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1 « Les flammes orangées et rouges embrasaient le ciel bleu nuit, toute la verdure se consumait. Une silhouette plus sombre se détachait de cette luminosité. Ses yeux couleur du sang brillaient dans la noirceur de la nuit. Elle su dès ce moment qu’elle avait donné naissance à un monstre. » Le soleil brillait sur le jardin. Les oiseaux chantaient, le printemps arrivait et les fleurs commençaient à s’ouvrir. Une rafale de vent secoua les branches des arbres et un souffle d’air frais caressa les cheveux de Liory. Comme à son habitude, il se promenait seul. Il avait toujours été proche de la nature, pour un elfe c’est normal, mais il sentait qu’il y avait autre chose comme un lien fort, une force qui le poussait à être attentif à chaque feuille, chaque pétale, chaque bruissement d’arbre, chaque oiseau qui battait des ailes, chaque animal qui marchait. C’était comme s’il avait toujours compris les animaux, comme s’ils lui parlaient. Parfois, certains nobles du château le surprenaient en train de parler à un oiseau ou à un écureuil. Ils le regardaient de travers mais s’inclinaient quand même à son passage. Les nobles du château avaient une mauvaise image de lui, n’étant pas le vrai fils du roi, ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient être si conventionnels avec lui. Beaucoup de gens n’aimaient pas Liory à commencer par sa belle-mère, Cassandra. Elle était persuadée que Liory essayait de voler l’héritage à son fils le jeune prince Aaron. Étant plus jeune que lui, l’héritage devait maintenant revenir à Liory. Malgré le fait qu’il vivait avec la famille du roi depuis 27 ans, sa belle-mère et son beau frère le détestaient autant qu’au premier jour. Dans le château, seules deux personnes semblaient apprécier Liory, il s’agissait du roi Aerendil qui considérait le jeune elfe comme son propre fils et Azalée, une des servantes du château. Liory était perdu dans ses pensées quand Azalée le tira de sa rêverie. « -Bonjour mon prince. -Bonjour -Comment vous sentez-vous ? -Je t’ai déjà dit que tu pouvais me tutoyer, non ? -Euh oui excuse moi, c’est l’habitude. - Je ne vais pas très bien, mon père veut que je commence mon apprentissage pour devenir chevalier mais je n’en ai pas envie. - Il le faudra bien, vous…euh …tu es le prince et quand il ne pourra plus régner, tu devras succéder au roi. Il faudra que tu saches te battre, monter à cheval, maitriser la magie et prendre des décisions importantes. Il faut que tu sois prêt, ça peut se produire à n’importe quel moment. -Oui je sais.» Il tourna la tête vers la forêt en contrebas du château. « -Parfois j’ai envie de partir de ce château, aller dans Brocéliande et y rester des heures à faire je ne sais pas quoi mais en tout cas tout sauf penser à la couronne et à toutes ses formalités ennuyantes! Apprendre à se tenir à table, savoir exactement quel couvert utiliser pour quel plat, passer des journées entières à faire des courbettes devant toute une flopée de gens que je n’ai jamais vu et qui sont prétentieux et hautain. Toute cette richesse leur monte à la tête ! Ils n’ont plus qu’à s’étouffer avec ! -Ne dis pas ça voyons !» Son ton se voulut un peu réprobateur mais elle finit par le regarder d’un air attendrit : « Je sais que vous n’aimez pas votre vie ici, vos obligations et tout ça. Vous…euh… Tu ! Tu sais bien que si j’étais une personne influente et importante, j’irai au Grand Conseil leur parler de toi mais je ne suis qu’une servante, je ne peux pas t’être de grande utilité… Et puis si j’étais l’un d’entre eux je me serai déjà étouffée avec mon argent » ajouta-t-elle avec moquerie.

Une silhouette plus sombre se détachait de cette ...s4.e-monsite.com/2011/06/07/91684207histoire-myself-pdf.pdf · Et la fois où j’ai dû ... -Quelle idée de m’apprendre ces

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« Les flammes orangées et rouges embrasaient le ciel bleu nuit, toute la verdure se consumait.

Une silhouette plus sombre se détachait de cette luminosité. Ses yeux couleur du sang

brillaient dans la noirceur de la nuit. Elle su dès ce moment qu’elle avait donné naissance à

un monstre. »

Le soleil brillait sur le jardin. Les oiseaux chantaient, le printemps arrivait et les fleurs

commençaient à s’ouvrir. Une rafale de vent secoua les branches des arbres et un souffle d’air

frais caressa les cheveux de Liory. Comme à son habitude, il se promenait seul. Il avait

toujours été proche de la nature, pour un elfe c’est normal, mais il sentait qu’il y avait autre

chose comme un lien fort, une force qui le poussait à être attentif à chaque feuille, chaque

pétale, chaque bruissement d’arbre, chaque oiseau qui battait des ailes, chaque animal qui

marchait. C’était comme s’il avait toujours compris les animaux, comme s’ils lui parlaient.

Parfois, certains nobles du château le surprenaient en train de parler à un oiseau ou à un

écureuil. Ils le regardaient de travers mais s’inclinaient quand même à son passage. Les

nobles du château avaient une mauvaise image de lui, n’étant pas le vrai fils du roi, ils ne

comprenaient pas pourquoi ils devaient être si conventionnels avec lui. Beaucoup de gens

n’aimaient pas Liory à commencer par sa belle-mère, Cassandra. Elle était persuadée que

Liory essayait de voler l’héritage à son fils le jeune prince Aaron. Étant plus jeune que lui,

l’héritage devait maintenant revenir à Liory. Malgré le fait qu’il vivait avec la famille du roi

depuis 27 ans, sa belle-mère et son beau frère le détestaient autant qu’au premier jour. Dans le

château, seules deux personnes semblaient apprécier Liory, il s’agissait du roi Aerendil qui

considérait le jeune elfe comme son propre fils et Azalée, une des servantes du château.

Liory était perdu dans ses pensées quand Azalée le tira de sa rêverie.

« -Bonjour mon prince.

-Bonjour

-Comment vous sentez-vous ?

-Je t’ai déjà dit que tu pouvais me tutoyer, non ?

-Euh oui excuse moi, c’est l’habitude.

- Je ne vais pas très bien, mon père veut que je commence mon apprentissage pour devenir

chevalier mais je n’en ai pas envie.

- Il le faudra bien, vous…euh …tu es le prince et quand il ne pourra plus régner, tu devras

succéder au roi. Il faudra que tu saches te battre, monter à cheval, maitriser la magie et

prendre des décisions importantes. Il faut que tu sois prêt, ça peut se produire à n’importe quel

moment.

-Oui je sais.»

Il tourna la tête vers la forêt en contrebas du château.

« -Parfois j’ai envie de partir de ce château, aller dans Brocéliande et y rester des heures à

faire je ne sais pas quoi mais en tout cas tout sauf penser à la couronne et à toutes ses

formalités ennuyantes! Apprendre à se tenir à table, savoir exactement quel couvert utiliser

pour quel plat, passer des journées entières à faire des courbettes devant toute une flopée de

gens que je n’ai jamais vu et qui sont prétentieux et hautain. Toute cette richesse leur monte à

la tête ! Ils n’ont plus qu’à s’étouffer avec !

-Ne dis pas ça voyons !»

Son ton se voulut un peu réprobateur mais elle finit par le regarder d’un air attendrit :

« Je sais que vous n’aimez pas votre vie ici, vos obligations et tout ça. Vous…euh… Tu ! Tu

sais bien que si j’étais une personne influente et importante, j’irai au Grand Conseil leur parler

de toi mais je ne suis qu’une servante, je ne peux pas t’être de grande utilité… Et puis si

j’étais l’un d’entre eux je me serai déjà étouffée avec mon argent» ajouta-t-elle avec

moquerie.

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Il se tourna vers elle et lui sourit.

« Je sais que tu ferais n’importe quoi pour m’aider si tu le pouvais mais rien que de m’écouter

râler est déjà d’un grand secours pour moi et puis ça doit être une grande épreuve pour toi vu

le temps que je passe à me plaindre. Merci. »

Il se pencha vers elle et déposa un baiser sur sa joue. Il se retourna puis s’en alla vers ses

appartements.

Elle rougit fortement et resta là à le regarder partir puis, sortant de sa contemplation, elle

retourna aux cuisines.

Elle le connaissait depuis qu’il était tout petit. Ils s’étaient rencontrés dans les couloirs de

l’aile Ouest le lendemain de son arrivée, il avait 3 ans et elle 4. Sa mère s’occupait des

chambres alors elle en profitait pour se promener dans les couloirs et jouer à son jeu préféré :

explorer le château. Quand elle le vit, elle se cacha. Il marchait la tête basse, des larmes aux

yeux. Il avait l’air vraiment triste. Elle s’en rappelle encore, elle était sortie de sa cachette,

l’avait pris par la main et l’avait emmené dans les jardins. Là, le regard du jeune garçon s’était

émerveillé et il avait sourit. À partir de ce moment là, ils ne se quittèrent plus jusqu’au

moment où les obligations du jeune homme devinrent de plus en plus importantes. Ils se

perdirent de vue un moment. Lui allait constamment suivre des cours de maintient tandis que

elle suivait la trace de sa mère. Leur différence de classe sociale était un frein à leur amitié

mais malgré tout, ils faisaient en sorte de conserver les liens qui les unissaient.

Liory entra dans sa chambre et ferma la porte derrière lui. Il s’assit sur son lit et savoura le

silence. Il soupira et juste au moment où il s’apprêtait à se laisser aller, quelqu’un toqua.

« Entrez ! »

C’était un homme d’une trentaine d’années. Ses cheveux noirs mi-longs grisonnant sur les

tempes cachaient ses oreilles. Il était vêtu d’une chemise blanche à manches bouffantes, d’un

pantalon brun et de bottes noires en cuir lui remontant jusqu’aux genoux. Un compagnon

voletait à ses côtés, une créature faisant beaucoup penser à un dragon mais en plus petit.

L’homme ressemblait à n’importe qui et personne n’aurait pu croire qu’il s’agissait d’un

grand magicien, du Légendaire Vénald. Il entra avec Gwyr, son dragonnet, à sa suite.

Gwyr avait un assez mauvais caractère en général mais il était gentil avec Liory, Vénald disait

que c’était parce que les dragons et même les dragonnets ont le pouvoir de lire l’âme. « Si il

t’aime bien c’est que ton âme est bonne » lui répétait-il souvent mais il n’avait jamais voulu

dire à Liory comment il l’avait trouvé ni ce qu’il représentait pour lui.

« -Ah ! Bonjour Vénald !

-Il me semble desceller un peu de lassitude dans ta voix.

-Non c’est juste que je m’ennuie et puis je ne vois pas l’intérêt de ces cours. Je n’apprends

jamais rien de très utile.

-Comment ça ?

-Eh bien la semaine dernière vous m’avez fait nettoyer le sol du la salle de bal.

-C’est pour te muscler les bras ! Se justifia Vénald.

-Me muscler ? Et la fois où j’ai dû repeindre votre chambre c’était pour faire travailler mes

poignets je suppose ? »

Vénald rit en se souvenant de ce jour précis où il avait réussi à embobiner Liory.

« Ah oui je me rappelle je t’ai bien eu ce jour-là »

Il rit encore puis redevint sérieux.

« -Je te l’accorde je ne suis pas un très bon professeur mais je t’ai quand même appris la

géographie.

-Oui… Que des noms que je n’ai jamais réussi à prononcer comme le nom de la montagne là !

Comment c’est déjà ? Dar-Khur-Ni ?

-Daer-Nik-Nukhur

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-Quelle idée de m’apprendre ces noms en langue orque ! »

Vénald éclata encore de rire.

« -Parfois je me surprends moi-même, et parfois même je me fais rire. Enfin bon, tu te sens

prêt pour ton entraînement ? »

Liory lui lança un regard soupçonneux.

« Non, non un vrai entrainement cette fois, je n’ai plus de ménage ou de tâches particulières à

faire. Ou plutôt à te faire faire. Alors ?

- Je suis un peu fatigué mais ça devrait aller.

- Bien. »

Vénald s’approcha de Liory et lui donna une pierre.

- Bon, alors tu vas essayer de maintenir cette pierre en l’air.

-Mais euh…»

Liory regarda alternativement la pierre et Vénald puis ajouta avec un peu de moquerie dans la

voix.

« - Mais c’est facile comme exercice !

-Ah oui ? Alors prouve le moi.»

Liory plaça la pierre au centre de sa paume, regarda le magicien, sûr de lui, puis éleva la

pierre à hauteur de son visage et se concentra.

Rien ne se produisit.

Il fronça les sourcils.

« - Eh bien que se passe-t-il Liory ? Je croyais que c’était facile !

Le jeune garçon grogna et recommença. Et cette fois-ci la pierre commença à s’élever

doucement à quelques millimètres de sa peau, se balançant à gauche et à droite. N’étant plus

assez stable, elle tomba sur sa main, glissa et finit sa chute sur le sol. Liory souffla, se pencha

pour la ramasser et renouvela l’opération. La pierre s’écrasa une nouvelle fois au sol.

-Bon, étant donné que tu n’y arrive pas, je vais te laisser y travailler un peu tout seul. Ne

t’épuise pas trop. »

Vénald quitta la pièce et referma la porte. Il commença à descendre l’escalier quand une

secousse ébranla tout le couloir. Vénald perdit l’équilibre et se rattrapa à la rampe. Il remonta

les marches en catastrophe et ouvrit la porte à la volée. Liory était étendu sur le sol, un

triangle de lumière inscrit sur son front.

« Merde, le premier sceau a cédé. Je lui avais pourtant dit de ne pas s’épuiser. Quel idiot ! «

****

Liory se réveilla dans sa chambre. Sa tête était lourde et pourtant il n’avait jamais eu

l’impression d’avoir l’esprit aussi clair et libre. Vénald entra.

« -Ah ! Tu t’es enfin réveillé.

-Cela fait combien de temps que je dors ?

-3 jours.

-Quoi ? Tout ce temps ? Mais que s’est-il passé ? »

Visiblement mal à l’aise, Vénald lui répondit

« -Euh… ça arrive parfois lorsqu’ on se force trop alors qu’on est épuisé. Tu sais te lever ?

-Oui je crois.

-Très bien ! Tu devrais aller prendre l’air ça va te faire du bien après trois jours

d’enfermement.»

Liory regarda Vénald d’un air soupçonneux et s’exécuta. Le magicien avait raison, l’air frais

allait lui faire du bien. En passant à côté de lui, il essaya de croiser le regard de Vénald mais

celui-ci détournât les yeux comme si la bibliothèque était devenue soudainement très

intéressante.

4

Arrivé dans la cour, il passa devant la fontaine et entendit une sorte de chant, un son

mélodieux, clair et envoûtant. Liory s’approcha de la fontaine et le chant cessa ne laissant

autour de lui que le bruit de l’eau qui s’écoule. Son inconscience de 3 jours y était peut-être

pour quelque chose pourtant ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait, il avait déjà

entendu ce genre de chants en passant devant un arbre et il lui arrivait même d’entendre des

voix qui venaient de nulle part. A chaque fois il pensait que son imagination travaillait trop

mais cette fois-ci, il lui semblait percevoir ces sons de façon plus claire qu’auparavant.

Il releva la tête de la fontaine et vit Brocéliande en contrebas de la colline. Le château était

situé sur une grande butte qui surplombait la Forêt. Il n’avait jamais pu y aller, son père le lui

avait toujours interdit en disant que ce n’était pas bon pour lui alors qu’il était un elfe et qu’au

contraire Brocéliande était favorable au développement des pouvoirs des elfes. Chaque fois

que le roi en parlait, son ton ferme et sûr disparaissait, ne laissant qu’une voix aiguë et

tremblante.

Il vit Azalée de l’autre côté de la cour qui passait avec un paquet de linge blanc fraîchement

lavé sur les bras.

Il courut vers elle, l’attrapa par le poignet et l’entraîna dans l’angle que formait le mur

extérieur.

Elle était contre lui et elle lâcha les couvertures soigneusement pliées. Son cœur commença à

battre très fort.

« - Azalée …

-Oui ?

- Tu te rappelles m’avoir dit que tu ferais n’importe quoi pour moi ?

- Oui, bien sûr. »

Sans savoir vraiment pourquoi, la jeune fille imaginait déjà Liory lui demander un baiser. Elle

rougit et regarda au sol, attendant la réaction du garçon.

« - Alors aide-moi à m’échapper !

- Oui je…Quoi ?

- Aide-moi à quitter le château !

- Mais… Tu comptes aller où ?

- Je ne sais pas encore mais je trouverai ! S’il te plaît aide-moi ! »

Elle l’observa et remarqua qu’il la suppliait des yeux.

Elle hésita.

« -Et si le roi demande après toi ? Et si quelqu’un s’apercevait de ton absence ?

-Ils n’en sauront rien pour le moment et puis quand ils s’en rendront compte je serai déjà loin.

Je suis sûr qu’ils n’enverront personne à ma recherche parce qu’ils ont toujours souhaité que

je parte, surtout tous ces nobles qui sont persuadés que je ne suis pas à ma place ici. Et pour

tout te dire je commence à penser la même chose. J’ai toujours vécu ici mais maintenant que

j’y réfléchis, quelque chose cloche, je ne sais pas quoi mais quelque chose cloche.

- Mais … je… je ne peux pas faire ça ! Si tu t’en vas je vais me faire beaucoup de soucis et

non j’aurai trop peur qu’il t’arrive quelque chose, d’être sans nouvelles ou encore pire que

j’apprenne par ces ignobles hommes qui viennent parfois au château que tu t’es fait tuer par

des voleurs ou je ne sais qui d’autres ! »

Elle avait dit sa dernière phrase presque en criant, les larmes coulant sur ses joues.

« Il ne m’arrivera rien, je te le promets. »

Il sécha ses larmes du bout de ses doigts et la prit dans ses bras. Elle le serra très fort contre

elle comme si elle voulait toujours se rappeler du contact de son corps contre le sien et de son

odeur puis d’un coup elle s’écarta.

