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1 LE SECRET DES AFFAIRES UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE Geace, Rie e Cfmié SOUS LA DIRETCION DE MONSIEUR PIERRE CHILES SOUS LA DIRECTION DE MONSIEUR PIERRE CHILES

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LE SECRET DESAFFAIRES

UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE

Gouvernance, Risques etConformité

SOUS LA DIRETCION DE MONSIEUR PIERRE CHILES

SOUS LA DIRECTION DE

MONSIEUR

PIERRE CHILES

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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n'engagent pas l'Université Clermont Auvergne.

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Remerciements

Préalablement à l’exposé de mon mémoire, je souhaite remercier vivement Monsieur Pierre CHILES, qui a su me proposer un sujet extrêmement intéressant et parfaitement en lien avec l’actualité et mon cursus. Son implication et sa promptitude à répondre à mes diverses demandes, malgré la situation complexe due au COVID-19 et la durée importante de ce travail, m’aura été d’une grande aide.

Je souhaite également remercier Monsieur Anthony MAYMONT et Monsieur Dominique ANDRIEUX, responsables du Diplôme universitaire « Gouvernance, risques, et

conformité » qui ont sut nous proposer à travers cette formation, une vision plus approfondie sur la Compliance.

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Sommaire

Introduction

Partie 1 - Le secret des affaires: Un principe reconnu seulement récemment

Chapitre 1 - La protection incomplète du secret des affaires par des outils de droit commun

• Section 1 - La répression par les outils du droit pénal général • Section 2 - La protection par les outils de droit civil

Chapitre 2 - La protection optimale du secret des affaires par des dispositions spécifiques

• Section 1 - Les sources dédiées à la protection du secret des affaires• Section 2 - Dispositions imposant la protection des secrets commerciaux

Partie 2 - Le secret des affaires: Un principe affaibli par ses conditions d’application

Chapitre 1 - Les conditions d’application du principe de secret des affaires• Section 1 - Contrôle préalable du juge pour s’assurer de la mise en oeuvre des

moyens de protection raisonnables• Section 2 - La protection du secret des affaires au cours de la procédure

Chapitre 2 - Les limites du principe de secret des affaires

• Section 1 - Une revendication parfois limitée

• Section 2 - Une source d’atteinte à la liberté d’expression

Conclusion

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Introduction

Pour étudier le secret des affaires, également appelé secret commercial, nous nous interrogerons tout d’abord sur ce qu’est le secret des affaires (§1), puis sur le

contexte de développement de celui ci (§2) et enfin, sur l’étendue de ce principe (§3).

§ 1 - Qu’est ce que le secret des affaires ?

Définition — Le secret des affaires est défini, en France, depuis la loi du 30 Juillet 2018. Pour qu’une information soit protégée, celle ci doit répondre à trois critères. En effet, l'article L151-1 du Code de commerce, affirme qu’une information est protégée dès lors qu’ « 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage

exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes

familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une

valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait

l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables,

compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. » 1

Distinction avec le droit de la propriété intellectuelle — Ce principe de protection des secrets commerciaux peut parfois être confondu avec un autre principe phare, celui de la protection par la propriété intellectuelle.Le droit de la propriété intellectuelle peut être défini comme un droit permettant à son titulaire d’exploiter certains biens immatériels. C’est un droit d’exclusivité, et de défense. Il est caractérisé principalement par le fait qu’il est un droit d’exploitation, d’exclusivité, et de défense.Le Code de la propriété intellectuelle offre la possibilité qu’une information soit protégée par le droit d’auteur, à condition que celle-ci soit formalisée et originale. Il permet ainsi d’assurer la protection des créations que l’on a effectuées et que l’on exploite. A contrario, et la grande différence qui distingue ces deux notions est le fait que le secret des affaires permet, quant à lui, la protection des données qui en principe ne sont pas censées être connues de personnes externes à l’entreprise, peu importe qu’elles en soient à l’origine ou non, et donc pas forcément formalisés.

Le secret des affaires a donc été récemment défini par le législateur français, notamment, parce que le contexte actuel, avec un fort développement de la numérisation, nécessitait une précision et un encadrement de cette notion.

Code de commerce - Article L151-11

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§ 2 - Le contexte de développement du principe de secret des affaires

Contexte de développement — Depuis la fin du XXème siècle, la numérisation est devenue l'environnement naturel de l'entreprise. Le développement technologique et l'utilisation de l'information vont de pair. L'informatique et les télécommunications offrent la possibilité de traiter, stocker et transmettre des informations. Ce développement technologique s'accompagne de changements sociologiques très importants.

En effet l’on assiste, et ce, de façon plus aigüe depuis 10 ans, à un développement incommensurable de l’internet, comme l’avait annoncé depuis une quarantaine d'années, le rapport public visionnaire: L'informatisation de la société publié en juin 1978 par Simon

Nora et Alain Minc . Ce réseau informatique mondial, constitué d'un ensemble de 2

réseaux nationaux, régionaux et privés a permis la publication, la recherche de contenus, la géolocalisation et les transferts de données à l’échelle mondiale .

A cela, s’ajoutent les nouvelles tendances sociétales, poussant les entreprises à la collaboration et les incitant à promouvoir le partage des données avec les employés, les clients, les partenaires et les sous-traitants. Cette nouvelle vision vient alors effacer totalement la vision privatiste fermée, née et développée par les plus grands groupes capitalistes. Ce type de partage d’informations, s’inscrivant dans une politique de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), est nécessaire au fonctionnement de l’entreprise, et a pour but de prôner l'exigence de transparence entre les producteurs et les consommateurs.

Toutefois, ce partage, peut aussi avoir des effets néfastes. En effet, avec le développement de l’internet, et le partage à haut débit, on assiste aussi à un développement sans précédent de la concurrence, et notamment de la concurrence au niveau international . Cette concurrence étant de plus en plus vive, les entreprises 3

doivent pouvoir conserver une partie de leurs projets secrets, car ceux-ci représentent des actifs immatériels précieux pour elles.

« La protection des actifs immatériels est la question du principe de précaution et d'un

vaste ensemble d'obligations légales. La protection du secret des affaires est l'une des

réponses possibles pour l'entreprise centrée sur la donnée. L'ère du big data annonce le

développement des techniques de marketing plus ciblées et l'exploitation des trésors

d'informations accessibles aux organisations. Le numérique favorise l'accès à

l'information, licite ou illicite. Ces données attirent des prédateurs qui n'hésitent pas à

s'en emparer.  » 4

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 22

« Droit de la concurrence », Mr Valette, Cours 2018-20193

Prec. 4

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C’est notamment le cas de Sony, qui fut l’objet d’ une attaque sans précédent en 2015, menant à l’indisponibilité de son service « Playstation Network » et au vol de millions de données privées concernant ses utilisateurs.

Afin de lutter contre ce risque récurrent, bon nombre d’entreprises sont obligées d’investir en cybersécurité, afin de protéger l'intégrité, la disponibilité et la confidentialité des données. « La protection du secret des affaires est la reconnaissance de l'importance

de la donnée pour les entreprises » .5

La numérisation étant devenue l'environnement naturel de l’entreprise, il était donc nécessaire, pour le législateur, de déterminer un cadre au secret des affaires, notamment en déterminant l’étendue de son application.

§ 3 - L’étendue du secret des affaires

Bilan de l’étendue du secret des affaires — Le secret commercial est donc un principe récent, garantissant aux entreprises que « Leur savoir-faire ou créations ont une valeur

commerciale, effective ou potentielle, et font l’objet de mesures de protection

raisonnables, et que celles-ci bénéficient de la protection visée par la loi  » comme

l’affirme Sabine Marcellin, Fondatrice du cabinet Aurore Legal, spécialisée en droit du numérique et cybersécurité.

Plan — Dans cette étude, nous nous intéresserons au récent encadrement législatif du

principe du secret des affaires (Partie 1), qui est un élément central permettant de délimiter le champ d’application de celui-ci, ainsi que de rebondir sur le second élément clef de cette étude constitué par les limites de son application, dues à ses conditions

d’utilisation et à ses risques d’atteinte (Partie 2).

Ces deux axes d’étude, nous permettront alors, d’avoir une vision de l’étendue du principe du secret des affaires, que ce soit au niveau législatif, ou au niveau de son aspect pratique, avec les effets, parfois néfastes, qui en découlent.

Prec5

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Partie 1 - Le secret des affaires: Un principe reconnu seulement récemment

La plupart des grandes entreprises multinationales disposent de ressources pour investir dans des processus de protection par brevet, qui peuvent parfois être longs et coûteux. A contrario, cela est rarement le cas pour les petites et moyennes entreprises (PME). Cependant, le recours aux secrets commerciaux est un processus relativement simple qui n'implique pas de frais d'enregistrement ou des procédures légales sans fin et qui peut apporter une réelle valeur ajoutée à l’entreprise.

Le principe de secret des affaires est donc un outil juridique, que toute société ayant des secrets commerciaux, peut invoquer, afin d’assurer la protection de ceux ci. Dans la pratique, celui ci est régulièrement invoqué afin de lutter, par exemple, contre le partage de données, exécuté par des pirates, suite à une attaque cybercriminelle . 6

Il est important, dans cette étude, d’évoquer le fait que ce principe fut reconnu en deux temps. Nous commencerons par l'étude des outils de droit commun, longtemps utilisés

afin de protéger les secrets commerciaux (Chapitre I). Ensuite nous étudierons les récentes dispositions spécifiques d’encadrement du principe de secret des affaires (Chapitre II), qui permettent de pallier les faiblesses du droit commun en permettant de couvrir un plus grand nombre de cas de figure.

OMPI Magazine - Le secret d’affaires : le droit de propriété intellectuelle caché sous le boisseau 6

- Décembre 2017

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Chapitre 1 - La protection incomplète du secret des affaires par des outils de droit commun

Avant la reconnaissance, par le droit français, du principe de secret des affaires, plusieurs branches de droit commun offraient des outils, plus ou moins efficaces, pour lutter contre les atteintes aux secrets commerciaux. Dans ce chapitre, nous traiterons uniquement des dispositions les plus importantes, laissant alors de côté certains textes très spécifiques ainsi que ceux pouvant mener à une confusion, tels que le droit de la propriété intellectuelle.

Plan — Nous aborderons en premier les outils mis en place par le droit pénal général

(Section 1) puis ceux issus du droit civil (Section 2).

Il s’agit notamment des deux sources de droit, qui, selon un panel d’individus interrogés, semble être, selon eux, les meilleurs moyens de compléter, à coté du principe de secret

des affaires, les secrets dits commerciaux. (Annexe N°1)

Section 1 - La répression par les outils du droit pénal général

Définition — Le droit pénal général peut être défini comme l'ensemble des règles de droit, communes à toutes les infractions et à toutes les peines et qui ont pour effet la mise en jeu de la responsabilité pénale .7

Plan — Le droit pénal général a permis d’assurer, d’une certaine façon, la protection des secrets commerciaux, notamment en réprimant toute atteinte pouvant avoir un effet sur le secret des affaires. Ainsi, en cas d’atteinte à ses intérêts, la victime peut tenter d’obtenir réparation sur différents fondements tels que le vol.

Donc, pour bien comprendre l’étendue de la protection offerte par le droit pénal, il

sera intéressant d’étudier, tout d’abord, les infractions applicables (§1), puis, ensuite, la

lutte contre la cybercriminalité (§2).

§ 1 - Les infractions applicables en cas d’atteinte au principe de secret des affaires

Plan — Le droit pénal général prévoit bon nombre d’infractions applicables en cas d’atteinte aux secrets des affaires. Nous écarterons certaines d’entres elles telle que l’abus de confiance, afin de nous concentrer uniquement sur les principales, c’est à dire,

dans un premier temps, le vol (A), puis, dans un second temps, le recel (B).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_pénal_général7

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A - Le vol

Définition — Le vol fait référence à une soustraction frauduleuse de la chose d’autrui . Il 8

est important de noter que cette notion est totalement différente de l’abus de confiance, qui se caractérise, lorsqu’une personne entrée en possession du bien de manière légitime, a, à partir de son utilisation et de son détournement, réalisé une infraction . 9

Plan — De manière générale, le vol est défini comme l’appropriation d’un bien physique. Il est possible de raisonner sur la base de cette infraction générale, pour essayer d’étendre et de l’appliquer aux biens immatériels, c’est à dire aux données d’une entreprise. Cependant, la reconnaissance du vol des données immatérielles a connu plusieurs difficultés.

Tout d’abord, il sera nécessaire d’étudier, la non-reconnaissance du vol de données sur la base de l’article 311-1 du Code pénal (1), et ensuite, la reconnaissance de

celui ci, par la jurisprudence (2).

1 - Non reconnaissance du vol de données sur la base de l’article 311-1 du Code pénal

On peut considérer qu’est un bien, une « des données personnelles» « un secret de

fabrique » « informations » au sens de l’Art 311-1 du Code pénal. L’aspect intéressant, en l’espèce, est de savoir s’il est possible de soustraire une donnée qui n’est pas matérielle.

Problème — Selon l'article 311-1, pour effectuer un vol, il faut constater une "soustraction

frauduleuse de la chose d’autrui  ». Cependant, il est difficile de définir cette notion de

«  soustraction  » en matière de données, car celles ci ne sont pas «  soustraites », mais copiées. Dès lors, dans ce cas, il paraissait alors plus opportun de se retourner vers une autre infraction: l’extraction. Celle ci est définie comme « tout acte non autorisé

d'appropriation et de diffusion au public de tout ou partie du contenu d'une base de données » . 10

En matière de bases de données, l’extraction est caractérisée, dès lors que la quantité extraite, dépasse le volume accordé par l’autorisation faite au préalable.

Cependant, un lourd débat entre les différentes chambres de la cour de cassation est venu écarter cette hypothèse, pour enfin reconnaitre la soustraction de bien immatériel, et donc reconnaitre le vol de données sur la base de l’article 311-1 du Code pénal.

Code pénal - Article 311-1 8

Code pénal - Article 314-19

CJCE, 9 Nov 2004, The british Horceracing Board Ltd e.a c/ 6 Hill Organization Ltd10

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2 - La reconnaissance du vol de données par la jurisprudence

La reconnaissance du vol de données par la jurisprudence a été initiée dès la fin des années 80.

