j’ai vécu partout�», «�Pas une famille d’Europe que je ne connaisse�», «�J’ai connu chaque fils defamille�». La 2e�section montre le locuteur problématique de ce texte, que l’on appellera parcommodité Rimbaud, posséder le don d’ubiquité dans l’espace et le temps�: tel un fils de Caïn, unMelmoth, il décline ses avatars dans l’Histoire («�Qu’étais-je au siècle dernier�», «�Je reviendrai�»,«�Maintenant je suis maudit�»). Le mode conditionnel suggère qu’il s’agit bien des résultats d’unevoyance�: «�J’aurais fait, manant�», «�Plus tard, […] j’aurais bivaqué sous les nuits d’Allemagne�», et onpasse alors, au cours du texte, de ces hypothèses rêvées à des hypotyposes bien vivantes, à des visionsbien réelles�: «�Je suis assis, lépreux�», «�Ah�! encore�: je danse le sabbat�».

Réponses aux questions – 22

*1�On a déjà pu observer le mouvement temporel qu’esquissent ces trois sections�: présent, passé,futur. On peut cependant noter que la 3e�section reprend les éléments de la 1re�section («�je suis de raceinférieure de toute éternité�») pour les revendiquer comme le ferment d’une métamorphose future quisoit un retour à l’origine�! Pourtant le mouvement dessiné par ces trois sections est déceptif, cycliqueet répétitif. La fin du texte fait un retour à la problématique du début («�Maintenant je suis maudit�»),comme si le cercle du temps et la prison des saisons, et notamment du présent, restaient indépassables.La «�grève�» fonctionne d’ailleurs comme une syllepse�: à la fois la plage comme lieu-limite du départpossible, non encore réalisé, mais aussi le refus du travail et donc du mouvement (oisiveté,«�sommeil�», ivresse, paresse). Ce mouvement d’élan et de chute est d’ailleurs caractéristique d’uncertain nombre de textes d’Une saison en enfer et plus généralement du style de Rimbaud�: après ceprojet de départ dans la 3e�section, la 4e�section commencera par cette formule lapidaire etintransitive�: «�On ne part pas.�»

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 107-112)

Examen des textes!�Le texte se compose de deux mouvements distincts et complémentaires�: il s’agit d’abord del’évocation de l’infini comme besoin vital qui conduit le narrateur à se poser la question de sesorigines pour y découvrir sa malédiction fondamentale (sa «�méchanceté�») que va développer ensuitel’autoportrait (qui débute avec l’apostrophe «�Vous, qui me regardez�»). La question de la destination(l’infini) et des origines (la limitation), d’une part, et l’autoportrait de l’être maudit, d’autre part,forment les deux mouvements de ce texte."�L’infini s’exprime paradoxalement par le recours à des exemples animaliers�: les aboiements deschiens dans la campagne, la femelle du requin et son rapport à la tempête, le tigre cruel. Le narrateurmontre ainsi une évidente connexion entre désir d’infini, souffrance (les chiens) et cruauté ouméchanceté (le requin, le tigre). L’infini s’exprime et s’expose aussi dans une écriture dudénombrement infini�: ainsi l’autoportrait peut avoir tendance à proliférer sur le plan thématique etlexical�: «�pareils aux […] ou aux […] ou aux […]�».#�Le dernier paragraphe du texte de Michaux propose une espèce de court apologue que l’on peutrelier au reste du texte par une relation analogique�: cette petite histoire animalière est en rapportétroit avec le texte qui problématise la quête de l’identité et le poids de l’hérédité, la libertéindividuelle et le déterminisme familial. L’exemple du puma montre précisément cette dialectiqueentre l’acte d’affirmation individuelle que fonde une personnalité originale et tout ce qui la dépasse, ladomine et même la conditionne.$�Des convergences étonnantes peuvent être repérées entre le document photographique et le débutde «�Mauvais Sang�». Rimbaud semble avoir accompli ce qu’il prophétisait dix ans plus tôt�: «�L’airmarin brûlera mes poumons�; les climats perdus me tanneront […]. Je reviendrai avec des membres de fer, la peausombre, l’œil furieux�: sur mon masque, on me jugera d’une race forte.�» En revanche, l’habillement de typecolonial que porte Rimbaud sur le cliché photographique indique peut-être qu’il se placerait plutôtdu côté des races qui se disent supérieures, les races colonisatrices…

Travaux d’écriture

Question préliminaireDans les textes du corpus, la malédiction touche l’identité même des poètes. Cependant, chaque texteprésente de façon singulière cette problématique commune. Le texte de Rimbaud inscrit cettemalédiction («�je suis maudit�») dans une hérédité supposée inférieure et déficiente («�Je suis de raceinférieure de toute éternité�»). Le texte de Lautréamont, à l’inverse, comprend cette malédiction (cetteméchanceté) comme un signe d’élection géniale et paradoxale qui isole celui qui en porte la marque àla façon d’un monstre asocial et inhumain�: le narrateur est sensible aux aspirations artistiques les plusprofondes (l’aspiration à l’infini, le sublime) mais il est rejeté pour sa laideur morale et physique horsdu monde civilisé et en souffre. Le mal est aussi malheur. Dans le texte de Michaux, la malédiction

Une saison en enfer et autres poèmes – 23

provient du fait que le «�moi�» n’arrive pas à fédérer, à «�gérer�» ses «�tendances�» et donc à unifier sapersonnalité�: il n’arrive pas à assimiler l’Autre en lui (la famille, les ancêtres, l’hérédité) et en subit lapuissance ou en décrète unilatéralement le rejet.

Commentaire

1. L’autoportrait paradoxal d’un génieA.�Une identité collective�: la représentation•�Le besoin d’infini�: Maldoror partage avec l’ensemble de la création un besoin d’infini qui excèdeles limites mêmes des individus (humains comme animaux) –�d’où la souffrance que symbolisel’aboiement des chiens. Le cri des chiens est «�sublime�» car il transfigure, sur le plan de l’expression(artistique), une souffrance en un «�spectacle�» esthétique que l’on peut «�contempler�» et qui engendreune certaine beauté�: celle du sublime, précisément.•�La souffrance�: Maldoror partage ce sentiment avec l’ensemble de la communauté des hommesqui éprouvent ce besoin impossible mais insatiable de l’infini�: «�pourtant je sens que je ne suis pas le seulqui souffre�». Maldoror cherche un écho solidaire à sa souffrance solitaire, ainsi qu’un Prométhéemoderne (la comparaison avec le Frankenstein de Mary Shelley est possible).B.�Un être d’exception�: la malédictionMaldoror, ainsi que l’onomastique nous pousse à le croire, est un être du «�mal�», de l’horreur, maisaussi du malheur et de la douleur (dolor), un cadeau (doron) d’un dieu mauvais, d’un dieu du Mal. Lehéros est un marginal�: d’une exceptionnelle méchanceté («�je ne serais pas si méchant�»). Son caractèreest unique de ce point de vue et lui impose la solitude et le retrait («�vous, qui me regardez, éloignez-vousde moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné�»), de même que son physique monstrueux («�les ridesvertes de mon front, les os en saillie de ma figure maigre�», «�ma face flétrie�», «�la laideur que l’Être suprême[…] a mise sur moi�»). Cette laideur morale et physique l’isole du reste de la communauté des hommesqui jouit de la chaleur heureuse du soleil�: lui doit vivre retiré dans une «�caverne�» broussailleuse.C.�Le paradoxe du génieMaldoror incarne le paradoxe du génie, solitaire, isolé par sa lucidité et son exceptionnelle sensibilité(dont rend compte l’idée d’une ascendance inhumaine) que vient contrarier son besoin de représenterou d’intégrer une communauté qui lui échappe ou qui le renie. Ce paradoxe s’exprime par laprésence anaphorique de l’adverbe «�pourtant�».

2.�Une parole infinie et indéfinieA.�Le discours�: présence du registre oratoire•�Apostrophes, interrogations et exclamations nombreuses (ponctuation expressive).•�Interpellations du destinataire�: «�vous qui me regardez, éloignez-vous de moi�».•�Anaphore rhétorique�: «�pourtant�» qui scande le discours.B.�Un lyrisme épiqueLe discours est évidemment lyrique�; il s’agit d’une confession fictivement autobiographique�: omni-présence du «�je�», du «�moi�» parfois nettement mis en évidence comme objet et centre du discours. Maisl’emphase et l’amplification du style lui confèrent une allure épique�: présence de sortes d’épithèteshomériques («�dont la faim est amie des tempêtes�», «�à la cruauté reconnue�», etc.), images et comparaisonsemphatiques et allégoriques en début de proposition («�comme un condamné�»), ton universalisant qui associela quête de Maldoror à une mission collective, lien du héros avec les forces cosmiques, naturelles ouanimales, hyperboles et exagérations (le texte baigne dans une atmosphère d’exacerbation continuelle de lasensibilité). On rappellera que le texte est divisé en 6�chants, à la façon d’une épopée.C.�L’expansion poétiqueEnfin, le discours semble se présenter sous le régime de l’expansion verbale indéfinie�: la cohérence dutexte est souvent plus poétique que sémantique. Ainsi les «�yeux vitreux�» de la mère n’appellent-ils pasune contemplation par la fenêtre�? De la même façon, les images s’engendrent les unes les autrescomme à l’infini dans une épanorthose généralisée�: «�pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou auxrochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres�»�; même remarque pour lesanaphores qui donnent cette impression de prolifération des énoncés. Inversement, le texte

Réponses aux questions – 24

fonctionne aussi par sauts discursifs non motivés qui confèrent au texte des possibilités infinies dedéveloppement�: entre «�méchant�» et «�vous qui�», et surtout à la fin où la dernière phrase ouvre unenouvelle direction discursive imprévue. Sur le plan textuel, Lautréamont donne une idée, certesindéfinie, de cet infini qui taraude Maldoror, «�comme le reste des humains�».

Dissertation

IntroductionLe sujet reprend une problématique importante, à savoir la différence entre poésies lyrique etbiographique. Une première partie pourra analyser la définition courante et actuelle qui tend àcantonner la poésie lyrique à la simple expression de sentiments personnels. Une seconde partie devratoutefois rappeler qu’on ne peut restreindre et réduire la poésie lyrique à un tel objectif�: l’étymologiedu mot, son origine culturelle ainsi qu’une tradition poétique qui associe la poésie lyrique au chant, àla célébration et à l’éloge montrent que la poésie lyrique doit moins se définir par son contenu quepar sa forme ou son style. Il s’agit bien d’un registre, c’est-à-dire d’une manifestation littéraire d’unecatégorie de la sensibilité, comme l’a vu Baudelaire, par exemple. Voici quelques pistes…

1.�Poésie lyrique�: une poésie intimiste et biographique�?A.�La poésie amoureuse•�Les poètes de La Pléiade et leur muse�: s’inspirant de Pétrarque chantant Laure, Du Bellay va chanterson Olive et Ronsard Marie. Ces relations amoureuses et poétiques se fondent sur une fictionbiographique.•�Les poètes surréalistes reprennent des poètes de la Renaissance ce goût pour la femme-muse�: unpan très important de leur production est consacré à évoquer dans leurs poèmes la femme qui partageleur vie (Nush et Eluard, Elsa et Aragon).B.�La poésie romantique•�La poésie biographique�: le recueil poétique devient un carnet, un album, un journal intime. Voir lerecueil très important, de ce point de vue-là, de Sainte-Beuve�: Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delormeen 1829. Lamartine (Jocelyn) et Hugo (Les Contemplations) construiront aussi certains de leurs recueilscomme des écrits (auto)biographiques.•�La poésie sentimentale, la poésie du cœur�: «�Ah�! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie�» (Alfred deMusset, «�À mon ami Édouard B.�»). L’expérience personnelle de la douleur devient fondamentale�:«�L’homme est un apprenti, la douleur est son maître�» (Musset, «�Nuit d’octobre�») et fonde le génie etl’originalité de la poésie�: «�Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur�; / Les plus désespérés sont leschants les plus beaux / Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots�» (Musset, «�Nuit de mai�»).

2.�Le lyrisme�: une manière lyrique de sentirA.�DéfinitionLe lyrisme ne consiste pas exactement, et strictement, en l’expression de sentiments personnels�; sadéfinition est plus vaste et moins réductrice. Il consiste à rendre compte d’un sujet (ou d’un objet) àtravers une subjectivité, une sensibilité, une affectivité particulières à un individu. Le lyrisme est un étatqui permet de tout rendre poétique. La poésie lyrique ne se définit ni par ses sujets, ni par son style, maispar l’état lyrique qu’elle transporte. Le poète lyrique est en proie à un «�état exagéré de la vitalité�» quitransfigure tout ce qu’il touche. Il affirme la vie, et cette affirmation transfigure poétiquement tout cequ’il traite�: «�la lyre exprime en effet cet état presque surnaturel, cette intensité de vie où l’âme chante, où elle estcontrainte de chanter, comme l’arbre, l’oiseau et la mer�» (Baudelaire, «�Théodore de Banville�»).B.�La poésie lyrique�: le chant•�Étymologie�: le poème lyrique est un poème chanté, accompagné d’une lyre. Voir, à ce sujet, letexte de Nerval (texte�B) utilisé dans le corpus du questionnaire suivant (autour d’«�Alchimie duverbe�»).•�Poésie et enchantement�: même la douleur est enchantée par le chant lyrique (voir Du Bellay, LesRegrets�; Baudelaire, «�Harmonie du soir�»�; Verlaine, La Bonne Chanson, Sagesse).•�Poésie lyrique et célébration�: voir la dissertation de la page�13 (2e partie, §�C) et le corpus intitulé«�Poésie et célébration�» (corpus, question préliminaire et dissertation).

