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UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE ÉCOLE DOCTORALE DU PACIFIQUE ED 469 Equipe d’Accueil « Sociétés Traditionnelles et Contemporaines en Océanie » EA 4241 THÈSE présentée et soutenue publiquement par Maurizio Alì le 27 juin 2016 en vue de l’obtention du titre de Docteur de l’Université de Polynésie française en Département : Lettres, langues et sciences humaines Discipline : Anthropologie (Domaine CNU N° 20) Spécialité : Anthropologie de l’éducation DE L'APPRENTISSAGE EN FAMILLE A LA SCOLARISATION REPUBLICAINE Deux cas d'étude en Guyane et en Polynésie française Sous la direction de Monsieur Bruno Saura et Madame Rodica Ailincai VOLUME 1

UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

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UNIVERSITEacute DE LA POLYNEacuteSIE FRANCcedilAISE

EacuteCOLE DOCTORALE DU PACIFIQUE ED 469

Equipe drsquoAccueil laquo Socieacuteteacutes Traditionnelles et Contemporaines en Oceacuteanie raquo

EA 4241

THEgraveSE preacutesenteacutee et soutenue publiquement par

Maurizio Aligrave

le 27 juin 2016

en vue de lrsquoobtention du titre de

Docteur de lrsquoUniversiteacute de Polyneacutesie franccedilaise en Deacutepartement Lettres langues et sciences humaines

Discipline Anthropologie (Domaine CNU Ndeg 20) Speacutecialiteacute Anthropologie de lrsquoeacuteducation

DE LAPPRENTISSAGE EN FAMILLE A LA

SCOLARISATION REPUBLICAINE

Deux cas deacutetude en Guyane et en Polyneacutesie franccedilaise

Sous la direction de Monsieur Bruno Saura et Madame Rodica Ailincai

VOLUME 1

JURY Tamatoa BAMBRIDGE Directeur de recherche au CNRS Rapporteur Laboratoire CRIOBE USR 3278 UPVD-CNRS-EPHE Labex CORAIL Dominique GROUX Professeur des Universiteacutes eacutemeacuterite Rapporteur Universiteacute des Antilles Laboratoire CRILLASH

Iregravene BELLIER Directrice de Recherches au CNRS Examinateur Institut Interdisciplinaire drsquoAnthropologie du Contemporain LAIOS EHESS Franccedilois-Xavier BERNARD Maicirctre de confeacuterences Examinateur Universiteacute Paris Descartes Laboratoire EDA Monsieur Bruno SAURA Professeur des Universiteacutes Directeur de thegravese Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Laboratoire EASTCO Madame Rodica AILINCAI Maicirctre de confeacuterences HDR Directeur de thegravese Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Laboratoire EASTCO

1

Reacutesumeacute

Cette thegravese preacutesente une analyse anthropologique de lrsquoeacuteducation informelle chez

deux communauteacutes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais les Wayana-Apalaiuml en

Guyane et les Enata en Polyneacutesie franccedilaise A partir des donneacutees recueillies gracircce agrave

un travail ethnographique de longue dureacutee on a pu deacuteterminer le temps consacreacute

aux interactions eacuteducatives dans le milieu domestique les styles eacuteducatifs

dominants et les logiques eacuteducatives des membres des deux communauteacutes La

dynamique eacuteducative a eacuteteacute interpreacuteteacutee en tant que processus de transmission des

donneacutees culturelles lieacutees agrave un paysage naturel et social deacutetermineacute Les reacutesultats

obtenus montrent que les strateacutegies eacuteducatives des Wayana-Apalaiuml et des Enata sont

modeleacutees par les contraintes propres agrave la dynamique postcoloniale et des impeacuteratifs

imposeacutes par lrsquoeacuteconomie de marcheacute

Mots-cleacutes Acculturation autochtonie interactions eacuteducatives parentaliteacute

Abstract

This thesis presents an anthropological analysis of informal education activities

among two French autochthonous communities the Wayana-Apalaiuml people living

in French Guiana and the Enata people in French Polynesia Thanks to the data

gathered through a long term ethnographic fieldwork it was determined the time

dedicated to educational interactions in the domestic environment the dominant

educational styles and the educational logic of both communities The educational

dynamic has been interpreted as a process of transmission of cultural data related

to a natural and social landscape The results obtained show that educational

strategies applied by Wayana-Apalaiuml and Enata educators are shaped by the

constraints of the post-colonial dynamics and the requirements imposed by the

global market economy

Keywords Acculturation autochthonous people educational interactions

parenting

2

REMERCIEMENTS

Cette thegravese de doctorat fruit de pregraves de cinq ans de recherches entre

lrsquoAmeacuterique du Sud et lrsquoOceacuteanie nrsquoaurait pu se deacuterouler dans des conditions aussi

favorables sans lrsquoaide le soutien et les conseils de mes directeurs de thegravese Monsieur

Bruno Saura et Madame Rodica Ailincai Je me dois de les remercier pour le temps

qursquoils ont bien voulu consacrer agrave mrsquoaccompagner dans ce laquo parcours du

combattant raquo qursquoa eacuteteacute lrsquoeacutelaboration puis la reacutedaction de cette monographie Tous

mes remerciements vont aussi aux universitaires issus de lrsquoanthropologie et des

sciences de lrsquoeacuteducation qui ont accepteacute drsquoeacutevaluer mon travail en tant que

rapporteurs ou membres du jury Merci aussi au preacutesident de lrsquoUniversiteacute de la

Polyneacutesie franccedilaise et agrave toute lrsquoeacutequipe de lrsquoEcole doctorale du Pacifique pour leur

accompagnement et leur aide dans lrsquoorganisation de cette soutenance

Je remercie les membres de lrsquoEacutequipe drsquoaccueil EA 4241 EASTCO (Equipe

drsquoaccueil Socieacuteteacutes traditionnelles et contemporaines en Oceacuteanie) ndash et surtout M

Andreacuteas Pfersmann M Jacques Vernaudon et M Patrick Favro ndash avec qui jrsquoai souvent

eu la possibiliteacute drsquoeacutechanger autour des avanceacutees de cette thegravese

Mes collegravegues formateurs et enseignant-chercheurs de lrsquoEacutecole Supeacuterieure du

Professorat et de lrsquoEacuteducation de la Martinique Maria Popa-Roch Ceacutedric Ramassamy

Anne Peacuteneacute-Annette Emilie-Anne Palomares et Bertrand Troadec ont sacrifieacute de leur

3

temps pour des discussions constructives et des propositions toujours preacutecieuses

je leur suis tregraves reconnaissant pour cette solidariteacute

Ma gratitude va aussi agrave mes eacutetudiants de lrsquoUniversiteacute des Antilles qui durant

lrsquoanneacutee 2015-2016 ont patiemment eacutecouteacute mes interventions et avec lesquels jrsquoai

pu discuter en toute franchise autour des reacutesultats et des limites de cette recherche

Deacutebattre avec eux autour de la laquo crise de lrsquoeacuteducation raquo mrsquoa permis de deacutevelopper des

reacuteflexions relatives agrave la troisiegraveme partie de cette eacutetude

Je tiens agrave exprimer ma profonde reconnaissance agrave toutes les personnes qui

pendant mon travail de terrain mrsquoont accueilli mrsquoont offert de leur temps mrsquoont

raconteacute leur histoire et ont eacutecouteacute la mienne Mon enquecircte agrave Antecume pata aurait

eacuteteacute impossible sans la preacutesence de personnes extraordinaires comme Andreacute Cognat

Takulapo Yalaupin Alumakami Kaletu Atuman Aiumltale Demas Afo et Kalanki Ipoumlk

manaiuml yepe Agrave Hiva Oa jrsquoai eu la chance de freacutequenter Serge et Reneacutee Lecordier

Didier et Nicole Leroy mais aussi Tematai Iris et Herenui ndash des amis qui ont rendu

mon seacutejour marquisien inoubliable Karsquooha nui Merci aussi agrave Aymeric Hermann et

agrave Tamara Maric qui mrsquoont geacuteneacutereusement heacutebergeacute chez eux pendant mes seacutejours agrave

Tahiti en me permettant de beacuteneacuteficier de leur patience de leurs connaissances et

de leurs merveilleuses bibliothegraveques

Je souhaite adresser un grand mauruuru (merci) agrave Marina Vons qui non

seulement mrsquoa aideacute agrave plusieurs reprises dans mes deacutemarches administratives agrave

lrsquoUniversiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise mais qui mrsquoa aussi permis de connaicirctre un peu

plus la culture polyneacutesienne

4

Merci agrave Marie-Noeumllle Adegravele et Alice Daussy professeures des eacutecoles en poste

agrave Antecume pata agrave Erik Fattorelli responsable de la section Ameacuteriques aupregraves du

Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lrsquohomme et agrave David Amortegui

fellow teacher aupregraves du Columbia Heights Education Campus agrave Washington DC

qui mrsquoont fourni ndash sans jamais se plaindre ndash des donneacutees des informations et des

commentaires toujours utiles Merci agrave Sarah de Oliveira qui a lu et relu le texte final

de cette thegravese en mettant de lrsquoordre lagrave ougrave reacutegnait le deacutesordre Et merci aussi agrave

Margarita Serje Jorge Morales Fabricio Cabrera et Carlos Uribe mes enseignants du

deacutepartement drsquoAnthropologie de la Universidad de Los Andes en Colombie pour

mrsquoavoir donneacute le goucirct du travail ethnographique iexclGracias

Finalement cette recherche doit beaucoup agrave lrsquoencouragement de mes parents

et de ma famille tous orgueilleusement siciliens Notre identiteacute culturelle a sans

doute eacuteteacute un important eacuteleacutement drsquoinspiration dans mon choix drsquoeacutetudier les

laquo autochtones de la Reacutepublique franccedilaise raquo Sabbanarica

Les derniegraveres lignes de remerciement je les deacutedie agrave Marion et Luna qui ont

accepteacute de vivre avec moi cette aventure entre lrsquoAmazonie et les Mers du Sud et qui

ont partageacute les joies et les difficulteacutes de ces recherches sur le terrain Merci de

mrsquoavoir suivi dans cette eacuteniegraveme folie Jrsquoespegravere qursquoelle en valait la peine

5

RAPPORTS ARTICLES ET COMMUNICATIONS

Le travail de recherche deacuteveloppeacute dans cette thegravese a fait lrsquoobjet de plusieurs

publications scientifiques preacutealablement agrave ce document final

Articles dans des revues avec comiteacute de lecture

Aligrave Maurizio (2015) laquo Child Development in Post-Colonial Contexts

Educational Change and Ethnic Transfiguration in a French Guiana Wayana-

Apalaiuml Indigenous Community raquo Procedia - Social and Behavioral Sciences

(Elsevier) 174 3625-3632 ISSN 1877-0428

Ali Maurizio et Ailincai Rodica (2013) laquo Learning and Growing in

indigenous Amazonia The Education System of French Guiana Wayana-

Apalai communities raquo Procedia - Social and Behavioral Sciences (Elsevier)

106 (10) 1742-1752 ISSN 1877-0428

Ailincai Rodica Jund Sandrine et Aligrave Maurizio (2012) laquo Comparaison des

eacutecosystegravemes eacuteducatifs chez deux groupes drsquoAmeacuterindiens les Wayatildepi et les

Wayana raquo Revue franccedilaise deacuteducation compareacutee Raisons Comparaison

Education 8 55-90 ISBN 978-2-296-99427-0

Communications preacutesenteacutees lors de congregraves et colloques

Ailincai Rodica Gabillon Zehra Vernaudon Jacques Paia Mirose Saura

Bruno et Aligrave Maurizio (2016) laquo Pratiques eacuteducatives scolaires et familiales

en Polyneacutesie franccedilaise Recueil drsquoun corpus en contexte plurilingue raquo Les

Printemps de la recherche en ESPE Deuxiegraveme colloque du Reacuteseau national

des EacuteSPEacute (R- EacuteSPEacute) lsquorsquoLa recherche en eacuteducation des enjeux partageacutesrsquorsquo Paris

France 21-22 mars

6

Ailincai Rodica Gabillon Zehra Vernaudon Jacques Saura Bruno et Aligrave

Maurizio (2016) laquo School and Family Involvement in Educational Practices

in French Polynesia raquo The International Academic Forum - IAFOR

International Conference on Education Honolulu HI Etats Unis drsquoAmeacuterique

8-11 janvier

Ailincai Rodica Bernard Franccedilois-Xavier Alby Sophie Aligrave Maurizio et

Hidair Isabelle (2015) laquo Pratiques eacuteducatives parentales en contexte

multiculturel et plurilingue guyanais Quelle prise en compte dans la

formation des maicirctres raquo Les Printemps de la recherche en ESPE Premier

colloque du Reacuteseau national des EacuteSPEacute (R- EacuteSPEacute) Paris France 23 mars

Aligrave Maurizio (2014) laquo Escolarizacioacuten Obligatoria en Contextos

Poscoloniales Disgregacioacuten Familiar y Transfiguraciones Eacutetnicas en

Guayana Francesa raquo Primera Bienal Latinoamericana de Infancias y

Juventudes Universidad de Manizales ndash CLACSO Manizales Colombie 17-21

novembre

Ailincai Rodica Bernard Franccedilois-Xavier Alby Sophie Aligrave Maurizio et

Hidair Isabelle (2014) laquo Eacutetude de la variabiliteacute interactionnelle parentale en

contexte multiculturel et plurilingue raquo Colloque International lsquorsquoCognition

sociale formes dexpression et interculturaliteacutersquorsquo Universiteacute de Sfax -

Association internationale pour la recherche interculturelle (ARIC) Sfax

Tunisie 27-29 octobre

Aligrave Maurizio et Ailincai Rodica (2014) laquo Child Development in Post-Colonial

Contexts Educational Change and Ethnic Transfiguration in a French Guiana

Wayana-Apalaiuml Indigenous Community raquo INTE2014 ndash International

Conference on New Horizons in Education Paris France 25-27 juin

Aligrave Maurizio (2014) laquo Comunicacioacuten para la Paz y Derechos de los Pueblos

Autoacutectonos una Aproximacioacuten Antropoloacutegica raquo Seacuteminaire lsquorsquoDerechos

Humanos y Conflictividadrsquorsquo Haut Commissariat des Nations Unies pour les

Droits Humains ndash FLACSO - PDH - Intrapaz Ciudad de Guatemala Guatemala

18-20 feacutevrier

7

Ali Maurizio et Ailincai Rodica (2013) laquo Learning and Growing in

indigenous Amazonia The Education System of French Guiana Wayana-

Apalai communities raquo INTE2013 ndash International Conference on New

Horizons in Education Rome Italie 25-27 juin

Aligrave Maurizio (2013) laquo De lrsquoapprentissage en famille agrave la scolarisation

reacutepublicaine Lrsquoenjeu ethnique en Guyane et en Polyneacutesie raquo DOCTORIALES

2013 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 23-25 avril

Posters preacutesenteacutes lors des Doctoriales de lrsquoUniversiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise

Aligrave Maurizio (2016) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deux cas drsquoeacutetude en Guyane et en Polyneacutesie franccedilaise raquo

DOCTORIALES 2016 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 9-11

mai

Aligrave Maurizio (2015) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deacuteveloppement de lrsquoenfant et formation sociale agrave Hiva Oa

Polyneacutesie franccedilaise raquo DOCTORIALES 2015 Universiteacute de la Polyneacutesie

franccedilaise Faarsquoa Tahiti 5-7 mai

Aligrave Maurizio (2014) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deacuteveloppement de lrsquoenfant et formation sociale chez les

Wayana-Apalaiuml de la Guyane franccedilaise raquo DOCTORIALES 2014 Universiteacute de

la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 14-16 avril

Aligrave Maurizio (2012) laquo De lrsquoapprentissage en famille agrave la scolarisation

reacutepublicaine Lrsquoenjeu ethnique en Guyane et en Polyneacutesie raquo DOCTORIALES

2012 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 25-27 avril

Rapports de missions

Aligrave Maurizio (2015) laquo De lrsquoapprentissage en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deux cas drsquoeacutetude en Guyane et en Polyneacutesie raquo Rapport pour la

Direction geacuteneacuterale des patrimoines - Deacutepartement du pilotage de la

8

recherche et de la politique scientifique Paris Ministegravere de la Culture et de

la Communication (82 pp)

Aligrave Maurizio (2013) laquo A typical expat family French teachers in the Guiana

jungle raquo Rapport pour McCann Truth Central Londres EMEA (36pp)

Aligrave Maurizio (2013) laquo A typical post-modern indigenous family A wayana

clan in French Guiana raquo Rapport pour McCann Truth Central Londres EMEA

(32pp)

9

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS 13

PREMIERE PARTIE EacuteDUCATION CULTURE AUTOCHTONIE UN PARCOURS

CONCEPTUEL 18

Introduction 19

1 Pourquoi eacutetudier lrsquoeacuteducation des peuples autochtones 22

12 Lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation une science en construction 25

13 Au-delagrave de la parenteacute et de la famille les premiegraveres observations des pratiques

eacuteducatives 28

14 La fragmentation de la discipline 37

2 Qursquoest-ce que lrsquoeacuteducation 41

21 Le fait eacuteducatif une interaction dynamique 49

22 Ideacuteologies symboles et systegravemes lrsquounivers social de lrsquoeacuteducation 53

3 Eacuteducation et culture essai sur la quadrature du cercle 60

31 De la parenteacute agrave la culture agrave lrsquoorigine du deacuteveloppement humain 64

32 Culture et transmission de la culture une architecture sociale du savoir 67

4 De la culture au patrimoine (et inversement) 72

41 La culture entre transmission et patrimonialisation 76

42 Eacuteducation et socieacuteteacute la question de lrsquoautochtonie 83

5 Culture et autochtonie 93

51 Autochtonie indigeacuteneacuteiteacute ethniciteacute et racisme une biopolitique de lrsquoalteacuteriteacute 98

52 Lrsquoimbroglio ethnique et lrsquoinvention de la tradition 103

6 Lrsquoidentiteacute agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoassimilation 113

61 Multiculturalisme et interculturaliteacute synonymes ou contraires 114

62 Des cateacutegories dynamiques pour penser la culture 119

Synthegravese de la premiegravere partie 127

DEUXIEME PARTIE SUR LE TERRAIN INTERACTIONS ET IDEOLOGIES EDUCATIVES

CHEZ LES WAYANA-APALAIuml ET LES ENATA AUTOCHTONES DE LA REPUBLIQUE 129

10

Introduction agrave la deuxiegraveme partie 130

7 Meacutethodologie du recueil drsquoinformations 134

71 Le terrain et lrsquounivers drsquoeacutetude 135

72 Lrsquoanalyse eacutecosysteacutemique agrave lrsquoeacutepreuve du terrain 144

73 Comprendre les interactions eacuteducatives 145

74 Performances parentales et ideacuteologies eacuteducatives 149

75 Consideacuterations eacutethiques 153

8 Les terrains de recherche 157

81 Les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata situation geacuteographique donneacutees ethno-

historiques et aspects sociologiques 158

811 Situation postcoloniale et inteacutegration nationale 165

812 Une scolarisation reacutepublicaine pour les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo 172

82 Les Enata de Hiva Oa situation geacuteographique donneacutees ethno-historiques et aspects

sociologiques 179

821 Le projet colonisateur conversion et scolarisation des Marquisiens 186

822 Entre localismes et globalismes revendications culturelles et patrimonialisation du

territoire 191

9 Les eacutecosystegravemes eacuteducatifs espaces domestiques reacuteseaux de parenteacute et vie

communautaire 200

91 Les microsystegravemes de socialisation agrave Antecume pata 200

911 La laquo maisonneacutee raquo ameacuterindienne 202

912 Le village et lrsquoeacutecole 209

92 Les microsystegravemes de socialisation agrave Hiva Oa 216

921 Famille nucleacuteaire et famille eacutelargie 219

922 Les eacuteglises lrsquoeacutecole et les organisations locales 223

10 Mesurer les interactions eacuteducatives les rythmes parentaux 229

101 La famille est le village parentaliteacute et vie communautaire chez les Wayana-Apalaiuml

230

102 Un espace domestique permeacuteable famille eacutecole religion et culture agrave Hiva Oa 240

103 Meacutetropole et Outre-mer comparer laquo lrsquointensiteacute raquo des interactions eacuteducatives 246

11 Les performances eacuteducatives styles parentaux et strateacutegies peacutedagogiques 252

111 Une parentaliteacute agrave lrsquoeacutepreuve de la laquo moderniteacute raquo les logiques eacuteducatives chez les

Wayana-Apalaiuml 256

112 Pratiques eacuteducatives agrave Hiva Oa une autochtonie accultureacutee 264

113 Lrsquointeraction eacuteducative en France meacutetropolitaine quelques donneacutees utiles agrave la

comparaison 267

11

12 Les ideacuteologies eacuteducatives autochtones lrsquoidentiteacute culturelle au service de lrsquoeacutecosystegraveme

274

121 Eacuteduquer et apprendre dans la forecirct amazonienne eacutecosophie et deacuteveloppement de

lrsquoenfant wayana-apalaiuml 277

122 La notion de reacuteussite chez les Enata de lrsquoenfant-roi agrave lrsquoenfant multidimensionnel 283

123 Lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie dynamiques drsquoassimilation culturelle et reacuteponses

adaptatives 290

Synthegravese de la deuxiegraveme partie 294

TROISIEME PARTIE LrsquoAPPROPRIATION INSTITUTIONNELLE DE LA QUESTION

EDUCATIVE ESSAI CONCLUSIF SUR LA BANALITE DU MAL 296

Introduction agrave la troisiegraveme partie 297

13 Ideacuteologies eacuteducatives et logiques drsquoorganisation sociale 302

131 Apprendre capturer produire la logique preacutedatrice de la moderniteacute 305

132 Reacuteussite scolaire et reacuteussite sociale la difficile quadrature du cercle 307

14 La scolarisation dans lrsquoOutre-mer lrsquoillusion de lrsquoascenseur social 312

141 De retour au village la difficile inteacutegration des laquo autochtones diplocircmeacutes raquo 319

142 Lrsquoeacutecole du troisiegraveme milleacutenaire forge de citoyens ou fabrique de professionnels 321

15 Reformuler les politiques eacuteducatives de laquo lrsquoindiffeacuterence aux diffeacuterences raquo agrave la prise en

compte des particulariteacutes locales 325

151 Obstacles structurels 328

152 Obstacles ideacuteologiques 335

16 Enquecircter lrsquoeacuteducation enquecircter lrsquoethniciteacute 342

161 Une question de meacutethode 346

162 Plaidoyer pour une anthropologie de lrsquoeacuteducation laquo agrave la franccedilaise raquo 350

17 Conclusion et perspectives 358

171 Reacutesultats attendus initialement 361

172 Reacutesultats obtenus 364

173 Pistes pour la recherche 368

Synthegravese de la troisiegraveme partie 371

BIBLIOGRAPHIE 374

TABLE DES FIGURES 422

12

Lrsquohomme ne peut devenir homme que par lrsquoeacuteducation

[Immanuel Kant 1776 98]

13

AVANT-PROPOS

Introduire un travail de recherche nrsquoest pas simple Loin des prioriteacutes eacutetablies

par les politiques de la recherche scientifique ndash lesquelles traduisent souvent des

prioriteacutes proprement politiques ndash mes eacutetudes ont toujours eacuteteacute inspireacutees par le

contact humain avec des reacutealiteacutes qui stimulent ma curiositeacute et qui me semblent

meacuteriter drsquoecirctre eacutetudieacutees Cette thegravese est eacutegalement neacutee dans le cadre drsquoune

expeacuterience humaine ndash la mienne ndash que jrsquoai voulu laquo encadrer raquo selon un proceacutedeacute

scientifique

Lrsquoorigine de cette entreprise nrsquoa donc rien de scientifique mea culpa Apregraves

avoir travailleacute laquo sur le terrain raquo pendant pregraves de vingt ans ndash drsquoabord en tant que

journaliste puis depuis une dizaine drsquoanneacutees en tant qursquoanthropologue ndash sur les

conflits (ce qui mrsquoa ameneacute presque sans mrsquoen rendre compte agrave passer une bonne

partie de ma vie dans des contextes ougrave la violence et lrsquoinjustice eacutetaient largement

mobiliseacutees) en 2011 jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de mrsquoinstaller dans un village ameacuterindien

ougrave mes premiers contacts ont eacuteteacute avec des enfants Apregraves avoir passeacute du temps agrave

observer et agrave analyser les disputes je me suis dit que jrsquoavais finalement la possibiliteacute

de changer de perspective et de me tourner vers un laquo sujet drsquoeacutetude raquo diffeacuterent Les

enfants me faisaient penser agrave lrsquoinsouciance au jeu agrave la liberteacute en un mot agrave la paix

Crsquoest agrave partir de cette perspective un peu naiumlve que jrsquoai fait mes premiers pas dans

cette recherche qui est agrave preacutesent devenue ma thegravese de doctorat

La rencontre fortuite et heureuse avec certains chercheurs qui srsquooccupaient

de lrsquoeacuteducation informelle dans les communauteacutes autochtones mrsquoa motiveacute agrave

14

poursuivre mes recherches dans ce domaine et agrave observer comment les familles

formaient les plus jeunes membres de leur groupe Cependant la reacutevision de la

litteacuterature scientifique sur le sujet mrsquoa montreacute que drsquoautres chercheurs mrsquoavaient

preacuteceacutedeacute et il ne me semblait pas rester beaucoup drsquoespace pour deacutevelopper des

observations originales et capables drsquoapporter du nouveau au discours

anthropologique Toutefois si les reacutealiteacutes sociolinguistiques des laquo peuples

ethniques raquo semblaient jouir drsquoune grande attention de la part des chercheurs les

eacutetudes traitant des speacutecificiteacutes et des conduites eacuteducatives au sein de la famille dans

les communauteacutes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais eacutetaient beaucoup moins

nombreuses

De plus lrsquoanalyse des textes classiques sur la vie quotidienne des enfants

dans diffeacuterentes parties du globe mrsquoa montreacute que la plupart des observateurs

utilisait une approche laquo photographique raquo capable de deacutecrire le hic et nunc des

situations observeacutees mais sans aucune relation avec le contexte historique dans

lequel elles eacutetaient immergeacutees Les communauteacutes qui servaient de laquo sujet drsquoeacutetude raquo

ressemblaient souvent agrave des reacutealiteacutes isoleacutees dans lesquelles les performances

humaines se reacutepeacutetaient immuablement depuis la nuit des temps laquo parce qursquoil en a

toujours eacuteteacute ainsi raquo

Finalement ce balayage bibliographique mrsquoa permis de conclure que bien

que des observations aient eacuteteacute reacutealiseacutees peu drsquoentre elles prenaient en compte tous

les facteurs de lrsquoeacutequation qui soutenait mon hypothegravese initiale selon laquelle

lrsquoeacuteducation des peuples autochtones inteacutegreacutes aux Eacutetats nationaux devrait ecirctre

interpreacuteteacutee en tant que processus de transmission des donneacutees culturelles lieacutees agrave un

15

paysage naturel et social deacutetermineacute encadreacute par une dynamique laquo historique raquo

postcoloniale soit le processus drsquoeacutemancipation identitaire et politique des peuples

ou des Eacutetats coloniseacutes ou anciennement coloniseacutes et soumis agrave la pression exerceacutee

par des forces exogegravenes laquo glocales1 raquo notamment les impeacuteratifs imposeacutes par

lrsquoeacuteconomie de marcheacute

Il mrsquoa alors sembleacute possible de contribuer agrave alimenter le deacutebat en proposant

une eacutetude monographique sur laquo lrsquoeacuteducation chez les autochtones raquo en observant ce

pheacutenomegravene en tant que dynamique ndash adaptative creacuteative ou transfiguratrice ndash agrave

partir drsquoune perspective laquo panoramique raquo en la mettant en relation avec la reacutealiteacute

globale et avec les transformations imposeacutees par les politiques nationales

drsquointeacutegration sociale (citoyenne et scolaire) des plus jeunes membres de leurs

communauteacutes

Cette recherche se propose donc de contribuer agrave ce champ drsquoeacutetudes au moyen

drsquoun travail de terrain de longue dureacutee visant agrave eacutetudier et agrave comparer les styles

eacuteducatifs des familles autochtones agrave partir de deux cas hautement significatifs agrave

propos desquels il existe des lacunes eacutevidentes dans la litteacuterature scientifique les

Ameacuterindiens appartenant agrave lrsquoethnie Wayana-Apalaiuml en Guyane et les Enata

autochtones de lrsquoicircle de Hiva Oa dans lrsquoarchipel des Marquises en Polyneacutesie

franccedilaise2 Il srsquoagit lagrave de deux communauteacutes qui habitent dans des sites tregraves isoleacutes et

1 Ce mot-valise est un neacuteologisme indiquant les pheacutenomegravenes capables de mettre en relation les eacutechelles globales et locales

2 Pour faciliter la lecture et par commoditeacute de langage cette deacutesignation geacuteographique sera souvent

reacuteduite agrave laquo Polyneacutesie raquo Par ailleurs il srsquoagit de la deacutesignation adopteacutee par beaucoup de Polyneacutesiens

16

qui ont fascineacute plusieurs geacuteneacuterations de voyageurs explorateurs artistes ainsi que

des hommes et femmes de science Elles font deacutesormais partie de lrsquoimaginaire

geacuteographique national drsquoun cocircteacute la forecirct amazonienne et de lrsquoautre les icircles des Mers

du Sud drsquoun cocircteacute lrsquoenfer vert et de lrsquoautre le paradis bleu Jrsquoai choisi deux terrains

drsquoeacutetude organiseacutes de maniegravere diffeacuterente au niveau institutionnel puisque la Guyane

est inteacutegreacutee agrave lrsquoEacutetat en tant que Deacutepartement tandis que la Polyneacutesie est une

Collectiviteacute qui administre certaines compeacutetences de faccedilon autonome comme

lrsquoeacuteducation Lrsquoobjectif eacutetait alors de comparer deux contextes territoriaux diffeacuterents

tout en eacutetant deacutependants drsquoune mecircme puissance coloniale la France

Les pages qui suivent sont organiseacutees en trois parties La premiegravere est deacutedieacutee

agrave la preacutesentation du cadre conceptuel que jrsquoai deacuteveloppeacute agrave partir de mon hypothegravese

de deacutepart au deacutebat autour de certaines repreacutesentations que lrsquoanthropologie srsquoest

faite de lrsquoenfance et de lrsquoeacuteducation ainsi qursquoagrave la deacuteconstruction de certaines notions

qui bien que largement utiliseacutees dans lrsquoanalyse anthropologique peuvent geacuteneacuterer

des malentendus en raison de leur manque de neutraliteacute La deuxiegraveme partie est

centreacutee sur lrsquoanalyse comparative des donneacutees recueillies sur le terrain en Guyane

et en Polyneacutesie dans le but de deacutecrire les pratiques eacuteducatives parentales des

familles avec lesquelles jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de travailler La troisiegraveme partie

conclusive propose une discussion des reacutesultats de mon travail ethnographique agrave

ndash et Marquisiens ndash qui ne se reconnaissent pas dans laquo lrsquoidentiteacute franccedilaise raquo Cependant le terme ne

fait pas lrsquounanimiteacute la question de lrsquoappellation territoriale en tant que repreacutesentation symbolique

drsquoune identiteacute nrsquoest pas anodine et peut facilement se trouver agrave lrsquoorigine de controverses et de

querelles comme on le verra plus en deacutetail dans les pages qui suivent

17

partir de la perspective grand-angulaire que jrsquoai mentionneacutee auparavant pour

deacutemontrer que lrsquoeacuteducation familiale est un processus interactif destineacute agrave former des

membres drsquoune communauteacute agrave partir de certaines consideacuterations laquo locales raquo

fortement ancreacutees dans le panorama naturel et social mais qui dans des contextes

postcoloniaux peut ecirctre fragiliseacute par certains choix politiques faits laquo drsquoen haut raquo

dans le but de preacuteserver lrsquouniteacute de la nation ou de deacutevelopper le potentiel

eacuteconomique des laquo cultures locales raquo

Finalement jrsquoespegravere que mon effort pourra contribuer agrave alimenter le deacutebat

autour de cette theacutematique et apporter des eacuteleacutements drsquoanalyse concrets pour les

organismes concerneacutes par lrsquoeacuteducation et la preacuteservation du patrimoine culturel

franccedilais dans toute sa diversiteacute

18

PREMIERE PARTIE EacuteDUCATION CULTURE AUTOCHTONIE UN PARCOURS

CONCEPTUEL

19

Introduction

Lrsquoe tude comparative de lrsquoe ducation informelle dans deux communaute s

autochtones qui peuplent des territoires isole s de lrsquoOutre-mer franccedilais est un travail

qui mrsquoa oblige tout au long de sa re alisation a utiliser des cate gories analytiques qui

semblent parfois auto-e videntes Cependant comme lrsquoe crivait justement Ambrose

Bierce ce qui semble auto-e vident est bien souvent laquo e vident pour une seule

personne a lrsquoexclusion de toute autre raquo (Bierce 1911 27)

Le fait que cette e tude parte drsquoune observation ethnographique drsquoun

processus e ducatif dans le but de contribuer ndash avec des donne es recueillies sur le

terrain ndash au de bat public sur le ro le de la famille dans lrsquoe ducation des enfants et a

celui sur la reconnaissance du ro le des autochtones dans la gestion de leur culture

mrsquoa souvent oblige a des acrobaties conceptuelles pour trouver un terrain drsquoentente

entre toutes les disciplines qui confluent vers ce sujet

Bien que lrsquoapproche transdisciplinaire mrsquoait permis drsquoe viter certains

laquo sectarismes raquo me thodologiques qui encore aujourdrsquohui se parent les sciences

sociales (et qui cre ent des relations univoques entre une me thodologie et une

discipline de sorte que puisque je travaille a partir des observations sur le terrain

je ne peux faire que de lrsquoanthropologie) malheureusement les disciplines sociales

continuent a utiliser des laquo cadres conceptuels raquo qui leur sont propres et qui ne sont

20

pas toujours cohe rents avec ceux des autres disciplines Des concepts comme laquo la

culture raquo laquo lrsquoe ducation raquo laquo lrsquoautochtonie raquo laquo lrsquoethnie raquo laquo la nation raquo ou laquo le

patrimoine raquo acquie rent un sens tre s diffe rent selon qursquoon les de crit a partir du point

de vue de lrsquoanthropologue du politologue ou du chercheur en sciences de

lrsquoe ducation

Jrsquoai donc conside re ne cessaire de consacrer cette premie re partie au dialogue

entre les notions et les ide es qui seront re gulie rement utilise es dans cette the se

dans le but de les analyser de de montrer qursquoil est parfois possible de trouver des

de finitions laquo transdisciplinaires raquo et finalement drsquoexpliquer les raisons qui mrsquoont

pousse a en pre fe rer certaines et a en e viter drsquoautres Cette discussion conceptuelle

se compose de six chapitres le premier vise a de crire lrsquoapproche ge ne rale a partir

de laquelle jrsquoanalyserai les concepts basiques qursquoon discutera dans les chapitres

suivants et a reconstruire une histoire du regard de lrsquoanthropologie sur lrsquoe ducation

autochtone le deuxie me se focalise sur la question de lrsquoe ducation et son aspect a la

fois interactif ide ologique et symbolique le troisie me analyse le ro le de la

transmission de la culture a partir des apports offerts par certains domaines

scientifiques parfois de laisse s par les anthropologues tels la pale oanthropologie et

la psychologie cognitive le quatrie me est de die a laquo de construire raquo les notions

classiques de culture et de patrimoine pour en de celer la charge symbolique et

politique le cinquie me est centre sur les discours identitaires qui construisent la

notion drsquoautochtonie et ses laquo faux amis raquo a savoir lrsquoethnie et la nation le sixie me

aborde finalement la question de lrsquoacculturation et de lrsquoassimilation pour de crire des

21

cate gories dynamiques qui pourront nous aider a mieux comprendre les

phe nome nes lie s au multiculturalisme et a lrsquointerculturalite

22

1 Pourquoi eacutetudier lrsquoeacuteducation des peuples autochtones

Agrave partir du XIXegraveme siegravecle la pratique eacuteducative qui avait traditionnellement

eacuteteacute confieacutee agrave la laquo sagesse populaire raquo aux usages locaux ou aux meacutethodes propres agrave

chaque eacuteducateur est devenue un domaine drsquoeacutetude agrave part entiegravere Toutefois les

premiers travaux scientifiques sur le processus eacuteducatif eacutetaient baseacutes ndash comme on

le verra dans les pages suivantes ndash sur des observations informelles qui ne laissaient

guegravere drsquoespace agrave une analyse rigoureuse de donneacutees mesurables ou veacuterifiables et

qui devaient donc se limiter agrave de simples speacuteculations sur les normes agrave suivre pour

eacuteduquer les enfants et plus important encore sur des conseils concernant la

maniegravere drsquoexercer lrsquoautoriteacute parentale

Cependant les ide es et les orientations sur lrsquoe ducation des enfants en a ge

scolaire qui se sont diffuse es entre le XIXe me et le XXe me sie cle et qui ont modele les

syste mes drsquoinstruction globaux a partir du prototype occidental sont aujourdrsquohui

remises en cause un peu partout par une nouvelle approche laquo de coloniale3 raquo qui a

e te capable de rendre visible leurs limites en mettant en e vidence la varie te des

3 Cette approche vise agrave expliquer certains pheacutenomegravenes sociaux actuels agrave partir de lrsquoanalyse critique

de lrsquohistoire sociale politique et eacuteconomique des territoires qui ont fait partie dans le passeacute des

empires coloniaux europeacuteens

23

dimensions culturelles qui jusqursquoa un passe tre s re cent nrsquoe taient pas prises en

conside ration par le monde de la recherche et par les administrations scolaires

Certaines the matiques comme lrsquoe ducation aux normes ou aux re gles de vie

interpellent parents e ducateurs et enseignants ce qui ne devrait pas nous

surprendre si nous tenons compte de la difficulte a trouver des crite res communs

dans un monde devenu laquo multidimensionnel raquo et dans lequel cohabitent et se

juxtaposent des syste mes institutionnels et des formes drsquoorganisation sociale de

niveaux local national et supranational La pre sence dans les me mes

environnements e ducatifs drsquoenfants avec des origines culturelles diffe rentes

constitue un autre de fi aux dogmatismes ndash souvent implicites ndash qui orientent lrsquoaction

e ducative dans la famille et a lrsquoe cole et que chaque culture tend a supposer comme

absolus et universels

11 Le regard anthropologique sur lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie

Selon Robert LeVine et Rebecca New (2008) depuis ses origines la recherche

anthropologique sur lrsquoenfance a vise principalement les mode les e ducatifs drsquoEurope

et drsquoAme rique du Nord et la majorite des travaux scientifiques dans le domaine ne

concernent que les syste mes de transmission culturelle des pays industrialise s ou

en voie drsquoindustrialisation dans lesquels vivent moins de 10 des enfants du

monde Il srsquoagit la drsquoune donne e qui ne devrait pas nous surprendre et ce pour une

double raison si drsquoun co te les anthropologues ont traditionnellement pre fe re ndash a

24

quelques exceptions pre s ndash le monde des adultes a lrsquounivers de lrsquoenfance4 drsquoun autre

co te les chercheurs inte resse s par les proble mes du de veloppement de lrsquoenfant ndash

majoritairement rattache s a des universite s ou a des centres de recherche europe ens

ou nord-ame ricains ndash ont tre s souvent pre fe re travailler dans des contextes

ge ographiquement proches en raison des contraintes logistiques que pose la

recherche sur lrsquoenfance (LeVine 2007)

Du fait de ce relatif manque drsquointe re t les ide es croyances principes et

dogmes qui ont laquo construit raquo le savoir occidental et laquo moderne raquo sur lrsquoenfance nrsquoont

que tre s rarement donne lieu a la comparaison interculturelle et a la re flexion

dialogique qui caracte rise lrsquoanthropologie contemporaine (Mantovani 2009) Plus

particulie rement les formes et les e tapes du de veloppement des enfants ainsi que

les soins et lrsquoactivite e ducative re alise s par les parents les autres membres de la

famille et les pairs ndash qui se traduisent en habitudes et routines quotidiennes en

4 Lawrence Hirshfeld (2002) a analyseacute le problegraveme dans un article paru dans la revue American

Anthropologist qui avec le temps est devenu une reacutefeacuterence dans le domaine des eacutetudes sur lrsquoenfance

et qui portait un titre volontairement poleacutemique laquo Why donrsquot anthropologists like children raquo

(Pourquoi les anthropologues nrsquoaiment pas les enfants ) Agrave partir de la reacuteflexion de Hirshfeld drsquoautres

anthropologues ont continueacute au deacutebat autour des raisons qui ont fait de lrsquoenfance un domaine drsquoeacutetude

eacuteviteacute par les scientifiques sociaux Selon David Lancy par exemple les difficulteacutes surgissent du fait

qursquoil srsquoagisse drsquoun terrain de recherche limiteacute par le laquo pouvoir de veto raquo (une expression qursquoil

emprunte agrave Robert LeVine et Karin Norman 2001) de certaines disciplines comme la psychologie

cognitive ou la psychopeacutedagogie qui se considegraverent comme les veacuteritables deacutepositaires de la

recherche lieacutee agrave lrsquoenfance (Lancy 2012 Une premiegravere eacutebauche de cette reacuteflexion est preacutesenteacutee dans

Lancy 2008)

25

attentes autour des possibilite s et des obligations des enfants en gestes jeux

conversations et activite s a travers lesquels les adultes transmettent et les enfants

apprennent ce que leur environnement attend drsquoeux ndash ne sont sujet a de bat dans le

milieu acade mique que lorsqursquoon a lrsquooccasion de de couvrir qursquoil existe des mode les

diffe rents Or tre s souvent apre s les avoir observe es et interpre te es on se rend

compte que ces strate gies laquo autres raquo re ve lent des mode les de formation efficaces

pour permettre le de veloppement de lrsquoenfant dans le contexte ou il vit et pour

remettre en cause les strate gies e ducatives les plus en vogue (Goldstein 1998)

12 Lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation une science en construction

Lrsquoanthropologie de lrsquoe ducation un champ disciplinaire e mergent a contribue

a construire et a alimenter lrsquoe tude des formes locales de parente de parentalite de

formation des enfants et drsquoe ducation a la socialite (Claes et al 2008) Les recherches

dans ce domaine ont permis de connaicirc tre les sche mas qui re gissent les structures

familiales et communautaires locales en essayant de comprendre les me canismes

qui leur assignent une validite pe dagogique Les travaux ethnographiques classiques

ont souligne les diffe rents ro les que jouent les parents les familles les communaute s

et les institutions sociales (parmi lesquelles il y a lrsquoe cole) contribuant a la

compre hension anthropologique de cette expe rience si humaine qursquoest la

transmission des savoirs aux nouvelles ge ne rations Cependant srsquoil est vrai ndash comme

nous le verrons dans le prochain chapitre ndash que la dynamique e ducative est

consubstantielle a notre humanite il est tout aussi vrai que les formes a travers

lesquelles elle se manifeste diffe rent drsquoune communaute a une autre et que chaque

26

groupe humain utilise des strate gies de transmission culturelle adapte es a son

propre contexte

Voici donc la caracte ristique la plus importante de lrsquoanthropologie de

lrsquoe ducation qui a la diffe rence de lrsquoanthropologie cognitive5 est une science voue e a

la comparaison dans le but de de crire et de comprendre les diffe rentes strate gies

gra ce auxquelles dans des cultures diffe rentes les re seaux de parente et les

institutions e ducatives poursuivent lrsquoobjectif universel de former les enfants a faire

laquo le bien le beau le juste raquo tout en suivant les constantes culturelles de leur groupe

social

Cependant si dans les contextes e ducatifs formels comme lrsquoe cole ou la

formation continue il est relativement facile drsquoe tudier et drsquoexpe rimenter des

mode les diffe rents il est bien plus difficile de mettre en perspective et de

questionner les routines et les pratiques e ducatives des contextes informels

lrsquoallaitement le sevrage les pratiques disciplinaires lrsquoe ducation morale la

socialisation lrsquoapprentissage du langage les formes de protection les jeux et autres

activite s libres les relations interge ne rationnelles ou encore les responsabilite s et

les ta ches domestiques re serve es aux enfants

5 Lrsquoanthropologie cognitive est consideacutereacutee comme un domaine de la recherche plus proche de la

psychologie eacutevolutionniste que de lrsquoanthropologie sociale et culturelle Il srsquoagit drsquoune approche qui a

pris forme et srsquoest diffuseacutee agrave partir de la fin des anneacutees 1960 et qui eacutetudie les dispositifs cognitifs

universels qui organisent et orientent le deacuteveloppement des cultures humaines (Tyler 1969 Voir

aussi Dortier 2004)

27

Les anthropologues qui se sont consacre s a lrsquoe tude des dynamiques que je

viens de mentionner ont donc du prendre en conside ration non seulement les

opportunite s offertes par le travail ethnographique ndash comme outil fondamental de

recueil des donne es sur le terrain ndash mais aussi toute une se rie de connaissances

savoir-faire et compe tences de rive es drsquoautres domaines scientifiques et qui e taient

tre s rarement pris en compte par leurs colle gues davantage inte resse s par les

aspects socio-culturels laquo purs raquo Je pense par exemple aux apports de la psychologie

(et notamment de la psychologie du de veloppement la psychologie cognitive la

psychope dagogie et la psychologie culturelle et sociale) et de la sociologie (de la

famille de la parente et de lrsquoe ducation mais aussi des organisations) qui ont autorise

une laquo contamination raquo disciplinaire Cette transdisciplinarite a a son tour permis de

de passer lrsquoopposition ste rile entre les me thodes qualitatives et quantitatives et

drsquoillustrer la diversite des contextes e tudie s gra ce a une ve ritable perspective

interculturelle et a une re flexion me thodologique sophistique e6 qui a su prendre en

conside ration des sujets drsquoe tude laquo difficiles raquo (les enfants dans le cadre de leur vie

domestique et communautaire) et le ro le ndash encore plus difficile ndash de lrsquoethnographe

oblige de re aliser ses observations tout en e tant doublement e tranger

premie rement en tant que repre sentant drsquoune culture laquo autre raquo et deuxie mement du

fait de son a ge adulte

6 Comme dans les travaux de Melford Spiro et Audrey Spiro (1958) de Sara Harkness et Charles Super

(1977) de Melvin Konner (1977) drsquoEdward Tronick Gilda Morelli et Steve Winn (1987) de Barry

Hewlett (1992) ou de Rebecca New (1994) pour ne citer que quelques exemples paradigmatiques

28

13 Au-delagrave de la parenteacute et de la famille les premiegraveres observations des

pratiques eacuteducatives

De s ses de buts la recherche transculturelle sur lrsquoenfance a de fie la manie re

dont nous ndash membres de la socie te laquo occidentale raquo citoyens de nations

industrialise es et a fort revenu ndash conceptualisons lrsquoenfance Ce travail a permis de

de couvrir des conditions et des re sultats auxquels les laquo experts raquo europe ens et nord-

ame ricains ne srsquoattendaient ge ne ralement pas

Rappelons-nous que lrsquointe re t scientifique pour le monde de lrsquoenfance a

e merge autour de la deuxie me moitie du XIXe me sie cle en paralle le a la publication

des premie res œuvres litte raires avec des enfants comme protagonistes Les travaux

critiques de Marina Bethlenfalvay (1979) et de Virginie Prioux (2010) nous

montrent que les romanciers ndash romantiques ou naturalistes ndash de cette e poque

aimaient a repre senter lrsquoenfance comme la pe riode de lrsquoinnocence et les enfants

comme des victimes potentielles de lrsquoexploitation et de lrsquoabandon7 Gra ce a des

œuvres destine es au grand public comme Oliver Twist de Charles Dickens Alice au

pays des merveilles de Lewis Carroll Sans Famille de Hector Malot Franccedilois le bossu

de la Comtesse de Se gur La Petite Princesse de Frances Hodgson Burnett Les Quatre

Filles du docteur March de Louise May Alcott ou Poil de Carotte de Jules Renard la

7 Un exemple inteacuteressant est le personnage de David Copperfield ndash protagoniste du chef drsquoœuvre

homonyme de Charles Dickens ndash lequel se souvenant de la cruauteacute de son beau-pegravere srsquoeacutecriait laquo Je

nrsquoavais ni guide ni conseil aucun encouragement et aucune consolation pas le moindre soutien de

quiconque rien que je puisse me rappeler raquo (Dickens 1849 36)

29

litte rature du XIXe me sie cle a forge une repre sentation ide alise e et ste re otype e de

lrsquoenfant comme un e tre fragile et a pre server (Seveno-Gheno 2001) Crsquoest a cette

e poque-la que sont apparues les toutes premie res initiatives de protection de

lrsquoenfance visant a affranchir les enfants du travail nocturne et manuel les

le gislateurs europe ens et nord-ame ricains ont introduit les premie res normes sur la

scolarisation obligatoire les e ducateurs ont cre e les kindergarten (les jardins pour

enfants) pour faire face a lrsquoe ducation de la premie re enfance et de manie re ge ne rale

la pre occupation ndash plus sentimentale que scientifique ndash envers le bien-e tre des plus

petits est devenue une affaire courante et un argument constant des de bats ayant

cours dans les milieux bourgeois et aristocratiques des pays industrialise s

Cependant peu de travaux de recherche visant a laquo comprendre raquo les enfants et leurs

besoins spe cifiques ont e te re alise s tre s probablement a cause du relatif manque

drsquointe re t affiche par la communaute scientifique internationale8 Il faut attendre la

fin du XIXe me sie cle et surtout la publication des premiers travaux de Sigmund

Freud9 pour que les premie res e tudes et enque tes sur la vie de lrsquoenfant voient le jour

8 Agrave la notable exception de certains travaux dans le domaine de la meacutedecine et de lrsquoeacutepideacutemiologie

dans lesquels les enfants eacutetaient analyseacutes en tant que veacuteritables laquo sujets drsquoeacutetude raquo notamment dans

le champ de la recherche sur les vaccins (comme ceux du meacutedecin anglais Edward Jenner et du

biologiste franccedilais Louis Pasteur) Crsquoest agrave cette eacutepoque-lagrave que les premiegraveres chaires de peacutediatrie mais

aussi les premiegraveres eacutetudes sur la santeacute et lrsquohygiegravene des enfants ont eacuteteacute inteacutegreacutees dans les universiteacutes

europeacuteennes

9 Les eacutetudes du fondateur de la psychanalyse ont permis de voir la premiegravere enfance ndash en tant que

peacuteriode exposeacutee agrave lrsquoinfluence du contexte familial ndash sous un autre jour ainsi que de mettre en lumiegravere

le rocircle de cette derniegravere dans le deacuteveloppement psychologique des ecirctres humains entre autres en

30

Bien que le premier travail a caracte re anthropologique sur lrsquoenfance ait e te

publie en 1912 par Franz Boas cet e crit rele ve davantage drsquoune laquo spe culation de

salon raquo que du re sultat drsquoune enque te ethnographique base e sur des donne es

concre tes (Boas 1912) Dans ce travail le pe re de lrsquoanthropologie ame ricaine ndash et

auteur des remarquables monographies sur la vie des Inuits de lrsquoI le de Baffin et sur

les Kwakiutl de la Columbia Britannique ndash pre sente sa the orie sur la plasticite des

laquo types raquo humains a partir de ses observations sur la croissance physique des enfants

des immigrants europe ens aux E tats-Unis Il srsquoagit la de lrsquoun de ses travaux les plus

critique s en raison de certaines conclusions qursquoil expose et qui semblent e tre

contamine es par des principes de rive s de lrsquoe volutionnisme social10

tant que peacuteriode pendant laquelle les enfants deacuteveloppent une sexualiteacute speacutecifique geacuteneacutereacutee par les

pulsions de la libido (Freud et Breuer 1895 Freud 1905)

10 Le relativisme culturel et le particularisme historique soutenus par Franz Boas eacutetaient reacutesolument

opposeacutes aux dogmes du darwinisme social Cependant dans ce texte preacutesenteacute dans le cadre de la

Premiegravere Confeacuterence Universelle sur les Races Boas considegravere que laquo entre les Juifs de lrsquoEurope de

lrsquoEst la tecircte de ceux qui sont neacutes en Europe est plus courte que la tecircte de ceux qui sont neacutes en

Ameacuterique Elle est plus large entre ceux qui sont neacutes en Europe plus que celle de ceux qui sont neacutes

en Ameacuterique En mecircme temps ceux qui sont neacutes en Ameacuterique eux sont plus grands raquo ce qui selon

lui deacutemontre son hypothegravese autour de laquo lrsquoindiscutable plasticiteacute des types humains raquo (Boas 1912

101-103) Si dans ce texte Boas ne construit pas une veacuteritable laquo theacuteorie de lrsquoeacutevolution de la race raquo il

est eacutevident que ses ideacutees sur la capaciteacute adaptative du corps humain ndash qui serait capable de se

modifier en lrsquoespace drsquoune geacuteneacuteration pour reacutepondre aux neacutecessiteacutes imposeacutees par lrsquoenvironnement

naturel et social ndash semblent plus proches du darwinisme social que du relativisme culturel

31

Ce travail de Boas peu connu du grand public a cependant influence certains

de ses disciples et plus particulie rement Margaret Mead et Ruth Benedict qui ont

alors mene des enque tes de terrain plus scientifiques ndash et moins spe culatives ndash ayant

contribue a la naissance drsquoun nouveau champ disciplinaire connu comme laquo les

e tudes sur la culture et la personnalite raquo De leur mentor les deux e le ves ont retenu

trois leccedilons importantes lrsquoe tre humain est dote drsquoune laquo plasticite raquo sociale (une

forme de flexibilite psychologique qui lui permet de srsquoadapter a lrsquoenvironnement

social et naturel) la laquo ne ote nie raquo soit lrsquoimmaturite prolonge e ou la conservation de

certains traits enfantins chez les adultes ou les presque-adultes est centrale pour

comprendre le de veloppement humain et finalement les facteurs culturels

influencent le de veloppement psychologique de lrsquoenfant Margaret Mead et Ruth

Benedict ont e galement e te influence es par un autre travail de Boas publie en 1902

dans la prestigieuse revue Science dans lequel lrsquoauteur (qui se base sur certaines

re flexions de veloppe es pendant ses e tudes avec le me decin Rudolf Virchow a Berlin

en 1883) expose sa the orie sur les variations insolites du de veloppement humain

qui peuvent e tre conside re es comme pathologiques dans la perspective drsquoune

culture particulie re mais qui en re alite entrent dans la gamme des variations

laquo acceptables raquo de lrsquoespe ce humaine (Boas 1902)

En 1928 Margaret Mead publie les re sultats de son travail de terrain visant a

observer la vie quotidienne des filles adolescentes dans les icirc les Samoa Le livre qui

en de coule Adolescence agrave Samoa pre face par Franz Boas est devenu lrsquoun des textes

anthropologiques les plus vendus de tous les temps (Mead 1928a) Lrsquoobjectif de

cette monographie nrsquoe tait pas seulement de de crire les pratiques les performances

32

et les rituels lie s a cette tranche drsquoa ge dans un contexte laquo primitif raquo mais surtout de

mettre en discussion le dogme qui associait lrsquoadolescence a des comportements lie s

au tumulte e motif typique de cette pe riode de la vie de lrsquoe tre humain dans le monde

occidental11 Ce nrsquoest donc pas un hasard si lrsquoe dition ame ricaine de lrsquoouvrage avait

pour sous-titre laquo une eacutetude psychologique de la jeunesse primitive agrave lrsquousage de la

civilisation occidentale raquo Son but e tait de reconside rer le de veloppement des enfants

et des adolescents tout en e vitant les ge ne ralisations universelles produites par

certaines visions ethnocentriques Le me me objectif lrsquoa conduite a publier dans la

revue Natural History au cours de la me me anne e un article de crivant le quotidien

des enfants samoans et soulignant les aspects qui srsquoe loignaient le plus des attentes

des parents ame ricains de la classe moyenne (Mead 1928b) Dans cet article

Margaret Mead de crit ses sujets drsquoe tude comme des laquo petits adultes raquo (little adults)

qui contribuent activement a lrsquoe conomie domestique et a la production drsquoaliments

sans laisser aucun doute sur le fait que ses observations de rivent de son point de vu

laquo externe raquo en tant que produit de son appartenance a une culture ndash occidentale et

laquo moderne raquo ndash qui conside re le travail infantile comme intole rable Cependant

Margaret Mead met aussi en e vidence le fait que dans le cadre de leur culture

drsquoorigine les laquo petits adultes raquo samoans bien que charge s de certaines ta ches tre s

physiques et fatigantes restent des enfants et que les parents continuent a les

11 Cette formulation deacuterivait des travaux de Granville Stanley Hall fondateur de la psychologie

infantile en Ameacuterique qui en 1904 a forgeacute et contribueacute agrave la popularisation du terme laquo adolescence raquo

(Hall 1904)

33

conside rer comme tels en les excluant des responsabilite s sociales qui sont propres

aux adultes comme la participation a certaines ce re monies ou rituels

Me me si la laquo scientificite raquo de ces travaux a e te plusieurs fois mise en doute ndash

notamment par des voix tre s e minentes12 ndash ses efforts pour comprendre le ve cu des

enfants et des adolescents nrsquoen e taient pas moins tre s novateurs Margaret Mead a

en effet e te la toute premie re anthropologue a se spe cialiser sur les the mes de

lrsquoenfance et de lrsquoadolescence

Un peu plus tard sa colle gue Ruth Benedict srsquoest inte resse e a ces me mes

the matiques et ses contributions a la diffe rence de celles de Margaret Mead ne sont

pas base es sur un compte-rendu drsquoobservations mene es sur le terrain mais pluto t

sur une analyse anthropologique ndash et plus laquo panoramique raquo ndash des donne es obtenues

par drsquoautres ethnographes afin de repe rer des similitudes et des diffe rences dans les

dynamiques de socialisation infantile mais surtout afin drsquoexaminer les dimensions

12 Agrave propos de sa production scientifique Clifford Geertz eacutecrira laquo une partie est eacutevidemment

superficielle mal penseacutee neacutegligemment argumenteacutee et mecircme irresponsable Une partie est

routiniegravere banale dans le meilleur des cas conjoncturel dans le pire du pur remplissage Une partie

est professionnelle soigneuse une contribution modeste mais concregravete au savoir Et une partie est

extraordinaire reacutevolutionnaire au moment ougrave elle fut eacutecrite mais aussi aujourdrsquohui raquo (Geertz 1989

335) Drsquoun avis plus nuanceacute mais eacutegalement critique Serge Tcherkeacutezoff (1997 2001) considegravere que

Margaret Mead a eacuteteacute influenceacutee par le mythe occidental de la liberteacute sexuelle en Polyneacutesie et qursquoelle

a donc systeacutematiquement interpreacuteteacute ses observations sur cette partie de lrsquooceacutean Pacifique en fonction

de certains clicheacutes ethnocentriques (point de vue qursquoil partage avec lrsquoanthropologue neacuteozeacutelandais

Derek Freeman 1983)

34

a travers lesquelles des socie te s culturellement diffe rentes conccediloivent les phases du

de veloppement humain (Benedict 1938) Son travail peut e tre conside re comme la

toute premie re e tude compare e des e tapes de la vie humaine (petite enfance

enfance adolescence a ge adulte et vieillesse) en termes laquo culturels raquo et le premier a

analyser les discontinuite s et les laquo ruptures raquo qui symbolisent le passage de la petite

enfance a lrsquoenfance et de lrsquoenfance a lrsquoadolescence

Entre 1913 et 1929 Bronislaw Malinowski a publie une se rie de travaux

ethnographiques dans lesquels lrsquoobservation des enfants jouait un ro le central dans

lrsquoappui de ses the ses (Malinowski 1913 1927 1929) Bien que son ethnographie

laquo intensive raquo ndash qui implique de longues pe riodes de travail sur le terrain afin que le

chercheur puisse participer aux activite s et aux relations de la communaute e tudie e

et qursquoil puisse reconstruire selon sa ce le bre expression laquo le point de vue du natif raquo

et les significations profondes de certaines pratiques locales ndash srsquoe loigne des

me thodes classiques de la recherche psychologique (qui privile gie les tests et les

mesures quantitatives) Malinowski conside rait son travail comme une approche

psychologique des proble mes de la culture laquelle ndash a partir de lrsquoanalyse de la

mythologie locale et des formes drsquoorganisation familiale ndash serait capable de re ve ler

le sens le plus profond des comportements humains dans des contextes laquo sauvages raquo

ou laquo primitifs raquo Dans sa monographie intitule e La sexualiteacute et sa reacutepression dans les

socieacuteteacutes primitives parue en 1927 il re alise la premie re critique culturelle de la

the orie de lrsquouniversalite du complexe drsquoŒdipe en montrant que telle que Freud lrsquoa

formule e elle nrsquoe tait pas applicable aux natifs des icirc les Trobriands Malinowski e tait

convaincu que bien que la jalousie ressentie par les petits garccedilons envers la relation

35

de leurs me res avec leurs pe res ndash et la peur de la punition provenant du pe re ndash

pouvait avoir un sens dans une socie te patriarcale comme celle du XIXe me sie cle

viennois elle nrsquoavait aucun sens dans une socie te matriline aire comme celle des

Trobriandais ou le pe re e tait traite comme un ami et ou les tensions domestiques

e taient provoque es par le ro le de lrsquooncle maternel (Malinowski 1927)13

En 1929 Malinowski a publie un autre livre sur La vie sexuelle des sauvages

de la Meacutelaneacutesie nord-occidentale dans lequel on trouve des sections de die es a la

description du quotidien des enfants des icirc les Trobriands Dans ce travail Malinowski

approfondit ses re flexions sur le ro le du pe re dans la famille me lane sienne et de crit

minutieusement les activite s sexuelles des enfants trobriandais dont il souligne le

fait qursquoelles nrsquoe taient jamais re prime es par les parents14 Ainsi ses travaux comme

13 Cependant la tentative de Malinowski de relativiser la porteacutee du complexe drsquoŒdipe a eacuteteacute

vigoureusement reacutefuteacutee par Freud et son cercle lesquels eacutetaient convaincus qursquoil srsquoagissait drsquoun

complexe ayant un caractegravere universel (les deacutetails de cette laquo querelle raquo ont eacuteteacute eacutetudieacutes par Bertrand

Pulman 2002)

14 Toutefois on devrait reconsideacuterer certaines affirmations de Malinowski agrave la lumiegravere de sa

tendance agrave exageacuterer de maniegravere parfois morbide ses observations et surtout celles lieacutees aux

coutumes sexuelles des enfants et des adolescents il existe en effet un deacutecalage entre ses notes de

terrain et ses travaux scientifiques De telles incoheacuterences ont eacuteteacute deacutevoileacutees dans le cadre de la

controverse qui a suivi la publication de son journal intime en 1967 ce qui nrsquoa finalement pas

entacheacute sa reacuteputation en tant qursquoanthropologue mais qui a sucircrement eu un impact consideacuterable sur

la reconsideacuteration et lrsquointerpreacutetation de sa maniegravere de laquo vivre le terrain raquo de se mettre en relation

avec ceux qursquoil consideacuterait comme des laquo sauvages raquo et de raconter ce qursquoil avait veacutecu (Geertz 1967

Voir aussi Malinowski 1967)

36

ceux de Boas ont eu une influence notable dans la gene se drsquoun courant de recherche

qui allait caracte riser lrsquoanthropologie des anne es suivantes

Cette influence est particulie rement e vidente dans le travail de Meyer Fortes

qui avait une formation en psychologie de lrsquoe ducation mais qui en suivant les

se minaires postdoctoraux en anthropologie dirige s par Bronislaw Malinowski et

Raymond Firth a la London School of Economics a de cide de se consacrer

exclusivement a la recherche ethnographique Sa premie re monographie sur les

Tallensis du Ghana publie e en 1938 est de sormais conside re e comme un texte

classique de lrsquoanthropologie de lrsquoenfance bien qursquoil utilise tre s souvent des concepts

de la psychologie pour interpre ter les performances sociales observe es Lui aussi a

observe les laquo petits adultes raquo tallensis ndash des enfants capables de se charger de

responsabilite s concre tes de la vie domestique autonomes et dote s de compe tences

et de capacite s que dans la civilisation occidentale on attribue normalement aux

adultes ndash mais a la diffe rence de Malinowski qui expliquait cette maturite comme

un effet de lrsquoe panouissement sexuel de lrsquoenfant Meyer Fortes a pre fe re une

interpre tation plus culturaliste Selon lui les enfants tallensis e taient forme s de s

leur plus jeune a ge a leur ro le de laquo porteurs des traditions culturelles raquo dans le cadre

drsquoune relation e ducative qui les liait aux parents et qui fonctionnait comme un

paradigme de toutes les relations laquo morales raquo et de toutes les interactions sociales a

lrsquointe rieur et a lrsquoexte rieur de la communaute (Fortes 1938) Il constitue

probablement le dernier auteur de cette premie re phase laquo descriptive raquo dans

lrsquohistoire de lrsquoanthropologie de lrsquoe ducation ou beaucoup drsquointerpre tations

e mergeaient drsquoune vision pluto t superficielle de la re alite observe e tout en e tant le

37

pre curseur drsquoune phase plus laquo re flexive raquo une phase qui comme nous le verrons

dans les pages suivantes allait montrer a la communaute scientifique internationale

les potentialite s et les nouvelles voies offertes par cette branche de la science

anthropologique

14 La fragmentation de la discipline

Si cette premiegravere phase laquo glorieuse raquo drsquoeacutetudes sur lrsquoeacuteducation et lrsquoenfance a

stimuleacute un grand nombre de chercheurs ce champ disciplinaire reste aujourdrsquohui

encore en chantier Le premier obstacle est celui de la deacutefinition de la discipline elle-

mecircme En effet le nom qursquoon devrait lui donner ne fait pas lrsquounanimiteacute Certains

auteurs preacutefegraverent parler drsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation (Middleton 1970 Wulf

1999 Anderson-Levitt 2006) ou drsquoethnologie de lrsquoeacuteducation (Erny 1961) drsquoautres

drsquoanthropologie de lrsquoenfance (Gaskins 2000 LeVine amp Norman 2001 Hirshfeld

2002 Lancy 2008) et drsquoautres encore preacutefegraverent la deacutesignation drsquoeacuteducation

compareacutee (Lecirc Thanh 1981 Halls 1991 Van Daele 1993 Groux amp Porcher 1997

Groux 1997 Goldstein 1998)15 Bien que le sujet drsquoeacutetude ne change pas ndash il srsquoagit

toujours de lrsquoanalyse des faits eacuteducatifs et des pratiques qui lrsquoaccompagnent ndash

15 Dans cette partie je ne mrsquooccuperai pas de la sociologie de lrsquoeacuteducation car il srsquoagit drsquoun domaine

qui se consacre en prioriteacute agrave lrsquoanalyse des pheacutenomegravenes sociaux lieacutes aux institutions drsquoeacuteducation

drsquoinstruction et de formation comme les eacutecoles les lyceacutees ou les universiteacutes surtout dans les pays

occidentaux (Van Haecht 1990) Cependant je mrsquoappuierai souvent sur certains auteurs qui

proviennent de cette discipline et qui ont contribueacute pour diffeacuterentes raisons agrave alimenter le deacutebat sur

la laquo question eacuteducative raquo

38

chaque preacutefeacuterence semble manifester une conception particuliegravere de lrsquoeacuteducation et

des acteurs sociaux qui y sont impliqueacutes Dans le premier cas elle est appreacutehendeacutee

de maniegravere plus geacuteneacuterale en tant que processus qui intervient tout au long de la vie

et qui se confond avec les pratiques de formation et drsquoinstruction Dans le deuxiegraveme

lrsquoaccent est mis sur le rocircle des enfants dans les interactions eacuteducatives et sur leur

capaciteacute agrave influencer et agrave transformer la reacutealiteacute qui les entoure (leur laquo agentiviteacute raquo

ou agency) Dans le troisiegraveme on srsquoappuie sur lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoanalyse des

pratiques eacuteducatives ne prend du sens qursquoau travers drsquoune perspective compareacutee

dans le but de comprendre les avantages et les inconveacutenients des strateacutegies mises

en place par les diffeacuterents groupes humains (Sirota 2001) Crsquoest dans le cadre de

cette derniegravere perspective que certains gouvernements et organisations

internationales ont reacutealiseacute des eacutetudes pour reacuteveacuteler les diffeacuterences entre les

performances des systegravemes eacuteducatifs occidentaux et celles des pays en voie de

deacuteveloppement (Leclercq 2005)

Au-delagrave de ce premier obstacle il en existe un deuxiegraveme geacuteneacutereacute par la

fragmentation des perspectives sur lrsquoeacuteducation et par les prioriteacutes analytiques qui

guident lrsquoaction des diffeacuterents courants de recherche Lrsquoun des domaines privileacutegieacutes

est sucircrement celui de la socialisation observeacutee soit comme un processus de

deacuteveloppement du caractegravere de lrsquoenfant de son tempeacuterament et de sa personnaliteacute

(Mead 1930 et 1947 Whiting amp Whiting 1973 Rogoff et al 1975) soit comme un

processus drsquoacquisition des outils cognitif et du langage (Ochs 1988 Rogoff 1990

Schieffelin 1990) Un deuxiegraveme domaine drsquointeacuterecirct est celui de lrsquoinstruction crsquoest-agrave-

dire lrsquoeacutetude des processus de transmission des savoirs et surtout des capaciteacutes

39

pratiques dans la production de la culture mateacuterielle (Fortes 1938 Hewlett amp

Cavalli-Sforza 1986) Il existe eacutegalement une part significative drsquoeacutetudes consacreacutees

au jeu et agrave ses implications dans la construction eacutemotionnelle et lrsquoapprentissage de

certaines connaissances comme les matheacutematiques par exemple ou compeacutetences

comme le repeacuterage dans lrsquoespace ou les strateacutegies de coopeacuteration (Lancy amp Tindall

1976 Schwartzman 1979) Drsquoautres auteurs ont exploreacute lrsquoenfance agrave partir drsquoune

perspective eacutemique ndash en utilisant les cateacutegories mentales propres au groupe humain

observeacute ndash pour comprendre sa fonction laquo drsquoincubateur raquo social et son rocircle dans le

processus de maturation sociale des plus jeunes et drsquointeacutegration agrave la communauteacute

drsquoappartenance (Conklin amp Morgan 1996 Razy 2007) Finalement drsquoautres

courants se sont occupeacutes drsquoaspects plus speacutecifiques comme les pratiques de

seacuteparation temporaires de la communauteacute ndash notamment dans le cas des rituels

drsquoinitiation pour les garccedilons ou de lrsquoapparition des regravegles chez les filles (Reynolds

1991) ndash le travail des enfants et leur rocircle dans lrsquoeacuteconomie domestique et la

production capitaliste (Kramer 2005) ou encore la spiritualiteacute des enfants et leur

participation agrave des pratiques religieuses (Maiden amp Farwell 1997)

Si les deacutesaccords theacuteoriques qui seacuteparent certaines eacutecoles de penseacutee et

lrsquoabsence drsquoun langage commun pouvant permettre un dialogue permanent entre les

diffeacuterents secteurs de ce domaine de recherche ont limiteacute la construction drsquoun savoir

homogegravene les apports respectifs de ces travaux ont accru les connaissances que

nous avons sur lrsquoeacuteducation et sur le rocircle des enfants dans les communauteacutes dans

lesquelles ils vivent Ils ont aussi permis de deacutepasser certains dogmes et drsquoaccepter

40

le fait que chaque culture se perpeacutetue agrave partir de pratiques laquo localiseacutees raquo qui sont

difficilement concevables hors de leur laquo habitat raquo

41

2 Qursquoest-ce que lrsquoeacuteducation

Lrsquoeacutetymologie latine du mot eacuteducation ndash qui deacuterive drsquoeducatio terme composeacute

du preacutefixe ex (hors de) et du substantif du verbe ducere (conduire) ndash nous suggegravere

qursquoil srsquoagit drsquoun processus qui amegravenerait lrsquoeacuteduqueacute laquo hors de raquo son eacutetat premier Le

terme est employeacute en franccedilais depuis le Moyen Acircge surtout dans les eacutecrits des

preacutecepteurs des enfants de lrsquoaristocratie qui se preacuteoccupaient de laquo lrsquoeacuteducation des

princes raquo (Mialaret 1976) Cette vision eacutelitiste de lrsquoeacuteducation srsquoest transformeacutee agrave

partir du XVIIegraveme siegravecle quand elle a commenceacute agrave ecirctre utiliseacutee pour deacutefinir de

maniegravere plus geacuteneacuterale le laquo soin qursquoon prend drsquoeacutelever de nourrir les enfants raquo mais

aussi laquo de cultiver leur esprit soit pour la science soit pour les bonnes mœurs raquo

(Furetiegravere 1690) Entre la fin du XIXegraveme siegravecle et le deacutebut du XXegraveme Emile Durkheim

srsquoest ainsi inteacuteresseacute agrave lrsquoeacuteducation dans le cadre de ses recherches sur la genegravese de la

penseacutee logique en la deacutefinissant comme

laquo Lrsquoaction exerceacutee par les geacuteneacuterations adultes sur celles qui ne

sont pas encore mucircres pour la vie sociale Elle a pour objet de susciter

chez lrsquoenfant un certain nombre drsquoeacutetats physiques intellectuels et

moraux que reacuteclament de lui et la socieacuteteacute politique dans son ensemble

et le milieu social auquel il est particuliegraverement destineacute raquo (Durkheim

1911 532)

42

Avec Durkheim la sociologie commence agrave srsquointerroger sur le fait eacuteducatif et

sur lrsquoinfluence de lrsquounivers social sur le deacuteveloppement des individus Cependant sa

vision de lrsquoeacuteducation restait restreinte aux activiteacutes reacutealiseacutees par les adultes pour les

enfants lesquels agrave leur tour eacutetaient consideacutereacutes comme des sujets sociaux qui

manquaient de maturiteacute et donc laquo drsquoagentiviteacute raquo Dans un ceacutelegravebre passage de son

Eacuteducation et sociologie il affirmait que

laquo Lrsquoenfant en entrant dans la vie nrsquoy apporte que sa nature

drsquoindividu La socieacuteteacute se trouve donc agrave chaque geacuteneacuteration nouvelle en

preacutesence drsquoune table presque rase sur laquelle il lui faut construire agrave

nouveaux frais Il faut que par les voies les plus rapides agrave lrsquoecirctre

eacutegoiumlste et asocial qui vient de naicirctre elle en surajoute un autre

capable de mener une vie morale et sociale Voilagrave quelle est lrsquoœuvre de

lrsquoeacuteducation raquo (Durkheim 1922 52)

La perspective durkheimienne de la laquo tabula rasa raquo a stimuleacute pendant

plusieurs anneacutees des conceptions peacutedagogiques preacuteconisant que la relation

eacuteducative ndash dans les cadres domestique et scolaire ndash repose sur lrsquoexercice de

lrsquoautoriteacute et sur des meacutethodes visant agrave former des adultes plutocirct qursquoagrave eacutepanouir les

enfants (Theacutevenin et Compagnon 2005) Cette perspective a influenceacute beaucoup

drsquointellectuels et hommes politiques europeacuteens de lrsquoeacutepoque lesquels lrsquoutilisaient

pour justifier des reacuteformes visant agrave ameacuteliorer lrsquoorganisation des eacutecoles agrave partir de

cette approche laquo verticaliste raquo centreacutee sur lrsquoideacutee selon laquelle le savoir scolaire doit

43

se transmettre laquo du haut vers le bas raquo du maicirctre-savant vers lrsquoeacutelegraveve ignorant16 Une

approche radicalement opposeacutee est apparue entre les deux conflits mondiaux et

srsquoest deacuteveloppeacutee agrave partir de la fin des anneacutees 1940 notamment gracircce agrave lrsquoactiviteacute de

la Ligue Internationale de lrsquoEacuteducation Nouvelle (LIEN) En 1948 Fernande Seclet-

Riou ndash qui militait dans le bureau franccedilais de la LIEN le Groupe Franccedilais drsquoEacuteducation

Nouvelle (GFEN) ndash a publieacute une nouvelle deacutefinition de la notion agrave partir de

reacuteflexions humanistes alimenteacutees par la LIEN et stimuleacutees par lrsquoobservation des

effets catastrophiques de la guerre Selon elle

laquo Lrsquoeacuteducation consiste agrave favoriser le deacuteveloppement aussi

complet que possible des aptitudes de chaque personne agrave la fois

comme individu et comme membre drsquoune socieacuteteacute reacutegie par la

solidariteacute Lrsquoeacuteducation est inseacuteparable de lrsquoeacutevolution sociale elle

constitue une des forces qui la deacuteterminent raquo (Seclet-Riou 1948 27

Voir aussi GFEN 1977)

16 Pour la majoriteacute des enseignants de lrsquoeacutepoque lrsquoautoriteacute eacutetait un moyen drsquoassurer la justice et

lrsquoeacutegaliteacute En France ndash mais aussi dans le reste de lrsquoEurope ndash les instituteurs disposaient drsquooutils

peacutedagogiques pour asseoir leur supeacuterioriteacute surtout gracircce au systegraveme de reacutecompenses (bons points

tableau drsquohonneur distribution de prix pour les laquo premiers de la classe raquo) et de punitions (mauvais

points privation de reacutecreacuteation retenue apregraves la classe) Beaucoup drsquoinfractions commises par les

eacutelegraveves eacutetaient laquo corrigeacutees raquo par les maicirctres qui usaient de chacirctiments corporels ndash une pratique qui

pendant longtemps a eacuteteacute accepteacutee par les familles qui la justifiaient agrave partir de lrsquoideacutee laquo moderne raquo

selon laquelle pour atteindre le progregraves il eacutetait neacutecessaire de respecter lrsquoordre (Caron 1999)

44

Agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute du XXegraveme siegravecle la notion acquiert une

signification laquo intergeacuteneacuterationnelle raquo chaque personne doit pouvoir acceacuteder aux

bienfaits de lrsquoeacuteducation qui nrsquoest plus perccedilue comme une obligation reacuteserveacutee aux

enfants mais aussi comme un moyen de deacutevelopper la personnaliteacute En reacutealiteacute cette

conceptualisation avait deacutejagrave eacuteteacute proposeacutee en 1916 par John Dewey mais appliqueacutee

au domaine de la peacutedagogie (Dewey 1916) Cette confusion terminologique reacutesulte

du fait que jusqursquoaux anneacutees 1960 les deux termes ndash eacuteducation et peacutedagogie ndash

eacutetaient envisageacutes comme des synonymes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de cette eacutepoque qursquoon

a commenceacute agrave associer la notion drsquoeacuteducation agrave la praxis eacuteducative soit lrsquoart drsquoeacutelever

et la notion de peacutedagogie agrave la reacuteflexion qui preacutecegravede cette praxis et qui se

laquo mateacuterialise raquo dans les choix meacutethodologiques et les strateacutegies adopteacutees

Bien que cet effort de conceptualisation ait permis de mieux deacutefinir les

contours de la fonction de lrsquoeacuteducation en tant que processus visant agrave deacutevelopper

lrsquoaspect laquo humain raquo et laquo social raquo de lrsquoindividu17 il nrsquoexiste pas de consensus quant aux

contenus qursquoil devrait proposer la vision laquo politique raquo associe lrsquoeacuteducation agrave la

transmission formelle de certaines compeacutetences lieacutees agrave lrsquointeacutegration dans une

socieacuteteacute agrave travers un systegraveme ndash eacuteducatif ndash qui est baseacute sur des institutions

speacutecialiseacutees alors que drsquoun point de vue laquo culturaliste raquo lrsquoeacuteducation pourrait ecirctre

associeacutee agrave la transmission de certaines compeacutetences ou connaissances neacutecessaires

agrave la survie dans un contexte naturel et social deacutetermineacute agrave travers un reacuteseaux de

relations qui constituent des espaces informels drsquoapprentissage Un exemple de la

17 Crsquoest-agrave-dire sa personnaliteacute et son comportement

45

premiegravere perspective est lrsquointerpreacutetation que les gouvernements font de la notion

drsquoeacuteducation En France par exemple le ministegravere de lrsquoEacuteducation Nationale a

aujourdrsquohui pour mission de piloter le laquo systegraveme eacuteducatif raquo soit de mettre en œuvre

laquo la politique du gouvernement relative agrave lrsquoaccegraves de chacun aux savoirs et au

deacuteveloppement de lrsquoenseignement preacuteeacuteleacutementaire eacuteleacutementaire secondaire et

supeacuterieur raquo (Deacutecret 2014-402 art1) Il srsquoagit lagrave de deux missions compleacutementaires

la premiegravere peacutedagogique est celle de la deacutefinition des voies de formation de la

deacutetermination des programmes nationaux et de lrsquoorganisation et du contenu des

enseignements la seconde plus eacuteminemment administrative a pour but de deacutefinir

et de deacutelivrer des diplocircmes nationaux des grades et des titres universitaires de

recruter et geacuterer personnel de geacuterer les moyens financiers mais aussi de controcircler

et drsquoeacutevaluer les politiques eacuteducatives La mission peacutedagogique est donc celle de

lrsquoenseignement mais agrave partir de programmes fixeacutes par le mecircme Ministegravere et qui sont

deacuteveloppeacutes en tenant compte de la neacutecessiteacute de fournir agrave tous les eacutelegraveves de la

Reacutepublique un socle commun de connaissances et de compeacutetences18

laquo une culture commune fondeacutee sur les connaissances et

compeacutetences indispensables qui leur permettra de seacutepanouir

personnellement de deacutevelopper leur sociabiliteacute de reacuteussir la suite de

leur parcours de formation de sinseacuterer dans la socieacuteteacute ougrave ils vivront

18 La loi drsquoorientation et de programmation pour la refondation de lrsquoEacutecole de la Reacutepublique du 8 juillet

2013 preacutevoit une eacutevolution et une redeacutefinition du socle commun deacutesormais intituleacute laquo socle commun

de connaissances de compeacutetences et de culture raquo qui entrera en vigueur agrave partir de la rentreacutee

scolaire 2016

46

et de participer comme citoyens agrave son eacutevolution raquo (Deacutecret n deg 2015-

372 Annexe)

Lrsquoideacutee qursquoil puisse exister un laquo socle commun de la culture raquo et qursquoil puisse

ecirctre partageacute par tous les citoyens de la nation deacuterive drsquoune conception universaliste

de la connaissance propre au siegravecle des Lumiegraveres et qui identifiait dans la culture le

laquo geacutenie national raquo19 le produit de la civilisation et le patrimoine lettreacute accumuleacute

depuis lrsquoAntiquiteacute

Cependant la the orie anthropologique de tradition relativiste nrsquoa pas cesse

de critiquer cette perspective et de nombreux auteurs ont propose des approches

diffe rentes en abordant la culture ndash comme nous le verrons plus en de tail dans le

prochain chapitre ndash en tant qursquo laquo ensemble raquo de savoirs et de valeurs propres a

chaque groupe humain (comme dans la perspective propose e par Edward Tylor

1871) en tant que laquo fabrique raquo de la personnalite (comme lrsquoimaginait Margaret

Mead 1930) fonction organique de la socie te (comme le voulait Bronislaw

Malinowski 1929) produit drsquoune structure mentale universelle a caracte re abstrait

(comme le proposait Claude Le vi-Strauss 1964) ou finalement comme expression

19 Un concept que vers la fin du XVIIIegraveme siegravecle Johann G Herder a deacuteveloppeacute dans ses travaux sur la

philosophie de lrsquohistoire pour deacutecrire le style et les goucircts propres agrave un peuple (Herder 1784) Cette

ideacutee deviendra lrsquoun des leitmotivs du Romantisme allemand et sera reprise entre autres par

Friederich Von Schlegel Wilhelm Von Humboldt ou Novalis Aujourdrsquohui on ne parle plus de geacutenie

national et on lui preacutefegravere son synonyme politiquement correct agrave savoir le laquo caractegravere national raquo

47

drsquoune strate gie identitaire ndash dans le cadre drsquoune lutte pour lrsquoacce s a certaines

ressources ndash qui permet drsquoe tablir qui est membre drsquoun groupe et qui ne lrsquoest pas qui

est laquo nous raquo et qui sont les laquo autres raquo (comme e tabli a partir de deux approches

diame tralement diffe rentes par Pierre Bourdieu 1966 et par Frederik Barth 1969)

Il en re sulte donc deux visions diame tralement oppose es de la culture (Figure 1)

Figure 1 Deux visions de la culture

Selon qursquoon appre hende la culture a partir de la premie re ou de la deuxie me

interpre tation deux visions e galement antithe tiques de lrsquoe ducation apparaissent

dans le premier cas elle est envisage e comme un processus de transmission drsquoun

laquo patrimoine raquo (la culture nationale) et dans le second comme un processus de

transmission des savoirs ne cessaires pour survivre et laquo re ussir raquo dans un habitat ndash

naturel et social ndash de termine (Figure 2)

48

Figure 2 Deux visions de lrsquoeacuteducation

Toutefois lrsquoideacutee qursquoil puisse exister une culture nationale laquo authentique raquo et

que la laquo vraie raquo eacuteducation devrait se charger de la transmission de celle-ci nrsquoest que

la manifestation drsquoun nationalisme ethnocentrique qui vise agrave valoriser certaines

valeurs laquo nationales raquo (et donc locales) en en faisant des valeurs laquo universelles raquo

Mais comme le soulignait Ugo Fabietti le culte de lrsquoauthenticiteacute nrsquoest que laquo la

projection de certains fantasmes qui sont geacuteneacutereacutes par les rythmes croissants du

meacutetissage culturel et par les deacuteseacutequilibres produits par la globalisation raquo (Fabietti

2007 30) Il srsquoagit drsquoune perspective qui reacutepond agrave la peur geacuteneacutereacutee par lrsquoalteacuteriteacute en

la niant et qui deacutevalorise la diffeacuterence culturelle en lui opposant une ideacutee

anhistorique de la laquo pureteacute raquo (Lombardi-Satriani 1994)

Je considegravere que la deuxiegraveme perspective ndash selon laquelle lrsquoeacuteducation est un

processus de transmission de ce produit social que sont les donneacutees culturelles ndash

reacutepond mieux agrave cette raison anthropologique qui nous invite agrave relativiser les reacutealiteacutes

laquo autres raquo et agrave envisager les pheacutenomegravenes sociaux et culturels en fonction du contexte

dans lesquels ils se produisent Lrsquoeacuteducation devrait donc ecirctre observeacutee et analyseacutee

49

en tant que processus local qui transmet des donneacutees ayant une valeur sociale et

symbolique au sein drsquoun paysage social et naturel particulier Elle nrsquoest jamais

laquo authentique raquo et ne transmet pas des savoirs laquo authentiques raquo elle est tout

simplement adaptable en fonction de lrsquoeacutecosystegraveme dans lequel elle existe et opegravere

21 Le fait eacuteducatif une interaction dynamique

Une situation eacuteducative existe agrave partir drsquoune interaction entre au moins deux

acteurs20 lrsquoeacuteducateur et lrsquoeacuteduqueacute Gaston Mialaret (1976) a deacutecrit cette relation en

tenant compte des cinq facteurs essentiels agrave sa reacutealisation

Les contenus crsquoest-a -dire le message qui est transmis dans un sens et

dans lrsquoautre

20 Jrsquoutilise le terme acteur et non celui de laquo personne raquo car agrave lrsquoheure actuelle les nouvelles

technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) ont donneacute aux machines la possibiliteacute de

se charger de certaines tacircches eacuteducatives (dans tous les domaines de lrsquoenseignement) Aussi dans le

cadre des recherches sur lrsquointelligence artificielle il a eacuteteacute deacutemontreacute que les machines peuvent

apprendre non seulement de faccedilon passive (gracircce agrave lrsquoapprentissage superviseacute le machine learning

qui se base sur des processus systeacutematiques de type statistique ou automatique controcircleacutes par des

algorithmes drsquoorigine humaine) mais aussi de faccedilon active (gracircce agrave lrsquoapprentissage non superviseacute le

deep learning qui permet aux machines drsquoapprendre sans que lrsquointervention humaine soit

neacutecessaire) La notion sociologique drsquoacteur apparaicirct donc comme la plus approprieacutee dans le cadre

de certaines geacuteneacuteralisations comme dans le cas que je viens de deacutecrire

50

Les me thodes ou les strate gies mises en place pour transmettre le

message

Les techniques et les outils ne cessaires pour laquo communiquer raquo les

contenus

Les rapports qui lient lrsquoe ducateur et lrsquoe duque

Lrsquoenvironnement dans lequel se re alise lrsquoaction e ducative

Selon le postulat de Mialaret toute action eacuteducative peut donc ecirctre analyseacutee

agrave partir de ces cinq facteurs qui sont applicables soit agrave des situations de courte

dureacutee telle une rencontre soit de dureacutee plus longue ndash une seacuterie de rencontres ndash en

tenant compte du fait que chaque facteur peut influer les autres et que le reacutesultat

final deacutepend non seulement des facteurs eux-mecircmes mais aussi et surtout des

interactions que chacun drsquoeux eacutetablit avec les autres21

Penser agrave lrsquoeacuteducation en tant qursquointeraction nous permet de deacuteconstruire la

conception institutionnelle de la culture et du savoir et de reacutealiser que crsquoest un

projet politique qui se mateacuterialise dans un systegraveme eacuteducatif ayant pour but de

21 Mialaret a exposeacute une version simplifieacutee de cette theacuteorie dans ses autres travaux sur la

psychopeacutedagogie et sur la psychologie de lrsquoeacuteducation (Mialaret 1987 et 1999)

51

laquo transmettre un patrimoine raquo et ce faisant de former des citoyens22 Il est

deacutesormais possible de comprendre que lrsquoeacuteducation est avant tout un processus dans

lequel on laquo produit raquo des savoirs agrave partir drsquoun contenu qui est transmis dans le cadre

drsquoune interaction ougrave lrsquoeacuteducateur et lrsquoeacuteduqueacute srsquoinfluencent reacuteciproquement dans un

systegraveme ouvert drsquoactions et de reacutetroactions qui peut donner lieu agrave des adaptations

reacuteciproques etou agrave une polarisation plus ou moins marqueacutee des positions de

chaque acteur de lrsquointeraction

Retenons que cette conceptualisation de lrsquoeacuteducation agrave laquelle je souscris

reacutepond plus clairement aux exigences de lrsquoanthropologie ndash discipline voueacutee agrave

lrsquoanalyse de laquo lrsquohomme raquo et de ses relations avec le milieu naturel culturel et social

Lrsquoeacuteducation est une forme de communication lieacutee soit au langage ndash comme

lrsquoimaginait Lev Vygotski (1933) ndash soit au contexte Les variables qui constituent le

contexte eacutetant toujours changeantes et impreacutevisibles le produit final du processus

eacuteducatif lui aussi est difficilement deacuteterminable agrave lrsquoavance

Une vision dynamique de lrsquoeacuteducation nous permet de concevoir la

transmission de la culture comme un processus creacuteatif qui construit deacuteconstruit

deacutetruit et transforme les savoirs accumuleacutes pour en geacuteneacuterer de nouveaux qui ne se

reacuteduisent jamais agrave la copie conforme des contenus transmis par lrsquoeacuteducateur mais qui

22 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leur analyse critique du systegraveme scolaire franccedilais

en sont arriveacutes agrave la conclusion que lrsquoeacuteducation ndash domestique ou scolaire ndash correspond agrave une

incorporation active et non passive drsquoun habitus (Bourdieu amp Passeron 1964 et 1971 Voir aussi

Bourdieu 1966)

52

sont toujours adapteacutes par lrsquoeacuteduqueacute On devrait plus exactement parler de lrsquoeacuteducation

comme drsquoun continuum qui permet des eacutechanges entre les geacuteneacuterations

(verticalement) et les cultures (horizontalement) (Figure 3)

Figure 3 Eacutechanges intergeacuteneacuterationnels et culturels entre eacuteducateur et eacuteduqueacute

53

22 Ideacuteologies symboles et systegravemes lrsquounivers social de lrsquoeacuteducation

Deux questions deacutecoulent de la reacuteflexion qui preacutecegravede comment analyser le

processus eacuteducatif agrave partir des cateacutegories anthropologiques et de la meacutethode

ethnographique Et comment laquo relativiser raquo ou laquo universaliser raquo les observations

faites sur le terrain quand on observe des faits eacuteducatifs

Dans une perspective fonctionnaliste comme celle employeacutee par Bronislaw

Malinowski pour analyser les relations intergeacuteneacuterationnelles entre les Trobriandais

ou par Margaret Mead pour eacutetudier les relations intrageacuteneacuterationnelles soit

horizontales entre pairs du mecircme acircge aux icircles Samoa le choix de lrsquoeacuteducateur de

donner la prioriteacute agrave une strateacutegie eacuteducative plutocirct qursquoagrave une autre reacutepond agrave lrsquoexigence

drsquooptimiser les ressources existantes (humaines culturelles et naturelles) en

fonction de la preacuteservation de lrsquoexistence et de lrsquoidentiteacute du groupe de la survie dans

un milieu eacutecologique speacutecifique et de la garantie de lrsquoeacutequilibre homeacuteostatique des

communauteacutes qui lrsquohabitent Toutefois cette perspective analytique ndash qui essaye de

donner du sens aux logiques laquo locales raquo en assignant aux comportements partageacutes

par les membres drsquoun groupe humain des fonctions speacutecifiques lieacutees au maintien de

lrsquoeacutequilibre de lrsquoorganisation sociale ndash ne nous permet pas de comprendre les

modifications qui peuvent avoir lieu dans le domaine de lrsquoeacuteducation quand les

communauteacutes ndash surtout celles qui revendiquent une identiteacute autochtone ndash sont

politiquement inteacutegreacutees au sein drsquoEacutetats nationaux ou de systegravemes qui les deacutepassent

Cette dynamique srsquoaccompagne geacuteneacuteralement de leur incorporation aux marcheacutes

planeacutetaires et drsquoune modification de leur habitat agrave cause par exemple de sa

deacutegradation de la seacutedentarisation de lrsquourbanisation ou des migrations Certains de

54

ces processus sont si lourds de conseacutequences qursquoils ne permettent pas une

adaptation optimale des habitudes locales aux exigences du milieu de reacutefeacuterence en

raison de la vitesse de ces changements Pour les peuples autochtones il srsquoagit de

lrsquoaccegraves agrave la citoyenneteacute de lrsquoacquisition des usages et de la langue nationale jusqursquoagrave

la participation au laquo village global raquo Lrsquoeacuteducation devient donc un veacuteritable enjeu

politique et pour le deacutemecircler il est neacutecessaire de discuter de trois concepts celui

drsquoideacuteologie celui de symbole et celui de systegraveme

La longue enquecircte meneacutee par Meldford et Audrey Spiro pour eacutetudier les

logiques eacuteducatives collectives dans un kibboutz en Israeumll a deacutemontreacute que les

ideacuteologies politiques des eacuteducateurs ndash qursquoils soient ou pas les parents des eacuteduqueacutes

ndash modegravelent et transforment les pratiques consideacutereacutees comme traditionnelles ou

historiques pour les adapter agrave leur conception de la reacutealiteacute agrave leur vision du passeacute et

du futur et finalement agrave leur utopie (Spiro amp Spiro 1958) Les eacutetudes de Catherine

Snow et de ses collaborateurs ainsi que celles de Robert LeVine et Karin Norman

ont montreacute que dans le cadre drsquoune mecircme culture laquo occidentale raquo il existe des

variations significatives entre les strateacutegies eacuteducatives employeacutees par les parents

dans le milieu domestique ou par les enseignants dans le milieu scolaire entre la

Hollande lrsquoAllemagne le Royaume Uni et les Eacutetats-Unis (Snow et al 1979 LeVine

amp Norman 2001) Ces strateacutegies qui se traduisent par une modaliteacute speacutecifique de

communication avec les enfants sont modeleacutees par les conceptions culturelles des

eacuteducateurs autour des objectifs qursquoils se sont assigneacutes pour permettre le

deacuteveloppement psychophysique et la reacuteussite sociale des laquo eacuteduqueacutes raquo Lrsquoideacuteologie

eacuteducative est donc un puissant moteur alimenteacute par lrsquoidentiteacute culturelle et par le

55

contexte socioeacuteconomique qui agit sur les performances des eacuteducateurs et leur

permet de transformer les processus eacuteducatifs

Cette ideacuteologie agit aussi comme meacutecanisme de seacutelection de certains

contenus au deacutepend drsquoautres Lrsquoapproche ethnomeacutethodologique de

lrsquointeractionnisme symbolique ndash eacutelaboreacute par Georg Herbert Mead (1934) et

deacuteveloppeacute par ses eacutelegraveves de lrsquoEacutecole de Chicago en particulier Herbert Blumer (1966

et 1969) ndash et la theacuteorie eacutecologique du deacuteveloppement humain ndash baseacutee sur les

modegraveles proposeacutes par Uri Bronfenbrenner (1995 2005) et ses collaborateurs

(Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner amp Morris 1998) ndash nous invitent agrave

observer les interactions eacuteducatives et agrave les interpreacuteter de maniegravere compreacutehensive

afin de donner du sens aux interactions en tenant compte du fait que leur sens

repose sur les symboles gestuels et langagiers partageacutes par les individus concerneacutes

(Blumer 1969) La conduite des eacuteducateurs deacutepend donc non seulement drsquoune

ideacuteologie politique speacutecifique ndash et drsquoune interpreacutetation particuliegravere de la reacutealiteacute

sociale ndash mais aussi des significations et des valeurs que les individus attribuent agrave

leurs performances eacuteducatives qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutees comme des laquo actions

symboliques raquo puisqursquoelles deacutesignent une Weltanschauung speacutecifique qui laquo reacutevegravele raquo

une volonteacute informatrice eacutevaluatrice stimulatrice et classificatoire23

Interpreacuteter lrsquoaction eacuteducative en tant que laquo performance symbolique raquo nous

conduit agrave tenir compte du systegraveme agrave lrsquointeacuterieur duquel elle acquiert un sens De

23 Il srsquoagit des fonctions primaires des symboles telles que les a systeacutematiseacutees Charles W Morris

(1946) dans son eacutetude sur les relations qui lient les signes le langage et les comportements

56

nombreux auteurs se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude de cet univers symbolique en

proposant divers modegraveles explicatifs et compreacutehensifs (LeVine 1967 Berry 1971

Bronfenbrenner 1979 et 1986 Ogbu 1985 Super amp Harkness 1986 et 1997

Valsiner 1987) Bien que leurs perspectives puissent parfois diverger tous ces

auteurs partagent une approche eacutecologique commune

Selon la theacuteorie eacutecoculturelle eacutelaboreacutee par John Berry (1976 et 1995) ndash qui

se base sur le relativisme culturel de Franz Boas ndash lrsquoindividu et son milieu de vie

srsquoinfluencent reacuteciproquement et la culture constitue le cadre drsquoadaptation qui eacutetablit

des limites au comportement social des individus en fonction du contexte

eacutecologique et sociopolitique Selon Berry (1971) la diversiteacute individuelle et

collective serait le reacutesultat drsquoune suite drsquoadaptations reacuteciproques entre

laquo multipliciteacutes raquo les individus et les socieacuteteacutes les personnes et les eacutecosystegravemes les

laquo Cultures raquo et les laquo Natures raquo Consideacutereacute agrave un niveau macro-environnemental ce

modegravele est avant tout selon son auteur un paradigme geacuteneacuteral agrave travers lequel des

analyses comparatives peuvent rendre compte de la diversiteacute culturelle et de

lrsquoinfluence exerceacutee par la culture sur le comportement humain par le biais des

processus de transmission et drsquoacculturation24

24 Bien eacutevidemment cette approche exige de la part du chercheur un effort afin de saisir le processus

agrave travers lequel les acteurs sociaux construisent des significations crsquoest-agrave-dire ndash pour utiliser la

terminologie de Harold Garfinkel ndash le laquo sens commun raquo agrave travers lequel ils interpregravetent les symboles

culturels et les comportements individuels (Garfinkel 1967)

57

Par ailleurs le modegravele eacutecoculturel de Berry a fortement influenceacute le modegravele

deacuteveloppemental proposeacute par Bronfenbrenner (1979) selon lequel les diffeacuterents

milieux (les systegravemes) qui agissent sur le deacuteveloppement cognitif de lrsquoenfant sont

emboicircteacutes et relieacutes entre eux les microsystegravemes (qui constituent lrsquoenvironnement

proche de lrsquoindividu) sont inclus dans le meacutesosystegraveme (lrsquoensemble des

microsystegravemes soit la communauteacute) lequel agrave son tour est inclus dans lrsquoexosystegraveme

(le systegraveme de forces exteacuterieures politiques juridiques et eacuteconomiques ayant un

fort impact sur le meacutesosystegraveme) tous eacutetant contenus dans le macrosystegraveme

(systegraveme de forces eacuteloigneacutees que Bronfenbrenner identifie avec les valeurs et la

culture et qui agrave long terme a des influences sur les microsystegravemes) La theacuteorie des

systegravemes eacutecologiques de Bronfenbrenner permet de comprendre le contexte global

dans lequel lrsquoeacuteduqueacute eacutevolue en le conceptualisant en tant qursquoensemble de systegravemes

agissant dans une dynamique interactive dont lrsquoeacuteduqueacute constitue la structure la plus

interne (Figure 4) Cette macro-approche a eacuteteacute compleacuteteacutee par le modegravele des

systegravemes bioeacutecologiques (Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner 1995

2005) qui srsquointeacuteresse surtout agrave lrsquoindividu en tant qursquoontosystegraveme biologique et aux

processus de deacuteveloppement de lrsquoenfant

58

Figure 4 Les relations entre systegravemes eacutecologiques (drsquoapregraves Bronfenbrenner amp Morris 1998)

De son cocircteacute la theacuteorie macrosociologique et le modegravele culturo-eacutecologique

eacutelaboreacutes par lrsquoanthropologue John Uzo Ogbu proposent des passerelles entre les

deux types drsquoapproches Son modegravele peut ecirctre consideacutereacute comme un systegraveme

dynamique qui integravegre les structures eacuteconomiques politiques cognitives et

comportementales Les travaux drsquoOgbu (1978 1985 et 1987) ont lrsquoavantage de

deacutevelopper une theacuteorie agrave la fois micro et macrosociologique agrave partir drsquoobservations

ethnographiques meneacutees aupregraves de laquo minoriteacutes volontaires raquo (les enfants

drsquoimmigrants) et de laquo minoriteacutes involontaires raquo (incorporeacutees dans la socieacuteteacute

Macrosystegraveme

Exosystegraveme

Meacutesosystegraveme

Microsystegraveme

Individu

59

majoritaire contre leur greacute apregraves la colonisation ou lrsquoesclavage) En effet Ogbu a

observeacute que dans le monde occidental beaucoup drsquoenfants de minoriteacutes preacutesentent

des difficulteacutes scolaires un pheacutenomegravene qui est souvent interpreacuteteacute par les

responsables des institutions scolaires comme la preuve drsquo laquo obstacles culturels aux

apprentissages raquo propres agrave certains groupes humains Cependant selon Ogbu ces

enfants ne sont pas laquo culturellement raquo ou laquo biologiquement raquo preacutedisposeacutes agrave

lrsquoeacutechec scolaire ce pheacutenomegravene est ducirc agrave leur position sociale laquo peacuteripheacuterique raquo agrave leur

participation tregraves limiteacutee agrave la vie culturelle de la nation dont ils sont citoyens et

surtout au manque drsquointeacutegration sociale de leurs familles lesquelles sont souvent

victimes drsquoeacutemargination ou drsquoinjustice Il srsquoagit donc drsquoun cadre analytique

particuliegraverement inteacuteressant pour notre eacutetude ndash dans laquelle jrsquoanalyse deux

communauteacutes de laquo minoriteacutes involontaires raquo de la nation franccedilaise ndash et sur lequel

nous reviendrons en deacutetail dans le quatriegraveme chapitre

60

3 Eacuteducation et culture essai sur la quadrature du cercle

Lrsquoanalyse structuraliste de Claude Leacutevi-Strauss dans son effort pour

comprendre le substrat des structures sociales25 qui supportent les donneacutees

culturelles et leur donnent du sens a permis drsquoouvrir une nouvelle voie Elle a

stimuleacute la reacuteflexion de nombreux chercheurs autour de lrsquoimportance de la parenteacute

et de la famille non seulement en tant que reacutefeacuterents empiriques des laquo structures

eacuteleacutementaires raquo de la socieacuteteacute26 mais aussi en tant qursquoexpressions concregravetes et

tangibles drsquoune certaine vision du monde soit drsquoune culture (Leacutevi-Strauss 1949 et

1964) Bien que comme nous lrsquoavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent ce domaine

analytique ait eacuteteacute exploreacute par certains anthropologues crsquoest plutocirct dans le cadre de

la science peacutedagogique que les eacutetudes les plus nombreuses ont eacuteteacute reacutealiseacutees avec

25 Lrsquointerpreacutetation du terme laquo structure raquo en anthropologie est agrave lrsquoorigine de nombreuses discussions

conceptuelles et il me paraicirct neacutecessaire drsquoexpliquer le sens qui lui est donneacute ici En effet le problegraveme

du statut ontologique des structures sociales a eacuteteacute souleveacute par Leacutevi-Strauss dans un article de 1953

ndash qui deviendra par la suite le XVegraveme chapitre de son Anthropologie structurale ndash dans lequel il

rediscute le significat que ce terme avait dans les travaux drsquoAlfred L Kroeber et drsquoAlfred R Radcliffe-

Brown Selon lui Kroeber et Radcliffe-Brown ont reacuteduit le concept de structure agrave la simple addition

des relations qui liaient les membres drsquoun groupe entre eux Deacuteveloppant un point de vue totalement

opposeacute Leacutevi Strauss consideacuterait la structure comme une cateacutegorie de lrsquoesprit humain ayant pour

fonction de laquo ranger raquo lrsquoexpeacuterience et drsquoen faire un objet de la penseacutee (Leacutevi-Strauss 1964)

26 Comme le tabou de lrsquoinceste le principe exogamique ou lrsquoatome de parenteacute (Leacutevi-Strauss 1949)

61

pour objectif speacutecifique de comprendre les enjeux de ce processus de transmission

des donneacutees culturelles que nous avons lrsquohabitude drsquoappeler laquo eacuteducation raquo

Si drsquoun cocircteacute lrsquoanthropologie srsquoest occupeacutee de lrsquoeacuteducation en tant que

processus de reproduction des cultures les sciences de lrsquoeacuteducation ont de leur cocircteacute

consideacutereacute le processus eacuteducatif comme une dynamique drsquointeractions ayant pour

objectif le deacuteveloppement humain dans un contexte social deacutetermineacute Comment

permettre donc un dialogue constructif entre ces deux disciplines qui autour drsquoun

mecircme objet drsquoeacutetude ont mobiliseacute des approches apparemment diffeacuterentes

Pour comprendre lrsquoorigine du problegraveme nous devons consideacuterer que

lrsquoexistence du processus eacuteducatif est consubstantielle agrave la laquo nature raquo sociale de

lrsquohomme laquelle remonte agrave lrsquoorigine de lrsquohumaniteacute En effet la paleacuteoanthropologie

nous informe que la transformation fondamentale qui a permis agrave Homo de prendre

la place des australopithegraveques ne relegraveve pas seulement drsquoune structure physique

diffeacuterente et drsquoune taille plus importante du volume ceacutereacutebral mais avant tout drsquoune

meilleure capaciteacute agrave transmettre des donneacutees utiles et fonctionnelles pour mieux

srsquoadapter agrave lrsquoenvironnement naturel circonstant (Henke amp Tattersall 2007)

laquo Lrsquoacte eacuteducatif raquo est donc agrave la base du changement qui explique selon les

cateacutegories de lrsquoanthropologie sociale et culturelle lrsquoapparition des repreacutesentants de

la famille Homo et la disparition des australopithegraveques lesquels nrsquoeacutetaient pas doueacutes

de cette laquo capaciteacute eacuteducative raquo (Henke amp Tattersall 2007) Par ailleurs la complexiteacute

des outils en pierre de la culture mateacuterielle du Pleacuteistocegravene deacutemontre qursquoil y avait lagrave

une forme de reproduction et de reacuteeacutelaboration des informations reccedilues par les

geacuteneacuterations preacuteceacutedentes ndash une forme laquo preacutehistorique raquo sans doute mais neacuteanmoins

62

sophistiqueacutee drsquoeacuteducation Toutes les activiteacutes laquo culturelles raquo des espegraveces humaines

preacuteceacutedant lrsquoHomo sapiens (la production drsquoun outillage diversifieacute la maicirctrise du feu

les rites funeacuteraires la peinture la sculpture et le langage) sont baseacutees sur

lrsquoapprentissage soit un processus creacuteatif capable de reacuteinventer et drsquoadapter les

donneacutees acquises par drsquoautres personnes un apprentissage beaucoup plus eacutelaboreacute

que lrsquoapprentissage animal baseacute sur lrsquoimitation et la mimesis (Lefebvre 1988

Merlin 1991)27

Cependant les premiegraveres reacuteflexions sur la pratique eacuteducative sont plus

tardives et il faut attendre les eacutecrits que nous ont laisseacutes les cultures classiques pour

pouvoir deacutecouvrir ce que nos ancecirctres pensaient en matiegravere drsquoeacuteducation En

27 Un ancien conflit oppose certains eacutethologistes laquo radicaux raquo agrave la paleacuteoanthropologie classique

autour de la question de lrsquoorigine de la culture et de la capaciteacute drsquoapprentissage des animaux La

restitution complegravete des donneacutees de ce deacutebat outrepasse les objectifs de cette thegravese crsquoest pourquoi

je me limiterai agrave signaler que degraves la fin du deuxiegraveme conflit mondial le ceacutelegravebre zoologiste et Prix

Nobel autrichien Konrad Lorenz (1967 1975) a deacutemontreacute qursquoil nrsquoexiste pas de meacutecanisme

drsquoapprentissage universel commun agrave toutes les espegraveces vivantes Lrsquohomme apprend donc drsquoune

maniegravere qui lui est speacutecifique et qui est en accord avec sa physiologie Agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute

du XXegraveme siegravecle les apports de la primatologie ont permis drsquoidentifier dans la mimesis ndash crsquoest-agrave-dire la

capaciteacute de produire consciemment des imitations intentionnelles mais deacutepourvues de volonteacute

communicative ndash le trait drsquounion entre les primates et les hominideacutes (Goodall 1971 Kummer 1993)

Plus reacutecemment les travaux de lrsquoeacutethologue Bernard Thierry confirment les intuitions de Lorenz et

vont jusqursquoagrave imaginer que chaque espegravece du genre Homo ndash comme Homo sapiens Homo

neanderthalensis Homo erectus ou Homo habilis ndash a appris agrave partir de meacutecanismes et de styles

eacuteducatifs diffeacuterents (Thierry 2004)

63

analysant le deacuteveloppement des ideacutees peacutedagogiques chez les peuples

laquo preacutemodernes raquo Joseph Simon consideacuterait que

laquo Chez toutes les nations la direction imprimeacutee agrave lrsquoeacuteducation

deacutepend de lrsquoideacutee qursquoelles se forment de lrsquohomme parfait Chez les

Romains crsquoest le soldat vaillant dur agrave la fatigue docile agrave la discipline

chez les Atheacuteniens crsquoest lrsquohomme qui reacuteunit en lui lrsquoheureuse

harmonie de la perfection morale et de la perfection physique chez

les Heacutebreux lrsquohomme parfait crsquoest lrsquohomme pieux vertueux capable

drsquoatteindre lrsquoideacuteal du peuple heacutebreu traceacute par Dieu lui-mecircme en ces

termes Soyez saints comme moi lrsquoEacuteternel je suis saint raquo (Simon

1879 3)

La synthegravese de Simon ne prenait pas en consideacuteration la complexiteacute des

systegravemes de penseacutee qursquoil citait se gardant bien drsquoen citer drsquoautres pourtant non

moins inteacuteressants Elle avait toutefois le meacuterite de souligner lrsquoimportance du

facteur ideacuteologique dans la genegravese des ideacutees peacutedagogiques Aujourdrsquohui nous

savons que la conception de lrsquoeacuteducation de Socrate eacutetait tregraves diffeacuterente de celle de

son disciple Platon28 et que si lrsquoon veut comprendre lrsquoideacuteologie eacuteducative

28 Rappelons que Socrate proposait une vision inneacuteiste de lrsquoeacuteducation qui preacutesupposait une

compeacutetence culturelle universelle et inneacutee Au travers drsquoun processus maiumleutique lrsquoeacuteducateur

permet donc agrave ses eacutelegraveves drsquoaccoucher de connaissances inneacutees qursquoils possegravedent sans en ecirctre

conscients afin de les conduire sur le chemin de la Veacuteriteacute de la Bonteacute et de la Beauteacute Au contraire

64

laquo preacutemoderne raquo on doit aussi analyser la penseacutee de Confucius ou de Lao Tzu pour

ne citer que quelques exemples En reacutealiteacute une exeacutegegravese critique des textes que nous

ont laisseacutes ces auteurs nous montre que leur approche de la question eacuteducative est

loin drsquoecirctre comparable et que chacun drsquoentre eux proposait des reacuteponses tregraves

diffeacuterentes agrave certaines questions tregraves simples autour de la relation qui lie la culture

et lrsquoeacuteducation qui doit enseigner agrave qui Quoi Et comment

31 De la parenteacute agrave la culture agrave lrsquoorigine du deacuteveloppement humain

Au sein des organisations sociales preacutehistoriques qui se basaient sur la

famille les liens de parenteacute ndash filiation adoption et alliance ndash constituaient les normes

drsquointeacutegration et les critegraveres drsquoexclusion des diffeacuterents groupes humains qui

habitaient la planegravete Crsquoest donc au sein de la famille que srsquoest historiquement formeacute

la question de la paideia (παιδεία) ndash lrsquoenseignement de la vertu ou laquo les soins que lrsquoon dispense agrave

lrsquoacircme raquo ndash occupe une partie centrale dans lrsquoœuvre de Platon Il srsquoagit drsquoune responsabiliteacute qursquoil

attribue agrave la polis les gouvernants sont donc chargeacutes de promouvoir une instruction visant agrave

exploiter harmoniquement les pulsions naturelles (la colegravere la rage la concupiscence) et les

influences qui deacutependent du milieu social (la laquo politesse raquo) afin de former des citoyens responsables

et de deacutevelopper une eacutelite capable de gouverner lrsquoEacutetat (Platon Prot) Dans ses dialogues ndash et surtout

dans la Reacutepublique consideacutereacutee par Rousseau comme laquo le plus beau traiteacute drsquoeacuteducation qursquoon ait jamais

fait raquo (1762 250) ndash Platon deacuteveloppe une conception de la connaissance qui deacuterive de la capaciteacute

drsquoatteindre le monde des ideacutees et de ne pas se laisser tromper par les faux-semblants de la reacutealiteacute

sensible La paideia platonique est une formation agrave la penseacutee meacutetaphysique neacutecessaire pour guider

lrsquoaction politique des ecirctres humains (Platon Reacutep)

65

lrsquohomo socialis cet ideacutealtype sociologique qui nous repreacutesente et qui deacutecrit notre

ontosystegraveme29 profondeacutement projeteacute vers lrsquoautre

Lrsquoecirctre humain est ainsi car il a deacuteveloppeacute une culture qui le rend diffeacuterent des

animaux une culture qui est apprise et transformeacutee au fil des geacuteneacuterations une

culture qui est le produit drsquoun processus incessant drsquointeractions avec les autres

membres de son espegravece Ces interactions (des eacutechanges qui produisent des

apprentissages) nous deacutemontrent ndash une fois de plus ndash que lrsquohomme en fin de compte

nrsquoest rien drsquoautre qursquoun animal social fruit drsquoune humaniteacute agrave la fois biologique et

culturelle30

Dans ce cycle interactif le rocircle majeur est joueacute par les membres de ces

reacuteseaux de relations qui constituent la parenteacute sur eux repose la responsabiliteacute de

guider dans leur chemin de formation les enfants puis les adolescents et finalement

les jeunes adultes qui formeront agrave leur tour de nouvelles familles Drsquoun point de vue

anthropologique la parenteacute remplit une double fonction naturelle (ou biologique

pour reacutepondre aux neacutecessiteacute primaires des membres les plus jeunes du groupe

lrsquoalimentation le logement la santeacute) et culturelle (pour transmettre le patrimoine

de connaissances accumuleacute par heacuteritage intergeacuteneacuterationnel et pour encadrer les

29 Soit lrsquoensemble des caracteacuteristiques eacutetats compeacutetences habileteacutes vulneacuterabiliteacutes ou deacuteficits inneacutes

ou acquis drsquoun individu

30 Aristote dans le Politique consideacuterait qursquo laquo il est eacutevident que lrsquoEacutetat descend de la Nature et que

lrsquohomme est par nature un animal social raquo (Ἐκ τούτων οὖν φανερὸν ὅτι τῶν φύσει ἡ πόλις ἐστί καὶ

ὅτι ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον Polit I 2 1253a)

66

cateacutegories mentales qui nous servent agrave systeacutematiser lrsquoexpeacuterience sensible) Du fait

de sa condition de laquo terre du milieu raquo entre la Nature et la Culture la famille est un

cadre privileacutegieacute pour observer certains pheacutenomegravenes universels ndash les atomes de

parenteacute31 la prohibition de lrsquoinceste les obligations de solidariteacute et de vengeance

lrsquoheacutegeacutemonie du pater familiae ndash qui font partie de lrsquoabeacuteceacutedaire basique de tout

anthropologue

Si la penseacutee classique consideacuterait que lrsquohomme avait abandonneacute son eacutetat de

nature pour rejoindre un eacutetat plus eacuteleveacute de culture la mecircme penseacutee consideacuterait

aussi que ce processus qui avait conduit les humains de la barbarie agrave la civilisation

srsquoeacutetait opeacutereacute gracircce agrave un processus eacuteducatif Agrave lrsquoheure actuelle la paleacuteoanthropologie

la primatologie et la psychologie cognitive nous deacutemontrent agrave partir drsquoune

perspective diffeacuterente ndash et plus laquo scientifique raquo ndash que en effet bien que le passage

des hominides aux humains ait eu lieu gracircce agrave lrsquoeacuteducation il a peu agrave voir avec une

supposeacutee laquo transition raquo de la Nature agrave la Culture Nous en discuterons dans les pages

qui suivent

31 Il srsquoagit de la deacutenomination que Leacutevi-Strauss donne aux uniteacutes de base de la parenteacute sans lesquelles

il serait impossible de penser lrsquoeacutechange matrimonial lrsquoexogamie ou la prohibition de lrsquoinceste Chaque

laquo atome raquo se compose de quatre individus la megravere le pegravere le fils et lrsquooncle maternel (Leacutevi-Strauss

1949)

67

32 Culture et transmission de la culture une architecture sociale du savoir

Selon Lawrence Hirshfeld la postmodernite a contribue a appauvrir la notion

drsquoapprentissage culturel surestimant le ro le des activite s des adultes ndash conside re es

comme laquo productives raquo ndash et sous-estimant la contribution des enfants a la

reproduction culturelle Aussi le manque drsquointe re t montre par les scientifiques

sociaux envers les potentialite s de la culture laquo infantile raquo comme catalyseur et

diffuseur de la culture des adultes a contribue a la marginalisation des enfants et de

lrsquoenfance et a freine notre compre hension des laquo formes culturelles raquo e mergentes et

des raisons qui expliquent leur persistance (Hirshfeld 2002)

Bien que comme nous lrsquoavons vu dans les pages pre ce dentes les

repre sentants de disciplines tre s diffe rentes ndash comme lrsquoanthropologie la sociologie

la psychologie ou la pe dagogie ndash aient e te capables pendant le dernier sie cle et demi

de de velopper des de finitions et des the ories souvent tre s sophistique es sur la

culture peu drsquoattention a e te accorde e a la question de la transmission des donne es

culturelles En suivant le raisonnement de Hirshfeld on peut imaginer que lrsquoune des

causes a justement e te cette marginalisation de lrsquoenfant et son laquo ide alisation raquo qui

ont e loigne les chercheurs en sciences sociales du seul sujet drsquoe tude qui pour sa

position laquo au centre du re seau raquo des interactions culturelles est capable de de crire

a lui seul comment une culture ndash cette laquo architecture sociale du savoir raquo qui a

68

constitue lrsquoun des grands domaines de recherche de Michel de Certeau32 ndash est

transmise au fil des ge ne rations

Certes a partir des anne es 1960 les travaux de Pierre Bourdieu et de Jean-

Claude Passeron ont permis de comprendre certains me canismes sociaux de

transmission de la culture ndash bien qursquoils pre fe raient parler de laquo capital culturel raquo ndash

mais leurs e tudes se limitaient au contexte me tropolitain et surtout urbain

(Bourdieu et Passeron 1964 1971 Bourdieu 1966)33

Pour mieux comprendre ce me canisme que Bourdieu (1966) conside rait

inconscient et lie a lrsquo laquo habitus raquo des parents et a leur position dans le champ social

il convient de revenir a la question des laquo enfants sauvages raquo Cette expression

de crivait non pas les enfants des peuples laquo sauvages raquo mais les enfants qui pour une

raison ou une autre nrsquoont pas e te expose s a la laquo culture raquo en drsquoautres termes qui

32 Formeacute agrave lrsquoanalyse philosophique et theacuteologique Michel de Certeau a contribueacute agrave probleacutematiser la

notion de culture agrave partir drsquoune perspective critique agrave caractegravere psychanalytique Bien qursquoil ne soit

pas possible de le mettre en relation avec les positions du courant analytique neacuteomarxiste il est

important de souligner que selon lui la culture est le produit drsquoune dialectique entre les eacutelites

sociales et les masses (de Certeau 1993) Cette perspective nous aidera agrave mieux comprendre les

pheacutenomegravenes de patrimonialisation que nous analyserons plus avant

33 De plus leur vision eacutetait mineacutee par un certain laquo ethnocentrisme de classe raquo ce que Bourdieu

reconnaissait laquo Entre tous les preacutesupposeacutes culturels que le chercheur risque drsquoengager dans ses

interpreacutetations lrsquoethos de classe principe agrave partir duquel srsquoest organiseacutee lrsquoacquisition des autres

modegraveles inconscients exerce son action de la maniegravere la plus larveacutee et la plus systeacutematique raquo

(Bourdieu et al 1968 108)

69

nrsquoont pas e te laquo e duque s raquo Les premie res e tudes scientifiques sur ces enfants

abandonne s ou reclus et sans possibilite de contact avec drsquoautres e tres humains ont

e te re alise es a partir de la premie re de cennie du XIXe me sie cle Le premier cas celui

de lrsquoenfant de lrsquoAveyron capture par des chasseurs dans les bois de Lacaune en juillet

1799 a fait sensation dans les cercles mondains et scientifiques europe ens La

Socie te des observateurs de lrsquohomme34 ndash qui re unissait des intellectuels des

philosophes des naturalistes et des me decins ndash a de cide de lrsquoe tudier laquo dans lrsquointe re t

de la science raquo afin de laquo voir si la condition de lrsquohomme abandonne a lui-me me est

tout a fait contraire au de veloppement de lrsquointelligence raquo (Bert 2002 39) Sa

conclusion a e te tranchante ses experts conside raient lrsquoenfant comme atteint

drsquoidiotisme et de de mence Cependant le me decin Jean Marc Gaspard Itard a

demande de pouvoir le traiter a partir drsquoune me thode que nous pourrions

aujourdrsquohui de signer de psychope dagogique et qui apre s six ans de travail a re ussi

a obtenir des re sultats qui me me srsquoils nrsquoont pu effacer la nature laquo sauvage raquo de

lrsquoenfant ont permis des avance es conside rables sur le terrain des fonctions

intellectuelles Sur la base de ces conclusions le docteur Itard affirmait dans son

premier rapport sur lrsquoenfant de lrsquoAveyron que me me laquo dans la horde sauvage la plus

34 Probablement le premier cercle drsquoeacutetudes anthropologiques Fondeacute en 1799 agrave lrsquoinitiative de Louis-

Franccedilois Jauffret elle avait pour but drsquoeacutetudier laquo lrsquohomme raquo agrave partir drsquoune perspective encyclopeacutedique

et comparative capable de fusionner le savoir empirique et le raisonnement theacuteorique Elle a eacuteteacute

fermeacutee en 1805 par volonteacute de lrsquoEmpereur Napoleacuteon I qui consideacuterait ses membres comme des

laquo ideacuteologues raquo capables de srsquooccuper uniquement des laquo ideacutees raquo sans contribuer concregravetement au

progregraves de lrsquoEmpire (Fabietti 2001)

70

vagabonde lrsquohomme nrsquoest que ce qursquoon le fait e tre ne cessairement e leve par ses

semblables il en a contracte les habitudes et les besoins raquo (Itard 1801 3) Cette

histoire tout comme celle de tous les enfants sauvages35 srsquoinscrit en re alite dans une

discussion conceptuelle beaucoup plus large que celle de la psychologie de lrsquoenfant

ces enfants qui jusqursquoa un certain a ge nrsquoont pas eu de contact avec la culture nous

aident a mieux centrer le de bat sur la nature de lrsquohomme Loin de lrsquoapproche

religieuse qui voit dans lrsquohomme lrsquoimage de Dieu leurs cas ont permis drsquoe largir et de

laicirc ciser le de bat sur la nature de lrsquohomme et sur sa socialite Premie rement ils

de montrent que la culture nrsquoest pas inne e mais toujours acquise Ils nous ont aussi

permis de comprendre que crsquoest a partir de la socialisation et des interactions

culturelles que lrsquoe tre humain de veloppe le langage et la structure physique du

cerveau (Skuse 1984 Curtiss et al 1978) En drsquoautres termes comme le souligne

le travail de Barbara Rogoff (1990) le de veloppement cognitif des enfants est le

produit drsquoun contexte social Lrsquohistoire des laquo enfants sauvages raquo nous a donc aide s a

mieux cerner ce que les pale oanthropologues srsquoefforcent depuis des anne es de

de montrer notre espe ce a de veloppe une intelligence qui lui est propre ndash et un

cerveau adapte ndash a partir de sa capacite a tisser des relations sociales de srsquoe changer

des informations et de laquo construire raquo une culture (Joulian 2002) Lrsquohomo ferus

imagine par Linne nrsquoest donc qursquoun e tat pathologique de lrsquohomo sapiens qui le prive

35 Une eacutetude reacutealiseacutee en 1964 par Lucien Malson en recensait 52 Il les a reacutepartis en trois cateacutegories

les enfants eacuteleveacutes par des animaux les solitaires (comme dans le cas de lrsquoenfant de lrsquoAveyron) et les

reclus victimes de parents cruels ou psychotiques (Malson 1964)

71

drsquoun besoin fondamental celui de se transmettre des informations ndash des donne es

culturelles ndash dans le cadre drsquoune architecture sociale du savoir

72

4 De la culture au patrimoine (et inversement)

La notion de culture que nous sommes en train de de velopper ici crsquoest-a -dire

en tant qursquoensemble de principes et de donne es qui conforment lrsquoarchitecture

sociale du savoir et qui sont transmissibles gra ce aux interactions sociales nous

renvoie directement a celle de patrimoine Il srsquoagit la de deux termes qui sont

souvent employe s comme synonymes36 mais qui sont pourtant charge s de deux

significations laquo politiques raquo diffe rentes comme nous lrsquoavons mentionne dans le

premier chapitre et comme nous le verrons plus en de tail dans les pages qui suivent

Mais qursquoest-ce que la culture En effet le questionnement autour de

lrsquoessence de la culture est un des facteurs qui a permis agrave la science anthropologique

de faire ses premiers pas et drsquoacceacuteder au rang de discipline scientifique autonome

Inutile drsquoajouter que lrsquoanthropologie ndash en tant que laquo science de la culture37 raquo ndash a

repreacutesenteacute pour des geacuteneacuterations de scientifiques un domaine privileacutegieacute pour

eacutetudier lrsquoalteacuteriteacute agrave partir de la comparaison (souvent non deacutenueacutee de jugements de

36 Comme le fait par exemple lrsquoancien ministre franccedilais de la Culture Jack Lang (2014) promoteur

des Journeacutees du Patrimoine

37 Il srsquoagit drsquoune expression que jrsquoemprunte agrave lrsquoanthropologue ameacutericain Leslie White qui consideacuterait

que lrsquoeacutetude de lrsquohomme et de la civilisation humaine ne pouvait qursquoecirctre une science de la culture

(White 1949)

73

valeur) des donneacutees culturelles les strateacutegies de survivance et de production les

langues les usages les coutumes les lois les outils pour ne citer que quelques

exemples Cependant dans lrsquounivers des sciences sociales il nrsquoexiste pas de

deacutenomination unanime et univoque de la culture et chaque discipline et eacutecole de

penseacutee a deacuteveloppeacute sa propre interpreacutetation du concept Deacutejagrave en 1952 Alfred

Kroeber et Clyde Kluckhohn en recensaient pas moins de 164 (Kroeber amp

Kluckhohn 1952)

La deacutefinition canonique de la culture telle que nous la connaissons remonte

agrave lrsquoun des ouvrages pionniers de lrsquoanthropologie Les cultures primitives drsquoEdward

Burnett Tylor publieacute en anglais en 1871 et traduit en franccedilais cinq ans plus tard

Selon Edward B Tylor ndash qui consideacuterait la variabiliteacute culturelle des groupes humains

comme le moyen le plus sucircr drsquoattester de lrsquouniteacute biologique de lrsquoespegravece humaine ndash

la culture est laquo ce tout complexe comprenant agrave la fois les sciences les croyances les

arts la morale les lois les coutumes et les autres faculteacutes et habitudes acquises par

lrsquohomme dans lrsquoeacutetat social raquo (Tylor 1876 5)

Agrave lrsquoheure actuelle cette interpreacutetation est toujours drsquoactualiteacute comme le

deacutemontre le fait que lrsquoOrganisation des Nations Unies pour lrsquoe ducation la science et

la culture (UNESCO) dans sa Deacuteclaration de Mexico adopteacutee en 1982 dans le cadre

de la Confeacuterence mondiale sur les politiques culturelles en a repris les eacuteleacutements les

plus saillants en statuant que

laquo Dans son sens le plus large la culture peut aujourdhui ecirctre

consideacutereacutee comme lensemble des traits distinctifs spirituels et

74

mateacuteriels intellectuels et affectifs qui caracteacuterisent une socieacuteteacute ou un

groupe social Elle englobe outre les arts et les lettres les modes de

vie les droits fondamentaux de lecirctre humain les systegravemes de valeurs

les traditions et les croyances raquo (UNESCO 1982 1)38

Il srsquoagit de deacutefinitions descriptives qui bien qursquoayant lrsquoavantage de nous

proposer des variables concregravetes pour distinguer une culture drsquoune autre sont

cependant mineacutees par un certain fonctionnalisme de fond Au bout du compte Tylor

comme lrsquoUNESCO (et donc in extenso la communauteacute internationale) ont perccedilu la

culture comme un tout figeacute dans lrsquoespace et le temps (et ougrave le devenir historique

semble ne pas avoir de place) soit un enchevecirctrement de variables non biologiques

qui sont capables en elles-mecircmes de deacutecrire lrsquoessence drsquoun groupe humain qui sont

neacutecessaires agrave son fonctionnement et qui constituent les laquo frontiegraveres raquo deacutelimitant le

champ drsquoaction drsquoune communauteacute sociale deacutetermineacutee Cependant depuis Tylor un

siegravecle et demi de recherches anthropologiques nous amegravene agrave prendre nos distances

38 Dans la Deacuteclaration de Mexico la notion de culture est eacutegalement abordeacutee agrave partir drsquoune

perspective plus philosophique ndash et drsquoune certaine faccedilon teacuteleacuteologique ndash selon laquelle laquo la culture

donne agrave lrsquohomme la capaciteacute de reacuteflexion sur lui-mecircme Crsquoest elle qui fait de nous des ecirctres

speacutecifiquement humains rationnels critiques et eacutethiquement engageacutes Crsquoest par elle que nous

discernons des valeurs et effectuons des choix Crsquoest par elle que lrsquohomme srsquoexprime prend

conscience de lui-mecircme se reconnaicirct comme un projet inacheveacute remet en question ses propres

reacutealisations recherche inlassablement de nouvelles significations et creacutee des œuvres qui le

transcendent raquo (UNESCO 1982 1 Voir annexe 1)

75

vis-agrave-vis de ce type drsquoapproche cloisonnant les cultures en les deacutecrivant comme

autant drsquoentiteacutes distinctes39 et ne valorisant pas les processus drsquoacculturation en

tant que facteurs essentiels de la construction des cultures humaines Lrsquoeacutetude sur le

terrain de lrsquoalteacuteriteacute culturelle a permis aux derniegraveres geacuteneacuterations drsquoanthropologues

de comprendre que la culture loin de sa supposeacutee immutabiliteacute est un laquo tout raquo bien

plus dynamique que celui imagineacute par Edward Tylor Les travaux de George

Devereux (1943) sur lrsquoacculturation antagoniste ceux de Roger Bastide (1948) sur

les formes drsquoacculturation ceux de Melville Jean Herskovits (1962) sur la

construction de la culture africaine et afro-ameacutericaine ceux de Frederik Barth

(1969 1987) sur la genegravese des frontiegraveres ethniques ou encore ceux de Roy Wagner

(1981) sur laquo lrsquoinvention de la culture raquo ndash pour ne citer que quelques exemples

classiques ndash nous invitent agrave observer la culture comme un processus creacuteatif et agrave

mettre lrsquoaccent sur les dynamiques drsquoinnovation ainsi que sur celles de transmission

des donneacutees culturelles plutocirct que sur des essences laquo pures raquo

39 Ces approches perdurent dans le discours de certains chercheurs comme chez le sociologue

queacutebeacutecois Guy Rocher selon lequel la culture reste laquo un ensemble lieacute de maniegraveres de penser de sentir

et dagir plus ou moins formaliseacutees qui eacutetant apprises et partageacutees par une pluraliteacute de personnes

servent dune maniegravere agrave la fois objective et symbolique agrave constituer ces personnes en une collectiviteacute

particuliegravere et distincte raquo (Rocher 1992 104)

76

41 La culture entre transmission et patrimonialisation

Drsquoun point de vue e tymologique le mot laquo patrimoine raquo de rive de lrsquoexpression

latine patris munus soit la dotation du pe re et de signe lrsquoensemble des biens

appartenant au pater familias40 qui e taient transmis de pe re en fils Au fils des

sie cles cette interpre tation srsquoest graduellement e largie et si a partir du IIe me sie cle

lrsquoadministration impe riale de Rome commenccedila a utiliser la locution patrimonium

populi pour de finir le tre sor public plus tard a partir du Moyen A ge la Curie romaine

allait utiliser la locution laquo patrimoine de Saint Pierre raquo pour identifier tous les biens

mate riels de lrsquoE glise Catholique

Aujourdrsquohui le terme est commune ment utilise pour de crire les proprie te s

mate rielles et immate rielles dont une famille ou une communaute deviennent

de positaires et qui peuvent selon les cas acque rir un statut prive public ou collectif

Selon Guy Di Me o

laquo [i]l ne srsquoagit plus seulement de biens mate riels et de

domaines me me a forte teneur symbolique mais aussi de valeurs

purement ide elles drsquoide es de connaissances et de croyances de

40 Il est inteacuteressant de noter que en latin le mot patrimonium a la mecircme structure morphologique

que le mot matrimonium (matris munus litteacuteralement laquo la dotation de la megravere raquo) Cependant bien

que le premier terme fasse reacutefeacuterence agrave un concept concret (des biens mateacuteriels) le deuxiegraveme fait

plutocirct reacutefeacuterence agrave lrsquounivers symbolique de lrsquoaffiliation crsquoest-agrave-dire lrsquointeacutegration drsquoune personne agrave

lrsquointeacuterieur drsquoune famille comme effet drsquoun accord baseacute sur lrsquoaffiniteacute ou lrsquoopportuniteacute soit le mariage

77

conceptions et de pratiques de savoir-faire et de techniques etc raquo (Di

Me o 2008 87)

Il srsquoagit la drsquoun terme capable de de crire cette tendance humaine a la

persistance culturelle crsquoest-a -dire a la pre servation de certaines donne es

culturellement importantes conside re es essentielles a la continuite drsquoune famille

drsquoune communaute drsquoune socie te ou drsquoune nation Une tendance que dans le

contexte hyper-capitaliste actuel ndash capable de transformer la culture en

marchandise et en objet de culte fe tichiste41 ndash les gouvernements les organisations

intergouvernementales et les administrations territoriales ont transforme e en

projet politique visant a conserver certains e le ments de cet he ritage culturel afin de

promouvoir le de veloppement e conomique de certains territoires Ce projet prend

le nom de patrimonialisation et se mate rialise par la transformation des paysages

des habitats et des cultures pour permettre que certains laquo fe tiches raquo (lieux

expressions de la culture mate rielle rituels ce re monies savoirs) puissent e tre

conserve s tels qursquoils se manifestent au moment de leur laquo mise en protection raquo

41 Cette ideacutee deacuterive des travaux de Michael Taussig (2010) lequel lrsquoemploie agrave partir de son

interpreacutetation anthropologique du concept de laquo feacutetichisme de la marchandise raquo que Karl Marx avait

deacuteveloppeacute dans ses travaux de critique de lrsquoeacuteconomie politique et surtout dans le premier volume du

Capital (1867) Une interpreacutetation laquo culturaliste raquo du concept ndash mais dans une perspective

philosophique ndash a aussi eacuteteacute eacutelaboreacutee par Jean Baudrillard (1972) pour expliquer lrsquoeffet de la

laquo mystique culturelle raquo sur les habitudes de consommation de la socieacuteteacute capitaliste

78

Lrsquoexpression la plus e vidente de cette dynamique est probablement la liste

e tablie par lrsquoUNESCO dans laquelle sont inclus les biens ndash naturels culturels ou

mixtes ndash conside re s comme patrimoines de lrsquohumanite A lrsquoheure actuelle 1 031

biens et sites sont inscrits sur la liste du patrimoine mate riel de lrsquohumanite ndash dont

802 ayant un caracte re culturel42 ndash et 391 laquo expressions de la culture humaine raquo sont

sur la liste du patrimoine culturel immate riel43 Lrsquoinscription sur ces listes octroie

aux communaute s concerne es une certaine visibilite et parfois des fonds publics et

prive s destine s a mieux prote ger ces biens ou traditions Cependant les crite res

drsquoadmission a ces listes sont pluto t controverse s et critique s par plusieurs

anthropologues et scientifiques sociaux (Pocock 1997 Eriksen 2001 Benhamou

2010 Babou 2013)44 En effet lrsquoUNESCO conside re comme patrimoine culturel

laquo les monuments œuvres architecturales de sculpture ou de

peinture monumentales e le ments ou structures de caracte re

arche ologique inscriptions grottes et groupes drsquoe le ments qui ont une

42 Au moment de la reacutedaction de ces lignes lrsquoEurope et lrsquoAmeacuterique du Nord en accueillent 420 soit

48 du total (la liste est constamment mise agrave jour et disponible sur le site web de lrsquoorganisation

wwwunescoorg)

43 Qui inclut laquo les traditions et expressions orales y compris la langue comme vecteur du patrimoine

culturel immateacuteriel les arts du spectacle les pratiques sociales rituels et eacuteveacutenements festifs les

connaissances et pratiques concernant la nature et lrsquounivers les savoir-faire lieacutes agrave lrsquoartisanat

traditionnel raquo (UNESCO 2003 art2)

44 Une synthegravese du deacutebat se trouve dans Le Patrimoine culturel immateacuteriel Enjeux drsquoune nouvelle

cateacutegorie anthologie de textes eacutediteacutee par Chiara Bortolotto (2011)

79

valeur universelle exceptionnelle du point de vue de lrsquohistoire de lrsquoart

ou de la science les ensembles groupes de constructions isole es ou

re unies qui en raison de leur architecture de leur unite ou de leur

inte gration dans le paysage ont une valeur universelle exceptionnelle

du point de vue de lrsquohistoire de lrsquoart ou de la science les sites œuvres

de lrsquohomme ou œuvres conjugue es de lrsquohomme et de la nature et zones

incluant des sites arche ologiques qui ont une valeur universelle

exceptionnelle du point de vue historique esthe tique ethnologique ou

anthropologique raquo (UNESCO 1972 Voir annexe 2)

Aussi dans son article 2 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine

culturel immate riel adopte e en 2003 pre cise que

laquo On entend par ldquopatrimoine culturel immate rielrdquo les pratiques

repre sentations expressions connaissances et savoir-faire ndash ainsi que

les instruments objets artefacts et espaces culturels qui leur sont

associe s ndash que les communaute s les groupes et le cas e che ant les

individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine

culturel Ce patrimoine culturel immate riel transmis de ge ne ration en

ge ne ration est recre e en permanence par les communaute s et

groupes en fonction de leur milieu de leur interaction avec la nature

et de leur histoire et leur procure un sentiment drsquoidentite et de

80

continuite contribuant ainsi a promouvoir le respect de la diversite

culturelle et la cre ativite humaine raquo (UNESCO 2003 Voir annexe 3)

En re alite il nrsquoy a pas beaucoup de diffe rence entre ce que lrsquoUNESCO ndash et les

E tats qui ont ratifie s ses conventions ndash conside re comme laquo patrimoine culturel raquo et

ce que les me mes organismes conside rent comme laquo culture raquo45 Mais quelle est donc

la diffe rence entre patrimoine et culture Et pourquoi a lrsquoheure actuelle les

gouvernements pre fe rent parler de laquo patrimoine raquo pluto t que de culture Enfin

pourquoi la notion de patrimoine culturel a pris une dimension plus politique

qursquoanthropologique

Nous avons de ja de montre comment la notion de culture a e te

historiquement fort e vasive et nous savons aussi que a partir de la fin du deuxie me

conflit mondial lrsquoide e me me que puissent exister des laquo cultures nationales raquo a

disparu du de bat anthropologique et sociologique Les e tudes ethnographiques

mene es dans des pays industrialise s et des anciennes puissances coloniales ont

de montre qursquoil nrsquoexiste pas une culture franccedilaise italienne ou ame ricaine au

contraire chaque pays pourrait e tre repre sente me taphoriquement comme un

e norme puzzle dans lequel chaque pie ce repre sente une de ses cultures

constitutives Qui plus est dans tous les pays du globe lrsquointe gration progressive de

45 Cela devient eacutevident degraves lors que lrsquoon confronte ces deacutefinitions agrave celle de laquo culture raquo preacutevue par la

Deacuteclaration de Mexico sur les politiques culturelles adopteacutees en 1982 dans le cadre de la Confeacuterence

mondiale sur les politiques culturelles (UNESCO 1982)

81

personnes en provenance de lrsquoe tranger a augmente le nombre de laquo cultures raquo ayant

droit de re sidence dans drsquoautres E tats

Les e lites au pouvoir ne peuvent donc plus re clamer lrsquoappartenance a une

seule laquo culture nationale raquo (ide e qui re sisterait difficilement a la plus simple des

analyses historiques) mais peuvent toujours srsquoappuyer sur la notion plus souple de

patrimoine culturel national qui elle permet drsquoidentifier facilement les e le ments

charge s drsquoune valeur symbolique et ayant le pouvoir de se transformer en icones (ou

fe tiches) capables de fe de rer les membres drsquoune nation toute entie re46

La notion de culture nationale apparaicirc t dans la deuxie me moitie du XVIIe me

sie cle en me me temps que lrsquoave nement des E tats-nations soit des entite s politiques

qui justifiaient leur souverainete a partir de lrsquoide e qursquoil pouvait exister une

46 Sur la laquo liaison dangereuse raquo qui met en relation les processus postcoloniaux et la

patrimonialisation de la culture Gerar Collomb eacutecrit laquo Agrave partir des anneacutees soixante la fin de la

relation coloniale - du moins sous sa forme institutionnaliseacutee - a conduit agrave une double remise en

question celle de la place de lOccident et des valeurs sur lesquelles se construit sa preacuteeacuteminence

dans la nouvelle configuration mondiale qui sest dessineacutee celle des rapports qui seacutetaient eacutetablis au

sein mecircme des empires coloniaux entre leurs diffeacuterentes composantes conduisant agrave la formation de

nouveaux Eacutetats Ceux-ci doivent deacutesormais se poser tant face aux anciens Eacutetats colonisateurs que

face aux ensembles culturels etou politiques quils preacutetendent unifier Dans ce nouveau monde le

regard de lOccident agrave lui seul ne peut plus preacutetendre agrave fonder ni leacutegitimer ni mecircme donner sa forme

au museacutee dethnologie celui-ci sinscrit deacutesormais tout autant et souvent exclusivement dans le

registre de la construction dune meacutemoire et dune identiteacute ainsi que dans le registre de la formation

dun patrimoine raquo (Collomb 1999 333)

82

juxtaposition juridique drsquoun territoire gouverne par lrsquoE tat et drsquoun peuple ndash la Nation

ndash constitue de citoyens partageant les me mes modes de vie les me mes normes et les

me mes coutumes crsquoest-a -dire une me me culture Cependant lrsquohistoire srsquoest charge e

de de montrer lrsquoinconsistance de cette ide alisation et de cette utopie juridique ces

me mes E tats-nations qui se sont de veloppe s apre s la signature du Traite de

Westphalie en 1648 e taient en re alite des entite s multinationales ou cohabitaient

plusieurs communaute s sociales et culturelles souvent en conflit entre elles Les

puissances europe ennes nrsquoont pas tarde a le comprendre et pour maintenir leur

pouvoir sur les territoires soumis a leur souverainete ont mis en place des

dispositifs visant a identifier et a diffuser des e le ments culturels qui pouvaient e tre

partage s par tous leurs sujets On connaicirc t la ce le bre expression de lrsquohomme drsquoe tat

italien Massimo drsquoAzeglio qui a la fin du XIXe me sie cle se plaignait de lrsquoabsence drsquoun

esprit national chez ses concitoyens laquo Nous avons fait lrsquoItalie mais nous nrsquoavons pas

fait les Italiens raquo (drsquoAzeglio 1867 5) La naissance de lrsquoe cole laquo moderne raquo et la

popularisation de lrsquoacce s au savoir scolaire doivent alors e tre observe es a partir de

ce contexte historique la culture nationale devait e tre cre e e sur la base de la

reconnaissance des traits communs qui constituaient une nation et qui devaient e tre

transmis selon un programme de fini laquo drsquoen haut raquo et cohe rent avec la construction

de lrsquoE tat

La France a ouvert la voie en 1793 en pleine Re volution avec la cre ation des

laquo e coles centrales de partementales raquo charge es de former des citoyens e duque s aux

valeurs re volutionnaires et dote s des connaissances ne cessaires pour poursuivre les

inte re ts de lrsquoE tat Les autres puissances europe ennes lrsquoont suivie de pre s et avant la

83

fin du XIXe me sie cle tous les pays du continent avaient mis en place des syste mes

nationaux drsquoinstruction et des e tablissements responsables de lrsquoe ducation des

citoyens (Gaulupeau 1992)

Aujourdrsquohui on ne parle plus de cultures nationales mais les e coles

demeurent responsables de la diffusion drsquoun savoir commun qui fait office de

laquo patrimoine culturel raquo a transmettre aux ge ne rations futures

42 Eacuteducation et socieacuteteacute la question de lrsquoautochtonie

Lrsquoavegravenement des grandes civilisations47 et la complexification des

organisations sociales ont eacuteteacute consideacutereacutes par lrsquohistoriographie classique ndash et ce au

moins jusqursquoagrave la premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle ndash comme les manifestations

historiques du passage de lrsquoeacutetat de nature agrave lrsquoeacutetat de culture de la preacutehistoire agrave

lrsquohistoire En effet la genegravese des socieacuteteacutes stratifieacutees et hieacuterarchiseacutees a requis le

deacuteveloppement drsquoinstitutions speacutecialiseacutees externes aux familles et deacutedieacutees agrave la

formation et agrave la reproduction de la culture Par exemple dans lrsquoEacutegypte antique deacutejagrave

agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoAncien Empire entre 2800 et 2200 avant notre egravere les scribes et

autres fonctionnaires au service du pharaon eacutetaient eacuteduqueacutes dans les laquo maisons de

47 En anthropologie on eacutevite le terme civilisation qui renvoie par opposition agrave celui de laquo barbarie raquo

et on lui preacutefegravere la notion plus neutre de culture Cependant je lrsquoutilise ici dans le sens que lui

donnent les historiens agrave savoir un groupe social avec une population seacutedentaire une organisation

eacutetatique une eacuteconomie baseacutee sur la speacutecialisation du travail et ougrave les surplus de production sont

concentreacutes dans les mains des niveaux supeacuterieurs de la hieacuterarchie sociale (Childe 1936)

84

vie raquo (Per Acircnkh) en Chine les premiegraveres eacutecoles ndash destineacutees aux enfants de

lrsquoaristocratie ndash apparurent pendant la dynastie Xia entre 2100 et 1600 avant notre

egravere en Inde les eacutecoles veacutediques ndash ouvertes agrave tous et ayant pour but lrsquoapprentissage

des textes et des traditions preacute-hindous et hindous ndash commencegraverent agrave opeacuterer agrave

partir de 1600 ans avant notre egravere (Rouche 1981)

Bien que chaque socieacuteteacute humaine ait adopteacute des modegraveles diffeacuterents agrave partir

de lrsquoeacutepoque de la constitution des Empires coloniaux la reacutefeacuterence de la schola srsquoest

imposeacutee telle qursquoelle existait en Europe depuis le Moyen Acircge48 exporteacutee au niveau

planeacutetaire par les puissances impeacuteriales souvent gracircce agrave lrsquoactiviteacute des congreacutegations

religieuses qui accompagnaient les explorateurs dans leurs voyages Lrsquoinstitution du

systegraveme scolaire ndash qui a souvent pris la forme drsquoune imposition surtout dans les

colonies ndash a profondeacutement bouleverseacute les scheacutemas locaux de transmission de la

culture Cependant comme nous lrsquoavons vu dans le premier chapitre lrsquoeacutetude des

dispositifs eacuteducatifs traditionnels ndash qui pendant longtemps ont eacuteteacute traiteacutes comme de

simples laquo curiositeacutes anthropologiques raquo ndash a acquis avec le temps une importance

croissante au point de devenir une prioriteacute pour plusieurs institutions inteacuteresseacutees

par lrsquoanalyse de lrsquoefficaciteacute peacutedagogique des pratiques formatives non-occidentales

Par ailleurs des organismes internationaux comme le Bureau international

drsquoeacuteducation (BIE) ont souligneacute lrsquoimportance pour les gouvernements de la planegravete

48 Crsquoest-agrave-dire une institution baseacutee sur des eacuteducateurs speacutecialiseacutes ndash les laquo maicirctres raquo ndash qui

transmettent des savoirs lieacutes agrave une ou plusieurs disciplines ontologiquement distinctes agrave partir drsquoun

programme deacutefini au preacutealable dans un espace deacutedieacute (lrsquoeacutecole) et avec des outils speacutecifiques des

tables des chaises des livres des cahiers des plumeshellip (Rouche 1981)

85

drsquoalimenter la recherche ethnographique autour des processus de transmission des

savoirs locaux consideacutereacutes comme partie du patrimoine culturel immateacuteriel de

lrsquohumaniteacute (Camilleri 1985)

En France la question eacuteducative a eacuteteacute traditionnellement associeacutee agrave

lrsquoenseignement scolaire et plus preacuteciseacutement au fonctionnement du dispositif

scolaire universel et obligatoire Agrave partir de la Reacutevolution de 1789 le discours

politique des diffeacuterents gouvernements qui se sont succeacutedeacutes agrave la tecircte de lrsquoEacutetat a

toujours souligneacute le rocircle de lrsquoeacutecole comme laquo ascenseur social raquo avec pour fonction

de garantir lrsquoeacutegaliteacute des chances agrave tous les citoyens49 tout en marginalisant le rocircle

eacuteducatif de la famille et sa fonction dans le deacuteveloppement cognitif et la

laquo socialisation primaire raquo Le reacutecent constat des limites de ce discours a conduit agrave

une veacuteritable laquo affaire drsquoEacutetat raquo surtout apregraves la publication des reacutesultats

deacutecourageants des derniegraveres eacutevaluations du Programme international pour le suivi

des acquis des eacutelegraveves (PISA)50 de lrsquoOrganisation de coopeacuteration et de

49 On doit consideacuterer que sous lrsquoAncien Reacutegime les collegraveges et les universiteacutes eacutetaient destineacutes agrave la

formation de lrsquoaristocratie En reacutealiteacute cette situation a perdureacute jusqursquoen 1880 mecircme si au-delagrave de la

noblesse ces organismes accueillaient aussi les nouvelles eacutelites sociales (les laquo notables raquo)

repreacutesenteacutees par la nouvelle classe des commerccedilants et des professionnels libeacuteraux meacutedecins

notaires ingeacutenieurs (Gaulupeau 1992)

50 Les eacutetudes PISA visent agrave mesurer les performances des systegravemes eacuteducatifs des pays membres de

lrsquoOCDE et drsquoun certain nombre de pays qui ne sont pas membres de lrsquoOrganisation mais qui sont

associeacutes au PISA Ces eacutevaluations ont une finaliteacute comparative et eacutevaluent les compeacutetences acquises

par les eacutelegraveves agrave la fin de leur peacuteriode de scolariteacute obligatoire afin drsquoidentifier les facteurs exogegravenes ndash

le milieu social eacuteconomique et culturel des familles le cadre scolaire et le mesures mises en place

86

deacuteveloppement eacuteconomiques (OCDE) En 2009 le classement PISA positionnait la

France en 22egraveme position dans le domaine des matheacutematiques et de la lecture et en

27egraveme position dans les compeacutetences scientifiques51 (OECDE 2010) En 2012 la

France se classait 25egraveme en matheacutematiques 26egraveme en science et 21egraveme en lecture52

(OECDE 2014) Sans compter que en 2003 60 000 eacutelegraveves avaient quitteacute le systegraveme

scolaire sans aucune qualification ndash et presque 100 000 avec une qualification mais

sans aucun diplocircme ndash et que lrsquoanneacutee suivante 15 des eacutelegraveves qui sortaient du cours

moyen 2egraveme anneacutee (CM2)53 eacutetaient eacutevalueacutes comme laquo en grande difficulteacute raquo et 25

peinaient agrave comprendre le sens drsquoun texte simple (Theacutevenin amp Compagnon 2005)

Qui plus est lrsquoactuelle conjoncture eacuteconomique et les hauts taux de chocircmage chez

les jeunes entraicircnent une veacuteritable course aux diplocircmes qui a pour principal effet de

privileacutegier une surqualification qui nrsquoest pas toujours neacutecessaire agrave lrsquoaccegraves au marcheacute

du travail

par le systegraveme eacuteducatif national ndash et endogegravenes ndash la motivation des eacutelegraveves lrsquoestime de soi les

strateacutegies drsquoapprentissage ndash qui favorisent la reacuteussite scolaire

51 La mecircme anneacutee la municipaliteacute autonome de Shanghai en Chine a obtenu la premiegravere position

dans les trois classements

52 En 2012 la premiegravere position a aussi eacuteteacute obtenue par Shanghai En matheacutematiques la deuxiegraveme et

la troisiegraveme position ont eacuteteacute assigneacutees respectivement agrave Singapour et agrave Hong Kong en sciences et en

lecture la deuxiegraveme et la troisiegraveme position ont eacuteteacute assigneacutees respectivement agravehellip Hong Kong et

Singapour

53 Il srsquoagit du dernier niveau (avant lrsquoentreacutee au collegravege) de lrsquoeacutecole primaire en France

87

Contrairement agrave la tendance observeacutee dans les pays de lrsquoOCDE les reacutesultats

de PISA constatent qursquoen France le milieu social et familial dont lrsquoeacutelegraveve est issu

conditionne fortement sa reacuteussite scolaire et qursquoil existe une correacutelation statistique

positive entre les ressources eacuteconomiques des familles et les compeacutetences scolaires

acquises par les enfants (surtout dans les domaines des matheacutematiques et de la

compreacutehension de lrsquoeacutecrit) En 2013 apregraves la publication des reacutesultats de lrsquoenquecircte

PISA 2012 le ministegravere de lrsquoEacuteducation Nationale (MEN) a deacutecideacute de reacutepondre agrave ce

signal drsquoalarme en srsquoengageant dans un processus de reacuteforme de la normative en

vigueur afin de laquo refonder lrsquoeacutecole raquo et surtout de reacuteduire les ineacutegaliteacutes scolaires Les

objectifs principaux de ce programme qui srsquoest concreacutetiseacute gracircce agrave la Loi ndeg 2013-

595 du 8 juillet 2013 drsquoorientation et de programmation pour la refondation de

lrsquoEacutecole de la Reacutepublique eacutetaient les suivants

donner la priorite a lrsquoenseignement primaire

renforcer lrsquoe ducation prioritaire

lutter contre le de crochage

de finir des nouveaux rythmes scolaires

re nover les programmes

miser sur les technologies de lrsquoinformation et de la communication pour

lrsquoe ducation (TICE) gra ce a une vraie laquo strate gie nume rique raquo

former les enseignants dans des e tablissements spe cialise s les E coles

Supe rieures du Professorat et de lrsquoE ducation (ESPE)

88

repenser les me tiers de lrsquoenseignement

Cependant le MEN consideacuterait qursquoun autre facteur critique pouvait expliquer

lrsquoeacutechec scolaire des eacutelegraveves franccedilais le manque de coordination entre les eacutecoles et

les familles En ce sens cette institution a adresseacute agrave tous ses fonctionnaires mais

aussi aux preacutefets une circulaire rappelant les mesures agrave prendre pour laquo renforcer la

coopeacuteration entre les parents et leacutecole dans les territoires raquo (MEN 2013)

Cette derniegravere circulaire nrsquoa pas reccedilu un accueil favorable De fait dans

certains milieux plutocirct traditionalistes lrsquoideacutee encore tregraves diffuse selon laquelle lrsquoun

des piliers de lrsquoeacutecole reacutepublicaine est son rocircle de laquo sanctuaire raquo soit un havre de paix

proteacutegeacute des assauts de la laquo socieacuteteacute exteacuterieure raquo ndash qui voudrait comme lrsquoaffirmait le

philosophe Jacques Muglioni laquo lui imposer ses inteacuterecircts ses passions et ses modes raquo

(Muglioni 1993 72) ndash et ougrave les enseignants pourraient se deacutedier entiegraverement agrave leur

tacircche eacuteducative sans devoir rendre des comptes aux familles (souvent perccedilues

comme des laquo intrus raquo54) perdure Mecircme Philippe Meirieu le peacutedagogue qui a inspireacute

les reacuteformes lieacutees agrave lrsquoinstauration des modules au lyceacutee et agrave la creacuteation des Instituts

universitaires de formations des maicirctres (IUFM les ancecirctres des ESPE)55 eacutetait en

54 Comme lrsquoa expliqueacute Anne-Sophie Benoit preacutesidente de lrsquoAssociation nationale des directeurs de

lrsquoeacuteducation des villes (ANDEV) dans une audition reacutealiseacutee le 6 mars 2014 agrave la Commission des

affaires culturelles et de lrsquoeacuteducation (CACE 2014)

55 En 1998 le journal Libeacuteration publiait un portrait de Meirieu intituleacute laquo Le peacutedagogue le plus eacutecouteacute

de nos gouvernants raquo (Auffray 1998)

89

effet convaincu que laquo lrsquoeacutecole obligatoire doit constituer un abri mecircme provisoire

contre la tempecircte sociale raquo (Meirieu amp Guiraud 1997 83)56

Bien qursquoau deacutepart cette vision de lrsquoeacutecole se justifiait par la volonteacute de

laquo seacuteparer raquo le milieu scolaire du cadre familial afin de faciliter le contact entre les

eacutelegraveves issus de milieux socioeacuteconomiques diffeacuterents et drsquoeacuteliminer lrsquoinfluence

neacutegative de certains contextes deacutefavoriseacutes sur la conduite des enfants agrave lrsquoeacutecole dans

les deacutebats peacutedagogiques plus reacutecents cette conception est deacutesormais consideacutereacutee

comme anachronique Plusieurs eacutetudes ont deacutemontreacute non seulement qursquoil existe une

correacutelation entre les performances scolaires des eacutelegraveves et leur milieu eacuteducatif le plus

proche (la famille et la communauteacute drsquoappartenance) mais aussi que lrsquoimplication

familiale ndash qui compte pour beaucoup dans la reacuteussite des eacutelegraveves ndash repose sur une

compreacutehension des attentes mutuelles (de lrsquoeacutecole et des familles) et de leurs

scheacutemas respectifs de fonctionnement (ce qui a eacuteteacute deacutemontreacute par les travaux de

Dumoulin et al 2014 Lariveacutee amp Larose 2014 Lariveacutee amp Poncelet 2014 Poncelet

et al 2014) Toutefois si drsquoun cocircteacute lrsquoEacutetat exige une meilleure coordination entre les

parents drsquoeacutelegraveves et les institutions eacuteducatives de lrsquoautre la reacutealiteacute sur le terrain se

reacutevegravele beaucoup plus complexe que ce que lrsquoavait imagineacute le leacutegislateur En 2014 un

rapport drsquoinformation de la Commission des affaires culturelles et de lrsquoeacuteducation de

lrsquoAssembleacutee nationale sur les relations entre lrsquoeacutecole et les parents montre que laquo ces

relations nrsquoont jamais eacuteteacute simples raquo et conclut que laquo pour des raisons historiques et

56 Cependant au cours les anneacutees suivantes Meirieu ndash ayant entre temps entrepris une carriegravere

politique ndash nuancera cette position et abandonnera son rigorisme originel (Meirieu 2000)

90

culturelles la place et le rocircle des parents nrsquoont pas encore trouveacute leur point

drsquoeacutequilibre au sein de lrsquoeacutecole raquo (CACE 2014 9)

Dans un article paru dans la Revue internationale de lrsquoeacuteducation familiale

Olivier Preacutevocirct srsquoalignera sur ces mecircmes positions en consideacuterant que bien que la

laquo refondation de lrsquoeacutecole raquo repreacutesente une avanceacutee importante dans la construction

drsquoune socieacuteteacute plus inclusive

laquo Il serait neacutecessaire en ce qui concerne la formation des

enseignants que la coeacuteducation soit plus largement traiteacutee et abordeacutee

sous des modaliteacutes qursquoil faudrait construire Les enseignants sont en

effet souvent eux-mecircmes deacutemunis quant agrave leurs rapports aux familles

Degraves la formation initiale il serait pertinent drsquoaccompagner les futurs

enseignants afin qursquoils soient mieux agrave mecircme de construire une relation

positive avec les parents dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant raquo (Preacutevocirct 2014

30)

En drsquoautres termes au-delagrave des bonnes intentions afficheacutees par le leacutegislateur

une veacuteritable refondation de lrsquoeacutecole ne peut exister que si les enseignants qui sont

lrsquointerface visible de lrsquoinstitution scolaire sont formeacutes agrave connaicirctre et agrave analyser la

reacutealiteacute sociale culturelle et eacuteconomique des contextes dans lesquels ils travaillent

Autrement dit les enseignants devraient avoir une formation anthropologique de

base afin de pouvoir srsquointeacutegrer correctement dans cette zone de transition qui

91

seacutepare et unit lrsquoeacutecole et les familles soit une version laquo sociale raquo de ce qursquoen biologie

on appellerait un eacutecotone57

Pour les deacutepartements les reacutegions et les collectiviteacutes de lrsquoOutre-mer franccedilais

cette probleacutematique a une importance capitale notamment si on se reacutefegravere aux taux

eacuteleveacutes drsquoeacutechec scolaire ndash confirmeacutes par les statistiques et par les reacutesultats des

recherches sur le terrain ndash qui touchent surtout les communauteacutes autochtones

(Poirine 1991 et 1996 Malogne 2001 Alby 2006 et 2008) On doit aussi

consideacuterer que dans ces territoires les conditions actuelles de la scolarisation

constituent bien souvent lrsquoune des causes de la fragmentation des noyaux familiaux

et de lrsquoexode rural qui lui-mecircme entraicircne la perte de savoirs traditionnels propres

agrave des groupes autochtones Lrsquoeacutetude des systegravemes eacuteducatifs des communauteacutes

ethniques58 drsquoOutre-mer srsquoavegravere donc drsquoune grande importance Agrave ce titre elle est

57 Crsquoest-agrave-dire la zone de contact entre deux eacutecosystegravemes voisins (par exemple le deacutesert et la savane

ou la forecirct et la mangrove) Cette notion qui est apparue pendant les anneacutees 1980 dans le domaine

des sciences naturelles commence agrave srsquoimposer dans les travaux de plusieurs scientifiques sociaux

pour deacutefinir les laquo espaces de transition raquo entre deux ou plus contextes socioculturels (Minor 2007

Bekker 2010 Innes 2014)

58 Effectivement en France le concept drsquoethniciteacute (qui reacutesiste quand mecircme dans le milieu de

lrsquoanthropologie) nrsquoa pas de fondement juridique On lrsquoutilise ici dans le sens que lui attribue la Charte

europeacuteenne des langues reacutegionales ou minoritaires qui a eacuteteacute adopteacutee avec la convention europeacuteenne

ETS 148 de 1992 sous les auspices du Conseil de lrsquoEurope pour proteacuteger et favoriser les langues

historiques reacutegionales et les langues des minoriteacutes en Europe (CdE 1992 Voir annexe 4) ndash une Charte

que le gouvernement franccedilais coheacuterent avec sa vision drsquouniteacute sociale de la nation nrsquoa jamais ratifieacutee

92

aujourdrsquohui reacuteclameacutee par des voix eacuteminentes (Grenand amp Renault-Lescure 1990

Terrail 1997 et 2005 Hurault et al 1998 Grenand F 2000 Lorcerie 2003) Il

srsquoagit de comprendre les processus et les outils de transmission drsquoun patrimoine de

connaissances de capaciteacutes et de compeacutetences qui sont propres agrave ces communauteacutes

et qui sont eacutetroitement lieacutees agrave des milieux geacuteographiques de grande valeur en

termes eacutecologiques et eacuteconomiques

93

5 Culture et autochtonie

La raison anthropologique nous invite comme le disait a juste titre Ugo

Fabietti (2007) a relativiser les identite s sans essentialiser les diffe rences Ce cadre

conceptuel nous aide a comprendre comment lrsquoide e me me de laquo culture nationale raquo

he ge monique et produite par la rhe torique nationaliste a pu servir les inte re ts de

certaines forces politiques afin drsquouniformiser les identite s et de cre er des laquo citoyens

de la nation raquo tout en stigmatisant les diffe rences culturelles qui ne pouvaient pas

e tre inte gre es a la nation comme les cultures subalternes59 (Figure 5)

59 Jrsquoutilise les termes laquo heacutegeacutemonique raquo et laquo subalterne raquo en mrsquoappuyant sur lrsquointerpreacutetation

deacuteveloppeacutee par le philosophe antifasciste italien Antonio Gramsci Selon cette conceptualisation

lrsquoheacutegeacutemonie devient un systegraveme de domination politique qui srsquoeacutetablit agrave partir drsquoune base culturelle

(les pratiques et les croyances collectives) la subalterniteacute est le statut qui est assigneacute aux groupes

marginaliseacutes ignoreacutes ou reacuteprimeacutes par la violence ndash physique ou symbolique ndash de lrsquoapparat

institutionnel agrave travers lequel srsquoexpriment les groupes heacutegeacutemoniques (Gramsci 1949) Ces termes

ont acquis une laquo validiteacute anthropologique raquo gracircce au travail analytique drsquoAlberto Cirese (1982) qui a

contribueacute agrave la diffusion de la penseacutee de Gramsci dans les cercles scientifiques europeacuteens et nord-

ameacutericains

94

Figure 5 Cultures heacutegeacutemoniques et culture subalternes

Le discours nationaliste surtout dans le cadre des E tats-nations et des

Empires coloniaux avait pour objectif drsquooffrir une justification ide ologique a lrsquoide e

qursquoune certaine culture conside re e comme nationale pouvait e tre supe rieure a

drsquoautres Ces cultures laquo autres raquo nrsquoe taient pas ne cessairement celles des minorite s

mais tout simplement celles qui ne re pondaient pas aux crite res choisis par les

e lites politiques et e conomiques et qui entravaient les projets des gouvernements

LrsquoHistoire est riche drsquoexemples qui nous montrent comment ce discours a pu

se traduire en politiques drsquoe limination de laquo lrsquoautre raquo justifie es par la ne cessite de

pre server la purete et lrsquounite nationale des guerres de religion aux conflits

ethniques de lrsquoHolocauste aux pogroms Cependant il ne faut pas oublier que dans

la majorite des cas ces politiques cachaient des motivations moins ide ologiques

Culture heacutegeacutemonique

Culture subalterne (en

voie drsquointeacutegration)

Culture subalterne

(marginaliseacutee)

Culture subalterne

(inteacutegreacutee mais marginale)

95

qursquoe conomiques lie es a lrsquoacce s a certaines ressources et a leur distribution De ce

point de vue le cas des peuples autochtones est exemplaire

Avec lrsquoapparition des Empires coloniaux les nations europe ennes se sont

lance es dans une entreprise de domination globale qui les a conduites a conque rir

des territoires et a soumettre des peuples qui vivaient loin des me tropoles du Vieux

Continent et qui dans cette phase coloniale nrsquoont jamais re ellement e te inte gre s aux

E tats colonialistes Pendant toute cette pe riode les colonise s nrsquoont jamais pu acce der

au statut de citoyens et le seul statut qui e tait octroye a ces laquo sauvages raquo ou

laquo primitifs raquo e tait celui drsquoautochtones crsquoest-a -dire litte ralement des occupants

originaires drsquoun territoire60 Bien que cette notion drsquoautochtonie ait connu un certain

succe s jusqursquoa la premie re moitie du XIXe me sie cle61 elle a e te progressivement

abandonne e au profit de la notion de laquo race raquo qui re sistera dans certaines sphe res

60 Il srsquoagit drsquoun lexegraveme drsquoorigine latine (autochthon) qui agrave son tour deacuterive du grec ancien αὐτόχθων

mot composeacute du pronom αὐτός (laquo soi-mecircme raquo) et du substantif χθών (laquo terre raquo) qui pourrait se

traduire comme laquo celle ou celui qui appartient agrave un territoire raquo ou moins litteacuteralement laquo celle ou

celui qui est neacute dans le territoire ougrave sont neacutes ses ancecirctres raquo (ou encore laquo qui vient de la terre mecircme raquo

comme le proposent Gagneacute et Salauumln 2009 XIV) Les auteurs classiques comme Heacuterodote utilisent

cette notion en reacuteponse agrave celle de ἐπήλυδες (laquo immigrants raquo ou laquo eacutetrangers raquo)

61 Balzac dans sa Comeacutedie humaine lrsquoutilise pour identifier les communauteacutes natives comme lrsquoatteste

un ceacutelegravebre passage de La peau de chagrin ougrave le personnage du savant - laquo qui pour lrsquoinstruction du

sculpteur inattentif avait entrepris une discussion sur le commencement des socieacuteteacutes et sur les

peuples autochtones raquo - srsquoappuyait sur cette notion afin de lui expliquer lrsquoorigine de la civilisation

(Balzac 1874 44)

96

de la communaute scientifique jusqursquoa la deuxie me moitie du XXe me sie cle pour

apparaicirc tre a nouveau en paralle le au processus de de colonisation qui a suivi la

Confe rence de Bandung de 1955 et srsquoaffirmer finalement a partir du Troisie me

Mille naire62

Aujourdrsquohui la notion drsquoautochtonie correspond a une cate gorie sociologique

et juridique qui sert a de crire les populations natives mais minoritaires au sein des

E tats et qui est utilise e par leurs repre sentants laquo pour demander justice pour les

violations des droits humains dont elles sont victimes depuis la colonisation ou

lrsquoinvasion et revendiquer des droits en vertu de leur ante riorite drsquooccupation drsquoun

territoire raquo (Gagne et Salau n 2009 XV) Comme le souligne Ire ne Bellier il srsquoagit

donc drsquoune vraie cate gorie politique qui a contribue a construire le mouvement

social des autochtones dans lrsquohistoire globale de la mondialisation et qui te moigne

de la laquo capacite de mobilisation des acteurs autochtones et de leur volonte de se

de finir comme des partenaires dans les espaces du dialogue international raquo (Bellier

2009 78) Un mouvement qui a lrsquoheure actuelle ne re clame pas seulement la simple

reconnaissance de la diversite des peuples natifs dans les espaces politiques

nationaux mais aussi et surtout la revendication drsquoune autonomie territoriale

juridique et culturelle qui devrait leur permettre de survivre en tant que sujets actifs

du de bat citoyen Bien que suite a lrsquoadoption de certains instruments juridiques

62 En France le terme se diffusera surtout apregraves 2007 anneacutee drsquoadoption de la Deacuteclaration des Nations

Unies sur les droits des peuples autochtones (en anglais United Nations Declaration on the Rights of

Indigenous Peoples) du fait du deacutebat qui a eu lieu dans les cercles juridiques autour de la question sur

la traduction la plus adapteacutee au terme anglais laquo indigenous people raquo (UN 2007)

97

contraignants ndash comme les Conventions 107 et 169 de lrsquoOrganisation internationale

du travail (OIT)63 ndash plusieurs gouvernements aient de ja reconnu au moins

formellement le caracte re collectif des droits des entite s autochtones64 beaucoup

drsquoautres ndash comme la France les E tats-Unis le Canada la Chine ou la Russie ndash nrsquoont

jamais voulu le faire car cette reconnaissance juridique pouvait mettre en pe ril

lrsquounite politique de la nation

La question de la culture autochtone et de sa transmission par le biais de

formes drsquoe ducation et de formation propres est donc devenue une affaire politique

avec une re sonance internationale un sujet qui questionne lrsquoanalyse

anthropologique notamment a lrsquoheure actuelle dans un contexte qui voit certains

gouvernements de velopper des projets de laquo patrimonialisation raquo des cultures

locales qui somme toute ne sont pas mis en place pour reconnaicirc tre ndash ou conserver

ndash lrsquoalte rite culturelle des peuples autochtones mais pluto t pour leur permettre de

srsquoaffranchir du discours de la laquo reconnaissance raquo tout en continuant a mener des

politiques drsquohomoge ne isation

63 La premiegravere est deacutedieacutee agrave la laquo protection et lrsquointeacutegration des populations aborigegravenes et autres

populations tribales et semi-tribales dans les pays indeacutependants raquo et la deuxiegraveme est laquo relative aux

peuples indigegravenes et tribaux raquo (OIT 1957 et 1989 Voir annexes 5 et 6) Agrave la diffeacuterence de la

Deacuteclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui reste une simple

deacuteclaration de bonne volonteacute (voir annexe 7) les Conventions de lrsquoOIT ont un effet juridique direct

sur les leacutegislations des pays qui les ont ratifieacutees

64 Parfois en leur attribuant la forme juridique de laquo communauteacutes sociales raquo mais en leur octroyant

le plus souvent la gestion administrative drsquoun territoire (une reacuteserve un parc naturel ou un village)

98

51 Autochtonie indigeacuteneacuteiteacute ethniciteacute et racisme une biopolitique de

lrsquoalteacuteriteacute

Dans le vocabulaire anthropologique la notion drsquoautochtonie se superpose

souvent a celles drsquoethnicite et drsquoindige ne ite Il srsquoagit cependant de trois concepts qui

cachent des significations politiques particulie res et qui drsquoun point de vue

e piste mologique ne repre sentent pas le me me phe nome ne ou du moins ne lui

octroient pas le me me sens

Jonathan Friedman conside re que lrsquoindige ne ite est une notion qui renvoie laquo a

la nature au pre ce dent historique a la simplicite a lrsquoe galite et a lrsquoharmonie mais

aussi a lrsquoe tat de sous-de veloppement de sauvagerie de guerre ge ne ralise e et de

de sordre raquo (Friedman 2009 35) Plus concre tement il srsquoagirait de lrsquoeffet drsquoun

processus dialectique qui a lrsquoinverse du processus de cosmopolitisation permet a

certains groupes de se de finir a partir drsquoune identite ethnique laquo enracine e raquo (voir

Figure 6) et radicalement oppose e aux cultures hybrides imagine es par Nestor

Garcicirc a Canclini (1989)

99

Figure 6 Dialectique de la cosmopolitisation et de lrsquoindigeacutenisation (drsquoapregraves Friedman 2009 49)

Cette laquo identite indige ne raquo est donc ide ologique mais avant tout lie e a un

territoire a des laquo racines raquo Toutefois crsquoest aussi une notion pole mique et plusieurs

auteurs comme Adam Kuper (2003) ou Mathias Guenther (2006) critiquent

lrsquoessentialisme et le colonialisme re siduel de cette conceptualisation qui ne semble

pas capable de prendre en compte lrsquoexistence drsquoun contexte global ou

laquo lrsquoenracinement ethnique raquo de lrsquoindige ne ite oublie le facteur culturel en se limitant

a utiliser des crite res biologiques (lrsquoethnie) et ge ographiques (territoire) pour

e tablir des frontie res et se parer les laquo vrais Indige nes raquo des autres Drsquoautres

chercheurs comme Alan Barnard conside rent que bien que la notion ait pu

permettre de conceptualiser et soutenir la cause des peuples marginalise s elle reste

100

une cate gorie non scientifique qui ne devrait pas e tre retenue dans le glossaire

technique de lrsquoanthropologie (Barnard 2006)

Par ailleurs la cate gorie de laquo lrsquoethnicite raquo est aussi expose e a des critiques du

me me ordre Lrsquoanthropologue Mondher Kilani par exemple invite a employer le

terme drsquoethnicite (et tous les mots compose s ou de rive s de ce terme comme

laquo ethnique raquo laquo multiethnique raquo laquo pluriethnique raquo laquo interethnique raquo et similia) avec

beaucoup de pre cautions Il srsquoagit selon lui drsquoun concept qui peut se transformer

tre s facilement en ste re otype source de pre juge s ou de positions extre mistes (Kilani

1997)65 Crsquoest la une position que partage Ugo Fabietti selon lequel la notion

drsquoethnicite peut e tre charge e drsquoune connotation symbolique qui re duit

drastiquement son statut drsquoobjectivite scientifique Il conside re en effet que drsquoun

point de vue anthropologique lrsquoappartenance a un certain groupe humain ndash

religieux politique ou ethnique ndash srsquoinscrit avant tout dans lrsquoordre du symbolique ce

qui fait de lrsquoidentite ethnique un symbole drsquoappartenance ndash une appartenance qui

inclu t les laquo semblables raquo mais qui exclut ainsi ceux qui ne rentrent pas dans cette

cate gorie Fabietti conside re que

laquo Il nrsquoest pas suffisant drsquoavoir une certaine couleur de peau

pour faire partie drsquoune ethnie ne anmoins il ne suffit pas non plus de

65 On peut aiseacutement imaginer que le parcours de vie de cet intellectuel polyeacutedrique ait eu une

influence sur sa perception du multiculturalisme et sur ses doutes quant agrave la notion drsquoethniciteacute Neacute

en Algeacuterie eacutetudiant en France et Professeur des Universiteacutes en Suisse il possegravede les trois nationaliteacutes

mais comme il lrsquoaffirme lui-mecircme laquo aucune ethniciteacute raquo (Kilani 2007)

101

parler une certaine langue ou de partager des valeurs ou des

comportements de termine s Lrsquoidentite ethnique et lrsquoethnicite cest-a -

dire le sentiment drsquoappartenir a un groupe ethnique ou une ethnie

sont [hellip] des de finitions du soi etou de lrsquoautre qui sont presque

toujours enracine es dans des rapports de force entre groupes coagule s

autour drsquointe re ts spe cifiques raquo (Fabietti 2007 14)

Dans les sciences sociales la notion drsquoethnie a souvent e te confondue avec

celles de nation et de race66 (Martiniello 1995) En ce qui concerne les relations

entre ethnicite et nationalisme le de bat est polarise entre des chercheurs ndash comme

John Alexander Armstrong (1982) ndash qui affirment que les deux notions ont les me me

racines (ce qui rend difficile leur diffe renciation) et ceux ndashBenedict Anderson

(1983) ndash qui conside rent qursquoil srsquoagit de deux phe nome nes tre s distincts sur le plan

historique sociologique et politique mais aussi et surtout au niveau ide ologique

La laquo liaison dangereuse raquo qui a existe entre les notions de race et drsquoethnie est

beaucoup plus ancienne et trouve ses origines dans cette tendance de la pense e

66 Comme le deacutemontre ce ceacutelegravebre passage extrait de Lrsquoethnie franccedilaise reacutedigeacute par George Montandon

dans lequel lrsquoanthropologue antiseacutemite affirmait que la nation est laquo un groupement politique creacuteeacute

par lhistoire et contenu dans larmature de lrsquoEacutetat La nation geacuteneacuteralement ne correspond pas plus agrave

une race qursquoagrave une ethnie de faccedilon habituelle la nation comprendra plusieurs eacuteleacutements raciaux et

chevauchera plusieurs ethnies Ainsi la race est une conception savante lrsquoethnie une conception

naturelle la nation une conception politique raquo (Montandon 1935 29)

102

humaine a laquo segmenter raquo le monde de lrsquoexpe rience Crsquoest autour de cette ide e

qursquoEdmund Leach a de veloppe son anthropologie et ses re flexions autour des

re seaux sociaux et des relations sociales informelles qui ne de pendent pas de

lrsquoappartenance a un groupe de termine Mais ce sera Frederik Barth (1969) ndash disciple

de Leach (1954 et 1980) ndash qui en e largira le champ drsquoapplication en rede finissant les

notions de groupe et de frontie re ethnique Selon Barth la relation logique qui lierait

une race avec une ethnie une langue une culture et un territoire est arbitraire Le

travail de lrsquoethnographe de montre au contraire que les groupes ethniques ndash en tant

qursquoentite s sociales ferme es e tanches et dote es de frontie res e tablies ndash nrsquoexistent pas

Si lrsquoon accepte ce cadre interpre tatif un groupe ethnique ne peut e tre de fini en

fonction de crite res culturels ou linguistiques le seul crite re possible est celui qui a

e te e labore par les membres du groupe eux-me mes pour e tablir la ligne de

de marcation qui les se pare des laquo autres raquo La diffe rence culturelle devient au bout

du compte une production sociale qui cache la dynamique complexe des relations

laquo interethniques raquo dans laquelle chaque communaute sociale se de finit gra ce a des

strate gies pense es pour lui assurer sa continuite et lui permettre drsquointeragir avec

drsquoautres communaute s Cela nous permet drsquoimaginer en prolongeant lrsquoide e de Barth

que chaque communaute humaine nrsquoest rien drsquoautre qursquoune configuration locale

drsquoun continuum socioculturel plus vaste le genre humain67 Cependant le contact

culturel ndash qursquoil produise des hybridations des me tissages des syncre tismes des

67 Une ideacutee que jrsquoemprunte agrave la perspective historique drsquoEacuteric Wolf lequel eacutecrivait que laquo les

populations humaines construisent leur culture dans lrsquointeraction et non pas dans lrsquoisolement raquo

(Wolf 1982 35)

103

adaptations des transfigurations ou des chevauchements drsquoidentite et qursquoil soit ou

non capable de transmettre les produits de lrsquoacculturation au fil des ge ne rations ndash

nrsquoe limine pas les diffe rences car il srsquoinscrit toujours dans les rapports de force et de

domination qui constituent le principe de relation entre un groupe he ge monique et

un groupe subalterne ndash rapport qui est tre s souvent source de disputes

52 Lrsquoimbroglio ethnique et lrsquoinvention de la tradition

Lrsquoinstrumentalisation des principes identitaires a caracte re ethnique ndash en

tant que re ponse fonctionnelle a certaines dynamiques historiques de conflit ndash a

justifie comme dans le cas du nationalisme toute une panoplie de conflits dit

laquo ethniques raquo qui en re alite nrsquoe taient pas cause s par les diffe rences socioculturelles

mais qui devraient pluto t e tre interpre te s dans le cadre drsquoune lutte pour lrsquoacce s au

pouvoir aux richesses et aux ressources strate giques (Cohen 1974) Crsquoest

ne anmoins une lutte qui a e te capable drsquoattiser a maintes reprises les esprits a partir

drsquoune construction politique de lrsquoidentite qui est le produit des politiques

drsquoethnicisation mises en place par les pouvoirs he ge moniques (et qui nrsquoa rien a voir

avec cet ide altype que nous appelons laquo culture traditionnelle raquo)

Prenons lrsquoexemple du ge nocide des Tutsis au Rwanda qui en moins de quatre

mois a conduit a la mort plus de 800 000 personnes et qui a souvent e te de crit

comme lrsquoeffet du laquo tribalisme typique raquo des peuples africains Conside rons que les

Tutsis partagent avec les Hutus ndash ceux qui ont orchestre le massacre ndash la me me

langue le me me territoire et que jusqursquoa lrsquoarrive e des colonisateurs europe ens ils

partageaient aussi les me mes institutions politiques et les me mes formes

104

drsquoorganisation sociale (Newbury 1987) Avant la colonisation les Tutsis des

pasteurs nomades e taient charge s de lrsquoadministration des biens des communaute s

et les Hutus des agriculteurs se dentaires de tenaient les pre rogatives rituelles et la

responsabilite de pre server le bien-e tre spirituel des communaute s Par ailleurs il

e tait tre s facilement possible de changer de statut en fonction de lrsquoalliance avec une

famille de lrsquoautre communaute de faccedilon qursquoun Hutu pouvait devenir tutsi et vice-

versa (Chre tien 2000) Les fonctionnaires coloniaux allemands et belges qui nrsquoont

pu comprendre la sophistication inhe rente a ce syste me drsquoorganisation sociale ont

simplifie a lrsquoexce s les diffe rences entre Hutus et Tutsis et ont construit des cate gories

ethniques ndash crsquoest-a -dire des frontie res ndash a partir de leur regard ethnocentrique et de

leurs convictions quant a la supe riorite de la culture europe enne La minorite tutsie

a donc e te de crite comme une aristocratie chamitique drsquoorigine nilotique proche de

la civilisation e gyptienne et la majorite hutue a e te inscrite dans la cate gorie des

peuples bantus une macro-famille linguistique laquo invente e raquo en 1858 par lrsquoexe ge te

Wilhem-Heinrich Bleek pour re unir selon sa classification les langues

laquo intertropicales raquo avec un bas niveau de sophistication (Chre tien 1985 et 1997) Du

fait de cette hie rarchisation artificielle les Tutsis ont e te convertis au christianisme

ndash catholique ou protestant ndash et les missionnaires ont organise des e coles pour

faciliter leur inte gration dans la socie te coloniale les Hutus conside re s infe rieurs

nrsquoont pu acce der a lrsquoinstruction scolaire ni me me obtenir des postes importants dans

lrsquoadministration de la colonie La politique de discrimination entre Hutus et Tutsis a

contribue a la mise en place drsquoune barrie re ethnique qui inconsciemment a

concouru a la construction drsquoune diffe rentiation artificielle entre les deux groupes

drsquoune co te les Hutus qui proclamaient leur laquo authenticite raquo bantu et de lrsquoautre les

105

Tutsis qui fondaient leurs privile ges coloniaux sur une suppose e ascendance

aryenne68 La de colonisation des anciens mandats coloniaux belges nrsquoa gue re

simplifie les choses les leaders drsquoopinion hutus et tutsis ont continue leur exercice

drsquoinvention des traditions69 en e levant toujours plus cette barrie re ethnique au

point qursquoelle devienne infranchissable Au Rwanda lrsquoinvention de lrsquoethnicite ndash et la

persistance de cette laquo vision du monde raquo gra ce a sa transmission culturelle ndash peut

donc e tre conside re e comme lrsquoe le ment de cisif de la gene se de cet e tat de conflit

permanent qui a oppose jusqursquoa la fin du XXe me sie cle les laquo ethnies raquo hutus et tutsis

et qui comme jrsquoespe re lrsquoavoir de montre e tait motive e par des raisons lie es au statut

politique et a lrsquoacce s a certains privile ges

68 En 1930 lrsquoadministration coloniale belge a proceacutedeacute agrave un recensement dans les territoires drsquoAfrique

Centrale sous son mandat afin drsquoeacutemettre les laquo cartes drsquoidentiteacute ethnique raquo destineacutees agrave la population

locale Puisque la typologie raciale imagineacutee par les fonctionnaires de Bruxelles (qui voulait les Hutus

de grande taille et les Tutsis de petite taille) eacutetait consideacutereacutee comme difficilement applicable par les

responsables du recensement ces derniers ont deacutefini le nombre des piegraveces de beacutetail posseacutedeacutees par

chaque individu comme critegravere de distinction ethnique ceux qui posseacutedaient moins de dix bovins

eacutetaient donc des Hutus et ceux qui en avaient plus de dix eacutetaient tutsis Le statut ethnique ndash et lrsquoaccegraves

aux privilegraveges que ce statut octroyait comme celui agrave lrsquoinstruction scolaire ndash se reacuteduisait donc agrave une

simple consideacuteration eacuteconomique qui a permis aux Rwandais les plus riches de devenir Tutsis et a

obligeacute les plus pauvres agrave devenir Hutus (Lugan 1997)

69 Pour reprendre la ceacutelegravebre notion forgeacutee par Eric Hobsbwam et Terence Ranger (2006) lesquels

lrsquoont employeacutee en paraphrasant la notion drsquoinvention de la culture forgeacutee par Roy Wagner (1981)

106

Drsquoun point de vue anthropologique ce me me exercice analytique est valable

pour plusieurs autres conflits qui ont ensanglante le sie cle passe et qui continuent a

le faire dans ces commencements drsquoun nouveau mille naire Un exemple flagrant est

la situation qui srsquoest cre e e en ex-Yougoslavie quand le collapse de lrsquoancien pays

satellite de lrsquoUnion Sovie tique a permis a certains leaders drsquoopinion et aux e lites

nationalistes de faire resurgir le re ve drsquoune laquo grande Serbie raquo justifie a partir de cette

laquo identite serbe raquo qui en re alite avait e te invente e pendant la premie re moitie du

XIXe me sie cle a lrsquoe poque des premiers mouvements nationalistes europe ens70 Lrsquoide e

drsquoune Serbie homoge ne et laquo pure raquo re alisable seulement gra ce a un nettoyage

ethnique (etničko čišćenje) qui aurait e limine du territoire des laquo slaves du sud raquo

(chre tiens orthodoxes) toutes les minorite s religieuses (les Croates chre tiens

catholiques et les Bosniaques musulmans sunnites) est apparue en 1860 et

pendant tout le XXe me sie cle elle a e te utilise e comme base ide ologique pour soutenir

les projets he ge moniques des e lites serbes au de triment des communaute s croates

et bosniaques (Grmek et al 1993) Le cas des re publiques qui faisaient auparavant

partie de lrsquoUnion Sovie tique (URSS) est semblable pendant pre s drsquoun sie cle

lrsquoethnologie russe srsquoest efforce e de construire des fosse s ethniques infranchissables

et de de finir scientifiquement les diffe rences se parant les ethnies qui peuplaient les

territoires laquo non russes raquo Avec la chute de lrsquoUnion les e lites de ces peuples laquo non

russes raquo ont justifie leurs revendications autonomistes ndash et leur de sir de contro ler

70 Cette mecircme ideacuteologie a aussi guideacute lrsquoaction du jeune reacutevolutionnaire nationaliste Gavrilo Princip

qui le 28 juin 1914 assassinait agrave Sarajevo lrsquoarchiduc Franccedilois-Ferdinand drsquoAutriche deacuteclenchant une

crise diplomatique conjoncturelle qui a conduit agrave la Premiegravere Guerre mondiale

107

sans entraves les ressources strate giques de ces nouvelles entite s postsovie tiques ndash

en brandissant ces me mes monographies ethnographiques qui avaient e te re dige es

a lrsquoa ge sovie tique et qui de montraient par des proce de es laquo scientifiques raquo les

irre ductibles diffe rences qui les rendaient incompatibles avec les Russes (Roy 1991

et 1994)

Les exemples que je viens de mentionner nous aident a comprendre que la

notion drsquoethnicite ne prend du sens que dans des situations historiques et sociales

de termine es et non a partir drsquoune image statique de cette notion si vague de

laquo culture traditionnelle raquo ou laquo authentique raquo Le particularisme ethnique nrsquoest rien

drsquoautre qursquoun crite re drsquoalliance politique qui comme nous lrsquoavons vu donne des

re sultats inquie tants dans les contextes postcoloniaux (le Rwanda) ou post-

impe riaux (lrsquoex-Yougoslavie ou les re publiques qui faisaient partie de lrsquoURSS) la ou

la de sagre gation du pouvoir laquo traditionnel raquo a laisse place aux revendications

drsquoautres acteurs sociaux ceux qui avaient auparavant e te marginalise s Qursquoon les

appelle nationalismes ethnicismes ou tribalismes crsquoest lrsquoexpression drsquoune

dynamique sociale et culturelle qui vise lrsquoaffirmation drsquoune identite son acce s a

lrsquoare ne politique et e conomique et la cre ation de laquo ge ographies de lrsquoesprit71 raquo

ne cessaires a la de finition de lrsquoalte rite

71 Lrsquoexpression est de Marc Creacutepon qui lrsquoa utiliseacutee pour deacutecrire lrsquoensemble des theacuteories qui ont

alimenteacute le deacuteterminisme culturel ndash et lrsquoideacutee selon laquelle les cultures humaines sont avant tout

conditionneacutees par leur environnement naturel et leur position geacuteographique ndash entre la fin du XVIIegraveme

siegravecle et la premiegravere moitieacute du XIXegraveme (Creacutepon 1996)

108

Dans le scheacutema suivant (Figure 7) jrsquoai syntheacutetiseacute les diffeacuterentes notions que

nous avons discuteacutees jusqursquoici pour montrer les points de contact et de divergence

agrave partir de cinq critegraveres geacuteographique biologique culturel historique et politique

CONCEPT

Critegravere geacuteographique (la terre)

Critegravere biologique (les origines)

Critegravere culturel (langue usages et coutumes partageacutes)

Critegravere historique (lrsquoorigine de lrsquoEacutetat)

Critegravere politique de la laquo production drsquoidentiteacute raquo

Civilisation X X X Drsquoen haut

Nation X X X Drsquoen haut

Race X Drsquoen haut

Indigeacuteneacuteiteacute X X X Drsquoen haut

Ethnie X X X Drsquoen bas

Autochtonie X X Drsquoen bas

Aboriginaliteacute X X Drsquoen haut

Peuple natif X Absent

Figure 7 Les concepts lieacutes agrave lrsquoidentiteacute drsquoun groupe humain

Selon cette scheacutematisation la civilisation apparaicirct comme un concept ndash

produit laquo drsquoen haut raquo par les eacutelites au pouvoir afin de justifier leur souveraineteacute

politique ndash qui deacutecrit la culture drsquoun groupe humain qui srsquoest eacutetabli dans un espace

geacuteographique deacutetermineacute et qui est consideacutereacute comme lrsquoorigine historique drsquoun Eacutetat

Le concept de nation partage les mecircmes caracteacuteristiques seacutemantiques ndash une culture

une geacuteographie et une histoire partageacutees ndash que celui de civilisation mais avec le

critegravere biologique du laquo sang raquo en plus en tant qursquoeacuteleacutement fondateur et feacutedeacuterateur

La race quant agrave elle est un concept eacuteminemment biologique deacutetermineacute drsquoen haut

par les groupes heacutegeacutemoniques afin de classifier les communauteacutes subalternes Il

nrsquoest pas neacutecessairement lieacute au critegravere geacuteographique comme le deacutemontre lrsquousage

109

qui en a eacuteteacute fait par certains laquo theacuteoriciens de la race raquo pour srsquoadresser aux Juifs ou

aux Roms Lrsquoethnie de son cocircteacute est un concept qui se veut antitheacutetique agrave celui de

race en tant que revendication identitaire qui vient du bas de la base

communautaire et qui deacutefinit le groupe agrave partir de critegraveres territoriaux geacuteneacutetiques

et culturels Bien qursquoil ait eacuteteacute tregraves utiliseacute par la majoriteacute des anthropologues du XXegraveme

siegravecle on lui preacutefegravere aujourdrsquohui celui drsquoautochtonie qui a la mecircme charge

revendicative mais qui nrsquoutilise pas le critegravere du sang pour deacutefinir lrsquoappartenance agrave

un groupe le critegravere geacuteographique est donc lrsquoeacuteleacutement prioritairement utiliseacute pour

identifier les membres drsquoune communauteacute Le concept drsquoindigeacuteneacuteiteacute se base sur les

mecircmes critegraveres drsquoinclusion et drsquoexclusion que celui drsquoethnie mais il srsquoen distingue

car historiquement il a eacuteteacute utiliseacute par les administrateurs coloniaux pour deacutefinir les

peuples laquo autres raquo les domineacutes72 En France il a constitueacute la justification

anthropologique du reacutegime dit de laquo lrsquoindigeacutenat raquo agrave savoir la leacutegislation drsquoexception

et les pratiques discriminatoires imposeacutees aux habitants des territoires soumis agrave

lrsquoadministration coloniale73 Il en va de mecircme du discours sur lrsquoaboriginaliteacute soit

lrsquoidentiteacute des peuples aborigegravenes dans le jargon colonial le terme servait agrave deacutefinir

les groupes humains qui eacutetaient consideacutereacutes comme des reliquats de lrsquoacircge

72 Cependant aujourdrsquohui il est souvent utiliseacute dans le discours laquo deacutecolonial raquo pour manifester avec

fierteacute une identiteacute minoritaire Un exemple est le mouvement des laquo Indigegravenes de la Reacutepublique raquo qui

depuis 2005 feacutedegravere des activistes et des intellectuels autour du slogan laquo La France a eacuteteacute un Eacutetat

colonial [hellip] La France reste un Eacutetat colonial raquo (PIR 2005)

73 Il est aboli en 1946 avec lrsquoabrogation des lois et des regraveglements qui constituaient le corpus normatif

connu sous le nom de Code de lrsquoindigeacutenat (Merle 2002)

110

preacutehistorique des primitifs qui peuplaient ab origine (depuis les origines) certaines

contreacutees du globe74 Aujourdrsquohui on continue agrave lrsquoemployer pour identifier les

descendants des peuples originaires drsquoAustralie (ceux qui vivent sur la parte

continentale comme ceux qui peuplent les icircles du deacutetroit de Torres)75 et depuis

lrsquoadoption du Aboriginal and Torres Strait Islander Commission Act en 1989 le

gouvernement australien considegravere laquo aborigegravene raquo ndash drsquoun point de vue juridique ndash

tout citoyen qui peut deacutemontrer un lien biologique avec des ancecirctres qui peuplaient

lrsquoAustralie avant lrsquoarriveacutee des Europeacuteens qui reconnaicirct son identiteacute aborigegravene et qui

est reconnu comme tel par la communauteacute agrave laquelle il deacuteclare drsquoappartenir (AG

1989 Gardiner-Garden 2003) Pour conclure la notion de peuple natif qui se base

sur le seul critegravere geacuteographique (avoir des ancecirctres qui sont neacutes sur un territoire

deacutetermineacute) est probablement celle qui a la plus faible connotation identitaire Bien

que dans le passeacute elle ait eacuteteacute utiliseacutee comme synonyme de peuple ethnique ou

indigegravene et qursquoelle ait servi drsquooutil revendicatif agrave certains groupes autochtones

74 Le terme a pendant longtemps eacuteteacute associeacute aux peuples Aetas (ou Negritos) des Philippines aux

communauteacutes de langue formosane qui peuplaient lrsquoicircle de Taiumlwan (comme les Amis les Darsquoo les

Kavalan ou les Rukai) aux Aiumlnous de Hokkaido (au Japon) et de la Kamtchatka (en Russie) aux

Ādivāsī en Inde aux Wanniyala-Aetto (ou Vedda) du Sri Lanka aux Lutrawita (ou Trouwunna) de

Tasmanie et aux peuples de langue khoiumlsan drsquoAfrique australe

75 Crsquoest eacutegalement le cas au Canada ougrave on parle drsquoAboriginal law (droit des Aborigegravenes) pour

identifier le corpus iuris qui contient les droits et obligations des communauteacutes natives les First

Nations (les Nations Premiegraveres)

111

comme les First Nations ou Premiegraveres nations du Canada le terme a aujourdrsquohui

perdu son significat laquo politique raquo76 (Gagneacute et al 2009)

La digression que je viens de proposer ne voulait pas se limiter agrave une

divagation purement terminologique mais visait avant tout agrave montrer lrsquoenjeu

eacutepisteacutemologique qui se cache derriegravere lrsquoutilisation de certaines notions notamment

quand on parle de certains groupes humains qui sont en train de revendiquer des

droits et de la justice Chaque terme nous lrsquoavons vu est chargeacute de significats qui

deacutecrivent le point de vue du sujet qui lrsquoutilise et la perception qursquoil a de

laquo lrsquo(id)entiteacute raquo qursquoil est en train de deacutesigner de sorte que les concepts qui srsquoabritent

derriegravere ces mots nous parlent en fin de compte de deux cultures et de la relation

laquo politique raquo qursquoelles entretiennent dans un contexte historique particulier de la

position que chacune drsquoentre elles occupe dans laquo lrsquoaregravene raquo du discours et de leur

statut dans la hieacuterarchie sociale du pouvoir Inutile drsquoajouter qursquoelles sont eacutegalement

76 Drsquoun point de vue juridique le droit ameacutericain constitue une exception agrave cette regravegle puisqursquoil opegravere

une distinction entre les native-born Americans (les citoyens des Eacutetats-Unis neacutes dans le pays) et les

Native Americans (descendants des laquo Indiens raquo drsquoAmeacuterique) Ces derniers ont certains droits dans le

cadre des politiques de discrimination positive ndash surtout pour lrsquoaccegraves agrave certaines aides financiegraveres ndash

mais pour prouver leur laquo identiteacute native raquo ils doivent pouvoir deacutemontrer ecirctre membres drsquoune

communauteacute ameacuterindienne reconnue par lrsquoEacutetat et avoir au moins un quart de laquo sang indien raquo soit au

moins un grand parent drsquoorigine indienne ce qui leur sera attesteacute gracircce agrave un Certificate of Degree of

