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UNESCO - La Philosophie, Une École de La Liberté

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« La philosophie, une école de la liberté », phrase forte qui à elle seule pourrait résumer l’essence du présent ouvrage. C’est le titre choisi pour cette étude de l’UNESCO sur l’état des lieux de l’enseignement de la philosophie dans le monde, pleinement en phase avec la Stratégie intersectorielle de l’UNESCO concernant la philosophie, adoptée par le Conseil exécutif de l’Organisation en 2005.

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  • Les appellations employes dans cette publication et la prsentation des donnes qui yfigurent nimpliquent de la part de lUNESCO aucune prise de position quant au statut juridiquedes pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorits, ni quant leurs frontires ou limites.

    Publi en 2007 par :Organisation des Nations Unies pour lducation, la science et la cultureSecteur des Sciences sociales et humaines7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France

    Sous la direction de Moufida Goucha, Chef de la Section Scurit humaine, dmocratie et philosophie

    Assiste de Feriel Ait-ouyahia, Arnaud Drouet, Kristina Balalovska

    Toute communication concernant cette publication peut tre adresse :Section Scurit humaine, dmocratie et philosophieSecteur des Sciences sociales et humaines

    UNESCO1, rue Miollis75732 Paris Cedex 15, FranceTl. : +33 (0)1 45 68 45 52Fax : +33 (0)1 45 68 57 29Courriel : philosophy&[email protected] Site Internet : www.unesco.org/shs/fr/philosophy

    Images couverture : gettyimagesImages intrieur: Jrmie Dobiecki Photos : http://office.microsoft.com/fr-fr/clipart/ Compos par Jrmie DobieckiImprim par Dumas-Titoulet Imprimeurs

    ISBN 978-92-3-204070-1 UNESCO 2007Imprim en France

  • LA PHILOSOPHIEUNE COLE DE LA LIBERT

    ditions UNESCO

    Enseignement de la philosophieet apprentissage du philosopher :

    tat des lieux et regards pour lavenir

  • iii

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Remerciements

    Aux experts Michel Tozzi (chapitre I), Luca Scarantino (chapitres II et III), Oscar Brenifier(chapitre IV) et Pascal Cristofoli (chapitre V) pour avoir fourni lUNESCO le socle de cettetude, dont lesprit et la lettre ont t amplement conservs. Quils soient remercis pourleur accompagnement et leur engagement sans failles, la fois informatifs et critiques.

    Nos remerciements vont galement aux Commissions nationales pour lUNESCO et auxDlgations permanentes auprs de lUNESCO, pour avoir officiellement requis cette tudeet pour y avoir contribu, pour la grande majorit dentre-elles ; aux Titulaires des ChairesUNESCO de philosophie, pour avoir ragi promptement et pour avoir offert un panorama jour des visages rgionaux de lenseignement de la philosophie ; aux ONG, pour leurractivit et leur souci dtre aux cts de lUNESCO dans cette aventure.

    Cette tude est ddie tous ceux qui se sont engags, avec vigueur et conviction, dansla dfense de lenseignement de la philosophie, gage fcond de libert et dautonomie.Cette publication est galement ddie ceux qui, jeunes esprits aujourd'hui, sont appels devenir les citoyens actifs de demain.

  • SOMMAIRE

  • vLA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    PrfaceKochiro Matsuura, Directeur gnral de lUNESCO ix

    Les trois temps de la philosophie lUNESCOPierre San, Sous-Directeur gnral pour les Sciences sociales et humaines(UNESCO) xi

    La dynamique de la mthode Moufida Goucha, Chef de la Section Scurit humaine, dmocratie et philosophie(UNESCO) xvii

    Chapitre I 1 - 45Enseignement de la philosophie et apprentissage du philosopheraux niveaux prscolaire et primaireLa philosophie et les jeunes esprits : lge de ltonnementTable des matires du chapitre I 1Introduction : chemin parcouru, chemin parcourir 3Notice mthodologique 4I. Les interrogations suscites par la philosophie avec les enfants 5II. Promouvoir les pratiques vise philosophique aux niveaux

    prscolaire et primaire : orientations et pistes dactions 15III. La philosophie avec les enfants : un dveloppement prendre en compte 25IV. La philosophie aux niveaux prscolaire et primaire en quelques chiffres 43Conclusion : du souhaitable au possible 45

    Chapitre II 47 - 93Enseignement de la philosophie au niveau secondaireLge du questionnement Table des matires du chapitre II 47Introduction : visages de lenseignement de la philosophie au niveau secondaire 48Notice mthodologique 49 I. La prsence de la philosophie lcole : quelques controverses 51 II. Suggestions pour un renforcement de lenseignement de la philosophie

    au niveau secondaire 67III. tat des lieux : institutions et pratiques 75IV. La philosophie au niveau secondaire en quelques chiffres 91Conclusion : la philosophie ladolescence : une puissance de transformation cratrice 93

  • vi

    SOMMAIRE

    Chapitre III 95 - 149Enseignement de la philosophie au niveau suprieurLa philosophie dans le champ universitaire

    Table des matires du chapitre III 95Introduction : laboration et enseignement du savoir philosophique 97Notice mthodologique 99 I. La dynamique entre enseignement et recherche en philosophie lUniversit 100II. La philosophie face aux dfis mergents : questions et enjeux 113III. Diversification et internationalisation des enseignements philosophiques 123IV. La philosophie au niveau suprieur en quelques chiffres 148Conclusion : la philosophie en devenir 149

    Chapitre IV 151 - 195Dcouvrir la philosophie autrementLa philosophie dans la Cit

    Table des matires du chapitre IV 151Introduction : lAutre de la philosophie 153Notice mthodologique 153I. Le besoin de philosopher 154II. La pluralit des pratiques philosophiques 161III. Vingt propositions daction pour philosopher 178IV. La philosophie au niveau informel en quelques chiffres 194Conclusion : est-ce philosophique ? 195

    Chapitre V 197 - 237Lenseignement de la philosophie travers une enqute UNESCO auto-administre via Internet

    Table des matires du chapitre V 197Introduction : un procd collectif et inclusif 198I. Principaux rsultats thmatiques 199II. Outils, mthode et modalits dorganisation 222Conclusion : une enqute indite 229Questionnaire en ligne de lUNESCO 230

  • vii

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Point de vue 239 - 241

    Annexes 243 - 277Annexe 1. Comit dexperts Comit de lecture 244Annexe 2. Liste des personnes ressources de ltude 245Annexe 3. Glossaire 247Annexe 4. Quelques rfrences bibliographiques dintrt 253Annexe 5. Liste dacronymes utiliss 269Annexe 6. Index des pays mentionns 273

  • PRFACE

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    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    La mission mme de lUNESCO, mise auservice de la solidarit intellectuelle etmorale de lhumanit, est dembrasser etde promouvoir lensemble des savoirs. Dansune socit du savoir, ouverte, inclusive etpluraliste, la philosophie a toute sa place.Son enseignement aux cts des autressciences humaines et sociales reste au curde nos proccupations.

    Cet ouvrage nest pas seulement un tatdes lieux de ce qui se fait, et ne se fait pas,en matire denseignement de la philosophieaujourdhui. Il va bien au-del, en dressantune grille de lecture intelligible, en offrantdes pistes et des orientations nouvelles. Dela sorte, il se veut un vritable outil pratiqueet prospectif, document et actualis, ochacun trouvera matire rflexion.

    Quest-ce que lenseignement de la phi-losophie, si ce nest celui de la libert et dela raison critique ? La philosophie renvoieen effet l'exercice de la libert dans et parla rflexion. Parce qu'il s'agit de juger enraison et non d'exprimer de simples opinions,parce qu'il s'agit non seulement de savoir,mais de comprendre le sens et les principesdu savoir, parce quil sagit de dvelopperlesprit critique, rempart par excellencecontre toute forme de passion doctrinaire.Ces finalits exigent du temps, un retoursur soi, sur les langages et les culturesautres. Cest un temps long, qui repose surune instruction claire, une mise en perspec-tive rigoureuse des concepts et des ides.La philosophie, comme mthode, commedmarche, comme pdagogie, permet ainsi

    de dvelopper les comptences de chacunpour questionner, comparer, conceptualiser.

    La premire tude sur lenseignement de laphilosophie dans le monde mene parlUNESCO, publie en 1953, mettait djlaccent sur le rle de la philosophie dans laprise de conscience des problmes fonda-mentaux de la science et de la culture, etdans lmergence d'une rflexion argumentesur lavenir de la condition humaine. Laphilosophie a chang, elle sest ouverte surle monde et sur dautres disciplines.Voyons-y une raison de plus pour dvelopperson enseignement l o il existe, et de lepromouvoir l o il nexiste pas.

    Rouvrir ce dbat, en le prolongeant, cestaussi et surtout replacer la question despolitiques d'enseignement et dducation mener au cur de lagenda international :un enjeu majeur, si nous voulons valoriseret partager nos savoirs, et investir dans uneducation de qualit pour tous pour assurerlgalit des chances de chacun.

    Le dfi est donc lanc auprs de chacun destats membres de lUNESCO, de toutes lesONG, de toutes les associations philoso-phiques et de tous les acteurs concerns etintresss pour quils sapproprient lesrsultats de cette tude et y trouvent desorientations constructives et utiles. Puissedonc chacun puiser ici aux sources dunvaste ensemble dides, dexpriences,dinitiatives et de pratiques, rassembles defaon opportune pour mieux faire face auxdfis de demain.

    KKoocchhiirrooMMaattssuuuurraa

    Kochiro MatsuuraDirecteur gnral de lUNESCO

    La philosophie, une cole de la libert , phrase forte qui elle seule pourraitrsumer lessence du prsent ouvrage. Cest le titre choisi pour cettetude de lUNESCO sur ltat des lieux de lenseignement de la philosophiedans le monde, pleinement en phase avec la Stratgie intersectoriellede lUNESCO concernant la philosophie, adopte par le Conseil excutifde lOrganisation en 2005.

  • LES TROISTEMPSDE LAPHILOSOPHIE LUNESCO

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    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Discipline charnire des sciences humaines,la philosophie se trouve la croise deschemins du devenir des individus. Car au-del dun savoir, cest bien dun savoirtre quil sagit. Comme il y a un art desavoir, il y a galement un art d'enseigner.Cest pourquoi lUNESCO se proposeaujourdhui doffrir une tude s'articulanten trois temps : une prise en compte desapports des tudes antrieures en lamatire, une esquisse de cet enseignementtel quil se pratique aujourdhui, et unebauche de perspectives pour lavenir.

    La trame de ltude repose sur un postulatessentiel, celui selon lequel lUNESCO neprtend pas noncer une quelconquemthode ou orientation philosophique, sice nest celle de la culture de la paix.Linitiative de cette tude, conjointementdcide par les tats membres et par leSecrtariat de lUNESCO, sinscrit dans unleitmotiv constant quest la promotion de laphilosophie et lencouragement de sonenseignement, comme en tmoigne laStratgie intersectorielle de lUNESCOconcernant la philosophie(1). CetteStratgie srige autour de trois voletsprincipaux : i) La philosophie face aux pro-blmes mondiaux : dialogue, analyse etinterrogation de la socit contemporaine ;ii) Lenseignement de la philosophie dansle monde : encouragement de la rflexioncritique et de la pense indpendante ; iii)La promotion de la pense et de la recher-che philosophiques.