Initiation de la reconnaissance — En effet, dans deux décisions de 1989, la chambre criminelle met en lumière le vol. La première, affirme que le vol de disquette, implique le vol du bien matériel, mais aussi celui des données contenues dans celui-ci. La seconde, reconnait que le vol de documents comptables afin de créer une société concurrente, implique le vol du bien matériel, mais aussi, encore une fois, l’appropriation des données comptables et commerciales qui se trouvent être juridiquement la propriété exclusive de l’entreprise . 11

Latence — Pendant plus de 35 ans, la jurisprudence n’a, alors, plus fait aucune référence à l’appropriation de bien immatériel sur le fondement du vol, laissant alors planer l’idée qu’aucune confirmation n’aura lieu, et faisant alors tomber dans l’oubli l’idée de consécration, un jour, du vol de données immatérielles sur le fondement de l’article 311-1 du Code pénal.

Consécration — En l’espèce, dans une décision du 20 mai 2015, un individu s’était introduit sur le site extra-net d’une grande agence administrative et en avait profité pour télécharger des données, pour ensuite les revendre. La cour de cassation décida alors de le condamner pour piratage et vol. Ainsi donc, pour la première fois, les juges du fonds ont reconnu explicitement le vol

d’informations, en affirmant que «  Le téléchargement, effectué sans le consentement de leur

propriétaire, de données que le prévenu savait protégées caractérise la soustraction frauduleuse

constitutive du vol » . 12

Confirmation — Depuis cette évolution jurisprudentielle majeure menant à la reconnaissance du vol de données, d’autres décisions similaires ont été prises, notamment l’une qui affirme que, le libre accès à des informations personnelles sur le réseau informatique d'une entreprise n'est pas exclusif de leur appropriation frauduleuse par tout moyen de reproduction, et condamne alors pour vol la personne qui télécharge des documents numérisés de l’entreprise sur une clé USB . Ainsi, même en l’absence 13

d’arrêt de principe clair sur cette règle, les données d’entreprise, sont protégées au titre du vol.

Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 1er mars 1989, 88-82.815,11

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 mai 2015, 14-81.33612

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 juin 2017, 16-81.113,13

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Il est donc possible d’avoir recours à la notion de vol pour réprimer les atteintes au secret des affaires. Mais, il est aussi possible d’invoquer une autre infraction: le recel.

B - Le recel

Définition — Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. Constitue également un recel, le fait, en connaissance de cause (élément intentionnel), de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit

. 14

Contexte — Par le passé, la cour de cassation, considérait qu'il n'était pas possible de

receler une information. Cependant, comme le relèvent, Sabine Marcelin et Thibaut du

Manoir de Juaye, dans leur ouvrage relatif au secret des affaires: “ les tribunaux se sont

finalement laissés convaincre et, depuis une décision de 2007, on peut considérer que le recel

d'information ou de secret est entré dans notre droit positif. Le dispositif de la décision ne prête pas

à confusion sur l'objet du recel: «Attendu que l'état de ces énonciations, dont il ne résulte que le

prévenu a été poursuivi pour avoir recélé aux fins de divulgation le contenu demeuré confidentiel

de pièces issues d'une information en cours, et dès lors qu'en tant que, dite poursuite était justifiée

par la protection des droits d'autrui au nombre desquels figure la présomption d'innocence par la

préservation des informations confidentielles, la cour d'appel a justifié sa décision ». Le contenu

des pièces est l'objet du recel, et ce contenu relève des informations confidentielles” .15

Éléments constitutifs — Le recel pour être caractérisé, doit répondre à deux conditions.

Il est d’abord nécessaire d’être face à un élément matériel, c’est-à-dire que le receleur détienne la chose ou en retire profit. Pour le recel de détention, l’article 321-1 alinéa 1, énumère plusieurs formes de détention telles que la dissimulation, la détention, ou encore la transmission . Il s’agit ici d’une 16

détention précaire de la chose, peu importe que le receleur l’ait reçue de l’auteur de l’infraction d’origine ou d’un tiers. Pour que le recel soit constitué il faut que l’auteur de l’infraction d’origine se soit débarrassé de la chose dans les mains d’une autre personne, mais il importe peu que ce soit la première personne à l’avoir détenue, la deuxième ou la troisième. Il n’y a pas d’ordre de priorité. Quant au recel par profit, l’infraction d’origine, quant à elle, n’a pas changé, c’est la forme matérielle du délit qui change. Par exemple, dans le passé, on a condamné pour recel

Code Pénal - Article 321-114

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 12615

Code Pénal - Article 321-1 alinéa 116

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celui qui avait reçu un paiement avec une somme d’argent qu’il savait provenir d’un vol . 17

Ensuite, pour caractériser le recel, il faut prouver l’élément intentionnel. C’est une

infraction intentionnelle car l’expression « en connaissance de cause », dans l’article précédemment évoqué, témoigne de la mauvaise foi. Il faut donc que l’agent ait conscience de détenir une chose qui provient d’une infraction et qu’il ait la volonté de poursuivre la détention. Cependant, un problème subsiste. En effet, dans la pratique, on se trouve face à un problème de preuve, même si celle-ci peut être rapportée par tout moyen. Dès lors, de nombreuses présomptions existent, par exemple, la dissimulation qui, elle, fait présumer de la mauvaise foi.

Recel et la liberté d’expression — Le délit de recel peut s'appliquer à toutes sortes de secrets. Le secret professionnel, le secret médical, ou encore les informations détenues par les journalistes, peuvent tomber sous le champ d'application du recel, du moment que les conditions, caractérisant l’infraction, sont remplies. Dès lors, certains corps de métier, comme celui de journaliste, ont vu, dans l'adoption d’un texte relatif au secret des affaires, une atteinte à leur liberté d’expression . 18

Comme le relèvent Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, dans leur ouvrage

relatif au secret des affaires: «  Suite à cela, la Cour de cassation, sous l'autorité du droit

européen, juge que la liberté d'expression peut être soumise à des restrictions nécessaires à la

protection de la sûreté publique et à la prévention des crimes, dans lesquelles s'inscrivent les

recherches mises en oeuvre pour interpeller une personne dangereuse » . 19

Le droit pénal prévoit donc plusieurs infractions, considérées comme des atteintes au secret des affaires et qu’il leur faudra réprimer. Mais, il vise aussi à lutter contre les moyens illicites d’appropriation, afin d’assurer la protection de ces secrets commerciaux.

§ 2 - La lutte contre la cybercriminalité: un moyen illicite d’appropriation

Contexte — L'accélération des changements liés au numérique a profondément changé la société et le comportement criminel. La numérisation de l’économie a entraîné de profonds changements dans l'utilisation de tous les secteurs. En effet, avec le développement d'Internet et des réseaux numériques, les délits économiques et financiers ont pris une dimension « cyber » .20

Ccass, crim, 4 juin 194217

Interview - Loi secret des affaires : une menace pour le droit à l’information.18

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 12819

Le Lamy droit pénal des affaires - Haritini MATSOPOULOU - Partie 6 - Chapitre 7 - Introduction 20

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Définition — La cybercriminalité est définie comme l'ensemble des actions illégales reposant sur l'utilisation des réseaux pour perpétrer crimes et délits (vol, rançonnage, usurpation d'identité, vente en ligne de produits illégaux, diffusion de contenus illicites).

Enjeux — Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, dans leur ouvrage relatif au secret des affaires, affirment que «  Les atteintes au système d'information représentent un

risque important pour les sociétés. Elles peuvent créer des dommages importants, voire amener

certaines entreprises à un dépôt de bilan. L'atteinte à la confidentialité des données représente l'un

des dommages parmi d’autres » . Il parait donc nécessaire d’étudier comment s’adaptent 21

les entreprises pour lutter contre ce risque, celui-ci pouvant notamment porter atteinte au secret des affaires.

Plan — Afin d’appréhender ce mode d’appropriation illégale d’informations, il sera

nécessaire d’étudier l’étendue de la cybercriminalité (A), ainsi que les sanctions qui en

découlent (B).

A - L’étendue de la cybercriminalité

Infraction en pleine croissance — La cybercriminalité est l'une des formes de criminalité dont la croissance est la plus rapide. La vitesse et la fonction de la technologie moderne, combinées à l'anonymat qu'elles permettent, contribuent à commettre de nombreux délits. La frontière entre la cybercriminalité et la criminalité "traditionnelle" devient de plus en plus floue, la menace de la criminalité est plus importante, les criminels utilisent Internet pour étendre la portée de leurs activités et trouver de nouveaux moyens et outils criminels .22

Domaine de cybercriminalité — Selon l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), les attaques cybercriminelles, ont principalement pour cible les secteurs d'activité d'importance vitale, tels que les banques, la santé, ou la recherche .23

Formes de cybercriminalité — Même si cela s’écarte de notre recherche, il parait important d’évoquer les différentes formes que peuvent prendre les attaques de pirates. Selon ANSSI, il existe trois grands types de cybercriminalité :Tout d’abord, les crimes et délits traditionnels, facilités par l’usage des nouvelles technologies telles que le blanchiment d’argent. Puis, les crimes et délits nouveaux, directement liés à l’usage des Technologies de l’Information et de la Communication,

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 13221

Institutions financières et cybercriminalité - Revue d'économie financière - 2015/4 (n° 120)22

Rapport sur la cybercriminalité - Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information - 23

2018

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�15

comme par exemple la falsification de carte bancaire, l’usurpation d’identité, le «phishing» (moyen pour obtenir des renseignements personnels) ou encore le

«carding» (vente illégale de numéros de carte bancaire). Enfin, le détournement des nouvelles technologies à des fins criminelles et terroristes, comme l’usage des téléphones portables pour déclencher des bombes artisanales. 24

But de la cybercriminalité — La cybercriminalité a pour but principal la prise de contrôle, à distance, du système informatique de la structure visée, notamment parce que, dans l’hypothèse d’une révélation publique d’un tel événement, l’atteinte à l’image et à la crédibilité est également préjudiciable à la victime . Cependant, il est aussi 25

important de relever que ces attaques sont dans l’ensemble, et de manière implicite, toutes facteurs de risque pour les secrets commerciaux.

Impact de la cybercriminalité — Selon, Haritini Matsopoulou, dans son ouvrage Le

Lamy droit pénal des affaires: « La cybercriminalité est devenue une menace majeure,

représentant une des formes de criminalité les plus coûteuses avec un ordre de grandeur de 0,5 %

du PIB mondial. La cybercriminalité est un risque important tant pour les particuliers que pour les

entreprises avec des conséquences financières des plus importantes. Le coût estimé d'une violation

de sécurité est en moyenne de plusieurs centaines de milliers d'euros pour une entreprise de taille

moyenne ; le préjudice moyen d'un détournement de données pour chaque entreprise victime est

évalué à plusieurs millions d’euros.

Dès 2015, Tracfin a repéré une réorientation des escroqueries FOVI (escroquerie aux Faux Ordres

de Virement) vers des PME et les comptables publics d'établissements de santé. Bien que les

statistiques de la police judiciaire fassent état d'un tassement du phénomène des FOVI depuis

quatre ans (près de 900 faits commis ou tentés lors du pic de 2014, contre 640 en 2016 et 430 en

2017), Tracfin ne constate pas de diminution sensible et reçoit depuis 2014 entre 70 et 120

signalements par an. Le préjudice cumulé selon l'OCRGDF était de 700 millions, pour des

tentatives se montant à 1,3 milliards. Pour les entreprises), le coût moyen d'un détournement de

données serait de l'ordre de 3,62 millions de dollars, avec un coût par enregistrement évalué à 141

dollars, sachant que ce coût est plus élevé pour les industries fortement réglementées. La

cybercriminalité aurait augmenté de 23 % en France en 2018, coûtant en moyenne 8,6 millions

d'euros par entreprise française et devrait coûter 4,6 milliards d'euros dans le monde dans les cinq

prochaines années.  »26

Rapport Cyber-conflits, quelques clés de compréhension - Philippe WOLF - 201124

Le Lamy droit pénal des affaires - Haritini MATSOPOULOU - Partie 6 - Chapitre 7 - Section 1 - 25

§1

Le Lamy droit pénal des affaires - Haritini MATSOPOULOU - Partie 6 - Chapitre 7 - Section 1 - 26

§1 - E)

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La cybercriminalité est donc, à l’heure actuelle, largement présente. Elle est source de nombreux maux pour de multiples entreprises, et représente, de manière implicite, un fort risque pour les secrets commerciaux détenus par celles-ci. Pour pallier à cela, il a été nécessaire de développer des moyens efficaces de répression contre cette infraction.

B - Répression de la cybercriminalité

Pour lutter efficacement contre la cybercriminalité, on dénombre plusieurs moyens qui varient selon la forme de l’attaque.

Atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données — Lorsque l’on est face à une atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD), tel que le piratage informatique à des fins financières, il est nécessaire de se référer aux articles 321-1 et aux suivants du Code pénal. Cet ensemble de dispositions a pour but de réprimer tous les actes de délinquance financière. Constitue alors, une atteinte au STAD, selon l’article 323-2, alinéa 1 du code pénal, le fait d'inonder un serveur de requêtes afin de provoquer sa paralysie .27

« Cyberisation » des infractions classiques — Avec l’essor du numérique, on assiste depuis plusieurs années à une « cyberisation » de bon nombre d’infractions, notamment le blanchiment et l’escroquerie.

Historiquement, en Europe, le blanchiment se faisait en ayant recours à des « blanchisseries », généralement des pressings, qui ajoutaient à leur chiffre d’affaire de l’argent sale, afin de le légaliser par la suite. Le même principe est repris en Amérique du sud, via des « Lavadoras », qui étaient des commerces offrants la vente de produits de luxe à très bas coûts.Toutefois, comme le souligne le Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), le risque de blanchiment s’est largement développé depuis la numérisation. En effet, l’apparition de crypto-monnaie mène à un réel risque en terme de blanchiment. Pour pallier à cela, l'article 324-1 du Code pénal définit de manière extrêmement vaste l'infraction de blanchiment, afin de pouvoir appréhender toutes les situations, et être toujours à jour, avec les nouveaux modes de blanchiment qui découlent de la numérisation . 28

Quant à l’escroquerie, selon l'enquête « Cadre de vie et sécurité (CVS) » de 2018, quatre fois sur cinq, la victime n'a pas rencontré physiquement l'auteur de l'escroquerie et, dans plus de la moitié des cas (51 %), le contact se fait par internet, ce qui est confirmé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

TGI Paris, 19 mai 2006, Gaz. Pal. 17 janv. 2007, som., p. 57327

Le Lamy droit pénal des affaires - Haritini MATSOPOULOU - Partie 6 - Chapitre 7 - Section 3 - 28

§2 - B)

Page 17: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�17

(DGCCRF) . Pour pallier à cela, l’article 313-1 du Code pénal prévoit de lourdes 29

sanctions.