«- D’accord, attends un instant je reviens. »

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Elle partit presque en courant vers les cuisines et revint quelques minutes après avec, dans une

main, un sac à dos contenant du pain, du fromage, du vin et de la viande séchée en quantité

suffisante pour 2 jours, et dans l’autre une cape de voyage grise. Elle le tira par la main le

long des murs et l’emmena au bout de la propriété, dans un petit jardin un peu moins bien

entretenu que le reste. Quelques mauvaises herbes et certaines plantes commençaient à

devenir sauvages, poussant en travers du chemin de graviers. Elle regarda autour d’elle pour

s’assurer que personne ne les suivait et l’emmena encore plus profondément entre les buissons

et les arbres. Bientôt on ne distinguait plus le chemin de graviers, juste de denses branchages.

« -Voilà, je ne peux pas aller plus loin parce que si je m’absente trop longtemps, quelqu’un va

remarquer que je suis partie. Ecoute. Continue de suivre le chemin et tout au bout tu trouveras

un mur de briques. Une porte y est dissimulée. Passe ta main sur la pierre et tu trouveras

l’entrée.

Elle soupira.

-Je sais que pour toi c’est très important alors je ne dirai rien à personne mais… je voudrais

que tu fasses attention à toi d’accord ? Tu me le promets ?

-Oui, bien sûr, je te le promets !

- Bien…Ah oui ! Quand tu sors, prends à gauche et continue sur cent mètres, tu atteindras une

écurie. Là il y aura un cheval du nom de Jewlal. Ton père devait te l’offrir pour ta majorité. Si

tu l’appelles il viendra à toi. »

Il était sur le point de partir quand elle le retint par la manche de sa tunique.

« Attends ! »

Il se retourna et la regarda avec un air interrogateur.

« Je …, enfin, je… donne moi de tes nouvelles d’accord ?

Il lui sourit et partit.

« Quelle idiote je fais, j’aurai dû lui dire »

Elle se retourna, et partit récupérer son linge.

****

Liory s’avança doucement le long des buissons et regarda à l’intérieur. Il ne voyait plus rien,

tout était noir autour de lui, il ne distinguait même plus ses propres pieds puis il cogna

violemment sur quelque chose de très dur. Une douleur s’installa dans sa boite crânienne et

envahit son esprit au point de ne plus savoir réfléchir. Les larmes lui montèrent aux yeux. Sa

vue se troubla un instant. Il tendit ensuite la main devant lui et tâtonna ce qui ressemblait à un

mur.

« Le mur de briques ! » pensa-t-il et il commença à laisser sa paume glisser le long du mur,

essayant de trouver la sortie. Rien ne se produisit. Après quelques minutes, il commença à

s’énerver.

« Mais où est cette porte ? »

Comme si le mur l’avait compris, les briques s’écartèrent sur la sortie. La lumière de

l’extérieur l’aveugla. Il mit un peu de temps à s’y accoutumer puis il avança vers sa liberté.

Il se glissa à travers l’embrasure de la petite porte puis le sol, sous ses pieds, s’affaissa laissant

place à une énorme pente au milieu des bois. Il glissait tellement vite qu’il n’arrivait pas à

s’arrêter, heurtant au passage feuilles et branches d’arbres. Il termina sa chute sur le sol. Liory

se releva avec peine, une légère douleur dans le bras droit. Il releva les yeux et vit que la pente

qu’il venait de dévaler faisait au moins dix mètres. Il n’avait jamais remarqué que la butte sur

laquelle avait été construit le château était si haute et ses pentes si raides. Il jeta un dernier

regard aux tours et aux drapeaux flottant à leurs sommets et ferma momentanément les yeux

comme pour imprimer cette image dans sa tête. Il tourna à gauche et longea la pente jusqu’à

arriver à une petite cabane. La porte, grande ouverte, tombait de ses gonds et une demi-

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douzaine de chevaux était en train de paitre. Il s’approcha doucement de la première monture

et lui caressa l’encolure. Le cheval s’ébroua et trotta plus loin où il recommença à paitre.

Liory chuchota le nom de Jewlal et un cheval bai s’avança. Il avait une liste blanche qui

courait de son front à ses naseaux. Ses yeux noirs et brillants observaient Liory avec intensité.

L’elfe avait presque l’impression que l’animal allait se mettre à parler.

Le cheval donna quelques coups de museau à Liory puis s’éloigna en direction des selles et

des brides. Bien qu’il n’ait jamais fait ça et que le temps lui était compté, il décida de brider et

seller son cheval, laissant son instinct le guider pour savoir comment attacher les boucles ou

comment allonger les étriers.

Liory fut surpris de constater qu’il ne s’en sortait pas trop mal. Après avoir soigneusement

attaché son sac à sa selle et après avoir mis sa cape sur son dos, il monta Jewlal. Ne sachant

que faire, il donna un coup bref dans les flancs du cheval qui partit au galop plus vite que

n’importe quel équidé que l’elfe avait aperçu dans la cour du château. Liory manqua de

glisser de son flanc et s’agrippa à sa crinière à la dernière minute. Un peu maladroit, il

s’installa du mieux qu’il pouvait pour essayer d’avoir une bonne assiette. Il attrapa ensuite les

rennes qu’il garda abattus pour laisser le cheval le guider. Liory voyait distinctement la forme

de ses muscles puissants qui se contractaient pendant sa course. Il gardait le regard fixé sur le

dos de Jewlal mais prenant confiance il se redressa doucement

Liory regarda autour de lui et vit des licornes courir entre les arbres. Elles se rapprochèrent

dans leur course et bientôt elles couraient en même temps que le cheval, tout autour de lui.

Liory se pencha et réussi à en effleurer une. Elle releva la tête et lui mordilla affectueusement

la main. Il sourit puis il distingua la lisière est de Brocéliande. Les licornes ralentirent et

stoppèrent juste à la limite de la forêt pendant que Jewlal continuait emportant dans sa course

des feuilles mortes. Les licornes restèrent sur la lisière un moment comme si elles regrettaient

que cette course doive s’arrêter, puis elles firent demi-tour et repartirent en sens inverse, plus

rapides que l’éclair.

Après un moment, Liory cria « Tu peux stopper, je crois que nous sommes assez loin

maintenant ! »

Jewlal ralentit pour passer au pas puis se stoppa dans une prairie, à côté d’un petit ruisseau,

baigné par la lumière du Soleil qui commençait à décliner.

Liory mit pied à terre et caressa l’encolure du cheval. Il était chaud mais ne transpirait presque

pas. L’elfe avait terriblement faim et se dirigea vers un buisson de baies comestibles. Il en

mangea beaucoup jusqu’à se donner mal au ventre. Il se retourna vers Jewlal et le vit occupé à

se restaurer à sa manière, broutant l’herbe verte et juteuse de la clairière.

Il se coucha et observa les étoiles. C’était la première fois qu’il quittait Boryiel. Il réfléchissait

à l’endroit où il allait aboutir se rappelant des cours de géographie de Vénald et il sut qu’il

allait arriver à Merenir, une ville d’hommes. Son nom en elfique, Mareandil, voulait dire

cachée. C’était la seule ville d’hommes qui bordait la forêt de Brocéliande car d’habitude les

Hommes n’osent pas s’y aventurer à cause de la magie qui y règne.

Il ferma les yeux, laissant son esprit divaguer. Il pensa à beaucoup de choses et s’endormit

l’esprit torturé par des remords pour avoir abandonné Azalée.

****

Le roi Aerendil était assis sur son trône entouré par ses conseillers.

Il s’agissait d’un homme de grande taille aux cheveux bruns parsemés de quelques mèches

grises. Il était assis sur son trône. Sa couronne était fine et dorée et reposait sur ses cheveux. Il

ne portait aucune barbe ni moustache, il avait le visage aussi imberbe qu’un jeune homme. Il

se tenait droit et inspirait l’autorité et la droiture.

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L’un de ses conseillers, le plus vieux, s’avança :

« -L’heure est grave Majesté, le prince Liory s’est échappé et, ce, sans savoir quels risques il

prend.

- J’aurai dû lui avouer ce qu’il était vraiment.

-Oui Majesté mais alors il serait partit plus tôt à la recherche de ses parents disparus et surtout

à la recherche de l’origine de ses pouvoirs.

-Vous avez raison, je pense que le mieux est qu’il ne sache rien et qu’il apprenne quel est son

identité par lui-même. J’espère qu’il va bien.

- Si nous relisons la Légende peut-être que nous allons y trouver un indice non ?

-Si vous le dites…

-« A l’aube du Neuvième Jour d’Hiver, un jeune garçon aux pouvoirs exceptionnels naîtra. Il

devra choisir son camp. Si le Bien le fait Héro, il vaincra mais si le Mal le fait Chevalier, il

sera l’Ennemi le plus puissant que le Royaume n’ait jamais connu. Pour vaincre les forces des

Ténèbres, il devra combattre car il est la seule arme que possède le Bien. »

- Le problème est que ça ne nous dit rien… Continuez.

- « Il portera la marque de la souffrance sur le corps et celle de la tristesse dans le cœur. La

solitude sera sa seule compagne. L’Epée de la Destinée apparaitra si la maitrise s’avère

totale.». C’est pourquoi il est en danger, si une personne mal attentionnée s’emparerait de son

esprit, ce serait terrible ou pire encore, si le Maitre des Ténèbres s’en empare, ce sera notre fin

à tous.

- Mais il ne sait pas où se trouve Liory pour l’instant

-Oui mais nous non plus. Il faudrait que quelqu’un le retrouve et l’emmène loin d’ici.

- Vous proposez de l’envoyer où exactement ?

- Je pensais, si je peux me permettre, dans les Terres Nordiques.

- Les Terres Nordiques ? Chez les Cryianes ?

- Exactement.

Vénald qui jusque là écoutait en silence, s’avança.

« - Je peux peut-être vous aider. Je le connais bien ce petit. Il ne s’en sortira pas tout seul

même s’il apprend à maitriser ses pouvoirs. Il a besoin d’une éducation et de discipline sinon

il n’y arrivera jamais.

-Comment allez-vous faire pour l’approcher sans qu’il vous soupçonne de vouloir le

ramener ? »

Vénald sourit.

« -Je sais beaucoup de choses sur lui qu’il ignore et puis je suis un magicien, je pourrai user

de ma magie pour le mettre en confiance sans qu’il s’en rende compte Il n’a même pas encore

atteint le stade d’apprenti magicien. » Ajouta-t-il avec moquerie.

« - D’accord mais dépêchez vous car si vous êtes capable de le mettre en confiance avec votre

magie, n’importe qui peut le faire ! »

Vénald s’inclina et sortit de la salle du trône, sa cape glissant derrière lui, Gwyr voletant à sa

suite.

****

Cela faisait deux jours maintenant que Liory avait quitté Boryiel.

Chevauchant à travers les campagnes, il avait traversé Merenir sans trop de difficultés. Il

s’était juste fait aborder par un pauvre qui lui demanda l’aumône et à qui Liory offrit un gibier

chassé dans la forêt.

Liory laissait Jewlal le conduire dans les grandes plaines qui entouraient les terres des Elfes.

En levant les yeux au ciel, il aperçu au loin une sorte de dragon qui volait assez haut entre les

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nuages. De peur de ce que cet animal pouvait être et aussi par curiosité, il stoppa son cheval et

se déplaça jusqu’à un rocher où il fit coucher sa monture pour que personne ne les repère pas.

Il s’accroupit et observa cet étrange dragon de couleur du Bronze survoler la plaine. L’animal

était monté par un cavalier portant une armure rouge, un tabart blanc et une épée couleur du

sang qu’il gardait à la main.

« Je vois que tu as fait la découverte de l’existence des Shari’a ! »

Liory sursauta et tomba assis au sol. Il tourna la tête et vit Vénald juste derrière lui.

« - Comment avez-vous… ?

-Ce n’est pas parce que je suis un homme que je ne peux surprendre un elfe, avoir passé

autant d’années à vos côtés m’a donné une certaine discrétion. »

Il sourit puis leva les yeux et attendit que le Shari’a s’éloigne. Il baissa ensuite le regard et

voyant l’expression incrédule de Liory, éclata de rire.

Son sourire s’éteint et son visage prit une expression soucieuse.

«- Je t’ai enfin retrouvé. Ton père s’inquiète beaucoup pour toi »

Liory ne savait pas quoi répondre, il baissa les yeux puis tourna le dos au magicien pour

observer la créature qui s’éloignait.

«- Les Shari’a sont des Elfes au service du Maître des ténèbres, dit Vénald comme pour

changer de sujet.

« -Ce sont eux qu’on surnomme les Frères Noirs ? » demanda Liory.

Vénald observa un moment sans rien dire le cavalier qui disparut entre les nuages puis il posa

à nouveau ses yeux sur Liory.

« -Viens. »

Il dépassa le rocher et se dirigea vers les quelques arbres qui étaient présents dans cette vaste

étendue.

Il s’assit à l’ombre de l’un d’eux et sortit une pipe qu’il bourra et alluma.

Il tira un long trait puis regarda Liory qui restait debout sans rien dire.

« -Assieds toi, j’ai à te parler »

Liory vit une lueur de tristesse passer dans les yeux de Vénald juste avant qu’il reprenne son

air impassible coutumier le même que lorsqu’il parlait de choses sérieuses ou importantes.

Liory s’assit.

Vénald garda le silence pendant un moment puis il soupira et baissa sa pipe vers le sol.

« -Liory, il faut que je t’explique quelque chose et je te demanderai de ne pas m’interrompre,

d’accord ? »

Liory opina.

« -Bon, je vais commencer par le début. Il y a quarante ans, les Hommes, les Nains et les

Elfes se sont unis pour combattre le Maître des ténèbres qui attaquait certains villages à la

frontière des Terres Rouges avec une armée de Banshees, de Gobelins, de Géants, de Krulls et

d’autres créatures vivant dans les Terres Rouges ou dans les Lointaines Forêts Noires du

Nord. Je combattais déjà alors que je n’avais pas encore atteins la vingtaine car on avait

besoin de tous les magiciens disponibles, apprentis ou expérimentés, dans les lignes. J’ai fait

la connaissance de beaucoup d’Elfes et Nains avec qui je garde le contact car il est connu que

la présence de la mort si proche de nous crée des liens entre ceux qui subissent le même

sort. »

Il fit une pause, soupira encore une fois. Il ne savait pas comment exprimer ce qu’il avait à

dire. Il reprit.

« - Au départ les deux armées étaient à peu près à égalité, on perdait une bataille mais on en

gagnait une le lendemain mais après dix ans de lutte acharnée, on était en mauvaise posture

sur à peu près tous les fronts, chaque fois qu’on tuait des ennemis, d’autres arrivaient encore

plus nombreux qu’avant, on aurait dit que Son armée était inépuisable. On était tous fatigués,

blessés, la nourriture commençait à manquer, les conditions d’hygiènes étaient plus que

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déplorables, on a commencé à perdre espoir. Puis, un magicien a fait son apparition,

quelqu’un que personne ne connaissait. Il a repoussé les forces ennemies avec sa magie, une

magie basée sur les éléments de la nature et sur la force de l’esprit. On n’avait jamais vu

magie de cette sorte dans notre monde. Il se sacrifia pour nous sauver tous mais avant de

mourir il lança un sort qui permit à ses pouvoirs de se réincarner pour nous aider même quand

il ne serait plus là. On a gagné la guerre mais les pouvoirs n’ont jamais été retrouvés. Certains

disent qu’ils se sont perdus dans le Néant, d’autres qu’ils feront bientôt leur apparition dans

un autre corps pour nous sauver tous. Ils disent qu’apparaitra une réincarnation du…

Liory l’interrompit.

-Je sais que vous aimez me raconter vos histoires de jeunesse mais je n’ai pas le temps

d’écouter les récits à dormir debout d’un vieux magicien. Je m’en vais, j’ai d’autres projets en

tête. »

Il se leva puis retomba assis sous l’effet d’une force étrangère.

« -Attends la fin de mon histoire, je suis sûr que ça t’intéressera. »

Il marqua une pause comme pour être sûr que Liory l’écoutait puis continua :

« -Comme je disais on n’a pas retrouvé les pouvoirs du Magicien Bleu, personne ne savait où

ils se trouvaient jusqu’à l’apparition d’une prophétie qui dit qu’au neuvième jour d’hiver, un

enfant naîtra avec des pouvoirs exceptionnels. Il portera la marque de la souffrance sur le

corps et celle de la tristesse en son cœur. »

Vénald stoppa pour regarder la réaction du jeune elfe. Liory qui jusque là regardait le sol en

dessinant dans la terre avec une petite branche, arrêta son geste et releva lentement la tête en

regardant Vénald dans les yeux.

Le magicien sourit : « -Je t’avais dit que ça t’intéresserai.

- Pour tous les magiciens du royaume il était clair que cet enfant recevrait les pouvoirs du

Magicien Bleu qu’il serait sa réincarnation.

Quelques semaines plus tard, Yona, une elfe, et son mari Argen, un magicien respectable,

vinrent me trouver pour que je les aide car l’enfant possédant ces pouvoirs était le leur. On

savait tous trois que si ça se savait, toutes sortes d’êtres vils et envieux allaient le rechercher

pour s’approprier les pouvoirs du Magicien et c’est pourquoi je décidai, pour la sécurité de

l’enfant et du royaume, de l’amener loin du tumulte des guerres et des ennemis dans l’endroit

le plus calme que je connaissais : Brocéliande. J’ai traversé toutes les Grandes Terres à pieds

avec l’enfant pour éviter de me faire repérer. Arrivant dans Brocéliande, j’y ai rencontré le roi

Aerendil à qui la reine n’avait pas encore pu donner d’enfant. Je lui ai donc confié le

garçon. »

Contrairement à la réaction à laquelle s’attendait Vénald, Liory se leva monta sur son cheval

et s’enfuit.

Vénald resta seul un moment à regarder Liory partir puis il fut rejoint par Gwyr.

« -Il l’a mal pris, laissons le seul un moment »

Gwyr se tourna et ronronna, le regardant de ses yeux d’ambre.

« -Ne t’inquiète pas Gwyr ! On gardera un œil sur lui. »

****

Liory galopait à travers la plaine, des larmes de rage coulaient sur ses joues. Il demanda à

Jewlal de s’arrêter quand il estima être à une assez bonne distance de Vénald. Il avait toujours

su que personne ne l’aimait mais de là à se dire qu’il avait été adopté ! Une rage

incompréhensible l’envahit. Une colère contre ces parents qu’il n’avait pas connu, une colère

surtout due à sa solitude. Malgré cette incompréhension, il ne voulait pas chercher à savoir

pourquoi. Il avait l’impression que s’il apprenait la raison pour laquelle ils l’avaient

abandonné, cette nouvelle lui ferait tellement mal qu’il en mourrait. Il sauta de cheval et

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tomba à genoux dans la poussière, les yeux tellement pleins de larmes qu’il voyait flou. Un

mal de tête fit son apparition comme si une dague lui transperçait les tempes. Trop de larmes

sans doute.