    Dans cette Stratgie, l'enseignement faitainsi figure de cl de vote de l'actionporteuse de lUNESCO dans le domaine dela philosophie. La premire activit requisepour ce volet porte prcisment sur lla-boration dune tude sur ltat des lieux delenseignement de la philosophie dans lemonde. Un pralable indispensable touteactivit future dans ce domaine, ds lorsquune rflexion avertie et claire est legarant dune action intelligente et cible.

    Cette tude se veut intersectorielle, setrouvant la jonction de lducation et dessciences sociales et humaines. Les deuxSecteurs de comptence de lUNESCO ont cet gard joint leurs forces afin de travaillerensemble son laboration, dont le socles'appuie aussi bien sur la pdagogie pro-prement dite, que sur la philosophie. Unecoopration exemplaire qui sest illustre chacune des tapes du montage de ltudeet notamment du questionnaire qui a servide base qualitative et quantitative.Cette tude a vocation mettre la disposi-tion des tats membres une grille de lecturefidle de la situation de cet enseignementaujourdhui et ouvrir des perspectives dereformulation ou d'amlioration des program-mes tels quils existent, tout en mettant enlumire les carences en la matire, tellelabsence denseignement philosophique,ou son dtournement ventuel. Elleentend ainsi raffirmer avec force le rle de laphilosophie comme rempart contre le double

    (1) Rapport du Directeur gnralsur une Stratgie intersectorielleconcernant la philosophie, 171 EX/12,Conseil excutif de lUNESCO.Paris, 2005.

    Mmoire sur le Programme de lUNESCO en matire de philosophie. Juin 1946

    Pierre SanSous-Directeur gnralpour les Sciences sociales et humaines (UNESCO)

    Il ne suffit pas de lutter contre lanalphabtisme : encore faut-il savoirquels textes on fera lire aux hommes. Il ne suffit pas de travailler en com-mun aux dcouvertes scientifiques : encore faut-il que chaque hommecomprenne que la valeur de la science rside moins dans ses applicationsque dans lmancipation de lesprit humain et dans la cration dune vastecommunaut spirituelle au-dessus des clans et des empires.

  • LES TROIS TEMPS DE LA PHILOSOPHIE LUNESCO

    xii

    danger reprsent par l'obscurantisme etpar l'extrmisme, au centre des proccupa-tions des tats membres de lOrganisation(2).Or, qui mieux que lcole peut offrir cerempart infranchissable ? conditionquelle soit lantre dune pense libre, critiqueet indpendante. Qui dautre que lensei-gnant, le formateur, lducateur peutapprendre rflchir, discuter lvidenceet se mfier des certitudes ? conditionquil soit un guide et non un matre penser.

    Cette tude trouve une vraie raison d'treaujourd'hui. Vritable vivier documentaire,elle dcrit en dtail les modalits de len-seignement de la philosophie, aussi bien ses niveaux traditionnels, le secondaire etl'universitaire, que dans les sphres nouvel-les, telles que lenseignement au niveau pri-maire, ou les sphres inattendues, tellesles nouvelles pratiques philosophiques.Elle tente galement de poser les bonnesquestions qui interpellent les problmati-ques ducatives relatives lenseignementde la philosophie. Elle se propose de tracer

    quelques pistes de rflexion, quelquesorientations mme de constituer un outilde rfrence pour les politiques denseigne-ment de la philosophie. Une tude certaine-ment trs ambitieuse, ds lors quelle ne secontente pas dtre simplement descriptive,mais quelle propose aussi un regard aiguissur lenseignement de la philosophie et soneffet miroir sur nos socits contemporaines.

    Si un message devait tre port par cettetude, ce serait certainement celui qui nousexhorte considrer lenseignement de laphilosophie comme ncessaire et incontour-nable. Un message dj transmis par lesprcdentes tudes ralises par lUNESCOen la matire, avec une rsonance et uneacuit plus que jamais dactualit.

    Le pass nourrit le prsent et forge lavenir :cest autour de ces trois temps que sarticulelaction de lUNESCO dans le domaine delenseignement de la philosophie et, plusgnralement, de sa promotion.

    Premier temps : lenseignement de la philosophie,un intrt constant pour lUNESCO

    La philosophie a toujours t consubstantielle lUNESCO. Elle en a inspir pour grandepartie son Acte constitutif et, ds 1946,lUNESCO se dote dun programme enmatire de philosophie. La prsenceremarque de grands philosophes tels queJean-Paul Sartre, Emmanuel Mounier etAlfred J. Ayer la Confrence gnrale del'Organisation, tenue la Sorbonne,atteste avec force de l'importance quel'Organisation souhaitait accorder cettediscipline et ses disciples. Sen est suivieen 1949, la cration du Conseil internationalde la philosophie et des sciences humaines etla fondation de la revue Diogne par RogerCaillois, puis, en 1960, la cration duneDivision de la philosophie confie la phi-losophe Jeanne Hersch.

    Ds 1950, la Confrence gnrale delUNESCO dcidait, sa cinquime session,de mener une enqute sur la place quelenseignement philosophique occupe dansles divers systmes dducation, sur lafaon dont il est donn et sur linfluence

    quil exerce sur la formation du citoyen (3).Effectue en 1951 et 1952 et demeureclbre depuis lors, cette enqute porte surlenseignement de la philosophie, etnotamment sur la place quil occupe dansles systmes denseignement de diffrentspays, sur son rle dans la formation ducitoyen ainsi que sur limportance quilrevt pour la recherche dune meilleurecomprhension entre les hommes(4). Lerapport avait t publi avec une analysegnrale des problmes soulevs parl'enseignement de la philosophie prparepar Georges Canguilhem, alors jeuneinspecteur gnral de philosophie (France).Il est accompagn d'une dclarationcommune des experts.

    En 1978, les tats membres de lUNESCOdemandent lOrganisation dlaborer destudes sur l'enseignement et la recherchephilosophiques dans chaque rgion dumonde(5). Cette consultation rgionale, quisest tale sur une dcennie, avait pourobjectif une vaste enqute portant

    (2) Linstauration de la Journemondiale de la philosophiepar la Confrence gnralede lUNESCO en 2005 a constituun moment fort dans llan portpar lUNESCO en faveur de la pro-motion de la philosophie et de sonenseignement. Cette proclamationsolennelle nonce dans son pram-bule la conviction des tats membresde lOrganisation quant limpor-tance de la philosophie, et sa protec-tion du double danger reprsentpar l'obscurantisme et par l'extr-misme. Instauration d'une Journemondiale de la philosophie, Actes dela Confrence gnrale de lUNESCO,33me session, Paris, 2005, vol. 1 :Rsolutions.

    (3) Actes de la Confrence gnralede lUNESCO, cinquime session,Florence, 1950, 5 C/Rsolutions4.1212.

    (4) Actes de la Confrence gnralede lUNESCO, sixime session, Paris,1951, 6 C/Rsolutions 4.41.

    (5) sa vingtime session runie en1978, la Confrence gnrale delUNESCO a adopt, entre autres, larsolution 3/3.3/1 autorisant leDirecteur gnral excuter desactivits destines contribuer laralisation de lobjectif 3.3(Contribution au dveloppement desinfrastructures et des programmes deSciences sociales en vue daugmenterla capacit des diffrentes socitsdclairer la solution des problmessociaux et humains) concernant lesthmes suivants : Mise en valeur etpromotion du rle des tudes phi-losophiques et de lenseignement dela philosophie dans la vie des diff-rentes socits et contribution llucidation critique et au dvelop-pement des aspects interdisciplinairesde la recherche et de la rflexion surles problmes humains . Actes de laConfrence gnrale de lUNESCO,vingtime session, Belgrade, 1978,vol. I : 21 C/Rsolutions 3/3.3/1.

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    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    (6) Raymond Klibanskyet David Pears (dir.),La philosophie en Europe.Paris, UNESCO/Gallimard, 1993.

    (7) Roger-Pol Droit, Dmocratie etphilosophie dans le monde. Paris,UNESCO, 1995.

    (8) www.unesco.org

    notamment sur les pratiques interdisciplinairesdans le monde.Pour la rgion Afrique, une runion dephilosophes a t organise en juin 1980, Nairobi (Kenya), et a abouti une srie derecommandations qui tmoignent dj dela place cruciale souhaite pour la philosophieen Afrique. Les participants ont mis l'accentsur de nombreux problmes lis l'ensei-gnement et la recherche philosophiqueen Afrique, allant de l'enseignement de laphilosophie durant la priode prcolonialeet de l'hritage colonial en la matire la formation philosophique des scientifiqueset la formation scientifique des philoso-phes, en passant par quelques suggestionspour une dcolonisation conceptuelle .

    Pour la rgion Asie-Pacifique, une runionde philosophes s'est tenue en fvrier 1983, Bangkok (Thalande). Cette runion aport plus particulirement sur la profession-nalisation de la philosophie, et a mis enlumire limprgnation de la philosophiedans cette rgion par la religion etlhistoire, ainsi que la ncessit de rtablirun dialogue entre les sociologues et lesphilosophes afin de rduire le foss entreles deux disciplines et de permettre unchange fructueux sur la comprhensiondes problmatiques socitales.

    Pour la rgion Amrique latine et Carabes,une runion d'experts s'est tenue en juin1985, Lima (Prou). Les experts ont faitpart lUNESCO dune srie de sollicitationsen vue dlaborer une tude interdisciplinairesur les relations entre la philosophie et lessciences exactes, naturelles, sociales ethumaines ; de promouvoir les tudes surlhistoire des ides et leur influence ; depromouvoir une bibliographie contemporainede la philosophie en Amrique latine etCarabes ; dencourager la participation despcialistes en philosophie dAmriquelatine et Carabes la revue Diogne ;dencourager des traductions des uvresphilosophiques (de et vers lespagnol et leportugais).

    Pour la rgion Arabe, une runion dephilosophes sest tenue sur le thme de Lenseignement et la recherche en philoso-phie dans le Monde arabe , en juillet1987, Marrakech (Maroc). Cette runiona permis de dresser un portrait de lenseigne-

    ment de cette discipline dans les diff-rents pays arabes, aussi bien au niveausecondaire quau niveau universitaire, ainsique dans le domaine de la recherche. Cetterunion a t galement loccasion dunetable ronde pour la commmoration dupenseur Ibn Tufayl, qui sest avre propicepour rappeler linfluence de la philosophiesur lessor de la pense mdivale.

    Pour la rgion Europe, la consultationrgionale s'est traduite par un ouvrage surla philosophie en Europe, paru en 1993, etqui a t publi avec le concours del'Institut international de philosophie (IIP) etdu Conseil international de la philosophieet des sciences humaines (CIPSH)(6). Cettevaste enqute visait dresser un tat deslieux de la philosophie en Europe. On ytrouve des inventaires, pays par pays, desgrandes tendances et des interrogationsen philosophie, tout comme une esquissede la circulation effective, plus ou moinsdifficile, des interrogations philosophiquesentre pays, donc du dialogue ncessaireentre penseurs et intellectuels, par-delles frontires nationales et culturelles.