La lutte contre la cybercriminalité est donc un enjeu important du droit pénal. Tout d’abord parce qu’elle permet de lutter contres des infractions précises, comme évoqué précédemment, mais aussi, parce que ce cadrage, permet ainsi d’éviter et de contenir le risque lié au secret des affaires.

Le droit pénal permet donc de compléter l’encadrement du principe de secret des affaires, en prévoyant divers moyens de protection afin de réprimer les atteintes. Pour autant, il n’est pas le seul, car le droit civil peut aussi être évoqué.

Section 2 - La protection par les outils de droit civil

Définition — Le droit civil peut être défini comme une branche du droit privé qui regroupe l'ensemble des règles de droit relatives aux biens, aux conventions et aux relations entre personnes physiques ou personnes morales (de droit privé), et des règles qui relèvent des juridictions civiles .30

Plan — Afin de compléter la répression offerte par les outils droit pénal général, il sera intéressant d’étudier certains moyens de protection apportés par le droit civil. Notamment en évoquant tout d’abord, les protections issues d’un fondement non contractuel (§1), et

ensuite, celles issues d’un fondement contractuel (§2).

§ 1 - Les protections issues d’un fondement non contractuel.

Plan — Le droit civil prévoit deux moyens de protection majeurs, en l’absence de fondement conventionnel : tout d’abord, la protection délictuelle basée sur l’article 1240

du Code civil (A), puis celle contre l’enrichissement injustifié (B).

A - La protection délictuelle basée sur l’article 1240 du Code civil

Comme l’affirme l’article 1240 du Code civil: tout fait fautif d’un homme, entraînant un préjudice pour autrui, oblige alors l’auteur de l’acte, à réparer les conséquences de

Le Lamy droit pénal des affaires - Haritini MATSOPOULOU - Partie 6 - Chapitre 7 - Section 3 - 29

§2 - A)

http://www.toupie.org/Dictionnaire/Droit_civil.htm30

Page 18: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

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son agissement . Selon la doctrine, la protection du secret des affaires, « intervient par le 31

biais de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires » . 32

Conditions — Afin de poursuivre sur le fondement de la responsabilité délictuelle, il est nécessaire de réunir trois conditions.

Tout d’abord, il faut nécessairement être en présence d’une faute, celle ci pouvant être intentionnelle ou non. Par exemple, peut constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité délictuelle d’un individu, le fait que celui ci ait imité la marque ou les produits de l’un de ses concurrents . 33

De plus, il faut que cette faute porte un préjudice à la victime, celui ci pouvant être économique, ou même moral. Par exemple, en cas de détournement de clientèle, les tribunaux peuvent alors octroyer des dommages et intérêts à la victime. Enfin, il est nécessaire qu’un lien de causalité existe entre la faute et le préjudice. Cela étant parfois difficile à prouver, notamment lorsqu’il faut démontrer que la perte de part de marché découle directement du détournement de clientèle faite par un concurrent, et dans ce cas les tribunaux acceptent alors très souvent le recours aux faisceaux d’indices

. 34

Ainsi, dans l’hypothèse où ces trois conditions sont remplies, la victime, par exemple une entreprise, pourra alors engager la responsabilité délictuelle du fautif, afin d’obtenir réparation. Parfois, dans une situation bien précise, la victime pourra aussi demander une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié.

B - Enrichissement injustifié

L'article 1303 alinéa 1 du Code civil, prévoit que: « Celui qui a bénéficié d'un

enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité

égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement » . 35

Il est possible d’envisager qu’une action en enrichissement injustifié puisse donc être utilisée afin de lutter contre l'appropriation indue de secrets d'affaires lorsqu'il n'y a pas de contrat antérieur entre les parties. Toutefois, il est nécessaire de mettre en lumière,

Code civil - Article 1240 31

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 15432

CA Paris, 20 décembre 198933

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 15634

Code civil - Article 1303 alinéa 135

Page 19: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�19

que la preuve de l'appauvrissement, imposée par l’article 1303 alinéa 2, sera difficile à apporter .36

Cela peut expliquer pourquoi ce concept fait défaut et qu’il est concurrencé par des fondements juridiques plus aisés à mettre en œuvre, tel que la protection issue d’une base contractuelle.

§ 2 - Les protections sur un fondement contractuel.

Plan — Il existe, en matière contractuelle, deux moyens efficaces de protection du secret des affaires. L’un est applicable en cours de relation entre les parties, c’est la clause de

confidentialité (A). Quant à l’autre, il s’applique, suite à la rupture de relation entre les

parties, c’est la clause de non concurrence (B). Toutefois, il sera nécessaire de relever

que, par moment, ces clauses peuvent avoir des limites (C).

A - La clause de confidentialité

Définition — La clause de confidentialité oblige son débiteur à ne pas divulguer à des tiers des informations dont il a eu connaissance lors de la négociation ou de l'exécution d’un contrat . 37

Contexte — Comme le relèvent, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, dans

leur ouvrage relatif au secret des affaires «  Un grand nombre d'intervenants extérieurs à

l'entreprise peuvent avoir accès à des informations sensibles. On peut ainsi citer les consultants, le

personnel en charge de l'entretien du bâtiment, les intérimaires, etc. Ou, certaines entreprises

omettant d'inclure dans les contrats avec leurs présidents des clauses de secret et de

confidentialité » . Dès lors, afin de limiter au maximum la fuite d’informations, il parait 38

primordial de mettre en place, dans le rapport contractuel, une clause de confidentialité.

Conditions de validité — La clause de confidentialité, doit répondre à certains critères. L’ensemble de ces critères, peut varier selon la personne concernée et sa fonction.

Tout d’abord, la clause doit nécessairement être proportionnelle entres les parties. Car, en cas de déséquilibre excessif dans la relation contractuelle, cela pourra alors être assimilé à une atteinte à la liberté d’expression.

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 15336

Lamy Droit économique - Muriel CHAGNY - Partie 4 - Titre 1 - Chapitre 4 - Section 2 - § 1 - A) 37

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 16038

Page 20: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�20

Ensuite, il faut définir les données qui sont confidentielles. Selon le doyen Cornu, une

information est dite confidentielle dès lors qu'elle est «communiquée à quelqu'un sous

l'interdiction pour celui-ci, de la révélation à quiconque, qu'elle soit livrée par écrit ou oralement

sous le sceau du secret ». Cependant, une difficulté subsiste pour les professionnels. Il 39

faut, en effet, définir en pratique et au cas par cas, l’information confidentielle. Il est alors nécessaire que chaque clause soit réalisée en fonction des informations à caractère concurrentiel auxquelles la personne pourra avoir accès .Puis, l’accord contractuel entres les parties doit définir, de manière explicite, les personnes tenues par la clause. En cas de personnes morales, il sera alors nécessaire de déterminer, au moyen de cette clause, quelles sont les personnes de l’entreprise qui pourront avoir accès à ces informations . 40

Enfin, la clause de confidentialité devra prévoir une durée. En effet, le devoir de confidentialité durera, en principe, aussi longtemps que l’engagement entre les parties. Ainsi, en cas de contrat à durée indéterminée, ce devoir durera alors, lui aussi, pendant une période indéterminée . 41

Sanctions en cas de manquement — En cas de non respect d’une clause de confidentialité, l’individu n’ayant pas respecté l’accord contractuel sera susceptible d’être condamné à des dommages et intérêts conformément à l’article 1142 du Code civil . De 42

plus, il arrive parfois que les rédacteurs de la clause aient aussi prévu que toute rupture de la clause de confidentialité mène à une sanction pécuniaire, et celle-ci doit alors être considérée comme une clause pénale . 43

La clause de confidentialité permet donc la protection des données sensibles lors de la relation contractuelle entre les parties. En cas de rupture de la relation, il sera alors nécessaire de se pencher sur la clause de non concurrence.

B - Clause de non concurrence

Définition — « La clause de non concurrence a pour objet d'interdire au salarié d'exercer une

activité professionnelle concurrente après la rupture de son contrat de travail » comme l’affirme

Le Lamy social rédigé par Alain Dupays . Ainsi, cette clause protège non pas la 44

divulgation du secret des affaires, mais uniquement son utilisation.

Vocabulaire juridique - Cornu - PUF - 201139

Lamy Droit économique - Muriel CHAGNY - Partie 4 - Titre 1 - Chapitre 4 - Section 2 40

Prec41

Code Civil - Article 114242

Clause de confidentialité - Revue Lamy Droit civil, Nº 139, 1er juillet 201643

Le Lamy social - Partie 1 - Titre 1 - Division 6 - Chapitre 2 - Section 1 44

Page 21: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�21

Conditions de validité — La clause de non-concurrence doit, pour être valable, obéir cumulativement aux trois conditions suivantes :

Tout d’abord, elle doit être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise. En effet, « l’entreprise doit être susceptible de subir un préjudice réel au cas où le salarié viendrait à exercer

son activité professionnelle dans une entreprise concurrente  » . La mise en place de cette 45

condition a donc pour but de pallier à la mise en place automatique des clauses de non-concurrence. Car, cela pourrait alors mener, pour certaines catégories de travailleurs, à une impossibilité de retrouver un travail par la suite. Ensuite, la clause doit être limitée dans le temps et l’espace. Ainsi, le champ d’application et la durée de l'interdiction dépendront donc de l'implantation de l'entreprise et de son échelle d’activité. La cour de cassation avait ainsi reconnu, par une décision, qu’une interdiction, appliquée sur l’ensemble du territoire français, était possible . 46

Enfin, elle doit nécessairement comporter une contrepartie pécuniaire pour l’ancien employé.

Sanctions en cas de manquement — De manière générale, si le salarié manque, après une rupture de son contrat de travail, même momentanée, à son obligation de non concurrence, il perd alors son droit à indemnités . De plus, dans certains cas, la 47

cessation de l’activité concurrentielle sera imposée au salarié n’ayant pas respecté la clause . 48

Dans certains autres cas, l’ancien employeur, pourra demander des dommages et intérêts aux fins de réparation du préjudice subi par la violation de la clause de non concurrence par le salarié . 49

Enfin, en présence d’une clause pénale, préalablement prévue par les parties lors de la rupture de la relation contractuelle, des dommages et intérêts pourront être versés en cas de violation d’une clause contractuelle, et ceci en vertu de cette même clause .50

C - Les limites de protection sur un fondement contractuel

Limites — Afin de faire face aux risques de divulgation des secrets, l'entreprise a donc soigneusement inséré des clauses de confidentialité et de non-concurrence dans ses contrats, afin de contraindre ses employés mais aussi tous ses partenaires.

Le Lamy social - Partie 1 - Titre 1 - Division 6 - Chapitre 2 - Section 1 - § 145

Cass. Com., 7 Nov 1984 JCP E 1985, II, 403546

Soc. 5 mai 2004, no 01-46.261 P : D. 2004. IR 1501)47

Soc. 29 mai 1990 : RJS 1990. 397, no 57348

La validité des clauses de non-concurrence, Céline Bondard, Février 201749

Soc. 5 juin 1996, no 92-42.298 P : D. 1997. Somm. 101, obs. Serra50

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�22

Ainsi, comme vu précédemment, le manquement à une telle clause menait à l’engagement de la responsabilité contractuelle de la personne, voire même parfois, à des sanctions pénales. En effet, comme le rapporte My-Kim Yang-Paya, Avocate associée Seban et Associés, dans son article Loi sur le secret des affaires : quel impact sur les

contrats  », il était nécessaire de mettre en place « une clause prévoyant les modes de

restitution des informations et la nécessité d’une attestation précisant que la personne ou

l’entreprise n’était plus en possession des informations ou de tous les éléments couverts par le

secret ». De tout cela, on déduit très largement que cette protection des secrets, n’est en

réalité que le fruit d’un aménagement contractuel permettant d’obtenir réparation seulement en cas de violation du secret des affaires et ce, durant un temps limité . . 51

Afin d’assurer une protection optimale du secret des affaires, et de reconnaître le secret comme principe, le législateur a donc décidé de mettre en place des dispositions spécifiques. Dès lors, le secret perdurera sans limite de temps et ne cessera que si les informations en cause sont devenues aisément accessibles..

Loi sur le secret des affaires : quel impact sur les contrats ?, RevueFrançaisedeComptabilité 51

Octobre2018 N°524, My-Kim Yang-Paya

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Chapitre 2 - La protection optimale du secret des affaires par des dispositions spécifiques

Les secrets commerciaux étaient donc protégés par différents outils de droit commun. Toutefois, ceux-ci étant parfois insuffisants, laissant alors de trop nombreux cas sans solution, il fut alors nécessaire afin d’assurer une protection optimale, de reconnaître pleinement le principe de secret des affaires, à travers des dispositions spécifiques.

Nous aborderons, dans un premier temps les sources dédiées à la protection du secret des affaires, que soit ce soit au plan international, européen, ou national (Section

1), puis, dans un second temps, nous verrons les textes qui imposent à certains acteurs

l’obligation de protéger les secrets commerciaux (Section 2).

Section 1 - Les sources dédiées à la protection du secret des affaires

Nous aborderons dans un premier temps la protection précoce faite au plan international (§1), puis la poursuite de celle ci au plan européen (§2), et enfin une

protection tardive sur le plan national (§3).

§1 - Une protection initiée sur le plan international

La protection du principe de secret des affaires fut initiée sur un plan international. En effet, au vu de l’essor de l’espionnage économique, contre lequel aucune entreprise ne peut prétendre être totalement immunisée, il était alors nécessaire de trouver une solution.

