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La philosophie une école de la liberté - UNESCO

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Page 1: La philosophie une école de la liberté - UNESCO
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Les appellations employées dans cette publication et la présentation des données qui yfigurent n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut juridiquedes pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant à leurs frontières ou limites.

Publié en 2007 par :Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la cultureSecteur des Sciences sociales et humaines7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France

Sous la direction de Moufida Goucha, Chef de la Section Sécurité humaine, démocratie et philosophie

Assistée de Feriel Ait-ouyahia, Arnaud Drouet, Kristina Balalovska

Toute communication concernant cette publication peut être adressée à :Section Sécurité humaine, démocratie et philosophieSecteur des Sciences sociales et humaines

UNESCO1, rue Miollis75732 Paris Cedex 15, FranceTél. : +33 (0)1 45 68 45 52Fax : +33 (0)1 45 68 57 29Courriel : philosophy&[email protected] Site Internet : www.unesco.org/shs/fr/philosophy

Images couverture : gettyimagesImages intérieur: © Jérémie Dobiecki Photos : http://office.microsoft.com/fr-fr/clipart/ Composé par Jérémie DobieckiImprimé par Dumas-Titoulet Imprimeurs

ISBN 978-92-3-204070-1 © UNESCO 2007Imprimé en France

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LA PHILOSOPHIEUNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Éditions UNESCO

Enseignement de la philosophieet apprentissage du philosopher :

État des lieux et regards pour l’avenir

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Remerciements

Aux experts Michel Tozzi (chapitre I), Luca Scarantino (chapitres II et III), Oscar Brenifier(chapitre IV) et Pascal Cristofoli (chapitre V) pour avoir fourni à l’UNESCO le socle de cetteÉtude, dont l’esprit et la lettre ont été amplement conservés. Qu’ils soient remerciés pourleur accompagnement et leur engagement sans failles, à la fois informatifs et critiques.

Nos remerciements vont également aux Commissions nationales pour l’UNESCO et auxDélégations permanentes auprès de l’UNESCO, pour avoir officiellement requis cette Étudeet pour y avoir contribué, pour la grande majorité d’entre-elles ; aux Titulaires des ChairesUNESCO de philosophie, pour avoir réagi promptement et pour avoir offert un panoramaà jour des visages régionaux de l’enseignement de la philosophie ; aux ONG, pour leurréactivité et leur souci d’être aux côtés de l’UNESCO dans cette aventure.

Cette Étude est dédiée à tous ceux qui se sont engagés, avec vigueur et conviction, dansla défense de l’enseignement de la philosophie, gage fécond de liberté et d’autonomie.Cette publication est également dédiée à ceux qui, jeunes esprits aujourd'hui, sont appelés àdevenir les citoyens actifs de demain.

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SOMMAIRE

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

PréfaceKoïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO ix

Les trois temps de la philosophie à l’UNESCOPierre Sané, Sous-Directeur général pour les Sciences sociales et humaines(UNESCO) xi

La dynamique de la méthode Moufida Goucha, Chef de la Section Sécurité humaine, démocratie et philosophie(UNESCO) xvii

Chapitre I 1 - 45

Enseignement de la philosophie et apprentissage du philosopheraux niveaux préscolaire et primaireLa philosophie et les jeunes esprits : l’âge de l’étonnementTable des matières du chapitre I 1

Introduction : chemin parcouru, chemin à parcourir 3

Notice méthodologique 4

I. Les interrogations suscitées par la philosophie avec les enfants 5

II. Promouvoir les pratiques à visée philosophique aux niveauxpréscolaire et primaire : orientations et pistes d’actions 15

III. La philosophie avec les enfants : un développement à prendre en compte 25

IV. La philosophie aux niveaux préscolaire et primaire en quelques chiffres 43

Conclusion : du souhaitable au possible 45

Chapitre II 47 - 93

Enseignement de la philosophie au niveau secondaireL’âge du questionnement Table des matières du chapitre II 47

Introduction : visages de l’enseignement de la philosophie au niveau secondaire 48

Notice méthodologique 49

I. La présence de la philosophie à l’école : quelques controverses 51

II. Suggestions pour un renforcement de l’enseignement de la philosophieau niveau secondaire 67

III. État des lieux : institutions et pratiques 75

IV. La philosophie au niveau secondaire en quelques chiffres 91

Conclusion : la philosophie à l’adolescence : une puissance de transformation créatrice 93

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SOMMAIRE

Chapitre III 95 - 149

Enseignement de la philosophie au niveau supérieurLa philosophie dans le champ universitaire

Table des matières du chapitre III 95

Introduction : élaboration et enseignement du savoir philosophique 97

Notice méthodologique 99

I. La dynamique entre enseignement et recherche en philosophie à l’Université 100

II. La philosophie face aux défis émergents : questions et enjeux 113

III. Diversification et internationalisation des enseignements philosophiques 123

IV. La philosophie au niveau supérieur en quelques chiffres 148

Conclusion : la philosophie en devenir 149

Chapitre IV 151 - 195

Découvrir la philosophie autrementLa philosophie dans la Cité

Table des matières du chapitre IV 151

Introduction : l’Autre de la philosophie 153

Notice méthodologique 153

I. Le besoin de philosopher 154

II. La pluralité des pratiques philosophiques 161

III. Vingt propositions d’action pour philosopher 178

IV. La philosophie au niveau informel en quelques chiffres 194

Conclusion : est-ce philosophique ? 195

Chapitre V 197 - 237

L’enseignement de la philosophie à travers une enquête UNESCO auto-administrée via Internet

Table des matières du chapitre V 197

Introduction : un procédé collectif et inclusif 198

I. Principaux résultats thématiques 199

II. Outils, méthode et modalités d’organisation 222

Conclusion : une enquête inédite 229

Questionnaire en ligne de l’UNESCO 230

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Point de vue 239 - 241

Annexes 243 - 277

Annexe 1. Comité d’experts – Comité de lecture 244

Annexe 2. Liste des personnes ressources de l’Étude 245

Annexe 3. Glossaire 247

Annexe 4. Quelques références bibliographiques d’intérêt 253

Annexe 5. Liste d’acronymes utilisés 269

Annexe 6. Index des pays mentionnés 273

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PRÉFACE

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

La mission même de l’UNESCO, mise auservice de la solidarité intellectuelle etmorale de l’humanité, est d’embrasser etde promouvoir l’ensemble des savoirs. Dansune société du savoir, ouverte, inclusive etpluraliste, la philosophie a toute sa place.Son enseignement aux côtés des autressciences humaines et sociales reste au cœurde nos préoccupations.

Cet ouvrage n’est pas seulement un étatdes lieux de ce qui se fait, et ne se fait pas,en matière d’enseignement de la philosophieaujourd’hui. Il va bien au-delà, en dressantune grille de lecture intelligible, en offrantdes pistes et des orientations nouvelles. Dela sorte, il se veut un véritable outil pratiqueet prospectif, documenté et actualisé, oùchacun trouvera matière à réflexion.

Qu’est-ce que l’enseignement de la phi-losophie, si ce n’est celui de la liberté et dela raison critique ? La philosophie renvoieen effet à l'exercice de la liberté dans et parla réflexion. Parce qu'il s'agit de juger enraison et non d'exprimer de simples opinions,parce qu'il s'agit non seulement de savoir,mais de comprendre le sens et les principesdu savoir, parce qu’il s’agit de développerl’esprit critique, rempart par excellencecontre toute forme de passion doctrinaire.Ces finalités exigent du temps, un retoursur soi, sur les langages et les culturesautres. C’est un temps long, qui repose surune instruction éclairée, une mise en perspec-tive rigoureuse des concepts et des idées.La philosophie, comme méthode, commedémarche, comme pédagogie, permet ainsi

de développer les compétences de chacunpour questionner, comparer, conceptualiser.

La première étude sur l’enseignement de laphilosophie dans le monde menée parl’UNESCO, publiée en 1953, mettait déjàl’accent sur le rôle de la philosophie dans laprise de conscience des problèmes fonda-mentaux de la science et de la culture, etdans l’émergence d'une réflexion argumentéesur l’avenir de la condition humaine. Laphilosophie a changé, elle s’est ouverte surle monde et sur d’autres disciplines.Voyons-y une raison de plus pour développerson enseignement là où il existe, et de lepromouvoir là où il n’existe pas.

Rouvrir ce débat, en le prolongeant, c’estaussi et surtout replacer la question despolitiques d'enseignement et d’éducation àmener au cœur de l’agenda international :un enjeu majeur, si nous voulons valoriseret partager nos savoirs, et investir dans uneéducation de qualité pour tous pour assurerl’égalité des chances de chacun.

Le défi est donc lancé auprès de chacun desÉtats membres de l’UNESCO, de toutes lesONG, de toutes les associations philoso-phiques et de tous les acteurs concernés etintéressés pour qu’ils s’approprient lesrésultats de cette étude et y trouvent desorientations constructives et utiles. Puissedonc chacun puiser ici aux sources d’unvaste ensemble d’idées, d’expériences,d’initiatives et de pratiques, rassemblées defaçon opportune pour mieux faire face auxdéfis de demain.

KKooïïcchhiirrooMMaattssuuuurraa

Koïchiro MatsuuraDirecteur général de l’UNESCO

« La philosophie, une école de la liberté », phrase forte qui à elle seule pourraitrésumer l’essence du présent ouvrage. C’est le titre choisi pour cetteétude de l’UNESCO sur l’état des lieux de l’enseignement de la philosophiedans le monde, pleinement en phase avec la Stratégie intersectoriellede l’UNESCO concernant la philosophie, adoptée par le Conseil exécutifde l’Organisation en 2005.

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LES TROISTEMPSDE LAPHILOSOPHIEÀ L’UNESCO

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Discipline charnière des sciences humaines,la philosophie se trouve à la croisée deschemins du devenir des individus. Car au-delà d’un savoir, c’est bien d’un « savoirêtre » qu’il s’agit. Comme il y a un art desavoir, il y a également un art d'enseigner.C’est pourquoi l’UNESCO se proposeaujourd’hui d’offrir une étude s'articulanten trois temps : une prise en compte desapports des études antérieures en lamatière, une esquisse de cet enseignementtel qu’il se pratique aujourd’hui, et uneébauche de perspectives pour l’avenir.

La trame de l’étude repose sur un postulatessentiel, celui selon lequel l’UNESCO neprétend pas énoncer une quelconqueméthode ou orientation philosophique, sice n’est celle de la culture de la paix.L’initiative de cette étude, conjointementdécidée par les États membres et par leSecrétariat de l’UNESCO, s’inscrit dans unleitmotiv constant qu’est la promotion de laphilosophie et l’encouragement de sonenseignement, comme en témoigne laStratégie intersectorielle de l’UNESCOconcernant la philosophie(1). CetteStratégie s’érige autour de trois voletsprincipaux : i) La philosophie face aux pro-blèmes mondiaux : dialogue, analyse etinterrogation de la société contemporaine ;ii) L’enseignement de la philosophie dansle monde : encouragement de la réflexioncritique et de la pensée indépendante ; iii)La promotion de la pensée et de la recher-che philosophiques.

Dans cette Stratégie, l'enseignement faitainsi figure de clé de voûte de l'actionporteuse de l’UNESCO dans le domaine dela philosophie. La première activité requisepour ce volet porte précisément sur l’éla-boration d’une étude sur l’état des lieux del’enseignement de la philosophie dans lemonde. Un préalable indispensable à touteactivité future dans ce domaine, dès lorsqu’une réflexion avertie et éclairée est legarant d’une action intelligente et ciblée.

Cette étude se veut intersectorielle, setrouvant à la jonction de l’éducation et dessciences sociales et humaines. Les deuxSecteurs de compétence de l’UNESCO ontà cet égard joint leurs forces afin de travaillerensemble à son élaboration, dont le socles'appuie aussi bien sur la pédagogie pro-prement dite, que sur la philosophie. Unecoopération exemplaire qui s’est illustrée àchacune des étapes du montage de l’étudeet notamment du questionnaire qui a servide base qualitative et quantitative.Cette étude a vocation à mettre à la disposi-tion des États membres une grille de lecturefidèle de la situation de cet enseignementaujourd’hui et à ouvrir des perspectives dereformulation ou d'amélioration des program-mes tels qu’ils existent, tout en mettant enlumière les carences en la matière, tellel’absence d’enseignement philosophique,ou son détournement éventuel. Elleentend ainsi réaffirmer avec force le rôle de laphilosophie comme rempart contre le double

(1) Rapport du Directeur généralsur une Stratégie intersectorielleconcernant la philosophie, 171 EX/12,Conseil exécutif de l’UNESCO.Paris, 2005.

Mémoire sur le Programme de l’UNESCO en matière de philosophie. Juin 1946

Pierre SanéSous-Directeur généralpour les Sciences sociales et humaines (UNESCO)

« Il ne suffit pas de lutter contre l’analphabétisme : encore faut-il savoirquels textes on fera lire aux hommes. Il ne suffit pas de travailler en com-mun aux découvertes scientifiques : encore faut-il que chaque hommecomprenne que la valeur de la science réside moins dans ses applicationsque dans l’émancipation de l’esprit humain et dans la création d’une vastecommunauté spirituelle au-dessus des clans et des empires. »

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LES TROIS TEMPS DE LA PHILOSOPHIE À L’UNESCO

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danger représenté par l'obscurantisme etpar l'extrémisme, au centre des préoccupa-tions des États membres de l’Organisation(2).Or, qui mieux que l’école peut offrir cerempart infranchissable ? À conditionqu’elle soit l’antre d’une pensée libre, critiqueet indépendante. Qui d’autre que l’ensei-gnant, le formateur, l’éducateur peutapprendre à réfléchir, à discuter l’évidenceet à se méfier des certitudes ? À conditionqu’il soit un guide et non un maître à penser.

Cette étude trouve une vraie raison d'êtreaujourd'hui. Véritable vivier documentaire,elle décrit en détail les modalités de l’en-seignement de la philosophie, aussi bien àses niveaux traditionnels, le secondaire etl'universitaire, que dans les sphères nouvel-les, telles que l’enseignement au niveau pri-maire, ou les sphères inattendues, tellesles nouvelles pratiques philosophiques.Elle tente également de poser les bonnesquestions qui interpellent les problémati-ques éducatives relatives à l’enseignementde la philosophie. Elle se propose de tracer

quelques pistes de réflexion, quelquesorientations à même de constituer un outilde référence pour les politiques d’enseigne-ment de la philosophie. Une étude certaine-ment très ambitieuse, dès lors qu’elle ne secontente pas d’être simplement descriptive,mais qu’elle propose aussi un regard aiguisésur l’enseignement de la philosophie et soneffet miroir sur nos sociétés contemporaines.

Si un message devait être porté par cetteétude, ce serait certainement celui qui nousexhorte à considérer l’enseignement de laphilosophie comme nécessaire et incontour-nable. Un message déjà transmis par lesprécédentes études réalisées par l’UNESCOen la matière, avec une résonance et uneacuité plus que jamais d’actualité.

Le passé nourrit le présent et forge l’avenir :c’est autour de ces trois temps que s’articulel’action de l’UNESCO dans le domaine del’enseignement de la philosophie et, plusgénéralement, de sa promotion.

Premier temps : l’enseignement de la philosophie,un intérêt constant pour l’UNESCO

La philosophie a toujours été consubstantielleà l’UNESCO. Elle en a inspiré pour grandepartie son Acte constitutif et, dès 1946,l’UNESCO se dote d’un programme enmatière de philosophie. La présenceremarquée de grands philosophes tels queJean-Paul Sartre, Emmanuel Mounier etAlfred J. Ayer à la Conférence générale del'Organisation, tenue à la Sorbonne,atteste avec force de l'importance quel'Organisation souhaitait accorder à cettediscipline et à ses disciples. S’en est suivieen 1949, la création du Conseil internationalde la philosophie et des sciences humaines etla fondation de la revue Diogène par RogerCaillois, puis, en 1960, la création d’uneDivision de la philosophie confiée à la phi-losophe Jeanne Hersch.

Dès 1950, la Conférence générale del’UNESCO décidait, à sa cinquième session,de mener « une enquête sur la place quel’enseignement philosophique occupe dansles divers systèmes d’éducation, sur lafaçon dont il est donné et sur l’influence

qu’il exerce sur la formation du citoyen »(3).Effectuée en 1951 et 1952 et demeuréecélèbre depuis lors, cette enquête porte surl’enseignement de la philosophie, etnotamment sur la place qu’il occupe dansles systèmes d’enseignement de différentspays, sur son rôle dans la formation ducitoyen ainsi que sur l’importance qu’ilrevêt pour la recherche d’une meilleurecompréhension entre les hommes(4). Lerapport avait été publié avec une analysegénérale des problèmes soulevés parl'enseignement de la philosophie préparéepar Georges Canguilhem, alors jeuneinspecteur général de philosophie (France).Il est accompagné d'une déclarationcommune des experts.

En 1978, les États membres de l’UNESCOdemandent à l’Organisation d’élaborer desétudes sur l'enseignement et la recherchephilosophiques dans chaque région dumonde(5). Cette consultation régionale, quis’est étalée sur une décennie, avait pourobjectif une vaste enquête portant

(2) L’instauration de la Journéemondiale de la philosophiepar la Conférence généralede l’UNESCO en 2005 a constituéun moment fort dans l’élan portépar l’UNESCO en faveur de la pro-motion de la philosophie et de sonenseignement. Cette proclamationsolennelle énonce dans son préam-bule la conviction des États membresde l’Organisation quant à l’impor-tance de la philosophie, et sa protec-tion du double danger représentépar l'obscurantisme et par l'extré-misme. Instauration d'une Journéemondiale de la philosophie, Actes dela Conférence générale de l’UNESCO,33ème session, Paris, 2005, vol. 1 :Résolutions.

(3) Actes de la Conférence généralede l’UNESCO, cinquième session,Florence, 1950, 5 C/Résolutions4.1212.

(4) Actes de la Conférence généralede l’UNESCO, sixième session, Paris,1951, 6 C/Résolutions 4.41.

(5) À sa vingtième session réunie en1978, la Conférence générale del’UNESCO a adopté, entre autres, larésolution 3/3.3/1 autorisant leDirecteur général « à exécuter desactivités destinées à contribuer à laréalisation de l’objectif 3.3(Contribution au développement desinfrastructures et des programmes deSciences sociales en vue d’augmenterla capacité des différentes sociétésd’éclairer la solution des problèmessociaux et humains) concernant lesthèmes suivants : Mise en valeur etpromotion du rôle des études phi-losophiques et de l’enseignement dela philosophie dans la vie des diffé-rentes sociétés et contributionà l’élucidation critique et au dévelop-pement des aspects interdisciplinairesde la recherche et de la réflexion surles problèmes humains ». Actes de laConférence générale de l’UNESCO,vingtième session, Belgrade, 1978,vol. I : 21 C/Résolutions 3/3.3/1.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(6) Raymond Klibanskyet David Pears (dir.),La philosophie en Europe.Paris, UNESCO/Gallimard, 1993.

(7) Roger-Pol Droit, Démocratie etphilosophie dans le monde. Paris,UNESCO, 1995.

(8) www.unesco.org

notamment sur les pratiques interdisciplinairesdans le monde.Pour la région Afrique, une réunion dephilosophes a été organisée en juin 1980, àNairobi (Kenya), et a abouti à une série derecommandations qui témoignent déjà dela place cruciale souhaitée pour la philosophieen Afrique. Les participants ont mis l'accentsur de nombreux problèmes liés à l'ensei-gnement et à la recherche philosophiqueen Afrique, allant de l'enseignement de laphilosophie durant la période précolonialeet de l'héritage colonial en la matière àla formation philosophique des scientifiqueset à la formation scientifique des philoso-phes, en passant par quelques suggestionspour une « décolonisation conceptuelle ».

Pour la région Asie-Pacifique, une réunionde philosophes s'est tenue en février 1983,à Bangkok (Thaïlande). Cette réunion aporté plus particulièrement sur la profession-nalisation de la philosophie, et a mis enlumière l’imprégnation de la philosophiedans cette région par la religion etl’histoire, ainsi que la nécessité de rétablirun dialogue entre les sociologues et lesphilosophes afin de réduire le fossé entreles deux disciplines et de permettre unéchange fructueux sur la compréhensiondes problématiques sociétales.

Pour la région Amérique latine et Caraïbes,une réunion d'experts s'est tenue en juin1985, à Lima (Pérou). Les experts ont faitpart à l’UNESCO d’une série de sollicitationsen vue d’élaborer une étude interdisciplinairesur les relations entre la philosophie et lessciences exactes, naturelles, sociales ethumaines ; de promouvoir les études surl’histoire des idées et leur influence ; depromouvoir une bibliographie contemporainede la philosophie en Amérique latine etCaraïbes ; d’encourager la participation despécialistes en philosophie d’Amériquelatine et Caraïbes à la revue Diogène ;d’encourager des traductions des œuvresphilosophiques (de et vers l’espagnol et leportugais).

Pour la région Arabe, une réunion dephilosophes s’est tenue sur le thème de« L’enseignement et la recherche en philoso-phie dans le Monde arabe », en juillet1987, à Marrakech (Maroc). Cette réuniona permis de dresser un portrait de l’enseigne-

ment de cette discipline dans les diffé-rents pays arabes, aussi bien au niveausecondaire qu’au niveau universitaire, ainsique dans le domaine de la recherche. Cetteréunion a été également l’occasion d’unetable ronde pour la commémoration dupenseur Ibn Tufayl, qui s’est avérée propicepour rappeler l’influence de la philosophiesur l’essor de la pensée médiévale.

Pour la région Europe, la consultationrégionale s'est traduite par un ouvrage surla philosophie en Europe, paru en 1993, etqui a été publié avec le concours del'Institut international de philosophie (IIP) etdu Conseil international de la philosophieet des sciences humaines (CIPSH)(6). Cettevaste enquête visait à dresser un état deslieux de la philosophie en Europe. On ytrouve des inventaires, pays par pays, desgrandes tendances et des interrogationsen philosophie, tout comme une esquissede la circulation effective, plus ou moinsdifficile, des interrogations philosophiquesentre pays, donc du dialogue nécessaireentre penseurs et intellectuels, par-delàles frontières nationales et culturelles.

En 1994, l'UNESCO a souhaité compléterl'enquête de 1951. La nouvelle étude,menée par le philosophe Roger-Pol Droit,comporte des contributions de personnali-tés de soixante-six pays, avec l'idée d'ouvrirun nouveau chantier de réflexions et dedébats sur la place de la philosophie dansles cultures d'aujourd'hui, et dans la for-mation du jugement libre des citoyens(7). Il yest question de la philosophie et des pro-cessus démocratiques, des rapports de la phi-losophie avec l'interdépendance économi-que, les techniques électroniques, l'ensei-gnement scientifique, ou encore de laphilosophie politique et de la place ducitoyen.

En 1995, l'UNESCO organise des journéesinternationales d'études à Paris, marquéespar la célèbre Déclaration de Paris pour laphilosophie(8). Cette Déclaration réaffirmeque l'éducation philosophique, en formantdes esprits libres et réfléchis, capables derésister aux différentes formes de propagande,de fanatisme, d'exclusion et d'intolérance,contribue à la paix et prépare chacun àprendre ses responsabilités face auxgrandes interrogations contemporaines,

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LES TROIS TEMPS DE LA PHILOSOPHIE À L’UNESCO

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notamment dans le domaine de l'éthique.La Déclaration souligne également quel'enseignement philosophique doit êtrepréservé ou étendu là où il existe, créé là oùil n'existe pas encore, et nommé explicitementphilosophie, en rappelant que l'enseignementphilosophique doit être assuré par desprofesseurs compétents, spécialementformés à cet effet et ne peut être subordonnéà aucun impératif économique, technique,religieux, politique ou idéologique. Enfin,elle insiste sur le fait que, tout endemeurant autonome, l'enseignementphilosophique doit être, partout où cela estpossible, effectivement associé, et passeulement juxtaposé, aux formations

universitaires ou professionnelles, danstous les domaines.

Après 1995, le programme de l'UNESCO enmatière de philosophie se poursuivra par lacréation de réseaux régionaux, particu-lièrement actifs en Asie du Sud-Est, enEurope, en Amérique latine et dans lesCaraïbes, ainsi qu’en Afrique. D'autresinitiatives ont également été réalisées,singulièrement sur la philosophie pour lesenfants, ainsi que l'Encyclopédie multimé-dia des sciences philosophiques, qui toutesvisent un but commun : la popularisationd'une culture philosophique internationale.

Deuxième temps : l’enseignement de la philosophie,ici et maintenant

Pourquoi un état des lieux de l’enseignementde la philosophie ici et maintenant ? Car lemonde est en perpétuel changement, toutcomme les cultures, les modes d’échangedes savoirs, les questionnements, et bienentendu, l’enseignement de la philosophieet la philosophie elle-même. Un travaild’actualisation des données est indispensableà une lecture intelligible du monde, afin demieux faire face aux défis qui se posent àlui. C’est précisément dans ce souci decompréhension de notre environnementque l’UNESCO a entrepris l’élaboration decette étude aujourd’hui, afin de contribuerà écrire une page nouvelle de cette histoire,tout en veillant à avoir un regard clairvoyantsur les acquis pour une vision lucide dufutur de cet enseignement.

La présente étude, plus d’une décennieaprès la dernière enquête menée parl’UNESCO en la matière(9), est nourrie parun travail documentaire et bibliographiquetrès riche. Elle s'est attelée avec détermina-tion à atteindre le maximum d'États mem-bres de l'Organisation afin d'illustrer fidèle-ment sa vocation mondiale. L'ensemble despays, sans exception aucune, a étéconsulté et nombre d’entre eux ontcontribué à alimenter l’étude à travers unedémarche d’adhésion éminemmentparticipative.À l’instar d’un zoom photographique,l’étude s’est penchée sur quatre facettes de

l’enseignement de la philosophie, afind’embrasser tous les niveaux, concernantaussi bien l’éducation formelle que l’éduca-tion non formelle : i) La philosophie et lesjeunes esprits, l’âge de l’étonnement - sonenseignement aux niveaux préscolaire etprimaire ; ii) La philosophie à l’âge duquestionnement - son enseignement auniveau secondaire ; iii) La philosophie dansle champ universitaire - son enseignementau niveau supérieur ; iv) Découvrir la philo-sophie autrement - sa pratique dans la Cité.Un portrait de l’existant est minutieusementdressé, à chacun de ces niveaux, corroborépar des études de cas régionales, par unrépertoire des réformes qui ont marquél’enseignement de la philosophie, ainsi quepar les expériences qui méritent un intérêttout particulier.

L'originalité de cette étude se traduit parl'identification de Questions vives, quiinterpellent de façon constante les Étatsmembres de l’UNESCO, tout comme lesprofesseurs, les chercheurs et les praticiensde la philosophie. L’on retient notammentla question de l’éducabilité philosophiquede l’enfance avec ses dimensions psycho-logique, philosophique et sociologique ;l’importance des innovations en matièrepédagogique ; le rôle fondamental du Maîtreet la question de la formation des formateurs ;la question du retrait et/ou du remplacementde l’enseignement philosophique ; les

(9) Quelques chiffres peuvent per-mettre de prendre conscience de ladifférence entre l’enquête de 1951,et celle de 1994. La première n’aréellement concerné, en fin decompte, que neuf États. Celle de1994, intitulée « Philosophie etdémocratie dans le monde », a réunides données provenant de 66 États.Indépendamment de l’aspect quanti-tatif, sans précédent en ce domaine,l’étude de 1994 n’a pas été à propre-ment parler une étude sur l’état deslieux de l’enseignement de la philo-sophie mais plutôt une analyse desliens entre l’éducation philosophiqueet les processus démocratiques. Elle aeu néanmoins le mérite de mettre enlumière l’importance de reconnaîtreune pédagogie multiple associant lelivre, l’enseignement à distance, l’au-diovisuel et l’informatique. Mais sur-tout, cette étude a égalementdémontré que l’enseignement de laphilosophie s’organise et s’étend enmême temps que la démocratie.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

débouchés professionnels ; le besoin dephilosopher ; ou encore le statut et laposition du philosophe. Autant de ques-tions qui ont été abordées avec un regardnouveau et expert, en vue de mieux fairecomprendre les enjeux qui se posent avecune grande acuité aujourd'hui dans lemonde. Ces Questions vives ont d'autantplus de sens qu'elles démontrent que l'en-seignement de la philosophie ne pourraremplir sa fonction que s'il s'inscrit lui-même dans un processus éducatif pensé,conçu, intégré, au regard des autres disci-plines, où chacune joue son rôle, où chacune

est complémentaire de l'autre, où chacuneenrichit l'autre. En effet, aucune des disci-plines enseignées, prise séparément, nepeut remplir de mission éducative globale àelle seule. Inversement, noyer l'enseigne-ment de la philosophie au sein des autresdisciplines équivaudrait à la dénuer de sonsens. Au-delà de l’intérêt que l’on pourraitporter à la signification même du cours dephilosophie dans le processus global del'éducation, c’est d’abord son bien-fondéet sa nécessité que la présente étude s’estefforcée de démontrer.

Troisième temps : l’enseignement de la philosophie,un défi pour l’avenir

Héritière de la Société des esprits qu’appelaitde ses vœux Paul Valéry, l’UNESCO s’estassignée deux tâches majeures en matièrede philosophie.

La première consiste à aider cette disciplineà s’exercer et à se développer dans lemonde, de manière à favoriser le dialogueinternational entre les communautésphilosophiques. Autrement dit, de jouer lerôle d’un catalyseur d’idées, de plateformed’échanges, d’espace de dialogue libre etlibéré. À cet égard, de nombreux travaux àvocation internationale ont pu voir le jourgrâce à l’UNESCO, comme en témoigne ledocument clé qu'est la Déclaration de Parispour la philosophie, revendiquant le droit àla philosophie, et qui a servi d’appui à ladiscipline pour « entrer en résistance »lorsque son enseignement était menacé deréduction ou de disparition dans certainspays. La seconde tâche est celle de l’innutri-tion, à l’intérieur même de l’Organisation,sur les questions transversales, les enjeuxcontemporains, les concepts centraux, lespriorités et les stratégies à adopter pouroffrir du sens au monde - le mot sens est icicompris, philosophiquement, comme à lafois chemin et signification.

Cette étude fait office de tremplin auxautres activités énoncées dans la Stratégieintersectorielle concernant la philosophie,notamment l’aide à la formulation derecommandations pour les politiquesd'enseignement de la philosophie à

l’échelle du niveau secondaire et desUniversités, qui incluraient l'enseignementdes différentes traditions philosophiquesainsi que la philosophie comparative, laformation et les mécanismes d'évaluation, ledéveloppement de manuels et de pro-grammes d’échange ; le renforcement deschaires UNESCO de philosophie ; l’encoura-gement des Olympiades internationales dephilosophie ; la diffusion de matériaux issusdes activités de recherche et des sessionsdu Dialogue philosophique interrégional del’UNESCO. Une myriade de champs d'ac-tion pour l’avenir de l’enseignement de la phi-losophie dans le monde, pour lequell’UNESCO compte poursuivre son rôle spé-cifique de chef de file du système desNations Unies.Enfin, nous pouvons poser sur cette étudele regard du philosophe Jacques Derridalorsqu’il aborde, en 1991, le droit à laphilosophie du point de vue cosmopolitique :selon lui, il y a en effet toujours une idéephilosophique en excès par rapport au réel.Ainsi l’idée de justice excède le droit positif,de même que l’idée d’universalité portéepar l’UNESCO excède ce qui existe à l’étatprésent. Il en va de même pour l’ensei-gnement de la philosophie : le message portépar cette étude transcende la réalité desconstatations. Il révèle une réelle volonté desauvegarde de la philosophie, de sauve-garde de son enseignement comme de sapérennité.Ce message entend porter une convictionforte : le droit à la philosophie pour tous. PPiieerrrree SSaannéé

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LADYNAMIQUEDE LAMETHODE

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Nous avons ainsi naturellement placé cetteétude sous un titre percutant : « La philo-sophie, une école de la liberté ». La philo-sophie, c’est là toute sa chair et tout sonpropos, incite et invite au questionnementsans enfermer. Bien au contraire, elle libèreet donne des ouvertures aux jeunes esprits,appelés à devenir les penseurs et les acteursd’un demain qui est plus proche qu’on nele croit. Un état des lieux pour des« Regards vers l’avenir », précisément parcequ’une analyse, un impromptu, autour del’enseignement de la philosophie aujour-d’hui, n’a de sens que dans ce qu’il offrecomme perspectives d’action pour le futur.

C’est bien dans son enseignement que laphilosophie est certainement le lieu oùcelle-ci peut jouer un rôle à la fois essentielet sans doute risqué. Essentiel, dans lamesure où l’enseignement de la philoso-phie demeure un des ressorts clés de laformation à la faculté de juger, de critiquer,de questionner mais aussi de discerner.Risqué, car au vu des mutations d’uneactualité chaque jour plus chargée à la foisd’histoire et de spiritualité, l’enseignementne peut plus prétendre boucler toutes lesboucles dès lors que nous sommes tous lestémoins de ce que l’on a pu appeler une « accélération du temps » - temps poli-tique, temps spirituel, temps social, et donctemps éducatif et pédagogique. Cetteactualité, en assignant toujours plus d’exi-gences au progrès technologique, nerésiste-t-elle pas, à certains égards, à uneapproche philosophique ? Et ce, dans lamesure où réfléchir, c’est réfléchir d’aborden soi-même avant de s’exposer auregard d’autrui, autant d’exercices quirequièrent patience, temps et autocritique. La

philosophie, ne l’oublions pas, est critiqueau sens grec du terme : c’est à direqu’elle doit toujours être un travail de tri,de sélection réfléchie et méthodique desinformations brutes que nous fournit notreexpérience personnelle et sociale. Êtreinformé, ce n’est pas être formé.L’enseignement de la philosophie et sapratique mériteraient, en plus d’êtreélargis, aussi sans doute d’être renouvelésafin que la notion de responsabilité soitrétablie et que chacun puisse à nouveau« se jeter à corps perdu dans la pensée »comme le disait Hegel, pour faire face auxpréjugés et aux dominations de tousordres. À l’individu de chercher en lui-même les capacités propres à l’exerciceréflexif. Cet élan vers l’effort philosophiquene saurait être imposé ni par une formerigide d’enseignement ni par un quelconquedogme prétendument intangible : au contraire,la tâche de se libérer progressivement detoutes les tutelles revient à l’individu lui-même.Enseigner la philosophie et apprendre àphilosopher, c'est donc peut-être dans unpremier temps s'empêcher de transmettredes corpus de savoir au sens strict duterme.Parler d’enseignement de la philosophie etd’apprentissage du philosopher supposeune clarification préalable de ces termes, afortiori lorsqu’il s’agit d’aller au-delà d’unesimple étude descriptive. Or, c’est déjà unedifficulté en soi que de définir ce que l’onentend par philosophie et par philosopher :une véritable question d’ordre philosophique !La philosophie s’interroge sans cesse sur cequ’elle n’est pas : la morale, la science, etc.,et sur ce qu’elle est vraiment : un certain

Moufida GouchaChef de la Section Sécurité humaine,démocratie et philosophie (UNESCO)

Si la philosophie est une attitude, une manière de vivre, exigeante etrigoureuse, elle est aussi un enseignement, une école donc un savoir, ou plutôt unensemble de savoirs, le tout dans un esprit de découverte et de curiosité inhérentà la philosophie elle-même.

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L’exigence commune d’efficacité, tel estl’impératif catégorique de cette étude quiva au-delà d’un état des lieux et convergevers une visée éminemment pratique. Làréside son impact. Tout en suivant la divisiontraditionnelle de l’enseignement en troisniveaux - primaire, secondaire et supérieur -cet ouvrage tente d’offrir une présentationriche et pertinente de l’apprentissage de laphilosophie autrement. Il présente, avec unconstant souci d’exhaustivité, les initiativesde réforme, passées, en cours ou envisagées,à travers la multiplicité des facettes del’enseignement de la philosophie.À court terme, cette étude présente uninstantané de l’enseignement de la phi-losophie, aussi fidèle et documenté quepossible ; à moyen terme, elle entend aiderles États membres dans leurs choix futursparce qu’elle offre inspirations, idées ouexpériences.

Cette étude témoigne, informe, rendvisibles des initiatives encore trop peuconnues et assume son rôle d’aiguillon enproposant et en offrant des perspectives

concrètes de pratiques philosophiquesd’enseignement. En ce sens, elle est toujoursà réinventer, à remettre en question, à com-pléter, à amender et ce à l’image de laphilosophie elle-même. Elle se veut être unsupport pour développer des mises ensynergie et des axes de convergence auniveau national mais aussi entre États.À cela s’ajoute une autre visée, qui exhortecette étude à converger vers un idéal, unbut partagé, vers lequel le rassemblementet l’agrégation de volontés et d’idées sesont orientés. Face au caractère protéiformeque peuvent prendre la philosophie ettoutes ses composantes, l’étude tente dedépasser les différences, bien réelles, liéesaux modalités de l’enseignement et de l’ap-prentissage de cette discipline. Quelleautre raison d’être pour la philosophie, etplus généralement pour les sciences humai-nes, que leur vocation première à attein-dre l’idéal d’édification de la paix dansl’esprit des hommes ? L’enseignement, ainsientendu, est précisément un moyen et unviatique, sans doute l’un des plus fonda-mentaux, tendant vers cet objectif.

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type de savoir, mais lequel ? Une pratique,mais de quel ordre ? Les réponses varientconsidérablement de philosophe à philosophe :penser par soi-même ou vivre avec sagesse ;interpréter le monde ou le transformer ; seconformer à l’ordre du monde ou lerévolutionner ; viser le plaisir ou la vertu ;apprendre à vivre ou à mourir ; penser parconcept ou par métaphore, etc. Autant dequestions où la conception et la pratiquede la philosophie varient aussi fortementselon les différentes aires culturelles.

Ici, le mot philosophie, désignant unematière enseignée ou un type d’activitépédagogique, n’a pas été facile à cerner caron trouve aussi bien des activités à dimensionphilosophique dans des intitulés où le motest absent, comme « cours de morale »,

« cours d’éthique », « cours de citoyen-neté », parfois « enseignement théologi-que », lorsqu’il s’agit d’enseignementsnon dogmatiques, tandis que l’on peutparfois se trouver perplexe vis-à-vis de cequi s’appelle pourtant dans tel système édu-catif « philosophie », alors que n’est pasvisée chez les élèves une pratique réflexive.Voilà un postulat qui nous a imposé, à justetitre, une grande rigueur et une exigenceconstante dans la rédaction de cette étude.Cette dernière reflète en effet l’existant etrenvoie à une pluralité de termes qui nousa conduit à élaborer un glossaire pouréviter toute confusion. En effet, la définitionde chacun des termes de ce glossairerenvoie à la signification que nous avonssouhaité exprimer tout au long de cetterédaction.

LA DYNAMIQUE DE LA MÉTHODE

Fruit d’un travail collectif, cette étude s’estcaractérisée par une interdisciplinarité qui afait office d’un véritable levier pour sa

réalisation. Entre le donné et l’attendu, lepossible et le souhaitable, son ambition aété de constituer une interface de qualité

Sur les objectifs de l’étude

Sur la synergie de l’étude

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(1) Voir à cet égard Jeanne Hersch(dir.), Le Droit d’être un homme.Paris, UNESCO, 1969.Réédition 1984.

Sur « l’universalité » de l’étude

Cette étude a, entre autres, l’ambition fortede montrer et de démontrer encore ettoujours que le postulat qui a longtempsprétendu que les origines de la philosophiese trouvaient en Grèce, et qu’à ce titrecelle-ci devait encore y puiser toutes sesréponses, a fait son temps. En effet, à lamanière de Jeanne Hersch, philosophesuisse et directrice de la Division de laphilosophie à l’UNESCO de 1966 à 1968,qui affirmait que les droits de l’Hommen’avaient pas une assise uniquement etproprement occidentale(1), cette étude - enne privilégiant aucune école, aucunepensée, aucune tradition particulière, etbien entendu encore moins un dogme ouune idéologie - procède par inclusion etnon par exclusion. Elle a l’ambition de mon-trer que la philosophie, et son enseignement,

peuvent trouver une source dans toutes lestraditions et dans tous les pays où le désirde penser et de débattre existe. Cela nerevient pas à cautionner un quelconquerelativisme culturel, mais au contraire nouspermet d’embrasser une vision plus largeque celle qui restreint au seul contextegrec, puis occidental, la philosophie et satransmission notamment par l’enseignement.

Cette étude s’inscrit pleinement dans lecadre de la promotion des valeurs universelleset imprescriptibles : celles des droits del’Homme et des droits de l’enfant, et enparticulier le droit à l’éducation. Cetouvrage tente également de surmonter laquestion parfois complexe de l’articulationde ces mêmes valeurs avec des culturesdifférentes.

entre un portrait fidèle de l’existant et lesexigences requises par l’enseignement de laphilosophie.

Cet ouvrage a eu une dynamique propre etoriginale au sens où il a bénéficié d’unelongue préparation en amont, et surtoutd’une très large implication du monde de laphilosophie et de l’éducation. De nom-breux acteurs ont ainsi été pleinement asso-ciés à son orchestration, à travers un espritd’équipe et de concertation réciproque.

Cette étude est également le fruit d’unesynergie particulière dès lors que sonordonnancement décrit l’existant maisaborde aussi et surtout des interrogationsclés et fournit autant que possible des propo-

sitions, des innovations, des orientations.Une synergie également et surtout parl’implication, la participation et l’engagementde nombreux partenaires dans sa concep-tion tels que des réseaux de philosopheset de chercheurs, de professeurs, de didac-ticiens et de praticiens de la philosophie,ainsi que des institutions philosophiques,les chaires UNESCO en philosophie et lesONG spécialisées. À ces réseaux s’ajoutentégalement les Délégations permanentesauprès de l’UNESCO, les Commissionsnationales pour l’UNESCO et les BureauxUNESCO situés hors Siège. Chacun de cesacteurs a contribué précieusement à cetédifice, c’est pourquoi je tiens d’embléeici à leur adresser tous mes sincères remer-ciements.

Rappelons que cette étude a fait l’objetd’une demande explicite et manifeste de lapart des États membres, requête qui nepeut que témoigner de l’expression d’unbesoin et d’une utilité certaine. Et c’estprécisément parce qu’elle a été conçue partous, qu’elle peut concerner tous les Étatsmembres, quelles que soient leurs traditions,leurs conceptions de l’enseignement, leursréférences philosophiques, leurs prioritéspolitiques, etc. Au-delà même de ces requêtes

institutionnelles, déjà très significatives,nous ne pouvons que constater et prendreacte d’un sentiment presque palpabled’un besoin de philosophie, à la fois dans leslieux où elle s’enseigne traditionnellementmais aussi en dehors. Mais quel « dehors » ?Le présent ouvrage lève justement le voile surplusieurs de ces pratiques encore peuconnues et conduites ailleurs qu’à l’école.Quels sont précisément leur apport et leurcontribution spécifiques à l’enseignement

Sur le « caractère institutionnel » de l’étude

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(2) Voir chapitre V.

LA DYNAMIQUE DE LA MÉTHODE

Nous avons fait le choix dès le début deprivilégier l’approche peut-être la pluscomplexe, mais sans doute la plus dynami-que de notre point de vue, en optant pourl’élaboration d’un questionnaire et en exploi-tant les données recueillies de façon àenglober le maximum de problématiquesrelatives à l’enseignement de la philoso-phie.Élaboré en trois langues - français, anglaiset espagnol - le questionnaire del’UNESCO(2) a deux composantes : l’unequalitative et l’autre quantitative, et ce parle biais de questions ouvertes et fermées. Ilcomprend plusieurs parties thématiques quisuivent les niveaux d’enseignement de laphilosophie, même si tous ne s’appliquentpas toujours à l’ensemble des Étatsmembres. Il s’agit en l’occurrence desniveaux préscolaire et primaire, secondaire,supérieur et de l’informel. Le questionnairea été un instrument facilitant le codage etla saisie des données tout en permettantd’adopter un processus méthodologiqueattesté et ayant fait ses preuves à plusieursreprises et sur différents sujets. Notre plusgrand défi consiste à traduire les objectifsde la collecte de données en un cadred'examen solide aussi bien d'un point devue conceptuel que méthodologique. À cetitre, le questionnaire qui nourrit cetteétude revêt un caractère inédit de par saportée internationale et de par les questionsqu’il aborde.Nous avons ainsi été amenés à développerun plan spécifique pour l’enquête prenanten considération les aspects suivants : lesobjectifs et les besoins en données ; lesméthodes de collecte de données ; l’am-pleur et la couverture géographique ; leplan de traitement de données ou encoreles essais du questionnaire. Parallèlement,un travail d’identification des personnes

ressources a été effectué pour chacun despays, qui a permis le montage d’une trèsvaste base de données regroupant plus de1200 destinataires. La fiabilité des réponsesexigeait en effet d’optimiser le nombre dedestinataires par pays, dont la moyenne descontacts atteint 3-4 personnes, sans pourautant garantir la véracité absolue desréponses. Je tiens ici à souligner notre satisfactionquant aux résultats obtenus à l'issue duprocessus de consultation. Le taux deréponse des pays est de 126 sur 192 Étatsmembres qui ont, au minimum, fourni unecontribution.En parallèle et dès la conception de cetravail, nous avons fait appel à quatreconsultants, bénéficiant d’une grandeexpertise aussi bien en matière de sciencesde l’éducation que de recherche. Nousavons également sollicité les chairesUNESCO en philosophie, ainsi que nospartenaires privilégiés : le Conseil inter-national de la philosophie et des scienceshumaines (CIPSH), la Fédération internationaledes sociétés de philosophie (FISP), leCollège international de philosophie (CIPh),l'Institut international de philosophie (IIP).Tous ont fourni un travail nourri de recher-che, de réflexion et d’analyse, notammentà travers des documents de substance, dedescription de l’enseignement de la philoso-phie dans leur pays, de présentation desenjeux, des réformes, des difficultés maisaussi des défis qui y sont liés.

Nous avons toujours recherché un maximumde fidélité possible dans la rédaction de cetteétude, en recueillant le plus d’informations,en impliquant le plus grand nombre d’acteursdivers et variés, tout en adoptant une feuillede route qui tende vers une utilisation opti-male des recommandations et des proposi-tions formulées à l’attention des utilisateurs.

Sur la récolte des données

traditionnel de la philosophie ? Ces pratiques,qualifiées parfois de « nouvelles », sont-elles complémentaires de l’enseignementclassique ou se pensent-elles commeparallèles ?

Des distinctions et des nuances s’imposentbien entendu dans la lecture de l’étude, caril peut y avoir de la philosophie dans

l’enseignement privé et pas dans le public ;dans des associations et pas dans des écoles ;il peut y avoir une formation et un suiviuniversitaires sur des innovations au niveauprimaire - sans qu’il y ait forcément dephilosophie au niveau secondaire ; il peutégalement exister des innovations expéri-mentées officiellement par l’institution sanspour autant qu’elles soient généralisées, etc.

Page 22: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Cette terminologie systématique au seindes Nations Unies, et en particulier àl’UNESCO, nous a amené à nous interrogersur l’intérêt de décrire les meilleures pratiquesexistant en la matière. Le Comité derédaction a ainsi fait face à une réflexioncritique des plus intéressantes, bien quedélicate, quant à l’opportunité de qualifiercertaines pratiques comme étant lesmeilleures. Ce sont ces questionnements,d’ordre philosophique pour certains, que jesouhaite exposer ici.Parler de bonnes pratiques, et encore plusde meilleures (best practices), c’est d’abords’ériger en juge, et s’attribuer une légitimitéen matière d’évaluation de l’excellence.C’est aussi être au clair sur les critères d’unebonne pratique : la bonne pratique, est-ce,s’agissant de pratiques pédagogiques, unepratique finalisée par telle valeur éducative,éthique, politique (critère axiologique) ?C’est alors toute la philosophie de l’éducationqui se trouve convoquée. La bonne pratique, est-ce une pratique utileet efficace (critère praxéologique) ? Maisefficace de quel point de vue : la constructionde la personnalité de l’individu, la luttecontre le sentiment d’échec scolaire etpersonnel, la prévention de la violence,l’éducation au vivre ensemble dans et par ledébat et à une citoyenneté démocratique,la maîtrise de la langue dans l’interactionde la pensée et du langage, l’apprentissaged’une réflexion personnelle et critique, le juge-ment autonome, la transmission d’unsavoir technique et disciplinaire ? La bonnepratique, est-ce la pratique d’un profession-nel ? Qu’entend-on par professionnel enmatière de philosophie ? Comment seconçoit l’enseignement de la philosophie ?Qui est apte à juger de sa qualité, de seslimites, de ses améliorations possibles ?Parler de « meilleures pratiques », c’estenfin passer du narratif-descriptif au nor-matif-prescriptif, édicter ce qu’il faudrait faire,conseiller, proposer un modèle à reprendre.Or, ce qui frappe c’est la diversité despratiques en la matière, qui peut être consi-dérée comme une richesse à préserver dela normalisation. Le risque de l’institution-nalisation, lorsqu’on est dans une dynamique

instituante, et non instituée, c’est l’uniformisa-tion et le conformisme des pratiques. Onest donc en matière de philosophie dansune injonction paradoxale : préserverl’initiative et la liberté des enseignants dans lapluralité de leurs choix pédagogiques etphilosophiques, sans lesquels il risque dene plus y avoir de liberté de penser, essen-tielle à la philosophie, ni pour les maîtresni pour élèves ; et par ailleurs, si on l’es-time nécessaire, enclencher des dynami-ques institutionnelles pour promouvoir cettepratique. Sur ce point, nous avons doncnuancé notre propos au cours de cetteétude en préférant l’expression de prati-ques ayant fait leurs preuves.

Enfin, et en ma qualité de coordinatrice decette étude, il me revient une nouvelle foisde rendre hommage à toutes les personnesqui m’ont accompagnée tout au long de ceprocessus et qui ont contribué, avec unesprit dynamique où synergie et convergenceont été les maîtres mots, dans le chemi-nement et la logique qui ont conduit àl’accomplissement de cette entreprise quej’ai eu le grand privilège de mener à sonterme.

Cette étude n’est pas une fin, c’est unplaidoyer justifié en faveur du renforcementde l’enseignement de la philosophie, et deson apparition là où il n’existe pas ; c’est unmoyen pour faire connaître des pratiquesphilosophiques encore trop souterraines etparfois marginales ; c’est un rappel du rôlede la formation de l’esprit dans la constructiond’un Homme libre, conscient, responsableet autonome.

Cette étude est un commencement etentend capitaliser sur un élan et un agrégatde volontés et d’engagements au niveauinternational. À l’UNESCO et à tous sespartenaires de « transformer l’essai », sij’ose dire, et de s’inspirer des propositionset des idées figurant dans cet ouvrage,dont l’écho aura, j’en suis certaine, unerésonance attendue dans les années àvenir, avec l’espoir qu’il sera reconnu au fildu temps à sa juste valeur.

Sur les « meilleures pratiques »

MMoouuffiiddaaGGoouucchhaa

Page 23: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

1

Enseignement de la philosophie et apprentissagedu philosopher aux niveaux préscolaire et primaireLa philosophie et les jeunes esprits : l’âge de l’étonnement

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Introduction : chemin parcouru, chemin à parcourir 3 Notice méthodologique 4

I. Les interrogations suscitées par la philosophie 5 - 14

avec les enfants1) La question de l’éducabilité philosophique de l’enfance 5

> Une question philosophique. Le rapport de la philosophie à l’enfance,et de l’enfance à la philosophie

> Une question éthique : l’éducabilité philosophique de l’enfance est-elle souhaitable ?> Une question politique. Droit à la philosophie, droit de philosopher ? > Une question psychologique. L’éducabilité philosophique de l’enfance, une potentialité ? > Une question de volonté. L’éducabilité philosophique de l’enfance, un postulat

pour une pratique, l’ouverture de possibles ?> Une question de défis. L’éducabilité philosophique des élèves en difficulté ou en échec scolaire> Une question d’approche : pédagogie et didactique> Une question de mode d’apprentissage du philosopher : la discussion, une voie privilégiée ?

2) La question du rôle du Maître 11> Quel degré de guidage ?> Intervenir ou pas sur le fond ?

3) La question de la formation des enseignants 12> Une formation académique à la philosophie ? > Une formation didactique au savoir-faire philosopher ?> Une formation pédagogique au débat ?

4) La question de l’innovation : favoriser, expérimenter, institutionnaliser ? 14

II. Promouvoir les pratiques à visée philosophique 15 - 24

aux niveaux préscolaire et primaire :orientations et pistes d’actions

1) Quels enjeux pour quelles valeurs ? 15> Penser par soi-même> Éduquer à une citoyenneté réflexive> Aider au développement de l’enfant> Faciliter la maîtrise de la langue, de l’oral et du genre qu’est le débat> Conceptualiser le philosopher> Construire une didactique de la philosophie adaptée

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CHAPITRE I

2

2) Quelle institutionnalisation ? 16> Promouvoir les aspects culturels et interculturels> Favoriser l’innovation dans et hors l’institution> Organiser des expérimentations officielles> Institutionnaliser certaines pratiques> Organiser un curriculum dans la scolarité

3) Quelles pratiques philosophiques promouvoir dans les classes ? 18> Chemins pédagogiques et didactiques diversifiés > Quelques pistes pratiques

4) Comment accompagner les pratiques à visée philosophique par la formation ? 20> Par une formation initiale et continue des enseignants > Par une politique de formation de formateurs> Par une analyse des pratiques à visée philosophique placée au centre de la formation> Par la production et l’utilisation du matériel didactique adéquat

5) Comment accompagner les pratiques à visée philosophique par la recherche ? 23> Impulser l’innovation> Évaluer l’expérimentation> Évaluer l’efficacité des pratiques

III. La philosophie avec les enfants : 25 - 42

un développement à prendre en compte1) Des réformes remarquées et des pratiques ayant fait leur preuve :

un mouvement fort en faveur de la philosophie avec les enfants 25> Des réformes remarquées> Des pratiques ayant fait leurs preuves

2) Des institutions et des supports 28> Deux Instituts phares> Les revues de philosophie pour et avec les enfants

3) Des études de cas à travers les régions du monde 29> Europe et Amérique du Nord> Amérique latine et Caraïbes> Asie et Pacifique> Afrique et Monde arabe

IV. La philosophie aux niveaux préscolaire 43 - 44

et primaire en quelques chiffres

Conclusion : du souhaitable au possible 45

Page 25: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

3

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

S’intéresser à la Philosophie Pour Enfants(PPE) nous amène naturellement à nouspencher sur le corpus juridique relatif auxdroits de l’enfant, en particulier son droit àélaborer une pensée personnelle et à êtreaccompagné par l’école dans ce processus.Comment ne pas se référer ici à laConvention relative aux droits de l’enfantadoptée en 1989, qui accorde entre autresà celui-ci le droit d’exprimer librement sonopinion (art. 12), la liberté d’expression (art.13) et la liberté de pensée (art. 14)(1). Letexte de la Convention contient un aspect àla fois philosophique et politique résolu-ment novateur en proposant une certaineconception de l'enfant qui doit tout à lafois être protégé, bénéficier de prestationsspécifiques et être considéré comme acteurde sa propre vie. C'est bien en référence àun ensemble de droits que doit s'exercerl'action éducative : un enfant maltraité nepeut pas être le réel acteur ni l'auteur de savie ; un enfant qui ne participe pas à sa pro-tection n'est que l'objet passif de soinsqu'on veut lui imposer. De cette conceptionnovatrice, on retiendra surtout que l'en-fant, être dépendant et en devenir, estconsidéré comme sujet de droit à partentière pour la première fois par un texteinternational. La notion d'« intérêt supé-rieur de l'enfant » affirmée à l'article 3 dela Convention est d’une particulièreimportance.

L’enseignement et l’apprentissage de laphilosophie aux enfants bénéficient pour lapremière fois d'une place privilégiée au seind'une Étude de l'UNESCO. En effet, ce travailentend offrir un ensemble d’informationséclairantes sur un mouvement, celui de laphilosophie pour enfants qui a gagné enpopularité et en reconnaissance ces der-nières années. « La philosophie pourenfants a une histoire, elle procède d’unevolonté culturelle et politique » : c’est parces mots que s'est exprimé l'intérêt pourcette question lors de la réunion d’expertstenue en 1998 au Siège de l’Organisation àParis(2). On y soulignait qu'il était possible etmême nécessaire de présenter les principesphilosophiques dans un langage simple etaccessible aux jeunes enfants. Les précé-dentes enquêtes sur l’enseignement de laphilosophie menées par l’UNESCO en 1951

et en 1994, décrites plus haut, ne posaienteffectivement aucune question spécifiquesur la nécessité d'enseigner la philosophieaux niveaux préscolaire et primaire. Il estvrai qu’en 1951, on ne disposait pas encoredes premiers travaux de Matthew Lipman(3)

- précurseur en la matière - qui ne paraîtrontqu’en 1969. Quant à l’étude de 1994, depar son thème général - le lien entre enseigne-ment de la philosophie et démocratie - ellen’avait pas abordé cette problématique.

Si de plus en plus d'enfants font de laphilosophie en ce début de XXIe siècle,c'est que de plus en plus de personnes tra-vaillant auprès des enfants créent desconditions afin que le lieu où ils se trouvent(la classe, la rue, etc.) se transforme en unecommunauté de recherche philosophique.Attirées parfois par la nouveauté de cetteapproche, intriguées par le changementqu'elle suggère, doutant des solutions quiprévalent actuellement dans le monde del'éducation, ces mêmes personnes s'enga-gent dans la pratique de la philosophieavec des enfants en ayant le souhait depouvoir donner une solution nouvelle, pluscohérente, plus appropriée, à ce problèmequi n'a de cesse de se reposer à mesurequ'il avance dans l'histoire : l'éducation decelui qui n'est pas encore un homme maisqui va le devenir. Même si la pratique de laPPE en est encore à ses débuts, elle permetdéjà d'entrevoir comment les solutionsqu'elle apporte au problème de l'éducations'enracinent dans ce qui caractérise fonda-mentalement l'être humain : la capacité dese construire. Entraînant effectivement deschangements qui vont dans le sens desbuts recherchés, cette activité soulève lacuriosité et l'enthousiasme d'un nombrecroissant de personnes. S'inscrivant dans lacontinuité des conceptions modernes del'éducation avancées par le philosophe etpédagogue John Dewey, et de celles, plusanciennes mais toujours actuelles, proposéespar des philosophes de l'Antiquité, cetteapproche vient combler, semble-t-il, unelacune importante dans l'éducationcontemporaine. Si cette dernière reconnaîtde plus en plus l'importance de stimuler,dès le plus jeune âge, le développementintellectuel et moral, elle n'a pas toujours àsa disposition les moyens qui pourraient

Introduction : chemin parcouru, chemin à parcourir

(1) www.unicef.org/french/crc

(2) La philosophie pour les enfants,Réunion d’experts, Rapport. Paris,UNESCO, 26-27 mars 1998.

(3) Philosophe américain né en1922, élève de John Dewey,Matthew Lipman a fait l’essentielde sa carrière au Montclair StateCollege, dans le New Jersey, où il afondé l’Institute for theAdvancement of Philosophy forChildren (IAPC). Son projet est dedévelopper la pensée des jeunesenfants, en particulier la penséelogique formelle, en partant duprincipe que ces derniers peuventformer des concepts dès leur plusjeune âge et réfléchir sur des pro-blèmes philosophiques. Sa démarchen’est donc pas orientée versl’imprégnation de concepts ou dedoctrines spécifiques, elle est centréesur le questionnement personnel,en travaillant des conceptsuniversaux comme le droit, la justice,ou encore la violence. Ces thèmestouchent plus concrètement lesenfants et mettent ainsi en valeurleurs propres références, puiséesdans l’expérience et leur savoirpersonnels. Pour plus de détails surla méthode lipmanienne, voirpartie III de ce chapitre.

Page 26: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

CHAPITRE I

4

Sur le champ de l’Étude. En termes dedéfinition, on considère que le préscolaireest ce qui est hors scolaire, c’est-à-direavant que l’école ne soit obligatoire, parexemple, l’école maternelle en France.S’agissant de la tranche d’âge relative auxniveaux préscolaire et primaire, ce travail aprivilégié, par souci de cohésion, la périodeallant de 3 à 12 ans. En effet, il est importantd’avoir à l’esprit la variété existant d’un paysà l’autre : tantôt le niveau primaire englobele début du niveau secondaire ; tantôt ilforme plutôt une sorte d’école de base. Deplus l’existence d’une école avant l’écoleobligatoire, ainsi que sa durée, diffèrentd’un pays à l’autre.

Sur la pertinence, la fiabilité etl’exhaustivité des sources. Cette partiemet l’accent sur l’histoire et le contextedes études internationales menées dansle domaine de l’enseignement de la philoso-phie. Les sources documentaires disponiblesaujourd’hui sont de deux types. Lescontributions d’experts ainsi que lesdocuments de l’UNESCO fournissent des

informations à la fois utiles et ciblées,d’une part. Des sources d’informationsmoins traditionnelles ont été utiliséespour nos analyses, d’autre part. La sitogra-phie et la recherche par Internet sont eneffet particulièrement riches sur le sujet. Ony trouve notamment une descriptioncomplète des activités significatives de laPPE dans le monde. De nombreux pays sontconcernés, avec des Centres de recherchesliés aux Universités, des colloques natio-naux et internationaux organisés régulière-ment, des formations et des recherchesciblées, des associations ad hoc, des revues,etc. Un réseau de chercheurs, de professeurs,de didacticiens et de praticiens de la philoso-phie a été sollicité au cours de l’élaborationde cette Étude afin qu’ils contribuent à ladescription de l’enseignement de la phi-losophie aux niveaux préscolaire et primairedans leurs pays respectifs. Enfin, leQuestionnaire spécifiquement établi parl’UNESCO comme support à la présenteÉtude constitue également une sourcecohérente.

Notice méthodologique

combler adéquatement ses attentes. Il n'estdonc pas surprenant de constater l'intérêtporté à l'avènement de cette pratique dansle monde.

L'impact de la philosophie sur les enfantspourrait ne pas être immédiatement apprécié,

mais son impact sur les adultes de demainpourrait être tellement considérable qu'ilnous amènerait certainement à nous étonnerd'avoir refusé ou marginalisé la philosophieaux enfants jusqu'à ce jour.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Une question philosophique.Le rapport de la philosophieà l’enfance, et de l’enfanceà la philosophie

La terminologie utilisée présente une variétéd’expressions, Philosophy for children, enabrégé P4C, est celle utilisée par Lipman.Elle couvre tout l’enseignement primaire etsecondaire. Le compte-rendu de la réuniond’experts de l’UNESCO de mars 1998, quicouvre le même cursus scolaire, a pour titredans la version française « philosophie pourles enfants », ajoutant un article. D’autresparlent plutôt de « philosophie avec lesenfants »(4), ce qui engage des discussionspour savoir si « enfants » désigne simplementun public comme un autre pour la philoso-phie, un des publics possibles, ou plutôt unpublic spécifique, auquel il faut une adap-tation didactique spécifique pour l’appren-tissage du philosopher : il y aura alors unephilosophie pour les enfants, pour l’en-fance, et une autre pour les adultes (ou lesadolescents, si l’on ne confond pas enfantpré-pubère et adolescent).

On peut se demander pourquoi ne parle-t-on pas plutôt d’élève, ce qui situerait d’em-blée l’enfant dans une perspective insti-tutionnelle scolaire ? Est-ce parce qu’il y aderrière l’élève qui apprend des savoirs lapersonnalité plus globale d’un enfant ?Parce que l’enfant est un sujet d’éducation,et pas seulement d’instruction ? Un sujettout court, qui a des droits, qui est un sujetde droit ? C’est en tout cas l’interprétationde la Convention relative aux droits del’enfant, puisqu’elle énonce les libertésdont il peut et doit jouir. Est-ce aussi parcequ’il y aurait un rapport spécifique de

l’enfant - comme petit d’homme - à laphilosophie, de l’enfance à la philosophie ?Les philosophes sont très partagés sur laquestion, entre ceux qui, comme KarlJaspers(5) ou Michel Onfray(6), trouventl’enfant « spontanément philosophe », parson questionnement existentiel massif etradical, et pour lesquels philosopher c’estse mettre devant une question commepour la première fois. Et ceux pour lesquelsil y a peut-être une enfance de la philosophie(par exemple sa naissance en Occident chezles présocratiques), mais pas d’enfantphilosophe, puisque philosopher, c’estprécisément sortir de l’enfance(Descartes)… Cela renvoie à la questionphilosophique de l’âge du philosopher.Certains interprètent par exemple Platoncomme un opposant à la philosophie avecles enfants, en s’appuyant sur un passagede La République(7); d’autres constatent aucontraire qu’il dialogue avec des adolescents,comme dans le Lysis(8).

Qu’est-ce donc qu’un enfant ? On peutopposer la notion d’enfant à celle d’adulte :à quel âge alors s’arrête l’enfance(9) ? Et est-ce seulement une question d’âge ?Ou aussi, et plutôt, de vision du monde ?De capacité cognitive (le psychologue déve-loppementaliste(10)) ? De maturité psychiquequi varie avec les personnalités, mais aussiles classes sociales et les cultures ? Deresponsabilité éthique et/ou juridique (civileet pénale) ? Mais on peut opposer aussil’enfant à l’adolescent : l’enfance s’arrêtealors à la puberté. C’est cette acception quiest retenue pour la description de la philosophiepour enfants dans ce chapitre, cantonnéaux niveaux préscolaire et primaire.

I. Les interrogations suscitées par la philosophieavec les enfants

1) La question de l’éducabilité philosophique de l’enfance

Un certain nombre de questions vives émergent aujourd’hui quant aux fondements qui valident ouinvalident les pratiques de philosophie pour enfants (PPE) et qui orientent dans tel ou tel sens cespratiques. Ces questions vives renvoient à des controverses sur la pratique même, la formationdes enseignants et la recherche sur la question. Les débats sont souvent vifs, donnant lieu à desprises de position tranchées. Ils traversent, d’une part, les philosophes et les professeurs dephilosophie eux-mêmes, et, d’autre part, certains professionnels de la philosophie et les praticiensde PPE, philosophes ou non.

(4) Freddy Mortier de l’Universitéde Gand (Belgique), préfère parexemple le « avec », pour sa réso-nance démocratique, au « pour »,de connotation selon lui paternaliste.

(5) Philosophe et psychologue allemand.

(6) Philosophe et écrivain français,fondateur de l’Université populairede Caen (France).

(7) L’avertissement deLa République mettant en gardecontre le développement de l’espritéristique chez les enfantset les jeunes gens.(République VII, 539b - 539c).Platon, La République.Gallimard, (Folio), Paris, 1993.

(8) Platon, Lysis. Paris, Flammarion(Poche), 2004.

(9) La Convention relative auxdroits de l’enfant semble allerdans le sens juridico-politiqued’un âge assorti de droits, caractérisépar l’état de minorité politique,puisqu’« enfant s’entend de toutêtre humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majoritéest atteinte plus tôt en vertude la législation qui lui est applicable »(art. 1). Cette définition par l’âgerecouvre aussi ceux qui parlentde PPE, pour laquelle l’enfancecouvre aussi le niveau secondaire.

(10) Jean Piaget situe le stadede développement logico-formelde l’enfant à la jointure des ensei-gnements primaire et secondaire -10-12 ans.

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CHAPITRE I

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Par ailleurs, il s’agit de définir philosophi-quement l’enfant et l’enfance : qu’est-ceque l’enfance ? Un âge, un moment biolo-gique et chronologique d’un individu del’espèce humaine ? Un état d’esprit psychique,une vision du monde ? Une constructionhistorique et sociale, etc.? Les psychologues,les sociologues et les historiens, les linguisteset les pédagogues par exemple ont leurapproche de la question. Les philosophesaussi, et ils divergent dans leurs doctrines. Ils’agit également d’étudier le rapport del’enfance à la philosophie, son interrogationsur la mort dès l’âge de 3 ans, ses « pourquoi »et ses questions existentielles et métaphysi-ques sur les origines, le monde, Dieu, l’amitiéet l’amour, le sens de grandir, vieillir etmourir par exemple. L’enfant est-il déjàphilosophe : un peu, beaucoup ou pas dutout ? Les philosophes différent sur ce point :Épicure pensait qu’il n’est jamais trop tôtou trop tard pour philosopher etMontaigne incitait à « commencer à lanourrice ! » tandis que pour Descartesl’enfance est le lieu et le moment du préjugé,dont il faut sortir par la philosophie.

Le type de regard sur l’enfance qu’implique lapratique de la PPE a des implications phi-losophiques fortes, qu’il faut élucider :s’agit-il, éthiquement, de considérer l’en-fant qui assume la posture de formulationd’une question existentielle et métaphysiquecomme un « interlocuteur valable » del’adulte, un petit d’Homme, et de contribuerà construire l’homme dans l’enfant, commesujet réflexif inaugurant un « penser parsoi-même » ?

Une question éthique : l’éducabilitéphilosophique de l’enfanceest-elle souhaitable ?

Certains philosophes, psychologues, maîtresou parents disent qu’amener les enfants àréfléchir prématurément pourrait être psy-chologiquement dangereux pour eux :pourquoi les plonger si tôt dans les grandsproblèmes de la vie, qu’ils auront bien letemps de découvrir adultes ! Pourquoi briserleur innocence par la prise de consciencedu tragique de la vie, rabattre leur imaginationsur la froide raison, démystifier leurs rêves,leur « voler leur enfance » ?

La PPE repose sur le postulat selon lequel ilne faut pas mythifier l’enfance. Aussitôtnés, beaucoup d’enfants vivent dessituations très dures : famine, esclavage,travail, inceste, prostitution, maltraitance,bombardements, deuil, etc. Dans des paysdéveloppés, en paix, et dans des famillesaisées, beaucoup font l’expérience de lamésentente des parents, du divorce, de laséparation. Par ailleurs, tous les enfants seposent vers l’âge de 3 ans le problème de lamort. Pour y faire face, il existe l’accom-pagnement des psychologues, par la miseen mots cathartique de la souffrance, maisil y a aussi l’apprentissage de la réflexion, lafaçon philosophique, plus rationnelle, de sesaisir d’un vécu existentiel, qui fait prendrede la distance par rapport à l’émotionressentie, et fait des situations auxquellesest confronté un sujet angoissé un objet depensée. Ce travail est d’autant plus opérantdans le cadre de la classe parce qu’il estcollectif, dès lors que chaque élève peutfaire alors l’expérience de sortir de sasolitude existentielle, de prendreconscience que ses questions sont celles detout un chacun, ce qui produit un effet deréassurance, et un sentiment d’apparte-nance à une condition humaine partagée,aidant à grandir dans la communauté.

La philosophie a une vertu thérapeutique,comme l’avait bien remarqué les Sages del’Antiquité, parce qu’elle « prend soin del’âme ». Non qu’on cherche directement àsoigner - c’est l’objectif aujourd’hui de lathérapie et des psychothérapeutes - maisparce qu’en réfléchissant sur l’attitude faceà la vie et à la mort, sur le malheur et lesconditions du bonheur, la démarche phi-losophique a des effets d’apaisement, deconsolation : on est d’abord dans unesituation de formation et non de soin avecl’apprentissage du philosopher, mais cetteactivité est thérapeutique de surcroît.D’autres pensent que puisque les enfantsposent beaucoup de questions, parfoisangoissées, il vaut mieux leur donner desréponses et les sécuriser face aux problèmesde l’existence. Cependant, on ne peutéteindre définitivement une questionexistentielle d’enfant, parce que c’est unequestion d’adulte qui resurgira périodique-ment au cours de la vie.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Répondre techniquement, historiquement,juridiquement, scientifiquement à unequestion qu’un enfant pose peut se justifier,parce qu’on lui transmet un savoir. C’estmême le rôle de l’école de transmettre à lagénération qui vient le patrimoine scientifiquede l’espèce humaine, qui est la réponserationnellement élaborée aux questionsque l’humanité se pose dans son histoire.Mais répondre à la place des enfants à desquestions de portée philosophique (auxquellesla science ne peut répondre, par exemplede type éthique) les empêche de penser pareux-mêmes. Ces questions sont cellesauxquelles les enfants devront eux-mêmestrouver leur propre réponse dans leur vie, eten évoluant dans leur réflexion. Ainsi, bienqu’il ne faille pas répondre à leur placeprématurément, il faut cependant lesaccompagner dans leur cheminement,pour ne pas les laisser démunis. Tel est lerôle des maîtres à l’école : les étayer danscette recherche, en leur proposant dessituations où il vont développer les outils depensée qui leur permettront de comprendreleur rapport au monde, à autrui et eux-mêmes, et de s’y orienter.

Une question politique.Droit à la philosophie,droit de philosopher ?

Il y a par ailleurs des implicites de philosophiepolitique dans toute pratique philosophique,et notamment celle de la PPE. Par exemple,Lipman propose une option politico-philo-sophique, qui consiste à articuler étroitementapprentissage de la philosophie et de ladémocratie. L’éveil de la pensée réflexivechez l’enfant sous la forme de la commu-nauté de recherche serait un moyend’éduquer à la démocratie. Mais le lienphilosophie-démocratie est-il consubstantiel àcette pratique ? La tension forte, voiresouvent la contradiction entre philosophieet démocratie dans l’histoire de la philosophiene permet pas de l’affirmer. On pourraitmême peut-être fonder des pratiques dephilosophie avec les enfants indifférentes,voire hostiles à la démocratie, s’appuyantsur d’autres conceptions philosophiques.Certains soutiennent par exemple que dansla position de Lipman, on ne fait pas de laphilosophie pour elle-même ni pour lavaleur émancipatrice de la pensée, maispour une cause qui lui est extrinsèque, à

savoir la démocratie, voire la prévention dela violence et il y aurait là instrumentalisationde la philosophie et détournement de ladiscipline. Mais l’argument ne tient quepour les philosophes non démocrates, carcelui qui, tel Rousseau, a une conceptiondémocratique de la politique, ne verraaucun inconvénient à une pratique, commedit Diderot, de « philosophie populaire ».La solidarité entre une philosophie politiquequi promeut la démocratie et une philosophieà l’usage de tous les enfants sous formediscussionnelle est donc cohérente. Car ledébat est consubstantiel à la démocratie, etla discussion problématisante, conceptua-lisante et argumentative instaure unedémarche de mise en question philosophiquede ses opinions.

Pour fonder la cohérence de la pratique dePPE sur une philosophie politique, les pro-moteurs d’une telle orientation s’appuient surles droits de l’Homme et les droits de l’en-fant, comme « idée régulatrice » éthico-politique de la mise en œuvre de ces nou-velles pratiques. En est issu le « droit à laphilosophie »(11). D’autres, interprétantcette dernière formule plutôt commel’expression d’un droit-créance (un droit à),préfèrent parler d’un « droit de philosopher »,parce que, d’une part, référence est faiteaux droits de l’Homme de la premièregénération (droit de), et, d’autre part, l’accenty est mis davantage sur l’acte de philosopher.

Une question psychologique.L’éducabilité philosophiquede l’enfance, une potentialité ?

Si l’on considère que la PPE est éthiquementsouhaitable, et qu’elle est politiquementfondée par un droit, celui de philosopher,encore faut-il que ce soit psychologiquementpossible. La pratique de la philosophie avecles enfants présuppose que ces dernierssoient capables d’apprendre à philosopher.Une première objection, récurrente, adresséeà la PPE est la mise en cause de ce pré-supposé : ce serait impossible, à cause dufaible développement cognitif des enfants.Il n’y aurait pas de fait une éducabilitéphilosophique de l’enfance, pour des raisonsde psychologie génétique. Les enfants neseraient pas capables de raisonnementlogique, tant qu’ils ne seraient pas parvenusau stade logico-formel de leur développement

(11) Titre de l’ouvrage du philosophefrançais Jacques Derrida, Le droit àla philosophie du point de vue cos-mopolitique. Paris, Verdier, 1997.

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CHAPITRE I

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(10-12 ans), tel que défini par exempleselon le psychologue suisse Jean Piaget.Mais c’est précisément sur les stades dedéveloppement que celui-ci a définis queLipman s’est appuyé pour écrire ses« romans philosophiques », adaptés à chaqueâge des enfants. De plus, un certainnombre de chercheurs en psychologiedéveloppementale(12), contestent aujourd’huicertains des résultats piagétiens : lespossibilités cognitives de l’enfant seraientplus précoces qu’on ne le croyait. Et ce surtoutlorsque les exercices ne se font pas enlaboratoire où l’enfant passe des testsd’intelligence avec le chercheur, mais oùles élèves se confrontent à leurs pairs ensituation réelle de classe. Les verbatim(discussions d’enfants en classe transcrites),analysés par des chercheurs en sciences dulangage, psychologie sociale ou didactiquede la philosophie repèrent des compétencesdiscursives, des « micro expertises » présentesdès le plus jeune âge, dues à l’« orientationargumentative » du langage.

Une seconde objection renvoie au fait queles enfants manqueraient des savoirs néces-saires à la réflexion, et stipule que l’on nepeut être épistémologue sans avoir desconnaissances scientifiques. Que ré-fléchir,c’est se retourner vers les savoirs dont ondispose pour comprendre la démarche deleur élaboration, en évaluer la pertinenceainsi que leur portée. « La chouette deMinerve ne prend son envol qu’à la tombéede la nuit » dit Hegel. On philosophe donctoujours dans l’après-coup des savoirsconstitués. D’où la place de la philosophieen fin de cursus de l’enseignementsecondaire, ou dans le supérieur.

Or, pour les promoteurs de la PPE, cet argu-ment fait fi des démarches scientifiques ins-taurées dès l’école primaire, sur lesquelles lesenfants peuvent réfléchir avec l’aide duMaître, surtout quand les méthodes sontactives, en travaillant sur les processus etpas seulement sur des résultats scientifiques àapprendre et à mémoriser. Cet argumentparle surtout des savoirs scientifiques, alorsque les enfants sont d’abord préoccupés deproblèmes existentiels, ontologiques, méta-physiques, éthiques, sur lesquels ils peuventpenser à partir de leurs expériences bienréelles de la vie.

Une question de volonté.L’éducabilité philosophiquede l’enfance, un postulatpour une pratique, l’ouverture depossibles ?

Malgré les controverses touchant àl’éducabilité philosophique de l’enfance, ilest cependant admis que la PPE n’est plus unequestion face à laquelle l'enseignant dephilosophie peut rester totalement indifférent.Désormais, l'enfant ne sera plus un simplesujet dont on traite en philosophie. Il sera,pour un certain nombre de philosophestout au moins, un sujet auquel la philosophies'adresse.

La psychologie sociale et les sciences del’éducation ont souvent recours à la notionde l’« effet Pygmalion ». Il y a d’autant plusde chance qu’un élève échoue que sesmaîtres croient qu’il n’est pas capable, etinversement, qu’il réussisse si l’on croit quec’est possible(13). Notamment parce que,d’une part, l’élève dans lequel on croitaugmente sa confiance et son estime delui-même, et, d’autre part, parce que leMaître va pédagogiquement tout faire pourque cela se produise. Dans le même ordred’idées, tant que l’on n’ouvre pas en classeun espace de parole ad hoc pour l’émergenceet la formulation de questions existentielles, ilne s’en exprime guère. Tant que l’onn’organise pas des discussions, les élèvesne savent pas discuter, et ce tout simplementparce que cela s’apprend. Tant que l’on nepropose pas une communauté de recherche,les élèves n’apprennent pas à se questionnermutuellement, à définir, à argumenterparce qu’ils rencontrent des désaccords,etc. Ainsi, tant que l’on ne croit pas que lesélèves sont capables de philosopher, cesderniers ne manifestent pas d’aptitude à lefaire, tout simplement parce que l’enseignantn’a créé aucune condition psychologique -telle que la confiance dans le groupe -,pédagogique – telle que la communauté derecherche -, ou didactique - telle que lavisée philosophique par des exigencesintellectuelles dans la discussion.

Postuler, c’est-à-dire demander qu’onadmette sans preuve au départ, l’éducabi-lité philosophique des enfants, et observerce qui se passe quand on met en place desconditions pour que la réflexivité advienne,

(12) Comme le psychologuecanadien Albert Bandura.

(13) Voir le développementsur ce point dans la partie IIIde ce chapitre.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

est une attitude expérimentale intéressanteet éthiquement porteuse, parce qu’ellecrédite l’enfant d’une confiance en sapotentialité réflexive, qui accroît, pourreprendre un concept du psychologue russeLev Vigotsky, sa « zone proximale dedéveloppement ».

Une question de défis.L’éducabilité philosophiquedes élèves en difficultéou en échec scolaire

L’une des réticences les plus vives formuléesà propos des élèves en difficulté ou enéchec scolaire renvoie au problème qu’ontces enfants quant à la maîtrise de la langue.Cette objection affirme que l’on ne peutpenser sans parler correctement, car il n’y apas de pensée sans langage. La penséeétant d’autant plus complexe et structuréeque le langage est précis. Sur ce point, lespromoteurs de la PPE considèrent que lalangue n’est pas chronologiquementantérieure à la pensée, mais qu’il s’agitd’un développement simultané. Le mot nepermet pas plus l’idée (il est déjà notion)que le langage n’habillerait une idéepréalable (comment serait-elle formulée ?).Parler c’est, en s’exprimant, dire le monde àtravers des catégories de pensée. Le motn’est pas la chose. Il renvoie certes à unréférent, mais par son abstraction il désigneaussi une notion. Les praticiens de la PPEobservent ainsi que lorsqu’un élève veutexprimer une idée, il cherche ses mots, quideviennent fonctionnels pour sa pensée. Sapensée peut ainsi être améliorée en travaillantla langue, mais son langage peut êtreégalement affiné en travaillant sur sa pensée.D’autant que la communauté de recherchese fait essentiellement sous forme orale :elle permet d’apprendre à penser en discutant.Ceci permet à des enfants, qui ne saventpas encore lire ou écrire, de commencer àréfléchir. L’utilisation de l’oral et del’échange verbal permet aussi à ceux quiont des difficultés à l’écrit de pouvoirs’exprimer et de tenir des propos pertinentsqu’ils écriraient avec beaucoup de difficulté.C’est pour eux une chance d’avoir recoursà un registre de langue qui n’entrave pas lacommunication de leur pensée, mais qui aucontraire stimule son élaboration par laconfrontation vivante à d’autres.

Une autre objection à la PPE avec lesenfants en difficultés renvoie au fait que cesélèves sont précisément rétifs à l’abstraction etqu’ils ont besoin de concret. Pourtant, onconstate un développement important deces pratiques avec les élèves en difficulté ouen échec scolaire. Quelques explications àcela : un élève en échec scolaire a souventdes problèmes dans son milieu familial etsocial, et l’école lui renvoie en plus unemauvaise image de lui-même. D’où desréactions de repli silencieux pour se faireoublier, ou au contraire de provocationpour exister, en attirant l’attention. Cetélève est hypersensible aux problèmes exis-tentiels et se trouve potentiellement prêt àentrer dans une dynamique d’échange surles questions que lui pose la vie, pourvuque certaines conditions soient réunies parl’enseignant : l’écouter quand il parle,l’encourager dans son expression, valoriserses apports, faire preuve de confiance enlui, etc. L’élève peut ainsi, par une activitéréflexive, recouvrer l’estime de soi en faisantl’expérience qu’il est un être pensant, etnon un incapable. Un processus de réparationnarcissique, où la pensée panse la blessurede se vivre comme nul, le (ré)apprentissaged’un contact plus confiant avec autrui, plusapaisé avec le groupe. Il va alors développerun langage intérieur entre l’émotion ressentieet le passage à l’acte : l’injure ou le coupqui part. C’est ce langage intérieur, « oralinterne » selon le psychologue JacquesLévine(14), qui ouvre une voie vers laréflexivité, la découverte gratifiante duplaisir et de la dignité pour un homme depenser, qui peut remettre debout un élèveen échec.

Une question d’approche :pédagogie et didactique

Si on adhère à la PPE, reste alors une questionpédagogique. Comment ? Quellesdémarches, méthodes, outils, supports,etc. ? Comment didactiser cette activité, larendre enseignable par les maîtres,appropriable par les élèves ? La questionde la didactique de la philosophie est tra-versée par des débats : certains inspecteursde philosophie ou représentants associatifsde l’enseignement philosophique - parexemple en France - pensent que « laphilosophie est à elle-même sa propredidactique », puisqu’elle est, par son

(14) Voir le développement sur cepoint dans la partie III de ce chapitre.

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CHAPITRE I

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mouvement propre, éveil de la pensée. Onapprend à philosopher en écoutant uncours ou en lisant un philosophe, qui nousintroduisent à la pensée elle-même par lemouvement d’une pensée en acte. Épousercomme auditeur ou lecteur ce déploiementthéorique du concept dans le cours ou letexte, c’est alors se mettre philosophiquementen route, par le seul entraînement réflexifdu Maître, professeur ou grand philosophe.Cette conception renvoie à un modèle del’apprentissage très transmissif, qui pré-suppose le charisme d’un Maître, la relationantique Maître-disciple, un élève séduit,motivé, attentif, etc. Mais qu’en est-il dansun enseignement démocratique de masse,quand la philosophie s’adresse à tous, oùl’enseignant est un professeur, un profes-sionnel de la pédagogie, et pas seulement unphilosophe ? Où l’enseignement doits’attacher à intéresser des élèves pas forcé-ment acquis d’emblée à son intérêt théoriqueet pratique, et qui, lorsqu’ils sont notammentissus des classes populaires, n’ont pasforcément les mêmes normes linguistiqueset culturelles que l’école et ses enseignants.D’où une orientation plus récente de ladidactique de la philosophie, à la fois pluscohérente avec une démocratisation del’enseignement philosophique et avec lesrecherches scientifiques sur le processusenseignement-apprentissage. Elle s’intéressedavantage à l’élève comme apprenti-phi-losophe, à ses démarches d’apprentissage,à ses difficultés, qu’au professeur, à sonsavoir sur les doctrines et à la manière dontil les expose. Elle réfléchit à la façon dontun enseignant, avec une double formation,philosophique et pédagogique-didactique,peut aider les élèves à franchir des obstacles,particulièrement celui des pseudo-certitudesque leur confèrent leurs opinions. Il s’agitdonc davantage d’une didactique del’apprentissage du philosopher que del’enseignement de la philosophie.

Une question de moded’apprentissage du philosopher :la discussion, une voie privilégiée ?

Nombre des pratiques de la PPE s’oriententvers la discussion entre pairs. Lorsqu’ons’interroge sur la prédominance de cetteforme, dans les faits, mais aussi en droit, onobserve dans le monde que la forme discus-sionnelle est la plus répandue, contrairement

à sa forme institutionnalisée, notammentdans le secondaire ou le supérieur, où legenre expositif domine largement. Cetteforme est-elle contingente, due à desphénomènes extrinsèques à la discipline,d’ordre historique, social, psychologique,ou est-elle intrinsèque, liée à la disciplineelle-même ? La « communauté de recherche »,ou la « discussion à visée philosophique »(15)

(DVP) sont-elles des méthodes d’appren-tissage du philosopher parmi d’autres, oumanifestent-t-elles de façon paradigmatiquele développement génétique, développe-mental de la pensée réflexive, au sens où laconfrontation à l’altérité incarnée serait lacondition de la confrontation à soi, à « soi-même comme un autre » (Ricoeur), au« dialogue de l’âme avec elle-même »(Platon).

Sur le fondement et la légitimité de laforme discussionnelle, certaines critiquessont vives : l’oral, par opposition à l’écritdes textes ou de la dissertation, peut êtreconsidéré comme secondaire dans l’en-seignement philosophique. La discussionen classe est souvent jugée comme uneméthode pédagogique superficielle et lesérieux demeure le cours du professeur.Lévine émet quelques réserves en psychologuedéveloppementaliste : une discussion tropprécoce dans le temps ne laisserait passuffisamment de temps à l’enfant pourélaborer sa propre pensée interne, toutpréoccupé qu’il serait de réagir à l’opiniondes autres. La pression conceptuelle ouargumentative d’une DVP pourrait court-circuiter le préalable de s’expérimentercomme sujet pensant. Par ailleurs, il nesuffit pas qu’une discussion soit démocrati-que pour qu’elle apprenne à philosopher.Pour que la discussion soit philosophiquementformatrice, il faut réunir des conditions quilégitiment sa convocation dans l’apprentissagedu philosopher. Ces exigences incluraientune communauté coopérative de rechercheimpliquant une éthique discussionnelle ausein d’un « agir communicationnel »(Habermas), une authentique visée devérité à partager ainsi que la mise en œuvrede processus rationnels de pensée.

Les réponses à ces critiques considèrent quela discussion, qu’il ne faut pas absolutiser, estl’une de ses formes possibles, particulièrementadaptée lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’élèves

(15) Voir le développement sur cepoint dans la partie III de ce chapitre.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(16) Voir partie III de ce chapitre.

(17) Ibid.

(18) Ibid.

(19) http://pratiquesphilo.free.fr/

(20) Platon, Le Banquet. Paris,Flammarion (Poche), 1999.

(21) Dans la lignée de l’interpréta-tion de Jacques Lacan, psychana-lyste français. Le « Maître ignorant »,refusant de combler la béance del’ignorance, c’est celui qui alimentele désir de philosophie. Il ne cher-che donc pas, ni n’attend, endidactique de l’apprentissage duphilosopher, la « bonne réponse »de l’élève, car s’il était dans cetteposture, l’élève serait dans le« désir de bonne réponse du Maître »,et non dans son propre désir,condition pour penser par soi-même.

2) La question du rôle du Maître

Quel degré de guidage ?

La question du rôle du Maître est très discutéeentre praticiens, formateurs et chercheurs.Plusieurs tendances existent : l’hyperdirectivitédu maïeuticien qui demande aux enfantsde (se) répondre (Oscar Brénifier(16)) ; ladirectivité qui ne cherche pas en premierl’interaction mais la rigueur (AnneLalanne(17)) ; le protocole où les enfants parlentsans interagir avec présence silencieuse duMaître et où on ne vise pas la discussionmais la construction identitaire de l’enfantcomme sujet pensant (Jacques Lévine(18)) ; leprocessus où les enfants interagissent deplus en plus par effacement progressif del’intervenant, l’objectif étant le dialogueentre pairs (Jean-François Chazerans(19)) ;enfin, la méthode qui a pour objectifessentiel la démocratie et où le débat sedéroule dans le cadre de la pédagogie ins-titutionnelle avec des rôles précis dévolusaux élèves (Matthew Lipman).

Intervenir ou pas sur le fond ?

Selon le paradigme traditionnel de l’en-seignement philosophique où l’on insistesur une logique d’enseignement et detransmission, les interventions du Maîtresont essentiellement sur le fond, sur descontenus philosophiques. Il s’agit de courssur les courants et les différentes doctrinesphilosophiques, et/ou sur l’histoire de laphilosophie, de développement devant lesélèves de sa propre pensée, pour donner unexemple de pensée vivante, d’une explicationde textes d’auteurs proposés, pour montrerdes modèles paradigmatiques de grandespensées, etc. Il s’agit également detransmettre les problèmes et d’expliquerpourquoi tel ou tel philosophe a proposételle solution, pour que les élèves aient des

repères, et commencent - peut-être - àpenser par eux-mêmes.

S’agissant des enfants jeunes, qui ne peu-vent comprendre un cours doctrinal ou degrands textes de philosophes, la PPE optepour un paradigme plus problématisant etmoins doctrinal en développant davantageune logique d’apprentissage. Il s’agit plusd’une culture du questionnement et non dela réponse, permettant aux élèves des’interroger et de chercher dans le cadred’une démarche réflexive. De ce fait l’en-seignant ne doit pas clore prématurémentune discussion en cours en donnant desréponses, et encore moins « la » réponse,ce qui arrêterait la recherche individuelle etcollective du groupe classe. Dans le fondcommun des praticiens de la PPE, il y acette idée de laisser ouverte les réponsesaux questions posées, pour entretenirl’exploration des solutions possibles. C’estau fond l’orientation socratique duBanquet de Platon(20) : lorsque le belAlcibiade est prêt à donner son corps àSocrate le Silène en échange de la sagessequ’il croit que celui-ci possède, Socrate sedérobe, et le renvoie vers Agathon, car ilsait qu’il ne sait pas (« Je ne sais qu’unechose, c’est que je ne sais rien »).Comment donc transmettre un non-savoir philosophique, sinon en continuant àle faire circuler comme désir(21) ? Cela impli-que de la part du Maître deux attributs :d’une part, la modestie par rapport à lapossession de la Vérité. Le Maître s’affirmelui-même en recherche devant les énig-mes de la condition humaine, et en celacurieux des réponses des élèves eux-mêmes. D’autre part, l’exigence sur le désirde vérité, où le statut de « discutabilité »des propos avancés et la visée de véritécollectivement recherchée donnent ainsi un

en difficulté. La discussion entendue icicomme un processus interactionnel au seind’un groupe, d’échanges verbaux rap-prochés sur un sujet précis et placé sous laresponsabilité intellectuelle du Maître.Cette discussion peut avoir une viséephilosophique par plusieurs dimensions,souvent étroitement entremêlées. Parmielles, la nature même du sujet abordé,

souvent formulé par des questions, lafaçon existentielle dont les élèves vontinvestir ce questionnement, le traitementrationnel et pas seulement ressenti, affectifou intuitif qu’ils vont tenter pour poser etrésoudre ces problèmes, l’éthique communi-cationnelle des échanges qui consiste en unedémarche coopérative pour déchiffrer uneénigme humaine.

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CHAPITRE I

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statut à la fois coopératif et non dogmati-que au savoir poursuivi, progressivementco-construit par le travail critique sur ladoxa (les opinions) au cours des échanges.

Par ailleurs, certains auteurs(22) soutiennentque le Maître peut bien intervenir, maissous certaines conditions. Car même s’il y aasymétrie du savoir entre un Maître et unélève, il y a parité du point de vue durapport au désir de vérité. On ne compren-drait donc pas que le Maître se soustraie àcette obligation d’interlocution de l’éthiquecommunicationnelle. Tandis que d’un autrepoint de vue, il est considéré que le Maître

devrait avoir le souci de modaliser voire demoduler ses interventions, c'est-à-dire dene pas directement les proposer comme sapropre pensée, afin qu’elles n’apparaissentpas comme un moyen de pression sur lefond de la pensée des élèves. Rousseauappelait cela la « ruse pédagogique », pourle bien - ici philosophique - de l’élève.

La problématique se déplace ainsi entre laposture de l’intervention du Maître sur lefond, et celle d’une intervention modulée,qui s’autorise à exprimer un point de vue,mais sans se substituer pour autant à lapensée de l’élève.

(22) Pierre Usclat,« Le rôle du Maître dans la discussionà visée philosophique à l’écoleprimaire. L’éclairage de Habermas »,Thèse de Doctorat. Universitéde Montpellier 3 (France).

3) La question de la formation des enseignants

Le paradoxe de l’innovation de la philosophieavec les enfants dans le monde, parcequ’elle est précisément une innovation, estla faible formation philosophique desenseignants du primaire. En effet, la formationnon institutionnalisée est laissée auvolontariat et à une offre souvent privée,voire associative.

Une formation académiqueà la philosophie ?

La formation classique consiste le plussouvent dans la connaissance des grandesdoctrines philosophiques qui parsèmentl’histoire de la philosophie occidentale. Parrapport aux paradigmes doctrinaux ouhistoriques, il y a plus rarement un paradigmeproblématisant, qui insiste sur les problèmesphilosophiques, et apprend aux élèves à lesformuler et à s’y confronter. C’est cette der-nière orientation qui est la plus proche desmodèles inspirant la PPE mais elle estminoritaire. Face à des enseignants sansformation philosophique, ou qui ont connula philosophie dans le secondaire, la premièreidée consisterait à leur donner une formationacadémique classique (doctrines, textes etœuvres philosophiques). Il s’agit làessentiellement de transmettre uncontenu, des idées, un patrimoine. Maiscette pédagogie a cependant des limitescar avoir des connaissances ne suffit pas àformer des compétences. Il s’agit alors pourl’enseignant d’apprendre à philosopher,et pas seulement la philosophie, pourl’apprendre lui-même aux enfants. C’est

toute la question d’une didactique del’apprentissage du philosopher qui se posepour les enseignants, comme d’ailleurspour les enfants.

Une formation académique est-elle doncincontournable ? Il y a débat sur ce point.Pour certains, l’important, c’est de maîtriserla conduite d’une communauté derecherche (Lipman), et même en amont delaisser l’occasion à l’enfant d’élaborer uneposture méditative (Lévine). D’autress’interrogent sur la nature même de laformation académique puisqu’il ne s’agitpas, avec des enfants, de leur enseigner desauteurs, mais de les éveiller à la penséeréflexive. Le débat se poursuit entre ceuxqui affirment qu’on ne peut apprendre àphilosopher sans les philosophes, etreculent ainsi l’âge du philosopher, et ceuxqui pensent qu’apprendre à philosopherc’est d’abord laisser émerger un ques-tionnement, l’amener à se formuler etl’accompagner pour qu’il se travaille dansun « groupe cogitans ».

Une formation didactiqueau savoir-faire philosopher ?

La profession d’enseigner consiste à savoirfaire apprendre, ce qui implique descompétences pédagogiques et didactiquesà acquérir. Cette question est récusée parcertains philosophes qui considèrent qu’ilsuffit de savoir pour enseigner (exposer sonsavoir), et que par conséquent une formationacadémique est à la fois nécessaire et

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

suffisante, le reste n’étant que pédagogisme,dénaturation de l’enseignement philoso-phique par les sciences de l’éducation.Pour d’autres, cette question est centraledès lors qu’ils considèrent que l’identitéprofessionnelle de l’enseignant de la PPE aune double nature : une nature philosophi-que, puisqu’il s’agit de faire apprendre àphilosopher, et une nature pédagogique,puisqu’il s’agit de le faire apprendre. Ledébat est ici également en cours car cettequestion de compétences se situe à deuxniveaux. D’une part, elle dépend de laconception du philosopher, de l’apprentissagedu philosopher, de l’enfance et de sespotentialités cognitives, ainsi que du rôledu Maître, notamment son rapport à laparole des élèves. D’autre part, elle dépenddes méthodes que l’on veut mettre enœuvre - oral et/ou écrit, dilemmes moraux,communauté de recherche, discussion àvisée à la fois démocratique et philosophique,dialogue socratique, entretien philosophiquede groupe, etc.(23)

Une formation pédagogiqueau débat ?

La possibilité d’apprendre à philosopher endiscutant est contestée par certains. Cetteréserve fait notamment état de la difficultéd’une discussion à plusieurs, a fortiori avecdes enfants trop dispersés, ainsi que de lalégèreté de l’oral par rapport à une penséeécrite. D’autres répondent que ce constatlucide des difficultés effectivement ren-contrées est intéressant, car il énumère lesobstacles à franchir dans une perspectived’apprentissage. C’est précisément parceque les élèves ne s’écoutent pas qu’il faut leurapprendre une éthique communicationnelle,et c’est précisément parce qu’ils se cantonnentspontanément dans leurs échanges à desexemples, qu’il faut leur apprendre àrechercher des attributs communs à unenotion illustrée par ces exemples. L’objectifrecherché est bien l’apprentissage duphilosopher dans et par la discussion.

Conduire une discussion à visée philosophiquene va pas de soi, car il y a deux aspectsimbriqués dans les faits et de nature distincte :la problématique générale de la gestiond’une discussion, d’ordre pédagogique, etcelle qui donne une visée philosophique àcette discussion, plus didactique. De même,

animer une discussion ne va pas de soi, caril faut gérer une dynamique du groupe à lafois en facilitant sa production et en larégulant psycho-sociologiquement.

La pratique sociale de la démocratie donnedes principes régulateurs pour instituer unespace public scolaire de discussion. Telsque l’existence d’un droit d’expressionde chacun et surtout du minoritaire, lespossibilités de gestion du nombre d’inter-venants par des procédures qui organisent lacirculation de la parole (fonction de présidentde séance, règles où un seul parle à la foisselon un ordre déterminé, avec respect deson intervention et priorité à ceux qui sesont le moins exprimés, etc.) ou encore lespossibilités de garder des traces du travailcollectif par la fonction de secrétaire deséance par exemple. Ces dispositifs per-mettent l’apprentissage d’une discussionde type démocratique, favorable à deséchanges collectifs de type intellectuel. Lacompétence de l’enseignant réside ici dansla capacité à institutionnaliser ces fonctionset ces règles, à mettre en place ces dispositifsdont la fonctionnalité s’explique aux élèves,ou mieux peut-être, co-construite en classe.Mais la visée philosophique donne un tourparticulier à ces échanges : le groupe ydevient un intellectuel collectif, unecommunauté de recherche. Car il travaillesur les questions des élèves, qui sont lesgrandes énigmes posées à la conditionhumaine. Il s’agit non de (con)vaincre ou delutter contre mais de chercher avec, detravailler sur des rapports de sens et nonsur des rapports de force, où l’autre est unpartenaire indispensable pour y voir plusclair et non un adversaire. Le droit d’expressionde son opinion (doxologie) y a pourcontrepartie un devoir d’argumentationrationnelle, toute objection étant uncadeau intellectuel, non une agressioncontre ma personne. De ce fait la compétencede l’enseignant est de cultiver une éthiquecommunicationnelle, une exigence intel-lectuelle, une culture de la question et dela recherche collective, une rigueur ducheminement. Ce sont ces compétencesque la formation doit développer. C’estpourquoi on rencontre souvent commemodalité de formation le fait de faire vivreaux enseignants les mêmes situations quecelles qu’ils proposeront à leurs élèves -principe de l’isomorphisme - afin qu’ils en

(23) Exemples :si on définit didactiquementle philosopher par la miseen œuvre de processusde pensée articulés entre euxpour penser le réel, l’enseignantdevra apprendre à faire probléma-tiser, conceptualiser et argumenterles élèves. Si on adopte uneconception cognitiviste de l’ap-prentissage, il faudra alors travail-ler en priorité sur leurs opinionscomme représentation du monde.Si on a une conception constructi-viste, on mettra l’accent sur lafaçon dont les élèves vont seconstruire, par un cheminementpersonnel, une vision plus com-plexe du problème. Si on suit uneconception socioconstructiviste, onorganisera des situations où leursopinions vont se confronter àd’autres, tout particulièrementleurs pairs (par exemple, dans desdiscussions), etc.

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CHAPITRE I

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comprennent la finalité formative, qu’ils enéprouvent la logique interne, les difficultésauxquelles elles se confrontent et les stratégiespour les surmonter. D’où l’intérêt d’unephase métacognitive qui suit les discussions

pour verbaliser les affects ressentis,conscientiser les processus de pensée misen œuvre et analyser le fonctionnementdes dispositifs.

4) La question de l’innovation : favoriser, expérimenter,institutionnaliser ?

L’une des questions vives qui animent laPPE porte sur l’opportunité d’un passage del’innovation à l’expérimentation officielle,voire à l’institutionnalisation de ces nouvellespratiques. En d’autre termes, un passagede l’instituant d’une innovation à l’instituéd’une réforme du système éducatif.Institutionnaliser présente un grand intérêt,et c’est la voie dans laquelle se sont engagésou vont s’engager certains pays. C’estl’avantage lié au caractère obligatoire del’école primaire. Tous les enfants pourraientainsi à l’école trouver un lieu où poser leursquestions essentielles, accéder à un contactprécoce avec l’esprit philosophique,acquérir un esprit de recherche habité parle sens et le désir de vérité, acquérir desoutils critiques nécessaires en tant qu’individuspour comprendre et affronter la vie et entant que citoyens pour alimenter le débatpublic, conforter la démocratie, et résisteraux propagandes trompeuses. Plutôt quede laisser l’innovation à l’initiative et au bonvouloir des acteurs locaux, ce qui prive ungrand nombre d’élèves d’un apprentissagetrès formatif, la généralisation de cespratiques contribuerait à asseoir une culturecommune d’esprit critique et créatif.L’apparition d’une nouvelle matière àl’école primaire obligerait aussi l’institutionà introduire dans le système éducatif, enamont dans la formation initiale, en avaldans la formation continue, une formationdes enseignants à ces pratiques conséquenteet cohérente avec les objectifs poursuivispar les programmes. À cet égard, certainspartisans engagés dans ces pratiquespréfèrent cependant un encouragementofficiel de cette innovation plutôt qu’unegénéralisation dans le système. Ils relèventle caractère d’ « injonction paradoxale »d’une institution qui obligerait à penser par

soi-même, alors que cela relève de la libertéd’un sujet ! Ils craignent qu’une réformevenue d’en haut ne rencontre trop de résistan-ces et qu’une normalisation des pratiquesne se fasse jour là où existe actuellementune heureuse diversité, portée par l’en-thousiasme de certains enseignants etreposant sur l’intérêt des enfants pour uneactivité relativement déscolarisée.

Toute innovation bouscule les systèmes etappelle à la réflexion. C’est le cas de la PPE,qui rompt à la fois avec certaines traditionsmagistrales de l’histoire de l’enseignementphilosophique et avec les habitudes et laculture de l’enseignement primaire.Apprendre à philosopher aux enfants estune pratique, sinon une idée, neuve dansl’histoire de l’humanité. Apparue récemment,depuis trente-cinq ans, cette idée de la findu XXe siècle a pour origine un certainnombre de courants fondamentaux etconvergents : l’émergence du renouvellementde l’idée démocratique dans le monde auXVIIIe siècle, avec le droit d’expression et lanotion d’espace public de discussion ; letournant de la conception de l’enfance avecRousseau qui débouchera au XXe siècle sur laConvention relative aux droits de l’enfant ;l’apparition progressive et le développe-ment tout au long du XXe siècle du courantpédagogique de l’Éducation nouvelle quipromeut dans l’enseignement primaire desméthodes actives, en rupture avec lesméthodes traditionnelles ; ou encore la recher-che scientifique sur l’éducation avec unemeilleure connaissance du processus ensei-gnement-apprentissage, qui comportenotamment les théories cognitivistes,constructivistes et socioconstructivistes del’apprentissage des élèves.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

La PPE implique des enjeux à la fois éducatifset politiques. L’enjeu est ici entenducomme ce que l’on gagne en mettant ounon en œuvre une telle pratique, parrapport à certaines valeurs ou principes quila fondent. Six enjeux importants ont étéidentifiés.

Penser par soi-même

Le premier des enjeux réside dans ledéveloppement chez l’enfant et l’adolescentde la réflexion, d’un esprit critique et de lacapacité à penser par soi-même. Cette qualitépeut certes s’acquérir par l’exercicerationnel de la démarche scientifique et larigueur de l’administration de la preuve.Mais s’agissant de questions existentielles,éthiques, politiques, esthétiques, ontologiquesou métaphysiques, que la science ne sauraiten elle-même trancher, penser par soi-même suppose une démarche réflexive quiproblématise, conceptualise et argumenterationnellement : c’est cela l’apprentissagedu philosopher.

Éduquerà une citoyenneté réflexive

La communauté de recherche ou la discussionà visée philosophique sont des formes dudébat. Et comme il n’y a pas de démocratiesans débat, l’apprentissage du débat àl’école assure une éducation à la citoyennetédémocratique. Par ailleurs, le développementd’une pensée critique est fondamentaldans une démocratie qui repose sur le droità l’expression de ses idées personnelles,même minoritaires, et la confrontation desopinions dans un espace public de discussion.L’intérêt d’apprendre à penser par soi-

même à l’école garantit une liberté de lapensée, une acuité du jugement très for-mateurs pour l’élève comme futur citoyen.L’apprentissage du débat et l’apprentissagedu philosopher par le débat intellectuelsont deux conditions pour une éducation àune « citoyenneté réflexive », c'est-à-dired’un esprit qui se confronte aux autres enétant éclairé par la raison dans une visée devérité, et qui a des exigences à la foiséthiques et intellectuelles dans un débatdémocratique. Le défi est précisément larencontre de l’enfance, de la philosophie etde la démocratie.

Aider au développementde l’enfant

L’apprentissage de la réflexivité estimportant pour la construction de la person-nalité de l’enfant et de l’adolescent. Il fait àcette occasion l’expérience qu’il est un êtrepensant, ce qui l’aide à entrer dans l’humanitéet à y grandir. Il fait aussi l’expérienced’oser parler, de risquer ses idées, d’êtreécouté. Une attitude qui renforce l’estimede soi. De même, l’enfant peut vivre dansles discussions avec ses pairs l’expérience sirare du désaccord dans la coexistencepacifique, de conflits socio-cognitifs surdes idées ne dégénérant pas en conflitsaffectifs entre personnes, de l’écoute et durespect de la différence.

Faciliter la maîtrise de la langue,de l’oral et du genre qu’est le débat

La prise de parole pour penser, notammentsous forme de discussions, développe descapacités langagières à l’oral, par les inter-actions sociales et intellectuelles verbales.

(24) Extraits : « À l’issue des tra-vaux, les participants ont adoptéles recommandations suivantes :Nous reconnaissons et attestonsl’importance de la philosophiepour la démocratie. La manièredont la philosophie devrait êtreintégrée dans l’enseignementdépend des différentes cultures,des différents systèmes éducatifs etdes choix pédagogiques personnels.Nous recommandons : 1) derechercher et de rassembler l’infor-mation sur les groupes et les pro-jets d’initiation des enfants à desactivités philosophiques existantdans divers pays ; 2) de rassemblerces éléments afin de les faireconnaître et de favoriser l’analysephilosophique et pédagogique deces expériences ; 3) de développerdes activités philosophiques avecles enfants dès l’école primaire etde solliciter des colloques permet-tant des confrontations d’expérien-ces et une réflexion philosophiqueà leur propos ; 4) d’encourager laprésence, le développement etl’extension de la philosophie dansles programmes de l’enseignementsecondaire ; 5) de promouvoir laformation philosophique des ensei-gnants des écoles primaires etsecondaires ». Op. cit.

II. Promouvoir les pratiques à visée philosophique auxniveaux préscolaire et primaire : orientations et pistesd’action L’UNESCO a toujours œuvré pour fortifier l’enseignement de la philosophie dans le monde etencourager sa création là où il n’existe pas. C’est à la réunion d’experts de mars 1998, tenueà l’UNESCO, que furent explicitement formulées des recommandations spécifiques surla « philosophie pour les enfants »(24).

1) Quels enjeux pour quelles valeurs ?

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CHAPITRE I

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Le langage, en co-développement avec lapensée, apparaît dans une discussion àvisée philosophique comme un outil pour lapensée. En travaillant sur l’élaboration desa pensée, on travaille nécessairement surle besoin de précision dans la langue.

Conceptualiser le philosopher

Du point de vue philosophique, la pratiquede la réflexivité avec des enfants appelle àune redéfinition du philosopher, à uneconceptualisation de ses commencements,de sa nature, de ses conditions. En Francepar exemple, le fait d’avoir maintenu dansla désignation de cette nouvelle activité laréférence à la philosophie, a alimenté undébat entre philosophes pour savoir si la

PPE était bien de la philosophie - touteréflexion n’étant pas de facto philosophique -ce qui renvoyait à la définition réelle de laphilosophie et du philosopher(25).

Construire une didactiquede la philosophie adaptée

La didactique de la philosophie et del’apprentissage du philosopher se trouveinterpellée, parce que l’on ne peutconcevoir l’enseignement de la philosophieà des enfants au sens de cours magistraux,en leur demandant de travailler des grandstextes ou de rédiger des dissertations. Onpeut tout au plus tenter de leur apprendreà philosopher, d’éveiller leur réflexion sur leurrapport au monde, à autrui, à eux-mêmes.

(25) Voir Glossaire (Annexe 3).

2) Quelle institutionnalisation ?

Promouvoirles aspects culturels et interculturels

Des pratiques de la PPE ont émergé dans lemonde de façon significative à un momenthistorique déterminé - dans les années1970 - dans un pays précis - les États-Unisd’Amérique - et à l’initiative d’un innova-teur : Matthew Lipman. Ces pratiques sesont ensuite répandues à travers le monde.Cette origine historique et géographique,dans le cadre d’un champ disciplinaire pré-cis qu’est la philosophie, donne à cetteémergence une coloration particulière dupoint de vue culturel, à savoir une innova-tion dans un contexte occidental. L’histoirereste à faire des pratiques philosophiquesavec la jeunesse dans le passé, aussi bien enOccident - Socrate s’entretenait avec desadolescents comme Lysias, et il y eut desdisputes rhétoriques et théologiquesorganisées dans les écoles du Moyen Age.On pourrait également mentionner la prati-que des controverses dans les monastèresbouddhistes ou l’utilisation de la palabre enAfrique. Se pose ainsi la question de l’ex-tension, de la reproduction et de l’adapta-tion d’une méthode, quelle qu’elle soit,compte tenu de ses présupposés scientifi-ques, mais aussi psychologiques, pédagogi-ques, didactiques, philosophiques, politi-ques, etc. En outre, et à l’instar du progrèsde la psychologie cognitive, de la psycho-logie de l’enfant, de la psychologie sociale

et de façon plus générale de la sciencedepuis vingt-cinq ans, force est de recon-naître que les didactiques des disciplinesont également sensiblement évolué.

Il ne s’agit nullement d’imposer un modèleculturel à d’autres peuples, à d’autresÉtats ou à d’autres cultures, mais de partirdes orientations signées par les États dansdes Conventions internationales, afin depromouvoir des pratiques éducatives allantdans le sens d’une culture d’esprit criti-que, d’une culture de dialogue et d’uneculture de paix. Le sens des recommanda-tions ici présentées a ainsi vocation às’adapter aux différents contextes culturelset aux diverses orientations de politiqueéducative. La théorie de l’hybridationsemble à ce propos porteuse, car ellerenouvelle, entre universalisme abstrait etrelativisme culturel, la problématique d’uneuniversalité postulée des droits avec leuradaptation pertinente à la pluralité descultures. Ainsi, et compte tenu de l’inégaleprésence dans le monde de pratiques philoso-phiques à l’école primaire, il serait opportunde mettre en œuvre une stratégie flexible ettrès diversifiée. Dans les pays où ces pratiquesn’existent pas, toute innovation qui iraitdans ce sens pourrait être encouragée etdéveloppée par exemple dans le cadred’une association ; des expérimentationsdans le cadre du système éducatif pourraientégalement êtres menées avec des moyens

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

spécifiques ; certaines pratiques jugéesformatrices pour les élèves et concourantaux missions mêmes du système éducatifpourraient aussi être institutionnalisées.

Favoriserl’innovation dans et hors l’institution

Les pratiques à visée philosophique sontrarement institutionnalisées dans les systèmeséducatifs, et pourtant elles se développentdans de nombreux pays, souvent en margedu système éducatif existant, encouragéespar des universitaires, des associations, desréseaux. Elles revêtent le caractère d’uneinnovation - pratique non institutionnaliséeet nouvelle - souvent en rupture avec latradition d’un pays. Si l’on se place dansune perspective centralisée qui développele conformisme, l’innovation peut apparaîtrecomme un dérangement. Mais ce faisant,le système éducatif n’a plus alors d’op-portunité pour évoluer de l’intérieur etintégrer des idées novatrices pour sonévolution. Au contraire, l’innovation peutêtre un ferment pour le renouvellementd’un système éducatif, car, sans être uneréforme institutionnelle généralisée sur unterritoire, elle introduit une pratiquenouvelle, issue tantôt de l’extérieur dusystème, tantôt de l’intérieur même del’école. Elle permet alors une ouverture,une respiration dans un système qui peutavoir des blocages, des dysfonctionnements.L’une des pistes d’action consisterait ainsi àpromouvoir les nouvelles pratiques phi-losophiques à l’école primaire là où ellesn’existent pas et à les encourager là où ellesexistent, en les faisant connaître et endiffusant leurs travaux le plus largementpossible. Pour les pays où il n’existeactuellement aucune pratique de ce type,il serait possible d’envisager simplement laréflexion des enfants initiée à partir decontes ou de légendes du pays, en leslaissant s’exprimer sur leurs interprétations,puis en les faisant discuter sur ces différenteslectures, sans refermer trop tôt l’échangepar la « bonne » interprétation.

Organiserdes expérimentations officielles

L’expérimentation, à la différence de l’in-novation, est une décision politique pourtenter d’introduire, de manière limitée, une

nouvelle pratique dans le système éducatif.Elle bénéficie de moyens pédagogiques etfinanciers spéciaux, et se déroule selon unprotocole précis, avec un accompagnementdes praticiens, notamment par la formationet par la recherche. L’expérimentationimplique le plus souvent une évaluation dela nouvelle pratique, de façon à en tirer desconclusions pour une éventuelle généralisa-tion(26). Aussi, et compte tenu de l’intérêtdes nouvelles pratiques de philosophiepour enfants à l’école primaire, la mise enplace d’expérimentations officielles de cespratiques au sein des écoles primaires seraitopportune, et ce en cohérence avec lesobjectifs poursuivis par les grandesorientations des politiques éducatives desÉtats.

Institutionnalisercertaines pratiques

Promouvoir, repérer, encourager et valoriserl’innovation de pratiques de la PPE à l’écoleprimaire peut être une première étape.Organiser officiellement des expérimentationsdans le système éducatif en est une autre,qui exprime un engagement politique plusfort. Institutionnaliser certaines pratiquesde la PPE est plus ambitieux dès lors qu’ilest admis que tout enfant doit avoir la possi-bilité, à l’école, de développer sa penséeréflexive et d’y être accompagné pourapprendre à penser par lui-même.Plusieurs pistes d’action sont alors possi-bles : introduire l’apprentissage d’une pen-sée à visée philosophique dans certainesécoles du primaire, certaines régions oucertains cursus, à titre optionnel ; faireintervenir dans des classes des intervenantsformés à la PPE ; ou encore généraliser cetapprentissage du philosopher pour tous lesélèves dans une région ou à l’échelle dupays. Ceci peut se faire de façon transversaledans les disciplines, ou de façon interdiscipli-naire. Telle qu’une réflexion philosophiquede type esthétique dans les cours de dessin,arts plastiques, musique, théâtre, uneréflexion de type éthique dans les cours demorale, voire de religion, une réflexion phi-losophique de type politique dans les coursd’éducation civique, une réflexion philoso-phique de type épistémologique dans lescours de sciences ou de langue, etc. Cettegénéralisation peut se faire aussi sous l’as-pect d’un moment spécifique hebdomadaire,

(26) Voir Norvège, partie III de cechapitre.

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CHAPITRE I

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de durée variable selon l’âge des enfants,sous la forme d’un « atelier-philo » par exem-ple. Des initiatives intermédiaires peuventégalement être mises en place telles quedes « clubs-philo » dans les écoles pourles élèves intéressés et volontaires, l’organisa-tion de « débats-philo » dans le cadre desClubs UNESCO(27), ou encore des échangessur ce type d’activités entre le réseau desécoles associées de l’UNESCO(28).

Organiserun curriculum dans la scolarité

En vue d’une institutionnalisation, laréflexion autour de la perspective éventuelled’élaborer un véritable curriculum tout aulong de la scolarité est nécessaire. Une telledémarche consisterait en la mise en place,par un exercice régulier, de processus depensée, d’exigences de rigueur intellectuelleainsi que d’habiletés à raisonner logiquement.Un tel apprentissage doit être progressif etcohérent. Sont ainsi regrettables lessituations où les élèves, après avoir pratiquéla communauté de recherche à l’écoleprimaire, cessent ce type d’activitéréflexive, ou ne reprennent contact avec laphilosophie qu’à la fin du niveau secondaireou à l’Université. Il manque là les maillonsnécessaires pour consolider des posturesd’interrogation sur le monde, de conceptuali-sation de notions et d’argumentation des

idées. Cette progression dans un parcoursscolaire suppose des démarches précisantles objectifs poursuivis, les méthodes, lesdispositifs, les outils et les supports spécifiquesutilisés. Il faut notamment tenir compte del’âge des enfants et des adolescents, deleurs possibilités cognitives, des typesd’expérience qu’ils vivent, des exemples etdes contre-exemples qui peuvent prendresens pour eux, de leur sensibilité et deleur imagination, si importantes pour leurdéveloppement et pour l’ancrage d’une pen-sée réflexive dans leur personnalité globale. Ilfaut ici mobiliser nombre de connaissancesscientifiques, notamment de psychologiecognitive, développementale et sociale, dethéories et de pratiques pédagogiques etde didactique de la philosophie.

À tout âge, la même question pourrait êtrereprise et abordée différemment, parce quel’approfondissement de la réflexion sedéveloppe avec une expérience enrichie, unlangage plus précis, des lectures plus difficiles,etc. C’est cette progressivité, sous formed’approfondissement, d’accès plus soutenuà l’écriture et à la lecture, notamment delittérature consistante et d’auteurs spécifi-quement philosophiques, qu’il faut organiseren curriculum réflexif, en fonction destraditions et du renouvellement des systèmeséducatifs.

(27) Les « Associations, Centres etClubs UNESCO » sont des groupe-ments de personnes de tous âges,de tous horizons socioprofession-nels cherchant ensemble à diffuserles idéaux de l’UNESCO et à contri-buer à la réalisation de ses objec-tifs. Leur référence, de nature éthi-que, à l’Acte constitutif del’UNESCO les engage vis-à-vis de laDéclaration universelle des droitsde l’Homme. C’est pourquoi lesclubs UNESCO se donnent unemission éducative en faveur de lapaix et de la justice. www.unesco.org

(28) Créé en 1953 pour concrétiserla volonté des fondateurs del’UNESCO de promouvoir lesidéaux de l’Organisation par lavoie de l’éducation, le réseau desécoles associées de l’UNESCO al’originalité d’être une coordinationde réseaux nationaux d’établisse-ments ancrés dans le système édu-catif de chaque État membre. Il estun instrument de liaison entreenseignants et entre écoles dumonde pour apprendre à vivreensemble. Son objectif est decontribuer à développer une meil-leure compréhension entre lesenfants et les jeunes du monde etd’édifier une citoyenneté ouvertesur le monde, en vue de construireles fondements d’une paix solideet durable.http://portal.unesco.org/education/

3) Quelles pratiques philosophiques promouvoirdans les classes ?

Chemins pédagogiqueset didactiques diversifiés

D’une façon générale, toute pratique quidéveloppe le « penser par soi-même »,l’élaboration d’une pensée « élargie »,c’est-à-dire l’autonomie du jugement, lelibre examen des idées, est à défendre.Toute pratique qui est en recherche de senset de vérité éclairée par la raison, qui cultivele questionnement et le sens du problème,qui rend conscient de l’origine de sesopinions afin d’en examiner le bien fondé,est à encourager. Ces pratiques à viséephilosophique peuvent passer par deschemins pédagogiques et didactiquesdiversifiés. En effet, toute normalisation

trop stricte de ces pratiques risqueraitd’entraîner leur stérilisation, puisque cequi est en jeu, c’est la formation à la libertéintellectuelle des esprits. Ce qui implique,d’une part, une liberté intellectuelle etpédagogique des enseignants, et, d’autrepart, la liberté d’esprit des élèves, auxquelsnul ne peut se substituer pour penser à leurplace. Il ne s’agit certainement pas d’en-doctriner les élèves, mais bien, en tantqu’éducateurs, de les accompagner pourqu’ils trouvent progressivement par eux-mêmes les réponses aux questions qu’ils seposent sur l’existence.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(29) Sens étymologiquede « philo-sophie ».

(30) Tels ceux de Michel Piquemalen France.

(31) Tel Le petit princed’Antoine de Saint Exupéry.Paris, Gallimard, 1945.

(32) Voir les travaux du psychologueaméricain Lawrence Kohlberg.http://lecerveau.mcgill.ca/

Quelques pistes pratiques

Parmi ces pistes, on peut mentionner leséchanges d’idées, les dilemmes moraux, lesexercices de problématisation, deconceptualisation et d’argumentation.Partir des questions des enfants eux-mêmesest important. Habités par la curiosité et le« désir de savoir »(29), ils se posent desquestions, souvent pour la première fois,qui font sens pour eux, qui les motivent etqui les mettent en position de recherche.Ces interrogations peuvent être posées enclasse à un moment convenu ou surgir àl’improviste. Elles peuvent aussi provenir,anonymement ou non, d’une boîte àquestions. On retiendra alors celles quin’amènent pas une réponse factuelle,technique ou scientifique, mais qui ontune dimension philosophique, celles quidemandent réflexion parce qu’elles sontdifficiles, celles qui peuvent avoir plusieursréponses, même contradictoires, voire pasde réponse du tout (aporie), etc. Le votepourrait être le moyen d’en choisir une àexaminer et à discuter. Mais ces questionspeuvent aussi être dégagées à partir d’untexte fort, soit un texte ad hoc, rédigé pourune activité réflexive mais aussi des« Philofables »(30) issues du corpus descontes, légendes et mythes, porteur desagesses du monde, ou encore des ouvragesde littérature de jeunesse à dimensionanthropologique(31). Une pratique trèsrépandue est l’organisation au sein de laclasse d’échanges d’idées entre les élèves,animés par l’enseignant, sur une questionde fond qu’ils ont eux-mêmes posée.L’intérêt pour les élèves est, dans cetteconfiguration pédagogique, de confronterentre eux leurs opinions sur une question etd’avoir des conflits sociocognitifs pour lesfaire évoluer.

Il y a aussi, comme point de départ de laréflexion, la possibilité d’utiliser des dilemmesmoraux(32) : un cas qui fait éthiquementproblème est proposé. Par exemple : « unemère n’a pas d’argent pour vivre et sonjeune enfant a faim, doit-elle êtrecondamnée si elle a volé du pain ? ». L’idéeest de décider, en se mettant à la place dupersonnage, la solution à adopter en clarifiantet en hiérarchisant les valeurs qui entrenten jeu dans la situation, par une délibéra-tion interne d’ordre moral. Il s’agit là de

développer la faculté de juger, le discernementéthique, le jugement moral fondé sur uneréflexion rationnelle.

Pour développer l’apprentissage du philo-sopher, on peut aussi proposer des exercicesspécifiques : 1) exercices de problémati-sation, amenant à interroger ses opinions,à dégager leurs présupposés et à examinerleurs conséquences. Par exemple : sedemander si l’homme est bon implique qu’ilexiste une nature humaine, 2) exercices deconceptualisation. Par exemple : quellesdistinctions conceptuelles opérer entre uncamarade, un ami et un amoureux ?,3) exercices d’argumentation : dire pour-quoi on affirme ce qu’on vient de dire - validerrationnellement son discours - et pourquoion n’est pas d’accord avec telle idée - faireune objection rationnelle. Que ce soit pourconceptualiser ou argumenter, les enfantscommencent toujours par des exemples oul’évocation de leur vie quotidienne, car c’estleur façon à eux de faire un lien entre unenotion ou une question abstraite et leurpropre vécu. C’est un point d’ancragenécessaire pour amorcer la réflexion maisqu’il faut les aider à dépasser pour monteren abstraction et en généralité.

Si l’on veut articuler la visée philosophiqueavec une visée démocratique et une éducationà la citoyenneté, la discussion gagnera àêtre organisée dans un dispositif pédagogiquedémocratique, suivant des règles démocrati-ques de circulation de la parole (ordred’inscription, priorité à l’élève qui n’a pasencore parlé ou peu parlé, ou aux pluspetits dans des classes multi-âges), et larépartition de rôles responsabilisants entreles élèves (président de séance, secrétairede séance, etc.). Si l’on veut davantagearticuler la posture philosophique devantune question avec la construction de lapersonnalité de l’enfant et sa prise deparole orale en public, le procédé seraitdavantage celui du tour de table où chaqueenfant peut s’autoriser à élaborer et àexprimer sa vision du monde en réagissantpersonnellement à une question de fond.

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4) Comment accompagner les pratiques à visée philosophiquepar la formation ?

Par une formation initialeet continue des enseignants

Qu’il s’agisse de favoriser une innovation,d’organiser une expérimentation, oud’institutionnaliser une nouvelle pratiquesous forme de réforme, il y a une nécessitéd’accompagner ces nouvelles pratiques defaçon à ce qu’elles parviennent à mieuxformer les enfants confiés à l’école. Desactivités éducatives non accompagnées, ounon adéquatement accompagnées,échouent en effet souvent faute de profes-sionnalité des enseignants, au sens où cesderniers sont aptes à mener des activitéspédagogiques et didactiques réellementformatives pour les élèves. Cet accompa-gnement peut se faire sous des formesdiversifiées et complémentaires entre elles.Pour former des enseignants, il est notam-ment souhaitable de définir à quellescompétences ils doivent former les élèves.

Quelles compétences attendues des élèves ?Tout va dépendre du sens donné aux mots« philosopher », et « apprendre à philoso-pher », quand il s’agit d’enfants et d’élèves(33).Les différentes définitions qui existententretiennent un certain rapport avec latradition philosophique : le questionne-ment chez Socrate, l’étonnement chezAristote, le doute chez Descartes, etc. Unecertaine conception de la philosophiecomme éveil et développement d’une penséeréflexive de type rationnel est ainsi privilégiée.Qu’est-ce qui peut baliser le cheminementphilosophique d’un enfant et manifesterl’éveil réflexif de sa pensée ? Quels sont lesindicateurs de la philosophicité de sadémarche ? Peut-on les traduire en compé-tences ? Ceci est un problème complexe. Lapédagogie par objectifs trouve ses limitesen philosophie, parce que la pensée n’estpas un comportement observable etmesurable. La prudence est donc de misedans la définition des capacités et descompétences spécifiquement philosophiques,car celles-ci dépendent de définitionsphilosophiques et didactiques du philosopherqui ne sont pas forcément l’objet d’unconsensus. Par exemple, si on pense qu’onpeut apprendre à philosopher par la pratique

de la communauté de recherche, ou par laDVP, il faudra alors travailler en classe lacompétence à discuter philosophiquement.D’autres définitions des compétencesattendues des élèves ou de leur formationsont possibles, l’essentiel étant de tenter deles définir, mais sans les figer.