Indian Blood deacutelivreacute par le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis qui eacutetablira le laquo niveau

drsquoindigeacuteneacuteiteacute raquo avec une note qui peut aller de 116 agrave 1616 (BIA 2011) Il est eacutevident que la

signification que prend la notion de laquo natif raquo dans ce cas speacutecifique est identique agrave celle drsquo

laquo indigegravene raquo

112

capables de nous indiquer aiseacutement ougrave se situe le laquo regard heacutegeacutemonique raquo et le

subalterne

113

6 Lrsquoidentiteacute agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoassimilation

Le politiste Denis Lacorne dans ses travaux sur lrsquoidentiteacute nationale

ameacutericaine a reacutealiseacute une analyse geacuteneacutealogique de lrsquoideacutee de multiculturalisme et il a

deacutemontreacute que cette notion nrsquoest apparue qursquoassez reacutecemment dans le vocabulaire

des sciences sociales pour se substituer agrave celle de melting-pot (litteacuteralement

laquo creuset raquo) qui depuis les premiegraveres anneacutees du XXegraveme siegravecle eacutetait employeacutee pour

deacutecrire la socieacuteteacute nord-ameacutericaine en tant que nation formeacutee majoritairement

drsquoimmigreacutes (Lacorne 1997)77 Sa rapide diffusion est probablement due agrave sa

laquo souplesse seacutemantique raquo (litteacuteralement elle indique seulement la multipliciteacute des

cultures sans pour autant deacutecrire les rapports de force qui les mettent en relation)

et agrave sa double acception descriptive et programmatique

Le terme peut donc ecirctre employeacute pour deacutecrire la situation laquo objective raquo drsquoun

contexte au sein duquel coexistent et interagissent des groupes laquo culturellement

diffeacuterents raquo (en raison de leurs langues religions croyances ideacuteologies usages ou

coutumes) ou pour deacutecrire la volonteacute prescriptive drsquoun programme politique

77 Le dramaturge Israel Zangwill a eacuteteacute le premier agrave lrsquoemployer pour deacutecrire les politiques

drsquoassimilation ethnique du gouvernement eacutetasunien (Zangwill 1909) Sa piegravece The Melting Pot

preacutesenteacutee pour la premiegravere fois en 1908 est consideacutereacutee comme un classique du theacuteacirctre nord-

ameacutericain et a eu une influence notable sur le deacutebat concernant la question de laquo lrsquoidentiteacute

ameacutericaine raquo (Sollors 1986)

114

construit agrave partir de la neacutecessiteacute de geacuterer la cohabitation de certains groupes

minoritaires au sein drsquoun territoire administratif deacutetermineacute Un programme

politique laquo multiculturel raquo a donc lrsquoimage drsquoun discours qui reconnaicirct les diffeacuterences

et qui les valorise ndash par exemple agrave travers des actions de laquo discrimination positive raquo

Cependant comme le dit le proverbe tout ce qui brille nrsquoest pas or

61 Multiculturalisme et interculturaliteacute synonymes ou contraires

Selon Jean-Claude Forquin cet essor du laquo credo multiculturel raquo dans le

terrain de la politique doit ecirctre interpreacuteteacute

laquo comme une eacutelaboration tardive un palliatif ou une reacuteponse agrave

la perte de creacutedibiliteacute drsquoun modegravele plus ancien et en quelque sorte plus

naturel plus naturellement inscrit dans la postulation profonde des

communauteacutes politiques modernes agrave savoir le modegravele

assimilationniste raquo (2005 49)

Si lrsquoassimilationnisme qui caracteacuterisait explicitement les politiques sociales

de toutes les puissances coloniales a pour but drsquoeffacer tout particularisme culturel

et de creacuteer des communauteacutes culturelles homogegravenes le multiculturalisme semble

en ecirctre lrsquoantithegravese Cependant en ce qui concerne le fonctionnement pratique du

modegravele multiculturel plusieurs exemples nous montrent qursquoil est

extraordinairement difficile de concilier au sein des Eacutetats nationaux les droits agrave

lrsquoexpression drsquoune diffeacuterence laquo culturelle raquo (surtout en ce qui concerne les identiteacutes

115

ethniques religieuses et linguistiques) et lrsquointangibiliteacute de certains principes qui

cimentent la hieacuterarchie sociale de lrsquoEacutetat et les privilegraveges dont jouissent les eacutelites au

pouvoir et les couches sociales intermeacutediaires

Aux Eacutetats-Unis par exemple la politique multiculturelle a juridiquement

justifieacute notamment dans le domaine de lrsquoeacuteducation un grand nombre de procegraves qui

ont eacuteteacute entameacutes agrave lrsquoencontre des normes feacutedeacuterales comme le laquo cas Yoder raquo qui srsquoest

conclu par un arrecircteacute permettant agrave une famille Amish de ne pas scolariser ses enfants

pour leur permettre de se consacrer aux tacircches agricoles fondamentales agrave son

eacuteconomie domestique (Wisconsin v Yoder 1972) ou le laquo cas Bakke raquo qui a obligeacute les

universiteacutes publiques agrave eacutetablir des normes drsquoaccegraves agrave partir de critegraveres de

discrimination positive sur des bases ethniques (Regents of the University of

California v Bakke 1978) Les modifications leacutegales eacutelaboreacutees suite aux cas que je

viens de mentionner ont profondeacutement bouleverseacute la socieacuteteacute ameacutericaine et

aujourdrsquohui encore elles ne font pas lrsquounanimiteacute et sont sujettes agrave discussion entre

les fauteurs de laquo lrsquointeacutegriteacute de la Nation raquo et ceux du laquo multiculturalisme agrave tout prix raquo

(Taylor 1994 Kincheloe amp Steinberg 1997)

En France le modegravele scolaire multiculturel preacutesente un deacuteveloppement

historique similaire Au nom du principe de laquo lrsquoindiffeacuterence aux diffeacuterences raquo qui est

la traduction juridique de la devise de la Reacutepublique (Liberteacute Eacutegaliteacute Fraterniteacute) au

moins jusqursquoagrave la Troisiegraveme Reacutepublique tous les eacutelegraveves du systegraveme eacuteducatif franccedilais

ndash dans le territoire meacutetropolitain comme dans les eacutecoles drsquoOutre-mer ndash ont appris

une histoire de la nation focaliseacutee sur le reacutecit hagiographique de la vie et des fait

drsquoarmes de gens de lrsquoHexagone Lrsquoexpression laquo nos ancecirctres les Gaulois raquo ndash qui est

116

devenue un clicheacute et qui a inspireacute un nombre incalculable de reacuteflexions autour des

ideacutees qursquoa veacutehiculeacutees lrsquoassimilationnisme agrave la franccedilaise (Binet 1967 Durpaire

2003 Ha 2003)78 ndash a probablement eacuteteacute la clef de voucircte de ce discours sur la

grandeur de la nation qui sous lrsquoeffet de lrsquointeacutegration du modegravele multiculturel a eacuteteacute

progressivement contraint de modifier ses termes En effet agrave partir des anneacutees

1960 du fait de lrsquointensification et de la diversification des flux migratoires (qui ne

se limitaient plus seulement aux ressortissants des anciennes colonies ou des pays

voisins) le systegraveme eacuteducatif national a commenceacute agrave deacutevelopper des dispositifs

adapteacutes ndash comme lrsquoEnseignement des langues et cultures drsquoorigine (ELCO) introduit

en 1973 ndash ou agrave ajuster les programmes scolaires en fonction de cette laquo nouvelle raquo

reacutealiteacute sociale Cependant la transformation des contenus de lrsquoenseignement ndash qui

conduit par exemple agrave lrsquointroduction de lrsquoenseignement des langues vivantes

eacutetrangegraveres (LVE) et des langues et cultures reacutegionales (LCR) agrave octroyer une place agrave

la litteacuterature laquo non meacutetropolitaine raquo et agrave inclure des reacutealiteacutes laquo autres raquo dans les

programmes drsquohistoire et geacuteographie ndash nrsquoa donneacute lieu qursquoagrave des modifications

limiteacutees compte tenu de la structure tregraves rigide des curricula et de lrsquoorganisation

des apprentissages agrave partir drsquoun cadre disciplinaire fortement cloisonneacute Les

expeacuteriences multiculturelles ont alors trouveacute leur place en marge des programmes

officiels eacutetablis laquo drsquoen haut raquo par le MEN et surtout gracircce aux initiatives locales de

78 Lrsquoexpression a aussi inspireacute des poegravetes comme Boris Vian En 1958 quand il a eacuteteacute informeacute par son

ami Henri Salvador du fait que les enseignants antillais continuaient agrave lrsquoutiliser dans leurs cours

drsquohistoire il a deacutecideacute de lui eacutecrire le texte de la chanson laquo Faut rigoler raquo dans laquelle il met en scegravene

sa vision caustique de lrsquoassimilation sur les notes drsquoun laquo cha-cha gaulois raquo (Vian 1960)

117

certains enseignants ou des organismes deacutecentreacutes (eacutecoles eacutetablissements

circonscriptions eacuteducatives ou Acadeacutemies) Par ailleurs la laquo question

multiculturelle raquo a alimenteacute un deacutebat tregraves virulent autour de lrsquoapplicabiliteacute du

principe de laiumlciteacute de lrsquoEacutetat comme crsquoest le cas depuis 1989 avec la querelle sur le

voile islamique (Nordmann 2004 Thevanian 2005 et 2012) Cette controverse

reacutevegravele les difficulteacutes agrave concilier au sein des eacutetablissements eacuteducatifs publics le droit

agrave lrsquoexpression drsquoune laquo diffeacuterence raquo religieuse et lrsquointangibiliteacute de certains principes

constitutionnels Il srsquoagit lagrave drsquoun enjeu qui en reacutealiteacute est beaucoup plus complexe et

qui va bien au-delagrave de la seule sphegravere religieuse79

79 Deux eacuteleacutements semblent le confirmer Premiegraverement le port du hijab (le voile en arabe) est une

tradition anteacuterieure agrave lrsquoIslam et qui nrsquoest pas neacutecessairement lieacutee agrave la foi musulmane (rappelons-nous

qursquoil srsquoagit drsquoune norme qui est aussi invoqueacutee dans la Lettre de Saint Paul apocirctre aux Corinthiens et

que jusqursquoagrave un passeacute tregraves reacutecent dans les zones rurales drsquoEurope occidentale les femmes catholiques

utilisaient des laquo foulards de tecircte raquo pour se rendre agrave la messe) plusieurs imams contestent ce dogme

et considegraverent qursquoil nrsquoest pas lrsquoexpression drsquoune foi religieuse mais plutocirct la relique drsquoune ideacuteologie

patriarcale et radicalement conservatrice (Bencheikh 1999) Deuxiegravemement cette querelle a donneacute

lieu agrave la promulgation de la Loi ndeg 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du

visage dans lrsquoespace public une norme qui a eacuteteacute discuteacutee et promulgueacutee non pas dans le cadre de la

protection du principe de laiumlciteacute de lrsquoEacutetat mais plutocirct dans celui du principe de deacutefense de lrsquoordre

public comme le deacutemontrent les transcriptions des auditions et comptes-rendus de la Mission

drsquoinformation sur la pratique du port du voile inteacutegral sur le territoire national qui ont alimenteacute les

travaux preacuteliminaires agrave la preacutesentation du projet de loi agrave lrsquoAssembleacutee Nationale (Loi ndeg 2010-1192

AN-MIPPVI 2009)

118

Aux Eacutetats-Unis comme en France le deacutebat sur lrsquoeacuteducation multiculturelle a

eacuteteacute polariseacute entre ceux qui procircnent un pluralisme laquo agrave outrance raquo une diffeacuterenciation

des curricula et la mise en place de reacuteseaux scolaires distincts agrave destination des

diffeacuterents publics drsquoeacutelegraveves (agrave partir de critegraveres ethniques ou religieux) et ceux qui

procircnent une option laquo inteacutegratrice raquo qui de maniegravere dialogique permettrait la prise

en compte des diffeacuterences culturelles dans le cadre drsquoune eacutecole commune et drsquoun

curriculum unitaire

Les positions laquo pluralistes raquo ont eacuteteacute laquo refroidies raquo par les reacutesultats de

certaines enquecirctes (comme celles de John Ogbu reacutealiseacutees au lendemain des arrecircteacutes

Yoder et Bakke) qui ont deacutemontreacute que la mise en place de dispositifs de

diffeacuterentiation ou de discrimination positive nrsquoavaient statistiquement pas drsquoeffet

sur les taux de reacuteussite scolaire des minoriteacutes (Ogbu 1978) Selon Ogbu (1990 et

1992) ces mesures ont un impact tregraves limiteacute sur celles qui constituent les

principales contraintes agrave une vraie inteacutegration agrave savoir le fait que les enfants des

minoriteacutes aient tendance agrave deacutevelopper un systegraveme culturel propre et ambivalent

(dans lequel la culture heacutegeacutemonique est agrave la fois source de frustration et force

drsquoattraction) qursquoils aient une mauvaise opinion de la reacuteussite scolaire (qursquoils

considegraverent incompatible avec la reacuteussite sociale) et que finalement ils manquent

de confiance dans le groupe dominant Les positions inteacutegratrices de leur cocircteacute ont

tendance agrave ideacutealiser les opportuniteacutes offertes par la laquo paix curriculaire raquo sans

prendre en compte le fait que cette neacutegociation entre les parties exigerait une

laquo neutralisation raquo des contenus tout en risquant drsquoappauvrir ou drsquoeacutemietter certains

savoirs au nom du laquo multiculturel raquo (Forquin 2005)

119

Pour eacuteviter cette dangereuse souplesse seacutemantique de la notion de

multiculturalisme certains auteurs preacutefegraverent utiliser celle drsquointerculturaliteacute qui

privileacutegie la dimension de reacuteciprociteacute entre les cultures et qui exclue les

laquo differentialismes raquo propres aux visions pluralistes et inteacutegrationnistes

mentionneacutees ci-dessus (Ouellet 1991 Abdallah-Pretceille 1999) Lrsquoapproche

interculturelle peut donc ecirctre interpreacuteteacutee comme une variante ouverte et

interactive du multiculturalisme (Forquin 1989)

Au-delagrave de la dispute terminologique il est essentiel de comprendre que le

contact entre diffeacuterentes cultures au sein drsquoun mecircme contexte eacutetatique est une

histoire antique et que la question autour de la gestion du contact ndash et des frictions

ndash entre ces identiteacutes reste encore irreacutesolue Quel est donc la place que les cultures

laquo autres raquo doivent occuper dans lrsquoaregravene sociale Et comment geacuterer les

revendications identitaires que chaque groupe humain peut invoquer au nom du

multiculturalisme ou de lrsquointerculturaliteacute

62 Des cateacutegories dynamiques pour penser la culture

Depuis la nuit des temps diffeacuterents groupes humains porteurs de cultures

propres et speacutecifiques sont rentreacutes en contact et ont interagi parfois de faccedilon

pacifique drsquoautres fois de maniegravere conflictuelle Drsquoun point de vue anthropologique

tout contact exige un eacutechange (drsquoinformations de biens drsquoeacutemotions) et se deacutetermine

agrave partir des rapports de force qui eacutetablissent les rocircles assigneacutes agrave chacune des parties

120

En sciences sociales il existe plusieurs notions pour deacutecrire le contact

culturel agrave partir des relations de pouvoir qui lrsquoont provoqueacute Pour deacutecrire la

situation des peuples autochtones inteacutegreacutes de greacute ou de force dans les systegravemes

eacutetatiques des anciens empires coloniaux il y en a au moins quatre que je considegravere

fondamentales lrsquoacculturation lrsquohybridation la transfiguration ethnique et le

cumul drsquoidentiteacutes Le terme laquo acculturation raquo a commenceacute agrave faire partie du

vocabulaire sociologique et anthropologique vers la fin du XIXegraveme siegravecle pour deacutecrire

les transformations culturelles drsquoorigine exogegravene En 1936 Robert Redfield Ralph

Linton et Melville Herskovits ont reacutedigeacute un meacutemorandum pour lrsquoeacutetude de

lrsquoacculturation qui a eacuteteacute publieacute dans la revue American Anthropologist et qui

contenait une deacutefinition deacutesormais devenue classique selon laquelle

laquo lrsquoacculturation comprend les pheacutenomegravenes qui reacutesultent du

contact direct et continu entre des groupes drsquoindividus de culture

diffeacuterente avec des changements subseacutequents dans les types culturels

originaux de lrsquoun ou des deux groupes raquo (Redfield et al 1936 140)

Herskovits soucieux de distinguer les pheacutenomegravenes drsquoacculturation de ceux

de diffusion culturelle80 preacutecisait que laquo la diffusion est lrsquoeacutetude de la transmission

80 Lrsquoapproche diffusionniste part du principe que si deux traits culturels sont similaires dans deux

groupes diffeacuterents lrsquoexplication repose sur les emprunts Lrsquoobjectif du chercheur est donc de repeacuterer

les laquo aires culturelles raquo de diffusion et de retracer dans les limites du possible les parcours que ces

traits ont pu emprunter (Geacuteraud 2000)

121

culturelle accomplie tandis que lrsquoacculturation est lrsquoeacutetude de la transmission

culturelle en cours raquo (Herskovits 1948 218) De son cocircteacute Roger Bastide (1948) la

consideacuterait comme une laquo interpeacuteneacutetration des civilisations raquo qui peut se reacutealiser de

maniegravere spontaneacutee ndash quand les groupes en contact choisissent librement les

moments les lieux et les modaliteacutes des relations ndash forceacutee ndash quand elle est imposeacutee

par un groupe dominant gracircce agrave la force des armes ndash ou planifieacutee ndash quand elle est

controcircleacutee par des forces heacutegeacutemoniques cherchant agrave construire laquo drsquoen haut raquo une

culture nationale ou un marcheacute eacuteconomique sans devoir neacutecessairement faire appel

agrave la violence physique ndash et qui dans des cas extrecircmes peut conduire agrave lrsquoassimilation

drsquoun groupe par un autre

Le processus drsquoacculturation nrsquoest pas absolu et se reacutealise au travers drsquoun

travail de seacutelection et de reacuteinterpreacutetation Georges Balandier (1955 et 1971) dans

ses travaux sur les dynamiques sociales en Afrique postcoloniale a deacutemontreacute que la

colonisation nrsquoa pas reacuteussi agrave imposer la totaliteacute de ses principes culturels aux

peuples africains et que ces derniers ont opeacutereacute des choix pour deacuteterminer les

emprunts agrave inteacutegrer tout en tenant compte de certaines compatibiliteacutes ou

incompatibiliteacutes avec la culture preacuteexistante Selon Balandier si le degreacute de

compatibiliteacute est faible on aura un reacutesultat laquo additif raquo ougrave le trait emprunteacute

coexistera avec le preacuteexistant dans le cas contraire on aura un reacutesultat

laquo substitutif raquo le trait emprunteacute prenant la place du preacuteexistant Par ailleurs les

emprunts peuvent entraicircner des modifications dans les systegravemes symboliques des

groupes concerneacutes et laquo drsquoanciennes significations sont attribueacutees agrave des eacuteleacutements

nouveaux raquo ou laquo des nouvelles valeurs changent la signification culturelle des

122

formes anciennes raquo (Herskovits 1948 248) Cela donne alors lieu agrave une

reacuteinterpreacutetation le principe agrave la base des pheacutenomegravenes syncreacutetiques81 et des

hybridations

Ce dernier concept est issu du vocabulaire biologique ougrave il est employeacute pour

indiquer le croisement entre deux individus de taxons diffeacuterents Il a eacuteteacute populariseacute

par Neacutestor Garciacutea Canclini qui lrsquoa deacutefini comme un pheacutenomegravene qui laquo se mateacuterialise

dans des scenarios multi-deacutetermineacutes dans lesquels des systegravemes diffeacuterents

srsquoentrecoupent et srsquointerpeacutenegravetrent raquo (Garciacutea Canclini 1989 2) Selon

lrsquoanthropologue argentin ces systegravemes sont laquo le traditionnel raquo laquo le moderne raquo laquo le

cultiveacute raquo laquo le populaire raquo et laquo le massif raquo Dans les contextes postcoloniaux

lrsquohybridation de ces cateacutegories de lrsquoesprit social a creacuteeacute ndash et continue agrave creacuteer ndash des

interpreacutetations toujours nouvelles et impreacutevisibles de la reacutealiteacute sensible et des

productions culturelles qui srsquoexpliquent seulement agrave partir drsquoun meacutelange dans

lequel il est difficile et parfois impossible de deacuteterminer le laquo poids raquo de chaque

composante Cependant bien que cet apport theacuteorique preacutesente lrsquoavantage de

maintenir actuelle la question du multiculturalisme (qui est selon Garciacutea Canclini

81 Il srsquoagit de la deacutefinition qursquoon donne en anthropologie aux pheacutenomegravenes de recomposition creacuteative

dans le domaine religieux comme ceux qursquoa observeacutes Balandier au Gabon ou Bastide au Breacutesil

(Balandier 1955 Bastide 1958 et 1960) Un cas similaire est celui des mouvements messianiques

tels les cultes du cargo en Meacutelaneacutesie qui se sont deacuteveloppeacutes en inteacutegrant et en adaptant aux reacutealiteacutes

religieuses locales certains eacuteleacutements formels de la religion des colonisateurs (Lanternari 1960

Kilani 1983)

123

une forme drsquohybridation) il nrsquoempecircche qursquoil reste une conceptualisation plutocirct

abstraite selon laquelle en fin de compte toutes les cultures sortiraient gagnantes

Une vision moins optimiste est celle de Darcy Ribeiro (1971) ethnologue

breacutesilien qui a consacreacute toute sa vie agrave lrsquoeacutetude des communauteacutes ameacuterindiennes de

lrsquoAmazonie Selon Ribeiro les peuples tribaux sont inteacutegreacutes aux eacutetats nationaux en

suivant un processus de transfiguration ethnique qui les oblige agrave alteacuterer ndash plus ou

moins violemment ndash leur substrat biologique leur culture et leur forme de relation

avec la socieacuteteacute dominante afin de reacutepondre aux attentes neacutecessaires agrave leur

persistance en tant qursquoentiteacutes ethniques Ainsi dans le meilleur des cas lrsquoidentiteacute

ethnique survivra mais sans ecirctre neacutecessairement accompagneacutee du substrat

biologique et culturel qui la caracteacuterisait avant le contact avec la socieacuteteacute dominante

En revanche dans le pire des cas si elle ne parvient pas agrave remplir certaines

exigences laquo politiques raquo ndash comme lrsquoacceptation drsquoecirctre inteacutegreacutee agrave la socieacuteteacute

dominante dans une position de subordination ndash elle sera voueacutee agrave disparaicirctre

Une derniegravere option reste celle de lrsquoidentiteacute cumulative proposeacutee par Bruno

Saura (1998 2008 et 2012a) dans ses analyses sur lrsquoidentiteacute polyneacutesienne Il srsquoagit

drsquoun modegravele explicatif qui permet de comprendre comment dans certains contextes

drsquoacculturation planifieacutee les identiteacutes ethniques et nationales peuvent coexister et

se juxtaposer lrsquoune lrsquoautre82 agrave partir drsquoun laquo amoindrissement relatif des clivages

82 Et ce au point de permettre un chevauchement de diffeacuterentes repreacutesentations de la mecircme identiteacute

ndash ethnique ou autochtone ndash agrave laquelle srsquoajoute lrsquoidentiteacute du pays colonisateur En Polyneacutesie par

exemple une identiteacute ethnique mārsquoohi (qui se veut laquo de souche raquo) peut coexister avec une identiteacute

124

identitaires raquo favoriseacute par lrsquoincorporation des modes de vie de la socieacuteteacute dominante

par les moyens de communication globale et par les processus drsquointeacutegration scolaire

capables de former des citoyens de la nation (Saura 1998 7) Ce modegravele srsquoapplique

en effet agrave ces reacutealiteacutes coloniales ou postcoloniales ndash celles des peuples ou des Eacutetats

coloniseacutes ou anciennement coloniseacutes dans lesquelles on assiste agrave un processus

drsquoeacutemancipation identitaire et politique ndash ougrave les membres drsquoun groupe qui se

considegravere ethnique ndash et donc objectivement diffegraverent du groupe dominant les

laquo colonisateurs raquo mais aussi des autres groupes ethniques qui se sont installeacutes sur

laquo son raquo territoire ndash emploient une identiteacute ou lrsquoautre selon les exigences imposeacutees

par le contexte afin de laquo profiter raquo drsquoune certaine maniegravere des avantages que

chaque identiteacute peut leur octroyer De son cocircteacute lrsquoidentiteacute ethnique permet

lrsquointeacutegration agrave une communauteacute de personnes avec lesquelles on entretient des liens

drsquoaffiniteacute laquo culturelle raquo (baseacutes sur la parenteacute les eacutemotions ou les sentiments) la

participation agrave certains moments de partage (des fecirctes des rituels ou des

ceacutereacutemonies) et lrsquoeacutechange de certains biens et savoirs dans un contexte local selon

des normes sociales laquo traditionnelles raquo qui sont perccedilues comme naturelles Drsquoun

autre cocircteacute lrsquoidentiteacute citoyenne qui est le reacutesultat de lrsquoassimilation juridique agrave un Eacutetat

national permet drsquoacceacuteder agrave certains droits (celui de voter ou de se preacutesenter

comme candidat aux eacutelections celui drsquoouvrir une entreprise) drsquoobtenir certains

documents consideacutereacutes essentiels (un passeport pour voyager un permis de

conduire) ou de demander des aides financiegraveres speacutecifiques (une bourse drsquoeacutetude

polyneacutesienne (qui nrsquoa pas la mecircme charge revendicative et qui peut inclure les personnes drsquoorigine

eacutetrangegravere neacutees en Polyneacutesie) et franccedilaise (Saura 2008)

125

une allocation chocircmage un precirct bancaire)83 Il srsquoagit de reacutealiteacutes locales ougrave les

formulations identitaires (ethniques politiques ou religieuses) srsquoentremecirclent et

forment un continuum culturel dans lequel il devient parfois difficile drsquoidentifier

certaines diffeacuterences Crsquoest lagrave une ideacutee que semble confirmer Bruno Saura quand il

affirme que laquo [d]rsquoailleurs le discours sur lrsquoidentiteacute nrsquoest pas uniquement un discours

sur la diffeacuterence ou un discours qui divise mecircme srsquoil court toujours le risque drsquoecirctre

perccedilu comme tel raquo (Saura 2008 7)

Le reacutesultat des processus drsquoacculturation nrsquoest donc jamais preacutevisible Il srsquoagit

drsquointeractions dynamiques qui deacutependent de trois variables majeures les rapports

de force qui encadrent les relations entre deux ou plusieurs groupes humains les

structures de gestion du pouvoir dans les mecircmes groupes et le paysage socio-

environnemental (crsquoest-agrave-dire les ressources naturelles et les critegraveres pour y

acceacuteder et les utiliser) Comme nous lrsquoavons vu elles peuvent conduire selon les cas

agrave une assimilation complegravete agrave lrsquoeacutelimination du groupe minoritaire ndash on parlera alors

drsquoethnocide84 ndash ou finalement agrave une incorporation partielle drsquoun groupe dans

83 Bertrand Troadec a analyseacute cette mecircme identiteacute cumulative chez les laquo Demis raquo Tahitiens agrave partir

drsquoune approche strictement psychologique mais en arrivant aux mecircmes conclusions (1992)

84 Pendant longtemps cette notion a eacuteteacute utiliseacutee par les historiens comme synonyme du mot geacutenocide

(Clastres 1974) Agrave partir des anneacutees 1960 en parallegravele agrave la vague de deacutecolonisation qui a permis agrave

plusieurs anciennes colonies des Empires occidentaux drsquoacceacuteder agrave lrsquoIndeacutependance elle sera

introduite dans le vocabulaire de lrsquoanthropologie militante pour deacutefinir la destruction violente drsquoun

groupe ethnique ainsi que les politiques de laquo deacutecivilisation raquo mises en œuvre par certains

gouvernements afin drsquoeacuteliminer toute diffeacuterence culturelle (Jaulin 1970 1972 et 1974)

126

lrsquoautre Dans ce dernier cas les cateacutegories de transfiguration ethnique et de

cumulation drsquoidentiteacutes interviennent pour deacutefinir le degreacute et les modaliteacutes

drsquointeacutegration des traits culturels laquo autres raquo

Je peux conclure cette premiegravere partie qui je le rappelle eacutetait deacutedieacutee agrave

accompagner le lecteur dans le labyrinthe des notions concepts et cateacutegories

analytiques qui sont couramment utiliseacutes dans les eacutetudes anthropologiques sur les

peuples autochtones agrave montrer la charge laquo politique raquo qursquoimplique leur utilisation

et agrave les adapter au sujet drsquoeacutetude que nous appreacutehendons ici lrsquoeacuteducation domestique

et les interactions familiales visant agrave transmettre des donneacutees culturelles Dans la

partie suivante je vais exposer les reacutesultats de mon travail ethnographique et

soumettre ces notions concepts et cateacutegories analyseacutes ici agrave laquo lrsquoeacutepreuve du terrain raquo

en veacuterifiant leur validiteacute anthropologique

127

Synthegravese de la premiegravere partie

Bien que lrsquoanthropologie culturelle et sociale ait souvent deacutelaisseacute lrsquoanalyse

scientifique des interactions eacuteducatives perccedilues a priori comme des sujets drsquoeacutetude

sur lesquels drsquoautres disciplines ndash comme les sciences de lrsquoeacuteducation la

psychopeacutedagogie ou la psychologie cognitive ndash exerccedilaient deacutejagrave une compeacutetence

exclusive les recherches meneacutees dans le domaine de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation

ont permis de deacutevoiler certaines dynamiques sociales en rapport avec la

transmission des donneacutees culturelles qui ont remis en question de nombreux

principes sur lesquels la laquo culture raquo occidentale a fondeacute sa vision de lrsquoeacuteducation

Cependant le processus eacuteducatif qui met en contact dans sa configuration la plus

eacuteleacutementaire au moins un eacuteducateur et un eacuteduqueacute ne se reacutesume pas au simple acte

de laquo cultiver le savoir raquo ni agrave la simple relation verticale entre un laquo maicirctre raquo et un

laquo disciple raquo De fait premiegraverement le processus est par deacutefinition dynamique et il

deacutepend de certains facteurs contingents et lieacutes au contexte social et naturel qui

encadre lrsquoacte eacuteducatif Deuxiegravemement quand les revendications identitaires

rentrent en jeu il est largement tributaire des limites imposeacutees et des opportuniteacutes

offertes par le contact culturel

Dans le contexte global actuel qui impose aux identiteacutes autochtones

produites par les politiques coloniales de choisir entre lrsquoassimilation pure et simple

lrsquoadaptation culturelle ou la disparition il devient essentiel de comprendre les

enjeux lieacutes aux processus de transmission de la culture dans les communauteacutes qui

128

revendiquent une laquo alteacuteriteacute raquo et qui ne srsquoidentifient pas au patrimoine culturel

national qui est au bout du compte lrsquoexpression imposeacutee laquo drsquoen haut raquo de lrsquoidentiteacute

du groupe dominant Les deacutebats qui ont animeacute la reacuteflexion sur les exigences

imposeacutees par la reacutealiteacute multiculturelle et sur les possibiliteacutes drsquoune interculturaliteacute

qui reste jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle une pieuse utopie nous montrent que lrsquoideacutee drsquoune

civilisation occidentale ndash baseacutee sur un laquo socle culturel commun raquo que tous ses

membres devraient partager ndash est et restera une ideacuteologie discriminante violente

et sans avenir

129

DEUXIEME PARTIE SUR LE TERRAIN INTERACTIONS ET IDEOLOGIES

EDUCATIVES CHEZ LES WAYANA-APALAIuml ET LES ENATA AUTOCHTONES DE

LA REPUBLIQUE

130

Introduction agrave la deuxiegraveme partie

Dans un texte tregraves critique vis-agrave-vis du processus de bureaucratisation de la

recherche en eacuteducation et en sciences sociales Yves Lenoir ndash paraphrasant Jacky

Beillerot (1989) ndash nous rappelle agrave quel point le terme laquo recherche raquo perd de son sens

degraves lors qursquoil nrsquoest deacutefini que comme un simple laquo effort pour trouver un objet une

information ou une connaissance raquo (Lenoir 1996 207) Comme jrsquoai essayeacute de le

montrer dans la premiegravere partie de cette thegravese la recherche en anthropologie de

lrsquoeacuteducation degraves ses origines a enrichi ce principe de base agrave caractegravere

laquo exploratoire raquo avec une perspective laquo multidimensionnelle raquo en analysant des

reacutealiteacutes autres que la seule eacuteducation afin drsquoameacuteliorer certaines pratiques dans les

milieux familiaux et scolaires Cette approche opeacuterationnelle de la recherche se base

donc sur une pratique discursive qui donne la parole aux laquo sujets drsquoeacutetude raquo pour que

lrsquoexpeacuterience de ces derniers puisse reacuteorienter certaines conduites laquo modernes raquo

consideacutereacutees comme naturelles ou axiomatiques mais qui en reacutealiteacute ont eacutemergeacute

dans un contexte social et au sein drsquoun processus historique speacutecifiques (comme la

laquo moderniteacute raquo industrielle ou la postmoderniteacute) En ce sens ces pratiques ne

peuvent preacutetendre agrave lrsquouniversaliteacute puisqursquoelles sont eacutetroitement deacutependantes du

contexte dans lequel elles se manifestent

Apregraves avoir discuteacute de la porteacutee des termes des notions et des concepts qui

encadrent mon hypothegravese de travail ndash selon laquelle lrsquoeacuteducation des peuples

autochtones inteacutegreacutes aux Eacutetats devrait ecirctre interpreacuteteacutee en tant que processus de

131

transmission de donneacutees culturelles lieacutees agrave un paysage naturel et social deacutetermineacute

encadreacute par une dynamique laquo historique raquo postcoloniale et soumis aux impeacuteratifs

imposeacutes par lrsquoeacuteconomie de marcheacute ndash je vais consacrer cette deuxiegraveme partie aux

reacutesultats de mon travail de terrain En observant le laquo fait eacuteducatif raquo chez deux

groupes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais jrsquoai chercheacute agrave deacutecrire les pratiques

eacuteducatives informelles (ou domestiques) qui guident la vie quotidienne des

communauteacutes en question et qui agrave de rares exceptions pregraves sont peu connues des

responsables administratifs et des organismes publics chargeacutes de lrsquoeacuteducation dans

les territoires concerneacutes Cette perspective laquo descriptive raquo srsquoappuie sur la volonteacute de

redeacutefinir ces pratiques laquo locales raquo dans une perspective laquo globale raquo en les

envisageant comme des dynamiques adaptatives creacuteatives ou transfiguratrices

toujours en relation avec les transformations imposeacutees par les politiques nationales

drsquointeacutegration sociale ndash citoyenne et scolaire ndash et eacuteconomique

Certaines approches theacuteoriques que jrsquoai abordeacutees dans la premiegravere partie

nous offrent un cadre analytique objectif ndash veacuterifiable et baseacute sur une expeacuterience

sensible ndash pour comprendre le fait eacuteducatif en tant qursquointeraction agrave la fois eacuteducative

et acculturatrice et pour eacutetablir un protocole drsquoobservation visant agrave laquo mesurer raquo

certaines variables qui sont fonction du deacuteveloppement de lrsquointeraction elle-mecircme

Agrave partir de la theacuteorie drsquoUri Bronfenbrenner (1986 1995 et 2005) et de ses collegravegues

(Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner amp Morris 1998) selon laquelle la

transmission des donneacutees culturelles se reacutealise agrave lrsquointeacuterieur drsquoun eacutecosystegraveme je me

suis drsquoabord fixeacute pour objectif de comprendre les systegravemes ndash aux niveaux micro

meacuteso exo et macro ndash qui agissent sur la socialisation des enfants dans les contextes

132

geacuteographiques de la preacutesente eacutetude En deuxiegraveme lieu partant du fait que toute

situation eacuteducative est lieacutee comme le preacutetend Gaston Mialaret (1976) agrave cinq

facteurs essentiels ndash qui sont je le rappelle les contenus les meacutethodes ou les

strateacutegies mises en place pour transmettre le message les techniques et les outils

neacutecessaires pour laquo communiquer raquo les contenus les rapports qui lient lrsquoeacuteducateur et

lrsquoeacuteduqueacute et finalement lrsquoenvironnement dans lequel se reacutealise lrsquoaction eacuteducative ndash

il me semble opportun de deacutecrire le rocircle de chacun drsquoentre eux dans les

performances eacuteducatives observeacutees Troisiegravemement en tenant compte de lrsquoapport

des travaux de Meldford et Audrey Spiro (1958) de Catherine Snow et de ses

collaborateurs (1979) et de Robert LeVine et Karin Norman (2001) qui considegraverent

lrsquoideacuteologie eacuteducative agrave la fois comme un moteur qui agit sur les performances des

eacuteducateurs et comme un meacutecanisme de seacutelection qui lors du processus eacuteducatif

srsquoapproprie certains laquo symboles raquo au deacutepend drsquoautres jrsquoai recueilli et analyseacute les

teacutemoignages des adultes des familles observeacutees afin de deacutecrire les repreacutesentations

mentales qui les poussent agrave agir drsquoune certaine maniegravere avec leurs enfants et de

comprendre lrsquoinfluence de lrsquoideacuteologie parentale ainsi que sa relation avec certaines

variables externes (comme la question de la citoyenneteacute ou les ambitions lieacutees agrave la

reacuteussite scolaire et professionnelle) qui peuvent en modifier les principes et les

prioriteacutes

Cette deuxiegraveme partie se compose donc de six chapitres Dans le premier je

vais deacutecrire le protocole de recherche retenu pour reacutepondre au mieux aux objectifs

speacutecifiques neacutecessaires agrave la veacuterification de mon hypothegravese de deacutepart Le deuxiegraveme

chapitre vise agrave deacutecrire les deux contextes drsquoeacutetude agrave partir drsquoune analyse critique des

133

travaux disponibles notamment ceux relevant de lrsquoethnologie de lrsquoethnohistoire de

lrsquohistoire et de la geacuteopolitique Dans le troisiegraveme chapitre je mrsquoattacherai agrave deacutefinir

les eacutecosystegravemes sociaux des communauteacutes eacutetudieacutees dans le but de comprendre

laquo qui eacuteduque qui raquo ainsi que les relations eacutetablies entre les parents et les autres

acteurs sociaux impliqueacutes dans lrsquoeacuteducation des enfants Le quatriegraveme est consacreacute agrave

lrsquoanalyse des interactions eacuteducatives proprement dites agrave partir des reacutesultats

obtenus gracircce agrave un protocole de recherche expeacuterimental permettant de deacutecrire non

seulement les facteurs de base de la dynamique eacuteducative ndash les messages les

meacutethodes les outils lrsquoenvironnement et les relations entre eacuteducateur et eacuteduqueacute ndash

mais aussi leur laquo intensiteacute raquo Le cinquiegraveme chapitre portera sur les ideacuteologies

eacuteducatives des parents avec lesquels jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de travailler afin de

comprendre comment ces derniers interpregravetent leurs comportements et quelles

sont les valeurs qursquoils associent agrave leurs responsabiliteacutes en tant qursquoeacuteducateurs Le

dernier chapitre qui conclura cette deuxiegraveme partie reacutesumera les reacutesultats

preacutesenteacutes dans les chapitres preacuteceacutedents pour deacutefinir les eacuteleacutements susceptibles

drsquoecirctre discuteacutes dans la troisiegraveme partie

134

7 Meacutethodologie du recueil drsquoinformations

Toujours agrave la recherche de nouvelles laquo sources raquo inexploiteacutees et capables de

deacutevoiler des faits des situations ou des pheacutenomegravenes inconnus les anthropologues

tout comme les sociologues ou les psychologues sont agrave la recherche drsquolaquo objets

drsquoeacutetude raquo humains qursquoils transforment ipso facto en laquo documents raquo qui offrent une

laquo autoriteacute scientifique raquo au reacutecit ethnographique et qui transforment lrsquoinconnu en

deacutecouverte Cependant les mille et une variables qui agissent sur le comportement

humain rendent difficile ce processus qui transforme lrsquoobservation en document un

processus qui risque souvent de reacuteifier les donneacutees recueillies pour construire laquo des

cateacutegories qui figent des classements des typologies qui constituent parfois des

fausses synthegraveses raquo (Augeacute 1987 732)

Bien que cette thegravese nrsquoait pas vocation agrave creacuteer des typologies il est difficile de

reacutesister agrave la tentation de systeacutematiser les donneacutees obtenues en fonction de certaines

cateacutegories qui deacutependent non pas de ma deacutemarche anthropologique mais plutocirct et

surtout de mon veacutecu de mon expeacuterience personnelle et ndash inutile de le cacher ndash de

mon ideacuteologie85 Loin donc de viser la neutraliteacute il srsquoagit en reacutealiteacute drsquoun effort qui se

85 James Clifford (1988) a deacutejagrave souligneacute que le travail ethnographique consiste en un effort

dialectique ndash qui relegraveve de la subjectiviteacute de lrsquoethnographe ndash entre lrsquoexpeacuterience et lrsquointerpreacutetation

dans laquelle laquo lrsquoautoriteacute expeacuterientielle raquo se base sur lrsquoacquisition drsquoune sensibiliteacute empathique et

intuitive qui permet de deacutechiffrer le laquo style culturel raquo drsquoun peuple laquo Lrsquoautoriteacute interpreacutetative raquo se

construit agrave partir de la transformation de lrsquoexpeacuterience en reacutecit un processus qui permettra agrave son

135

veut objectif et qui pour atteindre certains reacutesultats se base sur un ensemble de

meacutethodes et de strateacutegies visant agrave laquo produire raquo des donneacutees mesurables et

comparables Pour deacutefinir une meacutethodologie de travail reacutepondant agrave ces attentes je

me suis donc poseacute trois questions geacuteneacuterales comment eacutetudier lrsquoeacuteducation

informelle chez les autochtones de la Reacutepublique sans ecirctre totalement pris dans le

piegravege de lrsquoobservation subjective du fait eacuteducatif Comment donner une valeur

scientifique agrave des pheacutenomegravenes qui au-delagrave de mon teacutemoignage seront difficilement

veacuterifiables Finalement comment rendre compte dans lrsquoespace offert par une

monographie ethnographique de la varieacuteteacute des situations qui mrsquoont permis

drsquoarriver agrave certaines conclusions

71 Le terrain et lrsquounivers drsquoeacutetude

Avant de deacutetailler les trois meacutethodes de recueil de donneacutees qui constituent le

cœur de mon approche je me dois drsquoexpliquer les raisons qui mrsquoont pousseacute agrave choisir

un laquo univers drsquoeacutetude raquo plutocirct qursquoun autre En tenant compte de la deacutefinition de

lrsquoautochtonie que jrsquoai proposeacutee dans la premiegravere partie de cette thegravese ndash en tant

qursquoexpression drsquoune identiteacute collective qui deacutecrit un groupe humain revendiquant

une culture et un territoire partageacutes et qui base ses revendications sur le fait qursquoil

auteur de valoriser seacutelectionner ou exclure certaines donneacutees en fonction de son interpreacutetation de

lrsquoexpeacuterience de terrain Marilyn Strathern (1987) adopte une position similaire mais encore plus

radicale selon laquelle lrsquoautoriteacute anthropologique est absolument subjective puisqursquoelle deacutepend en

premier lieu de la capaciteacute persuasive de lrsquoanthropologue et de son habiliteacute agrave transformer dans le

reacutecit ethnographique une expeacuterience individuelle en reacutealiteacute universelle

136

habite ab origine le territoire en question ndash le panorama social franccedilais mrsquooffrait un

certain nombre de communauteacutes qui se perccediloivent comme autochtones et qui

revendiquent certains droits ou formes drsquoautonomie il suffit de penser par

exemple aux expressions de lrsquoautochtonie qui se manifestent entre certains Bretons

Basques ou Corses Cependant mon inteacuterecirct portait surtout sur lrsquoautochtonie dans

des contextes reacutesultants de la politique coloniale ce qui reacuteduisait mon choix agrave

lrsquoOutre-mer franccedilais Suite agrave la reacutevision constitutionnelle du 28 mars 2003 il existe

deux cateacutegories juridiques principales pour deacutefinir les territoires laquo non

meacutetropolitains raquo de la Reacutepublique86 les deacutepartements et reacutegions drsquoOutre-mer

(DROM) et les collectiviteacutes drsquoOutre-mer (COM) Les premiers sont reacutegis par lrsquoarticle

73 de la Constitution qui preacutevoit que laquo [l]es lois et regraveglements [de la Reacutepublique y]

sont applicables de plein droit raquo mais en raison des laquo caracteacuteristiques et contraintes

particuliegraveres raquo de ces territoires des adaptations sont possibles Les seconds sont

reacutegis par lrsquoarticle 74 de la Constitution qui fixe leurs statuts par une loi organique

deacutefinissant notamment laquo les conditions dans lesquelles les lois et regraveglements y sont

applicables raquo

Srsquoagissant drsquoune eacutetude exploratoire il mrsquoa sembleacute particuliegraverement

inteacuteressant drsquoobserver les deux reacutealiteacutes afin drsquoeacutevaluer si le statut administratif de

DROM et de COM a un effet sur la reacutealiteacute laquo postcoloniale raquo des contextes eacutetudieacutes Jrsquoai

86 En reacutealiteacute il existe une troisiegraveme cateacutegorie celle de la Nouvelle-Caleacutedonie qui jouit du statut

speacutecifique de collectiviteacute sui generis et qui est reacutegie par des dispositions speacutecifiques de la

Constitution agrave savoir les articles 76 et 77

137

donc choisi de reacutealiser une partie de mes observations avec une communauteacute

autochtone eacutetablie dans un DROM et une autre partie avec une communauteacute

reacutesidant dans une COM Je me suis alors pencheacute sur un DROM et une COM ayant une

charge symbolique qui agrave mon avis est majeure la Guyane et la Polyneacutesie deux

contextes agrave la fois laquo extrecircmes raquo et constitutifs de lrsquoimaginaire national Comme je lrsquoai

preacuteciseacute dans la premiegravere partie drsquoun cocircteacute se trouve la forecirct amazonienne souvent

deacutecrite comme un enfer vert et comme lrsquoantithegravese de la civilisation87 et de lrsquoautre

il y a les icircles des Mers du Sud qui pour le sens commun apparaissent comme le

paradis bleu loin de tous les maux de la laquo moderniteacute raquo88 Finalement jrsquoai identifieacute

87 Il existe une abondante litteacuterature sur les mythes susciteacutes en Europe par la laquo deacutecouverte raquo de

lrsquoAmazonie et de ses habitants souvent agrave cause de lrsquoinfluence tendancieuse des Conquistadores ou

des missionnaires qui dans leurs reacutecits deacutecrivaient cette partie du globe comme un territoire peupleacute

drsquoecirctres sans humaniteacute La diffusion de cette image neacutegative doit beaucoup au soutien que lui ont offert

des penseurs tregraves influents comme Buffon (1749) ou Hegel (1822) mais aussi plus reacutecemment agrave

certains faits divers comme la disparition de lrsquoexplorateur Raymond Maufrais (1952) qui ont

contribueacute agrave la construction drsquoune image de laquo lrsquoAmazonie mangeuse drsquohommes raquo Les travaux de

Tzvetan Todorov (1982) Jean-Paul Duviols (1986) et Michel Le Bris et Pascal Dibie (2005)

constituent des synthegraveses remarquables sur le sujet

88 Aussi dans ce cas lrsquoideacutee du laquo paradis aux antipodes raquo date de lrsquoeacutepoque des premiers voyages des

explorateurs europeacuteens dans la reacutegion Leurs reacutecits ont contribueacute comme lrsquoa deacutemontreacute Eric Vibart

(1987) agrave diffuser cette interpreacutetation chez les intellectuels du siegravecle des Lumiegraveres De son cocircteacute

Bernard Rigo (1997) dans son analyse anthropologique et philosophique du discours occidental sur

lrsquoalteacuteriteacute polyneacutesienne a discuteacute la porteacutee historique de ce steacutereacuteotype socio-environnemental

associant la beauteacute des icircles agrave des habitants reacuteduits agrave des manifestations du bon sauvage (comme celui

imagineacute par Rousseau 1755) naiumlfs insouciants et irresponsables mais fondamentalement non

138

en Guyane et en Polyneacutesie les communauteacutes qui vivaient dans les sites les plus

isoleacutes lagrave ougrave lrsquoimpact des politiques nationales pouvaient ecirctre moindre sans en ecirctre

pour autant totalement absent et lagrave ougrave pouvait subsister une quelconque forme

drsquoeacuteconomie de subsistance (ce qui mrsquoaurait permis drsquoobserver entre autres

lrsquoimplication des enfants dans lrsquoeacuteconomie domestique et dans la production des

aliments) Le choix final a donc porteacute sur les Ameacuterindiens appartenant agrave lrsquoethnie

Wayana-Apalaiuml en Guyane et sur les Enata autochtones de lrsquoicircle de Hiva Oa dans

lrsquoarchipel des Marquises en Polyneacutesie (Figure 8)

laquo alteacutereacutes raquo par lrsquoinfluence neacutegative du progregraves Ce mythe a drsquoailleurs subjugueacute et fait fantasmer des

personnaliteacutes comme le peintre Paul Gauguin qui srsquoinstallera agrave Hiva Oa en 1901 et y mourra trois

ans plus tard (Laudon 1999) le navigateur Alain Gerbault qui fascineacute par les icircles Marquises leur

deacutediera plusieurs pages de son Icircles de beauteacute (Gerbault 1941) ou le chanteur et poegravete Jacques Brel

qui eacutecrira laquo geacutemir nrsquoest pas de mise aux Marquises raquo et qui demandera drsquoecirctre inhumeacute agrave Atuona pregraves

de la tombe de Gauguin (Brel 1977 Lecordier 2012)

139

Figure 8 Position de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise (Carte obtenue gracircce au service Google Maps Eacutelaboration de lrsquoauteur)

Une fois mes terrains drsquoeacutetude choisis jrsquoai eacutevalueacute la meilleure modaliteacute

possible pour reacutealiser le travail ethnographique Comme on peut lrsquoimaginer drsquoun

point de vue logistique comparer deux contextes qui se trouvent presque aux

antipodes impose des contraintes notables Jrsquoai donc choisi drsquoeacutetablir mon laquo quartier

geacuteneacuteral raquo dans le village drsquoAntecume pata dans la commune de Maripasoula en

Guyane qui est devenu pendant quatre ans laquo mon chez moi raquo Agrave partir de lagrave jrsquoai

reacutealiseacute une mission ethnographique agrave Hiva Oa de septembre 2014 agrave janvier 2015

Au total le travail de terrain a dureacute pregraves de cinq ans avec des interruptions drsquoun ou

deux mois par an au cours desquels jrsquoai pris mes distances quant aux contextes

drsquoeacutetude et reacutealiseacute des analyses avec des familles laquo teacutemoin raquo dans lrsquoHexagone afin de

140

pouvoir comparer certaines donneacutees et de mieux cerner le laquo deacutecalage raquo entre les

pratiques eacuteducatives domestiques des peuples autochtones et celles des familles

franccedilaises meacutetropolitaines

Jrsquoai limiteacute le champ de mon eacutetude aux familles reacutesidant dans les deux terrains

choisis et ayant au moins un enfant acircgeacute entre 2 et 7 ans (assumant donc le rocircle de

laquo lrsquoeacuteduqueacute raquo dans mes observations) Cette eacutetape correspond agrave la phase dite de

laquo petite enfance raquo et qui selon Jean Piaget est caracteacuteriseacutee par le deacuteveloppement

des capaciteacutes de repreacutesentation verbale89 et de socialisation de lrsquoaction par la

laquo genegravese de la penseacutee raquo ndash qui ne se limite plus agrave lrsquointelligence perceptive et motrice

typique de la tranche drsquoacircge preacuteceacutedente mais qui integravegre aussi les compeacutetences

susciteacutees par le langage et la socialisation ndash par lrsquointuition90 et finalement par le

deacuteveloppement des sentiments interindividuels (sympathies antipathies

respecthellip) et drsquoune vie affective proprement dite (Piaget 1940) Mon choix a eacuteteacute

motiveacute par le fait que cette peacuteriode soit consideacutereacutee comme la plus importante pour

la socialisation primaire De fait crsquoest au cours de cette phase que se forge la

personnaliteacute de lrsquoindividu que le laquo facteur eacuteducatif raquo a un impact visible sur le

deacuteveloppement de lrsquoenfant et que les familles mettent en œuvre ndash consciemment ou

89 Il srsquoagit de la capaciteacute drsquointeacuteriorisation de la parole laquo qui a pour supports le langage inteacuterieur et le

systegraveme des signes raquo et qui permet de laquo reconstituer sur le plan intuitif des images et des expeacuteriences

mentales raquo (Piaget 1940 30)

90 Jrsquoentends par laquo intuition raquo la capaciteacute agrave anticiper lrsquoeffet drsquoune action et agrave reconstituer des eacutetats

anteacuterieurs

141

pas ndash des dispositifs explicites de formation (Castra 2010)91 Mes observations ont

donc essentiellement pris en compte les interactions eacuteducatives des enfants de cette

tranche drsquoacircge sans pour autant mettre totalement de cocircteacute celles entre adultes et

nourrissons ou adolescents

Agrave cet effet dans chacun des deux terrains drsquoeacutetude jrsquoai observeacute dix enfants (les

laquo eacuteduqueacutes raquo) Chaque enfant a eacuteteacute observeacute pendant 48 heures Les observations ont

eacuteteacute reacutealiseacutees agrave deux occasions pendant 24 heures drsquoun jour ouvrable (quand

lrsquoenfant allait agrave lrsquoeacutecole) et pendant 24 heures drsquoun jour feacuterieacute (quand lrsquoenfant nrsquoallait

pas agrave lrsquoeacutecole)92 Jrsquoai drsquoabord reacutealiseacute un premier essai sur une eacutechelle reacuteduite avec

cinq familles wayana-apalaiuml agrave Antecume pata en 2011 afin de tester le protocole

Apregraves cette premiegravere mise au point une seacuterie drsquoobservations a eacuteteacute meneacutee agrave

91 Je tiens agrave souligner que la theacuteorie de Piaget nrsquoest pas universellement accepteacutee Plusieurs auteurs

ont critiqueacute la segmentation du deacuteveloppement psychosocial de lrsquoenfant en eacutetapes et drsquoautres

considegraverent que agrave un niveau geacuteneacuteral cette perspective est fondamentalement ethnocentrique

puisqursquoelle ne tient pas compte des formes de deacuteveloppement propres agrave drsquoautres cultures (Brainerd

1978 Siegel amp Brainerd 1978 Modgil amp Modgil 1982 Siegal 1991) Il srsquoagit toutefois de la theacuteorie

qui a eu le plus drsquoimpact sur les politiques eacuteducatives occidentales et qui a litteacuteralement laquo modeleacute raquo

lrsquoorganisation des cycles scolaires dans la plupart des pays industrialiseacutes y compris la France

(Fisher 1980) Une synthegravese des positions qui ont animeacute cette controverse a eacuteteacute reacutealiseacutee par Orlando

Lourenccedilo et Armando Machado (1996)

92 Les enfants ont eacuteteacute observeacute aussi pendant la nuit Une telle strateacutegie mrsquoa permis drsquoobserver

certaines interactions eacuteducatives nocturnes comme par exemple quand un membre de la famille

rassure lrsquoenfant qui a eu un cauchemar quand il lui chante une berceuse pour le rendormir ou quand

il lrsquoaccompagne au dehors de la maison pour lrsquoaider agrave satisfaire ses besoins physiologiques

142

Antecume pata entre janvier et juin 2014 et une autre agrave Hiva Oa entre novembre

2014 et janvier 2015 De juin agrave septembre 2014 jrsquoai eacutegalement reacutealiseacute des

observations en France meacutetropolitaine avec cinq familles de milieu urbain pour

pouvoir disposer drsquoun groupe teacutemoin (non autochtone et qui nrsquohabite pas en Outre-

mer)

Les critegraveres qui ont guideacute le choix des familles observeacutees dans le cadre de

cette eacutetude ont eacuteteacute les suivants

lrsquoa ge des enfants laquo e duque s raquo pour chaque terrain drsquoe tude jrsquoai

se lectionne deux familles ayant un enfant de 2 ou 3 ans quatre

familles ayant un enfant de 4 ou 5 ans et quatre familles ayant un

enfant de 6 ou 7 ans Pour la premie re batterie drsquoobservations mene e

a Antecume pata et pour celle mene e en France me tropolitaine jrsquoai

conserve les me mes proportions une famille ayant un enfant de 2 ou

3 ans deux familles ayant un enfant de 4 ou 5 ans et deux familles

ayant un enfant de 6 ou 7 ans

lrsquoa ge des parents qui devait e tre compris entre 25 et 35 ans

le sexe de lrsquoe duque pour chaque terrain drsquoe tude jrsquoai se lectionne cinq

familles dont lrsquoenfant e tait de sexe fe minin et cinq familles dont il e tait

de sexe masculin Pour la premie re batterie drsquoobservations mene es a

Antecume pata et pour celle mene e en France me tropolitaine jrsquoai

se lectionne deux familles dont lrsquoenfant e tait de sexe fe minin et trois

143

familles dont il e tait de sexe masculin93

la condition socioe conomique dans chaque terrain drsquoe tude ont e te

se lectionne es des familles ou lrsquoun de deux parents avait une activite

salarie e

le statut de lrsquoenfant observe qui e tait toujours le descendant naturel

biologique et non adopte

la condition de sante de lrsquoenfant qui nrsquoavait pas drsquohandicaps ni des

troubles cognitives

la repre sentation que les parents se faisaient de leur identite jrsquoai

choisi des parents qui revendiquaient selon le cas leur identite

wayana-apalaicirc marquisienne ou franccedilaise laquo me tropolitaine raquo94

la fratrie jrsquoai choisi des familles avec au moins trois enfants (lrsquoenfant

laquo sujet drsquoe tude raquo a partir duquel jrsquoai mesure les interactions et au

93 Cette relative surrepreacutesentation du sexe masculin srsquoexplique par des raisons pratiques lieacutees au

travail drsquoobservation En effet puisque chez les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata les filles passent la

majoriteacute de leur temps avec les membres feacuteminins de leur famille quand jrsquoai commenceacute mon travail

sur le terrain (en 2011) il mrsquoa eacuteteacute tregraves difficile de convaincre les parents agrave me laisser observer

pendant les 24 conseacutecutives preacutevue par mon protocole de recherche non seulement la fille qui aurait

eacuteteacute le laquo sujet drsquoeacutetude raquo mais aussi les autres femmes de la famille Pour ce qui concerne les

observations meneacutees en France meacutetropolitaine - qui devaient servir de laquo groupe teacutemoin raquo et qui

nrsquoavaient pas la preacutetention de creacuteer un univers de comparaison statistiquement significatif- jrsquoai

preacutefeacutereacute conserver cette mecircme proportion

94 Concernant les meacutetropolitains jrsquoai choisi des familles ougrave les deux parents eacutetaient neacutes et ont grandi

en France

144

moins deux fre res)

Le type de famille he te ro-parental

72 Lrsquoanalyse eacutecosysteacutemique agrave lrsquoeacutepreuve du terrain

Lrsquoapproche eacutecosysteacutemique se base sur le principe selon lequel le

deacuteveloppement de lrsquoindividu deacutepend de sa position au centre drsquoune seacuterie de

systegravemes concentriques ougrave ceux qui se situent dans la partie la plus externe exercent

une influence sur ceux qui sont plus agrave lrsquointeacuterieur Le premier niveau correspond aux

microsystegravemes soit les uniteacutes sociales eacuteleacutementaires avec lesquelles chaque individu

a une relation directe et observable Il srsquoagit par exemple des parents de la famille

eacutelargie des pairs du voisinage de lrsquoeacutecole des groupes drsquointeacuterecirct ndash comme les

associations culturelles sportives politiques ou religieuses ndash ou des collegravegues de

travail Identifier ces microsystegravemes dans les deux contextes eacutetudieacutes a donc eacuteteacute ma

premiegravere tacircche Il srsquoagissait en drsquoautres termes drsquoidentifier les acteurs de

lrsquoeacuteducation ceux que Mialaret appelle laquo les eacuteducateurs raquo

Dans un deuxiegraveme temps jrsquoai deacutecrit les relations existant entre les diffeacuterents

microsystegravemes (entre les parents et les autres membres de la famille ou entre les

parents et lrsquoeacutecole par exemple) ce qui mrsquoa permis de comprendre le contexte

meacutesosystegravemique et de deacutefinir la maniegravere dont chaque microsystegraveme agit en fonction

des contraintes et des opportuniteacutes fournies par les autres microsystegravemes Le fait

que par exemple un microsystegraveme ait des relations difficiles avec un autre

microsystegraveme nous aide agrave comprendre comment lrsquoindividu ndash qui se trouve au milieu

de cette tension ndash choisit de se positionner drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre ou

145

eacuteventuellement de ne pas prendre position (mecircme srsquoil ne nous explique pas

pourquoi il fait ce choix) La troisiegraveme eacutetape conclusive a eacuteteacute de deacutecrire les

exosystegravemes (locaux) et le macrosystegraveme (global) qui agissent inconsciemment sur

le niveau meacutesosystegravemique et indirectement sur la socialisation de lrsquoindividu

Autrement dit il srsquoagissait de deacutecrire les contextes communautaires leurs relations

avec les instances administratives eacutetatiques et leur inteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie de

marcheacute et aux valeurs de la laquo globalisation raquo

73 Comprendre les interactions eacuteducatives

Apregraves avoir identifieacute les acteurs de lrsquoeacuteducation crsquoest-agrave-dire les personnes ou

les groupes de personnes qui interagissent avec lrsquoenfant afin de lrsquoeacuteduquer jrsquoai

chercheacute agrave identifier les interactions eacuteducatives Cette tacircche nrsquoest pas des plus aiseacutees

car elle implique le travail ndash souvent difficile ndash qui consiste agrave deacutenicher le fait eacuteducatif

entre les mille et une interactions qui mettent en rapport un eacuteducateur et un eacuteduqueacute

Je me suis donc laisseacute guider par la deacutefinition laquo anthropologique raquo de lrsquoeacuteducation qui

soutient mon hypothegravese agrave savoir que lrsquoeacuteducation est un processus de transmission

des donneacutees culturelles eacutetroitement lieacutees au paysage naturel et social qui constitue

lrsquohabitat dans lequel se reacutealise lrsquointeraction eacuteducative La tacircche consistait donc agrave

repeacuterer les moments pendant lesquels les eacuteducateurs wayana-apalaiuml et

enata transmettaient agrave lrsquoenfant ndash qui occupait le rocircle de laquo lrsquoeacuteduqueacute raquo ndash des donneacutees

laquo culturellement significatives raquo neacutecessaires agrave la survie dans leur environnement

naturel et agrave la participation agrave la vie communautaire

146

Ces donneacutees peuvent ecirctre classifieacutees en fonction de huit domaines

fondamentaux auxquels elles sont lieacutees agrave savoir

La production et la transformation des aliments comme

lrsquoagriculture la chasse la pe che et la cuisine

La construction et lrsquoentretien de la maison

La me dicine traditionnelle - impliquant la

reconnaissance des espe ces ve ge tales ou animales et leur utilite

the rapeutique ndash lrsquohygie ne personnelle et la sexualite

La pre paration et la participation a des ce re monies ou

rituels communautaires

La production drsquooutils ne cessaires a la re alisation des

activite s que je viens de mentionner autrement dit la laquo culture

mate rielle raquo proprement dite

La transmission des mythes des le gendes et de lrsquohistoire

locale

La reconnaissance du territoire (sa ge ographie physique

et humaine ses ressources naturelles et ses dangers mais aussi les

variations climatiques et les cycles des saisons)

Les re gles de vie (les comportements adapte s et les

normes communautaires)

Agrave travers lrsquoobservation des pratiques ayant un rapport avec un ou plusieurs

de ces domaines jrsquoai donc pu repeacuterer les interactions eacuteducatives et les acteurs qui y

147

jouaient le rocircle drsquoeacuteducateurs Cela mrsquoa donneacute lrsquoopportuniteacute de comprendre la

fonction sociale de chaque membre de la communauteacute les laquo savoirs raquo qui leur sont

assigneacutes mais aussi les meacutethodes et les outils mobiliseacutes pour transmettre leurs

connaissances et leurs savoir-faire

Pour deacutecrire laquo lrsquointensiteacute raquo de ces interactions jrsquoai appliqueacute un protocole deacutejagrave

testeacute par drsquoautres anthropologues de lrsquoeacuteducation et qui repose sur lrsquoobservation et

la mesure des rythmes eacuteducatifs Dans une eacutetude sur lrsquoeacutecologie sociale chez les Efe

de la forecirct de lrsquoIturu en Reacutepublique Deacutemocratique du Congo Edward Tronick et ses

collegravegues (1987) ont observeacute le pheacutenomegravene du multiple caregiving ndash entendons par

lagrave lrsquointervention de plusieurs caregivers95 dans lrsquoeacuteducation des enfants ndash agrave partir de

lrsquoanalyse du temps que les enfants passent avec des personnes autres que leur

megravere96 Un protocole analogue a eacuteteacute utiliseacute dans lrsquoeacutetude de Barry Hewlett (1992) sur

les relations affectives entre pegraveres et fils chez les pygmeacutees Aka population nomade

drsquoAfrique centrale et dans laquelle lrsquoauteur cherche agrave restituer le pourcentage de

temps que les pegraveres Aka passent agrave srsquooccuper de leurs fils Drsquoautres auteurs ont suivi

des meacutethodes similaires pour mesurer lrsquoimplication paternelle chez les Kung San

95 Le mot anglais caregiver est difficilement traduisible en franccedilais Dans la terminologie meacutedicale

anglo-saxonne il est employeacute pour deacutefinir les personnes qui srsquooccupent de soigner ou drsquoaider les

enfants les malades ou les plus acircgeacutes Cependant je lrsquoutilise ici dans le sens qui lui est donneacute dans la

litteacuterature anthropologique agrave savoir celui de laquo fournisseur de soins raquo

96 Leur meacutethode se basait sur la mesure du pourcentage de temps passeacute en contact physique avec

drsquoautres caregivers ce qui incluait le temps passeacute dans leurs bras ou agrave dormir agrave leur cocircteacute

148

(West amp Konner 1976) les Gidgingali (Hamilton 1981) et agrave nouveau les Efe (Winn

et al 1990) Cependant les eacutetudes que je viens de citer nrsquoobservent pas les

interactions eacuteducatives au sens strict puisqursquoelles sont consacreacutees agrave mesurer le

temps que certains caregivers passent avec les enfants ndash un temps qui peut servir agrave

transmettre des donneacutees culturelles mais aussi agrave ne rien faire agrave se reposer ou agrave

contempler97

Dans le cadre de cette recherche jrsquoai donc deacutecideacute drsquoadapter ces meacutethodes en

fonction de lrsquoobjectif que je me suis fixeacute et de mesurer le temps que chaque

eacuteducateur consacre agrave son eacuteduqueacute pour la transmission des donneacutees culturelles

concernant un ou plusieurs des huit domaines laquo culturels raquo fondamentaux que je

viens de mentionner

Les observations ont eacuteteacute codeacutees agrave partir drsquoune grille dans laquelle jrsquoai noteacute agrave

intervalles de cinq minutes les interactions eacuteducatives que chaque membre de la

famille ou de la communauteacute entretenaient avec lrsquoenfant-eacuteduqueacute en tenant aussi

compte du style eacuteducatif caracteacuterisant chaque interaction (voir annexe 8) Au total

jrsquoai reacutealiseacute plus de 1440 heures drsquoobservation directe dans le seul but de mesurer la

97 Un cas diffegraverent est celui de lrsquoeacutetude meneacutee par Catherine Snow et ses collegravegues (1979) qui ont

mesureacute la freacutequence et la dureacutee moyenne des laquo interactions sociales raquo entre les megraveres et leurs enfants

en Hollande et en Grande-Bretagne Cependant leur eacutetude ne distingue pas les interactions sociales

(qui incluent tout type drsquointeractions pourvu qursquoon puisse reconnaicirctre une quelconque forme de

communication) des interactions purement eacuteducatives (qui se limitent agrave la transmission drsquoun certain

type de donneacutees dans un but speacutecifique)

149

laquo quantiteacute raquo drsquointeractions eacuteducatives ce qui mrsquoa permis drsquoobtenir des donneacutees

comparables quant au laquo poids raquo de chaque acteur ndash ou microsystegraveme ndash en charge de

la transmission de la culture dans les deux contextes eacutetudieacutes

Par ailleurs au-delagrave des donneacutees laquo mesurables raquo cet exercice mrsquoa aussi

permis drsquoobserver en quoi certains outils et technologies ndash laquo traditionnels raquo ou

laquo modernes raquo produits localement ou acheteacutes agrave lrsquoexteacuterieur ndash participent au fait

eacuteducatif et comment ils sont exploiteacutes par les eacuteducateurs afin de transmettre

certains savoirs

74 Performances parentales et ideacuteologies eacuteducatives

Le rocircle des parents dans lrsquoeacuteducation des enfants pourrait sembler laquo auto-

eacutevident raquo et dans le sens commun on a lrsquohabitude de lrsquoassocier aux activiteacutes de soin

drsquoencadrement et de protection de leur progeacuteniture En reacutealiteacute la notion de

parentaliteacute est bien plus vaste et engage soit lrsquoensemble des processus qui

permettent aux parents de reacutepondre aux neacutecessiteacutes physiques affectives et

psychologiques des enfants (Lamour amp Barraco 1998) soit lrsquoexercice de

transmission ndash et de transformation ndash drsquoun patrimoine culturel propre agrave la

laquo famille raquo (qui comprend lrsquoensemble des membres drsquoune communauteacute par effet des

liens de parenteacute) Cependant chaque communauteacute humaine applique des formes de

parentaliteacute diffeacuterentes ce qui se traduit par des styles eacuteducatifs et des strateacutegies

peacutedagogiques qui ne sont valides que dans un certain contexte et dans certaines

situations ndash styles auxquels on associe des comportements et des valeurs

particuliegraveres En effet comme le soulignent Claudine Parent et Michegravele Brousseau

150

laquo si le regard porteacute sur les rocircles parentaux diffegravere selon les cultures il peut

eacutegalement varier en fonction de la position occupeacutee par les diffeacuterents membres de

la famille raquo (Parent amp Brousseau 2008 XI)

Pour comprendre les styles eacuteducatifs des parents dans le cadre drsquoune culture

speacutecifique plusieurs meacutethodes srsquooffrent agrave lrsquoanthropologue En tant que laquo sujet

drsquoeacutetude raquo les strateacutegies parentales ont surtout eacuteteacute analyseacutees par les sciences de

lrsquoeacuteducation et dans la majoriteacute des cas dans des contextes expeacuterimentaux Agrave titre

drsquoexemple on peut mentionner les travaux drsquoAlexandra Franccedilois et Annick Weil-

Barais (2003) qui ont utiliseacute des jeux de construction pour analyser la transmission

des connaissances de Fataneh Sourcheh (2004) qui dans le cadre de sa recherche

doctorale a observeacute la mise en jeu des compeacutetences numeacuteriques dans des situations

controcircleacutees ou de Heeyean Cho (2007) qui a utiliseacute le laquo jeu de la marchande raquo pour

comparer les interactions parent-enfant en France et en Coreacutee du Sud Drsquoautres

auteurs ont preacutefeacutereacute comparer les interactions en milieu expeacuterimental avec celles en

milieu naturel Rodica Ailincai par exemple a eacutetudieacute la variabiliteacute interactionnelle

parentale dans des contextes multiculturels et plurilingues agrave partir de ce type de

protocole en codant les transcriptions des observations afin de mettre en eacutevidence

les interventions verbales et non verbales et de les classifier selon le style eacuteducatif

qui leur est propre directif suggestif autonomisant ou disjoint (Ailincai amp Weil

Barais 2007 Ailincai et al 2014) Drsquoautres eacutetudes ont analyseacute lrsquointeraction

parentale agrave partir drsquoun questionnaire depuis 1997 par exemple le Deacutepartement de

lrsquoeacuteducation des Eacutetats-Unis utilise ce protocole pour comprendre la relation entre

lrsquoimplication des parents et la reacuteussite scolaire des eacutelegraveves ameacutericains (USDE 2006)

151

pour sa part lrsquoOCDE utilise un protocole similaire pour comparer le niveau de

participation des familles agrave la vie culturelle des enfants avec les reacutesultats obtenus

dans le cadre des eacutevaluations PISA (Borgonovi amp Montt 2012)

Bien que ce type drsquoapproche ait lrsquoavantage de laquo produire raquo des reacutesultats

mesurables il est toutefois difficile drsquoen imaginer lrsquoapplication dans des contextes

tels que mon terrain drsquoeacutetude ougrave lrsquoexpeacuterience controcircleacutee ou la passation drsquoun

questionnaire se seraient reacuteveacuteleacutes laborieux et auraient demandeacute un niveau

drsquoanalyse des donneacutees particuliegraverement ardu dans le cadre drsquoune recherche

doctorale Au moins deux raisons ont motiveacute mon choix Drsquoune part lrsquoexpeacuterience

controcircleacutee ndash consistant agrave laquo neutraliser raquo toute interfeacuterence exteacuterieure pendant la

dureacutee de lrsquoobservation ndash aurait eacuteteacute difficile agrave mettre en place sans espaces laquo priveacutes raquo

pouvant limiter les regards et les commentaires des personnes externes agrave

lrsquoexpeacuterience En effet agrave Antecume pata comme agrave Hiva Oa les maisons sont ouvertes

et il est impossible de reacutealiser des observations de ce type laquo agrave huis clos raquo Drsquoautre

part il aurait eacuteteacute tout aussi difficile de passer des questionnaires agrave des parents

drsquoeacutelegraveves qui ndash bien que compeacutetents pour communiquer en langue franccedilaise ndash

nrsquoauraient pu les remplir seuls dans la mesure ougrave la scolariteacute de la majoriteacute des

adultes avec lesquels jrsquoai travailleacute en Guyane et en Polyneacutesie srsquoest arrecircteacutee au CM2

Du fait de ces contraintes jrsquoai donc preacutefeacutereacute opter pour lrsquoobservation des

pratiques quotidiennes en transcrivant sur ma grille de codage ndash adapteacutee agrave partir

de celle creacuteeacutee par Rodica Ailincai (2011) ndash les styles drsquointeractions que chaque

membre de la famille ou de la communauteacute entretenaient avec lrsquoenfant qui se

152

trouvait au centre de mes observations Pour identifier les formes drsquointeractions

auxquelles jrsquoai assisteacute jrsquoai pris en consideacuteration les eacuteleacutements suivants98

Le style directif inte gre des conduites ndash verbales ou non

verbales ndash qui sont impose es a lrsquoenfant visant a la normativite

des comportements et admettant des feedbacks (re troactions)

ne gatifs

Le style suggestif vise a stimuler la production de lrsquoenfant et a

lrsquoaccompagner dans ses actions ou ses apprentissages avec des

feedbacks positifs des conseils des encouragements ou des

demandes de pre cisions

Le style autonomisant a pour but de de velopper lrsquoautonomie de

lrsquoenfant mais le parent reste attentif et a proximite de lrsquoaction

Le style fonctionnellement disjoint est observable dans les

situations ou les actions ne sont pas collaboratives ou les

parents ne restent pas a proximite de lrsquoenfant et ou ils ne

peuvent ni contro ler ni e valuer son activite

98 Il srsquoagit des deacutefinitions proposeacutees par Rodica Ailincai dans son travail doctoral (2005) et utiliseacutees

ulteacuterieurement dans une recherche agrave laquelle jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de participer et qui a eacuteteacute preacutesenteacutee

dans le cadre du premier colloque du Reacuteseau national des EacuteSPEacute (Ailincai et al 2015 Voir aussi

Ailincai et al 2014 et 2016)

153

Pour rendre compte du deacutecalage qursquoil existe entre les pratiques deacuteclareacutees et les

pratiques observeacutees crsquoest-agrave-dire entre ce que les adultes font et ce qursquoils disent faire

ndash veacuteritable dilemme pour lrsquoethnographe ndash jrsquoai accompagneacute mes observations

drsquoentretiens non structureacutes afin de mettre en lumiegravere trois eacuteleacutements

fondamentaux

les motivations qui les conduisent a agir drsquoune certaine

manie re

les valeurs qursquoils assignent a leurs performances

e ducatives

lrsquoide e de re ussite qui guide leur action e ducative

Jrsquoai donc essayeacute agrave partir de ces donneacutees de reconstituer les traits saillants de

lrsquoideacuteologie eacuteducative dans les deux contextes eacutetudieacutes

75 Consideacuterations eacutethiques

Les deux terrains drsquoeacutetude que jrsquoai choisis pour reacutealiser ma recherche ne

repreacutesentent pas un territoire inexploreacute par la recherche Le village drsquoAntecume

pata et lrsquoicircle de Hiva Oa ont eacuteteacute visiteacutes agrave maintes reprises par de nombreux chercheurs

provenant de toutes les disciplines des ethnologues des ethnomusicologues des

sociologues des archeacuteologues des botanistes des eacutepideacutemiologistes des architectes

des historiens des geacuteographes et mecircmes des astronomes Les communauteacutes qui

mrsquoont accueilli nrsquoeacutetaient donc pas vierges de tout contact avec cette espegravece curieuse

154

et toujours agrave la recherche de deacutecouvertes que sont les laquo savants baroudeurs raquo

Cependant le fait drsquoavoir reacutealiseacute un travail de terrain de longue haleine et drsquoavoir pu

tisser pendant mon seacutejour dans ces lieux si isoleacutes des liens drsquoamitieacute avec plusieurs

membres de ces communauteacutes mrsquoa permis de discuter souvent autour des vices et

des vertus que mes hocirctes reconnaissent agrave ces visiteurs eacutetranges qui comme aime agrave

le reacutepeacuteter Andreacute Cognat le responsable du village drsquoAntecume pata laquo viennent

srsquoinstallent nous font beaucoup de questions et apregraves ils repartent sans jamais nous

dire ce qursquoils ont deacutecouvert raquo Son neveu Kalanki Panapasi ajoute aussi qursquo laquo ils

utilisent nos noms ils publient nos photos ils vendent leurs livres et ils font leur

carriegravere gracircce agrave nous raquo Il nrsquoest donc pas surprenant que la plupart des habitants

drsquoAntecume pata ou de Hiva Oa nrsquoacceptent pas drsquoecirctre pris en photo drsquoecirctre

enregistreacutes par un dictaphone ou que leur nom soit publieacute

Pour la reacutealisation de cette recherche jrsquoai ducirc tenir compte de ces exigences

de mes hocirctes ce qui mrsquoa conduit agrave modifier les preacutenoms des personnes

intervieweacutees99 et agrave ne pas inclure des photographies Dans la recherche

anthropologique la construction drsquoun cadre de reacutefeacuterence pour les questions

eacutethiques nrsquoest pas simple En effet il nrsquoexiste pas de code deacuteontologique

universellement valable (comme pour les meacutedecins ou les professionnels de santeacute

qui ont leur serment drsquoHippocrate) et en lrsquoabsence de normes nationales

99 Les personnes qui apparaissent avec leur preacutenom et leur nom sont celles qui mrsquoont explicitement

autoriseacute agrave les citer Les autres apparaissent avec un nom fictif mais elles nrsquoauront pas de difficulteacute agrave

se reconnaicirctre dans le reacutecit

155

contraignantes chaque anthropologue agrave tendance agrave se reacutefeacuterer aux codes de conduite

des associations professionnelles ou des socieacuteteacutes savantes dont il est membre ou

aux normes preacutevues par les eacutetablissements de recherche auxquels il est affilieacute Dans

mon cas je mrsquoen suis remis aux principes du code de conduite de lrsquoAmerican

Anthropological Association (2009) et surtout aux obligations suivantes

Rendre explicites les finalite s et les objectifs du travail de

recherche en cours

Obtenir les autorisations ne cessaires pour la re alisation du

travail sur le terrain

Ne pas causer de dommages aux communaute s e tudie es a

leurs membres a leur patrimoine ou a leur

environnement

Ne pas ge ne rer de conflits au sein des communaute s ou

entre les communaute s et les entite s externes

Prote ger la confidentialite des sources cite es

Pre server les donne es recueillies sur le terrain et les

prote ger pour qursquoelles ne soient pas utilise es pour

de clencher ou justifier un conflit ou pour qursquoelles ne

nuisent pas a la confidentialite des personnes qui y sont

mentionne s

Rendre accessibles les re sultats obtenus dans le cadre de la

recherche tout en tenant compte des crite res mentionne s

auparavant

156

Pendant mon travail de terrain ainsi que lors de la reacutedaction de cette thegravese

jrsquoai essayeacute de mrsquoen tenir agrave ces normes et de respecter les regravegles de laquo bon voisinage raquo

et drsquohospitaliteacute qui relegravevent du sens commun Comme on le verra dans les pages

suivantes cela mrsquoa obligeacute agrave laquo trahir raquo agrave maintes reprises les normes morales qui

sont propres agrave laquo ma raquo culture agrave reacuteeacutevaluer ma position face agrave certaines prises de

position et bien eacutevidemment agrave modifier mon point de vue sur lrsquouniversaliteacute de

certains usages auxquels laquo ma raquo culture mrsquoa habitueacute En fin de compte le terrain

nrsquoest pas seulement un espace de deacutecouverte mais surtout un moment de reacuteflexion

157

8 Les terrains de recherche

La Guyane et la Polyneacutesie deux laquo confettis raquo de lrsquoempire colonial franccedilais qui

ndash bien que situeacutes agrave des milliers de kilomegravetres de distance lrsquoun de lrsquoautre dans deux

continents diffeacuterents (lrsquoAmeacuterique du Sud et lrsquoOceacuteanie) et dans deux milieux

eacutecologiques tout aussi diffeacuterents (respectivement la forecirct tropicale humide et

lrsquoeacutecosystegraveme oceacuteanique) et bien qursquoayant deux statuts administratifs distincts (la

premiegravere est un DOM la seconde une COM) ndash partagent plusieurs points communs

Les deux territoires ont en effet veacutecu une histoire coloniale similaire tous deux ont

eacuteteacute inteacutegreacutes agrave la Reacutepublique franccedilaise en raison de leurs ressources naturelles mais

surtout de leur position geacuteographique De mecircme ces deux territoires sont peupleacutes

de nombreuses communauteacutes autochtones qui revendiquent certaines formes

drsquoautonomie et exigent drsquoecirctre reconnues par lrsquoEacutetat non seulement en tant que

laquo minoriteacutes linguistiques raquo mais aussi ndash et surtout ndash en tant que groupes humains

porteurs drsquoune identiteacute propre neacutecessitant une protection speacutecifique

Les deux communauteacutes qui constituent laquo lrsquounivers de cette eacutetude raquo sont de

ce point de vue assez repreacutesentatives Dans les pages qui suivent je vais essayer de

reacutesumer les eacuteleacutements les plus significatifs de leur histoire et de leur organisation

sociale agrave partir des donneacutees ethno-historiques disponibles et de lrsquoanalyse de leur

contexte geacuteopolitique ce qui nous permettra dans les prochains chapitres de mieux

comprendre leurs eacutecosystegravemes sociaux et les fondements historiques de leur

ideacuteologie eacuteducative

158

81 Les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata situation geacuteographique donneacutees

ethno-historiques et aspects sociologiques

Le village drsquoAntecume pata srsquoeacutetend sur lrsquoicircle du mecircme nom sur le haut cours

du fleuve Maroni qui eacutetablit la ligne de frontiegravere avec le Suriname (Figure 9) Il est

habiteacute par des familles wayana et apalaiuml

Figure 9 La Guyane franccedilaise et le village drsquoAntecume pata (carte reproduite avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoInstitut Geacuteographique National)

159

Actuellement en Guyane franccedilaise vivent environ mille Wayana cohabitant

avec une dizaine drsquoApalaiuml Ces groupes preacutesents dans la reacutegion des Guyanes depuis

au moins deux siegravecles eacutetaient autrefois semi-nomades leurs ancecirctres eacutetaient

connus sous le nom de laquo Roucouyens raquo100 et drsquo laquo Oupouloui raquo (Gillin 1948 Hurault

1968 et 1972)101 Jean Chapuis (1998 2003) signale qursquoil srsquoagit de deux groupes de

langue carib (ou karib) qui partagent les mecircmes origines Ils seraient en effet le

reacutesultat de la fusion de nombreux clans qui vivaient aux alentours de la chaicircne

montagneuse des Tumuc Humac (qui aujourdrsquohui deacutelimite la triple frontiegravere entre

la Guyane le Suriname et le Breacutesil) et qui agrave partir du XVIIIegraveme siegravecle ont commenceacute

agrave srsquoinstaller plus loin ndash sur le fleuve Tapanahony au Suriname le fleuve Parou agrave lrsquoest

du Breacutesil et le fleuve Maroni en Guyane ndash agrave cause de lrsquoexpansion de la frontiegravere

coloniale et des conflits avec la communauteacute Wayampi (ou Waiatildepi)102 Comme le

notent Pierre et Franccediloise Grenand laquo la Guyane ameacuterindienne ancienne nrsquoeacutetait pas

100 Le nom laquo Roucouyennes raquo est issu de leur habitude agrave se peindre totalement le corps avec les

extraits des fruits de la plante de roucou (Bixa orellana) qui donne agrave la peau une couleur rouge vif

101 Selon les diffeacuterentes sources les Wayana sont aussi connus sous drsquoautres ethnonymes tels Ajana

Alucuyana Ayana Guaque Ojana Orcocoyana Orocoiana Pirixi Uaiana Urukuena Urukuyana ou

Waiano et les Apalaiuml sont eacutegalement appeleacutes Apalai Apalay Aparai Aparathy Apareilles ou Appirois

(Stuart 1991 Robert 2009)

102 Cette interpreacutetation ne fait pas lrsquounanimiteacute Drsquoautres chercheurs comme la linguiste Eliane

Camargo (1997 2008a et 2008b) preacutefegraverent lrsquohypothegravese selon laquelle il srsquoagirait de deux peuples

distincts qui parlent deux langues diffeacuterentes mais qui partagent une histoire et un territoire

commun (Voir aussi Chiara 1978)

160

composeacutee de groupes isoleacutes et eacuteloigneacutes les uns des autres mais bien au contraire de

socieacuteteacutes qursquoelles aient eacuteteacute en guerre ou en paix en contact permanent agrave travers des

eacutechanges commerciaux des eacutechanges festifs voire des eacutechanges matrimoniaux raquo

(1985 12) ainsi que des eacutechanges guerriers

La premiegravere description ethnographique des laquo Roucouyens raquo parue en 1769

a eacuteteacute reacutedigeacutee par Claude Tony un laquo mulacirctre libre drsquoApprouague raquo qui avait eacuteteacute

envoyeacute par Louis-Thomas Jacquot gouverneur de la Guyane pour explorer les

sources du fleuve Litany103 Dans son rapport pour le gouverneur Tony fait eacutetat drsquoun

groupe avec une organisation militaire qui essaye de se deacutefendre des attaques des

groupes wayampi lesquels jouissaient du soutien de la couronne portugaise (et de

son armement) et drsquoacceacuteder aux produits occidentaux disponibles dans le bassin de

lrsquoOyapock gracircce aux postes de commerce que les missionnaires jeacutesuites y avaient

creacuteeacutes durant la premiegravere moitieacute du XVIIIegraveme siegravecle (Tony 1769) Dix ans plus tard

lorsque le meacutedecin et naturaliste Jean-Baptiste Leblond visita le sud de la Guyane

dans le cadre de ses recherches sur le quinquina (Cinchona officinalis) il observa que

leur organisation militaire avait disparu et qursquoils avaient commenceacute agrave migrer et agrave

srsquoinstaller dans le bassin du Haut Maroni et du Waqui loin des Wayampi et des

Portugais (Leblond 1814) Cependant leur progression vers le Bas Maroni a eacuteteacute

freineacutee dans la premiegravere moitieacute du XIXegraveme siegravecle par la preacutesence de campements

103 Les premiers contacts des Wayana-Apalaiuml avec les Europeacuteens datent probablement de 1730

anneacutee ougrave des explorateurs au service de lrsquoordonnateur Paul Lefebvre drsquoAlbon signalent un groupe laquo

drsquoOrokoyanes raquo (laquo Roucouyens raquo) dans le sud de la Guyane Une analyse des documents drsquoarchive

concernant ce premier contact a eacuteteacute reacutealiseacutee par Grenand (1972) et Chapuis (1998)

161

drsquoun autre groupe de langue Carib les Galibi (aujourdrsquohui appeleacutes Kalirsquona)104 et par

lrsquohostiliteacute des groupes Tirio sur lrsquoItany (Grenand 1982) Selon Jean Chapuis (1998)

la laquo fusion raquo entre les clans laquo roucouyens raquo (wayana) et upului (apalaiuml) date de cette

eacutepoque et srsquoexplique par deux raisons strateacutegiques sceller un accord de

cohabitation pacifique dans la reacutegion et augmenter la taille des communauteacutes ce qui

aurait permis drsquoeacutelargir le reacuteseau drsquoeacutechanges matrimoniaux (Chapuis 1998 Voir

aussi Rauschert-Alenani 1981) Agrave la mecircme eacutepoque des groupes de Boni des

esclaves drsquoorigines africaines eacutechappeacutes du Suriname sont venus srsquoinstaller sur le

cours moyen du Maroni pour eacutechapper aux Hollandais et agrave leurs allieacutes les Djuka

qui les pourchassaient Pour Jean-Marcel Hurault (1972) les relations entre la toute

nouvelle laquo confeacutedeacuteration Wayana-Apalaiuml raquo et les Boni fugitifs eacutetaient plus que

cordiales mais ces derniers qui controcirclaient lrsquoaccegraves des marchandises en

provenance du nord se sont imposeacutes en tant qursquointermeacutediaires dans le commerce

entre les Ameacuterindiens et les colons franccedilais de telle sorte que laquo les Wayana

fournissaient [aux Boni] des chiens en principe dresseacutes pour la chasse du bois drsquoarc

des hamacs les Boni [fournissaient aux Wayana] divers objets manufactureacutes en

particulier des haches des sabres et des hameccedilons raquo (Hurault 1965 115)

Lrsquoarriveacutee de certains clans wayampi dans la reacutegion lesquels fuyaient les

colons portugais qui voulaient les reacuteduire en esclavage a deacuteclencheacute une nouvelle

104 Lesquels apregraves une premiegravere phase drsquoeacutechanges pacifiques avec les laquo Roucouyens raquo conduisirent

une seacuterie de raids pour enlever leurs femmes afin de les revendre aux colons hollandais du Suriname

et la guerre qui en suivit a eacuteteacute remporteacutee par les clans laquo roucouyens raquo et obligea les Kalirsquona agrave se retirer

(Grendand 1972)

162

guerre entre eux et les Wayana-Apalaiuml Au vu du nombre important de morts

perpeacutetreacutees les deux parties ont deacutecideacute de trouver un accord et en 1830 les deux

groupes ont deacutetermineacute que les Wayampi allaient occuper le bassin de lrsquoOyapock (de

sa source jusqursquoau confluent du Camopi) et les Wayana-Apalaiuml le bassin du Maroni

jusqursquoau confluent du Tapanahony105 Lrsquoaccord a permis de mettre en place un

reacuteseau drsquoeacutechanges eacuteconomiques privileacutegieacutes qui selon Pierre Grenand (1982)

eacutetaient tellement fortes que les Wayampi ont adapteacute leur mythologie pour y inclure

les Wayana lesquels ont eacuteteacute associeacutes au clan des laquo gens de lrsquoanaconda raquo

Durant plus drsquoun siegravecle la preacutesence de ces laquo groupes tampons raquo (les Wayampi

sur lrsquoOyapock et les Boni sur le Maroni) a limiteacute le contact des Wayana-Apalaiuml avec

les Occidentaux De fait depuis lrsquoexploration de Leblond en 1779 aucun explorateur

europeacuteen ne srsquoest aventureacute dans la reacutegion Les contacts ont repris en 1879 lorsque

Jules Crevaux qui essayait de relier Cayenne agrave Beleacutem en passant pour les Tumuc

Humac laquo a deacutecouvert raquo des communauteacutes ameacuterindiennes installeacutees sur le Haut

Maroni (Crevaux 1883)106 Il reacutedigera alors avec drsquoautres savants de lrsquoeacutepoque le

105 Cet accord est connu par les chercheurs en ethnohistoire amazonienne comme la laquo paix wayana raquo

(Grenand 1972)

106 On peut imaginer que avant son voyage Crevaux nrsquoavait pas connaissance de ces groupes En

effet dans le rapport preacuteliminaire qursquoil adressa agrave lrsquoAgence Geacuteneacuterale des Colonies sur la situation

geacuteographique du nord et du centre de la Guyane il ne faisait pas mention de la possibiliteacute qursquoil pouvait

exister des groupes ameacuterindiens dans le sud de la reacutegion (Crevaux 1877)

163

premier vocabulaire de la laquo langue roucouyenne raquo (Crevaux et al 1882)107 Entre

1887 et 1889 les villages du Haut Maroni ont eacuteteacute visiteacutes par le geacuteographe Henri

Anatole Coudreau qui en fit une description systeacutematique et essaya pour la

premiegravere fois de les recenser relevant le nombre de 15000 (Coudreau 1893) Agrave

lrsquoinstar de Crevaux il reacutedigera un vocabulaire des langues ameacuterindiennes de la

reacutegion utilisant pour la premiegravere fois les ethnonymes laquo Ouayana raquo et laquo Aparaicirc raquo pour

identifier les habitants ameacuterindiens du Haut Maroni (Coudreau 1892)

En 1930 avec le deacutecret-loi du 6 juin est creacuteeacute le Territoire de lrsquoInini une entiteacute

autonome directement administreacutee par le gouverneur de la Guyane assisteacute par un

conseil drsquoadministration de son choix Ce Territoire est alors seacutepareacute de la colonie de

la Guyane proprement dite administreacutee quant agrave elle par un gouverneur agissant au

nom du ministre des Colonies La laquo vraie raquo Guyane franccedilaise ne srsquoeacutetendait que sur

lrsquoeacutetroite bande littorale lagrave ougrave il existait une preacutesence coloniale Tout le reste du

territoire correspondait agrave lrsquoInini peupleacute par des communauteacutes ameacuterindiennes et

afro-descendantes (Djuka et Boni) ainsi que par quelques anciens prisonniers ayant

reacuteussi agrave fuir du bagne Selon lrsquohistorien Serge Mam-Lam-Fouck cette division laquo

consacrait lrsquoexistence des deux espaces que lrsquohistoire avait creacuteeacutes le Littoral depuis

longtemps modeleacute par la colonisation franccedilaise et lrsquoInteacuterieur jamais totalement

maicirctriseacute raquo (Mam-Lam-Fouck 1996 112) Depuis cette laquo territorialisation raquo le

107 En reacutealiteacute le vocabulaire et la grammaire de Crevaux meacutelangent des eacuteleacutements de langue wayana

et drsquoautres qui sont propres agrave lrsquoapalaiuml Lrsquoexplorateur ndash qui a eacuteteacute accueilli pendant plusieurs semaines

dans une communauteacute qursquoil appelle laquo roucouyenne raquo ndash nrsquoavait pas diffeacuterencieacute les Wayana des Apalaiuml

ce qui indique probablement que agrave lrsquoeacutepoque les deux groupes avaient deacutejagrave fusionneacute

164

deacuteclin deacutemographique de ces communauteacutes srsquoest acceacuteleacutereacute pour atteindre son point

le plus bas dans les anneacutees 1950 Les recensements effectueacutes par Jean Hurault

(1957) agrave cette eacutepoque eacutevoquent une population totale ne deacutepassant pas la

cinquantaine de membres Agrave partir de cette date la tendance deacutemographique

neacutegative a commenceacute agrave srsquoinverser gracircce agrave la creacuteation drsquoun poste de santeacute dans le

bourg de Maripasoula ndash village fondeacute par des Boni qui se deacutediaient agrave lrsquoorpaillage

dans les affluents du Maroni ndash permettant agrave certains Ameacuterindiens plus disposeacutes au

contact de se faire soigner quand ils eacutetaient malades Lrsquoarriveacutee de plusieurs familles

wayana-apalaiuml en provenance du Breacutesil pour fuir les garimpeiros108 qui eacutetaient en

train de massacrer les communauteacutes ameacuterindiennes du Jari et du Parou de lrsquoest afin

drsquooccuper leur terre a eacutegalement participeacute agrave lrsquoinversion de la tendance

deacutemographique preacuteceacutedente (Cognat 1967) En 1976 on deacutenombrait plus de trois

cents Wayana-Apalaiuml sur les deux berges du Maroni (Cognat 1977) Dans un

recensement que jrsquoai effectueacute en 2012 jrsquoen ai compteacute 1150 ce qui semble confirmer

une tendance agrave lrsquoaccroissement deacutemographique (Aligrave amp Ailincai 2013)109

108 Les chercheurs drsquoor et de pierres preacutecieuses qui travaillent sur les chantiers drsquoorpaillage

clandestin

109 Il convient de souligner que dans les recensements officiels de lrsquoInstitut national de la statistique

et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE) les habitants des villages ameacuterindiens ndash lesquels drsquoun point de

vue administratif sont consideacutereacutes comme des lieux-dits ndash sont comptabiliseacutes en tant que reacutesidents

du bourg de Maripasoula Il nrsquoexiste donc aucun chiffre officiel sur le nombre drsquohabitants des villages

du Haut Maroni

165

811 Situation postcoloniale et inteacutegration nationale

En 1946 la Guyane franccedilaise accegravede au statut de deacutepartement sans que sa

division administrative ndash une Guyane littorale et un Territoire de lrsquoInini ndash soit remise

en question Il faudra attendre lrsquoanneacutee 1969 pour que lrsquoInini soit deacutefinitivement

inteacutegreacute au deacutepartement et pour que des communes soient creacuteeacutees dans lrsquointeacuterieur

guyanais (Thabouillot 2012) Agrave partir des anneacutees 1950 les gouvernements franccedilais

et surinamiens adoptent une politique de laquo seacuteduction raquo des communauteacutes

ameacuterindiennes de la reacutegion de sorte que comme lrsquoaffirmait Hurault laquo une

surenchegravere srsquoeacutetait eacutetablie entre les administrations franccedilaise et surinamienne pour

attirer les Indiens sur leurs territoires (cadeaux voyages agrave Cayenne ou agrave

Paramaribo) raquo (1957 30)

Agrave la fin des anneacutees 1950 le Suriname avait deacutejagrave doteacute plusieurs villages

ameacuterindiens de pistes drsquoatterrissage et assurait des liaisons aeacuteriennes reacuteguliegraveres

avec la capitale Paramaribo Aussi le gouvernement surinamien exempta les

Ameacuterindiens des controcircles de papiers drsquoidentiteacute eacutelectrifia le village drsquoAnapaike ougrave

il creacutea une eacutecole en langue wayana et finalement il assigna une reacutemuneacuteration

mensuelle aux autoriteacutes coutumiegraveres et aux repreacutesentants des villages En 2014

aucun des villages ameacuterindiens du Haut Maroni en territoire franccedilais ne disposait

166

de pistes drsquoatterrissage110 seule une partie des habitants avait pu obtenir la

nationaliteacute franccedilaise111 aucun village nrsquoavait de systegraveme de production ou de

distribution eacutelectrique112 et lrsquoenseignement scolaire se reacutealisait en langue

franccedilaise113 Le seul point commun avec le Suriname est le fait que en France les

110 Ce qui oblige les habitants agrave se deacuteplacer en pirogue jusqursquoagrave lrsquoaeacuterogare de Maripasoula Pour avoir

une ideacutee de lrsquoeffort que ce type de deacuteplacement implique il suffit drsquoimaginer que agrave certaines peacuteriodes

de lrsquoanneacutee le voyage drsquoAntecume pata agrave Maripasoula peut durer 8 heures

111 En effet plusieurs Ameacuterindiens qui sont neacutes au Breacutesil ou au Suriname bien qursquoils aient veacutecu en

France pendant plus de 10 ans (et certains plus de 70 ans) nrsquoont jamais eacuteteacute nationaliseacutes Ils reacutesident

donc sur le sol franccedilais en tant qursquoeacutetrangers avec un permis de seacutejour (qui est octroyeacute pour une dureacutee

drsquoun an) Le problegraveme vient du fait que la naissance de ces personnes nrsquoait jamais eacuteteacute enregistreacutee

dans les archives de lrsquoeacutetat civil du Breacutesil ou du Suriname Bien que la preacutefecture de Guyane ait promis

agrave plusieurs reprises de trouver une solution deacutefinitive agrave cette aberration juridique au jour ougrave jrsquoeacutecris

ces pages rien nrsquoa eacuteteacute fait (Geacutery et al 2014)

112 Seul le village drsquoAntecume pata disposait drsquoun groupe eacutelectrogegravene communautaire ndash proprieacuteteacute de

lrsquoassociation Yepeacute En geacuteneacuteral la plupart des familles du Haut Maroni possegravede un groupe eacutelectrogegravene

de petite taille pour eacuteclairer la maison et faire fonctionner les congeacutelateurs dans lesquels sont

conserveacutes les produits issus de la chasse et de la pecircche

113 Cependant comme on le verra dans les pages suivantes le Rectorat de la Guyane a creacuteeacute en 1998

des dispositifs pour inteacutegrer des laquo interventions raquo en langue maternelle dans les eacutecoles primaires de

certaines Circonscriptions Educatives de la Guyane dont celles du Haut Maroni Toutefois ces

interventions ne sont pas reacuteellement inteacutegreacutees au programme des apprentissages et les reacutesultats du

dispositif ne font pas lrsquounanimiteacute (Maurel 2012 Nocus et al 2014)

167

autoriteacutes coutumiegraveres percevaient aussi une reacutemuneacuteration mensuelle en tant que

laquo capitaines raquo des villages114

Jusqursquoaux anneacutees 1990 les laquo capitaines raquo eacutetaient les seuls Ameacuterindiens agrave

percevoir une reacutemuneacuteration fixe Les autres villageois vivaient de laquo petits boulots raquo

guides dans des missions de recherche scientifique accompagnateurs de groupes de

touristes en quecircte drsquoaventure ou main-drsquoœuvre non qualifieacutee dans les travaux de

construction du bourg de Maripasoula Degraves lors les Wayana et les Apalaiuml ont

commenceacute agrave faire appel aux systegravemes de solidariteacute sociale de lrsquoEacutetat et agrave lrsquoheure

actuelle toutes les familles du Haut Maroni perccediloivent une ou plusieurs aides

financiegraveres comme le Revenu de solidariteacute active (RSA) ou drsquoautres aides octroyeacutees

par la Caisse drsquoallocations familiales (CAF)

Aujourdrsquohui il existe neuf villages ameacuterindiens dans le Haut Maroni Elaheacute

Cayodeacute Twenkeacute Taluwen Antecume pata et Pidima du cocircteacute guyanais Anapaikeacute

Alawa et Koumakapan du cocircteacute surinamien (Figure 10)

114 Qui est verseacutee par le Conseil Geacuteneacuteral de la Guyane (CGG) et qui correspond agrave 30 du Salaire

minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) Actuellement en Guyane 48 chefs coutumiers

reccediloivent lrsquoindemnisation du CGG Les autoriteacutes coutumiegraveres ne sont pas choisies par les villageois

mais nommeacutees ndash et eacuteventuellement destitueacutees ndash par les autoriteacutes de lrsquoEacutetat entre 1946 et 1982 par

le preacutefet de la Guyane et depuis 1983 par le CGG Il faut ajouter que depuis le 1er janvier 2016 le

conseil reacutegional et le CGG sont devenus une entiteacute unique la Collectiviteacute Territoriale de Guyane qui

reprend lrsquointeacutegraliteacute des compeacutetences des anciennes collectiviteacutes dont celles concernant les

autoriteacutes coutumiegraveres

168

Figure 10 Les villages ameacuterindiens du Haut Maroni (drsquoapregraves Chapuis amp Riviegravere 2003 920)

Ces villages situeacutes agrave plus de 300 km agrave vol drsquooiseau de la capitale du

deacutepartement Cayenne constituent ce que les Guyanais connaissent comme le laquo Pays

ameacuterindien raquo115 Mais ce laquo Pays ameacuterindien raquo nrsquoest pas la terre des Ameacuterindiens car

le territoire qursquoils occupent ne leur appartient pas puisque comme presque tous les

115 Lrsquoexpression laquo Pays ameacuterindien raquo tregraves reacutepandue et couramment utiliseacutee dans les moyens de

communication reacutepond sans doute agrave une cateacutegorie coloniale qui renvoie agrave lrsquoimage drsquoun Eacutetat dans

lrsquoEacutetat peupleacute drsquoIndiens qui reprensentent laquo lrsquoantithese de la civilisation raquo soit une laquo Amazonie

sauvage raquo qui reste malgreacute elle agrave la peripherie de la France

169

Ameacuterindiens de Guyane ils vivent sur des terres domaniales Comme le soulignent

Pierre et Franccediloise Grenand ce sont en effet laquo hocirctes de la France sur leurs propres

terres raquo (Grenand P et F 1979 371) Par ailleurs lrsquoaccegraves au laquo Pays ameacuterindien raquo

nrsquoest pas libre depuis 1970 tout deacuteplacement au sud de Maripasula - agrave lrsquointeacuterieur

de ce qursquoon appelle la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute parfois pompeusement surnommeacutee

laquo la zone interdite raquo - doit ecirctre autoriseacute par le Preacutefet de la Guyane116 (Figure 11)

116 Lrsquoaccegraves agrave la laquo zone interdite raquo est actuellement reacutegi par lrsquoarrecircteacute preacutefectoral ndeg 1845C du 3 octobre

1977

170

Figure 11 La ligne de deacutemarcation de la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute (carte reproduite avec lrsquoaimable autorisation du Parc Amazonien de Guyane)

Bien que cette reacuteglementation ait permis aux Wayana et aux Apalaiuml de limiter

les contacts avec les touristes eacutetrangers ainsi que lrsquoexposition aux maladies

drsquoorigine exogegravene elle a aussi eu pour effet de faire disparaicirctre les reacuteseaux de

relations avec les clans vivant au Breacutesil En 1998 Jean Chapuis note que

laquo les eacutechanges entre fleuves breacutesiliens et Litani encore vivaces

jusqursquoau deacutebut des anneacutees soixante-dix ne sont plus que des

171

souvenirs en cinq ans nous nrsquoavons pas eu connaissance drsquoun seul

deacuteplacement vers le Jari ou le Paru de lrsquoEst Par contre ils persistent en

ce qui concernent le Tapanahony et des visites de plusieurs mois ont

parfois lieu entre villages de ces deux fleuves raquo (Chapuis 1998 23)

Je ne peux que confirmer ses observations puisqursquoentre 2011 et 2015 il nrsquoy

a eu aucun contact entre les communauteacutes guyanaises et breacutesiliennes En revanche

les communauteacutes du Haut Maroni entretiennent des relations continues avec celles

du Suriname La localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en

Guyane au Suriname et au Breacutesil est repreacutesenteacutee dans la figure 12

172

Figure 12 Localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en Guyane au Suriname et au Breacutesil (Chapuis 1998 24)

812 Une scolarisation reacutepublicaine pour les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo117

Agrave lrsquoheure actuelle lrsquoeacutecole ndash veacuteritable avant-poste reacutepublicain ndash est la seule

institution publique preacutesente dans tous les villages ameacuterindiens du Haut Maroni118

117 Jrsquoemprunte ce titre au livre eacuteponyme drsquoYves Geacutery Alexandra Mathieu et Christophe Gruner (2014)

118 Agrave cet eacutegard certaines preacutecisions sont neacutecessaires les villages de Cayodeacute Elaheacute Taluwen et

Antecume pata disposent aussi de dispensaires (non meacutedicaliseacutes ils deacutependent du centre de santeacute

de Maripasoula lequel agrave son tour deacutepend du Centre Hospitalier de Cayenne) le village de Twenkeacute

dispose drsquoun poste de gendarmerie (mais son personnel srsquooccupe exclusivement des activiteacutes lieacutees agrave

173

Pour les Wayana et les Apalaiuml elle a toujours repreacutesenteacute le contact privileacutegieacute avec laquo

lrsquoexteacuterieur raquo et surtout avec le monde occidental et la culture laquo drsquoEacutetat raquo par le biais

des artefacts qursquoelle utilise les savoirs qursquoelle dispense les normes (scolaires et

citoyennes) qursquoelle veacutehicule et bien eacutevidemment par la preacutesence du personnel

eacuteducatif qui provient majoritairement du territoire meacutetropolitain (Maurel 2010)

En effet ces villages disposent tous drsquoune eacutecole primaire (Tableau 1)

Villages Antecume Pata Pidima Twenkeacute-Taluwen

Cayodeacute Elaheacute

Population 312 72 520 152 122 Elegraveves 77 23 110 45 38 Classes 4 2 5 2 2 Anneacutee de creacuteation de lrsquoeacutecole 1986 2010 1972 1990 1985 Lrsquoeacutecole reacuteunit les

eacutelegraveves des villages suivants Antecume Pata Lipolipo et Palassissi

Lrsquoeacutecole reacuteunit les eacutelegraveves des villages suivants Pidima Palimino Peacuteleacutea

Tableau 1 Villages wayana-apalaiuml du Haut Maroni donneacutees deacutemographiques et population scolaire (recensement reacutealiseacute par lrsquoauteur en 2012 Adapteacute drsquoAligrave amp Ailincai 2013)

la lutte contre lrsquoorpaillage clandestin) le village de Taluwen dispose depuis septembre 2015 drsquoune

antenne de la mairie de Maripasoula afin de geacuterer les archives de lrsquoeacutetat civil des reacutesidents du Haut

Maroni les villages de Cayodeacute Taluwen et Antecume pata accueillent des antennes du Parc

Amazonien de Guyane Agrave titre anecdotique jrsquoajouterai aussi que tous les villages disposent drsquoune

boicircte aux lettres mais celles-ci ne sont pas utiliseacutees parce que la Poste nrsquoassure pas la relegraveve et la

distribution du courrier dans les sites isoleacutes

174

Agrave Antecume pata lrsquoeacutecole voit le jour agrave lrsquoinitiative drsquoAndreacute Cognat fondateur

du village119 qui en 1977 deacutecide de creacuteer un dispositif drsquoinstruction

communautaire pour octroyer aux Wayana-Apalaiuml de tout acircge une ressource

formative de base Son premier objectif a eacuteteacute lrsquoapprentissage de lrsquoeacutecriture pour

lequel il srsquoest entoureacute de formateurs locaux des Ameacuterindiens qui ayant travailleacute

dans les villes du littoral (surtout Cayenne et Saint Laurent du Maroni) avaient

appris les rudiments de la langue franccedilaise Apregraves cette premiegravere phase lrsquoeacutecole est

devenue une source de laquo dialogue raquo avec la laquo moderniteacute raquo offrant des cours de

civilisation franccedilaise drsquohistoire de geacuteographie et certaines notions de calcul

neacutecessaires agrave la gestion des eacutechanges eacuteconomiques avec les laquo Blancs raquo et les Boni En

1986 le Gouvernement franccedilais reconnaicirct lrsquoeacutetablissement drsquoAntecume pata en

lrsquoincluant dans le dispositif eacuteducatif deacutepartemental en creacuteant des classes de niveau

CP CE1 CE2 CM1 et CM2120 et en le rendant obligatoire pour tous les enfants en acircge

drsquoecirctre scolariseacutes Andreacute Cognat a fortement insisteacute pour que la langue wayana ait sa

place agrave lrsquoeacutecole et bien que peu favorable agrave lrsquoideacutee de lrsquoobligation scolaire il a pu

neacutegocier avec le Rectorat de la Guyane afin que les eacutetablissements eacuteducatifs du

laquo Pays ameacuterindien raquo puissent jouir de certaines deacuterogations aux normes preacutevues par

119 Ce village wayana a eacuteteacute fondeacute en 1965 agrave lrsquoinitiative drsquoAndreacute Cognat un ouvrier lyonnais qui a

inteacutegreacute la communauteacute ameacuterindienne en 1961 (Cognat 1977 et 2009)

120 Le cours preacuteparatoire ou CP est la premiegravere classe de lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire franccedilaise La deuxiegraveme

est le cours eacuteleacutementaire premiegravere anneacutee (CE1) la troisiegraveme le cours eacuteleacutementaire deuxiegraveme anneacutee

(CE2) la quatriegraveme le cours moyen premiegravere anneacutee (CM1) et la derniegravere le cours moyen deuxiegraveme

anneacutee (CM2)

175

le Code de lrsquoEacuteducation Ainsi pendant de nombreuses anneacutees lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutecrit

srsquoest faite en langue wayana avec le concours drsquoun meacutediateur culturel puis drsquoun

Intervenant en Langue Maternelle (ILM) Les eacutelegraveves passaient alors par deux anneacutees

de CP lrsquoune en wayana lrsquoautre en franccedilais121 En 2010 le Rectorat de la Guyane

ouvre une eacutecole maternelle dans le village avec des classes de PS de MS et de GS122

Aujourdrsquohui tous les enfants en acircge scolaire suivent les classes de lrsquoeacutecole primaire

(eacuteleacutementaire et maternelle) et la majoriteacute de leurs parents ont suivi au moins une

partie du cycle de scolarisation

Selon plusieurs observateurs la scolarisation reacutepublicaine a permis aux

Ameacuterindiens de la Guyane (et non seulement aux Wayana-Apalaiuml) de deacutevelopper des

revendications politiques et drsquoacceacuteder agrave certaines compeacutetences neacutecessaires au

laquo dialogue raquo avec les institutions publiques bien que le niveau drsquoeacutechec scolaire reste

eacuteleveacute et que la majoriteacute des jeunes ne veuille pas poursuivre leurs eacutetudes au-delagrave de

16 ans ce qui les empecircche drsquoacceacuteder aux postes cleacutes de la fonction publique (Coiumlaniz

2001 Coiumlaniz et al 2001)123 Andreacute Cognat en est convaincu tout comme la

121 Cependant cette deacuterogation octroyeacutee apregraves une longue bataille entre les parents drsquoeacutelegraveves et les

repreacutesentants de lrsquoEacuteducation Nationale ne prenait pas en consideacuteration lrsquoexistence drsquoune

communauteacute apalaiuml dans le secteur Actuellement le village drsquoAntecume pata ne compte que deux

locuteurs de langue apalaiuml et dans tout le deacutepartement les locuteurs natifs de cette langue

consideacutereacutee en danger par les linguistes ne sont pas plus de cinq

122 Respectivement petite moyenne et grande section de maternelle

123 Au niveau deacutepartemental plusieurs eacutetudes commissionneacutees par lrsquoAcadeacutemie de la Guyane et

lrsquoInstitut national de la statistique et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE) confirment que la Guyane

176

majoriteacute des laquo informateurs raquo avec lesquels jrsquoai travailleacute Cependant lrsquoeacutecole nrsquoa pas

suffi agrave reacutesoudre les principaux problegravemes qui frappent la socieacuteteacute ameacuterindienne En

avril 2013 jrsquoai organiseacute une reacuteunion pour en discuter avec les parents drsquoeacutelegraveves

inscrits dans les classes de lrsquoeacutecole maternelle (PS MS et GS) et eacuteleacutementaire (CP CE1

CE2 CM1 et CM2) du village Treize personnes y ont participeacute douze megraveres et un

pegravere Pendant le deacutebat trois facteurs de deacutestabilisation ont eacuteteacute identifieacutes le plus

important est lrsquoorpaillage illeacutegal qui seacutevit dans le secteur et qui contamine le

fleuve124 sans compter qursquoil a introduit chez les villageois toute une seacuterie

drsquohabitudes consideacutereacutees comme laquo immorales raquo par les Ameacuterindiens125

deuxiegravemement lrsquoalcoolisme se propage chez les hommes qui deacutepensent une bonne

partie des aides de lrsquoEacutetat dans lrsquoachat de rhum bon marcheacute et qui une fois ivres ont

preacutesente des taux drsquoeacutechec et de deacutecrochage scolaires supeacuterieurs agrave la norme surtout dans les sites les

plus laquo isoleacutes raquo comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et plus largement de tout le laquo Pays ameacuterindien raquo

(Horatius-Clovis et Michaud 2011 Gragnic 2013 Bayart et al 2013 Gragnic et Horatius-Clovis

2014) Ces eacutetudes corroborent aussi la correacutelation statistique positive qui existe dans toute la France

entre le niveau de scolarisation des enfants les origines sociales et le contexte culturel de leur famille

(INSEE 2014)

124 Depuis 1999 plusieurs eacutetudes ont confirmeacute que les habitants du Haut Maroni sont victimes drsquoune

surexposition au methylmercure ([CH₃Hg]⁺) un deacuteriveacute tregraves toxique du mercure utiliseacute par les

garimpeiros pour extraire lrsquoor des seacutediments alluviaux (Orru 1998 Frery et al 1999 Carmouze et

al 2001 Boudou et al 2006 Cardoso et al 2010)

125 Parmi ces habitudes se trouvent lrsquoalcoolisme les jeux de hasard et la prostitution mais surtout le

manque de respect envers lrsquoenvironnement

177

tendance agrave devenir tregraves violents envers leurs femmes et les autres membres de leur

famille126 troisiegravemement se trouve lrsquoennui et la frustration qui sont la cause de

nombreuses tentatives de suicide chez les jeunes qui bien souvent se soldent par le

deacutecegraves de la victime

Si le premier problegraveme identifieacute par les parents intervieweacutes dans le cadre de

cette reacuteunion a de toute eacutevidence une cause exogegravene et laquo concregravete raquo ndash lrsquoorpaillage

clandestin ndash le deuxiegraveme et le troisiegraveme sont les symptocircmes du mal-ecirctre social

drsquoindividus qui inteacutegreacutes bon greacute mal greacute agrave la nation sont devenus comme

lrsquoaffirment Yves Geacutery et ses collegravegues laquo les abandonneacutes de la Reacutepublique raquo (Geacutery et

al 2014) En effet pendant mes cinq ans de permanence agrave Antecume pata jrsquoai

assisteacute ou entendu parler drsquoau moins 200 litiges violents causeacutes par lrsquoalcool de 15

tentatives de suicide et de 6 suicides accomplis chez les villageois eacutetant au nombre

je le rappelle de 300 Alerteacutee en 2011 la preacutefecture de la Guyane a mis en place un

laquo plan suicide raquo (sic) tandis que la presse nationale diffusait lrsquoideacutee drsquoune laquo eacutepideacutemie

de suicides raquo chez les Ameacuterindiens Le gouvernement preacuteoccupeacute par lrsquoinefficaciteacute

du plan preacutefectoral et des autres dispositifs mis en œuvre par les autoriteacutes locales

a commanditeacute en mai 2015 un rapport sur le sujet agrave Madame George Pau-Langevin

ministre des Outre-mer laquelle agrave son tour a deacuteleacutegueacute agrave Mesdames Aline

126 Le seul pegravere de famille qui a participeacute agrave la reacuteunion a signaleacute que les femmes peuvent aussi devenir

tregraves violentes quand elles sont ivres Cependant puisque dans la majoriteacute des foyers la gestion des

revenus est agrave la charge des hommes ndash qui sont bien souvent les titulaires des comptes bancaires sur

lesquels sont verseacutees les aides sociales ndash les femmes ont un accegraves limiteacute agrave la liquiditeacute neacutecessaire pour

acheter les boissons spiritueuses et par conseacutequent elles srsquoenivrent moins que les hommes

178

Archimbaud seacutenatrice de Seine-Saint-Denis et Marie-Anne Chapdelaine deacuteputeacutee

drsquoIlle-et-Vilaine la reacutealisation drsquoune mission sur le terrain pour eacutevaluer la situation

Leurs conclusions nous confirment qursquoil existe

laquo un grand trouble identitaire qui mine ces populations et

notamment les jeunes tirailleacutes entre le monde dans lequel ont veacutecu

leurs grands-parents et celui dans lequel deacutejagrave ils se meuvent avec

plus drsquoaisance que leurs parents Ce trouble est amplifieacute par un fort

sentiment drsquohumiliation lieacute aux jugements stigmatisants et aux

commentaires deacutesobligeants dont les Ameacuterindiens sont

reacuteguliegraverement victimes Et au fort sentiment de frustration et

drsquoabandon lieacute aux conditions tregraves deacutegradeacutees de lrsquoaccegraves au Droit et aux

services publics les plus eacuteleacutementaires lesquels font tregraves clairement

deacutefaut sur le haut des fleuves raquo (Archimbaud amp Chapdelaine 2015

11)

Obligeacutes de srsquoadapter agrave la laquo moderniteacute raquo exclus des postes cleacutes de

lrsquoadministration sans pouvoir deacutecisionnaire sur leur territoire victimes du racisme

et de la deacutegradation de leur environnement les Wayana-Apalaiuml semblent ne faire

179

que survivre dans un contexte de plus en plus violent ougrave les conflits se regraveglent le

plus souvent agrave coup de bacircton127 ou pire en se donnant la mort

82 Les Enata de Hiva Oa situation geacuteographique donneacutees ethno-historiques

et aspects sociologiques

Lrsquoicircle de Hiva Oa128 fait partie de lrsquoarchipel des Marquises agrave 1 400 km de Tahiti

agrave 3 800 km des icircles Hawaii 4 800 km des cocirctes californiennes 6 000 km de

lrsquoEacutequateur et agrave 3 000 km de lrsquoicircle de Pacircques (Figure 13)

127 Sans jeux de mots crsquoest bel et bien de cette maniegravere que tregraves souvent les villageois drsquoAntecume

pata srsquoaffrontent Ces disputes toujours deacuteclencheacutees sous lrsquoeffet de lrsquoalcool sont en geacuteneacuteral lieacutees agrave

des histoires drsquoadultegravere ou de dettes non soldeacutees

128 Mais les premiers explorateurs espagnols lrsquoavaient baptiseacutee laquo Dominica raquo

180

Figure 13 La Polyneacutesie franccedilaise et lrsquoarchipel des Marquises (Source Archives ORSTOM)

Il srsquoagit drsquoune icircle drsquoorigine volcanique drsquoune longueur de 40 km sur lrsquoaxe est-

ouest et drsquoune largeur de 12 km sur lrsquoaxe nord-sud doteacutee drsquoune crecircte dorsale avec

des sommets culminants agrave plus de 1 000 m et des crecirctes secondaires qui enserrent

de nombreuses valleacutees srsquoouvrant sur lrsquooceacutean par des plages de sable noir ou de galets

(Chavaillon amp Olivier 2007 voir figure 14)

181

Figure 14 Lrsquoicircle de Hiva Oa (Source Google Maps Elaboration de lrsquoauteur)

Lrsquoicircle compte plus de 2 000 habitants dont la majoriteacute vit dans le village

drsquoAtuona Mecircme srsquoil existe sur lrsquoicircle une preacutesence externe (repreacutesenteacutee par les

gendarmes les agents de santeacute les enseignants et leurs conjoints venus de

meacutetropole) la plupart des reacutesidents revendiquent leur appartenance agrave la

communauteacute autochtone Enata crsquoest-agrave-dire les Marquisiens (Sivadjian 1999a et

1999b Teuruarii 1999) Cette revendication est eacutegalement preacutesente chez les

familles drsquoorigines mixtes les laquo demi raquo129 ayant des ancecirctres originaires de

129 En Polyneacutesie on utilise le terme laquo demi raquo plutocirct que celui de laquo meacutetis raquo Il srsquoagit bien eacutevidemment

drsquoune cateacutegorie ethnique imposeacutee de lrsquoexteacuterieur puisque le plus souvent les individus consideacutereacutes

comme laquo demis raquo ne se perccediloivent pas comme tels mais plutocirct comme laquo polyneacutesiens raquo (ou dans le

cas des habitants de Hiva Oa comme Marquisiens) Selon certains observateurs ecirctre identifieacute comme

laquo demi raquo nrsquoapporterait aucun beacuteneacutefice puisqursquoil exclut la personne concerneacutee des avantages

qursquooffrent selon le cas lrsquoidentiteacute autochtone laquo pure raquo ou lrsquoorigine meacutetropolitaine (Troadec 1992)

182

lrsquoexteacuterieur De fait nombreux sont les icircliens qui possegravedent des noms de famille

drsquoorigine eacutetrangegravere teacutemoignage du meacutetissage qui a eu lieu agrave Hiva Oa entre les natifs

et les eacutetrangers ndash marins beachcombers130 et migrants ndash qui depuis des siegravecles ont

deacutecideacute de srsquoeacutetablir sur lrsquoicircle Crsquoest par exemple le cas des familles OrsquoConnor drsquoorigine

irlandaise Peterano drsquoorigine italienne Shan drsquoorigine chinoise ou Mendiola

drsquoorigine espagnole131

Les ancecirctres des Marquisiens sont venus de lrsquoouest de ces icircles sans que lrsquoon

sache exactement drsquoougrave (Galipaud et al 2014) En effet les icircles Marquises ndash de par

leur position centrale au sein du laquo triangle raquo polyneacutesien ndash ont joueacute laquo un rocircle

charniegravere au cœur des processus de peuplement et drsquointeraction de cette vaste

reacutegion raquo (Molle 2011 19) Cependant on ne connaicirct pas avec exactitude lrsquohistoire

de leur peuplement Selon certains auteurs les premiers occupants ndash originaires des

Cependant lrsquoappartenance agrave la laquo communauteacute demie raquo est censeacutee apporter drsquoautres avantages lieacutes au

statut socioeacuteconomique propre agrave ce groupe souvent vu - agrave tort ou agrave raison - comme plus argenteacute

plus eacuteduqueacute et plus inteacutegreacute aux eacutelites locales

130 Les beachcombers ou laquo batteurs de gregraveve raquo sont des figures classiques du processus de

colonisation europeacuteenne du Pacifique entre le XIXegraveme siegravecle et les premiegraveres anneacutees du XXegraveme Il

srsquoagissait drsquoaventuriers souvent sans scrupules qui cherchaient agrave faire fortune dans les icircles des mers

du Sud geacuteneacuteralement dans le domaine du commerce (McArthur 1966 Maude 1981)

131 La base de donneacutees FamilySearch geacutereacutee par la Genealogical Society of Utah (institution lieacutee agrave

lrsquoEacuteglise de Jeacutesus-Christ des saints des derniers jours) a digitaliseacute les registres de lrsquoEacutetat civil et des

paroisses de lrsquoicircle Elle nous confirme qursquoagrave Hiva Oa des familles avec ces noms eacutetaient deacutejagrave preacutesentes

dans la deuxiegraveme moitieacute du XIXegraveme siegravecle (httpshistfamfamilysearchorg)

183

icircles Samoa et Tonga ndash se sont installeacutes sur lrsquoarchipel entre le Ier et le IIegraveme siegravecle avant

notre egravere (Suggs 1961) Drsquoautres soutiennent lrsquohypothegravese selon laquelle les

premiegraveres occupations remonteraient agrave une eacutepoque plus tardive comprise entre le

IVegraveme et VIIegraveme siegravecle de notre egravere (Sinoto amp Kellum-Ottino 1965 Kellum-Ottino

1971 Bellwood 1983) Les fouilles archeacuteologiques les plus reacutecentes confirment

toutefois que les premiegraveres traces drsquoinstallation humaine dans lrsquoarchipel ne

remontent pas au-delagrave du 1er siegravecle de notre egravere (Molle 2011)132

Jusqursquoagrave lrsquoinstallation au 19egraveme siegravecle des premiers occupants europeacuteens

lrsquoorganisation sociale des icircles avait une base tribale qui assignait le pouvoir aux

hakarsquoiki ndash chefs ou leaders ndash des diffeacuterents laquo ramages raquo133 soit les uniteacutes politiques

qui se reacutepartissaient les valleacutees (karsquoavai134) des icircles en fonction de leurs ressources

eacutecologiques comme la preacutesence drsquoarbres fruitiers par exemple ou drsquoun littoral

132 Cependant certains chercheurs nrsquoexcluent pas lrsquohypothegravese que ces traces ne relegravevent pas de la

peacuteriode de colonisation mais drsquoune phase deacutejagrave avanceacutee culturellement (pour plus de deacutetails voir

Allen amp McAlister 2010)

133 Selon Marshall Sahlins la notion de laquo ramage raquo srsquoapplique agrave laquo un groupe commun de descendance

reacutegi de lrsquointeacuterieur par le principe du droit drsquoaicircnesse raquo (Sahlins 1971 291) Il srsquoagit drsquoun groupe de

descendence cognatique laquo composeacute drsquoindividus associeacutes en fonction des liens geacuteneacutealogiques les

reliant par les hommes ou par les femmes agrave un ancecirctre commun raquo (Barry et al 2000 726) Dans un

sytegraveme de filiation indiffeacuterentieacutee (ni patrilineacuteaire ni matrilineacuteaire) il constitue un lignage qui partage

des caracteacuteristiques propres aux groupes de filiation unilineacuteaire par exemple la transmission des

droits des devoirs des biens ou des titres

134 En langue marquisienne le mot karsquoavai peut signifier valleacutee ou village

184

poissonneux Si cette organisation de lrsquoespace a favoriseacute la creacuteation de reacuteseaux

drsquoeacutechanges et de distribution des ressources entre les divers laquo ramages raquo elle a

surtout servi agrave limiter les conflits entre des communauteacutes geacuteographiquement

proches par le biais drsquoalliances politiques et matrimoniales ayant pour but de

renforcer les liens drsquoentraide et de solidariteacute (Thomas 1990 Pechberty 2012)

Il srsquoagissait drsquoune socieacuteteacute fortement hieacuterarchiseacutee dans chaque valleacutee le

pouvoir politique eacutetait exerceacute par la famille du chef et par son entourage proche

constitueacute de precirctres (les taursquoa et les tuhukarsquoorsquooko) de guerriers et de vassaux Le

critegravere de distribution du pouvoir reposait sur la consanguiniteacute et sur la famille

proche du chef qui constituait la classe tapu sacraliseacutee et doueacutee de certains

pouvoirs surnaturels et qui deacutetenait toutes les fonctions essentielles pour

lrsquoorganisation sociale du karsquoavai Le reste de la communauteacute se composait de la

parenteacute eacutetendue des allieacutes et des prisonniers auxquels eacutetaient assigneacutes les travaux

domestiques (Ferdon 1993) Leur repreacutesentation du temps se basait sur le cycle

saisonnier de lrsquoarbre agrave pain (mei) et sur lrsquoobservation des phases lunaires135

lrsquoespace comme pour drsquoautres peuples austroneacutesiens eacutetait deacutecrit en fonction de la

position de la mer (tai) et de la montagne (uta)136

135 Pour ajuster le deacutecalage entre le cycle lunaire et le cycle solaire le cycle annuel des Pleacuteiades eacutetait

observeacute leur reacuteapparition dans la voucircte ceacuteleste chaque douze mois signait le commencement du

nouvel an (mataiki)

136 Le pegravere Mathias Gracia soulignait que laquo [b]ien qursquoils connaissent comme nous le Nord et le Sud

lrsquoOrient et lrsquoOccident ce ne sont point lagrave pour eux les points cardinaux ils en ont drsquoautres plus

particuliers crsquoest la position de chaque icircle qui la donne le rivage de la megravere et la montagne puis la

185

On connaicirct cette structure sociale et culturelle gracircce aux descriptions de la

socieacuteteacute marquisienne qui ont eacuteteacute reacutealiseacutees entre 1595 ndash date du premier repeacuterage

des icircles par le navigateur espagnol Alvaro de Mendantildea ndash et 1842 quand lrsquoarchipel a

eacuteteacute inteacutegreacute agrave lrsquoEmpire colonial franccedilais qui imposera une acculturation forceacutee et

par-lagrave la transformation de lrsquoorganisation sociale des autochtones En effet comme

le soulignent aussi les travaux drsquoethnohistoire de Dominique Pechberty laquo apregraves

1842 les contacts avec lrsquoOccident srsquointensifient et le paysage politique et culturel est

rapidement modifieacute Les eacutepideacutemies reacuteduisent consideacuterablement la population raquo

(Pechberty 2012 13)137 Victor Seacutegalen en tire drsquoailleurs un triste constat dans ses

droite et la gauche par rapport agrave ces deux points suivant que la personne qui vous parle se tourne

vers lrsquoun ou vers lrsquoautre raquo (Gracia 1843 177) Une eacutetude remarquable sur le systegraveme drsquoorientation

spatiale des Enata a eacuteteacute reacutealiseacutee par Gabriele Cablitz (2006) agrave partir drsquoune analyse approfondie des

formes verbales de la langue marquisienne Bertrand Troadec a observeacute des criteres de

representation de lrsquoespace similaires aussi agrave Tahiti et dans drsquoautres icircles polyneacutesiennes (Troadec

2002 et 2003)

137 Ce constat est aussi partageacute par les observateurs de lrsquoeacutepoque Deacutejagrave en 1883 le capitaine de

vaissaeu Charles Pigeard dans son introduction au journal de bord de Max Radiguet srsquoeacutecriait

laquo [d]epuis 1845 la mort a fait aux icircles Marquises de cruels ravages les coutumes srsquoy sont

sensiblement modifieacutees vienne une nouvelle peacuteriode semblable et le voyageur cherchera peut-ecirctre

en vain sur cette terre la trace des lsquoDerniers Sauvagesrsquo raquo (Radiguet 1883 4) Effectivement si les

rapports des premiers navigateurs entre le XVIIegraveme et le XVIIIegraveme siegravecle estimaient la population agrave

environ 50 000 habitants le recensement de 1842 en comptabilise moins de la moitieacute soit 20 200

personnes (Cook 1777) Le recensement de 1874 comptabilisait 6 011 habitants ndash chiffre qui

baissera agrave 4 279 en 1897 et agrave 3 317 en 1902 En 1921 ils ne restaient plus que 2 094 personnes sur

les six icircles de lrsquoarchipel (Chastel 2001) En 1996 on en deacutenombrait 8 064 et 8 712 en 2002 (Merceron

186

Immeacutemoriaux laquo La variole la syphilis la phtisie lrsquoopium les ont progressivement

eacuteteints Ceux qui restent de teint clair rehausseacute de tatouages purement

ornementaux marchent gaiement et insouciamment vers leur fin de race raquo (Seacutegalen

1907 42)

821 Le projet colonisateur conversion et scolarisation des Marquisiens

Apregraves de bregraveves visites des missionnaires protestants138 qui se sont soldeacutees

par un eacutechec lrsquoEacuteglise catholique srsquoest chargeacutee drsquoeacutevangeacuteliser les Marquises Les

2005) Toutefois les administrateurs de la colonie suivaient une autre hypothegravese pour expliquer

cette crise deacutemographique En 1903 lrsquoInspecteur Geacuteneacuteral des Colonies M Salles eacutecrit dans son

rapport sur la situation aux icircles Marquises qursquo laquo apregraves la tuberculose pulmonaire llsquoalcool et la

nourriture comme causes de mortaliteacute reste le problegraveme de lrsquoinfeacuteconditeacute des femmes raquo puis il ajoute

que laquo [p]armi les usages des Marquisiens il en est un qui est barbare et nuisible entre tous agrave la

production dans la famille avant mecircme drsquoecirctre nubile agrave 10 ou agrave 12 ans la fille est deacutefloreacutee Lrsquointernat

agrave Taiohae et agrave Atuona tel qursquoil a existeacute jusqursquoagrave preacutesent gecircne cette pratique mais si une enfant se

rend accidentellement dans son village ou bien le jour ougrave elle sort de lrsquoeacutecole alors elle subit lrsquoassaut

de tous les macircles de la valleacutee et plus tard elle se targue du nombre drsquohommes auxquels elle a pu

donner satisfaction Apregraves une telle eacutepreuve elle reste geacuteneacuteralement agrave jamais infeacuteconde Les femmes

sont toutes malades dit un rapport meacutedical elles se plaignent toutes de la matrice elles ne peuvent

plus avoir drsquoenfants raquo (citeacute par Chastel 2001 39) Agrave ses yeux cela justifiait le soutien agrave lrsquoœuvre

missionaire pour eacuteviter laquo lrsquoextinction raquo des Marquisiens

138 En 1797 des missionnaires anglais ont essayeacute de srsquoinstaller sur lrsquoicircle de Tahuata suivis entre 1820

et 1825 par des missionaires venus des Eacutetats-Unis En 1826 deux missionaires eacutevangeacutelistes ont

essayeacute drsquoouvrir une mission agrave Ua Pou En 1833 crsquoeacutetait au tour de trois pasteurs anglais agrave Taiohae

187

premiers precirctres catholiques sont arriveacutes en 1838 avec la premiegravere expeacutedition du

capitaine de vaisseau Abel Aubert du Petit-Thouars139 Ce dernier qui avait

conseilleacute au gouvernement lrsquoannexion des icircles afin de les convertir en colonie

peacutenale et qui avait demandeacute lrsquoassistance des missionnaires catholiques pour

faciliter lrsquoœuvre de colonisation obtint lrsquoanneacutee suivante lrsquoautorisation de prendre

possession des Marquises gracircce au soutien politique de Franccedilois Guizot ministre

des Affaires Eacutetrangegraveres de lrsquoeacutepoque (Guizot 1873) En 1842 la deuxiegraveme expeacutedition

eacutetablit deacutefinitivement lrsquoannexion des icircles Marquises agrave la France avec pour objectif

deacuteclareacute de laquo proteacuteger les Kanaks140 raquo drsquoimposer la paix chez les tribus qui peuplaient

les icircles et comme lrsquoaffirmait le Roi Louis-Philippe Ier dans son discours en faveur de

la prise de possession de lrsquoarchipel pour assurer aux navigateurs laquo un appui et un

refuge dont la neacutecessiteacute eacutetait depuis longtemps sentie raquo (Discours prononceacute par le

roi lors de la deuxiegraveme seacuteance royale du 9 janvier 1843 Annales du Parlement

Dans tous les cas ils ont eacuteteacute obligeacutes de repartir agrave cause du refus des autochtones de les accueillir sur

leurs icircles (Lefils 1843 Bartlett 1871 Anderson 1884 OReilly 1961 Laux 2000)

139 Plus connu sous le nom de Dupetit-Thouars

140 Lrsquoethnonyme Kanaks (ou Canaques) ndash deacuteriveacute du terme hawaiumlen kanaka (homme) ndash deacutesigne les

peuples autochtones drsquoorigine meacutelaneacutesienne de Nouvelle-Caleacutedonie Cependant entre le XVIIIegraveme

siegravecle et la premiegravere moitieacute du XXegraveme il eacutetait employeacute pour identifier aussi drsquoautres peuples oceacuteaniens

comme les Marquisiens ou les Pascuans (Eyriaud Des Vergnes 1877) Les Marquisiens eacutetaient aussi

connus sous le nom de laquo Noukahiviens raquo (Lefils 1843 Anonyme 1843 Radiguet 1882)

188

Franccedilais 1844 XXI)141 Bien que le nouveau statut des icircles donnait aux

missionnaires catholiques une couverture juridique ad hoc142 leur mission

progressait tregraves lentement en 1870 seuls les habitants des icircles de Ua Pou et de

Tahuata ndash et de certaines valleacutees de Nuku Hiva et de Hiva Oa ndash avaient accepteacute de se

convertir (Humbert 2003) La population reacutesistait agrave lrsquoeacutevangeacutelisation mais les

missionnaires avaient obtenu lrsquoappui actif des administrateurs coloniaux afin

drsquointerdire les manifestations et les pratiques culturelles et religieuses

traditionnelles143 La creacuteation des premiegraveres eacutecoles aux Marquises srsquoinscrit dans

141 Un extrait de ce discours est eacutegalement citeacute dans une forme leacutegegraverement diffeacuterente dans un texte

anonyme (son auteur affirme ecirctre un capitaine au long cours ayant participeacute agrave lrsquoexpeacutedition de du

Petit-Thouars) sur le climat les ressources naturelles et les mœurs des habitants des icircles Marquises

(Anonyme 1843 2)

142 Le Gouverneur des Marquises le consul Armand Joseph Bruat reacutesidant agrave Tahiti ndash de par ses

fonctions de gouverneur des eacutetablissements de lrsquoOceacuteanie ndash avait chargeacute les missionnaires de

lrsquoadministration de la gestion quotidienne des affaires courantes dans les icircles leur moyennant laquo un

traitement et des frais drsquoinstallation raquo pour rendre hommage agrave leur courage dans lrsquoaccomplissement

de laquo leur peacuterilleux travail sur les indigegravenes anthropophages raquo (Guizot 1873 110) Il faut aussi

ajouter que le premier regraveglement de conduite pour les icircles (connu comme le laquo code Dordillon raquo) a

directement eacuteteacute eacutetabli par lrsquoeacutevecircque des icircles Reneacute-Ildefonse Dordillon qui le fait ensuite approuver

par le Gouverneur des Marquises le 2 mars 1863 (Koenig 1995) Le code preacutecisait les regravegles

matrimoniales le droit de proprieacuteteacute fonciegravere et de lrsquousufruit et prescrivait une liste drsquointerdictions

lieacutees aux coutumes indigegravenes concernant les rituels mortuaires la boisson les chants les parures

corporelles les croyances paiumlennes les transports et le feu

143 Toutefois les missionnaires eux non plus ne montraient guegravere drsquoenthousiasme pour leur travail

sur ces terres laquo paiumlennes raquo En 1844 le pegravere Oreus Frechon eacutecrira agrave ses supeacuterieurs agrave propos des

189

cette dynamique la premiegravere a eacuteteacute inaugureacutee en 1847 par les Sœurs de Saint Joseph

de Cluny144 sur lrsquoicircle de Tahuata Ont ensuite vu le jour les eacutecoles de Nuku Hiva en

1848 et drsquoUa Pou en 1879 (Cerveau 2001) En 1885 crsquoest au tour de Hiva Oa avec

la fondation de lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph de Cluny agrave Atuona qui a commenceacute ses

activiteacutes la mecircme anneacutee avec 60 eacutelegraveves Les effectifs vont croissant lrsquoanneacutee

suivante en 1886 il y avait deacutejagrave 113 eacutelegraveves 124 en 1887 153 en 1888 226 en 1889

et 210 en 1893 (Lamaison-Nogues 1996) En 1888 drsquoautres eacutetablissements

scolaires ont ouvert leurs portes agrave Hiva Oa agrave Puamau ndash dans lrsquoextreacutemiteacute sud-

orientale de lrsquoicircle ndash deux eacutecoles pour garccedilons (une catholique avec 153 eacutelegraveves et une

protestante avec 73 garccedilons) et agrave Atuona une deuxiegraveme eacutecole protestante

accueillant 53 filles de moins de 5 ans (Bailleul 2001) Au cours des anneacutees

suivantes la timide preacutesence des eacutecoles protestantes a favoriseacute la conversion des

familles des parents drsquoeacutelegraveves mais elle ne mettra jamais agrave mal la preacutedominance de

Marquisiens que laquo crsquoest un peuple mort qui reconnaicirct la veacuteriteacute sans lrsquoembrasser raquo (citeacute par Toullelan

1989 98)

144 En 1843 lrsquoamiral Roussin ministre drsquoEacutetat de la Marine et des Colonies a contacteacute la Megravere Anne-

Marie Javouhey fondatrice de la congreacutegation de Saint Joseph de Cluny en lui demandant sa

contribution afin drsquoappuyer lrsquoaction eacutevangeacutelisatrice aux icircles Marquises par lrsquoenvoi drsquoun groupe de

Sœurs missionnaires qui se seraient chargeacutees drsquoassister lrsquoactiviteacute du clergeacute mais surtout la creacuteation

et la gestion des eacutetablissements scolaires La Meacutere Anne-Marie eacutetait tregraves connue agrave lrsquoeacutepoque pour

lrsquoœuvre missionaire qursquoelle avait meneacutee en Guyane

190

la religion catholique sur lrsquoicircle puisque celle-ci restera jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle le

culte majoritaire145

Entre 1904 et 1924 toutes les eacutecoles de la Mission durent fermer en raison

du processus de laiumlcisation et de seacuteparation de lrsquoEacuteglise et de lrsquoEacutetat146 En 1905

lrsquoadministration coloniale reacutequisitionna les terrains de lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph

de Cluny pour y installer la toute premiegravere eacutecole publique des Marquises avec pour

objectif drsquoaccueillir tous les eacutelegraveves en acircge scolaire de lrsquoicircle Le premier instituteur eacutetait

un peintre autodidacte et sans aucune formation peacutedagogique venu srsquoinstaller sur

lrsquoicircle pour suivre les traces de Gauguin (Delmas 1927) Cependant du fait de la

distance qui seacuteparait lrsquoeacutecole des autres villages elle nrsquoeacutetait freacutequenteacutee que par les

enfants du bourg drsquoAtuona et des alentours Agrave partir de 1940 lrsquoassouplissement des

mesures leacutegislatives et regraveglementaires sur lrsquointerdiction de lrsquoenseignement aux

145 Selon Jean-Marc Regnault 95 des Marquisiens sont catholiques (Regnault 1999) Eve Sivadjian

preacutesente le mecircme pourcentage pour les habitants de Nuku Hiva (Sivadjian 1999c) Bien qursquoil nrsquoexiste

pas de statistiques officielles apregraves ma mission sur le terrain cette estimation me semble eacutegalement

valable pour lrsquoicircle de Hiva Oa

146 Par effet de la loi du 7 juillet 1904 (connue comme la laquo loi Combes raquo) interdisant lrsquoenseignement

agrave toute congreacutegation et qui srsquoest traduite dans la Deacutecision du 21 septembre 1904 publieacutee dans le

Journal Officiel des Eacutetablissements Franccedilais de lrsquoOceacuteanie laquo Est ordonneacutee agrave dater du 30 septembre

1904 la fermeture des eacutecoles priveacutees drsquoAtuona dont les maicirctres ne possegravedent pas les titres

neacutecessaires et lrsquoautorisation reacuteglementaire pour enseigner raquo

191

congreacutegations147 leur a permis de rouvrir tout en continuant agrave ecirctre les seules agrave

disposer des espaces du personnel et du mateacuteriel neacutecessaires agrave leur tacircche148 Agrave

lrsquoheure actuelle lrsquoicircle accueille six eacutecoles primaires publiques (agrave Atuona agrave Hanaiapa

agrave Hanapaaoa agrave Nahoe agrave Puamau et agrave Taaoa) une eacutecole priveacutee (lrsquoEacutecole Sainte Anne

qui a succeacutedeacute agrave lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph de Cluny) doteacutee aussi drsquoun collegravege et

drsquoun internat et le Collegravege et Lyceacutee Professionnel drsquoAtuona qui gegravere aussi le Centre

drsquoeacuteducation aux technologies approprieacutees au deacuteveloppement (CETAD) drsquoAtuona

822 Entre localismes et globalismes revendications culturelles et

patrimonialisation du territoire

Aujourdrsquohui bien que les formes drsquoorganisation sociale des Enata aient

disparu en faveur de lrsquoadoption des institutions reacutepublicaines nombreuses sont les

valeurs et les traits culturels ancestraux qui ont surveacutecu agrave la dynamique coloniale et

postcoloniale Contredisant la preacutevision de Victor Seacutegalen qui en 1907

147 Gracircce aux lois du 3 septembre 1940 et du 8 avril 1942 confirmeacutees apregraves la Libeacuteration qui

abrogegraverent la loi Combes et assouplirent certaines dispositions preacutevues par le titre III de la loi du 1er

juillet 1901 relative au contrat drsquoassociation et notamment agrave la reconnaissance leacutegale des

congreacutegations religieuses

148 Dans un rapport de lrsquoinspecteur des colonies datant de 1922 on peut lire qursquo laquo [agrave Hiva Oa]

lrsquoinstruction officielle a fait faillite faute de maicirctres sachant srsquoadapter aux conditions drsquoexistence raquo et

que laquo [l]e recrutement drsquoinstituteurs pour les Marquises est un leurre raquo (citeacute par Bailleul 2001 149)

En drsquoautres termes ni les meacutetropolitains ni les Tahitiens ni mecircme les Marquisiens nrsquoont accepteacute

drsquoaller ou de rester travailler dans les eacutecoles publiques des icircles Marquises

192

pronostiquait leur laquo extinction raquo les Marquisiens ont eacuteteacute capables de survivre agrave la

laquo moderniteacute raquo en adaptant leurs coutumes leurs usages et leurs modes de vie au

contexte environnemental dans lequel ils habitent et agrave la hieacuterarchie politique qui les

administre

Comme lrsquoa souligneacute Michel Bailleul laquo les deux derniegraveres deacutecennies du XXegraveme

siegravecle sont marqueacutees dans lrsquoarchipel par la recherche identitaire [hellip] De nombreux

Marquisiens se lancent avec passion agrave la recherche de leur racines raquo (Bailleul 1999

168) Bien que la colonisation la conversion et la scolarisation forceacutee des habitants

de Hiva Oa ait contribueacute pendant des deacutecennies au processus de laquo deacuteculturation raquo ndash

avec lrsquointerdiction du tatouage149 des danses et des chants traditionnels ou encore

lrsquoexclusion de la langue locale de lrsquoenseignement scolaire150 ndash depuis quelques

149 Le cas du tatouage est particuliegraverement inteacuteressant puisque bien que la presque totaliteacute des

Marquisiens soient aujourdrsquohui - en notre deacutebut de 21egraveme siegravecle - tatoueacutes drsquoun point de vue

strictement juridique cette coutume est encore illeacutegale En effet lrsquoarrecircteacute numeacutero 276 du 15

septembre 1898 signeacute par Monsieur Gallet Gouverneur des Eacutetablissements Franccedilais de lrsquoOceacuteanie

qui confirmait certaines dispositions du laquo code Dordillon raquo dont lrsquointerdiction du tatouage aux icircles

Marquises nrsquoa jamais eacuteteacute abrogeacute La peine preacutevue est une amende de 25 agrave 100 francs pacifiques et

le cas eacutecheacuteant un emprisonnement ne pouvant exceacuteder une dureacutee de 15 jours Ce qui signifie que agrave

lrsquoheure actuelle la grande majoriteacute des habitants des icircles se trouvent en situation irreacuteguliegravere face agrave

la loi Fort heureusement ces dispositions ne sont plus appliqueacutees depuis longtemps

150 Cependant le laquo code Dordillon raquo admettait lrsquoemploi du marquisien comme langue

drsquoeacutevangeacutelisation

193

anneacutees la renaissance identitaire marquisienne passe justement par lrsquoeacutecole et

lrsquoEacuteglise

Lrsquoassociation culturelle Motu Haka consideacutereacutee comme lrsquoexpression la plus

vivante de cette renaissance a eacuteteacute fondeacutee suite au synode dioceacutesain voulu en 1979

par Monseigneur Herveacute-Marie Le Cleacuteacrsquoh eacutevecircque du diocegravese de Taiohae (qui

administre la circonscription apostolique correspondant agrave lrsquoarchipel des Marquises)

et deacutefenseur de lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoEacuteglise locale se devait drsquoecirctre laquo marquisienne raquo

dans lrsquoexpression de sa foi dans ses orientations ainsi que dans ses ministres et ses

animateurs En 1987 Motu Haka soutenue financiegraverement par le clergeacute catholique

a organiseacute le premier Festival des arts des icircles Marquises afin de rendre visible la

richesse du patrimoine culturel local Aujourdrsquohui le festival qui est consideacutereacute

comme une manifestation culturelle majeure en Polyneacutesie se tient tous les quatre

ans dans une icircle diffeacuterente de lrsquoarchipel pour ceacuteleacutebrer non seulement le patrimoine

local mais aussi celui de toute lrsquoaire oceacuteanienne agrave travers des performances de

danses et de chants traditionnels des compeacutetitions sportives des deacutegustations

gastronomiques des ateliers de tatouage drsquoartisanat en bois os ou pierre151 des

productions de tapa (vecirctements faits drsquoeacutecorce de banyan Ficus prolixa) ou de

pirogues Des groupes venant drsquoautres pays du continent y sont reacuteguliegraverement

inviteacutes152

151 Il srsquoagit surtout de reproductions de petite taille des tiki les grandes statues anthropomorphes

repreacutesentant laquo Tiki raquo lrsquoancecirctre semi-divin qui fut selon les leacutegendes locales le premier homme

152 Le dernier festival srsquoest tenu en 2015 agrave Hiva Oa

194

Monseigneur Le Cleacuteacrsquoh probablement de par ses origines (il eacutetait neacute dans le

Finistegravere et selon mes interlocuteurs il eacutetait tregraves fier de ses racines bretonnes)

avait tregraves vite compris lrsquoimportance du patrimoine culturel marquisien en

encourageant ses expressions et en promouvant la langue surtout dans les espaces

religieux153 Pendant mon seacutejour agrave Hiva Oa jrsquoai pu assister agrave plusieurs ceacutereacutemonies

religieuses et toutes se sont deacuterouleacutees en langue marquisienne154 Une fois par

semaine la messe est officieacutee en langue franccedilaise pour un public de Franccedilais

meacutetropolitains ou de Tahitiens ndash les enseignants les gendarmes et le personnel de

santeacute qui travaillent temporairement sur lrsquoicircle ndash mais aussi de navigateurs ou de

touristes eacutetrangers de passage De mecircme lrsquoAcadeacutemie marquisienne Tuhuna rsquoEo

Enata (litteacuteralement laquo les experts de la langue marquisienne raquo) institution

culturelle creacuteeacutee par lrsquoAssembleacutee de la Polyneacutesie franccedilaise155 ndash tout comme

lrsquoAcadeacutemie tahitienne ndash ayant pour mission de sauvegarder et drsquoenrichir la langue

153 Il reacutedigea drsquoailleurs un lexique marquisien-franccedilais (Le Cleach 1997) et soutint un projet de

traduction de la Bible en langue marquisienne

154 La premiegravere messe en langue marquisienne a eacuteteacute ceacuteleacutebreacutee le 15 aoucirct 1988 sous la conduite du

cardinal samoan Pio Taofinuu leacutegat du Pape pour le Jubileacute des 150 ans de la mission catholique des

icircles Marquises

155 Par la deacutelibeacuteration ndeg 2000-19 APF du 27 janvier 2000 laquo portant creacuteation de lrsquoAcadeacutemie

marquisienne raquo

195

marquisienne a toujours joui du soutien de lrsquoeacutevecirccheacute156 et depuis sa creacuteation son

siegravege est accueilli dans les locaux de la Mission catholique de Taiohae Par ailleurs

presque tous les jeunes de lrsquoicircle participent aux activiteacutes dominicales organiseacutees en

langue marquisienne par les paroisses telles que des cours de danse des groupes

de musique des chorales et autres activiteacutes ludiques mais laquo traditionnelles raquo

Dans les eacutecoles aussi la culture locale est deacutesormais tregraves valoriseacutee Bien que

la loi ndeg 51-46 du 11 janvier 1951 relative agrave lrsquoenseignement des langues et des

dialectes locaux (connue comme laquo loi Deixonne raquo) autorisait les maicirctres agrave recourir

aux laquo parlers raquo locaux dans les eacutecoles maternelles et primaires de la Reacutepublique

ainsi qursquoagrave consacrer chaque semaine une heure drsquoactiviteacutes pour enseigner des

notions eacuteleacutementaires de lecture et drsquoeacutecriture dans la langue locale cette loi ne srsquoest

eacutetendue agrave la Polyneacutesie franccedilaise qursquoen 1981157 soit trente ans plus tard et

seulement pour la langue tahitienne Mais au deacutebut des anneacutees 1980 certains

membres de lrsquoassociation Motu Haka qui travaillaient en tant qursquoenseignants dans

les eacutecoles de lrsquoarchipel ont commenceacute agrave inclure des activiteacutes en langue marquisienne

dans leurs programmes Comme me lrsquoa signaleacute un drsquoentre eux laquo il nrsquoy avait pas

autant de controcircles agrave lrsquoeacutepoque pas drsquoinspecteurs ni visites des conseilleurs

156 Des precirctres catholiques sont aussi membres de lrsquoAcadeacutemie tahitienne et lrsquoAcadeacutemie parsquoumotu qui

est chargeacutee drsquoassurer la sauvegarde et lrsquoenrichissement de la langue parsquoumotu parleacutee dans lrsquoarchipel

des Tuamotu

157 Avec le deacutecret 81-553 du 12 mai 1981 relatif agrave lrsquoenseignement des langues et laquo dialectes raquo locaux

196

peacutedagogiques Alors on faisait nos cours en eacuteo enata158 Crsquoeacutetait pratique pour

expliquer certaines notions de matheacutematiques par exemple ou de science Les

gamins apprenaient plus vite raquo Monseigneur Le Cleacuteacrsquoh qui soutenait discregravetement

ces enseignants a alors inviteacute un eacuteminent linguiste luxembourgeois le pegravere Franccedilois

Zewen lequel dirigeait le Centre de Recherche des Eacuteglises du Pacifique agrave Port-Vila

Vanuatu Le pegravere Zewen a seacutejourneacute agrave Taiohae jusqursquoen mars 1987 eacutepoque agrave laquelle

il publia le premier manuel drsquoenseignement de la langue marquisienne ce qui facilita

consideacuterablement le travail de ces enseignants laquo non conformes raquo (Zewen 1987)

Notons que le second manuel de ce type nrsquoest paru qursquoen 2009

Aujourdrsquohui dans toutes les classes des eacutecoles primaires de Hiva Oa les

enseignants reacutealisent reacuteguliegraverement souvent en partenariat avec lrsquoAcadeacutemie

marquisienne des activiteacutes en langue marquisienne et consacrent une partie de leur

programme agrave des projets visant agrave deacutevelopper des compeacutetences sur le territoire et la

culture des icircles Aussi depuis 2002 afin drsquoencourager la reacutedaction en marquisien

lrsquoAcadeacutemie organise un concours drsquoeacutecriture pour les eacutelegraveves des eacutetablissements des

premier et second degreacutes des icircles Marquises et depuis 2005 sont publieacutes les

premiers livres et meacutethodes du maicirctre pour inteacutegrer le marquisien dans les

enseignements Jusqursquoagrave lrsquoanneacutee scolaire 2014-2015159 ndash anneacutee durant laquelle jrsquoai

158 Crsquoest ainsi qursquoest appeleacutee la langue marquisienne Cette graphie suit la prononciation des habitants

des icircles du groupe meacuteridional de lrsquoarchipel (Hiva Oa Tahuata et Fatu Hiva) Dans les icircles du groupe

nord (Nuku Hiva Ua Huka et Ua Pou) on dit laquo eacuteo enana raquo

159 Mais depuis la rentreacutee 2015 les enseignants doivent y consacrer cinq heures hebdomadaires

197

reacutealiseacute mon travail de terrain ndash dans les classes de maternelle deux heures et

quarante minutes hebdomadaires eacutetaient reacuteserveacutees agrave la langue marquisienne En

reacutealiteacute les enseignants que jrsquoai intervieweacutes mrsquoont reacuteveacuteleacute qursquoils faisaient souvent au

moins quatre ou cinq heures hebdomadaires de cours en marquisien ce qui

permettait aux eacutelegraveves de pratiquer leur langue agrave lrsquoeacutecole pregraves drsquoune heure par jour

Cependant comme me lrsquoont signaleacute beaucoup de parents degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme

lrsquoenseignement de la langue nrsquoest plus assureacute dans les mecircmes conditions et seule

une heure par semaine lui est consacreacutee160

Pour beaucoup drsquohabitants de Hiva Oa ndash et pour beaucoup de Marquisiens ndash

lrsquoenjeu politique essentiel du deacutebut du XXIegraveme siegravecle est aussi lrsquoinscription des icircles

dans la liste UNESCO du Patrimoine mondial de lrsquohumaniteacute Depuis 2010 date agrave

laquelle la Deacuteleacutegation Permanente de la France aupregraves de lrsquoUNESCO161 a soumis agrave

lrsquoOrganisation la candidature de lrsquoarchipel ndash justifieacutee par sa laquo valeur universelle

exceptionnelle raquo ndash les Marquisiens attendent litteacuteralement le laquo miracle raquo Selon la

plupart des villageois lrsquoinscription sur la liste de lrsquoUNESCO rapporterait aux

Marquises des investissements du travail et un certain bien-ecirctre mais surtout une

160 Cette attitude on le verra dans les chapitres suivants est pour le moins paradoxale Dans la

majoriteacute des familles que jrsquoai observeacutees pendant mon seacutejour agrave Hiva Oa les parents srsquoadressent aux

enfants en langue franccedilaise et le marquisien est consideacutereacute comme une laquo langue drsquoadultes raquo (pour

utiliser une expression qui mrsquoa eacuteteacute suggeacutereacutee par le linguiste Jacques Vernaudon)

161 Le dossier de candidature a eacuteteacute mis au point par lrsquoassociation Motu Haka (laquelle entretemps a

modifieacute son nom pour devenir la laquo Feacutedeacuteration culturelle et environnementale des Marquises raquo)

lrsquoAcadeacutemie marquisienne et lrsquoInstitut de Recherche pour le Deacuteveloppement (IRD)

198

reconnaissance internationale neacutecessaire pour se laquo deacutebarrasser raquo de ce que certains

de mes informateurs appellent laquo le double colonialisme franco-tahitien raquo

Lucien Kimitete162 lrsquoun des fondateurs de lrsquoassociation Motu Haka reacutesumait

cette ideacutee lors drsquoune de ses derniegraveres interviews avec la presse

laquo Il ne faut jamais oublier que les Marquises sont un butin de

guerre pour la France qui les a par commoditeacute inteacutegreacutees agrave la

Polyneacutesie Si nous avons eacuteteacute coloniseacutes autrefois par la France

aujourdrsquohui le colonisateur crsquoest Tahiti Et ici toute la vie

administrative et politique reflegravete la double tutelle de la meacutetropole

franccedilaise et des autoriteacutes tahitiennes Nous avons tout en deux

exemplaires administrateurs repreacutesentants religieux etc Nous

sommes bien gardeacutes trop bien On nous fait ingurgiter agrave la fois ce qui

vient de France et de Tahiti Nous avons deux cordes au pied et il

faudra bien qursquoil y en ait une qui cegravede raquo (citeacute par du Prel 2002 20)163

162 Ce champion de laquo lrsquoidentiteacute marquisienne raquo qui eacutetait aussi maire de Taiohae trouva la mort le 23

mai 2002 en pleine campagne eacutelectorale quand le bimoteur sur lequel il voyageait avec drsquoautres

leaders laquo autonomistes raquo drsquoopposition (Boris Leacuteontieff Arsen Tuairau et Ferfine Besseyre tous

membres du parti Fetia Api) disparut en vol Le mystegravere de cette catastrophe aeacuterienne reste entier agrave

ce jour Aucun corps nrsquoa jamais eacuteteacute retrouveacute et lrsquoenquecircte sur les circonstances du crash est

officiellement close depuis janvier 2011

163 Une partie du texte de cette mecircme interview est aussi citeacute ndash avec de leacutegegraveres modifications ndash dans

un article de Pierre Carpentier (2014) pour le magazine Tahiti Info

199

Le pegravere Mathias Gracia lrsquoavait deacutejagrave eacutecrit en 1839 en avisant ses supeacuterieurs

que laquo le peuple marquisien est un peuple fier naturellement indeacutependant raquo (Gracia

1839 33) Cependant jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle les Marquises restent sous le double

controcircle de lrsquoEacutetat et du Territoire de la Polyneacutesie franccedilaise Rien de concret ne laisse

preacutesager que cette situation puisse changer dans un futur proche

200

9 Les eacutecosystegravemes eacuteducatifs espaces domestiques reacuteseaux de parenteacute et

vie communautaire

Le premier objectif de cette thegravese est de deacutecrire les microsystegravemes de

socialisation primaire dans les deux contextes drsquoeacutetude choisis En drsquoautres termes il

srsquoagit de repeacuterer les personnes ou les groupes de personnes qui jouent un rocircle

drsquoeacuteducateurs aupregraves des enfants qui ont constitueacute mon laquo univers drsquoeacutetude raquo et de

comprendre leur fonction dans la transmission des connaissances des savoir-faire

et des compeacutetences lieacutes agrave certains domaines fondamentaux comme la production et

la transformation des aliments la construction et lrsquoentretien de la maison la

meacutedecine traditionnelle la preacuteparation et la participation agrave des ceacutereacutemonies ou

rituels communautaires la production drsquooutils neacutecessaires agrave la reacutealisation des

activiteacutes que je viens de mentionner (la laquo culture mateacuterielle raquo proprement dite) les

mythes les leacutegendes et lrsquohistoire locale la reconnaissance du territoire ou encore

les regravegles de vie Pour obtenir ce type drsquoinformations jrsquoai observeacute les enfants choisis

et noteacute toutes les personnes ndash ou groupes de personnes ndash qui avaient des

interactions eacuteducatives avec eux tout en essayant de comprendre quels domaines

du savoir elles prenaient en charge

91 Les microsystegravemes de socialisation agrave Antecume pata

Le village drsquoAntecume pata est assez petit (en 2012 il ne comptait que 312

habitants tous lieacutes entre eux par un lien de parenteacute) et agrave lrsquoexception de lrsquoeacutecole on

201

ne trouve quasiment aucun organisme ou institution social ou culturel En effet la

seule association du village lrsquoAssociation Yepeacute a eacuteteacute fondeacutee afin de faciliter la mise

en place de projets et les demandes de subvention ou drsquoaide financiegravere aupregraves des

administrations publiques En revanche elle ne reacutealise pas drsquoactiviteacutes drsquoanimation

pour les enfants du village elle nrsquoa donc pas de fonction laquo drsquoeacuteducateur raquo et ne se

charge pas directement de la transmission des savoirs Il en va de mecircme pour les

groupes religieux bien que la majoriteacute des adultes du village se deacuteclarent de foi

catholique baptiste ou eacutevangeacutelique164 les enfants ne participent geacuteneacuteralement pas

aux activiteacutes religieuses Autrement dit en dehors de lrsquoeacutecole toutes les interactions

sociales des enfants du village se reacutealisent avec des membres plus ou moins proches

de leur reacuteseau de parenteacute

164 Agrave mon arriveacutee agrave Antecume pata en janvier 2011 seuls deux villageois se deacuteclaraient croyants et

plus exactement catholiques Depuis la laquo vague de suicides raquo qui a seacutevi dans le Haut Maroni entre

2011 et 2013 le village a eacuteteacute visiteacute par plusieurs missionnaires catholiques baptistes et eacutevangeacuteliques

qui se sont litteacuteralement livreacutes agrave une laquo guerre des conversions raquo afin drsquoattirer le plus grand nombre

drsquoadeptes possible Agrave lrsquoheure actuelle la moitieacute des familles de lrsquoicircle deacuteclare appartenir agrave la religion

catholique Les autres sont pour moitieacute baptistes (dirigeacutes par des pasteurs ameacutericains baseacutes au

Suriname et lieacutes agrave lrsquoOrganisation des baptistes unis du Suriname Organization of Baptists United of

Suriname) pour moitieacute eacutevangeacuteliques (avec des pasteurs breacutesiliens baseacutes agrave Maripasoula) Toutefois

il convient drsquoajouter que rares sont les personnes qui ont adopteacute les habitudes et les modes de vie

propres agrave leur nouvelle religion et que dans la grande majoriteacute des cas la participation aux cultes du

samedi ou du dimanche est la seule manifestation visible de la foi deacuteclareacutee

202

911 La laquo maisonneacutee raquo ameacuterindienne

La famille wayana-apalaiuml comprend plusieurs microsystegravemes Les Wayana-

Apalaiuml ndash tout comme les autres groupes ameacuterindiens de Guyane ndash ont en effet une

conception eacutetendue de la famille qui srsquoeacutelargit agrave la fratrie des parents ndash biologiques

ou adoptifs ndash de lrsquoenfant Selon leur systegraveme de classification toutes les sœurs de la

megravere biologique sont consideacutereacutees comme des laquo megraveres raquo (appeleacutees mama ou mamak)

et tous les fregraveres du pegravere sont consideacutereacutes comme des laquo pegraveres raquo (papa ou papak)

leurs enfants eacutetant tous sœurs et fregraveres Agrave lrsquoinverse les fregraveres de la megravere et les sœurs

du pegravere (soit la fratrie de sexe opposeacute des parents biologiques) sont consideacutereacutes

comme des beaux-parents leur descendance constitue donc des eacutepoux potentiels

pour lrsquoenfant Les femmes de la mecircme ligne de rang (n) se considegraverent entre elles

comme des laquo sœurs raquo et considegraverent les femmes de la ligne n-1 (dans le sens

ascendant) comme des laquo megraveres raquo celles de la ligne n-2 comme des laquo grands-megraveres raquo

et celles de la ligne n+1 (dans le sens descendant) comme des laquo filles raquo Les hommes

qui appartiennent agrave la mecircme ligne uteacuterine considegraverent toutes les femmes de la

mecircme ligne de rang (n) comme des sœurs et toutes les femmes de la ligne n-1

comme des megraveres Les fils des oncles maternels et des sœurs de leurs pegraveres sont

consideacutereacutes comme des eacutepoux potentiels (i-mnerum) pour les filles De la mecircme

faccedilon les filles des oncles maternels et des sœurs de leurs pegraveres sont consideacutereacutees

comme des eacutepouses potentielles (i-puit) pour les garccedilons Geacuteneacuteralement les cousins

et cousines croiseacutes srsquoappellent entre eux laquo eacutepoux raquo et laquo eacutepouses raquo sans forceacutement se

marier de telle sorte qursquoune femme appellera ses propres enfants i-mumu (mon

enfant) mais aussi les enfants de ses sœurs classificatoires et des hommes qursquoelle

203

appelle i-mnerum165 Ces regravegles donnent lieu agrave un systegraveme terminologique coheacuterent

ndash dit de laquo type iroquois raquo166 en anthropologie de la parenteacute ndash qui marque la coheacutesion

du systegraveme familial au travers de deacutefinitions preacutecises pour la geacuteneacutealogie horizontale

(fregraveres sœurs eacutepoux eacutepouses beaux-fregraveres et belles-sœurs) et verticale (megraveres

pegraveres belles-megraveres beaux-pegraveres grands-megraveres grands-pegraveres fils neveux et

niegraveces) Ce systegraveme de filiation fictive tient du fait que pour une fille tous les

hommes de sa geacuteneacuteration soient consideacutereacutes soit comme des fregraveres soit comme des

eacutepoux (Hurault 1968)

Lrsquoisolat endogamique ndash crsquoest-agrave-dire lrsquoaire geacuteographique dans laquelle se

concluent les alliances matrimoniales ndash coiumlncide en theacuteorie avec lrsquoaire de

distribution des Wayana-Apalaiuml en Guyane au Breacutesil et au Suriname En reacutealiteacute cette

aire est circonscrite au laquo pays ameacuterindien raquo guyanais du fait des difficulteacutes des

deacuteplacements transfrontaliers (qui neacutecessitent un passeport et un visa pour voyager

165 Observons que mecircme en preacutesence drsquoun systegraveme de filiation fictive les Wayana-Apalaiuml rejegravetent la

notion drsquoallomaternaliteacute

166 Selon Georges Murdock (1949) ndash qui rejetait la distinction proposeacutee par Lewis Morgan (1871)

entre systegravemes de parenteacute descriptifs et systegravemes classificatoires ndash le systegraveme iroquois baseacute sur le

principe eacutetabli par Robert Lowie (1915 1928) du bifurcate merging (expression que nous pouvons

traduire par laquo bifurcation et assimilation raquo) assigne le mecircme terme de classification du pegravere aux

oncles paternels et celui de la megravere aux tantes maternelles Les cousins parallegraveles sont alors assimileacutes

agrave la fratrie et les cousins croiseacutes ndash les cousins germains de sexe diffeacuterent ndash sont consideacutereacutes comme

des membres laquo eacuteloigneacutes raquo de la famille ce qui en fait comme chez les Wayana-Apalaiuml des eacutepoux ou

eacutepouses potentiels (Voir aussi Murdock et al 1960)

204

drsquoun pays agrave lrsquoautre) or agrave lrsquoheure actuelle aucun des trois pays nrsquoa voulu eacuteliminer

ces barriegraveres La reacutesidence est geacuteneacuteralement uxorilocale crsquoest-agrave-dire que les

nouveaux conjoints srsquoinstallent dans la maison des parents de lrsquoeacutepouse leurs

enfants partagent le mecircme espace domestique que celui des grands-parents

maternels et des familles de leurs tantes maternelles Cependant la situation

deacutemographique actuelle ndash caracteacuteriseacutee par une croissance geacuteomeacutetrique de la

population dans les villages ameacuterindiens ndash fait que les couples ne srsquoeacutetablissent chez

les parents de lrsquoeacutepouse que si ceux-ci ont la possibiliteacute de les accueillir agrave savoir une

maison suffisamment spacieuse et eacutequipeacutee pour recevoir le nouveau couple et sa

descendance Par ailleurs il existe de nombreuses exceptions certaines familles

preacutefeacuterant srsquoinstaller chez les parents de lrsquoeacutepoux qui ont des revenus plus

importants et drsquoautres preacutefeacuterant srsquoinstaller loin de leurs familles drsquoorigine pour

eacuteviter les conflits lieacutes au partage drsquoun mecircme espace domestique

Dans le processus de formation en place au sein des foyers wayana-apalaiuml

chaque membre de la famille a un rocircle tregraves preacutecis et des responsabiliteacutes concregravetes

vis-agrave-vis des enfants Toute la journeacutee la megravere wayana ou apalaiuml porte lrsquoenfant de

sa naissance agrave la deuxiegraveme anneacutee dans ses bras agrave lrsquoaide drsquoune bandouliegravere (un

hamac miniature tisseacute en coton que les femmes portent sur une eacutepaule) beaucoup

de megraveres continuent agrave porter leur enfant en bandouliegravere jusqursquoagrave ses trois ans

Lrsquoallaitement dure trois ans en moyenne mais certains enfants continuent de teacuteter

205

jusqursquoagrave quatre ans167 Crsquoest la megravere qui se charge de la formation au langage qui

enseigne aux enfants agrave parler et agrave distinguer les mots lieacutes agrave la vie quotidienne du

foyer En effet chez les Ameacuterindiens du Haut Maroni

laquo les beacutebeacutes ne sont jamais laisseacutes seuls [hellip] On cherchera

toujours agrave donner du sens aux babillages drsquoun beacutebeacute qursquoil ne faut pas

laisser sans reacuteponse On deacutecrypte ainsi la future personnaliteacute de

lrsquoenfant agrave travers une calme attention de son comportement ces

observations presque eacutethologiques peuvent deacuteterminer le nom que

recevra lrsquoenfant lorsqursquoil saura marcher [hellip] Les pleurs eacutetant

consideacutereacutes comme une grave menace pour la construction de la

personnaliteacute de lrsquoenfant on fait en sorte de les eacuteviter et les femmes

peu doueacutees pour ce genre de conciliation passent pour de piegravetres

megraveres raquo (Hurault et al 1998 140)

Lorsque lrsquoenfant rentre dans sa troisiegraveme anneacutee le rocircle de la megravere est

drsquoenseigner aux petites filles les tacircches meacutenagegraveres les outils et les temps de cuisson

des aliments lrsquoemplacement et lrsquoespace de lrsquoabattis lrsquoart de la filature et du tissage

du coton pour la confection des bandouliegraveres et des hamacs mais surtout les

compeacutetences sociales basiques que de maniegravere syntheacutetique on pourrait reacutesumer au

167 Dans ce cas il srsquoagit drsquoune pratique qui nrsquoa pas de fonction nutritionnelle et qui srsquoapparente plutocirct

agrave la laquo teacuteteacutee cacirclin raquo dont la fonction est de rassurer lrsquoenfant ou de le calmer pour eacuteviter qursquoil pleure

206

respect des autres et au fait drsquoecirctre toujours disposeacutees agrave accueillir convenablement

les eacuteventuels hocirctes de la maison Aux garccedilons elle enseigne une seacuterie de

compeacutetences lieacutees agrave lrsquoautonomie et qui consistent comme le reacutesume une villageoise

drsquoAntecume Pata agrave savoir faire attention agrave soi-mecircme Il srsquoagit des apprentissages lieacutes

aux dangers de la maison du village et de lrsquoabattis laquo le feu qui brucircle la chenille qui

pique le fleuve ougrave lrsquoon peut se noyer raquo

Les fonctions eacuteducatives du pegravere sont strictement lieacutees aux espaces propres

agrave lrsquohomme ameacuterindien le fleuve et la forecirct Crsquoest lui qui srsquooccupe drsquoenseigner agrave ses

filles toute une seacuterie de notions sur lrsquoeacutecosystegraveme dans lequel elles vivent ce qui leur

permettra une fois adultes de reconnaicirctre les diffeacuterents bruits de la forecirct les

diffeacuterentes espegraveces de gibier et la maniegravere de les preacuteparer avant de les cuisiner Le

pegravere qui ramegravene de bonnes proies agrave la maison est pour ses filles un modegravele du bon

chasseur qui nourrit toute sa famille ndash modegravele qui les guidera dans le choix de leur

eacutepoux Aux garccedilons le pegravere enseigne les arts de la forecirct et du fleuve pour faire drsquoeux

de laquo bons pegraveres de famille raquo la chasse (avec lrsquoarc et la flegraveche pour les plus petits et

avec le fusil pour les adolescents) la pecircche (avec ses diffeacuterentes techniques comme

le tir agrave lrsquoarc la nivreacutee soit lrsquoempoisonnement temporaire de lrsquoeau de la riviegravere par le

jus de lianes agrave roteacutenone du genre Lonchocarpus spp la ligne et lrsquohameccedilon le filet ou

encore les trappes crsquoest-agrave-dire des piegraveges en forme de nasses pour les grands

preacutedateurs comme lrsquoaiumlmara) le tissage de vanneries en fibre drsquoarouman

(Ischosiphon arouma) et la construction drsquooutils pour les travaux agricoles le brucirclis

de lrsquoabattis la construction la conduite drsquoune pirogue (agrave la pagaie pour les plus petits

et agrave lrsquoaide du moteur hors-bord pour les plus grands) et lrsquoassemblage drsquoun carbet

207

Cet apprentissage est lent et progressif lrsquoenfant accomplissant ses tacircches agrave son

rythme Il faut souligner que ce scheacutema drsquoapprentissage parental fonctionne jusqursquoagrave

lrsquoadolescence acircge agrave partir duquel les jeunes commencent un chemin de formation

laquo horizontal raquo dans lequel le rocircle des parents diminue pour laisser place agrave drsquoautres

eacuteducateurs tels que les amis et les membres de la famille de la mecircme geacuteneacuteration

Il existe aussi un cas particulier celui des enfants laquo offerts raquo agrave leurs grands-

parents Il srsquoagit lagrave drsquoune tradition dans laquelle les grands-parents peuvent adopter

leur neveu ou leur niegravece agrave condition qursquoil ait eacuteteacute sevreacute et que les parents partagent

la mecircme maison que celle des grands-parents Pour recevoir cette offrande ces

derniers doivent reacutepondre aux seules conditions suivantes avoir de lrsquoespace du

temps et les ressources suffisantes pour nourrir lrsquoenfant accueilli Cette tradition

nrsquoimplique en rien que lrsquoenfant soit eacuteloigneacute de ses parents puisque dans la majoriteacute

des cas le carbet de la famille naturelle correspond agrave celui de la famille adoptive ou

se trouve tregraves proche La megravere et le pegravere continueront donc agrave lrsquoeacuteduquer selon les

critegraveres mentionneacutes ci-dessus mais deacutelegravegueront aux grands-parents toutes les

responsabiliteacutes laquo logistiques raquo lieacutees agrave lrsquoalimentation et au logement de lrsquoenfant

De maniegravere plus geacuteneacuterale on peut dire que les grands-parents srsquooccupent de

la formation des enfants dans les domaines de lrsquohygiegravene et de la santeacute gracircce agrave leur

connaissance des remegravedes traditionnels mais ils constituent aussi la cleacute de la

transmission du patrimoine mythologique et de lrsquohistoire orale (Chapuis amp Riviegravere

2003) Crsquoest effectivement sur la base de ce patrimoine transmis oralement que les

grands-parents participent au deacuteveloppement de la capaciteacute drsquoeacutecoute et drsquoattention

des enfants de leur meacutemoire auditive du langage (avec la construction du

208

vocabulaire et la compreacutehension de la syntaxe de la deacutetermination des relations

logiques (de cause agrave effet) de la capaciteacute de construction drsquohypothegraveses et des

raisonnements pour la reacutesolution des problegravemes quotidiens Selon mes

observations les mythes les leacutegendes et lrsquohistoire orale ne sont pas transmis dans

le cadre de moments formels et les grands-parents les racontent quand lrsquooccasion se

preacutesente ou quand cela leur semble opportun pendant qursquoils se reposent dans le

hamac pendant qursquoils cuisinent quand ils pecircchent en pirogue ou encore quand ils

se reacutechauffent autour du feu La morale du reacutecit nrsquoest jamais expliciteacutee et on laisse agrave

lrsquoenfant le soin drsquoen tirer des enseignements

Les autres membres de la famille ont eacutegalement des responsabiliteacutes tregraves

concregravetes agrave lrsquoeacutegard des enfants Les fregraveres et sœurs aineacutes par exemple srsquooccupent

drsquoaider les plus petits du mecircme sexe dans leur deacutecouverte du monde en incarnant

un modegravele plus proche drsquoeux et par-lagrave plus facile agrave suivre que celui des adultes mais

aussi moins exigeant que ces derniers en cas drsquoeacutechec Agrave lrsquoacircge de 5 ans une fille est

consideacutereacutee comme suffisamment responsable pour porter un beacutebeacute dans ses bras agrave

partir de 8 ans elle pourra eacutegalement srsquooccuper de lrsquoalimentation de lrsquoenfant et de

son hygiegravene Quand les filles acircgeacutees de 5 agrave 14 ans forment des laquo bandes raquo (des groupes

de pairs composeacutes principalement de cousines) elles amegravenent avec elles leurs

fregraveres ou sœurs en bas acircge qui sont pris en charge par les autres filles de la bande

lesquelles srsquooccupent de les faire jouer de les habiller de les nettoyer et mecircme de

les endormir Les garccedilons forment aussi des bandes mais les adultes ne leur confient

jamais les enfants en bas acircge pour les garccedilons plus que pour les filles la bande est

synonyme drsquoautonomie et de fin de lrsquoenfance laquo le modegravele des grands prenant le pas

209

sur celui du pegravere dont lrsquoinfluence se fait plus discregravete Crsquoest lrsquoacircge aussi des risques

lrsquoacircge ougrave ils commencent agrave chasser en petits groupes ou mecircme seuls et ougrave il leur

arrive de se perdre un voire deux longs jours en forecirct raquo (Hurault et al 1998 144)

Les bandes constituent un espace privileacutegieacute entre pairs ndash plus exactement entre

cousins drsquoune mecircme geacuteneacuteration ndash dans lequel les membres eacutechangent des

interrogations sur les mystegraveres de la forecirct (des pheacutenomegravenes inexplicables ou des

contes qui font peur) des savoirs sur la sexualiteacute et des informations sur la vie du

village (des commeacuterages sur les histoires drsquoamour ou drsquoadultegravere)

Les oncles et tantes traitent leur filiation fictive - les cousins croiseacutes de leurs

enfants - exactement comme leurs enfants biologiques avec le mecircme amour la

mecircme rigueur et la mecircme discipline Cependant la majoriteacute des enfants ont une

relation privileacutegieacutee avec les tantes maternelles et leur mari avec lesquels ils

partagent geacuteneacuteralement la mecircme maison

912 Le village et lrsquoeacutecole

Les autres membres de la communauteacute interagissent aussi dans lrsquoeacuteducation

des enfants mecircme quand ces derniers nrsquoappartiennent pas agrave leur laquo maisonneacutee raquo

crsquoest-agrave-dire agrave leur noyau domestique Parmi eux le shaman (piumljai) joue un rocircle qursquoil

convient de souligner ici autrefois il aidait agrave la preacuteparation du marake rituel qui

est de moins en moins pratiqueacute dans la socieacuteteacute wayana-apalaiuml laquo moderne raquo Le

marake est un rituel fondamental il srsquoagit drsquoune ceacuteleacutebration eacutetaleacutee sur plusieurs

mois qui amegravene les initieacutes ou tepiem agrave rentrer dans une nouvelle phase de leur vie

La ceacutereacutemonie se deacuteveloppe autour drsquoune seacuterie drsquoeacutepreuves de force et de courage de

210

chants (les kalau) et de danses traditionnelles pour se conclure par lrsquoapplication

sur le corps des tepiem drsquoune vannerie (le kunana)168 qui renferme dans ses mailles

un tregraves grand nombre de fourmis ou de guecircpes qui vont piquer les initieacutes et leur

donner la force de renaicirctre en tant que veacuteritables hommes ou femmes Le marake

nrsquoest pas tout agrave fait un rituel de passage puisque traditionnellement chaque

Wayana-Apalaiuml a sept occasions de passer cette eacutepreuve avant de mourir Il srsquoagit

plutocirct drsquoune ceacutereacutemonie de laquo redeacutemarrage raquo agrave laquelle on participe pour souligner

lrsquoentreacutee dans lrsquoacircge adulte mais aussi pour les adultes lrsquoentreacutee dans un nouveau

stade de leur existence Le shaman au-delagrave de ses fonctions concregravetes (dans les

domaines de la meacutedecine et de la theacuterapie sociale avec la fonction de laquo maicirctre des

esprits raquo) jouit drsquoun grand respect de la part des villageois qui le considegraverent comme

la personne la plus sage la plus discregravete et la plus cultiveacutee crsquoest lui qui assure le

bonheur au sein du village qui reacutetablit lrsquoentente qui garantit lrsquoeacutequilibre entre les

hommes et la nature (par exemple suite au non-respect drsquoun interdit) mais aussi

entre les hommes les esprits et les acircmes des deacutefunts Pour les enfants du village le

shaman demeure un point de repegravere et un modegravele drsquoheacuteroiumlsme spirituel mecircme si au

cours des derniegraveres anneacutees son rocircle a perdu de son importance et les familles le

consultent de moins en moins169

168 Les kunana sont de forme carreacutee pour les filles (waluhma kunanan) et de forme zoomorphe pour

les garccedilons (imjata kunanan)

169 En principe son rocircle est consideacutereacute comme compleacutementaire de celui des infirmiers qui travaillent

au dispensaire du village Il srsquooccupe surtout des laquo maux raquo qui nrsquoont pas de place dans la meacutedecine

occidentale mais aussi des symptocircmes non conventionnels qui accompagnent des eacutetats

211

Le dernier microsystegraveme est lrsquoeacutecole du village Il srsquoagit drsquoun systegraveme eacuteducatif

laquo peacuteripheacuterique raquo (figure 15) puisqursquoil ne fait partie ni de lrsquoespace domestique ni du

reacuteseau de parenteacute qui lie tous les membres du village entre eux Les enfants y

passent toutefois entre trois heures par jour (pour les eacutelegraveves de lrsquoeacutecole maternelle)

et cinq heures (pour les eacutelegraveves de lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire) du lundi au vendredi170 En

son sein les enseignant transmettent la laquo culture franccedilaise raquo mais gracircce agrave la

pathologiques et que les infirmiers ne sont pas capables de prendre en charge tels que les uwamela

(maladies) causeacutees par les jolok (eacuteleacutements surnaturels animeacutes mauvais esprits) ou celles qui

neacutecessitent un iumlhemiumltiumln (remegravede agrave base drsquoherbes de genre Caladium spp consideacutereacutees comme

magiques) Cependant le seul shaman du village drsquoAntecume pata Panapasi Panapasi est deacutesormais

tregraves acircgeacute (il est neacute dans les anneacutees 1920) immobiliseacute dans son hamac et avec une tregraves faible capaciteacute

drsquoaction

170 Au vu de son isolement geacuteographique lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata ndash comme toutes les autres eacutecoles

de la commune de Maripasoula ndash ne respecte pas les nouveaux rythmes scolaires preacutevus par le Deacutecret

ndeg 2013-77 du 24 janvier 2013 sur lrsquoorganisation du temps scolaire dans les eacutecoles maternelles et

eacuteleacutementaires Cette reacuteforme preacutevoit la mise en place drsquoune semaine scolaire de 24 heures

drsquoenseignement reacuteparties sur 9 demi-journeacutees afin drsquoalleacuteger la journeacutee scolaire Les heures

drsquoenseignement sont organiseacutees les lundis mardis jeudis et vendredis ainsi que le mercredi matin

agrave raison drsquoun maximum de cinq heures et demi par jour et de trois heures et demi par demi-journeacutee

Les parents drsquoeacutelegraveves des eacutecoles drsquoAntecume pata de Taluwen et de Pidima ont demandeacute ndash et obtenu

ndash une deacuterogation du fait que cette organisation du temps scolaire entre en conflit avec lrsquoorganisation

de la vie quotidienne et les rythmes domestiques des Ameacuterindiens Cependant cette deacuterogation agrave la

norme octroyeacutee aux eacutecoles du laquo pays ameacuterindien raquo devrait prendre fin agrave la rentreacutee 2016

212

preacutesence de plusieurs villageois dans lrsquoeacutequipe peacutedagogique171 nombreuses sont les

activiteacutes qui se deacuteveloppent autour de la laquo culture ameacuterindienne raquo il srsquoagit en

geacuteneacuteral drsquoactiviteacutes lieacutees agrave la langue maternelle agrave lrsquohistoire orale et agrave lrsquoeacutecologie

amazonienne

Figure 15 La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants wayana-apalaiuml

171 En 2015 on comptait trois enseignants drsquoorigine meacutetropolitaine (deux titulaires et une

contractuelle) un enseignant ameacuterindien (titulaire) une auxiliaire de vie scolaire wayana pour lrsquoaide

individuelle (AVS-I) une intervenante wayana en langue maternelle (ILM) et un agent territorial

apalaiuml speacutecialiseacute dans les eacutecoles maternelles (ATSEM)

213

Lrsquoenfant ameacuterindien vit dans un univers social composeacute drsquoun grand nombre

de microsystegravemes au moins quatre drsquoentre eux (les parents les grands-parents

maternels les tantes et oncles maternels la fratrie et les cousins parallegraveles)

partagent le mecircme espace domestique cinq autres (les grands-parents paternels

les tantes et oncles paternels les cousins croiseacutes les pairs et le shaman) se trouvent

hors de cet espace mais restent agrave lrsquointeacuterieur du reacuteseau de parenteacute Lrsquoeacutecole quant agrave

elle se situe agrave lrsquoexteacuterieur de lrsquoespace domestique et du reacuteseau de parenteacute (malgreacute le

fait que comme on lrsquoa deacutejagrave mentionneacute certains intervenants soient originaires du

village) Bien que les parents se considegraverent comme les principaux eacuteducateurs

lrsquoeacutecole est hautement estimeacutee par les adultes qui lui attribuent le laquo pouvoir raquo de

permettre lrsquoascension sociale des enfants du village ndash point de vue qui est

geacuteneacuteralement partageacute par les oncles et les tantes de la mecircme geacuteneacuteration que les

parents Les grands parents ont une position diffeacuterente et bien qursquoils acceptent

lrsquoobligation scolaire de leur petits-enfants ils la vivent comme une laquo bizarrerie des

Blancs raquo qui eacuteloigne les enfants des laquo vrais raquo apprentissages ndash ceux qui sont lieacutes agrave

lrsquoenvironnement amazonien ndash et qui ne donne pas de reacutesultats visibles172 Or bien

qursquoune partie des adultes du village ait eacuteteacute scolariseacutee rares sont ceux qui ont

172 Pendant les entretiens que jrsquoai meneacutes avec les personnes les plus acircgeacutees du village jrsquoai

freacutequemment entendu lrsquoexpression laquo palasisime teumlwenka teumlweumltiumlhem raquo qursquoon pourrait litteacuteralement

traduire par laquo elle [lrsquoeacutecole] sert agrave devenir ignorant comme les Franccedilais raquo

214

vraiment pu profiter des avantages laquo pratiques raquo de cette scolarisation comme une

meilleure position sociale un salaire et des biens Pour preuve sur les cent

cinquante personnes qui constituent la population active ndash soit en acircge de travailler

ndash du village seules vingt drsquoentre elles ont pu obtenir un poste gracircce agrave leurs diplocircmes

(en tant que gendarmes soldats fonctionnaires du Rectorat de la Guyane du Parc

Amazonien de Guyane ou de la commune de Maripasoula ou en tant que assistants

dans le cadre des projets porteacutes par les associations les entreprises priveacutees ou les

organismes publiques) Toutefois bien qursquoils disposent de revenus fixes et de

certains beacuteneacutefices eacuteconomiques ces salarieacutes ne constituent pas le groupe de

laquo notables raquo du village qui est composeacute par les trois piroguiers qui srsquooccupent du

transport fluvial entre Antecume pata et Maripasoula et de la dizaine drsquoouvriers qui

offrent leurs services dans les terrains et les barrages drsquoorpaillage illeacutegal qui existent

dans tout le laquo pays ameacuterindien raquo Ce sont lagrave les veacuteritables self-made men du village

car bien qursquoaucun drsquoentre eux ne soit alleacute au-delagrave du CP agrave la diffeacuterence des

fonctionnaires publics ils disposent tous drsquoune maison en ciment de revenus eacuteleveacutes

et de la possibiliteacute de faire reacuteguliegraverement des dons aux autres familles du village ce

qui contribue eacutevidemment agrave confirmer leur statut social et la consideacuteration dont ils

jouissent

De fait le meacutesosystegraveme de socialisation wayana-apalaiuml qui correspond au

reacuteseau qui lie les microsystegravemes domestiques et de parenteacute agrave lrsquoeacutecole est tributaire

des incoheacuterences de lrsquoexosystegraveme local dans lequel les normes nationales entrent

constamment en conflit avec le systegraveme eacuteconomique et social guyanais un systegraveme

qui reste peacuteripheacuterique et agrave lrsquointeacuterieur duquel lrsquoEacutetat est encore loin de pouvoir

215

garantir agrave ses citoyens ndash comme les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo ndash le respect de

leurs droits Qui plus est cet exosystegraveme est emboicircteacute dans le macrosystegraveme global

structureacute autour des reacuteseaux eacuteconomiques planeacutetaires et des laquo exigences raquo de la

communauteacute internationale qui est geacuteneacuteralement guideacutee par une ideacuteologie

neacuteolibeacuterale reacutefractaire aux probleacutematiques locales puisque son objectif principal

est de faciliter le deacuteveloppement eacuteconomique des territoires et leur inteacutegration aux

marcheacutes globaux Il ne faut pas perdre de vue que au niveau microsystegravemique la

Guyane est un territoire strateacutegique ndash de par sa position geacuteographique ses

ressources naturelles et le marcheacute inteacuterieur dont elle dispose ndash et que les

revendications ameacuterindiennes peuvent bien eacutevidemment mettre en danger son

rocircle eacuteconomique ainsi que son image

Ce conflit inheacuterent aux structures systeacutemiques supeacuterieures (meacuteso exo et

macro) a tregraves probablement un impact sur la construction de la personnaliteacute et du

monde de lrsquoenfant ameacuterindien En effet crsquoest certainement lrsquoune des causes de la

frustration et de lrsquoennui qui selon certains villageois sont agrave lrsquoorigine de la laquo vague

de suicides raquo qui a fait tant de victimes chez les Wayana-Apalaiuml Ce conflit a aussi

tregraves probablement contribueacute agrave laquo transfigurer raquo le comportement de certains

Ameacuterindiens qui ont preacutefeacutereacute abandonner lrsquoeacutecosophie173 ancestrale pour srsquoassocier

aux activiteacutes des orpailleurs et des deacuteforesteurs illeacutegaux Pour autant ses effets ne

173 Crsquoest-agrave-dire une vision du monde dans laquelle lrsquoeacutequilibre avec la Nature revecircte un caractegravere

fondamental Pour une description plus approfondie du concept drsquoeacutecosophie et une discussion sur

ses implications dans les cultures ameacuterindiennes je renvoie le lecteur agrave mes preacuteceacutedents travaux sur

ce thegraveme (Aligrave 2007 2010 et 2012)

216

sont peut-ecirctre pas si importants qursquoil nrsquoy paraicirct puisque la position laquo peacuteripheacuterique raquo

des Ameacuterindiens dans lrsquoeacutechiquier social de la nation les met en quelque sorte agrave lrsquoabri

de certaines dynamiques globales Malheureusement ces questions (qui relegravevent

plutocirct de la psychologie sociale) resteront ici sans reacuteponses mais je lrsquoespegravere

donneront lieu agrave des analyses visant agrave mettre en lumiegravere les impacts de ce conflit

92 Les microsystegravemes de socialisation agrave Hiva Oa

Les Marquisiens considegraverent appartenir agrave une seule et mecircme famille (huarsquoa)

Selon Edwin Ferdon (1993) jusqursquoagrave la premiegravere moitieacute du XIXegraveme siegravecle la maison

familiale (harsquoe hiamoe litteacuteralement laquo la maison pour dormir raquo) accueillait le couple

qui en constituait le noyau ses enfants et dans le cas des familles de haut rang les

pekio Ces derniers eacutetaient des travailleurs domestiques qui jouaient les rocircles

drsquoamants et de serviteurs de lrsquoeacutepouse qursquoils accompagnaient quand le mari ne se

trouvait pas dans la harsquoe hiamoe parce qursquoil eacutetait parti agrave la guerre ou assister agrave des

reacuteunions dans la maison des hommes ou sur le mersquoae (le site ceacutereacutemoniel sacreacute) Le

reacutecit du missionnaire William Pascoe Crook (1800) ndash qui fut un des premiers

europeacuteens agrave reacutesider durablement dans lrsquoarchipel - nous confirme que lrsquoinstitution

du pekio eacutetait tregraves reacutepandue chez les Enata et celui-ci jouissait drsquoun statut particulier

il nrsquoeacutetait pas seulement le chef des domestiques mais avait aussi le droit de se

nourrir avec les mets des femmes de la maison (avec lesquelles il vivait en

permanence mais sans pour autant avoir la possibiliteacute drsquoobtenir le statut de

217

tapu)174 Selon Dominique Pechberty (2012) - qui se base sur lrsquoanalyse

ethnohistorique des journaux de voyage de William Crook Edward Robarts Joseph

Cabri et David Porter - les pekio eacutetaient des amants de jeunesse qui apregraves le

mariage srsquoinstallaient chez la couple en offrant leurs services aussi bien dans le

domaine sentimental en tant que confidents du mari ou de lrsquoeacutepouse qursquoau niveau

parental en tant que collaborateurs dans lrsquoeacuteducation des enfants du couple Notons

qursquoil srsquoagit drsquoune forme particuliegravere de polyandrie puisque chaque femme se

partageait entre plusieurs hommes de statut diffegraverent (tapu ou pas) agrave la diffeacuterence

des scheacutemas classiques de polyandrie ougrave plusieurs fregraveres partagent la mecircme

eacutepouse Aussi lrsquounion avec le pekio nrsquoeacutetait pas consideacutereacutee comme un mariage

puisque le seul mariage reconnu dans la communauteacute eacutetait celui avec lrsquoeacutepoux qui

conservait un rocircle premier dans la chaicircne fonctionnelle de la maison (Otterbein

1963) Cette pratique a commenceacute agrave disparaitre avec lrsquoarriveacutee des premiers

explorateurs occidentaux drsquoabord parce qursquoelle a eacuteteacute durement reacuteprimeacutee par les

missionnaires mais aussi parce que la crise deacutemographique qui srsquoensuivit a

radicalement modifieacute le ratio hommes-femmes dans lrsquoarchipel en rendant

impossible lrsquoinstitution de la polyandrie (Ferdon 1993)

Selon mes informateurs jusqursquoagrave un passeacute tregraves reacutecent ndash certainement jusqursquoagrave

la fin de la Seconde Guerre mondiale ndash il a existeacute dans cette communauteacute une

logique de classification de ses membres en fonction du rang du sexe et de lrsquoacircge

174 Sacreacute mais aussi interdit

218

assimilable au systegraveme hawaiumlen175 Les mecircmes termes sont employeacutes pour les

groupes de germains (les fregraveres et les cousins drsquoun cocircteacute les sœurs et les cousines de

lrsquoautre) ce qui confirme lrsquoideacutee drsquoune uniteacute sociale de ce reacuteseau de parenteacute dans

lequel la descendance est plus importante que lrsquoalliance et ougrave les aicircneacutes jouissent du

rocircle de protagonistes dans le groupe de siblings (la fratrie) Les fregraveres aicircneacutes

appellent tous leurs fregraveres cadets teina et toutes leurs sœurs cadettes tuehine les

sœurs aicircneacutees appellent leurs fregraveres tunane (ou tukane ou tursquoane) et leurs sœurs

teina

Selon mes observations agrave partir drsquoun Ego feacuteminin (au niveau n) le niveau des

ascendants (n-1) est occupeacute par les parents le pegravere (motua) les oncles paternels

(motua teina pour les cadets et motua tuakana pour les aicircneacutes) les tantes paternelles

(kui tuehine motua) la megravere (kui) les tantes maternelles (kui teina pour les cadettes

et kui tuakana pour les aicircneacutees) et les oncles maternels (motua tursquoane kui) Le niveau

des grands-parents (n-2) est occupeacute par les grands-pegraveres (tupuna vahana) et les

grands-megraveres (tupuna vehine) Il nrsquoy a de distinction ni entre le pegravere du pegravere et celui

de la megravere ni entre la megravere de la megravere et celle du pegravere Aux niveaux n-1 et n-2 la

parenteacute est donc eacutetendue aux conjoints collateacuteraux agrave la diffeacuterence des niveaux n+1

et n+2 ougrave la parenteacute nrsquoest pas eacutetendue aux conjoints En effet les mecircmes termes

sont utiliseacutes pour deacutefinir drsquoun cocircteacute les fils drsquoEgo et les fils de ses fregraveres et sœurs

(tama) et de lrsquoautre les filles drsquoEgo (moiacute) et les filles de ses fregraveres et sœurs mais ces

175 Qui se base sur la geacuteneacuteration et lrsquoacircge relatif et qui deacutefinit certains degreacutes de parenteacute selon le sexe

du locuteur (Handy amp Pukui 1958)

219

termes ne srsquoappliquent pas agrave leurs maris ni agrave leurs eacutepouses Pour la geacuteneacuteration n+2

le mecircme terme est employeacute pour indiquer et les neveux drsquoEgo et ses niegraveces

(moupuna ou poupuna)