    En 1994, l'UNESCO a souhait complterl'enqute de 1951. La nouvelle tude,mene par le philosophe Roger-Pol Droit,comporte des contributions de personnali-ts de soixante-six pays, avec l'ide d'ouvrirun nouveau chantier de rflexions et dedbats sur la place de la philosophie dansles cultures d'aujourd'hui, et dans la for-mation du jugement libre des citoyens(7). Il yest question de la philosophie et des pro-cessus dmocratiques, des rapports de la phi-losophie avec l'interdpendance conomi-que, les techniques lectroniques, l'ensei-gnement scientifique, ou encore de laphilosophie politique et de la place ducitoyen.

    En 1995, l'UNESCO organise des journesinternationales d'tudes Paris, marquespar la clbre Dclaration de Paris pour laphilosophie(8). Cette Dclaration raffirmeque l'ducation philosophique, en formantdes esprits libres et rflchis, capables dersister aux diffrentes formes de propagande,de fanatisme, d'exclusion et d'intolrance,contribue la paix et prpare chacun prendre ses responsabilits face auxgrandes interrogations contemporaines,

  • LES TROIS TEMPS DE LA PHILOSOPHIE LUNESCO

    xiv

    notamment dans le domaine de l'thique.La Dclaration souligne galement quel'enseignement philosophique doit treprserv ou tendu l o il existe, cr l oil n'existe pas encore, et nomm explicitementphilosophie, en rappelant que l'enseignementphilosophique doit tre assur par desprofesseurs comptents, spcialementforms cet effet et ne peut tre subordonn aucun impratif conomique, technique,religieux, politique ou idologique. Enfin,elle insiste sur le fait que, tout endemeurant autonome, l'enseignementphilosophique doit tre, partout o cela estpossible, effectivement associ, et passeulement juxtapos, aux formations

    universitaires ou professionnelles, danstous les domaines.

    Aprs 1995, le programme de l'UNESCO enmatire de philosophie se poursuivra par lacration de rseaux rgionaux, particu-lirement actifs en Asie du Sud-Est, enEurope, en Amrique latine et dans lesCarabes, ainsi quen Afrique. D'autresinitiatives ont galement t ralises,singulirement sur la philosophie pour lesenfants, ainsi que l'Encyclopdie multim-dia des sciences philosophiques, qui toutesvisent un but commun : la popularisationd'une culture philosophique internationale.

    Deuxime temps : lenseignement de la philosophie,ici et maintenant

    Pourquoi un tat des lieux de lenseignementde la philosophie ici et maintenant ? Car lemonde est en perptuel changement, toutcomme les cultures, les modes dchangedes savoirs, les questionnements, et bienentendu, lenseignement de la philosophieet la philosophie elle-mme. Un travaildactualisation des donnes est indispensable une lecture intelligible du monde, afin demieux faire face aux dfis qui se posent lui. Cest prcisment dans ce souci decomprhension de notre environnementque lUNESCO a entrepris llaboration decette tude aujourdhui, afin de contribuer crire une page nouvelle de cette histoire,tout en veillant avoir un regard clairvoyantsur les acquis pour une vision lucide dufutur de cet enseignement.

    La prsente tude, plus dune dcennieaprs la dernire enqute mene parlUNESCO en la matire(9), est nourrie parun travail documentaire et bibliographiquetrs riche. Elle s'est attele avec dtermina-tion atteindre le maximum d'tats mem-bres de l'Organisation afin d'illustrer fidle-ment sa vocation mondiale. L'ensemble despays, sans exception aucune, a tconsult et nombre dentre eux ontcontribu alimenter ltude travers unedmarche dadhsion minemmentparticipative. linstar dun zoom photographique,ltude sest penche sur quatre facettes de

    lenseignement de la philosophie, afindembrasser tous les niveaux, concernantaussi bien lducation formelle que lduca-tion non formelle : i) La philosophie et lesjeunes esprits, lge de ltonnement - sonenseignement aux niveaux prscolaire etprimaire ; ii) La philosophie lge duquestionnement - son enseignement auniveau secondaire ; iii) La philosophie dansle champ universitaire - son enseignementau niveau suprieur ; iv) Dcouvrir la philo-sophie autrement - sa pratique dans la Cit.Un portrait de lexistant est minutieusementdress, chacun de ces niveaux, corroborpar des tudes de cas rgionales, par unrpertoire des rformes qui ont marqulenseignement de la philosophie, ainsi quepar les expriences qui mritent un intrttout particulier.

    L'originalit de cette tude se traduit parl'identification de Questions vives, quiinterpellent de faon constante les tatsmembres de lUNESCO, tout comme lesprofesseurs, les chercheurs et les praticiensde la philosophie. Lon retient notammentla question de lducabilit philosophiquede lenfance avec ses dimensions psycho-logique, philosophique et sociologique ;limportance des innovations en matirepdagogique ; le rle fondamental du Matreet la question de la formation des formateurs ;la question du retrait et/ou du remplacementde lenseignement philosophique ; les

    (9) Quelques chiffres peuvent per-mettre de prendre conscience de ladiffrence entre lenqute de 1951,et celle de 1994. La premire narellement concern, en fin decompte, que neuf tats. Celle de1994, intitule Philosophie etdmocratie dans le monde , a runides donnes provenant de 66 tats.Indpendamment de laspect quanti-tatif, sans prcdent en ce domaine,ltude de 1994 na pas t propre-ment parler une tude sur ltat deslieux de lenseignement de la philo-sophie mais plutt une analyse desliens entre lducation philosophiqueet les processus dmocratiques. Elle aeu nanmoins le mrite de mettre enlumire limportance de reconnatreune pdagogie multiple associant lelivre, lenseignement distance, lau-diovisuel et linformatique. Mais sur-tout, cette tude a galementdmontr que lenseignement de laphilosophie sorganise et stend enmme temps que la dmocratie.

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    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    dbouchs professionnels ; le besoin dephilosopher ; ou encore le statut et laposition du philosophe. Autant de ques-tions qui ont t abordes avec un regardnouveau et expert, en vue de mieux fairecomprendre les enjeux qui se posent avecune grande acuit aujourd'hui dans lemonde. Ces Questions vives ont d'autantplus de sens qu'elles dmontrent que l'en-seignement de la philosophie ne pourraremplir sa fonction que s'il s'inscrit lui-mme dans un processus ducatif pens,conu, intgr, au regard des autres disci-plines, o chacune joue son rle, o chacune

    est complmentaire de l'autre, o chacuneenrichit l'autre. En effet, aucune des disci-plines enseignes, prise sparment, nepeut remplir de mission ducative globale elle seule. Inversement, noyer l'enseigne-ment de la philosophie au sein des autresdisciplines quivaudrait la dnuer de sonsens. Au-del de lintrt que lon pourraitporter la signification mme du cours dephilosophie dans le processus global del'ducation, cest dabord son bien-fondet sa ncessit que la prsente tude sestefforce de dmontrer.

    Troisime temps : lenseignement de la philosophie,un dfi pour lavenir

    Hritire de la Socit des esprits quappelaitde ses vux Paul Valry, lUNESCO sestassigne deux tches majeures en matirede philosophie.

    La premire consiste aider cette discipline sexercer et se dvelopper dans lemonde, de manire favoriser le dialogueinternational entre les communautsphilosophiques. Autrement dit, de jouer lerle dun catalyseur dides, de plateformedchanges, despace de dialogue libre etlibr. cet gard, de nombreux travaux vocation internationale ont pu voir le jourgrce lUNESCO, comme en tmoigne ledocument cl qu'est la Dclaration de Parispour la philosophie, revendiquant le droit la philosophie, et qui a servi dappui ladiscipline pour entrer en rsistance lorsque son enseignement tait menac derduction ou de disparition dans certainspays. La seconde tche est celle de linnutri-tion, lintrieur mme de lOrganisation,sur les questions transversales, les enjeuxcontemporains, les concepts centraux, lespriorits et les stratgies adopter pouroffrir du sens au monde - le mot sens est icicompris, philosophiquement, comme lafois chemin et signification.

    Cette tude fait office de tremplin auxautres activits nonces dans la Stratgieintersectorielle concernant la philosophie,notamment laide la formulation derecommandations pour les politiquesd'enseignement de la philosophie

    lchelle du niveau secondaire et desUniversits, qui incluraient l'enseignementdes diffrentes traditions philosophiquesainsi que la philosophie comparative, laformation et les mcanismes d'valuation, ledveloppement de manuels et de pro-grammes dchange ; le renforcement deschaires UNESCO de philosophie ; lencoura-gement des Olympiades internationales dephilosophie ; la diffusion de matriaux issusdes activits de recherche et des sessionsdu Dialogue philosophique interrgional delUNESCO. Une myriade de champs d'ac-tion pour lavenir de lenseignement de la phi-losophie dans le monde, pour lequellUNESCO compte poursuivre son rle sp-cifique de chef de file du systme desNations Unies.Enfin, nous pouvons poser sur cette tudele regard du philosophe Jacques Derridalorsquil aborde, en 1991, le droit laphilosophie du point de vue cosmopolitique :selon lui, il y a en effet toujours une idephilosophique en excs par rapport au rel.Ainsi lide de justice excde le droit positif,de mme que lide duniversalit portepar lUNESCO excde ce qui existe ltatprsent. Il en va de mme pour lensei-gnement de la philosophie : le message portpar cette tude transcende la ralit desconstatations. Il rvle une relle volont desauvegarde de la philosophie, de sauve-garde de son enseignement comme de saprennit.Ce message entend porter une convictionforte : le droit la philosophie pour tous. PPiieerrrree SSaann

  • LADYNAMIQUEDE LAMETHODE

  • xvii

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Nous avons ainsi naturellement plac cettetude sous un titre percutant : La philo-sophie, une cole de la libert . La philo-sophie, cest l toute sa chair et tout sonpropos, incite et invite au questionnementsans enfermer. Bien au contraire, elle libreet donne des ouvertures aux jeunes esprits,appels devenir les penseurs et les acteursdun demain qui est plus proche quon nele croit. Un tat des lieux pour des Regards vers lavenir , prcisment parcequune analyse, un impromptu, autour delenseignement de la philosophie aujour-dhui, na de sens que dans ce quil offrecomme perspectives daction pour le futur.