Une saison en enfer et autres poèmes – 25

Écriture d’inventionEn guise d’initiation, nous pouvons proposer, comme début créateur ou comme thème d’imitation(afin de rendre l’exercice plus facile à ceux qui éprouvent des difficultés à écrire librement), le travailque Gilbert Lascault a pu faire en détournant des textes de l’Histoire naturelle de Buffon (voirDuchesne et Leguay, Petite Fabrique de littérature, Magnard, p.�270). Il s’agit de prendre la descriptiond’un animal, de la détourner et de l’adapter à son profit afin d’en faire un autoportrait�: par exemple,le cheval, l’âne, la chèvre, le rat ou le lion (Histoire naturelle, «�Folio�», pp.�188-205).En ce qui concerne la composition, on peut respecter la traditionnelle dichotomie (portrait moral,portrait physique). Nous pouvons donner comme exemple un extrait d’une lettre de Baudelaire à samère (Correspondance, «�Folio�», pp.�141-144). Nous avons par ailleurs modifié la typographie de cettelettre pour en mettre en évidence la composition�: introduction (§�1), gouffre moral et spirituel (§�2),gouffre physique et matériel (§�3), conclusion (§�4).«�J’ai beaucoup à me plaindre de moi-même, et je suis tout étonné et alarmé de cet état. Ai-je besoin d’un déplacement,je n’en sais rien. Est-ce le physique malade qui diminue l’esprit et la volonté, ou est-ce la lâcheté spirituelle qui fatigue lecorps, je n’en sais rien. Au moral comme au physique, j’ai toujours eu la sensation du gouffre.Mais ce que je sens, c’est un immense découragement, une sensation d’isolement insupportable, une peurperpétuelle d’un malheur vague, une défiance complète de mes forces, une absence totale de désirs, une impossibilitéde trouver un amusement quelconque. Le succès bizarre de mon livre et les haines qu’il a soulevées m’ont intéresséun peu de temps, et puis après cela je suis retombé. […] Voilà une situation d’esprit passablement grave pour unhomme dont la profession est de produire et d’habiller des fictions. –�Je me demande sans cesse�: à quoi bon ceci�?à quoi bon cela�? C’est là le véritable esprit de spleen. –�Sans doute, en me rappelant que j’ai déjà subi des étatsanalogues et que je me suis relevé, je serais porté à ne pas trop m’alarmer�; mais aussi je ne me rappelle pas êtretombé si bas et m’être traîné si longtemps dans l’ennui.Ajoutez à cela le désespoir permanent de ma pauvreté, les tiraillements et les interruptions de travail causées par lesvieilles dettes (soyez tranquille, ceci n’est pas un appel alarmant fait à votre faiblesse. Il n’est pas encore temps,pour plusieurs raisons, dont la principale est cette faiblesse et cette paresse que j’avoue moi-même), le contrasteoffensant, répugnant, de mon honorabilité spirituelle avec cette vie précaire et misérable, et enfin, pour tout dire, desinguliers étouffements et des troubles qui durent depuis un mois. Tout ce que je mange m’étouffe.Si le moral peut guérir le physique, un violent travail continu me guérira, mais il faut vouloir, avec une volontéaffaiblie�; –�cercle vicieux […].�»

« � A l c h i m i e d u v e r b e � » ( p p . 1 2 1 à 1 3 0 )

! Lecture analytique de l’extrait (pp. 131-132)!�On définit l’autobiographie comme un récit rétrospectif en prose où l’identité entre le personnageprincipal, le narrateur et l’auteur est postulée. Or «�Alchimie du verbe�» est bien un récit rétrospectifen prose. Le texte sollicite les temps du passé (imparfait, passé simple) et on note un verbe au présentà la fin du texte qui précise encore la visée rétrospective de «�Délires II�»�: «�Cela s’est passé. Je saisaujourd’hui saluer la beauté.�» En outre, on note l’identité entre le narrateur-personnage («�je�») etl’auteur des poèmes cités dans le cours du texte�: on peut repérer «�Larme�», «�Bonne Pensée dumatin�», «�Chanson de la plus haute tour�», «�Fêtes de la faim�», «�L’Éternité�», «�Ô saisons, Ôchâteaux…�». Tous ces poèmes ont été conçus par Rimbaud en 1872."�La première expérience littéraire évoquée est celle de la voyance�: invention d’un verbe poétiquenouveau (mention du poème de 1871, «�Voyelles�»), expérience de l’hallucination dite «�simple�» et desa transcription dans les mots du poème. La seconde expérience poétique est celle de la romance(peut-être sous l’influence de Verlaine)�: «�Mon caractère s’aigrissait. Je disais adieu au monde dans d’espècesde romances�» qui devient «�expression bouffonne�», puis «�opéra fabuleux�».#�Le texte remonte du passé le plus éloigné («�depuis longtemps�», à la 3e�phrase du texte) vers le présentle plus proche (dernière phrase�: «�aujourd’hui�») qui coïncide même avec le présent de l’écriture.$�C’est un récit de conversion car Rimbaud y rejette et repousse le passé comme un temps révolu del’erreur et de l’errance contre un présent de vérité, comme le montre la dernière phrase. La beauté yest considérée comme un nouveau Dieu dont on s’est trop longtemps détourné et qu’on retrouvefinalement�: «�Je sais aujourd’hui saluer la beauté.�»

Réponses aux questions – 26

%�La folie est très présente dans ce texte grâce à un champ lexical qui en dénote le sens ou enconnote l’idée�: «�folies�», «�enchantements�», «�vertiges�», «�hallucination�», «�désordre de mon esprit�»,«�épouvantes�», «�fièvres�», «�égarée�», «�bouffonne�», «�sophismes de la folie�», «�la folie�», «�terreur�», «�santémenacée�».&�La folie évolue en terme d’intensité�: c’est d’abord une étude (une «�hallucination�» maîtrisée) quidevient dangereuse pour l’intégrité du poète qui essaie d’en justifier le contenu de vérité contrel’évidence de la réalité («�Je m’habituai à l’hallucination simple […] j’expliquai mes sophismes magiques avecl’hallucination des mots�!�»). Elle se transforme en une espèce de maladie mentale proche de laschizophrénie («�la folie qu’on enferme�»)�: «�Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J’étais oisif, enproie à une lourde fièvre�». Enfin, la mort, évoquée dès le début d’Une saison en enfer, semble guetter lepoète�: «�Ma santé fut menacée. […] J’étais mûr pour le trépas�»).'�La folie se décline comme invention, hallucination, repli sur soi et sur son esprit, extase,dédoublement infini.(�L’«�adieu au monde�» se manifeste progressivement par une sorte d’idéalisme subjectif (et doncrelatif) qui devient ensuite absolu�: le monde disparaît au profit du moi du poète qui devient mondeet explose. Les paysages montrent cette disparition�: de l’imagerie, on passe par la permutation (etl’hallucination) à la disparition effective, à l’assèchement total et à la destruction. Les formes poétiqueselles-mêmes deviennent plus ténues et se rapprochent de l’aphasie et du silence.)�Le poète présente cette expérience comme une fureur poétique, comme s’il était inspiré par undémon poétique, par une divination surnaturelle, par un Dieu qui s’exprime dans et par le délire etl’inspire («�je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit�»). Le parcours poétique est présenté commeune descente aux Enfers�: le poète est «�mûr pour le trépas�» et s’engage, par une «�route de dangers�»,vers «�les confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l’ombre et des tourbillons�» qui évoque explicitementla région des Enfers.*+�Ces variantes peuvent s’expliquer d’un point de vue purement factuel�: Rimbaud cite ces poèmesde mémoire car il n’en aurait pas la copie sous les yeux au moment où il rédige Une saison en enfer,dans la ferme familiale de Roche. Ces variantes peuvent aussi suggérer combien Rimbaud s’estdétaché de cette poétique qu’expriment les poèmes de la voyance et de la romance des années 1871-1872�: il les cite avec une certaine négligence assumée pour en atténuer l’importance et la qualité.Enfin, on peut aussi justifier ces variantes par le fait que le poète mentionne ou cite ces poèmescomme exemples, comme illustrations d’une production ancienne et dépassée et non pour eux-mêmes�: à ce titre, la précision n’est pas de mise, seule l’évocation ou la suggestion suffisent.*,�Un certain nombre de verbes modalisateurs («�je croyais�», «�je me flattai�»), ainsi que des expressionsaux connotations péjoratives («�sophismes magiques�», «�sophismes de la folie�») suggèrent une prise dedistance critique du poète vis-à-vis de son expérience passée.*-�Les expressions qui apparentent manifestement le travail poétique à une pratique magique sont�:«�enchantements�» (2�fois), «�alchimie�», «�sophismes magiques�».*.�L’idéalisme des images est considéré comme antipoétique car les mots viennent conforter leshallucinations�: la poésie est alors considérée comme un jeu gratuit qui ne peut se traduire par et pourles sens�; elle devient donc hermétique (de Hermès, dieu de l’Alchimie, de la Chimie secrète, de laMagie noire).*/�Ce texte met également à distance le matérialisme de la sensation car la sensation pure fait aussidisparaître le monde�: «�les yeux fermés, je m’offrais au soleil, dieu de feu�». Il n’est pas innocent quel’isotopie de la destruction survienne à ce moment de l’écriture («�bombarde-nous�», «�que dissout unrayon�»).*0�La quête de la beauté par la voyance savante est douloureuse�: elle mène à la folie. La quête dubonheur par la romance naïve est un oubli du monde mais aussi des ambitions du poète (le mot«�bonheur�» sature ce passage). Enfin, la fin du texte explicite cette antinomie («�Le bonheur était mafatalité, mon remords, mon ver�: ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté�»)et exprime clairement le choix du poète en faveur d’une beauté qui ne doit pas être abolie par larecherche du bonheur («�J’ai fait la magique étude du bonheur […] Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui saluerla beauté�»).

Une saison en enfer et autres poèmes – 27

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 133-140)

Examen des textes!�Le registre dominant sollicité par Nerval pour expliquer son art poétique est manifestementdidactique. C’est un récit rétrospectif qui rappelle les recherches poétiques de ses premières annéesromantiques. Il précise le genre de travail de poète qu’il pouvait mener et définit les genres poétiquesauxquels il s’adonnait, notamment l’ode ou l’odelette."�Le texte de Sartre (texte C) est fondé sur l’opposition temporelle entre hier et aujourd’hui, entrel’âge de l’enfance, de la jeunesse et de la maturité (La Nausée date de 1938) et celui de la vieillesselucide et expérimentée�: «�depuis à peu près dix ans je suis un homme qui s’éveille�». Cette opposition estdoublée, sur le plan axiologique des valeurs, par le fait que le passé est le temps de l’erreur («�desanciens errements�») et de l’aveuglement («�j’avais la berlue�») et le présent contemporain le temps de lavérité et de la lucidité («�je vois clair, je suis désabusé�»).#�Sartre rend compte de l’activité littéraire en utilisant la métaphore filée de la «�Religion�» et dumysticisme. Sartre compare et même assimile son engagement dans la carrière littéraire à une entréeen religion�: «�Je fus d’Église. Militant, je voulus me sauver par les œuvres�; mystique, je tentai de dévoiler lesilence de l’être par un bruissement contrarié de mots et, surtout, je confondis les choses avec leurs noms�: c’estcroire.�» Les valeurs de la littérature comme art de l’élite et des élus reprennent le dogme religieux�:«�martyre�», «�salut�», «�immortalité�». Le rejet de cette conception s’apparente donc à un refus de lareligion et de la croyance�: «�l’athéisme est une entreprise cruelle et de longue haleine�».$�Cette mise en abyme de la représentation picturale est également une réflexion de la peinture sur elle-même. Le personnage qui prend la pose en Clio pourrait tout aussi bien symboliser un autre art, présentdans l’atelier du peintre, comme si le tableau voulait par là même signifier la toute-puissance de lareprésentation picturale qui serait alors l’art total par excellence, au confluent des autres arts. La peinturepeut tout représenter, elle subsume tous les arts�; voilà peut-être un des sens de cette allégorie mystérieuse.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes écrivains du corpus entretiennent des relations sensiblement différentes avec leurs œuvres passées.Nerval (texte�B) porte un regard nostalgique et compréhensif sur ses «�juvenilia�»�: il ne s’est pas à ce pointéloigné de son travail poétique de l’époque qu’il ne puisse encore y trouver un intérêt et même unagrément. En revanche, les textes de Rimbaud (texte�A) et de Sartre (texte�C) portent un regard critiqueévident sur leurs productions précédentes. Rimbaud dévalorise nettement son travail poétique des années1871-1872 en l’associant à une forme de délire ou de folie (voir la lecture analytique). Sartre est plusnarquois et ironique�: il ridiculise la position de surplomb qu’il est censé avoir tenus à l’époque de soninvestissement littéraire (1905-1954) en l’assimilant à une sorte de mysticisme religieux peu cohérent.

Commentaire

1.�Un récit autobiographiqueA.�Le thème autobiographiqueOn constate sans problème dans cet extrait la coïncidence entre le narrateur-personnage et l’auteur grâceà la mention explicite du premier livre de Sartre, La Nausée. En outre, le texte est centré sur lapersonnalité de l’auteur, dont les signes de présence sont innombrables�: les marques de la 1re�personnesaturent cet extrait autobiographique. Le «�je�» de l’auteur-narrateur-personnage est l’objet de l’écritureautobiographique�: elle cherche à en cerner les contours, à le caractériser, notamment par ce qu’onappelle «�les épithètes détachés�» (ou appositions)�: «�militant�», «�mystique�», «�truqué�», «�dogmatique�».B.�Organisation temporelle du texteLe texte est fondé sur une organisation temporelle assez simple et très caractéristique de la viséerétrospective de l’autobiographie�: le passé (§�1) et le présent (§�2). Il est donc fondé sur l’oppositiontemporelle entre hier et aujourd’hui, entre l’âge de l’enfance, de la jeunesse et de la maturité et celui

Réponses aux questions – 28

de la vieillesse lucide et expérimentée�: «�depuis à peu près dix ans je suis un homme qui s’éveille�». Cetteopposition est doublée, sur le plan axiologique des valeurs, par le fait que le passé est le temps del’erreur («�des anciens errements�») et de l’aveuglement («�j’avais la berlue�») et le présent contemporain letemps de la vérité et de la lucidité («�je vois clair, je suis désabusé�»).C.�Le récit et le discours autobiographiquesCette opposition recouvre également une différenciation dans la nature même des paragraphes. Leparagraphe�1 est un paragraphe de récit qui raconte à l’imparfait et au passé simple essentiellementl’époque où il se croyait l’écrivain élu par excellence, l’écrivain appelé et choisi pour livrer la bonneparole à ses «�congénères�». Le paragraphe�2, en revanche, est un élément de discours (temps duprésent, du futur, du passé composé essentiellement) qui annonce, commente, conclut. C’estdavantage un commentaire autobiographique.

2.�Un essai autobiographiqueA.�Une autobiographie «�à thèse�»Le texte comporte une visée argumentative évidente�: il formule une thèse générale sur une certaineconception de l’activité littéraire et en dénonce l’idéologie qui la fonde. Il s’agit précisément de cetteidée qui consiste à faire de la littérature une vocation et de l’écrivain un «�élu�» appelé (vocare) à«�dévoiler le silence de l’être par un bruissement contrarié de mots�» puisqu’il «�confon[d] les choses avec leursnoms�». L’écrivain est alors ce que Sartre a pu appelé un être «�de mauvaise foi�»�: il se croit justifié dansson existence par cette vocation (élection et appel), là où les autres se débattent dans l’indéterminé.C’est ce qu’en effet montre La Nausée, que Sartre analyse dans le paragraphe�1.B.�L’image de la religion�: la justificationLa vocation littéraire est associée par Sartre à la vocation religieuse�: «�écrire, ce fut longtemps demander àla mort, à la Religion, sous un masque d’arracher ma vie au hasard�». C’est une métaphore filée quistructure en profondeur le texte�: «�je fus d’Église�», «�me sauver par les œuvres�» (jeu de mots),«�mystique�», «�c’est croire�», «�l’élu du doute�», «�martyre�», «�salut�», etc. Le rejet de cette conception del’activité littéraire s’apparente donc à un refus de la religion et de la croyance�: «�l’athéisme est uneentreprise cruelle et de longue haleine�».C.�L’image de l’optique�: l’illusionSartre détermine cette conception comme idéologie, comme camera obscura�; elle permet de voir,d’avoir une vision du monde sans qu’elle-même se voie ni ne dévoile sa présence�: «�j’étais prisonnierde ces évidences mais je ne les voyais pas�; je voyais le monde à travers elles�». L’opposition entre le passé deserreurs et le présent de la vérité s’exprime aussi dans cette isotopie de l’œil et de l’optique�: «�j’avais laberlue�», «�je vois clair, je suis désabusé�» (ce dernier mot est à prendre au sens étymologique).