« Je ne veux pas savoir !!! Je les hais ! Je… »

Il hoqueta. Sa rage l’empêchait de formuler ses mots. Il sécha ses larmes et s’allongea. Il

ferma les yeux et tenta de calmer son esprit. Il respira profondément.

Il était sur le point de se calmer quand il entendit un battement d’aile au dessus de lui. Il

rouvrit les yeux et chercha du regard l’animal qui pouvait être la source de ce bruit. Il entendit

un cri strident à la verticale au dessus de lui et quand il leva son regard au ciel il remarqua que

le soleil était presque couché. Puis il vit Gwyr qui volait en cercle au dessus de lui en

descendant doucement à chaque tour comme un vautour attendant la mort de sa proie.

Gwyr se déposa sur une branche d’un arbre et replia ses ailes.

« -Ah c’est toi ! »

La rage et la peine de Liory se transformèrent en mauvaise humeur.

« -Tu m’as fait peur, je pensais qui c’était encore un de ces Shari’a !

-Ca aurait pu… »

Liory se retourna et vit Vénald.

« -Pourquoi vous me suivez ? Vous m’avez dit ce que vous vouliez me dire alors laissez moi

tranquille maintenant ! » Il avait le dernier mot presqu’en criant.

Il tourna le dos à Vénald et regarda le soleil se coucher.

« -Tu ne veux pas savoir la suite de mon histoire ? »

Liory grogna.

Vénald pris cette réponse pour un oui et continua :

« -Je suis resté auprès de l’enfant pour être sûr qu’il resterait en sécurité mais un jour, alors

que le roi l’avait laissé jouer dans les bois avec les autres elfes, il est sortit de la forêt et s’est

approché trop près d’un village. Il fut blessé par un soldat espion des Shari’a, seulement la

lame utilisée était empreinte de poison, une lame magique qui plus est, alors la blessure ne

guérit jamais complètement. Ses parents me rejoignirent peu de temps après l’incident, me

disant qu’ils avaient poursuivi un espion jusqu’ici et qu’ils craignaient pour la vie de leur

enfant. Je les ai rassuré puis j’ai guérit la blessure de celui-ci, enfin, je l’ai guérie en surface.

L’enfant pouvait déjà se lever et bouger alors il courut en dehors du château pour rejoindre

ses parents qui s’apprêtaient à repartir et cela avant même qu’on ait pu le rattraper et quand je

suis arrivé dehors, il était debout dans la plaine qui borde Merenir, devant Yona et Argen,

massacrés. Personne n’a vraiment vu ce qu’il s’était passé, certains ont parlés d’une « Ombre

Maléfique ». On n’a jamais retrouvé le meurtrier. »

Vénald, les larmes aux yeux, baissa son regard au sol. Il remarqua un mouvement de la part

de Liory et releva instantanément la tête, frottant son visage avec sa manche pour dissimuler

ses larmes.

Liory avait le bras plié dans son dos, il passait sa main sur la cicatrice qui balafrait sa peau de

son omoplate gauche jusqu’au bas de son dos, il l’avait toujours eue du plus loin qu’il puisse

se rappeler.

« -Un enfant portant la souffrance sur le corps et la tristesse en son cœur…

- Oui Liory il s’agit de toi ou plutôt devrais-je t’appeler Erwan, c’est comme ça que ta mère

voulait qu’on t’appelle. »

Erwan tomba à genoux, son mal de tête s’accentuant soudainement. Des images se

succédaient dans son esprit mais il n’arrivait pas à les distinguer. La douleur lui transperçait

les tempes. Ça lui faisait tellement mal qu’il criait de toute la force de sa voix.

Il entendit Vénald crier son nom mais la douleur prit le dessus et il ne vit plus rien, les larmes

lui montaient aux yeux, il n’entendit plus aucun son puis il perdit connaissance et s’effondra

sur le sol.

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****

Des souvenirs lui revenaient en vrac : une conversation avec Vénald, son arrivée au château,

sa rencontre avec son beau père, la première fois qu’il vit Azalée et puis les images

s’effacèrent petit à petit, laissant place à un décor sombre et désolé. Il faisait noir, le vent

soufflait faisant grincer les branches des arbres. La nuit était tombée et la lune était pleine.

Les feuilles mortes virevoltaient en une danse au gré des bourrasques. Erwan regarda autour

de lui et vit sur le sol deux êtres, un homme et une elfe à en croire leur apparence. Ils étaient

allongés sur le sol. Leurs bras et leurs jambes formaient des angles bizarres. Ils étaient

couverts de sang mais l’elfe avait un visage si paisible qu’on aurait dit qu’elle dormait. Elle

était très belle. Ses cheveux noirs et ondulés tombaient en cascade sur ses épaules tandis que

l’homme, au contraire, avait des cheveux lisses et blonds jusqu’à ses épaules. Ils étaient

ramenés en arrière par un ruban et étaient collés par la saleté, la transpiration et le sang qui

s’écoulait de son crâne. L’homme avait encore son épée en main, il était mort en combattant.

Erwan s’avança et essuya les goutes de sang qui maculaient le visage de sa mère.

Il sentit quelque chose de chaud et mouillé couler le long de ses joues, il y porta sa main et vit

un liquide cramoisi puis l’image de ses parents disparut et une silhouette vêtue d’une grande

cape noire brillante et d’un capuchon apparut, Erwan ne distinguait pas ses traits. Elle leva

une main étrange, blanche comme la mort, d’en dessous de sa cape et la tendit vers Erwan

qui, désemparé, reculait en rampant, ne sachant pas détacher son regard de la créature. Sa voix

raisonna dans sa tête, une voix caverneuse et inhumaine « Viens à moi ! Je te les rendrai, tu

pourras être heureux, viens à moi !».

Erwan se réveilla en sursaut. Il était allongé sur un tas de couvertures, quelqu’un, sûrement

Vénald, lui avait enlevé sa chemise pour dormir.

Sa tête était lourde. Il la soutint avec sa main et sentit un bandage sur son front. La violence

avec laquelle il avait heurté le sol lui avait ouvert le front. Il se souvint de son mal de tête et

puis de ce rêve étrange.

Il se redressa sur sa couchette improvisée. Il remarqua l’absence de Gwyr mais ne voulant pas

adresser la parole au magicien, il ne fit aucun commentaire.

Vénald était assit à côté d’un feu et faisait cuire ce qui semblait être un ragout de lapin.

Le fumet ouvrit l’appétit de l’elfe mais il ne bougea pas.

« -Tu te sens mieux ?

- Oui. »

Sa réponse brève témoigna de son malaise.

Erwan ne savait pas comment se comporter maintenant avec Vénald, il l’avait toujours

considéré comme un vieux magicien ennuyeux et maintenant il apprenait qu’il en savait plus

que lui sur sa propre existence.

Contre toute attente c’est Vénald qui engagea en premier la conversation.

« Il arrive que l’esprit refoule des souvenirs trop douloureux à supporter. Les retrouver peut

parfois faire mal aussi bien mentalement que physiquement. »

Le magicien se tut, attendant une réaction du jeune homme.

« Que dois-je faire ? »

Vénald parut surpris par la question puis il sourit.

« -Il faut se battre. Tu sais le monde n’est pas tout rose, dans la vie il faut se battre pour

obtenir ce que l’on souhaite et si tu veux pouvoir vivre tranquillement tu devras

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obligatoirement passer par des moments désagréables ; apprendre à te battre, à contrôler ton

pouvoir, …

Et pour cela il faut que nous partions dans un endroit où tu pourras t’entrainer pour devenir

plus fort et où tu pourras apprendre à contrer les sorts de magie noire. Je ne sais pas si tu l’as

compris mais ton destin est tout tracé. Il te faudra affronter le Maitre des Ténèbres. Les Dieux

en ont voulu ainsi nous ne pouvons rien y faire. Tu dois accepter ta voie et donner tout ce que

tu as pour faire de ton mieux. »

Le jeune elfe regarda autour de lui puis se leva brusquement :

« -Où est Jewlal ? Aïe !

-Calme toi et recouche toi sinon tu vas rouvrir ta blessure. Jewlal va bien, je l’ai attaché un

peu plus loin. Comme ça si quelqu’un nous surprend, on peut espérer qu’il ne le voie pas

sinon on risque de mettre beaucoup plus de temps que prévu pour aller où je dois te conduire.

- Qu’est-ce que vous êtes prévoyant…Décidément j’ai encore beaucoup à apprendre de

vous ! »

Vénald lui tendit une écuelle pleine de ragout de lapin.

« - Tiens mange !

-Merci beaucoup ! »

Erwan engloutit sa part à une telle vitesse que Vénald en rit joyeusement.

« - Allez maintenant dors un peu, demain il faudra chevaucher assez longtemps.

-Maitre ?

- Hum ?

- Vous voulez m’emmener où exactement ?

- Je ne peux pas te le dire pour le moment désolé.

- Pourquoi ? »

Vénald s’approcha du jeune elfe et lui tapa gentiment sur la tête.

« - Parce que tu n’as pas encore la force d’esprit nécessaire pour résister à un interrogatoire.

Si quelqu’un pénètre dans ton esprit il pourra aisément savoir où nous allons et je n’ai pas

envie d’avoir un comité d’accueil juste avant d’arriver. La seule chose que je peux te révéler

est l’endroit où nous allons arriver demain soir.

- Ah oui ? Et où va-t-on arriver ?

- On sera en plein dans la forêt qui borde les flancs de la montagne Irai. »

Les yeux d’Erwan s’agrandirent.

« -La montagne maudite…

- Oui nous sommes obligés de passer par là, si nous la contournons, nous tomberons à cours

de nourriture. Il n’y a rien à manger à des kilomètres à la ronde. Nous devons nous réjouir

d’avoir déniché un lapin, aussi maigre qu’il soit. Dans la forêt nous trouverons bien quelque

chose à manger, je ne te garantis pas cependant que le repas sera chaud tous les soirs ! Il ne

faut pas oublier qu’un feu peut attirer n’importe qui.

-J’ai un peu de viande séchée et de pain. »

Le magicien lui lança un regard surpris.

« J’ai l’impression que tu as eu un complice ou plutôt devrais-je dire une complice. »

L’elfe baissa les yeux, honteux d’avoir entrainé Azalée là dedans.

« Enfin bon c’est déjà ça. Maintenant dors, tu en as besoin. »

Erwan remarqua que malgré son évanouissement, il était effectivement fatigué. Il souhaita

bonne nuit à Vénald et s’enroula dans sa cape.

****

Le lendemain matin, Vénald réveilla Erwan en le secouant un peu. Voyant que l’elfe se

retournait sans même prêter attention au magicien, il lui donna un coup de pied. Erwan se leva

d’un coup en criant.

« - Aaaahhh !! Pourquoi vous avez fait ça ?

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-Je suis désolé mais tu ne te levais pas.

- Et depuis quand on se lève quand il fait encore nuit ?

- C’est le matin je te signale ! »

L’elfe regarda autour de lui.

« Ah ! Euh…désolé. »

Vénald pouffa.

« - Bon dépêche toi de te préparer, on part dans peu de temps.

Erwan se redressa doucement et le suivit.

L’elfe entreprit de seller son cheval et puis il se tourna vers Vénald.

« - Comment est-ce que vous allez faire puisque vous n’avez pas de monture ?

- Ne t’inquiète pas, j’ai ce qu’il faut. »

Le magicien siffla et après quelques minutes, Erwan distingua un bruit de sabot martelant le

sol. Un cheval noir fit son apparition.

« - Je pensais que vous étiez venu jusqu’ici à pieds !

-Il ne faut pas exagérer ! Je ne suis plus tout jeune et puis je voulais voir la tête que tu ferais.

Et oui le mythe s’effondre hein ? Tu as devant toi la raison de la rapidité Légendaire de

Vénald le Magicien ! »

Il rit de bon cœur.

« - Arrêtez de vous moquer de moi !

-Oh je ne me moque pas de toi mais qu’est-ce que tu es crédule ! »

Le magicien rit de plus belle jusqu’à en avoir les larmes aux yeux.

Ils montèrent sur leurs chevaux respectifs. Vénald avait arrêté de rire mais il n’arrivait pas à

s’en empêcher à chaque fois qu’il repensait à l’expression de surprise de l’elfe. Ils traversèrent

ainsi les Grandes Terres, Vénald passant son temps à taquiner un Erwan grognon qui préférait

ne rien dire pour ne pas donner plus de raisons au magicien d’encore rire de lui. Durant leur

voyage, Vénald apprit aussi à Erwan à contrôler ses pouvoirs et lui racontait des événements

passés comme la guerre entre le Maître des ténèbres et les autres peuples ou des petites

anecdotes qui lui étaient arrivées.

Ils rencontrèrent entre autres un ou deux trolls et gobelins que l’elfe combattit pour se rôder

au contrôle de ses pouvoirs. Il s’aperçut que ce n’était pas chose aisée malgré le fait que les

trolls soient des créatures extrêmement bêtes et faciles à battre. En arrivant près de la

montagne, Erwan remarqua une grande forêt qui s’étendait autour de celle-ci. Le feuillage des

arbres était sombre, vert foncé tendant vers le noir. La forêt, dense, ne laissait passer aucune

lumière à travers ses branchages.

Ils arrivèrent à la lisière de la forêt et Vénald fit un signe de main pour dire qu’il fallait

s’arrêter.

« Bon, il faut que je te dise quelque chose sur cette forêt. C’est la forêt de Krönen, tu dois

toujours rester sur tes gardes quand nous seront à l’intérieur, c’est ici que vit le peuple des

Shari’a entre autres. Il n’y a pas beaucoup de guerrier car le Maitre des ténèbres rassemble ses

troupes, il y a seulement des femmes, des enfants et quelques gardes mais il faudra essayer de

ne pas se faire repérer d’accord ? »

Erwan fit un signe de tête approbateur et Vénald descendit de selle. Il déchira quelques bouts

de tissus qu’il attacha autour des sabots du cheval pour couvrir le bruit de leur avancée et dit à

Erwan de faire de même.

Une fois toutes les précautions prisent, ils entrèrent dans la forêt par un chemin assez dégagé.

Ils allèrent au pas et, prudents, regardaient autour d’eux. L’elfe était très méfiant car son père

adoptif lui avait souvent répété que les Elfes Noirs étaient experts en matière de camouflage.

Il tournait la tête sans cesse mais ne voyait ni n’entendait rien. Il y avait un silence de mort.

Contrairement à Brocéliande où la bonne magie imprégnait chaque arbre, où le soleil berçait

ses habitants de ses rayons protecteurs et où chaque créature vivait tranquillement, de

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l’écureuil à l’ours en passant par des créatures dites de légendes comment la Licorne ou le

Qilin, Krönen avait un air lourd, empreint de mauvaise magie, endroit idéal pour rencontrer

un basilic. Cette magie engourdissait l’esprit d’Erwan, il sentait qu’il s’endormait mais il

n’arrivait pas à lutter contre cet effet. Une sorte de brouillard entrait dans son esprit et

l’empêchait de se souvenir de ses formules magiques et même de ses souvenirs de

Brocéliande. Jewlal continuait à avancer puis il s’arrêta et se coucha pour pas que l’adolescent

ne tombe de trop haut. Vénald entendit un bruit étouffé alors il arrêta sa monture et se

retourna, Erwan était allongé au sol. Vénald descendit de cheval, s’agenouilla à côté de lui et

le prit dans le creux de ses bras. Il commença à réciter plusieurs formules magiques à voix

basse. Erwan ouvrit doucement les yeux puis

Vénald lui dit calmement : « Ca fait toujours ça la première fois qu’on pénètre ici. J’avais

oublié de te prévenir, les Shari’a n’aiment pas trop la présence de la bonne magie dans leur

forêt, ils ont dût te repérer. Relève-toi on doit partir au plus vite. »

Erwan se leva avec peine, il avait mal aux muscles comme si il avait couru des heures sans

s’arrêter. Il remonta en selle et suivit Vénald qui talonna sa monture et partit au galop entre

les arbres.

Erwan remarqua des mouvements sur leur gauche sans pour autant distinguer ce qu’étaient

ces créatures. Il talonna sa monture à son tour et suivit Vénald entre les arbres, essayant

d’éviter l’un ou l’autre branche sous peine d’être assommé. Après plusieurs minutes qui lui

parurent une éternité, Vénald revint au trot puis au pas.

« - Je crois que nous les avons semé…

-Je ne pense pas, j’ai un mauvais pressentiment… »

-Bien, je te fais confiance. Continuons ! »

Ils se remirent en route et une drôle de créature se jeta en travers de la route, Jewlal fit un

écart et Erwan se heurta à une branche basse.

Des petits points lumineux dansèrent devant ses yeux, puis une grande masse s’abattit à

l’arrière de son crâne et tout devint noir.

Une fois encore il rêva du meurtre de ses parents et de cet créature en cape noire mais cette

fois-ci il n’éleva pas la main d’en dessous de sa cape, il s’avança vers Erwan, on aurait dit

qu’il flottait puis il sortit une grande épée lumineuse. Il s’approcha de lui, essayant de le

transpercer de sa lame. L’elfe chuta et la lame s’abattit lentement, comme au ralentit. Erwan

se cacha le visage de ses bras puis le décor s’atténua petit à petit autour de lui. Il entendit une

voix s’élever de quelque part, il n’aurait pas su dire d’où : « Qu’êtes-vous venu faire ici

magicien ? »

La voix était grave et dure.

Vénald répondit : « Nous sommes en voyage.»

Ses paroles se détachaient comme si il était essoufflé et qu’il avait du mal à respirer.

Les Ténèbres qui envahissaient l’esprit d’Erwan se dissipèrent un peu mais restèrent assez

présentes. Il avait dû être drogué.

Il releva la tête et remarqua qu’il était enchaîné à un arbre à même le sol. Il se trouvait à côté

d’une hutte en bois grossièrement faite. Le toit était construit avec des branchages coupés et

placé simplement sur une charpente de bois. Les branches étaient nouées aux charpentes du

toit avec ce que ressemblait visiblement à des poils d’animaux tressés.