ADPIC — Le premier texte majeur, l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord ADPIC), de 1995, avait pour but d'intégrer les droits de propriété intellectuelle dans le système de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) . C’est notamment le cas de l’article 39 de l’ADPIC, qui organise la 52

protection des secrets des affaires, en invoquant notamment leur obtention, leur utilisation ou leur divulgation illicite par les tiers .53

Inspiration américaine — Mais cet accord, fortement inspiré des textes américains, tels que l’Uniform Trade Secret Act (UTSA) de 1979 ou encore l’Economic Espionnage Act de 1996 qui, aux Etats-Unis, ont prouvé leur efficacité, n’a pas trouvé grande application.

https://fr.wikipedia.org/wiki/52

Aspects_des_droits_de_propriété_intellectuelle_qui_touchent_au_commerce

Accord ADPIC de 1995, Partie 2, Section 7, Article 3953

Page 24: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�24

Effets — Tout d’abord, parce que la Cour de justice des communautés européennes a laissé le choix aux états membres d’appliquer ou non le dit accord . Mais aussi, parce 54

que l'accord n'impose aucune obligation aux États membres d'adopter des textes spécifiques, de sorte que le droit commun, comme les actions en concurrence déloyale, peut être considéré comme suffisant, Il ne fait aucun doute que c'est pourquoi la France ,comme d'autres pays, n'a pas trouvé souhaitable, sur le moment, de mettre en place des mesures spécifiques. . 55

Ainsi, malgré une volonté, au niveau international, de garantir la protection du secret des affaires, il était nécessaire de mettre en place, à une échelle plus restreinte, des directives précises, afin d’assurer la protection de ce principe.

§ 2 - La protection poursuivie sur le plan européen

Émergence — La reconnaissance du secret des affaires, a été poursuivie en Europe, avec l’émergence du « Test Hilti » issu de l’ordonnance du 4 avril 1990 . 56

Via cette procédure, le président doit vérifier, pour chaque document fourni, dans quelle mesure les préoccupations du demandeur causées par l’atteinte substantielle à ses intérêts commerciaux, sont coordonnées avec les préoccupations légitimes de l’intervenant, et il doit donc obtenir les informations nécessaires pour être pleinement en mesure de maintenir les propres intérêts de celui-ci . 57

Référence faite par la CJUE — De manière parallèle, il est important de notifier que, la

Cour de justice de l’Union Européenne, a fait du secret des affaires, « un principe général

du droit de l’Union, de sorte par exemple qu’en matière de concurrence, il peut conduire à limiter

la communication par la Commission européenne de documents à caractère confidentiel émanant

d’une entreprise aux autorités nationales ou à un tiers plaignant (CJCE, 24 juin 1986, aff. 53/85)"

comme le souligne Agnès Robin, Maître de conférences en Droit privé à l’Université de Montpellier, à travers l’une de ses notes relatives au secret des affaires .58

Tentative de définition — Parfois même, des tentatives de définition du concept de

secret des affaires voient le jour. Telle que celle qui affirme que « les secrets d’affaires sont

des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la transmission à un

CJCE, n° C-431/05, Arrêt de la Cour, Merck Genéricos - Produtos Farmacêuticos Ldª contre 54

Merck & Co. Inc. et Merck Sharp & Dohme Ldª, 11 septembre 2007

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 1355

Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-163.56

LPA 4 sept. 2017, n° 124c8, p. 2557

Revue Lamy Droit civil, Nº 144, 1er janvier 201758

Page 25: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�25

sujet de droit différent de celui qui a fourni l’autorisation peut gravement léser les intérêts de celui-

ci  » 59

Directive du 8 Juin 2016 — Ainsi, au vu de sa reconnaissance progressive de la notion, et afin d’harmoniser sa vision avec celle émise au niveau international, l’union européenne, émet, en s’appuyant sur l’accord ADPIC, une directive européenne le 8 Juin 2016. Cette directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation, et la divulgation illicite a pour but de maintenir la compétitivité entre l’ensemble des entreprises, permettant ainsi la sécurisation, l’innovation et le transfert de connaissances au sein du marché intérieur, mais elle a aussi pour but d’atténuer les disparités des niveaux de protection entres les Etats membres .60

Dès lors, l’article 2, de la directive, affirme que les informations sont protégées dès lors qu’elles: « (…) répondent à toutes les conditions suivantes: a) elles sont secrètes en ce sens que,

dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont

pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du

genre d'informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles, b) elles ont une valeur

commerciale parce qu'elles sont secrètes, c) elles ont fait l'objet, de la part de la personne qui en a

le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à

les garder secrètes » 61

Cette définition est basée sur la définition des "renseignements non divulgués" qui figure dans l'accord sur les ADPIC. De plus, nous pouvons constater que cet article fait référence au principe selon lequel l'appropriation illicite d'une information n'est sanctionnée que si l'entreprise a pris des mesures de protection destinées à la garder secrète, comme l’avait affirmé l'Economic Espionnage Act américain de 1996 62

Cet accord définit , certes, la notion de secret des affaires, mais il fait aussi la distinction entre les moyens licites et ceux illicites d’appropriation au sein des articles 3 et 4. Cette distinction est faite d’abord dans un but d’intelligibilité mais aussi pour donner des idées pratiques aux juges. De manière implicite, il est donc possible de prendre cette distinction et cette description comme un rappel à l’article 1, qui avait voulu affirmer que la protection du secret des affaires ne devait pas faire obstacle aux libertés et aux valeurs fondamentales de l’Union telles que la liberté d’expression. Dès lors, ces quatre premiers

TPICE, 18 sept. 1996, aff. T 353/94, Postbank c/Commission, Rec. II, p. 921, pt. 87 ; v. égal. 59

TPICE, 8 nov. 2011, aff. T-88/09, Idromacchine e.a. c/Commission, pt. 45).

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 1460

DIRECTIVE (UE) 2016/943 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 8 juin 2016, 61

Article 2

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 2062

Page 26: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�26

articles, pourraient être la vitrine d’un accord qui tend à la protection, tout en s’assurant de ne pas porter atteinte.

Cette ligne de conduite, européenne, fut alors la source de la protection du secret des affaires, au niveau de l’Etat Français.

§3 - La tardive protection sur le plan national

De nos jours, le secret des affaires est donc bel et bien reconnu et protégé en droit

français. Toutefois, ce ne fut pas toujours le cas. Avant la mise en place de la loi 30 Juillet 2018, issue de la transposition de la directive européenne du 8 Juin 2016, ce principe n’était pas reconnu, même si une proposition de loi en 2003 avait été déposée mais sans jamais avoir été inscrite à l’ordre du jour. Toutefois, de nombreuses références y étaient faites, que ce soit par le législateur, ou encore par les juges.

Référence — Depuis 1990, il est fait référence au secret des affaires dans pas loin de 306 textes, soit 14 lois, 8 ordonnances, 57 décrets et 227 arrêtés. 63

Mais c’est aussi le cas dans de nombreuses décisions, que ce soit celle de la cour de cassation qui affirme dans une décision de la seconde chambre civile, n° 95-21934 du 7 Janvier 1999 «  que le secret des affaires interdit au juge d'ordonner des mesures d'instruction qui

mettraient le demandeur à même de connaître les structures commerciales, les fournisseurs et les

clients d'un concurrent, et qu'en autorisant l'huissier à se faire remettre les documents

commerciaux » , ou bien celle du Conseil d’Etat, qui explique que « par suite les moyens 64

tirés de ce que les dispositions de cet alinéa porteraient atteinte au secret des affaires, à la

propriété intellectuelle et à l'égalité entre les candidats doivent être écartés » dans une décision du 5 mars 2003, n° 233372 . 65

Ebauche de la reconnaissance — La reconnaissance fut initiée grâce à l’article L. 463-4

du Code de commerce. En effet, celui-ci permet au «  rapporteur général de refuser à une

partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces

pièces mettant en jeu le secret des affaires d’autres personnes. Dans ce cas, une version non

confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles ». 66

Mais cette procédure, assez lourde, a provoqué quelques critiques. Car, même si les recours prévus à l'article L.464-7 du code pénal étaient exercés, la procédure ne s'appliquerait pas à la cour d'appel de Paris, du fait qu’elle n’est pas incluse dans la loi

de procédure civile. Afin de pallier à cela, et pour garantir une efficacité optimale, Claude

Le secret des affaires, LPA 4 sept. 2017, n° 124c8, p. 2563

Cassation, Chambre civile 2, du 7 janvier 1999, 95-21.934,64

4 Conseil d'Etat, Assemblée, du 5 mars 2003, 233372,

5 Code de commerce - Article L463-4

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�27

Mathon, avocat général, avait émis l’idée, à travers son article, que le traitement de ces procédures devrait être confié à un tribunal spécialisé dans le secret des affaires. Celui-ci protégerait alors la confidentialité de certains documents dans les archives, tout en respectant les droits des défenseurs, et en permettant un contrôle efficace et pragmatique de ces documents en traitant les litiges de manière équitable. Mais en l’absence de définition, la création d’une procédure civile adaptée restait impossible à concevoir. 67

Tentative de définition — Afin de pallier à ce problème, Jacques Urvoas, ancien garde

des Sceaux et ancien ministre de la Justice, sous les gouvernements de Manuel Valls et

de Bernard Cazeneuve affirme, alors qu’il préside la Commission des lois de l’Assemblée nationale, qu’ : « Est protégée au titre du secret des affaires, indépendamment de

son incorporation à un support, toute information ; 1. qui ne présente pas un caractère public en ce

qu’elle n’est pas, en elle-même ou dans l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou

aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant

habituellement de ce genre d’information ; 2. qui, notamment en ce qu’elle est dénuée de caractère

public, s’analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des

positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de

son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ; 3. qui fait l’objet de mesures de

protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en

conserver le caractère non public ». ‑ 68

Durée de transposition — L’article 288 du TFUE affirme que la directive prise au niveau européen est contraignante pour les pays qui en sont les destinataires. A la différence du règlement qui est applicable dans le droit national des pays de l’UE directement après son entrée en vigueur, la directive, elle, n’est pas directement applicable dans les pays de l’UE. Pour l’être, elle doit être transposée dans le droit national. Cette directive doit alors être transposée obligatoirement dans un délai fixé lors de son adoption, et qui, généralement est de deux ans. Ainsi, en cas d’absence de transposition, le pays peut se retrouver face à des poursuites par la Cour de justice de l’UE pour non-exécution . 69

Pour respecter cette disposition, il était nécessaire, pour l’état français, d’agir rapidement pour transposer la directive européenne, afin de ne pas se heurter à des poursuites pour non transposition.

Loi du 30 Juillet 2018 — La définition de Jacques Urvoas, sera donc par la suite reprise, que ce soit à travers le projet de loi dit Macron de 2015, ou à travers l’article 2 de la directive adoptée par le Parlement européen le 14 avril 2016, afin d’attendre la définition actuelle, issue de la transposition de la directive européenne du 8 Juin 2016.

Le secret des affaires, LPA 4 sept. 2017, n° 124c8, p. 25 67

� Prec68

Synthèse de l’article 288 du TFUE - EUR-Lex.com 69

Page 28: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�28

L’article 1er, de la loi du 30 juillet 2018, affirme que : "Est protégée au titre du secret des

affaires toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans

la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément

accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur

d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère

secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection

raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. » 70

Ainsi, la définition française reprend les trois critères nécessaires à la protection, émis par la directive européenne du 8 Juin 2016, tout en les modifiant légèrement afin de clarifier certaines notions.On peut alors déduire de cette définition, que les informations ne sont pas couvertes par le secret des affaires. Par exemple , lorsque dans le cadre de l’exercice de leur fonction , les représentants des salariés ont aussi la possibilité de révéler des informations couvertes par le secret des affaires, ou bien encore dans le but de faire cesser les atteintes à l’ordre public .71

Le législateur français, tout comme le législateur européen précédemment, fait aussi la distinction entre les moyens licites et ceux illicites d’appropriation, et fait aussi référence à la place primordiale qu’a, et que conserve, le principe de liberté d’expression. Cette distinction, et ce rappel fait par le législateur, ne sont pas anodins. En effet, peu de temps avant la transposition de la directive du 8 Juin 2016, de nombreux débats avait eu lieu,

notamment l’un initié par Elise Lucet, qui avait affirmé que cette loi était une menace pour les médias et qu’elle risquerait de déboucher sur un risque d’auto censure .72

En somme, le législateur français a repris et précisé certaines notions issues de la directive du 8 Juin 2016, tout en prenant en compte les craintes émises par certains contestataires. Toutefois, celui ci, a laissé certains points de côté, notamment les tentatives de pénalisation d’atteintes au secret des affaires. Mais cela peut s’expliquer notamment par le fait que le Droit pénal prévoit déjà un système de protection au principe de secret des affaires .73

Le principe de secret des affaires est donc, certes, protégé par des dispositions strictement relatives à celui-ci .Toutefois, d’autres dispositions imposent sa protection de manière détournée.

LOI n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, Article 170

Le concept juridique du secret des affaires, 05.12.18, Berthon & Associé 71

Interview - Loi secret des affaires : une menace pour le droit à l’information.72

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 5373

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Section 2 - Dispositions imposant la protection des secrets commerciaux

Le droit français, peut imposer, soit de manière légale soit de manière jurisprudentielle, que certaines personnes, au vu de leur profession, soient soumises à une obligation de protection des secrets commerciaux. Nous étudierons successivement

la protection du secret des affaires à la lumière du secret professionnel (§1) et à celle du

secret bancaire (§2).

§1 - La protection du secret des affaires à la lumière du secret professionnel

Définition — Le secret professionnel peut être défini comme l’interdiction faite à celui qui y est soumis de divulguer les informations dont il a été dépositaire.

Personnes concernées — Pour déterminer si une personne est considérée comme dépositaire ou non, d’informations soumises au secret professionnel, il est nécessaire de se référer aux textes qui les désignent. En effet, le législateur, à travers plusieurs lois, a déterminé ceux ci. Dès lors, par exemple, un avocat sera soumis à une obligation de secret professionnel , mais il y a aussi le cas des médecins , et de beaucoup d’autres 74 75

professions. On peut en déduire que cette obligation de secret professionnel découle très souvent du Code de déontologie propre à chaque profession.