    Cest bien dans son enseignement que laphilosophie est certainement le lieu ocelle-ci peut jouer un rle la fois essentielet sans doute risqu. Essentiel, dans lamesure o lenseignement de la philoso-phie demeure un des ressorts cls de laformation la facult de juger, de critiquer,de questionner mais aussi de discerner.Risqu, car au vu des mutations duneactualit chaque jour plus charge la foisdhistoire et de spiritualit, lenseignementne peut plus prtendre boucler toutes lesboucles ds lors que nous sommes tous lestmoins de ce que lon a pu appeler une acclration du temps - temps poli-tique, temps spirituel, temps social, et donctemps ducatif et pdagogique. Cetteactualit, en assignant toujours plus dexi-gences au progrs technologique, nersiste-t-elle pas, certains gards, uneapproche philosophique ? Et ce, dans lamesure o rflchir, cest rflchir daborden soi-mme avant de sexposer auregard dautrui, autant dexercices quirequirent patience, temps et autocritique. La

    philosophie, ne loublions pas, est critiqueau sens grec du terme : cest direquelle doit toujours tre un travail de tri,de slection rflchie et mthodique desinformations brutes que nous fournit notreexprience personnelle et sociale. treinform, ce nest pas tre form.Lenseignement de la philosophie et sapratique mriteraient, en plus dtrelargis, aussi sans doute dtre renouvelsafin que la notion de responsabilit soitrtablie et que chacun puisse nouveau se jeter corps perdu dans la pense comme le disait Hegel, pour faire face auxprjugs et aux dominations de tousordres. lindividu de chercher en lui-mme les capacits propres lexercicerflexif. Cet lan vers leffort philosophiquene saurait tre impos ni par une formerigide denseignement ni par un quelconquedogme prtendument intangible : au contraire,la tche de se librer progressivement detoutes les tutelles revient lindividu lui-mme.Enseigner la philosophie et apprendre philosopher, c'est donc peut-tre dans unpremier temps s'empcher de transmettredes corpus de savoir au sens strict duterme.Parler denseignement de la philosophie etdapprentissage du philosopher supposeune clarification pralable de ces termes, afortiori lorsquil sagit daller au-del dunesimple tude descriptive. Or, cest dj unedifficult en soi que de dfinir ce que lonentend par philosophie et par philosopher :une vritable question dordre philosophique !La philosophie sinterroge sans cesse sur cequelle nest pas : la morale, la science, etc.,et sur ce quelle est vraiment : un certain

    Moufida GouchaChef de la Section Scurit humaine,dmocratie et philosophie (UNESCO)

    Si la philosophie est une attitude, une manire de vivre, exigeante etrigoureuse, elle est aussi un enseignement, une cole donc un savoir, ou plutt unensemble de savoirs, le tout dans un esprit de dcouverte et de curiosit inhrent la philosophie elle-mme.

  • Lexigence commune defficacit, tel estlimpratif catgorique de cette tude quiva au-del dun tat des lieux et convergevers une vise minemment pratique. Lrside son impact. Tout en suivant la divisiontraditionnelle de lenseignement en troisniveaux - primaire, secondaire et suprieur -cet ouvrage tente doffrir une prsentationriche et pertinente de lapprentissage de laphilosophie autrement. Il prsente, avec unconstant souci dexhaustivit, les initiativesde rforme, passes, en cours ou envisages, travers la multiplicit des facettes delenseignement de la philosophie. court terme, cette tude prsente uninstantan de lenseignement de la phi-losophie, aussi fidle et document quepossible ; moyen terme, elle entend aiderles tats membres dans leurs choix futursparce quelle offre inspirations, ides ouexpriences.

    Cette tude tmoigne, informe, rendvisibles des initiatives encore trop peuconnues et assume son rle daiguillon enproposant et en offrant des perspectives

    concrtes de pratiques philosophiquesdenseignement. En ce sens, elle est toujours rinventer, remettre en question, com-plter, amender et ce limage de laphilosophie elle-mme. Elle se veut tre unsupport pour dvelopper des mises ensynergie et des axes de convergence auniveau national mais aussi entre tats. cela sajoute une autre vise, qui exhortecette tude converger vers un idal, unbut partag, vers lequel le rassemblementet lagrgation de volonts et dides sesont orients. Face au caractre protiformeque peuvent prendre la philosophie ettoutes ses composantes, ltude tente dedpasser les diffrences, bien relles, liesaux modalits de lenseignement et de lap-prentissage de cette discipline. Quelleautre raison dtre pour la philosophie, etplus gnralement pour les sciences humai-nes, que leur vocation premire attein-dre lidal ddification de la paix danslesprit des hommes ? Lenseignement, ainsientendu, est prcisment un moyen et unviatique, sans doute lun des plus fonda-mentaux, tendant vers cet objectif.

    xviii

    type de savoir, mais lequel ? Une pratique,mais de quel ordre ? Les rponses varientconsidrablement de philosophe philosophe :penser par soi-mme ou vivre avec sagesse ;interprter le monde ou le transformer ; seconformer lordre du monde ou lervolutionner ; viser le plaisir ou la vertu ;apprendre vivre ou mourir ; penser parconcept ou par mtaphore, etc. Autant dequestions o la conception et la pratiquede la philosophie varient aussi fortementselon les diffrentes aires culturelles.

    Ici, le mot philosophie, dsignant unematire enseigne ou un type dactivitpdagogique, na pas t facile cerner caron trouve aussi bien des activits dimensionphilosophique dans des intituls o le motest absent, comme cours de morale ,

    cours dthique , cours de citoyen-net , parfois enseignement thologi-que , lorsquil sagit denseignementsnon dogmatiques, tandis que lon peutparfois se trouver perplexe vis--vis de cequi sappelle pourtant dans tel systme du-catif philosophie , alors que nest pasvise chez les lves une pratique rflexive.Voil un postulat qui nous a impos, justetitre, une grande rigueur et une exigenceconstante dans la rdaction de cette tude.Cette dernire reflte en effet lexistant etrenvoie une pluralit de termes qui nousa conduit laborer un glossaire pourviter toute confusion. En effet, la dfinitionde chacun des termes de ce glossairerenvoie la signification que nous avonssouhait exprimer tout au long de cetterdaction.

    LA DYNAMIQUE DE LA MTHODE

    Fruit dun travail collectif, cette tude sestcaractrise par une interdisciplinarit qui afait office dun vritable levier pour sa

    ralisation. Entre le donn et lattendu, lepossible et le souhaitable, son ambition at de constituer une interface de qualit

    Sur les objectifs de ltude

    Sur la synergie de ltude

  • xix

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    (1) Voir cet gard Jeanne Hersch(dir.), Le Droit dtre un homme.Paris, UNESCO, 1969.Rdition 1984.

    Sur luniversalit de ltude

    Cette tude a, entre autres, lambition fortede montrer et de dmontrer encore ettoujours que le postulat qui a longtempsprtendu que les origines de la philosophiese trouvaient en Grce, et qu ce titrecelle-ci devait encore y puiser toutes sesrponses, a fait son temps. En effet, lamanire de Jeanne Hersch, philosophesuisse et directrice de la Division de laphilosophie lUNESCO de 1966 1968,qui affirmait que les droits de lHommenavaient pas une assise uniquement etproprement occidentale(1), cette tude - enne privilgiant aucune cole, aucunepense, aucune tradition particulire, etbien entendu encore moins un dogme ouune idologie - procde par inclusion etnon par exclusion. Elle a lambition de mon-trer que la philosophie, et son enseignement,

    peuvent trouver une source dans toutes lestraditions et dans tous les pays o le dsirde penser et de dbattre existe. Cela nerevient pas cautionner un quelconquerelativisme culturel, mais au contraire nouspermet dembrasser une vision plus largeque celle qui restreint au seul contextegrec, puis occidental, la philosophie et satransmission notamment par lenseignement.

    Cette tude sinscrit pleinement dans lecadre de la promotion des valeurs universelleset imprescriptibles : celles des droits delHomme et des droits de lenfant, et enparticulier le droit lducation. Cetouvrage tente galement de surmonter laquestion parfois complexe de larticulationde ces mmes valeurs avec des culturesdiffrentes.

    entre un portrait fidle de lexistant et lesexigences requises par lenseignement de laphilosophie.

    Cet ouvrage a eu une dynamique propre etoriginale au sens o il a bnfici dunelongue prparation en amont, et surtoutdune trs large implication du monde de laphilosophie et de lducation. De nom-breux acteurs ont ainsi t pleinement asso-cis son orchestration, travers un espritdquipe et de concertation rciproque.

    Cette tude est galement le fruit dunesynergie particulire ds lors que sonordonnancement dcrit lexistant maisaborde aussi et surtout des interrogationscls et fournit autant que possible des propo-

    sitions, des innovations, des orientations.Une synergie galement et surtout parlimplication, la participation et lengagementde nombreux partenaires dans sa concep-tion tels que des rseaux de philosopheset de chercheurs, de professeurs, de didac-ticiens et de praticiens de la philosophie,ainsi que des institutions philosophiques,les chaires UNESCO en philosophie et lesONG spcialises. ces rseaux sajoutentgalement les Dlgations permanentesauprs de lUNESCO, les Commissionsnationales pour lUNESCO et les BureauxUNESCO situs hors Sige. Chacun de cesacteurs a contribu prcieusement cetdifice, cest pourquoi je tiens dembleici leur adresser tous mes sincres remer-ciements.

    Rappelons que cette tude a fait lobjetdune demande explicite et manifeste de lapart des tats membres, requte qui nepeut que tmoigner de lexpression dunbesoin et dune utilit certaine. Et cestprcisment parce quelle a t conue partous, quelle peut concerner tous les tatsmembres, quelles que soient leurs traditions,leurs conceptions de lenseignement, leursrfrences philosophiques, leurs prioritspolitiques, etc. Au-del mme de ces requtes

    institutionnelles, dj trs significatives,nous ne pouvons que constater et prendreacte dun sentiment presque palpabledun besoin de philosophie, la fois dans leslieux o elle senseigne traditionnellementmais aussi en dehors. Mais quel dehors ?Le prsent ouvrage lve justement le voile surplusieurs de ces pratiques encore peuconnues et conduites ailleurs qu lcole.Quels sont prcisment leur apport et leurcontribution spcifiques lenseignement

    Sur le caractre institutionnel de ltude

  • xx

    (2) Voir chapitre V.

    LA DYNAMIQUE DE LA MTHODE

    Nous avons fait le choix ds le dbut deprivilgier lapproche peut-tre la pluscomplexe, mais sans doute la plus dynami-que de notre point de vue, en optant pourllaboration dun questionnaire et en exploi-tant les donnes recueillies de faon englober le maximum de problmatiquesrelatives lenseignement de la philoso-phie.labor en trois langues - franais, anglaiset espagnol - le questionnaire delUNESCO(2) a deux composantes : lunequalitative et lautre quantitative, et ce parle biais de questions ouvertes et fermes. Ilcomprend plusieurs parties thmatiques quisuivent les niveaux denseignement de laphilosophie, mme si tous ne sappliquentpas toujours lensemble des tatsmembres. Il sagit en loccurrence desniveaux prscolaire et primaire, secondaire,suprieur et de linformel. Le questionnairea t un instrument facilitant le codage etla saisie des donnes tout en permettantdadopter un processus mthodologiqueattest et ayant fait ses preuves plusieursreprises et sur diffrents sujets. Notre plusgrand dfi consiste traduire les objectifsde la collecte de donnes en un cadred'examen solide aussi bien d'un point devue conceptuel que mthodologique. cetitre, le questionnaire qui nourrit cettetude revt un caractre indit de par saporte internationale et de par les questionsquil aborde.Nous avons ainsi t amens dvelopperun plan spcifique pour lenqute prenanten considration les aspects suivants : lesobjectifs et les besoins en donnes ; lesmthodes de collecte de donnes ; lam-pleur et la couverture gographique ; leplan de traitement de donnes ou encoreles essais du questionnaire. Paralllement,un travail didentification des personnes

    ressources a t effectu pour chacun despays, qui a permis le montage dune trsvaste base de donnes regroupant plus de1200 destinataires. La fiabilit des rponsesexigeait en effet doptimiser le nombre dedestinataires par pays, dont la moyenne descontacts atteint 3-4 personnes, sans pourautant garantir la vracit absolue desrponses. Je tiens ici souligner notre satisfactionquant aux rsultats obtenus l'issue duprocessus de consultation. Le taux derponse des pays est de 126 sur 192 tatsmembres qui ont, au minimum, fourni unecontribution.En parallle et ds la conception de cetravail, nous avons fait appel quatreconsultants, bnficiant dune grandeexpertise aussi bien en matire de sciencesde lducation que de recherche. Nousavons galement sollicit les chairesUNESCO en philosophie, ainsi que nospartenaires privilgis : le Conseil inter-national de la philosophie et des scienceshumaines (CIPSH), la Fdration internationaledes socits de philosophie (FISP), leCollge international de philosophie (CIPh),l'Institut international de philosophie (IIP).Tous ont fourni un travail nourri de recher-che, de rflexion et danalyse, notamment travers des documents de substance, dedescription de lenseignement de la philoso-phie dans leur pays, de prsentation desenjeux, des rformes, des difficults maisaussi des dfis qui y sont lis.

