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Universalis_Article publié par Encyclopaedia Universalis UNIVERSAUX, philosophie UNIVERSAUX, philosophie La question des universaux est posée (mais non résolue, par dessein exprès de l'auteur) dans l'Introduction ( Eisagogè) de Porphyre (iii s.) à la Logique d'Aristote : les genres et les espèces existent-ils réellement ou sont-ils de pures conceptions de l'esprit ? Par le biais de cet opuscule, connu des médiévaux dès le ix siècle, ceux-ci ont eu d'emblée quelque connaissance de l'un des points principaux de la métaphysique antique : l'opposition entre le platonisme et l'aristotélisme à propos de l'existence ou de l'inexistence des formes (ou idées). Mais, s'ils se sont saisis avidement de ce problème, ils l'ont traité de façons différentes selon les époques, selon le niveau et la nature des connaissances dont ils disposaient. À la fin du xi siècle, certains maîtres exposaient la dialectique in re, c'est- à-dire que pour eux les universaux étaient des choses ; d'autres, in voce : ils pensaient que c'étaient seulement des mots ; parmi ces derniers se trouve Roscelin, un des maîtres d'Abélard. Celui-ci, dans ses deuxièmes Gloses sur Porphyre, démontre que les universaux sont des mots (voces) : ils sont en effet des prédicats (dans des propositions du type : « Socrate est un homme »), et seul un mot peut l'être ; une chose, non (outre qu'une chose ne peut exister en d'autres, comme l'espèce dans les individus, ou le genre dans les espèces). Ses dernières Gloses préciseront sa doctrine, en distinguant le son (vox), qui est une chose, et la signification ; il dira alors que les universaux sont des mots (sermones), mais il ne variera jamais dans son refus d'y voir des choses : il est le premier grand représentant de ce qu'on appellera le nominalisme. À cette théorie appuyée sur la grammaire et la dialectique on peut opposer, au xii siècle encore, celle d'autres maîtres, tels que Bernard de Chartres ou Guillaume de Champeaux, pour qui les universaux existaient réellement (réalisme). Dans son Metalogicon (i, 17), Jean de Salisbury dresse la liste des doctrines des universaux soutenues jusque vers le milieu du siècle ; elles sont nombreuses, mal connues de nous, mais se ramènent pour la e e e e

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    UNIVERSAUX, philosophieUNIVERSAUX, philosophieLa question des universaux est pose (mais non rsolue, par desseinexprs de l'auteur) dans l'Introduction (Eisagog) de Porphyre (iii s.) laLogique d'Aristote : les genres et les espces existent-ils rellement ousont-ils de pures conceptions de l'esprit ? Par le biais de cet opuscule,connu des mdivaux ds le ix sicle, ceux-ci ont eu d'emble quelqueconnaissance de l'un des points principaux de la mtaphysique antique :l'opposition entre le platonisme et l'aristotlisme propos de l'existence oude l'inexistence des formes (ou ides). Mais, s'ils se sont saisis avidementde ce problme, ils l'ont trait de faons diffrentes selon les poques,selon le niveau et la nature des connaissances dont ils disposaient.

    la fin du xi sicle, certains matres exposaient la dialectique in re, c'est--dire que pour eux les universaux taient des choses ; d'autres, in voce :ils pensaient que c'taient seulement des mots ; parmi ces derniers setrouve Roscelin, un des matres d'Ablard. Celui-ci, dans ses deuximesGloses sur Porphyre, dmontre que les universaux sont des mots(voces) : ils sont en effet des prdicats (dans des propositions du type : Socrate est un homme ), et seul un mot peut l'tre ; une chose, non(outre qu'une chose ne peut exister en d'autres, comme l'espce dans lesindividus, ou le genre dans les espces). Ses dernires Glosesprciseront sa doctrine, en distinguant le son (vox), qui est une chose, etla signification ; il dira alors que les universaux sont des mots (sermones),mais il ne variera jamais dans son refus d'y voir des choses : il est lepremier grand reprsentant de ce qu'on appellera le nominalisme. cettethorie appuye sur la grammaire et la dialectique on peut opposer, auxii sicle encore, celle d'autres matres, tels que Bernard de Chartres ouGuillaume de Champeaux, pour qui les universaux existaient rellement(ralisme). Dans son Metalogicon (i, 17), Jean de Salisbury dresse la listedes doctrines des universaux soutenues jusque vers le milieu du sicle ;elles sont nombreuses, mal connues de nous, mais se ramnent pour la

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  • plupart l'un ou l'autre des deux grands courants qu'on a dits ; seloncertaines, en outre, les universaux sont des penses (intellectus).

    Par la suite, la problmatique volua ; l'tude de la question se fonde alorssur la connaissance de l'uvre entire d'Aristote, notamment de sapsychologie et de sa mtaphysique. Ainsi Thomas d'Aquin voit dans lesgenres et les espces des prdicables en tant qu'on les dit, qu'on lesattribue (aspect logique), et des universaux en tant qu'ils sont dansplusieurs sujets (aspect mtaphysique) ; disciple d'Aristote, il leur refusel'existence relle hors des choses d'o l'esprit les tire par abstraction. Onvoit que cette solution du problme est irrductible au nominalisme et auralisme des xi et xii sicles. De mme, quand le nominalismerapparatra au dbut du xiv sicle avec Guillaume d'Ockham, ce serasous un visage nouveau : critiquant comme ralistes les principalessolutions proposes en son temps, niant qu'aucun universel soit unesubstance existant hors de l'me , Guillaume pose que l'universel estune intention de l'me (intentio animae [conception]) apte tre attribue un grand nombre de sujets , ou, rciproquement, qu' une intention del'me est dite universelle parce qu'elle est un signe attribuable plusieurssujets ; et les mots sont subordonns cette intention. C'est ici leconcept de signe qui porte le poids de la doctrine : paralllement auxspculations sur la connaissance intellectuelle, l'analyse de la significationavait t longuement labore par les grammairiens et les logiciens, sibien que cette rsurgence du nominalisme nous ramne des conditionsmthodologiques voisines de celles du xii sicle, mais selon une sciencede contenu diffrent.

    Victor Cousin avait sans doute tort de faire de la question des universauxle fond de la pense philosophique mdivale ; il est vrai cependant qu'ytait plus ou moins clairement implique une problmatique qui, laboredans l'Antiquit grecque, est reste capitale pour la mtaphysiqueultrieure. Mais le Moyen ge l'a traite sa manire, en fonction dessciences qui chaque moment imprimaient un style particulier larflexion philosophique : ainsi les spculations sur le mode d'tre desgenres et des espces ne constituent ni l'essence ni la totalit de laphilosophie mdivale, mais, par leurs divers aspects, elles en exprimentfidlement l'allure et le devenir.

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  • Auteur: JEAN JOLIVETAbonnez-vous Encyclopaedia UniversalisCopyright Encyclopaedia Universalis