Avant lrsquoarriveacutee des colonisateurs se pratiquait aux Marquises le mariage

preacutefeacuterentiel (mais non obligatoire) entre cousins croiseacutes (irsquoamutu) mecircme si le

mariage entre cousins parallegraveles nrsquoeacutetait pas interdit (Handy 1923) Lrsquoaction

eacutevangeacutelisatrice des missionnaires catholiques a mis fin aux normes qui reacutegissaient

les droits sexuels et la logique du mariage preacutefeacuterentiel puisque ce type drsquounion eacutetait

consideacutereacutee comme incestueuse et immorale par les autoriteacutes religieuses

Aujourdrsquohui les Marquisiens se marient librement agrave partir de leurs affiniteacutes

personnelles sans suivre de regravegles preacutefeacuterentielles Quant agrave lui le critegravere de

reacutesidence est resteacute plutocirct libre situation qui diffegravere de celle drsquoautres icircles dans lrsquoaire

culturelle polyneacutesienne ougrave comme agrave Hawaii on srsquoappuie traditionnellement sur le

critegravere uxorilocal et les jeunes couples srsquoeacutetablissent chez les parents de lrsquoeacutepouse

(Handy amp Pukui 1958) Leur isolat endogamique preacutefeacuterentiel correspond agrave

lrsquoarchipel des Marquises bien que agrave lrsquoheure actuelle un nombre croissant de

couples compte un conjoint qui nrsquoest pas drsquoorigine marquisienne dans la plupart de

cas il srsquoagit de Tahitiens ou de personnes originaires de la meacutetropole

921 Famille nucleacuteaire et famille eacutelargie

Bien que lrsquoeacutecosystegraveme de reacutefeacuterence des enfants enata ait eacuteteacute modifieacute par

lrsquoimposition ou lrsquoadoption libre de normes exogegravenes sa structure fondamentale nrsquoa

pas changeacute lrsquoenfant continue agrave interagir avec plusieurs microsystegravemes

220

domestiques (sa famille nucleacuteaire sa fratrie ses pairs la famille de son pegravere et celle

de sa megravere) auxquels se sont ajouteacutees lrsquoeacutecole les communauteacutes religieuses et les

associations culturelles dans le cadre du meacutesosystegraveme laquo village raquo Les

microsystegravemes communautaires ont une grande importance puisque crsquoest agrave

lrsquointeacuterieur du groupe que les deacutecisions sont prises De fait en cas de conflit crsquoest le

groupe qui vient reacutetablir lrsquoordre et crsquoest aussi lui qui donne (ou qui nie) son

approbation pour soutenir les entreprises individuelles Lrsquoeacutequilibre

microsystegravemique deacutepend donc de la capaciteacute drsquoenseigner aux plus petits les normes

de base de la vie en communauteacute

Pendant mon travail de terrain agrave Hiva Oa jrsquoai observeacute la reacutepartition des

tacircches eacuteducatives en fonction du sexe de lrsquoeacuteducateur mais aussi de celui de lrsquoenfant

ainsi que lrsquoacircge de ce dernier Le plus souvent la megravere gegravere la presque totaliteacute des

besoins des jeunes enfants (de la naissance jusqursquoagrave 4-5 ans) lrsquoallaitement

lrsquoalimentation lrsquohygiegravene et les petits soins quotidiens Crsquoest elle qui montre agrave lrsquoenfant

les espaces domestiques en les deacutecrivant et en lui expliquant leur fonction (toujours

en langue franccedilaise) Elle srsquooccupe aussi de lui expliquer les rocircles de chaque membre

de la famille leur position dans la geacuteneacutealogie et leur importance Agrave partir de 6 ans

la transmission des savoirs reacutepond agrave des regravegles de diffeacuterentiation sexuelle Les

megraveres assisteacutees des tantes et des grands-megraveres srsquooccupent principalement des

filles qui sont formeacutees aux travaux domestiques et agrave certaines tacircches agrave caractegravere

creacuteatif Crsquoest agrave cet acircge-lagrave que les filles apprennent les premiers rudiments de laquo lrsquoart

de cueillir raquo (les fruits lrsquoigname et les chevrettes drsquoeau douce ou korsquoursquoa) de la

cuisine de la couture de la fabrication de colliers et de couronnes fleuries mais

221

aussi certaines notions qui relegravevent de la botanique et de la biologie (et plus

speacutecifiquement les noms des espegraveces veacutegeacutetales et animales utiliseacutees dans la

gastronomie et dans la meacutedicine populaire) Ce nrsquoest qursquoagrave partir de lrsquoadolescence que

les filles sont inviteacutees agrave pratiquer la langue marquisienne mecircme si la plupart drsquoentre

elles ont deacutejagrave commenceacute degraves lrsquoacircge de 8 ans agrave lrsquoutiliser dans leurs eacutechanges avec leurs

pairs

Quand les enfants sont encore petits les pegraveres se contentent drsquoassurer la

nourriture pour tous les occupants de la maison Ils sont souvent en contact avec

leurs fils mais jusqursquoagrave leurs 4-5 ans les relations agrave caractegravere eacuteducatif sont assez

limiteacutees selon la personnaliteacute du pegravere jrsquoai observeacute soit des activiteacutes purement

ludiques (le pegravere qui fait sauter lrsquoenfant dans ses bras ou qui lui court apregraves) soit des

moments de silence partageacutes (une promenade agrave la mer ou dans la cocoteraie

familiale) Degraves lrsquoacircge de 6 ans les garccedilons commencent agrave accompagner leur pegravere

quand il va agrave la pecircche depuis le rivage ou le bateau Dans un premier temps ils se

contentent drsquoobserver ce que les adultes font et apregraves avoir parfaitement appris les

gestes et les deacutemarches agrave suivre ils commencent agrave jeter leurs propres lignes et leurs

filets Entre 10 et 12 ans ils reacutealisent aussi leurs premiers travaux drsquoartisanat en

utilisant des bois souples pour sculpter des petits tiki des raies manta et autres

poissons Quand ils atteignent les 12 ans ils peuvent alors suivre les hommes

pendant les longues parties de chasse agrave la chegravevre (kersquou kersquou) et au cochon sauvage

(puarsquoa) puis agrave 14 ans ils font leurs premiers essais avec le fusil Crsquoest agrave cet acircge-lagrave

qursquoils commencent agrave eacutechanger avec les adultes en langue maternelle Dans le cas de

couples seacutepareacutes ou divorceacutes les enfants peuvent rester indiffeacuteremment avec le pegravere

222

ou la megravere car aucune norme particuliegravere nrsquoexiste agrave ce sujet Les megraveres ceacutelibataires

ou veuves deacutelegraveguent les fonctions eacuteducatives du pegravere aux oncles et au grand-pegravere

et inversement dans le cas des pegraveres ceacutelibataires ou veufs Les enfants orphelins sont

souvent adopteacutes juridiquement par la famille de leur tante maternelle ou plus

rarement par drsquoautres membres de la famille eacutelargie Les familles peuvent aussi

deacutecider drsquoadopter informellement176 un membre adulte de la famille qui est resteacute

orphelin ou dans le cas des personnes acircgeacutees qui est sans progeacuteniture

Les grands-parents les oncles et les tantes nrsquoont pas de fonctions speacutecifiques

mais ils se chargent de srsquooccuper des enfants et drsquoaider les parents quand ceux-ci ne

sont pas agrave la maison par exemple quand ils sont en train de reacutealiser des tacircches

agricoles de pecirccher de chasser drsquoextraire le coprah ou ndash dans le cas des employeacutes

des administrations publiques ou des entreprises priveacutees ndash quand ils sont en train

de travailler La transmission des savoirs respecte les mecircmes subdivisions de genre

que celles qui existent entre pegravere et megravere mais les grands-parents se sentent aussi

responsables de la transmission des compeacutetences morales des preacuteceptes religieux

et de la culture orale mythes leacutegendes et contes aptes agrave deacutecrire les faits et les

eacuteveacutenements de la vie drsquoantan sur lrsquoicircle

176 Crsquoest-agrave-dire que leur acte nrsquoa pas de valeur juridique Lrsquoadulte adopteacute vit avec la famille drsquoadoption

et contribue agrave lrsquoeacuteconomie domestique selon ses possibiliteacutes Dans le cas des personnes acircgeacutees on ne

leur demande pas de contribuer agrave la production drsquoaliments ou aux tacircches meacutenagegraveres mais elles ont

la charge drsquoaccomplir drsquoautres tacircches qui ne demandent pas drsquoeffort physique comme par exemple

raconter des histoires des mythes ou des leacutegendes aux enfants de la famille

223

La fratrie tout comme les pairs (soit les autres enfants de la famille ou du

voisinage qui ont le mecircme acircge) participe aussi agrave la formation des enfants agrave travers

des processus drsquoeacuteducation horizontale et agrave la transmission des informations et des

commeacuterages concernant les membres de la communauteacute En geacuteneacuteral les aicircneacutes

aident la megravere quand lrsquoenfant est petit en srsquooccupant de lui en reproduisant les

interactions des parents et en enseignant aux cadets certaines regravegles de la vie

domestique (surtout les objets et les lieux tapu mais aussi certaines conventions

sociales lieacutees aux formes de politesse des plus grands)

922 Les eacuteglises lrsquoeacutecole et les organisations locales

Comme expliqueacute dans le chapitre preacutecegravedent depuis pregraves de quatre

deacutecennies les communauteacutes religieuses marquisiennes ont acquis une double

fonction si drsquoun cocircteacute elles se chargent de lrsquoeacutelaboration drsquoun systegraveme de valeurs

propre agrave chaque culte et de la diffusion drsquoune morale exogegravene drsquoun autre cocircteacute elles

sont aussi vectrices du renouveau culturel autochtone de lrsquoarchipel Pour ce faire le

lsquoeo enata est presque toujours utiliseacute pendant les cultes et des activiteacutes destineacutees

aux enfants et aux jeunes de lrsquoicircle sont organiseacutees pour donner un nouvel eacutelan agrave

certains aspects de la culture traditionnelle notamment la musique (Bailleul 1999)

Presque tous les groupes religieux de lrsquoicircle de Hiva Oa ont par exemple creacuteeacute des

groupes musicaux et des chœurs dans lesquels les jeunes sont formeacutes au pahu

(tambour en peau de requin) au pu ihu (flucircte nasale) et au lsquoukulele (une sorte de

guitare sans caisse de reacutesonance) mais aussi agrave chanter en utilisant les techniques

les meacutelodies les rythmes et les tonaliteacutes de la musique drsquoantan Bien eacutevidemment

224

les textes qui sont associeacutes agrave ces activiteacutes sont directement issus de la tradition

religieuse chreacutetienne et nrsquoont rien agrave voir avec ceux qui eacutetaient chanteacutes autrefois177

Agrave Hiva Oa il existe aussi trois grandes associations culturelles178 qui se

consacrent agrave lrsquoenseignement de la danse marquisienne et qui accueillent des eacutelegraveves

acircgeacutes de 7 ans ou plus Leurs formateurs srsquoappuient sur les donneacutees ethnographiques

recueillies par les voyageurs des siegravecles passeacutes et sur les souvenirs des personnes

177 Pendant mes observations avec un groupe catholique de lrsquoicircle jrsquoai eu la possibiliteacute de transcrire

cette strophe chanteacutee par un chœur de jeunes dirigeacute par un precirctre local qui me semble assez

significative laquo Ua ke omua te henua nei Me te tau kuhane mikeo Atahi nei ake matou e Me te tau

poi hoohoohellip raquo qursquoon peut traduire par laquo Autrefois cette terre faisait bande agrave part avec les esprits

meacutechants maintenant nous sommes reacuteunis avec les peuples fidegraveleshellip raquo En effet bien que lrsquoEacuteglise

catholique comme je lrsquoai plusieurs fois mentionneacute participe activement agrave la valorisation de la culture

marquisienne certains precirctres semblent perseacuteveacuterer dans une vision laquo obscurantiste raquo du passeacute local

qursquoils associent agrave une peacuteriode de barbarie pendant laquelle lrsquoarchipel laquo faisait bande agrave part raquo et eacutetait

domineacute par des laquo esprits mauvais raquo que seule la conversion a permis drsquoeacuteliminer pour permettre aux

Marquisiens baptiseacutes drsquointeacutegrer laquo les peuples fidegraveles raquo

178 La premiegravere laquo Te pua o feani raquo creacuteeacutee en 1998 agrave Atuona a pour objectif de faciliter lrsquoinsertion des

jeunes au moyen drsquoanimations de formations et drsquoorganisation de sorties de deacutecouverte de

lrsquoeacutecosystegraveme de lrsquoarcheacuteologie et du patrimoine culturel de lrsquoicircle la deuxiegraveme le laquo Comiteacute des Fecirctes

Puanui de Puamau raquo a eacuteteacute creacuteeacutee en 2006 agrave Puamau pour preacuteparer et organiser les ceacuteleacutebrations en

lrsquohonneur du 14 juillet et la troisiegraveme laquo Te avei tina te motu o hiva raquo a eacuteteacute creacuteeacutee en 2008 agrave Atuona

pour soutenir la dynamique communautaire dans la programmation lrsquoorganisation et la reacutealisation

de manifestations agrave caractegravere festif Bien que plusieurs membres de lrsquoassociation Motu Haka habitent

agrave Hiva Oa cette derniegravere ne reacutealise pas drsquoactiviteacutes sur lrsquoicircle son siegravege se trouvant agrave Nuku Hiva

225

acircgeacutees pour laquo reconstruire raquo les choreacutegraphies des temps anciens ou pour en creacuteer

de nouvelles Les associations participent activement agrave la vie culturelle de lrsquoicircle et se

chargent de lrsquoorganisation drsquoeacutevegravenements qui rassemblent tous les villageois surtout

agrave lrsquooccasion des fecirctes de Noeumll des ceacuteleacutebrations du 14 juillet ou des phases de

preacuteparation du Festival des Arts des icircles Marquises Si seule une minoriteacute des

enfants et des jeunes de Hiva Oa participent agrave ces activiteacutes de formation les

eacutevegravenements qursquoelles organisent ndash spectacles fecirctes repreacutesentations ndash rassemblent

toujours la plupart des habitants de lrsquoicircle

Les eacutecoles participent aussi agrave cette vie culturelle mais en eacutevitant drsquointerfeacuterer

avec les activiteacutes des associations ou des groupes religieux Dans le cadre des

activiteacutes scolaires les enseignants se deacutedient plutocirct agrave lrsquoapprentissage de la langue

marquisienne179 agrave la lecture et agrave lrsquoanalyse du patrimoine litteacuteraire et mythologique

local180 ainsi qursquoagrave lrsquoeacutetude de certaines notions basiques de lrsquohistoire

polyneacutesienne181

179 Dans le cadre de mes observations jrsquoai pu constater qursquoelles se reacutealisent surtout agrave travers lrsquooraliteacute

sans passer par la phase drsquoeacutecriture

180 Toutefois la majoriteacute des enseignants que jrsquoai pu interviewer se plaignent du fait qursquoil nrsquoexiste pas

suffisamment de textes scolaires en langue marquisienne

181 En effet bien que la Polyneacutesie franccedilaise jouisse officiellement drsquoune certaine autonomie pour la

deacutefinition des programmes des eacutecoles primaires en reacutealiteacute le gouvernement territorial avec lrsquoarrecircteacute

768CM du 19 juillet 1996 laquo a repris quasi inteacutegralement et agrave la virgule pregraves les programmes

nationaux raquo (Lechat amp Argentin 2011 101) ce qui explique lrsquoorganisation du temps disponible pour

lrsquoenseignement de lrsquohistoire locale dans les classes de lrsquoeacutecole primaire Je rappelle que le statut

226

Les enfants de Hiva Oa sont donc exposeacutes agrave plusieurs microsystegravemes de

socialisation qui sont toutefois moins nombreux que chez les Wayana-Apalaiuml (figure

16)

drsquoautonomie deacutefini dans le domaine eacuteducatif par la Loi organique ndeg 2004-192 du 27 feacutevrier 2004 a

permis la reacutedaction de la convention Eacutetat-Territoire relative agrave lrsquoeacuteducation en Polyneacutesie franccedilaise du

4 avril 2007 qui assigne agrave ce dernier - compte tenu de la leacutegislation et des regraveglementations nationales

- la compeacutetence de la strateacutegie et politique eacuteducative ainsi que sa mise en œuvre par lrsquoorganisation

des enseignements et la reacutepartition des moyens enseignants Dans la mesure ougrave la Polyneacutesie

franccedilaise a fait le choix pour son systegraveme eacuteducatif de la preacuteparation des diplocircmes nationaux franccedilais

elle srsquoest engageacutee agrave respecter la mise en œuvre des cursus et des reacutefeacuterentiels qui y megravenent Par

ailleurs il est important de souligner que les dispositions de Loi ndeg 2005-380 du 23 avril 2005 sur

lrsquoorientation et le programme pour lrsquoavenir de lrsquoeacutecole dite laquo loi Fillon raquo qui instaure le socle commun

des connaissances et des compeacutetences ont eacuteteacute imposeacutees agrave la Polyneacutesie ce qui a contribueacute agrave ce que

certains enseignants preacutefegraverent donner la prioriteacute agrave certains contenus du programme laquo national raquo ndash

ceux qui se rapprochent le plus des compeacutetences requises par le socle ndash et deacutelaisser drsquoautres sujets

drsquointeacuterecirct laquo local raquo mais sans lien apparent avec les piliers preacutevus par le socle

227

Figure 16La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants enata

Lrsquoespace domestique est partageacute entre les parents la fratrie et incidemment

par les pairs qui appartiennent au voisinage tandis que les autres membres du

reacuteseau de parenteacute ndash les grands-parents les oncles et les tantes ndash ne vivent pas sous

le mecircme toit (bien qursquoen geacuteneacuteral ils vivent agrave proximiteacute) Agrave lrsquoexteacuterieur de ce cercle se

trouvent les microsystegravemes externes agrave la famille comme les groupes religieux les

associations culturelles ou lrsquoeacutecole lesquels bien qursquoils soient composeacutes de

personnes qui se considegraverent toutes lieacutees entre elles par un lien de parenteacute et qursquoils

se chargent de transmettre des savoirs laquo locaux raquo ont cependant une organisation

et une logique de travail tregraves diffeacuterente de la vision du monde laquo agrave la marquisienne raquo

En ce sens ils agissent donc comme des points de contact entre les exigences locales

228

et les structures globales facilitant le deacuteveloppement de dynamiques laquo glocales raquo et

la creacuteation de reacuteponses adaptatives aux demandes des villageois en fonction des

contraintes imposeacutees par la participation agrave la vie nationale et agrave lrsquoeacuteconomie

planeacutetaire

229

10 Mesurer les interactions eacuteducatives les rythmes parentaux

Lrsquointeraction eacuteducative en milieu domestique est par deacutefinition une laquo affaire

de famille raquo Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de la maison que les membres de la famille ndash et par-

dessus tout les parents ndashexercent leur rocircle drsquoeacuteducateurs et deacuteploient leurs

strateacutegies et ideacuteologies formatives de sorte que le foyer repreacutesente le centre

symbolique de lrsquoespace eacuteducatif consacreacute agrave la socialisation des enfants et agrave leur

adaptation au contexte eacutecosysteacutemique Cependant chaque groupe humain a une

maniegravere diffeacuterente de concevoir lrsquoideacutee de foyer eacuteducatif et chaque culture assigne

aux divers membres de la famille vivant dans le foyer des temps diffeacuterents agrave

consacrer agrave lrsquoeacuteducation des enfants

Lrsquoobservation des rythmes parentaux chez les Wayana-Apalaiuml et chez les

Enata mrsquoa permis de mieux comprendre la dureacutee et lrsquointensiteacute de lrsquoacte eacuteducatif dans

les deux contextes eacutetudieacutes mais aussi de les mettre en relation avec ceux observeacutes

dans le groupe teacutemoin de France meacutetropolitaine Dans ce chapitre je vais preacutesenter

les reacutesultats obtenus pendant mon travail de terrain tout en sachant que la

meacutethodologie utiliseacutee ndash bien qursquoinspireacutee de protocoles deacutejagrave testeacutes sur le terrain ndash est

encore exploratoire raison pour laquelle une discussion approfondie autour de ses

avantages limites et inconveacutenients sera proposeacutee dans la troisiegraveme partie de cette

thegravese

Il convient de rappeler que pour lrsquoobtention de ces donneacutees jrsquoai reacutealiseacute plus

de 1440 heures drsquoobservation directe (720 heures agrave Antecume pata 480 heures agrave

230

Hiva Oa et 240 heures en France meacutetropolitaine) dans le but de mesurer la

laquo quantiteacute raquo drsquointeractions eacuteducatives auxquelles eacutetaient exposeacutes les enfants dans

les contextes eacutetudieacutes ce qui mrsquoa permis drsquoobtenir des donneacutees comparables en ce

qui concerne le poids de chaque acteur ndash ou microsystegraveme ndash dans la transmission de

la culture et plus preacuteciseacutement des savoirs que jrsquoai consideacutereacutes comme

laquo fondamentaux raquo182 Cependant ce nrsquoest qursquoagrave la lumiegravere des observations

ethnographiques de type qualitatif reacutealiseacutees au fil des cinq ans de travail sur le

terrain que ces donneacutees ont pris tout leur sens car la finaliteacute de cette thegravese nrsquoest pas

de laquo mesurer raquo les interactions sociales chez deux peuples autochtones Toutefois

cet exercice drsquoanalyse quantitative a faciliteacute la comparaison des deux contextes qui

bien que diffeacuterents preacutesentent plusieurs points communs le plus important eacutetant

la primauteacute du foyer domestique dans lrsquoespace de socialisation primaire

101 La famille est le village parentaliteacute et vie communautaire chez les

Wayana-Apalaiuml

Lrsquoeacutelaboration des outils neacutecessaires au recueil des donneacutees srsquoest faite en deux

temps Entre mars et septembre 2011 un premier ensemble drsquoobservations

reacutealiseacutees en guise de laquo test raquo afin de mettre en eacutevidence les points de la meacutethodologie

qui allaient neacutecessiter une reacutevision a porteacute sur cinq familles du village drsquoAntecume

182 Je rappelle qursquoil srsquoagit de la production et la transformation des aliments la construction et

lrsquoentretien de la maison la meacutedecine traditionnelle la preacuteparation et la participation agrave des

ceacutereacutemonies ou rituels communautaires la production drsquooutils la transmission de lrsquohistoire orale et

la connaissance du territoire

231

pata Toutes ont eacuteteacute observeacutees agrave deux occasions pendant les 24 heures drsquoun jour

ouvrable et les 24 heures drsquoun jour feacuterieacute Il srsquoagit donc drsquoun total de 240 heures

drsquoobservation Sur ma grille drsquoobservation jrsquoai noteacute agrave intervalles de cinq minutes

toutes les interactions eacuteducatives ayant comme laquo destinataire raquo lrsquoenfant ou

lrsquoeacuteduqueacute que jrsquoavais choisi comme laquo sujet drsquoeacutetude raquo Pendant ce premier test je me

suis rendu compte que bien souvent lrsquoenfant-eacuteduqueacute interagissait en mecircme temps

avec deux ou plusieurs eacuteducateurs agrave la fois Jrsquoai donc reacuteviseacute ma meacutethodologie et afin

de simplifier le travail de codage jrsquoai deacutecideacute que lorsque plusieurs interactions se

produisaient avec diffeacuterents eacuteducateurs dans le mecircme intervalle de temps je ne

noterais que lrsquointeraction principale183 Par exemple si entre 10h 45 et 10h 50

lrsquoenfant en question interagissait et avec sa megravere et avec sa grand-megravere je ne notais

que lrsquointeraction principale agrave savoir celle qui agrave mon avis jouait un rocircle majeur dans

la transmission drsquoun savoir lieacute aux domaines laquo fondamentaux raquo (voir annexe 9)

Jrsquoai donc proceacutedeacute dans chaque famille agrave une synthegravese du temps consacreacute par

les eacuteducateurs drsquoun mecircme rang et ce agrave partir du calcul de la moyenne statistique

Jrsquoai donc par exemple calculeacute le temps total que chaque megravere consacrait aux

interactions eacuteducatives durant une journeacutee (feacuterieacutee ou ouvrable) Puis jrsquoai additionneacute

les reacutesultats obtenus dans les cinq familles et ai diviseacute le reacutesultat par cinq ce qui mrsquoa

183 Il srsquoagit drsquoun choix justifieacute par des raisons de faisabiliteacute Bien eacutevidemment jrsquoaurais pu observer

aussi les interactions polyadiques (preacutesentant un laquo chevauchement raquo interactif entre plusieurs

acteurs) tout en calculant le niveau drsquointeraction de chaque eacuteducateur et en pondeacuterant le reacutesultat

final Toutefois cette meacutethode est difficilement applicable dans des contextes drsquoobservations ougrave

lrsquoenregistrement videacuteo nrsquoest pas autoriseacute par les familles

232

permis drsquoobtenir le temps moyen qursquoune megravere wayana-apalaiuml laquo lambda raquo deacutediait aux

interactions eacuteducatives Bien que cette premiegravere seacuterie drsquoobservations eucirct la seule

fonction de mettre au point les outils de recueil de donneacutees les reacutesultats obtenus

ont un certain inteacuterecirct puisqursquoils nous permettent de les comparer avec ceux obtenus

trois ans apregraves dans le mecircme cadre soit en 2014 quand jrsquoai reacutealiseacute la deuxiegraveme seacuterie

drsquoobservations agrave Antecume pata

Les donneacutees obtenues en 2011 nous montrent que les eacuteducateurs les plus

engageacutes dans la formation des enfants ndash en termes de temps consacreacute agrave ces activiteacutes

ndash sont les megraveres lesquelles durant les jours feacuterieacutes consacrent en moyenne 458

minutes par jour aux interactions eacuteducatives soit cinq fois plus de temps que les

pegraveres dont la moyenne est de 82 minutes par jour Srsquoensuit le groupe de la famille

de la megravere (avec lequel je le rappelle lrsquoenfant partage la mecircme maison du fait du

principe matrilocal) au sein duquel les tantes et les grand-megraveres maternelles

consacrent un peu plus drsquoune heure par jour aux interactions eacuteducatives quand les

oncles et les grands-pegraveres leur accordent un peu moins de vingt minutes Dans la

fratrie le rocircle preacutepondeacuterant est joueacute par les sœurs qui consacrent aux enfants

quatre fois plus de temps que leurs fregraveres (93 minutes contre 26 minutes par jour)

Le groupe de pairs (qui reacuteunit les cousins croiseacutes et ceux qui sont seacutepareacutes de lrsquoenfant

par plus de quatre degreacutes de parenteacute)184 a aussi un rocircle important dans la

184 Il srsquoagit des cousins qui partagent les mecircmes arriegravere-grands-parents et ceux issus des germains

(crsquoest-agrave-dire les enfants des cousins germains) La deacutefinition du degreacute de parenteacute que jrsquoutilise ici est

celle preacutevue par lrsquoarticle 741 du Code Civil franccedilais selon lequel laquo la proximiteacute de parenteacute seacutetablit

par le nombre de geacuteneacuterations chaque geacuteneacuteration sappelle un degreacute raquo

233

socialisation de lrsquoenfant qui passe avec eux une grande partie de la journeacutee 6 des

interactions eacuteducatives se reacutealisent en effet en son sein La famille du pegravere a un rocircle

relativement secondaire dans la socialisation de lrsquoenfant puisque ses membres bien

qursquoils passent beaucoup de temps avec les enfants sont moins preacutedisposeacutes agrave la

transmission culturelle pendant les jours feacuterieacutes ils y consacrent un total de

50 minutes en moyenne (Tableau 2)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 458 318

Pegravere 82 569

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 75 52

Oncle(s) maternel(s) 19 131

Grand-megravere maternelle 67 465

Grand-pegravere maternel 17 118

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 13 09

Oncle(s) paternel(s) 20 138

Grand-megravere paternelle 11 076

Grand-pegravere paternel 6 041

Fratrie Sœur(s) 93 645

Fregravere(s) 26 18

Pairs Cousin(s) 86 597

Reacuteseau laquo eacutelargi raquo de parenteacute Autres membres de la communauteacute 5 034

TOTAL 978 6791

Tableau 2 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Antecume pata 2011)

Ces modegraveles comportementaux ne semblent pas connaicirctre de variations

entre jours feacuterieacutes et jours ouvrables Toutefois les reacutesultats de mes observations

montrent une diminution significative du temps total consacreacute aux interactions

234

eacuteducatives au sein de la famille Le temps moyen total passeacute dans les interactions

eacuteducatives diminue de 129 minutes entre un jour feacuterieacute et un jour ouvrable la

moyenne totale des interactions eacuteducatives passe de 987 minutes dans les jours

feacuterieacutes agrave 858 minutes Pendant les jours ouvrables les megraveres consacrent agrave lrsquoeacuteducation

une moyenne de 210 minutes en moins par rapport aux jours feacuterieacutes Chez les pegraveres

la diffeacuterence est encore plus marqueacutee 82 minutes pendant un jour feacuterieacute contre 22

minutes pour un jour ouvrable soit presque quatre fois moins de temps Les

relations avec les membres de la famille de la megravere diminuent aussi (on passe de

178 minutes agrave 120 minutes) et celles avec les membres de la famille paternelle

passent de 50 agrave 13 minutes Bien eacutevidemment pour interpreacuteter ces eacutecarts on doit

tenir compte du fait que lrsquoeacutecole occupe plus de 20 de la journeacutee des enfants

Cependant les relations eacuteducatives au sein de la famille restent principales puisque

les enfants passent plus du 38 du temps dans des activiteacutes eacuteducatives drsquoorigine

familiale (Figure 17)

235

Figure 17 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Antecume pata 2011 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

En reacutesumeacute en 2011 les enfants wayana-apalaiuml passaient de 59 (les jours

ouvrables) agrave 67 (les jours feacuterieacutes) de leur journeacutee dans des interactions eacuteducatives

Ainsi quand ils nrsquoallaient pas agrave lrsquoeacutecole (les jours feacuterieacutes) ils avaient deux heures

drsquointeractions eacuteducatives de plus que quand ils y allaient (Tableau 3)

Megravere17

Pegravere2

Famille maternelle8

Famille paternelle1

Fratrie4

Pairs (cousins)7

Ecole21

Inteacuteractions non eacuteducativesRepos

40

Megravere Pegravere

Famille maternelle Famille paternelle

Fratrie Pairs (cousins)

Ecole Inteacuteractions non eacuteducativesRepos

236

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 248 1722

Pegravere 22 152

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 37 256

Oncle(s) maternel(s) 17 118

Grand-megravere maternelle 54 375

Grand-pegravere maternel 12 083

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 4 027

Oncle(s) paternel(s) 2 013

Grand-megravere paternelle 4 027

Grand-pegravere paternel 3 02

Fratrie Sœur(s) 34 236

Fregravere(s) 26 18

Pairs Cousin(s) 95 659

Sans liens de parenteacute Eacutecole 300 2083

TOTAL 858 5958

TOTAL SANS EacuteCOLE 558 3875

Tableau 3 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Antecume pata 2011)

Je me suis demandeacute agrave quoi tenait cette diffeacuterence et lorsque je les

interrogeais la plupart des parents des enfants semblaient srsquoaccorder sur le fait que

quand les enfants rentrent de lrsquoeacutecole ils sont plus fatigueacutes et moins disposeacutes aux

interactions eacuteducatives ils font des siestes plus longues ils passent moins de temps

agrave la maison jouent davantage avec leurs pairs et enfin ils aident moins les adultes

dans la reacutealisation des activiteacutes meacutenagegraveres

Les observations meneacutees trois ans plus tard en 2014 semblent confirmer

cette tendance Les reacutesultats obtenus reacutevegravelent un certain nombre de variations avec

une eacutevidente diminution du temps que les parents vouent non pas aux enfants (crsquoest-

agrave-dire le temps passeacute avec eux) mais plutocirct aux interactions eacuteducatives (soit le

237

temps passeacute avec eux dans le but de transmettre des savoirs) En effet mecircme si les

positions occupeacutees par les diffeacuterents eacuteducateurs semblent toujours les mecircmes (les

megraveres restant les laquo eacuteducatrices principales raquo) on peut toutefois noter que le temps

total que les adultes de la famille consacrent aux activiteacutes eacuteducatives a sensiblement

diminueacute Si en 2011 les parents occupaient 37 des interactions eacuteducatives

pendant les jours feacuterieacutes en 2014 ces mecircmes interactions ne constituaient plus que

31 de la journeacutee (Tableau 4)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 382 2652

Pegravere 66 458

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 71 493

Oncle(s) maternel(s) 7 048

Grand-megravere maternelle 82 569

Grand-pegravere maternel 11 076

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 11 076

Oncle(s) paternel(s) 6 041

Grand-megravere paternelle 8 055

Grand-pegravere paternel 6 041

Fratrie Sœur(s) 95 659

Fregravere(s) 21 145

Pairs Cousin(s) 99 687

TOTAL 865 6006

Tableau 4 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Antecume pata 2014)

Pour les jours ouvrables la diffeacuterence est moins eacutevidente mais notable en

2011 les parents interagissaient avec leur enfant pendant 18 de la journeacutee mais

en 2014 ce niveau avait atteint 16 Il est particuliegraverement inteacuteressant drsquoobserver

238

que cette diminution a laisseacute place agrave lrsquointervention drsquoautres membres de la famille

comme la fratrie ou les cousins dont le rocircle drsquoeacuteducateurs laquo pairs raquo a pris de

lrsquoampleur (Tableau 5)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 222 1541

Pegravere 17 118

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 31 215

Oncle(s) maternel(s) 11 076

Grand-megravere maternelle 64 444

Grand-pegravere maternel 11 076

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 3 02

Oncle(s) paternel(s) 2 013

Grand-megravere paternelle 3 02

Grand-pegravere paternel 3 02

Fratrie Sœur(s) 44 305

Fregravere(s) 16 111

Pairs Cousin(s) 106 736

Sans liens de parenteacute Eacutecole 300 2083

TOTAL 833 5784

TOTAL SANS EacuteCOLE 533 3701

Tableau 5 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Antecume pata 2014)

En 2014 lrsquoeacutecole eacutetait donc devenue le microsystegraveme dans lequel les enfants

du village passaient le plus de temps (un peu plus de 20 de leur journeacutee) suivie

par les parents les pairs la famille maternelle la fratrie et enfin la famille paternelle

Au cours de la mecircme peacuteriode aucun contact avec le shaman du village nrsquoa eacuteteacute

enregistreacute cette figure laquo capitale raquo de la culture ameacuterindienne semblait avoir

disparu du champ interactionnel des enfants wayana-apalaiuml (Figure 18)

239

Figure 18 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Antecume pata 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

En analysant les reacutesultats obtenus il ressort que les enfants drsquoAntecume pata

sont constamment exposeacutes aux interactions eacuteducatives En effet la majoriteacute des

activiteacutes auxquelles ils se consacrent ndash y compris les jeux entre pairs ndash ont une valeur

eacuteducative et la laquo position raquo qursquooccupent les parents et les autres membres de la

famille (adultes ou pairs) correspond dans la majoriteacute des cas agrave celle drsquoeacuteducateur

laquo srsquooccuper raquo des enfants devient donc synonymique drsquo laquo eacuteduquer raquo et comme on le

verra dans le chapitre suivant cette fonction eacuteducatrice est toujours lieacutee agrave un style

Megravere16

Pegravere1

Famille de la megravere8

Famille du pegravere1

Fratrie4Pairs

7

Ecole21

Interactions non eacuteducativesrepos

42

Megravere Pegravere

Famille de la megravere Famille du pegravere

Fratrie Pairs

Ecole Interactions non eacuteducativesrepos

240

eacuteducatif dans lequel les interactions participatives priment sur les interactions

fonctionnellement disjointes

102 Un espace domestique permeacuteable famille eacutecole religion et culture agrave

Hiva Oa

En 2014 jrsquoai observeacute dix familles enata reacutesidant sur lrsquoicircle de Hiva Oa en

adoptant le mecircme protocole drsquoobservation que celui appliqueacute aux Wayana-Apalaiuml

Chaque famille a eacuteteacute observeacutee pendant 24 heures conseacutecutives agrave deux reprises (un

jour ouvrable et un jour feacuterieacute) Dans lrsquoensemble jrsquoai accumuleacute plus de 480 heures

drsquoobservation directe des interactions domestiques chez les Enata accompagneacutees

de plus de cinq mois de travail ethnographique qui mrsquoa permis de situer et

drsquointerpreacuteter certains comportements en fonction du contexte

Bien que comme chez les Wayana-Apalaiuml la megravere enata joue le rocircle

drsquoeacuteducatrice principale le temps qursquoelle consacre aux interactions eacuteducatives est

moins important que celui observeacute agrave Antecume pata Ce constat vaut aussi pour les

autres membres de la famille

Pendant les jours feacuterieacutes les enfants de Hiva Oa connaissent en moyenne 524

minutes drsquointeractions eacuteducatives ndash dont 120 minutes dans les activiteacutes organiseacutees

par des groupes religieux ndash soit un peu plus de la moitieacute du temps voueacute aux

interactions eacuteducatives agrave Antecume pata Pour ce qui est de la famille les parents

participent agrave 15 des interactions suivis par la fratrie (pregraves de 4 ) par la famille

du pegravere (3 ) celle de la megravere (un peu moins de 3 ) des pairs (2 ) et des autres

membres de la communauteacute (un peu moins de 1 ) 19 des interactions se font

241

dans le cadre de lrsquoespace domestique et 16 en dehors 8 avec des membres du

reacuteseau de parenteacute et 8 avec les groupes religieux (Tableau 6 et figure 19)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 198 1375

Pegravere 21 145

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 6 041

Oncle(s) maternel(s) 7 048

Grand-megravere maternelle 14 097

Grand-pegravere maternel 13 09

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 8 055

Oncle(s) paternel(s) 6 041

Grand-megravere paternelle 16 111

Grand-pegravere paternel 18 125

Fratrie Sœur(s) 41 284

Fregravere(s) 13 09

Pairs Cousin(s) 16 111

Voisinsamis 15 104

Sans liens de parenteacute Autres membres de la communauteacute 12 083

Groupes religieux 120 833

TOTAL 524 3638

Tableau 6 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Hiva Oa 2014)

242

Figure 19 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Hiva Oa 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

Pendant les jours ouvrables compte tenu du temps que les enfants passent agrave

lrsquoeacutecole le rocircle eacuteducatif des membres de la famille enata diminue davantage encore

Les parents totalisent 137 minutes par jour deacutedieacutees aux activiteacutes eacuteducatives (soit un

peu plus de 9 du temps disponible) la fratrie 23 minutes les pairs 16 minutes la

Megravere14

Pegravere1

Famille de la megravere3

Famille du pegravere3

Fratrie4

Pairs2

Autres membres de la communauteacute

1

Groupes religieux8

Interactions non eacuteducativesrepos

64

Megravere Pegravere

Famille de la megravere Famille du pegravere

Fratrie Pairs

Autres membres de la communauteacute Groupes religieux

Interactions non eacuteducativesrepos

243

famille de la megravere 5 minutes et celle du pegravere 3 minutes Un rocircle important est joueacute

par les associations culturelles et sportives ndash qui ne deacutependent pas des groupes

religieux - au sein desquelles les enfants passent pregraves drsquoune heure par jour et bien

eacutevidemment par lrsquoeacutecole (300 minutes par jour comme preacutevu par la norme) Au total

pendant les jours ouvrables les enfants de Hiva Oa passent donc 26 de leur

journeacutee dans des interactions eacuteducatives exteacuterieures au reacuteseau de parenteacute 11

dans des interactions eacuteducatives domestiques (dont 9 drsquoorigine parentale) et

moins de 1 dans des interactions eacuteducatives avec les autres membres de la famille

(Tableau 7 et figure 20)

244

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 92 638

Pegravere 45 312

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 2 013

Oncle(s) maternel(s) 1 006

Grand-megravere maternelle 2 013

Grand-pegravere maternel 0 0

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 0 0

Oncle(s) paternel(s) 0 0

Grand-megravere paternelle 2 013

Grand-pegravere paternel 1 006

Fratrie Sœur(s) 12 083

Fregravere(s) 11 076

Pairs Cousin(s) 2 013

Voisinsamis 14 097

Sans liens de parenteacute Autres membres de la communauteacute 14 097

Associations culturelles 60 416

Eacutecole 300 2083

TOTAL 558 3866

TOTAL SANS EacuteCOLE 258 1783

Tableau 7 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Hiva Oa 2014)

245

Figure 20 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Hiva Oa 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

Dans le cas des habitants de Hiva Oa le rocircle eacuteducatif joueacute par les eacuteducateurs

externes aux familles semble plus important que chez les Wayana-Apalaiuml Ici lrsquoeacutecole

est lrsquoeacuteducateur principal suivie par les membres de la famille nucleacuteaire (les parents

et la fratrie) puis par les associations culturelles et les groupes religieux Bien

eacutevidemment on se doit de tenir compte du fait que par effet des normes de

reacutesidence libre en vigueur agrave Hiva Oa les jeunes couples ne se sentent pas obligeacutes de

Megravere7

Pegravere3 Famille de la megravere

0

Famille du pegravere0

Fratrie2

Pairs1

Autres membres de la communauteacute

1

Associations culturelles

4Ecole21Interactions non

eacuteducativesrepos61

MegraverePegravereFamille de la megravereFamille du pegravereFratriePairsAutres membres de la communauteacuteAssociations culturelles

246

suivre certaines pratiques drsquouxorilocaliteacute qui eacutetaient en vigueur avant lrsquoarriveacutee des

colonisateurs europeacuteens ce qui implique un certain eacuteloignement geacuteographique des

familles et qui explique alors le rocircle laquo peacuteripheacuterique raquo que semble jouer la famille du

pegravere et celle de la megravere dans le deacuteveloppement de lrsquoenfant Aussi il ne faut pas

oublier que au cours des derniegraveres anneacutees un nombre croissant de Marquisiens a

abandonneacute lrsquoarchipel dans le cadre drsquoune migration eacuteconomique pour chercher

ailleurs des opportuniteacutes de travail et de vie ce qui a probablement contribueacute agrave

fracturer certains liens familiaux et agrave eacuteloigner certains membres du reacuteseau de

parenteacute les uns des autres

103 Meacutetropole et Outre-mer comparer laquo lrsquointensiteacute raquo des interactions

eacuteducatives

Lrsquoobservation des interactions eacuteducatives dans un groupe teacutemoin composeacute

de cinq familles nucleacuteaires reacutesidant en milieu urbain en France meacutetropolitaine mrsquoa

permis de mieux cerner certaines diffeacuterences entre les deux contextes drsquoeacutetude En

effet du point de vue de la laquo structure familiale raquo les Wayana-Apalaiuml constituent des

exemples drsquouniteacutes familiales eacutelargies (les laquo maisonneacutees raquo) qui sont en relation avec

les autres composantes du village avec lesquelles ndash agrave lrsquoexception de lrsquoeacutecole ndash ils ont

des liens de parenteacute plus ou moins forts Les enfants ameacuterindiens sont donc exposeacutes

agrave un grand nombre de microsystegravemes eacuteducatifs et srsquoadaptent tregraves vite aux diffeacuterents

styles eacuteducatifs des nombreux eacuteducateurs avec qui ils entretiennent des relations

Chez les Enata les familles sont quasiment toutes nucleacuteaires comme en France

meacutetropolitaine toutefois les enfants considegraverent tous les membres du village

comme des comme des proches avec lesquels ils sont souvent apparenteacutes agrave des

247

degreacutes divers Srsquoils sont exposeacutes agrave moins de microsystegravemes que leurs pairs

ameacuterindiens ils ont en revanche plus de contacts avec des groupes qui par leur

structure ou leur mission ne se basent pas sur des liens de parenteacute comme les

associations culturelles les groupes religieux et lrsquoeacutecole En France meacutetropolitaine

les familles observeacutees eacutetaient toutes de type nucleacuteaire et les relations avec les

familles des parents eacutetaient tregraves limiteacutees dans les cinq cas observeacutes lrsquoenfant ne

voyait ses grands-parents ses tantes ou ses oncles que pendant les vacances

scolaires une ou deux fois par an Par ailleurs le nombre de microsystegravemes avec

lesquels lrsquoenfant entrait en relation eacutetait bien plus restreint que dans les deux autres

lieux de lrsquoeacutetude

En effet en France meacutetropolitaine pendant les jours feacuterieacutes hormis les

membres de la famille nucleacuteaire (parents et fratrie) les enfants observeacutes nrsquoavaient

de relations qursquoavec les assistantes maternelles (120 minutes par jour en moyenne)

et avec les enfants du voisinage (18 minutes par jour) La megravere jouait ici aussi le

rocircle drsquoeacuteducatrice principale consacrant au quotidien 177 minutes aux interactions

eacuteducatives un temps leacutegegraverement infeacuterieur agrave celui des megraveres enata (198 minutes) et

largement infeacuterieur agrave celui des megraveres wayana-apalaiuml (458 minutes en 2011 et 382

minutes en 2014) Le temps que lrsquoenfant passe avec lrsquoassistante maternelle est plus

important que la somme du temps deacutedieacute aux interactions eacuteducatives avec le pegravere la

fratrie et les pairs Au total si on considegravere que le temps passeacute avec lrsquoassistante

maternelle est exclusivement deacutedieacute aux apprentissages lrsquoenfant interagit dans le

cadre drsquoactiviteacutes eacuteducatives pendant 27 de son temps lorsqursquoil nrsquoa pas eacutecole

248

Cependant si on ne tient compte que des interactions eacuteducatives de type

domestique ce chiffre baisse agrave 18 (Tableau 8)

Type Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 177 1229

Pegravere 34 236

Fratrie Sœur(s) 32 222

Fregravere(s) 13 09

Pairs Voisinsamis 18 125

Intervenants externes Assistante maternelle 120 833

TOTAL 394 2736

Tableau 8 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (France meacutetropolitaine 2014)

Pendant les jours ouvrables le microsystegraveme eacuteducatif principal est lrsquoeacutecole

(300 minutes par jour) suivi de la megravere ndash qui deacutedie agrave lrsquoenfant un peu moins de 130

minutes ndash les associations culturelles ou sportives (60 minutes par jour en

moyenne) la fratrie et le pegravere (respectivement 33 et 31 minutes) et enfin les pairs

Les interactions eacuteducatives domestiques occupent 15 de la journeacutee de lrsquoenfant les

scolaires un peu moins de 21 et les extra-scolaires 4 (Tableau 9)

249

Type Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 128 888

Pegravere 31 215

Fratrie Sœur(s) 21 145

Fregravere(s) 12 083

Pairs Voisinsamis 23 159

Activiteacutes extra-scolaires Associations culturelles 60 416

Activiteacutes scolaires Eacutecole 300 2083

TOTAL 575 3989

TOTAL SANS EacuteCOLE 275 1906

Tableau 9 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (France meacutetropolitaine 2014)

La comparaison des pourcentages du temps reacuteserveacute aux interactions

eacuteducatives des enfants dans les trois contextes observeacutes ndash surtout pendant les jours

ougrave les enfants vont agrave lrsquoeacutecole ndash nous permet de mieux appreacutecier les diffeacuterences en

fonction de certaines variables (Tableau 10)

Antecume pata 2011

Antecume pata 2014

Hiva Oa 2014

France meacutetropolitaine 2014

Megravere 1722 1541 638 888 Pegravere 152 118 312 215

Famille maternelle 832 811 032 0 Famille paternelle 087 073 019 0

Fratrie 416 416 159 228 Pairs (cousins) 659 736 11 0

Personnes hors du reacuteseau de parenteacute 0 0 097 0

Associations culturelles et sportives 0 0 416 416

Eacutecole 2083 2083 2083 2083 Interactions non

eacuteducativesRepos 4042 4216 6134 6011

Tableau 10 Pourcentage moyen drsquoexposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables comparaison entre les contextes drsquoeacutetude et le groupe teacutemoin en France meacutetropolitaine

250

Premiegraverement les enfants meacutetropolitains et les Enata participent agrave des

interactions eacuteducatives pendant moins de la moitieacute de leur journeacutee Les enfants

ameacuterindiens au contraire passaient en 2014 plus de 57 de leur journeacutee agrave

interagir avec des adultes ou des pairs dans le cadre drsquoactiviteacutes de type eacuteducatif (et

plus du 59 en 2011) Les enfants de Hiva Oa tout comme les Franccedilais hexagonaux

ont lrsquohabitude de se socialiser dans le cadre extra-scolaire et de participer agrave des

activiteacutes drsquoeacuteducation non formelle dans des associations culturelles et sportives

Lrsquointensiteacute des interactions eacuteducatives des parents enata et meacutetropolitains semble

similaire plus ou moins 10 du temps dans les deux cas Cependant chez les Enata

les familles des parents sont preacutesentes ndash bien que de faccedilon limiteacutee ndash dans le

deacuteveloppement eacuteducatif de lrsquoenfant tandis qursquoen meacutetropole leur rocircle se limite en

geacuteneacuteral aux vacances scolaires Si les megraveres ameacuterindiennes semblent passer avec

leurs enfants deux fois plus de temps que les megraveres enata et meacutetropolitaines les

pegraveres enata apparaissent comme les plus impliqueacutes des trois contextes drsquoeacutetude

Chez les Wayana-Apalaiuml la faible participation des pegraveres srsquoexplique en partie par

laquo lrsquoeacutepideacutemie raquo drsquoalcoolisme touchant les pegraveres ameacuterindiens puisque la majoriteacute

absolue des hommes du village est concerneacutee ce qui les rend peu disposeacutes aux

interactions eacuteducatives et aux relations de socialisation avec leurs enfants En

dernier lieu il est inteacuteressant de noter que dans tous les cas observeacutes le rocircle de la

fratrie est constant avec des eacutecarts tregraves limiteacutes entre chaque contexte eacutetudieacute (Figure

21)

251

Figure 21 Pourcentage moyen du temps journalier pendant lequel les enfants sont exposeacutes agrave des interactions eacuteducatives selon lrsquoeacuteducateur et le contexte eacutetudieacute

1722

152

832

087

416

659

0

0

2083

4042

1541

118

811

073

416

736

0

0

2083

4216

638

312

032

019

159

11

097

416

2083

6134

888

215

0

0

228

0

0

416

2083

6011

0 10 20 30 40 50 60 70

Megravere

Pegravere

Famille maternelle

Famille paternelle

Fratrie

Pairs (cousins)

Autres membres de la communauteacute

Associations culturelles

Ecole

Interactions non eacuteducativesRepos

Pourcentage du temps journalier dexposition aux inteacuteractions eacuteducatives

Edu

cate

ur

France meacutetropolitaine 2014 Hiva Oa 2014 Antecume pata 2014 Antecume pata 2011

252

11 Les performances eacuteducatives styles parentaux et strateacutegies

peacutedagogiques

Lrsquoun des apports majeurs de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation (et de lrsquoeacuteducation

compareacutee) a eacuteteacute de deacutemontrer que les pratiques eacuteducatives parentales renvoient agrave

des principes qui ne sont pas universels et qui se transforment selon les eacutepoques

historiques et les socieacuteteacutes humaines De plus agrave lrsquointeacuterieur drsquoun mecircme groupe

humain elles peuvent varier en fonction des cateacutegories sociales auxquelles

appartiennent les parents (Gayet 2004) En effet les strateacutegies eacuteducatives que les

parents mettent en œuvre reflegravetent en geacuteneacuteral non seulement les principes

socioculturels et les ideacuteologies dominantes dans leur communauteacute mais aussi et

surtout leurs expeacuteriences personnelles leurs valeurs morales les modegraveles

parentaux qursquoils ont pu connaicirctre ou encore leurs connaissances de lrsquounivers des

enfants (la psychologie de lrsquoenfant les eacutetapes de son deacuteveloppement sa physiologie

ses deacutesirs et ses neacutecessiteacutes) Bien qursquoil nrsquoexiste pas de modegravele universel capable de

deacutecrire les caracteacuteristiques neacutecessaires pour ecirctre un laquo bon raquo parent plusieurs

auteurs se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude des compeacutetences eacuteducatives parentales qui

favorisent le deacuteveloppement personnel et social des enfants Jean-Pierre Pourtois et

Huguette Desmet (1988 2004) ont deacutemontreacute que la laquo disponibiliteacute eacutemotionnelle raquo

des parents et lrsquoutilisation de certaines strateacutegies peacutedagogiques laquo informelles raquo ndash en

dehors des contextes formels de lrsquoeacuteducation tels que lrsquoeacutecole lrsquoinstruction supeacuterieure

ou la formation professionnelle et vocationnelle ndash jouent un rocircle primordial dans

lrsquoapprentissage des enfants et dans leur appropriation des savoirs En drsquoautres

253

termes la parentaliteacute crsquoest-agrave-dire la maniegravere dont les parents exercent leur rocircle a

des effets importants et de longue dureacutee sur la personnaliteacute des eacuteduqueacutes et sur leur

socialisation De son cocircteacute Rodica Ailincai (2011) a eacutetudieacute les compeacutetences socio-

eacuteducatives deacuteveloppeacutees dans le cadre des dispositifs drsquoeacuteducation parentale ndash et qui

reflegravetent les laquo neacutecessiteacutes raquo deacutefinies par les parents occidentaux pour ameacuteliorer leur

rocircle eacuteducatif ndash en mettant en eacutevidence le fait que les plus repreacutesenteacutees relegravevent de

six domaines essentiels lrsquoestime de soi la gestion de lrsquoenvironnement familial (et

des problegravemes de couple) la collaboration avec lrsquoeacutecole et la communauteacute (surtout

lrsquoaide aux devoirs) la connaissance du deacuteveloppement de lrsquoenfant lrsquoaptitude agrave la

prestation de soins et lrsquoengagement envers les inteacuterecircts de lrsquoenfant Plusieurs eacutetudes

ont aussi montreacute que certains styles parentaux excessivement punitifs ou permissifs

peuvent engendrer des conduites asociales chez les enfants (Tap amp Vinay 2000)

En effet des chercheurs comme Lev Vygotski ou Jerome Bruner ont insisteacute

sur la place des interactions sociales dans le deacuteveloppement intellectuel et

lrsquoapprentissage des enfants Selon Vygotski (1933) les fonctions psychiques

supeacuterieures sont le produit de la transformation de processus interpersonnels

(sociaux) en processus intra-personnels (psychologiques) dans le cadre de ce qursquoil

appelle la zone proximale de deacuteveloppement celle-ci deacutelimite les apprentissages

qursquoun enfant peut effectuer lorsqursquoil est aideacute de maniegravere active par un adulte expert

crsquoest-agrave-dire ayant les compeacutetences neacutecessaires pour jouer son rocircle drsquoeacuteducateur En

deacuteveloppant les ideacutees de Vygotski Jerome Bruner (1983) assigne agrave lrsquoadulte le rocircle

de meacutediateur de la culture chargeacute de stimuler ndash agrave travers ses actes peacutedagogiques ndash

lrsquointelligence de lrsquoenfant et la construction de comportements intentionnels en

254

accord avec les impeacuteratifs culturels et les valeurs partageacutees par le groupe humain

dont ils font partie Lrsquoeacuteducateur est donc appeleacute agrave faciliter la progression de lrsquoenfant

en eacuteveillant son inteacuterecirct en reacuteduisant les difficulteacutes et en supprimant les obstacles

aux apprentissages en lrsquoorientant dans ses tacircches et en lui proposant des objectifs

intermeacutediaires en lui fournissant des informations utiles pour lrsquoaccomplissement

de ses objectifs ou encore en lrsquoencourageant et en lui proposant des deacutemonstrations

dans le but de produire lrsquoimitation

Puisque lrsquoun des objectifs principaux de cette thegravese est de rendre compte des

pratiques eacuteducatives dans les deux contextes drsquoeacutetude particuliers afin de

comprendre les principes qui guident la parentaliteacute wayana-apalaiuml et enata jrsquoai

souhaiteacute consacrer une partie de mon travail de terrain agrave lrsquoobservation des

eacutechanges185 et des seacutequences186 de type eacuteducatif entre les eacuteduqueacutes (les enfants) et

les membres de leur famille jouant le rocircle drsquoeacuteducateurs Pour leur analyse jrsquoai adopteacute

la classification proposeacutee par Rodica Ailincai agrave partir de quatre styles interactifs

laquo majeurs raquo sachant que

laquo le style directif integravegre les actes imposeacutes agrave lrsquoenfant (demandes

et apports drsquoinformations descriptions manipulations) des actes non

verbaux visant agrave la normativiteacute des comportements de lrsquoenfant (par

exemple le parent qui regarde lrsquoenfant et exerce un controcircle normatif

185 Les eacutechanges correspondent aux uniteacutes eacuteleacutementaires drsquoun dialogue ils sont constitueacutes drsquoau moins

deux interventions entre au moins deux participants

186 Des seacuteries drsquoeacutechanges coheacuterents autour drsquoun mecircme sujet

255

afin qursquoil atteigne le but fixeacute) ainsi que les feed-back neacutegatifs

(deacutesapprouve eacutevalue neacutegativement) le style suggestif integravegre les

demandes de preacutecisions les aides les conseils les encouragements

les relances les feed-back positifs ainsi que les manipulations

compleacutementaires agrave celles de lrsquoenfant le style autonomisant integravegre les

actes qui recommandent ou suggegraverent lrsquoautonomie ainsi que des actes

non verbaux appartenant agrave la cateacutegorie regard (regarde lrsquoenfant avec

bienveillance rit ou sourit) le fonctionnement disjoint integravegre les

actes de manipulation non collaborative (approche individualiste

chacun deacutecouvre de son cocircteacute) ainsi que les expressions de deacutesinteacuterecirct

agrave lrsquoeacutegard de lrsquoenfant (par exemple inattention aux actions de lrsquoenfant

manifestation drsquoun inteacuterecirct agrave lrsquoeacutegard drsquoun autre dispositif) raquo (Ailincai

2005 118)187

Dans le cadre de mes observations sur le temps consacreacute aux interactions

eacuteducatives dans les familles avec lesquelles jrsquoai travailleacute agrave Antecume pata agrave Hiva Oa

et en France meacutetropolitaine jrsquoai noteacute non seulement la dureacutee et lrsquointensiteacute de ces

eacutechanges ndash comme nous lrsquoavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent ndash mais aussi le style

eacuteducatif qui les caracteacuterisait Pour chaque membre de la famille jrsquoai donc obtenu le

nombre de minutes qursquoelles consacraient aux interactions eacuteducatives en fonction du

style utiliseacute directif (D) suggestif (S) autonomisant (A) ou fonctionnellement

187 Pour plus de preacutecisions voir aussi Ailincai et al 2014

256

disjoint (FD) Agrave partir drsquoune reacuteduction statistique jrsquoai donc pu obtenir le style

interactif dominant188 pour chaque membre de la famille dans les trois groupes

eacutetudieacutes mais aussi le style interactif dominant de chaque groupe Puisque ce travail

est focaliseacute sur les interactions dans le milieu domestique jrsquoai exclu de mes mesures

les interactions observeacutees agrave lrsquoexteacuterieur du groupe familial (lrsquoeacutecole les associations

culturelles sportives ou religieuses et dans le cas des familles meacutetropolitaines les

baby-sitters)

111 Une parentaliteacute agrave lrsquoeacutepreuve de la laquo moderniteacute raquo les logiques eacuteducatives

chez les Wayana-Apalaiuml

Comme eacutenonceacute dans le chapitre preacutecegravedent les premiegraveres observations

meneacutees en 2011 agrave Antecume pata mrsquoont permis de mettre au point lrsquooutil de codage

que jrsquoai utiliseacute pour noter les interactions eacuteducatives ayant pour laquo sujet raquo lrsquoenfant-

eacuteduqueacute et pour mesurer la laquo quantiteacute raquo de ces interactions en fonction de lrsquoeacuteducateur

et du style Cette premiegravere seacuterie drsquoobservations nous reacutevegravele que chez les Wayana-

Apalaiuml le style eacuteducatif dominant pendant les jours feacuterieacutes ndash et chez tous les membres

de la famille confondus ndash eacutetait le style suggestif (qui totalise 38 des interactions)

suivi par lrsquoautonomisant (34 des interactions) Seul un nombre limiteacute

188 Je parle de styles interactifs dominants puisque comme nous le verrons dans les pages suivantes

plusieurs styles se rencontrent chez une mecircme personne ou dans un mecircme groupe Le style dominant

est donc celui qui est le plus freacutequemment utiliseacute dans les interactions

257

drsquointeractions se sont faites dans des styles directifs (18 des cas) ou

fonctionnellement disjoints (9 des cas)

Cependant les megraveres ndash qui sont les membres de la famille avec lesquels les

enfants ont le plus drsquoeacutechanges ndash interagissaient surtout au travers drsquoun style

autonomisant (55 du temps deacutedieacute aux eacutechanges) Elles nrsquoutilisaient un style

directif et fonctionnellement disjoint que dans une minoriteacute de cas (respectivement

5 et 3 ) Les pegraveres et les autres membres adultes de la famille avaient plutocirct

tendance agrave preacutefeacuterer le style suggestif agrave lrsquoexception des grands-pegraveres paternels qui

se partageaient entre les styles directifs (50 des eacutechanges) et fonctionnellement

disjoints (50 ) La fratrie basait la majoriteacute des eacutechanges sur les styles directif (37

) et suggestif (30 ) agrave lrsquoinverse des pairs (qui je le rappelle sont tous des cousins)

qui utilisaient majoritairement des eacutechanges de type suggestif (dans 46 des cas)

Il est inteacuteressant de preacuteciser que le peu drsquointeractions observeacutees avec le shaman du

village (une moyenne de 5 minutes par enfant) ont toutes eu lieu dans le cadre

drsquoeacutechanges suggestifs (Tableau 11)

258

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 24 524 166 3624 254 5545 14 305

Pegravere 6 731 32 3902 8 975 36 439

Tante(s) maternelle(s)

28 3733 33 44 8 1066 6 8

Oncle(s) maternel(s)

6 3157 10 5263 3 1578 0 0

Grand-megravere maternelle

31 4626 29 4328 6 895 1 149

Grand-pegravere maternel

8 4705 9 5294 0 0 0 0

Tante(s) paternelle(s)

4 3076 5 3846 4 3076 0 0

Oncle(s) paternel(s)

3 15 9 45 7 35 1 5

Grand-megravere paternelle

5 4545 5 4545 1 909 0 0

Grand-pegravere paternel

3 50 0 0 0 0 3 50

Sœur(s) 35 3763 28 301 16 172 14 1505

Fregravere(s) 8 3076 12 4615 2 769 4 1538

Cousin(s) 18 2093 27 3139 28 3255 13 1511

Autres membres de la communauteacute

0 0 5 100 0 0 0 0

TOTAL 179 183 370 3783 337 3445 92 94

Tableau 11 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours feacuterieacutes (en 2011) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

En revanche les observations meneacutees la mecircme anneacutee pendant les jours

ouvrables ont donneacute des reacutesultats tregraves diffeacuterents En effet dans ce cas-ci le style

dominant eacutetait le style directif (36 des interactions) suivi par le suggestif (30 )

le fonctionnellement disjoint (pregraves de18 ) et lrsquoautonomisant (17 ) Quand les

enfants allaient agrave lrsquoeacutecole les megraveres semblaient plus enclines aux eacutechanges de type

directif (41 des cas) tout comme les tantes maternelles (43 ) les grands-megraveres

maternelles (39 ) et les sœurs (41 ) Les eacutechanges des pegraveres et de toutes les

259

autres figures masculines de la famille se faisaient majoritairement dans le cadre

drsquointeractions de type fonctionnellement disjoint Dans le cas des tantes et des

oncles paternels la totaliteacute des eacutechanges eacutetaient fonctionnellement disjoints En

revanche les cousins ndash dans le cadre drsquoactiviteacutes ludiques ndash se partageaient plus ou

moins eacutequitablement entre les styles directif (28 ) suggestif (33 ) et

autonomisant (34 ) seule une minoriteacute des eacutechanges eacutetant de type

fonctionnellement disjoint (Tableau 12)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 102 4112 88 3548 32 129 26 1048

Pegravere 4 1818 1 454 2 909 15 6818

Tante(s) maternelle(s)

16 4324 5 1351 5 1351 11 2972

Oncle(s) maternel(s)

5 2941 4 2352 3 1764 5 2941

Grand-megravere maternelle

21 3888 19 3518 8 1481 6 1111

Grand-pegravere maternel

3 25 0 0 4 3333 5 4166

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 4 100

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 2 100

Grand-megravere paternelle

3 75 0 0 0 0 1 25

Grand-pegravere paternel

0 0 1 3333 0 0 2 6666

Sœur(s) 14 4117 11 3235 5 147 4 1176

Fregravere(s) 4 1538 5 1923 5 1923 12 4615

Cousin(s) 27 2842 31 3263 32 3368 5 526

TOTAL 199 3566 165 2956 96 172 98 1756

Tableau 12 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours ouvrables (en 2011) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

260

Les donneacutees obtenues en 2014 sont sensiblement diffeacuterentes de celles

obtenues trois ans auparavant On note une leacutegegravere diminution de la quantiteacute

drsquoeacutechanges de type suggestif ou autonomisant En effet pendant les jours feacuterieacutes la

majoriteacute des interactions observeacutees sont de type autonomisant Quand les enfants

ne vont pas agrave lrsquoeacutecole les eacutechanges de ce type occupent 29 du temps deacutedieacute aux

activiteacutes eacuteducatives mais la diffeacuterence avec la quantiteacute des eacutechanges de type

suggestif et directif nrsquoest pas tregraves marqueacutee (respectivement 26 et 22 ) Les megraveres

reacutealisent surtout des eacutechanges de type autonomisant (43 ) tout comme les pairs

(28 ) Les pegraveres les tantes et oncles maternels et les grands-parents paternels

preacutesentent une majoriteacute drsquointeractions de type fonctionnellement disjoint

(respectivement 61 32 57 50 et 66 ) Les oncles paternels se partagent entre les

styles directifs suggestifs et fonctionnellement disjoints Les grands-parents

maternels reacutealisent surtout des eacutechanges de type directif et suggestif et pendant la

peacuteriode en question je ne les ai jamais observeacutes dans des eacutechanges de type

autonomisant (Tableau 13)

261

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 48 1256 122 3193 164 4293 48 1256

Pegravere 9 1363 4 606 13 1969 40 606

Tante(s) maternelle(s)

12 169 22 3098 14 1971 23 3239

Oncle(s) maternel(s)

0 0 0 0 3 4285 4 5714

Grand-megravere maternelle

41 50 25 3048 10 1219 6 731

Grand-pegravere maternel

4 3636 4 3636 0 0 3 2727

Tante(s) paternelle(s)

4 3636 4 3636 0 0 3 2727

Oncle(s) paternel(s)

2 3333 2 3333 0 0 2 3333

Grand-megravere paternelle

2 25 2 25 0 0 4 50

Grand-pegravere paternel

2 3333 0 0 0 0 4 6666

Sœur(s) 41 4315 14 1473 16 1684 24 2526

Fregravere(s) 4 1904 8 3809 3 1428 6 2857

Cousin(s) 26 2626 17 1717 28 2828 18 1818

TOTAL 195 228 224 2619 251 2935 185 2163

Tableau 13 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

Le pattern statistique observeacute en 2014 pendant les jours feacuterieacutes varie

sensiblement pendant les jours ouvrables La majoriteacute des eacutechanges observeacutes sont

de type directif (39 ) Les megraveres emploient surtout des modaliteacutes directives (49

des eacutechanges) tout comme les autres membres feacuteminins de la maisonneacutee les tantes

maternelles (48 ) et les grands-megraveres maternelles (36 ) Par contre les

membres masculins de la maisonneacutee (pegraveres oncles maternels grands-pegraveres

maternels et fregraveres) tendent plutocirct vers un style fonctionnellement disjoint tout

comme les cousins de lrsquoenfant (Tableau 14)

262

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 109 4909 78 3513 11 495 24 1081

Pegravere 5 2941 1 588 1 588 10 5882

Tante(s) maternelle(s)

15 4838 3 967 0 0 13 4193

Oncle(s) maternel(s)

2 1818 2 1818 3 2727 4 3636

Grand-megravere maternelle

23 3593 15 2343 10 1562 16 25

Grand-pegravere maternel

2 1818 0 0 2 1818 7 6363

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 3 100

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 2 100

Grand-megravere paternelle

2 75 0 0 0 0 1 25

Grand-pegravere paternel

0 0 1 3333 1 3333 1 3333

Sœur(s) 11 25 14 3181 6 1363 14 3181

Fregravere(s) 3 1875 2 125 3 1875 8 50

Cousin(s) 35 3301 21 1981 5 471 45 4245

TOTAL 207 3883 137 257 42 787 148 2776

Tableau 14 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

Pour interpreacuteter ces donneacutees jrsquoadopterai le point de vue exposeacute auparavant

de Jerome Bruner (1996) selon lequel certains types drsquoeacutechanges ndash que jrsquoidentifie

selon la proposition de Rodica Ailincai (2011) avec les styles suggestif et

autonomisant ndash facilitent plus que drsquoautres les apprentissages et le deacuteveloppement

de lrsquoenfant Si en 2011 quand les enfants nrsquoallaient pas agrave lrsquoeacutecole les membres de la

famille se comportaient comme des eacuteducateurs impliqueacutes dans les apprentissages agrave

partir drsquoeacutechanges suggestifs et laquo autonomisants raquo en 2014 la tendance eacutetait

263

opposeacutee et plus de la moitieacute des eacutechanges eacutetaient reacutealiseacutes sur des modes directifs ou

fonctionnellement disjoints impliquant donc un certain manque drsquoattention de la

part des eacuteducateurs Plusieurs facteurs dont quelques-uns ont deacutejagrave eacuteteacute mentionneacutes

dans le chapitre preacutecegravedent semblent ecirctre en cause Premiegraverement lrsquoalcoolisme qui

touche la grande majoriteacute des hommes du village et qui les rend peu disposeacutes aux

eacutechanges qui impliquent de lrsquoattention envers lrsquoenfant ou qui demandent un

laquo effort raquo eacuteducatif Ceci explique pourquoi le style fonctionnellement disjoint est

dominant chez les hommes adultes Ce problegraveme entraicircne aussi une charge de

travail suppleacutementaire pour les femmes du village qui doivent se charger non

seulement des tacircches qui leur sont traditionnellement assigneacutees (la gestion de la

cuisine lrsquoentretien du foyer et les petits travaux drsquoagriculture) mais aussi des tacircches

qui incombent normalement aux hommes agrave savoir la pecircche les travaux agricoles les

plus lourds et la coupe du bois pour alimenter le feu de la cuisine Deuxiegravemement

intervient aussi le comportement des enfants qui en sortant de lrsquoeacutecole agissent

drsquoune maniegravere que les membres de la famille ont du mal agrave comprendre et agrave accepter

ils jouent agrave des jeux que les parents ne connaissent pas ils utilisent des mots ndash en

langue franccedilaise ndash que les adultes qui nrsquoont pas eacuteteacute scolariseacutes (surtout les grands-

parents) ne comprennent pas et ils ont des rythmes circadiens (de sommeil et de

veille) qui suivent les horaires scolaires et qui ne correspondent plus aux rythmes

laquo traditionnels raquo de la vie wayana-apalaiuml189 Ces difficulteacutes amegravenent les membres

189 Geacuteneacuteralement les adultes se reacuteveillent avant lrsquoaube agrave 4 heures du matin Leur petit-deacutejeuner se

limite agrave une tasse de cafeacute Ils srsquooccupent des travaux agricoles jusqursquoagrave 9 heures Entre 9 heures et 10

heures ils vont prendre leur deacutejeuner Ils continuent agrave travailler jusqursquoagrave midi (les hommes en allant

264

adultes des familles ndash et surtout les megraveres ndash agrave laquo imposer raquo certaines tacircches par le

biais drsquointeractions directives normatives (par exemple laquo Fais comme je te dis raquo

laquo Tu lrsquoas mal fait tu dois faire de cette maniegravere raquo laquo Laisse-moi faire tu nrsquoen es pas

capable raquo) qui excluent toute suggestion et ne laissent guegravere drsquoautonomie agrave lrsquoenfant

112 Pratiques eacuteducatives agrave Hiva Oa une autochtonie accultureacutee

Si les observations meneacutees en 2014 agrave Hiva Oa nous offrent des reacutesultats assez

diffeacuterents de ceux obtenus agrave Antecume pata elles semblent toutefois reacutepondre agrave une

tendance geacuteneacuterale similaire En effet pendant les jours feacuterieacutes la majoriteacute relative

des eacutechanges observeacutes sont de type suggestif (25 du temps deacutedieacute aux

interactions) avec un leacuteger eacutecart par rapport agrave ceux de type autonomisant (23 )

Dans la majoriteacute des eacutechanges les megraveres adoptent une attitude suggestive (39 )

tout comme les tantes maternelles (50 ) Dans les deux cas lrsquoeacutecart avec les

interactions de type autonomisant est limiteacute (respectivement 34 et 33 ) Les oncles

maternels se partagent entre interactions de type suggestif (57 ) et interactions

de type directif (43 ) eacutevitant celles de type autonomisant ou fonctionnellement

disjoint De leur cocircteacute les grands-parents maternels et paternels optent plutocirct pour

des interactions laquo autonomisantes raquo Il est inteacuteressant de noter que les attitudes

agrave la pecircche ou agrave la chasse les femmes en srsquooccupant de la maison) Apregraves une sieste qui se termine agrave

4 heures de lrsquoapregraves-midi ils se deacutedient aux relations sociales avec les voisins et les membres de la

famille qui ne vivent pas sous le mecircme toit Ils vont se coucher entre 19 et 20 heures peu apregraves le

coucher du soleil

265

observeacutees chez les fregraveres et chez les sœurs sont opposeacutees si les premiers

privileacutegient des eacutechanges fonctionnellement disjoints (46 ) les deuxiegravemes

adoptent plutocirct des modaliteacutes interactives agrave la fois directives (29 ) suggestives

(27 ) et laquo autonomisantes raquo (27 ) Les relations avec les cousins et les voisins

sont la plupart du temps de type fonctionnellement disjoint (Tableau 15)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur D D S S A A FD FD

Megravere 42 2121 78 3939 68 3434 10 505

Pegravere 7 3333 4 1904 6 2857 4 1904

Tante(s) maternelle(s)

1 1666 3 50 2 3333 0 0

Oncle(s) maternel(s)

3 4285 4 5714 0 0 0 0

Grand-megravere maternelle

4 2857 4 2857 5 3571 1 714

Grand-pegravere maternel

3 2307 4 3076 4 3076 2 1538

Tante(s) paternelle(s)

2 25 2 25 3 375 1 125

Oncle(s) paternel(s)

0 0 2 3333 2 3333 2 3333

Grand-megravere paternelle

3 1875 4 25 8 50 1 625

Grand-pegravere paternel

4 2222 5 2777 8 4444 1 555

Sœur(s) 12 2926 11 2682 11 2682 7 1707

Fregravere(s) 4 3076 3 2307 0 0 6 4615

Cousin(s) 0 0 2 125 2 125 12 75

Voisinsamis 1 666 2 1333 2 1333 10 6666

Autres membres de la communauteacute

3 25 4 3333 2 1666 3 25

TOTAL 89 1698 132 2519 123 2347 60 1145

Tableau 15 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

266

Cependant les valeurs totales des eacutechanges srsquoinversent pendant les jours

ouvrables Quand les enfants vont agrave lrsquoeacutecole la majoriteacute des interactions eacuteducatives

que jrsquoai observeacutees relegravevent du style directif (24 du temps total) suivies de pregraves

par celles relevant du style suggestif (21 ) Srsquoensuivent les interactions

fonctionnellement disjointes (17 ) et celles laquo autonomisantes raquo (14 ) Les megraveres

deviennent plus directives (38 ) tandis que les pegraveres privileacutegient les eacutechanges

suggestifs (40 ) Les sœurs deviennent totalement directives et les fregraveres adoptent

un comportement qui ne privileacutegie aucun style interactif en particulier Le peu

drsquointeractions observeacutees avec les autres membres de la famille (oncles tantes et

grands-parents) nous donnent des reacutesultats peu significatifs drsquoun point de vue

statistique en effet apregraves lrsquoeacutecole les enfants restent agrave la maison et nrsquointeragissent

pas vraiment avec les membres du reacuteseau de parenteacute qui ne vivent pas dans la mecircme

maison (Tableau 16)

267

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 35 3804 26 2826 17 1847 14 1521

Pegravere 17 3777 18 40 5 1111 5 1111

Tante(s) maternelle(s)

2 100 0 0 0 0 0 0

Oncle(s) maternel(s)

0 0 0 0 0 0 1 100

Grand-megravere maternelle

0 0 2 100 0 0 0 0

Grand-pegravere maternel

0 0 0 0 0 0 0 0

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 0 0

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 0 0

Grand-megravere paternelle

1 50 1 50 0 0 0 0

Grand-pegravere paternel

1 100 0 0 0 0 0 0

Sœur(s) 3 25 3 25 3 25 3 25

Fregravere(s) 3 2727 0 0 2 1818 6 5454

Cousin(s) 0 0 0 0 0 0 2 100

Voisinsamis 0 0 3 2142 8 5714 3 2142

Autres membres de la communauteacute

0 0 2 1428 2 1428 10 7142

TOTAL 62 2403 55 2131 37 1434 44 1705

Tableau 16 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

113 Lrsquointeraction eacuteducative en France meacutetropolitaine quelques donneacutees

utiles agrave la comparaison

Les observations que jrsquoai meneacutees dans les cinq familles teacutemoins en France

meacutetropolitaine nrsquoont pas la preacutetention de repreacutesenter un eacutechantillon significatif de

la laquo socieacuteteacute franccedilaise raquo Je nrsquoai proceacutedeacute agrave ces mesures que parce qursquoil nrsquoexiste pas

encore drsquoeacutetudes de ce type ndash consacreacutees agrave mesurer la quantiteacute drsquointeractions

eacuteducatives dans le cadre domestique et agrave les classifier selon le style interactif ndash et

268

parce-que jrsquoavais besoin drsquoun groupe teacutemoin en milieu hexagonal urbain pour

pouvoir comparer les reacutesultats obtenus dans les deux contextes drsquoeacutetude ultramarins

(ruraux et isoleacutes) mais sans jamais preacutetendre agrave leur repreacutesentativiteacute statistique De

fait cinq familles heacuteteacutero-parentales avec trois ou quatre enfants et localiseacutees dans

de grandes agglomeacuterations urbaines sont tregraves loin de repreacutesenter une norme

statistique de la laquo famille franccedilaise moyenne raquo

Pendant les jours feacuterieacutes jrsquoai observeacute que le style dominant des interactions

familiales eacutetait fonctionnellement disjoint Les megraveres nrsquoadoptaient pas vraiment de

style dominant bien que la majoriteacute des interactions (28 ) eacutetaient de type directif

lrsquoeacutecart avec les interactions drsquoautre type eacutetait infime (27 de type

fonctionnellement disjoint 24 de type autonomisant et 21 de type suggestif)

Les interactions drsquoorigine paternelle eacutetaient surtout fonctionnellement disjointes

tout comme celles avec les fregraveres ou les pairs sans liens de parenteacute (amis et voisins)

Les eacutechanges avec les sœurs eacutetaient surtout directifs Agrave quelques leacutegegraveres diffeacuterences

pregraves il srsquoagit du mecircme pattern que celui observeacute agrave Hiva Oa (Tableau 17)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 49 2768 38 2146 42 2372 48 2711

Pegravere 9 2647 5 147 5 147 15 4411

Sœur(s) 16 50 9 2812 5 1562 2 625

Fregravere(s) 3 2307 4 3076 0 0 6 4615

Voisinsamis 2 1111 1 555 1 555 14 7777

TOTAL 79 2005 57 1446 53 1345 85 2157

Tableau 17 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

269

Comme pendant les jours feacuterieacutes durant les jours ouvrables ndash quand les

enfants vont agrave lrsquoeacutecole et les deux parents vont au travail ndash le style interactif dominant

est celui fonctionnellement disjoint qui occupe 43 des eacutechanges observeacutes

Toutefois les parents utilisent des styles eacuteducatifs diffeacuterents de ceux observeacutes

pendant les jours feacuterieacutes la majoriteacute des interactions eacuteducatives des megraveres sont

surtout du type fonctionnellement disjoint (52 du temps) et celles des pegraveres

directives (39 ) soit lrsquoinverse des jours feacuterieacutes Les sœurs conservent la mecircme

attitude directive observeacutee pendant les jours feacuterieacutes (43 ) tandis que les fregraveres de

mecircme que les pegraveres passent drsquoun style fonctionnellement disjoint agrave un style

essentiellement directif (67 ) Les eacutechanges avec les pairs reacutevegravelent un eacutequilibre

entre le style fonctionnellement disjoint et le directif (Tableau 18)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 41 3203 12 937 8 625 67 5234

Pegravere 12 387 4 129 7 2258 8 258

Sœur(s) 9 4285 2 952 3 1428 7 3333

Fregravere(s) 8 6666 1 833 1 833 2 1666

Voisinsamis 8 3478 3 1304 4 1739 8 3478

TOTAL 78 3627 22 1023 23 1069 92 4279

Tableau 18 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

270

Pour expliquer ces donneacutees je mrsquoappuierai sur les observations que jrsquoai

reacutealiseacutees dans les familles et sur les renseignements donneacutes par les parents qui

essayent souvent de laquo justifier raquo leur comportement par certaines contraintes

drsquoorigine exogegravene comme le burn-out professionnel ou le manque de temps ducirc agrave un

rythme de vie plus adapteacute aux cycles laquo meacutetro-boulot-dodo190 raquo qursquoaux exigences

eacutemotionnelles des enfants Dans la mesure ougrave comme je lrsquoai expliqueacute lrsquoeacutechantillon

preacutesenteacute nrsquoa pas de validiteacute statistique il ne me semble pas opportun de reacutealiser une

analyse sociologique de la laquo famille franccedilaise en milieu urbain raquo Cependant certains

deacutetails observeacutes pendant mon travail de terrain peuvent aider agrave comprendre les

reacutesultats obtenus La preacutedominance des interactions eacuteducatives directives chez les

megraveres pendant les jours feacuterieacutes est probablement en partie due au fait qursquoil srsquoagit de

journeacutees durant lesquelles dans la plupart des familles les megraveres se consacrent agrave

lrsquoentretien de la maison Elles laquo dirigent raquo donc les enfants afin qursquoils srsquooccupent de

leurs propres espaces de leur chambre et de leurs affaires mais aussi de leurs

devoirs (beaucoup des eacutechanges observeacutes eacutetaient du type laquo Range ta chambre raquo

laquo Aide-moi agrave nettoyer tes jouets raquo laquo Si tu ne termines pas tes devoirs tu nrsquoauras

pas le droit de jouer avec la tablette raquo) Les pegraveres au contraire profitent du temps

libre agrave la maison pour laquo ecirctre avec raquo les enfants sans qursquoil y ait pour autant des

interactions eacuteducatives (quand les enfants ne vont pas agrave lrsquoeacutecole la moyenne

journaliegravere des eacutechanges eacuteducatifs observeacutes eacutetait en effet de 34 minutes pour les

pegraveres et de 177 pour les megraveres) Aussi je me dois de preacuteciser que pendant une

190 Expression familiegravere qui syntheacutetise la routine du cycle de vie urbain on prend le meacutetro on passe

la journeacutee au travail on rentre agrave la maison et on dort pour recommencer le lendemain

271

bonne partie du jour feacuterieacute la majoriteacute des pegraveres preacutefeacuteraient rester agrave la maison

devant la teacuteleacutevision lrsquoordinateur ou la tablette Ce nrsquoest que dans deux cas jrsquoai pu

observer des parents sortir de la maison avec leurs enfants pour aller dans un parc

ou pour faire des courses

Par contre pendant les jours ouvrables les megraveres semblent adopter une

attitude fonctionnellement disjointe car comme certaines me lrsquoont dit elles se

sentent surchargeacutees par la double responsabiliteacute du travail et des tacircches meacutenagegraveres

et ont alors tendance agrave deacutelaisser les activiteacutes eacuteducatives avec les enfants comme les

pegraveres pendant les jours feacuterieacutes elles aussi laquo sont avec raquo les enfants mais leur

attention est ailleurs Les pegraveres qui rentrent tous du travail plus tard que les megraveres

optent pour des modaliteacutes directives car comme ils le disent ils considegraverent avoir

moins de temps pour laquo geacuterer raquo la maison et ont donc besoin que leurs

recommandations soient exeacutecuteacutees sans trop de discussions (en geacuteneacuteral entre leur

arriveacutee agrave la maison et le moment ougrave les enfants vont se coucher ne srsquoeacutecoulent que 3

ou 4 heures) Ils adoptent donc des eacutechanges normatifs qui leur permettent

drsquoimposer leur volonteacute sans avoir agrave tergiverser Une explication similaire peut ecirctre

donneacutee pour justifier le fait que les sœurs et les fregraveres aicircneacutes appliquent les mecircmes

modaliteacutes directives eux aussi rentrent fatigueacutes de lrsquoeacutecole et des activiteacutes

extrascolaires ils doivent faire leurs devoirs ou rencontrer leurs amis et puisqursquoils

nrsquoont pas le temps de se consacrer aux cadets de la famille ils eacutechangent avec eux agrave

partir drsquoun mode directif qui est eacutemotionnellement moins exigeant (agrave partir

drsquoeacutechanges comme laquo Allez je nrsquoai pas le temps de mrsquooccuper de toi raquo laquo Je nrsquoai pas

272

envie de jouer avec toi raquo ou laquo Bon je joue un peu avec toi mais apregraves tu me fiche la

paix raquo)

Dans la figure 22 jrsquoai reacutesumeacute agrave partir drsquoune repreacutesentation graphique des

reacutesultats obtenus les styles interactifs dominants dans les diffeacuterents contextes

drsquoeacutetude

273

Figure 22 Comparaison des styles interactifs dominants dans les terrains drsquoeacutetude

274

12 Les ideacuteologies eacuteducatives autochtones lrsquoidentiteacute culturelle au service de

lrsquoeacutecosystegraveme

Dans les chapitres preacuteceacutedents jrsquoai essayeacute de montrer les diffeacuterents types

drsquointeractions eacutetablies entre les parents ou les autres membres de la famille et

lrsquoenfant-eacuteduqueacute dans les contextes eacutetudieacutes Agrave partir de la theacuteorie de lrsquoeacutecosystegraveme de

deacuteveloppement proposeacutee par Uri Bronfenbrenner (1986 1995) on peut supposer

que si ces modaliteacutes eacuteducatives deacutependent du veacutecu des personnes chargeacutees de

lrsquoeacuteducation et de la repreacutesentation qursquoelles se font du rocircle drsquoeacuteducateur elles

deacutependent aussi des attentes que les eacuteducateurs projettent sur leurs enfants

lesquelles sont stimuleacutees par une ideacutee de laquo reacuteussite systeacutemique raquo veacutehiculeacutee par les

couches supeacuterieures de lrsquoeacutecosystegraveme agrave savoir lrsquoexosystegraveme et le macrosystegraveme

(Bronfenbrenner 2005)

Les objectifs eacuteducatifs que les parents se fixent en vue de lrsquointeacutegration de

lrsquoenfant agrave lrsquoeacutecosystegraveme social vont selon la personnaliteacute des parents prendre

diffeacuterentes formes lrsquointeacutegration se fera par le biais drsquoune subordination pure et

simple drsquoune adaptation utilitariste ou drsquoune reacutesistance critique au systegraveme En

effet plusieurs travaux dans le domaine de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation ont

deacutemontreacute la variabiliteacute des moyens et des outils employeacutes par les parents de

diffeacuterentes cultures pour laquo construire raquo la personnaliteacute des enfants et influencer leur

comportement et leur deacuteveloppement psychosocial Lrsquoun des travaux pionniers sur

cette question est celui de Jean Briggs (1972) qui dans son eacutetude sur le

275

deacuteveloppement de lrsquoautonomie chez les enfants utkuhikhalik a observeacute comment

les megraveres Inuits agissent afin drsquoapprendre agrave leur progeacuteniture comment controcircler

leur colegravere et leur violence ndash qui sont consideacutereacutees comme inadmissibles par la

communauteacute ndash en utilisant la laquo honte raquo comme mode de controcircle social Le

comportement observeacute par Briggs est totalement opposeacute agrave celui observeacute par Peggy

Miller et ses collaborateurs (2001) chez les parents nord-ameacutericains lesquels ont

plutocirct tendance agrave proteacuteger les enfants des situations qui pourraient entraicircner un

sentiment de honte et ce agrave partir de laquo transgressions narratives raquo crsquoest-agrave-dire du

reacutecit de leurs expeacuteriences personnelles Par ce biais-lagrave les parents mettent ainsi en

eacutevidence les erreurs ou les eacutechecs qui ont joueacute un rocircle dans leur vie drsquoadultes et

montrent agrave leurs enfants que tous les hommes ont des faiblesses mais que malgreacute

cela laquo on peut toujours srsquoen sortir raquo Selon les auteurs cette ideacuteologie reflegravete les

valeurs laquo ameacutericaines raquo drsquoeacutegaliteacute ndash ou mieux de symeacutetrie entre parents et enfants ndash

et drsquoestime de soi ndash valeurs qui sont agrave la base de lrsquoideacutealtype du self made man191

De leur cocircteacute Sara Harkness et Charles Super (1977) ont exploreacute le processus

de socialisation linguistique chez les Kipsigis du Kenya afin de comprendre les

normes des compeacutetences communicatives transmises au fil des geacuteneacuterations Ils ont

alors pu deacutecouvrir que le principal but des eacuteducateurs ndash adultes comme pairs ndash est

de deacutevelopper chez les enfants la compreacutehension du langage plutocirct que sa

191 En tant que repreacutesentation archeacutetypique du mythe eacutetasunien de lrsquohomme qui bien qursquoissu drsquoun

milieu deacutefavoriseacute est capable drsquoatteindre la reacuteussite sociale et surtout eacuteconomique gracircce agrave ses

meacuterites agrave son talent et agrave son travail

276

production ndash objectif qui coiumlncide avec les valeurs culturelles drsquoobeacuteissance et de

respect qui caracteacuterisent la socieacuteteacute kipsigis Lrsquoideacuteologie eacuteducative des Kipsigis

preacutesenterait donc un trait distinctif similaire agrave celui observeacute au Japon par Patricia

Clancy (1986) qui a montreacute que la prioriteacute eacuteducative des parents du laquo pays du Soleil

Levant raquo est de permettre aux enfants drsquoacqueacuterir une maicirctrise de soi (ou

autocontrocircle) agrave travers des strateacutegies peacutedagogiques qui inhibent la libre expression

du corps et du langage192 Finalement Rebecca New (1994) a montreacute que les

logiques des eacuteducateurs peuvent eacutegalement varier au sein drsquoune mecircme culture et

qursquoil est donc impossible drsquoeacutetablir une relation univoque entre une seule ideacuteologie

et une seule culture (et inversement) Lrsquoideacuteologie drsquoun eacuteducateur varie en effet en

fonction du contexte193 dans lequel se reacutealise lrsquoaction eacuteducative ce qui explique par

exemple les diffeacuterences observables entre les logiques eacuteducatives qui guident les

enseignants dans leur profession et celles qui guident les mecircmes enseignants dans

leur rocircle parental

Pour comprendre les ideacuteologies eacuteducatives des eacuteducateurs dans les deux

contextes eacutetudieacutes ici je mrsquoappuierai donc sur ces consideacuterations en essayant de

192 Patricia Clancy affirma mecircme que cette logique eacuteducative a pour but de permettre aux enfants de

laquo srsquoentrainer au conformisme raquo (Clancy 1986 247)

193 En reacutealiteacute Rebecca New nrsquoutilise pas la notion de laquo contexte eacuteducatif raquo mais celle de laquo niche

eacutevolutive raquo (developmental niche) qursquoelle emprunte agrave Charles Super et Sarah Harkness (1986) Cette

notion englobe ce qursquoils considegraverent comme les trois facteurs cleacutes du laquo contexte eacuteducatif raquo agrave savoir

lrsquoenvironnement naturel et social les strateacutegies des eacuteducateurs et surtout leur psychologie

277

montrer comment les logiques exo-systeacutemiques et macro-systeacutemiques peuvent

influencer le processus de transmission des donneacutees culturelles aux membres les

plus jeunes de la famille

121 Eacuteduquer et apprendre dans la forecirct amazonienne eacutecosophie et

deacuteveloppement de lrsquoenfant wayana-apalaiuml

Bien qursquoelles ne portaient pas sur lrsquoeacutetude des processus eacuteducatifs les

monographies ethnographiques sur les Wayana-Apalaiuml reacutealiseacutees avant la creacuteation

des premiegraveres eacutecoles franccedilaises dans le laquo pays ameacuterindien raquo nous donnent une ideacutee

des logiques peacutedagogiques qui guidaient auparavant lrsquoaction des adultes et les

strateacutegies employeacutees pour permettre aux enfants de devenir des adultes Deux

eacuteleacutements en particulier ont susciteacute lrsquointeacuterecirct de la plupart de ces observateurs Drsquoune

part les adultes semblaient ne jamais rien imposer aux enfants lesquels

apprenaient par imitation plutocirct que par laquo assignation de tacircches raquo (ce qui a

contribueacute agrave alimenter chez certains experts de la culture wayana-apalaiuml194 le mythe

selon lequel lrsquoenfant ameacuterindien serait un laquo enfant-roi raquo) Drsquoautre part les enfants

degraves leur plus jeune acircge eacutetaient maicirctres de leur territoire ce qui leur permettait

drsquoapprivoiser lrsquoeacutecosystegraveme complexe de la forecirct tropicale humide amazonienne et

de tirer profit de toutes les ressources qursquoelle pouvait offrir (Maufrais 1952

Grenand 1982) Andreacute Cognat (1967 1977) qui vit depuis plus de cinquante ans agrave

Antecume pata souligne que avant lrsquointeacutegration des Wayana-Apalaiuml agrave la nation

194 Comme Jean Hurault (1968) ou Pierre Grenand (1972)

278

franccedilaise (obtenue comme je lrsquoai expliqueacute agrave travers lrsquooctroi de la citoyenneteacute agrave

certaines familles ameacuterindiennes) il existait aussi deux autres facteurs agrave prendre en

compte le reacutegime communautaire de lrsquoespace et le laquo culte de la beauteacute raquo Pour ce

qui est du premier facteur il faut rappeler que comme pour la majoriteacute des peuples

de tradition nomade des forecircts sud-ameacutericaines les Wayana-Apalaiuml ne concevaient

pas le reacutegime de la proprieacuteteacute priveacutee pour les ressources eacutecologiques et territoriales

mecircme si dans le cas des outils de travail ou des ornements corporels ils

appliquaient un reacutegime drsquoutilisation familiale Autrement dit pour un Wayana-

Apalaiuml il aurait eacuteteacute impossible de concevoir un espace (une parcelle de bois un

fleuve une colline etc) comme un patrimoine personnel alors qursquoagrave lrsquoinverse il

aurait eacuteteacute normal de consideacuterer une vannerie ou une parure en plumes comme un

outil propre agrave une famille (qui pouvait eacuteventuellement la precircter agrave drsquoautres

membres de la communauteacute) Toujours en 1972 Jean Hurault a eacutecrit que chez les

Ameacuterindiens du Haut Maroni laquo il nrsquoexiste aucune forme drsquoappropriation du sol aux

individus ni mecircme aux groupes de parenteacute et il ne semble pas qursquoil y en ait jamais

eu raquo (Hurault 1972 8) Cette laquo absence raquo195 eacutetait agrave la base drsquoun systegraveme de normes

(nomos) transmis aux enfants tout au long de leur enfance et adolescence ce

195 Jrsquoutilise ici le terme laquo absence raquo avec une certaine ironie la laquo moderniteacute raquo (et la vision eacuteconomique

neacuteolibeacuterale qui va avec) nous a parfois habitueacutes agrave consideacuterer comme laquo preacute-modernes raquo les socieacuteteacutes

qui nrsquoutilisent pas un systegraveme clair de traitement des eacutechanges de biens et de services sur la base

drsquoun devis On devrait pourtant consideacuterer que laquo les choix existentiels des Ameacuterindiens srsquoils sont par

deacutefinition inadaptables agrave nos exigences eacuteconomiques agrave nos modegraveles politiques et agrave nos valeurs

philosophiques repreacutesentent cependant la seule alternative qui fonctionne dans cet eacutecosystegraveme

tropical forestier raquo (Hurault et al 1998 26)

279

systegraveme visait agrave former des jeunes et des adultes pour qursquoils soient capables de vivre

en paix avec les autres membres de la communauteacute et de preacutevenir les eacuteventuels

conflits lieacutes agrave lrsquoutilisation de ce type de ressources sans recourir au systegraveme des

titres de proprieacuteteacute qui agrave lrsquoinverse est la base du corpus iuris civilis occidental Crsquoest

donc une certaine eacutecosophie qui impreacutegnait la culture wayana-apalaiuml une vision du

monde strictement lieacutee au panorama geacuteographique et social (oikos) et construite en

famille et avec la contribution de tous les membres de la communauteacute (lesquels

comme on a pu le voir se considegraverent agrave tout eacutegard comme les membres drsquoune mecircme

famille) Il srsquoagissait drsquoun processus de formation continue ndash communautaire et laquo

drsquoen bas raquo ndash dirigeacute vers un approvisionnement respectueux en ressources naturelles

et une gestion subtile des relations avec la communauteacutefamille Cela nous permet

de comprendre que cette eacutecosophie est eacutetroitement lieacutee agrave la notion de laquo beau raquo et

par conseacutequent agrave lrsquoimportance assigneacutee au travail bien reacutealiseacute capable drsquoapporter

du plaisir agrave son reacutealisateur

En effet selon plusieurs observateurs ndash comme Jean Hurault (1965 1968)

Andreacute Cognat (1967 1977) Daniel Schoepf (1976) Lucia Hussak Van Velthem

(1995) et Jean Chapuis (1998) ndash le comportement des Wayana-Apalaiuml est

caracteacuteriseacute par un complexe heacutedoniste qui les pousse agrave associer degraves lors que crsquoest

possible la fonctionnaliteacute au plaisir la peinture corporelle par exemple revecircte la

double fonction de rendre une personne plus belle aux yeux des observateurs mais

aussi de deacutecrire son statut (ses liens de parenteacute et son rocircle dans la communauteacute agrave

280

laquelle elle fait partie)196 les soins qui sont apporteacutes agrave la confection drsquoune vannerie

ne visent pas seulement agrave reacutealiser un objet utile mais aussi agrave eacutetonner les autres

villageois par son estheacutetique la disposition des arbres fruitiers dans lrsquoabattis

ameacuterindien nrsquoa pas seulement pour fonction de permettre la creacuteation drsquoun

eacutecosystegraveme eacutequilibreacute et dynamique ndash ougrave chaque plante joue un rocircle dans la

croissance des plantes voisines ndash mais aussi celle drsquooffrir aux personnes qui le

cultivent un espace agreacuteable dans lequel la fatigue physique lieacutee au travaux

agricoles est reacutecompenseacutee par la beauteacute des lieux

Cependant si ces traits deacutecrivent bien les Wayana-Apalaiuml laquo drsquoantan raquo ils

caracteacuterisent de moins en moins les Ameacuterindiens du laquo troisiegraveme milleacutenaire raquo Nous

avons vu que traditionnellement les parents drsquoAntecume pata se repreacutesentaient la

reacuteussite de leur garccedilon par lrsquoobtention du statut de laquo bon pegravere de famille raquo (agrave savoir

un chasseur fort et courageux capable de construire sa maison et de reacutepondre aux

besoins mateacuteriaux du foyer) et celle de leur fille par lrsquoobtention du statut de bonne

megravere de famille (capable de geacuterer convenablement sa maison et de preacuteparer un bon

cachiri pour les fecirctes communautaires) Aujourdrsquohui les repreacutesentations se sont

transformeacutees et les parents espegraverent plutocirct pour leurs enfants une reacuteussite baseacutee

sur des critegraveres plus occidentaux fournis par le macrosystegraveme laquo national raquo comme

lrsquoobtention drsquoun diplocircme scolaire un travail salarieacute et lrsquoautonomie financiegravere Ces

196 Comme ce qui a eacuteteacute observeacute chez drsquoautres peuples ameacuterindiens tel que le deacutemontrent les travaux

de Claude Leacutevi-Strauss (1955) de Darcy Ribeiro (1980) et Pascal Dibie (2005) Voir aussi Houbre

(2010)

281

nouveaux critegraveres de reacuteussite impliquent une modification des ideacuteologies

eacuteducatives preacutecoloniales (ou du moins celles qui eacutetaient en vigueur avant

lrsquoacquisition de la citoyenneteacute franccedilaise) agrave partir des nouvelles prioriteacutes drsquoorigine

exogegravene De nouvelles strateacutegies voient le jour et comme nous lrsquoavons vu dans le

chapitre preacutecegravedent de nouveaux styles eacuteducatifs prennent la place des anciens

Lrsquoenfant ameacuterindien nrsquoest plus le laquo roi raquo de la maisonneacutee agrave preacutesent ses

parents cherchent fondamentalement sa reacuteussite scolaire qursquoils considegraverent comme

le premier pas vers la reacuteussite sociale Pour atteindre cet objectif ils nrsquoheacutesitent pas

agrave utiliser des styles interactifs qui avant nrsquoeacutetaient utiliseacutes que dans de rares cas

nous avons vu en effet que le style directif a remplaceacute le suggestif et lrsquoautonomisant

et que le style fonctionnellement disjoint srsquoest graduellement imposeacute chez les

hommes du village Plusieurs parents ont commenceacute agrave exiger lrsquoutilisation du franccedilais

dans les eacutechanges avec les enfants ce qui creacutee des situations drsquoincompreacutehension au

sein de la maison puisque la majoriteacute des grands-parents ne parlent pas franccedilais

Les cycles agricoles se modifient agrave partir du calendrier scolaire et les travaux de

brucirclis des abatis ndash qui jusqursquoici se reacutealisaient en septembre ndash sont maintenant

effectueacutes pendant les vacances drsquoeacuteteacute (entre juillet et aoucirct) Il en va de mecircme des

cycles circadiens qui se transforment si avant les enfants se levaient avant lrsquoaube

avec leurs parents ces derniers preacutefegraverent agrave preacutesent les laisser dans leur hamac

jusqursquoagrave sept heures du matin ce qui implique que le soir ils ont tendance agrave vouloir

srsquoendormir plus tard (apregraves 21h) alors que leurs parents commencent agrave ecirctre

fatigueacutes degraves 19h

282

Par ailleurs les enseignements de certains savoirs sur lrsquoenvironnement sont

de plus en plus deacutelaisseacutes Ainsi les grands-parents jugent que leurs petits-enfants

sont devenus trop laquo modernes raquo et incapables de reconnaicirctre leur territoire les

plantes ou les animaux qui font partie du paysage amazonien De la mecircme maniegravere

beaucoup drsquoadultes se plaignent du fait que les nouvelles geacuteneacuterations soient

incapables de subvenir aux besoins alimentaires de la famille elles auraient perdu

les compeacutetences en matiegravere de chasse de pecircche et drsquoagriculture sans compter leur

incapaciteacute agrave reacutealiser des outils artisanaux qui reacutepondent aux critegraveres locaux de

beauteacute Enfin le shaman du village mrsquoa avoueacute que sa plus grande tristesse est de ne

pas avoir pu former drsquoapprentis et que apregraves lui il nrsquoy aura plus de shamans en pays

ameacuterindien Dans le cadre de mes observations jrsquoai pu constater que la transmission

de lrsquohistoire orale des Wayana-Apalaiuml qui occupait auparavant une bonne partie des

interactions discursives entre les personnes acircgeacutees et les plus petits (Chapuis et

Riviegravere 2003) se limite aujourdrsquohui agrave de brefs reacutecits que les adultes de la famille ndash

surtout les megraveres et les grands-parents maternels ndash racontent aux enfants pour les

aider agrave srsquoendormir le patrimoine historique et mythologique local se transforme

donc en de courts laquo contes pour dormir raquo Qui plus est aucun jeune du village ne sait

jouer des instruments musicaux traditionnels (surtout le kapawu jetpeuml la flucircte

nasale confectionneacutee avec le tibia de la biche) ni ne connait la musique

traditionnelle des Wayana-Apalaiuml laquelle eacutetait pourtant encore exeacutecuteacutee pendant

les ceacutereacutemonies les naissances ou les rituels chamaniques jusqursquoaux anneacutees 1990

283

quand lrsquoethnomusicologue Herveacute Riviegravere (1997) a enregistreacute certains morceaux

pour les publier sous forme de CD197

Au bout du compte pour les Ameacuterindiens du Haut Maroni la laquo nouvelle

reacuteussite raquo est synonyme drsquointeacutegration au laquo village global raquo Comme le disent

beaucoup de jeunes adultes agrave lrsquoheure actuelle la reacuteussite se manifeste par la

possession drsquoun smartphone ou drsquoune tablette par un travail fixe et par un

reacutefrigeacuterateur toujours plein bien que tregraves peu drsquoentre eux soient parvenus agrave

atteindre ce laquo recircve ameacutericain raquo198

122 La notion de reacuteussite chez les Enata de lrsquoenfant-roi agrave lrsquoenfant

multidimensionnel

Le mythe de laquo lrsquoenfant-roi raquo nrsquoa pas eacuteteacute lrsquoapanage des seuls peuples

amazoniens Nombreux ont eacuteteacute les observateurs occidentaux qui ont interpreacuteteacute les

pratiques eacuteducatives polyneacutesiennes ndash et marquisiennes ndash de la mecircme maniegravere199

Prenons pour exemple les teacutemoignages de deux observateurs du XIXegraveme siegravecle En

1843 le pegravere Mathias Gracia eacutecrivait au sujet des enfants marquisiens que laquo la

liberteacute pour ainsi dire native de tout individu degraves qursquoil peut marcher drsquoaller

partout ougrave il veut de tout voir de tout entendre exempte les parents drsquoune grande

197 A propos du patrimoine musical des Wayana-Apalaiuml voir aussi Rivegravere 1994

198 Soit une perspective de prospeacuteriteacute obtenue gracircce agrave lrsquoenrichissement personnel

199 Bien que drsquoautres chercheurs aient essayeacute de montrer que cette analyse eacutetait erroneacutee (Troadec

1996)

284

surveillance raquo et que laquo lrsquoeacuteducation mecircme des enfants nrsquoest pas un lien pour les

parents raquo (Gracia 1843 113) Pregraves de quarante ans plus tard en 1882 Max

Radiguet affirmait mecircme que laquo les enfants indigegravenes font agrave peu pregraves ce qui leur

plaicirct raquo mais que cependant laquo jamais ils nous ont rendus teacutemoins de ces scegravenes de

pugilat si freacutequentes entre enfants civiliseacutes raquo (Radiguet 1882 176) Dans la

premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle Abram Kardiner (1939) dans son essai

drsquoanthropologie psychanalytique et Alain Gerbault (1941 1949) dans ses

autobiographies feront un constat similaire Pour autant il serait certainement

exageacutereacute de dire que dans le passeacute les enfants enata eacutetaient livreacutes agrave eux-mecircmes Le

pegravere Gracia avait en effet noteacute que bien que les parents ne soient pas toujours en

train de srsquooccuper des enfants laquo la tribu toute entiegravere est lrsquoeacutecole de lrsquoenfance raquo

(Gracia 1843 113) En drsquoautres termes lrsquoeacuteducation des enfants nrsquoeacutetait pas

lrsquoapanage exclusif des parents mais une veacuteritable laquo affaire communautaire raquo dont se

chargeaient tous les membres de la communauteacute qui se consideacuteraient comme les

membres drsquoune mecircme famille

Les reacutecits des explorateurs voyageurs et missionnaires qui ont visiteacute les

Marquises avant la creacuteation des premiegraveres eacutecoles dans lrsquoarchipel (notamment Gracia

et Radiguet) soulignent que degraves lrsquoadolescence les Enata participaient activement agrave

lrsquoeacuteconomie familiale (et agrave la production drsquoaliments) aux ceacutereacutemonies

communautaires et quand cela eacutetait neacutecessaire aux combats entre communauteacutes

rivales (Ferdon 1993) Mais une fois adultes leur valeur reposait avant tout sur leur

capaciteacute agrave survivre aux contraintes eacutecologiques de lrsquoenvironnement oceacuteanien

Comme crsquoeacutetait le cas chez les Wayana-Apalaiuml le critegravere de reacuteussite eacutetait donc lieacute agrave

285

lrsquoadaptation agrave lrsquohabitat et agrave lrsquoacceptation du systegraveme de valeurs propre agrave leur

communauteacute Crsquoest lagrave un trait ideacuteologique qursquoon retrouve encore aujourdrsquohui et qui

cohabite avec les repreacutesentations de reacuteussite sociale qui ont eacuteteacute imposeacutees par

lrsquointeacutegration des icircles au territoire national (par le biais des œuvres missionnaires

de lrsquoeacutecole et bien entendu par les moyens de communication) Lrsquoideacuteologie eacuteducative

eacutetait et reste profondeacutement lieacutee au contexte geacuteographique

Cette conception est eacutetroitement lieacutee agrave la repreacutesentation de lrsquoespace

circonscrit agrave lrsquoicircle de reacutesidence et aux routes maritimes qui relient toutes les icircles de

lrsquoOceacuteanie entre elles Comme je lrsquoai signaleacute dans les chapitres preacuteceacutedents avant

lrsquoarriveacutee des colonisateurs chaque valleacutee abritait une communauteacute (huarsquoa) qui

fonctionnait comme une microsocieacuteteacute avec un important degreacute drsquoautosuffisance

Aujourdrsquohui on peut observer les vestiges de cette coutume dans les valleacutees les plus

isoleacutees mais dans les principaux villages des icircles les critegraveres de logement ont eacuteteacute

modifieacutes avec lrsquoarriveacutee et lrsquoinstallation de personnes venues de lrsquoexteacuterieur (haorsquoe

les eacutetrangers ceux qui ne sont pas Enata) Cependant les Enata que jrsquoai eu

lrsquoopportuniteacute drsquoobserver pendant mon travail de terrain maintiennent tous un lien

tregraves eacutetroit avec la valleacutee qui abritait leur lignage drsquoorigine En effet mecircme les familles

qui se sont eacutetablies dans les villages principaux (comme Atuona) continuent de

travailler la terre et de cueillir le coprah200 sur les terrains qui appartenaient agrave leurs

ancecirctres une tradition qui se perpeacutetue mecircme si beaucoup des terrains auraient eacuteteacute

200 Il srsquoagit de lrsquoalbumen seacutecheacute de la noix de coco avec lequel on produit lrsquohuile de coco utiliseacutee dans

la manufacture cosmeacutetique

286

vendus agrave des haorsquoe ou agrave des entreprises eacutetrangegraveres Les enfants marquisiens sont

formeacutes degraves leur plus jeune acircge agrave la compreacutehension de leur habitat tout au long de

leur enfance ils sont ameneacutes agrave eacutetudier leur territoire pour pouvoir reconnaicirctre les

lieux tapu les secteurs de lrsquoicircle qui sont reacuteserveacutes agrave la chasse lrsquoemplacement des

nombreux tiki les mersquoae201 et autres vestiges archeacuteologiques de lrsquoeacutepoque preacute-

europeacuteenne de lrsquoicircle mais aussi la faune et la flore les cycles agricoles (qui se basent

sur le cycle biologique de lrsquoarbre agrave pain Artocarpus altilis et sur les phases lunaires)

les cycles des mareacutees qui rythment la pecircche sans oublier lrsquohistoire orale qui

meacutelange mythes leacutegendes202 et reacutefeacuterences agrave lrsquohistoire coloniale et postcoloniale203

et qui est souvent transmise tout comme chez les Wayana-Apalaiuml agrave la maniegravere de

laquo contes pour dormir raquo par les parents et les grands-parents

Bien qursquoaujourdrsquohui certains secteurs drsquoactiviteacute ne survivent que dans

certaines familles du fait de leur statut eacuteconomique ndash comme la couture la sculpture

(sur bois ou sur pierre) lrsquoeacutelevage (de chiens chegravevres porcs bovins chevaux

201 Emplacements utiliseacutes agrave des fins ceacutereacutemonielles

202 Il serait neacutecessaire de souligner la diffeacuterence entre les harsquoakakai mythes reacutepandus dans tout le

triangle polyneacutesien et les tekao (ou tekao kakiu laquo paroles anciennes raquo) leacutegendes qui srsquoinspirent

drsquohistoires locales de personnages qui ont reacuteellement existeacute et de lieux qui sont bien connus par leur

public (Chastel 2012 Lavondegraves 2013)

203 Une histoire dans laquelle ndash pour diffeacuterentes raisons ndash se trouvent des personnages comme

lrsquoeacutecrivain ameacutericain Hermann Melville le peintre parisien Paul Gauguin le navigateur lavallois Alain

Gerbault lrsquoexplorateur norveacutegien Thor Heyerdahl ou encore lrsquoartiste belge Jacques Brel

287

volailles ou abeilles) et lrsquoextraction du coprah204 ndash il existe toutefois un ensemble de

compeacutetences lieacutees agrave lrsquo laquo eacutecologie raquo et agrave lrsquoaccegraves et agrave lrsquoutilisation des ressources

naturelles locales que tous les enfants de lrsquoarchipel sont censeacutes connaicirctre Pour les

garccedilons il srsquoagit de la pecircche la chasse la navigation de cabotage et la conduite de

pirogues agrave balancier pour les filles crsquoest la cuisine et la creacuteation de guirlandes et de

colliers floraux La terre et lrsquooceacutean restent donc deux eacuteleacutements essentiels de

lrsquoeacutecologie enata et aujourdrsquohui encore ils ont une place importante dans les

dynamiques de transmission de savoirs au sein des familles

Pour comprendre les logiques qui guident les adultes dans le processus de

socialisation des enfants il me paraicirct important de souligner que lrsquoorganisation

sociale des Enata est fortement influenceacutee par la pratique de lrsquoeacutechange de dons qui

deacutefinit des modes drsquoappropriations particuliers205 Il srsquoagit drsquoune coutume qui sert agrave

cimenter les relations sociales agrave lrsquointeacuterieur des diffeacuterents groupes sociaux qui

204 Comme je lrsquoai mentionneacute auparavant lrsquoapprentissage de la danse ou de la musique par les

instruments traditionnels (le tambour ou pahu la flucircte nasale ou pu ihu et le lsquoukulele) sont lrsquoapanage

des organisations religieuses (les Eglises et les diverses associations catholiques protestantes et

autres) ainsi que des associations culturelles

205 Crsquoest lagrave un systegraveme que du fait de sa subtiliteacute les premiers observateurs nrsquoavaient pas reacuteussi agrave

interpreacuteter Le lieutenant de vaisseau Pierre-Eugegravene Eyriaud Des Vergnes qui a rempli de 1868 agrave

1874 les fonctions de reacutesident aux icircles Marquises se plaignait dans un rapport adresseacute au ministre

de la Marine du fait que laquo la proprieacuteteacute aux Marquises est tregraves difficile agrave deacuteterminer drsquoune maniegravere

certaine agrave vrai dire tout le monde est proprieacutetaire et personne ne lrsquoest raquo (Eyriaud Des Vergnes

1877 22)

288

constituent les microsystegravemes de reacutefeacuterence des Marquisiens et qui contribuent agrave

lrsquoeacutevolution du rocircle joueacute par chaque individu dans les groupes auxquels il appartient

En effet comme le reconnaicirct Dominique Pechberty laquo comme les autres Polyneacutesiens

les Marquisiens srsquoeacutechangent des richesses sous forme de dons et contre-dons de

faccedilon coutumiegravere collective ou individuelle sous peine drsquoentrer en conflit Les

hommes rivalisent ainsi de geacuteneacuterositeacute au vu et au su de tous Ces comportements

sont ritualiseacutes et il nrsquoy a pratiquement pas de comportements atypiques raquo

(Pechberty 2012 105) Lrsquoeacutechange est reacutegi par une logique normative qui eacutetablit des

obligations biunivoques si drsquoun cocircteacute il est impeacuteratif drsquoen faire (pour remercier un

hocircte ou un ami) drsquoun autre cocircteacute il est tout aussi impeacuteratif de les accepter puisqursquoun

eacuteventuel refus serait interpreacuteteacute comme un manque de politesse Auparavant les

chefs centralisaient le cycle des eacutechanges ce sont eux qui recevaient le plus mais

aussi qui donnaient le plus Le prestige le pouvoir et le mana (la force drsquoorigine

surnaturelle)206 deacutependaient de la capaciteacute des individus agrave faire circuler des dons

Les conflits apparaissaient geacuteneacuteralement suite agrave des eacutechanges insatisfaisants (ou

apregraves la violation drsquoaccords drsquoalliance)207 Aujourdrsquohui il nrsquoy a plus de chefs

206 Marcel Mauss consideacuterait que le mana eacutetait neacutecessaire agrave la genegravese du lien social (Mauss 1925 et

1950)

207 Agrave Hiva Oa on privileacutegiait les alliances avec les ennemis ou les eacutetrangers afin drsquoaugmenter le mana

de la famille (Pechberty 2012) ndash bien que Hogbin (1932) ne partage pas cet avis car pour elle les

mariages eacutetaient de simples formalisations drsquoun accord de non belligerance Il srsquoagissait drsquoeacutechanges

entre familles visant agrave eacuteviter le morcellement et la fragmentation des terres pour maintenir lrsquouniteacute

de lrsquoheacuteritage drsquoune mecircme ligneacutee

289

coutumiers et les eacutechanges ne sont plus centraliseacutes Toutefois lrsquoimportance de lrsquoacte

drsquooffrir (tursquou) et lrsquoideacutee selon laquelle la notion de laquo priveacute raquo (et ses deacuteclinaisons la

proprieacuteteacute lrsquoespace domestique et la famille) est susceptible de circuler en fonction

des exigences du groupe font partie des valeurs fondamentales qui aujourdrsquohui

encore guident lrsquoideacuteologie eacuteducative enata On offre des cadeaux quand on rend

visite agrave un membre de la famille on offre des guirlandes de fleurs et des petits tiki

en bois aux hocirctes ou visiteurs on offre des colliers en dents de requin aux amis aux

yeux des eacutetrangers les Marquisiens semblent avoir toujours de bonnes raisons pour

offrir des dons aux autres et les membres de la communauteacute qui ne participent pas

agrave ces eacutechanges sont toujours victimes de commentaires neacutegatifs de la part des autres

villageois

Dans les pages preacuteceacutedentes jrsquoai deacutecrit la varieacuteteacute des microsystegravemes de

socialisation qui constituent le panorama de reacutefeacuterence des enfants enata ndash

microsystegravemes qui comme chez les Wayana-Apalaiuml deacutepasse la dyade famille-eacutecole

Il y a aussi les groupes religieux et les associations culturelles ce qui implique que

les parents doivent se charger de lrsquointeacutegration de ces organismes laquo externes raquo au

cercle ndash deacutesormais multidimensionnel ndash des microsystegravemes de deacuteveloppement de

lrsquoenfant Les familles avec lesquelles jrsquoai travailleacute mrsquoont effectivement fait part agrave

plusieurs reprises de leurs difficulteacutes agrave former leurs enfants pour qursquoils puissent

geacuterer de maniegravere eacutequilibreacutee les relations avec les institutions religieuses

(auxquelles on deacutelegravegue la deacutefinition des critegraveres moraux agrave suivre) avec les groupes

culturels (chargeacutes de la transmission de certains savoirs traditionnels comme la

290

danse) et avec les institutions publiques (les administrations territoriales du pays

et de lrsquoEacutetat dont lrsquoeacutecole)

Cet effort de laquo diplomatie culturelle raquo exige une forte dose de creacuteativiteacute de la

part des parents afin de maintenir lrsquoeacutequilibre entre les logiques preacute-europeacuteennes (et

leur weltanschauung eacutecosophique) et la laquo moderniteacute raquo globale (avec la neacutecessiteacute de

comprendre et de savoir utiliser les nouvelles technologies pour chercher un

travail acheter un billet drsquoavion ou encore rester en contact avec une partie de la

famille qui est alleacutee vivre ailleurs)208

123 Lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie dynamiques drsquoassimilation culturelle et

reacuteponses adaptatives

Les reacutesultats obtenus gracircce agrave lrsquoobservation des performances eacuteducatives

dans les deux contextes drsquoeacutetude vont nous aider agrave mieux comprendre certaines

dynamiques geacuteneacuterales auxquelles participent drsquoun cocircteacute les communauteacutes Wayana-

Apalaiuml du Haut Maroni et de lrsquoautre les Enata de lrsquoicircle de Hiva Oa Si les premiegraveres

208 Il convient de faire un aparteacute sur la question des compeacutetences langagiegraveres car ndash comme je lrsquoai deacutejagrave

mentionneacute ndash dans toutes les familles observeacutees (dans le village principal Atuona comme dans les

valleacutees les plus eacuteloigneacutees) les parents ont lrsquohabitude de srsquoadresser aux enfants en langue franccedilaise

la langue marquisienne semble plutocirct transmise par les autres membres de la famille (les grands-

parents les oncles et les tantes) et par la communauteacute (les pairs mais aussi les groupes religieux)

Lrsquointroduction agrave la langue locale advient surtout agrave partir de lrsquoadolescence ce qui selon les adultes

laquo se justifie raquo par la difficulteacute qursquoils ont agrave trouver lrsquoeacutequivalent en langue franccedilaise drsquoune expression

locale utiliseacutee pour deacutecrire des objets des plantes des animaux ou des processus locaux

291

ont peu agrave peu abandonneacute certaines pratiques preacutecoloniales pour srsquoadapter au

modegravele occidental elles semblent avoir suivi ndash plus ou moins consciemment ndash le

mirage des avantages offerts par lrsquointeacutegration agrave la socieacuteteacute nationale Pour les

Ameacuterindiens du Haut Maroni bien que lrsquoidentiteacute autochtone continue agrave maintenir

son rocircle feacutedeacuterateur et revendicatif les habitants drsquoAntecume pata ont adopteacute

presque inteacutegralement - en agrave peine deux geacuteneacuterations - une ideacuteologie eacuteducative

exogegravene avec pour but deacuteclareacute de permettre agrave leurs enfants de profiter des bienfaits

de la civilisation un diplocircme lrsquoaccegraves au marcheacute du travail un salaire fixe et la

possibiliteacute drsquoobtenir des biens drsquoorigine industrielle

Cette transformation me semble preacutesenter toutes les caracteacuteristiques de ce

que Darcy Ribeiro appelle la laquo transfiguration ethnique raquo Dans la premiegravere partie

de cette thegravese jrsquoai montreacute que selon Darcy Ribeiro lorsque certains peuples tribaux

srsquointegravegrent aux eacutetats nationaux ils alteacuteregraverent leur substrat biologique leur culture

et leur forme de relation avec la socieacuteteacute dominante afin de remplir les preacute-requis

neacutecessaires pour garantir leur existence en tant qursquoentiteacutes ethniques (Ribeiro

1971) Effectivement jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle lrsquoidentiteacute ethnique des Wayana-Apalaiuml

a surveacutecu agrave cette inteacutegration mais le substrat culturel qui la caracteacuterisait avant le

contact avec la socieacuteteacute dominante semble ecirctre en voie de disparition Lrsquoadaptation agrave

la laquo moderniteacute raquo est en train de srsquoopeacuterer par la substitution la dynamique

drsquoacculturation a pousseacute les parents wayana-apalaiuml agrave seacutelectionner certains savoirs

292

laquo traditionnels raquo et agrave en exclure drsquoautres ndash lesquels constituaient auparavant

lrsquoexpression visible de la culture locale ndash du processus de formation des enfants209

Les Enata au contraire ont pu srsquoadapter au colonialisme eacuteducatif franccedilais ndash

qui depuis plus drsquoun siegravecle leur a imposeacute la scolarisation obligatoire ndash en creacuteant des

strateacutegies pour faire coiumlncider les exigences eacutecosysteacutemiques avec les contraintes qui

relegravevent de lrsquoappartenance agrave une collectiviteacute drsquoOutre-mer (la Polyneacutesie) et agrave un Eacutetat

national (la France)

Ce processus de cumul des identiteacutes a permis agrave lrsquoethniciteacute enata de srsquoadapter

aux contraintes de la citoyenneteacute nationale agrave partir de ce que Bruno Saura appelle

un laquo amoindrissement relatif des clivages identitaires raquo (Saura 1998 7) Cette

juxtaposition a eacuteteacute possible par lrsquoeacutequilibre existant entre les forces centrifuges

visant agrave lrsquoincorporation des modes de vie de la socieacuteteacute dominante ndash drsquoorigine

microsystegravemique et veacutehiculeacutes par les moyens de communication globale ou les

programmes scolaires ndash et des modes de vie centripegravetes (soutenus par des entiteacutes

externes agrave la communauteacute locale agrave savoir les groupes religieux et les associations

culturelles) visant agrave deacutefendre des pratiques enracineacutees dans la culture locale qui

reste rurale et pour des raisons geacuteographiques relativement isoleacutee des marcheacutes

globaux et des routes touristiques Cet isolement a pousseacute les Marquisiens agrave aller

vers une creacuteativiteacute culturelle leur permettant de survivre et de maintenir leur

209 Pour une premiegravere eacutebauche de cette reacuteflexion voir Aligrave amp Ailincai 2015

293

vitaliteacute bien qursquoils aient eacuteteacute releacutegueacutes agrave la peacuteripheacuterie ndash geacuteographique et symbolique

ndash de lrsquoempire colonial franccedilais210

Les observations meneacutees chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata nous

permettent donc de confirmer notre hypothegravese selon laquelle des formes diffeacuterentes

drsquoacculturation ndash veacutehiculeacutees par des agents diffeacuterents avec un diffegraverent degreacute de

violence et selon une chronologie diffeacuterente ndash peuvent geacuteneacuterer diverses reacuteponses

adaptatives dans le premier cas une transfiguration ethnique laquo agrave retardement raquo

survenue cinq siegravecles apregraves les premiers contacts avec les colonisateurs dans le

second cas un cumul partiel drsquoidentiteacutes qui a permis aux Marquisiens ndash lesquels je

le rappelle ont eacuteteacute victimes de lrsquoun des plus graves ethnocides de lrsquohistoire de

lrsquoOceacuteanie qui a fortement reacuteduit leur nombre et effaceacute en lrsquoespace drsquoune geacuteneacuteration

leur organisation politique ndash de profiter strateacutegiquement de leur position

peacuteripheacuterique pour revitaliser leur culture dans le cadre du village global

210 Plusieurs chercheurs ndash comme Marshall Sahlins (2000) John Liep (2001a et 2001b) ou Adriano

Favole (2009 et 2010) - ont observeacute dans drsquoautres contextes de lrsquoaire oceacuteanienne une certaine

preacutedisposition agrave la laquo creacuteativiteacute culturelle raquo en tant que strateacutegie drsquoadaptation et de reacutesistance

politique

294

Synthegravese de la deuxiegraveme partie

Les relations sociales sont baseacutees sur des interactions (verbales et non

verbales) les eacutechanges et les seacutequences Dans le cadre des interactions

domestiques visant agrave la transmission de donneacutees culturelles le rocircle des acteurs est

joueacute par des eacuteducateurs et des eacuteduqueacutes qui font partie du mecircme reacuteseau de parenteacute

crsquoest-agrave-dire des personnes chargeacutees de laquo transmettre raquo des informations ndash lieacutees agrave la

culture dans laquelle ils eacutevoluent ndash et des apprenants censeacutes apprendre ces

informations dans le but de pouvoir srsquointeacutegrer agrave leur eacutecosystegraveme de reacutefeacuterence

La famille en tant que systegraveme primaire de socialisation est constitueacutee drsquoun

ensemble de microsystegravemes qui deacutependent des reacuteseaux de parenteacute et de

lrsquoorganisation sociale propre agrave chaque groupe humain Il existe aussi drsquoautres

microsystegravemes qui sont exteacuterieurs agrave la famille mais qui selon le groupe auquel on

fait reacutefeacuterence peuvent avoir un rocircle tregraves diffeacuterent Chez les peuples autochtones qui

constituent lrsquounivers drsquoeacutetude de cette thegravese ndash les Wayana-Apalaiuml de Guyane et les

Enata des icircles Marquises ndash la famille correspond agrave la communauteacute et chacun des

microsystegravemes familiaux (parents fratrie famille maternelle famille paternelle

cousins qui nrsquoont pas encore atteint lrsquoacircge adulte et qui agissent en tant que pairs et

autres membres de la communauteacute) se charge de certaines fonctions eacuteducatives

avec un style interactif qui lui est propre Dans les villages ameacuterindiens du Haut

Maroni il existe un seul microsystegraveme exteacuterieur agrave la famille lrsquoeacutecole Dans lrsquoicircle

marquisienne de Hiva Oa les enfants sont inteacutegreacutes agrave drsquoautres microsystegravemes les

295

groupes religieux et les associations culturelles qui se chargent de la transmission

de certaines donneacutees culturelles telles la langue la musique et la danse

marquisienne

Bien que lrsquoeacutecole ne repreacutesente qursquoune faible partie des interactions

eacuteducatives des enfants autochtones les contraintes qursquoelle impose (son calendrier

ses horaires ses programmes) modifient les pratiques eacuteducatives laquo traditionnelles raquo

(lieacutees agrave lrsquoaccegraves et agrave lrsquoutilisation des ressources naturelles disponibles) puisqursquoelle

intervient dans les rythmes de vie les cycles du travail agricole et les notions de

reacuteussite qui existaient avant son apparition Cependant lrsquoeacutecole nrsquoest pas la seule

cause de ces transformations les dynamiques drsquointeacutegration agrave la moderniteacute

occidentale ndash et les effets indeacutesirables qursquoelles peuvent produire comme la diffusion

de lrsquoalcoolisme de maladies ou du suicide ndash ont le pouvoir de modifier les ideacuteologies

eacuteducatives (qui se mateacuterialisent dans des styles eacuteducatifs des prioriteacutes de formation

et des conceptions de reacuteussite sociale) des peuples autochtones comme le

deacutemontrent les reacutesultats des observations meneacutees chez les Wayana-Apalaiuml et chez

les Enata

296

TROISIEME PARTIE LrsquoAPPROPRIATION INSTITUTIONNELLE DE LA QUESTION

EDUCATIVE ESSAI CONCLUSIF SUR LA BANALITE DU MAL

297

Introduction agrave la troisiegraveme partie

Bien que la colonisation qursquoont connue les populations autochtones de

Guyane et des icircles Marquises ne puisse ecirctre compareacutee en termes de violence

systeacutematiseacutee au sort subi par les Juifs au moment de la deuxiegraveme guerre mondiale

on ne saurait oublier lrsquoapport de lrsquoouvrage Eichmann agrave Jeacuterusalem de la philosophe

allemande Hannah Arendt (1963) Elle y a bien expliqueacute comment et pourquoi le

travail de certains fonctionnaires du reacutegime nazi avait eacuteteacute la cleacute de la reacuteussite du

systegraveme politique criminel qursquoils servaient Selon elle loin drsquoecirctre des monstres

sanguinaires ces hommes ambitieux zeacuteleacutes mais au bout du compte tristement

ordinaires eacutetaient tout simplement des ecirctres humains incapables de distinguer le

bien du mal des hommes qui pour accomplir les ordres reccedilus avaient arrecircteacute de

srsquointerroger sur leurs agissements Pour expliquer le substrat psychologique de

leurs crimes Hannah Arendt considegravere que cette laquo crise de la penseacutee critique raquo a eacuteteacute

geacuteneacutereacutee par une ideacuteologie deacutenigrant lrsquoalteacuteriteacute culturelle et diffuseacutee par un apparat

institutionnel et meacutediatique tourneacute vers la propagande et la reacutepression Le

sociologue polonais Zygmunt Baumann (2002) en reprenant la thegravese de sa collegravegue

allemande affirme que cette laquo banaliteacute du mal raquo nrsquoest rien drsquoautre que la reacutealisation

la plus aboutie de lrsquoideacuteologie qui se trouve agrave la base de lrsquoEacutetat moderne et qui vise agrave

laquo normaliser raquo un modegravele de civilisation (ladite occidentale) reacuteputeacutee parfaite et

ayant pour mission drsquoeacuteliminer ndash agrave nrsquoimporte quel prix ndash tous les obstacles qui

interfegravereraient dans sa pleine reacutealisation

298

Si dans certains contextes ndash comme celui de lrsquoAllemagne nazi mais aussi celui

du Rwanda au temps du geacutenocide ou pour rester dans le cadre de la theacutematique de

cette thegravese celui des territoires coloniseacutes par les Empires europeacuteens entre le XVegraveme

et la premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle ndash ce processus drsquoeacutelimination srsquoest reacutealiseacute de

maniegravere particuliegraverement violente dans drsquoautres contextes il srsquoest fait de maniegravere

plus graduelle par le biais de lrsquointeacutegration des laquo adversaires raquo dans lrsquoengrenage

eacutetatique plutocirct que par leur eacutelimination physique Toutefois loin drsquoune cooptation

de laquo lrsquoAutre raquo par les eacutelites au pouvoir cette dite inteacutegration visait plutocirct la

subordination de celui-ci afin que le processus puisse srsquoaccomplir et que le pouvoir

des eacutelites laquo traditionnelles raquo soit ainsi confirmeacute Par ailleurs Margarita Serje (2005)

a deacutemontreacute que lrsquointeacutegration nationale des laquo territoires de frontiegravere raquo caracteacuteriseacutes

par une position geacuteographique peacuteripheacuterique et par un paysage social et culturel

laquo ethniciseacute raquo (sur lequel les autoriteacutes eacutetatiques ont construit des identiteacutes

ethniques)211 est une dynamique violente qui bafoue les droits des peuples

autochtones et qui viole les territoires et leurs ressources naturelles pour permettre

aux eacutelites locales de les saccager agrave leur guise212

Le cas des territoires de lrsquoOutre-mer franccedilais est plutocirct exemplaire pour

expliquer la maniegravere dont le processus drsquoimposition de la souveraineteacute nationale

211 Cela srsquoest fait agrave travers la creacuteation laquo scientifique raquo de barriegraveres ethniques et drsquoun discours politique

sur la neacutecessiteacute du deacuteveloppement territorial capable de laquo justifier raquo lrsquoentreprise colonisatrice

212 Un point de vue que je partage pleinement et que jrsquoai adopteacute dans mes preacuteceacutedents travaux sur le

conflit colombien (Aligrave 2010 et 2011)

299

srsquoest inscrit dans lrsquohistoire des peuples autochtones vivant agrave la laquo peacuteripheacuterie raquo de

lrsquoEacutetat colonial Comme on lrsquoa vu dans la deuxiegraveme partie de cette thegravese la

colonisation de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise loin drsquoavoir eacuteteacute un processus

pacifique drsquoassociation drsquoun territoire agrave un autre srsquoest reacutealiseacutee de faccedilon violente

avec lrsquoimposition drsquoune organisation sociale et politique eacutetrangegravere celle voulue par

les eacutelites meacutetropolitaines Cette dynamique srsquoest accompagneacutee drsquoun nouveau reacutegime

drsquoaccegraves aux ressources naturelles par lrsquoexclusion des groupes laquo peacuteripheacuteriques raquo de

certains droits civiques et par lrsquoobligation de mettre en œuvre des proceacutedures ndash

comme la scolarisation ndash qui ont bouleverseacute les styles de vie existant avant la

colonisation Qui plus est certains effets laquo secondaires raquo comme la diffusion de

maladies ou drsquohabitudes nuisibles (lrsquoalcoolisme) ont eu un effet important sur la

santeacute et la survie des peuples qui habitaient ces terres

Cependant les communauteacutes autochtones qui ont fait lrsquoobjet de mon eacutetude

partagent un mecircme processus de laquo reacutesurrection raquo qui entre la premiegravere moitieacute du

XXegraveme siegravecle (crsquoest le cas des Enata) et la deuxiegraveme moitieacute du mecircme siegravecle (crsquoest le

cas des Wayana-Apalaiuml) leur a permis non seulement de survivre au laquo choc de la

colonisation raquo ndash et de contrebalancer une dynamique deacutemographique neacutegative ndash

mais aussi de srsquoadapter agrave cette inteacutegration imposeacutee drsquoen haut agrave travers des

strateacutegies drsquoordre culturel qui se traduisent par de nouvelles pratiques et de

nouvelles formes drsquoorganisation sociale Toutefois cette adaptation nrsquoa pas toujours

eacuteteacute indolore elle a obligeacute les membres des communauteacutes agrave reacuteviser leurs prioriteacutes

socio-eacuteconomiques et agrave seacutelectionner certains traits de leur culture au deacutepend

drsquoautres Cette seacutelection srsquoest opeacutereacutee dans le cadre du processus de transmission des

300

donneacutees culturelles ndash que nous pourrions consideacuterer comme laquo traditionnelles raquo et

lieacutees agrave lrsquoenvironnement naturel ndash aux nouvelles geacuteneacuterations crsquoest-agrave-dire dans le

cadre de lrsquoeacuteducation domestique En revanche petit agrave petit lrsquoeacutecole ndash en tant

qursquoinstitution drsquoeacuteducation formelle imposeacutee par lrsquoEacutetat ndash a acquis un rocircle de plus en

plus important dans la formation des plus jeunes ce qui a obligeacute les parents agrave

modifier leur notion de reacuteussite et leurs ideacuteologies eacuteducatives en fonction de ce

nouvel acteur social

La troisiegraveme partie de cette thegravese vise donc agrave preacutesenter des eacuteleacutements en vue

drsquoune discussion autour des thegravemes que je viens de mentionner Elle est composeacutee

de cinq chapitres Dans le premier jrsquoanalyserai les divergences entre les logiques

eacuteducatives observeacutees chez les Wayana-Apalaiuml et les Enata et celles qui sont propres

agrave la scolarisation reacutepublicaine agrave partir de la comparaison entre la notion de reacuteussite

sociale et celle de reacuteussite scolaire Le deuxiegraveme chapitre propose un regard critique

sur les laquo bienfaits raquo de la scolarisation des peuples autochtones afin de deacuteconstruire

le mythe de lrsquoeacutecole comme ascenseur social et de deacutemontrer que dans lrsquoOutre-mer

franccedilais lrsquoeacutecole reacutepublicaine nrsquoa pas eacuteteacute un facteur de laquo reacuteussite pour tous raquo Dans le

troisiegraveme je preacutesenterai des solutions envisageables pour ameacuteliorer lrsquoorganisation

des politiques eacuteducatives qui concernent les peuples autochtones de lrsquoOutre-mer

afin qursquoelles prennent en compte les reacutealiteacutes culturelles locales Le quatriegraveme

chapitre est deacutedieacute agrave une reacuteflexion meacutethodologique autour de la recherche

anthropologique en eacuteducation en tenant compte des piegraveges qursquoelle peut preacutesenter

et des opportuniteacutes qursquoelle peut offrir pour la construction drsquoune politique eacuteducative

coheacuterente ndash capable de prendre en consideacuteration les speacutecificiteacutes locales - dans les

301

contextes postcoloniaux Enfin le cinquiegraveme est un bref essai conclusif autour du

travail meneacute pour la reacutealisation de cette thegravese dans lequel je proposerai de

nouvelles pistes de recherche et des theacutematiques qui meacuteritent drsquoecirctre approfondies

par les chercheurs inteacuteresseacutes par les probleacutematiques abordeacutees dans le cadre de ce

travail

302

13 Ideacuteologies eacuteducatives et logiques drsquoorganisation sociale

Le sociologue et deacutemographe franccedilais Emmanuel Todd (2011) a longuement

eacutetudieacute les relations de deacutependance tisseacutees entre les systegravemes familiaux

laquo traditionnels raquo et les formes drsquoorganisation sociale Selon lui les systegravemes sociaux

laquo preacutemodernes raquo213 deacuterivaient des formes drsquoorganisation domestique dominantes

dans certains groupes humains Le milieu familial agrave travers la laquo programmation raquo

inconsciente des individus degraves leur enfance avait donc une influence directe sur la

structure des socieacuteteacutes Agrave partir drsquoune analyse comparative de la litteacuterature

ethnographique il distingue quatre laquo styles familiaux raquo

la famille nucle aire absolue dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type libe ral et les relations entre fre res et sœurs de

type non e galitaire ce qui laquo produit raquo une mentalite foncie rement

libe rale (ni vraiment e galitaire ni franchement ine galitaire me me

si les enfants be ne ficient en ge ne ral drsquoun traitement e galitaire) une

forte adhe sion a des valeurs de liberte et une certaine forme

drsquoindiffe rence a lrsquoe gard de la notion drsquoe galite qui a modele les

socie te s des pays les plus industrialise s tels la Grande-Bretagne les

213 Ceux qui existaient avant lrsquoinstauration des Eacutetats nationaux

303

E tats-Unis le Canada lrsquoAustralie le Danemark les Pays-Bas et la

Norve ge

la famille nucle aire e galitaire dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type libe ral et les relations entre fre res et sœurs de

type e galitaire ce qui laquo programme raquo des individus attache s aux

valeurs de liberte et drsquoe galite et qui de veloppe des relations sociales

base es sur lrsquoindividualisme et le refus de lrsquoautorite comme dans les

pays du bassin me diterrane en (Espagne Portugal Gre ce et Italie)

mais aussi en France (dans le bassin parisien) en Pologne en

Roumanie et chez les peuples drsquoAme rique latine

la famille communautaire dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type autoritaire et celles entre fre res et sœurs de

type e galitaire et qui repose sur un syste me familial patriline aire

et patrilocal comme crsquoest le cas en Chine au Vietnam en Russie

dans lrsquoInde du Nord dans certains pays drsquoEurope Centrale

(Bulgarie Bosnie-Herze govine Hongrie Kosovo Mace doine et

Serbie) et dans certaines re gions franccedilaises (Limousin Languedoc

Centre et Bretagne)

la famille souche dans laquelle les relations parents-enfants sont

de type autoritaire et celles entre fre res et sœurs de type

ine galitaire et pour laquelle le lieu de re sidence est conside re

comme lrsquoentite sociale fondamentale soit une ve ritable laquo personne

morale raquo autour de laquelle se structurent les relations entre

individus comme crsquoest le cas de lrsquoOce anie de certains pays

304

asiatiques (Core e et Japon ) de lrsquoAllemagne de lrsquoIrlande et des

groupes humains peuplant lrsquoArc Alpin (Suisse Italie du Nord

Autriche Slove nie)

Bien que je ne partage pas les geacuteneacuteralisations qui soutiennent lrsquohypothegravese

drsquoEmmanuel Todd et qui laissent de cocircteacute les diffeacuterences qui existent au sein de

groupes humains partageant un mecircme territoire214 son effort nous permet de mieux

comprendre le rocircle de la famille ndash et de lrsquoeacuteducation domestique ndash dans la gestation

des formes drsquoorganisation sociale De fait lrsquoexistence drsquoune laquo ideacuteologie eacuteducative raquo

permet aux membres de la famille drsquoagir en tant qursquoeacuteducateurs et de disposer drsquoune

certaine laquo agentiviteacute raquo soit la capaciteacute drsquointeragir avec la reacutealiteacute de la modifier et de

la transformer gracircce agrave leur action eacuteducative Cette ideacuteologie nrsquoest jamais figeacutee mais

comme me lrsquoont deacutemontreacute les familles wayana-apalaiuml et enata avec lesquelles jrsquoai eu

214 Il suffit de regarder le cas des peuples ameacuterindiens lesquels selon Emmanuel Todd partageraient

tous un mecircme modegravele de famille nucleacuteaire eacutegalitaire Dans le cas des Wayana-Apalaiuml par exemple

comme je lrsquoai montreacute dans la deuxiegraveme partie de cette thegravese bien que les relations entre parents et

enfants soient de type libeacuteral et celles au sein de la fratrie soient de type eacutegalitaire le reacutesultat final

nrsquoest pas de type eacutegalitaire mais de type communautaire (dans lequel les notions de famille et de

communauteacute se confondent par effet drsquoun reacuteseau de parenteacute eacutetendu) uxorilocal et matrifocal De

mecircme il me paraicirct difficile de geacuteneacuteraliser le modegravele de la famille souche agrave un continent tout entier

comme le fait Todd pour le cas de lrsquoOceacuteanie Nous savons par exemple que les voyageurs qui ont

connu les Enata avant la colonisation nlsquoont pas deacutecrit une forme drsquoorganisation domestique

autoritaire et ineacutegalitaire ndash comme le preacutetend lrsquoauteur ndash mais bien au contraire un modegravele familial

baseacute sur des relations parents-enfants plutocirct eacutegalitaires (Gracia 1843 Eyriaud Des Vergnes 1877)

305

lrsquoopportuniteacute de travailler elle est dynamique ndash tout en conservant certains traits

consideacutereacutes laquo fondamentaux raquo pour la continuiteacute de lrsquoidentiteacute ethnique ndash et capable

de srsquoadapter agrave une reacutealiteacute changeante afin de laquo modeler raquo la personnaliteacute des enfants

et de leur permettre de srsquointeacutegrer agrave cette mecircme reacutealiteacute laquo multidimensionnelle raquo (ougrave

les niveaux familial communautaire territorial national et global se chevauchent et

srsquoentremecirclent)

131 Apprendre capturer produire la logique preacutedatrice de la moderniteacute

Les strateacutegies interactives que jrsquoai observeacutees agrave Antecume pata et agrave Hiva Oa

laissent coexister deux exigences consideacutereacutees fondamentales par les eacuteducateurs

locaux celle de faciliter lrsquointeacutegration des enfants au systegraveme social imposeacute par lrsquoEacutetat

et celle de former les nouvelles geacuteneacuterations agrave la survie dans des contextes

eacutecologiques complexes (au vu de leur isolement geacuteographique) gracircce agrave la maicirctrise

des ressources naturelles locales

Dans les deux terrains eacutetudieacutes les enfants autochtones sont pousseacutes agrave

apprendre la langue franccedilaise ndash souvent au deacutetriment de la langue locale ndash et agrave avoir

de bons reacutesultats scolaires Les parents leur parlent des bienfaits de lrsquoeacutecole et de

lrsquoimportance de pouvoir obtenir un contrat de travail au sein drsquoune administration

publique en ideacutealisant ndash et souvent en exageacuterant ndash les avantages de la

laquo civilisation raquo ne pas avoir agrave reacutealiser de travaux manuels recevoir un salaire fixe

et pouvoir acheter des biens de consommation Cependant les contraintes

alimentaires (pour la plupart des familles drsquoAntecume pata et de Hiva Oa celles-ci

deacutependent de la production agricole de lrsquoeacutelevage de la chasse et de la pecircche)

306

rendent neacutecessaire la participation des plus jeunes aux tacircches et agrave lrsquoeacuteconomie

domestiques

Les eacuteducateurs autochtones doivent bon greacute mal greacute transmettre des

donneacutees culturelles issues de deux univers ndash le laquo traditionnel raquo et le laquo moderne raquo ndash

qui ne sont pas toujours coheacuterentes entre elles comme crsquoest le cas des ideacutees de

reacuteussite ou des valeurs morales agrave suivre Mais la diffeacuterence la plus eacutevidente entre

ces deux univers est sans doute la valeur assigneacutee agrave lrsquoenvironnement naturel Si drsquoun

cocircteacute les grands-parents et les membres les plus acircgeacutes des deux communauteacutes ndash

lesquels se perccediloivent comme les laquo deacutefenseurs de la tradition raquo ndash partagent une

mecircme vision de la laquo Nature raquo en tant qursquoorganisme vivant qui accueille lrsquoecirctre humain

et lui offre des ressources pour survivre les adultes plus jeunes ndash qui ont tous eacuteteacute

scolariseacutes ndash preacutefegraverent la concevoir comme une ressource eacuteconomique agrave

laquo apprivoiser raquo afin de pouvoir en tirer un profit eacuteconomique

Le steacutereacuteotype du laquo natif eacutecologique raquo ndash qui deacuterive de lrsquoideacutee du laquo bon sauvage raquo

qui vit en communion avec la laquo Nature raquo ndash nrsquoest pas reacuteellement applicable aux

nouvelles geacuteneacuterations wayana-apalaiuml et enata En effet comme je lrsquoai observeacute agrave

maintes reprises pendant mon travail de terrain en Guyane et en Polyneacutesie

nombreux sont les adultes qui nrsquoheacutesitent pas agrave profiter des ressources naturelles

disponibles sans aucune approche eacutecologique Agrave Antecume pata jrsquoai assisteacute agrave la

deacuteforestation de grandes parcelles de forecirct pour vendre illeacutegalement le bois au

Suriname agrave la pollution des riviegraveres par des villageois utilisant le mercure pour

extraire lrsquoor alluvial ou encore agrave la chasse des singes femelles destineacutes agrave ecirctre

vendues aux familles Boni de Maripasoula De mecircme agrave Hiva Oa jrsquoai connu plusieurs

307

pegraveres de famille qui pratiquent le braconnage des fonds marins afin de pecirccher des

langoustes ou autres crustaceacutes destineacutes aux restaurants de lrsquoicircle ou de Tahiti En effet

les travaux drsquoAstrid Ulloa (2003) et de Molly Doane (2007) ont deacutemontreacute que les

comportements laquo eacutecologiques raquo des peuples natifs ne sont pas universels et que agrave

lrsquoheure actuelle la supposeacutee laquo eacutecologie native raquo plus qursquoune pratique reacuteelle est

devenue un eacuteleacutement du discours revendicatif autochtone ndash et certainement celui qui

a le plus de poids ndash soutenu par les organisations de protection des droits des

peuples ethniques (comme crsquoest par exemple le cas de lrsquoorganisation non

gouvernementale Survival International Corry 2014)

Si les neacutecessiteacutes eacuteconomiques des familles ont pousseacute certains adultes agrave user

de logiques preacutedatrices vis-agrave-vis de lrsquoenvironnement ces mecircmes logiques me

semblent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoeacuteducation des enfants qui sont pousseacutes agrave

laquo capturer raquo certains eacuteleacutements de la culture occidentale afin de subvenir aux besoins

de leurs familles Les parents enata et wayana-apalaiuml considegraverent que la culture

scolaire doit ecirctre acquise par tous les moyens mecircme si cela implique de modifier les

styles eacuteducatifs laquo traditionnels raquo en abandonnant progressivement les typologies

suggestives et laquo autonomisantes raquo au profit de types directifs agrave tendance normative

consideacutereacutes comme plus efficaces Les proies ont changeacute mais la logique du

laquo chasseur raquo est resteacutee la mecircme

132 Reacuteussite scolaire et reacuteussite sociale la difficile quadrature du cercle

La coexistence de deux logiques apparemment inconciliables devrait ecirctre

interpreacuteteacutee agrave mon sens comme lrsquoeffet drsquoun double processus Drsquoun cocircteacute la pression

308

exerceacutee par le macrosystegraveme exige des microsystegravemes qursquoils agissent en fonction

drsquoexigences de niveau laquo supeacuterieur raquo drsquoorigine nationale et internationale

(lrsquointeacutegration agrave lrsquoEtat franccedilais et aux marcheacutes globaux) Drsquoun autre cocircteacute le conflit

intergeacuteneacuterationnel seacutepare le style de vie des laquo anciens raquo (avec leur attachement agrave la

terre et agrave une vision statique de la laquo tradition raquo en tant qursquoensemble immuable de

normes drsquousages et de coutumes) et celui des laquo jeunes raquo lesquels recircvent drsquoune vie

moins deacutependante des difficulteacutes imposeacutees par un environnement naturel complexe

et par la position laquo peacuteripheacuterique raquo de leur territoire

En reacutealiteacute les parents et les membres de la famille nrsquoont pas la possibiliteacute de

choisir leur camp Le fait qursquoagrave Antecume pata et agrave Hiva Oa lrsquointeacutegration agrave lrsquoEacutetat

franccedilais soit encore incomplegravete que les infrastructures existantes ne permettent pas

lrsquoaccegraves de tous les habitants aux droits fondamentaux et que lrsquoisolement

geacuteographique de ces icircles rende difficile lrsquoacquisition des biens de consommation

drsquoorigine industrielle oblige la majoriteacute des familles agrave assurer leur survie gracircce au

travail agricole et aux moyens de subsistance laquo traditionnels raquo Or ces travaux ne

peuvent ecirctre reacutealiseacutes par les seuls adultes ils neacutecessitent lrsquointervention des enfants

qui passent donc une partie de leur temps agrave contribuer agrave lrsquoeacuteconomie domestique

Tous les enfants wayana-apalaiuml et enata que jrsquoai observeacutes pendant ma recherche

contribuent activement agrave ce type de tacircches bien qursquoelles les eacuteloignent souvent de

leurs devoirs scolaires

Crsquoest lagrave un dilemme difficile agrave reacutesoudre pour un eacuteducateur autochtone agrave qui

donner la prioriteacute Agrave lrsquoeacutecole ou agrave la famille Aux devoirs scolaires ou aux tacircches

domestiques Agrave lrsquointeacutegration des enfants agrave la socieacuteteacute nationale ndash en tant que

309

citoyens et professionnels disposant drsquoun diplocircme ndash ou agrave la survie des familles dans

un contexte ougrave certains biens ne peuvent ecirctre acheteacutes avec un diplocircme et doivent

ecirctre produits sur place La reacuteponse nrsquoeacutetant pas donneacutee drsquoavance la solution mise

en œuvre pas les adultes est geacuteneacuteralement baseacutee sur les circonstances plutocirct que

sur une reacuteflexion autour des prioriteacutes eacuteducatives de sorte que bien que la reacuteussite

scolaire soit consideacutereacutee comme une prioriteacute les exigences eacuteconomiques de la famille

obligent parfois les enfants agrave laquo revenir agrave la tradition raquo

Dans les deux contextes eacutetudieacutes lrsquoideacutee de reacuteussite semble tout aussi

complexe Le deacuteveloppement de lrsquoenfant est associeacute agrave deux domaines celui des

compeacutetences scolaires et celui des compeacutetences laquo autochtones raquo soit lrsquoensemble des

attitudes et des connaissances neacutecessaires agrave la survie dans leur habitat Agrave Hiva Oa

cet ensemble est aussi associeacute aux critegraveres drsquoordre religieux et au respect de

certaines normes de vie qui pour la plupart des jeunes que jrsquoai pu interviewer sont

difficiles agrave respecter215 (sans compter que lrsquoicircle est un laquo huis clos raquo ougrave tout le monde

se connaicirct et ougrave lrsquoespace priveacute est tregraves restreint) Cependant si drsquoun cocircteacute la reacuteussite

scolaire ndash qui ne deacutepend pas seulement du travail reacutealiseacute en classe mais aussi drsquoun

environnement familial qui facilite les apprentissages scolaires ndash est limiteacutee par le

fait que les enfants doivent participer aux travaux domestiques drsquoun autre cocircteacute la

reacuteussite laquo en tant que membres drsquoune communauteacute autochtone raquo est limiteacutee par le

215 Plusieurs drsquoentre eux mrsquoont en effet fait part de leurs preacuteoccupations par rapport agrave lrsquoapproche tregraves

conservatrice de diffeacuterents precirctres et pasteurs officiant sur lrsquoicircle surtout pour ce qui concerne les

habitudes sexuelles et la liberteacute des relations sentimentales avant le mariage

310

fait que la transmission des donneacutees culturelles laquo traditionnelles raquo soit consideacutereacutee

secondaire par rapport aux savoirs scolaires

Lrsquoincapaciteacute de certains enfants et de jeunes autochtones agrave reacuteussir dans les

deux domaines (le laquo traditionnel raquo et le scolaire) entraicircne lrsquoeacutechec qui est veacutecu

comme une grande frustration Comme nous lrsquoavons vu dans la deuxiegraveme partie de

cette thegravese le suicide des jeunes autochtones ndash symptocircme drsquoune importante crise

sociale ndash est devenu une cause importante de mortaliteacute Bien que certains

observateurs considegraverent que la cause majeure de cette crise soit tout simplement

la consommation drsquoalcool216 cette hypothegravese nrsquoest pas recevable puisque la

consommation de substances enivrantes ne peut pas ecirctre consideacutereacutee en soi comme

la cause drsquoun pheacutenomegravene social Chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata lrsquoalcool

est plutocirct un laquo deacuteclencheur raquo qui facilite le passage agrave lrsquoacte et qui permet aux jeunes

victimes de la frustration de deacutepasser leurs limites et drsquoaccomplir leur dessin

suicidaire (Amadeacuteo 2014 Amadeacuteo et al 2014 Yen Kai Sun 2014)

216 Crsquoest le cas des missionnaires et de certains enseignants qui travaillent dans les eacutecoles drsquoAntecume

pata et drsquoAtuona avec lesquels jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de discuter de cette question Crsquoest aussi le cas

drsquoune ancienne inspectrice de lrsquoeacuteducation nationale (IEN) chargeacutee de la circonscription scolaire du

Haut Maroni (dans laquelle se trouve lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata) qui en mrsquoexpliquant son point de vue

vis-agrave-vis de ce problegraveme me disait que laquo srsquoil nrsquoy avait pas drsquoalcool Antecume pata serait un paradis raquo

Lrsquoancienne IEN oubliait pourtant que le supposeacute paradis avait deacutejagrave eacuteteacute empoisonneacute bien avant

lrsquoarriveacutee de lrsquoalcool par drsquoautres problegravemes de la contamination des fleuves agrave la deacuteforestation en

passant par la deacuteculturation drsquoun peuple tout entier et par son exclusion des droits les plus basiques

311

Les politiques publiques doivent prendre en consideacuteration ce pheacutenomegravene et

reconsideacuterer les modaliteacutes drsquoaction dans des contextes tels qursquoAntecume pata et

Hiva Oa ougrave la notion de reacuteussite sociale ndash et de deacuteveloppement de lrsquoenfant ndash srsquoest

construite agrave partir drsquoideacuteologies divergentes et parfois conflictuelles

312

14 La scolarisation dans lrsquoOutre-mer lrsquoillusion de lrsquoascenseur social

Dans le chapitre preacutecegravedent jrsquoai montreacute comment lrsquoideacutee selon laquelle la

reacuteussite sociale serait la conseacutequence de la reacuteussite scolaire srsquoest reacutepandue dans les

deux contextes eacutetudieacutes dans le cadre de cette thegravese Cependant le fait que tregraves peu

drsquohabitants drsquoAntecume pata ou de Hiva Oa aient accompli leurs obligations

scolaires ndash et qursquoencore moins aient obtenu leur diplocircme national du brevet (DNB)

au terme du collegravege ou des diplocircmes de niveau supeacuterieur ndash et qursquoils se trouvent

finalement en situation drsquoeacutechec scolaire est agrave mon avis lrsquoune des causes de la crise

culturelle qui provoque chez les jeunes autochtones un sentiment de frustration

drsquoeacutechec social et drsquoincompatibiliteacute avec leur communauteacute drsquoappartenance tout

comme avec la communauteacute nationale

Cependant le cas des Wayana-Apalaiuml et des Enata nrsquoest pas isoleacute Les chiffres

que nous offrent les statistiques les plus reacutecentes sur la reacuteussite scolaire des eacutecoliers

de lrsquoOutre-mer franccedilais ne sont pas reacutejouissants Pour la Polyneacutesie franccedilaise par

exemple un rapport publieacute en 2014 par la Chambre territoriale des comptes deacutecrit

le systegraveme scolaire de la collectiviteacute comme eacutetant laquo en grande difficulteacute raquo

notamment agrave cause de lrsquoampleur du pheacutenomegravene de la deacutescolarisation preacutecoce et des

laquo ineacutegaliteacutes face agrave lrsquoeacuteducation provoqueacutees par lrsquoisolement des archipels eacuteloigneacutes raquo

comme crsquoest le cas aux icircles Marquises (CTCPF 2014 6-8) Le mecircme constat a eacuteteacute

dresseacute pour la Guyane dans une seacuterie de rapports produits agrave la demande de lrsquoINSEE

et du Rectorat de la Guyane qui ont montreacute que la majoriteacute des jeunes Guyanais

313

nrsquoont pas de diplocircme ne participent pas aux formations professionnelles et

nrsquoexercent aucune activiteacute eacuteconomique (Gragnic amp Horatius-Clovis 2014 Horatius-

Clovis amp Michaud 2011)

Dans les deux cas les auteurs pointent du doigt laquo les difficulteacutes speacutecifiques

pour srsquoapproprier le franccedilais langue des apprentissages scolaires dans un univers

qui reste encore largement baigneacute par les langues raquo locales (CTCPF 2014 8) et les

difficulteacutes geacuteneacutereacutees par le milieu social consideacutereacute comme laquo un facteur deacuteterminant

dans la reacuteussite scolaire raquo (Gragnic amp Horatius-Clovis 2014 6) Toutefois se limiter

agrave ces deux causes endogegravenes ndash et agrave des facteurs causaux qui relegravevent finalement des

familles ndash nrsquoest probablement pas suffisant Pour ce qui concerne lrsquousage de la langue

franccedilaise comme je lrsquoai montreacute dans la deuxiegraveme partie agrave Antecume pata comme agrave

Hiva Oa elle est devenue non seulement la langue des apprentissages scolaires mais

aussi la langue la plus utiliseacutee par les parents pour transmettre des donneacutees

culturelles agrave leurs enfants En drsquoautres termes le franccedilais est la langue de lrsquoeacuteducation

domestique217 Elle est aussi devenue la langue qursquoutilisent les enfants pour jouer

217 Ce processus est en train de mettre en peacuteril la tradition de plurilinguisme de ces peuples Je

rappelle que tous les adultes wayana-apalaiuml parlent couramment leur langue maternelle mais aussi

le portugais et le sranan tongo (ou taki-taki soit la lingua franca parleacutee par tous les habitants du Haut

Maroni ) une majoriteacute parle aussi couramment le franccedilais (seules les personnes les plus acircgeacutees du

village ne le parlent pas) et une minoriteacute possegravede des notions de langue cantonaise (en raison de la

preacutesence de ressortissants chinois qui assurent le commerce des biens de premiegravere neacutecessiteacute sur le

fleuve) Les adultes de Hiva Oa parlent tous leur langue maternelle le lsquoeo enata tout en eacutetant capables

de communiquer en rsquoeo enana le dialecte des icircles du groupe nord de lrsquoarchipel et en franccedilais De plus

une grande majoriteacute est capable de communiquer couramment en langue tahitienne et ceux qui

314

entre eux celle qursquoils eacutecoutent agrave la teacuteleacutevision et agrave la radio celle avec laquelle ils

reacutealisent la plupart des interactions Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait penser les

enfants wayana-apalaiuml et enata baignent donc la plupart du temps dans le franccedilais

Qui plus est plusieurs eacutetudes transversales ont deacutemontreacute que sur la longue dureacutee

le fait que la langue de scolarisation soit diffeacuterente de la langue maternelle nrsquoa pas

neacutecessairement un impact neacutegatif sur le rendement scolaire (Marks 2010 et 2014)

Il me semble eacutegalement difficile de remettre en cause le laquo milieu social raquo218

puisqursquoil srsquoagit drsquoune cateacutegorie totalement ethnocentrique et si elle peut srsquoappliquer

agrave laquo notre raquo socieacuteteacute occidentale il en va tout autrement dans des contextes

travaillent dans le secteur du tourisme ou en tant qursquoouvriers dans les bateaux qui assurent la liaison

entre les icircles parlent aussi lrsquoanglais (et jrsquoai mecircme connu des Marquisiens avec des notions basiques

de japonais)

218 Comme le fait par exemple Geacuterard Barthoux lequel en prenant la deacutefense de lrsquoeacutecole reacutepublicaine

affirme que laquo les causes de lrsquoeacutechec scolaire en Polyneacutesie franccedilaise comme ailleurs sont agrave rechercher

surtout dans les conditions de vie des enfants et dans le statut socio-eacuteconomique de leurs parents raquo

et que laquo lrsquoeacutecole reacutepublicaine parvient en outre agrave faire reacuteussir de nombreux eacutelegraveves censeacutes ne pas

correspondre agrave son public preacutetendument privileacutegieacute y compris parmi ceux qui plus tard font

profession comme le sociologue Pierre Bourdieu par exemple de deacutecrier cette eacutecole raquo (Barthoux

2012 45 Voir aussi Barthoux 2008) Cependant les donneacutees disponibles semblent deacutemontrer le

contraire les derniegraveres eacutevaluations du PISA nous confirment que depuis 2003 le systegraveme scolaire

franccedilais laquo srsquoest deacutegradeacute principalement par le bas raquo agrave cause de son laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo et drsquoune

proportion drsquoeacutelegraveves reacutesilients (crsquoest-agrave-dire les eacutelegraveves provenant drsquoun milieu deacutefavoriseacute se classant

dans le groupe drsquoeacutelegraveves qui obtiennent les meilleures performances scolaires) tregraves infeacuterieure agrave la

moyenne des pays de lrsquoOCDE (OCDE 2015 5-11)

315

autochtones ougrave les hieacuterarchies sociales ne correspondent pas agrave laquo nos raquo critegraveres Agrave

Antecume pata par exemple le chef du village ndash qui occupe le rang le plus eacuteleveacute de

la hieacuterarchie sociale ndash nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute et exerce la profession laquo occidentale raquo

drsquoagent drsquoentretien (ouvrier) agrave mi-temps au sein de la mairie de Maripasoula son

eacutepouse est femme au foyer ses quatre enfants sont inactifs et ses six petits-enfants

ont tous moins de 16 ans Bien que selon les critegraveres de lrsquoINSEE son foyer soit

consideacutereacute comme celui drsquoun milieu laquo deacutefavoriseacute raquo219 pour les autres villageois

(lesquels aux yeux de lrsquoINSEE appartiennent aussi agrave un milieu laquo deacutefavoriseacute raquo) il nrsquoen

est pas moins un symbole de reacuteussite sociale et beaucoup de membres de la

communauteacute lrsquoenvient Si nous ajoutons le fait que tous ses enfants et petits-enfants

aient eacuteteacute scolariseacutes correctement et aient obtenu de bons reacutesultats scolaires nous

pouvons supposer que le lien entre le laquo milieu social raquo et la reacuteussite scolaire ne soit

pas absolu mais plutocirct relatif et lieacute aux critegraveres locaux de stratification sociale Le

cas du chef du village ne constitue pas une exception En effet la directrice de lrsquoeacutecole

drsquoAntecume pata Mme Marion Le Guen mrsquoa confirmeacute que entre 2012 et 2015 la

tendance geacuteneacuterale eacutetait la suivante les eacutelegraveves avec les meilleurs reacutesultats scolaires

nrsquoeacutetaient pas ceux qui venaient des familles disposant des revenus les plus eacuteleveacutes

219 Dans les eacutetudes de lrsquoINSEE la cateacutegorie socioprofessionnelle de la personne de reacutefeacuterence du

meacutenage est deacutefinie agrave partir drsquoun regroupement des cateacutegories socioprofessionnelles de lrsquoINSEE La

cateacutegorie laquo tregraves favoriseacutee raquo regroupe les cadres les professions libeacuterales les chefs drsquoentreprise et les

enseignants la cateacutegorie laquo favoriseacutee raquo correspond aux professions intermeacutediaires la cateacutegorie laquo

moyenne raquo regroupe les agriculteurs exploitants les artisans-commerccedilants les employeacutes et la

cateacutegorie laquo deacutefavoriseacutee raquo regroupe les ouvriers les chocircmeurs et les inactifs nrsquoayant jamais travailleacute

(Baccaiumlni et al 2014)

316

mais plutocirct ceux qui appartenaient agrave des familles jouissant drsquoun statut eacuteleveacute au sein

de la communauteacute comme par exemple celle du shaman du chasseur ou de lrsquoartisan

le plus reacuteputeacute ndash soit les familles qui disposaient selon les critegraveres locaux drsquoun

laquo capital culturel raquo220 plus conseacutequent Toutefois ces ressources culturelles nrsquoont

une influence directe et eacutevidente que sur les reacutesultats des eacutelegraveves drsquoeacutecole primaire ndash

qui se trouve dans le village ndash et comme me lrsquoassure la mecircme source nrsquoen ont en

revanche aucune sur les reacutesultats scolaires des enfants qui suivent les cours du

collegravege de Maripasoula et qui ont ducirc srsquoeacuteloigner de leur village et de leur famille Agrave

Hiva Oa les critegraveres de stratification sociale ndash bien que diffeacuterents de ceux observeacutes

agrave Antecume pata ndash preacutesentent grosso modo le mecircme eacutecart vis-agrave-vis des critegraveres pris

en compte par les institutions publiques Aux Marquises en effet les enseignants et

le personnel de santeacute provenant de la meacutetropole (lesquels selon lrsquoINSEE

appartiennent agrave la cateacutegorie laquo tregraves favoriseacutee raquo) partagent le sommet de la pyramide

eacuteconomique avec les agriculteurs les eacuteleveurs les petits commerccedilants et les

employeacutes de la mairie qui concentrent la majoriteacute du capital eacuteconomique des icircles

(les terres les ressources financiegraveres et les moyens de productions) bien que selon

220 Jrsquoemprunte le concept de capital culturel agrave Pierre Bourdieu (1966 1979) qui lrsquoavait utiliseacute pour

analyser le contexte laquo occidental raquo agrave partir drsquoune ideacutee de la culture laquo savante raquo et scolaire crsquoest-agrave-dire

ndash comme je lrsquoai montreacute dans la premiegravere partie de cette thegravese ndash en tant que patrimoine drsquoune

civilisation Cependant le concept ndash qui deacutecrit lrsquoensemble des ressources culturelles transmises agrave un

individu par sa famille mais aussi ses aptitudes par rapport agrave la culture et aux codes

comportementaux en vigueur dans un contexte deacutetermineacute ndash me paraicirct adaptable mutatis mutandis

au contexte autochtone Dans ce dernier cas la culture doit ecirctre interpreacuteteacutee agrave partir de sa deacutefinition

anthropologique en tant qursquoensemble des savoirs propres agrave un groupe social deacutetermineacute

317

lrsquoINSEE ces derniers devraient ecirctre classeacutes dans la cateacutegorie laquo moyenne raquo

Cependant le sommet de la pyramide sociale est occupeacute par des personnes qui ont

bacircti leur reacuteputation sur les activiteacutes sociales et sur le laquo deacuteveloppement humain raquo de

la communauteacute (lrsquoaide aux autres villageois lrsquoorganisation de ceacuteleacutebrations et de

fecirctes ou la restauration drsquoun lieu de culte) lesquelles ne proviennent pas

neacutecessairement drsquoun milieu social laquo favoriseacute raquo Ces observations semblent confirmer

que le critegravere du laquo milieu social raquo nrsquoest pas universel et qursquoil devrait ecirctre interpreacuteteacute

agrave partir du contexte

Selon les enseignants que jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de connaicirctre dans mes deux

terrains drsquoeacutetude les causes les plus profondes des hauts niveaux de deacutecrochage

scolaire et drsquoexclusion du marcheacute du travail des enfants autochtones ne sont pas

laquo culturelles raquo (la langue et le milieu familial) mais plutocirct lieacutees aux insuffisances

structurelles des institutions chargeacutees de lrsquoeacuteducation scolaire notamment en ce qui

concerne le manque de financements et le faible effectif du personnel de lrsquoEacuteducation

nationale Par ailleurs une autre cause importante est le fait que agrave Antecume pata

et agrave Hiva Oa les enfants qui veulent poursuivre leurs eacutetudes secondaires soient

obligeacutes de partir de leurs icircles de srsquoeacuteloigner des familles et de srsquoinstaller loin de leurs

communauteacutes dans des contextes ougrave lrsquoadaptation et lrsquointeacutegration se reacutevegravele bien

souvent tregraves difficiles

Dans un rapport de 2011 la Ligue des Droits de lrsquoHomme a constateacute que

laquo les eacutelegraveves des villages ameacuterindiens du Haut Maroni sont

contraints pour se rendre au collegravege de Maripasoula drsquoecirctre accueillis

318

dans des familles drsquoaccueil financeacutees par le conseil geacuteneacuteral ou dans un

home drsquoenfants sous la responsabiliteacute de religieuses catholiques qui a

eacuteteacute transformeacute agrave la rentreacutee 2010 en internat dit ‟drsquoexcellencerdquo

deacutesormais sous la responsabiliteacute conjointe de lrsquoeacutevecirccheacute et du rectorat

Le deacuteplacement contraint des eacutelegraveves vivant en territoires isoleacutes

implique une gestion drsquoaccueil suffisant afin que ceux-ci puissent de

maniegravere effective poursuivre leurs eacutetudes et ce dans les meilleures

conditions Toutefois [hellip] lrsquoaccueil des enfants se reacutevegravele ecirctre partiel

lrsquoheacutebergement nrsquoeacutetant pas preacutevu le week-end Ainsi [hellip] les enfants

provenant de sites isoleacutes notamment des reacutegions du Haut Maroni et

du Haut Oyapock se retrouvaient en errance nrsquoayant nulle part ougrave se

retourner raquo (LDH 2011 9)

Pour ce qui est des eacutetudiants de Hiva Oa la situation nrsquoest guegravere plus simple

Lrsquoicircle ne disposant que drsquoun lyceacutee priveacute (et drsquoune classe de Bac pro inteacutegreacutee au collegravege

public) les eacutetudiants marquisiens deacutesireux de poursuivre leurs eacutetudes dans un lyceacutee

public (ou dans une filiegravere drsquoenseignement geacuteneacuteral) sont obligeacutes drsquoaller agrave Tahiti ce

qui signifie pour eux drsquointeacutegrer un internat ou drsquoecirctre accueillis par des membres de

leur famille parfois tregraves eacuteloigneacutee Par ailleurs certains drsquoentre eux mrsquoont confirmeacute

qursquoils avaient ducirc abandonner leurs eacutetudes supeacuterieures agrave Tahiti parce qursquoils avaient

eacuteteacute sujets agrave de nombreuses moqueries du fait de leur origine insulaire eacuteloigneacutee

319

Deacutejagrave dans les anneacutees 1970 certains praticiens de lrsquoeacuteducation avaient reacutefleacutechi

agrave la probleacutematique de lrsquoeacutechec scolaire en observant que

laquo les conditions sociales de vie des familles sont agrave mettre en

cause mais aussi lrsquoeacutecole et les contenus manifestes et latents ou

inconscients drsquoenseignement et surtout la crise globale des valeurs

La relation de lrsquoenfant au savoir au travail agrave la culture nrsquoest pas

seulement un trait psychologique individuel ou plutocirct par-delagrave sa

manifestation comme trait psychologique individuel on retrouve le

social raquo (Cimaz 1977 8-9)

En drsquoautres termes si la personnaliteacute les compeacutetences langagiegraveres et le

milieu social des enfants (qui deacutependent de lrsquoontosystegraveme et des microsystegravemes de

socialisation) peuvent avoir une influence sur leur reacuteussite scolaire celle-ci deacutepend

plutocirct drsquoun facteur de type macrosystegravemique agrave savoir la capaciteacute de lrsquoeacutecole agrave

inteacutegrer ses eacutelegraveves et agrave leur offrir un parcours drsquoapprentissage adapteacute agrave leurs

speacutecificiteacutes socioculturelles et aux besoins de leur communauteacute

141 De retour au village la difficile inteacutegration des laquo autochtones diplocircmeacutes raquo

La situation des adolescents wayana-apalaiuml et enata qui ont suivi

correctement leur scolarisation et qui ont reacuteussi agrave deacutecrocher des titres drsquoeacutetude nrsquoest

pas meilleure En effet quand ils retournent dans leur village drsquoorigine ils

deacutecouvrent que leurs diplocircmes ne sont drsquoaucune utiliteacute pour la simple raison qursquoagrave

320

Hiva Oa et agrave Antecume pata le marcheacute du travail est paralyseacute Les jeunes survivent

donc de laquo petits boulots raquo parfois agrave la limite de la leacutegaliteacute221 ou de contrats

drsquoinsertion sociale agrave dureacutee deacutetermineacutee qui nrsquoassurent pas lrsquoautonomie financiegravere et

qui par deacutefinition ont une porteacutee limiteacutee Les laquo diplocircmeacutes raquo qui deacutecident de se lancer

dans lrsquoexploitation agricole les services touristiques le commerce drsquoartisanat ou

dans le cas des Enata la reacutealisation de tatouages deacutecouvrent tregraves vite que le nombre

de clients potentiels ne leur permettra pas de subvenir agrave leurs besoins et encore

moins agrave ceux drsquoune eacuteventuelle famille Ils se retrouvent finalement obligeacutes de choisir

entre eacutemigrer ou retourner agrave la laquo vie traditionnelle raquo ndash crsquoest-agrave-dire aider leurs

parents dans les tacircches agricoles la chasse et la pecircche ndash une vie pour laquelle ils ne

sont plus preacutepareacutes Leurs recircves se brisent et crsquoest alors que la plupart drsquoentre eux

comprennent que lrsquoeacutecole nrsquoa pas fonctionneacute pour eux comme un veacuteritable ascenseur

social

Le constat deacutecevant que je viens de faire semble deacutemontrer que lrsquoeacutechec social

des jeunes Wayana-Apalaiuml et Enata lesquels srsquoadaptent avec difficulteacute agrave leur double

identiteacute ndash de membres drsquoune communauteacute autochtone rurale et de citoyens de la

Reacutepublique appeleacutes agrave contribuer au deacuteveloppement eacuteconomique de la nation ndash est

au but du compte un symptocircme de lrsquoeacutechec partiel de lrsquoeacutecole dans lrsquoOutre-mer qui

nrsquoa pas atteint son objectif paradigmatique drsquoassurer la laquo reacuteussite pour tous raquo Agrave

221 En geacuteneacuteral ces laquo petits boulots raquo ne sont pas deacuteclareacutes Il srsquoagit parfois de travaux agricoles ou

drsquoemplois dans le bacirctiment (sans que les mesures de seacutecuriteacute neacutecessaires soient appliqueacutees) et le

plus souvent de la distribution et de la vente de substances illeacutegales comme lrsquoalcool de contrebande

les drogues ou agrave Antecume pata le mercure

321

lrsquoaube de ce troisiegraveme milleacutenaire cette situation nous invite agrave reacutefleacutechir agrave la mission

de lrsquoeacutecole et agrave se poser une question basique mais neacutecessaire si lrsquoeacutecole nrsquoest pas un

ascenseur social et si elle nrsquoest pas capable de garantir lrsquoeacutegaliteacute des chances pour

tous les eacutelegraveves agrave qui sert-elle aujourdrsquohui dans les contextes autochtones de lrsquoOutre-

mer

142 Lrsquoeacutecole du troisiegraveme milleacutenaire forge de citoyens ou fabrique de

professionnels

Depuis la Reacutevolution franccedilaise les leacutegislateurs ont assigneacute agrave lrsquoeacutecole le rocircle de

laquo forge raquo de citoyens chargeacutee de former des membres drsquoune nation conscients du

patrimoine propre agrave leur civilisation Ils lui ont aussi assigneacute un rocircle eacutemancipatoire

visant agrave construire une socieacuteteacute laiumlque et eacutequitable Ce nrsquoest pas un hasard si en 1880

Jules Ferry dans le rapport preacuteliminaire qui accompagnait son projet de loi sur

lrsquoenseignement primaire obligatoire eacutecrivait que la scolarisation laquo est une arme

neacutecessaire pour vaincre dans des cas trop nombreux lrsquoapathie la coupable

indiffeacuterence quelquefois les calculs de la cupiditeacute raquo (Ferry 1880 citeacute par

Muller 1999 114) En effet comme lrsquoa deacutemontreacute Norbert Elias (1973 1975)

lrsquoinstruction scolaire depuis le Moyen Age a bel et bien contribueacute agrave la laquo civilisation

des mœurs raquo ndash soit agrave la transmission des pratiques des eacutelites aux autres cateacutegories

sociales ndash mais elle a surtout faciliteacute la laquo sociogenegravese de lrsquoEacutetat raquo et la diffusion de

lrsquoideacutee selon laquelle un peuple sans Eacutetat serait impensable et que tous les individus

devraient donc se rallier agrave un projet national en devenant des citoyens Bien

eacutevidemment elle a aussi permis de diffuser la penseacutee critique et plusieurs

mouvements de contestation et de deacutecolonisation ont surgi dans les milieux

322

scolaires et universitaires222 En France le cas de mai 1968 nrsquoest pas isoleacute pour ne

citer qursquoun exemple repreacutesentatif le mouvement anticolonialiste de la laquo neacutegritude raquo

ndash qui regroupait des penseurs de lrsquoenvergure drsquoAimeacute Ceacutesaire ou de Leacuteopold Sedar

Senghor ndash a vu le jour dans les couloirs du lyceacutee Louis-le-Grand agrave Paris

Agrave lrsquoheure actuelle la conception de lrsquoeacutecole en tant que sanctuaire voueacute agrave

lrsquoeacutepanouissement de lrsquoenfant et agrave sa socialisation est en train de laisser la place agrave une

nouvelle conception celle de lrsquoeacutecole en tant qursquoinstitution de formation consacreacutee agrave

la professionnalisation et agrave la preacuteparation des futurs travailleurs Vincent Troger

souligne qursquoen France la formation professionnelle a eacuteteacute historiquement deacuteleacutegueacutee

au cadre scolaire car seule lrsquoeacutecole laquo fait consensus pour garantir lrsquoobjectiviteacute des

certifications raquo professionnelles (Troger 2014 48) En effet en France lrsquoabolition

des corporations et du compagnonnage par le deacutecret laquo drsquoAllarde raquo du 17 mars 1791

a fortement bouleverseacute les modaliteacutes drsquoexercice et de transmission laquo traditionnelle raquo

des meacutetiers (Hanne 2003) Deux points de vue se sont opposeacutes face agrave cette

laquo reacutevolution dans la Reacutevolution raquo drsquoun cocircteacute ceux qui deacutefendaient lrsquoapprentissage

dans lrsquoentreprise ndash ce qui impliquait lrsquoadheacutesion de lrsquoapprenant aux valeurs

patronales ndash et de lrsquoautre ceux qui procircnaient une formation professionnelle dans les

eacutecoles Cette dispute srsquoest poursuivie jusqursquoau lendemain de la Seconde Guerre

mondiale avec la creacuteation des collegraveges drsquoenseignement technique (devenus en 1975

222 Dans mes preacuteceacutedents travaux jrsquoai exploreacute le rocircle de la scolarisation dans la formation ideacuteologique

des membres de la gueacuterilla reacutevolutionnaire en Colombie en deacutemontrant comment les eacutetablissements

eacuteducatifs geacutereacutes par certaines congreacutegations catholiques ont contribueacute agrave la diffusion des ideacutees propres

agrave la laquo theacuteologie de la libeacuteration raquo et agrave la consolidation des mouvements syndicaux ruraux (Aligrave 2014)

323

des lyceacutees drsquoenseignement professionnel puis dix ans plus tard des lyceacutees

professionnels) chargeacutes de former des professionnels et de deacutelivrer les diffeacuterents

certificats drsquoaptitude professionnelle (CAP) diplocircmes embleacutematiques de la

qualification ouvriegravere Lrsquoapprentissage en entreprise reprendra ses couleurs avec la

loi ndeg 87-572 du 23 juillet 1987 (dite loi laquo Seacuteguin raquo) qui consacre lrsquoapprentissage

comme une veacuteritable filiegravere de la formation initiale permettant lrsquoobtention de

certains diplocircmes (du CAP au diplocircme drsquoingeacutenieur) en vue de lrsquoinsertion

professionnelle de lrsquoapprenant (Moreau 2013) Cependant les savoirs

professionnels continuent drsquoecirctre marginaliseacutes par rapport aux savoirs acadeacutemiques

ce qui est deacutemontreacute par le fait qursquoagrave lrsquoheure actuelle il existe encore un fort clivage

(social et en termes de revenus) entre les professionnels qui maicirctrisent les savoirs

acadeacutemiques et ceux qui ne maicirctrisent laquo que raquo les savoirs professionnels Ces

incoheacuterences deacuterivent du fait que si le macrosystegraveme global ndash et les valeurs

neacuteolibeacuterales qursquoil veacutehicule ndash se doit de valoriser les compeacutetences geacuteneacuterales ou

acadeacutemiques propres aux eacutelites il doit en mecircme temps laquo motiver raquo lrsquoensemble des

citoyens ndash et surtout ceux qui viennent des milieux deacutefavoriseacutes ndash agrave se former aux

meacutetiers que lrsquoeacutelite ne veut pas reacutealiser mais qui sont neacutecessaires au deacuteveloppement

eacuteconomique de la nation (Ledoux 2012) Toutefois lrsquoexpeacuterience des Wayana-Apalaiuml

et des Enata semble deacutemontrer que la formation qui leur est donneacutee par lrsquoeacutecole

reacutepublicaine non seulement ne contribue pas au deacuteveloppement eacuteconomique de la

France mais se montre aussi largement inexploitable dans les contextes dans

lesquels ils vivent

324

La situation de ces peuples drsquoOutre-mer nous confirme que lrsquoeacutecole

reacutepublicaine est confronteacutee agrave un deacutefi majeur celui de pouvoir garantir lrsquoaccegraves agrave une

eacuteducation de qualiteacute agrave ses minoriteacutes autochtones Il srsquoagit alors drsquoeacuteliminer certains

obstacles qui limitent cet accegraves et de trouver des solutions efficaces pour rendre agrave

lrsquoeacutecole son rocircle drsquoinstitution eacuteducative de formation citoyenne Une strateacutegie globale

devrait mener les politiques publiques agrave prendre en consideacuteration la voix des

communauteacutes et agrave leur permettre de participer agrave la prise de deacutecisions les

concernant Les communauteacutes devraient pouvoir participer au fonctionnement et agrave

la gestion de lrsquoeacuteducation mais pour ce faire elles devraient avant tout comprendre

quelle est la mission de cette derniegravere quelles sont les ressources dont elle dispose

et quelles sont les limites drsquoaction imposeacutees par la loi Il srsquoagit finalement de donner

aux contextes locaux le pouvoir de deacutecision autour des dynamiques locales

325

15 Reformuler les politiques eacuteducatives de laquo lrsquoindiffeacuterence aux

diffeacuterences raquo agrave la prise en compte des particulariteacutes locales

Dans les derniers chapitres de la premiegravere partie de cette thegravese jrsquoai eacutevoqueacute

lrsquohypothegravese soutenue par plusieurs observateurs de la socieacuteteacute franccedilaise selon

laquelle le modegravele multiculturel reacutepublicain ndash et son laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo

ndash est deacutesormais en crise Ce modegravele descendant direct de lrsquoideacuteologie propre agrave la

Reacutevolution franccedilaise et agrave sa vision de lrsquoeacutegaliteacute citoyenne a eacutemergeacute dans un contexte

de laquo multiculturalisme restreint raquo puisqursquoagrave la fin du XVIIIegraveme siegravecle les reacutealiteacutes

sociales laquo autres raquo inteacutegreacutees au territoire de la nation eacutetaient au bout du compte

plutocirct proches ndash dans leurs normes coutumes usages et traditions ndash de la reacutealiteacute

sociale construite par les eacutelites au pouvoir Cela ne signifie pas pour autant que la

socieacuteteacute franccedilaise de lrsquoeacutepoque eacutetait moins multiculturelle que celle drsquoaujourdrsquohui

Toutefois agrave cette eacutepoque-lagrave la construction savante des cateacutegories ethniques et son

appropriation politique de la part des eacutelites avait permis de creacuteer des barriegraveres

capables drsquoexclure de ce que jrsquoappelle laquo le panorama social franccedilais raquo certains

groupes humains reacutesidant sur le territoire national La premiegravere barriegravere eacutetait celle

de la citoyenneteacute ndash de laquelle eacutetaient exclus les peuples autochtones originaires des

territoires coloniaux ndash et la deuxiegraveme eacutetait celle des droits civiques qui eacutetaient nieacutes

aux individus supposeacutes avoir certaines origines ethniques particuliegraveres comme les

Juifs ou les Roms (Leacutemann 1886 Feuerwerker 1976 Fraser 1995 Hovanessian

amp Marienstras 1998 Leff 2010)

326

Agrave partir de la fin du deuxiegraveme conflit mondial le processus de deacutecolonisation

et drsquointeacutegration des anciennes colonies agrave lrsquoEacutetat franccedilais (en tant que deacutepartements

territoires ou collectiviteacutes) et les dynamiques migratoires internationales ont

contribueacute agrave amplifier la dimension multiculturelle de la France Il est difficile de

quantifier cette dimension puisque les donneacutees disponibles gracircce aux recensements

de lrsquoINSEE se limitent agrave diffeacuterencier les personnes neacutees agrave lrsquoeacutetranger et reacutesidant en

France (les laquo immigrants raquo) et les personnes reacutesidant en France et ne posseacutedant pas

la nationaliteacute franccedilaise (les laquo eacutetrangers raquo)223 sans proposer des donneacutees sur la

laquo preacutesence ethnique raquo dans les diffeacuterents deacutepartements territoires ou collectiviteacutes

Bien que la politique eacutegalitariste des gouvernements qui se sont succeacutedeacutes agrave

la tecircte de la Reacutepublique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale nrsquoait jamais

permis de prendre en compte lrsquoexistence des peuples autochtones au sein de la

nation ndash ce qui rend difficile lrsquoanalyse deacutemographique et le calcul de leur poids dans

la population nationale ndash nous savons que dans certains contextes comme dans le

laquo pays ameacuterindien raquo en Guyane ou dans certaines icircles de la Polyneacutesie franccedilaise les

communauteacutes autochtones repreacutesentent la majoriteacute absolue de la population

reacutesidente Dans le chapitre preacutecegravedent jrsquoai montreacute que dans ces contextes les

objectifs de deacuteveloppement humain issus de la politique de la laquo reacuteussite pour tous raquo

eacutetaient encore loin drsquoecirctre atteints En effet lrsquoideacuteologie reacutepublicaine ndash et son

223 Les donneacutees les plus actuelles (relatives agrave lrsquoanneacutee 2008) nous informent que 84 des personnes

vivant en France sont immigreacutees et que 58 de la population totale (soit presque 4 millions de

personnes) est composeacutee drsquoeacutetrangers (Breuil-Genier et al 2011 Croguennec 2011)

327

laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo ndash qui srsquoest traduite par lrsquoimposition des politiques

sociales et eacuteducatives agrave lrsquoensemble de la nation nrsquoa pas neacutecessairement faciliteacute

lrsquointeacutegration des peuples autochtones comme le deacutemontrent le cas des Wayana-

Apalaiuml et des Enata Lrsquoutopie multiculturelle qui a justifieacute lrsquoaction et les deacutecisions des

organismes de lrsquoEacutetat surtout en ce qui concerne les politiques eacuteducatives a en effet

montreacute ses nombreuses limites

Gracircce aux reacuteflexions et aux deacutebats meneacutes en Guyane et en Polyneacutesie avec les

membres des communauteacutes concerneacutees par lrsquoenquecircte et les enseignants des eacutecoles

locales jrsquoai pu identifier certains facteurs probleacutematiques qui meacuteritent drsquoecirctre

analyseacutes afin de mieux comprendre les causes formelles et substantielles de lrsquoeacutechec

scolaire des jeunes autochtones Je les ai classifieacutes en deux cateacutegories drsquoun cocircteacute les

obstacles structurels (geacuteneacutereacutes par une gestion eacutetatique des ressources eacuteconomiques

qui privileacutegie le territoire meacutetropolitain) et de lrsquoautre les obstacles ideacuteologiques

(geacuteneacutereacutes par les logiques laquo coloniales raquo qui animent aujourdrsquohui encore lrsquoaction

eacuteducative de lrsquoEacutetat)

Dans la premiegravere cateacutegorie jrsquoidentifie deux obstacles majeurs le faible

nombre drsquoeacutetablissements scolaires (notamment les collegraveges et les lyceacutees) dans les

territoires ougrave la majoriteacute de la population est autochtone ndash et surtout agrave proximiteacute

des sites isoleacutes ndash et le manque drsquoinvestissements pour soutenir les coucircts directs (les

frais lieacutes agrave la scolariteacute au transport aux mateacuteriels scolaires agrave lrsquoalimentation et agrave

lrsquohabillement des enfants) et indirects (lieacutes agrave la perte de revenus provoqueacutee par le

deacutepart drsquoune partie de la main drsquoœuvre) engendreacutes par la scolarisation auxquels les

meacutenages deacutefavoriseacutes font difficilement face

328

Dans la deuxiegraveme cateacutegorie jrsquoai inclus trois facteurs le manque drsquoadaptation

des rythmes scolaires (horaires et calendriers) et des contenus peacutedagogiques

(programmes et compeacutetences viseacutees) aux reacutealiteacutes locales et aux besoins speacutecifiques

des populations concerneacutees le manque de formation des enseignants envoyeacutes pour

travailler avec ces populations et finalement le rejet de lrsquoeacutecole en tant qursquoinstitution

laquo civilisatrice raquo emblegraveme de la colonisation

Dans les prochaines pages jrsquoessaierai de deacutecrire ces aspects probleacutematiques

et de montrer qursquoils peuvent se traduire en axes de travail envisageables pour

imaginer des politiques publiques capables de prendre en consideacuteration la reacutealiteacute

sociale laquo multidimensionnelle raquo de la France drsquoOutre-mer

151 Obstacles structurels

Bien que de nombreuses eacutetudes aient eacuteteacute reacutealiseacutees pour comprendre les

laquo obstacles culturels raquo aux apprentissages scolaires (Ogbu 1987 Verbunt 1994

Coiumlaniz et al 2001 Barthoux 2008 Chapellon amp Leacutevecircque 2011 Buckingam

2013) peu de travaux ont eacuteteacute publieacutes pour appreacutehender les obstacles laquo structurels raquo

qui rendent difficile lrsquoaccegraves agrave lrsquoeacuteducation scolaire des communauteacutes autochtones

laquo deacutefavoriseacutees raquo224 Pour ce qui est de la France les rares enquecirctes portant sur les

difficulteacutes laquo mateacuterielles raquo relatives agrave lrsquoinsertion scolaire sont plutocirct centreacutees sur les

enfants immigreacutes qui habitent lrsquoHexagone (Klein amp Salle 2009 Kleinholt 2012

224 Une remarquable exception est le rapport que Candy Lugaz (2008) a reacutealiseacute pour lrsquoInstitut

international pour la planification de lrsquoeacuteducation un organisme de lrsquoUNESCO

329

Tavernier 2012) Cependant les parents drsquoeacutelegraveves et les speacutecialistes de lrsquoeacuteducation

que jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de rencontrer sur mes terrains drsquoeacutetude mrsquoont confirmeacute que

pour eux les principaux obstacles auxquels les eacutelegraveves et les familles autochtones de

lrsquoOutre-mer doivent faire face pour acceacuteder agrave une eacuteducation de qualiteacute sont

justement lieacutes agrave lrsquoabsence de ressources laquo mateacuterielles raquo

En effet en laquo pays ameacuterindien raquo comme aux icircles Marquises certaines

communauteacutes qui habitent des sites isoleacutes ne disposent pas drsquoeacutetablissements

scolaires Les caracteacuteristiques geacuteographiques et lrsquoorganisation de lrsquoespace de ces

territoires nrsquoont pas permis la creacuteation drsquoeacutecoles de collegraveges et de lyceacutees agrave une

distance raisonnable des nombreux lieux-dits qui existent dans ces endroits Bien

que des services de transport scolaire existent parfois ils ne fonctionnent pas

toujours et plusieurs variables peuvent influer sur leur continuiteacute225 Les parents

drsquoeacutelegraveves sont alors obligeacutes de choisir entre trois possibiliteacutes srsquoinvestir dans de longs

voyages pour amener quotidiennement leurs enfants agrave lrsquoeacutecole (ce qui les obligerait

agrave ne pas reacutealiser certaines tacircches domestiques) demander agrave un internat ou agrave

drsquoautres familles qui habitent pregraves de lrsquoeacutecole (et avec lesquelles existent des liens de

parenteacute) drsquoaccueillir lrsquoenfant ou deacutemeacutenager et srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de lrsquoeacutecole Ce ne

225 Agrave Antecume pata par exemple les hommes qui assurent le transport scolaire des enfants vivant

dans les villages les plus proches refusent de travailler quand il y a des fecirctes ou des eacuteveacutenements

sportifs transmis agrave la teacuteleacutevision Agrave Hiva Oa certains villages qui ne sont pas desservis par le service

communal de transport scolaire deacutependent de la laquo bonne volonteacute raquo de certains parents drsquoeacutelegraveves qui

disposent drsquoune voiture mais qui refusent parfois drsquoassurer le service lorsqursquoils doivent srsquooccuper des

tacircches agricoles ou aller pecirccher tocirct le matin

330

sont pas lagrave des cas exceptionnels agrave Antecume pata et agrave Hiva Oa jrsquoai observeacute

plusieurs parents choisir lrsquoune de ces trois options pour garantir la laquo reacuteussite raquo de

leurs enfants

Quand les enfants parviennent agrave terminer le collegravege une autre difficulteacute

apparaicirct Srsquoils deacutecident de poursuivre leurs eacutetudes leur choix est souvent limiteacute aux

filiegraveres disponibles agrave proximiteacute Les jeunes Wayana-Apalaiuml qui deacutecident de suivre les

formations offertes par le Collegravege Gran Man Difou de Maripasoula (le seul de la

commune) pourront choisir entre trois CAP le premier forme des agents de

deacuteveloppement des activiteacutes locales (avec une option tourisme) le deuxiegraveme

preacutepare les assistants techniques en milieux familial et collectif et le troisiegraveme a

pour objectif de former des assistants en maintenance de bacirctiments de collectiviteacutes

Or aucune de ces trois formations proposeacutees nrsquoest directement lieacutee aux besoins

eacuteconomiques du territoire La premiegravere par exemple qui vise agrave former des

laquo experts raquo en tourisme nrsquoest pas adapteacutee agrave un territoire qui se trouve en laquo zone

interdite raquo et agrave laquelle les touristes nrsquoont pas accegraves De mecircme la deuxiegraveme ndash qui

forme des assistants scolaires ndash ne permet pas drsquoacceacuteder aux concours de la fonction

publique territoriale et nationale pour avoir un poste drsquoAVS ou drsquoATSEM dans les

eacutecoles locales Enfin la troisiegraveme offre peu de deacuteboucheacutees dans un contexte ougrave

lrsquoarchitecture est baseacutee sur des critegraveres laquo traditionnels raquo226 drsquoautant plus que agrave

226 Les Ameacuterindiens du Haut Maroni vivent tous dans des maisons en bois sur pilotis et la seule

concession agrave la laquo moderniteacute raquo sont les toitures en tocircle

331

lrsquoexception des eacutecoles aucun laquo bacirctiment de collectiviteacute raquo nrsquoexiste dans le Haut

Maroni

Pour les jeunes de Hiva Oa il nrsquoy a guegravere plus de choix Ceux qui deacutecident de

poursuivre leurs eacutetudes au CETAD drsquoAtuona peuvent acceacuteder agrave des formations de

niveau CAP en laquo activiteacutes familiales artisanales et touristiques raquo ou en laquo gestion et

entretien en milieu marin raquo tandis que ceux qui optent pour le lyceacutee professionnel

drsquoAtuona peuvent choisir entre un CAP laquo Agent polyvalent de restauration raquo ou un

Bac pro laquo Gestion-administration raquo Si la formation en artisanat et tourisme semble

ecirctre celle qui offre le plus drsquoopportuniteacutes (surtout pour la creacuteation drsquoautoentreprises

drsquoartisanat) les autres sont beaucoup moins adapteacutees au contexte marquisien Les

deacutetenteurs du certificat en gestion et entretien en milieu marin qui visent surtout le

travail sur les bateaux assurant le transport des marchandises entre les icircles doivent

laquo faire des pieds et des mains raquo pour acceacuteder agrave un milieu professionnel tregraves fermeacute

dans lequel la force et lrsquoendurance physique comptent bien plus que les diplocircmes et

auquel on accegravede la plupart du temps par cooptation Ceux qui ont eacutetudieacute la

restauration auront quant agrave eux des difficulteacutes agrave trouver du travail dans une icircle qui

ne compte que trois restaurants dont deux agrave caractegravere familial (ce qui implique que

leurs employeacutes sont geacuteneacuteralement des membres de la famille du proprieacutetaire)

Finalement ceux qui ont eacutetudieacute la gestion et lrsquoadministration trouveront

difficilement du travail dans une icircle ougrave la majoriteacute des entreprises sont de taille

332

limiteacutee ce qui rend peu neacutecessaire lrsquoembauche drsquoun geacuterant ou drsquoun

administrateur227

Agrave ces reacuteflexions il faut ajouter le fait que ce manque de choix dans les

formations proposeacutees oblige souvent les eacutetudiants agrave choisir des filiegraveres qui ne les

passionnent pas et qui ne les invitent donc pas agrave srsquoinvestir dans leurs apprentissages

ce qui implique que beaucoup de jeunes abandonnent leurs eacutetudes sans avoir

obtenu les diplocircmes viseacutes Or plusieurs travaux ont deacutemontreacute qursquoil existe une

correacutelation entre le deacutecrochage scolaire et le choix drsquoune formation inadapteacutee

(Fortin et al 2004 Blaya 2010 Bernard 2011a et 2011b) ce que la situation des

Wayana-Apalaiuml et des Enata semble confirmer

Aux cocircteacutes des difficulteacutes lieacutees agrave lrsquoemplacement des eacutetablissements scolaires

et agrave lrsquoabsence drsquoune offre de formation adapteacutee aux besoins des communauteacutes

autochtones drsquoOutre-mer se trouvent aussi des obstacles lieacutes aux coucircts directs et

indirects de la scolarisation En effet les familles autochtones avec lesquelles jrsquoai

travailleacute vivent bien souvent aux marges de lrsquoeacuteconomie de marcheacute et ne peuvent

compter que sur des revenus limiteacutes Les frais lieacutes agrave la scolariteacute au transport et aux

mateacuteriels scolaires mais aussi agrave lrsquoalimentation et agrave lrsquohabillement des enfants sont

donc difficilement couverts par les meacutenages deacutefavoriseacutes Bien que lrsquoEacutetat et les

administrations territoriales preacutevoient des aides financiegraveres visant agrave soutenir les