Dissertation

1.�L’auteur et son œuvreL’évidence consiste bien sûr à dire que l’auteur d’une œuvre est le mieux placé pour en rendrecompte et en dévoiler le sens ou l’intérêt.A.�L’entretienL’entretien littéraire est souvent fondé sur cette croyance�: l’auteur explique ce qu’il a voulu dire dansses œuvres. De nombreux écrivains se prêtent à cet exercice grâce aux médias audiovisuels (radio,télévision), journalistiques, ou dans le cadre de livres d’entretiens�: on peut mentionner Sartre, biensûr, mais aussi Julien Gracq (Entretiens), par exemple.B.�L’autobiographieDans son autobiographie, l’écrivain analyse nécessairement les œuvres qui ont jalonné sa vie, enévoque les genèses, les circonstances qui en ont entouré l’élaboration (voir, par exemple, Le Journal des«�Faux-Monnayeurs�» de Gide). Il peut même lui arriver de porter un jugement critique sur celles-ci(voir Sartre, Les Mots).C.�Le genre de la préfaceLe genre de la préface ou de l’avertissement au lecteur est souvent l’occasion, pour l’écrivain, dedonner les quelques éclaircissements qu’il juge nécessaires à la bonne compréhension de son œuvre.

Une saison en enfer et autres poèmes – 29

2.�L’œuvre et le lecteurA.�L’auteur est souvent mauvais lecteur de son œuvreOn se souvient que Voltaire pensait que la postérité ferait grand cas de ses tragédies, alors qu’on leconnaît essentiellement aujourd’hui pour ses contes philosophiques. On peut rappeler aussi queRimbaud, puis Kafka ont désiré que l’on brûlât leurs écrits. Dans le corpus, Sartre et Rimbaudportent sur leurs œuvres précédentes un regard critique qu’on peut, avec raison, ne pas partager.B.�Intention et intentionnalitéL’œuvre littéraire, et l’œuvre d’art en général d’ailleurs, naît d’une nécessité intérieure ou d’un projetque l’on peut comprendre comme l’intention de l’auteur. En revanche, le résultat est beaucoup plusambigu�: l’œuvre d’art est susceptible d’interprétations diverses, voire multiples s’il s’agit d’un chef-d’œuvre. C’est l’intentionnalité de l’œuvre. C’est le lecteur (critique ou non) qui dévoile le sens del’œuvre par sa lecture. Ainsi, on continue de débattre, par exemple, sur le dessein de certaines œuvres,comme celles de Rimbaud précisément, ou plus simplement sur le sens de l’Antigone d’Anouilh(1944)�: pièce en faveur de la Résistance ou apologie de la Collaboration�?C.�Le cas de l’inconscientQu’il soit assumé (les surréalistes) ou non, l’inconscient joue un rôle important dans la créationlittéraire ou artistique. Il est de nature individuelle ou collective�: l’œuvre peut rendre compte destructures imaginaires archaïques ou de structures plus idéologiques. Ainsi de nombreux romansreprennent le schéma œdipien (voir Marthe Robert, Roman des origines, Origine du roman, Grasset)�; latragédie racinienne a pu être interprétée comme une dramaturgie janséniste (voir Goldmann, Le Dieucaché)�; etc.

ConclusionSi l’auteur est utile dans ses témoignages pour établir la genèse et les circonstances de l’écriture d’uneœuvre ou pour en présenter les intentions, il n’est certainement pas le meilleur critique de son œuvre.Le sens et la valeur d’une œuvre sont déterminés par son lecteur (critique) et non par son auteur.

Écriture d’inventionLa perspective temporelle est fournie par le libellé du sujet («�jadis�», «�aujourd’hui�»)�: elle donnel’organisation du texte et son orientation chronologique. Le texte de Rimbaud, mais surtout celui deSartre suivent, par ailleurs, ce schéma directeur.Le blâme utilise les mêmes moyens littéraires que l’éloge (voir le questionnaire autour de «�Marine�»),en en inversant les valeurs axiologiques�: l’amplification, l’exagération (hyperbolique ou non), lesconnotations, les modalisations et les images sont dépréciatives, voire péjoratives, et ont un objectifcritique. Les textes de Rimbaud (texte�A) et de Sartre (texte�C) sont d’excellents exemples à ce sujet�:par le biais d’images (métaphores filées ou non, comparaisons), ils amplifient leur objet tout en lemettant à distance critique de façon sérieuse ou narquoise (ironie, satire).

« � A d i e u � » ( p p . 1 4 6 - 1 4 7 )

! Lecture analytique de l’extrait (pp. 148-149)!�Le récit de cette expérience est assimilé par Rimbaud à un voyage aux Enfers dès le 2e�paragraphede la 1re�section�: «�Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la citéénorme au ciel taché de feu et de boue.�» L’allusion à Dité, la «�goule�» démoniaque, la cité maudite deL’Enfer de Dante, est évidente (on peut d’ailleurs penser que le référent en est Londres). La 2de�sectionévoque une sortie de cet enfer urbain et misérable�: le poète quitte les «�damnés�» et peut, pour finir,dire qu’il a vu en effet «�l’enfer�»."�L’opposition entre la réalité et la poésie se manifeste par le contraste entre un paysage urbain sale,déprimé, dépressif (que symbolisent les saisons sombres�: «�l’automne�», «�l’hiver�»), que le poète aconnu («�je me revois�»), et la vision lumineuse d’espaces éclatants de beauté qu’il espère et qu’il rêve�:«�je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie.�»#�L’ancien art poétique est marqué du sceau d’une certaine modernité, qu’évoquaient déjà les Lettresdu voyant�: «�j’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles

Réponses aux questions – 30

langues�». Il prend appui sur une conception démiurgique de la poésie et une fonction prophétique dupoète, «�mage ou ange�»�: «�j’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels�».$�La nouvelle conception du poète et donc de la poésie est caractérisée par une certaine pesanteur�: lepoète est dorénavant un «�Paysan�», il est «�rendu au sol�» (ce n’est plus un ange), il s’incarne dans une«�réalité rugueuse à étreindre�» et donc à aimer (à l’inverse d’une quelconque idéalité spirituelle dont lessonges sont assimilés à des «�mensonges�»).%�Le registre oratoire se manifeste par de nombreuses exclamations et interrogations qui expriment,d’une part, la sensibilité et l’émotion du locuteur et, d’autre part, la présence (au moins fictive) d’uninterlocuteur. Le texte s’apparente parfois à un discours�: marques de la 1re�personne du pluriel quienglobe le locuteur et son auditoire de référence, marques d’oralité («�Oui�», «�Moi�!�»), formesemphatiques avec présentatifs («�Un bel avantage, c’est que […]�»), formules elliptiques («�L’automnedéjà�!�», «�Point de cantiques�») qui vont jusqu’au solécisme («�Mais pas une main amie�!�»).&�Les verbes à l’impératif («�allons�», «�recevons�»), les formules injonctives impersonnelles («�il faut�»),infinitives («�tenir le pas�») ou elliptiques («�point de�») donnent une facture prescriptive au texterimbaldien�: il prend dès lors l’aspect d’un manifeste.'�Les interjections et les exclamations donnent une allure vigoureuse et volontaire au texte finald’Une saison en enfer. Outre l’impression d’oralité très forte qu’elles suggèrent, elles confèrent à«�Adieu�» un élan et un allant qui font de ce texte une sorte d’ordre de marche�: la poésie ne doit-ellepas être «�en avant�»�? disait Rimbaud dans ses Lettres du voyant.(�Les nombreuses phrases nominales («�L’automne déjà�!�», «�L’automne�», «�Dure nuit�!�», etc.) seprésentent à la fois comme des commentaires et des annonces de ce qui est dit. Elles scandent lediscours et le rythment à la façon de certains titres ou sous-titres�: elles organisent un texte qui seprésente comme un compte rendu d’expérience et un programme éthique et esthétique.)�Dans la 2de�section, certaines propositions rimbaldiennes revêtent la forme de maximes morales («�Ilfaut être absolument moderne�», «�Point de cantiques�: tenir le pas gagné�»)�: elles sont objectives, universelleset prescriptives. D’autres propositions prennent une forme plus aphoristique�: «�Le combat spirituel estaussi brutal que la bataille d’hommes�; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.�» Cetteproposition est en effet objective et universelle mais elle revêt un caractère plus philosophique (oumétaphysique) que moral. Elle formule moins une règle de conduite qu’elle ne révèle un contenu devérité.*+�Les tirets peuvent avoir une double signification plus complémentaire que contradictoire dans lecadre d’un texte monologique en prose. Ils peuvent indiquer une rectification (une épanorthose) ouun commentaire (une incidente)�: dans ce cas, le signe de ponctuation est double (un signe ouvrant etun signe fermant) à la façon de la parenthèse. La première comme les deux dernières occurrencespeuvent être interprétées dans ce sens, mais le signe fermant n’étant pas obligatoire si la phrase setermine, on peut aussi considérer que le point qui clôt, par exemple, le 1er�paragraphe de la 1re�sectionest vicariant (il reprend et masque le signe fermant du tiret). On peut également interpréter les tiretscomme des signes simples de ponctuation�: en ce cas, il s’agit de tirets de dialogue et cetteinterprétation n’est pas en contradiction avec la précédente, mais ajoute simplement une ambiguïté(ou de l’amphibologie) qui est la marque même de la fonction poétique. Le locuteur mènerait alorsune sorte de monologue intérieur, de dialogue introspectif entre les différentes instances de son moi etentre les différentes tendances de son ambition poétique�: c’est ainsi que l’on peut, par exemple,interpréter le tiret du 4e�paragraphe (de la 1re�section).*,�Cette reprise anaphorique crée un effet de style et, plus proprement, un effet de rythme qui estbien la marque d’une recherche littéraire dans le cadre d’une prose poétique. Cependant, on peutégalement supposer ici comme un phénomène musical de répons ou de chœur�: une instance locutricepasserait alors la parole à une autre instance qui reprend et développe le thème.*-�De la même façon, le «�moi�» répété qui ouvre le 5e�paragraphe de la 1re�section rappelle le «�Àmoi�» qui ouvrait «�Alchimie du verbe�»�: on songe à un sujet qui demande et prend la parole àl’intérieur d’une instance lyrique qui organise la circulation du verbe, comme dans un «�opérafabuleux�». Ce procédé est clairement sollicité dans «�Délires I�» (le discours de la vierge folle) et dans«�Délires II�» (le récit de la folie poétique).

Une saison en enfer et autres poèmes – 31

*.�Les adverbes et les connecteurs logiques qui ouvrent certains paragraphes («�Et�», «�Enfin�», «�Car�»,«�Cependant�», pour ne retenir que les plus évidents) indiquent à la fois la présence d’un discourscontinu et progressif et une parole qui chemine par accumulation, renchérissement, mais aussi parrectification, contradiction. On assiste donc à une sorte de dialogue (plus que de monologue)intérieur.*/�La question qui clôt la 1re�section («�où puiser le secours�?�») semble trouver sa réponse au début de la2de�section («�Oui l’heure nouvelle est au moins très sévère�»), comme s’il s’agissait d’un dialogue (unlocuteur et au moins un interlocuteur).*0�D’une certaine manière, la 2de�section reprend et amplifie le mouvement de la 1re�section. Chaquesection débute par l’évocation d’une «�heure nouvelle�», marquée par la «�clarté divine�» aurorale d’un(re)commencement, d’une nouvelle genèse qui échappe aux lois infernales des «�saisons�» et du tempscyclique et que symbolisent de «�splendides�» paysages naturel (1re�section) ou urbain (2de�section).Cependant, plus encore qu’une reprise, la 2de�section apparaît plutôt comme une réplique à (et nonde) la 1re�section. La première est tournée davantage vers l’évocation d’un passé exécrable, tandis quela seconde se tourne résolument vers l’avenir radieux des possibles non encore accomplis. La2de�section réalise, sur le mode hypothétique toutefois, les souhaits formulés par la première�: levoyage infernal est terminé (le poète tourne le dos au Malin), la damnation s’éloigne (par l’oubli dupassé essentiellement), la nouvelle poétique s’ébauche (de la réalité à la modernité absolue), le nouvelhorizon utopique se dresse progressivement devant le poète (de la vision à la réalité du possible).

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 150-156)

Examen des textes!�Le 1er�quatrain sollicite la 1re�personne du singulier (relayée par ses adjectifs possessifs�: «�mes�», «�mon�»).Le 2nd�quatrain généralise le propos en utilisant la 1re�personne du pluriel (v.�5-6�: sujet�; v.�8�: COD).Enfin, les tercets accomplissent ce mouvement de généralisation, d’universalisation et d’impersonnalisationen plaçant l’énonciation sur le mode neutre de la 3e�personne (ou non-personne). L’artiste est donc tour àtour un «�je�», un «�nous�» dans les quatrains, puis un «�il(s)�» dans les tercets."�Un même mouvement temporel organise les quatrains (Q) et les tercets (T)�: il s’agit du passagedynamique du présent au futur. Le Q1 au présent («�faut-il�») se transcende, dans le Q2, en un futur toutempreint de certitude�: «�nous userons�» (v.�5), «�nous démolirons�» (v.�6). Les tercets reproduisent ce mêmeélan, ce même mouvement vers l’avant, avec toutefois, et paradoxalement, moins de certitude mais plusd’espoir�: le présent du T1 («�il en est�») laisse la place au futur du dernier vers («�fera s’épanouir�»).#�L’évolution du poème montre que le poète passe de l’état de stérilité à l’état de créativité enrecourant à l’isotopie florale (métaphores, comparaisons). Du vers�1 au vers�10, le cerveau du poèteest assimilé à un jardin inculte où règne «�la stérilité�» (v.�7)�: c’est un «�terrain avare et froid�» qui neproduit que des «�trous vides�» pour un «�cimetière�». On reconnaît là un imageant bien connu quiassimile le poème à une fleur (de anthologie, «�bouquet de fleurs�» puis «�recueil de poèmes�»). Ici, lerecueil n’est qu’un cimetière (un reliquaire). À partir du vers 11, les fleurs prennent des couleurs et lepaysage devient radieux tout en restant stylisé�: c’est une poésie naïve, distraite et symbolique du«�cœur limpide�» et non du cerveau «�avare et froid�».$�La syntaxe du texte�D est bien particulière�: non seulement le poème n’est constitué que d’une seulephrase mais, en outre, il n’est organisé, sur le plan syntaxique, par aucune autre ponctuation que le pointfinal qui le clôt. On peut interpréter ce phénomène comme une indication de lecture (et de liberté)�: lepoème est un cri et doit se lire dans la continuité d’un souffle véhément ou enthousiaste, c’est selon.%�Le personnage placé au premier plan du tableau fait un geste de salut amical ou admiratif, commele montrent la position de son bras mais aussi le fait qu’il se soit découvert (il tient son chapeau de lamain qui ne salue pas). Il assimile la mer à une personne respectable à qui l’on doit cette politesse,celle de l’esprit épris du Beau. Ce geste peut s’interpréter comme un signe de reconnaissance oud’adieu. Le geste s’apparente également à un geste de défi, à l’instar des saluts que s’adressent lesduellistes avant d’engager l’assaut. C’est en effet un défi pour le peintre de peindre ce rien quereprésente l’infini (l’indéfini) de l’étendue marine.