La hutte se trouvait dans une clairière éclairée par la lumière de la Petite Lune. Heian, la

Grande Lune, était en train de se lever. On ne savait apercevoir Heian que certaines nuits tous

les 4 ans.

L’elfe tourna la tête et vit Vénald debout, les bras attachés au dessus de sa tête par des cordes

solides qui lui lacéraient les poignets, il était de dos et des marques luisantes et rouges

zébraient son dos. Du sang coulait entre ses omoplates pour finir dans le rebord de son

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pantalon. Erwan n’aurait su dire combien de temps il était resté inconscient. Il leva le regard

vers le ciel.

« Il fait sombre… mais il fait toujours sombre ici… » Pensa-t-il, ne pouvant se fier à la clarté

du jour pour déterminer l’heure.

« Dis-moi la vérité magicien ! »

Surpris, Erwan tourna la tête vers celui qui avait parlé. Il était grand et ressemblait assez fort

aux elfes. Il avait des cheveux noir encre et une peau bleutée. Il était habillé d’une tunique

simple qui lui cachait le bassin. Il possédait une dague au bout recourbé dans sa ceinture et un

fouet en main.

Erwan sentit quelqu’un lui tirer la tête en arrière. Un Homme lui tira les cheveux et s’écria

« Celui-ci c’est réveillé ! »

Alors le Shari’a se tourna vers Erwan et s’accroupit devant lui.

« Ainsi tu es Liory, le Prince des Elfes ! Ou plutôt devrais-je t’appeler Erwan ?

D’un ton ironique il reprit : Que fait Sa Majesté si loin de ses terres ? »

L’homme ricana.

Le Shari’a approcha son visage de celui de l’elfe et tout en lui frôlant le cou avec sa dague

dit : « J’ai adoré tuer tes parents ! Si tu les avais vus essayer de se défendre ! Ta mère était

une piètre magicienne comparée aux pouvoirs que le Maître des Ténèbres m’a cédés ! Et ton

père ! Avec son épée, il n’a même pas réussi à m’effleurer ! »

Puis il sourit révélant des dents presque noires. Il avait une haleine putride.

Erwan lui cracha au visage. Le Shari’a se releva et s’essuya la joue d’un revers de manche

puis lança un regard meurtrier à l’elfe mais bientôt un éclair de surprise passa sur son visage.

Il reprit un air impassible et s’approcha de l’homme. Il lui parla à voix basse et Erwan ne put

discerner que quelques mots « Regarde ses yeux… » Puis le Shari’a baissa encore plus la voix

et l’elfe n’entendit plus rien. Il sentit comme une énergie nouvelle influer en lui et il se

concentra sur ses chaînes qui s’ouvrirent instantanément. Elles tombèrent sur le sol avec un

bruit sourd. Puis il se concentra sur les liens de Vénald qui se desserrèrent jusqu’à laisser

tomber Vénald au sol. Erwan se releva lentement. On pouvait lire la fureur de l’elfe sur son

visage et le Shari’a se tourna vers lui. L’elfe ne se contrôlait plus, comme si un autre esprit

avec prit possession de son corps. Il sentait ses bras bouger et ses jambes également mais il

n’arrivait pas les arrêter. Une secousse ébranla la clairière et une étoile de lumière apparue sur

le front de l’elfe. Erwan tendit la paume de sa main vers l’Elfe Noir. Une formule dans une

langue qu’il ne connaissait pas lui vint à l’esprit et il la récita.

Un souffle de feu apparu entourant le Shari’a et l’homme. Le souffle se resserra de plus en

plus jusqu’à les brûler, on entendit leurs cris de douleur résonner dans la forêt puis,

accompagné d’une odeur de chair carbonisée, il mit Vénald sur son cheval et, sur sa propre

monture, il quitta la clairière laissant ses ennemis derrière lui. Il usa d’un sort de guérison sur

Vénald qui remit sa cape sur ses épaules. Le sorcier sourit.

« -Pourquoi ce sourire ?

-Le deuxième sceau a cédé, tes yeux en sont même devenus rouges.

-Pardon ?

-Tes yeux sont verts en général, aussi verts que la nature mais maintenant ils sont aussi rouge

que le feu que tu as projeté sur eux. On dirait que ton pouvoir commence à se manifester…

Erwan sourit à son tour puis ils sortirent de Krönen et arrivèrent au pied d’Irai la montagne

maudite.

L’elfe leva la tête et il fut pris d’un vertige tellement la montagne était immense.

Elle était très haute, culminant à environ 8900 mètres. On pouvait la qualifier d’inquiétante

avec les roches noires qui formaient ses pentes et le nuage gris qui la surplombait. Personne

ne savait pourquoi cette montagne et elle seule était en permanence surplombée de nuages et

éclairée par la seule lumière que donnait la foudre en s’abattant sur elle.

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Beaucoup d’arbres et de buissons l’entouraient.

Il n’y avait aucun chemin tracé qui menait jusqu’à son sommet, on aurait dit que personne n’y

avait mis un pied depuis des siècles.

Ils s’avancèrent jusqu’au moment où leur avancée à cheval devenait impossible. Vénald

descendit alors de sa monture et tapota l’encolure de Yélith. Erwan fit de même.

« -Nous ne pourrons pas continuer avec les chevaux autant les laisser ici, je pense qu’ils

retrouveront leur route tout seuls. »

Erwan acquiesça.

Ils commencèrent leur ascension en coupant branches et racines qui encombraient leur route.

Bientôt Vénald fut trop fatigué pour continuer et donc l’elfe dû prendre la relève, utilisant

l’épée à manche court que Vénald portait toujours sur lui pour leur créer un chemin dans cette

immensité où la nature avait repris ses droits. Les végétaux qui recouvraient la montagne

étaient tellement épais qu’Iwaëlil ne voyait plus la couleur du ciel, il n’aurait su dire s’il

faisait jour ou nuit. Ils avançaient en silence dans la pénombre où ils n’avaient plus aucune

notion du temps. Après un moment qui parut une éternité à Erwan, Vénald lui demanda de

s’arrêter.

Il avait la voix rauque.

-Arrêtons-nous ici pour nous reposer.

-Croyez-vous qu’il y ait de quoi chasser ici ?

-Je ne sais pas, cherche pour voir !

-Mais vous avez vu l’immensité de cette forêt ? Comment voulez-vous que je cherche là

dedans ?

-Utilise ta tête enfin ! Je ne t’ai donc rien appris ? »

Erwan réfléchi puis son visage s’illumina.

Il lança un sort de visualisation et découvrit qu’il n’y avait aucun gibier dans les parages.

Il souffla.

Vénald sourit et lui répondit :

« -Bien, il faudra alors exploiter tes talents pour la cueillette ! »

Le jeune elfe se renfrogna mais commença tout de même à cueillir des baies et des fruits.

« -Ne t’éloigne pas trop ! »

Erwan répondit par un grognement et Vénald prit ça pour une approbation.

Il revint bientôt avec de quoi manger.

« -Tu n’as rencontré ou aperçu personne par ici ?

-Non pourquoi ?

-Pour rien. »

Erwan ne se posa pas de questions et s’assit sur les couchettes qu’avait fabriquées Vénald

avec leurs capes.

Il commença à manger puis quelqu’un l’attrapa par les cheveux, le plaqua au sol et lui mis un

couteau sur la gorge.

L’elfe apercevait à peine Vénald mais il voyait que le magicien ne bougeait pas, il avait même

l’impression qu’il souriait !

Le garçon garda son calme.

« Je parie que c’est encore un exercice improvisé que Vénald a imaginé pendant que j’étais

parti ! Bon réfléchissons… »

Ses cheveux étaient tirés tellement fort en arrière que la douleur lui tiraillait les tempes. Il

avait beaucoup de mal à se concentrer. Il frissonna. Il commença à paniquer, se disant qu’il

n’arriverait pas à s’en sortir puis il sentit une chaleur au fond de son ventre s’étendre petit à

petit, le remplissant d’une confiance totale en lui et en ses capacités. Poussé par on ne sait

quelle force il se releva, jetant son assaillant sur le dos, le tint au sol d’une main, approchant

de son visage de la foudre de l’autre. Les éclairs partaient en tous sens jusqu’au moment où,

17

Vénald, d’une simple pression sur son bras, le calma. La chaleur commença à baisser mais

était toujours présente.

L’étranger au sol se releva et souffla :

« Alors c’est vrai… Tu es bien celui de la Légende. »

Elle enleva son capuchon, révélant une chevelure rousse flamboyante comme le soleil

couchant.

Elle avait des yeux gris pâles. En-dessous de sa cape, elle était vêtue d’un pantalon brun et de

bottes noires. Elle portait un bustier blanc assez décolleté pour en faire rougir le jeune garçon.

Il se recula et baissa la tête.

« Je suis désolé, je ne voulais pas vous faire de mal… »

Elle sourit.

« -Ne t’inquiète pas, je voulais juste te tester, je m’attendais à ce que tu me fasses quelque

chose dans le genre. »

Puis elle tourna son regard vers Vénald.

« -Contente de te revoir !

-Moi aussi je suis content de te revoir Morlan. »

Erwan ne comprenait ce qu’il se passait entre ces deux là qui se regardaient dans les yeux sans

rien dire.

Il en eût marre de ce petit jeu et fût pris d’une mauvaise humeur inhabituelle chez lui.

« Je vais faire un tour, dit il sèchement »

Vénald détacha son regard de Morlan.

« -Fait attention à toi !

-Il n’y a pas de problèmes ! De toute façon il n’y a pas âme qui vive par ici ! »

Erwan s’éloigna, il entendit Vénald et Morlan qui commencèrent à se remémorer le bon vieux

temps, se rappelant comment ils avaient terrassés une demi douzaine de trolls alors qu’ils

n’avaient que 11 ans et d’autres exploits qui paraissaient plutôt être tirés de contes que d’êtres

réels.

****

Cela faisait maintenant plusieurs heures qu’Erwan avait quitté le campement pour aller

explorer la forêt.

Il n’avait toujours rencontré aucun elfe, aucun troll ou aucune autre créature.

Il s’assit au pied d’un arbre et entendit des chuchotements.

Ils augmentaient sans cesse et remplissaient l’esprit de l’elfe qui eut un mal de crâne. Il

s’effondra.

****

La forêt était baignée par un doux rayon de soleil. La lumière illuminait les feuilles d’arbres,

posant des petites touches de blancs dans ce tableau de vert.

Une voix cristalline s’éleva autour de lui, il se leva et suivit cette voix qui le guidait à travers

les arbres.

Elle l’envoutait, lui résonnait dans la tête, il était attiré par cette voix et ne pouvait s’en

défaire. Bientôt il aperçu une jeune femme qui dansait, sa robe tournant autour d’elle. Ses

cheveux d’un blond pâle, créant comme un halo divin, virevoltaient autour de son visage

d’ange ponctué par deux yeux bruns. Erwan l’admirait, il était subjugué par sa beauté, la

forme de son visage, la douceur presque tactile de ses lèvres, l’intensité de son regard. Il

s’approcha petit à petit. Elle ne s’arrêtait ni de danser ni de chanter. Puis il entendit un cri si

perçant qu’il avait l’impression qu’il lui perçait les tympans. Il tomba à genoux, les mains sur

18

les oreilles. L’intensité diminua et il put relever la tête. Une Banshee fit son apparition dans

son champ de vision.

Son cri raisonna dans toute l’immensité de cette forêt.

****

Erwan s’éveilla. Il avait un peu de fièvre. Il mit un peu de temps à émerger et aperçu Vénald

qui était penché sur lui, l’air inquiet.

« -Tu vas bien ?

- Oui, j’ai vu …

Il leva les yeux. Vénald eut l’air intéressé.

-euh… non rien »

Vénald le regarda d’un air inquiet

« -Bien, viens retournons au campement. »

Iwaëlil passa un bras autour des épaules de Vénald et le magicien le soutenu jusqu’à sa

couchette.

« -Où est Morlan ?

-Je l’ai envoyée faire une course pour moi.

-Comment ça se fait qu’elle ait un prénom de garçon ?

-Quand elle est née, son père voulait un garçon, il lui a donc donné un prénom de garçon et

l’éducation qui va avec. »

Un silence s’installa pendant lequel Erwan repensa à son rêve.

« -J’ai vu quelqu’un dans mon rêve !

-Ah oui ? Et cette personne ressemblait à quoi ?

-C’était une jolie fille, blonde avec des yeux bruns…Je… Oraniel !

-Quoi ?

-Elle s’appelait Oraniel ! »

Son nom lui était apparu d’un coup, comme si il l’avait toujours su.

« -Comment le sais-tu ?

-Je ne sais pas, je le sais c’est tout.

Puis tout bas il rajouta

-Son nom a résonné dans ma tête… »

Ils se turent tous les deux puis Erwan se souvint de la créature.

« -J’ai vu une Banshee aussi !

-Une Banshee ? Tu es sûr ?

-Oui, elle a crié, c’était horrible, j’avais l’impression que mon âme me quittait. Pourquoi a-t-

elle crié comme ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

-Je te l’ai expliqué lors de nos cours d’histoire de la magie. Tu ne m’écoute vraiment pas

quand je parle ?

Erwan eut un sourire crispé.

« Quand quelqu’un entend une Banshee crier c’est que lui ou l’un de ses proches connaîtra

bientôt la mort. Son cri glace le sang des gens qui l’entendent, le Maitre des ténèbres a bien

profité de ces créatures pendant la Grande guerre. Il les envoyait sur le champ de bataille pour

nous effrayer.

-… »

Erwan repensa encore à ce rêve étrange, il frissonna malgré la chaleur du feu.

« - Je crois qu’il vaudrait mieux que tu te reposes, un long voyage nous attend demain. »

Sans un mot, Erwan s’allongea et ferma les yeux. Il passa une nuit agitée, rêvant de Morlan

qui se transformait en Banshee avant de tuer Vénald et Azalée.

19

****

Le Krull s’avança le long de la façade nord. Il marchait le plus silencieusement possible.

D’une taille de près de deux mètres cinquante, le Krull était un équivalent de l’orque mais en

plus féroce. Un Krull était hybride, mélange d’un orque et d’un homme-tigre. Celui-ci avait

une cicatrice qui lui barrait le visage.

La nuit était tombée depuis plusieurs heures et tout le monde dormait dans le château. Il

s’arrêta au coin que formaient le mur et le portail. Il ouvrit lentement la porte et fit signe à ses

compagnons de le suivre. Des dizaines d’ombres s’avancèrent d’entre les arbres, révélant des

silhouettes petites et trapues.

Le Krull chuchota, sa voix grinçait :

« - Vous savez ce que vous avez à faire. Je vous demande simplement de me laisser la

pourriture qui m’a fait ça ! dit-il en désignant son visage. »

Tous acquiescèrent et s’avancèrent vers la porte principale. L’un d’entre eux poussa le

panneau de bois orné de gravures de lierre et dont un écriteau indiquait : « Brocéliande ».

À l’intérieur du château, il faisait chaud. Aucune lumière n’éclairait le hall et pourtant les

orques et le Krull arrivaient à se repérer. Deux d’entre eux montèrent l’escalier, les autres se

dispersèrent dans le rez-de-chaussée. Le Krull resta dans le hall, attendant que les orques lui

ramènent ce qu’il avait demandé. Quelques instants plus tard on entendit des hurlements qui

venaient du premier et du deuxième étage, des femmes descendirent l’escalier en courant,

poursuivies par un orque. Il lança sa hache qui atterrit dans le dos d’une d’entre elles. Ses

yeux se révulsèrent et elle s’écroula sur les marches, faisant tomber dans sa chute les autres

Dames du château. Il ricana et récupéra sa hache. Le Krull sourit puis attrapa une des femmes

par les cheveux et lui demanda dans la langue du royaume :

« - Où se trouve le roi ? »

Elle ne répondit pas, trop effrayée pour bouger les lèvres. Il la gifla et répéta sa question. Elle

commença à pleurer, alors soupirant, il la jeta de côté et ajouta à l’adresse de l’orque : « Fais

en ce que tu veux, je te la laisse. »

L’orque attrapa la femme par le col et lui arracha sa robe de nuit. Il prit ensuite sa dague et la

fit courir sur le corps nu de l’elfe qui criait et se débattait du mieux qu’elle pouvait. L’orque

était trop fort et il arrivait à la maitriser d’une seule main.

Azalée arriva en courant du sous sol, suivie de quelques domestiques. Elle regarda la scène,

les yeux écarquillés. Le Krull l’aperçut et s’avança vers elle. Il lui attrapa le poignet et la força

à se mettre à genoux. Elle se laissa faire sans résister.

« - Où se trouve le roi Aerendil ?

-Il se trouve au deuxième étage, dans la chambre tout au bout du couloir »

Le Krull sourit, révélant des dents jaunes et pointues.

« - Vous deux, dit-il en désignant deux des créatures, allez le chercher, et je le veux vivant

compris ? »

Les orques acquiescèrent et s’élancèrent dans l’escalier.

Quelques instants plus tard, ils revirent avec le roi. Les domestiques et les nobles du château

avaient tous été rassemblés dans la salle de Banquet.

Aerendil dégagea ses bras de l’étreinte des Orques et s’avança vers le Krull.

Le Krull s’assit sur la table et observa le roi de haut en bas avec un air méprisant.

«- Prenez moi et laissez les partir.

-Quel acte de bravoure que de se sacrifier pour les siens.

-Que voulez-vous ?

-Où se trouve l’enfant de la Légende, celui qu’on nomme Erwan ? »

Le roi fut surpris puis fit mine de réfléchir.

Le Krull commença à s’impatienter.

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Le roi paru sur le point de dire quelque chose mais il se retint.

« -Je ne sais pas, finit-il par dire

-Mensonges ! »

Le Krull se leva et attrapa le roi par le col, le soulevant à trente centimètres du sol.

« -Si tu ne me dis pas tout de suite où il se trouve, tu vas regretter que ta mère t’ai mis au

monde !

Le roi garda son calme et répondit :

-Je ne sais pas où il est, il n’est pas ici. »

Le Krull grogna et le jeta au sol. Il releva la tête et observa la pièce dans laquelle il se

trouvait.

« - Très beau château, Majesté » il insista avec mépris sur le dernier mot. Il s’adressa ensuite

aux Orques.