227 Lrsquoicircle ne compte qursquoune seule entreprise de plus de dix salarieacutes (et qui appartient donc agrave la

cateacutegorie des laquo petites et moyennes entreprises raquo) Toutes les autres sont des microentreprises de

moins de dix salarieacutes soit des laquo tregraves petites entreprises raquo

333

familles228 celles-ci ne concernent que les coucircts directs laissant agrave la charge des

familles les coucircts indirects Qui plus est lrsquoabsence de mesures permettant de faciliter

une meilleure coordination entre lrsquoeacutecole et les familles ndash et le fait que tregraves souvent

les familles ne participent pas agrave la prise de deacutecision concernant ce type de frais ndash

engendre chez les parents un sentiment drsquoincompreacutehension face agrave certaines

deacutepenses qursquoelles considegraverent laquo irraisonnables raquo229

En ce qui concerne les coucircts indirects rappelons que dans les contextes

ruraux et isoleacutes ndash comme Antecume pata et Hiva Oa ndash la participation des enfants agrave

lrsquoeacuteconomie domestique constitue un volet important de la production des biens et

des aliments consommeacutes par les familles Dans certains foyers la scolarisation des

enfants implique neacutecessairement une laquo baisse de la production raquo provoqueacutee par la

perte de main drsquoœuvre puisque lrsquoenfant qui va agrave lrsquoeacutecole ne peut plus assurer

228 LrsquoEacutetat assure les dispositifs suivants les allocations de rentreacutee scolaire les bourses de

freacutequentation scolaire (pour lrsquoeacutecole primaire le collegravege et le lyceacutee) les bourses au meacuterite (au lyceacutee)

les aides pour lrsquoeacutelegraveve inscrit dans la voie professionnelle les aides pour la cantine les bourses

drsquoenseignement drsquoadaptation les aides aux eacutelegraveves en internat et le fonds social (pour les colleacutegiens

et les lyceacuteens) Certaines administrations territoriales peuvent octroyer des aides speacutecifiques agrave

lrsquoinstar des aides au transport

229 Je me souviens drsquoune reacuteunion agrave lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata en septembre 2011 pendant laquelle des

parents drsquoeacutelegraveves srsquoeacutetaient opposeacutes agrave lrsquoachat de certaines fournitures scolaires (comme les compas ou

les feutres) qursquoils consideacuteraient inutiles partant de lrsquoideacutee selon laquelle laquo lrsquoeacutecole doit enseigner agrave

parler le franccedilais et agrave compter nous nrsquoenvoyons pas nos enfants agrave lrsquoeacutecole pour qursquoon leur enseigne agrave

dessiner raquo

334

certaines tacircches Cependant il convient de souligner que la participation des enfants

agrave lrsquoeacuteconomie de subsistance propre agrave ces contextes ne constitue pas vraiment un

laquo travail raquo (dans le sens occidental du terme) et ne doit pas ecirctre interpreacuteteacutee agrave partir

drsquoune perspective ethnocentrique (qui refuserait le travail des enfants et le

considegravererait comme une violation drsquoun droit humain fondamental) Pour les

enfants il srsquoagit comme je lrsquoai montreacute dans les pages preacuteceacutedentes de collaborer avec

les adultes agrave des tacircches qui sont calibreacutees en fonction de leur acircge et qui prennent

tregraves souvent des contours ludiques lrsquoenfant ameacuterindien qui aide ses parents agrave

pecirccher le fait sans effort physique et en srsquoamusant avec ses pairs la fillette

marquisienne qui accompagne sa grand-megravere pour cueillir des fruits dans le jardin

le fait tout en profitant de lrsquoair libre en jouant avec les fleurs ou en rigolant avec ses

sœurs230

Il est donc important que lrsquoEacutetat puisse comprendre ces dynamiques pour

eacuteliminer les obstacles mentionneacutes et pour reacuteviser les logiques de distribution des

eacutetablissements scolaires dans certains contextes lrsquooffre formative proposeacutee aux

communauteacutes ayant des besoins particuliers ainsi que les dispositifs de prise en

charge des frais directs et indirects lieacutes agrave la scolariteacute des enfants

230 Rien agrave voir donc avec lrsquoimage dickensienne de lrsquoenfant ouvrier obligeacute agrave reacutealiser des tacircches

inhumaines dans un contexte malsain

335

152 Obstacles ideacuteologiques

Au-delagrave des obstacles essentiellement structurels que je viens de

mentionner il en existe drsquoautres qui sont geacuteneacutereacutes par les logiques ethnocentriques

qui guident lrsquoaction de lrsquoeacuteducation nationale et qui sont baseacutees sur les besoins de

lrsquoeacuteconomie nationale et sur des critegraveres occidentaux de transmission des savoirs

Selon les personnes intervieweacutees le premier obstacle est celui des rythmes

scolaires qui deacutefinis laquo drsquoen haut raquo ne sont pas en accord avec les rythmes de la vie

locale En effet lrsquoorganisation du temps scolaire dans les eacutecoles maternelles et

eacuteleacutementaires231 creacutee des difficulteacutes aux familles autochtones qui vivent des

contextes ruraux Lrsquoeacutetalement des 24 heures drsquoenseignement hebdomadaire sur

neuf demi-journeacutees incluant le mercredi matin et qui srsquoaccompagne drsquoune prise en

charge des eacutelegraveves jusqursquoagrave 16h30 au minimum reacutepond aux besoins et agrave lrsquoorganisation

du temps de la plupart des adultes travaillant en contexte urbain mais il complique

en revanche la vie des eacutelegraveves ndash autochtones ou pas ndash vivant loin de lrsquoeacutecole

Au moins deux facteurs viennent compliquer la situation Premiegraverement

cette organisation du temps oblige ces eacutelegraveves agrave prendre leur deacutejeuner dans la

cantine scolaire ce que certains considegraverent comme une aberration dans un milieu

231 Elle est deacutefinie par le Deacutecret ndeg 2013-77 du 24 janvier 2013 applicable agrave la France meacutetropolitaine

et aux DOM (et donc agrave la Guyane) Depuis 1996 le gouvernement de la Polyneacutesie a adopteacute la semaine

de 24 heures mais avec une alternance des semaines de 23 heures et 30 minutes et des semaines de

27 heures comme eacutetabli par les arrecircteacutes ndeg 795 ndeg 796 et ndeg 797 adopteacutes par le Conseil des ministres

du pays au mois drsquoaoucirct de la mecircme anneacutee

336

rural ougrave lrsquoon est habitueacute agrave donner une grande importance aux repas en famille veacutecus

comme des moments de socialisation et de formation pendant lesquels les parents

peuvent interagir avec leurs enfants et tisser des liens avec les autres membres de

la communauteacute Deuxiegravemement on ne doit pas oublier que dans les zones

tropicales comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et de Hiva Oa le soleil se couche aux

alentours de 18h 30 ce qui signifie que en sortant de lrsquoeacutecole les eacutelegraveves ne disposent

que de deux heures de lumiegravere naturelle pour leurs activiteacutes agrave lrsquoair libre ou pour

jouer avec leurs pairs hors du contexte scolaire De plus les enfants qui vivent loin

de lrsquoeacutecole disposent encore moins de temps puisqursquoils doivent aussi faire le trajet

jusqursquoagrave chez eux

Il srsquoagit lagrave drsquoobstacles qui peuvent nuire au deacuteveloppement des enfants et

plusieurs chercheurs ont essayeacute de transmettre leurs preacuteoccupations aux

responsables politiques concerneacutes par ce type de deacutecisions Dans un rapport reacutealiseacute

au nom de la Commission materniteacute-enfance-adolescence de lrsquoAcadeacutemie nationale

de meacutedecine Yvan Touitou et Pierre Beacutegueacute (2010) ont souligneacute lrsquoimportance de la

prise en compte des rythmes biologiques et psychophysiologiques de lrsquoenfant dans

toute reacuteflexion sur cette question ainsi que les risques lieacutes agrave lrsquoalteacuteration du

fonctionnement de lrsquohorloge biologique lorsque celle-ci nrsquoest plus en phase avec les

facteurs environnementaux Selon les auteurs du rapport cette

laquo deacutesynchronisation raquo peut geacuteneacuterer de la fatigue et des difficulteacutes drsquoapprentissage

chez les enfants En drsquoautres termes une organisation du temps scolaire qui ne

prend pas en compte ces facteurs peut nuire aux performances des eacutelegraveves entraicircner

une perte drsquoattention et drsquointeacuterecirct pour lrsquoapprentissage et au bout du compte mener

337

agrave de mauvais reacutesultats scolaires Malheureusement drsquoapregraves ces auteurs les horaires

de lrsquoeacutecole franccedilaise ne semblent pas prendre en compte la psychophysiologie de

lrsquoenfant ce qui pourrait ecirctre une cause des mauvaises performances des eacutelegraveves

franccedilais dans les eacutetudes comparatives internationales (comme celle du PISA)

Un autre obstacle est celui poseacute par le calendrier scolaire Son organisation

reacutepond agrave une logique avant tout laquo politique raquo ndash et peu peacutedagogique ndash visant agrave

uniformiser les dates de la rentreacutee et des vacances scolaires Cependant ce

calendrier ne prend pas en compte les cycles saisonniers qui organisent la vie locale

dans les contextes ruraux lesquels deacutependent des peacuteriodes les plus propices agrave

lrsquoagriculture agrave la chasse et agrave la pecircche En effet en France lrsquoorganisation de lrsquoanneacutee

scolaire est deacutefinie afin de permettre laquo une meilleure reacutepartition des flux entre les

territoires sur toute lrsquoanneacutee et en particulier le meilleur eacutequilibre des flux vers le

massif alpin sur la saison drsquohiver raquo agrave partir des recommandations proposeacutees par le

ministegravere en charge des transports et en tenant compte des inteacuterecircts eacuteconomiques

des acteurs du secteur touristique comme le rappelle la ministre de lrsquoEacuteducation

nationale Najat Vallaud-Belkacem (2015) Il srsquoagit drsquoun critegravere qui a une influence

directe non seulement sur le territoire hexagonal mais aussi dans les DOM-COM En

Guyane bien que lrsquoarticle D521-6 du Code de lrsquoeacuteducation assigne aux recteurs des

deacutepartements drsquoOutre-mer la compeacutetence pour adapter le calendrier national par

arrecircteacute en tenant compte des speacutecificiteacutes locales aucun calendrier laquo adapteacute raquo nrsquoa

encore vu le jour En Polyneacutesie si le calendrier scolaire est deacutefini par le Conseil des

ministres du pays ndash en vertu du fait que les compeacutetences dans le domaine de

lrsquoeacuteducation aient eacuteteacute transfeacutereacutees de lrsquoEacutetat agrave la collectiviteacute ndash le calendrier local des

338

eacutecoles collegraveges et lyceacutees est substantiellement le mecircme que celui de la meacutetropole232

De mecircme que pour les horaires scolaires les responsables des politiques eacuteducatives

dans les territoires drsquoOutre-mer ne semblent pas avoir pris en consideacuteration les

rythmes biologiques et psychophysiologiques de lrsquoenfant ni mecircme les inteacuterecircts

eacuteconomiques locaux dans la deacutefinition du calendrier scolaire Si on en croit les

affirmations de la Ministre ces facteurs laquo locaux raquo doivent se plier aux inteacuterecircts des

principaux acteurs de lrsquoeacuteconomie nationale notamment ceux du domaine des

transports et du tourisme

Pour ce qui est des obstacles poseacutes par les contenus de lrsquoeacuteducation scolaire

dont nous avons deacutejagrave discuteacute dans la partie preacuteceacutedente il me semble important de

rappeler qursquoen Polyneacutesie les programmes scolaires enseigneacutes dans les eacutecoles

primaires et les eacutetablissements drsquoeacuteducation secondaire ont pu ecirctre ajusteacutes agrave

232 Les arrecircteacutes ndeg 398 ndeg 399 ndeg 400 et ndeg 401 adopteacutes en 2014 par le Conseil des ministres de la

Polyneacutesie franccedilaise fixant les calendriers pour les anneacutees scolaires 2014-2015 et 2015-2016 ne

preacutesentent que peu de diffeacuterences par rapport au calendrier en vigueur en France meacutetropolitaine (et

en Guyane) La premiegravere diffeacuterence concerne la date de la rentreacutee scolaire dans lrsquoHexagone elle

correspond agrave la premiegravere semaine de septembre alors qursquoen Polyneacutesie elle est avanceacutee agrave la troisiegraveme

semaine drsquoaoucirct La deuxiegraveme porte sur les vacances de la Toussaint dans lrsquoHexagone elles

commencent la troisiegraveme semaine drsquooctobre et se terminent la premiegravere semaine de novembre tandis

qursquoen Polyneacutesie elles commencent et se terminent une semaine plus tard La troisiegraveme concerne les

vacances de Noeumll qui commencent la troisiegraveme semaine de deacutecembre et se terminent la premiegravere

semaine de janvier dans lrsquoHexagone alors qursquoelles commencent une semaine avant et se terminent

une semaine plus tard en Polyneacutesie La derniegravere diffeacuterence est la fin de lrsquoanneacutee scolaire eacutetablie la

premiegravere semaine de juillet dans lrsquoHexagone et la derniegravere semaine de juin en Polyneacutesie

339

certaines demandes preacutesenteacutees par des repreacutesentants locaux (surtout dans les

domaines de lrsquohistoire de la geacuteographie et des langues et cultures reacutegionales Voir

Saura 2012b) Cependant les compeacutetences viseacutees dans les trois cycles de

lrsquoenseignement primaire et du collegravege nrsquoont pu ecirctre adapteacutees puisqursquoelles sont

deacutefinies par le socle commun qui est un cadre de reacutefeacuterence national srsquoappliquant agrave

la France hexagonale comme aux DOM-COM (Gauthier amp le Gouvello 2009) En

Guyane au contraire de par son statut de deacutepartement aucune adaptation nrsquoest

possible ce qui implique que les contenus eacuteducatifs transmis par les enseignants

soient exactement les mecircmes que ceux transmis aux eacutelegraveves de la meacutetropole

Pourtant plusieurs eacutetudes ndash comme celle de Viviane Isambert-Jamati (1990) ndash

eacutevoquent le rocircle que jouent les savoirs scolaires et les contenus drsquoenseignement

dans la reacuteussite scolaire et sociale des eacutelegraveves En drsquoautres termes des programmes

scolaires incoheacuterents avec le contexte social et environnemental des enfants

peuvent contribuer agrave lrsquoeacutechec scolaire des eacutelegraveves degraves lors qursquoils sont associeacutes agrave

drsquoautres facteurs

Finalement le dernier obstacle signaleacute par les personnes que jrsquoai eu

lrsquoopportuniteacute drsquointerviewer dans le cadre de cette recherche est le manque de

formation des enseignants travaillant dans les sites les plus isoleacutes de lrsquoOutre-mer

comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et de Hiva Oa La meacuteconnaissance de la langue

des coutumes et des habitudes locales mais aussi des normes qui reacutegissent la vie

communautaire est souvent la cause de conflits avec les parents drsquoeacutelegraveves233 Aussi

233 Il srsquoagit lagrave drsquoune probleacutematique qui a eacutegalement eacuteteacute observeacutee par drsquoautres chercheurs qui ont

eacutetudieacute la reacutealiteacute guyanaise ou polyneacutesienne La bibliographie disponible est immense et il serait

340

ils sont souvent cause de frustrations ce qui explique le nombre important de

demandes de mutations de la part des enseignants envoyeacutes dans ces sites Agrave la fin

de lrsquoanneacutee scolaire 2011-2012 par exemple sur les onze enseignants titulaires

travaillant dans les eacutecoles du Haut Maroni neuf ont preacutesenteacute une demande de

mutation afin drsquoecirctre assigneacutes agrave une autre circonscription Cinq drsquoentre eux

disposaient drsquoune justification meacutedicale qui attestait drsquoune laquo incompatibiliteacute raquo avec

la vie dans les sites isoleacutes La mecircme tendance existait agrave la fin de lrsquoanneacutee scolaire

2012-2013 quand sur huit enseignants titulaires six ont demandeacute leur mutation Agrave

Hiva Oa la situation est diffeacuterente car la quasi-totaliteacute des professeurs des eacutecoles

difficile de citer tous les travaux reacutealiseacutes jusqursquoagrave preacutesent sur le sujet Je me limiterai agrave signaler pour

le cas de la Guyane les eacutetudes de Franccediloise Grenand et Odile Renault-Lescure (1990) et de Sophie

Alby et Miche Launey (2007) qui ont compteacute parmi les premiers agrave se pencher sur la question de la

formation des enseignants en contexte plurilingue et pluriculturel local (les premiegraveres agrave partir drsquoune

perspective anthropologique les seconds dans le cadre drsquoune analyse sur la laquo formation des

formateurs raquo en tant que processus andragogique) Par ailleurs Rodica Ailincai et Marie-Franccediloise

Crouzier (2011a) ont coordonneacute un ouvrage de reacutefeacuterence sur la question mais drsquoautres analyses ont

aussi eacuteteacute reacutealiseacutees par Farraudiegravere (1989) Leacutena (2000) Couchili (2010) Maurel (2010) Ailincai amp

Crouzier (2011a et 2011b) Ailincai amp Mehinto (2011) Garnier (2011) ou encore Perrin (2012) Pour

la Polyneacutesie je mentionne surtout deux ouvrages collectifs le premier a eacuteteacute coordonneacute par Jacques

Vernaudon et Veacuteronique Fillol (2009) et le deuxiegraveme par Isabelle Nocus Jacques Vernaudon et

Mirose Paia (2014) Drsquoautres eacutetudes concernant des aspects speacutecifiques de la formation des

enseignants dans le contexte polyneacutesien (surtout dans le domaine linguistique) ont eacuteteacute publieacutees par

Veacuteronique Fillol et Jacques Vernaudon (2004a et 2004b) Dominique Jouve (2004) Isabelle Nocus et

ses collaborateurs (2012) et Marie Salauumln (2012 et 2014)

341

titulaires sont originaires des icircles Marquises ce qui facilite leur inteacutegration dans les

communauteacutes

Il est eacutevident que ces obstacles peuvent geacuteneacuterer chez les parents drsquoeacutelegraveves

mais aussi chez les autres membres des communauteacutes un certain rejet de lrsquoeacutecole en

tant qursquoinstitution laquo civilisatrice raquo et veacutehicule drsquoune organisation de la vie qui non

seulement est peu en accord avec la vie locale mais qui peut aussi entraicircner la perte

de revenus des conflits entre les adultes et les enseignants ou encore la frustration

chez les jeunes

Au bout du compte les obstacles que je viens de mentionner sont tous

geacuteneacutereacutes par le manque de participation des communauteacutes agrave la prise de deacutecisions les

concernant Les inteacutegrer au processus de gestion et drsquoimpleacutementation des politiques

eacuteducatives est agrave mon avis le premier pas pour reacutetablir un dialogue horizontal avec

les communauteacutes afin que celles-ci puissent proposer leur point de vue et que lrsquoEacutetat

puisse mettre en œuvre des solutions adapteacutees aux reacutealiteacutes locales Il srsquoagit

indubitablement drsquoun enjeu majeur rendre aux communauteacutes autochtones le

pouvoir de choisir leur destin signifierait deacutelocaliser certains processus

deacutecisionnaires afin de garantir que la laquo reacuteussite pour tous raquo coiumlncide avec lrsquoideacutee que

chaque communauteacute se fait de la notion de laquo reacuteussite raquo (en fonction de sa culture de

son organisation sociale et du systegraveme politique et eacuteconomique dont elle deacutepend)

Reste agrave voir si les organismes publics concerneacutes seraient partie prenante de ce deacutefi

342

16 Enquecircter lrsquoeacuteducation enquecircter lrsquoethniciteacute

Dans une eacutetude sur la construction des theacuteories peacutedagogiques Clermont

Gauthier et ses collaborateurs (1997) ont compareacute et analyseacute les expeacuteriences

meneacutees dans diffeacuterents pays afin drsquoameacuteliorer les dispositifs peacutedagogiques agrave

caractegravere public agrave savoir les eacutecoles les eacutetablissements drsquoenseignement supeacuterieur

les universiteacutes et les centres de formation Dans leur ouvrage ils montrent que dans

la majoriteacute des cas ces expeacuteriences ne consistent pas en une impleacutementation

laquo scientifique raquo des reacutesultats obtenus gracircce agrave la recherche en eacuteducation mais

srsquoappuient plutocirct sur la reacuteputation des eacuteducateurs de leur laquo talent raquo et de leur

positionnement ideacuteologique qui leur fait preacutefeacuterer certaines strateacutegies peacutedagogiques

agrave drsquoautres234 En drsquoautres termes ces auteurs suggegraverent que les institutions chargeacutees

de lrsquoinnovation peacutedagogique ont souvent eu tendance agrave reacutepliquer des expeacuteriences

qui fonctionnaient dans un contexte particulier gracircce au laquo savoir-faire raquo drsquoun

eacuteducateur (ou drsquoun groupe drsquoeacuteducateurs) particulier ce qui ne garantit pas que les

reacutepliques donnent les mecircmes reacutesultats que lrsquoexpeacuterience originelle Certains

234 Les auteurs identifient deux positions extrecircmes ndash lrsquoune affirmant la toute-puissance de la

peacutedagogie lrsquoautre rejetant toute rationalisation de la pratique peacutedagogique ndash lesquelles partagent

cependant lrsquoideacutee selon laquelle un eacuteducateur efficace est celui qui face aux situations complexes de

formation laquo prend des deacutecisions contextualiseacutees en srsquoappuyant sur des justifications rationnelles raquo

(Gauthier et al 1997 211)

343

dispositifs ont ainsi eacuteteacute diffuseacutes agrave grand eacutechelle car ils avaient deacutejagrave fait leurs preuves

bien que personne ne puisse expliquer pourquoi ils avaient fonctionneacute235 En

revanche les propositions les ideacutees et les solutions proposeacutees par des travaux plus

laquo scientifiques raquo ont rarement eacuteteacute reconnues et inteacutegreacutees dans les pratiques et dans

les deacutecisions institutionnelles De ce fait la recherche en eacuteducation est releacutegueacutee au

rocircle de laquo Cendrillon raquo des sciences sociales en tant que champ disciplinaire qui a eu

peu drsquoimpact sur les politiques de deacuteveloppement et qursquoon a accuseacute ndash agrave tort ou agrave

raison ndash de ne pas ecirctre capable de trouver des solutions efficaces aux problegravemes de

notre eacutepoque

En France nombreux sont ceux qui mobilisent le raccourci simpliste qui relie

les maux de la laquo moderniteacute raquo agrave la laquo mauvaise eacuteducation236 raquo crsquoest-agrave-dire agrave

235 Crsquoest par exemple le cas de la laquo meacutethode Freire raquo qui dans les anneacutees 1960 et 1970 a permis

lrsquoalphabeacutetisation de centaines de milliers drsquoadultes breacutesiliens des milieux les plus deacutefavoriseacutes (Freire

1974) Agrave partir de 1975 la meacutethode a eacuteteacute laquo exporteacutee raquo en Guineacutee-Bissau agrave Satildeo Tomeacute et Principe au

Mozambique en Angola et au Nicaragua dont les gouvernements ont mis en place des programmes

drsquoeacuteducation inspireacutes de la peacutedagogie de Paulo Freire Cependant les reacutesultats obtenus dans ces

derniers cas ont eacuteteacute plus mitigeacutes que ceux obtenus au Breacutesil soit du fait de prendre appui sur une

reacutealiteacute sociale diffeacuterente soit de par les attentes deacutemesureacutees des politiciens de ces pays vis-agrave-vis de

cette meacutethode (Freire amp Guimaratildees 2003)

236 Les medias et les reacuteseaux sociaux abondent en teacutemoignages qui vont dans ce sens Par exemple

dans un billet publieacute le 18 octobre 2015 par Franccedilois Chauvancy dans la version en ligne du journal

Le Monde lrsquoauteur eacutevoque les facteurs qui agrave son avis sont les responsables de la crise politique qui

est en train de mettre en danger les acquis reacutepublicains agrave savoir laquo lrsquoeacuteducation donneacutee par les

parents une eacutecole en reconstruction permanente et aux reacutesultats bien ineacutegaux le manque

344

lrsquoincapaciteacute des eacuteducateurs (les parents lrsquoeacutecole et autres institutions eacuteducatives) agrave

transmettre les compeacutetences neacutecessaires pour garantir la survie mecircme de la

laquo moderniteacute raquo Prenons pour exemple les poleacutemiques autour de certains

pheacutenomegravenes violents comme les school shootings (les fusillades ou les tueries dans

les eacutecoles) le cyber-harcegravelement les comportements autodestructeurs des enfants

et des adolescents ou les eacutemeutes juveacuteniles (comme celle qui avait eacuteclateacute en 2005

en Seine-Saint-Denis)237 mais aussi autour drsquoautres pheacutenomegravenes qui ne comportent

drsquoexemplariteacute des uns et des autres des lois nombreuses qui ne visent plus lrsquoorganisation de la vie en

commun mais accumulent les mesures favorables agrave lrsquoindividu au deacutetriment de la collectiviteacute au point

de laisser poindre un grand sentiment drsquoiniquiteacute lrsquoopposition de groupes agrave la puissance de lrsquoEacutetat

lrsquoaffaiblissement des institutions par leur deacutesacralisation le manque de courage surtout dans

lrsquoapplication des lois notamment en refusant lrsquousage de la force leacutegitime et leacutegale raquo (Chauvancy

2015) Bien que la perspective catastrophiste preacutesenteacutee par cette analyste politique puisse se

reacutesumer agrave un pot-pourri drsquoideacutees populistes visant les individus les familles et les institutions on ne

peut nier le fait que ce type de discours exerce une redoutable attraction sur certaines cateacutegories

sociales ce qui lui a permis de se diffuser et de se normaliser au point que ndash comme le souligne Gilles

Balbastre (2015) ndash agrave lrsquoheure actuelle il soit devenu presque laquo politiquement correct raquo drsquoaccuser

laquo lrsquoeacuteducation raquo (ou plus preacuteciseacutement les eacuteducateurs) drsquoavoir contribueacute agrave laquo lrsquoeffondrement raquo de la

civilisation occidentale (une banalisation agrave laquelle nrsquoa pas eacutechappeacute lrsquoeacutecrivain Tahar Ben Jelloun

2016)

237 Ce type de poleacutemiques persiste non seulement dans les medias mais aussi dans les discours de

certains hommes et femmes politiques bien que les travaux de plusieurs chercheurs ndash comme ceux

drsquoEacuteric Debarbieux (2006) sur la laquo bunkeacuterisation raquo de lrsquoeacutecole ceux de Michele Elliot (2015) sur le

harcegravelement en milieu scolaire ceux de Philippe Jeammet (2016) sur les comportements

345

pas de violence mais sont eacutegalement consideacutereacutes comme preacuteoccupants agrave lrsquoinstar de

lrsquoeacutechec et du deacutecrochage scolaire Toutefois si les deacutetracteurs de

laquo lrsquoeacuteducation moderne raquo ndash accuseacutee selon les cas drsquoecirctre trop laxiste trop dirigiste

trop permeacuteable aux dynamiques sociales ou encore trop eacuteloigneacutee des besoins reacuteels

du marcheacute du travail ndash ont tendance agrave confondre les diffeacuterentes typologies qui

constituent cet ensemble complexe qursquoest laquo lrsquoeacuteducation raquo ils semblent aussi

reacutefractaires agrave la prise en compte des reacutesultats qursquooffre la recherche en eacuteducation

depuis des anneacutees Ces reacutesultats pourraient pourtant contribuer agrave laquo limiter les

deacutegacircts raquo dans un contexte globaliseacute ougrave la crise ne concerne pas lrsquoeacuteducation en elle-

mecircme mais plutocirct les valeurs et les contenus qursquoelle est censeacutee transmettre et ce

notamment agrave cause drsquoune situation politique et eacuteconomique qui a contribueacute agrave

bouleverser profondeacutement les dynamiques de transmission des donneacutees culturelles

assujetties aux impeacuteratifs de lrsquoeacuteconomie neacuteolibeacuterale238

Agrave ce propos lrsquoanalyse de la situation actuelle des Wayana-Apalaiuml et des Enata

nous montre que la supposeacutee laquo crise reacutepublicaine raquo nrsquoest pas lrsquoeffet drsquoune

autodestructeurs des adolescents ou ceux drsquoAntoine Jardin (2016) sur la violence urbaine ndash aient

essayeacute de laquo deacuteconstruire raquo agrave partir drsquoun protocole scientifique les steacutereacuteotypes qui les alimentent

238 En ce qui concerne la situation de lrsquoeacutecole en France Jean Pierre Terrail affirme que laquo de la reacuteforme

Berthoin agrave la loi Fillon les responsables ministeacuteriels se sont preacuteoccupeacutes drsquoajuster au moindre coucirct

les flux scolaires aux besoins immeacutediats des entreprises bien plus que de deacutemocratiser lrsquoeacutecole raquo

(Terrail 2005a 233)

346

fantomatique laquo crise de lrsquoeacuteducation239 raquo elle en est plutocirct la cause Comme nous

avons pu le voir dans le chapitre preacutecegravedent les obstacles structurels et ideacuteologiques

que les politiques publiques imposent agrave certains groupes sociaux ndash empecircchant ces

derniers drsquoexercer des droits qui devraient leur ecirctre garantis ndash ont entraicircneacute des

transformations sociales importantes Ce bouleversement imposeacute laquo drsquoen haut raquo a

obligeacute les individus (et les familles) agrave srsquoadapter pour survivre bien que ces

adaptations nrsquooffrent pas neacutecessairement une meilleure qualiteacute de vie Elles se

limitent simplement agrave assurer la survie de groupes sociaux qui sont exposeacutes agrave la

pression de lrsquoacculturation Les laquo mutations raquo que connaissent certaines

communauteacutes autochtones ndash qui peuvent prendre entre autres la forme de la

laquo transfiguration ethnique raquo ou drsquoun veacutecu douloureux drsquoidentiteacutes plurielles ndash en sont

un exemple eacutevident

161 Une question de meacutethode

Une collaboration plus eacutetroite entre chercheurs et praticiens de lrsquoeacuteducation ndash

les parents les membres de la famille les enseignants les formateurs mais aussi les

239 Crsquoest lagrave une notion qui agrave mon avis nrsquoa guegravere de sens puisque lrsquoeacuteducation comme jrsquoespegravere lrsquoavoir

montreacute dans les deux premiegraveres parties de cette thegravese est une dynamique propre agrave lrsquoecirctre humain

qui implique neacutecessairement des acteurs (les eacuteducateurs et les eacuteduqueacutes) des ideacuteologies (qui

deacuteterminent des strateacutegies et des logiques eacuteducatives) et des outils (qui facilitent la transmission des

savoirs) dans le cadre drsquoun contexte laquo physique raquo et social (lrsquoenvironnement eacuteducatif) Admettre qursquoil

existe une laquo crise de lrsquoeacuteducation raquo eacutequivaudrait agrave soutenir lrsquoideacutee selon laquelle tous les eacuteleacutements que

je viens de mentionner se trouvent en situation de crise ce qui ne me semble pas ecirctre le cas

347

deacutecideurs politiques ndash semble ecirctre une issue prometteuse pour la mise en place

drsquoune meilleure synergie entre les reacutesultats de la recherche et les effets qui

pourraient en reacutesulter dans la pratique Thierry Karsenti et Lorraine Savoie-Zajc

(2011) ont souligneacute lrsquoimportance de faciliter le dialogue entre ces deux

communauteacutes pour construire sur une base participative des meacutecanismes

susceptibles de deacutevelopper les passerelles entre ces deux registres de savoirs240 Il

srsquoagit avant tout de reacutepondre agrave la question des responsabiliteacutes particuliegraveres quant agrave

lrsquoapport de la recherche en eacuteducation des responsabiliteacutes agrave caractegravere eacutethique qui

assignent aux chercheurs la responsabiliteacute de srsquoengager dans des recherches

socialement pertinentes et aux praticiens celle de prendre en compte les reacutesultats

obtenus afin de se libeacuterer des impeacuteratifs du laquo sens commun raquo (Gauthier et al 1997)

Jrsquoai introduit la notion de laquo recherche socialement pertinente raquo mais suis

conscient du fait que la deacutefinir nrsquoest pas une mince affaire Qursquoest-ce qui rend une

recherche dans le domaine de lrsquoeacuteducation laquo socialement pertinente raquo et pourquoi

Je ne pense pas ecirctre dans la possibiliteacute de reacutepondre ici agrave cette question qui

transcende les limites de lrsquoanthropologie et relegraveve plutocirct de la philosophie de la

240 La question de la participation populaire agrave la construction des politiques eacuteducatives a fait lrsquoobjet

drsquoun long deacutebat au sein du Conseil supeacuterieur de lrsquoeacuteducation du gouvernement du Queacutebec En 2006

lrsquoorganisme a eacutemis un rapport officiel qui remet en question les strateacutegies politiques du

gouvernement feacutedeacuteral canadien tout en plaidant pour une deacutecentralisation accrue des compeacutetences

locales dans le domaine de lrsquoeacuteducation ce qui permettrait une meilleure inteacutegration citoyenne des

peuples autochtones (CSEGQ 2006)

348

science241 Cependant il me semble qursquoelle devrait garantir pour le moins la

possibiliteacute de contribuer agrave une ameacutelioration des pratiques des eacuteducateurs et agrave une

eacuteventuelle adaptation des politiques eacuteducatives agrave partir drsquoune description objective

des dynamiques propres agrave chaque groupe humain ndash dynamiques qui ne sont jamais

laquo authentiques raquo mais qui sont plutocirct le produit drsquoemprunts et drsquoinfluences et qui

srsquoinscrivent dans un laquo continuum culturel raquo qui lie chaque culture agrave une ou plusieurs

autre(s) Cette approche scientifique permettrait drsquoeacuteviter la fragmentation du

panorama social contemporain en laquo isolats raquo culturels et de probleacutematiser la reacutealiteacute

du laquo village global raquo en fonction de sa complexiteacute de sa laquo multidimensionnaliteacute raquo et

de sa capaciteacute agrave laquo produire raquo des identiteacutes au travers de relations qui opposent drsquoun

cocircteacute les groupes heacutegeacutemoniques aux subalternes et de lrsquoautre les forces centrifuges

(lrsquoacculturation et la deacuteculturation) aux forces centripegravetes (lrsquoenracinement

ethnique) qui animent la vie sociale et culturelle de la laquo moderniteacute raquo

Lrsquoanthropologie de par sa tradition laquo relativiste raquo possegravede des outils

meacutethodologiques approprieacutes pour deacutevelopper cette approche (Martinez-Verdier

2004) Dans la premiegravere partie de cette thegravese jrsquoai introduit les notions laquo drsquointellect

ethnologique raquo (creacuteateur de cateacutegories et de concepts agrave partir drsquoune laquo exageacuteration raquo

des diffeacuterences et laquo programmeacute raquo pour fournir des hypothegraveses opeacuterationnelles et

241 Nombreux et de longue date sont les intellectuels qui ont essayeacute de reacutepondre agrave la question de la

laquo pertinence raquo de la recherche scientifique ndash Karl Popper (1968 1972) Paul Feyerabend (1970)

Thomas Kuhn (1974) ou Imre Lakatos (1974) entre autres ndash sans qursquoon ne puisse jamais arriver agrave

un consensus Une synthegravese remarquable sur le deacutebat ndash toujours drsquoactualiteacute bien que quelque peu

ancienne ndash a eacuteteacute reacutealiseacutee par Alan Chalmers (1976)

349

des reacuteponses preacuteliminaires aux questionnements du chercheur) et celle de laquo raison

anthropologique raquo (avec une fonction reacutegulatrice et laquo programmeacutee raquo pour controcircler

lrsquointellect afin qursquoil ne construise pas des laquo objets raquo faux et illusoires) Il srsquoagit lagrave de

deux notions qui agrave mon avis sont essentielles agrave une laquo posture raquo anthropologique

qui en deacutepassant la vision classique de lrsquoanthropologie en tant que savoir

comparatif unificateur et geacuteneacuteralisant est capable drsquoanalyser lrsquoexpeacuterience humaine

dans sa globaliteacute en mettant en relation la sphegravere individuelle (la personnaliteacute

comme produit drsquoune culture) et la sphegravere sociale (les groupes humains comme

produits drsquoune interaction historique) Une sage utilisation de cet laquo intellect

ethnologique raquo permettrait donc aux chercheurs de deacutecrire lrsquoalteacuteriteacute selon le critegravere

classique de lrsquoethnographie en classifiant les speacutecificiteacutes de chaque terrain drsquoeacutetude

Drsquoautre part la laquo raison anthropologique raquo leur permettrait de laquo suspendre raquo le

jugement preacutecipiteacute et les conclusions deacutefinitives que lrsquointellect ethnologique

voudrait eacutetablir mais aussi de rediscuter les speacutecificiteacutes observeacutees en tenant compte

du fait qursquoelles nrsquoont pas laquo surgi de nulle part raquo mais qursquoelles sont plutocirct le reacutesultat

drsquoune histoire

Lrsquoanalyse du laquo fait eacuteducatif raquo devient donc laquo socialement pertinente raquo degraves lors

qursquoelle nous permet drsquoatteindre ces trois objectifs agrave la fois

De crire les de tails des dynamiques qui lient les e ducateurs et

les e duque s dans le cadre drsquoun e cosyste me particulier afin de comprendre

les ide ologies subjacentes et les rapports de force qui expliquent les

pratiques sociales observe es

350

Contribuer a lrsquoame lioration des connaissances sur le contexte

social observe afin drsquoame liorer les pratiques des e ducateurs et de leur offrir

des outils de compre hension de la re alite sociale dans laquelle ils

srsquoinvestissent

Informer les responsables des institutions publiques des

re sultats obtenus gra ce au travail de recherche afin de mettre en e vidence les

situations proble matiques observe es de proposer des solutions adapte es

aux spe cificite s locales et de veiller a leur e ventuelle mise en œuvre

Eacutetant donneacute que jusqursquoagrave preacutesent les eacutetudes sur lrsquoeacuteducation ont surtout

privileacutegieacute les questionnements peacutedagogiques visant agrave laquo ameacuteliorer raquo la performance

eacuteducative ces objectifs plus larges mecircme srsquoils pourraient sembler agrave certains

anodins ont une reacuteelle importance

162 Plaidoyer pour une anthropologie de lrsquoeacuteducation laquo agrave la franccedilaise raquo

Dans un article preacutesentant les divers courants de cette discipline eacutemergente

qursquoest lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation Kathryn Anderson-Levitt (2006) qui a eacuteteacute

preacutesidente du Council on Anthropology and Education (Conseil drsquoAnthropologie et

drsquoEacuteducation) au sein de lrsquoAmerican Anthropological Association entre 2004 et 2006

eacutevoque le fait qursquo laquo en France il nrsquoy a pas de tradition portant ce nom raquo (Anderson-

Levitt 2006 8) Cette affirmation plutocirct radicale ne vise pas agrave nier le travail des

chercheurs qui se sont consacreacutes agrave lrsquoanalyse du fait eacuteducatif agrave partir drsquoun regard

anthropologique (ils sont nombreux en France et jrsquoai deacutejagrave eu lrsquoopportuniteacute drsquoen citer

351

un certain nombre tout au long de cette thegravese)242 mais souligne lrsquoabsence de

reacutefeacuterences explicites agrave cette discipline dans le panorama scientifique national En

effet agrave la diffeacuterence de ce qui se passe dans drsquoautres pays (comme la Grande-

Bretagne les Eacutetats-Unis lrsquoAllemagne le Mexique le Japon ou lrsquoItalie) cette discipline

semble ne pas disposer drsquoespaces approprieacutes pour se deacutevelopper et bien peu de

revues scientifiques ou de chaires drsquoenseignement lui sont consacreacutees243

Cependant le contexte multiculturel de la France actuelle impose une

nouvelle approche pour lrsquoanalyse de la socieacuteteacute franccedilaise une approche qui ne se

limite pas au simple constat de lrsquoexistence des diffeacuterences mais qui soit capable de

comprendre les meacutecanismes de production et de transmission de cette diversiteacute ndash

242 On devrait ajouter aussi les sociologues qui ont analyseacute les dynamiques eacuteducatives agrave partir drsquoun

travail ethnographique de longue haleine (Delbos amp Jorion 1984 LeWita 1988 Garcion-Vautour

2003) Crsquoest lagrave une tradition qui selon lrsquoanthropologue ameacutericaine Deborah Reed-Danahay (2005)

remonte au sociologue Pierre Bourdieu qursquoelle considegravere comme le premier laquo ethnographe de

lrsquoeacuteducation raquo franccedilais Bourdieu lui-mecircme en effet avait lrsquohabitude de se deacutefinir autant comme

anthropologue que comme sociologue comme en teacutemoignent ses Meacuteditations pascaliennes

(Bourdieu 1997)

243 Un bilan similaire a eacuteteacute fait quelques anneacutees auparavant par Gaston Mialaret (1985) dans un

rapport sur la situation de la recherche en eacuteducation en France publieacute dans la prestigieuse Revue

internationale des sciences sociales de lrsquoUNESCO et par Jean-Louis Legrand (2003) qui en analysant

les registres de lrsquoAssociation des enseignants chercheurs en sciences de lrsquoeacuteducation (AECSE) a

deacutecouvert que seule une minoriteacute drsquoentre eux (42 ) se disaient laquo anthropologues raquo ou

laquo ethnologues raquo et que seulement 143 des travaux de recherche qursquoils avaient publieacutes avait des

objets drsquoeacutetude drsquointeacuterecirct strictement anthropologique

352

des meacutecanismes qui comme jrsquoai chercheacute agrave le montrer dans ce travail relegravevent de

dynamiques proprement eacuteducatives Comprendre lrsquoalteacuteriteacute revient non seulement agrave

deacutecrire ses manifestations les plus visibles (les usages les coutumes les normes de

vie sociale ou le langage) mais aussi ndash et agrave mon avis surtout ndash agrave deacuteceler les logiques

qui la construisent et qui la perpeacutetuent soit des logiques qui nous le savons

deacuteterminent lrsquoaction des eacuteducateurs tant dans le milieu domestique que dans le

milieu scolaire

Trois questionnements me semblent utiles pour confirmer cette reacuteflexion Le

premier reacutesulte de la nouvelle configuration de la famille franccedilaise qui selon le

sociologue Franccedilois de Singly (1993) a entraicircneacute une complexification de

lrsquoenvironnement familial ndash par effet de lrsquoaugmentation des cas de seacuteparation

transition et recomposition parentale ndash sans qursquoon puisse connaicirctre les effets qursquoelle

pourrait avoir sur la transmission des savoirs en son sein Jacques Commaille (2013)

a souligneacute lrsquoimportance de cette dynamique (srsquoeacutetant accompagneacutee drsquoimportantes

reacuteformes juridiques sur la filiation le divorce lrsquoautoriteacute parentale ou les droits de

lrsquoenfant) qui a modifieacute le statut leacutegal traditionnellement assigneacute agrave la famille ndash celui

drsquoinstitution garante de lrsquoordre social ndash en la transformant en une laquo association

drsquoindividus raquo deacutetenteurs de droits et drsquoobligations Crsquoest lagrave une meacutetamorphose qui

selon lrsquoauteur est le symptocircme drsquoune plus large laquo repolitisation du priveacute raquo agrave laquelle

les dynamiques eacuteducatives nrsquoeacutechappent pas et qui nous ramegravene au cœur drsquoune

question fondatrice de notre socieacuteteacute occidentale comment concilier la vie

domestique lrsquoindividualiteacute et lrsquoidentiteacute culturelle avec lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral La reacuteponse

des Etats au sein des pays industrialiseacutes a geacuteneacuteralement eacuteteacute de type normatif en

353

statuant des droits et des obligations sur tous les aspects de la vie qui relevaient

auparavant du cadre purement domestique Cependant cette normativiteacute ne semble

pas avoir reacutesolu la question inheacuterente agrave la possibiliteacute de concilier priveacute et public et

laquo le droit dans les tensions qursquoil recegravele et les contradictions qursquoil porte est

lrsquoexpression mecircme de ce dilemme raquo (Commaille 2013 93) La reacuteponse juridique

aurait pu se valoir de lrsquoexpertise anthropologique pour mieux comprendre le rocircle de

lrsquoactiviteacute eacuteducative des familles De fait crsquoest justement lrsquo laquo agentiviteacute raquo de ces

derniegraveres (et leur ideacuteologie eacuteducative) qui leur permet de seacutelectionner et de

modeler les savoirs agrave transmettre aux plus jeunes pour laquo concilier raquo les dynamiques

individuelles (la personnaliteacute et lrsquoidentiteacute culturelle) et collectives (la vie sociale et

la citoyenneteacute) comme semble le deacutemontrer le cas des Wayana-Apalaiuml et celui des

Enata Toutefois cette question appelle la conduite de multiples autres travaux de

recherche et en ce domaine lrsquoidentification de solutions efficaces nrsquoen est qursquoagrave ses

preacutemisses

Le deuxiegraveme questionnement a trait agrave lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteducatives

nationales Louis Legrand a affirmeacute que laquo la construction progressive de la Nation

franccedilaise met aujourdrsquohui en lumiegravere le caractegravere tregraves particulier du systegraveme

eacuteducatif franccedilais centralisation eacutetatique laiumlciteacute seacutelectiviteacute et intellectualiteacute raquo

(Legrand 1990 4) Cependant ces critegraveres nrsquoont pas atteint leur but de permettre

la laquo reacuteussite pour tous raquo mais ont en revanche creuseacute le fosseacute qui seacutepare les

cateacutegories sociales les plus favoriseacutees des moins favoriseacutees Cela nous permet de

consideacuterer avec plus drsquoobjectiviteacute le fait que la validiteacute du dogme selon lequel la

354

centralisation des compeacutetences en matiegravere drsquoeacuteducation244 permettrait une meilleure

gestion de la res publica est encore loin drsquoecirctre deacutemontreacute des recherches srsquoimposent

De plus la question de la laiumlciteacute meacuteriterait davantage drsquoattention et un regard un peu

moins enthousiaste afin de mieux deacutefinir en quoi consiste reacuteellement son rocircle social

dans une socieacuteteacute multiculturelle car cette notion a servi ndash et sert encore agrave lrsquoheure

actuelle ndash agrave soulever des poleacutemiques et agrave alimenter des disputes identitaires Il en

va de mecircme pour le critegravere de la seacutelectiviteacute dont les conseacutequences ont eacuteteacute exploreacutees

par plusieurs chercheurs245 mais qui continue agrave modeler le systegraveme eacuteducatif

national tout en se complexifiant du fait de certaines dynamiques eacutemergentes mais

encore peu connues comme la diffusion des laquo peacutedagogies nouvelles raquo 246 (et lrsquointeacuterecirct

que leur accordent les eacutelites et les milieux favoriseacutes)247 la multiplication et la

244 Tout en tenant compte du fait que cette centralisation au moins drsquoun point de vue juridique ne

vaut pas pour la Polyneacutesie franccedilaise

245 Parmi les travaux classiques sur le sujet voir Alain Girard et Henri Bastide (1955) ainsi que Pierre

Bourdieu et Jean Claude Passeron (1964 1971) Plus reacutecemment Verena Aebischer Dominique

Oberleacute et Leslie Ellion (2002) ont eacutetudieacute la relation entre la seacutelection scolaire et les strateacutegies

identitaires agrave partir drsquoune approche plus psychologique Bien que les travaux sur la question ne

manquent pas les contributions de type anthropologique restent minoritaires

246 Il srsquoagit de theacuteories et drsquoexpeacuteriences peacutedagogiques ndash comme celles meneacutees par Rudolf Steiner

Maria Montessori Alexander Sutherland Neill Don Lorenzo Milani ou Ceacutelestin Freinet ndash construites

sur un renversement des valeurs qui ont inspireacute lrsquoeacuteducation scolaire laquo traditionnelle raquo (Resweber

1986)

247 En reacutealiteacute nous ne connaissons pas la raison pour laquelle les anciens eacutelegraveves des eacutecoles qui

appliquent ces paradigmes peacutedagogiques ont en geacuteneacuteral de meilleurs reacutesultats scolaires (comme

355

fragmentation des filiegraveres drsquoeacutetude248 ou la revalorisation du capital culturel de

certaines professions intermeacutediaires (comme par exemple les enseignants)249

Finalement le critegravere de lrsquointellectualiteacute nous renvoie agrave cette conception de la

culture comme produit de la civilisation soit un patrimoine lettreacute accumuleacute depuis

lrsquoAntiquiteacute et qui doit ecirctre transmis aux nouvelles geacuteneacuterations agrave partir drsquoun modegravele

peacutedagogique vertical avec un eacuteducateur qui deacutetient le savoir et un apprenant qui

apprend ce qursquoil ne connaicirct pas baseacute sur lrsquoabstraction et sur des savoirs qui ne sont

pas neacutecessairement lieacutes au contexte de lrsquoapprenant Or cette conception nrsquoa jamais

eacuteteacute remise en question par les organismes chargeacutes de lrsquoeacuteducation au niveau national

ou local Une meilleure connaissance de ces probleacutematiques nous permettrait

lrsquoont deacutemontreacute les recherches drsquoAngeline Liliard et Nicole Else-Quest 2006) ni si leurs reacutesultats

relegravevent de la meacutethode drsquoenseignement qui les a formeacutes ou srsquoils sont plutocirct lrsquoeffet du capital culturel

deacutetenu par leurs familles

248 Un pheacutenomegravene qui inteacuteresse surtout les milieux moins favoriseacutes pour ce qui concerne

lrsquoenseignement secondaire les derniegraveres enquecirctes de lrsquoINSEE (2014) nous montrent que la plupart

des jeunes provenant de familles aiseacutees continuent agrave freacutequenter la voie geacuteneacuterale et les filiegraveres

litteacuteraire (bac-L) eacuteconomique et sociale (bac-ES) et scientifique (bac-S)

249 Gracircce au travail drsquoAnnie Da-Costa Lasne (2012) et agrave celui plus reacutecent de Muriel Letrait et Fanny

Salane (2015) nous savons que les enfants des enseignants (cateacutegorie professionnelle que lrsquoINSEE

nrsquoinclut pas parmi les milieux les plus favoriseacutes) ont en geacuteneacuteral de bons reacutesultats scolaires agrave la sortie

du lyceacutee (ce qui deacutemontrerait que la reacuteussite scolaire nrsquoest pas neacutecessairement ou pas seulement lieacutee

au capital eacuteconomique) Toutefois les eacutetudes sur les styles et les interactions eacuteducatives au sein de

ces milieux ndash qui nous aideraient agrave comprendre les logiques eacuteducatives qui facilitent la reacuteussite ndash

nrsquoen sont encore qursquoagrave leur deacutebut

356

comme lrsquoindique Jean-Pierre Terrail (2005) de transformer le modegravele reacutepublicain

drsquoeacutecole laquo unique raquo (crsquoest-agrave-dire une seule eacutecole pour tous les enfants de la

Reacutepublique) et drsquoenvisager une laquo eacutecole commune raquo capable de transmettre des

valeurs partageacutees agrave partir drsquoun cadre institutionnel disposeacute agrave admettre lrsquoexistence drsquo

laquo alteacuteriteacutes raquo et surtout de les prendre en compte250

Enfin le troisiegraveme questionnement relegraveve de la bataille ideacuteologique autour

de lrsquoidentiteacute et de la culture nationale qui ont envahi le champ eacuteducatif bien au-delagrave

des frontiegraveres bacircties dans lrsquoaregravene politique pour seacuteparer drsquoun cocircteacute les deacutefendeurs de

lrsquointerculturaliteacute et de lrsquoautre certains groupes plus nationalistes surtout dans le

champ de lrsquoextrecircme-droite (Nabli 2016) Loin de se preacuteoccuper des obstacles

deacutefinitionnels et meacutethodologiques qui compliquent lrsquoanalyse de lrsquoidentiteacute culturelle

(obstacles abordeacutes dans la premiegravere partie de cette thegravese) nombreux sont les

acteurs publics qui se sont saisis de cette question difficile laquelle exerce agrave lrsquoheure

actuelle une indeacuteniable force drsquoattraction pour la plupart des courants politiques

plus que jamais en quecircte de repegraveres et de lignes de front Toutefois sa complexiteacute

est devenue source de deacutesordre et de reconfiguration en fragilisant les clivages qui

ont traditionnellement fragmenteacute le champ politique franccedilais Si les appels

incessants agrave lrsquouniteacute de la laquo Reacutepublique raquo sont dans lrsquoair du temps ndash tout comme les

appels pour soutenir les laquo valeurs reacutepublicaines raquo dans lrsquoespace domestique et

250 A ce propos il est important de noter que des expeacuteriences pionniegraveres ont eacuteteacute meneacutees par exemple

en Bretagne - avec les eacutecoles associatives du reacuteseau Diwan - ou au Pays Basque - ougrave lrsquoenseignement

de la langue et de la culture reacutegionale est deacutesormais inteacutegreacute aux curricula des eacutecoles publiques

priveacutees associatives et priveacutees confessionnelles - (Moal 2009 Sarraillet 2009)

357

scolaire251 ndash ils relegravevent aussi drsquoune instrumentalisation agrave laquelle est voueacutee toute

chose qui se veut consensuelle bien qursquoils ne puissent pas deacutemecircler le nœud gordien

entre identiteacute et politique ni prendre la mesure de la crise actuelle de lrsquoideacutee

reacutepublicaine et de lrsquoexigence qui est la nocirctre vivre ensemble avec nos diffeacuterences

Valoriser une anthropologie de lrsquoeacuteducation adapteacutee aux speacutecificiteacutes

culturelles de la France et deacutevelopper de nouvelles pistes de recherche visant agrave

mieux comprendre sa reacutealiteacute sociale laquo multidimensionnelle raquo pourront nous aider agrave

deacuteconstruire certains steacutereacuteotypes et agrave construire une socieacuteteacute un peu plus consciente

du rocircle que jouent les laquo autres raquo dans notre deacuteveloppement humain du moins

pouvons-nous lrsquoespeacuterer

251 Un exemple est fourni par lrsquohypermeacutediatisation dont ont fait lrsquoobjet les propos sur la question de

lrsquoidentiteacute nationale lanceacutes par les diffeacuterents membres du gouvernement franccedilais suite aux attentats

meurtriers du 13 novembre 2015 agrave Paris Dans le message que la ministre de lrsquoEacuteducation nationale

de lrsquoEnseignement supeacuterieur et de la Recherche Mme Najat Vallaud-Belkacem (2015b) a adresseacute agrave

la communauteacute eacuteducative au lendemain des attentats elle soulignait en effet que laquo lrsquoEacutecole de la

Reacutepublique transmet aux eacutelegraveves une culture commune raquo pilier drsquoune identiteacute nationale partageacutee

358

17 Conclusion et perspectives

Dans la construction du savoir anthropologique deux dynamiques se

rencontrent La premiegravere que jrsquoappellerais laquo objective raquo est la description

circonstancieacutee de lrsquoobjet drsquoeacutetude qui se deacuteveloppe agrave partir drsquoune meacutethodologie qui

se veut scientifique et qui se base sur des proceacutedeacutes et des outils laquo savants raquo accepteacutes

et partageacutes par la communauteacute acadeacutemique La seconde plus laquo subjective raquo est

lrsquoautoformation du sujet eacutepisteacutemique agrave savoir lrsquoanthropologue qui construit sa

compreacutehension de la reacutealiteacute eacutetudieacutee agrave partir drsquoune reacuteflexion baseacutee sur son veacutecu et

son ideacuteologie et qui est de par sa nature dynamique et changeante extrecircmement

creacuteative et peu incline agrave la scheacutematisation laquo scientifique raquo Le terrain drsquoeacutetude ancreacute

dans un espace empirique animeacute par des pheacutenomegravenes des situations et des

dynamiques devient donc un veacuteritable laquo lieu de construction cognitive raquo (Affergan

1999 8) Cependant cette construction questionne lrsquoanthropologue qui oscillant

entre ses observations et ses reacuteflexions doit se demander quelles modaliteacutes sont les

plus adapteacutees pour deacutecrire et modeacuteliser objectivement la reacutealiteacute qursquoil eacutetudie tout en

conservant son propre laquo positionnement raquo subjectif

Agrave partir des anneacutees 1970 le tournant laquo postmoderne raquo en anthropologie qui

a permis la remise en question de laquo lrsquoautoriteacute ethnographique raquo ndash et avec elle la

preacutetention selon laquelle lrsquoeacutecriture ethnographique pouvait eacutetablir une laquo veacuteriteacute raquo

absolue autour drsquoune reacutealiteacute sociale particuliegravere en la lrsquoinscrivant dans un texte ndash a

surtout donneacute la possibiliteacute de revaloriser lrsquoexpeacuterience ethnographique en tant que

359

source de reacuteflexion autour des dynamiques laquo modernes raquo du pouvoir des relations

interculturelles et des processus de construction drsquoun savoir partageacute et

laquo socialement impliqueacute raquo (Reynoso 1998)252 Si on considegravere en suivant la

perspective de lrsquoanthropologie historique laquo antipositiviste raquo de Wilhelm Dilthey

(1914) que lrsquoethnographie est moins un processus drsquoexplication que

drsquointerpreacutetation il devient degraves lors eacutevident que le rocircle drsquoune monographie

ethnographique nrsquoest pas seulement de classifier des donneacutees en fonction de

cateacutegories conceptuelles preacutedeacutefinies mais plutocirct de construire ndash de maniegravere plus ou

moins discursive ndash des significations capables de repreacutesenter des dynamiques

sociales sans deacutependre de meacutethodologies ou drsquoeacutepisteacutemologies systeacutematiques et

deacutefinies agrave lrsquoavance Lrsquoanthropologie comme lrsquoeacutecrit fort justement Ugo Fabietti

(1995) ne peut pas se reacuteduire agrave une seacuterie de proceacutedeacutes laquo techniques raquo crsquoest avant

tout une posture

252 La revalorisation du sujet eacutepisteacutemique a eu un impact consideacuterable non seulement dans le

domaine de la construction du savoir anthropologique mais aussi dans les autres sciences humaines

et sociales Lrsquohistorien Georges Duby par exemple affirmait en 1991 que laquo depuis quelque temps

jrsquoemploie de plus en plus le mot ldquojerdquo dans mes livres Crsquoest ma faccedilon drsquoavertir mon lecteur Je ne

preacutetends pas lui transmettre la veacuteriteacute mais lui suggeacuterer le probable placer devant lui lrsquoimage que je

me fais honnecirctement du vrai raquo (Duby 1991 81) Agrave propos de cette laquo renaissance raquo du laquo je raquo dans les

sciences humaines et sociales des reacuteflexions similaires ont eacuteteacute proposeacutees entre autres par

lrsquoanthropologue Philippe Descola (1993) dans le post-scriptum de lrsquoouvrage Les lances du creacutepuscule

et plus reacutecemment par lrsquohistorien Patrick Boucheron (2016)

360

Cependant les difficulteacutes inheacuterentes agrave lrsquointerpreacutetation de cette laquo forecirct de

symboles253 raquo qursquoest la culture de chaque groupe humain obligent parfois les

anthropologues agrave des acrobaties seacutemantiques afin de laquo deacutecrire lrsquoindescriptible raquo

Dans le cadre de cette eacutetude ndash dans laquelle jrsquoai chercheacute agrave comparer agrave partir drsquoune

approche anthropologique des reacutealiteacutes qui de par leurs caracteacuteristiques formelles

eacutetaient difficilement comparables ndash jrsquoai ducirc faire face au mecircme questionnement et au

dilemme imposeacute par la neacutecessiteacute de mettre au point non seulement une

meacutethodologie analytique mais aussi une strateacutegie capable de rendre compte du fait

que malgreacute la laquo distance raquo culturelle qui les seacutepare ces reacutealiteacutes eacutetudieacutees sont unies

par de mecircmes tensions sociales dont les origines sont enracineacutees dans lrsquohistoire

coloniale franccedilaise

Au bout du compte cette thegravese reposait sur un deacutefi ndash permettre un dialogue

polyphonique entre les sciences anthropologiques les sciences de lrsquoeacuteducation et les

sciences politiques ndash et sur un pari ndash analyser avec les laquo outils raquo meacutethodologiques de

lrsquoanthropologie une dynamique propre aux sciences de lrsquoeacuteducation pour proposer

des solutions de type politique Cet enjeu global ne facilitait pas la laquo discursiviteacute raquo

Crsquoest pourquoi les proceacutedeacutes que jrsquoai deacutecideacute drsquoemployer sont plus le produit drsquoun

compromis et drsquoune adaptation que lrsquoapplication drsquoune meacutethodologie standardiseacutee

agrave mes terrains drsquoeacutetude Les donneacutees qui alimentent ma recherche ont eacuteteacute obtenues

et analyseacutees en empruntant des laquo outils raquo analytiques propres agrave chacune des trois

disciplines mentionneacutees lrsquoobservation participante et les entretiens la mesure des

253 Ideacutee emprunteacutee agrave Victor Turner (1967) auteur du ceacutelegravebre essai The forest of symbols

361

interactions agrave lrsquoaide drsquoune grille chronomeacutetrique la recherche des origines drsquoune

certaine ideacuteologie gracircce agrave la relecture de sources bibliographiques primaires

Au-delagrave des reacutesultats obtenus qui ne coiumlncident pas neacutecessairement avec

ceux que jrsquoattendais cette recherche mrsquoa assureacutement permis de mieux me situer

dans le deacutebat sur la question eacuteducative les situations pluriculturelles et

lrsquoautochtonie tout en me permettant de remettre en question certaines eacutevidences

Par ailleurs puisque les temps sont agrave lrsquoexplicitation des points de vue et aux prises

de position cette thegravese mrsquoa aussi permis de mieux comprendre ma place dans le jeu

de forces qui oppose les dynamiques constitutives de notre laquo hyper-moderniteacute raquo

globale drsquoun cocircteacute celles laquo verticales raquo qui mettent en relation les groupes

heacutegeacutemoniques avec les subalternes et de lrsquoautre celles laquo horizontales raquo centrifuges

et centripegravetes qui mettent en relation un laquo centre raquo (qui revendique sa

souveraineteacute) et une laquo peacuteripheacuterie raquo (qui revendique son identiteacute) Tout sujet

eacutepisteacutemique tout comme son objet drsquoeacutetude est deacutefini en fonction de ces

dynamiques Comprendre la porteacutee de ces derniegraveres est donc probablement le

premier pas pour construire un savoir moins speacuteculatif et moins abstrait

171 Reacutesultats attendus initialement

Lrsquoobjectif geacuteneacuteral de cette thegravese eacutetait de comprendre agrave partir de deux cas

drsquoeacutetude le rocircle joueacute par la famille autochtone dans la transmission des donneacutees

culturelles Cette comparaison devait permettre de deacutecrire les modaliteacutes de

perpeacutetuation de construction et de transformation des savoirs laquo locaux raquo et de les

mettre en rapport avec lrsquohabitat particulier caracteacuteristique des terrains drsquoeacutetude

362

choisis Si agrave lrsquoorigine ce travail visait agrave saisir des dynamiques que je consideacuterais ndash

avec une certaine naiumlveteacute je lrsquoavoue ndash comme laquo traditionnelles raquo la reacutealiteacute du terrain

et les relations noueacutees avec mes dits laquo informateurs raquo (qui eacutetaient selon les cas des

amis des voisins des collegravegues) mrsquoont pousseacute agrave laquo corriger le tir raquo et agrave abandonner

certains preacutejugeacutes autour de la supposeacutee laquo tradition raquo Les Wayana-Apalaiuml et les

Enata avec qui jrsquoai veacutecu et travailleacute mrsquoont agrave maintes reprises montreacute que leur

laquo tradition raquo eacutetait bien plus le produit drsquoune reacuteinterpreacutetation creacuteative de leur

meacutemoire historique que la simple persistance drsquoune seacuterie de normes usages et

coutumes ayant surveacutecus agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquohistoire

Le laquo reconditionnement raquo de la tradition et ses effets sur les logiques

eacuteducatives sont devenus des laquo objets raquo drsquoeacutetude compleacutementaires qui mrsquoont obligeacute agrave

reconsideacuterer cette dynamique drsquointeacuterecirct anthropologique qursquoest la transmission de

la culture agrave la lumiegravere de certaines reacuteflexions autour de lrsquoidentiteacute ethnique et du

processus drsquointeacutegration postcoloniale En Guyane comme en Polyneacutesie franccedilaise jrsquoai

ducirc faire face agrave une probleacutematique beaucoup plus complexe que celle que jrsquoavais

imagineacutee entremecirclant la question des revendications sociales autochtones celle des

situations pluriculturelles et celle du deacuteveloppement eacuteconomique des deacutepartements

et des collectiviteacutes drsquoOutre-mer Un nouvel objectif speacutecifique a donc eacutemergeacute

comprendre les speacutecificiteacutes du processus drsquoacculturation qui a suivi la colonisation

de ces territoires pour en deacuteceler les bases ideacuteologiques et ses effets sur le substrat

social et culturel des communauteacutes concerneacutees

Bien qursquoagrave lrsquoorigine lrsquoutilisation de protocoles qui avaient deacutejagrave fait leurs

preuves dans drsquoautres contextes autochtones (afin drsquoobtenir des donneacutees

363

comparables) me semblait suffisante pour le recueil de donneacutees je me suis tregraves

rapidement rendu compte que leur application agrave la reacutealiteacute speacutecifique de mes terrains

drsquoeacutetude ne pouvait se faire sans adaptation En effet les protocoles qui ont permis

lrsquoeacutetude du caregiving timing employeacutes par certains anthropologues dans les Eacutetats

africains de lrsquoancien empire colonial britannique ou ceux utiliseacutes pour lrsquoanalyse des

microsystegravemes de socialisation des minoriteacutes ethniques aux Eacutetats-Unis ne pouvaient

pas ecirctre reacutepliqueacutes agrave lrsquoidentique dans le contexte de la France drsquoOutre-mer ougrave les

anciennes colonies franccedilaises sont maintenant inteacutegreacutees agrave la nation (sous forme de

DOM ou de COM) et ougrave les groupes autochtones constituent la majoriteacute statistique

de la population locale

En conseacutequence il mrsquoa fallu partiellement redeacutefinir mes objectifs et adapter

les protocoles de recueil de donneacutees Un nouvel objectif est devenu partie inteacutegrante

de ce travail explorer la possibiliteacute de mettre au point une meacutethodologie

compreacutehensive capable de produire des donneacutees laquo mesurables raquo et drsquointeacutegrer les

donneacutees issues de lrsquoobservation pheacutenomeacutenologique Cet eacuteniegraveme compromis mrsquoa

permis de creacuteer des outils simples mais efficaces (comme les grilles drsquoobservation

des interactions) pour faciliter le recueil de donneacutees sans pour autant preacutetendre

ecirctre capable de reacuteveacuteler dans son inteacutegraliteacute la dynamique eacuteducative des contextes

laquo peacuteripheacuteriques raquo

A posteriori je suis bien conscient des limites que pose la meacutethodologie que

jrsquoai finalement adopteacutee Srsquoagissant drsquoune eacutetude exploratoire elle visait avant tout agrave

deacutecrire une tendance geacuteneacuterale et ne mrsquoa pas permis drsquoacceacuteder agrave certains deacutetails

neacutecessaires agrave une description approfondie du processus de transmission des savoirs

364

chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata Le fait que mon univers drsquoeacutetude ait eacuteteacute

plutocirct restreint ne mrsquoa pas permis de geacuteneacuteraliser certaines conclusions car il mrsquoest

impossible drsquoaffirmer que tous les eacuteducateurs wayana-apalaiuml ou enata se

comportent de la mecircme maniegravere agrave partir des mecircmes logiques eacuteducatives et dans le

cadre du mecircme eacutecosystegraveme eacuteducatif Mes observations nrsquoayant concerneacute que les

interactions domestiques jrsquoavais volontairement exclu la description et lrsquoanalyse

des interactions observables dans les cadres scolaire associatif ou religieux qui

restent agrave eacutetudier

172 Reacutesultats obtenus

La premiegravere difficulteacute poseacutee par ce laquo compromis raquo entre diffeacuterentes

disciplines (lrsquoanthropologie les sciences de lrsquoeacuteducation et les sciences politiques)

qui appreacutehendent la question eacuteducative agrave partir de perspectives apparemment

divergentes a eacuteteacute le choix de la terminologie agrave utiliser Pris au piegravege par la faible

disposition que montrent parfois ces champs du savoir chacun adoptant des

cateacutegories analytiques souvent rigides et difficilement laquo traduisibles raquo jrsquoai donc

deacutecideacute de consacrer toute la premiegravere partie de cette thegravese agrave la deacuteconstruction et agrave

la laquo reconstruction raquo de certaines notions concepts et theacuteories qui font partie des

outils partageacutes par les trois disciplines mais conccedilus de maniegravere assez diffeacuterente Ce

travail de deacutemontage et drsquoassemblage appreacutehendeacute comme un

laquo parcours conceptuel raquo a principalement concerneacute les notions de culture

drsquoeacuteducation et drsquoautochtonie afin de proposer une nouvelle cateacutegorisation dans le

but de montrer les laquo forces raquo ideacuteologiques qui en leur assignant une valeur et une

365

signification politique les ont transformeacutees en concepts Jrsquoespegravere que ce premier

reacutesultat pourra faciliter le travail de ceux qui envisagent de mener des recherches

sur des terrains similaires agrave ceux qui sont au cœur de la preacutesente eacutetude

Lrsquoanalyse des donneacutees concernant les eacutecosystegravemes eacuteducatifs dans les deux

terrains drsquoeacutetude choisis a permis drsquoatteindre un deuxiegraveme reacutesultat majeur La

comparaison des donneacutees ethno-historiques avec celles obtenues par mes propres

observations nous permet de savoir que si laquo traditionnellement raquo la transmission

des donneacutees culturelles eacutetait dans les deux contextes une responsabiliteacute partageacutee

par les parents et les autres membres de la famille ndash au sein drsquoun reacuteseau eacutetendu de

parenteacute qui connectait tous les membres de la communauteacute agrave lrsquoheure actuelle ce

monopole de la famille a eacuteteacute briseacute par lrsquointervention drsquoune seacuterie drsquoacteurs

relativement nouveaux et chargeacutes eux aussi ndash plus ou moins explicitement ndash de

lrsquoeacuteducation des plus jeunes agrave savoir lrsquoeacutecole les associations culturelles et les

congreacutegations religieuses Parmi ces acteurs laquo eacutemergents raquo lrsquoeacutecole est celui qui

occupe le rocircle central du fait de son caractegravere obligatoire et du temps que les enfants

y consacrent La documentation consulteacutee et les souvenirs des personnes acircgeacutees nous

apprennent que son apparition nrsquoa pas eacuteteacute indolore mais les observations meneacutees

dans le cadre de cette recherche nous reacutevegravelent aussi que agrave lrsquoheure actuelle lrsquoattitude

des populations locales a changeacute Aujourdrsquohui les familles ont beaucoup drsquoattentes

vis-agrave-vis de lrsquoeacuteducation scolaire et ont lrsquoespoir que leurs enfants puissent profiter de

ses bienfaits pour atteindre un meilleur niveau de vie Cependant la reacutealiteacute des faits

et les statistiques des organismes concerneacutes nous montrent que en Guyane et en

Polyneacutesie franccedilaise ndash comme souvent ailleurs en France ndash lrsquoeacutecole ne semble pas

366

garantir la mobiliteacute sociale des jeunes provenant des milieux deacutefavoriseacutes surtout

dans les contextes ruraux et isoleacutes de lrsquoOutre-mer En drsquoautres termes pour les

Wayana-Apalaiuml et pour les Enata laquo lrsquoascenseur social est en panne raquo (Ledoux 2012

9)

Bien que la compreacutehension du rocircle de lrsquoeacuteducation scolaire ne faisait pas

partie des objectifs prioritaires que je mrsquoeacutetais fixeacutes au moment de lrsquoeacutelaboration de

ce projet de recherche la reacutealiteacute du terrain mrsquoa imposeacute bon greacute mal greacute drsquoen

analyser les impacts sur la vie quotidienne des familles observeacutees afin de

comprendre les raisons qui pouvaient expliquer la transformation de lrsquoideacuteologie

eacuteducative laquo traditionnelle raquo (censeacutee viser lrsquoadaptation agrave un eacutecosystegraveme social et

naturel local) du fait des dynamiques globales (visant elles lrsquointeacutegration des enfants

agrave un contexte microsystegravemique animeacute par des dynamiques politiques et

eacuteconomiques de niveau national et international) Enquecircter aupregraves des parents des

membres les plus acircgeacutes des communauteacutes et aussi aupregraves des enseignants qui

travaillent dans les eacutecoles drsquoAntecume pata et de Hiva Oa a donc permis drsquoidentifier

plus preacuteciseacutement les obstacles qui sont agrave lrsquoorigine de cette laquo panne raquo dont souffre

lrsquoeacutecole de lrsquoOutre-mer Il srsquoagit agrave mon avis drsquoobstacles qui ont une double nature ndash

structurelle (due agrave une gestion trop centraliseacutee des ressources eacuteducatives) et

ideacuteologique (due agrave une vision ethnocentrique de la culture en tant que laquo patrimoine

de la Nation raquo) ndash et qui pour ecirctre deacutepasseacutes neacutecessitent une meilleure coopeacuteration

entre les organismes publics compeacutetents en matiegravere drsquoeacuteducation et les

communauteacutes locales

367

Un troisiegraveme reacutesultat a eacuteteacute lrsquoidentification agrave la lumiegravere des donneacutees

recueillies de certains effets du processus drsquoacculturation dans les deux terrains

drsquoeacutetude ainsi que de ses divers impacts sur les Ameacuterindiens du Haut Maroni et les

Enata en raison de certaines variables historiques et geacuteographiques Drsquoun cocircteacute

lrsquoexpeacuterience guyanaise avec sa transfiguration ethnique laquo agrave retardement raquo mrsquoa

permis de mieux cerner les effets des politiques publiques qui ont autoriseacute la

destruction de lrsquoenvironnement naturel et des formes drsquoorganisation sociale qui

constituaient lrsquoeacutecosystegraveme de reacutefeacuterence des Wayana-Apalaiuml ndash tout en facilitant la

genegravese et la diffusion de certains problegravemes comme lrsquoalcoolisme la violence

intrafamiliale ou la preacutedisposition au suicide des plus jeunes Drsquoun autre cocircteacute

lrsquoenquecircte meneacutee agrave Hiva Oa mrsquoa permis de comprendre avec un certain optimisme

lrsquoimportance du processus de reformulation de lrsquoidentiteacute locale qui a donneacute aux

Marquisiens la capaciteacute de srsquoadapter aux contraintes qui deacutecoulent de leur triple

appartenance agrave une communauteacute autochtone agrave une collectiviteacute territoriale et agrave une

nation un processus qui est le fruit drsquoun lent mais progressif chemin de

reconstruction de la meacutemoire collective faciliteacute par des acteurs sociaux externes

mais inteacutegreacutes aux communauteacutes (comme lrsquoeacutecole et les congreacutegations religieuses) et

par un cadre juridique particulier (qui assigne certaines compeacutetences aux

responsables locaux) deacuterivant du statut drsquoautonomie de la Polyneacutesie franccedilaise

Finalement jrsquoespegravere que de ces reacutesultats pourront alimenter une reacuteflexion

plus laquo politique raquo autour de certaines solutions proposeacutees dans les chapitres

preacuteceacutedents qui visent agrave mieux adapter les politiques eacuteducatives nationales et

368

territoriales aux speacutecificiteacutes locales Crsquoest agrave ce moment-lagrave que la recherche devient

laquo socialement pertinente raquo

173 Pistes pour la recherche

Maintenant que cette recherche se termine avec ses limites que je reconnais

bien volontiers il paraicirct important de preacutesenter briegravevement des propositions et des

ideacutees qui pourraient stimuler drsquoautres chercheurs inteacuteresseacutes par lrsquoeacutetude de cet

laquo objet raquo anthropologique qursquoest lrsquoeacuteducation

En premier lieu il serait important de perfectionner la meacutethodologie qui peut

permettre drsquoavancer dans ce domaine agrave partir de la mise au point drsquoune seacuterie de

protocoles standardiseacutes pour mieux recenser et comprendre les modegraveles eacuteducatifs

observables en France Lrsquoobservation des interactions eacuteducatives la mesure du

temps que les eacuteducateurs y consacrent tout comme lrsquoidentification des styles

eacuteducatifs dominants offrent des perspectives tregraves inteacuteressantes pour eacutetudier les

laquo pratiques observables raquo en les mettant en rapport avec les laquo pratiques deacuteclareacutees raquo

et les repreacutesentations des eacuteducateurs

Il serait inteacuteressant de ne pas limiter ces observations au cadre domestique

et de les eacutelargir aux autres microsystegravemes de socialisation qui constituent

lrsquoenvironnement eacuteducatif comme les espaces scolaires associatifs religieux et ceux

qui sont propres agrave diverses institutions culturelles (les bibliothegraveques les

369

meacutediathegraveques ou les museacutees)254 Aussi il serait important drsquoapprofondir notre

connaissance des dynamiques eacuteducatives drsquoautres communauteacutes aux fortes et

anciennes speacutecificiteacutes culturelles qui sont incluses dans la nation franccedilaise Ainsi le

champ drsquoaction des recherches futures ne serait pas limiteacute aux seuls peuples de

lrsquoOutre-mer mais pourrait inclure des communauteacutes meacutetropolitaines qui

revendiquent leur laquo alteacuteriteacute raquo et leur identiteacute ethnique Finalement au vu des deacutebats

qui agrave lrsquoheure actuelle divisent lrsquoopinion publique franccedilaise autour de la dite laquo crise

migratoire raquo il serait fondamental que des recherches similaires puissent eacutegalement

concerner les communauteacutes qui viennent drsquoailleurs et qui se sont installeacutees ndash

temporairement ou durablement ndash sur le territoire national les laquo immigrants raquo et

les laquo eacutetrangers raquo

Des eacutetudes dans ce domaine pourront nous permettre de mieux comprendre

les diffeacuterentes dynamiques qui animent la socieacuteteacute franccedilaise caracteacuteriseacutee par une

situation pluriculturelle qui nrsquoa jamais reacuteussi agrave se transformer en situation

multiculturelle - politiquement et juridiquement parlant - en raison de la volonteacute

des administrations publiques drsquoecirctre laquo indiffeacuterentes aux diffeacuterences raquo La promotion

de cette compreacutehension mutuelle nous aidera agrave deacutepasser certains preacutejugeacutes qui nrsquoont

drsquoautre effets que celui drsquoalimenter les conflits et de rendre plus difficile lrsquointeacutegration

de lrsquoalteacuteriteacute Il srsquoagit lagrave drsquoun deacutefi que les sciences anthropologiques peuvent ndash et agrave

254 Ce dernier a eacuteteacute exploreacute par Rodica Ailincai (2005 et 2011) et Franccedilois-Xavier Bernard (2012) et

au vu du rocircle que joue ce type drsquoinstitutions dans la vie culturelle de la France meacuteriterait drsquoecirctre mieux

connu

370

mon avis doivent ndash relever Lrsquoune des vertus de lrsquoanthropologie comme drsquoailleurs

de toutes les sciences humaines et sociales nrsquoest-elle pas de se deacutefaire des fausses

eacutevidences

Jrsquoespegravere finalement que de nouvelles recherches dans ce domaine pourront

motiver drsquoautres chercheurs agrave entreprendre ce laquo parcours du combattant raquo qursquoest le

travail ethnographique Un laquo terrain mineacute raquo qui mrsquoa obligeacute agrave faire face agrave mes erreurs

agrave analyser le cheminement tortueux de mes intuitions agrave me faire des amis (et des

ennemis) agrave reacuteagir avec enthousiasme colegravere ou deacutegout aux petits riens qui ont

constitueacute mon quotidien guyanais ou polyneacutesien Walter Benjamin (1938) eacutecrivait

que se perdre dans une ville est le plaisir le plus raffineacute qui soit et apregraves cinq ans

passeacutes entre lrsquoAmazonie et les mers du Sud je pense pouvoir affirmer que se perdre

dans les reacutealiteacutes sociales que jrsquoai pu y explorer lrsquoa pleinement eacuteteacute pour moi

371

Synthegravese de la troisiegraveme partie

Nombre drsquoobservateurs srsquoaccordent pour affirmer que le modegravele reacutepublicain

franccedilais ndash et son laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo ndash est deacutesormais en crise La socieacuteteacute

franccedilaise est en fait constitueacutee drsquoune extraordinaire varieacuteteacute de communauteacutes

ethniques et culturelles parfois pouvant ecirctre deacutefinies comme autochtones et qui

reacuteclament de plus en plus leur alteacuteriteacute et la prise en compte de leurs speacutecificiteacutes

culturelles Les effets de cette crise sont particuliegraverement visibles dans le cadre

scolaire dans la mesure ougrave le systegraveme eacuteducatif national nrsquoa pas reacuteussi agrave relever le

deacutefi que lui imposait son triple rocircle de bastion du patrimoine culturel de la nation

de forge de citoyens et de fabrique de professionnels Le manque drsquoeacutequiteacute dont ce

dernier semble souffrir fait qursquoil est difficile pour les eacutelegraveves provenant de milieux

deacutefavoriseacutes drsquoobtenir de bonnes performances scolaires ce qui fait douter certains

analystes quant agrave la capaciteacute de ce systegraveme agrave fonctionner comme meacutecanisme

drsquoascension sociale Bien que les organismes publics chargeacutes de lrsquoeacuteducation aient

souvent consideacutereacute que les causes de cet eacutechec eacutetaient lieacutees agrave la personnaliteacute aux

compeacutetences langagiegraveres et au milieu social des enfants drsquoautres recherches ont mis

en lumiegravere qursquoen reacutealiteacute la reacuteussite deacutepend plutocirct drsquoun facteur de type

microsystegravemique agrave savoir la capaciteacute de lrsquoeacutecole agrave inteacutegrer ces eacutelegraveves et agrave leur offrir

un parcours drsquoapprentissage adapteacute agrave leurs speacutecificiteacutes socioculturelles et aux

besoins de leur communauteacute

372

Pour ce qui est des peuples autochtones des territoires drsquoOutre-mer on peut

identifier deux types drsquoobstacles agrave la reacuteussite scolaire drsquoun cocircteacute les obstacles

structurels geacuteneacutereacutes par une gestion eacutetatique des ressources eacuteconomiques qui

privileacutegie le territoire meacutetropolitain et de lrsquoautre les obstacles ideacuteologiques

produits par des logiques laquo coloniales raquo qui animent aujourdrsquohui encore lrsquoaction

eacuteducative de lrsquoEacutetat Dans la premiegravere cateacutegorie ndash soit au niveau structurel ndash deux

obstacles majeurs apparaissent le faible nombre drsquoeacutetablissements scolaires dans

les territoires ougrave la majoriteacute de la population est autochtone et le manque

drsquoinvestissement pour soutenir les coucircts directs et indirects de la scolarisation

auxquels les meacutenages deacutefavoriseacutes font difficilement face Dans la deuxiegraveme cateacutegorie

ndash soit au niveau ideacuteologique ndash on trouve le manque drsquoadaptation des rythmes et

des contenus scolaires aux reacutealiteacutes locales et aux besoins speacutecifiques des

populations concerneacutees le manque de formation des enseignants qui sont envoyeacutes

pour travailler avec ces populations et finalement le rejet de lrsquoeacutecole en tant

qursquoinstitution laquo civilisatrice raquo emblegraveme de la colonisation

Une meilleure connaissance de ces obstacles et de lrsquoimpact qursquoils ont sur les

familles permettrait de repenser certaines politiques publiques afin drsquoen reacuteduire les

effets neacutegatifs et de mettre en place des dispositifs plus performants pouvant

garantir une meilleure reacuteussite des eacutelegraveves autochtones De nouvelles eacutetudes

srsquoimposent alors notamment pour mieux deacutecrire les meacutecanismes de production et

de transmission de la diversiteacute culturelle Il est donc important de valoriser la

recherche en anthropologie de lrsquoeacuteducation dans le but de comprendre la reacutealiteacute

sociale laquo multidimensionnelle raquo de la France actuelle Les reacutesultats qursquoon pourrait

373

obtenir seront drsquoune grande utiliteacute pour le deacuteveloppement de nouvelles politiques

eacuteducatives Cependant leur porteacutee demeurera limiteacutee si elles ne sont pas

accompagneacutees drsquoune deacutemarche participative qui permette drsquointeacutegrer les

communauteacutes particuliegraveres au processus de gestion et drsquoimpleacutementation de ces

politiques

Il srsquoagit indubitablement drsquoun enjeu majeur rendre aux communauteacutes aux

fortes et anciennes speacutecificiteacutes culturelles le pouvoir de choisir leur destin implique

de deacutelocaliser certains processus deacutecisionnaires afin de garantir que la laquo reacuteussite

pour tous raquo coiumlncide avec lrsquoideacutee que chaque communauteacute se fait de la laquo reacuteussite raquo

Crsquoest lagrave un deacutefi qui ne sera pas facile agrave relever mais qui pourra contribuer agrave faciliter

le dialogue social dans un contexte national ougrave les questions identitaires sont

souvent instrumentaliseacutees pour justifier des prises de position de plus en plus

violentes

374

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franccedilaise Fixant le calendrier de lanneacutee scolaire 2014-2015 des collegraveges et

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de la Polyneacutesie franccedilaise ndeg 22 du 18 mars 2014 p 3725

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franccedilaise Fixant le calendrier de lanneacutee scolaire 2015-2016 des eacutecoles

publiques et priveacutees du premier degreacute et des CJA de la Polyneacutesie franccedilaise

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TABLE DES FIGURES

Figure 1 Deux visions de la culture 47

Figure 2 Deux visions de lrsquoeacuteducation 48

Figure 3 Eacutechanges intergeacuteneacuterationnels et culturels entre eacuteducateur et eacuteduqueacute 52

Figure 4 Les relations entre systegravemes eacutecologiques 58

Figure 5 Cultures heacutegeacutemoniques et culture subalternes 94

Figure 6 Dialectique de la cosmopolitisation et de lrsquoindigeacutenisation 99

Figure 7 Les concepts lieacutes agrave lrsquoidentiteacute drsquoun groupe humain 108

Figure 8 Position de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise 139

Figure 9 La Guyane franccedilaise et le village drsquoAntecume pata 158

Figure 10 Les villages ameacuterindiens du Haut Maroni 168

Figure 11 La ligne de deacutemarcation de la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute 170

Figure 12 Localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en Guyane au

Suriname et au Breacutesil 172

Figure 13 La Polyneacutesie franccedilaise et lrsquoarchipel des Marquises 180

Figure 14 Lrsquoicircle de Hiva Oa 181

Figure 15 La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants wayana-apalaiuml

212

Figure 16La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants enata 227

Figure 17 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Antecume

pata 2011) 235

Figure 18 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Antecume pata

2014) 239

Figure 19 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Hiva Oa 2014)

242

Figure 20 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Hiva Oa

2014) 245

Figure 21 Pourcentage moyen du temps journalier pendant lequel les enfants sont

exposeacutes agrave des interactions eacuteducatives selon lrsquoeacuteducateur et le contexte eacutetudieacute

251

Figure 22 Comparaison des styles interactifs dominants dans les terrains drsquoeacutetude 273

423

TABLE DES TABLEAUX

Tableau 1 Villages wayana-apalaiuml du Haut Maroni donneacutees deacutemographiques et

population scolaire 173

Tableau 2 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Antecume pata 2011) 233

Tableau 3 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Antecume pata 2011) 236

Tableau 4 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Antecume pata 2014) 237

Tableau 5 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Antecume pata 2014) 238

Tableau 6 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Hiva Oa 2014) 241

Tableau 7 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Hiva Oa 2014) 244

Tableau 8 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (France meacutetropolitaine 2014) 248

Tableau 9 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (France meacutetropolitaine 2014) 249

Tableau 10 Pourcentage moyen drsquoexposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours

ouvrables comparaison entre les contextes drsquoeacutetude et le groupe teacutemoin en

France meacutetropolitaine 249

Tableau 11 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours feacuterieacutes (en 2011) 258

Tableau 12 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours ouvrables (en 2011) 259

Tableau 13 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours feacuterieacutes (en 2014) 261

Tableau 14 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours ouvrables (en 2014) 262

Tableau 15 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours

feacuterieacutes (en 2014) 265

424

Tableau 16 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours

ouvrables (en 2014) 267

Tableau 17 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine

pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) 268

Tableau 18 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine

pendant les jours ouvrables (en 2014) 269

JURY Tamatoa BAMBRIDGE Directeur de recherche au CNRS Rapporteur Laboratoire CRIOBE USR 3278 UPVD-CNRS-EPHE Labex CORAIL Dominique GROUX Professeur des Universiteacutes eacutemeacuterite Rapporteur Universiteacute des Antilles Laboratoire CRILLASH

Iregravene BELLIER Directrice de Recherches au CNRS Examinateur Institut Interdisciplinaire drsquoAnthropologie du Contemporain LAIOS EHESS Franccedilois-Xavier BERNARD Maicirctre de confeacuterences Examinateur Universiteacute Paris Descartes Laboratoire EDA Monsieur Bruno SAURA Professeur des Universiteacutes Directeur de thegravese Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Laboratoire EASTCO Madame Rodica AILINCAI Maicirctre de confeacuterences HDR Directeur de thegravese Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Laboratoire EASTCO

1

Reacutesumeacute

Cette thegravese preacutesente une analyse anthropologique de lrsquoeacuteducation informelle chez

deux communauteacutes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais les Wayana-Apalaiuml en

Guyane et les Enata en Polyneacutesie franccedilaise A partir des donneacutees recueillies gracircce agrave

un travail ethnographique de longue dureacutee on a pu deacuteterminer le temps consacreacute

aux interactions eacuteducatives dans le milieu domestique les styles eacuteducatifs

dominants et les logiques eacuteducatives des membres des deux communauteacutes La

dynamique eacuteducative a eacuteteacute interpreacuteteacutee en tant que processus de transmission des

donneacutees culturelles lieacutees agrave un paysage naturel et social deacutetermineacute Les reacutesultats

obtenus montrent que les strateacutegies eacuteducatives des Wayana-Apalaiuml et des Enata sont

modeleacutees par les contraintes propres agrave la dynamique postcoloniale et des impeacuteratifs

imposeacutes par lrsquoeacuteconomie de marcheacute

Mots-cleacutes Acculturation autochtonie interactions eacuteducatives parentaliteacute

Abstract

This thesis presents an anthropological analysis of informal education activities

among two French autochthonous communities the Wayana-Apalaiuml people living

in French Guiana and the Enata people in French Polynesia Thanks to the data

gathered through a long term ethnographic fieldwork it was determined the time

dedicated to educational interactions in the domestic environment the dominant

educational styles and the educational logic of both communities The educational

dynamic has been interpreted as a process of transmission of cultural data related

to a natural and social landscape The results obtained show that educational

strategies applied by Wayana-Apalaiuml and Enata educators are shaped by the

constraints of the post-colonial dynamics and the requirements imposed by the

global market economy

Keywords Acculturation autochthonous people educational interactions

parenting

2

REMERCIEMENTS

Cette thegravese de doctorat fruit de pregraves de cinq ans de recherches entre

lrsquoAmeacuterique du Sud et lrsquoOceacuteanie nrsquoaurait pu se deacuterouler dans des conditions aussi

favorables sans lrsquoaide le soutien et les conseils de mes directeurs de thegravese Monsieur

Bruno Saura et Madame Rodica Ailincai Je me dois de les remercier pour le temps

qursquoils ont bien voulu consacrer agrave mrsquoaccompagner dans ce laquo parcours du

combattant raquo qursquoa eacuteteacute lrsquoeacutelaboration puis la reacutedaction de cette monographie Tous

mes remerciements vont aussi aux universitaires issus de lrsquoanthropologie et des

sciences de lrsquoeacuteducation qui ont accepteacute drsquoeacutevaluer mon travail en tant que

rapporteurs ou membres du jury Merci aussi au preacutesident de lrsquoUniversiteacute de la

Polyneacutesie franccedilaise et agrave toute lrsquoeacutequipe de lrsquoEcole doctorale du Pacifique pour leur

accompagnement et leur aide dans lrsquoorganisation de cette soutenance

Je remercie les membres de lrsquoEacutequipe drsquoaccueil EA 4241 EASTCO (Equipe

drsquoaccueil Socieacuteteacutes traditionnelles et contemporaines en Oceacuteanie) ndash et surtout M

Andreacuteas Pfersmann M Jacques Vernaudon et M Patrick Favro ndash avec qui jrsquoai souvent

eu la possibiliteacute drsquoeacutechanger autour des avanceacutees de cette thegravese

Mes collegravegues formateurs et enseignant-chercheurs de lrsquoEacutecole Supeacuterieure du

Professorat et de lrsquoEacuteducation de la Martinique Maria Popa-Roch Ceacutedric Ramassamy

Anne Peacuteneacute-Annette Emilie-Anne Palomares et Bertrand Troadec ont sacrifieacute de leur

3

temps pour des discussions constructives et des propositions toujours preacutecieuses

je leur suis tregraves reconnaissant pour cette solidariteacute

Ma gratitude va aussi agrave mes eacutetudiants de lrsquoUniversiteacute des Antilles qui durant

lrsquoanneacutee 2015-2016 ont patiemment eacutecouteacute mes interventions et avec lesquels jrsquoai

pu discuter en toute franchise autour des reacutesultats et des limites de cette recherche

Deacutebattre avec eux autour de la laquo crise de lrsquoeacuteducation raquo mrsquoa permis de deacutevelopper des

reacuteflexions relatives agrave la troisiegraveme partie de cette eacutetude

Je tiens agrave exprimer ma profonde reconnaissance agrave toutes les personnes qui

pendant mon travail de terrain mrsquoont accueilli mrsquoont offert de leur temps mrsquoont

raconteacute leur histoire et ont eacutecouteacute la mienne Mon enquecircte agrave Antecume pata aurait

eacuteteacute impossible sans la preacutesence de personnes extraordinaires comme Andreacute Cognat

Takulapo Yalaupin Alumakami Kaletu Atuman Aiumltale Demas Afo et Kalanki Ipoumlk

manaiuml yepe Agrave Hiva Oa jrsquoai eu la chance de freacutequenter Serge et Reneacutee Lecordier

Didier et Nicole Leroy mais aussi Tematai Iris et Herenui ndash des amis qui ont rendu

mon seacutejour marquisien inoubliable Karsquooha nui Merci aussi agrave Aymeric Hermann et

agrave Tamara Maric qui mrsquoont geacuteneacutereusement heacutebergeacute chez eux pendant mes seacutejours agrave

Tahiti en me permettant de beacuteneacuteficier de leur patience de leurs connaissances et

de leurs merveilleuses bibliothegraveques

Je souhaite adresser un grand mauruuru (merci) agrave Marina Vons qui non

seulement mrsquoa aideacute agrave plusieurs reprises dans mes deacutemarches administratives agrave

lrsquoUniversiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise mais qui mrsquoa aussi permis de connaicirctre un peu

plus la culture polyneacutesienne

4

Merci agrave Marie-Noeumllle Adegravele et Alice Daussy professeures des eacutecoles en poste

agrave Antecume pata agrave Erik Fattorelli responsable de la section Ameacuteriques aupregraves du

Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lrsquohomme et agrave David Amortegui

fellow teacher aupregraves du Columbia Heights Education Campus agrave Washington DC

qui mrsquoont fourni ndash sans jamais se plaindre ndash des donneacutees des informations et des

commentaires toujours utiles Merci agrave Sarah de Oliveira qui a lu et relu le texte final

de cette thegravese en mettant de lrsquoordre lagrave ougrave reacutegnait le deacutesordre Et merci aussi agrave

Margarita Serje Jorge Morales Fabricio Cabrera et Carlos Uribe mes enseignants du

deacutepartement drsquoAnthropologie de la Universidad de Los Andes en Colombie pour

mrsquoavoir donneacute le goucirct du travail ethnographique iexclGracias

Finalement cette recherche doit beaucoup agrave lrsquoencouragement de mes parents

et de ma famille tous orgueilleusement siciliens Notre identiteacute culturelle a sans

doute eacuteteacute un important eacuteleacutement drsquoinspiration dans mon choix drsquoeacutetudier les

laquo autochtones de la Reacutepublique franccedilaise raquo Sabbanarica

Les derniegraveres lignes de remerciement je les deacutedie agrave Marion et Luna qui ont

accepteacute de vivre avec moi cette aventure entre lrsquoAmazonie et les Mers du Sud et qui

ont partageacute les joies et les difficulteacutes de ces recherches sur le terrain Merci de

mrsquoavoir suivi dans cette eacuteniegraveme folie Jrsquoespegravere qursquoelle en valait la peine

5

RAPPORTS ARTICLES ET COMMUNICATIONS

Le travail de recherche deacuteveloppeacute dans cette thegravese a fait lrsquoobjet de plusieurs

publications scientifiques preacutealablement agrave ce document final

Articles dans des revues avec comiteacute de lecture

Aligrave Maurizio (2015) laquo Child Development in Post-Colonial Contexts

Educational Change and Ethnic Transfiguration in a French Guiana Wayana-

Apalaiuml Indigenous Community raquo Procedia - Social and Behavioral Sciences

(Elsevier) 174 3625-3632 ISSN 1877-0428

Ali Maurizio et Ailincai Rodica (2013) laquo Learning and Growing in

indigenous Amazonia The Education System of French Guiana Wayana-

Apalai communities raquo Procedia - Social and Behavioral Sciences (Elsevier)

106 (10) 1742-1752 ISSN 1877-0428

Ailincai Rodica Jund Sandrine et Aligrave Maurizio (2012) laquo Comparaison des

eacutecosystegravemes eacuteducatifs chez deux groupes drsquoAmeacuterindiens les Wayatildepi et les

Wayana raquo Revue franccedilaise deacuteducation compareacutee Raisons Comparaison

Education 8 55-90 ISBN 978-2-296-99427-0

Communications preacutesenteacutees lors de congregraves et colloques

Ailincai Rodica Gabillon Zehra Vernaudon Jacques Paia Mirose Saura

Bruno et Aligrave Maurizio (2016) laquo Pratiques eacuteducatives scolaires et familiales

en Polyneacutesie franccedilaise Recueil drsquoun corpus en contexte plurilingue raquo Les

Printemps de la recherche en ESPE Deuxiegraveme colloque du Reacuteseau national

des EacuteSPEacute (R- EacuteSPEacute) lsquorsquoLa recherche en eacuteducation des enjeux partageacutesrsquorsquo Paris

France 21-22 mars

6

Ailincai Rodica Gabillon Zehra Vernaudon Jacques Saura Bruno et Aligrave

Maurizio (2016) laquo School and Family Involvement in Educational Practices

in French Polynesia raquo The International Academic Forum - IAFOR

International Conference on Education Honolulu HI Etats Unis drsquoAmeacuterique

8-11 janvier

Ailincai Rodica Bernard Franccedilois-Xavier Alby Sophie Aligrave Maurizio et

Hidair Isabelle (2015) laquo Pratiques eacuteducatives parentales en contexte

multiculturel et plurilingue guyanais Quelle prise en compte dans la

formation des maicirctres raquo Les Printemps de la recherche en ESPE Premier

colloque du Reacuteseau national des EacuteSPEacute (R- EacuteSPEacute) Paris France 23 mars

Aligrave Maurizio (2014) laquo Escolarizacioacuten Obligatoria en Contextos

Poscoloniales Disgregacioacuten Familiar y Transfiguraciones Eacutetnicas en

Guayana Francesa raquo Primera Bienal Latinoamericana de Infancias y

Juventudes Universidad de Manizales ndash CLACSO Manizales Colombie 17-21

novembre

Ailincai Rodica Bernard Franccedilois-Xavier Alby Sophie Aligrave Maurizio et

Hidair Isabelle (2014) laquo Eacutetude de la variabiliteacute interactionnelle parentale en

contexte multiculturel et plurilingue raquo Colloque International lsquorsquoCognition

sociale formes dexpression et interculturaliteacutersquorsquo Universiteacute de Sfax -

Association internationale pour la recherche interculturelle (ARIC) Sfax

Tunisie 27-29 octobre

Aligrave Maurizio et Ailincai Rodica (2014) laquo Child Development in Post-Colonial

Contexts Educational Change and Ethnic Transfiguration in a French Guiana

Wayana-Apalaiuml Indigenous Community raquo INTE2014 ndash International

Conference on New Horizons in Education Paris France 25-27 juin

Aligrave Maurizio (2014) laquo Comunicacioacuten para la Paz y Derechos de los Pueblos

Autoacutectonos una Aproximacioacuten Antropoloacutegica raquo Seacuteminaire lsquorsquoDerechos

Humanos y Conflictividadrsquorsquo Haut Commissariat des Nations Unies pour les

Droits Humains ndash FLACSO - PDH - Intrapaz Ciudad de Guatemala Guatemala

18-20 feacutevrier

7

Ali Maurizio et Ailincai Rodica (2013) laquo Learning and Growing in

indigenous Amazonia The Education System of French Guiana Wayana-

Apalai communities raquo INTE2013 ndash International Conference on New

Horizons in Education Rome Italie 25-27 juin

Aligrave Maurizio (2013) laquo De lrsquoapprentissage en famille agrave la scolarisation

reacutepublicaine Lrsquoenjeu ethnique en Guyane et en Polyneacutesie raquo DOCTORIALES

2013 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 23-25 avril

Posters preacutesenteacutes lors des Doctoriales de lrsquoUniversiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise

Aligrave Maurizio (2016) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deux cas drsquoeacutetude en Guyane et en Polyneacutesie franccedilaise raquo

DOCTORIALES 2016 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 9-11

mai

Aligrave Maurizio (2015) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deacuteveloppement de lrsquoenfant et formation sociale agrave Hiva Oa

Polyneacutesie franccedilaise raquo DOCTORIALES 2015 Universiteacute de la Polyneacutesie

franccedilaise Faarsquoa Tahiti 5-7 mai

Aligrave Maurizio (2014) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deacuteveloppement de lrsquoenfant et formation sociale chez les

Wayana-Apalaiuml de la Guyane franccedilaise raquo DOCTORIALES 2014 Universiteacute de

la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 14-16 avril

Aligrave Maurizio (2012) laquo De lrsquoapprentissage en famille agrave la scolarisation

reacutepublicaine Lrsquoenjeu ethnique en Guyane et en Polyneacutesie raquo DOCTORIALES

2012 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 25-27 avril

Rapports de missions

Aligrave Maurizio (2015) laquo De lrsquoapprentissage en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deux cas drsquoeacutetude en Guyane et en Polyneacutesie raquo Rapport pour la

Direction geacuteneacuterale des patrimoines - Deacutepartement du pilotage de la

8

recherche et de la politique scientifique Paris Ministegravere de la Culture et de

la Communication (82 pp)

Aligrave Maurizio (2013) laquo A typical expat family French teachers in the Guiana

jungle raquo Rapport pour McCann Truth Central Londres EMEA (36pp)

Aligrave Maurizio (2013) laquo A typical post-modern indigenous family A wayana

clan in French Guiana raquo Rapport pour McCann Truth Central Londres EMEA

(32pp)

9

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS 13

PREMIERE PARTIE EacuteDUCATION CULTURE AUTOCHTONIE UN PARCOURS

CONCEPTUEL 18

Introduction 19

1 Pourquoi eacutetudier lrsquoeacuteducation des peuples autochtones 22

12 Lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation une science en construction 25

13 Au-delagrave de la parenteacute et de la famille les premiegraveres observations des pratiques

eacuteducatives 28

14 La fragmentation de la discipline 37

2 Qursquoest-ce que lrsquoeacuteducation 41

21 Le fait eacuteducatif une interaction dynamique 49

22 Ideacuteologies symboles et systegravemes lrsquounivers social de lrsquoeacuteducation 53

3 Eacuteducation et culture essai sur la quadrature du cercle 60

31 De la parenteacute agrave la culture agrave lrsquoorigine du deacuteveloppement humain 64

32 Culture et transmission de la culture une architecture sociale du savoir 67

4 De la culture au patrimoine (et inversement) 72

41 La culture entre transmission et patrimonialisation 76

42 Eacuteducation et socieacuteteacute la question de lrsquoautochtonie 83

5 Culture et autochtonie 93

51 Autochtonie indigeacuteneacuteiteacute ethniciteacute et racisme une biopolitique de lrsquoalteacuteriteacute 98

52 Lrsquoimbroglio ethnique et lrsquoinvention de la tradition 103

6 Lrsquoidentiteacute agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoassimilation 113

61 Multiculturalisme et interculturaliteacute synonymes ou contraires 114

62 Des cateacutegories dynamiques pour penser la culture 119

Synthegravese de la premiegravere partie 127

DEUXIEME PARTIE SUR LE TERRAIN INTERACTIONS ET IDEOLOGIES EDUCATIVES

CHEZ LES WAYANA-APALAIuml ET LES ENATA AUTOCHTONES DE LA REPUBLIQUE 129

10

Introduction agrave la deuxiegraveme partie 130

7 Meacutethodologie du recueil drsquoinformations 134

71 Le terrain et lrsquounivers drsquoeacutetude 135

72 Lrsquoanalyse eacutecosysteacutemique agrave lrsquoeacutepreuve du terrain 144

73 Comprendre les interactions eacuteducatives 145

74 Performances parentales et ideacuteologies eacuteducatives 149

75 Consideacuterations eacutethiques 153

8 Les terrains de recherche 157

81 Les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata situation geacuteographique donneacutees ethno-

historiques et aspects sociologiques 158

811 Situation postcoloniale et inteacutegration nationale 165

812 Une scolarisation reacutepublicaine pour les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo 172

82 Les Enata de Hiva Oa situation geacuteographique donneacutees ethno-historiques et aspects

sociologiques 179

821 Le projet colonisateur conversion et scolarisation des Marquisiens 186

822 Entre localismes et globalismes revendications culturelles et patrimonialisation du

territoire 191

9 Les eacutecosystegravemes eacuteducatifs espaces domestiques reacuteseaux de parenteacute et vie

communautaire 200

91 Les microsystegravemes de socialisation agrave Antecume pata 200

911 La laquo maisonneacutee raquo ameacuterindienne 202

912 Le village et lrsquoeacutecole 209

92 Les microsystegravemes de socialisation agrave Hiva Oa 216

921 Famille nucleacuteaire et famille eacutelargie 219

922 Les eacuteglises lrsquoeacutecole et les organisations locales 223

10 Mesurer les interactions eacuteducatives les rythmes parentaux 229

101 La famille est le village parentaliteacute et vie communautaire chez les Wayana-Apalaiuml

230

102 Un espace domestique permeacuteable famille eacutecole religion et culture agrave Hiva Oa 240

103 Meacutetropole et Outre-mer comparer laquo lrsquointensiteacute raquo des interactions eacuteducatives 246

11 Les performances eacuteducatives styles parentaux et strateacutegies peacutedagogiques 252

111 Une parentaliteacute agrave lrsquoeacutepreuve de la laquo moderniteacute raquo les logiques eacuteducatives chez les

Wayana-Apalaiuml 256

112 Pratiques eacuteducatives agrave Hiva Oa une autochtonie accultureacutee 264

113 Lrsquointeraction eacuteducative en France meacutetropolitaine quelques donneacutees utiles agrave la

comparaison 267

11

12 Les ideacuteologies eacuteducatives autochtones lrsquoidentiteacute culturelle au service de lrsquoeacutecosystegraveme

274

121 Eacuteduquer et apprendre dans la forecirct amazonienne eacutecosophie et deacuteveloppement de

lrsquoenfant wayana-apalaiuml 277

122 La notion de reacuteussite chez les Enata de lrsquoenfant-roi agrave lrsquoenfant multidimensionnel 283

123 Lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie dynamiques drsquoassimilation culturelle et reacuteponses

adaptatives 290

Synthegravese de la deuxiegraveme partie 294

TROISIEME PARTIE LrsquoAPPROPRIATION INSTITUTIONNELLE DE LA QUESTION

EDUCATIVE ESSAI CONCLUSIF SUR LA BANALITE DU MAL 296

Introduction agrave la troisiegraveme partie 297

13 Ideacuteologies eacuteducatives et logiques drsquoorganisation sociale 302

131 Apprendre capturer produire la logique preacutedatrice de la moderniteacute 305

132 Reacuteussite scolaire et reacuteussite sociale la difficile quadrature du cercle 307

14 La scolarisation dans lrsquoOutre-mer lrsquoillusion de lrsquoascenseur social 312

141 De retour au village la difficile inteacutegration des laquo autochtones diplocircmeacutes raquo 319

142 Lrsquoeacutecole du troisiegraveme milleacutenaire forge de citoyens ou fabrique de professionnels 321

15 Reformuler les politiques eacuteducatives de laquo lrsquoindiffeacuterence aux diffeacuterences raquo agrave la prise en

compte des particulariteacutes locales 325

151 Obstacles structurels 328

152 Obstacles ideacuteologiques 335

16 Enquecircter lrsquoeacuteducation enquecircter lrsquoethniciteacute 342

161 Une question de meacutethode 346

162 Plaidoyer pour une anthropologie de lrsquoeacuteducation laquo agrave la franccedilaise raquo 350

17 Conclusion et perspectives 358

171 Reacutesultats attendus initialement 361

172 Reacutesultats obtenus 364

173 Pistes pour la recherche 368

Synthegravese de la troisiegraveme partie 371

BIBLIOGRAPHIE 374

TABLE DES FIGURES 422

12

Lrsquohomme ne peut devenir homme que par lrsquoeacuteducation

[Immanuel Kant 1776 98]

13

AVANT-PROPOS

Introduire un travail de recherche nrsquoest pas simple Loin des prioriteacutes eacutetablies

par les politiques de la recherche scientifique ndash lesquelles traduisent souvent des

prioriteacutes proprement politiques ndash mes eacutetudes ont toujours eacuteteacute inspireacutees par le

contact humain avec des reacutealiteacutes qui stimulent ma curiositeacute et qui me semblent

meacuteriter drsquoecirctre eacutetudieacutees Cette thegravese est eacutegalement neacutee dans le cadre drsquoune

expeacuterience humaine ndash la mienne ndash que jrsquoai voulu laquo encadrer raquo selon un proceacutedeacute

scientifique

Lrsquoorigine de cette entreprise nrsquoa donc rien de scientifique mea culpa Apregraves

avoir travailleacute laquo sur le terrain raquo pendant pregraves de vingt ans ndash drsquoabord en tant que

journaliste puis depuis une dizaine drsquoanneacutees en tant qursquoanthropologue ndash sur les

conflits (ce qui mrsquoa ameneacute presque sans mrsquoen rendre compte agrave passer une bonne

partie de ma vie dans des contextes ougrave la violence et lrsquoinjustice eacutetaient largement

mobiliseacutees) en 2011 jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de mrsquoinstaller dans un village ameacuterindien

ougrave mes premiers contacts ont eacuteteacute avec des enfants Apregraves avoir passeacute du temps agrave

observer et agrave analyser les disputes je me suis dit que jrsquoavais finalement la possibiliteacute

de changer de perspective et de me tourner vers un laquo sujet drsquoeacutetude raquo diffeacuterent Les

enfants me faisaient penser agrave lrsquoinsouciance au jeu agrave la liberteacute en un mot agrave la paix

Crsquoest agrave partir de cette perspective un peu naiumlve que jrsquoai fait mes premiers pas dans

cette recherche qui est agrave preacutesent devenue ma thegravese de doctorat

La rencontre fortuite et heureuse avec certains chercheurs qui srsquooccupaient

de lrsquoeacuteducation informelle dans les communauteacutes autochtones mrsquoa motiveacute agrave

14

poursuivre mes recherches dans ce domaine et agrave observer comment les familles

formaient les plus jeunes membres de leur groupe Cependant la reacutevision de la

litteacuterature scientifique sur le sujet mrsquoa montreacute que drsquoautres chercheurs mrsquoavaient

preacuteceacutedeacute et il ne me semblait pas rester beaucoup drsquoespace pour deacutevelopper des

observations originales et capables drsquoapporter du nouveau au discours

anthropologique Toutefois si les reacutealiteacutes sociolinguistiques des laquo peuples

ethniques raquo semblaient jouir drsquoune grande attention de la part des chercheurs les

eacutetudes traitant des speacutecificiteacutes et des conduites eacuteducatives au sein de la famille dans

les communauteacutes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais eacutetaient beaucoup moins

nombreuses

De plus lrsquoanalyse des textes classiques sur la vie quotidienne des enfants

dans diffeacuterentes parties du globe mrsquoa montreacute que la plupart des observateurs

utilisait une approche laquo photographique raquo capable de deacutecrire le hic et nunc des

situations observeacutees mais sans aucune relation avec le contexte historique dans

lequel elles eacutetaient immergeacutees Les communauteacutes qui servaient de laquo sujet drsquoeacutetude raquo

ressemblaient souvent agrave des reacutealiteacutes isoleacutees dans lesquelles les performances

humaines se reacutepeacutetaient immuablement depuis la nuit des temps laquo parce qursquoil en a

toujours eacuteteacute ainsi raquo

Finalement ce balayage bibliographique mrsquoa permis de conclure que bien

que des observations aient eacuteteacute reacutealiseacutees peu drsquoentre elles prenaient en compte tous

les facteurs de lrsquoeacutequation qui soutenait mon hypothegravese initiale selon laquelle

lrsquoeacuteducation des peuples autochtones inteacutegreacutes aux Eacutetats nationaux devrait ecirctre

interpreacuteteacutee en tant que processus de transmission des donneacutees culturelles lieacutees agrave un

15

paysage naturel et social deacutetermineacute encadreacute par une dynamique laquo historique raquo

postcoloniale soit le processus drsquoeacutemancipation identitaire et politique des peuples

ou des Eacutetats coloniseacutes ou anciennement coloniseacutes et soumis agrave la pression exerceacutee

par des forces exogegravenes laquo glocales1 raquo notamment les impeacuteratifs imposeacutes par

lrsquoeacuteconomie de marcheacute

Il mrsquoa alors sembleacute possible de contribuer agrave alimenter le deacutebat en proposant

une eacutetude monographique sur laquo lrsquoeacuteducation chez les autochtones raquo en observant ce

pheacutenomegravene en tant que dynamique ndash adaptative creacuteative ou transfiguratrice ndash agrave

partir drsquoune perspective laquo panoramique raquo en la mettant en relation avec la reacutealiteacute

globale et avec les transformations imposeacutees par les politiques nationales

drsquointeacutegration sociale (citoyenne et scolaire) des plus jeunes membres de leurs

communauteacutes

Cette recherche se propose donc de contribuer agrave ce champ drsquoeacutetudes au moyen

drsquoun travail de terrain de longue dureacutee visant agrave eacutetudier et agrave comparer les styles

eacuteducatifs des familles autochtones agrave partir de deux cas hautement significatifs agrave

propos desquels il existe des lacunes eacutevidentes dans la litteacuterature scientifique les

Ameacuterindiens appartenant agrave lrsquoethnie Wayana-Apalaiuml en Guyane et les Enata

autochtones de lrsquoicircle de Hiva Oa dans lrsquoarchipel des Marquises en Polyneacutesie

franccedilaise2 Il srsquoagit lagrave de deux communauteacutes qui habitent dans des sites tregraves isoleacutes et

1 Ce mot-valise est un neacuteologisme indiquant les pheacutenomegravenes capables de mettre en relation les eacutechelles globales et locales

2 Pour faciliter la lecture et par commoditeacute de langage cette deacutesignation geacuteographique sera souvent

reacuteduite agrave laquo Polyneacutesie raquo Par ailleurs il srsquoagit de la deacutesignation adopteacutee par beaucoup de Polyneacutesiens

16

qui ont fascineacute plusieurs geacuteneacuterations de voyageurs explorateurs artistes ainsi que

des hommes et femmes de science Elles font deacutesormais partie de lrsquoimaginaire

geacuteographique national drsquoun cocircteacute la forecirct amazonienne et de lrsquoautre les icircles des Mers

du Sud drsquoun cocircteacute lrsquoenfer vert et de lrsquoautre le paradis bleu Jrsquoai choisi deux terrains

drsquoeacutetude organiseacutes de maniegravere diffeacuterente au niveau institutionnel puisque la Guyane

est inteacutegreacutee agrave lrsquoEacutetat en tant que Deacutepartement tandis que la Polyneacutesie est une

Collectiviteacute qui administre certaines compeacutetences de faccedilon autonome comme

lrsquoeacuteducation Lrsquoobjectif eacutetait alors de comparer deux contextes territoriaux diffeacuterents

tout en eacutetant deacutependants drsquoune mecircme puissance coloniale la France

Les pages qui suivent sont organiseacutees en trois parties La premiegravere est deacutedieacutee

agrave la preacutesentation du cadre conceptuel que jrsquoai deacuteveloppeacute agrave partir de mon hypothegravese

de deacutepart au deacutebat autour de certaines repreacutesentations que lrsquoanthropologie srsquoest

faite de lrsquoenfance et de lrsquoeacuteducation ainsi qursquoagrave la deacuteconstruction de certaines notions

qui bien que largement utiliseacutees dans lrsquoanalyse anthropologique peuvent geacuteneacuterer

des malentendus en raison de leur manque de neutraliteacute La deuxiegraveme partie est

centreacutee sur lrsquoanalyse comparative des donneacutees recueillies sur le terrain en Guyane

et en Polyneacutesie dans le but de deacutecrire les pratiques eacuteducatives parentales des

familles avec lesquelles jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de travailler La troisiegraveme partie

conclusive propose une discussion des reacutesultats de mon travail ethnographique agrave

ndash et Marquisiens ndash qui ne se reconnaissent pas dans laquo lrsquoidentiteacute franccedilaise raquo Cependant le terme ne

fait pas lrsquounanimiteacute la question de lrsquoappellation territoriale en tant que repreacutesentation symbolique

drsquoune identiteacute nrsquoest pas anodine et peut facilement se trouver agrave lrsquoorigine de controverses et de

querelles comme on le verra plus en deacutetail dans les pages qui suivent

17

partir de la perspective grand-angulaire que jrsquoai mentionneacutee auparavant pour

deacutemontrer que lrsquoeacuteducation familiale est un processus interactif destineacute agrave former des

membres drsquoune communauteacute agrave partir de certaines consideacuterations laquo locales raquo

fortement ancreacutees dans le panorama naturel et social mais qui dans des contextes

postcoloniaux peut ecirctre fragiliseacute par certains choix politiques faits laquo drsquoen haut raquo

dans le but de preacuteserver lrsquouniteacute de la nation ou de deacutevelopper le potentiel

eacuteconomique des laquo cultures locales raquo

Finalement jrsquoespegravere que mon effort pourra contribuer agrave alimenter le deacutebat

autour de cette theacutematique et apporter des eacuteleacutements drsquoanalyse concrets pour les

organismes concerneacutes par lrsquoeacuteducation et la preacuteservation du patrimoine culturel

franccedilais dans toute sa diversiteacute

18

PREMIERE PARTIE EacuteDUCATION CULTURE AUTOCHTONIE UN PARCOURS

CONCEPTUEL

19

Introduction

Lrsquoe tude comparative de lrsquoe ducation informelle dans deux communaute s

autochtones qui peuplent des territoires isole s de lrsquoOutre-mer franccedilais est un travail

qui mrsquoa oblige tout au long de sa re alisation a utiliser des cate gories analytiques qui

semblent parfois auto-e videntes Cependant comme lrsquoe crivait justement Ambrose

Bierce ce qui semble auto-e vident est bien souvent laquo e vident pour une seule

personne a lrsquoexclusion de toute autre raquo (Bierce 1911 27)

Le fait que cette e tude parte drsquoune observation ethnographique drsquoun

processus e ducatif dans le but de contribuer ndash avec des donne es recueillies sur le

terrain ndash au de bat public sur le ro le de la famille dans lrsquoe ducation des enfants et a

celui sur la reconnaissance du ro le des autochtones dans la gestion de leur culture

mrsquoa souvent oblige a des acrobaties conceptuelles pour trouver un terrain drsquoentente

entre toutes les disciplines qui confluent vers ce sujet

Bien que lrsquoapproche transdisciplinaire mrsquoait permis drsquoe viter certains

laquo sectarismes raquo me thodologiques qui encore aujourdrsquohui se parent les sciences

sociales (et qui cre ent des relations univoques entre une me thodologie et une

discipline de sorte que puisque je travaille a partir des observations sur le terrain

je ne peux faire que de lrsquoanthropologie) malheureusement les disciplines sociales

continuent a utiliser des laquo cadres conceptuels raquo qui leur sont propres et qui ne sont

20

pas toujours cohe rents avec ceux des autres disciplines Des concepts comme laquo la

culture raquo laquo lrsquoe ducation raquo laquo lrsquoautochtonie raquo laquo lrsquoethnie raquo laquo la nation raquo ou laquo le

patrimoine raquo acquie rent un sens tre s diffe rent selon qursquoon les de crit a partir du point

de vue de lrsquoanthropologue du politologue ou du chercheur en sciences de

lrsquoe ducation

Jrsquoai donc conside re ne cessaire de consacrer cette premie re partie au dialogue

entre les notions et les ide es qui seront re gulie rement utilise es dans cette the se

dans le but de les analyser de de montrer qursquoil est parfois possible de trouver des

de finitions laquo transdisciplinaires raquo et finalement drsquoexpliquer les raisons qui mrsquoont

pousse a en pre fe rer certaines et a en e viter drsquoautres Cette discussion conceptuelle

se compose de six chapitres le premier vise a de crire lrsquoapproche ge ne rale a partir

de laquelle jrsquoanalyserai les concepts basiques qursquoon discutera dans les chapitres

suivants et a reconstruire une histoire du regard de lrsquoanthropologie sur lrsquoe ducation

autochtone le deuxie me se focalise sur la question de lrsquoe ducation et son aspect a la

fois interactif ide ologique et symbolique le troisie me analyse le ro le de la

transmission de la culture a partir des apports offerts par certains domaines

scientifiques parfois de laisse s par les anthropologues tels la pale oanthropologie et

la psychologie cognitive le quatrie me est de die a laquo de construire raquo les notions

classiques de culture et de patrimoine pour en de celer la charge symbolique et

politique le cinquie me est centre sur les discours identitaires qui construisent la

notion drsquoautochtonie et ses laquo faux amis raquo a savoir lrsquoethnie et la nation le sixie me

aborde finalement la question de lrsquoacculturation et de lrsquoassimilation pour de crire des

21

cate gories dynamiques qui pourront nous aider a mieux comprendre les

phe nome nes lie s au multiculturalisme et a lrsquointerculturalite

22

1 Pourquoi eacutetudier lrsquoeacuteducation des peuples autochtones

Agrave partir du XIXegraveme siegravecle la pratique eacuteducative qui avait traditionnellement

eacuteteacute confieacutee agrave la laquo sagesse populaire raquo aux usages locaux ou aux meacutethodes propres agrave

chaque eacuteducateur est devenue un domaine drsquoeacutetude agrave part entiegravere Toutefois les

premiers travaux scientifiques sur le processus eacuteducatif eacutetaient baseacutes ndash comme on

le verra dans les pages suivantes ndash sur des observations informelles qui ne laissaient

guegravere drsquoespace agrave une analyse rigoureuse de donneacutees mesurables ou veacuterifiables et

qui devaient donc se limiter agrave de simples speacuteculations sur les normes agrave suivre pour

eacuteduquer les enfants et plus important encore sur des conseils concernant la

maniegravere drsquoexercer lrsquoautoriteacute parentale

Cependant les ide es et les orientations sur lrsquoe ducation des enfants en a ge

scolaire qui se sont diffuse es entre le XIXe me et le XXe me sie cle et qui ont modele les

syste mes drsquoinstruction globaux a partir du prototype occidental sont aujourdrsquohui

remises en cause un peu partout par une nouvelle approche laquo de coloniale3 raquo qui a

e te capable de rendre visible leurs limites en mettant en e vidence la varie te des

3 Cette approche vise agrave expliquer certains pheacutenomegravenes sociaux actuels agrave partir de lrsquoanalyse critique

de lrsquohistoire sociale politique et eacuteconomique des territoires qui ont fait partie dans le passeacute des

empires coloniaux europeacuteens

23

dimensions culturelles qui jusqursquoa un passe tre s re cent nrsquoe taient pas prises en

conside ration par le monde de la recherche et par les administrations scolaires

Certaines the matiques comme lrsquoe ducation aux normes ou aux re gles de vie

interpellent parents e ducateurs et enseignants ce qui ne devrait pas nous

surprendre si nous tenons compte de la difficulte a trouver des crite res communs

dans un monde devenu laquo multidimensionnel raquo et dans lequel cohabitent et se

juxtaposent des syste mes institutionnels et des formes drsquoorganisation sociale de

niveaux local national et supranational La pre sence dans les me mes

environnements e ducatifs drsquoenfants avec des origines culturelles diffe rentes

constitue un autre de fi aux dogmatismes ndash souvent implicites ndash qui orientent lrsquoaction

e ducative dans la famille et a lrsquoe cole et que chaque culture tend a supposer comme

absolus et universels

11 Le regard anthropologique sur lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie

Selon Robert LeVine et Rebecca New (2008) depuis ses origines la recherche

anthropologique sur lrsquoenfance a vise principalement les mode les e ducatifs drsquoEurope

et drsquoAme rique du Nord et la majorite des travaux scientifiques dans le domaine ne

concernent que les syste mes de transmission culturelle des pays industrialise s ou

en voie drsquoindustrialisation dans lesquels vivent moins de 10 des enfants du

monde Il srsquoagit la drsquoune donne e qui ne devrait pas nous surprendre et ce pour une

double raison si drsquoun co te les anthropologues ont traditionnellement pre fe re ndash a

24

quelques exceptions pre s ndash le monde des adultes a lrsquounivers de lrsquoenfance4 drsquoun autre

co te les chercheurs inte resse s par les proble mes du de veloppement de lrsquoenfant ndash

majoritairement rattache s a des universite s ou a des centres de recherche europe ens

ou nord-ame ricains ndash ont tre s souvent pre fe re travailler dans des contextes

ge ographiquement proches en raison des contraintes logistiques que pose la

recherche sur lrsquoenfance (LeVine 2007)

Du fait de ce relatif manque drsquointe re t les ide es croyances principes et

dogmes qui ont laquo construit raquo le savoir occidental et laquo moderne raquo sur lrsquoenfance nrsquoont

que tre s rarement donne lieu a la comparaison interculturelle et a la re flexion

dialogique qui caracte rise lrsquoanthropologie contemporaine (Mantovani 2009) Plus

particulie rement les formes et les e tapes du de veloppement des enfants ainsi que

les soins et lrsquoactivite e ducative re alise s par les parents les autres membres de la

famille et les pairs ndash qui se traduisent en habitudes et routines quotidiennes en

4 Lawrence Hirshfeld (2002) a analyseacute le problegraveme dans un article paru dans la revue American

Anthropologist qui avec le temps est devenu une reacutefeacuterence dans le domaine des eacutetudes sur lrsquoenfance

et qui portait un titre volontairement poleacutemique laquo Why donrsquot anthropologists like children raquo

(Pourquoi les anthropologues nrsquoaiment pas les enfants ) Agrave partir de la reacuteflexion de Hirshfeld drsquoautres

anthropologues ont continueacute au deacutebat autour des raisons qui ont fait de lrsquoenfance un domaine drsquoeacutetude

eacuteviteacute par les scientifiques sociaux Selon David Lancy par exemple les difficulteacutes surgissent du fait

qursquoil srsquoagisse drsquoun terrain de recherche limiteacute par le laquo pouvoir de veto raquo (une expression qursquoil

emprunte agrave Robert LeVine et Karin Norman 2001) de certaines disciplines comme la psychologie

cognitive ou la psychopeacutedagogie qui se considegraverent comme les veacuteritables deacutepositaires de la

recherche lieacutee agrave lrsquoenfance (Lancy 2012 Une premiegravere eacutebauche de cette reacuteflexion est preacutesenteacutee dans

Lancy 2008)

25

attentes autour des possibilite s et des obligations des enfants en gestes jeux

conversations et activite s a travers lesquels les adultes transmettent et les enfants

apprennent ce que leur environnement attend drsquoeux ndash ne sont sujet a de bat dans le

milieu acade mique que lorsqursquoon a lrsquooccasion de de couvrir qursquoil existe des mode les

diffe rents Or tre s souvent apre s les avoir observe es et interpre te es on se rend

compte que ces strate gies laquo autres raquo re ve lent des mode les de formation efficaces

pour permettre le de veloppement de lrsquoenfant dans le contexte ou il vit et pour

remettre en cause les strate gies e ducatives les plus en vogue (Goldstein 1998)

12 Lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation une science en construction

Lrsquoanthropologie de lrsquoe ducation un champ disciplinaire e mergent a contribue

a construire et a alimenter lrsquoe tude des formes locales de parente de parentalite de

formation des enfants et drsquoe ducation a la socialite (Claes et al 2008) Les recherches

dans ce domaine ont permis de connaicirc tre les sche mas qui re gissent les structures

familiales et communautaires locales en essayant de comprendre les me canismes

qui leur assignent une validite pe dagogique Les travaux ethnographiques classiques

ont souligne les diffe rents ro les que jouent les parents les familles les communaute s

et les institutions sociales (parmi lesquelles il y a lrsquoe cole) contribuant a la

compre hension anthropologique de cette expe rience si humaine qursquoest la

transmission des savoirs aux nouvelles ge ne rations Cependant srsquoil est vrai ndash comme

nous le verrons dans le prochain chapitre ndash que la dynamique e ducative est

consubstantielle a notre humanite il est tout aussi vrai que les formes a travers

lesquelles elle se manifeste diffe rent drsquoune communaute a une autre et que chaque

26

groupe humain utilise des strate gies de transmission culturelle adapte es a son

propre contexte

Voici donc la caracte ristique la plus importante de lrsquoanthropologie de

lrsquoe ducation qui a la diffe rence de lrsquoanthropologie cognitive5 est une science voue e a

la comparaison dans le but de de crire et de comprendre les diffe rentes strate gies

gra ce auxquelles dans des cultures diffe rentes les re seaux de parente et les

institutions e ducatives poursuivent lrsquoobjectif universel de former les enfants a faire

laquo le bien le beau le juste raquo tout en suivant les constantes culturelles de leur groupe

social

Cependant si dans les contextes e ducatifs formels comme lrsquoe cole ou la

formation continue il est relativement facile drsquoe tudier et drsquoexpe rimenter des

mode les diffe rents il est bien plus difficile de mettre en perspective et de

questionner les routines et les pratiques e ducatives des contextes informels

lrsquoallaitement le sevrage les pratiques disciplinaires lrsquoe ducation morale la

socialisation lrsquoapprentissage du langage les formes de protection les jeux et autres

activite s libres les relations interge ne rationnelles ou encore les responsabilite s et

les ta ches domestiques re serve es aux enfants

5 Lrsquoanthropologie cognitive est consideacutereacutee comme un domaine de la recherche plus proche de la

psychologie eacutevolutionniste que de lrsquoanthropologie sociale et culturelle Il srsquoagit drsquoune approche qui a

pris forme et srsquoest diffuseacutee agrave partir de la fin des anneacutees 1960 et qui eacutetudie les dispositifs cognitifs

universels qui organisent et orientent le deacuteveloppement des cultures humaines (Tyler 1969 Voir

aussi Dortier 2004)

27

Les anthropologues qui se sont consacre s a lrsquoe tude des dynamiques que je

viens de mentionner ont donc du prendre en conside ration non seulement les

opportunite s offertes par le travail ethnographique ndash comme outil fondamental de

recueil des donne es sur le terrain ndash mais aussi toute une se rie de connaissances

savoir-faire et compe tences de rive es drsquoautres domaines scientifiques et qui e taient

tre s rarement pris en compte par leurs colle gues davantage inte resse s par les

aspects socio-culturels laquo purs raquo Je pense par exemple aux apports de la psychologie

(et notamment de la psychologie du de veloppement la psychologie cognitive la

psychope dagogie et la psychologie culturelle et sociale) et de la sociologie (de la

famille de la parente et de lrsquoe ducation mais aussi des organisations) qui ont autorise

une laquo contamination raquo disciplinaire Cette transdisciplinarite a a son tour permis de

de passer lrsquoopposition ste rile entre les me thodes qualitatives et quantitatives et

drsquoillustrer la diversite des contextes e tudie s gra ce a une ve ritable perspective

interculturelle et a une re flexion me thodologique sophistique e6 qui a su prendre en

conside ration des sujets drsquoe tude laquo difficiles raquo (les enfants dans le cadre de leur vie

domestique et communautaire) et le ro le ndash encore plus difficile ndash de lrsquoethnographe

oblige de re aliser ses observations tout en e tant doublement e tranger

premie rement en tant que repre sentant drsquoune culture laquo autre raquo et deuxie mement du

fait de son a ge adulte

6 Comme dans les travaux de Melford Spiro et Audrey Spiro (1958) de Sara Harkness et Charles Super

(1977) de Melvin Konner (1977) drsquoEdward Tronick Gilda Morelli et Steve Winn (1987) de Barry

Hewlett (1992) ou de Rebecca New (1994) pour ne citer que quelques exemples paradigmatiques

28

13 Au-delagrave de la parenteacute et de la famille les premiegraveres observations des

pratiques eacuteducatives

De s ses de buts la recherche transculturelle sur lrsquoenfance a de fie la manie re

dont nous ndash membres de la socie te laquo occidentale raquo citoyens de nations

industrialise es et a fort revenu ndash conceptualisons lrsquoenfance Ce travail a permis de

de couvrir des conditions et des re sultats auxquels les laquo experts raquo europe ens et nord-

ame ricains ne srsquoattendaient ge ne ralement pas

Rappelons-nous que lrsquointe re t scientifique pour le monde de lrsquoenfance a

e merge autour de la deuxie me moitie du XIXe me sie cle en paralle le a la publication

des premie res œuvres litte raires avec des enfants comme protagonistes Les travaux

critiques de Marina Bethlenfalvay (1979) et de Virginie Prioux (2010) nous

montrent que les romanciers ndash romantiques ou naturalistes ndash de cette e poque

aimaient a repre senter lrsquoenfance comme la pe riode de lrsquoinnocence et les enfants

comme des victimes potentielles de lrsquoexploitation et de lrsquoabandon7 Gra ce a des

œuvres destine es au grand public comme Oliver Twist de Charles Dickens Alice au

pays des merveilles de Lewis Carroll Sans Famille de Hector Malot Franccedilois le bossu

de la Comtesse de Se gur La Petite Princesse de Frances Hodgson Burnett Les Quatre

Filles du docteur March de Louise May Alcott ou Poil de Carotte de Jules Renard la

7 Un exemple inteacuteressant est le personnage de David Copperfield ndash protagoniste du chef drsquoœuvre

homonyme de Charles Dickens ndash lequel se souvenant de la cruauteacute de son beau-pegravere srsquoeacutecriait laquo Je

nrsquoavais ni guide ni conseil aucun encouragement et aucune consolation pas le moindre soutien de

quiconque rien que je puisse me rappeler raquo (Dickens 1849 36)

29

litte rature du XIXe me sie cle a forge une repre sentation ide alise e et ste re otype e de

lrsquoenfant comme un e tre fragile et a pre server (Seveno-Gheno 2001) Crsquoest a cette

e poque-la que sont apparues les toutes premie res initiatives de protection de

lrsquoenfance visant a affranchir les enfants du travail nocturne et manuel les

le gislateurs europe ens et nord-ame ricains ont introduit les premie res normes sur la

scolarisation obligatoire les e ducateurs ont cre e les kindergarten (les jardins pour

enfants) pour faire face a lrsquoe ducation de la premie re enfance et de manie re ge ne rale

la pre occupation ndash plus sentimentale que scientifique ndash envers le bien-e tre des plus

petits est devenue une affaire courante et un argument constant des de bats ayant

cours dans les milieux bourgeois et aristocratiques des pays industrialise s

Cependant peu de travaux de recherche visant a laquo comprendre raquo les enfants et leurs

besoins spe cifiques ont e te re alise s tre s probablement a cause du relatif manque

drsquointe re t affiche par la communaute scientifique internationale8 Il faut attendre la

fin du XIXe me sie cle et surtout la publication des premiers travaux de Sigmund

Freud9 pour que les premie res e tudes et enque tes sur la vie de lrsquoenfant voient le jour

8 Agrave la notable exception de certains travaux dans le domaine de la meacutedecine et de lrsquoeacutepideacutemiologie

dans lesquels les enfants eacutetaient analyseacutes en tant que veacuteritables laquo sujets drsquoeacutetude raquo notamment dans

le champ de la recherche sur les vaccins (comme ceux du meacutedecin anglais Edward Jenner et du

biologiste franccedilais Louis Pasteur) Crsquoest agrave cette eacutepoque-lagrave que les premiegraveres chaires de peacutediatrie mais

aussi les premiegraveres eacutetudes sur la santeacute et lrsquohygiegravene des enfants ont eacuteteacute inteacutegreacutees dans les universiteacutes

europeacuteennes

9 Les eacutetudes du fondateur de la psychanalyse ont permis de voir la premiegravere enfance ndash en tant que

peacuteriode exposeacutee agrave lrsquoinfluence du contexte familial ndash sous un autre jour ainsi que de mettre en lumiegravere

le rocircle de cette derniegravere dans le deacuteveloppement psychologique des ecirctres humains entre autres en

30

Bien que le premier travail a caracte re anthropologique sur lrsquoenfance ait e te

publie en 1912 par Franz Boas cet e crit rele ve davantage drsquoune laquo spe culation de

salon raquo que du re sultat drsquoune enque te ethnographique base e sur des donne es

concre tes (Boas 1912) Dans ce travail le pe re de lrsquoanthropologie ame ricaine ndash et

auteur des remarquables monographies sur la vie des Inuits de lrsquoI le de Baffin et sur

les Kwakiutl de la Columbia Britannique ndash pre sente sa the orie sur la plasticite des

laquo types raquo humains a partir de ses observations sur la croissance physique des enfants

des immigrants europe ens aux E tats-Unis Il srsquoagit la de lrsquoun de ses travaux les plus

critique s en raison de certaines conclusions qursquoil expose et qui semblent e tre

contamine es par des principes de rive s de lrsquoe volutionnisme social10

tant que peacuteriode pendant laquelle les enfants deacuteveloppent une sexualiteacute speacutecifique geacuteneacutereacutee par les

pulsions de la libido (Freud et Breuer 1895 Freud 1905)

10 Le relativisme culturel et le particularisme historique soutenus par Franz Boas eacutetaient reacutesolument

opposeacutes aux dogmes du darwinisme social Cependant dans ce texte preacutesenteacute dans le cadre de la

Premiegravere Confeacuterence Universelle sur les Races Boas considegravere que laquo entre les Juifs de lrsquoEurope de

lrsquoEst la tecircte de ceux qui sont neacutes en Europe est plus courte que la tecircte de ceux qui sont neacutes en

Ameacuterique Elle est plus large entre ceux qui sont neacutes en Europe plus que celle de ceux qui sont neacutes

en Ameacuterique En mecircme temps ceux qui sont neacutes en Ameacuterique eux sont plus grands raquo ce qui selon

lui deacutemontre son hypothegravese autour de laquo lrsquoindiscutable plasticiteacute des types humains raquo (Boas 1912

101-103) Si dans ce texte Boas ne construit pas une veacuteritable laquo theacuteorie de lrsquoeacutevolution de la race raquo il

est eacutevident que ses ideacutees sur la capaciteacute adaptative du corps humain ndash qui serait capable de se

modifier en lrsquoespace drsquoune geacuteneacuteration pour reacutepondre aux neacutecessiteacutes imposeacutees par lrsquoenvironnement

naturel et social ndash semblent plus proches du darwinisme social que du relativisme culturel

31

Ce travail de Boas peu connu du grand public a cependant influence certains

de ses disciples et plus particulie rement Margaret Mead et Ruth Benedict qui ont

alors mene des enque tes de terrain plus scientifiques ndash et moins spe culatives ndash ayant

contribue a la naissance drsquoun nouveau champ disciplinaire connu comme laquo les

e tudes sur la culture et la personnalite raquo De leur mentor les deux e le ves ont retenu

trois leccedilons importantes lrsquoe tre humain est dote drsquoune laquo plasticite raquo sociale (une

forme de flexibilite psychologique qui lui permet de srsquoadapter a lrsquoenvironnement

social et naturel) la laquo ne ote nie raquo soit lrsquoimmaturite prolonge e ou la conservation de

certains traits enfantins chez les adultes ou les presque-adultes est centrale pour

comprendre le de veloppement humain et finalement les facteurs culturels

influencent le de veloppement psychologique de lrsquoenfant Margaret Mead et Ruth

Benedict ont e galement e te influence es par un autre travail de Boas publie en 1902

dans la prestigieuse revue Science dans lequel lrsquoauteur (qui se base sur certaines

re flexions de veloppe es pendant ses e tudes avec le me decin Rudolf Virchow a Berlin

en 1883) expose sa the orie sur les variations insolites du de veloppement humain

qui peuvent e tre conside re es comme pathologiques dans la perspective drsquoune

culture particulie re mais qui en re alite entrent dans la gamme des variations

laquo acceptables raquo de lrsquoespe ce humaine (Boas 1902)

En 1928 Margaret Mead publie les re sultats de son travail de terrain visant a

observer la vie quotidienne des filles adolescentes dans les icirc les Samoa Le livre qui

en de coule Adolescence agrave Samoa pre face par Franz Boas est devenu lrsquoun des textes

anthropologiques les plus vendus de tous les temps (Mead 1928a) Lrsquoobjectif de

cette monographie nrsquoe tait pas seulement de de crire les pratiques les performances

32

et les rituels lie s a cette tranche drsquoa ge dans un contexte laquo primitif raquo mais surtout de

mettre en discussion le dogme qui associait lrsquoadolescence a des comportements lie s

au tumulte e motif typique de cette pe riode de la vie de lrsquoe tre humain dans le monde

occidental11 Ce nrsquoest donc pas un hasard si lrsquoe dition ame ricaine de lrsquoouvrage avait

pour sous-titre laquo une eacutetude psychologique de la jeunesse primitive agrave lrsquousage de la

civilisation occidentale raquo Son but e tait de reconside rer le de veloppement des enfants

et des adolescents tout en e vitant les ge ne ralisations universelles produites par

certaines visions ethnocentriques Le me me objectif lrsquoa conduite a publier dans la

revue Natural History au cours de la me me anne e un article de crivant le quotidien

des enfants samoans et soulignant les aspects qui srsquoe loignaient le plus des attentes

des parents ame ricains de la classe moyenne (Mead 1928b) Dans cet article

Margaret Mead de crit ses sujets drsquoe tude comme des laquo petits adultes raquo (little adults)

qui contribuent activement a lrsquoe conomie domestique et a la production drsquoaliments

sans laisser aucun doute sur le fait que ses observations de rivent de son point de vu

laquo externe raquo en tant que produit de son appartenance a une culture ndash occidentale et

laquo moderne raquo ndash qui conside re le travail infantile comme intole rable Cependant

Margaret Mead met aussi en e vidence le fait que dans le cadre de leur culture

drsquoorigine les laquo petits adultes raquo samoans bien que charge s de certaines ta ches tre s

physiques et fatigantes restent des enfants et que les parents continuent a les

11 Cette formulation deacuterivait des travaux de Granville Stanley Hall fondateur de la psychologie

infantile en Ameacuterique qui en 1904 a forgeacute et contribueacute agrave la popularisation du terme laquo adolescence raquo

(Hall 1904)

33

conside rer comme tels en les excluant des responsabilite s sociales qui sont propres

aux adultes comme la participation a certaines ce re monies ou rituels

Me me si la laquo scientificite raquo de ces travaux a e te plusieurs fois mise en doute ndash

notamment par des voix tre s e minentes12 ndash ses efforts pour comprendre le ve cu des

enfants et des adolescents nrsquoen e taient pas moins tre s novateurs Margaret Mead a

en effet e te la toute premie re anthropologue a se spe cialiser sur les the mes de

lrsquoenfance et de lrsquoadolescence

Un peu plus tard sa colle gue Ruth Benedict srsquoest inte resse e a ces me mes

the matiques et ses contributions a la diffe rence de celles de Margaret Mead ne sont

pas base es sur un compte-rendu drsquoobservations mene es sur le terrain mais pluto t

sur une analyse anthropologique ndash et plus laquo panoramique raquo ndash des donne es obtenues

par drsquoautres ethnographes afin de repe rer des similitudes et des diffe rences dans les

dynamiques de socialisation infantile mais surtout afin drsquoexaminer les dimensions

12 Agrave propos de sa production scientifique Clifford Geertz eacutecrira laquo une partie est eacutevidemment

superficielle mal penseacutee neacutegligemment argumenteacutee et mecircme irresponsable Une partie est

routiniegravere banale dans le meilleur des cas conjoncturel dans le pire du pur remplissage Une partie

est professionnelle soigneuse une contribution modeste mais concregravete au savoir Et une partie est

extraordinaire reacutevolutionnaire au moment ougrave elle fut eacutecrite mais aussi aujourdrsquohui raquo (Geertz 1989

335) Drsquoun avis plus nuanceacute mais eacutegalement critique Serge Tcherkeacutezoff (1997 2001) considegravere que

Margaret Mead a eacuteteacute influenceacutee par le mythe occidental de la liberteacute sexuelle en Polyneacutesie et qursquoelle

a donc systeacutematiquement interpreacuteteacute ses observations sur cette partie de lrsquooceacutean Pacifique en fonction

de certains clicheacutes ethnocentriques (point de vue qursquoil partage avec lrsquoanthropologue neacuteozeacutelandais

Derek Freeman 1983)

34

a travers lesquelles des socie te s culturellement diffe rentes conccediloivent les phases du

de veloppement humain (Benedict 1938) Son travail peut e tre conside re comme la

toute premie re e tude compare e des e tapes de la vie humaine (petite enfance

enfance adolescence a ge adulte et vieillesse) en termes laquo culturels raquo et le premier a

analyser les discontinuite s et les laquo ruptures raquo qui symbolisent le passage de la petite

enfance a lrsquoenfance et de lrsquoenfance a lrsquoadolescence

Entre 1913 et 1929 Bronislaw Malinowski a publie une se rie de travaux

ethnographiques dans lesquels lrsquoobservation des enfants jouait un ro le central dans

lrsquoappui de ses the ses (Malinowski 1913 1927 1929) Bien que son ethnographie

laquo intensive raquo ndash qui implique de longues pe riodes de travail sur le terrain afin que le

chercheur puisse participer aux activite s et aux relations de la communaute e tudie e

et qursquoil puisse reconstruire selon sa ce le bre expression laquo le point de vue du natif raquo

et les significations profondes de certaines pratiques locales ndash srsquoe loigne des

me thodes classiques de la recherche psychologique (qui privile gie les tests et les

mesures quantitatives) Malinowski conside rait son travail comme une approche

psychologique des proble mes de la culture laquelle ndash a partir de lrsquoanalyse de la

mythologie locale et des formes drsquoorganisation familiale ndash serait capable de re ve ler

le sens le plus profond des comportements humains dans des contextes laquo sauvages raquo

ou laquo primitifs raquo Dans sa monographie intitule e La sexualiteacute et sa reacutepression dans les

socieacuteteacutes primitives parue en 1927 il re alise la premie re critique culturelle de la

the orie de lrsquouniversalite du complexe drsquoŒdipe en montrant que telle que Freud lrsquoa

formule e elle nrsquoe tait pas applicable aux natifs des icirc les Trobriands Malinowski e tait

convaincu que bien que la jalousie ressentie par les petits garccedilons envers la relation

35

de leurs me res avec leurs pe res ndash et la peur de la punition provenant du pe re ndash

pouvait avoir un sens dans une socie te patriarcale comme celle du XIXe me sie cle

viennois elle nrsquoavait aucun sens dans une socie te matriline aire comme celle des

Trobriandais ou le pe re e tait traite comme un ami et ou les tensions domestiques

e taient provoque es par le ro le de lrsquooncle maternel (Malinowski 1927)13

En 1929 Malinowski a publie un autre livre sur La vie sexuelle des sauvages

de la Meacutelaneacutesie nord-occidentale dans lequel on trouve des sections de die es a la

description du quotidien des enfants des icirc les Trobriands Dans ce travail Malinowski

approfondit ses re flexions sur le ro le du pe re dans la famille me lane sienne et de crit

minutieusement les activite s sexuelles des enfants trobriandais dont il souligne le

fait qursquoelles nrsquoe taient jamais re prime es par les parents14 Ainsi ses travaux comme

13 Cependant la tentative de Malinowski de relativiser la porteacutee du complexe drsquoŒdipe a eacuteteacute

vigoureusement reacutefuteacutee par Freud et son cercle lesquels eacutetaient convaincus qursquoil srsquoagissait drsquoun

complexe ayant un caractegravere universel (les deacutetails de cette laquo querelle raquo ont eacuteteacute eacutetudieacutes par Bertrand

Pulman 2002)

14 Toutefois on devrait reconsideacuterer certaines affirmations de Malinowski agrave la lumiegravere de sa

tendance agrave exageacuterer de maniegravere parfois morbide ses observations et surtout celles lieacutees aux

coutumes sexuelles des enfants et des adolescents il existe en effet un deacutecalage entre ses notes de

terrain et ses travaux scientifiques De telles incoheacuterences ont eacuteteacute deacutevoileacutees dans le cadre de la

controverse qui a suivi la publication de son journal intime en 1967 ce qui nrsquoa finalement pas

entacheacute sa reacuteputation en tant qursquoanthropologue mais qui a sucircrement eu un impact consideacuterable sur

la reconsideacuteration et lrsquointerpreacutetation de sa maniegravere de laquo vivre le terrain raquo de se mettre en relation

avec ceux qursquoil consideacuterait comme des laquo sauvages raquo et de raconter ce qursquoil avait veacutecu (Geertz 1967

Voir aussi Malinowski 1967)

36

ceux de Boas ont eu une influence notable dans la gene se drsquoun courant de recherche

qui allait caracte riser lrsquoanthropologie des anne es suivantes

Cette influence est particulie rement e vidente dans le travail de Meyer Fortes

qui avait une formation en psychologie de lrsquoe ducation mais qui en suivant les

se minaires postdoctoraux en anthropologie dirige s par Bronislaw Malinowski et

Raymond Firth a la London School of Economics a de cide de se consacrer

exclusivement a la recherche ethnographique Sa premie re monographie sur les

Tallensis du Ghana publie e en 1938 est de sormais conside re e comme un texte

classique de lrsquoanthropologie de lrsquoenfance bien qursquoil utilise tre s souvent des concepts

de la psychologie pour interpre ter les performances sociales observe es Lui aussi a

observe les laquo petits adultes raquo tallensis ndash des enfants capables de se charger de

responsabilite s concre tes de la vie domestique autonomes et dote s de compe tences

et de capacite s que dans la civilisation occidentale on attribue normalement aux

adultes ndash mais a la diffe rence de Malinowski qui expliquait cette maturite comme

un effet de lrsquoe panouissement sexuel de lrsquoenfant Meyer Fortes a pre fe re une

interpre tation plus culturaliste Selon lui les enfants tallensis e taient forme s de s

leur plus jeune a ge a leur ro le de laquo porteurs des traditions culturelles raquo dans le cadre

drsquoune relation e ducative qui les liait aux parents et qui fonctionnait comme un

paradigme de toutes les relations laquo morales raquo et de toutes les interactions sociales a

lrsquointe rieur et a lrsquoexte rieur de la communaute (Fortes 1938) Il constitue

probablement le dernier auteur de cette premie re phase laquo descriptive raquo dans

lrsquohistoire de lrsquoanthropologie de lrsquoe ducation ou beaucoup drsquointerpre tations

e mergeaient drsquoune vision pluto t superficielle de la re alite observe e tout en e tant le

37

pre curseur drsquoune phase plus laquo re flexive raquo une phase qui comme nous le verrons

dans les pages suivantes allait montrer a la communaute scientifique internationale

les potentialite s et les nouvelles voies offertes par cette branche de la science

anthropologique

14 La fragmentation de la discipline

Si cette premiegravere phase laquo glorieuse raquo drsquoeacutetudes sur lrsquoeacuteducation et lrsquoenfance a

stimuleacute un grand nombre de chercheurs ce champ disciplinaire reste aujourdrsquohui

encore en chantier Le premier obstacle est celui de la deacutefinition de la discipline elle-

mecircme En effet le nom qursquoon devrait lui donner ne fait pas lrsquounanimiteacute Certains

auteurs preacutefegraverent parler drsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation (Middleton 1970 Wulf

1999 Anderson-Levitt 2006) ou drsquoethnologie de lrsquoeacuteducation (Erny 1961) drsquoautres

drsquoanthropologie de lrsquoenfance (Gaskins 2000 LeVine amp Norman 2001 Hirshfeld

2002 Lancy 2008) et drsquoautres encore preacutefegraverent la deacutesignation drsquoeacuteducation

compareacutee (Lecirc Thanh 1981 Halls 1991 Van Daele 1993 Groux amp Porcher 1997

Groux 1997 Goldstein 1998)15 Bien que le sujet drsquoeacutetude ne change pas ndash il srsquoagit

toujours de lrsquoanalyse des faits eacuteducatifs et des pratiques qui lrsquoaccompagnent ndash

15 Dans cette partie je ne mrsquooccuperai pas de la sociologie de lrsquoeacuteducation car il srsquoagit drsquoun domaine

qui se consacre en prioriteacute agrave lrsquoanalyse des pheacutenomegravenes sociaux lieacutes aux institutions drsquoeacuteducation

drsquoinstruction et de formation comme les eacutecoles les lyceacutees ou les universiteacutes surtout dans les pays

occidentaux (Van Haecht 1990) Cependant je mrsquoappuierai souvent sur certains auteurs qui

proviennent de cette discipline et qui ont contribueacute pour diffeacuterentes raisons agrave alimenter le deacutebat sur

la laquo question eacuteducative raquo

38

chaque preacutefeacuterence semble manifester une conception particuliegravere de lrsquoeacuteducation et

des acteurs sociaux qui y sont impliqueacutes Dans le premier cas elle est appreacutehendeacutee

de maniegravere plus geacuteneacuterale en tant que processus qui intervient tout au long de la vie

et qui se confond avec les pratiques de formation et drsquoinstruction Dans le deuxiegraveme

lrsquoaccent est mis sur le rocircle des enfants dans les interactions eacuteducatives et sur leur

capaciteacute agrave influencer et agrave transformer la reacutealiteacute qui les entoure (leur laquo agentiviteacute raquo

ou agency) Dans le troisiegraveme on srsquoappuie sur lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoanalyse des

pratiques eacuteducatives ne prend du sens qursquoau travers drsquoune perspective compareacutee

dans le but de comprendre les avantages et les inconveacutenients des strateacutegies mises

en place par les diffeacuterents groupes humains (Sirota 2001) Crsquoest dans le cadre de

cette derniegravere perspective que certains gouvernements et organisations

internationales ont reacutealiseacute des eacutetudes pour reacuteveacuteler les diffeacuterences entre les

performances des systegravemes eacuteducatifs occidentaux et celles des pays en voie de

deacuteveloppement (Leclercq 2005)

Au-delagrave de ce premier obstacle il en existe un deuxiegraveme geacuteneacutereacute par la

fragmentation des perspectives sur lrsquoeacuteducation et par les prioriteacutes analytiques qui

guident lrsquoaction des diffeacuterents courants de recherche Lrsquoun des domaines privileacutegieacutes

est sucircrement celui de la socialisation observeacutee soit comme un processus de

deacuteveloppement du caractegravere de lrsquoenfant de son tempeacuterament et de sa personnaliteacute

(Mead 1930 et 1947 Whiting amp Whiting 1973 Rogoff et al 1975) soit comme un

processus drsquoacquisition des outils cognitif et du langage (Ochs 1988 Rogoff 1990

Schieffelin 1990) Un deuxiegraveme domaine drsquointeacuterecirct est celui de lrsquoinstruction crsquoest-agrave-

dire lrsquoeacutetude des processus de transmission des savoirs et surtout des capaciteacutes

39

pratiques dans la production de la culture mateacuterielle (Fortes 1938 Hewlett amp

Cavalli-Sforza 1986) Il existe eacutegalement une part significative drsquoeacutetudes consacreacutees

au jeu et agrave ses implications dans la construction eacutemotionnelle et lrsquoapprentissage de

certaines connaissances comme les matheacutematiques par exemple ou compeacutetences

comme le repeacuterage dans lrsquoespace ou les strateacutegies de coopeacuteration (Lancy amp Tindall

1976 Schwartzman 1979) Drsquoautres auteurs ont exploreacute lrsquoenfance agrave partir drsquoune

perspective eacutemique ndash en utilisant les cateacutegories mentales propres au groupe humain

observeacute ndash pour comprendre sa fonction laquo drsquoincubateur raquo social et son rocircle dans le

processus de maturation sociale des plus jeunes et drsquointeacutegration agrave la communauteacute

drsquoappartenance (Conklin amp Morgan 1996 Razy 2007) Finalement drsquoautres

courants se sont occupeacutes drsquoaspects plus speacutecifiques comme les pratiques de

seacuteparation temporaires de la communauteacute ndash notamment dans le cas des rituels

drsquoinitiation pour les garccedilons ou de lrsquoapparition des regravegles chez les filles (Reynolds

1991) ndash le travail des enfants et leur rocircle dans lrsquoeacuteconomie domestique et la

production capitaliste (Kramer 2005) ou encore la spiritualiteacute des enfants et leur

participation agrave des pratiques religieuses (Maiden amp Farwell 1997)

Si les deacutesaccords theacuteoriques qui seacuteparent certaines eacutecoles de penseacutee et

lrsquoabsence drsquoun langage commun pouvant permettre un dialogue permanent entre les

diffeacuterents secteurs de ce domaine de recherche ont limiteacute la construction drsquoun savoir

homogegravene les apports respectifs de ces travaux ont accru les connaissances que

nous avons sur lrsquoeacuteducation et sur le rocircle des enfants dans les communauteacutes dans

lesquelles ils vivent Ils ont aussi permis de deacutepasser certains dogmes et drsquoaccepter

40

le fait que chaque culture se perpeacutetue agrave partir de pratiques laquo localiseacutees raquo qui sont

difficilement concevables hors de leur laquo habitat raquo

41

2 Qursquoest-ce que lrsquoeacuteducation

Lrsquoeacutetymologie latine du mot eacuteducation ndash qui deacuterive drsquoeducatio terme composeacute

du preacutefixe ex (hors de) et du substantif du verbe ducere (conduire) ndash nous suggegravere

qursquoil srsquoagit drsquoun processus qui amegravenerait lrsquoeacuteduqueacute laquo hors de raquo son eacutetat premier Le

terme est employeacute en franccedilais depuis le Moyen Acircge surtout dans les eacutecrits des

preacutecepteurs des enfants de lrsquoaristocratie qui se preacuteoccupaient de laquo lrsquoeacuteducation des

princes raquo (Mialaret 1976) Cette vision eacutelitiste de lrsquoeacuteducation srsquoest transformeacutee agrave

partir du XVIIegraveme siegravecle quand elle a commenceacute agrave ecirctre utiliseacutee pour deacutefinir de

maniegravere plus geacuteneacuterale le laquo soin qursquoon prend drsquoeacutelever de nourrir les enfants raquo mais

aussi laquo de cultiver leur esprit soit pour la science soit pour les bonnes mœurs raquo

(Furetiegravere 1690) Entre la fin du XIXegraveme siegravecle et le deacutebut du XXegraveme Emile Durkheim

srsquoest ainsi inteacuteresseacute agrave lrsquoeacuteducation dans le cadre de ses recherches sur la genegravese de la

penseacutee logique en la deacutefinissant comme

laquo Lrsquoaction exerceacutee par les geacuteneacuterations adultes sur celles qui ne

sont pas encore mucircres pour la vie sociale Elle a pour objet de susciter

chez lrsquoenfant un certain nombre drsquoeacutetats physiques intellectuels et

moraux que reacuteclament de lui et la socieacuteteacute politique dans son ensemble

et le milieu social auquel il est particuliegraverement destineacute raquo (Durkheim

1911 532)

42

Avec Durkheim la sociologie commence agrave srsquointerroger sur le fait eacuteducatif et

sur lrsquoinfluence de lrsquounivers social sur le deacuteveloppement des individus Cependant sa

vision de lrsquoeacuteducation restait restreinte aux activiteacutes reacutealiseacutees par les adultes pour les

enfants lesquels agrave leur tour eacutetaient consideacutereacutes comme des sujets sociaux qui

manquaient de maturiteacute et donc laquo drsquoagentiviteacute raquo Dans un ceacutelegravebre passage de son

Eacuteducation et sociologie il affirmait que

laquo Lrsquoenfant en entrant dans la vie nrsquoy apporte que sa nature

drsquoindividu La socieacuteteacute se trouve donc agrave chaque geacuteneacuteration nouvelle en

preacutesence drsquoune table presque rase sur laquelle il lui faut construire agrave

nouveaux frais Il faut que par les voies les plus rapides agrave lrsquoecirctre

eacutegoiumlste et asocial qui vient de naicirctre elle en surajoute un autre

capable de mener une vie morale et sociale Voilagrave quelle est lrsquoœuvre de

lrsquoeacuteducation raquo (Durkheim 1922 52)

La perspective durkheimienne de la laquo tabula rasa raquo a stimuleacute pendant

plusieurs anneacutees des conceptions peacutedagogiques preacuteconisant que la relation

eacuteducative ndash dans les cadres domestique et scolaire ndash repose sur lrsquoexercice de

lrsquoautoriteacute et sur des meacutethodes visant agrave former des adultes plutocirct qursquoagrave eacutepanouir les

enfants (Theacutevenin et Compagnon 2005) Cette perspective a influenceacute beaucoup

drsquointellectuels et hommes politiques europeacuteens de lrsquoeacutepoque lesquels lrsquoutilisaient

pour justifier des reacuteformes visant agrave ameacuteliorer lrsquoorganisation des eacutecoles agrave partir de

cette approche laquo verticaliste raquo centreacutee sur lrsquoideacutee selon laquelle le savoir scolaire doit

43

se transmettre laquo du haut vers le bas raquo du maicirctre-savant vers lrsquoeacutelegraveve ignorant16 Une

approche radicalement opposeacutee est apparue entre les deux conflits mondiaux et

srsquoest deacuteveloppeacutee agrave partir de la fin des anneacutees 1940 notamment gracircce agrave lrsquoactiviteacute de

la Ligue Internationale de lrsquoEacuteducation Nouvelle (LIEN) En 1948 Fernande Seclet-

Riou ndash qui militait dans le bureau franccedilais de la LIEN le Groupe Franccedilais drsquoEacuteducation

Nouvelle (GFEN) ndash a publieacute une nouvelle deacutefinition de la notion agrave partir de

reacuteflexions humanistes alimenteacutees par la LIEN et stimuleacutees par lrsquoobservation des

effets catastrophiques de la guerre Selon elle

laquo Lrsquoeacuteducation consiste agrave favoriser le deacuteveloppement aussi

complet que possible des aptitudes de chaque personne agrave la fois

comme individu et comme membre drsquoune socieacuteteacute reacutegie par la

solidariteacute Lrsquoeacuteducation est inseacuteparable de lrsquoeacutevolution sociale elle

constitue une des forces qui la deacuteterminent raquo (Seclet-Riou 1948 27

Voir aussi GFEN 1977)

16 Pour la majoriteacute des enseignants de lrsquoeacutepoque lrsquoautoriteacute eacutetait un moyen drsquoassurer la justice et

lrsquoeacutegaliteacute En France ndash mais aussi dans le reste de lrsquoEurope ndash les instituteurs disposaient drsquooutils

peacutedagogiques pour asseoir leur supeacuterioriteacute surtout gracircce au systegraveme de reacutecompenses (bons points

tableau drsquohonneur distribution de prix pour les laquo premiers de la classe raquo) et de punitions (mauvais

points privation de reacutecreacuteation retenue apregraves la classe) Beaucoup drsquoinfractions commises par les

eacutelegraveves eacutetaient laquo corrigeacutees raquo par les maicirctres qui usaient de chacirctiments corporels ndash une pratique qui

pendant longtemps a eacuteteacute accepteacutee par les familles qui la justifiaient agrave partir de lrsquoideacutee laquo moderne raquo

selon laquelle pour atteindre le progregraves il eacutetait neacutecessaire de respecter lrsquoordre (Caron 1999)

44

Agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute du XXegraveme siegravecle la notion acquiert une

signification laquo intergeacuteneacuterationnelle raquo chaque personne doit pouvoir acceacuteder aux

bienfaits de lrsquoeacuteducation qui nrsquoest plus perccedilue comme une obligation reacuteserveacutee aux

enfants mais aussi comme un moyen de deacutevelopper la personnaliteacute En reacutealiteacute cette

conceptualisation avait deacutejagrave eacuteteacute proposeacutee en 1916 par John Dewey mais appliqueacutee

au domaine de la peacutedagogie (Dewey 1916) Cette confusion terminologique reacutesulte

du fait que jusqursquoaux anneacutees 1960 les deux termes ndash eacuteducation et peacutedagogie ndash

eacutetaient envisageacutes comme des synonymes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de cette eacutepoque qursquoon

a commenceacute agrave associer la notion drsquoeacuteducation agrave la praxis eacuteducative soit lrsquoart drsquoeacutelever

et la notion de peacutedagogie agrave la reacuteflexion qui preacutecegravede cette praxis et qui se

laquo mateacuterialise raquo dans les choix meacutethodologiques et les strateacutegies adopteacutees

Bien que cet effort de conceptualisation ait permis de mieux deacutefinir les

contours de la fonction de lrsquoeacuteducation en tant que processus visant agrave deacutevelopper

lrsquoaspect laquo humain raquo et laquo social raquo de lrsquoindividu17 il nrsquoexiste pas de consensus quant aux

contenus qursquoil devrait proposer la vision laquo politique raquo associe lrsquoeacuteducation agrave la

transmission formelle de certaines compeacutetences lieacutees agrave lrsquointeacutegration dans une

socieacuteteacute agrave travers un systegraveme ndash eacuteducatif ndash qui est baseacute sur des institutions

speacutecialiseacutees alors que drsquoun point de vue laquo culturaliste raquo lrsquoeacuteducation pourrait ecirctre

associeacutee agrave la transmission de certaines compeacutetences ou connaissances neacutecessaires

agrave la survie dans un contexte naturel et social deacutetermineacute agrave travers un reacuteseaux de

relations qui constituent des espaces informels drsquoapprentissage Un exemple de la

17 Crsquoest-agrave-dire sa personnaliteacute et son comportement

45

premiegravere perspective est lrsquointerpreacutetation que les gouvernements font de la notion

drsquoeacuteducation En France par exemple le ministegravere de lrsquoEacuteducation Nationale a

aujourdrsquohui pour mission de piloter le laquo systegraveme eacuteducatif raquo soit de mettre en œuvre

laquo la politique du gouvernement relative agrave lrsquoaccegraves de chacun aux savoirs et au

deacuteveloppement de lrsquoenseignement preacuteeacuteleacutementaire eacuteleacutementaire secondaire et

supeacuterieur raquo (Deacutecret 2014-402 art1) Il srsquoagit lagrave de deux missions compleacutementaires

la premiegravere peacutedagogique est celle de la deacutefinition des voies de formation de la

deacutetermination des programmes nationaux et de lrsquoorganisation et du contenu des

enseignements la seconde plus eacuteminemment administrative a pour but de deacutefinir

et de deacutelivrer des diplocircmes nationaux des grades et des titres universitaires de

recruter et geacuterer personnel de geacuterer les moyens financiers mais aussi de controcircler

et drsquoeacutevaluer les politiques eacuteducatives La mission peacutedagogique est donc celle de

lrsquoenseignement mais agrave partir de programmes fixeacutes par le mecircme Ministegravere et qui sont

deacuteveloppeacutes en tenant compte de la neacutecessiteacute de fournir agrave tous les eacutelegraveves de la

Reacutepublique un socle commun de connaissances et de compeacutetences18

laquo une culture commune fondeacutee sur les connaissances et

compeacutetences indispensables qui leur permettra de seacutepanouir

personnellement de deacutevelopper leur sociabiliteacute de reacuteussir la suite de

leur parcours de formation de sinseacuterer dans la socieacuteteacute ougrave ils vivront

18 La loi drsquoorientation et de programmation pour la refondation de lrsquoEacutecole de la Reacutepublique du 8 juillet

2013 preacutevoit une eacutevolution et une redeacutefinition du socle commun deacutesormais intituleacute laquo socle commun

de connaissances de compeacutetences et de culture raquo qui entrera en vigueur agrave partir de la rentreacutee

scolaire 2016

46

et de participer comme citoyens agrave son eacutevolution raquo (Deacutecret n deg 2015-

372 Annexe)

Lrsquoideacutee qursquoil puisse exister un laquo socle commun de la culture raquo et qursquoil puisse

ecirctre partageacute par tous les citoyens de la nation deacuterive drsquoune conception universaliste

de la connaissance propre au siegravecle des Lumiegraveres et qui identifiait dans la culture le

laquo geacutenie national raquo19 le produit de la civilisation et le patrimoine lettreacute accumuleacute

depuis lrsquoAntiquiteacute

Cependant la the orie anthropologique de tradition relativiste nrsquoa pas cesse

de critiquer cette perspective et de nombreux auteurs ont propose des approches

diffe rentes en abordant la culture ndash comme nous le verrons plus en de tail dans le

prochain chapitre ndash en tant qursquo laquo ensemble raquo de savoirs et de valeurs propres a

chaque groupe humain (comme dans la perspective propose e par Edward Tylor

1871) en tant que laquo fabrique raquo de la personnalite (comme lrsquoimaginait Margaret

Mead 1930) fonction organique de la socie te (comme le voulait Bronislaw

Malinowski 1929) produit drsquoune structure mentale universelle a caracte re abstrait

(comme le proposait Claude Le vi-Strauss 1964) ou finalement comme expression

19 Un concept que vers la fin du XVIIIegraveme siegravecle Johann G Herder a deacuteveloppeacute dans ses travaux sur la

philosophie de lrsquohistoire pour deacutecrire le style et les goucircts propres agrave un peuple (Herder 1784) Cette

ideacutee deviendra lrsquoun des leitmotivs du Romantisme allemand et sera reprise entre autres par

Friederich Von Schlegel Wilhelm Von Humboldt ou Novalis Aujourdrsquohui on ne parle plus de geacutenie

national et on lui preacutefegravere son synonyme politiquement correct agrave savoir le laquo caractegravere national raquo

47

drsquoune strate gie identitaire ndash dans le cadre drsquoune lutte pour lrsquoacce s a certaines

ressources ndash qui permet drsquoe tablir qui est membre drsquoun groupe et qui ne lrsquoest pas qui

est laquo nous raquo et qui sont les laquo autres raquo (comme e tabli a partir de deux approches

diame tralement diffe rentes par Pierre Bourdieu 1966 et par Frederik Barth 1969)

Il en re sulte donc deux visions diame tralement oppose es de la culture (Figure 1)

Figure 1 Deux visions de la culture

Selon qursquoon appre hende la culture a partir de la premie re ou de la deuxie me

interpre tation deux visions e galement antithe tiques de lrsquoe ducation apparaissent

dans le premier cas elle est envisage e comme un processus de transmission drsquoun

laquo patrimoine raquo (la culture nationale) et dans le second comme un processus de

transmission des savoirs ne cessaires pour survivre et laquo re ussir raquo dans un habitat ndash

naturel et social ndash de termine (Figure 2)

48

Figure 2 Deux visions de lrsquoeacuteducation

Toutefois lrsquoideacutee qursquoil puisse exister une culture nationale laquo authentique raquo et

que la laquo vraie raquo eacuteducation devrait se charger de la transmission de celle-ci nrsquoest que

la manifestation drsquoun nationalisme ethnocentrique qui vise agrave valoriser certaines

valeurs laquo nationales raquo (et donc locales) en en faisant des valeurs laquo universelles raquo

Mais comme le soulignait Ugo Fabietti le culte de lrsquoauthenticiteacute nrsquoest que laquo la

projection de certains fantasmes qui sont geacuteneacutereacutes par les rythmes croissants du

meacutetissage culturel et par les deacuteseacutequilibres produits par la globalisation raquo (Fabietti

2007 30) Il srsquoagit drsquoune perspective qui reacutepond agrave la peur geacuteneacutereacutee par lrsquoalteacuteriteacute en

la niant et qui deacutevalorise la diffeacuterence culturelle en lui opposant une ideacutee

anhistorique de la laquo pureteacute raquo (Lombardi-Satriani 1994)

Je considegravere que la deuxiegraveme perspective ndash selon laquelle lrsquoeacuteducation est un

processus de transmission de ce produit social que sont les donneacutees culturelles ndash

reacutepond mieux agrave cette raison anthropologique qui nous invite agrave relativiser les reacutealiteacutes

laquo autres raquo et agrave envisager les pheacutenomegravenes sociaux et culturels en fonction du contexte

dans lesquels ils se produisent Lrsquoeacuteducation devrait donc ecirctre observeacutee et analyseacutee

49

en tant que processus local qui transmet des donneacutees ayant une valeur sociale et

symbolique au sein drsquoun paysage social et naturel particulier Elle nrsquoest jamais

laquo authentique raquo et ne transmet pas des savoirs laquo authentiques raquo elle est tout

simplement adaptable en fonction de lrsquoeacutecosystegraveme dans lequel elle existe et opegravere

21 Le fait eacuteducatif une interaction dynamique

Une situation eacuteducative existe agrave partir drsquoune interaction entre au moins deux

acteurs20 lrsquoeacuteducateur et lrsquoeacuteduqueacute Gaston Mialaret (1976) a deacutecrit cette relation en

tenant compte des cinq facteurs essentiels agrave sa reacutealisation

Les contenus crsquoest-a -dire le message qui est transmis dans un sens et

dans lrsquoautre

20 Jrsquoutilise le terme acteur et non celui de laquo personne raquo car agrave lrsquoheure actuelle les nouvelles

technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) ont donneacute aux machines la possibiliteacute de

se charger de certaines tacircches eacuteducatives (dans tous les domaines de lrsquoenseignement) Aussi dans le

cadre des recherches sur lrsquointelligence artificielle il a eacuteteacute deacutemontreacute que les machines peuvent

apprendre non seulement de faccedilon passive (gracircce agrave lrsquoapprentissage superviseacute le machine learning

qui se base sur des processus systeacutematiques de type statistique ou automatique controcircleacutes par des

algorithmes drsquoorigine humaine) mais aussi de faccedilon active (gracircce agrave lrsquoapprentissage non superviseacute le

deep learning qui permet aux machines drsquoapprendre sans que lrsquointervention humaine soit

neacutecessaire) La notion sociologique drsquoacteur apparaicirct donc comme la plus approprieacutee dans le cadre

de certaines geacuteneacuteralisations comme dans le cas que je viens de deacutecrire

50

Les me thodes ou les strate gies mises en place pour transmettre le

message

Les techniques et les outils ne cessaires pour laquo communiquer raquo les

contenus

Les rapports qui lient lrsquoe ducateur et lrsquoe duque

Lrsquoenvironnement dans lequel se re alise lrsquoaction e ducative

Selon le postulat de Mialaret toute action eacuteducative peut donc ecirctre analyseacutee

agrave partir de ces cinq facteurs qui sont applicables soit agrave des situations de courte

dureacutee telle une rencontre soit de dureacutee plus longue ndash une seacuterie de rencontres ndash en

tenant compte du fait que chaque facteur peut influer les autres et que le reacutesultat

final deacutepend non seulement des facteurs eux-mecircmes mais aussi et surtout des

interactions que chacun drsquoeux eacutetablit avec les autres21

Penser agrave lrsquoeacuteducation en tant qursquointeraction nous permet de deacuteconstruire la

conception institutionnelle de la culture et du savoir et de reacutealiser que crsquoest un

projet politique qui se mateacuterialise dans un systegraveme eacuteducatif ayant pour but de

21 Mialaret a exposeacute une version simplifieacutee de cette theacuteorie dans ses autres travaux sur la

psychopeacutedagogie et sur la psychologie de lrsquoeacuteducation (Mialaret 1987 et 1999)

51

laquo transmettre un patrimoine raquo et ce faisant de former des citoyens22 Il est

deacutesormais possible de comprendre que lrsquoeacuteducation est avant tout un processus dans

lequel on laquo produit raquo des savoirs agrave partir drsquoun contenu qui est transmis dans le cadre

drsquoune interaction ougrave lrsquoeacuteducateur et lrsquoeacuteduqueacute srsquoinfluencent reacuteciproquement dans un

systegraveme ouvert drsquoactions et de reacutetroactions qui peut donner lieu agrave des adaptations

reacuteciproques etou agrave une polarisation plus ou moins marqueacutee des positions de

chaque acteur de lrsquointeraction

Retenons que cette conceptualisation de lrsquoeacuteducation agrave laquelle je souscris

reacutepond plus clairement aux exigences de lrsquoanthropologie ndash discipline voueacutee agrave

lrsquoanalyse de laquo lrsquohomme raquo et de ses relations avec le milieu naturel culturel et social

Lrsquoeacuteducation est une forme de communication lieacutee soit au langage ndash comme

lrsquoimaginait Lev Vygotski (1933) ndash soit au contexte Les variables qui constituent le

contexte eacutetant toujours changeantes et impreacutevisibles le produit final du processus

eacuteducatif lui aussi est difficilement deacuteterminable agrave lrsquoavance

Une vision dynamique de lrsquoeacuteducation nous permet de concevoir la

transmission de la culture comme un processus creacuteatif qui construit deacuteconstruit

deacutetruit et transforme les savoirs accumuleacutes pour en geacuteneacuterer de nouveaux qui ne se

reacuteduisent jamais agrave la copie conforme des contenus transmis par lrsquoeacuteducateur mais qui

22 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leur analyse critique du systegraveme scolaire franccedilais

en sont arriveacutes agrave la conclusion que lrsquoeacuteducation ndash domestique ou scolaire ndash correspond agrave une

incorporation active et non passive drsquoun habitus (Bourdieu amp Passeron 1964 et 1971 Voir aussi

Bourdieu 1966)

52

sont toujours adapteacutes par lrsquoeacuteduqueacute On devrait plus exactement parler de lrsquoeacuteducation

comme drsquoun continuum qui permet des eacutechanges entre les geacuteneacuterations

(verticalement) et les cultures (horizontalement) (Figure 3)

Figure 3 Eacutechanges intergeacuteneacuterationnels et culturels entre eacuteducateur et eacuteduqueacute

53

22 Ideacuteologies symboles et systegravemes lrsquounivers social de lrsquoeacuteducation

Deux questions deacutecoulent de la reacuteflexion qui preacutecegravede comment analyser le

processus eacuteducatif agrave partir des cateacutegories anthropologiques et de la meacutethode

ethnographique Et comment laquo relativiser raquo ou laquo universaliser raquo les observations

faites sur le terrain quand on observe des faits eacuteducatifs

Dans une perspective fonctionnaliste comme celle employeacutee par Bronislaw

Malinowski pour analyser les relations intergeacuteneacuterationnelles entre les Trobriandais

ou par Margaret Mead pour eacutetudier les relations intrageacuteneacuterationnelles soit

horizontales entre pairs du mecircme acircge aux icircles Samoa le choix de lrsquoeacuteducateur de

donner la prioriteacute agrave une strateacutegie eacuteducative plutocirct qursquoagrave une autre reacutepond agrave lrsquoexigence

drsquooptimiser les ressources existantes (humaines culturelles et naturelles) en

fonction de la preacuteservation de lrsquoexistence et de lrsquoidentiteacute du groupe de la survie dans

un milieu eacutecologique speacutecifique et de la garantie de lrsquoeacutequilibre homeacuteostatique des

communauteacutes qui lrsquohabitent Toutefois cette perspective analytique ndash qui essaye de

donner du sens aux logiques laquo locales raquo en assignant aux comportements partageacutes

par les membres drsquoun groupe humain des fonctions speacutecifiques lieacutees au maintien de

lrsquoeacutequilibre de lrsquoorganisation sociale ndash ne nous permet pas de comprendre les

modifications qui peuvent avoir lieu dans le domaine de lrsquoeacuteducation quand les

communauteacutes ndash surtout celles qui revendiquent une identiteacute autochtone ndash sont

politiquement inteacutegreacutees au sein drsquoEacutetats nationaux ou de systegravemes qui les deacutepassent

Cette dynamique srsquoaccompagne geacuteneacuteralement de leur incorporation aux marcheacutes

planeacutetaires et drsquoune modification de leur habitat agrave cause par exemple de sa

deacutegradation de la seacutedentarisation de lrsquourbanisation ou des migrations Certains de

54

ces processus sont si lourds de conseacutequences qursquoils ne permettent pas une

adaptation optimale des habitudes locales aux exigences du milieu de reacutefeacuterence en

raison de la vitesse de ces changements Pour les peuples autochtones il srsquoagit de

lrsquoaccegraves agrave la citoyenneteacute de lrsquoacquisition des usages et de la langue nationale jusqursquoagrave

la participation au laquo village global raquo Lrsquoeacuteducation devient donc un veacuteritable enjeu

politique et pour le deacutemecircler il est neacutecessaire de discuter de trois concepts celui

drsquoideacuteologie celui de symbole et celui de systegraveme

La longue enquecircte meneacutee par Meldford et Audrey Spiro pour eacutetudier les

logiques eacuteducatives collectives dans un kibboutz en Israeumll a deacutemontreacute que les

ideacuteologies politiques des eacuteducateurs ndash qursquoils soient ou pas les parents des eacuteduqueacutes

ndash modegravelent et transforment les pratiques consideacutereacutees comme traditionnelles ou

historiques pour les adapter agrave leur conception de la reacutealiteacute agrave leur vision du passeacute et

du futur et finalement agrave leur utopie (Spiro amp Spiro 1958) Les eacutetudes de Catherine

Snow et de ses collaborateurs ainsi que celles de Robert LeVine et Karin Norman

ont montreacute que dans le cadre drsquoune mecircme culture laquo occidentale raquo il existe des

variations significatives entre les strateacutegies eacuteducatives employeacutees par les parents

dans le milieu domestique ou par les enseignants dans le milieu scolaire entre la

Hollande lrsquoAllemagne le Royaume Uni et les Eacutetats-Unis (Snow et al 1979 LeVine

amp Norman 2001) Ces strateacutegies qui se traduisent par une modaliteacute speacutecifique de

communication avec les enfants sont modeleacutees par les conceptions culturelles des

eacuteducateurs autour des objectifs qursquoils se sont assigneacutes pour permettre le

deacuteveloppement psychophysique et la reacuteussite sociale des laquo eacuteduqueacutes raquo Lrsquoideacuteologie

eacuteducative est donc un puissant moteur alimenteacute par lrsquoidentiteacute culturelle et par le

55

contexte socioeacuteconomique qui agit sur les performances des eacuteducateurs et leur

permet de transformer les processus eacuteducatifs

Cette ideacuteologie agit aussi comme meacutecanisme de seacutelection de certains

contenus au deacutepend drsquoautres Lrsquoapproche ethnomeacutethodologique de

lrsquointeractionnisme symbolique ndash eacutelaboreacute par Georg Herbert Mead (1934) et

deacuteveloppeacute par ses eacutelegraveves de lrsquoEacutecole de Chicago en particulier Herbert Blumer (1966

et 1969) ndash et la theacuteorie eacutecologique du deacuteveloppement humain ndash baseacutee sur les

modegraveles proposeacutes par Uri Bronfenbrenner (1995 2005) et ses collaborateurs

(Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner amp Morris 1998) ndash nous invitent agrave

observer les interactions eacuteducatives et agrave les interpreacuteter de maniegravere compreacutehensive

afin de donner du sens aux interactions en tenant compte du fait que leur sens

repose sur les symboles gestuels et langagiers partageacutes par les individus concerneacutes

(Blumer 1969) La conduite des eacuteducateurs deacutepend donc non seulement drsquoune

ideacuteologie politique speacutecifique ndash et drsquoune interpreacutetation particuliegravere de la reacutealiteacute

sociale ndash mais aussi des significations et des valeurs que les individus attribuent agrave

leurs performances eacuteducatives qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutees comme des laquo actions

symboliques raquo puisqursquoelles deacutesignent une Weltanschauung speacutecifique qui laquo reacutevegravele raquo

une volonteacute informatrice eacutevaluatrice stimulatrice et classificatoire23

Interpreacuteter lrsquoaction eacuteducative en tant que laquo performance symbolique raquo nous

conduit agrave tenir compte du systegraveme agrave lrsquointeacuterieur duquel elle acquiert un sens De

23 Il srsquoagit des fonctions primaires des symboles telles que les a systeacutematiseacutees Charles W Morris

(1946) dans son eacutetude sur les relations qui lient les signes le langage et les comportements

56

nombreux auteurs se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude de cet univers symbolique en

proposant divers modegraveles explicatifs et compreacutehensifs (LeVine 1967 Berry 1971

Bronfenbrenner 1979 et 1986 Ogbu 1985 Super amp Harkness 1986 et 1997

Valsiner 1987) Bien que leurs perspectives puissent parfois diverger tous ces

auteurs partagent une approche eacutecologique commune

Selon la theacuteorie eacutecoculturelle eacutelaboreacutee par John Berry (1976 et 1995) ndash qui

se base sur le relativisme culturel de Franz Boas ndash lrsquoindividu et son milieu de vie

srsquoinfluencent reacuteciproquement et la culture constitue le cadre drsquoadaptation qui eacutetablit

des limites au comportement social des individus en fonction du contexte

eacutecologique et sociopolitique Selon Berry (1971) la diversiteacute individuelle et

collective serait le reacutesultat drsquoune suite drsquoadaptations reacuteciproques entre

laquo multipliciteacutes raquo les individus et les socieacuteteacutes les personnes et les eacutecosystegravemes les

laquo Cultures raquo et les laquo Natures raquo Consideacutereacute agrave un niveau macro-environnemental ce

modegravele est avant tout selon son auteur un paradigme geacuteneacuteral agrave travers lequel des

analyses comparatives peuvent rendre compte de la diversiteacute culturelle et de

lrsquoinfluence exerceacutee par la culture sur le comportement humain par le biais des

processus de transmission et drsquoacculturation24

24 Bien eacutevidemment cette approche exige de la part du chercheur un effort afin de saisir le processus

agrave travers lequel les acteurs sociaux construisent des significations crsquoest-agrave-dire ndash pour utiliser la

terminologie de Harold Garfinkel ndash le laquo sens commun raquo agrave travers lequel ils interpregravetent les symboles

culturels et les comportements individuels (Garfinkel 1967)

57

Par ailleurs le modegravele eacutecoculturel de Berry a fortement influenceacute le modegravele

deacuteveloppemental proposeacute par Bronfenbrenner (1979) selon lequel les diffeacuterents

milieux (les systegravemes) qui agissent sur le deacuteveloppement cognitif de lrsquoenfant sont

emboicircteacutes et relieacutes entre eux les microsystegravemes (qui constituent lrsquoenvironnement

proche de lrsquoindividu) sont inclus dans le meacutesosystegraveme (lrsquoensemble des

microsystegravemes soit la communauteacute) lequel agrave son tour est inclus dans lrsquoexosystegraveme

(le systegraveme de forces exteacuterieures politiques juridiques et eacuteconomiques ayant un

fort impact sur le meacutesosystegraveme) tous eacutetant contenus dans le macrosystegraveme

(systegraveme de forces eacuteloigneacutees que Bronfenbrenner identifie avec les valeurs et la

culture et qui agrave long terme a des influences sur les microsystegravemes) La theacuteorie des

systegravemes eacutecologiques de Bronfenbrenner permet de comprendre le contexte global

dans lequel lrsquoeacuteduqueacute eacutevolue en le conceptualisant en tant qursquoensemble de systegravemes

agissant dans une dynamique interactive dont lrsquoeacuteduqueacute constitue la structure la plus

interne (Figure 4) Cette macro-approche a eacuteteacute compleacuteteacutee par le modegravele des

systegravemes bioeacutecologiques (Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner 1995

2005) qui srsquointeacuteresse surtout agrave lrsquoindividu en tant qursquoontosystegraveme biologique et aux

processus de deacuteveloppement de lrsquoenfant

58

Figure 4 Les relations entre systegravemes eacutecologiques (drsquoapregraves Bronfenbrenner amp Morris 1998)

De son cocircteacute la theacuteorie macrosociologique et le modegravele culturo-eacutecologique

eacutelaboreacutes par lrsquoanthropologue John Uzo Ogbu proposent des passerelles entre les

deux types drsquoapproches Son modegravele peut ecirctre consideacutereacute comme un systegraveme

dynamique qui integravegre les structures eacuteconomiques politiques cognitives et

comportementales Les travaux drsquoOgbu (1978 1985 et 1987) ont lrsquoavantage de

deacutevelopper une theacuteorie agrave la fois micro et macrosociologique agrave partir drsquoobservations

ethnographiques meneacutees aupregraves de laquo minoriteacutes volontaires raquo (les enfants

drsquoimmigrants) et de laquo minoriteacutes involontaires raquo (incorporeacutees dans la socieacuteteacute

Macrosystegraveme

Exosystegraveme

Meacutesosystegraveme

Microsystegraveme

Individu

59

majoritaire contre leur greacute apregraves la colonisation ou lrsquoesclavage) En effet Ogbu a

observeacute que dans le monde occidental beaucoup drsquoenfants de minoriteacutes preacutesentent

des difficulteacutes scolaires un pheacutenomegravene qui est souvent interpreacuteteacute par les

responsables des institutions scolaires comme la preuve drsquo laquo obstacles culturels aux

apprentissages raquo propres agrave certains groupes humains Cependant selon Ogbu ces

enfants ne sont pas laquo culturellement raquo ou laquo biologiquement raquo preacutedisposeacutes agrave

lrsquoeacutechec scolaire ce pheacutenomegravene est ducirc agrave leur position sociale laquo peacuteripheacuterique raquo agrave leur

participation tregraves limiteacutee agrave la vie culturelle de la nation dont ils sont citoyens et

surtout au manque drsquointeacutegration sociale de leurs familles lesquelles sont souvent

victimes drsquoeacutemargination ou drsquoinjustice Il srsquoagit donc drsquoun cadre analytique

particuliegraverement inteacuteressant pour notre eacutetude ndash dans laquelle jrsquoanalyse deux

communauteacutes de laquo minoriteacutes involontaires raquo de la nation franccedilaise ndash et sur lequel

nous reviendrons en deacutetail dans le quatriegraveme chapitre

60

3 Eacuteducation et culture essai sur la quadrature du cercle

Lrsquoanalyse structuraliste de Claude Leacutevi-Strauss dans son effort pour

comprendre le substrat des structures sociales25 qui supportent les donneacutees

culturelles et leur donnent du sens a permis drsquoouvrir une nouvelle voie Elle a

stimuleacute la reacuteflexion de nombreux chercheurs autour de lrsquoimportance de la parenteacute

et de la famille non seulement en tant que reacutefeacuterents empiriques des laquo structures

eacuteleacutementaires raquo de la socieacuteteacute26 mais aussi en tant qursquoexpressions concregravetes et

tangibles drsquoune certaine vision du monde soit drsquoune culture (Leacutevi-Strauss 1949 et

1964) Bien que comme nous lrsquoavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent ce domaine

analytique ait eacuteteacute exploreacute par certains anthropologues crsquoest plutocirct dans le cadre de

la science peacutedagogique que les eacutetudes les plus nombreuses ont eacuteteacute reacutealiseacutees avec

25 Lrsquointerpreacutetation du terme laquo structure raquo en anthropologie est agrave lrsquoorigine de nombreuses discussions

conceptuelles et il me paraicirct neacutecessaire drsquoexpliquer le sens qui lui est donneacute ici En effet le problegraveme

du statut ontologique des structures sociales a eacuteteacute souleveacute par Leacutevi-Strauss dans un article de 1953

ndash qui deviendra par la suite le XVegraveme chapitre de son Anthropologie structurale ndash dans lequel il

rediscute le significat que ce terme avait dans les travaux drsquoAlfred L Kroeber et drsquoAlfred R Radcliffe-

Brown Selon lui Kroeber et Radcliffe-Brown ont reacuteduit le concept de structure agrave la simple addition

des relations qui liaient les membres drsquoun groupe entre eux Deacuteveloppant un point de vue totalement

opposeacute Leacutevi Strauss consideacuterait la structure comme une cateacutegorie de lrsquoesprit humain ayant pour

fonction de laquo ranger raquo lrsquoexpeacuterience et drsquoen faire un objet de la penseacutee (Leacutevi-Strauss 1964)

26 Comme le tabou de lrsquoinceste le principe exogamique ou lrsquoatome de parenteacute (Leacutevi-Strauss 1949)

61

pour objectif speacutecifique de comprendre les enjeux de ce processus de transmission

des donneacutees culturelles que nous avons lrsquohabitude drsquoappeler laquo eacuteducation raquo

Si drsquoun cocircteacute lrsquoanthropologie srsquoest occupeacutee de lrsquoeacuteducation en tant que

processus de reproduction des cultures les sciences de lrsquoeacuteducation ont de leur cocircteacute

consideacutereacute le processus eacuteducatif comme une dynamique drsquointeractions ayant pour

objectif le deacuteveloppement humain dans un contexte social deacutetermineacute Comment

permettre donc un dialogue constructif entre ces deux disciplines qui autour drsquoun

mecircme objet drsquoeacutetude ont mobiliseacute des approches apparemment diffeacuterentes

Pour comprendre lrsquoorigine du problegraveme nous devons consideacuterer que

lrsquoexistence du processus eacuteducatif est consubstantielle agrave la laquo nature raquo sociale de

lrsquohomme laquelle remonte agrave lrsquoorigine de lrsquohumaniteacute En effet la paleacuteoanthropologie

nous informe que la transformation fondamentale qui a permis agrave Homo de prendre

la place des australopithegraveques ne relegraveve pas seulement drsquoune structure physique

diffeacuterente et drsquoune taille plus importante du volume ceacutereacutebral mais avant tout drsquoune

meilleure capaciteacute agrave transmettre des donneacutees utiles et fonctionnelles pour mieux

srsquoadapter agrave lrsquoenvironnement naturel circonstant (Henke amp Tattersall 2007)

laquo Lrsquoacte eacuteducatif raquo est donc agrave la base du changement qui explique selon les

cateacutegories de lrsquoanthropologie sociale et culturelle lrsquoapparition des repreacutesentants de

la famille Homo et la disparition des australopithegraveques lesquels nrsquoeacutetaient pas doueacutes

de cette laquo capaciteacute eacuteducative raquo (Henke amp Tattersall 2007) Par ailleurs la complexiteacute

des outils en pierre de la culture mateacuterielle du Pleacuteistocegravene deacutemontre qursquoil y avait lagrave

une forme de reproduction et de reacuteeacutelaboration des informations reccedilues par les

geacuteneacuterations preacuteceacutedentes ndash une forme laquo preacutehistorique raquo sans doute mais neacuteanmoins

62

sophistiqueacutee drsquoeacuteducation Toutes les activiteacutes laquo culturelles raquo des espegraveces humaines

preacuteceacutedant lrsquoHomo sapiens (la production drsquoun outillage diversifieacute la maicirctrise du feu

les rites funeacuteraires la peinture la sculpture et le langage) sont baseacutees sur

lrsquoapprentissage soit un processus creacuteatif capable de reacuteinventer et drsquoadapter les

donneacutees acquises par drsquoautres personnes un apprentissage beaucoup plus eacutelaboreacute

que lrsquoapprentissage animal baseacute sur lrsquoimitation et la mimesis (Lefebvre 1988

Merlin 1991)27

Cependant les premiegraveres reacuteflexions sur la pratique eacuteducative sont plus

tardives et il faut attendre les eacutecrits que nous ont laisseacutes les cultures classiques pour

pouvoir deacutecouvrir ce que nos ancecirctres pensaient en matiegravere drsquoeacuteducation En

27 Un ancien conflit oppose certains eacutethologistes laquo radicaux raquo agrave la paleacuteoanthropologie classique

autour de la question de lrsquoorigine de la culture et de la capaciteacute drsquoapprentissage des animaux La

restitution complegravete des donneacutees de ce deacutebat outrepasse les objectifs de cette thegravese crsquoest pourquoi

je me limiterai agrave signaler que degraves la fin du deuxiegraveme conflit mondial le ceacutelegravebre zoologiste et Prix

Nobel autrichien Konrad Lorenz (1967 1975) a deacutemontreacute qursquoil nrsquoexiste pas de meacutecanisme

drsquoapprentissage universel commun agrave toutes les espegraveces vivantes Lrsquohomme apprend donc drsquoune

maniegravere qui lui est speacutecifique et qui est en accord avec sa physiologie Agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute

du XXegraveme siegravecle les apports de la primatologie ont permis drsquoidentifier dans la mimesis ndash crsquoest-agrave-dire la

capaciteacute de produire consciemment des imitations intentionnelles mais deacutepourvues de volonteacute

communicative ndash le trait drsquounion entre les primates et les hominideacutes (Goodall 1971 Kummer 1993)

Plus reacutecemment les travaux de lrsquoeacutethologue Bernard Thierry confirment les intuitions de Lorenz et

vont jusqursquoagrave imaginer que chaque espegravece du genre Homo ndash comme Homo sapiens Homo

neanderthalensis Homo erectus ou Homo habilis ndash a appris agrave partir de meacutecanismes et de styles

eacuteducatifs diffeacuterents (Thierry 2004)

63

analysant le deacuteveloppement des ideacutees peacutedagogiques chez les peuples

laquo preacutemodernes raquo Joseph Simon consideacuterait que

laquo Chez toutes les nations la direction imprimeacutee agrave lrsquoeacuteducation

deacutepend de lrsquoideacutee qursquoelles se forment de lrsquohomme parfait Chez les

Romains crsquoest le soldat vaillant dur agrave la fatigue docile agrave la discipline

chez les Atheacuteniens crsquoest lrsquohomme qui reacuteunit en lui lrsquoheureuse

harmonie de la perfection morale et de la perfection physique chez

les Heacutebreux lrsquohomme parfait crsquoest lrsquohomme pieux vertueux capable

drsquoatteindre lrsquoideacuteal du peuple heacutebreu traceacute par Dieu lui-mecircme en ces

termes Soyez saints comme moi lrsquoEacuteternel je suis saint raquo (Simon

1879 3)

La synthegravese de Simon ne prenait pas en consideacuteration la complexiteacute des

systegravemes de penseacutee qursquoil citait se gardant bien drsquoen citer drsquoautres pourtant non

moins inteacuteressants Elle avait toutefois le meacuterite de souligner lrsquoimportance du

facteur ideacuteologique dans la genegravese des ideacutees peacutedagogiques Aujourdrsquohui nous

savons que la conception de lrsquoeacuteducation de Socrate eacutetait tregraves diffeacuterente de celle de

son disciple Platon28 et que si lrsquoon veut comprendre lrsquoideacuteologie eacuteducative

28 Rappelons que Socrate proposait une vision inneacuteiste de lrsquoeacuteducation qui preacutesupposait une

compeacutetence culturelle universelle et inneacutee Au travers drsquoun processus maiumleutique lrsquoeacuteducateur

permet donc agrave ses eacutelegraveves drsquoaccoucher de connaissances inneacutees qursquoils possegravedent sans en ecirctre

conscients afin de les conduire sur le chemin de la Veacuteriteacute de la Bonteacute et de la Beauteacute Au contraire

64

laquo preacutemoderne raquo on doit aussi analyser la penseacutee de Confucius ou de Lao Tzu pour

ne citer que quelques exemples En reacutealiteacute une exeacutegegravese critique des textes que nous

ont laisseacutes ces auteurs nous montre que leur approche de la question eacuteducative est

loin drsquoecirctre comparable et que chacun drsquoentre eux proposait des reacuteponses tregraves

diffeacuterentes agrave certaines questions tregraves simples autour de la relation qui lie la culture

et lrsquoeacuteducation qui doit enseigner agrave qui Quoi Et comment

31 De la parenteacute agrave la culture agrave lrsquoorigine du deacuteveloppement humain

Au sein des organisations sociales preacutehistoriques qui se basaient sur la

famille les liens de parenteacute ndash filiation adoption et alliance ndash constituaient les normes

drsquointeacutegration et les critegraveres drsquoexclusion des diffeacuterents groupes humains qui

habitaient la planegravete Crsquoest donc au sein de la famille que srsquoest historiquement formeacute

la question de la paideia (παιδεία) ndash lrsquoenseignement de la vertu ou laquo les soins que lrsquoon dispense agrave

lrsquoacircme raquo ndash occupe une partie centrale dans lrsquoœuvre de Platon Il srsquoagit drsquoune responsabiliteacute qursquoil

attribue agrave la polis les gouvernants sont donc chargeacutes de promouvoir une instruction visant agrave

exploiter harmoniquement les pulsions naturelles (la colegravere la rage la concupiscence) et les

influences qui deacutependent du milieu social (la laquo politesse raquo) afin de former des citoyens responsables

et de deacutevelopper une eacutelite capable de gouverner lrsquoEacutetat (Platon Prot) Dans ses dialogues ndash et surtout

dans la Reacutepublique consideacutereacutee par Rousseau comme laquo le plus beau traiteacute drsquoeacuteducation qursquoon ait jamais

fait raquo (1762 250) ndash Platon deacuteveloppe une conception de la connaissance qui deacuterive de la capaciteacute

drsquoatteindre le monde des ideacutees et de ne pas se laisser tromper par les faux-semblants de la reacutealiteacute

sensible La paideia platonique est une formation agrave la penseacutee meacutetaphysique neacutecessaire pour guider

lrsquoaction politique des ecirctres humains (Platon Reacutep)

65

lrsquohomo socialis cet ideacutealtype sociologique qui nous repreacutesente et qui deacutecrit notre

ontosystegraveme29 profondeacutement projeteacute vers lrsquoautre

Lrsquoecirctre humain est ainsi car il a deacuteveloppeacute une culture qui le rend diffeacuterent des

animaux une culture qui est apprise et transformeacutee au fil des geacuteneacuterations une

culture qui est le produit drsquoun processus incessant drsquointeractions avec les autres

membres de son espegravece Ces interactions (des eacutechanges qui produisent des

apprentissages) nous deacutemontrent ndash une fois de plus ndash que lrsquohomme en fin de compte

nrsquoest rien drsquoautre qursquoun animal social fruit drsquoune humaniteacute agrave la fois biologique et

culturelle30

Dans ce cycle interactif le rocircle majeur est joueacute par les membres de ces

reacuteseaux de relations qui constituent la parenteacute sur eux repose la responsabiliteacute de

guider dans leur chemin de formation les enfants puis les adolescents et finalement

les jeunes adultes qui formeront agrave leur tour de nouvelles familles Drsquoun point de vue

anthropologique la parenteacute remplit une double fonction naturelle (ou biologique

pour reacutepondre aux neacutecessiteacute primaires des membres les plus jeunes du groupe

lrsquoalimentation le logement la santeacute) et culturelle (pour transmettre le patrimoine

de connaissances accumuleacute par heacuteritage intergeacuteneacuterationnel et pour encadrer les