Réponses aux questions – 32

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes quatre textes du corpus inscrivent dans leur composition une évolution de leur propre artpoétique�: ils présentent une organisation binaire et parfois antithétique où la 1re�partie correspond àl’ancienne poétique, tandis que la seconde présente le nouveau projet esthétique du poète. Le texte deRimbaud se compose de deux sections qui présentent nettement l’ancienne et la nouvelle poétique(voir la lecture analytique). Baudelaire se sert de l’opposition entre quatrains et tercets afin de rendrecompte de ce dépassement et de ce renouvellement. Les quatrains proposent un art poétique qui faitde la poésie un art de Cour, une technique caractérisée par l’adresse, la finesse tactique et stratégique,mais aussi et enfin par un labeur insensé, dispendieux du temps et de l’énergie du poète. Les tercetsmontrent un art qui tire les conséquences de l’échec des méthodes traditionnelles de la pure techniqueet du travail acharné pour se tourner vers la nouveauté, l’inconnu, la modernité. Mallarmé indique surle plan typographique même cette dichotomie entre l’ancienne (v.�1 à 10) et la nouvelle méthodepoétique (v.�11 à 28). Enfin, le poème d’Eluard présente une différenciation entre les 4�tercets (sonancienne poétique) et les 2�sizains (son nouvel engagement politique et poétique) que corroboreencore la présence d’un connecteur logique d’opposition («�Mais�») à la charnière (et à la moitié) dupoème (v.�13).

Commentaire du texte de Baudelaire (Séries technologiques)

1.�La composition du sonnetA.�Énonciation•�Les pronoms personnelsLe 1er�quatrain sollicite la 1re�personne du singulier (relayée par ses adjectifs possessifs�: «�mes�»,«�mon�»). Le 2nd�quatrain généralise le propos en utilisant la 1re�personne du pluriel (v.�5-6�: sujet�;v.�8�: COD). Enfin, les tercets accomplissent ce mouvement de généralisation, d’universalisation etd’impersonnalisation en plaçant l’énonciation sur le mode neutre de la 3e�personne (ou non-personne). L’artiste est donc tour à tour un «�je�», un «�nous�», puis un «�il(s)�». Le poème accomplitprogressivement ce que Baudelaire appelait «�l’impersonnalité volontaire�» de sa poésie.•�Les temps verbauxUn même mouvement temporel organise les quatrains et les tercets�: il s’agit du passage dynamiquedu présent au futur. Le Q1 au présent («�faut-il�») se transcende, dans le Q2, en un futur toutempreint de certitude�: «�nous userons�» (v.�5), «�nous démolirons�» (v.�6). Les tercets reproduisent cemême élan, ce même mouvement vers l’avant, avec toutefois, et paradoxalement, moins decertitude mais plus d’espoir�: le présent du T1 («�il en est�») laisse la place au futur du dernier vers(«�fera s’épanouir�»).B.�Structure•�Les deux parties du poèmeComme on l’a vu précédemment, les quatrains sont caractérisés par une énonciation subjective, alorsque les tercets utilisent une énonciation davantage objective, puisque les marques de l’énonciation etla présence de l’énonciateur se sont effacées. En accord avec la structure même du sonnet, on seraittenté de regrouper les quatrains et les tercets en deux mouvements complémentaires certes, maisdistincts (ce que la syntaxe confirme par ailleurs).•�Les deux méthodes poétiquesLes quatrains proposent un art poétique qui fait de la poésie un art de Cour, mêlant spectacle etagrément (v.�1-2), une technique caractérisée par l’adresse (v.�3-4), la finesse tactique et stratégique(v.�5), mais aussi et enfin par un labeur insensé, dispendieux du temps et de l’énergie du poète (v.�6).Les tercets montrent un art qui tire les conséquences de l’échec des méthodes traditionnelles de lapure technique et du travail acharné (le formalisme�: v.�9-10) comme de l’inspiration personnelle etsentimentale (le romantisme�: v.�11) pour se tourner vers la nouveauté, l’inconnu, la modernité, ens’engageant dans une expérience terrible et dangereuse pour le poète (la Mort), mais sans douteféconde et sublime pour la poésie (tercet 2).

Une saison en enfer et autres poèmes – 33

2.�La conception de la poésieA.�Les quatrains�: l’ancienne conception•�Le 1er�quatrain présente de façon dépréciative la conception de la poésie qui y est présentée�: c’estun art bouffon (image des «�grelots�»), un art ornemental et déférent (le poète s’abaisse et flatte�: «�baiserton front bas�») qui n’est que la «�morne caricature�» de la poésie (v.�1-2). Les vers 3 et 4 assimilent l’actepoétique à un jeu d’adresse, à une sorte de concours technique, à un simple art du trait (image dujavelot) qui combine hasard et réussite chanceuse.•�Le 2nd�quatrain confirme cette représentation techniciste et artificielle de la poésie et de l’art engénéral comme «�subtils complots�» (Baudelaire fait peut-être allusion à un pur art du langage et visesans doute ici les tenants de «�l’art pour l’art�» et les parnassiens). Cette conception de la poésie commetechnique est laborieuse («�nous démolirons mainte lourde armature�»)�; elle est épuisante pour le génie del’artiste («�nous userons notre âme�») car elle tue l’inspiration, l’enthousiasme et la fureur poétique auprofit de la froideur du calcul et de la conformité de la reproduction artistique.B.�Les tercets�: la nouvelle conception•�La Mort, sous toutes ses formes, devient la source de l’inspiration poétique moderne et fait de ce que latradition poétique a toujours voulu nier, ignorer ou cacher un Idéal fécond et prometteur. Les tercetsfont de l’Irrémédiable la possibilité et la chance de la poésie�: la Mort, loin d’être un obstacle, est le pointde départ de la poésie moderne. Elle va permettre de placer le lyrisme au cœur de la modernitécapitaliste et démocratique et de son aspect morbide, nihiliste, laid, etc. La Mort, en tant que museinspiratrice, transforme complètement l’activité poétique�: celle-ci n’est plus un savoir-faire, mais devientune expérience intérieure, inouïe, inédite, où les limites du langage et de l’homme seront explorées.•�En outre, le sujet de la dernière proposition du poème est bien «�la Mort�» et non le poète ou lapoésie�: elle est l’agent qui régit et agit (tel un soleil) sur l’objet (le complément), c’est-à-dire «�lesfleurs�», qui représentent les poèmes présents virtuellement dans le cerveau du poète (à l’état desemence). Ainsi, le poète n’est plus qu’un lieu de création gouverné par des lois organiques, qu’illustrel’image du soleil et de la fleur�; il assiste à l’éclosion de sa propre création poétique. Cette nouvelleconception du poète comme «�opéra fabuleux�», comme «�autre�», comme lutte contre soi-même estbien évidemment fondatrice d’une certaine modernité du lyrisme poétique.

Commentaire du texte de Mallarmé (Séries générales)

I.�Une déploration poétique, une déploration de la poésie (v.�1 à 10)A.�Une élégie•�Champ lexical de la plainte�: «�las�» (v.�1 et 4), «�agonie�» (v.�14). La poésie est associée à un labeur, àune condamnation qui reprend la malédiction du travail imposé par Dieu dans la Genèse�: «�plus lassept fois du pacte dur�» (v.�4).•�Apostrophe lyrique («�ô�») et questions angoissées, car sans réponses («�que dire�», «�quand�?�») auxvers 8 et 9.•�Le poète est passif, il est accablé�: il subit ce travail (cette torture) poétique�; le pronom personnelsujet n’apparaît que pour évoquer un état de fuite et un souvenir (double déréalisation) au vers 2. Lesautres marques de la 1re�personne sont représentées par des adjectifs possessifs («�ma�» deux fois) quiont tendance à donner une image désorganisée d’un poète mis en pièces. Il n’est qu’un lieu où il sepasse quelque chose ou rien, c’est selon (v.�6).B.�Un paysage-état d’âme morbideComme Baudelaire, Mallarmé objective et dramatise ses sentiments lyriques par le recours à ladescription allégorique d’un paysage (par le biais d’une métaphore filée) qui suggère l’état dedéréliction du poète et de son inspiration. Le poète est assimilé à un «�fossoyeur�» et l’esprit (en fait,«�la cervelle�»�: plus organique, plus matérielle) à un «�terrain avare et froid�», et le travail poétiqueconsiste à «�creuser par veillée une fosse nouvelle�» et le recueil à un «�vaste cimetière�» qui «�unira les trousvides�» qui symbolisent ces poèmes sans inspiration (v.�5-7).C.�Une écriture de la pénibilitéL’écriture poétique des dix premiers vers, voire des quatorze premiers vers, est marquée par cettepénibilité�; elle est complexe, compliquée et répétitive. Ainsi «�visité�» n’a pas de référent nominal,«�peur�» n’est pas précédé d’une locution verbale… Le ressassement se traduit aussi par des répétitionslexicales («�las�», «�roses�» dans le même vers), des redondances phoniques disharmonieuses («�las de

Réponses aux questions – 34

l’amer repos�»), des rimes intérieures («�stérilité�», «�sans pitié�»), des chiasmes phoniques à la césure duvers�11 («�art�», «�vorace�») et par la longueur excessive de la 1re�phrase qui s’étend sur 10�vers.

2.�Le renouveau poétique (v.�11 à 28)Remarque�: «�Renouveau�» est le titre d’un sonnet de Mallarmé, contemporain de celui-ci.A.�Une renaissance poétiqueL’abandon de l’ancienne poétique s’accompagne de l’abandon d’une civilisation décadente(l’Occident�: «�qui tombe�», en latin) et d’une conversion vers l’Orient, là où, étymologiquement, onrenaît�: «�délaisser l’Art vorace d’un pays / Cruel�» et «�Imiter le Chinois�». Cet acte délibéré se manifestepar une activité nouvelle du sujet lyrique qui sort de l’apathie et de l’aphasie pour imposer unevolonté ferme et déterminée dans son projet�: «�Je veux�» (v.�11). Le «�je�» reconquiert une activitépropre et assumée, il sort de l’aliénation et se pose en sujet créateur�: «�je veux�» devient, parparonomase, «�je vais�» (v.�22). Le processus créateur s’élabore lentement�: de l’imitation (v.�15) à lacréation (v.�22). Le mouvement du poème rend compte de cette évolution�: le projet au futur(périphrase verbale à valeur d’aspect�: exprime un futur proche) et au conditionnel («�je vais choisir�»,«�je peindrais�», «�serait�») est réalisé et présenté par le poème à la fin du texte (v.�26 à 28). Le poèmeest le paysage peint. Le poète opte pour l’objectivisme (il peint des objets sur des objets, des «�tasses�»)afin de sortir du subjectivisme. Il s’oublie, et ainsi se réalise le poème.B.�Un nouveau paysage mentalLe paysage du poète, comme celui du poème, a complètement changé, de même que l’instance poétique achangé de localisation�: il ne s’agit plus de la «�cervelle�» mais du «�cœur�». Tout y est empreint de grâce, detransparence, de blancheur�: «�limpide�», «�fin�», «�transparente�», «�filigrane�», «�porcelaine�». Le paysage choisiet non plus subi par le poète est également caractérisé par cette nouvelle image d’une stérilité, d’uneminceur qui ne soit pas négative�: la mort elle-même n’est pas repoussée�; elle est lucidement acceptée, sansangoisse�; elle est même l’objet de la peinture du sage contemplatif. Le paysage est stylisé plus que stérile�:«�une ligne d’azur mince�», «�un clair croissant�», «�trois grands cils d’émeraude�», etc.C.�Une nouvelle poétique�: la suggestionCette nouvelle poétique regroupe des valeurs qui retournent en positif ce que l’ancienne poétiquecontenait de négatif�: ainsi la mort, incontournable horizon de la modernité, devient un élément debeauté et non de laideur�; le poète est «�serein�» en peignant la «�fin�», il n’est plus question d’angoisse.La stérilité et l’amenuisement de l’inspiration se comprennent dès lors comme une stylisation et unesuggestion symboliques�: «�trois grands cils d’émeraude, roseaux�» conclut le dernier vers du poème…Mallarmé trouve ici une esthétique symboliste qui va déterminer son œuvre future�: «�évoquer, dansune ombre exprès, l’objet tu par des mots allusifs, jamais directs, se réduisant à du silence égal�» («�Magie�», dansVariations sur un sujet, 1893).

Dissertation

1.�Le manifeste est une forme poétique traditionnelleA.�La tradition des arts poétiques•�La Renaissance�: Du Bellay, «�Contre les pétrarquistes�».•�Le classicisme�: «�Art poétique�» de Boileau�; «�Le Pouvoir des fables�» de La Fontaine.•�Le romantisme�: Hugo, «�Réponse à un acte d’accusation�»�; Alfred de Musset, «�À mon amiÉdouard B.�», «�Nuit d’octobre�», «�Nuit de mai�».B.�Le genre poétique du manifesteLes recueils poétiques comportent, de façon presque obligée, des poèmes qui en justifient l’esthétique,la thématique ou la poétique�: ainsi, par exemple, le sonnet premier des Regrets, le poème liminairedes Fleurs du mal («�Au lecteur�»), et même, à condition de considérer ce texte comme un poème enprose, la 1re�section sans titre d’Une saison en enfer. Voir également les textes du corpus.

2.�Le manifeste ne remplit pas une fonction poétiqueA.�La forme de discours et le registre du manifesteIl est argumentatif, puisqu’il cherche à convaincre ou à persuader. Il est didactique, puisqu’il cherche àexpliquer et à enseigner. Or, la poésie recouvre de nombreuses autres formes (narrative et descriptive,

Une saison en enfer et autres poèmes – 35

par exemple) et des registres très variés (dont le registre lyrique, qui peut bien apparaître dorénavantcomme un élément essentiel à la poésie). Ce registre est beaucoup plus important en quantité et enqualité en poésie et il remplit une fonction sans doute essentielle (voir la dissertation, p.�24).B.�Le manifeste est anti-poétiqueLa fonction didactique et argumentative qu’incarne le manifeste est donc plutôt anti-poétique car ellevient même contredire ce qui fait l’essence de la poésie, à savoir la fonction poétique ou la prise encompte du mot pour lui-même (sens et son) et non comme moyen d’un discours logique. Ainsi, lesmanifestes poétiques sont souvent très pauvres sur le plan poétique�: il suffit de les relire. Ilsn’intéressent le lecteur que pour un contenu de pensée que la prose aurait aussi bien rendu, parailleurs.

3.�Le poème a pour fonction de manifester une conception de la poésieA.�La modernité poétique et le poème du poèmeL’évolution de la poésie a conduit la plupart des poètes à s’interroger sur la fonction poétique et àrecentrer le poème sur son essence, sur sa fonction linguistique essentielle. Le poème devient alorspoème du poème, création en acte de la poétique du poème de façon immanente�: voir les travaux deMallarmé et de Paul Valéry notamment.B.�Le poème met en œuvre une poétiqueChaque poème est donc son propre manifeste�: en mettant en œuvre les éléments linguistiques etphoniques correspondant à la définition de la fonction poétique (remotivation du signe par le son,alliance du son et du sens dans le cadre d’un travail de signification poétique), le poème est méta-poème. Ainsi certains textes de Baudelaire, comme «�Une charogne�» ou «�Harmonie du soir�», et deValéry, comme «�Les pas�» notamment, présentent un tel type de travail sans en manifesterexplicitement la présence.