« Nous partons, emportez tout ce qu’il vous plaira, prenez des captifs pour le Seigneur et puis

prenez de quoi vous amuser pendant le voyage. »

Il marqua une pause durant laquelle tous se turent et il ajouta en souriant : « Brûlez tout ! »

Les Orques s’esclaffèrent d’un rire affreux qui faisait froid dans le dos. Certains boutèrent le

feu aux charpentes et aux poutres du château pendant que d’autres égorgeaient les hommes et

jetaient les femmes sur leurs épaules. Le Krull s’avança vers le roi, sortit son cimeterre et

l’embrocha. Un sang cramoisi s’écoula doucement de la blessure du monarque. Une lueur de

haine passa dans les yeux de la créature tandis qu’il murmurait à l’oreille de l’elfe : « Je

t’avais dit que je me vengerai. » il arracha son cimeterre de son ventre en le repoussant du

pied. Aerendil s’écroula sur le sol. Le Krull attrapa des domestiques et les attacha à l’aide de

corde. Le feu se répandit vite et commençait déjà à lécher les poutres du toit. Des

craquements sonores indiquèrent que les poutres allaient bientôt céder. Les Orques sortirent

du château au moment où celui-ci commençait à s’écrouler.

Le Krull s’adressa ensuite à un des orques.

« - Commandant Erkol, veillez à ce que ces vermines n’usent pas de leur magie pour

s’échapper.

-Bien Capitaine. »

Celui qui s’appelait Erkol, sortit de son sac à dos un liquide noirâtre qu’il fit boire de force à

l’ensemble des captifs.

« - Cela devrait vous retenir un jour ou deux. »

Azalée jura. Un orque l’attrapa et la jeta sur son épaule.

Ils se mirent ensuite en marche d’un pas cadencé que les elfes n’avaient pas trop de mal à

tenir.

****

À présent, cela faisait 1 semaine qu’ils cheminaient à travers les denses branchages de la

montagne. Erwan fut surpris par la diversité de la flore. Il y avait toutes sortes d’arbres, du

sapin à la fougère en passant par les ronces. Sa tunique s’accrochait dans les épines des ronces

qui tapissaient le sol tandis que les branches basses menaçaient de lui donner quelques bosses.

Sa mauvaise humeur augmenta quand il failli chuter à cause d’une racine qui reçu quelques

jurons en retour. Puis, ils passèrent à travers un buisson et tombèrent sur une route de terre

battue.

« - Hé ! C’est un chemin ! Pourtant je ne l’ai pas vu tout à l’heure !

-En réalité, ça fait à peu près une heure qu’on le longe, je croyais que tu avais remarqué…

- Pas du tout ! Vous auriez pu me le dire ! »

Vénald passa devant Erwan et s’assit contre le tronc d’un arbre.

« - On va attendre Morlan ici, elle doit nous rejoindre. »

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Erwan ne fit pas de commentaires et comme si il n’avait pas encore assez de malchance, le

tronc contre lequel il s’appuya était plein de résine. Il enleva sa cape et la jeta violemment au

sol avant de s’asseoir dessus.

Morlan fit son apparition quelques instants plus tard. Elle boita et des trainées rougeâtres

tapissaient sa tunique.

Vénald accourut vers elle en la soutenant par le bras.

« - Que s’est-il passé ?

-Tu m’avais prévenu qu’il pourrait y avoir quelques problèmes, j’en ai rencontré plus d’un en

fait. »

Elle chuta et Vénald l’allongea sur le dos. Il entreprit ensuite de repérer les blessures de la

jeune femme. Il coupa dans la tunique avec son couteau puis la déchira le long de son ventre.

Une balafre traversait sa peau à l’endroit de ses côtes. Les bords de la blessure commençaient

à noircir.

« - Je crois que la lame était empoisonnée…

-Que s’est-il passé ?

-Il y avait des pièges un peu partout, je n’ai pas su tous les éviter. »

Elle sourit.

« - Je n’ai ai rien trouvé, haleta-t-elle, juste une inscription disant que tu dois te diriger vers le

Mont du Savoir, c’est tout ce que j’ai trouvé. »

Elle respirait avec difficulté.

« - Je crois que le poison fait son effet, je ne tiendrai plus très longtemps. »

Vénald commença à soigner la blessure grâce à sa magie en plaçant sa main au dessus.

L’ouverture se refermait mais extrêmement lentement. Morlan souffrait mais elle se retenait.

Erwan fut impressionné par son courage. Vénald cessa.

« - Je ne peux que soigner en surface, ça ne sert à rien, le poison est déjà dans ton sang… »

Elle eut un sourire crispé et commença à frissonner.

Erwan récupéra sa cape et l’étala sur la jeune femme.

« - Nous dormirons ici cette nuit, annonça Vénald. Erwan ! Vas chercher du bois pour faire un

feu !

-Tout de suite ! »

L’elfe s’éloigna un peu et ramassa tout le bois sec qu’il pouvait trouver. Apparemment

Vénald était grandement affecté par ce qui était arrivé même si il ne le laissait pas

transparaitre. Erwan était contrarié. Il ne cessait de se demander quelle était la mission de

Morlan et pourquoi elle était revenue dans cet état. Il décida de ne pas poser la question à

Vénald, le mieux était d’attendre qu’il en parle de lui-même.

Lorsqu’il revint, Vénald avait tout apprêté pour cuisiner. En un rien de temps, le feu fut

allumé et le bouillon chauffait déjà au dessus des flammes.

La soirée passa. Vénald ne quitta pas le chevet de Morlan. Erwan essaya de se tenir éveillé

mais le magicien, voyant qu’il tombait de sommeil, lui demanda d’aller se coucher. Il

s’exécuta sans rien dire. Il s’agita plusieurs fois durant la nuit et puis ne sachant pas pourquoi

il se réveilla en sursaut, sentant que quelque chose était arrivé. Il se redressa et aperçu Vénald

à genoux, les poings sur le sol. Des larmes s’écoulaient de ses yeux et tombaient dans la

poussière. Il releva la tête vers l’elfe, ses yeux étaient rouges.

« -Elle est morte dans son sommeil. »

Il mit un drap sur sa tête et resta là en silence. Erwan l’imita et dans le silence le plus complet,

ils attendirent le matin. Lorsque la lumière orangée du Soleil commença à éclairer le visage

d’Erwan, il se leva et s’avança vers le corps inerte de la jeune femme. Il la prit dans ses bras

et la porta sur un tas de bois que Vénald avait constitué quelques minutes plus tôt. Il y bouta

le feu et observa le corps de Morlan brûler. Vénald le rejoint, et dit une phrase en ancien

22

langage qui signifiait : « que le bleu du monde veille sur toi ». Une phrase que l’on disait

généralement à quelqu’un qui était mort au combat.

Vénald tourna les talons et rangea son sac. Il le jeta sur son épaule, regarda une dernière fois

le corps en feu de Morlan avant d’ajouter : « dépêche toi, on va nous repérer avec cette

fumée. ».

Sans aucunes autres paroles, il partit à pieds, s’enfonçant dans la faune environnante.

****

Azalée s’éveilla. Elle avait un mal de crâne atroce et la drogue que lui administraient

soigneusement les orques lui brouillait l’esprit et l’empêchait de réfléchir. Elle n’arrivait pas

se rappeler les formules magiques qu’elle connaissait en temps normal, elle ne pouvait donc

se résoudre qu’à attendre de savoir ce qu’ils allaient bien pouvoir faire d’elle. Elle se rappelait

que la veille au soir, les orques s’étaient amusés avec les filles qu’ils avaient enlevées. Elle se

rappelait encore leurs cris aigus lorsque les orques les prenaient. Azalée était soulagée que ce

ne fût pas son tour ce soir là. Ça arrivera un jour. Un jour ce sera à elle à se débattre sous ces

choses. Une des filles était morte pendant son viol. Peut-être que trop d’orques étaient passés

en une fois et qu’elle n’a pas pu résister. Les autres étaient anéanties que ce soit physiquement

par la fatigue ou psychologiquement par le dégout et le remord. Elles se sentaient sales, l’une

d’entres elles voulu se suicider au petit matin mais elle se rata et elle dût attendre que son

sang s’écoule entièrement de ses veines avant de pouvoir pousser son dernier soupir. Quand

ce fut le cas, il ne restait plus que deux filles dont elle et trois hommes.

Azalée avait remarqué que le comportement des orques envers elle était différent. Elle avait

l’impression qu’ils n’osaient pas la toucher. Lorsqu’ils passaient à côté d’elle, ils la

regardaient comme un objet inaccessible, comme si elle était réservée mais réservée à qui ?

Azalée se redressa en s’appuyant sur ses coudes et regarda autour d’elle. La plupart des

captifs dormaient encore. Ils avaient emportés 4 femmes dont elle et quelques nobles, trois ou

quatre tout au plus. Deux des femmes mortes, ils n’étaient plus que 5 en tout. Les captifs

dormaient à même le sol, enchaînés les uns au autres, à quelques mètres des orques. La

plupart des créatures étaient déjà debout, certaines rangeaient les couvertures utilisées pendant

la nuit, d’autres discutaient entre elles. Azalée ne supportait pas leur langue. Les sons venaient

du fond de leur gorge et leurs mots ressemblaient plus à des grognements qu’à un langage à

proprement parler. Lorsqu’ils parlaient en langage elfique, ils avaient du mal à s’exprimer et

Azalée ne comprenait pas toujours ce qu’ils voulaient dire par contre le Krull avait une

maitrise parfaite du langage des elfes. C’était d’ailleurs presque toujours lui qui parlait avec

les captifs.

La troupe se remit en marche quelques instants plus tard après que les captifs furent réveillés

et eurent reçu leur dose de drogue.

Cela faisait plusieurs jours qu’ils faisaient route et qu’ils recevaient cette drogue. Azalée ne

savait pas exactement quelle distance ils avaient parcourue ni depuis combien de jours ils

voyageaient car elle avait perdu la notion du temps et des distances.

****

Depuis plusieurs heures, Vénald ne disait mot. Erwan marchait derrière lui et ne voyait que

son dos. Ils redescendaient la montagne Irai sur le versant opposé à leur montée. Les chemins

étaient escarpés et boueux. Ils firent une halte lorsqu’ils trouvèrent un espace assez plat pour

s’y reposer et s’y restaurer. C’est alors que, contre toute attente, Vénald lui expliqua quelle

était sa véritable relation avec Morlan. Vénald était né dans une période de conflits. Dès sa

naissance, il fut orphelin. Il prit la vie de sa mère à l’accouchement et son père se fit tuer peu

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de temps après que Vénald fut venu au monde. Il grandit dans un orphelinat d’un petit village

aux alentours de la Capitale du royaume. Lorsqu’il eut 11 ans, l’orphelinat fur attaqué par des

orques. Il fut pillés et ses habitants furent tués ou laissés pour morts. Vénald survécu grâce à

l’aide d’une paysanne. Elle le recueilli chez elle et le nourri comme son propre fils malgré le

manque de nourriture. C’est alors qu’il fit la connaissance de Morlan, la fille de la paysanne.

Elle avait un an en moins que lui. Malgré les apparences, il s’agissait bien d’une fille. Ils

s’entendirent bien tout de suite et devinrent inséparables. Il rencontra également le père de

Morlan. Un vieil homme avec une barbe grise. Malgré son air bourru, il était très gentil. Le

temps passa et Vénald commençait à considérer les parents de Morlan comme les sien et

commençait à considérer Morlan comme son frère ou plutôt comme sa sœur. À l’aube de ses

16 ans, Vénald assista à l’assassinat de ses parents pour cause de trahison envers le Seigneur

du comté. Ce fut un choc autant pour Morlan que pour lui. C’est ce choc psychologique qui

développa leurs pouvoirs de magiciens. Peu de temps après, ils furent pris en charge par le

Sorcier du Roi qui voyait en eux de grand mages qui pourraient les aider dans la guerre qui se

préparait contre le Maitre des Ténèbres. Ils furent tout deux engagés dans les milices du Roi et

furent envoyés sur les champs de bataille lorsque la guerre éclata. Malgré leur ignorance, ils

parvinrent tout de même à rester en vie tout au long de la bataille. C’est lorsque tous les

espoirs commençaient à s’effacer que le Magicien Bleu a fait son apparition.

« -La suite tu la connais… »

Erwan était surpris. Il n’aurait jamais imaginé que Vénald eut une vie aussi dure. Il est vrai

que l’elfe n’avait pas de parents, c’était déjà un malheur en soit, mais comme il ne les avait

jamais connus ça ne lui faisait pas vraiment mal. Il essaya d’imaginer ce qu’on pouvait

ressentir lorsqu’on voyait ses parents se faire tuer devant soi, même si c’était des parents

adoptifs. Il essaya d’imaginer la douleur qu’il pourrait ressentir si le roi Aerendil venait à

mourir. Il se ravisa. Sa poitrine lui faisait déjà mal rien que d’y penser.

Après plusieurs jours de marche, ils arrivèrent à une ville portuaire. La nuit commençait à

tomber. Erwan remarqua la mer et ouvrit de grands yeux émerveillés. Il n’avait jamais prit le

bateau. Le roi avait toujours pris le soin de le garder à l’abri de tous dangers et lui avait donc

interdit toutes sorties de l’enceinte du château quelles qu’elles soient.

« - Vénald ! Nous allons traverser la Mer ?

-Oui.

-On va monter sur un bateau ?

-Oui, comment veux-tu traverser la mer sinon ? »

Erwan rougit.

« -Nous devons traverser la Mer pour aller dans les Steppes Brûlées. » ajouta Vénald, tournant

le dos à Erwan pour ne pas rire de sa gène. Il se dirigea ensuite vers les Portes de la ville. À

l’entrée un panneau indiquait : « Bienvenue à Jaïn ».

Deux gardes postés de part et d’autre de la porte surveillaient les gens qui entraient dans la

ville avec un regard soupçonneux. Lorsqu’Erwan passa, il lui sembla que l’un des gardes

s’attarda un moment sur ses oreilles pointues avant d’enguirlander deux garnements qui

couraient entre les gens en les bousculant.

Vénald s’approcha d’Erwan.

« -Tu devrais mettre ton capuchon, les elfes ne sont pas chose courante ici. Toute la ville

risque d’être au courant de notre présence d’ici quelques heures, il faut que nous soyons le

plus discret possible. »

Erwan répondit par un signe de tête et rabattit sa capuche sur sa tête, dissimulant ainsi le signe

distinctif de sa race.

24

Vénald entra dans une auberge et s’assit à une table. Erwan le suivit et s’assit en face de lui.

Le magicien interpella la serveuse qui arriva en trottinant. Elle était brune, les cheveux

attachés en queue haute. Ses yeux couleur océan attirèrent le regard de l’elfe.

« -Bonjour ! Je peux prendre votre commande ?

-Oui, quel est le plat du jour ?

-Ragout de porc et carottes.

-Très bien mettez-en deux et deux bock de bière. »

La serveuse sourit et repartit vers les cuisines. Erwan suivit son déhanché jusqu’au moment

où il ne fut plus visible. Vénald l’interrogea du regard.

Erwan répondit simplement, comme pour se justifier : « Elle est très jolie ! » avant de reporter

son regard sur la salle. Le comptoir soutenait de nombreux marins revenus de leur long

voyage en mer, en train de dépenser leur paye. Leur joie s’entendait dans toute l’auberge

tellement ils chantaient fort. L’aubergiste, derrière le comptoir, était ravi de remplir encore et

encore leur verre pensant à l’argent qu’il recevrait à la fermeture. La serveuse fit irruption

dans la pièce, un plateau à la main. Elle posa les deux assiettes et les deux verres de bière sur

la table d’Erwan et s’éloigna vers une autre table pour prendre une commande. Erwan regarda

son assiette. Les morceaux de viande baignaient dans une sauce graisseuse et peu

appétissante. Les carottes ne ressemblaient pas à ce que l’elfe connaissait. Fripées et toute

molles, Erwan n’aurait sur dire si elles avaient été trop cuites ou si elles avaient passé trop de

temps dans la cave. Vénald, en face de lui, mangeait à grande cuillère.

« -Tu devrais manger. Quand on sera en mer, on n’aura peut-être pas de repas chaud tous les

jours. Profite-en. Et puis tu ferais mieux de manger parce que l’aubergiste te regarde

bizarrement. »

Erwan se retourna et vit le regard mauvais que lui lançait l’homme derrière son comptoir. Le

garçon réfléchit et vit la différence de gabarit. Il prit une bouchée et la mit dans sa bouche

puis leva son pouce. L’aubergiste lui sourit puis retourna à son comptoir.

L’elfe commença à penser que les hommes étaient décidemment vraiment bizarres.

Le garçon dût se forcer pour terminer son assiette et pour boire son verre de bière. Il n’avait

jamais goûté cela auparavant et trouvait cette boisson horriblement amère.

La serveuse vint débarrasser la table.

« -Est-ce que vous avez encore des chambres libres ?

-Oui, il nous en reste 6.

-J’aimerai en prendre 2 pour cette nuit.

-Très bien je vais vous les montrer. Suivez-moi. »

L’elfe et le magicien se levèrent et suivirent la jeune fille qui déposa son plateau sur le

comptoir au passage.

Elle les mena vers l’escalier dans le fond de la salle. Ils montèrent les marches à sa suite. Elles

étaient raides et Erwan manqua de tomber. Ils aboutirent dans un couloir étroit. La serveuse

leur désigna deux chambres mitoyennes. La première était de taille moyenne. Vénald y entra

et y posa ses affaires. Erwan suivit ensuite la jeune fille dans la chambre à côté. La chambre

était plus petite que l’autre. Elle avait une odeur forte qui prit Erwan à la gorge.

« -On s’y habitue après quelques minutes. Je n’arrive pas à la faire partir c’est embêtant. »

Erwan se força à sourire.

« -Vous ne dites presque rien. Vous ne savez pas parler ? »

Elle avait un sourire enjoué. Erwan se souvint d’Azalée qui avait souvent ce sourire quand

elle le taquinait.

Il se tourna vers elle et rencontra son regard.

« -Je sais parler, c’est juste que je ne parle pas souvent. »

Elle rougit et sortit de la pièce à petit pas pressés. Elle faillit bousculer Vénald dans le couloir

et dévala les marches.

25

« -Qu’as-tu fais à cette pauvre jeune fille ?

-Rien ! Je l’ai regardée et elle s’est enfuie ! »

Vénald pouffa et Erwan, vexé, lança son sac sur son lit. Un nuage de poussière accompagna le

bruit étouffé du sac sur la couette. L’elfe fut prit d’une quinte de toux.