29 Soit lrsquoensemble des caracteacuteristiques eacutetats compeacutetences habileteacutes vulneacuterabiliteacutes ou deacuteficits inneacutes

ou acquis drsquoun individu

30 Aristote dans le Politique consideacuterait qursquo laquo il est eacutevident que lrsquoEacutetat descend de la Nature et que

lrsquohomme est par nature un animal social raquo (Ἐκ τούτων οὖν φανερὸν ὅτι τῶν φύσει ἡ πόλις ἐστί καὶ

ὅτι ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον Polit I 2 1253a)

66

cateacutegories mentales qui nous servent agrave systeacutematiser lrsquoexpeacuterience sensible) Du fait

de sa condition de laquo terre du milieu raquo entre la Nature et la Culture la famille est un

cadre privileacutegieacute pour observer certains pheacutenomegravenes universels ndash les atomes de

parenteacute31 la prohibition de lrsquoinceste les obligations de solidariteacute et de vengeance

lrsquoheacutegeacutemonie du pater familiae ndash qui font partie de lrsquoabeacuteceacutedaire basique de tout

anthropologue

Si la penseacutee classique consideacuterait que lrsquohomme avait abandonneacute son eacutetat de

nature pour rejoindre un eacutetat plus eacuteleveacute de culture la mecircme penseacutee consideacuterait

aussi que ce processus qui avait conduit les humains de la barbarie agrave la civilisation

srsquoeacutetait opeacutereacute gracircce agrave un processus eacuteducatif Agrave lrsquoheure actuelle la paleacuteoanthropologie

la primatologie et la psychologie cognitive nous deacutemontrent agrave partir drsquoune

perspective diffeacuterente ndash et plus laquo scientifique raquo ndash que en effet bien que le passage

des hominides aux humains ait eu lieu gracircce agrave lrsquoeacuteducation il a peu agrave voir avec une

supposeacutee laquo transition raquo de la Nature agrave la Culture Nous en discuterons dans les pages

qui suivent

31 Il srsquoagit de la deacutenomination que Leacutevi-Strauss donne aux uniteacutes de base de la parenteacute sans lesquelles

il serait impossible de penser lrsquoeacutechange matrimonial lrsquoexogamie ou la prohibition de lrsquoinceste Chaque

laquo atome raquo se compose de quatre individus la megravere le pegravere le fils et lrsquooncle maternel (Leacutevi-Strauss

1949)

67

32 Culture et transmission de la culture une architecture sociale du savoir

Selon Lawrence Hirshfeld la postmodernite a contribue a appauvrir la notion

drsquoapprentissage culturel surestimant le ro le des activite s des adultes ndash conside re es

comme laquo productives raquo ndash et sous-estimant la contribution des enfants a la

reproduction culturelle Aussi le manque drsquointe re t montre par les scientifiques

sociaux envers les potentialite s de la culture laquo infantile raquo comme catalyseur et

diffuseur de la culture des adultes a contribue a la marginalisation des enfants et de

lrsquoenfance et a freine notre compre hension des laquo formes culturelles raquo e mergentes et

des raisons qui expliquent leur persistance (Hirshfeld 2002)

Bien que comme nous lrsquoavons vu dans les pages pre ce dentes les

repre sentants de disciplines tre s diffe rentes ndash comme lrsquoanthropologie la sociologie

la psychologie ou la pe dagogie ndash aient e te capables pendant le dernier sie cle et demi

de de velopper des de finitions et des the ories souvent tre s sophistique es sur la

culture peu drsquoattention a e te accorde e a la question de la transmission des donne es

culturelles En suivant le raisonnement de Hirshfeld on peut imaginer que lrsquoune des

causes a justement e te cette marginalisation de lrsquoenfant et son laquo ide alisation raquo qui

ont e loigne les chercheurs en sciences sociales du seul sujet drsquoe tude qui pour sa

position laquo au centre du re seau raquo des interactions culturelles est capable de de crire

a lui seul comment une culture ndash cette laquo architecture sociale du savoir raquo qui a

68

constitue lrsquoun des grands domaines de recherche de Michel de Certeau32 ndash est

transmise au fil des ge ne rations

Certes a partir des anne es 1960 les travaux de Pierre Bourdieu et de Jean-

Claude Passeron ont permis de comprendre certains me canismes sociaux de

transmission de la culture ndash bien qursquoils pre fe raient parler de laquo capital culturel raquo ndash

mais leurs e tudes se limitaient au contexte me tropolitain et surtout urbain

(Bourdieu et Passeron 1964 1971 Bourdieu 1966)33

Pour mieux comprendre ce me canisme que Bourdieu (1966) conside rait

inconscient et lie a lrsquo laquo habitus raquo des parents et a leur position dans le champ social

il convient de revenir a la question des laquo enfants sauvages raquo Cette expression

de crivait non pas les enfants des peuples laquo sauvages raquo mais les enfants qui pour une

raison ou une autre nrsquoont pas e te expose s a la laquo culture raquo en drsquoautres termes qui

32 Formeacute agrave lrsquoanalyse philosophique et theacuteologique Michel de Certeau a contribueacute agrave probleacutematiser la

notion de culture agrave partir drsquoune perspective critique agrave caractegravere psychanalytique Bien qursquoil ne soit

pas possible de le mettre en relation avec les positions du courant analytique neacuteomarxiste il est

important de souligner que selon lui la culture est le produit drsquoune dialectique entre les eacutelites

sociales et les masses (de Certeau 1993) Cette perspective nous aidera agrave mieux comprendre les

pheacutenomegravenes de patrimonialisation que nous analyserons plus avant

33 De plus leur vision eacutetait mineacutee par un certain laquo ethnocentrisme de classe raquo ce que Bourdieu

reconnaissait laquo Entre tous les preacutesupposeacutes culturels que le chercheur risque drsquoengager dans ses

interpreacutetations lrsquoethos de classe principe agrave partir duquel srsquoest organiseacutee lrsquoacquisition des autres

modegraveles inconscients exerce son action de la maniegravere la plus larveacutee et la plus systeacutematique raquo

(Bourdieu et al 1968 108)

69

nrsquoont pas e te laquo e duque s raquo Les premie res e tudes scientifiques sur ces enfants

abandonne s ou reclus et sans possibilite de contact avec drsquoautres e tres humains ont

e te re alise es a partir de la premie re de cennie du XIXe me sie cle Le premier cas celui

de lrsquoenfant de lrsquoAveyron capture par des chasseurs dans les bois de Lacaune en juillet

1799 a fait sensation dans les cercles mondains et scientifiques europe ens La

Socie te des observateurs de lrsquohomme34 ndash qui re unissait des intellectuels des

philosophes des naturalistes et des me decins ndash a de cide de lrsquoe tudier laquo dans lrsquointe re t

de la science raquo afin de laquo voir si la condition de lrsquohomme abandonne a lui-me me est

tout a fait contraire au de veloppement de lrsquointelligence raquo (Bert 2002 39) Sa

conclusion a e te tranchante ses experts conside raient lrsquoenfant comme atteint

drsquoidiotisme et de de mence Cependant le me decin Jean Marc Gaspard Itard a

demande de pouvoir le traiter a partir drsquoune me thode que nous pourrions

aujourdrsquohui de signer de psychope dagogique et qui apre s six ans de travail a re ussi

a obtenir des re sultats qui me me srsquoils nrsquoont pu effacer la nature laquo sauvage raquo de

lrsquoenfant ont permis des avance es conside rables sur le terrain des fonctions

intellectuelles Sur la base de ces conclusions le docteur Itard affirmait dans son

premier rapport sur lrsquoenfant de lrsquoAveyron que me me laquo dans la horde sauvage la plus

34 Probablement le premier cercle drsquoeacutetudes anthropologiques Fondeacute en 1799 agrave lrsquoinitiative de Louis-

Franccedilois Jauffret elle avait pour but drsquoeacutetudier laquo lrsquohomme raquo agrave partir drsquoune perspective encyclopeacutedique

et comparative capable de fusionner le savoir empirique et le raisonnement theacuteorique Elle a eacuteteacute

fermeacutee en 1805 par volonteacute de lrsquoEmpereur Napoleacuteon I qui consideacuterait ses membres comme des

laquo ideacuteologues raquo capables de srsquooccuper uniquement des laquo ideacutees raquo sans contribuer concregravetement au

progregraves de lrsquoEmpire (Fabietti 2001)

70

vagabonde lrsquohomme nrsquoest que ce qursquoon le fait e tre ne cessairement e leve par ses

semblables il en a contracte les habitudes et les besoins raquo (Itard 1801 3) Cette

histoire tout comme celle de tous les enfants sauvages35 srsquoinscrit en re alite dans une

discussion conceptuelle beaucoup plus large que celle de la psychologie de lrsquoenfant

ces enfants qui jusqursquoa un certain a ge nrsquoont pas eu de contact avec la culture nous

aident a mieux centrer le de bat sur la nature de lrsquohomme Loin de lrsquoapproche

religieuse qui voit dans lrsquohomme lrsquoimage de Dieu leurs cas ont permis drsquoe largir et de

laicirc ciser le de bat sur la nature de lrsquohomme et sur sa socialite Premie rement ils

de montrent que la culture nrsquoest pas inne e mais toujours acquise Ils nous ont aussi

permis de comprendre que crsquoest a partir de la socialisation et des interactions

culturelles que lrsquoe tre humain de veloppe le langage et la structure physique du

cerveau (Skuse 1984 Curtiss et al 1978) En drsquoautres termes comme le souligne

le travail de Barbara Rogoff (1990) le de veloppement cognitif des enfants est le

produit drsquoun contexte social Lrsquohistoire des laquo enfants sauvages raquo nous a donc aide s a

mieux cerner ce que les pale oanthropologues srsquoefforcent depuis des anne es de

de montrer notre espe ce a de veloppe une intelligence qui lui est propre ndash et un

cerveau adapte ndash a partir de sa capacite a tisser des relations sociales de srsquoe changer

des informations et de laquo construire raquo une culture (Joulian 2002) Lrsquohomo ferus

imagine par Linne nrsquoest donc qursquoun e tat pathologique de lrsquohomo sapiens qui le prive

35 Une eacutetude reacutealiseacutee en 1964 par Lucien Malson en recensait 52 Il les a reacutepartis en trois cateacutegories

les enfants eacuteleveacutes par des animaux les solitaires (comme dans le cas de lrsquoenfant de lrsquoAveyron) et les

reclus victimes de parents cruels ou psychotiques (Malson 1964)

71

drsquoun besoin fondamental celui de se transmettre des informations ndash des donne es

culturelles ndash dans le cadre drsquoune architecture sociale du savoir

72

4 De la culture au patrimoine (et inversement)

La notion de culture que nous sommes en train de de velopper ici crsquoest-a -dire

en tant qursquoensemble de principes et de donne es qui conforment lrsquoarchitecture

sociale du savoir et qui sont transmissibles gra ce aux interactions sociales nous

renvoie directement a celle de patrimoine Il srsquoagit la de deux termes qui sont

souvent employe s comme synonymes36 mais qui sont pourtant charge s de deux

significations laquo politiques raquo diffe rentes comme nous lrsquoavons mentionne dans le

premier chapitre et comme nous le verrons plus en de tail dans les pages qui suivent

Mais qursquoest-ce que la culture En effet le questionnement autour de

lrsquoessence de la culture est un des facteurs qui a permis agrave la science anthropologique

de faire ses premiers pas et drsquoacceacuteder au rang de discipline scientifique autonome

Inutile drsquoajouter que lrsquoanthropologie ndash en tant que laquo science de la culture37 raquo ndash a

repreacutesenteacute pour des geacuteneacuterations de scientifiques un domaine privileacutegieacute pour

eacutetudier lrsquoalteacuteriteacute agrave partir de la comparaison (souvent non deacutenueacutee de jugements de

36 Comme le fait par exemple lrsquoancien ministre franccedilais de la Culture Jack Lang (2014) promoteur

des Journeacutees du Patrimoine

37 Il srsquoagit drsquoune expression que jrsquoemprunte agrave lrsquoanthropologue ameacutericain Leslie White qui consideacuterait

que lrsquoeacutetude de lrsquohomme et de la civilisation humaine ne pouvait qursquoecirctre une science de la culture

(White 1949)

73

valeur) des donneacutees culturelles les strateacutegies de survivance et de production les

langues les usages les coutumes les lois les outils pour ne citer que quelques

exemples Cependant dans lrsquounivers des sciences sociales il nrsquoexiste pas de

deacutenomination unanime et univoque de la culture et chaque discipline et eacutecole de

penseacutee a deacuteveloppeacute sa propre interpreacutetation du concept Deacutejagrave en 1952 Alfred

Kroeber et Clyde Kluckhohn en recensaient pas moins de 164 (Kroeber amp

Kluckhohn 1952)

La deacutefinition canonique de la culture telle que nous la connaissons remonte

agrave lrsquoun des ouvrages pionniers de lrsquoanthropologie Les cultures primitives drsquoEdward

Burnett Tylor publieacute en anglais en 1871 et traduit en franccedilais cinq ans plus tard

Selon Edward B Tylor ndash qui consideacuterait la variabiliteacute culturelle des groupes humains

comme le moyen le plus sucircr drsquoattester de lrsquouniteacute biologique de lrsquoespegravece humaine ndash

la culture est laquo ce tout complexe comprenant agrave la fois les sciences les croyances les

arts la morale les lois les coutumes et les autres faculteacutes et habitudes acquises par

lrsquohomme dans lrsquoeacutetat social raquo (Tylor 1876 5)

Agrave lrsquoheure actuelle cette interpreacutetation est toujours drsquoactualiteacute comme le

deacutemontre le fait que lrsquoOrganisation des Nations Unies pour lrsquoe ducation la science et

la culture (UNESCO) dans sa Deacuteclaration de Mexico adopteacutee en 1982 dans le cadre

de la Confeacuterence mondiale sur les politiques culturelles en a repris les eacuteleacutements les

plus saillants en statuant que

laquo Dans son sens le plus large la culture peut aujourdhui ecirctre

consideacutereacutee comme lensemble des traits distinctifs spirituels et

74

mateacuteriels intellectuels et affectifs qui caracteacuterisent une socieacuteteacute ou un

groupe social Elle englobe outre les arts et les lettres les modes de

vie les droits fondamentaux de lecirctre humain les systegravemes de valeurs

les traditions et les croyances raquo (UNESCO 1982 1)38

Il srsquoagit de deacutefinitions descriptives qui bien qursquoayant lrsquoavantage de nous

proposer des variables concregravetes pour distinguer une culture drsquoune autre sont

cependant mineacutees par un certain fonctionnalisme de fond Au bout du compte Tylor

comme lrsquoUNESCO (et donc in extenso la communauteacute internationale) ont perccedilu la

culture comme un tout figeacute dans lrsquoespace et le temps (et ougrave le devenir historique

semble ne pas avoir de place) soit un enchevecirctrement de variables non biologiques

qui sont capables en elles-mecircmes de deacutecrire lrsquoessence drsquoun groupe humain qui sont

neacutecessaires agrave son fonctionnement et qui constituent les laquo frontiegraveres raquo deacutelimitant le

champ drsquoaction drsquoune communauteacute sociale deacutetermineacutee Cependant depuis Tylor un

siegravecle et demi de recherches anthropologiques nous amegravene agrave prendre nos distances

38 Dans la Deacuteclaration de Mexico la notion de culture est eacutegalement abordeacutee agrave partir drsquoune

perspective plus philosophique ndash et drsquoune certaine faccedilon teacuteleacuteologique ndash selon laquelle laquo la culture

donne agrave lrsquohomme la capaciteacute de reacuteflexion sur lui-mecircme Crsquoest elle qui fait de nous des ecirctres

speacutecifiquement humains rationnels critiques et eacutethiquement engageacutes Crsquoest par elle que nous

discernons des valeurs et effectuons des choix Crsquoest par elle que lrsquohomme srsquoexprime prend

conscience de lui-mecircme se reconnaicirct comme un projet inacheveacute remet en question ses propres

reacutealisations recherche inlassablement de nouvelles significations et creacutee des œuvres qui le

transcendent raquo (UNESCO 1982 1 Voir annexe 1)

75

vis-agrave-vis de ce type drsquoapproche cloisonnant les cultures en les deacutecrivant comme

autant drsquoentiteacutes distinctes39 et ne valorisant pas les processus drsquoacculturation en

tant que facteurs essentiels de la construction des cultures humaines Lrsquoeacutetude sur le

terrain de lrsquoalteacuteriteacute culturelle a permis aux derniegraveres geacuteneacuterations drsquoanthropologues

de comprendre que la culture loin de sa supposeacutee immutabiliteacute est un laquo tout raquo bien

plus dynamique que celui imagineacute par Edward Tylor Les travaux de George

Devereux (1943) sur lrsquoacculturation antagoniste ceux de Roger Bastide (1948) sur

les formes drsquoacculturation ceux de Melville Jean Herskovits (1962) sur la

construction de la culture africaine et afro-ameacutericaine ceux de Frederik Barth

(1969 1987) sur la genegravese des frontiegraveres ethniques ou encore ceux de Roy Wagner

(1981) sur laquo lrsquoinvention de la culture raquo ndash pour ne citer que quelques exemples

classiques ndash nous invitent agrave observer la culture comme un processus creacuteatif et agrave

mettre lrsquoaccent sur les dynamiques drsquoinnovation ainsi que sur celles de transmission

des donneacutees culturelles plutocirct que sur des essences laquo pures raquo

39 Ces approches perdurent dans le discours de certains chercheurs comme chez le sociologue

queacutebeacutecois Guy Rocher selon lequel la culture reste laquo un ensemble lieacute de maniegraveres de penser de sentir

et dagir plus ou moins formaliseacutees qui eacutetant apprises et partageacutees par une pluraliteacute de personnes

servent dune maniegravere agrave la fois objective et symbolique agrave constituer ces personnes en une collectiviteacute

particuliegravere et distincte raquo (Rocher 1992 104)

76

41 La culture entre transmission et patrimonialisation

Drsquoun point de vue e tymologique le mot laquo patrimoine raquo de rive de lrsquoexpression

latine patris munus soit la dotation du pe re et de signe lrsquoensemble des biens

appartenant au pater familias40 qui e taient transmis de pe re en fils Au fils des

sie cles cette interpre tation srsquoest graduellement e largie et si a partir du IIe me sie cle

lrsquoadministration impe riale de Rome commenccedila a utiliser la locution patrimonium

populi pour de finir le tre sor public plus tard a partir du Moyen A ge la Curie romaine

allait utiliser la locution laquo patrimoine de Saint Pierre raquo pour identifier tous les biens

mate riels de lrsquoE glise Catholique

Aujourdrsquohui le terme est commune ment utilise pour de crire les proprie te s

mate rielles et immate rielles dont une famille ou une communaute deviennent

de positaires et qui peuvent selon les cas acque rir un statut prive public ou collectif

Selon Guy Di Me o

laquo [i]l ne srsquoagit plus seulement de biens mate riels et de

domaines me me a forte teneur symbolique mais aussi de valeurs

purement ide elles drsquoide es de connaissances et de croyances de

40 Il est inteacuteressant de noter que en latin le mot patrimonium a la mecircme structure morphologique

que le mot matrimonium (matris munus litteacuteralement laquo la dotation de la megravere raquo) Cependant bien

que le premier terme fasse reacutefeacuterence agrave un concept concret (des biens mateacuteriels) le deuxiegraveme fait

plutocirct reacutefeacuterence agrave lrsquounivers symbolique de lrsquoaffiliation crsquoest-agrave-dire lrsquointeacutegration drsquoune personne agrave

lrsquointeacuterieur drsquoune famille comme effet drsquoun accord baseacute sur lrsquoaffiniteacute ou lrsquoopportuniteacute soit le mariage

77

conceptions et de pratiques de savoir-faire et de techniques etc raquo (Di

Me o 2008 87)

Il srsquoagit la drsquoun terme capable de de crire cette tendance humaine a la

persistance culturelle crsquoest-a -dire a la pre servation de certaines donne es

culturellement importantes conside re es essentielles a la continuite drsquoune famille

drsquoune communaute drsquoune socie te ou drsquoune nation Une tendance que dans le

contexte hyper-capitaliste actuel ndash capable de transformer la culture en

marchandise et en objet de culte fe tichiste41 ndash les gouvernements les organisations

intergouvernementales et les administrations territoriales ont transforme e en

projet politique visant a conserver certains e le ments de cet he ritage culturel afin de

promouvoir le de veloppement e conomique de certains territoires Ce projet prend

le nom de patrimonialisation et se mate rialise par la transformation des paysages

des habitats et des cultures pour permettre que certains laquo fe tiches raquo (lieux

expressions de la culture mate rielle rituels ce re monies savoirs) puissent e tre

conserve s tels qursquoils se manifestent au moment de leur laquo mise en protection raquo

41 Cette ideacutee deacuterive des travaux de Michael Taussig (2010) lequel lrsquoemploie agrave partir de son

interpreacutetation anthropologique du concept de laquo feacutetichisme de la marchandise raquo que Karl Marx avait

deacuteveloppeacute dans ses travaux de critique de lrsquoeacuteconomie politique et surtout dans le premier volume du

Capital (1867) Une interpreacutetation laquo culturaliste raquo du concept ndash mais dans une perspective

philosophique ndash a aussi eacuteteacute eacutelaboreacutee par Jean Baudrillard (1972) pour expliquer lrsquoeffet de la

laquo mystique culturelle raquo sur les habitudes de consommation de la socieacuteteacute capitaliste

78

Lrsquoexpression la plus e vidente de cette dynamique est probablement la liste

e tablie par lrsquoUNESCO dans laquelle sont inclus les biens ndash naturels culturels ou

mixtes ndash conside re s comme patrimoines de lrsquohumanite A lrsquoheure actuelle 1 031

biens et sites sont inscrits sur la liste du patrimoine mate riel de lrsquohumanite ndash dont

802 ayant un caracte re culturel42 ndash et 391 laquo expressions de la culture humaine raquo sont

sur la liste du patrimoine culturel immate riel43 Lrsquoinscription sur ces listes octroie

aux communaute s concerne es une certaine visibilite et parfois des fonds publics et

prive s destine s a mieux prote ger ces biens ou traditions Cependant les crite res

drsquoadmission a ces listes sont pluto t controverse s et critique s par plusieurs

anthropologues et scientifiques sociaux (Pocock 1997 Eriksen 2001 Benhamou

2010 Babou 2013)44 En effet lrsquoUNESCO conside re comme patrimoine culturel

laquo les monuments œuvres architecturales de sculpture ou de

peinture monumentales e le ments ou structures de caracte re

arche ologique inscriptions grottes et groupes drsquoe le ments qui ont une

42 Au moment de la reacutedaction de ces lignes lrsquoEurope et lrsquoAmeacuterique du Nord en accueillent 420 soit

48 du total (la liste est constamment mise agrave jour et disponible sur le site web de lrsquoorganisation

wwwunescoorg)

43 Qui inclut laquo les traditions et expressions orales y compris la langue comme vecteur du patrimoine

culturel immateacuteriel les arts du spectacle les pratiques sociales rituels et eacuteveacutenements festifs les

connaissances et pratiques concernant la nature et lrsquounivers les savoir-faire lieacutes agrave lrsquoartisanat

traditionnel raquo (UNESCO 2003 art2)

44 Une synthegravese du deacutebat se trouve dans Le Patrimoine culturel immateacuteriel Enjeux drsquoune nouvelle

cateacutegorie anthologie de textes eacutediteacutee par Chiara Bortolotto (2011)

79

valeur universelle exceptionnelle du point de vue de lrsquohistoire de lrsquoart

ou de la science les ensembles groupes de constructions isole es ou

re unies qui en raison de leur architecture de leur unite ou de leur

inte gration dans le paysage ont une valeur universelle exceptionnelle

du point de vue de lrsquohistoire de lrsquoart ou de la science les sites œuvres

de lrsquohomme ou œuvres conjugue es de lrsquohomme et de la nature et zones

incluant des sites arche ologiques qui ont une valeur universelle

exceptionnelle du point de vue historique esthe tique ethnologique ou

anthropologique raquo (UNESCO 1972 Voir annexe 2)

Aussi dans son article 2 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine

culturel immate riel adopte e en 2003 pre cise que

laquo On entend par ldquopatrimoine culturel immate rielrdquo les pratiques

repre sentations expressions connaissances et savoir-faire ndash ainsi que

les instruments objets artefacts et espaces culturels qui leur sont

associe s ndash que les communaute s les groupes et le cas e che ant les

individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine

culturel Ce patrimoine culturel immate riel transmis de ge ne ration en

ge ne ration est recre e en permanence par les communaute s et

groupes en fonction de leur milieu de leur interaction avec la nature

et de leur histoire et leur procure un sentiment drsquoidentite et de

80

continuite contribuant ainsi a promouvoir le respect de la diversite

culturelle et la cre ativite humaine raquo (UNESCO 2003 Voir annexe 3)

En re alite il nrsquoy a pas beaucoup de diffe rence entre ce que lrsquoUNESCO ndash et les

E tats qui ont ratifie s ses conventions ndash conside re comme laquo patrimoine culturel raquo et

ce que les me mes organismes conside rent comme laquo culture raquo45 Mais quelle est donc

la diffe rence entre patrimoine et culture Et pourquoi a lrsquoheure actuelle les

gouvernements pre fe rent parler de laquo patrimoine raquo pluto t que de culture Enfin

pourquoi la notion de patrimoine culturel a pris une dimension plus politique

qursquoanthropologique

Nous avons de ja de montre comment la notion de culture a e te

historiquement fort e vasive et nous savons aussi que a partir de la fin du deuxie me

conflit mondial lrsquoide e me me que puissent exister des laquo cultures nationales raquo a

disparu du de bat anthropologique et sociologique Les e tudes ethnographiques

mene es dans des pays industrialise s et des anciennes puissances coloniales ont

de montre qursquoil nrsquoexiste pas une culture franccedilaise italienne ou ame ricaine au

contraire chaque pays pourrait e tre repre sente me taphoriquement comme un

e norme puzzle dans lequel chaque pie ce repre sente une de ses cultures

constitutives Qui plus est dans tous les pays du globe lrsquointe gration progressive de

45 Cela devient eacutevident degraves lors que lrsquoon confronte ces deacutefinitions agrave celle de laquo culture raquo preacutevue par la

Deacuteclaration de Mexico sur les politiques culturelles adopteacutees en 1982 dans le cadre de la Confeacuterence

mondiale sur les politiques culturelles (UNESCO 1982)

81

personnes en provenance de lrsquoe tranger a augmente le nombre de laquo cultures raquo ayant

droit de re sidence dans drsquoautres E tats

Les e lites au pouvoir ne peuvent donc plus re clamer lrsquoappartenance a une

seule laquo culture nationale raquo (ide e qui re sisterait difficilement a la plus simple des

analyses historiques) mais peuvent toujours srsquoappuyer sur la notion plus souple de

patrimoine culturel national qui elle permet drsquoidentifier facilement les e le ments

charge s drsquoune valeur symbolique et ayant le pouvoir de se transformer en icones (ou

fe tiches) capables de fe de rer les membres drsquoune nation toute entie re46

La notion de culture nationale apparaicirc t dans la deuxie me moitie du XVIIe me

sie cle en me me temps que lrsquoave nement des E tats-nations soit des entite s politiques

qui justifiaient leur souverainete a partir de lrsquoide e qursquoil pouvait exister une

46 Sur la laquo liaison dangereuse raquo qui met en relation les processus postcoloniaux et la

patrimonialisation de la culture Gerar Collomb eacutecrit laquo Agrave partir des anneacutees soixante la fin de la

relation coloniale - du moins sous sa forme institutionnaliseacutee - a conduit agrave une double remise en

question celle de la place de lOccident et des valeurs sur lesquelles se construit sa preacuteeacuteminence

dans la nouvelle configuration mondiale qui sest dessineacutee celle des rapports qui seacutetaient eacutetablis au

sein mecircme des empires coloniaux entre leurs diffeacuterentes composantes conduisant agrave la formation de

nouveaux Eacutetats Ceux-ci doivent deacutesormais se poser tant face aux anciens Eacutetats colonisateurs que

face aux ensembles culturels etou politiques quils preacutetendent unifier Dans ce nouveau monde le

regard de lOccident agrave lui seul ne peut plus preacutetendre agrave fonder ni leacutegitimer ni mecircme donner sa forme

au museacutee dethnologie celui-ci sinscrit deacutesormais tout autant et souvent exclusivement dans le

registre de la construction dune meacutemoire et dune identiteacute ainsi que dans le registre de la formation

dun patrimoine raquo (Collomb 1999 333)

82

juxtaposition juridique drsquoun territoire gouverne par lrsquoE tat et drsquoun peuple ndash la Nation

ndash constitue de citoyens partageant les me mes modes de vie les me mes normes et les

me mes coutumes crsquoest-a -dire une me me culture Cependant lrsquohistoire srsquoest charge e

de de montrer lrsquoinconsistance de cette ide alisation et de cette utopie juridique ces

me mes E tats-nations qui se sont de veloppe s apre s la signature du Traite de

Westphalie en 1648 e taient en re alite des entite s multinationales ou cohabitaient

plusieurs communaute s sociales et culturelles souvent en conflit entre elles Les

puissances europe ennes nrsquoont pas tarde a le comprendre et pour maintenir leur

pouvoir sur les territoires soumis a leur souverainete ont mis en place des

dispositifs visant a identifier et a diffuser des e le ments culturels qui pouvaient e tre

partage s par tous leurs sujets On connaicirc t la ce le bre expression de lrsquohomme drsquoe tat

italien Massimo drsquoAzeglio qui a la fin du XIXe me sie cle se plaignait de lrsquoabsence drsquoun

esprit national chez ses concitoyens laquo Nous avons fait lrsquoItalie mais nous nrsquoavons pas

fait les Italiens raquo (drsquoAzeglio 1867 5) La naissance de lrsquoe cole laquo moderne raquo et la

popularisation de lrsquoacce s au savoir scolaire doivent alors e tre observe es a partir de

ce contexte historique la culture nationale devait e tre cre e e sur la base de la

reconnaissance des traits communs qui constituaient une nation et qui devaient e tre

transmis selon un programme de fini laquo drsquoen haut raquo et cohe rent avec la construction

de lrsquoE tat

La France a ouvert la voie en 1793 en pleine Re volution avec la cre ation des

laquo e coles centrales de partementales raquo charge es de former des citoyens e duque s aux

valeurs re volutionnaires et dote s des connaissances ne cessaires pour poursuivre les

inte re ts de lrsquoE tat Les autres puissances europe ennes lrsquoont suivie de pre s et avant la

83

fin du XIXe me sie cle tous les pays du continent avaient mis en place des syste mes

nationaux drsquoinstruction et des e tablissements responsables de lrsquoe ducation des

citoyens (Gaulupeau 1992)

Aujourdrsquohui on ne parle plus de cultures nationales mais les e coles

demeurent responsables de la diffusion drsquoun savoir commun qui fait office de

laquo patrimoine culturel raquo a transmettre aux ge ne rations futures

42 Eacuteducation et socieacuteteacute la question de lrsquoautochtonie

Lrsquoavegravenement des grandes civilisations47 et la complexification des

organisations sociales ont eacuteteacute consideacutereacutes par lrsquohistoriographie classique ndash et ce au

moins jusqursquoagrave la premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle ndash comme les manifestations

historiques du passage de lrsquoeacutetat de nature agrave lrsquoeacutetat de culture de la preacutehistoire agrave

lrsquohistoire En effet la genegravese des socieacuteteacutes stratifieacutees et hieacuterarchiseacutees a requis le

deacuteveloppement drsquoinstitutions speacutecialiseacutees externes aux familles et deacutedieacutees agrave la

formation et agrave la reproduction de la culture Par exemple dans lrsquoEacutegypte antique deacutejagrave

agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoAncien Empire entre 2800 et 2200 avant notre egravere les scribes et

autres fonctionnaires au service du pharaon eacutetaient eacuteduqueacutes dans les laquo maisons de

47 En anthropologie on eacutevite le terme civilisation qui renvoie par opposition agrave celui de laquo barbarie raquo

et on lui preacutefegravere la notion plus neutre de culture Cependant je lrsquoutilise ici dans le sens que lui

donnent les historiens agrave savoir un groupe social avec une population seacutedentaire une organisation

eacutetatique une eacuteconomie baseacutee sur la speacutecialisation du travail et ougrave les surplus de production sont

concentreacutes dans les mains des niveaux supeacuterieurs de la hieacuterarchie sociale (Childe 1936)

84

vie raquo (Per Acircnkh) en Chine les premiegraveres eacutecoles ndash destineacutees aux enfants de

lrsquoaristocratie ndash apparurent pendant la dynastie Xia entre 2100 et 1600 avant notre

egravere en Inde les eacutecoles veacutediques ndash ouvertes agrave tous et ayant pour but lrsquoapprentissage

des textes et des traditions preacute-hindous et hindous ndash commencegraverent agrave opeacuterer agrave

partir de 1600 ans avant notre egravere (Rouche 1981)

Bien que chaque socieacuteteacute humaine ait adopteacute des modegraveles diffeacuterents agrave partir

de lrsquoeacutepoque de la constitution des Empires coloniaux la reacutefeacuterence de la schola srsquoest

imposeacutee telle qursquoelle existait en Europe depuis le Moyen Acircge48 exporteacutee au niveau

planeacutetaire par les puissances impeacuteriales souvent gracircce agrave lrsquoactiviteacute des congreacutegations

religieuses qui accompagnaient les explorateurs dans leurs voyages Lrsquoinstitution du

systegraveme scolaire ndash qui a souvent pris la forme drsquoune imposition surtout dans les

colonies ndash a profondeacutement bouleverseacute les scheacutemas locaux de transmission de la

culture Cependant comme nous lrsquoavons vu dans le premier chapitre lrsquoeacutetude des

dispositifs eacuteducatifs traditionnels ndash qui pendant longtemps ont eacuteteacute traiteacutes comme de

simples laquo curiositeacutes anthropologiques raquo ndash a acquis avec le temps une importance

croissante au point de devenir une prioriteacute pour plusieurs institutions inteacuteresseacutees

par lrsquoanalyse de lrsquoefficaciteacute peacutedagogique des pratiques formatives non-occidentales

Par ailleurs des organismes internationaux comme le Bureau international

drsquoeacuteducation (BIE) ont souligneacute lrsquoimportance pour les gouvernements de la planegravete

48 Crsquoest-agrave-dire une institution baseacutee sur des eacuteducateurs speacutecialiseacutes ndash les laquo maicirctres raquo ndash qui

transmettent des savoirs lieacutes agrave une ou plusieurs disciplines ontologiquement distinctes agrave partir drsquoun

programme deacutefini au preacutealable dans un espace deacutedieacute (lrsquoeacutecole) et avec des outils speacutecifiques des

tables des chaises des livres des cahiers des plumeshellip (Rouche 1981)

85

drsquoalimenter la recherche ethnographique autour des processus de transmission des

savoirs locaux consideacutereacutes comme partie du patrimoine culturel immateacuteriel de

lrsquohumaniteacute (Camilleri 1985)

En France la question eacuteducative a eacuteteacute traditionnellement associeacutee agrave

lrsquoenseignement scolaire et plus preacuteciseacutement au fonctionnement du dispositif

scolaire universel et obligatoire Agrave partir de la Reacutevolution de 1789 le discours

politique des diffeacuterents gouvernements qui se sont succeacutedeacutes agrave la tecircte de lrsquoEacutetat a

toujours souligneacute le rocircle de lrsquoeacutecole comme laquo ascenseur social raquo avec pour fonction

de garantir lrsquoeacutegaliteacute des chances agrave tous les citoyens49 tout en marginalisant le rocircle

eacuteducatif de la famille et sa fonction dans le deacuteveloppement cognitif et la

laquo socialisation primaire raquo Le reacutecent constat des limites de ce discours a conduit agrave

une veacuteritable laquo affaire drsquoEacutetat raquo surtout apregraves la publication des reacutesultats

deacutecourageants des derniegraveres eacutevaluations du Programme international pour le suivi

des acquis des eacutelegraveves (PISA)50 de lrsquoOrganisation de coopeacuteration et de

49 On doit consideacuterer que sous lrsquoAncien Reacutegime les collegraveges et les universiteacutes eacutetaient destineacutes agrave la

formation de lrsquoaristocratie En reacutealiteacute cette situation a perdureacute jusqursquoen 1880 mecircme si au-delagrave de la

noblesse ces organismes accueillaient aussi les nouvelles eacutelites sociales (les laquo notables raquo)

repreacutesenteacutees par la nouvelle classe des commerccedilants et des professionnels libeacuteraux meacutedecins

notaires ingeacutenieurs (Gaulupeau 1992)

50 Les eacutetudes PISA visent agrave mesurer les performances des systegravemes eacuteducatifs des pays membres de

lrsquoOCDE et drsquoun certain nombre de pays qui ne sont pas membres de lrsquoOrganisation mais qui sont

associeacutes au PISA Ces eacutevaluations ont une finaliteacute comparative et eacutevaluent les compeacutetences acquises

par les eacutelegraveves agrave la fin de leur peacuteriode de scolariteacute obligatoire afin drsquoidentifier les facteurs exogegravenes ndash

le milieu social eacuteconomique et culturel des familles le cadre scolaire et le mesures mises en place

86

deacuteveloppement eacuteconomiques (OCDE) En 2009 le classement PISA positionnait la

France en 22egraveme position dans le domaine des matheacutematiques et de la lecture et en

27egraveme position dans les compeacutetences scientifiques51 (OECDE 2010) En 2012 la

France se classait 25egraveme en matheacutematiques 26egraveme en science et 21egraveme en lecture52

(OECDE 2014) Sans compter que en 2003 60 000 eacutelegraveves avaient quitteacute le systegraveme

scolaire sans aucune qualification ndash et presque 100 000 avec une qualification mais

sans aucun diplocircme ndash et que lrsquoanneacutee suivante 15 des eacutelegraveves qui sortaient du cours

moyen 2egraveme anneacutee (CM2)53 eacutetaient eacutevalueacutes comme laquo en grande difficulteacute raquo et 25

peinaient agrave comprendre le sens drsquoun texte simple (Theacutevenin amp Compagnon 2005)

Qui plus est lrsquoactuelle conjoncture eacuteconomique et les hauts taux de chocircmage chez

les jeunes entraicircnent une veacuteritable course aux diplocircmes qui a pour principal effet de

privileacutegier une surqualification qui nrsquoest pas toujours neacutecessaire agrave lrsquoaccegraves au marcheacute

du travail

par le systegraveme eacuteducatif national ndash et endogegravenes ndash la motivation des eacutelegraveves lrsquoestime de soi les

strateacutegies drsquoapprentissage ndash qui favorisent la reacuteussite scolaire

51 La mecircme anneacutee la municipaliteacute autonome de Shanghai en Chine a obtenu la premiegravere position

dans les trois classements

52 En 2012 la premiegravere position a aussi eacuteteacute obtenue par Shanghai En matheacutematiques la deuxiegraveme et

la troisiegraveme position ont eacuteteacute assigneacutees respectivement agrave Singapour et agrave Hong Kong en sciences et en

lecture la deuxiegraveme et la troisiegraveme position ont eacuteteacute assigneacutees respectivement agravehellip Hong Kong et

Singapour

53 Il srsquoagit du dernier niveau (avant lrsquoentreacutee au collegravege) de lrsquoeacutecole primaire en France

87

Contrairement agrave la tendance observeacutee dans les pays de lrsquoOCDE les reacutesultats

de PISA constatent qursquoen France le milieu social et familial dont lrsquoeacutelegraveve est issu

conditionne fortement sa reacuteussite scolaire et qursquoil existe une correacutelation statistique

positive entre les ressources eacuteconomiques des familles et les compeacutetences scolaires

acquises par les enfants (surtout dans les domaines des matheacutematiques et de la

compreacutehension de lrsquoeacutecrit) En 2013 apregraves la publication des reacutesultats de lrsquoenquecircte

PISA 2012 le ministegravere de lrsquoEacuteducation Nationale (MEN) a deacutecideacute de reacutepondre agrave ce

signal drsquoalarme en srsquoengageant dans un processus de reacuteforme de la normative en

vigueur afin de laquo refonder lrsquoeacutecole raquo et surtout de reacuteduire les ineacutegaliteacutes scolaires Les

objectifs principaux de ce programme qui srsquoest concreacutetiseacute gracircce agrave la Loi ndeg 2013-

595 du 8 juillet 2013 drsquoorientation et de programmation pour la refondation de

lrsquoEacutecole de la Reacutepublique eacutetaient les suivants

donner la priorite a lrsquoenseignement primaire

renforcer lrsquoe ducation prioritaire

lutter contre le de crochage

de finir des nouveaux rythmes scolaires

re nover les programmes

miser sur les technologies de lrsquoinformation et de la communication pour

lrsquoe ducation (TICE) gra ce a une vraie laquo strate gie nume rique raquo

former les enseignants dans des e tablissements spe cialise s les E coles

Supe rieures du Professorat et de lrsquoE ducation (ESPE)

88

repenser les me tiers de lrsquoenseignement

Cependant le MEN consideacuterait qursquoun autre facteur critique pouvait expliquer

lrsquoeacutechec scolaire des eacutelegraveves franccedilais le manque de coordination entre les eacutecoles et

les familles En ce sens cette institution a adresseacute agrave tous ses fonctionnaires mais

aussi aux preacutefets une circulaire rappelant les mesures agrave prendre pour laquo renforcer la

coopeacuteration entre les parents et leacutecole dans les territoires raquo (MEN 2013)

Cette derniegravere circulaire nrsquoa pas reccedilu un accueil favorable De fait dans

certains milieux plutocirct traditionalistes lrsquoideacutee encore tregraves diffuse selon laquelle lrsquoun

des piliers de lrsquoeacutecole reacutepublicaine est son rocircle de laquo sanctuaire raquo soit un havre de paix

proteacutegeacute des assauts de la laquo socieacuteteacute exteacuterieure raquo ndash qui voudrait comme lrsquoaffirmait le

philosophe Jacques Muglioni laquo lui imposer ses inteacuterecircts ses passions et ses modes raquo

(Muglioni 1993 72) ndash et ougrave les enseignants pourraient se deacutedier entiegraverement agrave leur

tacircche eacuteducative sans devoir rendre des comptes aux familles (souvent perccedilues

comme des laquo intrus raquo54) perdure Mecircme Philippe Meirieu le peacutedagogue qui a inspireacute

les reacuteformes lieacutees agrave lrsquoinstauration des modules au lyceacutee et agrave la creacuteation des Instituts

universitaires de formations des maicirctres (IUFM les ancecirctres des ESPE)55 eacutetait en

54 Comme lrsquoa expliqueacute Anne-Sophie Benoit preacutesidente de lrsquoAssociation nationale des directeurs de

lrsquoeacuteducation des villes (ANDEV) dans une audition reacutealiseacutee le 6 mars 2014 agrave la Commission des

affaires culturelles et de lrsquoeacuteducation (CACE 2014)

55 En 1998 le journal Libeacuteration publiait un portrait de Meirieu intituleacute laquo Le peacutedagogue le plus eacutecouteacute

de nos gouvernants raquo (Auffray 1998)

89

effet convaincu que laquo lrsquoeacutecole obligatoire doit constituer un abri mecircme provisoire

contre la tempecircte sociale raquo (Meirieu amp Guiraud 1997 83)56

Bien qursquoau deacutepart cette vision de lrsquoeacutecole se justifiait par la volonteacute de

laquo seacuteparer raquo le milieu scolaire du cadre familial afin de faciliter le contact entre les

eacutelegraveves issus de milieux socioeacuteconomiques diffeacuterents et drsquoeacuteliminer lrsquoinfluence

neacutegative de certains contextes deacutefavoriseacutes sur la conduite des enfants agrave lrsquoeacutecole dans

les deacutebats peacutedagogiques plus reacutecents cette conception est deacutesormais consideacutereacutee

comme anachronique Plusieurs eacutetudes ont deacutemontreacute non seulement qursquoil existe une

correacutelation entre les performances scolaires des eacutelegraveves et leur milieu eacuteducatif le plus

proche (la famille et la communauteacute drsquoappartenance) mais aussi que lrsquoimplication

familiale ndash qui compte pour beaucoup dans la reacuteussite des eacutelegraveves ndash repose sur une

compreacutehension des attentes mutuelles (de lrsquoeacutecole et des familles) et de leurs

scheacutemas respectifs de fonctionnement (ce qui a eacuteteacute deacutemontreacute par les travaux de

Dumoulin et al 2014 Lariveacutee amp Larose 2014 Lariveacutee amp Poncelet 2014 Poncelet

et al 2014) Toutefois si drsquoun cocircteacute lrsquoEacutetat exige une meilleure coordination entre les

parents drsquoeacutelegraveves et les institutions eacuteducatives de lrsquoautre la reacutealiteacute sur le terrain se

reacutevegravele beaucoup plus complexe que ce que lrsquoavait imagineacute le leacutegislateur En 2014 un

rapport drsquoinformation de la Commission des affaires culturelles et de lrsquoeacuteducation de

lrsquoAssembleacutee nationale sur les relations entre lrsquoeacutecole et les parents montre que laquo ces

relations nrsquoont jamais eacuteteacute simples raquo et conclut que laquo pour des raisons historiques et

56 Cependant au cours les anneacutees suivantes Meirieu ndash ayant entre temps entrepris une carriegravere

politique ndash nuancera cette position et abandonnera son rigorisme originel (Meirieu 2000)

90

culturelles la place et le rocircle des parents nrsquoont pas encore trouveacute leur point

drsquoeacutequilibre au sein de lrsquoeacutecole raquo (CACE 2014 9)

Dans un article paru dans la Revue internationale de lrsquoeacuteducation familiale

Olivier Preacutevocirct srsquoalignera sur ces mecircmes positions en consideacuterant que bien que la

laquo refondation de lrsquoeacutecole raquo repreacutesente une avanceacutee importante dans la construction

drsquoune socieacuteteacute plus inclusive

laquo Il serait neacutecessaire en ce qui concerne la formation des

enseignants que la coeacuteducation soit plus largement traiteacutee et abordeacutee

sous des modaliteacutes qursquoil faudrait construire Les enseignants sont en

effet souvent eux-mecircmes deacutemunis quant agrave leurs rapports aux familles

Degraves la formation initiale il serait pertinent drsquoaccompagner les futurs

enseignants afin qursquoils soient mieux agrave mecircme de construire une relation

positive avec les parents dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant raquo (Preacutevocirct 2014

30)

En drsquoautres termes au-delagrave des bonnes intentions afficheacutees par le leacutegislateur

une veacuteritable refondation de lrsquoeacutecole ne peut exister que si les enseignants qui sont

lrsquointerface visible de lrsquoinstitution scolaire sont formeacutes agrave connaicirctre et agrave analyser la

reacutealiteacute sociale culturelle et eacuteconomique des contextes dans lesquels ils travaillent

Autrement dit les enseignants devraient avoir une formation anthropologique de

base afin de pouvoir srsquointeacutegrer correctement dans cette zone de transition qui

91

seacutepare et unit lrsquoeacutecole et les familles soit une version laquo sociale raquo de ce qursquoen biologie

on appellerait un eacutecotone57

Pour les deacutepartements les reacutegions et les collectiviteacutes de lrsquoOutre-mer franccedilais

cette probleacutematique a une importance capitale notamment si on se reacutefegravere aux taux

eacuteleveacutes drsquoeacutechec scolaire ndash confirmeacutes par les statistiques et par les reacutesultats des

recherches sur le terrain ndash qui touchent surtout les communauteacutes autochtones

(Poirine 1991 et 1996 Malogne 2001 Alby 2006 et 2008) On doit aussi

consideacuterer que dans ces territoires les conditions actuelles de la scolarisation

constituent bien souvent lrsquoune des causes de la fragmentation des noyaux familiaux

et de lrsquoexode rural qui lui-mecircme entraicircne la perte de savoirs traditionnels propres

agrave des groupes autochtones Lrsquoeacutetude des systegravemes eacuteducatifs des communauteacutes

ethniques58 drsquoOutre-mer srsquoavegravere donc drsquoune grande importance Agrave ce titre elle est

57 Crsquoest-agrave-dire la zone de contact entre deux eacutecosystegravemes voisins (par exemple le deacutesert et la savane

ou la forecirct et la mangrove) Cette notion qui est apparue pendant les anneacutees 1980 dans le domaine

des sciences naturelles commence agrave srsquoimposer dans les travaux de plusieurs scientifiques sociaux

pour deacutefinir les laquo espaces de transition raquo entre deux ou plus contextes socioculturels (Minor 2007

Bekker 2010 Innes 2014)

58 Effectivement en France le concept drsquoethniciteacute (qui reacutesiste quand mecircme dans le milieu de

lrsquoanthropologie) nrsquoa pas de fondement juridique On lrsquoutilise ici dans le sens que lui attribue la Charte

europeacuteenne des langues reacutegionales ou minoritaires qui a eacuteteacute adopteacutee avec la convention europeacuteenne

ETS 148 de 1992 sous les auspices du Conseil de lrsquoEurope pour proteacuteger et favoriser les langues

historiques reacutegionales et les langues des minoriteacutes en Europe (CdE 1992 Voir annexe 4) ndash une Charte

que le gouvernement franccedilais coheacuterent avec sa vision drsquouniteacute sociale de la nation nrsquoa jamais ratifieacutee

92

aujourdrsquohui reacuteclameacutee par des voix eacuteminentes (Grenand amp Renault-Lescure 1990

Terrail 1997 et 2005 Hurault et al 1998 Grenand F 2000 Lorcerie 2003) Il

srsquoagit de comprendre les processus et les outils de transmission drsquoun patrimoine de

connaissances de capaciteacutes et de compeacutetences qui sont propres agrave ces communauteacutes

et qui sont eacutetroitement lieacutees agrave des milieux geacuteographiques de grande valeur en

termes eacutecologiques et eacuteconomiques

93

5 Culture et autochtonie

La raison anthropologique nous invite comme le disait a juste titre Ugo

Fabietti (2007) a relativiser les identite s sans essentialiser les diffe rences Ce cadre

conceptuel nous aide a comprendre comment lrsquoide e me me de laquo culture nationale raquo

he ge monique et produite par la rhe torique nationaliste a pu servir les inte re ts de

certaines forces politiques afin drsquouniformiser les identite s et de cre er des laquo citoyens

de la nation raquo tout en stigmatisant les diffe rences culturelles qui ne pouvaient pas

e tre inte gre es a la nation comme les cultures subalternes59 (Figure 5)

59 Jrsquoutilise les termes laquo heacutegeacutemonique raquo et laquo subalterne raquo en mrsquoappuyant sur lrsquointerpreacutetation

deacuteveloppeacutee par le philosophe antifasciste italien Antonio Gramsci Selon cette conceptualisation

lrsquoheacutegeacutemonie devient un systegraveme de domination politique qui srsquoeacutetablit agrave partir drsquoune base culturelle

(les pratiques et les croyances collectives) la subalterniteacute est le statut qui est assigneacute aux groupes

marginaliseacutes ignoreacutes ou reacuteprimeacutes par la violence ndash physique ou symbolique ndash de lrsquoapparat

institutionnel agrave travers lequel srsquoexpriment les groupes heacutegeacutemoniques (Gramsci 1949) Ces termes

ont acquis une laquo validiteacute anthropologique raquo gracircce au travail analytique drsquoAlberto Cirese (1982) qui a

contribueacute agrave la diffusion de la penseacutee de Gramsci dans les cercles scientifiques europeacuteens et nord-

ameacutericains

94

Figure 5 Cultures heacutegeacutemoniques et culture subalternes

Le discours nationaliste surtout dans le cadre des E tats-nations et des

Empires coloniaux avait pour objectif drsquooffrir une justification ide ologique a lrsquoide e

qursquoune certaine culture conside re e comme nationale pouvait e tre supe rieure a

drsquoautres Ces cultures laquo autres raquo nrsquoe taient pas ne cessairement celles des minorite s

mais tout simplement celles qui ne re pondaient pas aux crite res choisis par les

e lites politiques et e conomiques et qui entravaient les projets des gouvernements

LrsquoHistoire est riche drsquoexemples qui nous montrent comment ce discours a pu

se traduire en politiques drsquoe limination de laquo lrsquoautre raquo justifie es par la ne cessite de

pre server la purete et lrsquounite nationale des guerres de religion aux conflits

ethniques de lrsquoHolocauste aux pogroms Cependant il ne faut pas oublier que dans

la majorite des cas ces politiques cachaient des motivations moins ide ologiques

Culture heacutegeacutemonique

Culture subalterne (en

voie drsquointeacutegration)

Culture subalterne

(marginaliseacutee)

Culture subalterne

(inteacutegreacutee mais marginale)

95

qursquoe conomiques lie es a lrsquoacce s a certaines ressources et a leur distribution De ce

point de vue le cas des peuples autochtones est exemplaire

Avec lrsquoapparition des Empires coloniaux les nations europe ennes se sont

lance es dans une entreprise de domination globale qui les a conduites a conque rir

des territoires et a soumettre des peuples qui vivaient loin des me tropoles du Vieux

Continent et qui dans cette phase coloniale nrsquoont jamais re ellement e te inte gre s aux

E tats colonialistes Pendant toute cette pe riode les colonise s nrsquoont jamais pu acce der

au statut de citoyens et le seul statut qui e tait octroye a ces laquo sauvages raquo ou

laquo primitifs raquo e tait celui drsquoautochtones crsquoest-a -dire litte ralement des occupants

originaires drsquoun territoire60 Bien que cette notion drsquoautochtonie ait connu un certain

succe s jusqursquoa la premie re moitie du XIXe me sie cle61 elle a e te progressivement

abandonne e au profit de la notion de laquo race raquo qui re sistera dans certaines sphe res

60 Il srsquoagit drsquoun lexegraveme drsquoorigine latine (autochthon) qui agrave son tour deacuterive du grec ancien αὐτόχθων

mot composeacute du pronom αὐτός (laquo soi-mecircme raquo) et du substantif χθών (laquo terre raquo) qui pourrait se

traduire comme laquo celle ou celui qui appartient agrave un territoire raquo ou moins litteacuteralement laquo celle ou

celui qui est neacute dans le territoire ougrave sont neacutes ses ancecirctres raquo (ou encore laquo qui vient de la terre mecircme raquo

comme le proposent Gagneacute et Salauumln 2009 XIV) Les auteurs classiques comme Heacuterodote utilisent

cette notion en reacuteponse agrave celle de ἐπήλυδες (laquo immigrants raquo ou laquo eacutetrangers raquo)

61 Balzac dans sa Comeacutedie humaine lrsquoutilise pour identifier les communauteacutes natives comme lrsquoatteste

un ceacutelegravebre passage de La peau de chagrin ougrave le personnage du savant - laquo qui pour lrsquoinstruction du

sculpteur inattentif avait entrepris une discussion sur le commencement des socieacuteteacutes et sur les

peuples autochtones raquo - srsquoappuyait sur cette notion afin de lui expliquer lrsquoorigine de la civilisation

(Balzac 1874 44)

96

de la communaute scientifique jusqursquoa la deuxie me moitie du XXe me sie cle pour

apparaicirc tre a nouveau en paralle le au processus de de colonisation qui a suivi la

Confe rence de Bandung de 1955 et srsquoaffirmer finalement a partir du Troisie me

Mille naire62

Aujourdrsquohui la notion drsquoautochtonie correspond a une cate gorie sociologique

et juridique qui sert a de crire les populations natives mais minoritaires au sein des

E tats et qui est utilise e par leurs repre sentants laquo pour demander justice pour les

violations des droits humains dont elles sont victimes depuis la colonisation ou

lrsquoinvasion et revendiquer des droits en vertu de leur ante riorite drsquooccupation drsquoun

territoire raquo (Gagne et Salau n 2009 XV) Comme le souligne Ire ne Bellier il srsquoagit

donc drsquoune vraie cate gorie politique qui a contribue a construire le mouvement

social des autochtones dans lrsquohistoire globale de la mondialisation et qui te moigne

de la laquo capacite de mobilisation des acteurs autochtones et de leur volonte de se

de finir comme des partenaires dans les espaces du dialogue international raquo (Bellier

2009 78) Un mouvement qui a lrsquoheure actuelle ne re clame pas seulement la simple

reconnaissance de la diversite des peuples natifs dans les espaces politiques

nationaux mais aussi et surtout la revendication drsquoune autonomie territoriale

juridique et culturelle qui devrait leur permettre de survivre en tant que sujets actifs

du de bat citoyen Bien que suite a lrsquoadoption de certains instruments juridiques

62 En France le terme se diffusera surtout apregraves 2007 anneacutee drsquoadoption de la Deacuteclaration des Nations

Unies sur les droits des peuples autochtones (en anglais United Nations Declaration on the Rights of

Indigenous Peoples) du fait du deacutebat qui a eu lieu dans les cercles juridiques autour de la question sur

la traduction la plus adapteacutee au terme anglais laquo indigenous people raquo (UN 2007)

97

contraignants ndash comme les Conventions 107 et 169 de lrsquoOrganisation internationale

du travail (OIT)63 ndash plusieurs gouvernements aient de ja reconnu au moins

formellement le caracte re collectif des droits des entite s autochtones64 beaucoup

drsquoautres ndash comme la France les E tats-Unis le Canada la Chine ou la Russie ndash nrsquoont

jamais voulu le faire car cette reconnaissance juridique pouvait mettre en pe ril

lrsquounite politique de la nation

La question de la culture autochtone et de sa transmission par le biais de

formes drsquoe ducation et de formation propres est donc devenue une affaire politique

avec une re sonance internationale un sujet qui questionne lrsquoanalyse

anthropologique notamment a lrsquoheure actuelle dans un contexte qui voit certains

gouvernements de velopper des projets de laquo patrimonialisation raquo des cultures

locales qui somme toute ne sont pas mis en place pour reconnaicirc tre ndash ou conserver

ndash lrsquoalte rite culturelle des peuples autochtones mais pluto t pour leur permettre de

srsquoaffranchir du discours de la laquo reconnaissance raquo tout en continuant a mener des

politiques drsquohomoge ne isation

63 La premiegravere est deacutedieacutee agrave la laquo protection et lrsquointeacutegration des populations aborigegravenes et autres

populations tribales et semi-tribales dans les pays indeacutependants raquo et la deuxiegraveme est laquo relative aux

peuples indigegravenes et tribaux raquo (OIT 1957 et 1989 Voir annexes 5 et 6) Agrave la diffeacuterence de la

Deacuteclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui reste une simple

deacuteclaration de bonne volonteacute (voir annexe 7) les Conventions de lrsquoOIT ont un effet juridique direct

sur les leacutegislations des pays qui les ont ratifieacutees

64 Parfois en leur attribuant la forme juridique de laquo communauteacutes sociales raquo mais en leur octroyant

le plus souvent la gestion administrative drsquoun territoire (une reacuteserve un parc naturel ou un village)

98

51 Autochtonie indigeacuteneacuteiteacute ethniciteacute et racisme une biopolitique de

lrsquoalteacuteriteacute

Dans le vocabulaire anthropologique la notion drsquoautochtonie se superpose

souvent a celles drsquoethnicite et drsquoindige ne ite Il srsquoagit cependant de trois concepts qui

cachent des significations politiques particulie res et qui drsquoun point de vue

e piste mologique ne repre sentent pas le me me phe nome ne ou du moins ne lui

octroient pas le me me sens

Jonathan Friedman conside re que lrsquoindige ne ite est une notion qui renvoie laquo a

la nature au pre ce dent historique a la simplicite a lrsquoe galite et a lrsquoharmonie mais

aussi a lrsquoe tat de sous-de veloppement de sauvagerie de guerre ge ne ralise e et de

de sordre raquo (Friedman 2009 35) Plus concre tement il srsquoagirait de lrsquoeffet drsquoun

processus dialectique qui a lrsquoinverse du processus de cosmopolitisation permet a

certains groupes de se de finir a partir drsquoune identite ethnique laquo enracine e raquo (voir

Figure 6) et radicalement oppose e aux cultures hybrides imagine es par Nestor

Garcicirc a Canclini (1989)

99

Figure 6 Dialectique de la cosmopolitisation et de lrsquoindigeacutenisation (drsquoapregraves Friedman 2009 49)

Cette laquo identite indige ne raquo est donc ide ologique mais avant tout lie e a un

territoire a des laquo racines raquo Toutefois crsquoest aussi une notion pole mique et plusieurs

auteurs comme Adam Kuper (2003) ou Mathias Guenther (2006) critiquent

lrsquoessentialisme et le colonialisme re siduel de cette conceptualisation qui ne semble

pas capable de prendre en compte lrsquoexistence drsquoun contexte global ou

laquo lrsquoenracinement ethnique raquo de lrsquoindige ne ite oublie le facteur culturel en se limitant

a utiliser des crite res biologiques (lrsquoethnie) et ge ographiques (territoire) pour

e tablir des frontie res et se parer les laquo vrais Indige nes raquo des autres Drsquoautres

chercheurs comme Alan Barnard conside rent que bien que la notion ait pu

permettre de conceptualiser et soutenir la cause des peuples marginalise s elle reste

100

une cate gorie non scientifique qui ne devrait pas e tre retenue dans le glossaire

technique de lrsquoanthropologie (Barnard 2006)

Par ailleurs la cate gorie de laquo lrsquoethnicite raquo est aussi expose e a des critiques du

me me ordre Lrsquoanthropologue Mondher Kilani par exemple invite a employer le

terme drsquoethnicite (et tous les mots compose s ou de rive s de ce terme comme

laquo ethnique raquo laquo multiethnique raquo laquo pluriethnique raquo laquo interethnique raquo et similia) avec

beaucoup de pre cautions Il srsquoagit selon lui drsquoun concept qui peut se transformer

tre s facilement en ste re otype source de pre juge s ou de positions extre mistes (Kilani

1997)65 Crsquoest la une position que partage Ugo Fabietti selon lequel la notion

drsquoethnicite peut e tre charge e drsquoune connotation symbolique qui re duit

drastiquement son statut drsquoobjectivite scientifique Il conside re en effet que drsquoun

point de vue anthropologique lrsquoappartenance a un certain groupe humain ndash

religieux politique ou ethnique ndash srsquoinscrit avant tout dans lrsquoordre du symbolique ce

qui fait de lrsquoidentite ethnique un symbole drsquoappartenance ndash une appartenance qui

inclu t les laquo semblables raquo mais qui exclut ainsi ceux qui ne rentrent pas dans cette

cate gorie Fabietti conside re que

laquo Il nrsquoest pas suffisant drsquoavoir une certaine couleur de peau

pour faire partie drsquoune ethnie ne anmoins il ne suffit pas non plus de

65 On peut aiseacutement imaginer que le parcours de vie de cet intellectuel polyeacutedrique ait eu une

influence sur sa perception du multiculturalisme et sur ses doutes quant agrave la notion drsquoethniciteacute Neacute

en Algeacuterie eacutetudiant en France et Professeur des Universiteacutes en Suisse il possegravede les trois nationaliteacutes

mais comme il lrsquoaffirme lui-mecircme laquo aucune ethniciteacute raquo (Kilani 2007)

101

parler une certaine langue ou de partager des valeurs ou des

comportements de termine s Lrsquoidentite ethnique et lrsquoethnicite cest-a -

dire le sentiment drsquoappartenir a un groupe ethnique ou une ethnie

sont [hellip] des de finitions du soi etou de lrsquoautre qui sont presque

toujours enracine es dans des rapports de force entre groupes coagule s

autour drsquointe re ts spe cifiques raquo (Fabietti 2007 14)

Dans les sciences sociales la notion drsquoethnie a souvent e te confondue avec

celles de nation et de race66 (Martiniello 1995) En ce qui concerne les relations

entre ethnicite et nationalisme le de bat est polarise entre des chercheurs ndash comme

John Alexander Armstrong (1982) ndash qui affirment que les deux notions ont les me me

racines (ce qui rend difficile leur diffe renciation) et ceux ndashBenedict Anderson

(1983) ndash qui conside rent qursquoil srsquoagit de deux phe nome nes tre s distincts sur le plan

historique sociologique et politique mais aussi et surtout au niveau ide ologique

La laquo liaison dangereuse raquo qui a existe entre les notions de race et drsquoethnie est

beaucoup plus ancienne et trouve ses origines dans cette tendance de la pense e

66 Comme le deacutemontre ce ceacutelegravebre passage extrait de Lrsquoethnie franccedilaise reacutedigeacute par George Montandon

dans lequel lrsquoanthropologue antiseacutemite affirmait que la nation est laquo un groupement politique creacuteeacute

par lhistoire et contenu dans larmature de lrsquoEacutetat La nation geacuteneacuteralement ne correspond pas plus agrave

une race qursquoagrave une ethnie de faccedilon habituelle la nation comprendra plusieurs eacuteleacutements raciaux et

chevauchera plusieurs ethnies Ainsi la race est une conception savante lrsquoethnie une conception

naturelle la nation une conception politique raquo (Montandon 1935 29)

102

humaine a laquo segmenter raquo le monde de lrsquoexpe rience Crsquoest autour de cette ide e

qursquoEdmund Leach a de veloppe son anthropologie et ses re flexions autour des

re seaux sociaux et des relations sociales informelles qui ne de pendent pas de

lrsquoappartenance a un groupe de termine Mais ce sera Frederik Barth (1969) ndash disciple

de Leach (1954 et 1980) ndash qui en e largira le champ drsquoapplication en rede finissant les

notions de groupe et de frontie re ethnique Selon Barth la relation logique qui lierait

une race avec une ethnie une langue une culture et un territoire est arbitraire Le

travail de lrsquoethnographe de montre au contraire que les groupes ethniques ndash en tant

qursquoentite s sociales ferme es e tanches et dote es de frontie res e tablies ndash nrsquoexistent pas

Si lrsquoon accepte ce cadre interpre tatif un groupe ethnique ne peut e tre de fini en

fonction de crite res culturels ou linguistiques le seul crite re possible est celui qui a

e te e labore par les membres du groupe eux-me mes pour e tablir la ligne de

de marcation qui les se pare des laquo autres raquo La diffe rence culturelle devient au bout

du compte une production sociale qui cache la dynamique complexe des relations

laquo interethniques raquo dans laquelle chaque communaute sociale se de finit gra ce a des

strate gies pense es pour lui assurer sa continuite et lui permettre drsquointeragir avec

drsquoautres communaute s Cela nous permet drsquoimaginer en prolongeant lrsquoide e de Barth

que chaque communaute humaine nrsquoest rien drsquoautre qursquoune configuration locale

drsquoun continuum socioculturel plus vaste le genre humain67 Cependant le contact

culturel ndash qursquoil produise des hybridations des me tissages des syncre tismes des

67 Une ideacutee que jrsquoemprunte agrave la perspective historique drsquoEacuteric Wolf lequel eacutecrivait que laquo les

populations humaines construisent leur culture dans lrsquointeraction et non pas dans lrsquoisolement raquo

(Wolf 1982 35)

103

adaptations des transfigurations ou des chevauchements drsquoidentite et qursquoil soit ou

non capable de transmettre les produits de lrsquoacculturation au fil des ge ne rations ndash

nrsquoe limine pas les diffe rences car il srsquoinscrit toujours dans les rapports de force et de

domination qui constituent le principe de relation entre un groupe he ge monique et

un groupe subalterne ndash rapport qui est tre s souvent source de disputes

52 Lrsquoimbroglio ethnique et lrsquoinvention de la tradition

Lrsquoinstrumentalisation des principes identitaires a caracte re ethnique ndash en

tant que re ponse fonctionnelle a certaines dynamiques historiques de conflit ndash a

justifie comme dans le cas du nationalisme toute une panoplie de conflits dit

laquo ethniques raquo qui en re alite nrsquoe taient pas cause s par les diffe rences socioculturelles

mais qui devraient pluto t e tre interpre te s dans le cadre drsquoune lutte pour lrsquoacce s au

pouvoir aux richesses et aux ressources strate giques (Cohen 1974) Crsquoest

ne anmoins une lutte qui a e te capable drsquoattiser a maintes reprises les esprits a partir

drsquoune construction politique de lrsquoidentite qui est le produit des politiques

drsquoethnicisation mises en place par les pouvoirs he ge moniques (et qui nrsquoa rien a voir

avec cet ide altype que nous appelons laquo culture traditionnelle raquo)

Prenons lrsquoexemple du ge nocide des Tutsis au Rwanda qui en moins de quatre

mois a conduit a la mort plus de 800 000 personnes et qui a souvent e te de crit

comme lrsquoeffet du laquo tribalisme typique raquo des peuples africains Conside rons que les

Tutsis partagent avec les Hutus ndash ceux qui ont orchestre le massacre ndash la me me

langue le me me territoire et que jusqursquoa lrsquoarrive e des colonisateurs europe ens ils

partageaient aussi les me mes institutions politiques et les me mes formes

104

drsquoorganisation sociale (Newbury 1987) Avant la colonisation les Tutsis des

pasteurs nomades e taient charge s de lrsquoadministration des biens des communaute s

et les Hutus des agriculteurs se dentaires de tenaient les pre rogatives rituelles et la

responsabilite de pre server le bien-e tre spirituel des communaute s Par ailleurs il

e tait tre s facilement possible de changer de statut en fonction de lrsquoalliance avec une

famille de lrsquoautre communaute de faccedilon qursquoun Hutu pouvait devenir tutsi et vice-

versa (Chre tien 2000) Les fonctionnaires coloniaux allemands et belges qui nrsquoont

pu comprendre la sophistication inhe rente a ce syste me drsquoorganisation sociale ont

simplifie a lrsquoexce s les diffe rences entre Hutus et Tutsis et ont construit des cate gories

ethniques ndash crsquoest-a -dire des frontie res ndash a partir de leur regard ethnocentrique et de

leurs convictions quant a la supe riorite de la culture europe enne La minorite tutsie

a donc e te de crite comme une aristocratie chamitique drsquoorigine nilotique proche de

la civilisation e gyptienne et la majorite hutue a e te inscrite dans la cate gorie des

peuples bantus une macro-famille linguistique laquo invente e raquo en 1858 par lrsquoexe ge te

Wilhem-Heinrich Bleek pour re unir selon sa classification les langues

laquo intertropicales raquo avec un bas niveau de sophistication (Chre tien 1985 et 1997) Du

fait de cette hie rarchisation artificielle les Tutsis ont e te convertis au christianisme

ndash catholique ou protestant ndash et les missionnaires ont organise des e coles pour

faciliter leur inte gration dans la socie te coloniale les Hutus conside re s infe rieurs

nrsquoont pu acce der a lrsquoinstruction scolaire ni me me obtenir des postes importants dans

lrsquoadministration de la colonie La politique de discrimination entre Hutus et Tutsis a

contribue a la mise en place drsquoune barrie re ethnique qui inconsciemment a

concouru a la construction drsquoune diffe rentiation artificielle entre les deux groupes

drsquoune co te les Hutus qui proclamaient leur laquo authenticite raquo bantu et de lrsquoautre les

105

Tutsis qui fondaient leurs privile ges coloniaux sur une suppose e ascendance

aryenne68 La de colonisation des anciens mandats coloniaux belges nrsquoa gue re

simplifie les choses les leaders drsquoopinion hutus et tutsis ont continue leur exercice

drsquoinvention des traditions69 en e levant toujours plus cette barrie re ethnique au

point qursquoelle devienne infranchissable Au Rwanda lrsquoinvention de lrsquoethnicite ndash et la

persistance de cette laquo vision du monde raquo gra ce a sa transmission culturelle ndash peut

donc e tre conside re e comme lrsquoe le ment de cisif de la gene se de cet e tat de conflit

permanent qui a oppose jusqursquoa la fin du XXe me sie cle les laquo ethnies raquo hutus et tutsis

et qui comme jrsquoespe re lrsquoavoir de montre e tait motive e par des raisons lie es au statut

politique et a lrsquoacce s a certains privile ges

68 En 1930 lrsquoadministration coloniale belge a proceacutedeacute agrave un recensement dans les territoires drsquoAfrique

Centrale sous son mandat afin drsquoeacutemettre les laquo cartes drsquoidentiteacute ethnique raquo destineacutees agrave la population

locale Puisque la typologie raciale imagineacutee par les fonctionnaires de Bruxelles (qui voulait les Hutus

de grande taille et les Tutsis de petite taille) eacutetait consideacutereacutee comme difficilement applicable par les

responsables du recensement ces derniers ont deacutefini le nombre des piegraveces de beacutetail posseacutedeacutees par

chaque individu comme critegravere de distinction ethnique ceux qui posseacutedaient moins de dix bovins

eacutetaient donc des Hutus et ceux qui en avaient plus de dix eacutetaient tutsis Le statut ethnique ndash et lrsquoaccegraves

aux privilegraveges que ce statut octroyait comme celui agrave lrsquoinstruction scolaire ndash se reacuteduisait donc agrave une

simple consideacuteration eacuteconomique qui a permis aux Rwandais les plus riches de devenir Tutsis et a

obligeacute les plus pauvres agrave devenir Hutus (Lugan 1997)

69 Pour reprendre la ceacutelegravebre notion forgeacutee par Eric Hobsbwam et Terence Ranger (2006) lesquels

lrsquoont employeacutee en paraphrasant la notion drsquoinvention de la culture forgeacutee par Roy Wagner (1981)

106

Drsquoun point de vue anthropologique ce me me exercice analytique est valable

pour plusieurs autres conflits qui ont ensanglante le sie cle passe et qui continuent a

le faire dans ces commencements drsquoun nouveau mille naire Un exemple flagrant est

la situation qui srsquoest cre e e en ex-Yougoslavie quand le collapse de lrsquoancien pays

satellite de lrsquoUnion Sovie tique a permis a certains leaders drsquoopinion et aux e lites

nationalistes de faire resurgir le re ve drsquoune laquo grande Serbie raquo justifie a partir de cette

laquo identite serbe raquo qui en re alite avait e te invente e pendant la premie re moitie du

XIXe me sie cle a lrsquoe poque des premiers mouvements nationalistes europe ens70 Lrsquoide e

drsquoune Serbie homoge ne et laquo pure raquo re alisable seulement gra ce a un nettoyage

ethnique (etničko čišćenje) qui aurait e limine du territoire des laquo slaves du sud raquo

(chre tiens orthodoxes) toutes les minorite s religieuses (les Croates chre tiens

catholiques et les Bosniaques musulmans sunnites) est apparue en 1860 et

pendant tout le XXe me sie cle elle a e te utilise e comme base ide ologique pour soutenir

les projets he ge moniques des e lites serbes au de triment des communaute s croates

et bosniaques (Grmek et al 1993) Le cas des re publiques qui faisaient auparavant

partie de lrsquoUnion Sovie tique (URSS) est semblable pendant pre s drsquoun sie cle

lrsquoethnologie russe srsquoest efforce e de construire des fosse s ethniques infranchissables

et de de finir scientifiquement les diffe rences se parant les ethnies qui peuplaient les

territoires laquo non russes raquo Avec la chute de lrsquoUnion les e lites de ces peuples laquo non

russes raquo ont justifie leurs revendications autonomistes ndash et leur de sir de contro ler

70 Cette mecircme ideacuteologie a aussi guideacute lrsquoaction du jeune reacutevolutionnaire nationaliste Gavrilo Princip

qui le 28 juin 1914 assassinait agrave Sarajevo lrsquoarchiduc Franccedilois-Ferdinand drsquoAutriche deacuteclenchant une

crise diplomatique conjoncturelle qui a conduit agrave la Premiegravere Guerre mondiale

107

sans entraves les ressources strate giques de ces nouvelles entite s postsovie tiques ndash

en brandissant ces me mes monographies ethnographiques qui avaient e te re dige es

a lrsquoa ge sovie tique et qui de montraient par des proce de es laquo scientifiques raquo les

irre ductibles diffe rences qui les rendaient incompatibles avec les Russes (Roy 1991

et 1994)

Les exemples que je viens de mentionner nous aident a comprendre que la

notion drsquoethnicite ne prend du sens que dans des situations historiques et sociales

de termine es et non a partir drsquoune image statique de cette notion si vague de

laquo culture traditionnelle raquo ou laquo authentique raquo Le particularisme ethnique nrsquoest rien

drsquoautre qursquoun crite re drsquoalliance politique qui comme nous lrsquoavons vu donne des

re sultats inquie tants dans les contextes postcoloniaux (le Rwanda) ou post-

impe riaux (lrsquoex-Yougoslavie ou les re publiques qui faisaient partie de lrsquoURSS) la ou

la de sagre gation du pouvoir laquo traditionnel raquo a laisse place aux revendications

drsquoautres acteurs sociaux ceux qui avaient auparavant e te marginalise s Qursquoon les

appelle nationalismes ethnicismes ou tribalismes crsquoest lrsquoexpression drsquoune

dynamique sociale et culturelle qui vise lrsquoaffirmation drsquoune identite son acce s a

lrsquoare ne politique et e conomique et la cre ation de laquo ge ographies de lrsquoesprit71 raquo

ne cessaires a la de finition de lrsquoalte rite

71 Lrsquoexpression est de Marc Creacutepon qui lrsquoa utiliseacutee pour deacutecrire lrsquoensemble des theacuteories qui ont

alimenteacute le deacuteterminisme culturel ndash et lrsquoideacutee selon laquelle les cultures humaines sont avant tout

conditionneacutees par leur environnement naturel et leur position geacuteographique ndash entre la fin du XVIIegraveme

siegravecle et la premiegravere moitieacute du XIXegraveme (Creacutepon 1996)

108

Dans le scheacutema suivant (Figure 7) jrsquoai syntheacutetiseacute les diffeacuterentes notions que

nous avons discuteacutees jusqursquoici pour montrer les points de contact et de divergence

agrave partir de cinq critegraveres geacuteographique biologique culturel historique et politique

CONCEPT

Critegravere geacuteographique (la terre)

Critegravere biologique (les origines)

Critegravere culturel (langue usages et coutumes partageacutes)

Critegravere historique (lrsquoorigine de lrsquoEacutetat)

Critegravere politique de la laquo production drsquoidentiteacute raquo

Civilisation X X X Drsquoen haut

Nation X X X Drsquoen haut

Race X Drsquoen haut

Indigeacuteneacuteiteacute X X X Drsquoen haut

Ethnie X X X Drsquoen bas

Autochtonie X X Drsquoen bas

Aboriginaliteacute X X Drsquoen haut

Peuple natif X Absent

Figure 7 Les concepts lieacutes agrave lrsquoidentiteacute drsquoun groupe humain

Selon cette scheacutematisation la civilisation apparaicirct comme un concept ndash

produit laquo drsquoen haut raquo par les eacutelites au pouvoir afin de justifier leur souveraineteacute

politique ndash qui deacutecrit la culture drsquoun groupe humain qui srsquoest eacutetabli dans un espace

geacuteographique deacutetermineacute et qui est consideacutereacute comme lrsquoorigine historique drsquoun Eacutetat

Le concept de nation partage les mecircmes caracteacuteristiques seacutemantiques ndash une culture

une geacuteographie et une histoire partageacutees ndash que celui de civilisation mais avec le

critegravere biologique du laquo sang raquo en plus en tant qursquoeacuteleacutement fondateur et feacutedeacuterateur

La race quant agrave elle est un concept eacuteminemment biologique deacutetermineacute drsquoen haut

par les groupes heacutegeacutemoniques afin de classifier les communauteacutes subalternes Il

nrsquoest pas neacutecessairement lieacute au critegravere geacuteographique comme le deacutemontre lrsquousage

109

qui en a eacuteteacute fait par certains laquo theacuteoriciens de la race raquo pour srsquoadresser aux Juifs ou

aux Roms Lrsquoethnie de son cocircteacute est un concept qui se veut antitheacutetique agrave celui de

race en tant que revendication identitaire qui vient du bas de la base

communautaire et qui deacutefinit le groupe agrave partir de critegraveres territoriaux geacuteneacutetiques

et culturels Bien qursquoil ait eacuteteacute tregraves utiliseacute par la majoriteacute des anthropologues du XXegraveme

siegravecle on lui preacutefegravere aujourdrsquohui celui drsquoautochtonie qui a la mecircme charge

revendicative mais qui nrsquoutilise pas le critegravere du sang pour deacutefinir lrsquoappartenance agrave

un groupe le critegravere geacuteographique est donc lrsquoeacuteleacutement prioritairement utiliseacute pour

identifier les membres drsquoune communauteacute Le concept drsquoindigeacuteneacuteiteacute se base sur les

mecircmes critegraveres drsquoinclusion et drsquoexclusion que celui drsquoethnie mais il srsquoen distingue

car historiquement il a eacuteteacute utiliseacute par les administrateurs coloniaux pour deacutefinir les

peuples laquo autres raquo les domineacutes72 En France il a constitueacute la justification

anthropologique du reacutegime dit de laquo lrsquoindigeacutenat raquo agrave savoir la leacutegislation drsquoexception

et les pratiques discriminatoires imposeacutees aux habitants des territoires soumis agrave

lrsquoadministration coloniale73 Il en va de mecircme du discours sur lrsquoaboriginaliteacute soit

lrsquoidentiteacute des peuples aborigegravenes dans le jargon colonial le terme servait agrave deacutefinir

les groupes humains qui eacutetaient consideacutereacutes comme des reliquats de lrsquoacircge

72 Cependant aujourdrsquohui il est souvent utiliseacute dans le discours laquo deacutecolonial raquo pour manifester avec

fierteacute une identiteacute minoritaire Un exemple est le mouvement des laquo Indigegravenes de la Reacutepublique raquo qui

depuis 2005 feacutedegravere des activistes et des intellectuels autour du slogan laquo La France a eacuteteacute un Eacutetat

colonial [hellip] La France reste un Eacutetat colonial raquo (PIR 2005)

73 Il est aboli en 1946 avec lrsquoabrogation des lois et des regraveglements qui constituaient le corpus normatif

connu sous le nom de Code de lrsquoindigeacutenat (Merle 2002)

110

preacutehistorique des primitifs qui peuplaient ab origine (depuis les origines) certaines

contreacutees du globe74 Aujourdrsquohui on continue agrave lrsquoemployer pour identifier les

descendants des peuples originaires drsquoAustralie (ceux qui vivent sur la parte

continentale comme ceux qui peuplent les icircles du deacutetroit de Torres)75 et depuis

lrsquoadoption du Aboriginal and Torres Strait Islander Commission Act en 1989 le

gouvernement australien considegravere laquo aborigegravene raquo ndash drsquoun point de vue juridique ndash

tout citoyen qui peut deacutemontrer un lien biologique avec des ancecirctres qui peuplaient

lrsquoAustralie avant lrsquoarriveacutee des Europeacuteens qui reconnaicirct son identiteacute aborigegravene et qui

est reconnu comme tel par la communauteacute agrave laquelle il deacuteclare drsquoappartenir (AG

1989 Gardiner-Garden 2003) Pour conclure la notion de peuple natif qui se base

sur le seul critegravere geacuteographique (avoir des ancecirctres qui sont neacutes sur un territoire

deacutetermineacute) est probablement celle qui a la plus faible connotation identitaire Bien

que dans le passeacute elle ait eacuteteacute utiliseacutee comme synonyme de peuple ethnique ou

indigegravene et qursquoelle ait servi drsquooutil revendicatif agrave certains groupes autochtones

74 Le terme a pendant longtemps eacuteteacute associeacute aux peuples Aetas (ou Negritos) des Philippines aux

communauteacutes de langue formosane qui peuplaient lrsquoicircle de Taiumlwan (comme les Amis les Darsquoo les

Kavalan ou les Rukai) aux Aiumlnous de Hokkaido (au Japon) et de la Kamtchatka (en Russie) aux

Ādivāsī en Inde aux Wanniyala-Aetto (ou Vedda) du Sri Lanka aux Lutrawita (ou Trouwunna) de

Tasmanie et aux peuples de langue khoiumlsan drsquoAfrique australe

75 Crsquoest eacutegalement le cas au Canada ougrave on parle drsquoAboriginal law (droit des Aborigegravenes) pour

identifier le corpus iuris qui contient les droits et obligations des communauteacutes natives les First

Nations (les Nations Premiegraveres)

111

comme les First Nations ou Premiegraveres nations du Canada le terme a aujourdrsquohui

perdu son significat laquo politique raquo76 (Gagneacute et al 2009)

La digression que je viens de proposer ne voulait pas se limiter agrave une

divagation purement terminologique mais visait avant tout agrave montrer lrsquoenjeu

eacutepisteacutemologique qui se cache derriegravere lrsquoutilisation de certaines notions notamment

quand on parle de certains groupes humains qui sont en train de revendiquer des

droits et de la justice Chaque terme nous lrsquoavons vu est chargeacute de significats qui

deacutecrivent le point de vue du sujet qui lrsquoutilise et la perception qursquoil a de

laquo lrsquo(id)entiteacute raquo qursquoil est en train de deacutesigner de sorte que les concepts qui srsquoabritent

derriegravere ces mots nous parlent en fin de compte de deux cultures et de la relation

laquo politique raquo qursquoelles entretiennent dans un contexte historique particulier de la

position que chacune drsquoentre elles occupe dans laquo lrsquoaregravene raquo du discours et de leur

statut dans la hieacuterarchie sociale du pouvoir Inutile drsquoajouter qursquoelles sont eacutegalement

76 Drsquoun point de vue juridique le droit ameacutericain constitue une exception agrave cette regravegle puisqursquoil opegravere

une distinction entre les native-born Americans (les citoyens des Eacutetats-Unis neacutes dans le pays) et les

Native Americans (descendants des laquo Indiens raquo drsquoAmeacuterique) Ces derniers ont certains droits dans le

cadre des politiques de discrimination positive ndash surtout pour lrsquoaccegraves agrave certaines aides financiegraveres ndash

mais pour prouver leur laquo identiteacute native raquo ils doivent pouvoir deacutemontrer ecirctre membres drsquoune

communauteacute ameacuterindienne reconnue par lrsquoEacutetat et avoir au moins un quart de laquo sang indien raquo soit au

moins un grand parent drsquoorigine indienne ce qui leur sera attesteacute gracircce agrave un Certificate of Degree of

Indian Blood deacutelivreacute par le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis qui eacutetablira le laquo niveau

drsquoindigeacuteneacuteiteacute raquo avec une note qui peut aller de 116 agrave 1616 (BIA 2011) Il est eacutevident que la

signification que prend la notion de laquo natif raquo dans ce cas speacutecifique est identique agrave celle drsquo

laquo indigegravene raquo

112

capables de nous indiquer aiseacutement ougrave se situe le laquo regard heacutegeacutemonique raquo et le

subalterne

113

6 Lrsquoidentiteacute agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoassimilation

Le politiste Denis Lacorne dans ses travaux sur lrsquoidentiteacute nationale

ameacutericaine a reacutealiseacute une analyse geacuteneacutealogique de lrsquoideacutee de multiculturalisme et il a

deacutemontreacute que cette notion nrsquoest apparue qursquoassez reacutecemment dans le vocabulaire

des sciences sociales pour se substituer agrave celle de melting-pot (litteacuteralement

laquo creuset raquo) qui depuis les premiegraveres anneacutees du XXegraveme siegravecle eacutetait employeacutee pour

deacutecrire la socieacuteteacute nord-ameacutericaine en tant que nation formeacutee majoritairement

drsquoimmigreacutes (Lacorne 1997)77 Sa rapide diffusion est probablement due agrave sa

laquo souplesse seacutemantique raquo (litteacuteralement elle indique seulement la multipliciteacute des

cultures sans pour autant deacutecrire les rapports de force qui les mettent en relation)

et agrave sa double acception descriptive et programmatique

Le terme peut donc ecirctre employeacute pour deacutecrire la situation laquo objective raquo drsquoun

contexte au sein duquel coexistent et interagissent des groupes laquo culturellement

diffeacuterents raquo (en raison de leurs langues religions croyances ideacuteologies usages ou

coutumes) ou pour deacutecrire la volonteacute prescriptive drsquoun programme politique

77 Le dramaturge Israel Zangwill a eacuteteacute le premier agrave lrsquoemployer pour deacutecrire les politiques

drsquoassimilation ethnique du gouvernement eacutetasunien (Zangwill 1909) Sa piegravece The Melting Pot

preacutesenteacutee pour la premiegravere fois en 1908 est consideacutereacutee comme un classique du theacuteacirctre nord-

ameacutericain et a eu une influence notable sur le deacutebat concernant la question de laquo lrsquoidentiteacute

ameacutericaine raquo (Sollors 1986)

114

construit agrave partir de la neacutecessiteacute de geacuterer la cohabitation de certains groupes

minoritaires au sein drsquoun territoire administratif deacutetermineacute Un programme

politique laquo multiculturel raquo a donc lrsquoimage drsquoun discours qui reconnaicirct les diffeacuterences

et qui les valorise ndash par exemple agrave travers des actions de laquo discrimination positive raquo

Cependant comme le dit le proverbe tout ce qui brille nrsquoest pas or

61 Multiculturalisme et interculturaliteacute synonymes ou contraires

Selon Jean-Claude Forquin cet essor du laquo credo multiculturel raquo dans le

terrain de la politique doit ecirctre interpreacuteteacute

laquo comme une eacutelaboration tardive un palliatif ou une reacuteponse agrave

la perte de creacutedibiliteacute drsquoun modegravele plus ancien et en quelque sorte plus

naturel plus naturellement inscrit dans la postulation profonde des

communauteacutes politiques modernes agrave savoir le modegravele

assimilationniste raquo (2005 49)

Si lrsquoassimilationnisme qui caracteacuterisait explicitement les politiques sociales

de toutes les puissances coloniales a pour but drsquoeffacer tout particularisme culturel

et de creacuteer des communauteacutes culturelles homogegravenes le multiculturalisme semble

en ecirctre lrsquoantithegravese Cependant en ce qui concerne le fonctionnement pratique du

modegravele multiculturel plusieurs exemples nous montrent qursquoil est

extraordinairement difficile de concilier au sein des Eacutetats nationaux les droits agrave

lrsquoexpression drsquoune diffeacuterence laquo culturelle raquo (surtout en ce qui concerne les identiteacutes

115

ethniques religieuses et linguistiques) et lrsquointangibiliteacute de certains principes qui

cimentent la hieacuterarchie sociale de lrsquoEacutetat et les privilegraveges dont jouissent les eacutelites au

pouvoir et les couches sociales intermeacutediaires

Aux Eacutetats-Unis par exemple la politique multiculturelle a juridiquement

justifieacute notamment dans le domaine de lrsquoeacuteducation un grand nombre de procegraves qui

ont eacuteteacute entameacutes agrave lrsquoencontre des normes feacutedeacuterales comme le laquo cas Yoder raquo qui srsquoest

conclu par un arrecircteacute permettant agrave une famille Amish de ne pas scolariser ses enfants

pour leur permettre de se consacrer aux tacircches agricoles fondamentales agrave son

eacuteconomie domestique (Wisconsin v Yoder 1972) ou le laquo cas Bakke raquo qui a obligeacute les

universiteacutes publiques agrave eacutetablir des normes drsquoaccegraves agrave partir de critegraveres de

discrimination positive sur des bases ethniques (Regents of the University of

California v Bakke 1978) Les modifications leacutegales eacutelaboreacutees suite aux cas que je

viens de mentionner ont profondeacutement bouleverseacute la socieacuteteacute ameacutericaine et

aujourdrsquohui encore elles ne font pas lrsquounanimiteacute et sont sujettes agrave discussion entre

les fauteurs de laquo lrsquointeacutegriteacute de la Nation raquo et ceux du laquo multiculturalisme agrave tout prix raquo

(Taylor 1994 Kincheloe amp Steinberg 1997)

En France le modegravele scolaire multiculturel preacutesente un deacuteveloppement

historique similaire Au nom du principe de laquo lrsquoindiffeacuterence aux diffeacuterences raquo qui est

la traduction juridique de la devise de la Reacutepublique (Liberteacute Eacutegaliteacute Fraterniteacute) au

moins jusqursquoagrave la Troisiegraveme Reacutepublique tous les eacutelegraveves du systegraveme eacuteducatif franccedilais

ndash dans le territoire meacutetropolitain comme dans les eacutecoles drsquoOutre-mer ndash ont appris

une histoire de la nation focaliseacutee sur le reacutecit hagiographique de la vie et des fait

drsquoarmes de gens de lrsquoHexagone Lrsquoexpression laquo nos ancecirctres les Gaulois raquo ndash qui est

116

devenue un clicheacute et qui a inspireacute un nombre incalculable de reacuteflexions autour des

ideacutees qursquoa veacutehiculeacutees lrsquoassimilationnisme agrave la franccedilaise (Binet 1967 Durpaire

2003 Ha 2003)78 ndash a probablement eacuteteacute la clef de voucircte de ce discours sur la

grandeur de la nation qui sous lrsquoeffet de lrsquointeacutegration du modegravele multiculturel a eacuteteacute

progressivement contraint de modifier ses termes En effet agrave partir des anneacutees

1960 du fait de lrsquointensification et de la diversification des flux migratoires (qui ne

se limitaient plus seulement aux ressortissants des anciennes colonies ou des pays

voisins) le systegraveme eacuteducatif national a commenceacute agrave deacutevelopper des dispositifs

adapteacutes ndash comme lrsquoEnseignement des langues et cultures drsquoorigine (ELCO) introduit

en 1973 ndash ou agrave ajuster les programmes scolaires en fonction de cette laquo nouvelle raquo

reacutealiteacute sociale Cependant la transformation des contenus de lrsquoenseignement ndash qui

conduit par exemple agrave lrsquointroduction de lrsquoenseignement des langues vivantes

eacutetrangegraveres (LVE) et des langues et cultures reacutegionales (LCR) agrave octroyer une place agrave

la litteacuterature laquo non meacutetropolitaine raquo et agrave inclure des reacutealiteacutes laquo autres raquo dans les

programmes drsquohistoire et geacuteographie ndash nrsquoa donneacute lieu qursquoagrave des modifications

limiteacutees compte tenu de la structure tregraves rigide des curricula et de lrsquoorganisation

des apprentissages agrave partir drsquoun cadre disciplinaire fortement cloisonneacute Les

expeacuteriences multiculturelles ont alors trouveacute leur place en marge des programmes

officiels eacutetablis laquo drsquoen haut raquo par le MEN et surtout gracircce aux initiatives locales de

78 Lrsquoexpression a aussi inspireacute des poegravetes comme Boris Vian En 1958 quand il a eacuteteacute informeacute par son

ami Henri Salvador du fait que les enseignants antillais continuaient agrave lrsquoutiliser dans leurs cours

drsquohistoire il a deacutecideacute de lui eacutecrire le texte de la chanson laquo Faut rigoler raquo dans laquelle il met en scegravene

sa vision caustique de lrsquoassimilation sur les notes drsquoun laquo cha-cha gaulois raquo (Vian 1960)

117

certains enseignants ou des organismes deacutecentreacutes (eacutecoles eacutetablissements

circonscriptions eacuteducatives ou Acadeacutemies) Par ailleurs la laquo question

multiculturelle raquo a alimenteacute un deacutebat tregraves virulent autour de lrsquoapplicabiliteacute du

principe de laiumlciteacute de lrsquoEacutetat comme crsquoest le cas depuis 1989 avec la querelle sur le

voile islamique (Nordmann 2004 Thevanian 2005 et 2012) Cette controverse

reacutevegravele les difficulteacutes agrave concilier au sein des eacutetablissements eacuteducatifs publics le droit

agrave lrsquoexpression drsquoune laquo diffeacuterence raquo religieuse et lrsquointangibiliteacute de certains principes

constitutionnels Il srsquoagit lagrave drsquoun enjeu qui en reacutealiteacute est beaucoup plus complexe et

qui va bien au-delagrave de la seule sphegravere religieuse79

79 Deux eacuteleacutements semblent le confirmer Premiegraverement le port du hijab (le voile en arabe) est une

tradition anteacuterieure agrave lrsquoIslam et qui nrsquoest pas neacutecessairement lieacutee agrave la foi musulmane (rappelons-nous

qursquoil srsquoagit drsquoune norme qui est aussi invoqueacutee dans la Lettre de Saint Paul apocirctre aux Corinthiens et

que jusqursquoagrave un passeacute tregraves reacutecent dans les zones rurales drsquoEurope occidentale les femmes catholiques

utilisaient des laquo foulards de tecircte raquo pour se rendre agrave la messe) plusieurs imams contestent ce dogme

et considegraverent qursquoil nrsquoest pas lrsquoexpression drsquoune foi religieuse mais plutocirct la relique drsquoune ideacuteologie

patriarcale et radicalement conservatrice (Bencheikh 1999) Deuxiegravemement cette querelle a donneacute

lieu agrave la promulgation de la Loi ndeg 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du

visage dans lrsquoespace public une norme qui a eacuteteacute discuteacutee et promulgueacutee non pas dans le cadre de la

protection du principe de laiumlciteacute de lrsquoEacutetat mais plutocirct dans celui du principe de deacutefense de lrsquoordre

public comme le deacutemontrent les transcriptions des auditions et comptes-rendus de la Mission

drsquoinformation sur la pratique du port du voile inteacutegral sur le territoire national qui ont alimenteacute les

travaux preacuteliminaires agrave la preacutesentation du projet de loi agrave lrsquoAssembleacutee Nationale (Loi ndeg 2010-1192

AN-MIPPVI 2009)

118

Aux Eacutetats-Unis comme en France le deacutebat sur lrsquoeacuteducation multiculturelle a

eacuteteacute polariseacute entre ceux qui procircnent un pluralisme laquo agrave outrance raquo une diffeacuterenciation

des curricula et la mise en place de reacuteseaux scolaires distincts agrave destination des

diffeacuterents publics drsquoeacutelegraveves (agrave partir de critegraveres ethniques ou religieux) et ceux qui

procircnent une option laquo inteacutegratrice raquo qui de maniegravere dialogique permettrait la prise

en compte des diffeacuterences culturelles dans le cadre drsquoune eacutecole commune et drsquoun

curriculum unitaire

Les positions laquo pluralistes raquo ont eacuteteacute laquo refroidies raquo par les reacutesultats de

certaines enquecirctes (comme celles de John Ogbu reacutealiseacutees au lendemain des arrecircteacutes

Yoder et Bakke) qui ont deacutemontreacute que la mise en place de dispositifs de

diffeacuterentiation ou de discrimination positive nrsquoavaient statistiquement pas drsquoeffet

sur les taux de reacuteussite scolaire des minoriteacutes (Ogbu 1978) Selon Ogbu (1990 et

1992) ces mesures ont un impact tregraves limiteacute sur celles qui constituent les

principales contraintes agrave une vraie inteacutegration agrave savoir le fait que les enfants des

minoriteacutes aient tendance agrave deacutevelopper un systegraveme culturel propre et ambivalent

(dans lequel la culture heacutegeacutemonique est agrave la fois source de frustration et force

drsquoattraction) qursquoils aient une mauvaise opinion de la reacuteussite scolaire (qursquoils

considegraverent incompatible avec la reacuteussite sociale) et que finalement ils manquent

de confiance dans le groupe dominant Les positions inteacutegratrices de leur cocircteacute ont

tendance agrave ideacutealiser les opportuniteacutes offertes par la laquo paix curriculaire raquo sans

prendre en compte le fait que cette neacutegociation entre les parties exigerait une

laquo neutralisation raquo des contenus tout en risquant drsquoappauvrir ou drsquoeacutemietter certains

savoirs au nom du laquo multiculturel raquo (Forquin 2005)

119

Pour eacuteviter cette dangereuse souplesse seacutemantique de la notion de

multiculturalisme certains auteurs preacutefegraverent utiliser celle drsquointerculturaliteacute qui

privileacutegie la dimension de reacuteciprociteacute entre les cultures et qui exclue les

laquo differentialismes raquo propres aux visions pluralistes et inteacutegrationnistes

mentionneacutees ci-dessus (Ouellet 1991 Abdallah-Pretceille 1999) Lrsquoapproche

interculturelle peut donc ecirctre interpreacuteteacutee comme une variante ouverte et

interactive du multiculturalisme (Forquin 1989)

Au-delagrave de la dispute terminologique il est essentiel de comprendre que le

contact entre diffeacuterentes cultures au sein drsquoun mecircme contexte eacutetatique est une

histoire antique et que la question autour de la gestion du contact ndash et des frictions

ndash entre ces identiteacutes reste encore irreacutesolue Quel est donc la place que les cultures

laquo autres raquo doivent occuper dans lrsquoaregravene sociale Et comment geacuterer les

revendications identitaires que chaque groupe humain peut invoquer au nom du

multiculturalisme ou de lrsquointerculturaliteacute

62 Des cateacutegories dynamiques pour penser la culture

Depuis la nuit des temps diffeacuterents groupes humains porteurs de cultures

propres et speacutecifiques sont rentreacutes en contact et ont interagi parfois de faccedilon

pacifique drsquoautres fois de maniegravere conflictuelle Drsquoun point de vue anthropologique

tout contact exige un eacutechange (drsquoinformations de biens drsquoeacutemotions) et se deacutetermine

agrave partir des rapports de force qui eacutetablissent les rocircles assigneacutes agrave chacune des parties

120

En sciences sociales il existe plusieurs notions pour deacutecrire le contact

culturel agrave partir des relations de pouvoir qui lrsquoont provoqueacute Pour deacutecrire la

situation des peuples autochtones inteacutegreacutes de greacute ou de force dans les systegravemes

eacutetatiques des anciens empires coloniaux il y en a au moins quatre que je considegravere

fondamentales lrsquoacculturation lrsquohybridation la transfiguration ethnique et le

cumul drsquoidentiteacutes Le terme laquo acculturation raquo a commenceacute agrave faire partie du

vocabulaire sociologique et anthropologique vers la fin du XIXegraveme siegravecle pour deacutecrire

les transformations culturelles drsquoorigine exogegravene En 1936 Robert Redfield Ralph

Linton et Melville Herskovits ont reacutedigeacute un meacutemorandum pour lrsquoeacutetude de

lrsquoacculturation qui a eacuteteacute publieacute dans la revue American Anthropologist et qui

contenait une deacutefinition deacutesormais devenue classique selon laquelle

laquo lrsquoacculturation comprend les pheacutenomegravenes qui reacutesultent du

contact direct et continu entre des groupes drsquoindividus de culture

diffeacuterente avec des changements subseacutequents dans les types culturels

originaux de lrsquoun ou des deux groupes raquo (Redfield et al 1936 140)

Herskovits soucieux de distinguer les pheacutenomegravenes drsquoacculturation de ceux

de diffusion culturelle80 preacutecisait que laquo la diffusion est lrsquoeacutetude de la transmission

80 Lrsquoapproche diffusionniste part du principe que si deux traits culturels sont similaires dans deux

groupes diffeacuterents lrsquoexplication repose sur les emprunts Lrsquoobjectif du chercheur est donc de repeacuterer

les laquo aires culturelles raquo de diffusion et de retracer dans les limites du possible les parcours que ces

traits ont pu emprunter (Geacuteraud 2000)

121

culturelle accomplie tandis que lrsquoacculturation est lrsquoeacutetude de la transmission

culturelle en cours raquo (Herskovits 1948 218) De son cocircteacute Roger Bastide (1948) la

consideacuterait comme une laquo interpeacuteneacutetration des civilisations raquo qui peut se reacutealiser de

maniegravere spontaneacutee ndash quand les groupes en contact choisissent librement les

moments les lieux et les modaliteacutes des relations ndash forceacutee ndash quand elle est imposeacutee

par un groupe dominant gracircce agrave la force des armes ndash ou planifieacutee ndash quand elle est

controcircleacutee par des forces heacutegeacutemoniques cherchant agrave construire laquo drsquoen haut raquo une

culture nationale ou un marcheacute eacuteconomique sans devoir neacutecessairement faire appel

agrave la violence physique ndash et qui dans des cas extrecircmes peut conduire agrave lrsquoassimilation

drsquoun groupe par un autre

Le processus drsquoacculturation nrsquoest pas absolu et se reacutealise au travers drsquoun

travail de seacutelection et de reacuteinterpreacutetation Georges Balandier (1955 et 1971) dans

ses travaux sur les dynamiques sociales en Afrique postcoloniale a deacutemontreacute que la

colonisation nrsquoa pas reacuteussi agrave imposer la totaliteacute de ses principes culturels aux

peuples africains et que ces derniers ont opeacutereacute des choix pour deacuteterminer les

emprunts agrave inteacutegrer tout en tenant compte de certaines compatibiliteacutes ou

incompatibiliteacutes avec la culture preacuteexistante Selon Balandier si le degreacute de

compatibiliteacute est faible on aura un reacutesultat laquo additif raquo ougrave le trait emprunteacute

coexistera avec le preacuteexistant dans le cas contraire on aura un reacutesultat

laquo substitutif raquo le trait emprunteacute prenant la place du preacuteexistant Par ailleurs les

emprunts peuvent entraicircner des modifications dans les systegravemes symboliques des

groupes concerneacutes et laquo drsquoanciennes significations sont attribueacutees agrave des eacuteleacutements

nouveaux raquo ou laquo des nouvelles valeurs changent la signification culturelle des

122

formes anciennes raquo (Herskovits 1948 248) Cela donne alors lieu agrave une

reacuteinterpreacutetation le principe agrave la base des pheacutenomegravenes syncreacutetiques81 et des

hybridations

Ce dernier concept est issu du vocabulaire biologique ougrave il est employeacute pour

indiquer le croisement entre deux individus de taxons diffeacuterents Il a eacuteteacute populariseacute

par Neacutestor Garciacutea Canclini qui lrsquoa deacutefini comme un pheacutenomegravene qui laquo se mateacuterialise

dans des scenarios multi-deacutetermineacutes dans lesquels des systegravemes diffeacuterents

srsquoentrecoupent et srsquointerpeacutenegravetrent raquo (Garciacutea Canclini 1989 2) Selon

lrsquoanthropologue argentin ces systegravemes sont laquo le traditionnel raquo laquo le moderne raquo laquo le

cultiveacute raquo laquo le populaire raquo et laquo le massif raquo Dans les contextes postcoloniaux

lrsquohybridation de ces cateacutegories de lrsquoesprit social a creacuteeacute ndash et continue agrave creacuteer ndash des

interpreacutetations toujours nouvelles et impreacutevisibles de la reacutealiteacute sensible et des

productions culturelles qui srsquoexpliquent seulement agrave partir drsquoun meacutelange dans

lequel il est difficile et parfois impossible de deacuteterminer le laquo poids raquo de chaque

composante Cependant bien que cet apport theacuteorique preacutesente lrsquoavantage de

maintenir actuelle la question du multiculturalisme (qui est selon Garciacutea Canclini

81 Il srsquoagit de la deacutefinition qursquoon donne en anthropologie aux pheacutenomegravenes de recomposition creacuteative

dans le domaine religieux comme ceux qursquoa observeacutes Balandier au Gabon ou Bastide au Breacutesil

(Balandier 1955 Bastide 1958 et 1960) Un cas similaire est celui des mouvements messianiques

tels les cultes du cargo en Meacutelaneacutesie qui se sont deacuteveloppeacutes en inteacutegrant et en adaptant aux reacutealiteacutes

religieuses locales certains eacuteleacutements formels de la religion des colonisateurs (Lanternari 1960

Kilani 1983)

123

une forme drsquohybridation) il nrsquoempecircche qursquoil reste une conceptualisation plutocirct

abstraite selon laquelle en fin de compte toutes les cultures sortiraient gagnantes

Une vision moins optimiste est celle de Darcy Ribeiro (1971) ethnologue

breacutesilien qui a consacreacute toute sa vie agrave lrsquoeacutetude des communauteacutes ameacuterindiennes de

lrsquoAmazonie Selon Ribeiro les peuples tribaux sont inteacutegreacutes aux eacutetats nationaux en

suivant un processus de transfiguration ethnique qui les oblige agrave alteacuterer ndash plus ou

moins violemment ndash leur substrat biologique leur culture et leur forme de relation

avec la socieacuteteacute dominante afin de reacutepondre aux attentes neacutecessaires agrave leur

persistance en tant qursquoentiteacutes ethniques Ainsi dans le meilleur des cas lrsquoidentiteacute

ethnique survivra mais sans ecirctre neacutecessairement accompagneacutee du substrat

biologique et culturel qui la caracteacuterisait avant le contact avec la socieacuteteacute dominante

En revanche dans le pire des cas si elle ne parvient pas agrave remplir certaines

exigences laquo politiques raquo ndash comme lrsquoacceptation drsquoecirctre inteacutegreacutee agrave la socieacuteteacute

dominante dans une position de subordination ndash elle sera voueacutee agrave disparaicirctre

Une derniegravere option reste celle de lrsquoidentiteacute cumulative proposeacutee par Bruno

Saura (1998 2008 et 2012a) dans ses analyses sur lrsquoidentiteacute polyneacutesienne Il srsquoagit

drsquoun modegravele explicatif qui permet de comprendre comment dans certains contextes

drsquoacculturation planifieacutee les identiteacutes ethniques et nationales peuvent coexister et

se juxtaposer lrsquoune lrsquoautre82 agrave partir drsquoun laquo amoindrissement relatif des clivages

82 Et ce au point de permettre un chevauchement de diffeacuterentes repreacutesentations de la mecircme identiteacute

ndash ethnique ou autochtone ndash agrave laquelle srsquoajoute lrsquoidentiteacute du pays colonisateur En Polyneacutesie par

exemple une identiteacute ethnique mārsquoohi (qui se veut laquo de souche raquo) peut coexister avec une identiteacute

124

identitaires raquo favoriseacute par lrsquoincorporation des modes de vie de la socieacuteteacute dominante

par les moyens de communication globale et par les processus drsquointeacutegration scolaire

capables de former des citoyens de la nation (Saura 1998 7) Ce modegravele srsquoapplique

en effet agrave ces reacutealiteacutes coloniales ou postcoloniales ndash celles des peuples ou des Eacutetats

coloniseacutes ou anciennement coloniseacutes dans lesquelles on assiste agrave un processus

drsquoeacutemancipation identitaire et politique ndash ougrave les membres drsquoun groupe qui se

considegravere ethnique ndash et donc objectivement diffegraverent du groupe dominant les

laquo colonisateurs raquo mais aussi des autres groupes ethniques qui se sont installeacutes sur

laquo son raquo territoire ndash emploient une identiteacute ou lrsquoautre selon les exigences imposeacutees

par le contexte afin de laquo profiter raquo drsquoune certaine maniegravere des avantages que

chaque identiteacute peut leur octroyer De son cocircteacute lrsquoidentiteacute ethnique permet

lrsquointeacutegration agrave une communauteacute de personnes avec lesquelles on entretient des liens

drsquoaffiniteacute laquo culturelle raquo (baseacutes sur la parenteacute les eacutemotions ou les sentiments) la

participation agrave certains moments de partage (des fecirctes des rituels ou des

ceacutereacutemonies) et lrsquoeacutechange de certains biens et savoirs dans un contexte local selon

des normes sociales laquo traditionnelles raquo qui sont perccedilues comme naturelles Drsquoun

autre cocircteacute lrsquoidentiteacute citoyenne qui est le reacutesultat de lrsquoassimilation juridique agrave un Eacutetat

national permet drsquoacceacuteder agrave certains droits (celui de voter ou de se preacutesenter

comme candidat aux eacutelections celui drsquoouvrir une entreprise) drsquoobtenir certains

documents consideacutereacutes essentiels (un passeport pour voyager un permis de

conduire) ou de demander des aides financiegraveres speacutecifiques (une bourse drsquoeacutetude

polyneacutesienne (qui nrsquoa pas la mecircme charge revendicative et qui peut inclure les personnes drsquoorigine

eacutetrangegravere neacutees en Polyneacutesie) et franccedilaise (Saura 2008)

125

une allocation chocircmage un precirct bancaire)83 Il srsquoagit de reacutealiteacutes locales ougrave les

formulations identitaires (ethniques politiques ou religieuses) srsquoentremecirclent et

forment un continuum culturel dans lequel il devient parfois difficile drsquoidentifier

certaines diffeacuterences Crsquoest lagrave une ideacutee que semble confirmer Bruno Saura quand il

affirme que laquo [d]rsquoailleurs le discours sur lrsquoidentiteacute nrsquoest pas uniquement un discours

sur la diffeacuterence ou un discours qui divise mecircme srsquoil court toujours le risque drsquoecirctre

perccedilu comme tel raquo (Saura 2008 7)

Le reacutesultat des processus drsquoacculturation nrsquoest donc jamais preacutevisible Il srsquoagit

drsquointeractions dynamiques qui deacutependent de trois variables majeures les rapports

de force qui encadrent les relations entre deux ou plusieurs groupes humains les

structures de gestion du pouvoir dans les mecircmes groupes et le paysage socio-

environnemental (crsquoest-agrave-dire les ressources naturelles et les critegraveres pour y

acceacuteder et les utiliser) Comme nous lrsquoavons vu elles peuvent conduire selon les cas

agrave une assimilation complegravete agrave lrsquoeacutelimination du groupe minoritaire ndash on parlera alors

drsquoethnocide84 ndash ou finalement agrave une incorporation partielle drsquoun groupe dans

83 Bertrand Troadec a analyseacute cette mecircme identiteacute cumulative chez les laquo Demis raquo Tahitiens agrave partir

drsquoune approche strictement psychologique mais en arrivant aux mecircmes conclusions (1992)

84 Pendant longtemps cette notion a eacuteteacute utiliseacutee par les historiens comme synonyme du mot geacutenocide

(Clastres 1974) Agrave partir des anneacutees 1960 en parallegravele agrave la vague de deacutecolonisation qui a permis agrave

plusieurs anciennes colonies des Empires occidentaux drsquoacceacuteder agrave lrsquoIndeacutependance elle sera

introduite dans le vocabulaire de lrsquoanthropologie militante pour deacutefinir la destruction violente drsquoun

groupe ethnique ainsi que les politiques de laquo deacutecivilisation raquo mises en œuvre par certains

gouvernements afin drsquoeacuteliminer toute diffeacuterence culturelle (Jaulin 1970 1972 et 1974)

126

lrsquoautre Dans ce dernier cas les cateacutegories de transfiguration ethnique et de

cumulation drsquoidentiteacutes interviennent pour deacutefinir le degreacute et les modaliteacutes

drsquointeacutegration des traits culturels laquo autres raquo

Je peux conclure cette premiegravere partie qui je le rappelle eacutetait deacutedieacutee agrave

accompagner le lecteur dans le labyrinthe des notions concepts et cateacutegories

analytiques qui sont couramment utiliseacutes dans les eacutetudes anthropologiques sur les

peuples autochtones agrave montrer la charge laquo politique raquo qursquoimplique leur utilisation

et agrave les adapter au sujet drsquoeacutetude que nous appreacutehendons ici lrsquoeacuteducation domestique

et les interactions familiales visant agrave transmettre des donneacutees culturelles Dans la

partie suivante je vais exposer les reacutesultats de mon travail ethnographique et

soumettre ces notions concepts et cateacutegories analyseacutes ici agrave laquo lrsquoeacutepreuve du terrain raquo

en veacuterifiant leur validiteacute anthropologique

127

Synthegravese de la premiegravere partie

Bien que lrsquoanthropologie culturelle et sociale ait souvent deacutelaisseacute lrsquoanalyse

scientifique des interactions eacuteducatives perccedilues a priori comme des sujets drsquoeacutetude

sur lesquels drsquoautres disciplines ndash comme les sciences de lrsquoeacuteducation la

psychopeacutedagogie ou la psychologie cognitive ndash exerccedilaient deacutejagrave une compeacutetence

exclusive les recherches meneacutees dans le domaine de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation

ont permis de deacutevoiler certaines dynamiques sociales en rapport avec la

transmission des donneacutees culturelles qui ont remis en question de nombreux

principes sur lesquels la laquo culture raquo occidentale a fondeacute sa vision de lrsquoeacuteducation

Cependant le processus eacuteducatif qui met en contact dans sa configuration la plus

eacuteleacutementaire au moins un eacuteducateur et un eacuteduqueacute ne se reacutesume pas au simple acte

de laquo cultiver le savoir raquo ni agrave la simple relation verticale entre un laquo maicirctre raquo et un

laquo disciple raquo De fait premiegraverement le processus est par deacutefinition dynamique et il

deacutepend de certains facteurs contingents et lieacutes au contexte social et naturel qui

encadre lrsquoacte eacuteducatif Deuxiegravemement quand les revendications identitaires

rentrent en jeu il est largement tributaire des limites imposeacutees et des opportuniteacutes

offertes par le contact culturel

Dans le contexte global actuel qui impose aux identiteacutes autochtones

produites par les politiques coloniales de choisir entre lrsquoassimilation pure et simple

lrsquoadaptation culturelle ou la disparition il devient essentiel de comprendre les

enjeux lieacutes aux processus de transmission de la culture dans les communauteacutes qui

128

revendiquent une laquo alteacuteriteacute raquo et qui ne srsquoidentifient pas au patrimoine culturel

national qui est au bout du compte lrsquoexpression imposeacutee laquo drsquoen haut raquo de lrsquoidentiteacute

du groupe dominant Les deacutebats qui ont animeacute la reacuteflexion sur les exigences

imposeacutees par la reacutealiteacute multiculturelle et sur les possibiliteacutes drsquoune interculturaliteacute

qui reste jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle une pieuse utopie nous montrent que lrsquoideacutee drsquoune

civilisation occidentale ndash baseacutee sur un laquo socle culturel commun raquo que tous ses

membres devraient partager ndash est et restera une ideacuteologie discriminante violente

et sans avenir

129

DEUXIEME PARTIE SUR LE TERRAIN INTERACTIONS ET IDEOLOGIES

EDUCATIVES CHEZ LES WAYANA-APALAIuml ET LES ENATA AUTOCHTONES DE

LA REPUBLIQUE

130

Introduction agrave la deuxiegraveme partie

Dans un texte tregraves critique vis-agrave-vis du processus de bureaucratisation de la

recherche en eacuteducation et en sciences sociales Yves Lenoir ndash paraphrasant Jacky

Beillerot (1989) ndash nous rappelle agrave quel point le terme laquo recherche raquo perd de son sens

degraves lors qursquoil nrsquoest deacutefini que comme un simple laquo effort pour trouver un objet une

information ou une connaissance raquo (Lenoir 1996 207) Comme jrsquoai essayeacute de le

montrer dans la premiegravere partie de cette thegravese la recherche en anthropologie de

lrsquoeacuteducation degraves ses origines a enrichi ce principe de base agrave caractegravere

laquo exploratoire raquo avec une perspective laquo multidimensionnelle raquo en analysant des

reacutealiteacutes autres que la seule eacuteducation afin drsquoameacuteliorer certaines pratiques dans les

milieux familiaux et scolaires Cette approche opeacuterationnelle de la recherche se base

donc sur une pratique discursive qui donne la parole aux laquo sujets drsquoeacutetude raquo pour que

lrsquoexpeacuterience de ces derniers puisse reacuteorienter certaines conduites laquo modernes raquo

consideacutereacutees comme naturelles ou axiomatiques mais qui en reacutealiteacute ont eacutemergeacute

dans un contexte social et au sein drsquoun processus historique speacutecifiques (comme la

laquo moderniteacute raquo industrielle ou la postmoderniteacute) En ce sens ces pratiques ne

peuvent preacutetendre agrave lrsquouniversaliteacute puisqursquoelles sont eacutetroitement deacutependantes du

contexte dans lequel elles se manifestent

Apregraves avoir discuteacute de la porteacutee des termes des notions et des concepts qui

encadrent mon hypothegravese de travail ndash selon laquelle lrsquoeacuteducation des peuples

autochtones inteacutegreacutes aux Eacutetats devrait ecirctre interpreacuteteacutee en tant que processus de

131

transmission de donneacutees culturelles lieacutees agrave un paysage naturel et social deacutetermineacute

encadreacute par une dynamique laquo historique raquo postcoloniale et soumis aux impeacuteratifs

imposeacutes par lrsquoeacuteconomie de marcheacute ndash je vais consacrer cette deuxiegraveme partie aux

reacutesultats de mon travail de terrain En observant le laquo fait eacuteducatif raquo chez deux

groupes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais jrsquoai chercheacute agrave deacutecrire les pratiques

eacuteducatives informelles (ou domestiques) qui guident la vie quotidienne des

communauteacutes en question et qui agrave de rares exceptions pregraves sont peu connues des

responsables administratifs et des organismes publics chargeacutes de lrsquoeacuteducation dans

les territoires concerneacutes Cette perspective laquo descriptive raquo srsquoappuie sur la volonteacute de

redeacutefinir ces pratiques laquo locales raquo dans une perspective laquo globale raquo en les

envisageant comme des dynamiques adaptatives creacuteatives ou transfiguratrices

toujours en relation avec les transformations imposeacutees par les politiques nationales

drsquointeacutegration sociale ndash citoyenne et scolaire ndash et eacuteconomique

Certaines approches theacuteoriques que jrsquoai abordeacutees dans la premiegravere partie

nous offrent un cadre analytique objectif ndash veacuterifiable et baseacute sur une expeacuterience

sensible ndash pour comprendre le fait eacuteducatif en tant qursquointeraction agrave la fois eacuteducative

et acculturatrice et pour eacutetablir un protocole drsquoobservation visant agrave laquo mesurer raquo

certaines variables qui sont fonction du deacuteveloppement de lrsquointeraction elle-mecircme

Agrave partir de la theacuteorie drsquoUri Bronfenbrenner (1986 1995 et 2005) et de ses collegravegues

(Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner amp Morris 1998) selon laquelle la

transmission des donneacutees culturelles se reacutealise agrave lrsquointeacuterieur drsquoun eacutecosystegraveme je me

suis drsquoabord fixeacute pour objectif de comprendre les systegravemes ndash aux niveaux micro

meacuteso exo et macro ndash qui agissent sur la socialisation des enfants dans les contextes

132

geacuteographiques de la preacutesente eacutetude En deuxiegraveme lieu partant du fait que toute

situation eacuteducative est lieacutee comme le preacutetend Gaston Mialaret (1976) agrave cinq

facteurs essentiels ndash qui sont je le rappelle les contenus les meacutethodes ou les

strateacutegies mises en place pour transmettre le message les techniques et les outils

neacutecessaires pour laquo communiquer raquo les contenus les rapports qui lient lrsquoeacuteducateur et

lrsquoeacuteduqueacute et finalement lrsquoenvironnement dans lequel se reacutealise lrsquoaction eacuteducative ndash

il me semble opportun de deacutecrire le rocircle de chacun drsquoentre eux dans les

performances eacuteducatives observeacutees Troisiegravemement en tenant compte de lrsquoapport

des travaux de Meldford et Audrey Spiro (1958) de Catherine Snow et de ses

collaborateurs (1979) et de Robert LeVine et Karin Norman (2001) qui considegraverent

lrsquoideacuteologie eacuteducative agrave la fois comme un moteur qui agit sur les performances des

eacuteducateurs et comme un meacutecanisme de seacutelection qui lors du processus eacuteducatif

srsquoapproprie certains laquo symboles raquo au deacutepend drsquoautres jrsquoai recueilli et analyseacute les

teacutemoignages des adultes des familles observeacutees afin de deacutecrire les repreacutesentations

mentales qui les poussent agrave agir drsquoune certaine maniegravere avec leurs enfants et de

comprendre lrsquoinfluence de lrsquoideacuteologie parentale ainsi que sa relation avec certaines

variables externes (comme la question de la citoyenneteacute ou les ambitions lieacutees agrave la

reacuteussite scolaire et professionnelle) qui peuvent en modifier les principes et les

prioriteacutes

Cette deuxiegraveme partie se compose donc de six chapitres Dans le premier je

vais deacutecrire le protocole de recherche retenu pour reacutepondre au mieux aux objectifs

speacutecifiques neacutecessaires agrave la veacuterification de mon hypothegravese de deacutepart Le deuxiegraveme

chapitre vise agrave deacutecrire les deux contextes drsquoeacutetude agrave partir drsquoune analyse critique des

133

travaux disponibles notamment ceux relevant de lrsquoethnologie de lrsquoethnohistoire de

lrsquohistoire et de la geacuteopolitique Dans le troisiegraveme chapitre je mrsquoattacherai agrave deacutefinir

les eacutecosystegravemes sociaux des communauteacutes eacutetudieacutees dans le but de comprendre

laquo qui eacuteduque qui raquo ainsi que les relations eacutetablies entre les parents et les autres

acteurs sociaux impliqueacutes dans lrsquoeacuteducation des enfants Le quatriegraveme est consacreacute agrave

lrsquoanalyse des interactions eacuteducatives proprement dites agrave partir des reacutesultats

obtenus gracircce agrave un protocole de recherche expeacuterimental permettant de deacutecrire non

seulement les facteurs de base de la dynamique eacuteducative ndash les messages les

meacutethodes les outils lrsquoenvironnement et les relations entre eacuteducateur et eacuteduqueacute ndash

mais aussi leur laquo intensiteacute raquo Le cinquiegraveme chapitre portera sur les ideacuteologies

eacuteducatives des parents avec lesquels jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de travailler afin de

comprendre comment ces derniers interpregravetent leurs comportements et quelles

sont les valeurs qursquoils associent agrave leurs responsabiliteacutes en tant qursquoeacuteducateurs Le

dernier chapitre qui conclura cette deuxiegraveme partie reacutesumera les reacutesultats

preacutesenteacutes dans les chapitres preacuteceacutedents pour deacutefinir les eacuteleacutements susceptibles

drsquoecirctre discuteacutes dans la troisiegraveme partie

134

7 Meacutethodologie du recueil drsquoinformations

Toujours agrave la recherche de nouvelles laquo sources raquo inexploiteacutees et capables de

deacutevoiler des faits des situations ou des pheacutenomegravenes inconnus les anthropologues

tout comme les sociologues ou les psychologues sont agrave la recherche drsquolaquo objets

drsquoeacutetude raquo humains qursquoils transforment ipso facto en laquo documents raquo qui offrent une

laquo autoriteacute scientifique raquo au reacutecit ethnographique et qui transforment lrsquoinconnu en

deacutecouverte Cependant les mille et une variables qui agissent sur le comportement

humain rendent difficile ce processus qui transforme lrsquoobservation en document un

processus qui risque souvent de reacuteifier les donneacutees recueillies pour construire laquo des

cateacutegories qui figent des classements des typologies qui constituent parfois des

fausses synthegraveses raquo (Augeacute 1987 732)

Bien que cette thegravese nrsquoait pas vocation agrave creacuteer des typologies il est difficile de

reacutesister agrave la tentation de systeacutematiser les donneacutees obtenues en fonction de certaines

cateacutegories qui deacutependent non pas de ma deacutemarche anthropologique mais plutocirct et

surtout de mon veacutecu de mon expeacuterience personnelle et ndash inutile de le cacher ndash de

mon ideacuteologie85 Loin donc de viser la neutraliteacute il srsquoagit en reacutealiteacute drsquoun effort qui se

85 James Clifford (1988) a deacutejagrave souligneacute que le travail ethnographique consiste en un effort

dialectique ndash qui relegraveve de la subjectiviteacute de lrsquoethnographe ndash entre lrsquoexpeacuterience et lrsquointerpreacutetation

dans laquelle laquo lrsquoautoriteacute expeacuterientielle raquo se base sur lrsquoacquisition drsquoune sensibiliteacute empathique et

intuitive qui permet de deacutechiffrer le laquo style culturel raquo drsquoun peuple laquo Lrsquoautoriteacute interpreacutetative raquo se

construit agrave partir de la transformation de lrsquoexpeacuterience en reacutecit un processus qui permettra agrave son

135

veut objectif et qui pour atteindre certains reacutesultats se base sur un ensemble de

meacutethodes et de strateacutegies visant agrave laquo produire raquo des donneacutees mesurables et

comparables Pour deacutefinir une meacutethodologie de travail reacutepondant agrave ces attentes je

me suis donc poseacute trois questions geacuteneacuterales comment eacutetudier lrsquoeacuteducation

informelle chez les autochtones de la Reacutepublique sans ecirctre totalement pris dans le

piegravege de lrsquoobservation subjective du fait eacuteducatif Comment donner une valeur

scientifique agrave des pheacutenomegravenes qui au-delagrave de mon teacutemoignage seront difficilement

veacuterifiables Finalement comment rendre compte dans lrsquoespace offert par une

monographie ethnographique de la varieacuteteacute des situations qui mrsquoont permis

drsquoarriver agrave certaines conclusions

71 Le terrain et lrsquounivers drsquoeacutetude

Avant de deacutetailler les trois meacutethodes de recueil de donneacutees qui constituent le

cœur de mon approche je me dois drsquoexpliquer les raisons qui mrsquoont pousseacute agrave choisir

un laquo univers drsquoeacutetude raquo plutocirct qursquoun autre En tenant compte de la deacutefinition de

lrsquoautochtonie que jrsquoai proposeacutee dans la premiegravere partie de cette thegravese ndash en tant

qursquoexpression drsquoune identiteacute collective qui deacutecrit un groupe humain revendiquant

une culture et un territoire partageacutes et qui base ses revendications sur le fait qursquoil

auteur de valoriser seacutelectionner ou exclure certaines donneacutees en fonction de son interpreacutetation de

lrsquoexpeacuterience de terrain Marilyn Strathern (1987) adopte une position similaire mais encore plus

radicale selon laquelle lrsquoautoriteacute anthropologique est absolument subjective puisqursquoelle deacutepend en

premier lieu de la capaciteacute persuasive de lrsquoanthropologue et de son habiliteacute agrave transformer dans le

reacutecit ethnographique une expeacuterience individuelle en reacutealiteacute universelle

136

habite ab origine le territoire en question ndash le panorama social franccedilais mrsquooffrait un

certain nombre de communauteacutes qui se perccediloivent comme autochtones et qui

revendiquent certains droits ou formes drsquoautonomie il suffit de penser par

exemple aux expressions de lrsquoautochtonie qui se manifestent entre certains Bretons

Basques ou Corses Cependant mon inteacuterecirct portait surtout sur lrsquoautochtonie dans

des contextes reacutesultants de la politique coloniale ce qui reacuteduisait mon choix agrave

lrsquoOutre-mer franccedilais Suite agrave la reacutevision constitutionnelle du 28 mars 2003 il existe

deux cateacutegories juridiques principales pour deacutefinir les territoires laquo non

meacutetropolitains raquo de la Reacutepublique86 les deacutepartements et reacutegions drsquoOutre-mer

(DROM) et les collectiviteacutes drsquoOutre-mer (COM) Les premiers sont reacutegis par lrsquoarticle

73 de la Constitution qui preacutevoit que laquo [l]es lois et regraveglements [de la Reacutepublique y]

sont applicables de plein droit raquo mais en raison des laquo caracteacuteristiques et contraintes

particuliegraveres raquo de ces territoires des adaptations sont possibles Les seconds sont

reacutegis par lrsquoarticle 74 de la Constitution qui fixe leurs statuts par une loi organique

deacutefinissant notamment laquo les conditions dans lesquelles les lois et regraveglements y sont

applicables raquo

Srsquoagissant drsquoune eacutetude exploratoire il mrsquoa sembleacute particuliegraverement

inteacuteressant drsquoobserver les deux reacutealiteacutes afin drsquoeacutevaluer si le statut administratif de

DROM et de COM a un effet sur la reacutealiteacute laquo postcoloniale raquo des contextes eacutetudieacutes Jrsquoai

86 En reacutealiteacute il existe une troisiegraveme cateacutegorie celle de la Nouvelle-Caleacutedonie qui jouit du statut

speacutecifique de collectiviteacute sui generis et qui est reacutegie par des dispositions speacutecifiques de la

Constitution agrave savoir les articles 76 et 77

137

donc choisi de reacutealiser une partie de mes observations avec une communauteacute

autochtone eacutetablie dans un DROM et une autre partie avec une communauteacute

reacutesidant dans une COM Je me suis alors pencheacute sur un DROM et une COM ayant une

charge symbolique qui agrave mon avis est majeure la Guyane et la Polyneacutesie deux

contextes agrave la fois laquo extrecircmes raquo et constitutifs de lrsquoimaginaire national Comme je lrsquoai

preacuteciseacute dans la premiegravere partie drsquoun cocircteacute se trouve la forecirct amazonienne souvent

deacutecrite comme un enfer vert et comme lrsquoantithegravese de la civilisation87 et de lrsquoautre

il y a les icircles des Mers du Sud qui pour le sens commun apparaissent comme le

paradis bleu loin de tous les maux de la laquo moderniteacute raquo88 Finalement jrsquoai identifieacute

87 Il existe une abondante litteacuterature sur les mythes susciteacutes en Europe par la laquo deacutecouverte raquo de

lrsquoAmazonie et de ses habitants souvent agrave cause de lrsquoinfluence tendancieuse des Conquistadores ou

des missionnaires qui dans leurs reacutecits deacutecrivaient cette partie du globe comme un territoire peupleacute

drsquoecirctres sans humaniteacute La diffusion de cette image neacutegative doit beaucoup au soutien que lui ont offert

des penseurs tregraves influents comme Buffon (1749) ou Hegel (1822) mais aussi plus reacutecemment agrave

certains faits divers comme la disparition de lrsquoexplorateur Raymond Maufrais (1952) qui ont

contribueacute agrave la construction drsquoune image de laquo lrsquoAmazonie mangeuse drsquohommes raquo Les travaux de

Tzvetan Todorov (1982) Jean-Paul Duviols (1986) et Michel Le Bris et Pascal Dibie (2005)

constituent des synthegraveses remarquables sur le sujet

88 Aussi dans ce cas lrsquoideacutee du laquo paradis aux antipodes raquo date de lrsquoeacutepoque des premiers voyages des

explorateurs europeacuteens dans la reacutegion Leurs reacutecits ont contribueacute comme lrsquoa deacutemontreacute Eric Vibart

(1987) agrave diffuser cette interpreacutetation chez les intellectuels du siegravecle des Lumiegraveres De son cocircteacute

Bernard Rigo (1997) dans son analyse anthropologique et philosophique du discours occidental sur

lrsquoalteacuteriteacute polyneacutesienne a discuteacute la porteacutee historique de ce steacutereacuteotype socio-environnemental

associant la beauteacute des icircles agrave des habitants reacuteduits agrave des manifestations du bon sauvage (comme celui

imagineacute par Rousseau 1755) naiumlfs insouciants et irresponsables mais fondamentalement non

138

en Guyane et en Polyneacutesie les communauteacutes qui vivaient dans les sites les plus

isoleacutes lagrave ougrave lrsquoimpact des politiques nationales pouvaient ecirctre moindre sans en ecirctre

pour autant totalement absent et lagrave ougrave pouvait subsister une quelconque forme

drsquoeacuteconomie de subsistance (ce qui mrsquoaurait permis drsquoobserver entre autres

lrsquoimplication des enfants dans lrsquoeacuteconomie domestique et dans la production des

aliments) Le choix final a donc porteacute sur les Ameacuterindiens appartenant agrave lrsquoethnie

Wayana-Apalaiuml en Guyane et sur les Enata autochtones de lrsquoicircle de Hiva Oa dans

lrsquoarchipel des Marquises en Polyneacutesie (Figure 8)

laquo alteacutereacutes raquo par lrsquoinfluence neacutegative du progregraves Ce mythe a drsquoailleurs subjugueacute et fait fantasmer des

personnaliteacutes comme le peintre Paul Gauguin qui srsquoinstallera agrave Hiva Oa en 1901 et y mourra trois

ans plus tard (Laudon 1999) le navigateur Alain Gerbault qui fascineacute par les icircles Marquises leur

deacutediera plusieurs pages de son Icircles de beauteacute (Gerbault 1941) ou le chanteur et poegravete Jacques Brel

qui eacutecrira laquo geacutemir nrsquoest pas de mise aux Marquises raquo et qui demandera drsquoecirctre inhumeacute agrave Atuona pregraves

de la tombe de Gauguin (Brel 1977 Lecordier 2012)

139

Figure 8 Position de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise (Carte obtenue gracircce au service Google Maps Eacutelaboration de lrsquoauteur)

Une fois mes terrains drsquoeacutetude choisis jrsquoai eacutevalueacute la meilleure modaliteacute

possible pour reacutealiser le travail ethnographique Comme on peut lrsquoimaginer drsquoun

point de vue logistique comparer deux contextes qui se trouvent presque aux

antipodes impose des contraintes notables Jrsquoai donc choisi drsquoeacutetablir mon laquo quartier

geacuteneacuteral raquo dans le village drsquoAntecume pata dans la commune de Maripasoula en

Guyane qui est devenu pendant quatre ans laquo mon chez moi raquo Agrave partir de lagrave jrsquoai

reacutealiseacute une mission ethnographique agrave Hiva Oa de septembre 2014 agrave janvier 2015

Au total le travail de terrain a dureacute pregraves de cinq ans avec des interruptions drsquoun ou

deux mois par an au cours desquels jrsquoai pris mes distances quant aux contextes

drsquoeacutetude et reacutealiseacute des analyses avec des familles laquo teacutemoin raquo dans lrsquoHexagone afin de

140

pouvoir comparer certaines donneacutees et de mieux cerner le laquo deacutecalage raquo entre les

pratiques eacuteducatives domestiques des peuples autochtones et celles des familles

franccedilaises meacutetropolitaines

Jrsquoai limiteacute le champ de mon eacutetude aux familles reacutesidant dans les deux terrains

choisis et ayant au moins un enfant acircgeacute entre 2 et 7 ans (assumant donc le rocircle de

laquo lrsquoeacuteduqueacute raquo dans mes observations) Cette eacutetape correspond agrave la phase dite de

laquo petite enfance raquo et qui selon Jean Piaget est caracteacuteriseacutee par le deacuteveloppement

des capaciteacutes de repreacutesentation verbale89 et de socialisation de lrsquoaction par la

laquo genegravese de la penseacutee raquo ndash qui ne se limite plus agrave lrsquointelligence perceptive et motrice

typique de la tranche drsquoacircge preacuteceacutedente mais qui integravegre aussi les compeacutetences

susciteacutees par le langage et la socialisation ndash par lrsquointuition90 et finalement par le

deacuteveloppement des sentiments interindividuels (sympathies antipathies

respecthellip) et drsquoune vie affective proprement dite (Piaget 1940) Mon choix a eacuteteacute

motiveacute par le fait que cette peacuteriode soit consideacutereacutee comme la plus importante pour

la socialisation primaire De fait crsquoest au cours de cette phase que se forge la

personnaliteacute de lrsquoindividu que le laquo facteur eacuteducatif raquo a un impact visible sur le

deacuteveloppement de lrsquoenfant et que les familles mettent en œuvre ndash consciemment ou

89 Il srsquoagit de la capaciteacute drsquointeacuteriorisation de la parole laquo qui a pour supports le langage inteacuterieur et le

systegraveme des signes raquo et qui permet de laquo reconstituer sur le plan intuitif des images et des expeacuteriences

mentales raquo (Piaget 1940 30)

90 Jrsquoentends par laquo intuition raquo la capaciteacute agrave anticiper lrsquoeffet drsquoune action et agrave reconstituer des eacutetats

anteacuterieurs

141

pas ndash des dispositifs explicites de formation (Castra 2010)91 Mes observations ont

donc essentiellement pris en compte les interactions eacuteducatives des enfants de cette

tranche drsquoacircge sans pour autant mettre totalement de cocircteacute celles entre adultes et

nourrissons ou adolescents

Agrave cet effet dans chacun des deux terrains drsquoeacutetude jrsquoai observeacute dix enfants (les

laquo eacuteduqueacutes raquo) Chaque enfant a eacuteteacute observeacute pendant 48 heures Les observations ont

eacuteteacute reacutealiseacutees agrave deux occasions pendant 24 heures drsquoun jour ouvrable (quand

lrsquoenfant allait agrave lrsquoeacutecole) et pendant 24 heures drsquoun jour feacuterieacute (quand lrsquoenfant nrsquoallait

pas agrave lrsquoeacutecole)92 Jrsquoai drsquoabord reacutealiseacute un premier essai sur une eacutechelle reacuteduite avec

cinq familles wayana-apalaiuml agrave Antecume pata en 2011 afin de tester le protocole

Apregraves cette premiegravere mise au point une seacuterie drsquoobservations a eacuteteacute meneacutee agrave

91 Je tiens agrave souligner que la theacuteorie de Piaget nrsquoest pas universellement accepteacutee Plusieurs auteurs

ont critiqueacute la segmentation du deacuteveloppement psychosocial de lrsquoenfant en eacutetapes et drsquoautres

considegraverent que agrave un niveau geacuteneacuteral cette perspective est fondamentalement ethnocentrique

puisqursquoelle ne tient pas compte des formes de deacuteveloppement propres agrave drsquoautres cultures (Brainerd

1978 Siegel amp Brainerd 1978 Modgil amp Modgil 1982 Siegal 1991) Il srsquoagit toutefois de la theacuteorie

qui a eu le plus drsquoimpact sur les politiques eacuteducatives occidentales et qui a litteacuteralement laquo modeleacute raquo

lrsquoorganisation des cycles scolaires dans la plupart des pays industrialiseacutes y compris la France

(Fisher 1980) Une synthegravese des positions qui ont animeacute cette controverse a eacuteteacute reacutealiseacutee par Orlando

Lourenccedilo et Armando Machado (1996)

92 Les enfants ont eacuteteacute observeacute aussi pendant la nuit Une telle strateacutegie mrsquoa permis drsquoobserver

certaines interactions eacuteducatives nocturnes comme par exemple quand un membre de la famille

rassure lrsquoenfant qui a eu un cauchemar quand il lui chante une berceuse pour le rendormir ou quand

il lrsquoaccompagne au dehors de la maison pour lrsquoaider agrave satisfaire ses besoins physiologiques

142

Antecume pata entre janvier et juin 2014 et une autre agrave Hiva Oa entre novembre

2014 et janvier 2015 De juin agrave septembre 2014 jrsquoai eacutegalement reacutealiseacute des

observations en France meacutetropolitaine avec cinq familles de milieu urbain pour

pouvoir disposer drsquoun groupe teacutemoin (non autochtone et qui nrsquohabite pas en Outre-

mer)

Les critegraveres qui ont guideacute le choix des familles observeacutees dans le cadre de

cette eacutetude ont eacuteteacute les suivants

lrsquoa ge des enfants laquo e duque s raquo pour chaque terrain drsquoe tude jrsquoai

se lectionne deux familles ayant un enfant de 2 ou 3 ans quatre

familles ayant un enfant de 4 ou 5 ans et quatre familles ayant un

enfant de 6 ou 7 ans Pour la premie re batterie drsquoobservations mene e

a Antecume pata et pour celle mene e en France me tropolitaine jrsquoai

conserve les me mes proportions une famille ayant un enfant de 2 ou

3 ans deux familles ayant un enfant de 4 ou 5 ans et deux familles

ayant un enfant de 6 ou 7 ans

lrsquoa ge des parents qui devait e tre compris entre 25 et 35 ans

le sexe de lrsquoe duque pour chaque terrain drsquoe tude jrsquoai se lectionne cinq

familles dont lrsquoenfant e tait de sexe fe minin et cinq familles dont il e tait

de sexe masculin Pour la premie re batterie drsquoobservations mene es a

Antecume pata et pour celle mene e en France me tropolitaine jrsquoai

se lectionne deux familles dont lrsquoenfant e tait de sexe fe minin et trois

143

familles dont il e tait de sexe masculin93

la condition socioe conomique dans chaque terrain drsquoe tude ont e te

se lectionne es des familles ou lrsquoun de deux parents avait une activite

salarie e

le statut de lrsquoenfant observe qui e tait toujours le descendant naturel

biologique et non adopte

la condition de sante de lrsquoenfant qui nrsquoavait pas drsquohandicaps ni des

troubles cognitives

la repre sentation que les parents se faisaient de leur identite jrsquoai

choisi des parents qui revendiquaient selon le cas leur identite

wayana-apalaicirc marquisienne ou franccedilaise laquo me tropolitaine raquo94

la fratrie jrsquoai choisi des familles avec au moins trois enfants (lrsquoenfant

laquo sujet drsquoe tude raquo a partir duquel jrsquoai mesure les interactions et au

93 Cette relative surrepreacutesentation du sexe masculin srsquoexplique par des raisons pratiques lieacutees au

travail drsquoobservation En effet puisque chez les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata les filles passent la

majoriteacute de leur temps avec les membres feacuteminins de leur famille quand jrsquoai commenceacute mon travail

sur le terrain (en 2011) il mrsquoa eacuteteacute tregraves difficile de convaincre les parents agrave me laisser observer

pendant les 24 conseacutecutives preacutevue par mon protocole de recherche non seulement la fille qui aurait

eacuteteacute le laquo sujet drsquoeacutetude raquo mais aussi les autres femmes de la famille Pour ce qui concerne les

observations meneacutees en France meacutetropolitaine - qui devaient servir de laquo groupe teacutemoin raquo et qui

nrsquoavaient pas la preacutetention de creacuteer un univers de comparaison statistiquement significatif- jrsquoai

preacutefeacutereacute conserver cette mecircme proportion

94 Concernant les meacutetropolitains jrsquoai choisi des familles ougrave les deux parents eacutetaient neacutes et ont grandi

en France

144

moins deux fre res)

Le type de famille he te ro-parental

72 Lrsquoanalyse eacutecosysteacutemique agrave lrsquoeacutepreuve du terrain

Lrsquoapproche eacutecosysteacutemique se base sur le principe selon lequel le

deacuteveloppement de lrsquoindividu deacutepend de sa position au centre drsquoune seacuterie de

systegravemes concentriques ougrave ceux qui se situent dans la partie la plus externe exercent

une influence sur ceux qui sont plus agrave lrsquointeacuterieur Le premier niveau correspond aux

microsystegravemes soit les uniteacutes sociales eacuteleacutementaires avec lesquelles chaque individu

a une relation directe et observable Il srsquoagit par exemple des parents de la famille

eacutelargie des pairs du voisinage de lrsquoeacutecole des groupes drsquointeacuterecirct ndash comme les

associations culturelles sportives politiques ou religieuses ndash ou des collegravegues de

travail Identifier ces microsystegravemes dans les deux contextes eacutetudieacutes a donc eacuteteacute ma

premiegravere tacircche Il srsquoagissait en drsquoautres termes drsquoidentifier les acteurs de

lrsquoeacuteducation ceux que Mialaret appelle laquo les eacuteducateurs raquo

Dans un deuxiegraveme temps jrsquoai deacutecrit les relations existant entre les diffeacuterents

microsystegravemes (entre les parents et les autres membres de la famille ou entre les

parents et lrsquoeacutecole par exemple) ce qui mrsquoa permis de comprendre le contexte

meacutesosystegravemique et de deacutefinir la maniegravere dont chaque microsystegraveme agit en fonction

des contraintes et des opportuniteacutes fournies par les autres microsystegravemes Le fait

que par exemple un microsystegraveme ait des relations difficiles avec un autre

microsystegraveme nous aide agrave comprendre comment lrsquoindividu ndash qui se trouve au milieu

de cette tension ndash choisit de se positionner drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre ou

145

eacuteventuellement de ne pas prendre position (mecircme srsquoil ne nous explique pas

pourquoi il fait ce choix) La troisiegraveme eacutetape conclusive a eacuteteacute de deacutecrire les

exosystegravemes (locaux) et le macrosystegraveme (global) qui agissent inconsciemment sur

le niveau meacutesosystegravemique et indirectement sur la socialisation de lrsquoindividu

Autrement dit il srsquoagissait de deacutecrire les contextes communautaires leurs relations

avec les instances administratives eacutetatiques et leur inteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie de

marcheacute et aux valeurs de la laquo globalisation raquo

73 Comprendre les interactions eacuteducatives

Apregraves avoir identifieacute les acteurs de lrsquoeacuteducation crsquoest-agrave-dire les personnes ou

les groupes de personnes qui interagissent avec lrsquoenfant afin de lrsquoeacuteduquer jrsquoai

chercheacute agrave identifier les interactions eacuteducatives Cette tacircche nrsquoest pas des plus aiseacutees

car elle implique le travail ndash souvent difficile ndash qui consiste agrave deacutenicher le fait eacuteducatif

entre les mille et une interactions qui mettent en rapport un eacuteducateur et un eacuteduqueacute

Je me suis donc laisseacute guider par la deacutefinition laquo anthropologique raquo de lrsquoeacuteducation qui

soutient mon hypothegravese agrave savoir que lrsquoeacuteducation est un processus de transmission

des donneacutees culturelles eacutetroitement lieacutees au paysage naturel et social qui constitue

lrsquohabitat dans lequel se reacutealise lrsquointeraction eacuteducative La tacircche consistait donc agrave

repeacuterer les moments pendant lesquels les eacuteducateurs wayana-apalaiuml et

enata transmettaient agrave lrsquoenfant ndash qui occupait le rocircle de laquo lrsquoeacuteduqueacute raquo ndash des donneacutees

laquo culturellement significatives raquo neacutecessaires agrave la survie dans leur environnement

naturel et agrave la participation agrave la vie communautaire

146

Ces donneacutees peuvent ecirctre classifieacutees en fonction de huit domaines

fondamentaux auxquels elles sont lieacutees agrave savoir

La production et la transformation des aliments comme

lrsquoagriculture la chasse la pe che et la cuisine

La construction et lrsquoentretien de la maison

La me dicine traditionnelle - impliquant la

reconnaissance des espe ces ve ge tales ou animales et leur utilite

the rapeutique ndash lrsquohygie ne personnelle et la sexualite

La pre paration et la participation a des ce re monies ou

rituels communautaires

La production drsquooutils ne cessaires a la re alisation des

activite s que je viens de mentionner autrement dit la laquo culture

mate rielle raquo proprement dite

La transmission des mythes des le gendes et de lrsquohistoire

locale

La reconnaissance du territoire (sa ge ographie physique

et humaine ses ressources naturelles et ses dangers mais aussi les

variations climatiques et les cycles des saisons)

Les re gles de vie (les comportements adapte s et les

normes communautaires)

Agrave travers lrsquoobservation des pratiques ayant un rapport avec un ou plusieurs

de ces domaines jrsquoai donc pu repeacuterer les interactions eacuteducatives et les acteurs qui y

147

jouaient le rocircle drsquoeacuteducateurs Cela mrsquoa donneacute lrsquoopportuniteacute de comprendre la

fonction sociale de chaque membre de la communauteacute les laquo savoirs raquo qui leur sont

assigneacutes mais aussi les meacutethodes et les outils mobiliseacutes pour transmettre leurs

connaissances et leurs savoir-faire

Pour deacutecrire laquo lrsquointensiteacute raquo de ces interactions jrsquoai appliqueacute un protocole deacutejagrave

testeacute par drsquoautres anthropologues de lrsquoeacuteducation et qui repose sur lrsquoobservation et

la mesure des rythmes eacuteducatifs Dans une eacutetude sur lrsquoeacutecologie sociale chez les Efe

de la forecirct de lrsquoIturu en Reacutepublique Deacutemocratique du Congo Edward Tronick et ses

collegravegues (1987) ont observeacute le pheacutenomegravene du multiple caregiving ndash entendons par

lagrave lrsquointervention de plusieurs caregivers95 dans lrsquoeacuteducation des enfants ndash agrave partir de

lrsquoanalyse du temps que les enfants passent avec des personnes autres que leur

megravere96 Un protocole analogue a eacuteteacute utiliseacute dans lrsquoeacutetude de Barry Hewlett (1992) sur

les relations affectives entre pegraveres et fils chez les pygmeacutees Aka population nomade

drsquoAfrique centrale et dans laquelle lrsquoauteur cherche agrave restituer le pourcentage de

temps que les pegraveres Aka passent agrave srsquooccuper de leurs fils Drsquoautres auteurs ont suivi

des meacutethodes similaires pour mesurer lrsquoimplication paternelle chez les Kung San

95 Le mot anglais caregiver est difficilement traduisible en franccedilais Dans la terminologie meacutedicale

anglo-saxonne il est employeacute pour deacutefinir les personnes qui srsquooccupent de soigner ou drsquoaider les

enfants les malades ou les plus acircgeacutes Cependant je lrsquoutilise ici dans le sens qui lui est donneacute dans la

litteacuterature anthropologique agrave savoir celui de laquo fournisseur de soins raquo

96 Leur meacutethode se basait sur la mesure du pourcentage de temps passeacute en contact physique avec

drsquoautres caregivers ce qui incluait le temps passeacute dans leurs bras ou agrave dormir agrave leur cocircteacute

148

(West amp Konner 1976) les Gidgingali (Hamilton 1981) et agrave nouveau les Efe (Winn

et al 1990) Cependant les eacutetudes que je viens de citer nrsquoobservent pas les

interactions eacuteducatives au sens strict puisqursquoelles sont consacreacutees agrave mesurer le

temps que certains caregivers passent avec les enfants ndash un temps qui peut servir agrave

transmettre des donneacutees culturelles mais aussi agrave ne rien faire agrave se reposer ou agrave

contempler97

Dans le cadre de cette recherche jrsquoai donc deacutecideacute drsquoadapter ces meacutethodes en

fonction de lrsquoobjectif que je me suis fixeacute et de mesurer le temps que chaque

eacuteducateur consacre agrave son eacuteduqueacute pour la transmission des donneacutees culturelles

concernant un ou plusieurs des huit domaines laquo culturels raquo fondamentaux que je

viens de mentionner

Les observations ont eacuteteacute codeacutees agrave partir drsquoune grille dans laquelle jrsquoai noteacute agrave

intervalles de cinq minutes les interactions eacuteducatives que chaque membre de la

famille ou de la communauteacute entretenaient avec lrsquoenfant-eacuteduqueacute en tenant aussi

compte du style eacuteducatif caracteacuterisant chaque interaction (voir annexe 8) Au total

jrsquoai reacutealiseacute plus de 1440 heures drsquoobservation directe dans le seul but de mesurer la

97 Un cas diffegraverent est celui de lrsquoeacutetude meneacutee par Catherine Snow et ses collegravegues (1979) qui ont

mesureacute la freacutequence et la dureacutee moyenne des laquo interactions sociales raquo entre les megraveres et leurs enfants

en Hollande et en Grande-Bretagne Cependant leur eacutetude ne distingue pas les interactions sociales

(qui incluent tout type drsquointeractions pourvu qursquoon puisse reconnaicirctre une quelconque forme de

communication) des interactions purement eacuteducatives (qui se limitent agrave la transmission drsquoun certain

type de donneacutees dans un but speacutecifique)

149

laquo quantiteacute raquo drsquointeractions eacuteducatives ce qui mrsquoa permis drsquoobtenir des donneacutees

comparables quant au laquo poids raquo de chaque acteur ndash ou microsystegraveme ndash en charge de

la transmission de la culture dans les deux contextes eacutetudieacutes

Par ailleurs au-delagrave des donneacutees laquo mesurables raquo cet exercice mrsquoa aussi

permis drsquoobserver en quoi certains outils et technologies ndash laquo traditionnels raquo ou

laquo modernes raquo produits localement ou acheteacutes agrave lrsquoexteacuterieur ndash participent au fait

eacuteducatif et comment ils sont exploiteacutes par les eacuteducateurs afin de transmettre

certains savoirs

74 Performances parentales et ideacuteologies eacuteducatives

Le rocircle des parents dans lrsquoeacuteducation des enfants pourrait sembler laquo auto-

eacutevident raquo et dans le sens commun on a lrsquohabitude de lrsquoassocier aux activiteacutes de soin

drsquoencadrement et de protection de leur progeacuteniture En reacutealiteacute la notion de

parentaliteacute est bien plus vaste et engage soit lrsquoensemble des processus qui

permettent aux parents de reacutepondre aux neacutecessiteacutes physiques affectives et

psychologiques des enfants (Lamour amp Barraco 1998) soit lrsquoexercice de

transmission ndash et de transformation ndash drsquoun patrimoine culturel propre agrave la

laquo famille raquo (qui comprend lrsquoensemble des membres drsquoune communauteacute par effet des

liens de parenteacute) Cependant chaque communauteacute humaine applique des formes de

parentaliteacute diffeacuterentes ce qui se traduit par des styles eacuteducatifs et des strateacutegies

peacutedagogiques qui ne sont valides que dans un certain contexte et dans certaines

situations ndash styles auxquels on associe des comportements et des valeurs

particuliegraveres En effet comme le soulignent Claudine Parent et Michegravele Brousseau

150

laquo si le regard porteacute sur les rocircles parentaux diffegravere selon les cultures il peut

eacutegalement varier en fonction de la position occupeacutee par les diffeacuterents membres de

la famille raquo (Parent amp Brousseau 2008 XI)

Pour comprendre les styles eacuteducatifs des parents dans le cadre drsquoune culture

speacutecifique plusieurs meacutethodes srsquooffrent agrave lrsquoanthropologue En tant que laquo sujet

drsquoeacutetude raquo les strateacutegies parentales ont surtout eacuteteacute analyseacutees par les sciences de

lrsquoeacuteducation et dans la majoriteacute des cas dans des contextes expeacuterimentaux Agrave titre

drsquoexemple on peut mentionner les travaux drsquoAlexandra Franccedilois et Annick Weil-

Barais (2003) qui ont utiliseacute des jeux de construction pour analyser la transmission

des connaissances de Fataneh Sourcheh (2004) qui dans le cadre de sa recherche

doctorale a observeacute la mise en jeu des compeacutetences numeacuteriques dans des situations

controcircleacutees ou de Heeyean Cho (2007) qui a utiliseacute le laquo jeu de la marchande raquo pour

comparer les interactions parent-enfant en France et en Coreacutee du Sud Drsquoautres

auteurs ont preacutefeacutereacute comparer les interactions en milieu expeacuterimental avec celles en

milieu naturel Rodica Ailincai par exemple a eacutetudieacute la variabiliteacute interactionnelle

parentale dans des contextes multiculturels et plurilingues agrave partir de ce type de

protocole en codant les transcriptions des observations afin de mettre en eacutevidence

les interventions verbales et non verbales et de les classifier selon le style eacuteducatif

qui leur est propre directif suggestif autonomisant ou disjoint (Ailincai amp Weil

Barais 2007 Ailincai et al 2014) Drsquoautres eacutetudes ont analyseacute lrsquointeraction

parentale agrave partir drsquoun questionnaire depuis 1997 par exemple le Deacutepartement de

lrsquoeacuteducation des Eacutetats-Unis utilise ce protocole pour comprendre la relation entre

lrsquoimplication des parents et la reacuteussite scolaire des eacutelegraveves ameacutericains (USDE 2006)

151

pour sa part lrsquoOCDE utilise un protocole similaire pour comparer le niveau de

participation des familles agrave la vie culturelle des enfants avec les reacutesultats obtenus

dans le cadre des eacutevaluations PISA (Borgonovi amp Montt 2012)

Bien que ce type drsquoapproche ait lrsquoavantage de laquo produire raquo des reacutesultats

mesurables il est toutefois difficile drsquoen imaginer lrsquoapplication dans des contextes

tels que mon terrain drsquoeacutetude ougrave lrsquoexpeacuterience controcircleacutee ou la passation drsquoun

questionnaire se seraient reacuteveacuteleacutes laborieux et auraient demandeacute un niveau

drsquoanalyse des donneacutees particuliegraverement ardu dans le cadre drsquoune recherche

doctorale Au moins deux raisons ont motiveacute mon choix Drsquoune part lrsquoexpeacuterience

controcircleacutee ndash consistant agrave laquo neutraliser raquo toute interfeacuterence exteacuterieure pendant la

dureacutee de lrsquoobservation ndash aurait eacuteteacute difficile agrave mettre en place sans espaces laquo priveacutes raquo

pouvant limiter les regards et les commentaires des personnes externes agrave

lrsquoexpeacuterience En effet agrave Antecume pata comme agrave Hiva Oa les maisons sont ouvertes

et il est impossible de reacutealiser des observations de ce type laquo agrave huis clos raquo Drsquoautre

part il aurait eacuteteacute tout aussi difficile de passer des questionnaires agrave des parents

drsquoeacutelegraveves qui ndash bien que compeacutetents pour communiquer en langue franccedilaise ndash

nrsquoauraient pu les remplir seuls dans la mesure ougrave la scolariteacute de la majoriteacute des

adultes avec lesquels jrsquoai travailleacute en Guyane et en Polyneacutesie srsquoest arrecircteacutee au CM2

Du fait de ces contraintes jrsquoai donc preacutefeacutereacute opter pour lrsquoobservation des

pratiques quotidiennes en transcrivant sur ma grille de codage ndash adapteacutee agrave partir

de celle creacuteeacutee par Rodica Ailincai (2011) ndash les styles drsquointeractions que chaque

membre de la famille ou de la communauteacute entretenaient avec lrsquoenfant qui se

152

trouvait au centre de mes observations Pour identifier les formes drsquointeractions

auxquelles jrsquoai assisteacute jrsquoai pris en consideacuteration les eacuteleacutements suivants98

Le style directif inte gre des conduites ndash verbales ou non

verbales ndash qui sont impose es a lrsquoenfant visant a la normativite

des comportements et admettant des feedbacks (re troactions)

ne gatifs

Le style suggestif vise a stimuler la production de lrsquoenfant et a

lrsquoaccompagner dans ses actions ou ses apprentissages avec des

feedbacks positifs des conseils des encouragements ou des

demandes de pre cisions

Le style autonomisant a pour but de de velopper lrsquoautonomie de

lrsquoenfant mais le parent reste attentif et a proximite de lrsquoaction

Le style fonctionnellement disjoint est observable dans les

situations ou les actions ne sont pas collaboratives ou les

parents ne restent pas a proximite de lrsquoenfant et ou ils ne

peuvent ni contro ler ni e valuer son activite

98 Il srsquoagit des deacutefinitions proposeacutees par Rodica Ailincai dans son travail doctoral (2005) et utiliseacutees

ulteacuterieurement dans une recherche agrave laquelle jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de participer et qui a eacuteteacute preacutesenteacutee

dans le cadre du premier colloque du Reacuteseau national des EacuteSPEacute (Ailincai et al 2015 Voir aussi

Ailincai et al 2014 et 2016)

153

Pour rendre compte du deacutecalage qursquoil existe entre les pratiques deacuteclareacutees et les

pratiques observeacutees crsquoest-agrave-dire entre ce que les adultes font et ce qursquoils disent faire

ndash veacuteritable dilemme pour lrsquoethnographe ndash jrsquoai accompagneacute mes observations

drsquoentretiens non structureacutes afin de mettre en lumiegravere trois eacuteleacutements

fondamentaux

les motivations qui les conduisent a agir drsquoune certaine

manie re

les valeurs qursquoils assignent a leurs performances

e ducatives

lrsquoide e de re ussite qui guide leur action e ducative

Jrsquoai donc essayeacute agrave partir de ces donneacutees de reconstituer les traits saillants de

lrsquoideacuteologie eacuteducative dans les deux contextes eacutetudieacutes

75 Consideacuterations eacutethiques

Les deux terrains drsquoeacutetude que jrsquoai choisis pour reacutealiser ma recherche ne

repreacutesentent pas un territoire inexploreacute par la recherche Le village drsquoAntecume

pata et lrsquoicircle de Hiva Oa ont eacuteteacute visiteacutes agrave maintes reprises par de nombreux chercheurs

provenant de toutes les disciplines des ethnologues des ethnomusicologues des

sociologues des archeacuteologues des botanistes des eacutepideacutemiologistes des architectes

des historiens des geacuteographes et mecircmes des astronomes Les communauteacutes qui

mrsquoont accueilli nrsquoeacutetaient donc pas vierges de tout contact avec cette espegravece curieuse

154

et toujours agrave la recherche de deacutecouvertes que sont les laquo savants baroudeurs raquo

Cependant le fait drsquoavoir reacutealiseacute un travail de terrain de longue haleine et drsquoavoir pu

tisser pendant mon seacutejour dans ces lieux si isoleacutes des liens drsquoamitieacute avec plusieurs

membres de ces communauteacutes mrsquoa permis de discuter souvent autour des vices et

des vertus que mes hocirctes reconnaissent agrave ces visiteurs eacutetranges qui comme aime agrave

le reacutepeacuteter Andreacute Cognat le responsable du village drsquoAntecume pata laquo viennent

srsquoinstallent nous font beaucoup de questions et apregraves ils repartent sans jamais nous

dire ce qursquoils ont deacutecouvert raquo Son neveu Kalanki Panapasi ajoute aussi qursquo laquo ils

utilisent nos noms ils publient nos photos ils vendent leurs livres et ils font leur

carriegravere gracircce agrave nous raquo Il nrsquoest donc pas surprenant que la plupart des habitants

drsquoAntecume pata ou de Hiva Oa nrsquoacceptent pas drsquoecirctre pris en photo drsquoecirctre

enregistreacutes par un dictaphone ou que leur nom soit publieacute

Pour la reacutealisation de cette recherche jrsquoai ducirc tenir compte de ces exigences

de mes hocirctes ce qui mrsquoa conduit agrave modifier les preacutenoms des personnes

intervieweacutees99 et agrave ne pas inclure des photographies Dans la recherche

anthropologique la construction drsquoun cadre de reacutefeacuterence pour les questions

eacutethiques nrsquoest pas simple En effet il nrsquoexiste pas de code deacuteontologique

universellement valable (comme pour les meacutedecins ou les professionnels de santeacute

qui ont leur serment drsquoHippocrate) et en lrsquoabsence de normes nationales

99 Les personnes qui apparaissent avec leur preacutenom et leur nom sont celles qui mrsquoont explicitement

autoriseacute agrave les citer Les autres apparaissent avec un nom fictif mais elles nrsquoauront pas de difficulteacute agrave

se reconnaicirctre dans le reacutecit

155

contraignantes chaque anthropologue agrave tendance agrave se reacutefeacuterer aux codes de conduite

des associations professionnelles ou des socieacuteteacutes savantes dont il est membre ou

aux normes preacutevues par les eacutetablissements de recherche auxquels il est affilieacute Dans

mon cas je mrsquoen suis remis aux principes du code de conduite de lrsquoAmerican

Anthropological Association (2009) et surtout aux obligations suivantes

Rendre explicites les finalite s et les objectifs du travail de

recherche en cours

Obtenir les autorisations ne cessaires pour la re alisation du

travail sur le terrain

Ne pas causer de dommages aux communaute s e tudie es a

leurs membres a leur patrimoine ou a leur

environnement

Ne pas ge ne rer de conflits au sein des communaute s ou

entre les communaute s et les entite s externes

Prote ger la confidentialite des sources cite es

Pre server les donne es recueillies sur le terrain et les

prote ger pour qursquoelles ne soient pas utilise es pour

de clencher ou justifier un conflit ou pour qursquoelles ne

nuisent pas a la confidentialite des personnes qui y sont

mentionne s

Rendre accessibles les re sultats obtenus dans le cadre de la

recherche tout en tenant compte des crite res mentionne s

auparavant

156

Pendant mon travail de terrain ainsi que lors de la reacutedaction de cette thegravese

jrsquoai essayeacute de mrsquoen tenir agrave ces normes et de respecter les regravegles de laquo bon voisinage raquo

et drsquohospitaliteacute qui relegravevent du sens commun Comme on le verra dans les pages

suivantes cela mrsquoa obligeacute agrave laquo trahir raquo agrave maintes reprises les normes morales qui

sont propres agrave laquo ma raquo culture agrave reacuteeacutevaluer ma position face agrave certaines prises de

position et bien eacutevidemment agrave modifier mon point de vue sur lrsquouniversaliteacute de

certains usages auxquels laquo ma raquo culture mrsquoa habitueacute En fin de compte le terrain

nrsquoest pas seulement un espace de deacutecouverte mais surtout un moment de reacuteflexion

157

8 Les terrains de recherche

La Guyane et la Polyneacutesie deux laquo confettis raquo de lrsquoempire colonial franccedilais qui

ndash bien que situeacutes agrave des milliers de kilomegravetres de distance lrsquoun de lrsquoautre dans deux

continents diffeacuterents (lrsquoAmeacuterique du Sud et lrsquoOceacuteanie) et dans deux milieux

eacutecologiques tout aussi diffeacuterents (respectivement la forecirct tropicale humide et

lrsquoeacutecosystegraveme oceacuteanique) et bien qursquoayant deux statuts administratifs distincts (la

premiegravere est un DOM la seconde une COM) ndash partagent plusieurs points communs

Les deux territoires ont en effet veacutecu une histoire coloniale similaire tous deux ont

eacuteteacute inteacutegreacutes agrave la Reacutepublique franccedilaise en raison de leurs ressources naturelles mais

surtout de leur position geacuteographique De mecircme ces deux territoires sont peupleacutes

de nombreuses communauteacutes autochtones qui revendiquent certaines formes

drsquoautonomie et exigent drsquoecirctre reconnues par lrsquoEacutetat non seulement en tant que

laquo minoriteacutes linguistiques raquo mais aussi ndash et surtout ndash en tant que groupes humains

porteurs drsquoune identiteacute propre neacutecessitant une protection speacutecifique

Les deux communauteacutes qui constituent laquo lrsquounivers de cette eacutetude raquo sont de

ce point de vue assez repreacutesentatives Dans les pages qui suivent je vais essayer de

reacutesumer les eacuteleacutements les plus significatifs de leur histoire et de leur organisation

sociale agrave partir des donneacutees ethno-historiques disponibles et de lrsquoanalyse de leur

contexte geacuteopolitique ce qui nous permettra dans les prochains chapitres de mieux

comprendre leurs eacutecosystegravemes sociaux et les fondements historiques de leur

ideacuteologie eacuteducative

158

81 Les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata situation geacuteographique donneacutees

ethno-historiques et aspects sociologiques

Le village drsquoAntecume pata srsquoeacutetend sur lrsquoicircle du mecircme nom sur le haut cours

du fleuve Maroni qui eacutetablit la ligne de frontiegravere avec le Suriname (Figure 9) Il est

habiteacute par des familles wayana et apalaiuml

Figure 9 La Guyane franccedilaise et le village drsquoAntecume pata (carte reproduite avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoInstitut Geacuteographique National)

159

Actuellement en Guyane franccedilaise vivent environ mille Wayana cohabitant

avec une dizaine drsquoApalaiuml Ces groupes preacutesents dans la reacutegion des Guyanes depuis

au moins deux siegravecles eacutetaient autrefois semi-nomades leurs ancecirctres eacutetaient

connus sous le nom de laquo Roucouyens raquo100 et drsquo laquo Oupouloui raquo (Gillin 1948 Hurault

1968 et 1972)101 Jean Chapuis (1998 2003) signale qursquoil srsquoagit de deux groupes de

langue carib (ou karib) qui partagent les mecircmes origines Ils seraient en effet le

reacutesultat de la fusion de nombreux clans qui vivaient aux alentours de la chaicircne

montagneuse des Tumuc Humac (qui aujourdrsquohui deacutelimite la triple frontiegravere entre

la Guyane le Suriname et le Breacutesil) et qui agrave partir du XVIIIegraveme siegravecle ont commenceacute

agrave srsquoinstaller plus loin ndash sur le fleuve Tapanahony au Suriname le fleuve Parou agrave lrsquoest

du Breacutesil et le fleuve Maroni en Guyane ndash agrave cause de lrsquoexpansion de la frontiegravere

coloniale et des conflits avec la communauteacute Wayampi (ou Waiatildepi)102 Comme le

notent Pierre et Franccediloise Grenand laquo la Guyane ameacuterindienne ancienne nrsquoeacutetait pas

100 Le nom laquo Roucouyennes raquo est issu de leur habitude agrave se peindre totalement le corps avec les

extraits des fruits de la plante de roucou (Bixa orellana) qui donne agrave la peau une couleur rouge vif

101 Selon les diffeacuterentes sources les Wayana sont aussi connus sous drsquoautres ethnonymes tels Ajana

Alucuyana Ayana Guaque Ojana Orcocoyana Orocoiana Pirixi Uaiana Urukuena Urukuyana ou

Waiano et les Apalaiuml sont eacutegalement appeleacutes Apalai Apalay Aparai Aparathy Apareilles ou Appirois

(Stuart 1991 Robert 2009)

102 Cette interpreacutetation ne fait pas lrsquounanimiteacute Drsquoautres chercheurs comme la linguiste Eliane

Camargo (1997 2008a et 2008b) preacutefegraverent lrsquohypothegravese selon laquelle il srsquoagirait de deux peuples

distincts qui parlent deux langues diffeacuterentes mais qui partagent une histoire et un territoire

commun (Voir aussi Chiara 1978)

160

composeacutee de groupes isoleacutes et eacuteloigneacutes les uns des autres mais bien au contraire de

socieacuteteacutes qursquoelles aient eacuteteacute en guerre ou en paix en contact permanent agrave travers des

eacutechanges commerciaux des eacutechanges festifs voire des eacutechanges matrimoniaux raquo

(1985 12) ainsi que des eacutechanges guerriers

La premiegravere description ethnographique des laquo Roucouyens raquo parue en 1769

a eacuteteacute reacutedigeacutee par Claude Tony un laquo mulacirctre libre drsquoApprouague raquo qui avait eacuteteacute

envoyeacute par Louis-Thomas Jacquot gouverneur de la Guyane pour explorer les

sources du fleuve Litany103 Dans son rapport pour le gouverneur Tony fait eacutetat drsquoun

groupe avec une organisation militaire qui essaye de se deacutefendre des attaques des

groupes wayampi lesquels jouissaient du soutien de la couronne portugaise (et de

son armement) et drsquoacceacuteder aux produits occidentaux disponibles dans le bassin de

lrsquoOyapock gracircce aux postes de commerce que les missionnaires jeacutesuites y avaient

creacuteeacutes durant la premiegravere moitieacute du XVIIIegraveme siegravecle (Tony 1769) Dix ans plus tard

lorsque le meacutedecin et naturaliste Jean-Baptiste Leblond visita le sud de la Guyane

dans le cadre de ses recherches sur le quinquina (Cinchona officinalis) il observa que

leur organisation militaire avait disparu et qursquoils avaient commenceacute agrave migrer et agrave

srsquoinstaller dans le bassin du Haut Maroni et du Waqui loin des Wayampi et des

Portugais (Leblond 1814) Cependant leur progression vers le Bas Maroni a eacuteteacute

freineacutee dans la premiegravere moitieacute du XIXegraveme siegravecle par la preacutesence de campements

103 Les premiers contacts des Wayana-Apalaiuml avec les Europeacuteens datent probablement de 1730

anneacutee ougrave des explorateurs au service de lrsquoordonnateur Paul Lefebvre drsquoAlbon signalent un groupe laquo

drsquoOrokoyanes raquo (laquo Roucouyens raquo) dans le sud de la Guyane Une analyse des documents drsquoarchive

concernant ce premier contact a eacuteteacute reacutealiseacutee par Grenand (1972) et Chapuis (1998)

161

drsquoun autre groupe de langue Carib les Galibi (aujourdrsquohui appeleacutes Kalirsquona)104 et par

lrsquohostiliteacute des groupes Tirio sur lrsquoItany (Grenand 1982) Selon Jean Chapuis (1998)

la laquo fusion raquo entre les clans laquo roucouyens raquo (wayana) et upului (apalaiuml) date de cette

eacutepoque et srsquoexplique par deux raisons strateacutegiques sceller un accord de

cohabitation pacifique dans la reacutegion et augmenter la taille des communauteacutes ce qui

aurait permis drsquoeacutelargir le reacuteseau drsquoeacutechanges matrimoniaux (Chapuis 1998 Voir

aussi Rauschert-Alenani 1981) Agrave la mecircme eacutepoque des groupes de Boni des

esclaves drsquoorigines africaines eacutechappeacutes du Suriname sont venus srsquoinstaller sur le

cours moyen du Maroni pour eacutechapper aux Hollandais et agrave leurs allieacutes les Djuka

qui les pourchassaient Pour Jean-Marcel Hurault (1972) les relations entre la toute

nouvelle laquo confeacutedeacuteration Wayana-Apalaiuml raquo et les Boni fugitifs eacutetaient plus que

cordiales mais ces derniers qui controcirclaient lrsquoaccegraves des marchandises en

provenance du nord se sont imposeacutes en tant qursquointermeacutediaires dans le commerce

entre les Ameacuterindiens et les colons franccedilais de telle sorte que laquo les Wayana

fournissaient [aux Boni] des chiens en principe dresseacutes pour la chasse du bois drsquoarc

des hamacs les Boni [fournissaient aux Wayana] divers objets manufactureacutes en

particulier des haches des sabres et des hameccedilons raquo (Hurault 1965 115)

Lrsquoarriveacutee de certains clans wayampi dans la reacutegion lesquels fuyaient les

colons portugais qui voulaient les reacuteduire en esclavage a deacuteclencheacute une nouvelle

104 Lesquels apregraves une premiegravere phase drsquoeacutechanges pacifiques avec les laquo Roucouyens raquo conduisirent

une seacuterie de raids pour enlever leurs femmes afin de les revendre aux colons hollandais du Suriname

et la guerre qui en suivit a eacuteteacute remporteacutee par les clans laquo roucouyens raquo et obligea les Kalirsquona agrave se retirer

(Grendand 1972)

162

guerre entre eux et les Wayana-Apalaiuml Au vu du nombre important de morts

perpeacutetreacutees les deux parties ont deacutecideacute de trouver un accord et en 1830 les deux

groupes ont deacutetermineacute que les Wayampi allaient occuper le bassin de lrsquoOyapock (de

sa source jusqursquoau confluent du Camopi) et les Wayana-Apalaiuml le bassin du Maroni

jusqursquoau confluent du Tapanahony105 Lrsquoaccord a permis de mettre en place un

reacuteseau drsquoeacutechanges eacuteconomiques privileacutegieacutes qui selon Pierre Grenand (1982)

eacutetaient tellement fortes que les Wayampi ont adapteacute leur mythologie pour y inclure

les Wayana lesquels ont eacuteteacute associeacutes au clan des laquo gens de lrsquoanaconda raquo

Durant plus drsquoun siegravecle la preacutesence de ces laquo groupes tampons raquo (les Wayampi

sur lrsquoOyapock et les Boni sur le Maroni) a limiteacute le contact des Wayana-Apalaiuml avec

les Occidentaux De fait depuis lrsquoexploration de Leblond en 1779 aucun explorateur

europeacuteen ne srsquoest aventureacute dans la reacutegion Les contacts ont repris en 1879 lorsque

Jules Crevaux qui essayait de relier Cayenne agrave Beleacutem en passant pour les Tumuc

Humac laquo a deacutecouvert raquo des communauteacutes ameacuterindiennes installeacutees sur le Haut

Maroni (Crevaux 1883)106 Il reacutedigera alors avec drsquoautres savants de lrsquoeacutepoque le

105 Cet accord est connu par les chercheurs en ethnohistoire amazonienne comme la laquo paix wayana raquo

(Grenand 1972)

106 On peut imaginer que avant son voyage Crevaux nrsquoavait pas connaissance de ces groupes En

effet dans le rapport preacuteliminaire qursquoil adressa agrave lrsquoAgence Geacuteneacuterale des Colonies sur la situation

geacuteographique du nord et du centre de la Guyane il ne faisait pas mention de la possibiliteacute qursquoil pouvait

exister des groupes ameacuterindiens dans le sud de la reacutegion (Crevaux 1877)

163

premier vocabulaire de la laquo langue roucouyenne raquo (Crevaux et al 1882)107 Entre

1887 et 1889 les villages du Haut Maroni ont eacuteteacute visiteacutes par le geacuteographe Henri

Anatole Coudreau qui en fit une description systeacutematique et essaya pour la

premiegravere fois de les recenser relevant le nombre de 15000 (Coudreau 1893) Agrave

lrsquoinstar de Crevaux il reacutedigera un vocabulaire des langues ameacuterindiennes de la

reacutegion utilisant pour la premiegravere fois les ethnonymes laquo Ouayana raquo et laquo Aparaicirc raquo pour

identifier les habitants ameacuterindiens du Haut Maroni (Coudreau 1892)

En 1930 avec le deacutecret-loi du 6 juin est creacuteeacute le Territoire de lrsquoInini une entiteacute

autonome directement administreacutee par le gouverneur de la Guyane assisteacute par un

conseil drsquoadministration de son choix Ce Territoire est alors seacutepareacute de la colonie de

la Guyane proprement dite administreacutee quant agrave elle par un gouverneur agissant au

nom du ministre des Colonies La laquo vraie raquo Guyane franccedilaise ne srsquoeacutetendait que sur

lrsquoeacutetroite bande littorale lagrave ougrave il existait une preacutesence coloniale Tout le reste du

territoire correspondait agrave lrsquoInini peupleacute par des communauteacutes ameacuterindiennes et

afro-descendantes (Djuka et Boni) ainsi que par quelques anciens prisonniers ayant

reacuteussi agrave fuir du bagne Selon lrsquohistorien Serge Mam-Lam-Fouck cette division laquo

consacrait lrsquoexistence des deux espaces que lrsquohistoire avait creacuteeacutes le Littoral depuis

longtemps modeleacute par la colonisation franccedilaise et lrsquoInteacuterieur jamais totalement

maicirctriseacute raquo (Mam-Lam-Fouck 1996 112) Depuis cette laquo territorialisation raquo le

107 En reacutealiteacute le vocabulaire et la grammaire de Crevaux meacutelangent des eacuteleacutements de langue wayana

et drsquoautres qui sont propres agrave lrsquoapalaiuml Lrsquoexplorateur ndash qui a eacuteteacute accueilli pendant plusieurs semaines

dans une communauteacute qursquoil appelle laquo roucouyenne raquo ndash nrsquoavait pas diffeacuterencieacute les Wayana des Apalaiuml

ce qui indique probablement que agrave lrsquoeacutepoque les deux groupes avaient deacutejagrave fusionneacute

164

deacuteclin deacutemographique de ces communauteacutes srsquoest acceacuteleacutereacute pour atteindre son point

le plus bas dans les anneacutees 1950 Les recensements effectueacutes par Jean Hurault

(1957) agrave cette eacutepoque eacutevoquent une population totale ne deacutepassant pas la

cinquantaine de membres Agrave partir de cette date la tendance deacutemographique

neacutegative a commenceacute agrave srsquoinverser gracircce agrave la creacuteation drsquoun poste de santeacute dans le

bourg de Maripasoula ndash village fondeacute par des Boni qui se deacutediaient agrave lrsquoorpaillage

dans les affluents du Maroni ndash permettant agrave certains Ameacuterindiens plus disposeacutes au

contact de se faire soigner quand ils eacutetaient malades Lrsquoarriveacutee de plusieurs familles

wayana-apalaiuml en provenance du Breacutesil pour fuir les garimpeiros108 qui eacutetaient en

train de massacrer les communauteacutes ameacuterindiennes du Jari et du Parou de lrsquoest afin

drsquooccuper leur terre a eacutegalement participeacute agrave lrsquoinversion de la tendance

deacutemographique preacuteceacutedente (Cognat 1967) En 1976 on deacutenombrait plus de trois

cents Wayana-Apalaiuml sur les deux berges du Maroni (Cognat 1977) Dans un

recensement que jrsquoai effectueacute en 2012 jrsquoen ai compteacute 1150 ce qui semble confirmer

une tendance agrave lrsquoaccroissement deacutemographique (Aligrave amp Ailincai 2013)109

108 Les chercheurs drsquoor et de pierres preacutecieuses qui travaillent sur les chantiers drsquoorpaillage

clandestin

109 Il convient de souligner que dans les recensements officiels de lrsquoInstitut national de la statistique

et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE) les habitants des villages ameacuterindiens ndash lesquels drsquoun point de

vue administratif sont consideacutereacutes comme des lieux-dits ndash sont comptabiliseacutes en tant que reacutesidents

du bourg de Maripasoula Il nrsquoexiste donc aucun chiffre officiel sur le nombre drsquohabitants des villages

du Haut Maroni

165

811 Situation postcoloniale et inteacutegration nationale

En 1946 la Guyane franccedilaise accegravede au statut de deacutepartement sans que sa

division administrative ndash une Guyane littorale et un Territoire de lrsquoInini ndash soit remise

en question Il faudra attendre lrsquoanneacutee 1969 pour que lrsquoInini soit deacutefinitivement

inteacutegreacute au deacutepartement et pour que des communes soient creacuteeacutees dans lrsquointeacuterieur

guyanais (Thabouillot 2012) Agrave partir des anneacutees 1950 les gouvernements franccedilais

et surinamiens adoptent une politique de laquo seacuteduction raquo des communauteacutes

ameacuterindiennes de la reacutegion de sorte que comme lrsquoaffirmait Hurault laquo une

surenchegravere srsquoeacutetait eacutetablie entre les administrations franccedilaise et surinamienne pour

attirer les Indiens sur leurs territoires (cadeaux voyages agrave Cayenne ou agrave

Paramaribo) raquo (1957 30)

Agrave la fin des anneacutees 1950 le Suriname avait deacutejagrave doteacute plusieurs villages

ameacuterindiens de pistes drsquoatterrissage et assurait des liaisons aeacuteriennes reacuteguliegraveres

avec la capitale Paramaribo Aussi le gouvernement surinamien exempta les

Ameacuterindiens des controcircles de papiers drsquoidentiteacute eacutelectrifia le village drsquoAnapaike ougrave

il creacutea une eacutecole en langue wayana et finalement il assigna une reacutemuneacuteration

mensuelle aux autoriteacutes coutumiegraveres et aux repreacutesentants des villages En 2014

aucun des villages ameacuterindiens du Haut Maroni en territoire franccedilais ne disposait

166

de pistes drsquoatterrissage110 seule une partie des habitants avait pu obtenir la

nationaliteacute franccedilaise111 aucun village nrsquoavait de systegraveme de production ou de

distribution eacutelectrique112 et lrsquoenseignement scolaire se reacutealisait en langue

franccedilaise113 Le seul point commun avec le Suriname est le fait que en France les

110 Ce qui oblige les habitants agrave se deacuteplacer en pirogue jusqursquoagrave lrsquoaeacuterogare de Maripasoula Pour avoir

une ideacutee de lrsquoeffort que ce type de deacuteplacement implique il suffit drsquoimaginer que agrave certaines peacuteriodes

de lrsquoanneacutee le voyage drsquoAntecume pata agrave Maripasoula peut durer 8 heures

111 En effet plusieurs Ameacuterindiens qui sont neacutes au Breacutesil ou au Suriname bien qursquoils aient veacutecu en

France pendant plus de 10 ans (et certains plus de 70 ans) nrsquoont jamais eacuteteacute nationaliseacutes Ils reacutesident

donc sur le sol franccedilais en tant qursquoeacutetrangers avec un permis de seacutejour (qui est octroyeacute pour une dureacutee

drsquoun an) Le problegraveme vient du fait que la naissance de ces personnes nrsquoait jamais eacuteteacute enregistreacutee

dans les archives de lrsquoeacutetat civil du Breacutesil ou du Suriname Bien que la preacutefecture de Guyane ait promis

agrave plusieurs reprises de trouver une solution deacutefinitive agrave cette aberration juridique au jour ougrave jrsquoeacutecris

ces pages rien nrsquoa eacuteteacute fait (Geacutery et al 2014)

112 Seul le village drsquoAntecume pata disposait drsquoun groupe eacutelectrogegravene communautaire ndash proprieacuteteacute de

lrsquoassociation Yepeacute En geacuteneacuteral la plupart des familles du Haut Maroni possegravede un groupe eacutelectrogegravene

de petite taille pour eacuteclairer la maison et faire fonctionner les congeacutelateurs dans lesquels sont

conserveacutes les produits issus de la chasse et de la pecircche

113 Cependant comme on le verra dans les pages suivantes le Rectorat de la Guyane a creacuteeacute en 1998

des dispositifs pour inteacutegrer des laquo interventions raquo en langue maternelle dans les eacutecoles primaires de

certaines Circonscriptions Educatives de la Guyane dont celles du Haut Maroni Toutefois ces

interventions ne sont pas reacuteellement inteacutegreacutees au programme des apprentissages et les reacutesultats du

dispositif ne font pas lrsquounanimiteacute (Maurel 2012 Nocus et al 2014)

167

autoriteacutes coutumiegraveres percevaient aussi une reacutemuneacuteration mensuelle en tant que

laquo capitaines raquo des villages114

Jusqursquoaux anneacutees 1990 les laquo capitaines raquo eacutetaient les seuls Ameacuterindiens agrave

percevoir une reacutemuneacuteration fixe Les autres villageois vivaient de laquo petits boulots raquo

guides dans des missions de recherche scientifique accompagnateurs de groupes de

touristes en quecircte drsquoaventure ou main-drsquoœuvre non qualifieacutee dans les travaux de

construction du bourg de Maripasoula Degraves lors les Wayana et les Apalaiuml ont

commenceacute agrave faire appel aux systegravemes de solidariteacute sociale de lrsquoEacutetat et agrave lrsquoheure

actuelle toutes les familles du Haut Maroni perccediloivent une ou plusieurs aides

financiegraveres comme le Revenu de solidariteacute active (RSA) ou drsquoautres aides octroyeacutees

par la Caisse drsquoallocations familiales (CAF)

Aujourdrsquohui il existe neuf villages ameacuterindiens dans le Haut Maroni Elaheacute

Cayodeacute Twenkeacute Taluwen Antecume pata et Pidima du cocircteacute guyanais Anapaikeacute

Alawa et Koumakapan du cocircteacute surinamien (Figure 10)

114 Qui est verseacutee par le Conseil Geacuteneacuteral de la Guyane (CGG) et qui correspond agrave 30 du Salaire

minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) Actuellement en Guyane 48 chefs coutumiers

reccediloivent lrsquoindemnisation du CGG Les autoriteacutes coutumiegraveres ne sont pas choisies par les villageois

mais nommeacutees ndash et eacuteventuellement destitueacutees ndash par les autoriteacutes de lrsquoEacutetat entre 1946 et 1982 par

le preacutefet de la Guyane et depuis 1983 par le CGG Il faut ajouter que depuis le 1er janvier 2016 le

conseil reacutegional et le CGG sont devenus une entiteacute unique la Collectiviteacute Territoriale de Guyane qui

reprend lrsquointeacutegraliteacute des compeacutetences des anciennes collectiviteacutes dont celles concernant les

autoriteacutes coutumiegraveres

168

Figure 10 Les villages ameacuterindiens du Haut Maroni (drsquoapregraves Chapuis amp Riviegravere 2003 920)

Ces villages situeacutes agrave plus de 300 km agrave vol drsquooiseau de la capitale du

deacutepartement Cayenne constituent ce que les Guyanais connaissent comme le laquo Pays

ameacuterindien raquo115 Mais ce laquo Pays ameacuterindien raquo nrsquoest pas la terre des Ameacuterindiens car

le territoire qursquoils occupent ne leur appartient pas puisque comme presque tous les

115 Lrsquoexpression laquo Pays ameacuterindien raquo tregraves reacutepandue et couramment utiliseacutee dans les moyens de

communication reacutepond sans doute agrave une cateacutegorie coloniale qui renvoie agrave lrsquoimage drsquoun Eacutetat dans

lrsquoEacutetat peupleacute drsquoIndiens qui reprensentent laquo lrsquoantithese de la civilisation raquo soit une laquo Amazonie

sauvage raquo qui reste malgreacute elle agrave la peripherie de la France

169

Ameacuterindiens de Guyane ils vivent sur des terres domaniales Comme le soulignent

Pierre et Franccediloise Grenand ce sont en effet laquo hocirctes de la France sur leurs propres

terres raquo (Grenand P et F 1979 371) Par ailleurs lrsquoaccegraves au laquo Pays ameacuterindien raquo

nrsquoest pas libre depuis 1970 tout deacuteplacement au sud de Maripasula - agrave lrsquointeacuterieur

de ce qursquoon appelle la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute parfois pompeusement surnommeacutee

laquo la zone interdite raquo - doit ecirctre autoriseacute par le Preacutefet de la Guyane116 (Figure 11)

116 Lrsquoaccegraves agrave la laquo zone interdite raquo est actuellement reacutegi par lrsquoarrecircteacute preacutefectoral ndeg 1845C du 3 octobre

1977

170

Figure 11 La ligne de deacutemarcation de la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute (carte reproduite avec lrsquoaimable autorisation du Parc Amazonien de Guyane)

Bien que cette reacuteglementation ait permis aux Wayana et aux Apalaiuml de limiter

les contacts avec les touristes eacutetrangers ainsi que lrsquoexposition aux maladies

drsquoorigine exogegravene elle a aussi eu pour effet de faire disparaicirctre les reacuteseaux de

relations avec les clans vivant au Breacutesil En 1998 Jean Chapuis note que

laquo les eacutechanges entre fleuves breacutesiliens et Litani encore vivaces

jusqursquoau deacutebut des anneacutees soixante-dix ne sont plus que des

171

souvenirs en cinq ans nous nrsquoavons pas eu connaissance drsquoun seul

deacuteplacement vers le Jari ou le Paru de lrsquoEst Par contre ils persistent en

ce qui concernent le Tapanahony et des visites de plusieurs mois ont

parfois lieu entre villages de ces deux fleuves raquo (Chapuis 1998 23)

Je ne peux que confirmer ses observations puisqursquoentre 2011 et 2015 il nrsquoy

a eu aucun contact entre les communauteacutes guyanaises et breacutesiliennes En revanche

les communauteacutes du Haut Maroni entretiennent des relations continues avec celles

du Suriname La localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en

Guyane au Suriname et au Breacutesil est repreacutesenteacutee dans la figure 12

172

Figure 12 Localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en Guyane au Suriname et au Breacutesil (Chapuis 1998 24)

812 Une scolarisation reacutepublicaine pour les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo117

Agrave lrsquoheure actuelle lrsquoeacutecole ndash veacuteritable avant-poste reacutepublicain ndash est la seule

institution publique preacutesente dans tous les villages ameacuterindiens du Haut Maroni118

117 Jrsquoemprunte ce titre au livre eacuteponyme drsquoYves Geacutery Alexandra Mathieu et Christophe Gruner (2014)

118 Agrave cet eacutegard certaines preacutecisions sont neacutecessaires les villages de Cayodeacute Elaheacute Taluwen et

Antecume pata disposent aussi de dispensaires (non meacutedicaliseacutes ils deacutependent du centre de santeacute

de Maripasoula lequel agrave son tour deacutepend du Centre Hospitalier de Cayenne) le village de Twenkeacute

dispose drsquoun poste de gendarmerie (mais son personnel srsquooccupe exclusivement des activiteacutes lieacutees agrave

173

Pour les Wayana et les Apalaiuml elle a toujours repreacutesenteacute le contact privileacutegieacute avec laquo

lrsquoexteacuterieur raquo et surtout avec le monde occidental et la culture laquo drsquoEacutetat raquo par le biais

des artefacts qursquoelle utilise les savoirs qursquoelle dispense les normes (scolaires et

citoyennes) qursquoelle veacutehicule et bien eacutevidemment par la preacutesence du personnel

eacuteducatif qui provient majoritairement du territoire meacutetropolitain (Maurel 2010)

En effet ces villages disposent tous drsquoune eacutecole primaire (Tableau 1)

Villages Antecume Pata Pidima Twenkeacute-Taluwen

Cayodeacute Elaheacute

Population 312 72 520 152 122 Elegraveves 77 23 110 45 38 Classes 4 2 5 2 2 Anneacutee de creacuteation de lrsquoeacutecole 1986 2010 1972 1990 1985 Lrsquoeacutecole reacuteunit les

eacutelegraveves des villages suivants Antecume Pata Lipolipo et Palassissi

Lrsquoeacutecole reacuteunit les eacutelegraveves des villages suivants Pidima Palimino Peacuteleacutea

Tableau 1 Villages wayana-apalaiuml du Haut Maroni donneacutees deacutemographiques et population scolaire (recensement reacutealiseacute par lrsquoauteur en 2012 Adapteacute drsquoAligrave amp Ailincai 2013)

la lutte contre lrsquoorpaillage clandestin) le village de Taluwen dispose depuis septembre 2015 drsquoune

antenne de la mairie de Maripasoula afin de geacuterer les archives de lrsquoeacutetat civil des reacutesidents du Haut

Maroni les villages de Cayodeacute Taluwen et Antecume pata accueillent des antennes du Parc

Amazonien de Guyane Agrave titre anecdotique jrsquoajouterai aussi que tous les villages disposent drsquoune

boicircte aux lettres mais celles-ci ne sont pas utiliseacutees parce que la Poste nrsquoassure pas la relegraveve et la

distribution du courrier dans les sites isoleacutes

174

Agrave Antecume pata lrsquoeacutecole voit le jour agrave lrsquoinitiative drsquoAndreacute Cognat fondateur

du village119 qui en 1977 deacutecide de creacuteer un dispositif drsquoinstruction

communautaire pour octroyer aux Wayana-Apalaiuml de tout acircge une ressource

formative de base Son premier objectif a eacuteteacute lrsquoapprentissage de lrsquoeacutecriture pour

lequel il srsquoest entoureacute de formateurs locaux des Ameacuterindiens qui ayant travailleacute

dans les villes du littoral (surtout Cayenne et Saint Laurent du Maroni) avaient

appris les rudiments de la langue franccedilaise Apregraves cette premiegravere phase lrsquoeacutecole est

devenue une source de laquo dialogue raquo avec la laquo moderniteacute raquo offrant des cours de

civilisation franccedilaise drsquohistoire de geacuteographie et certaines notions de calcul

neacutecessaires agrave la gestion des eacutechanges eacuteconomiques avec les laquo Blancs raquo et les Boni En

1986 le Gouvernement franccedilais reconnaicirct lrsquoeacutetablissement drsquoAntecume pata en

lrsquoincluant dans le dispositif eacuteducatif deacutepartemental en creacuteant des classes de niveau

CP CE1 CE2 CM1 et CM2120 et en le rendant obligatoire pour tous les enfants en acircge

drsquoecirctre scolariseacutes Andreacute Cognat a fortement insisteacute pour que la langue wayana ait sa

place agrave lrsquoeacutecole et bien que peu favorable agrave lrsquoideacutee de lrsquoobligation scolaire il a pu

neacutegocier avec le Rectorat de la Guyane afin que les eacutetablissements eacuteducatifs du

laquo Pays ameacuterindien raquo puissent jouir de certaines deacuterogations aux normes preacutevues par

119 Ce village wayana a eacuteteacute fondeacute en 1965 agrave lrsquoinitiative drsquoAndreacute Cognat un ouvrier lyonnais qui a

inteacutegreacute la communauteacute ameacuterindienne en 1961 (Cognat 1977 et 2009)

120 Le cours preacuteparatoire ou CP est la premiegravere classe de lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire franccedilaise La deuxiegraveme

est le cours eacuteleacutementaire premiegravere anneacutee (CE1) la troisiegraveme le cours eacuteleacutementaire deuxiegraveme anneacutee

(CE2) la quatriegraveme le cours moyen premiegravere anneacutee (CM1) et la derniegravere le cours moyen deuxiegraveme

anneacutee (CM2)

175

le Code de lrsquoEacuteducation Ainsi pendant de nombreuses anneacutees lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutecrit

srsquoest faite en langue wayana avec le concours drsquoun meacutediateur culturel puis drsquoun

Intervenant en Langue Maternelle (ILM) Les eacutelegraveves passaient alors par deux anneacutees

de CP lrsquoune en wayana lrsquoautre en franccedilais121 En 2010 le Rectorat de la Guyane

ouvre une eacutecole maternelle dans le village avec des classes de PS de MS et de GS122

Aujourdrsquohui tous les enfants en acircge scolaire suivent les classes de lrsquoeacutecole primaire

(eacuteleacutementaire et maternelle) et la majoriteacute de leurs parents ont suivi au moins une

partie du cycle de scolarisation

Selon plusieurs observateurs la scolarisation reacutepublicaine a permis aux

Ameacuterindiens de la Guyane (et non seulement aux Wayana-Apalaiuml) de deacutevelopper des

revendications politiques et drsquoacceacuteder agrave certaines compeacutetences neacutecessaires au

laquo dialogue raquo avec les institutions publiques bien que le niveau drsquoeacutechec scolaire reste

eacuteleveacute et que la majoriteacute des jeunes ne veuille pas poursuivre leurs eacutetudes au-delagrave de

16 ans ce qui les empecircche drsquoacceacuteder aux postes cleacutes de la fonction publique (Coiumlaniz

2001 Coiumlaniz et al 2001)123 Andreacute Cognat en est convaincu tout comme la

121 Cependant cette deacuterogation octroyeacutee apregraves une longue bataille entre les parents drsquoeacutelegraveves et les

repreacutesentants de lrsquoEacuteducation Nationale ne prenait pas en consideacuteration lrsquoexistence drsquoune

communauteacute apalaiuml dans le secteur Actuellement le village drsquoAntecume pata ne compte que deux

locuteurs de langue apalaiuml et dans tout le deacutepartement les locuteurs natifs de cette langue

consideacutereacutee en danger par les linguistes ne sont pas plus de cinq

122 Respectivement petite moyenne et grande section de maternelle

123 Au niveau deacutepartemental plusieurs eacutetudes commissionneacutees par lrsquoAcadeacutemie de la Guyane et

lrsquoInstitut national de la statistique et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE) confirment que la Guyane

176

majoriteacute des laquo informateurs raquo avec lesquels jrsquoai travailleacute Cependant lrsquoeacutecole nrsquoa pas

suffi agrave reacutesoudre les principaux problegravemes qui frappent la socieacuteteacute ameacuterindienne En

avril 2013 jrsquoai organiseacute une reacuteunion pour en discuter avec les parents drsquoeacutelegraveves

inscrits dans les classes de lrsquoeacutecole maternelle (PS MS et GS) et eacuteleacutementaire (CP CE1

CE2 CM1 et CM2) du village Treize personnes y ont participeacute douze megraveres et un

pegravere Pendant le deacutebat trois facteurs de deacutestabilisation ont eacuteteacute identifieacutes le plus

important est lrsquoorpaillage illeacutegal qui seacutevit dans le secteur et qui contamine le

fleuve124 sans compter qursquoil a introduit chez les villageois toute une seacuterie

drsquohabitudes consideacutereacutees comme laquo immorales raquo par les Ameacuterindiens125

deuxiegravemement lrsquoalcoolisme se propage chez les hommes qui deacutepensent une bonne

partie des aides de lrsquoEacutetat dans lrsquoachat de rhum bon marcheacute et qui une fois ivres ont

preacutesente des taux drsquoeacutechec et de deacutecrochage scolaires supeacuterieurs agrave la norme surtout dans les sites les

plus laquo isoleacutes raquo comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et plus largement de tout le laquo Pays ameacuterindien raquo