Informations secrètes — Les informations secrètes concernées par le secret professionnel peuvent varier selon le type de métier. Dès lors, le secret professionnel s’étend à l'intégralité des informations recueillies, de manière directe ou indirecte. Par exemple, pour les médecins, ce sont les informations d'ordre médical ou privé concernant la personne soignée . La jurisprudence a donc déterminé que les 76

informations soumises au secret professionnel sont tout ce qui aura été appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de l’exercice professionnel .77

Sanction — En cas de non respect du principe de secret professionnel, le Code pénal,

prévoit à l’article 226-13 « La révélation d'une information à caractère secret par une personne

qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission

temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d’amende  » 78

Décret n°91-1197, 27 Nov 1991, Art 160 74

Code de la santé public, Article R.4127-4 75

Code de la santé public, Art R4127-376

Arrêt du 19 décembre 1885 de la chambre criminelle de la cour de cassation, affaire Watelet77

Code pénal, Article 226-1378

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Lien avec le secret des affaires — Lors de l’insertion du principe de secret professionnel en 1810 dans l’article 378, celui-ci faisait référence à des professions précises comme celle de médecin, de chirurgien, de dentiste et encore de bien d’autres

. Toutefois, depuis la mise en place du nouveau Code pénal, et l’insertion de l’article 79

relatif à la sanction en cas de non respect du secret professionnel précédemment cité, le législateur a opté pour la mise en place du terme « dépositaire ». Dès lors, ce principe de

secret s’éloigne des professions autrefois désignées et s’ouvre alors à une vision plus extensive. Donc, de manière implicite, on peut en déduire que ce principe pourrait alors venir compléter, enrichir, voire même parfois remplacer, le principe de secret des affaires.

Limites — On peut distinguer deux limites majeures à la protection par le secret professionnel.

Tout d’abord parce que, dans certains cas, le dépositaire a une obligation de divulgation de secrets professionnels. En effet, parfois, la loi peut lui imposer de faire part de certaines informations, notamment lorsque le dépositaire doit témoigner en matière criminelle et correctionnelle (CPP., art. 109) .80

Ensuite, on peut mettre en évidence une certaine incohérence entre le secret professionnel et le secret des affaires. Premièrement, du fait que le secret professionnel, est majoritairement traité sur le plan pénal, en invoquant la responsabilité pénale du dépositaire. Alors que, à contrario, le secret des affaires, quant à lui, fait référence à la protection des informations, quel que soit l’acteur. Dès lors «  Le secret professionnel  » au sens strict, vise à protéger la vie privée des personnes, alors que le secret des affaires est davantage axé sur la protection des informations d’une organisation.   81

Secondement, dans le cas particulier des avocats, le secret professionnel qui leur est reconnu assure une garantie optimale, voir même « débordante » pour leurs clients. En effet, quelle que soit la situation, ce secret permet la protection de l’ensemble des informations transmises en les qualifiant d’informations confidentielles. Ce secret professionnel peut alors, dans certains cas, venir perturber, voire même rendre impossibles, certaines phases d’instruction.

Le secret professionnel peut donc être lié au secret des affaires, permettant ainsi d’assurer une meilleure protection. Toutefois celui ci a des limites. De plus il ne sera pas le seul en jeu: en effet, le secret bancaire peut lui aussi être évoqué comme un élément complémentaire au secret des affaires.

Code pénal (ancien) - Article 37879

Le Lamy Fonction publique territoriale, Partie 6, Section 2, Sous section I, §4, B80

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 5981

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§ 2 - La protection du secret des affaires à la lumière du secret bancaire

Définition — Le secret bancaire, quant à lui, est défini comme, « l’obligation à laquelle est

tenu le personnel d’une banque de ne pas divulguer les informations détenues sur un client à

d’autres personnes que celles qui y sont autorisées par la loi  ». 82

Qui — Comme évoqué précédemment, ce secret s’impose au personnel bancaire, que ce soit aux dirigeants, ou aux salariés. Toutefois, celui ci s’applique aussi à des organes plus

particuliers, notamment aux établissements de crédit, c’est à dire « aux personnes morales

qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque  ». 83

Informations secrètes — Les textes légaux ne définissent pas les informations couvertes par le secret bancaire, de sorte que la jurisprudence a déterminé un certain nombre d'éléments. Il s'agit notamment d’informations confidentielles confiées, constatées, déduites ou apprises d'un tiers. En bref, il s'agit de toutes les informations obtenues par les établissements de crédit lors de la réalisation de leur travail ,informations suffisamment précises pour violer la confidentialité de la vie privée de leurs clients ou le principe de secret des affaires . Ce sont par exemple: le solde des 84

comptes, le montant de prêts consentis à un client, l’identité des mandataires, etc…

Sanction — Le secret bancaire, étant une obligation primordiale et indissociable de la profession de banquier, il en résulte que toute violation de celui ci entraine de sévères sanctions. En effet, toute personne physique, ou morale, qui ne respecte pas cette obligation, pourra alors voir sa responsabilité civile ou pénale engagée. A la suite de quoi, cette personne devra réparation du préjudice sous forme de dommages et intérêts. Enfin, il est nécessaire de rappeler, que des sanctions disciplinaires pourront aussi être mises en place par l’employeur.

Lien avec le secret des affaires - «  Le secret des affaires assure uniquement le respect de

l'intérêt légitime des entreprises à ce que les informations concernant leurs projets et réalisations

restent confidentielles. Quant à lui, le secret bancaire couvre les informations concernant les

clients, particuliers ou entreprises ou des tiers, dans leur intérêt propre.  » Le secret bancaire 85

est donc lié au principe de secret des affaires, de sorte que sur certains aspects, les deux sont indissociables et complémentaires.

https://banque-info.com/lexique-bancaires/secret-bancaire/82

Code monétaire et financier, L511-1 83

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 6584

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 6685

Page 32: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�32

Ainsi, le législateur, grâce à la mise en place de la loi du 30 juillet 2018, reconnaît pleinement le principe de secret des affaires. Il assure dorénavant que la confidentialité, permettant de protéger les secret commerciaux, perdure sans limite de temps. Toutefois, pour pouvoir bénéficier de cette confidentialité légale, l’entreprise doit répondre à des exigences posées par la loi .86

Loi sur le secret des affaires : quel impact sur les contrats ?, RevueFrançaisedeComptabilité 86

Octobre2018 N°524, My-Kim Yang-Paya

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Partie 2 - Le secret des affaires: Un principe affaibli par ses conditions d’application

Comme évoqué précédemment, le principe de secret des affaires est désormais encadré par des dispositions spécifiques. C’est un outil juridique stratégique qui assure la protection aux entreprises au moyen d’un processus relativement simple qui n'implique pas de frais d'enregistrement ou de procédures légales, à condition de respecter les prérogatives imposées par la loi.

Afin de prendre en compte toute l’étendue de ce principe, il est maintenant temps de

s’intéresser aux conditions d’applications du principe de secret des affaires (Chapitre 1),

et aussi de s’intéresser aux limites de celui-ci (Chapitre 2)

Page 34: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

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Chapitre 1 - Les conditions d’application du principe de secret des affaires

Malgré toutes ces précautions une entreprise peut, bien-sûr, voir certaines informations divulguées, ou être utilisées de manière illicite. Dans ce cas précis, la justice doit être saisie. Le juge, on le disait à l'instant, va d'abord estimer si l'entreprise a mis en œuvre les moyens de protection raisonnables pour sécuriser les informations stratégiques. Si c'est le cas, place à la procédure. Le juge va devoir s'assurer que le secret des affaires, ne soit pas mis en péril pendant le procès.

Plan — Nous aborderons, tout d’abord, le contrôle du juge pour s’assurer de la mise en oeuvre des moyens de protections raisonnables (Section 1), pour, ensuite, étudier la

protection du principe de secret des affaires lors du procès (Section 2)

Section 1 - Contrôle préalable du juge pour s’assurer de la mise en oeuvre des moyens de protection raisonnables

La loi française, du 30 Juillet 2018, prévoit des mesures qui permettront aux entreprises d’agir efficacement en cas d’atteinte à leurs secrets d’affaires. Pour invoquer le principe de secret des affaires en justice, elles devront prouver qu’elles ont mis en place, au préalable, un ensemble de dispositifs raisonnables destinés à garder leurs informations secrètes.

Plan — Une protection efficace pour une entreprise passe par plusieurs étapes. Tout

d’abord, nous étudierons l’identification des informations confidentielles (§1). Puis, nous

aborderons les moyens adaptés à la protection des informations (§2). Et enfin, nous

évoquerons l’absence d’informations complémentaires par le RGPD (§3).

§ 1 - L’identification précise des informations confidentielles

La loi fait référence au terme générique "information" dans son texte, de telle sorte que l'utilisation de ce terme n'impose aucune restriction aux objets à protéger. Par conséquent, les différentes informations que l'entreprise souhaite protéger peuvent être des savoir-faire, des informations commerciales ou des informations technologiques.

Caractéristiques de l’information confidentielle — La directive du 8 juin 2016 reprend la définition figurant à l'article 39 de l'accord ADPIC. Par conséquent, la nature secrète des informations vient du fait que les informations "généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ne leur sont pas aisément accessibles". Quant à la valeur commerciale de l'information, elle doit être comprise au sens large. En fait, la valeur commerciale peut être

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simplement qualifiée de "potentielle", de sorte qu'elle n'a pas nécessairement à être prouvée le jour de la mise en œuvre de la protection. .87

Ainsi, la valeur commerciale est réputée être acquise dès lors qu’une atteinte à son secret est susceptible de nuire, non seulement aux intérêts économiques de son détenteur, mais également à ses intérêts scientifiques et techniques .88

Mesures d’identification — Plusieurs techniques peuvent être utilisées pour déterminer des informations confidentielles.Tout d’abord, l’entreprise pourra faire un diagnostic d’identification des éléments sensibles de l’entreprise. Cela passera alors par un inventaire des informations (Exemple: fichiers clients, fichiers prospects, liste des fournisseurs), mais aussi par une analyse du schéma de fonctionnement de l’entreprise, ou encore par une cartographie des risques pour détecter les moments de vulnérabilité, métier par métier.Ensuite, à un niveau technique supérieur, il peut être judicieux de fournir des méthodes de traçabilité et de conservation des preuves pour formaliser et dater les informations confidentielles qui apparaissent . 89

Ainsi, dans l’hypothèse où l’entreprise a réussi à identifier, de manière précise, ses informations confidentielles, elle devra alors mettre en place des moyens de protection raisonnable afin de garantir leur sécurité.

§ 2 - La mise en place de moyens de protection raisonnable

Plan — Afin d’étudier de manière complète la notion de «  moyen de protection raisonnable » , il sera intéressant d’étudier dans un premier temps cette notion de façon théorique (A), et par la suite de voir comment cela est mis en pratique par l’entreprise (B).

A - La notion théorique de « moyen de protection raisonnable »

Pour revendiquer la protection de leurs informations, les entreprises doivent, pour se défendre sur le fondement du principe de secret des affaires, justifier de la mise en place de « mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver

Directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016, Considérant 1487

Bientôt, le secret des affaires sera protégé, Editions Francis Lefebvre, Alexis Vichnievsky, La 88

Quotidienne 05/09/2016

Présentation de la loi sur le secret des affaires et réflexions pratiques, Valérie Morales, Hebdo 89

édition affaires n°587 du 21 mars 2019 : Affaires

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�36

le caractère secret » . Il n’est donc pas suffisant que les informations soient secrètes et 90

aient une valeur commerciale .91

A travers cette loi, le législateur n’indique pas, de manière prédéfinie, les mesures nécessaires à mettre en place. En effet, l’article L. 151-1 du Code de commerce, ne donne pas d’exemples de mesures pouvant être mises en place par les entreprises. Le recours à la notion de « raisonnable » dans le texte, laisse donc alors suggérer que le choix des mesures est totalement laissé aux entreprises, selon leurs moyens et leurs besoins.

Comme l’évoque Jean-Baptiste Thiénot, Avocat, dans son article La nouvelle protection du secret des affaires « Le Sénat a estimé qu’une telle disposition était non seulement

inutile, mais aussi source d’insécurité juridique en pouvant laisser croire que, dans tous les

cas, la simple apposition de la mention sur un document écrit suffirait à justifier devant un

juge que des mesures raisonnables de protection du secret avaient été prise » .92

En conséquence, les entreprises sont libres de prendre les mesures de protection qu'elles jugent les mieux adaptées à leur situation. Ces mesures peuvent être matérielles, légales, et inclure une formation pour accroître la sensibilisation des employés de l’entreprise à la confidentialité.

B - La mise en place de mesures de protections raisonnables

Plan — En pratique, la façon qui semble la plus évidente pour protéger des informations confidentielles réside dans l’organisation interne de l’entreprise. Tout d’abord, il semble

nécessaire de recourir à des clauses contractuelles (1). Par la suite, l’entreprise devra mettre en place des moyens matériels de protection, et nous étudierons alors, de manière approfondie, l’une d’entres elles: le cryptage (2). Enfin, nous étudierons la protection par

la formation (3).

1 - Le recours indispensable aux clauses contractuelles

Malgré la reconnaissance du principe de secret des affaires, les clauses contractuelles restent indispensables à une protection optimale des biens immatériels d’une entreprise.

Code de commerce - L. 151-190

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES, JEAN-BAPTISTE THIÉNOT, Droit et 91

Patrimoine, Nº 286, 1er décembre 2018

Prec92

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En effet, il est recommandé que l'entreprise intègre systématiquement dans ses divers contrats avec des partenaires commerciaux ou des sous-traitants, mais aussi dans des contrats de travail et des accords de stage: des clauses de confidentialité, des clauses de restitution des données confidentielles et des clauses de non-concurrence . 93

Caractéristiques — Pour être efficace et assurer une protection optimale, il est important que les clauses contractuelles contiennent certaines obligations.Premièrement, elles doivent impérativement rappeler à la personne soumise à cette clause son impossibilité de communiquer les secrets, savoir-faire ou autres informations commerciales à des tiers.Ensuite, elles doivent rappeler à l'individu son impossibilité d’exploiter personnellement les informations susmentionnées pour toute activité.Enfin, dans le cas de la signature d'un contrat de travail, il convient de préciser qui est responsable du "contrôle de la confidentialité",ce qui est le critère primordial pour en être considéré comme le détenteur légitime .94

Remarque — En l'absence d'un accord de confidentialité formel, dans certains cas, il peut être possible de s'appuyer sur des obligations de confidentialité implicites, telle que l’obligation de loyauté imposée aux employés.

Les clauses contractuelles permettent donc d’assurer une protection aux informations d’une entreprise. Toutefois, d’autres moyens matériels peuvent être mis en place par l’entreprise, par exemple: le cryptage.