« -Je crois que j’ai choisi la meilleure chambre ! » se vanta le magicien.

Erwan lui lança un regard mauvais.

« -Je vous signale que vous l’avez prise sans rien me demander auparavant !

-C’est normal, je suis plus âgé que toi.

-On a à peu près le même âge…

-Bien, bonne nuit.

-Ne changez pas de sujet ! »

Vénald quitta la pièce en vitesse et courut jusqu’à sa chambre comme un enfant ayant peur

qu’on lui vole un jouet.

« -Quel gamin ! Pire qu’un gosse ! ».

Erwan sourit néanmoins et referma la porte derrière lui.

Il entreprit de se déshabiller puis se rappela de la poussière. Il décida de n’enlever que sa

chemise et se coucha sur sa cape mise sur le lit au préalable. Il n’arrivait pas à dormir,

repensant sans cesse à tout ce qui s’était passé jusqu’à présent. Sa fugue, les révélations sur

son pouvoir, sa rencontre avec Morlan, la mort de Morlan. Un léger grattement à la porte le

tira de ses pensées. Il se leva et se dirigea vers l’entrée de sa chambre. Il ouvrit et vit la

serveuse debout devant lui.

« -Je suis désolée de venir à une heure si tardive mais j’ai quelque chose d’important à vous

dire, puis-je entrer ? »

Erwan s’écarta de l’embrasure et la laissa pénétrer à l’intérieur de la pièce. Il referma ensuite

la porte.

« -Quel est cette chose importante que vous vouliez me dire ? »

Il se retourna vers elle. La lumière de la lune éclairait son visage. Erwan remarquait

maintenant qu’en fait elle n’était pas jolie, elle était belle.

Elle s’approcha de lui et se serra contre son torse. Elle lui chuchota quelques mots à l’oreille.

« -Je suis navrée d’utiliser ce prétexte pour entrer dans votre chambre mais il fallait

absolument que je vous voie. »

Erwan sentit son corps frôler le sien et une drôle de sensation monta en lui. Il n’avait jamais

ressentit ça auparavant. Elle effleura ses lèvres et il l’embrassa. Il l’allongea sur le lit.

Leurs corps se mêlèrent. Le plaisir montait en lui, il transpirait, elle gémissait. Il accéléra son

mouvement de va et vient et elle gémit plus fort. Ils passèrent la nuit entière ensemble. Au

petit matin, elle l’embrassa sur le torse, se leva, enfila sa robe de nuit et sortit discrètement de

la chambre.

Épuisé, Erwan s’endormit.

Quelqu’un frappa à la porte. Il se leva d’un bond et remit son pantalon. Il ouvrit et vit Vénald.

« -Alors ? Tu n’es toujours pas levé ? On doit partir dans moins d’une heure dépêche toi !

-Euh… oui je me dépêche… »

La jeune fille dont il ne connaissait d’ailleurs toujours pas le nom passa devant lui avec une

cruche d’eau chaude. Elle croisa son regard, rougit et lui tendit la cruche d’eau. Il la prit et lui

sourit. Elle déposa un baiser sur sa joue et repartit en direction des cuisines.

Vénald, qui avait suivit la scène comprit la raison pour laquelle Erwan s’était levé en retard. Il

ne fit aucun commentaire et se contenta de dire « Allez dépêche toi ! » avant de se diriger vers

l’escalier, un sourire aux lèvres.

26

Erwan descendit les marches et entra dans la salle de l’auberge. Peu de personnes étaient

attablées. Vénald, appuyé au comptoir, parlait avec l’aubergiste.

« -Vous trouverez sûrement un bateau mais il faut aller voir directement sur les quais.

Normalement aucun bateau ne devrait quitter le port avant cet après midi.

-Très bien merci beaucoup. »

Vénald se retourna et s’approcha d’Erwan.

« Il y aura un bateau pour nous, il m’a dit qu’il n’y avait pas de problèmes.

-Mais pourquoi doit-on aller dans les Steppes Brûlées ?

-Je t’expliquerai tout ça une fois que nous auront embarqués. »

L’elfe répondit par un signe affirmatif de la tête.

Ils prirent leur petit déjeuner et partirent ensuite à la recherche d’un capitaine qui voudrait

bien les prendre dans leur équipage pour traverser la mer.

Arrivés sur les docks, Erwan remarqua qu’une forte odeur de poisson emplissait l’air

seulement cette odeur faisait plus penser à du poisson qui est resté trop longtemps en fond de

cale qu’à du poisson frais.

Une demi-douzaine de bateaux mouillait dans le port. Quatre d’entre eux semblaient être des

barques de pêcheurs. Les deux autres possédaient chacun trois mats ainsi qu’une proue et un

nom inscrit en doré : « Lisa » et « Tomas ».

Vénald s’approcha de « Tomas ». Un homme s’affairait à décharger des caisses de la cale du

bateau avec l’aide de plusieurs marins.

« Excusez-moi » se hasarda Vénald. L’homme se releva. Il devait avoir 40 ans tout au plus et

pourtant il lui manquait 2 doigts à la main gauche ainsi que son œil droit.

Une grosse barbe poivre et sel recouvrait son visage. Il avait la carrure d’un lutteur et pourtant

son regard dégageait tristesse et lassitude.

«- Qu’ess’ vous voulez ?

-J’ai entendu dire qu’il était possible de se faire enrôler comme marin sur un navire jusqu’à

Dirkjün.

-Ouais ça pour sûr ! Vous voulez vnir dans not’ équipach’ c’est ça ?

-Euh oui à peu près.

-Et le petiot aussi ?

-Oui.

-Ok, vous n’avez qu’à vnir début d’après midi on verra squ’on fra d’vous.

-Très bien, merci beaucoup ! »

L’homme fit un hochement de tête presque indécelable puis retourna à sa tâche.

*****

Azalée n’en pouvait plus. Elle n’arrivait plus à poser un pied devant l’autre. Les forces lui

manquaient, elle tenait à peine sur ses jambes. Elle s’écroula. Un orque grogna et le groupe fit

halte. Le Krull revint de la tête du groupe et s’accroupit. Elle releva la tête.

« -Pensez-vous pouvoir vous remettre sur vos jambes ? » dit-il en lui offrant un sourire.

Elle fût surprise par sa politesse et ne répondit pas tout de suite.

« - Je ne sais pas je… je suis fatiguée… »

Il la regarda d’un air entendu puis se releva. Sans qu’elle n’ait eu le temps de se rendre

compte de ce qu’il se passait, il la souleva et la jeta en travers de ses épaules puis retourna

reprendre la tête du clan. Ils repartirent en cadence. Épuisée, elle s’endormit malgré elle, la

tête ballottant à cause des chocs dût à la course du Krull.

Lorsqu’elle revint à elle, le Krull ne courait plus, il marchait. Elle aperçu de plus en plus de

gens aux alentours, peut-être arrivaient-ils à proximité d’une ville.

« -Je vais mieux je peux marcher ! » cria-t-elle à l’adresse de la créature qui s’arrêta et la

reposa au sol.

27

« -Je suis ravi de voir que vous avez pu vous reposer. Allons, nous sommes presque arrivés. »

Azalée ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait droit à un traitement de faveur, en

vérité elle soupçonnait le Krull de vouloir la mettre dans sa couche.

Elle se retourna et se retrouva face à une muraille. Deux grandes portes étaient ouvertes et des

villageois entraient et sortaient. Elle aperçu un panneau indiquant : « Bienvenue à Jaïn Porte

Ouest ».

« -Jaïn est une ville portuaire ! s’écria Azalée.

-Exactement.

-On va traverser la Mer ?

-Pas exactement, on va longer la côte enfin vous verrez bien. »

Le Krull accéléra le pas. La troupe se resserra et plaça les captifs au centre du groupe.

Ils traversèrent ainsi toute la ville, sans faire de halte, jusqu’au port.

Six bateaux en tout se trouvaient dans le port dont quatre étaient des barques. Sûrement des

bateaux de pêcheurs. Une forte odeur de poisson pourri empli l’atmosphère. Azalée eut la

nausée. Deux grands trois mats du nom de « Lisa » et « Tomas » se trouvaient aux côtés des

barques. Un des deux bateaux était en train d’être déchargé par des marins.

Le Krull s’avança vers le marin qui était resté à quai et fit signe à son groupe de rester à

l’écart. Il lui parla pendant un moment mais Azalée ne distingua aucun mot de leur

conversation, elle vit juste le visage de l’homme devenir de plus en plus blanc. Elle remarqua

également que l’homme avait un bandeau noir sur son œil droit. Il baissa la tête et acquiesça.

Le Krull fit un signe de la main et les orques s’avancèrent suivit des captifs.

Ils embarquèrent tous dans le « Tomas ». Azalée leva les yeux, le soleil était haut dans le ciel,

il devait être midi

*****

Erwan termina son plat. La jeune fille de l’auberge lui lança encore un regard. Depuis qu’ils

étaient revenus de leur escapade aux docks, la jeune fille n’arrêtait pas de l’observer. Elle se

fit réprimander plusieurs fois par le patron qui criait qu’il n’avait jamais vu une gourde

pareille. Elle se déplaçait dans la salle et croisa le regard d’Erwan. Elle rougit et renversa de la

bière sur un des clients.

« -Je suis vraiment désolée ! »

Elle courut jusqu’au comptoir pour prendre une serviette et épongea la table.

« -Je crois qu’elle a le béguin pour toi ! » chuchota Vénald avec un sourire en coin.

Erwan rougit et baissa les yeux.

« -Bon, il est temps d’y aller, le capitaine du bateau doit nous attendre. »

L’elfe répondit par un hochement de tête et suivit Vénald dehors. Il sentit un regard se poser

sur lui et devina de qui il s’agissait mais préféra ne pas y prêter attention.

Une fois à l’extérieur, Vénald rit de bon cœur.

« - Pourquoi est-ce que vous riez ?

-Tu aurais dû te douter que le fait de coucher avec elle aurait des conséquences !

-Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. »

Erwan se renfrogna. Il suivit néanmoins Vénald jusque sur les docks. À peine monté sur le

quai, l’elfe sentit une autre ambiance. L’air devint plus dense comme lorsque le danger est

proche. Vénald l’avait remarqué lui aussi. Il avait cessé de rire et devint plus calme. Il

s’approcha d’un marin.

« -Bonjour ! Le capitaine nous a demandé de nous présenter ici, nous sommes censé faire

partie de l’équipage d’un bateau qui doit partir dans l’après midi. »

28

Le magicien ne reçu aucune réponse. Le marin, un jeune garçon au teint pâle, leva des yeux

apeuré et désigna du doigt le « Tomas ». Sans autre explication, il se retourna et se dirigea

d’un pas rapide vers une ruelle.

« -Je crois que quelque chose ne va pas.

-Je l’ai remarqué moi aussi, l’air est plus dense.

-Nous allons embarquer. Fais comme si tu n’avais rien remarqué. »

Erwan acquiesça.

Ils s’avancèrent vers la passerelle et montèrent à bord du bâtiment. Erwan vit l’agitation qui y

régnait, trop d’agitation pensa-t-il. Vénald aperçu le Capitaine et le héla.

Son air préoccupé le rendait plus vieux.

« -Ah oui zêtes là ! Ben allez vous zinstaller dan l’cale. Jverrai cque jpeux faire dvous après.

Mais faites gaffe ! Y sont pas commodes ! »

Erwan se demanda de qui il parlait. Il descendit les marches qui le conduiraient à sa cabine. Il

choisit un des lits et y jeta son sac. Des bruits de martèlements et de grognements atteignirent

ses oreilles d’elfe. Il se tourna vers Vénald.

« -Vous avez entendu ?

-Entendu quoi ?

-Non rien.

-Ca doit être la coque qui fait de drôle de bruits. Tu n’a pas peur d’un bateau tout de même ? »

Erwan fit non de la tête. Il constata que seul lui pouvait les entendre. Il était convaincu que

ces bruits avaient un rapport avec le drôle de comportement de l’équipage. Ils jetaient des

regards de craintes autour d’eux, constamment. Même lorsque le bateau appareilla et qu’il

s’éloigna du port de Jaïn, les marins chuchotaient et le regardaient avec des yeux remplis de

méfiance. Erwan surpris même l’un d’entre eux demander « Tu crois qu’il est des leurs ? »

puis l’autre de lui répondre « C’est peut-être leur chef ! ».

Vénald et lui reçurent chacun des tâches à effectuer durant la traversée. Vénald fut placé aux

cuisines tandis qu’Erwan devait s’occuper des voiles et de la propreté du pont.

Un soir, le bateau fut pris dans une tempête. L’océan était déchainé et les ballottait d’un coté à

l’autre. Vénald, allongé sur sa couchette, vira au vert. Erwan, pas du tout affecté par le mal de

mer, décida d’aller aider les marins sur le pont. Lorsqu’il arriva, quelqu’un lui donna un seau.

« Vas-y ! Ecope ! On prend l’eau !

-Ecope ?

-Oui ! Tu prends de l’eau dans ton seau et tu la balances par-dessus le bastingage !

-Par-dessus quoi ?

-Par-dessus bord ! »

Le marin s’éloigna pour arrimer les canons. Erwan fit ce qu’on lui avait demandé. Après

plusieurs heures, ils sortirent enfin de la tempête. Le jeune elfe, épuisé, regagna sa cabine.

Le lendemain, il se leva malgré tout de bonne heure, ne sachant plus dormir. Les habitudes

sans doute. Il devait être 6 heures du matin, seuls restaient le capitaine et les marins de garde

cette nuit-là. Une fois de plus il perçut des grognements et même, cette fois-ci, de légers

gémissements.

Ce fut son tour de garde la nuit suivante, le marin qui occupait le quart précédent vint le

réveiller. L’elfe se leva, enfila un gros pull et des chaussettes épaisses avant de mettre ses

chaussures. Il monta les marches et s’immobilisa. De légers grattements se firent entendre.

L’elfe pensa à des rats mais il écarta cette possibilité lorsque, de nouveau, des gémissements

lui parvinrent. Guidé par ceux-ci, il se dirigea vers une porte vermoulue dans le fond de la

cale à provisions, endroit que le capitaine lui avait interdit. Elle était fermée à clé de

l’extérieur. À son approche les bruits cessèrent.

« -Il y a quelqu’un ? Chuchota-t-il

-Oui, on est là !

29

-Qui êtes-vous ?

-Nous sommes des elfes de Brocéliande.

-Brocéliande ? Pourquoi êtes-vous enfermés ?

-Ce sont eux qui ont fait ça ! Je vous en prie sortez-nous de là ! »

Erwan posa sa main sur le cadenas et y lança un sort. Le cadenas céda au bout de quelques

secondes. Il tira sur la poignée de la porte qui grinça et craqua avant de s’ouvrir. Le spectacle

qui s’offrit à lui le choqua. Trois hommes elfes se trouvaient juste derrière la porte, ils avaient

l’air épuisés. Ils étaient blessés. L’un d’entre eux ne savait plus poser son pieds au sol

tellement sa blessure s’était infectée. À l’arrière, il aperçut deux femmes recroquevillées.

*****

Azalée entendit des bruits de pas.

« -Chut ! Taisez-vous ! Ils vont nous entendre ! »

Tout le monde s’immobilisa puis une voix s’éleva de derrière la porte. Azalée tenait une

femme dans ses bras. Elle tremblait.

La voix discuta avec l’un des hommes puis la porte s’ouvrit. Celui qui se trouvait dans son

embrasure possédait des épaules assez fines. Ses cheveux blonds tombaient en cascade sur ses

épaules. Il ressemblait tant à Liory.

« -Tout le monde va bien ? »

Azalée se releva. Cette voix ! Elle en était sûre ! C’était bien lui !

*****

« -Liory ! »

Erwan entendit quelqu’un chuchoter son ancien nom. Il se tourna vers cette voix qu’il avait

cru reconnaître. Azalée se jeta dans ses bras et fondit en larmes.

-« J’ai cru qu’ils t’avaient attrapé ou même pire ! Je ne savais plus quoi faire ! Je suis désolée

je n’ai pas su le protéger je suis navrée !

-De quoi est-ce que tu parles ?

Azalée le regarda dans les yeux.

-Tu n’es pas au courant ?

-Au courant de quoi ? Comment vous êtes vous retrouvés ici ?

-Ils sont venus, ils te cherchaient. Ils ont tout brûlé et ils ont tué ton père.

Erwan la prit par ses épaules et la secoua.

-Qui ça « ils » ? Dis-moi de qui tu parles ! »

Un bruit sourd se fit entendre, Erwan sursauta. Il se retourna et vit une drôle de créature. Elle

faisait environ 2 mètres. Une cicatrice lui barrait le visage. Elle possédait une fourrure sur le

dos. Une fourrure tigrée.

« -Un homme-tigre ? »

La créature sourit et s’avança. Elle parlait parfaitement sa langue.

« -Pas exactement, je suis beaucoup plus que ça. »

« -Un être hybride. Mi homme-tigre, mi orque »

La créature se retourna vers le nouvel arrivant. Vénald la regarda avec un regard dur.

« -Un Krull.

-Exactement.

Il sourit révélant des dents pointues. Erwan s’avança.

-Que voulez-vous ?

-Erwan non ! »

Vénald avait crié.

« -Erwan ? Liory ! Pourquoi il t’appelle Erwan ? demanda Azalée. L’elfe ne répondit pas, il

regardait le Krull qui s’avançait vers lui, l’intérêt soudain éveillé.

-Liory? Le prince Liory? Intéressant. »

30

Le Krull s’avança encore d’un pas vers Erwan.

« -Je te trouve enfin ! Moi qui pensais devoir te poursuivre dans tout le Royaume, tu as fini

par atterrir ici. » Il ricana.

« J’ai une proposition à te faire. Le maitre des Ténèbres m’a chargé de te ramener dans son

château alors tu as deux solutions. Soit tu nous suis de ton plein gré, soit je devrai devenir

violent. À toi de choisir. »

Erwan regarda autour de lui. Azalée était effrayée et Vénald le regardait lui faisant non de la

tête. Les prisonniers étaient dans un sale état. Seule Azalée avait l’air relativement en bonne

santé.

« -Je vous suivrai mais je veux qui vous relâchiez ces gens et je refuse que ma magie soit

entravée par n’importe quel moyen ! Je me tiendrai tranquille.

-Très bien. »

Il siffla et deux orques arrivèrent.