(Horatius-Clovis et Michaud 2011 Gragnic 2013 Bayart et al 2013 Gragnic et Horatius-Clovis

2014) Ces eacutetudes corroborent aussi la correacutelation statistique positive qui existe dans toute la France

entre le niveau de scolarisation des enfants les origines sociales et le contexte culturel de leur famille

(INSEE 2014)

124 Depuis 1999 plusieurs eacutetudes ont confirmeacute que les habitants du Haut Maroni sont victimes drsquoune

surexposition au methylmercure ([CH₃Hg]⁺) un deacuteriveacute tregraves toxique du mercure utiliseacute par les

garimpeiros pour extraire lrsquoor des seacutediments alluviaux (Orru 1998 Frery et al 1999 Carmouze et

al 2001 Boudou et al 2006 Cardoso et al 2010)

125 Parmi ces habitudes se trouvent lrsquoalcoolisme les jeux de hasard et la prostitution mais surtout le

manque de respect envers lrsquoenvironnement

177

tendance agrave devenir tregraves violents envers leurs femmes et les autres membres de leur

famille126 troisiegravemement se trouve lrsquoennui et la frustration qui sont la cause de

nombreuses tentatives de suicide chez les jeunes qui bien souvent se soldent par le

deacutecegraves de la victime

Si le premier problegraveme identifieacute par les parents intervieweacutes dans le cadre de

cette reacuteunion a de toute eacutevidence une cause exogegravene et laquo concregravete raquo ndash lrsquoorpaillage

clandestin ndash le deuxiegraveme et le troisiegraveme sont les symptocircmes du mal-ecirctre social

drsquoindividus qui inteacutegreacutes bon greacute mal greacute agrave la nation sont devenus comme

lrsquoaffirment Yves Geacutery et ses collegravegues laquo les abandonneacutes de la Reacutepublique raquo (Geacutery et

al 2014) En effet pendant mes cinq ans de permanence agrave Antecume pata jrsquoai

assisteacute ou entendu parler drsquoau moins 200 litiges violents causeacutes par lrsquoalcool de 15

tentatives de suicide et de 6 suicides accomplis chez les villageois eacutetant au nombre

je le rappelle de 300 Alerteacutee en 2011 la preacutefecture de la Guyane a mis en place un

laquo plan suicide raquo (sic) tandis que la presse nationale diffusait lrsquoideacutee drsquoune laquo eacutepideacutemie

de suicides raquo chez les Ameacuterindiens Le gouvernement preacuteoccupeacute par lrsquoinefficaciteacute

du plan preacutefectoral et des autres dispositifs mis en œuvre par les autoriteacutes locales

a commanditeacute en mai 2015 un rapport sur le sujet agrave Madame George Pau-Langevin

ministre des Outre-mer laquelle agrave son tour a deacuteleacutegueacute agrave Mesdames Aline

126 Le seul pegravere de famille qui a participeacute agrave la reacuteunion a signaleacute que les femmes peuvent aussi devenir

tregraves violentes quand elles sont ivres Cependant puisque dans la majoriteacute des foyers la gestion des

revenus est agrave la charge des hommes ndash qui sont bien souvent les titulaires des comptes bancaires sur

lesquels sont verseacutees les aides sociales ndash les femmes ont un accegraves limiteacute agrave la liquiditeacute neacutecessaire pour

acheter les boissons spiritueuses et par conseacutequent elles srsquoenivrent moins que les hommes

178

Archimbaud seacutenatrice de Seine-Saint-Denis et Marie-Anne Chapdelaine deacuteputeacutee

drsquoIlle-et-Vilaine la reacutealisation drsquoune mission sur le terrain pour eacutevaluer la situation

Leurs conclusions nous confirment qursquoil existe

laquo un grand trouble identitaire qui mine ces populations et

notamment les jeunes tirailleacutes entre le monde dans lequel ont veacutecu

leurs grands-parents et celui dans lequel deacutejagrave ils se meuvent avec

plus drsquoaisance que leurs parents Ce trouble est amplifieacute par un fort

sentiment drsquohumiliation lieacute aux jugements stigmatisants et aux

commentaires deacutesobligeants dont les Ameacuterindiens sont

reacuteguliegraverement victimes Et au fort sentiment de frustration et

drsquoabandon lieacute aux conditions tregraves deacutegradeacutees de lrsquoaccegraves au Droit et aux

services publics les plus eacuteleacutementaires lesquels font tregraves clairement

deacutefaut sur le haut des fleuves raquo (Archimbaud amp Chapdelaine 2015

11)

Obligeacutes de srsquoadapter agrave la laquo moderniteacute raquo exclus des postes cleacutes de

lrsquoadministration sans pouvoir deacutecisionnaire sur leur territoire victimes du racisme

et de la deacutegradation de leur environnement les Wayana-Apalaiuml semblent ne faire

179

que survivre dans un contexte de plus en plus violent ougrave les conflits se regraveglent le

plus souvent agrave coup de bacircton127 ou pire en se donnant la mort

82 Les Enata de Hiva Oa situation geacuteographique donneacutees ethno-historiques

et aspects sociologiques

Lrsquoicircle de Hiva Oa128 fait partie de lrsquoarchipel des Marquises agrave 1 400 km de Tahiti

agrave 3 800 km des icircles Hawaii 4 800 km des cocirctes californiennes 6 000 km de

lrsquoEacutequateur et agrave 3 000 km de lrsquoicircle de Pacircques (Figure 13)

127 Sans jeux de mots crsquoest bel et bien de cette maniegravere que tregraves souvent les villageois drsquoAntecume

pata srsquoaffrontent Ces disputes toujours deacuteclencheacutees sous lrsquoeffet de lrsquoalcool sont en geacuteneacuteral lieacutees agrave

des histoires drsquoadultegravere ou de dettes non soldeacutees

128 Mais les premiers explorateurs espagnols lrsquoavaient baptiseacutee laquo Dominica raquo

180

Figure 13 La Polyneacutesie franccedilaise et lrsquoarchipel des Marquises (Source Archives ORSTOM)

Il srsquoagit drsquoune icircle drsquoorigine volcanique drsquoune longueur de 40 km sur lrsquoaxe est-

ouest et drsquoune largeur de 12 km sur lrsquoaxe nord-sud doteacutee drsquoune crecircte dorsale avec

des sommets culminants agrave plus de 1 000 m et des crecirctes secondaires qui enserrent

de nombreuses valleacutees srsquoouvrant sur lrsquooceacutean par des plages de sable noir ou de galets

(Chavaillon amp Olivier 2007 voir figure 14)

181

Figure 14 Lrsquoicircle de Hiva Oa (Source Google Maps Elaboration de lrsquoauteur)

Lrsquoicircle compte plus de 2 000 habitants dont la majoriteacute vit dans le village

drsquoAtuona Mecircme srsquoil existe sur lrsquoicircle une preacutesence externe (repreacutesenteacutee par les

gendarmes les agents de santeacute les enseignants et leurs conjoints venus de

meacutetropole) la plupart des reacutesidents revendiquent leur appartenance agrave la

communauteacute autochtone Enata crsquoest-agrave-dire les Marquisiens (Sivadjian 1999a et

1999b Teuruarii 1999) Cette revendication est eacutegalement preacutesente chez les

familles drsquoorigines mixtes les laquo demi raquo129 ayant des ancecirctres originaires de

129 En Polyneacutesie on utilise le terme laquo demi raquo plutocirct que celui de laquo meacutetis raquo Il srsquoagit bien eacutevidemment

drsquoune cateacutegorie ethnique imposeacutee de lrsquoexteacuterieur puisque le plus souvent les individus consideacutereacutes

comme laquo demis raquo ne se perccediloivent pas comme tels mais plutocirct comme laquo polyneacutesiens raquo (ou dans le

cas des habitants de Hiva Oa comme Marquisiens) Selon certains observateurs ecirctre identifieacute comme

laquo demi raquo nrsquoapporterait aucun beacuteneacutefice puisqursquoil exclut la personne concerneacutee des avantages

qursquooffrent selon le cas lrsquoidentiteacute autochtone laquo pure raquo ou lrsquoorigine meacutetropolitaine (Troadec 1992)

182

lrsquoexteacuterieur De fait nombreux sont les icircliens qui possegravedent des noms de famille

drsquoorigine eacutetrangegravere teacutemoignage du meacutetissage qui a eu lieu agrave Hiva Oa entre les natifs

et les eacutetrangers ndash marins beachcombers130 et migrants ndash qui depuis des siegravecles ont

deacutecideacute de srsquoeacutetablir sur lrsquoicircle Crsquoest par exemple le cas des familles OrsquoConnor drsquoorigine

irlandaise Peterano drsquoorigine italienne Shan drsquoorigine chinoise ou Mendiola

drsquoorigine espagnole131

Les ancecirctres des Marquisiens sont venus de lrsquoouest de ces icircles sans que lrsquoon

sache exactement drsquoougrave (Galipaud et al 2014) En effet les icircles Marquises ndash de par

leur position centrale au sein du laquo triangle raquo polyneacutesien ndash ont joueacute laquo un rocircle

charniegravere au cœur des processus de peuplement et drsquointeraction de cette vaste

reacutegion raquo (Molle 2011 19) Cependant on ne connaicirct pas avec exactitude lrsquohistoire

de leur peuplement Selon certains auteurs les premiers occupants ndash originaires des

Cependant lrsquoappartenance agrave la laquo communauteacute demie raquo est censeacutee apporter drsquoautres avantages lieacutes au

statut socioeacuteconomique propre agrave ce groupe souvent vu - agrave tort ou agrave raison - comme plus argenteacute

plus eacuteduqueacute et plus inteacutegreacute aux eacutelites locales

130 Les beachcombers ou laquo batteurs de gregraveve raquo sont des figures classiques du processus de

colonisation europeacuteenne du Pacifique entre le XIXegraveme siegravecle et les premiegraveres anneacutees du XXegraveme Il

srsquoagissait drsquoaventuriers souvent sans scrupules qui cherchaient agrave faire fortune dans les icircles des mers

du Sud geacuteneacuteralement dans le domaine du commerce (McArthur 1966 Maude 1981)

131 La base de donneacutees FamilySearch geacutereacutee par la Genealogical Society of Utah (institution lieacutee agrave

lrsquoEacuteglise de Jeacutesus-Christ des saints des derniers jours) a digitaliseacute les registres de lrsquoEacutetat civil et des

paroisses de lrsquoicircle Elle nous confirme qursquoagrave Hiva Oa des familles avec ces noms eacutetaient deacutejagrave preacutesentes

dans la deuxiegraveme moitieacute du XIXegraveme siegravecle (httpshistfamfamilysearchorg)

183

icircles Samoa et Tonga ndash se sont installeacutes sur lrsquoarchipel entre le Ier et le IIegraveme siegravecle avant

notre egravere (Suggs 1961) Drsquoautres soutiennent lrsquohypothegravese selon laquelle les

premiegraveres occupations remonteraient agrave une eacutepoque plus tardive comprise entre le

IVegraveme et VIIegraveme siegravecle de notre egravere (Sinoto amp Kellum-Ottino 1965 Kellum-Ottino

1971 Bellwood 1983) Les fouilles archeacuteologiques les plus reacutecentes confirment

toutefois que les premiegraveres traces drsquoinstallation humaine dans lrsquoarchipel ne

remontent pas au-delagrave du 1er siegravecle de notre egravere (Molle 2011)132

Jusqursquoagrave lrsquoinstallation au 19egraveme siegravecle des premiers occupants europeacuteens

lrsquoorganisation sociale des icircles avait une base tribale qui assignait le pouvoir aux

hakarsquoiki ndash chefs ou leaders ndash des diffeacuterents laquo ramages raquo133 soit les uniteacutes politiques

qui se reacutepartissaient les valleacutees (karsquoavai134) des icircles en fonction de leurs ressources

eacutecologiques comme la preacutesence drsquoarbres fruitiers par exemple ou drsquoun littoral

132 Cependant certains chercheurs nrsquoexcluent pas lrsquohypothegravese que ces traces ne relegravevent pas de la

peacuteriode de colonisation mais drsquoune phase deacutejagrave avanceacutee culturellement (pour plus de deacutetails voir

Allen amp McAlister 2010)

133 Selon Marshall Sahlins la notion de laquo ramage raquo srsquoapplique agrave laquo un groupe commun de descendance

reacutegi de lrsquointeacuterieur par le principe du droit drsquoaicircnesse raquo (Sahlins 1971 291) Il srsquoagit drsquoun groupe de

descendence cognatique laquo composeacute drsquoindividus associeacutes en fonction des liens geacuteneacutealogiques les

reliant par les hommes ou par les femmes agrave un ancecirctre commun raquo (Barry et al 2000 726) Dans un

sytegraveme de filiation indiffeacuterentieacutee (ni patrilineacuteaire ni matrilineacuteaire) il constitue un lignage qui partage

des caracteacuteristiques propres aux groupes de filiation unilineacuteaire par exemple la transmission des

droits des devoirs des biens ou des titres

134 En langue marquisienne le mot karsquoavai peut signifier valleacutee ou village

184

poissonneux Si cette organisation de lrsquoespace a favoriseacute la creacuteation de reacuteseaux

drsquoeacutechanges et de distribution des ressources entre les divers laquo ramages raquo elle a

surtout servi agrave limiter les conflits entre des communauteacutes geacuteographiquement

proches par le biais drsquoalliances politiques et matrimoniales ayant pour but de

renforcer les liens drsquoentraide et de solidariteacute (Thomas 1990 Pechberty 2012)

Il srsquoagissait drsquoune socieacuteteacute fortement hieacuterarchiseacutee dans chaque valleacutee le

pouvoir politique eacutetait exerceacute par la famille du chef et par son entourage proche

constitueacute de precirctres (les taursquoa et les tuhukarsquoorsquooko) de guerriers et de vassaux Le

critegravere de distribution du pouvoir reposait sur la consanguiniteacute et sur la famille

proche du chef qui constituait la classe tapu sacraliseacutee et doueacutee de certains

pouvoirs surnaturels et qui deacutetenait toutes les fonctions essentielles pour

lrsquoorganisation sociale du karsquoavai Le reste de la communauteacute se composait de la

parenteacute eacutetendue des allieacutes et des prisonniers auxquels eacutetaient assigneacutes les travaux

domestiques (Ferdon 1993) Leur repreacutesentation du temps se basait sur le cycle

saisonnier de lrsquoarbre agrave pain (mei) et sur lrsquoobservation des phases lunaires135

lrsquoespace comme pour drsquoautres peuples austroneacutesiens eacutetait deacutecrit en fonction de la

position de la mer (tai) et de la montagne (uta)136

135 Pour ajuster le deacutecalage entre le cycle lunaire et le cycle solaire le cycle annuel des Pleacuteiades eacutetait

observeacute leur reacuteapparition dans la voucircte ceacuteleste chaque douze mois signait le commencement du

nouvel an (mataiki)

136 Le pegravere Mathias Gracia soulignait que laquo [b]ien qursquoils connaissent comme nous le Nord et le Sud

lrsquoOrient et lrsquoOccident ce ne sont point lagrave pour eux les points cardinaux ils en ont drsquoautres plus

particuliers crsquoest la position de chaque icircle qui la donne le rivage de la megravere et la montagne puis la

185

On connaicirct cette structure sociale et culturelle gracircce aux descriptions de la

socieacuteteacute marquisienne qui ont eacuteteacute reacutealiseacutees entre 1595 ndash date du premier repeacuterage

des icircles par le navigateur espagnol Alvaro de Mendantildea ndash et 1842 quand lrsquoarchipel a

eacuteteacute inteacutegreacute agrave lrsquoEmpire colonial franccedilais qui imposera une acculturation forceacutee et

par-lagrave la transformation de lrsquoorganisation sociale des autochtones En effet comme

le soulignent aussi les travaux drsquoethnohistoire de Dominique Pechberty laquo apregraves

1842 les contacts avec lrsquoOccident srsquointensifient et le paysage politique et culturel est

rapidement modifieacute Les eacutepideacutemies reacuteduisent consideacuterablement la population raquo

(Pechberty 2012 13)137 Victor Seacutegalen en tire drsquoailleurs un triste constat dans ses

droite et la gauche par rapport agrave ces deux points suivant que la personne qui vous parle se tourne

vers lrsquoun ou vers lrsquoautre raquo (Gracia 1843 177) Une eacutetude remarquable sur le systegraveme drsquoorientation

spatiale des Enata a eacuteteacute reacutealiseacutee par Gabriele Cablitz (2006) agrave partir drsquoune analyse approfondie des

formes verbales de la langue marquisienne Bertrand Troadec a observeacute des criteres de

representation de lrsquoespace similaires aussi agrave Tahiti et dans drsquoautres icircles polyneacutesiennes (Troadec

2002 et 2003)

137 Ce constat est aussi partageacute par les observateurs de lrsquoeacutepoque Deacutejagrave en 1883 le capitaine de

vaissaeu Charles Pigeard dans son introduction au journal de bord de Max Radiguet srsquoeacutecriait

laquo [d]epuis 1845 la mort a fait aux icircles Marquises de cruels ravages les coutumes srsquoy sont

sensiblement modifieacutees vienne une nouvelle peacuteriode semblable et le voyageur cherchera peut-ecirctre

en vain sur cette terre la trace des lsquoDerniers Sauvagesrsquo raquo (Radiguet 1883 4) Effectivement si les

rapports des premiers navigateurs entre le XVIIegraveme et le XVIIIegraveme siegravecle estimaient la population agrave

environ 50 000 habitants le recensement de 1842 en comptabilise moins de la moitieacute soit 20 200

personnes (Cook 1777) Le recensement de 1874 comptabilisait 6 011 habitants ndash chiffre qui

baissera agrave 4 279 en 1897 et agrave 3 317 en 1902 En 1921 ils ne restaient plus que 2 094 personnes sur

les six icircles de lrsquoarchipel (Chastel 2001) En 1996 on en deacutenombrait 8 064 et 8 712 en 2002 (Merceron

186

Immeacutemoriaux laquo La variole la syphilis la phtisie lrsquoopium les ont progressivement

eacuteteints Ceux qui restent de teint clair rehausseacute de tatouages purement

ornementaux marchent gaiement et insouciamment vers leur fin de race raquo (Seacutegalen

1907 42)

821 Le projet colonisateur conversion et scolarisation des Marquisiens

Apregraves de bregraveves visites des missionnaires protestants138 qui se sont soldeacutees

par un eacutechec lrsquoEacuteglise catholique srsquoest chargeacutee drsquoeacutevangeacuteliser les Marquises Les

2005) Toutefois les administrateurs de la colonie suivaient une autre hypothegravese pour expliquer

cette crise deacutemographique En 1903 lrsquoInspecteur Geacuteneacuteral des Colonies M Salles eacutecrit dans son

rapport sur la situation aux icircles Marquises qursquo laquo apregraves la tuberculose pulmonaire llsquoalcool et la

nourriture comme causes de mortaliteacute reste le problegraveme de lrsquoinfeacuteconditeacute des femmes raquo puis il ajoute

que laquo [p]armi les usages des Marquisiens il en est un qui est barbare et nuisible entre tous agrave la

production dans la famille avant mecircme drsquoecirctre nubile agrave 10 ou agrave 12 ans la fille est deacutefloreacutee Lrsquointernat

agrave Taiohae et agrave Atuona tel qursquoil a existeacute jusqursquoagrave preacutesent gecircne cette pratique mais si une enfant se

rend accidentellement dans son village ou bien le jour ougrave elle sort de lrsquoeacutecole alors elle subit lrsquoassaut

de tous les macircles de la valleacutee et plus tard elle se targue du nombre drsquohommes auxquels elle a pu

donner satisfaction Apregraves une telle eacutepreuve elle reste geacuteneacuteralement agrave jamais infeacuteconde Les femmes

sont toutes malades dit un rapport meacutedical elles se plaignent toutes de la matrice elles ne peuvent

plus avoir drsquoenfants raquo (citeacute par Chastel 2001 39) Agrave ses yeux cela justifiait le soutien agrave lrsquoœuvre

missionaire pour eacuteviter laquo lrsquoextinction raquo des Marquisiens

138 En 1797 des missionnaires anglais ont essayeacute de srsquoinstaller sur lrsquoicircle de Tahuata suivis entre 1820

et 1825 par des missionaires venus des Eacutetats-Unis En 1826 deux missionaires eacutevangeacutelistes ont

essayeacute drsquoouvrir une mission agrave Ua Pou En 1833 crsquoeacutetait au tour de trois pasteurs anglais agrave Taiohae

187

premiers precirctres catholiques sont arriveacutes en 1838 avec la premiegravere expeacutedition du

capitaine de vaisseau Abel Aubert du Petit-Thouars139 Ce dernier qui avait

conseilleacute au gouvernement lrsquoannexion des icircles afin de les convertir en colonie

peacutenale et qui avait demandeacute lrsquoassistance des missionnaires catholiques pour

faciliter lrsquoœuvre de colonisation obtint lrsquoanneacutee suivante lrsquoautorisation de prendre

possession des Marquises gracircce au soutien politique de Franccedilois Guizot ministre

des Affaires Eacutetrangegraveres de lrsquoeacutepoque (Guizot 1873) En 1842 la deuxiegraveme expeacutedition

eacutetablit deacutefinitivement lrsquoannexion des icircles Marquises agrave la France avec pour objectif

deacuteclareacute de laquo proteacuteger les Kanaks140 raquo drsquoimposer la paix chez les tribus qui peuplaient

les icircles et comme lrsquoaffirmait le Roi Louis-Philippe Ier dans son discours en faveur de

la prise de possession de lrsquoarchipel pour assurer aux navigateurs laquo un appui et un

refuge dont la neacutecessiteacute eacutetait depuis longtemps sentie raquo (Discours prononceacute par le

roi lors de la deuxiegraveme seacuteance royale du 9 janvier 1843 Annales du Parlement

Dans tous les cas ils ont eacuteteacute obligeacutes de repartir agrave cause du refus des autochtones de les accueillir sur

leurs icircles (Lefils 1843 Bartlett 1871 Anderson 1884 OReilly 1961 Laux 2000)

139 Plus connu sous le nom de Dupetit-Thouars

140 Lrsquoethnonyme Kanaks (ou Canaques) ndash deacuteriveacute du terme hawaiumlen kanaka (homme) ndash deacutesigne les

peuples autochtones drsquoorigine meacutelaneacutesienne de Nouvelle-Caleacutedonie Cependant entre le XVIIIegraveme

siegravecle et la premiegravere moitieacute du XXegraveme il eacutetait employeacute pour identifier aussi drsquoautres peuples oceacuteaniens

comme les Marquisiens ou les Pascuans (Eyriaud Des Vergnes 1877) Les Marquisiens eacutetaient aussi

connus sous le nom de laquo Noukahiviens raquo (Lefils 1843 Anonyme 1843 Radiguet 1882)

188

Franccedilais 1844 XXI)141 Bien que le nouveau statut des icircles donnait aux

missionnaires catholiques une couverture juridique ad hoc142 leur mission

progressait tregraves lentement en 1870 seuls les habitants des icircles de Ua Pou et de

Tahuata ndash et de certaines valleacutees de Nuku Hiva et de Hiva Oa ndash avaient accepteacute de se

convertir (Humbert 2003) La population reacutesistait agrave lrsquoeacutevangeacutelisation mais les

missionnaires avaient obtenu lrsquoappui actif des administrateurs coloniaux afin

drsquointerdire les manifestations et les pratiques culturelles et religieuses

traditionnelles143 La creacuteation des premiegraveres eacutecoles aux Marquises srsquoinscrit dans

141 Un extrait de ce discours est eacutegalement citeacute dans une forme leacutegegraverement diffeacuterente dans un texte

anonyme (son auteur affirme ecirctre un capitaine au long cours ayant participeacute agrave lrsquoexpeacutedition de du

Petit-Thouars) sur le climat les ressources naturelles et les mœurs des habitants des icircles Marquises

(Anonyme 1843 2)

142 Le Gouverneur des Marquises le consul Armand Joseph Bruat reacutesidant agrave Tahiti ndash de par ses

fonctions de gouverneur des eacutetablissements de lrsquoOceacuteanie ndash avait chargeacute les missionnaires de

lrsquoadministration de la gestion quotidienne des affaires courantes dans les icircles leur moyennant laquo un

traitement et des frais drsquoinstallation raquo pour rendre hommage agrave leur courage dans lrsquoaccomplissement

de laquo leur peacuterilleux travail sur les indigegravenes anthropophages raquo (Guizot 1873 110) Il faut aussi

ajouter que le premier regraveglement de conduite pour les icircles (connu comme le laquo code Dordillon raquo) a

directement eacuteteacute eacutetabli par lrsquoeacutevecircque des icircles Reneacute-Ildefonse Dordillon qui le fait ensuite approuver

par le Gouverneur des Marquises le 2 mars 1863 (Koenig 1995) Le code preacutecisait les regravegles

matrimoniales le droit de proprieacuteteacute fonciegravere et de lrsquousufruit et prescrivait une liste drsquointerdictions

lieacutees aux coutumes indigegravenes concernant les rituels mortuaires la boisson les chants les parures

corporelles les croyances paiumlennes les transports et le feu

143 Toutefois les missionnaires eux non plus ne montraient guegravere drsquoenthousiasme pour leur travail

sur ces terres laquo paiumlennes raquo En 1844 le pegravere Oreus Frechon eacutecrira agrave ses supeacuterieurs agrave propos des

189

cette dynamique la premiegravere a eacuteteacute inaugureacutee en 1847 par les Sœurs de Saint Joseph

de Cluny144 sur lrsquoicircle de Tahuata Ont ensuite vu le jour les eacutecoles de Nuku Hiva en

1848 et drsquoUa Pou en 1879 (Cerveau 2001) En 1885 crsquoest au tour de Hiva Oa avec

la fondation de lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph de Cluny agrave Atuona qui a commenceacute ses

activiteacutes la mecircme anneacutee avec 60 eacutelegraveves Les effectifs vont croissant lrsquoanneacutee

suivante en 1886 il y avait deacutejagrave 113 eacutelegraveves 124 en 1887 153 en 1888 226 en 1889

et 210 en 1893 (Lamaison-Nogues 1996) En 1888 drsquoautres eacutetablissements

scolaires ont ouvert leurs portes agrave Hiva Oa agrave Puamau ndash dans lrsquoextreacutemiteacute sud-

orientale de lrsquoicircle ndash deux eacutecoles pour garccedilons (une catholique avec 153 eacutelegraveves et une

protestante avec 73 garccedilons) et agrave Atuona une deuxiegraveme eacutecole protestante

accueillant 53 filles de moins de 5 ans (Bailleul 2001) Au cours des anneacutees

suivantes la timide preacutesence des eacutecoles protestantes a favoriseacute la conversion des

familles des parents drsquoeacutelegraveves mais elle ne mettra jamais agrave mal la preacutedominance de

Marquisiens que laquo crsquoest un peuple mort qui reconnaicirct la veacuteriteacute sans lrsquoembrasser raquo (citeacute par Toullelan

1989 98)

144 En 1843 lrsquoamiral Roussin ministre drsquoEacutetat de la Marine et des Colonies a contacteacute la Megravere Anne-

Marie Javouhey fondatrice de la congreacutegation de Saint Joseph de Cluny en lui demandant sa

contribution afin drsquoappuyer lrsquoaction eacutevangeacutelisatrice aux icircles Marquises par lrsquoenvoi drsquoun groupe de

Sœurs missionnaires qui se seraient chargeacutees drsquoassister lrsquoactiviteacute du clergeacute mais surtout la creacuteation

et la gestion des eacutetablissements scolaires La Meacutere Anne-Marie eacutetait tregraves connue agrave lrsquoeacutepoque pour

lrsquoœuvre missionaire qursquoelle avait meneacutee en Guyane

190

la religion catholique sur lrsquoicircle puisque celle-ci restera jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle le

culte majoritaire145

Entre 1904 et 1924 toutes les eacutecoles de la Mission durent fermer en raison

du processus de laiumlcisation et de seacuteparation de lrsquoEacuteglise et de lrsquoEacutetat146 En 1905

lrsquoadministration coloniale reacutequisitionna les terrains de lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph

de Cluny pour y installer la toute premiegravere eacutecole publique des Marquises avec pour

objectif drsquoaccueillir tous les eacutelegraveves en acircge scolaire de lrsquoicircle Le premier instituteur eacutetait

un peintre autodidacte et sans aucune formation peacutedagogique venu srsquoinstaller sur

lrsquoicircle pour suivre les traces de Gauguin (Delmas 1927) Cependant du fait de la

distance qui seacuteparait lrsquoeacutecole des autres villages elle nrsquoeacutetait freacutequenteacutee que par les

enfants du bourg drsquoAtuona et des alentours Agrave partir de 1940 lrsquoassouplissement des

mesures leacutegislatives et regraveglementaires sur lrsquointerdiction de lrsquoenseignement aux

145 Selon Jean-Marc Regnault 95 des Marquisiens sont catholiques (Regnault 1999) Eve Sivadjian

preacutesente le mecircme pourcentage pour les habitants de Nuku Hiva (Sivadjian 1999c) Bien qursquoil nrsquoexiste

pas de statistiques officielles apregraves ma mission sur le terrain cette estimation me semble eacutegalement

valable pour lrsquoicircle de Hiva Oa

146 Par effet de la loi du 7 juillet 1904 (connue comme la laquo loi Combes raquo) interdisant lrsquoenseignement

agrave toute congreacutegation et qui srsquoest traduite dans la Deacutecision du 21 septembre 1904 publieacutee dans le

Journal Officiel des Eacutetablissements Franccedilais de lrsquoOceacuteanie laquo Est ordonneacutee agrave dater du 30 septembre

1904 la fermeture des eacutecoles priveacutees drsquoAtuona dont les maicirctres ne possegravedent pas les titres

neacutecessaires et lrsquoautorisation reacuteglementaire pour enseigner raquo

191

congreacutegations147 leur a permis de rouvrir tout en continuant agrave ecirctre les seules agrave

disposer des espaces du personnel et du mateacuteriel neacutecessaires agrave leur tacircche148 Agrave

lrsquoheure actuelle lrsquoicircle accueille six eacutecoles primaires publiques (agrave Atuona agrave Hanaiapa

agrave Hanapaaoa agrave Nahoe agrave Puamau et agrave Taaoa) une eacutecole priveacutee (lrsquoEacutecole Sainte Anne

qui a succeacutedeacute agrave lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph de Cluny) doteacutee aussi drsquoun collegravege et

drsquoun internat et le Collegravege et Lyceacutee Professionnel drsquoAtuona qui gegravere aussi le Centre

drsquoeacuteducation aux technologies approprieacutees au deacuteveloppement (CETAD) drsquoAtuona

822 Entre localismes et globalismes revendications culturelles et

patrimonialisation du territoire

Aujourdrsquohui bien que les formes drsquoorganisation sociale des Enata aient

disparu en faveur de lrsquoadoption des institutions reacutepublicaines nombreuses sont les

valeurs et les traits culturels ancestraux qui ont surveacutecu agrave la dynamique coloniale et

postcoloniale Contredisant la preacutevision de Victor Seacutegalen qui en 1907

147 Gracircce aux lois du 3 septembre 1940 et du 8 avril 1942 confirmeacutees apregraves la Libeacuteration qui

abrogegraverent la loi Combes et assouplirent certaines dispositions preacutevues par le titre III de la loi du 1er

juillet 1901 relative au contrat drsquoassociation et notamment agrave la reconnaissance leacutegale des

congreacutegations religieuses

148 Dans un rapport de lrsquoinspecteur des colonies datant de 1922 on peut lire qursquo laquo [agrave Hiva Oa]

lrsquoinstruction officielle a fait faillite faute de maicirctres sachant srsquoadapter aux conditions drsquoexistence raquo et

que laquo [l]e recrutement drsquoinstituteurs pour les Marquises est un leurre raquo (citeacute par Bailleul 2001 149)

En drsquoautres termes ni les meacutetropolitains ni les Tahitiens ni mecircme les Marquisiens nrsquoont accepteacute

drsquoaller ou de rester travailler dans les eacutecoles publiques des icircles Marquises

192

pronostiquait leur laquo extinction raquo les Marquisiens ont eacuteteacute capables de survivre agrave la

laquo moderniteacute raquo en adaptant leurs coutumes leurs usages et leurs modes de vie au

contexte environnemental dans lequel ils habitent et agrave la hieacuterarchie politique qui les

administre

Comme lrsquoa souligneacute Michel Bailleul laquo les deux derniegraveres deacutecennies du XXegraveme

siegravecle sont marqueacutees dans lrsquoarchipel par la recherche identitaire [hellip] De nombreux

Marquisiens se lancent avec passion agrave la recherche de leur racines raquo (Bailleul 1999

168) Bien que la colonisation la conversion et la scolarisation forceacutee des habitants

de Hiva Oa ait contribueacute pendant des deacutecennies au processus de laquo deacuteculturation raquo ndash

avec lrsquointerdiction du tatouage149 des danses et des chants traditionnels ou encore

lrsquoexclusion de la langue locale de lrsquoenseignement scolaire150 ndash depuis quelques

149 Le cas du tatouage est particuliegraverement inteacuteressant puisque bien que la presque totaliteacute des

Marquisiens soient aujourdrsquohui - en notre deacutebut de 21egraveme siegravecle - tatoueacutes drsquoun point de vue

strictement juridique cette coutume est encore illeacutegale En effet lrsquoarrecircteacute numeacutero 276 du 15

septembre 1898 signeacute par Monsieur Gallet Gouverneur des Eacutetablissements Franccedilais de lrsquoOceacuteanie

qui confirmait certaines dispositions du laquo code Dordillon raquo dont lrsquointerdiction du tatouage aux icircles

Marquises nrsquoa jamais eacuteteacute abrogeacute La peine preacutevue est une amende de 25 agrave 100 francs pacifiques et

le cas eacutecheacuteant un emprisonnement ne pouvant exceacuteder une dureacutee de 15 jours Ce qui signifie que agrave

lrsquoheure actuelle la grande majoriteacute des habitants des icircles se trouvent en situation irreacuteguliegravere face agrave

la loi Fort heureusement ces dispositions ne sont plus appliqueacutees depuis longtemps

150 Cependant le laquo code Dordillon raquo admettait lrsquoemploi du marquisien comme langue

drsquoeacutevangeacutelisation

193

anneacutees la renaissance identitaire marquisienne passe justement par lrsquoeacutecole et

lrsquoEacuteglise

Lrsquoassociation culturelle Motu Haka consideacutereacutee comme lrsquoexpression la plus

vivante de cette renaissance a eacuteteacute fondeacutee suite au synode dioceacutesain voulu en 1979

par Monseigneur Herveacute-Marie Le Cleacuteacrsquoh eacutevecircque du diocegravese de Taiohae (qui

administre la circonscription apostolique correspondant agrave lrsquoarchipel des Marquises)

et deacutefenseur de lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoEacuteglise locale se devait drsquoecirctre laquo marquisienne raquo

dans lrsquoexpression de sa foi dans ses orientations ainsi que dans ses ministres et ses

animateurs En 1987 Motu Haka soutenue financiegraverement par le clergeacute catholique

a organiseacute le premier Festival des arts des icircles Marquises afin de rendre visible la

richesse du patrimoine culturel local Aujourdrsquohui le festival qui est consideacutereacute

comme une manifestation culturelle majeure en Polyneacutesie se tient tous les quatre

ans dans une icircle diffeacuterente de lrsquoarchipel pour ceacuteleacutebrer non seulement le patrimoine

local mais aussi celui de toute lrsquoaire oceacuteanienne agrave travers des performances de

danses et de chants traditionnels des compeacutetitions sportives des deacutegustations

gastronomiques des ateliers de tatouage drsquoartisanat en bois os ou pierre151 des

productions de tapa (vecirctements faits drsquoeacutecorce de banyan Ficus prolixa) ou de

pirogues Des groupes venant drsquoautres pays du continent y sont reacuteguliegraverement

inviteacutes152

151 Il srsquoagit surtout de reproductions de petite taille des tiki les grandes statues anthropomorphes

repreacutesentant laquo Tiki raquo lrsquoancecirctre semi-divin qui fut selon les leacutegendes locales le premier homme

152 Le dernier festival srsquoest tenu en 2015 agrave Hiva Oa

194

Monseigneur Le Cleacuteacrsquoh probablement de par ses origines (il eacutetait neacute dans le

Finistegravere et selon mes interlocuteurs il eacutetait tregraves fier de ses racines bretonnes)

avait tregraves vite compris lrsquoimportance du patrimoine culturel marquisien en

encourageant ses expressions et en promouvant la langue surtout dans les espaces

religieux153 Pendant mon seacutejour agrave Hiva Oa jrsquoai pu assister agrave plusieurs ceacutereacutemonies

religieuses et toutes se sont deacuterouleacutees en langue marquisienne154 Une fois par

semaine la messe est officieacutee en langue franccedilaise pour un public de Franccedilais

meacutetropolitains ou de Tahitiens ndash les enseignants les gendarmes et le personnel de

santeacute qui travaillent temporairement sur lrsquoicircle ndash mais aussi de navigateurs ou de

touristes eacutetrangers de passage De mecircme lrsquoAcadeacutemie marquisienne Tuhuna rsquoEo

Enata (litteacuteralement laquo les experts de la langue marquisienne raquo) institution

culturelle creacuteeacutee par lrsquoAssembleacutee de la Polyneacutesie franccedilaise155 ndash tout comme

lrsquoAcadeacutemie tahitienne ndash ayant pour mission de sauvegarder et drsquoenrichir la langue

153 Il reacutedigea drsquoailleurs un lexique marquisien-franccedilais (Le Cleach 1997) et soutint un projet de

traduction de la Bible en langue marquisienne

154 La premiegravere messe en langue marquisienne a eacuteteacute ceacuteleacutebreacutee le 15 aoucirct 1988 sous la conduite du

cardinal samoan Pio Taofinuu leacutegat du Pape pour le Jubileacute des 150 ans de la mission catholique des

icircles Marquises

155 Par la deacutelibeacuteration ndeg 2000-19 APF du 27 janvier 2000 laquo portant creacuteation de lrsquoAcadeacutemie

marquisienne raquo

195

marquisienne a toujours joui du soutien de lrsquoeacutevecirccheacute156 et depuis sa creacuteation son

siegravege est accueilli dans les locaux de la Mission catholique de Taiohae Par ailleurs

presque tous les jeunes de lrsquoicircle participent aux activiteacutes dominicales organiseacutees en

langue marquisienne par les paroisses telles que des cours de danse des groupes

de musique des chorales et autres activiteacutes ludiques mais laquo traditionnelles raquo

Dans les eacutecoles aussi la culture locale est deacutesormais tregraves valoriseacutee Bien que

la loi ndeg 51-46 du 11 janvier 1951 relative agrave lrsquoenseignement des langues et des

dialectes locaux (connue comme laquo loi Deixonne raquo) autorisait les maicirctres agrave recourir

aux laquo parlers raquo locaux dans les eacutecoles maternelles et primaires de la Reacutepublique

ainsi qursquoagrave consacrer chaque semaine une heure drsquoactiviteacutes pour enseigner des

notions eacuteleacutementaires de lecture et drsquoeacutecriture dans la langue locale cette loi ne srsquoest

eacutetendue agrave la Polyneacutesie franccedilaise qursquoen 1981157 soit trente ans plus tard et

seulement pour la langue tahitienne Mais au deacutebut des anneacutees 1980 certains

membres de lrsquoassociation Motu Haka qui travaillaient en tant qursquoenseignants dans

les eacutecoles de lrsquoarchipel ont commenceacute agrave inclure des activiteacutes en langue marquisienne

dans leurs programmes Comme me lrsquoa signaleacute un drsquoentre eux laquo il nrsquoy avait pas

autant de controcircles agrave lrsquoeacutepoque pas drsquoinspecteurs ni visites des conseilleurs

156 Des precirctres catholiques sont aussi membres de lrsquoAcadeacutemie tahitienne et lrsquoAcadeacutemie parsquoumotu qui

est chargeacutee drsquoassurer la sauvegarde et lrsquoenrichissement de la langue parsquoumotu parleacutee dans lrsquoarchipel

des Tuamotu

157 Avec le deacutecret 81-553 du 12 mai 1981 relatif agrave lrsquoenseignement des langues et laquo dialectes raquo locaux

196

peacutedagogiques Alors on faisait nos cours en eacuteo enata158 Crsquoeacutetait pratique pour

expliquer certaines notions de matheacutematiques par exemple ou de science Les

gamins apprenaient plus vite raquo Monseigneur Le Cleacuteacrsquoh qui soutenait discregravetement

ces enseignants a alors inviteacute un eacuteminent linguiste luxembourgeois le pegravere Franccedilois

Zewen lequel dirigeait le Centre de Recherche des Eacuteglises du Pacifique agrave Port-Vila

Vanuatu Le pegravere Zewen a seacutejourneacute agrave Taiohae jusqursquoen mars 1987 eacutepoque agrave laquelle

il publia le premier manuel drsquoenseignement de la langue marquisienne ce qui facilita

consideacuterablement le travail de ces enseignants laquo non conformes raquo (Zewen 1987)

Notons que le second manuel de ce type nrsquoest paru qursquoen 2009

Aujourdrsquohui dans toutes les classes des eacutecoles primaires de Hiva Oa les

enseignants reacutealisent reacuteguliegraverement souvent en partenariat avec lrsquoAcadeacutemie

marquisienne des activiteacutes en langue marquisienne et consacrent une partie de leur

programme agrave des projets visant agrave deacutevelopper des compeacutetences sur le territoire et la

culture des icircles Aussi depuis 2002 afin drsquoencourager la reacutedaction en marquisien

lrsquoAcadeacutemie organise un concours drsquoeacutecriture pour les eacutelegraveves des eacutetablissements des

premier et second degreacutes des icircles Marquises et depuis 2005 sont publieacutes les

premiers livres et meacutethodes du maicirctre pour inteacutegrer le marquisien dans les

enseignements Jusqursquoagrave lrsquoanneacutee scolaire 2014-2015159 ndash anneacutee durant laquelle jrsquoai

158 Crsquoest ainsi qursquoest appeleacutee la langue marquisienne Cette graphie suit la prononciation des habitants

des icircles du groupe meacuteridional de lrsquoarchipel (Hiva Oa Tahuata et Fatu Hiva) Dans les icircles du groupe

nord (Nuku Hiva Ua Huka et Ua Pou) on dit laquo eacuteo enana raquo

159 Mais depuis la rentreacutee 2015 les enseignants doivent y consacrer cinq heures hebdomadaires

197

reacutealiseacute mon travail de terrain ndash dans les classes de maternelle deux heures et

quarante minutes hebdomadaires eacutetaient reacuteserveacutees agrave la langue marquisienne En

reacutealiteacute les enseignants que jrsquoai intervieweacutes mrsquoont reacuteveacuteleacute qursquoils faisaient souvent au

moins quatre ou cinq heures hebdomadaires de cours en marquisien ce qui

permettait aux eacutelegraveves de pratiquer leur langue agrave lrsquoeacutecole pregraves drsquoune heure par jour

Cependant comme me lrsquoont signaleacute beaucoup de parents degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme

lrsquoenseignement de la langue nrsquoest plus assureacute dans les mecircmes conditions et seule

une heure par semaine lui est consacreacutee160

Pour beaucoup drsquohabitants de Hiva Oa ndash et pour beaucoup de Marquisiens ndash

lrsquoenjeu politique essentiel du deacutebut du XXIegraveme siegravecle est aussi lrsquoinscription des icircles

dans la liste UNESCO du Patrimoine mondial de lrsquohumaniteacute Depuis 2010 date agrave

laquelle la Deacuteleacutegation Permanente de la France aupregraves de lrsquoUNESCO161 a soumis agrave

lrsquoOrganisation la candidature de lrsquoarchipel ndash justifieacutee par sa laquo valeur universelle

exceptionnelle raquo ndash les Marquisiens attendent litteacuteralement le laquo miracle raquo Selon la

plupart des villageois lrsquoinscription sur la liste de lrsquoUNESCO rapporterait aux

Marquises des investissements du travail et un certain bien-ecirctre mais surtout une

160 Cette attitude on le verra dans les chapitres suivants est pour le moins paradoxale Dans la

majoriteacute des familles que jrsquoai observeacutees pendant mon seacutejour agrave Hiva Oa les parents srsquoadressent aux

enfants en langue franccedilaise et le marquisien est consideacutereacute comme une laquo langue drsquoadultes raquo (pour

utiliser une expression qui mrsquoa eacuteteacute suggeacutereacutee par le linguiste Jacques Vernaudon)

161 Le dossier de candidature a eacuteteacute mis au point par lrsquoassociation Motu Haka (laquelle entretemps a

modifieacute son nom pour devenir la laquo Feacutedeacuteration culturelle et environnementale des Marquises raquo)

lrsquoAcadeacutemie marquisienne et lrsquoInstitut de Recherche pour le Deacuteveloppement (IRD)

198

reconnaissance internationale neacutecessaire pour se laquo deacutebarrasser raquo de ce que certains

de mes informateurs appellent laquo le double colonialisme franco-tahitien raquo

Lucien Kimitete162 lrsquoun des fondateurs de lrsquoassociation Motu Haka reacutesumait

cette ideacutee lors drsquoune de ses derniegraveres interviews avec la presse

laquo Il ne faut jamais oublier que les Marquises sont un butin de

guerre pour la France qui les a par commoditeacute inteacutegreacutees agrave la

Polyneacutesie Si nous avons eacuteteacute coloniseacutes autrefois par la France

aujourdrsquohui le colonisateur crsquoest Tahiti Et ici toute la vie

administrative et politique reflegravete la double tutelle de la meacutetropole

franccedilaise et des autoriteacutes tahitiennes Nous avons tout en deux

exemplaires administrateurs repreacutesentants religieux etc Nous

sommes bien gardeacutes trop bien On nous fait ingurgiter agrave la fois ce qui

vient de France et de Tahiti Nous avons deux cordes au pied et il

faudra bien qursquoil y en ait une qui cegravede raquo (citeacute par du Prel 2002 20)163

162 Ce champion de laquo lrsquoidentiteacute marquisienne raquo qui eacutetait aussi maire de Taiohae trouva la mort le 23

mai 2002 en pleine campagne eacutelectorale quand le bimoteur sur lequel il voyageait avec drsquoautres

leaders laquo autonomistes raquo drsquoopposition (Boris Leacuteontieff Arsen Tuairau et Ferfine Besseyre tous

membres du parti Fetia Api) disparut en vol Le mystegravere de cette catastrophe aeacuterienne reste entier agrave

ce jour Aucun corps nrsquoa jamais eacuteteacute retrouveacute et lrsquoenquecircte sur les circonstances du crash est

officiellement close depuis janvier 2011

163 Une partie du texte de cette mecircme interview est aussi citeacute ndash avec de leacutegegraveres modifications ndash dans

un article de Pierre Carpentier (2014) pour le magazine Tahiti Info

199

Le pegravere Mathias Gracia lrsquoavait deacutejagrave eacutecrit en 1839 en avisant ses supeacuterieurs

que laquo le peuple marquisien est un peuple fier naturellement indeacutependant raquo (Gracia

1839 33) Cependant jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle les Marquises restent sous le double

controcircle de lrsquoEacutetat et du Territoire de la Polyneacutesie franccedilaise Rien de concret ne laisse

preacutesager que cette situation puisse changer dans un futur proche

200

9 Les eacutecosystegravemes eacuteducatifs espaces domestiques reacuteseaux de parenteacute et

vie communautaire

Le premier objectif de cette thegravese est de deacutecrire les microsystegravemes de

socialisation primaire dans les deux contextes drsquoeacutetude choisis En drsquoautres termes il

srsquoagit de repeacuterer les personnes ou les groupes de personnes qui jouent un rocircle

drsquoeacuteducateurs aupregraves des enfants qui ont constitueacute mon laquo univers drsquoeacutetude raquo et de

comprendre leur fonction dans la transmission des connaissances des savoir-faire

et des compeacutetences lieacutes agrave certains domaines fondamentaux comme la production et

la transformation des aliments la construction et lrsquoentretien de la maison la

meacutedecine traditionnelle la preacuteparation et la participation agrave des ceacutereacutemonies ou

rituels communautaires la production drsquooutils neacutecessaires agrave la reacutealisation des

activiteacutes que je viens de mentionner (la laquo culture mateacuterielle raquo proprement dite) les

mythes les leacutegendes et lrsquohistoire locale la reconnaissance du territoire ou encore

les regravegles de vie Pour obtenir ce type drsquoinformations jrsquoai observeacute les enfants choisis

et noteacute toutes les personnes ndash ou groupes de personnes ndash qui avaient des

interactions eacuteducatives avec eux tout en essayant de comprendre quels domaines

du savoir elles prenaient en charge

91 Les microsystegravemes de socialisation agrave Antecume pata

Le village drsquoAntecume pata est assez petit (en 2012 il ne comptait que 312

habitants tous lieacutes entre eux par un lien de parenteacute) et agrave lrsquoexception de lrsquoeacutecole on

201

ne trouve quasiment aucun organisme ou institution social ou culturel En effet la

seule association du village lrsquoAssociation Yepeacute a eacuteteacute fondeacutee afin de faciliter la mise

en place de projets et les demandes de subvention ou drsquoaide financiegravere aupregraves des

administrations publiques En revanche elle ne reacutealise pas drsquoactiviteacutes drsquoanimation

pour les enfants du village elle nrsquoa donc pas de fonction laquo drsquoeacuteducateur raquo et ne se

charge pas directement de la transmission des savoirs Il en va de mecircme pour les

groupes religieux bien que la majoriteacute des adultes du village se deacuteclarent de foi

catholique baptiste ou eacutevangeacutelique164 les enfants ne participent geacuteneacuteralement pas

aux activiteacutes religieuses Autrement dit en dehors de lrsquoeacutecole toutes les interactions

sociales des enfants du village se reacutealisent avec des membres plus ou moins proches

de leur reacuteseau de parenteacute

164 Agrave mon arriveacutee agrave Antecume pata en janvier 2011 seuls deux villageois se deacuteclaraient croyants et

plus exactement catholiques Depuis la laquo vague de suicides raquo qui a seacutevi dans le Haut Maroni entre

2011 et 2013 le village a eacuteteacute visiteacute par plusieurs missionnaires catholiques baptistes et eacutevangeacuteliques

qui se sont litteacuteralement livreacutes agrave une laquo guerre des conversions raquo afin drsquoattirer le plus grand nombre

drsquoadeptes possible Agrave lrsquoheure actuelle la moitieacute des familles de lrsquoicircle deacuteclare appartenir agrave la religion

catholique Les autres sont pour moitieacute baptistes (dirigeacutes par des pasteurs ameacutericains baseacutes au

Suriname et lieacutes agrave lrsquoOrganisation des baptistes unis du Suriname Organization of Baptists United of

Suriname) pour moitieacute eacutevangeacuteliques (avec des pasteurs breacutesiliens baseacutes agrave Maripasoula) Toutefois

il convient drsquoajouter que rares sont les personnes qui ont adopteacute les habitudes et les modes de vie

propres agrave leur nouvelle religion et que dans la grande majoriteacute des cas la participation aux cultes du

samedi ou du dimanche est la seule manifestation visible de la foi deacuteclareacutee

202

911 La laquo maisonneacutee raquo ameacuterindienne

La famille wayana-apalaiuml comprend plusieurs microsystegravemes Les Wayana-

Apalaiuml ndash tout comme les autres groupes ameacuterindiens de Guyane ndash ont en effet une

conception eacutetendue de la famille qui srsquoeacutelargit agrave la fratrie des parents ndash biologiques

ou adoptifs ndash de lrsquoenfant Selon leur systegraveme de classification toutes les sœurs de la

megravere biologique sont consideacutereacutees comme des laquo megraveres raquo (appeleacutees mama ou mamak)

et tous les fregraveres du pegravere sont consideacutereacutes comme des laquo pegraveres raquo (papa ou papak)

leurs enfants eacutetant tous sœurs et fregraveres Agrave lrsquoinverse les fregraveres de la megravere et les sœurs

du pegravere (soit la fratrie de sexe opposeacute des parents biologiques) sont consideacutereacutes

comme des beaux-parents leur descendance constitue donc des eacutepoux potentiels

pour lrsquoenfant Les femmes de la mecircme ligne de rang (n) se considegraverent entre elles

comme des laquo sœurs raquo et considegraverent les femmes de la ligne n-1 (dans le sens

ascendant) comme des laquo megraveres raquo celles de la ligne n-2 comme des laquo grands-megraveres raquo

et celles de la ligne n+1 (dans le sens descendant) comme des laquo filles raquo Les hommes

qui appartiennent agrave la mecircme ligne uteacuterine considegraverent toutes les femmes de la

mecircme ligne de rang (n) comme des sœurs et toutes les femmes de la ligne n-1

comme des megraveres Les fils des oncles maternels et des sœurs de leurs pegraveres sont

consideacutereacutes comme des eacutepoux potentiels (i-mnerum) pour les filles De la mecircme

faccedilon les filles des oncles maternels et des sœurs de leurs pegraveres sont consideacutereacutees

comme des eacutepouses potentielles (i-puit) pour les garccedilons Geacuteneacuteralement les cousins

et cousines croiseacutes srsquoappellent entre eux laquo eacutepoux raquo et laquo eacutepouses raquo sans forceacutement se

marier de telle sorte qursquoune femme appellera ses propres enfants i-mumu (mon

enfant) mais aussi les enfants de ses sœurs classificatoires et des hommes qursquoelle

203

appelle i-mnerum165 Ces regravegles donnent lieu agrave un systegraveme terminologique coheacuterent

ndash dit de laquo type iroquois raquo166 en anthropologie de la parenteacute ndash qui marque la coheacutesion

du systegraveme familial au travers de deacutefinitions preacutecises pour la geacuteneacutealogie horizontale

(fregraveres sœurs eacutepoux eacutepouses beaux-fregraveres et belles-sœurs) et verticale (megraveres

pegraveres belles-megraveres beaux-pegraveres grands-megraveres grands-pegraveres fils neveux et

niegraveces) Ce systegraveme de filiation fictive tient du fait que pour une fille tous les

hommes de sa geacuteneacuteration soient consideacutereacutes soit comme des fregraveres soit comme des

eacutepoux (Hurault 1968)

Lrsquoisolat endogamique ndash crsquoest-agrave-dire lrsquoaire geacuteographique dans laquelle se

concluent les alliances matrimoniales ndash coiumlncide en theacuteorie avec lrsquoaire de

distribution des Wayana-Apalaiuml en Guyane au Breacutesil et au Suriname En reacutealiteacute cette

aire est circonscrite au laquo pays ameacuterindien raquo guyanais du fait des difficulteacutes des

deacuteplacements transfrontaliers (qui neacutecessitent un passeport et un visa pour voyager

165 Observons que mecircme en preacutesence drsquoun systegraveme de filiation fictive les Wayana-Apalaiuml rejegravetent la

notion drsquoallomaternaliteacute

166 Selon Georges Murdock (1949) ndash qui rejetait la distinction proposeacutee par Lewis Morgan (1871)

entre systegravemes de parenteacute descriptifs et systegravemes classificatoires ndash le systegraveme iroquois baseacute sur le

principe eacutetabli par Robert Lowie (1915 1928) du bifurcate merging (expression que nous pouvons

traduire par laquo bifurcation et assimilation raquo) assigne le mecircme terme de classification du pegravere aux

oncles paternels et celui de la megravere aux tantes maternelles Les cousins parallegraveles sont alors assimileacutes

agrave la fratrie et les cousins croiseacutes ndash les cousins germains de sexe diffeacuterent ndash sont consideacutereacutes comme

des membres laquo eacuteloigneacutes raquo de la famille ce qui en fait comme chez les Wayana-Apalaiuml des eacutepoux ou

eacutepouses potentiels (Voir aussi Murdock et al 1960)

204

drsquoun pays agrave lrsquoautre) or agrave lrsquoheure actuelle aucun des trois pays nrsquoa voulu eacuteliminer

ces barriegraveres La reacutesidence est geacuteneacuteralement uxorilocale crsquoest-agrave-dire que les

nouveaux conjoints srsquoinstallent dans la maison des parents de lrsquoeacutepouse leurs

enfants partagent le mecircme espace domestique que celui des grands-parents

maternels et des familles de leurs tantes maternelles Cependant la situation

deacutemographique actuelle ndash caracteacuteriseacutee par une croissance geacuteomeacutetrique de la

population dans les villages ameacuterindiens ndash fait que les couples ne srsquoeacutetablissent chez

les parents de lrsquoeacutepouse que si ceux-ci ont la possibiliteacute de les accueillir agrave savoir une

maison suffisamment spacieuse et eacutequipeacutee pour recevoir le nouveau couple et sa

descendance Par ailleurs il existe de nombreuses exceptions certaines familles

preacutefeacuterant srsquoinstaller chez les parents de lrsquoeacutepoux qui ont des revenus plus

importants et drsquoautres preacutefeacuterant srsquoinstaller loin de leurs familles drsquoorigine pour

eacuteviter les conflits lieacutes au partage drsquoun mecircme espace domestique

Dans le processus de formation en place au sein des foyers wayana-apalaiuml

chaque membre de la famille a un rocircle tregraves preacutecis et des responsabiliteacutes concregravetes

vis-agrave-vis des enfants Toute la journeacutee la megravere wayana ou apalaiuml porte lrsquoenfant de

sa naissance agrave la deuxiegraveme anneacutee dans ses bras agrave lrsquoaide drsquoune bandouliegravere (un

hamac miniature tisseacute en coton que les femmes portent sur une eacutepaule) beaucoup

de megraveres continuent agrave porter leur enfant en bandouliegravere jusqursquoagrave ses trois ans

Lrsquoallaitement dure trois ans en moyenne mais certains enfants continuent de teacuteter

205

jusqursquoagrave quatre ans167 Crsquoest la megravere qui se charge de la formation au langage qui

enseigne aux enfants agrave parler et agrave distinguer les mots lieacutes agrave la vie quotidienne du

foyer En effet chez les Ameacuterindiens du Haut Maroni

laquo les beacutebeacutes ne sont jamais laisseacutes seuls [hellip] On cherchera

toujours agrave donner du sens aux babillages drsquoun beacutebeacute qursquoil ne faut pas

laisser sans reacuteponse On deacutecrypte ainsi la future personnaliteacute de

lrsquoenfant agrave travers une calme attention de son comportement ces

observations presque eacutethologiques peuvent deacuteterminer le nom que

recevra lrsquoenfant lorsqursquoil saura marcher [hellip] Les pleurs eacutetant

consideacutereacutes comme une grave menace pour la construction de la

personnaliteacute de lrsquoenfant on fait en sorte de les eacuteviter et les femmes

peu doueacutees pour ce genre de conciliation passent pour de piegravetres

megraveres raquo (Hurault et al 1998 140)

Lorsque lrsquoenfant rentre dans sa troisiegraveme anneacutee le rocircle de la megravere est

drsquoenseigner aux petites filles les tacircches meacutenagegraveres les outils et les temps de cuisson

des aliments lrsquoemplacement et lrsquoespace de lrsquoabattis lrsquoart de la filature et du tissage

du coton pour la confection des bandouliegraveres et des hamacs mais surtout les

compeacutetences sociales basiques que de maniegravere syntheacutetique on pourrait reacutesumer au

167 Dans ce cas il srsquoagit drsquoune pratique qui nrsquoa pas de fonction nutritionnelle et qui srsquoapparente plutocirct

agrave la laquo teacuteteacutee cacirclin raquo dont la fonction est de rassurer lrsquoenfant ou de le calmer pour eacuteviter qursquoil pleure

206

respect des autres et au fait drsquoecirctre toujours disposeacutees agrave accueillir convenablement

les eacuteventuels hocirctes de la maison Aux garccedilons elle enseigne une seacuterie de

compeacutetences lieacutees agrave lrsquoautonomie et qui consistent comme le reacutesume une villageoise

drsquoAntecume Pata agrave savoir faire attention agrave soi-mecircme Il srsquoagit des apprentissages lieacutes

aux dangers de la maison du village et de lrsquoabattis laquo le feu qui brucircle la chenille qui

pique le fleuve ougrave lrsquoon peut se noyer raquo

Les fonctions eacuteducatives du pegravere sont strictement lieacutees aux espaces propres

agrave lrsquohomme ameacuterindien le fleuve et la forecirct Crsquoest lui qui srsquooccupe drsquoenseigner agrave ses

filles toute une seacuterie de notions sur lrsquoeacutecosystegraveme dans lequel elles vivent ce qui leur

permettra une fois adultes de reconnaicirctre les diffeacuterents bruits de la forecirct les

diffeacuterentes espegraveces de gibier et la maniegravere de les preacuteparer avant de les cuisiner Le

pegravere qui ramegravene de bonnes proies agrave la maison est pour ses filles un modegravele du bon

chasseur qui nourrit toute sa famille ndash modegravele qui les guidera dans le choix de leur

eacutepoux Aux garccedilons le pegravere enseigne les arts de la forecirct et du fleuve pour faire drsquoeux

de laquo bons pegraveres de famille raquo la chasse (avec lrsquoarc et la flegraveche pour les plus petits et

avec le fusil pour les adolescents) la pecircche (avec ses diffeacuterentes techniques comme

le tir agrave lrsquoarc la nivreacutee soit lrsquoempoisonnement temporaire de lrsquoeau de la riviegravere par le

jus de lianes agrave roteacutenone du genre Lonchocarpus spp la ligne et lrsquohameccedilon le filet ou

encore les trappes crsquoest-agrave-dire des piegraveges en forme de nasses pour les grands

preacutedateurs comme lrsquoaiumlmara) le tissage de vanneries en fibre drsquoarouman

(Ischosiphon arouma) et la construction drsquooutils pour les travaux agricoles le brucirclis

de lrsquoabattis la construction la conduite drsquoune pirogue (agrave la pagaie pour les plus petits

et agrave lrsquoaide du moteur hors-bord pour les plus grands) et lrsquoassemblage drsquoun carbet

207

Cet apprentissage est lent et progressif lrsquoenfant accomplissant ses tacircches agrave son

rythme Il faut souligner que ce scheacutema drsquoapprentissage parental fonctionne jusqursquoagrave

lrsquoadolescence acircge agrave partir duquel les jeunes commencent un chemin de formation

laquo horizontal raquo dans lequel le rocircle des parents diminue pour laisser place agrave drsquoautres

eacuteducateurs tels que les amis et les membres de la famille de la mecircme geacuteneacuteration

Il existe aussi un cas particulier celui des enfants laquo offerts raquo agrave leurs grands-

parents Il srsquoagit lagrave drsquoune tradition dans laquelle les grands-parents peuvent adopter

leur neveu ou leur niegravece agrave condition qursquoil ait eacuteteacute sevreacute et que les parents partagent

la mecircme maison que celle des grands-parents Pour recevoir cette offrande ces

derniers doivent reacutepondre aux seules conditions suivantes avoir de lrsquoespace du

temps et les ressources suffisantes pour nourrir lrsquoenfant accueilli Cette tradition

nrsquoimplique en rien que lrsquoenfant soit eacuteloigneacute de ses parents puisque dans la majoriteacute

des cas le carbet de la famille naturelle correspond agrave celui de la famille adoptive ou

se trouve tregraves proche La megravere et le pegravere continueront donc agrave lrsquoeacuteduquer selon les

critegraveres mentionneacutes ci-dessus mais deacutelegravegueront aux grands-parents toutes les

responsabiliteacutes laquo logistiques raquo lieacutees agrave lrsquoalimentation et au logement de lrsquoenfant

De maniegravere plus geacuteneacuterale on peut dire que les grands-parents srsquooccupent de

la formation des enfants dans les domaines de lrsquohygiegravene et de la santeacute gracircce agrave leur

connaissance des remegravedes traditionnels mais ils constituent aussi la cleacute de la

transmission du patrimoine mythologique et de lrsquohistoire orale (Chapuis amp Riviegravere

2003) Crsquoest effectivement sur la base de ce patrimoine transmis oralement que les

grands-parents participent au deacuteveloppement de la capaciteacute drsquoeacutecoute et drsquoattention

des enfants de leur meacutemoire auditive du langage (avec la construction du

208

vocabulaire et la compreacutehension de la syntaxe de la deacutetermination des relations

logiques (de cause agrave effet) de la capaciteacute de construction drsquohypothegraveses et des

raisonnements pour la reacutesolution des problegravemes quotidiens Selon mes

observations les mythes les leacutegendes et lrsquohistoire orale ne sont pas transmis dans

le cadre de moments formels et les grands-parents les racontent quand lrsquooccasion se

preacutesente ou quand cela leur semble opportun pendant qursquoils se reposent dans le

hamac pendant qursquoils cuisinent quand ils pecircchent en pirogue ou encore quand ils

se reacutechauffent autour du feu La morale du reacutecit nrsquoest jamais expliciteacutee et on laisse agrave

lrsquoenfant le soin drsquoen tirer des enseignements

Les autres membres de la famille ont eacutegalement des responsabiliteacutes tregraves

concregravetes agrave lrsquoeacutegard des enfants Les fregraveres et sœurs aineacutes par exemple srsquooccupent

drsquoaider les plus petits du mecircme sexe dans leur deacutecouverte du monde en incarnant

un modegravele plus proche drsquoeux et par-lagrave plus facile agrave suivre que celui des adultes mais

aussi moins exigeant que ces derniers en cas drsquoeacutechec Agrave lrsquoacircge de 5 ans une fille est

consideacutereacutee comme suffisamment responsable pour porter un beacutebeacute dans ses bras agrave

partir de 8 ans elle pourra eacutegalement srsquooccuper de lrsquoalimentation de lrsquoenfant et de

son hygiegravene Quand les filles acircgeacutees de 5 agrave 14 ans forment des laquo bandes raquo (des groupes

de pairs composeacutes principalement de cousines) elles amegravenent avec elles leurs

fregraveres ou sœurs en bas acircge qui sont pris en charge par les autres filles de la bande

lesquelles srsquooccupent de les faire jouer de les habiller de les nettoyer et mecircme de

les endormir Les garccedilons forment aussi des bandes mais les adultes ne leur confient

jamais les enfants en bas acircge pour les garccedilons plus que pour les filles la bande est

synonyme drsquoautonomie et de fin de lrsquoenfance laquo le modegravele des grands prenant le pas

209

sur celui du pegravere dont lrsquoinfluence se fait plus discregravete Crsquoest lrsquoacircge aussi des risques

lrsquoacircge ougrave ils commencent agrave chasser en petits groupes ou mecircme seuls et ougrave il leur

arrive de se perdre un voire deux longs jours en forecirct raquo (Hurault et al 1998 144)

Les bandes constituent un espace privileacutegieacute entre pairs ndash plus exactement entre

cousins drsquoune mecircme geacuteneacuteration ndash dans lequel les membres eacutechangent des

interrogations sur les mystegraveres de la forecirct (des pheacutenomegravenes inexplicables ou des

contes qui font peur) des savoirs sur la sexualiteacute et des informations sur la vie du

village (des commeacuterages sur les histoires drsquoamour ou drsquoadultegravere)

Les oncles et tantes traitent leur filiation fictive - les cousins croiseacutes de leurs

enfants - exactement comme leurs enfants biologiques avec le mecircme amour la

mecircme rigueur et la mecircme discipline Cependant la majoriteacute des enfants ont une

relation privileacutegieacutee avec les tantes maternelles et leur mari avec lesquels ils

partagent geacuteneacuteralement la mecircme maison

912 Le village et lrsquoeacutecole

Les autres membres de la communauteacute interagissent aussi dans lrsquoeacuteducation

des enfants mecircme quand ces derniers nrsquoappartiennent pas agrave leur laquo maisonneacutee raquo

crsquoest-agrave-dire agrave leur noyau domestique Parmi eux le shaman (piumljai) joue un rocircle qursquoil

convient de souligner ici autrefois il aidait agrave la preacuteparation du marake rituel qui

est de moins en moins pratiqueacute dans la socieacuteteacute wayana-apalaiuml laquo moderne raquo Le

marake est un rituel fondamental il srsquoagit drsquoune ceacuteleacutebration eacutetaleacutee sur plusieurs

mois qui amegravene les initieacutes ou tepiem agrave rentrer dans une nouvelle phase de leur vie

La ceacutereacutemonie se deacuteveloppe autour drsquoune seacuterie drsquoeacutepreuves de force et de courage de

210

chants (les kalau) et de danses traditionnelles pour se conclure par lrsquoapplication

sur le corps des tepiem drsquoune vannerie (le kunana)168 qui renferme dans ses mailles

un tregraves grand nombre de fourmis ou de guecircpes qui vont piquer les initieacutes et leur

donner la force de renaicirctre en tant que veacuteritables hommes ou femmes Le marake

nrsquoest pas tout agrave fait un rituel de passage puisque traditionnellement chaque

Wayana-Apalaiuml a sept occasions de passer cette eacutepreuve avant de mourir Il srsquoagit

plutocirct drsquoune ceacutereacutemonie de laquo redeacutemarrage raquo agrave laquelle on participe pour souligner

lrsquoentreacutee dans lrsquoacircge adulte mais aussi pour les adultes lrsquoentreacutee dans un nouveau

stade de leur existence Le shaman au-delagrave de ses fonctions concregravetes (dans les

domaines de la meacutedecine et de la theacuterapie sociale avec la fonction de laquo maicirctre des

esprits raquo) jouit drsquoun grand respect de la part des villageois qui le considegraverent comme

la personne la plus sage la plus discregravete et la plus cultiveacutee crsquoest lui qui assure le

bonheur au sein du village qui reacutetablit lrsquoentente qui garantit lrsquoeacutequilibre entre les

hommes et la nature (par exemple suite au non-respect drsquoun interdit) mais aussi

entre les hommes les esprits et les acircmes des deacutefunts Pour les enfants du village le

shaman demeure un point de repegravere et un modegravele drsquoheacuteroiumlsme spirituel mecircme si au

cours des derniegraveres anneacutees son rocircle a perdu de son importance et les familles le

consultent de moins en moins169

168 Les kunana sont de forme carreacutee pour les filles (waluhma kunanan) et de forme zoomorphe pour

les garccedilons (imjata kunanan)

169 En principe son rocircle est consideacutereacute comme compleacutementaire de celui des infirmiers qui travaillent

au dispensaire du village Il srsquooccupe surtout des laquo maux raquo qui nrsquoont pas de place dans la meacutedecine

occidentale mais aussi des symptocircmes non conventionnels qui accompagnent des eacutetats

211

Le dernier microsystegraveme est lrsquoeacutecole du village Il srsquoagit drsquoun systegraveme eacuteducatif

laquo peacuteripheacuterique raquo (figure 15) puisqursquoil ne fait partie ni de lrsquoespace domestique ni du

reacuteseau de parenteacute qui lie tous les membres du village entre eux Les enfants y

passent toutefois entre trois heures par jour (pour les eacutelegraveves de lrsquoeacutecole maternelle)

et cinq heures (pour les eacutelegraveves de lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire) du lundi au vendredi170 En

son sein les enseignant transmettent la laquo culture franccedilaise raquo mais gracircce agrave la

pathologiques et que les infirmiers ne sont pas capables de prendre en charge tels que les uwamela

(maladies) causeacutees par les jolok (eacuteleacutements surnaturels animeacutes mauvais esprits) ou celles qui

neacutecessitent un iumlhemiumltiumln (remegravede agrave base drsquoherbes de genre Caladium spp consideacutereacutees comme

magiques) Cependant le seul shaman du village drsquoAntecume pata Panapasi Panapasi est deacutesormais

tregraves acircgeacute (il est neacute dans les anneacutees 1920) immobiliseacute dans son hamac et avec une tregraves faible capaciteacute

drsquoaction

170 Au vu de son isolement geacuteographique lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata ndash comme toutes les autres eacutecoles

de la commune de Maripasoula ndash ne respecte pas les nouveaux rythmes scolaires preacutevus par le Deacutecret

ndeg 2013-77 du 24 janvier 2013 sur lrsquoorganisation du temps scolaire dans les eacutecoles maternelles et

eacuteleacutementaires Cette reacuteforme preacutevoit la mise en place drsquoune semaine scolaire de 24 heures

drsquoenseignement reacuteparties sur 9 demi-journeacutees afin drsquoalleacuteger la journeacutee scolaire Les heures

drsquoenseignement sont organiseacutees les lundis mardis jeudis et vendredis ainsi que le mercredi matin

agrave raison drsquoun maximum de cinq heures et demi par jour et de trois heures et demi par demi-journeacutee

Les parents drsquoeacutelegraveves des eacutecoles drsquoAntecume pata de Taluwen et de Pidima ont demandeacute ndash et obtenu

ndash une deacuterogation du fait que cette organisation du temps scolaire entre en conflit avec lrsquoorganisation

de la vie quotidienne et les rythmes domestiques des Ameacuterindiens Cependant cette deacuterogation agrave la

norme octroyeacutee aux eacutecoles du laquo pays ameacuterindien raquo devrait prendre fin agrave la rentreacutee 2016

212

preacutesence de plusieurs villageois dans lrsquoeacutequipe peacutedagogique171 nombreuses sont les

activiteacutes qui se deacuteveloppent autour de la laquo culture ameacuterindienne raquo il srsquoagit en

geacuteneacuteral drsquoactiviteacutes lieacutees agrave la langue maternelle agrave lrsquohistoire orale et agrave lrsquoeacutecologie

amazonienne

Figure 15 La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants wayana-apalaiuml

171 En 2015 on comptait trois enseignants drsquoorigine meacutetropolitaine (deux titulaires et une

contractuelle) un enseignant ameacuterindien (titulaire) une auxiliaire de vie scolaire wayana pour lrsquoaide

individuelle (AVS-I) une intervenante wayana en langue maternelle (ILM) et un agent territorial

apalaiuml speacutecialiseacute dans les eacutecoles maternelles (ATSEM)

213

Lrsquoenfant ameacuterindien vit dans un univers social composeacute drsquoun grand nombre

de microsystegravemes au moins quatre drsquoentre eux (les parents les grands-parents

maternels les tantes et oncles maternels la fratrie et les cousins parallegraveles)

partagent le mecircme espace domestique cinq autres (les grands-parents paternels

les tantes et oncles paternels les cousins croiseacutes les pairs et le shaman) se trouvent

hors de cet espace mais restent agrave lrsquointeacuterieur du reacuteseau de parenteacute Lrsquoeacutecole quant agrave

elle se situe agrave lrsquoexteacuterieur de lrsquoespace domestique et du reacuteseau de parenteacute (malgreacute le

fait que comme on lrsquoa deacutejagrave mentionneacute certains intervenants soient originaires du

village) Bien que les parents se considegraverent comme les principaux eacuteducateurs

lrsquoeacutecole est hautement estimeacutee par les adultes qui lui attribuent le laquo pouvoir raquo de

permettre lrsquoascension sociale des enfants du village ndash point de vue qui est

geacuteneacuteralement partageacute par les oncles et les tantes de la mecircme geacuteneacuteration que les

parents Les grands parents ont une position diffeacuterente et bien qursquoils acceptent

lrsquoobligation scolaire de leur petits-enfants ils la vivent comme une laquo bizarrerie des

Blancs raquo qui eacuteloigne les enfants des laquo vrais raquo apprentissages ndash ceux qui sont lieacutes agrave

lrsquoenvironnement amazonien ndash et qui ne donne pas de reacutesultats visibles172 Or bien

qursquoune partie des adultes du village ait eacuteteacute scolariseacutee rares sont ceux qui ont

172 Pendant les entretiens que jrsquoai meneacutes avec les personnes les plus acircgeacutees du village jrsquoai

freacutequemment entendu lrsquoexpression laquo palasisime teumlwenka teumlweumltiumlhem raquo qursquoon pourrait litteacuteralement

traduire par laquo elle [lrsquoeacutecole] sert agrave devenir ignorant comme les Franccedilais raquo

214

vraiment pu profiter des avantages laquo pratiques raquo de cette scolarisation comme une

meilleure position sociale un salaire et des biens Pour preuve sur les cent

cinquante personnes qui constituent la population active ndash soit en acircge de travailler

ndash du village seules vingt drsquoentre elles ont pu obtenir un poste gracircce agrave leurs diplocircmes

(en tant que gendarmes soldats fonctionnaires du Rectorat de la Guyane du Parc

Amazonien de Guyane ou de la commune de Maripasoula ou en tant que assistants

dans le cadre des projets porteacutes par les associations les entreprises priveacutees ou les

organismes publiques) Toutefois bien qursquoils disposent de revenus fixes et de

certains beacuteneacutefices eacuteconomiques ces salarieacutes ne constituent pas le groupe de

laquo notables raquo du village qui est composeacute par les trois piroguiers qui srsquooccupent du

transport fluvial entre Antecume pata et Maripasoula et de la dizaine drsquoouvriers qui

offrent leurs services dans les terrains et les barrages drsquoorpaillage illeacutegal qui existent

dans tout le laquo pays ameacuterindien raquo Ce sont lagrave les veacuteritables self-made men du village

car bien qursquoaucun drsquoentre eux ne soit alleacute au-delagrave du CP agrave la diffeacuterence des

fonctionnaires publics ils disposent tous drsquoune maison en ciment de revenus eacuteleveacutes

et de la possibiliteacute de faire reacuteguliegraverement des dons aux autres familles du village ce

qui contribue eacutevidemment agrave confirmer leur statut social et la consideacuteration dont ils

jouissent

De fait le meacutesosystegraveme de socialisation wayana-apalaiuml qui correspond au

reacuteseau qui lie les microsystegravemes domestiques et de parenteacute agrave lrsquoeacutecole est tributaire

des incoheacuterences de lrsquoexosystegraveme local dans lequel les normes nationales entrent

constamment en conflit avec le systegraveme eacuteconomique et social guyanais un systegraveme

qui reste peacuteripheacuterique et agrave lrsquointeacuterieur duquel lrsquoEacutetat est encore loin de pouvoir

215

garantir agrave ses citoyens ndash comme les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo ndash le respect de

leurs droits Qui plus est cet exosystegraveme est emboicircteacute dans le macrosystegraveme global

structureacute autour des reacuteseaux eacuteconomiques planeacutetaires et des laquo exigences raquo de la

communauteacute internationale qui est geacuteneacuteralement guideacutee par une ideacuteologie

neacuteolibeacuterale reacutefractaire aux probleacutematiques locales puisque son objectif principal

est de faciliter le deacuteveloppement eacuteconomique des territoires et leur inteacutegration aux

marcheacutes globaux Il ne faut pas perdre de vue que au niveau microsystegravemique la

Guyane est un territoire strateacutegique ndash de par sa position geacuteographique ses

ressources naturelles et le marcheacute inteacuterieur dont elle dispose ndash et que les

revendications ameacuterindiennes peuvent bien eacutevidemment mettre en danger son

rocircle eacuteconomique ainsi que son image

Ce conflit inheacuterent aux structures systeacutemiques supeacuterieures (meacuteso exo et

macro) a tregraves probablement un impact sur la construction de la personnaliteacute et du

monde de lrsquoenfant ameacuterindien En effet crsquoest certainement lrsquoune des causes de la

frustration et de lrsquoennui qui selon certains villageois sont agrave lrsquoorigine de la laquo vague

de suicides raquo qui a fait tant de victimes chez les Wayana-Apalaiuml Ce conflit a aussi

tregraves probablement contribueacute agrave laquo transfigurer raquo le comportement de certains

Ameacuterindiens qui ont preacutefeacutereacute abandonner lrsquoeacutecosophie173 ancestrale pour srsquoassocier

aux activiteacutes des orpailleurs et des deacuteforesteurs illeacutegaux Pour autant ses effets ne

173 Crsquoest-agrave-dire une vision du monde dans laquelle lrsquoeacutequilibre avec la Nature revecircte un caractegravere

fondamental Pour une description plus approfondie du concept drsquoeacutecosophie et une discussion sur

ses implications dans les cultures ameacuterindiennes je renvoie le lecteur agrave mes preacuteceacutedents travaux sur

ce thegraveme (Aligrave 2007 2010 et 2012)

216

sont peut-ecirctre pas si importants qursquoil nrsquoy paraicirct puisque la position laquo peacuteripheacuterique raquo

des Ameacuterindiens dans lrsquoeacutechiquier social de la nation les met en quelque sorte agrave lrsquoabri

de certaines dynamiques globales Malheureusement ces questions (qui relegravevent

plutocirct de la psychologie sociale) resteront ici sans reacuteponses mais je lrsquoespegravere

donneront lieu agrave des analyses visant agrave mettre en lumiegravere les impacts de ce conflit

92 Les microsystegravemes de socialisation agrave Hiva Oa

Les Marquisiens considegraverent appartenir agrave une seule et mecircme famille (huarsquoa)

Selon Edwin Ferdon (1993) jusqursquoagrave la premiegravere moitieacute du XIXegraveme siegravecle la maison

familiale (harsquoe hiamoe litteacuteralement laquo la maison pour dormir raquo) accueillait le couple

qui en constituait le noyau ses enfants et dans le cas des familles de haut rang les

pekio Ces derniers eacutetaient des travailleurs domestiques qui jouaient les rocircles

drsquoamants et de serviteurs de lrsquoeacutepouse qursquoils accompagnaient quand le mari ne se

trouvait pas dans la harsquoe hiamoe parce qursquoil eacutetait parti agrave la guerre ou assister agrave des

reacuteunions dans la maison des hommes ou sur le mersquoae (le site ceacutereacutemoniel sacreacute) Le

reacutecit du missionnaire William Pascoe Crook (1800) ndash qui fut un des premiers

europeacuteens agrave reacutesider durablement dans lrsquoarchipel - nous confirme que lrsquoinstitution

du pekio eacutetait tregraves reacutepandue chez les Enata et celui-ci jouissait drsquoun statut particulier

il nrsquoeacutetait pas seulement le chef des domestiques mais avait aussi le droit de se

nourrir avec les mets des femmes de la maison (avec lesquelles il vivait en

permanence mais sans pour autant avoir la possibiliteacute drsquoobtenir le statut de

217

tapu)174 Selon Dominique Pechberty (2012) - qui se base sur lrsquoanalyse

ethnohistorique des journaux de voyage de William Crook Edward Robarts Joseph

Cabri et David Porter - les pekio eacutetaient des amants de jeunesse qui apregraves le

mariage srsquoinstallaient chez la couple en offrant leurs services aussi bien dans le

domaine sentimental en tant que confidents du mari ou de lrsquoeacutepouse qursquoau niveau

parental en tant que collaborateurs dans lrsquoeacuteducation des enfants du couple Notons

qursquoil srsquoagit drsquoune forme particuliegravere de polyandrie puisque chaque femme se

partageait entre plusieurs hommes de statut diffegraverent (tapu ou pas) agrave la diffeacuterence

des scheacutemas classiques de polyandrie ougrave plusieurs fregraveres partagent la mecircme

eacutepouse Aussi lrsquounion avec le pekio nrsquoeacutetait pas consideacutereacutee comme un mariage

puisque le seul mariage reconnu dans la communauteacute eacutetait celui avec lrsquoeacutepoux qui

conservait un rocircle premier dans la chaicircne fonctionnelle de la maison (Otterbein

1963) Cette pratique a commenceacute agrave disparaitre avec lrsquoarriveacutee des premiers

explorateurs occidentaux drsquoabord parce qursquoelle a eacuteteacute durement reacuteprimeacutee par les

missionnaires mais aussi parce que la crise deacutemographique qui srsquoensuivit a

radicalement modifieacute le ratio hommes-femmes dans lrsquoarchipel en rendant

impossible lrsquoinstitution de la polyandrie (Ferdon 1993)

Selon mes informateurs jusqursquoagrave un passeacute tregraves reacutecent ndash certainement jusqursquoagrave

la fin de la Seconde Guerre mondiale ndash il a existeacute dans cette communauteacute une

logique de classification de ses membres en fonction du rang du sexe et de lrsquoacircge

174 Sacreacute mais aussi interdit

218

assimilable au systegraveme hawaiumlen175 Les mecircmes termes sont employeacutes pour les

groupes de germains (les fregraveres et les cousins drsquoun cocircteacute les sœurs et les cousines de

lrsquoautre) ce qui confirme lrsquoideacutee drsquoune uniteacute sociale de ce reacuteseau de parenteacute dans

lequel la descendance est plus importante que lrsquoalliance et ougrave les aicircneacutes jouissent du

rocircle de protagonistes dans le groupe de siblings (la fratrie) Les fregraveres aicircneacutes

appellent tous leurs fregraveres cadets teina et toutes leurs sœurs cadettes tuehine les

sœurs aicircneacutees appellent leurs fregraveres tunane (ou tukane ou tursquoane) et leurs sœurs

teina

Selon mes observations agrave partir drsquoun Ego feacuteminin (au niveau n) le niveau des

ascendants (n-1) est occupeacute par les parents le pegravere (motua) les oncles paternels

(motua teina pour les cadets et motua tuakana pour les aicircneacutes) les tantes paternelles

(kui tuehine motua) la megravere (kui) les tantes maternelles (kui teina pour les cadettes

et kui tuakana pour les aicircneacutees) et les oncles maternels (motua tursquoane kui) Le niveau

des grands-parents (n-2) est occupeacute par les grands-pegraveres (tupuna vahana) et les

grands-megraveres (tupuna vehine) Il nrsquoy a de distinction ni entre le pegravere du pegravere et celui

de la megravere ni entre la megravere de la megravere et celle du pegravere Aux niveaux n-1 et n-2 la

parenteacute est donc eacutetendue aux conjoints collateacuteraux agrave la diffeacuterence des niveaux n+1

et n+2 ougrave la parenteacute nrsquoest pas eacutetendue aux conjoints En effet les mecircmes termes

sont utiliseacutes pour deacutefinir drsquoun cocircteacute les fils drsquoEgo et les fils de ses fregraveres et sœurs

(tama) et de lrsquoautre les filles drsquoEgo (moiacute) et les filles de ses fregraveres et sœurs mais ces

175 Qui se base sur la geacuteneacuteration et lrsquoacircge relatif et qui deacutefinit certains degreacutes de parenteacute selon le sexe

du locuteur (Handy amp Pukui 1958)

219

termes ne srsquoappliquent pas agrave leurs maris ni agrave leurs eacutepouses Pour la geacuteneacuteration n+2

le mecircme terme est employeacute pour indiquer et les neveux drsquoEgo et ses niegraveces

(moupuna ou poupuna)

Avant lrsquoarriveacutee des colonisateurs se pratiquait aux Marquises le mariage

preacutefeacuterentiel (mais non obligatoire) entre cousins croiseacutes (irsquoamutu) mecircme si le

mariage entre cousins parallegraveles nrsquoeacutetait pas interdit (Handy 1923) Lrsquoaction

eacutevangeacutelisatrice des missionnaires catholiques a mis fin aux normes qui reacutegissaient

les droits sexuels et la logique du mariage preacutefeacuterentiel puisque ce type drsquounion eacutetait

consideacutereacutee comme incestueuse et immorale par les autoriteacutes religieuses

Aujourdrsquohui les Marquisiens se marient librement agrave partir de leurs affiniteacutes

personnelles sans suivre de regravegles preacutefeacuterentielles Quant agrave lui le critegravere de

reacutesidence est resteacute plutocirct libre situation qui diffegravere de celle drsquoautres icircles dans lrsquoaire

culturelle polyneacutesienne ougrave comme agrave Hawaii on srsquoappuie traditionnellement sur le

critegravere uxorilocal et les jeunes couples srsquoeacutetablissent chez les parents de lrsquoeacutepouse

(Handy amp Pukui 1958) Leur isolat endogamique preacutefeacuterentiel correspond agrave

lrsquoarchipel des Marquises bien que agrave lrsquoheure actuelle un nombre croissant de

couples compte un conjoint qui nrsquoest pas drsquoorigine marquisienne dans la plupart de

cas il srsquoagit de Tahitiens ou de personnes originaires de la meacutetropole

921 Famille nucleacuteaire et famille eacutelargie

Bien que lrsquoeacutecosystegraveme de reacutefeacuterence des enfants enata ait eacuteteacute modifieacute par

lrsquoimposition ou lrsquoadoption libre de normes exogegravenes sa structure fondamentale nrsquoa

pas changeacute lrsquoenfant continue agrave interagir avec plusieurs microsystegravemes

220

domestiques (sa famille nucleacuteaire sa fratrie ses pairs la famille de son pegravere et celle

de sa megravere) auxquels se sont ajouteacutees lrsquoeacutecole les communauteacutes religieuses et les

associations culturelles dans le cadre du meacutesosystegraveme laquo village raquo Les

microsystegravemes communautaires ont une grande importance puisque crsquoest agrave

lrsquointeacuterieur du groupe que les deacutecisions sont prises De fait en cas de conflit crsquoest le

groupe qui vient reacutetablir lrsquoordre et crsquoest aussi lui qui donne (ou qui nie) son

approbation pour soutenir les entreprises individuelles Lrsquoeacutequilibre

microsystegravemique deacutepend donc de la capaciteacute drsquoenseigner aux plus petits les normes

de base de la vie en communauteacute

Pendant mon travail de terrain agrave Hiva Oa jrsquoai observeacute la reacutepartition des

tacircches eacuteducatives en fonction du sexe de lrsquoeacuteducateur mais aussi de celui de lrsquoenfant

ainsi que lrsquoacircge de ce dernier Le plus souvent la megravere gegravere la presque totaliteacute des

besoins des jeunes enfants (de la naissance jusqursquoagrave 4-5 ans) lrsquoallaitement

lrsquoalimentation lrsquohygiegravene et les petits soins quotidiens Crsquoest elle qui montre agrave lrsquoenfant

les espaces domestiques en les deacutecrivant et en lui expliquant leur fonction (toujours

en langue franccedilaise) Elle srsquooccupe aussi de lui expliquer les rocircles de chaque membre

de la famille leur position dans la geacuteneacutealogie et leur importance Agrave partir de 6 ans

la transmission des savoirs reacutepond agrave des regravegles de diffeacuterentiation sexuelle Les

megraveres assisteacutees des tantes et des grands-megraveres srsquooccupent principalement des

filles qui sont formeacutees aux travaux domestiques et agrave certaines tacircches agrave caractegravere

creacuteatif Crsquoest agrave cet acircge-lagrave que les filles apprennent les premiers rudiments de laquo lrsquoart

de cueillir raquo (les fruits lrsquoigname et les chevrettes drsquoeau douce ou korsquoursquoa) de la

cuisine de la couture de la fabrication de colliers et de couronnes fleuries mais

221

aussi certaines notions qui relegravevent de la botanique et de la biologie (et plus

speacutecifiquement les noms des espegraveces veacutegeacutetales et animales utiliseacutees dans la

gastronomie et dans la meacutedicine populaire) Ce nrsquoest qursquoagrave partir de lrsquoadolescence que

les filles sont inviteacutees agrave pratiquer la langue marquisienne mecircme si la plupart drsquoentre

elles ont deacutejagrave commenceacute degraves lrsquoacircge de 8 ans agrave lrsquoutiliser dans leurs eacutechanges avec leurs

pairs

Quand les enfants sont encore petits les pegraveres se contentent drsquoassurer la

nourriture pour tous les occupants de la maison Ils sont souvent en contact avec

leurs fils mais jusqursquoagrave leurs 4-5 ans les relations agrave caractegravere eacuteducatif sont assez

limiteacutees selon la personnaliteacute du pegravere jrsquoai observeacute soit des activiteacutes purement

ludiques (le pegravere qui fait sauter lrsquoenfant dans ses bras ou qui lui court apregraves) soit des

moments de silence partageacutes (une promenade agrave la mer ou dans la cocoteraie

familiale) Degraves lrsquoacircge de 6 ans les garccedilons commencent agrave accompagner leur pegravere

quand il va agrave la pecircche depuis le rivage ou le bateau Dans un premier temps ils se

contentent drsquoobserver ce que les adultes font et apregraves avoir parfaitement appris les

gestes et les deacutemarches agrave suivre ils commencent agrave jeter leurs propres lignes et leurs

filets Entre 10 et 12 ans ils reacutealisent aussi leurs premiers travaux drsquoartisanat en

utilisant des bois souples pour sculpter des petits tiki des raies manta et autres

poissons Quand ils atteignent les 12 ans ils peuvent alors suivre les hommes

pendant les longues parties de chasse agrave la chegravevre (kersquou kersquou) et au cochon sauvage

(puarsquoa) puis agrave 14 ans ils font leurs premiers essais avec le fusil Crsquoest agrave cet acircge-lagrave

qursquoils commencent agrave eacutechanger avec les adultes en langue maternelle Dans le cas de

couples seacutepareacutes ou divorceacutes les enfants peuvent rester indiffeacuteremment avec le pegravere

222

ou la megravere car aucune norme particuliegravere nrsquoexiste agrave ce sujet Les megraveres ceacutelibataires

ou veuves deacutelegraveguent les fonctions eacuteducatives du pegravere aux oncles et au grand-pegravere

et inversement dans le cas des pegraveres ceacutelibataires ou veufs Les enfants orphelins sont

souvent adopteacutes juridiquement par la famille de leur tante maternelle ou plus

rarement par drsquoautres membres de la famille eacutelargie Les familles peuvent aussi

deacutecider drsquoadopter informellement176 un membre adulte de la famille qui est resteacute

orphelin ou dans le cas des personnes acircgeacutees qui est sans progeacuteniture

Les grands-parents les oncles et les tantes nrsquoont pas de fonctions speacutecifiques

mais ils se chargent de srsquooccuper des enfants et drsquoaider les parents quand ceux-ci ne

sont pas agrave la maison par exemple quand ils sont en train de reacutealiser des tacircches

agricoles de pecirccher de chasser drsquoextraire le coprah ou ndash dans le cas des employeacutes

des administrations publiques ou des entreprises priveacutees ndash quand ils sont en train

de travailler La transmission des savoirs respecte les mecircmes subdivisions de genre

que celles qui existent entre pegravere et megravere mais les grands-parents se sentent aussi

responsables de la transmission des compeacutetences morales des preacuteceptes religieux

et de la culture orale mythes leacutegendes et contes aptes agrave deacutecrire les faits et les

eacuteveacutenements de la vie drsquoantan sur lrsquoicircle

176 Crsquoest-agrave-dire que leur acte nrsquoa pas de valeur juridique Lrsquoadulte adopteacute vit avec la famille drsquoadoption

et contribue agrave lrsquoeacuteconomie domestique selon ses possibiliteacutes Dans le cas des personnes acircgeacutees on ne

leur demande pas de contribuer agrave la production drsquoaliments ou aux tacircches meacutenagegraveres mais elles ont

la charge drsquoaccomplir drsquoautres tacircches qui ne demandent pas drsquoeffort physique comme par exemple

raconter des histoires des mythes ou des leacutegendes aux enfants de la famille

223

La fratrie tout comme les pairs (soit les autres enfants de la famille ou du

voisinage qui ont le mecircme acircge) participe aussi agrave la formation des enfants agrave travers

des processus drsquoeacuteducation horizontale et agrave la transmission des informations et des

commeacuterages concernant les membres de la communauteacute En geacuteneacuteral les aicircneacutes

aident la megravere quand lrsquoenfant est petit en srsquooccupant de lui en reproduisant les

interactions des parents et en enseignant aux cadets certaines regravegles de la vie

domestique (surtout les objets et les lieux tapu mais aussi certaines conventions

sociales lieacutees aux formes de politesse des plus grands)

922 Les eacuteglises lrsquoeacutecole et les organisations locales

Comme expliqueacute dans le chapitre preacutecegravedent depuis pregraves de quatre

deacutecennies les communauteacutes religieuses marquisiennes ont acquis une double

fonction si drsquoun cocircteacute elles se chargent de lrsquoeacutelaboration drsquoun systegraveme de valeurs

propre agrave chaque culte et de la diffusion drsquoune morale exogegravene drsquoun autre cocircteacute elles

sont aussi vectrices du renouveau culturel autochtone de lrsquoarchipel Pour ce faire le

lsquoeo enata est presque toujours utiliseacute pendant les cultes et des activiteacutes destineacutees

aux enfants et aux jeunes de lrsquoicircle sont organiseacutees pour donner un nouvel eacutelan agrave

certains aspects de la culture traditionnelle notamment la musique (Bailleul 1999)

Presque tous les groupes religieux de lrsquoicircle de Hiva Oa ont par exemple creacuteeacute des

groupes musicaux et des chœurs dans lesquels les jeunes sont formeacutes au pahu

(tambour en peau de requin) au pu ihu (flucircte nasale) et au lsquoukulele (une sorte de

guitare sans caisse de reacutesonance) mais aussi agrave chanter en utilisant les techniques

les meacutelodies les rythmes et les tonaliteacutes de la musique drsquoantan Bien eacutevidemment

224

les textes qui sont associeacutes agrave ces activiteacutes sont directement issus de la tradition

religieuse chreacutetienne et nrsquoont rien agrave voir avec ceux qui eacutetaient chanteacutes autrefois177

Agrave Hiva Oa il existe aussi trois grandes associations culturelles178 qui se

consacrent agrave lrsquoenseignement de la danse marquisienne et qui accueillent des eacutelegraveves

acircgeacutes de 7 ans ou plus Leurs formateurs srsquoappuient sur les donneacutees ethnographiques

recueillies par les voyageurs des siegravecles passeacutes et sur les souvenirs des personnes

177 Pendant mes observations avec un groupe catholique de lrsquoicircle jrsquoai eu la possibiliteacute de transcrire

cette strophe chanteacutee par un chœur de jeunes dirigeacute par un precirctre local qui me semble assez

significative laquo Ua ke omua te henua nei Me te tau kuhane mikeo Atahi nei ake matou e Me te tau

poi hoohoohellip raquo qursquoon peut traduire par laquo Autrefois cette terre faisait bande agrave part avec les esprits

meacutechants maintenant nous sommes reacuteunis avec les peuples fidegraveleshellip raquo En effet bien que lrsquoEacuteglise

catholique comme je lrsquoai plusieurs fois mentionneacute participe activement agrave la valorisation de la culture

marquisienne certains precirctres semblent perseacuteveacuterer dans une vision laquo obscurantiste raquo du passeacute local

qursquoils associent agrave une peacuteriode de barbarie pendant laquelle lrsquoarchipel laquo faisait bande agrave part raquo et eacutetait

domineacute par des laquo esprits mauvais raquo que seule la conversion a permis drsquoeacuteliminer pour permettre aux

Marquisiens baptiseacutes drsquointeacutegrer laquo les peuples fidegraveles raquo

178 La premiegravere laquo Te pua o feani raquo creacuteeacutee en 1998 agrave Atuona a pour objectif de faciliter lrsquoinsertion des

jeunes au moyen drsquoanimations de formations et drsquoorganisation de sorties de deacutecouverte de

lrsquoeacutecosystegraveme de lrsquoarcheacuteologie et du patrimoine culturel de lrsquoicircle la deuxiegraveme le laquo Comiteacute des Fecirctes

Puanui de Puamau raquo a eacuteteacute creacuteeacutee en 2006 agrave Puamau pour preacuteparer et organiser les ceacuteleacutebrations en

lrsquohonneur du 14 juillet et la troisiegraveme laquo Te avei tina te motu o hiva raquo a eacuteteacute creacuteeacutee en 2008 agrave Atuona

pour soutenir la dynamique communautaire dans la programmation lrsquoorganisation et la reacutealisation

de manifestations agrave caractegravere festif Bien que plusieurs membres de lrsquoassociation Motu Haka habitent

agrave Hiva Oa cette derniegravere ne reacutealise pas drsquoactiviteacutes sur lrsquoicircle son siegravege se trouvant agrave Nuku Hiva

225

acircgeacutees pour laquo reconstruire raquo les choreacutegraphies des temps anciens ou pour en creacuteer

de nouvelles Les associations participent activement agrave la vie culturelle de lrsquoicircle et se

chargent de lrsquoorganisation drsquoeacutevegravenements qui rassemblent tous les villageois surtout

agrave lrsquooccasion des fecirctes de Noeumll des ceacuteleacutebrations du 14 juillet ou des phases de

preacuteparation du Festival des Arts des icircles Marquises Si seule une minoriteacute des

enfants et des jeunes de Hiva Oa participent agrave ces activiteacutes de formation les

eacutevegravenements qursquoelles organisent ndash spectacles fecirctes repreacutesentations ndash rassemblent

toujours la plupart des habitants de lrsquoicircle

Les eacutecoles participent aussi agrave cette vie culturelle mais en eacutevitant drsquointerfeacuterer

avec les activiteacutes des associations ou des groupes religieux Dans le cadre des

activiteacutes scolaires les enseignants se deacutedient plutocirct agrave lrsquoapprentissage de la langue

marquisienne179 agrave la lecture et agrave lrsquoanalyse du patrimoine litteacuteraire et mythologique

local180 ainsi qursquoagrave lrsquoeacutetude de certaines notions basiques de lrsquohistoire

polyneacutesienne181

179 Dans le cadre de mes observations jrsquoai pu constater qursquoelles se reacutealisent surtout agrave travers lrsquooraliteacute

sans passer par la phase drsquoeacutecriture

180 Toutefois la majoriteacute des enseignants que jrsquoai pu interviewer se plaignent du fait qursquoil nrsquoexiste pas

suffisamment de textes scolaires en langue marquisienne

181 En effet bien que la Polyneacutesie franccedilaise jouisse officiellement drsquoune certaine autonomie pour la

deacutefinition des programmes des eacutecoles primaires en reacutealiteacute le gouvernement territorial avec lrsquoarrecircteacute

768CM du 19 juillet 1996 laquo a repris quasi inteacutegralement et agrave la virgule pregraves les programmes

nationaux raquo (Lechat amp Argentin 2011 101) ce qui explique lrsquoorganisation du temps disponible pour

lrsquoenseignement de lrsquohistoire locale dans les classes de lrsquoeacutecole primaire Je rappelle que le statut

226

Les enfants de Hiva Oa sont donc exposeacutes agrave plusieurs microsystegravemes de

socialisation qui sont toutefois moins nombreux que chez les Wayana-Apalaiuml (figure

16)

drsquoautonomie deacutefini dans le domaine eacuteducatif par la Loi organique ndeg 2004-192 du 27 feacutevrier 2004 a

permis la reacutedaction de la convention Eacutetat-Territoire relative agrave lrsquoeacuteducation en Polyneacutesie franccedilaise du

4 avril 2007 qui assigne agrave ce dernier - compte tenu de la leacutegislation et des regraveglementations nationales

- la compeacutetence de la strateacutegie et politique eacuteducative ainsi que sa mise en œuvre par lrsquoorganisation

des enseignements et la reacutepartition des moyens enseignants Dans la mesure ougrave la Polyneacutesie

franccedilaise a fait le choix pour son systegraveme eacuteducatif de la preacuteparation des diplocircmes nationaux franccedilais

elle srsquoest engageacutee agrave respecter la mise en œuvre des cursus et des reacutefeacuterentiels qui y megravenent Par

ailleurs il est important de souligner que les dispositions de Loi ndeg 2005-380 du 23 avril 2005 sur

lrsquoorientation et le programme pour lrsquoavenir de lrsquoeacutecole dite laquo loi Fillon raquo qui instaure le socle commun

des connaissances et des compeacutetences ont eacuteteacute imposeacutees agrave la Polyneacutesie ce qui a contribueacute agrave ce que

certains enseignants preacutefegraverent donner la prioriteacute agrave certains contenus du programme laquo national raquo ndash

ceux qui se rapprochent le plus des compeacutetences requises par le socle ndash et deacutelaisser drsquoautres sujets

drsquointeacuterecirct laquo local raquo mais sans lien apparent avec les piliers preacutevus par le socle

227

Figure 16La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants enata

Lrsquoespace domestique est partageacute entre les parents la fratrie et incidemment

par les pairs qui appartiennent au voisinage tandis que les autres membres du

reacuteseau de parenteacute ndash les grands-parents les oncles et les tantes ndash ne vivent pas sous

le mecircme toit (bien qursquoen geacuteneacuteral ils vivent agrave proximiteacute) Agrave lrsquoexteacuterieur de ce cercle se

trouvent les microsystegravemes externes agrave la famille comme les groupes religieux les

associations culturelles ou lrsquoeacutecole lesquels bien qursquoils soient composeacutes de

personnes qui se considegraverent toutes lieacutees entre elles par un lien de parenteacute et qursquoils

se chargent de transmettre des savoirs laquo locaux raquo ont cependant une organisation

et une logique de travail tregraves diffeacuterente de la vision du monde laquo agrave la marquisienne raquo

En ce sens ils agissent donc comme des points de contact entre les exigences locales

228

et les structures globales facilitant le deacuteveloppement de dynamiques laquo glocales raquo et

la creacuteation de reacuteponses adaptatives aux demandes des villageois en fonction des

contraintes imposeacutees par la participation agrave la vie nationale et agrave lrsquoeacuteconomie

planeacutetaire

229

10 Mesurer les interactions eacuteducatives les rythmes parentaux

Lrsquointeraction eacuteducative en milieu domestique est par deacutefinition une laquo affaire

de famille raquo Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de la maison que les membres de la famille ndash et par-

dessus tout les parents ndashexercent leur rocircle drsquoeacuteducateurs et deacuteploient leurs

strateacutegies et ideacuteologies formatives de sorte que le foyer repreacutesente le centre

symbolique de lrsquoespace eacuteducatif consacreacute agrave la socialisation des enfants et agrave leur

adaptation au contexte eacutecosysteacutemique Cependant chaque groupe humain a une

maniegravere diffeacuterente de concevoir lrsquoideacutee de foyer eacuteducatif et chaque culture assigne

aux divers membres de la famille vivant dans le foyer des temps diffeacuterents agrave

consacrer agrave lrsquoeacuteducation des enfants

Lrsquoobservation des rythmes parentaux chez les Wayana-Apalaiuml et chez les

Enata mrsquoa permis de mieux comprendre la dureacutee et lrsquointensiteacute de lrsquoacte eacuteducatif dans

les deux contextes eacutetudieacutes mais aussi de les mettre en relation avec ceux observeacutes

dans le groupe teacutemoin de France meacutetropolitaine Dans ce chapitre je vais preacutesenter

les reacutesultats obtenus pendant mon travail de terrain tout en sachant que la

meacutethodologie utiliseacutee ndash bien qursquoinspireacutee de protocoles deacutejagrave testeacutes sur le terrain ndash est

encore exploratoire raison pour laquelle une discussion approfondie autour de ses

avantages limites et inconveacutenients sera proposeacutee dans la troisiegraveme partie de cette

thegravese

Il convient de rappeler que pour lrsquoobtention de ces donneacutees jrsquoai reacutealiseacute plus

de 1440 heures drsquoobservation directe (720 heures agrave Antecume pata 480 heures agrave

230

Hiva Oa et 240 heures en France meacutetropolitaine) dans le but de mesurer la

laquo quantiteacute raquo drsquointeractions eacuteducatives auxquelles eacutetaient exposeacutes les enfants dans

les contextes eacutetudieacutes ce qui mrsquoa permis drsquoobtenir des donneacutees comparables en ce

qui concerne le poids de chaque acteur ndash ou microsystegraveme ndash dans la transmission de

la culture et plus preacuteciseacutement des savoirs que jrsquoai consideacutereacutes comme

laquo fondamentaux raquo182 Cependant ce nrsquoest qursquoagrave la lumiegravere des observations

ethnographiques de type qualitatif reacutealiseacutees au fil des cinq ans de travail sur le

terrain que ces donneacutees ont pris tout leur sens car la finaliteacute de cette thegravese nrsquoest pas

de laquo mesurer raquo les interactions sociales chez deux peuples autochtones Toutefois

cet exercice drsquoanalyse quantitative a faciliteacute la comparaison des deux contextes qui

bien que diffeacuterents preacutesentent plusieurs points communs le plus important eacutetant

la primauteacute du foyer domestique dans lrsquoespace de socialisation primaire

101 La famille est le village parentaliteacute et vie communautaire chez les

Wayana-Apalaiuml

Lrsquoeacutelaboration des outils neacutecessaires au recueil des donneacutees srsquoest faite en deux

temps Entre mars et septembre 2011 un premier ensemble drsquoobservations

reacutealiseacutees en guise de laquo test raquo afin de mettre en eacutevidence les points de la meacutethodologie

qui allaient neacutecessiter une reacutevision a porteacute sur cinq familles du village drsquoAntecume

182 Je rappelle qursquoil srsquoagit de la production et la transformation des aliments la construction et

lrsquoentretien de la maison la meacutedecine traditionnelle la preacuteparation et la participation agrave des

ceacutereacutemonies ou rituels communautaires la production drsquooutils la transmission de lrsquohistoire orale et

la connaissance du territoire

231

pata Toutes ont eacuteteacute observeacutees agrave deux occasions pendant les 24 heures drsquoun jour

ouvrable et les 24 heures drsquoun jour feacuterieacute Il srsquoagit donc drsquoun total de 240 heures

drsquoobservation Sur ma grille drsquoobservation jrsquoai noteacute agrave intervalles de cinq minutes

toutes les interactions eacuteducatives ayant comme laquo destinataire raquo lrsquoenfant ou

lrsquoeacuteduqueacute que jrsquoavais choisi comme laquo sujet drsquoeacutetude raquo Pendant ce premier test je me

suis rendu compte que bien souvent lrsquoenfant-eacuteduqueacute interagissait en mecircme temps

avec deux ou plusieurs eacuteducateurs agrave la fois Jrsquoai donc reacuteviseacute ma meacutethodologie et afin

de simplifier le travail de codage jrsquoai deacutecideacute que lorsque plusieurs interactions se

produisaient avec diffeacuterents eacuteducateurs dans le mecircme intervalle de temps je ne

noterais que lrsquointeraction principale183 Par exemple si entre 10h 45 et 10h 50

lrsquoenfant en question interagissait et avec sa megravere et avec sa grand-megravere je ne notais

que lrsquointeraction principale agrave savoir celle qui agrave mon avis jouait un rocircle majeur dans

la transmission drsquoun savoir lieacute aux domaines laquo fondamentaux raquo (voir annexe 9)

Jrsquoai donc proceacutedeacute dans chaque famille agrave une synthegravese du temps consacreacute par

les eacuteducateurs drsquoun mecircme rang et ce agrave partir du calcul de la moyenne statistique

Jrsquoai donc par exemple calculeacute le temps total que chaque megravere consacrait aux

interactions eacuteducatives durant une journeacutee (feacuterieacutee ou ouvrable) Puis jrsquoai additionneacute

les reacutesultats obtenus dans les cinq familles et ai diviseacute le reacutesultat par cinq ce qui mrsquoa

183 Il srsquoagit drsquoun choix justifieacute par des raisons de faisabiliteacute Bien eacutevidemment jrsquoaurais pu observer

aussi les interactions polyadiques (preacutesentant un laquo chevauchement raquo interactif entre plusieurs

acteurs) tout en calculant le niveau drsquointeraction de chaque eacuteducateur et en pondeacuterant le reacutesultat

final Toutefois cette meacutethode est difficilement applicable dans des contextes drsquoobservations ougrave

lrsquoenregistrement videacuteo nrsquoest pas autoriseacute par les familles

232

permis drsquoobtenir le temps moyen qursquoune megravere wayana-apalaiuml laquo lambda raquo deacutediait aux

interactions eacuteducatives Bien que cette premiegravere seacuterie drsquoobservations eucirct la seule

fonction de mettre au point les outils de recueil de donneacutees les reacutesultats obtenus

ont un certain inteacuterecirct puisqursquoils nous permettent de les comparer avec ceux obtenus

trois ans apregraves dans le mecircme cadre soit en 2014 quand jrsquoai reacutealiseacute la deuxiegraveme seacuterie

drsquoobservations agrave Antecume pata

Les donneacutees obtenues en 2011 nous montrent que les eacuteducateurs les plus

engageacutes dans la formation des enfants ndash en termes de temps consacreacute agrave ces activiteacutes

ndash sont les megraveres lesquelles durant les jours feacuterieacutes consacrent en moyenne 458

minutes par jour aux interactions eacuteducatives soit cinq fois plus de temps que les

pegraveres dont la moyenne est de 82 minutes par jour Srsquoensuit le groupe de la famille

de la megravere (avec lequel je le rappelle lrsquoenfant partage la mecircme maison du fait du

principe matrilocal) au sein duquel les tantes et les grand-megraveres maternelles

consacrent un peu plus drsquoune heure par jour aux interactions eacuteducatives quand les

oncles et les grands-pegraveres leur accordent un peu moins de vingt minutes Dans la

fratrie le rocircle preacutepondeacuterant est joueacute par les sœurs qui consacrent aux enfants

quatre fois plus de temps que leurs fregraveres (93 minutes contre 26 minutes par jour)

Le groupe de pairs (qui reacuteunit les cousins croiseacutes et ceux qui sont seacutepareacutes de lrsquoenfant

par plus de quatre degreacutes de parenteacute)184 a aussi un rocircle important dans la

184 Il srsquoagit des cousins qui partagent les mecircmes arriegravere-grands-parents et ceux issus des germains

(crsquoest-agrave-dire les enfants des cousins germains) La deacutefinition du degreacute de parenteacute que jrsquoutilise ici est

celle preacutevue par lrsquoarticle 741 du Code Civil franccedilais selon lequel laquo la proximiteacute de parenteacute seacutetablit

par le nombre de geacuteneacuterations chaque geacuteneacuteration sappelle un degreacute raquo

233

socialisation de lrsquoenfant qui passe avec eux une grande partie de la journeacutee 6 des

interactions eacuteducatives se reacutealisent en effet en son sein La famille du pegravere a un rocircle

relativement secondaire dans la socialisation de lrsquoenfant puisque ses membres bien

qursquoils passent beaucoup de temps avec les enfants sont moins preacutedisposeacutes agrave la

transmission culturelle pendant les jours feacuterieacutes ils y consacrent un total de

50 minutes en moyenne (Tableau 2)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 458 318

Pegravere 82 569

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 75 52

Oncle(s) maternel(s) 19 131

Grand-megravere maternelle 67 465

Grand-pegravere maternel 17 118

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 13 09

Oncle(s) paternel(s) 20 138

Grand-megravere paternelle 11 076

Grand-pegravere paternel 6 041

Fratrie Sœur(s) 93 645

Fregravere(s) 26 18

Pairs Cousin(s) 86 597

Reacuteseau laquo eacutelargi raquo de parenteacute Autres membres de la communauteacute 5 034

TOTAL 978 6791

Tableau 2 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Antecume pata 2011)

Ces modegraveles comportementaux ne semblent pas connaicirctre de variations

entre jours feacuterieacutes et jours ouvrables Toutefois les reacutesultats de mes observations

montrent une diminution significative du temps total consacreacute aux interactions

234

eacuteducatives au sein de la famille Le temps moyen total passeacute dans les interactions

eacuteducatives diminue de 129 minutes entre un jour feacuterieacute et un jour ouvrable la

moyenne totale des interactions eacuteducatives passe de 987 minutes dans les jours

feacuterieacutes agrave 858 minutes Pendant les jours ouvrables les megraveres consacrent agrave lrsquoeacuteducation

une moyenne de 210 minutes en moins par rapport aux jours feacuterieacutes Chez les pegraveres

la diffeacuterence est encore plus marqueacutee 82 minutes pendant un jour feacuterieacute contre 22

minutes pour un jour ouvrable soit presque quatre fois moins de temps Les

relations avec les membres de la famille de la megravere diminuent aussi (on passe de

178 minutes agrave 120 minutes) et celles avec les membres de la famille paternelle

passent de 50 agrave 13 minutes Bien eacutevidemment pour interpreacuteter ces eacutecarts on doit

tenir compte du fait que lrsquoeacutecole occupe plus de 20 de la journeacutee des enfants

Cependant les relations eacuteducatives au sein de la famille restent principales puisque

les enfants passent plus du 38 du temps dans des activiteacutes eacuteducatives drsquoorigine

familiale (Figure 17)

235

Figure 17 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Antecume pata 2011 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

En reacutesumeacute en 2011 les enfants wayana-apalaiuml passaient de 59 (les jours

ouvrables) agrave 67 (les jours feacuterieacutes) de leur journeacutee dans des interactions eacuteducatives

Ainsi quand ils nrsquoallaient pas agrave lrsquoeacutecole (les jours feacuterieacutes) ils avaient deux heures

drsquointeractions eacuteducatives de plus que quand ils y allaient (Tableau 3)

Megravere17

Pegravere2

Famille maternelle8

Famille paternelle1

Fratrie4

Pairs (cousins)7

Ecole21

Inteacuteractions non eacuteducativesRepos

40

Megravere Pegravere

Famille maternelle Famille paternelle

Fratrie Pairs (cousins)

Ecole Inteacuteractions non eacuteducativesRepos

236

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 248 1722

Pegravere 22 152

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 37 256

Oncle(s) maternel(s) 17 118

Grand-megravere maternelle 54 375

Grand-pegravere maternel 12 083

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 4 027

Oncle(s) paternel(s) 2 013

Grand-megravere paternelle 4 027

Grand-pegravere paternel 3 02

Fratrie Sœur(s) 34 236

Fregravere(s) 26 18

Pairs Cousin(s) 95 659

Sans liens de parenteacute Eacutecole 300 2083

TOTAL 858 5958

TOTAL SANS EacuteCOLE 558 3875

Tableau 3 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Antecume pata 2011)

Je me suis demandeacute agrave quoi tenait cette diffeacuterence et lorsque je les

interrogeais la plupart des parents des enfants semblaient srsquoaccorder sur le fait que

quand les enfants rentrent de lrsquoeacutecole ils sont plus fatigueacutes et moins disposeacutes aux

interactions eacuteducatives ils font des siestes plus longues ils passent moins de temps

agrave la maison jouent davantage avec leurs pairs et enfin ils aident moins les adultes

dans la reacutealisation des activiteacutes meacutenagegraveres

Les observations meneacutees trois ans plus tard en 2014 semblent confirmer

cette tendance Les reacutesultats obtenus reacutevegravelent un certain nombre de variations avec

une eacutevidente diminution du temps que les parents vouent non pas aux enfants (crsquoest-

agrave-dire le temps passeacute avec eux) mais plutocirct aux interactions eacuteducatives (soit le

237

temps passeacute avec eux dans le but de transmettre des savoirs) En effet mecircme si les

positions occupeacutees par les diffeacuterents eacuteducateurs semblent toujours les mecircmes (les

megraveres restant les laquo eacuteducatrices principales raquo) on peut toutefois noter que le temps

total que les adultes de la famille consacrent aux activiteacutes eacuteducatives a sensiblement

diminueacute Si en 2011 les parents occupaient 37 des interactions eacuteducatives

pendant les jours feacuterieacutes en 2014 ces mecircmes interactions ne constituaient plus que

31 de la journeacutee (Tableau 4)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 382 2652

Pegravere 66 458

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 71 493

Oncle(s) maternel(s) 7 048

Grand-megravere maternelle 82 569

Grand-pegravere maternel 11 076

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 11 076

Oncle(s) paternel(s) 6 041

Grand-megravere paternelle 8 055

Grand-pegravere paternel 6 041

Fratrie Sœur(s) 95 659

Fregravere(s) 21 145

Pairs Cousin(s) 99 687

TOTAL 865 6006

Tableau 4 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Antecume pata 2014)

Pour les jours ouvrables la diffeacuterence est moins eacutevidente mais notable en

2011 les parents interagissaient avec leur enfant pendant 18 de la journeacutee mais

en 2014 ce niveau avait atteint 16 Il est particuliegraverement inteacuteressant drsquoobserver

238

que cette diminution a laisseacute place agrave lrsquointervention drsquoautres membres de la famille

comme la fratrie ou les cousins dont le rocircle drsquoeacuteducateurs laquo pairs raquo a pris de

lrsquoampleur (Tableau 5)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 222 1541

Pegravere 17 118

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 31 215

Oncle(s) maternel(s) 11 076

Grand-megravere maternelle 64 444

Grand-pegravere maternel 11 076

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 3 02

Oncle(s) paternel(s) 2 013

Grand-megravere paternelle 3 02

Grand-pegravere paternel 3 02

Fratrie Sœur(s) 44 305

Fregravere(s) 16 111

Pairs Cousin(s) 106 736

Sans liens de parenteacute Eacutecole 300 2083

TOTAL 833 5784

TOTAL SANS EacuteCOLE 533 3701

Tableau 5 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Antecume pata 2014)

En 2014 lrsquoeacutecole eacutetait donc devenue le microsystegraveme dans lequel les enfants

du village passaient le plus de temps (un peu plus de 20 de leur journeacutee) suivie

par les parents les pairs la famille maternelle la fratrie et enfin la famille paternelle

Au cours de la mecircme peacuteriode aucun contact avec le shaman du village nrsquoa eacuteteacute

enregistreacute cette figure laquo capitale raquo de la culture ameacuterindienne semblait avoir

disparu du champ interactionnel des enfants wayana-apalaiuml (Figure 18)

239

Figure 18 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Antecume pata 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

En analysant les reacutesultats obtenus il ressort que les enfants drsquoAntecume pata

sont constamment exposeacutes aux interactions eacuteducatives En effet la majoriteacute des

activiteacutes auxquelles ils se consacrent ndash y compris les jeux entre pairs ndash ont une valeur

eacuteducative et la laquo position raquo qursquooccupent les parents et les autres membres de la

famille (adultes ou pairs) correspond dans la majoriteacute des cas agrave celle drsquoeacuteducateur

laquo srsquooccuper raquo des enfants devient donc synonymique drsquo laquo eacuteduquer raquo et comme on le

verra dans le chapitre suivant cette fonction eacuteducatrice est toujours lieacutee agrave un style

Megravere16

Pegravere1

Famille de la megravere8

Famille du pegravere1

Fratrie4Pairs

7

Ecole21

Interactions non eacuteducativesrepos

42

Megravere Pegravere

Famille de la megravere Famille du pegravere

Fratrie Pairs

Ecole Interactions non eacuteducativesrepos

240

eacuteducatif dans lequel les interactions participatives priment sur les interactions

fonctionnellement disjointes

102 Un espace domestique permeacuteable famille eacutecole religion et culture agrave

Hiva Oa

En 2014 jrsquoai observeacute dix familles enata reacutesidant sur lrsquoicircle de Hiva Oa en

adoptant le mecircme protocole drsquoobservation que celui appliqueacute aux Wayana-Apalaiuml

Chaque famille a eacuteteacute observeacutee pendant 24 heures conseacutecutives agrave deux reprises (un

jour ouvrable et un jour feacuterieacute) Dans lrsquoensemble jrsquoai accumuleacute plus de 480 heures

drsquoobservation directe des interactions domestiques chez les Enata accompagneacutees

de plus de cinq mois de travail ethnographique qui mrsquoa permis de situer et

drsquointerpreacuteter certains comportements en fonction du contexte

Bien que comme chez les Wayana-Apalaiuml la megravere enata joue le rocircle

drsquoeacuteducatrice principale le temps qursquoelle consacre aux interactions eacuteducatives est

moins important que celui observeacute agrave Antecume pata Ce constat vaut aussi pour les

autres membres de la famille

Pendant les jours feacuterieacutes les enfants de Hiva Oa connaissent en moyenne 524

minutes drsquointeractions eacuteducatives ndash dont 120 minutes dans les activiteacutes organiseacutees

par des groupes religieux ndash soit un peu plus de la moitieacute du temps voueacute aux

interactions eacuteducatives agrave Antecume pata Pour ce qui est de la famille les parents

participent agrave 15 des interactions suivis par la fratrie (pregraves de 4 ) par la famille

du pegravere (3 ) celle de la megravere (un peu moins de 3 ) des pairs (2 ) et des autres

membres de la communauteacute (un peu moins de 1 ) 19 des interactions se font

241

dans le cadre de lrsquoespace domestique et 16 en dehors 8 avec des membres du

reacuteseau de parenteacute et 8 avec les groupes religieux (Tableau 6 et figure 19)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 198 1375

Pegravere 21 145

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 6 041

Oncle(s) maternel(s) 7 048

Grand-megravere maternelle 14 097

Grand-pegravere maternel 13 09

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 8 055

Oncle(s) paternel(s) 6 041

Grand-megravere paternelle 16 111

Grand-pegravere paternel 18 125

Fratrie Sœur(s) 41 284

Fregravere(s) 13 09

Pairs Cousin(s) 16 111

Voisinsamis 15 104

Sans liens de parenteacute Autres membres de la communauteacute 12 083

Groupes religieux 120 833

TOTAL 524 3638

Tableau 6 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Hiva Oa 2014)

242

Figure 19 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Hiva Oa 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

Pendant les jours ouvrables compte tenu du temps que les enfants passent agrave

lrsquoeacutecole le rocircle eacuteducatif des membres de la famille enata diminue davantage encore

Les parents totalisent 137 minutes par jour deacutedieacutees aux activiteacutes eacuteducatives (soit un

peu plus de 9 du temps disponible) la fratrie 23 minutes les pairs 16 minutes la

Megravere14

Pegravere1

Famille de la megravere3

Famille du pegravere3

Fratrie4

Pairs2

Autres membres de la communauteacute

1

Groupes religieux8

Interactions non eacuteducativesrepos

64

Megravere Pegravere

Famille de la megravere Famille du pegravere

Fratrie Pairs

Autres membres de la communauteacute Groupes religieux

Interactions non eacuteducativesrepos

243

famille de la megravere 5 minutes et celle du pegravere 3 minutes Un rocircle important est joueacute

par les associations culturelles et sportives ndash qui ne deacutependent pas des groupes

religieux - au sein desquelles les enfants passent pregraves drsquoune heure par jour et bien

eacutevidemment par lrsquoeacutecole (300 minutes par jour comme preacutevu par la norme) Au total

pendant les jours ouvrables les enfants de Hiva Oa passent donc 26 de leur

journeacutee dans des interactions eacuteducatives exteacuterieures au reacuteseau de parenteacute 11

dans des interactions eacuteducatives domestiques (dont 9 drsquoorigine parentale) et

moins de 1 dans des interactions eacuteducatives avec les autres membres de la famille

(Tableau 7 et figure 20)

244

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 92 638

Pegravere 45 312

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 2 013

Oncle(s) maternel(s) 1 006

Grand-megravere maternelle 2 013

Grand-pegravere maternel 0 0

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 0 0

Oncle(s) paternel(s) 0 0

Grand-megravere paternelle 2 013

Grand-pegravere paternel 1 006

Fratrie Sœur(s) 12 083

Fregravere(s) 11 076

Pairs Cousin(s) 2 013

Voisinsamis 14 097

Sans liens de parenteacute Autres membres de la communauteacute 14 097

Associations culturelles 60 416

Eacutecole 300 2083

TOTAL 558 3866

TOTAL SANS EacuteCOLE 258 1783

Tableau 7 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Hiva Oa 2014)

245

Figure 20 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Hiva Oa 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

Dans le cas des habitants de Hiva Oa le rocircle eacuteducatif joueacute par les eacuteducateurs

externes aux familles semble plus important que chez les Wayana-Apalaiuml Ici lrsquoeacutecole

est lrsquoeacuteducateur principal suivie par les membres de la famille nucleacuteaire (les parents

et la fratrie) puis par les associations culturelles et les groupes religieux Bien

eacutevidemment on se doit de tenir compte du fait que par effet des normes de

reacutesidence libre en vigueur agrave Hiva Oa les jeunes couples ne se sentent pas obligeacutes de

Megravere7

Pegravere3 Famille de la megravere

0

Famille du pegravere0

Fratrie2

Pairs1

Autres membres de la communauteacute

1

Associations culturelles

4Ecole21Interactions non

eacuteducativesrepos61

MegraverePegravereFamille de la megravereFamille du pegravereFratriePairsAutres membres de la communauteacuteAssociations culturelles

246

suivre certaines pratiques drsquouxorilocaliteacute qui eacutetaient en vigueur avant lrsquoarriveacutee des

colonisateurs europeacuteens ce qui implique un certain eacuteloignement geacuteographique des

familles et qui explique alors le rocircle laquo peacuteripheacuterique raquo que semble jouer la famille du

pegravere et celle de la megravere dans le deacuteveloppement de lrsquoenfant Aussi il ne faut pas

oublier que au cours des derniegraveres anneacutees un nombre croissant de Marquisiens a

abandonneacute lrsquoarchipel dans le cadre drsquoune migration eacuteconomique pour chercher

ailleurs des opportuniteacutes de travail et de vie ce qui a probablement contribueacute agrave

fracturer certains liens familiaux et agrave eacuteloigner certains membres du reacuteseau de

parenteacute les uns des autres

103 Meacutetropole et Outre-mer comparer laquo lrsquointensiteacute raquo des interactions

eacuteducatives

Lrsquoobservation des interactions eacuteducatives dans un groupe teacutemoin composeacute

de cinq familles nucleacuteaires reacutesidant en milieu urbain en France meacutetropolitaine mrsquoa

permis de mieux cerner certaines diffeacuterences entre les deux contextes drsquoeacutetude En

effet du point de vue de la laquo structure familiale raquo les Wayana-Apalaiuml constituent des

exemples drsquouniteacutes familiales eacutelargies (les laquo maisonneacutees raquo) qui sont en relation avec

les autres composantes du village avec lesquelles ndash agrave lrsquoexception de lrsquoeacutecole ndash ils ont

des liens de parenteacute plus ou moins forts Les enfants ameacuterindiens sont donc exposeacutes

agrave un grand nombre de microsystegravemes eacuteducatifs et srsquoadaptent tregraves vite aux diffeacuterents

styles eacuteducatifs des nombreux eacuteducateurs avec qui ils entretiennent des relations

Chez les Enata les familles sont quasiment toutes nucleacuteaires comme en France

meacutetropolitaine toutefois les enfants considegraverent tous les membres du village

comme des comme des proches avec lesquels ils sont souvent apparenteacutes agrave des

247

degreacutes divers Srsquoils sont exposeacutes agrave moins de microsystegravemes que leurs pairs

ameacuterindiens ils ont en revanche plus de contacts avec des groupes qui par leur

structure ou leur mission ne se basent pas sur des liens de parenteacute comme les

associations culturelles les groupes religieux et lrsquoeacutecole En France meacutetropolitaine

les familles observeacutees eacutetaient toutes de type nucleacuteaire et les relations avec les

familles des parents eacutetaient tregraves limiteacutees dans les cinq cas observeacutes lrsquoenfant ne

voyait ses grands-parents ses tantes ou ses oncles que pendant les vacances

scolaires une ou deux fois par an Par ailleurs le nombre de microsystegravemes avec

lesquels lrsquoenfant entrait en relation eacutetait bien plus restreint que dans les deux autres

lieux de lrsquoeacutetude

En effet en France meacutetropolitaine pendant les jours feacuterieacutes hormis les

membres de la famille nucleacuteaire (parents et fratrie) les enfants observeacutes nrsquoavaient

de relations qursquoavec les assistantes maternelles (120 minutes par jour en moyenne)

et avec les enfants du voisinage (18 minutes par jour) La megravere jouait ici aussi le

rocircle drsquoeacuteducatrice principale consacrant au quotidien 177 minutes aux interactions

eacuteducatives un temps leacutegegraverement infeacuterieur agrave celui des megraveres enata (198 minutes) et

largement infeacuterieur agrave celui des megraveres wayana-apalaiuml (458 minutes en 2011 et 382

minutes en 2014) Le temps que lrsquoenfant passe avec lrsquoassistante maternelle est plus

important que la somme du temps deacutedieacute aux interactions eacuteducatives avec le pegravere la

fratrie et les pairs Au total si on considegravere que le temps passeacute avec lrsquoassistante

maternelle est exclusivement deacutedieacute aux apprentissages lrsquoenfant interagit dans le

cadre drsquoactiviteacutes eacuteducatives pendant 27 de son temps lorsqursquoil nrsquoa pas eacutecole

248

Cependant si on ne tient compte que des interactions eacuteducatives de type

domestique ce chiffre baisse agrave 18 (Tableau 8)

Type Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 177 1229

Pegravere 34 236

Fratrie Sœur(s) 32 222

Fregravere(s) 13 09

Pairs Voisinsamis 18 125

Intervenants externes Assistante maternelle 120 833

TOTAL 394 2736

Tableau 8 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (France meacutetropolitaine 2014)

Pendant les jours ouvrables le microsystegraveme eacuteducatif principal est lrsquoeacutecole

(300 minutes par jour) suivi de la megravere ndash qui deacutedie agrave lrsquoenfant un peu moins de 130

minutes ndash les associations culturelles ou sportives (60 minutes par jour en

moyenne) la fratrie et le pegravere (respectivement 33 et 31 minutes) et enfin les pairs

Les interactions eacuteducatives domestiques occupent 15 de la journeacutee de lrsquoenfant les

scolaires un peu moins de 21 et les extra-scolaires 4 (Tableau 9)

249

Type Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 128 888

Pegravere 31 215

Fratrie Sœur(s) 21 145

Fregravere(s) 12 083

Pairs Voisinsamis 23 159

Activiteacutes extra-scolaires Associations culturelles 60 416

Activiteacutes scolaires Eacutecole 300 2083

TOTAL 575 3989

TOTAL SANS EacuteCOLE 275 1906

Tableau 9 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (France meacutetropolitaine 2014)

La comparaison des pourcentages du temps reacuteserveacute aux interactions

eacuteducatives des enfants dans les trois contextes observeacutes ndash surtout pendant les jours

ougrave les enfants vont agrave lrsquoeacutecole ndash nous permet de mieux appreacutecier les diffeacuterences en

fonction de certaines variables (Tableau 10)

Antecume pata 2011

Antecume pata 2014

Hiva Oa 2014

France meacutetropolitaine 2014

Megravere 1722 1541 638 888 Pegravere 152 118 312 215

Famille maternelle 832 811 032 0 Famille paternelle 087 073 019 0

Fratrie 416 416 159 228 Pairs (cousins) 659 736 11 0

Personnes hors du reacuteseau de parenteacute 0 0 097 0

Associations culturelles et sportives 0 0 416 416

Eacutecole 2083 2083 2083 2083 Interactions non

eacuteducativesRepos 4042 4216 6134 6011

Tableau 10 Pourcentage moyen drsquoexposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables comparaison entre les contextes drsquoeacutetude et le groupe teacutemoin en France meacutetropolitaine

250

Premiegraverement les enfants meacutetropolitains et les Enata participent agrave des

interactions eacuteducatives pendant moins de la moitieacute de leur journeacutee Les enfants

ameacuterindiens au contraire passaient en 2014 plus de 57 de leur journeacutee agrave

interagir avec des adultes ou des pairs dans le cadre drsquoactiviteacutes de type eacuteducatif (et

plus du 59 en 2011) Les enfants de Hiva Oa tout comme les Franccedilais hexagonaux

ont lrsquohabitude de se socialiser dans le cadre extra-scolaire et de participer agrave des

activiteacutes drsquoeacuteducation non formelle dans des associations culturelles et sportives

Lrsquointensiteacute des interactions eacuteducatives des parents enata et meacutetropolitains semble

similaire plus ou moins 10 du temps dans les deux cas Cependant chez les Enata

les familles des parents sont preacutesentes ndash bien que de faccedilon limiteacutee ndash dans le

deacuteveloppement eacuteducatif de lrsquoenfant tandis qursquoen meacutetropole leur rocircle se limite en

geacuteneacuteral aux vacances scolaires Si les megraveres ameacuterindiennes semblent passer avec

leurs enfants deux fois plus de temps que les megraveres enata et meacutetropolitaines les

pegraveres enata apparaissent comme les plus impliqueacutes des trois contextes drsquoeacutetude

Chez les Wayana-Apalaiuml la faible participation des pegraveres srsquoexplique en partie par

laquo lrsquoeacutepideacutemie raquo drsquoalcoolisme touchant les pegraveres ameacuterindiens puisque la majoriteacute

absolue des hommes du village est concerneacutee ce qui les rend peu disposeacutes aux

interactions eacuteducatives et aux relations de socialisation avec leurs enfants En

dernier lieu il est inteacuteressant de noter que dans tous les cas observeacutes le rocircle de la

fratrie est constant avec des eacutecarts tregraves limiteacutes entre chaque contexte eacutetudieacute (Figure

21)

251

Figure 21 Pourcentage moyen du temps journalier pendant lequel les enfants sont exposeacutes agrave des interactions eacuteducatives selon lrsquoeacuteducateur et le contexte eacutetudieacute

1722

152

832

087

416

659

0

0

2083

4042

1541

118

811

073

416

736

0

0

2083

4216

638

312

032

019

159

11

097

416

2083

6134

888

215

0

0

228

0

0

416

2083

6011

0 10 20 30 40 50 60 70

Megravere

Pegravere

Famille maternelle

Famille paternelle

Fratrie

Pairs (cousins)

Autres membres de la communauteacute

Associations culturelles

Ecole

Interactions non eacuteducativesRepos

Pourcentage du temps journalier dexposition aux inteacuteractions eacuteducatives

Edu

cate

ur

France meacutetropolitaine 2014 Hiva Oa 2014 Antecume pata 2014 Antecume pata 2011

252

11 Les performances eacuteducatives styles parentaux et strateacutegies

peacutedagogiques

Lrsquoun des apports majeurs de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation (et de lrsquoeacuteducation

compareacutee) a eacuteteacute de deacutemontrer que les pratiques eacuteducatives parentales renvoient agrave

des principes qui ne sont pas universels et qui se transforment selon les eacutepoques

historiques et les socieacuteteacutes humaines De plus agrave lrsquointeacuterieur drsquoun mecircme groupe

humain elles peuvent varier en fonction des cateacutegories sociales auxquelles

appartiennent les parents (Gayet 2004) En effet les strateacutegies eacuteducatives que les

parents mettent en œuvre reflegravetent en geacuteneacuteral non seulement les principes

socioculturels et les ideacuteologies dominantes dans leur communauteacute mais aussi et

surtout leurs expeacuteriences personnelles leurs valeurs morales les modegraveles

parentaux qursquoils ont pu connaicirctre ou encore leurs connaissances de lrsquounivers des

enfants (la psychologie de lrsquoenfant les eacutetapes de son deacuteveloppement sa physiologie

ses deacutesirs et ses neacutecessiteacutes) Bien qursquoil nrsquoexiste pas de modegravele universel capable de

deacutecrire les caracteacuteristiques neacutecessaires pour ecirctre un laquo bon raquo parent plusieurs

auteurs se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude des compeacutetences eacuteducatives parentales qui

favorisent le deacuteveloppement personnel et social des enfants Jean-Pierre Pourtois et

Huguette Desmet (1988 2004) ont deacutemontreacute que la laquo disponibiliteacute eacutemotionnelle raquo

des parents et lrsquoutilisation de certaines strateacutegies peacutedagogiques laquo informelles raquo ndash en

dehors des contextes formels de lrsquoeacuteducation tels que lrsquoeacutecole lrsquoinstruction supeacuterieure

ou la formation professionnelle et vocationnelle ndash jouent un rocircle primordial dans

lrsquoapprentissage des enfants et dans leur appropriation des savoirs En drsquoautres

253

termes la parentaliteacute crsquoest-agrave-dire la maniegravere dont les parents exercent leur rocircle a

des effets importants et de longue dureacutee sur la personnaliteacute des eacuteduqueacutes et sur leur

socialisation De son cocircteacute Rodica Ailincai (2011) a eacutetudieacute les compeacutetences socio-

eacuteducatives deacuteveloppeacutees dans le cadre des dispositifs drsquoeacuteducation parentale ndash et qui

reflegravetent les laquo neacutecessiteacutes raquo deacutefinies par les parents occidentaux pour ameacuteliorer leur

rocircle eacuteducatif ndash en mettant en eacutevidence le fait que les plus repreacutesenteacutees relegravevent de

six domaines essentiels lrsquoestime de soi la gestion de lrsquoenvironnement familial (et

des problegravemes de couple) la collaboration avec lrsquoeacutecole et la communauteacute (surtout

lrsquoaide aux devoirs) la connaissance du deacuteveloppement de lrsquoenfant lrsquoaptitude agrave la

prestation de soins et lrsquoengagement envers les inteacuterecircts de lrsquoenfant Plusieurs eacutetudes

ont aussi montreacute que certains styles parentaux excessivement punitifs ou permissifs

peuvent engendrer des conduites asociales chez les enfants (Tap amp Vinay 2000)

En effet des chercheurs comme Lev Vygotski ou Jerome Bruner ont insisteacute

sur la place des interactions sociales dans le deacuteveloppement intellectuel et

lrsquoapprentissage des enfants Selon Vygotski (1933) les fonctions psychiques

supeacuterieures sont le produit de la transformation de processus interpersonnels

(sociaux) en processus intra-personnels (psychologiques) dans le cadre de ce qursquoil

appelle la zone proximale de deacuteveloppement celle-ci deacutelimite les apprentissages

qursquoun enfant peut effectuer lorsqursquoil est aideacute de maniegravere active par un adulte expert

crsquoest-agrave-dire ayant les compeacutetences neacutecessaires pour jouer son rocircle drsquoeacuteducateur En

deacuteveloppant les ideacutees de Vygotski Jerome Bruner (1983) assigne agrave lrsquoadulte le rocircle

de meacutediateur de la culture chargeacute de stimuler ndash agrave travers ses actes peacutedagogiques ndash

lrsquointelligence de lrsquoenfant et la construction de comportements intentionnels en

254

accord avec les impeacuteratifs culturels et les valeurs partageacutees par le groupe humain

dont ils font partie Lrsquoeacuteducateur est donc appeleacute agrave faciliter la progression de lrsquoenfant

en eacuteveillant son inteacuterecirct en reacuteduisant les difficulteacutes et en supprimant les obstacles

aux apprentissages en lrsquoorientant dans ses tacircches et en lui proposant des objectifs

intermeacutediaires en lui fournissant des informations utiles pour lrsquoaccomplissement

de ses objectifs ou encore en lrsquoencourageant et en lui proposant des deacutemonstrations

dans le but de produire lrsquoimitation

Puisque lrsquoun des objectifs principaux de cette thegravese est de rendre compte des

pratiques eacuteducatives dans les deux contextes drsquoeacutetude particuliers afin de

comprendre les principes qui guident la parentaliteacute wayana-apalaiuml et enata jrsquoai

souhaiteacute consacrer une partie de mon travail de terrain agrave lrsquoobservation des

eacutechanges185 et des seacutequences186 de type eacuteducatif entre les eacuteduqueacutes (les enfants) et

les membres de leur famille jouant le rocircle drsquoeacuteducateurs Pour leur analyse jrsquoai adopteacute

la classification proposeacutee par Rodica Ailincai agrave partir de quatre styles interactifs

laquo majeurs raquo sachant que

laquo le style directif integravegre les actes imposeacutes agrave lrsquoenfant (demandes

et apports drsquoinformations descriptions manipulations) des actes non

verbaux visant agrave la normativiteacute des comportements de lrsquoenfant (par

exemple le parent qui regarde lrsquoenfant et exerce un controcircle normatif

185 Les eacutechanges correspondent aux uniteacutes eacuteleacutementaires drsquoun dialogue ils sont constitueacutes drsquoau moins

deux interventions entre au moins deux participants

186 Des seacuteries drsquoeacutechanges coheacuterents autour drsquoun mecircme sujet

255

afin qursquoil atteigne le but fixeacute) ainsi que les feed-back neacutegatifs

(deacutesapprouve eacutevalue neacutegativement) le style suggestif integravegre les

demandes de preacutecisions les aides les conseils les encouragements

les relances les feed-back positifs ainsi que les manipulations

compleacutementaires agrave celles de lrsquoenfant le style autonomisant integravegre les

actes qui recommandent ou suggegraverent lrsquoautonomie ainsi que des actes

non verbaux appartenant agrave la cateacutegorie regard (regarde lrsquoenfant avec

bienveillance rit ou sourit) le fonctionnement disjoint integravegre les

actes de manipulation non collaborative (approche individualiste

chacun deacutecouvre de son cocircteacute) ainsi que les expressions de deacutesinteacuterecirct

agrave lrsquoeacutegard de lrsquoenfant (par exemple inattention aux actions de lrsquoenfant

manifestation drsquoun inteacuterecirct agrave lrsquoeacutegard drsquoun autre dispositif) raquo (Ailincai

2005 118)187

Dans le cadre de mes observations sur le temps consacreacute aux interactions

eacuteducatives dans les familles avec lesquelles jrsquoai travailleacute agrave Antecume pata agrave Hiva Oa

et en France meacutetropolitaine jrsquoai noteacute non seulement la dureacutee et lrsquointensiteacute de ces

eacutechanges ndash comme nous lrsquoavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent ndash mais aussi le style

eacuteducatif qui les caracteacuterisait Pour chaque membre de la famille jrsquoai donc obtenu le

nombre de minutes qursquoelles consacraient aux interactions eacuteducatives en fonction du

style utiliseacute directif (D) suggestif (S) autonomisant (A) ou fonctionnellement

187 Pour plus de preacutecisions voir aussi Ailincai et al 2014

256

disjoint (FD) Agrave partir drsquoune reacuteduction statistique jrsquoai donc pu obtenir le style

interactif dominant188 pour chaque membre de la famille dans les trois groupes

eacutetudieacutes mais aussi le style interactif dominant de chaque groupe Puisque ce travail

est focaliseacute sur les interactions dans le milieu domestique jrsquoai exclu de mes mesures

les interactions observeacutees agrave lrsquoexteacuterieur du groupe familial (lrsquoeacutecole les associations

culturelles sportives ou religieuses et dans le cas des familles meacutetropolitaines les

baby-sitters)

111 Une parentaliteacute agrave lrsquoeacutepreuve de la laquo moderniteacute raquo les logiques eacuteducatives

chez les Wayana-Apalaiuml

Comme eacutenonceacute dans le chapitre preacutecegravedent les premiegraveres observations

meneacutees en 2011 agrave Antecume pata mrsquoont permis de mettre au point lrsquooutil de codage

que jrsquoai utiliseacute pour noter les interactions eacuteducatives ayant pour laquo sujet raquo lrsquoenfant-

eacuteduqueacute et pour mesurer la laquo quantiteacute raquo de ces interactions en fonction de lrsquoeacuteducateur

et du style Cette premiegravere seacuterie drsquoobservations nous reacutevegravele que chez les Wayana-

Apalaiuml le style eacuteducatif dominant pendant les jours feacuterieacutes ndash et chez tous les membres

de la famille confondus ndash eacutetait le style suggestif (qui totalise 38 des interactions)

suivi par lrsquoautonomisant (34 des interactions) Seul un nombre limiteacute

188 Je parle de styles interactifs dominants puisque comme nous le verrons dans les pages suivantes

plusieurs styles se rencontrent chez une mecircme personne ou dans un mecircme groupe Le style dominant

est donc celui qui est le plus freacutequemment utiliseacute dans les interactions

257

drsquointeractions se sont faites dans des styles directifs (18 des cas) ou

fonctionnellement disjoints (9 des cas)

Cependant les megraveres ndash qui sont les membres de la famille avec lesquels les

enfants ont le plus drsquoeacutechanges ndash interagissaient surtout au travers drsquoun style

autonomisant (55 du temps deacutedieacute aux eacutechanges) Elles nrsquoutilisaient un style

directif et fonctionnellement disjoint que dans une minoriteacute de cas (respectivement

5 et 3 ) Les pegraveres et les autres membres adultes de la famille avaient plutocirct

tendance agrave preacutefeacuterer le style suggestif agrave lrsquoexception des grands-pegraveres paternels qui

se partageaient entre les styles directifs (50 des eacutechanges) et fonctionnellement

disjoints (50 ) La fratrie basait la majoriteacute des eacutechanges sur les styles directif (37

) et suggestif (30 ) agrave lrsquoinverse des pairs (qui je le rappelle sont tous des cousins)

qui utilisaient majoritairement des eacutechanges de type suggestif (dans 46 des cas)

Il est inteacuteressant de preacuteciser que le peu drsquointeractions observeacutees avec le shaman du

village (une moyenne de 5 minutes par enfant) ont toutes eu lieu dans le cadre

drsquoeacutechanges suggestifs (Tableau 11)

258

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 24 524 166 3624 254 5545 14 305

Pegravere 6 731 32 3902 8 975 36 439

Tante(s) maternelle(s)

28 3733 33 44 8 1066 6 8

Oncle(s) maternel(s)

6 3157 10 5263 3 1578 0 0

Grand-megravere maternelle

31 4626 29 4328 6 895 1 149

Grand-pegravere maternel

8 4705 9 5294 0 0 0 0

Tante(s) paternelle(s)

4 3076 5 3846 4 3076 0 0

Oncle(s) paternel(s)

3 15 9 45 7 35 1 5

Grand-megravere paternelle

5 4545 5 4545 1 909 0 0

Grand-pegravere paternel

3 50 0 0 0 0 3 50

Sœur(s) 35 3763 28 301 16 172 14 1505

Fregravere(s) 8 3076 12 4615 2 769 4 1538

Cousin(s) 18 2093 27 3139 28 3255 13 1511

Autres membres de la communauteacute

0 0 5 100 0 0 0 0

TOTAL 179 183 370 3783 337 3445 92 94

Tableau 11 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours feacuterieacutes (en 2011) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

En revanche les observations meneacutees la mecircme anneacutee pendant les jours

ouvrables ont donneacute des reacutesultats tregraves diffeacuterents En effet dans ce cas-ci le style

dominant eacutetait le style directif (36 des interactions) suivi par le suggestif (30 )

le fonctionnellement disjoint (pregraves de18 ) et lrsquoautonomisant (17 ) Quand les

enfants allaient agrave lrsquoeacutecole les megraveres semblaient plus enclines aux eacutechanges de type

directif (41 des cas) tout comme les tantes maternelles (43 ) les grands-megraveres

maternelles (39 ) et les sœurs (41 ) Les eacutechanges des pegraveres et de toutes les

259

autres figures masculines de la famille se faisaient majoritairement dans le cadre

drsquointeractions de type fonctionnellement disjoint Dans le cas des tantes et des

oncles paternels la totaliteacute des eacutechanges eacutetaient fonctionnellement disjoints En

revanche les cousins ndash dans le cadre drsquoactiviteacutes ludiques ndash se partageaient plus ou

moins eacutequitablement entre les styles directif (28 ) suggestif (33 ) et

autonomisant (34 ) seule une minoriteacute des eacutechanges eacutetant de type

fonctionnellement disjoint (Tableau 12)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 102 4112 88 3548 32 129 26 1048

Pegravere 4 1818 1 454 2 909 15 6818

Tante(s) maternelle(s)

16 4324 5 1351 5 1351 11 2972

Oncle(s) maternel(s)

5 2941 4 2352 3 1764 5 2941

Grand-megravere maternelle

21 3888 19 3518 8 1481 6 1111

Grand-pegravere maternel

3 25 0 0 4 3333 5 4166

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 4 100

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 2 100

Grand-megravere paternelle

3 75 0 0 0 0 1 25

Grand-pegravere paternel

0 0 1 3333 0 0 2 6666

Sœur(s) 14 4117 11 3235 5 147 4 1176

Fregravere(s) 4 1538 5 1923 5 1923 12 4615

Cousin(s) 27 2842 31 3263 32 3368 5 526

TOTAL 199 3566 165 2956 96 172 98 1756

Tableau 12 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours ouvrables (en 2011) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

260

Les donneacutees obtenues en 2014 sont sensiblement diffeacuterentes de celles

obtenues trois ans auparavant On note une leacutegegravere diminution de la quantiteacute

drsquoeacutechanges de type suggestif ou autonomisant En effet pendant les jours feacuterieacutes la

majoriteacute des interactions observeacutees sont de type autonomisant Quand les enfants

ne vont pas agrave lrsquoeacutecole les eacutechanges de ce type occupent 29 du temps deacutedieacute aux

activiteacutes eacuteducatives mais la diffeacuterence avec la quantiteacute des eacutechanges de type

suggestif et directif nrsquoest pas tregraves marqueacutee (respectivement 26 et 22 ) Les megraveres

reacutealisent surtout des eacutechanges de type autonomisant (43 ) tout comme les pairs

(28 ) Les pegraveres les tantes et oncles maternels et les grands-parents paternels

preacutesentent une majoriteacute drsquointeractions de type fonctionnellement disjoint

(respectivement 61 32 57 50 et 66 ) Les oncles paternels se partagent entre les

styles directifs suggestifs et fonctionnellement disjoints Les grands-parents

maternels reacutealisent surtout des eacutechanges de type directif et suggestif et pendant la

peacuteriode en question je ne les ai jamais observeacutes dans des eacutechanges de type

autonomisant (Tableau 13)

261

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 48 1256 122 3193 164 4293 48 1256

Pegravere 9 1363 4 606 13 1969 40 606

Tante(s) maternelle(s)

12 169 22 3098 14 1971 23 3239

Oncle(s) maternel(s)

0 0 0 0 3 4285 4 5714

Grand-megravere maternelle

41 50 25 3048 10 1219 6 731

Grand-pegravere maternel

4 3636 4 3636 0 0 3 2727

Tante(s) paternelle(s)

4 3636 4 3636 0 0 3 2727

Oncle(s) paternel(s)

2 3333 2 3333 0 0 2 3333

Grand-megravere paternelle

2 25 2 25 0 0 4 50

Grand-pegravere paternel

2 3333 0 0 0 0 4 6666

Sœur(s) 41 4315 14 1473 16 1684 24 2526

Fregravere(s) 4 1904 8 3809 3 1428 6 2857

Cousin(s) 26 2626 17 1717 28 2828 18 1818

TOTAL 195 228 224 2619 251 2935 185 2163

Tableau 13 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

Le pattern statistique observeacute en 2014 pendant les jours feacuterieacutes varie

sensiblement pendant les jours ouvrables La majoriteacute des eacutechanges observeacutes sont

de type directif (39 ) Les megraveres emploient surtout des modaliteacutes directives (49

des eacutechanges) tout comme les autres membres feacuteminins de la maisonneacutee les tantes

maternelles (48 ) et les grands-megraveres maternelles (36 ) Par contre les

membres masculins de la maisonneacutee (pegraveres oncles maternels grands-pegraveres

maternels et fregraveres) tendent plutocirct vers un style fonctionnellement disjoint tout

comme les cousins de lrsquoenfant (Tableau 14)

262

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 109 4909 78 3513 11 495 24 1081

Pegravere 5 2941 1 588 1 588 10 5882

Tante(s) maternelle(s)

15 4838 3 967 0 0 13 4193

Oncle(s) maternel(s)

2 1818 2 1818 3 2727 4 3636

Grand-megravere maternelle

23 3593 15 2343 10 1562 16 25

Grand-pegravere maternel

2 1818 0 0 2 1818 7 6363

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 3 100

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 2 100

Grand-megravere paternelle

2 75 0 0 0 0 1 25

Grand-pegravere paternel

0 0 1 3333 1 3333 1 3333

Sœur(s) 11 25 14 3181 6 1363 14 3181

Fregravere(s) 3 1875 2 125 3 1875 8 50

Cousin(s) 35 3301 21 1981 5 471 45 4245

TOTAL 207 3883 137 257 42 787 148 2776

Tableau 14 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

Pour interpreacuteter ces donneacutees jrsquoadopterai le point de vue exposeacute auparavant

de Jerome Bruner (1996) selon lequel certains types drsquoeacutechanges ndash que jrsquoidentifie

selon la proposition de Rodica Ailincai (2011) avec les styles suggestif et

autonomisant ndash facilitent plus que drsquoautres les apprentissages et le deacuteveloppement

de lrsquoenfant Si en 2011 quand les enfants nrsquoallaient pas agrave lrsquoeacutecole les membres de la

famille se comportaient comme des eacuteducateurs impliqueacutes dans les apprentissages agrave

partir drsquoeacutechanges suggestifs et laquo autonomisants raquo en 2014 la tendance eacutetait

263

opposeacutee et plus de la moitieacute des eacutechanges eacutetaient reacutealiseacutes sur des modes directifs ou

fonctionnellement disjoints impliquant donc un certain manque drsquoattention de la

part des eacuteducateurs Plusieurs facteurs dont quelques-uns ont deacutejagrave eacuteteacute mentionneacutes

dans le chapitre preacutecegravedent semblent ecirctre en cause Premiegraverement lrsquoalcoolisme qui

touche la grande majoriteacute des hommes du village et qui les rend peu disposeacutes aux

eacutechanges qui impliquent de lrsquoattention envers lrsquoenfant ou qui demandent un

laquo effort raquo eacuteducatif Ceci explique pourquoi le style fonctionnellement disjoint est

dominant chez les hommes adultes Ce problegraveme entraicircne aussi une charge de

travail suppleacutementaire pour les femmes du village qui doivent se charger non

seulement des tacircches qui leur sont traditionnellement assigneacutees (la gestion de la

cuisine lrsquoentretien du foyer et les petits travaux drsquoagriculture) mais aussi des tacircches

qui incombent normalement aux hommes agrave savoir la pecircche les travaux agricoles les

plus lourds et la coupe du bois pour alimenter le feu de la cuisine Deuxiegravemement

intervient aussi le comportement des enfants qui en sortant de lrsquoeacutecole agissent

drsquoune maniegravere que les membres de la famille ont du mal agrave comprendre et agrave accepter

ils jouent agrave des jeux que les parents ne connaissent pas ils utilisent des mots ndash en

langue franccedilaise ndash que les adultes qui nrsquoont pas eacuteteacute scolariseacutes (surtout les grands-

parents) ne comprennent pas et ils ont des rythmes circadiens (de sommeil et de

veille) qui suivent les horaires scolaires et qui ne correspondent plus aux rythmes

laquo traditionnels raquo de la vie wayana-apalaiuml189 Ces difficulteacutes amegravenent les membres

189 Geacuteneacuteralement les adultes se reacuteveillent avant lrsquoaube agrave 4 heures du matin Leur petit-deacutejeuner se

limite agrave une tasse de cafeacute Ils srsquooccupent des travaux agricoles jusqursquoagrave 9 heures Entre 9 heures et 10

heures ils vont prendre leur deacutejeuner Ils continuent agrave travailler jusqursquoagrave midi (les hommes en allant

264

adultes des familles ndash et surtout les megraveres ndash agrave laquo imposer raquo certaines tacircches par le

biais drsquointeractions directives normatives (par exemple laquo Fais comme je te dis raquo

laquo Tu lrsquoas mal fait tu dois faire de cette maniegravere raquo laquo Laisse-moi faire tu nrsquoen es pas

capable raquo) qui excluent toute suggestion et ne laissent guegravere drsquoautonomie agrave lrsquoenfant

112 Pratiques eacuteducatives agrave Hiva Oa une autochtonie accultureacutee

Si les observations meneacutees en 2014 agrave Hiva Oa nous offrent des reacutesultats assez

diffeacuterents de ceux obtenus agrave Antecume pata elles semblent toutefois reacutepondre agrave une

tendance geacuteneacuterale similaire En effet pendant les jours feacuterieacutes la majoriteacute relative

des eacutechanges observeacutes sont de type suggestif (25 du temps deacutedieacute aux

interactions) avec un leacuteger eacutecart par rapport agrave ceux de type autonomisant (23 )

Dans la majoriteacute des eacutechanges les megraveres adoptent une attitude suggestive (39 )

tout comme les tantes maternelles (50 ) Dans les deux cas lrsquoeacutecart avec les

interactions de type autonomisant est limiteacute (respectivement 34 et 33 ) Les oncles

maternels se partagent entre interactions de type suggestif (57 ) et interactions

de type directif (43 ) eacutevitant celles de type autonomisant ou fonctionnellement

disjoint De leur cocircteacute les grands-parents maternels et paternels optent plutocirct pour

des interactions laquo autonomisantes raquo Il est inteacuteressant de noter que les attitudes

agrave la pecircche ou agrave la chasse les femmes en srsquooccupant de la maison) Apregraves une sieste qui se termine agrave

4 heures de lrsquoapregraves-midi ils se deacutedient aux relations sociales avec les voisins et les membres de la

famille qui ne vivent pas sous le mecircme toit Ils vont se coucher entre 19 et 20 heures peu apregraves le

coucher du soleil

265

observeacutees chez les fregraveres et chez les sœurs sont opposeacutees si les premiers

privileacutegient des eacutechanges fonctionnellement disjoints (46 ) les deuxiegravemes

adoptent plutocirct des modaliteacutes interactives agrave la fois directives (29 ) suggestives

(27 ) et laquo autonomisantes raquo (27 ) Les relations avec les cousins et les voisins

sont la plupart du temps de type fonctionnellement disjoint (Tableau 15)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur D D S S A A FD FD

Megravere 42 2121 78 3939 68 3434 10 505

Pegravere 7 3333 4 1904 6 2857 4 1904

Tante(s) maternelle(s)

1 1666 3 50 2 3333 0 0

Oncle(s) maternel(s)

3 4285 4 5714 0 0 0 0

Grand-megravere maternelle

4 2857 4 2857 5 3571 1 714

Grand-pegravere maternel

3 2307 4 3076 4 3076 2 1538

Tante(s) paternelle(s)

2 25 2 25 3 375 1 125

Oncle(s) paternel(s)

0 0 2 3333 2 3333 2 3333

Grand-megravere paternelle

3 1875 4 25 8 50 1 625

Grand-pegravere paternel

4 2222 5 2777 8 4444 1 555

Sœur(s) 12 2926 11 2682 11 2682 7 1707

Fregravere(s) 4 3076 3 2307 0 0 6 4615

Cousin(s) 0 0 2 125 2 125 12 75

Voisinsamis 1 666 2 1333 2 1333 10 6666

Autres membres de la communauteacute

3 25 4 3333 2 1666 3 25

TOTAL 89 1698 132 2519 123 2347 60 1145

Tableau 15 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

266

Cependant les valeurs totales des eacutechanges srsquoinversent pendant les jours

ouvrables Quand les enfants vont agrave lrsquoeacutecole la majoriteacute des interactions eacuteducatives

que jrsquoai observeacutees relegravevent du style directif (24 du temps total) suivies de pregraves

par celles relevant du style suggestif (21 ) Srsquoensuivent les interactions

fonctionnellement disjointes (17 ) et celles laquo autonomisantes raquo (14 ) Les megraveres

deviennent plus directives (38 ) tandis que les pegraveres privileacutegient les eacutechanges

suggestifs (40 ) Les sœurs deviennent totalement directives et les fregraveres adoptent

un comportement qui ne privileacutegie aucun style interactif en particulier Le peu

drsquointeractions observeacutees avec les autres membres de la famille (oncles tantes et

grands-parents) nous donnent des reacutesultats peu significatifs drsquoun point de vue

statistique en effet apregraves lrsquoeacutecole les enfants restent agrave la maison et nrsquointeragissent

pas vraiment avec les membres du reacuteseau de parenteacute qui ne vivent pas dans la mecircme

maison (Tableau 16)

267

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 35 3804 26 2826 17 1847 14 1521

Pegravere 17 3777 18 40 5 1111 5 1111

Tante(s) maternelle(s)

2 100 0 0 0 0 0 0

Oncle(s) maternel(s)

0 0 0 0 0 0 1 100

Grand-megravere maternelle

0 0 2 100 0 0 0 0

Grand-pegravere maternel

0 0 0 0 0 0 0 0

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 0 0

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 0 0

Grand-megravere paternelle

1 50 1 50 0 0 0 0

Grand-pegravere paternel

1 100 0 0 0 0 0 0

Sœur(s) 3 25 3 25 3 25 3 25

Fregravere(s) 3 2727 0 0 2 1818 6 5454

Cousin(s) 0 0 0 0 0 0 2 100

Voisinsamis 0 0 3 2142 8 5714 3 2142

Autres membres de la communauteacute

0 0 2 1428 2 1428 10 7142

TOTAL 62 2403 55 2131 37 1434 44 1705

Tableau 16 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

113 Lrsquointeraction eacuteducative en France meacutetropolitaine quelques donneacutees

utiles agrave la comparaison

Les observations que jrsquoai meneacutees dans les cinq familles teacutemoins en France

meacutetropolitaine nrsquoont pas la preacutetention de repreacutesenter un eacutechantillon significatif de

la laquo socieacuteteacute franccedilaise raquo Je nrsquoai proceacutedeacute agrave ces mesures que parce qursquoil nrsquoexiste pas

encore drsquoeacutetudes de ce type ndash consacreacutees agrave mesurer la quantiteacute drsquointeractions

eacuteducatives dans le cadre domestique et agrave les classifier selon le style interactif ndash et

268

parce-que jrsquoavais besoin drsquoun groupe teacutemoin en milieu hexagonal urbain pour

pouvoir comparer les reacutesultats obtenus dans les deux contextes drsquoeacutetude ultramarins

(ruraux et isoleacutes) mais sans jamais preacutetendre agrave leur repreacutesentativiteacute statistique De

fait cinq familles heacuteteacutero-parentales avec trois ou quatre enfants et localiseacutees dans

de grandes agglomeacuterations urbaines sont tregraves loin de repreacutesenter une norme

statistique de la laquo famille franccedilaise moyenne raquo

Pendant les jours feacuterieacutes jrsquoai observeacute que le style dominant des interactions

familiales eacutetait fonctionnellement disjoint Les megraveres nrsquoadoptaient pas vraiment de

style dominant bien que la majoriteacute des interactions (28 ) eacutetaient de type directif

lrsquoeacutecart avec les interactions drsquoautre type eacutetait infime (27 de type

fonctionnellement disjoint 24 de type autonomisant et 21 de type suggestif)

Les interactions drsquoorigine paternelle eacutetaient surtout fonctionnellement disjointes

tout comme celles avec les fregraveres ou les pairs sans liens de parenteacute (amis et voisins)

Les eacutechanges avec les sœurs eacutetaient surtout directifs Agrave quelques leacutegegraveres diffeacuterences

pregraves il srsquoagit du mecircme pattern que celui observeacute agrave Hiva Oa (Tableau 17)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 49 2768 38 2146 42 2372 48 2711

Pegravere 9 2647 5 147 5 147 15 4411

Sœur(s) 16 50 9 2812 5 1562 2 625

Fregravere(s) 3 2307 4 3076 0 0 6 4615

Voisinsamis 2 1111 1 555 1 555 14 7777

TOTAL 79 2005 57 1446 53 1345 85 2157

Tableau 17 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

269

Comme pendant les jours feacuterieacutes durant les jours ouvrables ndash quand les

enfants vont agrave lrsquoeacutecole et les deux parents vont au travail ndash le style interactif dominant

est celui fonctionnellement disjoint qui occupe 43 des eacutechanges observeacutes

Toutefois les parents utilisent des styles eacuteducatifs diffeacuterents de ceux observeacutes

pendant les jours feacuterieacutes la majoriteacute des interactions eacuteducatives des megraveres sont

surtout du type fonctionnellement disjoint (52 du temps) et celles des pegraveres

directives (39 ) soit lrsquoinverse des jours feacuterieacutes Les sœurs conservent la mecircme

attitude directive observeacutee pendant les jours feacuterieacutes (43 ) tandis que les fregraveres de

mecircme que les pegraveres passent drsquoun style fonctionnellement disjoint agrave un style

essentiellement directif (67 ) Les eacutechanges avec les pairs reacutevegravelent un eacutequilibre

entre le style fonctionnellement disjoint et le directif (Tableau 18)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 41 3203 12 937 8 625 67 5234

Pegravere 12 387 4 129 7 2258 8 258

Sœur(s) 9 4285 2 952 3 1428 7 3333

Fregravere(s) 8 6666 1 833 1 833 2 1666

Voisinsamis 8 3478 3 1304 4 1739 8 3478

TOTAL 78 3627 22 1023 23 1069 92 4279

Tableau 18 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

270

Pour expliquer ces donneacutees je mrsquoappuierai sur les observations que jrsquoai

reacutealiseacutees dans les familles et sur les renseignements donneacutes par les parents qui

essayent souvent de laquo justifier raquo leur comportement par certaines contraintes

drsquoorigine exogegravene comme le burn-out professionnel ou le manque de temps ducirc agrave un

rythme de vie plus adapteacute aux cycles laquo meacutetro-boulot-dodo190 raquo qursquoaux exigences

eacutemotionnelles des enfants Dans la mesure ougrave comme je lrsquoai expliqueacute lrsquoeacutechantillon

preacutesenteacute nrsquoa pas de validiteacute statistique il ne me semble pas opportun de reacutealiser une

analyse sociologique de la laquo famille franccedilaise en milieu urbain raquo Cependant certains

deacutetails observeacutes pendant mon travail de terrain peuvent aider agrave comprendre les

reacutesultats obtenus La preacutedominance des interactions eacuteducatives directives chez les

megraveres pendant les jours feacuterieacutes est probablement en partie due au fait qursquoil srsquoagit de

journeacutees durant lesquelles dans la plupart des familles les megraveres se consacrent agrave

lrsquoentretien de la maison Elles laquo dirigent raquo donc les enfants afin qursquoils srsquooccupent de

leurs propres espaces de leur chambre et de leurs affaires mais aussi de leurs

devoirs (beaucoup des eacutechanges observeacutes eacutetaient du type laquo Range ta chambre raquo

laquo Aide-moi agrave nettoyer tes jouets raquo laquo Si tu ne termines pas tes devoirs tu nrsquoauras

pas le droit de jouer avec la tablette raquo) Les pegraveres au contraire profitent du temps

libre agrave la maison pour laquo ecirctre avec raquo les enfants sans qursquoil y ait pour autant des

interactions eacuteducatives (quand les enfants ne vont pas agrave lrsquoeacutecole la moyenne

journaliegravere des eacutechanges eacuteducatifs observeacutes eacutetait en effet de 34 minutes pour les

pegraveres et de 177 pour les megraveres) Aussi je me dois de preacuteciser que pendant une

190 Expression familiegravere qui syntheacutetise la routine du cycle de vie urbain on prend le meacutetro on passe

la journeacutee au travail on rentre agrave la maison et on dort pour recommencer le lendemain

271

bonne partie du jour feacuterieacute la majoriteacute des pegraveres preacutefeacuteraient rester agrave la maison

devant la teacuteleacutevision lrsquoordinateur ou la tablette Ce nrsquoest que dans deux cas jrsquoai pu

observer des parents sortir de la maison avec leurs enfants pour aller dans un parc

ou pour faire des courses

Par contre pendant les jours ouvrables les megraveres semblent adopter une

attitude fonctionnellement disjointe car comme certaines me lrsquoont dit elles se

sentent surchargeacutees par la double responsabiliteacute du travail et des tacircches meacutenagegraveres

et ont alors tendance agrave deacutelaisser les activiteacutes eacuteducatives avec les enfants comme les

pegraveres pendant les jours feacuterieacutes elles aussi laquo sont avec raquo les enfants mais leur

attention est ailleurs Les pegraveres qui rentrent tous du travail plus tard que les megraveres

optent pour des modaliteacutes directives car comme ils le disent ils considegraverent avoir

moins de temps pour laquo geacuterer raquo la maison et ont donc besoin que leurs

recommandations soient exeacutecuteacutees sans trop de discussions (en geacuteneacuteral entre leur

arriveacutee agrave la maison et le moment ougrave les enfants vont se coucher ne srsquoeacutecoulent que 3

ou 4 heures) Ils adoptent donc des eacutechanges normatifs qui leur permettent

drsquoimposer leur volonteacute sans avoir agrave tergiverser Une explication similaire peut ecirctre

donneacutee pour justifier le fait que les sœurs et les fregraveres aicircneacutes appliquent les mecircmes

modaliteacutes directives eux aussi rentrent fatigueacutes de lrsquoeacutecole et des activiteacutes

extrascolaires ils doivent faire leurs devoirs ou rencontrer leurs amis et puisqursquoils

nrsquoont pas le temps de se consacrer aux cadets de la famille ils eacutechangent avec eux agrave

partir drsquoun mode directif qui est eacutemotionnellement moins exigeant (agrave partir

drsquoeacutechanges comme laquo Allez je nrsquoai pas le temps de mrsquooccuper de toi raquo laquo Je nrsquoai pas

272

envie de jouer avec toi raquo ou laquo Bon je joue un peu avec toi mais apregraves tu me fiche la

paix raquo)

Dans la figure 22 jrsquoai reacutesumeacute agrave partir drsquoune repreacutesentation graphique des

reacutesultats obtenus les styles interactifs dominants dans les diffeacuterents contextes

drsquoeacutetude

273

Figure 22 Comparaison des styles interactifs dominants dans les terrains drsquoeacutetude

274

12 Les ideacuteologies eacuteducatives autochtones lrsquoidentiteacute culturelle au service de

lrsquoeacutecosystegraveme

Dans les chapitres preacuteceacutedents jrsquoai essayeacute de montrer les diffeacuterents types

drsquointeractions eacutetablies entre les parents ou les autres membres de la famille et

lrsquoenfant-eacuteduqueacute dans les contextes eacutetudieacutes Agrave partir de la theacuteorie de lrsquoeacutecosystegraveme de

deacuteveloppement proposeacutee par Uri Bronfenbrenner (1986 1995) on peut supposer

que si ces modaliteacutes eacuteducatives deacutependent du veacutecu des personnes chargeacutees de

lrsquoeacuteducation et de la repreacutesentation qursquoelles se font du rocircle drsquoeacuteducateur elles

deacutependent aussi des attentes que les eacuteducateurs projettent sur leurs enfants

lesquelles sont stimuleacutees par une ideacutee de laquo reacuteussite systeacutemique raquo veacutehiculeacutee par les

couches supeacuterieures de lrsquoeacutecosystegraveme agrave savoir lrsquoexosystegraveme et le macrosystegraveme

(Bronfenbrenner 2005)

Les objectifs eacuteducatifs que les parents se fixent en vue de lrsquointeacutegration de

lrsquoenfant agrave lrsquoeacutecosystegraveme social vont selon la personnaliteacute des parents prendre

diffeacuterentes formes lrsquointeacutegration se fera par le biais drsquoune subordination pure et

simple drsquoune adaptation utilitariste ou drsquoune reacutesistance critique au systegraveme En

effet plusieurs travaux dans le domaine de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation ont

deacutemontreacute la variabiliteacute des moyens et des outils employeacutes par les parents de

diffeacuterentes cultures pour laquo construire raquo la personnaliteacute des enfants et influencer leur

comportement et leur deacuteveloppement psychosocial Lrsquoun des travaux pionniers sur

cette question est celui de Jean Briggs (1972) qui dans son eacutetude sur le

275

deacuteveloppement de lrsquoautonomie chez les enfants utkuhikhalik a observeacute comment

les megraveres Inuits agissent afin drsquoapprendre agrave leur progeacuteniture comment controcircler

leur colegravere et leur violence ndash qui sont consideacutereacutees comme inadmissibles par la

communauteacute ndash en utilisant la laquo honte raquo comme mode de controcircle social Le

comportement observeacute par Briggs est totalement opposeacute agrave celui observeacute par Peggy

Miller et ses collaborateurs (2001) chez les parents nord-ameacutericains lesquels ont

plutocirct tendance agrave proteacuteger les enfants des situations qui pourraient entraicircner un

sentiment de honte et ce agrave partir de laquo transgressions narratives raquo crsquoest-agrave-dire du

reacutecit de leurs expeacuteriences personnelles Par ce biais-lagrave les parents mettent ainsi en

eacutevidence les erreurs ou les eacutechecs qui ont joueacute un rocircle dans leur vie drsquoadultes et

montrent agrave leurs enfants que tous les hommes ont des faiblesses mais que malgreacute

cela laquo on peut toujours srsquoen sortir raquo Selon les auteurs cette ideacuteologie reflegravete les

valeurs laquo ameacutericaines raquo drsquoeacutegaliteacute ndash ou mieux de symeacutetrie entre parents et enfants ndash

et drsquoestime de soi ndash valeurs qui sont agrave la base de lrsquoideacutealtype du self made man191

De leur cocircteacute Sara Harkness et Charles Super (1977) ont exploreacute le processus

de socialisation linguistique chez les Kipsigis du Kenya afin de comprendre les

normes des compeacutetences communicatives transmises au fil des geacuteneacuterations Ils ont

alors pu deacutecouvrir que le principal but des eacuteducateurs ndash adultes comme pairs ndash est

de deacutevelopper chez les enfants la compreacutehension du langage plutocirct que sa

191 En tant que repreacutesentation archeacutetypique du mythe eacutetasunien de lrsquohomme qui bien qursquoissu drsquoun

milieu deacutefavoriseacute est capable drsquoatteindre la reacuteussite sociale et surtout eacuteconomique gracircce agrave ses

meacuterites agrave son talent et agrave son travail

276

production ndash objectif qui coiumlncide avec les valeurs culturelles drsquoobeacuteissance et de

respect qui caracteacuterisent la socieacuteteacute kipsigis Lrsquoideacuteologie eacuteducative des Kipsigis

preacutesenterait donc un trait distinctif similaire agrave celui observeacute au Japon par Patricia

Clancy (1986) qui a montreacute que la prioriteacute eacuteducative des parents du laquo pays du Soleil

Levant raquo est de permettre aux enfants drsquoacqueacuterir une maicirctrise de soi (ou

autocontrocircle) agrave travers des strateacutegies peacutedagogiques qui inhibent la libre expression

du corps et du langage192 Finalement Rebecca New (1994) a montreacute que les

logiques des eacuteducateurs peuvent eacutegalement varier au sein drsquoune mecircme culture et

qursquoil est donc impossible drsquoeacutetablir une relation univoque entre une seule ideacuteologie

et une seule culture (et inversement) Lrsquoideacuteologie drsquoun eacuteducateur varie en effet en

fonction du contexte193 dans lequel se reacutealise lrsquoaction eacuteducative ce qui explique par

exemple les diffeacuterences observables entre les logiques eacuteducatives qui guident les

enseignants dans leur profession et celles qui guident les mecircmes enseignants dans

leur rocircle parental

Pour comprendre les ideacuteologies eacuteducatives des eacuteducateurs dans les deux

contextes eacutetudieacutes ici je mrsquoappuierai donc sur ces consideacuterations en essayant de

192 Patricia Clancy affirma mecircme que cette logique eacuteducative a pour but de permettre aux enfants de

laquo srsquoentrainer au conformisme raquo (Clancy 1986 247)

193 En reacutealiteacute Rebecca New nrsquoutilise pas la notion de laquo contexte eacuteducatif raquo mais celle de laquo niche

eacutevolutive raquo (developmental niche) qursquoelle emprunte agrave Charles Super et Sarah Harkness (1986) Cette

notion englobe ce qursquoils considegraverent comme les trois facteurs cleacutes du laquo contexte eacuteducatif raquo agrave savoir

lrsquoenvironnement naturel et social les strateacutegies des eacuteducateurs et surtout leur psychologie

277

montrer comment les logiques exo-systeacutemiques et macro-systeacutemiques peuvent

influencer le processus de transmission des donneacutees culturelles aux membres les

plus jeunes de la famille

121 Eacuteduquer et apprendre dans la forecirct amazonienne eacutecosophie et

deacuteveloppement de lrsquoenfant wayana-apalaiuml

Bien qursquoelles ne portaient pas sur lrsquoeacutetude des processus eacuteducatifs les

monographies ethnographiques sur les Wayana-Apalaiuml reacutealiseacutees avant la creacuteation

des premiegraveres eacutecoles franccedilaises dans le laquo pays ameacuterindien raquo nous donnent une ideacutee

des logiques peacutedagogiques qui guidaient auparavant lrsquoaction des adultes et les

strateacutegies employeacutees pour permettre aux enfants de devenir des adultes Deux

eacuteleacutements en particulier ont susciteacute lrsquointeacuterecirct de la plupart de ces observateurs Drsquoune

part les adultes semblaient ne jamais rien imposer aux enfants lesquels

apprenaient par imitation plutocirct que par laquo assignation de tacircches raquo (ce qui a

contribueacute agrave alimenter chez certains experts de la culture wayana-apalaiuml194 le mythe

selon lequel lrsquoenfant ameacuterindien serait un laquo enfant-roi raquo) Drsquoautre part les enfants

degraves leur plus jeune acircge eacutetaient maicirctres de leur territoire ce qui leur permettait

drsquoapprivoiser lrsquoeacutecosystegraveme complexe de la forecirct tropicale humide amazonienne et

de tirer profit de toutes les ressources qursquoelle pouvait offrir (Maufrais 1952

Grenand 1982) Andreacute Cognat (1967 1977) qui vit depuis plus de cinquante ans agrave

Antecume pata souligne que avant lrsquointeacutegration des Wayana-Apalaiuml agrave la nation

194 Comme Jean Hurault (1968) ou Pierre Grenand (1972)

278

franccedilaise (obtenue comme je lrsquoai expliqueacute agrave travers lrsquooctroi de la citoyenneteacute agrave

certaines familles ameacuterindiennes) il existait aussi deux autres facteurs agrave prendre en

compte le reacutegime communautaire de lrsquoespace et le laquo culte de la beauteacute raquo Pour ce

qui est du premier facteur il faut rappeler que comme pour la majoriteacute des peuples

de tradition nomade des forecircts sud-ameacutericaines les Wayana-Apalaiuml ne concevaient

pas le reacutegime de la proprieacuteteacute priveacutee pour les ressources eacutecologiques et territoriales

mecircme si dans le cas des outils de travail ou des ornements corporels ils

appliquaient un reacutegime drsquoutilisation familiale Autrement dit pour un Wayana-

Apalaiuml il aurait eacuteteacute impossible de concevoir un espace (une parcelle de bois un

fleuve une colline etc) comme un patrimoine personnel alors qursquoagrave lrsquoinverse il

aurait eacuteteacute normal de consideacuterer une vannerie ou une parure en plumes comme un

outil propre agrave une famille (qui pouvait eacuteventuellement la precircter agrave drsquoautres

membres de la communauteacute) Toujours en 1972 Jean Hurault a eacutecrit que chez les

Ameacuterindiens du Haut Maroni laquo il nrsquoexiste aucune forme drsquoappropriation du sol aux

individus ni mecircme aux groupes de parenteacute et il ne semble pas qursquoil y en ait jamais

eu raquo (Hurault 1972 8) Cette laquo absence raquo195 eacutetait agrave la base drsquoun systegraveme de normes

(nomos) transmis aux enfants tout au long de leur enfance et adolescence ce

195 Jrsquoutilise ici le terme laquo absence raquo avec une certaine ironie la laquo moderniteacute raquo (et la vision eacuteconomique

neacuteolibeacuterale qui va avec) nous a parfois habitueacutes agrave consideacuterer comme laquo preacute-modernes raquo les socieacuteteacutes

qui nrsquoutilisent pas un systegraveme clair de traitement des eacutechanges de biens et de services sur la base

drsquoun devis On devrait pourtant consideacuterer que laquo les choix existentiels des Ameacuterindiens srsquoils sont par

deacutefinition inadaptables agrave nos exigences eacuteconomiques agrave nos modegraveles politiques et agrave nos valeurs

philosophiques repreacutesentent cependant la seule alternative qui fonctionne dans cet eacutecosystegraveme

tropical forestier raquo (Hurault et al 1998 26)

279

systegraveme visait agrave former des jeunes et des adultes pour qursquoils soient capables de vivre

en paix avec les autres membres de la communauteacute et de preacutevenir les eacuteventuels

conflits lieacutes agrave lrsquoutilisation de ce type de ressources sans recourir au systegraveme des

titres de proprieacuteteacute qui agrave lrsquoinverse est la base du corpus iuris civilis occidental Crsquoest

donc une certaine eacutecosophie qui impreacutegnait la culture wayana-apalaiuml une vision du

monde strictement lieacutee au panorama geacuteographique et social (oikos) et construite en

famille et avec la contribution de tous les membres de la communauteacute (lesquels

comme on a pu le voir se considegraverent agrave tout eacutegard comme les membres drsquoune mecircme

famille) Il srsquoagissait drsquoun processus de formation continue ndash communautaire et laquo

drsquoen bas raquo ndash dirigeacute vers un approvisionnement respectueux en ressources naturelles

et une gestion subtile des relations avec la communauteacutefamille Cela nous permet

de comprendre que cette eacutecosophie est eacutetroitement lieacutee agrave la notion de laquo beau raquo et

par conseacutequent agrave lrsquoimportance assigneacutee au travail bien reacutealiseacute capable drsquoapporter

du plaisir agrave son reacutealisateur

En effet selon plusieurs observateurs ndash comme Jean Hurault (1965 1968)

Andreacute Cognat (1967 1977) Daniel Schoepf (1976) Lucia Hussak Van Velthem

(1995) et Jean Chapuis (1998) ndash le comportement des Wayana-Apalaiuml est

caracteacuteriseacute par un complexe heacutedoniste qui les pousse agrave associer degraves lors que crsquoest

possible la fonctionnaliteacute au plaisir la peinture corporelle par exemple revecircte la

double fonction de rendre une personne plus belle aux yeux des observateurs mais

aussi de deacutecrire son statut (ses liens de parenteacute et son rocircle dans la communauteacute agrave

280

laquelle elle fait partie)196 les soins qui sont apporteacutes agrave la confection drsquoune vannerie

ne visent pas seulement agrave reacutealiser un objet utile mais aussi agrave eacutetonner les autres

villageois par son estheacutetique la disposition des arbres fruitiers dans lrsquoabattis

ameacuterindien nrsquoa pas seulement pour fonction de permettre la creacuteation drsquoun

eacutecosystegraveme eacutequilibreacute et dynamique ndash ougrave chaque plante joue un rocircle dans la

croissance des plantes voisines ndash mais aussi celle drsquooffrir aux personnes qui le

cultivent un espace agreacuteable dans lequel la fatigue physique lieacutee au travaux

agricoles est reacutecompenseacutee par la beauteacute des lieux

Cependant si ces traits deacutecrivent bien les Wayana-Apalaiuml laquo drsquoantan raquo ils

caracteacuterisent de moins en moins les Ameacuterindiens du laquo troisiegraveme milleacutenaire raquo Nous

avons vu que traditionnellement les parents drsquoAntecume pata se repreacutesentaient la

reacuteussite de leur garccedilon par lrsquoobtention du statut de laquo bon pegravere de famille raquo (agrave savoir

un chasseur fort et courageux capable de construire sa maison et de reacutepondre aux

besoins mateacuteriaux du foyer) et celle de leur fille par lrsquoobtention du statut de bonne

megravere de famille (capable de geacuterer convenablement sa maison et de preacuteparer un bon

cachiri pour les fecirctes communautaires) Aujourdrsquohui les repreacutesentations se sont

transformeacutees et les parents espegraverent plutocirct pour leurs enfants une reacuteussite baseacutee

sur des critegraveres plus occidentaux fournis par le macrosystegraveme laquo national raquo comme

lrsquoobtention drsquoun diplocircme scolaire un travail salarieacute et lrsquoautonomie financiegravere Ces

196 Comme ce qui a eacuteteacute observeacute chez drsquoautres peuples ameacuterindiens tel que le deacutemontrent les travaux

de Claude Leacutevi-Strauss (1955) de Darcy Ribeiro (1980) et Pascal Dibie (2005) Voir aussi Houbre

(2010)

281

nouveaux critegraveres de reacuteussite impliquent une modification des ideacuteologies

eacuteducatives preacutecoloniales (ou du moins celles qui eacutetaient en vigueur avant

lrsquoacquisition de la citoyenneteacute franccedilaise) agrave partir des nouvelles prioriteacutes drsquoorigine

exogegravene De nouvelles strateacutegies voient le jour et comme nous lrsquoavons vu dans le

chapitre preacutecegravedent de nouveaux styles eacuteducatifs prennent la place des anciens

Lrsquoenfant ameacuterindien nrsquoest plus le laquo roi raquo de la maisonneacutee agrave preacutesent ses

parents cherchent fondamentalement sa reacuteussite scolaire qursquoils considegraverent comme

le premier pas vers la reacuteussite sociale Pour atteindre cet objectif ils nrsquoheacutesitent pas

agrave utiliser des styles interactifs qui avant nrsquoeacutetaient utiliseacutes que dans de rares cas

nous avons vu en effet que le style directif a remplaceacute le suggestif et lrsquoautonomisant

et que le style fonctionnellement disjoint srsquoest graduellement imposeacute chez les

hommes du village Plusieurs parents ont commenceacute agrave exiger lrsquoutilisation du franccedilais

dans les eacutechanges avec les enfants ce qui creacutee des situations drsquoincompreacutehension au

sein de la maison puisque la majoriteacute des grands-parents ne parlent pas franccedilais

Les cycles agricoles se modifient agrave partir du calendrier scolaire et les travaux de

brucirclis des abatis ndash qui jusqursquoici se reacutealisaient en septembre ndash sont maintenant

effectueacutes pendant les vacances drsquoeacuteteacute (entre juillet et aoucirct) Il en va de mecircme des

cycles circadiens qui se transforment si avant les enfants se levaient avant lrsquoaube

avec leurs parents ces derniers preacutefegraverent agrave preacutesent les laisser dans leur hamac

jusqursquoagrave sept heures du matin ce qui implique que le soir ils ont tendance agrave vouloir

srsquoendormir plus tard (apregraves 21h) alors que leurs parents commencent agrave ecirctre

fatigueacutes degraves 19h

282

Par ailleurs les enseignements de certains savoirs sur lrsquoenvironnement sont

de plus en plus deacutelaisseacutes Ainsi les grands-parents jugent que leurs petits-enfants

sont devenus trop laquo modernes raquo et incapables de reconnaicirctre leur territoire les

plantes ou les animaux qui font partie du paysage amazonien De la mecircme maniegravere

beaucoup drsquoadultes se plaignent du fait que les nouvelles geacuteneacuterations soient

incapables de subvenir aux besoins alimentaires de la famille elles auraient perdu

les compeacutetences en matiegravere de chasse de pecircche et drsquoagriculture sans compter leur

incapaciteacute agrave reacutealiser des outils artisanaux qui reacutepondent aux critegraveres locaux de

beauteacute Enfin le shaman du village mrsquoa avoueacute que sa plus grande tristesse est de ne

pas avoir pu former drsquoapprentis et que apregraves lui il nrsquoy aura plus de shamans en pays

ameacuterindien Dans le cadre de mes observations jrsquoai pu constater que la transmission

de lrsquohistoire orale des Wayana-Apalaiuml qui occupait auparavant une bonne partie des

interactions discursives entre les personnes acircgeacutees et les plus petits (Chapuis et

Riviegravere 2003) se limite aujourdrsquohui agrave de brefs reacutecits que les adultes de la famille ndash

surtout les megraveres et les grands-parents maternels ndash racontent aux enfants pour les

aider agrave srsquoendormir le patrimoine historique et mythologique local se transforme

donc en de courts laquo contes pour dormir raquo Qui plus est aucun jeune du village ne sait

jouer des instruments musicaux traditionnels (surtout le kapawu jetpeuml la flucircte

nasale confectionneacutee avec le tibia de la biche) ni ne connait la musique

traditionnelle des Wayana-Apalaiuml laquelle eacutetait pourtant encore exeacutecuteacutee pendant

les ceacutereacutemonies les naissances ou les rituels chamaniques jusqursquoaux anneacutees 1990

283

quand lrsquoethnomusicologue Herveacute Riviegravere (1997) a enregistreacute certains morceaux

pour les publier sous forme de CD197

Au bout du compte pour les Ameacuterindiens du Haut Maroni la laquo nouvelle

reacuteussite raquo est synonyme drsquointeacutegration au laquo village global raquo Comme le disent

beaucoup de jeunes adultes agrave lrsquoheure actuelle la reacuteussite se manifeste par la

possession drsquoun smartphone ou drsquoune tablette par un travail fixe et par un

reacutefrigeacuterateur toujours plein bien que tregraves peu drsquoentre eux soient parvenus agrave

atteindre ce laquo recircve ameacutericain raquo198

122 La notion de reacuteussite chez les Enata de lrsquoenfant-roi agrave lrsquoenfant

multidimensionnel

Le mythe de laquo lrsquoenfant-roi raquo nrsquoa pas eacuteteacute lrsquoapanage des seuls peuples

amazoniens Nombreux ont eacuteteacute les observateurs occidentaux qui ont interpreacuteteacute les

pratiques eacuteducatives polyneacutesiennes ndash et marquisiennes ndash de la mecircme maniegravere199

Prenons pour exemple les teacutemoignages de deux observateurs du XIXegraveme siegravecle En

1843 le pegravere Mathias Gracia eacutecrivait au sujet des enfants marquisiens que laquo la

liberteacute pour ainsi dire native de tout individu degraves qursquoil peut marcher drsquoaller

partout ougrave il veut de tout voir de tout entendre exempte les parents drsquoune grande

197 A propos du patrimoine musical des Wayana-Apalaiuml voir aussi Rivegravere 1994

198 Soit une perspective de prospeacuteriteacute obtenue gracircce agrave lrsquoenrichissement personnel

199 Bien que drsquoautres chercheurs aient essayeacute de montrer que cette analyse eacutetait erroneacutee (Troadec

1996)

284

surveillance raquo et que laquo lrsquoeacuteducation mecircme des enfants nrsquoest pas un lien pour les

parents raquo (Gracia 1843 113) Pregraves de quarante ans plus tard en 1882 Max

Radiguet affirmait mecircme que laquo les enfants indigegravenes font agrave peu pregraves ce qui leur

plaicirct raquo mais que cependant laquo jamais ils nous ont rendus teacutemoins de ces scegravenes de

pugilat si freacutequentes entre enfants civiliseacutes raquo (Radiguet 1882 176) Dans la

premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle Abram Kardiner (1939) dans son essai

drsquoanthropologie psychanalytique et Alain Gerbault (1941 1949) dans ses

autobiographies feront un constat similaire Pour autant il serait certainement

exageacutereacute de dire que dans le passeacute les enfants enata eacutetaient livreacutes agrave eux-mecircmes Le

pegravere Gracia avait en effet noteacute que bien que les parents ne soient pas toujours en

train de srsquooccuper des enfants laquo la tribu toute entiegravere est lrsquoeacutecole de lrsquoenfance raquo

(Gracia 1843 113) En drsquoautres termes lrsquoeacuteducation des enfants nrsquoeacutetait pas

lrsquoapanage exclusif des parents mais une veacuteritable laquo affaire communautaire raquo dont se

chargeaient tous les membres de la communauteacute qui se consideacuteraient comme les

membres drsquoune mecircme famille

Les reacutecits des explorateurs voyageurs et missionnaires qui ont visiteacute les

Marquises avant la creacuteation des premiegraveres eacutecoles dans lrsquoarchipel (notamment Gracia

et Radiguet) soulignent que degraves lrsquoadolescence les Enata participaient activement agrave

lrsquoeacuteconomie familiale (et agrave la production drsquoaliments) aux ceacutereacutemonies

communautaires et quand cela eacutetait neacutecessaire aux combats entre communauteacutes

rivales (Ferdon 1993) Mais une fois adultes leur valeur reposait avant tout sur leur

capaciteacute agrave survivre aux contraintes eacutecologiques de lrsquoenvironnement oceacuteanien

Comme crsquoeacutetait le cas chez les Wayana-Apalaiuml le critegravere de reacuteussite eacutetait donc lieacute agrave

285

lrsquoadaptation agrave lrsquohabitat et agrave lrsquoacceptation du systegraveme de valeurs propre agrave leur

communauteacute Crsquoest lagrave un trait ideacuteologique qursquoon retrouve encore aujourdrsquohui et qui

cohabite avec les repreacutesentations de reacuteussite sociale qui ont eacuteteacute imposeacutees par

lrsquointeacutegration des icircles au territoire national (par le biais des œuvres missionnaires

de lrsquoeacutecole et bien entendu par les moyens de communication) Lrsquoideacuteologie eacuteducative

eacutetait et reste profondeacutement lieacutee au contexte geacuteographique

Cette conception est eacutetroitement lieacutee agrave la repreacutesentation de lrsquoespace

circonscrit agrave lrsquoicircle de reacutesidence et aux routes maritimes qui relient toutes les icircles de

lrsquoOceacuteanie entre elles Comme je lrsquoai signaleacute dans les chapitres preacuteceacutedents avant

lrsquoarriveacutee des colonisateurs chaque valleacutee abritait une communauteacute (huarsquoa) qui

fonctionnait comme une microsocieacuteteacute avec un important degreacute drsquoautosuffisance

Aujourdrsquohui on peut observer les vestiges de cette coutume dans les valleacutees les plus

isoleacutees mais dans les principaux villages des icircles les critegraveres de logement ont eacuteteacute

modifieacutes avec lrsquoarriveacutee et lrsquoinstallation de personnes venues de lrsquoexteacuterieur (haorsquoe

les eacutetrangers ceux qui ne sont pas Enata) Cependant les Enata que jrsquoai eu

lrsquoopportuniteacute drsquoobserver pendant mon travail de terrain maintiennent tous un lien

tregraves eacutetroit avec la valleacutee qui abritait leur lignage drsquoorigine En effet mecircme les familles

qui se sont eacutetablies dans les villages principaux (comme Atuona) continuent de

travailler la terre et de cueillir le coprah200 sur les terrains qui appartenaient agrave leurs

ancecirctres une tradition qui se perpeacutetue mecircme si beaucoup des terrains auraient eacuteteacute

200 Il srsquoagit de lrsquoalbumen seacutecheacute de la noix de coco avec lequel on produit lrsquohuile de coco utiliseacutee dans

la manufacture cosmeacutetique

286

vendus agrave des haorsquoe ou agrave des entreprises eacutetrangegraveres Les enfants marquisiens sont

formeacutes degraves leur plus jeune acircge agrave la compreacutehension de leur habitat tout au long de

leur enfance ils sont ameneacutes agrave eacutetudier leur territoire pour pouvoir reconnaicirctre les

lieux tapu les secteurs de lrsquoicircle qui sont reacuteserveacutes agrave la chasse lrsquoemplacement des

nombreux tiki les mersquoae201 et autres vestiges archeacuteologiques de lrsquoeacutepoque preacute-

europeacuteenne de lrsquoicircle mais aussi la faune et la flore les cycles agricoles (qui se basent

sur le cycle biologique de lrsquoarbre agrave pain Artocarpus altilis et sur les phases lunaires)

les cycles des mareacutees qui rythment la pecircche sans oublier lrsquohistoire orale qui

meacutelange mythes leacutegendes202 et reacutefeacuterences agrave lrsquohistoire coloniale et postcoloniale203

et qui est souvent transmise tout comme chez les Wayana-Apalaiuml agrave la maniegravere de

laquo contes pour dormir raquo par les parents et les grands-parents

Bien qursquoaujourdrsquohui certains secteurs drsquoactiviteacute ne survivent que dans

certaines familles du fait de leur statut eacuteconomique ndash comme la couture la sculpture

(sur bois ou sur pierre) lrsquoeacutelevage (de chiens chegravevres porcs bovins chevaux

201 Emplacements utiliseacutes agrave des fins ceacutereacutemonielles

202 Il serait neacutecessaire de souligner la diffeacuterence entre les harsquoakakai mythes reacutepandus dans tout le

triangle polyneacutesien et les tekao (ou tekao kakiu laquo paroles anciennes raquo) leacutegendes qui srsquoinspirent

drsquohistoires locales de personnages qui ont reacuteellement existeacute et de lieux qui sont bien connus par leur

public (Chastel 2012 Lavondegraves 2013)

203 Une histoire dans laquelle ndash pour diffeacuterentes raisons ndash se trouvent des personnages comme

lrsquoeacutecrivain ameacutericain Hermann Melville le peintre parisien Paul Gauguin le navigateur lavallois Alain

Gerbault lrsquoexplorateur norveacutegien Thor Heyerdahl ou encore lrsquoartiste belge Jacques Brel

287

volailles ou abeilles) et lrsquoextraction du coprah204 ndash il existe toutefois un ensemble de

compeacutetences lieacutees agrave lrsquo laquo eacutecologie raquo et agrave lrsquoaccegraves et agrave lrsquoutilisation des ressources

naturelles locales que tous les enfants de lrsquoarchipel sont censeacutes connaicirctre Pour les

garccedilons il srsquoagit de la pecircche la chasse la navigation de cabotage et la conduite de

pirogues agrave balancier pour les filles crsquoest la cuisine et la creacuteation de guirlandes et de

colliers floraux La terre et lrsquooceacutean restent donc deux eacuteleacutements essentiels de

lrsquoeacutecologie enata et aujourdrsquohui encore ils ont une place importante dans les

dynamiques de transmission de savoirs au sein des familles

Pour comprendre les logiques qui guident les adultes dans le processus de

socialisation des enfants il me paraicirct important de souligner que lrsquoorganisation

sociale des Enata est fortement influenceacutee par la pratique de lrsquoeacutechange de dons qui

deacutefinit des modes drsquoappropriations particuliers205 Il srsquoagit drsquoune coutume qui sert agrave

cimenter les relations sociales agrave lrsquointeacuterieur des diffeacuterents groupes sociaux qui

204 Comme je lrsquoai mentionneacute auparavant lrsquoapprentissage de la danse ou de la musique par les

instruments traditionnels (le tambour ou pahu la flucircte nasale ou pu ihu et le lsquoukulele) sont lrsquoapanage

des organisations religieuses (les Eglises et les diverses associations catholiques protestantes et

autres) ainsi que des associations culturelles

205 Crsquoest lagrave un systegraveme que du fait de sa subtiliteacute les premiers observateurs nrsquoavaient pas reacuteussi agrave

interpreacuteter Le lieutenant de vaisseau Pierre-Eugegravene Eyriaud Des Vergnes qui a rempli de 1868 agrave

1874 les fonctions de reacutesident aux icircles Marquises se plaignait dans un rapport adresseacute au ministre

de la Marine du fait que laquo la proprieacuteteacute aux Marquises est tregraves difficile agrave deacuteterminer drsquoune maniegravere

certaine agrave vrai dire tout le monde est proprieacutetaire et personne ne lrsquoest raquo (Eyriaud Des Vergnes

1877 22)

288

constituent les microsystegravemes de reacutefeacuterence des Marquisiens et qui contribuent agrave

lrsquoeacutevolution du rocircle joueacute par chaque individu dans les groupes auxquels il appartient

En effet comme le reconnaicirct Dominique Pechberty laquo comme les autres Polyneacutesiens

les Marquisiens srsquoeacutechangent des richesses sous forme de dons et contre-dons de

faccedilon coutumiegravere collective ou individuelle sous peine drsquoentrer en conflit Les

hommes rivalisent ainsi de geacuteneacuterositeacute au vu et au su de tous Ces comportements

sont ritualiseacutes et il nrsquoy a pratiquement pas de comportements atypiques raquo