    Nous avons toujours recherch un maximumde fidlit possible dans la rdaction de cettetude, en recueillant le plus dinformations,en impliquant le plus grand nombre dacteursdivers et varis, tout en adoptant une feuillede route qui tende vers une utilisation opti-male des recommandations et des proposi-tions formules lattention des utilisateurs.

    Sur la rcolte des donnes

    traditionnel de la philosophie ? Ces pratiques,qualifies parfois de nouvelles , sont-elles complmentaires de lenseignementclassique ou se pensent-elles commeparallles ?

    Des distinctions et des nuances simposentbien entendu dans la lecture de ltude, caril peut y avoir de la philosophie dans

    lenseignement priv et pas dans le public ;dans des associations et pas dans des coles ;il peut y avoir une formation et un suiviuniversitaires sur des innovations au niveauprimaire - sans quil y ait forcment dephilosophie au niveau secondaire ; il peutgalement exister des innovations expri-mentes officiellement par linstitution sanspour autant quelles soient gnralises, etc.

  • xxi

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Cette terminologie systmatique au seindes Nations Unies, et en particulier lUNESCO, nous a amen nous interrogersur lintrt de dcrire les meilleures pratiquesexistant en la matire. Le Comit derdaction a ainsi fait face une rflexioncritique des plus intressantes, bien quedlicate, quant lopportunit de qualifiercertaines pratiques comme tant lesmeilleures. Ce sont ces questionnements,dordre philosophique pour certains, que jesouhaite exposer ici.Parler de bonnes pratiques, et encore plusde meilleures (best practices), cest dabordsriger en juge, et sattribuer une lgitimiten matire dvaluation de lexcellence.Cest aussi tre au clair sur les critres dunebonne pratique : la bonne pratique, est-ce,sagissant de pratiques pdagogiques, unepratique finalise par telle valeur ducative,thique, politique (critre axiologique) ?Cest alors toute la philosophie de lducationqui se trouve convoque. La bonne pratique, est-ce une pratique utileet efficace (critre praxologique) ? Maisefficace de quel point de vue : la constructionde la personnalit de lindividu, la luttecontre le sentiment dchec scolaire etpersonnel, la prvention de la violence,lducation au vivre ensemble dans et par ledbat et une citoyennet dmocratique,la matrise de la langue dans linteractionde la pense et du langage, lapprentissagedune rflexion personnelle et critique, le juge-ment autonome, la transmission dunsavoir technique et disciplinaire ? La bonnepratique, est-ce la pratique dun profession-nel ? Quentend-on par professionnel enmatire de philosophie ? Comment seconoit lenseignement de la philosophie ?Qui est apte juger de sa qualit, de seslimites, de ses amliorations possibles ?Parler de meilleures pratiques , cestenfin passer du narratif-descriptif au nor-matif-prescriptif, dicter ce quil faudrait faire,conseiller, proposer un modle reprendre.Or, ce qui frappe cest la diversit despratiques en la matire, qui peut tre consi-dre comme une richesse prserver dela normalisation. Le risque de linstitution-nalisation, lorsquon est dans une dynamique

    instituante, et non institue, cest luniformisa-tion et le conformisme des pratiques. Onest donc en matire de philosophie dansune injonction paradoxale : prserverlinitiative et la libert des enseignants dans lapluralit de leurs choix pdagogiques etphilosophiques, sans lesquels il risque dene plus y avoir de libert de penser, essen-tielle la philosophie, ni pour les matresni pour lves ; et par ailleurs, si on les-time ncessaire, enclencher des dynami-ques institutionnelles pour promouvoir cettepratique. Sur ce point, nous avons doncnuanc notre propos au cours de cettetude en prfrant lexpression de prati-ques ayant fait leurs preuves.

    Enfin, et en ma qualit de coordinatrice decette tude, il me revient une nouvelle foisde rendre hommage toutes les personnesqui mont accompagne tout au long de ceprocessus et qui ont contribu, avec unesprit dynamique o synergie et convergenceont t les matres mots, dans le chemi-nement et la logique qui ont conduit laccomplissement de cette entreprise quejai eu le grand privilge de mener sonterme.

    Cette tude nest pas une fin, cest unplaidoyer justifi en faveur du renforcementde lenseignement de la philosophie, et deson apparition l o il nexiste pas ; cest unmoyen pour faire connatre des pratiquesphilosophiques encore trop souterraines etparfois marginales ; cest un rappel du rlede la formation de lesprit dans la constructiondun Homme libre, conscient, responsableet autonome.

    Cette tude est un commencement etentend capitaliser sur un lan et un agrgatde volonts et dengagements au niveauinternational. lUNESCO et tous sespartenaires de transformer lessai , sijose dire, et de sinspirer des propositionset des ides figurant dans cet ouvrage,dont lcho aura, jen suis certaine, unersonance attendue dans les annes venir, avec lespoir quil sera reconnu au fildu temps sa juste valeur.

    Sur les meilleures pratiques

    MMoouuffiiddaaGGoouucchhaa

  • 1Enseignement de la philosophie et apprentissagedu philosopher aux niveaux prscolaire et primaireLa philosophie et les jeunes esprits : lge de ltonnement

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Introduction : chemin parcouru, chemin parcourir 3 Notice mthodologique 4

    I. Les interrogations suscites par la philosophie 5 - 14avec les enfants1) La question de lducabilit philosophique de lenfance 5

    > Une question philosophique. Le rapport de la philosophie lenfance,et de lenfance la philosophie

    > Une question thique : lducabilit philosophique de lenfance est-elle souhaitable ?> Une question politique. Droit la philosophie, droit de philosopher ? > Une question psychologique. Lducabilit philosophique de lenfance, une potentialit ? > Une question de volont. Lducabilit philosophique de lenfance, un postulat

    pour une pratique, louverture de possibles ?> Une question de dfis. Lducabilit philosophique des lves en difficult ou en chec scolaire> Une question dapproche : pdagogie et didactique> Une question de mode dapprentissage du philosopher : la discussion, une voie privilgie ?

    2) La question du rle du Matre 11> Quel degr de guidage ?> Intervenir ou pas sur le fond ?

    3) La question de la formation des enseignants 12> Une formation acadmique la philosophie ? > Une formation didactique au savoir-faire philosopher ?> Une formation pdagogique au dbat ?

    4) La question de linnovation : favoriser, exprimenter, institutionnaliser ? 14

    II. Promouvoir les pratiques vise philosophique 15 - 24aux niveaux prscolaire et primaire :orientations et pistes dactions

    1) Quels enjeux pour quelles valeurs ? 15> Penser par soi-mme> duquer une citoyennet rflexive> Aider au dveloppement de lenfant> Faciliter la matrise de la langue, de loral et du genre quest le dbat> Conceptualiser le philosopher> Construire une didactique de la philosophie adapte

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  • CHAPITRE I

    2

    2) Quelle institutionnalisation ? 16> Promouvoir les aspects culturels et interculturels> Favoriser linnovation dans et hors linstitution> Organiser des exprimentations officielles> Institutionnaliser certaines pratiques> Organiser un curriculum dans la scolarit

    3) Quelles pratiques philosophiques promouvoir dans les classes ? 18> Chemins pdagogiques et didactiques diversifis > Quelques pistes pratiques

    4) Comment accompagner les pratiques vise philosophique par la formation ? 20> Par une formation initiale et continue des enseignants > Par une politique de formation de formateurs> Par une analyse des pratiques vise philosophique place au centre de la formation> Par la production et lutilisation du matriel didactique adquat

    5) Comment accompagner les pratiques vise philosophique par la recherche ? 23> Impulser linnovation> valuer lexprimentation> valuer lefficacit des pratiques

    III. La philosophie avec les enfants : 25 - 42un dveloppement prendre en compte

    1) Des rformes remarques et des pratiques ayant fait leur preuve :un mouvement fort en faveur de la philosophie avec les enfants 25> Des rformes remarques> Des pratiques ayant fait leurs preuves

    2) Des institutions et des supports 28> Deux Instituts phares> Les revues de philosophie pour et avec les enfants

    3) Des tudes de cas travers les rgions du monde 29> Europe et Amrique du Nord> Amrique latine et Carabes> Asie et Pacifique> Afrique et Monde arabe

    IV. La philosophie aux niveaux prscolaire 43 - 44et primaire en quelques chiffres

    Conclusion : du souhaitable au possible 45

  • 3LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Sintresser la Philosophie Pour Enfants(PPE) nous amne naturellement nouspencher sur le corpus juridique relatif auxdroits de lenfant, en particulier son droit laborer une pense personnelle et treaccompagn par lcole dans ce processus.Comment ne pas se rfrer ici laConvention relative aux droits de lenfantadopte en 1989, qui accorde entre autres celui-ci le droit dexprimer librement sonopinion (art. 12), la libert dexpression (art.13) et la libert de pense (art. 14)(1). Letexte de la Convention contient un aspect la fois philosophique et politique rsolu-ment novateur en proposant une certaineconception de l'enfant qui doit tout lafois tre protg, bnficier de prestationsspcifiques et tre considr comme acteurde sa propre vie. C'est bien en rfrence un ensemble de droits que doit s'exercerl'action ducative : un enfant maltrait nepeut pas tre le rel acteur ni l'auteur de savie ; un enfant qui ne participe pas sa pro-tection n'est que l'objet passif de soinsqu'on veut lui imposer. De cette conceptionnovatrice, on retiendra surtout que l'en-fant, tre dpendant et en devenir, estconsidr comme sujet de droit partentire pour la premire fois par un texteinternational. La notion d' intrt sup-rieur de l'enfant affirme l'article 3 dela Convention est dune particulireimportance.