2 - Le recours au cryptage

Définition — Le cryptage peut être défini comme une opération par laquelle un message est rendu inintelligible pour quiconque ne possède pas la clé permettant d’en retrouver la forme initiale . 95

Contexte — Le « cryptage », également appelé « chiffrement », est considéré comme un outil à double usage, civil et militaire. Dès lors, les utilisations, l’importation et l’ exportation de celui-ci sont contrôlées par des obligations de déclaration, voire d’autorisation .96

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES, JEAN-BAPTISTE THIÉNOT, Droit et 93

Patrimoine, Nº 286, 1er décembre 2018

Prec94

Petit Robert, Edition 201995

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 26396

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Plan — Afin d’étudier la protection par le cryptage, il est nécessaire d’étudier, dans un

premier temps, les dispositions relatives au cryptage (a), et dans un second temps, la

mise en pratique de celui-ci (b).

a - Les dispositions entourant la notion de cryptage

Le mécanisme de cryptage, permettant une protection du secret des affaires, est soumis à diverses dispositions, ayant pour but d’encadrer au mieux cette notion.

Lorsque la fourniture, l'importation et l'exportation de produits de cryptologie ne sont pas destinées à la confidentialité, mais à des fins de signature et d'authentification, ces actions sont alors libres, en droit français .97

Lorsque ces produits sont susceptibles d’être transmis en Europe, alors ceux ci sont très souvent soumis à l'arrangement de Wassenaar concernant le contrôle des exportations d'armes conventionnelles ainsi que celui des biens et technologies à double usage. L’exportation des produits de chiffrement nécessite alors une licence, mais pas celle des produits de chiffrement symétrique jusqu'à 56 bits ni celle des autres produits de chiffrement ne dépassant pas 512 bits . 98

A contrario, en présence de cryptologie destinée à la confidentialité, alors, de nombreuses conditions doivent être remplies pour assurer le déchiffrement. Par exemple,

comme l’affirment Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, dans leur ouvrage

relatif au secret des affaires « L'article 36 de la LCEN prévoit une procédure de communication

et de saisie des moyens de cryptologie. Cette saisie est possible, par les agents habilités par le

Premier ministre, sur autorisation et sous contrôle judiciaire donnés par ordonnance du président

du tribunal de grande instance, préalablement saisis par le procureur de la République par

demande motivée. Tout obstacle au déroulement de ces enquêtes est sanctionné par une peine de six

mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende. S'il s'agit d'une personne morale, l'amende pourra

être quintuplée. » 99

Le mécanisme de cryptage est un donc un moyen de protection du secret des affaires très encadré. Mais comment s’applique t’il dans la pratique ?

b - L’application en pratique du cryptage

La cryptographie fonctionne de la manière suivante: c'est une procédure de chiffrement algorithmique de l'information obtenu à l'aide d'une clef de chiffrement, et ce

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 26297

Accord Wassenaar - 12 Mai 199698

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 26399

Page 39: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�39

chiffrement rend alors le message incompréhensible. Ainsi, seule la personne autorisée qui détient la clef du déchiffrement, peut déchiffrer le message. On distingue deux techniques différentes mettant en œuvre ce chiffrement. Soit l’on est en présence de «  cryptographie symétrique  », et donc, une même clef permet le chiffrement et le déchiffrement, cette clef devant alors être partagée. Soit l’on est en présence de «  cryptographie asymétrique » et dans ce cas ,il existe deux clefs : l’une dite « publique » qui permet à l’émetteur de crypter le message, et l’autre dite « privée », permettant au destinataire de décrypter le chiffrement . Ces deux techniques de cryptage ne sont 100

toutefois pas égales. En effet, la « cryptographie symétrique » peut se trouver face à un risque, notamment du fait qu’une unique clef permet le chiffrement et le déchiffrement. Pour éviter cela, il paraît alors nécessaire de changer régulièrement la clef.

En pratique, par exemple lors d'un voyage à l'étranger, des terminaux mobiles étant susceptibles de contenir des dispositifs de chiffrement pouvant être utilisés , ceux-ci pourront faire l'objet de contrôles lors du passage à la frontière de certains pays. Afin d'assurer la protection des informations confidentielles, et pour éviter de devoir fournir à l’autorité de contrôle du pays étranger la clef de chiffrement, il sera préférable de rechercher d'autres moyens de transfert des données confidentielles, par exemple, le recours à un accès distant aux données par un ordinateur sécurisé et l’usage d’ un réseau privé virtuel (VPN) . 101

Le numérique permet donc d’assurer une protection matérielle aux informations d’une entreprise, en ayant, par exemple ,recours au cryptage. Toutefois, la protection peut aussi se faire en amont, notamment par la formation et la sensibilisation des employés.

3 - Le recours à la formation

“La formation dans le domaine de la sécurité l'information sur les modes de prévention,

visant à impliquer et responsabiliser les personnes formées. Il s'agit de montrer, par des

explications théoriques ou des exemples, la légitimité des précautions à prendre en matière de

sécurité. Outre l'intérêt de la transmission des connaissances auprès du public concerné, la

formation peut contribuer à limiter les risques générés par les utilisateurs et à prouver que

l'établissement concerné a mis en oeuvre les moyens de renforcer la sécurité.” comme le

rappellent Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, dans leur ouvrage relatif au secret des affaires . 102

Le Lamy droit du numérique (Guide) - Lionel Costes - Partie 6 - Titre 1 - Chapitre 1 - Section 3 100

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 264101

Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019, p 295102

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Au cours de leur carrière, de nombreux employés reçoivent une formation sur la sécurité de l'information, ce qui leur permet d’apprendre et/ou de mettre à jour leurs connaissances. Les méthodes utilisées peuvent être basées sur des outils de formation conventionnels tels que des cours en présentiel ou sur l'utilisation de supports de communication. Afin de maintenir l'efficacité des processus de formation et de sensibilisation à la sécurité de l’information, des formations doivent être organisées régulièrement pour couvrir les risques, les solutions, les changements réglementaires, et prendre en compte les nouveaux salariés . 103

Le secret des affaires peut être défendu en passant par l’apprentissage, notamment en formant et sensibilisant les salariés en « contact » avec ce secret.

§ 3 - L’absence d’informations complémentaires par le RGPD

L’approche relative à la protection de ces données confidentielles n’est pas une démarche éloignée de celle instituée par le RGPD.

Toutefois, une différence subsiste. En effet, le RGPD protège les données des tiers strictement désignées par la loi. Or, a contrario, ce besoin d’identification préalable des secrets de l’entreprise, varie selon les entreprises auxquelles il appartient de désigner conformément à ses besoins, ce qui est confidentiel ou non.Par conséquent, le RGPD ne fournira pas d'autres informations, mais afin d'améliorer l'efficacité opérationnelle, les politiques de protection des données personnelles peuvent devenir la source d'inspiration pour la sécurité des secrets d’affaires, notamment en désignant par exemple un seul et même délégué à la protection des données .104

Le juge, on le disait à l'instant, va d'abord estimer si l'entreprise a mis en œuvre les moyens de protection raisonnable pour sécuriser les informations stratégiques. Si c'est le cas, place à la procédure. Le juge va devoir s'assurer que le secret des affaires, ne soit pas mis en péril pendant le procès.

Section 2 - La protection du secret des affaires au cours de la procédure

Plan - Afin de s’assurer que le principe de secret des affaires ne soit pas mis en péril pendant le procès, le juge va, dans un premier temps, mettre en place des moyens de protection (§ 1), puis dans un second temps, venir sanctionner les manquements (§ 2).

Le Lamy droit du numérique, Michel Vivant, Partie 2, Division 2, Chapitre 1103

https://www.village-justice.com/articles/secret-des-affaires-une-protection-juridique-des-104

donnees-strategiques,29154.html

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§ 1 - Les mesures de protection du secret des affaires pendant le procès

Contexte — La possibilité que les secrets commerciaux perdent leur caractère confidentiel lors d’une procédure contentieuse décourage souvent les détenteurs légitimes de secrets commerciaux d’engager des poursuites. Afin de pallier à cela, des règles procédurales de réservation du secret des affaires dans le cadre d’une instance judiciaire doivent être établies.

Plan — On distingue deux règles majeures permettant la conservation du caractère confidentiel d’un secret d’affaire dans le cadre d’une instance. Nous étudierons tout

d’abord, la protection des pièces communiquées en cours d’instance (A), puis, nous

évoquerons l’obligation de confidentialité des intervenants (B).

A - Protection des pièces communiquées en cours d’instance

Contexte — En cas de mesure d’instruction sollicitée lors du procès où est demandée la communication d’une pièce pouvant porter atteinte au secret des affaires, le juge pourra, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers et à condition que ce secret ne puisse pas être assuré autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, mettre en place plusieurs mesures afin de veiller à la conservation du caractère confidentiel de la pièce .105

Mesures — Selon l’article L. 153-1 du Code de commerce, le juge pourra « 1° Prendre

connaissance seul de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter

l'avis, pour chacune des parties, d'une personne habilitée à l'assister ou la représenter, afin de

décider s'il y a lieu d'appliquer des mesures de protection prévues au présent article ; 2° Décider de

limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la

communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l'accès, pour chacune

des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l'assister ou la représenter

; 3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la

protection du secret des affaires. » 106

Remarque — Le respect du secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à une mesure d’instruction sollicitée avant un procès dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les sollicite .107

Un régime général de protection du secret des affaires est instauré, Editions Francis Lefebvre - 105

La Quotidienne, 10/09/2018

Code de commerce - L. 153-1106

Cass. 2e civ. 8-2-2006 n° 05-14.198 FS-PBR : Bull. civ. II n° 44 107

Page 42: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

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La protection du secret des affaires est garantie alors par la protection des pièces communiquées en cours d’instance, mais elle l’est aussi, par l’obligation de confidentialité qui s’impose aux intervenants du procès.

B - Obligation de confidentialité des intervenants

Selon l’article L. 153-2 alinéa 1 du Code de commerce « Toute personne ayant accès à

une pièce ou au contenu d'une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible

d'être couverte par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant

toute utilisation ou divulgation des informations qu'elle contient » . 108

A cela, l’alinéa 5 de ce même article ajoute que « L'obligation de confidentialité perdure à

l'issue de la procédure. Toutefois, elle prend fin si une juridiction décide, par une décision non

susceptible de recours, qu'il n'existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont

entre-temps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles »

Ainsi, l’obligation de confidentialité s’impose aux intervenants aux procès.

§ 2 - Les sanctions en cas de manquement au principe de secret des affaires

En cas de manquement au principe de secret des affaires, le juge pourra alors ordonner une indemnisation.

Indemnisation principale — Outre le préjudice constaté, pour fixer les dommages et intérêts, le juge pourra également tenir compte, selon l’article L. 152-6 du Code commerce « des conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le

manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ; du préjudice

moral causé à la partie lésée ; des bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des

affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que

celui-ci a retirées de l’atteinte. » 109

Comme le rappelle l’article Un régime général de protection du secret des affaires est instauré, issu de La Quotidienne de Francis Lefebvre « Selon les débats parlementaires, la

référence au « préjudice effectivement subi » tend à écarter une éventuelle pratique de

« dommages-intérêts punitifs » d’un montant supérieur à celui du préjudice, telle qu’elle a été

Code de commerce - L. 153-2 alinéa 1108

Code de commerce - L. 152-6109

Page 43: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

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développée aux Etats-Unis. La précision paraît néanmoins inutile, compte tenu des principes

régissant la responsabilité civile en France ».110

Indemnisation alternative — À titre subsidiaire, le juge peut, à la demande de la partie lésée, allouer une indemnité forfaitaire à titre d'indemnité, qui tient spécifiquement compte des droits que le contrevenant devrait avoir si il avait eu l’autorisation d’user des informations commerciales .111

Un régime général de protection du secret des affaires est instauré, Editions Francis Lefebvre - 110

La Quotidienne, 10/09/2018

Code de commerce - L 152-6 alinéa 5111

Page 44: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�44

Chapitre 2 - Les limites du principe de secret des affaires

Plan — La conformité d’une entreprise est un problème majeur. La valeur et la sécurité de son patrimoine immatériel, dont les secrets des affaires font partie, dépendent de sa capacité à organiser son système d’information en tenant compte de la diversité des contraintes techniques et juridiques qui s’appliquent. Par conséquent il est nécessaire de répertorier, au préalable, les différents situations possibles afin , si nécessaire, de mettre en place des systèmes de protection . 112

Cependant, malgré cela, il est parfois compliqué pour une entreprise d’assurer la protection de son patrimoine immatériel, en invoquant le principe de secret des affaires. En effet, des limites font leur apparition, notamment en ce qui concerne la revendication du principe et aux atteintes que celui-ci peut faire à certaines libertés.

Nous aborderons, tout d’abord, les difficultés qui entourent parfois la revendication du principe (Section 1). Ensuite, nous détaillerons les risques qu’apporte ce principe,

notamment vis à vis de certaines libertés fondamentales (Section 2)

Section 1 - Une revendication parfois limitée

Plan — Nous aborderons dans un premier temps une utilisation procédurale parfois

difficile (§1), puis dans un second temps, le cas des informations non protégées par le secret des affaires (§2).

§ 1 - Une utilisation procédurale difficile

Plan — Il est parfois difficile pour une entreprise, de recourir, en cours de procès, à la notion de secret des affaires pour protéger son patrimoine. En effet, il est nécessaire de déterminer si celle ci a bel et bien subi une atteinte à un secret (A), et si elle a la qualité

pour agir en justice (B).

A - Qu’est ce qu’une atteinte au secret

La directive européenne, du 8 Juin 2016, puis la loi française du 30 Juillet 2018 précisent les actes auxquels il est possible de s’opposer sur le fondement d’un secret des affaires. Toutefois, certaines limites existent.Parmi les actes qui peuvent être opposés sur cette base, se trouvent des actes principaux, des actes secondaires, et parfois, on démontre même le laisser de côté de certains actes.