(Pechberty 2012 105) Lrsquoeacutechange est reacutegi par une logique normative qui eacutetablit des

obligations biunivoques si drsquoun cocircteacute il est impeacuteratif drsquoen faire (pour remercier un

hocircte ou un ami) drsquoun autre cocircteacute il est tout aussi impeacuteratif de les accepter puisqursquoun

eacuteventuel refus serait interpreacuteteacute comme un manque de politesse Auparavant les

chefs centralisaient le cycle des eacutechanges ce sont eux qui recevaient le plus mais

aussi qui donnaient le plus Le prestige le pouvoir et le mana (la force drsquoorigine

surnaturelle)206 deacutependaient de la capaciteacute des individus agrave faire circuler des dons

Les conflits apparaissaient geacuteneacuteralement suite agrave des eacutechanges insatisfaisants (ou

apregraves la violation drsquoaccords drsquoalliance)207 Aujourdrsquohui il nrsquoy a plus de chefs

206 Marcel Mauss consideacuterait que le mana eacutetait neacutecessaire agrave la genegravese du lien social (Mauss 1925 et

1950)

207 Agrave Hiva Oa on privileacutegiait les alliances avec les ennemis ou les eacutetrangers afin drsquoaugmenter le mana

de la famille (Pechberty 2012) ndash bien que Hogbin (1932) ne partage pas cet avis car pour elle les

mariages eacutetaient de simples formalisations drsquoun accord de non belligerance Il srsquoagissait drsquoeacutechanges

entre familles visant agrave eacuteviter le morcellement et la fragmentation des terres pour maintenir lrsquouniteacute

de lrsquoheacuteritage drsquoune mecircme ligneacutee

289

coutumiers et les eacutechanges ne sont plus centraliseacutes Toutefois lrsquoimportance de lrsquoacte

drsquooffrir (tursquou) et lrsquoideacutee selon laquelle la notion de laquo priveacute raquo (et ses deacuteclinaisons la

proprieacuteteacute lrsquoespace domestique et la famille) est susceptible de circuler en fonction

des exigences du groupe font partie des valeurs fondamentales qui aujourdrsquohui

encore guident lrsquoideacuteologie eacuteducative enata On offre des cadeaux quand on rend

visite agrave un membre de la famille on offre des guirlandes de fleurs et des petits tiki

en bois aux hocirctes ou visiteurs on offre des colliers en dents de requin aux amis aux

yeux des eacutetrangers les Marquisiens semblent avoir toujours de bonnes raisons pour

offrir des dons aux autres et les membres de la communauteacute qui ne participent pas

agrave ces eacutechanges sont toujours victimes de commentaires neacutegatifs de la part des autres

villageois

Dans les pages preacuteceacutedentes jrsquoai deacutecrit la varieacuteteacute des microsystegravemes de

socialisation qui constituent le panorama de reacutefeacuterence des enfants enata ndash

microsystegravemes qui comme chez les Wayana-Apalaiuml deacutepasse la dyade famille-eacutecole

Il y a aussi les groupes religieux et les associations culturelles ce qui implique que

les parents doivent se charger de lrsquointeacutegration de ces organismes laquo externes raquo au

cercle ndash deacutesormais multidimensionnel ndash des microsystegravemes de deacuteveloppement de

lrsquoenfant Les familles avec lesquelles jrsquoai travailleacute mrsquoont effectivement fait part agrave

plusieurs reprises de leurs difficulteacutes agrave former leurs enfants pour qursquoils puissent

geacuterer de maniegravere eacutequilibreacutee les relations avec les institutions religieuses

(auxquelles on deacutelegravegue la deacutefinition des critegraveres moraux agrave suivre) avec les groupes

culturels (chargeacutes de la transmission de certains savoirs traditionnels comme la

290

danse) et avec les institutions publiques (les administrations territoriales du pays

et de lrsquoEacutetat dont lrsquoeacutecole)

Cet effort de laquo diplomatie culturelle raquo exige une forte dose de creacuteativiteacute de la

part des parents afin de maintenir lrsquoeacutequilibre entre les logiques preacute-europeacuteennes (et

leur weltanschauung eacutecosophique) et la laquo moderniteacute raquo globale (avec la neacutecessiteacute de

comprendre et de savoir utiliser les nouvelles technologies pour chercher un

travail acheter un billet drsquoavion ou encore rester en contact avec une partie de la

famille qui est alleacutee vivre ailleurs)208

123 Lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie dynamiques drsquoassimilation culturelle et

reacuteponses adaptatives

Les reacutesultats obtenus gracircce agrave lrsquoobservation des performances eacuteducatives

dans les deux contextes drsquoeacutetude vont nous aider agrave mieux comprendre certaines

dynamiques geacuteneacuterales auxquelles participent drsquoun cocircteacute les communauteacutes Wayana-

Apalaiuml du Haut Maroni et de lrsquoautre les Enata de lrsquoicircle de Hiva Oa Si les premiegraveres

208 Il convient de faire un aparteacute sur la question des compeacutetences langagiegraveres car ndash comme je lrsquoai deacutejagrave

mentionneacute ndash dans toutes les familles observeacutees (dans le village principal Atuona comme dans les

valleacutees les plus eacuteloigneacutees) les parents ont lrsquohabitude de srsquoadresser aux enfants en langue franccedilaise

la langue marquisienne semble plutocirct transmise par les autres membres de la famille (les grands-

parents les oncles et les tantes) et par la communauteacute (les pairs mais aussi les groupes religieux)

Lrsquointroduction agrave la langue locale advient surtout agrave partir de lrsquoadolescence ce qui selon les adultes

laquo se justifie raquo par la difficulteacute qursquoils ont agrave trouver lrsquoeacutequivalent en langue franccedilaise drsquoune expression

locale utiliseacutee pour deacutecrire des objets des plantes des animaux ou des processus locaux

291

ont peu agrave peu abandonneacute certaines pratiques preacutecoloniales pour srsquoadapter au

modegravele occidental elles semblent avoir suivi ndash plus ou moins consciemment ndash le

mirage des avantages offerts par lrsquointeacutegration agrave la socieacuteteacute nationale Pour les

Ameacuterindiens du Haut Maroni bien que lrsquoidentiteacute autochtone continue agrave maintenir

son rocircle feacutedeacuterateur et revendicatif les habitants drsquoAntecume pata ont adopteacute

presque inteacutegralement - en agrave peine deux geacuteneacuterations - une ideacuteologie eacuteducative

exogegravene avec pour but deacuteclareacute de permettre agrave leurs enfants de profiter des bienfaits

de la civilisation un diplocircme lrsquoaccegraves au marcheacute du travail un salaire fixe et la

possibiliteacute drsquoobtenir des biens drsquoorigine industrielle

Cette transformation me semble preacutesenter toutes les caracteacuteristiques de ce

que Darcy Ribeiro appelle la laquo transfiguration ethnique raquo Dans la premiegravere partie

de cette thegravese jrsquoai montreacute que selon Darcy Ribeiro lorsque certains peuples tribaux

srsquointegravegrent aux eacutetats nationaux ils alteacuteregraverent leur substrat biologique leur culture

et leur forme de relation avec la socieacuteteacute dominante afin de remplir les preacute-requis

neacutecessaires pour garantir leur existence en tant qursquoentiteacutes ethniques (Ribeiro

1971) Effectivement jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle lrsquoidentiteacute ethnique des Wayana-Apalaiuml

a surveacutecu agrave cette inteacutegration mais le substrat culturel qui la caracteacuterisait avant le

contact avec la socieacuteteacute dominante semble ecirctre en voie de disparition Lrsquoadaptation agrave

la laquo moderniteacute raquo est en train de srsquoopeacuterer par la substitution la dynamique

drsquoacculturation a pousseacute les parents wayana-apalaiuml agrave seacutelectionner certains savoirs

292

laquo traditionnels raquo et agrave en exclure drsquoautres ndash lesquels constituaient auparavant

lrsquoexpression visible de la culture locale ndash du processus de formation des enfants209

Les Enata au contraire ont pu srsquoadapter au colonialisme eacuteducatif franccedilais ndash

qui depuis plus drsquoun siegravecle leur a imposeacute la scolarisation obligatoire ndash en creacuteant des

strateacutegies pour faire coiumlncider les exigences eacutecosysteacutemiques avec les contraintes qui

relegravevent de lrsquoappartenance agrave une collectiviteacute drsquoOutre-mer (la Polyneacutesie) et agrave un Eacutetat

national (la France)

Ce processus de cumul des identiteacutes a permis agrave lrsquoethniciteacute enata de srsquoadapter

aux contraintes de la citoyenneteacute nationale agrave partir de ce que Bruno Saura appelle

un laquo amoindrissement relatif des clivages identitaires raquo (Saura 1998 7) Cette

juxtaposition a eacuteteacute possible par lrsquoeacutequilibre existant entre les forces centrifuges

visant agrave lrsquoincorporation des modes de vie de la socieacuteteacute dominante ndash drsquoorigine

microsystegravemique et veacutehiculeacutes par les moyens de communication globale ou les

programmes scolaires ndash et des modes de vie centripegravetes (soutenus par des entiteacutes

externes agrave la communauteacute locale agrave savoir les groupes religieux et les associations

culturelles) visant agrave deacutefendre des pratiques enracineacutees dans la culture locale qui

reste rurale et pour des raisons geacuteographiques relativement isoleacutee des marcheacutes

globaux et des routes touristiques Cet isolement a pousseacute les Marquisiens agrave aller

vers une creacuteativiteacute culturelle leur permettant de survivre et de maintenir leur

209 Pour une premiegravere eacutebauche de cette reacuteflexion voir Aligrave amp Ailincai 2015

293

vitaliteacute bien qursquoils aient eacuteteacute releacutegueacutes agrave la peacuteripheacuterie ndash geacuteographique et symbolique

ndash de lrsquoempire colonial franccedilais210

Les observations meneacutees chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata nous

permettent donc de confirmer notre hypothegravese selon laquelle des formes diffeacuterentes

drsquoacculturation ndash veacutehiculeacutees par des agents diffeacuterents avec un diffegraverent degreacute de

violence et selon une chronologie diffeacuterente ndash peuvent geacuteneacuterer diverses reacuteponses

adaptatives dans le premier cas une transfiguration ethnique laquo agrave retardement raquo

survenue cinq siegravecles apregraves les premiers contacts avec les colonisateurs dans le

second cas un cumul partiel drsquoidentiteacutes qui a permis aux Marquisiens ndash lesquels je

le rappelle ont eacuteteacute victimes de lrsquoun des plus graves ethnocides de lrsquohistoire de

lrsquoOceacuteanie qui a fortement reacuteduit leur nombre et effaceacute en lrsquoespace drsquoune geacuteneacuteration

leur organisation politique ndash de profiter strateacutegiquement de leur position

peacuteripheacuterique pour revitaliser leur culture dans le cadre du village global

210 Plusieurs chercheurs ndash comme Marshall Sahlins (2000) John Liep (2001a et 2001b) ou Adriano

Favole (2009 et 2010) - ont observeacute dans drsquoautres contextes de lrsquoaire oceacuteanienne une certaine

preacutedisposition agrave la laquo creacuteativiteacute culturelle raquo en tant que strateacutegie drsquoadaptation et de reacutesistance

politique

294

Synthegravese de la deuxiegraveme partie

Les relations sociales sont baseacutees sur des interactions (verbales et non

verbales) les eacutechanges et les seacutequences Dans le cadre des interactions

domestiques visant agrave la transmission de donneacutees culturelles le rocircle des acteurs est

joueacute par des eacuteducateurs et des eacuteduqueacutes qui font partie du mecircme reacuteseau de parenteacute

crsquoest-agrave-dire des personnes chargeacutees de laquo transmettre raquo des informations ndash lieacutees agrave la

culture dans laquelle ils eacutevoluent ndash et des apprenants censeacutes apprendre ces

informations dans le but de pouvoir srsquointeacutegrer agrave leur eacutecosystegraveme de reacutefeacuterence

La famille en tant que systegraveme primaire de socialisation est constitueacutee drsquoun

ensemble de microsystegravemes qui deacutependent des reacuteseaux de parenteacute et de

lrsquoorganisation sociale propre agrave chaque groupe humain Il existe aussi drsquoautres

microsystegravemes qui sont exteacuterieurs agrave la famille mais qui selon le groupe auquel on

fait reacutefeacuterence peuvent avoir un rocircle tregraves diffeacuterent Chez les peuples autochtones qui

constituent lrsquounivers drsquoeacutetude de cette thegravese ndash les Wayana-Apalaiuml de Guyane et les

Enata des icircles Marquises ndash la famille correspond agrave la communauteacute et chacun des

microsystegravemes familiaux (parents fratrie famille maternelle famille paternelle

cousins qui nrsquoont pas encore atteint lrsquoacircge adulte et qui agissent en tant que pairs et

autres membres de la communauteacute) se charge de certaines fonctions eacuteducatives

avec un style interactif qui lui est propre Dans les villages ameacuterindiens du Haut

Maroni il existe un seul microsystegraveme exteacuterieur agrave la famille lrsquoeacutecole Dans lrsquoicircle

marquisienne de Hiva Oa les enfants sont inteacutegreacutes agrave drsquoautres microsystegravemes les

295

groupes religieux et les associations culturelles qui se chargent de la transmission

de certaines donneacutees culturelles telles la langue la musique et la danse

marquisienne

Bien que lrsquoeacutecole ne repreacutesente qursquoune faible partie des interactions

eacuteducatives des enfants autochtones les contraintes qursquoelle impose (son calendrier

ses horaires ses programmes) modifient les pratiques eacuteducatives laquo traditionnelles raquo

(lieacutees agrave lrsquoaccegraves et agrave lrsquoutilisation des ressources naturelles disponibles) puisqursquoelle

intervient dans les rythmes de vie les cycles du travail agricole et les notions de

reacuteussite qui existaient avant son apparition Cependant lrsquoeacutecole nrsquoest pas la seule

cause de ces transformations les dynamiques drsquointeacutegration agrave la moderniteacute

occidentale ndash et les effets indeacutesirables qursquoelles peuvent produire comme la diffusion

de lrsquoalcoolisme de maladies ou du suicide ndash ont le pouvoir de modifier les ideacuteologies

eacuteducatives (qui se mateacuterialisent dans des styles eacuteducatifs des prioriteacutes de formation

et des conceptions de reacuteussite sociale) des peuples autochtones comme le

deacutemontrent les reacutesultats des observations meneacutees chez les Wayana-Apalaiuml et chez

les Enata

296

TROISIEME PARTIE LrsquoAPPROPRIATION INSTITUTIONNELLE DE LA QUESTION

EDUCATIVE ESSAI CONCLUSIF SUR LA BANALITE DU MAL

297

Introduction agrave la troisiegraveme partie

Bien que la colonisation qursquoont connue les populations autochtones de

Guyane et des icircles Marquises ne puisse ecirctre compareacutee en termes de violence

systeacutematiseacutee au sort subi par les Juifs au moment de la deuxiegraveme guerre mondiale

on ne saurait oublier lrsquoapport de lrsquoouvrage Eichmann agrave Jeacuterusalem de la philosophe

allemande Hannah Arendt (1963) Elle y a bien expliqueacute comment et pourquoi le

travail de certains fonctionnaires du reacutegime nazi avait eacuteteacute la cleacute de la reacuteussite du

systegraveme politique criminel qursquoils servaient Selon elle loin drsquoecirctre des monstres

sanguinaires ces hommes ambitieux zeacuteleacutes mais au bout du compte tristement

ordinaires eacutetaient tout simplement des ecirctres humains incapables de distinguer le

bien du mal des hommes qui pour accomplir les ordres reccedilus avaient arrecircteacute de

srsquointerroger sur leurs agissements Pour expliquer le substrat psychologique de

leurs crimes Hannah Arendt considegravere que cette laquo crise de la penseacutee critique raquo a eacuteteacute

geacuteneacutereacutee par une ideacuteologie deacutenigrant lrsquoalteacuteriteacute culturelle et diffuseacutee par un apparat

institutionnel et meacutediatique tourneacute vers la propagande et la reacutepression Le

sociologue polonais Zygmunt Baumann (2002) en reprenant la thegravese de sa collegravegue

allemande affirme que cette laquo banaliteacute du mal raquo nrsquoest rien drsquoautre que la reacutealisation

la plus aboutie de lrsquoideacuteologie qui se trouve agrave la base de lrsquoEacutetat moderne et qui vise agrave

laquo normaliser raquo un modegravele de civilisation (ladite occidentale) reacuteputeacutee parfaite et

ayant pour mission drsquoeacuteliminer ndash agrave nrsquoimporte quel prix ndash tous les obstacles qui

interfegravereraient dans sa pleine reacutealisation

298

Si dans certains contextes ndash comme celui de lrsquoAllemagne nazi mais aussi celui

du Rwanda au temps du geacutenocide ou pour rester dans le cadre de la theacutematique de

cette thegravese celui des territoires coloniseacutes par les Empires europeacuteens entre le XVegraveme

et la premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle ndash ce processus drsquoeacutelimination srsquoest reacutealiseacute de

maniegravere particuliegraverement violente dans drsquoautres contextes il srsquoest fait de maniegravere

plus graduelle par le biais de lrsquointeacutegration des laquo adversaires raquo dans lrsquoengrenage

eacutetatique plutocirct que par leur eacutelimination physique Toutefois loin drsquoune cooptation

de laquo lrsquoAutre raquo par les eacutelites au pouvoir cette dite inteacutegration visait plutocirct la

subordination de celui-ci afin que le processus puisse srsquoaccomplir et que le pouvoir

des eacutelites laquo traditionnelles raquo soit ainsi confirmeacute Par ailleurs Margarita Serje (2005)

a deacutemontreacute que lrsquointeacutegration nationale des laquo territoires de frontiegravere raquo caracteacuteriseacutes

par une position geacuteographique peacuteripheacuterique et par un paysage social et culturel

laquo ethniciseacute raquo (sur lequel les autoriteacutes eacutetatiques ont construit des identiteacutes

ethniques)211 est une dynamique violente qui bafoue les droits des peuples

autochtones et qui viole les territoires et leurs ressources naturelles pour permettre

aux eacutelites locales de les saccager agrave leur guise212

Le cas des territoires de lrsquoOutre-mer franccedilais est plutocirct exemplaire pour

expliquer la maniegravere dont le processus drsquoimposition de la souveraineteacute nationale

211 Cela srsquoest fait agrave travers la creacuteation laquo scientifique raquo de barriegraveres ethniques et drsquoun discours politique

sur la neacutecessiteacute du deacuteveloppement territorial capable de laquo justifier raquo lrsquoentreprise colonisatrice

212 Un point de vue que je partage pleinement et que jrsquoai adopteacute dans mes preacuteceacutedents travaux sur le

conflit colombien (Aligrave 2010 et 2011)

299

srsquoest inscrit dans lrsquohistoire des peuples autochtones vivant agrave la laquo peacuteripheacuterie raquo de

lrsquoEacutetat colonial Comme on lrsquoa vu dans la deuxiegraveme partie de cette thegravese la

colonisation de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise loin drsquoavoir eacuteteacute un processus

pacifique drsquoassociation drsquoun territoire agrave un autre srsquoest reacutealiseacutee de faccedilon violente

avec lrsquoimposition drsquoune organisation sociale et politique eacutetrangegravere celle voulue par

les eacutelites meacutetropolitaines Cette dynamique srsquoest accompagneacutee drsquoun nouveau reacutegime

drsquoaccegraves aux ressources naturelles par lrsquoexclusion des groupes laquo peacuteripheacuteriques raquo de

certains droits civiques et par lrsquoobligation de mettre en œuvre des proceacutedures ndash

comme la scolarisation ndash qui ont bouleverseacute les styles de vie existant avant la

colonisation Qui plus est certains effets laquo secondaires raquo comme la diffusion de

maladies ou drsquohabitudes nuisibles (lrsquoalcoolisme) ont eu un effet important sur la

santeacute et la survie des peuples qui habitaient ces terres

Cependant les communauteacutes autochtones qui ont fait lrsquoobjet de mon eacutetude

partagent un mecircme processus de laquo reacutesurrection raquo qui entre la premiegravere moitieacute du

XXegraveme siegravecle (crsquoest le cas des Enata) et la deuxiegraveme moitieacute du mecircme siegravecle (crsquoest le

cas des Wayana-Apalaiuml) leur a permis non seulement de survivre au laquo choc de la

colonisation raquo ndash et de contrebalancer une dynamique deacutemographique neacutegative ndash

mais aussi de srsquoadapter agrave cette inteacutegration imposeacutee drsquoen haut agrave travers des

strateacutegies drsquoordre culturel qui se traduisent par de nouvelles pratiques et de

nouvelles formes drsquoorganisation sociale Toutefois cette adaptation nrsquoa pas toujours

eacuteteacute indolore elle a obligeacute les membres des communauteacutes agrave reacuteviser leurs prioriteacutes

socio-eacuteconomiques et agrave seacutelectionner certains traits de leur culture au deacutepend

drsquoautres Cette seacutelection srsquoest opeacutereacutee dans le cadre du processus de transmission des

300

donneacutees culturelles ndash que nous pourrions consideacuterer comme laquo traditionnelles raquo et

lieacutees agrave lrsquoenvironnement naturel ndash aux nouvelles geacuteneacuterations crsquoest-agrave-dire dans le

cadre de lrsquoeacuteducation domestique En revanche petit agrave petit lrsquoeacutecole ndash en tant

qursquoinstitution drsquoeacuteducation formelle imposeacutee par lrsquoEacutetat ndash a acquis un rocircle de plus en

plus important dans la formation des plus jeunes ce qui a obligeacute les parents agrave

modifier leur notion de reacuteussite et leurs ideacuteologies eacuteducatives en fonction de ce

nouvel acteur social

La troisiegraveme partie de cette thegravese vise donc agrave preacutesenter des eacuteleacutements en vue

drsquoune discussion autour des thegravemes que je viens de mentionner Elle est composeacutee

de cinq chapitres Dans le premier jrsquoanalyserai les divergences entre les logiques

eacuteducatives observeacutees chez les Wayana-Apalaiuml et les Enata et celles qui sont propres

agrave la scolarisation reacutepublicaine agrave partir de la comparaison entre la notion de reacuteussite

sociale et celle de reacuteussite scolaire Le deuxiegraveme chapitre propose un regard critique

sur les laquo bienfaits raquo de la scolarisation des peuples autochtones afin de deacuteconstruire

le mythe de lrsquoeacutecole comme ascenseur social et de deacutemontrer que dans lrsquoOutre-mer

franccedilais lrsquoeacutecole reacutepublicaine nrsquoa pas eacuteteacute un facteur de laquo reacuteussite pour tous raquo Dans le

troisiegraveme je preacutesenterai des solutions envisageables pour ameacuteliorer lrsquoorganisation

des politiques eacuteducatives qui concernent les peuples autochtones de lrsquoOutre-mer

afin qursquoelles prennent en compte les reacutealiteacutes culturelles locales Le quatriegraveme

chapitre est deacutedieacute agrave une reacuteflexion meacutethodologique autour de la recherche

anthropologique en eacuteducation en tenant compte des piegraveges qursquoelle peut preacutesenter

et des opportuniteacutes qursquoelle peut offrir pour la construction drsquoune politique eacuteducative

coheacuterente ndash capable de prendre en consideacuteration les speacutecificiteacutes locales - dans les

301

contextes postcoloniaux Enfin le cinquiegraveme est un bref essai conclusif autour du

travail meneacute pour la reacutealisation de cette thegravese dans lequel je proposerai de

nouvelles pistes de recherche et des theacutematiques qui meacuteritent drsquoecirctre approfondies

par les chercheurs inteacuteresseacutes par les probleacutematiques abordeacutees dans le cadre de ce

travail

302

13 Ideacuteologies eacuteducatives et logiques drsquoorganisation sociale

Le sociologue et deacutemographe franccedilais Emmanuel Todd (2011) a longuement

eacutetudieacute les relations de deacutependance tisseacutees entre les systegravemes familiaux

laquo traditionnels raquo et les formes drsquoorganisation sociale Selon lui les systegravemes sociaux

laquo preacutemodernes raquo213 deacuterivaient des formes drsquoorganisation domestique dominantes

dans certains groupes humains Le milieu familial agrave travers la laquo programmation raquo

inconsciente des individus degraves leur enfance avait donc une influence directe sur la

structure des socieacuteteacutes Agrave partir drsquoune analyse comparative de la litteacuterature

ethnographique il distingue quatre laquo styles familiaux raquo

la famille nucle aire absolue dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type libe ral et les relations entre fre res et sœurs de

type non e galitaire ce qui laquo produit raquo une mentalite foncie rement

libe rale (ni vraiment e galitaire ni franchement ine galitaire me me

si les enfants be ne ficient en ge ne ral drsquoun traitement e galitaire) une

forte adhe sion a des valeurs de liberte et une certaine forme

drsquoindiffe rence a lrsquoe gard de la notion drsquoe galite qui a modele les

socie te s des pays les plus industrialise s tels la Grande-Bretagne les

213 Ceux qui existaient avant lrsquoinstauration des Eacutetats nationaux

303

E tats-Unis le Canada lrsquoAustralie le Danemark les Pays-Bas et la

Norve ge

la famille nucle aire e galitaire dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type libe ral et les relations entre fre res et sœurs de

type e galitaire ce qui laquo programme raquo des individus attache s aux

valeurs de liberte et drsquoe galite et qui de veloppe des relations sociales

base es sur lrsquoindividualisme et le refus de lrsquoautorite comme dans les

pays du bassin me diterrane en (Espagne Portugal Gre ce et Italie)

mais aussi en France (dans le bassin parisien) en Pologne en

Roumanie et chez les peuples drsquoAme rique latine

la famille communautaire dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type autoritaire et celles entre fre res et sœurs de

type e galitaire et qui repose sur un syste me familial patriline aire

et patrilocal comme crsquoest le cas en Chine au Vietnam en Russie

dans lrsquoInde du Nord dans certains pays drsquoEurope Centrale

(Bulgarie Bosnie-Herze govine Hongrie Kosovo Mace doine et

Serbie) et dans certaines re gions franccedilaises (Limousin Languedoc

Centre et Bretagne)

la famille souche dans laquelle les relations parents-enfants sont

de type autoritaire et celles entre fre res et sœurs de type

ine galitaire et pour laquelle le lieu de re sidence est conside re

comme lrsquoentite sociale fondamentale soit une ve ritable laquo personne

morale raquo autour de laquelle se structurent les relations entre

individus comme crsquoest le cas de lrsquoOce anie de certains pays

304

asiatiques (Core e et Japon ) de lrsquoAllemagne de lrsquoIrlande et des

groupes humains peuplant lrsquoArc Alpin (Suisse Italie du Nord

Autriche Slove nie)

Bien que je ne partage pas les geacuteneacuteralisations qui soutiennent lrsquohypothegravese

drsquoEmmanuel Todd et qui laissent de cocircteacute les diffeacuterences qui existent au sein de

groupes humains partageant un mecircme territoire214 son effort nous permet de mieux

comprendre le rocircle de la famille ndash et de lrsquoeacuteducation domestique ndash dans la gestation

des formes drsquoorganisation sociale De fait lrsquoexistence drsquoune laquo ideacuteologie eacuteducative raquo

permet aux membres de la famille drsquoagir en tant qursquoeacuteducateurs et de disposer drsquoune

certaine laquo agentiviteacute raquo soit la capaciteacute drsquointeragir avec la reacutealiteacute de la modifier et de

la transformer gracircce agrave leur action eacuteducative Cette ideacuteologie nrsquoest jamais figeacutee mais

comme me lrsquoont deacutemontreacute les familles wayana-apalaiuml et enata avec lesquelles jrsquoai eu

214 Il suffit de regarder le cas des peuples ameacuterindiens lesquels selon Emmanuel Todd partageraient

tous un mecircme modegravele de famille nucleacuteaire eacutegalitaire Dans le cas des Wayana-Apalaiuml par exemple

comme je lrsquoai montreacute dans la deuxiegraveme partie de cette thegravese bien que les relations entre parents et

enfants soient de type libeacuteral et celles au sein de la fratrie soient de type eacutegalitaire le reacutesultat final

nrsquoest pas de type eacutegalitaire mais de type communautaire (dans lequel les notions de famille et de

communauteacute se confondent par effet drsquoun reacuteseau de parenteacute eacutetendu) uxorilocal et matrifocal De

mecircme il me paraicirct difficile de geacuteneacuteraliser le modegravele de la famille souche agrave un continent tout entier

comme le fait Todd pour le cas de lrsquoOceacuteanie Nous savons par exemple que les voyageurs qui ont

connu les Enata avant la colonisation nlsquoont pas deacutecrit une forme drsquoorganisation domestique

autoritaire et ineacutegalitaire ndash comme le preacutetend lrsquoauteur ndash mais bien au contraire un modegravele familial

baseacute sur des relations parents-enfants plutocirct eacutegalitaires (Gracia 1843 Eyriaud Des Vergnes 1877)

305

lrsquoopportuniteacute de travailler elle est dynamique ndash tout en conservant certains traits

consideacutereacutes laquo fondamentaux raquo pour la continuiteacute de lrsquoidentiteacute ethnique ndash et capable

de srsquoadapter agrave une reacutealiteacute changeante afin de laquo modeler raquo la personnaliteacute des enfants

et de leur permettre de srsquointeacutegrer agrave cette mecircme reacutealiteacute laquo multidimensionnelle raquo (ougrave

les niveaux familial communautaire territorial national et global se chevauchent et

srsquoentremecirclent)

131 Apprendre capturer produire la logique preacutedatrice de la moderniteacute

Les strateacutegies interactives que jrsquoai observeacutees agrave Antecume pata et agrave Hiva Oa

laissent coexister deux exigences consideacutereacutees fondamentales par les eacuteducateurs

locaux celle de faciliter lrsquointeacutegration des enfants au systegraveme social imposeacute par lrsquoEacutetat

et celle de former les nouvelles geacuteneacuterations agrave la survie dans des contextes

eacutecologiques complexes (au vu de leur isolement geacuteographique) gracircce agrave la maicirctrise

des ressources naturelles locales

Dans les deux terrains eacutetudieacutes les enfants autochtones sont pousseacutes agrave

apprendre la langue franccedilaise ndash souvent au deacutetriment de la langue locale ndash et agrave avoir

de bons reacutesultats scolaires Les parents leur parlent des bienfaits de lrsquoeacutecole et de

lrsquoimportance de pouvoir obtenir un contrat de travail au sein drsquoune administration

publique en ideacutealisant ndash et souvent en exageacuterant ndash les avantages de la

laquo civilisation raquo ne pas avoir agrave reacutealiser de travaux manuels recevoir un salaire fixe

et pouvoir acheter des biens de consommation Cependant les contraintes

alimentaires (pour la plupart des familles drsquoAntecume pata et de Hiva Oa celles-ci

deacutependent de la production agricole de lrsquoeacutelevage de la chasse et de la pecircche)

306

rendent neacutecessaire la participation des plus jeunes aux tacircches et agrave lrsquoeacuteconomie

domestiques

Les eacuteducateurs autochtones doivent bon greacute mal greacute transmettre des

donneacutees culturelles issues de deux univers ndash le laquo traditionnel raquo et le laquo moderne raquo ndash

qui ne sont pas toujours coheacuterentes entre elles comme crsquoest le cas des ideacutees de

reacuteussite ou des valeurs morales agrave suivre Mais la diffeacuterence la plus eacutevidente entre

ces deux univers est sans doute la valeur assigneacutee agrave lrsquoenvironnement naturel Si drsquoun

cocircteacute les grands-parents et les membres les plus acircgeacutes des deux communauteacutes ndash

lesquels se perccediloivent comme les laquo deacutefenseurs de la tradition raquo ndash partagent une

mecircme vision de la laquo Nature raquo en tant qursquoorganisme vivant qui accueille lrsquoecirctre humain

et lui offre des ressources pour survivre les adultes plus jeunes ndash qui ont tous eacuteteacute

scolariseacutes ndash preacutefegraverent la concevoir comme une ressource eacuteconomique agrave

laquo apprivoiser raquo afin de pouvoir en tirer un profit eacuteconomique

Le steacutereacuteotype du laquo natif eacutecologique raquo ndash qui deacuterive de lrsquoideacutee du laquo bon sauvage raquo

qui vit en communion avec la laquo Nature raquo ndash nrsquoest pas reacuteellement applicable aux

nouvelles geacuteneacuterations wayana-apalaiuml et enata En effet comme je lrsquoai observeacute agrave

maintes reprises pendant mon travail de terrain en Guyane et en Polyneacutesie

nombreux sont les adultes qui nrsquoheacutesitent pas agrave profiter des ressources naturelles

disponibles sans aucune approche eacutecologique Agrave Antecume pata jrsquoai assisteacute agrave la

deacuteforestation de grandes parcelles de forecirct pour vendre illeacutegalement le bois au

Suriname agrave la pollution des riviegraveres par des villageois utilisant le mercure pour

extraire lrsquoor alluvial ou encore agrave la chasse des singes femelles destineacutes agrave ecirctre

vendues aux familles Boni de Maripasoula De mecircme agrave Hiva Oa jrsquoai connu plusieurs

307

pegraveres de famille qui pratiquent le braconnage des fonds marins afin de pecirccher des

langoustes ou autres crustaceacutes destineacutes aux restaurants de lrsquoicircle ou de Tahiti En effet

les travaux drsquoAstrid Ulloa (2003) et de Molly Doane (2007) ont deacutemontreacute que les

comportements laquo eacutecologiques raquo des peuples natifs ne sont pas universels et que agrave

lrsquoheure actuelle la supposeacutee laquo eacutecologie native raquo plus qursquoune pratique reacuteelle est

devenue un eacuteleacutement du discours revendicatif autochtone ndash et certainement celui qui

a le plus de poids ndash soutenu par les organisations de protection des droits des

peuples ethniques (comme crsquoest par exemple le cas de lrsquoorganisation non

gouvernementale Survival International Corry 2014)

Si les neacutecessiteacutes eacuteconomiques des familles ont pousseacute certains adultes agrave user

de logiques preacutedatrices vis-agrave-vis de lrsquoenvironnement ces mecircmes logiques me

semblent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoeacuteducation des enfants qui sont pousseacutes agrave

laquo capturer raquo certains eacuteleacutements de la culture occidentale afin de subvenir aux besoins

de leurs familles Les parents enata et wayana-apalaiuml considegraverent que la culture

scolaire doit ecirctre acquise par tous les moyens mecircme si cela implique de modifier les

styles eacuteducatifs laquo traditionnels raquo en abandonnant progressivement les typologies

suggestives et laquo autonomisantes raquo au profit de types directifs agrave tendance normative

consideacutereacutes comme plus efficaces Les proies ont changeacute mais la logique du

laquo chasseur raquo est resteacutee la mecircme

132 Reacuteussite scolaire et reacuteussite sociale la difficile quadrature du cercle

La coexistence de deux logiques apparemment inconciliables devrait ecirctre

interpreacuteteacutee agrave mon sens comme lrsquoeffet drsquoun double processus Drsquoun cocircteacute la pression

308

exerceacutee par le macrosystegraveme exige des microsystegravemes qursquoils agissent en fonction

drsquoexigences de niveau laquo supeacuterieur raquo drsquoorigine nationale et internationale

(lrsquointeacutegration agrave lrsquoEtat franccedilais et aux marcheacutes globaux) Drsquoun autre cocircteacute le conflit

intergeacuteneacuterationnel seacutepare le style de vie des laquo anciens raquo (avec leur attachement agrave la

terre et agrave une vision statique de la laquo tradition raquo en tant qursquoensemble immuable de

normes drsquousages et de coutumes) et celui des laquo jeunes raquo lesquels recircvent drsquoune vie

moins deacutependante des difficulteacutes imposeacutees par un environnement naturel complexe

et par la position laquo peacuteripheacuterique raquo de leur territoire

En reacutealiteacute les parents et les membres de la famille nrsquoont pas la possibiliteacute de

choisir leur camp Le fait qursquoagrave Antecume pata et agrave Hiva Oa lrsquointeacutegration agrave lrsquoEacutetat

franccedilais soit encore incomplegravete que les infrastructures existantes ne permettent pas

lrsquoaccegraves de tous les habitants aux droits fondamentaux et que lrsquoisolement

geacuteographique de ces icircles rende difficile lrsquoacquisition des biens de consommation

drsquoorigine industrielle oblige la majoriteacute des familles agrave assurer leur survie gracircce au

travail agricole et aux moyens de subsistance laquo traditionnels raquo Or ces travaux ne

peuvent ecirctre reacutealiseacutes par les seuls adultes ils neacutecessitent lrsquointervention des enfants

qui passent donc une partie de leur temps agrave contribuer agrave lrsquoeacuteconomie domestique

Tous les enfants wayana-apalaiuml et enata que jrsquoai observeacutes pendant ma recherche

contribuent activement agrave ce type de tacircches bien qursquoelles les eacuteloignent souvent de

leurs devoirs scolaires

Crsquoest lagrave un dilemme difficile agrave reacutesoudre pour un eacuteducateur autochtone agrave qui

donner la prioriteacute Agrave lrsquoeacutecole ou agrave la famille Aux devoirs scolaires ou aux tacircches

domestiques Agrave lrsquointeacutegration des enfants agrave la socieacuteteacute nationale ndash en tant que

309

citoyens et professionnels disposant drsquoun diplocircme ndash ou agrave la survie des familles dans

un contexte ougrave certains biens ne peuvent ecirctre acheteacutes avec un diplocircme et doivent

ecirctre produits sur place La reacuteponse nrsquoeacutetant pas donneacutee drsquoavance la solution mise

en œuvre pas les adultes est geacuteneacuteralement baseacutee sur les circonstances plutocirct que

sur une reacuteflexion autour des prioriteacutes eacuteducatives de sorte que bien que la reacuteussite

scolaire soit consideacutereacutee comme une prioriteacute les exigences eacuteconomiques de la famille

obligent parfois les enfants agrave laquo revenir agrave la tradition raquo

Dans les deux contextes eacutetudieacutes lrsquoideacutee de reacuteussite semble tout aussi

complexe Le deacuteveloppement de lrsquoenfant est associeacute agrave deux domaines celui des

compeacutetences scolaires et celui des compeacutetences laquo autochtones raquo soit lrsquoensemble des

attitudes et des connaissances neacutecessaires agrave la survie dans leur habitat Agrave Hiva Oa

cet ensemble est aussi associeacute aux critegraveres drsquoordre religieux et au respect de

certaines normes de vie qui pour la plupart des jeunes que jrsquoai pu interviewer sont

difficiles agrave respecter215 (sans compter que lrsquoicircle est un laquo huis clos raquo ougrave tout le monde

se connaicirct et ougrave lrsquoespace priveacute est tregraves restreint) Cependant si drsquoun cocircteacute la reacuteussite

scolaire ndash qui ne deacutepend pas seulement du travail reacutealiseacute en classe mais aussi drsquoun

environnement familial qui facilite les apprentissages scolaires ndash est limiteacutee par le

fait que les enfants doivent participer aux travaux domestiques drsquoun autre cocircteacute la

reacuteussite laquo en tant que membres drsquoune communauteacute autochtone raquo est limiteacutee par le

215 Plusieurs drsquoentre eux mrsquoont en effet fait part de leurs preacuteoccupations par rapport agrave lrsquoapproche tregraves

conservatrice de diffeacuterents precirctres et pasteurs officiant sur lrsquoicircle surtout pour ce qui concerne les

habitudes sexuelles et la liberteacute des relations sentimentales avant le mariage

310

fait que la transmission des donneacutees culturelles laquo traditionnelles raquo soit consideacutereacutee

secondaire par rapport aux savoirs scolaires

Lrsquoincapaciteacute de certains enfants et de jeunes autochtones agrave reacuteussir dans les

deux domaines (le laquo traditionnel raquo et le scolaire) entraicircne lrsquoeacutechec qui est veacutecu

comme une grande frustration Comme nous lrsquoavons vu dans la deuxiegraveme partie de

cette thegravese le suicide des jeunes autochtones ndash symptocircme drsquoune importante crise

sociale ndash est devenu une cause importante de mortaliteacute Bien que certains

observateurs considegraverent que la cause majeure de cette crise soit tout simplement

la consommation drsquoalcool216 cette hypothegravese nrsquoest pas recevable puisque la

consommation de substances enivrantes ne peut pas ecirctre consideacutereacutee en soi comme

la cause drsquoun pheacutenomegravene social Chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata lrsquoalcool

est plutocirct un laquo deacuteclencheur raquo qui facilite le passage agrave lrsquoacte et qui permet aux jeunes

victimes de la frustration de deacutepasser leurs limites et drsquoaccomplir leur dessin

suicidaire (Amadeacuteo 2014 Amadeacuteo et al 2014 Yen Kai Sun 2014)

216 Crsquoest le cas des missionnaires et de certains enseignants qui travaillent dans les eacutecoles drsquoAntecume

pata et drsquoAtuona avec lesquels jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de discuter de cette question Crsquoest aussi le cas

drsquoune ancienne inspectrice de lrsquoeacuteducation nationale (IEN) chargeacutee de la circonscription scolaire du

Haut Maroni (dans laquelle se trouve lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata) qui en mrsquoexpliquant son point de vue

vis-agrave-vis de ce problegraveme me disait que laquo srsquoil nrsquoy avait pas drsquoalcool Antecume pata serait un paradis raquo

Lrsquoancienne IEN oubliait pourtant que le supposeacute paradis avait deacutejagrave eacuteteacute empoisonneacute bien avant

lrsquoarriveacutee de lrsquoalcool par drsquoautres problegravemes de la contamination des fleuves agrave la deacuteforestation en

passant par la deacuteculturation drsquoun peuple tout entier et par son exclusion des droits les plus basiques

311

Les politiques publiques doivent prendre en consideacuteration ce pheacutenomegravene et

reconsideacuterer les modaliteacutes drsquoaction dans des contextes tels qursquoAntecume pata et

Hiva Oa ougrave la notion de reacuteussite sociale ndash et de deacuteveloppement de lrsquoenfant ndash srsquoest

construite agrave partir drsquoideacuteologies divergentes et parfois conflictuelles

312

14 La scolarisation dans lrsquoOutre-mer lrsquoillusion de lrsquoascenseur social

Dans le chapitre preacutecegravedent jrsquoai montreacute comment lrsquoideacutee selon laquelle la

reacuteussite sociale serait la conseacutequence de la reacuteussite scolaire srsquoest reacutepandue dans les

deux contextes eacutetudieacutes dans le cadre de cette thegravese Cependant le fait que tregraves peu

drsquohabitants drsquoAntecume pata ou de Hiva Oa aient accompli leurs obligations

scolaires ndash et qursquoencore moins aient obtenu leur diplocircme national du brevet (DNB)

au terme du collegravege ou des diplocircmes de niveau supeacuterieur ndash et qursquoils se trouvent

finalement en situation drsquoeacutechec scolaire est agrave mon avis lrsquoune des causes de la crise

culturelle qui provoque chez les jeunes autochtones un sentiment de frustration

drsquoeacutechec social et drsquoincompatibiliteacute avec leur communauteacute drsquoappartenance tout

comme avec la communauteacute nationale

Cependant le cas des Wayana-Apalaiuml et des Enata nrsquoest pas isoleacute Les chiffres

que nous offrent les statistiques les plus reacutecentes sur la reacuteussite scolaire des eacutecoliers

de lrsquoOutre-mer franccedilais ne sont pas reacutejouissants Pour la Polyneacutesie franccedilaise par

exemple un rapport publieacute en 2014 par la Chambre territoriale des comptes deacutecrit

le systegraveme scolaire de la collectiviteacute comme eacutetant laquo en grande difficulteacute raquo

notamment agrave cause de lrsquoampleur du pheacutenomegravene de la deacutescolarisation preacutecoce et des

laquo ineacutegaliteacutes face agrave lrsquoeacuteducation provoqueacutees par lrsquoisolement des archipels eacuteloigneacutes raquo

comme crsquoest le cas aux icircles Marquises (CTCPF 2014 6-8) Le mecircme constat a eacuteteacute

dresseacute pour la Guyane dans une seacuterie de rapports produits agrave la demande de lrsquoINSEE

et du Rectorat de la Guyane qui ont montreacute que la majoriteacute des jeunes Guyanais

313

nrsquoont pas de diplocircme ne participent pas aux formations professionnelles et

nrsquoexercent aucune activiteacute eacuteconomique (Gragnic amp Horatius-Clovis 2014 Horatius-

Clovis amp Michaud 2011)

Dans les deux cas les auteurs pointent du doigt laquo les difficulteacutes speacutecifiques

pour srsquoapproprier le franccedilais langue des apprentissages scolaires dans un univers

qui reste encore largement baigneacute par les langues raquo locales (CTCPF 2014 8) et les

difficulteacutes geacuteneacutereacutees par le milieu social consideacutereacute comme laquo un facteur deacuteterminant

dans la reacuteussite scolaire raquo (Gragnic amp Horatius-Clovis 2014 6) Toutefois se limiter

agrave ces deux causes endogegravenes ndash et agrave des facteurs causaux qui relegravevent finalement des

familles ndash nrsquoest probablement pas suffisant Pour ce qui concerne lrsquousage de la langue

franccedilaise comme je lrsquoai montreacute dans la deuxiegraveme partie agrave Antecume pata comme agrave

Hiva Oa elle est devenue non seulement la langue des apprentissages scolaires mais

aussi la langue la plus utiliseacutee par les parents pour transmettre des donneacutees

culturelles agrave leurs enfants En drsquoautres termes le franccedilais est la langue de lrsquoeacuteducation

domestique217 Elle est aussi devenue la langue qursquoutilisent les enfants pour jouer

217 Ce processus est en train de mettre en peacuteril la tradition de plurilinguisme de ces peuples Je

rappelle que tous les adultes wayana-apalaiuml parlent couramment leur langue maternelle mais aussi

le portugais et le sranan tongo (ou taki-taki soit la lingua franca parleacutee par tous les habitants du Haut

Maroni ) une majoriteacute parle aussi couramment le franccedilais (seules les personnes les plus acircgeacutees du

village ne le parlent pas) et une minoriteacute possegravede des notions de langue cantonaise (en raison de la

preacutesence de ressortissants chinois qui assurent le commerce des biens de premiegravere neacutecessiteacute sur le

fleuve) Les adultes de Hiva Oa parlent tous leur langue maternelle le lsquoeo enata tout en eacutetant capables

de communiquer en rsquoeo enana le dialecte des icircles du groupe nord de lrsquoarchipel et en franccedilais De plus

une grande majoriteacute est capable de communiquer couramment en langue tahitienne et ceux qui

314

entre eux celle qursquoils eacutecoutent agrave la teacuteleacutevision et agrave la radio celle avec laquelle ils

reacutealisent la plupart des interactions Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait penser les

enfants wayana-apalaiuml et enata baignent donc la plupart du temps dans le franccedilais

Qui plus est plusieurs eacutetudes transversales ont deacutemontreacute que sur la longue dureacutee

le fait que la langue de scolarisation soit diffeacuterente de la langue maternelle nrsquoa pas

neacutecessairement un impact neacutegatif sur le rendement scolaire (Marks 2010 et 2014)

Il me semble eacutegalement difficile de remettre en cause le laquo milieu social raquo218

puisqursquoil srsquoagit drsquoune cateacutegorie totalement ethnocentrique et si elle peut srsquoappliquer

agrave laquo notre raquo socieacuteteacute occidentale il en va tout autrement dans des contextes

travaillent dans le secteur du tourisme ou en tant qursquoouvriers dans les bateaux qui assurent la liaison

entre les icircles parlent aussi lrsquoanglais (et jrsquoai mecircme connu des Marquisiens avec des notions basiques

de japonais)

218 Comme le fait par exemple Geacuterard Barthoux lequel en prenant la deacutefense de lrsquoeacutecole reacutepublicaine

affirme que laquo les causes de lrsquoeacutechec scolaire en Polyneacutesie franccedilaise comme ailleurs sont agrave rechercher

surtout dans les conditions de vie des enfants et dans le statut socio-eacuteconomique de leurs parents raquo

et que laquo lrsquoeacutecole reacutepublicaine parvient en outre agrave faire reacuteussir de nombreux eacutelegraveves censeacutes ne pas

correspondre agrave son public preacutetendument privileacutegieacute y compris parmi ceux qui plus tard font

profession comme le sociologue Pierre Bourdieu par exemple de deacutecrier cette eacutecole raquo (Barthoux

2012 45 Voir aussi Barthoux 2008) Cependant les donneacutees disponibles semblent deacutemontrer le

contraire les derniegraveres eacutevaluations du PISA nous confirment que depuis 2003 le systegraveme scolaire

franccedilais laquo srsquoest deacutegradeacute principalement par le bas raquo agrave cause de son laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo et drsquoune

proportion drsquoeacutelegraveves reacutesilients (crsquoest-agrave-dire les eacutelegraveves provenant drsquoun milieu deacutefavoriseacute se classant

dans le groupe drsquoeacutelegraveves qui obtiennent les meilleures performances scolaires) tregraves infeacuterieure agrave la

moyenne des pays de lrsquoOCDE (OCDE 2015 5-11)

315

autochtones ougrave les hieacuterarchies sociales ne correspondent pas agrave laquo nos raquo critegraveres Agrave

Antecume pata par exemple le chef du village ndash qui occupe le rang le plus eacuteleveacute de

la hieacuterarchie sociale ndash nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute et exerce la profession laquo occidentale raquo

drsquoagent drsquoentretien (ouvrier) agrave mi-temps au sein de la mairie de Maripasoula son

eacutepouse est femme au foyer ses quatre enfants sont inactifs et ses six petits-enfants

ont tous moins de 16 ans Bien que selon les critegraveres de lrsquoINSEE son foyer soit

consideacutereacute comme celui drsquoun milieu laquo deacutefavoriseacute raquo219 pour les autres villageois

(lesquels aux yeux de lrsquoINSEE appartiennent aussi agrave un milieu laquo deacutefavoriseacute raquo) il nrsquoen

est pas moins un symbole de reacuteussite sociale et beaucoup de membres de la

communauteacute lrsquoenvient Si nous ajoutons le fait que tous ses enfants et petits-enfants

aient eacuteteacute scolariseacutes correctement et aient obtenu de bons reacutesultats scolaires nous

pouvons supposer que le lien entre le laquo milieu social raquo et la reacuteussite scolaire ne soit

pas absolu mais plutocirct relatif et lieacute aux critegraveres locaux de stratification sociale Le

cas du chef du village ne constitue pas une exception En effet la directrice de lrsquoeacutecole

drsquoAntecume pata Mme Marion Le Guen mrsquoa confirmeacute que entre 2012 et 2015 la

tendance geacuteneacuterale eacutetait la suivante les eacutelegraveves avec les meilleurs reacutesultats scolaires

nrsquoeacutetaient pas ceux qui venaient des familles disposant des revenus les plus eacuteleveacutes

219 Dans les eacutetudes de lrsquoINSEE la cateacutegorie socioprofessionnelle de la personne de reacutefeacuterence du

meacutenage est deacutefinie agrave partir drsquoun regroupement des cateacutegories socioprofessionnelles de lrsquoINSEE La

cateacutegorie laquo tregraves favoriseacutee raquo regroupe les cadres les professions libeacuterales les chefs drsquoentreprise et les

enseignants la cateacutegorie laquo favoriseacutee raquo correspond aux professions intermeacutediaires la cateacutegorie laquo

moyenne raquo regroupe les agriculteurs exploitants les artisans-commerccedilants les employeacutes et la

cateacutegorie laquo deacutefavoriseacutee raquo regroupe les ouvriers les chocircmeurs et les inactifs nrsquoayant jamais travailleacute

(Baccaiumlni et al 2014)

316

mais plutocirct ceux qui appartenaient agrave des familles jouissant drsquoun statut eacuteleveacute au sein

de la communauteacute comme par exemple celle du shaman du chasseur ou de lrsquoartisan

le plus reacuteputeacute ndash soit les familles qui disposaient selon les critegraveres locaux drsquoun

laquo capital culturel raquo220 plus conseacutequent Toutefois ces ressources culturelles nrsquoont

une influence directe et eacutevidente que sur les reacutesultats des eacutelegraveves drsquoeacutecole primaire ndash

qui se trouve dans le village ndash et comme me lrsquoassure la mecircme source nrsquoen ont en

revanche aucune sur les reacutesultats scolaires des enfants qui suivent les cours du

collegravege de Maripasoula et qui ont ducirc srsquoeacuteloigner de leur village et de leur famille Agrave

Hiva Oa les critegraveres de stratification sociale ndash bien que diffeacuterents de ceux observeacutes

agrave Antecume pata ndash preacutesentent grosso modo le mecircme eacutecart vis-agrave-vis des critegraveres pris

en compte par les institutions publiques Aux Marquises en effet les enseignants et

le personnel de santeacute provenant de la meacutetropole (lesquels selon lrsquoINSEE

appartiennent agrave la cateacutegorie laquo tregraves favoriseacutee raquo) partagent le sommet de la pyramide

eacuteconomique avec les agriculteurs les eacuteleveurs les petits commerccedilants et les

employeacutes de la mairie qui concentrent la majoriteacute du capital eacuteconomique des icircles

(les terres les ressources financiegraveres et les moyens de productions) bien que selon

220 Jrsquoemprunte le concept de capital culturel agrave Pierre Bourdieu (1966 1979) qui lrsquoavait utiliseacute pour

analyser le contexte laquo occidental raquo agrave partir drsquoune ideacutee de la culture laquo savante raquo et scolaire crsquoest-agrave-dire

ndash comme je lrsquoai montreacute dans la premiegravere partie de cette thegravese ndash en tant que patrimoine drsquoune

civilisation Cependant le concept ndash qui deacutecrit lrsquoensemble des ressources culturelles transmises agrave un

individu par sa famille mais aussi ses aptitudes par rapport agrave la culture et aux codes

comportementaux en vigueur dans un contexte deacutetermineacute ndash me paraicirct adaptable mutatis mutandis

au contexte autochtone Dans ce dernier cas la culture doit ecirctre interpreacuteteacutee agrave partir de sa deacutefinition

anthropologique en tant qursquoensemble des savoirs propres agrave un groupe social deacutetermineacute

317

lrsquoINSEE ces derniers devraient ecirctre classeacutes dans la cateacutegorie laquo moyenne raquo

Cependant le sommet de la pyramide sociale est occupeacute par des personnes qui ont

bacircti leur reacuteputation sur les activiteacutes sociales et sur le laquo deacuteveloppement humain raquo de

la communauteacute (lrsquoaide aux autres villageois lrsquoorganisation de ceacuteleacutebrations et de

fecirctes ou la restauration drsquoun lieu de culte) lesquelles ne proviennent pas

neacutecessairement drsquoun milieu social laquo favoriseacute raquo Ces observations semblent confirmer

que le critegravere du laquo milieu social raquo nrsquoest pas universel et qursquoil devrait ecirctre interpreacuteteacute

agrave partir du contexte

Selon les enseignants que jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de connaicirctre dans mes deux

terrains drsquoeacutetude les causes les plus profondes des hauts niveaux de deacutecrochage

scolaire et drsquoexclusion du marcheacute du travail des enfants autochtones ne sont pas

laquo culturelles raquo (la langue et le milieu familial) mais plutocirct lieacutees aux insuffisances

structurelles des institutions chargeacutees de lrsquoeacuteducation scolaire notamment en ce qui

concerne le manque de financements et le faible effectif du personnel de lrsquoEacuteducation

nationale Par ailleurs une autre cause importante est le fait que agrave Antecume pata

et agrave Hiva Oa les enfants qui veulent poursuivre leurs eacutetudes secondaires soient

obligeacutes de partir de leurs icircles de srsquoeacuteloigner des familles et de srsquoinstaller loin de leurs

communauteacutes dans des contextes ougrave lrsquoadaptation et lrsquointeacutegration se reacutevegravele bien

souvent tregraves difficiles

Dans un rapport de 2011 la Ligue des Droits de lrsquoHomme a constateacute que

laquo les eacutelegraveves des villages ameacuterindiens du Haut Maroni sont

contraints pour se rendre au collegravege de Maripasoula drsquoecirctre accueillis

318

dans des familles drsquoaccueil financeacutees par le conseil geacuteneacuteral ou dans un

home drsquoenfants sous la responsabiliteacute de religieuses catholiques qui a

eacuteteacute transformeacute agrave la rentreacutee 2010 en internat dit ‟drsquoexcellencerdquo

deacutesormais sous la responsabiliteacute conjointe de lrsquoeacutevecirccheacute et du rectorat

Le deacuteplacement contraint des eacutelegraveves vivant en territoires isoleacutes

implique une gestion drsquoaccueil suffisant afin que ceux-ci puissent de

maniegravere effective poursuivre leurs eacutetudes et ce dans les meilleures

conditions Toutefois [hellip] lrsquoaccueil des enfants se reacutevegravele ecirctre partiel

lrsquoheacutebergement nrsquoeacutetant pas preacutevu le week-end Ainsi [hellip] les enfants

provenant de sites isoleacutes notamment des reacutegions du Haut Maroni et

du Haut Oyapock se retrouvaient en errance nrsquoayant nulle part ougrave se

retourner raquo (LDH 2011 9)

Pour ce qui est des eacutetudiants de Hiva Oa la situation nrsquoest guegravere plus simple

Lrsquoicircle ne disposant que drsquoun lyceacutee priveacute (et drsquoune classe de Bac pro inteacutegreacutee au collegravege

public) les eacutetudiants marquisiens deacutesireux de poursuivre leurs eacutetudes dans un lyceacutee

public (ou dans une filiegravere drsquoenseignement geacuteneacuteral) sont obligeacutes drsquoaller agrave Tahiti ce

qui signifie pour eux drsquointeacutegrer un internat ou drsquoecirctre accueillis par des membres de

leur famille parfois tregraves eacuteloigneacutee Par ailleurs certains drsquoentre eux mrsquoont confirmeacute

qursquoils avaient ducirc abandonner leurs eacutetudes supeacuterieures agrave Tahiti parce qursquoils avaient

eacuteteacute sujets agrave de nombreuses moqueries du fait de leur origine insulaire eacuteloigneacutee

319

Deacutejagrave dans les anneacutees 1970 certains praticiens de lrsquoeacuteducation avaient reacutefleacutechi

agrave la probleacutematique de lrsquoeacutechec scolaire en observant que

laquo les conditions sociales de vie des familles sont agrave mettre en

cause mais aussi lrsquoeacutecole et les contenus manifestes et latents ou

inconscients drsquoenseignement et surtout la crise globale des valeurs

La relation de lrsquoenfant au savoir au travail agrave la culture nrsquoest pas

seulement un trait psychologique individuel ou plutocirct par-delagrave sa

manifestation comme trait psychologique individuel on retrouve le

social raquo (Cimaz 1977 8-9)

En drsquoautres termes si la personnaliteacute les compeacutetences langagiegraveres et le

milieu social des enfants (qui deacutependent de lrsquoontosystegraveme et des microsystegravemes de

socialisation) peuvent avoir une influence sur leur reacuteussite scolaire celle-ci deacutepend

plutocirct drsquoun facteur de type macrosystegravemique agrave savoir la capaciteacute de lrsquoeacutecole agrave

inteacutegrer ses eacutelegraveves et agrave leur offrir un parcours drsquoapprentissage adapteacute agrave leurs

speacutecificiteacutes socioculturelles et aux besoins de leur communauteacute

141 De retour au village la difficile inteacutegration des laquo autochtones diplocircmeacutes raquo

La situation des adolescents wayana-apalaiuml et enata qui ont suivi

correctement leur scolarisation et qui ont reacuteussi agrave deacutecrocher des titres drsquoeacutetude nrsquoest

pas meilleure En effet quand ils retournent dans leur village drsquoorigine ils

deacutecouvrent que leurs diplocircmes ne sont drsquoaucune utiliteacute pour la simple raison qursquoagrave

320

Hiva Oa et agrave Antecume pata le marcheacute du travail est paralyseacute Les jeunes survivent

donc de laquo petits boulots raquo parfois agrave la limite de la leacutegaliteacute221 ou de contrats

drsquoinsertion sociale agrave dureacutee deacutetermineacutee qui nrsquoassurent pas lrsquoautonomie financiegravere et

qui par deacutefinition ont une porteacutee limiteacutee Les laquo diplocircmeacutes raquo qui deacutecident de se lancer

dans lrsquoexploitation agricole les services touristiques le commerce drsquoartisanat ou

dans le cas des Enata la reacutealisation de tatouages deacutecouvrent tregraves vite que le nombre

de clients potentiels ne leur permettra pas de subvenir agrave leurs besoins et encore

moins agrave ceux drsquoune eacuteventuelle famille Ils se retrouvent finalement obligeacutes de choisir

entre eacutemigrer ou retourner agrave la laquo vie traditionnelle raquo ndash crsquoest-agrave-dire aider leurs

parents dans les tacircches agricoles la chasse et la pecircche ndash une vie pour laquelle ils ne

sont plus preacutepareacutes Leurs recircves se brisent et crsquoest alors que la plupart drsquoentre eux

comprennent que lrsquoeacutecole nrsquoa pas fonctionneacute pour eux comme un veacuteritable ascenseur

social

Le constat deacutecevant que je viens de faire semble deacutemontrer que lrsquoeacutechec social

des jeunes Wayana-Apalaiuml et Enata lesquels srsquoadaptent avec difficulteacute agrave leur double

identiteacute ndash de membres drsquoune communauteacute autochtone rurale et de citoyens de la

Reacutepublique appeleacutes agrave contribuer au deacuteveloppement eacuteconomique de la nation ndash est

au but du compte un symptocircme de lrsquoeacutechec partiel de lrsquoeacutecole dans lrsquoOutre-mer qui

nrsquoa pas atteint son objectif paradigmatique drsquoassurer la laquo reacuteussite pour tous raquo Agrave

221 En geacuteneacuteral ces laquo petits boulots raquo ne sont pas deacuteclareacutes Il srsquoagit parfois de travaux agricoles ou

drsquoemplois dans le bacirctiment (sans que les mesures de seacutecuriteacute neacutecessaires soient appliqueacutees) et le

plus souvent de la distribution et de la vente de substances illeacutegales comme lrsquoalcool de contrebande

les drogues ou agrave Antecume pata le mercure

321

lrsquoaube de ce troisiegraveme milleacutenaire cette situation nous invite agrave reacutefleacutechir agrave la mission

de lrsquoeacutecole et agrave se poser une question basique mais neacutecessaire si lrsquoeacutecole nrsquoest pas un

ascenseur social et si elle nrsquoest pas capable de garantir lrsquoeacutegaliteacute des chances pour

tous les eacutelegraveves agrave qui sert-elle aujourdrsquohui dans les contextes autochtones de lrsquoOutre-

mer

142 Lrsquoeacutecole du troisiegraveme milleacutenaire forge de citoyens ou fabrique de

professionnels

Depuis la Reacutevolution franccedilaise les leacutegislateurs ont assigneacute agrave lrsquoeacutecole le rocircle de

laquo forge raquo de citoyens chargeacutee de former des membres drsquoune nation conscients du

patrimoine propre agrave leur civilisation Ils lui ont aussi assigneacute un rocircle eacutemancipatoire

visant agrave construire une socieacuteteacute laiumlque et eacutequitable Ce nrsquoest pas un hasard si en 1880

Jules Ferry dans le rapport preacuteliminaire qui accompagnait son projet de loi sur

lrsquoenseignement primaire obligatoire eacutecrivait que la scolarisation laquo est une arme

neacutecessaire pour vaincre dans des cas trop nombreux lrsquoapathie la coupable

indiffeacuterence quelquefois les calculs de la cupiditeacute raquo (Ferry 1880 citeacute par

Muller 1999 114) En effet comme lrsquoa deacutemontreacute Norbert Elias (1973 1975)

lrsquoinstruction scolaire depuis le Moyen Age a bel et bien contribueacute agrave la laquo civilisation

des mœurs raquo ndash soit agrave la transmission des pratiques des eacutelites aux autres cateacutegories

sociales ndash mais elle a surtout faciliteacute la laquo sociogenegravese de lrsquoEacutetat raquo et la diffusion de

lrsquoideacutee selon laquelle un peuple sans Eacutetat serait impensable et que tous les individus

devraient donc se rallier agrave un projet national en devenant des citoyens Bien

eacutevidemment elle a aussi permis de diffuser la penseacutee critique et plusieurs

mouvements de contestation et de deacutecolonisation ont surgi dans les milieux

322

scolaires et universitaires222 En France le cas de mai 1968 nrsquoest pas isoleacute pour ne

citer qursquoun exemple repreacutesentatif le mouvement anticolonialiste de la laquo neacutegritude raquo

ndash qui regroupait des penseurs de lrsquoenvergure drsquoAimeacute Ceacutesaire ou de Leacuteopold Sedar

Senghor ndash a vu le jour dans les couloirs du lyceacutee Louis-le-Grand agrave Paris

Agrave lrsquoheure actuelle la conception de lrsquoeacutecole en tant que sanctuaire voueacute agrave

lrsquoeacutepanouissement de lrsquoenfant et agrave sa socialisation est en train de laisser la place agrave une

nouvelle conception celle de lrsquoeacutecole en tant qursquoinstitution de formation consacreacutee agrave

la professionnalisation et agrave la preacuteparation des futurs travailleurs Vincent Troger

souligne qursquoen France la formation professionnelle a eacuteteacute historiquement deacuteleacutegueacutee

au cadre scolaire car seule lrsquoeacutecole laquo fait consensus pour garantir lrsquoobjectiviteacute des

certifications raquo professionnelles (Troger 2014 48) En effet en France lrsquoabolition

des corporations et du compagnonnage par le deacutecret laquo drsquoAllarde raquo du 17 mars 1791

a fortement bouleverseacute les modaliteacutes drsquoexercice et de transmission laquo traditionnelle raquo

des meacutetiers (Hanne 2003) Deux points de vue se sont opposeacutes face agrave cette

laquo reacutevolution dans la Reacutevolution raquo drsquoun cocircteacute ceux qui deacutefendaient lrsquoapprentissage

dans lrsquoentreprise ndash ce qui impliquait lrsquoadheacutesion de lrsquoapprenant aux valeurs

patronales ndash et de lrsquoautre ceux qui procircnaient une formation professionnelle dans les

eacutecoles Cette dispute srsquoest poursuivie jusqursquoau lendemain de la Seconde Guerre

mondiale avec la creacuteation des collegraveges drsquoenseignement technique (devenus en 1975

222 Dans mes preacuteceacutedents travaux jrsquoai exploreacute le rocircle de la scolarisation dans la formation ideacuteologique

des membres de la gueacuterilla reacutevolutionnaire en Colombie en deacutemontrant comment les eacutetablissements

eacuteducatifs geacutereacutes par certaines congreacutegations catholiques ont contribueacute agrave la diffusion des ideacutees propres

agrave la laquo theacuteologie de la libeacuteration raquo et agrave la consolidation des mouvements syndicaux ruraux (Aligrave 2014)

323

des lyceacutees drsquoenseignement professionnel puis dix ans plus tard des lyceacutees

professionnels) chargeacutes de former des professionnels et de deacutelivrer les diffeacuterents

certificats drsquoaptitude professionnelle (CAP) diplocircmes embleacutematiques de la

qualification ouvriegravere Lrsquoapprentissage en entreprise reprendra ses couleurs avec la

loi ndeg 87-572 du 23 juillet 1987 (dite loi laquo Seacuteguin raquo) qui consacre lrsquoapprentissage

comme une veacuteritable filiegravere de la formation initiale permettant lrsquoobtention de

certains diplocircmes (du CAP au diplocircme drsquoingeacutenieur) en vue de lrsquoinsertion

professionnelle de lrsquoapprenant (Moreau 2013) Cependant les savoirs

professionnels continuent drsquoecirctre marginaliseacutes par rapport aux savoirs acadeacutemiques

ce qui est deacutemontreacute par le fait qursquoagrave lrsquoheure actuelle il existe encore un fort clivage

(social et en termes de revenus) entre les professionnels qui maicirctrisent les savoirs

acadeacutemiques et ceux qui ne maicirctrisent laquo que raquo les savoirs professionnels Ces

incoheacuterences deacuterivent du fait que si le macrosystegraveme global ndash et les valeurs

neacuteolibeacuterales qursquoil veacutehicule ndash se doit de valoriser les compeacutetences geacuteneacuterales ou

acadeacutemiques propres aux eacutelites il doit en mecircme temps laquo motiver raquo lrsquoensemble des

citoyens ndash et surtout ceux qui viennent des milieux deacutefavoriseacutes ndash agrave se former aux

meacutetiers que lrsquoeacutelite ne veut pas reacutealiser mais qui sont neacutecessaires au deacuteveloppement

eacuteconomique de la nation (Ledoux 2012) Toutefois lrsquoexpeacuterience des Wayana-Apalaiuml

et des Enata semble deacutemontrer que la formation qui leur est donneacutee par lrsquoeacutecole

reacutepublicaine non seulement ne contribue pas au deacuteveloppement eacuteconomique de la

France mais se montre aussi largement inexploitable dans les contextes dans

lesquels ils vivent

324

La situation de ces peuples drsquoOutre-mer nous confirme que lrsquoeacutecole

reacutepublicaine est confronteacutee agrave un deacutefi majeur celui de pouvoir garantir lrsquoaccegraves agrave une

eacuteducation de qualiteacute agrave ses minoriteacutes autochtones Il srsquoagit alors drsquoeacuteliminer certains

obstacles qui limitent cet accegraves et de trouver des solutions efficaces pour rendre agrave

lrsquoeacutecole son rocircle drsquoinstitution eacuteducative de formation citoyenne Une strateacutegie globale

devrait mener les politiques publiques agrave prendre en consideacuteration la voix des

communauteacutes et agrave leur permettre de participer agrave la prise de deacutecisions les

concernant Les communauteacutes devraient pouvoir participer au fonctionnement et agrave

la gestion de lrsquoeacuteducation mais pour ce faire elles devraient avant tout comprendre

quelle est la mission de cette derniegravere quelles sont les ressources dont elle dispose

et quelles sont les limites drsquoaction imposeacutees par la loi Il srsquoagit finalement de donner

aux contextes locaux le pouvoir de deacutecision autour des dynamiques locales

325

15 Reformuler les politiques eacuteducatives de laquo lrsquoindiffeacuterence aux

diffeacuterences raquo agrave la prise en compte des particulariteacutes locales

Dans les derniers chapitres de la premiegravere partie de cette thegravese jrsquoai eacutevoqueacute

lrsquohypothegravese soutenue par plusieurs observateurs de la socieacuteteacute franccedilaise selon

laquelle le modegravele multiculturel reacutepublicain ndash et son laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo

ndash est deacutesormais en crise Ce modegravele descendant direct de lrsquoideacuteologie propre agrave la

Reacutevolution franccedilaise et agrave sa vision de lrsquoeacutegaliteacute citoyenne a eacutemergeacute dans un contexte

de laquo multiculturalisme restreint raquo puisqursquoagrave la fin du XVIIIegraveme siegravecle les reacutealiteacutes

sociales laquo autres raquo inteacutegreacutees au territoire de la nation eacutetaient au bout du compte

plutocirct proches ndash dans leurs normes coutumes usages et traditions ndash de la reacutealiteacute

sociale construite par les eacutelites au pouvoir Cela ne signifie pas pour autant que la

socieacuteteacute franccedilaise de lrsquoeacutepoque eacutetait moins multiculturelle que celle drsquoaujourdrsquohui

Toutefois agrave cette eacutepoque-lagrave la construction savante des cateacutegories ethniques et son

appropriation politique de la part des eacutelites avait permis de creacuteer des barriegraveres

capables drsquoexclure de ce que jrsquoappelle laquo le panorama social franccedilais raquo certains

groupes humains reacutesidant sur le territoire national La premiegravere barriegravere eacutetait celle

de la citoyenneteacute ndash de laquelle eacutetaient exclus les peuples autochtones originaires des

territoires coloniaux ndash et la deuxiegraveme eacutetait celle des droits civiques qui eacutetaient nieacutes

aux individus supposeacutes avoir certaines origines ethniques particuliegraveres comme les

Juifs ou les Roms (Leacutemann 1886 Feuerwerker 1976 Fraser 1995 Hovanessian

amp Marienstras 1998 Leff 2010)

326

Agrave partir de la fin du deuxiegraveme conflit mondial le processus de deacutecolonisation

et drsquointeacutegration des anciennes colonies agrave lrsquoEacutetat franccedilais (en tant que deacutepartements

territoires ou collectiviteacutes) et les dynamiques migratoires internationales ont

contribueacute agrave amplifier la dimension multiculturelle de la France Il est difficile de

quantifier cette dimension puisque les donneacutees disponibles gracircce aux recensements

de lrsquoINSEE se limitent agrave diffeacuterencier les personnes neacutees agrave lrsquoeacutetranger et reacutesidant en

France (les laquo immigrants raquo) et les personnes reacutesidant en France et ne posseacutedant pas

la nationaliteacute franccedilaise (les laquo eacutetrangers raquo)223 sans proposer des donneacutees sur la

laquo preacutesence ethnique raquo dans les diffeacuterents deacutepartements territoires ou collectiviteacutes

Bien que la politique eacutegalitariste des gouvernements qui se sont succeacutedeacutes agrave

la tecircte de la Reacutepublique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale nrsquoait jamais

permis de prendre en compte lrsquoexistence des peuples autochtones au sein de la

nation ndash ce qui rend difficile lrsquoanalyse deacutemographique et le calcul de leur poids dans

la population nationale ndash nous savons que dans certains contextes comme dans le

laquo pays ameacuterindien raquo en Guyane ou dans certaines icircles de la Polyneacutesie franccedilaise les

communauteacutes autochtones repreacutesentent la majoriteacute absolue de la population

reacutesidente Dans le chapitre preacutecegravedent jrsquoai montreacute que dans ces contextes les

objectifs de deacuteveloppement humain issus de la politique de la laquo reacuteussite pour tous raquo

eacutetaient encore loin drsquoecirctre atteints En effet lrsquoideacuteologie reacutepublicaine ndash et son

223 Les donneacutees les plus actuelles (relatives agrave lrsquoanneacutee 2008) nous informent que 84 des personnes

vivant en France sont immigreacutees et que 58 de la population totale (soit presque 4 millions de

personnes) est composeacutee drsquoeacutetrangers (Breuil-Genier et al 2011 Croguennec 2011)

327

laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo ndash qui srsquoest traduite par lrsquoimposition des politiques

sociales et eacuteducatives agrave lrsquoensemble de la nation nrsquoa pas neacutecessairement faciliteacute

lrsquointeacutegration des peuples autochtones comme le deacutemontrent le cas des Wayana-

Apalaiuml et des Enata Lrsquoutopie multiculturelle qui a justifieacute lrsquoaction et les deacutecisions des

organismes de lrsquoEacutetat surtout en ce qui concerne les politiques eacuteducatives a en effet

montreacute ses nombreuses limites

Gracircce aux reacuteflexions et aux deacutebats meneacutes en Guyane et en Polyneacutesie avec les

membres des communauteacutes concerneacutees par lrsquoenquecircte et les enseignants des eacutecoles

locales jrsquoai pu identifier certains facteurs probleacutematiques qui meacuteritent drsquoecirctre

analyseacutes afin de mieux comprendre les causes formelles et substantielles de lrsquoeacutechec

scolaire des jeunes autochtones Je les ai classifieacutes en deux cateacutegories drsquoun cocircteacute les

obstacles structurels (geacuteneacutereacutes par une gestion eacutetatique des ressources eacuteconomiques

qui privileacutegie le territoire meacutetropolitain) et de lrsquoautre les obstacles ideacuteologiques

(geacuteneacutereacutes par les logiques laquo coloniales raquo qui animent aujourdrsquohui encore lrsquoaction

eacuteducative de lrsquoEacutetat)

Dans la premiegravere cateacutegorie jrsquoidentifie deux obstacles majeurs le faible

nombre drsquoeacutetablissements scolaires (notamment les collegraveges et les lyceacutees) dans les

territoires ougrave la majoriteacute de la population est autochtone ndash et surtout agrave proximiteacute

des sites isoleacutes ndash et le manque drsquoinvestissements pour soutenir les coucircts directs (les

frais lieacutes agrave la scolariteacute au transport aux mateacuteriels scolaires agrave lrsquoalimentation et agrave

lrsquohabillement des enfants) et indirects (lieacutes agrave la perte de revenus provoqueacutee par le

deacutepart drsquoune partie de la main drsquoœuvre) engendreacutes par la scolarisation auxquels les

meacutenages deacutefavoriseacutes font difficilement face

328

Dans la deuxiegraveme cateacutegorie jrsquoai inclus trois facteurs le manque drsquoadaptation

des rythmes scolaires (horaires et calendriers) et des contenus peacutedagogiques

(programmes et compeacutetences viseacutees) aux reacutealiteacutes locales et aux besoins speacutecifiques

des populations concerneacutees le manque de formation des enseignants envoyeacutes pour

travailler avec ces populations et finalement le rejet de lrsquoeacutecole en tant qursquoinstitution

laquo civilisatrice raquo emblegraveme de la colonisation

Dans les prochaines pages jrsquoessaierai de deacutecrire ces aspects probleacutematiques

et de montrer qursquoils peuvent se traduire en axes de travail envisageables pour

imaginer des politiques publiques capables de prendre en consideacuteration la reacutealiteacute

sociale laquo multidimensionnelle raquo de la France drsquoOutre-mer

151 Obstacles structurels

Bien que de nombreuses eacutetudes aient eacuteteacute reacutealiseacutees pour comprendre les

laquo obstacles culturels raquo aux apprentissages scolaires (Ogbu 1987 Verbunt 1994

Coiumlaniz et al 2001 Barthoux 2008 Chapellon amp Leacutevecircque 2011 Buckingam

2013) peu de travaux ont eacuteteacute publieacutes pour appreacutehender les obstacles laquo structurels raquo

qui rendent difficile lrsquoaccegraves agrave lrsquoeacuteducation scolaire des communauteacutes autochtones

laquo deacutefavoriseacutees raquo224 Pour ce qui est de la France les rares enquecirctes portant sur les

difficulteacutes laquo mateacuterielles raquo relatives agrave lrsquoinsertion scolaire sont plutocirct centreacutees sur les

enfants immigreacutes qui habitent lrsquoHexagone (Klein amp Salle 2009 Kleinholt 2012

224 Une remarquable exception est le rapport que Candy Lugaz (2008) a reacutealiseacute pour lrsquoInstitut

international pour la planification de lrsquoeacuteducation un organisme de lrsquoUNESCO

329

Tavernier 2012) Cependant les parents drsquoeacutelegraveves et les speacutecialistes de lrsquoeacuteducation

que jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de rencontrer sur mes terrains drsquoeacutetude mrsquoont confirmeacute que

pour eux les principaux obstacles auxquels les eacutelegraveves et les familles autochtones de

lrsquoOutre-mer doivent faire face pour acceacuteder agrave une eacuteducation de qualiteacute sont

justement lieacutes agrave lrsquoabsence de ressources laquo mateacuterielles raquo

En effet en laquo pays ameacuterindien raquo comme aux icircles Marquises certaines

communauteacutes qui habitent des sites isoleacutes ne disposent pas drsquoeacutetablissements

scolaires Les caracteacuteristiques geacuteographiques et lrsquoorganisation de lrsquoespace de ces

territoires nrsquoont pas permis la creacuteation drsquoeacutecoles de collegraveges et de lyceacutees agrave une

distance raisonnable des nombreux lieux-dits qui existent dans ces endroits Bien

que des services de transport scolaire existent parfois ils ne fonctionnent pas

toujours et plusieurs variables peuvent influer sur leur continuiteacute225 Les parents

drsquoeacutelegraveves sont alors obligeacutes de choisir entre trois possibiliteacutes srsquoinvestir dans de longs

voyages pour amener quotidiennement leurs enfants agrave lrsquoeacutecole (ce qui les obligerait

agrave ne pas reacutealiser certaines tacircches domestiques) demander agrave un internat ou agrave

drsquoautres familles qui habitent pregraves de lrsquoeacutecole (et avec lesquelles existent des liens de

parenteacute) drsquoaccueillir lrsquoenfant ou deacutemeacutenager et srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de lrsquoeacutecole Ce ne

225 Agrave Antecume pata par exemple les hommes qui assurent le transport scolaire des enfants vivant

dans les villages les plus proches refusent de travailler quand il y a des fecirctes ou des eacuteveacutenements

sportifs transmis agrave la teacuteleacutevision Agrave Hiva Oa certains villages qui ne sont pas desservis par le service

communal de transport scolaire deacutependent de la laquo bonne volonteacute raquo de certains parents drsquoeacutelegraveves qui

disposent drsquoune voiture mais qui refusent parfois drsquoassurer le service lorsqursquoils doivent srsquooccuper des

tacircches agricoles ou aller pecirccher tocirct le matin

330

sont pas lagrave des cas exceptionnels agrave Antecume pata et agrave Hiva Oa jrsquoai observeacute

plusieurs parents choisir lrsquoune de ces trois options pour garantir la laquo reacuteussite raquo de

leurs enfants

Quand les enfants parviennent agrave terminer le collegravege une autre difficulteacute

apparaicirct Srsquoils deacutecident de poursuivre leurs eacutetudes leur choix est souvent limiteacute aux

filiegraveres disponibles agrave proximiteacute Les jeunes Wayana-Apalaiuml qui deacutecident de suivre les

formations offertes par le Collegravege Gran Man Difou de Maripasoula (le seul de la

commune) pourront choisir entre trois CAP le premier forme des agents de

deacuteveloppement des activiteacutes locales (avec une option tourisme) le deuxiegraveme

preacutepare les assistants techniques en milieux familial et collectif et le troisiegraveme a

pour objectif de former des assistants en maintenance de bacirctiments de collectiviteacutes

Or aucune de ces trois formations proposeacutees nrsquoest directement lieacutee aux besoins

eacuteconomiques du territoire La premiegravere par exemple qui vise agrave former des

laquo experts raquo en tourisme nrsquoest pas adapteacutee agrave un territoire qui se trouve en laquo zone

interdite raquo et agrave laquelle les touristes nrsquoont pas accegraves De mecircme la deuxiegraveme ndash qui

forme des assistants scolaires ndash ne permet pas drsquoacceacuteder aux concours de la fonction

publique territoriale et nationale pour avoir un poste drsquoAVS ou drsquoATSEM dans les

eacutecoles locales Enfin la troisiegraveme offre peu de deacuteboucheacutees dans un contexte ougrave

lrsquoarchitecture est baseacutee sur des critegraveres laquo traditionnels raquo226 drsquoautant plus que agrave

226 Les Ameacuterindiens du Haut Maroni vivent tous dans des maisons en bois sur pilotis et la seule

concession agrave la laquo moderniteacute raquo sont les toitures en tocircle

331

lrsquoexception des eacutecoles aucun laquo bacirctiment de collectiviteacute raquo nrsquoexiste dans le Haut

Maroni

Pour les jeunes de Hiva Oa il nrsquoy a guegravere plus de choix Ceux qui deacutecident de

poursuivre leurs eacutetudes au CETAD drsquoAtuona peuvent acceacuteder agrave des formations de

niveau CAP en laquo activiteacutes familiales artisanales et touristiques raquo ou en laquo gestion et

entretien en milieu marin raquo tandis que ceux qui optent pour le lyceacutee professionnel

drsquoAtuona peuvent choisir entre un CAP laquo Agent polyvalent de restauration raquo ou un

Bac pro laquo Gestion-administration raquo Si la formation en artisanat et tourisme semble

ecirctre celle qui offre le plus drsquoopportuniteacutes (surtout pour la creacuteation drsquoautoentreprises

drsquoartisanat) les autres sont beaucoup moins adapteacutees au contexte marquisien Les

deacutetenteurs du certificat en gestion et entretien en milieu marin qui visent surtout le

travail sur les bateaux assurant le transport des marchandises entre les icircles doivent

laquo faire des pieds et des mains raquo pour acceacuteder agrave un milieu professionnel tregraves fermeacute

dans lequel la force et lrsquoendurance physique comptent bien plus que les diplocircmes et

auquel on accegravede la plupart du temps par cooptation Ceux qui ont eacutetudieacute la

restauration auront quant agrave eux des difficulteacutes agrave trouver du travail dans une icircle qui

ne compte que trois restaurants dont deux agrave caractegravere familial (ce qui implique que

leurs employeacutes sont geacuteneacuteralement des membres de la famille du proprieacutetaire)

Finalement ceux qui ont eacutetudieacute la gestion et lrsquoadministration trouveront

difficilement du travail dans une icircle ougrave la majoriteacute des entreprises sont de taille

332

limiteacutee ce qui rend peu neacutecessaire lrsquoembauche drsquoun geacuterant ou drsquoun

administrateur227

Agrave ces reacuteflexions il faut ajouter le fait que ce manque de choix dans les

formations proposeacutees oblige souvent les eacutetudiants agrave choisir des filiegraveres qui ne les

passionnent pas et qui ne les invitent donc pas agrave srsquoinvestir dans leurs apprentissages

ce qui implique que beaucoup de jeunes abandonnent leurs eacutetudes sans avoir

obtenu les diplocircmes viseacutes Or plusieurs travaux ont deacutemontreacute qursquoil existe une

correacutelation entre le deacutecrochage scolaire et le choix drsquoune formation inadapteacutee

(Fortin et al 2004 Blaya 2010 Bernard 2011a et 2011b) ce que la situation des

Wayana-Apalaiuml et des Enata semble confirmer

Aux cocircteacutes des difficulteacutes lieacutees agrave lrsquoemplacement des eacutetablissements scolaires

et agrave lrsquoabsence drsquoune offre de formation adapteacutee aux besoins des communauteacutes

autochtones drsquoOutre-mer se trouvent aussi des obstacles lieacutes aux coucircts directs et

indirects de la scolarisation En effet les familles autochtones avec lesquelles jrsquoai

travailleacute vivent bien souvent aux marges de lrsquoeacuteconomie de marcheacute et ne peuvent

compter que sur des revenus limiteacutes Les frais lieacutes agrave la scolariteacute au transport et aux

mateacuteriels scolaires mais aussi agrave lrsquoalimentation et agrave lrsquohabillement des enfants sont

donc difficilement couverts par les meacutenages deacutefavoriseacutes Bien que lrsquoEacutetat et les

administrations territoriales preacutevoient des aides financiegraveres visant agrave soutenir les

227 Lrsquoicircle ne compte qursquoune seule entreprise de plus de dix salarieacutes (et qui appartient donc agrave la

cateacutegorie des laquo petites et moyennes entreprises raquo) Toutes les autres sont des microentreprises de

moins de dix salarieacutes soit des laquo tregraves petites entreprises raquo

333

familles228 celles-ci ne concernent que les coucircts directs laissant agrave la charge des

familles les coucircts indirects Qui plus est lrsquoabsence de mesures permettant de faciliter

une meilleure coordination entre lrsquoeacutecole et les familles ndash et le fait que tregraves souvent

les familles ne participent pas agrave la prise de deacutecision concernant ce type de frais ndash

engendre chez les parents un sentiment drsquoincompreacutehension face agrave certaines

deacutepenses qursquoelles considegraverent laquo irraisonnables raquo229

En ce qui concerne les coucircts indirects rappelons que dans les contextes

ruraux et isoleacutes ndash comme Antecume pata et Hiva Oa ndash la participation des enfants agrave

lrsquoeacuteconomie domestique constitue un volet important de la production des biens et

des aliments consommeacutes par les familles Dans certains foyers la scolarisation des

enfants implique neacutecessairement une laquo baisse de la production raquo provoqueacutee par la

perte de main drsquoœuvre puisque lrsquoenfant qui va agrave lrsquoeacutecole ne peut plus assurer

228 LrsquoEacutetat assure les dispositifs suivants les allocations de rentreacutee scolaire les bourses de

freacutequentation scolaire (pour lrsquoeacutecole primaire le collegravege et le lyceacutee) les bourses au meacuterite (au lyceacutee)

les aides pour lrsquoeacutelegraveve inscrit dans la voie professionnelle les aides pour la cantine les bourses

drsquoenseignement drsquoadaptation les aides aux eacutelegraveves en internat et le fonds social (pour les colleacutegiens

et les lyceacuteens) Certaines administrations territoriales peuvent octroyer des aides speacutecifiques agrave

lrsquoinstar des aides au transport

229 Je me souviens drsquoune reacuteunion agrave lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata en septembre 2011 pendant laquelle des

parents drsquoeacutelegraveves srsquoeacutetaient opposeacutes agrave lrsquoachat de certaines fournitures scolaires (comme les compas ou

les feutres) qursquoils consideacuteraient inutiles partant de lrsquoideacutee selon laquelle laquo lrsquoeacutecole doit enseigner agrave

parler le franccedilais et agrave compter nous nrsquoenvoyons pas nos enfants agrave lrsquoeacutecole pour qursquoon leur enseigne agrave

dessiner raquo

334

certaines tacircches Cependant il convient de souligner que la participation des enfants

agrave lrsquoeacuteconomie de subsistance propre agrave ces contextes ne constitue pas vraiment un

laquo travail raquo (dans le sens occidental du terme) et ne doit pas ecirctre interpreacuteteacutee agrave partir

drsquoune perspective ethnocentrique (qui refuserait le travail des enfants et le

considegravererait comme une violation drsquoun droit humain fondamental) Pour les

enfants il srsquoagit comme je lrsquoai montreacute dans les pages preacuteceacutedentes de collaborer avec

les adultes agrave des tacircches qui sont calibreacutees en fonction de leur acircge et qui prennent

tregraves souvent des contours ludiques lrsquoenfant ameacuterindien qui aide ses parents agrave

pecirccher le fait sans effort physique et en srsquoamusant avec ses pairs la fillette

marquisienne qui accompagne sa grand-megravere pour cueillir des fruits dans le jardin

le fait tout en profitant de lrsquoair libre en jouant avec les fleurs ou en rigolant avec ses

sœurs230

Il est donc important que lrsquoEacutetat puisse comprendre ces dynamiques pour

eacuteliminer les obstacles mentionneacutes et pour reacuteviser les logiques de distribution des

eacutetablissements scolaires dans certains contextes lrsquooffre formative proposeacutee aux

communauteacutes ayant des besoins particuliers ainsi que les dispositifs de prise en

charge des frais directs et indirects lieacutes agrave la scolariteacute des enfants

230 Rien agrave voir donc avec lrsquoimage dickensienne de lrsquoenfant ouvrier obligeacute agrave reacutealiser des tacircches

inhumaines dans un contexte malsain

335

152 Obstacles ideacuteologiques

Au-delagrave des obstacles essentiellement structurels que je viens de

mentionner il en existe drsquoautres qui sont geacuteneacutereacutes par les logiques ethnocentriques

qui guident lrsquoaction de lrsquoeacuteducation nationale et qui sont baseacutees sur les besoins de

lrsquoeacuteconomie nationale et sur des critegraveres occidentaux de transmission des savoirs

Selon les personnes intervieweacutees le premier obstacle est celui des rythmes

scolaires qui deacutefinis laquo drsquoen haut raquo ne sont pas en accord avec les rythmes de la vie

locale En effet lrsquoorganisation du temps scolaire dans les eacutecoles maternelles et

eacuteleacutementaires231 creacutee des difficulteacutes aux familles autochtones qui vivent des

contextes ruraux Lrsquoeacutetalement des 24 heures drsquoenseignement hebdomadaire sur

neuf demi-journeacutees incluant le mercredi matin et qui srsquoaccompagne drsquoune prise en

charge des eacutelegraveves jusqursquoagrave 16h30 au minimum reacutepond aux besoins et agrave lrsquoorganisation

du temps de la plupart des adultes travaillant en contexte urbain mais il complique

en revanche la vie des eacutelegraveves ndash autochtones ou pas ndash vivant loin de lrsquoeacutecole

Au moins deux facteurs viennent compliquer la situation Premiegraverement

cette organisation du temps oblige ces eacutelegraveves agrave prendre leur deacutejeuner dans la

cantine scolaire ce que certains considegraverent comme une aberration dans un milieu

231 Elle est deacutefinie par le Deacutecret ndeg 2013-77 du 24 janvier 2013 applicable agrave la France meacutetropolitaine

et aux DOM (et donc agrave la Guyane) Depuis 1996 le gouvernement de la Polyneacutesie a adopteacute la semaine

de 24 heures mais avec une alternance des semaines de 23 heures et 30 minutes et des semaines de

27 heures comme eacutetabli par les arrecircteacutes ndeg 795 ndeg 796 et ndeg 797 adopteacutes par le Conseil des ministres

du pays au mois drsquoaoucirct de la mecircme anneacutee

336

rural ougrave lrsquoon est habitueacute agrave donner une grande importance aux repas en famille veacutecus

comme des moments de socialisation et de formation pendant lesquels les parents

peuvent interagir avec leurs enfants et tisser des liens avec les autres membres de

la communauteacute Deuxiegravemement on ne doit pas oublier que dans les zones

tropicales comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et de Hiva Oa le soleil se couche aux

alentours de 18h 30 ce qui signifie que en sortant de lrsquoeacutecole les eacutelegraveves ne disposent

que de deux heures de lumiegravere naturelle pour leurs activiteacutes agrave lrsquoair libre ou pour

jouer avec leurs pairs hors du contexte scolaire De plus les enfants qui vivent loin

de lrsquoeacutecole disposent encore moins de temps puisqursquoils doivent aussi faire le trajet

jusqursquoagrave chez eux

Il srsquoagit lagrave drsquoobstacles qui peuvent nuire au deacuteveloppement des enfants et

plusieurs chercheurs ont essayeacute de transmettre leurs preacuteoccupations aux

responsables politiques concerneacutes par ce type de deacutecisions Dans un rapport reacutealiseacute

au nom de la Commission materniteacute-enfance-adolescence de lrsquoAcadeacutemie nationale

de meacutedecine Yvan Touitou et Pierre Beacutegueacute (2010) ont souligneacute lrsquoimportance de la

prise en compte des rythmes biologiques et psychophysiologiques de lrsquoenfant dans

toute reacuteflexion sur cette question ainsi que les risques lieacutes agrave lrsquoalteacuteration du

fonctionnement de lrsquohorloge biologique lorsque celle-ci nrsquoest plus en phase avec les

facteurs environnementaux Selon les auteurs du rapport cette

laquo deacutesynchronisation raquo peut geacuteneacuterer de la fatigue et des difficulteacutes drsquoapprentissage

chez les enfants En drsquoautres termes une organisation du temps scolaire qui ne

prend pas en compte ces facteurs peut nuire aux performances des eacutelegraveves entraicircner

une perte drsquoattention et drsquointeacuterecirct pour lrsquoapprentissage et au bout du compte mener

337

agrave de mauvais reacutesultats scolaires Malheureusement drsquoapregraves ces auteurs les horaires

de lrsquoeacutecole franccedilaise ne semblent pas prendre en compte la psychophysiologie de

lrsquoenfant ce qui pourrait ecirctre une cause des mauvaises performances des eacutelegraveves

franccedilais dans les eacutetudes comparatives internationales (comme celle du PISA)

Un autre obstacle est celui poseacute par le calendrier scolaire Son organisation

reacutepond agrave une logique avant tout laquo politique raquo ndash et peu peacutedagogique ndash visant agrave

uniformiser les dates de la rentreacutee et des vacances scolaires Cependant ce

calendrier ne prend pas en compte les cycles saisonniers qui organisent la vie locale

dans les contextes ruraux lesquels deacutependent des peacuteriodes les plus propices agrave

lrsquoagriculture agrave la chasse et agrave la pecircche En effet en France lrsquoorganisation de lrsquoanneacutee

scolaire est deacutefinie afin de permettre laquo une meilleure reacutepartition des flux entre les

territoires sur toute lrsquoanneacutee et en particulier le meilleur eacutequilibre des flux vers le

massif alpin sur la saison drsquohiver raquo agrave partir des recommandations proposeacutees par le

ministegravere en charge des transports et en tenant compte des inteacuterecircts eacuteconomiques

des acteurs du secteur touristique comme le rappelle la ministre de lrsquoEacuteducation

nationale Najat Vallaud-Belkacem (2015) Il srsquoagit drsquoun critegravere qui a une influence

directe non seulement sur le territoire hexagonal mais aussi dans les DOM-COM En

Guyane bien que lrsquoarticle D521-6 du Code de lrsquoeacuteducation assigne aux recteurs des

deacutepartements drsquoOutre-mer la compeacutetence pour adapter le calendrier national par

arrecircteacute en tenant compte des speacutecificiteacutes locales aucun calendrier laquo adapteacute raquo nrsquoa

encore vu le jour En Polyneacutesie si le calendrier scolaire est deacutefini par le Conseil des

ministres du pays ndash en vertu du fait que les compeacutetences dans le domaine de

lrsquoeacuteducation aient eacuteteacute transfeacutereacutees de lrsquoEacutetat agrave la collectiviteacute ndash le calendrier local des

338

eacutecoles collegraveges et lyceacutees est substantiellement le mecircme que celui de la meacutetropole232

De mecircme que pour les horaires scolaires les responsables des politiques eacuteducatives

dans les territoires drsquoOutre-mer ne semblent pas avoir pris en consideacuteration les

rythmes biologiques et psychophysiologiques de lrsquoenfant ni mecircme les inteacuterecircts

eacuteconomiques locaux dans la deacutefinition du calendrier scolaire Si on en croit les

affirmations de la Ministre ces facteurs laquo locaux raquo doivent se plier aux inteacuterecircts des

principaux acteurs de lrsquoeacuteconomie nationale notamment ceux du domaine des

transports et du tourisme

Pour ce qui est des obstacles poseacutes par les contenus de lrsquoeacuteducation scolaire

dont nous avons deacutejagrave discuteacute dans la partie preacuteceacutedente il me semble important de

rappeler qursquoen Polyneacutesie les programmes scolaires enseigneacutes dans les eacutecoles

primaires et les eacutetablissements drsquoeacuteducation secondaire ont pu ecirctre ajusteacutes agrave

232 Les arrecircteacutes ndeg 398 ndeg 399 ndeg 400 et ndeg 401 adopteacutes en 2014 par le Conseil des ministres de la

Polyneacutesie franccedilaise fixant les calendriers pour les anneacutees scolaires 2014-2015 et 2015-2016 ne

preacutesentent que peu de diffeacuterences par rapport au calendrier en vigueur en France meacutetropolitaine (et

en Guyane) La premiegravere diffeacuterence concerne la date de la rentreacutee scolaire dans lrsquoHexagone elle

correspond agrave la premiegravere semaine de septembre alors qursquoen Polyneacutesie elle est avanceacutee agrave la troisiegraveme

semaine drsquoaoucirct La deuxiegraveme porte sur les vacances de la Toussaint dans lrsquoHexagone elles

commencent la troisiegraveme semaine drsquooctobre et se terminent la premiegravere semaine de novembre tandis

qursquoen Polyneacutesie elles commencent et se terminent une semaine plus tard La troisiegraveme concerne les

vacances de Noeumll qui commencent la troisiegraveme semaine de deacutecembre et se terminent la premiegravere

semaine de janvier dans lrsquoHexagone alors qursquoelles commencent une semaine avant et se terminent

une semaine plus tard en Polyneacutesie La derniegravere diffeacuterence est la fin de lrsquoanneacutee scolaire eacutetablie la

premiegravere semaine de juillet dans lrsquoHexagone et la derniegravere semaine de juin en Polyneacutesie

339

certaines demandes preacutesenteacutees par des repreacutesentants locaux (surtout dans les

domaines de lrsquohistoire de la geacuteographie et des langues et cultures reacutegionales Voir

Saura 2012b) Cependant les compeacutetences viseacutees dans les trois cycles de

lrsquoenseignement primaire et du collegravege nrsquoont pu ecirctre adapteacutees puisqursquoelles sont

deacutefinies par le socle commun qui est un cadre de reacutefeacuterence national srsquoappliquant agrave

la France hexagonale comme aux DOM-COM (Gauthier amp le Gouvello 2009) En

Guyane au contraire de par son statut de deacutepartement aucune adaptation nrsquoest

possible ce qui implique que les contenus eacuteducatifs transmis par les enseignants

soient exactement les mecircmes que ceux transmis aux eacutelegraveves de la meacutetropole

Pourtant plusieurs eacutetudes ndash comme celle de Viviane Isambert-Jamati (1990) ndash

eacutevoquent le rocircle que jouent les savoirs scolaires et les contenus drsquoenseignement

dans la reacuteussite scolaire et sociale des eacutelegraveves En drsquoautres termes des programmes

scolaires incoheacuterents avec le contexte social et environnemental des enfants

peuvent contribuer agrave lrsquoeacutechec scolaire des eacutelegraveves degraves lors qursquoils sont associeacutes agrave

drsquoautres facteurs

Finalement le dernier obstacle signaleacute par les personnes que jrsquoai eu

lrsquoopportuniteacute drsquointerviewer dans le cadre de cette recherche est le manque de

formation des enseignants travaillant dans les sites les plus isoleacutes de lrsquoOutre-mer

comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et de Hiva Oa La meacuteconnaissance de la langue

des coutumes et des habitudes locales mais aussi des normes qui reacutegissent la vie

communautaire est souvent la cause de conflits avec les parents drsquoeacutelegraveves233 Aussi

233 Il srsquoagit lagrave drsquoune probleacutematique qui a eacutegalement eacuteteacute observeacutee par drsquoautres chercheurs qui ont

eacutetudieacute la reacutealiteacute guyanaise ou polyneacutesienne La bibliographie disponible est immense et il serait

340

ils sont souvent cause de frustrations ce qui explique le nombre important de

demandes de mutations de la part des enseignants envoyeacutes dans ces sites Agrave la fin

de lrsquoanneacutee scolaire 2011-2012 par exemple sur les onze enseignants titulaires

travaillant dans les eacutecoles du Haut Maroni neuf ont preacutesenteacute une demande de

mutation afin drsquoecirctre assigneacutes agrave une autre circonscription Cinq drsquoentre eux

disposaient drsquoune justification meacutedicale qui attestait drsquoune laquo incompatibiliteacute raquo avec

la vie dans les sites isoleacutes La mecircme tendance existait agrave la fin de lrsquoanneacutee scolaire

2012-2013 quand sur huit enseignants titulaires six ont demandeacute leur mutation Agrave

Hiva Oa la situation est diffeacuterente car la quasi-totaliteacute des professeurs des eacutecoles

difficile de citer tous les travaux reacutealiseacutes jusqursquoagrave preacutesent sur le sujet Je me limiterai agrave signaler pour

le cas de la Guyane les eacutetudes de Franccediloise Grenand et Odile Renault-Lescure (1990) et de Sophie

Alby et Miche Launey (2007) qui ont compteacute parmi les premiers agrave se pencher sur la question de la

formation des enseignants en contexte plurilingue et pluriculturel local (les premiegraveres agrave partir drsquoune

perspective anthropologique les seconds dans le cadre drsquoune analyse sur la laquo formation des

formateurs raquo en tant que processus andragogique) Par ailleurs Rodica Ailincai et Marie-Franccediloise

Crouzier (2011a) ont coordonneacute un ouvrage de reacutefeacuterence sur la question mais drsquoautres analyses ont

aussi eacuteteacute reacutealiseacutees par Farraudiegravere (1989) Leacutena (2000) Couchili (2010) Maurel (2010) Ailincai amp

Crouzier (2011a et 2011b) Ailincai amp Mehinto (2011) Garnier (2011) ou encore Perrin (2012) Pour

la Polyneacutesie je mentionne surtout deux ouvrages collectifs le premier a eacuteteacute coordonneacute par Jacques

Vernaudon et Veacuteronique Fillol (2009) et le deuxiegraveme par Isabelle Nocus Jacques Vernaudon et

Mirose Paia (2014) Drsquoautres eacutetudes concernant des aspects speacutecifiques de la formation des

enseignants dans le contexte polyneacutesien (surtout dans le domaine linguistique) ont eacuteteacute publieacutees par

Veacuteronique Fillol et Jacques Vernaudon (2004a et 2004b) Dominique Jouve (2004) Isabelle Nocus et

ses collaborateurs (2012) et Marie Salauumln (2012 et 2014)

341

titulaires sont originaires des icircles Marquises ce qui facilite leur inteacutegration dans les

communauteacutes

Il est eacutevident que ces obstacles peuvent geacuteneacuterer chez les parents drsquoeacutelegraveves

mais aussi chez les autres membres des communauteacutes un certain rejet de lrsquoeacutecole en

tant qursquoinstitution laquo civilisatrice raquo et veacutehicule drsquoune organisation de la vie qui non

seulement est peu en accord avec la vie locale mais qui peut aussi entraicircner la perte

de revenus des conflits entre les adultes et les enseignants ou encore la frustration

chez les jeunes

Au bout du compte les obstacles que je viens de mentionner sont tous

geacuteneacutereacutes par le manque de participation des communauteacutes agrave la prise de deacutecisions les

concernant Les inteacutegrer au processus de gestion et drsquoimpleacutementation des politiques

eacuteducatives est agrave mon avis le premier pas pour reacutetablir un dialogue horizontal avec

les communauteacutes afin que celles-ci puissent proposer leur point de vue et que lrsquoEacutetat

puisse mettre en œuvre des solutions adapteacutees aux reacutealiteacutes locales Il srsquoagit

indubitablement drsquoun enjeu majeur rendre aux communauteacutes autochtones le

pouvoir de choisir leur destin signifierait deacutelocaliser certains processus

deacutecisionnaires afin de garantir que la laquo reacuteussite pour tous raquo coiumlncide avec lrsquoideacutee que

chaque communauteacute se fait de la notion de laquo reacuteussite raquo (en fonction de sa culture de

son organisation sociale et du systegraveme politique et eacuteconomique dont elle deacutepend)

Reste agrave voir si les organismes publics concerneacutes seraient partie prenante de ce deacutefi

342

16 Enquecircter lrsquoeacuteducation enquecircter lrsquoethniciteacute

Dans une eacutetude sur la construction des theacuteories peacutedagogiques Clermont

Gauthier et ses collaborateurs (1997) ont compareacute et analyseacute les expeacuteriences

meneacutees dans diffeacuterents pays afin drsquoameacuteliorer les dispositifs peacutedagogiques agrave

caractegravere public agrave savoir les eacutecoles les eacutetablissements drsquoenseignement supeacuterieur

les universiteacutes et les centres de formation Dans leur ouvrage ils montrent que dans

la majoriteacute des cas ces expeacuteriences ne consistent pas en une impleacutementation

laquo scientifique raquo des reacutesultats obtenus gracircce agrave la recherche en eacuteducation mais

srsquoappuient plutocirct sur la reacuteputation des eacuteducateurs de leur laquo talent raquo et de leur

positionnement ideacuteologique qui leur fait preacutefeacuterer certaines strateacutegies peacutedagogiques

agrave drsquoautres234 En drsquoautres termes ces auteurs suggegraverent que les institutions chargeacutees

de lrsquoinnovation peacutedagogique ont souvent eu tendance agrave reacutepliquer des expeacuteriences

qui fonctionnaient dans un contexte particulier gracircce au laquo savoir-faire raquo drsquoun

eacuteducateur (ou drsquoun groupe drsquoeacuteducateurs) particulier ce qui ne garantit pas que les

reacutepliques donnent les mecircmes reacutesultats que lrsquoexpeacuterience originelle Certains

234 Les auteurs identifient deux positions extrecircmes ndash lrsquoune affirmant la toute-puissance de la

peacutedagogie lrsquoautre rejetant toute rationalisation de la pratique peacutedagogique ndash lesquelles partagent

cependant lrsquoideacutee selon laquelle un eacuteducateur efficace est celui qui face aux situations complexes de

formation laquo prend des deacutecisions contextualiseacutees en srsquoappuyant sur des justifications rationnelles raquo

(Gauthier et al 1997 211)

343

dispositifs ont ainsi eacuteteacute diffuseacutes agrave grand eacutechelle car ils avaient deacutejagrave fait leurs preuves

bien que personne ne puisse expliquer pourquoi ils avaient fonctionneacute235 En

revanche les propositions les ideacutees et les solutions proposeacutees par des travaux plus

laquo scientifiques raquo ont rarement eacuteteacute reconnues et inteacutegreacutees dans les pratiques et dans

les deacutecisions institutionnelles De ce fait la recherche en eacuteducation est releacutegueacutee au

rocircle de laquo Cendrillon raquo des sciences sociales en tant que champ disciplinaire qui a eu

peu drsquoimpact sur les politiques de deacuteveloppement et qursquoon a accuseacute ndash agrave tort ou agrave

raison ndash de ne pas ecirctre capable de trouver des solutions efficaces aux problegravemes de

notre eacutepoque

En France nombreux sont ceux qui mobilisent le raccourci simpliste qui relie

les maux de la laquo moderniteacute raquo agrave la laquo mauvaise eacuteducation236 raquo crsquoest-agrave-dire agrave

235 Crsquoest par exemple le cas de la laquo meacutethode Freire raquo qui dans les anneacutees 1960 et 1970 a permis

lrsquoalphabeacutetisation de centaines de milliers drsquoadultes breacutesiliens des milieux les plus deacutefavoriseacutes (Freire

1974) Agrave partir de 1975 la meacutethode a eacuteteacute laquo exporteacutee raquo en Guineacutee-Bissau agrave Satildeo Tomeacute et Principe au

Mozambique en Angola et au Nicaragua dont les gouvernements ont mis en place des programmes

drsquoeacuteducation inspireacutes de la peacutedagogie de Paulo Freire Cependant les reacutesultats obtenus dans ces

derniers cas ont eacuteteacute plus mitigeacutes que ceux obtenus au Breacutesil soit du fait de prendre appui sur une

reacutealiteacute sociale diffeacuterente soit de par les attentes deacutemesureacutees des politiciens de ces pays vis-agrave-vis de

cette meacutethode (Freire amp Guimaratildees 2003)

236 Les medias et les reacuteseaux sociaux abondent en teacutemoignages qui vont dans ce sens Par exemple

dans un billet publieacute le 18 octobre 2015 par Franccedilois Chauvancy dans la version en ligne du journal

Le Monde lrsquoauteur eacutevoque les facteurs qui agrave son avis sont les responsables de la crise politique qui

est en train de mettre en danger les acquis reacutepublicains agrave savoir laquo lrsquoeacuteducation donneacutee par les

parents une eacutecole en reconstruction permanente et aux reacutesultats bien ineacutegaux le manque

344

lrsquoincapaciteacute des eacuteducateurs (les parents lrsquoeacutecole et autres institutions eacuteducatives) agrave

transmettre les compeacutetences neacutecessaires pour garantir la survie mecircme de la

laquo moderniteacute raquo Prenons pour exemple les poleacutemiques autour de certains

pheacutenomegravenes violents comme les school shootings (les fusillades ou les tueries dans

les eacutecoles) le cyber-harcegravelement les comportements autodestructeurs des enfants

et des adolescents ou les eacutemeutes juveacuteniles (comme celle qui avait eacuteclateacute en 2005

en Seine-Saint-Denis)237 mais aussi autour drsquoautres pheacutenomegravenes qui ne comportent

drsquoexemplariteacute des uns et des autres des lois nombreuses qui ne visent plus lrsquoorganisation de la vie en

commun mais accumulent les mesures favorables agrave lrsquoindividu au deacutetriment de la collectiviteacute au point

de laisser poindre un grand sentiment drsquoiniquiteacute lrsquoopposition de groupes agrave la puissance de lrsquoEacutetat

lrsquoaffaiblissement des institutions par leur deacutesacralisation le manque de courage surtout dans

lrsquoapplication des lois notamment en refusant lrsquousage de la force leacutegitime et leacutegale raquo (Chauvancy

2015) Bien que la perspective catastrophiste preacutesenteacutee par cette analyste politique puisse se

reacutesumer agrave un pot-pourri drsquoideacutees populistes visant les individus les familles et les institutions on ne

peut nier le fait que ce type de discours exerce une redoutable attraction sur certaines cateacutegories

sociales ce qui lui a permis de se diffuser et de se normaliser au point que ndash comme le souligne Gilles

Balbastre (2015) ndash agrave lrsquoheure actuelle il soit devenu presque laquo politiquement correct raquo drsquoaccuser

laquo lrsquoeacuteducation raquo (ou plus preacuteciseacutement les eacuteducateurs) drsquoavoir contribueacute agrave laquo lrsquoeffondrement raquo de la

civilisation occidentale (une banalisation agrave laquelle nrsquoa pas eacutechappeacute lrsquoeacutecrivain Tahar Ben Jelloun

2016)

237 Ce type de poleacutemiques persiste non seulement dans les medias mais aussi dans les discours de

certains hommes et femmes politiques bien que les travaux de plusieurs chercheurs ndash comme ceux

drsquoEacuteric Debarbieux (2006) sur la laquo bunkeacuterisation raquo de lrsquoeacutecole ceux de Michele Elliot (2015) sur le

harcegravelement en milieu scolaire ceux de Philippe Jeammet (2016) sur les comportements

345

pas de violence mais sont eacutegalement consideacutereacutes comme preacuteoccupants agrave lrsquoinstar de

lrsquoeacutechec et du deacutecrochage scolaire Toutefois si les deacutetracteurs de

laquo lrsquoeacuteducation moderne raquo ndash accuseacutee selon les cas drsquoecirctre trop laxiste trop dirigiste

trop permeacuteable aux dynamiques sociales ou encore trop eacuteloigneacutee des besoins reacuteels

du marcheacute du travail ndash ont tendance agrave confondre les diffeacuterentes typologies qui

constituent cet ensemble complexe qursquoest laquo lrsquoeacuteducation raquo ils semblent aussi

reacutefractaires agrave la prise en compte des reacutesultats qursquooffre la recherche en eacuteducation

depuis des anneacutees Ces reacutesultats pourraient pourtant contribuer agrave laquo limiter les

deacutegacircts raquo dans un contexte globaliseacute ougrave la crise ne concerne pas lrsquoeacuteducation en elle-

mecircme mais plutocirct les valeurs et les contenus qursquoelle est censeacutee transmettre et ce

notamment agrave cause drsquoune situation politique et eacuteconomique qui a contribueacute agrave

bouleverser profondeacutement les dynamiques de transmission des donneacutees culturelles

assujetties aux impeacuteratifs de lrsquoeacuteconomie neacuteolibeacuterale238

Agrave ce propos lrsquoanalyse de la situation actuelle des Wayana-Apalaiuml et des Enata

nous montre que la supposeacutee laquo crise reacutepublicaine raquo nrsquoest pas lrsquoeffet drsquoune

autodestructeurs des adolescents ou ceux drsquoAntoine Jardin (2016) sur la violence urbaine ndash aient

essayeacute de laquo deacuteconstruire raquo agrave partir drsquoun protocole scientifique les steacutereacuteotypes qui les alimentent

238 En ce qui concerne la situation de lrsquoeacutecole en France Jean Pierre Terrail affirme que laquo de la reacuteforme

Berthoin agrave la loi Fillon les responsables ministeacuteriels se sont preacuteoccupeacutes drsquoajuster au moindre coucirct

les flux scolaires aux besoins immeacutediats des entreprises bien plus que de deacutemocratiser lrsquoeacutecole raquo

(Terrail 2005a 233)

346

fantomatique laquo crise de lrsquoeacuteducation239 raquo elle en est plutocirct la cause Comme nous

avons pu le voir dans le chapitre preacutecegravedent les obstacles structurels et ideacuteologiques

que les politiques publiques imposent agrave certains groupes sociaux ndash empecircchant ces

derniers drsquoexercer des droits qui devraient leur ecirctre garantis ndash ont entraicircneacute des

transformations sociales importantes Ce bouleversement imposeacute laquo drsquoen haut raquo a

obligeacute les individus (et les familles) agrave srsquoadapter pour survivre bien que ces

adaptations nrsquooffrent pas neacutecessairement une meilleure qualiteacute de vie Elles se

limitent simplement agrave assurer la survie de groupes sociaux qui sont exposeacutes agrave la

pression de lrsquoacculturation Les laquo mutations raquo que connaissent certaines

communauteacutes autochtones ndash qui peuvent prendre entre autres la forme de la

laquo transfiguration ethnique raquo ou drsquoun veacutecu douloureux drsquoidentiteacutes plurielles ndash en sont

un exemple eacutevident

161 Une question de meacutethode

Une collaboration plus eacutetroite entre chercheurs et praticiens de lrsquoeacuteducation ndash

les parents les membres de la famille les enseignants les formateurs mais aussi les

239 Crsquoest lagrave une notion qui agrave mon avis nrsquoa guegravere de sens puisque lrsquoeacuteducation comme jrsquoespegravere lrsquoavoir

montreacute dans les deux premiegraveres parties de cette thegravese est une dynamique propre agrave lrsquoecirctre humain

qui implique neacutecessairement des acteurs (les eacuteducateurs et les eacuteduqueacutes) des ideacuteologies (qui

deacuteterminent des strateacutegies et des logiques eacuteducatives) et des outils (qui facilitent la transmission des

savoirs) dans le cadre drsquoun contexte laquo physique raquo et social (lrsquoenvironnement eacuteducatif) Admettre qursquoil

existe une laquo crise de lrsquoeacuteducation raquo eacutequivaudrait agrave soutenir lrsquoideacutee selon laquelle tous les eacuteleacutements que

je viens de mentionner se trouvent en situation de crise ce qui ne me semble pas ecirctre le cas

347

deacutecideurs politiques ndash semble ecirctre une issue prometteuse pour la mise en place

drsquoune meilleure synergie entre les reacutesultats de la recherche et les effets qui

pourraient en reacutesulter dans la pratique Thierry Karsenti et Lorraine Savoie-Zajc

(2011) ont souligneacute lrsquoimportance de faciliter le dialogue entre ces deux

communauteacutes pour construire sur une base participative des meacutecanismes

susceptibles de deacutevelopper les passerelles entre ces deux registres de savoirs240 Il

srsquoagit avant tout de reacutepondre agrave la question des responsabiliteacutes particuliegraveres quant agrave

lrsquoapport de la recherche en eacuteducation des responsabiliteacutes agrave caractegravere eacutethique qui

assignent aux chercheurs la responsabiliteacute de srsquoengager dans des recherches

socialement pertinentes et aux praticiens celle de prendre en compte les reacutesultats

obtenus afin de se libeacuterer des impeacuteratifs du laquo sens commun raquo (Gauthier et al 1997)

Jrsquoai introduit la notion de laquo recherche socialement pertinente raquo mais suis

conscient du fait que la deacutefinir nrsquoest pas une mince affaire Qursquoest-ce qui rend une

recherche dans le domaine de lrsquoeacuteducation laquo socialement pertinente raquo et pourquoi

Je ne pense pas ecirctre dans la possibiliteacute de reacutepondre ici agrave cette question qui

transcende les limites de lrsquoanthropologie et relegraveve plutocirct de la philosophie de la

240 La question de la participation populaire agrave la construction des politiques eacuteducatives a fait lrsquoobjet

drsquoun long deacutebat au sein du Conseil supeacuterieur de lrsquoeacuteducation du gouvernement du Queacutebec En 2006

lrsquoorganisme a eacutemis un rapport officiel qui remet en question les strateacutegies politiques du

gouvernement feacutedeacuteral canadien tout en plaidant pour une deacutecentralisation accrue des compeacutetences

locales dans le domaine de lrsquoeacuteducation ce qui permettrait une meilleure inteacutegration citoyenne des

peuples autochtones (CSEGQ 2006)

348

science241 Cependant il me semble qursquoelle devrait garantir pour le moins la

possibiliteacute de contribuer agrave une ameacutelioration des pratiques des eacuteducateurs et agrave une

eacuteventuelle adaptation des politiques eacuteducatives agrave partir drsquoune description objective

des dynamiques propres agrave chaque groupe humain ndash dynamiques qui ne sont jamais

laquo authentiques raquo mais qui sont plutocirct le produit drsquoemprunts et drsquoinfluences et qui

srsquoinscrivent dans un laquo continuum culturel raquo qui lie chaque culture agrave une ou plusieurs

autre(s) Cette approche scientifique permettrait drsquoeacuteviter la fragmentation du

panorama social contemporain en laquo isolats raquo culturels et de probleacutematiser la reacutealiteacute

du laquo village global raquo en fonction de sa complexiteacute de sa laquo multidimensionnaliteacute raquo et

de sa capaciteacute agrave laquo produire raquo des identiteacutes au travers de relations qui opposent drsquoun

cocircteacute les groupes heacutegeacutemoniques aux subalternes et de lrsquoautre les forces centrifuges

(lrsquoacculturation et la deacuteculturation) aux forces centripegravetes (lrsquoenracinement

ethnique) qui animent la vie sociale et culturelle de la laquo moderniteacute raquo

Lrsquoanthropologie de par sa tradition laquo relativiste raquo possegravede des outils

meacutethodologiques approprieacutes pour deacutevelopper cette approche (Martinez-Verdier

2004) Dans la premiegravere partie de cette thegravese jrsquoai introduit les notions laquo drsquointellect

ethnologique raquo (creacuteateur de cateacutegories et de concepts agrave partir drsquoune laquo exageacuteration raquo

des diffeacuterences et laquo programmeacute raquo pour fournir des hypothegraveses opeacuterationnelles et

241 Nombreux et de longue date sont les intellectuels qui ont essayeacute de reacutepondre agrave la question de la

laquo pertinence raquo de la recherche scientifique ndash Karl Popper (1968 1972) Paul Feyerabend (1970)

Thomas Kuhn (1974) ou Imre Lakatos (1974) entre autres ndash sans qursquoon ne puisse jamais arriver agrave

un consensus Une synthegravese remarquable sur le deacutebat ndash toujours drsquoactualiteacute bien que quelque peu

ancienne ndash a eacuteteacute reacutealiseacutee par Alan Chalmers (1976)

349

des reacuteponses preacuteliminaires aux questionnements du chercheur) et celle de laquo raison

anthropologique raquo (avec une fonction reacutegulatrice et laquo programmeacutee raquo pour controcircler

lrsquointellect afin qursquoil ne construise pas des laquo objets raquo faux et illusoires) Il srsquoagit lagrave de

deux notions qui agrave mon avis sont essentielles agrave une laquo posture raquo anthropologique

qui en deacutepassant la vision classique de lrsquoanthropologie en tant que savoir

comparatif unificateur et geacuteneacuteralisant est capable drsquoanalyser lrsquoexpeacuterience humaine

dans sa globaliteacute en mettant en relation la sphegravere individuelle (la personnaliteacute

comme produit drsquoune culture) et la sphegravere sociale (les groupes humains comme

produits drsquoune interaction historique) Une sage utilisation de cet laquo intellect

ethnologique raquo permettrait donc aux chercheurs de deacutecrire lrsquoalteacuteriteacute selon le critegravere

classique de lrsquoethnographie en classifiant les speacutecificiteacutes de chaque terrain drsquoeacutetude

Drsquoautre part la laquo raison anthropologique raquo leur permettrait de laquo suspendre raquo le

jugement preacutecipiteacute et les conclusions deacutefinitives que lrsquointellect ethnologique

voudrait eacutetablir mais aussi de rediscuter les speacutecificiteacutes observeacutees en tenant compte

du fait qursquoelles nrsquoont pas laquo surgi de nulle part raquo mais qursquoelles sont plutocirct le reacutesultat

drsquoune histoire

Lrsquoanalyse du laquo fait eacuteducatif raquo devient donc laquo socialement pertinente raquo degraves lors

qursquoelle nous permet drsquoatteindre ces trois objectifs agrave la fois

De crire les de tails des dynamiques qui lient les e ducateurs et

les e duque s dans le cadre drsquoun e cosyste me particulier afin de comprendre

les ide ologies subjacentes et les rapports de force qui expliquent les

pratiques sociales observe es

350

Contribuer a lrsquoame lioration des connaissances sur le contexte

social observe afin drsquoame liorer les pratiques des e ducateurs et de leur offrir

des outils de compre hension de la re alite sociale dans laquelle ils

srsquoinvestissent

Informer les responsables des institutions publiques des

re sultats obtenus gra ce au travail de recherche afin de mettre en e vidence les

situations proble matiques observe es de proposer des solutions adapte es

aux spe cificite s locales et de veiller a leur e ventuelle mise en œuvre

Eacutetant donneacute que jusqursquoagrave preacutesent les eacutetudes sur lrsquoeacuteducation ont surtout

privileacutegieacute les questionnements peacutedagogiques visant agrave laquo ameacuteliorer raquo la performance

eacuteducative ces objectifs plus larges mecircme srsquoils pourraient sembler agrave certains

anodins ont une reacuteelle importance

162 Plaidoyer pour une anthropologie de lrsquoeacuteducation laquo agrave la franccedilaise raquo

Dans un article preacutesentant les divers courants de cette discipline eacutemergente

qursquoest lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation Kathryn Anderson-Levitt (2006) qui a eacuteteacute

preacutesidente du Council on Anthropology and Education (Conseil drsquoAnthropologie et

drsquoEacuteducation) au sein de lrsquoAmerican Anthropological Association entre 2004 et 2006

eacutevoque le fait qursquo laquo en France il nrsquoy a pas de tradition portant ce nom raquo (Anderson-

Levitt 2006 8) Cette affirmation plutocirct radicale ne vise pas agrave nier le travail des

chercheurs qui se sont consacreacutes agrave lrsquoanalyse du fait eacuteducatif agrave partir drsquoun regard

anthropologique (ils sont nombreux en France et jrsquoai deacutejagrave eu lrsquoopportuniteacute drsquoen citer

351

un certain nombre tout au long de cette thegravese)242 mais souligne lrsquoabsence de

reacutefeacuterences explicites agrave cette discipline dans le panorama scientifique national En

effet agrave la diffeacuterence de ce qui se passe dans drsquoautres pays (comme la Grande-

Bretagne les Eacutetats-Unis lrsquoAllemagne le Mexique le Japon ou lrsquoItalie) cette discipline

semble ne pas disposer drsquoespaces approprieacutes pour se deacutevelopper et bien peu de

revues scientifiques ou de chaires drsquoenseignement lui sont consacreacutees243

Cependant le contexte multiculturel de la France actuelle impose une

nouvelle approche pour lrsquoanalyse de la socieacuteteacute franccedilaise une approche qui ne se

limite pas au simple constat de lrsquoexistence des diffeacuterences mais qui soit capable de

comprendre les meacutecanismes de production et de transmission de cette diversiteacute ndash

242 On devrait ajouter aussi les sociologues qui ont analyseacute les dynamiques eacuteducatives agrave partir drsquoun

travail ethnographique de longue haleine (Delbos amp Jorion 1984 LeWita 1988 Garcion-Vautour

2003) Crsquoest lagrave une tradition qui selon lrsquoanthropologue ameacutericaine Deborah Reed-Danahay (2005)

remonte au sociologue Pierre Bourdieu qursquoelle considegravere comme le premier laquo ethnographe de

lrsquoeacuteducation raquo franccedilais Bourdieu lui-mecircme en effet avait lrsquohabitude de se deacutefinir autant comme

anthropologue que comme sociologue comme en teacutemoignent ses Meacuteditations pascaliennes

(Bourdieu 1997)

243 Un bilan similaire a eacuteteacute fait quelques anneacutees auparavant par Gaston Mialaret (1985) dans un

rapport sur la situation de la recherche en eacuteducation en France publieacute dans la prestigieuse Revue

internationale des sciences sociales de lrsquoUNESCO et par Jean-Louis Legrand (2003) qui en analysant

les registres de lrsquoAssociation des enseignants chercheurs en sciences de lrsquoeacuteducation (AECSE) a

deacutecouvert que seule une minoriteacute drsquoentre eux (42 ) se disaient laquo anthropologues raquo ou

laquo ethnologues raquo et que seulement 143 des travaux de recherche qursquoils avaient publieacutes avait des

objets drsquoeacutetude drsquointeacuterecirct strictement anthropologique

352

des meacutecanismes qui comme jrsquoai chercheacute agrave le montrer dans ce travail relegravevent de

dynamiques proprement eacuteducatives Comprendre lrsquoalteacuteriteacute revient non seulement agrave

deacutecrire ses manifestations les plus visibles (les usages les coutumes les normes de

vie sociale ou le langage) mais aussi ndash et agrave mon avis surtout ndash agrave deacuteceler les logiques

qui la construisent et qui la perpeacutetuent soit des logiques qui nous le savons

deacuteterminent lrsquoaction des eacuteducateurs tant dans le milieu domestique que dans le

milieu scolaire

Trois questionnements me semblent utiles pour confirmer cette reacuteflexion Le

premier reacutesulte de la nouvelle configuration de la famille franccedilaise qui selon le

sociologue Franccedilois de Singly (1993) a entraicircneacute une complexification de

lrsquoenvironnement familial ndash par effet de lrsquoaugmentation des cas de seacuteparation

transition et recomposition parentale ndash sans qursquoon puisse connaicirctre les effets qursquoelle

pourrait avoir sur la transmission des savoirs en son sein Jacques Commaille (2013)

a souligneacute lrsquoimportance de cette dynamique (srsquoeacutetant accompagneacutee drsquoimportantes

reacuteformes juridiques sur la filiation le divorce lrsquoautoriteacute parentale ou les droits de

lrsquoenfant) qui a modifieacute le statut leacutegal traditionnellement assigneacute agrave la famille ndash celui

drsquoinstitution garante de lrsquoordre social ndash en la transformant en une laquo association

drsquoindividus raquo deacutetenteurs de droits et drsquoobligations Crsquoest lagrave une meacutetamorphose qui

selon lrsquoauteur est le symptocircme drsquoune plus large laquo repolitisation du priveacute raquo agrave laquelle

les dynamiques eacuteducatives nrsquoeacutechappent pas et qui nous ramegravene au cœur drsquoune

question fondatrice de notre socieacuteteacute occidentale comment concilier la vie

domestique lrsquoindividualiteacute et lrsquoidentiteacute culturelle avec lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral La reacuteponse

des Etats au sein des pays industrialiseacutes a geacuteneacuteralement eacuteteacute de type normatif en

353

statuant des droits et des obligations sur tous les aspects de la vie qui relevaient

auparavant du cadre purement domestique Cependant cette normativiteacute ne semble

pas avoir reacutesolu la question inheacuterente agrave la possibiliteacute de concilier priveacute et public et

laquo le droit dans les tensions qursquoil recegravele et les contradictions qursquoil porte est

lrsquoexpression mecircme de ce dilemme raquo (Commaille 2013 93) La reacuteponse juridique

aurait pu se valoir de lrsquoexpertise anthropologique pour mieux comprendre le rocircle de

lrsquoactiviteacute eacuteducative des familles De fait crsquoest justement lrsquo laquo agentiviteacute raquo de ces

derniegraveres (et leur ideacuteologie eacuteducative) qui leur permet de seacutelectionner et de

modeler les savoirs agrave transmettre aux plus jeunes pour laquo concilier raquo les dynamiques

individuelles (la personnaliteacute et lrsquoidentiteacute culturelle) et collectives (la vie sociale et

la citoyenneteacute) comme semble le deacutemontrer le cas des Wayana-Apalaiuml et celui des

Enata Toutefois cette question appelle la conduite de multiples autres travaux de

recherche et en ce domaine lrsquoidentification de solutions efficaces nrsquoen est qursquoagrave ses

preacutemisses

Le deuxiegraveme questionnement a trait agrave lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteducatives

nationales Louis Legrand a affirmeacute que laquo la construction progressive de la Nation

franccedilaise met aujourdrsquohui en lumiegravere le caractegravere tregraves particulier du systegraveme

eacuteducatif franccedilais centralisation eacutetatique laiumlciteacute seacutelectiviteacute et intellectualiteacute raquo

(Legrand 1990 4) Cependant ces critegraveres nrsquoont pas atteint leur but de permettre

la laquo reacuteussite pour tous raquo mais ont en revanche creuseacute le fosseacute qui seacutepare les

cateacutegories sociales les plus favoriseacutees des moins favoriseacutees Cela nous permet de

consideacuterer avec plus drsquoobjectiviteacute le fait que la validiteacute du dogme selon lequel la

354

centralisation des compeacutetences en matiegravere drsquoeacuteducation244 permettrait une meilleure

gestion de la res publica est encore loin drsquoecirctre deacutemontreacute des recherches srsquoimposent

De plus la question de la laiumlciteacute meacuteriterait davantage drsquoattention et un regard un peu

moins enthousiaste afin de mieux deacutefinir en quoi consiste reacuteellement son rocircle social

dans une socieacuteteacute multiculturelle car cette notion a servi ndash et sert encore agrave lrsquoheure

actuelle ndash agrave soulever des poleacutemiques et agrave alimenter des disputes identitaires Il en

va de mecircme pour le critegravere de la seacutelectiviteacute dont les conseacutequences ont eacuteteacute exploreacutees

par plusieurs chercheurs245 mais qui continue agrave modeler le systegraveme eacuteducatif

national tout en se complexifiant du fait de certaines dynamiques eacutemergentes mais

encore peu connues comme la diffusion des laquo peacutedagogies nouvelles raquo 246 (et lrsquointeacuterecirct

que leur accordent les eacutelites et les milieux favoriseacutes)247 la multiplication et la

244 Tout en tenant compte du fait que cette centralisation au moins drsquoun point de vue juridique ne

vaut pas pour la Polyneacutesie franccedilaise

245 Parmi les travaux classiques sur le sujet voir Alain Girard et Henri Bastide (1955) ainsi que Pierre

Bourdieu et Jean Claude Passeron (1964 1971) Plus reacutecemment Verena Aebischer Dominique

Oberleacute et Leslie Ellion (2002) ont eacutetudieacute la relation entre la seacutelection scolaire et les strateacutegies

identitaires agrave partir drsquoune approche plus psychologique Bien que les travaux sur la question ne

manquent pas les contributions de type anthropologique restent minoritaires

246 Il srsquoagit de theacuteories et drsquoexpeacuteriences peacutedagogiques ndash comme celles meneacutees par Rudolf Steiner

Maria Montessori Alexander Sutherland Neill Don Lorenzo Milani ou Ceacutelestin Freinet ndash construites

sur un renversement des valeurs qui ont inspireacute lrsquoeacuteducation scolaire laquo traditionnelle raquo (Resweber

1986)

247 En reacutealiteacute nous ne connaissons pas la raison pour laquelle les anciens eacutelegraveves des eacutecoles qui

appliquent ces paradigmes peacutedagogiques ont en geacuteneacuteral de meilleurs reacutesultats scolaires (comme

355

fragmentation des filiegraveres drsquoeacutetude248 ou la revalorisation du capital culturel de

certaines professions intermeacutediaires (comme par exemple les enseignants)249

Finalement le critegravere de lrsquointellectualiteacute nous renvoie agrave cette conception de la

culture comme produit de la civilisation soit un patrimoine lettreacute accumuleacute depuis

lrsquoAntiquiteacute et qui doit ecirctre transmis aux nouvelles geacuteneacuterations agrave partir drsquoun modegravele

peacutedagogique vertical avec un eacuteducateur qui deacutetient le savoir et un apprenant qui

apprend ce qursquoil ne connaicirct pas baseacute sur lrsquoabstraction et sur des savoirs qui ne sont

pas neacutecessairement lieacutes au contexte de lrsquoapprenant Or cette conception nrsquoa jamais

eacuteteacute remise en question par les organismes chargeacutes de lrsquoeacuteducation au niveau national

ou local Une meilleure connaissance de ces probleacutematiques nous permettrait

lrsquoont deacutemontreacute les recherches drsquoAngeline Liliard et Nicole Else-Quest 2006) ni si leurs reacutesultats

relegravevent de la meacutethode drsquoenseignement qui les a formeacutes ou srsquoils sont plutocirct lrsquoeffet du capital culturel

deacutetenu par leurs familles

248 Un pheacutenomegravene qui inteacuteresse surtout les milieux moins favoriseacutes pour ce qui concerne

lrsquoenseignement secondaire les derniegraveres enquecirctes de lrsquoINSEE (2014) nous montrent que la plupart

des jeunes provenant de familles aiseacutees continuent agrave freacutequenter la voie geacuteneacuterale et les filiegraveres

litteacuteraire (bac-L) eacuteconomique et sociale (bac-ES) et scientifique (bac-S)

249 Gracircce au travail drsquoAnnie Da-Costa Lasne (2012) et agrave celui plus reacutecent de Muriel Letrait et Fanny

Salane (2015) nous savons que les enfants des enseignants (cateacutegorie professionnelle que lrsquoINSEE

nrsquoinclut pas parmi les milieux les plus favoriseacutes) ont en geacuteneacuteral de bons reacutesultats scolaires agrave la sortie

du lyceacutee (ce qui deacutemontrerait que la reacuteussite scolaire nrsquoest pas neacutecessairement ou pas seulement lieacutee

au capital eacuteconomique) Toutefois les eacutetudes sur les styles et les interactions eacuteducatives au sein de

ces milieux ndash qui nous aideraient agrave comprendre les logiques eacuteducatives qui facilitent la reacuteussite ndash

nrsquoen sont encore qursquoagrave leur deacutebut

356

comme lrsquoindique Jean-Pierre Terrail (2005) de transformer le modegravele reacutepublicain

drsquoeacutecole laquo unique raquo (crsquoest-agrave-dire une seule eacutecole pour tous les enfants de la

Reacutepublique) et drsquoenvisager une laquo eacutecole commune raquo capable de transmettre des

valeurs partageacutees agrave partir drsquoun cadre institutionnel disposeacute agrave admettre lrsquoexistence drsquo

laquo alteacuteriteacutes raquo et surtout de les prendre en compte250

Enfin le troisiegraveme questionnement relegraveve de la bataille ideacuteologique autour

de lrsquoidentiteacute et de la culture nationale qui ont envahi le champ eacuteducatif bien au-delagrave

des frontiegraveres bacircties dans lrsquoaregravene politique pour seacuteparer drsquoun cocircteacute les deacutefendeurs de

lrsquointerculturaliteacute et de lrsquoautre certains groupes plus nationalistes surtout dans le

champ de lrsquoextrecircme-droite (Nabli 2016) Loin de se preacuteoccuper des obstacles

deacutefinitionnels et meacutethodologiques qui compliquent lrsquoanalyse de lrsquoidentiteacute culturelle

(obstacles abordeacutes dans la premiegravere partie de cette thegravese) nombreux sont les

acteurs publics qui se sont saisis de cette question difficile laquelle exerce agrave lrsquoheure

actuelle une indeacuteniable force drsquoattraction pour la plupart des courants politiques

plus que jamais en quecircte de repegraveres et de lignes de front Toutefois sa complexiteacute

est devenue source de deacutesordre et de reconfiguration en fragilisant les clivages qui

ont traditionnellement fragmenteacute le champ politique franccedilais Si les appels

incessants agrave lrsquouniteacute de la laquo Reacutepublique raquo sont dans lrsquoair du temps ndash tout comme les

appels pour soutenir les laquo valeurs reacutepublicaines raquo dans lrsquoespace domestique et

250 A ce propos il est important de noter que des expeacuteriences pionniegraveres ont eacuteteacute meneacutees par exemple

en Bretagne - avec les eacutecoles associatives du reacuteseau Diwan - ou au Pays Basque - ougrave lrsquoenseignement

de la langue et de la culture reacutegionale est deacutesormais inteacutegreacute aux curricula des eacutecoles publiques

priveacutees associatives et priveacutees confessionnelles - (Moal 2009 Sarraillet 2009)

357

scolaire251 ndash ils relegravevent aussi drsquoune instrumentalisation agrave laquelle est voueacutee toute

chose qui se veut consensuelle bien qursquoils ne puissent pas deacutemecircler le nœud gordien

entre identiteacute et politique ni prendre la mesure de la crise actuelle de lrsquoideacutee

reacutepublicaine et de lrsquoexigence qui est la nocirctre vivre ensemble avec nos diffeacuterences

Valoriser une anthropologie de lrsquoeacuteducation adapteacutee aux speacutecificiteacutes

culturelles de la France et deacutevelopper de nouvelles pistes de recherche visant agrave

mieux comprendre sa reacutealiteacute sociale laquo multidimensionnelle raquo pourront nous aider agrave

deacuteconstruire certains steacutereacuteotypes et agrave construire une socieacuteteacute un peu plus consciente

du rocircle que jouent les laquo autres raquo dans notre deacuteveloppement humain du moins

pouvons-nous lrsquoespeacuterer

251 Un exemple est fourni par lrsquohypermeacutediatisation dont ont fait lrsquoobjet les propos sur la question de

lrsquoidentiteacute nationale lanceacutes par les diffeacuterents membres du gouvernement franccedilais suite aux attentats

meurtriers du 13 novembre 2015 agrave Paris Dans le message que la ministre de lrsquoEacuteducation nationale

de lrsquoEnseignement supeacuterieur et de la Recherche Mme Najat Vallaud-Belkacem (2015b) a adresseacute agrave

la communauteacute eacuteducative au lendemain des attentats elle soulignait en effet que laquo lrsquoEacutecole de la

Reacutepublique transmet aux eacutelegraveves une culture commune raquo pilier drsquoune identiteacute nationale partageacutee

358

17 Conclusion et perspectives

Dans la construction du savoir anthropologique deux dynamiques se

rencontrent La premiegravere que jrsquoappellerais laquo objective raquo est la description

circonstancieacutee de lrsquoobjet drsquoeacutetude qui se deacuteveloppe agrave partir drsquoune meacutethodologie qui

se veut scientifique et qui se base sur des proceacutedeacutes et des outils laquo savants raquo accepteacutes

et partageacutes par la communauteacute acadeacutemique La seconde plus laquo subjective raquo est

lrsquoautoformation du sujet eacutepisteacutemique agrave savoir lrsquoanthropologue qui construit sa

compreacutehension de la reacutealiteacute eacutetudieacutee agrave partir drsquoune reacuteflexion baseacutee sur son veacutecu et

son ideacuteologie et qui est de par sa nature dynamique et changeante extrecircmement

creacuteative et peu incline agrave la scheacutematisation laquo scientifique raquo Le terrain drsquoeacutetude ancreacute

dans un espace empirique animeacute par des pheacutenomegravenes des situations et des

dynamiques devient donc un veacuteritable laquo lieu de construction cognitive raquo (Affergan

1999 8) Cependant cette construction questionne lrsquoanthropologue qui oscillant

entre ses observations et ses reacuteflexions doit se demander quelles modaliteacutes sont les

plus adapteacutees pour deacutecrire et modeacuteliser objectivement la reacutealiteacute qursquoil eacutetudie tout en

conservant son propre laquo positionnement raquo subjectif

Agrave partir des anneacutees 1970 le tournant laquo postmoderne raquo en anthropologie qui

a permis la remise en question de laquo lrsquoautoriteacute ethnographique raquo ndash et avec elle la

preacutetention selon laquelle lrsquoeacutecriture ethnographique pouvait eacutetablir une laquo veacuteriteacute raquo

absolue autour drsquoune reacutealiteacute sociale particuliegravere en la lrsquoinscrivant dans un texte ndash a

surtout donneacute la possibiliteacute de revaloriser lrsquoexpeacuterience ethnographique en tant que

359

source de reacuteflexion autour des dynamiques laquo modernes raquo du pouvoir des relations

interculturelles et des processus de construction drsquoun savoir partageacute et

laquo socialement impliqueacute raquo (Reynoso 1998)252 Si on considegravere en suivant la

perspective de lrsquoanthropologie historique laquo antipositiviste raquo de Wilhelm Dilthey

(1914) que lrsquoethnographie est moins un processus drsquoexplication que

drsquointerpreacutetation il devient degraves lors eacutevident que le rocircle drsquoune monographie

ethnographique nrsquoest pas seulement de classifier des donneacutees en fonction de

cateacutegories conceptuelles preacutedeacutefinies mais plutocirct de construire ndash de maniegravere plus ou

moins discursive ndash des significations capables de repreacutesenter des dynamiques

sociales sans deacutependre de meacutethodologies ou drsquoeacutepisteacutemologies systeacutematiques et

deacutefinies agrave lrsquoavance Lrsquoanthropologie comme lrsquoeacutecrit fort justement Ugo Fabietti

(1995) ne peut pas se reacuteduire agrave une seacuterie de proceacutedeacutes laquo techniques raquo crsquoest avant

tout une posture

252 La revalorisation du sujet eacutepisteacutemique a eu un impact consideacuterable non seulement dans le

domaine de la construction du savoir anthropologique mais aussi dans les autres sciences humaines

et sociales Lrsquohistorien Georges Duby par exemple affirmait en 1991 que laquo depuis quelque temps

jrsquoemploie de plus en plus le mot ldquojerdquo dans mes livres Crsquoest ma faccedilon drsquoavertir mon lecteur Je ne

preacutetends pas lui transmettre la veacuteriteacute mais lui suggeacuterer le probable placer devant lui lrsquoimage que je

me fais honnecirctement du vrai raquo (Duby 1991 81) Agrave propos de cette laquo renaissance raquo du laquo je raquo dans les

sciences humaines et sociales des reacuteflexions similaires ont eacuteteacute proposeacutees entre autres par

lrsquoanthropologue Philippe Descola (1993) dans le post-scriptum de lrsquoouvrage Les lances du creacutepuscule

et plus reacutecemment par lrsquohistorien Patrick Boucheron (2016)

360

Cependant les difficulteacutes inheacuterentes agrave lrsquointerpreacutetation de cette laquo forecirct de

symboles253 raquo qursquoest la culture de chaque groupe humain obligent parfois les

anthropologues agrave des acrobaties seacutemantiques afin de laquo deacutecrire lrsquoindescriptible raquo

Dans le cadre de cette eacutetude ndash dans laquelle jrsquoai chercheacute agrave comparer agrave partir drsquoune

approche anthropologique des reacutealiteacutes qui de par leurs caracteacuteristiques formelles

eacutetaient difficilement comparables ndash jrsquoai ducirc faire face au mecircme questionnement et au

dilemme imposeacute par la neacutecessiteacute de mettre au point non seulement une

meacutethodologie analytique mais aussi une strateacutegie capable de rendre compte du fait

que malgreacute la laquo distance raquo culturelle qui les seacutepare ces reacutealiteacutes eacutetudieacutees sont unies

par de mecircmes tensions sociales dont les origines sont enracineacutees dans lrsquohistoire

coloniale franccedilaise

Au bout du compte cette thegravese reposait sur un deacutefi ndash permettre un dialogue

polyphonique entre les sciences anthropologiques les sciences de lrsquoeacuteducation et les

sciences politiques ndash et sur un pari ndash analyser avec les laquo outils raquo meacutethodologiques de

lrsquoanthropologie une dynamique propre aux sciences de lrsquoeacuteducation pour proposer

des solutions de type politique Cet enjeu global ne facilitait pas la laquo discursiviteacute raquo

Crsquoest pourquoi les proceacutedeacutes que jrsquoai deacutecideacute drsquoemployer sont plus le produit drsquoun

compromis et drsquoune adaptation que lrsquoapplication drsquoune meacutethodologie standardiseacutee

agrave mes terrains drsquoeacutetude Les donneacutees qui alimentent ma recherche ont eacuteteacute obtenues

et analyseacutees en empruntant des laquo outils raquo analytiques propres agrave chacune des trois

disciplines mentionneacutees lrsquoobservation participante et les entretiens la mesure des

253 Ideacutee emprunteacutee agrave Victor Turner (1967) auteur du ceacutelegravebre essai The forest of symbols

361

interactions agrave lrsquoaide drsquoune grille chronomeacutetrique la recherche des origines drsquoune

certaine ideacuteologie gracircce agrave la relecture de sources bibliographiques primaires

Au-delagrave des reacutesultats obtenus qui ne coiumlncident pas neacutecessairement avec

ceux que jrsquoattendais cette recherche mrsquoa assureacutement permis de mieux me situer

dans le deacutebat sur la question eacuteducative les situations pluriculturelles et

lrsquoautochtonie tout en me permettant de remettre en question certaines eacutevidences

Par ailleurs puisque les temps sont agrave lrsquoexplicitation des points de vue et aux prises

de position cette thegravese mrsquoa aussi permis de mieux comprendre ma place dans le jeu

de forces qui oppose les dynamiques constitutives de notre laquo hyper-moderniteacute raquo

globale drsquoun cocircteacute celles laquo verticales raquo qui mettent en relation les groupes

heacutegeacutemoniques avec les subalternes et de lrsquoautre celles laquo horizontales raquo centrifuges

et centripegravetes qui mettent en relation un laquo centre raquo (qui revendique sa

souveraineteacute) et une laquo peacuteripheacuterie raquo (qui revendique son identiteacute) Tout sujet

eacutepisteacutemique tout comme son objet drsquoeacutetude est deacutefini en fonction de ces

dynamiques Comprendre la porteacutee de ces derniegraveres est donc probablement le

premier pas pour construire un savoir moins speacuteculatif et moins abstrait

171 Reacutesultats attendus initialement

Lrsquoobjectif geacuteneacuteral de cette thegravese eacutetait de comprendre agrave partir de deux cas

drsquoeacutetude le rocircle joueacute par la famille autochtone dans la transmission des donneacutees

culturelles Cette comparaison devait permettre de deacutecrire les modaliteacutes de

perpeacutetuation de construction et de transformation des savoirs laquo locaux raquo et de les

mettre en rapport avec lrsquohabitat particulier caracteacuteristique des terrains drsquoeacutetude

362

choisis Si agrave lrsquoorigine ce travail visait agrave saisir des dynamiques que je consideacuterais ndash

avec une certaine naiumlveteacute je lrsquoavoue ndash comme laquo traditionnelles raquo la reacutealiteacute du terrain

et les relations noueacutees avec mes dits laquo informateurs raquo (qui eacutetaient selon les cas des

amis des voisins des collegravegues) mrsquoont pousseacute agrave laquo corriger le tir raquo et agrave abandonner

certains preacutejugeacutes autour de la supposeacutee laquo tradition raquo Les Wayana-Apalaiuml et les

Enata avec qui jrsquoai veacutecu et travailleacute mrsquoont agrave maintes reprises montreacute que leur

laquo tradition raquo eacutetait bien plus le produit drsquoune reacuteinterpreacutetation creacuteative de leur

meacutemoire historique que la simple persistance drsquoune seacuterie de normes usages et

coutumes ayant surveacutecus agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquohistoire

Le laquo reconditionnement raquo de la tradition et ses effets sur les logiques

eacuteducatives sont devenus des laquo objets raquo drsquoeacutetude compleacutementaires qui mrsquoont obligeacute agrave

reconsideacuterer cette dynamique drsquointeacuterecirct anthropologique qursquoest la transmission de

la culture agrave la lumiegravere de certaines reacuteflexions autour de lrsquoidentiteacute ethnique et du

processus drsquointeacutegration postcoloniale En Guyane comme en Polyneacutesie franccedilaise jrsquoai

ducirc faire face agrave une probleacutematique beaucoup plus complexe que celle que jrsquoavais

imagineacutee entremecirclant la question des revendications sociales autochtones celle des

situations pluriculturelles et celle du deacuteveloppement eacuteconomique des deacutepartements

et des collectiviteacutes drsquoOutre-mer Un nouvel objectif speacutecifique a donc eacutemergeacute

comprendre les speacutecificiteacutes du processus drsquoacculturation qui a suivi la colonisation

de ces territoires pour en deacuteceler les bases ideacuteologiques et ses effets sur le substrat

social et culturel des communauteacutes concerneacutees

Bien qursquoagrave lrsquoorigine lrsquoutilisation de protocoles qui avaient deacutejagrave fait leurs

preuves dans drsquoautres contextes autochtones (afin drsquoobtenir des donneacutees

363

comparables) me semblait suffisante pour le recueil de donneacutees je me suis tregraves

rapidement rendu compte que leur application agrave la reacutealiteacute speacutecifique de mes terrains

drsquoeacutetude ne pouvait se faire sans adaptation En effet les protocoles qui ont permis

lrsquoeacutetude du caregiving timing employeacutes par certains anthropologues dans les Eacutetats

africains de lrsquoancien empire colonial britannique ou ceux utiliseacutes pour lrsquoanalyse des

microsystegravemes de socialisation des minoriteacutes ethniques aux Eacutetats-Unis ne pouvaient

pas ecirctre reacutepliqueacutes agrave lrsquoidentique dans le contexte de la France drsquoOutre-mer ougrave les

anciennes colonies franccedilaises sont maintenant inteacutegreacutees agrave la nation (sous forme de

DOM ou de COM) et ougrave les groupes autochtones constituent la majoriteacute statistique

de la population locale

En conseacutequence il mrsquoa fallu partiellement redeacutefinir mes objectifs et adapter

les protocoles de recueil de donneacutees Un nouvel objectif est devenu partie inteacutegrante

de ce travail explorer la possibiliteacute de mettre au point une meacutethodologie

compreacutehensive capable de produire des donneacutees laquo mesurables raquo et drsquointeacutegrer les

donneacutees issues de lrsquoobservation pheacutenomeacutenologique Cet eacuteniegraveme compromis mrsquoa

permis de creacuteer des outils simples mais efficaces (comme les grilles drsquoobservation

des interactions) pour faciliter le recueil de donneacutees sans pour autant preacutetendre

ecirctre capable de reacuteveacuteler dans son inteacutegraliteacute la dynamique eacuteducative des contextes

laquo peacuteripheacuteriques raquo

A posteriori je suis bien conscient des limites que pose la meacutethodologie que

jrsquoai finalement adopteacutee Srsquoagissant drsquoune eacutetude exploratoire elle visait avant tout agrave

deacutecrire une tendance geacuteneacuterale et ne mrsquoa pas permis drsquoacceacuteder agrave certains deacutetails

neacutecessaires agrave une description approfondie du processus de transmission des savoirs

364

chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata Le fait que mon univers drsquoeacutetude ait eacuteteacute

plutocirct restreint ne mrsquoa pas permis de geacuteneacuteraliser certaines conclusions car il mrsquoest

impossible drsquoaffirmer que tous les eacuteducateurs wayana-apalaiuml ou enata se

comportent de la mecircme maniegravere agrave partir des mecircmes logiques eacuteducatives et dans le

cadre du mecircme eacutecosystegraveme eacuteducatif Mes observations nrsquoayant concerneacute que les

interactions domestiques jrsquoavais volontairement exclu la description et lrsquoanalyse

des interactions observables dans les cadres scolaire associatif ou religieux qui

restent agrave eacutetudier

172 Reacutesultats obtenus

La premiegravere difficulteacute poseacutee par ce laquo compromis raquo entre diffeacuterentes

disciplines (lrsquoanthropologie les sciences de lrsquoeacuteducation et les sciences politiques)

qui appreacutehendent la question eacuteducative agrave partir de perspectives apparemment

divergentes a eacuteteacute le choix de la terminologie agrave utiliser Pris au piegravege par la faible

disposition que montrent parfois ces champs du savoir chacun adoptant des

cateacutegories analytiques souvent rigides et difficilement laquo traduisibles raquo jrsquoai donc

deacutecideacute de consacrer toute la premiegravere partie de cette thegravese agrave la deacuteconstruction et agrave

la laquo reconstruction raquo de certaines notions concepts et theacuteories qui font partie des

outils partageacutes par les trois disciplines mais conccedilus de maniegravere assez diffeacuterente Ce

travail de deacutemontage et drsquoassemblage appreacutehendeacute comme un

laquo parcours conceptuel raquo a principalement concerneacute les notions de culture

drsquoeacuteducation et drsquoautochtonie afin de proposer une nouvelle cateacutegorisation dans le

but de montrer les laquo forces raquo ideacuteologiques qui en leur assignant une valeur et une

365

signification politique les ont transformeacutees en concepts Jrsquoespegravere que ce premier

reacutesultat pourra faciliter le travail de ceux qui envisagent de mener des recherches

sur des terrains similaires agrave ceux qui sont au cœur de la preacutesente eacutetude

Lrsquoanalyse des donneacutees concernant les eacutecosystegravemes eacuteducatifs dans les deux

terrains drsquoeacutetude choisis a permis drsquoatteindre un deuxiegraveme reacutesultat majeur La

comparaison des donneacutees ethno-historiques avec celles obtenues par mes propres

observations nous permet de savoir que si laquo traditionnellement raquo la transmission

des donneacutees culturelles eacutetait dans les deux contextes une responsabiliteacute partageacutee

par les parents et les autres membres de la famille ndash au sein drsquoun reacuteseau eacutetendu de

parenteacute qui connectait tous les membres de la communauteacute agrave lrsquoheure actuelle ce

monopole de la famille a eacuteteacute briseacute par lrsquointervention drsquoune seacuterie drsquoacteurs

relativement nouveaux et chargeacutes eux aussi ndash plus ou moins explicitement ndash de

lrsquoeacuteducation des plus jeunes agrave savoir lrsquoeacutecole les associations culturelles et les

congreacutegations religieuses Parmi ces acteurs laquo eacutemergents raquo lrsquoeacutecole est celui qui

occupe le rocircle central du fait de son caractegravere obligatoire et du temps que les enfants

y consacrent La documentation consulteacutee et les souvenirs des personnes acircgeacutees nous

apprennent que son apparition nrsquoa pas eacuteteacute indolore mais les observations meneacutees

dans le cadre de cette recherche nous reacutevegravelent aussi que agrave lrsquoheure actuelle lrsquoattitude

des populations locales a changeacute Aujourdrsquohui les familles ont beaucoup drsquoattentes

vis-agrave-vis de lrsquoeacuteducation scolaire et ont lrsquoespoir que leurs enfants puissent profiter de

ses bienfaits pour atteindre un meilleur niveau de vie Cependant la reacutealiteacute des faits

et les statistiques des organismes concerneacutes nous montrent que en Guyane et en

Polyneacutesie franccedilaise ndash comme souvent ailleurs en France ndash lrsquoeacutecole ne semble pas

366

garantir la mobiliteacute sociale des jeunes provenant des milieux deacutefavoriseacutes surtout

dans les contextes ruraux et isoleacutes de lrsquoOutre-mer En drsquoautres termes pour les

Wayana-Apalaiuml et pour les Enata laquo lrsquoascenseur social est en panne raquo (Ledoux 2012

9)

Bien que la compreacutehension du rocircle de lrsquoeacuteducation scolaire ne faisait pas

partie des objectifs prioritaires que je mrsquoeacutetais fixeacutes au moment de lrsquoeacutelaboration de

ce projet de recherche la reacutealiteacute du terrain mrsquoa imposeacute bon greacute mal greacute drsquoen

analyser les impacts sur la vie quotidienne des familles observeacutees afin de

comprendre les raisons qui pouvaient expliquer la transformation de lrsquoideacuteologie

eacuteducative laquo traditionnelle raquo (censeacutee viser lrsquoadaptation agrave un eacutecosystegraveme social et

naturel local) du fait des dynamiques globales (visant elles lrsquointeacutegration des enfants

agrave un contexte microsystegravemique animeacute par des dynamiques politiques et

eacuteconomiques de niveau national et international) Enquecircter aupregraves des parents des

membres les plus acircgeacutes des communauteacutes et aussi aupregraves des enseignants qui

travaillent dans les eacutecoles drsquoAntecume pata et de Hiva Oa a donc permis drsquoidentifier

plus preacuteciseacutement les obstacles qui sont agrave lrsquoorigine de cette laquo panne raquo dont souffre

lrsquoeacutecole de lrsquoOutre-mer Il srsquoagit agrave mon avis drsquoobstacles qui ont une double nature ndash

structurelle (due agrave une gestion trop centraliseacutee des ressources eacuteducatives) et

ideacuteologique (due agrave une vision ethnocentrique de la culture en tant que laquo patrimoine

de la Nation raquo) ndash et qui pour ecirctre deacutepasseacutes neacutecessitent une meilleure coopeacuteration

entre les organismes publics compeacutetents en matiegravere drsquoeacuteducation et les

communauteacutes locales

367

Un troisiegraveme reacutesultat a eacuteteacute lrsquoidentification agrave la lumiegravere des donneacutees

recueillies de certains effets du processus drsquoacculturation dans les deux terrains

drsquoeacutetude ainsi que de ses divers impacts sur les Ameacuterindiens du Haut Maroni et les

Enata en raison de certaines variables historiques et geacuteographiques Drsquoun cocircteacute

lrsquoexpeacuterience guyanaise avec sa transfiguration ethnique laquo agrave retardement raquo mrsquoa

permis de mieux cerner les effets des politiques publiques qui ont autoriseacute la

destruction de lrsquoenvironnement naturel et des formes drsquoorganisation sociale qui

constituaient lrsquoeacutecosystegraveme de reacutefeacuterence des Wayana-Apalaiuml ndash tout en facilitant la

genegravese et la diffusion de certains problegravemes comme lrsquoalcoolisme la violence

intrafamiliale ou la preacutedisposition au suicide des plus jeunes Drsquoun autre cocircteacute

lrsquoenquecircte meneacutee agrave Hiva Oa mrsquoa permis de comprendre avec un certain optimisme

lrsquoimportance du processus de reformulation de lrsquoidentiteacute locale qui a donneacute aux

Marquisiens la capaciteacute de srsquoadapter aux contraintes qui deacutecoulent de leur triple

appartenance agrave une communauteacute autochtone agrave une collectiviteacute territoriale et agrave une

nation un processus qui est le fruit drsquoun lent mais progressif chemin de

reconstruction de la meacutemoire collective faciliteacute par des acteurs sociaux externes

mais inteacutegreacutes aux communauteacutes (comme lrsquoeacutecole et les congreacutegations religieuses) et

par un cadre juridique particulier (qui assigne certaines compeacutetences aux

responsables locaux) deacuterivant du statut drsquoautonomie de la Polyneacutesie franccedilaise

Finalement jrsquoespegravere que de ces reacutesultats pourront alimenter une reacuteflexion

plus laquo politique raquo autour de certaines solutions proposeacutees dans les chapitres

preacuteceacutedents qui visent agrave mieux adapter les politiques eacuteducatives nationales et

368

territoriales aux speacutecificiteacutes locales Crsquoest agrave ce moment-lagrave que la recherche devient

laquo socialement pertinente raquo

173 Pistes pour la recherche

Maintenant que cette recherche se termine avec ses limites que je reconnais

bien volontiers il paraicirct important de preacutesenter briegravevement des propositions et des

ideacutees qui pourraient stimuler drsquoautres chercheurs inteacuteresseacutes par lrsquoeacutetude de cet

laquo objet raquo anthropologique qursquoest lrsquoeacuteducation

En premier lieu il serait important de perfectionner la meacutethodologie qui peut

permettre drsquoavancer dans ce domaine agrave partir de la mise au point drsquoune seacuterie de

protocoles standardiseacutes pour mieux recenser et comprendre les modegraveles eacuteducatifs

observables en France Lrsquoobservation des interactions eacuteducatives la mesure du

temps que les eacuteducateurs y consacrent tout comme lrsquoidentification des styles

eacuteducatifs dominants offrent des perspectives tregraves inteacuteressantes pour eacutetudier les

laquo pratiques observables raquo en les mettant en rapport avec les laquo pratiques deacuteclareacutees raquo

et les repreacutesentations des eacuteducateurs

Il serait inteacuteressant de ne pas limiter ces observations au cadre domestique

et de les eacutelargir aux autres microsystegravemes de socialisation qui constituent

lrsquoenvironnement eacuteducatif comme les espaces scolaires associatifs religieux et ceux

qui sont propres agrave diverses institutions culturelles (les bibliothegraveques les

369

meacutediathegraveques ou les museacutees)254 Aussi il serait important drsquoapprofondir notre

connaissance des dynamiques eacuteducatives drsquoautres communauteacutes aux fortes et

anciennes speacutecificiteacutes culturelles qui sont incluses dans la nation franccedilaise Ainsi le

champ drsquoaction des recherches futures ne serait pas limiteacute aux seuls peuples de

lrsquoOutre-mer mais pourrait inclure des communauteacutes meacutetropolitaines qui

revendiquent leur laquo alteacuteriteacute raquo et leur identiteacute ethnique Finalement au vu des deacutebats

qui agrave lrsquoheure actuelle divisent lrsquoopinion publique franccedilaise autour de la dite laquo crise

migratoire raquo il serait fondamental que des recherches similaires puissent eacutegalement

concerner les communauteacutes qui viennent drsquoailleurs et qui se sont installeacutees ndash

temporairement ou durablement ndash sur le territoire national les laquo immigrants raquo et

les laquo eacutetrangers raquo

Des eacutetudes dans ce domaine pourront nous permettre de mieux comprendre

les diffeacuterentes dynamiques qui animent la socieacuteteacute franccedilaise caracteacuteriseacutee par une

situation pluriculturelle qui nrsquoa jamais reacuteussi agrave se transformer en situation

multiculturelle - politiquement et juridiquement parlant - en raison de la volonteacute

des administrations publiques drsquoecirctre laquo indiffeacuterentes aux diffeacuterences raquo La promotion

de cette compreacutehension mutuelle nous aidera agrave deacutepasser certains preacutejugeacutes qui nrsquoont

drsquoautre effets que celui drsquoalimenter les conflits et de rendre plus difficile lrsquointeacutegration

de lrsquoalteacuteriteacute Il srsquoagit lagrave drsquoun deacutefi que les sciences anthropologiques peuvent ndash et agrave

254 Ce dernier a eacuteteacute exploreacute par Rodica Ailincai (2005 et 2011) et Franccedilois-Xavier Bernard (2012) et

au vu du rocircle que joue ce type drsquoinstitutions dans la vie culturelle de la France meacuteriterait drsquoecirctre mieux

connu

370

mon avis doivent ndash relever Lrsquoune des vertus de lrsquoanthropologie comme drsquoailleurs

de toutes les sciences humaines et sociales nrsquoest-elle pas de se deacutefaire des fausses

eacutevidences

Jrsquoespegravere finalement que de nouvelles recherches dans ce domaine pourront

motiver drsquoautres chercheurs agrave entreprendre ce laquo parcours du combattant raquo qursquoest le

travail ethnographique Un laquo terrain mineacute raquo qui mrsquoa obligeacute agrave faire face agrave mes erreurs

agrave analyser le cheminement tortueux de mes intuitions agrave me faire des amis (et des

ennemis) agrave reacuteagir avec enthousiasme colegravere ou deacutegout aux petits riens qui ont

constitueacute mon quotidien guyanais ou polyneacutesien Walter Benjamin (1938) eacutecrivait

que se perdre dans une ville est le plaisir le plus raffineacute qui soit et apregraves cinq ans

passeacutes entre lrsquoAmazonie et les mers du Sud je pense pouvoir affirmer que se perdre

dans les reacutealiteacutes sociales que jrsquoai pu y explorer lrsquoa pleinement eacuteteacute pour moi

371

Synthegravese de la troisiegraveme partie

Nombre drsquoobservateurs srsquoaccordent pour affirmer que le modegravele reacutepublicain

franccedilais ndash et son laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo ndash est deacutesormais en crise La socieacuteteacute

franccedilaise est en fait constitueacutee drsquoune extraordinaire varieacuteteacute de communauteacutes

ethniques et culturelles parfois pouvant ecirctre deacutefinies comme autochtones et qui

reacuteclament de plus en plus leur alteacuteriteacute et la prise en compte de leurs speacutecificiteacutes

culturelles Les effets de cette crise sont particuliegraverement visibles dans le cadre

scolaire dans la mesure ougrave le systegraveme eacuteducatif national nrsquoa pas reacuteussi agrave relever le

deacutefi que lui imposait son triple rocircle de bastion du patrimoine culturel de la nation

de forge de citoyens et de fabrique de professionnels Le manque drsquoeacutequiteacute dont ce

dernier semble souffrir fait qursquoil est difficile pour les eacutelegraveves provenant de milieux

deacutefavoriseacutes drsquoobtenir de bonnes performances scolaires ce qui fait douter certains

analystes quant agrave la capaciteacute de ce systegraveme agrave fonctionner comme meacutecanisme

drsquoascension sociale Bien que les organismes publics chargeacutes de lrsquoeacuteducation aient

souvent consideacutereacute que les causes de cet eacutechec eacutetaient lieacutees agrave la personnaliteacute aux

compeacutetences langagiegraveres et au milieu social des enfants drsquoautres recherches ont mis

en lumiegravere qursquoen reacutealiteacute la reacuteussite deacutepend plutocirct drsquoun facteur de type

microsystegravemique agrave savoir la capaciteacute de lrsquoeacutecole agrave inteacutegrer ces eacutelegraveves et agrave leur offrir

un parcours drsquoapprentissage adapteacute agrave leurs speacutecificiteacutes socioculturelles et aux

besoins de leur communauteacute

372

Pour ce qui est des peuples autochtones des territoires drsquoOutre-mer on peut

identifier deux types drsquoobstacles agrave la reacuteussite scolaire drsquoun cocircteacute les obstacles

structurels geacuteneacutereacutes par une gestion eacutetatique des ressources eacuteconomiques qui

privileacutegie le territoire meacutetropolitain et de lrsquoautre les obstacles ideacuteologiques

produits par des logiques laquo coloniales raquo qui animent aujourdrsquohui encore lrsquoaction

eacuteducative de lrsquoEacutetat Dans la premiegravere cateacutegorie ndash soit au niveau structurel ndash deux

obstacles majeurs apparaissent le faible nombre drsquoeacutetablissements scolaires dans

les territoires ougrave la majoriteacute de la population est autochtone et le manque

drsquoinvestissement pour soutenir les coucircts directs et indirects de la scolarisation

auxquels les meacutenages deacutefavoriseacutes font difficilement face Dans la deuxiegraveme cateacutegorie

ndash soit au niveau ideacuteologique ndash on trouve le manque drsquoadaptation des rythmes et

des contenus scolaires aux reacutealiteacutes locales et aux besoins speacutecifiques des

populations concerneacutees le manque de formation des enseignants qui sont envoyeacutes

pour travailler avec ces populations et finalement le rejet de lrsquoeacutecole en tant

qursquoinstitution laquo civilisatrice raquo emblegraveme de la colonisation

Une meilleure connaissance de ces obstacles et de lrsquoimpact qursquoils ont sur les

familles permettrait de repenser certaines politiques publiques afin drsquoen reacuteduire les

effets neacutegatifs et de mettre en place des dispositifs plus performants pouvant

garantir une meilleure reacuteussite des eacutelegraveves autochtones De nouvelles eacutetudes

srsquoimposent alors notamment pour mieux deacutecrire les meacutecanismes de production et

de transmission de la diversiteacute culturelle Il est donc important de valoriser la

recherche en anthropologie de lrsquoeacuteducation dans le but de comprendre la reacutealiteacute

sociale laquo multidimensionnelle raquo de la France actuelle Les reacutesultats qursquoon pourrait

373

obtenir seront drsquoune grande utiliteacute pour le deacuteveloppement de nouvelles politiques

eacuteducatives Cependant leur porteacutee demeurera limiteacutee si elles ne sont pas

accompagneacutees drsquoune deacutemarche participative qui permette drsquointeacutegrer les

communauteacutes particuliegraveres au processus de gestion et drsquoimpleacutementation de ces

politiques

Il srsquoagit indubitablement drsquoun enjeu majeur rendre aux communauteacutes aux

fortes et anciennes speacutecificiteacutes culturelles le pouvoir de choisir leur destin implique

de deacutelocaliser certains processus deacutecisionnaires afin de garantir que la laquo reacuteussite

pour tous raquo coiumlncide avec lrsquoideacutee que chaque communauteacute se fait de la laquo reacuteussite raquo

Crsquoest lagrave un deacutefi qui ne sera pas facile agrave relever mais qui pourra contribuer agrave faciliter

le dialogue social dans un contexte national ougrave les questions identitaires sont

souvent instrumentaliseacutees pour justifier des prises de position de plus en plus

violentes

374

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eacuteleacutementaires Publieacute au Journal officiel de la Polyneacutesie franccedilaise ndeg 16 du 1

aoucirct 1996 p 1316

Arrecircteacute 2014-398 adopteacute par le Conseil des ministres de la Polyneacutesie

franccedilaise Fixant le calendrier de lanneacutee scolaire 2014-2015 des eacutecoles

publiques et priveacutees du premier degreacute et des CJA de la Polyneacutesie franccedilaise

Publieacute au Journal officiel de la Polyneacutesie franccedilaise ndeg 22 du 18 mars 2014 p

3722

Arrecircteacute 2014-399 adopteacute par le Conseil des ministres de la Polyneacutesie

franccedilaise Fixant le calendrier de lanneacutee scolaire 2014-2015 des collegraveges et

lyceacutees publiques et priveacutees de la Polyneacutesie franccedilaise Publieacute au Journal officiel

de la Polyneacutesie franccedilaise ndeg 22 du 18 mars 2014 p 3725

Arrecircteacute 2014-400 adopteacute par le Conseil des ministres de la Polyneacutesie

franccedilaise Fixant le calendrier de lanneacutee scolaire 2015-2016 des eacutecoles

publiques et priveacutees du premier degreacute et des CJA de la Polyneacutesie franccedilaise

Publieacute au Journal officiel de la Polyneacutesie franccedilaise ndeg 22 du 18 mars 2014 p

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Arrecircteacute 2014-401 adopteacute par le Conseil des ministres de la Polyneacutesie

franccedilaise Fixant le calendrier de lanneacutee scolaire 2015-2016 des collegraveges et

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TABLE DES FIGURES

Figure 1 Deux visions de la culture 47

Figure 2 Deux visions de lrsquoeacuteducation 48

Figure 3 Eacutechanges intergeacuteneacuterationnels et culturels entre eacuteducateur et eacuteduqueacute 52

Figure 4 Les relations entre systegravemes eacutecologiques 58

Figure 5 Cultures heacutegeacutemoniques et culture subalternes 94

Figure 6 Dialectique de la cosmopolitisation et de lrsquoindigeacutenisation 99

Figure 7 Les concepts lieacutes agrave lrsquoidentiteacute drsquoun groupe humain 108

Figure 8 Position de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise 139

Figure 9 La Guyane franccedilaise et le village drsquoAntecume pata 158

Figure 10 Les villages ameacuterindiens du Haut Maroni 168

Figure 11 La ligne de deacutemarcation de la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute 170

Figure 12 Localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en Guyane au

Suriname et au Breacutesil 172

Figure 13 La Polyneacutesie franccedilaise et lrsquoarchipel des Marquises 180

Figure 14 Lrsquoicircle de Hiva Oa 181

Figure 15 La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants wayana-apalaiuml

212

Figure 16La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants enata 227

Figure 17 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Antecume

pata 2011) 235

Figure 18 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Antecume pata

2014) 239

Figure 19 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Hiva Oa 2014)

242

Figure 20 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Hiva Oa

2014) 245

Figure 21 Pourcentage moyen du temps journalier pendant lequel les enfants sont

exposeacutes agrave des interactions eacuteducatives selon lrsquoeacuteducateur et le contexte eacutetudieacute

251

Figure 22 Comparaison des styles interactifs dominants dans les terrains drsquoeacutetude 273

423

TABLE DES TABLEAUX

Tableau 1 Villages wayana-apalaiuml du Haut Maroni donneacutees deacutemographiques et

population scolaire 173

Tableau 2 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Antecume pata 2011) 233

Tableau 3 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Antecume pata 2011) 236

Tableau 4 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Antecume pata 2014) 237

Tableau 5 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Antecume pata 2014) 238

Tableau 6 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Hiva Oa 2014) 241

Tableau 7 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Hiva Oa 2014) 244

Tableau 8 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (France meacutetropolitaine 2014) 248

Tableau 9 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (France meacutetropolitaine 2014) 249

Tableau 10 Pourcentage moyen drsquoexposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours

ouvrables comparaison entre les contextes drsquoeacutetude et le groupe teacutemoin en

France meacutetropolitaine 249

Tableau 11 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours feacuterieacutes (en 2011) 258

Tableau 12 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours ouvrables (en 2011) 259

Tableau 13 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours feacuterieacutes (en 2014) 261

Tableau 14 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours ouvrables (en 2014) 262

Tableau 15 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours

feacuterieacutes (en 2014) 265

424

Tableau 16 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours

ouvrables (en 2014) 267

Tableau 17 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine

pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) 268

Tableau 18 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine

pendant les jours ouvrables (en 2014) 269

1

Reacutesumeacute

Cette thegravese preacutesente une analyse anthropologique de lrsquoeacuteducation informelle chez

deux communauteacutes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais les Wayana-Apalaiuml en

Guyane et les Enata en Polyneacutesie franccedilaise A partir des donneacutees recueillies gracircce agrave

un travail ethnographique de longue dureacutee on a pu deacuteterminer le temps consacreacute

aux interactions eacuteducatives dans le milieu domestique les styles eacuteducatifs

dominants et les logiques eacuteducatives des membres des deux communauteacutes La

dynamique eacuteducative a eacuteteacute interpreacuteteacutee en tant que processus de transmission des

donneacutees culturelles lieacutees agrave un paysage naturel et social deacutetermineacute Les reacutesultats

obtenus montrent que les strateacutegies eacuteducatives des Wayana-Apalaiuml et des Enata sont

modeleacutees par les contraintes propres agrave la dynamique postcoloniale et des impeacuteratifs

imposeacutes par lrsquoeacuteconomie de marcheacute

Mots-cleacutes Acculturation autochtonie interactions eacuteducatives parentaliteacute

Abstract

This thesis presents an anthropological analysis of informal education activities

among two French autochthonous communities the Wayana-Apalaiuml people living

in French Guiana and the Enata people in French Polynesia Thanks to the data

gathered through a long term ethnographic fieldwork it was determined the time

dedicated to educational interactions in the domestic environment the dominant

educational styles and the educational logic of both communities The educational

dynamic has been interpreted as a process of transmission of cultural data related

to a natural and social landscape The results obtained show that educational

strategies applied by Wayana-Apalaiuml and Enata educators are shaped by the

constraints of the post-colonial dynamics and the requirements imposed by the

global market economy

Keywords Acculturation autochthonous people educational interactions

parenting

2

REMERCIEMENTS

Cette thegravese de doctorat fruit de pregraves de cinq ans de recherches entre

lrsquoAmeacuterique du Sud et lrsquoOceacuteanie nrsquoaurait pu se deacuterouler dans des conditions aussi

favorables sans lrsquoaide le soutien et les conseils de mes directeurs de thegravese Monsieur

Bruno Saura et Madame Rodica Ailincai Je me dois de les remercier pour le temps

qursquoils ont bien voulu consacrer agrave mrsquoaccompagner dans ce laquo parcours du

combattant raquo qursquoa eacuteteacute lrsquoeacutelaboration puis la reacutedaction de cette monographie Tous

mes remerciements vont aussi aux universitaires issus de lrsquoanthropologie et des

sciences de lrsquoeacuteducation qui ont accepteacute drsquoeacutevaluer mon travail en tant que

rapporteurs ou membres du jury Merci aussi au preacutesident de lrsquoUniversiteacute de la

Polyneacutesie franccedilaise et agrave toute lrsquoeacutequipe de lrsquoEcole doctorale du Pacifique pour leur

accompagnement et leur aide dans lrsquoorganisation de cette soutenance

Je remercie les membres de lrsquoEacutequipe drsquoaccueil EA 4241 EASTCO (Equipe

drsquoaccueil Socieacuteteacutes traditionnelles et contemporaines en Oceacuteanie) ndash et surtout M

Andreacuteas Pfersmann M Jacques Vernaudon et M Patrick Favro ndash avec qui jrsquoai souvent

eu la possibiliteacute drsquoeacutechanger autour des avanceacutees de cette thegravese

Mes collegravegues formateurs et enseignant-chercheurs de lrsquoEacutecole Supeacuterieure du

Professorat et de lrsquoEacuteducation de la Martinique Maria Popa-Roch Ceacutedric Ramassamy

Anne Peacuteneacute-Annette Emilie-Anne Palomares et Bertrand Troadec ont sacrifieacute de leur

3

temps pour des discussions constructives et des propositions toujours preacutecieuses

je leur suis tregraves reconnaissant pour cette solidariteacute

Ma gratitude va aussi agrave mes eacutetudiants de lrsquoUniversiteacute des Antilles qui durant

lrsquoanneacutee 2015-2016 ont patiemment eacutecouteacute mes interventions et avec lesquels jrsquoai

pu discuter en toute franchise autour des reacutesultats et des limites de cette recherche

Deacutebattre avec eux autour de la laquo crise de lrsquoeacuteducation raquo mrsquoa permis de deacutevelopper des

reacuteflexions relatives agrave la troisiegraveme partie de cette eacutetude

Je tiens agrave exprimer ma profonde reconnaissance agrave toutes les personnes qui

pendant mon travail de terrain mrsquoont accueilli mrsquoont offert de leur temps mrsquoont

raconteacute leur histoire et ont eacutecouteacute la mienne Mon enquecircte agrave Antecume pata aurait

eacuteteacute impossible sans la preacutesence de personnes extraordinaires comme Andreacute Cognat

Takulapo Yalaupin Alumakami Kaletu Atuman Aiumltale Demas Afo et Kalanki Ipoumlk

manaiuml yepe Agrave Hiva Oa jrsquoai eu la chance de freacutequenter Serge et Reneacutee Lecordier

Didier et Nicole Leroy mais aussi Tematai Iris et Herenui ndash des amis qui ont rendu

mon seacutejour marquisien inoubliable Karsquooha nui Merci aussi agrave Aymeric Hermann et

agrave Tamara Maric qui mrsquoont geacuteneacutereusement heacutebergeacute chez eux pendant mes seacutejours agrave

Tahiti en me permettant de beacuteneacuteficier de leur patience de leurs connaissances et

de leurs merveilleuses bibliothegraveques

Je souhaite adresser un grand mauruuru (merci) agrave Marina Vons qui non

seulement mrsquoa aideacute agrave plusieurs reprises dans mes deacutemarches administratives agrave

lrsquoUniversiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise mais qui mrsquoa aussi permis de connaicirctre un peu

plus la culture polyneacutesienne

4

Merci agrave Marie-Noeumllle Adegravele et Alice Daussy professeures des eacutecoles en poste

agrave Antecume pata agrave Erik Fattorelli responsable de la section Ameacuteriques aupregraves du

Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lrsquohomme et agrave David Amortegui

fellow teacher aupregraves du Columbia Heights Education Campus agrave Washington DC

qui mrsquoont fourni ndash sans jamais se plaindre ndash des donneacutees des informations et des

commentaires toujours utiles Merci agrave Sarah de Oliveira qui a lu et relu le texte final

de cette thegravese en mettant de lrsquoordre lagrave ougrave reacutegnait le deacutesordre Et merci aussi agrave

Margarita Serje Jorge Morales Fabricio Cabrera et Carlos Uribe mes enseignants du

deacutepartement drsquoAnthropologie de la Universidad de Los Andes en Colombie pour

mrsquoavoir donneacute le goucirct du travail ethnographique iexclGracias

Finalement cette recherche doit beaucoup agrave lrsquoencouragement de mes parents

et de ma famille tous orgueilleusement siciliens Notre identiteacute culturelle a sans

doute eacuteteacute un important eacuteleacutement drsquoinspiration dans mon choix drsquoeacutetudier les

laquo autochtones de la Reacutepublique franccedilaise raquo Sabbanarica

Les derniegraveres lignes de remerciement je les deacutedie agrave Marion et Luna qui ont

accepteacute de vivre avec moi cette aventure entre lrsquoAmazonie et les Mers du Sud et qui

ont partageacute les joies et les difficulteacutes de ces recherches sur le terrain Merci de

mrsquoavoir suivi dans cette eacuteniegraveme folie Jrsquoespegravere qursquoelle en valait la peine

5

RAPPORTS ARTICLES ET COMMUNICATIONS

Le travail de recherche deacuteveloppeacute dans cette thegravese a fait lrsquoobjet de plusieurs

publications scientifiques preacutealablement agrave ce document final

Articles dans des revues avec comiteacute de lecture

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Aligrave Maurizio (2013) laquo De lrsquoapprentissage en famille agrave la scolarisation

reacutepublicaine Lrsquoenjeu ethnique en Guyane et en Polyneacutesie raquo DOCTORIALES

2013 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 23-25 avril

Posters preacutesenteacutes lors des Doctoriales de lrsquoUniversiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise

Aligrave Maurizio (2016) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deux cas drsquoeacutetude en Guyane et en Polyneacutesie franccedilaise raquo

DOCTORIALES 2016 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 9-11

mai

Aligrave Maurizio (2015) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deacuteveloppement de lrsquoenfant et formation sociale agrave Hiva Oa

Polyneacutesie franccedilaise raquo DOCTORIALES 2015 Universiteacute de la Polyneacutesie

franccedilaise Faarsquoa Tahiti 5-7 mai

Aligrave Maurizio (2014) laquo De lrsquoeacuteducation en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deacuteveloppement de lrsquoenfant et formation sociale chez les

Wayana-Apalaiuml de la Guyane franccedilaise raquo DOCTORIALES 2014 Universiteacute de

la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 14-16 avril

Aligrave Maurizio (2012) laquo De lrsquoapprentissage en famille agrave la scolarisation

reacutepublicaine Lrsquoenjeu ethnique en Guyane et en Polyneacutesie raquo DOCTORIALES

2012 Universiteacute de la Polyneacutesie franccedilaise Faarsquoa Tahiti 25-27 avril

Rapports de missions

Aligrave Maurizio (2015) laquo De lrsquoapprentissage en famille a la scolarisation

reacutepublicaine Deux cas drsquoeacutetude en Guyane et en Polyneacutesie raquo Rapport pour la

Direction geacuteneacuterale des patrimoines - Deacutepartement du pilotage de la

8

recherche et de la politique scientifique Paris Ministegravere de la Culture et de

la Communication (82 pp)

Aligrave Maurizio (2013) laquo A typical expat family French teachers in the Guiana

jungle raquo Rapport pour McCann Truth Central Londres EMEA (36pp)

Aligrave Maurizio (2013) laquo A typical post-modern indigenous family A wayana

clan in French Guiana raquo Rapport pour McCann Truth Central Londres EMEA

(32pp)

9

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS 13

PREMIERE PARTIE EacuteDUCATION CULTURE AUTOCHTONIE UN PARCOURS

CONCEPTUEL 18

Introduction 19

1 Pourquoi eacutetudier lrsquoeacuteducation des peuples autochtones 22

12 Lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation une science en construction 25

13 Au-delagrave de la parenteacute et de la famille les premiegraveres observations des pratiques

eacuteducatives 28

14 La fragmentation de la discipline 37

2 Qursquoest-ce que lrsquoeacuteducation 41

21 Le fait eacuteducatif une interaction dynamique 49

22 Ideacuteologies symboles et systegravemes lrsquounivers social de lrsquoeacuteducation 53

3 Eacuteducation et culture essai sur la quadrature du cercle 60

31 De la parenteacute agrave la culture agrave lrsquoorigine du deacuteveloppement humain 64

32 Culture et transmission de la culture une architecture sociale du savoir 67

4 De la culture au patrimoine (et inversement) 72

41 La culture entre transmission et patrimonialisation 76

42 Eacuteducation et socieacuteteacute la question de lrsquoautochtonie 83

5 Culture et autochtonie 93

51 Autochtonie indigeacuteneacuteiteacute ethniciteacute et racisme une biopolitique de lrsquoalteacuteriteacute 98

52 Lrsquoimbroglio ethnique et lrsquoinvention de la tradition 103

6 Lrsquoidentiteacute agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoassimilation 113

61 Multiculturalisme et interculturaliteacute synonymes ou contraires 114

62 Des cateacutegories dynamiques pour penser la culture 119

Synthegravese de la premiegravere partie 127

DEUXIEME PARTIE SUR LE TERRAIN INTERACTIONS ET IDEOLOGIES EDUCATIVES

CHEZ LES WAYANA-APALAIuml ET LES ENATA AUTOCHTONES DE LA REPUBLIQUE 129

10

Introduction agrave la deuxiegraveme partie 130

7 Meacutethodologie du recueil drsquoinformations 134

71 Le terrain et lrsquounivers drsquoeacutetude 135

72 Lrsquoanalyse eacutecosysteacutemique agrave lrsquoeacutepreuve du terrain 144

73 Comprendre les interactions eacuteducatives 145

74 Performances parentales et ideacuteologies eacuteducatives 149

75 Consideacuterations eacutethiques 153

8 Les terrains de recherche 157

81 Les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata situation geacuteographique donneacutees ethno-

historiques et aspects sociologiques 158

811 Situation postcoloniale et inteacutegration nationale 165

812 Une scolarisation reacutepublicaine pour les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo 172

82 Les Enata de Hiva Oa situation geacuteographique donneacutees ethno-historiques et aspects

sociologiques 179

821 Le projet colonisateur conversion et scolarisation des Marquisiens 186

822 Entre localismes et globalismes revendications culturelles et patrimonialisation du

territoire 191

9 Les eacutecosystegravemes eacuteducatifs espaces domestiques reacuteseaux de parenteacute et vie

communautaire 200

91 Les microsystegravemes de socialisation agrave Antecume pata 200

911 La laquo maisonneacutee raquo ameacuterindienne 202

912 Le village et lrsquoeacutecole 209

92 Les microsystegravemes de socialisation agrave Hiva Oa 216

921 Famille nucleacuteaire et famille eacutelargie 219

922 Les eacuteglises lrsquoeacutecole et les organisations locales 223

10 Mesurer les interactions eacuteducatives les rythmes parentaux 229

101 La famille est le village parentaliteacute et vie communautaire chez les Wayana-Apalaiuml

230

102 Un espace domestique permeacuteable famille eacutecole religion et culture agrave Hiva Oa 240

103 Meacutetropole et Outre-mer comparer laquo lrsquointensiteacute raquo des interactions eacuteducatives 246

11 Les performances eacuteducatives styles parentaux et strateacutegies peacutedagogiques 252

111 Une parentaliteacute agrave lrsquoeacutepreuve de la laquo moderniteacute raquo les logiques eacuteducatives chez les

Wayana-Apalaiuml 256

112 Pratiques eacuteducatives agrave Hiva Oa une autochtonie accultureacutee 264

113 Lrsquointeraction eacuteducative en France meacutetropolitaine quelques donneacutees utiles agrave la

comparaison 267

11

12 Les ideacuteologies eacuteducatives autochtones lrsquoidentiteacute culturelle au service de lrsquoeacutecosystegraveme

274

121 Eacuteduquer et apprendre dans la forecirct amazonienne eacutecosophie et deacuteveloppement de

lrsquoenfant wayana-apalaiuml 277

122 La notion de reacuteussite chez les Enata de lrsquoenfant-roi agrave lrsquoenfant multidimensionnel 283

123 Lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie dynamiques drsquoassimilation culturelle et reacuteponses

adaptatives 290

Synthegravese de la deuxiegraveme partie 294

TROISIEME PARTIE LrsquoAPPROPRIATION INSTITUTIONNELLE DE LA QUESTION

EDUCATIVE ESSAI CONCLUSIF SUR LA BANALITE DU MAL 296

Introduction agrave la troisiegraveme partie 297

13 Ideacuteologies eacuteducatives et logiques drsquoorganisation sociale 302

131 Apprendre capturer produire la logique preacutedatrice de la moderniteacute 305

132 Reacuteussite scolaire et reacuteussite sociale la difficile quadrature du cercle 307

14 La scolarisation dans lrsquoOutre-mer lrsquoillusion de lrsquoascenseur social 312

141 De retour au village la difficile inteacutegration des laquo autochtones diplocircmeacutes raquo 319

142 Lrsquoeacutecole du troisiegraveme milleacutenaire forge de citoyens ou fabrique de professionnels 321

15 Reformuler les politiques eacuteducatives de laquo lrsquoindiffeacuterence aux diffeacuterences raquo agrave la prise en

compte des particulariteacutes locales 325

151 Obstacles structurels 328

152 Obstacles ideacuteologiques 335

16 Enquecircter lrsquoeacuteducation enquecircter lrsquoethniciteacute 342

161 Une question de meacutethode 346

162 Plaidoyer pour une anthropologie de lrsquoeacuteducation laquo agrave la franccedilaise raquo 350

17 Conclusion et perspectives 358

171 Reacutesultats attendus initialement 361

172 Reacutesultats obtenus 364

173 Pistes pour la recherche 368

Synthegravese de la troisiegraveme partie 371

BIBLIOGRAPHIE 374

TABLE DES FIGURES 422

12

Lrsquohomme ne peut devenir homme que par lrsquoeacuteducation

[Immanuel Kant 1776 98]

13

AVANT-PROPOS

Introduire un travail de recherche nrsquoest pas simple Loin des prioriteacutes eacutetablies

par les politiques de la recherche scientifique ndash lesquelles traduisent souvent des

prioriteacutes proprement politiques ndash mes eacutetudes ont toujours eacuteteacute inspireacutees par le

contact humain avec des reacutealiteacutes qui stimulent ma curiositeacute et qui me semblent

meacuteriter drsquoecirctre eacutetudieacutees Cette thegravese est eacutegalement neacutee dans le cadre drsquoune

expeacuterience humaine ndash la mienne ndash que jrsquoai voulu laquo encadrer raquo selon un proceacutedeacute

scientifique

Lrsquoorigine de cette entreprise nrsquoa donc rien de scientifique mea culpa Apregraves

avoir travailleacute laquo sur le terrain raquo pendant pregraves de vingt ans ndash drsquoabord en tant que

journaliste puis depuis une dizaine drsquoanneacutees en tant qursquoanthropologue ndash sur les

conflits (ce qui mrsquoa ameneacute presque sans mrsquoen rendre compte agrave passer une bonne

partie de ma vie dans des contextes ougrave la violence et lrsquoinjustice eacutetaient largement

mobiliseacutees) en 2011 jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de mrsquoinstaller dans un village ameacuterindien

ougrave mes premiers contacts ont eacuteteacute avec des enfants Apregraves avoir passeacute du temps agrave

observer et agrave analyser les disputes je me suis dit que jrsquoavais finalement la possibiliteacute

de changer de perspective et de me tourner vers un laquo sujet drsquoeacutetude raquo diffeacuterent Les

enfants me faisaient penser agrave lrsquoinsouciance au jeu agrave la liberteacute en un mot agrave la paix

Crsquoest agrave partir de cette perspective un peu naiumlve que jrsquoai fait mes premiers pas dans

cette recherche qui est agrave preacutesent devenue ma thegravese de doctorat

La rencontre fortuite et heureuse avec certains chercheurs qui srsquooccupaient

de lrsquoeacuteducation informelle dans les communauteacutes autochtones mrsquoa motiveacute agrave

14

poursuivre mes recherches dans ce domaine et agrave observer comment les familles

formaient les plus jeunes membres de leur groupe Cependant la reacutevision de la

litteacuterature scientifique sur le sujet mrsquoa montreacute que drsquoautres chercheurs mrsquoavaient

preacuteceacutedeacute et il ne me semblait pas rester beaucoup drsquoespace pour deacutevelopper des

observations originales et capables drsquoapporter du nouveau au discours

anthropologique Toutefois si les reacutealiteacutes sociolinguistiques des laquo peuples

ethniques raquo semblaient jouir drsquoune grande attention de la part des chercheurs les

eacutetudes traitant des speacutecificiteacutes et des conduites eacuteducatives au sein de la famille dans

les communauteacutes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais eacutetaient beaucoup moins

nombreuses

De plus lrsquoanalyse des textes classiques sur la vie quotidienne des enfants

dans diffeacuterentes parties du globe mrsquoa montreacute que la plupart des observateurs

utilisait une approche laquo photographique raquo capable de deacutecrire le hic et nunc des

situations observeacutees mais sans aucune relation avec le contexte historique dans

lequel elles eacutetaient immergeacutees Les communauteacutes qui servaient de laquo sujet drsquoeacutetude raquo

ressemblaient souvent agrave des reacutealiteacutes isoleacutees dans lesquelles les performances

humaines se reacutepeacutetaient immuablement depuis la nuit des temps laquo parce qursquoil en a

toujours eacuteteacute ainsi raquo

Finalement ce balayage bibliographique mrsquoa permis de conclure que bien

que des observations aient eacuteteacute reacutealiseacutees peu drsquoentre elles prenaient en compte tous

les facteurs de lrsquoeacutequation qui soutenait mon hypothegravese initiale selon laquelle

lrsquoeacuteducation des peuples autochtones inteacutegreacutes aux Eacutetats nationaux devrait ecirctre

interpreacuteteacutee en tant que processus de transmission des donneacutees culturelles lieacutees agrave un

15

paysage naturel et social deacutetermineacute encadreacute par une dynamique laquo historique raquo

postcoloniale soit le processus drsquoeacutemancipation identitaire et politique des peuples

ou des Eacutetats coloniseacutes ou anciennement coloniseacutes et soumis agrave la pression exerceacutee

par des forces exogegravenes laquo glocales1 raquo notamment les impeacuteratifs imposeacutes par

lrsquoeacuteconomie de marcheacute

Il mrsquoa alors sembleacute possible de contribuer agrave alimenter le deacutebat en proposant

une eacutetude monographique sur laquo lrsquoeacuteducation chez les autochtones raquo en observant ce

pheacutenomegravene en tant que dynamique ndash adaptative creacuteative ou transfiguratrice ndash agrave

partir drsquoune perspective laquo panoramique raquo en la mettant en relation avec la reacutealiteacute

globale et avec les transformations imposeacutees par les politiques nationales

drsquointeacutegration sociale (citoyenne et scolaire) des plus jeunes membres de leurs

communauteacutes

Cette recherche se propose donc de contribuer agrave ce champ drsquoeacutetudes au moyen

drsquoun travail de terrain de longue dureacutee visant agrave eacutetudier et agrave comparer les styles

eacuteducatifs des familles autochtones agrave partir de deux cas hautement significatifs agrave

propos desquels il existe des lacunes eacutevidentes dans la litteacuterature scientifique les

Ameacuterindiens appartenant agrave lrsquoethnie Wayana-Apalaiuml en Guyane et les Enata

autochtones de lrsquoicircle de Hiva Oa dans lrsquoarchipel des Marquises en Polyneacutesie

franccedilaise2 Il srsquoagit lagrave de deux communauteacutes qui habitent dans des sites tregraves isoleacutes et

1 Ce mot-valise est un neacuteologisme indiquant les pheacutenomegravenes capables de mettre en relation les eacutechelles globales et locales

2 Pour faciliter la lecture et par commoditeacute de langage cette deacutesignation geacuteographique sera souvent

reacuteduite agrave laquo Polyneacutesie raquo Par ailleurs il srsquoagit de la deacutesignation adopteacutee par beaucoup de Polyneacutesiens

16

qui ont fascineacute plusieurs geacuteneacuterations de voyageurs explorateurs artistes ainsi que

des hommes et femmes de science Elles font deacutesormais partie de lrsquoimaginaire

geacuteographique national drsquoun cocircteacute la forecirct amazonienne et de lrsquoautre les icircles des Mers

du Sud drsquoun cocircteacute lrsquoenfer vert et de lrsquoautre le paradis bleu Jrsquoai choisi deux terrains

drsquoeacutetude organiseacutes de maniegravere diffeacuterente au niveau institutionnel puisque la Guyane

est inteacutegreacutee agrave lrsquoEacutetat en tant que Deacutepartement tandis que la Polyneacutesie est une

Collectiviteacute qui administre certaines compeacutetences de faccedilon autonome comme

lrsquoeacuteducation Lrsquoobjectif eacutetait alors de comparer deux contextes territoriaux diffeacuterents

tout en eacutetant deacutependants drsquoune mecircme puissance coloniale la France

Les pages qui suivent sont organiseacutees en trois parties La premiegravere est deacutedieacutee

agrave la preacutesentation du cadre conceptuel que jrsquoai deacuteveloppeacute agrave partir de mon hypothegravese

de deacutepart au deacutebat autour de certaines repreacutesentations que lrsquoanthropologie srsquoest

faite de lrsquoenfance et de lrsquoeacuteducation ainsi qursquoagrave la deacuteconstruction de certaines notions

qui bien que largement utiliseacutees dans lrsquoanalyse anthropologique peuvent geacuteneacuterer

des malentendus en raison de leur manque de neutraliteacute La deuxiegraveme partie est

centreacutee sur lrsquoanalyse comparative des donneacutees recueillies sur le terrain en Guyane

et en Polyneacutesie dans le but de deacutecrire les pratiques eacuteducatives parentales des

familles avec lesquelles jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de travailler La troisiegraveme partie

conclusive propose une discussion des reacutesultats de mon travail ethnographique agrave

ndash et Marquisiens ndash qui ne se reconnaissent pas dans laquo lrsquoidentiteacute franccedilaise raquo Cependant le terme ne

fait pas lrsquounanimiteacute la question de lrsquoappellation territoriale en tant que repreacutesentation symbolique

drsquoune identiteacute nrsquoest pas anodine et peut facilement se trouver agrave lrsquoorigine de controverses et de

querelles comme on le verra plus en deacutetail dans les pages qui suivent

17

partir de la perspective grand-angulaire que jrsquoai mentionneacutee auparavant pour

deacutemontrer que lrsquoeacuteducation familiale est un processus interactif destineacute agrave former des

membres drsquoune communauteacute agrave partir de certaines consideacuterations laquo locales raquo

fortement ancreacutees dans le panorama naturel et social mais qui dans des contextes

postcoloniaux peut ecirctre fragiliseacute par certains choix politiques faits laquo drsquoen haut raquo

dans le but de preacuteserver lrsquouniteacute de la nation ou de deacutevelopper le potentiel

eacuteconomique des laquo cultures locales raquo

Finalement jrsquoespegravere que mon effort pourra contribuer agrave alimenter le deacutebat

autour de cette theacutematique et apporter des eacuteleacutements drsquoanalyse concrets pour les

organismes concerneacutes par lrsquoeacuteducation et la preacuteservation du patrimoine culturel

franccedilais dans toute sa diversiteacute

18

PREMIERE PARTIE EacuteDUCATION CULTURE AUTOCHTONIE UN PARCOURS

CONCEPTUEL

19

Introduction

Lrsquoe tude comparative de lrsquoe ducation informelle dans deux communaute s

autochtones qui peuplent des territoires isole s de lrsquoOutre-mer franccedilais est un travail

qui mrsquoa oblige tout au long de sa re alisation a utiliser des cate gories analytiques qui

semblent parfois auto-e videntes Cependant comme lrsquoe crivait justement Ambrose

Bierce ce qui semble auto-e vident est bien souvent laquo e vident pour une seule

personne a lrsquoexclusion de toute autre raquo (Bierce 1911 27)