Quelles compétences développer chez lesenseignants ? La compétence la plusgénérale est probablement de savoir faireapprendre aux élèves à philosopher, à penserpar eux-mêmes. Cela implique de favoriserl’émergence de leur questionnement et deles aider dans leur cheminement de recherche.Pour ce faire, s’agissant de questionsphilosophiques, le Maître doit exercer danssa classe une vigilance anti-dogmatique etanti-relativiste. En effet, laisser se développerle questionnement des élèves, c’est pourl’enseignant prévoir des lieux, des momentset des dispositifs dans la classe pour quecelui-ci puisse s’exprimer et se travailler.Ceci veut dire ne pas le refermer par lesréponses du Maître et l’accompagner parune attitude non dogmatique, car il existetoujours plusieurs réponses possibles à unequestion philosophique, et toute réponsepeut elle-même être réinterrogée. Par ailleurs,le Maître doit veiller au piège du relativisme- à chacun sa vérité - dès lors qu’il y atoujours place, face à une question, pourl’ignorance, le préjugé, la certitude nonfondée, l’erreur, voire le mensonge ou lamauvaise foi. La possibilité d’une véritépartageable par la communauté desesprits, parce que rationnellement établie,doit rester l’idée régulatrice de touterecherche. C’est cette exigence que leMaître doit maintenir dans le groupe-classe. Pour cet accompagnement desélèves à penser par eux-mêmes, quelquespistes concrètes peuvent être mentionnées.Il s’agit notamment d’autoriser les élèves às’exprimer sans peur du jugement, d’en-courager et de valoriser l’expression orale.Le Maître doit également savoir laisser unespace de parole aux élèves par son propresilence, il doit savoir entendre une questiondans sa dimension philosophique pour latravailler rationnellement et non l’entendreaffectivement, comme il doit éviter de donner

(33) « Acquérir une pensée critique,créative, autocorrectrice et res-ponsable » (Lipman) - « Passerprogressivement d’une attitudemonologique égocentrée à uneattitude dialogique critique,fondée dans l’intersubjectivité »(Daniel) - « Adopter, devant unequestion à portée anthropologique,une posture qui ose l’élaborationet l’expression d’une pensée »(Lévine) - « Capacité à articuler,dans une visée de vérité, sur desquestions relatives à la conditionhumaine, des processus de pro-blématisation d’affirmations oudes questions, de conceptualisationde notions, d’argumentationrationnelle de thèses et d’objec-tions » (Tozzi).

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son propre point de vue dans la discussion,ce qui risquerait alors de rompre la recherchepar sa réponse magistrale, et d’influencer lecontenu de la pensée des élèves.

Quels dispositifs de formation : objectifs,contenus, méthodes ? Philosopher demandeun apprentissage progressif et apprendre àdes élèves à philosopher ne s’improvise pas,parce que devenir professeur d’une disciplineimplique une formation à la fois pédagogique,académique et didactique. La formationdispensée peut être initiale, avant d’enseigner,ou continue, lorsque l’enseignant est déjàen exercice. La formation à la PPE est trèspeu répandue en formation initiale, saufdans de rares cas où elle est institutionnaliséeet où un programme officiel entraîne uneformation professionnelle. La formationproposée doit donc dépendre du degréd’institutionnalisation de la philosophie àl’école primaire dans un pays.

Quant aux contenus de cette formation :1) Une formation philosophique classiquede type académique, dispensant des savoirssur la philosophie, est toujours utile pourapprofondir la capacité de l’enseignant àphilosopher en s’appuyant sur de grandsphilosophes. Il s’agit d’un investissementconséquent pour l’enseignant. 2) Une solutionintermédiaire consiste à déterminer lesquestions qui intéressent le plus les enfants,en premier lieu leurs questions existentielles(grandir, la liberté, l’amour, la mort, etc.), età éclairer les enseignants sur quelquesgrandes contributions de philosophes pourpenser ces notions et répondre aux problèmesqu’elles posent. Par exemple les attributs del’amitié selon Aristote dans l’Éthique deNicomaque(34), l’origine et la nature del’amour selon Platon dans Le Banquet, etc.3) Une autre façon d’aborder la questionest de donner aux enseignants un ensemblede repères qui vont les aider à identifier desproblèmes qui émergent dans la parole desenfants et qu’ils ne faut pas laisser passer,dès lors qu’ils offrent une opportunité àsaisir pour réfléchir. Ainsi, lorsqu’un enfantdit que ce n’est pas parce que les hommesne sont pas semblables qu’ils ne sont paségaux, il fait une distinction conceptuellefondamentale entre le fait et le droit. Il y aégalement un certain nombre de distinctionsqui sont de véritables catégories pour bienposer les questions et distinguer des

registres, tels que : la distinction entre lepossible et le souhaitable, le légal et lelégitime, la contrainte et l’obligation, leconcret et l’abstrait, le particulier etl’universel, le relatif et l’absolu, la cause etla fin, le principe et la conséquence, le réelet le virtuel, etc. Par ailleurs, le principe del’isomorphisme des situations proposées enclasse aux élèves et vécues en formationpar les enseignants semble essentiel. Il estimportant que les enseignants vivent eux-mêmes en formation ces situations, pourles éprouver de l’intérieur, se confronteraux difficultés qu’elles suscitent dans leurdynamique d’apprentissage et expérimentersur eux-mêmes les acquisitions qu’ellespermettent.

Quant aux supports possibles des pratiques àvisée philosophique, il est bon de connaîtreleur existence et de savoir les utiliser, parexemple de les expérimenter à l’occasiond’un stage, et de confronter entre stagiairesles utilisations possibles et celles quiapparaissent comme les plus formatives.De façon plus générale, toute confrontation,toute analyse des pratiques de terrain, etpas seulement des situations vécues enformation, est souhaitable pour prendreconscience des difficultés rencontrées enclasse, mais aussi pour comprendre pour-quoi ce qui marche fonctionne bien. À cetégard, la formation en alternance estpréconisée, puisqu’elle mêle, de façoninteractive et non juxtapositive, la présenceen formation et l’expérience de terrain pouranalyser le passé et préparer de nouvellesséances à réaliser.

Par une politique de formation deformateurs

Cette formation des enseignants sera d’autantplus adaptée qu’elle pourra s’appuyer elle-même sur une formation des formateursd’enseignants. Si des enseignants ou desassociations ont déjà introduit dans un paysdes pratiques philosophiques innovantes,on pourra opportunément s’inspirer enformation de formateurs de leur expérience,leur demander de témoigner sur leurpratique, les difficultés rencontrées, lespoints d’appui trouvés. Mais un praticienn’est pas de lui-même formateur. Cedeuxième niveau de formation n’est pasévident quand il n’y a pas, dans le pays

(34) Aristote, Éthique de Nicomaque.Paris, Flammarion (Poche), 2004.

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concerné, de ressources en formateurs.Envoyer des formateurs dans d’autres paysoù ces ressources existent, ou les faire venirdans le pays demandeur de ces nouvellespratiques peut s’avérer une phase nécessaire.

Il existe cependant un certain danger d’ap-plicationnisme, de transport ou de transfertde ces méthodes sans esprit critique ou sou-plesse d’adaptation aux réalités locales. Carvouloir développer des processus de réflexi-vité chez les enfants implique des ensei-gnants qui sont eux-mêmes en question-nement sur leur métier en général. Les for-mateurs d’enseignants doivent ainsi donnerl’exemple de cette réflexivité, au lieu d’ap-pliquer simplement des méthodes appri-ses, et proposer des scénarios de forma-tion cohérents avec les objectifs de réflexi-vité poursuivis. La formation par alternanceici aussi est cohérente.

Par une analyse des pratiquesà visée philosophique placéeau centre de la formation

Pourquoi accompagner par l’analyse ?L’analyse d’une situation éducative est icientendue comme une tentative de rendreintelligible la situation dans laquelle s’estdéroulée l’action d’enseignement etd’apprentissage et qui se produit dansl’après-coup d’une activité en classe oudans l’école. Cette analyse vise à élucider lacompréhension de l’activité du Maître, deses gestes professionnels d’enseignementet de celle des élèves et de leur processusd’apprentissage. Accompagner par l’analyseest nécessaire parce que cela permet auprofessionnel de l’éducation de mieuxcomprendre ce qu’il fait, d’être plus au clairsur ses actes, et donc de mieux s’accompa-gner lui-même dans son action et d’êtreplus performant. Elle lui permet aussi demieux comprendre les réactions de sesélèves ainsi que leurs difficultés psychologi-ques et d’apprentissage. Enfin, l’analysepermet de mieux appréhender un certainnombre de variables de la situation dontl’enseignant n’est peut-être pas suffisammentconscient, tel que l’aménagement del’espace et du temps, la difficulté des élèves àcomprendre une consigne, le tempsnécessaire aux élèves pour accomplir latâche demandée, ou de se mettre en travailde groupe, etc.

Quel type d’analyse ? Il existe deux modè-les d’analyse dans les sciences humaines :d’une part, le modèle compréhensif, ou cli-nique, qui vise à comprendre un enseignantde l’intérieur, comme un sujet, analysantses intentions pédagogiques ainsi que lafaçon dont il a vécu psychologiquement,pédagogiquement et didactiquement saséance. L’analyste doit cependant garderun certain recul dans cette identification,sinon il ne pourra pas renvoyer à l’enseignantdes observations suffisamment objectivessur sa pratique. D’autre part, le modèleexplicatif, qui prend l’enseignant commeun objet d’observation extérieur, en utilisantdes méthodes qui se veulent rigoureuses,plus comportementales et quantifiables, etqui visent à décrire et à expliquer demanière assez objective ce qui s’est passé etpourquoi.

Par ailleurs, pour analyser une situationéducative, il faut analyser l’ensemble desacteurs qui la constituent (élèves, Maître),mais aussi l’ensemble des dimensions quilui donnent sens, notamment le rapport ausavoir du Maître et des élèves, les rapportsinterpersonnels dans la classe, la dynamiquedu groupe-classe, la gestion de l’autoritédans la classe, ainsi que la façon dont celle-cis’inscrit dans son école, dans sa ville et dansson environnement politique et culturel.Former des formateurs à aider des ensei-gnants à analyser leurs situations éducatives etleur pratique professionnelle est ainsivivement recommandé, en particulier laformation par auto-confrontation, quidonne accès non à la pratique telle queprescrite par l’institution, mais à la pratiqueréelle sur le terrain.

Par la production et l’utilisationdu matériel didactique adéquat

Qu’il s’agisse d’une innovation à introduireou à conforter, d’une expérimentation àlancer ou en cours, ou encore d’une institu-tionnalisation de ce type de pratique,l’apprentissage du philosopher à l’écoleprimaire peut être grandement facilité pardu matériel didactique déjà existant ou àcréer. Celui-ci peut être à destination desenfants eux-mêmes, des maîtres, ou desdeux (un manuel d’élève avec le livre duMaître). Ceux des maîtres peuvent êtresimplement informatifs ou en vue d’une

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sensibilisation à l’intérêt de ces pratiques,ou bien encore être directement opérationnelspour la classe. Plusieurs pistes peuvent êtresuggérées :1) La première solution, adoptée par certainspays, consiste à traduire dans une languedu pays les romans de Lipman(35), ainsi queles livres qu’il a rédigés pour guider les maî-tres, avec une multiplicité de propositionscomplémentaires aux discussions entre etavec les élèves. L’avantage est de disposerimmédiatement d’une méthode complète,rôdée et stabilisée, avec à la fois, pour lesenfants, un support concret (des romansécrits pour eux), qui contient implicitementou explicitement de nombreuses questionsclassiques de la philosophie occidentale.Pour les enseignants, des conseils pratiquespour mener une communauté de rechercheet des exercices très diversifiés qu’ilspeuvent choisir pour les élèves dans deslivrets consistants.2) Comme l’ont fait certains pays, adapterle contenu des romans de Lipman à laculture locale, transformer certains épisodesde façon à ce qu’ils soient plus significatifspour la culture, les traditions, le contextedu pays concerné.3) Il est possible aussi, comme dans certainspays, d’écrire de nouveaux romans « à lafaçon de Lipman », conçus avec les mêmesobjectifs pour la même démarche maisenracinés dans la culture spécifique du paysconcerné.4) Ces nouveaux matériels ad hoc peuventêtre, comme chez Lipman, des récits écrits,mais ils peuvent aussi prendre la formed’albums avec des images, de bandesdessinées, voire de films. L’utilisation denouvelles technologies (audio-visuellesnotamment), peu présentes au départ dansla méthode de Lipman, peut être très utilepour les enfants qui vivent dans un universmultimédia.

5) Une autre orientation possible, notam-ment pour ceux qui regrettent que lesromans de Lipman soient trop peu« littéraires » et trop « didactiques » pourles enfants, consiste à prendre commepoint d’appui à la réflexion philosophiquedes ouvrages de littérature, et spécifiquementde la littérature de jeunesse. À conditionque ce soit une littérature consistante, c’est-à-dire ayant une profondeur existentielle.Celle dont le sens n’est pas immédiatementtransparent, mais demande interprétation.Celle dont le récit, descriptif et narratif, estporteur, au-delà d’un contenu manifeste.Le travail réflexif consiste alors à faireémerger, au-delà de la compréhension dela littéralité de l’histoire, les sens possiblesdu texte, les questions qu’il pose auxenfants, et que les élèves se posent à partirde lui, et ce en vue d’en discuter. 6) Le même travail réflexif peut être fait àpartir du patrimoine local et/ou universeldes contes, légendes, fables, qui consti-tuent un réservoir inépuisable de réflexionet de sagesse. Et peut-être surtout desmythes, qui, en abordant la question desorigines, nous renvoient à l’universalitéde la condition humaine et à ses mystères.Plus spécifiquement, l’utilisation possibledes mythes platoniciens, mis à la portée desenfants, pour les amener à réfléchir sur lavérité et le mensonge (allégorie de laCaverne), le rapport du pouvoir et du bien(l’anneau de Gygès), l’amour (le mythe del’androgyne), etc. L’intérêt de tous ces sup-ports littéraires ou mythiques est d’ancrerl’éveil de la pensée réflexive des enfantsdans leur sensibilité et leur imagination :ils peuvent se projeter dans les héros,vivre leurs aventures, ce qui incarne dans leursubjectivité individuelle les questions defond. Ces référents communs au groupe-classe, faisant fond sur de grands archétypeshumains partagés, ouvrent positivementsur un travail de l’intersubjectivité lors desdiscussions.

(35) Matthew Lipman

Elfie, 3 volumes. Montclair StateCollege, New Jersey, Institute forthe Advancement of Philosophyfor Children, 1988 ; traductionfrançaise par Arsène Richard : Elfie.Moncton, Centre de ressourcespédagogiques, 1992.

Kio and Gus. Montclair StateCollege, New Jersey, The FirstMountain Foundation, Institut forthe Advancement of Philosophyfor Children, 2e édition, 1986 ;traduction française par ArsèneRichard : Kio et Augustine.Moncton, Les éditions d'Acadie,1988.

Pixie. Montclair State College, NewJersey, The First MountainFoundation, 1e édition, 1981;traduction française par ArsèneRichard : Pixie. Moncton,Les éditions d'Acadie, 1984.

Mark. IAPC Montclair, New Jersey,1980.

Harry Stottlemeier's Discovery.Montclair State College, NewJersey, The First MountainFoundation, 1974 (1e édition) et1980 (2e édition); traductionfrançaise par Pierre Belaval : Ladécouverte d'Harry Stottlemeier.Paris, Librairie philosophiqueJ. Vrin, 1978.

Suki. IAPC Montclair, New Jersey,1978.

Lisa, IAPC Montclair, New Jersey,1976.

5) Comment accompagner les pratiques à visée philosophiquepar la recherche ?

Si la formation apparaît nécessaire pouraccompagner les enseignants qui se lancentvolontairement dans ces nouvelles pratiquesphilosophiques, ou doivent institutionnelle-

ment les mettre en œuvre, la recherche surces pratiques à l’école primaire est hautementsouhaitable.

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Impulser l’innovation

La recherche peut impulser l’innovation etaccompagner son développement là où laPPE n’existe pas. C’est ce qui s’est produitdans de nombreux pays, où des universitairesphilosophes sont à l’origine de l’implantationde ces pratiques dans leurs pays respectifs.La PPE étant une nouveauté dans l’histoirede l’enseignement de la philosophie dans lemonde, elle apparaît comme un terraind’étude privilégié pour les chercheurs. Elleélargit en effet le public scolaire et universitairetraditionnel de la philosophie à des élèvesplus jeunes, et ce faisant oblige à penserdes démarches, des méthodes, des dispositifs,des outils et des supports inédits, posantdes questions philosophiques et didactiquesessentielles. Ce terreau de rechercherécent, existant dans peu de pays, doit êtredavantage travaillé, car les pistes sontmultiples. C’est aussi l’occasion pour deschercheurs de travailler en relation étroiteavec des enseignants, sur des pratiqueséducatives précises, par exemple sousforme de recherche-action. Cette recherchepeut notamment tenter d’évaluer l’impactde nouvelles pratiques sur les élèves et lesenseignants, en matière de compétencesdéveloppées ou requises, ainsi que laformation qui est dispensée aux maîtres.

Évaluer l’expérimentation

La recherche s’impose de même lorsqu’onveut mener une évaluation de cetteexpérimentation. Il faut suivre une expéri-mentation et l’étudier le plus rigoureusementpossible - d’où l’appel à des chercheurs -pour déterminer si elle vaut vraiment lapeine d’être étendue, voire généralisée, etconstituer, dans le meilleur des cas, uneréforme éducative, avec l’investissementfinancier et humain nécessaire.

Évaluer l’efficacité des pratiques

Dans le cas d’une institutionnalisation deces pratiques, la recherche peut aussiintervenir pour évaluer leur efficacité parrapport aux finalités et aux objectifspoursuivis, ainsi qu’au regard des consé-quences de nouvelles réformes sur lesélèves, les enseignants, le système éducatifdu pays et parfois sur l’ensemble de lasociété. Cette recherche peut porter sur lesinterrogations suivantes : l’introduction dela PPE à l’école primaire amène-t-elleeffectivement les enfants à réfléchir plusprofondément à l’école ? Développe-t-ellel’estime de soi des enfants, et en particulierde ceux qui sont en échec scolaire ?Philosopher a-t-il de fait une vertu thérapeuti-que, comme on le pensait dans l’Antiquité ?Contribue-t-elle plus généralement, etpositivement, à la construction de la per-sonnalité des enfants ? Est-ce que la PPEcontribue efficacement à l’éducation à lacitoyenneté et à la démocratie ? Tend-elle àprévenir ou à faire baisser la violence àl’école, notamment dans les lieux sensibles ?Favorise-t-elle l’apprentissage et la maîtrisede la langue, de l’oral, de la discussion ?

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

III. La philosophie avec les enfants :un développement à prendre en compte

1) Des réformes remarquées et des pratiques ayant fait leur preuve :un mouvement fort en faveur de la philosophie avec les enfants

Des réformes remarquées

Il existe quelques cas dans le monde, raresmais édifiants, où la philosophie pourenfants est institutionnalisée, ou en coursd’institutionnalisation, et ce à un tripleniveau : 1) Inexistence de réforme institu-tionnelle concernant la philosophie àl’école primaire, mais encouragementd’une telle pratique innovante par desreprésentants de l’institution éducative,l’exemple de la France. 2) Prise en compteinstitutionnelle de l’intérêt d’une telle prati-que par une expérimentation officielle,l’exemple de la Norvège. 3) Institutionnalisationde la philosophie à l’école primaire, l’exemplede l’Australie.

1) Encourager officiellementune innovation : le cas français

La philosophie n’existe en France, officielle-ment et significativement - jusqu’à 8 heurespar semaine en section littéraire - que ladernière année de l’enseignementsecondaire. Mais des pratiques à viséephilosophique se sont développées depuisune dizaine d’années à l’école primaire(6-10 ans). Il n’y a pas de rejet de principede ces pratiques par les responsables del’enseignement primaire, parce que celles-ci favorisent les missions fondamentales quilui sont assignées. Il s’agit de l’apprentissagede la langue maternelle et de la maîtrise del’oral ; l’apprentissage de la citoyenneté ;l’apprentissage de l’argumentation ;l’apprentissage de l’esprit critique.

C’est la raison pour laquelle nombred’Instituts universitaires de formation desmaîtres et d’inspecteurs du premier degréfacilitent le développement de ces pratiques,en organisant des formations initiales etcontinues, voire des recherches sur laquestion, alors que paradoxalement laphilosophie n’est pas au programme desniveaux préscolaire et primaire. Il existe par

ailleurs des appuis institutionnels dans lesprogrammes pour développer cette innova-tion. Le fait par exemple que les program-mes de français de 2002 comprennentl’obligation de mettre en place en classedes débats d’interprétation à partir d’ouvra-ges de littérature de jeunesse, donne l’oppor-tunité de prolonger ces débats de façonplus décontextualisée par des Discussions àVisée Philosophique (DVP) sur les problèmesde fond que les textes posent aux élèves.De même, l’obligation d’organiser enclasse une demi-heure de débat réglé dansle cadre du vivre ensemble (éducation à lacitoyenneté), donne l’occasion d’organiserdes DVP en philosophie morale et politique.

L’innovation ne dérangeant pas le système,mais favorisant plutôt ses grandes orien-tations, elle est donc encouragée, sans allerpour autant vers une institutionnalisation, quiprendrait trop de front la vieille tradition del’enseignement philosophique français.(36)

2) Développer officiellementune expérimentation : le cas norvégien(37)

Le gouvernement a pris l’initiative de faire,depuis 2005, une expérimentation dephilosophie avec les enfants. Elle concerne15 écoles, 43 professeurs du niveau primaire,à partir de 6 ans, et du niveau secondaire,jusqu’à 16 ans. Plusieurs objectifs sontpoursuivis : le développement de compé-tences éthiques ; l’aptitude à la penséecritique ; la capacité à dialoguer collecti-vement dans une perspective démocratique.Un matériel didactique est progressivementmis au point avec les enseignants, quidisposent de deux jours de formation partrimestre, avec visite des écoles, observa-tion externe et observation mutuelle. Tousles mois, les enseignants font un rapport, àpartir d’un tableau de bord à questions spé-cifiques. L’opération a un coût, car il s’agitd’une nouvelle matière posant des problè-mes d’emploi du temps. Il existe aussi

(36) À titre d’exemples parlants,quelques thèses sur la philosophieà l’école primaire, soutenues àl’Université de Montpellier 3 : « LaDiscussion à Visée Philosophiqueaux cycles 2 et 3 de l’école pri-maire : un nouveau genre scolaireen voie d’institution », GérardAuguet. L’objet de cette thèse estde montrer comment une pratiquenouvelle non instituée, la DVP tendà se constituer comme un genrescolaire nouveau. « La dimensionphilosophique à l’école élémen-taire et l’interculturel », YvettePilon. Une étude attentive desenjeux respectifs de l'éducationinterculturelle et de l'apprentissagedu philosopher va permettre dedistinguer les similitudes et decomprendre l'importance d'unerelation étroite entre ces deuxperspectives pédagogiques, cha-cune mettant ainsi au service del'autre sa propre potentialité.« La Discussion à ViséePhilosophique à l’école primaire :quelle formation ? », SylvieEspécier. Quels objectifs viser etquels contenus proposer pour uneformation à destination des ensei-gnants du premier degré désireuxde mettre en place dans leur classedes DVP : voilà la question fonda-mentale et de plus en plus pres-sante à laquelle cette recherchetente d’apporter quelques élé-ments de réponse. « Vers uneanthropologie de la complexité : laphilosophie à l’école primaire »,Nicolas Go. L’objectif de cetterecherche est de tenter de com-prendre comment pensent lesenfants, quels sont les gestes d’en-seignement favorables à l’émer-gence de la pensée philosophique,quelles sont les sources anthropo-logiques de la philosophie savante.

(37) Résumé de l’intervention duprofesseur Beate Boressen, Collègeuniversitaire, Oslo (Norvège).6ème colloque sur les Nouvelles pra-tiques philosophiques, Journéemondiale de la philosophie.Paris, UNESCO, novembre 2006.

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Ce fut une tâche difficile de faire accepteraux décideurs de l'éducation en Australiel'idée de la philosophie à l’école. Les béné-fices apportés par l’enseignement de cettediscipline sont divers mais plus difficiles àquantifier que ceux d’autres innovationspédagogiques et, bien que les enseignantscomptent parmi les plus ardents défenseursde cet enseignement, leur voix n'est pasentendue. Si certains des avantages de laphilosophie peuvent se mesurer en termesd’une amélioration des capacités de lectureet de calcul, les avantages les plusimportants se situent probablement dansdes domaines qui se prêtent plutôt à uneétude qualitative.

L'argument en faveur de l'inscription de laphilosophie dans les programmes scolaires apris naissance en dehors du tronc communde la recherche pédagogique. LaurenceSplitter a été le premier à entreprendreune action en faveur de la PPE en Australieen 1984. Après son travail avec Lipman, ila dirigé un atelier sur la formation profession-nelle des enseignants à Wollongong enNouvelle Galles du Sud en 1985, puis unautre à Lorne, Victoria en 1989. Ce sontles participants à l’atelier de Lorne qui, parla création d’associations et la rédactiond’ouvrages scolaires, ont eu l'impact leplus net sur l’introduction de la PPE enAustralie. La philosophie semblait difficile àconcilier avec l’empirisme de la plupartdes recherches entreprises au AustralianCouncil for Education Research (ACER) etelle se heurta à une certaine résistance.Cependant, l’ACER mit les livres de la PPEà son catalogue et en devint la principalesource.

D'autres voix se firent également entendre.Philip Cam, de l'école de philosophie del'Université de Nouvelle Galles du Sud(UNSW), une personnalité éminente auniveau national en matière de PPE, publiade courts textes faciles à utiliser en classe.Tim Sprod, d'une école indépendante deTasmanie, publia un livre permettant auxprofesseurs d'exploiter les textes setrouvant en bibliothèque. DeHaan,MacColl et McCutcheon de l’UNSW écrivi-rent également des livres qui utilisaient les

ouvrages disponibles en bibliothèque etcombinaient recherche philosophique engroupe et activités scolaires innovantes etrécréatives. Des organismes d’État ontégalement été créés, dont certains sesont regroupés dans la Federation ofAustralasian Philosophy for ChildrenAssociations, qui est devenue par la suitela Federation of Australasian Philosophy inSchools Associations. À l’exception duQueensland, où l'école primaire Buranda aapporté une forte contribution et a travailléen collaboration avec le Ministère del'éducation, ces organismes d’État restentle principal moyen pour assurer la for-mation des enseignants en philosophie,notamment de pratiquement tous lesenseignants du primaire.

L’enseignement de la philosophie ne s’estguère répandu au delà du primaire etencore dans ce secteur son adoption nes’est pas généralisée. Son adoption s’estparfois faite au niveau du district scolaire,mais la plupart du temps elle relève del’initiative individuelle des écoles ou, plussouvent encore, des enseignants. S’ilexiste des programmes très performantsd’enseignement de la philosophie destinésaux enfants les plus doués, les communautésde recherche philosophique pourraient,elles, profiter à tous les enfants. Bien quel’enseignement de la philosophie à l’écoleprimaire se répande lentement, une actionvolontariste du Ministère de l'éducationsera nécessaire pour faire la différence.

L’on peut citer un exemple positif auQueensland, où l'école publique Buranda,située dans les quartiers défavorisés deBrisbane, a obtenu des résultats siremarquables depuis qu’elle a inscrit l'en-seignement de la philosophie dans sesprogrammes il y a huit ans, qu'elle a reçule titre de Queensland Showcase School ofthe Year en 2003 et qu’elle a été récom-pensée pour Outstanding NationalImprovement by a School en 2005. Lesrésultats ont été spectaculaires. Depuishuit ans, les étudiants de l’école Burandaobtiennent des résultats exceptionnelstant sur le plan scolaire que social. Ils ontla réputation de savoir résoudre les problè-

mes, et la violence ou les brimades àl'école sont rares voire inexistantes. Lesuccès du programme a suscité un grandintérêt et l'école Buranda a reçu denombreuses demandes de visite de lapart d’éducateurs australiens et étrangers.Son personnel a été sollicité pour parler àdes conférences et pour former d'autresenseignants. L’école Buranda et EducationQueensland proposent également uncours de formation en ligne. Dans l’État deVictoria, un nombre croissant d'établis-sements, du niveau primaire à l’Université,ont introduit des cours de philosophie. LaVictorian Association for Philosophy inSchools a reçu une subvention pour lerecrutement d’un coordonnateur et tientrégulièrement des ateliers pour lesenseignants. L'association a un site Webactif et encourage les écoles à partagerleurs offres en matière de philosophie,mais là aussi, l’élan principal en faveur dela philosophie se situe en dehors desgrandes structures du système d'éducation.À Sydney, un nombre croissant d'écolesintègre la méthodologie de la communautéde recherche philosophique à leur pro-gramme d'études et au moins deux deszones d'éducation de la ville étudient lamise en place d’un enseignement de la phi-losophie. Lorsque la Tasmanie a établi sonnouveau cadre d’apprentissages essentiels,elle a accordé à la réflexion philosophiqueune place centrale. L’absence apparented’une pédagogie cohérente et concertée aentraîné une augmentation significative dela demande de formation en philosophieproposée par l'association de l’État deTasmanie pour la philosophie à l’école.Dans chaque État il y a des endroits où laphilosophie est enseignée à l'école primaireet tous travaillent maintenant activement àla mise en place d’un enseignement de laphilosophie dans les dernières années delycée, mais il n'y a aucune approcheconcertée en ce qui concerne les cyclesintermédiaires.

Stephan Millett Directeur, Center for Applied Ethicsand Philosophy, Université Curtin, Perth(Australie)(38)

Encadré 1Un exemple emblématique et instructif : l’appropriation australienne de la PPE

(38) Extraits d’un article de synthèse de Stephan Millett, communication présentée à l’occasion de la conférence sur Philosophy in Schools: Developinga Community of Inquiry. Singapour, 17-18 avril 2006.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

des résistances : la réflexion n’est pas considé-rée comme fondamentale par rapport àl’expression spontanée ; la philosophieapparaît comme trop difficile avec les élèves,etc. C’est donc un chantier très innovantqui est lancé.

3) L’institutionnalisationde la philosophie à l’école primaire :la référence australienne

Des pays dans le monde sont allés plus loinque l’encouragement à l’innovation ou uneexpérimentation officielle, et ont intégré laphilosophie dans le parcours scolaire del’école primaire. C’est le cas de l’Australie.

Des pratiques ayant faitleurs preuves

Matthew Lipman et sa méthode. Cetteméthode est reconnue comme étant cellequi a influencé le plus le développement de laPPE dans le monde. Contre la tradition carté-sienne de l’enfance comme lieu et momentdu préjugé et de l’erreur, Lipman faitl’hypothèse que les enfants sont capa-bles de penser par eux-mêmes, dès lorsqu’est mise en œuvre une méthode adap-tée. Il a ainsi ouvert une voie nouvelle,certes pressentie par Epicure, Montaigneou Jaspers, mais peu mise en œuvre jusquelà, et qui va dès lors être explorée dans lemonde entier. Il a progressivement élaboréune véritable méthode, reposant pédagogi-quement sur les méthodes actives (Dewey),psychologiquement sur le développementde l’enfant (Piaget), philosophiquement surles problématiques classiques du patrimoineréflexif occidental (la logique aristotélicienne,le cogito cartésien, etc.). La méthode qu’ilcompose comprend un matériel didactiqueconséquent, testé sur le terrain et sanscesse remanié, utile pour tous les enseignants- c’est le cas aux États-Unis d’Amérique -qui n’ont pas reçu de formation philosophi-que. Sept romans(39), tenant compte à la foisdes grandes questions philosophiques et del’âge des enfants et couvrant le cursus sco-laire global de la maternelle à la fin de l’en-seignement secondaire. Chacun de cesromans est accompagné d’un livre étoffédu Maître, qui consolide les acquis des dis-cussions et étaye la démarche des élèveset de l’enseignant, avec des exercicesdiversifiés qui sont autant de suggestions,

et non d’obligations, laissant toute libertéd’initiative au professeur. On relève danscette méthode au moins trois pointsd’appui solides. En premier lieu, dévelop-per à l’école une culture de la question,en s’appuyant sur les questions desenfants eux-mêmes. En deuxième lieu, pro-poser des supports écrits à la fois narratifs,pour faciliter l’identification des enfantsaux personnages et situations, et à conte-nus fortement anthropologiques. Enfin, ins-taurer dans la classe un lieu organisé deparole et d’échange sur les problèmeshumains, à la parole démocratiquementpartagée, mais avec une exigence critiqueoù le devoir d’argumentation est la contre-partie du droit d’expression.

S’agissant des critiques adressées à laméthode de Lipman, on trouve l’argumentque ses romans apparaissent comme desœuvres de seconde main, tout comme ladiscussion entre enfants consacre le règnede la doxa (opinion du peuple) et du « cafédu commerce », au lieu d’élever l’élève enl’arrachant à l’opinion. On trouveraitd’autres critiques : une approche péda-gogiquement très (trop) logique, avec desexercices parfois répétitifs ; une conceptionphilosophiquement utilitariste de la philoso-phie ; la subordination de la pensée critiqueà une finalité démocratique, instrumentalisantainsi la philosophie, etc. Reste que cetteméthode apporte incontestablement unrenouveau de la conception de l’apprentissagedu philosopher et de la pratique philoso-phique : 1) le postulat de « l’éducabilitéphilosophique de l’enfance », selon lequelles enfants ne sont pas, en reprenant ceque Garfinkel dit des gens du peuple, des« idiots culturels » ; 2) la conviction de lapossibilité d’un apprentissage du philosopherà l’oral, et pas seulement en lisant les œuvresdes grands philosophes, par la confrontationsociocognitive des représentations ; 3) l’idéeque philosopher n’est pas une rupture avecl’opinion mais un travail de problématisationde ses opinions ; 4) l’idée de communauté derecherche, appuyée sur l’activité des apprentis-philosophes ; 5) l’opportunité historique, dansla tradition de la démocratie grecque et de laphilosophie des Lumières, d’articuler philoso-phie et démocratie, dans une didactique pro-mouvant un espace public scolaire de confron-tation rationnelle des esprits.

(39) Op. cit.

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CHAPITRE I

28

Nous pouvons citer un exemple depratique de la DVP en classe unique -enfants de 6 à 12 ans - coopérative,dans un quartier d’immigrés deMontpellier, celle de Sylvain Connac,professeur d’école primaire, docteur ensciences de l’éducation, qui résumeainsi son expérience : « La classecoopérative se veut un espace éducatifoù l’entraide est maître mot. En France,c’est notamment à Célestin Freinet qu’ilconvient de penser. Il développa unepédagogie de l’échange et du vrai,basée sur le tâtonnement expérimental,la libre expression, la communication etdiverses techniques éducatives. En tantque pédagogie militant pour une éducationpopulaire, il est courant de rencontrerdes classes coopératives auprèsd’enfants en souffrance ou issus decontextes sociaux difficiles ou sensibles ».C’est dans cet esprit que l’équipe

d’enseignants de l’école Antoine Balarda progressivement construit des pratiquesde DVP au sein de classes coopératives.Même si les thèmes de discussionsvarient, les dispositifs restent quasimentles mêmes : les questions qui fontl’objet des réflexions sont issues de lavie de la classe. Les enfants se mettenten cercle, le dispositif se met en placepar la distribution de diverses fonctions :le président anime les échanges en rap-pelant les règles de fonctionnement ; lesreformulateurs expliquent à leur façonce qu’ils ont compris de ce qui vient dese dire ; le synthétiseur résume l’avan-cée des échanges ; le scribe note autableau les idées importantes qu’il a iso-lées ; les discutants s’apprêtent à parti-ciper aux échanges en donnant leur avis ;les observateurs ont choisi de ne pasparticiper à la discussion, pour aider uncamarade à progresser dans ses inter-

ventions ; l’animateur (généralementl’enseignant) s’efforce de développer lerecours aux exigences intellectuelles duphilosopher. Dans un contexte coopéra-tif, les enfants les plus à l’aise devien-nent rapidement des ressources àpartir desquelles l’ensemble de laclasse va pouvoir évoluer vers davan-tage de maîtrise réflexive. Ceci est pos-sible à travers l’écoute de ce qui peut sedire lors des discussions, mais aussi dece qui est souligné lors des phases où lesobservateurs formulent quelques conseilspour les prochaines discussions.

Propos de Michel TozziDidacticien et professeur de philosophieUniversité Montpellier III(France)

Encadré 2Un exemple de Discussion à Visée Philosophique (DVP) en classe unique coopérative (France)

2) Des institutions et des supports

Deux Instituts phares

Deux Instituts méritent une attentionparticulière. Leur réseau est considérécomme le plus dense dans le monde, avecune unité d’ensemble et une démarcheconstructive en faveur de la promotion dela PPE. Inspirés au départ par la méthodelipmanienne, ces deux Centres ont néanmoinsenglobé par la suite d’autres méthodes.

Institute for the Advancementof Philosophy for Children (IAPC)(40).Depuis sa création, l'IAPC, Institut éducatifà but non lucratif fondé en 1974 par laMontclair State University a largementcontribué, avec les Centres qui lui sontrattachés, à faire inscrire la PPE dans lesprogrammes des écoles et d’autres institutionsà travers le monde. L'IAPC fait partie del’International Council of PhilosophicalInquiry with Children (ICPIC), réseau dephilosophes, d’enseignants et d’établisse-ments désireux de favoriser la réflexionphilosophique chez les enfants. De nombreuxCentres de la PPE dans le monde sont ratta-chés à l'Institut. Bien que collaborant sou-vent avec l'IAPC, ils sont autonomes, etbon nombre d'entre eux se sont regroupés

en associations régionales ou nationales. Lerattachement formel à l'IAPC, requiertqu'un ou plusieurs membres du personneldu Centre ait suivi le programme de phi-losophie pour enfants de la Montclair StateUniversity, ou l'un des séminaires d’été del'IAPC, ou encore un programme équivalentreconnu par l'Institut. Il requiert égalementl’accomplissement de l’une ou de plusieursdes tâches suivantes : traduction etpublication du programme d'études del'IAPC ; animation de réflexions philoso-phiques avec des enfants d’âge scolaire ;formation des enseignants préparant à larecherche philosophique avec les étudiants ;recherche empirique et théorique dans ledomaine de la PPE ; mise au point etexpérimentation d’un nouveau programmed'études en PPE ; ainsi qu’une communicationrégulière avec l'IAPC concernant cestâches. Il existe aujourd'hui de nombreusesapproches de la promotion des programmesde la PPE, dont beaucoup ne viennent pasdu travail de l'IAPC. Bien qu’il se montreparfois critique de programmes et depédagogies particuliers, l'Institut fait bonaccueil à cette diversité et encourage lacoopération entre collègues qui pratiquentdes approches différentes.

(40) http://cehs.montclair.edu/academic/iapc/

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(41) Propos recueillisauprès de Roger Sutcliffe, Présidentde l’ICPIC. www.icpic.org

(42) http://menon.eu.org

(43) http://sophia.eu.org/

(44) www.viterbo.edu/perspgs/faculty/RMorehouse/NAACIWebPage.htm

(45) www.fapsa.org.au

(46) Ekkehard Martens,Philosophieren mit kindem, eine ein-führung in die philosophie. Stuttgart,Éditions Ph. Reclam, jun. n° 9778,1999.

Le cours dispensé àl’Université Laval au Québec,sous la responsabilité du pro-fesseur Michel Sasseville, surla formation à l’observation de laphilosophie pour enfants est trèsintéressant pour plusieurs raisons.D’abord parce qu’il a recours à unenseignement à distance en utili-sant toutes les ressources offer-tes par les nouvelles technolo-gies. Ensuite, parce qu’il introduitet fait participer dans une forma-tion les enfants eux-mêmes,sous forme de documentairestélévisés. Ce cours instaureenfin un isomorphisme entre lescommunautés de recherched’enfants observées et la com-munauté de recherche des étu-diants eux-mêmes sur ce qu’ilsobservent.

Source :www.fp.ulaval.ca/philoenfant/

Encadré 3Un exemple de formationdes enseignantsà distance (Canada)

International Council of PhilosophicalInquiry with Children (ICPIC)(41) est unréseau de philosophes, d’enseignants etd’établissements dont la vocation est deformer les enfants à la réflexion philoso-phique. Il a été fondé au Danemark en1985, dans le but de promouvoir au niveauinternational le travail pionnier des professeursMatthew Lipman et Ann Margaret Sharpde l'IAPC. Le modèle de la « communautéde recherche » proposé par Lipman etSharp pour la formation des enfants enphilosophie, qui transforme le rapportrigide entre élève et enseignant en unrapport dynamique et dialogique entrechercheur et facilitateur, est également aucoeur du projet européen du ComeniusMENON Developing Dialogue throughPhilosophical Inquiry.(42) Il y figure un coursdestiné aux enseignants de toutes lesmatières et à tous les niveaux par des for-mateurs de la PPE de 11 pays européens, cequi représente la moitié des membres de lafondation SOPHIA (European Foundation forthe Advancement of Doing Philosophy withChildren)(43), réseau européen pour la promo-tion de la PPE. Il existe deux autresréseaux régionaux semblables disposantd’une organisation formelle : la NorthAtlantic Association for Communities ofInquiry (NAACI)(44), qui regroupe le Canada,les États-Unis d’Amérique et le Mexique, etla Federation of Australasian Philosophy inSchools Associations(45) (FAPSA), qui travailleen association informelle avec certains paysd’Asie qui ont adopté la PPE ou une de sesvariantes. Il existe en outre de nombreuses

associations nationales. Nombre de paysd’Amérique latine, par exemple, disposentde centres qui oeuvrent à la promotion dela PPE. En tout, plus de 60 pays entretien-nent des liens informels avec l’ICPIC. Cedernier est un modèle de dialogueconstructif pour les enfants de toutesnationalités et cultures. Lorsqu’il fut créé, leprogramme de Lipman était le seul pro-gramme systématique de philosophie pourles 6-16 ans. Il a donc constitué un modèlepour les autres pays, qui ont été nombreuxà le traduire. En outre, certains pays ontégalement élaboré leurs propres textesdestinés à l’école et la plupart d’entre euxont leurs propres programmes de formationdes enseignants. Il existe de ce fait unegrande diversité et un dialogue ininterrompuavec l’ICPIC sur les principes et les expériencesmarquantes de la PPE.

Les revues de philosophie pouret avec les enfants

Il existe un certain nombre de revuesdans le monde centrées sur les activitésphilosophiques avec les enfants, contenantde nombreux témoignages et comptes-rendusde recherche, à même de donner un aperçuutile de l’enseignement de la PPE à traversle monde, comme Childhood andPhilosophy, Aprendar a pensar, Critical andCreative Thinking, etc.

3) Des études de cas à travers les régions du monde

Europe et Amérique du Nord

Allemagne. Il existe deux pôles intéres-sants, l’un formé autour des travaux duprofesseur Ekkehard Martens (Universitéde Hambourg), et l’autre autour du pro-fesseur Karlfriedrich Herb (Université deRegensburg). Les idées qui prévalent danscette dynamique portent notamment sur lefait que la didactique de la philosophie estnécessairement philosophique, qu’elle doitjustifier l’ensemble des objectifs, desméthodes et des sujets de cet enseigne-ment, y compris les problèmes du chemi-nement de l’élève et du contrôle précis

des connaissances acquises. Il y est égale-ment question d’aider les enfants à maîtri-ser la crise d’orientation et d’identité quicaractérise notre époque. Philosopher c’estavant tout dialoguer, expliciter et justifiernotre savoir théorique et pratique en par-tant des problèmes contemporains quotidiensauxquels les élèves doivent faire face, et enles encourageant à penser par eux-mêmes. Le professeur Martens analyse qua-tre cheminements principaux fondés philoso-phiquement(46) : 1) le cheminement dialo-gue-action, dans la tradition platonicienne,qui poursuit trois objectifs : penser par soi-même, penser ensemble et développer sa

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personnalité ; 2) l'analyse de concepts, quise réfère au goût des enfants pour joueravec les noms et inventer un langagesecret, leur permettant notamment deformer des concepts ; 3) l'étonnement, quipropose d’aborder les grandes interrogationsphilosophiques telles que le bonheur, laliberté, le temps, le langage et l'identité ;4) la philosophie des Lumières pourenfants, qui reprend la maxime de Kantsapere aude (ose savoir). Le professeurHerb, titulaire de la chaire d’Éducation enphilosophie politique et histoire des idées àl’Université de Regensburg, a fondé en2003, avec le professeur RoswithaWiesheu, l’initiative Children philosophize,qui ambitionne d’implanter la philosophiedans l’environnement éducatif contemporaindes enfants, et œuvre conjointement avecdes écoles préscolaires et primaires pourélaborer des méthodes pratiques etorientées qui encouragent la participationdes enfants à la vie politique. À traverscette initiative, des programmes de forma-

tion à l’attention des professeurs et desprogrammes d'études ont été développés àl'Université de philosophie à Munich(51).

Il faut signaler l’initiative de recherche alle-mande et japonaise sur philosopher avecdes enfants (DJFPK)(52), dont l’objectif est defaciliter l'acquisition des compétences dansle domaine de la réflexion éthico-philoso-phique. Les objectifs essentiels de l'initiativesont le développement et la promotion del'instruction en éthique et en philosophie, ainsiqu'apporter un soutien au développementdes capacités de réflexion éthico-philoso-phique dans des domaines d'enseignementconnexes tels que les études religieuses,l'étude des langues, et l'histoire. Elle s'in-téresse en outre à des formes d'étude éthico-philosophique hors programme, telles quephilosopher dans les jardins d'enfants ou ausein de groupes spécifiquement créés àcette fin. La DJFPK étudie également lesbases théoriques de la philosophie dans lebut d'évaluer leur applicabilité et leur utilitépour l'enseignement en et hors programme.Elle s'intéresse particulièrement auxmoyens par lesquels la transmission descapacités de réflexion éthico-philosophiqueau sein d'une culture pourrait être intégréeaux aspirations internationales et trans-culturelles en faveur de la tolérance et durespect du caractère unique de l'autre.

Autriche. Au cours des vingt dernièresannées, l’enseignement de la PPE s’estdéveloppé comme suit(53): en 1981, elledevient un projet éducatif au niveau natio-nal ; en 1982, l’Association des profes-seurs de philosophie s’engage dans cedomaine et fait prendre conscience auxMinistres chargés de l’éducation des possi-bilités de son introduction à l’école ; en1983, les premiers cours sont donnés,destinés à la fois à des élèves et à la for-mation des enseignants (4 classes, 120enfants) ; en 1984, une autorisation estaccordée par le Ministre fédéral de l’Éduca-tion, de la science et de la culture, d’ouvrirdes écoles pilotes, (20 classes, 600 enfants) ;en 1985, le Centre autrichien de philoso-phie pour enfants est créé (ACPC) avecpour objectif de promouvoir la recherchephilosophique aux niveaux primaire etsecondaire, en organisant des conférencesinternationales, des séminaires de formationd’enseignants ainsi que des ateliers. L’ACPC

(47) http://cehs.montclair.edu/acade-mic/iapc/thinking.shtmlUn index consultable de citationsd'articles de Thinking, avec desrésumés depuis 1992 et des textesintégraux depuis 1996, est dispo-nible sur la base de donnéesEducation Full Text mise à disposi-tion par Wilson Web à l’adressewww.hwwilson.com/Databases/educat.htm.

(48) www.filoeduc.org/childphilo/

(49) www.crdp-montpellier/ressources/agora/

(50) www.pdcnet.org/questions.html

(51) Par le professeur Barbara Weber,Université de Regensburg(Allemagne), qui est égalementl’auteur d'une édition spécialesur la PPE en Allemagne,dans le journal Thinking.

CHAPITRE I

30

Thinking. Publié par l'IAPC depuis1979, ce journal est un forum quiconcerne tant les travaux des théori-ciens que des praticiens de la PPE. Ilpublie des débats et des réflexions phi-losophiques, des comptes-rendus dedébats en classe, des programmesd'études, de la recherche empirique etdes rapports de terrain. Le journalpublie également des articles sur l'her-méneutique de l'enfance, un domaine àla charnière de plusieurs disciplinescomprenant les études culturelles, l'his-toire sociale, la philosophie, l'art, la lit-térature et la psychanalyse. Il présenteégalement des critiques de livresconcernant la philosophie et l'enfance,que ce soient des ouvrages philosophi-ques, des oeuvres de fiction, à caractère(auto) biographique, historique, pédago-gique, théorique, empirique-expérimen-tal, phénoménologique, poétique ouautre(47).Autres journaux ayant trait à la PPE :Aprender a pensar. Publié enEspagne par la Revue internationale desCentres latino-américains de philoso-phie pour enfants.Childhood and Philosophy. Journalde l'ICPIC, il comprend des articles, des

transcriptions, des programmes d'études,des annonces, des revues et des gra-phiques. Il s’adresse non seulement auxthéoriciens et aux praticiens de la PPEmais également à tous ceux qu'inté-resse l'enseignement de la philosophieaux jeunes(48).Critical and Creative Thinking -Australasian Journal of Philosophyfor Children. Publié par la Federationof Australian Philosophy for ChildrenAssociations (FAPCA). Diotime L’Agora(49). Revue internatio-nale française de didactique de la philoso-phie, qui publie depuis 1999 quatrenuméros par an sur les pratiques philo-sophiques innovantes en France et dansle monde, en particulier sur la philoso-phie avec les enfants.Journal 100: European ChildrenThinking Together. Publie des textesd’enfants de dix pays européens encatalan, néerlandais, anglais, hongrois,italien, polonais et portugais.Questions: Philosophy for YoungPeople. Se consacre à la publication detravaux philosophiques de jeunes gens.Il est financé en partie par le NorthwestCenter for Philosophy for Children(États-Unis d’Amérique)(50).

Encadré 4Thinking, et autres journaux ayant trait à la philosophiepour enfants

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encourage également l’intérêt pour denouvelles approches et méthodes éducati-ves, et le développement de groupes derecherche philosophique pour enfants,adolescents et adultes. Déjà doté d’unebibliothèque, l’ACPC a entamé la construc-tion d’un Centre de documentation pour lesétudes en PPE et publie une revue trimes-trielle, lnfo-Kinderphilosophie. Il est parailleurs membre fondateur du réseauSOPHIA. Au cours des 20 dernières années,la PPE a été introduite auprès de plus dequatre mille enseignants et de dix milleenfants autrichiens.

Belgique. Il existe différents courants pourla PPE, décrits dans le Rapport du colloquesur la philosophie pour enfants auParlement de la Communauté française deBelgique (février 2004), dirigé par ClaudineLeleux(54) : 1) l’Asbl (association sans butlucratif) PhARE (Analyse, Recherche et Édu-cation en Philosophie pour enfants), fondéeen 1992 ; 2) les Asbl Philomène et Il ferabeau demain, qui organisent des forma-tions à destination des enseignants. Outrela référence à Lipman, Il fera beau demainse réfère aussi au modèle du professeurMichel Tozzi et préfère les appellations« apprendre à penser », « à réfléchir » ou« à abstraire » plutôt que celle de « philo-sophie pour enfants » considérant qu’il nes’agit pas de former à la philosophie en tantque discipline ; 3) la Charte de Philosophie-Enfances(55), dans le cadre des ateliers philo-sophiques à destination des enfants de 5-8ans dans cinq écoles de Watermael-Boitsfort - qui ont servi de point de départau film Les grandes questions(56), précise quela discussion trouve sa raison d’être en elle-même et ne doit pas nécessairement aboutirà un résultat. L’exemple le plus parlant enBelgique est celui de l’association PhARE.

Canada. L’approche la plus répandue estcelle développée par Matthew Lipman etpar ses collègues. Marie-France Daniel, pro-fesseur à l’Université de Montréal (Québec),décrit les activités philosophiques menéesdans trois provinces canadiennes : laColombie-Britannique, l’Ontario et leQuébec. En Colombie-Britannique, leprofesseur Susan T. Gardner a fondé leVancouver Institute of Philosophy forChildren, dont le mandat principal estd’adapter et de traduire du matériel

31

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(52) Deutsch-Japanische Forschungsinitiative zum Philosophieren mit Kindern (DJFPK). La DJFPKest un projet de recherche basé à l’École Supérieure de Pédagogie de Karlsruhe, et auDepartment of Learning Science, Graduate School of Education, Université de Hiroshima. Sesporte-paroles sont le professeur Eva Marsal (Karlsruhe) et le professeur Takara Dobashi(Hiroshima). www.ph-karlsruhe.de

(53) Informations recueillies auprès du professeur Daniela G. Camhy, directrice du Centre autrichiende philosophie pour enfants et jeunes (ACPC). www.kinderphilosophie.at

(54) Professeur Claudine Leleux, Maître-assistante en philosophie et épistémologie des discipli-nes, et expert au Parlement de la Communauté française de Belgique. In Claudine Leleux (dir.),La philosophie pour enfants : le modèle de Matthew Lipman en discussion. Bruxelles, de Boeck,2005.

(55) Signée le 21 septembre 2001.

(56) Film d’Isabelle Willems.

Les enfants philosophent

Point de départ

Résultat

Interrogation-Questionnement

Sources philosophiques,Questions des enfants,

Situations concrètes de la vie

Penser-ParlerMéthodes philosophiques,

Techniques de dialogue

Valoriser-AgirAttitude philosophique dans la vie quotidienne

à travers des actions socialeset une participation politique dans la société

>

- Orientationpour la signification

- Aptitudesau dialogue

- Trouver des valeurs- Bons jugements

>

Objectifs

Processusphilosophique

PhARE : d’un seul mot se trouventannoncées les activités projetées parl’association, à savoir Analyser,Rechercher, Éduquer dans le domainede la philosophie pour enfants. PhAREest aussi une métaphore et un symbole.Septième merveille du monde, Pharos,invisible elle-même dans la nuit, estsource de lumière. Cette dernière doitpouvoir permettre aux navires de trouverun chemin en ayant un éclairage deslieux. Nous entendons promouvoir avecforce et conviction le dispositif péda-gogique de la communauté de recherchecomme moyen privilégié de former despersonnes capables de jugement critique,raisonnable et responsable. L’institutiond’une telle communauté est à mêmed’instaurer un espace de laïcisation dela pensée et du discours susceptible dedémanteler diverses duperies de soigénérées par le discours qui secontente de faire l’éloge, de blâmer, etd’élire sans recherche réflexive.Susceptible de démanteler également lediscours magique ou religieux qui laisseentendre que la seule incantation suffit à

la réalisation des désirs, ainsi que lediscours de la propagande qui se plait àproduire des croyances fausses allantjusqu’à la négation de l’évidence. Il y abien des façons de philosopher avec lesenfants, telles que lire un conte philo-sophique, dialoguer avec eux à proposde leurs questions métaphysiques surl’origine de la vie, la mort, la peur, lajoie, etc., proposer une approche philo-sophique de notions telles que le temps,l’espace ou d’autres. La philosophiepour enfants nous a semblé offrir, parrapport aux précédentes démarches,une alternative originale méritant d’êtredéveloppée. Ce fut la raison d’un choixconscient auquel nous restons attachés :celui de la mise en place d’un espaced’exercice de la fonction rhétorique, lieud’apprentissage de la citoyennetédémocratique et de l’humanisationperfectible.

Extraits d’un entretienavec le professeur Marcel Voisin Président de l’association PhARE(Belgique)

Encadré 5L'association PhARE ou comment servir de guide

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philosophique pour le niveau collégial etuniversitaire. Susan Gardner met actuelle-ment sur pied la Canadian Alliance ofPhilosophy for Children Practitioners, unregroupement d’enseignants canadiens utili-sant l’approche lipmanienne. On peut aussimentionner les discussions en cours avec leréseau d’écoles privées et publiques de larégion, dans une perspective d’implantationde la PPE dans les écoles primaires etsecondaires de Vancouver. En Ontario, leprogramme d’éducation officiel (présco-laire, primaire et secondaire) met en valeurle développement de la pensée critique àl’école à partir du préscolaire (i.e. pour lesenfants âgés de 5 ans). En outre, le pro-gramme de formation de cette provincecomporte un volet axé sur la prévention dela violence. Depuis 2004, de plus en plusd’écoles francophones, privées ou publiques,notamment de Toronto, introduisent, sousl’impulsion du professeur Daniel, l’appro-che de la PPE dans les classes. Le matérielutilisé est un ouvrage intitulé Les contesd’Audrey-Anne(57), utilisé conjointement avecle guide de l’enseignant Dialoguer sur lecorps et la violence : un pas vers la préven-tion(58). Au Québec, l’approche de la PPE aété connue grâce aux travaux de recherched’Anita Caron, professeur émérite àl’Université du Québec à Montréal, qui,dès 1982, a étudié le curriculum deLipman. Les écoles publiques québécoises,héritières d’une longue tradition où le

système scolaire était divisé en deux sous-systèmes, l’un catholique, l’autre protes-tant, ont longtemps rendu obligatoire l’ensei-gnement religieux, proposant aux élèvesqui voulaient s’en exempter un cours demorale naturelle. L’enseignement moralnon confessionnel s’est ainsi développédans le contexte d’un long débat sur laplace de la religion à l’école. Dans les éco-les québécoises, la pratique philosophiques’inscrit dans plusieurs champs, à savoir laformation morale et éthique, l’apprentissagede la langue française, l’apprentissage desmathématiques et l’éducation à lacitoyenneté. Quant au travail sur, et avec,l’approche de la PPE, il se divise en deuxvolets : la recherche théorique et empirique,d’une part, et la formation pratique desenseignants, d’autre part. Le premier voletse situe surtout à l’Université de Montréal,tandis que le second se trouve presqueessentiellement à l’Université Laval. Il existeégalement d’autres Centres, qui ne sontpas formellement affiliés à l’IAPC : Projet dephilosophie dans les écoles de l’Associationcanadienne de philosophie(59), InstitutPhilos,La Traversée : Prévention de la violence etphilosophie pour enfants.

Espagne. Fondé en 1987 comme sectionde la Société espagnole des professeursde philosophie (SEPFI), le Centre de philo-sophie pour enfants a mis en œuvre plusieursactivités : publications, en espagnol, dessept romans pour enfants de MatthewLipman avec leurs manuels correspondants(60)

formation des enseignants à travers unesession annuelle de six jours et une formationnationale ; diffusion de publications commeAprender a Pensar et le bulletin électroni-que.(61) Parmi les initiatives emblématiquesconduites en Espagne, nous voudrionsévoquer le Projet Philosophie 3/18.(62)

États-Unis d’Amérique.(63) Plusieurs expé-riences sont mises en place au niveauprimaire. On retient notamment les activitésmenées par Beth A. Dixon, professeurassocié au Département de philosophie del’Université SUNY Plattsburgh (New York),qui dispense un cours de PPE destiné aux étu-diants prégradués et gradués ainsi qu’unprogramme intitulé Philosophie à l’école. AuCenter for the Advancement of Philosophyin the Schools (CAPS), créé en 2000 àl’Université d’État de Californie de Long

Initiée en 1987, cette formation compteaujourd’hui douze cours et offre troisprogrammes de formation en PPE : Microprogramme de premier cycle enphilosophie pour les enfants (15 crédits).Il s’agit ici de rendre l'étudiant apte àsaisir la richesse des rapports qui existententre la pratique philosophique etl'expérience éducative. Certificat de premier cycle en philo-sophie pour les enfants (30 crédits). Cecertificat comprend 10 cours, 5 enphilosophie et 5 en PPE, incluant unstage optionnel. Microprogramme de 2e cycle en préven-tion de la violence, résilience et philo-sophie pour les enfants (15 crédits).Il entend rendre l'étudiant en mesured'observer, de comprendre et d'animer

une discussion philosophique avec lesenfants. Il vise, de plus, à trouver desmoyens permettant de prévenir la vio-lence.Chacun de ces programmes permet desuivre le nouveau cours en ligne sur lesite de l’Université Laval, intitulé« L’observation en philosophie pour lesenfants » (PHI-22693), qui porte surl’observation de communautés d’enfantsengagés dans l’acte de philosopher.

Extraits d’un entretienavec Michel Sasseville Professeur agrégé Faculté de philosophieUniversité Laval (Canada)www.fp.ulaval.ca/philoenfant/

Encadré 6Didactique et pédagogie à l’Université Laval

CHAPITRE I

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(57) Marie-France Daniel, LesContes d’Audrey-Anne : contesphilosophiques, illustrations deMarc Mongeau. Québec, Le Loupde gouttière, 2002.

(58) Marie-France Daniel,Dialoguer sur le corps et la vio-lence. Un pas vers la prévention :guide philosophique. Québec, LeLoup de gouttière, 2003.

(59) www.acpcpa.ca/projects/philosophy-in-the-schools-project/

(60) Aux éditions de la Torre

(61) www.fpncomval.org

(62) Informations recueillies auprèsdu professeur Félix García Moriyón.

(63) Source : Michel Sasseville,Professeur à l’Université Laval(Canada).

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Né en Catalogne en 1987, grâce à lavolonté de quelques professeurs sou-cieux de renouveler les techniques del’enseignement de la philosophie, leprojet a débuté avec la traduction etl’adaptation du livre de Matthew Lipman,La découverte d'Harry Stottlemeier. Uncurriculum de 3 à 18 ans a ensuite étéprogressivement élaboré, donnant sonnom au projet lui-même. En 2004, prèsde 2000 personnes travaillent sur ceprojet et plus de 300 établissements -écoles et lycées - publics et privés sontconcernés, soit environ vingt-cinq milleélèves d’expression catalane, sanscompter les enseignants travaillant dansd’autres communautés espagnoles ainsiqu’à l’étranger (Argentine, Brésil,Mexique, etc.). Fondé sur le rapportétroit entre pensée et langage,Philosophie 3/18 s’appuie sur quatre

types d’activité : entendre, parler, lire etécrire. Cet apprentissage de la penséeimplique nécessairement un idéalpragmatique et pas seulement spéculatif.Le projet Philosophie 3/18 a eu l’ini-tiative de traduire et d’adapter quatredes programmes du curriculum del’IAPC, de 8 à 16 ans. Pour les étapesrestantes, de 3 à 8 et de 16 à 18 ans,le projet a créé du matériel nouveau plusadapté au système éducatif. Entité auto-nome, le GrupIREF (Grup d’Innovació iRecerca per a l´Ensenyament de laFilosofia – Groupe d’innovation et derecherche pour l’enseignement de laphilosophie) est une association à butnon lucratif qui se charge de la formationdes professeurs comme de la créationet de la diffusion de matériels nouveaux.Le curriculum développé par le GrupIREFest aujourd’hui composé de matériels

variés, issus des besoins scolaires et del’élargissement progressif du curriculumlui-même à l’éducation infantile et aubaccalauréat. Sont disponibles desprogrammes au grand complet ainsique des matériels issus d’initiativesintéressantes et de projets européens,tels que le CD-ROM Ecodiálogo.Educación ambiental y diálogo filosó-fico(64), programme interdisciplinaire etpolyvalent, disponible en cinq langues :catalan, espagnol, anglais, allemand etportugais. Le GrupIREF propose égale-ment une large gamme de cours pour laformation des enseignants et publie unerevue trimestrielle Bulletin Filosofia3/18.

Extraits d’un témoignaged’Irène de Puig Directrice du GrupIREF (Espagne)

Encadré 7Une aventure enthousiaste : le projet Philosophie 3/18 en Espagne

Beach, le professeur Debbie Whitaker estresponsable d’une classe intituléePhilosophie et éducation, qui comprenddes étudiants de cycles supérieurs en phi-losophie. Jeux, clips vidéo, nouvelles etpoèmes font également partie de la forma-tion et constituent un véritable moteur dansl’exercice de la pensée critique. L’expériencede John Roemischer, au Département d’al-phabétisation de l’Université d’État de NewYork, Plattsburgh, est également notable.Celui-ci a conçu un cours pour étudiantsgradués en enseignement et en alphabéti-sation, intitulé Philosophie et littératureenfantine. Plusieurs articles ont été publiésdans les revues de l’Université d’État deMontclair(65). Thomas Wartenberg, profes-seur rattaché au Département de philoso-phie de Mount Holyoke College(Massachusetts), a quant à lui créé etdéveloppé un site Internet destiné auxenseignants, aux parents, aux enfants etaux amateurs de philosophie et de littéra-ture enfantine. La méthode porte sur lapratique à partir d’un livre lu. Le profes-seur Wartenberg propose également unesélection de livres pour enfants à contenuphilosophique assortie de résumés(66).

France. La découverte de pratiques philo-sophiques à l’école primaire s’est faite plustardivement. La PPE s’y est développée à

l’école primaire à partir de 1996, puis lephénomène s’est notablement accélérédepuis 2000(67), tout en sachant que l’en-seignement de la philosophie n’a jamaisété et n’est toujours pas au programme del’école primaire, contrairement à une fortetradition de son enseignement à la dernièreannée du niveau secondaire. Ces pratiquesphilosophiques au niveau primaire sontd’ailleurs très critiquées par l’Inspectiongénérale de philosophie et l’Association desprofesseurs de philosophie de l’enseigne-ment public (APPEP). Initiées au départ pardes innovateurs, elles rejoignentaujourd’hui dans leur mise en œuvre lespréoccupations des institutions éducatives.L’introduction progressive des pratiques dela PPE se manifeste de plusieurs manières :nombreuses formations initiales et conti-nues dans les Instituts de formation desmaîtres (IUFM) et les Centres de formationpermanente (CFP) ainsi que sur le terrain ;colloque national et international annueldepuis 2001 regroupant praticiens, for-mateurs et chercheurs ; nombreusespublications destinées aux élèves et auxmaîtres, avec des collections philosophiquesad hoc chez les éditeurs ; infléchissementd’une partie de la littérature de jeunessevers des thèmes existentiels et sociétaux ;ateliers de philosophie pour enfants dansles nouvelles Universités Populaires (à Arras,

(64) Une version en espagnol et enanglais peut être consultée sur lesite www.grupiref.org

(65) Childhood and Philosophy.Thinking: Journal of Philosophyfor Children & Analytic Teaching.

(66) Source:www.mtholyoke.edu/omc/kidsphil. Voiraussi l’entretien avec le ProfesseurThomas Wartenberg : www.justone-morebook.com/2007/02/05/

(67) Pour une réflexion sur« L’émergence des pratiques àvisée philosophique à l’école et aucollège : comment et pourquoi ?en France », voir l’article de MichelTozzi, in Spirale, n° 35. Lille,Université de Lille 3, 2005.

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CHAPITRE I

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(68) Description par le professeurMichel Tozzi.

(69) Marcel Gaucher et MichelOnfray y sont favorables. AndréComte-Sponville a écrit pour lesenfants Pourquoi y a-t-il quelquechose plutôt que rien ? ; YvesMichaud, professeur à laSorbonne, a écrit l’ouvrageLa philo 100 % ado. Paris, BayardPresse, 2003 et 2007 ; l’ancienMinistre de l’éducation nationale,le philosophe Luc Ferry considèreque « les pratiques qui se récla-ment de la philosophie à l’école pri-maire sont une innovation majeuredu système éducatif ».

(70) Tenu en mars 2003 sur « Desexpériences de débats à l’écoleprimaire et au collège : discussion àvisée philosophie ou penséeréflexive ? », avec des représentantsde vingt académies et le Bureaudes innovations du Ministèrede l’éducation nationale.

(71) D’autres analyses d’intérêtfigurent dans l’ouvrage de J.C.Pettier et J. Chatain, Débattre sur destextes philosophiques : en cycle 3,en Segpa et ailleurs au collège.Champigny-sur-Marne, CRDPde l'académie de Créteil, 2003.

(72) www.brenifier.com

(73) Institutrice, Anne Lalanne anotamment développé une méthodereposant sur l'organisation d'ateliersde groupe où les enfants apprennentà philosopher, par l’intermédiaire del’adulte, selon trois directions :la technique du débat, les valeursdémocratiques et les exigencesintellectuelles de la philosophie.

Caen, Narbonne, etc.) ; articles de presseou reportages télévisés, etc. De façonemblématique, le secteur de la recherche àl’Université s’intéresse également à cespratiques nouvelles. On note aussi unegrande variété de pratiques et plusieurscourants qui se développent, souventsoutenus par des inspecteurs et desconseillers pédagogiques du primaire. Ondistinguera notamment :

1) La méthode lipmanienne, à l’originedes premières et tardives expériences fran-çaises, s’est d’abord développée dans lesCentres de formation des maîtres de Caenet de Clermont-Ferrand (1998). Cetteméthode a inspiré de nombreuses prati-ques quant à son dispositif, mais a étéassez rapidement transformée en profon-deur quant aux supports.

2) Le courant dit « démocratico-philo-sophique »(68), autour du professeurMichel Tozzi, est proche des finalitéspoursuivies par Lipman mais propose undispositif démocratique structuré, répartissantdes fonctions précises entre les élèves, etdes exigences intellectuelles à visée philosophi-que (problématisation, conceptualisation etargumentation). Cette innovation sur leterrain est accompagnée par la formationet par la recherche. La pratique s’enrichitactuellement par l’articulation entre débatd’interprétation d’un texte en français (lit-térature de jeunesse) et débat à visée phi-losophique, ainsi que par l’utilisation demythes, notamment platoniciens, commesupports réflexifs. La façon dont la PPE estreçue par le milieu et par l’Institution philo-sophique est en train d’évoluer en France(69).Les Assises de l’enseignement catholiquedu 1er décembre 2001 ont fait du déve-loppement du questionnement philoso-phique à l’école primaire et au collège, unede leurs huit priorités pour les années quiviennent. Au colloque de Ballaruc(70), oùs’est largement exprimée l’Inspectiongénérale de philosophie, l’accord s’est faitsur la nécessité de mettre en place uneformation pour accompagner le dévelop-pement de ces pratiques en formationinitiale et continue. Le courant « démocra-tico-philosophique » considère ainsi quela formation philosophique universitaireclassique - des cours magistraux sur desauteurs et des doctrines - est insuffisante si

l’on ne favorise pas les DVP. Il est évidentqu’il reste très utile d’être instruit sur quelquesgrandes problématiques philosophiquesclassiques dans la mesure où il est important,dans l’animation des séances, de comprendreles enjeux philosophiques de questionssoulevées par les enfants. Discerner que laquestion « Peut-on brûler un feu rouge ? »peut s’entendre matériellement (il n’y aqu’à passer, c’est techniquement possible) ;juridiquement (c’est interdit par le code dela route) ; ou éthiquement (moralementsouhaitable pour amener à l’hôpitalquelqu’un en danger de mort) : c’est unrepère essentiel pour l’écoute philosophiqued’une question(71).

3) La méthode socratique d’OscarBrenifier(72), fondateur de l'Institut dePratiques Philosophiques, se réclame de lamaïeutique socratique, avec un fort guidagedu groupe en vue d’une réflexion progressiveet logique, sur la base de questions, dereformulations et d’objections. Celui-ci aproduit dans l’édition française et interna-tionale un important matériel didactique,par exemple PhiloZenfants, chez l’éditeurNathan, ou les aventures de Ninon, chezl’éditeur Autrement Jeunesse. C’est leMaître qui guide la classe avec des exigencesintellectuelles fortes. On retrouve cetteorientation chez Anne Lalanne(73), pionnièrede ces pratiques en France vers 1998 : faceà une question, un élève propose une idée,que d’autres élèves doivent reformuler poursavoir s’ils l’ont bien comprise. Sinon il fautreprendre les reformulations jusqu’àappropriation de cette idée par tous.Ensuite l’intervenant demande s’il y a desdésaccords avec cette idée et pourquoi. Desélèves reformulent l’objection jusqu’à cequ’elle soit comprise par tous. Puis leMaître demande de répondre à cetteobjection, etc. Le cheminement des idéesdu groupe au tableau peut être suivi selonun processus méthodique et rigoureux.

4) Le courant de Jacques Lévine, psycho-logue développementaliste et psychana-lyste, a mis au point dès 1996 un protocolede pratique et de recherche de la moyennesection de maternelle (3-4 ans) à la fin ducollège (15-16 ans). Après le lancement, unpeu solennel, par le Maître d’un sujet oud’une question intéressant tous les hom-mes et tous les enfants (par ex : grandir), et

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(74) Pour la philosophie desLumières, en particulier Kant,la « publicité », le caractère public,est essentiel pour la pensée,à un double point de vue démo-cratique et philosophique.

(75) Fondé et actuellement dirigépar le professeur Antonio Cosentino.Site Web : www.filosofare.org

(76) Créé et dirigépar Marina Santi.

(77) Istituto Regionale RicercaEducativa (IRRE).

dont le Maître dit qu’il souhaiterait vive-ment connaître l’avis des enfants. Cesderniers sont appelés à s’exprimer sur lethème pendant une dizaine de minutes,avec un bâton de parole, en présence duMaître volontairement muet. La séance estenregistrée, puis le groupe réécoute pen-dant dix minutes la cassette, que lesenfants peuvent interrompre quand ils leveulent pour s’exprimer à nouveau. Ce cou-rant psychologique des préalables à la penséeinsiste sur l’entrée de l’enfant dans l’huma-nité par l’expérience du cogito - Lévine faitexplicitement référence à Descartes -, dansun groupe cogitans (de petits penseurs). Ony travaille aux conditions de possibilités psy-chiques de constitution d’une pensée auto-nome, qui prend conscience qu’elle est unepensée en lien avec les autres, mais séparéedes autres. En présence du Maître d’abord,adulte et référent, qui met en scène audépart le caractère anthropologique decette question, lui assignant d’emblée unedimension philosophique, universelle,dépassant par sa portée toute contingenceindividuelle et particulière. Présence perma-nente pendant toutes les prises de parole,comme témoin antérieur, extérieur et supé-rieur à ce qui va se dire de singulier pournourrir un problème commun de conditionhumaine. Présence d’autant plus symboliquequ’elle est silencieuse. Silence qui autorisel’élève à parler, où celui-ci devient auteurde sa pensée parce qu’il n’est pas ou n’estplus dans le désir de bonne réponse duMaître. Le silence est une invitation à parler,mais sans attente scolaire, sans jugement niévaluation. Il s’agit d’une parole qui ditquelque chose de ma condition à partir dema vie. En présence ensuite des pairs. C’estune pensée, donc une parole qui assume lecaractère public de son énonciation(74), quiest adressée aux autres, même si, dans l’in-tention des promoteurs de ces pratiques,elle ne s’engage pas dans un débat, dansune logique argumentative du meilleurargument. Les enfants vivent là une com-munauté d’expérience, qui les soude dansune culture commune de la parole anthro-pologique partagée, qui donne à l’expres-sion de chacun, malgré leur jeune âge etleur spontanéité, une allure à la foissérieuse et apaisée. L’objectif poursuivi, etce peut être source de malentendus avecdes philosophes, des didacticiens ou deséducateurs à la citoyenneté, ce n’est pas

l’apprentissage du philosopher commepensée critique. L’objectif, c’est de favoriserchez l’enfant l’élaboration de sa personna-lité par un ancrage dans sa condition desujet pensant, en lui faisant faire l’expé-rience qu’il est capable de tenir des propossur une question fondamentale qui se poseaux hommes, et donc à lui. Ce qui est lacondition pour que, doté d’un capital deconfiance en sa capacité d’être pensant,d’une estime de soi comme homme parmiles hommes, il puisse s’engager plus avantdans la réflexion personnelle d’une part,dans la DVP avec ses semblables d’autrepart.

Italie. Il existe aujourd’hui beaucoup de for-mateurs et d’universitaires de référencepour la PPE. Deux centres de recherche etde formation sont opératoires : le Centro diRicerca per l'Insegnamento Filosofico(CRIF)(75) de Rome, et le CentroInterdisciplinare di Ricerca educativa sulPensiero (CIREP) de Rovigo(76). Les activitésd’expérimentation rassemblent une cin-quantaine d’Instituts scolaires et un nombredifficile à préciser de classes éparses surtout le territoire national. La formationdes enseignants se fait à travers troiscanaux principaux : 1) Le cours national etrésidentiel annuel (École d’Acuto) qui com-prend 60 heures de formation pratico-théorique et donne, au premier niveau,l’habilitation pour aider à l’implantation dessessions de PPE dans les classes ; au secondniveau, il habilite les enseignants experts etles formateurs. 2) Les cours locaux dans lesinstituts scolaires ou organisés par desassociations, ou dans les Instituts régio-naux de recherche éducative(77). Ils com-prennent 50 heures de formation dans ethors de la classe. 3) Les cours de perfection-nement de l’Université de Padoue. Larecherche s’est développée à partir d’uneréflexion sur les activités expérimentaleset sur les dimensions épistémologiques etméthodologiques de la PPE. En comparai-son avec d’autres expériences similaires,ont été mis en lumière les liens étroits de laPPE avec le débat sur les pratiques philoso-phiques et le rôle citoyen de l’exercice duphilosopher, notamment à l’occasion d’uncongrès international à l’Université dePadoue en 2002 et du Congrès de laMontesca en 2005. La littérature natio-nale possède désormais un corpus consistant

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CHAPITRE I

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(78) Antonio Cosentino (dir.),Filosofia e formazione 10 anni diPhilosophy for children in Italia(1991-2001). Naples, Liguori,2006.

(79) www.filosofare.orget http://gold.indire.it/

(80) Publié chez Liguori.

(81) Le CYP est une société privéequi appartient à Ariane Schjelderupet Oyvind Olsholt. Ce sont les pre-miers philosophes norvégiens àavoir commencé à travailler systé-matiquement avec des enfants en1997 et 1999. Voir www.buf.no/en

(82) Ariane Schjelderup, Filosofi -Sokrates, Platon og Aristoteles.Oslo, Gyldendal, 2001, et égale-ment Oyvind Olsholt et HaraldSchjelderup, ExphilO3. 2006.

et se repère dans la collection Impariamo apensare de l’éditeur Liguori de Naples quiinclut tous les matériaux didactiques -récits philosophiques et manuels pour lesenseignants - notamment le volumePhilosophie et formation(78). D’autres arti-cles et essais nombreux ont été publiésdans diverses revues spécialisées(79). Le résul-tat le plus significatif est qu’une formation àl’utilisation de la PPE finit par devenir, si elleest conduite de façon adéquate, une forma-tion qui touche tout le domaine de laprofessionnalité et tend à mettre en jeu latotalité de la personne, aussi bien dansses dimensions cognitives et épistémologi-ques que relationnelles et psychologiques.Tout cela place la PPE au centre de la scèneactuelle de l’éducation en Italie, en particulierà cause des récentes réformes qui tournenttoutes autour du principe d’autonomie.

Norvège. L'objectif de Children and YouthPhilosophers Centre (CYP)(81), membred'ICPIC et de SOPHIA, est de faire connaîtrela philosophie en général et la PPE enparticulier, ainsi que d’inciter les enfants etles jeunes à pratiquer des activités philosophi-ques. Il vise à réaliser cet objectif parl’organisation de conférences et de séminaires,par l’offre de services de consultationouverts à tous ceux qui s’occupent d’activités

philosophiques avec les enfants ou lesjeunes, par la facilitation des dialoguesphilosophiques avec les jeunes, ainsi quepar la diffusion d'informations sur Internetet la publication de documents. La premièreexpérience du CYP faisant participer desanimateurs en philosophie a été menéedans deux jardins d'enfants de la régiond'Oslo en 1997. Elle a consisté en l'organisa-tion de dialogues hebdomadaires avec desenfants sur une période de deux mois.Plusieurs autres programmes d'éducationdans des jardins d'enfants ont été entreprisdepuis lors. En ce qui concerne le matérieldidactique, Ariane Schjelderup et OyvindOlsholt ont publié en 1999 Filosofi i skolen,premier manuel norvégien sur la PPE écritspécifiquement pour le cours de préparationen philosophie destiné aux étudiants quis'inscrivent à l'Université d'Oslo(82). Cetouvrage contient également du matérield’enseignement religieux - matière quicomprend l'éthique et des parties del'histoire de la philosophie. Il contient ausside nombreux plans de discussion, exerciceset questionnaires qu’accompagnent ungrand nombre de textes religieux et philo-sophiques, de problèmes d’éthique, etc. En2002, le CYP a ouvert un site Web quis’adresse aux enseignants et aux élèves desétablissements primaires et secondaires et

En 1990, Marina Santi et moi avons prispart à l’Université de Dubrovnik à uncours de formation à l’utilisation de laPPE donné par Matthew Lipman et AnnSharp, cours suivi par d’autres collè-gues européens. Nous avions la certi-tude que ce projet éducatif contenaitd’incomparables promesses. Personnelle-ment, en tant que professeur de philoso-phie, je voyais alors les limites d’unedidactique traditionnelle trop centréesur la transmission des contenus histo-riques. Restaient cependant encoreouvertes les interrogations sur la façon dedéfinir un problème philosophique, sur lesoptions méthodologiques, sur les maté-riaux, et d’autres questions encore. Lespoints nodaux de la perspective nou-velle étaient essentiellement au nombre dedeux :

1. Le caractère actif et constructif del’apprentissage qui implique un renverse-ment de la relation entre universitaires et

enseignants, ce qui pousse à revoir larelation entre dynamiques subjectives etintersubjectives dans l’apprentissage, etles logiques d’organisation des contenusdisciplinaires.

2. La rencontre, dans un sens nouveau,entre philosophie et pédagogie (sciencesde l’éducation) où la philosophie pouvaitse regarder non seulement comme unedes sciences de l’éducation mais aussicomme le lieu dans lequel l’éducationprend vie en tant que formation globale etcomplexe (logique, sociale, émotionnelle)et dans lequel la dimension théorique et ladimension pratique des processus deformation s’entremêlent et se fondentsans laisser de résidus. Chemin faisant,Maura Striano, professeur de pédagogiegénérale et sociale à l’Université deFlorence, s’est associée à nous.Ensemble nous avons cru qu’il valait lapeine de faire connaître en Italie la PPE,en traduisant des matériaux, aujourd’hui

publiés dans la collection Impariamo apensare(80) et à entamer des expérimenta-tions sur le terrain en formant les premiersgroupes d’enseignants. Après quinzeans d’activités, beaucoup de chemin aété parcouru et la PPE italienne estsans conteste une réalité reconnueaussi bien au niveau national qu’interna-tional. Quand l’enseignement de la philo-sophie met provisoirement entre paren-thèses son identité disciplinaire-acadé-mique, on peut alors se consacrer àœuvrer plus directement sur le terraindes capacités de la pensée, en s’organi-sant comme un cadre de facilitation etde soutien des processus de recons-truction et de construction des horizonsdu sens et des « écologies mentales ».

Extraits d’un témoignagedu professeur Antonio Cosentino Directeur du Centro di Ricerca perl'Insegnamento Filosofico (CRIF) de Rome(Italie)

Encadré 8Découvrir et diffuser la philosophie pour enfants : le cas du CRIF en Italie

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

propose des outils d’enseignement pour lessix matières principales (norvégien, anglais,éducation civique, religion, mathémati-ques et sciences naturelles) accompagnésde questions et d’exercices pouvant servirdans les dialogues philosophiques enclasse(83). Le but recherché est d’aider lesélèves et les enseignants à prendreconscience que la philosophie se retrouveau cœur de toutes les matières enseignées.Le rapport final du projet Veienmarka duCYP, qui propose de remplacer les cours dereligion par des cours de philosophie pourles élèves âgés de 16 ans pendant unsemestre entier, a été préparé à l’attentiondu Ministère norvégien de l'éducation auprintemps 2007.(84)

République tchèque.(85) À l’Université deBohême du Sud, le Département d’édu-cation et le Département de philosophie etd'études religieuses de la Faculté de théologieont mené un travail en étroite collaborationavec le Département de pédagogie et depsychologie de la Faculté d’éducation sur

un projet de PPE. Le projet est soutenuofficiellement par l'Université, bien quetous ceux qui y participent aient égalementd'autres fonctions. Les objectifs du projetsont 1) de former des étudiants en pédago-gie, des éducateurs à temps partiel et desenseignants en service pour favoriser par ledialogue l’essor de la démocratie à l’école,ainsi qu’une pensée critique, créatrice etvigilante qui « transforme la salle de classeen communauté de recherche philoso-phique », 2) d’étudier les avantages éven-tuels de l’inscription de la philosophie dansles programmes de l’enseignement pri-maire et secondaire, 3) d’examiner la possi-bilités d'intégrer la recherche et le dialoguephilosophiques à des jeux éducatifs conçuspour les enfants(86). En 2006, dans la mêmeUniversité, la PPE a commencé à être ensei-gnée dans un module complexe composéde sujets facultatifs à la Faculté de théolo-gie, qui a été officiellement reconnu par laFaculté d’éducation et a abouti à un certificatspécialisé pour les futurs enseignants.En outre, un réseau d’enseignants en poste

Les sociétés scandinaves adhèrent à lapensée sociale-démocrate dont la justiceet l'égalité sont les principaux idéaux. Ilest donc tout à fait naturel pour unprofesseur norvégien de traiter lesenfants avec humilité et respect - deuxfacettes importantes de la « penséevigilante » de Lipman. D'un autre côté,l'image de la philosophie comme artésotérique réservé à un cénacleconserve toujours la même force auprèsde beaucoup d'éducateurs, ce qui rendparfois difficile la tâche de faireconnaître la PPE à de nouveaux publics.Ainsi en Scandinavie, la « communautéde recherche » a-t-elle ses limitations etses avantages. Au cours d’années de pratique, nousavons essayé différentes méthodespour préparer et faciliter le dialogue phi-losophique avec des enfants d'âge et demilieux différents. Mais c’est ce dialo-gue qui en lui-même est notre principalobjectif, néanmoins nous hésitonstoujours à utiliser trop de jeux etd’ « outils pédagogiques », c'est-à-direà laisser une « orchestration » rempla-cer le dialogue. Nous ne nous servonspas du matériel pédagogique deLipman, bien que son programme nousait considérablement inspirés lors de

l’élaboration de notre propre matériel.Son programme nous paraît culturelle-ment étranger, trop basé sur la cultureet la vision du monde américaines. Il ya également eu le scrupule existentieldû au fait que l'IAPC semble utiliser lapensée philosophique comme un simpleoutil pour atteindre d’autres buts : l’amé-lioration des capacités de lecture etd'écriture, une amélioration des résul-tats dans d'autres domaines, la fran-chise et l'amitié, un comportementdémocratique, etc., ce qui fait perdre àla philosophie sa valeur intrinsèque.La plupart de nos activités sont noninstitutionnelles et nous ne recevonsaucun appui ou subvention de l'État, cequi limite la portée des activités. Noustravaillons donc avec d’autres partenaires,des institutions artistiques, des clubs dephilosophie, des camps de philosophie,etc. Il y a un grand besoin de rechercheuniversitaire dans ce domaine, tantphilosophique que pédagogique. Lesétudiants en pédagogie et en philoso-phie semblent prêts à tester de nouvellespratiques philosophiques. Nous avonsbesoin d'universitaires qui mettent enpratique des méthodes philosophiques,qui pourraient servir de trait d’unionentre le milieu universitaire et le travail

pratique accompli dans les écoles et lesjardins d'enfants. Nous avons proposéde le faire à l'Université d'Oslo, maisnous nous sommes heurtés à unerésistance. Il y a la crainte que l'ouvertureà la pratique représente une menacepour le travail théorique. Peut-être quelquechose pourrait-il être fait au niveaugouvernemental. Un groupe de travailen réseau norvégien s’est donné pourobjectif de rassembler les ressourceshumaines et institutionnelles dans ledomaine de la philosophie pour enfants,qui est encore dans une phase éclectique.Les enseignants en sont encore à testerdifférentes pratiques et méthodes, ilsrecherchent, créent et utilisent desressources diverses. Ils feraient bonaccueil à une base de données publiquesur Internet où ils pourraient échangerleurs expériences et faire des com-mentaires sur le matériel de chacun etoù l’information et la recherche univer-sitaire, ainsi que des réflexions d’ordrethéorique pourraient, et devraient, êtrerendues disponibles.

Propos recueillis auprèsd’Ariane Schjelderup et Oyvind OlsholtFondateurs du Centre Childrenand Youth Philosophers - CYP (Norvège)

Encadré 9Les défis posés à la philosophie pour enfants en Norvège

(83) www.skoletorget.no

(84) À l'automne 2006, le CYP aexpérimenté un projet d'ensei-gnement de la philosophie d'uneheure par semaine dans deux classesde 10ème (élèves de 16 ans) au lycéeVeienmarka (Honefoss). Les coursde religion ont été complètementremplacés par des cours de philo-sophie pendant un semestre entier,et le CYP a fait une évaluationquantitative de chaque élève baséesur leurs résultats individuels ausein des groupes de philosophie,sur des devoirs écrits et sur un oralfinal en groupe. Ni le remplace-ment systématique de la religionpar des dialogues philosophiquesni l'évaluation quantitative descapacités générales de réflexiondes élèves n'avaient été entreprisauparavant en Norvège, ce qui faitde ce projet un projet pilote. Àl'automne 2005 et à l'hiver/prin-temps 2006, le CYP a participé àun autre projet pilote intitulé « Quisuis-je ? ». Son idée principaleétait que tous les élèves de 5ème,6ème et 7ème du comté d'Ostfold (quicompte approximativement 10.000élèves de dix à douze ans) devaientavoir une discussion philosophiquede quatre-vingt-dix minutes avecun philosophe professionnel. Lesdialogues portaient sur l'identité, latimidité, l'histoire et la connaissance.

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CHAPITRE I

38

menant des activités de philosophie avecleurs étudiants se met en place. Les pers-pectives pour le proche avenir consistenten la mise en place d’une coopérationofficielle avec les établissements éducatifsoù les enseignants désirent faire de la PPE,mener un travail de recherche sur le rôle dela philosophie dans les programmesd’enseignement primaire, accroître lacoopération avec le Czech Scouting et fairemieux connaître la PPE du milieu universitaireainsi que du grand public.

Royaume-Uni(87). Avant 1990, la philosophiene figurait au programme d’aucune écoleprimaire. Il existait cependant un petitgroupe d'éducateurs, dont faisait partieRobert Fisher, alors Directeur du ThinkingSkills Centre à la Brunel University, quiexpérimentaient la PPE. Leur travail reçutun élan considérable en 1990 avec le docu-mentaire diffusé par la BBC, Socrates for 6-year-olds, qui eut une large audience.L’intérêt pour la PPE suscité dans le publicpar le documentaire fut à l’origine de lafondation en 1991 de la Society forAdvancing Philosophical Enquiry andReflection in Education (SAPERE), basée àOxford Brookes University, dont le but estd’encourager cette pratique. À peu près àla même époque, un Centre de recherchephilosophique fut créé à Glasgow, où ledocteur Catherine McCall menait avec suc-cès ses travaux avec des enfants écossais etleurs parents. Récemment, McCall a com-mencé à donner des cours pour les ensei-

gnants du primaire et a créé une ressourcedidactique largement diffusée et destinée àl'éducation individuelle et sociale dans lescollèges. Trois ans après la fondation deSAPERE, une structure de formation à 3niveaux destinée aux enseignants et baséesur le modèle de Lipman était créée. Touten reprenant l'approche de la communautéde recherche, elle encourage les enseignantsà choisir par eux-mêmes les matériaux quistimuleront le questionnement et la dis-cussion philosophiques, à savoir les narra-tions, les films, les tableaux ou les oeuvresd'art. Cette structure de formation s’estrévélée être à la fois populaire et fiable. Aucours de ses douze années d’existence, plusde 10.000 professeurs ont suivi la forma-tion de base de deux jours. Environ un surdix a suivi la formation de niveau 2 de qua-tre jours, qui s’accompagne d’un travail derecherche et d'un rapport écrit d’évalua-tion de leur propre pratique. La PPE estconsidérée comme l’une des principalesapproches permettant de développer lescapacités de réflexion. Sa capacité à sti-muler tant la pensée créatrice que la pen-sée critique dans les jeunes esprits serévèle constamment dans les observationset dans la pratique. Le service nationald'inspection de l’enseignement, OFSTED,félicite régulièrement les enseignants et lesécoles qui inscrivent la PPE à leur pro-gramme, bien que cela ne soit pas exigéofficiellement. On estime que le nombred’établissements qui ont inscrit la PPE à leurprogramme en Angleterre, en Écosse et auPays de Galles se situe entre deux et troismille. Il y a tout lieu de penser que cenombre continuera à croître de manièresignificative à mesure que les programmesnationaux iront davantage dans la directiond’un enseignement tourné vers l’apprentis-sage des compétences. SAPERE ne cherchepas pour l’instant à rendre la philosophieobligatoire dans les programmes de l’ensei-gnement primaire. Elle espère cependantpouvoir apporter un soutien accru auxenseignants tant dans leur formation initialeque dans leur formation continue. Unnombre suffisant d’enseignants qualifiéspermettrait de justifier la recommandation,voire l’exigence, que toutes les écoles sedonnent les moyens d’assurer l'éducationphilosophique des jeunes.

Encadré 10Un avant-goût de philosophie pour les enfants d’Écosse

Le conseil scolaire du Clackmananshire,en Écosse, est le premier de Grande-Bretagne à mettre en œuvre un pland'apprentissage de la philosophie de lamaternelle au niveau secondaire.Jusqu'à présent, les élèves de primairede la région bénéficiaient déjà de basesen philosophie, notamment par l'appren-tissage de l'introspection philosophique,méthode encourageant « le dialoguesocratique dirigé » où les élèves doiventréfléchir et apporter des éléments deréponse à des questions comme « Est-iltoujours correct de mentir ? ». Uneétude effectuée sur les élèves ayant

vécu cette expérience montre que leurQI est supérieur en moyenne de 6,5points à celui d'autres élèves n'ayantjamais philosophé jeunes. Cette avancese maintient durant toute leur scolaritésecondaire, même sans recevoir d'autrescours de philosophie. L'exécutif écossais adonc décidé d'accorder une subventionau conseil du Clackmananshire afin qu'ilétende l'expérience à la maternelle etdans le secondaire.

« Pupils to get a philosopher’s tone »Maev Kennedy, The Guardian,6 février 2007 (Royaume-Uni)

(85) Informations recueilliesauprès du Dr Petr Bauman, coor-donnateur du projet de philosophiepour enfants en Républiquetchèque, Département d’éducation,Faculté de théologie, Universitéde Bohême du Sud,http://forum.p4c.cz

(86) Les romans et les manuelsde Lipman, tout comme les livrespubliés par Laval UniversityPress, ont été traduits et adaptésau contexte culturel tchèque,dans la collection La Traversée.

(87) Informations recueillies auprèsde Roger Sutcliffe, présidentde SAPERE et de l’ICPIC.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Amérique latine et Caraïbes

Argentine. Des expériences ont étémenées depuis 1989 dans une école privéede Gran Buenos Aires. Le Centre argentinde la PPE a été créé en 1993 à l’Universitéde Buenos Aires. Le programme deLipman a été traduit et publié, et d’autresmatériels, rassemblés dans des collectionséditoriales, ont également été publiés. Lesexpériences en écoles privées prédomi-nent encore même si certains secrétariatsd’éducation, comme dans la ville deCatamarca, appuient des expériences dansd’autres écoles ainsi que la formation desenseignants.

Brésil. Le Centre brésilien de la PPE fut crééen 1989 à São Paulo(88). Des milliers d’ensei-gnants y furent formés, en suivant leprogramme de Lipman, avant de conduiredes expériences dans tout le pays. La villede Florianopolis offre également un Centred’envergure qui développe un cursusproche de celui de Lipman tout en produisantdes textes spécifiques. Quelques Universitésont mis en place des projets importants deformation des enseignants et d’extensionde la PPE : c’est le cas à l’Université deBrasilia, où se trouve le projet Filosofia naescola(89) qui intègre des enseignants et desenfants d’écoles publiques. Des expériencessimilaires sont conduites dans d’autres Uni-versités : l’Université catholique de RioGrande do Sul (Porto Alegre), l’Universitéd’État de Rio de Janeiro, l’Université fédé-rale de Juiz de Fora, l’Université fédérale deFortaleza et d’autres encore. Quelquessecrétariats d’éducation municipaux -comme à Uberlândia (Minas Gerais),Cariacica (Espírito Santo), Salvador (Bahia),Ilheus (Bahia) – ont des projets officielsqui introduisent la philosophie à l’écoleélémentaire. Au niveau des écoles publi-ques et privées, on peut affirmer que plusde 10.000 enseignants et 100.000 enfantsconnaissent ou ont connu des expériencesdiverses de la PPE.

Chili. En Amérique latine, les premièresexpériences de la PPE eurent lieu au Chiliquand, en 1978, des religieuses de l’ordrede Maryknoll appliquèrent à plusieurs com-munautés le programme créé par MatthewLipman. Les travaux en PPE se sontconcentrés, dans les années 1990, au sein

de quelques Universités : en particulier, laFaculté de philosophie et humanités del’Université du Chili, l’Université de laSerena et l’Université de Concepción, quicompte ouvrir un postgrado en PPE. Dansdivers collèges de Santiago et du pays, laPPE est mise en œuvre sous forme d’ateliersqui suivent le travail de Lipman et lesrecherches d’autres professeurs, Chiliens,comme Olga Grau et Ana María Vicuña.Ces dernières années, plusieurs formationsse sont tenues dans les Universités: celles-ciincluent des séminaires en « philosophie etenfance », « philosophie et éducation », etc.

Colombie. La PPE s’applique presqueexclusivement avec le programme lipma-nien, qui a été traduit et adapté. Une deses oeuvres, le manuel Suki, a été réécritepar le professeur colombien Diego Pineda enmettant l’accent sur la littérature hispano-américaine. Il existe également des cours deformation pour les enseignants à différentsniveaux, ainsi que des rencontres régionaleset nationales impliquant des élèves de 11 à 13ans.

Mexique.(90) La PPE s’est implantée en1979 grâce à Albert Thompson, professeurà l’Université Marquette (Milwaukee, États-Unis d’Amérique) et à Matthew Lipman,venus l’enseigner à l’Université Anahuac(Mexico). Depuis les années 80, la PPE n’acessé de croître. Les étudiants en sciencesde l’éducation, en philosophie et en psy-chologie de l’Université Anahuac font de larecherche en PPE et expérimentent les testsd’aptitude au raisonnement de l’Universitédu New Jersey dans les écoles publiques etprivées. Dès les années 90, l’Universitéibéro-américaine a mis en place un pro-gramme appelé Dialogue dont le but estd’aider les professeurs à faire intervenir lesétudiants, à les faire interagir dans la dis-cussion, utilisant des stratégies telles que lacommunauté de recherche. Le matériel dephilosophie pour les enfants a été traduit etadapté pour les pays d’Amérique latine parle Centre de philosophie pour les enfants,créé en 1992 à San Cristobal de las Casasau Chiapas. Ce Centre a contribué audéveloppement de la PPE au Costa Rica,au Guatemala, et actuellement auNicaragua et au Paraguay. Il existe 10Centres de PPE au Mexique où les ensei-gnants suivent des formations, font de la

(88) www.cbfc.com.br

(89) www.unb.br/fe/tef/filoesco

(90) Synthèse par Michel Sasseville,professeur de philosophieà l’Université Laval (Canada).

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recherche, de la traduction, de l’adaptationou de la création de matériels pédagogi-ques. Fondée en 1993, la Fédération dephilosophie pour les enfants se réunit cha-que année dans différentes parties dupays. Le Mexique est le seul pays au mondeà avoir été l’hôte à deux reprises desconférences de l’ICPIC tenues au châteaude Chatultepec à Mexico. Du matériel y futcréé pour la population indigène duMexique, qui compte 64 ethnies et desmilliers d’enfants indiens récemmentscolarisés. Dans la ville de Mexico, leMinistère de l’éducation primaire a encouragédepuis plus de 10 ans la mise en œuvre dela PPE dans plus de 400 écoles aussi bienrurales qu’urbaines, préscolaires, primaireset secondaires. Certaines écoles exigentque les enseignants obtiennent un diplômede 150 heures de formation dans cedomaine. La plupart des écoles pensentque la PPE offre la possibilité aux étudiants de

développer leur pensée critique et de prati-quer des valeurs propres à la démocratie, à latolérance envers la diversité et l’éducationpour la paix.

Pérou. L’intérêt pour la PPE a considérable-ment augmenté au début de la dernièredécennie. Depuis 2000, des ateliers ont étéréalisés au sein de l’Association culturelle etéducative Buho Rojo(91), en s’inspirant duMonde de Sophie(92), en appliquant et enadaptant la méthode lipmanienne et enélaborant un matériel indépendant destinéaux membres du Projet de philosophieappliquée Buho Rojo. Le fruit de ces ateliersa ensuite été utilisé dans des collèges(93). Lesélèves bénéficiaires provenaient majoritai-rement de familles à faibles revenus, vivantdans des zones marginales.

Uruguay. En coopération avec le groupede travail de l’Université de Buenos Aires,les travaux liés à la PPE ont débuté dans lesannées 1990. Le Centre uruguayen de PPEa été fondé en 1994. Plusieurs expériencesont été menées dans des écoles, la plussignificative dans l’école publique deShangrilá, sous la responsabilité de MartaCórdoba, La méthode de la PPE s’appliqueégalement dans des collèges privés, de 3 à15 ans. Dans les Instituts de formation desmaîtres, une forte composante en PPE a étéintroduite dans le programme de philoso-phie de l’éducation.

Venezuela. Le Groupe de philosophie pourenfants de Caracas, situé à l’Université cen-trale du Venezuela, a participé à diversesactivités de recherche, en liaison avec des pro-fesseurs espagnols. Un travail spécifique aété mené dans le domaine de la logiqueet des expériences ont été réalisées avecles enfants dans les écoles de Guarenas,Catia et Burbujitas, et avec les enseignantsdans celles de Chirimena.

Asie et Pacifique

Japon. Le professeur Takara Dobashi(94), etle Professeur Eva Marsal(95), ont travaillé defaçon intensive depuis 2003 à un projet derecherche international intitulé Das Spiel alsKulturtechnik, dont une partie concerne laPPE. L’initiative de recherche allemande etjaponaise sur la philosophie avec les enfants(DJFPK), basée à l'École Supérieure de

CHAPITRE I

40

Encadré 11Naissance et application de la philosophie pour enfants en Colombie

J’ai commencé à travailler dans ledomaine de la philosophie pour enfantsaprès avoir assisté en 1981 à un atelierorganisé dans le New Jersey parMatthew Lipman, Ann Margaret Sharp etdes professeurs venus de plusieurspays. Durant plusieurs années, l’idée dela PPE n’a reçu aucune réception enColombie et c’est seul que j’ai travaillésur ce thème pendant presque 7-8 ans.Ce n’est que depuis 1999 que ce travaila commencé à prendre forme à traversdeux événements : la publication dequelques romans du programme originalde Lipman, et le début, dans quelquesrares collèges de Bogotá, d’un dévelop-pement un peu plus systématique de laPPE. Pour notre part, nous avons préféréagir à titre personnel plus qu’institutionnel.Pendant des années, nous avons tenudes réunions permanentes entre nouspour développer un petit réseau quenous avons appelé Lysis, en souvenir dujeune homme qui discute avec Socratesur la signification de l’amitié. Nousavons bien avancé dans différentestâches, et ce malgré les limites propresà un pays sous-développé touché par degraves conflits économiques, sociaux etpolitiques. J’ai traduit et adapté aucontexte colombien les sept romans duprogramme de Lipman. Ces huit dernièresannées, nous avons également donnéune impulsion importante à la formationdes professeurs. J’ai moi-même dirigé

plusieurs cours de formation en PPE àBogotá, dans de nombreuses autresparties du pays ainsi qu’en Équateur etau Panama. Même si notre point dedépart a été le programme lipmanien,nous n’en sommes pas restés là. J’aiécrit trois textes qui mettent l’accent surles problèmes éthiques. Ils s’intitulent :Checho y Cami (un court roman pour ini-tier les enfants de 5-6 ans à la réflexionet au dialogue philosophique) ; Lapequeña tortuga (une histoire pour pro-mouvoir la réflexion éthique, liée à deséléments de sciences naturelles et envi-ronnementales) et El miedo (une sériede contes courts pour travailler diffé-rents thèmes éthiques - la justice, lemensonge, la cruauté, etc. - à l’écoleprimaire). Pour chacun de ces textes,j’ai élaboré en outre un manuel d’appuidestiné au professeur. Mon idée est de développer à moyenterme un programme de formationéthique dans une perspective philoso-phique.

Propos recueillis auprès deDiego Antonio Pineda R. Soy Professeur associé à la Facultéde philosophie Université pontificale Javeriana Bogotá(Colombie)www.javeriana.edu.co/Facultades/Filosofia/dpineda/pineda1.html

(91) www.buhorojo.de

(92) Jostein Gaarder, Le Monde deSophie. Paris, Seuil, 1991.

(93) www.redfilosofica.de/fpn.html#peru

(94) Du Departement of LearningScience, Graduate School ofEducation, Université de Hiroshima(Japon).

(95) De l’École Supérieurede Pédagogie de Karlsruhe(Allemagne).

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(96) Pour plus de détailssur le DJFPK, voir le cas relatifà l’Allemagne dans cette partiedu chapitre.

(97) Le professeur Hayashi,considéré comme le premier« philosophe de l'enfant »contemporain au Japon, a appliquéson approche dans une leçon sur« Au sujet de l'homme » et« Qu'est-ce que l'être humain ? »,conçue pour l'école primaire.

(98) Les cinq doigts représententdes questions 1) phénoménolo-giques, 2) herméneutiques,3) analytiques, 4) dialectiqueset 5) spéculatives.

(99) Les professeurs Dobashiet Marsal ont également éditéensemble deux numéros du périodiqueKarlsruher Pedagogic Theses,sur le thème de l'enseignementet de l'apprentissage innovants.Takara Dobashi et Eva Marsal (dir.),Karlsruher pädagogische Beiträge,Périodique, Nos. 62 et 63.Karlsruhe, 2006.

(100) L'énigme, « Quel est l'animalqui marche sur quatre pattes lematin, sur deux pattes à midi, etsur trois pattes le soir ? » se réfèred'une part à l'identité diachronique,et de l'autre à la nature raisonna-ble de l'humanité comme homofaber, à savoir celui qui construitdes outils, l'animal technologique.

Pédagogie de Karlsruhe, a été créée dansce cadre en août 2006(96). Le but de ce tra-vail est de créer une base théorique solidepour la PPE, qui s’appuie sur les philoso-phes occidentaux Socrate, Hume, Goethe,Rousseau, Kant, Nietzsche etc. et sur lesphilosophes orientaux Takaji Hayashi,Shûzô Kuki et le pédagogue Toshiaki Ôse.Marsal et Dobashi ont donc reconstruit laPPE comme Urspiel (jeu archétypique), sebasant sur Platon, Nietzsche et Hiuzinga, etcomme Urwissenschaft (science archétypi-que), se basant sur Socrate et sur la théoriede pédagogie clinique de Hayashi(97). Leurapproche en classe associe celle de Hayashiavec la théorie didactique du professeurallemand Ekkehard Martens, en particuliersa méthode dite « des cinq doigts »(98), ainsiqu'avec le concept de « communauté derecherche » de Lipman(99).Un des intérêts principaux du projet estd’établir des comparaisons interculturellesentre les concepts anthropologiques desélèves des écoles primaires japonaises etallemandes. Dobashi a reformulé les leçonsde Hayashi et d'Ôse dans le cadre de la PPE,puis elles ont été reproduites dans lecontexte allemand pour analyser les différen-ces et les similitudes culturelles existantentre les concepts anthropologiques desélèves des écoles primaires. Pour le projet,Marsal et Dobashi ont reproduit l'expérienceen PPE de Hayashi, basée sur l’énigme dusphinx, telle qu’elle a été effectuée le 3juillet 1971 dans une classe de troisièmeannée de l’école primaire publiqueTsubonuma au Japon. Trente-cinq ans plustard, en 2006, le matériel pictural et lequestionnaire de Hayashi étaient à nouveauutilisés pour stimuler la pensée philosophiquedans une classe de troisième année del’école primaire publique Peter Hebel àKarlsruhe, Allemagne(100). Cette approche apermis, par des méthodes de recherchequalitatives, de faire des comparaisonsdans la structure des arguments et dans lecontenu des dialogues entre les enfants duJapon et d'Allemagne.

Malaisie. En 2006, l'Institut d'éducationde l'International Islamic UniversityMalaysia a obtenu l'accord du Conseil d'ad-ministration de l'Université pour la créationd'un Centre for Philosophical Inquiry inEducation (CPIE). Le CPIE est le second Centrede ce type après le Centre for Philosophy

for Children in Malaysia, créé par le profes-seur Rosnani Hashim et rattaché à l'IAPC.Selon le professeur Hashim, l'objectif duCPIE est de rétablir l'esprit de recherchephilosophique et la tradition intellectuellecomme y invite le Coran. Son ambition estde devenir un pôle renommé de développe-ment et de pratique de l'éducation philoso-phique, dans le but de produire des individusdotés d’un jugement. Le CPIE a donc pourobjectifs d'offrir à tous la possibilité decomprendre et d'apprécier la pensée et laphilosophie éducative islamique ainsi quesa pratique. Notamment ce qui la relie à lavérité, à la connaissance, aux valeurs et à lasagesse, à la pensée logique et critique afind'avoir un bon jugement et de discuter defaçon rationnelle des questions de morale.Parmi les activités du Centre figurent1) la formation en recherche philosophique,la communauté de recherche et les pro-cessus démocratiques pour les étudiants àl'école et à l'Université, les éducateurs et pro-fesseurs d'Université, ainsi que le public,2) une collaboration avec les écoles, leMinistère de l'éducation et d'autres établisse-ments éducatifs dans la mise en applicationdu programme de philosophie à l'école,3) l'élaboration de modules sur la philo-sophie islamique dans l'éducation, lapensée éducative et le programme, 4) laconduite de recherches sur la philosophiedans l'éducation, la pensée éducativeislamique et d'autres sujets connexes, 5) lapublication de matériels éducatifs malais6) l'organisation de conférences locales etinternationales et 7) l'organisation de courssur la philosophie à l'école et de recherchephilosophique pour le public. En termes dematériels éducatifs, le CPIE utilise un choixde textes de Lipman qui ont été traduitspour l'usage dans les écoles lors de l'étapeexpérimentale. Même si de nouvelles res-sources seront créées à l'avenir tels que deshistoires et des matériels plus en rapportavec la culture malaise, on n’y trouve pas,selon le professeur Hashim, beaucoup dechoses qui peuvent être considéréescomme vraiment choquantes d'un point devue moral. Cependant, après un change-ment récent de politique linguistique enfaveur de l'anglais en Malaisie, les textesoriginaux de Lipman ont été utilisés. Laméthode de la communauté de recherchea été également reprise. Les activités duCPIE se situent entièrement à l'extérieur du

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programme scolaire officiel. Les tentativesde communication avec le Ministère del'éducation sur cette question sont, selon leprofesseur Hashim, restées jusqu'ici sanssuccès. La philosophie n'est pas enseignéeen tant que matière au niveau de l'ensei-gnement primaire ou secondaire. Elle n'estpas non plus enseignée à l'Université commediscipline spécifique, mais en tant que« philosophie de l'éducation », en tantqu'élément du programme de sciences,etc., et il n'existe aucun Département dephilosophie.

Afrique et Monde arabe

Selon les recherches effectuées et lesinformations disponibles y compris dansles réponses recueillies à travers leQuestionnaire de l’UNESCO sur le pointspécifique de la PPE, il ressort une quasi-absence de ce type d’initiatives au sein desrégions de l’Afrique et du Monde arabe,s’agissant du moins de leur diffusion en ter-mes de publications, de sites Internet, etc.

En Afrique, il existe une très faible présence dela PPE, bien qu’il soit possible de trouverdes personnes ressources travaillant surcette thématique dans trois Universitésafricaines : au Kenya(101) (Département dephilosophie, Université Kenyatta), auNigéria (Institut d’éducation oecuménique(102)),ainsi qu’en Afrique du Sud(103) (University ofthe Western Cape, Faculté d’éducation etCentre for Cognitive and Career Education).

Dans le Monde arabe, aucun Centre ni ini-tiative ne semble être diffusé en matière dePPE. Il existe dans cette région un pointaveugle dans ce domaine, sur lequel ilconviendrait de s’interroger. Les philosophesarabes ont fortement débattu au MoyenAge de questions essentielles pour ces

problématiques, et le débat se poursuitaujourd’hui, notamment sur l’articulationentre la foi et la raison, déterminante pourla conception et la pratique de l’éducationdes enfants. C’est ici le statut social et scolairede l’enfance qui est convoqué, le rôle del’école dans son éducation, la place de laraison dans l’éveil de sa pensée, la fonctionde la philosophie dans ce cheminement.

Cette Étude n’a pas la prétention de recensertoutes les recherches menées dans lemonde sur la pratique de la philosophie àl’école primaire, telles que recherches-actions et recherches-formations sur leterrain, travaux universitaires divers, notam-ment au sein des réseaux de l’IAPC et del’ICPIC. Elle a essayé de fournir au lecteurune gamme d’informations et de questionsbasées sur l’état actuel de la PPE dans lemonde. Il existe beaucoup d’autresrecherches, ce qui s’explique parce qu’ils’agit d’une innovation dans l’histoire del’enseignement philosophique mondial,remettant en question bon nombre dereprésentations sur l’enfance, la philosophie,le philosopher, l’enseignement de la philoso-phie et l’apprentissage du philosopher.Enfin, parce que beaucoup d’universitai-res, en particulier philosophes, se sont inves-tis dans l’impulsion et l’analyse de cespratiques, où il y a maintenant un reculde trente-cinq ans.

CHAPITRE I

42

(101) Le professeur Benson K.Wambari.

(102) Dr Stan Anih et Père FelixUgwuozo.

(103) Les professeurs Lena Greenet Willie Rautenbach.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Les niveaux d’enseignement préscolaire etprimaire sont déterminants car ils sont lesocle de base d’un éveil des enfants et desélèves à la pensée réflexive. Nourrie desrecherches développées en la matière,notamment en psychologie développemen-tale, cognitive, sociale, en sciences dulangage et de l’éducation, l’analyse de laphilosophie pour enfants présentée ici faitainsi le pari qu’un apprentissage du phi-losopher est possible dès le plus jeune âge,et qu’il est même fortement souhaitable,pour des raisons à la fois philosophiques,politiques, éthiques et éducatives.

L’état des lieux de la pratique de la PPE dansle monde montre le grand développementdans certains pays de pratiques à viséephilosophique avec les enfants de trois àdouze ans, des formations pour enseignants,

ainsi que des recherches diverses pour étudierles tenants et les aboutissants philosophiques,pédagogiques et didactiques de ces pratiquesainsi que leurs effets sur les enfants.

Il reste évidemment beaucoup à faire pourle développement de ces pratiques dans lemonde, mais il ne s’agit aucunement deproposer un modèle universel exportable. Ceserait ignorer la diversité des situations, lapluralité des contextes culturels, l’histoiredes systèmes éducatifs et les politiquesconduites en la matière. La pluralité de prati-ques et la diversité de pistes pédagogiqueset didactiques sont vivement souhaitablescar les chemins de la philosophie sont eux-mêmes multiples. Les stratégies avancéessont diverses et les plus optimales sontprécisément celles qui accueillent larichesse de l’altérité.

Conclusion : du souhaitable au possible

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CHAPITRE II

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Enseignement de la philosophie au niveau secondaireL’âge du questionnement

Introduction : visages de l’enseignement de la philosophie au niveau secondaire 48 Notice méthodologique 49

I. La présence de la philosophie à l’école : 51 - 66

quelques controverses X

1) Diffusion et retrait de l’enseignement philosophique dans les écoles 51 2) Enseignement de la philosophie à travers les autres matières 53 3) Dynamique entre le niveau secondaire et l’Université 57 4) Formation de l’enseignant de philosophie au niveau secondaire 57 5) Des réformes remarquées, dans quel but ? 62

II. Suggestions pour un renforcement 67 - 74

de l’enseignement de la philosophie X

au niveau secondaire 1) La construction de l’esprit critique. Sujet cognitif, affectif et social 672) Approche théorique et approche historique de l’enseignement 683) Prôner davantage l’enseignement de la philosophie au niveau secondaire 714) Interactions entre la philosophie et d’autres disciplines 72

> Interdisciplinarité philosophie et physique - application des mathématiques> Interdisciplinarité philosophie et biochimie> Interdisciplinarité philosophie et musique> Interdisciplinarité philosophie et arts visuels

III. État des lieux : institutions et pratiques 75 - 90

1) Diversité des systèmes scolaires à travers le monde 752) Pratiques et méthodes d’enseignements dans le monde. Quelques études de cas 76

> Amérique latine et Caraïbes> Afrique> Asie et Pacifique> Europe et Amérique du Nord> Monde arabe

3) Autres exemples d’initiatives à l’échelle nationale et internationale 89

IV. La philosophie au niveau secondaire en quelques chiffres 91X

Conclusion : la philosophie à l’adolescence : une puissance de transformation créatrice 93

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CHAPITRE II

48

Ce chapitre n’entend pas offrir un répertoiredes curricula philosophiques à travers lemonde. L’enseignement de la philosophiene saurait être réduit aujourd’hui à unesuccession de curricula, de programmesofficiels ou d’annuités d’enseignement.Parce que l’éducation philosophiquereprésente un enjeu considérable dans laplupart des systèmes d’enseignement, il aparu plus opportun de l’aborder à partirdes problèmes qu’il suscite, des aménage-ments qu’il génère et des solutions plus oumoins temporaires qu’il reçoit. Les visagesde l’enseignement de la philosophie à l’âgede l’adolescence reflètent les difficultés quepeut poser cette discipline ainsi que lesinquiétudes qu’elle suscite à la fois chezles décideurs, les éducateurs et les élèves.Quelques études de cas viennent étayer lepropos de ce chapitre. Ces derniers seprésentent moins comme des exemples àsuivre que comme des situations particulière-ment représentatives des questions abordéesà travers cette Étude. Une orientation globalede la présence actuelle de l’enseignementphilosophique au niveau secondaire sedégage-t-elle d’un tel travail ? Il est difficilede le dire. Tantôt la place de la philosophiesemble progressivement se déplacer versl’enseignement universitaire, tantôt ellegagne de nouveaux espaces dans le systèmescolaire. Peut-être faudrait-il évoquer le faitqu’elle semble être de plus en plus conçuecomme une discipline technique, susceptibled’être enseignée au niveau spécialisé,voire professionnel, mais subordonnée àd’autres matières - comme l’éducation à lacitoyenneté ou différentes sortes d’ensei-gnements religieux -, lorsqu’il s’agit de for-mer de jeunes esprits. En même temps, onobserve une forte tendance à attribuer uneportée pratique accrue à l’enseignementsecondaire. Cette orientation ne se manifestepas uniquement dans la prolifération dematières techniques dans les écolessecondaires. Même les disciplines diteshumaines sont investies par cette orienta-tion tendant à valoriser les matières prag-matiques. Dans les lycées, lieux historique-ment voués à l’enseignement de la philoso-phie, la formation des consciences est par-

fois déléguée à des disciplines orientéesvers l’action, voire l’actualité sociale et poli-tique. Cette tendance, en elle, n’a rien dedéplorable. Mais elle semble fondée surun leurre qui existe également au niveauuniversitaire, à savoir l’idée que l’on peutobtenir une meilleure formation desconsciences en véhiculant des contenussubstantiels plutôt qu’en développant l’es-prit critique des élèves. Quelque part, c’estcomme si un mécanisme de convictionfondé sur l’éducation des facultés logiques,du libre jugement, de l’esprit critique, avaitété remplacé par des enseignements per-suasifs. Ces derniers servent de vecteursd’idées-force que les élèves sont censésabsorber sans forcément les critiquer. Or, lacapacité de critiquer toutes les idées, mêmecelles considérées comme justes – en d’au-tres termes, la capacité de rébellion – est unélément essentiel de la formation intellec-tuelle des jeunes. Un citoyen obéissant seraun bon citoyen, mais il risque aussi d’êtreun citoyen manipulable et susceptibled’adhérer, un jour, à d’autres chapelles quecelle à laquelle il a été formé. D’autres élé-ments poussent à l’optimisme. Les com-munautés d’enseignants et de spécialis-tes de la didactique jouent un rôle de plusen plus actif en faveur de l’enseignementde la philosophie et pour discuter dans desréseaux de plus en plus vastes, les ques-tions, les pratiques et les méthodes d’ensei-gnement qui surgissent presque au quoti-dien à travers le monde. Sont également évo-qués dans ce chapitre les cas d’associa-tions d’enseignants se réunissant pour pro-tester contre la suppression d’heures dephilosophie, discutant des enjeux culturelsdes enseignements de morale dans leurpays, et proposant avec succès des réformescurriculaires. La richesse de ces contributionsest immense et il s’agit là de vecteursnaturels des préoccupations de l’UNESCOdans le domaine de l’enseignementsecondaire(1) et de la place qu’y occupe laphilosophie.

Introduction : visages de l’enseignementde la philosophie au niveau secondaire

(1) Voir Roger-François Gauthier,Les contenus de l'enseignementsecondaire dans le monde : étatdes lieux et choix stratégiques,Collection EnseignementSecondaire pour le XXIe Siècle.Paris, UNESCO, 2006. Cette étuderéalisée sous l’égide de l’UNESCOprésente une analyse des contenusde l'enseignement secondairedans le monde et montre en quoiles questions relatives aux contenus,longtemps délaissées ou jugéescomme allant de soi, sont en faitstratégiques pour le succèsdes politiques éducatives.L'ouvrage attire l'attentiondes décideurs et des pédagoguessur l'immense envergureet l'importance d'un sujetdont le traitement demande clarté,méthode et consensus.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Pour élaborer un rapport sur l’enseignementde la philosophie au niveau secondairedans le monde, il est utile de se demanderquelle place ce travail est destiné à occuperdans la masse d’informations disponiblesvia les publications spécialisées, les réseauxd’experts, les textes officiels ou encoreInternet. Les réunions de travail organiséespendant la préparation de cette Étude ontrapidement fait apparaître que celle-ci nepouvait pas être conçue comme unannuaire analytique des pratiques envigueur dans chaque pays. Par ailleurs, lefait d’avoir privilégié la forme du rapportplutôt que celle de contributions multiples,comme ce fut le cas pour la série Studies onTeaching and Research in PhilosophyThroughout the World(2) dans les années1980, laisse croire que l’objectif principalde ce travail consiste d’abord dans un repé-rage systématique des pratiques existantes.Or, il s’agit moins d’étudier l’enseignementde la philosophie dans le secondaire payspar pays que d’isoler et de comparer les prin-cipales formes et modalités selon lesquellescelui-ci est pratiqué dans le monde. Pourmener à bien cette entreprise, une hypo-thèse de fond a été avancée dès le départ.À savoir qu’au niveau secondaire, le sens del’enseignement de la philosophie procèdeautant des contenus impartis que de l’arti-culation entre la philosophie et les autresdisciplines dans le cadre des curricula sco-laires. Autrement dit, il faut se poser laquestion de la présence de la philosophie àl’école. Outre sa nature unitaire, un rapportest aussi un travail de synthèse. En tant quetel, il sous-tend toujours une orientationvers l’action. Plusieurs enjeux principauxdevraient ainsi être mis en exergue.D’abord, la question de la présence de laphilosophie à l’école. Une crise de la phi-losophie doit être évoquée à ce propos, carla tendance générale est aujourd’huiindiscutablement au retrait et les raisons dece déclin sont multiples. Il n’est pasquestion dans ce chapitre de dissimuler ledéficit d’image dont souffre parfois laphilosophie. Or, l’école demande à avoirdavantage de prise sur la réalité, et laphilosophie n’est pas toujours la mieuxplacée pour la servir. Ce malaise de laphilosophie, qui dépasse largement la

question de sa diffusion à l’école, se doubledu statut fragile des enseignants du niveausecondaire, et des enseignants de philosophieen particulier. Le problème de la formationdes enseignants conduit au rapport de plusen plus faible entre éducation au niveausecondaire, Recherche et Université, alorsque ces trois niveaux devraient se nourrir réci-proquement. Une autre question essentiellepour comprendre les avatars de la philoso-phie à l’école, est illustrée par la natureprotéiforme des enseignements philosophi-ques. Les données reçues dans le cadre decette Étude montrent un décalage entre laprésence de la philosophie en tant quematière enseignée et le maintien denotions ou de concepts philosophiques autravers d’autres matières. Il est presque decoutume que toute réforme visant àréduire le nombre d’heures d’enseigne-ment de la philosophie se réclame de lanature philosophique d’autres enseigne-ments existants ou introduits - le plus sou-vent l’éducation morale, civique ou reli-gieuse. Inversement, il arrive tout aussi sou-vent que soient véhiculés, sous le nom dephilosophie, des enseignements s’apparen-tant davantage à des doctrines politiquesou confessionnelles.

Est également proposé un rapide passageen revue des grandes familles de systèmesd’enseignement à travers le monde. Cetteétape montre que la philosophie a ses lieuxprivilégiés - les lycées - mais qu’elle est loinde s’y borner. Au contraire, on assisteparfois à une redistribution des cours dephilosophie des lycées vers les écolestechniques. Ont été parcourues les différentespratiques de ces enseignements, en enmesurant l’étendue et les différentesdéclinaisons. À cette fin, sont étudiés deprès quelques cas particulièrementreprésentatifs des questions qui se posentà l’enseignement de la philosophie et desdéfis que ce dernier doit affronter. Ces casinterrogent également les rapports del’enseignement de la philosophie avec lestraditions culturelles locales ou encore leschoix qu’il est possible d’opérer entredifférents paradigmes pédagogiques.

Notice méthodologique

(2) Daya Krishna, Teaching andResearch in Philosophy: Asia andthe Pacific. Série Studies onTeaching and Research inPhilosophy Throughout the World,2. Paris, UNESCO, 1986. Teachingand Research in Philosophy: Africa.Série Studies on Teaching andResearch in Philosophy Throughoutthe World, 1. Paris, UNESCO,1984.

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CHAPITRE II

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En plus d’avoir interrogé la pertinence deces pratiques, quelques pistes de réflexionsont proposées. La question de l’articulationentre le niveau secondaire et l’Université,enjeu criant de l’enseignement contemporainen philosophie, sera également abordée.Quelques suggestions d’ordre plus spécifique-ment pédagogique viendront en appui deces interrogations. En premier lieu, ilsemble qu’il existe deux grandes approchesde l’enseignement qui, historiquement,correspondent à la double nature de larecherche philosophique. Il s’agit, d’unepart, d’une approche théorique ou logiqueaux problèmes philosophiques, privilégiantl’analyse rationnelle, le développement desfacultés logiques et intellectuelles au traversd’exercices et de travaux pratiques pro-prement théoriques. D’autre part, il s’agitd’une approche historique, concevantl’éducation philosophique comme uneréflexion sur les contenus de la traditionphilosophique. En deuxième lieu, il a parucorrect de s’interroger sur les bienfaits maisaussi sur les limites de l’enseignement de laphilosophie à l’école. À un moment où sonenseignement connaît des transformationsimportantes, il serait trop simple de se faireles chantres de la philosophie, sans problé-matiser son utilité pédagogique, sa fonctionet les limites de son enseignement. Or,force est de constater un déficit criant dedonnées récentes et d’études sur ce point.

On peut ainsi affirmer sans hésitation quele présent état des lieux vient combler unelacune majeure. Dès lors que cette Étude apour objectif d’actualiser une base dedonnées sur l’enseignement de la philosophie,les éléments d’information obtenus enélaborant les réponses au Questionnaire del’UNESCO ont joué un rôle essentiel. Eneffet, elles ne se limitent pas à fournir unaperçu articulé par pays. Elles renvoientaussi, par le jeu des commentaires et dessuggestions, des images vives de la manièreselon laquelle l’évolution des systèmesd’enseignement est perçue et vécue par lesdifférents acteurs impliqués. Comme l’écritun répondant dans un article utilisé àpropos de l’Espagne, « tout hypothèsetouchant au travail réel du professeur dephilosophie dans les salles de classe ne peutvenir que d’impressions obtenues à partirde contacts avec les collègues ». Les réponsesfournies au Questionnaire de l’UNESCO de2007 représentent ainsi un apport essentielà la série d’enquêtes réalisées parl’Organisation depuis les années 1950. Parailleurs, la Revue internationale de didactiquede la philosophie, Diotime-L’Agorà(3), a étéune source très riche pour ce travail, enparticulier en ce qui concerne les études decas à travers le monde. Enfin, il est à noterque les réformes les plus remarquées, leurfinalité et leur impact sur l’enseignementde la philosophie, ont également été abordés.

(3) L'Agorà est une revue trimestriellefondée en 1999. À partir du n° 19,en novembre 2003, elle paraîtexclusivement sous formeélectronique. Son rédacteur enchef est Michel Tozzi, professeur àl'Université Montpellier III. La Revueest éditée en ligne par le serviceéditorial du Centre régionalde documentation pédagogiquede l'Académie de Montpellier.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Doit-on parler d’une crise de la philosophiedans le secondaire ? Le terme ne paraît pasapproprié, dès lors que l’on constate, àl’échelle internationale, une diversité detendances ne pouvant être réduite à unsigne positif ou négatif. Dans maintescirconstances, des poussées visant à privilégierles disciplines appliquées, techniques ouéconomiques, ont conduit à réduire voire àsupprimer les enseignements philosophiquesde l’école. Dans d’autres cas, des résistancesculturelles ou politiques ont découragé uneprésence plus étoffée de cette discipline.Certains pays, comme la Belgique, semblentvouloir préserver un équilibre entreenseignement des morales confessionnelles etd’une morale laïque ou non confessionnelle,tout en s’interrogeant sur l’opportunité dedoubler, voire de remplacer ces enseigne-ments par de véritables cours de philosophie.Ailleurs, comme on nous le fait savoirdepuis plusieurs pays d’Afrique, les difficultésliées à la formation universitaire en phi-losophie se répercutent sur la formationdes enseignants, contribuant à diminuerl’attrait de la philosophie sur les élèves.S’ajoute à cela l’absence presque consti-tutionnelle de la philosophie de l’éducationsecondaire de certains pays du mondeanglophone. Tout au plus y est-elle présentesous forme d’option, comme au Royaume-Uni et dans certaines écoles d’Amérique duNord. Au Cambodge, on relate qu'« il y aquelques années, le Ministère de l’éduca-tion a retiré le cours de philosophie des pro-grammes des niveaux primaire et secon-daire ». En République de Moldova, lescours de philosophie sont remplacés dansles lycées par l’éducation civique et le droit.Ces cours sont professés par des non phi-losophes. Le cours de philosophie géné-rale est optionnel et exclu des lycées. EnFédération de Russie, la philosophie n’estpas enseignée dans le secondaire.