    Lenseignement et lapprentissage de laphilosophie aux enfants bnficient pour lapremire fois d'une place privilgie au seind'une tude de l'UNESCO. En effet, ce travailentend offrir un ensemble dinformationsclairantes sur un mouvement, celui de laphilosophie pour enfants qui a gagn enpopularit et en reconnaissance ces der-nires annes. La philosophie pourenfants a une histoire, elle procde dunevolont culturelle et politique : cest parces mots que s'est exprim l'intrt pourcette question lors de la runion dexpertstenue en 1998 au Sige de lOrganisation Paris(2). On y soulignait qu'il tait possible etmme ncessaire de prsenter les principesphilosophiques dans un langage simple etaccessible aux jeunes enfants. Les prc-dentes enqutes sur lenseignement de laphilosophie menes par lUNESCO en 1951

    et en 1994, dcrites plus haut, ne posaienteffectivement aucune question spcifiquesur la ncessit d'enseigner la philosophieaux niveaux prscolaire et primaire. Il estvrai quen 1951, on ne disposait pas encoredes premiers travaux de Matthew Lipman(3)

    - prcurseur en la matire - qui ne paratrontquen 1969. Quant ltude de 1994, depar son thme gnral - le lien entre enseigne-ment de la philosophie et dmocratie - ellenavait pas abord cette problmatique.

    Si de plus en plus d'enfants font de laphilosophie en ce dbut de XXIe sicle,c'est que de plus en plus de personnes tra-vaillant auprs des enfants crent desconditions afin que le lieu o ils se trouvent(la classe, la rue, etc.) se transforme en unecommunaut de recherche philosophique.Attires parfois par la nouveaut de cetteapproche, intrigues par le changementqu'elle suggre, doutant des solutions quiprvalent actuellement dans le monde del'ducation, ces mmes personnes s'enga-gent dans la pratique de la philosophieavec des enfants en ayant le souhait depouvoir donner une solution nouvelle, pluscohrente, plus approprie, ce problmequi n'a de cesse de se reposer mesurequ'il avance dans l'histoire : l'ducation decelui qui n'est pas encore un homme maisqui va le devenir. Mme si la pratique de laPPE en est encore ses dbuts, elle permetdj d'entrevoir comment les solutionsqu'elle apporte au problme de l'ducations'enracinent dans ce qui caractrise fonda-mentalement l'tre humain : la capacit dese construire. Entranant effectivement deschangements qui vont dans le sens desbuts recherchs, cette activit soulve lacuriosit et l'enthousiasme d'un nombrecroissant de personnes. S'inscrivant dans lacontinuit des conceptions modernes del'ducation avances par le philosophe etpdagogue John Dewey, et de celles, plusanciennes mais toujours actuelles, proposespar des philosophes de l'Antiquit, cetteapproche vient combler, semble-t-il, unelacune importante dans l'ducationcontemporaine. Si cette dernire reconnatde plus en plus l'importance de stimuler,ds le plus jeune ge, le dveloppementintellectuel et moral, elle n'a pas toujours sa disposition les moyens qui pourraient

    Introduction : chemin parcouru, chemin parcourir

    (1) www.unicef.org/french/crc

    (2) La philosophie pour les enfants,Runion dexperts, Rapport. Paris,UNESCO, 26-27 mars 1998.

    (3) Philosophe amricain n en1922, lve de John Dewey,Matthew Lipman a fait lessentielde sa carrire au Montclair StateCollege, dans le New Jersey, o il afond lInstitute for theAdvancement of Philosophy forChildren (IAPC). Son projet est dedvelopper la pense des jeunesenfants, en particulier la penselogique formelle, en partant duprincipe que ces derniers peuventformer des concepts ds leur plusjeune ge et rflchir sur des pro-blmes philosophiques. Sa dmarchenest donc pas oriente verslimprgnation de concepts ou dedoctrines spcifiques, elle est centresur le questionnement personnel,en travaillant des conceptsuniversaux comme le droit, la justice,ou encore la violence. Ces thmestouchent plus concrtement lesenfants et mettent ainsi en valeurleurs propres rfrences, puisesdans lexprience et leur savoirpersonnels. Pour plus de dtails surla mthode lipmanienne, voirpartie III de ce chapitre.

  • CHAPITRE I

    4

    Sur le champ de ltude. En termes dedfinition, on considre que le prscolaireest ce qui est hors scolaire, cest--direavant que lcole ne soit obligatoire, parexemple, lcole maternelle en France.Sagissant de la tranche dge relative auxniveaux prscolaire et primaire, ce travail aprivilgi, par souci de cohsion, la priodeallant de 3 12 ans. En effet, il est importantdavoir lesprit la varit existant dun pays lautre : tantt le niveau primaire englobele dbut du niveau secondaire ; tantt ilforme plutt une sorte dcole de base. Deplus lexistence dune cole avant lcoleobligatoire, ainsi que sa dure, diffrentdun pays lautre.

    Sur la pertinence, la fiabilit etlexhaustivit des sources. Cette partiemet laccent sur lhistoire et le contextedes tudes internationales menes dansle domaine de lenseignement de la philoso-phie. Les sources documentaires disponiblesaujourdhui sont de deux types. Lescontributions dexperts ainsi que lesdocuments de lUNESCO fournissent des

    informations la fois utiles et cibles,dune part. Des sources dinformationsmoins traditionnelles ont t utilisespour nos analyses, dautre part. La sitogra-phie et la recherche par Internet sont eneffet particulirement riches sur le sujet. Ony trouve notamment une descriptioncomplte des activits significatives de laPPE dans le monde. De nombreux pays sontconcerns, avec des Centres de rechercheslis aux Universits, des colloques natio-naux et internationaux organiss rgulire-ment, des formations et des recherchescibles, des associations ad hoc, des revues,etc. Un rseau de chercheurs, de professeurs,de didacticiens et de praticiens de la philoso-phie a t sollicit au cours de llaborationde cette tude afin quils contribuent ladescription de lenseignement de la phi-losophie aux niveaux prscolaire et primairedans leurs pays respectifs. Enfin, leQuestionnaire spcifiquement tabli parlUNESCO comme support la prsentetude constitue galement une sourcecohrente.

    Notice mthodologique

    combler adquatement ses attentes. Il n'estdonc pas surprenant de constater l'intrtport l'avnement de cette pratique dansle monde.

    L'impact de la philosophie sur les enfantspourrait ne pas tre immdiatement apprci,

    mais son impact sur les adultes de demainpourrait tre tellement considrable qu'ilnous amnerait certainement nous tonnerd'avoir refus ou marginalis la philosophieaux enfants jusqu' ce jour.

  • 5LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Une question philosophique.Le rapport de la philosophie lenfance, et de lenfance la philosophie

    La terminologie utilise prsente une varitdexpressions, Philosophy for children, enabrg P4C, est celle utilise par Lipman.Elle couvre tout lenseignement primaire etsecondaire. Le compte-rendu de la runiondexperts de lUNESCO de mars 1998, quicouvre le mme cursus scolaire, a pour titredans la version franaise philosophie pourles enfants , ajoutant un article. Dautresparlent plutt de philosophie avec lesenfants (4), ce qui engage des discussionspour savoir si enfants dsigne simplementun public comme un autre pour la philoso-phie, un des publics possibles, ou plutt unpublic spcifique, auquel il faut une adap-tation didactique spcifique pour lappren-tissage du philosopher : il y aura alors unephilosophie pour les enfants, pour len-fance, et une autre pour les adultes (ou lesadolescents, si lon ne confond pas enfantpr-pubre et adolescent).

    On peut se demander pourquoi ne parle-t-on pas plutt dlve, ce qui situerait dem-ble lenfant dans une perspective insti-tutionnelle scolaire ? Est-ce parce quil y aderrire llve qui apprend des savoirs lapersonnalit plus globale dun enfant ?Parce que lenfant est un sujet dducation,et pas seulement dinstruction ? Un sujettout court, qui a des droits, qui est un sujetde droit ? Cest en tout cas linterprtationde la Convention relative aux droits delenfant, puisquelle nonce les libertsdont il peut et doit jouir. Est-ce aussi parcequil y aurait un rapport spcifique de

    lenfant - comme petit dhomme - laphilosophie, de lenfance la philosophie ?Les philosophes sont trs partags sur laquestion, entre ceux qui, comme KarlJaspers(5) ou Michel Onfray(6), trouventlenfant spontanment philosophe , parson questionnement existentiel massif etradical, et pour lesquels philosopher cestse mettre devant une question commepour la premire fois. Et ceux pour lesquelsil y a peut-tre une enfance de la philosophie(par exemple sa naissance en Occident chezles prsocratiques), mais pas denfantphilosophe, puisque philosopher, cestprcisment sortir de lenfance(Descartes) Cela renvoie la questionphilosophique de lge du philosopher.Certains interprtent par exemple Platoncomme un opposant la philosophie avecles enfants, en sappuyant sur un passagede La Rpublique(7); dautres constatent aucontraire quil dialogue avec des adolescents,comme dans le Lysis(8).

    Quest-ce donc quun enfant ? On peutopposer la notion denfant celle dadulte : quel ge alors sarrte lenfance(9) ? Et est-ce seulement une question dge ?Ou aussi, et plutt, de vision du monde ?De capacit cognitive (le psychologue dve-loppementaliste(10)) ? De maturit psychiquequi varie avec les personnalits, mais aussiles classes sociales et les cultures ? Deresponsabilit thique et/ou juridique (civileet pnale) ? Mais on peut opposer aussilenfant ladolescent : lenfance sarrtealors la pubert. Cest cette acception quiest retenue pour la description de la philosophiepour enfants dans ce chapitre, cantonnaux niveaux prscolaire et primaire.

    I. Les interrogations suscites par la philosophieavec les enfants

    1) La question de lducabilit philosophique de lenfance

    Un certain nombre de questions vives mergent aujourdhui quant aux fondements qui valident ouinvalident les pratiques de philosophie pour enfants (PPE) et qui orientent dans tel ou tel sens cespratiques. Ces questions vives renvoient des controverses sur la pratique mme, la formationdes enseignants et la recherche sur la question. Les dbats sont souvent vifs, donnant lieu desprises de position tranches. Ils traversent, dune part, les philosophes et les professeurs dephilosophie eux-mmes, et, dautre part, certains professionnels de la philosophie et les praticiensde PPE, philosophes ou non.

    (4) Freddy Mortier de lUniversitde Gand (Belgique), prfre parexemple le avec , pour sa rso-nance dmocratique, au pour ,de connotation selon lui paternaliste.

    (5) Philosophe et psychologue allemand.

    (6) Philosophe et crivain franais,fondateur de lUniversit populairede Caen (France).

    (7) Lavertissement deLa Rpublique mettant en gardecontre le dveloppement de lespritristique chez les enfantset les jeunes gens.(Rpublique VII, 539b - 539c).Platon, La Rpublique.Gallimard, (Folio), Paris, 1993.

    (8) Platon, Lysis. Paris, Flammarion(Poche), 2004.