La protection du secret des affaires  : une mise en conformité nécessaire, Nicolas Courtier, 112

S&D Magazine, 4 Février 2020

Page 45: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�45

Actes principaux — L’article L. 151-4 du Code de commerce affirme que constitue une obtention illicite toute obtention caractérisée par un accès non autorisé à un support contenant le secret ou considérée comme déloyale conformément aux usages du commerce en vigueur. Il condamne aussi les actes d’utilisation ou de divulgation du

secret par une personne l’ayant obtenu de manière illicite ou qui « agit en violation d’une

obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation » .113

Ces trois violations des règles de confidentialité peuvent donc être punies, et ces dispositions ne sont que les retranscriptions des solutions de jurisprudence antérieures. Ainsi, dans la plupart des cas, l'obtention de secrets par un accès , une utilisation et / ou une divulgation non autorisés est susceptible d'engager la responsabilité de l'auteur. .114

Actes secondaires — L’article L. 151-5, en son aliéna 2, dispose quant à lui que : « La

production, l’offre ou la mise sur le marché, de même que l’importation, l’exportation ou le

stockage à ces fins de tout produit résultant de manière significative d’une atteinte au secret des

affaires sont également considérés comme une utilisation illicite lorsque la personne qui exerce ces

activités savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret était utilisé de façon

illicite au sens du premier alinéa du présent article » .115

Cela devrait permettre de poursuivre les tiers qui mettent sur le marché des produits copiant des technologies secrètes sans participer d'aucune manière à l'appropriation illicite de la technologie propriétaire. Dès lors, cela s’inspire, de manière implicite, de l’infraction de recel. Toutefois, la condamnation dépendra des circonstances dans

lesquelles le délinquant « aurait dû savoir au regard des circonstances » la source de l’information .116

Limites — Grâce à la mise en place de ces disposions, le législateur français est donc venu définir les actes s’opposant au principe de secret des affaires.Toutefois, celui ci a, dans sa rédaction, volontairement affirmé que ces exemples d'utilisation illégale de secrets, ne s'appliquent qu'aux "produits résultant de manière

significative d’une atteinte au secret des affaires". Cette précision faite par le législateur peut alors être constitutive d’un frein pour l’entreprise victime de l’un de ces actes. En effet, cette condition ne figure pas à l'article 4 de la directive, et dès lors, elle fausse la transcription de celle ci, offrant alors un moyen

Code de commerce - Article L. 151-4 113

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 114

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

Code de commerce - Article L. 151-4 alinéa 2115

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 116

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

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de protection à l’auteur de l’infraction, qui pourra se défendre en faisant valoir que le secret détourné n’était pas un élément « significatif» de son produit .117

L’atteinte au secret, peut donc être largement défendue en invoquant le principe de secret des affaires, malgré le fait que le législateur français ait laissé un moyen de protection à disposition de l’auteur de l’infraction. Toutefois, avant d’invoquer ce principe, il est nécessaire de s’assurer, au préalable, que la victime a la qualité pour agir en justice.

B - Qui peut agir en justice ?

Dans l’hypothèse d’une atteinte à un secret des affaires, l’article L. 152-3, alinéa 1er, du Code de commerce énonce que : « Dans le cadre d’une action relative à la prévention

ou la cessation d’une atteinte à un secret des affaires, la juridiction peut, sans préjudice de l’octroi

de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature

à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte » . Quant à l’alinéa 2, celui précise que, « La 118

juridiction peut également ordonner que les produits résultant de manière significative de l’atteinte

au secret des affaires soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces

circuits, modifiés afin de supprimer l’atteinte au secret des affaires, détruits ou, selon le cas,

confisqués au profit de la partie lésée » .119

Par conséquent, une série de mesures peuvent être prises pour restreindre l'utilisation ou la divulgation des secrets commerciaux, certaines d’entre elles pouvant également être prises pour détruire ou rappeler des produits .120

Toutefois, pour mettre cela en place, il est nécessaire que l’action en justice soit engagée, selon la directive européenne par « les détenteurs de secrets d’affaires ». Or, le texte français ne précise rien à propos de la personne pouvant engager l’action en

justice. Ainsi, comme l’affirme Jean-Baptiste Thiénot dans son article La nouvelle

protection du secret des affaires « Il eût été souhaitable que le texte français se réfère là aussi

au « détenteur légitime ». On peut donc se demander si le demandeur à l’action est seulement le «

détenteur légitime » désigné aux articles L. 151-4 et L. 151-5 ou si cette notion de « partie lésée »

est plus large » .121

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 117

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

Code de commerce - L. 152-3 alinéa 1118

Code de commerce L. 152-3 alinéa 2 119

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 120

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 121

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

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Donc, afin que la victime puisse engager des poursuites sur le fondement du principe de secret des affaires, il parait nécessaire, que celle ci ait qualité de « détenteur légitime » malgré le silence sur ce point du législateur français. Cependant, avant toute action en justice, il sera nécessaire de s’assurer que l’acte commis, ne soit pas, selon la loi, une exception à l’invocation du principe de secret des affaires.

§ 2 - Les exceptions au principe de secret des affaires

Contexte — Le secret des affaires est, certes, un principe très intéressant pour les sociétés, notamment pour celles qui n’ont pas les moyens de protéger leurs biens immatériels par des brevets, mais celui ci reste limité.En effet, le législateur a déterminé des exceptions à la protection des secrets commerciaux par le principe de secret des affaires afin que celui-ci ne soit pas utilisé pour servir à dissimuler des pratiques condamnables ou répréhensibles, tels que les délits financiers, les schémas d'évasion fiscale, ou même les opérations frauduleuses .122

Exceptions — La directive européenne a donc prévu plusieurs exceptions. Celles-ci s’ imposent aux Etats membres, qui doivent alors, dans ces cas là, refuser la qualification de secret des affaires. Nous laisserons de côté, dans ce paragraphe, certaines de ces exceptions afin de les étudier plus en détails par la suite, dans une section liée aux risques d’atteintes aux libertés fondamentales.

Tout d’abord, il y a le droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants. Ce droit permet alors la divulgation par ces derniers du secret, à condition qu’il soit obtenu dans l’exercice légitime de leurs fonctions, et pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice . Le législateur a tout de même précisé 123

que l’information ainsi obtenue ou divulguée demeure protégée par le principe du secret des affaires à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants .124

Ensuite, la protection par le secret des affaires peut être écartée, lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret sont requises ou autorisées par le droit de l’Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national,

Le secret des affaires : à la frontière de la vie privée de l’entreprise, Olivier De Maison Rouge, 122

CONSTRUCTIF N°51 Novembre 2018

Code de commerce - L. 151-9123

Loi relative à la protection du secret des affaires : une définition et un régime juridique, Marie 124

Frisch, Hebdo édition affaires n°566 du 27 septembre 2018 : Affaires

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notamment dans  l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives .125

Le recours au principe du secret des affaires est parfois limité, notamment vis-à-vis de son utilisation procédurale parfois difficile et du fait que des exceptions à ce principe existent. Toutefois, la réelle limite de ce principe, subsiste dans son risque de porter atteinte à la liberté d’expression.

Section 2 - Une source d’atteinte à la liberté d’expression

Plan — Les débats devant le Parlement européen, puis devant l’Assemblée nationale, ont permis la mise en place des mesures de protection, en réponse aux préoccupations de la société civile, notamment en ce qui concerne, la protection de la liberté d’expression des journalistes (§1) et des lanceurs d’alerte (§2).

§ 1 - Le risque d’atteinte à la liberté d’expression des journalistes

Comme expliqué lors de cette étude, la loi du 30 juillet 2018 a mis en place des règles spéciales permettant aux entreprises d’assurer une protection optimale de leur patrimoine immatériel. Mais une forte opposition s’est alors levée.

Opposants — De nombreux opposants, tels que journalistes, syndicats, ou encore ONG

ont en effet signé la pétition faite par Elise Lucet qui cherche à garantir la liberté de la presse. Cette pétition a recueilli alors presque 550 000 signatures. Cela démontre, comme l’affirme Sabine Marcelin, « la recherche d’équilibre entre liberté de la presse et

protection de l’innovation demande une vigilance permanente ». . 126

En effet, les opposants à cette loi, avançaient que ce texte, pourrait alors être un obstacle à la révélation de scandales tels que « LuxLeaks » ou l’affaire dite des « Panama Papers », laissant alors peu de place aux recherches des journalistes d’investigation.

Loi du 30 Juillet 2018 — Afin d'atténuer les craintes avancées par les différents opposants, le législateur français a fait un usage limité de la latitude accordée aux pays membres lors du transfert de la directive.Dès lors, l’article L. 151-8 dispose que « le secret n’est pas opposable lorsque son obtention,

son utilisation ou sa divulgation est intervenue (...) : 1o Pour exercer le droit à la liberté

d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté

d’information (...), 2o Pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une

Code de commerce - Articles L.151-7 à  L.151-9125

SECRET DES AFFAIRES  : UNE LOI MÉCONNUE PROTÉGEANT LES INFORMATIONS 126

SENSIBLES DES ENTREPRISES, Sabine Marcellin, Village de la Justice, Mars 2019

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activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit

d’alerte défini à l’article 6 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à

la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » .127

Comme l'a indiqué la Conseil constitutionnel dans sa décision, les exceptions à la protection des secrets d'affaires ont été rédigées avec une formulation suffisamment précise et claire pour pouvoir être appliquées et constituer des garanties adéquates . 128

Ainsi, il semble que ce texte offre une protection tout à fait adaptée aux journalistes et aux lanceurs d’alerte .129

Sanctions — Afin d'éviter que la liberté d'expression et d'information ne soit restreinte par le principe des secrets d'affaires, le législateur français a infligé des sanctions en cas d'abus de procédure au motif de secrets d’affaires . 130

Limites — Malgré la volonté d’assurer une totale liberté aux journalistes exprimée par la loi du 30 Juillet 2018, certains limites perdurent. Tout d’abord, à la lecture de la loi, il semble que principe y apparaisse moins comme le respect de la liberté d'expression dans les limites de la protection du secret des affaires que l’inverse .131

En outre, malgré la mise en place de sanctions, le montant des amendes civiles ne peut excéder 20% du montant des dommages et intérêts et, dans le cas contraire, il ne peut excéder 60 000 euros. Par conséquent, compte tenu des ressources de certaines firmes multinationales, ces sanctions visant à prévenir les abus de procédure, apparaissent insignifiantes .132

Ces mesures de préventions permette donc d’assurer une réelle protection à ce prince de liberté d’expression. Toutefois, afin d’être réellement efficace, est pour garantir une protection optimale de cette liberté d’expression, des mesures ont était mise en place pour garantir la liberté des lancers d’alertes.

Code de commerce - L. 151-8127

Conseil constitutionnel, Décision nº 2018-768 DC du 26 juillet 2018128

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 129

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

Prec130

Secret des affaires et intérêt général, César GHRENASSIA ,Revue Lamy droit des affaires, Nº 131

147, 1er avril 2019

LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES , JEAN-BAPTISTE THIÉNOT ,Droit 132

et Patrimoine, 286, 01-12-2018

Page 50: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

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§2 - Le risque d’atteinte à la liberté d’expression des lanceurs d’alertes

Contexte — La directive européenne, ainsi que la loi nationale, prennent également en compte la nécessité de tenir compte de l’intérêt général dans l’application du principe de secret des affaires. Ainsi, elles permettent, à toute personne (salariée ou non), souhaitant dénoncer un fait susceptible de porter atteinte à l’intérêt général, de pouvoir le faire.Cette hypothèse est conditionnée au fait que: l’obtention, l’utilisation et la divulgation d’un secret d’affaires doivent être faites dans le but de «révéler, dans le but de protéger

l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible

».133

Caractéristiques — Le texte adopté au niveau national retient une conception plus stricte que la Directive. En effet, les législateurs français ont accru l'exigence d‘honnêteté du lanceur d’alerte en mettant en place l’exigence de «bonne foi». Cet ajout a pour but d’éviter que soient révélés, au nom de l’intérêt général, des faits certes légaux, mais qui seraient contraires à l’éthique .134

Ainsi, comme l’affirme Marie Frisch, Avocat au barreau de Paris, dans son article Loi

relative à la protection du secret des affaires : une définition et un régime juridique « Cette

condition va au-delà de la définition posée par la loi «Sapin 2» du 9 décembre 2016 le Conseil

constitutionnel ayant précisé, dans sa décision du 26 juillet 2018 [5], qu’il résulte de l’article L.

151-8, 2° que cette exception bénéficie «à toute personne» ayant agi afin de révéler, dans le but de

protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement

répréhensible ».

ll est important de noter qu’au niveau européen, la directive avait ajouté le terme « général », et donc que la personne devait avoir agi dans le but de protéger « l’intérêt

public général » . L’ajout de ce terme permet ainsi d’englober tous les dispositifs de 135

protection des lanceurs d’alertes.

Pour l’appréciation de « l’intérêt public général », il a été suggéré que soit privilégiée une approche subjective. En effet, le Rapport de l’Assemblée générale de l’ONU du 8 septembre 2015 affirme que : « les motivations du lanceur d’alerte au moment de la révélation

ne devraient pas avoir d’importance » .136

Code de commerce - L. 151-8133

Loi relative à la protection du secret des affaires : une définition et un régime juridique, Marie 134

Frisch, Hebdo édition affaires n°566 du 27 septembre 2018 : Affaires

Directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016, Chapitre 2, 135

Article 5

Rapport de l’Assemblée générale de l’ONU, 8 sept. 2015, p. 13 136

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Cependant, et c’est un critère souvent repris par les dispositifs relatifs au droit d’alerte, le lanceur d’alerte doit être de bonne foi, c’est-à-dire qu’il aura agi avec sincérité et non dans le but de nuire à une personne en particulier .137

Critiques — Deux critiques ont étaient émises sur les modalités de protection des lanceurs d’alerte.

Notamment d’abord, en ce qui concerne des révélations portant sur des faits qui

ne seraient pas, en eux-mêmes, illicites. Comme le relève S. Schiller dans son article La protection du secret des affaires fait son entrée dans le code du commerce, il n'est pas certain que des révélations portant sur des agissements contraires à l'éthique soient protégées .138

En outre, à la lecture du texte, il apparaît que l’action des lanceurs d’alerte est subordonnée à la preuve que leurs révélations aient pour objectif la protection de l'intérêt général. On peut alors se demander si le législateur n’ incite pas, de manière implicite, à définir le lanceur d’alerte susceptible de protection comme celui qui a agi de bonne foi, et dans l’intérêt général. L’intérêt général n'étant pas un concept juridique défini avec précision, cette question est d’autant plus sensible .139

Secret d’affaires et liberté d’expression : l’exercice d’équilibrisme de la directive, Agnès Robin, 137

Revue Lamy Droit civil, Nº 144, 1er janvier 2017

La protection du secret des affaires fait son entrée dans le code du commerce, S. Schiller, JCP 138

G no 36, 3 sept. 2018.