Tout n’est évidemment pas négatif pourautant. Les cas du Maroc et de la Tunisie, eten partie du Brésil, montrent que la

conscience de l’importance de la philosophiepeut atteindre le niveau politique. EnIrlande, où la philosophie est absente desécoles, on lui prête toutefois la capacité de« créer un citoyen actif et éclairé ». Uncorrespondant belge voit à juste titre dansl’éducation philosophique un moyend’ouvrir les esprits à « la citoyennetémondiale à travers la philosophie ». AuChili, on insiste sur la fonction sociale quiconsiste à « orienter les adolescents versleur sexualité, vers les dangers liés à laconsommation de drogues ainsi que verstoutes matières à caractère psychologique ».Au Nigéria, on évoque « un renforcementdes valeurs ». Une multitude de débats, depropositions et de suggestions se font jourà un rythme presque quotidien, témoignantde la vitalité des enseignants de philosophieà travers le monde, et de leur attachementà la discipline. Les vives discussions ayantaccompagné la réforme des heures d’ensei-gnement dans les Collèges d'enseignementgénéral et professionnel (CEGEPS) duQuébec montrent que, même face à desréductions voire à des suppressions desheures de philosophie, la communautéenseignante est capable de s’organiser etde réagir. Les nombreuses associationsd’enseignants, les revues de didactique dela philosophie, des phénomènes singulierscomme les Olympiades de philosophie(4)

représentent autant de facteurs de vitalité àencourager et à soutenir. En particulier, lapossibilité de susciter des associationsd’enseignants de philosophie là où ellesn’existent pas, puis de les coordonner entreelles à l’échelle internationale pourraitcontribuer de manière substantielle àrenforcer la place de la philosophie au seindes différents systèmes scolaires.

Quelles sont les principales raisons àl’origine des résistances effectivementobservables à une présence accrue de laphilosophie au niveau secondaire ? Ilsemblerait d’abord que l’insistance sur uneformation davantage scientifique et technique (4) Voir chapitre IV.

I. La présence de la philosophie à l’école :quelques controverses

1) Diffusion et retrait de l’enseignement philosophique dans les écoles

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CHAPITRE II

52

s’accompagne parfois, et à tort, d’unedévaluation des matières humanistes. Dansces contextes défavorables, la philosophieest souvent la première sacrifiée, les lettreset l’histoire profitant en général d’unancrage solide dans l’identité culturelle desdifférents pays. Or, la philosophie estsouvent perçue comme une disciplineétrangère, sinon franchement occidentale.Il faut souligner à cet égard que les tendancesà une technicisation de l’enseignementsecondaire en général s’inscrivent souventdans des politiques d’affirmation nationale,où la recherche de la croissance économiques’accompagne d’une réaffirmation desidentités nationales. On peut constater uneautre tendance dont il faut tenir compte.Celle de la persistance d’une dialectiquetrès vive entre enseignement philosophique,perçu comme synonyme de libre pensée, etmorales confessionnelles. On a observé queles origines des récentes réformes dusystème d’enseignement espagnol puisent,du moins en partie, dans le processus delaïcisation progressive de ce système etinvestissent directement la place de laphilosophie à l’école. On retrouvera un casde figure similaire en Belgique, où toutefoisles positions se distribuent différemment.Un correspondant suédois de l’enquêteUNESCO fait aussi état d’une « résistanceénorme à enseigner la philosophie,manifestée par de nombreux groupesreligieux dans le pays ». Il faut retenir quecette dialectique peut se présenter sousdes formes diverses, les tenants d’une pré-sence accrue ou réduite de la philosophiepouvant se trouver dans les deux camps etpour des raisons opposées.

Un thème particulièrement délicat, et qu’ilfaut aborder avec d’autant plus de précaution,concerne le rapport entre cultures tradi-tionnelles et enseignement de la philosophie àl’école. En répondant à l’enquête del’UNESCO, un enseignant du Bangladeshécrit que « notre culture est orientale. Mais,au niveau secondaire, seule la logiqueoccidentale - aristotélicienne - est enseignée ».C’est un enjeu considérable qu’il soulèveici. Car si la formation de l’esprit critique nepeut être réduite à une pédagogie éthiqueou culturaliste, les contenus des ensei-gnements impartis risquent souventd’apparaître aux élèves et aux enseignantscomme abstraits et dépourvus de liens avec

le concret de la culture dans laquelle ilsvivent. Il faut remarquer à ce sujet que cettesection de l’enquête de l’UNESCO a reçu ungrand nombre de réponses mais que l’on yconstate un silence presque général despays asiatiques. Seul un correspondantindien écrit très sobrement « Gandhi estdébattu », tandis que deux Thaïlandaisinsistent sur le lien entre philosophie,bouddhisme et religion. En Afrique, enrevanche, les réactions sont nombreuses.Un enseignant du Botswana précise à cepropos que « le sujet est nouveau et lamajorité des maîtres de conférence ontreçu une éducation selon la traditionoccidentale de la philosophie. Ils n'apprécientdonc pas nécessairement les autres traditionsau même point ». En Côte d’Ivoire, l’en-seignement de la philosophie reposeessentiellement sur des manuels venant del’Occident, de sorte que l’accent n’est pasmis sur les penseurs locaux. La mêmedifficulté surgit au Niger, où « l’insuffisancede la formation pédagogique et l’absencede ressources pour un encadrement deproximité est un handicap dans ce domaine.Les enseignants ont des difficultés à faire lelien avec, d’une part, les cultures africaineset les auteurs africains et africanistespertinents dans l’enseignement de laphilosophie ». Pourtant, en Républiquecentrafricaine, il existe un cours de philosophieafricaine où sont étudiés des auteursafricains dans le cadre d’un comparatismeavec les auteurs occidentaux, tandis qu’àMadagascar « on a supprimé dans leprogramme la philosophie malagasy car ona estimé qu'elle était déjà traitée dans lamatière Malgache ». En Algérie, on signale« la forte présence des philosophes arabes,comme El Farabi, Ibn Sina, Ibn Roshd, ElDjabiri, ou Hassan Hanafi, dans lecontenu des programmes ». En Jamaïque,« à l'Université, on enseigne les idées deGarvey, CLR James, Nettleford, OrlandoPatterson ». En Nouvelle-Zélande, on faitétat d’une « attention naissante portée auxphilosophies indigènes et aux systèmesmoraux. Mais ces derniers ne sont pasassociés à des philosophes spécifiques ».On reconnaît plus souvent que l’influencede l’histoire de la philosophie occidentaleest prépondérante (Cameroun), que l'ha-bitude consiste à se référer à la traditioneuropéenne (Argentine) et que la majeurepartie des programmes mettent l'accent sur

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

la philosophie grecque, la philosophiemédiévale européenne, ainsi que sur lesphilosophies anglaise, allemande et française(Chili). Au Paraguay, pour les deux dernièresannées du lycée, on évoque la « consoli-dation de l'héritage culturel de l'Occident ». Ladéfense d’un héritage culturel doit évitertout risque de repli identitaire. La philosophiene peut devenir le vecteur d’une formationaxée sur l’apprentissage d’un corpus devaleurs. Elle doit rester au contraire unenseignement ouvert et visant à la formationde l’esprit critique – à la critique des savoirsplutôt qu’à leur absorption passive. Unphénomène bien visible au niveau uni-versitaire est signalé dans les écolesvénézuéliennes, « la matière philosophielatino-américaine et philosophie vénézué-lienne, dans la majorité des écoles, estoptionnelle (quand elle existe). C'estseulement récemment qu'elle est devenue,dans quelques écoles, obligatoire ».Signalons également ce qu'écrit un corres-pondant de l’île Maurice, où la philosophieest enseignée dans les quatre dernièresannées du niveau secondaire, pour qui« l’Hindouisme est enseigné expressémentpour préserver et promouvoir les valeursculturelles ». Un autre correspondantprécise que le but de l’enseignement de laphilosophie dans les écoles de l’île, consisteà « préserver la culture et la traditionancestrale » et à « connaître leur ethosculturel ». Un autre problème qui paraîttoucher un grand nombre d’écolesconcerne la possibilité de mettre à la dis-position des élèves des fonds documentai-res ou des bibliothèques permettant d’inté-grer les programmes officiels. Bien que desdifférences majeures soient visibles selon lespays, les régions (ville-province), le typed’établissements (publics-privés), il semble-rait que les élèves puissent rarement accéder à

des ouvrages, livres ou revues d’argu-ment philosophique. Bien souvent, cesfonds, lorsqu’ils existent, sont surannés etne contribuent guère à une formation actuali-sée, fût-elle élémentaire. Or, la possibilitéde compléter l’enseignement en classe pardes lectures spontanées représente un élé-ment essentiel d’une formation réussie,en philosophie comme dans les autresmatières. Une action visant à combler cesdéficits matériels s’inscrirait tout naturellementparmi les priorités de l’UNESCO dans cedomaine. Notons enfin ce qu’écrit le profes-seur Carmen Zavala dans une communicationde 2005, quand elle dépeint l’image souventdévaluée de la philosophie auprès desphilosophes. Elle évoque(5) « le discours trèsrépandu chez les philosophes contemporains,selon lequel la philosophie ne sert, ni nedoit servir à rien. Au Pérou, ce discours sedivise en deux branches principales. Lapremière, défendue par le Ministère del'éducation, consiste à soutenir que laphilosophie est un mode d'expressionoccidental dont nous pouvons, et devons,nous passer au Pérou. De même que nousdevons abandonner l'illusion du dévelop-pement en général, puisqu'il s'agit d'unmythe occidental. Le second type de discoursest promu par le Consejo Nacional deCiencia y Tecnología (CONCYTEC). Il critiquela possibilité de toute connaissancescientifique, parce qu'il s'agit là d'un discourstotalisateur. S'agissant de la philosophie, ilaffirme que celle-ci, à l'instar de la littérature,peut tout au plus suggérer quelques anglesnouveaux pour regarder les problèmes. Cepoint de vue s'accompagne d'une campagneen faveur de la fusion de la philosophie etde la littérature. C'est-à-dire à fermer lesspécialités de philosophie dans les Universitéspubliques du pays ».

(5) Carmen Zavala, « Repensando elpara qué y el cómo de la filosofía »,communication présentée lors duCongrès national de philosophie duPérou. 2005.

(6) Véronique Dortu, « Histoire belgedes cours philosophiques »,in Diotime-L’Agorà, 21, 2004.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora.

Les discussions sur l’enseignement de laphilosophie dans le secondaire qui agitentla Belgique depuis des décennies nousparaissent représentatives des tensionstraversant le rapport entre philosophie,religion et éducation morale. Elles reflètentune dialectique entre éducation confes-sionnelle et éducation laïque qu'onretrouve aussi en Espagne, par exemple.

Comme le rappelle le professeurVéronique Dortu(6), en retraçant l’historiquede l’enseignement philosophique enBelgique francophone, l’introduction decours de morale non confessionnelle dansles écoles belges s’est inscrite dans uncontexte durable de rivalité entre établis-sements catholiques et poussées laïcisantes.L’introduction d’un cours de morale laïque

2) Enseignement de la philosophie à travers les autres matières

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était censée équilibrer l’éducation religieuse,considérée pendant longtemps commeseule porteuse de moralité et de civisme. Laloi du Pacte scolaire, promulguée en 1959,puis retouchée par la suite pour inclure lesréférences à l’islam et à l’orthodoxie, ainstitué la situation suivante : « Dans lesétablissements officiels ainsi que dans lesétablissements pluralistes d’enseignementprimaire et secondaire de plein exercice,l’horaire hebdomadaire comprend deuxheures de religion et deux heures demorale. Dans les établissements libressubventionnés se réclamant d’un caractèreconfessionnel, l’horaire hebdomadairecomprend deux heures de religion correspon-dant au caractère de l’enseignement. Parenseignement de la religion, il faut entendrel’enseignement de la religion (catholique,protestante, israélite, islamique ouorthodoxe) et de la morale inspirée parcette religion. Par enseignement de lamorale, il faut entendre l’enseignement dela morale non confessionnelle».(7) Lesprincipaux arguments pour ou contre le rem-placement de ces cours dits philosophiquespar un cours de philosophie ont étédéveloppés dans deux numéros spéciauxde la revue belge de pédagogie de lamorale Entre-Vues(8). Sur le plan social etculturel, la coexistence de cours se réclamantd’identités confessionnelles et de cours demorale laïque ou non confessionnelle, ycompris laïque, fait craindre un affaiblissementde l’égalité républicaine qui favoriserait lemaintien de « communautés morales » liéesà l’identité religieuse et confessionnelle.D’après le professeur Dortu, « le Pactescolaire n’a fait que renforcer le cloison-nement des réseaux, et en accordant lalégitimité absolue à la coexistence des coursde morale et de religion, il a cadenassé toutesles possibilités visant à faire autre chose. Laperspective de créer un cours de philosophiene laisse percevoir aucun intérêt immédiat».(9)

Or, la situation a pu évoluer en Belgiqueflamande où, depuis 1989, les élèves enoption sciences humaines suivent des coursde « courants philosophiques » (wijsgerigestrommingen). C’est là une des raisons quiont poussé maints praticiens à parler d’unpis-aller à propos de cette articulation encours de morale confessionnelle et laïque.Comme si le désir de laïcisation avaitconduit à opposer aux cours de moraleconfessionnelle, dans lesquels résidait

l’essentiel de l’éducation religieuse, descours spéculaires où l’on enseignerait unemorale non confessionnelle. Or, ces courssemblent avoir barré la route à touteintroduction ultérieure d’un cours dephilosophie. Sur le plan strictementpédagogique, ces cours de morale semblentposer trois difficultés majeures. L’une estinhérente à la nature même de la discipline,qui risque à chaque fois de faire l’économiedu volet logico-épistémologique de laphilosophie, ainsi que d’une reconstructionhistorique, fût-ce sommaire mais systé-matique, des principales idées philosophiques.Deuxièmement, comme le souligne Dortu,« les cours “dits philosophiques” ne sontplus soumis à une évaluation terminale. Or,aux yeux des élèves, un cours où il n’y a pasd’examen est un cours qui n’est pasimportant. Dès lors on ne le prend pas ausérieux et la rumeur s’est vite répandue quel’on n’y fait pas grand-chose. Pour avoirenseigné la morale pendant quatre ansdans plusieurs établissements, dans tous lesdegrés et dans toutes les filières, je peux entémoigner. À chaque nouvelle classe, lamême difficulté se présentait : convaincreles élèves de l’utilité du cours et d’y travail-ler».(10) Troisièmement, la plupart destémoignages indiquent que la natureparticulière de ces cours, visant davantageà équilibrer la présence de moralesconfessionnelles qu’à occuper une place àpart entière dans le curriculum scolaire,escompte une formation non spécialiséedes professeurs appelées à impartir cettediscipline. Cet aspect semble cependanttributaire d’une différenciation des zoneséducatives. Toujours selon Dortu(11), « aucuntitre spécifique n’est requis pour enseignerla morale ou la religion. Si les licenciés enphilosophie, en philologie romane ou enhistoire ont souvent la priorité, il n’est pasrare de trouver des diplômés d’autres Facultéssans même parfois de complément péda-gogique. Les plages horaires réservées auxdeux heures de morale ou de religion sonttrès souvent celles dont personne ne veut ».

Le Rapport sur L’introduction de davantagede philosophie dans l’enseignement,déposé par la Députée Bernadette Wynantsau Parlement de la Communauté françaisede Belgique en novembre 2000, affirmepourtant que « sur le principe de l’intro-duction de davantage de philosophie dans

CHAPITRE II

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(7) Ibid.

(8) Entre-Vues, Revue trimestriellepour une pédagogie de la morale.Belgique - N° 48-49 et 50, parus en2001. www.entre-vues.be

(9) Dortu, op. cit.

(10) Ibid.

(11) Ibid.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(12) www.aipph.de

l’enseignement, le consensus est presqueparfait », les divergences se situant auniveau des modalités de cette introductionéventuelle et aux rapports entre descours de philosophie et ceux de moraleconfessionnelle. Ce document de synthèse,qui fait suite au rapport établi par unecommission ad hoc en 1992 - RapportSojcher -, dresse un état des lieux du débaten cours en Belgique et mérite d’êtreconsulté en entier.(12) On y trouve notammentle constat que l’école ne prépare pas suffisam-ment les jeunes à vivre l’expérience dupluralisme et à développer un esprit critique.La philosophie apparaît dès lors commeune réponse par rapport à ces manques ouà ces lacunes. Elle offre en effet uneméthode d’analyse et d’argumentation. Ilfaudrait ainsi, selon le Rapport de Wynants,appuyer la transversalité, en promouvantdavantage le questionnement sur le sens, àl’œuvre dans chaque discipline et ilconviendrait aussi de soutenir l’ensembledes sciences humaines ainsi que la trans-formation et le décloisonnement des coursphilosophiques, pour répondre à l’appren-tissage du pluralisme éthique. L’idéal del’enseignement de la philosophie est définicomme une formation au questionnementphilosophique qui transgresse les frontièresdes enseignements disciplinaires. Un telprojet de dépassement des clivages disci-plinaires peut toutefois se heurter à desproblèmes organisationnels, à la formationet aux habitudes professionnelles de cer-tains enseignants.

La situation de la Belgique ne constitue pasune exception. En raison même des discus-sions qu’elle a engendrées dans les dernièresannées et à différents niveaux, elle peutillustrer les dynamiques difficiles qui régulentle rapport entre philosophie et éducationreligieuse, surtout au niveau de la morale.Cette dialectique se retrouve à travers lemonde. Rappelons ici par exemple la natureoptionnelle de la matière « philosophie »dans certains Länder allemands, où ellesubstitue l’enseignement de la religionpour les élèves qui ne souhaitent pas lesuivre. C’est le cas, entre autres, en Bavière.Évoquons également ce qu’écrit un cor-respondant du Botswana en réponse àl’enquête de l’UNESCO, « il existe unetentative d'enseigner l'éducation morale auniveau secondaire. Mais, en même temps, il

y a une résistance contre l'éthique, principale-ment à cause de l'ignorance qui confondl'éducation morale avec l'éducation moralereligieuse ». Une simple collation desréactions à cette enquête laisse percevoir,avant même de fournir des informationsdétaillées, une perception diffuse des liensqui unissent historiquement morale etreligion. Cette dynamique semble parti-culièrement à l’œuvre dans l’espaceeuropéen. Si un enseignant allemandsignale que « seulement ceux qui ne partici-pent pas à l´enseignement de la religionsont obligés de choisir “philosophie” ou“éthique” au lieu de “religion” », un autreprécise que dans le même Land « cetenseignement est intitulé “Éthique” ou“Valeurs et normes” » et un troisièmereconnaît que « l'on doit admettre quebeaucoup de professeurs d'éducationreligieuse font montre d'une expertiseconsidérable également en philosophie ».En Finlande, l'éthique et la philosophie dela vie sont un sujet alternatif pour les élèvesqui ne sont pas membres de l'Église. EnIrlande, le cycle supérieur - niveaux six etsept - intitulé State religion syllabus, quiinclut aussi l'éducation morale, a une forteorientation vers l'étude de la philosophie.Au Luxembourg, l’éducation morale estenseignée par les professeurs de philosophie,tandis qu’en Lituanie la philosophie estenseignée dans les cours d'éthique. EnEstonie, elle apparaît sous l’intituléSystèmes éthiques au cours de l'histoire. EnNorvège, on relate que la matière philosophieet éthique est enseignée aux niveauxprimaire et secondaire, comme partie d'unsujet intitulé Savoir chrétien, éducationreligieuse et éthique. En Inde, la philoso-phie est enseignée comme éducationmorale et environnementale, afin de sen-sibiliser les étudiants à la préservation del'environnement et aux valeurs morales etreligieuses. On peut cursivement examinerici les cours de morale dispensés enRépublique de Corée, comme un exemplede l’enseignement de la philosophie àtravers une autre matière.

D’autres correspondants, notammentfrançais, éthiopiens, islandais, mexicains,uruguayens préfèrent, quant à eux, soulignerle caractère laïc de l’enseignement de laphilosophie dans leur pays.

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Une discussion très intéressante s’est engagéeen Uruguay dans les dernières années. Undocument produit en 2004 par MauricioLangon, président de l’Association dephilosophie uruguayenne, témoigne d’unediscussion vive sur une réorganisation del’enseignement de la philosophie dans lecadre des trois dernières années du niveausecondaire. Sans toucher à la philosophieen tant que matière curriculaire, la propositionqu’il présente évoque un « espace pourpenser les savoirs » qui viendrait s’ajouteraux programmes existants afin « d’ouvrirles possibilités de la réflexion philosophiqueau delà de la matière “philosophie” »(14).Il s’agit d’une proposition très avancée etd’un grand intérêt, car elle vise à créer unvéritable espace de réflexion interdisciplinaireconcrète, où la pensée philosophique seraitmise à l’épreuve des phénomènes socio-culturels, objet des autres disciplines.Surtout, cette nouvelle pratique ne viendraitpas se substituer à l’enseignement de laphilosophie, qu’il compléterait au mêmetitre que les autres matières. Dans l’espritde ses partisans, cet espace aurait vocationà occuper « deux heures hebdomadairespour chaque cours » pendant les troisdernières années du niveau secondaire. Ilconvient de souligner que les initiateurs de

ce projet imaginent que « pour être pro-fesseur de l’EPS (Espace pour Penser lesSavoirs), il y a un appel public aux professeursde toutes les matières, qui devront présenterun projet de travail, et recevront unepréparation spéciale pour travailler danscet espace. Le professeur de l’EPS travailleranécessairement dans sa classe et encoordination avec les autres professeursdes autres cours. La supervision de l’EPSdevra être en charge d’une équipe interdisci-plinaire d’inspecteurs ».(15) Cet enseigne-ment collectif vise donc à générer « desespaces réguliers de dialogue, qui fonction-neront comme des communautés de recher-che pédagogique centrées sur des questionsde rupture et de suture entre disciplines. Ilspourraient actualiser de façon problématiquel’éducation de toutes les matières. On prévoitces espaces comme un lieu de formationet de perfectionnement permanent duprofessorat. La formation des professeurspour cet espace inclura des cours, desateliers, des séminaires, etc., orientés versla formation aux méthodologies actives,aux théories de l’argumentation, auxcommunautés de recherche et à la métacogni-tion, à la psychologie et à la sociologie de laconnaissance, etc. On aspire à ce que laformation systématique puisse être réalisée

CHAPITRE II

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(13) Suk-won Song, documentpréparé pour la délégationdu Ministère de l’éducationde Malaisie lors de sa visiteen République de Corée.13 septembre 2005.www.moe.go.kr

(14) Mauricio Langon, « Philosophieet savoirs au bac uruguayenaujourd’hui (II) », in Diotime-L’Agorà,22. 2004.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(15) Ibid.

L'éducation morale en République deCorée est menée au niveau national,comme une partie fondamentale ducurriculum du pays. Elle est l'un des 10sujets de base enseignés dans lesécoles primaires et secondaires. Cesdix sujets sont la langue coréenne,l'éducation morale, les études sociales,les mathématiques, la science, la musique,les beaux arts, l'éducation physique, leslangues étrangères et les arts pratiques.Les manuels scolaires d'éducationmorale sont développés sous autorisationnationale. L'éducation morale estenseignée de la 3ème année d'école primairejusqu'à la 1ère année de lycée. Les élèvesont le choix entre trois cours : éthiquecivile, éthique et pensée, et éthiquetraditionnelle. Nous nous efforçonsd'avoir une approche intégrée, de façonà ce que la connaissance et la com-préhension émotionnelle de la moralitéconduisent à l'action pratique. Le

contenu de l'éducation morale est diviséen 4 domaines de vie : 1) vie personnelle,2) famille, voisinage et vie scolaire,3) vie sociale et 4) vie nationale. Pourchacune de ces aires, 5 valeurs etvertus morales fondamentales sontchoisies. Pour la vie personnelle, cesvaleurs sont le respect de la vie humaine,la diligence, l'honnêteté, l'indépendance etla maîtrise de soi. Les valeurs àrechercher dans ses relations avec lafamille, le voisinage et l'école sont :des comportements respectueux, lesoin apporté aux membres de safamille, l'étiquette et la courtoisie, lacoopération, l'amour pour son école etpour sa ville natale. Dans leur viesociale, les élèves doivent apprendre lesvaleurs de respect de la loi, la consi-dération pour autrui, la protection del'environnement, la justice et le sens dela communauté. La vie dans une nationnécessite quant à elle patriotisme,

amour fraternel pour son peuple,conscience de la sécurité, efforts pourl'unification pacifique et l'amour del'humanité. Chaque unité du manueld'éducation morale aborde plusieurssujets de discussion touchant à desproblèmes moraux contemporains. Et ce,afin que les élèves approfondissent leurréflexion et partagent des idées sur desquestions morales controversées.L'éthique civile, en particulier, est unsujet développé principalement pouraider les élèves à nourrir leur capacitéde jugement. En favorisant les jeux derôles et les discussions en classe, nousles aidons à développer des valeursmorales par eux-mêmes.

Suk-won SongChercheur en éducation supérieure Division de la politique des programmesMinistère de l’éducation(République de Corée)

Encadré 12Éducation morale en République de Corée(13)

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57

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(16) Ibid.

(17) Rappelons qu’au Canadala juridiction concernant l’éducationrevient aux États. Les programmesreflètent donc des priorités fixéesau niveau local.

(18) « Le curriculum de l’Ontario -Études sociales de la 1ère à la 6ème

année - Histoire et géographie,7ème et 8ème année ». Ministèrede l’éducation de l’Ontario, 2004.www.edu.gov.on.ca

(19) www.acpcpa.ca

(20) www.cbc.uba.ar

régulièrement dans les Instituts deFormation de Professeurs (IPA et IFD) ».(16)

Une proposition similaire et sans doute com-plémentaire a été présentée par l’Inspectionde philosophie en Uruguay, qui préconise lacréation d’un espace inter et trans-disci-plinaire, réciproque et complémentaire decelui qui résulte de l’organisation desmatières en curricula, conçu comme unespace de rencontre des différents savoirs oùl’on confronte des thèses et des métho-dologies de disciplines diverses, où les critèresne seraient pas donnés préalablement,mais seraient eux-mêmes objets de discussion.L’Inspection indique que, quelle que soit laformation disciplinaire des enseignants,la disposition philosophique est une conditionet qu’il y a un besoin de cours de philosophiepour conforter le bagage conceptuel etméthodologique apte aux traitement des

problèmes. Compte tenu des témoignagesreçus en réponse à l’enquête de l’UNESCO,cette proposition a été à l’origine d’uneavancée considérable pour l’enseignementde la philosophie en Uruguay. On signalequ’il y a eu un développement de l'enseigne-ment de la philosophie avec une disciplineappelée Critique des savoirs. L’intérêt decette proposition semble dépasser lesfrontières de ce pays et revêtir un intérêtgénéral. Plusieurs répondants auQuestionnaire de l’UNESCO insistent sur lefait que des notions philosophiquesapparaissent dans le cadre d’autres disciplinessociales et humaines. Ajoutons ici le souhaitcontenu dans la réaction d’un correspondantallemand à l’enquête, indiquant qu’il estabsolument nécessaire que la philosophie-logique soit intégrée dans les sciencesexactes et naturelles.

Hormis l’introduction en 1996 d’un coursde philosophie de niveau secondaire danscertaines écoles de l’Ontario(17), l’ensei-gnement de la philosophie se fait auCanada au niveau post-secondaire etpré-universitaire dans ce qu’on appelle ducôté anglophone des Junior Colleges, etau Québec, tant du côté anglophone quefrancophone, CEGEPS. Il est utile de refléterici le témoignage d’André Carrier, enseignantau collège Lévi-Lauson de Québec.Notons qu’un correspondant canadien del’enquête de l’UNESCO relate que « pré-sentement, un programme s’adressant auxjeunes du niveau secondaire (lycée) est àl’essai dans certaines écoles ». Il existedes formations en études sociales (socialstudies) comprenant des enseignements decaractère philosophique. En Ontario, parexemple, ces matières abordent l’envi-ronnement, le mode de vie, le civisme, lesinstitutions et les activités économiques.Une publication du Ministère de l’éducationde l’Ontario illustrant le curriculum scolaireen sciences sociales de la 1ère à la 6ème année

du niveau secondaire en 2004 énumèreparmi les sujets traités « les effets duchangement sur les caractéristiques physiqueset humaines, la structure et le fonctionnementd’une société démocratique, le rôle, lesdroits et les responsabilités des citoyenneset des citoyens ainsi que les échanges dansun monde marqué par l’interdépendance etle pluralisme »(18). On observe ici un phéno-mène intéressant, à savoir l’attraction de thé-matiques philosophiques au sein d’enseigne-ments d’éducation à la citoyenneté.Signalons de même le projet Philosophiedans les écoles, créé en 2000 sous la hou-lette de l’Association canadienne de philo-sophie(19). Les finalités et la séquence decette formation philosophique sont repré-sentatives d’autres formations pré-universi-taires à travers le monde, tel le Ciclo BásicoComún (CBC) de l’Université de BuenosAires(20).Il convient de s’arrêter maintenant sur lesdifférentes approches que l’enseignementuniversitaire peut développer par rapportau niveau secondaire.

3) Dynamique entre le niveau secondaire et l’Université

4) Formation de l’enseignant de philosophie au niveausecondaire

Le problème peut être articulé en deuxquestions principales. Les enseignants de

philosophie à l’école ont-ils reçu undiplôme supérieur en philosophie ? Ont-ils

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CHAPITRE II

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(21) André Carrier, « La réforme del’enseignement de la philosophiedans les collèges du Québec »,in Diotime-L’Agorà, 1, 1999.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(22) Système européen de transfertet d’accumulation de crédits.

Il y a vingt-cinq ans, le gouvernementquébécois créait les collèges d’enseigne-ment général et professionnel (CEGEPS),niveau de formation obligatoire pour toutélève qui voudrait s’orienter vers unecarrière exigeant un diplôme universitaireou se préparer à un emploi de technicien.Depuis la création des collèges, la forma-tion générale fut confiée principalement àtrois disciplines, soit : philosophie, langued’enseignement et littérature, et éducationphysique. La réforme de 1993 ajoutaune formation en langue seconde(anglais ou français), mais pour ce faireretrancha du temps en philosophie et enéducation physique. De la philosophiepar exemple, on attendait qu’elledéveloppe particulièrement auprès desélèves la logique, l’histoire de la pensée,l’éthique. Buts d’ailleurs plaidés par lesenseignants de philosophie, en lien avecleur pratique au Québec. Elle devaitaussi, à l’instar des autres disciplines,poursuivre des objectifs transdisciplinairesrelativement aux capacités intellectuellesgénériques. Elle allait ainsi s’inscriredans une approche programme qui viseà intégrer les divers apprentissages.Une méthode pédagogique, dite « parcompétences », allait aussi déterminerla rédaction des devis en centrant laformation sur l’acquisition de compéten-ces mesurables, à tout le moins éva-

luables. Ce qui s’est traduit par uneobligation pour les rédacteurs de traduireles objectifs disciplinaires en termesd’actions ou de performances que lesétudiants devraient accomplir. Parexemple, en philosophie, on retrouverades termes tels « distinguer, présenter,produire » pour qualifier le résultatattendu de l’étudiant en rapport avec lescontenus proposés. L’approche par compétences a suscitéde vives réserves en formation générale,particulièrement dans les disciplines delittérature et de philosophie. Les coursde philosophie sont conçus en uneséquence d’apprentissage sur le plandes contenus thématiques, des habiletésintellectuelles et de l’histoire de lapensée. Ils sont élaborés en continuitéde manière à ce que les acquis théoriqueset pratiques d’un premier cours soientréinvestis dans les cours suivants. Lepremier cours est consacré à l’appren-tissage de la démarche philosophiquedans le cadre de l’avènement et du déve-loppement de la rationalité occidentale.L’élève prend ainsi connaissance de lafaçon dont des penseurs traitent phi-losophiquement d’une question, et selivre lui-même à cet exercice en élaborantune argumentation philosophique.L’analyse de texte et la rédaction d’untexte argumentatif sont des moyens

privilégiés pour développer la compé-tence. Le deuxième cours utilise lesacquis de la démarche philosophiquedans l’élaboration de problématiquesreliées à des conceptions de l’êtrehumain. L’étudiant prend connaissancedes concepts clés et des principes àl’aide desquels des conceptionsmodernes et contemporaines définissentl’être humain, et s’ouvre à l’importancede ces dernières au sein de la cultureoccidentale. Le commentaire critique etla dissertation philosophique permettentde développer la compétence. Le troi-sième cours amène l’élève à se situer defaçon critique et autonome par rapportaux valeurs éthiques. Il prend connais-sance de différentes théories éthiqueset politiques et les applique à des situa-tions contemporaines relevant de la viepersonnelle, sociale et politique. Lestrois cours de philosophie ont pour objetsubsidiaire de développer les capacitésà la lecture et à l’écriture. En ce sens, unaccent est mis dans chaque cours sur lafréquentation d’une œuvre dans sonintégralité ou sur l’analyse d’extraitsmajeurs, ainsi que sur la productionécrite.

Propos d'André Carrier(21)

Enseignant au collège Lévi-Lauson deQuébec (Canada)

Encadré 13Les cours de philosophie dans le secondaire au Québec (Canada)

reçu une formation pédagogique spécifique ?Trois scénarios principaux peuvent êtreidentifiés, 1) des cas où un diplôme universi-taire en philosophie est exigé, 2) des cas oùce diplôme est accompagné ou remplacépar une formation pédagogique spécifique(diplôme d’enseignant du niveau secondaire),3) des cas où d’autres titres sont suffisants.À partir de ces trois cas de figure, dessituations extrêmement variables sontobservables à travers le monde. On parcourracursivement certaines d'entre elles, enprécisant bien qu’il s’agit là de prendrecertains exemples, étant donné que cetteÉtude n’a pas prétention à l’exhaustivité.1) Diplôme en philosophie. Exemples depays où un Bachelor of Arts (BA) en phi-losophie est requis : Bahreïn, Bulgarie(diplôme d'études supérieures ouMagister), Chine (diplôme d'étudessupérieures, au moins), Côte d’Ivoire(Licence et CAPES), Croatie (BA, c'est-à-dire

quatre années d'Université), Cuba (diplômesuniversitaires en sciences sociales et enhumanités), Danemark (au moins 90 créditsECTS(22)), Espagne (Maîtrise en philoso-phie), Guatemala (titre de Profesorado deEnseñanza Media en Filosofía), Honduras(diplômes en sciences sociales, pédagogie,sociologie ou travail social), Hongrie(diplôme universitaire), Iran (BA, MA),Islande (BA ou Master), Japon (au minimumun BA en philosophie ou dans une disciplineproche, comme l'éthique ou l'esthétique,etc.), Maurice (un diplôme en philosophieest obligatoire), Mexique (Maîtrise, BA),Portugal (Maîtrise), Sénégal (Certificatd'aptitude à l'enseignement secondaire,CAES), Syrie (diplôme d'études supérieures),République centrafricaine (Licence etMaîtrise de philosophie, CAPES),Roumanie (BA en philosophie), Serbie (BAen philosophie), Tchad (BA, MA), Thaïlande(BA au moins. Des moines, ayant reçu une

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

formation religieuse, peuvent égalementenseigner), Turquie (BA, MA en philosophie,sociologie, psychologie). En Autriche, auBangladesh et au Lesotho, le diplôme doitêtre du niveau Master de philosophie (MA).Dans certains pays, des titres différents sontrequis selon le niveau d’enseignementsecondaire. Depuis la Pologne, un répondantsynthétise ce double palier comme suit :« le réquisit minimal pour enseigner laphilosophie au niveau secondaire inférieur(gimnazjum) est un diplôme d'étudessupérieures (licencjat). Un diplôme deMaster est requis pour pouvoir enseignerau niveau secondaire ».

2) Formation spécifique à l’enseignement,complémentaire ou non à une formationphilosophique. Dans un certain nombre depays, l’habilitation à l’enseignement scolairerequiert une formation spécifique, souventmais pas forcément complémentaire à undiplôme universitaire. Elle comprend descours de matières spécifiques, parmi les-quelles on trouve la philosophie, là où ellefait partie de l’enseignement secondaire.Bien que ces formations para-universitairesne puissent pas être assimilées à de véritablesspécialisations disciplinaires, elles permettentnéanmoins d’enseigner les disciplines inclusesdans les curricula scolaires à un niveauconsidéré comme adéquat par le systèmepédagogique national. En tout cas, laphilosophie est logée à la même enseigneque les autres matières et il n’y a pas lieud’évoquer une situation particulière laconcernant. Parmi ces pays, citonsl’Argentine, où les enseignants ontgénéralement suivi des études post-secondaires non universitaires, mais aussi laNorvège, où le processus formatif suitl'éducation ordinaire des professeurs, quidemande quatre années. Certains profes-seurs au niveau secondaire supérieur ettous les enseignants des lycées ont uneéducation à l'Université. Ils doivent yrecevoir un cours en philosophie. Aux Pays-Bas, il faut obtenir un « certificat générald'enseignement pour l'éducation secon-daire ». En Italie, un diplôme universitairede premier cycle doit être obtenu par unespécialisation biennale fournie par les Écolessupérieures pour l’instruction secondaire.Présentes dans la plupart des Universitésitaliennes, ces écoles de spécialisationconstituent un passage obligé pour obtenir

l’habilitation à l’enseignement secondaire.Parmi les titres universitaires permettantd’accéder à une formation de professeur dephilosophie figurent des diplômes en « lettresmodernes, lettres anciennes, histoire,psychologie, sociologie, sciences humaines ».Dans plusieurs pays d’Afrique, le diplômeuniversitaire, en philosophie ou autresmatières, doit être complété par une spé-cialisation de nature pédagogique. AuBotswana, un BA en humanités - théologie,études religieuses incluant la philosophie -,doit être agrémenté d’un diplôme post-graduate en éducation (PGDE). Au Congo,il faut une « licence avec obligatoirementun CAPES obtenu à l’École normalesupérieure ». Le même certificat, appeléCAES, est requis au Sénégal. À Madagascar,un diplôme en sciences humaines et sociales,mais aussi en théologie, doit être complétépar un Certificat d’Aptitude Pédagogiquede l’École Normale (CAPEN) en philoso-phie. Des difficultés considérables sontconnues au Niger, où une « Licence ensociologie et en psychologie » est requise« du fait des enseignements de tronccommun à l’Université », mais où on préciseaussi que « le CAPES est le diplômepédagogique requis pour l'enseignementau lycée, mais en raison de l’inexistence destructure de formation au Niger, l’ensei-gnement philosophique y compte moins dedix titulaires de CAPES formés à l’extérieur ». Ily a lieu de croire que cette situation neconcerne pas que le Niger. Au Cambodge, ilsuffit d’un diplôme d'éducation supérieuraccompagné d'une année de formationau Centre de formation des professeurs.En Israël, on requiert une Maîtrise enphilosophie ainsi qu'un diplôme en ensei-gnement de la philosophie ou un certificatd'enseignement. En Finlande, on requiertun diplôme universitaire ainsi qu'unequalification au professorat, délivrée parl'Université, mais on précise que le diplômeuniversitaire peut être en psychologie ou enétudes religieuses. Une difficulté technique,qui n’est sans doute pas isolée, est signaléedans un État canadien. « Le plus granddéfi posé aujourd'hui aux professeurs enOntario vient du fait que les documentsprogrammatiques de cet État listent la phi-losophie comme un cours, alors même queles enseignants ne peuvent s'inscrire àaucune des Facultés d'éducation afind'obtenir le certificat d'enseignement,

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CHAPITRE II

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(23) Le terme « baccalauréat »désigne ici un diplôme universitairede premier cycle.

(24) G. Obiols., M.F. De Gallo, A.Cerletti., A.C. Coulé, M. Diaz, A.Ranovsky et J. Freixas, « La formationdes professeurs de philosophie.Une expérience à la Facultéde philosophie et de lettres del’Université de Buenos Aires »,in Diotime-L’Agorà, 18. 2003. www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

En Argentine, il existe une longue traditionde présence de la philosophie dans lesécoles secondaires. La formation desprofesseurs chargés de cette disciplinese réalise essentiellement dans deuxensembles. Les Instituts de formationde professeurs pour l’enseignementsupérieur non universitaire et lesFacultés au niveau universitaire. Dans laFaculté de philosophie et de lettres deBuenos Aires, on étudie, entre autres, leprofessorat de philosophie, de lettres,d'histoire, de géographie et d'anthro-pologie. Pour chacun de ces professorats,la Faculté décerne deux diplômes, celuide Licence, diplôme qui s’oriente surtoutvers la recherche et des pratiques nonenseignantes, et celui de professeur. Cedernier va surtout se diriger vers l’ensei-gnement de cette discipline au niveausecondaire ou dans d’autres instances

du système éducatif. La Licence et leprofessorat ont une formation communeassez longue. Au-delà de cette dernière,les étudiants optant pour la Licencedoivent réaliser une thèse, et ceux quichoisissent le professorat doivent suivredes cours de pédagogie générale et descours de didactique spéciale et pratiquede l’enseignement de la philosophie. Lescontenus conceptuels de la discipline seregroupent en quatre unités : 1) approchede questions de fond de l’enseignementde la philosophie, 2) approche de l’ensei-gnement de la philosophie à l’école,3) approche du sujet qui apprend laphilosophie dans le contexte institutionnel,4) approche de la didactique de philo-sophie. Les contenus se développent enclasses théorico-pratiques au coursdesquelles on essaie d’incorporer lespropositions et les réflexions réalisées

dans les travaux pratiques et d’analyserles réussites et les difficultés qui surgissentdans les classes d’essai. Celles-ci sontde brèves situations d’enseignement dela philosophie dans l’enseignementsecondaire. Tout au long du secondsemestre, on aura une réunion hebdoma-daire de consultation et d’échanged’expériences, pour analyser en groupele développement des classes, faire lesajustements nécessaires, et superviserindividuellement la planification dechacun des étudiants. La matière n’apas d’examen final. On lui substitue uneproduction riche et variée tout au longde l’année. Production que l’on retrouvegroupée dans le dossier que les étudiantsdoivent remettre à la fin de leur pratique.

Source :www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

Encadré 14La formation des enseignants en philosophie en Argentine

En Uruguay aussi, le diplôme d’enseignantdans le secondaire, c'est-à-dire professeurpour l'enseignement moyen, titre délivrépar l'Instituto de Profesores Artigas, ou undiplôme universitaire en philosophiesemblent interchangeables selon le besoin.Selon un répondant, la situation est trèsvariée, « près de 80 % des professeurs ontun titre de professeur de philosophie ousont étudiants en dernière année, avec ungroupe sous leur responsabilité. Les autresont au moins un titre de bachelier. D'autresont des titres universitaires en philosophie,psychologie, etc. ». Un autre précise, touten confirmant ce tableau, que l'on peutrecourir à des professionnels du droit ou desciences si on ne dispose pas de titulairesen philosophie ou de Faculté d'humanités.Précisons que par le titre de professeur dephilosophie, on n’entend pas le professoratuniversitaire, mais le diplôme Profesor deFilosofía. En outre, comme le rappelle untroisième, diverses Maîtrises en humanitéspermettent d’enseigner la philosophie et, àdéfaut, le simple Baccalauréat peut suffire.Un autre correspondant ajoute qu'il est

également fréquent que la philosophie soitenseignée par des avocats.

3) Diplômes universitaires dans d’autresmatières. L’attribution d’enseignements dephilosophie à des diplômés d’autres disciplinesreprésente une caractéristique diffuse del’enseignement secondaire de la philosophie.Dans certains cas, cet enchevêtrementdisciplinaire est dû au fait que ces diplômescontiennent déjà une formation philoso-phique importante. Plus souvent, on tend àcroire que l’éducation philosophique nerequiert pas de formation disciplinaire,autrement dit que l’apprentissage de laphilosophie n’a pas besoin d’un savoir surlequel s’exercer. En Europe, il arrive souventque des enseignants de philosophie aientreçu un diplôme dans d’autres disciplines,comportant toutefois une formation philo-sophique conséquente. En Allemagne, onsignale que la situation est très différenteen fonction de la politique des différentsLänder. Pour certains d'entre eux, undiplôme universitaire en philosophie estobligatoire pour enseigner dans le secondaire.

spécialisation en philosophie. Dans lesCEGEPS du Québec, en revanche, unbaccalauréat(23) en philosophie est au minimumexigé ». Le cas argentin, qui paraît paradig-matique, peut être approfondi à l’aide

d’une étude réalisée en 2003 par lesresponsables de la formation didactique duprofessorat en philosophie de l’Université deBuenos Aires(24).

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Alors que dans d'autres, les cours dephilosophie sont parfois donnés par desdiplômés en éducation religieuse ou enlittérature. Dans ces derniers cas, les diplômesles plus courants semblent être ceux delittérature, d’histoire, de mathématiques.Un autre répondant précise que « les coursde philosophie ont souvent été réformés etde nouveaux éléments, comme la philoso-phie pratique, ont été introduits. Ainsi,les professeurs avec d'autres spécialisationsont été rééduqués pour enseigner la phi-losophie. Mais la grande majorité a undiplôme en philosophie ». En Grèce, il suffitd’un diplôme universitaire en humanitésqui peut être en littérature grecqueancienne et moderne, en histoire, en théologie,etc. En République de Moldova, on doitavoir un diplôme d'études supérieures enphilosophie, histoire, sciences politiques ousociologie. À Chypre, les enseignants dedisciplines classiques sont habituellementchargés d'enseigner la philosophie auniveau secondaire. En Algérie, le diplômeen sciences humaines et sociales suffit pourenseigner la philosophie dans les écoles. AuBurundi, en général ce sont les enseignantsqui ont étudié la littérature ou la psychologiequi dispensent le cours de philosophie.Ceux-ci sont choisis car ils suivent un oudeux cours de philosophie (introduction à laphilosophie) quand ils commencentl’Université. Le même cas de figure revientau Burkina Faso pour les Maîtrises enpsychologie. Dans le même pays, onsignale que « certains établissementssecondaires recrutent des enseignants d’unfaible niveau en raison des problèmes desalaires ». Au Rwanda, il faut soit un BA enétudes religieuses et en philosophie, soitune Maîtrise en éducation, lettres etsciences humaines. Au Zimbabwe, « laqualification de base pour enseigner la phi-losophie dans les écoles primaires etsecondaires est un diplôme en éducationau niveau adéquat ». En Colombie, on évo-que des licenciaturas (maîtrises, BA), enphilosophie et lettres, éducation, littéra-ture, histoire, sciences sociales, etc. AuCosta Rica, une formation en théologiepeut suffire, de même qu’en sciencessociales en Équateur. En Haïti, on requiert uneformation universitaire dans le domaine dessciences humaines et sociales, au Hondurasen sciences sociales, pédagogie, sociologie,travail social.

Dans d’autres cas, on fait avec les moyensdu bord. Selon un répondant de Bolivie, ilexiste un faible pourcentage qui détient untitre de licenciatura en philosophie. AuChili, l’expérience montre que « dans depetites localités, où on ne trouve guère deprofesseurs de philosophie, pratiquementn'importe quel autre titre peut permettred'enseigner cette discipline ». Au Paraguay,on peut être professeur en sciences sociales,avocat, séminariste, psychologue, péda-gogue, etc. Le même correspondant précisequ'une « Société paraguayenne de philoso-phie a été fondée il y a 10 ans avec pourfinalité première l'enseignement auniveau secondaire. Jusqu'à aujourd'hui,elle n'a pas pu se consolider. Depuis 7 ou 8ans, deux institutions de Salésiens et deJésuites forment des professeurs de philo-sophie. Petit à petit, ils s'insèrent dans lesystème. Auparavant, cette discipline étaità la charge de professeurs formés en étu-des sociales, mais aussi des avocats, des psy-chologues, des ex-religieux, etc. Très peuétaient diplômés en philosophie. Grâce à laprésence de ces institutions, même si ellessont confessionnelles, la situation changepeu à peu ». De nombreux témoignagesvenant du Venezuela attestent de la formationhétérogène des enseignants de philosophie.On évoque des diplômes en sociologie,psychologie, littérature ou éducation, etdes licenciaturas en histoire, en art, enmathématiques et même en droit. Uncorrespondant explique qu’« avec uneMaîtrise en sciences pédagogiques, outoute autre qui ne soit pas spécifiquementsciences et mathématiques, on leur offrel'occasion d'enseigner. La même chose seproduit avec des carrières connexes,comme la sociologie, la théologie ou avecdes personnes ayant effectué des étudesecclésiastiques sans titre civil ». En d’autrestermes, « en règle générale, les professeursqui enseignent au lycée NE SONT PASphilosophes et proviennent même dedisciplines ou de carrières dissemblables ».Bref, conclut un autre, pour enseigner laphilosophie au Venezuela, on peut comptersur « pratiquement n'importe quel titre del'éducation supérieure ». Avec une précision :« il existe des cas où il est question deprofesseurs sans formation académiquecomplète, c'est-à-dire qui n'ont pas terminéune carrière ».

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Quelles conclusions tirer de cet aperçu ? Ilapparaît clairement qu’une partie importantedes professeurs de philosophie dans lesecondaire n’ont pas suivi une formationuniversitaire spécialisée en philosophie.Celle-ci se limite dans bien des cas àquelques cours de philosophie, à des créditséquivalant à une ou deux années dediplôme en philosophie, ou encore à desenseignements philosophiques impartisdans d’autres matières. Parfois, ces formationsincomplètes sont accompagnées par desécoles ou par des certificats d’habilitation àl’enseignement. Il est évident que cettesituation naît en partie de l’écart entrenombre de professeurs de philosophie -dans les pays où cette matière fait partiedes curricula scolaires - et diplômés desUniversités. D’une part, il est certain quel’enseignement scolaire ne représentequ’un des débouchés professionnels possiblespour les diplômés en philosophie, et pas

toujours le plus alléchant. D’autre part, il nefaut pas se cacher que l’enseignementscolaire, de par sa nature même, permetsouvent d’absorber les diplômés d’autresmatières dans certains marchés du travail.La philosophie, souvent considérée commeune discipline à faible taux de technicité,fonctionne de ce point de vue comme unamortisseur social. D’autres situationsparticulières doivent cependant être prisesen compte. Le cas brésilien montre parexemple les difficultés posées par l’introduc-tion subite d’une matière dans le curriculumscolaire au niveau du recrutement deprofesseurs formés. Mais on peut croirequ’il ne s’agit là que de périodes transitoires.La nécessité de reconsidérer la spécificité del’enseignement de la philosophie dans lespays où aucune formation spécifique n’estrequise représente un véritable enjeuéducatif pour l’avenir.

CHAPITRE II

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(25) Les deux années de bachilleratoconstituent les deux dernièresannées du niveau secondaire.

5) Des réformes remarquées, dans quel but ?

Deux réformes méritent d’être examinéesici car elles ont eu une résonance particulière,chacune à leur manière, sur l’enseignementde la philosophie. Il s’agit des réformesconduites en Espagne et au Maroc. Lenombre de commentaires à leur égard ainsique leur visibilité dans la presse entémoignent.

Miguel Vázquez, professeur de philosophieen Galice et l’un des animateurs d’ungroupe de travail sur la pédagogie de laphilosophie dans cette région, offre unregard intéressant sur l'exemple espagnol.Le système éducatif espagnol non universitaireapparaît divisé en quatre grandes étapes :éducation infantile (0-6 ans), éducationprimaire (6-12 ans), éducation secondaireobligatoire (12-16 ans) et le bachillerato(16-18 ans)(25). Cette structuration a été éta-blie à partir de l'approbation de la Ley deOrdenación General del Sistema Educativo(LOGSE) de 1990. Les problèmes dans l'ap-plication de la loi et les multiples critiquesreçues ont conduit le gouvernement à intro-duire en 2002 une nouvelle modificationlégislative, la Ley de Calidad de laEducación (LCE). Cette dernière fut decourte durée car elle fut remplacée en 2006par une nouvelle loi, la Ley Orgánica de la

Educación (LOE). Lors de la première étapede l'application de la réforme éducative -qui s'est concrétisée au niveau législatif parla LOGSE - les matières assignées auDépartement de philosophie des Centresdu niveau secondaire ont souffert d'unrecul significatif. Tant au niveau du nombrede matières à caractère obligatoire, qu'auniveau du nombre d'heures à distribuer. Pourmieux comprendre ce recul, il convientd'avoir un regard rétrospectif afin deconstater que dans la tradition des pro-grammes espagnole, la présence de laphilosophie a une longue trajectoire. Ilsuffit de dire que pendant pratiquementtoute la période franquiste, a persisté laprésence de deux matières, l'uned'Introduction à la philosophie et l'autre,d'Histoire de la philosophie. Telle était lasituation au moment où la LOGSE s'estimplantée. Avec cette dernière, la philosophie,en première année du bachillerato, a cesséd'être une matière obligatoire sauf pourl'élève assigné à l'une de ses trois modalités.Ce qui, naturellement, a supposé la perted'environ le tiers des heures de cours. Seulel'Histoire de la philosophie a continuéd'être une matière commune et obligatoirepour tous les bacheliers. Si, en outre, noustenons compte que la réforme éducative a

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(26) Descriptif de la réforme :www.maec.gov.ma/osce/fr/edu_cult.htm.Sur ce point, on peut consulterégalement l’article sur l’Associationmarocaine des enseignantsde philosophie.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora.(27) Charte nationale d’éducationet de formation, CommissionSpéciale Éducation Formation,Royaume du Maroc.www.dfc.gov.ma/Reforme/sommaire.htm

également réduit le nombre d'heureshebdomadaires pour chaque matière - de 4à 3 - on comprendra le mécontentementcorporatif du professorat de philosophie,contraints dans un grand nombre de cas àenseigner des matières étrangères à leurDépartement, comme l'histoire ou lagéographie, ou d'autres, telle « l'alternative »à la religion. Et ce, pour pouvoir compléterles heures. Rappelons aussi que, pendant lapériode socialiste, une nouvelle matière afait son apparition, l'Éthique, enseignéelors de la 4ème année d'éducation secondaireobligatoire. Nouvelle matière qui, en touscas, a offert peu au professorat de philo-sophie, par rapport à ce qui avait été perdu.En effet, on doit tenir compte du fait que lacharge horaire de l'Éthique est seulementde deux heures dans les communautésautonomes qui n'ont pas de langue propre,et de une heure dans les communautés quien ont une. La LCE, et d'autres mesuresprises avant son approbation, introduisirentdes modifications dans l'application de laLOGSE. Tout d'abord, la philosophie estredevenue obligatoire pour toutes lesmodalités du bachillerato. D'un autre côté,ces mesures ont aussi renforcé le programmede cette matière et se sont montrées trèsfavorables à l'offre de nouvelles matièresoptionnelles liées au Département. Ainsi,en Galice, dans le cadre du bachillerato, lesmatières optionnelles suivantes ont étéproposées : Éthique et philosophie du droit,Philosophie de la science et de la technologie,Introduction aux sciences politiques et à lasociologie. La première mouture de la LOEprévoyait la disparition de Philosophie 1,c'est-à-dire en première année du bachil-lerato. Ceci provoqua une grande mobilisationdes associations de professeurs de philosophiedans le pays. Les interventions sur desforums ouverts sur Internet eurent unevirulence remarquable. Sans douteexiste-t-il de bonnes raisons pour défen-dre l'importance incontestable que l'ensei-gnement de la philosophie peut et doitjouer dans la formation d'une citoyennetéautonome et critique. Et ce, en marge depositions maximalistes difficilement soute-nables - « sans la philosophie, il n'y a pas depensée critique » -, comme si la dimensioncritique ne pouvait pas exister aussi dans lesautres matières. Comme s'il ne pouvait pasexister une philosophie académique dog-matique, comme ce fut le cas par le passé.

Comme si l'une des finalités irrévocables dusystème éducatif devait consister à donnerdu travail aux licenciés en philosophie. Cesraisons semblent avoir rencontré un certainécho dans les législatures espagnoles cardans l'ultime et définitive rédaction de laLOE - déjà approuvée par le Parlement - laphilosophie se maintient en 1ère année dubachillerato comme obligatoire pour toutesles modalités. Même si cela s'est accompa-gné d'un changement de dénominationet de nouveaux contenus incertains, ainsique d'une indétermination préoccupanteen ce qui concerne la charge horaire. Onparle d'une possible réduction de 3 à 2heures, avec l'objectif de faire entrer unenouvelle matière à caractère scientifique. Ilconvient de dire que le programme de phi-losophie en Espagne est une combinaisondu modèle français et du modèle italien. Àl'instar de la France, le programme dePhilosophie 1 est thématique. Comme enItalie, celui de Philosophie 2, en deuxièmeannée du bachillerato, est historique. Dansles deux cas, il existe un consensus au seindu professorat sur l'impossibilité pratiqued'enseigner tous les contenus prévus pourchacun des deux cours. Or, en 1ère année,dans la pratique chaque professeur décidesur quoi travailler et de quoi se passer. Il estainsi possible de trouver quelqu'un quiconsacre presque un trimestre à la logiqueet un autre qui ne veut pas du tout enentendre parler. En 2ème année, les décisionstouchant au programme sont déterminéespar l'examen d'entrée à l'Université. Cetexamen est organisé par les districts universi-taires de chaque communauté autonome.En Galice, cet examen consiste en unecomposition philosophique sur un sujet liéà une liste de vingt auteurs sélectionnésparmi les grandes figures de l'histoire de laphilosophie. Mais le Département dechaque Centre est libre de choisir seulementhuit de ces vingt auteurs, à partir desquels,de fait, on organise le travail de la classe.

Le processus de réforme du systèmed’éducation et de formation lancé auMaroc en 1999(26) et qui a trouvé son cadrede référence fondamentale dans la Chartenationale d’éducation et de formation(27),accorde à la philosophie une place accruepar rapport aux réformes précédentesqu’avait connues l’enseignement marocainen 1975, 1978, 1981, 1984-1985 et 1995.

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Dans le cadre de la dernière réforme, unenouvelle organisation pédagogique a étémise en place. Elle s’articule en cyclesprimaire (six ans), secondaire collégial (troisans) et secondaire qualifiant. Ce derniercomprend un tronc commun de la duréed’un an, suivi d’un cycle de baccalauréatd’une durée de deux années et comprenantdeux filières principales : la filière généraleet la filière technologique et professionnelle(28).Chacune de ces filières se divise en sections. Ils'agit, pour la filière générale, des sectionsscientifique, littéraire, économique, sociale.La création de seize Académies régionalesd’éducation et de formation chargées demettre en oeuvre la politique éducative etde formation s’est inscrite dans le cadred’une décentralisation progressive dusystème d’éducation. L’enseignement de laphilosophie en tant que matière à partentière intervient dans les deux dernièresannées du niveau secondaire qualifiant. Ils’agit d’un programme notionnel organisésous quatre thèmes ou têtes de chapitresqui sont pour les classes terminales(29) : Lacondition humaine, la connaissance, la poli-tique, la morale. Sous chaque tête de cha-pitre, des notions empruntées à la languecommune et représentant des foyers desens à analyser, sont le point de départ dela réflexion et de la problématisation. Enguise d’exemple, le thème de la conditionhumaine chapeaute les notions suivantes :« la personne », « autrui », « l’histoire ». Cesenseignements peuvent être modulés, lesintitulés changeant selon les spécialisations.« Philosophie générale » en option scientifi-que, « L’être humain » en littéraire,« Société et échange » en économique etsociale, « Activité et créativité » dans lafilière technique et professionnelle. Leprofesseur Zryouil précise à cet égard queles concepteurs des programmes ontpréféré opter pour un programme defamiliarisation première avec la philosophieet de sensibilisation à son intérêt. C’estpour cette raison que seules deux notionsfigurent au programme avec des directivesprécises de prise en considération de cettetranche d’âge. Les deux notions en questionsont : Qu’est-ce que la philosophie ? et,Nature et culture. Au niveau du collège estprévu un enseignement d’éducation à lacitoyenneté. Ce processus de renforcementde la philosophie a permis entre autres auMinistre de l’éducation du Maroc d’affirmer, à

l’occasion de la Journée mondiale de laphilosophie en 2006, que « la philosophieest une partie intégrante du système éducatifnational puisqu’elle est programmée à tousles niveaux de l’enseignement secondaireet qualifiant ».

On peut aussi se référer aux propos instructifset stimulants du Secrétaire général del’Association marocaine des professeurs dephilosophie. Il rappelle qu’au Maroc,l’enseignement de la philosophie a connudeux phases. La première, c’est l’ensei-gnement de la philosophie en français àtravers les manuels français. La deuxième,c’est l’arabisation de cet enseignement, quia débuté à la fin des années soixante. Lepremier moment a connu la domination duprocessus d’enseignement, là où la phi-losophie était concentrée sur les contenus.C’est ainsi que le programme était réduit àune histoire des idées, et le manuel étaitchargé de connaissances, sous forme decours, dont les textes philosophiquesétaient absents. Le cours de philosophieétait donc un cours magistral, ayant chez laplupart des enseignants un souci doctrinal,touchant à la doctrine qu’il faut adopterdans l’enseignement de la philosophie. Ledeuxième moment a commencé avec laréforme que l’enseignement secondaire aconnue dès 1987. Il s’agissait de sa réor-ganisation selon le système des académies,et dès lors l’enseignement de la philosophiea connu l’apparition d’un discours pédagogi-que qui ne pose pas les problèmes deméthode-doctrine, mais plutôt les problèmesdes manières d’enseigner, les intermédiairespédagogiques dans l’acte d’enseigner,l’évaluation, etc. Pour ainsi dire, le processusest devenu un processus d’apprentissage,qui entend se concentrer sur l’élève. Ce quia abouti, en 1991, aux changements suivants.Le programme de philosophie est devenuun programme thématique (nature, culture,religion-philosophie, travail-propriété, etc.).Le manuel scolaire a pris la forme d’unrecueil de textes philosophiques et lamanière d’enseigner, dont le texte philosophi-que occupe maintenant une place principale,n’est pas réduite au cours magistral, etc.Ces changements peuvent susciter desproblèmes pédagogiques, soit sur le plande la rentabilité de l’enseignement dephilosophie, soit sur le plan de l’évaluation,soit encore sur le plan de la didactique.

CHAPITRE II

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(28) Un premier bilande cette réforme a été dressé parla Commission Spéciale ÉducationFormation en juin 2005.Réforme du système d’Éducationet de Formation, 1999 - 2004,Commission Spéciale ÉducationFormation, Royaume du Maroc.Juin 2005.www.cosef.ac.ma

(29) Selon les précisions apportéespar le professeur AbderrahimZryouil, Inspecteur coordinateurnational en philosophie (Maroc)

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Depuis 1995, l’enseignement de la philo-sophie a connu d’autres changements. Ontété introduits un programme notionnel(langage, art, technique, etc.) et un manuelscolaire représentant un amalgame d’exposéset de textes philosophiques. Le Secrétairegénéral souligne ainsi que l’enseignementde la philosophie témoigne d’un mouvementévolutif, qui le met face aux questionsfondamentales menant à l’approfondisse-ment de l’interrogation sur l’acte d’enseigner.Parmi les obstacles possibles, que l’onretrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autrespays, il cite ceux qui lui apparaissent essentiels,à savoir l’insuffisance du temps attribué auxséances de philosophie, le manque d’outilsde travail, l’unicité du manuel, l’absenced’accumulation en didactique de la phi-losophie, la rupture qui se trouve entrel’enseignement secondaire et l’enseignementsupérieur de la discipline, etc. Nous pou-vons préciser, selon le professeur Zryouil,

que depuis 2003, la réforme a institué lanécessité de « libéraliser » l’édition scolaireet de varier, par le biais de la concurrence,les manuels scolaires.

Il n’est pas toujours aisé de se procurer desinformations détaillées sur les programmescurriculaires de la philosophie au niveausecondaire, de même que d’avoir accès auxprogrammes officiels. Voici ce qu’unrépondant à l’enquête de l’UNESCO rapporteà propos de cet enseignement au Maroc :« la philosophie fait partie intégrante del’enseignement à tous les niveaux dusecondaire (lycée) car la logique et l’analysesont la base de toute pensée philosophique,alors les élèves font de la philosophie sansle savoir ; à partir de la 2ème année du lycée,les élèves font de la philosophie commeune nouvelle discipline ». Le renvoi au faitde « faire de la philosophie sans le savoir »mérite d’être souligné, si l’on considère

(30) Aziz Lazrak,« Philosophie de la réformeet réforme de la philosophie »,in Diotime-L’Agorà,www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

Toute réforme suppose une conceptionglobale de l'enseignement et de l'ap-prentissage, de l'homme et de laconnaissance, de la vie et de la valeur.Nous ne pouvons imaginer une philosophiede la réforme loin de la philosophie et dela réforme de son enseignement. Or,jusqu'à présent, la généralisation del'enseignement de la philosophie danstoutes les sections de l'enseignementsecondaire n'a pas vu encore la lumière.Avons-nous manqué à notre devoirphilosophique ? Pourquoi n'y a-t-il pasune conscience accrue de la nécessitéde la philosophie ? Que faire pourreconnaître le droit à la philosophie ?Que faire pour qu'elle devienne unecause pour l'intellectuel, le politicien etle juriste ? C'est vrai, la Charte de laréforme esquisse des objectifs, commela formation d'un citoyen conscient deses droits et de ses devoirs, et s'attachantà sa dignité et à son identité arabo-musulmane, mais qui soit aussi tolérantet ouvert vis-à-vis de la civilisationhumaine, etc. Ce sont des valeurs philoso-phiques, et cela suppose la nécessité del'enseignement de la philosophie engénéral. Le rôle de la philosophie,comme je le conçois, est de participer àla formation du citoyen universel et passeulement du citoyen marocain. Si laCharte est concentrée sur l'orientationprofessionnelle, technique et scientifique,

c'est la philosophie qui doit mettre enquestion cette orientation, en critiquantla violente confrontation que nous pou-vons avoir avec le monde de la technique.Fortifier la position de la philosophie,c'est fortifier la présence de la culture,et émanciper le système d'enseignementde la misère, et de toute sorte deréduction, du monde vécu, et de la luttepour l'instinct de conservation. Touteréforme de l'enseignement de la phi-losophie risque d'être restreinte dansune réforme sectorielle qui n'a que deseffets secondaires, si l'enseignement dela philosophie est décontextualisé de laposition que doit avoir la philosophie ausein du tissu de la société et dans lesdébats intellectuels. La réforme del'enseignement de la philosophie estdépendante du curriculum. Jusqu'àprésent, on constate d'après lesexpériences précédentes qu'il y existaittoujours un écart entre les contenus etles objectifs déclarés. Notre pratiquepédagogique a connu deux approches,l'approche techniciste - qui fait de latechnique une fin en soi -, et l'approchede la connaissance pure, c’est-à-dire laconnaissance pour la connaissance. Eneffet, les deux approches aboutissent àséparer la philosophie de la vie, l'élèvede l'espace public et la philosophie deson enseignement. Pour éviter lareproduction de ces deux approches, il

faut esquisser une stratégie de l'en-seignement de la philosophie contenantla complémentarité. Celle-ci prend enconsidération les principes de l'éche-lonnement, de la continuité et de laspécificité dans le curriculum. Cettestratégie comprend aussi l'harmonisationentre l'enseignement de la philosophieet l'enseignement des autres disciplines.Par exemple, on ne peut pas envisagerune formation de l'esprit critique séparéede la pratique du critique littéraire ethistorique. De plus, la réforme de l'ensei-gnement de la philosophie ne serait queformelle si elle ne prenait pas en comptedes dispositifs pédagogiques comme laleçon de philosophie, véritable exercicephilosophique à propos du sens, dudiscours, de la lecture et de l’écriture.On ne peut pas réformer l'enseignementde la philosophie sans réformer lesméthodes d'évaluation actuelles. Il fautdésacraliser l'évaluation en la libérant du« monisme » et de « l'uniformisme ».Bref, on doit réconcilier l'évaluation et laliberté, en adoptant le principe de lapluralité.

Aziz Lazrak(30)

Secrétaire généralde l’Association marocainedes professeurs de philosophie(Maroc)

Encadré 15Philosophie de la réforme et réforme de la philosophie au Maroc

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que, dans une réponse à l’enquête del’UNESCO, ce correspondant à indiquéqu’aucun enseignement philosophiquen’était imparti au niveau collégial. Ajoutonsque la philosophie est également enseignéedans un type particulier d’enseignementtraditionnel, l’enseignement originel, oùelle figure dans les trois dernières annéesdu cycle secondaire (sections Juridique etChariâa, Lettres originelles et sciencesexpérimentales) sous l’intitulé Philosophieet Pensée Islamique. Elle y côtoie une autrematière, Pensée Islamique contemporaine.Le professeur Zryouil précise à cet égardque si la filière de l’enseignement originelpersiste dans le système éducatif marocain,elle n’est plus exempte de l’éxécution del’unique programme de philosophie valablepour toutes les filières où la pensée islamiquen’est plus séparée de la philosophie, maisest considérée comme partie intégrante dela pensée philosophique universelle etcomme l’un de ses moments. Aziz Lazrak adiscuté dans une série de contributionsparues dans Diotime-L’Agorà les difficultésde mettre en place cette réforme au niveaucurriculaire et pédagogique, insistant notam-ment sur l’exigence de passer progressive-ment à un modèle pédagogique axé surune participation active des étudiants aucours, à la fois par une lecture directe destextes et par une plus ample discussion encommun. On retrouve dans l’écart entreobjectif affichés de la réforme, programmesministériels et pratiques pédagogiques réel-les les mêmes difficultés que nous retrou-vons dans d’autres pays. En fait, la possibilitéd’atteindre les objectifs de la réforme sem-ble dépendre autant d’une présenceaccrue de la philosophie au niveau curri-culaire que d’une transformation des prati-ques didactiques effectives. À cet égard, ilfaut toujours distinguer les normes didacti-ques et curriculaires des pratiques d’ensei-gnement-apprentissage. Cela supposeobservation de terrain et analyse de prati-ques professionnelles, sans compter la priseen compte de l’effet-Maître et de l’effet-école, c’est-à-dire de déterminations relati-vement indépendantes de l’effet-systèmedu pays ou de la région concernés. Ce quel’on doit retenir est le choix socioculturelqui préside à la réforme marocaine. Celle-civeut explicitement ancrer les enseigne-ments scolaires, dans leur articulation

comme dans leurs contenus, à la réalité pro-fessionnelle et sociale contemporaine. Dansce cadre général, le choix d’augmenter laprésence de la philosophie pourrait surpren-dre. Or, la réforme marocaine semble préci-sément refuser tout écart entre formationprofessionnelle d’une part et consciencesociale et citoyenne d’autre part. Ensomme, selon Abderrahim Zryouil, si l’onveut résumer les nouveautés concernantla réforme de la philosophie au Maroc,trois faits saillants s’imposent :Enseignement de la philosophie dès lapremière année du lycée - Généralisationde l’enseignement de la philosophie àtoutes les filières sans exception -Intégration de la philosophie islamiquedans les programmes de la philosophiegénérale en tant que composante de lapensée philosophique universelle.L’actualisation sociale et économique del’école passe par une conscience citoyenneaccrue. Cette dernière considération semblerapprocher les réformes du Maroc et del’Espagne plus qu’il ne paraît.

Un aspect essentiel de la réforme envisagéeen Espagne, écrit Vázquez, « touche à l'appa-rition d'une nouvelle matière, l'Éducation à lacitoyenneté, née avec la nouvelle loi, laLOE. Il est prévu qu'au niveau secondaire,cette discipline soit assignée au cours dephilosophie. Il s'ensuit, d'un autre côté, quela préoccupation pour cette orientationvers la formation citoyenne, a égalementconduit les législateurs à modifier la déno-mination de la philosophie, première annéedu bachillerato, qui désormais s'appelleraPhilosophie et citoyenneté. Même si, aujour d'aujourd'hui, les contenus des pro-grammes n'ont pas encore été fixés, les pro-jets d'origine qui ont circulé indiquent que cechangement de nom impliquera égale-ment un changement dans les contenus.Cette modification devrait se faire dans le sensd'une promotion de la philosophie pratique,en particulier de l'éthique et de la politiqueet occasionner une disparition des dimen-sions plus théoriques, spécialement l'épis-témologie ». Bien que ce dernier point soitcontestable, et représente en effet l’undes points d’accrochage entre autoritéspolitiques et enseignants de philosophie,l’esprit qui anime les deux processus sem-ble similaire.

CHAPITRE II

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

La démarche de l’apprentissage du philoso-pher en situation éducative semble, malgréles nuances des dispositifs pédagogiques,relativement identique dans son allure, quelque soit l’âge de l’apprenti-philosophe.Cette démarche prend une colorationparticulière selon qu’il s’agit d’un jeuneenfant, qui voit l’éveil de sa penséeréflexive enracinée dans sa sensibilité et sonimagination, ou un adolescent qui abordesa crise identitaire, ou encore un adulte.L’adolescent s’entend ici d’un enfant quientre dans le processus de la puberté, vers11-13 ans en Occident, avec les transfor-mations physiques, psychiques et socialesimportantes qui s’ensuivent.(31)

L’adolescent, un questionné malgré lui, quis’oppose pour s’affirmer et se rassurer -éteindre l’incendie de la question. Cetteévolution-révolution de l’individu danscette phase de son développement a desconséquences significatives à prendre encompte dans son éducation. Retenons-endeux essentielles. 1) Si l’on en croit la psy-chologie, et en particulier la psychanalyse,l’entrée dans l’adolescence met en crise laperception du moi, qui doit remanierl’organisation de ses instances psychiques,dans une relation complexe entre unehistoire passée dans la prime enfance et lessollicitations de l’environnement actuel. Lerapport au monde, à autrui et à soi-mêmeinitie alors un processus de structuration etde restructuration problématique, qui ne vapas sans étonnement, peur, jouissance etsouffrance. 2) La perception d’autrui, facilitantou menaçant, qu’il s’agisse des figuresd’autorité - parents, maîtres - ou le jugementdu groupe de pairs, devient déterminantedans la façon de se situer et de réagir. C’estdans ce contexte humain qu’advient laproposition éducative de l’apprentissage duphilosopher. Elle se confronte aux questions

implicites ou explicites, baignées d’affectivité,de l’adolescent surpris par les transformationsde son corps, de sa voix, de sa sexualité.Que devient ce moi-même qui change, quiest cet autre que je deviens, qui suis-je endéfinitive, que veux-je aussi devenir, etc. ?Ces questions provoquées depuis le dedansde mon corps m’ébranlent dans l’émotioncomme sujet singulier expérimentant sasolitude à s’assumer, me déstabilisent etexpliquent ma réactivité à l’environnement(agressivité ou repliement sur soi). Lerapport au savoir pose alors problème àl’école, car la perte de repères cognitifssécurisants, les aléas des difficultés del’apprentissage et le risque d’échec fragilisentune estime de soi déjà mise à mal par lemanque d’assurance, de consistance d’unmutant. D’où souvent une attitude d’autantplus extérieurement affirmative et d’oppo-sition que l’intérieur est craquelé, tentantde tenir lieu de contenant aux pulsions.

L’adolescent-philosophe, ou l’assomptiond’un questionnement humain. Commentdonc amener à se questionner rationnel-lement en tant que liberté endogène quisoutient la question et se met en recherche(attitude philosophique), quelqu’un qui estaffectivement questionné (et non ques-tionneur) dans son existence même, et quece questionnement exogène (venant d’uncorps ressenti comme étrange, étranger)bouleverse, et qu’il voudrait faire taire, outout au moins apaiser ? Comment cultiverle questionnement chez celui qui, doutantde lui, cherche désespérément des certitudes,et les métaphorise dans le passage à l’acted’une opposition ? Quelle démarchepédagogique et didactique de l’éducateurpour accompagner chez l’adolescent unetraversée, de la question qui s’impose à luià la question qu’il se propose, et de l’affectsubi vers le concept construit ?

II. Suggestions pour un renforcement de l’enseignementde la philosophie au niveau secondaire

1) La construction de l’esprit critique. Sujet cognitif, affectif et social

(31) D’après le professeurMichel Tozzi (France)www.philotozzi.com

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Le modèle italien d’enseignement de laphilosophie à l’école est souvent considérécomme l’archétype d’une didactique axéesur l’histoire de la philosophie. La philosophieest enseignée dans les trois dernièresannées des lycées scientifiques et littéraires,ainsi que dans les écoles de formation desenseignants. Pendant longtemps, en effet,l’enseignement de la philosophie dans lesécoles secondaires italiennes a pris la formed’un véritable cours d’histoire de la pensée,

organisé par auteurs et allant de Thalès auxphilosophes contemporains. Un congrèsnational sur l’enseignement de la philo-sophie organisé en 2003 par la Sociétéphilosophique italienne (SFI) a permis defaire le point sur les développements et lesperspectives de cette méthode d’ensei-gnement. Récemment, la situation est entrain d’évoluer. La mise au point d’unecommission spéciale chargée de réformerles programmes curriculaires du niveau

CHAPITRE II

68

Là où le psychologue se met cliniquementà l’écoute individuelle du vécu globald’un adolescent dans sa dimensionaffective, comme sujet singulier(j’écoute ta personne dans ton ressenti),et tente de lui faire mettre en mots sasouffrance, l’accompagnant-philosophemet en débat dans une communauté derecherche entre sujets rationnelsl’événement existentiel qui advient dansle développement de tout homme, en letraitant comme un objet de réflexion àdiscuter, avec une écoute cognitive desidées à confronter. Exemples : À votreavis, quelle différence y a-t-il entre unjeune enfant et un adolescent ? Ou entreun adolescent et un adulte ? Un adolescentpeut-t-il être déjà un adulte ? Ou un adulteencore adolescent ? On travaille ici surles attributs des concepts de jeuneenfant, d’adolescent, d’adulte, sur leurextension ou les champs d’applicationde ces notions par des exemplesoui/non à justifier.Travail sur la conceptualisation et l’ar-gumentation : quand peut-on dire qu’unadolescent est libre ? (travail sur lanotion de liberté). Pourquoi un adolescent,à votre avis, critique-t-il souvent lalégitimité des règles ? A-t-il raison outort ? (travail sur les notions de règle etde loi, sur la légalité et la légitimité,l’éthique et la politique, etc.). Ou encore« que pensez-vous en tant qu’adolescentdu jugement d’autrui ? Est-il ou nonfondé (travail sur la notion d’autrui, dejugement, d’éthique…) ? »Alors que le psychologue a une approchecathartique de l’expression verbale desaffects, le philosophe trouve, lui, dans lelangage le lieu d’élaboration d’unepensée conceptuelle, dont on peut penser

par ailleurs qu’elle est, par effet dedistanciation et d’objectivation d’unepart, de mutualisation dans un grouped’autre part, cathartique pour l’adolescent.Si l’on trouve que le mot adolescent esttrop sensible, parce qu’il implique per-sonnellement, ce qui peut être inhibiteurdans la prise de parole, supprimons lemot et remplaçons-le par un générique(l’homme, les individus, « on », etc.), lesélèves répondront de toute façon enfonction de leur expérience de la vie :« Pourquoi critique-t-on souvent la légitimitédes règles ? ».Pour que les adolescents inhibés osentparler devant leurs camarades, et pourceux qui ne parlent que trop pours’imposer, il faut travailler sur les enjeuxde l’activité proposée. Non un rapportde force pour triompher (jeu gagnant-perdant), affirmer sa virilité (garçons),mais un rapport de sens - où l’on abesoin de la réflexion de tous parce quela question nous concerne tous -, est dif-ficile et complexe. Chacun est gagnant àécouter sur ce sujet les autres qui peu-vent l’éclairer (jeu gagnant-gagnant).Ceci suppose que chacun soit instauré -d’où le rôle et l’exemple du Maître, en« interlocuteur valable » (Lévine), valorisépar son apport à un moment de doutede soi et de faible estime - mais devanttoujours aller plus loin, car il y a desexigences intellectuelles. La situation decommunauté de recherche doit ménagerun climat de confiance de l’enseignantenvers chaque élève et le groupe, pouratténuer la peur du jugement de l’élèvepar le professeur et les pairs.Ceci est particulièrement importantavec les élèves en échec scolaire, quitraversent le bouleversement de

l’adolescence alors qu’ils sont souventdéjà perturbés par des problèmesfamiliaux ou scolaires antérieurs. Poureux, c’est leur rapport global au monde,à autrui et à eux-mêmes qui est probléma-tique, et le refus d’apprendre traduit leurangoisse forte devant la confrontation àun inconnu déstabilisateur. C’est cerapport problématique au monde qu’ilfaut médier par le questionnementphilosophique, dont il est toujours étonnantde voir à quel point ils peuvent aisémenty entrer, en raison même de leur sensi-bilité existentielle exacerbée, la « douleurd’être » disait Lacan. À condition de bienchoisir les thématiques existentielles quiles accrochent, de les faire entrer dansla réflexion par l’oral et la discussion, quine portent pas le sceau d’une écoleproblématique pour eux par son rapportà l’écrit, et dans lequel ils n’ont pasl’impression de travailler - ce qui estfaux, car on y travaille autrement. Ilimporte de mettre en place un dispositifdémocratique de prise de parole avecquelques règles simples de circulation,de n’attendre aucune bonne réponse, cequi les remettrait dans une situationscolaire de jugement, puisqu’il s’agit detravailler sur ses représentations etd’échanger des arguments pour s’enrichir,de restaurer leur blessure narcissique dese vivre comme nuls quand les résultatsscolaires sont mauvais, en postulantleur éducabilité philosophique, et doncd’avoir confiance en leur potentialité, enle leur faisant sentir.

Michel TozziProfesseur et didacticien(France)

Encadré 16La rencontre de l’adolescent avec la philosophie

2) Approche théorique et approche historiquede l’enseignement

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(32) « Le proposte dellaCommissione Brocca ("ProgrammiBrocca") », Commission Brocca.www.swif.uniba.it/lei/scuola/brocca.htm.Il s’agit d’une page du site Webitalien pour la philosophie, un sited’informations philosophiques quiconstitue une référence en Italie.www.swif.uniba.itVoir aussi sur ce point ArmandoGirotti, « L’insegnamento dellafilosofia in Italia: nuove teorie enuove pratiche. Alcune riflessioni amargine del convegno della SFI »,in Comunicazione Filosofica, 13.2004. www.sfi.it

(33) Bien que les curriculatraditionnels soient encoreen vigueur en Italie, les nouvellesorientations qui inspiraientles Programmes Brocca, mais aussiles propositions formulées parla SFI en 2000, ont considérable-ment influencé les pratiques philoso-phiques dans les classes.

(34) Mario De Pasquale,« Enseignement de la philosophieet histoire de la philosophie »,in Diotime-L’Agorà, 2, 1999.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(35) Mario De Pasquale, « Alcuniproblemi attuali in didattica dellafilosofia », in ComunicazioneFilosofica, 13. www.sfi.it.Nous signalons également le textede Fabio Cioffi, « La situazionedella didattica della filosofia inItalia attraverso l’evoluzione deimanuali scolastici ».Communication présentée lorsd’un colloque à l’Université deMedellin (Colombie), 2003.www.ilgiardinodeipensieri.eu.Ce document fait partie des archivesdu site de didactique de la philoso-phie Il giardino dei pensieri.

Les nouveaux programmes proposentd’enseigner la philosophie dans toutesles filières de l’enseignement du secondcycle, y compris dans les filières technolo-giques, économiques et professionnelles,parce que l’on veut, à une époque marquéepar la complexité et la rapidité desmutations, donner à chaque élève lapossibilité d’un support fondamental àsa maturation. Il s’agit de l’aider às’orienter par lui-même, à comprendre laréalité à bon escient, à réfléchir, àproblématiser les situations, à acquérirune conscience des valeurs et àréélaborer le savoir de façon autonome,bref, à lui permettre d’être capable dese projeter dans le futur, soit lors desdécisions qu’il devra prendre pour

s’orienter dans ses études ou dansson activité professionnelle, soit enfonction de son aptitude à participer defaçon créative à la vie sociale. La pré-sence de la philosophie dans toutes lesfilières est motivée par la capacité decelle-ci à éveiller une attitude critique etproblématique, à permettre une relationsensée entre les savoirs, une réflexionsur leurs conditions d’existence et desens, à activer dans la réciprocité dedialogue la dimension de communicationdans l’expérience d’enseignement-appren-tissage.Les éléments particulièrement novateursdans les Programmes Brocca sont ceuxqui concernent les modalités de choixde contenus, la position centrale don-

née au texte philosophique, la défini-tion d’objectifs d’apprentissage (même sielle est partielle et incomplète), la proposi-tion d’axes méthodologiques qui souli-gnent la nécessité de la médiation didacti-que entre philosophie et sujet quiapprend, la valorisation d’un recourssouple et sans contrainte à la programma-tion par objectifs, l’accent mis surl’exigence d’une nouvelle qualité de larelation éducative, dialogique et communi-cative, et sur de nouvelles formes d’éva-luation formative.

Propos de Mario De Pasquale Responsable de la commission didactiquede la SFI(Italie)(34)

Encadré 17Les « Programmes Brocca » en Italie

secondaire - Commission « Brocca », dunom de son coordinateur, BeniaminoBrocca - a marqué dans les années 1990 untournant en ce qui concerne les contenuset les méthodes des programmes de phi-losophie. Sans vouloir entrer ici dans lesdétails des propositions formulées par cetteCommission(32), il est intéressant d’observercomment les enseignants de philosophie etles spécialistes de didactique ont interprétéce « nouveau cours » de la pédagogiephilosophie dans le secondaire(33).

Il s’agit d’un véritable tournant didactiquepour l’enseignement de la philosophie enItalie. Lors du Congrès de 2003, Mario DePasquale de la SFI affirmait que « le débatde ces dernières décennies en didactiquede la philosophie a maintenant éclaircique l'opposition entre approche par pro-blèmes et approche historique est unefausse opposition. Les problèmes philoso-phiques naissent dans la dimension histori-que. La réflexion des philosophes dans latradition s'est développée autour de pro-blèmes. Il est évident que l'étude de la phi-losophie ne peut pas se passer d'uneconnaissance historique, notamment pourdiscuter et résoudre les problèmes de notretemps. Et il est vrai qu'on ne peut pasapprendre l'histoire encyclopédique de laphilosophie et étudier seulement les doctrineshistoriques. Il est vrai aussi que les problèmesphilosophiques ne peuvent pas être sérieu-

sement affrontés et discutés par les élèvessans étudier les principales philosophiesqui dans la tradition les ont discutés etsans acquérir les moyens conceptuels etthéoriques permettant de leur donner unsens »(35). Et voici comment cette révisionprofonde des pratiques pédagogiques tra-ditionnelles aboutit à une propositiondidactique à la fois historico-problématiqueet dialogique, le confilosofare : « si l'expé-rience de philosophie en classe se réalisecomme expérience qui se produit dans leregistre de la compréhension, de la clarifi-cation rationnelle, de la problématisation,pourquoi l'expérience philosophique nepourrait-elle pas s'ouvrir à des domainesdisciplinaires également orientés vers lapromotion de la compréhension, vers larecherche du sens, que ce soit à travers uneperspective d'interrogation ou des approchescognitives, d'enquête et de recherche ? Ilne s'agit pas d'annuler la spécificité, larichesse particulière et la profondeur dela philosophie, en la confondant avec lalittérature et avec l'art, en superposant desformes de recherche, etc. La particularitéde cette intention, des contenus, desméthodes et des moyens de philosopherdoit rester en dehors de la discussion.Les formes de la recherche philosophi-que doivent rester attachées solidementà la pensée et à la conduite rationnelle dela recherche elle-même. Les problèmesnaissent des choses elles-mêmes et sont

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formulés philosophiquement dans la tra-dition. Les étudiants apprennent à lesreconnaître, à les discuter et à les résoudreen classe, en partant de la réalité et ens'appropriant les contenus et les formes duphilosopher présents dans les recherchesdéjà faites par les philosophes (centralité dela tradition philosophique), connues àtravers les œuvres (centralité du textephilosophique). La traduction de ces fonda-tions théoriques en une pratique didactiquerequiert une révision des pratiques tradi-tionnelles, un dépassement des barrièresrigides entre des champs d'expérience et desavoir différents, une tendance à promouvoirdes expériences de philosophie significativesdans laquelle la recherche avance à traversdes perspectives d'enquête multiples et unemultiplicité d'univers de discours et delangages. Chacun avec sa puissance particu-lière de connaissance. Les formes derecherche en philosophie s'enrichissent dela contribution provenant d'autres disciplines,et permettent en outre de rendre leshypothèses de solution des problèmesrationnellement contrôlables, critiquables,discutables, dans une communicationintersubjective argumentée »(36). « Apprenons

de l’expérience française », telle est laconclusion de De Pasquale : « nos amis etcollègues français nous invitent à réfléchir surla thèse qui dit que s'il est vrai qu'en appre-nant à philosopher on apprend à penser, lecontraire n'est pas nécessairement vrai. Lescollègues français ont pris le risque dansleurs écoles que l'enseignement de laphilosophie se transforme en un manié-risme de la "rhétorique argumentative"ou du "pur débat d'opinions", en une"Philosophie philosophante" entre des élèvesqui ne connaissent pas des parties de la tra-dition, ou qui ne disposent pas desmoyens pour lire et comprendre un dis-cours philosophique, le construire orale-ment ou par écrit. Il faut mettre au centre del'attention les processus concrets par lesquelsles élèves apprennent et produisent lescontenus et les formes d'une connaissancephilosophique, à travers laquelle la philoso-phie vivante des élèves se rapporteaujourd'hui à la tradition ». La discussionitalienne, et les propos de De Pasquale ausein de la SFI, renvoient directement auxdix chantiers proposés par le groupe fran-çais de l’Association pour la création desinstituts de recherche sur l’enseignement

CHAPITRE II

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(36) De Pasquale, ibid.

(37) Manifeste pour l'enseignementde la philosophie. Paris,Association pour la créationdes Instituts de recherchesur l’enseignement de la philosophie(ACIREPH), avril 2001.www.acireph.net

Sixième chantier : Articuler l’apprentissagephilosophique et les savoirs.Se former à la philosophie, c’est apprendreà penser à travers l’appropriation deconnaissances philosophiques et nonphilosophiques. A durcir souvent jusqu’àla caricature les distinctions légitimesentre penser et connaître, entre la phi-losophie et les savoirs positifs ou entrele mouvement d’une pensée vivante etles idées des philosophes, on finit pars’interdire toute réflexion sérieuse sur lamanière de les articuler dans l’ensei-gnement. Par exemple : si le cours dephilosophie s’organise autour de pro-blèmes, ceux-ci ne peuvent êtresérieusement abordés par les élèvesqu’à travers la connaissance des prin-cipales options philosophiques qu’ils ontengendrées et par la maîtrise pro-gressive des distinctions conceptuellesqui permettent de leur donner un sens.Ces options et ces distinctions n’ont riende naturel ni de spontané. C’est dansl’histoire de la philosophie qu’elles ont

été produites et c’est là seulement qu’onpeut les rencontrer. On ne peut éluder laquestion : qu’est-ce que des élèvesdébutants doivent savoir de l’histoire dela philosophie ? Par exemple : la philo-sophie s’est toujours nourrie de ce quin’est pas elle et on ne saurait philosopherun tant soit peu sur les sciences, l’art oula religion sans disposer d’éléments deconnaissance solides et précis surcertains épisodes fondamentaux del’histoire des sciences, sur certainscourants artistiques et esthétiques, surcertains textes religieux. On ne peutéluder la question : puisque cesconnaissances indispensables ne sontpas fournies actuellement par le lycée,quelle place l’enseignement de la phi-losophie doit-il leur donner s’il veut êtrepertinent ? En affirmant entre autres que« l’enseignement de la philosophie enclasses terminales a pour objectif defavoriser l’accès de chaque élève àl’exercice réfléchi du jugement, et de luioffrir une culture philosophique initiale »,

que « ces deux finalités sont substantiel-lement unies », et que « l’étude d’œuvresdes auteurs majeurs est un élémentconstitutif de toute culture philosophique »,le programme français de philosophiedes séries générales (2003-2004) poseindirectement la question fondamentalequ’est le cantonnement des heures dephilosophie à la classe terminale. Il nesaurait être question d’examiner dansl’espace d’une année scolaire tous lesproblèmes philosophiques que l’on peutlégitimement poser, ou qui se posent dequelque manière à chaque homme surlui-même, sur le monde, sur la société,etc. Il ne peut pas non plus s’agir deparcourir toutes les étapes de l’histoirede la philosophie, ni de répertorier toutesles orientations doctrinales qui s’y sontélaborées.

Manifeste proposé par le groupe français de l’ACIREPH(37)

Encadré 18Un Manifeste pour l'enseignement de la philosophie (Extraits)

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

de la philosophie (ACIREPH) dans le cadredu Manifeste pour l’enseignement de laphilosophie publié en avril 2001. On peuttranscrire ici les parties plus directementliées à la dynamique entre approche histo-rique et approche problématique de ladidactique philosophique (6ème chantier duManifeste).

Terminons cette section par des élémentsde synthèses élaborés sous d’autres cieux.L’argumentation offerte par le professeurMauricio Langon depuis l’Uruguay paraît àce propos indicative. Il indique que « leprogramme de la troisième année se centresur la problématique plus strictementphilosophique avec l’utilisation en particulierde lecture directe de textes de philosophesde diverses époques et cultures. Ondéveloppe, on approfondit et on justifiedans ce programme le traitement à partirde « problèmes » comme manière d’articulerde façon créative les avantages et les pointsthématiques (systématiques ou notionnels)et historiques sans s’éloigner des intérêts

réels des étudiants. L’exercice de la penséese fera sur des thématiques philosophiquesconcrètes pour éviter de donner tropd’importance à l’information par rapportaux processus de réflexion. On a écartél’alternative d’une organisation thématiqueou historique parce que de tels programmestendent à faire prévaloir l’information surl’exercice du processus cognitif.L’apprentissage tend à se baser sur lamémoire, et l’enseignement à coller aumanuel et à des schémas prédéterminésd’accumulation des connaissances, sansintérêt réel pour l’étudiant. En centrant leprogramme sur des contenus, il devientimpossible de traiter en profondeur lesquestions considérées et on sacrifie alors laqualité à la quantité. Un programme centrésur des problèmes prend en compte unecaractéristique fondamentale et unique dela pensée philosophique, à savoir que touteproblématique bien présentée implique latotalité de la philosophie non pas paraccumulation mais par argumentation »(38).

La plupart des correspondants sont d’accordpour reconnaître à la philosophie unefonction de formation de l’esprit critique.C’est un chœur unanime. On évoque à cepropos, entre autres, la tolérance intercul-turelle (Allemagne), la capacité d’ouvrir lapensée sur ses limites et sur ses possibles(Argentine), de développer l’esprit critique(Belgique), de former l’esprit critique, aurespect et à la tolérance, d’éduquer à la paixet aux valeurs démocratiques (BurkinaFaso), de développer des capacités de pen-sée pour que celle-ci soit critique et créa-tive, de donner des raisons, d’identifier etde donner des critères (Espagne). On évo-que également le renforcement du savoir etla formation du jugement (Guatemala),l’enseignement de la pensée créative et cri-tique (Islande), la promotion de l’esprit cri-tique et la réflexion sur des questions fon-damentales (Liban). La philosophie servi-rait à apprendre à réfléchir et à prendre desdécisions responsables (Madagascar), àdévelopper des capacités argumentatives etréflexives (Mexique), ainsi que le goût et le

respect pour la pluralité de la pensée, lacontribution au processus de formationintellectuel et moral (Venezuela). Il convientde préciser que tous ces propos sont desinstantanés pris dans quelques-uns descommentaires transmis par l’enquête del’UNESCO. Ces derniers sont très parlantsen ce qu’ils offrent précisément un échode la manière dont l’enseignement de laphilosophie est vécu, ressenti, par lesacteurs les plus concernés. Ces réactionsont également une grande importance dansla mesure où, pour nombre de réponses,elles proposent des pistes pour un renforce-ment, voire dans certains cas une création,de l’enseignement de la philosophie. Pourdes besoins évidents de synthèse et d’effi-cacité du propos, il va sans dire qu’il n’a pasété possible de refléter ici par le menu tousles retours reçus dans le cadre duQuestionnaire. Les propositions, toutcomme les remarques critiques formulées parles répondants, ont été bien entendu ana-lysées et se retrouvent dans ce chapitre,comme dans toute l’Étude.

3) Prôner davantage l’enseignement de la philosophie au niveau secondaire

(38) Mauricio Langon. « Aperçusur la didactique de la philosophie »,in Diotime-L’Agorà, 5. 2000.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

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(39) Mireille Lévy, Daniel Bourquinet Pierre Paroz, « Enseigner laphilosophie en interdisciplinarité :un pari risqué dans un gymnase(lycée) suisse romand »,in Diotime-L’Agorà, 27. 2005.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(40) Isaac Newton, Principia : principesmathématiques de la philosophienaturelle. Traduction françaisede Émilie du Chatelêt.Paris, Dunod, 2005.

(41) Le gymnase correspondantici aux trois dernières annéesdu niveau secondaire.

CHAPITRE II

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4) Interactions entre la philosophie et d’autres disciplines

Les exemples avancés dans cette sectionproviennent du témoignage de trois pro-fesseurs de philosophie en Suisse : MireilleLévy, Daniel Bourquin et Pierre Paroz(39). Uneformation philosophique est dispensée àtous les élèves au cours de la dernièreannée de formation, soit une heure donnéeen solo par le Maître de philosophie et uneheure donnée en duo, ou en trio, dans lecadre de l’enseignement de l’option spécifi-que, branche accentuée qui détermine letype de maturité (bac) par le(s) maître(s) decette dernière et le Maître de philosophie,qui enseignent en présence l’un de l’autre,ou des autres.

Interdisciplinarité philosophieet physique - applicationdes mathématiques

Les difficultés des élèves scientifiques aulycée sont dues à une mauvaise modélisation,plutôt qu’à un manque de maîtrise desdémonstrations mathématiques. Il ne semblepas inutile, dès lors, en étudiant par exemplele modèle de Newton, d’insister sur le faitque la mécanique classique ne décrit pas

un monde tout fait, mais nous propose unparadigme, avec son vocabulaire et sesmoyens démonstratifs propres. Cela peutprovoquer chez l’élève un regard réflexif surl’idée un peu naïve que la science nous livrele monde tout nu et sans fard. Ensuite,suivre la démonstration de Newton, dansles Principia(40), des forces centrales, et levoir à l’œuvre dans son modèle géométri-que, montre à l’élève que la science se fait,et que les paradigmes ne sont pas sortistout armés des grands physiciens. Il y aune pratique de la science et cette pratiquene peut se confondre avec la science faite.Là aussi, il s’agit d’une invitation à l’au-tonomie critique. Enfin, en reprenant lapolémique Einstein-Bergson sur le caractèreabsolu du temps vécu, ou les textes deMaurice Merleau-Ponty sur le problème de laperception, il est également possible deréfléchir avec les élèves sur le monde perçu,face à l’abstraction du modèle de la relativitéd’Einstein. Descartes, en penseur classique,disait que la vraie cire ne peut se concevoirhors de l’intelligence. La perception pour luin’était qu’une science à l’état naissant.Mais, ajoute Merleau-Ponty, la science la

Une expérience menée dans un gymnase(41)

du canton de Berne permet d’observerles multiples possibilités concrètesd’interaction entre philosophie et matièresscientifiques. Les maîtres du Gymnasede Bienne en sont persuadés et ontinstitué une manière originale d’enseignerla philosophie, incluant tant l’histoire desidées que l’étude de diverses probléma-tiques contemporaines. Enseigner laphilosophie en interaction avec d’autresdisciplines, de manière à faire apparaîtreque le questionnement sectoriel de laréalité pratiqué dans une disciplineparticulière, scientifique ou autre, sedouble nécessairement d’un question-nement philosophique portant sur latotalité, donc sur le sens global de notreprésence au monde. L’enjeu est de mettreen évidence l’irréductibilité de la réalitéhumaine à une grille issue de la biologie,de la psychologie ou de la sociologie, oumême de l’interaction des diversregards scientifiques pensés dans unmodèle de complexité. En proposantcette démarche interdisciplinaire, les

initiateurs n’aspiraient pas à faire jouer àla philosophie un autre rôle que celuid’être au service de chaque discipline,en se donnant pour but de mettre enévidence par exemple la démarchecomplexe qui conduit à la formulationd’une hypothèse explicative ou inter-prétative. Entre la philosophie et lesdiverses disciplines peut s’instaurer unrapport de dialogue et de mutualité,même si la philosophie y joue un rôlede métadiscours. Même si elle prendson départ à l’extérieur de la philosophie,en sciences expérimentales, ensciences humaines ou dans le domainedes arts, cette démarche interdisciplinairemet en évidence le caractère incontour-nable de l’histoire des idées philoso-phiques. Elle vise à susciter chez l’élèvela curiosité à l’égard des textes classiques,à montrer que ces documents du passécontinuent de nous interpeller en nousplaçant devant des choix. Après troisans de fonctionnement du modèle,l’ensemble de l’école a tiré un bilanlargement positif des interactions

philosophie/mathématiques-physique,philosophie/économie et droit, philoso-phie/musique, philosophie/arts visuels,philosophie/langues modernes, philoso-phie/psychologie et pédagogie. Le faitque les élèves découvrent la philosophieà partir du domaine culturel où ils sont leplus investis, et avec lequel ils ont unlien personnel intellectuel et affectif -engageant aussi parfois leur avenirprofessionnel -, crée une motivationdans la réflexion. Celle-ci leur permet desurmonter plus facilement les difficultésde l’entrée dans la thématique philosophique.Le détour par la réflexion philosophiqueaffine la perception de leur propredomaine d’étude et beaucoup d’entreeux en prennent conscience au cours duprocessus.

Mireille Lévy, Daniel Bourquin,Pierre ParozProfesseurs, Collège de philosophie du Gymnase de Bienne (Suisse)

Encadré 19Illustration des interactions entre philosophie et matières scientifiques

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

plus moderne nous rend, au contraire, lemonde sensible. Par exemple, la relativitéd’Einstein nous montre qu’il n’y a pasd’observateur non situé et qu’il n’y pas desavoir total. L’interdisciplinarité avec laphysique ouvre des pistes à une compréhen-sion nouvelle des grands textes de la tradition.L’élève partant de ses connaissances, de sespréoccupations, et voyant mieux la pertinencede l’interrogation philosophique.

Interdisciplinarité philosophieet biochimie

Le mot « preuve » est un des mots favorisdes élèves. La science, et spécialement lachimie et la biologie, c’est prouvé, lamorale, non. Dès lors, les moyens depreuve des discours non scientifiques -philosophie, religion, poésie, art -, fontsourire les élèves. Ils sont conscients du faitque bien des domaines de l’existenceéchappent au type de vérification envigueur dans les sciences de la nature. Ilsont toutefois tendance à estimer qu’on estalors dans l’ordre de l’opinion, des questionssubjectives, c’est-à-dire des affaires depréférence et de goût. La rationalité a étéaccaparée par la pratique scientifique etcette conception raidie et étriquée de larationalité paraît ruineuse au philosophe.Elle n’est selon lui que l’autre, le pendantde l’arbitraire et du fanatisme. Dès lors leprojet didactique de la philosophie prendcorps. Si cette image de la rationalitécorrespond bien à la mentalité générale,alors il s’agira de partir de cette conceptionet de tenter de la faire évoluer. Voici en brefdeux moments évoqués à titre d’exemples.D’abord, la tentative de restitution del’épaisseur historique de la constitution dela chimie moderne comme science.Pendant un siècle, le XVIIIe, on a substituéau vieux modèle alchimique une nouvellethéorie fondée sur l’hypothèse du phlo-gistique, postulat qui repose sur le préjugéde l’existence d’une matière du feu libéréelors de la combustion et à qui on était alléjusqu’à attribuer un poids... négatif.Ensuite, à la faveur d’un film - Mon oncled’Amérique d’Alain Resnais -, la classe estinvitée à étudier l’image de l’homme et dumonde défendue par le biologiste HenriLaborit et connue sous le nom de naturalisme.Image fréquemment défendue par lesbiochimistes, parfois inconsciemment, et

que le Maître de philosophie met enopposition avec une autre. Les élèves sontincités à discuter des deux positions enargumentant. Ils le font, d’abord sur le seulplan des vérités générales, puis avec l’aidede la problématique éthique, l’apport desDéclarations des droits de l’Homme ouencore l’examen des principes de la Théoriede la Justice(42) du philosophe John Rawls. Etenfin en se constituant en comité debioéthique chargé de fixer les priorités encas de don d’organes. La discussion etl’argumentation prennent alors leur essor.Ceux qui y prennent une part activeacquièrent progressivement une conscienceélargie de la rationalité.

Interdisciplinarité philosophieet musique

Le cours est ici constitué de manière à ceque les heures en solo permettent une miseen perspective critique des thèmes et desœuvres étudiés dans l’heure en duo, etdonnent ainsi de quoi alimenter la réflexion.Il y a donc à la fois complémentarité ettensions entre les deux pans de la démarche.Alors que, dans le cours de musique, l’ac-cent est mis sur le chant grégorien, textes deBoèce à l’appui, l’heure de philosophie soloeffectue la critique pascalienne et kantiennede la connaissance. Alors que la démarchethéologique et herméneutique est esquisséesur le thème de la Passion selon Saint Jean,de Jean-Sébastien Bach, les grands courantsde l’athéisme contemporain et leurs principesherméneutiques, Feuerbach, Marx,Nietzsche, Freud, sont présentés en solo.L’élève est ainsi déstabilisé ou mis enmouvement vers une tâche de prise deposition. Une telle démarche met la questiondu sens au cœur de l’émotion esthétique.Elle invite en outre chaque musicien àentretenir un dialogue existentiel avec lesœuvres musicales.

Interdisciplinarité philosophieet arts visuels

La démarche avec les arts visuels est assezsemblable à celle de la musique dans sonprincipe. Deux moments forts du cours sontà relever. Tout d’abord, l’étude d’une icônede Andreï Roublov, placée après les analysesd’image de presse ou d'affiches deBenetton, icône étudiée aussi à travers le

(42) John Rawls, Théorie de la justice.Traduction françaisede Catherine Audard. Paris,collection Points, Seuil, 1997.

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film que lui a consacré Tarkovski. Les élèvesd’abord irrités après la vision du film detrois heures de ce dernier, entrent dans ladémarche d’interrogation d’une oeuvreréfractaire à toute saisie immédiate, etsaisissent l’interaction entre l’esthétique etles vérités subjectives. Le deuxièmemoment est celui de l’étude d’un tableaude Bonnard, qui, par la contestation ducorps objectif, rend accessible le corps vécudans l’événement fragile de la rencontre.Une des questions qui se posent quand onévoque une didactique interdisciplinaire dela philosophie concerne la présence decelle-ci comme discipline scolaire à partentière, en opposition aux enseignementsdits philosophiques et aux compétencesphilosophiques évoquées dans les program-mes officiels. Il apparaît que la présenced’un enseignement transversal de la phi-losophie, visant à développer des compétencesphilosophiques ou à renforcer des approchesphilosophiques dans le cadre d’autresmatières, ne devrait pas se substituer à laprésence d’une matière à part entière.

Matière qui serait axée sur le développementde facultés critiques et intellectuelles àtravers l’apprentissage du savoir, desconcepts et de l’histoire de la penséephilosophique. Le cas brésilien illustre aumieux les contradictions de cette approchephilosophique, qui veut faire l’économie dela présence obligatoire de la matière« philosophie ». Les chercheurs brésiliensmettent en avant le thème de la recon-naissabilité de la philosophie en tant quematière à part entière et l’impulsion qu’ellepeut donner, sous cette forme, à l’interactionentre niveau secondaire et niveau supérieur. Ilsmettent également en avant la qualificationrequise pour les enseignants selon lesdifférentes configurations.

CHAPITRE II

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Dans le secondaire, la philosophie estprincipalement enseignée dans une ouplusieurs des trois dernières années delycée. Dans certains pays, comme le Maroc,le Portugal, l’Uruguay et nombre de paysd’Afrique sub-saharienne, sa présence n’estpas cantonnée aux options scientifique,littéraire, économique ou sociale des lycéesou des niveaux secondaires généraux. Ellefait également partie des curricula des filièrestechniques et professionnelles. Aussi,l’enseignement de la philosophie n’a paslieu uniquement dans des établissementsayant pour objectif primaire de former desjeunes destinés à poursuivre leurs études àl’Université. Il s’inscrit en revanche dans lecadre d’une formation professionnelle où ladidactique de la philosophie et les finalitésqu’elle poursuit risquent d’être différentesde celles qui président à son enseignementdans les lycées. Simon-Pierre Amougui,inspecteur pédagogique national de philo-sophie à Yaoundé, a évoqué les difficultésliées à l’enseignement de la philosophiedans les lycées techniques du Cameroun(43).Il écrit qu’« à examiner les cours ou lesenseignements de philosophie dispensés àl’élève technicien, il apparaît clairement

que ceux-ci concernent ou intéressent peuou prou le technicien quant aux finalités decet enseignement, quant aux contenus etquant à la démarche pédagogique ». Ilsoulève à juste titre la question de « lapassivité des élèves » et se demande« comment pourrait-il en être autrementdès lors qu’aucun problème n’est posé,qu’aucune discussion n’est instituée,qu’aucun dialogue n’est instauré entrel’élève et le Maître ». Le problème « desavoir comment dispenser des enseignementsde philosophie au lycée technique » resteouvert dans son analyse. On ne peut avancerici des propositions permettant d’aborder laquestion de la spécificité de l’enseignementde la philosophie dans les écoles techniques.Remarquons simplement que le rôle souventmarginal que cette matière occupe dansces formations semble être davantage leproduit d’une pratique pédagogique inadap-tée que celui d’une inutilité inhérente à laphilosophie. Alfredo Reis, professeur dephilosophie à Coimbra (Portugal), aexpliqué avec une très grande clarté lesenjeux d’un enseignement universel etobligatoire de la philosophie dans lesecondaire.

III. État des lieux : institutions et pratiques

1) Diversité des systèmes scolaires à travers le monde

La matière « Introduction à la philosophie »fait partie du groupe composant laformation générale des dixième etonzième années de scolarité (classes deseconde et de première en France), avectrois heures hebdomadaires. Tous lesélèves portugais de l’enseignementsecondaire étudient la philosophie pendantdeux ans. La Réforme éducative stipulantl’« Introduction à la philosophie » commedeuxième élément de la formationgénérale, a attribué à l’enseignement de laphilosophie une dignité presque égale à

celle de la langue maternelle et lui areconnu une force éducative et formativeirremplaçable. Je dirais même que cetteréforme lui donne une dimension civi-lisationnelle dans la mesure où il y a eu laconscience de l’importance d’avoir ou dene pas avoir de philosophie dans laformation des jeunes. Le programmed’ « Introduction à la philosophie » a étépensé comme un « lieu de rencontre dessavoirs et des expériences, comme unespace privilégié de possibilités pourl’émergence de la réflexion critique, de

l’élargissement des champs conceptuels,de l’exercice de la liberté et de l’ouverturedes horizons ». Ce programme assumeune attitude nettement formative et inter-disciplinaire, et entend développer uneouverture aux questions contemporainesen mettant l’élève au centre pour qu’ildevienne un agent dynamique de sonapprentissage.

Propos du professeur Alfredo Reis(44)

(Portugal)

Encadré 20Introduction à la philosophie au Portugal : un lieu de rencontre des savoirs et des expériences

(43) Simon-Pierre Amougui,« Améliorer l’enseignement au lycéetechnique », in Diotime-L’Agorà, 4. 1999.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(44) Alfredo Reis, « La situation de laphilosophie », in Diotime-L’Agorà,1. 1999. www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

La différence fondamentale entre ce typed’enseignement et la discipline philosophiquetelle qu’elle est enseignée dans les lycées

littéraires - au Portugal, une troisièmeannée de philosophie, sous l’intitulé« Philosophie », est prévue dans les classes

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terminales des filières d’humanités, économiqueet sociale -, réside donc dans l’articulationentre finalité formative-critique et trans-mission de contenus susceptibles de préparerdes études universitaires ultérieures.Ailleurs, Reis insiste, à juste titre, sur les dif-férentes compétences que ces fonctions dis-tinctes exigent du corps enseignant et sur ladifficulté, pour les professeurs chargés ducours d’« Introduction à la philosophie », derepenser les modalités classiques du courstout en évitant l’écueil d’une simplification

de la philosophie destinée aux élèves desfilières professionnelles. Il s’agit de mettre lesconcepts et les catégories philosophiques auservice d’une formation de la personnalité desélèves, quelle que soit la filière scolairequ’ils fréquentent. Les propositions visant àgénéraliser l’enseignement de la philosophiedans les pays où il est essentiellementimparti aux lycées suscitent des discussionstrès vives au moment de mettre au point lesprogrammes.

Le travail accompli au quotidien par lesspécialistes de la didactique, souvent desprofesseurs d’école consacrant une partiede leur temps à la réflexion sur les conditionset les pratiques de leur travail, ainsi que lesréactions suscitées par le Questionnaire del’UNESCO, permettent de dégager quelquestendances générales de l’enseignement dela philosophie dans le monde. Il apparaîtd’abord que l’enseignement de la philosophiecomme matière distincte se situe dans laplupart des cas dans les dernières classesdes lycées à orientation littéraire, scientifiqueou socio-économique. Une proportioninférieure, mais non négligeable, d’enseigne-ments est impartie dans les Instituts ou leslycées professionnels. Lorsque la premièrephase dans le secondaire prévoit un tronccommun initial, comme au Maroc, il n’estpas rare que des enseignements philoso-phiques divers y figurent, comme l’éducationmorale, la logique, l’éducation civique,l’éthique ou, comme c’est le cas enOuzbékistan, l’identité culturelle. Le choix aété fait ici de distinguer la philosophie, entant que discipline à part entière, de cesenseignements philosophiques. Ces derniersne semblent remplir tour à tour qu’une desfonctions dans lesquelles s’articule l’ensei-gnement de la philosophie. Tantôt ils visentl’apprentissage du raisonnement - c’est lecas des cours de logique -, tantôt ils s’exercentà transmettre aux élèves un corpus deconnaissances ou de valeurs, sans pourautant que ces savoirs visent en premierlieu le développement d’un esprit critique.Dans d’autres cas, la philosophie peut seprésenter sous forme de disciplines à

orientation morale, civique ou religieuse,ou alors elle figurera comme enseignementtransversal, le plus souvent confié à desenseignants d’autres disciplines, à qui ondemandera des compléments philosophiquesvenant s’ajouter aux matières de leurcompétence. Un certain nombre de réactionsau Questionnaire font état de projetsnationaux visant à introduire la philosophiedans l’enseignement secondaire dans l’uneou dans plusieurs des trois options proposées- littéraire, économique et sociale ouscientifique. Des témoignages en ce sensproviennent de Belarus, de Colombie, deFédération de Russie, de Chine, de Jordanieet de Turquie. Un aperçu de l’enseignementde la philosophie ne saurait être réduit à laprésence de celle-ci dans les curriculascolaires. Une partie importante de cetteanalyse est consacrée aux différentespratiques et paradigmes pédagogiquesprésidant à cet enseignement. L’intérêt decette diversité ne se limite pas à unetechnicité pédagogique. Bien au contraire,la manière selon laquelle s’organisent lesenseignements joue un rôle essentiel selonque l’apprentissage de la philosophie éduque àla critique des savoirs, accompagne uneéducation morale, civique et religieuse ourenforce une conscience identitaire. Dansles pays à statut fédéral, la définition desprogrammes scolaires est en généralconfiée aux États, aux provinces ou auxcantons. Pour ces derniers, la diversité sedéploie au niveau intraétatique. On peutprendre ici l’exemple de la Suisse.Une particularité observée au niveau globalest l’absence de la philosophie comme

2) Pratiques et méthodes d’enseignements dans le monde.Quelques études de cas

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(45) Le RRM est établi au niveaufédéral.

(46) Christian Wicky,« L’enseignement de la philosophie »,in Diotime-L’Agorà, 7. 2000. www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

Le nouveau Règlement de reconnaissancedes maturités (RRM)(45) de 1998 aconsidérablement modifié les étudesgymnasiales en général et l’enseignementde la philosophie en particulier. Cettediscipline n’apparaît pas comme disciplinefondamentale obligatoire pour tous lesétudiants, à l’exception il est vrai decertains cantons, principalementcatholiques (Valais, Fribourg, Uri, Schwyz,etc.) pour lesquels la philosophie estdiscipline obligatoire, enseignée sur lesdeux dernières années, à raison de trois-quatre périodes de 45 minutes hebdo-madaires. La grande nouveauté résidedans la reconnaissance enfin fédérale dustatut de la philosophie, avec plusieursconséquences, comme le droit à laphilosophie pour tous, l’obligation pourtous les cantons de proposer la philosophiesoit comme option complémentaire (OC), à

raison de deux heures par semaine lesdeux dernières années, soit comme optionspécifique (OS) à raison de quatre/cinqheures par semaine les deux dernièresannées. Soit encore comme travail dematurité (TM), sous la forme d’un travaileffectué durant une année, à raison d’uneheure par semaine la dernière année. Cecise fait en collaboration avec un ou plusieursprofesseurs si le sujet est interdisciplinaire,et débouche sur un rapport écrit d’unedizaine de pages, avec soutenance oraleen fin d’année. Le paradigme dominant estplutôt historiciste dans la mesure où il s’agitautant d’apprendre la philosophiequ’apprendre à philosopher, et il n’est pasrare de proposer un enseignement allantdes Présocratiques à Sartre. Étant donnétoutefois la grande liberté octroyée tant auxcantons qu’aux établissements et auxprofesseurs, il est bien difficile de dessiner

un modèle dominant. D’autant plus que lesexamens de Maturité - équivalent du bacca-lauréat français - ne sont pas du toutcentralisés. Ce sont en effet les pro-fesseurs eux-mêmes qui préparent cesexamens pour leurs propres étudiants.L’accent est mis tantôt sur lesconnaissances historiques, tantôt sur lescompétences philosophiques, tantôt surl’explication de texte, et rarement sur ladissertation philosophique. L’objectif resteessentiellement de rendre l’élève capableet désireux de penser philosophiquementpar lui-même, en trouvant dans lespenseurs du passé des interlocuteursprivilégiés.

Propos de Christian Wicky(46)

Secrétaire de la Sociétédes professeurs de philosophiede l’enseignement secondaire (Suisse)

Encadré 21Reconnaissance de la philosophie au niveau fédéral (Suisse)

discipline obligatoire dans les systèmesscolaires des pays anglophones. Citons lasynthèse d’un correspondant malawien,qui écrit que « [le Malawi] étant un paysanglophone, la philosophie y est enseignéeuniquement à l’Université ». L’Afrique duSud se trouve dans la même condition. Ils’agit d’un phénomène qui donne àréfléchir sur l’impact de l’enseignementscolaire de la philosophie au niveaupédagogique mais aussi au niveau aca-démique. Non seulement parce que lemonde anglophone représente aujourd’huila première communauté au monde dechercheurs en philosophie en termesquantitatifs, mais aussi parce que cetteabsence questionne le rapport entreéducation à la philosophie et consciencedémocratique. Cette absence doit cependantêtre modulée. Aux États-Unis, des cours dephilosophie sont dispensés dans certainesHigh Schools, sans pour autant que cetenseignement ne soit prévu par le systèmeéducatif national. Il s’agit de cours complé-mentaires et laissés à l’initiative de chaqueétablissement scolaire, voire de la bonnevolonté de quelques enseignants. Il arriverarement qu’une école secondaire embaucheun enseignant pour le destiner principalementà enseigner la philosophie. Cette dernièrereste une tâche auxiliaire, confiée le caséchéant à des enseignants possédant descompétences dans ce domaine, mais chargés

prioritairement de l’enseignement d’autresmatières. Des cours de philosophie sont enrevanche offerts en général dans les trèsprestigieuses Prep Schools, fleuron del’enseignement secondaire aux États-Unis.

En Afrique francophone, et dans d’autrespays également, l’enseignement de laphilosophie est calqué sur le système françaiset n’intervient qu’en classe terminale deslycées. C’est le cas du Mali, mais aussi duBurkina Faso, où la philosophie est enseignéedans toutes les classes de terminale. Lestémoignages reçus dessinent un tableaucomplexe. Des correspondants de Côted’Ivoire signalent qu’au niveau secondaire,l’enseignement de la philosophie est dispensédepuis la classe de 1ère, mais aussi qu’il estquestion d’introduire la philosophie enclasse de seconde. Au Niger, on déplore lanouvelle réforme du baccalauréat quidévalorise les disciplines littéraires et laphilosophie au profit des sciences par laréduction des horaires. Au Burundi, c’estune compilation d’auteurs et de certainesthéories seulement qui est présentée auxélèves. Le problème principal constaté àl’échelle continentale concerne toutefois lemanque de masse critique d’enseignementsuniversitaires capable d’assurer une présencestable de la philosophie à l’école. Onobserve dans ces contextes multiples desexemples typiques de l’interdépendance

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Au Brésil, la philosophie fait partie desprogrammes depuis la création de lapremière école d’enseignement secondairede la compagnie de Jésus à Salvador deBahia en 1553. Cependant, pendantpresque trois siècles, jusqu’à la moitié dudix-neuvième, la philosophie a un caractèrenettement doctrinal, marquée parl’idéologie des jésuites. Avec l’avènementde la République et une forte influencepositiviste, vers la fin du dix-huitième siècle,pour la première fois depuis son ins-tauration, la philosophie est retirée desprogrammes puisque pour le positivisme,la science - non la philosophie - constitue labase solide de l’éducation. À partir de cemoment, la philosophie est prise dans unesérie de mouvements politico-pédago-giques qui alternativement l’incluentou l’excluent des programmes. Elle revienten 1901 comme discipline logique dans ladernière année du niveau secondaire, pourêtre retirée en 1911. Elle revient à nouveaucomme matière d’option en 1915, puis

obligatoire en 1925, avec un caractèrenettement encyclopédiste. Les réformeséducatives de 1932 et 1942 maintiennentla philosophie comme logique et histoire dela philosophie. Avec l’instauration de ladictature militaire, elle est à nouveau exclueofficiellement des programmes de l’ensei-gnement secondaire à travers la loi 5692de 1971, et remplacée par la matière« Formation morale et civique » en vue degarantir la transmission de la sécuriténationale et d’atténuer l’impact contre-révolutionnaire critique et communiste del’enseignement de la philosophie. Ellerevient comme une option avec la nouvelleréforme de 1982, situation qui se maintientavec la dernière loi directive et base del’éducation nationale 9394, définitivementvotée en décembre 1996. En effet, d’aprèsson article 36, paragraphe 1er, alinéa 3, àla fin de l’enseignement secondaire, l’élèvedoit dominer, entre autres, lesconnaissances en philosophie et sociolo-gie nécessaires à l’exercice de la citoyenneté.

Mais on ne dit rien sur la forme desprogrammes nécessaires pour arriver àune telle fin. Ce qui a donné en pratiquel’inclusion de la philosophie comme disci-pline obligatoire, mais à la charge des Étatset des municipalités. D’une part, depuis sonexpulsion durant la dernière dictaturemilitaire, elle est devenue une sorted’imaginaire social qui lie son ensei-gnement à des conditions démocratiqueset à une citoyenneté critique et nonautoritaire. D’autre part, sa situationconcrète est précaire dans les divers États.Nombreux sont ceux qui ne l’incluent pasdans les matières au niveau secondaire, ouqui le font d’une manière ténue et faible, parexemple à raison d’une heure par semaineà peine pour la dernière année.

Propos du professeurWalter Omar Kohan(47)

Université de l’État de Rio de Janeiro(Brésil)

Encadré 22La philosophie au Brésil au fil du temps

CHAPITRE II

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entre enseignement secondaire et supérieur.D’une part, les meilleurs chercheurs onttendance à se faire recruter par desUniversités d’autres régions du monde -Europe et États-Unis d’Amérique, maisaussi Chine et Australie. D’autre part, lenombre de ceux qui restent n’arrive pas àattirer suffisamment d’étudiants pour garan-tir un nombre minimal de diplômés et dechercheurs de qualité. Il s’agit d’une véri-table spoliation académique, qui ne selimite pas à priver le continent de ses meil-leures ressources, mais détruit égalementtoute possibilité de les recréer.

Amérique latine et Caraïbes

Brésil. Le cas brésilien revêt un grandintérêt à plusieurs titres. D’une part, ilpermet d’observer les difficultés liées àl’introduction, ou plutôt à la réintroduction,de la philosophie comme matière d’enseigne-ment à part entière. D’autre part, il montrele rôle social et culturel que cet enseignementpeut jouer dans le processus de démocratisa-tion d’un pays. En troisième lieu, il illustre demanière patente le problème de la formationet du recrutement des enseignants decette discipline. L’enseignement de laphilosophie dans les écoles brésiliennes asuivi le rythme de la démocratisation du

pays. Il a été réintroduit dans les écoles parla loi de réforme de l’enseignement de1996, après une longue éclipse pendant lesannées de dictature(48).

En 2003, une équipe de chercheursappartenant à différentes Universités brésilien-nes a réalisé, sous la direction du professeurKohan, une enquête minutieuse sur l’en-seignement de la philosophie dans lesecondaire au Brésil(49), qui gagne à êtreconsultée. L’enjeu principal de la discussionqui se déroule au Brésil depuis quelquesannées concerne donc l’introduction de laphilosophie, et de la sociologie, commematière à part entière dans l’enseignementsecondaire. La loi de 1996 (LDB) exigeaitque les étudiants maîtrisent des connaissancesde philosophie et de sociologie, sans pourautant imposer que ces disciplines soientenseignées en tant que telles. Cette ambiguïtéa provoqué une discussion très vive quant àl’opportunité d’introduire ces deux disciplinesdans le curriculum scolaire du Brésil. Aprèsmaintes vicissitudes législatives, y comprisun veto présidentiel en 2001, une modi-fication de l’article 36 de la loi de 1996 aété approuvée par le Conseil national del’éducation du Brésil en juillet 2006. La nou-velle formulation stipule que « la philosophieet la sociologie seront introduites comme

(47) Walter Omar Kohan,« La philosophie pour enfants »,in Diotime-L’Agorà, 6. 2000. www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(48) Roger-Pol Droit, Philosophieet démocratie dans le monde.Une enquête de l’UNESCO. Paris,UNESCO, 1995.

(49) Alberto Favero Altair, FilipeCeppas, Pedro Ergnaldo Gontijo,Silvio Gallo, Walter Omar Kohan,« O ensino da filosofia no Brasil:um mapa das condições atuais »,in Cadernos CEDES, vol. 24, n° 64. Campinas,septembre/décembre 2004.www.scielo.br

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

disciplines obligatoires ». Le problème de laformation du corps enseignant a été aucœur du débat sur l’introduction de laphilosophie comme discipline obligatoirede l’enseignement secondaire. La difficultéde former et de recruter des professeurs dephilosophie, outre les implications financièresque cela comporterait, ont été à l’originedu veto présidentiel de 2001 et de mesuresadoptées au niveau provincial.

Dans une étude de l’Organisation des Étatsibéro-américains consacrée aux curricula dephilosophie dans l’enseignement secondairede 18 pays latino-américains en 1998(51), ilapparaît que « où s’enseigne encore laphilosophie, le processus éducatif metdavantage l’accent sur l’histoire de laphilosophie que sur la philosophie en tantque telle ». En Amérique centrale, la philoso-phie semble absente de la plupart descurricula scolaires. Au Nicaragua, où l’onnous dit qu’elle « n’est pas enseignée auniveau secondaire depuis 2000 », on ajouteque « la tendance éducative de réformedes cursus vise à aborder la philosophie nonplus comme une science spécialisée maiscomme une science complémentaire auxmatières ». Au Mexique, l’éducationscientifique est privilégiée et la philosophies’apprend jusqu’au liceo principalement endeux versants, la logique et l’éthique.Signalons également une étude réalisée en2005 par le Département des scienceshumaines de la Pontificia UniversidadCatólica Madre y Maestra en Républiquedominicaine.

Haïti. Le nouveau Plan national d'éducationet de formation (PNEF) vise à améliorer laqualité de l'éducation à tous les niveaux.Dans ce cadre, une réforme de l'enseigne-ment secondaire est actuellement en phased'expérimentation pilote. Plus précisément,dans le domaine de la philosophie, a étéposée la question de la relève du corpsenseignant. Un vide significatif est ainsipressenti et sera l’une des causes d’un reculde la discipline.

Paraguay. En réponse à l’enquête del’UNESCO, on y lit que « la réforme éducativea réduite la discipline seulement à une sortede baccalauréat. Auparavant, les bacca-lauréats techniques l’incluaient pendantau moins une année, et deux pour lesbaccalauréats humanistiques. La philosophies’est ainsi limitée énormément au niveausecondaire. Mais les baccalauréats techniquescomportent en compensation des matièrescomme l’éthique et la formation à lacitoyenneté, la sociologie et l’anthropologieculturelle, la politique et la logiquemathématique ».

Pérou. L’enseignement de la philosophiedans les écoles subit un coup d’arrêt en2002 lorsque le gouvernement retire lamatière « philosophie » des curricula scolaires.On peut observer que, à peine deux ansaprès cette mesure gouvernementale, lacommunauté philosophique péruviennes’est exprimée ouvertement en faveur d’unrétablissement de cette matière à l’école,notamment à travers la Déclarationd’Arequipa, du nom de la ville hôte duColloque national de philosophie en

(50) « Visión de la Filosofíay su Enseñanza en el Bachillerato,en estudiantes de nuevo ingresoa la Pontificia Universidad CatólicaMadre y Maestra ».Étude préparée dans le cadredu Programme de participationUNESCO de la Républiquedominicaine, intitulé Desarrollodel pensamiento crítico a travésde la enseñanza de la Filosofíaen la República Dominicana.Octobre 2005.

(51) Análisis de los currículosde Filosofía en nivel medioen Iberoamérica, OEI, 1998.

L’étude intitulée « Visión de la Filosofía y suEnseñanza en el Bachillerato, en estudian-tes de nuevo ingreso a la PontificiaUniversidad Católica Madre y Maestra »(50),parvient, entre autres, à la conclusion queles contenus offerts comme formation phi-losophique se réfèrent fondamentalementà des opérations d’ordre mémoriel. Lestechniques d’enseignement, cependant,font appel à des méthodologies d’ordreparticipatif. Les étudiants conçoivent lesavoir philosophique comme un outil quirenforce des valeurs comme l’honnêteté, la

rigueur dans le raisonnement, le respect, latolérance, le sens critique. Voici les recom-mandations formulées par ce travail : créerdes espaces de sensibilisation à la connais-sance philosophique, offrir, durant l’annéedu baccalauréat, des cours de philosophieorientés vers des thèmes anthropologiqueset épistémologiques, renforcer la formationd’enseignants, rappeler que le renforce-ment de l'enseignement de la philosophiepermet l'appropriation de valeurs, élaborerune orientation enseignante spécifique-ment dirigée vers la formation philosophi-

que, produire des matériels destinés à l’en-seignement de la philosophie. Il s’agit éga-lement de développer, dans les bibliothè-ques des écoles/lycées/collèges, la créa-tion de rayons sur des thèmes philosophi-ques et d’organiser un concours annuel surla philosophie où interviennent les jeunes.