    (9) La Convention relative auxdroits de lenfant semble allerdans le sens juridico-politiquedun ge assorti de droits, caractrispar ltat de minorit politique,puisqu enfant sentend de touttre humain g de moins de dix-huit ans, sauf si la majoritest atteinte plus tt en vertude la lgislation qui lui est applicable (art. 1). Cette dfinition par lgerecouvre aussi ceux qui parlentde PPE, pour laquelle lenfancecouvre aussi le niveau secondaire.

    (10) Jean Piaget situe le stadede dveloppement logico-formelde lenfant la jointure des ensei-gnements primaire et secondaire -10-12 ans.

  • CHAPITRE I

    6

    Par ailleurs, il sagit de dfinir philosophi-quement lenfant et lenfance : quest-ceque lenfance ? Un ge, un moment biolo-gique et chronologique dun individu delespce humaine ? Un tat desprit psychique,une vision du monde ? Une constructionhistorique et sociale, etc.? Les psychologues,les sociologues et les historiens, les linguisteset les pdagogues par exemple ont leurapproche de la question. Les philosophesaussi, et ils divergent dans leurs doctrines. Ilsagit galement dtudier le rapport delenfance la philosophie, son interrogationsur la mort ds lge de 3 ans, ses pourquoi et ses questions existentielles et mtaphysi-ques sur les origines, le monde, Dieu, lamitiet lamour, le sens de grandir, vieillir etmourir par exemple. Lenfant est-il djphilosophe : un peu, beaucoup ou pas dutout ? Les philosophes diffrent sur ce point :picure pensait quil nest jamais trop ttou trop tard pour philosopher etMontaigne incitait commencer lanourrice ! tandis que pour Descarteslenfance est le lieu et le moment du prjug,dont il faut sortir par la philosophie.

    Le type de regard sur lenfance quimplique lapratique de la PPE a des implications phi-losophiques fortes, quil faut lucider :sagit-il, thiquement, de considrer len-fant qui assume la posture de formulationdune question existentielle et mtaphysiquecomme un interlocuteur valable deladulte, un petit dHomme, et de contribuer construire lhomme dans lenfant, commesujet rflexif inaugurant un penser parsoi-mme ?

    Une question thique : lducabilitphilosophique de lenfanceest-elle souhaitable ?

    Certains philosophes, psychologues, matresou parents disent quamener les enfants rflchir prmaturment pourrait tre psy-chologiquement dangereux pour eux :pourquoi les plonger si tt dans les grandsproblmes de la vie, quils auront bien letemps de dcouvrir adultes ! Pourquoi briserleur innocence par la prise de consciencedu tragique de la vie, rabattre leur imaginationsur la froide raison, dmystifier leurs rves,leur voler leur enfance ?

    La PPE repose sur le postulat selon lequel ilne faut pas mythifier lenfance. Aussittns, beaucoup denfants vivent dessituations trs dures : famine, esclavage,travail, inceste, prostitution, maltraitance,bombardements, deuil, etc. Dans des paysdvelopps, en paix, et dans des famillesaises, beaucoup font lexprience de lamsentente des parents, du divorce, de lasparation. Par ailleurs, tous les enfants seposent vers lge de 3 ans le problme de lamort. Pour y faire face, il existe laccom-pagnement des psychologues, par la miseen mots cathartique de la souffrance, maisil y a aussi lapprentissage de la rflexion, lafaon philosophique, plus rationnelle, de sesaisir dun vcu existentiel, qui fait prendrede la distance par rapport lmotionressentie, et fait des situations auxquellesest confront un sujet angoiss un objet depense. Ce travail est dautant plus oprantdans le cadre de la classe parce quil estcollectif, ds lors que chaque lve peutfaire alors lexprience de sortir de sasolitude existentielle, de prendreconscience que ses questions sont celles detout un chacun, ce qui produit un effet derassurance, et un sentiment dapparte-nance une condition humaine partage,aidant grandir dans la communaut.

    La philosophie a une vertu thrapeutique,comme lavait bien remarqu les Sages delAntiquit, parce quelle prend soin delme . Non quon cherche directement soigner - cest lobjectif aujourdhui de lathrapie et des psychothrapeutes - maisparce quen rflchissant sur lattitude face la vie et la mort, sur le malheur et lesconditions du bonheur, la dmarche phi-losophique a des effets dapaisement, deconsolation : on est dabord dans unesituation de formation et non de soin aveclapprentissage du philosopher, mais cetteactivit est thrapeutique de surcrot.Dautres pensent que puisque les enfantsposent beaucoup de questions, parfoisangoisses, il vaut mieux leur donner desrponses et les scuriser face aux problmesde lexistence. Cependant, on ne peutteindre dfinitivement une questionexistentielle denfant, parce que cest unequestion dadulte qui resurgira priodique-ment au cours de la vie.

  • 7LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    Rpondre techniquement, historiquement,juridiquement, scientifiquement unequestion quun enfant pose peut se justifier,parce quon lui transmet un savoir. Cestmme le rle de lcole de transmettre lagnration qui vient le patrimoine scientifiquede lespce humaine, qui est la rponserationnellement labore aux questionsque lhumanit se pose dans son histoire.Mais rpondre la place des enfants desquestions de porte philosophique (auxquellesla science ne peut rpondre, par exemplede type thique) les empche de penser pareux-mmes. Ces questions sont cellesauxquelles les enfants devront eux-mmestrouver leur propre rponse dans leur vie, eten voluant dans leur rflexion. Ainsi, bienquil ne faille pas rpondre leur placeprmaturment, il faut cependant lesaccompagner dans leur cheminement,pour ne pas les laisser dmunis. Tel est lerle des matres lcole : les tayer danscette recherche, en leur proposant dessituations o il vont dvelopper les outils depense qui leur permettront de comprendreleur rapport au monde, autrui et eux-mmes, et de sy orienter.

    Une question politique.Droit la philosophie,droit de philosopher ?

    Il y a par ailleurs des implicites de philosophiepolitique dans toute pratique philosophique,et notamment celle de la PPE. Par exemple,Lipman propose une option politico-philo-sophique, qui consiste articuler troitementapprentissage de la philosophie et de ladmocratie. Lveil de la pense rflexivechez lenfant sous la forme de la commu-naut de recherche serait un moyendduquer la dmocratie. Mais le lienphilosophie-dmocratie est-il consubstantiel cette pratique ? La tension forte, voiresouvent la contradiction entre philosophieet dmocratie dans lhistoire de la philosophiene permet pas de laffirmer. On pourraitmme peut-tre fonder des pratiques dephilosophie avec les enfants indiffrentes,voire hostiles la dmocratie, sappuyantsur dautres conceptions philosophiques.Certains soutiennent par exemple que dansla position de Lipman, on ne fait pas de laphilosophie pour elle-mme ni pour lavaleur mancipatrice de la pense, maispour une cause qui lui est extrinsque,

    savoir la dmocratie, voire la prvention dela violence et il y aurait l instrumentalisationde la philosophie et dtournement de ladiscipline. Mais largument ne tient quepour les philosophes non dmocrates, carcelui qui, tel Rousseau, a une conceptiondmocratique de la politique, ne verraaucun inconvnient une pratique, commedit Diderot, de philosophie populaire .La solidarit entre une philosophie politiquequi promeut la dmocratie et une philosophie lusage de tous les enfants sous formediscussionnelle est donc cohrente. Car ledbat est consubstantiel la dmocratie, etla discussion problmatisante, conceptua-lisante et argumentative instaure unedmarche de mise en question philosophiquede ses opinions.

    Pour fonder la cohrence de la pratique dePPE sur une philosophie politique, les pro-moteurs dune telle orientation sappuient surles droits de lHomme et les droits de len-fant, comme ide rgulatrice thico-politique de la mise en uvre de ces nou-velles pratiques. En est issu le droit laphilosophie (11). Dautres, interprtantcette dernire formule plutt commelexpression dun droit-crance (un droit ),prfrent parler dun droit de philosopher ,parce que, dune part, rfrence est faiteaux droits de lHomme de la premiregnration (droit de), et, dautre part, laccenty est mis davantage sur lacte de philosopher.

    Une question psychologique.Lducabilit philosophiquede lenfance, une potentialit ?

    Si lon considre que la PPE est thiquementsouhaitable, et quelle est politiquementfonde par un droit, celui de philosopher,encore faut-il que ce soit psychologiquementpossible. La pratique de la philosophie avecles enfants prsuppose que ces dernierssoient capables dapprendre philosopher.Une premire objection, rcurrente, adresse la PPE est la mise en cause de ce pr-suppos : ce serait impossible, cause dufaible dveloppement cognitif des enfants.Il ny aurait pas de fait une ducabilitphilosophique de lenfance, pour des raisonsde psychologie gntique. Les enfants neseraient pas capables de raisonnementlogique, tant quils ne seraient pas parvenusau stade logico-formel de leur dveloppement

    (11) Titre de louvrage du philosophefranais Jacques Derrida, Le droit la philosophie du point de vue cos-mopolitique. Paris, Verdier, 1997.

  • CHAPITRE I

    8

    (10-12 ans), tel que dfini par exempleselon le psychologue suisse Jean Piaget.Mais cest prcisment sur les stades dedveloppement que celui-ci a dfinis queLipman sest appuy pour crire ses romans philosophiques , adapts chaquege des enfants. De plus, un certainnombre de chercheurs en psychologiedveloppementale(12), contestent aujourdhuicertains des rsultats piagtiens : lespossibilits cognitives de lenfant seraientplus prcoces quon ne le croyait. Et ce surtoutlorsque les exercices ne se font pas enlaboratoire o lenfant passe des testsdintelligence avec le chercheur, mais oles lves se confrontent leurs pairs ensituation relle de classe. Les verbatim(discussions denfants en classe transcrites),analyss par des chercheurs en sciences dulangage, psychologie sociale ou didactiquede la philosophie reprent des comptencesdiscursives, des micro expertises prsentesds le plus jeune ge, dues l orientationargumentative du langage.

    Une seconde objection renvoie au fait queles enfants manqueraient des savoirs nces-saires la rflexion, et stipule que lon nepeut tre pistmologue sans avoir desconnaissances scientifiques. Que r-flchir,cest se retourner vers les savoirs dont ondispose pour comprendre la dmarche deleur laboration, en valuer la pertinenceainsi que leur porte. La chouette deMinerve ne prend son envol qu la tombede la nuit dit Hegel. On philosophe donctoujours dans laprs-coup des savoirsconstitus. Do la place de la philosophieen fin de cursus de lenseignementsecondaire, ou dans le suprieur.

    Or, pour les promoteurs de la PPE, cet argu-ment fait fi des dmarches scientifiques ins-taures ds lcole primaire, sur lesquelles lesenfants peuvent rflchir avec laide duMatre, surtout quand les mthodes sontactives, en travaillant sur les processus etpas seulement sur des rsultats scientifiques apprendre et mmoriser. Cet argumentparle surtout des savoirs scientifiques, alorsque les enfants sont dabord proccups deproblmes existentiels, ontologiques, mta-physiques, thiques, sur lesquels ils peuventpenser partir de leurs expriences bienrelles de la vie.

    Une question de volont.Lducabilit philosophiquede lenfance, un postulatpour une pratique, louverture depossibles ?