Écriture d’inventionLa forme du manifeste est prescriptive�: il doit solliciter les injonctions (impératifs, infinitifs,subjonctifs, formes impersonnelles), les maximes ou aphorismes, voire des définitions généralisantes etuniverselles –�ce qui ne doit pas contrarier le caractère subjectif du texte (il suffit de modaliser).L’organisation est importante car elle doit éviter tout piétinement et ressassement du propos qui doitêtre progressif et dynamique. Enfin, la visée du texte est argumentative�: il doit être fermementconvaincant. Le corpus peut aider à déterminer le ton le plus approprié, mais on l’enrichira avec profitpar la lecture d’autres manifestes poétiques très importants�: Manifestes du surréalisme de Breton ouManifeste Dada par Tristan Tzara, les Lettres du voyant de Rimbaud, «�Réponse à un acte d’accusation�»de Hugo (dans Les Contemplations), l’«�Art poétique�» (celui de Boileau, en 1674, et celui de Verlaine,en 1884), certains sonnets des Regrets de Du Bellay (notamment le premier), les textes théoriques deMallarmé (Crise de vers), L’OuLiPo (OUvroir de LIttérature POtentielle), etc.

« � M a r i n e � » ( p . 1 6 8 )

! Lecture analytique du poème (pp. 177-178)!�Champ lexical de la mer (et de la marine)�: «�proues�» (v.�2), «�écume�» (v.�3), «�courants�» (v.�5),«�reflux�» (v.�6), «�piliers�» (v.�8�: de pont�?), «�jetée�» (v.�9)."�Champ lexical de la terre�: «�les chars�» (v.�1), «�les souches des ronces�» (v.�4), «�la lande�» (v.�5), «�lesornières immenses�» (v.�6), «�la forêt�» (v.�8), «�les fûts�» (v.�9).#�Les quatre premiers vers mélangent ces deux champs lexicaux par l’intermédiaire de la constructionsyntaxique. En effet, le vers�1, qui se rapporte à l’univers terrestre («�chars�»), et le vers�2, qui serapporte au monde de la mer («�proues�»), sont les sujets de deux verbes aux vers�3 et 4 qui ont à leurtour deux COD, dont le premier évoque la mer («�l’écume�» au vers 3) et dont le second représente laterre («�les souches des ronces�» au vers 4). Le schéma est donc le suivant�: sujet�1 (terre) au vers�1 +sujet�2 (mer) au vers�2 / verbe�1 et COD�1 (mer) au vers�3 + verbe�2 et COD�2 (terre) au vers�4.

Réponses aux questions – 36

$�À partir du vers�5, le mélange se fait encore plus évident, puisqu’il se fait à l’intérieur même desgroupes nominaux�: «�les courants [mer] de la lande [terre]�» (v.�5), «�les ornières immenses [terre] du reflux[mer]�» (v.�6), «�les piliers [mer] de la forêt [terre]�» (v.�8), «�les fûts [terre] de la jetée [mer]�» (v.�9).%�Le chiasme des vers 8 et 9 est renforcé par un double jeu d’allitération (f) et d’assonance (é). Lesvers 5 et 6 sont aussi reliés par une assonance en «�en/an�».&�Ce paysage réel ou imaginaire est construit de façon double, comme le montrent les nombreuxparallélismes de structure (entre les vers 1 et 2, 3 et 4, 5 et 6, 8 et 9). Ces parallélismes combinent lasymétrie (ressemblance syntaxique des vers 1 et 2, 3 et 4, 5 et 6, 8 et 9) et le chiasme (v.�1�: la terre etv. 2�: la mer�; v. 3�: la mer et v. 4�: la terre). Cette structure (abba) se retrouve aux vers 5 (mer/terre)et 6 (terre/mer) et aux vers�8 (mer/terre) et 9 (terre/mer). On trouve ainsi la présence d’un quatrain(v.�1 à 4), d’un distique (v.�5 et 6) et à nouveau d’un quatrain (v.�7 à 10). Cette construction est doncvolontaire et savante, puisque tout le poème reproduit le redoublement et la symétrie entre les deuxéléments majeurs de cette description�: la terre et la mer.'�Le lecteur se demande donc s’il s’agit d’un paysage marin (et, dans ce cas, le paysage terrestre estmétaphore du paysage marin) ou bien s’il s’agit d’un paysage terrestre (et, dans ce cas, le paysagemarin est métaphore du paysage terrestre). Est-il question d’un paysage marin qui serait assimilé oucomparé à un paysage terrestre ou l’inverse�? Tout semble, dans cet univers poétique et chaotique,être métaphore ou image de tout. Le lecteur a affaire à de nombreuses significations sans avoir uneclaire représentation de ce qui est évoqué. Il ne peut donc déterminer de quoi il s’agit�: il ne peut queconstater l’existence poétique d’un univers redevenu confusément chaotique (chaos = confusion deséléments).(�L’organisation syntaxique met en évidence une autre interaction�: celle de la nature et de l’homme.Du vers�1 au vers�4, c’est l’homme qui est en position de sujet (v.�1-2) et qui fait l’action représentéepar les verbes (v.�3-4). C’est en revanche la nature qui subit cette action, puisque ses éléments sont enposition de COD («�écume�» et «�souches des ronces�» aux vers 3-4). À partir du vers 5, le mouvements’inverse�: c’est la nature qui prend la position de sujet (v.�5-6) et qui donc fait l’action (v.�7)�; et c’estle domaine de l’homme qui se retrouve en position de complément (v.�8-9). Le dernier vers confirmecela, puisque la forme passive de la phrase montre que le véritable sujet logique est le complémentd’agent «�tourbillons de lumière�» et que le sujet apparent («�l’angle�») subit l’action�: «�l’angle [de la jetée]est heurté par des tourbillons de lumière�». Ainsi, on remarque là aussi une confusion entre le domaine dela nature et celui de l’homme.)�Le mouvement est d’abord violent et rapide, comme l’indiquent les verbes («�battent�», «�soulèvent�»,«�filent�», «�est heurté�»). Ce mouvement, comme on l’a vu, est circulaire, puisque chaque domaine(terre et mer, homme et nature) est en osmose avec l’autre. Il y a donc réflexivité entre terre et mer etentre nature et humanité, l’un renvoyant à l’autre et inversement. Cette circularité est précisée auvers�7 («�circulairement�») et au vers�10 («�tourbillons�»). Ce mouvement donne donc l’impression d’unmonde en train de naître (encore à l’état de chaos), ou plutôt d’un monde en perpétuelle naissance etrenaissance.*+�Le terme marine signifie en effet «�l’eau de mer�», «�la mer�» ou un «�paysage côtier�». Vul’importance des références au monde terrestre dans ce poème, il faut privilégier le dernier sens duterme. Il s’agirait d’un paysage situé entre terre et mer, c’est-à-dire un paysage de bord de mer. Lesverbes conjugués au présent de l’indicatif –�«�battent�», «�«�soulèvent�», «�filent�», «�est heurté�» (présentpassif)�– semblent en effet indiquer qu’il s’agit d’une scène en train de se dérouler.*,�Le terme marine possède un deuxième sens�: «�peinture ayant pour sujet la mer�». Le poème seraitdonc une espèce d’ecphrasis�; il ne viserait pas la description du réel mais proposerait un tableau quiimpose ses propres lois et se présente quasiment comme une abstraction en opposant, dans ses derniersvers, les lignes droites («�piliers�», «�fûts�», «�angles�») et les lignes courbes («�circulairement�»,«�tourbillons�»). L’emploi de couleurs fortement lumineuses et même éblouissantes («�argent�»,«�cuivre�», «�acier�», «�argent�» [là encore, présentation en chiasme]) aux vers 1-2 et la notation finaleconcernant les «�tourbillons de lumière�» insistent sur une sursaturation de lumière et sur la primautédonnée à la couleur et à la lumière en peinture au détriment du dessin –�ce qui rapproche ce texte desrecherches picturales de Turner (1775-1851), par exemple. On ne peut qu’être troublé si l’oncompare ce poème avec certaines œuvres de ce peintre anglais�; à ce propos, il ne faut pas oublier queRimbaud a séjourné longtemps à Londres en 1872 et 1873, où il a pu voir les tableaux de Turner à la

Une saison en enfer et autres poèmes – 37

Tate Gallery. On peut notamment rapprocher «�Marine�» d’un tableau de Turner intitulé Yachtapprochant des côtes (1835-1840).*-�Les illuminations sont des «�images coloriées�» (en anglais), c’est-à-dire des enluminures ou bien des«�inspirations soudaines�». Il semble qu’on puisse aussi interpréter «�Marine�» comme une vision sansque cela annule les deux interprétations précédentes. Ce poème semble bien tenter à sa façon detraduire le mystère de la communication entre le visible et l’invisible. On remarque donc ici combienRimbaud se rattache encore à la grande tradition symboliste des correspondances verticales entre levisible et l’invisible, même si l’invisible semble devenir l’objet essentiel du poème. On remarque entout cas que le poème met en place un mouvement progressif d’amplification et d’élargissement versl’illumination finale, comme le montre la syntaxe (la 1re�phrase occupe 4 vers, la seconde 6 vers etcette dernière phrase devient plus complexe en proposant 3�groupes circonstanciels et 1�relative). Lechaos (= état du monde avant sa création) apparent du début du poème se métamorphose donc petit àpetit en re-naissance d’un univers, comme le montrent l’apparition du thème de l’orient et de l’aube(«�vers l’est�») et le finale qui parle de «�tourbillons de lumière�» semblant consacrer ce nouvel ordrecosmique. Le poème propose une véritable alchimie du paysage (les deux premiers vers insistent sur laconfusion de trois métaux�: l’argent, le cuivre, l’acier), qui conduit à la création d’un paysage idéal. Lepaysage est d’autant plus idéal pour Rimbaud qu’il est absolument libre de toute représentationconcrète. En effet, comme on l’a vu, il ne représente rien de précis�; on peut même douter qu’ils’agisse de la description d’une œuvre d’art concrète, même s’il se présente comme un tableau. En fait,le poème décrit un paysage idéal parce qu’il présente un paysage qui ne peut exister que par et dans lepoème. Cette illumination est celle de la poésie qui crée ex nihilo un monde autonome qui n’obéitqu’aux règles des images, des sonorités et des rythmes du poème.

! Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 179-185)

Examen des textes!�Le paysage est paradisiaque car il flatte et comble les sens. La vue est bien sûr le sens le plus sollicité.L’odorat est représenté dans le vers 4. L’ouïe est évoquée dans la dernière strophe avec les mentionsdes «�cloches�» et de leur analogie avec des «�flûtes�». Le toucher est évoqué dans le dernier vers de la3e�strophe avec la description des «�grandes brebis aussi�/�Douces que leur laine blanche�». Enfin, onpourrait mentionner le sens du goût qui n’est évoqué que très indirectement par la comparaison duciel à du lait («�comme du lait�»). Ce paysage est également édénique car il représente descaractéristiques visibles qui sont assimilables à des valeurs morales associées traditionnellement au Bien,au Bon, au Beau�: clarté (v.�3), blancheur (v.�12 et 16) et douceur (v.�12)."�Les métaphores que Claudel sollicite sont essentiellement des personnifications, des imagesanthropomorphiques qui font du Banyan un héros surhumain et mythique («�un hercule végétal�» et unnouveau Prométhée enchaîné), voire monstrueux («�une hydre�», «�monstre enchaîné�»). Le Banyandevient donc un être animé, une entité surnaturelle et fantastique (l’animation de l’inanimé est ungrand thème du genre fantastique).#�L’utilisation presque systématique de la phrase nominale (phrases 1, 2, 4 et 5) donne une impressionde fixité, puisque le verbe, en tant que moteur actif de la phrase, est remplacé par le nom et lasubstance. L’absence de mouvement se lit aussi dans l’absence de verbes dans les propositionsprincipales. La syntaxe s’organise autour du groupe nominal (les icebergs) et non plus en fonction dugroupe verbal. En outre, les figures de répétition accentuent cette impression d’immobilité�: il s’agitdes anaphores du mot «�Icebergs�», mais aussi des répétitions régulières de mots ou de groupes de motsqui émaillent le poème�: «�sans garde-fou, sans ceinture�» (§�1), «�combien, combien�» (§�2), «�parents,parents�» et «�comme, comme�» (§�4).$�Le cadre de la fenêtre représente le travail de sélection et de valorisation qu’effectue l’artiste à partirdu réel. À la façon d’un prisme, il recompose la réalité à l’aune de sa dimension, de ses contraintes etde ses limites. La position de la jeune femme suggère une posture contemplative et admirative vis-à-vis du monde extérieur�: la fenêtre, comme l’art en général, serait une ouverture affirmative sur lemonde, sur l’infini (à partir pourtant d’une finitude de principe que symbolise aussi la fenêtre).

Réponses aux questions – 38

Travaux d’écriture

Question préliminaireLe lyrisme ne consiste pas exactement, et strictement, en l’expression de sentiments personnels, sadéfinition est plus vaste et moins réductrice. Il consiste à rendre compte d’un sujet (ou d’un objet) àtravers une subjectivité, une sensibilité, une affectivité particulière à un individu. Ainsi tous cespoèmes sont lyriques, même s’ils ne sont pas intimes�: ils évoquent bien des paysages qui ne prennentsens et consistance qu’à travers une subjectivité explicite (textes C et D) ou implicite (textes A et B).En outre, ces poèmes sont des éloges et, en cela, ils sont lyriques, si l’on se réfère à la définition deBaudelaire (déjà évoquée dans le corrigé de la dissertation du premier questionnaire)�: «�la lyre exprimeen effet cet état presque surnaturel, cette intensité de vie où l’âme chante, où elle est contrainte de chanter, commel’arbre, l’oiseau et la mer�». Le poète retrouve ici le sens étymologique�: le poème lyrique est un poèmechanté�; c’est un chant, une célébration. Le lyrisme serait alors plutôt une «�manière lyrique de sentir�»marquée par la «�dilatation�», un «�état exagéré de la vitalité�» qui rend le monde «�apothéosé�» par la grâcede l’«�hyperbole�» et de l’«�apostrophe�» (Baudelaire, «�Théodore de Banville�», dans Sur mescontemporains, 1861).Remarque�: Dans le cas d’une telle définition, il conviendra de faire de l’élégiaque un registre à part,comme on le faisait auparavant. Les textes du corpus correspondent parfaitement à cette définition�:ce sont des éloges de paysages idéaux (hyperboles, amplifications et images valorisantes) et ils sontlyriques (exclamations admiratives, apostrophes, exaltation et enthousiasme devant le réel).

Commentaire du texte B (Séries générales)

IntroductionCe poème a été écrit en 1875 et publié dans le recueil intitulé Sagesse en 1880. Ce recueil marque la2e�période littéraire de Verlaine. En effet, il a été emprisonné deux ans pour avoir blessé Rimbaud aupoignet en 1873. En 1875, il sort de prison�: il s’est converti au catholicisme (d’où le titre du recueil)et devient professeur à Stickney. Ce poème sans titre a été écrit à cette époque et il décrit un paysagede cette région côtière anglaise. On peut parler à son propos d’ode, puisque le poème est constitué de4�strophes identiques et isométriques et que le mètre ou le vers utilisé est l’heptasyllabe. Si le thèmede ce texte reste volontairement ambigu et mystérieux, il est évident néanmoins qu’il s’agit ici de ladescription d’un paysage naturel qui prend, d’une part, les apparences d’un paysage idéal et qui,d’autre part, semble se présenter comme un paysage symbolique qui tisse de nombreusescorrespondances.