María Irene Danna, Johnny Gonzálezet Ramón GilProfesseurs(République dominicaine)

Encadré 23Vision de la philosophie… en République dominicaine

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CHAPITRE II

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(52) Langon, op. cit.

(53) Coumba Touré,« Mali : les difficultés des apprentis-philosophes », in Diotime-L’Agorà,19. 2003.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

Nous, réunis pour le VIe Colloque nationalde philosophie à Arequipa, Pérou,déclarons- Que la philosophie constitue une partconsubstantielle du patrimoine fonda-mental de la raison humaine ;- Que notre vocation philosophique estune vocation pour l’homme, son histoireet ses problèmes ;- Que, face à l’expansion et à la consoli-dation de la consommation globalisée,nous estimons urgent et nécessaire destimuler chez nos jeunes la culture d’unesprit philosophique qui permette auxfuturs citoyens de structurer uneconception générale du monde et del’homme ;- Que la philosophie permet la formationdu sens critique et de l’autonomie de lapensée, et promeut une réflexion surl’homme et son destin ;- Qu’il est indispensable de renforcer etde revaloriser l’enseignement de la

philosophie au Pérou, en redéfinissantses objectifs de base ainsi qu’en indiquantdes règles de diversification dans lescursus, adaptées à la réalité de chaquerégion ;- Qu’il est nécessaire d’institutionnaliserles fondements d’une tradition sur l’ensei-gnement-apprentissage de la philosophieau Pérou. À cette fin, les Universités etles institutions éducatives devraientorganiser des événements académiqueset d’échange ;décidons- De déclarer l’éducation philosophiquedes jeunes péruviens, comme prioritéurgente pour la véritable éducationnationale du futur citoyen péruvien ;- De demander à l’État du Pérou dedonner un nouvel appui à l’enseignementde la philosophie au sein des institutionséducatives du pays, et de ne pas lediluer dans d’autres matières ou de lefaire simplement disparaître du cursus

en vigueur ;- D’exprimer nos préoccupations devantle faible intérêt manifesté par l’État duPérou pour revaloriser et renforcerl’enseignement de la philosophe ;- De recommander aux Universités etaux institutions éducatives péruviennes,ainsi qu’à la Société péruvienne dephilosophie, de se prononcer publiquementen faveur de la nécessité et de l’urgencede la philosophie pour les jeunes péruviens ;- D’attirer l’attention de la communautéphilosophique nationale sur la nécessitéde créer une tradition de recherche etde réflexion sur l’enseignement-apprentissage de la philosophie auPérou, à l’instar d’autres pays enAmérique et dans le monde.

Source : http://redfilosofica.de(Pérou)

Encadré 24Extraits de la Déclaration d’Arequipa

décembre 2004, dont les parties saillantessont reproduites ci-après.

Uruguay. Un enseignement de philosophieest dispensé dans les trois années du niveausecondaire supérieur (15-17 ans), toutessections confondues. Les heures hebdo-madaires varient selon les options choisies.Mauricio Langon, Inspecteur national dephilosophie et Président de l’Association dephilosophie de l’Uruguay, décrit l’ensei-gnement de la discipline dans le systèmescolaire de son pays : « Depuis 1885, laphilosophie est enseignée dans les troisdernières années de préparation au Bacavec un horaire hebdomadaire de 3 heures,quelles que soient les filières. On peutcalculer que plus de 60 % des jeunes de 15à 17 ans reçoivent au moins un enseignementde philosophie pendant un an et pour presque50 % pendant 3 ans. L’enseignement de laphilosophie a une grande uniformité auniveau national, mêmes programmes,méthodes d’évaluation, professeurs etinspections. Cette uniformité ne seretrouve pas forcément dans les manuelsofficiels et n’exclut pas une liberté d’enseigne-ment qui tend d’ailleurs à s’accentuer»(52).

Venezuela. Un répondant auQuestionnaire déclare que « la philosophie

comme discipline offerte aux bacheliers enhumanités a plutôt une inclination à lapsychologie, de telle manière que lesprofesseurs n’ont pas à se spécialiser dansce domaine. Pire encore, le programmeofficiel les oblige à abandonner les contenusphilosophiques ».

Afrique

Une question se pose de manière criantedans plusieurs pays africains concernant ladimension linguistique de l’enseignementphilosophique. Une étude de CoumbaTouré, professeur en sciences de l’éducation àl’Université de Bamako (Mali), permetd’observer de près les difficultés de l’appren-tissage de la philosophie dans un systèmescolaire caractérisé par un plurilinguismeparfois conflictuel(53). Cette enquête de terrainrévèle une situation que semblent partagerd’autres pays d’Afrique francophone. Àpartir du constat que la plupart des élèvesd’un lycée de Bamako éprouvaient desdifficultés dans l’apprentissage de la phi-losophie, le professeur Touré parvient à laconclusion que ces difficultés étaient« intimement liées au problème de la langued’enseignement ». Elle s'exprime en cestermes : « Le système éducatif malien estun produit de la colonisation. L’une des

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

conséquences en est que les premiersapprenants maliens ont dû utiliser une langueétrangère, le français. Les ambitions de laréforme de l’enseignement de 1962 serésument à une adaptation de l’enseignementaux réalités sociales, économiques etpolitiques d’un État indépendant. Vingt ansaprès l’introduction des langues nationales,les jalons sont posés pour un autre type desystème éducatif, mais la problématiqueliée à la langue d’enseignement n’est pasrésolue. Quelles sont les conséquences del’utilisation d’une langue étrangère dans lesprocessus d’apprentissage surtout lorsquecelle-ci n’est pas maîtrisée ? La première estla réduction du degré de motivation. Ladeuxième est que les connaissances sontmal comprises et quelquefois déformées.Enfin, la capacité d’analyse et de réflexionest réduite. La philosophie est enseignéedans ce contexte général, pour la premièrefois en année terminale des classes dulycée, et dans toutes les sections. Les horaires,les programmes et leur contenu varientselon les sections. La difficulté la pluspertinente est la langue, puisque pourcomprendre les concepts il faut comprendre lalangue d’enseignement. À cela s’ajoute laspécificité du savoir philosophique à traversla nature des concepts, la divergence et ladiversité des idées. Cette enquête montrequ’il existe des problèmes liés aux méthodesd’enseignement, des problèmes d’ordrelinguistique, des problèmes liés aux conditionsde travail des enseignants et aux moyensdidactiques utilisés. Elle s'achève en indiquantqu'un système scolaire efficace devraitintégrer à la fois l’environnement immédiatet le contexte global international. Dans untexte paru récemment, Pierre-ClaverOkoudjou, membre de l’École de formationdes inspecteurs de l’enseignement duBénin, écrit qu’« apprendre à penser, à par-ler et à écrire dans sa langue maternelle,c’est donner toute sa chance à l’avène-ment de la philosophie africaine entendue ausingulier comme au pluriel », car « une foisencore, la philosophie se trouve dans la lan-gue et la culture maternelles »(54). On peuts’interroger sur la pertinence et les limitesde ces revendications, qui semblent négli-ger les effets bénéfiques du plurilinguismequi caractérise bon nombre de pays afri-cains. Reste que la diversité linguistiqueet le plurilinguisme représentent, à diffé-rents titres, l’une des préoccupations

majeures des enseignants et des chercheursafricains. Il ne s’agit pas là d’une simplequestion d’organisation de l’enseignement.Dans un article paru en 2000 dans Politiqueafricaine, le philosophe sénégalaisSouleymane Bachir Diagne met au clairl’enjeu cognitif - épistémique - que sous-tend cette diversité linguistique. Il écrit « lelangage détermine-t-il les catégories logi-ques que nous mettons en œuvre ainsi queles notions fondamentales que nous avonsde l’être, du temps, etc.? Qu’en est-il de latraduction, de sa possibilité ou de ses effets ?Ce que l’on peut appeler la question philo-sophique et linguistique en Afrique,aujourd’hui, gagnera beaucoup à s’éclairerde l’histoire des traductions, dans le mondede l’Islam, des textes de la philosophie grec-que, ainsi que de la manière dont ces tra-ductions ont fait de la langue arabe une lan-gue philosophique. Traduire un problèmephilosophique dans ma langue kinyarwan-daise, akan ou wolof est toujours un pro-blème qui m’enseigne, premièrement,quelque chose de cette langue et du sys-tème de coordonnées qu’elle constitue et,deuxièmement, quelque chose de la naturemême de ce problème philosophique »(55).

On peut également citer le témoignageporté par un répondant haïtien à l’enquêtede l’UNESCO et selon lequel « l’Institut dephilosophie Saint François de Sales vient delancer une revue à vocation philosophiquequi vise entre autres objectifs à philosopheren langue créole haïtienne ».Il est effectivement très fécond, et surtouten phase avec le réel même, de s’intéresserà la porosité qui peut prévaloir entre différen-tes langues, en d’autres termes, à leurssynergies, leurs interactions et leurs ren-contres. Ces points de contacts d’unelangue à une autre, d’un mot à un autre,d’un concept philosophique à un autre, sefont dans et par la traduction, dans l’actede traduire qui est tout à la fois actemanifeste de création et de reproduction.Le mot traduit, reflété ne vient pas du« rien » et en même temps il doit direquelque chose une fois traduit. Toutedémarche de réflexion, toute entreprise decompréhension de l’Autre passentnécessairement par la langue. Commenttransposer sans renier, violenter, affadir oufausser, un mot, une idée, un conceptd’une langue à une autre ? La langue

(54) Pierre-Claver Okoudjou,« Comment enseigner aujourd’huila philosophie en Afrique ? »,in P.J. Hountondji (dir.), La ratio-nalité, une ou plurielle ? Dakar,CODESRIA, 2007.

(55) Souleymane Bachir Diagne,« Revisiter la philosophie bantoue »,in Politique africaine, 77.Paris, Karthala, mars 2000.www.politique-africaine.com

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Asie et Pacifique

Japon. L’enseignement philosophiqueapparaît au Japon dans le primaire et lesecondaire inférieur (12-15 ans) sous formed’éducation morale. Il se prolonge dans lesecondaire de deuxième niveau sous formede cours optionnel d’éthique dans le cadred’un plus général enseignement d’éducationcivique. Voici comment le professeurTetsuya Kono, de l’Université deTamagawa, présente l’articulation de cesenseignements(57). Pour l’enseignement de laphilosophie, il n’y a pas à proprement parlerde classe de philosophie mais seulementdes classes d’éducation morale jusqu’ausecond degré du niveau secondaire. À ceniveau, les enseignants apprennent à leursélèves comment juger les questions moraleset comment avoir une bonne conduitemorale avec le but d’enseigner la bonnecitoyenneté. Ainsi, l’éducation morale auniveau des enseignements élémentaire etsecondaire du premier degré inclut souventun entraînement scolaire ou un complé-ment de formation chez soi. Concernant

l’éducation dans le secondaire de secondniveau, le professeur Kono décrit la présencede la philosophie comme suit. Dans les écolessecondaires de second niveau, la philosophieest enseignée dans la classe de Rinri (éthique)qui est elle-même une matière de Komin(civisme ou éducation civique). Le Komincomporte trois matières : sociétécontemporaine (sociologie), éthique, politi-que et économie. L’importance est donnée,en classe d’éthique, aux questions de la vie,de la morale et de la politique, plutôt qu’auxquestions philosophiques comme la méta-physique, la vérité et la connaissance, lascience, la relation corps-esprit, etc. En cesens, la philosophie est la prolongation del’éducation morale qui est offerte aux premieret second degrés du niveau secondaire(58).Les manuels de philosophie traitent, engénéral, des anciennes idées qui caractérisentles principales civilisations telles que la phi-losophie grecque, le christianisme,l’Islam, le bouddhisme et le confucianisme.Ils traitent aussi de philosophie occidentale, enparticulier après la Renaissance et de la phi-losophie japonaise, y compris la vision de la

(56) Barbara Cassin (dir.),Vocabulaire européendes philosophies - Dictionnairedes intraduisibles. Paris, Éditionsdu Seuil / Le Robert, 2004.

(57) Tetsuya Kono, « La situationactuelle de l’enseignementde la philosophie au Japon »,in Diotime-L’Agorà, 24. 2004.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(58) Voir un exemple de sommaired’un manuel de classe d’éthique :Ethics. Japon, Suken publisher, 2001.

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apparaît à la fois comme ce qui définit etporte une identité et en même temps elleen appelle à son propre dépassement,condition indispensable pour vivre etperdurer. On peut à dessein évoquer ici unesomme remarquable, fruit de plusieursannées de travail, le Vocabulaire européendes philosophies - Dictionnaire des intra-

duisibles(56). En effet, même si ce derniers’est concentré sur les philosophies euro-péennes, sa problématique comme sadynamique sont éminemment inspirantespour d’autres régions. À travers notammentsa vision du lien complexe entre fait de langueet fait de pensée, cet ouvrage est uneinvitation forte à la pensée.

Le Vocabulaire européen des philosophies- Dictionnaire des intraduisibles saisit 15langues d’Europe ou constitutives del’Europe. Les principales languesconsidérées sont l’hébreu, le grec,l’arabe, le latin, l’allemand, l’anglais, lebasque, l’espagnol, le français, l’italien,le norvégien, le portugais, le russe et lesuédois. L’ouvrage comporte 400entrées, explore 4000 mots ouexpressions, et repose sur le travail de150 collaborateurs pour une période de12 années. L’un des problèmes les plusurgents que pose l’Europe est en effetcelui des langues. On peut choisir unelangue dominante, dans laquelle se

feront désormais les échanges ou bienjouer le maintien de la pluralité, enrendant manifeste le sens et l’intérêtdes différences. Ce Vocabulaire s’inscritdans la seconde optique. Il a l’ambitionde constituer une cartographie des diffé-rences philosophiques européennes, encapitalisant le savoir des traducteurs. Ilexplore le lien entre fait de langue et faitde pensée, et prend appui sur ces symp-tômes que sont les difficultés de passerd’une langue à l’autre - avec mind,entend-on la même chose qu’avec Geistou qu’avec esprit, pravda, est-ce justiceou vérité, et que se passe-t-il quand onrend mimesis par imitation ? Chaque

entrée part ainsi d’un nœud d’intra-ductibilité, et procède à la comparaisonde réseaux terminologiques, dont ladistorsion fait l’histoire et la géographiedes langues et des cultures. C’est uninstrument de travail d’un type nouveau,indispensable à la communauté scien-tifique élargie qui cherche à se constituer,en même temps qu’un guide de l’Europephilosophique pour les étudiants, lesenseignants et les chercheurs.

Barbara CassinPhilosophe et philologue(France)

Encadré 25Passages d’une langue à une autre - Fait de langue et fait de pensée

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nature, de l’homme et de la société telsqu’ils apparaissent dans les romans, lesessais littéraires et la poésie. Ces manuelsabordent également des problèmes morauxde la société contemporaine, tels que la bioé-thique, l’environnement, la morale interna-tionale, et autres. Dans ce contexte, il est ànoter que les questions philosophiquessont souvent réduites à ceux du sens de lavie personnelle. Le contenu des livres declasse est beaucoup plus une histoire de lapensée que de la philosophie. Les livresd’étude japonais, en harmonie avec lescours de morale japonais, semblent atta-cher plus d’importance à l’acquisition deconnaissances générales ou historiques surles idées, les philosophes et les religions.Le but de l’enseignement de la philosophieau Japon n’est pas prioritairement la forma-tion à la réflexion rationnelle, ni le dévelop-pement de la capacité à construire une argu-mentation sur un sujet donné.

Thaïlande. La philosophie est enseignéedans les sept années du niveau secondairesans être une matière séparée. On l’enseignedans les établissements généraux et techni-ques, à raison d’une à deux heures parsemaine. Elle est abordée dans le cadred’autres cours comme la littérature, l’histoire,l’éducation morale, l’éducation religieuse,l’éducation civique ou les sciences. Uneapproche holistique est généralementobservée dans l’enseignement de la philo-sophie. Les répondants à l’enquête fontvaloir entre autres une volonté de renforcerles capacités des élèves à faire face auxproblèmes sociaux et économiques. On faitétat d’une place importante reconnue auxenseignants de philosophie, qu’il s’agissede professeurs ou de chefs religieux, parexemple des moines bouddhistes.

D’autres éléments d’information nous sontparvenus par le biais de l’enquête. En Inde,la philosophie est enseignée au niveausecondaire supérieur, en classe onze etdouze, trois à quatre heures par semaine enmoyenne dans les cours de « Méthode etlogique scientifique » et d’« Histoire de laphilosophie ». Par ailleurs, pour ce qui estde l’Indonésie, il n’existe pas pour lemoment de projet d’introduction de l’en-seignement de la philosophie à un niveauinférieur à celui de l’Université. Toutefois, leDépartement de philosophie de l’Université

d’Indonésie (UI) a organisé des concoursdestinés aux élèves des lycées, sur dessujets philosophiques, particulièrementdans le domaine des droits de l’Homme. EnNouvelle-Zélande, nous dit-on, il n’existepas de programme officiel dans la mesureoù la philosophie n’est pas une discipline àpart dans le secondaire. Certains thèmeséthiques et philosophiques, touchantnotamment aux relations inter-éthniques,sont inclus dans les manuels d’histoire,d’études sociales ainsi que dans des matièresportant sur l’apprentissage des langues. EnOuzbékistan, depuis l’indépendance dupays en 1991, le système éducatif a étéréformé et les nouvelles normes éducativessuivent la Loi sur l’éducation adoptée en1997. La philosophie y est enseignée à toutesles années du niveau secondaire et lesintitulés des cours sont « Identité culturelle »,« Histoire des religions mondiales »,« Individu et société », « Psychologie familiale »,« Esthétique », ou encore « Idée de l’indépen-dance nationale et principes de base desLumières ». On nous souligne également,dans le cas du Pakistan, que la philosophieest enseignée en 6ème et en 7ème années(secondaire supérieur), en étant optionnelleen section Littérature et en section Économieet sciences sociales. La philosophie est ensei-gnée dans ce pays en combinaison avecd’autres matières, telles que la littérature,l’histoire ou l’éducation religieuse.

Europe et Amérique du Nord

L’Association internationale des professeursde philosophie (AIPPh) met régulièrement àjour des informations curriculaires etdidactiques à partir d’une carte d’Europeconviviale et moyennant un simple click surle pays concerné(59). Par ailleurs, l’académied’Amiens (France), propose des articles desynthèse sur l’enseignement de la philosophiedans la plupart des pays d’Europe(60). Cestextes sont en partie repris du site del’AIPPh, mais des liens à de nouvellescontributions sont disponibles. Le lecteurpeut utilement consulter ces sites richespour des renseignements ponctuels surchaque pays. Ce qui semble devoir être misen avant, c'est la diversité des systèmesd’enseignement dans l’espace européen.

Michel Tozzi, professeur à l’Université deMontpellier III (France)(61) a identifié pour sa

(59) www.aipph.de

(60) www.ac-amiens.fr

(61) www.philotozzi.com

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part cinq paradigmes principaux coexistantdans l’espace didactique européen etpermettant de voir les grandes tendances àl’œuvre dans ce domaine. L’intérêt de sontravail réside dans l’objectif qu’il se donnede déterminer les pratiques pédagogiquespermettant de constituer la philosophiecomme une matière à part entière, autrementdit d’opérer le passage d’un ensemble decontenus philosophiques à la façon dont laphilosophie, comme discipline culturellehistoriquement repérée et universitairementsituée, se didactise dans l’enseignementsecondaire (et maintenant primaire), c’est-à-dire devient une matière scolaire.

Le paradigme dogmatique-idéologique. Ony enseigne et apprend une philosophied’État. La philosophie apparaît comme uneréponse organisée et cohérente auxquestions fondamentales de l’humanité.L’aspect doctrinal est mis en avant, lesquestions sont posées, mais les réponsessont apportées, incontestables car fondéesen raison. La doctrine est une vision dumonde, une construction théorique, maisqui veut rendre compte de la réalité, etentre dans un rapport à la Vérité de l’ordred’un savoir absolu. On peut poser desquestions de compréhension, mais touteobjection n’est entendue que pour refonderplus profondément la doctrine. C’estpourquoi on parle de paradigme dogmatique,car on ne peut mettre en doute sans dangerles piliers de la doctrine, sans lesquels elles’effondrerait. Cette vision du monde estnécessaire au maintien de la société globale,et sa fonction est de la justifier. C'est pourquoiil est question ici de paradigme idéologique.Le professeur fonctionnaire transmet laphilosophie officielle comme vérité doctrinale.Supposons la philosophie de Hegel érigéeen philosophie officielle d’État, la philosophieachevée comme savoir absolu dans l’Étatachevé. On a pu connaître dans l’histoiredes exemples diversifiés de cette forme. AuMoyen Age, les limites à la discussion entrethéologiens sont historiquement fixées partelle interprétation du dogme. Il faudraitvoir de près les formes prises récemmentpar l’enseignement officiel de la philosophiedans l’Espagne franquiste, ou tel autrerégime fort lié à l’Église, où le thomismecomme doctrine philosophique officielle duVatican apparaît comme idéologie philo-sophique officielle. Songeons aussi aux formes

que prend - ou prendrait - l’enseignementde la philosophie dans un État théocratiqueintégriste musulman. C’est ici le rapportentre enseignement philosophique etcroyance religieuse d’obédience étatiquequi est posé, avec a contrario le dévelop-pement de la démocratie et l’invention dela laïcité. Zouari Yassine(62) a bien montrédans sa thèse en sciences de l’éducation,par des entretiens auprès des professeursde philosophie et des élèves, à quel point laculture islamique qui imprègne la Tunisie,pays d’islam pourtant modéré, peuts'avérer un obstacle culturel à l’esprit delibre examen sur des sujets jugés tabous, etentrave plus généralement une culture duquestionnement. Pensons aussi aux évan-gélistes américains cherchant à proscrire lathéorie de l’évolution des programmesscientifiques, et plus largement toutes lesidées contraires à une certaine interprétationde la Bible. Il existe aussi la version inverséemais symétrique du dogmatisme athée despays de l’ancien bloc soviétique, pourlequel le marxisme-léninisme-stalinismeétait imposé comme philosophie officielle,pourchassant tout courant idéaliste, spiritua-liste ou libéral, jugé politiquement subversif.On cherche donc à éradiquer la dissidencesoviétique des francs-tireurs - car la phi-losophie est souvent aussi le refuge desopposants -, qui est ici le contrepoint del’hérésie religieuse, dans les tentativesd’apprendre à penser librement par soi-même. C’est en fait le lien entre philosophieet dictature militaire ou oppressionmorale, la confusion entre philosophie etidéologie officielle, qui font ici sens et doiventêtre interrogés.

Le paradigme historique-patrimonial. Laphilosophie apparaît ici comme une formehistorique majeure de la culture, la façondont l’humanité, pour répondre aux questionsqu’elle se pose sur sa condition, est passéedu mythos (le mythe, qui tente d’expliquersous forme narrative, métaphorique), aulogos (le discours rationnel, que la philosophiepartage avec la science). Elle a donc élaborédans l’histoire des visions du monde, sortesde systèmes explicatifs de la relation del’homme au cosmos, à autrui, à lui-même.Elle est ainsi une histoire de ses tentativespour comprendre et agir sagement. Elles’incarne dans des auteurs, autant degrands noms de philosophes qui, en élaborant

(62) Voir plus loin des extraitsde cette enquête dans la partieconcernant l’enseignementde la philosophie en Tunisie.

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des doctrines philosophiques, ont marquél’histoire de la pensée, amenant des ruptureset de nouvelles façons de voir. Cette histoireest un patrimoine culturel à précieusementconserver, étudier et transmettre, car il est àla fois la trace, le témoignage, le socle et leréservoir de catégories fondamentales pourpenser le monde. Ces visions passées nesont pas en effet obsolètes, comme dansl’histoire des sciences, mais toujours actuellesdans leur profondeur. La didactisationconsiste alors ici en l’enseignement d’unehistoire des idées(63) avec les moments forts,incontournables de cette épopée intellec-tuelle. Par exemple la maïeutique socratique,l’Idée platonicienne, la rhétorique aristo-télicienne, le scepticisme pyrrhonien, lecourage stoïcien, l’hédonisme épicurien, lathéologie thomiste, le doute cartésien,l’impératif kantien, la dialectique hégélienne,la plus-value marxienne, le soupçonnietzschéen, l’inconscient freudien, ladurée bergsonienne, la description husser-lienne, le Dasein heideggérien, etc.

Le paradigme problématisant. Il est enrupture avec les deux précédents. Il s’agitmoins d’apprendre une ou des philosophiesque d’« apprendre à philosopher » (Kant).Philosopher commence, comme ditAristote, par l’étonnement, le question-nement. C’est un cheminement quiconsiste à tenter de penser ces questionscruciales, et à essayer d’y répondre, au-delàdes évidences communes et des préjugésdes opinions. La tâche est donc d’apprendre àpenser par soi-même. Ce qui est important,c’est de voir et/ou d’élaborer à partir desquestions posées les problèmes qu’ellesprésupposent ou entraînent, c’est-à-dire deprendre la mesure de ce qui est à la foisessentiel et urgent de résoudre pour penserl’humanité, et des obstacles à le penser. Ladidactisation consiste alors à ce que les textesdes philosophes convoqués et les leçons duprofesseur de philosophie, comme exempleset modèles de pensée pensante, ainsi queles notions abordées, prennent sens parrapport à ces problèmes. Et cela de façonque les élèves puissent commencer àconstruire dans leur tête une pensée propre,qui devienne progressivement leur vision dumonde. Il ne s’agit ni d’exposer une histoiredes idées, car les concepts, les doctrines, lecours ne sont là que pour provoquer lapensée des élèves, et encore moins d'imposer

une philosophie officielle, puisqu’on vise uncheminement personnel de l’élève. C’estpar exemple le cas de la France, où laculture doit être investie dans la positiondes problèmes et l’essai méthodique deleurs formulations et de leurs solutionspossibles et où « l’enseignement de laphilosophie en classes terminales a pourobjectif de favoriser l’accès de chaque élèveà l’exercice réfléchi du jugement, à développerle sens de la responsabilité intellectuelle, àformer des esprits autonomes capables demettre en œuvre une conscience critiquedu monde contemporain » (nouveauprogramme de 2003).

Le paradigme démocratico-discussionnel.L’objectif est aussi problématisant, commele précédent. Mais son originalité est detenter d’articuler l’objectif d’apprendre àpenser par soi-même avec une viséedémocratique. L’enseignement philosophiqueest ainsi inclus, dans l’esprit du législateur,dans une perspective d’éducation à lacitoyenneté ou à la démocratie, sans pourautant lui être totalement subordonné.L’idée est que la démocratie, comme régimepolitique, a besoin pour s’approfondir decitoyens réflexifs, c’est-à-dire capablesd’avoir un esprit critique, résistant auxdérives toujours possibles de la démocratie :la doxologie, le règne de l’opinion et dunombre, la sophistique, convaincre par tousles moyens, la démagogie, etc. Comme ladémocratie est consubstantiellement liéeau débat, qui assure un droit d’expressionet une pluralité des opinions, il s’agit deconsolider réflexivement le débat démo-cratique.

Le paradigme praxéologique-éthique.Nommé ainsi parce que l’attention estattirée sur la praxis, l’action. Il s’agitd’apprendre à agir, et pas seulement à penser,afin de vivre bien, c’est-à-dire conformémentà des valeurs. Philosopher, c’est adopter enconnaissance de cause une certaineconduite éthique. Focaliser l’enseignementde la philosophie sur le seul apprentissagede la pensée serait amputer la disciplined’une dimension fondamentale, celle quivise, comme disait Marx dans ses thèses surFeuerbach, pas seulement à « interpréter lemonde mais à le transformer ». Une formehistorique de ce paradigme est la sagessedes philosophes prônée dans l’Antiquité.

(63) Un exemple de cette façonde voir se trouve dans le romansur l’histoire de la philosophiede Jostein Gaarder, Le Mondede Sophie. Paris, Seuil, 1995.

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La pensée, comme le rappelle le philosophePierre Hadot, ne se suffisait pas d’éclairernotre compréhension du monde. Elle visaitun certain type de « vie bonne » conformeà la raison et conduisant au bonheur. Quece soit par le plaisir mesuré, l'épicurisme,ou par l’exercice de la vertu, le stoïcisme. Lephilosophe n’est pas alors dans ce paradigmeseulement pour le disciple un maître-à-penser,mais un maître-à-agir. On trouve uneconception modernisée de ce paradigmedans les cours de morale de certains payscomme la Belgique, le Canada francophone(Québec) ou l’Allemagne. Il s’agit enBelgique par la réflexion, par exemple àpartir de dilemmes moraux, d’apprendre àclarifier et à hiérarchiser des valeurs en vued’agir éthiquement à bon escient, sans queces valeurs soient pour autant imposées,puisqu’elles relèvent du libre examen. Lanotion d’engagement est ici au centre,dans sa dimension individuelle mais aussicollective.

Monde arabe

En règle générale, l’enseignement de laphilosophie au niveau secondaire, dans lespays du Maghreb, est de longue traditionet remonte particulièrement au systèmescolaire français. Des différences nonnégligeables existent néanmoins entre lesdifférents pays.

Algérie. Abdelmalek Hamrouche, Doyendes Inspecteurs généraux de philosophiealgériens, écrit en 2001 que « depuisl’occupation coloniale, aucun pays araben’est parvenu à instaurer une pédagogieéquivalente à la pensée philosophiquearabe et à sa réalité, voire même à concilierla philosophie occidentale et la philosophiemusulmane. Cet état de cause a entraînédes répercussions désastreuses, en ce sensque les élèves, face à cette situation,n’accordent que peu d’importance à l’analyseet à la profondeur du cours, et ont recoursà ce qui est superficiel et simple »(64). Unautre inspecteur de philosophie, MohamedTahari, précisait dans un article de 1999que la philosophie « est considérée commematière essentielle pour les classes deLettres et a été dotée d’un fort coefficientpour l’épreuve du baccalauréat (coefficient5). Par contre, elle est aussi dotée ducoefficient 2 pour les classes scientifiques,

mathématiques et techniques. Le volumehoraire par semaine varie lui aussi selon lesclasses. Le programme de philosophie est lemême pour l’ensemble des quarante-huitdépartements de l’Algérie. Il est unifié. Il aété établi par une commission ministérielleaprès avis, bien évidemment, des inspecteursde la spécialité qui se réunissent une oudeux fois par année scolaire pour discuterdes différents problèmes relatifs à l’enseigne-ment de cette discipline »(65).

Tunisie. L’enseignement de la philosophiea bénéficié d’une politique de continuité auniveau secondaire. Cette orientation a étéconfirmée voire renforcée par deuxréformes de l’éducation, en 1988 et en2006, qui ont introduit puis généralisél’enseignement de la philosophie dans l’annéeprécédant la classe terminale, en sectionLettres d’abord puis dans toutes les sections.Comme le fait remarquer le professeurFathi Triki, titulaire de la Chaire UNESCO dePhilosophie à l’Université de Tunis, dans unrapport sur l’enseignement de la philosophieremis à l’UNESCO en 2006, « l’organisationdes études philosophiques dans l’ensei-gnement secondaire et supérieur relève despouvoirs publics centraux, car ce sont lesinstances du Ministère de l’éducation et dela formation et du Ministère de l’ensei-gnement supérieur qui organisent matérielle-ment cet enseignement. Elles contribuent,surtout pour le niveau secondaire, à ladéfinition du contenu des programmesenseignés, décident de l’enveloppe horaireimpartie à cet enseignement, des modalitésd’évaluation, etc. C’est le Ministère del’éducation et de la formation qui organisel’élaboration des manuels de philosophie ».Cette dernière remarque pourrait susciterquelques perplexités, liées évidemment à lapratique du contrôle sur les manuels scolaires.Cependant, ajoute-t-il, « le rôle des autoritéspubliques dans l’administration des étudesphilosophiques est finalement celui de définirles objectifs généraux du système éducatifet le profil de l’élève à la fin de chaque cycled’études. Mais cela ne minimise pas le rôledes autorités éducatives qui consiste à définiret à mettre en œuvre les contenus, lesmodalités et l’évaluation des enseignementsphilosophiques. Cela se fait, pour le niveausecondaire par des commissions de pro-fesseurs et d’inspecteurs de philosophie.

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(64) Abdelmalek Hamrouche,« L’enseignement de philosophie »,in Diotime-L’Agorà, 10. 2001.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

(65) Mohamed Tahari,« L’enseignement de la philosophieen Algérie »,in Diotime-L’Agorà, 1. 1999.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

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Aucune autre autorité n’intervient dans cedomaine, ni les autorités religieuses, ni cellesdes partis politiques. C’est occasionnellementqu’il y a des consultations avec les partispolitiques et les associations scientifiques etprofessionnelles ». Selon les témoignagesreçus, les manuels aujourd'hui utilisés dansles écoles publiques tunisiennes, etnotamment le manuel en vigueur dans lesclasses terminales et le nouveau manuelparu en 2006, accordent une place privilé-giée à l’esprit pluraliste et ouvert, à partird’une sélection de textes obéissant à descritères de diversité et de richesse cultu-relle. Dans ce cas, cette centralisation dumatériel didactique semble représenter unbarrage contre la prolifération d’ouvrages àcaractère doctrinaire ou prosélyte. Il estutile de signaler que, d’après le professeurTriki, « dans l’enseignement secondairecomme dans l’enseignement supérieur,l’étude des classiques occupe une placeimportante. Leurs textes représentent lesdeux tiers du manuel scolaire ». Les cours sedéroulent selon le modèle des lecturescommentées des textes, plutôt que suivantle paradigme historique ou problémati-que. Il s’agit en somme d’une éducation à lalecture et à la compréhension des textes, quivise à développer une des capacités essen-tielles d’une éducation philosophique, àsavoir l’habitude à se former une idée à par-tir d’un examen direct d’un texte communi-catif. Il est certain que cette habileté estdéveloppée sous le guide des enseignantset que ceux-ci, tout comme les commentai-res inclus dans les textes, peuvent orienter lalecture dans un sens ou dans un autre.Cependant, la structure de la leçon doitêtre soulignée par-delà le fait, qui reste cen-tral, de la compilation ministérielle desmanuels scolaires. Comme le signale Triki,« les méthodes préconisées sont à caractèreinteractif, où l’élève n’est plus un simplerécepteur mais un partenaire appelé à seprendre en charge et à participer à laconstruction du savoir à partir d’un textesupport. L’encadrement des enseignants sefait dans ce sens en vue d’une pédagogiedialogique. Quelques résistances seremarquent chez les enseignants les moinsjeunes. Le travail de l’élève est soumis à uneévaluation formative qui permet au pro-fesseur de bien préparer le candidat auxépreuves d’examen qui prennent actuel-lement deux formes, 1) en troisième année

du niveau secondaire, l’élève passe uneépreuve sous forme d’exercices séparés,chacun est déterminé par un objectif spécifi-que, 2) en terminale, l’examen se limite àune seule forme, celle de la dissertation àpartir d’un sujet. Quelques séances sontparfois consacrées aux exposés faits par lesélèves ». Ajoutons que la dernière réformede l’enseignement philosophique du niveausecondaire, appliquée à partir de la rentrée2006, a souhaité mettre les textes en phaseavec les préoccupations actuelles de laphilosophie, en augmentant la placeconsacrée à la philosophie moderne etcontemporaine des différentes régions dumonde.

D’autres chercheurs et enseignants tunisienssemblent partager ce bilan. L’enquête del’UNESCO fait état d’une conception del’enseignement de la philosophie qui insistesur la valeur de celle-ci pour développerune attitude critique, pour lutter contre ledogmatisme, pour apprendre à être soi-même tout en respectant l’autre et à libérerdu fanatisme. Les résultats d’une enquêtesur l’image de la philosophie menée, audébut des années 2000, auprès des élèvesdes classes terminales littéraires de quatrelycées tunisiens par Zouari Yassine(66), fontvaloir que les valeurs communicationnelles,de discussion et d’ouverture à l’Autre,paraissent les plus problématiques.

S’agissant des réponses au Questionnaireémanant d’Égypte, il est fait écho deréformes visant à améliorer les programmes,les manuels et les cours de philosophie. Laphilosophie y est enseignée dans les établisse-ments du niveau secondaire depuis 1925 etles enseignements s’intitulent « principesde philosophie », « logique et penséescientifique », pour toutes les options, et« philosophie et logique » pour l’optionlittéraire. L’accent est mis en premier lieusur la philosophie islamique, les philosophesmusulmans et leur contribution à l’histoiredes sciences. Des associations, comme leSupreme Council for Culture, contribuentégalement à l’enseignement de la philo-sophie, en organisant des conférences, desdébats publics et en publiant des ouvragesde philosophie ainsi qu’un magazine.Quant au Koweit, les répondants auQuestionnaire ont fait part d’une volontéde renforcement de l’enseignement de la

(66) Zouari Yassine,« Points de vue des élèves tunisiens »,in Diotime-L’Agorà, 9. 2001.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora

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CHAPITRE II

88

L’analyse des communications desélèves interviewés montrent clairementla fréquence, à la fois, de deux variablesinférées : l’obstacle socioculturel àl’exercice du philosopher et les carencesde la pratique pédagogique suivie enphilosophie. En fait, la structure ducours semble calquée sur un modèlemonodirectionnel, où la discussioncomme valeur qui émerge des thèmesenseignés ne trouve pas de concrétisa-tion pédagogique. « En classe - disaitl’interviewé X7 -, l’élève essaie davantagede recevoir que de participer, car leprogramme est chargé et le temps nesuffit pas. L’élève ne pense qu’à enregistrerles enseignements pour qu’il puisse lesexploiter après. Vu le manque de temps,le professeur essaie, dès qu’il entre enclasse, de nous dicter le cours et c’esttout ». Bien que la valeur d’ouverture àl’Autre soit fréquente dans le programmephilosophique enseigné, l’image del’Autre chez les élèves en questioncesse d’être inspirée de la philosophiepour se conformer à la vision traditionalistede l’Autre, témoignant de la sorte de l’ab-sence du rapport réflexif à la philosophie.Ainsi, l’image que les interviewésconcernés se font à propos de l’Occidentlaisse apparaître une confusion dedifférentes caractéristiques où se

mêlent le développement scientifique,l’athéisme, la puissance technique et lepassé colonial. Cette image demeurefortement liée à l’imaginaire collectifchargé de préjugés, de réduction et deméfiance à l’égard de la culture philoso-phique occidentale. Si l’élève se sentamené à critiquer la culture philosophiqueoccidentale, ce n’est pas pour repensertelle ou telle idée, ni pour dévoiler le nondit et les limites de tel ou tel système.C’est plutôt pour souligner leur contrasteavec les valeurs traditionnelles de l’islamdans lesquelles ils saisissent un com-posant principal de son identité. C’estpourquoi le doute et la critique que cesélèves évoquent revêtent ici un sensidéologique. Ils manifestent davantagele repli archaïque sur soi que l’ouvertureréflexive à la philosophie. Par conséquent,le « nous » collectif et conformiste quiabsorbe ici l’individu l’emporte sur le « je »réflexif, comme en témoignent lespropos des élèves. « Il est à la portée dechaque personne qui a étudié la philo-sophie – disait l’interviewé X16 – dedialoguer avec les autres sociétésoccidentales et d’adopter ce quiconvient à sa personnalité, à sa sociétéet à sa culture. Par exemple, on peutétudier les côtés intellectuels et littérairesde ces cultures. En étudiant ces philo-

sophies, il s’agit même d’essayer de lescritiquer et d’adopter ce qui convientavec notre pensée et notre société,surtout parce que nous sommes unesociété essentiellement religieuse ».Force est donc de conclure que les élèvesconcernés par ces attitudes ambiva-lentes à l’égard de l’Autre n’envisagentpas les valeurs de dialogue et de commu-nication, dans leur sens rationnel etcritique. La philosophie enseignée n’estpas perçue en tant que forme deréflexion qui enrichit l’universalité de lapensée humaine, en ce qu’elle appelle laraison ou la faculté réflexive dont disposepotentiellement chaque sujet humain.Emprisonnés dans la sacralisation desoi et dans le rapport utilitariste àl’Autre, les élèves ne saisissent dans lapensée philosophique occidentale quedes avantages et des inconvénientsconçus en référence aux valeurs de lareligion. Qu’il ne soit pas possible deconsidérer cette forme du rapport àl’Autre comme une ouverture réelle, lesparadoxes dont témoignent les com-munications des élèves concernés leprouvent suffisamment.

Zouari Yassine,Docteur en sciences de l'éducation(Tunisie)

Encadré 26La complexité du rapport à l’Autre soulignée à travers une enquête menée auprès de quatrelycées tunisiens

philosophie dans le secondaire. Cettedernière, enseignée en 12ème année, de uneà deux heures par semaine, est obligatoirepour les options littérature et économie etsciences sociales. L’intitulé du cours est« Principes de base de la philosophie ». Laphilosophie est aussi enseignée dans lecadre du cours de littérature et du cours

d’éducation morale. Au Qatar, nousinforme-t-on, la philosophie est enseignéeen 5ème, 6ème et 7ème années, à hauteur deune à deux heures par semaine. Enfin, onnous a souligné qu’en Jordanie et auSoudan, la philosophie ne fait pas partiedes programmes du niveau secondaire.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(67) www.philosophy-olympiad.org

(68) Fondée en 1948, la FISP estl’organisation non gouvernemen-tale pour la philosophie la plushaut placée au niveau mondial.Ces objectifs majeurs sont les sui-vants : contribuer au développe-ment de relations professionnellesentre les philosophes de tous lespays, librement et avec respectmutuel ; encourager les contactsentre les institutions, les sociétés etles publications périodiquesdédiées à la philosophie ; rassem-bler la documentation utile pour ledéveloppement des études en phi-losophie ; parrainer tous les cinqans le Congrès mondial de philo-sophie, dont le premier a eu lieuen 1900 ; promouvoir l’éducationphilosophique, préparer des publi-cations d’intérêt global et contri-buer à l’impact du savoir philoso-phique sur les problèmes mon-diaux. Les membres de la FISP nesont pas des philosophes indivi-duels, mais des sociétés de philo-sophie et d’autres institutions dephilosophie similaires aux niveauxnational, régional et international.Extrait du site Web de la FISP:www.fisp.org

Un phénomène particulier touchant les élèvesdans le secondaire est représenté par lesOlympiades internationales de philosophie(IPO)(67). Il s’agit d’un concours internationalannuel qui se déroule sans interruptiondepuis 1993. Il a été créé à l’initiative duprofesseur Ivan Kolev, du Département dephilosophie de l’Université de Sofia, enBulgarie. Depuis 2001, il a été placé sousles auspices de la Fédération internationaledes sociétés de philosophie (FISP)(68). Les élèvessélectionnés au sein des pays participantssont invités dans le pays organisateur, où ils

développeront dans une épreuve écrite desthèmes arrêtés par la FISP. Dans la plupartdes cas, ils auront à choisir entre des phrasesou des pensées de philosophes célèbres. Leconcours se présente ainsi sous forme decommentaire ou de composition, rédigédans une langue autre que la languematernelle, à savoir soit en français, enanglais ou en allemand.

Sur ce point, un autre exemple parlant estcelui des Clubs philosophiques des lycéesen Turquie.

3) Autres exemples d'initiatives à l'échelle nationaleet internationale

Tous les étudiants participants auxOlympiades rédigent leurs essais en lan-gues étrangères. On peut s'attendre à ceque philosopher dans une langue étrangèreouvre une nouvelle dimension pour la com-munication transculturelle utilisant la philoso-phie comme ressource intellectuelle com-mune. Les critères d'évaluation sont les sui-vants : pertinence d'un texte écrit par rapportau thème choisi, compréhension philosophi-que du sujet, force d'argumentation persua-sive, cohérence et originalité. Nous n'atten-dons pas nécessairement des étudiantsqu'ils rédigent un essai présentant les idéesd'un philosophe spécifique. Nous espé-rons plutôt qu'il ou elle se concentrera sur leproblème suggéré par la citation en utilisantpour cela tout savoir pertinent disponible.Depuis 1995, les IPO ont reçu l'appui del'UNESCO. À partir de 2001, la FISP est deve-nue une organisation officiellement engagéedans les mérites des Olympiades.Aujourd'hui, cet engagement implique l'adhé-sion de représentants de la FISP, ainsi qued'un officiel de l'UNESCO, au Comité dedirection des IPO. Ce dernier doit s'acquit-ter d'une tâche très importante, à savoir lasélection finale des sujets pour la compéti-tion. Les Olympiades sont l'une des rares acti-vités éducatives à caractère international ettransculturel. Elles peuvent pleinement êtremises au crédit de l'initiative et des effortsdes enseignants impliqués. Alors que la tradi-tion philosophique européenne a dominéjusqu'ici les IPO, les effets constructifs decette rencontre avec d'autres environne-ments philosophiques sont devenus appa-

rents dans nombre d'essais écrits pour lesOlympiades durant ces dernières années.Deux étudiants et deux professeurs de cha-que pays participant prennent part aux réu-nions annuelles des IPO. Des milliers d'étu-diants et d'enseignants participent dans lemonde aux compétitions nationales, c'est-à-dire aux Olympiades philosophiques natio-nales. Dans de nombreux pays, les IPO sontapparues comme une motivation et unexemple utilisé pour lancer des compéti-tions nationales en philosophie destinéesaux élèves du niveau secondaire. Lesconcours philosophiques représentent unbon instrument pour encourager les étu-diants à développer leur intérêt pour la dis-cipline. Le fait d'impliquer les enseignantsdans le long processus de la compétition dephilosophie ouvre de nouvelles possibilitésd'expansion de leurs compétences profes-sionnelles. Ceci aidera aussi certainement àtoucher les décideurs politiques et lesgouvernements avec le bon message. Lespays participant aux IPO ont des systèmeséducatifs très différents et dans nombred'entre eux, la philosophie n'est pas ensei-gnée dans les écoles. Se préparer pour desconcours nationaux et internationaux dansce domaine exige tout à la fois des ensei-gnants réellement dévoués et des étudiantsfortement motivés.

Propos du professeur Josef Niznik Institut de philosophie de l’Académiedes sciences(Pologne)

Encadré 27Olympiades internationales de philosophie

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CHAPITRE II

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(69) Plateforme des Clubs philoso-phiques des lycées d’Istanbul.

(70) www.tfk.org.tr

(71) http://groups.yahoo.com/group/ILFKPogretmenleri/

(72) Nimet Kuçuk, « A Platformof High School Philosophy Clubsin Turkey », in Critical & CreativeThinking: the Australasian Journalof Philosophy in Education.Mai 2007.

Les clubs philosophiques des lycées enTurquie offrent des opportunités nouvelles etétendues en matière d'enseignement de laphilosophie. C'est en 1911 que l'enseigne-ment de la philosophie fut introduit pour lapremière fois dans les programmes deslycées. Les cours de philosophie devinrentplus importants après la fondation de laRépublique par Atatürk, reposant sur l'idée« nouvel individu-nouvelle société ».Aujourd'hui, deux heures de cours de philo-sophie par semaine sont obligatoires danstous les lycées généraux et professionnels.Les chargés de ces cours sont diplômésdes Universités et sont titulaires de certificatsde formation en pédagogie. Dans les lycées,des cours optionnels sont disponibles en logi-que, sociologie, psychologie, démocratie etdroits de l'Homme, en plus de la philoso-phie. Les clubs philosophiques des lycéesont offert une nouvelle dimension à cettephilosophie obligatoire, en offrant aux jeu-nes de nouvelles chances à la fois en ter-mes de contenu et de forme. Les clubs,organisés dans les lycées, mènent des étu-des et des activités hors programme enmatière de philosophie. Le premier club dece type fut fondé en 1994 au Lycée françaisSaint Benoît. Il a ensuite été suivi par d'au-tres. Ce club était initialement destiné à pré-parer les étudiants aux IPO. Il a cependantdépassé les frontières de cette fonction pourdevenir, à l'instar d'autres clubs similaires,

partie intégrante de l'enseignement de laphilosophie dans les lycées. Des lycées alle-mands, autrichiens et français se sont réu-nis en 1995 pour la première étudeconjointe sur la philosophie dans les lycées.Ces établissements ont fondé le coeurd'une plateforme de philosophie. Plus tard,40 écoles publiques et privées les ont rejoint.Fut ainsi fondée l'Istanbul Liseleri FelsefeKulupleri Platformu (ILFKP)(69). L'ILFKP fonc-tionne comme un organe de conseil et d'orien-tation qui assiste les clubs de philosophie etcoordonne leurs activités. Basé à Istanbulet soutenue par la Société philosophiquede Turquie(70), elle est devenue un modèle, àtelle enseigne que des formations similairesont éclos dans diverses villes turques. Lesenseignants de cette plateforme ont éga-lement introduit un forum d'échange enligne(71). L'ILFKP organise des sessionsacadémiques, c'est-à-dire des conférencesdestinées aux étudiants et impliquant desuniversitaires, des penseurs et des écri-vains. Ces expériences ont montré que l'en-seignement de la philosophie en-dehors desécoles était possible. Il s'agit là d'un typed'éducation qui développe les capacitésanalytiques et créatives des jeunes gens.

Extraits d'un texte de Nimet Kuçuk(72)

présenté aux XVe Olympiadesinternationales de philosophie(Turquie)

Encadré 28Clubs philosophiques des lycées en Turquie

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

IV. La philosophie au niveau secondaire en quelques chiffres

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

On entend souvent attribuer à la philosophiele rôle d’un apprentissage du raisonnement. Ilsemble qu’il y a là un leurre possible, qu’ilfaut dissiper d’emblée. D’autres matièressemblent en effet plus à même que laphilosophie pour former les capacités logiqueset analytiques des élèves. Que l’on penseaux mathématiques, avec l’éducation à larigueur que comporte l’habitude à démontrerce qui apparaît évident à première vue. Onpeut évoquer aussi la puissance formatricedes grammaires, et en particulier l’étude dela grammaire grecque ou latine, véritablesoutils de cadrage rationnel des élèves. Faceà ces puissants instruments d’analyselogique, la réflexion philosophique pourraitpâlir. Or, la fonction essentielle de la phi-losophie à l’école réside moins dans unapprentissage du raisonnement que dansune critique des savoirs et des systèmes devaleurs. Elle ne s’exerce pas sur une matièreformelle, où l’on peut faire abstraction descontenus. La force pédagogique de laphilosophie réside à la fois dans les structurescritiques qu’elle apprend à utiliser et dansles corpus de savoir sur lesquels elle seporte. Cet apprentissage - qui est surtoutcelui d’une capacité de critiquer une culture,sa culture - fait de la philosophie un puissantoutil de formation et de transformation dela personnalité. En tant que telle, elle doitêtre maniée avec précaution car elle peuts’avérer ambivalente au moins à un doubleniveau. La mise en question des systèmesde valeurs, des mœurs et des structuresépistémiques n’a rien d’anodin à un âgequi est celui de la consolidation de lapersonnalité. Il y a là un argument plaidantpour un avancement de l’âge de prise decontact avec les pratiques philosophiqueset en faveur de la philosophie pour lesenfants. En ce sens, l’effet déstructurant dela philosophie doit toujours, pour être

bénéfique, se doubler d’un accompagnementpermanent de la part des éducateurscomme du milieu social proche. La philoso-phie, comme d’ailleurs le processus éducatifen général, peut accentuer des difficultésdéjà présentes dans le processus deconstruction de la personnalité. C’estpourquoi il serait opportun que la pratiquedu questionnement devienne très tôt familièreaux jeunes élèves et aux enfants, au lieud’intervenir subitement et en général relati-vement tard dans le parcours éducationnel.De plus, la critique des savoirs peut aussis’avérer un puissant dispositif de repli iden-titaire lorsqu’elle se porte sur des savoirsautres que celui auquel appartiennent lesélèves. La philosophie doit toujours êtreune autocritique de sa culture. Lorsque lacritique est dirigée vers l’extérieur, lorsqu’elleest utilisée pour opposer notre culture etnotre ethos à ceux des autres - quels quesoient ces autres -, alors elle cesse d’êtreun instrument d’ouverture critique pourdevenir un moyen de retranchement culturelet un étai pour toutes sortes d’autorita-risme et de fanatisme. C’est pourquoi laphilosophie, au sens des catégories dusavoir philosophique, n’a pas forcémentvocation à soutenir une interaction libre etdémocratique entre les individus. Les phi-losophes les plus radicalement critiques àl’égard de leur culture - des philosophes paressence porteurs d’une charge de liberté -ont pu être mis à contribution des piressystèmes totalitaires.

La philosophie trouve sa puissance cognitiveet culturelle dans la déconstruction critiquequ’elle apprend à opérer de chacun de nossystèmes de croyances et de valeurs et, parlà même, dans la manière par laquelle ellenous apprend à ne jamais en rester à desacquis épistémiques ou éthiques.

Conclusion : la philosophie à l’adolescence :une puissance de transformation créatrice

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CHAPITRE III

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Introduction : élaboration et enseignement du savoir philosophique 97 Notice méthodologique 99

I. La dynamique entre enseignement 100 - 112

et recherche en philosophie à l’Université X

1) Le relais entre enseignements secondaire et supérieur 100> L’importance de la communication entre les deux niveaux> Raisons d’une fracture

2) Étendue et diversité de l’enseignement philosophique 103> Le double rôle des enseignants-chercheurs> Les modalités particulières> Présence de la philosophie dans le champ universitaire> Philosophie et savoirs de l’esprit

3) Spécificité et adaptabilité de l’enseignement philosophique 107 > La nature transdisciplinaire de la philosophie> L’idée d’une Faculté philosophique> L’enseignement à distance et l’accès au numérique

4) Liberté académique et encadrement de l’enseignement 110> Le principe de la liberté académique> Les contraintes politiques, religieuses et culturelles > Le cours monographique

II. La philosophie face aux défis émergents : 113 - 122

questions et enjeux X

1) L’enseignement philosophique dans un monde globalisé 113> Enseignement philosophique et engagement> La philosophie, « gardienne de la rationalité »> Philosophie et traditions culturelles

2) L’actualité de la philosophie : une pratique à manier avec précaution 114> L’enseignement de la philosophie entre raison et histoire> Les priorités dans la recherche et dans l’enseignement

3) La question des débouchés professionnels 116> L’enseignement secondaire > L’internationalisation de la recherche ou le campus global> La philosophie dans les entreprises > La sphère publique

Enseignement de la philosophie au niveau supérieurLa philosophie dans le champ universitaire

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CHAPITRE III

96

4) Le rôle et les défis des chaires UNESCO de philosophie 119> Une nouvelle génération de chaires UNESCO > Un avenir prometteur

III. Diversification et internationalisation 123 - 147

des enseignements philosophiques X

1) Pratiques et méthodes d’enseignement à travers les régions du monde 123> Caractères généraux de l’enseignement de la philosophie dans les régions du monde> Des études de cas exemplaires

2) La multiplication des réseaux d’échanges universitaires 143> ERASMUS et ERASMUS MUNDUS> Les programmes de « retour des cerveaux »> Les Bourses UNESCO

3) Le Réseau international de femmes philosophes parrainé par l’UNESCO : 145un tremplin pour tous

4) La promotion du dialogue philosophique interrégional 146

IV. La philosophie au niveau supérieur 148

en quelques chiffres 148

X

Conclusion : la philosophie en devenir 149

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97

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Produire le savoir et diffuser ce savoir qu’el-le a contribué à créer : telle est la double fina-lité de l’Université depuis son invention à lafin du XIe siècle. L’enseignement universitairene se contente pas de contribuer à la for-mation de la personnalité et à la construc-tion du sujet dans ses multiples dimensions(cognitive, affective, morale ou sociale). Ilentend plus mettre les étudiants en condi-tion de produire de nouveaux savoirs, decontribuer à l’avancement de leurs disci-plines et de les rendre capables de réagiraux transformations incessantes queconnaît l’articulation des savoirs au sein desdifférentes cultures. Il s’agit donc d’unenseignement technique et disciplinaire,qui vise la formation de spécialistes ou deformateurs et qui fait de la formation à larecherche l’une de ses raisons d’être. Cettenature hybride de l’enseignement universitaireest d’autant plus à l’œuvre dans le domai-ne des études philosophiques que celles-cin’ont en général d’autres lieux institutionnelsoù se développer. Le savoir philosophiqueque l’on produit et enseigne dans les coursuniversitaires se distingue donc de l’appren-tissage du philosopher qui caractérisel’éducation primaire et secondaire. Car ilexiste bien un savoir philosophique, sousforme de méthodes de recherche, decatégories, de concepts, de critères de validi-té de l’argumentation et de structures plusou moins formelles permettant de construi-re les mondes physique, historique, moralet rationnel. Que ce soit pour former desformateurs, pour nourrir une culture his-torique, pour apprendre des structuresuniverselles du raisonnement ou pour étofferla culture des enseignants-chercheurs dedemain, c’est la présence de cette technicitéproprement philosophique qui distinguel’enseignement universitaire.Cette articulation entre production ettransmission du savoir, ou plus simplemententre recherche et enseignement, est àl’origine des formes selon lesquelles s’organisela présence de la philosophie dans lesUniversités. Au niveau supérieur, ensei-gnement de la philosophie et recherchesont inséparables. Or, on constate unediversité considérable des contenus de cetenseignement, en fonction des compétencesde chaque enseignant, des enseignements

présents au sein de chaque Départementou Faculté, des curricula, de la continui-té ou de la multiplicité des traditions phi-losophiques et culturelles ou encore de laplace que la philosophie occupe histori-quement dans une culture déterminée. Laphilosophie se cache souvent sous unemultitude de disciplines ou de savoirs quiprocèdent d’héritages culturels ou d’ap-proches pragmatiques diverses, tantôtcomme pensée religieuse, tantôt sousforme d’éthiques déontologiques ouautres savoirs pratiques. Cette diversité sereflète, mais avec moins de complexité, auniveau des pratiques pédagogiques. Celles-ci varient essentiellement entre le niveau deLicence-Maîtrise et le niveau des étudesdoctorales se jouant dans la plupart des casentre formes traditionnelles de cours, d’unepart, et pratiques de type de séminaire, plusorientées vers une participation active desétudiants, d’autre part. Mais, dans tous lescas, l’Université reste un lieu de formationspécialisée voire professionnelle, où l’ensei-gnement cesse d’avoir comme fonctionpremière l’éducation de la personne pourdevenir principalement un savoir technique.

Le présent chapitre est donc placé sous lesigne d’une articulation entre enseignementet recherche dans les Universités. Il tente demontrer comment les différents systèmesd’enseignement universitaire permettentaux étudiants d’avoir accès aux différentsvolets du savoir philosophique, dans quellemesure ils sont familiarisés avec les orienta-tions majeures du débat contemporain, dequels outils matériels et théoriques ilsdisposent dans leur apprentissage et, entermes généraux, de quelle manière lesformes de cet apprentissage ont uneinfluence sur les contenus véhiculés.

Ce chapitre se compose donc de trois voletsprincipaux qui traitent de quelques questionsvives liées à la fonction et aux méthodes dela philosophie comme discipline universitaire. Le premier volet porte sur une réflexion surl’enseignement académique qui apparaîtaujourd’hui délaissé, au moment même oùl’on critique de plus en plus le repli del’académie sur elle-même. Il aborde laquestion du relais entre enseignement

Introduction : élaboration et enseignement du savoir philosophique

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CHAPITRE III

98

secondaire et supérieur où semble se creuserun écart dans un nombre croissant de pays.Or, là où la philosophie est présente à l’éco-le, le va-et-vient entre les deux niveauxreprésente un atout considérable pourancrer l’élaboration du savoir philosophiquedans la société et transmettre aux élèves unsavoir vif et nourri de débats en cours. Parailleurs, ce volet aborde la question desdéveloppements possibles en ce quiconcerne la didactique de la philosophie àl’Université qui peuvent être réunis sous lesrubriques de la diversification de l’enseigne-ment, et qui s’adresse de plus en plus à desétudiants d’autres Facultés, ou suivantd’autres formations, plutôt qu’aux seulsétudiants ayant choisi la philosophiecomme matière principale de leurs études.Il en va de même de l’internationalisationdes pratiques d’apprentissage, à la fois auniveau de Licence ou Maîtrise et au niveaudoctoral. Enfin, ce premier volet traite de laquestion de la liberté académique, fondementmême des pratiques universitaires, quireprésente une condition nécessaire del’élaboration et de la production du savoiracadémique. Elle est aujourd’hui sous lamenace de toute sorte de contraintes liéesnotamment à la radicalisation des tendancesidentitaires, que ce soit au niveau des cultures,des religions ou des pratiques traditionnelles.Elle est aussi, par réaction, soumise à diffé-rents types de conditionnement politique, àla prééminence des contraintes économiqueset, de manière parfois très subtile, à l’ins-tauration de climats culturels et académiquesconditionnant le libre déroulement del’activité des enseignants-chercheurs. Parsa nature de théorie générale des formesde culture, la philosophie apparaît aujour-d’hui comme particulièrement vulnérable à cespressions extérieures.Le deuxième volet porte sur les questions etles enjeux suscités par la confrontation de laphilosophie avec les défis émergents. Laréponse aux défis de la modernité repose surles échanges d’idées. Elle repose aussi surles rencontres entre personnes. La coopéra-tion intellectuelle à l’échelle internationalereprésente une opportunité extraordinairepour des chercheurs venant d’horizons dif-férents et qui n’ont pas toujours la possibi-lité de confronter leurs approches théo-riques respectives. Elle l’est d’autant plusque, grâce aussi à l’initiative de l’UNESCO,des communautés philosophiques ayant pu

se côtoyer dans le passé lors de rencontres,colloques ou congrès ont pu se rencontrersans médiation aucune, ouvrant ainsi denouvelles pistes d’investigation dans unmonde se voulant de plus en plus multipolaire.La question des débouchés professionnelsd’une formation philosophique ne peutégalement être éludée. Dans le contexte deglobalisation progressive de la compétitionéconomique et de partage des ressourcesde la planète, le maintien de la présence dela philosophie dépendra aussi en largemesure de la possibilité qu’auront lesphilosophes à se sustenter de leur profession.Rien n’est assuré, mais une diversificationde ces débouchés est visible à l’échelleinternationale. Elle n’est pas sans générerde nouvelles orientations et pratiques del’enseignement et des spécialisationsphilosophiques, comme en témoignenotamment le Réseau des chaires UNESCOde philosophie à travers le monde. Le troisième volet quant à lui présente unevue d’ensemble de l’enseignement de laphilosophie au niveau supérieur. Cet aperçugénéral est accompagné d’un regard plusfocalisé sur quelques pratiques philosophiquesparticulièrement significatives et sur lesfinalités scientifiques, culturelles et socialesqui les inspirent, tels les dialogues philo-sophiques interrégionaux ou la constitutiond’un Réseau international de femmesphilosophes, deux initiatives à vocationinternationale, mises en place récemmentpar l’UNESCO.

La trame de ce chapitre est le rapport entrephilosophie et liberté, car en tant que condi-tion fondamentale d’une intersubjectivité plu-rielle, la liberté reste la raison d’être de toutenseignement philosophique. Dans ce contex-te, le rapport complexe et souvent difficileentre l’universalisme de la raison que prônetoute rationalité philosophique et la diversitédes traditions culturelles dans lesquelles elles’inscrit, représente un enjeu crucial pour lesavoir philosophique. Mais la philosophie doitaussi éviter le danger d’être réduite à une actricedes mouvements politiques de l’actualité, aurisque de se voir privée de la spécificité de sanature abstraite, qui l’empêche de s’identifierà la contingence d’une déterminationculturelle particulière. Si elle est toujours et parnature engagée, la philosophie l’est au sens oùelle choisit un ethos plutôt qu’un autre, et nonun parti plutôt qu’un autre.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(1) Notamment World HigherEducation Database 2006/7, IAU.Londres, Palgrave, Macmillan’sglobal academic publishing, août2006, et International Handbookof Universities, IAU, 18e édition.London, Palgrave, Macmillan’sglobal academic publishing / NewYork, Palgrave, Global Publishingat St. Martin’s Press, août 2005.Ces répertoires paraissentà échéance biennale et sousle patronage de l’Associationinternationale des Universités (AIU).

Plusieurs questions méthodologiques sesont posées lors de la rédaction de cechapitre. D’une part, la nature même de cetravail a conduit à s’interroger d’abord surle niveau de généralité auquel il aurait dûse tenir. Compte tenu de la taille de cedocument, il s’est avéré difficile de détaillerchacun des systèmes d’enseignementsupérieur existant à travers le monde.D’autre part, l’objectif consiste autant àétablir un état des lieux de l’existant qu’àidentifier des perspectives d’avenir, donc àmettre les données recueillies au service d’unensemble de réflexions et de suggestions surles chemins à entreprendre et les actions àenvisager. Quant aux sources utilisées, ladémarche a été celle de la synthèse desinformations recueillies tant en termes deressources documentaires disponibles àl’UNESCO, qu’en termes de recherchesInternet, avec la réserve liée à la crédibilitéscientifique des informations collectéespar ce biais. Ce travail de synthèse n’a paspour autant eu l’ambition de répertorierde manière exhaustive les enseignementsprésents dans les différents établissementsdu monde. Des outils de référence de cegenre existent déjà, aisément accessibles àtout un chacun.(1)

Il est à noter également que le Questionnairede l’UNESCO sur l’enseignement de laphilosophie, élaboré spécifiquement pourcette Étude, a représenté un outil essentielpour avoir un aperçu varié des différentessituations de l’enseignement de la philosophieau niveau supérieur. Davantage que lesdonnées institutionnelles que les différentesréponses au Questionnaire ont permis defournir, ce sont les commentaires qui ontaccompagné chaque réponse qui se sontavérés précieux. Ils renvoient un tableau vif,polyphonique et extrêmement varié de la

manière dont les acteurs du travail philoso-phique vivent l’état actuel de leur discipline :leurs espoirs après des réformes positives,leur pessimisme quant aux débouchésprofessionnels, leurs réflexions sur la placede la philosophie dans leur société et laconsidération qu’elle reçoit. Ces voix quiarrivent des quatre coins du globe et quifont l’un des motifs d’intérêt de cettenouvelle entreprise de l’UNESCO ont étéabondamment utilisées. Enfin, plusieursenseignants-chercheurs ont contribué àcette analyse à travers des documents desynthèse consacrés à divers problèmes del’enseignement de la philosophie et dontun certain nombre a été rédigé par destitulaires de chaires UNESCO de philo-sophie. Les rapports qualitatifs ainsi reçusont été majoritairement intégrés dans cechapitre. Il s’agit d’analyses précieuses ence qu’elles renvoient aux expériences directesdes enseignants-chercheurs, tout en lesintégrant dans un contexte plus large. Cetafflux de réponses autorise un premierconstat. Les enquêtes de l’UNESCO repré-sentent pour les chercheurs une occasion dese pencher sur l’état et l’évolution despratiques d’enseignement dans leursdomaines respectifs, et de faire entendreleur voix par une Organisation capable demobiliser la communaute internationale envue de transformer ces contributions enrecommandations auprès des instancespolitiques nationales. Comme l’écrit la titu-laire de la Chaire UNESCO d'étude desfondements philosophiques de la justice etde la société démocratique à l’Université duQuébec à Montréal (UQAM), JosianeBoulad-Ayoub, « on est heureux de tenir iciun bel exemple de l’efficacité de tellesenquêtes comme de leur rôle réel decatalyseur à la fois théorique et politique ».

Notice méthodologique

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CHAPITRE III

100

L’importance de la communicationentre les deux niveaux

Dans les pays où il existe un enseignementde la philosophie à l’école, la dynamiqueentre les enseignants du secondaire et ceuxdu supérieur représente un atout essentieldans le processus d’éducation philosophique.Ce va-et-vient entre les deux niveaux estsusceptible d’avoir lieu selon des modalitésdifférentes. D’une part, les enseignants dusecondaire ne peuvent que profiterd’échanges suivis avec leurs collèguesuniversitaires. C’est en gardant un contactconstant et permanent avec les lieux deproduction du savoir philosophique, là oùs’élaborent principalement les méthodes,où surgissent et sont discutées les nouvellesorientations de la recherche en philosophieque l’instruction secondaire pourra répercuterau niveau des élèves une culture philoso-phique vive, en formation, mais aussiproblématisée, plutôt qu’un corpus clos deconnaissances acquises. L’éducation philoso-phique, avec sa charge formative, ne peutêtre ouverte et efficace que lorsqu’elle senourrit d’un débat en cours, qui se mesureaux problèmes toujours nouveaux qui seposent à nos cultures et apprend aux élèvesà se confronter avec une diversité d’approcheset de positions théoriques. La mise à jourdes contenus de l’enseignement représenteune condition nécessaire pour que la formationphilosophique ne se réduise pas à unesomme de préceptes moraux ou de notionshistoriques. D’autre part, le questionnementdont sont porteurs les élèves du secondairene peut que profiter à une mise en questionquotidienne des pratiques de la rechercheuniversitaire. Il représente un formidableoutil contre le principe d’autorité donts’inspire encore, dans bien desDépartements de philosophie à travers lemonde, l’enseignement universitaire. Desquestions fondamentales du savoir philoso-phique sont parfois tout simplement bifféespar une recherche qui trouve dans laspécialisation progressive de ses disciplines,à la fois sa puissance et ses limites. Ceux qui

ont la pratique de colloques ou de séminairesoù des enseignants du secondaire côtoientdes chercheurs universitaires font souventle constat d’une situation paradoxale, où latechnicité des uns coexiste dans la mêmesalle de séminaire avec la généricité desautres comme deux registres linguistiquesqui n’arrivent pas à s’intégrer. Les questionsdes élèves du secondaire, rarement banales,peuvent être difficiles pour des chercheurshabitués à évoluer dans le détail destechnicités philosophiques. L’interactionentre les exigences fondamentales de laformation philosophique et la spécialisationdisciplinaire représente une exigencecruciale qui ne peut que profiter à l’unecomme à l’autre.

L’écart progressif entre les deux niveauxapparaît dès lors que l’organisation descarrières est considérée. Dans la plupart despays européens, il y a une continuitéhistorique entre ces deux niveaux.L’enseignement secondaire a été enEurope, du moins jusqu’aux années 80, unpassage presque obligé pour atteindre leniveau supérieur. On devenait d’abordprofesseur de lycée puis, moyennant uneproduction scientifique qui doublait letravail en classe, on pouvait aspirer àl’enseignement universitaire. Le systèmefrançais témoigne encore aujourd’hui decette articulation entre les deux niveaux,par l’importance attribuée à l’agrégation.Ce système, même s’il reste extrêmementsélectif, avait au moins deux effets positifs.D’un côté, les enseignants-chercheursbénéficiaient d’une formidable palestrepédagogique. Ils pouvaient pratiquerl’enseignement de leur matière à un niveaurelativement élémentaire, mais étaient aussiconfrontés aux questions fondamentalesposées par les élèves des collèges et lycées.Cette pratique ne leur permettait pasuniquement d’apprendre les techniquesd’enseignement, elle contribuait également,et de manière substantielle, à parfaire leurformation. De l’autre côté, il contribuait àmotiver les enseignants du secondaire à

I. La dynamique entre enseignementet recherche en philosophie à l’Université

1) Le relais entre enseignements secondaire et supérieur

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101

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

poursuivre eux-mêmes un travail derecherche, ou du moins à participer active-ment à la vie scientifique dans le domainequi était le leur.

Cette perméabilité entre les deux niveauxapparaît aujourd’hui en danger dans biendes cas. Là où l’enseignement secondairen’est plus une voie privilégiée d’accès àl’Université, mais au contraire est devenuune entrave au développement ultérieur desa carrière, le personnel enseignant apparaîtdémotivé. Le Questionnaire de l’UNESCOrenvoie des témoignages de cette crise del’enseignement secondaire à travers lemonde. Il y a certes des circonstances,comme dans certains pays d’Afrique oud’Amérique latine, où des professeursd’école participent régulièrement auxcolloques savants organisés dans leurrégion. Dans la plupart des pays européens,cette interaction est encouragée à traversdes programmes d’aggiornamento (demise à jour) des enseignants, qui vont del’organisation de stages de formation à lapossibilité d’être ponctuellement exonéréde l’enseignement pour assister à descolloques dont l’importance est reconnueau niveau ministériel. Cependant, cesmesures ont bien l’air de palliatifs. C’est auniveau des systèmes de recrutement uni-versitaires et d’accès des enseignants dusecondaire aux outils de développement dela recherche (publications, revues, com-munications aux colloques) qu’une actionvisant à rapprocher les deux niveaux doitêtre entreprise. C’est sans doute une tâchenécessaire que de prendre des mesuresappropriées pour freiner cette tendance,que ce soit au niveau des communautéssavantes que des gouvernements.

Par ailleurs, l’échange entre secondaire etsupérieur représente souvent un moteurimportant dans les processus de démo-cratisation à travers le monde. Il est arrivé

souvent dans le passé, et continue d’arriveraujourd’hui, que l’opposition intellectuelleaux régimes autoritaires trouve dans lesenseignants du secondaire des relaisessentiels pour former une consciencedémocratique chez les jeunes générations.L’action de ces enseignants, lorsqu’elle saitrépercuter les débats qui ont lieu dans lescentres de recherche et les cercles d’intellec-tuels, peut exercer une influence considérablepour transmettre aux élèves les thèmesabordés à ce niveau et les problèmes qu’ilssuscitent. Or, on sait que dans nombre derégimes autoritaires, une relative liberté derecherche n’est possible qu’au prix d’uncantonnement aux milieux techniques etacadémiques. La participation des ensei-gnants des écoles représente une véritablecourroie de transmission d’idées quipourraient difficilement transcender lescercles où elles sont produites et débattues.Il n’est pas inhabituel que des étudiantsuniversitaires se montrent particulièrementréceptifs aux idées hétérodoxes après avoirété les élèves, au lycée, de professeurs lesayant formés à ces idées. Ce qui plaide enfaveur de l’importance de la présence d’unenseignement de la philosophie au niveaudu secondaire et permet peut-être d’enexpliquer, parfois, l’absence.

L’exemple québécois quant à la dynamiqueentre le secondaire et le supérieur peutparaître paradoxal, car au Québec, commedans le reste du Canada, il n’y a pasd’enseignement de la philosophie auniveau secondaire. Cependant, les différencesde style, de méthodes et d’orientationentre l’enseignement pré-universitairereprésenté par les Collèges d'enseignementgénéral et professionnel (CEGEPS)(2) et leniveau académique permettent de repré-senter des rapports complexes entre lesdeux niveaux, que l’on retrouve dansl’enseignement secondaire de beaucoupde pays à l’heure actuelle.

(2) Établissements d'enseignementcollégial canadien francophoneoù est offerte une formationtechnique et pré-universitaire.

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(3) www.erudit.org/revue/philoso/

CHAPITRE III

102

La réduction progressive des heuresd’enseignement de la philosophie dansles CEGEPS, accompagnée d’unrecentrement progressif des curriculaau profit des disciplines appliquées, aprovoqué un conflit qui a permis dedévelopper du côté de la résistance desprofesseurs et des étudiants impliqués,un esprit de corps plus marqué, une solida-rité sympathique avec les professeursd’Université à l’échelle nationale etinternationale. De même qu’uneconscience plus accrue des respon-sabilités sociales et pédagogiques del’enseignement philosophique mis ainsiau défi de concilier la nécessité et laliberté, ce gage, aux yeux des philo-sophes, du devenir efficace de l’histoiredepuis l’instauration de l’État de droit.Tout ce mouvement a connu ses hautset ses bas, mais il a provoqué surtout latenue de maints colloques, journéesd’étude, états généraux, l’éclosiond’associations, plus combatives ettournées davantage vers la pédagogieque vers la discussion théorique,regroupant les jeunes professeurs dephilosophie au niveau collégial, la créationde nouvelles revues très vivantes, lapublication de manuels d’ordre péda-gogique et de recueils de textes classiquescommentés, œuvres pour la plupart decollectifs. Enfin, des tentatives dereprendre l’offensive de façon dyna-mique en occupant des créneauxinédits jusqu’ici pour l’enseignement phi-losophique, au niveau du secondaire.Par exemple, les cours de religion ayantété affectés par la laïcisation des com-missions scolaires, c’est de bonne guerreque les enseignants de philosophie ducollégial tentent actuellement d’investirl’enseignement de la morale, ou enco-re l’éducation civique. Toutes ces acti-vités, tous ces projets imposent unconstat en fin de compte très positif : larelève est en plein essor, énergique,acérée philosophiquement, inventive

sur le plan méthodologique et pédago-gique, le cap demeure. Les élèves sonttoujours appelés à travers leur apprentissa-ge philosophique à se préoccuper de laCité et de ses institutions démocra-tiques, comme à mettre en applicationleur jugement critique. Il y a quelquesannées encore, enseignants du secondai-re et professeurs des Universités pou-vaient compter sur de solides outilsd’interaction. Il est pertinent de mention-ner la liste imposante de revues spéciali-sées de philosophie sur lesquelles peu-vent compter les enseignants de philo-sophie de tous les paliers, parmi les-quelles Philosophiques, organe de laSociété de philosophie du Québecpubliée depuis 1974.(3) Historiquementouverte aux contributions des ensei-gnants du secondaire, cette revue inter-nationale a évolué en même temps queles changements affectaient le milieuphilosophique et social des intellectuelsquébécois, ces dernières années. Sevoulant plus « académique », la revue acessé d’accueillir plus ou moins délibé-rément des collaborateurs du palier col-légial, s’est tournée plus nettement ducôté de la tradition anglo-saxonne enfavorisant l’organisation de numéros spé-ciaux qui s’apparentent plus à des col-lectifs qu’aux rubriques traditionnellesd’une revue. Cette tendance qui s’estamorcée depuis 5 à 6 ans a beaucoupfait pour marquer plus nettementencore le clivage qui se creusait depuisles années 90 entre les paliers de l’ensei-gnement au Québec et les écoles de pen-sée respectives auxquelles il s’alimen-te. Aussi n’est-il pas étonnant de voiralors, comme nous le mentionnons plushaut, les enseignants du collégial créerleurs propres revues philosophiques ou àdominante pédagogique qui reflètentleurs préoccupations scientifiques et leursréférents philosophiques traditionnels enmême temps que de nouvelles asso-ciations répondant davantage à leurs

intérêts pratiques. Toutefois, d’autreslieux de rencontre se font jour, dessinantun tableau articulé et nuancé : les socié-tés locales de philosophie dont lenombre va croissant - la tenue de ren-contres annuelles, tant au niveau régio-nal que national, où les professeurs detous les paliers d’enseignement échan-gent et font le point sur leurs activités -l’existence de Centres et de groupes derecherche, le plus souvent interdiscipli-naires mais à dominante philoso-phique, très nombreux, très actifs ettrès bien subventionnés par les orga-nismes provinciaux ainsi que par leConseil des Arts, à l’échelle fédérale.Finalement, une différence de fondquant aux contenus de l’enseignementsemble exister entre le niveau collégial,davantage orienté vers une formationcivique, la critique culturelle et le rôle dela philosophie dans la société, et leniveau académique, plutôt marqué parune approche technique et professionnelleà la philosophie. L’enseignement universi-taire est surtout une pratique académiquealors que l’enseignement collégial estd’abord et avant tout une pratiquesociale. Un état de choses qui vaégalement peser sur l’orientation del’enseignement, sur le plan théorique,qui sera davantage sensible à l’évolutionsocioculturelle que son pendant universi-taire. Même si cette situation est entrain d’évoluer, le premier palier continueà s’inspirer massivement de la traditionfranco-allemande tandis que le second,pendant le même temps, se déporte deplus en plus vers la tradition philosophiqueanglo-saxonne.

Josiane Boulad-Ayoub Titulaire de la Chaire UNESCO d'étude des fondements philosophiquesde la justice et de la société démocratiqueà l’Université du Québec à Montréal(Canada)

Encadré 29Une évolution particulièrement significative dans le relais entre les niveaux secondaire etsupérieur : l’exemple québécois

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Raisons d’une fracture

Quelles sont les raisons de la désarticulationprogressive entre enseignements secondai-re et universitaire ? Là où ce phénomèneest observable, plusieurs facteurs, souvententrelacés, peuvent être observés. Il fautd’abord évoquer l’évolution des mécanismesde recrutement universitaire, qui tendent àprivilégier la production scientifique(publications et communications scientifiques)par rapport à la didactique de la philosophie,surtout au niveau secondaire. Fort souvent,le passage de l’enseignement secondaire àl’Université se fait grâce à une productionscientifique qui s’ajoute à l’activité didactique,qui, elle, semble être prise de moins enmoins en considération dans le processusd’évaluation. De ce fait, l’enseignement àl’école représente plus un frein qu’un atouten vue d’une carrière d’enseignant-chercheur.En revanche, l’activité d’enseignementexercée au niveau universitaire continue depeser au moment de la sélection univer-sitaire (tutorat, cours d’introduction à laphilosophie, chargés de cours ou deconférences, etc.). En d’autres termes, onprête implicitement à la didactique uni-versitaire une valeur scientifique que l’onn’accorde pas à la didactique dans lesecondaire, considérée souvent commeune activité « pédagogique » et sans valeurscientifique.

Cette séparation des carrières peut se refléter,comme on nous le fait observer à proposdu Québec, en une séparation des outils decommunication scientifique, à commencerpar les revues. S’il arrive encore que desenseignants d’école aient accès auxpublications savantes, la tendance est à uncloisonnement progressif des espacesd’expression. Une exception est représentéepar les problèmes liés à l’enseignement dela philosophie, où l’interaction entre lesdeux niveaux reste importante. Mais onconstate une présence de plus en plus rare

d’articles scientifiques de professeurs dusecondaire sur les principales publicationsscientifiques dans les différents domainesde la philosophie. En quelque sorte, c’estcomme si la légitimité savante était réservéeaux chercheurs et aux professeurs desUniversités.

Les difficultés de recrutement évoquées parles correspondants du Questionnaire del’UNESCO ont aussi des effets importantssur l’organisation du travail universitaire. Lemanque de débouchés immédiats dans larecherche provoque souvent une augmen-tation de jeunes diplômés ou de chercheurs« en attente », qui collaborent à la rechercheet à l’enseignement universitaire à titrebénévole ou par des encadrements tempo-raires. Or, ces formes d’encadrement « faible »font écran à une participation accrue desprofesseurs du secondaire à la vie desUniversités. Ces derniers doivent supporterle poids de leur activité didactique etsouvent n’ont tout simplement pas letemps de conjuguer l’enseignement àl’école avec des charges de travail sup-plémentaires.

Enfin, on peut remarquer que la spécialisationprogressive des disciplines philosophiquescontraste avec la nature de l’enseignementimparti aux élèves du secondaire. Onconstate souvent, lors de colloques ou deréunions de philosophie, des approchesdifférentes entre des chercheurs universitaires,qui présentent des communications trèsspécialisées et techniques et des enseignantsdu secondaire en quête de problématiquesplus fondamentales à transmettre auxélèves. Ce processus de spécialisation, quiaccompagne la perte de vitesse de l’éditionen sciences humaines auprès du publiceuropéen, semble en partie refléter le rôleprééminent que joue au niveau internationalla communauté philosophique anglo-saxonne, pour qui la philosophie estessentiellement une discipline universitaire.

2) Étendue et diversité de l’enseignement philosophique

Le double rôle desenseignants-chercheurs

L’organisation universitaire de l’enseignementprésente une certaine homogénéité à

travers le monde. Dans la plupart desétablissements d’enseignement supérieur,les enseignants-chercheurs sont réunis enDépartements, Instituts ou Centres. Cetteuniformité de fond est en grande partie

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due à leur double fonction de spécialisteschargés à la fois de la recherche et del’enseignement. Même si dans la pratiquechaque enseignant peut privilégier unetâche par rapport à l’autre, les structuresuniversitaires reflètent le plus souvent cettenature hybride de la fonction académique.

La recherche conditionne la nature del’enseignement universitaire dans un doublesens. D’abord, les orientations et les résultatsdes recherches menées par les enseignants-chercheurs ont vocation à se refléter dansles contenus enseignés, que ce soit auniveau de chaque professeur ou au niveaudes différentes unités administratives etcurriculaires : Départements, Instituts,Facultés. C’est dire que la persistance destraditions de pensée ou de méthodes derecherche, qui caractérise parfois unemême institution pendant plusieursgénérations, s’exprime à traversl’enseignement mais y trouve aussi unmoyen de se perpétuer, dès lors que lesélèves formés dans une tradition détermi-née auront tendance à la prolonger grâce aumécanisme de cooptation qui les sélection-nera au moment de renouveler le corpsenseignant de cette institution. Par delà lescontenus de l’enseignement, il existe unedeuxième modalité à travers laquelle le travailde recherche exerce une influence surl’enseignement. La renommée desmembres d’un Département joue un rôleimportant dans le choix que les étudiantssont amenés à opérer au moment de choisirl’Université où s’inscrire. Les politiques derecrutement universitaire tiennent comptede cette capacité d’attraction sur les étu-diants. Or, la renommée d’un chercheurne se fait qu’en moindre partie par sesqualités d’enseignant, elle procède essen-tiellement du travail de recherche et duprestige scientifique, plutôt que pédago-gique, qu’il ou elle aura acquis au préalable.

La possibilité d’améliorer le lien entreenseignement et recherche, de manière àaccroître leur influence et leur coopéra-tion réciproques, fait l’objet d’un certainnombre de débats au niveau académiqueet institutionnel. Dans le cadre de la discus-sion actuellement en cours sur l’articulationentre enseignement et recherche dans lesétablissements d’enseignement supérieurau Royaume-Uni, un texte posté sur le site

de la Higher Education Academy(4) pose leproblème dans les termes suivants :« Depuis la publication du 2003 WhitePaper on Higher Education, il y a un largedébat sur la question de savoir si l’ensei-gnement de la philosophie est mené d’unemeilleure façon lorsqu’il se trouve dans uncontexte de recherche (subject research).De façon générale, les universitaires pensentpar l’affirmative, tandis que le gouvernementpense par la négative. Les experts enéducation affirment, pour leur part, qu’iln’y a pas de preuves empiriques pour aucu-ne de ces deux positions mais qu’il est bienprobable que l’enseignement soit meilleurs’il y a une stratégie délibérée pour lier l’en-seignement et la recherche aux niveaux desinstitutions et des Départements. (…)Lorsque les universitaires affirment qu’ilscroient dans le lien entre enseignement etrecherche, souvent ils veulent dire que lesétudiants devraient avoir pour enseignantsuniquement ceux qui sont à la pointe de larecherche dans le domaine. Position jugéeextrême que rejette le gouvernement, sebasant sur le fait que la plus grand partie del’enseignement du niveau de Licence-Maîtrise(undergraduate) n’est pas fait par desexperts dans la discipline, et qu’une grandepartie de la recherche est trop difficile pourêtre comprise par les étudiants de ceniveau. Néanmoins, s’il est accepté quel’enseignement de haut niveau à l’Universitépuisse avoir lieu dans des institutions où il n’ya pas de recherche, l’idéal humboldtien del’indivisibilité de la mission de l’Universitéde recherche et d’enseignement seraitperdu. »(5)

Même dans les systèmes où l’on pourraitimaginer une séparation très nette entreenseignement et recherche, tel le modèleaméricain articulé en undergraduate etgraduate studies (respectivement lesniveaux de Licence-Maîtrise et des étudesdoctorales), le passage des enseignantsd’un niveau à l’autre se réalise souventgrâce aux résultats obtenus dans leur activitéde recherche.

Les modalités particulières

Il existe parfois, entre les niveaux secondaire etsupérieur, une étape intermédiaire oùl’enseignement philosophique occupesouvent une place éminente. Il s’agit d’un

CHAPITRE III

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(4) www.heacademy.ac.uk

(5) Case studies linking teachingand research in philosophicaland religious studies, HigherEducation Academy. Août 2006.www.heacademy.ac.uk.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(6) Ces établissements pré-universi-taires sont présents dans plusieursÉtats canadiens (Québec, Alberta,Colombie-Britannique et Ontario)et américains (Ohio, Kentucky,Floride, Californie, Illinois).Les étudiants y ont accès après sixans d’école primaire et cinq ansd’école secondaire, donc à l’âgede 17-18 ans. Environ 40% de latranche de population des 17-18 ansfréquente ce palier d’enseignement.Pour plus d’informations, voir lesite Web www.fedecegeps.qc.ca

(7) « ¿Qué es el CBC? »,www.cbc.uba.ar/dat/cbc/cbc.html

(8) D’après les statistiquesdu Ministère français de l’éducation,73.100 étudiants étaient inscritsen CPGE en 2004-2005.

niveau pré-universitaire ayant vocation àintégrer la préparation scolaire en vue del’entrée à l’Université. Tels les CEGEPS auQuébec et dans quelques États du Canadaet des États-Unis d’Amérique, le CicloBásico Común (CBC) en Argentine, renduobligatoire par l’Université de Buenos Aires(UBA) en 1985, ou encore les classes depréparation aux grandes écoles en France.Ces cycles d’enseignement sont habituel-lement rattachés à l’enseignement supé-rieur, dont ils dépendent. Dans le cas desCEGEPS, l’une des spécificités du systèmed’enseignement québécois, il s’agit d’unniveau collégial intermédiaire entre secon-daire et supérieur s’inscrivant administra-tivement dans le système d’enseignementsupérieur.(6) Depuis la réforme de 1993,l’enseignement philosophique dans lesCEGEPS du Québec a vu diminuer les courscommuns et obligatoires de philosophie àtrois cours au lieu des quatre originaux.

L’objectif de l’enseignement de philosophieest de porter un jugement sur des problèmeséthiques de la société contemporaine, or,curieusement, la version anglaise de ceprogramme, qui porte l’intitulé Humanities,parle plutôt de « l’application d’un processusde pensée critique aux questions d’éthiqueimportant au champ d’étude ». L’orientationglobale de la formation philosophique à ceniveau aurait ainsi reçu une empreinteutilitaire marquée au cours des dernièresannées, provoquant un débat très vif entreenseignants des différents niveaux scolaires.

Le CBC argentin représente un exempleclassique du rôle que peut jouer une étapeintermédiaire entre l’apprentissage scolaireet le nouveau type d’enseignement offertau niveau supérieur. Ses objectifs sontdécrits ainsi : « offrir une formation de baseintégrale et interdisciplinaire, développer lapensée critique, consolider des méthodologiesd'apprentissage et contribuer à une formationéthique, civique et démocratique »(7). L’espritqui anime ce passage intermédiaire reflètele désir d’offrir aux étudiants un regardd’ensemble sur la connaissance scientifique,approfondie par rapport au niveau scolaireet avant la spécialisation disciplinaire miseen œuvre par l’Université. Les cours proposéspar le CBC sont organisés à travers uneapproche à la fois disciplinaire et inter-disciplinaire. En accord avec cette dernière

perspective, des thèmes sont étudiés et desproblèmes de nature et d’origine diversessont analysés. Cette variété d’analysesentend conduire l’étudiant, avec souplesse,vers un dépassement de la conceptionencyclopédiste et désarticulée de laconnaissance. Ce type de formation amèneégalement à l’élaboration d’une visionintégrale et ouverte des problèmes dumonde. Deux matières sont communes àtous les inscrits : Introduction et connaissancede la société et de l’État - Introduction à lapensée scientifique. La philosophie n’estobligatoire que pour les inscrits enArchitecture, Dessin graphique, Art,Bibliothéconomie et sciences de l’informa-tion, Lettres, sciences de l’éducation etPhilosophie.

Les Classes préparatoires aux grandesécoles (CPGE) représentent dans le systèmefrançais un passage obligé pour accéder àl’un des grands établissements d’enseigne-ment supérieur (i) à orientation économique(Écoles supérieures de commerce et degestion), (ii) à orientation sociale, politiqueet littéraire (Écoles Normales Supérieures,École des Chartes, Instituts d'ÉtudesPolitiques) et (iii) à orientation scientifiqueet technologique (Écoles d'ingénieurs, Écolesvétérinaires). Leur durée peut varier entre 2et 3 ans. L’enseignement de la philosophieest obligatoire dans la filière littéraire etfigure en bonne place, en liaison avec celuidu français « culture générale », dans lesfilières économique et scientifique.Néanmoins, ce schème d’enseignement,conçu comme un premier échelon d’uneformation supérieure d’excellence et d’éli-te, ne s’applique qu’à une portion réduitedes diplômés du secondaire.(8)

À ces étapes pré-universitaires, il fautégalement ajouter l’existence d’écolesdédiées à la formation post-doctorale, àl’autre bout du cycle de formation supérieure,actives dans la plupart des pays européenset que la réforme du système européend’enseignement semble en train d’encouragerdans les pays où elles n’étaient pas encoreactives. Leur formation se prolonge souventpar des bourses post-doctorales, mais nousquittons ici le domaine de l’enseignementpour atteindre les premiers échelons d’unecarrière de chercheurs.

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Présence de la philosophiedans le champ universitaire

Au niveau de l’enseignement supérieur, laphilosophie se porte plutôt bien et estprésente de manière généralisée : desmatières allant sous le nom de « philosophie »sont enseignées presque partout. Descorrespondants ayant répondu auQuestionnaire seuls 12 ont répondu que laphilosophie ne figure pas comme matièredistincte dans l’enseignement supérieur deleur pays. Il s’agit de l’Afrique du Sud, duBurkina Faso, du Burundi, d’El Salvador, desÉmirats Arabes Unis, du Guyana, del’Irlande, de la Jordanie, de Monaco, del’Ouganda, du Venezuela et du Viet Nam.Or, une analyse sérieuse de ces cas permetde constater qu’il s’agit moins d’une véri-table absence que d’un manque d’informa-tions de la part des répondants. En effet, àl’exception de l’Université internationale deMonaco, qui est en fait une Businessschool, dans les autres pays cités il existebien des enseignements de philosophie. AuBurundi, des cours de philosophie sont obli-gatoires pour tous les étudiants en premiè-re année. Des Départements de philosophiesont présents dans la plupart desUniversités d’Afrique du Sud, de mêmequ’en Jordanie, au Burkina Faso et enOuganda. Des appels internationaux àdes postes de professeur de philosophiedans le Département de philosophie del’United Arab Emirates University sont éga-lement lancés. L’Université d’El Salvadorpourvoit bien une licenciatura (Maîtrise) enphilosophie, mais aussi une Maestría(Master) en droits de l’Homme et éducationà la paix. Quant au Viet Nam, le site Webdu programme undergraduate de philoso-phie de l’Université Nationale d’Hanoïmontre clairement la teneur des enseigne-ments qui y sont impartis. En ce quiconcerne Monaco, la formationsupérieure suit le système d’enseignementuniversitaire français. En revanche, aucunenseignement de matières philosophiquesn’est signalé dans les Universités des archipelsdu Pacifique Sud.

Un bilan de la présence de la philosophiedans les Universités et autres établissementsd’enseignement supérieur à travers lemonde impliquerait nécessairement detoujours considérer la diversité des ensei-gnements de nature philosophique.

Souvent, la philosophie se présente àtravers des thèmes spécifiques, tels lesdroits de l’Homme, les études religieuses,sociales ou politiques. Par ailleurs, cesenseignements ne s’organisent pasnécessairement en Départements ou enInstituts de philosophie et sont souventprésents de manière ponctuelle dans desFacultés diverses. Des cours de philosophiede l’art, de philosophie des sciences, de lamusique ou du droit, d’éthique environ-nementale ou des affaires et ainsi de suitefont parfois partie des curricula de Facultésprofessionnelles, sans pour autant êtreregroupés au sein d’institutions spécialementphilosophiques.

Si certains pays n’enseignent pas la phi-losophie de manière distincte, notonségalement que la discipline Philosophieest quasi absente de tous les niveauxd’enseignement, comme plusieurs paysl'ont fait savoir. Il s’agit de l'Arabie saoudite,de la Dominique, des Iles Marshall, desMaldives, du Sultanat d’Oman, de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent et les Grenadines,des Seychelles et de Timor-Leste.

Selon les réactions recueillies pas leQuestionnaire, malgré un certain nombrede difficultés, la philosophie à l’Universitéest perçue comme solide, stable et seulementdans certains cas particuliers comme menacéepar des politiques ministérielles ou aca-démiques. Une majorité de répondants(56%) constate une tendance à renforcerl’enseignement de la philosophie au niveausupérieur - une donnée qui doit êtrecroisée avec le 70% de chercheurs qui nevoit pas de vraies menaces de réductionet le 85% qui exclue tout danger de suppres-sion. En Bolivie, il est précisé que deuxinstitutions qui offrent cette discipline ontdes plans d'amélioration à court terme. AuCameroun, on signale que la créationd’une École doctorale de philosophie est engestation. Depuis l’Indonésie, on informeque l’enseignement de la philosophie estmaintenant considéré comme important auniveau de l’Université. À l’Universitéd’Indonésie (UI) l’enseignement de laphilosophie, particulièrement dans lesdomaines comme la philosophie des sciences,est obligatoire. Au Liban, on constate uneoffre plus importante de cours de philosophieau niveau de l’Université et l’introduction

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d’un major en philosophie. En Fédérationde Russie, un enseignant de l’Académie dessciences indique que « Dans les quinze der-nières années ont été établies de nouvellesFacultés de philosophie au sein d’ancienneset de nouvelles Universités. Un exemplerécent est le Higher School of Economics,une des institutions d’éducation supérieure lesplus renommées du pays, qui a établi uneFaculté de philosophie afin de se trouver àun niveau égal avec les Universités ditesclassiques. » Au Lesotho, on souligne que« le National University of Lesotho a élargison Département de philosophie et étendud’autres communautés à l’extérieur del’Université, telles que les prisons, la police,le Ministère de l’intérieur, etc. ». Cetteouverture de la philosophie à la sphèrepublique se retrouve dans d’autres pays,tels la Turquie, avec une pratique de l’ensei-gnement philosophique des droits del’Homme en milieu carcéral, ou encorel’Ouganda où des débouchés professionnelsdans l’administration publique sont mis enavant par le Département de philosophiede l’Université Makerere, principaleUniversité du pays. Des études doctoralesen philosophie viennent d’être instauréesau Mali, tandis qu’à l’île Maurice, il estannoncé le lancement prochain d’unMaster of Arts en philosophie indienne. Uncorrespondant uruguayen à l’enquêterappelle que « ces dernières années, a étécréée au sein de la Faculté des humanitésde l’Université de la République, uneMaîtrise en philosophie contemporaine, quia fonctionné de manière ininterrompue ». Ilajoute que « la prochaine étape envisagéeest celle de la création de doctorats ». EnColombie, il n’y a aucune volonté de rédui-re la place de la philosophie, « au contraire,aussi bien le gouvernement que les institutionséducatives impulsent et promeuvent l’étu-de des humanités, en particulier laphilosophie ».

Philosophie et savoirs de l’esprit

Force est donc de constater une diversitéconsidérable des enseignements philoso-phiques à travers le monde. La présence dela philosophie s’articule le plus souventavec les traditions culturelles dans les-quelles elle s’insère. Limiter la présence de laphilosophie aux seules matières appelées« philosophie » serait, sur le plan culturel,un leurre dont il faut se méfier. Bien souvent,des enseignements de théorie politique, dereligion, d’éthiques professionnelles maisaussi de psychologie sociale ou d’histoiredes idées relèvent pleinement de conceptsou de catégories philosophiques. Cetteambiguïté se manifeste à la fois sur leplan disciplinaire et sur le plan culturel. Lescours de philosophie islamique impartis enpremière année dans les Universités ira-niennes sont un exemple de cette imbrica-tion entre philosophie et autres savoirs del’esprit. Au Bhoutan, on signale que la phi-losophie est enseignée dans les écolesmonastiques (Monastic Schools). EnArgentine, les matières obligatoires en cyclepré-universitaire comprennent uneintroduction à la théorie de l’État et uneintroduction à la pensée scientifique, l’uneet l’autre, des disciplines très caractérisées encontenu philosophique.

Cette nature protéiforme des enseignementsuniversitaires ne doit pas cacher, par ailleurs,la reconnaissance de la philosophie commematière à part entière. Contrairement auxdisciplines évoquées ci-dessus, la philosophieen tant que telle représente un savoirformel, ouvert et visant à critiquer, enmême temps qu’à véhiculer, des corpus dedoctrines et de savoirs. C’est donc sur laprésence de cette philosophie, ainsi intituléeet reconnue comme telle, que ce chapitrese focalisera.

3) Spécificité et adaptabilité de l’enseignement philosophique

La nature transdisciplinairede la philosophie

La présence des enseignements philoso-phiques dépasse largement les frontièresdes Départements de philosophie, souvent

à travers une présence diffuse d’enseigne-ments ponctuels et complémentaires àd’autres formations disciplinaires. À titred’exemple, à la question « Dans quellesFacultés l’enseignement de la philoso-phie est-il dispensé ? », la plupart des

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répondants au Questionnaire indiquentune multiplicité de Facultés. Dans plusieurspays d’Afrique, l’enseignement de la phi-losophie est obligatoire en première oudeuxième année universitaire. AuCambodge, la philosophie est enseignéedans la « première année dans d’autresdisciplines que la philosophie ». EnGrèce, on signale la présence d’enseigne-ments philosophiques « dans l’École deméthodologie et d’histoire des Sciences,ainsi que dans les Écoles de droit ». Lemême cas de figure revient au Kirghizistan,où la philosophie est enseignée« dans toutes les Facultés d’éducationsupérieure, en première et/ou en deuxièmeannée », en Lituanie « dans toutes lesFacultés en tant que partie de l’éducationgénérale au niveau supérieur ». Par delà lesdiplômes ou majors en philosophie, l’apportde ces enseignements est souvent considérécomme utile pour améliorer la compréhensiondes problématiques propres aux différentsdomaines disciplinaires. On trouve desenseignements d’esthétique, de philosophiede l’art ou de philosophie de la musiquedans les Facultés artistiques et d’architecture,mais aussi dans les conservatoires et lesÉcoles des beaux-arts. Des cours de philosophiedu droit sont impartis dans la plupart desFacultés de droit, de même que la philosophiepolitique et la théorie de l’État sont présentesen force dans les Facultés de sciencespolitiques et que l’éthique des affaires, labioéthique, la philosophie des sciences et laphilosophie des mathématiques pullulentdans les Facultés d’économie, de médecine,de sciences naturelles et de mathématiques.Ces enseignements s’organisent parfois enInstituts ou Départements au sein de cesFacultés. Par ailleurs, des étudiants d’autresFacultés assistent régulièrement à des coursde philosophie pour compléter leur formationspécifique.

La perméabilité de l’enseignement philoso-phique représente un caractère distinctif decette discipline. Si la philosophie possède saspécificité conceptuelle, sa nature trans-disciplinaire lui permet d’être mise àcontribution de tout un ensemble de forma-tions spéciales. L’enseignement de laphilosophie s’adresse donc, d’une part, àdes spécialistes en philosophie, qui reçoiventune formation technique portant sur lesconcepts, les catégories, les méthodes et

l’histoire de la pensée philosophique. Mais,d’autre part, il peut prendre la forme d’uneréflexion sur les structures épistémiques etmorales des autres disciplines, savoirs etpratiques. Les étudiants en économie, enmédecine, en droit ou en architecture trou-vent dans les cours de philosophie moinsun complément extrinsèque de leur forma-tion qu’un outil leur permettant de parfairela compréhension de leurs matières princi-pales. Cette adaptabilité de l’enseignementde la philosophie doit s’accompagnerd’un travail philosophique réalisé à partirdes préoccupations qui se posent à ces disci-plines. Lorsque cet objectif est atteint, cescours ont un impact réel sur les matières aux-quelles ils s’adressent, et peuvent contri-buer de manière substantielle à enraciner legoût pour la philosophie chez ces étu-diants. Cette présence diffuse peut jouerun rôle important pour renforcer l’impactsocial de la philosophie et devrait êtreencouragée. Une philosophie retranchéedans ses propres Départements, ou quin’aurait rien à dire aux étudiants d’autresFacultés, est une philosophie affaiblie et des-tinée à perdre prise dans la société. Il appa-raît donc qu’une action en faveur de lacréation de chaires philosophiques dansdes Facultés diverses doit être considérée etencouragée. Une telle multiplication a voca-tion à faciliter la constitution deDépartements ou d’Instituts inter-Facultés,générant des dynamiques positives pour ledéveloppement des études philosophiques.

L’idée d’une Faculté philosophique

La vieille idée d’une « Faculté philosophique »naissait précisément du constat de la natu-re transdisciplinaire de la philosophie. Cetteproposition remonte au début du vingtièmesiècle et illustre bien le sens de la portéeuniverselle de cet enseignement.S’inspirant du système allemand, quelquessavants de l’époque, parmi lesquels lemathématicien et philosophe italienFederigo Enriques, avaient développé l’idéed’une perméabilité maximale entre lesdifférentes formations académiques, demanière à privilégier la capacité d’ap-prentissage post-universitaire par rapportaux enseignements techniques impartisdans les curricula. On partait de l’idée quela formation académique devait mettre lesdiplômés en condition de faire évoluer leurs

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(9) Subject Overview ReportQ011/2001. Philosophy, 2001to 2001. Quality Assurance Agencyfor Higher Education.http://qaa.ac.uk/reviews/

(10) http://webcast.berkeley.edu/courses.php

(11) http://oregonstate.edu/cla/philosophy/engage/index.php

(12) La plupart des chercheursafricains suppléent au manquede serveurs locaux par le recoursau service de courrier électroniquede serveurs internationaux- Yahoo, Google, MSN - ou deréseaux dédiés comme Refer.

compétences professionnelles durant leurvie active. L’accent était mis sur le constatque, une fois acquises les notions techniquesde base, l’apport de l’Université se mesuraitsur la capacité d’adaptation aux développe-ments successifs qu’aurait connus le milieuprofessionnel auquel on s’adressait. Onpréconisait alors des enseignements aussiouverts et diversifiés que possible, où laplupart des sciences et des disciplinessavantes se côtoieraient de manière à offriraux étudiants un cadre global de la sciencede leur époque. Dans la plupart des cas,l’Université moderne a emprunté le chemininverse, s’orientant de plus en plus vers unearticulation en sens spécialiste des ensei-gnements, mais on assiste aujourd’hui à unretour de pratiques qui semblent s’inspirerde cette idée. Le succès des diplômés enphilosophie auprès des entreprises, desprofessions de la communication et desspécialistes des ressources humaines sembleconfirmer cette impression.

L’enseignement à distanceet l’accès au numérique

L’utilisation d’outils électroniques dansl’enseignement acquiert aujourd’hui uneimportance croissante. Les différencesapparaissent ici plus marquées que dansd’autres domaines, en raison de la disparitéd’accès aux technologies dans les différentspays (fracture numérique et accès auxconnexions à haut débit) et des difficultésde se doter d’équipements performantsque connaissent nombre d’établissementsd’enseignement. Dans la plupart desUniversités américaines et en partieeuropéennes l’enseignement à distance estdéjà une réalité quotidienne. Voici cequ’écrivent des évaluateurs britanniquesdans le dernier rapport sur la philosophiede la Quality Assurance Agency for HigherEducation(9) « Les Départements de philoso-phie utilisent de plus en plus l’Internet etl’Intranet en tant que ressources pour favoriserles études des étudiants. Cette pratiquen’est pas généralisée mais 18 des rapportsreçus (soit 44%) ont commenté positivementl’utilisation de cette ressource. Trois rapportsont indiqué que les Départements peuventvouloir considérer davantage le dévelop-pement et l’application des ressources del’Internet pour l’enseignement. À l’horizon2009, 50% des cours universitaires de l’Union

Européenne, toutes disciplines confondues,seront disponibles en ligne et 80% des étu-diants utiliseront l’apprentissage mobile(mobile learning). Dans la plupart desUniversités américaines, des cours, desséminaires ou d’autres pratiques d’enseigne-ment sont disponibles par Podcast.L’Université de Berkeley par exemple meten ligne la plupart de ses cours, classés parsemestre.(10) Sur le site de l’Université del’Oregon, il est aujourd’hui possible devisionner des entretiens ou des conversa-tions avec des enseignants-chercheurs,dont plusieurs appartenant auDépartement de philosophie de cetteUniversité.(11)

L’accès à l’enseignement en ligne élargitl’auditoire des cours de philosophie desUniversités de renom, permettant en mêmetemps aux étudiants d’autres régions dumonde d’avoir accès à une multiplicité deressources sans précédents. Cette pratiquesemble particulièrement susceptible dejouer un rôle dans les régions où la conti-nuité territoriale est la plus fragmentée, telsles archipels du Pacifique ou de l’Océanindien, mais aussi dans les régions conti-nentales plus éloignées des grands pôlesuniversitaires. Une action en faveur del’enseignement à distance semble ainsi toutà fait souhaitable, en veillant à se porter enpriorité sur deux aspects de ce phénomène.D’abord, il est évident que la fracturenumérique n’épargne pas les enseignementsphilosophiques. En Afrique notamment, aumanque de ressources documentaires, debibliographies philosophiques à jour etd’autres outils de référence s’ajoute unretard important dans le processus d’informa-tisation des structures. Le problèmesemble concerner moins l’accès auréseau informatique(12) que la disponibilitéd’une quantité suffisante de matériel. Parailleurs, une diversification des sources deces enseignements apparaît nécessaire. Ladissémination de cours venant d’une ou dequelques communautés philosophiques, etsurtout la prééminence d’une langue oud’un nombre restreint de langues, mettent àrisque la diversité culturelle des étudiants. Ilfaut se réjouir qu’un étudiant d’Afriqueorientale puisse suivre des cours del’Université de l’Oregon grâce à Internet,mais il faut éviter qu’il ne puisse suivre quedes cours d’Universités américaines ou

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(13) www.periodicos.capes.gov.br

Le principe de la liberté académique

Le principe de la liberté académique, ou,selon l’expression allemande d’origine, laliberté d’enseignement et d’apprentissage(Lehr- und Lernfreiheit) est au cœur del’organisation de la recherche et de latransmission du savoir dans les Universités.Elle doit se mesurer à l’échelle de chaqueenseignant-chercheur. Chaque membre ducorps académique doit pouvoir poursuivreses travaux et les communiquer à ses col-lègues et aux étudiants sans autre contrainteque celle de la rigueur scientifique et del’honnêteté professionnelle. Par ailleurs,tout étudiant doit pouvoir avoir accès àtoute question d’ordre scientifique qu’il ouelle souhaiterait approfondir, sans qu’aucunelimitation d’ordre politique, ethnique,religieux ou autre ne s’oppose à ce désir de

savoir. Cette liberté s’applique autant auxpersonnes que sont les étudiants, dans lesens du principe de non discrimination,qu’aux thèmes et aux arguments scienti-fiques visés. Seuls des critères de scientifici-té, modelés par la dynamique des échangesintellectuels entre les acteurs de la vie aca-démique, doivent réguler l’accès aux infor-mations et la circulation de celles-ci. Parceque la liberté académique représente unecondition nécessaire de la liberté de penséeet de circulation des idées, une action endéfense de cette liberté là où elle estmenacée ou réprimée s’impose à chaquefois que nécessaire. Cette action devraitprendre la forme d’abord d’un recensementminutieux ou « livre blanc » des cas où l’ensei-gnement de la philosophie, et plus en généraldes sciences de l’homme et de la société, sedéroule en absence de liberté ou en

4) Liberté académique et encadrement de l’enseignement

européennes. La multiplication des éta-blissements producteurs d’enseignementsà distance et leur diversification linguistiquedevrait ainsi représenter l’une des prioritéspour l’avenir de cette discipline. Un autreproblème de ressources réside dans la diffi-culté d’accès aux publications internatio-nales. Dans le contexte évolutif de l’éditionen sciences humaines, qui, notamment ence qui concerne les revues, voit la plupart desmaisons d’édition se recentrer progressive-ment sur l’édition et la distribution en for-mat numérique, les modalités d’accès à cesfonds immatériels représentent un enjeuconsidérable. La plupart des maisonsd’édition scientifiques proposent aujour-d’hui des contrats de diffusion à l’échellenationale, permettant à des réseaux debibliothèques et d’établissements d’en-seignement d’accéder à l’ensemble de leurspublications. Un exemple considérable estreprésenté par la Fondation brésilienneCAPES, qui est un organisme du Ministèrede l’éducation permettant d’accéder enligne à plus de 11.000 périodiques à partirdes postes informatiques de 188 établis-sements d’enseignement supérieur et derecherche. Il s’agit d’un véritable portailinformatique(13) sur le monde des publica-tions savantes : une bannière située sur lapage d’accueil de leur site attire l’attentionsur les « 15 millions d’articles téléchargés en

2006 ». Il s’agit là d’un cas particulièrementréussi et qui n’est pas isolé. Des consor-tiums comparables existent en Allemagne,par le biais de l‘institut Max Planck, auCanada à travers le Canadian National SiteLicensing Project (CNSLP), et le CanadianResource Knowledge Network (CRKN), enGrèce à travers HEAL-LINK, en Italie à tra-vers le Consorzio InteruniversitarioLombardo per L'Elaborazione Automatica(CILEA), ou encore au Royaume-Uni par leNational Electronic Site License Initiative(NESLI-2) et, de façon générale, dans la plu-part des pays occidentaux. Un autre casparticulièrement intéressant est représentépar la République de Corée, où le KoreanElectronic Site License Initiative (KESLI) et leKorea Education and Research InformationService (KERIS) se chargent d’assurer l’accèsaux publications numériques à l’ensembledes Centres de recherche et d’enseignementdu pays. Un projet semblable est en trainde se mettre en œuvre en Afrique du Sud,où des consortiums locaux cherchent à seréunir dans le South African Site LicensingInitiative (SASLI), un consortium à l’échellenationale calqué sur le modèle britannique,canadien et coréen. Là encore, unencouragement d’une multiplication de cesportails d’acquisition et de distribution del’information scientifique serait très opportun.

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(14) www.unesco.org/iau/fre/

(15) Organisation internationalenon gouvernementale au sein del'UNESCO, le CIPSH fédère plusieurscentaines d'organisations scienti-fiques dans le domaine de laphilosophie, des scienceshumaines et des disciplinesconnexes. Le CIPSH coordonne lestravaux menés au niveau interna-tional par toute une constellationde sociétés savantes ainsi que pardes centres et réseaux de cher-cheurs basés dans les différentesrégions. Il favorise l'échange deconnaissances et savoirs et sou-tient la circulation des chercheurs,afin de renforcer la communicationentre spécialistes de différentesdisciplines, de promouvoir unemeilleure connaissance des formesculturelles et des comportementssociaux, individuels et collectifs, etde mettre en évidence la richessedes différentes cultures et leurféconde diversité. Extrait du siteWeb : www.unesco.org/cipsh/

conditions de liberté imparfaite. Des remèdespossibles devraient aussi être indiqués. Untel projet pourrait par exemple prendre laforme d’une coopération entre l’UNESCOet des organisations spécialisées, tellel’Association internationale des Universités(AIU)(14), le Conseil international de la philo-sophie et des sciences humaines (CIPSH)(15)

et la Fédération internationale des sociétésde philosophie (FISP), qui permettrait dedresser un tel tableau et d’identifier dessituations cibles. Bien qu’une telle initiativepourrait difficilement atteindre le niveau dechaque Département ou Institut de recherchedans le monde, elle deviendrait rapidementun outil de référence à l’échelle internationalepour toutes celles et tous ceux qui, chacundans son milieu et à son niveau, œuvrenten faveur de la liberté de recherche, d’en-seignement et d’apprentissage.

Les contraintes politiques,religieuses et culturelles

Le tableau qui se dessine à partir d’unregard à l’échelle globale sur la liberté derecherche, renvoie à un enseignement et àun apprentissage en matière de philosophietrès varié. Si dans bien des cas il est possiblede constater que les Départements dephilosophie, leurs enseignants et leursétudiants jouissent d’une autonomie presqueabsolue, ailleurs les choses se présententdifféremment. La diversité des situations esttelle qu’une étude spéciale devrait êtreréalisée pour dresser un état des lieux de laliberté académique à travers le monde. Demanière synthétique, trois grandes famillesd’atteintes à cette liberté peuvent êtreesquissées. D’abord, des contraintes d’ordre politique,lorsque des gouvernements, des régimesou des systèmes politiques prétendentimposer aux enseignants-chercheurs et auxétudiants des formes d’obédience voire defidélité politique. C’est le cas des sermentsde fidélité ou d’orthodoxie politique imposéspériodiquement aux communautés savantes.Mais c’est aussi l’interdiction, que l’onobserve encore dans de nombreuses circons-tances, d’inscrire certains sujets dans lesprogrammes d’enseignement, la proscriptionde théories savantes considérées commecontraires à des principes éthiques affirméspar les États, ou encore l’imposition auxchercheurs d’un pays d’une orthodoxie

philosophique à laquelle ils sont tenus dese conformer. Il s’agit là d’autant de cas defigure qui portent atteinte à la liberté de larecherche, de l’enseignement et de l’appren-tissage de la communauté académique etdes étudiants. Il existe également uneforme plus subtile de pression sur lesenseignants et les étudiants, difficile àdéceler, et qui a été signalée par plusieursenseignants-chercheurs. Il s’agit notammentdu climat politique qui s’établit au seind’une communauté savante et qui prend laforme d’une autocensure de la part desmembres de cette communauté, notammentlorsqu’on touche à des sujets politiquementsensibles ou controversés. Ce phénomène,largement connu par les chercheurs ayantsubi les affres des régimes autoritaires, estaujourd’hui visible même dans certainspays démocratiques, où les chercheursn’osent plus exprimer de réflexions politiquesmême lorsque aucune loi ou règle écrite neles y oblige.

Deuxièmement, il existe plusieurs cas oùdes conditionnements religieux se portentsur la réflexion philosophique, à tel pointque celle-ci est identifiée à la pensée reli-gieuse, ou, parfois, aux études religieuses ouencore est annihilée au nom d’un prétenducontraste entre valeurs religieuses et moralitéou concepts philosophiques. C’est un sujetd’autant plus délicat que les frontièresentre approche spirituelle de la philosophieet imposition d’un dogme confessionnelsont souvent assez floues. En effet, plusieurstémoignages renvoient le sentiment d’uneexpropriation en cours du savoir philosophiquepar le religieux, souvent avec le soutien plusou moins ouvert des pouvoirs politiques.Mais, d’autre part, peut-on considérer unephilosophie religieuse comme un simpleoxymoron ? Toute réflexion philosophiquese déroulant dans le cadre d’une foi religieusese donne obligatoirement des limitesconceptuelles, sans que ceux-ci ne configu-rent nécessairement une violation de laliberté académique. Il y a lieu ici d’évoquerplutôt une atteinte à la liberté d’apprentissagedans un contexte national ou en tout caspublic, lorsque des étudiants inscrits enphilosophie ou en études philosophiquesse voient interdire, à l’échelle nationale, lapossibilité de pousser leurs recherches dansle sens qu’ils souhaitent, y compris dansune optique laïque ou de critique du religieux.

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Troisièmement, parce que la philosophie estaussi une critique des formes culturelles,elle a une portée directe sur le corpus destraditions d’une culture. Il n’est donc passurprenant que des conditionnementsculturels puissent aussi porter atteinte à laliberté d’enseignement et de recherche.C’est le cas lorsque des concepts philo-sophiques, avec leur charge critique, sontconsidérés comme dangereux pour unensemble de mœurs, de principes éthiquesou de savoirs considérés comme précieuxpour sauvegarder une certaine identitéculturelle. Il existe des revendicationsidentitaires qui ont tendance à voir dans laphilosophie un danger pour les identitésque l’on cherche à protéger et parfois lecheval de Troie de valeurs considérées,à tort ou à raison, comme « modernes ».Dans ce genre de cas aussi, il s’agit d’unequestion difficile, puisque la liberté d’appren-tissage et de critique d’une culture toucheaux limites du droit des identités culturellesà se protéger.

Le cours monographique

Tout enseignant-chercheur doit être libred’impartir des cours sur un sujet de sonchoix. C’est un principe sur lequel on nesaurait revenir, sous peine de mettre enquestion le principe même de la libertéacadémique. Cette pratique constitutivedes Universités européennes, connue sousle nom de « cours monographique », semblepour autant exiger quelques précisions. Eneffet, il existe parfois, dans les curriculaphilosophiques, une juxtaposition de coursspécialisés sans que ces mêmes curricula neprévoient des intégrations institutionnellespermettant aux étudiants de se former unregard d’ensemble sur la matière étudiée.Bien que ces carences ne soient pasgénéralisées, elles représentent un problèmeconsidérable dans un certain nombre depays, où il est possible d’observer desétudiants terminer leurs études avec unepréparation très inégale dans les différentesdisciplines philosophiques et parfois àl’intérieur d’une même discipline. Il y a descas de diplômés très compétents surDescartes ou Husserl - parce que leursDépartements se distinguaient pour destravaux sur ces auteurs - et parfaitementignorants de l’œuvre de Hegel, d’Augustinou de Spinoza - parce que n’ayant pas suivi

de cours sur ces auteurs. Il s’agit là d’unsujet sensible, comme tout ce qui touche àla liberté d’enseignement, et qui sembledevoir être mentionné dans le cadre de ladialectique entre liberté académiqueet encadrement de la didactique de laphilosophie.

La question des méthodes pédagogiquespermettant d’optimiser les capacités desétudiants à développer des méthodespropres d’apprentissage et de recherche estau cœur des discussions sur les formesd’enseignement supérieur de la philosophie.Des questions différentes se posent selonles niveaux d’enseignement (Licence-Maîtriseou études doctorales). En termes trèsgénéraux, il est possible d’observer unepratique de plus en plus axée sur la discussionen séminaire au fur et à mesure d’unavancement vers le niveau doctoral, et uneprééminence du cours classique au niveaudes études de Licence et Maîtrise. Il estcependant impossible de dégager la moindreuniformité, compte tenu de la grandediversité des pratiques utilisées au niveaulocal. Ainsi, un texte de Keith Crome etMike Garfield, de Manchester MetropolitanUniversity, a servi en 2003 de base dediscussion à propos de la valeur pédagogiquede la lecture accompagnée des textes pourle développement de la capacité d’analysedes étudiants.(16) Ici encore, la discussion ausein même de la communauté académiquesert de facteur de progrès scientifique etpédagogique, tout en respectant le principede la liberté académique des acteursimpliqués. Le principe de la lectureaccompagnée joue aussi un rôle dansl’apprentissage du vocabulaire techniquede la philosophie. La multiplication despratiques d’enseignement participatif estaujourd’hui un fait de plus en plus observableà travers le monde. La place des cours excathedra, traditionnels, reste cependantimportante, en particulier dans lesUniversités où le nombre d’étudiants estplus élevé.

(16) Keith Crome et Mike Garfield,Text-based Teaching and Learning:A Report. Novembre 2005.http://prs.heacademy.ac.uk

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Enseignement philosophiqueet engagement

Quel rôle la philosophie peut-elle jouerdans la formation des citoyens d’aujourd’hui ?Un tour d’horizon effectué lors de lapréparation de cette Étude a montré quebon nombre d’enseignants-chercheursattribuent à l’enseignement philosophiquela tâche de susciter une capacité permanented’interrogation et d’évaluation critique faceaux différents savoirs et aux dynamiquesintersubjectives gouvernant les sociétéscontemporaines. Certains considèrent quecette capacité critique doit se porter toutd’abord sur les grands processus globauxqui investissent nos sociétés. Les modalitésde l’enseignement philosophique s’articulenttout naturellement avec la place que l’onaccorde à la philosophie dans la dynamiqueculturelle et sociale. Il semble cependantqu’il existe un risque de réduire la philosophieà un engagement culturel et politiqueimmédiat, contre une configuration socio-économique donnée. Ce serait là unemanière de diminuer brusquement lapuissance formatrice et créatrice de laréflexion philosophique. Lorsqu’elle a étéréduite à l’apprentissage doctrinaire, quelleque soit la qualité des contenus visés, laphilosophie devient obligatoirement levecteur d’un dogmatisme plus ou moinsdéclaré, qui trahit sa nature même.Néanmoins, la nature épistémique de laphilosophie, sa fonction essentielle quiconsiste à extrapoler les structures théoriquessous-jacentes aux objets culturels, tire savitalité du fait de se mesurer aux problèmesconcrets de la vie des personnes et dessociétés. L’éducation à la citoyenneté quepourvoit la philosophie aide à faire face àtoutes ces situations qui obligent à faireappel à une hiérarchie de valeurs. Laconscience de la nature de nos choix, lacapacité de modeler nos actions sur une loimorale, donc d’exercer à chaque instantune responsabilité humaine et citoyenne,cela ne peut être que le résultat d’une

éducation axée sur l’enseignement de laphilosophie. Une telle éducation vise, àtous les niveaux, à aider les individus àcomprendre la complexité de l’expérience.Elle nous apprend aussi à considérer defaçon critique les opinions prévalentes et àen critiquer les motivations, les intentionset les effets. L’éducation philosophique estun dispositif de communication fondamental,car c’est précisément par sa portée critiqueque nous apprenons à voir dans l’autre nonpas l’expression d’une subjectivité particulièreet étrangère, mais le partenaire d’uneinteraction humaine partagée, avec qui ilest possible d’instaurer un échange et undialogue. Apprendre la doctrine des quatrecauses chez Aristote ne relève pas uni-quement de l’érudition historique ou d’uneculture passéiste. Un tel enseignementapprend à déceler le sens multiple de l’agirhumain, en mettant ainsi l’individu encondition de le juger non seulement enrelation aux effets qu’il produit sur sonindividualité mais aussi, et surtout, dans lecontexte d’une dynamique intersubjectiveplus vaste, où chacun n’est qu’un acteurparmi d’autres. L’enseignement philosophiquetrouve sa raison d’être dans la libération dela subjectivité de ses déterminations par-ticulières, donc dans la capacité à s’ouvriraux autres et à transformer un choc entrefinitudes fermées sur elles-mêmes eninteraction rationnelle et ouverte.

La philosophie, « gardiennede la rationalité »

Cette éducation à la pensée critique joueun rôle essentiel dans l’organisationdémocratique des sociétés contemporaines.Elle reflète également cette fonction degardienne de la rationalité que bien deschercheurs prêtent à la philosophie. C’estun aspect important, dans la mesure oùl’appel à la rationalité est souvent à l’origined’un réflexe de défense d’identités culturellesdont on craint qu’elles ne soient menacéespar une rationalité porteuse de valeurs ou

II. La philosophie face aux défis émergents :questions et enjeux

1) L’enseignement philosophique dans un monde globalisé

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de structures épistémiques occidentales. Or,dans un monde caractérisé par la montée desirrationalismes et par la multiplication desreplis identitaires, ce rôle ne peut être jouéqu’à la condition de rompre avec touteconception sectaire ou culturaliste de larationalité, comme avec tout universalismedogmatique de la raison. La rationalitéphilosophique ne saurait prendre la formed’une imposition ou d’une généralisationdes contenus d’un savoir déterminé. Elleœuvre au contraire dans le sens d’unelibération progressive des vécus particuliers,que ce soit au niveau individuel comme auniveau culturel, de manière à rendre possibleune interaction libre avec autrui. Elle délivrel’expérience de son ancrage à une finitudeconcrète qui rend incompréhensibles etdistantes les autres finitudes. Pour ce faire,l’enseignement philosophique ne peut paspostuler de nouvelles entités substantielles,pas plus qu’il ne peut remplacer la déter-mination immédiate du donné par unedétermination métaphysique. Toute laportée libératrice de la philosophie commepratique pédagogique tient dans sa capacité àréaliser cette libération rationnelle del’expérience particulière. Plusieursenseignants-chercheurs se disent d’accordsur le fait que l’ouverture rationnelle à traverslaquelle l’éducation philosophique apprendl’individu à élaborer son expérience peuts’avérer précieuse pour contrer le choc desintérêts particuliers, des égoïsmes et desrevendications identitaires. Toute action desoutien à l’enseignement de la philosophiedevrait donc être axée sur cette ouverture.L’universalité de la raison - tel devrait être lesens profond de l’enseignement philoso-phique -, ne peut pas être synonymed’un ethnocentrisme déguisé et doit sedécliner plutôt comme possibilité de

rencontre féconde et capable entre unepluralité de systèmes culturels et de hiérar-chies de valeurs.

Philosophie et traditions culturelles

Parce que la philosophie est une critiquedes savoirs - ou, selon certains courants dela pensée contemporaine, une théoriegénérale des formes culturelles,Kulturwissenschaft -, son impact sur lestraditions culturelles est important. Cechapitre essaye de montrer que l’entrelacsentre apprentissage et recherche caractérisel’enseignement universitaire de la philosophie,mais aussi que sa diversité s’inscrit dansune articulation entre nature formelle de laraison et multiplicité des savoirs et descultures. Toute philosophie est imprégnéedes valeurs de la culture où elle surgit et sedéveloppe. Les exemples de l’ethnophi-losophie en Afrique, la réflexion sur lenéo-confucianisme en Chine et en Asie del’Est, la dialectique entre religion et laïcitéen Occident ou encore l’articulation entrerationalité philosophique et valeurs indiennesque l’on fait souvent valoir dans le continentindien, illustrent la portée culturelle detoute réflexion philosophique. Ils contribuentégalement à expliquer les raisons de laprésence de la philosophie dans les différentsDépartements et aires culturelles.Aujourd’hui, les Centres d’études culturelles(cultural studies) représentent des lieux derecherche philosophique au moins autantque ne le sont les Départements de philoso-phie. Cet élargissement reflète égalementun désir d’interdisciplinarité que partagentbien des chercheurs et qui joue un rôlecroissant dans l’organisation de la rechercheet des enseignements académiques.