    Malgr les controverses touchant lducabilit philosophique de lenfance, ilest cependant admis que la PPE nest plus unequestion face laquelle l'enseignant dephilosophie peut rester totalement indiffrent.Dsormais, l'enfant ne sera plus un simplesujet dont on traite en philosophie. Il sera,pour un certain nombre de philosophestout au moins, un sujet auquel la philosophies'adresse.

    La psychologie sociale et les sciences delducation ont souvent recours la notionde l effet Pygmalion . Il y a dautant plusde chance quun lve choue que sesmatres croient quil nest pas capable, etinversement, quil russisse si lon croit quecest possible(13). Notamment parce que,dune part, llve dans lequel on croitaugmente sa confiance et son estime delui-mme, et, dautre part, parce que leMatre va pdagogiquement tout faire pourque cela se produise. Dans le mme ordredides, tant que lon nouvre pas en classeun espace de parole ad hoc pour lmergenceet la formulation de questions existentielles, ilne sen exprime gure. Tant que lonnorganise pas des discussions, les lvesne savent pas discuter, et ce tout simplementparce que cela sapprend. Tant que lon nepropose pas une communaut de recherche,les lves napprennent pas se questionnermutuellement, dfinir, argumenterparce quils rencontrent des dsaccords,etc. Ainsi, tant que lon ne croit pas que leslves sont capables de philosopher, cesderniers ne manifestent pas daptitude lefaire, tout simplement parce que lenseignantna cr aucune condition psychologique -telle que la confiance dans le groupe -,pdagogique telle que la communaut derecherche -, ou didactique - telle que lavise philosophique par des exigencesintellectuelles dans la discussion.

    Postuler, cest--dire demander quonadmette sans preuve au dpart, lducabi-lit philosophique des enfants, et observerce qui se passe quand on met en place desconditions pour que la rflexivit advienne,

    (12) Comme le psychologuecanadien Albert Bandura.

    (13) Voir le dveloppementsur ce point dans la partie IIIde ce chapitre.

  • 9LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    est une attitude exprimentale intressanteet thiquement porteuse, parce quellecrdite lenfant dune confiance en sapotentialit rflexive, qui accrot, pourreprendre un concept du psychologue russeLev Vigotsky, sa zone proximale dedveloppement .

    Une question de dfis.Lducabilit philosophiquedes lves en difficultou en chec scolaire

    Lune des rticences les plus vives formules propos des lves en difficult ou enchec scolaire renvoie au problme quontces enfants quant la matrise de la langue.Cette objection affirme que lon ne peutpenser sans parler correctement, car il ny apas de pense sans langage. La pensetant dautant plus complexe et structureque le langage est prcis. Sur ce point, lespromoteurs de la PPE considrent que lalangue nest pas chronologiquementantrieure la pense, mais quil sagitdun dveloppement simultan. Le mot nepermet pas plus lide (il est dj notion)que le langage nhabillerait une idepralable (comment serait-elle formule ?).Parler cest, en sexprimant, dire le monde travers des catgories de pense. Le motnest pas la chose. Il renvoie certes unrfrent, mais par son abstraction il dsigneaussi une notion. Les praticiens de la PPEobservent ainsi que lorsquun lve veutexprimer une ide, il cherche ses mots, quideviennent fonctionnels pour sa pense. Sapense peut ainsi tre amliore en travaillantla langue, mais son langage peut tregalement affin en travaillant sur sa pense.Dautant que la communaut de recherchese fait essentiellement sous forme orale :elle permet dapprendre penser en discutant.Ceci permet des enfants, qui ne saventpas encore lire ou crire, de commencer rflchir. Lutilisation de loral et delchange verbal permet aussi ceux quiont des difficults lcrit de pouvoirsexprimer et de tenir des propos pertinentsquils criraient avec beaucoup de difficult.Cest pour eux une chance davoir recours un registre de langue qui nentrave pas lacommunication de leur pense, mais qui aucontraire stimule son laboration par laconfrontation vivante dautres.

    Une autre objection la PPE avec lesenfants en difficults renvoie au fait que ceslves sont prcisment rtifs labstraction etquils ont besoin de concret. Pourtant, onconstate un dveloppement important deces pratiques avec les lves en difficult ouen chec scolaire. Quelques explications cela : un lve en chec scolaire a souventdes problmes dans son milieu familial etsocial, et lcole lui renvoie en plus unemauvaise image de lui-mme. Do desractions de repli silencieux pour se faireoublier, ou au contraire de provocationpour exister, en attirant lattention. Cetlve est hypersensible aux problmes exis-tentiels et se trouve potentiellement prt entrer dans une dynamique dchange surles questions que lui pose la vie, pourvuque certaines conditions soient runies parlenseignant : lcouter quand il parle,lencourager dans son expression, valoriserses apports, faire preuve de confiance enlui, etc. Llve peut ainsi, par une activitrflexive, recouvrer lestime de soi en faisantlexprience quil est un tre pensant, etnon un incapable. Un processus de rparationnarcissique, o la pense panse la blessurede se vivre comme nul, le (r)apprentissagedun contact plus confiant avec autrui, plusapais avec le groupe. Il va alors dvelopperun langage intrieur entre lmotion ressentieet le passage lacte : linjure ou le coupqui part. Cest ce langage intrieur, oralinterne selon le psychologue JacquesLvine(14), qui ouvre une voie vers larflexivit, la dcouverte gratifiante duplaisir et de la dignit pour un homme depenser, qui peut remettre debout un lveen chec.

    Une question dapproche :pdagogie et didactique

    Si on adhre la PPE, reste alors une questionpdagogique. Comment ? Quellesdmarches, mthodes, outils, supports,etc. ? Comment didactiser cette activit, larendre enseignable par les matres,appropriable par les lves ? La questionde la didactique de la philosophie est tra-verse par des dbats : certains inspecteursde philosophie ou reprsentants associatifsde lenseignement philosophique - parexemple en France - pensent que laphilosophie est elle-mme sa propredidactique , puisquelle est, par son

    (14) Voir le dveloppement sur cepoint dans la partie III de ce chapitre.

  • CHAPITRE I

    10

    mouvement propre, veil de la pense. Onapprend philosopher en coutant uncours ou en lisant un philosophe, qui nousintroduisent la pense elle-mme par lemouvement dune pense en acte. pousercomme auditeur ou lecteur ce dploiementthorique du concept dans le cours ou letexte, cest alors se mettre philosophiquementen route, par le seul entranement rflexifdu Matre, professeur ou grand philosophe.Cette conception renvoie un modle delapprentissage trs transmissif, qui pr-suppose le charisme dun Matre, la relationantique Matre-disciple, un lve sduit,motiv, attentif, etc. Mais quen est-il dansun enseignement dmocratique de masse,quand la philosophie sadresse tous, olenseignant est un professeur, un profes-sionnel de la pdagogie, et pas seulement unphilosophe ? O lenseignement doitsattacher intresser des lves pas forc-ment acquis demble son intrt thoriqueet pratique, et qui, lorsquils sont notammentissus des classes populaires, nont pasforcment les mmes normes linguistiqueset culturelles que lcole et ses enseignants.Do une orientation plus rcente de ladidactique de la philosophie, la fois pluscohrente avec une dmocratisation delenseignement philosophique et avec lesrecherches scientifiques sur le processusenseignement-apprentissage. Elle sintressedavantage llve comme apprenti-phi-losophe, ses dmarches dapprentissage, ses difficults, quau professeur, sonsavoir sur les doctrines et la manire dontil les expose. Elle rflchit la faon dontun enseignant, avec une double formation,philosophique et pdagogique-didactique,peut aider les lves franchir des obstacles,particulirement celui des pseudo-certitudesque leur confrent leurs opinions. Il sagitdonc davantage dune didactique delapprentissage du philosopher que delenseignement de la philosophie.

    Une question de modedapprentissage du philosopher :la discussion, une voie privilgie ?

    Nombre des pratiques de la PPE soriententvers la discussion entre pairs. Lorsquonsinterroge sur la prdominance de cetteforme, dans les faits, mais aussi en droit, onobserve dans le monde que la forme discus-sionnelle est la plus rpandue, contrairement

    sa forme institutionnalise, notammentdans le secondaire ou le suprieur, o legenre expositif domine largement. Cetteforme est-elle contingente, due desphnomnes extrinsques la discipline,dordre historique, social, psychologique,ou est-elle intrinsque, lie la disciplineelle-mme ? La communaut de recherche ,ou la discussion vise philosophique (15)

    (DVP) sont-elles des mthodes dappren-tissage du philosopher parmi dautres, oumanifestent-t-elles de faon paradigmatiquele dveloppement gntique, dveloppe-mental de la pense rflexive, au sens o laconfrontation laltrit incarne serait lacondition de la confrontation soi, soi-mme comme un autre (Ricoeur), au dialogue de lme avec elle-mme (Platon).

    Sur le fondement et la lgitimit de laforme discussionnelle, certaines critiquessont vives : loral, par opposition lcritdes textes ou de la dissertation, peut treconsidr comme secondaire dans len-seignement philosophique. La discussionen classe est souvent juge comme unemthode pdagogique superficielle et lesrieux demeure le cours du professeur.Lvine met quelques rserves en psychologuedveloppementaliste : une discussion tropprcoce dans le temps ne laisserait passuffisamment de temps lenfant pourlaborer sa propre pense interne, toutproccup quil serait de ragir lopiniondes autres. La pression conceptuelle ouargumentative dune DVP pourrait court-circuiter le pralable de sexprimentercomme sujet pensant. Par ailleurs, il nesuffit pas quune discussion soit dmocrati-que pour quelle apprenne philosopher.Pour que la discussion soit philosophiquementformatrice, il faut runir des conditions quilgitiment sa convocation dans lapprentissagedu philosopher. Ces exigences incluraientune communaut cooprative de rechercheimpliquant une thique discussionnelle ausein dun agir communicationnel (Habermas), une authentique vise devrit partager ainsi que la mise en uvrede processus rationnels de pense.

    Les rponses ces critiques considrent quela discussion, quil ne faut pas absolutiser, estlune de ses formes possibles, particulirementadapte lorsquil sagit denfants ou dlves

    (15) Voir le dveloppement sur cepoint dans la partie III de ce chapitre.

  • 11

    LA PHILOSOPHIE, UNE COLE DE LA LIBERT

    (16) Voir partie III de ce chapitre.

    (17) Ibid.

    (18) Ibid.

    (19) http://pratiquesphilo.free.fr/

    (20) Platon, Le Banquet. Paris,Flammarion (Poche), 1999.

    (21) Dans la ligne de linterprta-tion de Jacques Lacan, psychana-lyste franais. Le Matre ignorant ,refusant de combler la bance delignorance, cest celui qui alimentele dsir de philosophie. Il ne cher-che donc pas, ni nattend, endidactique de lapprentissage duphilosopher, la bonne rponse de llve, car sil tait dans cetteposture, llve serait dans le dsir de bonne rponse du Matre ,et non dans son propre dsir,condition pour penser par soi-mme.

    2) La question du rle du Matre

    Quel degr de guidage ?

    La question du rle du Matre est trs discuteentre praticiens, formateurs et chercheurs.Plusieurs tendances existent : lhyperdirectivitdu maeutic