« -Relâchez-les ! »

Les deux orques se dirigèrent vers les prisonniers et les emmenèrent sur le pont. Ils laissèrent

Azalée. Le Krull sortit de la pièce et tambourina à la cabine du Capitaine. Celui-ci ouvrit la

porte, émergeant de son sommeil. Lorsqu’il aperçut le Krull, son regard se baissa.

« -Nous allons changer de cap Capitaine. Direction les Terres Rouges.

-B-b-bien ! »

Il monta sur le pont et cria ses ordres. Le bateau vira de bord. Erwan monta à son tour sur le

pont , le Krull sur ses talons. Il aperçut une barque à quelques mètres du bateau. Les

prisonniers étaient dedans.

Il s’adressa au Krull.

« -Je vous avais dit de les relâcher !

-C’est ce que j’ai fait ! Vous ne m’avez pas précisé où Altesse !

N’oubliez pas d’écoper ! » Ajouta-t-il à l’adresse des prisonniers puis il rit. Son rire avait

quelque chose du grognement du tigre mais était également caverneux.

Après plusieurs jours en mer, le bateau entra dans un port. Erwan sortit de sa cabine qu’il

n’avait pas quittée du voyage. L’air était lourd, presque palpable. L’équipage descendit.

Lorsqu’il atteint la passerelle, l’elfe jeta un coup d’œil autour de lui. Maintenant il savait

pourquoi les gens appelaient ces plaines les Terres Rouges. Des nuages dans les tons gris-noir

composaient essentiellement le ciel. Le Krull le prit par le bras.

« -C’est par ici Altesse »

L’elfe se dégagea et suivit le Krull. Il remarqua que quelques orques le suivaient. Au milieu

d’eux se trouvaient Vénald et Azalée dont les pouvoirs avaient été une fois de plus entravés.

Un château se dressait au milieu des plaines. Tout autour, des centaines de tentes entouraient

la propriété. Le Krull l’emmena vers l’entrée du château. La porte s’ouvrit toute seule. Le

groupe pénétra à l’intérieur de la cour. Sur les marches du perron, un homme se tenait face à

eux. Le bordeaux marquait la majorité de sa tunique. Le reste était coloré de noir. Ses

cheveux, lisses et brillants, tombaient sur ses épaules. Il possédait une taille fine. Jamais

Erwan n’aurait cru cet homme capable de se battre dans une armée tellement il avait l’air

frêle. Sa peau bleutée ne pouvait mentir, il s’agissait d’un Shari’a.

« -Bienvenue Prince Liory ou peut-être me permettrez-vous que je vous appelle Erwan ?

-Qui êtes vous ?

-Je sui le capitaine du Maitre des Ténèbres. Il vous attend. Allons entrez ! »

Cet homme était tellement aimable. Erwan s’avança, suivit par Vénald et Azalée.

« -Lieutenant ! Emmenez ceux-ci où vous savez. » Dit-il en désignant les compagnons

d’Erwan. Le Krull salua puis prit le magicien et l’elfe par le bras. Il les dirigea vers une autre

entrée. Erwan les suivit des yeux.

31

« -Suivez-moi Altesse, ne faisons pas attendre notre Maitre ».

Erwan le suivit dans le dédale de couloirs. Ils aboutirent enfin à une grande porte de chêne

magnifiquement sculptée. Des petits anges ornaient son pourtour. Le capitaine frappa à la

porte et celle-ci s’ouvrit. Une femme se trouvait de l’autre coté. Une femme de chambre vu

son uniforme. Elle passa à côté de l’elfe sans le regarder et sortit dans le couloir. Ses yeux

étaient d’un blanc laiteux. Une aveugle, pensa Erwan. Un grand fauteuil faisait dos à la porte.

L’elfe apercevait une main posée sur l’accoudoir.

« -Maitre, il est là »

La main se leva et lui fit signe de partir. Le capitaine se retira, fermant la porte derrière lui. La

pluie se mit à tomber, rendant les vitres presque floues. Le Maitre des Ténèbres ne parlait pas.

Il restait immobile dans son fauteuil, face à la cheminée. Erwan ne savait pas quoi faire.

« -Pourquoi suis-je ici ? »

Pour toute réponse, il reçut un soupir. Le Maitre se leva. Ses longs cheveux foncés et bouclés

tombaient jusqu’à la moitié de son dos. C’était une femme. Elle chaussait des bottes noires à

talons. Un corset à lacets enserrait sa taille. Elle se tourna vers lui.

« -Bienvenue à toi Erwan »

Sa voix était douce comme le miel.

« -Je suis désolée de t’avoir ramené contre ta volonté.

-C’est moi qui ait accepté de venir.

-Bien. »

Erwan l’observa. Comment une femme aussi délicate pouvait être le Maitre des Ténèbres ?

Celui qui a tant fait de mal ?

Elle le regarda avec insistance puis sourit.

« -Je ne suis sûrement pas la personne à laquelle tu t’attendais pas vrai ?

-Je vous voyais plus…

-Plus homme ?

-Euh… Oui. »

Elle se tourna vers la fenêtre.

« -En réalité, je suis la fille du Maitre des Ténèbres. » Elle désigna un portrait au dessus de la

cheminée.

-Pourquoi suis-je là ?

-Je suppose que Vénald t’a raconté la Légende.

-Vous connaissez Vénald ?

Elle sourit. Un sourire plein de nostalgie.

-On peut dire que c’est une vieille connaissance, je garde un souvenir cuisant de ses sorts.

-Il m’en a parlé oui. Il m’a aussi dit que vous feriez tout pour récupérer le pouvoir du

Magicien.

-Je le reconnais bien là. Je suppose qu’il t’a raconté toutes sortes d’atrocités sur mon compte.

Tu sais je ne suis pas si méchante que ça. Je voudrai juste récupérer ce qui m’a été pris.

-Qu’est-ce qui vous a été pris ? »

Elle ne répondit pas.

« -Tu peux me tutoyer ! D’ailleurs appelle-moi Lilith, ce sera plus simple. »

Elle se tut un moment.

« Tu sais je suis comme toi, moi non plus je n’ai pas connu mes parents. À vrai dire, mon père

adoptif mais trouvée seule dans la neige un soir de fête. J’avais 4 ans et je ne me souviens de

rien. Je ne sais toujours pas pourquoi j’étais seule ce jour-là. Mon père est mort à la fin de la

dernière guerre. Il était vieux et blessé. Je ne voulais pas que le monde le sache. C’est pour ça

que j’ai fait croire qu’il était toujours vivant. Je me suis entrainée dur pour pouvoir lui

ressembler, avoir les mêmes gestes, les mêmes idées et la même façon de me battre que lui

pour que personne ne remarque rien.

32

-Personne ne sait ?

-Juste mes amis les plus proches, si on peut les appeler des amis. Ils ne recherchent que leur

satisfaction personnelle. Ils sont mes amis parce que j’ai du pouvoir.

-Le Shari’a ?

-Entre autres… »

Elle releva la tête vers une cage dans le fond de la pièce qu’Erwan n’avait même pas

remarquée.

« -Vois-tu, les gens se font des idées. Ils pensent que je suis mauvaise parce que je prends des

orques à mon service et aussi parce que je crée des êtres hybrides.

-Hybrides ?

-Le Krull est l’une de mes inventions. J’essaie de rehausser la race des orques. Ils sont

malheureux. Ils sont laids et violent mais ils ne le font pas exprès. La populace a peur d’eux,

elle ne les comprend pas. Elle les craint alors elle les considère comme une sous-race. J’essaie

de redorer leur blason.

-C’est une cause noble mais ce n’est pas en ravageant des villages que leur blason va être

redoré.

-Je le sais, ils ne sont pas toujours dociles. C’est pourquoi il leur faut un chef assez fort pour

qu’ils obéissent tous. Pour l’instant les Krull font l’affaire mais lorsque les orques auront

réalisé qu’ils peuvent tuer un Krull s’ils s’y mettent à 5, je ne pourrai plus les contrôler.

-Vous dites créer des êtres hybrides mais je n’en ai jamais vu auparavant.

-Tous ceux que je crée restent ici, personne ne les acceptent encore, surtout ceux qui sont

ratés. »

Elle se pencha sur la cage.

« -Celui-ci est raté. Son ADN ne s’est pas bien transmuté avec celui de l’animal. »

Erwan s’approcha à son tour de la cage. Il distingua une forme qui ressemblait à un renard.

La créature se jeta contre les barreaux en grognant et en montrant les dents. Elle n’avait rien

de l’orque.

« -Il ne s’agit pas d’une transmutation avec un orque. Vous avez croisé ce renard avec quoi ?

-Un elfe. Je voulais essayer. Vous les elfes êtes si proches de la nature que je pensais que ça

fonctionnerais mais ça a raté. Il ne parle même plus notre langue. Il s’exprime par

grognement. J’hésite à le tuer. Je pensais en faire mon animal de compagnie mais il est

difficile à dresser.

-Vous avez essayé d’autres transmutations ?

-Oui entre animaux. Pourquoi ? Ça t’intéresse ?

-Oui, beaucoup.

-Je peux te montrer comment faire si tu le souhaites. J’ai toujours cherché quelqu’un qui

pourrait m’aider à poursuivre cette tâche. J’essaie d’aider les autres, ceux qui ne savent pas se

défendre. Si tu me rejoins je t’expliquerai tout ce qui s’est passé exactement comme cela c’est

passé. Je te montrerai tout ce que j’ai fais jusqu’à maintenant. »

*****

Le Krull conduisit Vénald et Azalée vers les cachots. Il sortit un trousseau de clés et ouvrit

une grande grille rouillée. Elle grinça. Il leur fit signe d’entrer. Le magicien et l’elfe

s’exécutèrent. Le Krull les poussa pour les faire entrer plus vite et referma ensuite la porte

derrière eux. Il émit quelques grognements et un orque vint se poster devant la porte. Azalée

regarda autour d’elle. Une petite lucarne éclairait légèrement la pièce. Une vieille couchette

composée essentiellement de paille faisait office de lit. Elle s’y assit.

« -Vous pensez que Liory va bien ?

-Je ne sais pas. Le Maitre des Ténèbres est dangereux. Elle est une grande manipulatrice.

-Elle ?

33

-Pardon je voulais dire « il ».

Un silence s’installa pendant presque une heure.

Un rat courut à travers la cellule, s’introduisant entre les barreaux pour ensuite passer dans la

cellule voisine. Elle remarqua alors un être allongé. Son souffle rauque était à peine

perceptible. Elle voyait sa poitrine monter et descendre, signe qu’il vivait toujours. Elle se mit

à genoux près de la cage.

« -Vous allez bien ? »

Elle n’eut pas de réponse. Une main se posa sur son épaule, elle leva les yeux et Vénald se

tenait à côté d’elle.

« - Laisse-le. Il va bientôt mourir.

-Qui est-ce ?

-Si je ne me trompe pas, il s’agit d’un Leecan.

-Un Leecan ?

-Connais-tu la légende racontant qu’il y a bien longtemps un homme survécu à la peste

atteignant ainsi le stade d’immortel ? Il avait deux fils. L’un fut mordu par une chauve souris.

Il devint un vampire. L’autre fut mordu par un loup ayant contracté la rage. Il devint un loup

garou. On dit que depuis toujours, les vampires et les loups garous se livrent batailles et que

rien ne pourra plus jamais les réunir, ils sont condamnés à vivre et à s’entretuer jusqu’à la fin

des temps.

-Oui j’en ai entendu parler. Vous voulez dire que cette créature est un genre de loup garou ?

-Ce n’est pas exactement cela. Lorsque le Maitre des Ténèbres a tenté de rassembler ces deux

races sous une même bannière, ils se sont rebellés. Les vampires ne voulaient pas être avec ce

qu’ils appelaient des « sous-êtres » dans un même lieu. Pour pouvoir les réunir dans son

armée, Il a tenté de trouver un moyen de les faire cohabiter. Il a essayé de créer un être

hybride entre ces deux races de sortes qu’ils arrêtent de se quereller mais le résultat des

transmutations est assez variable.

-Un Leecan est donc un mélange de loup-garou et de vampire ?!

-Oui c’est cela. »

Des bruits de pas interrompirent leur conversation. Ils résonnaient dans le couloir et

s’amplifiaient. Lorsque le bruit fut à son apogée, Vénald vit deux orques et un elfe tourner le

coin du couloir. C’était Erwan. Un des orques sortit un trousseau de clés et ouvrit la porte de

la cellule. Il y entra et sortit de force l’elfe et le magicien.

« -Vous êtes libres » dit-il avec un fort accent. Ni Vénald, ni Azalée ne comprenaient ce qu’il

se passait. Azalée se tourna vers son ami d’enfance.

« -Liory euh… Erwan que se passe-t-il ?

-Ils vous relâchent.

-Mais pourquoi ?

-Simplement parce que je le leur ais demandé. »

Son regard dur et sérieux surprit Azalée. Elle avait déjà tout vu dans ses yeux sauf cette

détermination et cette dureté.

« -Partez-d’ici maintenant.

-Et toi ?

-Je reste. »

Vénald intervint.

« -Pourquoi restes-tu ? As-tu vu le Maitre des Ténèbres ?

-Oui et ça fait partie du marché, je reste et vous êtes libres.

-Ne fais pas ça ! Tu sais ce qu’il veut non ? Il veut te manipuler pour avoir le pouvoir ! Il ne

s’intéresse pas à toi !

34

-Vous n’en savez rien. Il fait des travaux très intéressants. Je reste ici. »

Vénald vit à l’expression d’Erwan qu’il considérait la conversation comme close. L’homme-

tigre prit Azalée par le bras et l’emmena vers la sortie. Vénald s’arrêta un instant et se tourna

vers l’elfe.

« -Tu me déçois Erwan. ». L’elfe resta de marbre comme si la remarque ne l’atteignait même

pas. Vénald s’éloigna et croisa une dernière fois le regard de celui qui avait été son apprenti. Il

ne savait pas si c’était son esprit qui lui jouait des tours mais il cru voir les yeux d’Erwan

devenir plus humides. L’orque les conduit vers les écuries.

« -Nous avons droits à des chevaux ?

-Nous n’avons pas de chevaux. Juste des Shirais. Sa Majesté nous a demandé de vous en

fournir deux. »

L’orque entra dans ce qui faisait lieu de box et sortit avec deux énormes chiens de la taille

d’un poney.

« -Avec eux vous pourrez rejoindre votre royaumes plus vite qu’avec des montures

normales. »

Vénald acquiesça et monta sur le Shirai que l’orque lui désignait. L’elfe fit de même et ils

partirent tous les deux vers le port.

****

Six mois s’écoulèrent après l’arrivée d’Erwan dans les Terres Rouges. Six mois durant

lesquels Erwan changea du tout au tout. Au départ, il avait eu beaucoup de mal à s’habituer à

l’environnement et aux habitants. Il remarqua que très peu de femmes ou d’enfants étaient

présents sur ces terres, comme si le Maitre des Ténèbres rassemblait des troupes. Les

guerriers qui vivaient là habitaient dans des tentes. Ils respectaient Erwan et parfois l’elfe

pensait voir un peu de crainte dans leur regard. Jamais personne ne l’avait traité de cette

manière, comme un être surpuissant. Il suivit un entrainement auprès des guerriers les plus

forts des Terres Rouges. Tous les jours, il devait combattre contre le Capitaine avec une épée

en bois. Au départ, il n’arrivait même pas à l’effleurer mais au fur et à mesure il arrivait à le

toucher, une fois même il réussit à le battre. Lorsque ce jour arriva, un soldat l’emmena voir

le magicien pour qu’il arrive à développer et contrôler ses pouvoirs. Plus le temps passait et

plus le caractère d’Erwan changeait. Plus il arrivait à contrôler et maitriser sa force et plus il

arrivait à mettre à terre les meilleurs guerriers. S’estimant de plus en plus le meilleur d’entre

eux, il se permettait de donner des ordres et même parfois au Capitaine. Tous s’exécutaient. Il

exigea ensuite que personne d’autres que la Reine Lilith ne le regarde dans les yeux sous

peine de mort. Pour lui, la force et le pouvoir devinrent bientôt des priorités et aussi des

critères de classes sociales. Il considérait les orques comme des serviteurs, les elfes noirs

comme des sous officiers et les hybrides comme des bêtes.

Après avoir fait le tour de toutes les techniques de combats et toutes les formules magiques, il

commença à s’ennuyer. Il décida alors de s’amuser en torturant des hybrides ratés mais même

cette activité finit par le lasser. Lilith remarqua qu’il lui arrivait de devenir colérique. Il

s’énervait et détruisait tout sur son passage pour des raisons qui n’étaient pas valables. Après

un moment, les troupes considérèrent Erwan comme plus autoritaire et plus dangereux que

Lilith, ils commencèrent donc à exécuter les ordres de l’Elfe plutôt que ceux du Maitre des

Ténèbres.

Un soir Lilith le fit demander dans ses quartiers.

Quelqu’un toqua à la porte.

« -Oui entrez.

-Je suis là qu’est-ce que tu me veux ?

35

-Ah ! Erwan ! Assieds toi je t’en prie. » Elle lui sourit mais ne reçu en retour qu’un regard

mauvais.

-Sois brève j’ai autre chose à faire.

-Je me demandais juste ce qu’il t’arrivait ces temps-ci…

-Je ne vois pas de quoi tu parles.

-Depuis que tu es ici tu es devenu si…hautain

-Moi ? Hautain ? Tu te méprends. Je ne fais que traiter ces créatures comme je me dois de les

traiter. Elles ne valent rien comparé à moi ! Comment peux-tu douter de moi ?»

Lilith garda le silence. Il la regarda dans les yeux mais elle détourna le regard. Elle

commençait elle aussi à le craindre.

« -Et mon capitaine ? Il est où ? Je ne l’ai plus vu depuis un moment déjà…

-Je l’ai tué. Si tu as terminé, je m’en vais. »

Il se retourna et sortit en claquant la porte.

« -Je crois que je l’ai énervé »

Quelques instants plus tard, une secousse fit ressentir dans tout le château, comme un

tremblement de terre ou plutôt comme une explosion.

Elle sortit en catastrophe de sa chambre et courut dans le couloir. Elle tourna le coin du mur et

se retrouva face à un des couloirs complètement effondré sur lui-même. La porte d’une des

chambres pendait sur ses gonds et un garde Shari’a, allongé sur le sol, semblait être mort. Un

des domestiques accourut.