1.�Un paysage idéalA.�Un paysage qui flatte les sensL’idéalité d’un paysage consiste d’abord dans sa faculté à combler de façon heureuse un bon nombredes sens de l’être humain. La vue est bien sûr le sens le plus sollicité�: la perception des couleursnotamment se fait par son intermédiaire («�claire�», «�clair�», «�blanche�», «�ciel comme du lait�»). L’odoratest représenté dans le vers�4 («�qui sent bon les jeunes baies�»). L’ouïe est évoquée dans la dernièrestrophe avec les mentions des «�cloches�» et de leur analogie avec des «�flûtes�», et aussi de l’«�onde�» quipeut être comprise comme la description de la propagation du son des cloches («�l’onde […] decloches�»). Le toucher est évoqué dans le dernier vers de la 3e�strophe avec la description des «�grandesbrebis�aussi�/�Douces que leur laine blanche�». Enfin, on pourrait mentionner le sens du goût qui n’estévoqué que très indirectement par la comparaison du ciel à du lait («�comme du lait�») et par l’évocationde l’odeur des «�jeunes baies�» qui, en tant que fruits, impliquent nécessairement la sensation du goût.B.�La clarté et la blancheurCe paysage est caractérisé par ces deux sensations visuelles. La blancheur est véritablement la couleurdominante de ce poème, ainsi qu’un simple relevé lexical le montre aisément�: «�moutonne�»,«�brouillard�», «�brebis�», «�laine blanche�», «�comme du lait�». La clarté est d’emblée mise en évidence parle poète comme un thème essentiel, dès les premiers vers, avec la répétition de l’adjectif «�clair�» auvers 3 obtenue grâce à l’enjambement du vers 2 sur le vers 3. Ainsi, ce vers commence et finit par lemême mot et propose une véritable rime intérieure. La sonorité même du mot «�clair�» se retrouverépétée dans tout le poème avec les nombreuses assonances en (è)�: «�haies�», «�baies�», «�mer�», «�vert�»,

Une saison en enfer et autres poèmes – 39

«�déferlait�», «�lait�». Ce son vocalique (il s’agit du son d’une voyelle) occupe même 6�rimes sur 16(strophe 1 et vers 1 et 4 de la strophe 4).C.�La douceurCette sensation imprègne le poème dans sa totalité�: elle est d’abord explicite au vers 12 où il estquestion des brebis «�aussi douces que leur laine blanche�»�; ensuite de façon suggestive, et par des effetsde connotation, cette douceur semble omniprésente avec les évocations de la «�laine�», des «�brebis�»(déjà évoquées de façon suggestive par le verbe «�moutonne�») qui jouent, «�l’agilité des poulains�» etleurs mouvements gracieux («�s’ébattre et s’étendre�»). L’autre couleur de ce paysage –�le vert�– est elleaussi caractérisée par la tendresse�: «�des arbres […] sont légers sur le vert tendre�».D.�La régularitéLa régularité du paysage marqué par cet «�échelonnement�» se retrouve dans le poème qui s’échelonnelui aussi selon 4�strophes très régulières dans leur versification�: même disposition des rimes parembrassement avec alternance régulière des rimes masculines et féminines�; même type de vers(l’heptasyllabe)�; même nombre de vers par strophe, comme le veut le genre de l’ode�; et mêmeadéquation entre le nombre de strophes et le nombre de vers par strophe. La même rime en (è) ouvreet clôt le poème en montrant ainsi son aspect d’éternel recommencement cyclique et de perfectioncirculaire. La syntaxe confirme cette impression, puisque chaque strophe est composée d’une seulephrase. On a ainsi un poème constitué de 4�strophes de 4�vers formant 4�phrases.Les sensations semblent être échelonnées elles aussi selon les différentes strophes�: en effet, si la vue estbien sûr omniprésente dans toutes les strophes, il n’en est pas moins vrai que la 1re�strophe évoqueaussi l’odorat, la deuxième n’évoque explicitement que la vue, la troisième insiste davantage sur letoucher et enfin la dernière sollicite essentiellement le sens de l’ouïe. Le goût, quant à lui, n’estévoqué qu’indirectement aux strophes 1 et 4, comme on l’a vu.

2.�Un paysage symboliqueA. Les correspondances horizontales•�La terre et la merCe paysage apparemment terrestre baigne, dans sa totalité, dans une impression de liquiditénotamment suggérée par l’allitération des sonorités liquides, comme le montrent très clairement lestout derniers vers du poème notamment («�Tout à l’heure déferlait�/�L’onde, roulée en volutes,�/�Decloches comme des flûtes�/�Dans le ciel comme du lait�»). Au niveau des images et des thèmes (et donc deschamps lexicaux), on remarque que le paysage terrestre semble associé aux images de l’eau auxpremière et dernière strophes, alors qu’il semble purement terrestre dans les strophes 2 et 3. Ainsi, onconstate une sorte de structure où l’eau embrasse la terre (eau/terre�; terre/eau). C’est donc dans lesstrophes 1 et 4 que s’effectue la confusion entre la terre et la mer. Ces deux éléments sont ici encorrespondance l’un avec l’autre. Le paysage naturel va être décrit comme un paysage marin dans la1re�strophe. La métaphore du vers 2 associe directement la campagne et ses haies à une mer etses�vagues�: «�L’échelonnement des haies�/�Moutonne à l’infini�». Cette image est renforcée par lacomparaison suivante qui procède par juxtaposition du comparant (la mer) au comparé(l’échelonnement des haies) à l’aide d’une apposition au sujet�: «�L’échelonnement des haies […], mer�/Claire dans le brouillard clair�». Dans la 4e�strophe, les cloches du paysage de campagne sont associées àl’image d’une vague qui déferle�: «�Tout à l’heure déferlait�/�L’onde, roulée en volutes,�/�De cloches commedes flûtes�/�Dans le ciel comme du lait.�» On remarque que la comparaison entre le ciel et le lait audernier vers renforce cette impression de liquidité du paysage. Le ciel est de toute façon lui aussiassocié à l’idée de liquidité dès le vers�3 qui montre la confusion et la correspondance entre le ciel etla terre associés à la mer (la terre ressemble à une mer qui se confond avec le ciel).Mais cette correspondance entre terre et mer est rendue encore plus complexe par le poète qui jouesur le double sens des mots en laissant leurs connotations percer sous leurs dénotations. Ainsi, l’adjectif«�vague�» est substantivé au vers�9 pour faire naître une confusion avec le substantif «�vague�» quidésigne l’agitation de la surface marine. S’il n’avait pas voulu cette suggestion par connotation, ilaurait tout simplement écrit «�ce dimanche vague�». De la même façon, vu le contexte marin de la1re�strophe, le substantif «�baies�» évoque par connotation l’idée de cette configuration géographiquecôtière qui forme un demi-cercle où la mer s’engouffre. Le procédé est encore plus complexe dans ladernière strophe, puisque le mot «�onde�» peut revêtir deux sens différents�: soit il désigne l’eau ou lamer (c’est le terme poétique pour désigner l’élément liquide), soit il fait référence à la propagation du

Réponses aux questions – 40

son et, dans ce cas, il renvoie au paysage terrestre auquel appartiennent les cloches. L’ambiguïté esttotale ici (on parle de jeu de mots fondé sur l’homonymie�: même son mais sens différent).•�Les sens et les synesthésiesLes correspondances horizontales sont aussi l’affaire des sens (voir Correspondances de Baudelaire). Ontrouve les synesthésies essentiellement aux strophes 2 et 3, où la vue se sert du toucher�: «�Des arbres etdes moulins / Sont légers sur le vert tendre�» et «�De grandes brebis aussi / Douces que leur laine blanche�»pour décrire ses sensations. On se doute bien, en effet, que le poète est à distance de ce paysage qu’ilcontemple tel un panorama («�L’échelonnement des haies […] moutonne à l’infini�»).B.�Les correspondances verticales•�Un paradis maternelCe paysage prend, à bien des égards, l’aspect d’un paradis maternel, en ce sens qu’il semble être letableau d’une «�vie antérieure�» (pour reprendre le titre d’un sonnet de Baudelaire qui a pour thèmel’évocation d’un paysage idéal et paradisiaque). L’impression de liquidité qui baigne ce poème luiconfère une impression de vie intra-utérine, où l’enfant vit dans un bain de liquide amniotique. Lasuggestion la plus évidente nous est donnée par le dernier vers et même par le dernier mot du poèmequi évoque un ciel «�comme du lait�». Tout le poème évoque cette idée de maternité, comme leprouvent les mentions des «�poulains�» et des «�brebis�» notamment.•�Un paradis mystiqueCe paysage symbolise aussi le paradis retrouvé de Verlaine, après une «�saison en enfer�», encompagnie de Rimbaud, en 1873. Pendant son séjour en prison, Verlaine se convertit (avril 1874) etfait sa communion (15�août). Le paysage terrestre évoqué dans ce poème symbolise cette illuminationmystique et cet appel de la transcendance divine. De nombreux indices montrent cettecorrespondance symbolique entre ce paysage et le Ciel�: c’est un «�dimanche�» (v.�9), les «�cloches�»sonnent (v.�15), la «�brebis�» (v.�11), comme le mouton (évoqué par la métaphore du vers 2) oul’agneau sont des animaux qui symbolisent les êtres humains dans les paraboles bibliques (Dieu étant lepasteur du troupeau). De nombreux éléments symboliques font de ce paysage une sorte d’évocationd’un paradis�: d’abord la clarté, ensuite la blancheur, enfin la liquidité que l’on a déjà étudiées commedes thèmes essentiels de cette description, mais aussi l’évocation du «�lait�» au dernier vers. En effet, ilcaractérise la couleur du «�ciel�», mais aussi du «�Ciel�», puisqu’au paradis existe un fleuve de laitd’après Ovide (Les Métamorphoses, livre�I)�: «�c’était l’âge où coulaient des fleuves de lait�». Ce dernier versouvre donc le poème vers une interprétation très nettement symbolique qui fait de ce paysaged’«�Amour�» et de «�Bonheur�» (titres de recueils suivants de Verlaine) une correspondance du paradiscéleste.

ConclusionCe poème décrit un paysage idéal qui comble les attentes du poète en quête de calme, de douceur etde repos. Il se présente comme un paysage symbolique car il tisse des correspondances entre les diverséléments de la nature et entre celle-ci et l’invisible de l’en deçà (la vie antérieure d’avant la naissance)et de l’au-delà (la survie après la mort).

Commentaire du texte D (Séries technologiques)

Introduction«�Icebergs�» est un poème extrait de La nuit remue. Ce recueil de poèmes en prose repose sur le thèmegénéral de la difficulté d’exister. Mais «�Icebergs�» et «�Vers la sérénité�», qui sont les deux dernierspoèmes du recueil, semblent proposer une issue, peut-être idéale, à cette angoisse existentielle ou à ce«�dur désir de durer�» dont parlait Paul Eluard�: «�celui qui n’accepte pas ce monde n’y bâtit pas de maison[…] et songe à la paix, à la paix, à la paix si difficile à obtenir, si difficile à garder, à la paix�» («�Vers lasérénité�»). «�Icebergs�» propose donc un paysage autant réel et extérieur qu’imaginaire, intérieur ousymbolique�: «�Sans être jamais sorti, le monde lui est familier. […] Ainsi à l’écart, toujours seul au rendez-vous, il songe, l’hameçon au cœur, à la paix, à la damnée paix lancinante, la sienne, et à la paix qu’on dit êtrepar-dessus cette paix�» («�Vers la sérénité�»�: derniers mots du poème et du recueil�!).L’iceberg représente donc un paysage idéal, rêvé par le poète comme un modèle de «�sérénité�»suprême ainsi qu’un paradis auquel on n’accède peut-être que par la mort, «�la paix qu’on dit être par-dessus cette paix�» (1).

Une saison en enfer et autres poèmes – 41

Par les ressources du poème en prose, le poète réussit, par l’imaginaire (les images) et le symbolismede l’écriture (les sonorités et la forme du poème), à rendre cet idéal vivant, présent et sensible à l’œilet à l’ouïe du lecteur (2).

1.�Un paysage idéal�: un ailleurs désiré par le poèteA.�Un paradis blanc•�Un espace sacréL’iceberg représente d’abord, au paragraphe�1 et au paragraphe 3 («�Phares scintillants de la Mort�»), unesorte de cimetière idéal, un au-delà qui s’apparente à certaines mythologies orientales et océaniques quiplacent les Enfers ou les séjours des morts et des «�âmes�» dans des îles enchantées et «�enchanteresses�».Dans le 2e�paragraphe, par la comparaison des deux formes verticales que présentent à la fois l’iceberg etla «�cathédrale�», cette impression de sacralité naturelle et universelle se trouve renforcée. Elle seraconfirmée dans le paragraphe�3 avec la mention des «�augustes Bouddhas�» comme images des icebergs. Lamort qu’il représente n’est pas ressentie par le poète comme négative mais bien, à l’inverse, comme lapromesse d’une paix future et supérieure, absolue. Les icebergs représentent donc plutôt l’image d’unparadis blanc, d’une fécondité insoupçonnée�: ils sont en effet «�Parents des îles, parents des sources�» (§�4).Cette fécondité est elle-même paradoxale, puisqu’elle est la conséquence du froid (§�2�: «�tes bordsenfantés par le froid�»). La verticalité qu’il impose au contemplateur est aussi un signe de leur sacralité et deleur élévation suprême (§�2�: «�combien hauts […]�»).•�Le poème = une prière et une célébrationLe poème prend lui-même les allures d’une célébration mystique en hommage à ces «�Bouddhas sansreligion�». Il s’agirait alors d’une sorte de panthéisme (Nature = Dieu�: Dieu est dans la nature et la Natureest le dieu). Les formes de la célébration sont marquées par les anaphores initiales des 4�paragraphes quichantent la beauté de l’objet auquel elles s’adressent. L’idée d’une célébration est repérable aussi dansl’utilisation des formes exclamatives, et notamment des adjectifs exclamatifs répétés deux fois («�combien�»,«�comme�»), qui indiquent l’expression de l’éloge et de la louange (phrases 3 et 6 aux §�2 et 4). La forme dela prière est repérable dans les apostrophes («�Icebergs, Icebergs») qui précisent le destinataire du discours. Lepoème est donc entièrement adressé aux icebergs, comme le prouve notamment la présence de la2e�personne au paragraphe 4 («�comme je vous vois, comme vous m’êtes familiers�»).•�La puretéCe paradis est caractérisé par une étincelante blancheur et une inaltérable pureté qui en fait bien l’ailleursabsolu et l’inverse paradisiaque de l’enfer occidental (voir «�Lieux inexprimables�» dans La Vie dans lesplis). Le froid, omniprésent («�hiver éternel�», «�calotte glaciaire�», «�froid�», «�gelés�», etc.), semble être lacondition de la pureté�: «�combien purs sont tes bords enfantés par le froid�» (§�2). Cette pureté est physique,c’est une impression sensible à l’œil�: «�nuits enchanteresses�» (§�1), «�phares scintillants�» (§�3)�; mais elle estaussi symbolique et morale, les icebergs proposant un univers débarrassé de la «�vermine�» (§�4).B.�Un monde immobile�: «�Vers la sérénité�»•�Le lexiqueL’impression de fixité absolue domine dans le poème, et là encore, ce n’est pas considéré comme undéfaut de ce paysage, bien au contraire�: l’immobilité est la condition de la sérénité. Cet univers estsilencieux («�silence�» au §�3), fixe («�gelés�» au §�3) et statique («�l’hiver éternel�» au §�2). Le temps et lemouvement (§�3�: c’est un paysage «�sans issue�») sont abolis. Cette immobilité spatiale et cette éternitétemporelle se trouvent résumées dans une magnifique formule du paragraphe�3�: «�le cri éperdu dusilence dure des siècles�».•�La syntaxeL’utilisation presque systématique de la phrase nominale (phrases 1, 2, 4 et 5) renforce cetteimpression de fixité, puisque le verbe, en tant que moteur actif de la phrase, est remplacé par le nomet la substance. L’absence de mouvement se lit aussi dans l’absence de verbes dans les propositionsprincipales. La syntaxe s’organise autour du groupe nominal (les icebergs) et non plus en fonction dugroupe verbal. La phrase redouble donc ce que disait et suggérait le lexique.•�Les figures de répétitionBien sûr, les figures de répétition accentuent cette impression d’immobilité�: il s’agit des anaphores dumot «�Icebergs�», mais aussi des répétitions régulières de mots ou de groupes de mots qui émaillent lepoème�: «�sans garde-fou, sans ceinture�» (§�1), «�combien, combien�» (§�2), «�parents, parents�» et «�comme,comme�» (§�4).