CHAPITRE III

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2) L’actualité de la philosophie : une pratique à manieravec précaution

L’enseignement de la philosophieentre raison et histoire

Il semble cependant que tout cela ne soitvalable que si la philosophie choisit de sortirde son « splendide isolement », qui lacoupe parfois des réalités du monde, pours’ouvrir aux problèmes que vivent les hommeset les femmes et contribuer à y apporter

des réponses. Telle est l’affirmation quemet en avant le rapport d’une conférenceinternationale sur l’enseignement de laphilosophie dans le contexte de la mon-dialisation, tenue à Dakar en janvier 2006sous la double houlette de la FISP et del’UNESCO. C’est une idée sur laquelle insistentnombre de spécialistes aujourd’hui, qui nesaurait se traduire en une réduction de

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

l’enseignement philosophique à une discussionde l’actualité sociale, politique, économiqueou culturelle. L’enseignement de la philosophiene se mesure pas uniquement à l’aune desimpératifs historiques que l’on peut décelerdans tel ou tel processus en cours. Il trouveégalement sa fonction dans les formes depensée qu’il inspire et dans ce qu’il nousapprend en termes de modalités d’analyseet d’élaboration de notre expérience vécue.C’est un aspect essentiel de l’éducationphilosophique. L’idée que la philosophieserait, en premier lieu, fille de son temps etque son enseignement devrait véhiculer uncorpus de concepts, de doctrines et deconvictions est un leurre que partagentmaints systèmes dogmatiques. C’est aunom de ce substantialisme doctrinaire quela plupart des régimes autoritaires ontprôné dans le passé et continuent depratiquer aujourd’hui un enseignementsélectif des doctrines philosophiques - etque, dans ce contexte, ils se disent sincè-rement en faveur de l’enseignement de laphilosophie. Ce dernier trouve sa force etsa liberté dans la nature formelle de sesstructures, de ses catégories et de sesconcepts. Il représente un instrument delibre conscience en ce que, au lieu de fairevaloir un corpus clos de savoir et de valeurs,au lieu d’opposer entre eux des corpus doc-trinaires, des systèmes éthiques ou destraditions, il met les élèves en conditiond’analyser de manière autonome lessituations, les actes ou les propos auxquelsils sont confrontés. La nature formelle del’éducation philosophique, l’habitude à« purifier les données d’expérience » qu’el-le instille, engendre la liberté au sens oùelle permet de mener une critique de l’inté-rieur, une autocritique des systèmeséthiques et des corpus de croyances sesuccédant historiquement et traversant nossociétés. L’éducation philosophique esttoujours une critique des cultures.Lorsqu’elle veut être au service de la liberté,elle ne se propose pas de remplacer descontenus éthiques, culturels ou politiquespar d’autres de la même nature, maisforme à une critique serrée et radicale detout corpus clos de croyances, de préceptesou de dogmes. Lorsque l’éducation philoso-phique se réduit à un endoctrinementéthique, elle trahit alors sa fonction libératrice.C’est pourquoi l’enseignement de la philoso-phie reste le champ décisif d’une bataille

entre savoir formel, avec la moralité libreet ouverte qui l’accompagne, et savoirdogmatique assorti de moralisme autoritaire.Comme l’ont signalé plusieurs chercheurs,la formation à la philosophie ne peut avoircomme but qu’une « émancipation libérantl’élève du savoir illusoire » et une critiquede ce même savoir.

Les priorités dans la rechercheet dans l’enseignement

La philosophie et son enseignementsemblent aujourd’hui interpellés par denouveaux enjeux et représentent eux-mêmes un enjeu d’ordre politique. Le rôleque les États assignent à la philosophie et laplace qu’ils accordent à une philosophieinstituée et institutionnalisée sont différents,tout comme le sont les convictions de chaquespécialiste. Dans certains cas, on dénonceune dérive utilitaire, voire utilitariste, desenseignements philosophiques, réduits parfoisà de simples supports professionnels,comme le montrent les éthiques déontolo-giques ou la prolifération des coursd’éthique des affaires. Dans d’autres cas,on déplore la nature trop traditionnelle etparfois académique des cours de philoso-phie et l’on préconise une ouverture à desapproches plus pratiques, à une philosophieappliquée qui puisse servir de guide auxétudiants de disciplines orientées vers lesprofessions plutôt que vers la recherchesavante. Enfin, on constate une coexis-tence de ces approches, tantôt opposées,tantôt à l’œuvre dans la mise au point deparadigmes théoriques et pédagogiquesnouveaux, visant à donner à l’enseigne-ment de la philosophie une orientationpratique sans que cela ne se fasse audétriment de sa spécificité et de son his-toire.

Une question qui se pose aujourd’hui àl’enseignement de la philosophie concernele rôle que ce dernier peut jouer face auxproblèmes nouveaux soulevés par le processusde globalisation économique et culturelle.Face à ces transformations, quelques-unsvoient une philosophie en train de perdreprise sur le monde réel, d’autres la considèrentcomme définitivement disqualifiée pouraborder ces problèmes globaux. Est-il doncencore nécessaire d’enseigner la philosophie,et le cas échéant, quels contenus faut-il

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privilégier ? Il convient de distinguer cesdeux questions. D’une part, on ne peut quevoir avec faveur le maintien, voire la diffusiond’une discipline qui se pose comme théorieconstitutive des concepts fondamentauxdes sciences de l’homme et de la société.Les concepts et les catégories philosophiquesjouent en effet un double rôle critique. Ilss’adressent à l’ensemble des savoirs dont secompose chaque culture et chaque systèmeéthique mais investissent aussi, plus spé-cifiquement, les concepts fondamentauxdes Sciences de l’homme, de la société etde la nature. Par ce double rôle, la philosophiecontinue de tenir une place essentielle dansle développement des sciences et dans ledialogue entre les cultures. D’autre part, ceserait un leurre de privilégier certains contenusdotés d’une apparence d’actualité audétriment d’autres pistes de recherche,moins séduisantes mais tout aussi susceptiblesde donner lieu à des développementsinespérés. En philosophie, comme en généraldans la recherche, on ne saurait préjuger del’évolution constante des priorités. Touteaction visant à renforcer la présence de laphilosophie dans les établissementsd’enseignement et de recherche à travers

le monde devrait respecter ce principed’autodétermination de la communautésavante. Ce qui semble secondaire aujour-d’hui peut s’avérer essentiel demain, d’oùl’exigence absolue de ne pénaliser aucundomaine de recherche. Il est souhaitableà ce propos de soutenir l’action des com-munautés philosophiques auprès des Étatscomme à l’échelle internationale, sans quecette action de support ne privilégie a prioriaucun domaine particulier du travail philo-sophique. Toute communauté philoso-phique n’est pas forcément à la pointe dusavoir dans son domaine, mais les philo-sophes restent les plus à même de juger despriorités à donner à leur recherche. Il faut rap-peler par ailleurs que l’accent très appuyésur l’éthique, qui a caractérisé les politiquesde soutien à la philosophie dans les der-nières années, est en train d'être mis enporte-à-faux par la montée de nouvellesapproches insistant sur la nature épistémiquedes formes d’interaction humaine et socia-le. C’est un exemple parmi d’autres desretournements de priorités qui caractéri-sent la recherche en philosophie et, engénéral, l’ensemble des disciplines savantes.

CHAPITRE III

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3) La question des débouchés professionnels

Les débouchés d’études supérieures enphilosophie aujourd’hui peuvent êtrepartagés en plusieurs catégories.

L’enseignement secondaire

C’est une issue typique des études universi-taires de philosophie. Elle l’est à doubletitre. D’une part, dans la plupart des cas,pour enseigner la philosophie - et, par-fois, l’histoire ou la littérature - dans le secon-daire, il est nécessaire d’avoir un diplômeen philosophie, que ce soit de premier oude deuxième cycle. D’autre part, enseignerau niveau secondaire représente dansnombre de pays la principale, en tout cas laplus immédiate opportunité d’emploi pourles diplômés en philosophie. C’est dire queles réformes de l’enseignement secondaireont une influence directe sur l’enseigne-ment supérieur de la philosophie. Là où l’ou-verture de postes de professeurs dans leslycées favorise le développement desétudes au niveau supérieur, une réduction de

la présence de la philosophie dans les écolesdécourage les inscriptions aux cours de phi-losophie et contribue à tarir la recherche, sur-tout lorsque celle-ci repose exclusivementsur le réseau universitaire. Le Questionnairede l’UNESCO nous renvoie de nombreuxtémoignages en ce sens, venant de toutesles régions du monde et de tous ces paysoù il existe un enseignement secondaire de laphilosophie. Un répondant français signale« la baisse des places aux concours de l’en-seignement dans le secondaire, CAPESnotamment » parmi les facteurs d’affai-blissement de l’enseignement de la philo-sophie dans les Universités. En Bolivie, ondénonce la « difficulté d’accès au magisteriopour une partie des diplômés ». Unrépondant colombien déplore le « faibleélan des humanités dans le secondaire »,un autre, plus simplement, fait remarquerque « le champ de travail est limité ». Unchercheur jordanien explique la diminu-tion des enseignements de philosophiedans son pays par le fait qu’elle « n’attire

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

pas des étudiants en raison d’une absence(perçue) d’opportunités d’emploi particuliè-rement dans les écoles ». Bien que l’ensei-gnement secondaire soit parfois considéré,notamment dans les pays occidentaux,comme un repli professionnel, l’appel àpostes dans le secondaire continue de jouerun rôle important dans l’évolution de lacourbe d’inscription aux programmes dephilosophie.

L’internationalisation de la rechercheou le campus global

La recherche, que ce soit dans une institutionuniversitaire, dans un Centre de rechercheou dans tout autre institution, est la deuxiè-me grande issue pour les diplômés en phi-losophie. Contrairement à l’enseigne-ment secondaire, qui suppose que la phi-losophie fasse partie du curriculum sco-laire national ou régional, ce qui n’est pastoujours le cas, le recrutement à des postesde recherche est universel. Si on a pu sediplômer en philosophie, c’est qu’il existedes postes universitaires. Il est intéressantde constater à cet égard que le rapportentre le nombre d’étudiants en philoso-phie et l’ensemble des étudiants inscrits enLettres ou en Arts & Humanities augmenteconsidérablement au niveau doctoral parrapport au niveau des deux premiers cycles(undergraduate). Ce qui revient à direqu’un pourcentage élevé d’étudiants dephilosophie entreprend une formation à larecherche. Or, quelques précisions sontnécessaires à ce propos. D’abord, ilconvient de constater que, contrairementà d’autres disciplines scientifiques, tellesla biologie, la physique ou les sciencesmédicales, les lieux de la recherche philoso-phique sont relativement peu variés.L’essentiel du travail se fait dans lesUniversités, publiques ou privées, ou dansdes Centres nationaux de recherche. Il exis-te certes des Instituts d’études philoso-phiques, des Fondations, des Centres dechercheurs indépendants, mais leur rôlereste encore limité. Les Centres privés derecherches, sur le modèle des start-up activesdans la recherche médicale et biologique,restent rares en philosophie.

Le marché du travail de la recherche universi-taire se caractérise de plus en plus par soninternationalisation poussée. On a parfois

décrit ce processus par l’expression« campus global ». En effet, bien que dansbeaucoup de pays le système de recrutementreste ancré à des filières nationales, voirelocales, le système des annonces de postesouverts se généralise. Il existe des sitesd’annonces, des groupes de discussions oudes réseaux fermés qui font circuler descentaines d’annonces de postes auxquelsdes candidats de tous les pays peuvent seprésenter. Cette pratique, particulièrementutilisée par les Universités anglophones,tend à se généraliser. Une des fonctionsprincipales de l’American PhilosophicalAssociation(17), probablement la plus vasteorganisation philosophique au monde,consiste à maintenir à jour une liste d’offresd’emplois académiques. De ce point devue, elle fonctionne plus comme un syndicatde catégorie que selon le modèle européend’une société savante.

Cette internationalisation du marché dutravail philosophique correspond à uneinternationalisation ou globalisation de larecherche. À côté du travail d’enseignementet de recherche proprement dit, il existe eneffet une multitude de Centres, donc depostes, de soutien à la recherche. Le personnelde Fondations, de sociétés savantes, deFédérations, d’organismes et d’associationsinternationales est souvent recruté parmiles diplômés en philosophie. La mêmeremarque peut valoir pour le personneltechnique des Universités et des Centres derecherche.

La philosophie dans les entreprises

La tendance à valoriser la formation phi-losophique dans le cadre du travail enentreprise est une réalité depuis bon nombred’années. Cette interaction peut êtreobservée au moins à deux niveaux.D’abord, il existe un nombre croissant desociétés commerciales à raison sociale« philosophique », qui proposent des servicesde conseil, de formation et d’orientation dupersonnel des grandes et des moyennesentreprises. Ces véritables cours de formationpeuvent porter sur des sujets ponctuelscomme l’éthique des affaires, l’éthiquemédicale ou les techniques rhétoriques ousur des aspects plus fondamentaux de la vied’entreprise, par exemple l’interaction degroupe, les capacités argumentatives ou de (17) www.apa.udel.edu/apa/

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raisonnement. Dans ces cas, les sujets abordéscôtoient parfois ceux que l’on retrouvedans les cours tenus par des psychologuesou des publicitaires. Un deuxième aspect del’intérêt croissant que les entreprisessemblent porter à la formation en philosophies’exprime à travers le choix de recruter desdiplômés en philosophie en raison del’adaptabilité aux différentes situationsqu’on leur reconnaît, et notamment à l’évolu-tion des marchés et des technologies. Lavitesse à laquelle le marché évolue semblerécompenser cette capacité d’adaptation.De plus en plus de jeunes diplômés enphilosophie sont contactés par des entreprisesdès leur diplôme obtenu, de la mêmemanière que le sont des ingénieurs, desbiologistes ou des avocats.

Cette possibilité de recrutement dans leprivé, offerte par une formation en phi-losophie, est aujourd’hui largement miseen avant par les Universités elles-mêmes.Elle fait même partie des stratégies demarketing des Facultés où les enseignementsde philosophie sont impartis. La valeurajoutée des diplômes en philosophie sur lemarché des entreprises est mise à contributionpour encourager les étudiants à choisir uneformation philosophique. Cette politiquede recrutement des étudiants est particulière-ment visible dans les pays où la philosophien’a pas une tradition et un prestige suffisantspour la rendre attractive par elle-même.Dans la page d’accueil de l’option« Philosophie » de la School of Liberal Arts(18)

de l’Université de Newcastle (Australie),nous trouvons un exemple particulièrementexplicite de cette pratique. Après avoirreconnu que « la discipline n’est pas large-ment étudiée en Australie » et que « parconséquent, un bon nombre d’Australiensne sont pas très certains de ce qu’est laphilosophie, on y lit : « la philosophie asurtout trait à l’examen et à l’évaluationcritiques des arguments, et à la capacité desoumettre des problèmes compliqués à uneanalyse critique détaillée. Tout diplômé enphilosophie serait formé pour avoir descompétences de pensée critique et l’analyseet l’évaluation d’arguments. À la fin de leurformation, les diplômés en philosophie ontdes qualifications qui leur permettent detravailler dans une grande palette d’environ-nements. Les grandes sociétés en Australiesont en train de prendre conscience de la

valeur des qualifications obtenues par uneformation en philosophie. Il est commun dedire que nous vivons dans un temps dechangements de plus en plus rapides. Laformation spécifique technique que les étu-diants reçoivent, particulièrement dans lesdomaines comme la technologie d’infor-mation, deviendra obsolète dans quelquesannées. Les qualifications qui seronttoujours précieuses dans l’avenir sont lacapacité de réfléchir logiquement, indépen-damment et d’une façon critique, et d’appliquercette capacité à de nouveaux domaines. Cesont précisément les qualifications qu’uneformation en philosophie développe. Parailleurs, des cours spécifiques en philosophieont une valeur singulière pour les profes-sions et les activités particulières et peuventêtre utilement inclus dans divers programmesd’étude en tant que cours optionnels afinde renforcer l’employabilité ».

Cette palette de débouchés possiblescomprend également toutes sortes deprofessions « créatives », dans les média, lapresse et en général les institutions culturelles.La Faculté de philosophie de l’Université deLjubljana(19), en Slovénie, met en valeur,outre l’enseignement dans le secondaire etla recherche, « des emplois dans les institu-tions culturelles et publiques, les biblio-thèques, les maisons d’édition, les jour-naux, les magasines, la télévision etd’autres media, l’écriture et la traductionde textes philosophiques et sur d’autressujets théoriques, ainsi que des emplois depubliciste et de traduction dans d’autresdomaines interdisciplinaires. »

La sphère publique

La plupart des diplômés en philosophiearrivent à vivre de leur travail, même si lesdélais avant de trouver un emploi corres-pondant à la formation reçue peuvent êtreplus longs que dans le cas d’autres carrières.Les témoignages réunis par le Questionnairerenvoient une préoccupation diffuse : desdébouchés professionnels hasardeuxrendent peu attractive pour les jeunes l’idéed’entreprendre des études de philosophie.« Pas de travail pour les diplômés » expliqueun chercheur jordanien, et la même formule,à savoir « manque de disponibilité dutravail pour les diplômes en philosophie »,vient du Portugal. En Tunisie, on évoque le

(18) www.newcastle.edu.au/school/liberal-arts/

(19) www.ff.uni-lj.si

CHAPITRE III

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

« chômage des diplômés » et le « marchédu travail » comme les pires ennemis desétudes philosophiques. C’est principalementen Afrique que l’urgence d’un emploi estmise en avant. En Mauritanie, on observeque « les étudiants ne sont pas motivésd’étudier la philosophie car ils ne trouventpas de travail ». Au Niger, deux témoignagessont d’accord pour dénoncer l’« absencede perspectives d’emploi pour les étudiants »,le fait que « beaucoup d’étudiants sortis del’Université s’orientent vers d’autreschamps d’activités professionnelles » et, ausein même des sciences humaines et sociales,la tendance à délaisser la philosophie auprofit de « filières plus professionnalisantescomme la sociologie ». La même remarquevient de la France, où l’on évoque la« concurrence des sciences humaines »,due à « trop peu de débouchés propres à laphilosophie ». Deux indologues écriventdepuis l’île Maurice que « ceux qui cherchentdu travail choisissent d’autres disciplines ».

Tout n’est pas décourageant pourtant.Souvent, l’obtention d’un diplôme enphilosophie représente un moyen d’affirma-tion sociale. Dans la présentation duDépartement de philosophie de l’UniversitéMakerere(20) (Ouganda), un paragrapheconsacré aux perspectives de carrière paraîtintéressant : « les cours offerts dans leDépartement de philosophie peuvent offrirdes possibilités d’enseigner dans les ins-titutions tertiaires ou de travailler en tantque fonctionnaire dans des bureaux dif-férents, tels que le Cabinet du Président, lesMinistères des Affaires étrangères, deTravail et de l’entraide sociale, de questiondu genre, de la Culture et duDéveloppement de la communauté, ainsique de travailler dans les ONG ou dansd’autres institutions privées. Les diplômésen philosophie peuvent également fairepartie des forces de sécurité, particulièrementau sein de la police et des prisons. »

Le Programme UNITWIN et chaires UNESCO(21)

a été lancé en 1991. Sa création répondaità la nécessité pressante d’inverser le coursdu processus de déclin des établissementsd’enseignement supérieur dans les pays endéveloppement, en particulier dans les paysles moins avancés. Son objectif était derenforcer la coopération inter-universitairepar la création d’une modalité innovante decoopération académique régionale etinternationale, de faciliter le transfert,l’échange et le partage de connaissancesentre institutions partout dans le monde,contribuant ainsi à réduire l’écart deconnaissances, d’encourager la solidaritéacadémique, d’aider à la création de Centresd’excellence dans les pays en développement,et de maîtriser le phénomène de l’exodedes compétences.

Du fait de l’ampleur de la demande émanantdes États membres et des institutionsd’enseignement supérieur de toutes lesrégions du monde, le nombre des demandeset des projets s’est accru rapidement.Aujourd’hui, 15 années plus tard, le réseauregroupe 661 chaires et réseaux inter-universitaires couvrant un large éventail dedisciplines et de domaines. Un engouement

qui témoigne du grand prestige qu’a puacquérir ce Réseau des chaires UNESCOauprès de la communauté universitairemondiale.

Une nouvelle approche stratégique duProgramme UNITWIN et chaires UNESCOest en perspective. Elle s’articule autour detrois grands axes, (i) la création d’unenouvelle génération de chaires conformesaux objectifs et priorités du programme del’UNESCO, (ii) le regroupement systématiquedes chaires en réseaux (réseaux de chaires)et création de réseaux dynamiques (réseauxde réseaux), et (iii) le passage des Centresd’excellence à des pôles d’excellences’inscrivant dans la dynamique de lacoopération Sud-Sud.

Une nouvelle génération de chairesUNESCO

(i) Sur les 661 chaires et réseaux existants,environ 450 seraient actuellement en activitéet les deux tiers seulement de ces dernièrescorrespondraient effectivement aux domainesprioritaires de l’UNESCO ou des NationsUnies. C’est compte tenu de ce fait que lanouvelle approche stratégique propose la

4) Le rôle et les défis des chaires UNESCO de philosophie

(20) Département de philosophie,Université de Makererehttp://arts.mak.ac.ug/phil.html

(21) Proposition du Directeurgénéral relative aux nouvellesorientations stratégiquesdu Programme UNITWIN/ChairesUNESCO, 176 EX/10, Conseil exécutifde l’UNESCO. Paris, 2007.www.unesco.org

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création d’une nouvelle génération de chairesqui soient durables et en mesure de contribueraux objectifs et priorités du programme del’UNESCO, ainsi que la suppression deschaires inactives. Par ailleurs, outre lesfonctions traditionnelles des chaires, quiont trait à l’enseignement, à la formation, àla recherche et à l’action en direction descommunautés, la nouvelle génération dechaires et réseaux UNESCO devra satisfaireà de nouveaux critères, notamment s’inscriredans un domaine prioritaire du programme,s’intégrer facilement à un réseau existantou se prêter à un regroupement systématiquedans des domaines prioritaires, fournir despreuves concrètes de durabilité, ou encoreavoir une dimension de coopération Nord-Sud et/ou Sud-Sud. Cette approche stra-tégique a pour vocation de contribuer àrenforcer l’interaction entre l’UNESCO et leschaires/réseaux en facilitant leur participationà la conception, à la mise en œuvre et àl’évaluation des programmes et des activitésde l’Organisation, à laquelle ils servironttout à la fois de groupes de réflexion et deposeurs de passerelles entre la recherche etla société civile et entre les chercheurs et lesdécideurs. Cette approche contribueraaussi à ralentir la croissance du nombre denouvelles chaires afin de privilégier la qualitésur la quantité, s’agissant notamment de lapertinence, du suivi et de l’impact desprojets. (ii) Cette stratégie comporte égale-ment l’idée qu’il faut regrouper en réseauxun certain nombre de chaires existantesrelevant de champs, de disciplines ou dedomaines prioritaires similaires. Le butétant de renforcer la coopération académique

interrégionale et internationale dans l’intérêtdes pays en développement. Ce regroupe-ment des chaires débouchera progressi-vement sur des réseaux interdisciplinairesplus fonctionnels et plus dynamiques.(iii) Enfin, dans le schéma initial, il était envisa-gé que les chaires UNESCO, en particuliercelles créées dans des pays en développe-ment, évolueraient progressivement pourdevenir des Centres d’excellence consa-crés à la formation et la recherche avan-cées dans des domaines clés du dévelop-pement durable. Or, l’expérience montreque des difficultés diverses, d’ordre finan-cier et humain, ont fait que seules quelqueschaires se sont résolument engagées danscette voie. À l’évidence, dans la plupart despays en développement, les institutionsn’ont ni les moyens ni la capacité d’at-teindre la masse critique nécessaire pourdes activités de recherche et de formationavancées. Une répartition transnationaledes tâches, reposant sur la coopérationrégionale et un solide appui international,est donc à la fois une nécessité et uneoccasion pour ces institutions de progres-ser. Le Programme UNITWIN et chairesUNESCO est un outil idéal pour atteindrecet objectif. C’est dans ce contexte qu’unetransition des centres vers les pôles d’excel-lence devrait constituer l’un des principauxaxes de l’orientation future du programme.

Les chaires UNESCO de philosophie, exis-tantes ou à créer, tendront à s’inscrire ainsidans cette dynamique et bénéficierontcertainement de cet élan encourageant.

CHAPITRE III

120

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

C’est d’abord un pôle d’excellence de laphilosophie vivante, appuyée sur une tra-dition dont la modernité n’est pas larépétition du même, mais l’invention dunouveau. C’est ensuite un lieu privilégiéde circulation d’enseignants, de cher-cheurs et d’étudiants de haut niveau,pour le partage des savoirs. C’est enfinune scène de libre expression du dissensus- à l’image de la démocratie -, qui acceptele pluralisme des références et des

écoles, cherche le dialogue au-delà detoutes les frontières, et requiert au nomdu droit à la philosophie la communautédes égaux dans le travail de la réflexionphilosophique.Une chaire UNESCO de philosophie, deson lieu naturel qui est l’Université, avocation de confronter la rigueur de laréflexion philosophique aux problèmesdu monde actuel, et de la rendre acces-sible au plus grand nombre, car elle est

un élément essentiel de la sensibilisationaux valeurs de la démocratie et à laculture de la paix.

Patrice VermerenProfesseur de philosophieà l’Université de Paris VIII, Directeur du Centre franco-argentinde Hautes études de l’Universitéde Buenos Aires(France/Argentine)

Encadré 30Qu’est-ce qu’une chaire UNESCO de philosophie ?

Un avenir prometteur

Afin de tirer le parti optimal des possibilitésoffertes par le Programme UNITWIN etchaires UNESCO dans tous les domaines decompétence de l’Organisation, et de mettreen œuvre l’approche stratégique décriteci-dessus, l’action de l’UNESCO s’emploieranotamment à renforcer le rôle consultatifde l’Organisation auprès des chaires/réseauxpour l’orientation des projets de recherche,les activités et les programmes de formation,ainsi qu’à renforcer la fonction de catalyseurde l’Organisation dans la promotion departenariats et de réseaux. Cette stratégies’attellera également à participer activement àla mobilisation des fonds et intervenir demanière plus systématique dans la collectede fonds extrabudgétaires, auprès du secteurprivé, en particulier, au service des projetsexécutés dans les pays en développementet les pays les moins avancés.

Enfin, cette nouvelle approche stratégiquede l’UNESCO tend à faire face au déséquilibregéographique croissant des chaires, et ceen faveur du Nord, d’où la nécessité d’unregroupement systématique des chaires enréseaux dynamiques, l’objectif étant d’accroîtrela coopération Nord-Sud et Sud-Sud.

À ce titre, il est important de souligner qu’àl’instar de ce qui précède, les chaires UNESCO de philosophie illustrent biencette conjoncture.

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CHAPITRE III

122

L’UNESCO répertorie aujourd’hui 11chaires de philosophie, et/ou d’éthique,selon l’intitulé choisi. Certaines d’entreelles témoignent d’une énergie et d’uneactivité rayonnante dans leur domainede prédilection, tandis que d’autres sem-blent moins actives et parfois mêmeabsentes du panorama de la rechercheuniversitaire internationale aujourd’hui,du moins dans ce qu’il ressort des infor-mations disponibles quant à leurs activi-tés annuelles.

1996.La Chaire UNESCO de philosophiede l’Université de Chili (Chili), a pourobjectif de repositionner et de rendrevisible la philosophie dans les dialoguessociaux du pays en incitant à la réflexioncritique sur les problèmes contempo-rains. Elle se propose également defavoriser les relations de communicationentre la philosophie issue du monde aca-démique et les pratiques de l'enseigne-ment de la philosophie dans l'espacescolaire. Pour ce faire, la Chaire projetted'élaborer et de mettre en œuvre undiplôme (Postítulo) destiné aux profes-seurs de philosophie de l’enseignementsecondaire, et entend promouvoir unprogramme de philosophie pour lesenfants, en formant des professeursd'éducation de base. Cette Chaire a éga-lement été un acteur important lors de lacélébration de la Journée mondiale de laphilosophie au Chili, en 2005.La Chaire UNESCO de philosophiede l'Université de Paris VIII (France),très active, s’engage pour une éduca-tion philosophique large et variée, enfocalisant son activité sur l’enseigne-ment et la recherche dans l’objectifd’une contribution au développement dela philosophie dans les pays en voie dedéveloppement comme dans les paysindustrialisés. Elle met en œuvre desactivités qui s’inscrivent dans la droiteligne de la Stratégie intersectorielle del’UNESCO concernant la philosophie,tout en concentrant ses efforts sur sathématique de prédilection qu’est la cul-ture et les institutions, comme entémoigne particulièrement son projet decréation d’une Université européenne dela culture. L’objectif de ce projet est depromouvoir l’espace d’une élaborationintellectuelle de la culture directementliée aux disciplines de la création artis-tique, littéraire et philosophique.La Chaire UNESCO en philosophiede la communication humaine, del'Université Technique de l'État del'Agriculture de Kharkiv (Ukraine), apour objectif de promouvoir et de déve-lopper la philosophie de la communica-

tion humaine, dans la perspective d’undialogue interculturel. Les activités decette Chaire se focalisent sur la diffusiondu savoir philosophique par ses publica-tions et le développement du partena-riat, dans l’espace d’une communautéphilosophique internationale. La Chaire UNESCO de philosophiede l'Université Simón Bolivar(Venezuela), a pour objectifs de pro-mouvoir des actions de perfectionne-ment et de recherche à l’attention del'équipe de recherche et d'enseignementchargée du programme doctoral enphilosophie.

1997.La Chaire UNESCO de philosophie,de l'Université de Tunis I (Tunisie),l’une des plus actives du Réseau deschaires, a pour objectif de promouvoir latolérance et la démocratie, à partir derecherches sur les différents apports dela culture scientifique et philosophiquearabe et islamique, vers l’explorationdes modes de constitution et d’usage dela raison, de son rapport avec les exi-gences de la vie moderne. Elle promeutégalement le dialogue interculturel enretravaillant, à partir du patrimoine philo-sophique arabe et à la lumière desacquis de la philosophie occidentale,quelques notions qui élaborent uneéthique du vivre ensemble démocratique.La Chaire UNESCO de philosophiede l’Université Hacettepe (Turquie)contribue grandement à la réflexionautour de la promotion des droits del’Homme en centrant ses activités derecherche, de formation, d’enseigne-ment et d’information sur la philosophieéthique et les droits de l’Homme. Cettechaire a été exemplaire notamment entermes d’élaboration de cours de forma-tion continue à l’attention du personnelde sécurité du pays. La Chaire UNESCO en philosophiede l’Université Nationale de Séoul,(République de Corée), développe lesactivités d’enseignement et derecherche en philosophie et démocratie.Elle encourage la collaboration interna-tionale entre chercheurs par la publica-tion d’une revue philosophiqueHumanitas Asiatica, qui diffuse lespoints de vue et les problématiques del’Asie actuelle. Elle a notamment joué unrôle crucial en faveur du dialogue philo-sophique interrégional entre l’Asie et leMonde arabe.

1998.La Chaire UNESCO d'éthique et poli-tique d’El Honorable Senado de la

Nación (Argentine), travaille dans le

but d'éclairer l'action législative et insti-tutionnelle dans le domaine de l'éthiqueet des politiques publiques. Elle organiseune réflexion et un débat interdiscipli-naires sur la dimension éthique et cultu-relle de la politique et du développe-ment, réunissant aussi bien des person-nalités du monde de la culture, de l'édu-cation, des sciences et des arts que despersonnalités représentatives du milieupolitique, économique et social.

1999.La Chaire UNESCO itinérante EdgarMorin sur la pensée complexe del'Université del Salvador (Argentine),a pour objectif la consolidation duréseau de recherche de la régionAmérique latine et Caraïbes sur le philo-sophe Edgar Morin et la pensée com-plexe, ainsi que de promouvoir l’ensei-gnement, la recherche, la documenta-tion à ce sujet. La Chaire UNESCO d'étude des fon-dements philosophiques de la justi-ce et de la société démocratique del'Université du Québec à Montréal(Canada), témoigne d’une grande viva-cité à travers les nombreuses activitésqu’elle met en oeuvre. En concentrantses recherches en philosophie politiqueet en philosophie du droit, cette Chaireréfléchit sur les questions théoriquesfondamentales qui émergent des muta-tions actuelles de la société, en particu-lier celles relatives à la discussion desprincipaux réquisits des droits démocra-tiques et de la reterritorialisation de l’es-pace socio-symbolique à l’heure de lamondialisation.

2001.La Chaire UNESCO de philosophiede l'Université Nationale deComahue et à l'Institut GinoGermani de l'Université de BuenosAires (Argentine), a pour objectifs depromouvoir un système intégré d’activi-tés de recherche, de formation, d’infor-mation et de documentation dans ledomaine de la philosophie, et notam-ment dans ceux de la philosophie dessciences et de la philosophie politique.Ainsi que de faciliter la collaborationentre philosophes, chercheurs de hautniveau et professeurs de renomméeinternationale des Universités et desautres institutions d’enseignement supé-rieur de l’Argentine et des pays dits « duCône sud » de l’Amérique latine .

Source : www.unesco.org

Encadré 31Les chaires UNESCO de philosophie à travers le monde

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

La diversité des pratiques d’enseignementuniversitaire de la philosophie dans lesdifférents pays relève moins des systèmesd’enseignement adoptés que des contenusvéhiculés par ces derniers. Contrairementau niveau secondaire, où l’organisation del’enseignement en termes d’heures etd’annuités détermine la nature et la qualitéde ces enseignements, dans les Universitésune très grande disparité des contenusproposés et la répartition des contenusphilosophiques sur plusieurs matières pri-ment sur l’organisation des enseignements.En dépit de nombreuses variations locales,deux subdivisions principales semblent separtager l’essentiel des curricula académiques.D’une part, le système nord-américainarticulé en undergraduate et graduate.D’autre part, le nouveau système européenqui s’articule dans la plupart des cas en troisniveaux que l’on peut résumer en Licence,Maîtrise - correspondant au niveauundergraduate - et niveau doctoral,correspondant aux graduate studies. Parailleurs, on retrouve dans plusieurs systèmesd’enseignement à travers le monde le systèmenord-américain répartissant les étudesundergraduate selon un système de matièresprincipales (majors) et subsidiaires (minors).

En ce qui concerne les méthodes employées,dans la plupart des pays l’enseignementuniversitaire se fonde sur l’articulation entrecours traditionnels et apprentissage enséminaire, selon des déclinaisons certeslocales (lecture des textes, présentation etdiscussion des travaux d’étudiants, stylesd’enseignement et obligations différentesdes participants), mais qui reflètent unestructure relativement homogène. Cettediversité institutionnelle et pédagogiquelimitée, unie à la présence presque généraliséedes enseignements philosophiques àl’échelle nationale, marque une différenceessentielle par rapport au niveau secondaire,où la qualité de l’enseignement philosophiquese révèle en premier lieu à travers l’orga-nisation de la scolarité. Des différences

spécifiques apparaissent néanmoins àl’échelle régionale voire nationale. Le plussouvent, ces différences sont dues auxmodalités historiques liées à l’introductionde la philosophie.

Caractères générauxde l’enseignementde la philosophiedans les régions du monde

Afrique.Malgré des difficultés croissantes, la présencede la philosophie y reste patente. Dans laplupart des pays, des enseignements sontimpartis au niveau universitaire. La plupartdes Universités africaines comportent unDépartement, un Centre ou un Institut axésur les études philosophiques. Cette présences’étend parfois au-delà de ce que l’onimaginerait et génère quelques confusionsentre l’enseignement de la philosophiecomme matière et la présence de diplômesde philosophie proposés au niveau supérieur.Le Questionnaire de l’UNESCO fait d’ailleursressortir cette contradiction. Un spécialisteougandais en philosophie contemporaineet éthique signale l’absence d’enseignementde la philosophie d’un côté et, de l’autre, ilrévèle que cet enseignement donne lieu àdes diplômes de premier cycle et deuxièmecycle, et qu’il est aussi présent dans deuxUniversité privées. Or, il existe bien desDépartements de philosophie en Ouganda.Dans la très réputée Université deMakerere, par exemple, il existe une spé-cialisation de Master en philosophie dans lecadre de la Faculty of Arts, articulée autourd’un Département de philosophie (l’un dessept de la Faculté) qui est aussi maîtred’œuvre des nouveaux Master of Arts (MA)en éthique et gestion publique et en droitsde l’Homme. De manière significative, leDépartement tient à marquer son autono-mie par rapport au Département d’étudesreligieuses. Dans les pays africains anglo-phones, la plupart des Instituts et desDépartements de philosophie se trouvent

III. Diversification et internationalisation des enseignementsphilosophiques

1) Pratiques et méthodes d’enseignement à travers les régions du monde

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dans des Facultés d’arts ou de scienceshumaines. Corrélativement, dans les paysfrancophones on les trouve dans desFacultés de lettres, de sciences de l’hommeet de la société, etc. Il n’est pas rare que descours de philosophie soient impartis au seinde Facultés de droit, de sciences écono-miques, de sciences sociales ou d’éducation.Plus rare semble y être la présence devéritables Centres de recherche et d’enseigne-ment en philosophie, presque toujours limitésaux Facultés humanistes. Une spécificitédes pays francophones d’Afrique résidedans le réseau des Écoles normales, présentesdans la presque totalité des pays et qui fontsouvent la part belle à l’enseignement dessciences humaines et de la philosophie. Ils’agit d’une ressource importante dans lecontexte de l’enseignement supérieur deces pays.

Là où des Départements de philosophiemanquent, on en déplore l’absence. Ainsi,deux réponses reçues du Burundi laissententrevoir un besoin accru de philosophie dela part des enseignants-chercheurs. Onremarque en effet l’absence d’un diplômeproprement philosophique, alors que,d’après ces témoignages, le cours d’in-troduction à la philosophie est enseignédans les premières années de toutes lesFacultés, et qu’on le trouve par la suite dansles Facultés de lettres, de droit et d’économie.Respectivement la logique pour les lettreset l’éthique fondamentale pour les autres.De plus, on signale que la philosophie estenseignée dans presque toutes lesUniversités et que sa présence est loin defaiblir « car il y a quelques années c’estcomme si [elle] n’existait pas ». Or, laFaculté des lettres et sciences humaines del’Université du Burundi s’articule en cinqDépartements (langues et littératuresafricaines, langue et littérature anglaises,langue et littérature françaises, géographieet histoire). L’enseignement de philosophies’inscrit dans le Département de langues etlittératures africaines.

Les témoignages réunis par l’UNESCOrévèlent un sentiment généralisé d’affaiblisse-ment de la philosophie à l’échelle conti-nentale. Ces réactions sont précieuses carelles offrent un aperçu sur la manière dontles enseignants-chercheurs vivent l’évolutionde leur discipline et la place que celle-ci

occupe dans les différentes sociétés africaines.Si les répondants du Burundi s’accordentpour affirmer que l’introduction de la philoso-phie dans l’enseignement universitaire estun fait récent, et qu’il y a donc lieu d’y voirun véritable progrès, d’autres tendancesplus inquiétantes se dégagent. D’abord onconstate, dans certains pays plus avancés,un redéploiement des ressources scientifiqueset universitaires au profit des sciencesappliquées et des recherches industrielles. Ilest question d’une politique scientifique,souvent fixée au niveau gouvernemental.Les témoignages d’Afrique du Sud fontétat d’un désenchantement croissant àl’égard de la philosophie, considéréecomme peu apte à contribuer au progrèséconomique et scientifique de leur pays. Lamême attitude peut être constatée auBotswana, en raison de la « tendanceactuelle à allouer des ressources à lascience et à la technologie », au Kenya, où« le souci de rentabilité et la manqued’emplois après l’obtention du diplômeuniversitaire conditionnent le choix dessujets étudiés », ou encore au Lesotho, oùl’on déplore un « manque de sponsors carles sciences humaines n’ont pas fait partiedes priorités du gouvernement au mêmetitre que les sciences exactes ». Depuis leNigéria, on évoque plus généralement un« manque de perception pour la valeur dela philosophie ». C’est comme si le développe-ment économique se faisait au détrimentde la philosophie – un phénomène que l’onretrouve dans d’autres régions du monde etqui représente l’un des axes possiblesd’intervention. Il convient également desouligner le manque de ressources documen-taires et humaines, criant dans la presquetotalité des pays d’Afrique. C’est un phéno-mène connu et qui affecte en particulier lesdisciplines à faible impact économique,comme la philosophie, qui souffrent duredéploiement des ressources vers d’autrespriorités. Un témoignage au Gabon dénon-ce les effets pervers d’une insuffisance struc-turelle d’enseignants unie à une faiblemotivation au niveau des élèves et desétudiants. Une « crise d’enseignants »observée également au Mali et au Niger,où l’on évoque la « précarisation du métierd’enseignant causée par la contractualisationde l’enseignement et l’absence de documen-tation ». En République centrafricaineoù l’« effritement des effectifs d’étudiants

CHAPITRE III

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(22) Comme le signalait MosesAkin Makinde, Professeurà l’Université Ife au Nigériaet ancien membre du Comitédirecteur de la FISP,dans une communicationprésentée au Congrès mondialde Boston, en 1998, « il ne fait pasde doute que l’exode des philosophesvers les pays occidentaux - en raisonde la mauvaise situation économiquedu pays d’origine et des départsen retraite comme des décès decertains professeurs de philosophie -,a un impact négatifsur les programmes universitaires.La conséquence de ce phénomènepeut s’avérer désastreuse pour laphilosophie en Afrique. En bref,il sera difficile, voire impossible,de former des étudiants de 3e cyclequi remplaceraient les anciensprofesseurs après leur départ enretraite ». Depuis, la situation n’aguère changé.

(23) Universités adventistesd’Antsirabé (Madagascar),d’Afrique Centrale à Mudende(Rwanda), de l’Afrique de l’Està Baraton (Kenya), de SomersetWest (Afrique du Sud), deCosendai (Cameroun) et d’autres.

à la Faculté » est imputé au « manque demotivation du corps enseignant » et àl’« insuffisance de la documentation ». Depuisle Sénégal, on évoque la difficulté deconcilier un grand nombre d’étudiants avecdes « infrastructures et des encadrementstrès insuffisants ». L’action d’agencesspécialisées dans le soutien à la recherche,telles l’Agence universitaire de laFrancophonie, mais aussi de nombreusesONG de coopération inter-universitaire,permet de pallier à cette pénurie demoyens mais les difficultés demeurent.

Autre point à mettre en avant : philosophieet politique ne vont pas toujours de pair. Untémoignage de Côte d’Ivoire invite à réfléchirsur le fait que « les espaces de rencontrephilosophique restent faibles » et que« seule l’organisation des Journées dephilosophie [de l’UNESCO] a donné lieu àdes débats publics ». On retrouve cettedemande d’une présence internationaleaccrue dans plusieurs pays d’Afrique, quece soit au niveau de l’enseignement, de larecherche ou des modalités de coopérationsavante à l’échelle régionale et internationale.La présence d’institutions internationalesest vue en effet comme un moyen d’obtenirdes aides à la recherche mais aussi, et parfoissurtout, comme un gage de liberté d’expres-sion et de débats publics. « C’est dans cetteaction de soutien à la liberté d’expressionphilosophique que peut se situer l’action del’UNESCO ». Certes, on parle ici d’aide à larecherche plutôt qu’à l’enseignement.Cependant, les deux niveaux ne peuventêtre dissociés car c’est en agissant sur laformation et les pratiques des enseignants-chercheurs que l’on produira des effets auniveau de l’enseignement universitaire, dela formation des enseignants du secondaireet de l’éducation des élèves dans les écoles.Ce dernier problème renvoie à l’exode dechercheurs africains vers les Universitéseuropéennes et surtout nord-américaines -et à terme, sans doute, chinoises -, quiappauvrit considérablement l’attrait de lacommunauté académique sur les jeunesétudiants du continent africain.(22)

Comment former un nombre suffisant dephilosophes pour assurer la continuité lors-qu’on doit agir dans le cadre d’un ensei-gnement limité ? Si la transmission de lapratique philosophique entre le Maître et

ses élèves reste l’échine de la continuitéphilosophique, des réactions venant duRwanda fournissent peut-être quelqueséléments de réponse. Ici, des cours d’in-troduction à la philosophie sont impartis enpremière année de la plupart des Facultés.Il faut remarquer toutefois que l’ensei-gnement de la philosophie est en train defaiblir « au profit des sciences appliquées etdes sciences naturelles » et que l’on privilégie« le cours d’éthique et culture rwandaise,pour des motifs politiques ». Mais d’autrespays africains partagent une particularité, àsavoir que ce sont « surtout les institutionssupérieures qui forment les prêtres et lespasteurs qui enseignent obligatoirement laphilosophie ». Si la plupart de ces établisse-ments se sont installés au Rwanda après1994, dans le cadre d’une reconstruction dusystème d’enseignement supérieur du pays,la présence de la philosophie dans lesétablissements confessionnels traversel’ensemble du continent. Il conviendraitd’en citer quelques-uns en ordre épars :l’Université Catholique d’Afrique Centralede Yaoundé (Cameroun) - gouvernée parun corps d’évêques du Cameroun, deRépublique centrafricaine, du Congo, duGabon, de Guinée équatoriale et du Tchad -,l’Université Catholique de l’Afrique del’Ouest (Côte d’Ivoire), l’Institut Catholiquede Madagascar (Madagascar), ou encoreles Universités adventistes présentes à traversle continent(23). Des témoignages envoyéspar plusieurs philosophes du Malawi enréponse au Questionnaire concordent sur lefait que l’enseignement de la philosophieest imparti dans plusieurs « séminairescatholiques » (catholic colleges) et « en cemoment, seulement dans les écoles mis-sionnaires (missionary schools), comme lesséminaires et deux Universités de l’Église(church universities) ». Depuis le mêmepays, on signale que « certains colleges noncatholiques ne permettent pas l’ensei-gnement de la philosophie ».

À un autre niveau, on signale depuis leKenya que « combiner la philosophie, lathéologie et les études de religion dans lesUniversités publiques a privé l’enseignementde la philosophie de quelques heures decours », alors qu’un autre spécialiste dumême pays insiste sur le fait que l’ensei-gnement de la philosophie est « limité etconfiné à l’Université et aux institutions

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théologiques ». En Ouganda, on considè-re que l’enseignement de la philosophie «est mal compris, en tant que religion etéthique, et est vu comme étant le monopo-le de la Clergie, pour laquelle les perspec-tives de carrière sont limitées à l’enseigne-ment »- ce qui peut paraître excessif - mais renvoieà un climat culturel parfois ignoré. Enfin, auSwaziland, il existe un module dePhilosophie politique avancée, en 4e annéedu cours de science politique de la Facultéde sciences sociales de l’Université duSwaziland.

Bien que dominante, la perception d’undéclin progressif de la philosophie enAfrique ne saurait épuiser la diversité dessituations locales. Quelques situationsallant à contre-courant se dégagent. Outrele cas du Burundi, déjà évoqué, et duRwanda, où les avis sont plutôt partagés,plusieurs experts, philosophes et fonc-tionnaires de Madagascar s’accordentpour ne voir aucun affaiblissement despratiques actuelles d’enseignement de laphilosophie. Le tableau qu’ils dressent estvarié. On fait remarquer que les inscritsdans la filière Philosophie ont augmenté etque de plus en plus d’étudiants s’inscriventau Département de philosophie, surtout enraison de l’attraction accrue des Universitésmalgaches sur les étudiants étrangers (desComores). Ensuite, on signale la mise enplace de nouvelles formations et notammentl’ouverture des formations doctorales enphilosophie.(24) Le Questionnaire rapporteaussi un renforcement des relationsinter-universitaires. On peut ici imaginerque l’on se réfère à la mise en commun,toujours à Madagascar, d’une École doctoraleen philosophie entre Toliara et Toamasina,ainsi qu’aux échanges avec l’étranger etnotamment avec des institutions réunion-naises, canadiennes et de France métropolitai-ne. En Éthiopie, l’Université d’Addis Abebacompte inaugurer au sein de sonDépartement de philosophie un programmegraduate en philosophie. On signaleégalement la demande croissante d’enseigne-ments philosophiques venant d’autresDépartements, ce qui représente unetendance à peu près universelle. AuBotswana, on signale une tentative d’établirune unité de philosophie au sein duDépartement de théologie et d’études de la

religion, qui offrirait un programme dephilosophie et éventuellement un Masterof Arts (MA) et un Doctorat, tout en faisantremarquer que « le processus est trop lent ».De même qu’en Namibie, où la philosophieest enseignée dans le supérieur au sein duDépartement de théologie de l’Universitéde Namibie. La situation apparaît pluscomplexe au Malawi. Les réactions auQuestionnaire renvoient en effet un contex-te nuancé, où l’on se félicite d’une partque « des cours ont été ajoutés au curri-culum et que d’anciens cours ont été mis àjour » tandis que, d’autre part, on consta-te un « manque d’expertise et d’ou-vrages dans la discipline, un manque decapacités en termes de personnel qualifié, lefait que peu de personnes apprécient le rôlede la philosophie et que, par conséquent, iln’y a pas beaucoup d’étudiants qui s’ins-crivent au cours ». Un autre répondantvient compléter cette information demanière à permettre d’en comprendretoute la complexité, « certains Départementsdans la Faculté se sentent menacés euégard au taux d’inscription en philosophiequi sont élevés tous les ans. Ils interviennentauprès du bureau du Doyen afin de limiterle nombre de cours donnés dans leDépartement de philosophie, prétendantqu’ils ne sont pas suffisamment pratiquespour permettre de gagner sa vie une fois lediplôme obtenu ». Or, il existe bien des étudesdoctorales en philosophie, venues compléterdepuis quelques années le diplôme deBachelor of Arts (BA) auquel se limitaitauparavant le curriculum philosophique. LeDépartement de philosophie de l’Universitédu Malawi est bien armé pour cette tripleformation (BA, MA et Doctorat), et la pré-sentation en ligne de ses enseignementsrevêt le plus grand intérêt(25). La situation estdonc en train d’évoluer, et l’on constateque des efforts sont accomplis pour remédierà des carences structurales importantes,freinant l’enseignement et la recherchephilosophiques. Il convient de terminer parla formule d’un enseignant de Côted’Ivoire qui synthétise les différentes pré-occupations semblant traverser les com-munautés philosophiques africaines :« La grande faiblesse de l’enseignement dela philosophie se situe essentiellement àtrois niveaux. D’abord, la documentationest inexistante. À l’Université comme dansles lycées, il y a un grand manque d’ouvrages.

(24) Ces doctorats en philosophiesont actifs à l’Universitéd’Antananarivo, à l’École NormaleSupérieure de Toliara, à l’InstitutCatholique de Madagascaret à l’Université de Toamasina,tandis que l’Université NordMadagascar à Antsirananaarrête ses diplômes de philosophieau deuxième cycle.

(25) www.chanco.unima.mw/philosophy/

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

De cette façon, les formateurs tout commeceux qui les ont formés ne peuvent sedocumenter et informer leurs étudiants etleurs élèves sur les derniers développementsde cette discipline. Ensuite, les enseignantsdes Universités n’effectuent pas de voyagesd’études et ne participent pas à des colloqueset à des séminaires hors de leur pays d’origine,faute de moyens. Il s’ensuit une répétitionde vieux cours qui ne participent aucunementà la formation des formateurs. Enfin, il y aaussi le fait que le manque de débouchés àl’issue d’études en philosophie participe decet affaiblissement ».

Asie et pacifique.Si en Afrique l’introduction de la philosophies’est souvent modelée sur les systèmes etles réseaux éducatifs européens, en Asie lerapport entre cultures locales et philosophie- en tant qu’émanation de l’esprit occidental -a été en l’occurrence plus complexe.

L’enseignement de la philosophie en Asiede l’Est requiert d’emblée une précisionconcernant l’intégration de cette disciplineaux structures culturelles traditionnelles deces pays. La philosophie a été, dans laplupart des cas, associée au processus demodernisation et, indirectement, d’occi-dentalisation qu’ont connu les sociétésasiatiques entre la fin du XIXe siècle et lapremière moitié du XXe. De ce point de vue,elle a représenté l’enjeu de projets politiquesdifférents où s’affrontaient traditionalisteset modernisateurs - un clivage qui a traverséun certain nombre de sociétés asiatiques.Ce contraste a souvent conduit à privilégierles volets pratiques de la philosophie (éthique,philosophie politique et, aujourd’hui, éthiqueenvironnementale, bioéthique, philosophiessociales, etc.), au détriment des disciplinesplus théoriques qui caractérisaient la penséephilosophique en Occident (théorie de laconnaissance, philosophie transcendantale,etc.).(26) Ce phénomène, que l’on observeencore aujourd’hui dans les Départementsde philosophie de maintes Universitésasiatiques, a eu pour effet complémentaire,et peut-être inattendu, le mariage de laréflexion philosophique avec les savoirstraditionnels. D’une part, ces enseignementsphilosophiques à caractère pratique, détachésde leurs fondements théoriques, ont progres-sivement trouvé une nouvelle assise dansune épistémologie émanant de la pensée

traditionnelle. On peut le constater à traversles différentes formes de contaminationentre disciplines pratiques (philosophiesociale, théorie politique) et confucianisme,taoïsme ou autres formes de spiritualitétraditionnelle que l’on observe dans lestravaux de chercheurs asiatiques. Cetteintégration théorique est aujourd’hui prônéeau nom de l’intégration entre traditions etparadigmes culturels différents et véhiculedes enjeux sociaux, culturels et politiquesnon négligeables. D’autre part, on constateune appropriation du terme « philosophie »par ces formes traditionnelles de cultureque l’engouement pour la philosophiepratique et occidentale voulait combattre.D’où la redécouverte et la présence massi-ve de philosophies « traditionnelles »,qui prolongent les conceptions morales etles systèmes de valeurs préexistant à l’in-troduction de l’enseignement philoso-phique. Une simple analyse des candida-tures à des bourses de recherche euro-péennes des étudiants chinois montre bience désir de développer des projets visant àmettre en présence une approche tradition-nelle de la philosophie avec la rationalitéanalytique que l’on prête à la réflexion occi-dentale. Des situations, donc, fort com-plexes et qui empêchent toute généralisa-tion quant au rôle et à la fonction sociale dela philosophie.

En termes généraux, l’établissement desmatières philosophiques dans les curriculauniversitaires remonte dans la plupart descas à la seconde moitié du XXe siècle.Aujourd’hui, la plupart des pays d’Asieproposent des formations doctorales enphilosophie. Des Départements de philo-sophie sont présents dans presque toutesles Facultés de sciences humaines et/ousociales de la région. Le Questionnaire del’UNESCO confirme la perception de cetteprésence importante de la philosophie,mais renvoie aussi une image ternie de laconsidération sociale dont elle jouit. Ungrand nombre de témoignages déplorenten effet une perte de vitesse de l’ensei-gnement de la philosophie par rapport auxdisciplines techniques et aux sciencesappliquées. Du Japon aux Philippines, leschercheurs constatent « qu’un nombregrandissant d’étudiants veulent choisir descours de sciences et des qualificationspratiques » et insistent sur le fait que

(26) Voir dans cette partie le casde la République de Corée.

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« l’accent mis sur les sciences a conduit àune marginalisation de la philosophie et àune spécialisation des disciplines. La situa-tion apparaît fort complexe et doit êtrenuancée. Un spécialiste thaïlandais de phi-losophie chinoise signale que le programmede philosophie ne permettant pas de« gagner d’argent », « la discipline n’estpas très populaire ». Pourtant, la Thaïlandecompte avec l’une des principales écoles delogique et de philosophie des sciencesd’Asie et un très prestigieux programme dedoctorat en philosophie est proposé parl’Université Chulalongkorn. En Républiquede Corée, des enseignants-chercheursdénoncent le « desserrage de l'intérêt pourla philosophie » et le fait que « depuis peu,les étudiants ont tendance à prendre descours dans les disciplines plus pratiques ».

L’écart entre la perception du rôle social dela philosophie et l’étendue de son enseigne-ment, que l’on retrouvera par ailleurs dansplusieurs régions du monde occidental,reflète un trait caractéristique de la présencede la philosophie en Asie. La fonctionrénovatrice qu’elle a exercée historiquementdans les différents pays d’Asie sembleaujourd’hui supplantée par d’autres modalitésd’innovation technique et scientifique. End’autres termes, si la présence des enseigne-ments de la philosophie apparaît sommetoute satisfaisante dans les établissementssupérieurs des pays d’Asie, l’image socialede la philosophie a évoluée. Elle sembleêtre de moins en moins considérée commele vecteur culturel de la modernisation - unrôle de plus en plus accaparé par les disciplinestechniques - pour au contraire venirappuyer une reprise des traditions culturellesou, dans d’autres cas, se « normaliser » ausein des Départements universitaires et deleurs pratiques d’enseignement. Avecquelques nuances pourtant, dès lors quedes témoignages du Cambodge et deRépublique démocratique populairelao coïncident quant à un affaiblissementsubstantiel en raison du « manque deprofesseurs en philosophie qualifiés et dematériels d’enseignement ».

Le rapport complexe entre réflexion philoso-phique et savoirs traditionnels est au cœurde l’enseignement de la philosophie enInde, un pays qui à lui seul exigerait untravail à part(27). Évoquons simplement lesnombreux Centres universitaires délivrant

des diplômes en philosophie à travers lepays, dont certains d’excellent niveau dansdes lieux inédits, tels que Goa ouDarjeeling, ce qui fait de la communautéphilosophique indienne l’une des toutespremières au monde en termes quantitatifs.L’Inde est aussi le seul pays au monde, ànotre connaissance, à s’être doté d’unIndian Council of Philosophical Research(27),un organisme de soutien à la recherchephilosophique qui joue depuis des annéesun rôle éminent dans le développement desétudes à l’échelle nationale et qui a contribuéde manière considérable à l’ouvertureinternationale de la communauté philo-sophique indienne au cours des dernièresannées.

La situation semble à peine différente enAsie centrale, où la vague d’intérêt pourl’éducation philosophique qui avaitaccompagné le processus de constructiondes identités nationales semble se prolonger.Une épistémologue du Kirghizistan nevoit pas faiblir l’enseignement de la phi-losophie et se réjouit du fait que « descours de philosophie soient enseignés danstoutes les Universités et les autres institutionsd’éducation supérieure pour tous lesétudiants en première année et autres ».Néanmoins, quelques changements ontbien eu lieu. Si au milieu des années 1990,l’un des axes prioritaires d’action de la FISPconsistait à prôner la diffusion de la penséephilosophique pour contrer les pousséesconfessionnelles successives à la désinté-gration de l’Union Soviétique, aujourd’huiles académies des pays d’Asie centralesemblent davantage axées sur une réflexionpolitico-culturelle visant à renforcer laconstruction sociale et mémoriale de leursidentités. C’est dans ce contexte que, parexemple, la Faculté de philosophie del’Université Nationale d’Ouzbékistan réunitdes enseignements de sociologie, desciences politiques, de psychologie et depédagogie. En République islamiqued’Iran, des cours d’introduction à la philoso-phie islamique sont obligatoires danstoutes les Facultés. Il faut noter enfin unphénomène caractéristique de la plupartdes pays de l’Asie, à savoir l’achèvement dela formation professionnelle par un séjourde spécialisation (niveau doctoral ou post-doctoral) à l’étranger, le plus souvent auxÉtats-Unis d’Amérique ou en Europe occi-dentale. Cette tendance est en train de(27) http://icpr.nic.in

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

connaître un revirement dans le cas de laChine, qui a même mis en place une agen-ce publique visant à rapatrier les chercheurs àl’étranger, mais reste largement pratiqué.Enfin, au Pakistan, la philosophie estenseignée dans le supérieur, notamment àl’Université Punjab de Lahore, à l’Universitéde Karachi et à l’Université de Peshawar. Ellespréparent entre autres au doctorat en philo-sophie occidentale et islamique. Quant àPalaos, la philosophie est enseignée dans lesupérieur sous forme d’un cours d’introduc-tion à la philosophie et à la religion auPalau Community College.

Même si, en Australie et en Nouvelle-Zélande, des diplômes en philosophie sontproposés dans la presque totalité desUniversités, il faut souligner au moins deux

aspects propres à ces pays. D’abord, laforce d’attraction que leur politique derecrutement est en train d’exercer à l’échel-le internationale. Aujourd’hui, l’Australieet, en moindre mesure peut-être mais toutaussi sûrement, la Nouvelle-Zélande présen-tent d’excellentes possibilités de carrière aca-démique. Il est certain que ce marché dutravail est largement occupé par de jeunesphilosophes locaux, mais aussi américains,canadiens, indiens ou britanniques. Unepart croissante des jeunes européens titu-laires d’un doctorat en philosophie est égale-ment en train de se tourner vers l’Australiepour obtenir une première affectation uni-versitaire. Par ailleurs, la multiplication deréunions internationales en Australie et laprésence de plus en plus visible de cher-cheurs de cette région dans les échanges

Depuis l’indépendance de l’Inde, il y a euune demande persistante de la part desintellectuels du pays, exprimée dansdifférents fora professionnels philoso-phiques et non philosophiques, de revoirles systèmes anciens et modernes,dans la perspective de les évaluer et dedériver des nouvelles lignes d’objectifspour les conditions changeantes de nosjours. Il semble qu’il y ait une pousséeclaire vers l'apparition d'une identitéindienne indépendante en philosophie.Il y a eu le sentiment d’une nécessitéurgente sur des niveaux différents pourrenforcer la recherche et les études dephilosophie en Inde. Au milieu desannées 1970, une équipe d’universitairesa mené une étude détaillée sur laquestion liée à la revitalisation de latradition indienne de philosopher et asuggéré que le Gouvernement fonde unConseil indien pour la recherche philoso-phique (Indian Council of PhilosophicalResearch, ICPR). En 1976, l’idée debase pour l’ICPR a été acceptée et en1977 le Conseil a été enregistré.Néanmoins, il est devenu actif seulementen 1981, sous la présidence du professeurD.P. Chattopadyaya.Les fonctions principales de l’ICPR sont,inter alia, de faire une revue sur l’avan-cement de la recherche en philosophie, decoordonner les activités de rechercheen philosophie et d’encourager lesprogrammes de recherche interdisci-plinaire, de promouvoir la collaborationdans le domaine de la recherche entrephilosophes et institutions indiens et

ceux d’autres pays, de promouvoirl’enseignement et la recherche en philoso-phie, de fournir assistance technique ouconseils pour la formulation de projetset de programmes de recherche enphilosophie et/ou d’organiser et desoutenir des initiatives pour la formationà la méthodologie de recherche. LeConseil a également pour objectifsd’indiquer les domaines dans lesquels larecherche philosophique devrait êtrefavorisée et de prendre des mesuresspécifiques pour son développementdans les domaines de la philosophienégligés ou peu développés, d’accorderdes allocations pour la publication debrochures, de journaux, de revues etd’études du domaine de la philosophieet d’entreprendre leur publication. Ilsoutient aussi l’instauration et l’administra-tion de bourses et de prix pour étudiants,enseignants et autres, le développementde services de documentation et lapréparation d’un inventaire de la rechercheactuelle en philosophie ainsi qu’une basede données nationale de philosophes.Le Conseil entend de plus développer ungroupe de jeunes philosophes talentueuxet encourager les recherches des jeunesphilosophes en général, et de conseiller,à sa demande, le Gouvernement del’Inde sur les questions touchant àl’enseignement et à la recherche enphilosophie. En vertu de ces considérations, leConseil a formulé des champs prioritairespour la recherche, tels que théories devérité et du savoir, valeurs de la culture

indienne et leur pertinence pour unereconstruction nationale, questionsnormatives, philosophie de l’Homme etde l’environnement, philosophie socialeet politique, philosophie du droit, logique,philosophie du langage, études critiqueset comparées des systèmes ou desmouvements philosophiques et desreligions, philosophie de l’éducation,etc. L’ICPR entreprend des activités nom-breuses. Il décerne des bourses derecherche, organise des colloques surdes thèmes philosophiques différents, desconférences de philosophes éminents del’Inde et d’ailleurs. Il accorde desbourses de voyage pour la participa-tion des philosophes aux colloques etaux conférences à l’étranger, organiseune compétition annuelle pour les jeuneschercheurs, âgés de 20 à 25 ans, afinde les encourager à une réflexion cri-tique et philosophique touchant auxdéfis de l’Inde. L’ICPR gère aussi un pro-gramme d’échange entre l’Inde etd’autres pays afin de faciliter la circula-tion des idées entre philosophes. Ilpublie un journal trimestriel, lesœuvres philosophiques des universi-taires et des chercheurs qui travaillentauprès du Conseil, ainsi que des édi-tions critiques contenant une interpréta-tion créative des textes classiquesindiens, etc.

Source : http://icpr.nic.in

Encadré 32Structure inédite pour le soutien à la recherche philosophique en Inde

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académiques internationaux renforcent latendance de ces pays austraux à devenirdes Centres importants de la recherche enphilosophie. Le taux relativement faible d’ins-criptions d’étudiants australiens en optionphilosophie semble par ailleurs profiter à laqualité des enseignements et contribuer àcréer un milieu de travail fort agréable. Ceciexplique aussi la présence croissante dechercheurs et d’étudiants venant d’autrespays d’Asie dans les Universités austra-liennes. De plus, les spécialistes néo-zélandais soulignent l’existence de « projetsde recherche coopératifs entre les Universités » etd’une « association de philosophie très activequi organise fréquemment des confé-rences»(28). Il faudrait enfin remarquer quel’enseignement de la philosophie sembleabsent des principaux établissementsd’enseignement des îles océaniennes,que ce soit l’Université du Pacifique Sud,l’Université des Samoa ou l’Université de laPolynésie française. Un enseignement dephilosophie de l’éducation est seulementactif à l’Université de Nouvelle-Calédonie.

Europe et Amérique du Nord. On assiste en Europe à un double phéno-mène. D’une part, on dénonce les méfaitsd’une Université de masse, où le rapportentre enseignants et élèves se raréfie tantau niveau de l’enseignement qu’au niveaudes procédures d’évaluation. Ce rapportsemble ne se nouer véritablement qu’entoute fin du cycle d’études, voire au niveaudu cycle doctoral. Ce qui revient à dire quec’est au moment où l’apprentissagecommence à se transformer en rechercheque la plupart des élèves peut commencerà compter sur un suivi de près. Le rapportétudiant-professeur reste de la sorte soumis àl’inclusion des premiers dans un parcoursde recherche, au détriment de la fonctionplus immédiatement pédagogique du corpsprofessoral (enseignants, assistants, chargésde cours…). Ce phénomène, commun à lapresque totalité des pays européens, afavorisé la multiplication d’établissementsuniversitaires décentrés, où un nombreréduit d’étudiants permettrait d’instaurerdès les premières années un rapport plusdirect avec leurs enseignants. LesUniversités de petite capacité représententaujourd’hui, avec les écoles d’excellence(Écoles normales, Universités pratiquant lenumerus clausus dans les Facultés de lettres),

des Centres souvent favorables à des suivispédagogiques personnalisés. D’autre part,le Questionnaire de l’UNESCO fait émergerun désarroi généralisé à l’égard de la dimi-nution du nombre d’inscriptions en philo-sophie. Bien que ce phénomène ne soit pascommun à tous les pays, là où il est effec-tif, les enseignants y voient moins une oppor-tunité d’améliorer leur pratique d’enseigne-ment que le signe d’un désenchantementsocial à l’égard de la philosophie. Ainsi, enEspagne on constate moins d’effectifscolaire, au Portugal les témoignagesévoquent moins d’étudiants et que, malgréla création dans les dernières années dedeux nouveaux cours universitaires dephilosophie, le nombre des élèves a diminué.Un enseignant de Suède déplore que « lesgrandes coupures budgétaires effectuéespar le gouvernement au détriment desUniversités ont conduit à affaiblir l’éducationet à la rendre de moindre qualité, d’où laprésence de moins d’étudiants et de moinsde cours de philosophie ». Ces inquiétudesne sont pas toujours en phase avec lesdonnées réelles. Plusieurs répondants deFrance au Questionnaire regrettent qu’il yait aujourd’hui moins d’étudiants, moinsd’intérêt pour la philosophie ou du moinspour la façon dont elle est souvent enseignée.Or, la formation en Licence de philosophiede l’Université de Paris 1 reste l’une destoutes premières formations de France entermes de nombre d’étudiants. Cettediminution des effectifs étudiants est aussisignalée depuis l’Italie, au profit de la« croissance des sciences sociales et dessciences de la communication », aumoment même où les statistiques et lapresse nationale s’inquiètent d’un excèsd’étudiants en philosophie, lettres etsciences humaines. Il est vrai que le phé-nomène des étudiants « de longue durée »afflige particulièrement l’Italie, où l’âgemoyen d’obtention d’une Maîtrise enphilosophie a été de 26 ans en 2005 et de29 ans pour les étudiants inscrits avant laréforme de 2000.

Deux correspondants d’Allemagne signalentun danger réel qu’est en train de courirl’enseignement de la philosophie dans laplupart des pays d’Europe. Si l’un d’entreeux rapporte que l’« on supprime des postesde professeurs en raison de mesuresd’économie » et que dans « quelques

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(28) Il existe, à ce propos, un portailde ressources philosophiques néo-zélandaises, à l’adresse Webwww.zeroland.co.nz

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Universités, la philosophie a perdu 30% desenseignants », un autre affirme qu’« il y aune réduction considérable de personnelenseignant en philosophie suite à une poli-tique de réduction des ressources financièresdes Universités. Limiter l’enseignement dela philosophie n’est probablement pas lebut principal des décideurs politiques. Or,c’est le résultat de leurs décisions et ils nesemblent pas se sentir incommodes à cesujet ». Ces différentes impressions de ter-rain doivent être comprises dans lecontexte du processus d’uniformisation dessystèmes d’enseignement supérieur encours à l’heure actuelle en Europe (proces-sus Sorbonne-Bologne). L’Université euro-péenne est en effet en train de se doter,bon gré mal gré, d’un système universitairehomogène. C’est dans le cadre de cettenouvelle organisation de l’enseignementqu’il faut considérer la présence des ensei-gnements de philosophie. La situation restecependant extrêmement articulée en raisonde l’autonomie dont jouissent les établisse-ments universitaires au moment de fixerleurs curricula. De plus, le système des cré-dits, ramenant les curricula à leurs unitésfondamentales, a contribué considérable-ment à augmenter la diversité des matièresimparties. Faute de pouvoir détailler les dif-férents cas de figure au cas par cas, on peutdévelopper quelques considérations à partirdes réactions recueillies par le Questionnaire.Elles permettent de mettre en évidencequelques préoccupations communes àl’ensemble des enseignants-chercheursconsultés. Ces réactions montrent un soucigénéralisé pour le rôle que peut jouerl’enseignement de la philosophie dans lessociétés d’aujourd’hui. En Belgique, on seréjouit du fait qu’à Antwerpen on a récem-ment introduit le 2ème cycle en Philosophie,mais on soulève également le problème descontenus des enseignements philoso-phiques, axés pour l’essentiel sur la penséephilosophique occidentale. Un chercheur

de Croatie voit un signe positif dans le faitque dans ce pays plusieurs nouvellesUniversités ont été établies récemment etqu’elles ont toutes une Faculté de philoso-phie et des arts et, par conséquent, desDépartements de philosophie. LeQuestionnaire fait état d’un intérêt grandis-sant pour la philosophie en Grèce, un paysqui souffre (paradoxalement !) d’un déficithistorique en termes d’enseignements uni-versitaires de la philosophie. Cet optimismeest partagé par un correspondant desPays-Bas, pour qui « les Facultés de philo-sophie sont vues en tant que « Facultés-clé »au sein des Universités néerlandaises - ainsiles chances qu’elles soient fermées sontminimes ». En Irlande, on signale enrevanche « un plus grand accent sur lessciences dites dures, pour raison de pragma-tisme économique ». En effet, une tendan-ce qui semble accompagner la mise enœuvre de la réforme universitaire européen-ne consiste à privilégier une orientationprofessionnelle au cours des deux premierscycles. Plusieurs chercheurs allemands ontl’impression que « la prétendue reforme desUniversités allemandes privilégie l'éducationen technologie et en sciences naturelles »et insistent sur le fait que « pour des raisonséconomiques il y a moins de Départementsde philosophie. En Allemagne, la philoso-phie risque d´être marginalisée a cause dela priorité accordée au “output écono-mique” par la politique ». C’est ce qu’ex-prime un professeur universitaire lorsqu’ilévoque « une connaissance inadéquate de lavaleur de la philosophie » et qu’un autrenote qu’« en raison de l'approvisionne-ment financier décroissant, beaucoupd’emplois au niveau des professeurs etdes maîtres de conférence ont été per-dus ». Un témoignage paraît synthétisersous une formule ambiguë le sens de cetteperception diffuse à l’échelle européenne« Le déclin a été significatif, mais pas drama-tique », écrit-on.

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CHAPITRE III

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Le modèle préconisé par le processusde Bologne, et que plusieurs réformesuniversitaires sont en train d’instaurerdans les différents pays, s’articule endeux cycles d’études, l’un plus généralet le deuxième plus spécialisé, suivisd’un niveau doctoral reconnu à l’échelleeuropéenne. Bien que la plupart despays soient en train de le mettre enœuvre, ce modèle se décline selon desspécificités qui varient de pays à pays etqui concernent notamment le nombred’annuités des deux premiers cycles :3+2 en Italie, 4+2 en Espagne, 3 ou 4ans plus une ou deux années de Masterau Royaume-Uni, et ainsi de suite. C’estnotamment l’articulation entre les deuxpremiers cycles et le Master qui marquedes différences. Ainsi, la Réforme LMD(Licence-Master-Doctorat) en Franceprévoit une Licence en 3 ans, suivie dedeux années de Master et de troisannées de Doctorat, tandis que la réfor-me italienne a introduit deux niveaux deLicence (3+2) suivis d’une année deMaster et de trois années d’études doc-torales. Pour obvier à ces différencesimportantes au sein d’un modèle com-mun, une unité de mesure commune a

été introduite dès 1998 sous le nom deSystème européen de transfert et d’ac-cumulation de crédits (ECTS), un outil decalcul quantitatif géré au niveau dechaque établissement dans le cadre duprincipe de l’autonomie universitaire.Le principe fondamental de ce systèmeconsiste à remplacer les annuités ou lessemestres par les heures de travailcomme unités de mesure de la forma-tion universitaire. Un crédit corres-pond à 25/30 heures de travail et uneannée à 60 crédits. Il définit donc uneannée de formation en termes denombre d’heures de travail, quelle quesoit la durée effective de l’année et lenombre d’heures hebdomadaires d’ensei-gnement. Cela ne règle pas tous lesproblèmes liés à la spécificité dessystèmes universitaires (que l’on pensepar exemple aux difficultés d’intégrerdans le nouveau système les années depréparations aux grandes écoles enFrance), mais a permis de créer tout demême un espace européen de l’enseigne-ment supérieur. Plus de quarante pays sont aujourd’huiimpliqués dans ce processus d’unifor-misation de l’enseignement supérieur.

Parmi eux, l’Albanie, l’Allemagne,Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan,la Belgique, la Bosnie-Herzégovine,la Bulgarie, Chypre, la Croatie,le Danemark, l’Espagne, l’Estonie,la Fédération de Russie, la Finlande,la France, la Géorgie, la Grèce,la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie,la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg,la Macédoine, Malte, le Monténégro,la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne,le Portugal, la République de Moldova,la République tchèque, la Roumanie,le Royaume-Uni, le Saint Siège, la Serbie,la Slovaquie, la Slovénie, la Suède,la Suisse, la Turquie et l’Ukraine. Mais lesuccès de la réforme, et en particulierdu système ECTS, semble dépasser lesfrontières de l’espace européen. Il est entrain de devenir un standard de référenceà l’échelle internationale et on le retrou-ve dans plusieurs pays à travers lemonde, d’Afrique jusqu’à l’Australie.

Luca Maria Scarantino,Secrétaire général adjoint, Conseil international de la philosophieet des sciences humaines (CIPSH)

Encadré 33Le Processus de Bologne ou la construction d’un espace européen de l'enseignement supérieur

Le cas de la Turquie présente des motifsspécifiques d’intérêt. En termes généraux, ilexiste une perception diffuse d’un can-tonnement de la philosophie auxDépartements spécialisés, et d’un nombreréduit d’interactions avec les autresenseignements. Toutefois, il existe unetendance, due essentiellement à l’action del’ancienne Présidente de la FISP, leProfesseur Ioanna Kuçuradi, en plus desactivités académiques très riches qu’elle amenées dans le cadre de son Départementà l’Université d’Hacetteppe et notammentdans le cadre de la chaire UNESCO dephilosophie dont elle est titulaire, à porterégalement l’enseignement de la philosophie àl’extérieur des établissements supérieurs,en s’adressant à des professions ou à desmilieux sociaux particulièrement sensibles.Le programme d’enseignement philosophiquesur les droits de l’Homme destiné auxfonctionnaires de la Police nationale turquea provoqué une vague considérable derecherches de nature éthique, contribuantde manière importante à orienter les travaux

et les carrières des philosophes turcs. Ceci aégalement influencé les contenus desenseignements impartis dans plusieursUniversités du pays (Ankara, Istanbul,Bosphore) et a joué un rôle sur la formationdes curricula des étudiants. C’est là unexemple particulièrement évident desentrelacs existant entre recherche, fonctionsociale de la philosophie et orientations dela formation supérieure.

Dans les pays européens de l’ancien blocsoviétique, la perception de la présence dela philosophie semble, somme toute, moinsnuancée. Un chercheur de Bulgarie voitdans la « société démocratique » et son« libre courant d’idées » un renfort à ladiffusion de la philosophie, un de sescollègues dénonce, pour sa part, dansl’« identification erronée de la philosophieau marxisme » une raison d’un éventueldéclin de l’attrait qu’exerce la philosophie.Cet héritage encombrant, parfois sous-esti-mé dans les sociétés occidentales, revientdans un commentaire fort intéressant

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

formulé par un chercheur de laFédération de Russie : « Il existe une ten-dance soutenue par la politique officielled’éducation qui est d’enseigner la philoso-phie moins que dans le passé. Ceci est uneréaction au dogmatisme (basé sur l’idéologiemarxiste-léniniste) dans l’enseignement dela philosophie qui a été un cours obliga-toire pour tous les étudiants pendant lapériode soviétique. C’est une tendanceerronée : à la place de reformer l’enseigne-ment de la philosophie et d’éliminer sadépendance à une idéologie officielle, il y aune tentative de limiter les cours de phi-losophie à la philosophie des sciences. »Au Belarus, on évoque simplement lefait que « les programmes d’éducationont été réduits à des programmes de spéciali-sation professionnelle ». En Estonie, onrappelle que la philosophie n’est plus « uncours obligatoire dans toutes les Facultés ».Bien qu’en Fédération de Russie la situationde l’enseignement de la philosophie ne soitpas considérée comme à risque, un cor-respondant montre toute la complexité duproblème en rappelant que « le nombred’heures d’enseignement de la philoso-phie a été graduellement réduit. D’autresdisciplines philosophiques, commel’éthique, l’esthétique, la philosophie poli-tique, etc., qui avaient été suggérées auxétudiants dans le passé au moins en tantque disciplines optionnelles, sont mainte-nant exclues de la plupart des curricula desinstitutions d’éducation. Néanmoins, onpeut les trouver de façon aléatoire dans lesUniversités dites classiques. » Les effetsde la réforme européenne s’y font égale-ment sentir. En République de Moldova,un chercheur évoque tout simplement leprocessus de Bologne pour expliquer l’affai-blissement de l’enseignement universitaire dela philosophie.

En matière de philosophie, dans lesDépartements des Universités britanniques,australiennes et celles d’Amérique du Nord,les chaires associables à la pensée analytiquesont largement majoritaires. À juger desannonces d’emploi, les Départements dephilosophie sont à la recherche de postesen épistémologie, en philosophie analy-tique, en théorie de la connaissance, enphilosophie de la logique et du langage, enéthique appliquée, en ontologie de lalogique, en sémantique, et autres spéciali-sations issues de la filière analytique.Pourtant, tout ne saurait se réduire à cetteseule approche. La prolifération deDépartements d’études culturelles, etd’études sur la question du Genre, ainsique les études sur la philosophie politique,ce sont là autant de témoignages de ladiversité des enseignements philosophiquesdans ces pays. Comme l’écrit WilliamMcBride, l’actuel Secrétaire général de laFISP, « il y a eu récemment aux États-Unisd’Amérique une prolifération d’ap-proches intéressantes à la philosophie. Desdéveloppements comme la philosophieféministe, la philosophie africaine-améri-caine, ainsi que la philosophie indienne-américaine, sont notables. Des cours surtous ces sujets, sur ce qui a traditionnellementété appelé la philosophie américaine, ainsique sur d’autres philosophies non-euro-péennes telles le bouddhisme et le confu-cianisme, etc., semblent être plus souventaccessibles aux niveaux d’études undergra-duate - au moins grâce à une grandedemande venant des étudiants - par rap-port à la situation d’il y a 20 ou 30 ans.Néanmoins, en même temps, un bonnombre de philosophes avec des orientationsdiverses, y inclus certains des plus connus,ont trouvé que les Départements autresque ceux de philosophie - notamment lesDépartements d’anglais et de languesétrangères, mais aussi de rhétorique, ainsique les écoles de droit, etc. - leur conviennentdavantage et leur donnent plus de soutien ».

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(29) Historiquement, la différenceentre colleges et universities auxÉtats-Unis d’Amérique se joue surle fait que ces dernières proposentà la fois des enseignements deniveau undergraduate et graduate,tandis que les colleges se limitentau niveau undergraduate.Cependant, cette distinctionest en train de s’estomper,certains colleges prétendantau titre d’Université après s’êtredotés de quelques cours deMaster, d’autres, qui ont introduitdes cours graduate, préférant garderleur nom historique.

(30) Il s’agit d’un dispositif basésur des inspections périodiquesréalisées par des agences indépen-dantes d’experts, contractéespar les établissements afinde vérifier l’adéquation des différentsDépartements aux standards dequalité scientifique et académiqueen vigueur. La plupart des présidentsd’établissement, mais aussides Doyens de Facultés,ont recours régulièrementà ces expertises indépendantes.

CHAPITRE III

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La philosophie est proposée dans unevariété de formes. Des 41 institutionsexaminées, 21 proposent la philosophieen tant que discipline principale (singlehonours), discipline combinée avec uneautre (combined honours) et pro-grammes de recherche (postgraduate).Les programmes de philosophie jusqu’àla Maîtrise (undergraduate) contiennenttoujours des cours dans les domainesde l’analyse et de l’argumentation, maisil y a une certaine variation dans lesapproches adoptées. La philosophiepeut être étudiée formellement (logiquesymbolique) ou informellement (raison-nement critique). Les philosophesgrecs, l’épistémologie, l’histoire de laphilosophie moderne et l’éthique sontsouvent les domaines principaux d’étu-de. Des cours dédiés à la philosophienon occidentale sont rares. Les pro-grammes de Master proposent unevariété de domaines d’étude, à partird’études philosophiques générales jus-qu’aux spécialités distinctives.Concernant les méthodes d’enseigne-

ment, les conférences pour les étu-diants undergraduate sont complétéespar des petits groupes de travail. Dans5 cas, l’enseignement en petits groupesconstitue l’essence du programme, etles conférences des professeurs y sontsoit inexistantes soit supplémentaires.Des séances de tutorat en tête-à-têteexistent dans 30% des programmes, etdes projets et dissertations avec super-vision individuelle dans 41%. D’autresméthodes d’enseignement incluent letravail de groupe, des ateliers de travailet, particulièrement dans les pro-grammes interdisciplinaires, l’enseigne-ment en équipe (team teaching). Dans44% des institutions, les opportunitésd’apprentissage sont renforcées parl’utilisation de l’Internet et ses res-sources et, dans au moins 10 cas, desmatériels écrits particuliers sont dispo-nibles sur le site Web du Départementou du programme en question. Les pro-grammes de recherche (postgraduate)sont basés sur des séminaires et desséances de tutorat. Deux grands pro-

grammes de recherche organisent descours qui combinent la conférence d’unprofesseur et une session de questionset de réponses.En ce qui concerne les méthodes d’éva-luation, elles incluent des dissertationset des examens écrits. D’autresméthodes utilisées dans quelques casincluent également examens avecsources d’information disponibles (open-book examinations), exposés oraux,tests organisés pendant les cours et tra-vail en groupe. Une caractéristique dis-tinctive d’un Département est l’examenoral obligatoire pour l’évaluation finale,conçu pour tester les qualifications pourla présentation orale des idées et desarguments. Les critères d’évaluationsont clairs, liés aux résultats d’apprentis-sage et bien compris par les étudiantsdans 85% des cas étudiés.

Quality Assurance Agency for Higher Educationhttp://qaa.ac.uk(Royaume-Uni)

Encadré 34L’enseignement de la philosophie dans les établissements d’enseignement supérieur au Royaume-Uni

Si l’on considère les choses du point de vuede cette mixité disciplinaire, il fautreconnaître que les établissements d’en-seignement supérieur aux États-Unisd’Amérique, Colleges et Universités(29), neboudent pas la philosophie. La plupartd’entre eux disposent de Départements dephilosophie, que ce soit au niveau de Maîtrise(undergraduate) ou au niveau d’étudesdoctorales (graduate). De plus, des ensei-gnements de philosophie sont dispensés dansle cadre d’autres Départements. Lesenseignements philosophiques sont moinsprésents dans les community colleges,établissements proposant des diplômes endeux ans, souvent de nature technique,mais ils ne sont pas complètement absents.Les matières d’enseignement ne s’éloignentpas des standards des Universités occi-dentales, à la fois en ce qui concerne l’histoirede la philosophie et la partition disciplinaire.Un cours d’introduction à la philosophie esten règle générale proposé aux étudiants. Ladistinction entre major et minor, qui traversel’ensemble de l’enseignement undergraduate,influence aussi le rapport entre enseignantset élèves dans le domaine de la philosophie.

L’assistance moyenne d’un cours de philoso-phie se compose en effet d’étudiants d’autresFacultés, venus compléter leur formationpar des enseignements de philosophie oude logique, d’étudiants ayant choisi laphilosophie comme matière principale(major) et d’étudiants ayant choisi la philoso-phie comme matière secondaire (minor). Laproportion entre ces typologies changeselon les établissements, mais il est intéressantde noter que le choix de la philosophiecomme enseignement principal au niveauundergraduate prélude parfois à des étudesdoctorales (graduate) dans d’autres disciplines(par exemple en droit). Les enseignantsbénéficient d’une totale liberté d’ensei-gnement. Aucun curriculum universitairen’est établi au niveau fédéral ou étatique.Cependant, il existe un système d’accrédita-tion permettant de vérifier la qualité desenseignements et les lacunes éventuellesdans l’ensemble de la formation proposéeaux étudiants(30). La richesse du niveaud’études doctorales représente la marquedu système américain. Les graduate studiesreprésentent un véritable monde en soi.Dans les Universités américaines, elles

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

représentent le véritable moteur de laformation savante et contribuent demanière essentielle à leur rayonnementinternational. Aujourd’hui, environ 100Universités américaines proposent des étudesdoctorales en philosophie, dont environ untiers se limite au niveau Master (MA). Lagrande compétition qui existe à ce niveau,à la fois entre chercheurs, pour obtenir despostes d’enseignant, et entre établissements,pour attirer le plus grand nombre d’étudiants

ou simplement augmenter son prestige,pose de manière criante le problème duclassement des programmes doctoraux pro-posés. Aucun classement officiel n’existeaujourd’hui, pas plus qu’un consensus surles critères qui pourrait l’inspirer. Bien quela question de l’opportunité de tels clas-sements reste ouverte, les pratiquesd’enseignement et de recherche souffrentparfois d’un attachement excessif à cesderniers.

Quels devraient être les critères d’unéventuel classement ? Les mesures quantitatives donnent àpremière vue l’impression d'une plusgrande « objectivité » que les mesuresqualitatives. Pourtant personne nesoutiendrait que la qualité d'un programmed’études avancées en philosophie soitdirectement proportionnelle à sa taille. Ily a d’autres mesures quantitatives, plusconvaincantes pour certains, comme,pour n’en citer que quelques-unes : lenombre total de publications, ou depages de publications, faites par desenseignants et/ou des étudiants d'unDépartement universitaire - le nombre deréférences à leurs travaux dans deslivres et des journaux professionnels - lamoyenne des résultats obtenus par lesétudiants du programme aux examensnationaux, (Graduate Record Examinations),que la plupart des Départements exi-gent pour l’inscription - le pourcentagede titulaires d’un Doctorat qui occupentun poste d’enseignant à l'Université(ceux en âge de travailler, naturellementen excluant ceux qui sont à la retraite oudécédés !) - le pourcentage de non-Amé-ricains, ou de membres d’une minoritéethnique, ou de femmes dans unDépartement (puisqu’aux États-Unis laphilosophie est de toutes les scienceshumaines celle qui favorise le plus leshommes) - etc. Ces critères ont tousdéjà été proposés, mais il est aisé devoir les objections qu’on peut leur oppo-ser ainsi que les contradictions qui exis-tent entre eux. Par exemple, les résul-tats obtenus aux examens sont loin de

constituer des indicateurs infailliblesd’une future réussite professionnelle,alors que les Départements qui acceptentdavantage d'étudiants dont l’anglaisn’est pas la langue maternelle voient dece fait automatiquement baisser lamoyenne des notes dans la partie impor-tante des examens d'entrée où sontévaluées les capacités d’expressionorale. Cependant, lorsqu’on tente de concevoirdes mesures qualitatives, il se présenteimmédiatement des obstacles au moinsaussi formidables que dans le cas descritères quantitatifs. Je ne veux certespas souscrire au scepticisme absoluselon lequel aucune évaluation de laqualité n'est possible dans le domainede la philosophie, mais je ne suis pas lepremier à souligner que, davantage quela plupart des disciplines, la philosophies’est distinguée historiquement et sedistingue encore aujourd’hui par le largeéventail de styles et de méthodes qu’el-le emploie. D’où l'impossibilité virtuelle,ou pire encore, l'impossibilité moraled'évaluer la qualité de toutes les philo-sophies et de tous les programmes dephilosophie selon un critère unique.Cependant, il persiste dans le milieuphilosophique américain une attituded'intolérance envers les approches de laphilosophie différentes de celles qui ontnotre faveur et celles de ceux qui partagentnos idées. Si elle est loin d’être universelle,cette attitude est néanmoins très répandueet se transmet aux générations suivantesde philosophes par l’intermédiaire decertains programmes d’études avancées.

Cette attitude, communément désignéeen jargon américain contemporain parl’expression « either my way or thehighway », vous vous pliez ou vous pliezbagages, a évidemment une incidencetant sur la question de l’évaluation desprogrammes que sur l'enseignementprésent et à venir de la philosophie,puisque c'est celle qui est adoptée, oudans certains cas rejetée, par les futursenseignants.Le fait qu'il existe un classement nonofficiel des programmes d’étudesavancées en philosophie aux États-Unisillustre particulièrement bien cette ten-dance préoccupante. Ce classement, ditRapport de Leiter, est établi par uneseule personne, Brian Leiter, qui enseignela philosophie et le droit à l'Université duTexas (http://leiterreports.typepad.com). Ila en général une attitude méprisanteenvers les approches non analytiques dela philosophie et il conseille aux jeunesétudiants qui envisagent une carrière enphilosophie de ne pas s’intéresser defaçon sérieuse à de telles approches.Son site Web est fréquemment visité,non seulement par des jeunes à larecherche d’un conseil simple et rapide,mais même par des administrateurs dedivers établissements, qui viennent ychercher conseil en l’absence, louable àmon avis, de tout classement « officiel »…

Professeur William McBrideSecrétaire général de la FISP(États-Unis d’Amérique)

Encadré 35Comment évaluer les graduate studies en philosophie aux États-Unis d’Amérique ?

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États arabes.

Le professeur Abdelmalek Hamrouche,Doyen des Inspecteurs Généraux de philoso-phie algériens(31), analyse la situation actuel-le de l’enseignement de la philosophie dansle monde arabe comme subissant une sorted’abandon et que « cette démission ducours de philosophie est propre aux élèvesdes filières scientifiques, engendrant uneformation philosophique pauvre et stérile. Ilserait nécessaire de signaler que la véritablecrise se situe au niveau de l'enseignementsupérieur. En effet, l'étudiant n'est pasconfronté aux questions profondes et auxproblématiques qui mènent à des rechercheset à des analyses de haut niveau pouvantfaire concurrence à ce qui se fait dansl'espace philosophique universel. Cet étatde fait nous conduit à porter un jugementpessimiste qui consiste à dire que lemoment n'est pas encore parvenu à l'étuded'une production philosophique arabecontemporaine, parce qu'il n'existe que despublications scolaires et des tentativesd'archiver la philosophie musulmane d'antan.Effectivement, pareils travaux superficielsne peuvent accéder au rang de rechercheet de pensée philosophiques telles qu'ellessont perçues en Occident. Néanmoins, cescritiques n'ont pas lieu d'être car elles nesont pas basées sur les écrits effectués parles Arabes pendant ce siècle dans le domai-ne de la philosophie, que ce soit en publi-cation ou en traduction. C'est la raisonpour laquelle il faut rassembler cette pro-duction, l'organiser, la spécifier, l'analyser etl'évaluer. Ce projet doit être pris en chargepar un groupe ayant les moyens nécessairesd'accomplir un travail, pouvant aboutir àdes critiques objectives qui permettront desupprimer tout complexe civilisationnel ettoute assimilation injustifiée. (…). Nousavons relevé chez nos voisins maghrébins,Marocains et Tunisiens, et orientaux depuisles années soixante-dix la volonté de rétablirleur situation, tant sur le plan pédagogiqueque didactique. Ils sont parvenus à mettreau point une problématique permettant aucours de philosophie de s'ouvrir au mondede manière organisée, et de participer à laproduction pédagogique et didactique,participant ainsi à la vision philosophiquecontemporaine. À l’instar du niveau secondai-re, le cas du Maroc semble à cet égard

exemplaire(32). Un spécialiste en philosophiedes sciences, logique et épistémologie nousfait part de la réflexion suivante et déclare,pour sa part, que « la dichotomie entrephilosophie et religion s’est formée pendanttout le Moyen Age, depuis Al-Ghazali, etcontinue à survivre jusqu’à aujourd’hui.Pendant les années 60 et 70 du siècle dernier,avec le développement des mouvementsmarxistes, communistes et autres, la phi-losophie a failli disparaître pour des raisonspolitiques. C’est à cette occasion que lamajorité des autorités chargées de l’en-seignement supérieur dans le monde arabeont créée des Départements des étudesislamiques dans un grand nombred’Universités pour faire face à la philosophie.Cependant, depuis le 11 septembre 2001,les choses commencent à changer enfaveur du renforcement de la philosophie,bien que timidement ».

Quant à l'Algérie, toujours selonHamrouche, « nous pouvons dire que nousvivons dans une réclusion quasi totale parrapport à ce qui se fait dans le mondeoccidental ou arabe, que ce soit dans ledomaine de la création philosophique oucelui des développements pédagogiques etdidactiques. ». Il est à noter enfin que cetétat de fait est cependant tempéré par unelutte persévérante des enseignants dephilosophie en Algérie, afin de palier àcette situation, comme en témoigne latenue de la toute première Université d’étésur la didactique de la philosophie dans lepays.

Il est à noter également que le rapportentre philosophie, culture laïque et religionest au cœur des politiques académiquesdans la plupart des pays arabes.L’enseignement de la pensée classique (Al-Kindi, Al-Farabi, Ibn Sina, Averroès…) estconsidéré comme un moyen de renforcerune approche scientifique à l’intérieur de laculture musulmane, et il n’est pas rare quecette tradition classique soit étudiée enparallèle avec des auteurs occidentaux, engénéral d’époque moderne. Aux ÉmiratsArabes Unis, le College for Humanitiesand Social Sciences propose un major enphilosophie ayant pour objectif de développer« une appréciation des relations entre lesidées et le développement culturel dans les

(31) Abdelmalek Hamrouche,« L’enseignement de la philosophie »,in Diotime-l’Agorà, 10, 2001.www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora/

(32) Voir également le casde la Tunisie dans ce chapitre.

CHAPITRE III

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traditions arabes et occidentales, unecompréhension des fondations et de l’histoirede la philosophie, une capacité d’analyserdes arguments et leurs structures et des’exprimer oralement et par l’écrit en arabeet en anglais ». Parmi les matières enseignéesdans ce major selon un système de crédits,éthique, métaphysique, logique symbolique,logique arabe, philosophie des sciences,philosophie grecque et médiévale, philosophiemoderne occidentale, théories de laconnaissance, problèmes philosophiques,philosophie du langage, et esthétique. Il està noter également que, depuis quelquestemps, le recrutement au sein de cetteUniversité se fait par offres d’emplois sur lemarché international.

La philosophie est enseignée en Égypte auniveau du supérieur en tant que matièreséparée. On l’enseigne dans les Facultés delettres, dans les Facultés d'arts, dans lesFacultés d’éducation, dans les Facultés dereligion ainsi que dans les Facultés d’étudesarabes et islamiques, comme la Faculté DarEl Olum du Caire. Le Département dephilosophie de l'Université américaine duCaire offre quant à lui à la fois une major etune minor en philosophie, en accueillant lesétudiants au-delà d'un niveau d'introduction.Les cours confrontent des interrogationsémanant de réflexions sur la religion,l'éthique, l'art, la politique, la science, la

théorie de la connaissance. Leurs intituléssont notamment Pensée philosophique,Logique informelle, le Soi et la société,Philosophie de la religion, Introduction àl'éthique, Philosophie politique, Philosophieet Art, Philosophie antique, Métaphysique,Philosophie islamique, etc.

L'Université Saint-Joseph de Beyrouth, auLiban, propose plusieurs formations enphilosophie, aux niveaux de la Licence, dela Maîtrise, du Master, du Doctorat, duMagistère en philosophie arabe et isla-mique, et du Certificat d'aptitude pourl'enseignement secondaire en philosophie.La Faculté des lettres et des scienceshumaines de l'Université libanaise àBeyrouth propose de son côté une spécialisa-tion en philosophie et une préparation à laLicence, à la Maîtrise, au Diplôme d'étudessupérieures (DES) ainsi qu'au Doctoratd'État, en abordant des thèmes divers telsque Philosophie et littérature, Les philosophiesorientales, L'esthétique philosophique, ouencore Le soufisme ou Fondements etépistémologie de la philosophie arabe.Pour sa part, le Département de philosophiede l'Université américaine de Beyrouth aune longue tradition dans l'introductiondes étudiants à la philosophie. Les coursofferts couvrent les principaux domaines dela discipline, allant de l'éthique à la logique,et de l'esthétique à l'épistémologie. Les

C’est avec la participation de plus decent professeurs de philosophie que l’ona organisé, pour la première fois enAlgérie, une Université d’été dont j’étaisle Directeur, au lycée Hassiba BenBouali à Alger, du 18 au 30 juillet 1998.Voici l’introduction du document desynthèse publié.Un brin d’espoir. Les participants à cetteUniversité d’été, malgré les difficultésqui ont prévalu à son organisation du faitde l’isolement et du manque d’enca-drement de la discipline, ont bénéficiéd’une formation initiale assez encou-rageante dans ce domaine importantqu’est la philosophie. Les participantscomptent ainsi développer ces acquisen d’autres occasions, et de s’organiserà l’avenir, notamment en termes de

moyens scientifiques d’évaluation deleur pratique d’enseignement et dedidactique. Cela permettra par la suitede changer et de refonder les méthodesclassiques d’évaluation. L’expériencemenée par la wilaya de Skikda durantl’année scolaire 1993-1994, où ladidactique de philosophie a été expérimen-tée par les professeurs dans leurs classes,a inspiré grandement certaines desmodalités de cette rencontre. Cette pre-mière expérience de l’Université d’été enphilosophie a atteint ses objectifs malgréles difficultés matérielles et morales quenous avons rencontrées. Nous espéronsque les expériences futures seront plusaxées sur une formation plus scientifiquedans ce domaine, et ce en vue d’undéveloppement ultérieur optimal de

cette matière, car l’isolement conduit àla mort de l’esprit créatif et à la décadencede la société et de ses valeurs humaines.Cet isolement pourra se rompre grâce àla disponibilité d’une bonne documentation,à une formation continue des enseignantsà l’intérieur et à l’extérieur du pays ainsiqu’aux progrès que nous avons perçusdurant cette Université d’été et qui ontéclairé les participants sur le rôle quileur incombe, dans leur pratique quotidien-ne mais aussi dans le cadre de la réfor-me du système éducatif et du changementsociétal de façon plus générale.

D’après Abdelmalek HamroucheDoyen des Inspecteurs Généraux de philosophie algériens(Algérie)

Encadré 36Première Université d'été sur la didactique de la philosophie en Algérie

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auteurs et les textes abordés incluent lestraditions occidentale et moyen-orientale,des Présocratiques à Ibn Rushd, et deDescartes à Rawls. L'Université prépare lesétudiants au BA et au MA, en offrant uneminor et une major en philosophie.Plusieurs diplômés de l'Université, en 3ème

cycle, ont poursuivi des carrières dans lejournalisme, le droit, la gestion, l'éducation,les technologies d'information, entreautres.

Amérique latine et Caraïbes. Il faut tout d’abord noter la présence diffusemais à chaque fois soumise aux aléas descontraintes économiques et sociales de laphilosophie. Les bas salaires des enseignantset l’attirance des jeunes étudiants versd’autres domaines d’études sont les deuxmaux qui reviennent périodiquement dansles témoignages des chercheurs des payslatino-américains. Pourtant, chaque chercheurconnaît la richesse intellectuelle descommunautés philosophiques latino-américaines et l’abondance d’occasionsd’échange et de coopération avec cesphilosophes et le reste du monde. En effet,malgré toutes sortes de difficultés struc-turelles, l’enseignement de la philosophiesemble recevoir une certaine attention de lapart des pouvoirs publics comme des associa-tions spécialisées. En Argentine, on signa-le que des Journées sur l'amélioration de l'en-seignement de la philosophie sont menéesannuellement par un programme de l’UBAet par l’Asociación Argentina de Profesoresde Filosofía (SAPFI). En Colombie, « lasituation complexe du pays et dans lemonde a fait que l’on donne beaucoupd’importance à la philosophie ». Dansdifférents pays, comme El Salvador,l’Uruguay et le Venezuela, on insistebeaucoup sur la portée politique de l’ensei-gnement de la philosophie et les répressionset les reconsidérations successives quecelle-ci a connues entre régimes autoritaires etretour à la démocratie. En Argentinenotamment, un pays qui occupe une placeconsidérable dans le travail philosophique àl’échelle internationale, la présence desociétés philosophiques différentes, y comprisau sein de la FISP, témoigne encore de cetengagement politique divers. Un corres-pondant d’El Salvador nous dit que « euégard au conflit armé durant les années 80,la philosophie a cessé d'être importante

parce que considérée comme un instrumentsubversif ». C’est un constat qui peuts’appliquer, a contrario, à bien d’autrespays, où le processus de démocratisation avu une reprise spectaculaire des inscriptionsdans les Facultés de Filosofía y Letras ainsique dans leurs sœurs jumelles, les Facultésde sciences sociales, où des enseignementsde philosophie sont le plus souvent dispensés.Cette situation semble générer quelquestensions, un phénoménologue du Péroucraint ainsi que « certains chercheurs nonphilosophes (par exemple en sciencessociales) veulent éliminer toute référence àla philosophie et se limiter seulement à leurdiscipline ». Un autre aspect qui semblecaractériser, au moins en partie, l’ensei-gnement philosophique dans cette régionest l’appel aux « penseurs nationaux » et latendance à vouloir construire la mémoired’une « philosophie latino-américaine »,sinon carrément de philosophies nationales.Cette tendance qui fait miroir aux nationa-lismes qui traversent périodiquementl’Amérique latine peut être observée, entreautres, dans la présence à l’échelle continen-tale de chaires de pensée latino-américainetelles qu’au Nicaragua ainsi qu’à Cuba. Ils’agit d’enseignement s’inscrivant le plussouvent, mais pas forcément toujours, dansla mouvance théorique de la « philosophiesituée », ou d’un « universalisme situé »,particulièrement bien représenté dans lecontinent sud-américain. Rappelons égale-ment que, dans une étude réalisée en 2003sur la manière dont les élèves et les étudiantsdu Costa Rica perçoivent l’enseignementde la philosophie, les auteurs signalent que« dans les Universités, les étudiants citentsouvent les auteurs nationaux ».(33)

Depuis le Guatemala, on signale que laplus grande partie des efforts menésactuellement en faveur de l’enseignementde la philosophie, se concentre sur l’ensei-gnement supérieur, de la manière suivante :aussi bien l’Université d’État (l’Universidadde San Carlos de Guatemala) que les 9Universités privées (Universidad RafaelLandívar, Universidad Mariano Gálvez deGuatemala, Universidad Francisco Marroquín,Universidad del Valle de Guatemala,Universidad Galileo, Universidad Panamericana,Universidad Rural, Universidad del Istmo,Universidad Mesoamericana) considèrent lapossibilité d’établir un cursus de philosophie

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(33) Álvaro Carvajal Villaplanaet Jacqueline García Fallas, ¿Cómoperciben los estudiantes universitariosla enseñanza de la filosofía, segúnsus experiencias en la educacióndiversificada costarricense?.Instituto de Investigación parael Mejoramiento de la EducaciónCostarricense, 2004. http://revista.inie.ucr.ac.cr/

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ou d’études de philosophie. En outre, onindique également que d’autres carrières,comme la médecine, l’administration desentreprises, les sciences juridiques etsociales, les sciences politiques et sociales,comportent également, à un momentdonné, des cours de philosophie, selon laspécialité concernée. Par exemple :philosophie de l’éducation interculturelle,philosophie politique, philosophie de l’inté-gration régionale centroaméricaine,philosophie du droit, et autres. Dans lescarrières éminemment techniques, il estprioritaire, nous précise-t-on encore, derenforcer le domaine de la philosophie,comme c’est le cas en architecture, eningénierie, en sciences agricoles et environ-nementales, en particulier en ce qui concernele droit humain à un environnement sain etécologiquement équilibré. On insiste, tou-jours depuis ce pays, sur la nécessité quetoutes les carrières du « cycle diversifié »prennent en compte le champ de la philo-sophie et que, pour celles qui le font déjà,comme le magisterio, elles puissent l’amé-liorer et l’actualiser. On indique égalementque l’École de sciences sociales del’Université Francisco Marroquín coordonnela réalisation de colloques philosophiques,tenus à des dates variables, sur des thèmeset des sujets philosophiques déterminés.Les enseignants et les spécialistes des diffé-rentes Universités et/ou des structures édu-catives du pays - gouvernementales ou non -assistent à ces rencontres. Il est aussi ànoter avec intérêt que le Plan nationald’éducation pour 2004-2007, les grandeslignes des politiques éducatives, la Stratégiepour une amélioration de la qualité éducativeet la Stratégie d’éducation aux valeurs et àla formation citoyenne (2004-2008) pour-raient permettre l’ouverture d’une disciplinecentrée sur l’éducation aux valeurs et à laformation citoyenne et, avec elle, conduireainsi à un renforcement de la philosophiede la liberté, de l’exercice de la citoyenneté,du Projet citoyen et du Projet de la nation,tout ceci dans le cadre de la démocratie etde la Culture de la paix.

Le manque d’équipement apparaît enAmérique latine moins criant qu’enAfrique. Cependant, les témoignages dechercheurs sur place signalent systémati-quement le retard par lequel les sourcesdocumentaires sont actualisées. Les

bibliographies, souvent produites enEurope ou aux États-Unis d’Amérique, arriventen retard, les acquisitions bibliothécaires sefont au compte-gouttes et privilégient parfoisla production régionale plutôt que lesouvrages écrits dans d’autres langues. Lesrevues étrangères ne peuvent parfois êtreacquises qu’au travers d’échanges aca-démiques hasardeux. La généralisation depublications électroniques, néanmoins,semble pouvoir remédier, à terme, à cesdifficultés. Dans les Caraïbes, la présence de la phi-losophie à l’Université se décline selon lespriorités de chaque pays. À la Barbade,des enseignements de philosophie de l’artsont dispensés dans le cadre de la formationpédagogique des enseignants d’arts visuelsdans le primaire. Encore une fois, l’ensei-gnement de la philosophie fait partie decurricula spécifiques. À Trinité-et-Tobago, laphilosophie est enseignée dans le supé-rieur. Il existe des modules d’Introductionà la philosophie au sein du Départementd’histoire de la Faculté des sciences socialesde la University of the West Indies. EnHaïti, un pays qui bénéficie de la présenced’une excellente École Normale, on signaleque « l’École Normale Supérieure del’Université d’État d’Haïti vient d’ouvrir,dans son Département de philosophie quiprépare les enseignants de philosophie, unProgramme de Master en Lettres et philoso-phie, de concert avec l’Université de Paris VIII.L’Institut de philosophie Saint François deSalles vient de lancer une Revue à vocationphilosophique qui vise entre autres objec-tifs à philosopher en langue créole haïtien ».

Des études de cas exemplaires

Quelques cas particuliers permettent à lafois d’illustrer les traits généraux de l’en-seignement de la philosophie qui ont étéévoqués, et de porter au jour les contributionsde ces paradigmes à une réflexion d’ensemblesur la présence de la philosophie dans lesUniversités.

Brésil. Il faudrait signaler le rôle croissantqu’occupe dans le scénario international lacommunauté philosophique du Brésil, qui aacquis au fil du temps un rôle éminent dansles études de linguistique, de philosophiedu langage, de philosophie analytique, dephilosophie sociale, mais aussi dans plusieurs

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domaines d’histoire de la philosophie, tellesles études classiques ou la philosophiemoderne et contemporaine. Aujourd’hui,les docteurs en philosophie des Universitésbrésiliennes rivalisent avec leurs collègueseuropéens, et certains Centres d’excellen-ce, telle l’Université Fédérale de CampinaGrande ou l’Unicamp, sont reconnus auniveau mondial.

Canada. Le Professeur Josiane Boulad-Ayoub, titulaire de la Chaire UNESCOd'étude des fondements philosophiques dela justice et de la société démocratique del'Université du Québec à Montréal, dansson rapport sur l’enseignement de la philoso-phie dans les Universités canadiennes soumisà l’UNESCO, formule le constat de laperméabilité considérable qui caractérise lafréquentation des enseignements phi-losophiques au niveau universitaire. Dansleur majorité, les étudiants inscrits à descours de philosophie dans les Universités oules Collèges canadiens ne sont pas inscrits àdes majors ou à des programmes de spé-cialisation en philosophie. Selon Boulad-Ayoub, ils ou elles « s’inscrivent à un oudeux cours de philosophie afin de compléterleur formation dans leur discipline principale(sciences de la nature, sciences humaineset sociales, sciences appliquées, sciencesadministratives, droit, études littéraires).Certains cours de philosophie font égalementpartie de programmes relativement nouveauxcomme, par exemple, les études féministes,les programmes relatifs aux questionsd’environnement et les programmes ensciences et technologie ». Il faut soulignerqu’au Canada comme dans la plupart despays occidentaux, les Départements ou lesFacultés de philosophie sont entièrementautonomes en matière du contenu descours, des réformes des programmes dispen-sés, d’évaluation des connaissances et del’organisation du cheminement de l’étudiant.Ils jouissent de la même autonomie en cequi concerne le recrutement des ensei-gnants-chercheurs et le processus de leursélection. Ceci étant, les Universités, qu’ellessoient publiques ou privées, restent soumisesaux impératifs de la rentabilité, ce qui peutentraîner soit le déclin de certains cours,soit l’introduction, au contraire, d’autrescours qui répondent de façon plus appropriéeau regard de la formation à la conjoncturesociale et culturelle. Toujours d’après

Boulad-Ayoub, la tâche des professeursd’Université au Canada est généralementtripartite : enseignement, recherche etservices à la communauté. Combinant ainsitâches d’enseignement et tâches derecherche, les enseignants au niveau universi-taire ont tendance à modeler le contenudes cours en fonction des découpagesclassiques de la philosophie et des spécialisa-tions de la recherche. Ainsi l’étudiant canadienretrouvera, d’un Département à l’autre,même s’il n’y a pas un Ministère centralimposant un programme uniforme, desenseignements qui se répartissent selon desdomaines traditionnels, histoire de laphilosophie, épistémologie, philosophie dulangage, logique, métaphysique, philosophiesociale et politique. L’accent peut être missur l’une ou l’autre de ces problématiques,reflétant la spécialisation qui s’est produitechez les enseignants-chercheurs ou encorela volonté du Département ou de la Facultéde philosophie de se démarquer. Onretrouvera tout de même dans certainsDépartements des cours qui échappent auxbranches consacrées de la discipline etrépondent souvent aux besoins d’autresDépartements de l’Université. Il s’agit decours dits de service, s’occupant par exemplede l’évolution nationale de la philosophie,ou encore de philosophie appliquée, surtoutdans le domaine de l’éthique traitant deproblèmes relevant de la déontologie desaffaires ou plus récemment de la déontologiemédicale. Ces cours sont dispensés par lesenseignants du Département de philosophie,mais ne font pas nécessairement partie duprogramme de philosophie proprement dit.Au niveau des contenus, l’enseignement dela philosophie présente des spécificitésselon qu’il se pratique dans les Universitéscanadiennes anglophones ou canadiennesfrancophones. Il apparaît clairement qu’auCanada anglophone, le lien organique avecla pensée américaine n’a fait que sedévelopper, conséquence naturelle de ladiscussion de pensées américaines et de laconnaissance approfondie de la traditionanglo-saxonne. En épistémologie et enmétaphysique, par exemple, l’enseignement,comme la recherche, a été influencé par latradition du néo-pragmatisme, et en philoso-phie politique par la tradition ducontractualisme et du libertarisme. AuCanada francophone, la rencontre avec lagrande tradition herméneutique européenne,

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à travers l’enseignement de Paul Ricœur etde plusieurs autres philosophes, a favoriséla présence de la philosophie dite « conti-nentale ». Toutefois, la présence de laphilosophie d’inspiration anglo-saxonne esten nette augmentation. L’atténuation de ceclivage rigide fait aussi la richesse del’enseignement de la philosophie dans lesUniversités canadiennes, qui représententaujourd’hui un cas assez exceptionneld’intégration entre traditions de penséesouvent cloisonnées. Il faut aussi ajouterque les protocoles d’échanges académiques,les co-tutelles de thèses et d’autres formesde la coopération internationale se sontmultipliés dans les dernières années.

République de Corée. Selon le professeurIn-Suk Cha, titulaire de la Chaire UNESCOde Philosophie et démocratie à l’UniversitéNationale de Séoul et Président du CIPSH,la portée sociale et politique qui aaccompagné la présence de la philosophieen Orient a fortement influencé le type dephilosophies vers lesquelles s’est tournéeen priorité l’attention des intellectuelscoréens. Parce que la philosophie étaitutilisée contre les formes de la spiritualitétraditionnelle, elle était d’abord appréciéeen tant que savoir pratique, un guide pourl’action ancré dans une contingence histo-rique et capable de fournir des réponsesaux questions pratiques que se posait lasociété coréenne. Cette approche s’est pro-longée jusqu’à inspirer la réforme de l’ensei-gnement supérieur qui, à partir des années80, a rendu possible la prolifération de cur-ricula en philosophie et a vu se multiplierles Départements de philosophie dans lesUniversités coréennes. La philosophie a étéconsidérée comme une discipline essentiellepour l’éducation des citoyens et de façonplus générale, comme un outil intellec-tuel au service du développement démo-cratique. Aujourd’hui, plus de 80 Universitéscomptent un Département de philosophie ouproposent un diplôme d’études en philoso-phie. Un aperçu rapide des cours proposésdans les principaux établissements d’ensei-gnement supérieur permet d’observer laprésence massive des disciplines à orientationpratique : logique et pensée critique, com-préhension philosophique de la sociétécontemporaine, bioéthique, cyber-éthique,compréhension philosophique dessciences, éthique environnementale,

compréhension de la philosophie sociale,etc. La littérature utilisée dans ces domainesest en large partie de provenance américaine.La plupart des étudiants sont en mesure delire un texte en anglais et, en règle générale,l’apprentissage d’une deuxième langueétrangère (français ou allemand) est obliga-toire. C’est là une qualité essentielle dusystème universitaire coréen, sans doute àl’origine de la présence coréenne à l’échelleinternationale, aujourd’hui considérable.Ce système a aussi produit une assimilationsubstantielle de la tradition philosophiqueoccidentale, considérée aujourd’huicomme partie intégrante de la culturephilosophique coréenne, presque sur piedd’égalité avec le néo-confucianisme. Lesprincipaux classiques de la pensée philoso-phique, de Platon jusqu’à Wittgenstein etRawls, sont lus et commentés de façonsystématique dans les salles de courscoréennes et des penseurs du confucianismeet du néo-confucianisme sont égalementinterprétés. Il est intéressant d’observer aussique le développement scientifique et tech-nologique a conduit l’enseignement de laphilosophie à jouer un rôle plus importantque dans le passé. La capacité de modernisa-tion sociale et politique que l’on prêtait à laphilosophie (et, par opposition, l’apparitionde formes « conservatrices » de philosophieprolongeant les systèmes traditionnels devaleurs) semble être progressivement rem-placée par une conscience de la capacitéformative de la philosophie profitant àl’ensemble des curricula. Les chercheurscoréens font valoir la diversité des étudiantsqui assistent aujourd’hui au cours de philo-sophie, qu’ils considèrent comme unevaleur ajoutée pour développer des facultéscritiques et intellectuelles leur permettantd’atteindre un niveau d’excellence dansleurs propres disciplines. Dans ce contexteévolutif, des enseignements tels que« pensée critique » ou de simple introductionà la pensée philosophique semblent destinés àjouer un rôle croissant.

Tunisie. Le Professeur Fathi Triki, titulairede la Chaire UNESCO de philosophie àl’Université de Tunis 1, rappelle que « lespremiers enseignements de la philosophieen Tunisie ont été assurés par des enseignantsfrançais au début des années soixante :parmi eux Jean Wahl et François Châteletpuis Gérard Delledalle, Claude Drevet et

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Olivier Reboul. À partir de 1966, leDépartement de philosophie à la Facultédes lettres et sciences humaines de Tunis aconnu les enseignements de MichelFoucault, Gérard Lebrun et, pour de courtespériodes, Pierre Aubenque, Jules Vuillemin,Gilles-Gaston Granger et Jean Hyppolite.Aujourd’hui, on dénombre 4 Départementsde philosophie : à la Faculté des scienceshumaines et sociales de l’Université deTunis, à l’Institut des sciences humaines del’Université d’al-Manar, à l’Université deKairouan et à l’Université de Sfax. Desenseignements de philosophie sont aussidispensés dans les Écoles de préparationlittéraire et scientifique, dans les Écoles etInstituts supérieurs techniques, des sciencesculturelles, de théologie, de formationpédagogique du primaire, dans les Écolesd’arts et métiers, dans les Facultés dessciences humaines, de droit et, en mesureréduite, de sciences ». On retrouve dansl’enseignement supérieur tunisien unearticulation entre philosophie et autresdisciplines qui rappelle celle d’autres paysque nous avons examinés. D’après Triki,« les études en sciences humaines, ensciences culturelles, en théologie et en lettrescomportent dans leurs programmes desquestions d’ordre philosophique. Oncommence à enseigner l’histoire des scienceset la bioéthique dans quelques institutionsd’enseignement scientifique. Les Institutsd’arts et métiers et les Écoles des beaux-artsdispensent des cours d’esthétique et denotions philosophiques. La philosophie dudroit est enseignée dans les institutions desciences juridiques. C’est ainsi qu’on estimeque le pourcentage d’étudiants qui reçoi-vent un enseignement philosophique plusou moins important au cours de leursétudes universitaires se rapproche de 40% ».Signalons de même que, d’après les dernièresdonnées disponibles, presque la moitié desétudiants de philosophie (44%) estreprésentée par des femmes. Outre lesdeux cycles d’études qui conduisent à laMaîtrise, chacun des quatre Départementsde philosophie offre une spécialisation deniveau Master, mais seul le Département dela Faculté des sciences humaines et socialesde l’Université de Tunis propose des étudesde niveau doctoral (thèses et thèses d’État).En ce qui concerne les contenus proposés,il convient de se référer au témoignage deTriki : « à titre indicatif, nous signalons la

présence des auteurs classiques suivantsdans les différents programmes de philo-sophie dans les Universités : Platon,Aristote, Plotin, Fârâbî, Avicenne, Averroès,Descartes, Spinoza, Leibniz, Hume,Rousseau, Kant, Hegel, Marx, Nietzsche,Heidegger, Foucault, Rawls, Habermas.Comme on le voit donc, les classiquesutilisés dans l’enseignement philosophiquesont représentatifs de l’héritage philoso-phique mondial et surtout de l’héritagegrec, arabe, latin et européen. Il nousmanque une ouverture aux classiques descivilisations asiatiques ». À cet égard,signalons que les dialogues philosophiquesinterrégionaux entre l’Asie et le Mondearabe, mis en place par l’UNESCO depuis2002, constituent un véritable levier pourpallier à ce manque. Par ailleurs, la placecentrale qu’occupent les classiques dansl’enseignement semble en train de s’es-tomper, à l’instar de l’enseignementsecondaire, au profit d’une orientationpratique accrue des matières dispensées.Ainsi, alors que la Tunisie a connu un essorimportant des recherches en logique et enépistémologie dans les vingt dernièresannées, aujourd’hui l’éthique, la philosophiepolitique et surtout les questions relativesau droit (droits de l’Homme, État de droit,société civile, etc.) sont devenues des pré-occupations centrales dans les différentsprogrammes du supérieur. Comme lesignale Triki, « le Master de philosophiecontemporaine de la Faculté des scienceshumaines et sociales de l’Université deTunis comporte 3 séminaires d’éthique ettrois séminaires de philosophie politique sur12 séminaires, soit 50% du total desséminaires proposés aux étudiants. De plus,dans tous les Départements de philosophie,les questions des droits de l’Homme, detolérance, de démocratie et de vie politiquesont enseignées dans le cadre des unités dephilosophie morale et politique pour ledeuxième cycle, et dans le cadre d’un coursd’axiologie pour le premier cycle. Quant autroisième cycle, il comporte plusieursséminaires de spécialisation de philosophiepolitique et de morale ». Signalons enfinl’intérêt croissant que suscite l’enseignementde l’esthétique, des théories de l’art et del’histoire de l’art, sans doute en raison dufait qu’il peut ouvrir à l’emploi dans lesnouvelles institutions d’arts et métiers desUniversités tunisiennes. Le processus

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2) La multiplication des réseaux d’échanges universitaires

ERASMUS et ERASMUS MUNDUS

Créé en 1987, le réseau européen ERASMUS(European Region Action Scheme for theMobility of University Students), de loin leplus célèbre des réseaux d’échange et demobilité universitaire, a été utilisé par environ1,2 million d’étudiants.(34) Aujourd’hui,2199 établissements d’enseignementrépartis dans 31 pays(35) participent à ceprogramme. L’incidence du programme surles étudiants en philosophie varie et sembleconnaître une diminution relative au coursdes dernières années. D’après les dernièresstatistiques de la Commission européenne,en 2004-2005 les étudiants en Humanitésreprésentaient 3,8% des participants, soit5393 étudiants sur 144037. Le programmeERASMUS a été doublé en 2001 d’uneextension appelée ERASMUS MUNDUS. Cedernier, réservé en priorité à la mobilitéd’étudiants de Master, s’adresse désormaisaux étudiants de toutes les régions dumonde, visant à attirer des jeunes talentsvers les Universités européennes mais aussià encourager la mobilité des étudiantseuropéens au-delà des frontières continen-tales. Le succès du programme ERASMUSet son développement à l’échelle internatio-nale représentent un exemple à suivre dansle domaine de l’éducation universitaire.Dans cette optique, les disciplines philoso-phiques semblent, par la nature même dela matière enseignée, particulièrement sus-ceptibles de bénéficier de ce genre d’initia-tives, qui favorisent la formation savantemais aussi les interactions entre jeunes decultures différentes et l’apprentissage delangues, de coutumes et d’habitudes nou-velles. C’est là un terrain d’action promet-teur. Une action plus généralisée visant àsusciter d’autres programmes de mobilitéinternationale profiterait en particulier aux

étudiants et aux jeunes chercheurs des paysoù le manque de ressources raréfie lesoccasions de séjours à l’étranger. La mobili-té des chercheurs, et en général toute ini-tiative en faveur de la coopération intel-lectuelle internationale, semble suscep-tible de jouer un rôle croissant dans le pro-cessus actuel d’internationalisation de larecherche savante.

Les programmes de « retourdes cerveaux »

Un genre d’action qui revêt une importan-ce fondamentale pour le maintien de la pré-sence de la philosophie dans les paysmoins favorisés, concerne l’opportunitéofferte aux chercheurs partis étudier ou seperfectionner à l’étranger de retourner dansleur pays d’origine. La « fuite des cerveaux »vers les Centres universitaires et scienti-fiques du Nord constitue un véritable fléaupour la plupart des pays d’Afrique, maistouche également d’autres pays à travers lemonde. Une action visant à favoriser uneinversion de cette tendance pourrait jouerun rôle essentiel pour renforcer la présencede la philosophie dans ces systèmesd’enseignement. Un article récent deGumisai Mutume vient illustrer l’urgencedes actions à entreprendre(36). Les conditionsscientifiques, culturelles et sociales qui sontà l’origine de l’émigration jouent un rôlebien supérieur par rapport aux seulesconditions académiques. Une difficultésupplémentaire est représentée par lesmoyens nécessaires pour déterminer unetelle inversion de tendance. Un effort considé-rable peut s’avérer nécessaire pourencourager le retour des spécialistes expatriés.Il est significatif, à ce propos, que la plupartdes dispositifs mis en œuvre se trouvent

(34) The European Communityprogramme in the field of highereducation. Commission Européenne.http://ec.europa.eu

(35) Les 27 pays membresqui forment l’UE, plus l’Islande,le Liechtenstein, la Norvègeet la Turquie.

(36) Gumisai Mutume, « Inverserla “fuite des cerveaux” africains »,in Afrique Relance, vol.17, n°2.Juillet 2003. www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/afrec

d’arabisation de l’enseignement supérieur,y compris de la philosophie, représente unphénomène marquant de la situationtunisienne. Contrairement au niveausecondaire, pourtant, dans les Universitésce passage à la langue locale n’a été quepartiel. Les chercheurs tunisiens s’efforcentde publier dans des revues internationales,mais aussi à donner un public international

à des publications telles que la Revuetunisienne des études philosophiques.Dans cette optique, le français reste unelangue de référence. Le même phénomènepeut être observé au Maroc, où la politiqued’arabisation a commencé en 1972, maisoù la connaissance et la pratique dufrançais dans les Universités reste importante.

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(37) Informations obtenues depuisl’article de Pierpaolo Giannoccolo,« Brain Drain Competition Policies »in Europe: a Survey. Février 2006.www.webalice.it/mvendescolo

(38) www.unesco.org

(39) Les principes et conditionsrégissant ce programme sontdécrits dans une lettre circulaireadressée aux Commissions nationalespour l’UNESCO au début de chaqueexercice biennal.

CHAPITRE III

144

dans des pays qui disposent des ressourcesnécessaires pour favoriser ce retour destalents.

L’Italie représente un cas notable. Unprogramme appelé « retour des cerveaux »a été mis en place par le Ministère del’Université et de la recherche au début desannées 2000. Il prévoit que des chercheursayant exercé une activité de recherche àl’étranger pendant au moins trois ans puissentobtenir des contrats de professeur associéou de professeur titulaire auprèsd’Universités italiennes. Ces contrats ontune durée variable entre 1 et 4 ans etprésentent deux caractéristiques principales.D’une part, ils s’adressent à la fois à desspécialistes reconnus et à des chercheursplus jeunes, parfois en début de carrière. Lebut est de ramener ainsi dans le cadre del’Université italienne des personnalitésaffirmées, capables de porter au contactdes collègues et des étudiants italiens leursréseaux scientifiques et académiques,contribuant à accroître l’ouverture inter-nationale de la communauté universitaireitalienne. En même temps, ce programmedonne à des spécialistes plus jeunes lapossibilité d’exercer une activité de rechercheau sein de leur communauté d’origine.D’autre part, ces contrats d’enseignementet de recherche sont financés par leMinistère à hauteur de 90%, la chargefinancière laissée aux Universités étant ainsiextrêmement réduite. La participation dechercheurs en philosophie est loin d’êtrenégligeable. Bien que ce programme nerègle pas tous les problèmes liés à la fuitedes chercheurs italiens vers l’étranger, ils’agit d’un exemple intéressant dans lecadre des programmes mis en place par oudans les différents États européens(37).Pierpaolo Giannoccolo, un chercheur enéconomie de l’Université de Bologne,compare les différentes initiatives adoptéesà travers l’Europe. Son étude montre bienla différence existant entre des politiquesvisant à favoriser l’immigration de talentsétrangers vers des pôles d’attraction et destentatives ayant pour objectif de rapatrierdes spécialistes émigrés au sein de leur paysd’origine. Ce sont deux exigences distinctes,qui peuvent certes s’articuler mais qui, à traversles régions du monde, peuvent donner lieu àdes niveaux de priorité différents.

Un autre exemple qui mérite d’être évoquéconcerne les différentes actions mises enœuvre en Chine pour favoriser le retour deschercheurs partis se perfectionner outravailler à l’étranger. Le gouvernementchinois est en train de faire du retour de seschercheurs et diplômés à l’étranger une deses priorités, à travers des programmes telsque le Fund for Returnees to Launch S&TResearches (1990), le Program for TrainingTalents toward the 21st Century (1993), leprogramme Chunhui (1996), le ChangjiangScholar Incentive Program, le Program ofAcademic Short-return for Scholars andResearch Overseas (2001) et l’agence desupport Scientific Research Foundation forthe Returned Overseas Chinese Scholars.

Les Bourses UNESCO

Le programme de bourses de l'UNESCO(38)

consiste en l’attribution et en l’administrationde bourses, de subventions et de voyagesd'études. Il a pour double objectif, d’unepart, de contribuer au développement desressources humaines et au renforcementdes capacités nationales dans des domainesconformes aux objectifs stratégiquessouhaités et aux priorités du programme del'UNESCO. D’autre part, d’augmenter lesbourses coparrainées en accord avec desdonateurs intéressés.

La Commission nationale pour l’UNESCO,du pays dont le candidat est ressortissant, estle canal par lequel transitent les demandes.Les bourses proposées dans le cadre de ceprogramme sont de courte durée (six moismaximum) et sont prévues pour des forma-tions spécifiques de niveau post-universitaire.Les candidats ciblés doivent être très qualifiés,désireux de pousser leurs recherches oud'améliorer leur compétence et de se tenirau courant des dernières avancées dansleur domaine d'études ou de travail(39).