Secret des affaires et intérêt général, César GHRENASSIA, Revue Lamy droit des affaires, Nº 139

147, 1er avril 2019

Page 52: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�52

Conclusion

La protection par le secret des affaire est donc, en France, un principe récemment reconnu. L’analyse faite de ce principe tout au long de ce développement démontre la nécessité de faire une étude approfondie d’un grand nombre de matières afin d’avoir une appréhension globale de ce régime de protection.

La directive européenne du 8 Juin 2016, produit d’influences internationales et de nombreux compromis, opère un équilibre entre les intérêts de reconnaissance de la protection du secret des affaires nécessaires à la compétitivité économique européenne, et d’autres droits, tout autant nécessaires au fonctionnement de l’économie et de la société . 140

Malgré quelques craintes, notamment celle émise par Elise Lucet, la transposition faite en droit national a réussi à concilier le principe de secret des affaires, avec bien d’autres principes tout aussi importants comme la liberté de la presse, le droit d’alerte, le droit des travailleurs dans l’entreprise, le principe du contradictoire dans les procédures juridictionnelles, voire le droit de la concurrence.

On peut donc déduire de l’étude de ce sujet, qu’il est possible pour une entreprise de protéger ses secrets commerciaux, en ayant recours au principe de secret des affaires, à condition d’accomplir au préalable certaines formalités, sans porter atteinte à aucun des principes majeurs reconnus en droit français. C’est notamment ce que pense une majorité de juristes interrogés sur le sujet. (Annexe N°2) Toutefois, cela me semble faux. Certes, le législateur français a fait son

« possible » pour garantir une protection optimale par le secret des affaires, tout en assurant le respect d’autres principes. Mais on ne peut que s’interroger sur la réelle efficacité de ce principe. En effet, lorsqu’on constate qu’une société ne risque, en cas d’atteinte à la liberté d’expression, qu’une amende civile ne pouvant excéder 20% du montant des dommages et intérêts et, dans le cas contraire, ne pouvant excéder 60 000 euros, il semble alors logique de se demander si cela n’est pas contradictoire avec la volonté initiale du législateur. En mettant en place ce genre de sanction visant à prévenir les

abus, on peut se demander si, de manière implicite, le législateur ne cherche pas à punir uniquement les « petites » entreprises pour lesquelles ce montant représente une somme faramineuse. Car, en ce qui concerne une multinationale pesant plusieurs centaines de millions d’euros, il semble logique que dans certains cas, celle ci n’hésitera pas à porter atteinte à la liberté d’expression de certains individus, quitte à payer ce type d’amende, si cela l’ assure de ne pas se retrouver par la suite face à des révélations plus douloureuses donc onéreuses, et pouvant porter gravement atteinte à son image

140

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On pourrait se demander, de manière purement hypothétique, le choix qu’auraient fait différentes sociétés, avant l’affaire des « Panama Papers » et de bien d’autres relevés par Wikileaks : celles- ci auraient -elle préféré payer quelques amendes de 60 000€ ou une indemnisation à hauteur de plusieurs millions d’euros ?

On peut donc logiquement se demander si le législateur ne devrait pas, dans le

futur, revoir certains pans du principe de secret des affaires afin d’assurer d’une part la continuité de protection qu’il propose, et de l’autre un équilibre optimal entre les partis et entre les différents types d’entreprises. A ce jour, toutes ces interrogations n’ont encore aucune réponse . C’est ce qui fait tout l’intérêt de ce sujet, qui est en constante évolution.

Page 54: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

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Annexes

Annexe N°1:

Annexe N°2:

Page 55: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�55

Bibliographie

Ouvrages:

• Le secret des affaires, Sabine Marcelin et Thibaut du Manoir de Juaye, Edition 2019

• Le Lamy droit pénal des affaires - Haritini MATSOPOULOU - Partie 6 - Chapitre 7

• Lamy Droit économique - Muriel CHAGNY - Partie 4 - Titre 1 - Chapitre 4 - Section 2

• Le Lamy social - Partie 1 - Titre 1 - Division 6 - Chapitre 2

• Le Lamy Fonction publique territoriale, Partie 6, Section 2, Sous section I, §4, B

• Le Lamy droit du numérique (Guide) - Lionel Costes - Partie 6 - Titre 1 - Chapitre 1 - Section 3

• Le Lamy droit du numérique, Michel Vivant, Partie 2, Division 2, Chapitre 1

Articles:

• OMPI Magazine - Le secret d’affaires : le droit de propriété intellectuelle caché sous le boisseau - Décembre 2017

• Institutions financières et cybercriminalité - Revue d'économie financière - 2015/4 (n° 120)

• Clause de confidentialité - Revue Lamy Droit civil, Nº 139, 1er juillet 2016

• La validité des clauses de non-concurrence, Céline Bondard, Février 2017

• Lo i su r l e sec re t des affa i res : que l impac t su r l es con t ra ts ? , RevueFrançaisedeComptabilité Octobre2018 N°524, My-Kim Yang-Paya

• Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-163.

• LPA 4 sept. 2017, n° 124c8, p. 25

• Revue Lamy Droit civil, Nº 144, 1er janvier 2017

• Le secret des affaires, LPA 4 sept. 2017, n° 124c8, p. 25

• Synthèse de l’article 288 du TFUE -

• Le concept juridique du secret des affaires, 05.12.18, Berthon & Associé

• Bientôt, le secret des affaires sera protégé, Editions Francis Lefebvre, Alexis Vichnievsky, La Quotidienne 05/09/2016

• Présentation de la loi sur le secret des affaires et réflexions pratiques, Valérie Morales, Hebdo édition affaires n°587 du 21 mars 2019 : Affaires

• LA NOUVELLE PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES, JEAN-BAPTISTE THIÉNOT, Droit et Patrimoine, Nº 286, 1er décembre 2018

• La protection du secret des affaires  : une mise en conformité nécessaire, Nicolas Courtier, S&D Magazine, 4 Février 2020

• Le secret des affaires : à la frontière de la vie privée de l’entreprise, Olivier De Maison Rouge, CONSTRUCTIF N°51 Novembre 2018

• Loi relative à la protection du secret des affaires : une définition et un régime juridique, Marie Frisch, Hebdo édition affaires n°566 du 27 septembre 2018 : Affaires

• SECRET DES AFFAIRES : UNE LOI MÉCONNUE PROTÉGEANT LES INFORMATIONS SENSIBLES DES ENTREPRISES, Sabine Marcellin, Village de la Justice, Mars 2019

Page 56: UNIVERSITÉ CLERMONT AUVERGNE LE SECRET DES …

�56

• Secret des affaires et intérêt général, César GHRENASSIA ,Revue Lamy droit des affaires, Nº 147, 1er avril 2019

• Loi relative à la protection du secret des affaires : une définition et un régime juridique, Marie Frisch, Hebdo édition affaires n°566 du 27 septembre 2018 : Affaires

Codes:

• Code de commerce - Article L151-1

• Code pénal - Article 311-1

• Code pénal - Article 314-1

• Code Pénal - Article 321-1

• Code Pénal - Article 321-1 alinéa 1

• Code civil - Article 1240

• Code civil - Article 1303 alinéa 1

• Code Civil - Article 1142

• Code de commerce - Article L463-4

• Code de la santé public, Article R.4127-4

• Code de la santé public, Art R4127-3

• Code pénal, Article 226-13

• Code pénal (ancien) - Article 378

• Code monétaire et financier, L511-1

• Code de commerce - L. 153-1

• Code de commerce - L. 153-2

• Code de commerce - L. 152-6

• Code de commerce - Article L. 151-4 • Code de commerce - L. 151-9

Autres:

• Droit de la concurrence », Mr Valette, Cours 2018-2019

• Interview - Loi secret des affaires : une menace pour le droit à l’information

• Rapport sur la cybercriminalité - Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information - 2018

• Rapport Cyber-conflits, quelques clés de compréhension - Philippe WOLF - 2011

• http://www.toupie.org/Dictionnaire/Droit_civil.htm

• Vocabulaire juridique - Cornu - PUF - 2011

• https://fr.wikipedia.org/wiki/Aspects_des_droits_de_propriété_intellectuelle_qui_touchent_au_commerce

• https://banque-info.com/lexique-bancaires/secret-bancaire/

• https://www.village-justice.com/articles/secret-des-affaires-une-protection-juridique-des-donnees-strategiques,29154.html

• Rapport de l’Assemblée générale de l’ONU, 8 sept. 2015, p. 13

• La protection du secret des affaires - Valentin Millet 07 septembre 2017 - Mémoire

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Textes de loi & Accords:

• Accord ADPIC de 1995, Partie 2, Section 7, Article 39

• DIRECTIVE (UE) 2016/943 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 8 juin 2016

• LOI n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires

• Décret n°91-1197, 27 Nov 1991, Art 160

• Accord Wassenaar - 12 Mai 1996

• Uniform Trade Secret Act • Economic Espionnage Act

Jurisprudence:

• CJCE, 9 Nov 2004, The british Horceracing Board Ltd e.a c/ 6 Hill Organization Ltd

• Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 1er mars 1989, 88-82.815,

• Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 mai 2015, 14-81.336

• Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 juin 2017, 16-81.113,

• Ccass, crim, 4 juin 1942

• TGI Paris, 19 mai 2006, Gaz. Pal. 17 janv. 2007, som., p. 573

• CA Paris, 20 décembre 1989

• Cass. Com., 7 Nov 1984 JCP E 1985, II, 4035

• Soc. 5 mai 2004, no 01-46.261 P : D. 2004. IR 1501)

• Soc. 29 mai 1990 : RJS 1990. 397, no 573

• Soc. 5 juin 1996, no 92-42.298 P : D. 1997. Somm. 101, obs. Serra

• CJCE, n° C-431/05, Arrêt de la Cour, Merck Genéricos - Produtos Farmacêuticos Ldª contre Merck & Co. Inc. et Merck Sharp & Dohme Ldª, 11 septembre 2007

• TPICE, 18 sept. 1996, aff. T 353/94, Postbank c/Commission, Rec. II, p. 921, pt. 87 ; v. égal. TPICE, 8 nov. 2011, aff. T-88/09, Idromacchine e.a. c/Commission, pt. 45).

• Cassation, Chambre civile 2, du 7 janvier 1999, 95-21.934,

• Conseil d'Etat, Assemblée, du 5 mars 2003, 233372,

• Arrêt du 19 décembre 1885 de la chambre criminelle de la cour de cassation, affaire Watelet

• Cass. 2e civ. 8-2-2006 n° 05-14.198 FS-PBR : Bull. civ. II n° 44

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Table des matières

Remerciements 3

Sommaire 4

Introduction 5

§ 1 - Qu’est ce que le secret des affaires ? 5

§ 2 - Le contexte de développement du principe de secret des affaires 6

§ 3 - L’étendue du secret des affaires 7

Partie 1 - Le secret des affaires: Un principe reconnu seulement

récemment 8

Chapitre 1 - La protection incomplète du secret des affaires par des outils de droit commun 9

Section 1 - La répression par les outils du droit pénal général 9

§ 1 - Les infractions applicables en cas d’atteinte au principe de secret des affaires9

A - Le vol 10

1 - Non reconnaissance du vol de données sur la base de l’article 311-1 du Code pénal 10

2 - La reconnaissance du vol de données par la jurisprudence 11

B - Le recel 12

§ 2 - La lutte contre la cybercriminalité: un moyen illicite d’appropriation 13

A - L’étendue de la cybercriminalité 14

B - Répression de la cybercriminalité 16

Section 2 - La protection par les outils de droit civil 17

§ 1 - Les protections issues d’un fondement non contractuel. 17

A - La protection délictuelle basée sur l’article 1240 du Code civil 17

B - Enrichissement injustifié 18

§ 2 - Les protections sur un fondement contractuel. 19

A - La clause de confidentialité 19

B - Clause de non concurrence 20

C - Les limites de protection sur un fondement contractuel 21

Chapitre 2 - La protection optimale du secret des affaires par des dispositions spécifiques 23

Section 1 - Les sources dédiées à la protection du secret des affaires 23

§1 - Une protection initiée sur le plan international 23

§ 2 - La protection poursuivie sur le plan européen 24

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§3 - La tardive protection sur le plan national 26

Section 2 - Dispositions imposant la protection des secrets commerciaux 29

§1 - La protection du secret des affaires à la lumière du secret professionnel 29

§ 2 - La protection du secret des affaires à la lumière du secret bancaire 31

Partie 2 - Le secret des affaires: Un principe affaibli par ses conditions

d’application 33

Chapitre 1 - Les conditions d’application du principe de secret des affaires 34

Section 1 - Contrôle préalable du juge pour s’assurer de la mise en oeuvre des moyens de protection raisonnables 34

§ 1 - L’identification précise des informations confidentielles 34

§ 2 - La mise en place de moyens de protection raisonnable 35

A - La notion théorique de « moyen de protection raisonnable » 35

B - La mise en place de mesures de protections raisonnables 36

1 - Le recours indispensable aux clauses contractuelles 36

2 - Le recours au cryptage 37

a - Les dispositions entourant la notion de cryptage 38

b - L’application en pratique du cryptage 38

3 - Le recours à la formation 39

§ 3 - L’absence d’informations complémentaires par le RGPD 40

Section 2 - La protection du secret des affaires au cours de la procédure 40

§ 1 - Les mesures de protection du secret des affaires pendant le procès 41

A - Protection des pièces communiquées en cours d’instance 41

B - Obligation de confidentialité des intervenants 42

§ 2 - Les sanctions en cas de manquement au principe de secret des affaires 42

Chapitre 2 - Les limites du principe de secret des affaires 44

Section 1 - Une revendication parfois limitée 44

§ 1 - Une utilisation procédurale difficile 44

A - Qu’est ce qu’une atteinte au secret 44

B - Qui peut agir en justice ? 46

§ 2 - Les exceptions au principe de secret des affaires 47

Section 2 - Une source d’atteinte à la liberté d’expression 48

§ 1 - Le risque d’atteinte à la liberté d’expression des journalistes 48

§2 - Le risque d’atteinte à la liberté d’expression des lanceurs d’alertes 50

Conclusion 52

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Annexes 54

Bibliographie 55

Table des matières 58

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