Réponses aux questions – 42

C.�Un monde de liberté et d’indépendance•�Le refus des contraintesL’univers moral de ce paysage est celui de l’indépendance�: «�sans garde-fou, sans ceinture�», «�sansreligion�», «�sans besoin�», «�libres�», «�distants�».•�L’isolementÀ l’image de Michaux, ces icebergs se présentent comme de grands «�Solitaires�» perdus dans unmonde inconnu et jamais appréhendé par l’homme�: «�mers incontemplées�» (§�3).

2.�La présence symbolique de l’objet décrit dans la description poétiqueA.�Les images rendent vivants et présents les «�icebergs�» (par la vue)L’évolution du poème se fonde sur une progression des images�: aucune dans le paragraphe�1, puis unecomparaison architecturale (et sacrale) au paragraphe�2. Dans le paragraphe�3, la personnification apparaît�:«�dos�», «�augustes Bouddhas�», «�Phares scintillants de la Mort�» (majuscules�! ils sont ici des allégories de laMort)�; enfin, au paragraphe�4, les comparaisons qui fondent la personnification sont très nettementanthropomorphiques�: «�Solitaires�», «�Parents�». À l’issue du poème, le poète peut donc dire que ces images(les personnifications) ont rendu présents et vivants les icebergs à ses yeux et à ceux du lecteur�: «�comme jevous vois, comme vous m’êtes familiers�». Le poète solitaire se reconnaît dans ces immenses blocs de silence.B.�Les sonorités rendent sensible et audible la présence de l’iceberg (par l’ouïe)La matière sonore du mot «�iceberg�» est présente et mise en évidence dans tout le poème�:–�les assonances en (è�+�r) dans le paragraphe�2 (icebergs, icebergs, hiver éternel, calotte glaciaire, planète Terre)�;–�les allitérations en (s) dans les paragraphes 1 à 4 (icebergs sans garde-fou, sans ceinture, s’accouder auxnuits enchanteresses, phares scintillants de la Mort sans issue, icebergs, icebergs, Solitaires sans besoin)�;–�les anaphores initiales des paragraphes�: le mot «�iceberg�» apparaît sept fois (en plus du titre)�!C.�La forme du poème et sa disposition représentent symboliquement des icebergs•�Les anaphores initiales font l’effet d’une énumération ou d’un décompte infini�: d’où les points desuspension à la fin du poème.•�Chaque paragraphe semble représenter un iceberg�: leur volume syllabique est équivalent (26, 29,27, 28 mots) et il isole un bloc de mots qui symbolise le bloc de glace décrit.•�La ressemblance entre les paragraphes qui semblent se répéter, comme les icebergs se répètent, estaccentuée par l’utilisation de la même syntaxe�: la phrase nominale.

ConclusionPar son désir de pureté infinie et son envie d’un ailleurs absolu, ce poème s’apparente assez à la petiteode de Verlaine (texte B). Ces deux poèmes pourraient avoir comme sous-titre «�Vers la sérénité�»,tant ils cherchent à apprivoiser et calmer les angoisses et les difficultés existentielles des deux poètespar la contemplation d’un paysage réel certes, mais surtout symbolique (et sans doute intérieur) etidéalisé par la poésie.

DissertationLe corpus peut être très utile afin de traiter ce sujet�: Claudel et Michaux célèbrent des éléments dumonde réel (un arbre, des icebergs), tandis que Verlaine et Rimbaud les transforment afin de créer ununivers inédit et neuf qui n’existe que dans et par le poème.

1. La poésie comme célébration du mondeVoir la dissertation du premier questionnaire (2e partie, §�B et C)�; et les textes C et D du corpus.A.�Poésie mystique et extatique (célébration du créateur)Cantique des cantiques (dans la Bible), Lamartine (Harmonies poétiques et religieuses), Hugo (LesContemplations, Dieu), Claudel (Cinq Grandes Odes), etc.B.�Poésie lyrique•�Célébration de la création (le monde)�: texte C (Claudel), texte D (Michaux), René Char (Fureur etMystère), Saint-John Perse (Éloges, Amers), Guillevic (Étier), Ponge (Le Parti pris des choses), Réda, etc.•�Célébration de la créature (l’amour)�: les poètes de La Pléiade, les poètes baroques, les surréalistes(voir le corpus du deuxième questionnaire), les éloges amoureux baudelairiens (Le Serpent qui danse,Les Bijoux, Le Balcon, par exemple).

Une saison en enfer et autres poèmes – 43

2.�La poésie comme création d’un universA.�Autotélie et autonomie de la poésie�: la fonction poétique (textes A et B du corpus)•�Ce n’est pas le monde qui est l’objet du poème, c’est à proprement parler la poésie. La poésie n’utilisepas le langage de façon utilitaire pour parler du monde�; le langage poétique n’est ni utile, ni utilisable,c’est un art du langage, si ce n’est même le langage porté au rang d’un art. La langue poétique est unidiome radicalement différent de la prose, en ce sens qu’elle ne vise pas une transitivitécommunicationnelle mais bien plutôt une intransitivité�: la poésie n’a qu’elle comme objet. Cetteconception pose la langue poétique comme autonome�; elle se définit par la «�fonction poétique�» qui seraitl’essence de l’intentionnalité du poème. Le fondement de la fonction poétique, c’est l’existence d’undiscours prenant le langage comme objet (à la différence de la prose qui l’utilise comme instrument).•�Les poèmes de Rimbaud et de Verlaine (textes A et B) donnent de bons exemples de ce travail sur lamatière donnée par les perceptions�: les paysages y sont reconstruits et recomposés idéalement par l’actepoétique et n’existent que dans le corps du poème�; il n’y a plus de référent extérieur repérable auxsignes poétiques (le statut même du paysage reste indéterminé et indécidable dans le texte de Rimbaud).Voir les corrigés du questionnaire sur «�Marine�» et du commentaire du texte de Verlaine (texte B).•�Les textes�C et D eux-mêmes, qui se présentent pourtant comme des célébrations, proposentégalement une métamorphose poétique�: le Banyan claudélien est transfiguré (cf. la réponse à laquestion�2, p.�38) et les icebergs n’existent concrètement que dans le travail poétique sur leursignifiant (voir le corrigé du commentaire du texte C, 2e�partie).B.�La poésie comme recréation du monde�: le projet mallarméenAinsi, la poésie a la charge d’abolir la contingence du réel�; elle passe donc par une phase négative quivise à déformer la réalité pour la libérer de son inauthenticité ontologique�: le livre mallarméen montrele «�hasard vaincu mot par mot�» (Variations sur le sujet). La poésie permet le mouvement vers l’absolu en cesens que la chose n’est plus définie par les circonstances de son existence mais par sa pure essenceirréductible. Le réel est donc néantisé par le poème�: «�je dis�: une fleur�! et, hors de l’oubli où ma voix relègueaucun contour, […] musicalement se lève, idée même et suave l’absente de tous bouquets�» (Crise de vers). Ledeuxième mouvement de l’acte poétique selon Mallarmé, qui est bien sûr inhérent à ce premiermouvement philosophique en quelque sorte qui vise à nier pour mieux définir, cherche à accéder àl’essence de la chose dont on nie l’existence accidentelle�: «�à quoi bon la merveille de transposer un fait denature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant�; si ce n’est pour qu’en émane, sans lagêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure�» (Crise de vers). L’absolu découvert par la langue poétiquecoïncide ainsi avec le néant, et l’idéalisation poétique n’est qu’une néantisation du réel.

Écriture d’inventionLe genre du texte est bien défini�: il appartient au genre épidictique. Il sera lyrique ou argumentatif�; dansce dernier cas, il s’apparentera davantage à un texte didactique de publicité touristique, par exemple, et ilpourra s’organiser en fonction des domaines attractifs du paysage en question. Dans le cas d’un éloge pluslittéraire et lyrique (qui peut posséder également une dimension argumentative cachée, surtout dans le casd’un paysage réel), on pourra s’inspirer de certains paysages naturels ou urbains, imaginaires et utopiques(Baudelaire, «�L’Invitation au voyage�») ou réels (Camus et l’Algérie, Giono et la Provence, etc.). Le textesera descriptif et laudatif�: il faudra donc organiser la description et solliciter les moyens de l’amplification(hyperboles, images valorisantes, caractérisations abondantes, etc.). Le risque d’un tel exercice réside dansl’absence d’une véritable organisation qui fasse progresser la description�: le texte alors piétine et se répète.On rappellera que la description peut être clairement organisée à partir d’un point de vue défini(description statique ou panoramique) qui permet de repérer les grandes parties du paysage que l’ondécrit dans un ordre donné (du proche au lointain, de gauche à droite, de bas en haut, ouinversement, etc.). On privilégie alors une cohérence textuelle et une progression thématique dite «�àthème éclaté�». La description peut aussi être dynamisée par une durée narrative inscrite dans unregard qui évolue dans l’espace et dans le temps (description itinérante ou description-promenade)�: lepaysage est alors progressivement dévoilé par le narrateur-descripteur (voir certaines descriptions deJulien Gracq ou de Camus, par exemple). Enfin, l’objet de la description lui-même peut évoluer�: ils’agit d’une description chronologique qui décrit le paysage en fonction du temps qui passe et qui lemodifie en privilégiant quelques moments caractéristiques (voir les tableaux de la cathédrale deRouen par Monet en fonction des moments de la journée ou les descriptions de la Beauce par Zolaen fonction des saisons dans La Terre).

Compléments aux lectures d’images – 44

C O M P L É M E N T SA U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

! Henri Fantin-Latour, Un coin de table (p. 8)Le peintreHenri Fantin-Latour est né à Grenoble en 1836 et mort à Buré, dans l’Orne, en 1904. Après avoirsuivi l’enseignement de l’École des beaux-arts, il rencontre Gustave Courbet en 1859 et entre dansson atelier en 1861 (voir le tableau reproduit à la page�154). Il est alors considéré, dès ses premièresœuvres exposées (autour de 1864), comme un disciple de l’école réaliste (peindre d’après nature sansidéaliser les sujets) animée par Courbet. Fantin-Latour, que l’on peut considérer comme le grandrénovateur du portrait (intimiste ou collectif) et de la nature morte florale, a peint une série de grandsportraits collectifs qui sont autant d’hommages aux beaux-arts�:–�hommage à la peinture, avec l’Hommage à Delacroix (1864), et à Édouard Manet, dans Un atelier auxBatignolles, exposé au Salon de 1870 (musée d’Orsay)�;–�hommage à la poésie, avec Un coin de table, exposé au Salon de 1872 (musée d’Orsay)�;–�hommage à la musique et à Wagner, avec Autour du piano, exposé au Salon de 1885 (muséed’Orsay).

L’œuvreUn coin de table (huile sur toile, 160 " 225�cm) évoque une réunion de poètes à la fin d’un repas.Cette société poétique portait le nom de «�Vilains Bonshommes�» et regroupait essentiellement despoètes parnassiens ou postparnassiens qui animaient une revue littéraire et poétique, la Renaissancelittéraire et artistique, où seront publiés, entre 1872 et 1874, la plupart des futurs poètes «�maudits�»,décadents ou symbolistes (Mallarmé, Verlaine, Nouveau, Cros…). On se souvient notamment quec’est cette revue qui publiera «�Les Corbeaux�» de Rimbaud le 14 septembre 1872.La structure hiérarchique de la revue permet de comprendre la composition du tableau�:–�debout et au centre se tient Émile Blémont, le rédacteur en chef de la revue�;–�debout, à sa droite, Elzéar Bonnier, et, à sa gauche, Jean Aicart, ses associés�;–�assis, de gauche à droite, les collaborateurs de la revue�: Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, LéonValade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan.Une différence vestimentaire est manifeste entre l’élégance du directeur de la revue et de ses associéset les tenues ou coiffures plus ou moins négligées des poètes au premier plan. On remarquera en outreque Verlaine, mais surtout Rimbaud semblent se détacher du groupe et regarder ailleurs… Lacomposition adopte une forme pyramidale assez classique et les directions, que soulignent lesorientations différentes des regards, donnent de l’animation au tableau.On a pu évoquer l’influence des grands maîtres flamands et hollandais (Rembrandt, Hals) à propos dece tableau qui peint une scène d’intérieur et propose un grand portrait de groupe. Certains poèmes deRimbaud, qui «�peignent�», à la façon de véritables tableaux, des scènes réalistes et prosaïques duquotidien, peuvent également être rapprochés de cette manière picturale�:–�scènes d’intérieur�: «�Au Cabaret-Vert�», «�La Maline�», «�Les Chercheuses de poux�»�;–�nature morte�: «�Le Buffet�»�;–�portraits de groupe�: «�Les Effarés�», «�À la musique�», «�Les Pauvres à l’église�».En outre, Fantin-Latour serait l’auteur d’un poème («�Le Coin de table�») paraphrasant le tableau�:

La chère fut exquise et fort bien ordonnée.Digérer maintenant, voilà la question.De là votre langueur suave et résignée.Ô sages abîmés dans la digestion�!

On a pris le café. C’est l’heure de la paresseOù, feignant d’écouter l’un d’eux qui lit des vers,Les fumeurs accoudés, qu’un brouillard bleu caresse,Regardent tournoyer leurs rêves au travers.

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Les grâces ont boudé ces fronts pleins de problèmes.Le coin de table est gai pourtant, grâce aux couleurs,Ces fleurs vives narguant ce tas de rimeurs blêmes.Monselet indulgent dirait�: Plumes et fleurs.

Travaux proposés–�Quelles remarques pouvez-vous faire sur les tenues vestimentaires et les attitudes des différentspersonnages�? Lesquels sont plutôt négligés�? Lesquels sont habillés avec élégance�?–�Faites une recherche sur les personnages représentés et dites quel lien il y a entre la composition dutableau et le statut de ces personnages.–�Comparez le tableau et le poème de Fantin-Latour. Le poème vous semble-t-il bien décrire letableau�? Comment appelle-t-on un texte qui décrit ou paraphrase un tableau�? (Réponse�: ecphrasisou ekphrasis�; voir «�Marine�», par exemple.)–�Quels poèmes de Rimbaud peuvent-ils être rapprochés du genre de ce tableau�? Quels poèmes deRimbaud peuvent-ils être assimilés à des tableaux�? Pourquoi�?–�Quel titre de poème de Rimbaud pourrait convenir pour ce tableau�? Justifiez votre réponse.(Réponse possible�: «�Au Cabaret-Vert�»).

! Puvis de Chavannes, Le Bois sacré (p. 28)L’œuvreCf.�la réponse à la question�4, p.�10.