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

3) Le Réseau international de femmes philosophes parrainépar l’UNESCO : un tremplin pour tous

Le Réseau international de femmes philo-sophes, parrainé par l’UNESCO, a été lancéen mars 2007, à partir d’une idée basée surun constat, celui de l’absence de femmesphilosophes aux divers fora et rencontresphilosophiques. Pour des raisons économiquesou personnelles, parfois institutionnelles etparfois même à cause des mentalités, lesfemmes philosophes sont souvent moinssollicitées et donc moins mobiles, ce quirend les échanges d’une institution à uneautre, d’un pays à un autre, plus difficilespour elles. Beaucoup ont peut-être résoluce problème de représentativité, mais celademeure réservé à une partie de femmesphilosophes, se trouvant en Europe, auxÉtats-Unis d’Amérique… Cette non-repré-sentation ne traduit pas un désintérêt de lapart des femmes philosophes mais cacheplutôt des difficultés qu’il faudrait soulignertout en cherchant leurs causes profondes.L’idée du Réseau est donc d’aider la femmephilosophe qui n’a pas eu la chance de pou-voir aisément communiquer avec d’autresphilosophes, de diffuser ses travaux, depublier ses articles, d’être invitée aux colloqueset aux séminaires, et qui pourtant a certaine-ment beaucoup à donner et à transmettre.Ce Réseau s’adresse aux femmes philo-sophes où qu’elles soient, notammentcelles qui ont choisi la philosophie dansles pays en développement, et qui nebénéficient pas nécessairement d’une tribuneuniversitaire, éditoriale ou même professo-rale. Au delà de leur reconnaissance, deleur visibilité, c’est la posture même d’unefemme philosophe qui donne à réfléchir !Quel langage est utilisé ? Quelle place leurest donnée ? Quel regard a-t-on sur elle ?

S’interrogeant sur la meilleure manière desurmonter ces obstacles et de trouver unprocédé participatif, allant dans le sens dela créativité, de l’émulation voire de l’encoura-gement, l’UNESCO est arrivé à la conclusionqu’une méthode privilégié consiste à donnerla parole à ces femmes philosophes, àrelayer leur voix et leurs travaux, end’autres termes, à les rendre plus visibles etprésentes. Il s’agit ainsi d’offrir un espacede dialogue pour discuter, échanger, débattreet construire, le tout inscrit dans la durée.

Pour ce faire, il faut aussi bien mettrepleinement en valeur la diversité des origineset des parcours des participantes, que lespossibilités d’action qu’offrent les différentsdomaines de compétence de l’UNESCO. LeRéseau international de femmes philo-sophes entend être un outil rassembleurpermettant aux femmes philosophes d’offrirleurs points de vue sur une vaste gammethématique, sans aucunement se limiteraux thèmes liés au Genre.

L’UNESCO a lancé un Appel pour laconstitution du Réseau afin de construire,dans un premier temps, une base de donnéesde femmes philosophes dans le monde. Cetappel a été adressé à tous les réseaux departenaires de l’Organisation à travers lemonde. Au moment de la rédaction de laprésente Étude, cette base de donnéescompte plus de 1000 femmes philosophesde toutes les régions du monde (professeurs,chercheurs, doctorantes, etc.).

Les activités spécifiques du Réseau serontdéfinies par des comités constitués auniveau national, régional et international,sur la base des objectifs du Réseau citésplus haut et les priorités programmatiquesde l’UNESCO. Les activités envisagées àpartir de l’année 2008 consisteront notam-ment en la création d’un portail sur le siteWeb de l’Organisation qui rassemblera,inter alia, une base de données de femmesphilosophes par région et par domained’expertise, ainsi que l’élaboration, à l’instard’un Who’s Who, d’un répertoire biogra-phique des femmes qui comptent danscette discipline à travers le monde. L’UNESCOencouragera la participation des femmesphilosophes aux Journées mondiales de laphilosophie, aux Dialogues philosophiquesinterrégionaux, aux Congrès mondiaux dela philosophie, ainsi qu’à d’autres foraorganisés dans la discipline. Par ce réseau,l’UNESCO encouragera d’autres activités plusspécifiques telles que la promotion de l’en-seignement de la philosophie dans lemonde, ainsi que des actions concrètes departenariats et de jumelages Nord-Sud etSud-Sud.

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CHAPITRE III

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Le programme Dialogues philosophiquesinterrégionaux, lancé par l’UNESCO, vise àencourager un dialogue ouvert et construc-tif sur une question qui se situe au cœurdes préoccupations de la philosophie : lalutte contre l'ignorance, délibérémententretenue par des dogmatiques qui vou-draient encore nous faire croire, au nomd'une école ou d'une tradition, non seule-ment qu'eux seuls détiennent la Véritémais, qui plus est, que leur méthode devérification des connaissances est la seulecorrecte. Ce programme offre une occasionunique de considérer d'un oeil nouveau lepotentiel du dialogue dans un mondeglobalisé. Il est impératif de donner unesignification forte au concept de dialogueet de rechercher des stratégies dynamiqueset globales qui renforcent sa pertinence etsa vigueur. Le dialogue doit devenir uninstrument de la transformation, un moyende faire prospérer la tolérance et la paix, un

vecteur de la diversité et du pluralisme.De nombreux conflits s’alimentent enpartie d'un repli sur une religion ou unetradition spirituelle à l'exclusion de toutesles autres. Au delà des facteurs politiquesque l’on peut identifier ici ou là, ces replisidentitaires antagonistes sont dus à laméconnaissance de la longue histoire quilie les peuples, leurs cultures, leurs religionset leurs traditions spirituelles. Un des objectifsdu dialogue philosophique est de mettre enlumière les dynamiques d’interaction entreles traditions spirituelles et leurs culturesspécifiques en soulignant les contributionsqu'elles ont apportées à leur développe-ment réciproque, à travers la découverted’un héritage commun et le partage desvaleurs. Au moment où nous assistons par-tout dans le monde à des mouvementsséparatistes revendicatifs de spécificitésculturelles dont les conséquences sont par-fois meurtrières, il est du devoir de tous de

4) La promotion du dialogue philosophique interrégional

Le Secteur des Sciences sociales ethumaines de l’Organisation desNations Unies pour l'Éducation, laScience et la Culture (UNESCO),Convaincu de la place cruciale etincontournable des femmes dans laréflexion philosophique et de leur apportprécieux à une compréhension en pro-fondeur des grands défis de notretemps, Œuvrant à associer les femmes auxactions entreprises dans tous lesdomaines de compétence de l’UNESCO,et en particulier celles qui relèvent de lapromotion d’une réflexion et d’un dialogueentre les différentes régions du mondeau niveau de la recherche, de l’enseigne-ment et du débat,Constatant le besoin de renforcer laparticipation des femmes philosophesdans les diverses activités mises enœuvre par l’UNESCO dans le domainede la philosophie, et rappelant à cetégard les dispositions de la Stratégieintersectorielle de l’UNESCO concernantla philosophie visant à renforcer lesréseaux de philosophes à travers le mondeet à encourager la réflexion philoso-phique sous toutes ses formes,

Déterminé à poursuivre sans relâchel’action de l’UNESCO en faveur de lalutte contre les discriminations liées auGenre et à la défense de la cause desfemmes pour une place pleine et entièredans nos sociétés, Attentif en particulier aux préoccupationsdes jeunes philosophes pour l’évolutionde leurs cursus, en les encourageantvivement à prendre part à ce Réseau eten invitant leurs enseignants et directeursde recherche à les soutenir dans cettedémarche, 1) Vous annonce le lancement le 8mars 2007 - à l’occasion de la Journéeinternationale de la femme - du Réseauinternational de femmes philosophes del’UNESCO, regroupant le plus grandnombre possible de femmes philosophes,- philosophes/artistes, philosophes/écri-vaines, philosophes/poétesses, etc. -,de tous les pays et de toutes les tradi-tions philosophiques, afin de les impli-quer de façon dynamique et participati-ve dans les différents projets et activitésde l'UNESCO en matière de philosophie,et de leur apporter le concours del’Organisation dans le développement departenariats intellectuels solidaires et

soutenus en faveur de la philosophie. 2) Vous demande à toutes et à tousde nous aider à donner à cette initiativetoute l’ampleur nécessaire en répondantà cet appel et vous prie de bien vouloirnous transmettre une liste nominative defemmes philosophes, travaillant aujour-d’hui dans les domaines de larecherche, de l’enseignement, et del’ouverture du débat philosophique aupublic le plus large, ainsi que, dans lamesure du possible, leurs coordonnéeset biographies, afin que nous puissionsinclure leurs adresses de contact et laliste de leurs travaux dans la base dedonnées du Réseau international defemmes philosophes de l’UNESCO. 3) Vous invite à diffuser l’Appel leplus largement possible auprès devos collègues, connaissances et ami(e)sphilosophes, dont vous trouverez ci-après le texte dans les 6 langues officiellesde l’UNESCO (français, anglais, russe,espagnol, chinois et arabe).

UNESCO, janvier 2007www.unesco.org/shs/fr/philosophy

Encadré 37Appel pour la constitution du Réseau international de femmes philosophes de l’UNESCO

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Par ce projet, l'UNESCO se propose dejouer un rôle d'interface pour la forma-tion de réseaux dynamiques de philo-sophes de différentes régions dumonde, et en particulier de régions entrelesquelles il n'existe pas de tradition dedialogue philosophique. Les réunionsorganisées dans le cadre de ce pro-gramme visent à susciter un dialogueconstructif, libre et ouvert entre deuxrégions, de sorte que les philosophespuissent échanger des idées sur toutesles grandes questions qui les intéressent.[…] Indépendamment des régions impli-quées, les réunions organisées jusqu'icidans le cadre de ce programme ontabordé des questions telles que : […]Comment le dialogue philosophiquepeut-il contribuer au développement del'étude de la philosophie ? […] Quelssont les thèmes/problématiques surlesquels ce type de dialogue devrait porter ?Quel plan d'action l'UNESCO devrait-elleadopter afin de lancer un programmeefficace de dialogue interrégional ?Quelles méthodologies employer pourenseigner la philosophie asiatique dansdifférentes régions du monde, telles quel'Afrique et l'Amérique latine ? Quelstypes de programmes de renforcementdes capacités et d'échange d’idéespourrait-on envisager qui offriraient à dejeunes philosophes la possibilité d’unapprentissage mutuel ? Comment favoriserune compréhension mutuelle des traditionsde pensée entre deux régions ? […]Dans le cadre d'un dialogue philosophiqueentre l'Asie et le Monde arabe, deuxmanifestations ont déjà eu lieu. Le dialogue

entre ces deux régions a été lancé parune réunion de réflexion qui s’est tenueen novembre 2004 à Paris, en marge dela Journée mondiale de la philosophie.Son but était de fournir un espace pourdiscuter de l'établissement d’un dialoguephilosophique entre chercheurs desdeux régions et cultures, des défis etdes obstacles qui pourraient se présenteret des objectifs de ces rencontres. Lorsde la réunion, les philosophes ont soulignéla nécessité d'un dialogue philosophiqueentre l’Asie et le Monde arabe afin desurmonter les obstacles que représententles préjugés et le fanatisme et afin decombler les lacunes dans la connaissanceréciproque des deux régions. Tout ensoulignant l'existence de questionsuniverselles communes aux traditionsphilosophiques des deux régions, lesparticipants ont également mis l’accentsur l’importance de comprendre lesspécificités de ces traditions et de cultiverune conception pluraliste de la philosophie.Dans cette optique, et en raison de lanécessité pour les philosophes de toutesles régions d’apporter une réponse critiqueaux problèmes contemporains concernantla condition humaine, les participantssont tombés d’accord sur le fait qu'ilétait essentiel d'avoir un dialogue surdes sujet comme la démocratie, lapauvreté, la justice sociale, la modernisa-tion, le terrorisme ou la violence. […]Une conférence interrégionale […] s’esttenue en novembre 2005 à Séoul,République de Corée. Reprenant lesconclusions de la réunion de Paris, lesdiscussions lors de cette conférence de

deux jours ont porté sur le thème généralde la démocratie et de la justice socialeen Asie et dans le Monde arabe. À l’èrede la mondialisation il est en effet enco-re plus important d’étudier les rapportspassés de l'Asie et du Monde arabe à ladémocratie et à la justice sociale, etcomment nous pouvons travaillerensemble pour trouver de nouvellessolutions afin de mettre la philosophieen pratique et de promouvoir la justice.[… ] Forte de sa conviction, l'UNESCO estdéterminée à faciliter activement ledialogue philosophique. Les rencontresqui ont eu lieu jusqu'ici ont clairementdémontré l'énorme intérêt d’amorcer etde renforcer les échanges interrégionauxentre philosophes de diverses régionsdu monde. Malheureusement, nous nedisposons pas actuellement desmoyens financiers nécessaires pourrassembler tous les philosophes desrégions qui voudraient participer à detelles conférences mais, en agissant encoopération avec les forums de dialogueexistants, nous pouvons ensemblesurmonter les obstacles de la géographieet des autres clivages. […]

Extraits de l’Introduction de Pierre Sané,Sous-Directeur généralpour les Sciences sociales et humainesà l’UNESCO, de la publicationInter-Regional Philosophical Dialogues:Democracy and Social Justicein Asia and the Arab World(40)

Encadré 38Les Dialogues philosophiques interrégionaux

(40) Pierre Sané, “Introduction”, in Inwon Choue, Samuel Lee et Pierre Sané (dir.), Inter-Regional Philosophical Dialogues: Democracy and Social Justice in Asiaand the Arab World. UNESCO / Global Academy for Neo-Renaissance of Kyung Hee University / Korean National Commission for UNESCO, 2006.www.unesco.org/shs/fr/philosophy

promouvoir et d’établir un cadre dedialogue interculturel et philosophique. Il estégalement très important de rechercher lesmoyens de réduire les perceptions négativesde tel ou tel aspect d’une autre culture, et desupprimer ainsi la possibilité qu’ils puissentêtre cause directe de conflit ou manipulés àdes fins destructrices. Il faut en revancheinsister sur la contribution positive des

échanges interculturels, particulièrementdans le domaine de l’éthique et des valeurs.En ce sens, la dimension éducative du dia-logue interculturel par la promotion de laconnaissance réciproque est essentielle. Etil faut que cet éveil vers l’autre dans saproximité et dans sa différence se fasse dèsle plus jeune âge.

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CHAPITRE III

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IV. La philosophie au niveau supérieur en quelques chiffres

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Les deux derniers Congrès mondiaux dephilosophie ont eu pour titre, respectivement,Paideia : la Philosophie et l'éducation del'humanité (Boston, 1998) et La philosophieface aux problèmes mondiaux (Istanbul,2003). Cette ouverture progressive de laphilosophie aux problèmes de nos sociétéset au rôle que l’éducation à la philosophiepeut jouer dans la formation des citoyensde demain semble tout à fait cohérenteavec la place qu’elle occupe au sein dessavoirs actuels. Aujourd’hui plus quejamais, l’enseignement philosophique avocation à éduquer à la critique de toutsavoir considéré comme acquis, contre toutsystème conceptuel dogmatique et doctri-naire. Par sa nature, elle se donne pourtâche de dégager les structures intentionnellesfondamentales de chaque culture et dechaque comportement humain, individuelet social, pour les enraciner dans uneperspective historique et les libérer de touteambition d’absolu. Elle libère les individus dupoids des conditionnements éthiques,culturels et sociaux dont ils héritent et, parcette action critique, peut se heurter à desrésistances venant de l’une ou l’autrecommunauté de culture.

Parce qu’elle forme en premier lieu l’espritcritique des personnes, la philosophie exer-ce son action libératrice à travers un proces-sus éducatif. Elle apprend en premier lieu àcomprendre la complexité de l’agir humain,à voir dans chaque acte et dans chaqueattitude l’expression de formes spiri-tuelles dont elle reconnaît la nature his-torique et qu’elle met en condition d’in-teragir et de se modifier mutuellement. Ledialogue entre cultures n’est rendu possibleque par cette habitude à voir dans lesmœurs et les éthiques des autres, l’expressiond’une élaboration du monde capable decommuniquer avec notre propre rationalité.Elle nous apprend en quelque sorte unlangage rationnel universel, permettant dedépasser les cristallisations historiques

s’exprimant à travers la diversité des systèmeséthiques. La présence de la philosophie àtravers le monde, malgré une inégalitéencore criante, exprime la conscience del’importance de cette éducation contre lamontée des irrationalismes et des intolérances.

Pour que cette fonction puisse se déployerpleinement, l’enseignement de la philosophiedoit rester libre. La liberté académique, laliberté d’enseignement et d’apprentissagede la philosophie, représente une conditionnécessaire de l’éducation philosophique.Elle ne sera jamais parfaite. Sa qualité reflète-ra le niveau de formation de chaque ensei-gnant-chercheur. Mais aucune instanceexterne à la dynamique des échangesscientifiques ne peut prétendre fixer lespriorités de la recherche, juger de la pertinen-ce des discussions ou établir les limites dudomaine disciplinaire. Lorsque des inter-ventions sont légitimes, comme dans le casdes négationnismes de toute sorte, elles s’ap-puient toujours sur une violation du principede probité scientifique, et sur sa reconnais-sance par l’ensemble des pairs.

Comme toute discipline savante, la philoso-phie évolue, et des approches autrefoisnégligées peuvent s’avérer fructueuses.C’est pourquoi le soutien à la recherche età l’enseignement philosophique devraitreprésenter une priorité stratégique pourl’UNESCO et ses États membres. Touteaction de soutien ne peut que viser àrenforcer la place des communautés dephilosophes, tout en les laissant libres de sedévelopper selon une diversité maximaled’approches et de choix thématiques,méthodologiques et conceptuels.Subordonner la défense de la philosophie àcertaines priorités disciplinaires signifiesacrifier des approches qui peuvent paraîtrenégligeables aujourd’hui mais qui sontsusceptibles de porter, demain, des fruitsthéoriques et culturels inespérés.

Conclusion : la philosophie en devenir

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CHAPITRE IV

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Découvrir la philosophie autrementLa philosophie dans la Cité

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Introduction : l’Autre de la philosophie 153 Notice méthodologique 153

I. Le besoin de philosopher 154 - 1601) Le culturel 1552) L’existentiel 1553) Le spirituel 1564) Le thérapeutique 1575) Le politique 1586) Le relationnel 1597) L’intellectuel 160

II. La pluralité des pratiques philosophiques 161 - 177

1) Portrait de l’existant : modalités de la philosophie pratique 161> La consultation philosophique> Le café philosophique> L’atelier de philosophie> Les succès éditoriaux> La philosophie avec les enfants en dehors de l’école> La philosophie en entreprise> La philosophie en milieu difficile

2) Quel statut et quelle position pour le philosophe praticien ? 170> Animateur de discussion, philosophe de contenu, philosophe de forme> Le salaire du philosophe

3) Analyse de la pratique philosophique 173> Lieux communs de la pratique > Critique de la pratique > Compétences philosophiques

III. Vingt propositions d’action pour philosopher 178 - 192

1) La philosophie non académique et les institutions 1782) Reconnaissance institutionnelle 179

> Comprendre la pratique philosophique et ses raisons d’être> Reconnaître la dimension culturelle de la pratique philosophique> Interlocuteur ministériel, jeunesse et vie associative> Reconnaissance de la pratique philosophique dans le domaine de la santé > Reconnaissance de la philosophie dans les organismes de formation

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3) Formation et professionnalisation 182> Généralisation d’un Master en pratique philosophique> Mise en place de structures professionnelles de philosophes praticiens> Promouvoir la pratique philosophique comme débouché professionnel> Développement du Service Learning en philosophie

4) Le rôle du philosophe dans la Cité 185> Travailler avec les jeunes en rupture> Personnes en situation précaire > Philosopher en prison > Philosopher avec les retraités> Promouvoir l’activité philosophique en entreprise> Philosophe de ville > Journée(s) de la philosophie > Projets Internet> Olympiades philosophiques> Débats après les films > Maison de la philosophie

IV. La philosophie au niveau informel 194

en quelques chiffres 178 - 192

Conclusion : est-ce philosophique ? 195

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153

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Philosopher ailleurs, philosopher différem-ment ? Il est difficile de cerner et de définirl’activité philosophique non académique.Déjà, comment faut-il la nommer ?Philosophie informelle, naturelle, populaire,non institutionnelle, hors les murs... Aucunde ces termes ne semble qualifier adéqua-tement cet « autre » de la philosophie. Eneffet, le sermon religieux est d’une certainemanière susceptible d’engager celui quil’écoute à philosopher. Tout comme le griotreprend les vieux contes de la traditionorale. Tout comme le militant pour unesociété plus juste peut inviter ses concitoyensà philosopher, tout comme le professeur deyoga, tout comme certains thérapeutes quiprônent une forme ou une autre dedéveloppement personnel à travers laréflexion. Philosophent-ils moins que leprofesseur de philosophie qui enseignedans sa classe ? Rien n’est moins certain.Tout dépend bien sûr de ce que l’on entendpar le terme de philosophie. La querelleentre l’enseignement des sophistes et la

maïeutique socratique inaugure cette dispute,consubstantielle avec l’histoire de la philosophie.Ambiguïté du double terme de sophia : laphilosophie comme transmission de savoirou la philosophie comme apprentissagede la sagesse. On trouve également chezKant la distinction entre une philosophiepopulaire et une philosophie académique.Débat éternel, que l’on retrouve, plus récem-ment, entre philosophes, pour déterminer sioui ou non il existe une philosophie nonoccidentale, africaine, chinoise ouindienne. Pour les tenants de la thèse« classique », d’inspiration heideggérienne,selon laquelle la philosophie est née spéci-fiquement en Grèce à l’époque classique,une conception élargie de la philosophiesera non seulement rejetée, mais risque defaire scandale. Cette vision restrictive de laphilosophie est sans doute une des raisonspour lesquelles cette discipline, jusqu’àune date récente, semble s’être cantonnéeprincipalement à l’intérieur des murs de laclasse ou dans l’enceinte des bibliothèques.

Introduction : l’Autre de la philosophie

Il s’agit ici de penser comment peut sedévelopper une activité philosophiquenon académique, qui ne saurait ignorerl’académie, mais qui tenterait de sedéployer sous diverses formes dans toutesles strates de la société. Sera ainsi examinéel’origine de ce besoin de philosopher,manifesté fortement depuis plusieursannées. On prêtera également attentionà la nature et à l’origine, aux modalitéset aux enjeux de cet enseignement nonacadémique de la philosophie. Commentest-il perçu par la philosophie traditionnelleou académique ? Comment se décline-t-ilet sous quelles formes ? Quelle est sonancienneté et son devenir ? Pour ce faire,des contributions d’auteurs décrivantplusieurs pratiques provenant d’horizons

géographiques variés sont citées. Ellesproviennent soit d’entretiens directs, soitde témoignages écrits, soit de comptes-rendus de rencontres, de colloques ouautres. Elles ont principalement pour butd’informer, de témoigner et d’illustrer lamultiplicité des expériences conduitesdans le domaine du « philosopher autre-ment ». Le lecteur se rendra compte queles exemples et les références proviennentde sources variées, attestant d’une certaineprésence - ou d’une présence certaine -de ces pratiques philosophiques dans lemonde aujourd’hui. Enfin, un certainnombre d’orientations et de propositionsfondées sur les pratiques existantes sontproposées.

Notice méthodologique

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CHAPITRE IV

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Les raisons ou natures de ce besoin,comme toujours dans ce type de bascule-ment paradigmatique, sont sans aucundoute multiples et complexes. Il ne s’agit pastant d’en analyser les causes, mais des’intéresser plutôt aux formes du phénomène,parce que le désir de philosopher est on nepeut plus naturel, comme le désir esthétique.Quelques hypothèses seront néanmoinsavancées afin d’en cerner l’origine. La plusflagrante est la chute ou la perte desgrands schémas idéologiques, politiques,moraux ou religieux traditionnels. La réfé-rence au traditionnel fait aussi l’objetd’une « refondation ». Nous vivonsaujourd’hui, en particulier dans la sphèreculturelle d’influence occidentale, dans le« chacun fait sa propre cuisine » de la pensée.Même ceux qui adhèrent à une visionspécifique du monde, tendent souvent àrevendiquer une personnalisation et uneautonomie dans l’articulation de leurrapport au schéma en question, qu’elle soitsingulière ou communautaire. Chacuncherche donc à formuler par lui-même lesvaleurs, les raisons d’être, les finalitésexistentielles susceptibles de donner sens àson existence particulière. Dans cecontexte, le penser par soi-même de laphilosophie présente un cheminement ouune perspective qui peut tout à fait conve-nir à une quête de sens bien concrète. Or,c’est à partir de cette demande que s’inscritdéjà la situation en porte-à-faux face à lavision académique, où le besoin existentiel,sans être absolument inexistant, joue unrôle nettement moins prépondérant. Ladeuxième raison, qui fait écho à la première,est la transformation des fonctionnementssocio-économiques traditionnels : l’accélé-ration de ces changements déstabilise lesstructures identitaires établies et oblige à unerecherche d’ancrages et de valeurs nouvel-les. Troisième point important : la banalisationde la culture psychologique, qui prône laquête de soi comme l’objet d’une activitélégitime, ce qui débouche naturellement

dans la multiplication des pratiques dedéveloppement personnel. Sur le planhistorique, il est intéressant de noter que ce« souci de soi » a toujours été une sorte« d’autre » des grandes thèses philosophi-ques. Ces dernières portent plutôt sur laréalité du monde, de la pensée ou de l’être,réalité qui conditionne l’individu, enopposition à une activité liée à la singularitéd’un être spécifique, considérée moinsnoble et plus prosaïque. Même la philosophieexistentielle, tout en prônant les conceptsd’identité ou de projet personnels, semblese préoccuper plus d’universalité que desingularité. Il est ironique d’observer que lefondateur de la philosophie occidentale,Platon, qui reprenait à son compte le« connais-toi toi-même » socratique, n’asur ce plan pratiquement jamais été mis enœuvre en tant que pratique quotidienne. Letravail de conceptualisation ou de problé-matisation, la classification des idées, laproduction de systèmes, la logique, ladialectique et la pensée critique, sont restésau cœur du fonctionnement philosophiqueoccidental, et l’interpellation du sujetderrière le discours a pratiquement disparu.C’est cette observation qui mena Lacan àdénoncer une corporation de « Filousophes »,pour leur déni du sujet. Ici ou là, à traversl’histoire, on apercevra l’idée existentiellede la philosophie comme consolation(Boèce, Sénèque, Abélard), ou commesouci de soi (Montaigne, Kierkegaard,Foucault), mais ces tentatives ont toujoursété le fait d’une apparition éphémère.

Nous rencontrons un autre écho de ce phé-nomène sur le plan pédagogique, à tra-vers une certaine valorisation de la penséeface à la connaissance. En effet, bonnombre de réformes dans le domaine del’enseignement dans le monde, tendent, àtort ou à raison, justement ou excessivement,à moindrement privilégier la transmissionde connaissances, pour favoriser surtout letravail sur l’appropriation, le dialogue,

I. Le besoin de philosopher Depuis quelques années, nous assistons à une montée en puissance dela philosophie « hors les murs », une philosophie désenclavée, qui à lafois se cherche et semble correspondre à un besoin fondamental ou vitalde notre société.

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l’analyse, etc. Que cela prenne la forme ducritical thinking, du débat en classe, de lacommunauté de recherche ou du« apprendre à apprendre », la dimensiondialogique, subjective et intersubjective dela culture est mise au goût du jour. Unecertaine suspicion s’est quelque peu installéevis-à-vis de l’évidence de l’objectif et del’universalité, au risque d’ailleurs de glorifier lesingulier et la simple opinion. L’expériencepersonnelle semble primer sur la pensée apriori. Et c’est sur ce terreau quelque peuspécifique que vient se greffer le renouveauactuel du désir de philosopher.

Quelles motivations philosophiques ? Nousretrouvons plusieurs types de motivation chez

ceux qui s’adonnent à l’activité philoso-phique. Or, il paraît important de com-prendre et de recenser ces motivations, carcertaines d’entre elles sont assez étrangè-res les unes aux autres, voire restent parfoiscarrément opposées. Si les attentes et lesdemandes peuvent dans l’absolu se rejoin-dre, dans la forme et dans le fond, elles sedistinguent néanmoins de manière assezmarquée. Nous tenterons de les définir icien un certain nombre de grandes catégo-ries. Il s’agira de voir ces catégories non pascomme correspondant à des secteursbien tranchés de population, mais commedes tendances, qui se recoupent chez lesuns et les autres, mais avec des inflexionsdiverses ou en proportions différentes.

1) Le culturel

Nous commençons par la demande culturelle,non pas parce qu’elle est nécessairement laplus importante ou la plus courante, maisparce qu’elle est la plus traditionnelle. C’estcelle qui anime bon nombre d’Universitéspopulaires, Universités du temps libre,Université inter-âge, tous lieux où sontdispensés principalement des cours ou desconférences destinés au grand public. On ytrouve principalement un public qui vients’initier à quelque chose qu’il ne connaîtpas, ou peu, mais qui lui paraît importantou utile de connaître pour des raisons deculture générale. Il s’agira principalementde femmes au foyer et de retraités. Pour lesfemmes au foyer, nous trouverons surtoutcelles dont les enfants commencent à êtregrands et qui, ayant un peu plus de tempslibre se demandent ce qu’elles pourraienten faire. L’âge avançant, elles souhaitent seconsacrer un peu moins aux autres, à leursproches, et un peu plus à elles-mêmes.Certaines d’entre elles ont arrêté leursétudes pour fonder une famille, mais nesentent plus d’âge à reprendre des étudesplus poussées : la formule généraliste etamateur leur convient donc très bien. Lespersonnes qui fréquentent ce type de lieupréfèreront bien souvent une vision

généraliste et moins spécifique, ellesapprécieront les programmes de conférencequi leur offrent une vue panoramique desgrands thèmes, plutôt que d’approfondirune thématique spécifique, sans quoi ellessuivraient plutôt des cours « classiques »d’Université. Chez les retraités, on rencontrerasouvent des personnes, hommes ou femmes,qui ont eu une carrière dans des domainestechniques, administratifs ou autre, qui leuront laissé une certaine insatisfaction sur leplan culturel, et qui souhaitent profiter deleur temps libre pour rattraper ce manque.Ce seront aussi des personnes qui n’ont pasreçu une éducation très poussée, mais quiont lu toute leur vie ou ont tenté des’éduquer comme ils le pouvaient enautodidacte, et qui désormais désirentmener une activité plus continue. Dans cespublics, certaines personnes se lancerontpar la suite dans des études plus formelleset poussées, en tentant de décrocher undiplôme susceptible de les valoriser. Pourcertains ce sera leur premier diplôme d’étu-des supérieures. Des tentatives plusrécentes d’Universités populaires tententnéanmoins de renouveler le genre, enproposant par exemple des formules plusparticipatives, voire des ateliers.

2) L’existentiel

Dans la catégorie précédente, c’est laconnaissance qui était mise de l’avant, bien

que cette quête de connaissance puisseêtre liée à d’autres dimensions, de nature

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CHAPITRE IV

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(1) Le New Age est un vaste courantspirituel occidental des XXe et XXIe

siècles, caractérisé par une approcheindividuelle et éclectiquede la spiritualité et animé parla volonté de préparer l’humanitéà l’avènement d’un « nouvel âge »d’harmonie universelle.

plus existentielle. Nous observons que laparticipation aux activités philosophiques,pour ceux qui décident par eux-mêmes des’y lancer, concerne principalement lespersonnes à partir de la quarantaine. Cettesituation peut s’expliquer par deux raisons,relevant de la question existentielle. Lapremière est que la quarantaine correspond àpeu près à l’époque des premiers bilansd’existence. Dans le secteur économiquementavancé, cela correspond à l’entrée dans ladeuxième moitié de l’existence. On tentedonc d’examiner ce qui s’est passé durantla première moitié de vie. On examine sonintérêt, son sens, sa valeur, etc. On commenceà se demander si « tout cela » n’est pasvain, si la vie n’est pas autre chose que lasomme totale des petits gestes quotidiens.La seconde raison, liée à la première, estque la dimension pratique de la vie s’estquelque peu « mise en place ». On necherche plus tant à se trouver une carrière :elle est à peu près définie. Le statut estquelque peu établi, il devient plus difficilede fantasmer sur ce que l’on pourrait faireou ce que l’on pourrait être. De surcroît unecertaine fatigue s’installe, psychique etphysique, et l’on ne souhaite plus tant couriraprès des châteaux en Espagne ou mêmeaprès des « récompenses » matérielles ouconcrètes. Dans la tradition brahmanique,cela correspondait au troisième âge.

Le premier étant celui de l’apprentissage,le second étant celui de l’action, le troi-sième étant celui de la méditation. À cemoment-là, on laisse la génération suivantes’occuper des affaires courantes, pourprendre de la distance et devenir un sage,en s’éloignant de la « course poursuite »,que ce soit celle de l’activité matérielle, dela gestion des affaires ou de la quête desplaisirs de ce monde. Bien entendu, selonles tempéraments, les cultures et la possibilitééconomique, cela commencera vers laquarantaine, mais se déterminera de diffé-rentes manières ou à des moments différentsselon les individus et les circonstances. Enn’oubliant pas que dans certains contextessocio-économiques, même à un âgeavancé, s’il est possible d’atteindre un telâge, il n’est pas possible matériellementd’échapper à l’activité de survie.

En guise de résumé, avançons le principegénéral que lorsqu’il s’agit d’une quêteexistentielle, l’activité philosophique faitécho au besoin de se comprendre, demieux appréhender le monde, d’envisagerla finitude de l’être, d’accepter l’imperfectiondes choses, voire de commencer à envisagerla mort, etc. C’est l’écho que l’on rencontredans le succès des diverses démarches dedéveloppement personnel.

3) Le spirituel

La quête spirituelle est très liée à la quêteexistentielle, mais avec des formulations etdes besoins plus spécifiques, que nousnommerons métaphysiques. Cette catégoriepeut être classée comme un cas particulierde la quête existentielle, mais elle rencontredes enjeux spécifiques, ne serait-ce queparce que l’existence particulière ou indivi-duelle peut y être perçue comme de naturesecondaire ou peu substantielle par rapportà des enjeux ontologiques ou des soucisplus abstraits. La philosophie est alorsconçue comme un succédané de la religion,avec le risque du philosophe conçu commeun dispensateur de vérités. Le rejet desgrands schémas religieux, en particulierpour leurs obligations rituelles, leurs hié-rarchies figées et leurs impératifs moraux,contribue pour bonne part à cet engouement.Nous rencontrerons couramment chez ce

public une sensibilité assez marquée pourles thèses New Age(1) et pour la philosophieorientale. Un résumé rapide de cettesensibilité montre qu’il s’agit d’un syncrétismecomposé d’éléments religieux et philosophi-ques très divers, orientaux et occidentaux,théologiques, ésotériques et animistes. Ladéité tend à y être dépersonnalisée, lapersonne humaine tend à y être déifiée,dans le but principal de réussir à dépasserl’opposition entre l’humain et le divin. Lesconcepts ou thèmes récurrents y sont ceuxd’unité universelle, d’harmonie globale etd’autonomie personnelle, d’une ère nouvelleoù l’humanité réaliserait son potentielphysique, psychique et spirituel, où chaqueêtre serait intégralement lui-même, où lafinitude serait dépassée. Un des paradoxesdu rapport entre cette sensibilité et laphilosophie est que le New Age prône un

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

« dépassement du mental », c’est-à-direqu’il défend l’intuition contre le concept, cequi est plutôt contraire aux thèses classiquesde la philosophie. On peut cependantrendre compte du rapport avec l’activitéphilosophique, d’une part parce quel’influence du New Age n’est pas toujoursd’une radicalité extrême, et d’autre partparce que les nouvelles pratiques philoso-phiques élargissent le champ de la culturephilosophique et de ses références culturellesainsi que des modalités de la pensée. De lamême manière, bon nombre de « chrétiensculturels », en particulier catholiques nonpratiquants, se retrouveront dans ladémarche philosophique, puisqu’elle permet

d’aborder des thématiques métaphysiquessans pour autant partir d’un discoursréférencé à une quelconque révélation. Lestenants d’un tel schéma, de manière plusou moins consciente, viendront à la philo-sophie pour obtenir des réponses à leursinterrogations, avec le risque de percevoirle philosophe comme un succédané duprêtre, celui qui fournit les éléments de laréalité ultramondaine. Néanmoins, si lespersonnes viennent à un atelier de philosophieet non chez le gourou ou à l’église, c’estqu’elles souhaitent malgré tout, dans unecertaine mesure, s’engager dans une voiephilosophique.

4) Le thérapeutique

Autre forme spécifique de la demandeexistentielle, la demande thérapeutique. Ladifférence principale en est l’exacerbationdu problème posé. Lorsque la quête desens prend plutôt la forme d’une douleurrelativement insupportable, lorsque lequestionnement devient une hantise et ledoute paralyse le fonctionnement auquotidien, on peut considérer qu’il y a là undésordre risquant de verser dans lepathologique. La ligne de démarcation, sinous pouvons en proposer une, entre leproblème philosophique et le problèmepsychologique, serait le maintien de lacapacité de raisonner, donc de se distancierun minimum de soi-même. Mais cetteprétendue ligne n’est pas aussi claire ouévidente que cela à tracer. Périodiquement,la philosophie apparaît par exemple commeune activité de consolation face aux malheursde l’existence, et même si ce n’est pas saforme la plus courante, du moins demanière avouée, cela reste toutefois unedes possibilités de son champ d’action.Certains philosophes travaillent d’ailleursexplicitement avec des personnes reconnuescomme des malades mentaux par lesexperts en la matière, par exemple en hôpitalou en unité pédagogique spécialisée, afinde les réconcilier avec leur statut d’êtrespensants. Sans aller à des cas aussi extrêmes,certaines personnes participent à desateliers ou s’inscrivent pour des consultationsparticulières, qui souffrent de difficultésévidentes, même aux yeux d’un non spé-cialiste. Dans ces différents cas de figure,

on se demandera dans quelle mesure laphilosophie est envisageable avec un telpublic, voire si elle est utile ou pertinente,mais le fait est qu’une partie du publictouchée par la pratique philosophiquerelève de cette catégorie. Certains philosophespraticiens contestent directement etouvertement la mainmise de la psychologieclinique, de la psychiatrie, de la psychothéra-pie ou de la psychanalyse sur les troublesmentaux, en affirmant qu’il y a là un souciextrême et illégitime de classer commepathologie des fonctionnements qui relèventtout simplement des problèmes existentielsparfois aigus, problèmes qui peuvent etdoivent parfois être adressés par une pratiquephilosophique, plutôt que par une pratiquedite médicale. Ils voient dans le « psy-chologisme » ambiant une infantilisationde l’homme, une perte de son autonomie,une médicalisation outrancière, un réduction-nisme régressif, voire un consumérisme del’esprit qui prétend qu’il faut tout faire pourse trouver bien, en occultant la dimensiontragique et finie de l’être humain. Cettequestion met au jour un autre enjeuimportant : celui du statut de la penséerationnelle face aux sentiments, aux douleurs,aux passions. La pensée rationnelle doit-elleêtre conçue comme ce qui est constitutif del’être singulier, ou est-ce au contraire ce quil’empêche de vivre ? Bien entendu, peu depersonnes se placeront à l’une ou l’autre deces positions extrêmes, mais chacun seratout de même plus attiré par un côté que parl’autre. Quant aux personnes qui souhaitent

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participer à une activité philosophique,certaines trouveront leur compte dans letemps pour « résoudre » leurs problèmes

ou atténuer leur souffrance, mais d’autresne pourront qu’être renvoyées à leur propremarasme.

Depuis deux ans, je suis écoutant etformateur bénévole à l’association SOSSuicide Phénix créée en 1976 à Paris.La réflexion sur le suicide implique laréflexion plus générale sur la mort etl’histoire de la philosophie et est à cetégard riche de points de vue et d’ap-proches. Pour certains, Montaignereprenant Platon, la philosophie auraitmême pour but principal d’ « apprendreà mourir ». La formation dispensée auxbénévoles de l’Association ne consistepas à enseigner l’histoire de la philo-sophie de la mort et du suicide mais àfaire réfléchir les nouveaux écoutants,au moyen d’un échange d’inspirationsocratique où chacun tente d’élucider,avec l’aide des autres, sa propre postureface à la mort en général et le suicide enparticulier. L’animateur, s’appuyant surses connaissances de l’histoire de laphilosophie ne fait que reformuler,clarifier, relier, relancer, « pousser plusloin », les interventions des nouveauxécoutants. Cette formation initiale duredeux heures mais il est actuellementquestion de la prolonger par des sessionsrégulières de formation continue. Cetteformation initiale à une réflexion person-nelle sur la mort et le suicide s’insèredans deux autres formations : à l’histoirede la prévention du suicide et à lasociologie du suicide d’une part, et à lapsychopathologie du suicide d’autre part.Dans ma propre pratique d’écoutant à

SOS Suicide Phénix, je suis confronté,en schématisant, à deux types dedésespoir, seul motif du suicide. Unpremier, où la « philosophie », en tantque réflexion sur le sens de la vie, n’estd’aucun secours. C’est le cas pourcertains appelants suicidaires qui sontdésespérés non pas par manque ouperte d’un sens, mais par manque demoments de bonheur, de plaisir ou dejoie. La seule chose à faire, dans ce cas,est d’aider l’appelant à explorer dans savie s’il ne néglige pas, s’il ne passe pasà côté d’occasions de « moments » (ausens de Virginia Woolf) nécessaires pourlui pour « que la vie vaille à nouveau lapeine d’être vécue ». Un autre type dedésespoir, en revanche, mobilisemassivement et en priorité la réflexionphilosophique. C’est le cas lorsquel’appelant est désespéré parce qu’il a« perdu le sens de sa vie ». L’échangequi s’engage alors tourne autour de ceque peut être « un sens de la vie », est-il à trouver comme un trésor enfouiquelque part, est-il à construire, seul ouavec d’autres, etc. ? Dans ce deuxièmetype de désespoir le dialogue quis’établit n’est pas très différent de celuipratiqué dans tous les échanges philoso-phiques que j’anime, comme par exempleceux dans un hôpital psychiatrique, situédans la banlieue Est de Paris. Une foispar semaine, les patients de l’hôpital dejour se réunissent pendant deux heures

autour d’un psychologue clinicien pourfaire le bilan de la semaine, pour parlerde ce qu’ils ont vécu à l’extérieurcomme à l’intérieur du service où ilssuivent des thérapies et où ils fréquententtoutes sortes d’activités artistiques etartisanales. Une fois par mois, je mejoins à eux et après un tour de table oùchacun exprime ses préoccupations etdésirs, nous choisissons un thèmeautour duquel nous échangeons ensuite.Il y a une grande demande de la part despatients de sortir d’un point de vueuniquement psychologique et donc unpeu étriqué sur leur mal-être. Le fait depouvoir relier leur destin individuel à uneproblématique plus vaste, plus universelle,telle que la philosophie ambitionne del’effectuer depuis son invention parSocrate « Connais-toi toi-même et tuconnaîtras les mortels et les immortels »,a un effet thérapeutique indéniable. Les patients, très repliés sur eux-mêmesau début des échanges, s’ouvrent ets’animent de façon spectaculairelorsqu’une intervention ou un échangeles « interpelle » pour des raisons qu’ilspourront éventuellement continuer àélucider avec leur thérapeute.

Günter Gorhan,Animateur de débats philosophiques(France)

Encadré 39La philosophie, la prévention du suicide et la « maladie mentale »

5) Le politique

De la même manière où certaines personnesconçoivent l’activité philosophique commeun succédané du religieux, d’autres yviennent pour un succédané du politique.Ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abordparce que l’on se refuse à « acheter » desschémas tout faits. Ce n’est pas d’époque,chacun veut concocter son idéologiepropre, sans toujours en être conscient.Ensuite, parce que règne aujourd’hui uneforte suspicion vis-à-vis des hommespolitiques, perçus souvent comme despersonnes avides de pouvoir ou d’argent,corrompus et prêts à tous les coup bas.Troisièmement, parce que l’immanent

prime sur le transcendant : l’interpersonnelest plus populaire que les institutions, leconcept de charité a meilleure presse quecelui de la justice, l’humanitaire est plusfiable que le politique. Quatrièmement,parce que l’engagement n’est pas d’actualité :le militant n’est pas un idéal, nous voulonstous être « libres et autonomes », nouspréférons les structures informelles, lesassociations et les comités, aux partis ouaux clans. Le débat d’idées plaît parce qu’ilest ouvert, le débat d’opinions est à lamode, en privé comme en public, dans lesmédias comme au travail. Bien entendu, laquestion reste de savoir si l’activité philosophique

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

se prête à ce type d’exercice, si elle peut semarier avec le débat d’opinions politiques.Sur le rapport au débat et à l’opinion, lesphilosophes auront tous leur mot à dire, etles thèses s’entrechoqueront. Mais il est clairque bon nombre de personnes viennent àl’activité philosophique précisément pourcette raison : pour débattre de leurs idéesà propos de la justice, de l’économie, del’éthique, de la politique, de l’environne-ment, de la liberté, du pouvoir de l’argentet des médias, pour ne citer que quelques-uns des thèmes récurrents. Ils cherchent unlieu pour exprimer leurs idées, pour enten-dre celles des autres, pour partager leursopinions avec leurs concitoyens ou pour seconfronter à eux, pour fourbir leurs argu-ments ou pour démonter ceux des autres.Vient-on pour convaincre, pour apprendreou pour réfléchir ? Après tout, les philoso-phes patentés défendent bien souvent dessystèmes, et les amateurs ne le souhaitentpas moins. Certains lieux de pratiquephilosophique défendent l’idée que laphilosophie n’a de sens que si elle

« débouche sur de l’action », ou qu’elle estnécessairement politique pour avoir unequelconque réalité. Quoi qu’il en soit, ledésir d’une société meilleure ou d’unesociété plus juste anime théoriquementtant la réflexion philosophique que politique,et il n’est pas toujours facile de distinguerl’une de l’autre. Mais certains lieux depratique philosophique souffriront rapidementd’une certaine « fermeture » si une visionou une tendance y devient hégémonique,comme c’est aussi le cas pour tout lieu oùrègne une certaine manière de penser surun sujet ou un autre. La seule différenceétant que le débat politique attise peut-êtreplus facilement les inimitiés idéologiquesque d’autres sujets. En tous cas, ce type dedébat permet tout de même d’approfondirquelque peu les enjeux en engageant undébat d’idées, pour sortir de la politiquespectacle, de la défense des intérêts parti-culiers ou de la politique communication, àcondition bien entendu qu’il soit mené demanière adéquate.

6) Le relationnel

Une des raisons d’être ou motivation del’activité philosophique, aussi surprenantque cela puisse être, est le désir d’entrer enrelation avec ses semblables. Et c’est eneffet un excellent moyen de rencontrerd’autres personnes, en particulier dans nosgrandes villes où il n’est pas toujours évidentde lier des rapports sociaux et d’engager laconversation. D’autant plus si l’on désireque ces rapports aient un certain niveau deréflexion et de contenu et que l’on neveuille pas « frayer » avec n’importe qui.On peut se dire qu’une personne quifréquente un lieu philosophique doit sansdoute avoir un certain niveau culturel,social et économique, avoir de bonnesmanières, etc. Bien que par expérience celane soit pas nécessairement le cas ! Certainsmagazines citent parfois le café philosophiquecomme un lieu conseillé pour faire desrencontres, d’autant plus qu’il est trèsnaturel de discuter avec ses voisins dans cetype de lieu, puisque la discussion est sonactivité constitutive. Contrairement àd’autres activités, on peut y assister demanière passive, se taire si l’on n’est pas àl’aise pour parler.

Au-delà du côté caricatural, que certainspuristes trouveront ridicule, de tels lieuxparticipent en effet à tisser du lien social.Nous ne rencontrons pas toujours lesinterlocuteurs que nous désirerions rencontrer,surtout si nous avons envie de parler dethèmes « importants » qui n’intéressentpas tout un chacun. De surcroît, comme ilexiste une palette d’activités philosophiques,avec des exigences très différentes, chacunpourra trouver - ou ne trouvera pas - le lieuqui correspond à ses attentes, avec le publicqui lui convient. Il semble utile que de telslieux existent, où l’on peut rencontrer sessemblables pour simplement échanger desidées, tout comme il existe des lieux où l’onpeut jouer au foot ou visiter les musées engroupe. Mais là encore, les puristes déplore-ront le fait que l’activité philosophique seréduise à être un lieu de rencontre, que laphilosophie soit instrumentalisée pour com-bler les manques relationnels des individus.

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7) L’intellectuel

Une catégorie est consacrée à la motivationintellectuelle, car elle renvoie à un besoinspécifique : apprendre à penser, le plaisir depenser. Certes, elle peut recouper d’autresmotivations, par exemple la motivationexistentielle, ou culturelle, mais il noussemble qu’il y a là une spécificité méritantd’être mentionnée. Car si l’activité philosophi-que traditionnelle prend souvent une forme« culturelle », celle de faire penser enenseignant ce qu’ont écrit les philosophesofficiels, certaines pratiques philosophiques,en groupe ou en individuel, sans néces-sairement renier les apports culturels, seconcentrent surtout sur l’activité de lapensée. Par exemple à l’aide d’une techniquecomme le questionnement socratique : lamaïeutique. La pensée est alors instituéecomme une activité en soi, qui n’est reliéede fait ni à des éléments culturels, ni à deséléments existentiels, ni à des élémentssociaux ou autres. Bien entendu, elle nepourra pas les ignorer complètement,d’une part parce que ces enjeux seronttoujours présents en filigrane, d’autre partparce que l’on ne peut pas philosopher àpartir de rien ou sur absolument rien. Maison pourra toutefois se rapprocher d’uneactivité de la pensée qui se pense elle-même, qui pense à elle-même, qui s’inté-resse à elle-même, comme substance etfinalité de sa propre activité. Cette catégoriene rassemble pas la majorité de ceux qui

souhaitent s’engager dans une tellemodalité de pratique, ne serait-ce qu’àcause de l’âpreté d’une telle affaire, maisen même temps ceux qui s’y risqueront oul’apprécieront seront ceux qui seront lesplus motivés et les plus susceptibles depromouvoir activement l’activité philoso-phique. Ici se trouverait l’essentiel de ce quipourrait constituer un praticien, qui audemeurant n’est pas nécessairement lapersonne ayant fréquenté un Départementde philosophie à l’Université. Cettemodalité de l’activité philosophique sembleêtre une de celles qui méritent justementd’être popularisées et reconnues, car c’estde manière moins immédiate que les non-initiés s’y inscriront, alors que c’est précisé-ment ce type d’activité qui conditionnetoutes les autres. Comment penser lemonde ou soi-même si l’on n’apprend pasà penser ? Cela nous constitue de manièreplus fondamentale que bien des apportsculturels ou échanges plaisants, même si enun premier temps un tel exercice estétrange et désarçonnant. Le fait d’appro-fondir, de problématiser et de conceptuali-ser sans souci de toucher des intérêts existen-tiels immédiats, sans obéir immédiatementà l’envie de s’exprimer, est une ascèse quin’est pas naturelle ou évidente. C’est leprincipe de la discussion au gymnase, ce corpsà corps de la pensée, comme l’envisageaitSocrate.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

La consultation philosophique

En 1981, Gerd Achenbach, philosophe deformation, ouvre en Allemagne le premiercabinet officiel de consultation philosophique,où il reçoit ce qu’il nomme « un invité » :une personne souhaitant engager un dialoguephilosophique sur un thème ou un problèmele préoccupant. Cette personne se rendchez un philosophe pour une discussion quilui permettra de traiter, d’éclairer ou derésoudre le problème qui l’habite. Le philo-sophe occupe dès lors la place réservéetraditionnellement au conseiller spirituel,et plus récemment au psychologue, voireau coach. Avec une différence théorique :la « marque de commerce » de la philosophieest de travailler la pensée et l’existence parle biais de la rationalité, voire de la logiqueou autres instruments de pensée critique.C’est-à-dire en manipulant tout ce que laphilosophie fournit comme outils pouréchapper à un soi réducteur et se constituercomme être singulier, en mobilisant parexemple ce qui permet d’effectuer unemise en abyme de l’être. Néanmoins, dansla vaste et vague nébuleuse de la pratiquephilosophique, si certains philosophespraticiens tentent de se cantonner au rôlede ce que l’on pourrait appeler un philosophe,d’autres n’hésitent pas à glisser allègrementvers une fonction correspondant plutôt àcelle d’un guide spirituel ou religieux, d’unpsychologue ou d’un psychanalyste, ouencore d’un conseiller en orientation. Laligne rouge entre la philosophie et diversesactivités connexes peut être ainsi floue.Pour Achenbach, le philosophe est unesorte de « Maître de vie », qui à traversl’entretien qu’il mène avec son « invité »ajoute de la profondeur à son discours,l’aide à clarifier les enjeux de son existenceen lui proposant diverses interprétations deses paroles et des moments de vie qu’ilévoque. Il n’hésite pas, comme avec un« ami », à évoquer sa propre existence,pour éclairer son interlocuteur. En cedomaine, Lou Marinoff, est sans doute lepraticien le plus célèbre, qui connaît ungrand succès grâce à son ouvrage Plus de

Platon et moins de Prozac(2), best-sellerdans de nombreux pays. Il prétend traiterles problèmes de ses « clients », en leurproposant l’éclairage d’un auteur spécifiquesusceptible de « résoudre » leur problème.Ainsi divers praticiens proposeront donc lasagesse, l’art de vivre, la conscience de soiet des autres, la consolation, l’expression desoi, l’éthique ou autre, selon les tendancespersonnelles et culturelles qui les animent.Depuis plusieurs années, ces praticiens seretrouvent dans divers colloques interna-tionaux à travers le monde, et divers enjeuxde tendances et de pouvoir fracturent cettemouvance, pour les raisons habituelles,certes idéologiques, mais surtout et commetoujours teintées d’égotisme intellectuel etde souci financier. Ici intervient le débat fortrévélateur entre ceux qui pensent qu’il fauts’en tenir au respect des formes philoso-phiques, et ceux qui veulent les adapter aumonde de l’entreprise pour mieux les vendre.Débat éternel entre le « fondamentalismepuriste » des anciens et le « pragmatisme »des modernes.

Le café philosophique

1992 fut l’année du premier café philo-sophique, phénomène qui reçut un échointernational. Marc Sautet, professeur dephilosophie à l’Institut d'Études Politiquesde Paris et initiateur du café philosophiqueraconte sa naissance. Il avait mentionné lorsd’une émission à la radio publique qu’ilrencontrait régulièrement quelques amis, ledimanche matin, au Café des Phares, àParis, pour philosopher. Or, quelle ne futpas sa surprise de voir arriver de nombreu-ses personnes le dimanche suivant, souhai-tant participer à ces discussions informelles,situation inattendue qui l’obligea à organiserla discussion pour intégrer ces « nouveauxamis ». Mais si l’occasion fut quelque peuaccidentelle, le désir de Sautet pour uneactivité philosophique « démocratique » luipermit de créer cette nouvelle institutioninformelle, avec le succès qu’on lui connaît.Certes, la médiatisation joua un effet nonnégligeable dans la promotion de cette

II. La pluralité des pratiques philosophiques

1) Portrait de l’existant : modalités de la philosophie pratique

(2) Lou Marinoff, Plus de Platon,moins de Prozac.Paris, Michel Lafont, 2002.

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CHAPITRE IV

162

Le philosophe Anders Lindseth a établile premier groupe de conseil philosophi-que en Norvège, dans la ville universi-taire de Tromsø. Dans son sillon, il aattiré quelques philosophes soucieux derapprocher la philosophie du peuple, enassurant des consultations philosophiquesdestinées à des personnes sans forma-tion philosophique. Aussi bien à Tromsøqu’à Oslo, de jeunes philosophes ontvoulu suivre cet exemple et se sontformés eux-mêmes lors de consultationsen tête-à-tête.En 1997, ces conseillers pionniers ontformé leur propre société, la NorwegianSociety of Philosophical Practice(NSPP), qui a conduit des formations,principalement dans la région d’Oslo. Cemouvement a permis au milieu du conseilphilosophique norvégien d’être bien orga-nisé et uni dès le départ. Aujourd’hui,plus de vingt praticiens ont achevé leurformation - 2 ans à mi-temps - etobtenu leur diplôme, gage de leur com-pétence dans ce domaine. Le but de laNSPP est de faire de la consultation phi-losophique une profession à part entièreen Norvège. Ceci s’avère toutefois unetâche difficile. En dépit de nombreuxarticles favorables dans la presse au fildes années, et malgré des praticiens quise sont rendus visibles auprès du publicen organisant des cafés philosophiques

et autres groupes de conversation, per-sonne n’a encore réussi à vivre de laconsultation philosophique. Même siles gens sont en général intéressés d’ensavoir plus sur une pratique et considè-rent que c’est là une bonne idée, peuparmi eux vont véritablement consulterun praticien. Mis à part quelques suc-cès - par exemple les prisons qui fontappel à des conseillers philosophiquespour animer des groupes de discussionavec les détenus - les institutions publi-ques, comme les bibliothèques, et lesorganisations privées ont tendance àdécliner les offres de groupes deconversations si ces dernières ne sontpas gratuites. Actuellement, la discus-sion interne parmi les membres de laNSPP porte sur l’opportunité, ou non, defaire de la consultation philosophique uneprofession en soi. La tendance est dedire que les conseillers philosophiquesrenoncent à leur ambition de développerune pratique par eux-mêmes, pour cher-cher à la place un emploi dans lequelleurs qualifications en tant que conseil-lers seraient plus ou moins appropriées.Le secteur de la santé constitue à cetégard un exemple assez décevant : laréponse généralement offerte par cesecteur consiste à rejeter tout servicequi n’améliorerait pas les résultats sanitai-res chez les patients. La réponse est

donc de dire « non » aux philosophes.Le système pénitentiaire a cependant,dans un cas, fait appel à un jeune prati-cien philosophe. Reste à savoir si cetexemple est l’exception qui confirme larègle. Plus spécifiquement, les person-nes-pivot de la NSPP ont trouvé desemplois dans des institutions de recher-che qui ne traitent pas particulière-ment de questions de consultations philo-sophiques. S’agissant des praticiensrécemment formés, peu d’entre eux ontété engagés pour des activités deconsultation dans des organisationspubliques ou privées. D’autres onttrouvé des emplois lors de leur forma-tion et ont poursuivi dans cette voieensuite, sans consacrer beaucoup detemps à l’établissement d’une pratiquepropre. Il existe donc très peu de prati-ciens aujourd’hui qui essaient de faire deleur commerce une profession. La leçonsemble être que pour gagner sa vie, ilconvient d’être dans une entreprise ouune institution, alors qu’il y a très peud’opportunités pour ceux qui veulenttravailler en indépendants.

Morten Fastvold,Conseiller philosophique, Université d’Oslo(Norvège) www.fastvold-filopraksis.com

Encadré 40La consultation philosophique en Norvège

activité, néanmoins, la réaction de l’institutionphilosophique fut pour sa part virulente,considérant que les cafés-philosophiquesne sont pas philosophiques et qu’ils nepeuvent l’être aucunement. Rares furentdonc les professeurs de philosophie qui serisquèrent à l’exercice. Ceci dit, si l’onprétend appliquer une certaine rigueur, ilest vrai qu’un certain nombre de lieux senommant ainsi méritent difficilementl’étiquette « philosophique », tant ilsressemblent à une conversation plutôt qu’àun travail sur la pensée. Mais de la mêmemanière où l’on peut dire que les peintresdu dimanche font de la peinture, pourquoin’en serait-il pas de même de la philosophie ?Aurait-elle en son essence quelque chosede sacré ? Quoi qu’il en soit, on peut sedemander pourquoi les philosophes nes’emparèrent pas de ce nouvel outil, pourquoiils n’investirent pas ce lieu ouvert, pourquoiils ne répondirent pas à cette demandeconséquente, plutôt que d’en nier d’emblée la

légitimité. Parmi les nombreuses raisons,nous en voyons deux principales. Toutd’abord la vision ascétique, formelle etérudite de la philosophie, celle qui la renddéjà si impopulaire auprès des élèvesobligés de l’étudier, d’autre part le sentimentd’impuissance caractéristique de la profession,impuissance psychologique liée à unenégation ou un mépris du sujet pensant« ordinaire » face aux « vaches sacrées » dela pensée. En conséquence, l’absence derépondant de personnes formées à laphilosophie laissa un vide qui fut rempli pardes amateurs trop souvent peu éclairés.Une conséquence de cette opposition, quieut pour effet de polariser et radicaliser lesesprits, fut un certain populisme refusant laculture philosophique, avec le pouvoir etl’ascèse qu’elle incarne, tendant ainsi à jeterle bébé avec l’eau du bain. Néanmoins, sicette observation est largement valablepour la France, où se sont multipliés ceslieux (sans doute autour de cent cinquante

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163

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Une première expérience de café phi-losophique algérien s’est tenue à Béjaïa,en 1998, à l’occasion des Poésiades quise tiennent chaque année en cette ville.Une séance fut organisée dans lacafétéria du théâtre, où plus desoixante-dix personnes participèrent.Parmi les dix sujets proposés aux par-ticipants, celui qui emporta l’adhésionmaximale portait sur le thème de laKabylie. Le débat commença parl’énonciation de quelques discours detype « militant », relativement dogmatique,réactifs les uns envers les autres.Diverses questions cruciales ont étésoulevées : le problème de l’identité,confronté à la tension entre singularitéet universalité, le problème de la langue,dans son opposition entre signifiant etsignifié, la problématique de lamodernité et de l’archaïsme, le rapportentre nation et mondialisme, etc. Dansla mesure où un cadre donné fait avanttout appel à la raison et au respectd’autrui, l’individu est valorisé, et trèsnaturellement il en vient à tenter derépondre, en collaboration avec sesconcitoyens, aux questions importantesqu’il n’a pas toujours le temps de seposer et de problématiser. Le caféphilosophique répond tout à fait à cettedemande, dans la mesure où il consisteà créer un endroit neutre, déchargé detensions diverses, où l’on peut rencontrerceux qui ont des soucis semblables auxnôtres, sans se préoccuper d’arriver àun résultat ni à un consensus.

L’important est de dialoguer et de mettre àl’épreuve ses propres pensées, chacunen tirera par la suite ce qu’il peut. Bienentendu, selon les cultures et lescontextes, une certaine tension résiduelleest susceptible de quelque peu inhiber leprocessus, la tâche de l’animateur étantalors de « ralentir » la discussion, de freinerles ardeurs, de travailler au corps lesattitudes des participants. Pour illustrercela, donnons un autre exemple vécu. Ce fut à l’occasion d’un débat dans uninstitut d’enseignement supérieur àAlger, regroupant à la fois un grandnombre d’élèves et d’enseignants. Ladiscussion portait entre autres sur laquestion de l’identité. Or très rapidementun fossé sembla s’installer entre lesgénérations : d’une part les enseignants,plus âgés, pour qui l’identité algériennesemblait se trouver au cœur du problème,et d’autre part les élèves, plus jeunes,pour qui l’identité nationale se voyaitreléguée au second plan par rapport àl’individu désirant s’inscrire dans lemonde, « culture moderne » oblige. Larègle du jeu de notre débat était, afind’éviter que se suivent et se chevauchentles opinions de manière chaotique etdissociée, de favoriser les questionsmutuelles plus que les affirmations. Dèslors toutes les paroles se valaient, sedistinguant uniquement par leur capacitéd’écoute et d’interrogation. Une telleprocédure est censée permettre ausside pousser plus avant les argumentsdes uns et des autres, afin qu’ils n’en

restent pas au statut de la simple opinionou de l’argument d’autorité. Mais rapi-dement, un réel blocage s’effectua chezplusieurs enseignants, qui se refusèrentou ne réussirent pas à rentrer dans lapartie. Certains tentèrent en dépit desrègles du jeu d’imposer un discours fortet musclé, empli de passion, d’autresquittèrent la salle, frustrés et en colèresde voir leur parole dépossédée d’unstatut d’autorité à priori. Plus tard, lorsde discussions informelles dans d’autreslieux, si en dépit de leur surprise initialeface aux modalités de fonctionnement,plusieurs personnes exprimèrent leurintérêt pour ce genre de pratique. Uneexplication assez intéressante me futofferte quant à l’opposition de principeque j’avais rencontrée. « Vous necomprenez pas la situation et l’urgencequ’il y a ! » me fut-il dit. Urgence ! Le motétait lâché, le mot qui crée le drame,l’urgence qui ne laisse plus à la penséele temps de s’exprimer, pas même celuide respirer. Il ne peut que s’imposer,brutalement, parce que les « circons-tances » l’exigent. Certes dans un paysen crise, l’urgence existe. Mais si l’urgenceétait désormais d’abandonner l’urgence ?Car les urgences de toute nature, mêmesi elles s’opposent, et parce qu’elless’opposent, nourrissent et entretiennentallégrement le même brasier (…).

Oscar Brenifier,Président de l’Institut de Pratiques Philosophiques (France)

Encadré 41Le Café Philo’ en Algérie

à deux cents à ce jour) car chacun se croitplus ou moins philosophe, cela n’est pas lecas dans bon nombre de pays, où lesquelques cafés-philo, plus rares, sont animésprincipalement par des personnes ayantreçu une formation philosophique. De cela,on peut comprendre que la figure deSocrate, avec sa simplicité et son interpellationvivante de tout un chacun, devint la figureemblématique de ce mouvement, contrel’élitisme des sophistes défendant un statutet un pré carré.

L’atelier de philosophie

L’atelier de philosophie est un concept plusancien que le café philo, mais il s’estbeaucoup transformé avec le développementde ce dernier, qui lui servit à la fois d’inspi-ration et d’épouvantail. En effet, se sont

toujours trouvés ici et là diverses personnesformées à la philosophie et désireuses defaire partager leur passion au grand public.Jusqu’à une période récente, ces ateliersétaient plutôt en quantité restreinte, ous’adressaient à un public spécifique, maisavec la popularisation de la philosophie,cette modalité du philosopher s’est à la foisétendue et ses formes s’en sont diversifiées.L’atelier est à distinguer à la fois du caféphilo et de la conférence. D’ailleurs, en saforme initiale la plus courante, l’atelierressemble à une conférence, avec pourdifférence principale la proportion detemps accordée à la présentation initialepar rapport à la discussion subséquente. Eneffet, le principe d’un atelier étant que tousmettent la main à la pâte, il s’agit d’inviterles participants à produire eux aussi de lapensée, plutôt que d’assister de manière

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(3) Fondé par Oscar Brenifier.www.brenifier.com

CHAPITRE IV

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relativement passive au discours du spécialiste.Mais ce qui le distingue du café philo, c’estl’apport d’un spécialiste qui, par diffé-rents moyens, assurera une exigence philo-sophique pour ne pas se cantonner audébat d’opinion. Ceci dit, il s’agit de ne pastrop se soucier de l’étiquette, car il existecertains cafés philo qui sont de véritablesateliers, mais qui, pour des raisons diverses,préfèrent la première appellation.

Il existe de nombreuses formules d’atelier.La plus classique, déjà citée, est celle quiinvite les participants à débattre des idéesavancées par un conférencier afin de lesapprofondir et se les approprier. Nous res-tons toutefois ici dans un schéma classique,où celui qui sait intervient régulièrementpour dire, informer ou rectifier. Selon sontempérament, son attitude et ses talents depédagogue, le philosophe laissera plus oumoins de marge de manœuvre aux partici-pants, les obligera plus ou moins à se ris-quer à l’exercice de la pensée. C’est entreautres ce qui a émergé dans le contexte desuniversités populaires, concept assez ancienqui trouva un certain renouveau en Europeà partir des années soixante-dix, et un autreplus récemment. Cette formule se retrouvedans un certain nombre de cafés philo, oùle temps sera réparti également entre la pré-sentation initiale et la discussion.

À l’extrême inverse en termes de fonc-tionnement nous trouverons le Dialoguesocratique. Fondé au début du siècle par lesphilosophes allemands Leonard Nelsen etGustav Heckmann, inspiré de Platon et deKant, le Dialogue socratique se présentecomme une pratique philosophiquecitoyenne, où sous la houlette d’un animateurexigeant. Un petit groupe d’individusdialoguent ensemble durant plusieursheures afin de creuser une question fon-damentale d’intérêt général et y trouverune réponse. La question au centre dudialogue n’est pas traitée dans l’abstraction,elle doit s’appliquer à l’expérience concrèted’un ou plusieurs participants, expériencesingulière choisie par le groupe et accessible àtous. Une réflexion systématique s’engagesur l’expérience relatée, au cours delaquelle devront s’établir des jugements devaleur communs, et s’énoncer les principessous-jacents qui rendent compte de cesjugements. Tout dialogue est a priori en

quête d’un consensus, consensus qui pardéfinition est considéré possible et désirable.Dans ce but, une exigence d’effort et dediscipline est imposée, qui oblige chacun àclarifier au maximum ses pensées, afind’être compris. La contribution de chaqueparticipant au dialogue doit donc se fondersur le vécu et ne pas être une pure spécula-tion. Une vision communautaire s’imposequi oblige chacun à ne pas être concentréuniquement sur ses propres pensées. Lephilosophe animateur est chargé de garantirle bon fonctionnement du débat, sonrecentrage et sa progression, sans pourautant prendre position ou orienter lecontenu. Explications et argumentationssont analysées et évaluées lentement etsoigneusement par le groupe. Processuslent qui permet aux participants de pénétrer lasubstance de la question traitée. Commenous le voyons en comparant ces deuxprocédures différentes, un enjeu importantréside dans le fait de savoir si le philosophereste avant tout un pourvoyeur de contenu,ou s’il est celui qui assure que s’effectue untravail philosophique. Et même si l’onassure que les deux sont importants, diversprofessionnels orienteront plus ou moinsvers un de ces deux aspects de l’antinomieentre un fond et une forme. Plus brièvement,décrivons quelques autres modalitésd’atelier philosophique. Deux ou troisparticipants préparent une courte pré-sentation sur un thème prévu, puis l’assistancetente d’analyser les enjeux entre les différentstraitements du thème. Un texte philosophiquecourt est lu en groupe, prévu à l’avance etmis à disposition des participants, puis unediscussion s’engage pour tenter d’en faireémerger le contenu et les enjeux. Un débatsur un thème est organisé, où quelquespersonnes assumeront diverses tâchesd’analyse ou de critique. Un film est présenté,ou une pièce de théâtre, puis un débats’installe pour tenter d’en décrypter les théma-tiques et les enjeux. L’Institut de pratiquesphilosophiques(3) (France) est un desorganismes qui depuis plusieurs annéesa développé diverses modalités très structu-rées d’organiser la discussion, tel l’exercicedu « Questionnement mutuel », où toutehypothèse avancée est questionnée ettravaillée avant de passer à une autrehypothèse, pour ensuite analyser les pro-blématiques ainsi posées. L’accent est misdès lors sur l’analyse des opinions émises,

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

leurs présupposés, leurs points aveugles,leurs limites, etc., plus que sur leurmultiplication.

Les succès éditoriaux

Les succès éditoriaux de philosophie« grand public » participent à leur manièreà la démarche du renouveau philosophique,aussi nous paraît-il important d’en mentionnerl’apparition et le développement. Afin deprendre date, nous choisirons 1991, annéede la publication de l’ouvrage du NorvégienJostein Gaarder, Le Monde de Sophie(4),ouvrage traduit dans de nombreuses langueset vendu à douze millions d’exemplaires.Nous avons choisi cette date non pascomme une sorte d’absolu ou de gestefondateur, mais plutôt comme un momentparticulier, révélateur d’une tendancesouterraine et vaste, celui où s’exprima demanière aussi puissante et répanduequ’inattendue le désir étendu de philosopher.Un philosopher non plus pensé commel’activité élitiste et absconse réservée à uneélite dirigeante, l’apanage d’un pouvoirintellectuel et académique en place, maisplutôt comme le déploiement naturel d’unepensée populaire. Il est à noter que le paysd’où émane l’ouvrage en question n’en estpas un où la philosophie « formelle » ou« officielle » a pignon sur rue. Pas plus quedans les schémas culturels ou intellectuelsnorvégiens, la philosophie et le philosophen’ont le statut et l’importance que l’ontrouvera dans un pays comme la France oul’Allemagne. Ce qui n’a pas empêché laNorvège, paradoxalement, de prendre ladécision récente d’instaurer de manière

officielle l’enseignement de la philosophiedès l’école primaire. Certains auteurs, telsFerry, Onfray ou Comte-Sponville enFrance, Savater en Espagne ou De Bottonen Angleterre, se sont aussi lancés dansl’exercice éditorial de la « philosophie pourtous », avec un certain succès, dans leurpays comme à l’étranger. S’ils ont été àdivers degrés encensés par les médias, ilsont parfois été critiqués par leurs collèguesphilosophes. D’une part à cause de leureffort de vulgarisation, entreprise très malconnotée, mais aussi parce ce que ce typed’ouvrage tente naturellement de véhiculerune sorte de sagesse accessible à tous etsubjective, plutôt qu’une érudition pré-tendument objective, âpre et scientifique,ou encore une manière d’être ou uneattitude, plutôt qu’une connaissance, cequi au demeurant explique sans doute lesuccès de ces ouvrages. Ainsi le spiritualismeathée de Comte-Sponville(5) ou l’hédonismematérialiste de Onfray(6) trouveront toutnaturellement leurs partisans chez les lecteurs,tout comme leurs détracteurs.

Ajoutons que le succès que rencontrent lescontes traditionnels ces dernières annéesparticipent du même phénomène. Que cesoit sous la forme de publication d’ouvragesou par la multiplication des conteurs entout genre dans certains pays, le contetraditionnel, de sagesse ou folklorique,s’est beaucoup développé récemment,comme partie intégrante de la world culture.Prenons comme exemple emblématique lecas du Malien Amadou Hampâté Bâ(7),aujourd’hui mondialement connu pour sontravail sur la tradition orale de l’Afrique de

Les Mardis de la Philo ont pour ambi-tion de mettre la pensée des grandsphilosophes à la portée des non-philosophes et s’adressent en parti-culier à ceux dont les connaissancesen philosophie ne sont plus qu’unlointain souvenir.Les Mardis de la Philo ont pour voca-tion d'exposer les concepts philoso-phiques de façon simple, claire etvivante, sans la barrière d’un langagecomplexe. Ils proposent des confé-rences animées par des professeurs

de philosophie chevronnés ou desexperts choisis pour leur talent péda-gogique et leur ouverture d'esprit.Chaque conférence dure une heure etdemi et comprend un temps d'exposéet une période de débat.Les Mardis de la Philo ne sont ni uneécole de méditation, ni un café philo-sophique et sont libres de toute attacheconfessionnelle. Ils ne sont subven-tionnés par aucun organisme, publicou privé.Cette année 2007, nous changeons

quelque peu d'horizon en découvrantla Chine ou en nous intéressant, entreautres, à « l'anatomie » du pouvoirpolitique. Par ailleurs, un cycle traiteraexclusivement de Spinoza, un autredes textes religieux fondateurs del'histoire de l'humanité, un troisièmenous fera découvrir les « philosopheset l'amour », un autre encore traiterades artistes phares de l'art contempo-rain.

Source : www.lesmardisdelaphilo.com

Encadré 42Les Mardis de la Philo, un rendez-vous particulier

(4) Op. cit.

(5) André Comte-Sponville, L’Espritde l’athéisme, Paris, Albin Michel(Collection Essais), octobre 2006.

(6) Michel Onfray, La Puissanced’exister. Manifeste hédoniste.Paris, Éditions Grasset, 2006.

(7) Amadou Hampâté Bâ, Vie etenseignement de Tierno Bokar, lesage de Bandiagara. Paris, Seuil(Collection Points Sagesses), 2004.

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CHAPITRE IV

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l’Ouest, ou encore les innombrables histoiresde Nasruddin Hodja(9), d’origine turque, trèsriches en contenu philosophique, qui firentsous différents noms le tour du mondearabe et de la Méditerranée. Sur ce point, ilsemble d’ailleurs qu’un grand travail reste àeffectuer pour mettre en avant, sous formede publications, diverses modalités culturellesdu philosopher, pour ne pas tomber dans lepiège d’un certain ethnocentrisme qui sembletout de même s’imposer en ce domaine.Dernier point significatif : l’existence dequelques magazines de philosophie grandpublic, qui rencontrent un certain succès,

au Royaume-Uni (Philosophy Now)(10), enFrance (Philosophie Magazine)(11), aux Pays-Bas (Filosofie Magazine)(12).

La philosophie avec les enfantsen dehors de l’école

En 1969, Matthew Lipman, professeur dephilosophie, initia une importante innovationpédagogique : proposer une narrationpermettant de susciter une réflexion chezl’élève afin qu’il découvre par lui-même etcollectivement les grands concepts etproblématiques de la démarche philoso-phique(13). Un nouveau genre pédagogiqueétait né, créant peu à peu ses propreslettres de noblesses. Dans certains pays,tels le Brésil, le Canada ou l’Australie, unsoutien des institutions gouvernementaleset universitaires s’est mis en place au fil desannées, avec un certain nombre de résultatstangibles en dépit de la relative nouveautéde ces pratiques. Au-delà de la philosophieproprement dite, ces innovations péda-gogiques rejoignent la vision prônée parl’UNESCO selon laquelle enseigner neconsiste pas uniquement à transmettre unsavoir, mais aussi un savoir faire, un savoirêtre, et un savoir vivre ensemble(14). Cebouleversement des paradigmes éducatifsa des conséquences diverses. Un problèmeclé sur le plan de la formation est de savoirsi pour enseigner le philosopher il faut êtreun spécialiste, ce qui tend jusqu’à maintenantà être le cas, ou à l’instar des mathémati-ques et de la littérature, on peut l’enseigneren tant que pédagogue généraliste. Par ail-leurs, il reste à voir comment mettre enplace de tels ateliers.

Les ateliers de philosophie pour enfantssont une catégorie un peu à part, car ils’agit de personnes qui ne vont pas d’elles-mêmes à l’activité philosophique, mais parprocuration. Elles y envoient leurs enfants.La philosophie leur paraît une bonne chose,mais elle les effraie, ils ne s’en sentent pascapables, c’est pour les « autres ». Enmême temps, elle les attire, elle leur sembleune nécessité, quelque chose d’important,même de très important, et c’est d’ailleurscette « glorification » de la philosophie quià la fois les attire et les impressionne. De lamême manière où des parents qui ne prati-quent pas la musique ou la peintureenvoient leurs enfants à un atelier d’initiation

De par mon métier d’enseignant, j’ai tou-jours été particulièrement sensible à lasituation des enfants en difficulté. Eneffet, beaucoup ont perdu leur enfance,sont obligés de travailler car les parentssont totalement démunis ou morts duVIH/SIDA. Ces enfants pour la plupartsont dans la rue, exposés à tous lesdangers (drogue, vol, prostitution…).Garant de l’éducation des enfants etconscient que l’État seul ne peut appor-ter les solutions à tous nos problèmes,j’ai toujours nourri cette ambition d’éten-dre ma mission à ceux qui n’ont pas eula chance d’aller à l’école et qui sontabandonnés à eux-mêmes dans la rue.Grâce aux enseignements philosophi-ques donnés par Isabelle Millon(8), j’aientrepris une première approche dansce sens. Je parle d’enseignement philo-sophique parce que au cours de mesentretiens avec les enfants, rien ne leurest imposé. Dans ma démarche, j’airegroupé seize enfants entre 10 et 17ans de la rue au cours du mois denovembre 2006 pour discuter de leursconditions de vie. Ensuite, j’ai proposé àces enfants des thèmes de réflexionportant sur l’honnêteté, la franchise, ladignité, la solidarité, le courage, le tra-vail, le respect des parents, le respectdu bien d’autrui et la propreté, etc.L’objectif est de parvenir à inculquer àces enfants un esprit civique pour unchangement positif. Les différents thè-mes sont l’objet de séances de philoso-phie les jeudi et samedi après-mididurant deux heures. Au cours de ces dif-férentes séances, les enfants ont donnéleurs points de vue sur chaque thème etj’ai ensuite expliqué le bien fondé desactions positives dans la vie à traversles thèmes traités. La méthode a donnédes résultats assez encourageants. Eneffet, sur les seize enfants, six ont déjàaccepté d’apprendre un métier (deux à

la mécanique, trois à la soudure et un àla calligraphie). Les autres réfléchissentencore sur leur choix du métier en fonc-tion de leur aptitude et des facilités d’ac-cès. Dans mon action en faveur desenfants défavorisés, je rencontre un cer-tain nombre de difficultés : les enfantsn'ont pas de quoi s'asseoir pour suivreles cours, le recrutement et le suivi desenfants sur le terrain est difficile comptetenu du manque de moyen de déplace-ment. Par ailleurs, les enfants ayantbesoin de motivation, ils sont plus inté-ressés lorsqu’à chaque séance ils peu-vent compter sur de la nourriture, etc.Exemple d’une fiche de cours: Titre : levol. Durée : 45 mn. Objectifs : cultiver laconfiance en soi chez l’enfant et l’ame-ner à mépriser le vol. Texte de base : ilétait une fois un enfant du nom de Makaqui, après avoir perdu ses deux parents,s’est retrouvé dans la rue pour survivrecar les autres membres de sa famille nes’occupaient pas de lui. Plutôt que dechercher un travail ou d’apprendre unmétier, il a formé avec d’autres jeunesenfants, une bande malveillante. Makaétait doué dans le vol. Il passait sontemps à voler. Par cette activité impro-pre, il gagnait un peu d’argent et menaitune vie de débauche. Un jour, Maka estpris en flagrant délit de vol de bijoud’une femme. Les gens se précipitèrentsur lui et le rouèrent de coups. Makafrôla la mort. Débat dirigé : Comment senomme l’enfant dans la petite histoire ?Pourquoi a-t-il quitté le domicile ? Quepensez vous qu’il devait faire ? Pourquoi ?À sa place, qu’auriez-vous fait ? Pourquoi ?Si vous deviez conseiller Maka, que luidiriez-vous ?

Daniel Ouedraogo, Enseignant à l’école primaire Bilbalogho Ouagadougou(Burkina Faso)

Encadré 43Les enfants de la rue au Burkina Faso

(8) Isabelle Millon, Directrice et ani-matrice de débats philosophiquespour enfants et adultes à l’Institutde pratiques philosophiques, s’estrendue au Burkina Faso en octobre2006 pour y mener des ateliersdans différentes écoles primairesdu secteur public à Ouagadougou.

(9) Sublimes paroles et idioties deNasr Eddin Hodja. Trad. Jean-LouisMaunoury. Paris, Phébus(Collection Libretto), 2002.

(10) www.philosophynow.org

(11) www.philomag.com

(12) www.filosofiemagazine.nl

(13) Voir chapitre I.

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artistique ou musicale, certains parentsenvoient leurs enfants à un atelier de philo-sophie, dans la mesure où un tel atelierexiste près de chez eux. Certains problèmespratiques se posent ici. Le premier pro-blème est que l’enfant ne partage pas tou-jours l’engouement des parents, du moinsen un premier temps, car il peut se passerun certain temps avant que l’enfant s’initieau fonctionnement, accepte le manque degratification immédiate et finalementprenne plaisir à l’activité de la pensée. Ceque l’enfant accepte de l’école, parcequ’elle est obligatoire et la question ne sepose pas, il ne l’acceptera pas aussi facile-ment d’une activité de loisir. D’autre part,les catégories d’enfants qui s’inscrivent àune telle activité sont ceux qui en un sensauront le moins de difficulté avec l’activitéde la pensée, leurs parents ayant un certainniveau culturel sans lequel ils n’iraient pasinscrire leurs enfants à une telle pratique.Une manière de pallier ce problème estd’inscrire l’atelier de philosophie dans lecadre d’un centre de loisirs, d’un centre devacances, d’un centre d’accueil. L’exempledes centres pour enfants des rues dans cer-tains pays en voie de développement estune piste intéressante, car cela adresse à lafois les problèmes d’identité de ces enfants,leurs problèmes cognitifs, leurs problèmessociaux ou relationnels.

La philosophie en entreprise

La philosophie en entreprise est à la fois unlieu, mais aussi une modalité spécifiqueainsi qu’une raison d’être différente del’activité philosophique. Ce peut être unatelier ouvert aux employés dans le cadredes activités organisées par un comitéd’entreprise, ou alors, cela fait partie desactivités de formation de l’entreprise, ce quidevient alors un cas de figure différentpuisque c’est l’entreprise qui déterminel’intérêt de cette activité : elle conseille àses employés d’y participer ou les y oblige.Il existe plusieurs motivations: la formulationde valeurs d’entreprise, l’apprentissage dutravailler en commun, l’activité de détente,ou encore la consultation individuelle. Lesvaleurs sont pour une entreprise ce qui luidonne une identité à la fois interne etexterne. Interne, cela signifie que sesemployés se rassemblent autour de quelquesgrands concepts ou principes, qui valorisent

les personnes, régulent l’activité et lesrelations, etc. Le principe de l’activitéphilosophique est alors de formuler cesvaleurs, d’en examiner le sens, de lesproblématiser, de les discuter, de les fairevivre, d’en vérifier l’opérativité, en colla-boration avec les différentes parties prenantesde l’entreprise. Externe, cela signifie que lesvaleurs doivent faire partie de l’image del’entreprise, et la représenter auprès desconsommateurs ou du public en général.L’idée en est d’améliorer l’image de l’en-treprise, parfois aussi de réfléchir auxprocessus de décisions, aux critères utilisés,en particulier dans le domaine éthique.Deuxième motivation : penser et travaillerensemble. Un des parasitages les plusfréquents de la vie en entreprise, commedans la société en général, réside dans lesconflits de personnes ou d’ego. L’atelier dephilosophie devient par conséquent unemanière de réapprendre à collaborer, soiten traitant le quotidien sous une modalitédifférente, soit en abordant des questionstotalement déconnectées de la vie courante,ce qui apporte une bouffée d’air frais dansun environnement confiné, ou permet deprendre conscience des difficultés.Troisième motivation : l’activité de détente.Il s’agit ici de mener une activité de penséequi permet à l’esprit de se déployer pluslibrement que d’habitude, d’aborder desthèmes qui le préoccupent, de manièrelibre et détendue, pour prendre la distanceet pour se reconstituer intellectuellement,de la même manière où l’activité physiquele permet au corps. Ceci s’effectue soit sousla forme d’atelier de pratique, soit sous laforme d’une conférence avec un apportculturel. Quatrième motivation : laconsultation individuelle. Cette pratiquevaut en particulier pour les cadres supérieursqui doivent en permanence prendre desdécisions difficiles et se sentent souventseuls face à leurs responsabilités. Mais celavaut autant pour tous les employés, quiparfois se sentent pris dans un étau existentiel,entre leurs besoins personnels, leursobligations familiales et leurs responsabilitésprofessionnelles. La consultation philo-sophique se présente alors comme unmoyen de clarifier sa propre pensée et lesenjeux qui la sous-tendent. Il ne s’agit pasde psychologiser, puisque c’est principalementde la pensée dont il est question et non duressenti. Il s’agit d’identifier une vision du

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(14) Voir sur ce point « L’éducation :un trésor est caché dedans »,rapport à l’UNESCO de laCommission internationale surl’éducation pour le vingt et unièmesiècle. Paris, UNESCO, 1999.En suivant La Fontaine, il y estnotamment avancé que « l’éducation,un trésor est caché dedans ».

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monde, de la problématiser et de sepositionner face à elle. Ce n’est pas nonplus du coaching, puisqu’il ne s’agit pasd’examiner les problèmes et enjeuxconcrets afin de prendre des décisionsimmédiates. Bien que la distinction n’estpas toujours très claire. À propos de laphilosophie en entreprise, chacun aurason idée sur la légitimité ou non de tellesinitiatives, à savoir s’il s’agit réellementd’une amélioration du concept d’entre-prise, du bien-être des employés, oud’une manipulation gestionnaire ou decommunication.

La philosophie en milieu difficile

La philosophie en milieu difficile est uneautre des modalités où les personnesinvitées à philosopher ne sont pas celles quile feraient naturellement, bien au contraire.Tout au moins en envisageant la philosophiesous son aspect formel, sinon, ce n’est pasnécessairement le cas, car on peut rencontrer,chez certains marginaux par exemple, uneliberté de pensée et une originalité que l’on

ne trouvera pas chez des personnes beaucoupplus intégrées socialement. Les milieuxauxquels nous nous référons sont parexemple les adolescents en rupture scolaire,les centres de travail pour handicapés, lescentres d’accueil pour sans logis, les prisons,les lieux d’alphabétisation, les associationsde personnes souffrant de difficultéssociales, psychologiques ou physiques, leshôpitaux, les camps de réfugiés, etc.

Tout comme pour philosopher avec lesenfants, il est nécessaire de pousser laphilosophie à ses extrémités, d’oublier lesuperflu pour aller à l’essentiel, de lamanière la plus dénudée, en se demandantpourquoi le philosopher est le philosopher,en quoi il est nécessaire à l’homme, en quoiil est un invariant anthropologique. Il setrouve dès lors une sorte de paradoxe, dansla mesure où la philosophie est une activitéde formalisation de la pensée et de l’être.Or, ce qui caractérise en général la personneen difficulté ou en rupture de ban face à lasociété se caractérise justement souventpar le refus ou l’impossibilité de formaliser

Ce qui peut être introduit en entreprise,c’est la philosophie en tant que méthodede penser et culture donnant un certainregard sur le monde. Voici ma façond’accompagner les personnes qui tra-vaillent en entreprise.L’introduction de la philosophie en entre-prise commence par deux refus. Jerefuse de plaquer du mécanique sur duvivant et d’agir dans l’urgence. Ce dou-ble refus coïncide avec le recours àl’activité pensante de tous ceux qui sontimpliqués dans la situation à traiter.Cette situation peut être de différentessortes. Intégration des salariés d’uneentreprise rachetée ; construction ou/etmise en œuvre d’un projet ; enquête surun sujet ; redéfinition des repères d’unchangement de Directeur général oud’un rachat. Dans tous les cas, je parsdu principe que les personnes impliquéesdans une situation détiennent, sansencore le savoir, les clés permettant detraiter au mieux cette situation. Mafaçon d’aborder est vivante et rapide. Ledialogue porte sur un thème quiconcerne le sujet à traiter. Si unmanager veut que ses collaborateurssoient autonomes, le thème pourra être :qu’est-ce que l’initiative ? Si une entreprise

se trouve face à l’inertie d’un groupe, lethème pourra être : qu’est ce que lechangement ? Le dialogue invite lesindividus à partir d’une définition à la foisprécise et ouverte de la notion, puis àcroiser leurs questions et leurs idéespour comprendre ce que signifie l’ini-tiative ou le changement hors entreprise.Cette approche leur permet de se ren-contrer sur un autre terrain que celui dufaire. Et elle me permet d’identifier lareprésentation du monde à partir delaquelle chacun parle et agit. Au fur et àmesure du dialogue, les interlocuteursreviennent à l’entreprise. Mais, enrichisde ce qu’ils ont compris, ils voient àprésent les choses autrement. Le dialogues’achève toujours sur une questionpratique, qui est le thème du prochaindialogue. Le dialogue révèle la culturede l’entreprise, cet ensemble dereprésentations et de conduites quifavorisent ou freinent, en l’occurrencel’initiative et l’adhésion au changement.Dans la synthèse écrite, je reprendsavec des mots étrangers au jargon del’entreprise le produit du dialogue.J’adresse ce document à tous lesinterlocuteurs en leur demandantd’apporter corrections et compléments.

Je reprends le tout à partir de leursréactions et leur présente la synthèsedéfinitive car revue et validée. Ainsi, lorsdu prochain dialogue, nous allons del’avant. Les points philosophie scandentle dialogue et apparaissent à la fin de lasynthèse écrite. Pendant le dialogue,j’éclaire ce qui est dit par des référencesaux philosophes. Ces références ont, aumoins, deux avantages. Le premier estde faire prendre aux esprits une réellehauteur. Le second est de procurer auxpersonnes un sain plaisir narcissique,celui de se sentir intelligentes. Les gensoublient en entreprise que leur intelligencene se limite pas à traiter ce que l’en-treprise leur demande de traiter. Ma porte d’entrée en entreprise est leDirecteur des ressources humaines,mais cette porte s’ouvre seulement àdeux conditions. La première est que ceDirecteur soit ouvert à l’humain etconvaincu de la nécessité de réfléchiravant d’agir. La deuxième est que cemême Directeur ait la confiance de laDirection générale.

Eugénie Végléris,Agrégée et docteur en philosophie,consultante (France)

Encadré 44La consultation philosophique en entreprise

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

sa pensée ou son fonctionnement. Il s’agitdonc de réintroduire une dimension deformalisation non pas en imposant unformalisme a priori mais en proposant desformalismes minimaux, en tentant d’élaboreravec le public concerné quelles règlespeuvent être mises en œuvre pour guider lapensée et l’échange, afin que chacunpuisse s’y retrouver. Ce travail produit deuxconséquences. D’une part, il est structurant,ce qui est le but de la formalisation. Ilpermet de se retrouver dans la confusionde la pensée, de prendre conscience, dediscerner, de juger, d’approfondir dans lalimite des possibilités du sujet impliqué.D’autre part, ce travail est valorisant,puisqu’il permet une élaboration, unedistanciation, une mise en œuvre, il facilitel’échange et la pensée en commun enritualisant la prise de parole. Au demeurant, ilest tout le contraire d’un travail psycho-logique, qui place au centre de l’échange ladouleur, la difficulté, la spontanéité, car il

s’agit ici de faire appel au sujet pensant,celui qui est capable d’aller au-delà de sessentiments ou de ses ressentiments, qui estprésupposé maître de lui-même ou capablede l’être. L’identité de la personne inter-pellée n’est plus la même : elle devient uncitoyen de plein droit, en pleine possessionde ses propres moyens, et non une per-sonne assistée, un cas pathologique, unexclu. L’échange philosophique présupposela rencontre entre deux philosophes, mêmes’ils sont de compétence inégale, et noncelui entre un malade et son thérapeute,entre un assisté et un assistant. Les idées dela personne en difficulté n’auront pasmoins de légitimité et de portée universelleque celles du philosophe patenté, puisquec’est à partir de ses idées que s’élaborera lapensée en commun. Et même si le philosopheest celui qui connaît la philosophie, il inviteson auditeur à devenir comme les philoso-phes, car en tant qu’humain il est considéréde fait comme un philosophe, au moins

Dans le cadre multidisciplinaire d’uneUnité d’hospitalisation pédopsychiatrique àl’Hôpital Universitaire des Enfants(Bruxelles), nous avons mis sur pied unatelier philo. L’Unité, qui accueille dixjeunes entre 8 et 15 ans pour une duréede 4 à 6 semaines, existe depuis 2001et reçoit en moyenne 80 jeunes par an.Lors de leur admission, il est proposéaux patients - outre un traitementmédico-psychologique - un accompa-gnement socio-éducatif. Ils participerontainsi à des activités de groupe visant àleur permettre de retrouver un certainplaisir à fonctionner par et pour eux-mêmes, avec leurs pairs mais aussi enprésence des adultes. Le motif premierd’admission de ces jeunes est unemanifestation comportementale d’unmalaise identitaire profond : ils présententdes manifestations de nature auto-agres-sive, hétéro-agressive, délictueuses oud’ordre alimentaire. L’ensemble de cesconduites témoigne toujours de larecherche d’un cadre structurant etprotecteur vis-à-vis d’eux-mêmes et desautres. Derrière ce masque, se cachentdes enfants perdus qui demandent auxadultes de leur proposer des chosestrès concrètes pour accéder à unementalisation de leur problème, afin detrouver des solutions à leurs difficultés.La reconnaissance de cette souffrance

par l’extérieur est une injection de sensqui rétablit un moment, un narcissismemis à mal. L’atelier philo s’inscrit dansce cadre et sert de support à la penséedes enfants en leur offrant une dimensiontemporelle supplémentaire, qui transformel’univers clos de la souffrance en unespace tridimensionnel, ouvert sur lapensée et sur le monde.Un membre de l’équipe soignante, uneéducatrice et une institutrice sont présentsaux côtés de l’animatrice, qui est phi-losophe. Les enfants sont invités àconsigner leur réflexion dans un cahier,sorte de journal intime, qui symboliseleur monde interne, véritable esquissed’une identité naissante. L’équipe s’interditde le consulter même si ce cahier seraitun véritable matériel thérapeutique.L’idée dans cet atelier sera donc d’appren-dre aux enfants à suivre le cheminementde leur propre pensée, de créer un lieupour penser leur pensée et de leurpermettre de donner sens et joie à cettehabilité nouvelle. Ainsi nous pensons lesrendre capables de nuancer leursjugements (problématisation et clarificationdes concepts), d’apprendre à exprimerdes raisons logiques, cohérentes et demettre en perspective critique la com-plexité des faits en se dégageant deconvictions émotionnelles et ainsi dedévelopper des aptitudes à penser

(capacité de décentration).L’atelier philo est relayé par un atelierartistique. Les patients sont invités àillustrer le thème abordé (dessins, sculp-ture, etc.). Les travaux sont présentés àl’équipe soignante lors de la réunionhebdomadaire et sont exposés dansl’Unité. Ces pratiques artistiques sontd’étonnantes combinaisons de manièresde faire (les savoirs-actions) et demanières de penser (les monologuesintérieurs). Les créations des enfantsrévèlent ainsi une sensibilité et unesouffrance à fleur de peau, tant dansl’acte de créer que dans l’expressiondes idées sur le monde.Nous pensons, et l’équipe soignantenous conforte dans cette approche, queles ateliers philo permettent d’aider desenfants malades à construire leur proprepensée et une pensée ouverte sur lemonde et à les mettre sur le chemin del’autonomisation de leur pensée. Unatelier philo dans ce cadre doit ainsinécessairement s’intégrer au projetthérapeutique, dès lors qu’il n’est paséducatif au sens d’une transmissionacadémique de savoir.

Marianne Remacle, Philosophe, Professeur de morale,assistante pédagogique à l’UniversitéLibre de Bruxelles (Belgique)

Encadré 45Atelier philo en Unité de pédopsychiatrie de crise

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Animateur de discussion, philosophede contenu, philosophe de forme

Qui est le philosophe qui mène ou quianime l’activité philosophique ? Quel estson statut, sa fonction, sa position ? C’estsans doute l’une des questions les plusintéressantes posées par la philosophie nonformelle. Car s’il peut être un professeur, ilne l’est pas nécessairement, puisque cen’est pas un professeur que rechercheforcément la personne qui, de manièredélibérée, vient à l’activité philosophique.Dans l’absolu, le professeur dans sa classen’a pas à se poser cette question, bien querien ne lui interdise une telle interrogation.Car c’est l’institution académique quidétermine ce qui est la nature du philosopheret ses exigences. Le programme est défini apriori, non pas par rapport aux besoins ousouhaits de chacun. La promesse dudiplôme et la menace de sanctions scolairesen cas d’échec deviennent souvent lesoutils principaux de l’enseignant pour fairephilosopher. Mais le philosophe hors lesmurs de l’académie ne peut pas du tout sefonder sur le principe de la carotte et dubâton, pas plus que dans de nombreux casil ne peut imposer une autorité a priori. Soitil risquerait de perdre assez rapidement lecapital de départ qui lui serait octroyé. Soitil n’acquerrait aucune prise sur les personnesauxquelles il est censé s’adresser et aveclesquelles il est supposé interagir. Il en va demême avec l’érudition. Dans de nombreusessituations, ce n’est pas la connaissance quiest en jeu, et pour cette raison le déploiementd’un langage abscons ou référencé, plusque d’impressionner ou de convaincre,risque de provoquer la surdité ou le rejet.

Comme toujours dans le principe deCharybde et Sylla, un autre piège guettele philosophe. D’un côté le philosophe« savant », de l’autre le philosophe« copain ». La tentation est grande detomber dans la démagogie, et de laissercroire, en affichant un relativisme béat, quetoutes les opinions se valent. Si, en un

premier temps, cela peut satisfaire l’interlocu-teur, heureux de s’exprimer et de rencontrerune oreille attentive, le dialogue risquebientôt de tourner en rond, en particulierpour ceux qui écoutent la litanie d’opinions,mais aussi pour celui qui les prononce. Cedernier se rendra compte, faut-il l’espérer,qu’il demeure dans le lieu commun et ledéjà vu. Pour certains praticiens, cemoment de « déballage » peut constituerune sorte de préambule à l’activité philoso-phique proprement dite, en permettant defaire connaissance et de créer un climat deconfiance. Pour d’autres il doit être évité,car il s’agit de situer d’emblée le niveau dela discussion et de donner le « la », pour nepas s’enliser dans les sables mouvants del’opinion, dont il peut devenir difficile des’extraire. Il est ici important de déterminerdans quelle mesure le fait de « se raconter »est une composante constitutive du phi-losopher ou représente au contraire unobstacle à la pratique.

Par principe ou pour des raisons pratiques,certains praticiens s’interdisent toutinterventionnisme en ce domaine. Lesrationalisations théoriques de cette non-intervention sont diverses. Un souci d’ordrepsychologique, dans cette vision, il estconsidéré que la personne qui est en facede nous ressent des besoins, exprime desenvies et des souffrances, et que nul nedevrait les brimer ou les frustrer sous peined’augmenter le mal-être de la personne. Unsouci d’ordre cognitif, partant du principeque toute intervention extérieure forcéetendrait à modifier ou à infléchir le discourset forcerait son auteur à se trahir lui-même,que ce soit pour se défendre par réflexe,par mimétisme ou par crainte, etc. Il s’agitdonc d’encourager la spontanéité commegarantie de l’authenticité individuelle. Unsouci d’ordre politique, qui postule unégalitarisme radical où nul ne peut prétendreà une quelconque compétence ou fonctionl’autorisant à interrompre, questionner,reformuler, interpréter celui qui parle.Chaque locuteur est l’unique détenteur de

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potentiel. Et dans ces milieux en difficulté ilsera possible d’effectuer un travail enprofondeur car le besoin de philosopher et

d’émerger de soi, de ne pas être cantonnéà un soi réducteur, est peut-être encoreplus prégnant qu’ailleurs.

2) Quel statut et quelle position pour le philosophe praticien ?

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

son discours, dont il détermine par lui-même le contenu, la nature, la forme, lalongueur, etc. Toute tentative extérieure demodifier, d’influencer ou d’exiger quoi quece soit serait conçue comme un abus depouvoir. De tels schémas, selon leur degréde radicalité, oscilleront entre une visiondémocratique ou libertaire. Dans ce cas-ci,le philosophe a un rôle plutôt passif, voireinexistant, si ce n’est sa présence, quisimplement indique ou symbolise la naturephilosophique de l’échange. Pour qu’il y aitun philosopher, il suffit que des personnesde bonne volonté acceptent de confronterleurs perspectives sur un sujet donné.L’exigence est ici déterminée à partir de lasincérité, de la communauté, de la libertéet de l’égalité. Deux catégories peuventêtre distinguées parmi les praticiens inter-ventionnistes. Il s’agit des interventionnistesde la forme et des interventionnistes ducontenu. Les premiers fixent des modalitésd’expression, des temps de paroles, desrôles fixes ou autres formalismes, c’est-à-dire toutes sortes de règles du jeu censéesrégir l’échange. Ce qui transforme lephilosophe praticien en arbitre, celui quicontrôle l’application des règles afin degarantir que l’exercice est de nature philoso-phique. Il œuvrera principalement à partirde compétences philosophiques que lesrègles du jeu sont censées mettre enœuvre. L’exigence est ici déterminée àpartir de compétences et de travail sur soi.Pour sa part, l’interventionniste du contenuest, à l’instar du professeur traditionnel,adepte de la leçon. Il est celui qui, en tantque philosophe, est principalement appeléà transmettre un contenu culturel, à faireconnaître les auteurs, les écoles, les systèmesde pensée, à rendre compte des conceptsétablis, à développer des problématiques, àreplacer les idées dans un contexte, etc. Ilne s’opposera pas nécessairement auprincipe de faire parler ses interlocuteurs,mais n’hésitera pas à corriger ce qui est dit,à l’interpréter, à terminer ce qui lui paraîtraincomplet, etc. L’exigence est ici déterminée àpartir d’une connaissance et d’une com-préhension de contenus. Bien que dansl’absolu il soit possible de prétendre adopterles deux attitudes, l’expérience enseigneque les divers praticiens tendront trèsfortement vers l’un ou l’autre de ces deuxpôles d’interventionnisme.

De ces trois postures de base - animateurde discussion, philosophe de contenu etphilosophe de forme - on doit aussi tenterde déterminer qui peut s’autoriser à menerune pratique philosophique et quelles sontles exigences envers le praticien. Par exem-ple s’il doit être diplômé ou pas, et si c’estle cas, quelle doit être sa formation. Ceproblème se pose non pas de façon théoriquemais tout à fait concrète. En effet, lapopularisation de la démarche philosophiquecouplée au rejet de certains professionnelsde la philosophie a parfois laissé un videdans lequel sont entrées de nombreusespersonnes pas nécessairement équipéespour ce type d’activité. Une confusion s’estalors installée entre désir de discussion,débat idéologique ou longue transmissiond’un message personnel. Au-delà de cettepossible confusion, il semble important quedes citoyens puissent se réunir pour dis-cuter et débattre dans un lieu public, à uneépoque oscillant entre le chacun chez soi etla médiatisation excessive. Et cetengouement pour l’échange verbal n’estpas à craindre. En particulier dans certainescultures où le simple fait du droit communà la parole publique, aussi limité puisse-t-ilparaître aux puristes, est en soi une véritablerévolution culturelle et une forme d’accès àla citoyenneté et à la démocratie. De mêmeen milieu scolaire, car dans de nombreuxpays règne encore la parole exclusive duMaître. Vient ensuite le fait de savoir sil’exercice de la parole en question estphilosophique ou pas. Là encore, diversesparoles qui se confrontent vont nécessaire-ment, avec des succès très divers, s’obligerà argumenter, à se développer, à approfondir,à expérimenter les faiblesses et les manquesde leur contenu. À un moindre degré, ilpeut déjà se passer naturellement ce qui seproduira avec plus d’intensité si la rencontreest animée par une personne initiée à ladémarche et à la culture philosophiques.

Examinons tour à tour les trois positionsmentionnées ci-dessus. S’il s’agit d’être unanimateur de discussions, celui qui présideest une sorte de primus inter pares, quipeut céder sa place à toute autre personnesans que cela ne change véritablement ladonne. Néanmoins, le fait d’avoir un pré-sident de séance, qui régule la parole et quitente malgré tout d’établir des liens, dedemander des éclaircissements, de ralentir

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le rythme, de poser des questions, obligedéjà le groupe à accomplir un certain travailsur lui-même. À ce sujet, des personnesn’ayant pas nécessairement de formationdans ce domaine, mais pouvant être initiéesaux attitudes et aux compétences philo-sophiques, pourraient être formées à lapratique philosophique afin de mener unediscussion de manière relativement efficace,avec une certaine exigence. Le principe estde former un généraliste, ce qui reste trèsfaisable. C’est le cas par exemple d’unadulte qui mènera les discussions avec lesenfants. Qu’il soit enseignant, travailleursocial, bibliothécaire, animateur culturel ouautre, il pourra assez rapidement être forméà la technique de l’animation philosophiqueet il assimilera un certain nombre d’outilsqui lui permettront d’engager un grouped’enfants à philosopher ensemble sans quecela ne ressemble à un échange d’opinionsflou et inchoatif. Il en va de même jusqu’àun certain point pour animer un grouped’adultes. Que ce soit un professionnel quiajoute cette corde à son arc - coach, psy-chologue, responsable d’une équipe,enseignant - ou même un groupe de travaildésireux d’améliorer et approfondir leurmanière de discuter et de réfléchir ensemble.

S’il s’agit d’être un philosophe de contenu,il sera dès lors nécessaire que la personnequi mène la discussion ait une culturephilosophique. En général, elle aura reçuune formation universitaire classique, bienque de temps à autre, mais assez rarement,certains amateurs autodidactes et passionnésauront par eux-mêmes acquis un telbagage culturel. Néanmoins, si le but est desimplement faire un cours ou une conférence,nous ne sommes plus dans le cadre de ceque nous nommons pratique philosophique,bien que cela puisse être utile et intéressant. Sile philosophe est intéressé par le conceptde pratique, soit il développera par lui-même une modalité de fonctionnement, àpartir des outils fournis par l’histoire de lapensée, sa propre réflexion et l’expériencesur le terrain, soit il s’initiera directement ouindirectement auprès de collègues ayantdéjà travaillé la question. Il adoptera alorstels ou tels éléments d’une méthode qui luiparaît dotée d’une certaine efficacité, ouconcoctera la sienne propre. En général, untel philosophe se comportera comme unpédagogue, c’est-à-dire un enseignant qui

tout en transmettant un contenu et uneculture philosophiques, reste soucieuxd’accroître la dimension d’appropriation ducontenu de la part de ses élèves. Bienentendu, ce philosophe de contenuintervient dès lors comme un professionnelde la philosophie, et non plus comme lesimple participant d’un groupe ou ungénéraliste informé. La philosophie estpour lui une matière spécifique, avec sesauteurs officiels et ses textes codifiés.

S’il s’agit d’être un philosophe de la forme,il sera là aussi nécessaire de disposer d’uneculture philosophique, mais ici, c’estl’opérativité des outils philosophiques quiconstitue le cœur de l’activité. Si les pro-blématiques et les concepts classiquesméritent d’être connus et sont utiles pouraccomplir le travail, c’est en filigrane qu’ilssont présents, ils s’expriment en creux etnon plus en plein. Car ce n’est plus lecontenu en soi qui intéresse ce praticien,mais la mise en œuvre des contenus. Ilutilisera donc des distinctions classiques,mais pour faire travailler les participants,pour les faire produire, analyser, synthétiser,problématiser, conceptualiser, etc. Il n’estpas soucieux de transmettre un contenu entant que tel, ni de faire connaître en soi lesauteurs, car l’accent est mis uniquementsur les exigences opératoires de la philo-sophie. Pour lui, ce n’est pas tant parler desauteurs dont il est question, mais de lesmettre en œuvre, c’est-à-dire demanderaux participants de pratiquer leurs exigences.En résumé, il s’agit de démystifier le géniedu philosophe, pour démonter et inculquerles techniques du philosopher. Quant àl’ensemble de la culture philosophique, ellelui est aussi très utile, mais pour saisir enlui-même les enjeux du discours qui surgit,le décoder, et orienter les questions et lesdemandes qu’il pose à ses interlocuteurs. Ilpourra cependant de temps à autre établirdes liens formels référencés dans une viséeexplicative, si cela lui paraît nécessaire à sapratique.

Le salaire du philosophe

Faut-il rémunérer le philosophe ? Bien quepour certains elle ne se pose pas et mêmene doit pas se poser, cette question peutcertainement être avancée. Prenonsd’abord quelques arguments opposés à la

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(15) Les sophistes sont des maîtresde rhétorique et de philosophiequi enseignaient, au 5e siècle av. J.-C.,l'art de parler en publicet de défendre toutes les thèses,même contradictoires, avec desarguments subtils.

rémunération, venant des philosophes eux-mêmes. Le plus classique est la référence àSocrate, animé d’une vision noble de laphilosophie, qui critique les sophistes(15)

soucieux de gagner de l’argent. Elle estreprise principalement par les professeursde philosophie, qui, eux, sont en généralstipendiés directement ou indirectementpar l’État, qui refusent l’idée d’un philosopheétabli en profession libérale, soumise à la loidu marché. D’après eux, cela ne pourraitque corrompre son jugement ou sonaction. Cette objection est d’ailleurs unedes principales critiques à l’encontre desphilosophes praticiens. La plus récente, etd’origine quelque peu différente, émaneplutôt du milieu des cafés philosophiques,pour qui l’exercice de la discussion philosophi-que se démarque justement du professeur,en ce sens que c’est une rencontre entrepairs, que ce n’est pas un travail, et que nulne devrait donc être payé. Dans les deuxcas, on rencontre la vision d’une philosophiequi ne doit pas être souillée par l’argent.

Du côté de ceux qui estiment que ce travaildoit être rémunéré, on trouve déjà ceux quiont du mal à gagner leur vie en général,soit parce qu’ils ne trouvent pas de posted’enseignant, soit parce qu’ils vivent dansun pays où l’on ne gagne pas suffisammentsa vie en étant enseignant, ou tout sim-plement parce qu’ils n’ont pas de travailmais ont une formation philosophique. Puisil y a ceux qui ne peuvent pas gagner leurvie en tant que philosophe, c’est-à-direqu’ils sont obligés de pratiquer un métierqui ne leur convient pas, et qui préféreraienttravailler dans le domaine de la philosophie.Il y a encore ceux qui ne se retrouvent pasdans l’enseignement ou dans les structuresenseignantes, ne serait-ce que parce qu’ils

jugent que la contrainte académique n’estpas propice au philosopher, ou tout sim-plement parce que le formalisme académiqueleur est invivable. À propos de la critiquesocratique, ils répondront que l’époquen’était pas la même, ni le contexte. Socraten’avait pas besoin de travailler, il n’était pasastreint à gagner sa vie. Ils ajouteront quede surcroît, le schéma courant est plushégélien que socratique : il est celui duphilosophe fonctionnaire, fonction qui neconstitue pas moins un facteur de cor-ruption que l’argent. L’argent de l’Étatn’est pas plus propre que celui des citoyens.Le fonctionnaire est à la fois le prisonnier etle geôlier d’un système. Ce souci est aussiun souci de luxe, celui de nantis qui n’ontpas à se préoccuper de gagner leur vie, etqui pourtant n’hésiteront pas à encaisserdes droits d’auteur s’ils écrivent un livre.Enfin, pour beaucoup de praticiens, il nes’agit pas nécessairement d’être rémunérépar les participants, mais plutôt par lesstructures invitantes ou organisatrices,comme le ministère, la commune, l’en-treprise, etc. Il reste un problème, celui dubénévolat. En effet, s’il s’agit de gagner savie, on pourra craindre que ceux qui travaillentbénévolement prennent le travail de ceuxqui ont besoin de gagner leur vie. Cela nepourra se régler que selon les circonstancesnationales et économiques, d’autant plusqu’à cause de la nouveauté du travail dephilosophe praticien, bon nombre de ceuxqui aimeraient gagner leur vie en effectuantce travail doivent le faire à peu près gra-tuitement en un premier temps afin defaire leurs preuves. Mais on peut conclureque les différents fonctionnements et soucisphilosophiques trouveront leurs articulationspropres, et qu’ils pourront cohabiter tantbien que mal.

3) Analyse de la pratique philosophique

Lieux communs de la pratique

Il est important de cerner ce qu’il y a decommun à ces diverses activités non académi-ques et en quoi elles pourraient se définirsimultanément comme pratiques et commephilosophiques. Elles sont philosophiquesen ce qu’elles tentent, en diverses proportionset à divers degrés, de produire du sens àpartir des phénomènes observés, en ce

qu’elles invitent à exprimer des idées, à lescomparer et à les analyser, en admettant larelativité, l’imperfection ou la subjectivitéde ces idées et des schémas qu’ellesincarnent. Elles sont philosophiques en cequ’elles questionnent la réalité de ce qui sesait et se pense, en ce qu’elles en approfondis-sent la causalité, en ce qu’elles expérimententce qui pourrait se penser autrement, et ence qu’elles travaillent les conditions de

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légitimité de cette pensée. Reste à voir siun tel travail, considéré comme idéalrégulateur, est réellement mis en œuvre.Mais cela pourrait être dit de la philosophieen général, et l’on ne voit pas en quoi il yaurait ici une forme distincte de la philo-sophie, mis à part sans doute l’importancenettement moindre accordée à l’histoire dela philosophie. C’est d’ailleurs sur ce pointque porte l’essentiel des critiques enversces pratiques.

Le point le plus répandu de toutes cespratiques reste en tout premier lieu l’exercicedu dialogue, la présence effective del’autre, que ce soit sous la forme d’unediscussion, d’un échange, d’uneconfrontation ou d’un questionnement.Cela s’oppose à une vision plus monologiquede la philosophie, celle du penseur méditantdans la solitude, ou du Maître discourantface à un auditoire. Le deuxième point,dérivant quelque peu du premier, estl’importance du questionnement, puisqu’ils’agit théoriquement de découvrir ce quepense l’autre, ou de devenir autre à soi-même, c’est-à-dire de problématiser plutôtque de tenter de soutenir ou d’étayer unethèse. Troisième point, toujours lié audialogue, la présence d’une subjectivité,d’un sujet réel et avoué, en opposition àl’articulation d’un discours se fondant surune réalité objective et désincarnée, historiqueou thématique. Quatrième point, ladéfense d’un penser par soi-même et unrejet marqué de l’argument d’autorité, enparticulier en ce qui a trait aux auteursconsacrés, ceux que la philosophie aca-démique considère comme les voies etrepères incontournables de la pensée.Cinquième point, lié au précédent, un idéaldémocratique, une critique de l’élitisme,refusant le principe selon lequel certainsauraient de fait plus que d’autres la légitimitéou la capacité de pensée, mettant souventen cause le principe traditionnel du Maître.Cela favorise évidemment des schémasconstructivistes plutôt que des formes depensée a priori. Sixième point, une défensede l’éthique en opposition à la morale, ladimension conventionnelle et arbitraire detout impératif de pensée, de parole etd’action, détermination collective plutôtque singulière ou universelle, niant en cedomaine tout recours à une quelconquetranscendance ou révélation. Septième

point, une grande valeur accordée à ladétermination subjective, celle des senti-ments ou des opinions, considérée commenon réductible à une raison universelle, à lalogique ou à une vérité de principe, ce quel’on pourrait nommer une vision psycho-logique de la pensée. On assiste ainsi à unrejet très courant des concepts transcendan-taux classiques tels le vrai, le beau et lebien, en lui préférant la mise en valeur del’émotion et de la sensibilité, considéréesplus personnelles, plus réelles et plus sincères.Huitième point, une critique de laconnaissance, principalement celle de latradition mais parfois aussi celle de l’ex-périence, en accordant une primautéépistémologique et ontologique au ressentiet aux intentions.

En guise de conclusion, si on voulaitcaractériser de manière générale cettematrice philosophique, on pourrait la qualifiercomme un mélange de pragmatisme, depsychologisme et de post-modernisme. Ilest clair que nous sommes passés du règnede la transcendance à celui de l’immanence,voire à l’éclatement ou au morcellement.En outre, le « je pense » est devenu un« nous pensons », aussi inchoatif que soitce nouvel ensemble. Mais cette analyse deschangements de paradigme n’est pasnécessairement réductible à une critique,car en fin de compte ces choix philosophiquessont acceptables.

Critique de la pratique

On peut donc être d’accord, ou pas, avecles présupposés ou parti pris de la pratiquephilosophique, ou de telle ou telle pratiquespécifique. Reste qu’il faut aborder lesproblèmes, voire les pathologies de cettepratique philosophique. Car si ce mouvementest enclin à percevoir et à dénoncer certainsaspects de la philosophie académique, il estbien évidemment moins prompt à percevoiret à énoncer les siens propres.

La première critique est que sous couvertd’accepter la pluralité des perspectives, ilsouffre d’une certaine tendance à la glo-rification de l’opinion individuelle, et de cefait d’un manque d’esprit critique. Ceci estvalable principalement dans le rapport quechacun entretient à ses propres idées, maisaussi par rapport à celles d’autrui, corollaire

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naturel d’un pacte implicite de non-agression : toutes les idées se valent. Nouspourrions nommer subjectivisme ce manquede capacité critique face à l’opinion indi-viduelle, nourrissant même parfois uncertain narcissisme ou égotisme. Ladeuxième est que tout dialogue très souventtend à prendre la forme d’un échanged’opinions, fort semblable au désormaisclassique débat télévisé où beaucoupinterviennent avec peu de rigueur dansl’argumentation, l’objection et l’analyse, etpeu de problématisation. La troisième estl’absence, le refus, la crainte et même ladénonciation du jugement, considérécomme une menace à l’intégrité individuelle,occultant l’activité par excellence de l’intellect,à savoir sa faculté de discrimination. Cetinterdit de jugement favorise certes unefacilité de l’échange, mais il encourageaussi à la facilité, perçue ici comme com-plaisance. Une contradiction apparaît entrel’idée de pensée critique et cette interdictionde jugement. Ce qui se manifeste clairementpar l’absence d’analyse critique sur laméthodologie dans la majorité des pratiquesphilosophiques. Quatrièmement, les débatsportent plus sur les différences d’opinionsque sur la cohérence des pensées énoncéesou les conditions de leur articulation,manquant en ce sens de profondeurd’analyse. Et trop souvent, ce qui compteest de parler, de s’exprimer, de partager, eton oscille ici entre le pédagogisme, le psy-chologisme, le consumérisme et le populisme.Cinquièmement, sous prétexte de favoriserl’empathie et les bonnes relations, un souciplus conséquent est souvent accordé auxbonnes intentions du discours, plutôtqu’au discours lui-même, à ses propositions età leur enchaînement, avec tout l’abusinterprétatif et le manque de rigueur etd’authenticité que cela peut entraîner.Sixièmement, on y prône souvent uneinterdiction de penser à travers uneinterdiction d’interprétation, dès que celle-ci est susceptible d’engendrer un conflit ouune tension. En fait, il est mal vu d’engagerune analyse critique du discours d’autrui,avec l’argument ou le contre-argumentredoutable du « On n’est jamais sûr », oudu « Peut-être que l’on se trompe ». Ildevient interdit d’avancer des hypothèsesosées et de prendre des risques.Septièmement, un désir important d’êtredu bon côté, d’être gentil, d’avoir de

bonnes intentions et une bonneconscience, tend à occulter les enjeuximportants d’un débat, allant jusqu’àinterdire implicitement toute propositionréellement singulière, susceptible derompre le consensus en cours ou lamorale établie. On perçoit dans certainsmilieux, sous des formes diverses, une fortetendance au politiquement correct, qu’ilsoit de nature éthique, psychologique, écolo-gique, politique ou autre. Huitièmement,une attitude anti-intellectuelle plus oumoins affichée, manifestée par le rejet duconcept et de l’abstraction en faveur d’unepréoccupation plus triviale, concrète etquotidienne, sous le couvert d’être plusproche du vécu. Neuvièmement, uneattitude anti-culturelle en raison d’uneprimauté de l’individu et du groupe restreint,plutôt que l’humanité, la tradition oul’universalité, s’accompagnant d’un rejetde la connaissance et de l’objectivité. Car sion peut apprécier l’idée que chacun pensepar lui-même, on peut douter que chacunretrouve par la puissance de sa penséepersonnelle l’ampleur et la richesse de cequ’a produit l’histoire de la penséehumaine. Dixièmement, la critique de l’élitemène à un certain populisme démagoguesous prétexte de ne pas laisser le pouvoirêtre confisqué par une minorité. Cela induitd’ailleurs un certain nivellement, puisquetout ce qui menace le groupe ou les valeursétablies est considéré dangereux, à commen-cer par la parole radicalement singulière.Onzièmement, une certaine complaisanceintellectuelle, pour des raisons psycholo-giques, ou psychologisme, puisqu’il s’agitde ne pas troubler l’individu dans saquiétude et de ne pas mettre en péril sonidentité. Douzièmement, il peut égalementexister dans cette pratique une certainetendance à la fermeture d’esprit. Bien quedepuis quelques années, grâce aux forumsInternet et aux nombreux colloquesinternationaux, cette ignorance ou ce refusde l’autre semble quelque peu s’estomper.Il faut dire qu’en ce domaine certainsthéoriciens ou maîtres ont encouragé cetteignorance, voire cette crainte de la diversité.D’ailleurs, effet pervers des tendancessectaires, certains pans de la philosophiepratique s’ignorent totalement, se regardentde loin ou n’ont pas confiance l’un dansl’autre. Ainsi certains spécialistes de laconsultation pensent que les praticiens de

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la philosophie pour enfants ne sont que despédagogues, pas des philosophes, et cesderniers pensent que les consultants nesont que des psychologues ou des coachs.L’idée est justement ici de montrer la transver-salité des pratiques. Treizièmement, onobserve régulièrement une certaine tendanceNew Age où tout le monde est merveilleux,enfants et adultes, en particulier si lesadeptes sont de « notre côté » ou de« notre école de pensée ». On n’hésite pasalors à produire un discours pétri d’hyperbo-les, d’expressions laudatives, d’adverbesmajorants et de superlatifs, qui accompa-gnent en général un certain refus du réel,de l’analyse, de la critique, fréquemmentsuivi d’un déni de la dimension tragique del’existence. Parfois cela est lié directement àla vente d’un produit, d’un Maître ou d’uneécole, lorsque l’étiquette ou l’identificationà un projet en vient à compter plus que lecontenu lui-même.

Compétences philosophiques

Néanmoins, au-delà de l’identification desproblèmes et de l’analyse critique, nousrestons dans une perspective pratique, etsans épouser la perspective du pragmatismeen tant qu’école de pensée, rien ne nousinterdit d’esquisser une résolution desproblèmes, outils à la fois pédagogiques,existentiels et conceptuels. Et la philosophieclassique offre un certain nombre d’outilstout à fait utiles pour œuvrer à ce chantier.Cela nous permettra peut-être de montrercomment réconcilier l’histoire de la penséeet le penser par soi-même. La liste qui suitest loin d’être exhaustive, puisqu’elle seréduit à quelques exemples, qui bien quecruciaux, représentent seulement deséchantillons de ce qu’offrent nos illustresprédécesseurs. La philosophie doit pouvoirêtre comprise aussi à travers des compétenceset un cheminement, et pas seulement àtravers une érudition et des référenceslivresques. Des auteurs comme Platon,Aristote, Descartes, Hegel ou Russell, nousoffrent le meilleur fondement théorique àune pratique philosophique. D’abord, letravail sur la négativité que recommandeHegel. Partie intégrante du processusdialectique, il est la condition d’accès auréel et à une pensée digne de ce nom. Carune chose, une idée, ou une réalité est toutautant ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle

est. La réalité du monde et de la pensée estune dynamique, un dépassement quirepose sur le fait que nous pouvons envisageret affirmer la négation de ce que nousavons soutenu. Tout se construit à traversune multiplicité de relations qui sont autantde transformations, niant ainsi toute identitérigide. Cela va jusqu’à affirmer que l’être,l’essence de ce qui est, est identique aunéant. Que l’on admette ou non les fonde-ments de la pensée hégélienne, passer parl’exigence de la négativité est un excellentexercice, qui nous permet d’échapper à nosprésupposés, condition même d’un travailde la pensée. Cela permet d’échapper audogme rigide de notre propre opinion oude notre propre subjectivité en acceptantou en produisant notre propre altérité. Unautre exemple est celui du rapport denécessité réciproque entre intuition etconcept, recommandé par Kant. Pas deconcept sans intuition, ni d’intuition sansconcept. Car trop souvent nous produisonsdes exemples sans analyser le contenu, sansdépasser la singularité d’un fait particulierpour en penser l’universalité ou la trans-versalité. Nous nous limitons au concretsans oser penser l’unité de la multiplicitéque détermine et signifie l’abstraction. Denombreux discours ou discussions tombentainsi dans le mauvais infini de la listed’exemples, sans jamais pouvoir aller au-delà, par impossibilité d’unifier l’expérienceà travers la production d’hypothèses.L’inverse est tout aussi vrai, en particulierchez les philosophes, comme dans le discoursquotidien. Nous produisons des concepts,nous convoquons des termes, et mêmenous prétendons les définir pour en cernerla réalité, tout en étant incapables d’endonner des exemples pour assurer la réalitéet la perception de leur contenu. Cemouvement permanent entre concret etabstrait, universel et particulier, nouspermet de prendre conscience du contenude notre discours et de celui que nousentendons. On peut aussi évoquer le refusde l’évidence, prôné par Socrate, Lao-Tseuet bien d’autres. Quand Platon fait dire àquelqu’un que quelque chose va de soi, ilindique un piège que Socrate va tendre àson interlocuteur et au pauvre lecteur naïfque nous sommes. En opposition d’ailleursà ce que fera Aristote, en bon père de lascience, pour qui la communauté d’ac-ceptation est un critère de validité. Car la

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vérité, le beau ou le bien se trouvent toujoursailleurs, jamais là où l’on croit les établir, etc’est d’ailleurs en cette altérité radicalequ’ils trouvent tout leur intérêt. Dernierexemple pour cette liste, la raison commune.Car comment protéger notre pensée dumonologue, du solipsisme, sinon en sefrottant à quelque chose qui le dépasse,auquel nous avons accès, mais qui biensouvent n’est tout simplement pas mis enœuvre ? Car pourquoi ce bon sens, cetteraison, que nous nous vantons tous deposséder, qui nous permet de déceler lesincohérences et les inconsistances d’undiscours, ne nous empêche-t-il pas decommettre les pires erreurs de jugement oud’énonciation ? Le cheminement scientifique

que nous propose Descartes à travers saméthode scientifique, ses diverses règles dela pensée, nous aident à travailler sur nospropres opinions et examiner en quoi ellesdétiennent une quelconque validité. Car onautorise trop souvent à tenir un discoursfondé sur une pure intention, sans savoir etoser en évaluer le contenu à l’aune d’unequelconque universalité nous permettantde nous arracher à nous-même, de nousaliéner afin de commencer à penser. Eneffet, sur le plan pratique, la logique permetd’échapper à soi, de remplacer la subjectivitépar la rationalité, le personnel par l’universel,et c’est d’ailleurs cette critique du désir etde la familiarité qui la rend si impopulaire.

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Il est assez difficile d’émettre des recomman-dations à propos de pratiques qui sedéfinissent par une extériorité aux institu-tions, dans la mesure où cette Études’adresse entre autres à celles-ci. C’est-à-dire à des acteurs qui, d’une certainemanière, ne sont pas pour l’instant direc-tement concernés par ces pratiques.Néanmoins, on peut les inviter à réfléchirsur ces dernières, afin de les comprendre,avant même de penser à mettre en placetelle ou telle mesure, quelle qu’en soit lavalidité. Et c’est justement sur ce point,celui de la compréhension de ce phénomènerelativement nouveau, qu’il semble utiled’attirer l’attention des pouvoirs publics.Car jusqu’à maintenant, pour la vastemajorité des pays, il n’y a presque pasd’interlocuteur institutionnel qui s’intéressedirectement à la pratique philosophique ettrès peu de structures administratives quisoient concernées ou qui se sententconcernées. Cela tient beaucoup à lanature même de l’activité philosophique età son histoire. D’une part, la philosophie estune matière scolaire, elle relève donc d’uneexpertise universitaire ou pédagogique, quiforme des experts et des pédagogues. Danstous les cas de figure, c’est d’un publiccaptif dont il est question, qui doit prendredes cours, qui est sanctionné par desexamens et des diplômes. L’idée est ici dese demander comment banaliser la pratique.D’autant plus qu’en ce qui a trait à laphilosophie, la discipline paraît trop souventréservée à quelques-uns.