« -Que s’est-il passé ? »

Lilith ne répondit pas tout de suite.

« Erwan… »

Elle entra dans la chambre, elle était vide. La fenêtre ouverte donnait sur le bois à l’arrière du

château. Une énorme fumée se dégageait du cœur de la forêt. Lilith se précipita par la fenêtre

et se dirigea vers la colonne de fumée. Une sorte de chemin avait été tracé à travers les arbres

et les buissons. Tout avait été carbonisé. Elle suivit la trace jusqu’au centre et se retrouva

devant un spectacle qui lui arracha un cri de stupéfaction.

Les flammes orangées et rouges embrasaient le ciel bleu nuit, toute la verdure se consumait.

Une silhouette plus sombre se détachait de cette luminosité. Ses yeux couleur du sang

brillaient dans la noirceur de la nuit. Elle su dès ce moment qu’elle avait donné naissance à un

monstre.

****

Azalée se rendit à l’infirmerie pour aider à soigner les blessés. Depuis près de 3 mois, le

Maitre des Ténèbres attaquait le royaume sur plusieurs fronts. Les nains, les humains et même

certains orques s’étaient unis pour le combattre. Les elfes préféraient faire bande à part. Ils

refusaient catégoriquement de prendre part à la bataille même si le plus grand danger de cette

guerre s’avérait être de leur race. Ils restaient terrés dans les forêts ou les montagnes et ne se

battaient que pour défendre leur village. Les blessés de plus en plus nombreux, les magiciens

ne savaient plus où donner de la tête. Tous restaient anxieux de voir Erwan apparaitre plus

fort qu’il ne l’a jamais été.

Un soldat entra en courant dans la tente de l’infirmerie.

« -Le Maitre des Ténèbres ! Il est sur le champ de bataille ! »

Azalée releva la tête puis courut en direction de la zone de combat. Elle vit un homme de

haute taille en armure noire. Personne n’arrivait à l’approcher à moins d’un mètre, il maniait

l’épée avec une grande dextérité, obligeant ses assaillants à se tenir à distance. L’envie de le

tuer l’envahit, elle hésita. Le combat s’interrompu. Il cessa de se battre et tendit sa main vers

Azalée en la pointant du doigt. Elle s’avança sans réfléchir et se retrouva face à lui. Il la

regarda dans les yeux et lui tendit une dague. Elle ne comprit pas pourquoi mais elle prit la

dague dans sa main. Il siffla et un Shirai accourut, il monta sur son dos et battit en retraire.

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Toute sa horde d’hybrides se referma et les combats reprirent. Azalée se recula pour ne pas

être blessée et se rendit vers la tente de Vénald. Elle était vide. Il devait être au combat. Elle

jeta un coup d’œil autour d’elle et vit une lettre sur une petite table. Dessus, le nom de Vénald

était inscrit. Toute la lettre était écrite à l’encre mauve.

« Bonjour cher Vénald ! J’ai conscience du temps qui a passé depuis notre dernière rencontre et j’ai aussi conscience de notre relation. Il est vrai que nous ne sommes pas en bons termes mais j’aurai un grand service à te demander. Depuis plusieurs jours, Erwan a changé de comportement et devient de plus en plus agressif que ce soit avec les êtres vivants ou les objets. J’avoue, je le voulais à mes côtés car sa puissance aurait été un élément de poids devant les dirigeants des pays pour adopter mes idées et accepter mes recherches… mais les choses ont mal tourné, je ne sais pas pourquoi il est devenu comme ça… il commence à me faire peur… Je suis consciente de mon incapacité à le contrôler et je me rends compte que je ne peux rien faire contre lui. Je sais que tu le connais mieux que personne c’est pourquoi c’est à toi que je m’adresse. Je ne vois que toi pour faire ça. Ce que je voudrai que tu fasses c’est… » Azalée ne put lire la fin de la lettre, elle était déchirée à partir de cet endroit. Il y avait juste

quelques mots à l’arrière

« Merci pour tout ! Lilith. » Quelqu’un entra à ce moment-là et Azalée dissimula la lettre dans sa manche.

« -Ah ! Azalée tu es là ! Nous avons besoin de ton aide ! Plusieurs blessés viennent encore

d’arriver !

-J’arrive tout de suite. »

L’infirmière s’éloigna laissant Azalée seule. Elle remit la lettre à sa place, mit la dague à sa

ceinture et sortit.

Lorsqu’elle arriva, des couchettes avaient été aménagées à l’extérieur. Azalée utilisait sa

magie pour soigner les blessures les plus graves. Le spectacle qui s’offrit à elle lui fit de la

peine. Tous étaient maculés de sang. Elle passa à côté de certains d’entre eux qui avaient des

membres en moins. Elle s’occupa d’eux en premier pour stopper les hémorragies. L’après

midi se passa plus calmement, les troupes des deux camps commençaient à fatiguer. Quand le

soir tomba, les batailles cessèrent et chacun regagna son campement pour la nuit. Quand

Vénald rejoignit sa tente, la lune trônait déjà haut dans le ciel. Il avait du faire un rapport près

des grands dirigeants humains avant de pouvoir se retirer. Ils le considéraient comme un allié

de poids car il était le seul elfe avec Azalée à avoir accepté de les aider durant la guerre.

Lorsqu’il arriva, la jeune elfe l’attendait. Bizarrement, il ne fut pas très ravi de la voir.

« -Qu’est-ce que tu veux ? Je suis très fatigué j’aimerai aller me coucher.

-La lettre, je l’ai vue… »

Vénald prit un air stupéfait.

« -Tu fouilles dans les affaires des autres maintenant ?

-Non, enfin c’était sur votre table et j’ai vu le nom d’Erwan alors… je l’ai lue, enfin juste une

partie parce que le reste avait été déchiré. »

37

Vénald hocha la tête.

« Vas te coucher on en reparlera plus tard. »

Elle avait l’air de vouloir protester mais elle se tu et partit la tête basse vers sa tente. À une

distance respectable de celle de Vénald, elle changea de direction et se dirigea vers le champ

de bataille, puis vers le camp adverse en faisait bien attention de ne pas se faire repérer.

Vénald s’apprêta à aller se coucher quand il eut un moment d’hésitation. Il vit la lettre de

Lilith sur la table et regarda en direction du camp adverse. Il prit sa cape qu’il mit en travers

de ses épaules puis marcha vers le campement de la reine Lilith.

Azalée réussit à approcher les tentes. Elle marcha le plus silencieusement possible, la plupart

dormaient déjà. Elle s’approcha d’une d’entre elles mais des gardes veillaient autour d’un feu.

Elle dû attendre la relève pour pouvoir passer. Elle arriva enfin devant la plus grande des

tentes. Tout était silencieux. Elle entra et se retrouva face à un elfe noir. C’est l’impression

qu’elle eut aux premiers abords mais ce visage lui disait quelque chose. Il la regarda un

moment dans les yeux.

« Erwan ! »

Il avait beaucoup changé. Elle remarqua qu’il avait grandit, ses cheveux étaient à présent

noirs mais ce qui la frappa le plus fut son regard. Si dur, si froid.

« -Erwan c’est toi ?

-Ouais et qu’est-ce que ça peut te faire ?

-C’est moi ! Azalée !

-J’avais remarqué merci. »

Elle avait l’impression qu’un gouffre les séparait à présent, eux qui étaient si proches

quelques années auparavant. Elle s’approcha de lui pour tenter de le serrer contre elle. Il ne la

repoussa pas mais il ne la serra pas contre lui non plus.

« -J’ai tant attendu de te revoir.

-J’ai toutes les filles que je veux, ça sert à rien de me faire du charme. »

Elle le regarda, surprise.

« Tu crois que je suis venue pour ça ?! » Il sourit, un sourire mauvais.

« Pourquoi d’autre serais-tu venue ? » Il l’étreignit contre lui et commença à l’embrasser dans

la nuque. Azalée frissonna et se surprit à en avoir réellement envie. Elle pensa à ce qu’il était

devenu et soudain l’idée de coucher avec lui apparu comme un acte ignoble dans son esprit et

elle le repoussa violemment.

« Non ! Je ne suis pas venue pour ça et je ne ferai jamais rien avec toi ! Jamais ! »

Il sourit encore, comme si ce refus était une invitation et il s’approcha encore d’elle. Elle

sentit que s’il recommençait, cette fois-ci, elle n’aurait pas la force de le repousser.

Lilith entra dans la tente à ce moment-là. Azalée se retourna vers elle mais Erwan fixa la toile

de la tente devant lui et soupira, irrité.

« -Tu me déranges !

-Justement. C’est mon but. »

Il lui jeta un regard mauvais et elle le soutint. Erwan, énervé, sortit. Le soleil commençait à se

lever, le ciel prit une teinte rougeâtre. Lilith et Azalée le suivirent.

Il se tenait face au soleil levant puis se retourna vers elles. Son regard rouge fut plus visible

que jamais.

« Vois-tu cette couleur ? Dit-il à l’adresse de Lilith en désignant le ciel. C’est ma couleur

préférée et tu sais pourquoi ? Parce qu’elle révèle mon ‘moi’ intérieur ! La couleur du sang

qui se répand sur le sol ! » Il sourit encore une fois, un sourire vrai et sincère comme si ce

qu’il venait de dire le remplissait de joie.

Vénald apparut en sortant de l’ombre, Gwyr à ses côtés.

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« -Je ne te croirais pas si tu me disais que c’est réellement ce que tu penses.

Le jeune elfe ne fut pas surpris de l’apparition du magicien.

-C’est pourtant la réalité. Faudra vous y faire ! »

Il tourna les talons et commença à traverser la plaine en faisant des gestes violents vers les

tentes. Les éléments lui obéissaient au doigt et à l’œil et dès qu’il faisait un geste, une rafale

de vent, une langue de feu, un éclair de foudre ou encore toute une vague d’eau s’abattait sur

ce qu’il l’entourait et détruisait tout sur son passage.

« Il faut l’arrêter » murmura Lilith, devenue impuissante.

Vénald courut dans sa direction.

« Erwan ! Je sais qu’il y a encore du bon en toi ! Écoute-moi ! »

Le jeune elfe s’arrêta et se retourna.

« -Qu’est-ce que tu me veux ?

-Je sais que tu n’es plus toi-même. Ton pouvoir a prit possession de ton corps et de ton âme.

C’est ton pouvoir qui te dirige et non l’inverse. Ta soif de sang et de violence viennent de là !

Le garçon ricana.

-Vous m’en direz tant !

-Je suis désolé de faire ça ! Je n’en ai pas envie. »

Erwan le regarda intrigué.

Vénald lui lança un sort mais l’elfe le repoussa d’un revers de la main avec une grande

facilité.

« Si tu crois pouvoir m’atteindre avec ce genre de sorts tu te trompe complètement vieux

fou ! »

Il avança avec une rapidité déconcertante vers le magicien et l’attrapa à la gorge en le

soulevant du sol.

« Je vais te dire quelque chose ! Tu as raison sur un point, je ne suis plus du tout le même.

Tout ce qui m’importe à présent c’est moi et uniquement moi ! Je me fous des autres et me

contrefous des valeurs ! Je ne suis qu’une seule loi la mienne. Les autres sont si impuissants,

si insignifiants contrairement à moi qui ait tant de force et de pouvoir. Vois comme il m’est

facile de tuer... »

Il serra son poing et Gwyr s’effondra sur le sol sans un cri. Il desserra son étreinte et

recommença, Lilith cria et tomba à genoux sous la douleur.

« … ou juste de faire souffrir. Je sais que tu ne sais utiliser ta magie qu’en présence de ce

truc ! Dit-il en désignant le dragonnet mort puis il montra Lilith. Je contrôle tous les éléments,

je peux même faire arrêter son cœur de battre si j’en ai envie mais il est tellement plus drôle

de les voir souffrir jusqu’au moment où ils ne peuvent plus résister et qu’ils te supplient de

leur laisser la vie sauve ! Les créatures sont tellement pitoyables. Qu’elles soient fortes ou

non, dès qu’elles sont en danger de mort elles te supplient de leur laisser la vie sauve te

promettant de te dire ou faire tout ce que tu veux. À quoi servent les valeurs si personne n’est

capable de les respecter ? »

Il lâcha le magicien qui s’écroula sur le sol toussant et crachotant, la gorge prenant soudain

une teinte violacée.

« Je contrôle parfaitement mon pouvoir, je suis complètement conscient de la force que j’ai et

ce dont je suis capable. Ne viens pas me faire la morale je ne supporte pas ça ! »

Azalée accourut vers le magicien pour le relever.

« Toutes les mêmes ! Dès qu’on a le dos tourné, elles courent dans les bras d’un autre »,

ajouta-il avec dédain puis il éclata de rire comme si il avait dit une blague. L’elfe se releva et

le regarda avec tristesse. Erwan continua de s’adresser au magicien, comme si Azalée n’était

pas là.

« Te rappelles-tu de la légende ? L’Epée de la Destinée ! Ah ! Ça m’a fait bien rire ça ! En fait

elle n’existe pas, c’est juste une façon d’appeler le stade de contrôle absolu rien d’autre. J’ai

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été surpris quand j’y suis arrivé, j’ai eu l’impression pour la première fois de ma vie d’être

réellement moi. A ce moment, je me rappelle vaguement avoir entendu une voix de vieillard

dans ma tête mais je l’ai étouffée. Il était tellement ennuyant !

Bon ce n’est pas que je m’ennuie avec vous mais je vais y aller ok ? »

Un Eclair transperça le ciel et s’abattit sur Erwan. Lorsque la poussière à l’endroit de l’impact

se fut dissipée, les vêtements de l’elfe fumaient mais il n’avait aucunes égratignures. Un

sourire sadique fendit son visage.

« Je vais peut-être m’amuser tout compte fait… »

Il releva la tête vers Lilith qui s’était relevée. Elle vacilla légèrement.

« Quoi déjà ? Ne me dis pas que c’était le sort le plus puissant que tu avais en réserve ! Ça

m’a à peine chatouillé. »

Il déferla à son tour plusieurs sorts sur la pauvre femme qui s’écroula sans plus pouvoir se

relever. Il s’approcha et l’attrapa par le bras. L’elfe réussit à la relever d’une seule main.

« Alors ? C’est tout ce que tu as à me donner ? A la base je n’avais pas envie de jouer avec toi

mais tu m’as provoqué ma petite. Tu dois rester en vie jusqu’à la fin du jeu maintenant sinon

c’est de la triche ! » Il sourit encore et la laissa retomber.

Vénald et Azalée se mirent à l’attaquer en duo.

« A deux contre un ? Décidemment vous savez jouer dans les règles vous… »

Leurs attaques n’avaient aucun effet sur lui, il semblait invincible.

Après plusieurs minutes de combats, un public commença à s’assembler autour d’eux mais

personne n’osait intervenir de peur de finir comme Lilith ou Vénald. Erwan, sans raison

particulière, s’acharnait d’avantage sur le magicien et la vampire que sur son amie d’enfance.

Peut-être lui restait-il quelque nostalgie qui l’empêchait de faire du mal à Azalée. C’est du

moins ce qu’elle pensait mais lorsqu’elle tenta de l’approcher, il la frappa si violemment

qu’elle fut projetée en arrière.

« J’ai voulu que tu sois mienne, tu as refusé alors maintenant subis-en les conséquences. Je

m’occuperai de toi quand j’en aurai fini avec eux. »

La jeune fille jeta un coup d’œil vers Lilith et Vénald. Etendus sur le sol, du sang coulaient de

leurs nombreuses blessures. Ils ne bougeaient plus soit parce qu’ils étaient morts soit parce

qu’ils étaient inconscients.

Azalée s’approcha de lui, déterminée. Erwan lui sourit, la voyant approcher. Son sourire se

figea un instant puis il baissa légèrement la tête. Azalée le regardait, les larmes aux yeux. Une

dague traversait à présent l’abdomen du jeune garçon qui cracha du sang.

Elle sourit sans vraiment savoir pourquoi.

« Regarde-toi ! Regarde ce que j’ai réussi à faire ! A quoi cela sert-il de pouvoir contrôler le

monde si tu n’es pas capable de te PROTEGER CONTRE CA ! »

Elle avait prononcé les derniers mots en hurlant.

« Tu es tellement obnubilé par ta puissance que ça ne te viens pas à l’esprit que moi, avec une

simple dague, je peux te tuer ! Tu n’apportes pas assez d’importance aux petits détails ! C’est

ta seule erreur. C’est comme mourir étouffé par un noyau d’olive alors qu’on est roi d’un

pays ! C’est d’un risible ! Ça en devient presque pitoyable… »

Elle recula et le regarda. Il fit quelques pas en arrière puis il se mit à enlever la dague de son

ventre. Il vacilla légèrement et tomba à genoux dans la poussière. Son regard surpris croisa

celui de la jeune elfe. Un filet de sang s’échappa d’entre ses lèvres. Une tache de cramoisi

s’étala sur sa tunique et il s’écroula sur le sol. Ce fut la fin de ce qui faillit être le début de la

fin du monde comme nous le concevons.

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ÉPILOGUE :

En ce qui concerne Vénald, il mourut quelques jours plus tard d’une hémorragie interne. Les

années qui suivirent, la reine Lilith décida d’utiliser la parole plutôt que la force pour mettre

en avant les droits de toutes les créatures ainsi que ceux des hybrides. Elle voulut faire

comprendre au gens que créer des hybrides c’était comme créer de meilleures races, ne

prenant que les dons et les points positifs de chacune des races. Beaucoup de gens

l’écoutèrent mais peu adhérèrent à sa façon de penser.

Personne n’osa plus reparler de cette histoire, elle était comme une cicatrice dans la grande

Histoire du royaume. Une seule personne continua et continue toujours de la raconter, Azalée

fit des recherches pour connaitre tout de ce qui c’était réellement passé. Elle interrogea des

elfes noirs ainsi que des hybrides, des orques, des elfes et des hommes pour avoir des

témoignages et des avis sur ce qui était arrivé. Ce fut dur de récolter toutes ces informations

mais encore maintenant, elle reste fidèle à ce qu’il s’est passé, énumérant chaque détail,

revivant l’histoire à chaque fois qu’elle la raconte, pleurant à chaque fois qu’elle commence

l’histoire, se rappelant de la gentillesse et l’insouciance de Liory, et pleurant à chaque fois

qu’elle finit, se rappelant comment elle avait perdu son seul amour, comment il s’était détruit

lui-même.