Travaux proposés– De quel poème des Illuminations pourrait-on rapprocher ce tableau�? Justifiez votre réponse.(Réponse�: «�Aube�».)– Faites une recherche documentaire et/ou une visite au Louvre afin de repérer les référencesantiques et allégoriques que présente ce tableau.

! Man Ray, Le Violon d’Ingres (p. 75)L’œuvreCf.�la réponse à la question�5, p.�16.

Travaux proposés– Faites une recherche sur la peinture d’Ingres (au Louvre, par exemple) et montrez que ce tableauen est une parodie.– Faites une recherche sur la peinture surréaliste en particulier (y compris les collages et lesphotographies) et sur l’art moderne en général, et identifiez-y les détournements les plus célèbreset/ou les plus stimulants. (Remarque�: La Joconde peut en être le support évident.)

! Autoportrait photographique d’Arthur Rimbaud (p. 110)L’œuvreCf.�la réponse à la question�4, p.�23.

Travaux proposés– Quelle impression se dégage de cet autoportrait�? En quoi y retrouve-t-on un trait caractéristiquede Rimbaud qui s’exprime notamment dans ses écrits�?– Comparez l’ensemble des portraits (et autoportraits) reproduits dans le livre de l’élève (pp.�4, 8, 9,66, 111, 130, 193) et dites quel est l’élément le plus expressif et le plus énigmatique du personnage.

! Johannes Vermeer de Delft, L’Art de la peinture (p. 137)Le peintreNé à Delft en 1632, ce peintre hollandais, connu de son vivant mais sans pour autant faire figure demaître, fut oublié durant près de deux siècles, avant de connaître une gloire posthume grâce à l’étudeque lui consacra le Français Étienne Thoré (publiée en 1866 sous le nom de William Bürger) et à

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l’admiration de peintres impressionnistes et d’écrivains réputés (Proust, Claudel). On sait peu de chosede sa vie. Il serait le fils d’un tisserand, aurait été marchand de tableaux et de gravures, et ne seraitl’auteur que d’une quarantaine de tableaux (en 1947 se déroula le procès du faussaire Van Meegerenqui contribua à la popularité de Vermeer). Le caravagisme et les artistes italiens influencèrent sespremières toiles. Puis, très vite, Vermeer révéla son goût pour les jeux de lumière et son sens del’organisation spatiale (compositions établies suivant des rapports géométriques stricts�; problèmesd’optique et d’espace). Ses tableaux décrivent souvent des univers clos, à l’atmosphère oisiveintemporelle.

L’œuvreCe tableau s’inscrit parmi les quelques sujets allégoriques qu’il peignit�: L’Astronome (symbole de laTerre), Le Géographe (symbole du Ciel), L’Allégorie de la Foi.Cf.�également la réponse à la question�4, p.�28.

Travaux proposés– Faites une recherche documentaire afin d’identifier un certain nombre de tableaux ou dereprésentations iconographiques qui sollicitent la mise en abyme.– Quel type de textes littéraires remplit la même fonction que ce tableau�? Trouvez-en quelquesexemples dans le livre de l’élève (texte et questionnaires). (Réponse�: le manifeste.)

! Gustave Courbet, Le Bord de mer à Palavas (p. 154)Le peintrePeintre réaliste, dont le nu féminin L’Origine du monde (1866, exposé au musée d’Orsay) fit scandale,Gustave Courbet fut membre de la Commune. Accusé d’avoir fait renverser la colonne Vendôme àParis, il fut emprisonné et condamné à la faire relever à ses frais. À sa libération, il se réfugia en Suisse,où il mourut en 1877 (à La Tour-de-Peilz).Voici ce qu’écrivait Émile Zola à son sujet�:«�J’ai dit que jusqu’ici il y a eu trois grands talents dans l’école française du XIXe siècle�: Eugène Delacroix, Ingreset Courbet, et que ce dernier était aussi grand que les deux premiers. Les trois ensemble ont révolutionné notreart�: Ingres accoupla la formule moderne à l’ancienne tradition�; Delacroix symbolisa la débauche des passions, lanévrose romantique de 1830�; Courbet exprima l’aspiration au vrai –�c’est l’artiste acharné au travail, asseyantsur une base solide la nouvelle formule de l’école naturaliste. Nous n’avons pas de peintre plus honnête, plus sain,plus français. Il a fait sienne la large brosse des artistes de la Renaissance, et s’en est servi uniquement pourdépeindre notre société contemporaine.Remarquez qu’il est dans la ligne de la tradition authentique. Tout comme le travailleur de talent qu’étaitVéronèse ne peignait que les grands de son époque –�même quand il lui fallait représenter des sujets religieux�–, demême le travailleur de talent qu’était Courbet prenait ses modèles dans la vie quotidienne qui l’entourait. C’estautre chose que ces artistes qui, voulant être fidèles aux traditions, copient l’architecture et les costumes des artistesitaliens du XVIe siècle.Au Champ-de-Mars il n’y a qu’une toile de Courbet�: La Vague, et même ce tableau n’y figure que parce qu’ilappartient au musée du Luxembourg, et dès lors l’Administration des beaux-arts a bien été obligée de l’accepter.Et c’est cette toile unique que nous montrons à l’Europe, alors que Gérôme dans la salle voisine ne compte pasmoins de dix tableaux et que Bouguereau va même jusqu’à douze. Voilà qui est honteux. Il aurait fallu assignerà Courbet à l’Exposition Universelle de 1878 toute une salle, comme on l’a fait pour Delacroix et Ingres àl’Exposition de 1855.Mais on sait bien de quoi il retourne, Courbet avait participé à la Commune de 1871. Les sept dernières annéesde sa vie ont été de ce fait un long martyre. On commença par le jeter en prison. Ensuite, à sa sortie de prison, ilfaillit mourir d’une maladie qu’avait aggravée le manque d’exercice. Après, accusé d’avoir été complice durenversement de la colonne Vendôme, il fut condamné à payer les frais de la reconstruction de ce monument. Onlui réclamait quelque chose dans la région de trois cents et quelques mille francs.Les huissiers furent lancés à ses trousses et on opéra la saisie de ses tableaux. Il fut obligé de vivre en proscrit etmourut à l’étranger l’an dernier, exilé de la France dont il aura été l’une des gloires. Imaginez un gouvernementqui fasse saisir les toiles de cet artiste pour solder les comptes de la restauration de la colonne Vendôme�! Jecomprendrais mieux s’il les avait fait saisir pour les exposer au Champ-de-Mars. Cela aurait été plus à l’honneurde la France.

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Du reste, on a toujours traité Courbet en paria. En 1867, quand la médiocrité académique de Cabanel s’étalaitdéjà devant les étrangers accourus de toutes parts, Courbet a dû organiser une exposition particulière pour montrerses œuvres au public. Il n’est plus parmi les vivants. On se doute pourquoi cette suprême humiliation, la plusgrave de toutes, lui a été infligée, d’exposer au Champ-de-Mars son tableau La Vague. La place étroite qu’on acédée à l’artiste est ironique au plus haut point et inconvenante. Qu’on enlève La Vague, car elle donne àréfléchir à tous les artistes magnanimes et indépendants qui s’arrêtent devant elle. Ils douteront du grand disparu,qu’on essaie d’enterrer sous une poignée de terre.La Vague fut exposée au Salon de 1870. Ne vous attendez pas à quelque œuvre symbolique, dans le goût deCabanel ou de Baudry�: quelque femme nue, à la chair nacrée comme une conque, se baignant dans une merd’agate. Courbet a tout simplement peint une vague, une vraie vague déferlant sans se laisser décourager, sans sesoucier des rires qui accueillaient ses toiles, du dédain ironique des amateurs. On le raillait, on l’appelait le peintrenébuleux, on feignait de ne pas comprendre dans quel sens il fallait prendre ses tableaux. Puis un beau jour ons’avisa que ces prétendues esquisses se distinguaient par un métier des plus délicats, qu’il y avait beaucoup d’airdans ses tableaux�; qu’ils rendaient la nature dans toute sa vérité. Et les clients affluèrent dans l’atelier del’artiste�; ils l’ont tellement surchargé de travail vers la fin qu’il lui a fallu en partie donner de l’ouvrage bâclé. Jene connais pas d’exemple plus frappant de la peur que ressent le public devant tout talent neuf et original, et dutriomphe inévitable de ce talent original pour peu qu’il poursuive obstinément ses buts.�»

L’œuvreCf.�la réponse à la question�5, p.�32.

Travaux proposés– Quels poèmes des Illuminations auraient pu être illustrés par cette reproduction du tableau deCourbet�? Justifiez votre réponse. (Réponse�: «�Marine�» mais aussi «�Génie�».)– De quelle autre œuvre picturale reproduite dans le livre de l’élève pourrait-on rapprocher cetableau�? Justifiez votre réponse. (Réponse�: le tableau de Friedrich, bien sûr –�on pourra égalementreprésenter une reproduction de son «�Moine au bord de la mer�» et montrer combien le registreesthétique en est différent.)

! Fernand Léger, illustration pour les Illuminations (p. 172)Le peintre et l’œuvreFernand Léger, né à Argentan en 1881 et décédé à Gif-sur-Yvette en 1955, commence sa carrière depeintre sous la bannière du jeune mouvement cubiste dès 1911, lors de la première grande expositioncollective du cubisme, puis il adopte un style plus personnel (et reconnaissable entre tous) marqué parune évidente fascination pour la civilisation industrielle et la technologie mécanique. L’univers urbainest ainsi un de ses thèmes de prédilection�: cet ancien étudiant en architecture (deux années d’étudesavant de se tourner vers la peinture) est fasciné par la grande ville.Il n’est donc pas étonnant de le voir, en 1949, illustrer de 15 lithographies originales, pour un éditeursuisse de Lausanne, les Illuminations de Rimbaud qui proposent une expérience poétique (etprosaïque) de la modernité urbaine�: voir, par exemple, «�Les Ponts�», «�Ville�», «�Ornières�» dans notresélection, mais aussi les très nombreux autres poèmes de l’œuvre intégrale.

Travaux proposésIl serait intéressant de comparer la manière de Léger et celle de Rimbaud, notamment en rapprochantl’illustration reproduite du poème «�Les Ponts�»�:–�En quoi ce poème peut-il être comparé à un tableau urbain�?–�Essayez de dessiner ce que représente ce poème. Que constatez-vous�?–�Quel élément de composition picturale rapproche ces deux œuvres�? Quelles lignes structurent lepoème et le tableau�?

! Les caricatures�: Arthur Rimbaud (p. 66) et Henri Monnier (p.�163)Arthur RimbaudOn sait que Rimbaud a beaucoup pratiqué le dessin caricatural. Lui-même a été caricaturé parManuel Luque dans un portrait-charge paru dans le n°�318 des Hommes d’aujourd’hui chez l’éditeurVanier (voir p.�66). Rimbaud a surtout été un caricaturiste féroce pour la bourgeoisie provinciale et

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industrielle�: de nombreux dessins témoignent de ce goût pour la satire, mais surtout un certainnombre de poèmes sollicitent le registre satirique�: «�À la musique�», «�Rages de Césars�» (l’empereurn’est en effet qu’un petit-bourgeois), «�Chant de guerre parisien�», «�Accroupissements�», mais aussi«�Mouvement�».

Henri MonnierUne des plus célèbres caricatures de la bourgeoisie du XIXe�siècle reste l’invention de M.�Prudhommepar Henri Monnier. On pourra comparer le dessin avec le poème de Verlaine bien sûr («�MonsieurPrudhomme�», dans les Poèmes saturniens, en 1866�; voir aussi la photographie de Verlaine, p.�224),mais aussi avec les portraits satiriques de «�À la musique�».

Travaux proposés–�Dans le poème «�À la musique�» (p.�10), quels sont les emblèmes de la bourgeoisie�?–�Comparez le poème «�À la musique�» avec le dessin caricatural de M.�Prudhomme�: ce personnagepourrait-il faire partie des bourgeois de Charleville évoqués par Rimbaud�?–�En prenant comme corpus les dessins caricaturaux (p.�66 et surtout p.�163) et les poèmes satiriques(cités supra), pouvez-vous énoncer quelques règles essentielles à l’art de la caricature�?

! Caspar David Friedrich, Femme à la fenêtre (p. 182)Le peintrePeintre allemand, proche de certains membres du premier mouvement romantique, Caspar DavidFriedrich (1774-1840) est fasciné par les paysages calmes et mélancoliques (comme ceux de l’île deRügen), et affiche un goût pour le mysticisme et le fantastique. Il est l’auteur de paysages quimontrent un sens tragique de la nature.

L’œuvreCf.�la réponse à la question�4, p.�38.

Travaux proposés– Faites une recherche documentaire sur la peinture de Friedrich et identifiez un certain nombre detableaux qui sollicitent le même genre de point de vue (personnage vu de dos, en train de contemplerun paysage). Justifiez le recours à un tel procédé pictural.– Quel poème de Rimbaud [recherche large] ou des Illuminations [recherche restreinte] pourrait représenterce que cette jeune femme pourrait voir�? Justifiez votre réponse. (Réponse�: «�Les Ponts�».)

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B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

!�Œuvres complètes–�Œuvres complètes, éd. de Pierre Brunel, «�Le Livre de Poche�», L.G.F., 1999.–�Œuvres complètes, éd. de Louis Forestier, coll. «�Bouquins�», 1992.

!�Éditions critiques–�Une saison en enfer, édition critique par Pierre Brunel, José Corti, 1987.–�Poésies, Vers nouveaux et Une saison en enfer, Illuminations, édition de Jean-Luc Steinmetz, Garnier-Flammarion, 3 volumes, 1989.

!�Biographies de Rimbaud–�Jean-Jacques Lefrère, Rimbaud, Fayard, 2001.–�Pierre Petitfils, Rimbaud, Julliard, 1982.–�Jean-Luc Steinmetz, Arthur Rimbaud�: une question de présence, Tallandier, 1991.

!�Études critiques sur l’œuvre–�Yves Bonnefoy, Rimbaud, coll. «�Écrivains de toujours�», éd. du Seuil, 1961.–�Pierre Brunel, Arthur Rimbaud ou l’Éclatant désastre, Champ Vallon, 1983.–�Jean-Marie Gleize, Arthur Rimbaud, Hachette Supérieur, 1993.–�Hugo Friedrich, Structure de la poésie moderne, «�Le Livre de Poche�», L.G.F., 1999 (voir chap.�III�:«�Rimbaud�»).–�Jean-Pierre Richard, Poésie et Profondeur, éd du Seuil, 1955, réédité dans la collection «�Points�» (voirchap. «�Rimbaud et la poésie du devenir�»).

!�Sur Une saison en enfer–�Margaret Davies, «�Une saison en enfer�»�: analyse du texte, Minard, 1975.–�Marc Eigeldinger, «�L’anomie dans Une saison en enfer�», dans Dix Études sur «�Une saison en enfer�»,sous la direction d’A. Guyaux, À La Baconnière, 1994.–�Cecil A. Hackett, «�Une saison en enfer�: frénésie et structure�», dans La Revue des lettres modernes, série«�Arthur Rimbaud�», n°�2, Minard, 1973.–�Yoshikazu Nakaji, Combat spirituel ou immense dérision�? Essai d’analyse textuelle d’«�Une saison enenfer�», José Corti, 1987.–�Jean-Luc Steinmetz, «�Rimbaud moderne�?�(Sur une phrase d’Une saison en enfer)�», dans Les Réseauxpoétiques, José Corti, 2001.