Il est important de montrer que la philosophiepeut intéresser un grand nombre et releverd’une pratique et non pas simplementd’une consommation relativement passive.Mais les pouvoirs publics ont en généraldeux critères : le nombre et la tradition.Pour le nombre, ils examinent combien depersonnes paraissent intéressées par uneactivité, et se détermineront en fonction dece critère exclusif. Ils s’apercevront parexemple que le football est plus populaireque la philosophie, et c’est cette activité

qu’ils promouvront plutôt. L’autre critèreest celui de la tradition, qui reste unargument de poids quant aux décisionsprises. La pratique philosophique se heurtejustement à ces deux obstacles. En dépit desa popularité croissante, elle reste uneaffaire d’élite, et les pouvoirs culturels ouphilosophiques ne vont pas nécessairementdans le sens de cette pratique, considé-rée trop révolutionnaire ou insensée.Néanmoins, sur un plan plus local, certainspouvoirs publics s’intéressent à la pratiquephilosophique, en subventionnant cetteactivité au même titre qu’ils subventionnent leclub de foot ou l’atelier de peinture. Maiscela reste encore une démarche très limitée,que l’on retrouve dans très peu de pays, etdans peu de communes de ces pays.

La question maintenant est de savoir si ondoit se satisfaire de cette situation. Aprèstout, pourquoi la philosophie plus qu’autrechose. Il existe bien des domaines danslesquels les pouvoirs publics devraients’investir de manière plus déterminée, etles acteurs en ce domaine soutiendront, àraison peut-être, que cela est beaucoupplus urgent que la philosophie. Mais pourl’anecdote, néanmoins éclairante, rappelonsle type d’objection émise ou de souciexprimé par un responsable politique local,face à la possibilité de soutenir l’établisse-ment d’un atelier de philosophie dans sacommune : « Ce n’est pas une secte ? »,« Vous ne voulez pas vous présenter auxprochaines élections municipales ? ». Cesremarques sont toutes les deux assezéclairantes. Elles renvoient au danger de lapensée. D’une part, la perversion de la penséeou d’un mode de pensée inhabituel, ce quicaractérise la philosophie et fit condamnerSocrate. D’autre part, la prise de pouvoirque peut représenter la mise en œuvre dela pensée.

Ce constat peut conduire à justifier laphilosophie non institutionnelle et àmontrer son rôle et sa nécessité. Car cen’est pas un accident si bon nombre

III. Vingt propositions d’actionpour philosopher

1) La philosophie non académique et les institutions

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d’initiatives qui concernent la pratiquephilosophique, y compris celles qui affectentles institutions de l’État que sont parexemple les écoles, trouvent leur originesoit dans des structures extérieures àl’institution, soit fonctionnant en parallèle.Bien que là encore, ce ne soit pas le casuniquement pour la philosophie. Prenonsl’exemple de la philosophie avec lesenfants. Dans bon nombre de pays, déjàparce que la philosophie n’existe pas àl’école élémentaire, cette activité s’estdéveloppée à l’extérieur de l’institution,dans des centres de réflexion et de formationoù venaient librement des enseignantsintéressés. C’est uniquement en un secondtemps que des formateurs pouvaientintégrer cette activité au programmeofficiel enseigné dans leur établissement.Bien que, dans certains cas et selon leslieux, cela rencontrât une résistanceappuyée, voire une opposition ouverte decertains éléments hiérarchiques. Rares sontles pays où ce type de pratique est rentrépar le haut. Dans la majorité des cas, c’estpar la base, par intérêt personnel del’enseignant, que s’est développée lapratique. Soit parce qu’il a rencontréquelqu’un qui offrait une formation, soitparce qu’il avait découvert un manuelpublié dans le commerce ou des ouvragesgrand public, pour enfants ou pour adultes.Même les formations offertes dans lesystème scolaire étaient facultatives, bienque récemment elles aient pu être abordéesen certains endroits dans le contexte d’uneformation obligatoire. Mais c’est grâce à la

popularité croissante de ces activités ques’est intégrée dans l’institution l’initiation àdivers degrés de la pratique philosophique.Et cela principalement dans les milieux oùla philosophie ne faisait pas partie desprogrammes. Sinon, il y aurait eu unerésistance quasi certaine à cette nouveauté.

En guise d’ultime mise en garde, on peutnéanmoins se poser la question de l’institu-tionnalisation de la pratique philosophique,ou celle de sa systématisation. Car il noussemble que ce n’est pas un accident si laphilosophie non académique, dans sarichesse et sa diversité, s’est développéehors les murs, pour être réintégrée ouréutilisée par l’académie. Dans la liberté deces pratiques repose sans doute la force desa dynamique. En dépit des aléas philo-sophiques que représentent les inégalitésde valeur, la qualité ou l’efficacité variablesde ces pratiques. Toutefois, à ce jour, uncertain nombre d’obstacles importants seposent et restreignent l’activité philosophique,en la cantonnant en des lieux spécifiques eten excluant bon nombre de personnes. Onpeut donc considérer qu’est venu le tempsde réfléchir aux mesures d’institutionna-lisation, d’en proposer quelques modalitéssusceptibles d’être mises en place demanière relativement facile. La plupart despropositions avancées se fondent sur desexpériences réelles. Elles se sont avéréespossibles non pas de manière théoriquemais tout à fait pratique. Selon les contexteset les circonstances, il s’agira d’adapter lamise en place de ces diverses modalités.

2) Reconnaissance institutionnelle

Comprendre la pratiquephilosophique et ses raisonsd’être (Un)

La première recommandation pour lesinstitutions, de quelque nature qu’ellessoient, est de comprendre la nature de lapratique philosophique, en tant quedémarche. Chaque responsable pourraensuite déterminer en connaissance decause l’intérêt ou la pertinence de cetteactivité, et décider dans quelle mesure etdans quel contexte elle doit être promue.Pour ce faire, il s’agit d’écarter momentané-ment les présupposés communs concernant

la philosophie. À commencer par sonimage élitiste et purement scolaire, celled’une « matière » particulière. Il s’agit ici derepenser la philosophie comme une pratiqueinvitant chaque personne, chaque citoyen,au niveau où il est, avec la culture et lesconnaissances qu’il détient, à s’engagerdans le dialogue et la réflexion. Ceci permetun travail sur trois niveaux principaux : lacapacité cognitive, l’identité, et les rapportssociaux. Sur le plan cognitif, la pratiquedéveloppe la capacité d’analyse nécessaireà comprendre le monde qui nous entoure,à appréhender et à soumettre à l’épreuvecritique les volumes croissants d’informations

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mis à notre disposition, ou qui nousenvahissent. Sur le plan de l’identité, lapersonne impliquée dans la pratiquedéveloppe une conception d’elle-même entant que sujet pensant, capable de donnersens au quotidien et de fonder ses penséesen raison, comme citoyen autonome etactif, plutôt que comme simple consomma-teur qui subit tant bien que mal le mondeoù il vit. Sur le plan des rapports sociaux, lapersonne impliquée apprend à penser et àdialoguer avec les autres, à délibérer encommun, plutôt que de se heurter à l’autre,cet autre perçu trop souvent comme unobstacle ou une menace. Que ce soit dansle rapport existentiel à soi-même, tropsouvent ignoré ou délaissé, dans lesmodalités du travail prises là aussi commedes évidences, on s’apercevra que l’exercicephilosophique permet un éclaircissement etun approfondissement, qu’il favorise à lafois l’engagement et la distanciation, etqu’il aide à rompre les barrières qui nousrendent rigides ou nous empêchent d’allerau bout de nos pensés et de nos actes. Etsurtout, qu’il participe à la prise deconscience, dimension cruciale de la viehumaine. Quant à la crainte de perdre dutemps ou de s’engager dans le superflu, onse rendra compte qu’elle n’est que leproduit d’une pensée à court terme, qui netente pas d’aller au fondement et à l’essentiel.Dans cette perspective, le soutien pour unetelle rénovation du travail philosophiqueapparaît primordial, à la fois pour fairecomprendre cette démarche et pour lapopulariser.

Reconnaître la dimension culturellede la pratique philosophique (Deux)

Dans bon nombre de pays, il n’existe aucuninterlocuteur, au Ministère de la culture oudans les administrations chargées desaffaires culturelles, pour aborder la phi-losophie. Soit on ne s’occupe pas du toutde la philosophie, reléguée aux serviceséducatifs, soit elle est uniquement considéréesous son angle formel, en sa dimensionhistorique. Un tel interlocuteur, au fait deces pratiques, pourrait ainsi être nommé.Cette fonction pourrait aussi être assignéeà une personne en place, tant au niveau del’administration centrale qu’au niveau localou régional. Au niveau administratif plusréduit, il s’agira surtout d’être informé de

ces pratiques et des initiatives susceptiblesd’être promues, afin de prendre desmesures appropriées en ce sens.L’administration centrale devrait pour cefaire assurer qu’une telle information estrassemblée et disséminée. Elle gagnerait àétablir une relation avec des structures oudes individus directement impliqués dans lapratique, en sélectionnant une ou plusieurspersonnes susceptibles d’agir en tant queconseiller technique. À partir du momentoù une telle décision sera prise, une cam-pagne d’information et de sensibilisationpourrait utilement être lancée, par exempleà l’occasion de la Journée mondiale de laphilosophie. Les divers réseaux de la cultureseront à ce moment-là mobilisés pour faireconnaître ces démarches, assurant quesoient organisées de nombreuses activitéssous forme de conférences, ateliers, cafésphilosophiques, projection de séancesfilmées, ou autres événements de mêmetype. De telles initiatives pourront de lamême manière être prises en charge pardes ONG, des fondations ou toute autrestructure désireuse de promouvoir l’actionet l’innovation culturelles. Elles pourrontsoit organiser elles-mêmes ce type d’activité,soit apporter une aide matérielle ou logistiqueà des structures impliquées directementdans la pratique.

Interlocuteur ministériel, jeunesseet vie associative (Trois)

Selon les pays, diverses structures s’occupentdes problèmes de la jeunesse, des activitéssportives et culturelles, de la vie associative.Tout ce qui touche les occupations desjeunes et des associations. Dans les pays envoie de développement, des ONG seconsacrent aussi aux activités de la jeunesse.Toutes ces structures, nationales et locales,publiques et privées, devraient se familiariseravec la pratique philosophique et examinercomment l’intégrer aux nombreuses activitésexistantes. Des animateurs devront êtreformées, soit de manière spécifique, soitcomme complément à une pratiqueactuelle. En effet, il s’agirait d’apprendrepar exemple un certain nombre de techniquesd’animation permettant aux responsablesd’activités ou aux moniteurs d’inviter lesjeunes à réfléchir de temps à autre sur cequ’ils font et comment ils le font, et enparticulier sur les rapports sociaux qu’ils

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(16) La première Conférenceinternationale pour la promotionde la santé, réunie à Ottawaen novembre 1986, a émisune Charte pour l'action, visantla Santé pour tous d'ici l'an 2000et au-delà. Cette conférence étaitavant tout une réaction à l'attente,de plus en plus manifeste,d'un nouveau mouvementde santé publique dans le monde.www.sante.cfwb.be/charger/ottawachart.pdf

entretiennent. Par exemple les problèmesde violence, qui peuvent être abordés ettraités à travers la réflexion et l’échange.Car si l’activité philosophique n’a pas pourbut explicite de réduire la violence, onremarquera tout de même que bon nombred’actes et de comportements violents sontpour partie liés à une certaine incapacitéd’exprimer les problèmes et de les analyser,à une difficulté de se confronter de manièrerationnelle à autrui et en particulier àl’autorité. Il s’agirait donc d’ajouter unedimension philosophique aux activitéshabituelles, de susciter des moments phi-losophiques, plutôt que de nécessairementinstaurer des activités spécifiquementphilosophiques, bien que cela ne soitnullement à éviter. Il s’agirait simplementde nourrir et de formaliser cette tendance,et d’éduquer à cette dimension du langageet de la pensée ceux pour qui elle estrelativement étrangère. Dans cette pers-pective, le principe d’initier ceux qui encadrentles jeunes à la démarche philosophiquepermettrait de développer chez ces pro-fessionnels ou ces amateurs certainesattitudes qui devraient faciliter et améliorerleur travail. Des séminaires de philosophiepourraient être proposés dans les stages deformation des adultes qui travaillent avecles jeunes.

Reconnaissance de la pratiquephilosophique dans le domainede la santé (Quatre)

La pratique philosophique peut jouer unrôle multiple dans le domaine de la santé.Tout d’abord, il semble que la formationdes professionnels en ce domaine devraitcomporter une formation minimale à lapratique philosophique. Ceci est parfois lecas, à travers par exemple la présentationde quelques grands concepts éthiques,mais cette introduction demeure souventtrès théorique. Cette initiation permettraitde problématiser quelque peu la positiontechniciste qui, malgré tout, prédomineencore dans le monde médical, en dépit dela prise de conscience qui s’effectue depuisquelques années. Cette formation seraitutile à la fois pour travailler les rapportsentre professionnels, et les rapports entreceux-ci et les usagers. Cet apprentissage dupenser ensemble aiderait ainsi à transformerl’idée du patient, non plus perçu seulement

comme un cas pathologique, un simplecorps malade, mais comme un être pensant,doté d’un psychisme entretenant un rapportétroit avec l’organisme. Comment penser lepatient ? Comment le patient se pense-t-illui-même ? Comment pense-t-il sa maladie ?De la même manière où les hôpitaux ontdes psychologues ou des aumôniers résidents,ils pourraient avoir des philosophes résidents.Leurs fonctions seraient diverses. Participeraux commissions éthiques, susceptiblesd’éclairer les débats internes et d’aider auxprises de décision importantes concernanttous les aspects de la vie hospitalière.Animer des groupes de discussion entreprofessionnels. Proposer des entretiens auxpatients désireux de réfléchir sur leur situation,questions existentielles ou éthiques enparticulier. D’autre part, pour tous les profes-sionnels travaillant dans les domainesdirectement ou indirectement liés à lapsychologie, incluant par exemple orthopho-niste, psychomotricien, ou autre, une telleformation aurait aussi son utilité. Elleaiderait à comprendre, reconnaître etaccepter les divers schémas de pensée, enleur légitimité et non plus toujours dansleur dimension pathologique et réductrice.Cette perspective serait valorisante pourdes personnes dont le fonctionnementintellectuel tend à être perçu principalementsous l’angle de l’aberration. Elle encourageraitun travail de réconciliation avec soi et avecle concept de raison. L’apport de la phi-losophie, son antique vertu consolatrice, sacapacité de porteuse de sens, souvent igno-rée, pourrait s’avérer d’une aide précieusedans le travail thérapeutique. Rappelons iciles termes de la Charte d’Ottawa pour lapromotion de la santé(16), « pour parvenir àun état de complet bien-être physique,mental et social, l'individu, ou le groupe,doit pouvoir identifier et réaliser ses ambi-tions, satisfaire ses besoins et évoluer avecson milieu ou s'y adapter ».

Reconnaissance de la philosophiedans les organismes de formation(Cinq)

De nombreux organismes s’occupent àdivers niveaux de la formation continue, enentreprise, dans la société, pour la réin-sertion, etc. La philosophie est en généraltotalement absente de ce type de formation.Pourtant, elle fournit - ou peut fournir - des

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outils permettant à ceux qui l’abordent depenser leur existence, leur situationfamiliale et professionnelle, leur rapport àla société, leur rapport à autrui, leursprojets, leurs attitudes et leurs compétences,c’est-à-dire tous les enjeux fondamentauxde ce qui constitue l’existence humaine,singulière et collective. Bien souvent, lesapproches à la formation, les traitementsdes problèmes ou difficultés diverses, sontabordés soit sur un plan pratique, choix decarrières, formation technique ou autre,soit sur un plan psychologique si l’onestime que la personne souffre de quelquescarences comportementales, ou si elle estsusceptible de rencontrer des difficultésdues à sa personnalité ou au contexteprofessionnel. La démarche philosophiqueapporterait une dimension importante auxformations proposées dans tous les domaines.Déjà parce qu’elle permet de questionneret d’approfondir le sens d’une activité, ainsique le rapport que l’on entretient de fait ou

possiblement à cette activité. Cela permettraitd’éviter ou de résoudre un certain nombred’obstacles ou d’échecs. Cette pratiquepermettrait aussi de mieux se connaître soi-même, de se voir penser et agir, d’êtreconscient du type de relation que nousentretenons avec autrui, de prendre desdécisions en meilleure connaissance decause. Il s’agirait donc d’inviter des philoso-phes praticiens professionnels à intervenirdirectement lors des formations, ou biende les faire participer à la formation desformateurs, afin que ces derniers aient àleur disposition un certain nombre d’outilsphilosophiques. Car il y a place pour deuxtypes de praticiens. Le formateur spécialistede la pratique philosophique et le formateurgénéraliste qui est initié à la pratiquephilosophique. Il semble que sur ce pointles animateurs des nombreuses ONGauraient tout intérêt à maîtriser un minimumde tels outils.

CHAPITRE IV

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3) Formation et professionnalisation

Généralisation d’un Masteren pratique philosophique (Six)

Afin de professionnaliser la pratique philoso-phique, un Master de pratique philosophiquepourrait être instauré dans diverses Uni-versités, comme c’est déjà le cas enArgentine, au Danemark, en Espagne, ouen Italie. Cette filière devrait être ouvertesoit à des personnes possédant déjà undiplôme de philosophie, de type Licence auminimum, soit à des personnes ayant uneexpérience professionnelle et un bagageculturel les rendant aptes à suivre ce typede filière. Ce Master devrait comprendredivers aspects. Premièrement, seraientofferts des cours ayant trait à la culturephilosophique. Il s’agirait de repenserl’histoire des idées, les concepts cruciaux etles problématiques importantes, dans uneperspective pratique. Deuxièmement,seraient présentés un certain nombre desgrands courants de la psychologie et de lapsychanalyse, ainsi que les autres disciplinesde conseil et d’animation, tel le coaching,ce qui aiderait à spécifier la nature de ladémarche philosophique. Troisièmement,viendrait la présentation de diversestechniques d’animation de discussions de

groupe ou d’entretiens individuels, enpuisant à la fois dans l’histoire de la philoso-phie et l’expérience des philosophes praticiensactuels. Quatrièmement, seraient présentéesun certain nombre d’informations pratiques,juridiques et administratives destinées à lacréation d’une structure de cabinet libéral.Cinquièmement, divers exercices de miseen pratique devraient être effectués, surplace et à l’extérieur, avec un cahier descharges très spécifique, suivi d’un rapportdescriptif et analytique du travail pratiqueréalisé. Un certain nombre de recomman-dations semblent importantes pour la créationd’un tel Master. Ce dernier devrait rendrecompte de la diversité des inspirations etdes pratiques, et ne pas se cantonner à uneécole spécifique de pensée ou de pratique.Des partenariats avec des organisationsprivées et publiques pour que les étudiantsde ce Master puissent faire des stages etacquérir une expérience pourraient êtreenvisagés. Les cours devraient être établisprioritairement en fonction des besoins deformation, et non par rapport au souci defaire travailler les professeurs duDépartement de philosophie. Cette précisionest importante dans la mesure où pourl’instant la majorité des professeurs de

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philosophie des Universités n’a aucuneexpérience en ce domaine, mais cettecondition est tout de même souventimposée lorsqu’un Master est proposé. Uncomité devrait être créé, susceptibled’évaluer la pratique des personnes forméesau cours de ce Master. Une relation ouvertedevrait donc être établie avec les structuresprofessionnelles non académiques travaillanten ce domaine.

Mise en place de structuresprofessionnelles de philosophespraticiens (Sept)

Dans plusieurs pays se sont déjà instituéesdes associations plus ou moins formelles dephilosophes praticiens. Leurs buts en sontmultiples et varient selon les lieux. Pourcertains, il s’agit d’établir une sorte decertificat garantissant la qualité profes-sionnelle du praticien. Soit par le fait de sesdiplômes et de son expérience, soit par laformation qu’il acquiert au cours du processusde certification, plus ou moins longue etapprofondie. Pour d’autres, cela permetsurtout d’établir une charte avec desengagements précis - à la fois pratiques etéthiques - de la part des praticiens. Maiscertaines structures ne se soucient pas tantde certifier que de constituer un lieud’échange et de fournir des outils philo-sophiques aux praticiens désireux des’initier à la pratique ou d’améliorer leurmode de fonctionnement, comme unesorte d’assemblée des pairs soucieux deprogresser. Ces structures peuvent aussiconstituer une vitrine pour mieux faireconnaître la pratique philosophique. Àterme, cela pourrait déboucher, au niveauinternational, dans l’institution d’une sortede charte qui poserait les conditions, entermes de formation et d’exercice, de lapratique philosophique. Il serait ainsiopportun que les institutions publiques,nationales ou locales, les ONG, les entreprisesprivées accordent un statut d’organisme deformation ou d’interlocuteur privilégié à cesstructures, afin de les officialiser et defaciliter la promotion du travail philosophique.Cela pourrait impliquer selon les cas desavantages fiscaux, des subventions, desdons impliquant des réductions d’impôts,ainsi que toute autre mesure financière etadministrative susceptible de faciliter le travailde ces structures ou fédérations. Ceci sans

tenter d’imposer le principe de la structureunique, mais en acceptant leur multiplicitéqui trouve son écho dans la diversité desécoles et des sensibilités philosophiquesdans l’histoire de la pensée.

Promouvoir la pratiquephilosophique comme débouchéprofessionnel (Huit)

Nous invitons les pouvoirs publics et lesdiverses structures privées ou publiques àœuvrer afin de promouvoir la pratiquephilosophique comme débouché profes-sionnel. Déjà parce que bon nombre dediplômés en philosophie ne trouvent guèred’emplois ou ne souhaitent pas se lancerdans une carrière d’enseignement. Pour ce

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(17) www.ub.edu

Encadré 46Master en pratique philosophique et en gestion sociale,Université de Barcelone

Le Master en pratique philosophique eten gestion sociale(17) est un projet quicomporte plus de trois années derecherche. Il a débuté en 2002 dans lecadre de discussions soutenues sur lapensée créative, la résolution desproblèmes et la philosophie appliquée.Depuis quatre ans, à travers un échangefructueux entre professionnels etassociations nationales et internationales,ce Master est devenu une réalité et setrouve être le premier de ce type enEspagne. Son contenu programmatiqueentend offrir aux étudiants lesconnaissances de base pour quiconquesouhaite étudier la pratique philoso-phique. Il s’agit des problèmes liés à lasubjectivité, des types de dialoguesphilosophiques, de l’usage de la logiquepour la compréhension, des domainesd’application, de la nécessité d’uneméthodologie de recherche adéquate,ou du but des pratiques. Nous ne pouvionspas compter sur des professeurs ayantune expérience de la pratique, parcequ’ils sont peu nombreux, mais nousavions à notre disposition tous lesprofesseurs de la Faculté de philosophie.Pendant presque un an, j’ai conduit desentretiens individuels et mené desrecherches avec l’aide du Chef duDépartement. Nous pouvons ainsi offriraujourd’hui des contenus de hautequalité, tous abordés par un expertreconnu. Cet exercice a aidé au rapproche-ment entre la pratique de la philosophieet la philosophie académique. Pourdonner un caractère dynamique au

cours, le contenu de chacune desmatières du Master est à la charge duspécialiste qui le développe pendanttrois heures, pour susciter une dis-cussion de deux heures conduite etorientée par un philosophe conseiller.Ceci est la tendance générale la premièreannée mais nous pensons, pour ladeuxième année, à quelque chose deplus pratique. Nous avons décidé quel’étudiant devait, au minimum, recevoirdeux visites d’un philosophe conseiller.Ensuite, il est supposé développer unepratique de consultation de groupe ouindividuelle. L’évaluation de ce type dematière passe par un double rapport,celui du conseiller et celui du conseillé.En outre, la proposition s’est adaptée aunouveau profil de licence en philosophieque la Faculté a récemment défenduedevant le Conseil universitaire. Le profilest le suivant : il s’agit de promouvoir lapolyvalence professionnelle et l’auto-emploi qui se traduisent par la capacitéde gestion des organisations humaineset des équipes professionnelles, ainsique par la formation de philosophescapables de contribuer au développementpersonnel par le biais de la réflexionphilosophique. Nous espérons qu’un Master de ce typepourra générer un marché du travail, larecherche, des titres conjoints et,surtout, parviendra à promouvoir latransdisciplinarité.

Rayda Guzmán Conseiller philosophique (Espagne)

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CHAPITRE IV

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faire, un certain nombre de mesuresdevraient être prises, permettant à la foisd’officialiser cette activité et de la faireconnaître. Mis à part la création d’unMaster en ce domaine, déjà abordé, untravail de sensibilisation devrait êtreeffectué auprès des institutions et descorporations concernées par un tel débouché.Une première mesure serait la tenue decolloques nationaux, internationaux ourégionaux, qu’il s’agirait d’organiser ou desoutenir. Il faudrait accorder un statutofficiel à ce type de colloque et y autoriserla participation officielle de fonctionnaireset d’enseignants. Il serait aussi nécessaired’instituer ou d’encourager la pluriactivitépour les philosophes, comme c’est le caspour les juristes ou autres professions.Organiser la possibilité d’enseigner àl’Université ou au niveau secondaire, ou defaire de la recherche dans les Centres natio-naux de recherche, et simultanément depratiquer la consultation philosophique endehors des lieux traditionnels. Les structuresétatiques ou locales ainsi que les ONGpourraient montrer l’exemple en instituantla pratique philosophique parmi leurs diversesmodalités de fonctionnement, par exemplepour l’organisation de débats citoyens, ouau sein de la structure pour améliorer les

rapports entre les employés et le public.Tout comme il est devenu classique lors desituations dramatiques de créer une cellulede crise de type psychologique, on pourraitformer des groupes de travail philosophique,qui impliqueraient les différents protagonistesd’une situation, d’une entreprise, d’unservice ou autre structure, dans un travaild’atelier, s’inscrivant non plus dans l’urgencemais dans le moyen ou long terme.

Développement du ServiceLearning en philosophie (Neuf)

Le Service Learning est un concept péda-gogique d’origine américaine, qui prétendcombiner l’enseignement, l’apprentissageet la réflexion en complétant le programmeacadémique par une sorte de service civil,utile simultanément à la formation del’étudiant et à la vie de la communauté.Fondé sur des thèses constructivistes, leService Learning est une éducation parl’expérience, censée enrichir l’étudiant, luiinculquer le sens de la responsabilité et ducivisme, favoriser l’engagement dans la citéet développer du lien social. La relationentre le travail académique et l’action sur leterrain doit être claire et mettre en œuvredes compétences professionnelles déterminées.

Dans les cours d'éthique philosophique,l'apprentissage par le service communau-taire contribue à un modèle de discoursdans lequel les étudiants sont invités àparticiper dans la grande conversationmorale, en ajoutant du contexte à leurcompréhension morale. Les étudiantsfont l'expérience en classe de la nature,parfois ambiguë, de la prise de décisionmorale lorsque des personnes ordinairessont confrontées à des questions moralesembarrassantes. Dans un tel contexte,les étudiants font face à des situationsexistentielles. Ainsi, ils confrontentsouvent leur propre relativisme moralnon critique et leur cynisme moral naïf.Quand des étudiants, dans ma classeinterdisciplinaire d'éthique philosophique,interrogent la réalité morale de lacompassion, de la cruauté, de la gen-tillesse, de l'empathie, ou leur absence,ainsi que la justice et l'injustice, ilstrouvent une opportunité de développerleur compréhension de la psychologie

morale et de voir les interprétations desthéories de morale appliquée qu'ilsétudient. Les étudiants sont encouragésà aller plus loin dans la mesure où ilsprennent conscience que les théoriessont des principes puissants gouvernantla conduite humaine plus que des idéesinertes et stériles. Et ce particulièrementdans une discipline comme la philosophiequi, trop souvent, prône le purismescholastique. L'apprentissage par leservice communautaire est un instru-ment pédagogique d'une efficacitéunique pour aider les étudiants à relier lathéorie et la pratique (praxis). Si nousacceptons l'idée que l'autonomie del'étudiant, entendue au sens large, estaffirmée au moment de la délibération,alors la composante réflexive de l'appren-tissage par le service communautairecontribue à rendre les étudiants capablesde penser les questions éthiques defaçon indépendante et critique. Quandles étudiants observent les conditions

existentielles rigides de ceux qui souffrentde situations malheureuses ou autres,ces étudiants réexaminent souvent leurspropres tendances à la préoccupationnarcissique. Les étudiants qui pourraientmanifester de la compassion et du soucipour les populations opprimées,reconnaissent souvent la dissonancedans leurs propres croyances et pratiquesmorales. L'apprentissage par le servicecommunautaire est un véhicule pour queles étudiants comprennent que l'éthiquephilosophique est une activité, unepratique, et bien plus qu'un corps defaits mémorisés. Ils apprennent à voir laphilosophie comme un processusdynamique qui figure dans les complexitésnuancées de l'existence humaine etdans l'agenda social élargi.

Karen Mizell, Professeur associé,Département philosophie et humanités,Utah Valley St.(États-Unis d’Amérique)

Encadré 47L'apprentissage par le service communautaire en philosophie (Service Learning)

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Les étudiants doivent par eux-mêmes choisir,concevoir et mettre en œuvre leur projet,en partenariat avec un contexte où existeune demande ou un intérêt réel. Différentesmodalités d’échanges entre pairs sont orga-nisées afin de réfléchir plus avant la réalisationdu projet et d’être conscients de l’impactde leur réalisation. Les étudiants doiventensuite rédiger un rapport, puis analyser etévaluer leur travail. Sur le plan du travailphilosophique, ceci signifie d’une part quedes secteurs de population qui n’ont pas euet n’auraient jamais eu de véritablecontact avec la philosophie y seront initiés.D’autre part, que l’étudiant en philosophie,

qui sans cela n’aurait peut-être jamaisconnu autre chose que les bancs de l’écoledans le cadre de sa formation et de sontravail futur, aille à l’encontre de la viedans la Cité et y fasse l’expérience du rap-port entre philosophie et vie quotidienne.Non pas comme un enseignant, qui définit satâche uniquement à travers les exigences desa discipline ou les instructions académiques,mais comme un citoyen qui se fonde aussisur les besoins de ses semblables. Une telleinitiative susciterait des vocations dans lacarrière de praticien philosophe, en lapopularisant auprès du grand public.

On peut distinguer deux types d’activitésprincipales pour le philosophe impliquédans la vie quotidienne de la Cité. Il s’agit,d’une part, d’activités à caractère social(propositions Dix à Quinze) et, d’autre part,d’activités à dimension culturelle (propo-sitions Seize à Vingt).

Travailler avec les jeunes en rupture(Dix)

Il importe d’attirer l’attention des pouvoirspublics et des responsables de tous ordressur un public en rupture de ban avecl’institution scolaire, ou à la marge del’institution, au bord de l’exclusion. Eneffet, de manière traditionnelle, l’enseigne-ment de la philosophie s’adresse plutôt auxbons élèves, à ceux qui sont bien intégrésdans le système. Or, il semble que la pratiquephilosophique pourrait et devrait jouer unrôle important auprès des populations,enfants ou adultes, exclues de fait desbénéfices de l’école. Car en s’adressant aujeune en difficulté comme sujet pensant - cequi pour certains constituera une expé-rience d’une totale nouveauté - un travailest effectué sur l’estime de soi. On peutpenser entre autres à ces pays où se trou-vent de nombreux enfants et adolescentsnommés « enfants des rues », livrés plus oumoins à eux-mêmes, ou assistés de manièretrès élémentaire du point de vue matérielou éducatif. Le travail philosophique seraitun apport considérable sur le plan de lastructuration et de l’image de soi. Lesstructures éducatives publiques ou privées,

dans le cadre d’actions de remédiationauprès des publics en difficulté ou exclus del’école, gagneraient ainsi à promouvoir desateliers de philosophie, organisés de lamême manière que des cours d’alphabéti-sation ou de lecture. Il s’agit ici de ne pasconsidérer qu’il existe un ordre hiérarchiqueou chronologique entre apprendre à lire, àécrire, à compter et à penser, mais que cesdiverses activités ont tout intérêt à êtremenées de front. En effet, la pratiquephilosophique permet de travailler lesquestions de fond qui constituent larésistance à l’apprentissage, et à adresserles questions d’identité de la personnepartiellement ou totalement exclue del’école. L’articulation de la pensée est uneactivité naturelle de l’esprit humain, quidemande à être soutenue, et il n’y pas deraison d’affirmer que pour penser il soitnécessaire au préalable d’écrire, de lire oude compter parfaitement. Dans cecontexte, des campagnes d’informations etdes séminaires de formation auprès desresponsables de programmes éducatifs,puis des enseignants de terrain, seraienttrès avantageux. Cela permettra de lessensibiliser, de les initier et de les former àces démarches. Il s’agira d’apprendre àenseigner au travers de l’échange et dudébat, de connaître et de maîtriser lestechniques d’animation pédagogique,d’apprendre à déceler les enjeux philoso-phiques d’une discussion, de mettre enœuvre les attitudes et les compétences liéesà la pratique philosophique.

4) Le rôle du philosophe dans la Cité

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CHAPITRE IV

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(18) Bureau des statistiques de lajustice, Département de Justice,2007. www.ojp.usdoj.gov/bjs

L'incarcération est devenue une criseéducative, sociale, légale et de santépublique aux États-Unis d'Amérique, enraison de l'emprisonnement d'environ2,2 millions de personnes quotidien-nement(18). Le système juridique péna-lise en particulier les enfants souffrantd'analphabétisme et de santé mentale etphysique déficiente. Les minorités sontincarcérées à des taux inversement pro-portionnels à leur représentation dans lasociété. En réponse à cela, l'UniversitéJohn Carroll (JCU) a créé un partenariatavec le Cleveland Municipal SchoolDistrict (CMSD) pour développer un pro-gramme d'éducation alternatif. Cetteassociation, le Carroll-ClevelandPhilosophers' Program (CCPP), seconcentre sur un curriculum destiné àencourager la réussite académique età réduire les récidives. Le CCPP a faitl'objet d'une évaluation afin de savoir àquel point les étudiants apprenaient et si leprogramme poussait les attitudes versl'école et l'altruisme. Ces résultats ont

été traités en triangle, en utilisant desentretiens qualitatifs avec les étudiantset des assistants-enseignants engagésdans le programme. Les résultats ontsuggéré ce qui suit : les étudiants ontfait montre de gains significatifs à tra-vers les domaines d'accomplissement ;les activités enrichissantes étaientplus invitantes pour les étudiants ; lesrelations sont devenues plus importan-tes pour les participants, particulière-ment leur relation avec leur commu-nauté et les relations qu'ils ont dévelop-pées avec les assistants professeursdurant le programme ; les taux d'écri-ture parmi les étudiants ont montrédes progrès significatifs, dans des domai-nes impliquant la pensée critique, l'ex-pression écrite, etc.. Les perceptions,chez les enseignants, de la participa-tion orale ont également indiqué unecroissance dans l'implication des étu-diants. Dans l'ensemble, les étudiants ontconsidéré que ce programme les avaitrendu plus capables de commenter pen-

dant la discussion et de communiquerleurs réflexions dans des journaux. Deuxaptitudes qui, à leurs yeux, les aide-raient à atteindre leurs buts futurs. Cesrésultats suggèrent que, contrairementau cliché de la philosophie comme dis-cipline élitiste, inclure la philosophiedans un cursus pour jeunes considérésen danger, pour cause de récidives oud'échec scolaire, peut accroître defaçon significative la manière dont lesjeunes interagissent avec le programmeéducatif. Cette méthode permet égale-ment de contribuer à augmenter laconfiance des jeunes et l'aisance dansl'écriture et l'expression sur des sujetsd'importance pour eux.

Jennifer Merritt, Christopher Gillmanet Carolyn Callahan,Professeurs, Université de Virginie(États-Unis d’Amérique)

Encadré 48Programme de philosophie pour les enfants en danger

Personnes en situation précaire(Onze)

Pour les personnes en situation précaire,personnes déplacées du tiers-monde,personnes sans abris du secteur développé,habitants des cités délabrées ou desbidonvilles, on affirmera couramment quela priorité n’est certainement pas l’activitéphilosophique, mais les questions matérielles,dites de survie. Il semble qu’il y a là uneerreur de raisonnement. Certes, ces person-nes ont besoin que l’on tente de résoudreautant que possible les problèmes matérielset élémentaires. Mais penser ensemblereprésente tout autant une donnéeimportante de la vie humaine, tout aussibasique, car elle s’adresse au rapport quel’individu entretient avec lui-même et avecle monde qui l’entoure. On pourra s’étonner,pour ceux qui ont connu cette expérience,de constater que la même personne quisemble avoir capitulé sur son sort, ou seprécipite pour obtenir quelque produit deconsommation, peut devenir une autrepersonne lorsqu’elle est sollicitée en cesens. Nul ne peut être réduit à cette conditionde simple survivant. Dans ce contexte, onpeut évoquer ceux qui ont vécu les drames

de la guerre ou du génocide, et quipourtant tentent de ne pas être réduits austatut de victime, en dépit du traumatismeet de leur condition de vie. Participer à desgroupes de parole philosophique, c’estprétendre retrouver sa pleine dignité, c’estrétablir un rapport à autrui, autre que celuide menace ou de compétiteur. Certes, ils’agit d’un accompagnement qui doitd’autant plus prendre en compte la réalitédes personnes en question, ce qu’ellesvivent ou ce qu’elles ont vécu. Mais lephilosopher au sens propre est précisémentla rencontre d’un interlocuteur pour ce qu’ilest, et non la production d’un discoursabstrait. Nous pensons souvent au psycholo-gue lorsqu’il y a urgence, au médecin ou autravailleur social, alors que l’urgenceconsiste aussi à apprendre à émerger del’urgence, afin de retrouver une liberté depenser et d’être.

Philosopher en prison (Douze)

S’il est un lieu important où se rencontre unproblème de sens, c’est bien la prison. C’esttout à fait le type de vécu que la pratiquephilosophique est à même d’aborder,qu’elle peut aider à supporter, voire à lui

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

donner sens. On peut entrevoir différentsintérêts du philosopher en prison. Pourbeaucoup de délinquants, ceux qui n’ontpas eu la chance de faire tellementd’études, c’est déjà s’éduquer, avoir accèsà une culture que l’on n’a jamais eu lachance de recevoir par le passé. C’estrevaloriser autant que faire se peut uneexistence qui n’a pas une très bonne imaged’elle-même. Connaître un moment où lapensée peut s’évader et envisager desperspectives nouvelles ou étranges sanspour autant fuir la réalité. Se distancier desoi-même et de l’immédiat de la contingence.Accomplir un travail sur soi. Aider à vivre.Trouver du sens là où il pourrait ne pas y enavoir. Rencontrer d’autres personnes etéchanger sur des questions autres que lesproblèmes concrets immédiats, en soi peuvalorisants. À ce sujet, on remarquera quesi certains préfèrent discuter directementde leur situation, d’autres préfèrent aborderdes thématiques totalement éloignées deleur quotidien. Chacun pourra penser quela première situation représente l’étape àdépasser, ou que la seconde est une fuite,mais sans vouloir l’éliminer, il semble que levéritable enjeu n’est pas vraiment là. Il setrouve dans l’expérience d’être un sujetpensant, capable de réfléchir, de raisonneret de produire de la pensée. Il se trouve làun potentiel important de réhabilitation del’individu mis radicalement au ban de lasociété. S’effectue alors un travail deremédiation sur l’identité de la personne,

sans lequel toute vie en commun ou touteréhabilitation reste de l’ordre de l’impossible.À travers les ateliers collectifs ou laconsultation individuelle, le détenuapprend à ne plus être uniquement celuiqui subit, que ce soit la société ou ladétention, mais celui qui produit lesreprésentations et fait être ce qui est.

Philosopher avec les retraités(Treize)

Avec l’allongement du temps de vie dansles pays développés, le nombre d’années deretraite a augmenté. Pour beaucoup depersonnes, il s’agit dès lors de savoir ce quesignifie ou peut signifier cette nouvelleexistence - nommée selon les pays, vieillesse,troisième âge ou âge d’or - pour ceux quel’on nomme selon les lieux les anciens oules seniors. Ces derniers souffrent souventd’une forme d’exclusion, plus ignorée. Lesateliers philosophiques avec cette catégoriede population ont plusieurs fonctions.Celle, par exemple, de donner sens à ceque ces personnes ont vécu, ce qui n’estpas toujours facile. Soit parce que leur vie aété difficile et qu’ils conservent un sentimentd’échec. Soit parce qu’ils ont perdu d’unemanière ou d’une autre ce qui était poureux une raison de vivre : le travail, leconjoint, les enfants qui se sont éparpillés,les capacités physiques ou mentalesaffaiblies, etc. Soit parce que l’immensitédu temps libre laisse une impression

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terrifiante de vide. Soit encore parce queles circonstances produisent de la solitude.Quoi qu’il en soit, les ateliers pour personnesâgées semblent parfois un besoin ignorémais fondamental, ce qui explique le succèsdes ateliers existants, que ce soit en maisonde retraite, dans des clubs de retraités, ouen divers lieux publics. Néanmoins, quelquesmises en garde doivent être articulées. Lapremière est que bon nombre de retraités,surtout ceux d’un âge plus avancé, doutentd’eux-mêmes et n’iront pas de leur proprefait à un atelier philosophique. La secondeest que l’on y rencontre un certain nombrede difficultés intellectuelles liées à lamémoire défaillante, à la capacité deconcentration amenuisée, à la centrationsur soi accrue ou au manque de tonusphysique et mental. Mais ce n’est pas pourautant que ces personnes manquenttotalement d’intérêt pour les questionsimportantes, ce serait une erreur de penserque seuls leurs soucis quotidiens lespréoccupent. Deux aspects du travail leurprocurent en particulier quelque chosed’important. Déjà le fait qu’il faille seconcentrer et faire marcher son esprit. Puisla réflexion qui leur procure une respirationen échappant aux petites - ou grandes -misères du quotidien.

Promouvoir l’activité philosophiqueen entreprise (Quatorze)

Bien que depuis quelques années la phi-losophie commence à trouver sa place iciou là en entreprise, elle reste néanmoinsune activité très marginale par rapport à cequ’elle pourrait être et au rôle qu’ellepourrait jouer. D’une part, elle peut fournirun apport théorique sur les enjeux de la vieen entreprise, sur le plan de l’éthique, desvaleurs d’entreprise, du développementdurable, du penser, du travailler et du vivreensemble, etc. Ensuite, par la mise en placed’ateliers de réflexion sur des thèmesconcernant des questions pratiques qu’ils’agit d’approfondir. Ou bien sur desthèmes ne touchant pas immédiatement lavie en entreprise mais abordant des thèmesexistentiels ou des thèmes de sociétéintéressant les uns et les autres, ce quipermet d’établir d’autres types de relationsde travail que le pratique et l’immédiat, enadressant des questions qui touchentprofondément les membres du personnel.Enfin, le principe de la consultation phi-losophique, c’est-à-dire un entretien individuelpermettant à toute personne qui le souhaited’examiner un problème qui la préoccupesans entrer dans des considérations troppersonnelles, intimes ou « psychologiques »,en découvrant à la fois le principe de laconstruction de la pensée, et en adressant

CHAPITRE IV

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L’objectif d’un débat philosophique enMaison d’arrêt consiste, entre autres, àfaire participer un public qui ne venaitpas spontanément à l’école qui y étaitproposée. L’initiation de ce projet a étégrandement favorisée par le fait quel’activité soit une pratique orale. Lesdébats philosophiques ont pu profiter àdes détenus dont le niveau scolaire étaitde l’école élémentaire ou du seconddegré, mais aussi à ceux qui ne savaientpas écrire et qui sans cela ne seraientpeut-être jamais venus à l’école de laMaison d’arrêt. Les sujets choisis ontporté au début sur les conditions dedétention et la situation des détenus. Vule quasi secret de ce qui se passe enprison et la tendance qu’a la société de

l’occulter, ce passage obligé étaitnécessaire pour que les détenus puis-sent m’exprimer, à moi qui suis del’extérieur, leur vécu et puissent aller àl’encontre de la dénégation sociale.C’était aussi nécessaire pour moid’écouter afin que je puisse porter monregard, comprendre la situation, leurexprimer mon sentiment et témoigner àl’extérieur. Le bilan par rapport auxobjectifs du projet est très positif.Concernant les objectifs philosophiques,les détenus ont pu s’initier à la penséeconstruite, rechercher l’autonomie de lapensée, user raisonnablement de laparole et aborder des problèmes phi-losophiques. La parole « intempestive »a été assez bien régulée pour privilégier

l’écoute entre les participants et laréponse rationnelle. Concernant lesobjectifs citoyens, les détenus ont puadopter une attitude autonome et res-ponsable dans leurs prises de positionset réfléchir ensemble sur des questionsauxquelles l’individu ne trouve pas deréponses seul. Concernant les objectifsde développement personnel, ils ont pudévelopper l’estime d’eux-mêmes,entraîner et enrichir leur langage etparfaire leur culture générale.

Jean-François Chazerans,Professeur de philosophie en lycée,animateur de débats philosophiques(France)

Encadré 49Le débat philosophique en Maison d’arrêt

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

les obstacles divers qui empêchent précisé-ment d’approfondir ou de problématiser telou tel type de pensée ou de fonctionnementintellectuel. L’utilité d’une consultationconsiste dans le fait qu’elle invite celui quivient consulter le philosophe à formulerclairement ses préoccupations afin decomprendre et de prendre les décisions quis’imposent. Formuler clairement unepréoccupation, c’est la transformer enquestion, c’est la clarifier, c’est aussi larelativiser. Cette transformation a lieu parun certain usage du langage des mots quis’apprend lors du dialogue avec le philo-sophe consultant. Il ne s’agit pas d’enfilerles associations libres mais de trouver lesmots qui nomment correctement les chosesqui nous arrivent et les actions que nousprojetons de faire. Ces mots permettentaussi de communiquer aux autres ce quechacun porte au fond de lui. Ce travail n’estpas superflu, il est essentiel à la vie enentreprise tout comme à la vie en général.Mais il est nécessaire d’effectuer un travailde sensibilisation auprès des responsablesd’entreprises et de ressources humainespour les inviter à penser au-delà de l’immédiatet du pragmatisme réducteur.

Philosophe de ville (Quinze)

Le principe de philosophe de ville est lesuivant : tout comme les communesemploient des travailleurs sociaux, despsychologues ou des médiateurs, ellespourraient s’adjoindre les services d’unphilosophe praticien. Son rôle aurait unecertaine proximité avec ceux des profes-sionnels que nous venons de mentionner,mais avec une différence importante. Lephilosophe ne travaille pas dans l’urgence.Il n’est pas là pour résoudre des problèmesou trouver des solutions immédiates maispour approfondir, pour faire prendre de ladistance, pour déterminer les enjeux moinsimmédiatement visibles mais non moinsimportants, pour inviter à une positioncritique, penser avec plus de rigueur, etprendre des décisions. Ce philosophe auraitdonc diverses tâches, à la fois d’examinerdes problèmes affectant le vivre ensemble,sous la forme d’analyses, et, d’autre part,d’organiser des débats publics. À la foiscomme philosophe conseil et comme ani-mateur. Divers documents écrits pourraientêtre produits, à destination des responsableset du public. Ensuite, des ateliers réguliersseraient organisés, en cherchant à toucher

Je ne suis pas philosophe de formation,ni enseignante mais conservateur debibliothèque, ce qui peut semblerinhabituel comme cadre pour la prati-que de la philosophie pour enfants.Pourtant la pratique des débats à viséephilosophique en bibliothèque municipales’est imposée naturellement.Les ateliers ont lieu toujours dans lemême espace et dans le même tempshoraire pendant toute l’année scolaire.Ils sont très théâtralisés et présentéscomme un jeu, « le jeu du réfléchir »pour lequel trois règles de base doiventêtre respectées : lever le doigt pourintervenir, ne pas couper la parole,écouter ses camarades. Ces principessont toujours répétés en début deséance par les enfants qui finalementaiment la ritualisation. Ensuite unequestion est posée, par exemple,« C’est quoi grandir ? », les idées et lesargumentations sont inscrites sur untableau faisant ressortir les concepts etsi possible leur antinomie, par exemple :faible/fort ou grand/petit. On tente alors

d’élargir une proposition en demandantqui est d’accord ou pas avec l’idéeémise et pourquoi, comme le montre lecourt échange suivant :Elève A : grandir, c’est devenir adulte etavoir des responsabilités car on fait deschoses qu’on ne pouvait pas faire avantElève B : je ne suis pas d’accord car onpeut être un enfant et avoir des respon-sabilités comme garder son petit frèreElève A : bien sûr on peut être un enfantet garder son petit frère mais si on nesait pas que c’est une responsabilité,alors ce n’est pas le signe que l’on agrandi. Les répercussions de ces ateliers sontde deux ordres : au niveau des ensei-gnants, les réactions sont généralementfavorables et la demande d’ateliers estrenouvelée chaque année. Au niveau desélèves, je n’ai pas réussi à obtenir devéritables bilans de fin d’année scolaire.Cependant, quelques informationspercent de-ci de-là précisant que telélève ose prendre la parole ou que laclasse s’écoute mieux. Au cours des

séances, les enfants acceptent peu àpeu les règles du jeu et s’interpellentquand elles ne sont pas respectées,ainsi que d’être confrontés à d’autresidées que les leurs, donnant de l’assuranceà l’un, une reconnaissance à l’autre.Enfin, leur approche de la bibliothèquese modifie. Ce n’est pas une école bis,la lecture-plaisir commence à s’installeret les collections de livres philo pourenfants à faire des émules. Doit-on doncpratiquer des ateliers-philo avec lesenfants en bibliothèque municipale ? Oui,car de la même manière qu’elles reçoivent les classes pour des animationsautour du livre (lecture de contes, choixde livres sur un thème, recherchedocumentaire, etc.) ou autour du mul-timédia, les ateliers de philosophieparticipent aux missions des bibliothèquesmême si le partenariat avec l’école resteun passage obligé.

Patricia Azérad, Conservateur,Directeur de bibliothèques municipales à Villeneuve St Georges (France)

Encadré 50Des ateliers-philo pour enfants en bibliothèque municipale

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des publics très divers. Car si certainescatégories de personnes viendront naturel-lement à un atelier de philosophie ou à undébat, ce ne sera pas le cas de tout lemonde. Il s’agirait donc d’intervenir au seindes structures associatives déjà existantes.Des ateliers pour les enfants se tiendraient,par exemple en bibliothèque municipale,où des classes pourraient venir à tour derôle, ce qui en un second temps permettraitde fournir des outils de travail aux enseignantsqui assisteraient aux séances. Une per-manence de consultation philosophiqueindividuelle gratuite se tiendrait réguliè-rement dans un local municipal. Si unintérêt se développait, un séminaired’initiation à la pratique philosophiqueserait alors proposé, servant à former despersonnes désireuses de se lancer dans cetype d’activité. Cela est assez facile, enparticulier pour les personnes travaillantavec les enfants. Un des aspects principauxde ce travail serait d’aider à développer uneattitude citoyenne chez les habitants de lacommune.

Journée(s) de la philosophie (Seize)

Depuis plusieurs années, à l’initiative del’UNESCO, il existe une Journée Mondialede la Philosophie, célébrée le 3e jeudi dumois de novembre de chaque année. Selonles pays, elle est célébrée de manièresdifférentes, certaines de façon plus académi-que, d’autres en introduisant des élémentsde pratique philosophique. Elle peut êtrel’occasion d’une seule et unique rencontre,ou d’une multiplicité. Quelques grandesvilles européennes ont initié pour leur part,à des dates différentes, une journée ounuit, voire une semaine ou un mois de laphilosophie. Le principe est d’organiser denombreux événements, de natures différen-tes, en divers lieux et sous diverses formes,afin de toucher le plus grand nombre depersonnes possible. Conférences, ateliers,cafés philosophiques, ateliers d’écriture,présentations d’auteurs ou d’ouvrages,démonstration de pratiques diverses,débats autour de thèmes, etc. À cetteoccasion, on assiste à un investissement del’espace urbain pour montrer que la philoso-phie a sa place en tous lieux, qu’elle

CHAPITRE IV

190

Depuis sa première édition en avril2002, le Mois de la philosophie a jouéune énorme influence dans la popula-risation de la philosophie aux Pays-Bas.L'idée est qu'un rassemblement d'évé-nements dans un calendrier limité aug-menterait l'attention portée à la philoso-phie comme un tout. Le Mois débuteavec une cérémonie d'ouverture dansl'une des plus grandes librairies dupays. L'événement est relativementrestreint, avec quelques présentationsseulement, gratuites, et une centaine devisiteurs. En 2004, la Journée de laphilosophie à l'Université de Tilburg aété ajoutée aux événements principaux.Le Département de philosophie del'Université est peu connu et il a sou-haité organiser une Journée qui le placesur la carte de la communauté philo-sophique, avec l'espoir d'attirer plusd'étudiants. Le Mois s'achève par unecérémonie de clôture à l'École inter-nationale de philosophie de Leudsen,incluant des présentations et comptant

une centaine de visiteurs. De nombreuxévénements accompagnent la célé-bration du Mois. Un nombre croissantde bibliothèques et de librairies organisedes activités. En 2006, 130 événe-ments se sont tenus au total dans lepays entier. La Nuit de la philosophie est l'activitéphare du Mois. Dans un lieu historiqued'Amsterdam, 750 personnes visitent25 activités réparties dans 5 pièces.L'accent est mis sur les débats aca-démiques contemporains, comme la« philo-divertissement », des jeux, desperformances, etc. Le public visitant laNuit vient, à 50 %, d'Amsterdam et, à50 %, du reste du pays. La majorité despersonnes présentes ne viennent qu'uneseule fois assister à la Nuit. Pournombre d'entre eux, cette activité estleur première grande rencontre avec laphilosophie. En 2007, un musée voisinproposera des écrans d'art vidéo,donnant ainsi à la Nuit une atmosphèrede festival et aux visiteurs la possibilité

de faire l'expérience de l'art inspiré parla philosophie. De surcroît, des activitésplus interactives sont prévue, comme« les Socrate volants », des personnesvêtues de blanc qui déambulent aumilieu du public en posant des questionset en mettant des invités en contact.Chaque année, l'essai du Mois estréalisé. Un auteur nationalement connurédige une histoire d'inspiration philo-sophique. Beaucoup de publicité émanede ces événements. La Nuit attire enparticulier l'attention des médiasnationaux en impliquant plus de 30journalistes. Le Mois reçoit égalementune couverture à la télévision et à laradio, avec 20 occurrences totalisant 3millions de téléspectateurs et d'auditeurs.

Hans KennepohlResponsable du Mois de la philosophieFondation Mois de la philosophie (Pays-Bas)www.maandvandefilosofie.nl

Encadré 51Le Mois et la Nuit de la philosophie aux Pays-Bas

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

concerne tout un chacun. Dans la mesuredu possible, une certaine médiatisationajoute de l’ampleur au phénomène, touchantainsi ceux qui ne se lanceraient pas dansune telle démarche, parce qu’ils pensentque la philosophie n’est pas faite pour eux.Il s’agit en quelque sorte de banaliser laphilosophie et de la désenclaver. Dans cecontexte, il est possible d’inviter le public àse déplacer pour participer aux activitésorganisées, mais pour ceux qui justementne viendraient pas de leur propre fait, lesorganisateurs peuvent proposer desinterventions au sein de structures, asso-ciations ou institutions existantes. Unpublic nouveau sera ainsi touché par ladémarche, ce qui est important, quand bienmême les participants ne la poursuivraientpas directement et activement. Même si lephilosopher prend son sens lorsqu’ils’instaure dans une continuité, commetoute pratique, il semble aussi que le simplefait d’entrer sporadiquement à son contactproduit un certain effet : celui d’éveiller oude réveiller quelque peu une attituded’étonnement ou de questionnement.

Projets Internet (Dix-sept)

Avec le développement de l’informatiqueet de l’Internet, ces outils peuvent êtred’une aide précieuse pour promouvoir lapratique philosophique, comme cela a déjàété démontré en plusieurs lieux. Il y aurait

donc tout intérêt à en utiliser les possibilités.Tout d’abord, en créant une revue électroni-que dans la langue locale, où seraientpubliés des comptes-rendus d’expérience,des rapports de colloques, des analyses, desinformations pratiques, etc. Ce serait aussile lieu pour développer des innovationspratiques fondées entre autres sur ladiversité culturelle. Puis en proposant lamise en place d’un forum qui servirait delieu d’échange et de discussion.Néanmoins, par expérience, il faut savoir nepas trop attendre de ce type de forum. Soitil est régulé, ce qui n’est pas toujours facilecar cela demande beaucoup de travail, et ledébat risque d’être trop restrictif. Soit iln’est pas régulé et le forum dérive facilementen une sorte de café du commerce. Soit ildevient l’otage d’une personne ou d’unpetit groupe qui monopolise la discussion,ce qui dénature le lieu et lui fait perdre savocation initiale. Mais au minimum, un telforum sera le moyen de faire circuler lesinformations quant aux diverses activités,publications ou données susceptiblesd’intéresser la communauté de la pratiquephilosophique. Dans les pays où lespublications sont très coûteuses, cela peutaussi être le moyen d’accéder à moindrecoût et plus facilement à une documentationdans le domaine. Un programme de for-mation par Internet pourrait aussi s’organiser,soit au travers d’un programme établi, soitpar le principe du tutorat. Ce qui permettrait

Les Olympiades philosophiques uru-guayennes s’inscrivent dans uneconception démocratique de la philoso-phie et de son enseignement, qui proposede faire philosopher tout le monde. Ils’agit de stimuler des attitudes philo-sophiques (doute, réflexivité, critique,créativité, discussion...), la productionde concepts ou de pensées philoso-phiques à travers des activités diversesen y incluant l’écoute, la lecture, lesdiscussions et les productions philosophi-ques, personnelles et collectives. Ayantcomme antécédents les expériences del’IPO (International Philosophy Olympiad)et les Olympiades d’Argentine, nousavons pris de la première l’idée d’unessai écrit et des critères d’évaluation,et de la deuxième, le développement

dans tout le pays et dans la languematernelle. Les instances d’évaluationsont orales et écrites, pour diminuer leniveau de compétitivité et accroître lacollaboration. Les Olympiades uru-guayennes de philosophie se dévelop-pent annuellement depuis 1999. L’Olympiade est organisée simultanémentdans les lycées de tout le pays, sansétapes préalables de sélection ni definales nationales afin que tout le mondepuisse participer à l’évènement. Cetteactivité se déroule en deux parties, quiont lieu généralement le même jour. Lapremière consiste en un débat sur laquestion posée, d’une durée de deuxheures, en groupes d’environ 20 person-nes, sur un thème unique. Le principeest de se confronter à la difficulté

problématique. La deuxième partie estpersonnelle et écrite. Il s’agit d’un essaiqui doit se rédiger en trois heures àpartir d’une proposition émise par le jurynational. Les participants doiventprendre en compte le débat préalable. Ensuite, des jurys locaux évaluent lapartie écrite. Ils choisissent une phrasede chaque travail pour en faire unepetite publication. Les neuf meilleurstravaux sont choisis par un jury national,et leurs auteurs participent àl’Olympiade du Río de la Plata enArgentine.

Mauricio Langon,Professeur de philosophie(Uruguay)

Encadré 52Une expérience notable : Olympiades philosophiques uruguayennes

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de soutenir les personnes désireuses de selancer dans l’activité, qui souvent se sententseules et dépourvues de moyens. Une desmodalités de travail est aussi le couplagepar paires de praticiens, par exemple pourle développement de la consultation philo-sophique à distance, où deux personnes sequestionnent mutuellement sur une certainepériode de temps. Il serait aussi possible demettre de l’avant certaines initiatives quisemblent mériter d’être valorisées, et quisans cela passeraient inaperçues.

Olympiades philosophiques(Dix-huit)

Il faut signaler d’emblée qu’il ne s’agit paslà des Olympiades internationales de phi-losophie(19) (IPO) mais d’expériences qui s’ensont inspirées. Une activité susceptible demobiliser les volontés et les énergies serait,en effet, l’organisation d’Olympiadesphilosophiques ou d’un concours d’essaisphilosophiques annuel. Afin d’éviter que ladimension académique ou élitiste, parfoisinhérente au principe d’un concours, nesoit privilégiée, certaines mesures peuventêtres envisagées. Le jury ne serait pasconstitué exclusivement de professionnelsde la philosophie ; le règlement duconcours devrait stipuler que les textess’adressent au grand public et, dans lamesure du possible, il faudrait créerdiverses catégories de participants (jeunes,adultes, étudiants en philosophie, profession-nels ou non professionnels de la philosophie,etc.) afin de donner une chance aux dif-férents types de public. S’il s’agit d’unconcours national, une première étaperégionale ou locale serait organisée aupréalable, ce qui étendra l’impact de cetteactivité. La dimension de proximité estimportante dans la mesure où elle permettraaussi d’organiser une rencontre, où, enparallèle au travail écrit, pourra se tenir unepartie orale. Autant que possible, ce devraitêtre un lieu où primera non pas tant lacompétition entre des personnes maisl’émulation pour faire avancer la pensée.L’expérience de ces Olympiades doit êtreconçue dans le contexte du développementd’une éducation philosophique capable decollaborer à la transformation de l’éducationet à la création d’espaces publics de par-ticipation citoyenne. C’est-à-dire à opérerdans la continuité d’autres activités. En

proposant de traiter des thèmes de sociétéou d’actualité, les étudiants ou les professeursde philosophie seraient invités à émergerdu cadre purement académique de laphilosophie. Enfin, il serait utile de fairepublier les essais des lauréats du concours.

Débats après les films (Dix-neuf)

Une des difficultés principales de l’activitéphilosophique est de toucher le grandpublic, car la philosophie conserve malgrétout une image assez élitiste. Une manièresimple d’inviter assez naturellement tout unchacun à philosopher, ou de motiver lesparticipants à un débat philosophique, estd’organiser un débat suite à la projectiond’un film. Ou encore d’une représentationthéâtrale. Certes on pourra choisir des filmspour une thématique spécifique faisantécho au vécu et méritant d’être approfondie,portant sur des sujets existentiels, sociauxou autre. Mais dans l’absolu, il sera possibled’inviter les participants à la réflexion philo-sophique sur de nombreux types de films,sans avoir nécessairement à chercher unfilm particulier, et sans oublier les filmsdestinés aux enfants, afin d’initier aussi cesderniers au décodage de l’image. Cettenon spécificité du film utilisé est importante,car il devient plus facile d’insérer la démarchedans un contexte donné ou de s’intégrerdans la programmation préétablie d’unesalle de projection existante. Ce travailaprès la projection d’un film est d’autantplus important que nous vivons pourbeaucoup dans le monde de l’image, noussommes entourés d’images, et le public nese distancie pas toujours de ces icônes oude ces idoles. Nous pouvons observerl’absence récurrente de rapport critiqueface à ce que l’on voit et entend, à latélévision comme dans les magazines ou aucinéma. C’est donc de l’éducation duconsommateur et du citoyen dont il estquestion. Dans cette perspective, un desaspects les plus cruciaux demeure ladécouverte par les participants au débat dela diversité des interprétations et même desvisions du film qu’ils viennent juste de voiren commun. Ils s’aperçoivent alors qu’ilssont parfois aveugles à certaines choses, oubien qu’ils en ont une vision tout à faitpartielle ou réductrice. L’autre angleimportant de découverte est le rapportentre les faits, ce que l’on observe, et

CHAPITRE IV

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(19) Voir chapitre I.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

l’interprétation que l’on en fait, avec sesdivers degrés de profondeur des enjeuxperçus. Le débat après le film devient ainsiune sorte de préparation et d’antichambreà des discussions plus spécifiques et plusapprofondies, sur des thèmes plus généraux.

Maison de la philosophie (Vingt)

Dans la mesure du possible, il seraitimportant de créer un lieu pour la pratiquephilosophique, une sorte de maison de laphilosophie. Plusieurs activités sous différentesformes y seraient organisées. Ce serait unlieu ouvert à la multiplicité des pratiques,des méthodes, des finalités, dans la mesureoù l’activité proposée relève bien de laphilosophie. Comme la démarcation entrela philosophie et d’autres activités connexesn’est pas toujours claire ou étanche, uncomité serait chargé d’examiner les pro-positions d’activités. Ce pourrait êtrel’occasion de réfléchir en permanence à lanature de la pratique philosophique. S’il

existe une structure nationale ou locale dephilosophes praticiens, il pourrait leurincomber la tâche de gérer cette entrepriseet de prendre les décisions appropriées.Pourraient s’y tenir des ateliers et desconférences pour le public, des séminairesde formations à la pratique pour philosophesprofessionnels ou amateurs, des rencontresprofessionnelles, des consultations individuel-les, etc. Une permanence pourrait s’y tenir,pour toute personne désireuse de rencontrerun philosophe et d’échanger sur diverssujets de préoccupation. Ce pourrait aussiêtre le lieu d’une permanence téléphonique,que ce soit pour une personne en criseexistentielle, face à la solitude, se posantune question spécifique, ou pour une autreraison. Les diverses structures institutionnelles,publiques ou privées, trouveraient là uninterlocuteur pour tout renseignementconcernant l’activité philosophique, ce quifaciliterait le développement et la promotionde la pratique.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Au-delà des propositions de résolutionpuisées dans l’histoire de la pensée, lescritiques envers la philosophie non académi-que peuvent parfois paraître dures, mais enmême temps, rien de tout cela ne paraîtrédhibitoire. La vie intellectuelle aura vupire. Nous pouvons nous demander si lapratique philosophique est bien philosophi-que, mais nous pouvons aussi poser laquestion à bien d’autres formes du philoso-pher. Et en ce qui a trait à la pratique, unepart importante de la responsabilité enincombe d’ailleurs aux philosophes eux-mêmes, qui se refusent parfois à investir ceschamps, dès lors abandonnés aux pédago-gues, aux psychologues, ou à tout unchacun, à qui on ne saurait reprocher des’intéresser à la philosophie et de s’yaventurer, puisqu’elle est affaire de tous etn’appartient à personne. Il est une technicitédu philosopher, qui se travaille et s’apprend. Ilreste à éduquer cette démarche, en dépitdes difficultés posées et des résistancesmanifestées. Et il n’est pas certain que lapratique philosophique soit tellement plusgénéreuse que la philosophie traditionnelle.S’y retrouvent en effet les mêmes soucispersonnels primant sur l’authenticité, lesmêmes agendas particuliers occultant oudéguisant l’intérêt général, les mêmesangoisses d’être oublié et de ne plusexister, etc.

Il semble que le défi pour ce mouvement -puisqu’au sens philosophique ou sociologiqueil s’agit bien d’un mouvement - est justementde ne pas tomber dans le dogmatisme qu’ildénonce. C’est le dogmatisme qui setrouve au cœur du problème, celui quitoujours rigidifie et empêche de penser,cette raideur de l’esprit qui empêched’entendre et de problématiser. Ensuite, lespathologies ou les excès mentionnés dansce chapitre ne sont ni systématiques ni lefait de chacun. Il n’y a pas à s’en défendreou à protester, mais uniquement à en êtreconscient. De surcroît certains de cesproblèmes peuvent entrer en contradictionles uns avec les autres. Selon les praticiens,les écoles de pensée, mais aussi selon lescultures où ces pratiques se développent etopèrent, les aberrations et les difficultés neseront pas les mêmes. Car selon les cultures, àl’instar des courants philosophiques, l’individuet le groupe, la théorie et la pratique, lepluralisme et la vérité, ne s’articulent pas dela même manière, les forces et les lacunesne sont pas identiques.

La mort de la philosophie - si une telle mortest envisageable - réside en son absence devie et de pluralité. Son essence reposefondamentalement sur l’altérité et surl’accueil de l’autre et du différent, dans uneconstante remise en question.

Conclusion : est-ce philosophique ?

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CHAPITRE V

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L’enseignement de la philosophie à traversune enquête UNESCO auto-administrée via Internet

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Introduction : un procédé collectif et inclusif 198

I. Principaux résultats thématiques 199 - 221 1) Premier bilan de l’enseignement de la philosophie dans le monde 199

> Profil professionnel des répondants> Mérites et buts de l’enseignement de la philosophie

- Analyse globale- Analyse régionale

> Coopération internationale et insertion des acteurs de l’enseignement de la philosophied’un pays au sein de la communauté internationale

> Principaux résultats, par pays, concernant l’enseignement de la philosophie selon les niveaux d’enseignement

2) Géographie de l’enseignement de la philosophie 207> État général de l’enseignement de la philosophie par groupes de pays> Affaiblissement de l’enseignement de la philosophie> Renforcement de l’enseignement de la philosophie> Bilan des évolutions passées et à venir de l’enseignement de la philosophie

II. Outils, méthode et modalités d’organisation 222 - 228 1) Le choix d’un outil pour la réalisation de l’enquête 222

> Les spécificités d’une enquête auto-administrée > Le Questionnaire et sa mise en ligne

2) Le déroulement de l’enquête 223> L’élaboration de la base des correspondants> La récolte des données> Chronologie du déroulement de l’enquête

3) Les statuts de l’enquête et des résultats 226> Des ambiguïtés d’une analyse par pays à la réalisation d’une synthèse par pays> Synthétiser les informations au niveau des pays

Conclusion : une enquête inédite 229

Questionnaire en ligne de l’UNESCO 230

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CHAPITRE V

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Ce chapitre est consacré à l’enquête baséesur la récolte des données recueillies par leQuestionnaire mis en ligne par l’UNESCOsur l’enseignement de la philosophie dansle monde, ainsi que des résultats obtenuspar l’exploitation des réponses reçues.L'enquête se veut être, avant tout, un outildynamique, en vue de créer un échange etune force d’interaction entre les différentspartenaires de l’UNESCO et leur action enfaveur de la philosophie.

En 2005, lors du lancement des préparationsde la présente Étude, l’UNESCO a souhaitéd’emblée adopter une démarche collectiveet participative, et s’est efforcée de mettreà contribution l’ensemble de ses Commissionsnationales et de ses Délégations permanentes,dans un large processus de consultation.L’implication et le concours des partenairesde l’UNESCO dans cette Étude inédite surl’enseignement de la philosophie dans lemonde, se devaient d’être à l’aune del’importance que les États membres del’UNESCO ont souhaité accorder à laphilosophie.

Une forte synergie et une grande mobilisationont caractérisé ce processus de consultation,que l’on peut considérer déjà, en tant quetel, comme un des traits les plus encoura-geants de la présente Étude. L’écho rencontrépar ce procédé auprès des États membresde l’Organisation est l’une des particularitéssaillantes de cette Étude. En effet, par rapportaux enquêtes précédentes sur le mêmesujet - notamment celle menée en 1951par Georges Canguilhem, qui n’a concernéque 9 pays, et celle effectuée en 1994 parRoger-Pol Droit sur « philosophie etdémocratie », sur 66 pays, on peut noterque l’Étude de 2007 a concerné, pour sapart, 126 pays. On relèvera 369 répondants,dont les réponses sont à la fois « valides »et exploitables, et qui couvrent plus que65% des pays.

L’identification des destinataires duQuestionnaire a fait l’objet d’un procédérigoureux. Trouver des contacts ciblés ausein des différents pays a été, dès le début,une exigence dans le cadre de la méthodolo-gie de l’Étude, et ce afin d’assurer la fiabilitédu suivi qui sera donné au Questionnaire.

À cet effet, une fiche d’information a étéadressée à toutes les Commissions nationalespour l’UNESCO en vue de recevoir les nomset les contacts des responsables du pro-gramme de philosophie au sein desMinistères de l’éducation nationale, del’enseignement supérieur et de la recherche(niveau institutionnel), ainsi qu’au niveaudes Départements de philosophie dans dif-férentes Universités, des Chaires UNESCOet/ou des Instituts (niveau académique). Lesréponses reçues ont été nombreuses et trèsinformatives. Elles ont permis, avec quelquesautres recherches complémentaireseffectuées par l’UNESCO, de constituerune très large base de contacts, qui a servide socle à l’envoi du Questionnaire.

Vu l’échelle de l’enquête et la diversité dessystèmes d’enseignement entre les pays, ilimportait avant tout d’atteindre la plusgrande variété possible de personnesimpliquées dans l’enseignement de laphilosophie, institutionnellement ou pas, etce par souci de recoupement des informationsfournies. On parlera donc de retours parlantset instructifs, venus de nombreux pays, touten ayant toujours présent à l’esprit le soinde pondérer et de relativiser certainesréponses car celles-ci peuvent parfois releverd’un sentiment subjectif, ne traduisant pasnécessairement une réalité avérée àl’échelle du pays.

Le Questionnaire, reproduit à la fin de cechapitre, comporte des questions ouvertes,des questions fermées, parfois à choix mul-tiple. Les questions ouvertes ont donné lieuà des verbatim largement commentés,notamment dans les chapitres II et III decette Étude. Quant aux autres résultats etaux croisements effectués, ils font l’objet icid’une analyse plus avancée, sur des critèreschoisis en fonction des données exploitables.

Au lecteur également de prêter une attentionaccrue aux différents graphiques, tableauxet cartes dans la mesure où ils ne sauraientprétendre à une véracité absolue. Lespremiers résultats thématiques figurantdans ce chapitre sont eux-mêmes un bilanpréliminaire qui sera amené à être ajusté etdensifié ultérieurement.

Introduction : un procédé collectif et inclusif

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Il s’agit ici de présenter de manière succinctequelques résultats généraux sur plusieursdes thématiques portées par le Questionnaire,sous forme d’un premier bilan des résultatsles plus intéressants pour chacun desniveaux d’enseignement.

Profil professionnel des répondants

À la lecture du Questionnaire et d’un certainnombre de réponses à des questions ouvertes,il semble qu’une dimension importantepour comprendre les réponses individuellestient au profil professionnel des répondants.Nous avons décidé de préciser cetteobservation en étudiant les réponses à laquestion Q0c(1). Nous pourrons ensuitemesurer, s’il le faut, ses effets sur desthématiques particulières. La question Q0cest une question fermée à réponses multiples.Ces dernières se déclinant en modalités.Plusieurs réponses sont donc possibles pourun même répondant. Deux façons de lireles réponses à cette question sont alorsenvisageables et complémentaires (cela estvrai pour toutes les questions multiples).D’une part, on peut observer la réponse dupoint de vue du répondant et se concentrersur le profil déclaré, c'est-à-dire travaillersur les combinaisons possibles des modali-tés de la question. On va par exemplecompter combien de personnes sont« enseignants et administrateurs », combiensont « seulement enseignants », etc.D’autre part, il est tout aussi légitime dedécomposer la question et de considérerchaque modalité comme s’il s’agissaitd’une question particulière. Dans le cas dela question Q0c, on peut imaginer qu’ellese décompose en 4 sous-questions (« Q0c1 :Exercez-vous la fonction professionnelled’administrateur ? (oui/non) »). Chaquesous-question peut alors être traitée sépa-rément et on peut notamment cumuler lesréponses pour obtenir des effectifs« d’enseignants », « d’administrateurs », etc.par pays, régions, etc. C’est l’étude des profilsque nous avons privilégiée ici (graphique n°1),ce qui ne nous empêche pas dans le commen-taire suivant de raisonner par fonctions profes-sionnelles indépendamment des profils.

La majeure partie de la population interrogéeest constituée d’« enseignants », 75% encumulant les fonctions. Les « administra-teurs » représentent 25% des répondants,et les « experts », 17%. La modalité« autres fonctions » est non négligeablepuisqu’elle représente 13% des répondants.En examinant l’importance des profilsmultiples (23%), on peut remarquer queceux-ci sont pratiquement toujours « ensei-gnants ». Il résulte de l’observation desréponses que les pays où les enseignantssont minoritaires ne sont pas nombreux (26pays), et représentent à peine 20% despays participant à l’enquête. Parmi eux, les18 pays où on ne recense aucun enseignantsont des pays ne comptant qu’un seulrépondant (parfois deux), c'est-à-dire biensouvent ceux pour lesquels le Secrétariat del’UNESCO, après plusieurs relancesinfructueuses, a insisté auprès de contactsinstitutionnels pour avoir au moins uneréponse à l’enquête pour le pays considéré.

Mérites et buts de l’enseignementde la philosophie

Analyse globaleRappelons que les questions sources Q03(2),Q09(3), et Q12(4) sont plutôt d’ordre subjectif

I. Principaux résultats thématiques1) Premier bilan de l’enseignement de la philosophie dans le monde

(1) Question Q0c : Fonctionprofessionnelle : administrateur,enseignant, expert, autre ?

Catégories du profil professionneldes répondants à l’enquête -Graphique n°1

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CHAPITRE V

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- surtout les deux dernières - et que l’onpeut donc raisonner d’un point de vue indi-viduel pour avoir un résultat global, auniveau mondial. Ce qui ne nous empêchepas d’observer des différenciations régiona-les car vu le nombre de modalités, il estdifficile de descendre au niveau des pays. Ilfaut alors se rappeler les différences departicipation à l’enquête selon les régionsde l’Étude pour ne pas surinterpréter lesrésultats obtenus. Il est à noter ici que cesquestions sont des questions à choix multiple.Pour synthétiser les réponses, pour chacunedes modalités des trois questions, nousavons choisi l’option de raisonner selon lesmodalités et non selon les profils. Oncompte le nombre de fois où une modalitéparticulière est choisie. Les pourcentagesaffichés correspondent aux rapports entrele nombre de réponses observées pourchaque modalité et le nombre de réponses« exprimées » pour la question, sans tenircompte des non-réponses.

Question générale, (Q03) : sans tenircompte des différences nationales, onobserve que 4 des 6 propositions sont choisiesdans plus de 50% des réponses. Unelégère majorité désigne la proposition« forger le jugement » comme principalmérite de l’enseignement de la philosophie.Apparaissent ensuite successivement« Renforcer le savoir propre », « fortifierl’autonomie », et « contribuer à l’éducationcivique ». L’« acquisition d’une méthodologie »est choisie dans une moindre mesure(45%). Ces 5 propositions semblent en toutcas convenir pour définir correctement lesmérites de l’enseignement de la philosophie

d’un pays car la catégorie « autres » n’estchoisie que par 15% des répondants.

Question relative au niveau primaire, (Q09) :l’échelle des buts se différencie ici sensible-ment du classement des mérites d’un pointde vue général (Q03). Les changements lesplus manifestes concernent la forte baissede la modalité « renforcer le savoir propre »et celle, moins importante il est vrai, de lamodalité « acquérir une méthodologie ». Siles autres modalités restent à leur niveau, lamodalité « contribuer à l’éducation civique »devient le second choix des répondants.L’allure de cette distribution sembleraitindiquer que l’enseignement de la philosophieau niveau primaire privilégie le dévelop-pement individuel des enfants à l’acquisitionde connaissances. Ce constat corroborel’analyse développée dans le chapitre I decette Étude. On observe aussi une légèrehausse de la modalité « autres », c'est-à-dire que s’accentue la tendance à ce queles modalités proposées soient insatisfaisan-tes pour décrire les buts de l’enseignement auniveau primaire. L’étude des verbatimassociés à cette question est à ce titreintéressante pour découvrir d’autres « buts »attribués à l’enseignement de la philosophie.

Question relative au niveau secondaire,(Q12) : à quelques détails près, l’échelle desbuts ressemble au classement des méritesd’un point de vue général (Q03). À ceniveau d’enseignement, les pourcentagessont généralement un peu plus élevés,signe d’une adhésion plus forte desrépondants, et de l’adéquation des pro-positions aux buts de l’enseignement, avecnéanmoins une modalité « autres » encoreforte. Toutes les propositions sont choisiespar plus de 50% des répondants. Lamodalité « forger le jugement » est choisiepar plus de 75% des répondants et lamodalité « fortifier l’autonomie » arrive enseconde position (63%). Ce qui confirme lerôle prépondérant de l’enseignement dela philosophie pour offrir aux adolescentsles moyens de s’épanouir individuellement.

L’observation des variations régionales desmérites et des buts reconnus à l’enseignementde la philosophie révèle des différenciationsintéressantes (graphique n°2). Il en ressortque pour les régions Europe et Amériquedu Nord, Amérique latine et Caraïbes et

Principaux mérites reconnusà l’enseignement de la philosophieselon la région de l’Étude -Graphique n°2

(2) Question Q03 : Dans votrepays, quels sont les principauxmérites reconnus à l’enseignementde la philosophie ? Fortifier l’autono-mie de l’individu - Acquérir uneméthodologie - Renforcer le savoirpropre - Forger le jugement -Contribuer à l’éducation civique -Autre.

(3) Question Q09 : Selon vous,quel est le but de l’enseignementde la philosophie au niveau primaire ?Fortifier l’autonomie de l’individu -Acquérir une méthodologie -Renforcer le savoir propre - Forgerle jugement - Contribuer à l’éducationcivique - Autre.

(4) Question Q12 : Selon vous,quel est le but de l’enseignementde la philosophie au niveau secondaire ?Fortifier l’autonomie de l’individu -Acquérir une méthodologie -Renforcer le savoir propre - Forgerle jugement - Contribuer à l’éducationcivique - Autre.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Afrique, c’est la modalité « forger le juge-ment » qui arrive en premier choix. L’onnotera avec intérêt que pour les États arabes,c’est « fortifier l’autonomie de l’individu »qui est privilégiée, et pour la région Asie etPacifique, c’est nettement le « renforcementdu savoir propre ».

Analyse régionaleIl faut toutefois préalablement rappeler lescaractéristiques de la participation àl’enquête selon les régions de l’Étude, carelles sont importantes pour toute tentatived’interprétation de ces résultats, notammentles écarts du nombre de retours « valides »selon les régions. Si la région Europe etAmérique du Nord est bien représentée,certaines autres régions peuvent ainsi fairemontre d’une variabilité qui peut s’expliqueren partie par la faiblesse relative du nombrede retours s’en réclamant. De plus, la repré-sentativité à l’intérieur des régions est pro-blématique : certaines régions, notammentles États arabes et l’Amérique latine et lesCaraïbes, disposent d’un ou deux paysdotés de beaucoup de réponses et, à l’inverse,plusieurs pays ne sont pas du toutreprésentés dans l’enquête.

Question générale, (Q03) : des différencesnotables sont observées selon la géographierégionale. La région Europe et Amérique duNord s’aligne sur le profil de réponse déjàcommenté au niveau global (en réalité c’estplutôt le contraire, c’est la situation globalequi hérite en partie du profil de cette régionen raison de son poids). Les deux régionsAfrique et Amérique latine et Caraïbes ontdes profils eux aussi semblables à lasituation globale, si ce n’est les pointssuivants : Si « forger le jugement » apparaîttoujours comme premier choix, de manièreaccrue en Afrique, la hiérarchie est inverséepour les suivants, « fortifier l’autonomie »se plaçant devant « renforcer le savoirpropre », mais les écarts sont faibles et sansdoute peu significatifs. On observe aussi unmoindre choix de la modalité « contribuer àl’éducation civique ». Pour les deux dernièresrégions, la situation change radicalement :les réponses des États arabes mettent enavant la modalité « fortifier l’autonomie »,les autres modalités restant importantes(plus de 50%) et de même niveau, hormisla modalité « renforcer le savoir propre »(40%). Pour la région Asie et Pacifique, le

profil est inversé : la modalité « renforcer lesavoir propre » est plébiscitée (près de75%), alors que « fortifier l’autonomie »n’est choisie que par 40% des répondantsde la région.

Question relative au niveau primaire, (Q09) :à l’image de la situation globale, les troisrégions Europe et Amérique du Nord,Afrique et Asie et Pacifique, plébiscitent lacontribution à « l’éducation civique » etont un score relativement élevé pour laproposition « autres ». Les régionsAmérique latine et Caraïbes et États arabesont comme premier choix respectivement« fortifier l’autonomie » et « contribuer àl’éducation civique ». Ces deux régions ontun faible score de réponses « autres », etsont donc plutôt satisfaites des choixproposés. Une autre variation régionale atrait à la modalité « acquérir une méthodolo-gie », plus choisie que dans le cas généralpour les régions Afrique, Amérique latine etCaraïbes et États arabes (de 5 à 10% enplus) et moins choisie par les deux autresrégions (10% de choix en moins).

Question relative au niveau secondaire(Q12) : le classement des modalités àl’échelle régionale suit celui observé dans ladistribution générale. Pour trois régions,l’Amérique latine et les Caraïbes, les Étatsarabes et l’Afrique, l’ordre des modalitésest « forger le jugement », « fortifierl’autonomie » et « renforcer le savoir propre »,et, dans un même temps, l’acquisitiond’une « méthodologie » devient une modalitéimportante, dépassant les 50% de choix.Deux régions se distinguent nettement de

Principaux mérites reconnusà l’enseignement de la philosophieselon le profil professionneldu répondant - Graphique n°3

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CHAPITRE V

202

ce modèle, l’Europe, l’Amérique du Nord etl’Asie et Pacifique : la modalité « renforcerle savoir propre » se place en seconde positionet détrône nettement « fortifier l’autonomie ».Cela s’accompagne aussi d’un moindrechoix pour la modalité « acquérir uneméthodologie », ce qui donne une colorationplus théorique qu’appliquée à l’enseigne-ment secondaire de la philosophie dans cesdeux régions. Enfin, pour ces dernières, onnote la faiblesse de la modalité « autres ».Si l’on raisonne maintenant du point de vuedes régions et des distributions qu’ellesproposent aux 3 questions, on est enmesure d’observer à grands traits quelquescaractéristiques géographiques concernantles buts et les mérites assignés à l’ensei-gnement de la philosophie. Comme nousl’avons déjà remarqué, la région Europe etAmérique du Nord a généralement ten-dance à suivre les distributions des 3 questionsau niveau global. Pour la région Asie etPacifique, le choix « fortifier l’autonomie »est sous-évalué par rapport à la situationgénérale et/ou aux autres régions. Pour larégion États arabes, ce sont les modalités« acquérir une méthodologie » et« contribuer à l’éducation civique » qui onttendance à être surreprésentées. La régionAmérique latine et Caraïbes proposegénéralement des distributions moins diffé-renciées que les autres. Les écarts entre lesmodalités sont moins importants que dansd’autres régions, même si les différentsclassements des modalités sont respectés,mais avec moins d’ampleur. Au contraire, larégion Afrique a tendance à accentuer lesécarts, en respectant elle aussi, à peu dechoses près, les différents classements desmodalités observés. Il faut noter la tendancegénérale, pour les régions Europe etAmérique du Nord et Asie et Pacifique, àun faible score de la modalité « autres ».Cela témoigne, nous l’avons déjà évoquépartiellement, de l’adéquation des proposi-tions de modalités aux situations de l’en-seignement de la philosophie dans cesrégions. A contrario, les autres régions sontmoins satisfaites de ces propositions, surtout larégion Amérique latine et Caraïbes pourlaquelle la modalité « autres » estconstamment au-dessus de 20% de choix.

Compte tenu des effectifs en jeu, les distribu-tions concernant le profil professionnel« enseignant » ne diffèrent pas de celles

concernant l’ensemble des répondants(graphique n°3). C’est plutôt les spécificitésd’un comportement « non enseignant »que l’analyse des profils professionnels vacontribuer à dégager. Elles sont finalementpeu nombreuses. De manière générale, lamodalité « autres » est systématiquementmoins choisie chez les « non enseignants »,signe que ces derniers ont tendance à êtreplus satisfaits des modalités proposées, ladifférence étant très marquée aux niveauxprimaire et secondaire.

Coopération internationaleet insertion des acteursde l’enseignement de philosophied’un pays au sein de la communautéinternationale

L’objectif est ici de produire un indicateurde l’insertion internationale des acteurs del’enseignement de la philosophie d’un pays.Rappelons les questions sources : Q45(5),Q47(6), Q48(7), Q49(8), et Q50(9). L’indicateurchoisi est le pourcentage de réponses « oui »par rapport au total des réponses « non »et « oui ». Un pourcentage inférieur à 50signale donc que le nombre de « oui » estminoritaire pour le pays considéré. Les deuxdernières questions (Q49, Q50) ont 4réponses possibles : (1) « aucun », (2) « ouipour les élèves », (3) « oui pour lesenseignants », (4) « oui pour les élèves etoui pour les enseignants ». L’indicateursynthétique de ces deux questions estcalculé en rapportant, pour chacun despays, l’ensemble des réponses « oui »possibles (2+3+4) à l’ensemble des réponsesnon vides obtenues (1+2+3+4). L’indice« Synthèse internationale » cumule le nombrede réponses aux 5 questions précédentesdont les pourcentages de « oui » sont stric-tement supérieurs à 50%. L’insertion desacteurs nationaux de l’enseignement de laphilosophie au sein de la communautéinternationale est géographiquement trèsmarquée. La carte n°1 associée à cet indi-cateur est édifiante. Cette différenciationépouse les contours des grands paysoccidentaux, comme l’analyse par régionsle confirme. La région dont les pays où lesphilosophes sont les plus insérés au sein dela communauté internationale est la régionEurope et Amérique du Nord (70% despays ont répondu par l’affirmative à aumoins 3 questions dans cette région).

(5) Question Q45 : Diriez-vous queles enseignants ou chercheurs enphilosophie de votre pays participentrégulièrement à des réseaux derecherche (séminaires, colloques,réunions de sociétés savantes, etc.)au niveau régional ou international ?

(6) Question Q47 : Diriez-vous queles enseignants ou chercheurs enphilosophie de votre pays sontsuffisamment représentés lors descongrès mondiaux de philosophiequi ont lieu tous les cinq ans ?

(7) Question Q48 : Diriez-vous queles enseignants ou chercheurs enphilosophie de votre pays sontsuffisamment représentés au seindes associations philosophiquesinternationales ?

(8) Question Q49 : Existe-t-il dansvotre pays des programmesd’échanges académiques interna-tionaux, dans le domainede la philosophie ?

(9) Question Q50 : Existe-t-il dansvotre pays des programmes debourses de recherche favorisantnotamment la mobilité internationaledes chercheurs et des élèves ?

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CHAPITRE V

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La région Asie et Pacifique propose elleaussi quelques pays où les philosophes sonttrès insérés (Australie, Inde, Nouvelle-Zélande, Thaïlande) et des pays où les phi-losophes sont moyennement insérés(Chine, Fédération de Russie). Cela a poureffet d’occulter quelque peu le fait qu’ellecompte en son sein 40% de pays où lesphilosophes sont peu ou pas insérés. Pourchacune des 3 autres régions, ce sont plusde 70% des pays les composant qui ontmoins de trois questions dont la réponseest positive : les pays d’Amérique latine,d’Afrique, des États arabes, semblent ainsiêtre peu ou pas présents dans les instancesinternationales de philosophie.

Principaux résultats, par pays,concernant l’enseignementde la philosophie selon les niveauxd’enseignement

Au niveau de l’enseignement primaire(Q05)(10), l’indicateur choisi est le pourcen-tage de réponses « oui », par rapport autotal des réponses « non » et « oui », à laquestion Q05. Un pourcentage inférieur ouégal à 50 signale donc que le nombre de« oui » est minoritaire pour le pays enquestion. Un pourcentage supérieur à 50signale à l’inverse une majorité de réponses« oui » pour le pays considéré. Très peu depays (7) affirment majoritairement disposerd’un enseignement de philosophie auniveau primaire : Belarus, Ukraine,

Ouzbékistan, Australie, Norvège, Iraq,Brésil. Excepté la région Afrique, toutes lesrégions sont représentées par ces 7 pays. Lamise en place d’expériences d’initiation à laphilosophie au niveau pré-primaire n’estpas liée à l’existence dans le pays d’unenseignement de la philosophie au niveauprimaire, mais plutôt à l’existence d’unenseignement au niveau supérieur (12 payssur 13) le plus souvent associé à un autreenseignement : formel (9 pays sur 13) ousecondaire (8 pays sur 13). Par ailleurs,parmi les pays où il est majoritairementsignalé une introduction à brève échéanced’un enseignement primaire de philosophie(Q08a(11)), quatre d’entre eux (Finlande,Iraq, Islande, République démocratique popu-laire lao) comptent déjà des expériencesd’initiation à la philosophie au niveaupré-primaire.

Au niveau de l’enseignement secondaire(Q13a)(12), l’indicateur choisi est le pourcentagede réponses « oui » (par rapport au totaldes réponses « non » et « oui ») à la question.Un pourcentage inférieur ou égal à 50signale donc que le nombre de « oui » estminoritaire pour le pays en question. Unpourcentage supérieur à 50 signale à l’inverseune majorité de réponses « oui » pour lepays considéré. L’enseignement secondairede la philosophie est dispensé dans 73 payssur les 126 présents dans l’enquête. Ils serépartissent entre les pays européens, ceuxd’Afrique de l’Ouest, et d’Amérique latine.

Secondaire général Littéraire Total SECONDAIRE GÉNÉRAL - option LittéraireInformations incomplètes 5 Afrique du Sud, Cameroun, Lituanie, Nicaragua, Suède

Enseignement obligatoire 51 Algérie, Argentine, Bahreïn, Belarus, Bénin, Bulgarie, Burkina Faso, Burundi, Chili, Chypre, Colombie, Congo, Côte d'Ivoire, Croatie, Équateur, Espagne, États-Unis d'Amérique, Fédération de Russie, France, Gabon, Grèce, Haïti, Honduras, Italie, Japon, Liban, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Mexique, Monaco,Monténégro, Namibie, Niger, Nigéria, République arabe syrienne, Républiquecentrafricaine, République démocratique populaire lao, République islamique d'Iran,Roumanie, Rwanda, Sénégal, Serbie, Slovaquie, Togo, Tunisie, Turquie, Uruguay,Venezuela, Viet Nam

Enseignement optionnel 16 Allemagne, Australie, Bangladesh, Belgique, Danemark, ex-République yougoslavede Macédoine, Finlande, Islande, Israël, Lettonie, Maurice, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République de Corée, République de Moldova

Sans réponse 44 Afghanistan, Antilles néerlandaises, Arménie, Autriche, Barbade, Belize, Bhoutan, Botswana, Cambodge, Chine, Costa Rica, El Salvador, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, Fidji, Géorgie, Ghana, Hongrie, Inde, Indonésie, Iraq, Jamaïque, Jordanie,Kenya, Kirghizistan, Lesotho, Malte, Mongolie, Népal, Nouvelle-Zélande, Ouganda,Ouzbékistan, Paraguay, Pérou, Philippines, Slovénie, Soudan, Sri Lanka, Suisse, Thaïlande, Ukraine, Vanuatu, Zambie, Zimbabwe,

Tableau n°1Présence d’un enseignement de philosophie au niveau secondaire : résultats par pays selon les régions de l’Étude

(10) Question Q05 : Existe-t-il,dans votre pays, un enseignementspécifique de la philosophie auniveau du primaire ?

(11) Question Q08a : Prévoit-ond’introduire à brève échéancel’enseignement de la philosophieau niveau primaire dans votre pays ?

(12) Question Q13a : La philosophieest-elle enseignée au niveaudu secondaire, en tant que matièredistincte ?

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Secondaire général Scientifique Total SECONDAIRE GÉNÉRAL - option ScientifiqueInformations incomplètes 11 Afrique du Sud, Belgique, Cameroun, Chili, Lettonie, Liban, Lituanie, République

de Moldova, Roumanie, Venezuela, Viet Nam

Enseignement obligatoire 37 Algérie, Argentine, Belarus, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Colombie, Congo, Côte d'Ivoire, Croatie, Espagne, États-Unis d'Amérique, Fédération de Russie, France, Haïti, Honduras, Italie, Japon, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Monaco, Monténégro, Namibie, Nicaragua, Niger, Nigéria, République centrafricaine, République démocratique populaire lao, Sénégal, Serbie, Slovaquie, Togo, Tunisie,Turquie, Uruguay

Enseignement optionnel 11 Allemagne, Bulgarie, Danemark, Finlande, Gabon, Islande, Israël, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Suède

Sans réponse 48 Afghanistan, Antilles néerlandaises, Arménie, Autriche, Bangladesh, Barbade, Belize, Bhoutan, Botswana, Cambodge, Chine, Costa Rica, El Salvador, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, ex-République yougoslave de Macédoine, Fidji, Géorgie, Ghana, Hongrie, Inde, Indonésie, Iraq, Jamaïque, Jordanie, Kenya, Kirghizistan, Lesotho, Malte, Mongolie, Népal, Nouvelle-Zélande, Ouganda, Ouzbékistan, Paraguay, Pérou, Philippines, République arabe syrienne, République de Corée, Slovénie, Soudan, Sri Lanka, Suisse, Thaïlande, Ukraine, Vanuatu, Zambie, Zimbabwe

Secondaire général Economie Total SECONDAIRE GÉNÉRAL - option ÉconomieInformations incomplètes 10 Afrique du Sud, Belgique, Cameroun, Canada, Estonie, Grèce, Liban, Lituanie,

Niger, Viet Nam

Enseignement obligatoire 32 Algérie, Argentine, Belarus, Bénin, Bulgarie, Burkina Faso, Congo, Côte d'Ivoire, Espagne, États-Unis d'Amérique, Fédération de Russie, France, Honduras, Inde, Islande, Japon, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Monaco, Monténégro, Namibie,Nigéria, République centrafricaine, République islamique d'Iran, Roumanie, Serbie,Slovaquie, Togo, Tunisie, Turquie, Uruguay

Enseignement optionnel 18 Allemagne, Croatie, Danemark, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Gabon, Hongrie, Irlande, Israël, Lettonie, Maurice, Nicaragua, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République de Moldova, République démocratique populaire lao, Suède

Sans réponse 47 Afghanistan, Antilles néerlandaises, Arménie, Autriche, Bangladesh, Barbade, Belize, Bhoutan, Botswana, Cambodge, Chine, Costa Rica, El Salvador, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, Fidji, Géorgie, Ghana, Haïti, Indonésie, Iraq, Jamaïque, Jordanie, Kenya, Kirghizistan, Lesotho, Malte, Mongolie, Népal, Nouvelle-Zélande, Ouganda, Ouzbékistan, Paraguay, Pérou, Philippines, République arabe syrienne, République de Corée, Sénégal, Slovénie, Soudan, Sri Lanka, Suisse, Thaïlande, Ukraine, Vanuatu, Zambie, Zimbabwe

Secondaire Technique et professionnel Total SECONDAIRE GÉNÉRAL – Secondaire Technique et ProfessionnelInformations incomplètes 10 Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Belgique, Cameroun, Lituanie, Nicaragua,

République de Moldova, Turquie, Viet Nam

Enseignement obligatoire 36 Australie, Bahreïn, Bolivie, Brésil, Burundi, Canada, Chili, Chypre, Colombie, Croatie, Danemark, Équateur, Estonie, États-Unis d'Amérique, Gabon, Grèce, Grenade, Irlande, Israël, Italie, Liban, Luxembourg, Malawi, Mauritanie, Mexique, Norvège, Pologne, Portugal, République démocratique populaire lao, République islamique d'Iran, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d'Irlande du Nord, Rwanda, Suède, Venezuela

Enseignement optionnel 21 Argentine, Belarus, Congo, Côte d'Ivoire, Espagne, Fédération de Russie, France, Honduras, Japon, Madagascar, Mali, Maroc, Monaco, Namibie, Niger, Nigéria, Sénégal, Slovaquie, Togo, Tunisie, Uruguay

Sans réponse 50 Afghanistan, Antilles néerlandaises, Arménie, Autriche, Bangladesh, Barbade, Belize, Bénin, Bhoutan, Botswana, Bulgarie, Burkina Faso, Cambodge, Chine, Costa Rica, El Salvador, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, ex-République yougoslave de Macédoine, Fidji, Finlande, Géorgie, Ghana, Haïti, Hongrie, Inde, Indonésie, Iraq, Islande, Jamaïque, Jordanie, Kenya, Kirghizistan, Lesotho, Lettonie, Malte, Maurice, Mongolie, Monténégro, Népal, Nouvelle-Zélande, Ouganda, Ouzbékistan, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Philippines, République arabe syrienne, République centrafricaine, République de Corée, Serbie, Slovénie, Soudan, Sri Lanka, Suisse,Thaïlande, Ukraine, Vanuatu, Zambie, Zimbabwe

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CHAPITRE V

206

Cet enseignement n’est pas proposé enAfrique de l’Est ainsi qu’en Asie, à de raresexceptions près.

Concernant la formation des formateurs,c’est dans la région Asie et Pacifique quel’on trouve proportionnellement le plus derépondants spécifiant qu’il n’est pas exigéque les enseignants du secondaire disposentd’un diplôme d’études supérieures en phi-losophie. À l’inverse, c’est dans les régionsÉtats arabes et Afrique que la majorité desréponses indiquent qu’il faut effectivementun diplôme d’études supérieures en philo-sophie pour enseigner dans le secondaire.

Le graphique n°4 présente les manquesjugés par les répondants comme les plusimportants en matière de philosophie dansles bibliothèques ou les Centres de docu-mentation des établissements du secon-daire. Il apparaît de ces retours que pour lesrégions États arabes, Europe et Amérique

du Nord, et Asie et Pacifique, c’est l'accèsaux œuvres des philosophes, notammentpar le biais des traductions d’œuvres origi-nales, qui arrive en tête des manques jugésimportants par les répondants à l’enquête.Pour l’Afrique, ce même manque est àégalité avec les dictionnaires et les encyclopé-dies philosophiques. Au niveau global, c’estainsi le manque d’accès aux travaux desphilosophes – par la traduction, parl’existence de périodiques, etc.-, qui revientle plus souvent dans les réponses.

Au niveau de l'enseignement universitaire,l’indicateur choisi est le pourcentage deréponses « oui » par rapport au total desréponses « non » et « oui » à la questionQ31(13). Un pourcentage inférieur ou égal à50 signale donc que le nombre de « oui »est minoritaire pour le pays considéré. Unpourcentage supérieur à 50 signale àl’inverse une majorité de réponses « oui »pour le pays. L’enseignement universitairede la philosophie concerne 106 pays sur les126 pays de l'enquête.

Concernant le profil des pays selon lestypes de diplômes de philosophie délivrésdans le cadre de l’enseignement supérieur,à partir d’une question à choix multiple,nous avons constitué un profil synthétiquepar pays des diplômes délivrés dans le cadrede l’enseignement supérieur. Pour chaquepays, nous avons considéré qu’une modalitéétait présente uniquement si le pourcen-tage de retours signifiant sa présence - parrapport à ceux exprimés sur cette questionpour ce pays-, était supérieur à 50%.Ensuite, chacune des modalités de diplôme(1er, 2ème, 3ème cycle et doctorat) ont étéassociées en fonction de leur présence ounon pour le pays. Si le pourcentage de paysoffrant des diplômes à tous les niveaux del’enseignement supérieur est sensiblementle même quelle que soit la région, environ20%, la différence se fait ensuite sur l’exis-tence de 1er et de 2ème cycle de philosophie.

Concernant les débouchés pour les diplômésen philosophie (graphique n°5), pour toutesles régions, il ressort que l’enseignement arriveen tête des débouchés pour les diplômés enphilosophie, suivi par la recherche, le secteurprivé n’arrivant qu’en troisième position.Au niveau du ressenti face à l’état desfonds documentaires en philosophie

Documentation - Niveau secondaire - Graphique n°4

Débouchés - Niveau universitaire - Graphique n°5

(13) Question Q31 : La philosophieest-elle enseignée comme matièredistincte dans l’enseignementsupérieur ?

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207

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

État général de l’enseignementde la philosophie par groupes de pays

Une fois réglés les problèmes de synthèse parpays, il est possible d’utiliser les outils adéquatspour faire l’analyse de l’enquête par pays.Nous sommes en mesure de construire destableaux de résultats par pays et par régionsgéographiques. L’analyse géographique del’enquête se matérialise surtout par laproduction de cartes sur lesquelles onprojette les réponses à certaines questions oules valeurs de certains indicateurs synthétiquescalculés par pays. Elle oriente quelque peul’interprétation des phénomènes que l’ondésire observer à partir de l’enquête. Celarevient à se poser la question de la continuitéterritoriale des phénomènes ayant trait à l’en-seignement de la philosophie. Il est ainsipossible de s’intéresser aux lignes de front,aux frontières et aux discontinuités, de vérifierles cohérences régionale et continentale. Pourréaliser les cartes, nous avons utilisé le logicielPhilCarto de Philippe Waniez(15). Il faut noterque le fond de carte des pays du mondeutilisé avec ce logiciel n’intègre pas l’ensembledes pays proposés par la base de données de

l’enquête en question. Les cartes produitesn’intègrent donc pas les résultats pour cesderniers, bien que certains d’entre eux aientparticipé. Il s’agit des pays suivants : Andorre,Antigua-et-Barbuda, Antilles néerlandaises,Aruba, Bahamas, Cap-Vert, Comores,Dominique, Iles Caïmanes, Iles Cook, IlesMarshall, Iles Salomon, Iles Vierges bri-tanniques, Kiribati, Macao, Maldives,Micronésie (États fédérés de), Myanmar,Nauru, Nioué, Palaos, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Marin, Saint-Vincent-et-lesGrenadines, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles,Timor-Leste, Tokelau, Tuvalu. Parmi les paysnon présents sur le fond de carte, certains ontcontribué au Questionnaire. Il s’agit de laBarbade (1 répondant), de la Grenade(1 répondant), de Maurice (2 répondants) etde Monaco (1 répondant).

Pour synthétiser les résultats et les informa-tions sous forme de statistiques, il peut êtreintéressant de raisonner avec des « groupesde pays », dans l’optique de l’étude de lagéographie de l’enseignement de la philo-sophie et éventuellement de la mise à jourde régularités régionales. Plusieurs

2) Géographie de l’enseignement de la philosophie

(graphique n°6), une forte insatisfaction està souligner de la part de l’Afrique, del’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi quedes États arabes.

Au niveau de l'enseignement non formelde la philosophie (Q41a)(14), l’indicateurchoisi est le pourcentage de réponses « oui »par rapport au total des réponses « non »et « oui » à la question. Un pourcentageinférieur ou égal à 50 signale donc que lenombre de « oui » est minoritaire pour lepays considéré. Un pourcentage supérieurà 50 signale à l’inverse une majorité deréponses « oui » pour le pays considéré.L’enseignement non formel de la philosophieest signalé comme présent dans 68 pays,c'est-à-dire plus de la moitié des paysparticipant à l’enquête. On trouve sa présencesur l’ensemble du continent américain,excepté la Colombie, la Bolivie et quelquespays d’Amérique Centrale et en Europe -excepté la Suède, les Pays-Bas, leDanemark, la Suisse, l’Islande, et l’Irlande.En Afrique, c’est sa présence qui n’est pas

commune. Il est présent au Mali, auNigéria, au Togo, au Cameroun et enRépublique centrafricaine. Dans la régionAsie et Pacifique, les « grands » pays tels laFédération de Russie, la Chine, l’Inde etl’Australie proposent ce type d’enseignement.

Documentation - Niveau universitaire - Graphique n°6

(14) Question Q41a : Existe-t-ild’autres organismes associatifs,institutions, etc., qui contribuent àl’enseignement de la philosophiedans votre pays ?

(15) http://philgeo.club.fr/Index.html

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CHAPITRE V

208

(16) Question Q0j : Pays d’exercicede la fonction.

découpages du monde peuvent être envi-sagés pour rendre compte de la spatialisationpropre à notre sujet. Par défaut, nous avonschoisi de reprendre, avec quelques aména-gements, les grandes lignes du découpageusuellement proposé par l’UNESCO. Il al’immense avantage d’exister et de cor-respondre au fonctionnement de l’institutionen charge de cette enquête, ce qui augured’un relatif consensus quant à sa validité. Ilsera à ce titre très intéressant de vérifier s’ilreste pertinent du point de vue du sujet del’enquête. D’autres découpages sont biensûr possibles et souhaitables. Il peut êtrenotamment très utile de construire undécoupage par pays à partir de l’analyse del’enquête. On peut aussi envisager la créationd’une typologie des pays en fonction desdifférents profils rencontrés. Il restera alorsà juger de la spatialisation de cette typolo-gie, mais aussi il sera utile d’observer lesautres phénomènes mesurés par l’enquêteà la lumière de cette typologie de référence.L’UNESCO dispose d’un découpage régio-nal des pays membres de l’institution. Cedécoupage obéit à une définition propre àl’Organisation qui ne correspond passtrictement à la géographie mais à desgroupes électoraux. Elle se réfère à l'exécutiondes activités régionales : 53 pays pourl'Afrique, 37 pour l'Amérique latine et lesCaraïbes, 49 pour l'Asie et Pacifique, 21pour les États arabes, et 51 pour l'Europe etl’Amérique du Nord. Dans cette classificationdes pays, certains sont affectés à plusieursrégions. Pour simplifier le traitement etproposer des tableaux synthétiques sans

doubles comptes, il a été décidé de raisonnersur des régions disjointes et donc de détermi-ner une affectation définitive aux paysconcernés par une double affectation.Cette classification finale des régions del’Étude reprend donc avec quelques modifi-cations la classification régionale originale :Afrique (sans les pays arabes), Amériquelatine et Caraïbes, Asie et Pacifique (avecFédération de Russie, Kazakhstan,Tadjikistan, Turquie), États arabes (sansMalte), Europe et Amérique du Nord (avecMalte, mais sans Fédération de Russie,Kazakhstan, Tadjikistan, Turquie). Pourcette classification, nous utiliserons tout aulong de ce chapitre, l’intitulé « région(s) del’Étude »

Si l’on désire raisonner par groupe de payslors de l’analyse, il faut faire le choix de ceque l’on veut réellement observer. Comptetenu du travail accompli sur l’enquête, ilexiste deux manières de proposer des résultatspar groupe de pays. Il est possible d’affecter àchaque répondant un groupe de pays enfonction de sa réponse à la question Q0j(16).Le résultat du croisement des réponsesindividuelles à l’enquête avec les groupesde pays sera alors comptabilisé en nombred’individus. Cela signifie que l’on considèrel’ensemble des répondants d’une région del’Étude comme un groupe établi, et ce bienqu’il y ait des différences de représentativitéimportantes entres les pays composantcette région. L’utilisation de cette approcheest surtout utile dans le cas de questionsgénérales ne se référençant pas expressément

Régions Nombre Nombre Nombre Taux Taux Poids des régionsde l’Étude de contacts d’e-mails de retours de réponse de réponse de l’Étude

e-mails corrects valides général effectif / réponses valides/ contacts e-mails / e-mail corrects

Afrique 201 149 59 29% 40% 16%

Amérique latineet Caraïbes 288 234 82 28% 35% 22%

Asie et Pacifique 177 140 53 30% 38% 14%

États arabes 146 105 41 28% 39% 11%

Europe etAmérique du Nord 483 424 134 28% 32% 37%

Ensemble 1295 1052 369 28% 35% 100%

Tableau n°2Distribution des contacts de l’enquête selon les régions de l’Étude

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209

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

à la situation d’un pays. Le regroupementdes résultats calculés pour chaque pays estun résultat secondaire. Cette procédure esttoutefois légitime si l’on fait des comparaisonsentres pays. En effet, dans ce cas, c’est lenombre de pays qui est important, ou sonpourcentage par rapport aux effectifs dechaque groupe de pays. Dans une régiondonnée, on va par exemple compter lenombre - ou le pourcentage - de pays ayanttelle ou telle caractéristique. Il faut noterque le nombre total de contacts de la basede données est de 1339. Cependant, il fautnoter que les adresses e-mail de 44contacts ne peuvent être associées à unpays particulier.

Les réponses valides sont celles retenuespour l’analyse. Les « e-mails incorrects »concernent les adresses des contacts ayantfait l’objet d’un retour négatif auprès duserveur de l’enquête. Il faut sans douteretenir dans cet ensemble un bon nombred’adresses e-mails erronées. Mais il fautaussi tenir compte des réponses des serveursquant à la possibilité de joindre les e-mailsau moment de l’enquête : adresses e-mailstemporairement ou définitivement horsservice, boîtes mails pleines ou serveurs endérangement au moment de l’enquête,serveurs filtrant les messages en entrée (parexemple, certains serveurs institutionnelsrejettent les spams ou même quelques foisles mails commerciaux). La catégorie« mails sans réponse ou retours invalides »signale les adresses des contacts joints maisn’ayant pas donné de réponses. Parmi cesadresses, il faut distinguer entre les non-réponses volontaires (l’enquête et leQuestionnaire n’intéressent pas le contact)et les non-réponses involontaires (mail derecrutement passé dans les anti-spams indi-viduels, oubli du mail après quelques jours,etc.). S’il est impossible de mesurer cesphénomènes, ils permettent de relativiser lafaiblesse du taux global de réponse àl’enquête (28% de retours valides), quidevient un peu plus raisonnable si l’on netient pas compte des mails incorrects (35%de taux de réponse « effectif »). Si l’onraisonne au niveau des régions géogra-phiques, on note que le taux de réponses« valides » est stable (28-30%). C'est-à-direque la participation à l’enquête est lamême quelle que soit la région de l’Étude.La différence entre régions se manifeste

uniquement quand on observe les raisonsde la non-participation à l’enquête. Pourl’Europe et l’Amérique du Nord, et dansune moindre mesure l’Amérique latine etles Caraïbes, la raison principale de la nonréponse est le manque d’intérêt par rapportau Questionnaire. Pour l’Afrique et les Étatsarabes, la raison principale est le nombred’adresses électroniques incorrectes,rendant ces deux régions plus difficiles àjoindre. La qualité de la base de contacts estdonc moins sûre pour ces deux dernièresrégions. Mais dans ces dernières, lescontacts qui ont effectivement reçu lesmails ont alors plus tendance à répondre àl’enquête que les contacts des autresrégions. Faut-il déduire pour autant decette remarque un relatif intérêt de cesdeux régions pour l’enquête et son objet ?Il faut noter par ailleurs l’importance dupoids de la région Europe et Amérique duNord (près de 37% des contacts et 36%des réponses valides) et celui de la régionAmérique latine et Caraïbes (22% desréponses valides). On peut à grand traitretenir du tableau n°3 la couverture dif-férentielle des régions de l’Étude. Onremarque surtout que 90% des pays de larégion Europe et Amérique du Nord sontreprésentés. Pour les autres régions, cepourcentage tourne autour de 60%. Siintérêt il y a pour l’enquête, il ne concerneen fait que la moitié des pays de la régionÉtats arabes (sur les 20 que compte la caté-gorie) contre la quasi-totalité de ceux de larégion Europe et Amérique du Nord. Onpeut donc observer ce qui suit :- Le poids prépondérant et la surreprésen-tation de la région Europe et Amérique duNord (que ce soit du point de vue des indi-vidus ou des pays) ;- La sous-représentation de la région Asie etPacifique, tant du côté des réponses validess’en réclamant que des pays représentés ;- La surreprésentation sensible des réponsesvalides provenant de la région Amérique latineet Caraïbes, etc.

Comme cela a été expliqué, les organisateursde l’enquête ont eu pour objectif d’associer auprojet tous les pays membres de l’UNESCO. Larecherche de contacts s’est donc efforcéed’assurer la présence d’au moins unrépondant par pays. Sur l’ensemble des paysrecensés, seule une dizaine n’a pas fourni decontacts, et 160 disposent d’au moins deux

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CHAPITRE V

210

Régions Nb Nom des pays et représentativité dans la région de l’Étude Nb pays % de l’Étude répondants (% du nombre de retours par pays par rapport à l’ensemble des répondants ayant des

pour la région de l’Étude considérée - en gras, pays dépassant 10% répondu paysdes répondants d’une région) couverts

Afrique 59 Afrique du Sud (10%); Bénin (2%); Botswana (2%); Burkina Faso (3%); 27 61%Burundi (3%); Cameroun (3%); Congo (5%); Côte d'Ivoire (8%); Éthiopie (2%);Gabon (2%); Ghana (2%); Kenya (2%); Lesotho (3%); Madagascar (10%);Malawi (8%); Mali (2%); Maurice (3%); Namibie (2%); Niger (8%); Nigéria (2%);Ouganda (2%); République centrafricaine (2%); Rwanda (7%); Sénégal (2%);Togo (2%); Zambie (2%); Zimbabwe (2%);

Amérique latine 82 Antilles néerlandaises (1%); Argentine (2%); Barbade (1%); Belize (1%); 21 57%et Caraïbes Bolivie (1%); Brésil (1 %); Chili (4%); et Caraïbes Colombie (7%); Costa Rica

(1%); El Salvador (2%); Équateur (1 %); Grenade (1%); Haïti (2%); Honduras (2%); Jamaïque (1%); Mexique (9%); Nicaragua (2%); Paraguay(1%); Pérou (2%); Venezuela (38%); Uruguay (16%);

Asie et Pacifique 53 Afghanistan (2%); Australie (2%); Bangladesh (4%); Bhoutan (2%); Cambodge 25 51%(2%); Chine (8%); Fédération de Russie (8%); Fidji (2%); Inde (8 %);Indonésie (2%) ; République islamique d'Iran (6%); Japon (6%); Kirghizistan(4%); Mongolie (2%); Népal (2%); Nouvelle-Zélande (2%); Ouzbékistan (2%);Philippines (4%); République de Corée (6%); République démocratiquepopulaire lao (2%); Sri Lanka (2%); Thaïlande (2%); Turquie (13%); Vanuatu(4%); Viet Nam (8%);

États arabes 41 Algérie (10%); Bahreïn (2%); Émirats Arabes Unis (2%); Iraq (2%); Jordanie 11 55%(7%); Liban (15%); Maroc (7%); Mauritanie (2 %); République arabe syrienne(2%); Soudan (5%); Tunisie (44%);

Europe et 134 Allemagne (11%); Arménie (1%); Autriche (1%); Belarus (2%); Belgique (3%); 42 89%Amérique du Nord Bulgarie (1%); Canada (1%); Chypre (2%); Croatie (2%); Danemark (2%);

Espagne (1%); Estonie (2%); États-Unis d’Amérique (4%); ex-Républiqueyougoslave de Macédoine (1%); Finlande (1%); France (7%); Géorgie (1%);Grèce (2%); Hongrie (1%); Irlande (4%); Islande (2%); Israël (2%); Italie (5%);Lettonie (4%); Lituanie (2%); Luxembourg (2%); Malte (1%); Monaco (1%);Monténégro (1%); Norvège (2%); Pays-Bas (1%); Pologne (1%); Portugal (4%);République de Moldova (2%); République tchèque (1%); Roumanie (3%);Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (1%); Serbie (1%);Slovaquie (1%); Slovénie (1%); Suède (9%); Suisse (1%); Ukraine (1%);

Total 369 126 60%

Tableau n°3Ventilation des réponses valides selon les régions de l’Étude

contacts. Certains pays ont une forte pré-sence dans l’enquête. Les pays proposant leplus de contacts sont les suivants :Venezuela (124), Espagne (79), Allemagne(57), Tunisie (37), Suède (28), Uruguay (28),Turquie (26), Colombie (21), Irlande (19),France (17), Hongrie (16), Lettonie (16),Portugal (15), Afrique du Sud (15), Liban(15), États-Unis d'Amérique (15). Les paysproposant le plus de retours « valides »sont les suivants : Venezuela (31), Tunisie(18), Allemagne (15), Uruguay (13), Suède(12), France (10), Italie (7), Mexique (7),Turquie (7), Afrique du Sud (6), Colombie(6), Liban (6), Madagascar (6), Côte d'Ivoire(5), États-Unis d’Amérique (5), Irlande (5),Lettonie (5), Malawi (5), Niger (5), Portugal (5).

Le tableau n°3 présente la liste des affec-tations des pays aux régions et leur contri-

bution en réponses « valides » (pourcen-tage) parmi l’ensemble des réponses de larégion considérée. Avec le rappel du pour-centage de pays effectivement représen-tés dans l’enquête - la couverture de paysde la région -, on peut juger de l’importancede certains pays dans les résultats obtenus.Ainsi, non seulement la région États arabesest représentée par à peine la moitié despays la constituant, mais encore un seulpays - la Tunisie - représente près de 50%des réponses « valides » de cette région.Dans une moindre mesure, on observe uneconfiguration analogue pour la régionAmérique latine et Caraïbes. La couverturedes pays y est certes un peu plus élevée,mais deux pays - le Venezuela et l’Uruguay- représentent à eux seuls plus de 50% desréponses « valides » de la région. Dans lesautres régions, la couverture est plus élevée

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211

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

et le poids des pays ne connaît pas d’écartsaussi importants et de surreprésentation depays.

La carte n°2, intitulée Participation àl’enquête de l’UNESCO, représente enaplat pour chaque pays l’appartenance àdifférents paliers de participations à l’enquête.Les effectifs de retours valides sont matériali-sés par les cercles proportionnels, centréssur les capitales des pays considérés.Hormis le continent américain où finale-ment très peu de pays ne répondent pas, larépartition géographique de la participa-tion à l’enquête a tendance à privilégierl’hémisphère nord. Le continent africain -surtout l’Afrique de l’Est -, la péninsulearabe, l’Asie Centrale et l’Océanie sont lesrégions qui comptent le plus de pays sansretours ou avec une participation réduite -un seul répondant.

S’agissant des modalités de la synthèse desréponses par pays, l’indicateur choisi est lepourcentage de réponses « oui » par rapportau total des réponses « non » et « oui » aux4 questions - Q05(17), Q13a(18), Q31(19) etQ41a(20). Un pourcentage inférieur à 50signale donc que le nombre de « oui » estminoritaire pour le pays considéré. Legraphique n°15, intitulé Distribution despays selon les niveaux d’enseignement dela philosophie, présente un bilan synthétiquedes réponses concernant l’état de l’enseigne-ment de la philosophie par pays dans lemonde. Quant aux modalités de constitutiondu profil « état général de l’enseignementde la philosophie», ce dernier est un

composé des réponses cumulées auxquestions précédentes en considérant lespourcentages de « oui » strictementsupérieurs à 50%. Par exemple, la modalité« secondaire+universitaire » signale que lespays concernés (Algérie, Autriche, etc.)proposent un enseignement spécifique dela philosophie aux niveaux « secondaire »et « universitaire ». Ils ont un pourcentagede « oui » strictement supérieur à 50 dansles deux cas, mais aucun aux niveaux« primaire » et « non formel ». Attention,par le simple jeu de la construction du pro-fil, les pays pour lesquels on ne dispose pasde réponse pour un niveau d’enseignementparticulier sont considérés comme neproposant pas d’enseignement de philosophieà ce niveau (les réponses « non » et« vides » sont associées dans le cas de cettesynthèse). Il pourrait être intéressant deproposer une synthèse afin d’obtenir unindice de l’état global de l’enseignement dela philosophie dans chacun des pays. Celapermettrait de classer les pays selon leprofil de leur offre d’enseignement enphilosophie. Il serait ainsi possible de préciserla cartographie de l’enseignement de laphilosophie dans le monde en 2007. Deplus, la construction d’une telle catégoriesynthétique décrivant l’offre d’enseignementpourra constituer une nouvelle clef delecture du Questionnaire.

Il a également été décidé de conserverl’enseignement non formel pour juger del’état de l’enseignement de la philosophiedans le monde.

(17) Question Q05 : Existe-t-il,dans votre pays, un enseignementspécifique de la philosophie auniveau du primaire ?

(18) Question Q13a : La philosophieest-elle enseignée au niveaudu secondaire en tant que matièredistincte ?

(19) Question Q31 : La philosophieest-elle enseignée comme matièredistincte dans l’enseignementsupérieur ?

(20) Question Q41a : Existe-t-ild’autres organismes associatifs,institutions, etc. qui contribuentà l’enseignement de la philosophiedans votre pays ?

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Profil « état général de l’enseignement » Nb pays Liste des pays concernés

Primaire+universitaire+non formel 2 Iraq; Norvège

Primaire+secondaire+universitaire 5 Australie; Belarus; Brésil; Ouzbékistan; Ukraine+non formel

Secondaire 3 Bénin; Mongolie; Namibie

Secondaire+universitaire 24 Algérie; Autriche; Bangladesh; Bolivie; Chypre; Costa Rica; Côte d'Ivoire; Danemark;Équateur; Gabon; Honduras; Islande; Japon; Liban; Luxembourg; Madagascar; Maroc; Mauritanie; Nicaragua; Pays-Bas; République arabe syrienne; Rwanda; Sénégal; Suède

Secondaire+universitaire+non formel 40 Allemagne; Argentine; Bahreïn; Bulgarie; Cameroun; Canada; Chili; Colombie; Congo; Croatie; Espagne; Estonie; ex-République yougoslave de Macédoine; Finlande; France; Grèce; Haïti; Hongrie; Israël; Italie; Lettonie; Mali; Maurice; Monténégro; Niger; Paraguay; Portugal; République centrafricaine; République de Corée; République de Moldova; République démocratique populaire lao; Roumanie;Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord; Serbie; Slovaquie;Slovénie; Togo; Tunisie; Turquie; Uruguay ; Venezuela

Secondaire+non formel 1 Monaco

Universitaire 17 Belize; Botswana; Éthiopie; Géorgie; Ghana; Grenade; Indonésie; République islamiqued'Iran ; Irlande; Jamaïque; Kirghizistan; Malte; Pérou; Soudan; Vanuatu; Viet Nam; Zimbabwe

Universitaire+non formel 18 Barbade; Belgique; Cambodge; Chine; États-Unis d’Amérique ; Fédération de Russie; Inde; Kenya; Lesotho; Lituanie; Malawi; Mexique; Nigéria; Nouvelle-Zélande; Philippines; Pologne; Thaïlande; Zambie

Non formel 5 Burundi; Émirats Arabes Unis; Jordanie; Ouganda; Suisse

Vide 11 Afrique du Sud; Antilles néerlandaises; Arménie; Bhoutan; Burkina Faso; El Salvador;(sans réponses et/ou réponses « non ») Fidji; Népal; République tchèque; Sri Lanka

Total 126

Tableau n°4Distribution des pays selon les niveaux d’enseignement de la philosophie

Il semble que l’enseignement universitairesoit la clef de voûte de l’enseignement de laphilosophie, étant proposé par 85% despays (tableau n°4). S’il n’est pas présent dansun pays, celui-ci a peu de chance de propo-ser un autre niveau d’enseignement. Laprésence d’un enseignement secondaire dela philosophie est moins fréquent, 60% despays, et il est très peu souvent le seul ensei-gnement du pays. L’enseignement non for-mel présente un fonctionnement analo-gue. Quand chacun des deux est pro-posé, c’est en général associé à au moinsdeux autres niveaux d’enseignement.Lorsque cela n’est pas le cas, ils sont alorsen concurrence : seul l’un des deuxenseignements - secondaire ou non formel -est présent dans 44 pays proposant unenseignement universitaire et 8 pays n’enproposent pas, seul Monaco les associe.Enfin, l’enseignement primaire apparaîtpeu et jamais seul et moins de 10% despays représentés dans l’enquête ne proposentpas d’enseignement de la philosophie àquelque niveau que ce soit. Le profil « étatgénéral de l’enseignement de la philosophiedans le pays » propose quelques résultats

éclatés. Il a semblé utile de faire quelquesregroupements de profils peu représentéset d’établir un classement des profils, despays ne proposant aucune offre d’ensei-gnement aux pays en proposant une à tousles niveaux d’enseignement. Ces aménage-ments marginaux permettent d’ordonner etd’éclairer l’interprétation des différents profilset des situations nationales. Avec une tellecatégorisation, il devient possible deconstruire une cartographie de l’état del’enseignement de la philosophie dans lemonde.

La carte n°3 a le mérite de signaler facilementles pays proposant les cursus en philoso-phie les plus complets : Australie; Belarus;Brésil; Ouzbékistan; Ukraine. L’enseignement« pluriel » de la philosophie se concentresur certains régions géographiques de lacarte : l’Europe, l’Amérique latine etl’Afrique de l’Ouest proposent au moins 2niveaux d’enseignement. L’enseignementde la philosophie est moins prégnant dansles pays de l’Afrique de l’Est, qui contient leplus de pays où l’enseignement de la philo-sophie est absent, et de l’Asie, de la même

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manière qu’aux États-Unis et au Mexique,qui généralement ont un profil « enseigne-ment supérieur + enseignement non formel ».

À la lumière de cet examen des profilsnationaux d’enseignement de la philosophie,il semble possible de définir une variabledécrivant grossièrement l’état de l’ensei-gnement de la philosophie d’un pays, maisqui a l’avantage de séparer clairement lesprofils et qui dispose d’un fondement logiquefort et d’une assise géographique. Il s’agitde faire des regroupements de la catégorieprécédente selon les modalités intégrant enmême temps les enseignements supérieur etsecondaire de philosophie.

L’insatisfaction vis-à-vis de l’état de l’ensei-gnement de la philosophie dans un payss’étend de l’Amérique latine au Sud del’Europe en passant par le continent africain. Iltouche aussi deux des grands pays de l’Asie,l’Inde et la Chine. Cette insatisfaction n’estpas congruente avec l’état de l’enseigne-ment de la philosophie dans le pays. Parmiles pays généralement satisfaits, certainssont dotés d’un enseignement « non pluriel »(États-Unis d’Amérique, Afrique du Sud) etd’autres d’un enseignement « pluriel »(Finlande) – voir graphique n°7. Parmi ceuxqui sont tendanciellement insatisfaits, unemajorité dispose d’un enseignement« pluriel » (France, Espagne, Ukraine, etc.),alors que seuls quelques-uns n’ont pasd’enseignement « pluriel » (Inde, Chine,Soudan, etc.). Au niveau des régions del'Étude, il faut noter la forte insatisfactiondes pays de la région États arabes et dans

une moindre mesure celle des paysd’Amérique latine et Caraïbes. L’Afriqueprésente tout de même près de 50% depays tendanciellement « satisfaits » - sur-tout parmi ceux disposant d’un enseignement« pluriel » -, et les pays de la région Europeet Amérique du Nord sont majoritairementsatisfaits de l’état de l’enseignement,exception faites de certains pays, dont laFrance.

Affaiblissement de l’enseignementde la philosophie

La notion d’affaiblissement de l’enseignementde la philosophie dans un pays est dans unecertaine mesure liée à la présence d'unenseignement de la philosophie dans lepays considéré. On ne peut en effet affaiblirun enseignement s’il n’existe pas… Nousengageons donc le lecteur à comparer lesrésultats obtenus dans ce domaine à l’étatde l’enseignement de la philosophie danschacun des pays. Les deux premièresquestions (Q02b1(21), Q02c1(22)) recensentglobalement les expériences d’un affai-blissement, à des degrés divers, de l’enseigne-ment la philosophie. Les deux autresquestions concernent des niveaux particuliersd’enseignement. Mais, que ce soit la questionQ36a(23) (niveau universitaire) ou la questionQ17(24) (niveau secondaire), ces dernièresont une portée globale du simple fait queces niveaux constituent le cœur de l’ensei-gnement de la philosophie dans l’ensembledes pays. Si ces deux niveaux sont touchéspar des mesures visant à réduire ou àsupprimer l’enseignement philosophique,c’est bien un signe fort d’un affaiblissementde cet enseignement à l’échelle du pays.Pour les trois premières questions (Q02b1,Q02c1, Q36a), l’indicateur choisi est lepourcentage de réponses « oui » (par rapportau total des réponses « non » et « oui ») àchaque question. Un pourcentage inférieurou égal à 50 signale donc que le nombre de« oui » est minoritaire pour le pays considéré.Pour la question Q17, la procédure changeen raison du nombre de sous-questions etdu fait de la seule possibilité de répondre« oui » à chacune de ces sous-questions -pas de réponses « non ». Pour chacune dessous-questions, le pourcentage de réponses« oui » a été calculé par rapport au nombretotal des retours pour le pays à chaquequestion (impossibilité de distinguer, dans

CHAPITRE V

214

Existence (ou non) d’une pluralité de l’enseignement de la philosophie dans les pays ayant réponduà l’enquête - Graphique n°7

(21) Question Q02b1 : Existe-t-il,dans votre pays, des projetsinstitutionnels visant à réduirel’enseignement de la philosophie ?

(22) Question Q02c1 : Existe-t-il,dans votre pays, des projetsinstitutionnels visant à supprimerl’enseignement de la philosophie ?

(23) Question Q36a : Considérez-vous que l’enseignement de la phi-losophie dans les universités se soitaffaibli ces dernières années ?

(24) Question Q17 : Ces vingt der-nières années, l'enseignementsecondaire de la philosophie a-t-ilété… interrompu, provisoirementsuspendu, remplacé par une autrematière jugée équivalente, réformé ?

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217

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(25) Question Q02a1 : Existe-t-il,dans votre pays, des projets institu-tionnels visant à renforcer/améliorerl’enseignement de la philosophie ?

(26) Question Q15a : Prévoit-ond’introduire à brève échéance,dans votre pays, l’enseignement dela philosophie au niveau du secon-daire en tant que matière distincte ?

(27) Question Q08a : Prévoit-ond’introduire à brève échéance l’en-seignement de la philosophie auniveau primaire dans votre pays ?

(28) Question Q10a : Existe-t-il,dans votre pays, des expériencespilotes concernant l’initiation à laphilosophie pour l’éducation pré-primaire (avant même le primaire) ?

les cas où « oui » n’est pas coché, lesréponses « non » ou « vides ») . Avec cesystème, il y a un risque de sous-estimationdes « oui », du simple fait de la surrepré-sentation des non-réponses. Pour tenterd’atténuer cet effet, la synthèse sur l’en-semble de la question Q17 est constituée àpartir de ces 3 résultats, non par unemoyenne, mais en considérant la valeurmaximum obtenue. Un pays comme le Chili(Q17a=0%, Q17b=33%, Q17c=67%) auraainsi un score de 67% pour la questionQ17bilan. L’indice « Affaiblissement »cumule le nombre de réponses aux 4questions précédentes dont les pourcentagesde « oui » sont strictement supérieurs à50%.

Il est bien sûr très aléatoire de synthétiserles réponses à des questions finalement trèsdifférentes. Le but n’est pas ici deconstruire une argumentation spécifiquesur l’affaiblissement de l’enseignement phi-losophique. Il s’agit seulement de signalerles pays où des indices d’un affaiblissementde l’enseignement de la philosophie trans-paraissent de l’analyse des retours. Un telindicateur synthétique peut alors être car-tographié et permettre des comparaisonsavec d’autres thèmes de l’enquête. Il estpar contre vain d’espérer qualifier globale-ment la nature de l’affaiblissement observéau simple exposé de ces chiffres. Dans cetteoptique, l’examen par pays de la partiequalitative de l’enquête et des réponses auxquestions ouvertes du Questionnaire seraplus utile et plus pertinent (voir à cet égardles chapitres II et III).

Sans entrer dans le détail des modalités del’affaiblissement de l’enseignement de laphilosophie, nous pouvons néanmoins exa-miner la répartition géographique des paysayant vécu un avatar de ce phénomène.Parmi ceux qui ont indicateur fort, onremarque le Brésil (affaiblissement aux 4questions) et l’ensemble géographiquecomposé de la Thaïlande, du Cambodge,de la République populaire démocratiquelao et du Viet Nam. Dans une moindremesure, on observe quelques pays duMaghreb et de l’Afrique de l’Ouest,notamment la Mauritanie et le Nigéria.

Renforcement de l’enseignementde la philosophie

Comme dans le cas de la notion d’affaiblis-sement, et sans doute plus encore, lanotion de renforcement de l’enseignementde la philosophie dans un pays est inévita-blement liée à l’état dans lequel se trouvecet enseignement. Nous engageons donc lelecteur à comparer les résultats obtenusdans ce domaine à l’état de l’enseignementde la philosophie dans chacun des pays. Siune question générale sur l’observationd’un renforcement (Q02a1(25)) peut s’adresserà tous les pays, la question Q15a(26) neconcerne semble-t-il que les pays n’ayantpas encore d’enseignement secondaireautonome de philosophie. Les deux dernièresquestions (Q08a(27) et Q10a(28)), par le faitqu’elles font référence à des niveauxd’enseignements (préscolaire et primaire)très peu présents, sont plus à même detraduire, s’ils sont adoptés, un renforcementsignificatif de l’enseignement de la philoso-phie. Sans entrer dans le détail des modalitésdu renforcement de l’enseignement de laphilosophie, nous pouvons néanmoinsexaminer la répartition géographique despays ayant vécu un avatar de ce phéno-mène. Aucun pays n’indique une réponsepositive aux 4 questions. Parmi ceux qui ontindicateur fort, on remarque l’Islande, laFinlande et l’Iraq. On observe à nouveau leBrésil (renforcement pour 2 questions sur 4)et les pays qui l’entourent, ainsi que laFédération de Russie, la Chine, la Norvège,le Royaume-Uni, la République populairedémocratique lao et le Ghana.

Bilan des évolutions passéeset à venir de l’enseignementde la philosophie

Il s’agit ici de combiner les résultats obtenusprécédemment concernant les renforce-ments ou les affaiblissements éventuels del’enseignement de la philosophie dans unpays, de manière à avoir une informationsynthétique du profil général de l’évolutionde l’enseignement de la philosophie dans lepays. Les indices « Affaiblissement » et« Renforcement » sont croisés afin d’obtenirune description des modalités de l’évolution(existence ou non-existence) de l’enseigne-ment de la philosophie dans un pays. Quatreréponses sont donc possibles : « (0) aucune

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219

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

évolution déclarée », « (1) affaiblissementseul », « (2) affaiblissement et renforce-ment », « (3) renforcement seul ». Il est ànoter que cette typologie nous renseigneuniquement sur l’existence et le (ou les)sens d’une évolution de l’enseignement dela philosophie. Il est possible de l’accompa-gner et de la préciser en indiquant levolume des évolutions - comparaison dunombre de questions signalant un ren-forcement ou un affaiblissement. C’estdans la région Europe et Amérique du Nordque l’on rencontre le plus de pays ayantconnu uniquement un renforcement deleur enseignement de la philosophie, prèsde 50%, et seuls deux pays de cette régionont connu uniquement un affaiblissement.Pour les régions Afrique et Amérique latine

et Caraïbes, les pays ayant connu uniquementun renforcement de leur enseignementcomposent la modalité la plus observée(35%), même si le contraste reste impor-tant (dans ces régions, environ 20% despays n’ont connu qu’un affaiblissement).Enfin pour la région Asie, c’est la situationmixte qui est la plus fréquente, mais la ten-dance au renforcement est patente lorsquel’on combine les renforcements uniquesavec les renforcements accompagnés d’unaffaiblissement (60% des cas). C’est lecontraire pour la région États arabes oùaucun des répondants au Questionnaire nedéclare un renforcement seul et où lecumul des affaiblissements concerne prèsde 75% des pays.

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CHAPITRE V

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II. Outils, méthode et modalités d’organisation

1) Le choix d’un outil pour la réalisation de l’enquête

L’UNESCO a réalisé une enquête auprès d’un échantillon de répondants internationaux, soit unebase de données d’environ 600 contacts au départ. Le Questionnaire de l’enquête, élaboré parl’Organisation, comprend une soixantaine de questions. Réalisé en français, il a ensuite été traduit enanglais et en espagnol. Compte tenu de l’aspect international de cette enquête et d’un délai deréalisation assez court, le choix s’est porté sur la mise en ligne du Questionnaire permettant ainsiaux contacts de répondre via Internet et, le cas échéant, en téléchargeant le Questionnaire et enenvoyant ou en faxant les réponses à l’UNESCO qui s'est alors chargée de les saisir.

Il a semblé déraisonnable de mettre enœuvre la programmation Web d’un outilspécialement centré sur cette enquête, carplus rapide et surtout beaucoup plus sûrd’utiliser des outils existants, spécialisésdans les enquêtes en ligne. S’ils sontquelques fois plus contraignants, ceux-cioffrent néanmoins un cadre solide pourgérer des enquêtes de ce type (outils depublication de questionnaires, mailing,multilinguisme, etc.) et un accès Web dédiéà l’enquête, qui entrepose le Questionnaire,les mails et les réponses. Après une étuderapide des outils actuellement disponiblessur le Web, le choix s’est porté sur l’appli-cation « e-questionnaire(29) », qui permet àun utilisateur de mettre aisément en œuvreses propres enquêtes, sans sous-traitance.Elle possède toutes les caractéristiquespermettant la publication d’une enquêteauprès d’un public international - ques-tionnaire multilingue, fonction de mailing -et présente des références quant à sapérennité et à son sérieux. Ce que corroborenttant la compétence de l’assistance que lesévolutions techniques opportunes advenuesau cours de l’enquête. Avec cet outil et auterme de la mise en ligne, n’importe quelcontact, muni d’un simple navigateurInternet, quel que soit son lieu deconnexion et même s’il en change, est enmesure de répondre confortablement auxquestions de l’enquête.

Les spécificités d’une enquêteauto-administrée

Les enquêtes en ligne font partie de lagrande famille des enquêtes auto-admi-nistrées (Internet, envoi postal, bornesmultimédia, etc.). Par opposition aux

enquêtes administrées (face à face, télé-phone), un enquêteur n'est pas physiquementprésent pour interroger le répondant. Sansce contact direct, rien ne sollicite a priori lerépondant à y participer et à y répondre.Pour assurer un taux de retour satisfaisant,il faut donc tout mettre en œuvre pourmotiver le répondant et minimiser son« investissement » personnel (temps, intel-ligence, etc.). Pour s’assurer des réponsescohérentes et complètes, il convient égale-ment de proposer un Questionnaire clair,concis et compréhensible par n'importequel répondant, et ce d’autant plus si celui-cis’adresse à une population internationaleet multilingue. En général, les questionnairesen ligne sont courts car l'attention et lamotivation du répondant - et donc la fiabilitédes réponses - a tendance à décroître au furet à mesure du temps. Dans ce cas précis,le Questionnaire de départ était long et lesrisques d’abandon en cours de routeétaient donc importants. Ils sont toutefoisen partie diminués du fait que l’ons’adresse à une population « captive »,directement concernée par le sujet etfortement mobilisée par des relais. Desdétails techniques proposés par l’application« e-questionnaire » permettent aussid’atténuer les effets de longueur duQuestionnaire tels que la barre de défilementsignalant le pourcentage de pages duQuestionnaire visitées, la possibilité d’aban-donner la saisie en cours de route et de lareprendre à l’endroit de l’arrêt.

Le Questionnaire et sa mise en ligne

Le Questionnaire proposé par l’UNESCOcontenait au départ 50 questions répartiesen plusieurs thèmes, sous forme de fichier(29) www.e-questionnaire.com/fr/index.php

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Word. Compte tenu des contraintes exposéesci-dessus, l’intégration du Questionnairedans l’application a nécessité un certainnombre de réaménagements même si l’ons’est attaché à conserver la trame généraleoriginale. Il s’agit surtout de la réorganisationdes thèmes et des pages ainsi que de ladécomposition des multiples questions« complexes » contenues dans le question-naire de départ. Le passage en ligne impliqueque l’on ne raisonne plus en termes depage papier mais de page écran, et ilconvient de réorganiser le Questionnaire defaçon à ce qu’il propose des écrans courtsconcentrant quelques questions sur unmême sujet. Cette démarche est nécessairesi l’on veut garder le répondant captif, maisaussi pour des raisons techniques tellesque l’enregistrement des réponses, qui esteffectué à chaque changement de page.L’opération de mise en ligne a ainsi aboutià la confection d’un Questionnaire Internetde 29 pages, comportant 1 page introductive,27 pages de questions et 1 page de remer-ciements. Les différents thèmes abordésdans la version papier ont été conservés etdéveloppés en plusieurs pages. D’autresont été précisés dans le cas où le thèmegénéral comprenait trop de questions. Parailleurs, dans de nombreux cas, une ques-tion du Questionnaire original recouvrait defait plusieurs interrogations imbriquées,par exemple les « si oui, veuillez préciser ».Il a donc fallu décomposer l’ensemble de cessous-questions afin de rendre leQuestionnaire plus clair et pour s’assurerque l’exploitation prenne en comptel’ensemble des questions. En conséquence,une nouvelle numérotation, tenant comptede l’ancienne, a dû être mise en place pourfaciliter l’exploitation des réponses. Cette

opération a occasionné de profondes modi-fications : de 50 questions dans le documentoriginal, nous sommes passés à près de 110lors de la mise en ligne(30). On y trouve lestypes classiques de questions des enquêtessociologiques : questions à réponses ouvertes(texte), réponses fermées avec choix uniqueou choix multiple. Afin de familiariser lesfuturs répondants de l’enquête avec cescodes techniques, un message comportantquelques conseils était envoyé auxcontacts.

L’application propose en appui de la publi-cation du Questionnaire des outils pourcontrôler la saisie et ainsi s’assurer de lacohérence des réponses du point de vue deson organisation. Les filtrages des questionsparticipent de cette logique et en fonctiondes réponses on passe à telle ou à tellepage. C’est aussi le cas des outils prévuspour canaliser la frappe de certaines infor-mations. Il est par exemple possible d’obligerun répondant à ne saisir que des chiffresdans une question ouverte, par exemple lenombre d’Universités. Toutefois, il apparaîtque ces outils ne fonctionnent correctementque dans le cas de configurations standardsur le poste du répondant. Selon la versiondu navigateur, son niveau de sécurité(notamment la possibilité ou non d’exécuterdu Javascript(31)), le contrôle sera actif ounon. Au début de l’enquête, dans certainscas, la présence de tels contrôles de saisie aoccasionné des blocages inopinés et impro-ductifs qui, parfois, ont provoqué un abandonprématuré du Questionnaire. Ces quelquesexpériences ont rapidement convaincu desupprimer ces « assistances utilisateurs »,plus déroutantes qu’efficaces.

L’élaboration de la basedes correspondants

Si la liste de contacts prévue au début del’enquête comportait près de 600 adressesélectroniques, on dispose à son terme deprès de 1400 contacts. La règle fut de réunirle plus d’adresses possibles de personnescompétentes en philosophie, le tout avec lavolonté d’atteindre la totalité des Étatsmembres de l’UNESCO. De fait, la réalisation

de la base de contacts a obéit à plusieurslogiques de récupération. Un premieréchange avec les Commissions nationalespour l’UNESCO a permis de réunir unensemble de contacts travaillant dans ledomaine de la philosophie : administrateurs,enseignants et/ou experts. D’autrescontacts ont ensuite été ajoutés en coursd’enquête par le Secrétariat de l’UNESCO,au gré des retours obtenus. Pour quelquespays, une liste importante d’enseignants

2) Le déroulement de l’enquête

(30) Un exemple du Questionnairepeut être consulté sur le lien suivant : http://eq4.fr/?r=C5818062-2A2B-4EBD-96CA-CAAFD453F5D6

(31) Javascript est un langage deprogrammation principalementutilisé dans les pages Web.

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a ainsi été réunie par ce biais, par exemplepour l’Allemagne, la Tunisie et leVenezuela. Il a en outre semblé essentield’intégrer dans la base des contacts l’en-semble des Commissions nationales pourl’UNESCO de sorte que l’on dispose derelais pour les pays présentant peu ou pasde retours. Dans ce cas, les Commissionsont été sollicitées pour s’associer aux répon-ses par le biais des institutions concernées etainsi assurer une représentation du paysconsidéré dans l’enquête. De plus, il asemblé judicieux de demander aux contactsjoints lors du mailing de proposer denouveaux contacts (enquête de type« boule de neige »). C’est une source originaleet finalement pertinente que de demander

à des personnes contactées en raison deleur connaissance du domaine de la philo-sophie, que de fournir à leur tour une listede personnes susceptibles d’être intéresséespar l’enquête.

La récolte des données

Une fois le Questionnaire publié en ligne etla base de contacts constituée, l’enquêteproprement dite a été lancée. Il s’agit alorsde joindre chacun des contacts en leurindiquant comment répondre à l’enquêtesur Internet. Chaque contact est doté d’unnuméro particulier. Les invitations à participersont envoyées par un e-mail initial. Chacunde ces messages de « recrutement »propose, outre une lettre de sollicitationexposant le cadre général, une URL deconnexion spécifique à chaque répondant(32) .Ce lien Internet permet de contrôler l’accèsau Questionnaire dans la mesure oùaucune personne non désirée ne peutrépondre à l’enquête. L’application« e-questionnaire » permet de gérer lapartie publipostage (mailing) de l’enquête.Elle propose quatre types d'emails correspon-dant aux grandes étapes. Quelques tempsaprès l’envoi du mail de recrutement, troise-mails différents peuvent être envoyés aucontact en fonction de sa réaction au premiermail. S’il n’a pas encore répondu, il estpossible de faire un mail de relance pourlui rappeler à nouveau de participer àl'enquête. S’il a répondu à l’ensemble duQuestionnaire (toutes les pages visitées, etaccès à la dernière page), le contact reçoitalors un mail de remerciement pour saparticipation. S’il n’a pas terminé, tout enayant commencé à répondre, un mail desuivi lui rappelle de finir de le remplir.

Chronologie du déroulementde l’enquête

Une des grandes spécificités des enquêtesen ligne est la rapidité des réponses. Engénéral, elles ont lieu dans les 3 jourssuivant le mail, avec un « pic » les deuxpremiers jours, puis une diminution rapidedu nombre de répondants. En effet, ceux-ciagissent immédiatement face à un e-mail,soit en le jetant, soit en le traitant rapidement.Certains conservent ce type de mails dansle but de répondre à un moment plusopportun - surtout si l’enquête paraît longue -,

CHAPITRE V

224

(32) Comme http://eq4.fr/?r=C5818062-2A2B-4EBD-96CA-CAAFD453F5D6

Distribution des contacts e-mails - Graphique n°8

Nombre de pays disposant de répondants selon la région de l’Étude - Graphique n°9

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(33) Le « spamming » ou « Spam »est l'envoi massif, et parfoisrépété, de courriers électroniquesnon sollicités, à des personnesavec lesquelles l'expéditeurn'a jamais eu de contact et dontil a capté l'adresse électroniquede façon irrégulière. Constituentdes spams les messages adresséssur la base d'une collecte irrégulièrede mails, soit au moyen de moteursde recherche dans les espacespublics de l'Internet (sites Web,forums de discussion, listesde diffusion, chat, etc.), soitque les adresses aient été cédéessans que les personnes en aientété informées et sans qu'elles aientété mises en mesure de s'y opposerou d'y consentir. Une telle collecteest alors déloyale et illicite au sensde l'article 25 de la loi du 6 janvier1978. CNIL – 1999 – Rapport surle Publipostage Electronique.

(34) Question Q0j : Pays d’exercicede la fonction.

(35) Question Q01 : Comment quali-fieriez-vous globalement l’état del’enseignement de la philosophiedans votre pays ?

(36) Question Q05 : Existe-t-il, dansvotre pays, un enseignementspécifique de la philosophieau niveau du primaire ?

(37) Question Q13a : La philosophieest-elle enseignée au niveaudu secondaire en tant que matièredistincte ?

(38) Question Q31 : La philosophieest-elle enseignée comme matièredistincte dans l’enseignementsupérieur ?

(39) Question Q41a : Existe-t-ild’autres organismes associatifs,institutions, etc., qui contribuentà l’enseignement de la philosophiedans votre pays ?

mais finalement peu y reviennent en réalité. Ilest donc essentiel que le mail de recrute-ment démontre le sérieux de l’enquête etmotive l'intérêt du répondant. Mais cela nesuffit pas pour obtenir un taux de réponsesatisfaisant. Il est alors d’usage de faire desrelances à l’ensemble des contacts n’ayantpas répondu ou n’ayant pas terminé leQuestionnaire. L'excès de relances peuttoutefois passer pour un manque depolitesse, voire pour du spamming(33) etnuire à l’enquête et à l’image du comman-ditaire. En général, il est conseillé de procéderà l’envoi d’un mail de recrutement suivid'un maximum de 2 relances. Quelques casparticuliers peuvent autoriser un plus grandnombre de relances (relation amicale, departenariat, ou hiérarchique). Ce fut le caspour cette enquête et il y eut finalement 1envoi de recrutement (18/12/2006) et 4relances en 2007 (8/01, 20/02, 22/03,30/03), la dernière annonçant un délai supplé-mentaire de 4 jours à l’enquête initialementprogrammée pour s’achever le 30 mars2007. Pour éviter les « réactions d’humeurs »et répondre aux inévitables sollicitationsdes contacts, un suivi des remarquespostées à l’adresse de l’enquête ([email protected]) s’est avéré néces-saire (invalidation des contacts déclarantn’être pas intéressés, règlements de problèmestechniques rencontrés pour l’accès auQuestionnaire, etc.).

Si le début de l’enquête est prometteuravec près de 100 répondants en quelques

jours, la récolte s’affaiblit durant les moissuivants. Au moment de la 3ème relance, à10 jours de la clôture, moins des deux tiersdes réponses sont arrivées. Les réponsesd’une quinzaine de répondants, saisies sousWord ou faxées, ont été ressaisies parl’UNESCO dans les cas où la saisie s’étaitrévélée inopérante ou non adaptée auxsituations locales des contacts. Au terme dela période de réalisation de l’enquête, 404répondants ont été entreposés dans la basede données de l’application. Il s’agit toutd’abord des 328 arrivés à la dernière page.Il s’agit ensuite des 76 ayant « abandonné »en cours de route.

Cependant, toutes les réponses ne peuventêtre utilisées, quelques-unes sont « invalides »et ne doivent pas être considérées dansl’analyse sous peine de fausser les résultats.La condition première pour que leQuestionnaire soit valide est que la questionQ0j(34) soit informée. Comme nous le verrons,cette question est primordiale si l'on veutréaliser des statistiques selon les pays. Dansune moindre mesure, les réponses auxquestions Q01(35), Q05(36), Q13a(37), Q31(38) etQ41a(39) , sont importantes car elles intro-duisent les grandes thématiques duQuestionnaire. Il convient aussi de comparerles réponses pour éviter les doublons. Auterme de cet examen de validation, 34retours ont été écartés, dont 25 ne compor-taient aucune réponse aux questionspivots. L’analyse portera donc sur les369 répondants ayant fourni des

Chronologie de l’enregistrement des réponses à l’enquête - Graphique n°10

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réponses valides. On remarque que prèsde 75% d’entre eux contiennent la séquence« Q0j+Q01+Q5+Q13a+Q31+Q41a », c'est-à-dire une réponse à chacune des questionsintroduisant chaque grand thème duQuestionnaire.

On calcule la complétude du Questionnaireen rapportant le nombre de questions ayantfait l’objet d’une réponse sur le nombre totalde questions possibles (110). La distribution

des retours selon le pourcentage de questionscomplétées permet de visualiser l’étatgénéral de la participation des répondantsà l’enquête. On constate que la majeurepartie des répondants ont complété entre45 et 75% des questions. Il faut noter qu’ilest normal que l’on atteigne pas 100% dequestions complétées en raison des questionfiltres qui, en fonction des réponses, permet-tent d’éviter des parties du Questionnairenon intéressantes.

CHAPITRE V

226

Avant de se lancer dans l’analyse, il estnécessaire de se poser la question du statutde l’enquête et du degré de pertinence deson étude approfondie. Pour de nombreusesraisons, il est impossible de revendiquerune assise statistique à l’enquête et unereprésentativité des réponses. C’est bien àune enquête et non à un sondage que nousavons procédé. L’échantillon de départ estnon représentatif et la seule représentativitérecherchée est celle de l’ensemble des pays.C’est sur ce seul critère que l’on peut éven-tuellement appuyer une analyse comparative.

Par ailleurs, cette absence de représentativitéest décuplée si l’on considère la participation àl’enquête et les réponses finales obtenues.Le mode de passation de l’enquête posedes problèmes techniques qui renforcentles incertitudes. Le mailing a son lotd’adresses incorrectes ou injoignables, eton ne maîtrise pas la déperdition descontacts. Un bon usage de l’applicationWeb de réponse au Questionnaire dépendaussi de l’accès différentiel à Internet, d’unminimum de technicité et de ténacité pourrépondre, de la disponibilité des enquêtés,etc. Si bien que l’on observe un retour deréponses, ou de non réponses, différentselon les pays, selon les profils d’individus,selon les types d’adresses électroniques, etil est impossible d’en mesurer les déterminantset les effets sur la représentativité généralede l’enquête.

Il paraît évident de remarquer que les individusface au Questionnaire n’auront pas lesmêmes réactions ni les mêmes réflexes, etne feront pas appel aux mêmes expérienceset aux mêmes cultures. Tout comme ils necomprendront pas forcément les questions

de la même manière, etc. C’est en fait lecas de toute enquête sociologique.Cependant, raisonner avec un public inter-national démultiplie les effets de cette lecturedifférentielle du Questionnaire. Il s’agitavant tout d’en avoir conscience, surtoutau moment de l’analyse. D’une part, pourne pas surinterpréter la concomitance deréponses ne relevant finalement pas toutesdes mêmes logiques et, d’autre part, afind’éviter des schèmes de raisonnementpartiaux, uniquement fondés sur la culturemajoritaire ayant présidé à l’enquête. Avectoutes les réserves précédemment posées,on comprend qu’il faille demeurer circonspectvis-à-vis des résultats au niveau individuel.À ce niveau d’analyse, tout dépendra enfait du type de question. Les questions« subjectives », comme celle demandantaux répondants leur avis sur l’état del’enseignement de la philosophie, peuventavoir un sens au niveau mondial, indépen-damment de toute représentativité car ellesrelèvent de la sphère individuelle et sont del’ordre du sentiment et de la perception.Mais des questions « objectives », parexemple celle vérifiant l’existence d’unenseignement de philosophie au niveauprimaire, dépendent essentiellement d’uneconnaissance du pays d’observation, d’uneinformation censée être communémentpartagée - ce qui n’empêche pas desréponses contradictoires. Cumuler ce genrede réponses est étroitement dépendant dela représentativité des pays dans l’enquête.

La faiblesse de l’effectif des répondantsréunis par l’enquête (369) interdit de fairedes sous-populations trop ciblées. Seul unou deux critères d’analyse peuvent êtrecombinés si l’on désire pouvoir interpréter à

3) Les statuts de l’enquête et des résultats

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

bon escient les différentes modalitésobtenues. À ce niveau, seule une interpré-tation des tableaux et des courbes en termede tendances générales est viable. Il fautalors se contenter d’interprétations aminima et au plus près des questions qui,on l’a vu, doivent être relativisées. À cetitre, l’exploitation des questions ouverteset des verbatim associés aux questionsfermées permet de prendre la mesure desdifférences régionales et culturelles ainsique des éventuels consensus sur uneproblématique.

Pour sortir de l’échelle individuelle, plusieurssous-populations peuvent être suivies.L’observation des répondants selon leurprofil professionnel (question Q0c) est sansdoute utile pour expliquer certaines réponses,par exemple celles touchant aux mérites del’enseignement de la philosophie. Il est biensûr possible et souhaitable de travailler surla distribution des réponses par pays.L’analyse des situations nationales est defait essentielle pour l’enquête. C’est le paysd’exercice de la fonction professionnelle(question Q0j) qui est choisi comme critèreprincipal pour décrire l’attachement d’uneréponse à un pays. Il convient de noter quedu point de vue de l’échantillonnage, l’analysepar pays est problématique car elle force àraisonner sur de très petits effectifs. Sanécessité a obligé à envisager des solutionsparticulières pour pouvoir travailler sur lespays et rendre comparables, autant quefaire se peut, les profils nationaux. À côtéde ces sous-populations définies de manièreexogène (à partir de caractéristiques desrépondants), d’autres sous-populationspeuvent être définies à partir de l’analyseelle-même. Si des analyses particulièrespermettent de trouver des indicateurspertinents, elles nous offrent alors la possibilitéde définir des sous-populations de manièreendogène. Ces sous-populations « thémati-ques » seront définies en fonction desproblématiques propres à l’enquête (étatde l’enseignement de la philosophie, ins-cription internationale des acteurs, etc.) etil est ensuite très intéressant de les soumet-tre à leur tour à l’analyse. C’est la démarchemême de ce document de synthèse que des’efforcer de produire des outils qui permet-traient de réaliser une analyse systématiquede l’ensemble du Questionnaire. Il est possiblede regrouper les questions selon le type

d’information demandé aux répondants :identification et description des individusrépondant à l’enquête ; faits relatifs à l’étatde l’enseignement de la philosophie ;sentiment du sondé face à l’état de l’ensei-gnement de la philosophie et son évolutionrécente et à venir ; mérites attribués àl’enseignement de la philosophie ; insertiondes philosophes du pays dans le monde ;accès à la documentation ; institutions ;enseignement primaire ; enseignementsecondaire ; enseignement supérieur ;enseignement non formel.

Un des fondements de l’enquête résidedans l’observation des comportements despays membres de l’UNESCO du point devue de l’enseignement de la philosophie.C’est le cas par exemple de l’organisationde l’enseignement de la philosophie, undes sujets principaux de l’enquête, qui seconçoit uniquement à l’échelle des pays. Lacomposante géographique constituevéritablement une variable transversale surl’ensemble de l’enquête. Il est en consé-quence nécessaire et légitime de raisonnerà ce niveau d’observation lorsque l’ondésire exploiter l’enquête, car c’est une desprincipales clefs de l’analyse. Le changementd’unité d’observation (le passage des individusaux pays) ne va pas sans poser de problèmestechniques et interprétatifs importants.

Des ambiguïtés d’une analysepar pays à la réalisationd’une synthèse par pays

Il ne faut pas perdre de vue que les réponsesobtenues par le biais de l’enquête sontsubjectives et surtout données à titre privé.Il va donc de soi que, pour certainesquestions, les réponses récupérées peuventêtre partiellement ou totalement en contra-diction avec la situation réelle et objectivedu pays considéré. Ceci est d’autant plus lecas si le nombre de répondants par pays estfaible. Il est aussi fréquent que les réponsespour un même pays soient différentes, etce même pour des questions concernantl’état « objectif » de l’enseignement de laphilosophie. De ce point de vue, plus lenombre de répondants par pays augmente,plus la probabilité de divergence est élevée.L’enquête n’a ni les moyens ni la vocationde restituer l’état officiel et réel de l’ensei-gnement de la philosophie dans chaque

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pays. Ce n’est pas son but et elle n’est pasl’outil adéquat pour dresser ce type d’in-ventaire. Les personnes contactées pourrépondre à l’enquête ont des profils trèsdivers et seuls quelques-unes pourraientprétendre à incarner une réponse « offi-cielle » du pays considéré. La contribution àl’enquête mobilise uniquement leursconnaissances et leurs avis sur l’état del’enseignement de la philosophie dans leurpays et dans le monde d’un strict point devue individuel. Un individu déterminera sesréponses suivant sa « qualité », notammentla dichotomie enseignant/administrateur,suivant son expérience professionnelle etphilosophique, suivant ses convictions, etaussi quelquefois suivant ses dispositions etses intentions vis-à-vis de l’enquête elle-même (dénonciation d’un état de fait,insatisfaction, peu d’intérêt, etc. ). Si lescontradictions et les incohérences dans lesréponses au sein d’un même pays sontinévitables, elles peuvent néanmoins êtreutiles pour l’analyse. Elles nous renseignentà leur manière sur l’état de l’enseignementde la philosophie, sur les positions, lesdébats et les tensions qui traversent cettediscipline dans chaque pays. Ce sont desinformations qui n’auraient pas émergéesd’un simple recensement administratif. Ellestransparaissent et deviennent explicites dèslors que les contributeurs ont le loisir des’exprimer et de laisser libre cours à leursidées, dans les questions ouvertes et lesverbatim, mais aussi dans l’analyse qualitativemenée de concert dans cette Étude.

Synthétiser les informationsau niveau des pays

Dès que l’on raisonne au niveau national, ilconvient de se donner des règles poursynthétiser les réponses individuellesconcernant un même pays. Cela est d’autantplus nécessaire que le nombre de réponsespar pays est très variable. C’est donc le seul

moyen pour arriver à faire des comparaisons.Plusieurs choix de synthèse sont possiblesen fonction des questions, mais en règlegénérale ces indicateurs se doivent desurmonter deux problèmes. D’une part,passer outre les incohérences à l’intérieurd’un même pays, et donc se donner unerègle pour exprimer une position claire parpays. Pour les questions dont la réponse estoui/non, notre choix s’est en général fixésur l’indicateur suivant : le pourcentage de« oui » par rapport aux réponses exprimées(« oui » + « non ») pour un pays donné. Cen’est pas un choix innocent, car il faitl’hypothèse que lorsqu’on répond « oui »,c’est un acte volontaire. Surtout, en travaillantsur les réponses « exprimées », il permetd’éviter de confondre les réponses négativeset les non-réponses. D’autre part, il estnécessaire que l’indicateur soit indépendantde la représentation différentielle des paysdans l’enquête. En effet, si l’on espère compa-rer les situations nationales, il est importantde raisonner sur des informations ne tenantpas compte des poids respectifs des paysdans l’enquête. Dans ce cas encore, raisonneren termes de pourcentages est adéquat, àcondition de ne pas accorder trop d’impor-tance aux valeurs en tant que telles. Eneffet, les écarts de variations des pourcen-tages dépendent en grande partie du nombrede répondants par pays. C’est en termes detendances qu’il faut raisonner : la simplevérification que les « oui » sont majoritairesou non pour une question donnée suffitsouvent largement à l’analyse et à l’inter-prétation. Un autre niveau de synthétisationconsiste à combiner plusieurs questionspour construire un indicateur général de lathématique couverte par ces questions.Dans ce cas, c’est en général, pour un paysdonné, le nombre de questions où on disposede réponses « positives » - où les « oui »sont majoritaires par exemple -, quiconstituera la valeur de l’indicateur.

CHAPITRE V

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Cette enquête a eu essentiellement pourobjectif d'effectuer une actualisation desdonnées en matière d'enseignement de laphilosophie au niveau mondial. Travailler àune telle échelle incite à relever plusieursdéfis et à dépasser certaines ambiguïtés.Une enquête à destination de l’ensembledes pays suppose en effet qu’il existe uncertain consensus sur l’existence et sur ladéfinition de l’objet de l’enquête, ainsi quesur les termes et les concepts qu’elle mani-pule. Ce n’est bien sûr pas aisé, surtout sil’on tient compte des multiples cultures,des traditions et des influences nationales,religieuses et politiques, etc. Cette diversitéest semble-t-il d’autant plus sensible qu’ils’agit de se pencher sur une discipline telleque celle de la philosophie, en sachant deplus que l’objet de l’enquête n’est pas laphilosophie mais son enseignement. Et làencore les différences culturelles, régionaleset nationales dans l’organisation et dans lesmanières d’enseigner sont de toute évidencetrès marquées. Certes, le but de l’enquêteest précisément d’en faire un état des lieux,mais pour y arriver, les présupposés duQuestionnaire sont nombreux et peuventparfois s’avérer contreproductifs. L’organisationde l’enseignement n’est pas uniforme dansle monde alors que le Questionnaire est engrande partie fondé sur l’expérience despersonnes ressources des pays ayantrépondu. Des questions judicieuses pour unespace géographique donné peuvent doncdevenir incongrues ou incompréhensiblespour d’autres lieux. L’expérience del’UNESCO dans le domaine a sans doutelimité ces cas d’ambiguïtés. D’autres problèmes

peuvent néanmoins surgir dès lors que l’ons’attarde par exemple sur les traductions duQuestionnaire. On connaît très bien l’in-fluence du choix des mots et des formessyntaxiques dans les modalités de réponsesaux questions des enquêtes sociologiques.Il n’est bien sûr pas possible d’en mesurerl’impact sur cette enquête, bien qu’il nefasse aucun doute que cette dernière ysoit soumise. Des différences culturellespeuvent aussi se faire jour dans le rapport àla technique. Il peut ainsi exister une utilisa-tion culturellement différente du Web et deses outils, comme il existe des différencesdans l’accès à Internet, ADSL versusModem notamment.

Cette enquête a ainsi constitué un momentimportant mais elle n’a été qu’une étape.En forçant un peu le trait, on pourrait direque le travail d’exploitation des résultatscommence réellement avec la fin de cechapitre… Il conviendrait en effet desophistiquer et de raffiner certaines analyses,de rééditer le Questionnaire en tenantcompte des remarques fournies, de densifierla base de données des contacts liés à laphilosophie et à son enseignement dans lemonde, de soumettre à nouveau l’enquêted’ici quelques mois afin de s’assurer d’autrescatégories de retours. Voilà autant detâches qui sont encore devant nous et quipermettront, sur une base régulière et àmoyen terme, de disposer d’informations àjour sur l’état de l’enseignement de laphilosophie dans le monde et sur le ressentiet le vécu de ses principaux acteurs.

Conclusion : une enquête inédite

Page 252: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

CHAPITRE V

230

(1) En se référant en particulieraux programmes et textes officiels.

Questionnaire en ligne de l’UNESCOI. APERÇU GÉNÉRAL1. Comment qualifierez-vous globalement l’état de l’enseignement de la philoso-phie dans votre pays ? Cocher la case correspondante

ExcellentSatisfaisantPeu satisfaisantInexistantAutres

2. Existe-t-il dans votre pays des projets institutionnels visant à :Cocher la case correspondante :> Renforcer/améliorer l’enseignement de la philosophie

Oui Non

Si oui, à quels niveaux :primairesecondairesupérieur

Si oui, préciser> Réduire l’enseignement de la philosophie

Oui Non

Si oui, à quels niveaux :primairesecondairesupérieur

Si oui, préciser> Supprimer l’enseignement de la philosophie

OuiNon

Si oui, à quels niveaux :primairesecondairesupérieur

Si oui, préciser

3. Dans votre pays, quels sont les principaux mérites reconnus à l’enseignementde la philosophie(1) ? Cocher la case correspondante :

Fortifier l’autonomie de l’individuAcquérir une méthodologieRenforcer le savoir propre Forger le jugementContribuer à l’éducation civiqueAutres

II. ENSEIGNEMENT PRIMAIRE Six (6) premières années d’enseignement 4. Combien d’années scolaires l’enseignement primaire comporte-t-il dans votre pays ?

5. Existe-t-il, dans votre pays, un enseignement spécifique de la philosophie auniveau du primaire ? Cocher la case correspondante

Oui Non

Page 253: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

231

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

6. Si oui, à quels niveaux scolaires (Classes) cet enseignement est-il dispensé ?

7. Dans le cas où il y aurait un enseignement spécifique, pouvez-vous indiquer lesprincipales méthodologies utilisées :

InitiationAteliers de discussionEnseignement directAutres

8. Prévoit-on d’introduire à brève échéance l’enseignement de la philosophie auniveau primaire dans votre pays ?

Oui Non

Si oui, préciser

9. Selon vous, quel est le but de l’enseignement de la philosophie au niveau primaire ?Cocher la (ou les) case(s) correspondante(s)

Fortifier l’autonomie de l’individuAcquérir une méthodologieRenforcer le savoir propre Forger le jugementContribuer à l’éducation civique

Autres

10. Existe-t-il dans votre pays des expériences pilotes concernant l’initiation à laphilosophie pour l’éducation pré-primaire (avant même le primaire) ?

Oui Non

Si oui, pouvez-vous décrire brièvement les objectifs et les méthodologiesde ces expériences pilotes

III. Enseignement Secondaire11. À quelles classes du niveau secondaire, l’enseignement de la philosophie est-il dispensé ? Cocher la (ou les) case(s) correspondante(s)Enseignement secondairePremière phase (Tout au long du secondaire - Collège)

1ère année2ème année3ème année4ème année

Deuxième phase (dernières années du secondaire - Lycée)5ème année6ème année7ème année

12. Selon vous, quel est le but de l’enseignement de la philosophie dans l’ensei-gnement secondaire ? Cocher la (ou les) case(s) correspondante(s)

Fortifier l’autonomie de l’individuAcquérir une méthodologieRenforcer le savoir propre Forger le jugementContribuer à l’éducation civiqueAutres

Page 254: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

CHAPITRE V

232

13. La philosophie est-elle enseignée au niveau du secondaire en tant que matièredistincte ? Cocher la case correspondante

Oui Non

Si oui, l’enseignement de la philosophie est-il modulé suivant les spécialisations (orientations) des élèves au cours de l’enseignement secondaire ?

Oui Non

Si oui, pour quelle spécialisation la philosophie est-elle enseignée ?Cochez la (ou les) case(s) correspondante(s)

Établissement secondaire généralOption Scientifique Option Littéraire Option Économique

Oui Oui Oui Obligatoire Obligatoire ObligatoireOptionnel Optionnel Optionnel

Non Non NonÉtablissement secondaire technique et professionnel

Oui ObligatoireOptionnel

Non

14. Dans votre pays, quel est l’intitulé exact de cette matière ?Niveaux d’enseignements Intitulé exact de la matière

Si le titre de cet enseignement n’est pas « philosophie »,veuillez préciser le nom de la matière enseignée.

Première phase (Tout au longdu secondaire - Collège)Deuxième phase (dernières annéesdu secondaire - Lycée)Établissement secondaire techniqueet professionnelÉtablissement secondaire général

- Option Scientifique- Option Littéraire- Option Économique et sociale

15. Si dans votre pays la philosophie n’est pas enseignée au niveau du secondaireen tant que matière distincte prévoit-on de l’y introduire à brève échéance ?

Oui Non

Si oui, préciser à quel niveau ? Cochez la (ou les) case(s) correspondante(s)Établissement secondaire général

Option ScientifiqueOption LittéraireOption Économique et sociale

Établissement secondaire technique et professionnel

16. Dans votre pays, peut-on considérer que l’enseignement de la philosophie estégalement abordé dans le cadre d’autres matières telles que :Cochez la (ou les) case(s) correspondante(s)

MatièresLittérature Oui Non Histoire Oui Non Éducation morale Oui Non Éducation religieuse Oui Non Éducation civique Oui Non Sciences Oui Non Pourriez-vous préciser,

Page 255: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

233

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

17. L’enseignement de la philosophie a-t-il été interrompu / provisoirementsuspendu / remplacé par une autre matière jugée équivalente / ou reformé cesvingt dernières années ?

Action Motif(s) Officiel(s) InterrompuProvisoirement suspenduRemplacé par une autrematière jugée équivalenteRéformé

18. Concernant l’enseignement secondaire, combien d’heures de cours hebdoma-daires (en moyenne) sont-elles consacrées à la philosophie ? Cochez la (ou les)case(s) correspondante(s)

Secondaire général Secondaire technique et professionnel0h1h –2h3h – 4h5h – 6hPlus que 6h

19. Les enseignants de philosophie du niveau secondaire ont-ils tous un diplômed’études supérieures en philosophie ?

OuiNonPas obligatoirement

Quel sont les autres diplômes permettant d’enseigner cette discipline ?

20. Les enseignants de philosophie du niveau secondaire bénéficient-ils de forma-tions continues (séminaires d’actualisation des connaissances) ?

Oui Non Pas obligatoirement

21. Concernant l’enseignement secondaire, existe-t-il des manuels officiels, àl’usage de l’enseignant, pour l’enseignement de la philosophie ?

Oui Non

Si non, quels autres matériels utilisez-vous ?

22. Concernant l’enseignement secondaire, existe-t-il des manuels officiels, àl’usage de l’élève, pour l’enseignement de la philosophie ?

Oui Non

Si non, quels types de matériels utilisez-vous ?

23. Comment est dispensé le plus fréquemment l’enseignement de la philosophie ?Cocher la (ou les) case(s) correspondante(s)

Cours traditionnels Lecture et commentaire d’extraits de textes philosophiques Discussions/débats avec la participation des élèves Autres

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24. Quels sont les outils pédagogiques les plus utilisés par les enseignants en phi-losophie pour le niveau secondaire ?

Manuels de philosophieDossiers réalisés par l’enseignant (extraits de textes, etc.)Autres

25. Comment sont évaluées, dans la pratique, les connaissances des élèves ?Devoirs écritsInterrogations oralesParticipation aux débats/discussionsExposés (sur une notion, sur l’œuvre d’un philosophe…) ? Autres, préciser

26. Dans le cadre de l’enseignement secondaire, l’accent est-il mis principalementsur l’un des aspects suivants : Cocher la (ou les) case(s) correspondante(s)

27. Quelle place accorde-t-on dans les programmes de philosophie aux philosophesoriginaires de votre pays ou de votre aire culturelle ?

ImportantePas d’importance spécialePeu d’importance

Préciser,

27 bis. Les autres traditions philosophiques sont-elles enseignées au niveausecondaire dans votre pays ?

Oui Non

Accès aux publications et à la documentation28. Comment qualifieriez-vous, dans l’ensemble, les fonds documentaires de phi-losophie des bibliothèques/Centres de documentation, au sein des établissementsde l’enseignement secondaire ?

ExcellentsSatisfaisantsPeu satisfaisantsInexistantsAutres

CHAPITRE V

234

Dimensions de l’enseignement Type d’enseignementde la philosophie Secondaire général Secondaire

Option techniqueOption Littéraire Option Scientifique Économique et professionnel

et socialeFortifier l’autonomie de l’individu(Étude de l’éthique et des valeurs)Acquérir une méthodologie (Développement des facultés logiques)Renforcer le savoir propre (Histoire de la philosophieet des idées philosophiques)Forger le jugement(La place de la philosophiedans la réflexionsur les problèmes contemporains)Contribuer à l’éducation civique(Approfondissement de certainesnotions et catégories fondamentales)

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235

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

28 bis. Constatez-vous de grandes inégalités dans la disponibilité de ces fondsdocumentaires ?

Oui Non

Si oui, à quels niveaux ?Urbain/rural Privé/public

29. Selon vous, qu’est-ce-qui manque le plus dans les bibliothèques ou centres dedocumentation des établissements de l’enseignement secondaire, en matière dephilosophie : (cochez la ou les cases correspondantes)

Encyclopédies philosophiquesDictionnaires philosophiquesAnthologies philosophiquesAccès aux œuvres des philosophes

Traductions des œuvres originales des philosophes ? Périodiques consacrés à la philosophie ?

Ouvrages d’initiation à la philosophieSupports informatiques Documents en langue nationaleDocuments en langues étrangères Autres

30. Les élèves ont-ils accès à Internet dans votre établissement ?Oui Non

IV- Enseignement Supérieur35. La philosophie est-elle enseignée comme matière distincte dans l’enseigne-ment supérieur ?

Oui Non

36. Dans quelles Facultés l’enseignement de la philosophie est-il dispensé ? Facultés de philosophie Facultés de lettres Autres

37. Quels types de diplômes en philosophie sont délivrés dans le cadre de l’ensei-gnement supérieur? Cocher la case correspondante

Premier cycle de philosophie Deuxième cycle de philosophieTroisième cycle de philosophieDoctorat en philosophie

38. Pourriez-vous donner une estimation du nombre d’universités dans lesquellesla philosophie est enseignée ?En chiffres

01 à 5Plus que 10

En pourcentages0 %20%+ de 20%

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39. La philosophie est-elle aussi enseignée dans les universités privées ? Oui Non

Si oui, dans combien d’universités

40. Considérez-vous que l’enseignement de la philosophie dans les universitéss’est affaibli ces dernières années ?

Oui Non

Préciser les motifs :

41. Quels sont les débouchés pour les diplômes universitaires en philosophie ?EnseignementRechercheSecteur privéAutres

Accès aux publications et à la documentation42. Comment qualifierez-vous les fonds documentaires de philosophie des biblio-thèques/Centres de documentation, au sein des établissements de l’enseignementsupérieur ?

ExcellentsSatisfaisantsPeu satisfaisantsInexistantsAutres

43. Selon vous, qu’est-ce-qui manque le plus dans les bibliothèques ou centres dedocumentation des établissements de l’enseignement secondaire, en matière dephilosophie : (cochez la ou les cases correspondantes)

Encyclopédies philosophiquesDictionnaires philosophiquesAnthologies philosophiquesAccès aux œuvres des philosophes

Traductions des œuvres originales des philosophes ?Périodiques consacrés à la philosophie ?

Ouvrages de vulgarisation de philosophieCD RomDocuments en langue nationaleDocuments en langues étrangères Autres

44. Comment qualifieriez-vous l’utilisation d’Internet dans l’enseignement de laphilosophie dans votre pays ?

ExcellenteSatisfaisantePeu satisfaisanteInexistanteAutres

V- Institutions45. Existe-t-il d’autres organismes associatifs, institutions…etc. qui contribuent àl’enseignement de la philosophie dans votre pays ?

Oui Non

Préciser :

CHAPITRE V

236

Page 259: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

237

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

46. Si oui, organisent-ils des séminaires de formation pour les enseignantsdu secondaire/supérieur, des débats ouverts au public ?

Oui Non

Préciser :

VI- Enseignement Non-Formel Diffusion des Débats Philosophiques

47. Existe-il dans votre pays des pratiques qui contribuent à promouvoir le débatphilosophique telles que :

Conférences philosophiques publiquesCafés philosophiques Événements : « Journées » consacrées au débat philosophique Autres

Préciser :

48. Dans votre pays, quelle place les médias accordent-ils au débat philosophique,y compris la presse écrite ?

Aucune Peu de placeÉpisodiquementBeaucoup

VII- Coopération Internationale49. Diriez-vous que les enseignants ou chercheurs en philosophie de votre paysparticipent-ils régulièrement à des réseaux de recherche (séminaires, colloques,réunions de sociétés savantes …etc.) au niveau régional ou international ?

Oui Non

50. Si non, pouvez-vous en expliquer les raisons ?Manque de moyenDifficultés d’ordre politique Difficulté d’accès à l’informationAutres

51. Diriez-vous que les chercheurs de votre pays sont suffisamment représentéslors des congrès mondiaux de philosophie qui ont lieu tous les cinq ans ?

Oui Non

52. Diriez-vous que les chercheurs de votre pays sont suffisamment représentésau sein des associations philosophiques internationales ?

Oui Non

53. Existe-t-il dans votre pays des programmes d’échanges académiques interna-tionaux, dans le domaine de la philosophie ?

Oui, pour les enseignantsOui, pour les élèvesAucun

54. Existe-t-il dans votre pays des programmes de bourses de recherche favorisantnotamment la mobilité internationale des chercheurs et des élèves ?

Oui, pour les enseignants Oui, pour les élèves Non

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POINT DE VUE

Page 261: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

Cop

yrig

ht :

Jér

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Dob

ieck

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239

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Après avoir pris connaissance avec grandintérêt du foisonnement d’analyses etd’idées jalonnant cette Étude, le Comité delecture a souhaité offrir ses réflexions quantà la portée de cet ouvrage.

À l'issue de ce qui constitue une étape dansun processus à long terme, que retirer del'expérience représentée par cette Étude ?Quels enseignements ? Quelles leçons pourdemain ? L'immensité du sujet abordé ren-contre ici naturellement l'immensité desphilosophies existant dans les différentesrégions du monde aujourd'hui.Philosophies, le pluriel vient de lui-mêmecar il s'agit bien, encore et toujours, de nepas cautionner - qui le pourrait ? - une,voire la, philosophie. Véritable exerciceréflexif, exigeant, formateur, et idéalementlibérateur, la philosophie se décline selondes visages, des modalités, des inflexionsfort divers en fonction des traditions cultu-relles, politiques, historiques ou spirituelles.De par son étendue, le présent ouvrage amontré, entre autres, cette myriade defacettes de la discipline, enseignée tantôtcomme matière à part entière, tantôt ausein d'autres matières comme la littérature,l'éducation morale, l'histoire ou lessciences. Discipline parfois même absente,hélas, de tous les niveaux d’enseignement.

L’un des grands mérites de cette Étude estd’avoir rappelé avec force et conviction quela philosophie, ce n'est pas la sophia elle-

même, science et sagesse à la fois, c'estproprement le désir, la recherche, l'amourde cette sophia. Seul le fanatique ou l'igno-rant se veut détenteur d'une certitude. Lephilosophe est seulement le pèlerin de lavérité. Aujourd'hui, au moment où lascience constitue l’essentiel de notre savoiret la technique, l’essentiel de notre pouvoir,la philosophie apparaît résolument commeune discipline réflexive. À partir du savoirscientifique, la visée philosophique serévèle comme réflexion critique sur les fon-dements de ce savoir. À partir du pouvoirtechnique, la sagesse, au sens moderne, seprésente comme une réflexion critique surles conditions de ce pouvoir. L'enseignementphilosophique se définit comme la mise enœuvre et comme l'exercice de la libertédans et par la réflexion. Réflexion guidée, ilva sans dire. L’élève et l’étudiant ne sontpas laissés seuls dans l’immensité du savoiret de la pratique philosophiques. Cettefinalité qui pourrait être, sous certainsaspects, celle de tout enseignement - si l'ondistingue spécifiquement l'enseignement,en tant qu'il est instruction, de la transmis-sion d'informations, de l'apprentissage pro-pre au savoir-faire et de l'adaptation à la viesociale et professionnelle - oriente en droitet en fait l'enseignement philosophique.Parce qu'il s'agit de juger en raison et nond'exprimer de simples opinions, parce qu'ils'agit non seulement de savoir, mais decomprendre le sens et les principes dusavoir, cette finalité exige du temps, un

Georg Wilhelm Friedrich HegelPréface de la Phénoménologie de l'Esprit (1807)

Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire sérieuse...

Page 263: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

POINT DE VUE…

240

temps substantiel. Il est long et difficiled'accéder, même sur la base d'une instructionsolide, à une réflexion rigoureuse, ouverte,autonome.

L'espoir et l'enthousiasme naissent vérita-blement de ce que l'enseignement de laphilosophie connaît aujourd'hui uneauthentique vitalité. Ce qui n'exclut évidem-ment pas les critiques que certains peuventlui adresser, ni les limites ou les freins qu'ilpeut subir ici ou là. Mais les nombreusesinitiatives menées dans ce domaine - de laphilosophie pour enfants aux pratiquesinnovantes comme les formations philoso-phiques en entreprise ou en milieu carcéral -sont autant d'illustrations emblématiquesd'une présence réelle de la philosophie etde son enseignement aujourd'hui. Mêmes’il s’agit de pratiques non traditionnelles.En effet, comme nous l’a judicieusementfait remarquer Roger-Pol Droit, pourquoidevrait-on s’étonner de l’enseignement despratiques philosophiques alors qu’on nes’interroge pas sur l’enseignement du calcul,qui n’est pourtant pas celui des mathéma-tiques ? À discipline non traditionnelle,enseignement non traditionnel. Les varian-tes dans les formations proposées, et surtoutdans les débouchés auxquels elles conduisent,sont à cet égard très nettes selon les pays.Force est de constater, et c'est bienentendu un fait dont on doit se réjouir, quela philosophie ne laisse pas indifférent.Même s'il peut arriver qu'on cherche parfois àla minimiser, en la masquant derrière d'au-tres disciplines, comme la littérature, ellepeut et doit pouvoir jouir d’une place à partentière dans la formation intellectuelle etcritique de l'enfant, de l'élève, de l'étudiant.Ces adultes en devenir acquièrent lesgalons de leur autonomie au contact d'unediscipline difficile mais éminemment forma-trice. Le débat a toujours cours entre lapriorité à donner entre approche historiquede l'enseignement de la philosophie etapproche thématique ou notionnelle. Iciencore, comme la philosophie peut justementnous l'enseigner, c'est la dialectique quidoit être recherchée et, idéalement,atteinte. Il ne s'agit ni de s'appesantir uni-quement sur des listes d'auteurs, plus oumoins renommés, ni de se concentrer surdes notions parfois ardues à comprendre,en dehors de toute assise contextuelle. Lesdeux approches devraient bien plutôt pouvoir

se nourrir l'une l'autre et aboutir à unestabilité louable.

D’autres questions cruciales ont été abordéespar cet ouvrage. Ainsi, celle de l’institution-nalisation et d’une meilleure reconnais-sance des pratiques philosophiques qui,sorties du seul cadre scolaire et/ou universi-taire, pénètrent des lieux où la réflexion etl’enseignement philosophiques ont aussitout à fait leur place, même si a priori ilssemblent éloignés de cette discipline. Laproblématique de la professionnalisationdes étudiants et doctorants en philosophiea bien entendu été l’objet d’analyses fouillées.Et l’état des lieux a permis de souligner lavariété des portes qui peuvent s’offrir auxdiplômés en philosophie, dans le journalisme,la communication, l’édition, les ressourceshumaines, ou encore au sein d’organisationsinternationales ou non gouvernementales,en exerçant une fonction d’expertise, etc.Tout est ici encore une fois question d’équi-libre et celui-ci est souvent difficile à atteindre.Comment considérer à sa juste valeurl’enseignement de la philosophie sans lenoyer ou le diluer dans d’autres disciplines,jugées - à tort ou à raison - plus rentableset plus pratiques, donc plus professionnalisan-tes ? Comment trouver un modus operandientre les programmes éducatifs, qui peuventêtre élaborés et décidés par les gouverne-ments, et la nécessaire liberté académiquedes enseignants ? Ce qui pose bien sûr laquestion de l’élaboration des manuels.Comment tenir dûment compte desapports et de l’héritage des penseurs quinous ont précédés, sans en rester prisonniers,et en favorisant l’apport de la philosophiedans la compréhension des problèmescontemporains ? À la discipline philosophiquede déborder, si l’on peut dire, de son seulchamp, pour s’appliquer, autant que possible,à tous les autres et permettre ainsi une ana-lyse aiguë des problèmes mondiaux. Larecherche philosophique doit se comprendrecomme une exigence d’innovation et unesource de créativité intellectuelle non corsetéepar des préjugés ou des normes rigides. Icic’est un nouveau champ d’étude qui s’offreà nous tous. La philosophie n’est pas seule-ment un message idéaliste abstrait mais unappel à la modification du réel, dans lamesure des moyens engagés. La philoso-phie est tout sauf monolithique, figée etimmuable. Pleinement mouvante, tel le

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241

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

(1) Jacques Havet (dir.), Tendancesprincipales de la recherche dans lesSciences sociales et humaines,Deuxième partie, Tome second.Paris - La Haye - New York, MoutanÉditeur/UNESCO, 1978.Voir également sur ce point PatriceVermeren, La philosophie saisie parl’UNESCO. Paris, UNESCO, 2003.www.unesco.org.

phénix qui sans cesse renaît de ses proprescendres, la philosophie se nourrit d'elle-même et se re-crée en permanence. À cetégard, peut-être conviendrait-il de renouve-ler cette enquête menée par l’UNESCO sur,cette fois, la recherche philosophique dansle monde, à l’instar de celle effectuée en1978 et qui a donné lieu à un rapport dePaul Ricoeur figurant dans l’ouvrage majeurde Jacques Havet intitulé Tendances prin-cipales de la recherche dans les Sciencessociales et humaines(1).

La philosophie, et tout particulièrementdans son enseignement, se doit d’être terred’accueil de la diversité et de l’Autre.Qu’importe en effet l’accumulation dediplômes universitaires si la capacitéd’écoute et d’enrichissement par le dialoguephilosophique, et donc par l’Autre, n’existepas ? Qu’importe l’expertise intellectuellepointue si elle ne sait pas se faire partage etdon ? Qu’importe le statut - parfois auto-décerné - de « philosophe » si l’égoïsmeprime sur l’amour de l’exposition de sesthèses et de leur contestation éventuelle ?

S’offrir au regard critique d’autrui, voilà quiconstitue l’essence même de l’exercice dela philosophie et de son enseignement,toujours à renouveler si l’on veut échapperà la fausse tranquillité d’un savoir qu’onimagine acquis éternellement.

À tous les acteurs concernés de penserensemble aux nouveaux chemins quepourrait prendre l'enseignement de laphilosophie. Rêvons et inventons à hautevoix.

LLee CCoommiittééddee lleeccttuurree

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243

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

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Annexe 1 244

Comité d’experts - Comité de lecture X

Annexe 2 245

Liste des personnes ressources de l’Étude X

Annexe 3 247

Glossaire

Annexe 4 253

Quelques références bibliographiques d’intérêt

Annexe 5 269

Liste d’acronymes utilisés

Annexe 6 273

Index des pays mentionnés

Page 266: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

244

Comité d’experts

Michel TOZZI - chapitre IProfesseur des Universités en Sciences del’éducation. Directeur du CERFEE(Montpellier 3, France). Rédacteur en chefde Diotime-L'Agorà, Revue internationalede didactique de la philosophie.

Luca SCARANTINO - chapitres II et IIISecrétaire général adjoint du Conseilinternational de la philosophie et des scienceshumaines (CIPSH) et membre du Comitédirecteur de la Fédération internationaledes sociétés de philosophie (FISP).

Oscar BRENIFIER - chapitre IVDocteur en philosophie. Fondateur del’Institut de Pratiques Philosophiques(France). Directeur de publication deDiotime-L'Agorà, Revue internationale dedidactique de la philosophie.

Pascal CRISTOFOLI - chapitre VIngénieur au Laboratoire de DémographieHistorique, École des Hautes Études enSciences Sociales (EHESS), Paris.

Comité de lecture (UNESCO)

Moufida GOUCHAChef de la Section Sécurité humaine,démocratie et philosophie, Secteur desSciences sociales et humaines

Sonia BAHRIChef de la Section pour la Coopérationinternationale dans l’enseignement supérieur,Secteur de l’Éducation

assistées par les spécialistes de programmede la Section Sécurité humaine, démocratieet philosophie, Secteur des Sciences sociales ethumaines

Feriel AIT-OUYAHIAArnaud DROUETKristina BALALOVSKA

ainsi que par les stagiairesChiara SPONZILLIZita SCHERKAMPSophie ARIÉ

et avec le concours spécial de René ZAPATAChef p.i. du Bureau exécutif,Secteur des Sciences sociales et humaineset de Fanny KEREVERAssistante du Bureau exécutif

Annexe 1 :Comité d’experts - Comité de lecture

Page 267: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

245

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Niveaux préscolaire et primaire(chapitre I)

Gérard AUGUET, professeur à l’InstitutUniversitaire de Formation des Maîtres(IUFM) de Bordeaux (France) ; Petr BAUMAN,professeur à l’Université de Bohème duSud, coordonnateur du projet de philosophiepour enfants (République tchèque) ; BeateBORESSEN, professeur au CollègeUniversitaire d’Oslo (Norvège) ; DanielaCAMHY, professeur à la Faculté de philoso-phie, Université de Graz, et Directrice duCentre autrichien de philosophie pourenfants et jeunes - ACPC (Autriche) ;Sylvain CONNAC, chargé de cours àl’Université Montpellier 3 (France) ; AntonioCOSENTINO, professeur de philosophie(Italie) ; Marie-France DANIEL, professeur àl’Université de Montréal (Canada) ; Irène DEPUIG, professeur de philosophie, Directricedu GrupIREF (Espagne) ; Takara DOBASHI,professeur à l’Université de Hiroshima(Japon) ; Nicolas GO, professeur de philoso-phie à l’Institut Universitaire de Formationdes Maîtres (IUFM) de Nice (France) ; SylvieGUIRLINGUER-ESPECIER, Inspectrice del’Éducation Nationale (France) ; ValdemarMolina GRAJEDA, Directeur de l’Éducationélémentaire à l’État de Mexico, et sescollaboratrices : Agripin Garcia EstradaZeida et Julieta Mariaud Vergara (Mexique) ;Marie-Pierre GROSJEAN-DOUTRELEPONT,professeur de philosophie à la Haute ÉcoleProvinciale de Mons (Belgique) ; RosnaniHASHIM, professeur associé auDépartement d’éducation, InternationalIslamic University (Malaisie) ; KarlfriedrichHERB, professeur à l’Université deRegensburg (Allemagne) ; Walter OmarKOHAN, professeur de philosophie àl’Université de Rio de Janeiro (Brésil) ;Claudine LELEUX, professeur de philosophie àla Haute École Pédagogique de Bruxelles(Belgique) ; Pierre LEBUIS, professeur àl’Université du Québec à Montréal(Canada) ; Zosimo LEE, professeur àl’Université des Philippines (Philippines) ;Jacques LÉVINE, psychanalyste pourenfants, Président de l’Association desGroupes de Soutien au Soutien - AGSAS

(France) ; Gregory MAUGHN, Secrétairegénéral de l'Institute for the Advancementof Philosophy for Children - IAPC (États-Unis d’Amérique) ; Ekkehard MARTENS,professeur en didactique de la philosophieet des langues anciennes à l’Université deHambourg (Allemagne) ; Eva MARSAL,professeur à l’École Supérieure dePédagogie de Karlsruhe (Allemagne) ;Stephan MILLETT, Directeur du Centre forApplied Ethics and Philosophy à l’UniversitéCurtin, Perth (Australie) ; Félix GarcíaMORIYON, professeur de philosophie,Secrétaire général adjoint de l’InternationalCouncil of Philosophical Inquiry withChildren - ICPIC (Espagne) ; Freddy MORTIER,professeur à l’Université de Gand (Belgique) ;Øyvind OLSHOLT, professeur (Norvège) ;Yvette PILON, docteur en Sciences de l’éduca-tion (France) ; Diego Antonio PINEDA, profes-seur associé à la Faculté de philosophie,Université pontificale Javeriana de Bogota(Colombie) ; Marina SANTI, professeur àl’Université de Padoue (Italie) ; Michel SAS-SEVILLE, professeur agrégé de philosophieà l’Université Laval (Canada) ; ArianeSCHJELDERUP, professeur (Norvège) ; RogerSUTCLIFFE, Président de la Society forAdvancing Philosophical Enquiry andReflection in Education - SAPERE et del’International Council for PhilosophicalInquiry with Children - ICPIC (Royaume-Uni) ;Michel TOZZI, professeur des Universités enSciences de l’éducation, Directeur du CERFEE,Montpellier 3 (France) ; Marcel VOISIN, pro-fesseur et Président de l’Association PhARE(Belgique) ; Barbara WEBER, professeur àl’Université de Regensburg (Allemagne).

Niveau secondaire (chapitre II)

Daniel BOURQUIN, professeur au Collègede philosophie du Gymnase de Bienne(Suisse) ; André CARRIER, enseignant auCollège Lévi-Lauson de Québec (Canada) ;Barbara CASSIN, philosophe, philologue etchercheuse au CNRS (France) ; Maria IreneDANNA, professeur (République domini-caine) ; Mario DE PASQUALE, responsablede la Commission didactique de la SocietàFilosofica Italiana - SFI, Rome (Italie) ;

Annexe 2 :Liste des personnes ressources de l’Étude

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Ramon GIL, professeur (République domini-caine) ; Johnny GONZALEZ, professeur(République dominicaine) ; Walter OmarKOHAN, professeur de philosophie àl’Université de Rio de Janeiro (Brésil) ; NimetKUÇUK, professeur de philosophie(Turquie) ; Aziz LAZRAK, Secrétaire généralde l’Association marocaine des professeursde philosophie (Maroc) ; Mireille LEVY, pro-fesseur au Collège de philosophie duGymnase de Bienne (Suisse) ; Josef NIZNIK,professeur à l’Institut de philosophie del’Académie des Sciences (Pologne) ; PierrePAROZ, professeur au Collège de philoso-phie du Gymnase de Bienne (Suisse) ;Alfredo REIS, professeur de philosophie,Coimbra (Portugal) ; Suk-won SONG, cher-cheur en éducation supérieure, Division dela politique des programmes, Ministère del’éducation (République de Corée) ; MichelTOZZI, professeur des Universités enSciences de l’éducation, Directeur du CERFEE,Montpellier 3 (France) ; Fathi TRIKI, philosopheet titulaire de la Chaire UNESCO de philoso-phie à l’Université de Tunis I (Tunisie) ;Miguel VÁZQUEZ, professeur de philosophie(Espagne) ; Christian WICKY, Secrétaire dela Société de philosophie de l’enseigne-ment secondaire (Suisse) ; Zouari YASSINE,docteur en sciences de l’éducation (Tunisie) ;Abderrahim ZRYOUIL, Inspecteur coordinateurnational en philosophie (Maroc).

Niveau supérieur (chapitre III)

Josiane BOULAD-AYOUB, philosophe ettitulaire de la Chaire UNESCO d'étude desfondements philosophiques de la justice etde la société démocratique à l’Université duQuébec à Montréal (Canada) ; In-Suk CHA,philosophe, titulaire de la Chaire UNESCOde philosophie et démocratie à l’UniversitéNationale de Séoul et Président du Conseilinternational de la Philosophie et desSciences Humaines - CIPSH (République deCorée) ; Abdelmalek HAMROUCHE, Doyendes Inspecteurs Généraux de philosophiealgériens (Algérie) ; Ioanna KUÇURADI,philosophe et titulaire de la ChaireUNESCO de philosophie à l’UniversitéHacettepe (Turquie) ; William MCBRIDE,philosophe et Secrétaire général de la

Fédération Internationale des Sociétés dePhilosophie - FISP (États-Unis d’Amérique) ;Pierre SANÉ, Sous-Directeur général pourles Sciences sociales et humaines (UNESCO) ;Luca Maria SCARANTINO, philosophe etSecrétaire général adjoint du Conseil inter-national de la Philosophie et des SciencesHumaines - CIPSH (Italie) ; Fathi TRIKI,philosophe et titulaire de la ChaireUNESCO de philosophie à l’Université deTunis I (Tunisie) ; Patrice VERMEREN, profes-seur de philosophie à l’Université de ParisVIII et Directeur du Centre franco-argentinde Hautes études de l’Université de BuenosAires (France/Argentine).

Découvrir la philosophie autrement(chapitre IV)

Patrick AZÉRAD, Conservateur et Directeurde bibliothèques municipales à VilleneuveSt Georges, Val de Marne (France) ; CarolynCALLAHAN, professeur à l’Université deVirginie (États-Unis d’Amérique) ; Jean-François CHAZERANS, professeur de philo-sophie en lycée et animateur de débatsphilosophiques (France) ; Morten FASTVOLD,conseiller philosophique à l’Universitéd’Oslo (Norvège) ; Christopher GILLMAN,professeur à l’Université de Virginie (États-Unis d’Amérique) ; Günter GORAN, ani-mateur de débats philosophiques (France) ;Rayda GUZMAN, conseiller philosophique(Espagne) ; Hans KENNEPOHL, responsabledu Mois de la philosophie, Fondation Moisde la philosophie (Pays-Bas) ; MauricioLANGON, professeur de philosophie(Uruguay) ; Jennifer MERRITT, professeur àl’Université de Virginie (États-Unisd’Amérique) ; Karen MIZELL, professeurassocié au Département de philosophie etdes humanités, Utah Valley St (États-Unisd’Amérique) ; Daniel OUEDRAOGO, ensei-gnant à l’école primaire Bilbalogho,Ouagadougou (Burkina Faso) ; MarianneREMACLE, philosophe, professeur demorale à la Ville de Bruxelles, assistantepédagogique à l’Université Libre deBruxelles (Belgique) ; Eugénie VÉGLÉRIS,agrégée, docteur en philosophie etconsultante (France).

ANNEXES

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

AAActivité à caractère philosophiqueQui a rapport à la philosophie et à sa pratique.

Analyse réflexive À la suite de Lagneau, disciple de Lachelier,on appelle « analyse réflexive » l'analysequi consiste à réfléchir sur n'importe quellepensée en vue d’en dégager les conditionset d’en découvrir les caractères essentiels.Remontant de condition en condition, elleretrouve ce qui fait l'unité de la pensée, sanécessité, son universalité, sa spontanéité,son autorégulation.

ApprentissageEnsemble d'activités qui permettent à unepersonne d'acquérir, d'approfondir desconnaissances théoriques et pratiques, oude développer des compétences, descapacités et des attitudes.

Atelier de philosophieModalité de travail en groupe, oral et/ouécrit, qui consiste à travailler l’approfondis-sement, l’analyse et la problématisation desidées, ainsi que la production de concepts àtravers la confrontation d’idées. Cela peuts’effectuer à partir d’une interprétation detexte, d’exercices spécifiques ou de dis-cussions rigoureusement menées. Cetteforme de travail en groupe, mise de l’avantpar divers philosophes praticiens commeOscar Brenifier et Anne Lalanne en Franceou Beate Borresen et Oyvind Olsholt enNorvège, prétend privilégier plus particuliè-rement l’exigence et la culture philosophiques,plutôt que les démarches soucieuses d’unevision « démocratique », ou le simpleéchange d’idées que l’on peut rencontrertrès souvent dans le café philosophique, ladiscussion à visée philosophique (DVP), lacommunauté de recherche ou autresmodalités de travail influencées de fait parla psychologie ou les Sciences de l’éducation.

CCCognitifRelatif, ou faisant appel, à la fonction oubien au processus mental d’acquisition dela connaissance. La cognition est caractériséepar certains processus, comme l’attention,le langage/les symboles, le jugement, le rai-sonnement, la mémoire, la résolution deproblèmes.

Communauté de rechercheForme de travail prônée par le philosopheMatthew Lipman (États-Unis d’Amérique),qui installe le groupe classe dans une situa-tion d’interactions cognitives entre enfantspour, à partir d’une question qu’ils ontpréalablement choisie par la lecture d’unextrait de roman, en discuter de façonrationnelle et constructive, le plus rigoureu-sement possible. L’expression s’inspire destravaux de Peirce et de Dewey.

ConceptOn nomme concept une idée abstraite etgénérale, c'est-à-dire une unité de connais-sance constituée par abstraction à partir detraits ou de propriétés communs à uneclasse d'objets, de relations ou d'entités.

Concept philosophiqueUne construction de l'esprit permettant desaisir le réel, insérée dans un réseauconceptuel par lequel il prend sens.

Culture de la paixSelon les Résolutions des Nations UniesA/RES/52/13 et A/53/243, la culture de lapaix est un ensemble de valeurs, d’attitudes,de comportements et de modes de vie quirejettent la violence et préviennent lesconflits en s'attaquant à leurs racines par ledialogue et la négociation entre les individus,les groupes et les États.

Annexe 3 :Glossaire

Les définitions contenues dans ce glossaire renvoient à la significationque les rédacteurs de l’Étude ont souhaité exprimer lors de leurs analyses.

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ANNEXES

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CurriculumDans son acception anglophone, le cur-riculum désigne la conception, l’organisation etla programmation des activités d’enseigne-ment - apprentissage selon un parcourséducatif. Il regroupe l’énoncé des finalités,des contenus, des activités et des démarchesd’apprentissage, ainsi que des modalités etdes moyens d’évaluation des acquis desélèves. Sa conception se fait l’écho d’unprojet d’école reflétant un projet de société.Elle donne lieu à des comportements et despratiques ancrés dans une réalité éducativedonnée. C’est ainsi qu’en amont se profilentles intentions d’un curriculum et qu’en avalse concrétisent ses utilisations pratiques. Ilconvient de préciser que le degré de pres-cription d’un curriculum (c'est-à-direjusqu’où on peut aller dans le détail de laprogrammation) varie d’un pays à un autreselon la formation des enseignants et leniveau d’autonomie qu’on veut développerchez eux.

DDDialectiqueDu grec dialegesthai - converser, et dia-legein - trier, distinguer. Ce mot a la mêmeétymologie que « dialogue » et signifieétymologiquement traverser de part enpart - un objet, une notion, un problème -par le langage ou par la raison (logos engrec). Processus de pensée qui prend encharge des propositions apparemmentcontradictoires et se fonde sur ces contra-dictions afin de faire émerger de nouvellespropositions. Ces nouvelles propositionspermettent de réduire, de résoudre oud’expliciter les contradictions initiales.Lorsqu’elle est inspirée d’une démarchehégélienne, c’est une démarche de la penséeconsistant à confronter des opinions, desassertions, des idées ou des thèses apparem-ment contraires ou contradictoires, et àmontrer comment elles sont liées en réalitépar des relations de complémentarité,d'unité ou d'identité.

Dialogue socratiqueÉcrits presque immédiatement après lamort de Socrate (399 avant J.C.), les dialoguessont le moyen pour Platon de témoignerdes nombreuses discussions que son Maîtreavait l'habitude de pratiquer avec ses élèves.Platon se donne pour principal objectif defaire perdurer, sous sa forme la plus vivante,l'exemple d'un homme qui fut un Maître àpenser. Ainsi, ce qui importe d'abord dansun dialogue, ce ne sont pas les énoncés quivaudraient comme « vérités » mais bien lecheminement particulier que Socrate faitsuivre à son interlocuteur, le travail particulierd'orientation, ou de désorientation de lapensée quand il s'agit de remettre en causeles idées émises par son élève. C'estpourquoi les premiers dialogues rédigés parPlaton sont des apories (discussion quiaboutit à une impasse). En ce sens, Platonest en tout point à l'opposé d'Aristote, quiérige sa pensée sous la forme de traités,forme « canonique » ultérieure de la philo-sophie occidentale. Au sens spécifique, ledialogue socratique est une modalitédéterminée de discussion en groupe, établiepar le philosophe allemand Nelson.

Didactique Étude des processus d’enseignement etd’apprentissage d’une discipline déterminée.Exemple : didactique de la philosophie. Paropposition à la « pédagogie », centrée surles méthodes transversales à différentesdisciplines (tel le travail en groupe des élèves),sur la dimension éthique et affective de larelation éducative, et sur la gestion de ladynamique du groupe classe, la didactiques’intéresse surtout à la relation des élèvesau contenu d’une discipline, et à la façondont le Maître peut leur permettre de sel’approprier.

Didactique de l’apprentissagedu philosopherOrientation de la didactique de la philosophiequi travaille sur la façon dont un individu etun groupe en formation (enfants, ado-lescents, adultes) peuvent apprendre àphilosopher à l’école ou dans la Cité. Elledésigne aussi les démarches qu’un enseignantou un animateur met en œuvre pouraccompagner cet apprentissage (quelssituations, dispositifs, outils, supports, etc. ?).

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Discussion à Visée Philosophique(DVP)Expression française pour désigner undébat organisé démocratiquement enclasse entre élèves (fonctions de présidenceet de secrétariat de séance, règles de prisede parole), autour d’une question à portéephilosophique, avec des exigences intel-lectuelles de problématisation, deconceptualisation et d’argumentationrationnelle, dont l’enseignant est le garant.Cette modalité s’inspire à la fois de la pédagogiecoopérative (Célestin Freinet, FernandOury), de la communauté de recherche(Matthew Lipman) et de la déterminationdes exigences du modèle du philosopher(Michel Tozzi).

EEÉducabilité philosophiquePotentialité cognitive, possibilité dévelop-pementale d’acquérir dès l’enfance descompétences réflexives, à condition quesoient mises en place des situationsd’apprentissage appropriées.

ÉducationFormation globale d'un individu à diversniveaux (religieux, moral, social, technique,scientifique, médical, etc.).

EnseignementCe terme se réfère à un mode d'éducationbien précis, soit celui du développementdes connaissances des élèves à l'aide de« signes ». Il faut noter que « signes » et« enseignement » dérivent d'ailleurs de lamême racine latine. Ces signes utilisés pourpermettre l'acquisition de connaissancesfont référence au langage parlé et écrit.Ainsi, l'enseignement est un moded'éducation bien spécifique que l'onretrouve dans nos écoles modernes où unMaître transmet verbalement et/ou active-ment un ensemble de connaissances.Enseigner est donc éduquer, mais éduquern'est pas forcément enseigner. On peutaussi considérer que le tâtonnement, etdonc l'erreur, est un moyen d'enseignement.Le rôle de l'enseignant consistant alors àveiller à ce que l'élève ne stagne pas danssa démarche.

Enseignement dogmatiqueMode d’enseignement qui délivre demanière transmissive, et sans développementd’un esprit critique, des connaissancesjugées comme des vérités absolues et définitives,souvent d’ailleurs délivrées d'une manièrepéremptoire, autoritaire, catégorique, pouréviter toute mise en cause.

Enseignement moralType d’enseignement, d’inspiration religieuseou laïque, mis en place dans certains payspour transmettre aux élèves des principesd’action relevant de la conscience morale,de la civilité ou de la citoyenneté.L’enseignement de la morale se propose demettre les élèves en situation de se formerune hiérarchie de valeurs et d’en êtreconscients.

ÉthiqueL’éthique peut être prise en deux sens. Pourcertains philosophes, c’est une série derègles morales non obligatoires, fondéessur des valeurs universelles, comme le respectde l'individu, et qui ont inspirés les princi-pes des déclarations des droits del’Homme. L'éthique est en ce sens une défi-nition normative du comportementhumain, dont la fin est la connaissance etl'action droites. Dans un autre sens, c’estplutôt l’application concrète de principesqui doivent guider la vie humaine dans sesdifférentes activités. C'est un art de labonne conduite dans la vie privée commedans les affaires.

KKKairosLe kairos est le temps de l'occasionopportune. Il qualifie un moment favorable :« Maintenant est le bon moment pour agir ».Le kairos, dimension du temps n'ayant rienà voir avec la notion linéaire (chronos), peutêtre considéré comme une autre dimensioncréant de la profondeur dans l'instant.L’animateur philosophique est très sensibleau kairos, ce moment où surgit dans ungroupe une distinction conceptuelle, uneffort de définition, d’argumentation, ouune question, qu’il saisit afin de le faireexploiter philosophiquement.

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ANNEXES

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MMMaïeutiqueLa maïeutique chez les Grecs signifiait l'artd'enfanter exercé par les sages-femmes. Enphilosophie, c'est Socrate qui définira sonactivité comme étant « l'art d'accoucher lesesprits ». Bien que la maïeutique soit sou-vent associée dans les écrits de Platon à laréminiscence (conception selon laquellel'esprit est déjà imprégné dès la naissancede souvenirs), une seconde interprétationest également possible : faire émerger desidées au grand jour, comme faire prendreconscience, et ce par le moyen du ques-tionnement dirigé sous forme de dialoguesassurant à la fois l'évacuation des opinionssclérosées et la réévaluation provenant desefforts d'une pensée personnelle.

MoraleLa morale est, d’un point de vue anthropo-logique et sociologique, un ensemble deprincipes de jugement, de règles deconduite relatives au bien et au mal, dedevoirs, de valeurs, parfois érigés en doctrine,qu'une société se donne et qui s'imposentautant à la conscience individuelle qu'à laconscience collective. Ces principes varientselon la culture, les croyances, les conditionsde vie et les besoins de la société. D’unpoint de vue philosophique, elle relèveselon certains philosophes soit d’uneconviction intime en appelant à des principesde jugement universels, soit au contraire dejugements relatifs à un groupe socialdonné.

OOOntologieDérivé de ontos = existence, ce qui « est ».Branche de la philosophie qui a commeobjet ce qui existe sous la forme d'une des-cription abstraite, en insistant sur des caté-gories, principes et traits généraux. La phi-losophie traite d'une ontologie générale quiréfère à toute l'existence. Il y a également desontologies partielles, propres à un domaineprécis selon le cas : physique, chimie,

histoire, etc., comme il y a une ontologiespiritualiste, religieuse, subjectiviste, exis-tentialiste, ou encore formelle, systémique,des idées, de l'information, de l'existencesociale, etc. L'ontologie générale (l'ontologiedu monde matériel) est structurale-phéno-ménologique, elle se réfère à tous lespaliers et zones de l'existence, y compris lesniveaux mental, psychique et social.

PPPédagogieLa pédagogie peut désigner, selon lesauteurs, la Science de l'éducation, lesméthodes d'éducation ou encore laméthode de l'éducation. Ce terme dérivedu grec paidagogia, de paidos « l'enfant »et ago « conduire, mener, accompagner,élever ». Dans l'antiquité, le pédagogueétait un esclave qui accompagnait l'enfantà l'école, lui portait ses affaires, mais aussilui faisait réciter ses leçons et faire sesdevoirs. D’où le sens actuel d’accompagnerun enfant dans son apprentissage, et plusgénéralement dans son éducation.

Pensée critiqueLa pensée critique permet de décomposerune situation, un concept, une théorie, ouun système de pensée, jusqu’à son expressionla plus simple, afin d'en faire rejaillir les sensmultiples, les intentionnalités sous-tendueset les principaux enjeux. Il ne s'agit passeulement de mettre bout à bout les partiesd'un problème de façon systématique et decomparer tous ses aspects, mais aussid'envisager les relations de cause à effet(si…alors…) qui pourraient aider à lerésoudre. Cela inclut également l'utilisationd'une logique et d'une méthodologierigoureuses permettant de trouver des solu-tions réalistes. La pensée critique tend àdéceler à chaque fois les raisons sous-jacentesà une prise de position, les effets d’unedécision et les limites de tout système deconcepts, notamment en les comparant àd’autres formes de construction du réel.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

PhilosophieLa définition, ici, du terme « philosophie »renvoie à la signification que les rédacteursde l’Étude ont souhaité exprimer lors deleurs analyses. En tant que matière d’ensei-gnement, le mot philosophie, difficile àcerner, désigne une matière enseignée ouun type d’activité pédagogique, car ontrouvera aussi bien des activités à dimen-sion philosophique dans des intitulés où lemot « philosophie » est absent, comme« cours de morale », « cours d’éthique »,« cours de citoyenneté », parfois « enseigne-ment théologique », voire « instructionreligieuse », lorsqu’il s’agit d’un enseigne-ment non dogmatique. Alors qu’on éprouveraparfois de la perplexité vis-à-vis de ce quis’appelle pourtant, dans tel système éducatif,« philosophie », alors que n’est pas viséechez les élèves une dimension réflexive. Afin d’éviter de réduire le mot « philosophie »- dont la définition est en elle-même unequestion d’ordre philosophique - lesrédacteurs de cette Étude se sont position-nés dans une écriture de questionnement.En effet, la philosophie s’interroge sanscesse sur ce qu’elle n’est pas : la morale, laScience, etc., et sur ce qu’elle est vraiment : uncertain type de savoir, mais lequel ? Unepratique, mais de quel ordre ? Avec desréponses fort variables selon les philosophes :penser par soi-même ou vivre avec sagesse ;interpréter le monde ou le transformer ; seconformer à l’ordre du monde ou le révolu-tionner ; viser le plaisir ou la vertu ; apprendreà vivre ou à mourir ; penser par concept oupar métaphore, etc. Autant de questionsoù la conception et la pratique de la phi-losophie varient aussi fortement selon lesdifférentes aires culturelles du monde.

Pratique philosophiqueTerme général utilisé pour regrouper diversesmodalités de mise en œuvre du philosopher.Elles se définissent et se distinguent del’activité philosophique académique par lescaractéristiques suivantes, qui varient enintensité selon les pratiques spécifiques. Lapratique philosophique est avant tout, ensa finalité, l’activité constitutive d’un sujetpensant, individuel et collectif. En ce senselle prend pour ancrage ce sujet, qu’ellemet à l’épreuve. Elle implique en généralune dimension dialogique de l’activitéphilosophique. Elle est ouverte à tous,puisqu’elle n’exige aucune connaissance a

priori, bien que sa mise en œuvre impliquepour son apprentissage la collaborationd’une personne compétente. Elle insistenettement moins que la philosophie acadé-mique sur l’histoire de la philosophie etl’érudition, et n’exige pas la référence auxauteurs. Elle développe une culture de laquestion, plutôt que de la réponse, et favorisel’échange et la discussion, en vue del’évolution des représentations ou desopinions des apprentis-philosophes. Lespratiques philosophiques se distinguententre elles par le public auquel elles s’adres-sent, leurs finalités et leurs méthodologies,ainsi que leurs présupposés philosophiques.

RRRéformeUne réforme est un changement lent etpacifique des institutions dont le but est,selon son promoteur, d’apporter desaméliorations à la situation actuelle, paropposition à une révolution qui est unchangement rapide et généralement violent.Dans le système éducatif, il y a des réformesde structure du système, et des réformes deprogramme concernant les contenus àenseigner.

SSSapere audeDans son célèbre essai Qu'est-ce que lesLumières ?, Emmanuel Kant donne la défi-nition suivante : « Le mouvement desLumières est la sortie de l’homme de saminorité dont il est lui-même responsable.Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servirde son entendement sans la directiond’autrui, minorité dont il est lui-mêmeresponsable, puisque la cause en résidenon dans un défaut de l’entendement maisdans un manque de décision et de couragede s’en servir sans la direction d’autrui.Sapere aude ! Aie le courage de te servir deton propre entendement ! Voilà la devisedes Lumières. »

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ANNEXES

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Sciences cognitivesLes sciences cognitives sont un ensemblede disciplines scientifiques visant à l'étudeet à la compréhension des mécanismes dela pensée humaine, animale ou artificielle,et plus généralement de tout systèmecognitif, c'est-à-dire tout système complexede traitement de l'information capabled'acquérir, conserver, et transmettre desconnaissances. Elles reposent donc surl'étude et la modélisation de phénomènesaussi divers que la perception, l'intelligence,le langage, le calcul, le raisonnement oumême la conscience... En tant que domaineinterdisciplinaire, les sciences cognitives uti-lisent conjointement des données issuesd'une multitude de branches de la Scienceet de l'ingénierie, en particulier : la linguis-tique, l’anthropologie, la psychologie, lesneurosciences, la philosophie, l'intelligenceartificielle.

Sciences formellesLe prototype d’une science formelle, cesont les mathématiques. La méthode esthypothético-déductive, à base de démons-trations rigoureuses. La langue utilisée estunivoque, formulée avec précision, excluanttoute incertitude, toute ambiguïté, visantl’exactitude, et non, comme dans lessciences expérimentales, l’approximationdans les calculs. Malgré certaines tentativeslogiques utilisant le raisonnement syllogisti-que (Aristote), ou la « démonstration »comme dans L’Éthique de Spinoza, la philo-sophie n’est pas une science formelle, caron ne peut penser qu’avec, dans et par lelangage, dont on ne peut évacuer la polysé-mie.

Sciences sociales et humainesOn entend par « sciences sociales ethumaines » l'ensemble des sciences quiont pour objet l'homme et les groupeshumains, dans leurs actions, leurs organisa-tions, leurs rapports. On citera, sans quecela soit exhaustif, l'anthropologie, la phi-losophie, l'histoire, la géographie, le droit, lasociologie, la psychologie, la linguistique,etc. Les sciences humaines examinent essen-tiellement les rapports dynamiques desêtres humains avec leurs milieux social,physique, spirituel, culturel, économique,politique et technologique. Dans cemonde complexe en évolution constante,les sciences humaines peuvent aider les élè-ves à devenir des citoyennes et citoyens actifset responsables au sein de leurs communau-tés, à l'échelle locale, nationale et plané-taire.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Partie introductive

Ouvrages et documents de référence

Actes de la Conférence généralede l’UNESCO, vingtième session, Belgrade,1978, vol. I 20 C/Résolutions 3/3.3/1.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001140/114032f.pdf

Actes de la Conférence généralede l’UNESCO, sixième session, Paris, 1951,6 C/ Résolutions 4.41.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001145/114588f.pdf

Actes de la Conférence généralede l'UNESCO, cinquième session, Florence,1950, 5 C/Résolutions 4.1212.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001145/114589f.pdf

Droit Roger-Pol, Philosophie et démocratiedans le monde : une enquêtede l'UNESCO. Paris, UNESCO, 1995.

Hersch Jeanne (dir.), Le Droit d’être unhomme. Paris, UNESCO, 1969. Réédition1984.http://unesdoc.unesco.org/images/0000/000000/000029fo.pdf

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Klibansky Raymond et David Pears (dir.),La philosophie en Europe. Paris,UNESCO/Gallimard, 1993.

Rapport du Directeur général sur uneStratégie intersectorielle concernantla philosophie, 171 EX/12, Conseil exécutifde l’UNESCO. Paris, 2006.http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001452/145270f.pdf

Revues

Diogène, Revue internationale des scienceshumaines. Paris, CIPSH/UNESCO. www.unesco.org/cipsh/fre/diogene.htm

Sites Internet

www.unesco.orgUNESCO.

Niveaux préscolaire et primaire(chapitre I)

Ouvrages, articles et autres

Accorinti StellaTrabajando en el aula. La práctica deFilosofía para Niños. Buenos Aires,Manantial, 2000.Introducción a Filosofía para Niños.Buenos Aires, Manantial,1999.

Aristote, Éthique de Nicomaque. Paris,Flammarion (Poche), 2004.

Auguet Gérard, « La Discussion à ViséePhilosophique aux cycles 2 et 3 de l’écoleprimaire : un nouveau genre scolaire envoie d’institution », Thèse universitaire.Université de Montpellier 3. Montpellier.

Boressen Beate, communication présentéelors du 6ème colloque sur les Nouvellespratiques philosophiques, Journée mondialede la philosophie. Paris, UNESCO, novembre2006.

Brenifier OscarEnseigner par le débat. CRDP de Bretagne,2002.Collection « PhiloZenfants ». Paris, Nathan.9 titres parus : La vie, c’est quoi ? ; Lessentiments, c’est quoi ? ; Le bien et le mal,c’est quoi ? ; Moi, c’est quoi ? ; Savoir,c’est quoi ? ; Vivre ensemble, c’est quoi ?;La liberté, c’est quoi ? ; Le beau et l’art,c’est quoi ? ; Le bonheur, c’est quoi ?. Collection « Les Petits albums de philoso-phie ». Paris, Autrement. Titres parus : Lebonheur selon Ninon ; La vérité selonNinon.

Burgh Gilbert, Terry Field et Mark Freakley,Ethics and the Community of Inquiry:Education for Deliberative Democracy,2ème édition. Melbourne, Thomson SocialScience Press, 2006.

Caderno Linhas Críticas, doosiêr: “A filoso-fia na educação das crianças”. v. 5-6.Brasília, Universidade de Brasília, 1998.

Annexe 4 :Quelques références bibliographiques d’intérêt

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ANNEXES

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Daniel Marie-FranceDialoguer sur le corps et la violence. Unpas vers la prévention : guide philosophi-que. Québec, Le Loup de gouttière, 2003.Les Contes d’Audrey-Anne : contes philo-sophiques, illustrations de Marc Mongeau.Québec, Le Loup de gouttière, 2002.La coopération dans la classe. Montréal,Éditions Logiques, 1996.La philosophie et les enfants. Montréal,Éditions Logiques, 1992.

Derrida Jacques, Le droit à la philosophiedu point de vue cosmopolitique. Paris,Verdier, 1997.

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Especier Sylvie, « La Discussion à ViséePhilosophique à l’école primaire : quelleformation ? », Thèse universitaire.Université de Montpellier 3. Montpellier.

Gaarder Jostein, Le Monde de Sophie.Paris, Seuil, 1991.

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Découvrir la philosophie autrement(chapitre IV)

Ouvrages, articles et autres

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Brenifier OscarQuestions de philo entre ados. Paris, Seuiljeunesse, 2007. Colección « SuperPreguntas ». Barcelona,Edebe, 2006.El diálogo en clase. Tenerife, EdicionesIdea, 2005. Titres parus : ¿ Qué es el bieny el mal ? ; ¿ Qué es la vida ? ; ¿ Qué sonlos sentimientos ?.Enseigner par le débat. Rennes, CRDPAcadémie de Rennes, 2001.Collection « L’apprenti philosophe ». Paris,Nathan. 8 titres parus : L’art et le beau ; Laraison et le sensible ; La conscience, l’in-conscient et le sujet ; Le temps, l’existenceet la mort ; Le travail et la technique ;L’opinion, la connaissance et la vérité ;Liberté et déterminisme ; L’État et lasociété. Version espagnole : Colección« Aprendiendo a filosofar ». Madrid,Laberinto, 2006. 8 títulos : El arte y lobello ; La conciencia, el inconsciente y el

sujeto ; El tiempo, la existencia y la muerte ;La opinión, el conocimiento y la verdad ;La razón y lo sensible ; El Estado y la socie-dad ; Libertad y determinismo ; El trabajoy la tecnología.Collection « PhiloZenfants ». Paris, Nathan.9 titres parus : La vie, c’est quoi ? ; Les senti-ments, c’est quoi ? ; Le bien et le mal,c’est quoi ? ; Moi, c’est quoi ? ; Savoir,c’est quoi ? ; Vivre ensemble, c’est quoi ?;La liberté, c’est quoi ? ; Le beau et l’art,c’est quoi ? ; Le bonheur, c’est quoi ?. Collection « Les Petits albums de philoso-phie ». Paris, Autrement. Titres parus : Lebonheur selon Ninon ; La vérité selonNinon. Section philosophique de « À nous leFrançais - CE1 », « À nous le Français -CE2 » et « À nous le Français - CM1 »,manuel de l’élève et guide du Maître.Toulouse, Sedrap.

Cavallé Cruz MonicaEl asesoramiento filosófico: una alternativaa las psicoterapias, en: Psicópolis. Madrid,Paradigmas actuales y alternativos en lapsicología contemporánea, Kairós, 2005.La Filosofía maestra de vida. Madrid,Oberón, 2004.La sabiduría recobrada. Filosofía comoterapia. Madrid, Oberón (Grupo Anaya),2001 / Madrid, Martínez Roca (GrupoPlaneta), 2006.

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Cencillo, LuisAsesoramiento filosófico: qué técnicas,qué filosofías. Tenerife, Ediciones Idea, 2005.Cómo Platón se vuelve terapeuta. Madrid,Syntagma Ediciones, 2002.

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LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

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L’enseignement de la philosophieà travers une enquête UNESCOauto-administrée via Internet(chapitre V)

Sites Internet

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http://eq4.fr/?r=C5818062-2A2B-4EBD-96CA-CAAFD453F5D6Exemple du Questionnaire en ligne del’UNESCO pour l’Étude sue l’état lieux del’enseignement de la philosophie dans lemonde. Exemple d’un URL de connexionau Questionnaire.

Point de vue

Havet Jacques (dir.), Tendances principalesde la recherche dans les Sciences socialeset humaines, Deuxième partie, Tomesecond. Paris - La Haye - New York,Moutan Éditeur/UNESCO, 1978. http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001374/137482fo.pdf

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ANNEXES

266

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Rapport du Directeur général sur uneStratégie intersectorielle concernant laphilosophie, 171 EX/12, Conseil exécutifde l’UNESCO. Paris, 2005.http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001452/145270f.pdf

Instauration d’une Journée mondiale de laphilosophie, 171 EX/48 Rev.,Conseil exécutif de l’UNESCO. Paris, 2005.http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001388/138818f.pdf

Actes de la Conférence générale del’UNESCO, vingt-huitième session, Paris,1995, vol. I : 28 C/Résolutions IV.5.4. http://unesdoc.unesco.org/images/0010/001018/101803f.pdf

Actes de la Conférence générale del’UNESCO, vingt-sixième session, Paris,1991, vol. I, 26 C/Résolutions V. D. i.http://unesdoc.unesco.org/images/0009/000904/090448f.pdf

Actes de la Conférence générale del’UNESCO, vingt et unième session,Belgrade, 1980, vol. I : 21 C/Résolutions3.3.01.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001140/114029f.pdf

Actes de la Conférence générale del’UNESCO, vingtième session, Belgrade,1978, vol. I 20 C/Résolutions 3/3.3/1.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001140/114032f.pdf

Actes de la Conférence générale del’UNESCO, sixième session, Paris, 1951, 6C/ Résolutions 4.41.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001145/114588f.pdf

Actes de la Conférence générale del'UNESCO, cinquième session, Florence,1950, 5 C/Résolutions 4.1212.

Conférences et réunions organiséespar l’UNESCO - comptes renduset interventions

Repenser l’enseignement de la philosophiedans le contexte de la mondialisation pourle dialogue des cultures et une paix univer-selle durable, Conférence internationalede philosophie. Dakar, 27-29 janvier 2006.Boccara Nadia, « Philosophie et dialogueinterculturel : voyage dans la mémoireentre philosophie et autobiographie »,texte de communication.Kaltchev Ivan, « La philosophie en tantqu’un facteur important de promotion dedialogue des cultures », texte de commu-nication.Kuçuradi Ioanna, « Teaching Philosophy inthe Context of Globalisation for PreventingCultural Confrontations and for theWorldwide Protection of Human Rights »,texte de communication.Sané Pierre, « La stratégie mondiale del’UNESCO pour le développement de l’en-seignement de la philosophie », texte decommunication.Spire Arnaud, « Philosophie : que devientl’exception française dans la mondialisation »,texte de communication.

Initiative de l’UNESCO pour la formationdes enseignants en Afrique subsaharienne,Réunion d’experts de haut niveau, rapport.Paris, UNESCO, 2005.http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001437/143738f.pdf

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Philosophy education for the newMillennium, 2ème conférence de l’APPEND,Chulalongkom University. Bangkok, 1998.

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Second Meeting of the UNESCO UniversalEthics Project. Naples, 1-4 décembre 1997. Kuçuradi Ioanna, « Reflections on theCondition of a Universals Ethics », texte de

Page 289: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

267

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

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Discours de Federico Mayor,Directeur général de l'UNESCO.http://unesdoc.unesco.org/images/0010/001001/100111f.pdf

Badawi Abdurrahmân, « L'enseignementde la philosophie dans l'université », textede communication, Meeting of Experts toTake Stock of the Situation in the ArabStates as Regards Teaching, Reflection andResearch in Philosophy. Marrakech, 1987.

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L’enseignement et la recherche philosophiqueen Afrique, Consultation d’experts.Nairobi, 24-27 juin 1980. Rapport final.Elungu Pene, « La philosophie au Zaïre »,texte de communication.Hountoundji Paulin, « Aspect et problèmede la philosophie en Afrique », texte decommunication.Dhingra Baldoon, L'enseignement de laphilosophie orientale : Laos, (mission)novembre 1965 - mai 1966. Paris,UNESCO, 1967.

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Delors Jacques, Vers l'éducation pour toustout au long de la vie. Paris, UNESCO, 2004.

Moris Edgar, Emilio Roger Ciurana et RualDomingo Motta, Éduquer pour l’ère plané-taire : la pensée complexe commeméthode d’apprentissage dans l’erreur etl’incertitude humaine. Paris, Ballard, 2003.

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Janicot Daniel, « Opening up the Horizonsof Reflections », in Philosophie: lettre d'in-formation de la Division de la philosophiede l'UNESCO, n° 7. Paris, UNESCO, avril1998.

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Khouri-Dagher Nadia, « Des enfantsà l'âge de raison », in UNESCO sources,n° 101. Paris, UNESCO, mai 1998.http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001123/112347f.pdf#113094

Poulain Jacques, Reconnaître le droit àl'éducation philosophique. Paris, UNESCO,1998.

Mayor Federico, « Philosophy Education:A Key to the Twenty-first Century »,in Philosophie : lettre d'information de laDivision de la philosophie de l'UNESCO, n° 5.Paris, UNESCO, mai 1997.

Droit Roger-Pol, Philosophie et démocratiedans le monde : une enquête de l'UNESCO.Paris, UNESCO, 1995.

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Page 290: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

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Étude sur l'apport des autres disciplinestelles que l'anthropologie, l'histoire,lasociologie, la philosophie, les sciences poli-tiques, l'économie et le droit internationalpublic au développement de l'étude et del'enseignement des relations internationales,Réunion internationale d'experts sur lestendances, l'évaluation et les perspectivesd'avenir de l'étude et l'enseignement desrelations internationales. Tunis, 1989.

Studies on Teaching and Research inPhilosophy throughout the World, 1 et 2.Paris, UNESCO, 1984 et 1986.

Chattopadhyaya D.P., « Philosophy in Asiaand the Pacific Region: Retrospective andProspect », in Teaching and Research inPhilosophy: Asia and the Pacific. 1986.

Elungu E. Pene et Fatma Haddad-Chamakh,La enseñanza, de la filosofía y la investigaciónfilosóficas en África. Paris, UNESCO, 1984.

Nasr Seyyed Hossein, « Un philosopheindépendant: par-delà les écoles et lescoteries, il instaure la libre réflexion », inLe Courrier de l'UNESCO : une fenêtreouverte sur le monde, XXVII, 6. Paris,UNESCO, 1974.

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Havet Jacques (dir.), Tendances principalesde la recherche dans les Sciences socialeset humaines, Deuxième partie, Tomesecond. Paris - La Haye - New York,Moutan Éditeur/UNESCO, 1978. http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001374/137482fo.pdf

Filliozat Jean, Report on an Enquiry by theInternational Council of Philosophy andHumanistic Studies on the Possibilities ofBroadening the Teaching of theHumanities. Paris, UNESCO, 1956.http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001428/142896eb.pdf

Enquête sur les possibilités d'élargissementde l'enseignement des humanités, ConseilInternational de la Philosophie et desSciences Humaines. Paris, UNESCO, 1955. http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001428/142894fb.pdf

Canguilhem Georges et al, L’enseignementde la philosophie : enquête internationale.Paris, UNESCO, 1953.

Enquête sur l’enseignement de la philosophie.UNESCO, Paris, 1952. Questionnaire adressé aux Commissionsnationales des pays ayant accepté departiciper à l'enquête.http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001270/127077fb.pdfCompte rendu général.http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001272/127226fb.pdf Déclaration commune des experts.

Sites Internet

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www.unesco.org/shs/fr/philosophyProgramme de philosophie de la Sectionsécurité humaine, démocratie et philosophie.UNESCO.

http://portal.unesco.org/education/Secteur de l’Éducation, site incluant lespublications de l’UNESCO en matièred’éducation. UNESCO.

http://unesdoc.unesco.org/ulis/fre/index.htmlDocuments et publications de l’UNESCO.

Page 291: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

269

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Partie introductive

CIPh Collège international de philosophie (France)

CIPSH Conseil international de la philosophie et des Sciences humaines

FISP Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie

IIP Institut International de Philosophie (France)

ONG Organisation non gouvernementale

Niveaux préscolaire et primaire (chapitre I)

ACER Australian Council for Education Research - Conseil australien pour la recherchesur l’éducation (Australie)

ACPC Austrian Center for Philosophy with Children and Youth - Centre autrichiende philosophie pour enfants et jeunes (Autriche)

APPEP Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (France)

Asbl Association sans but lucratif (Belgique)

CAPS Center for the Advancement of Philosophy in the Schools - Centre pour l’avancement de la philosophie dans les écoles (États-Unis d’Amérique)

CFP Centres de formation permanente (France)

CIREP Centro Interdisciplinare di Ricerca Educativa sul Pensiero - Centre interdisciplinaire pour la recherche éducative sur la pensée (Italie)

CPIE Centre for Philosophical Inquiry in Education - Centre pour la recherchephilosophique en éducation (Malaisie)

CRIF Centro di Ricerca per l'Insegnamento Filosofico - Centre de recherchesur l’enseignement de la philosophie (Italie)

CYP Children and Youth Philosophers Centre - Centre pour les enfantset les jeunes philosophes (Norvège)

DJFPK Deutsch-Japanische Forschungsinitiative zum Philosophieren mit Kindern - Initiative germano-japonaise pour la recherche en philosophie pour enfants (Allemagne / Japon)

DVP Discussion à visée philosophique

FAPCA Federation of Australasian Philosophy for Children Associations - Fédérationdes associations australasiennes de philosophie pour enfants (Australie)

FAPSA Federation of Australasian Philosophy in Schools Associations - Fédération des associations australasiennes pour la philosophie dans les écoles

GrupIREF Grup d’Innovació i Recerca per a l´Ensenyament de la Filosofia - Groupe d’innovation et de recherche pour l’enseignement de la philosophie (Espagne)

IAPC Institute for the Advancement of Philosophy for Children - Institutpour l’avancement de la philosophie pour enfants (États-Unis d’Amérique)

ICPIC International Council for Philosophical Inquiry with Children - Conseilinternational pour la recherche philosophique avec les enfants

Annexe 5 :Liste d’acronymes utilisés

Page 292: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

270

IRRE Istituto Regionale Ricerca Educativa - Institut régional de recherche éducative(Italie)

IUFM Instituts de formation des maîtres (France)

NAACI North Atlantic Association for Communities of Inquiry - Association Nord-atlantique pour les communautés de recherche

OFSTED Office for Standards in Education, Children’s Services and Skills - Bureau desnormes en éducation, services et aptitudes des enfants (Royaume-Uni)

PhARE Analyse, Recherche et Éducation en Philosophie pour enfants (Belgique)

P4C Philosophy for Children

PPE Philosophie Pour Enfants

SAPERE Society for Advancing Philosophical Enquiry and Reflection in Education - Société pour la promotion de la recherche et de la réflexion philosophiques en éducation (Royaume-Uni)

SEPFI Sociedad Española de Profesores de Filosofía de Instituto - Société espagnoledes professeurs de philosophie (Espagne)

SOPHIA European Foundation for the Advancement of Doing Philosophy with Children - Fondation européenne pour la promotion du philosopher avec les enfants

UNSW University of New South Wales - Université de Nouvelle Galles du Sud (Australie)

Niveau secondaire (chapitre II)

ACIREPH Association pour la création des Instituts de recherche sur l’enseignement de la philosophie

AIPPh Association internationale des professeurs de philosophie

BA Bachelor of Arts - Équivalent d’une Licence ou d’une Maîtrise selon les filières

CAES Certificat d'aptitude à l'enseignement secondaire (Sénégal)

CAPEN Certificat d’aptitude pédagogique de l’École Normale (Madagascar)

CAPES Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Congo / France / Niger / République centrafricaine)

CBC Ciclo Básico Común - Cycle commun de base (Argentine)

CEGEPS Collèges d'enseignement général et professionnel, Québec (Canada)

CONCYTEC Consejo Nacional de Ciencia y Tecnología - Conseil national de scienceet de technologie (Pérou)

ECTS European Credit Transfer System - Système européen de transfertet d'accumulation de crédits

EPS Espacio de reflexión sobre los saberes - Espace pour Penser les Savoirs (Uruguay)

FISP Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie

IFD Institutos de Formación Docente - Instituts de formation de professeurs (Uruguay)

ILFKP Istanbul Liseleri Felsefe Kulupleri Platformu - Plateforme des clubs philosophiquesdes lycées d'Istanbul (Turquie)

IPA Instituto de Profesores Artigas - Institut de formation de professeurs (Uruguay)

Page 293: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

271

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

IPO International Philosophy Olympiades - Olympiades internationales de philosophie

LCE Ley de Calidad de la Educación - Loi de Qualité de l'Éducation (Espagne)

LDB Lei de Diretrizes e Bases da Educação - Loi des Directives et Basesde l’Éducation (Brésil)

LOE Ley Orgánica de la Educación - Loi Organique sur l'Éducation (Espagne)

LOGSE Ley de Ordenación General del Sistema Educativo - Loi d'Aménagement Général du Système Éducatif (Espagne)

OC Option complémentaire (Suisse)

OEI Organización de Estados Iberoamericanos para la Educación, la Cienciay la Cultura - Organisation des États ibéro-américains pour l’éducation,la Science et la culture

OS Option spécifique (Suisse)

PGDE Postgraduate Diploma in Education - Diplôme postgraduate en éducation

PNEF Plan national d'éducation et de formation (Haïti)

RFA République fédérale d’Allemagne (ex-Allemagne de l’Ouest). Fondée en 1949et réunifiée à la République démocratique allemande (RDA) en 1990 (Allemagne)

RRM Règlement de reconnaissance des maturités (Suisse)

SFI Società Filosofica Italiana - Société philosophique italienne (Italie)

TM Travail de maturité (Suisse)

Niveau supérieur (chapitre III)

AIU Association internationale des Universités

BA Bachelor of Arts – Équivalent d’une Licence ou d’une Maîtrise selon les filières

CAPES Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (France)

CBC Ciclo Básico Común - Cycle commun de base (Argentine)

CEGEPS Collèges d'enseignement général et professionnel, Québec (Canada)

CILEA Consorzio Interuniversitario Lombardo per L'Elaborazione Automatica - Consortium interuniversitaire lombard pour l'élaboration automatique (Italie)

CIPSH Conseil international de la philosophie et des Sciences humaines

CNSLP Canadian National Site Licensing Project - Projet national canadien de licencesde sites (Canada)

CPGE Classes préparatoires aux grandes écoles (France)

CRKN Canadian Resource Knowledge Network - Réseau canadien de documentationpour la recherche (Canada)

DES Diplôme d’études supérieures (Liban)

ECTS European Credits Transfer System - Système européen de transfertet d'accumulation de crédits

ERASMUS European Region Action Scheme for the Mobility of University Students - Plan d'action régional européen pour la mobilité des étudiants d'université

Page 294: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

272

FISP Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie

CAPES Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior - Fondation pour la coordination de l’amélioration du personnel dans l’éducation supérieure(Brésil)

ICPR Indian Council of Philosophical Research - Conseil indien pour la recherche philosophique (Inde)

KERIS Korea Education and Research Information Service - Service coréen d'informationen éducation et recherche (République de Corée)

KESLI Korean Electronic Site Licensing Initiative - Initiative coréenne de licencesde sites électroniques (République de Corée)

MA Master of Arts - Master. Equivaut à un diplôme universitaire de 3ème cycle

NESLI-2 National Electronic Site Licensing Initiative - Initiative nationale de licences de sites électroniques (Royaume-Uni)

Réforme LMD Réforme Licence-Master-Doctorat (France)

SAPFI Asociación Argentina de Profesores de Filosofía - Association argentinedes professeurs de philosophie (Argentine)

SASLI South African Site Licensing Initiative – Initiative sud-africaine de licencesde sites (Afrique du Sud)

UBA Université de Buenos Aires (Argentine)

UE Union européenne

UI Université d’Indonésie (Indonésie)

UNICAMP Universidade Estadual de Campinas - Université d’État de Campinas (Brésil)

UQAM Université du Québec à Montréal (Canada)

Découvrir la philosophie autrement (chapitre IV)

CCPP Carroll-Cleveland Philosophers' Program - Programme philosophique Carroll-Cleveland (États-Unis d’Amérique)

CMSD Cleveland Municipal School District - District scolaire municipalede Cleveland (États-Unis d’Amérique)

IPO International Philosophy Olympiades - Olympiades internationales de philosophie

JCU John Carroll University - Université John Carroll (États-Unis d’Amérique)

NSPP Norwegian Society of Philosophical Practice – Société norvégienne de pratiquephilosophique (Norvège)

ONG Organisation non gouvernementale

Page 295: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

273

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Annexe 6 :Index des pays mentionnés

Afghanistanpages 204, 205 et 210

Afrique du Sudpages 42, 77, 106, 110, 124, 125, 204,205, 210, 213, 214 et 272

Albaniepage 132

Algériepages 52, 61, 86, 136, 137, 163, 204,205, 210, 211, 213, 246 et 260

Allemagne pages 29, 30, 40, 41, 60, 71, 86, 110,130, 131, 132, 161, 165, 204, 205, 210,213, 224, 245, 254, 257, 269 et 271

Andorrepages 132 et 207

Antigua-et-Barbudapages 207

Antilles néerlandaises204, 205, 207, 210 et 213

Arabie saouditepage 106

Argentinepages 33, 39, 52, 59, 60, 71, 105, 107,121, 122, 138, 182, 191, 204, 205, 210,213, 246, 258, 261, 262, 270, 271 et 272

Arméniepages 132, 204, 205, 210 et 213

Arubapage 207

Australiepages 38, 26, 27, 78, 118, 129, 130, 132,133, 166, 204, 205, 207, 210, 213, 245,257, 262, 269 et 270

Autrichepages 30, 59, 204, 205, 210, 211, 213,245, 257 et 269

Azerbaïdjanpage 132

Bahamaspage 207

Bahreïn pages 58, 204, 205, 210 et 213

Bangladeshpages 52, 59, 204, 205, 210 et 213

Barbade pages 139, 204, 205, 207, 210 et 213

Belaruspages 76, 133, 204, 205, 210 et 213

Belgiquepages 5, 31, 51, 52, 53, 54, 55, 71, 86,131, 132, 169, 204, 205, 210, 213, 245,246, 260, 269 et 270

Belizepages 204, 205, 210 et 213

Béninpages 81, 204, 205, 210 et 213

Bhoutanpages 107, 204, 205, 210 et 213

Boliviepages 61, 106, 116, 205, 207, 210 et 213

Bosnie-Herzégovinepage 132

Botswanapages 52, 55, 59, 124, 126, 204, 205,210 et 213

Brésilpages 33, 39, 51, 62, 74, 78, 110, 139,140, 166, 204, 205, 210, 213, 217, 245,246, 257, 258, 260, 261, 262, 271 et 272

Bulgariepages 58, 89, 132, 204, 205, 210 et 213

Burkina Fasopages 61, 71, 77, 106, 166, 204, 205,210, 213 et 246

Burundipages 61, 77, 106, 124, 126, 204, 205,210 et 213

Cambodgepages 51, 59, 108, 128, 204, 205, 210,213 et 217

Camerounpages 52, 75, 106, 125, 204, 205, 207,210 et 213

Canadapages 29, 31, 32, 39, 57, 58, 86, 101,102, 105, 110, 122, 140, 166, 205, 210,213, 245, 246, 257, 258, 260, 261, 262,270, 271 et 272

Page 296: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

274

Cap-Vertpage 207

Chilipages 39, 51, 53, 61, 122, 204, 205, 210,213 et 217

Chinepages 58, 76, 78, 114, 125, 129, 144,165, 204, 205, 207, 210, 213, 214 et 217

Chyprepages 61, 132, 204, 205, 210 et 213

Colombiepages 39, 40, 61, 69, 76, 107, 116, 138,204, 205, 207, 210, 213, 245 et 258

Comorespages 126 et 207

Congopages 59, 125, 204, 205, 210, 213 et 270

Costa Ricapages 39, 61, 138, 204, 205, 210, 213,262 et 263

Côte d'Ivoirepages 52, 58, 77, 125, 126, 204, 205,210 et 213

Croatiepages 58, 131, 132, 204, 205, 210 et 213

Cubapages 58 et 138

Danemarkpages 29, 58, 132, 182, 204, 205, 207,210 et 213

Dominique -pages 106 et 207

Égyptepages 87 et 137

El Salvadorpages 106, 122, 138, 204, 205, 210et 213

Émirats Arabes Unispages 106, 136, 204, 205, 210 et 213

Équateurpages 40, 61, 204, 205, 210 et 213

Espagnepages 30, 32, 33, 50, 53, 58, 62, 63, 66,71, 84, 130, 132, 156, 165, 182, 183,204, 205, 210, 213, 214, 245, 246, 257,258, 265, 269, 270 et 271

Estoniepages 55, 132, 133, 205, 210 et 213

États-Unis d'Amériquepages 16, 27, 29, 30, 32, 39, 77, 78, 105,128, 133, 134, 135, 139, 145, 184, 186,204, 205, 210, 213, 214, 245, 246, 247,257, 258, 262, 263, 265, 269 et 272

Éthiopiepages 55, 126, 204, 205, 210 et 213

ex-République yougoslave de Macédoinepages 132, 204, 205, 210 et 213

Fédération de Russiepages 51, 76, 107, 132, 133, 204, 205,207, 208, 210, 213 et 217

Fidjipages 204, 205, 210 et 213

Finlandepages 55, 59, 132, 204, 205, 210, 213,214 et 217

Francepages xii, 4, 5, 6, 9, 12, 16, 19, 25, 28,30, 33, 34, 63, 67, 68, 75, 82, 83, 85,105, 119, 121, 122, 126, 130, 132, 158,162, 163, 164, 165, 166, 168, 188, 189,204, 205, 210, 213, 214, 245, 246, 247,257, 258,260, 261, 265, 269, 270, 271et 272

Gabonpages 124, 125, 204, 205, 210 et 213

Géorgiepages 132, 204, 205, 210 et 213

Ghanapages 204, 205, 210, 213 et 217

Grenadepages 205, 207, 210 et 213

Grècepages xix, 61, 108, 110, 131, 132, 153,204, 205, 210 et 213

Guinée équatorialepage 125

Guatemalapages 39, 58, 71 et 138

Guyanapage 106

Haïtipages 61, 79, 81, 139, 204, 205, 210,213 et 271

Honduraspages 58, 61, 204, 205, 210 et 213

Hongriepages 58, 132, 204, 205, 210 et 213

Page 297: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

275

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Iles Caïmanespage 207

Iles Cookpage 207

Iles Marshallpages 106 et 207

Iles Salomonpage 207

Iles Vierges britanniquespage 207

Indepages 55, 83, 128, 129, 204, 205, 207,210, 213, 214, 262 et 272

Indonésiepages 83, 106, 204, 205, 210, 213 et 272

Iran, République islamique d'pages 58, 128, 204, 205, 210 et 213

Iraqpage 204, 205, 210 et 217

Irlandepages 51, 55, 106, 131, 132, 205, 207,210 et 213

Islandepages 58, 71, 132, 143, 204, 205, 207,210, 213 et 217

Israëlpages 59, 204, 205, 210 et 213

Italiepages 35, 36, 59, 63, 68, 69, 70, 108,110, 130, 132, 144, 182, 204, 205, 210,213, 245, 246, 258, 260, 261, 263, 269,270 et 271

Jamaïquepages 52, 204, 205, 210 et 213

Japonpages 30, 40, 41, 58, 82, 83, 127, 204,205, 210 213, 245, 259 et 269

Jordaniepages 76, 88, 106, 116, 118, 204, 205,210 et 213

Kazakhstanpages 208

Kenyapages xiii, 42, 124, 125, 204, 205, 210 et213

Kirghizistanpages 108, 128, 204, 205, 210 et 213

Kiribatipage 207

Koweïtpage 87

Lesothopages 59, 107, 124, 204, 205, 210 et 213

Lettoniepages 132, 204, 205, 210 et 213

Libanpages 71, 106, 137, 204, 205, 210, 213et 271

Liechtensteinpage 143

Lituaniepages 55, 108, 132, 204, 205, 210 et 213

Luxembourgpages 55, 132, 204, 205, 210 et 213

Macao, Chinepage 207

Madagascarpages 52, 59, 71, 125, 126, 204, 205,210, 213 et 270

Malaisiepages 41, 56, 245, 260 et 269

Malawipages 77, 125, 126, 205, 210, 213 et 262

Maldivespages 106 et 207

Malipages 77, 80, 81, 107, 124, 165, 204,205, 207, 210, 213 et 260

Maltepages 132, 204, 205, 208, 210 et 213

Marocpages xiii, 51, 62, 63, 64, 65, 66, 75, 76,136, 143, 204, 205, 210, 213, 246, 258,259, 260 et 261

Mauricepages 53, 58, 107, 119, 204, 205, 207,210 et 213

Mauritaniepages 119, 204, 205, 210, 213 et 217

Mexiquepages 29, 33, 39, 40, 58, 71, 79, 204,205, 210, 213, 214 et 245

Micronésie (États fédérés de)page 207

Monacopages 106, 204, 205, 207, 210 et 213

Page 298: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

ANNEXES

276

Mongoliepages 204, 205, 210 et 213

Monténégropages 132, 204, 205, 210 et 213

Myanmarpage 207

Namibiepages 126, 204, 205, 210 et 213

Naurupage 207

Népalpages 204, 205, 210 et 213

Nicaraguapages 39, 79, 138, 204, 205, 210 et 213

Nigerpages 52, 59, 77, 119, 124, 204, 205,210, 213 et 270

Nigériapages 42, 51, 124, 125, 204, 205, 207,210, 213 et 217

Niouépage 207

Norvègepages 17, 25, 36, 37, 55, 59, 132, 143,162, 165, 204, 205, 210, 213, 217, 245,246, 247, 258, 265, 269 et 272

Nouvelle-Zélandepages 52, 83, 129, 204, 205, 210, 213et 262

Omanpage 106

Ougandapages 106, 107, 119, 123, 126, 204, 205,210, 213 et 262

Ouzbékistanpages 76, 83, 128, 204, 205, 210 et 213

Pakistanpages 83 et 129

Palaospages 129 et 207

Panamapage 40

Paraguaypages 39, 53, 61, 79, 204, 205, 210et 213

Pays-Baspages 59, 131, 132, 166, 190, 204, 205,207, 210, 213, 246, 257 et 265

Péroupages xiii, 40, 53, 79, 80, 138, 204, 205,210, 213, 258, 260, 261 et 270

Philippinespages 127, 204, 205, 210, 213 et 245

Polognepages 59, 89, 132, 204, 205, 210, 213et 246

Portugalpages 58, 75, 118, 130, 132, 204, 205,210, 213 et 246

Qatarpage 88

République arabe syriennepages 204, 205, 210 et 213

République centrafricainepages 52, 58, 124, 125, 204, 205, 207,210, 213 et 270

République de Corée pages 55, 56, 110, 122, 127, 128, 141,147, 204, 205, 210, 213, 246, 260, 262et 272

République de Moldovapages 51, 61, 132, 133, 204, 205, 210et 213

République démocratique populaire laopages 128, 204, 205, 210 et 213

République dominicainepages 79, 245, 246 et 260

République tchèquepages 37, 38, 132, 205, 210, 213, 245et 258

Roumaniepages 58, 132, 204, 205, 210 et 213

Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d'Irlande du Nordpages 38, 51, 104, 110, 132, 134, 166,205, 210, 213, 217, 245, 262, 265, 270et 272

Rwandapages 61, 125, 126, 204, 205, 210 et 213

Saint-Kitts-et-Nevispage 207

Saint-Marinpage 207

Sainte-Luciepages 106 et 207

Page 299: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

277

LA PHILOSOPHIE, UNE ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

Saint Siègepage 132

Saint-Vincent-et-les Grenadines page 106 et 207

Samoapage 130

Sao Tomé-et-Principepage 207

Sénégalpages 58, 59, 81, 125, 204, 205, 210,213 et 270

Serbiepages 58, 132, 204, 205, 210 et 213

Seychellespages 106 et 207

Singapourpages 26 et 256

Slovaquiepages 132, 204, 205, 210 et 213

Slovéniepages 118, 132, 204, 205, 210, 213et 262

Soudanpages 88, 204, 205, 210, 213 et 214

Sri Lankapages 204, 205, 210 et 213

Suèdepages 130, 132, 204, 205, 207, 210et 213

Suissepages xix, 8, 72, 76, 77, 132, 204, 205,207, 210, 213, 245, 246, 259 et 271

Swazilandpage 126

Tadjikistanpage 208

Tchadpages 58 et 125

Thaïlandepages xiii, 58, 83, 128, 204, 205, 210,213 et 217

Timor-Leste pages 106 et 207

Togopages 204, 205, 207, 210 et 213

Trinité-et-Tobagopage 139

Tunisiepages 51, 84, 86, 87, 88, 118, 122, 136,141, 142, 143, 204, 205, 210, 213, 224,246, 260 et 262

Turquiepages 59, 76, 89, 90, 107, 122, 132, 143,204, 205, 208, 210, 213, 246, 261 et 270

Tuvalupage 207

Ukrainepages 122, 132, 204, 205, 210, 213 et 214

Uruguaypages 40, 55, 56, 57, 60, 71, 75, 80, 107,138, 191, 204, 205, 210, 213, 246, 259et 270

Vanuatupages 204, 205, 210 et 213

Venezuelapages 40, 61, 71, 80, 106, 122, 138, 204,205, 210, 213 et 224

Viet Nampages 106, 204, 205, 210, 213 et 217

Zambiepages 204, 205, 210 et 213

Zimbabwepages 61, 204, 205, 210 et 213

Les pays suivants n’ont pas été indexés, n’ayant pas répondu au Questionnaire envoyé parle Secrétariat de l’UNESCO et pour lesquels des informations supplémentaires concernantl’enseignement de la philosophie n’ont pas été trouvées. Il s’agit de :

Angola, Brunéi Darussalam, Djibouti, Erythrée, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Jamahiriyaarabe libyenne, Libéria, Mozambique, Palestine, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Républiquedémocratique du Congo, République populaire démocratique de Corée, République-Uniede Tanzanie, Sierra Leone, Somalie, Suriname, Tokélaou, Tonga, Turkménistan, Yémen.

Page 300: La philosophie une école de la liberté - UNESCO

Morceaux choisis…« L'impact de la philosophie sur les enfants pourrait ne pas être immédiatementapprécié, mais son impact sur les adultes de demain pourrait être tellementconsidérable qu'il nous amènerait certainement à nous étonner d'avoir refusé oumarginalisé la philosophie aux enfants jusqu'à ce jour. » (Chapitre I. La philosophie à l’âge de l’étonnement)

« La philosophie doit toujours être une autocritique de notre culture. Lorsque la cri-tique est dirigée vers l’extérieur, lorsqu’elle est utilisée pour opposer notre culture etnotre ethos à ceux des autres - quels que soient ces autres -, alors elle cessed’être un instrument d’ouverture critique pour devenir un moyen de retranchementculturel et un étai pour toutes sortes d’autoritarisme et de fanatisme. »(Chapitre II. La philosophie à l’âge du questionnement)

« L’éducation philosophique est toujours une critique des cultures. Lorsqu’elle veutêtre au service de la liberté, elle ne se propose pas de remplacer des contenuséthiques, culturels ou politiques par d’autres de la même nature, mais forme à unecritique serrée et radicale de tout corpus clos de croyances, de préceptes ou dedogmes. Lorsque l’éducation philosophique se réduit à un endoctrinement éthique,elle trahit alors sa fonction libératrice. C’est pourquoi l’enseignement de la philoso-phie reste le champ décisif d’une bataille entre savoir formel, avec la moralité libre etouverte qui l’accompagne, et savoir dogmatique assorti de moralisme autoritaire. »(Chapitre III. La philosophie dans le champ universitaire)

« La mort de la philosophie - si une telle mort est envisageable - réside en sonabsence de vie et de pluralité. Son essence repose fondamentalement sur l’altérité etsur l’accueil de l’autre et du différent, dans une constante remise en question. »(Chapitre IV. La philosophie dans la Cité)

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