Le fait que cette e tude parte drsquoune observation ethnographique drsquoun

processus e ducatif dans le but de contribuer ndash avec des donne es recueillies sur le

terrain ndash au de bat public sur le ro le de la famille dans lrsquoe ducation des enfants et a

celui sur la reconnaissance du ro le des autochtones dans la gestion de leur culture

mrsquoa souvent oblige a des acrobaties conceptuelles pour trouver un terrain drsquoentente

entre toutes les disciplines qui confluent vers ce sujet

Bien que lrsquoapproche transdisciplinaire mrsquoait permis drsquoe viter certains

laquo sectarismes raquo me thodologiques qui encore aujourdrsquohui se parent les sciences

sociales (et qui cre ent des relations univoques entre une me thodologie et une

discipline de sorte que puisque je travaille a partir des observations sur le terrain

je ne peux faire que de lrsquoanthropologie) malheureusement les disciplines sociales

continuent a utiliser des laquo cadres conceptuels raquo qui leur sont propres et qui ne sont

20

pas toujours cohe rents avec ceux des autres disciplines Des concepts comme laquo la

culture raquo laquo lrsquoe ducation raquo laquo lrsquoautochtonie raquo laquo lrsquoethnie raquo laquo la nation raquo ou laquo le

patrimoine raquo acquie rent un sens tre s diffe rent selon qursquoon les de crit a partir du point

de vue de lrsquoanthropologue du politologue ou du chercheur en sciences de

lrsquoe ducation

Jrsquoai donc conside re ne cessaire de consacrer cette premie re partie au dialogue

entre les notions et les ide es qui seront re gulie rement utilise es dans cette the se

dans le but de les analyser de de montrer qursquoil est parfois possible de trouver des

de finitions laquo transdisciplinaires raquo et finalement drsquoexpliquer les raisons qui mrsquoont

pousse a en pre fe rer certaines et a en e viter drsquoautres Cette discussion conceptuelle

se compose de six chapitres le premier vise a de crire lrsquoapproche ge ne rale a partir

de laquelle jrsquoanalyserai les concepts basiques qursquoon discutera dans les chapitres

suivants et a reconstruire une histoire du regard de lrsquoanthropologie sur lrsquoe ducation

autochtone le deuxie me se focalise sur la question de lrsquoe ducation et son aspect a la

fois interactif ide ologique et symbolique le troisie me analyse le ro le de la

transmission de la culture a partir des apports offerts par certains domaines

scientifiques parfois de laisse s par les anthropologues tels la pale oanthropologie et

la psychologie cognitive le quatrie me est de die a laquo de construire raquo les notions

classiques de culture et de patrimoine pour en de celer la charge symbolique et

politique le cinquie me est centre sur les discours identitaires qui construisent la

notion drsquoautochtonie et ses laquo faux amis raquo a savoir lrsquoethnie et la nation le sixie me

aborde finalement la question de lrsquoacculturation et de lrsquoassimilation pour de crire des

21

cate gories dynamiques qui pourront nous aider a mieux comprendre les

phe nome nes lie s au multiculturalisme et a lrsquointerculturalite

22

1 Pourquoi eacutetudier lrsquoeacuteducation des peuples autochtones

Agrave partir du XIXegraveme siegravecle la pratique eacuteducative qui avait traditionnellement

eacuteteacute confieacutee agrave la laquo sagesse populaire raquo aux usages locaux ou aux meacutethodes propres agrave

chaque eacuteducateur est devenue un domaine drsquoeacutetude agrave part entiegravere Toutefois les

premiers travaux scientifiques sur le processus eacuteducatif eacutetaient baseacutes ndash comme on

le verra dans les pages suivantes ndash sur des observations informelles qui ne laissaient

guegravere drsquoespace agrave une analyse rigoureuse de donneacutees mesurables ou veacuterifiables et

qui devaient donc se limiter agrave de simples speacuteculations sur les normes agrave suivre pour

eacuteduquer les enfants et plus important encore sur des conseils concernant la

maniegravere drsquoexercer lrsquoautoriteacute parentale

Cependant les ide es et les orientations sur lrsquoe ducation des enfants en a ge

scolaire qui se sont diffuse es entre le XIXe me et le XXe me sie cle et qui ont modele les

syste mes drsquoinstruction globaux a partir du prototype occidental sont aujourdrsquohui

remises en cause un peu partout par une nouvelle approche laquo de coloniale3 raquo qui a

e te capable de rendre visible leurs limites en mettant en e vidence la varie te des

3 Cette approche vise agrave expliquer certains pheacutenomegravenes sociaux actuels agrave partir de lrsquoanalyse critique

de lrsquohistoire sociale politique et eacuteconomique des territoires qui ont fait partie dans le passeacute des

empires coloniaux europeacuteens

23

dimensions culturelles qui jusqursquoa un passe tre s re cent nrsquoe taient pas prises en

conside ration par le monde de la recherche et par les administrations scolaires

Certaines the matiques comme lrsquoe ducation aux normes ou aux re gles de vie

interpellent parents e ducateurs et enseignants ce qui ne devrait pas nous

surprendre si nous tenons compte de la difficulte a trouver des crite res communs

dans un monde devenu laquo multidimensionnel raquo et dans lequel cohabitent et se

juxtaposent des syste mes institutionnels et des formes drsquoorganisation sociale de

niveaux local national et supranational La pre sence dans les me mes

environnements e ducatifs drsquoenfants avec des origines culturelles diffe rentes

constitue un autre de fi aux dogmatismes ndash souvent implicites ndash qui orientent lrsquoaction

e ducative dans la famille et a lrsquoe cole et que chaque culture tend a supposer comme

absolus et universels

11 Le regard anthropologique sur lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie

Selon Robert LeVine et Rebecca New (2008) depuis ses origines la recherche

anthropologique sur lrsquoenfance a vise principalement les mode les e ducatifs drsquoEurope

et drsquoAme rique du Nord et la majorite des travaux scientifiques dans le domaine ne

concernent que les syste mes de transmission culturelle des pays industrialise s ou

en voie drsquoindustrialisation dans lesquels vivent moins de 10 des enfants du

monde Il srsquoagit la drsquoune donne e qui ne devrait pas nous surprendre et ce pour une

double raison si drsquoun co te les anthropologues ont traditionnellement pre fe re ndash a

24

quelques exceptions pre s ndash le monde des adultes a lrsquounivers de lrsquoenfance4 drsquoun autre

co te les chercheurs inte resse s par les proble mes du de veloppement de lrsquoenfant ndash

majoritairement rattache s a des universite s ou a des centres de recherche europe ens

ou nord-ame ricains ndash ont tre s souvent pre fe re travailler dans des contextes

ge ographiquement proches en raison des contraintes logistiques que pose la

recherche sur lrsquoenfance (LeVine 2007)

Du fait de ce relatif manque drsquointe re t les ide es croyances principes et

dogmes qui ont laquo construit raquo le savoir occidental et laquo moderne raquo sur lrsquoenfance nrsquoont

que tre s rarement donne lieu a la comparaison interculturelle et a la re flexion

dialogique qui caracte rise lrsquoanthropologie contemporaine (Mantovani 2009) Plus

particulie rement les formes et les e tapes du de veloppement des enfants ainsi que

les soins et lrsquoactivite e ducative re alise s par les parents les autres membres de la

famille et les pairs ndash qui se traduisent en habitudes et routines quotidiennes en

4 Lawrence Hirshfeld (2002) a analyseacute le problegraveme dans un article paru dans la revue American

Anthropologist qui avec le temps est devenu une reacutefeacuterence dans le domaine des eacutetudes sur lrsquoenfance

et qui portait un titre volontairement poleacutemique laquo Why donrsquot anthropologists like children raquo

(Pourquoi les anthropologues nrsquoaiment pas les enfants ) Agrave partir de la reacuteflexion de Hirshfeld drsquoautres

anthropologues ont continueacute au deacutebat autour des raisons qui ont fait de lrsquoenfance un domaine drsquoeacutetude

eacuteviteacute par les scientifiques sociaux Selon David Lancy par exemple les difficulteacutes surgissent du fait

qursquoil srsquoagisse drsquoun terrain de recherche limiteacute par le laquo pouvoir de veto raquo (une expression qursquoil

emprunte agrave Robert LeVine et Karin Norman 2001) de certaines disciplines comme la psychologie

cognitive ou la psychopeacutedagogie qui se considegraverent comme les veacuteritables deacutepositaires de la

recherche lieacutee agrave lrsquoenfance (Lancy 2012 Une premiegravere eacutebauche de cette reacuteflexion est preacutesenteacutee dans

Lancy 2008)

25

attentes autour des possibilite s et des obligations des enfants en gestes jeux

conversations et activite s a travers lesquels les adultes transmettent et les enfants

apprennent ce que leur environnement attend drsquoeux ndash ne sont sujet a de bat dans le

milieu acade mique que lorsqursquoon a lrsquooccasion de de couvrir qursquoil existe des mode les

diffe rents Or tre s souvent apre s les avoir observe es et interpre te es on se rend

compte que ces strate gies laquo autres raquo re ve lent des mode les de formation efficaces

pour permettre le de veloppement de lrsquoenfant dans le contexte ou il vit et pour

remettre en cause les strate gies e ducatives les plus en vogue (Goldstein 1998)

12 Lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation une science en construction

Lrsquoanthropologie de lrsquoe ducation un champ disciplinaire e mergent a contribue

a construire et a alimenter lrsquoe tude des formes locales de parente de parentalite de

formation des enfants et drsquoe ducation a la socialite (Claes et al 2008) Les recherches

dans ce domaine ont permis de connaicirc tre les sche mas qui re gissent les structures

familiales et communautaires locales en essayant de comprendre les me canismes

qui leur assignent une validite pe dagogique Les travaux ethnographiques classiques

ont souligne les diffe rents ro les que jouent les parents les familles les communaute s

et les institutions sociales (parmi lesquelles il y a lrsquoe cole) contribuant a la

compre hension anthropologique de cette expe rience si humaine qursquoest la

transmission des savoirs aux nouvelles ge ne rations Cependant srsquoil est vrai ndash comme

nous le verrons dans le prochain chapitre ndash que la dynamique e ducative est

consubstantielle a notre humanite il est tout aussi vrai que les formes a travers

lesquelles elle se manifeste diffe rent drsquoune communaute a une autre et que chaque

26

groupe humain utilise des strate gies de transmission culturelle adapte es a son

propre contexte

Voici donc la caracte ristique la plus importante de lrsquoanthropologie de

lrsquoe ducation qui a la diffe rence de lrsquoanthropologie cognitive5 est une science voue e a

la comparaison dans le but de de crire et de comprendre les diffe rentes strate gies

gra ce auxquelles dans des cultures diffe rentes les re seaux de parente et les

institutions e ducatives poursuivent lrsquoobjectif universel de former les enfants a faire

laquo le bien le beau le juste raquo tout en suivant les constantes culturelles de leur groupe

social

Cependant si dans les contextes e ducatifs formels comme lrsquoe cole ou la

formation continue il est relativement facile drsquoe tudier et drsquoexpe rimenter des

mode les diffe rents il est bien plus difficile de mettre en perspective et de

questionner les routines et les pratiques e ducatives des contextes informels

lrsquoallaitement le sevrage les pratiques disciplinaires lrsquoe ducation morale la

socialisation lrsquoapprentissage du langage les formes de protection les jeux et autres

activite s libres les relations interge ne rationnelles ou encore les responsabilite s et

les ta ches domestiques re serve es aux enfants

5 Lrsquoanthropologie cognitive est consideacutereacutee comme un domaine de la recherche plus proche de la

psychologie eacutevolutionniste que de lrsquoanthropologie sociale et culturelle Il srsquoagit drsquoune approche qui a

pris forme et srsquoest diffuseacutee agrave partir de la fin des anneacutees 1960 et qui eacutetudie les dispositifs cognitifs

universels qui organisent et orientent le deacuteveloppement des cultures humaines (Tyler 1969 Voir

aussi Dortier 2004)

27

Les anthropologues qui se sont consacre s a lrsquoe tude des dynamiques que je

viens de mentionner ont donc du prendre en conside ration non seulement les

opportunite s offertes par le travail ethnographique ndash comme outil fondamental de

recueil des donne es sur le terrain ndash mais aussi toute une se rie de connaissances

savoir-faire et compe tences de rive es drsquoautres domaines scientifiques et qui e taient

tre s rarement pris en compte par leurs colle gues davantage inte resse s par les

aspects socio-culturels laquo purs raquo Je pense par exemple aux apports de la psychologie

(et notamment de la psychologie du de veloppement la psychologie cognitive la

psychope dagogie et la psychologie culturelle et sociale) et de la sociologie (de la

famille de la parente et de lrsquoe ducation mais aussi des organisations) qui ont autorise

une laquo contamination raquo disciplinaire Cette transdisciplinarite a a son tour permis de

de passer lrsquoopposition ste rile entre les me thodes qualitatives et quantitatives et

drsquoillustrer la diversite des contextes e tudie s gra ce a une ve ritable perspective

interculturelle et a une re flexion me thodologique sophistique e6 qui a su prendre en

conside ration des sujets drsquoe tude laquo difficiles raquo (les enfants dans le cadre de leur vie

domestique et communautaire) et le ro le ndash encore plus difficile ndash de lrsquoethnographe

oblige de re aliser ses observations tout en e tant doublement e tranger

premie rement en tant que repre sentant drsquoune culture laquo autre raquo et deuxie mement du

fait de son a ge adulte

6 Comme dans les travaux de Melford Spiro et Audrey Spiro (1958) de Sara Harkness et Charles Super

(1977) de Melvin Konner (1977) drsquoEdward Tronick Gilda Morelli et Steve Winn (1987) de Barry

Hewlett (1992) ou de Rebecca New (1994) pour ne citer que quelques exemples paradigmatiques

28

13 Au-delagrave de la parenteacute et de la famille les premiegraveres observations des

pratiques eacuteducatives

De s ses de buts la recherche transculturelle sur lrsquoenfance a de fie la manie re

dont nous ndash membres de la socie te laquo occidentale raquo citoyens de nations

industrialise es et a fort revenu ndash conceptualisons lrsquoenfance Ce travail a permis de

de couvrir des conditions et des re sultats auxquels les laquo experts raquo europe ens et nord-

ame ricains ne srsquoattendaient ge ne ralement pas

Rappelons-nous que lrsquointe re t scientifique pour le monde de lrsquoenfance a

e merge autour de la deuxie me moitie du XIXe me sie cle en paralle le a la publication

des premie res œuvres litte raires avec des enfants comme protagonistes Les travaux

critiques de Marina Bethlenfalvay (1979) et de Virginie Prioux (2010) nous

montrent que les romanciers ndash romantiques ou naturalistes ndash de cette e poque

aimaient a repre senter lrsquoenfance comme la pe riode de lrsquoinnocence et les enfants

comme des victimes potentielles de lrsquoexploitation et de lrsquoabandon7 Gra ce a des

œuvres destine es au grand public comme Oliver Twist de Charles Dickens Alice au

pays des merveilles de Lewis Carroll Sans Famille de Hector Malot Franccedilois le bossu

de la Comtesse de Se gur La Petite Princesse de Frances Hodgson Burnett Les Quatre

Filles du docteur March de Louise May Alcott ou Poil de Carotte de Jules Renard la

7 Un exemple inteacuteressant est le personnage de David Copperfield ndash protagoniste du chef drsquoœuvre

homonyme de Charles Dickens ndash lequel se souvenant de la cruauteacute de son beau-pegravere srsquoeacutecriait laquo Je

nrsquoavais ni guide ni conseil aucun encouragement et aucune consolation pas le moindre soutien de

quiconque rien que je puisse me rappeler raquo (Dickens 1849 36)

29

litte rature du XIXe me sie cle a forge une repre sentation ide alise e et ste re otype e de

lrsquoenfant comme un e tre fragile et a pre server (Seveno-Gheno 2001) Crsquoest a cette

e poque-la que sont apparues les toutes premie res initiatives de protection de

lrsquoenfance visant a affranchir les enfants du travail nocturne et manuel les

le gislateurs europe ens et nord-ame ricains ont introduit les premie res normes sur la

scolarisation obligatoire les e ducateurs ont cre e les kindergarten (les jardins pour

enfants) pour faire face a lrsquoe ducation de la premie re enfance et de manie re ge ne rale

la pre occupation ndash plus sentimentale que scientifique ndash envers le bien-e tre des plus

petits est devenue une affaire courante et un argument constant des de bats ayant

cours dans les milieux bourgeois et aristocratiques des pays industrialise s

Cependant peu de travaux de recherche visant a laquo comprendre raquo les enfants et leurs

besoins spe cifiques ont e te re alise s tre s probablement a cause du relatif manque

drsquointe re t affiche par la communaute scientifique internationale8 Il faut attendre la

fin du XIXe me sie cle et surtout la publication des premiers travaux de Sigmund

Freud9 pour que les premie res e tudes et enque tes sur la vie de lrsquoenfant voient le jour

8 Agrave la notable exception de certains travaux dans le domaine de la meacutedecine et de lrsquoeacutepideacutemiologie

dans lesquels les enfants eacutetaient analyseacutes en tant que veacuteritables laquo sujets drsquoeacutetude raquo notamment dans

le champ de la recherche sur les vaccins (comme ceux du meacutedecin anglais Edward Jenner et du

biologiste franccedilais Louis Pasteur) Crsquoest agrave cette eacutepoque-lagrave que les premiegraveres chaires de peacutediatrie mais

aussi les premiegraveres eacutetudes sur la santeacute et lrsquohygiegravene des enfants ont eacuteteacute inteacutegreacutees dans les universiteacutes

europeacuteennes

9 Les eacutetudes du fondateur de la psychanalyse ont permis de voir la premiegravere enfance ndash en tant que

peacuteriode exposeacutee agrave lrsquoinfluence du contexte familial ndash sous un autre jour ainsi que de mettre en lumiegravere

le rocircle de cette derniegravere dans le deacuteveloppement psychologique des ecirctres humains entre autres en

30

Bien que le premier travail a caracte re anthropologique sur lrsquoenfance ait e te

publie en 1912 par Franz Boas cet e crit rele ve davantage drsquoune laquo spe culation de

salon raquo que du re sultat drsquoune enque te ethnographique base e sur des donne es

concre tes (Boas 1912) Dans ce travail le pe re de lrsquoanthropologie ame ricaine ndash et

auteur des remarquables monographies sur la vie des Inuits de lrsquoI le de Baffin et sur

les Kwakiutl de la Columbia Britannique ndash pre sente sa the orie sur la plasticite des

laquo types raquo humains a partir de ses observations sur la croissance physique des enfants

des immigrants europe ens aux E tats-Unis Il srsquoagit la de lrsquoun de ses travaux les plus

critique s en raison de certaines conclusions qursquoil expose et qui semblent e tre

contamine es par des principes de rive s de lrsquoe volutionnisme social10

tant que peacuteriode pendant laquelle les enfants deacuteveloppent une sexualiteacute speacutecifique geacuteneacutereacutee par les

pulsions de la libido (Freud et Breuer 1895 Freud 1905)

10 Le relativisme culturel et le particularisme historique soutenus par Franz Boas eacutetaient reacutesolument

opposeacutes aux dogmes du darwinisme social Cependant dans ce texte preacutesenteacute dans le cadre de la

Premiegravere Confeacuterence Universelle sur les Races Boas considegravere que laquo entre les Juifs de lrsquoEurope de

lrsquoEst la tecircte de ceux qui sont neacutes en Europe est plus courte que la tecircte de ceux qui sont neacutes en

Ameacuterique Elle est plus large entre ceux qui sont neacutes en Europe plus que celle de ceux qui sont neacutes

en Ameacuterique En mecircme temps ceux qui sont neacutes en Ameacuterique eux sont plus grands raquo ce qui selon

lui deacutemontre son hypothegravese autour de laquo lrsquoindiscutable plasticiteacute des types humains raquo (Boas 1912

101-103) Si dans ce texte Boas ne construit pas une veacuteritable laquo theacuteorie de lrsquoeacutevolution de la race raquo il

est eacutevident que ses ideacutees sur la capaciteacute adaptative du corps humain ndash qui serait capable de se

modifier en lrsquoespace drsquoune geacuteneacuteration pour reacutepondre aux neacutecessiteacutes imposeacutees par lrsquoenvironnement

naturel et social ndash semblent plus proches du darwinisme social que du relativisme culturel

31

Ce travail de Boas peu connu du grand public a cependant influence certains

de ses disciples et plus particulie rement Margaret Mead et Ruth Benedict qui ont

alors mene des enque tes de terrain plus scientifiques ndash et moins spe culatives ndash ayant

contribue a la naissance drsquoun nouveau champ disciplinaire connu comme laquo les

e tudes sur la culture et la personnalite raquo De leur mentor les deux e le ves ont retenu

trois leccedilons importantes lrsquoe tre humain est dote drsquoune laquo plasticite raquo sociale (une

forme de flexibilite psychologique qui lui permet de srsquoadapter a lrsquoenvironnement

social et naturel) la laquo ne ote nie raquo soit lrsquoimmaturite prolonge e ou la conservation de

certains traits enfantins chez les adultes ou les presque-adultes est centrale pour

comprendre le de veloppement humain et finalement les facteurs culturels

influencent le de veloppement psychologique de lrsquoenfant Margaret Mead et Ruth

Benedict ont e galement e te influence es par un autre travail de Boas publie en 1902

dans la prestigieuse revue Science dans lequel lrsquoauteur (qui se base sur certaines

re flexions de veloppe es pendant ses e tudes avec le me decin Rudolf Virchow a Berlin

en 1883) expose sa the orie sur les variations insolites du de veloppement humain

qui peuvent e tre conside re es comme pathologiques dans la perspective drsquoune

culture particulie re mais qui en re alite entrent dans la gamme des variations

laquo acceptables raquo de lrsquoespe ce humaine (Boas 1902)

En 1928 Margaret Mead publie les re sultats de son travail de terrain visant a

observer la vie quotidienne des filles adolescentes dans les icirc les Samoa Le livre qui

en de coule Adolescence agrave Samoa pre face par Franz Boas est devenu lrsquoun des textes

anthropologiques les plus vendus de tous les temps (Mead 1928a) Lrsquoobjectif de

cette monographie nrsquoe tait pas seulement de de crire les pratiques les performances

32

et les rituels lie s a cette tranche drsquoa ge dans un contexte laquo primitif raquo mais surtout de

mettre en discussion le dogme qui associait lrsquoadolescence a des comportements lie s

au tumulte e motif typique de cette pe riode de la vie de lrsquoe tre humain dans le monde

occidental11 Ce nrsquoest donc pas un hasard si lrsquoe dition ame ricaine de lrsquoouvrage avait

pour sous-titre laquo une eacutetude psychologique de la jeunesse primitive agrave lrsquousage de la

civilisation occidentale raquo Son but e tait de reconside rer le de veloppement des enfants

et des adolescents tout en e vitant les ge ne ralisations universelles produites par

certaines visions ethnocentriques Le me me objectif lrsquoa conduite a publier dans la

revue Natural History au cours de la me me anne e un article de crivant le quotidien

des enfants samoans et soulignant les aspects qui srsquoe loignaient le plus des attentes

des parents ame ricains de la classe moyenne (Mead 1928b) Dans cet article

Margaret Mead de crit ses sujets drsquoe tude comme des laquo petits adultes raquo (little adults)

qui contribuent activement a lrsquoe conomie domestique et a la production drsquoaliments

sans laisser aucun doute sur le fait que ses observations de rivent de son point de vu

laquo externe raquo en tant que produit de son appartenance a une culture ndash occidentale et

laquo moderne raquo ndash qui conside re le travail infantile comme intole rable Cependant

Margaret Mead met aussi en e vidence le fait que dans le cadre de leur culture

drsquoorigine les laquo petits adultes raquo samoans bien que charge s de certaines ta ches tre s

physiques et fatigantes restent des enfants et que les parents continuent a les

11 Cette formulation deacuterivait des travaux de Granville Stanley Hall fondateur de la psychologie

infantile en Ameacuterique qui en 1904 a forgeacute et contribueacute agrave la popularisation du terme laquo adolescence raquo

(Hall 1904)

33

conside rer comme tels en les excluant des responsabilite s sociales qui sont propres

aux adultes comme la participation a certaines ce re monies ou rituels

Me me si la laquo scientificite raquo de ces travaux a e te plusieurs fois mise en doute ndash

notamment par des voix tre s e minentes12 ndash ses efforts pour comprendre le ve cu des

enfants et des adolescents nrsquoen e taient pas moins tre s novateurs Margaret Mead a

en effet e te la toute premie re anthropologue a se spe cialiser sur les the mes de

lrsquoenfance et de lrsquoadolescence

Un peu plus tard sa colle gue Ruth Benedict srsquoest inte resse e a ces me mes

the matiques et ses contributions a la diffe rence de celles de Margaret Mead ne sont

pas base es sur un compte-rendu drsquoobservations mene es sur le terrain mais pluto t

sur une analyse anthropologique ndash et plus laquo panoramique raquo ndash des donne es obtenues

par drsquoautres ethnographes afin de repe rer des similitudes et des diffe rences dans les

dynamiques de socialisation infantile mais surtout afin drsquoexaminer les dimensions

12 Agrave propos de sa production scientifique Clifford Geertz eacutecrira laquo une partie est eacutevidemment

superficielle mal penseacutee neacutegligemment argumenteacutee et mecircme irresponsable Une partie est

routiniegravere banale dans le meilleur des cas conjoncturel dans le pire du pur remplissage Une partie

est professionnelle soigneuse une contribution modeste mais concregravete au savoir Et une partie est

extraordinaire reacutevolutionnaire au moment ougrave elle fut eacutecrite mais aussi aujourdrsquohui raquo (Geertz 1989

335) Drsquoun avis plus nuanceacute mais eacutegalement critique Serge Tcherkeacutezoff (1997 2001) considegravere que

Margaret Mead a eacuteteacute influenceacutee par le mythe occidental de la liberteacute sexuelle en Polyneacutesie et qursquoelle

a donc systeacutematiquement interpreacuteteacute ses observations sur cette partie de lrsquooceacutean Pacifique en fonction

de certains clicheacutes ethnocentriques (point de vue qursquoil partage avec lrsquoanthropologue neacuteozeacutelandais

Derek Freeman 1983)

34

a travers lesquelles des socie te s culturellement diffe rentes conccediloivent les phases du

de veloppement humain (Benedict 1938) Son travail peut e tre conside re comme la

toute premie re e tude compare e des e tapes de la vie humaine (petite enfance

enfance adolescence a ge adulte et vieillesse) en termes laquo culturels raquo et le premier a

analyser les discontinuite s et les laquo ruptures raquo qui symbolisent le passage de la petite

enfance a lrsquoenfance et de lrsquoenfance a lrsquoadolescence

Entre 1913 et 1929 Bronislaw Malinowski a publie une se rie de travaux

ethnographiques dans lesquels lrsquoobservation des enfants jouait un ro le central dans

lrsquoappui de ses the ses (Malinowski 1913 1927 1929) Bien que son ethnographie

laquo intensive raquo ndash qui implique de longues pe riodes de travail sur le terrain afin que le

chercheur puisse participer aux activite s et aux relations de la communaute e tudie e

et qursquoil puisse reconstruire selon sa ce le bre expression laquo le point de vue du natif raquo

et les significations profondes de certaines pratiques locales ndash srsquoe loigne des

me thodes classiques de la recherche psychologique (qui privile gie les tests et les

mesures quantitatives) Malinowski conside rait son travail comme une approche

psychologique des proble mes de la culture laquelle ndash a partir de lrsquoanalyse de la

mythologie locale et des formes drsquoorganisation familiale ndash serait capable de re ve ler

le sens le plus profond des comportements humains dans des contextes laquo sauvages raquo

ou laquo primitifs raquo Dans sa monographie intitule e La sexualiteacute et sa reacutepression dans les

socieacuteteacutes primitives parue en 1927 il re alise la premie re critique culturelle de la

the orie de lrsquouniversalite du complexe drsquoŒdipe en montrant que telle que Freud lrsquoa

formule e elle nrsquoe tait pas applicable aux natifs des icirc les Trobriands Malinowski e tait

convaincu que bien que la jalousie ressentie par les petits garccedilons envers la relation

35

de leurs me res avec leurs pe res ndash et la peur de la punition provenant du pe re ndash

pouvait avoir un sens dans une socie te patriarcale comme celle du XIXe me sie cle

viennois elle nrsquoavait aucun sens dans une socie te matriline aire comme celle des

Trobriandais ou le pe re e tait traite comme un ami et ou les tensions domestiques

e taient provoque es par le ro le de lrsquooncle maternel (Malinowski 1927)13

En 1929 Malinowski a publie un autre livre sur La vie sexuelle des sauvages

de la Meacutelaneacutesie nord-occidentale dans lequel on trouve des sections de die es a la

description du quotidien des enfants des icirc les Trobriands Dans ce travail Malinowski

approfondit ses re flexions sur le ro le du pe re dans la famille me lane sienne et de crit

minutieusement les activite s sexuelles des enfants trobriandais dont il souligne le

fait qursquoelles nrsquoe taient jamais re prime es par les parents14 Ainsi ses travaux comme

13 Cependant la tentative de Malinowski de relativiser la porteacutee du complexe drsquoŒdipe a eacuteteacute

vigoureusement reacutefuteacutee par Freud et son cercle lesquels eacutetaient convaincus qursquoil srsquoagissait drsquoun

complexe ayant un caractegravere universel (les deacutetails de cette laquo querelle raquo ont eacuteteacute eacutetudieacutes par Bertrand

Pulman 2002)

14 Toutefois on devrait reconsideacuterer certaines affirmations de Malinowski agrave la lumiegravere de sa

tendance agrave exageacuterer de maniegravere parfois morbide ses observations et surtout celles lieacutees aux

coutumes sexuelles des enfants et des adolescents il existe en effet un deacutecalage entre ses notes de

terrain et ses travaux scientifiques De telles incoheacuterences ont eacuteteacute deacutevoileacutees dans le cadre de la

controverse qui a suivi la publication de son journal intime en 1967 ce qui nrsquoa finalement pas

entacheacute sa reacuteputation en tant qursquoanthropologue mais qui a sucircrement eu un impact consideacuterable sur

la reconsideacuteration et lrsquointerpreacutetation de sa maniegravere de laquo vivre le terrain raquo de se mettre en relation

avec ceux qursquoil consideacuterait comme des laquo sauvages raquo et de raconter ce qursquoil avait veacutecu (Geertz 1967

Voir aussi Malinowski 1967)

36

ceux de Boas ont eu une influence notable dans la gene se drsquoun courant de recherche

qui allait caracte riser lrsquoanthropologie des anne es suivantes

Cette influence est particulie rement e vidente dans le travail de Meyer Fortes

qui avait une formation en psychologie de lrsquoe ducation mais qui en suivant les

se minaires postdoctoraux en anthropologie dirige s par Bronislaw Malinowski et

Raymond Firth a la London School of Economics a de cide de se consacrer

exclusivement a la recherche ethnographique Sa premie re monographie sur les

Tallensis du Ghana publie e en 1938 est de sormais conside re e comme un texte

classique de lrsquoanthropologie de lrsquoenfance bien qursquoil utilise tre s souvent des concepts

de la psychologie pour interpre ter les performances sociales observe es Lui aussi a

observe les laquo petits adultes raquo tallensis ndash des enfants capables de se charger de

responsabilite s concre tes de la vie domestique autonomes et dote s de compe tences

et de capacite s que dans la civilisation occidentale on attribue normalement aux

adultes ndash mais a la diffe rence de Malinowski qui expliquait cette maturite comme

un effet de lrsquoe panouissement sexuel de lrsquoenfant Meyer Fortes a pre fe re une

interpre tation plus culturaliste Selon lui les enfants tallensis e taient forme s de s

leur plus jeune a ge a leur ro le de laquo porteurs des traditions culturelles raquo dans le cadre

drsquoune relation e ducative qui les liait aux parents et qui fonctionnait comme un

paradigme de toutes les relations laquo morales raquo et de toutes les interactions sociales a

lrsquointe rieur et a lrsquoexte rieur de la communaute (Fortes 1938) Il constitue

probablement le dernier auteur de cette premie re phase laquo descriptive raquo dans

lrsquohistoire de lrsquoanthropologie de lrsquoe ducation ou beaucoup drsquointerpre tations

e mergeaient drsquoune vision pluto t superficielle de la re alite observe e tout en e tant le

37

pre curseur drsquoune phase plus laquo re flexive raquo une phase qui comme nous le verrons

dans les pages suivantes allait montrer a la communaute scientifique internationale

les potentialite s et les nouvelles voies offertes par cette branche de la science

anthropologique

14 La fragmentation de la discipline

Si cette premiegravere phase laquo glorieuse raquo drsquoeacutetudes sur lrsquoeacuteducation et lrsquoenfance a

stimuleacute un grand nombre de chercheurs ce champ disciplinaire reste aujourdrsquohui

encore en chantier Le premier obstacle est celui de la deacutefinition de la discipline elle-

mecircme En effet le nom qursquoon devrait lui donner ne fait pas lrsquounanimiteacute Certains

auteurs preacutefegraverent parler drsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation (Middleton 1970 Wulf

1999 Anderson-Levitt 2006) ou drsquoethnologie de lrsquoeacuteducation (Erny 1961) drsquoautres

drsquoanthropologie de lrsquoenfance (Gaskins 2000 LeVine amp Norman 2001 Hirshfeld

2002 Lancy 2008) et drsquoautres encore preacutefegraverent la deacutesignation drsquoeacuteducation

compareacutee (Lecirc Thanh 1981 Halls 1991 Van Daele 1993 Groux amp Porcher 1997

Groux 1997 Goldstein 1998)15 Bien que le sujet drsquoeacutetude ne change pas ndash il srsquoagit

toujours de lrsquoanalyse des faits eacuteducatifs et des pratiques qui lrsquoaccompagnent ndash

15 Dans cette partie je ne mrsquooccuperai pas de la sociologie de lrsquoeacuteducation car il srsquoagit drsquoun domaine

qui se consacre en prioriteacute agrave lrsquoanalyse des pheacutenomegravenes sociaux lieacutes aux institutions drsquoeacuteducation

drsquoinstruction et de formation comme les eacutecoles les lyceacutees ou les universiteacutes surtout dans les pays

occidentaux (Van Haecht 1990) Cependant je mrsquoappuierai souvent sur certains auteurs qui

proviennent de cette discipline et qui ont contribueacute pour diffeacuterentes raisons agrave alimenter le deacutebat sur

la laquo question eacuteducative raquo

38

chaque preacutefeacuterence semble manifester une conception particuliegravere de lrsquoeacuteducation et

des acteurs sociaux qui y sont impliqueacutes Dans le premier cas elle est appreacutehendeacutee

de maniegravere plus geacuteneacuterale en tant que processus qui intervient tout au long de la vie

et qui se confond avec les pratiques de formation et drsquoinstruction Dans le deuxiegraveme

lrsquoaccent est mis sur le rocircle des enfants dans les interactions eacuteducatives et sur leur

capaciteacute agrave influencer et agrave transformer la reacutealiteacute qui les entoure (leur laquo agentiviteacute raquo

ou agency) Dans le troisiegraveme on srsquoappuie sur lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoanalyse des

pratiques eacuteducatives ne prend du sens qursquoau travers drsquoune perspective compareacutee

dans le but de comprendre les avantages et les inconveacutenients des strateacutegies mises

en place par les diffeacuterents groupes humains (Sirota 2001) Crsquoest dans le cadre de

cette derniegravere perspective que certains gouvernements et organisations

internationales ont reacutealiseacute des eacutetudes pour reacuteveacuteler les diffeacuterences entre les

performances des systegravemes eacuteducatifs occidentaux et celles des pays en voie de

deacuteveloppement (Leclercq 2005)

Au-delagrave de ce premier obstacle il en existe un deuxiegraveme geacuteneacutereacute par la

fragmentation des perspectives sur lrsquoeacuteducation et par les prioriteacutes analytiques qui

guident lrsquoaction des diffeacuterents courants de recherche Lrsquoun des domaines privileacutegieacutes

est sucircrement celui de la socialisation observeacutee soit comme un processus de

deacuteveloppement du caractegravere de lrsquoenfant de son tempeacuterament et de sa personnaliteacute

(Mead 1930 et 1947 Whiting amp Whiting 1973 Rogoff et al 1975) soit comme un

processus drsquoacquisition des outils cognitif et du langage (Ochs 1988 Rogoff 1990

Schieffelin 1990) Un deuxiegraveme domaine drsquointeacuterecirct est celui de lrsquoinstruction crsquoest-agrave-

dire lrsquoeacutetude des processus de transmission des savoirs et surtout des capaciteacutes

39

pratiques dans la production de la culture mateacuterielle (Fortes 1938 Hewlett amp

Cavalli-Sforza 1986) Il existe eacutegalement une part significative drsquoeacutetudes consacreacutees

au jeu et agrave ses implications dans la construction eacutemotionnelle et lrsquoapprentissage de

certaines connaissances comme les matheacutematiques par exemple ou compeacutetences

comme le repeacuterage dans lrsquoespace ou les strateacutegies de coopeacuteration (Lancy amp Tindall

1976 Schwartzman 1979) Drsquoautres auteurs ont exploreacute lrsquoenfance agrave partir drsquoune

perspective eacutemique ndash en utilisant les cateacutegories mentales propres au groupe humain

observeacute ndash pour comprendre sa fonction laquo drsquoincubateur raquo social et son rocircle dans le

processus de maturation sociale des plus jeunes et drsquointeacutegration agrave la communauteacute

drsquoappartenance (Conklin amp Morgan 1996 Razy 2007) Finalement drsquoautres

courants se sont occupeacutes drsquoaspects plus speacutecifiques comme les pratiques de

seacuteparation temporaires de la communauteacute ndash notamment dans le cas des rituels

drsquoinitiation pour les garccedilons ou de lrsquoapparition des regravegles chez les filles (Reynolds

1991) ndash le travail des enfants et leur rocircle dans lrsquoeacuteconomie domestique et la

production capitaliste (Kramer 2005) ou encore la spiritualiteacute des enfants et leur

participation agrave des pratiques religieuses (Maiden amp Farwell 1997)

Si les deacutesaccords theacuteoriques qui seacuteparent certaines eacutecoles de penseacutee et

lrsquoabsence drsquoun langage commun pouvant permettre un dialogue permanent entre les

diffeacuterents secteurs de ce domaine de recherche ont limiteacute la construction drsquoun savoir

homogegravene les apports respectifs de ces travaux ont accru les connaissances que

nous avons sur lrsquoeacuteducation et sur le rocircle des enfants dans les communauteacutes dans

lesquelles ils vivent Ils ont aussi permis de deacutepasser certains dogmes et drsquoaccepter

40

le fait que chaque culture se perpeacutetue agrave partir de pratiques laquo localiseacutees raquo qui sont

difficilement concevables hors de leur laquo habitat raquo

41

2 Qursquoest-ce que lrsquoeacuteducation

Lrsquoeacutetymologie latine du mot eacuteducation ndash qui deacuterive drsquoeducatio terme composeacute

du preacutefixe ex (hors de) et du substantif du verbe ducere (conduire) ndash nous suggegravere

qursquoil srsquoagit drsquoun processus qui amegravenerait lrsquoeacuteduqueacute laquo hors de raquo son eacutetat premier Le

terme est employeacute en franccedilais depuis le Moyen Acircge surtout dans les eacutecrits des

preacutecepteurs des enfants de lrsquoaristocratie qui se preacuteoccupaient de laquo lrsquoeacuteducation des

princes raquo (Mialaret 1976) Cette vision eacutelitiste de lrsquoeacuteducation srsquoest transformeacutee agrave

partir du XVIIegraveme siegravecle quand elle a commenceacute agrave ecirctre utiliseacutee pour deacutefinir de

maniegravere plus geacuteneacuterale le laquo soin qursquoon prend drsquoeacutelever de nourrir les enfants raquo mais

aussi laquo de cultiver leur esprit soit pour la science soit pour les bonnes mœurs raquo

(Furetiegravere 1690) Entre la fin du XIXegraveme siegravecle et le deacutebut du XXegraveme Emile Durkheim

srsquoest ainsi inteacuteresseacute agrave lrsquoeacuteducation dans le cadre de ses recherches sur la genegravese de la

penseacutee logique en la deacutefinissant comme

laquo Lrsquoaction exerceacutee par les geacuteneacuterations adultes sur celles qui ne

sont pas encore mucircres pour la vie sociale Elle a pour objet de susciter

chez lrsquoenfant un certain nombre drsquoeacutetats physiques intellectuels et

moraux que reacuteclament de lui et la socieacuteteacute politique dans son ensemble

et le milieu social auquel il est particuliegraverement destineacute raquo (Durkheim

1911 532)

42

Avec Durkheim la sociologie commence agrave srsquointerroger sur le fait eacuteducatif et

sur lrsquoinfluence de lrsquounivers social sur le deacuteveloppement des individus Cependant sa

vision de lrsquoeacuteducation restait restreinte aux activiteacutes reacutealiseacutees par les adultes pour les

enfants lesquels agrave leur tour eacutetaient consideacutereacutes comme des sujets sociaux qui

manquaient de maturiteacute et donc laquo drsquoagentiviteacute raquo Dans un ceacutelegravebre passage de son

Eacuteducation et sociologie il affirmait que

laquo Lrsquoenfant en entrant dans la vie nrsquoy apporte que sa nature

drsquoindividu La socieacuteteacute se trouve donc agrave chaque geacuteneacuteration nouvelle en

preacutesence drsquoune table presque rase sur laquelle il lui faut construire agrave

nouveaux frais Il faut que par les voies les plus rapides agrave lrsquoecirctre

eacutegoiumlste et asocial qui vient de naicirctre elle en surajoute un autre

capable de mener une vie morale et sociale Voilagrave quelle est lrsquoœuvre de

lrsquoeacuteducation raquo (Durkheim 1922 52)

La perspective durkheimienne de la laquo tabula rasa raquo a stimuleacute pendant

plusieurs anneacutees des conceptions peacutedagogiques preacuteconisant que la relation

eacuteducative ndash dans les cadres domestique et scolaire ndash repose sur lrsquoexercice de

lrsquoautoriteacute et sur des meacutethodes visant agrave former des adultes plutocirct qursquoagrave eacutepanouir les

enfants (Theacutevenin et Compagnon 2005) Cette perspective a influenceacute beaucoup

drsquointellectuels et hommes politiques europeacuteens de lrsquoeacutepoque lesquels lrsquoutilisaient

pour justifier des reacuteformes visant agrave ameacuteliorer lrsquoorganisation des eacutecoles agrave partir de

cette approche laquo verticaliste raquo centreacutee sur lrsquoideacutee selon laquelle le savoir scolaire doit

43

se transmettre laquo du haut vers le bas raquo du maicirctre-savant vers lrsquoeacutelegraveve ignorant16 Une

approche radicalement opposeacutee est apparue entre les deux conflits mondiaux et

srsquoest deacuteveloppeacutee agrave partir de la fin des anneacutees 1940 notamment gracircce agrave lrsquoactiviteacute de

la Ligue Internationale de lrsquoEacuteducation Nouvelle (LIEN) En 1948 Fernande Seclet-

Riou ndash qui militait dans le bureau franccedilais de la LIEN le Groupe Franccedilais drsquoEacuteducation

Nouvelle (GFEN) ndash a publieacute une nouvelle deacutefinition de la notion agrave partir de

reacuteflexions humanistes alimenteacutees par la LIEN et stimuleacutees par lrsquoobservation des

effets catastrophiques de la guerre Selon elle

laquo Lrsquoeacuteducation consiste agrave favoriser le deacuteveloppement aussi

complet que possible des aptitudes de chaque personne agrave la fois

comme individu et comme membre drsquoune socieacuteteacute reacutegie par la

solidariteacute Lrsquoeacuteducation est inseacuteparable de lrsquoeacutevolution sociale elle

constitue une des forces qui la deacuteterminent raquo (Seclet-Riou 1948 27

Voir aussi GFEN 1977)

16 Pour la majoriteacute des enseignants de lrsquoeacutepoque lrsquoautoriteacute eacutetait un moyen drsquoassurer la justice et

lrsquoeacutegaliteacute En France ndash mais aussi dans le reste de lrsquoEurope ndash les instituteurs disposaient drsquooutils

peacutedagogiques pour asseoir leur supeacuterioriteacute surtout gracircce au systegraveme de reacutecompenses (bons points

tableau drsquohonneur distribution de prix pour les laquo premiers de la classe raquo) et de punitions (mauvais

points privation de reacutecreacuteation retenue apregraves la classe) Beaucoup drsquoinfractions commises par les

eacutelegraveves eacutetaient laquo corrigeacutees raquo par les maicirctres qui usaient de chacirctiments corporels ndash une pratique qui

pendant longtemps a eacuteteacute accepteacutee par les familles qui la justifiaient agrave partir de lrsquoideacutee laquo moderne raquo

selon laquelle pour atteindre le progregraves il eacutetait neacutecessaire de respecter lrsquoordre (Caron 1999)

44

Agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute du XXegraveme siegravecle la notion acquiert une

signification laquo intergeacuteneacuterationnelle raquo chaque personne doit pouvoir acceacuteder aux

bienfaits de lrsquoeacuteducation qui nrsquoest plus perccedilue comme une obligation reacuteserveacutee aux

enfants mais aussi comme un moyen de deacutevelopper la personnaliteacute En reacutealiteacute cette

conceptualisation avait deacutejagrave eacuteteacute proposeacutee en 1916 par John Dewey mais appliqueacutee

au domaine de la peacutedagogie (Dewey 1916) Cette confusion terminologique reacutesulte

du fait que jusqursquoaux anneacutees 1960 les deux termes ndash eacuteducation et peacutedagogie ndash

eacutetaient envisageacutes comme des synonymes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de cette eacutepoque qursquoon

a commenceacute agrave associer la notion drsquoeacuteducation agrave la praxis eacuteducative soit lrsquoart drsquoeacutelever

et la notion de peacutedagogie agrave la reacuteflexion qui preacutecegravede cette praxis et qui se

laquo mateacuterialise raquo dans les choix meacutethodologiques et les strateacutegies adopteacutees

Bien que cet effort de conceptualisation ait permis de mieux deacutefinir les

contours de la fonction de lrsquoeacuteducation en tant que processus visant agrave deacutevelopper

lrsquoaspect laquo humain raquo et laquo social raquo de lrsquoindividu17 il nrsquoexiste pas de consensus quant aux

contenus qursquoil devrait proposer la vision laquo politique raquo associe lrsquoeacuteducation agrave la

transmission formelle de certaines compeacutetences lieacutees agrave lrsquointeacutegration dans une

socieacuteteacute agrave travers un systegraveme ndash eacuteducatif ndash qui est baseacute sur des institutions

speacutecialiseacutees alors que drsquoun point de vue laquo culturaliste raquo lrsquoeacuteducation pourrait ecirctre

associeacutee agrave la transmission de certaines compeacutetences ou connaissances neacutecessaires

agrave la survie dans un contexte naturel et social deacutetermineacute agrave travers un reacuteseaux de

relations qui constituent des espaces informels drsquoapprentissage Un exemple de la

17 Crsquoest-agrave-dire sa personnaliteacute et son comportement

45

premiegravere perspective est lrsquointerpreacutetation que les gouvernements font de la notion

drsquoeacuteducation En France par exemple le ministegravere de lrsquoEacuteducation Nationale a

aujourdrsquohui pour mission de piloter le laquo systegraveme eacuteducatif raquo soit de mettre en œuvre

laquo la politique du gouvernement relative agrave lrsquoaccegraves de chacun aux savoirs et au

deacuteveloppement de lrsquoenseignement preacuteeacuteleacutementaire eacuteleacutementaire secondaire et

supeacuterieur raquo (Deacutecret 2014-402 art1) Il srsquoagit lagrave de deux missions compleacutementaires

la premiegravere peacutedagogique est celle de la deacutefinition des voies de formation de la

deacutetermination des programmes nationaux et de lrsquoorganisation et du contenu des

enseignements la seconde plus eacuteminemment administrative a pour but de deacutefinir

et de deacutelivrer des diplocircmes nationaux des grades et des titres universitaires de

recruter et geacuterer personnel de geacuterer les moyens financiers mais aussi de controcircler

et drsquoeacutevaluer les politiques eacuteducatives La mission peacutedagogique est donc celle de

lrsquoenseignement mais agrave partir de programmes fixeacutes par le mecircme Ministegravere et qui sont

deacuteveloppeacutes en tenant compte de la neacutecessiteacute de fournir agrave tous les eacutelegraveves de la

Reacutepublique un socle commun de connaissances et de compeacutetences18

laquo une culture commune fondeacutee sur les connaissances et

compeacutetences indispensables qui leur permettra de seacutepanouir

personnellement de deacutevelopper leur sociabiliteacute de reacuteussir la suite de

leur parcours de formation de sinseacuterer dans la socieacuteteacute ougrave ils vivront

18 La loi drsquoorientation et de programmation pour la refondation de lrsquoEacutecole de la Reacutepublique du 8 juillet

2013 preacutevoit une eacutevolution et une redeacutefinition du socle commun deacutesormais intituleacute laquo socle commun

de connaissances de compeacutetences et de culture raquo qui entrera en vigueur agrave partir de la rentreacutee

scolaire 2016

46

et de participer comme citoyens agrave son eacutevolution raquo (Deacutecret n deg 2015-

372 Annexe)

Lrsquoideacutee qursquoil puisse exister un laquo socle commun de la culture raquo et qursquoil puisse

ecirctre partageacute par tous les citoyens de la nation deacuterive drsquoune conception universaliste

de la connaissance propre au siegravecle des Lumiegraveres et qui identifiait dans la culture le

laquo geacutenie national raquo19 le produit de la civilisation et le patrimoine lettreacute accumuleacute

depuis lrsquoAntiquiteacute

Cependant la the orie anthropologique de tradition relativiste nrsquoa pas cesse

de critiquer cette perspective et de nombreux auteurs ont propose des approches

diffe rentes en abordant la culture ndash comme nous le verrons plus en de tail dans le

prochain chapitre ndash en tant qursquo laquo ensemble raquo de savoirs et de valeurs propres a

chaque groupe humain (comme dans la perspective propose e par Edward Tylor

1871) en tant que laquo fabrique raquo de la personnalite (comme lrsquoimaginait Margaret

Mead 1930) fonction organique de la socie te (comme le voulait Bronislaw

Malinowski 1929) produit drsquoune structure mentale universelle a caracte re abstrait

(comme le proposait Claude Le vi-Strauss 1964) ou finalement comme expression

19 Un concept que vers la fin du XVIIIegraveme siegravecle Johann G Herder a deacuteveloppeacute dans ses travaux sur la

philosophie de lrsquohistoire pour deacutecrire le style et les goucircts propres agrave un peuple (Herder 1784) Cette

ideacutee deviendra lrsquoun des leitmotivs du Romantisme allemand et sera reprise entre autres par

Friederich Von Schlegel Wilhelm Von Humboldt ou Novalis Aujourdrsquohui on ne parle plus de geacutenie

national et on lui preacutefegravere son synonyme politiquement correct agrave savoir le laquo caractegravere national raquo

47

drsquoune strate gie identitaire ndash dans le cadre drsquoune lutte pour lrsquoacce s a certaines

ressources ndash qui permet drsquoe tablir qui est membre drsquoun groupe et qui ne lrsquoest pas qui

est laquo nous raquo et qui sont les laquo autres raquo (comme e tabli a partir de deux approches

diame tralement diffe rentes par Pierre Bourdieu 1966 et par Frederik Barth 1969)

Il en re sulte donc deux visions diame tralement oppose es de la culture (Figure 1)

Figure 1 Deux visions de la culture

Selon qursquoon appre hende la culture a partir de la premie re ou de la deuxie me

interpre tation deux visions e galement antithe tiques de lrsquoe ducation apparaissent

dans le premier cas elle est envisage e comme un processus de transmission drsquoun

laquo patrimoine raquo (la culture nationale) et dans le second comme un processus de

transmission des savoirs ne cessaires pour survivre et laquo re ussir raquo dans un habitat ndash

naturel et social ndash de termine (Figure 2)

48

Figure 2 Deux visions de lrsquoeacuteducation

Toutefois lrsquoideacutee qursquoil puisse exister une culture nationale laquo authentique raquo et

que la laquo vraie raquo eacuteducation devrait se charger de la transmission de celle-ci nrsquoest que

la manifestation drsquoun nationalisme ethnocentrique qui vise agrave valoriser certaines

valeurs laquo nationales raquo (et donc locales) en en faisant des valeurs laquo universelles raquo

Mais comme le soulignait Ugo Fabietti le culte de lrsquoauthenticiteacute nrsquoest que laquo la

projection de certains fantasmes qui sont geacuteneacutereacutes par les rythmes croissants du

meacutetissage culturel et par les deacuteseacutequilibres produits par la globalisation raquo (Fabietti

2007 30) Il srsquoagit drsquoune perspective qui reacutepond agrave la peur geacuteneacutereacutee par lrsquoalteacuteriteacute en

la niant et qui deacutevalorise la diffeacuterence culturelle en lui opposant une ideacutee

anhistorique de la laquo pureteacute raquo (Lombardi-Satriani 1994)

Je considegravere que la deuxiegraveme perspective ndash selon laquelle lrsquoeacuteducation est un

processus de transmission de ce produit social que sont les donneacutees culturelles ndash

reacutepond mieux agrave cette raison anthropologique qui nous invite agrave relativiser les reacutealiteacutes

laquo autres raquo et agrave envisager les pheacutenomegravenes sociaux et culturels en fonction du contexte

dans lesquels ils se produisent Lrsquoeacuteducation devrait donc ecirctre observeacutee et analyseacutee

49

en tant que processus local qui transmet des donneacutees ayant une valeur sociale et

symbolique au sein drsquoun paysage social et naturel particulier Elle nrsquoest jamais

laquo authentique raquo et ne transmet pas des savoirs laquo authentiques raquo elle est tout

simplement adaptable en fonction de lrsquoeacutecosystegraveme dans lequel elle existe et opegravere

21 Le fait eacuteducatif une interaction dynamique

Une situation eacuteducative existe agrave partir drsquoune interaction entre au moins deux

acteurs20 lrsquoeacuteducateur et lrsquoeacuteduqueacute Gaston Mialaret (1976) a deacutecrit cette relation en

tenant compte des cinq facteurs essentiels agrave sa reacutealisation

Les contenus crsquoest-a -dire le message qui est transmis dans un sens et

dans lrsquoautre

20 Jrsquoutilise le terme acteur et non celui de laquo personne raquo car agrave lrsquoheure actuelle les nouvelles

technologies de lrsquoinformation et de la communication (TIC) ont donneacute aux machines la possibiliteacute de

se charger de certaines tacircches eacuteducatives (dans tous les domaines de lrsquoenseignement) Aussi dans le

cadre des recherches sur lrsquointelligence artificielle il a eacuteteacute deacutemontreacute que les machines peuvent

apprendre non seulement de faccedilon passive (gracircce agrave lrsquoapprentissage superviseacute le machine learning

qui se base sur des processus systeacutematiques de type statistique ou automatique controcircleacutes par des

algorithmes drsquoorigine humaine) mais aussi de faccedilon active (gracircce agrave lrsquoapprentissage non superviseacute le

deep learning qui permet aux machines drsquoapprendre sans que lrsquointervention humaine soit

neacutecessaire) La notion sociologique drsquoacteur apparaicirct donc comme la plus approprieacutee dans le cadre

de certaines geacuteneacuteralisations comme dans le cas que je viens de deacutecrire

50

Les me thodes ou les strate gies mises en place pour transmettre le

message

Les techniques et les outils ne cessaires pour laquo communiquer raquo les

contenus

Les rapports qui lient lrsquoe ducateur et lrsquoe duque

Lrsquoenvironnement dans lequel se re alise lrsquoaction e ducative

Selon le postulat de Mialaret toute action eacuteducative peut donc ecirctre analyseacutee

agrave partir de ces cinq facteurs qui sont applicables soit agrave des situations de courte

dureacutee telle une rencontre soit de dureacutee plus longue ndash une seacuterie de rencontres ndash en

tenant compte du fait que chaque facteur peut influer les autres et que le reacutesultat

final deacutepend non seulement des facteurs eux-mecircmes mais aussi et surtout des

interactions que chacun drsquoeux eacutetablit avec les autres21

Penser agrave lrsquoeacuteducation en tant qursquointeraction nous permet de deacuteconstruire la

conception institutionnelle de la culture et du savoir et de reacutealiser que crsquoest un

projet politique qui se mateacuterialise dans un systegraveme eacuteducatif ayant pour but de

21 Mialaret a exposeacute une version simplifieacutee de cette theacuteorie dans ses autres travaux sur la

psychopeacutedagogie et sur la psychologie de lrsquoeacuteducation (Mialaret 1987 et 1999)

51

laquo transmettre un patrimoine raquo et ce faisant de former des citoyens22 Il est

deacutesormais possible de comprendre que lrsquoeacuteducation est avant tout un processus dans

lequel on laquo produit raquo des savoirs agrave partir drsquoun contenu qui est transmis dans le cadre

drsquoune interaction ougrave lrsquoeacuteducateur et lrsquoeacuteduqueacute srsquoinfluencent reacuteciproquement dans un

systegraveme ouvert drsquoactions et de reacutetroactions qui peut donner lieu agrave des adaptations

reacuteciproques etou agrave une polarisation plus ou moins marqueacutee des positions de

chaque acteur de lrsquointeraction

Retenons que cette conceptualisation de lrsquoeacuteducation agrave laquelle je souscris

reacutepond plus clairement aux exigences de lrsquoanthropologie ndash discipline voueacutee agrave

lrsquoanalyse de laquo lrsquohomme raquo et de ses relations avec le milieu naturel culturel et social

Lrsquoeacuteducation est une forme de communication lieacutee soit au langage ndash comme

lrsquoimaginait Lev Vygotski (1933) ndash soit au contexte Les variables qui constituent le

contexte eacutetant toujours changeantes et impreacutevisibles le produit final du processus

eacuteducatif lui aussi est difficilement deacuteterminable agrave lrsquoavance

Une vision dynamique de lrsquoeacuteducation nous permet de concevoir la

transmission de la culture comme un processus creacuteatif qui construit deacuteconstruit

deacutetruit et transforme les savoirs accumuleacutes pour en geacuteneacuterer de nouveaux qui ne se

reacuteduisent jamais agrave la copie conforme des contenus transmis par lrsquoeacuteducateur mais qui

22 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leur analyse critique du systegraveme scolaire franccedilais

en sont arriveacutes agrave la conclusion que lrsquoeacuteducation ndash domestique ou scolaire ndash correspond agrave une

incorporation active et non passive drsquoun habitus (Bourdieu amp Passeron 1964 et 1971 Voir aussi

Bourdieu 1966)

52

sont toujours adapteacutes par lrsquoeacuteduqueacute On devrait plus exactement parler de lrsquoeacuteducation

comme drsquoun continuum qui permet des eacutechanges entre les geacuteneacuterations

(verticalement) et les cultures (horizontalement) (Figure 3)

Figure 3 Eacutechanges intergeacuteneacuterationnels et culturels entre eacuteducateur et eacuteduqueacute

53

22 Ideacuteologies symboles et systegravemes lrsquounivers social de lrsquoeacuteducation

Deux questions deacutecoulent de la reacuteflexion qui preacutecegravede comment analyser le

processus eacuteducatif agrave partir des cateacutegories anthropologiques et de la meacutethode

ethnographique Et comment laquo relativiser raquo ou laquo universaliser raquo les observations

faites sur le terrain quand on observe des faits eacuteducatifs

Dans une perspective fonctionnaliste comme celle employeacutee par Bronislaw

Malinowski pour analyser les relations intergeacuteneacuterationnelles entre les Trobriandais

ou par Margaret Mead pour eacutetudier les relations intrageacuteneacuterationnelles soit

horizontales entre pairs du mecircme acircge aux icircles Samoa le choix de lrsquoeacuteducateur de

donner la prioriteacute agrave une strateacutegie eacuteducative plutocirct qursquoagrave une autre reacutepond agrave lrsquoexigence

drsquooptimiser les ressources existantes (humaines culturelles et naturelles) en

fonction de la preacuteservation de lrsquoexistence et de lrsquoidentiteacute du groupe de la survie dans

un milieu eacutecologique speacutecifique et de la garantie de lrsquoeacutequilibre homeacuteostatique des

communauteacutes qui lrsquohabitent Toutefois cette perspective analytique ndash qui essaye de

donner du sens aux logiques laquo locales raquo en assignant aux comportements partageacutes

par les membres drsquoun groupe humain des fonctions speacutecifiques lieacutees au maintien de

lrsquoeacutequilibre de lrsquoorganisation sociale ndash ne nous permet pas de comprendre les

modifications qui peuvent avoir lieu dans le domaine de lrsquoeacuteducation quand les

communauteacutes ndash surtout celles qui revendiquent une identiteacute autochtone ndash sont

politiquement inteacutegreacutees au sein drsquoEacutetats nationaux ou de systegravemes qui les deacutepassent

Cette dynamique srsquoaccompagne geacuteneacuteralement de leur incorporation aux marcheacutes

planeacutetaires et drsquoune modification de leur habitat agrave cause par exemple de sa

deacutegradation de la seacutedentarisation de lrsquourbanisation ou des migrations Certains de

54

ces processus sont si lourds de conseacutequences qursquoils ne permettent pas une

adaptation optimale des habitudes locales aux exigences du milieu de reacutefeacuterence en

raison de la vitesse de ces changements Pour les peuples autochtones il srsquoagit de

lrsquoaccegraves agrave la citoyenneteacute de lrsquoacquisition des usages et de la langue nationale jusqursquoagrave

la participation au laquo village global raquo Lrsquoeacuteducation devient donc un veacuteritable enjeu

politique et pour le deacutemecircler il est neacutecessaire de discuter de trois concepts celui

drsquoideacuteologie celui de symbole et celui de systegraveme

La longue enquecircte meneacutee par Meldford et Audrey Spiro pour eacutetudier les

logiques eacuteducatives collectives dans un kibboutz en Israeumll a deacutemontreacute que les

ideacuteologies politiques des eacuteducateurs ndash qursquoils soient ou pas les parents des eacuteduqueacutes

ndash modegravelent et transforment les pratiques consideacutereacutees comme traditionnelles ou

historiques pour les adapter agrave leur conception de la reacutealiteacute agrave leur vision du passeacute et

du futur et finalement agrave leur utopie (Spiro amp Spiro 1958) Les eacutetudes de Catherine

Snow et de ses collaborateurs ainsi que celles de Robert LeVine et Karin Norman

ont montreacute que dans le cadre drsquoune mecircme culture laquo occidentale raquo il existe des

variations significatives entre les strateacutegies eacuteducatives employeacutees par les parents

dans le milieu domestique ou par les enseignants dans le milieu scolaire entre la

Hollande lrsquoAllemagne le Royaume Uni et les Eacutetats-Unis (Snow et al 1979 LeVine

amp Norman 2001) Ces strateacutegies qui se traduisent par une modaliteacute speacutecifique de

communication avec les enfants sont modeleacutees par les conceptions culturelles des

eacuteducateurs autour des objectifs qursquoils se sont assigneacutes pour permettre le

deacuteveloppement psychophysique et la reacuteussite sociale des laquo eacuteduqueacutes raquo Lrsquoideacuteologie

eacuteducative est donc un puissant moteur alimenteacute par lrsquoidentiteacute culturelle et par le

55

contexte socioeacuteconomique qui agit sur les performances des eacuteducateurs et leur

permet de transformer les processus eacuteducatifs

Cette ideacuteologie agit aussi comme meacutecanisme de seacutelection de certains

contenus au deacutepend drsquoautres Lrsquoapproche ethnomeacutethodologique de

lrsquointeractionnisme symbolique ndash eacutelaboreacute par Georg Herbert Mead (1934) et

deacuteveloppeacute par ses eacutelegraveves de lrsquoEacutecole de Chicago en particulier Herbert Blumer (1966

et 1969) ndash et la theacuteorie eacutecologique du deacuteveloppement humain ndash baseacutee sur les

modegraveles proposeacutes par Uri Bronfenbrenner (1995 2005) et ses collaborateurs

(Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner amp Morris 1998) ndash nous invitent agrave

observer les interactions eacuteducatives et agrave les interpreacuteter de maniegravere compreacutehensive

afin de donner du sens aux interactions en tenant compte du fait que leur sens

repose sur les symboles gestuels et langagiers partageacutes par les individus concerneacutes

(Blumer 1969) La conduite des eacuteducateurs deacutepend donc non seulement drsquoune

ideacuteologie politique speacutecifique ndash et drsquoune interpreacutetation particuliegravere de la reacutealiteacute

sociale ndash mais aussi des significations et des valeurs que les individus attribuent agrave

leurs performances eacuteducatives qui peuvent ecirctre interpreacuteteacutees comme des laquo actions

symboliques raquo puisqursquoelles deacutesignent une Weltanschauung speacutecifique qui laquo reacutevegravele raquo

une volonteacute informatrice eacutevaluatrice stimulatrice et classificatoire23

Interpreacuteter lrsquoaction eacuteducative en tant que laquo performance symbolique raquo nous

conduit agrave tenir compte du systegraveme agrave lrsquointeacuterieur duquel elle acquiert un sens De

23 Il srsquoagit des fonctions primaires des symboles telles que les a systeacutematiseacutees Charles W Morris

(1946) dans son eacutetude sur les relations qui lient les signes le langage et les comportements

56

nombreux auteurs se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude de cet univers symbolique en

proposant divers modegraveles explicatifs et compreacutehensifs (LeVine 1967 Berry 1971

Bronfenbrenner 1979 et 1986 Ogbu 1985 Super amp Harkness 1986 et 1997

Valsiner 1987) Bien que leurs perspectives puissent parfois diverger tous ces

auteurs partagent une approche eacutecologique commune

Selon la theacuteorie eacutecoculturelle eacutelaboreacutee par John Berry (1976 et 1995) ndash qui

se base sur le relativisme culturel de Franz Boas ndash lrsquoindividu et son milieu de vie

srsquoinfluencent reacuteciproquement et la culture constitue le cadre drsquoadaptation qui eacutetablit

des limites au comportement social des individus en fonction du contexte

eacutecologique et sociopolitique Selon Berry (1971) la diversiteacute individuelle et

collective serait le reacutesultat drsquoune suite drsquoadaptations reacuteciproques entre

laquo multipliciteacutes raquo les individus et les socieacuteteacutes les personnes et les eacutecosystegravemes les

laquo Cultures raquo et les laquo Natures raquo Consideacutereacute agrave un niveau macro-environnemental ce

modegravele est avant tout selon son auteur un paradigme geacuteneacuteral agrave travers lequel des

analyses comparatives peuvent rendre compte de la diversiteacute culturelle et de

lrsquoinfluence exerceacutee par la culture sur le comportement humain par le biais des

processus de transmission et drsquoacculturation24

24 Bien eacutevidemment cette approche exige de la part du chercheur un effort afin de saisir le processus

agrave travers lequel les acteurs sociaux construisent des significations crsquoest-agrave-dire ndash pour utiliser la

terminologie de Harold Garfinkel ndash le laquo sens commun raquo agrave travers lequel ils interpregravetent les symboles

culturels et les comportements individuels (Garfinkel 1967)

57

Par ailleurs le modegravele eacutecoculturel de Berry a fortement influenceacute le modegravele

deacuteveloppemental proposeacute par Bronfenbrenner (1979) selon lequel les diffeacuterents

milieux (les systegravemes) qui agissent sur le deacuteveloppement cognitif de lrsquoenfant sont

emboicircteacutes et relieacutes entre eux les microsystegravemes (qui constituent lrsquoenvironnement

proche de lrsquoindividu) sont inclus dans le meacutesosystegraveme (lrsquoensemble des

microsystegravemes soit la communauteacute) lequel agrave son tour est inclus dans lrsquoexosystegraveme

(le systegraveme de forces exteacuterieures politiques juridiques et eacuteconomiques ayant un

fort impact sur le meacutesosystegraveme) tous eacutetant contenus dans le macrosystegraveme

(systegraveme de forces eacuteloigneacutees que Bronfenbrenner identifie avec les valeurs et la

culture et qui agrave long terme a des influences sur les microsystegravemes) La theacuteorie des

systegravemes eacutecologiques de Bronfenbrenner permet de comprendre le contexte global

dans lequel lrsquoeacuteduqueacute eacutevolue en le conceptualisant en tant qursquoensemble de systegravemes

agissant dans une dynamique interactive dont lrsquoeacuteduqueacute constitue la structure la plus

interne (Figure 4) Cette macro-approche a eacuteteacute compleacuteteacutee par le modegravele des

systegravemes bioeacutecologiques (Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner 1995

2005) qui srsquointeacuteresse surtout agrave lrsquoindividu en tant qursquoontosystegraveme biologique et aux

processus de deacuteveloppement de lrsquoenfant

58

Figure 4 Les relations entre systegravemes eacutecologiques (drsquoapregraves Bronfenbrenner amp Morris 1998)

De son cocircteacute la theacuteorie macrosociologique et le modegravele culturo-eacutecologique

eacutelaboreacutes par lrsquoanthropologue John Uzo Ogbu proposent des passerelles entre les

deux types drsquoapproches Son modegravele peut ecirctre consideacutereacute comme un systegraveme

dynamique qui integravegre les structures eacuteconomiques politiques cognitives et

comportementales Les travaux drsquoOgbu (1978 1985 et 1987) ont lrsquoavantage de

deacutevelopper une theacuteorie agrave la fois micro et macrosociologique agrave partir drsquoobservations

ethnographiques meneacutees aupregraves de laquo minoriteacutes volontaires raquo (les enfants

drsquoimmigrants) et de laquo minoriteacutes involontaires raquo (incorporeacutees dans la socieacuteteacute

Macrosystegraveme

Exosystegraveme

Meacutesosystegraveme

Microsystegraveme

Individu

59

majoritaire contre leur greacute apregraves la colonisation ou lrsquoesclavage) En effet Ogbu a

observeacute que dans le monde occidental beaucoup drsquoenfants de minoriteacutes preacutesentent

des difficulteacutes scolaires un pheacutenomegravene qui est souvent interpreacuteteacute par les

responsables des institutions scolaires comme la preuve drsquo laquo obstacles culturels aux

apprentissages raquo propres agrave certains groupes humains Cependant selon Ogbu ces

enfants ne sont pas laquo culturellement raquo ou laquo biologiquement raquo preacutedisposeacutes agrave

lrsquoeacutechec scolaire ce pheacutenomegravene est ducirc agrave leur position sociale laquo peacuteripheacuterique raquo agrave leur

participation tregraves limiteacutee agrave la vie culturelle de la nation dont ils sont citoyens et

surtout au manque drsquointeacutegration sociale de leurs familles lesquelles sont souvent

victimes drsquoeacutemargination ou drsquoinjustice Il srsquoagit donc drsquoun cadre analytique

particuliegraverement inteacuteressant pour notre eacutetude ndash dans laquelle jrsquoanalyse deux

communauteacutes de laquo minoriteacutes involontaires raquo de la nation franccedilaise ndash et sur lequel

nous reviendrons en deacutetail dans le quatriegraveme chapitre

60

3 Eacuteducation et culture essai sur la quadrature du cercle

Lrsquoanalyse structuraliste de Claude Leacutevi-Strauss dans son effort pour

comprendre le substrat des structures sociales25 qui supportent les donneacutees

culturelles et leur donnent du sens a permis drsquoouvrir une nouvelle voie Elle a

stimuleacute la reacuteflexion de nombreux chercheurs autour de lrsquoimportance de la parenteacute

et de la famille non seulement en tant que reacutefeacuterents empiriques des laquo structures

eacuteleacutementaires raquo de la socieacuteteacute26 mais aussi en tant qursquoexpressions concregravetes et

tangibles drsquoune certaine vision du monde soit drsquoune culture (Leacutevi-Strauss 1949 et

1964) Bien que comme nous lrsquoavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent ce domaine

analytique ait eacuteteacute exploreacute par certains anthropologues crsquoest plutocirct dans le cadre de

la science peacutedagogique que les eacutetudes les plus nombreuses ont eacuteteacute reacutealiseacutees avec

25 Lrsquointerpreacutetation du terme laquo structure raquo en anthropologie est agrave lrsquoorigine de nombreuses discussions

conceptuelles et il me paraicirct neacutecessaire drsquoexpliquer le sens qui lui est donneacute ici En effet le problegraveme

du statut ontologique des structures sociales a eacuteteacute souleveacute par Leacutevi-Strauss dans un article de 1953

ndash qui deviendra par la suite le XVegraveme chapitre de son Anthropologie structurale ndash dans lequel il

rediscute le significat que ce terme avait dans les travaux drsquoAlfred L Kroeber et drsquoAlfred R Radcliffe-

Brown Selon lui Kroeber et Radcliffe-Brown ont reacuteduit le concept de structure agrave la simple addition

des relations qui liaient les membres drsquoun groupe entre eux Deacuteveloppant un point de vue totalement

opposeacute Leacutevi Strauss consideacuterait la structure comme une cateacutegorie de lrsquoesprit humain ayant pour

fonction de laquo ranger raquo lrsquoexpeacuterience et drsquoen faire un objet de la penseacutee (Leacutevi-Strauss 1964)

26 Comme le tabou de lrsquoinceste le principe exogamique ou lrsquoatome de parenteacute (Leacutevi-Strauss 1949)

61

pour objectif speacutecifique de comprendre les enjeux de ce processus de transmission

des donneacutees culturelles que nous avons lrsquohabitude drsquoappeler laquo eacuteducation raquo

Si drsquoun cocircteacute lrsquoanthropologie srsquoest occupeacutee de lrsquoeacuteducation en tant que

processus de reproduction des cultures les sciences de lrsquoeacuteducation ont de leur cocircteacute

consideacutereacute le processus eacuteducatif comme une dynamique drsquointeractions ayant pour

objectif le deacuteveloppement humain dans un contexte social deacutetermineacute Comment

permettre donc un dialogue constructif entre ces deux disciplines qui autour drsquoun

mecircme objet drsquoeacutetude ont mobiliseacute des approches apparemment diffeacuterentes

Pour comprendre lrsquoorigine du problegraveme nous devons consideacuterer que

lrsquoexistence du processus eacuteducatif est consubstantielle agrave la laquo nature raquo sociale de

lrsquohomme laquelle remonte agrave lrsquoorigine de lrsquohumaniteacute En effet la paleacuteoanthropologie

nous informe que la transformation fondamentale qui a permis agrave Homo de prendre

la place des australopithegraveques ne relegraveve pas seulement drsquoune structure physique

diffeacuterente et drsquoune taille plus importante du volume ceacutereacutebral mais avant tout drsquoune

meilleure capaciteacute agrave transmettre des donneacutees utiles et fonctionnelles pour mieux

srsquoadapter agrave lrsquoenvironnement naturel circonstant (Henke amp Tattersall 2007)

laquo Lrsquoacte eacuteducatif raquo est donc agrave la base du changement qui explique selon les

cateacutegories de lrsquoanthropologie sociale et culturelle lrsquoapparition des repreacutesentants de

la famille Homo et la disparition des australopithegraveques lesquels nrsquoeacutetaient pas doueacutes

de cette laquo capaciteacute eacuteducative raquo (Henke amp Tattersall 2007) Par ailleurs la complexiteacute

des outils en pierre de la culture mateacuterielle du Pleacuteistocegravene deacutemontre qursquoil y avait lagrave

une forme de reproduction et de reacuteeacutelaboration des informations reccedilues par les

geacuteneacuterations preacuteceacutedentes ndash une forme laquo preacutehistorique raquo sans doute mais neacuteanmoins

62

sophistiqueacutee drsquoeacuteducation Toutes les activiteacutes laquo culturelles raquo des espegraveces humaines

preacuteceacutedant lrsquoHomo sapiens (la production drsquoun outillage diversifieacute la maicirctrise du feu

les rites funeacuteraires la peinture la sculpture et le langage) sont baseacutees sur

lrsquoapprentissage soit un processus creacuteatif capable de reacuteinventer et drsquoadapter les

donneacutees acquises par drsquoautres personnes un apprentissage beaucoup plus eacutelaboreacute

que lrsquoapprentissage animal baseacute sur lrsquoimitation et la mimesis (Lefebvre 1988

Merlin 1991)27

Cependant les premiegraveres reacuteflexions sur la pratique eacuteducative sont plus

tardives et il faut attendre les eacutecrits que nous ont laisseacutes les cultures classiques pour

pouvoir deacutecouvrir ce que nos ancecirctres pensaient en matiegravere drsquoeacuteducation En

27 Un ancien conflit oppose certains eacutethologistes laquo radicaux raquo agrave la paleacuteoanthropologie classique

autour de la question de lrsquoorigine de la culture et de la capaciteacute drsquoapprentissage des animaux La

restitution complegravete des donneacutees de ce deacutebat outrepasse les objectifs de cette thegravese crsquoest pourquoi

je me limiterai agrave signaler que degraves la fin du deuxiegraveme conflit mondial le ceacutelegravebre zoologiste et Prix

Nobel autrichien Konrad Lorenz (1967 1975) a deacutemontreacute qursquoil nrsquoexiste pas de meacutecanisme

drsquoapprentissage universel commun agrave toutes les espegraveces vivantes Lrsquohomme apprend donc drsquoune

maniegravere qui lui est speacutecifique et qui est en accord avec sa physiologie Agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute

du XXegraveme siegravecle les apports de la primatologie ont permis drsquoidentifier dans la mimesis ndash crsquoest-agrave-dire la

capaciteacute de produire consciemment des imitations intentionnelles mais deacutepourvues de volonteacute

communicative ndash le trait drsquounion entre les primates et les hominideacutes (Goodall 1971 Kummer 1993)

Plus reacutecemment les travaux de lrsquoeacutethologue Bernard Thierry confirment les intuitions de Lorenz et

vont jusqursquoagrave imaginer que chaque espegravece du genre Homo ndash comme Homo sapiens Homo

neanderthalensis Homo erectus ou Homo habilis ndash a appris agrave partir de meacutecanismes et de styles

eacuteducatifs diffeacuterents (Thierry 2004)

63

analysant le deacuteveloppement des ideacutees peacutedagogiques chez les peuples

laquo preacutemodernes raquo Joseph Simon consideacuterait que

laquo Chez toutes les nations la direction imprimeacutee agrave lrsquoeacuteducation

deacutepend de lrsquoideacutee qursquoelles se forment de lrsquohomme parfait Chez les

Romains crsquoest le soldat vaillant dur agrave la fatigue docile agrave la discipline

chez les Atheacuteniens crsquoest lrsquohomme qui reacuteunit en lui lrsquoheureuse

harmonie de la perfection morale et de la perfection physique chez

les Heacutebreux lrsquohomme parfait crsquoest lrsquohomme pieux vertueux capable

drsquoatteindre lrsquoideacuteal du peuple heacutebreu traceacute par Dieu lui-mecircme en ces

termes Soyez saints comme moi lrsquoEacuteternel je suis saint raquo (Simon

1879 3)

La synthegravese de Simon ne prenait pas en consideacuteration la complexiteacute des

systegravemes de penseacutee qursquoil citait se gardant bien drsquoen citer drsquoautres pourtant non

moins inteacuteressants Elle avait toutefois le meacuterite de souligner lrsquoimportance du

facteur ideacuteologique dans la genegravese des ideacutees peacutedagogiques Aujourdrsquohui nous

savons que la conception de lrsquoeacuteducation de Socrate eacutetait tregraves diffeacuterente de celle de

son disciple Platon28 et que si lrsquoon veut comprendre lrsquoideacuteologie eacuteducative

28 Rappelons que Socrate proposait une vision inneacuteiste de lrsquoeacuteducation qui preacutesupposait une

compeacutetence culturelle universelle et inneacutee Au travers drsquoun processus maiumleutique lrsquoeacuteducateur

permet donc agrave ses eacutelegraveves drsquoaccoucher de connaissances inneacutees qursquoils possegravedent sans en ecirctre

conscients afin de les conduire sur le chemin de la Veacuteriteacute de la Bonteacute et de la Beauteacute Au contraire

64

laquo preacutemoderne raquo on doit aussi analyser la penseacutee de Confucius ou de Lao Tzu pour

ne citer que quelques exemples En reacutealiteacute une exeacutegegravese critique des textes que nous

ont laisseacutes ces auteurs nous montre que leur approche de la question eacuteducative est

loin drsquoecirctre comparable et que chacun drsquoentre eux proposait des reacuteponses tregraves

diffeacuterentes agrave certaines questions tregraves simples autour de la relation qui lie la culture

et lrsquoeacuteducation qui doit enseigner agrave qui Quoi Et comment

31 De la parenteacute agrave la culture agrave lrsquoorigine du deacuteveloppement humain

Au sein des organisations sociales preacutehistoriques qui se basaient sur la

famille les liens de parenteacute ndash filiation adoption et alliance ndash constituaient les normes

drsquointeacutegration et les critegraveres drsquoexclusion des diffeacuterents groupes humains qui

habitaient la planegravete Crsquoest donc au sein de la famille que srsquoest historiquement formeacute

la question de la paideia (παιδεία) ndash lrsquoenseignement de la vertu ou laquo les soins que lrsquoon dispense agrave

lrsquoacircme raquo ndash occupe une partie centrale dans lrsquoœuvre de Platon Il srsquoagit drsquoune responsabiliteacute qursquoil

attribue agrave la polis les gouvernants sont donc chargeacutes de promouvoir une instruction visant agrave

exploiter harmoniquement les pulsions naturelles (la colegravere la rage la concupiscence) et les

influences qui deacutependent du milieu social (la laquo politesse raquo) afin de former des citoyens responsables

et de deacutevelopper une eacutelite capable de gouverner lrsquoEacutetat (Platon Prot) Dans ses dialogues ndash et surtout

dans la Reacutepublique consideacutereacutee par Rousseau comme laquo le plus beau traiteacute drsquoeacuteducation qursquoon ait jamais

fait raquo (1762 250) ndash Platon deacuteveloppe une conception de la connaissance qui deacuterive de la capaciteacute

drsquoatteindre le monde des ideacutees et de ne pas se laisser tromper par les faux-semblants de la reacutealiteacute

sensible La paideia platonique est une formation agrave la penseacutee meacutetaphysique neacutecessaire pour guider

lrsquoaction politique des ecirctres humains (Platon Reacutep)

65

lrsquohomo socialis cet ideacutealtype sociologique qui nous repreacutesente et qui deacutecrit notre

ontosystegraveme29 profondeacutement projeteacute vers lrsquoautre

Lrsquoecirctre humain est ainsi car il a deacuteveloppeacute une culture qui le rend diffeacuterent des

animaux une culture qui est apprise et transformeacutee au fil des geacuteneacuterations une

culture qui est le produit drsquoun processus incessant drsquointeractions avec les autres

membres de son espegravece Ces interactions (des eacutechanges qui produisent des

apprentissages) nous deacutemontrent ndash une fois de plus ndash que lrsquohomme en fin de compte

nrsquoest rien drsquoautre qursquoun animal social fruit drsquoune humaniteacute agrave la fois biologique et

culturelle30

Dans ce cycle interactif le rocircle majeur est joueacute par les membres de ces

reacuteseaux de relations qui constituent la parenteacute sur eux repose la responsabiliteacute de

guider dans leur chemin de formation les enfants puis les adolescents et finalement

les jeunes adultes qui formeront agrave leur tour de nouvelles familles Drsquoun point de vue

anthropologique la parenteacute remplit une double fonction naturelle (ou biologique

pour reacutepondre aux neacutecessiteacute primaires des membres les plus jeunes du groupe

lrsquoalimentation le logement la santeacute) et culturelle (pour transmettre le patrimoine

de connaissances accumuleacute par heacuteritage intergeacuteneacuterationnel et pour encadrer les

29 Soit lrsquoensemble des caracteacuteristiques eacutetats compeacutetences habileteacutes vulneacuterabiliteacutes ou deacuteficits inneacutes

ou acquis drsquoun individu

30 Aristote dans le Politique consideacuterait qursquo laquo il est eacutevident que lrsquoEacutetat descend de la Nature et que

lrsquohomme est par nature un animal social raquo (Ἐκ τούτων οὖν φανερὸν ὅτι τῶν φύσει ἡ πόλις ἐστί καὶ

ὅτι ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον Polit I 2 1253a)

66

cateacutegories mentales qui nous servent agrave systeacutematiser lrsquoexpeacuterience sensible) Du fait

de sa condition de laquo terre du milieu raquo entre la Nature et la Culture la famille est un

cadre privileacutegieacute pour observer certains pheacutenomegravenes universels ndash les atomes de

parenteacute31 la prohibition de lrsquoinceste les obligations de solidariteacute et de vengeance

lrsquoheacutegeacutemonie du pater familiae ndash qui font partie de lrsquoabeacuteceacutedaire basique de tout

anthropologue

Si la penseacutee classique consideacuterait que lrsquohomme avait abandonneacute son eacutetat de

nature pour rejoindre un eacutetat plus eacuteleveacute de culture la mecircme penseacutee consideacuterait

aussi que ce processus qui avait conduit les humains de la barbarie agrave la civilisation

srsquoeacutetait opeacutereacute gracircce agrave un processus eacuteducatif Agrave lrsquoheure actuelle la paleacuteoanthropologie

la primatologie et la psychologie cognitive nous deacutemontrent agrave partir drsquoune

perspective diffeacuterente ndash et plus laquo scientifique raquo ndash que en effet bien que le passage

des hominides aux humains ait eu lieu gracircce agrave lrsquoeacuteducation il a peu agrave voir avec une

supposeacutee laquo transition raquo de la Nature agrave la Culture Nous en discuterons dans les pages

qui suivent

31 Il srsquoagit de la deacutenomination que Leacutevi-Strauss donne aux uniteacutes de base de la parenteacute sans lesquelles

il serait impossible de penser lrsquoeacutechange matrimonial lrsquoexogamie ou la prohibition de lrsquoinceste Chaque

laquo atome raquo se compose de quatre individus la megravere le pegravere le fils et lrsquooncle maternel (Leacutevi-Strauss

1949)

67

32 Culture et transmission de la culture une architecture sociale du savoir

Selon Lawrence Hirshfeld la postmodernite a contribue a appauvrir la notion

drsquoapprentissage culturel surestimant le ro le des activite s des adultes ndash conside re es

comme laquo productives raquo ndash et sous-estimant la contribution des enfants a la

reproduction culturelle Aussi le manque drsquointe re t montre par les scientifiques

sociaux envers les potentialite s de la culture laquo infantile raquo comme catalyseur et

diffuseur de la culture des adultes a contribue a la marginalisation des enfants et de

lrsquoenfance et a freine notre compre hension des laquo formes culturelles raquo e mergentes et

des raisons qui expliquent leur persistance (Hirshfeld 2002)

Bien que comme nous lrsquoavons vu dans les pages pre ce dentes les

repre sentants de disciplines tre s diffe rentes ndash comme lrsquoanthropologie la sociologie

la psychologie ou la pe dagogie ndash aient e te capables pendant le dernier sie cle et demi

de de velopper des de finitions et des the ories souvent tre s sophistique es sur la

culture peu drsquoattention a e te accorde e a la question de la transmission des donne es

culturelles En suivant le raisonnement de Hirshfeld on peut imaginer que lrsquoune des

causes a justement e te cette marginalisation de lrsquoenfant et son laquo ide alisation raquo qui

ont e loigne les chercheurs en sciences sociales du seul sujet drsquoe tude qui pour sa

position laquo au centre du re seau raquo des interactions culturelles est capable de de crire

a lui seul comment une culture ndash cette laquo architecture sociale du savoir raquo qui a

68

constitue lrsquoun des grands domaines de recherche de Michel de Certeau32 ndash est

transmise au fil des ge ne rations

Certes a partir des anne es 1960 les travaux de Pierre Bourdieu et de Jean-

Claude Passeron ont permis de comprendre certains me canismes sociaux de

transmission de la culture ndash bien qursquoils pre fe raient parler de laquo capital culturel raquo ndash

mais leurs e tudes se limitaient au contexte me tropolitain et surtout urbain

(Bourdieu et Passeron 1964 1971 Bourdieu 1966)33

Pour mieux comprendre ce me canisme que Bourdieu (1966) conside rait

inconscient et lie a lrsquo laquo habitus raquo des parents et a leur position dans le champ social

il convient de revenir a la question des laquo enfants sauvages raquo Cette expression

de crivait non pas les enfants des peuples laquo sauvages raquo mais les enfants qui pour une

raison ou une autre nrsquoont pas e te expose s a la laquo culture raquo en drsquoautres termes qui

32 Formeacute agrave lrsquoanalyse philosophique et theacuteologique Michel de Certeau a contribueacute agrave probleacutematiser la

notion de culture agrave partir drsquoune perspective critique agrave caractegravere psychanalytique Bien qursquoil ne soit

pas possible de le mettre en relation avec les positions du courant analytique neacuteomarxiste il est

important de souligner que selon lui la culture est le produit drsquoune dialectique entre les eacutelites

sociales et les masses (de Certeau 1993) Cette perspective nous aidera agrave mieux comprendre les

pheacutenomegravenes de patrimonialisation que nous analyserons plus avant

33 De plus leur vision eacutetait mineacutee par un certain laquo ethnocentrisme de classe raquo ce que Bourdieu

reconnaissait laquo Entre tous les preacutesupposeacutes culturels que le chercheur risque drsquoengager dans ses

interpreacutetations lrsquoethos de classe principe agrave partir duquel srsquoest organiseacutee lrsquoacquisition des autres

modegraveles inconscients exerce son action de la maniegravere la plus larveacutee et la plus systeacutematique raquo

(Bourdieu et al 1968 108)

69

nrsquoont pas e te laquo e duque s raquo Les premie res e tudes scientifiques sur ces enfants

abandonne s ou reclus et sans possibilite de contact avec drsquoautres e tres humains ont

e te re alise es a partir de la premie re de cennie du XIXe me sie cle Le premier cas celui

de lrsquoenfant de lrsquoAveyron capture par des chasseurs dans les bois de Lacaune en juillet

1799 a fait sensation dans les cercles mondains et scientifiques europe ens La

Socie te des observateurs de lrsquohomme34 ndash qui re unissait des intellectuels des

philosophes des naturalistes et des me decins ndash a de cide de lrsquoe tudier laquo dans lrsquointe re t

de la science raquo afin de laquo voir si la condition de lrsquohomme abandonne a lui-me me est

tout a fait contraire au de veloppement de lrsquointelligence raquo (Bert 2002 39) Sa

conclusion a e te tranchante ses experts conside raient lrsquoenfant comme atteint

drsquoidiotisme et de de mence Cependant le me decin Jean Marc Gaspard Itard a

demande de pouvoir le traiter a partir drsquoune me thode que nous pourrions

aujourdrsquohui de signer de psychope dagogique et qui apre s six ans de travail a re ussi

a obtenir des re sultats qui me me srsquoils nrsquoont pu effacer la nature laquo sauvage raquo de

lrsquoenfant ont permis des avance es conside rables sur le terrain des fonctions

intellectuelles Sur la base de ces conclusions le docteur Itard affirmait dans son

premier rapport sur lrsquoenfant de lrsquoAveyron que me me laquo dans la horde sauvage la plus

34 Probablement le premier cercle drsquoeacutetudes anthropologiques Fondeacute en 1799 agrave lrsquoinitiative de Louis-

Franccedilois Jauffret elle avait pour but drsquoeacutetudier laquo lrsquohomme raquo agrave partir drsquoune perspective encyclopeacutedique

et comparative capable de fusionner le savoir empirique et le raisonnement theacuteorique Elle a eacuteteacute

fermeacutee en 1805 par volonteacute de lrsquoEmpereur Napoleacuteon I qui consideacuterait ses membres comme des

laquo ideacuteologues raquo capables de srsquooccuper uniquement des laquo ideacutees raquo sans contribuer concregravetement au

progregraves de lrsquoEmpire (Fabietti 2001)

70

vagabonde lrsquohomme nrsquoest que ce qursquoon le fait e tre ne cessairement e leve par ses

semblables il en a contracte les habitudes et les besoins raquo (Itard 1801 3) Cette

histoire tout comme celle de tous les enfants sauvages35 srsquoinscrit en re alite dans une

discussion conceptuelle beaucoup plus large que celle de la psychologie de lrsquoenfant

ces enfants qui jusqursquoa un certain a ge nrsquoont pas eu de contact avec la culture nous

aident a mieux centrer le de bat sur la nature de lrsquohomme Loin de lrsquoapproche

religieuse qui voit dans lrsquohomme lrsquoimage de Dieu leurs cas ont permis drsquoe largir et de

laicirc ciser le de bat sur la nature de lrsquohomme et sur sa socialite Premie rement ils

de montrent que la culture nrsquoest pas inne e mais toujours acquise Ils nous ont aussi

permis de comprendre que crsquoest a partir de la socialisation et des interactions

culturelles que lrsquoe tre humain de veloppe le langage et la structure physique du

cerveau (Skuse 1984 Curtiss et al 1978) En drsquoautres termes comme le souligne

le travail de Barbara Rogoff (1990) le de veloppement cognitif des enfants est le

produit drsquoun contexte social Lrsquohistoire des laquo enfants sauvages raquo nous a donc aide s a

mieux cerner ce que les pale oanthropologues srsquoefforcent depuis des anne es de

de montrer notre espe ce a de veloppe une intelligence qui lui est propre ndash et un

cerveau adapte ndash a partir de sa capacite a tisser des relations sociales de srsquoe changer

des informations et de laquo construire raquo une culture (Joulian 2002) Lrsquohomo ferus

imagine par Linne nrsquoest donc qursquoun e tat pathologique de lrsquohomo sapiens qui le prive

35 Une eacutetude reacutealiseacutee en 1964 par Lucien Malson en recensait 52 Il les a reacutepartis en trois cateacutegories

les enfants eacuteleveacutes par des animaux les solitaires (comme dans le cas de lrsquoenfant de lrsquoAveyron) et les

reclus victimes de parents cruels ou psychotiques (Malson 1964)

71

drsquoun besoin fondamental celui de se transmettre des informations ndash des donne es

culturelles ndash dans le cadre drsquoune architecture sociale du savoir

72

4 De la culture au patrimoine (et inversement)

La notion de culture que nous sommes en train de de velopper ici crsquoest-a -dire

en tant qursquoensemble de principes et de donne es qui conforment lrsquoarchitecture

sociale du savoir et qui sont transmissibles gra ce aux interactions sociales nous

renvoie directement a celle de patrimoine Il srsquoagit la de deux termes qui sont

souvent employe s comme synonymes36 mais qui sont pourtant charge s de deux

significations laquo politiques raquo diffe rentes comme nous lrsquoavons mentionne dans le

premier chapitre et comme nous le verrons plus en de tail dans les pages qui suivent

Mais qursquoest-ce que la culture En effet le questionnement autour de

lrsquoessence de la culture est un des facteurs qui a permis agrave la science anthropologique

de faire ses premiers pas et drsquoacceacuteder au rang de discipline scientifique autonome

Inutile drsquoajouter que lrsquoanthropologie ndash en tant que laquo science de la culture37 raquo ndash a

repreacutesenteacute pour des geacuteneacuterations de scientifiques un domaine privileacutegieacute pour

eacutetudier lrsquoalteacuteriteacute agrave partir de la comparaison (souvent non deacutenueacutee de jugements de

36 Comme le fait par exemple lrsquoancien ministre franccedilais de la Culture Jack Lang (2014) promoteur

des Journeacutees du Patrimoine

37 Il srsquoagit drsquoune expression que jrsquoemprunte agrave lrsquoanthropologue ameacutericain Leslie White qui consideacuterait

que lrsquoeacutetude de lrsquohomme et de la civilisation humaine ne pouvait qursquoecirctre une science de la culture

(White 1949)

73

valeur) des donneacutees culturelles les strateacutegies de survivance et de production les

langues les usages les coutumes les lois les outils pour ne citer que quelques

exemples Cependant dans lrsquounivers des sciences sociales il nrsquoexiste pas de

deacutenomination unanime et univoque de la culture et chaque discipline et eacutecole de

penseacutee a deacuteveloppeacute sa propre interpreacutetation du concept Deacutejagrave en 1952 Alfred

Kroeber et Clyde Kluckhohn en recensaient pas moins de 164 (Kroeber amp

Kluckhohn 1952)

La deacutefinition canonique de la culture telle que nous la connaissons remonte

agrave lrsquoun des ouvrages pionniers de lrsquoanthropologie Les cultures primitives drsquoEdward

Burnett Tylor publieacute en anglais en 1871 et traduit en franccedilais cinq ans plus tard

Selon Edward B Tylor ndash qui consideacuterait la variabiliteacute culturelle des groupes humains

comme le moyen le plus sucircr drsquoattester de lrsquouniteacute biologique de lrsquoespegravece humaine ndash

la culture est laquo ce tout complexe comprenant agrave la fois les sciences les croyances les

arts la morale les lois les coutumes et les autres faculteacutes et habitudes acquises par

lrsquohomme dans lrsquoeacutetat social raquo (Tylor 1876 5)

Agrave lrsquoheure actuelle cette interpreacutetation est toujours drsquoactualiteacute comme le

deacutemontre le fait que lrsquoOrganisation des Nations Unies pour lrsquoe ducation la science et

la culture (UNESCO) dans sa Deacuteclaration de Mexico adopteacutee en 1982 dans le cadre

de la Confeacuterence mondiale sur les politiques culturelles en a repris les eacuteleacutements les

plus saillants en statuant que

laquo Dans son sens le plus large la culture peut aujourdhui ecirctre

consideacutereacutee comme lensemble des traits distinctifs spirituels et

74

mateacuteriels intellectuels et affectifs qui caracteacuterisent une socieacuteteacute ou un

groupe social Elle englobe outre les arts et les lettres les modes de

vie les droits fondamentaux de lecirctre humain les systegravemes de valeurs

les traditions et les croyances raquo (UNESCO 1982 1)38

Il srsquoagit de deacutefinitions descriptives qui bien qursquoayant lrsquoavantage de nous

proposer des variables concregravetes pour distinguer une culture drsquoune autre sont

cependant mineacutees par un certain fonctionnalisme de fond Au bout du compte Tylor

comme lrsquoUNESCO (et donc in extenso la communauteacute internationale) ont perccedilu la

culture comme un tout figeacute dans lrsquoespace et le temps (et ougrave le devenir historique

semble ne pas avoir de place) soit un enchevecirctrement de variables non biologiques

qui sont capables en elles-mecircmes de deacutecrire lrsquoessence drsquoun groupe humain qui sont

neacutecessaires agrave son fonctionnement et qui constituent les laquo frontiegraveres raquo deacutelimitant le

champ drsquoaction drsquoune communauteacute sociale deacutetermineacutee Cependant depuis Tylor un

siegravecle et demi de recherches anthropologiques nous amegravene agrave prendre nos distances

38 Dans la Deacuteclaration de Mexico la notion de culture est eacutegalement abordeacutee agrave partir drsquoune

perspective plus philosophique ndash et drsquoune certaine faccedilon teacuteleacuteologique ndash selon laquelle laquo la culture

donne agrave lrsquohomme la capaciteacute de reacuteflexion sur lui-mecircme Crsquoest elle qui fait de nous des ecirctres

speacutecifiquement humains rationnels critiques et eacutethiquement engageacutes Crsquoest par elle que nous

discernons des valeurs et effectuons des choix Crsquoest par elle que lrsquohomme srsquoexprime prend

conscience de lui-mecircme se reconnaicirct comme un projet inacheveacute remet en question ses propres

reacutealisations recherche inlassablement de nouvelles significations et creacutee des œuvres qui le

transcendent raquo (UNESCO 1982 1 Voir annexe 1)

75

vis-agrave-vis de ce type drsquoapproche cloisonnant les cultures en les deacutecrivant comme

autant drsquoentiteacutes distinctes39 et ne valorisant pas les processus drsquoacculturation en

tant que facteurs essentiels de la construction des cultures humaines Lrsquoeacutetude sur le

terrain de lrsquoalteacuteriteacute culturelle a permis aux derniegraveres geacuteneacuterations drsquoanthropologues

de comprendre que la culture loin de sa supposeacutee immutabiliteacute est un laquo tout raquo bien

plus dynamique que celui imagineacute par Edward Tylor Les travaux de George

Devereux (1943) sur lrsquoacculturation antagoniste ceux de Roger Bastide (1948) sur

les formes drsquoacculturation ceux de Melville Jean Herskovits (1962) sur la

construction de la culture africaine et afro-ameacutericaine ceux de Frederik Barth

(1969 1987) sur la genegravese des frontiegraveres ethniques ou encore ceux de Roy Wagner

(1981) sur laquo lrsquoinvention de la culture raquo ndash pour ne citer que quelques exemples

classiques ndash nous invitent agrave observer la culture comme un processus creacuteatif et agrave

mettre lrsquoaccent sur les dynamiques drsquoinnovation ainsi que sur celles de transmission

des donneacutees culturelles plutocirct que sur des essences laquo pures raquo

39 Ces approches perdurent dans le discours de certains chercheurs comme chez le sociologue

queacutebeacutecois Guy Rocher selon lequel la culture reste laquo un ensemble lieacute de maniegraveres de penser de sentir

et dagir plus ou moins formaliseacutees qui eacutetant apprises et partageacutees par une pluraliteacute de personnes

servent dune maniegravere agrave la fois objective et symbolique agrave constituer ces personnes en une collectiviteacute

particuliegravere et distincte raquo (Rocher 1992 104)

76

41 La culture entre transmission et patrimonialisation

Drsquoun point de vue e tymologique le mot laquo patrimoine raquo de rive de lrsquoexpression

latine patris munus soit la dotation du pe re et de signe lrsquoensemble des biens

appartenant au pater familias40 qui e taient transmis de pe re en fils Au fils des

sie cles cette interpre tation srsquoest graduellement e largie et si a partir du IIe me sie cle

lrsquoadministration impe riale de Rome commenccedila a utiliser la locution patrimonium

populi pour de finir le tre sor public plus tard a partir du Moyen A ge la Curie romaine

allait utiliser la locution laquo patrimoine de Saint Pierre raquo pour identifier tous les biens

mate riels de lrsquoE glise Catholique

Aujourdrsquohui le terme est commune ment utilise pour de crire les proprie te s

mate rielles et immate rielles dont une famille ou une communaute deviennent

de positaires et qui peuvent selon les cas acque rir un statut prive public ou collectif

Selon Guy Di Me o

laquo [i]l ne srsquoagit plus seulement de biens mate riels et de

domaines me me a forte teneur symbolique mais aussi de valeurs

purement ide elles drsquoide es de connaissances et de croyances de

40 Il est inteacuteressant de noter que en latin le mot patrimonium a la mecircme structure morphologique

que le mot matrimonium (matris munus litteacuteralement laquo la dotation de la megravere raquo) Cependant bien

que le premier terme fasse reacutefeacuterence agrave un concept concret (des biens mateacuteriels) le deuxiegraveme fait

plutocirct reacutefeacuterence agrave lrsquounivers symbolique de lrsquoaffiliation crsquoest-agrave-dire lrsquointeacutegration drsquoune personne agrave

lrsquointeacuterieur drsquoune famille comme effet drsquoun accord baseacute sur lrsquoaffiniteacute ou lrsquoopportuniteacute soit le mariage

77

conceptions et de pratiques de savoir-faire et de techniques etc raquo (Di

Me o 2008 87)

Il srsquoagit la drsquoun terme capable de de crire cette tendance humaine a la

persistance culturelle crsquoest-a -dire a la pre servation de certaines donne es

culturellement importantes conside re es essentielles a la continuite drsquoune famille

drsquoune communaute drsquoune socie te ou drsquoune nation Une tendance que dans le

contexte hyper-capitaliste actuel ndash capable de transformer la culture en

marchandise et en objet de culte fe tichiste41 ndash les gouvernements les organisations

intergouvernementales et les administrations territoriales ont transforme e en

projet politique visant a conserver certains e le ments de cet he ritage culturel afin de

promouvoir le de veloppement e conomique de certains territoires Ce projet prend

le nom de patrimonialisation et se mate rialise par la transformation des paysages

des habitats et des cultures pour permettre que certains laquo fe tiches raquo (lieux

expressions de la culture mate rielle rituels ce re monies savoirs) puissent e tre

conserve s tels qursquoils se manifestent au moment de leur laquo mise en protection raquo

41 Cette ideacutee deacuterive des travaux de Michael Taussig (2010) lequel lrsquoemploie agrave partir de son

interpreacutetation anthropologique du concept de laquo feacutetichisme de la marchandise raquo que Karl Marx avait

deacuteveloppeacute dans ses travaux de critique de lrsquoeacuteconomie politique et surtout dans le premier volume du

Capital (1867) Une interpreacutetation laquo culturaliste raquo du concept ndash mais dans une perspective

philosophique ndash a aussi eacuteteacute eacutelaboreacutee par Jean Baudrillard (1972) pour expliquer lrsquoeffet de la

laquo mystique culturelle raquo sur les habitudes de consommation de la socieacuteteacute capitaliste

78

Lrsquoexpression la plus e vidente de cette dynamique est probablement la liste

e tablie par lrsquoUNESCO dans laquelle sont inclus les biens ndash naturels culturels ou

mixtes ndash conside re s comme patrimoines de lrsquohumanite A lrsquoheure actuelle 1 031

biens et sites sont inscrits sur la liste du patrimoine mate riel de lrsquohumanite ndash dont

802 ayant un caracte re culturel42 ndash et 391 laquo expressions de la culture humaine raquo sont

sur la liste du patrimoine culturel immate riel43 Lrsquoinscription sur ces listes octroie

aux communaute s concerne es une certaine visibilite et parfois des fonds publics et

prive s destine s a mieux prote ger ces biens ou traditions Cependant les crite res

drsquoadmission a ces listes sont pluto t controverse s et critique s par plusieurs

anthropologues et scientifiques sociaux (Pocock 1997 Eriksen 2001 Benhamou

2010 Babou 2013)44 En effet lrsquoUNESCO conside re comme patrimoine culturel

laquo les monuments œuvres architecturales de sculpture ou de

peinture monumentales e le ments ou structures de caracte re

arche ologique inscriptions grottes et groupes drsquoe le ments qui ont une

42 Au moment de la reacutedaction de ces lignes lrsquoEurope et lrsquoAmeacuterique du Nord en accueillent 420 soit

48 du total (la liste est constamment mise agrave jour et disponible sur le site web de lrsquoorganisation

wwwunescoorg)

43 Qui inclut laquo les traditions et expressions orales y compris la langue comme vecteur du patrimoine

culturel immateacuteriel les arts du spectacle les pratiques sociales rituels et eacuteveacutenements festifs les

connaissances et pratiques concernant la nature et lrsquounivers les savoir-faire lieacutes agrave lrsquoartisanat

traditionnel raquo (UNESCO 2003 art2)

44 Une synthegravese du deacutebat se trouve dans Le Patrimoine culturel immateacuteriel Enjeux drsquoune nouvelle

cateacutegorie anthologie de textes eacutediteacutee par Chiara Bortolotto (2011)

79

valeur universelle exceptionnelle du point de vue de lrsquohistoire de lrsquoart

ou de la science les ensembles groupes de constructions isole es ou

re unies qui en raison de leur architecture de leur unite ou de leur

inte gration dans le paysage ont une valeur universelle exceptionnelle

du point de vue de lrsquohistoire de lrsquoart ou de la science les sites œuvres

de lrsquohomme ou œuvres conjugue es de lrsquohomme et de la nature et zones

incluant des sites arche ologiques qui ont une valeur universelle

exceptionnelle du point de vue historique esthe tique ethnologique ou

anthropologique raquo (UNESCO 1972 Voir annexe 2)

Aussi dans son article 2 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine

culturel immate riel adopte e en 2003 pre cise que

laquo On entend par ldquopatrimoine culturel immate rielrdquo les pratiques

repre sentations expressions connaissances et savoir-faire ndash ainsi que

les instruments objets artefacts et espaces culturels qui leur sont

associe s ndash que les communaute s les groupes et le cas e che ant les

individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine

culturel Ce patrimoine culturel immate riel transmis de ge ne ration en

ge ne ration est recre e en permanence par les communaute s et

groupes en fonction de leur milieu de leur interaction avec la nature

et de leur histoire et leur procure un sentiment drsquoidentite et de

80

continuite contribuant ainsi a promouvoir le respect de la diversite

culturelle et la cre ativite humaine raquo (UNESCO 2003 Voir annexe 3)

En re alite il nrsquoy a pas beaucoup de diffe rence entre ce que lrsquoUNESCO ndash et les

E tats qui ont ratifie s ses conventions ndash conside re comme laquo patrimoine culturel raquo et

ce que les me mes organismes conside rent comme laquo culture raquo45 Mais quelle est donc

la diffe rence entre patrimoine et culture Et pourquoi a lrsquoheure actuelle les

gouvernements pre fe rent parler de laquo patrimoine raquo pluto t que de culture Enfin

pourquoi la notion de patrimoine culturel a pris une dimension plus politique

qursquoanthropologique

Nous avons de ja de montre comment la notion de culture a e te

historiquement fort e vasive et nous savons aussi que a partir de la fin du deuxie me

conflit mondial lrsquoide e me me que puissent exister des laquo cultures nationales raquo a

disparu du de bat anthropologique et sociologique Les e tudes ethnographiques

mene es dans des pays industrialise s et des anciennes puissances coloniales ont

de montre qursquoil nrsquoexiste pas une culture franccedilaise italienne ou ame ricaine au

contraire chaque pays pourrait e tre repre sente me taphoriquement comme un

e norme puzzle dans lequel chaque pie ce repre sente une de ses cultures

constitutives Qui plus est dans tous les pays du globe lrsquointe gration progressive de

45 Cela devient eacutevident degraves lors que lrsquoon confronte ces deacutefinitions agrave celle de laquo culture raquo preacutevue par la

Deacuteclaration de Mexico sur les politiques culturelles adopteacutees en 1982 dans le cadre de la Confeacuterence

mondiale sur les politiques culturelles (UNESCO 1982)

81

personnes en provenance de lrsquoe tranger a augmente le nombre de laquo cultures raquo ayant

droit de re sidence dans drsquoautres E tats

Les e lites au pouvoir ne peuvent donc plus re clamer lrsquoappartenance a une

seule laquo culture nationale raquo (ide e qui re sisterait difficilement a la plus simple des

analyses historiques) mais peuvent toujours srsquoappuyer sur la notion plus souple de

patrimoine culturel national qui elle permet drsquoidentifier facilement les e le ments

charge s drsquoune valeur symbolique et ayant le pouvoir de se transformer en icones (ou

fe tiches) capables de fe de rer les membres drsquoune nation toute entie re46

La notion de culture nationale apparaicirc t dans la deuxie me moitie du XVIIe me

sie cle en me me temps que lrsquoave nement des E tats-nations soit des entite s politiques

qui justifiaient leur souverainete a partir de lrsquoide e qursquoil pouvait exister une

46 Sur la laquo liaison dangereuse raquo qui met en relation les processus postcoloniaux et la

patrimonialisation de la culture Gerar Collomb eacutecrit laquo Agrave partir des anneacutees soixante la fin de la

relation coloniale - du moins sous sa forme institutionnaliseacutee - a conduit agrave une double remise en

question celle de la place de lOccident et des valeurs sur lesquelles se construit sa preacuteeacuteminence

dans la nouvelle configuration mondiale qui sest dessineacutee celle des rapports qui seacutetaient eacutetablis au

sein mecircme des empires coloniaux entre leurs diffeacuterentes composantes conduisant agrave la formation de

nouveaux Eacutetats Ceux-ci doivent deacutesormais se poser tant face aux anciens Eacutetats colonisateurs que

face aux ensembles culturels etou politiques quils preacutetendent unifier Dans ce nouveau monde le

regard de lOccident agrave lui seul ne peut plus preacutetendre agrave fonder ni leacutegitimer ni mecircme donner sa forme

au museacutee dethnologie celui-ci sinscrit deacutesormais tout autant et souvent exclusivement dans le

registre de la construction dune meacutemoire et dune identiteacute ainsi que dans le registre de la formation

dun patrimoine raquo (Collomb 1999 333)

82

juxtaposition juridique drsquoun territoire gouverne par lrsquoE tat et drsquoun peuple ndash la Nation

ndash constitue de citoyens partageant les me mes modes de vie les me mes normes et les

me mes coutumes crsquoest-a -dire une me me culture Cependant lrsquohistoire srsquoest charge e

de de montrer lrsquoinconsistance de cette ide alisation et de cette utopie juridique ces

me mes E tats-nations qui se sont de veloppe s apre s la signature du Traite de

Westphalie en 1648 e taient en re alite des entite s multinationales ou cohabitaient

plusieurs communaute s sociales et culturelles souvent en conflit entre elles Les

puissances europe ennes nrsquoont pas tarde a le comprendre et pour maintenir leur

pouvoir sur les territoires soumis a leur souverainete ont mis en place des

dispositifs visant a identifier et a diffuser des e le ments culturels qui pouvaient e tre

partage s par tous leurs sujets On connaicirc t la ce le bre expression de lrsquohomme drsquoe tat

italien Massimo drsquoAzeglio qui a la fin du XIXe me sie cle se plaignait de lrsquoabsence drsquoun

esprit national chez ses concitoyens laquo Nous avons fait lrsquoItalie mais nous nrsquoavons pas

fait les Italiens raquo (drsquoAzeglio 1867 5) La naissance de lrsquoe cole laquo moderne raquo et la

popularisation de lrsquoacce s au savoir scolaire doivent alors e tre observe es a partir de

ce contexte historique la culture nationale devait e tre cre e e sur la base de la

reconnaissance des traits communs qui constituaient une nation et qui devaient e tre

transmis selon un programme de fini laquo drsquoen haut raquo et cohe rent avec la construction

de lrsquoE tat

La France a ouvert la voie en 1793 en pleine Re volution avec la cre ation des

laquo e coles centrales de partementales raquo charge es de former des citoyens e duque s aux

valeurs re volutionnaires et dote s des connaissances ne cessaires pour poursuivre les

inte re ts de lrsquoE tat Les autres puissances europe ennes lrsquoont suivie de pre s et avant la

83

fin du XIXe me sie cle tous les pays du continent avaient mis en place des syste mes

nationaux drsquoinstruction et des e tablissements responsables de lrsquoe ducation des

citoyens (Gaulupeau 1992)

Aujourdrsquohui on ne parle plus de cultures nationales mais les e coles

demeurent responsables de la diffusion drsquoun savoir commun qui fait office de

laquo patrimoine culturel raquo a transmettre aux ge ne rations futures

42 Eacuteducation et socieacuteteacute la question de lrsquoautochtonie

Lrsquoavegravenement des grandes civilisations47 et la complexification des

organisations sociales ont eacuteteacute consideacutereacutes par lrsquohistoriographie classique ndash et ce au

moins jusqursquoagrave la premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle ndash comme les manifestations

historiques du passage de lrsquoeacutetat de nature agrave lrsquoeacutetat de culture de la preacutehistoire agrave

lrsquohistoire En effet la genegravese des socieacuteteacutes stratifieacutees et hieacuterarchiseacutees a requis le

deacuteveloppement drsquoinstitutions speacutecialiseacutees externes aux familles et deacutedieacutees agrave la

formation et agrave la reproduction de la culture Par exemple dans lrsquoEacutegypte antique deacutejagrave

agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoAncien Empire entre 2800 et 2200 avant notre egravere les scribes et

autres fonctionnaires au service du pharaon eacutetaient eacuteduqueacutes dans les laquo maisons de

47 En anthropologie on eacutevite le terme civilisation qui renvoie par opposition agrave celui de laquo barbarie raquo

et on lui preacutefegravere la notion plus neutre de culture Cependant je lrsquoutilise ici dans le sens que lui

donnent les historiens agrave savoir un groupe social avec une population seacutedentaire une organisation

eacutetatique une eacuteconomie baseacutee sur la speacutecialisation du travail et ougrave les surplus de production sont

concentreacutes dans les mains des niveaux supeacuterieurs de la hieacuterarchie sociale (Childe 1936)

84

vie raquo (Per Acircnkh) en Chine les premiegraveres eacutecoles ndash destineacutees aux enfants de

lrsquoaristocratie ndash apparurent pendant la dynastie Xia entre 2100 et 1600 avant notre

egravere en Inde les eacutecoles veacutediques ndash ouvertes agrave tous et ayant pour but lrsquoapprentissage

des textes et des traditions preacute-hindous et hindous ndash commencegraverent agrave opeacuterer agrave

partir de 1600 ans avant notre egravere (Rouche 1981)

Bien que chaque socieacuteteacute humaine ait adopteacute des modegraveles diffeacuterents agrave partir

de lrsquoeacutepoque de la constitution des Empires coloniaux la reacutefeacuterence de la schola srsquoest

imposeacutee telle qursquoelle existait en Europe depuis le Moyen Acircge48 exporteacutee au niveau

planeacutetaire par les puissances impeacuteriales souvent gracircce agrave lrsquoactiviteacute des congreacutegations

religieuses qui accompagnaient les explorateurs dans leurs voyages Lrsquoinstitution du

systegraveme scolaire ndash qui a souvent pris la forme drsquoune imposition surtout dans les

colonies ndash a profondeacutement bouleverseacute les scheacutemas locaux de transmission de la

culture Cependant comme nous lrsquoavons vu dans le premier chapitre lrsquoeacutetude des

dispositifs eacuteducatifs traditionnels ndash qui pendant longtemps ont eacuteteacute traiteacutes comme de

simples laquo curiositeacutes anthropologiques raquo ndash a acquis avec le temps une importance

croissante au point de devenir une prioriteacute pour plusieurs institutions inteacuteresseacutees

par lrsquoanalyse de lrsquoefficaciteacute peacutedagogique des pratiques formatives non-occidentales

Par ailleurs des organismes internationaux comme le Bureau international

drsquoeacuteducation (BIE) ont souligneacute lrsquoimportance pour les gouvernements de la planegravete

48 Crsquoest-agrave-dire une institution baseacutee sur des eacuteducateurs speacutecialiseacutes ndash les laquo maicirctres raquo ndash qui

transmettent des savoirs lieacutes agrave une ou plusieurs disciplines ontologiquement distinctes agrave partir drsquoun

programme deacutefini au preacutealable dans un espace deacutedieacute (lrsquoeacutecole) et avec des outils speacutecifiques des

tables des chaises des livres des cahiers des plumeshellip (Rouche 1981)

85

drsquoalimenter la recherche ethnographique autour des processus de transmission des

savoirs locaux consideacutereacutes comme partie du patrimoine culturel immateacuteriel de

lrsquohumaniteacute (Camilleri 1985)

En France la question eacuteducative a eacuteteacute traditionnellement associeacutee agrave

lrsquoenseignement scolaire et plus preacuteciseacutement au fonctionnement du dispositif

scolaire universel et obligatoire Agrave partir de la Reacutevolution de 1789 le discours

politique des diffeacuterents gouvernements qui se sont succeacutedeacutes agrave la tecircte de lrsquoEacutetat a

toujours souligneacute le rocircle de lrsquoeacutecole comme laquo ascenseur social raquo avec pour fonction

de garantir lrsquoeacutegaliteacute des chances agrave tous les citoyens49 tout en marginalisant le rocircle

eacuteducatif de la famille et sa fonction dans le deacuteveloppement cognitif et la

laquo socialisation primaire raquo Le reacutecent constat des limites de ce discours a conduit agrave

une veacuteritable laquo affaire drsquoEacutetat raquo surtout apregraves la publication des reacutesultats

deacutecourageants des derniegraveres eacutevaluations du Programme international pour le suivi

des acquis des eacutelegraveves (PISA)50 de lrsquoOrganisation de coopeacuteration et de

49 On doit consideacuterer que sous lrsquoAncien Reacutegime les collegraveges et les universiteacutes eacutetaient destineacutes agrave la

formation de lrsquoaristocratie En reacutealiteacute cette situation a perdureacute jusqursquoen 1880 mecircme si au-delagrave de la

noblesse ces organismes accueillaient aussi les nouvelles eacutelites sociales (les laquo notables raquo)

repreacutesenteacutees par la nouvelle classe des commerccedilants et des professionnels libeacuteraux meacutedecins

notaires ingeacutenieurs (Gaulupeau 1992)

50 Les eacutetudes PISA visent agrave mesurer les performances des systegravemes eacuteducatifs des pays membres de

lrsquoOCDE et drsquoun certain nombre de pays qui ne sont pas membres de lrsquoOrganisation mais qui sont

associeacutes au PISA Ces eacutevaluations ont une finaliteacute comparative et eacutevaluent les compeacutetences acquises

par les eacutelegraveves agrave la fin de leur peacuteriode de scolariteacute obligatoire afin drsquoidentifier les facteurs exogegravenes ndash

le milieu social eacuteconomique et culturel des familles le cadre scolaire et le mesures mises en place

86

deacuteveloppement eacuteconomiques (OCDE) En 2009 le classement PISA positionnait la

France en 22egraveme position dans le domaine des matheacutematiques et de la lecture et en

27egraveme position dans les compeacutetences scientifiques51 (OECDE 2010) En 2012 la

France se classait 25egraveme en matheacutematiques 26egraveme en science et 21egraveme en lecture52

(OECDE 2014) Sans compter que en 2003 60 000 eacutelegraveves avaient quitteacute le systegraveme

scolaire sans aucune qualification ndash et presque 100 000 avec une qualification mais

sans aucun diplocircme ndash et que lrsquoanneacutee suivante 15 des eacutelegraveves qui sortaient du cours

moyen 2egraveme anneacutee (CM2)53 eacutetaient eacutevalueacutes comme laquo en grande difficulteacute raquo et 25

peinaient agrave comprendre le sens drsquoun texte simple (Theacutevenin amp Compagnon 2005)

Qui plus est lrsquoactuelle conjoncture eacuteconomique et les hauts taux de chocircmage chez

les jeunes entraicircnent une veacuteritable course aux diplocircmes qui a pour principal effet de

privileacutegier une surqualification qui nrsquoest pas toujours neacutecessaire agrave lrsquoaccegraves au marcheacute

du travail

par le systegraveme eacuteducatif national ndash et endogegravenes ndash la motivation des eacutelegraveves lrsquoestime de soi les

strateacutegies drsquoapprentissage ndash qui favorisent la reacuteussite scolaire

51 La mecircme anneacutee la municipaliteacute autonome de Shanghai en Chine a obtenu la premiegravere position

dans les trois classements

52 En 2012 la premiegravere position a aussi eacuteteacute obtenue par Shanghai En matheacutematiques la deuxiegraveme et

la troisiegraveme position ont eacuteteacute assigneacutees respectivement agrave Singapour et agrave Hong Kong en sciences et en

lecture la deuxiegraveme et la troisiegraveme position ont eacuteteacute assigneacutees respectivement agravehellip Hong Kong et

Singapour

53 Il srsquoagit du dernier niveau (avant lrsquoentreacutee au collegravege) de lrsquoeacutecole primaire en France

87

Contrairement agrave la tendance observeacutee dans les pays de lrsquoOCDE les reacutesultats

de PISA constatent qursquoen France le milieu social et familial dont lrsquoeacutelegraveve est issu

conditionne fortement sa reacuteussite scolaire et qursquoil existe une correacutelation statistique

positive entre les ressources eacuteconomiques des familles et les compeacutetences scolaires

acquises par les enfants (surtout dans les domaines des matheacutematiques et de la

compreacutehension de lrsquoeacutecrit) En 2013 apregraves la publication des reacutesultats de lrsquoenquecircte

PISA 2012 le ministegravere de lrsquoEacuteducation Nationale (MEN) a deacutecideacute de reacutepondre agrave ce

signal drsquoalarme en srsquoengageant dans un processus de reacuteforme de la normative en

vigueur afin de laquo refonder lrsquoeacutecole raquo et surtout de reacuteduire les ineacutegaliteacutes scolaires Les

objectifs principaux de ce programme qui srsquoest concreacutetiseacute gracircce agrave la Loi ndeg 2013-

595 du 8 juillet 2013 drsquoorientation et de programmation pour la refondation de

lrsquoEacutecole de la Reacutepublique eacutetaient les suivants

donner la priorite a lrsquoenseignement primaire

renforcer lrsquoe ducation prioritaire

lutter contre le de crochage

de finir des nouveaux rythmes scolaires

re nover les programmes

miser sur les technologies de lrsquoinformation et de la communication pour

lrsquoe ducation (TICE) gra ce a une vraie laquo strate gie nume rique raquo

former les enseignants dans des e tablissements spe cialise s les E coles

Supe rieures du Professorat et de lrsquoE ducation (ESPE)

88

repenser les me tiers de lrsquoenseignement

Cependant le MEN consideacuterait qursquoun autre facteur critique pouvait expliquer

lrsquoeacutechec scolaire des eacutelegraveves franccedilais le manque de coordination entre les eacutecoles et

les familles En ce sens cette institution a adresseacute agrave tous ses fonctionnaires mais

aussi aux preacutefets une circulaire rappelant les mesures agrave prendre pour laquo renforcer la

coopeacuteration entre les parents et leacutecole dans les territoires raquo (MEN 2013)

Cette derniegravere circulaire nrsquoa pas reccedilu un accueil favorable De fait dans

certains milieux plutocirct traditionalistes lrsquoideacutee encore tregraves diffuse selon laquelle lrsquoun

des piliers de lrsquoeacutecole reacutepublicaine est son rocircle de laquo sanctuaire raquo soit un havre de paix

proteacutegeacute des assauts de la laquo socieacuteteacute exteacuterieure raquo ndash qui voudrait comme lrsquoaffirmait le

philosophe Jacques Muglioni laquo lui imposer ses inteacuterecircts ses passions et ses modes raquo

(Muglioni 1993 72) ndash et ougrave les enseignants pourraient se deacutedier entiegraverement agrave leur

tacircche eacuteducative sans devoir rendre des comptes aux familles (souvent perccedilues

comme des laquo intrus raquo54) perdure Mecircme Philippe Meirieu le peacutedagogue qui a inspireacute

les reacuteformes lieacutees agrave lrsquoinstauration des modules au lyceacutee et agrave la creacuteation des Instituts

universitaires de formations des maicirctres (IUFM les ancecirctres des ESPE)55 eacutetait en

54 Comme lrsquoa expliqueacute Anne-Sophie Benoit preacutesidente de lrsquoAssociation nationale des directeurs de

lrsquoeacuteducation des villes (ANDEV) dans une audition reacutealiseacutee le 6 mars 2014 agrave la Commission des

affaires culturelles et de lrsquoeacuteducation (CACE 2014)

55 En 1998 le journal Libeacuteration publiait un portrait de Meirieu intituleacute laquo Le peacutedagogue le plus eacutecouteacute

de nos gouvernants raquo (Auffray 1998)

89

effet convaincu que laquo lrsquoeacutecole obligatoire doit constituer un abri mecircme provisoire

contre la tempecircte sociale raquo (Meirieu amp Guiraud 1997 83)56

Bien qursquoau deacutepart cette vision de lrsquoeacutecole se justifiait par la volonteacute de

laquo seacuteparer raquo le milieu scolaire du cadre familial afin de faciliter le contact entre les

eacutelegraveves issus de milieux socioeacuteconomiques diffeacuterents et drsquoeacuteliminer lrsquoinfluence

neacutegative de certains contextes deacutefavoriseacutes sur la conduite des enfants agrave lrsquoeacutecole dans

les deacutebats peacutedagogiques plus reacutecents cette conception est deacutesormais consideacutereacutee

comme anachronique Plusieurs eacutetudes ont deacutemontreacute non seulement qursquoil existe une

correacutelation entre les performances scolaires des eacutelegraveves et leur milieu eacuteducatif le plus

proche (la famille et la communauteacute drsquoappartenance) mais aussi que lrsquoimplication

familiale ndash qui compte pour beaucoup dans la reacuteussite des eacutelegraveves ndash repose sur une

compreacutehension des attentes mutuelles (de lrsquoeacutecole et des familles) et de leurs

scheacutemas respectifs de fonctionnement (ce qui a eacuteteacute deacutemontreacute par les travaux de

Dumoulin et al 2014 Lariveacutee amp Larose 2014 Lariveacutee amp Poncelet 2014 Poncelet

et al 2014) Toutefois si drsquoun cocircteacute lrsquoEacutetat exige une meilleure coordination entre les

parents drsquoeacutelegraveves et les institutions eacuteducatives de lrsquoautre la reacutealiteacute sur le terrain se

reacutevegravele beaucoup plus complexe que ce que lrsquoavait imagineacute le leacutegislateur En 2014 un

rapport drsquoinformation de la Commission des affaires culturelles et de lrsquoeacuteducation de

lrsquoAssembleacutee nationale sur les relations entre lrsquoeacutecole et les parents montre que laquo ces

relations nrsquoont jamais eacuteteacute simples raquo et conclut que laquo pour des raisons historiques et

56 Cependant au cours les anneacutees suivantes Meirieu ndash ayant entre temps entrepris une carriegravere

politique ndash nuancera cette position et abandonnera son rigorisme originel (Meirieu 2000)

90

culturelles la place et le rocircle des parents nrsquoont pas encore trouveacute leur point

drsquoeacutequilibre au sein de lrsquoeacutecole raquo (CACE 2014 9)

Dans un article paru dans la Revue internationale de lrsquoeacuteducation familiale

Olivier Preacutevocirct srsquoalignera sur ces mecircmes positions en consideacuterant que bien que la

laquo refondation de lrsquoeacutecole raquo repreacutesente une avanceacutee importante dans la construction

drsquoune socieacuteteacute plus inclusive

laquo Il serait neacutecessaire en ce qui concerne la formation des

enseignants que la coeacuteducation soit plus largement traiteacutee et abordeacutee

sous des modaliteacutes qursquoil faudrait construire Les enseignants sont en

effet souvent eux-mecircmes deacutemunis quant agrave leurs rapports aux familles

Degraves la formation initiale il serait pertinent drsquoaccompagner les futurs

enseignants afin qursquoils soient mieux agrave mecircme de construire une relation

positive avec les parents dans lrsquointeacuterecirct de lrsquoenfant raquo (Preacutevocirct 2014

30)

En drsquoautres termes au-delagrave des bonnes intentions afficheacutees par le leacutegislateur

une veacuteritable refondation de lrsquoeacutecole ne peut exister que si les enseignants qui sont

lrsquointerface visible de lrsquoinstitution scolaire sont formeacutes agrave connaicirctre et agrave analyser la

reacutealiteacute sociale culturelle et eacuteconomique des contextes dans lesquels ils travaillent

Autrement dit les enseignants devraient avoir une formation anthropologique de

base afin de pouvoir srsquointeacutegrer correctement dans cette zone de transition qui

91

seacutepare et unit lrsquoeacutecole et les familles soit une version laquo sociale raquo de ce qursquoen biologie

on appellerait un eacutecotone57

Pour les deacutepartements les reacutegions et les collectiviteacutes de lrsquoOutre-mer franccedilais

cette probleacutematique a une importance capitale notamment si on se reacutefegravere aux taux

eacuteleveacutes drsquoeacutechec scolaire ndash confirmeacutes par les statistiques et par les reacutesultats des

recherches sur le terrain ndash qui touchent surtout les communauteacutes autochtones

(Poirine 1991 et 1996 Malogne 2001 Alby 2006 et 2008) On doit aussi

consideacuterer que dans ces territoires les conditions actuelles de la scolarisation

constituent bien souvent lrsquoune des causes de la fragmentation des noyaux familiaux

et de lrsquoexode rural qui lui-mecircme entraicircne la perte de savoirs traditionnels propres

agrave des groupes autochtones Lrsquoeacutetude des systegravemes eacuteducatifs des communauteacutes

ethniques58 drsquoOutre-mer srsquoavegravere donc drsquoune grande importance Agrave ce titre elle est

57 Crsquoest-agrave-dire la zone de contact entre deux eacutecosystegravemes voisins (par exemple le deacutesert et la savane

ou la forecirct et la mangrove) Cette notion qui est apparue pendant les anneacutees 1980 dans le domaine

des sciences naturelles commence agrave srsquoimposer dans les travaux de plusieurs scientifiques sociaux

pour deacutefinir les laquo espaces de transition raquo entre deux ou plus contextes socioculturels (Minor 2007

Bekker 2010 Innes 2014)

58 Effectivement en France le concept drsquoethniciteacute (qui reacutesiste quand mecircme dans le milieu de

lrsquoanthropologie) nrsquoa pas de fondement juridique On lrsquoutilise ici dans le sens que lui attribue la Charte

europeacuteenne des langues reacutegionales ou minoritaires qui a eacuteteacute adopteacutee avec la convention europeacuteenne

ETS 148 de 1992 sous les auspices du Conseil de lrsquoEurope pour proteacuteger et favoriser les langues

historiques reacutegionales et les langues des minoriteacutes en Europe (CdE 1992 Voir annexe 4) ndash une Charte

que le gouvernement franccedilais coheacuterent avec sa vision drsquouniteacute sociale de la nation nrsquoa jamais ratifieacutee

92

aujourdrsquohui reacuteclameacutee par des voix eacuteminentes (Grenand amp Renault-Lescure 1990

Terrail 1997 et 2005 Hurault et al 1998 Grenand F 2000 Lorcerie 2003) Il

srsquoagit de comprendre les processus et les outils de transmission drsquoun patrimoine de

connaissances de capaciteacutes et de compeacutetences qui sont propres agrave ces communauteacutes

et qui sont eacutetroitement lieacutees agrave des milieux geacuteographiques de grande valeur en

termes eacutecologiques et eacuteconomiques

93

5 Culture et autochtonie

La raison anthropologique nous invite comme le disait a juste titre Ugo

Fabietti (2007) a relativiser les identite s sans essentialiser les diffe rences Ce cadre

conceptuel nous aide a comprendre comment lrsquoide e me me de laquo culture nationale raquo

he ge monique et produite par la rhe torique nationaliste a pu servir les inte re ts de

certaines forces politiques afin drsquouniformiser les identite s et de cre er des laquo citoyens

de la nation raquo tout en stigmatisant les diffe rences culturelles qui ne pouvaient pas

e tre inte gre es a la nation comme les cultures subalternes59 (Figure 5)

59 Jrsquoutilise les termes laquo heacutegeacutemonique raquo et laquo subalterne raquo en mrsquoappuyant sur lrsquointerpreacutetation

deacuteveloppeacutee par le philosophe antifasciste italien Antonio Gramsci Selon cette conceptualisation

lrsquoheacutegeacutemonie devient un systegraveme de domination politique qui srsquoeacutetablit agrave partir drsquoune base culturelle

(les pratiques et les croyances collectives) la subalterniteacute est le statut qui est assigneacute aux groupes

marginaliseacutes ignoreacutes ou reacuteprimeacutes par la violence ndash physique ou symbolique ndash de lrsquoapparat

institutionnel agrave travers lequel srsquoexpriment les groupes heacutegeacutemoniques (Gramsci 1949) Ces termes

ont acquis une laquo validiteacute anthropologique raquo gracircce au travail analytique drsquoAlberto Cirese (1982) qui a

contribueacute agrave la diffusion de la penseacutee de Gramsci dans les cercles scientifiques europeacuteens et nord-

ameacutericains

94

Figure 5 Cultures heacutegeacutemoniques et culture subalternes

Le discours nationaliste surtout dans le cadre des E tats-nations et des

Empires coloniaux avait pour objectif drsquooffrir une justification ide ologique a lrsquoide e

qursquoune certaine culture conside re e comme nationale pouvait e tre supe rieure a

drsquoautres Ces cultures laquo autres raquo nrsquoe taient pas ne cessairement celles des minorite s

mais tout simplement celles qui ne re pondaient pas aux crite res choisis par les

e lites politiques et e conomiques et qui entravaient les projets des gouvernements

LrsquoHistoire est riche drsquoexemples qui nous montrent comment ce discours a pu

se traduire en politiques drsquoe limination de laquo lrsquoautre raquo justifie es par la ne cessite de

pre server la purete et lrsquounite nationale des guerres de religion aux conflits

ethniques de lrsquoHolocauste aux pogroms Cependant il ne faut pas oublier que dans

la majorite des cas ces politiques cachaient des motivations moins ide ologiques

Culture heacutegeacutemonique

Culture subalterne (en

voie drsquointeacutegration)

Culture subalterne

(marginaliseacutee)

Culture subalterne

(inteacutegreacutee mais marginale)

95

qursquoe conomiques lie es a lrsquoacce s a certaines ressources et a leur distribution De ce

point de vue le cas des peuples autochtones est exemplaire

Avec lrsquoapparition des Empires coloniaux les nations europe ennes se sont

lance es dans une entreprise de domination globale qui les a conduites a conque rir

des territoires et a soumettre des peuples qui vivaient loin des me tropoles du Vieux

Continent et qui dans cette phase coloniale nrsquoont jamais re ellement e te inte gre s aux

E tats colonialistes Pendant toute cette pe riode les colonise s nrsquoont jamais pu acce der

au statut de citoyens et le seul statut qui e tait octroye a ces laquo sauvages raquo ou

laquo primitifs raquo e tait celui drsquoautochtones crsquoest-a -dire litte ralement des occupants

originaires drsquoun territoire60 Bien que cette notion drsquoautochtonie ait connu un certain

succe s jusqursquoa la premie re moitie du XIXe me sie cle61 elle a e te progressivement

abandonne e au profit de la notion de laquo race raquo qui re sistera dans certaines sphe res

60 Il srsquoagit drsquoun lexegraveme drsquoorigine latine (autochthon) qui agrave son tour deacuterive du grec ancien αὐτόχθων

mot composeacute du pronom αὐτός (laquo soi-mecircme raquo) et du substantif χθών (laquo terre raquo) qui pourrait se

traduire comme laquo celle ou celui qui appartient agrave un territoire raquo ou moins litteacuteralement laquo celle ou

celui qui est neacute dans le territoire ougrave sont neacutes ses ancecirctres raquo (ou encore laquo qui vient de la terre mecircme raquo

comme le proposent Gagneacute et Salauumln 2009 XIV) Les auteurs classiques comme Heacuterodote utilisent

cette notion en reacuteponse agrave celle de ἐπήλυδες (laquo immigrants raquo ou laquo eacutetrangers raquo)

61 Balzac dans sa Comeacutedie humaine lrsquoutilise pour identifier les communauteacutes natives comme lrsquoatteste

un ceacutelegravebre passage de La peau de chagrin ougrave le personnage du savant - laquo qui pour lrsquoinstruction du

sculpteur inattentif avait entrepris une discussion sur le commencement des socieacuteteacutes et sur les

peuples autochtones raquo - srsquoappuyait sur cette notion afin de lui expliquer lrsquoorigine de la civilisation

(Balzac 1874 44)

96

de la communaute scientifique jusqursquoa la deuxie me moitie du XXe me sie cle pour

apparaicirc tre a nouveau en paralle le au processus de de colonisation qui a suivi la

Confe rence de Bandung de 1955 et srsquoaffirmer finalement a partir du Troisie me

Mille naire62

Aujourdrsquohui la notion drsquoautochtonie correspond a une cate gorie sociologique

et juridique qui sert a de crire les populations natives mais minoritaires au sein des

E tats et qui est utilise e par leurs repre sentants laquo pour demander justice pour les

violations des droits humains dont elles sont victimes depuis la colonisation ou

lrsquoinvasion et revendiquer des droits en vertu de leur ante riorite drsquooccupation drsquoun

territoire raquo (Gagne et Salau n 2009 XV) Comme le souligne Ire ne Bellier il srsquoagit

donc drsquoune vraie cate gorie politique qui a contribue a construire le mouvement

social des autochtones dans lrsquohistoire globale de la mondialisation et qui te moigne

de la laquo capacite de mobilisation des acteurs autochtones et de leur volonte de se

de finir comme des partenaires dans les espaces du dialogue international raquo (Bellier

2009 78) Un mouvement qui a lrsquoheure actuelle ne re clame pas seulement la simple

reconnaissance de la diversite des peuples natifs dans les espaces politiques

nationaux mais aussi et surtout la revendication drsquoune autonomie territoriale

juridique et culturelle qui devrait leur permettre de survivre en tant que sujets actifs

du de bat citoyen Bien que suite a lrsquoadoption de certains instruments juridiques

62 En France le terme se diffusera surtout apregraves 2007 anneacutee drsquoadoption de la Deacuteclaration des Nations

Unies sur les droits des peuples autochtones (en anglais United Nations Declaration on the Rights of

Indigenous Peoples) du fait du deacutebat qui a eu lieu dans les cercles juridiques autour de la question sur

la traduction la plus adapteacutee au terme anglais laquo indigenous people raquo (UN 2007)

97

contraignants ndash comme les Conventions 107 et 169 de lrsquoOrganisation internationale

du travail (OIT)63 ndash plusieurs gouvernements aient de ja reconnu au moins

formellement le caracte re collectif des droits des entite s autochtones64 beaucoup

drsquoautres ndash comme la France les E tats-Unis le Canada la Chine ou la Russie ndash nrsquoont

jamais voulu le faire car cette reconnaissance juridique pouvait mettre en pe ril

lrsquounite politique de la nation

La question de la culture autochtone et de sa transmission par le biais de

formes drsquoe ducation et de formation propres est donc devenue une affaire politique

avec une re sonance internationale un sujet qui questionne lrsquoanalyse

anthropologique notamment a lrsquoheure actuelle dans un contexte qui voit certains

gouvernements de velopper des projets de laquo patrimonialisation raquo des cultures

locales qui somme toute ne sont pas mis en place pour reconnaicirc tre ndash ou conserver

ndash lrsquoalte rite culturelle des peuples autochtones mais pluto t pour leur permettre de

srsquoaffranchir du discours de la laquo reconnaissance raquo tout en continuant a mener des

politiques drsquohomoge ne isation

63 La premiegravere est deacutedieacutee agrave la laquo protection et lrsquointeacutegration des populations aborigegravenes et autres

populations tribales et semi-tribales dans les pays indeacutependants raquo et la deuxiegraveme est laquo relative aux

peuples indigegravenes et tribaux raquo (OIT 1957 et 1989 Voir annexes 5 et 6) Agrave la diffeacuterence de la

Deacuteclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui reste une simple

deacuteclaration de bonne volonteacute (voir annexe 7) les Conventions de lrsquoOIT ont un effet juridique direct

sur les leacutegislations des pays qui les ont ratifieacutees

64 Parfois en leur attribuant la forme juridique de laquo communauteacutes sociales raquo mais en leur octroyant

le plus souvent la gestion administrative drsquoun territoire (une reacuteserve un parc naturel ou un village)

98

51 Autochtonie indigeacuteneacuteiteacute ethniciteacute et racisme une biopolitique de

lrsquoalteacuteriteacute

Dans le vocabulaire anthropologique la notion drsquoautochtonie se superpose

souvent a celles drsquoethnicite et drsquoindige ne ite Il srsquoagit cependant de trois concepts qui

cachent des significations politiques particulie res et qui drsquoun point de vue

e piste mologique ne repre sentent pas le me me phe nome ne ou du moins ne lui

octroient pas le me me sens

Jonathan Friedman conside re que lrsquoindige ne ite est une notion qui renvoie laquo a

la nature au pre ce dent historique a la simplicite a lrsquoe galite et a lrsquoharmonie mais

aussi a lrsquoe tat de sous-de veloppement de sauvagerie de guerre ge ne ralise e et de

de sordre raquo (Friedman 2009 35) Plus concre tement il srsquoagirait de lrsquoeffet drsquoun

processus dialectique qui a lrsquoinverse du processus de cosmopolitisation permet a

certains groupes de se de finir a partir drsquoune identite ethnique laquo enracine e raquo (voir

Figure 6) et radicalement oppose e aux cultures hybrides imagine es par Nestor

Garcicirc a Canclini (1989)

99

Figure 6 Dialectique de la cosmopolitisation et de lrsquoindigeacutenisation (drsquoapregraves Friedman 2009 49)

Cette laquo identite indige ne raquo est donc ide ologique mais avant tout lie e a un

territoire a des laquo racines raquo Toutefois crsquoest aussi une notion pole mique et plusieurs

auteurs comme Adam Kuper (2003) ou Mathias Guenther (2006) critiquent

lrsquoessentialisme et le colonialisme re siduel de cette conceptualisation qui ne semble

pas capable de prendre en compte lrsquoexistence drsquoun contexte global ou

laquo lrsquoenracinement ethnique raquo de lrsquoindige ne ite oublie le facteur culturel en se limitant

a utiliser des crite res biologiques (lrsquoethnie) et ge ographiques (territoire) pour

e tablir des frontie res et se parer les laquo vrais Indige nes raquo des autres Drsquoautres

chercheurs comme Alan Barnard conside rent que bien que la notion ait pu

permettre de conceptualiser et soutenir la cause des peuples marginalise s elle reste

100

une cate gorie non scientifique qui ne devrait pas e tre retenue dans le glossaire

technique de lrsquoanthropologie (Barnard 2006)

Par ailleurs la cate gorie de laquo lrsquoethnicite raquo est aussi expose e a des critiques du

me me ordre Lrsquoanthropologue Mondher Kilani par exemple invite a employer le

terme drsquoethnicite (et tous les mots compose s ou de rive s de ce terme comme

laquo ethnique raquo laquo multiethnique raquo laquo pluriethnique raquo laquo interethnique raquo et similia) avec

beaucoup de pre cautions Il srsquoagit selon lui drsquoun concept qui peut se transformer

tre s facilement en ste re otype source de pre juge s ou de positions extre mistes (Kilani

1997)65 Crsquoest la une position que partage Ugo Fabietti selon lequel la notion

drsquoethnicite peut e tre charge e drsquoune connotation symbolique qui re duit

drastiquement son statut drsquoobjectivite scientifique Il conside re en effet que drsquoun

point de vue anthropologique lrsquoappartenance a un certain groupe humain ndash

religieux politique ou ethnique ndash srsquoinscrit avant tout dans lrsquoordre du symbolique ce

qui fait de lrsquoidentite ethnique un symbole drsquoappartenance ndash une appartenance qui

inclu t les laquo semblables raquo mais qui exclut ainsi ceux qui ne rentrent pas dans cette

cate gorie Fabietti conside re que

laquo Il nrsquoest pas suffisant drsquoavoir une certaine couleur de peau

pour faire partie drsquoune ethnie ne anmoins il ne suffit pas non plus de

65 On peut aiseacutement imaginer que le parcours de vie de cet intellectuel polyeacutedrique ait eu une

influence sur sa perception du multiculturalisme et sur ses doutes quant agrave la notion drsquoethniciteacute Neacute

en Algeacuterie eacutetudiant en France et Professeur des Universiteacutes en Suisse il possegravede les trois nationaliteacutes

mais comme il lrsquoaffirme lui-mecircme laquo aucune ethniciteacute raquo (Kilani 2007)

101

parler une certaine langue ou de partager des valeurs ou des

comportements de termine s Lrsquoidentite ethnique et lrsquoethnicite cest-a -

dire le sentiment drsquoappartenir a un groupe ethnique ou une ethnie

sont [hellip] des de finitions du soi etou de lrsquoautre qui sont presque

toujours enracine es dans des rapports de force entre groupes coagule s

autour drsquointe re ts spe cifiques raquo (Fabietti 2007 14)

Dans les sciences sociales la notion drsquoethnie a souvent e te confondue avec

celles de nation et de race66 (Martiniello 1995) En ce qui concerne les relations

entre ethnicite et nationalisme le de bat est polarise entre des chercheurs ndash comme

John Alexander Armstrong (1982) ndash qui affirment que les deux notions ont les me me

racines (ce qui rend difficile leur diffe renciation) et ceux ndashBenedict Anderson

(1983) ndash qui conside rent qursquoil srsquoagit de deux phe nome nes tre s distincts sur le plan

historique sociologique et politique mais aussi et surtout au niveau ide ologique

La laquo liaison dangereuse raquo qui a existe entre les notions de race et drsquoethnie est

beaucoup plus ancienne et trouve ses origines dans cette tendance de la pense e

66 Comme le deacutemontre ce ceacutelegravebre passage extrait de Lrsquoethnie franccedilaise reacutedigeacute par George Montandon

dans lequel lrsquoanthropologue antiseacutemite affirmait que la nation est laquo un groupement politique creacuteeacute

par lhistoire et contenu dans larmature de lrsquoEacutetat La nation geacuteneacuteralement ne correspond pas plus agrave

une race qursquoagrave une ethnie de faccedilon habituelle la nation comprendra plusieurs eacuteleacutements raciaux et

chevauchera plusieurs ethnies Ainsi la race est une conception savante lrsquoethnie une conception

naturelle la nation une conception politique raquo (Montandon 1935 29)

102

humaine a laquo segmenter raquo le monde de lrsquoexpe rience Crsquoest autour de cette ide e

qursquoEdmund Leach a de veloppe son anthropologie et ses re flexions autour des

re seaux sociaux et des relations sociales informelles qui ne de pendent pas de

lrsquoappartenance a un groupe de termine Mais ce sera Frederik Barth (1969) ndash disciple

de Leach (1954 et 1980) ndash qui en e largira le champ drsquoapplication en rede finissant les

notions de groupe et de frontie re ethnique Selon Barth la relation logique qui lierait

une race avec une ethnie une langue une culture et un territoire est arbitraire Le

travail de lrsquoethnographe de montre au contraire que les groupes ethniques ndash en tant

qursquoentite s sociales ferme es e tanches et dote es de frontie res e tablies ndash nrsquoexistent pas

Si lrsquoon accepte ce cadre interpre tatif un groupe ethnique ne peut e tre de fini en

fonction de crite res culturels ou linguistiques le seul crite re possible est celui qui a

e te e labore par les membres du groupe eux-me mes pour e tablir la ligne de

de marcation qui les se pare des laquo autres raquo La diffe rence culturelle devient au bout

du compte une production sociale qui cache la dynamique complexe des relations

laquo interethniques raquo dans laquelle chaque communaute sociale se de finit gra ce a des

strate gies pense es pour lui assurer sa continuite et lui permettre drsquointeragir avec

drsquoautres communaute s Cela nous permet drsquoimaginer en prolongeant lrsquoide e de Barth

que chaque communaute humaine nrsquoest rien drsquoautre qursquoune configuration locale

drsquoun continuum socioculturel plus vaste le genre humain67 Cependant le contact

culturel ndash qursquoil produise des hybridations des me tissages des syncre tismes des

67 Une ideacutee que jrsquoemprunte agrave la perspective historique drsquoEacuteric Wolf lequel eacutecrivait que laquo les

populations humaines construisent leur culture dans lrsquointeraction et non pas dans lrsquoisolement raquo

(Wolf 1982 35)

103

adaptations des transfigurations ou des chevauchements drsquoidentite et qursquoil soit ou

non capable de transmettre les produits de lrsquoacculturation au fil des ge ne rations ndash

nrsquoe limine pas les diffe rences car il srsquoinscrit toujours dans les rapports de force et de

domination qui constituent le principe de relation entre un groupe he ge monique et

un groupe subalterne ndash rapport qui est tre s souvent source de disputes

52 Lrsquoimbroglio ethnique et lrsquoinvention de la tradition

Lrsquoinstrumentalisation des principes identitaires a caracte re ethnique ndash en

tant que re ponse fonctionnelle a certaines dynamiques historiques de conflit ndash a

justifie comme dans le cas du nationalisme toute une panoplie de conflits dit

laquo ethniques raquo qui en re alite nrsquoe taient pas cause s par les diffe rences socioculturelles

mais qui devraient pluto t e tre interpre te s dans le cadre drsquoune lutte pour lrsquoacce s au

pouvoir aux richesses et aux ressources strate giques (Cohen 1974) Crsquoest

ne anmoins une lutte qui a e te capable drsquoattiser a maintes reprises les esprits a partir

drsquoune construction politique de lrsquoidentite qui est le produit des politiques

drsquoethnicisation mises en place par les pouvoirs he ge moniques (et qui nrsquoa rien a voir

avec cet ide altype que nous appelons laquo culture traditionnelle raquo)

Prenons lrsquoexemple du ge nocide des Tutsis au Rwanda qui en moins de quatre

mois a conduit a la mort plus de 800 000 personnes et qui a souvent e te de crit

comme lrsquoeffet du laquo tribalisme typique raquo des peuples africains Conside rons que les

Tutsis partagent avec les Hutus ndash ceux qui ont orchestre le massacre ndash la me me

langue le me me territoire et que jusqursquoa lrsquoarrive e des colonisateurs europe ens ils

partageaient aussi les me mes institutions politiques et les me mes formes

104

drsquoorganisation sociale (Newbury 1987) Avant la colonisation les Tutsis des

pasteurs nomades e taient charge s de lrsquoadministration des biens des communaute s

et les Hutus des agriculteurs se dentaires de tenaient les pre rogatives rituelles et la

responsabilite de pre server le bien-e tre spirituel des communaute s Par ailleurs il

e tait tre s facilement possible de changer de statut en fonction de lrsquoalliance avec une

famille de lrsquoautre communaute de faccedilon qursquoun Hutu pouvait devenir tutsi et vice-

versa (Chre tien 2000) Les fonctionnaires coloniaux allemands et belges qui nrsquoont

pu comprendre la sophistication inhe rente a ce syste me drsquoorganisation sociale ont

simplifie a lrsquoexce s les diffe rences entre Hutus et Tutsis et ont construit des cate gories

ethniques ndash crsquoest-a -dire des frontie res ndash a partir de leur regard ethnocentrique et de

leurs convictions quant a la supe riorite de la culture europe enne La minorite tutsie

a donc e te de crite comme une aristocratie chamitique drsquoorigine nilotique proche de

la civilisation e gyptienne et la majorite hutue a e te inscrite dans la cate gorie des

peuples bantus une macro-famille linguistique laquo invente e raquo en 1858 par lrsquoexe ge te

Wilhem-Heinrich Bleek pour re unir selon sa classification les langues

laquo intertropicales raquo avec un bas niveau de sophistication (Chre tien 1985 et 1997) Du

fait de cette hie rarchisation artificielle les Tutsis ont e te convertis au christianisme

ndash catholique ou protestant ndash et les missionnaires ont organise des e coles pour

faciliter leur inte gration dans la socie te coloniale les Hutus conside re s infe rieurs

nrsquoont pu acce der a lrsquoinstruction scolaire ni me me obtenir des postes importants dans

lrsquoadministration de la colonie La politique de discrimination entre Hutus et Tutsis a

contribue a la mise en place drsquoune barrie re ethnique qui inconsciemment a

concouru a la construction drsquoune diffe rentiation artificielle entre les deux groupes

drsquoune co te les Hutus qui proclamaient leur laquo authenticite raquo bantu et de lrsquoautre les

105

Tutsis qui fondaient leurs privile ges coloniaux sur une suppose e ascendance

aryenne68 La de colonisation des anciens mandats coloniaux belges nrsquoa gue re

simplifie les choses les leaders drsquoopinion hutus et tutsis ont continue leur exercice

drsquoinvention des traditions69 en e levant toujours plus cette barrie re ethnique au

point qursquoelle devienne infranchissable Au Rwanda lrsquoinvention de lrsquoethnicite ndash et la

persistance de cette laquo vision du monde raquo gra ce a sa transmission culturelle ndash peut

donc e tre conside re e comme lrsquoe le ment de cisif de la gene se de cet e tat de conflit

permanent qui a oppose jusqursquoa la fin du XXe me sie cle les laquo ethnies raquo hutus et tutsis

et qui comme jrsquoespe re lrsquoavoir de montre e tait motive e par des raisons lie es au statut

politique et a lrsquoacce s a certains privile ges

68 En 1930 lrsquoadministration coloniale belge a proceacutedeacute agrave un recensement dans les territoires drsquoAfrique

Centrale sous son mandat afin drsquoeacutemettre les laquo cartes drsquoidentiteacute ethnique raquo destineacutees agrave la population

locale Puisque la typologie raciale imagineacutee par les fonctionnaires de Bruxelles (qui voulait les Hutus

de grande taille et les Tutsis de petite taille) eacutetait consideacutereacutee comme difficilement applicable par les

responsables du recensement ces derniers ont deacutefini le nombre des piegraveces de beacutetail posseacutedeacutees par

chaque individu comme critegravere de distinction ethnique ceux qui posseacutedaient moins de dix bovins

eacutetaient donc des Hutus et ceux qui en avaient plus de dix eacutetaient tutsis Le statut ethnique ndash et lrsquoaccegraves

aux privilegraveges que ce statut octroyait comme celui agrave lrsquoinstruction scolaire ndash se reacuteduisait donc agrave une

simple consideacuteration eacuteconomique qui a permis aux Rwandais les plus riches de devenir Tutsis et a

obligeacute les plus pauvres agrave devenir Hutus (Lugan 1997)

69 Pour reprendre la ceacutelegravebre notion forgeacutee par Eric Hobsbwam et Terence Ranger (2006) lesquels

lrsquoont employeacutee en paraphrasant la notion drsquoinvention de la culture forgeacutee par Roy Wagner (1981)

106

Drsquoun point de vue anthropologique ce me me exercice analytique est valable

pour plusieurs autres conflits qui ont ensanglante le sie cle passe et qui continuent a

le faire dans ces commencements drsquoun nouveau mille naire Un exemple flagrant est

la situation qui srsquoest cre e e en ex-Yougoslavie quand le collapse de lrsquoancien pays

satellite de lrsquoUnion Sovie tique a permis a certains leaders drsquoopinion et aux e lites

nationalistes de faire resurgir le re ve drsquoune laquo grande Serbie raquo justifie a partir de cette

laquo identite serbe raquo qui en re alite avait e te invente e pendant la premie re moitie du

XIXe me sie cle a lrsquoe poque des premiers mouvements nationalistes europe ens70 Lrsquoide e

drsquoune Serbie homoge ne et laquo pure raquo re alisable seulement gra ce a un nettoyage

ethnique (etničko čišćenje) qui aurait e limine du territoire des laquo slaves du sud raquo

(chre tiens orthodoxes) toutes les minorite s religieuses (les Croates chre tiens

catholiques et les Bosniaques musulmans sunnites) est apparue en 1860 et

pendant tout le XXe me sie cle elle a e te utilise e comme base ide ologique pour soutenir

les projets he ge moniques des e lites serbes au de triment des communaute s croates

et bosniaques (Grmek et al 1993) Le cas des re publiques qui faisaient auparavant

partie de lrsquoUnion Sovie tique (URSS) est semblable pendant pre s drsquoun sie cle

lrsquoethnologie russe srsquoest efforce e de construire des fosse s ethniques infranchissables

et de de finir scientifiquement les diffe rences se parant les ethnies qui peuplaient les

territoires laquo non russes raquo Avec la chute de lrsquoUnion les e lites de ces peuples laquo non

russes raquo ont justifie leurs revendications autonomistes ndash et leur de sir de contro ler

70 Cette mecircme ideacuteologie a aussi guideacute lrsquoaction du jeune reacutevolutionnaire nationaliste Gavrilo Princip

qui le 28 juin 1914 assassinait agrave Sarajevo lrsquoarchiduc Franccedilois-Ferdinand drsquoAutriche deacuteclenchant une

crise diplomatique conjoncturelle qui a conduit agrave la Premiegravere Guerre mondiale

107

sans entraves les ressources strate giques de ces nouvelles entite s postsovie tiques ndash

en brandissant ces me mes monographies ethnographiques qui avaient e te re dige es

a lrsquoa ge sovie tique et qui de montraient par des proce de es laquo scientifiques raquo les

irre ductibles diffe rences qui les rendaient incompatibles avec les Russes (Roy 1991

et 1994)

Les exemples que je viens de mentionner nous aident a comprendre que la

notion drsquoethnicite ne prend du sens que dans des situations historiques et sociales

de termine es et non a partir drsquoune image statique de cette notion si vague de

laquo culture traditionnelle raquo ou laquo authentique raquo Le particularisme ethnique nrsquoest rien

drsquoautre qursquoun crite re drsquoalliance politique qui comme nous lrsquoavons vu donne des

re sultats inquie tants dans les contextes postcoloniaux (le Rwanda) ou post-

impe riaux (lrsquoex-Yougoslavie ou les re publiques qui faisaient partie de lrsquoURSS) la ou

la de sagre gation du pouvoir laquo traditionnel raquo a laisse place aux revendications

drsquoautres acteurs sociaux ceux qui avaient auparavant e te marginalise s Qursquoon les

appelle nationalismes ethnicismes ou tribalismes crsquoest lrsquoexpression drsquoune

dynamique sociale et culturelle qui vise lrsquoaffirmation drsquoune identite son acce s a

lrsquoare ne politique et e conomique et la cre ation de laquo ge ographies de lrsquoesprit71 raquo

ne cessaires a la de finition de lrsquoalte rite

71 Lrsquoexpression est de Marc Creacutepon qui lrsquoa utiliseacutee pour deacutecrire lrsquoensemble des theacuteories qui ont

alimenteacute le deacuteterminisme culturel ndash et lrsquoideacutee selon laquelle les cultures humaines sont avant tout

conditionneacutees par leur environnement naturel et leur position geacuteographique ndash entre la fin du XVIIegraveme

siegravecle et la premiegravere moitieacute du XIXegraveme (Creacutepon 1996)

108

Dans le scheacutema suivant (Figure 7) jrsquoai syntheacutetiseacute les diffeacuterentes notions que

nous avons discuteacutees jusqursquoici pour montrer les points de contact et de divergence

agrave partir de cinq critegraveres geacuteographique biologique culturel historique et politique

CONCEPT

Critegravere geacuteographique (la terre)

Critegravere biologique (les origines)

Critegravere culturel (langue usages et coutumes partageacutes)

Critegravere historique (lrsquoorigine de lrsquoEacutetat)

Critegravere politique de la laquo production drsquoidentiteacute raquo

Civilisation X X X Drsquoen haut

Nation X X X Drsquoen haut

Race X Drsquoen haut

Indigeacuteneacuteiteacute X X X Drsquoen haut

Ethnie X X X Drsquoen bas

Autochtonie X X Drsquoen bas

Aboriginaliteacute X X Drsquoen haut

Peuple natif X Absent

Figure 7 Les concepts lieacutes agrave lrsquoidentiteacute drsquoun groupe humain

Selon cette scheacutematisation la civilisation apparaicirct comme un concept ndash

produit laquo drsquoen haut raquo par les eacutelites au pouvoir afin de justifier leur souveraineteacute

politique ndash qui deacutecrit la culture drsquoun groupe humain qui srsquoest eacutetabli dans un espace

geacuteographique deacutetermineacute et qui est consideacutereacute comme lrsquoorigine historique drsquoun Eacutetat

Le concept de nation partage les mecircmes caracteacuteristiques seacutemantiques ndash une culture

une geacuteographie et une histoire partageacutees ndash que celui de civilisation mais avec le

critegravere biologique du laquo sang raquo en plus en tant qursquoeacuteleacutement fondateur et feacutedeacuterateur

La race quant agrave elle est un concept eacuteminemment biologique deacutetermineacute drsquoen haut

par les groupes heacutegeacutemoniques afin de classifier les communauteacutes subalternes Il

nrsquoest pas neacutecessairement lieacute au critegravere geacuteographique comme le deacutemontre lrsquousage

109

qui en a eacuteteacute fait par certains laquo theacuteoriciens de la race raquo pour srsquoadresser aux Juifs ou

aux Roms Lrsquoethnie de son cocircteacute est un concept qui se veut antitheacutetique agrave celui de

race en tant que revendication identitaire qui vient du bas de la base

communautaire et qui deacutefinit le groupe agrave partir de critegraveres territoriaux geacuteneacutetiques

et culturels Bien qursquoil ait eacuteteacute tregraves utiliseacute par la majoriteacute des anthropologues du XXegraveme

siegravecle on lui preacutefegravere aujourdrsquohui celui drsquoautochtonie qui a la mecircme charge

revendicative mais qui nrsquoutilise pas le critegravere du sang pour deacutefinir lrsquoappartenance agrave

un groupe le critegravere geacuteographique est donc lrsquoeacuteleacutement prioritairement utiliseacute pour

identifier les membres drsquoune communauteacute Le concept drsquoindigeacuteneacuteiteacute se base sur les

mecircmes critegraveres drsquoinclusion et drsquoexclusion que celui drsquoethnie mais il srsquoen distingue

car historiquement il a eacuteteacute utiliseacute par les administrateurs coloniaux pour deacutefinir les

peuples laquo autres raquo les domineacutes72 En France il a constitueacute la justification

anthropologique du reacutegime dit de laquo lrsquoindigeacutenat raquo agrave savoir la leacutegislation drsquoexception

et les pratiques discriminatoires imposeacutees aux habitants des territoires soumis agrave

lrsquoadministration coloniale73 Il en va de mecircme du discours sur lrsquoaboriginaliteacute soit

lrsquoidentiteacute des peuples aborigegravenes dans le jargon colonial le terme servait agrave deacutefinir

les groupes humains qui eacutetaient consideacutereacutes comme des reliquats de lrsquoacircge

72 Cependant aujourdrsquohui il est souvent utiliseacute dans le discours laquo deacutecolonial raquo pour manifester avec

fierteacute une identiteacute minoritaire Un exemple est le mouvement des laquo Indigegravenes de la Reacutepublique raquo qui

depuis 2005 feacutedegravere des activistes et des intellectuels autour du slogan laquo La France a eacuteteacute un Eacutetat

colonial [hellip] La France reste un Eacutetat colonial raquo (PIR 2005)

73 Il est aboli en 1946 avec lrsquoabrogation des lois et des regraveglements qui constituaient le corpus normatif

connu sous le nom de Code de lrsquoindigeacutenat (Merle 2002)

110

preacutehistorique des primitifs qui peuplaient ab origine (depuis les origines) certaines

contreacutees du globe74 Aujourdrsquohui on continue agrave lrsquoemployer pour identifier les

descendants des peuples originaires drsquoAustralie (ceux qui vivent sur la parte

continentale comme ceux qui peuplent les icircles du deacutetroit de Torres)75 et depuis

lrsquoadoption du Aboriginal and Torres Strait Islander Commission Act en 1989 le

gouvernement australien considegravere laquo aborigegravene raquo ndash drsquoun point de vue juridique ndash

tout citoyen qui peut deacutemontrer un lien biologique avec des ancecirctres qui peuplaient

lrsquoAustralie avant lrsquoarriveacutee des Europeacuteens qui reconnaicirct son identiteacute aborigegravene et qui

est reconnu comme tel par la communauteacute agrave laquelle il deacuteclare drsquoappartenir (AG

1989 Gardiner-Garden 2003) Pour conclure la notion de peuple natif qui se base

sur le seul critegravere geacuteographique (avoir des ancecirctres qui sont neacutes sur un territoire

deacutetermineacute) est probablement celle qui a la plus faible connotation identitaire Bien

que dans le passeacute elle ait eacuteteacute utiliseacutee comme synonyme de peuple ethnique ou

indigegravene et qursquoelle ait servi drsquooutil revendicatif agrave certains groupes autochtones

74 Le terme a pendant longtemps eacuteteacute associeacute aux peuples Aetas (ou Negritos) des Philippines aux

communauteacutes de langue formosane qui peuplaient lrsquoicircle de Taiumlwan (comme les Amis les Darsquoo les

Kavalan ou les Rukai) aux Aiumlnous de Hokkaido (au Japon) et de la Kamtchatka (en Russie) aux

Ādivāsī en Inde aux Wanniyala-Aetto (ou Vedda) du Sri Lanka aux Lutrawita (ou Trouwunna) de

Tasmanie et aux peuples de langue khoiumlsan drsquoAfrique australe

75 Crsquoest eacutegalement le cas au Canada ougrave on parle drsquoAboriginal law (droit des Aborigegravenes) pour

identifier le corpus iuris qui contient les droits et obligations des communauteacutes natives les First

Nations (les Nations Premiegraveres)

111

comme les First Nations ou Premiegraveres nations du Canada le terme a aujourdrsquohui

perdu son significat laquo politique raquo76 (Gagneacute et al 2009)

La digression que je viens de proposer ne voulait pas se limiter agrave une

divagation purement terminologique mais visait avant tout agrave montrer lrsquoenjeu

eacutepisteacutemologique qui se cache derriegravere lrsquoutilisation de certaines notions notamment

quand on parle de certains groupes humains qui sont en train de revendiquer des

droits et de la justice Chaque terme nous lrsquoavons vu est chargeacute de significats qui

deacutecrivent le point de vue du sujet qui lrsquoutilise et la perception qursquoil a de

laquo lrsquo(id)entiteacute raquo qursquoil est en train de deacutesigner de sorte que les concepts qui srsquoabritent

derriegravere ces mots nous parlent en fin de compte de deux cultures et de la relation

laquo politique raquo qursquoelles entretiennent dans un contexte historique particulier de la

position que chacune drsquoentre elles occupe dans laquo lrsquoaregravene raquo du discours et de leur

statut dans la hieacuterarchie sociale du pouvoir Inutile drsquoajouter qursquoelles sont eacutegalement

76 Drsquoun point de vue juridique le droit ameacutericain constitue une exception agrave cette regravegle puisqursquoil opegravere

une distinction entre les native-born Americans (les citoyens des Eacutetats-Unis neacutes dans le pays) et les

Native Americans (descendants des laquo Indiens raquo drsquoAmeacuterique) Ces derniers ont certains droits dans le

cadre des politiques de discrimination positive ndash surtout pour lrsquoaccegraves agrave certaines aides financiegraveres ndash

mais pour prouver leur laquo identiteacute native raquo ils doivent pouvoir deacutemontrer ecirctre membres drsquoune

communauteacute ameacuterindienne reconnue par lrsquoEacutetat et avoir au moins un quart de laquo sang indien raquo soit au

moins un grand parent drsquoorigine indienne ce qui leur sera attesteacute gracircce agrave un Certificate of Degree of

Indian Blood deacutelivreacute par le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis qui eacutetablira le laquo niveau

drsquoindigeacuteneacuteiteacute raquo avec une note qui peut aller de 116 agrave 1616 (BIA 2011) Il est eacutevident que la

signification que prend la notion de laquo natif raquo dans ce cas speacutecifique est identique agrave celle drsquo

laquo indigegravene raquo

112

capables de nous indiquer aiseacutement ougrave se situe le laquo regard heacutegeacutemonique raquo et le

subalterne

113

6 Lrsquoidentiteacute agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquoassimilation

Le politiste Denis Lacorne dans ses travaux sur lrsquoidentiteacute nationale

ameacutericaine a reacutealiseacute une analyse geacuteneacutealogique de lrsquoideacutee de multiculturalisme et il a

deacutemontreacute que cette notion nrsquoest apparue qursquoassez reacutecemment dans le vocabulaire

des sciences sociales pour se substituer agrave celle de melting-pot (litteacuteralement

laquo creuset raquo) qui depuis les premiegraveres anneacutees du XXegraveme siegravecle eacutetait employeacutee pour

deacutecrire la socieacuteteacute nord-ameacutericaine en tant que nation formeacutee majoritairement

drsquoimmigreacutes (Lacorne 1997)77 Sa rapide diffusion est probablement due agrave sa

laquo souplesse seacutemantique raquo (litteacuteralement elle indique seulement la multipliciteacute des

cultures sans pour autant deacutecrire les rapports de force qui les mettent en relation)

et agrave sa double acception descriptive et programmatique

Le terme peut donc ecirctre employeacute pour deacutecrire la situation laquo objective raquo drsquoun

contexte au sein duquel coexistent et interagissent des groupes laquo culturellement

diffeacuterents raquo (en raison de leurs langues religions croyances ideacuteologies usages ou

coutumes) ou pour deacutecrire la volonteacute prescriptive drsquoun programme politique

77 Le dramaturge Israel Zangwill a eacuteteacute le premier agrave lrsquoemployer pour deacutecrire les politiques

drsquoassimilation ethnique du gouvernement eacutetasunien (Zangwill 1909) Sa piegravece The Melting Pot

preacutesenteacutee pour la premiegravere fois en 1908 est consideacutereacutee comme un classique du theacuteacirctre nord-

ameacutericain et a eu une influence notable sur le deacutebat concernant la question de laquo lrsquoidentiteacute

ameacutericaine raquo (Sollors 1986)

114

construit agrave partir de la neacutecessiteacute de geacuterer la cohabitation de certains groupes

minoritaires au sein drsquoun territoire administratif deacutetermineacute Un programme

politique laquo multiculturel raquo a donc lrsquoimage drsquoun discours qui reconnaicirct les diffeacuterences

et qui les valorise ndash par exemple agrave travers des actions de laquo discrimination positive raquo

Cependant comme le dit le proverbe tout ce qui brille nrsquoest pas or

61 Multiculturalisme et interculturaliteacute synonymes ou contraires

Selon Jean-Claude Forquin cet essor du laquo credo multiculturel raquo dans le

terrain de la politique doit ecirctre interpreacuteteacute

laquo comme une eacutelaboration tardive un palliatif ou une reacuteponse agrave

la perte de creacutedibiliteacute drsquoun modegravele plus ancien et en quelque sorte plus

naturel plus naturellement inscrit dans la postulation profonde des

communauteacutes politiques modernes agrave savoir le modegravele

assimilationniste raquo (2005 49)

Si lrsquoassimilationnisme qui caracteacuterisait explicitement les politiques sociales

de toutes les puissances coloniales a pour but drsquoeffacer tout particularisme culturel

et de creacuteer des communauteacutes culturelles homogegravenes le multiculturalisme semble

en ecirctre lrsquoantithegravese Cependant en ce qui concerne le fonctionnement pratique du

modegravele multiculturel plusieurs exemples nous montrent qursquoil est

extraordinairement difficile de concilier au sein des Eacutetats nationaux les droits agrave

lrsquoexpression drsquoune diffeacuterence laquo culturelle raquo (surtout en ce qui concerne les identiteacutes

115

ethniques religieuses et linguistiques) et lrsquointangibiliteacute de certains principes qui

cimentent la hieacuterarchie sociale de lrsquoEacutetat et les privilegraveges dont jouissent les eacutelites au

pouvoir et les couches sociales intermeacutediaires

Aux Eacutetats-Unis par exemple la politique multiculturelle a juridiquement

justifieacute notamment dans le domaine de lrsquoeacuteducation un grand nombre de procegraves qui

ont eacuteteacute entameacutes agrave lrsquoencontre des normes feacutedeacuterales comme le laquo cas Yoder raquo qui srsquoest

conclu par un arrecircteacute permettant agrave une famille Amish de ne pas scolariser ses enfants

pour leur permettre de se consacrer aux tacircches agricoles fondamentales agrave son

eacuteconomie domestique (Wisconsin v Yoder 1972) ou le laquo cas Bakke raquo qui a obligeacute les

universiteacutes publiques agrave eacutetablir des normes drsquoaccegraves agrave partir de critegraveres de

discrimination positive sur des bases ethniques (Regents of the University of

California v Bakke 1978) Les modifications leacutegales eacutelaboreacutees suite aux cas que je

viens de mentionner ont profondeacutement bouleverseacute la socieacuteteacute ameacutericaine et

aujourdrsquohui encore elles ne font pas lrsquounanimiteacute et sont sujettes agrave discussion entre

les fauteurs de laquo lrsquointeacutegriteacute de la Nation raquo et ceux du laquo multiculturalisme agrave tout prix raquo

(Taylor 1994 Kincheloe amp Steinberg 1997)

En France le modegravele scolaire multiculturel preacutesente un deacuteveloppement

historique similaire Au nom du principe de laquo lrsquoindiffeacuterence aux diffeacuterences raquo qui est

la traduction juridique de la devise de la Reacutepublique (Liberteacute Eacutegaliteacute Fraterniteacute) au

moins jusqursquoagrave la Troisiegraveme Reacutepublique tous les eacutelegraveves du systegraveme eacuteducatif franccedilais

ndash dans le territoire meacutetropolitain comme dans les eacutecoles drsquoOutre-mer ndash ont appris

une histoire de la nation focaliseacutee sur le reacutecit hagiographique de la vie et des fait

drsquoarmes de gens de lrsquoHexagone Lrsquoexpression laquo nos ancecirctres les Gaulois raquo ndash qui est

116

devenue un clicheacute et qui a inspireacute un nombre incalculable de reacuteflexions autour des

ideacutees qursquoa veacutehiculeacutees lrsquoassimilationnisme agrave la franccedilaise (Binet 1967 Durpaire

2003 Ha 2003)78 ndash a probablement eacuteteacute la clef de voucircte de ce discours sur la

grandeur de la nation qui sous lrsquoeffet de lrsquointeacutegration du modegravele multiculturel a eacuteteacute

progressivement contraint de modifier ses termes En effet agrave partir des anneacutees

1960 du fait de lrsquointensification et de la diversification des flux migratoires (qui ne

se limitaient plus seulement aux ressortissants des anciennes colonies ou des pays

voisins) le systegraveme eacuteducatif national a commenceacute agrave deacutevelopper des dispositifs

adapteacutes ndash comme lrsquoEnseignement des langues et cultures drsquoorigine (ELCO) introduit

en 1973 ndash ou agrave ajuster les programmes scolaires en fonction de cette laquo nouvelle raquo

reacutealiteacute sociale Cependant la transformation des contenus de lrsquoenseignement ndash qui

conduit par exemple agrave lrsquointroduction de lrsquoenseignement des langues vivantes

eacutetrangegraveres (LVE) et des langues et cultures reacutegionales (LCR) agrave octroyer une place agrave

la litteacuterature laquo non meacutetropolitaine raquo et agrave inclure des reacutealiteacutes laquo autres raquo dans les

programmes drsquohistoire et geacuteographie ndash nrsquoa donneacute lieu qursquoagrave des modifications

limiteacutees compte tenu de la structure tregraves rigide des curricula et de lrsquoorganisation

des apprentissages agrave partir drsquoun cadre disciplinaire fortement cloisonneacute Les

expeacuteriences multiculturelles ont alors trouveacute leur place en marge des programmes

officiels eacutetablis laquo drsquoen haut raquo par le MEN et surtout gracircce aux initiatives locales de

78 Lrsquoexpression a aussi inspireacute des poegravetes comme Boris Vian En 1958 quand il a eacuteteacute informeacute par son

ami Henri Salvador du fait que les enseignants antillais continuaient agrave lrsquoutiliser dans leurs cours

drsquohistoire il a deacutecideacute de lui eacutecrire le texte de la chanson laquo Faut rigoler raquo dans laquelle il met en scegravene

sa vision caustique de lrsquoassimilation sur les notes drsquoun laquo cha-cha gaulois raquo (Vian 1960)

117

certains enseignants ou des organismes deacutecentreacutes (eacutecoles eacutetablissements

circonscriptions eacuteducatives ou Acadeacutemies) Par ailleurs la laquo question

multiculturelle raquo a alimenteacute un deacutebat tregraves virulent autour de lrsquoapplicabiliteacute du

principe de laiumlciteacute de lrsquoEacutetat comme crsquoest le cas depuis 1989 avec la querelle sur le

voile islamique (Nordmann 2004 Thevanian 2005 et 2012) Cette controverse

reacutevegravele les difficulteacutes agrave concilier au sein des eacutetablissements eacuteducatifs publics le droit

agrave lrsquoexpression drsquoune laquo diffeacuterence raquo religieuse et lrsquointangibiliteacute de certains principes

constitutionnels Il srsquoagit lagrave drsquoun enjeu qui en reacutealiteacute est beaucoup plus complexe et

qui va bien au-delagrave de la seule sphegravere religieuse79

79 Deux eacuteleacutements semblent le confirmer Premiegraverement le port du hijab (le voile en arabe) est une

tradition anteacuterieure agrave lrsquoIslam et qui nrsquoest pas neacutecessairement lieacutee agrave la foi musulmane (rappelons-nous

qursquoil srsquoagit drsquoune norme qui est aussi invoqueacutee dans la Lettre de Saint Paul apocirctre aux Corinthiens et

que jusqursquoagrave un passeacute tregraves reacutecent dans les zones rurales drsquoEurope occidentale les femmes catholiques

utilisaient des laquo foulards de tecircte raquo pour se rendre agrave la messe) plusieurs imams contestent ce dogme

et considegraverent qursquoil nrsquoest pas lrsquoexpression drsquoune foi religieuse mais plutocirct la relique drsquoune ideacuteologie

patriarcale et radicalement conservatrice (Bencheikh 1999) Deuxiegravemement cette querelle a donneacute

lieu agrave la promulgation de la Loi ndeg 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du

visage dans lrsquoespace public une norme qui a eacuteteacute discuteacutee et promulgueacutee non pas dans le cadre de la

protection du principe de laiumlciteacute de lrsquoEacutetat mais plutocirct dans celui du principe de deacutefense de lrsquoordre

public comme le deacutemontrent les transcriptions des auditions et comptes-rendus de la Mission

drsquoinformation sur la pratique du port du voile inteacutegral sur le territoire national qui ont alimenteacute les

travaux preacuteliminaires agrave la preacutesentation du projet de loi agrave lrsquoAssembleacutee Nationale (Loi ndeg 2010-1192

AN-MIPPVI 2009)

118

Aux Eacutetats-Unis comme en France le deacutebat sur lrsquoeacuteducation multiculturelle a

eacuteteacute polariseacute entre ceux qui procircnent un pluralisme laquo agrave outrance raquo une diffeacuterenciation

des curricula et la mise en place de reacuteseaux scolaires distincts agrave destination des

diffeacuterents publics drsquoeacutelegraveves (agrave partir de critegraveres ethniques ou religieux) et ceux qui

procircnent une option laquo inteacutegratrice raquo qui de maniegravere dialogique permettrait la prise

en compte des diffeacuterences culturelles dans le cadre drsquoune eacutecole commune et drsquoun

curriculum unitaire

Les positions laquo pluralistes raquo ont eacuteteacute laquo refroidies raquo par les reacutesultats de

certaines enquecirctes (comme celles de John Ogbu reacutealiseacutees au lendemain des arrecircteacutes

Yoder et Bakke) qui ont deacutemontreacute que la mise en place de dispositifs de

diffeacuterentiation ou de discrimination positive nrsquoavaient statistiquement pas drsquoeffet

sur les taux de reacuteussite scolaire des minoriteacutes (Ogbu 1978) Selon Ogbu (1990 et

1992) ces mesures ont un impact tregraves limiteacute sur celles qui constituent les

principales contraintes agrave une vraie inteacutegration agrave savoir le fait que les enfants des

minoriteacutes aient tendance agrave deacutevelopper un systegraveme culturel propre et ambivalent

(dans lequel la culture heacutegeacutemonique est agrave la fois source de frustration et force

drsquoattraction) qursquoils aient une mauvaise opinion de la reacuteussite scolaire (qursquoils

considegraverent incompatible avec la reacuteussite sociale) et que finalement ils manquent

de confiance dans le groupe dominant Les positions inteacutegratrices de leur cocircteacute ont

tendance agrave ideacutealiser les opportuniteacutes offertes par la laquo paix curriculaire raquo sans

prendre en compte le fait que cette neacutegociation entre les parties exigerait une

laquo neutralisation raquo des contenus tout en risquant drsquoappauvrir ou drsquoeacutemietter certains

savoirs au nom du laquo multiculturel raquo (Forquin 2005)

119

Pour eacuteviter cette dangereuse souplesse seacutemantique de la notion de

multiculturalisme certains auteurs preacutefegraverent utiliser celle drsquointerculturaliteacute qui

privileacutegie la dimension de reacuteciprociteacute entre les cultures et qui exclue les

laquo differentialismes raquo propres aux visions pluralistes et inteacutegrationnistes

mentionneacutees ci-dessus (Ouellet 1991 Abdallah-Pretceille 1999) Lrsquoapproche

interculturelle peut donc ecirctre interpreacuteteacutee comme une variante ouverte et

interactive du multiculturalisme (Forquin 1989)

Au-delagrave de la dispute terminologique il est essentiel de comprendre que le

contact entre diffeacuterentes cultures au sein drsquoun mecircme contexte eacutetatique est une

histoire antique et que la question autour de la gestion du contact ndash et des frictions

ndash entre ces identiteacutes reste encore irreacutesolue Quel est donc la place que les cultures

laquo autres raquo doivent occuper dans lrsquoaregravene sociale Et comment geacuterer les

revendications identitaires que chaque groupe humain peut invoquer au nom du

multiculturalisme ou de lrsquointerculturaliteacute

62 Des cateacutegories dynamiques pour penser la culture

Depuis la nuit des temps diffeacuterents groupes humains porteurs de cultures

propres et speacutecifiques sont rentreacutes en contact et ont interagi parfois de faccedilon

pacifique drsquoautres fois de maniegravere conflictuelle Drsquoun point de vue anthropologique

tout contact exige un eacutechange (drsquoinformations de biens drsquoeacutemotions) et se deacutetermine

agrave partir des rapports de force qui eacutetablissent les rocircles assigneacutes agrave chacune des parties

120

En sciences sociales il existe plusieurs notions pour deacutecrire le contact

culturel agrave partir des relations de pouvoir qui lrsquoont provoqueacute Pour deacutecrire la

situation des peuples autochtones inteacutegreacutes de greacute ou de force dans les systegravemes

eacutetatiques des anciens empires coloniaux il y en a au moins quatre que je considegravere

fondamentales lrsquoacculturation lrsquohybridation la transfiguration ethnique et le

cumul drsquoidentiteacutes Le terme laquo acculturation raquo a commenceacute agrave faire partie du

vocabulaire sociologique et anthropologique vers la fin du XIXegraveme siegravecle pour deacutecrire

les transformations culturelles drsquoorigine exogegravene En 1936 Robert Redfield Ralph

Linton et Melville Herskovits ont reacutedigeacute un meacutemorandum pour lrsquoeacutetude de

lrsquoacculturation qui a eacuteteacute publieacute dans la revue American Anthropologist et qui

contenait une deacutefinition deacutesormais devenue classique selon laquelle

laquo lrsquoacculturation comprend les pheacutenomegravenes qui reacutesultent du

contact direct et continu entre des groupes drsquoindividus de culture

diffeacuterente avec des changements subseacutequents dans les types culturels

originaux de lrsquoun ou des deux groupes raquo (Redfield et al 1936 140)

Herskovits soucieux de distinguer les pheacutenomegravenes drsquoacculturation de ceux

de diffusion culturelle80 preacutecisait que laquo la diffusion est lrsquoeacutetude de la transmission

80 Lrsquoapproche diffusionniste part du principe que si deux traits culturels sont similaires dans deux

groupes diffeacuterents lrsquoexplication repose sur les emprunts Lrsquoobjectif du chercheur est donc de repeacuterer

les laquo aires culturelles raquo de diffusion et de retracer dans les limites du possible les parcours que ces

traits ont pu emprunter (Geacuteraud 2000)

121

culturelle accomplie tandis que lrsquoacculturation est lrsquoeacutetude de la transmission

culturelle en cours raquo (Herskovits 1948 218) De son cocircteacute Roger Bastide (1948) la

consideacuterait comme une laquo interpeacuteneacutetration des civilisations raquo qui peut se reacutealiser de

maniegravere spontaneacutee ndash quand les groupes en contact choisissent librement les

moments les lieux et les modaliteacutes des relations ndash forceacutee ndash quand elle est imposeacutee

par un groupe dominant gracircce agrave la force des armes ndash ou planifieacutee ndash quand elle est

controcircleacutee par des forces heacutegeacutemoniques cherchant agrave construire laquo drsquoen haut raquo une

culture nationale ou un marcheacute eacuteconomique sans devoir neacutecessairement faire appel

agrave la violence physique ndash et qui dans des cas extrecircmes peut conduire agrave lrsquoassimilation

drsquoun groupe par un autre

Le processus drsquoacculturation nrsquoest pas absolu et se reacutealise au travers drsquoun

travail de seacutelection et de reacuteinterpreacutetation Georges Balandier (1955 et 1971) dans

ses travaux sur les dynamiques sociales en Afrique postcoloniale a deacutemontreacute que la

colonisation nrsquoa pas reacuteussi agrave imposer la totaliteacute de ses principes culturels aux

peuples africains et que ces derniers ont opeacutereacute des choix pour deacuteterminer les

emprunts agrave inteacutegrer tout en tenant compte de certaines compatibiliteacutes ou

incompatibiliteacutes avec la culture preacuteexistante Selon Balandier si le degreacute de

compatibiliteacute est faible on aura un reacutesultat laquo additif raquo ougrave le trait emprunteacute

coexistera avec le preacuteexistant dans le cas contraire on aura un reacutesultat

laquo substitutif raquo le trait emprunteacute prenant la place du preacuteexistant Par ailleurs les

emprunts peuvent entraicircner des modifications dans les systegravemes symboliques des

groupes concerneacutes et laquo drsquoanciennes significations sont attribueacutees agrave des eacuteleacutements

nouveaux raquo ou laquo des nouvelles valeurs changent la signification culturelle des

122

formes anciennes raquo (Herskovits 1948 248) Cela donne alors lieu agrave une

reacuteinterpreacutetation le principe agrave la base des pheacutenomegravenes syncreacutetiques81 et des

hybridations

Ce dernier concept est issu du vocabulaire biologique ougrave il est employeacute pour

indiquer le croisement entre deux individus de taxons diffeacuterents Il a eacuteteacute populariseacute

par Neacutestor Garciacutea Canclini qui lrsquoa deacutefini comme un pheacutenomegravene qui laquo se mateacuterialise

dans des scenarios multi-deacutetermineacutes dans lesquels des systegravemes diffeacuterents

srsquoentrecoupent et srsquointerpeacutenegravetrent raquo (Garciacutea Canclini 1989 2) Selon

lrsquoanthropologue argentin ces systegravemes sont laquo le traditionnel raquo laquo le moderne raquo laquo le

cultiveacute raquo laquo le populaire raquo et laquo le massif raquo Dans les contextes postcoloniaux

lrsquohybridation de ces cateacutegories de lrsquoesprit social a creacuteeacute ndash et continue agrave creacuteer ndash des

interpreacutetations toujours nouvelles et impreacutevisibles de la reacutealiteacute sensible et des

productions culturelles qui srsquoexpliquent seulement agrave partir drsquoun meacutelange dans

lequel il est difficile et parfois impossible de deacuteterminer le laquo poids raquo de chaque

composante Cependant bien que cet apport theacuteorique preacutesente lrsquoavantage de

maintenir actuelle la question du multiculturalisme (qui est selon Garciacutea Canclini

81 Il srsquoagit de la deacutefinition qursquoon donne en anthropologie aux pheacutenomegravenes de recomposition creacuteative

dans le domaine religieux comme ceux qursquoa observeacutes Balandier au Gabon ou Bastide au Breacutesil

(Balandier 1955 Bastide 1958 et 1960) Un cas similaire est celui des mouvements messianiques

tels les cultes du cargo en Meacutelaneacutesie qui se sont deacuteveloppeacutes en inteacutegrant et en adaptant aux reacutealiteacutes

religieuses locales certains eacuteleacutements formels de la religion des colonisateurs (Lanternari 1960

Kilani 1983)

123

une forme drsquohybridation) il nrsquoempecircche qursquoil reste une conceptualisation plutocirct

abstraite selon laquelle en fin de compte toutes les cultures sortiraient gagnantes

Une vision moins optimiste est celle de Darcy Ribeiro (1971) ethnologue

breacutesilien qui a consacreacute toute sa vie agrave lrsquoeacutetude des communauteacutes ameacuterindiennes de

lrsquoAmazonie Selon Ribeiro les peuples tribaux sont inteacutegreacutes aux eacutetats nationaux en

suivant un processus de transfiguration ethnique qui les oblige agrave alteacuterer ndash plus ou

moins violemment ndash leur substrat biologique leur culture et leur forme de relation

avec la socieacuteteacute dominante afin de reacutepondre aux attentes neacutecessaires agrave leur

persistance en tant qursquoentiteacutes ethniques Ainsi dans le meilleur des cas lrsquoidentiteacute

ethnique survivra mais sans ecirctre neacutecessairement accompagneacutee du substrat

biologique et culturel qui la caracteacuterisait avant le contact avec la socieacuteteacute dominante

En revanche dans le pire des cas si elle ne parvient pas agrave remplir certaines

exigences laquo politiques raquo ndash comme lrsquoacceptation drsquoecirctre inteacutegreacutee agrave la socieacuteteacute

dominante dans une position de subordination ndash elle sera voueacutee agrave disparaicirctre

Une derniegravere option reste celle de lrsquoidentiteacute cumulative proposeacutee par Bruno

Saura (1998 2008 et 2012a) dans ses analyses sur lrsquoidentiteacute polyneacutesienne Il srsquoagit

drsquoun modegravele explicatif qui permet de comprendre comment dans certains contextes

drsquoacculturation planifieacutee les identiteacutes ethniques et nationales peuvent coexister et

se juxtaposer lrsquoune lrsquoautre82 agrave partir drsquoun laquo amoindrissement relatif des clivages

82 Et ce au point de permettre un chevauchement de diffeacuterentes repreacutesentations de la mecircme identiteacute

ndash ethnique ou autochtone ndash agrave laquelle srsquoajoute lrsquoidentiteacute du pays colonisateur En Polyneacutesie par

exemple une identiteacute ethnique mārsquoohi (qui se veut laquo de souche raquo) peut coexister avec une identiteacute

124

identitaires raquo favoriseacute par lrsquoincorporation des modes de vie de la socieacuteteacute dominante

par les moyens de communication globale et par les processus drsquointeacutegration scolaire

capables de former des citoyens de la nation (Saura 1998 7) Ce modegravele srsquoapplique

en effet agrave ces reacutealiteacutes coloniales ou postcoloniales ndash celles des peuples ou des Eacutetats

coloniseacutes ou anciennement coloniseacutes dans lesquelles on assiste agrave un processus

drsquoeacutemancipation identitaire et politique ndash ougrave les membres drsquoun groupe qui se

considegravere ethnique ndash et donc objectivement diffegraverent du groupe dominant les

laquo colonisateurs raquo mais aussi des autres groupes ethniques qui se sont installeacutes sur

laquo son raquo territoire ndash emploient une identiteacute ou lrsquoautre selon les exigences imposeacutees

par le contexte afin de laquo profiter raquo drsquoune certaine maniegravere des avantages que

chaque identiteacute peut leur octroyer De son cocircteacute lrsquoidentiteacute ethnique permet

lrsquointeacutegration agrave une communauteacute de personnes avec lesquelles on entretient des liens

drsquoaffiniteacute laquo culturelle raquo (baseacutes sur la parenteacute les eacutemotions ou les sentiments) la

participation agrave certains moments de partage (des fecirctes des rituels ou des

ceacutereacutemonies) et lrsquoeacutechange de certains biens et savoirs dans un contexte local selon

des normes sociales laquo traditionnelles raquo qui sont perccedilues comme naturelles Drsquoun

autre cocircteacute lrsquoidentiteacute citoyenne qui est le reacutesultat de lrsquoassimilation juridique agrave un Eacutetat

national permet drsquoacceacuteder agrave certains droits (celui de voter ou de se preacutesenter

comme candidat aux eacutelections celui drsquoouvrir une entreprise) drsquoobtenir certains

documents consideacutereacutes essentiels (un passeport pour voyager un permis de

conduire) ou de demander des aides financiegraveres speacutecifiques (une bourse drsquoeacutetude

polyneacutesienne (qui nrsquoa pas la mecircme charge revendicative et qui peut inclure les personnes drsquoorigine

eacutetrangegravere neacutees en Polyneacutesie) et franccedilaise (Saura 2008)

125

une allocation chocircmage un precirct bancaire)83 Il srsquoagit de reacutealiteacutes locales ougrave les

formulations identitaires (ethniques politiques ou religieuses) srsquoentremecirclent et

forment un continuum culturel dans lequel il devient parfois difficile drsquoidentifier

certaines diffeacuterences Crsquoest lagrave une ideacutee que semble confirmer Bruno Saura quand il

affirme que laquo [d]rsquoailleurs le discours sur lrsquoidentiteacute nrsquoest pas uniquement un discours

sur la diffeacuterence ou un discours qui divise mecircme srsquoil court toujours le risque drsquoecirctre

perccedilu comme tel raquo (Saura 2008 7)

Le reacutesultat des processus drsquoacculturation nrsquoest donc jamais preacutevisible Il srsquoagit

drsquointeractions dynamiques qui deacutependent de trois variables majeures les rapports

de force qui encadrent les relations entre deux ou plusieurs groupes humains les

structures de gestion du pouvoir dans les mecircmes groupes et le paysage socio-

environnemental (crsquoest-agrave-dire les ressources naturelles et les critegraveres pour y

acceacuteder et les utiliser) Comme nous lrsquoavons vu elles peuvent conduire selon les cas

agrave une assimilation complegravete agrave lrsquoeacutelimination du groupe minoritaire ndash on parlera alors

drsquoethnocide84 ndash ou finalement agrave une incorporation partielle drsquoun groupe dans

83 Bertrand Troadec a analyseacute cette mecircme identiteacute cumulative chez les laquo Demis raquo Tahitiens agrave partir

drsquoune approche strictement psychologique mais en arrivant aux mecircmes conclusions (1992)

84 Pendant longtemps cette notion a eacuteteacute utiliseacutee par les historiens comme synonyme du mot geacutenocide

(Clastres 1974) Agrave partir des anneacutees 1960 en parallegravele agrave la vague de deacutecolonisation qui a permis agrave

plusieurs anciennes colonies des Empires occidentaux drsquoacceacuteder agrave lrsquoIndeacutependance elle sera

introduite dans le vocabulaire de lrsquoanthropologie militante pour deacutefinir la destruction violente drsquoun

groupe ethnique ainsi que les politiques de laquo deacutecivilisation raquo mises en œuvre par certains

gouvernements afin drsquoeacuteliminer toute diffeacuterence culturelle (Jaulin 1970 1972 et 1974)

126

lrsquoautre Dans ce dernier cas les cateacutegories de transfiguration ethnique et de

cumulation drsquoidentiteacutes interviennent pour deacutefinir le degreacute et les modaliteacutes

drsquointeacutegration des traits culturels laquo autres raquo

Je peux conclure cette premiegravere partie qui je le rappelle eacutetait deacutedieacutee agrave

accompagner le lecteur dans le labyrinthe des notions concepts et cateacutegories

analytiques qui sont couramment utiliseacutes dans les eacutetudes anthropologiques sur les

peuples autochtones agrave montrer la charge laquo politique raquo qursquoimplique leur utilisation

et agrave les adapter au sujet drsquoeacutetude que nous appreacutehendons ici lrsquoeacuteducation domestique

et les interactions familiales visant agrave transmettre des donneacutees culturelles Dans la

partie suivante je vais exposer les reacutesultats de mon travail ethnographique et

soumettre ces notions concepts et cateacutegories analyseacutes ici agrave laquo lrsquoeacutepreuve du terrain raquo

en veacuterifiant leur validiteacute anthropologique

127

Synthegravese de la premiegravere partie

Bien que lrsquoanthropologie culturelle et sociale ait souvent deacutelaisseacute lrsquoanalyse

scientifique des interactions eacuteducatives perccedilues a priori comme des sujets drsquoeacutetude

sur lesquels drsquoautres disciplines ndash comme les sciences de lrsquoeacuteducation la

psychopeacutedagogie ou la psychologie cognitive ndash exerccedilaient deacutejagrave une compeacutetence

exclusive les recherches meneacutees dans le domaine de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation

ont permis de deacutevoiler certaines dynamiques sociales en rapport avec la

transmission des donneacutees culturelles qui ont remis en question de nombreux

principes sur lesquels la laquo culture raquo occidentale a fondeacute sa vision de lrsquoeacuteducation

Cependant le processus eacuteducatif qui met en contact dans sa configuration la plus

eacuteleacutementaire au moins un eacuteducateur et un eacuteduqueacute ne se reacutesume pas au simple acte

de laquo cultiver le savoir raquo ni agrave la simple relation verticale entre un laquo maicirctre raquo et un

laquo disciple raquo De fait premiegraverement le processus est par deacutefinition dynamique et il

deacutepend de certains facteurs contingents et lieacutes au contexte social et naturel qui

encadre lrsquoacte eacuteducatif Deuxiegravemement quand les revendications identitaires

rentrent en jeu il est largement tributaire des limites imposeacutees et des opportuniteacutes

offertes par le contact culturel

Dans le contexte global actuel qui impose aux identiteacutes autochtones

produites par les politiques coloniales de choisir entre lrsquoassimilation pure et simple

lrsquoadaptation culturelle ou la disparition il devient essentiel de comprendre les

enjeux lieacutes aux processus de transmission de la culture dans les communauteacutes qui

128

revendiquent une laquo alteacuteriteacute raquo et qui ne srsquoidentifient pas au patrimoine culturel

national qui est au bout du compte lrsquoexpression imposeacutee laquo drsquoen haut raquo de lrsquoidentiteacute

du groupe dominant Les deacutebats qui ont animeacute la reacuteflexion sur les exigences

imposeacutees par la reacutealiteacute multiculturelle et sur les possibiliteacutes drsquoune interculturaliteacute

qui reste jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle une pieuse utopie nous montrent que lrsquoideacutee drsquoune

civilisation occidentale ndash baseacutee sur un laquo socle culturel commun raquo que tous ses

membres devraient partager ndash est et restera une ideacuteologie discriminante violente

et sans avenir

129

DEUXIEME PARTIE SUR LE TERRAIN INTERACTIONS ET IDEOLOGIES

EDUCATIVES CHEZ LES WAYANA-APALAIuml ET LES ENATA AUTOCHTONES DE

LA REPUBLIQUE

130

Introduction agrave la deuxiegraveme partie

Dans un texte tregraves critique vis-agrave-vis du processus de bureaucratisation de la

recherche en eacuteducation et en sciences sociales Yves Lenoir ndash paraphrasant Jacky

Beillerot (1989) ndash nous rappelle agrave quel point le terme laquo recherche raquo perd de son sens

degraves lors qursquoil nrsquoest deacutefini que comme un simple laquo effort pour trouver un objet une

information ou une connaissance raquo (Lenoir 1996 207) Comme jrsquoai essayeacute de le

montrer dans la premiegravere partie de cette thegravese la recherche en anthropologie de

lrsquoeacuteducation degraves ses origines a enrichi ce principe de base agrave caractegravere

laquo exploratoire raquo avec une perspective laquo multidimensionnelle raquo en analysant des

reacutealiteacutes autres que la seule eacuteducation afin drsquoameacuteliorer certaines pratiques dans les

milieux familiaux et scolaires Cette approche opeacuterationnelle de la recherche se base

donc sur une pratique discursive qui donne la parole aux laquo sujets drsquoeacutetude raquo pour que

lrsquoexpeacuterience de ces derniers puisse reacuteorienter certaines conduites laquo modernes raquo

consideacutereacutees comme naturelles ou axiomatiques mais qui en reacutealiteacute ont eacutemergeacute

dans un contexte social et au sein drsquoun processus historique speacutecifiques (comme la

laquo moderniteacute raquo industrielle ou la postmoderniteacute) En ce sens ces pratiques ne

peuvent preacutetendre agrave lrsquouniversaliteacute puisqursquoelles sont eacutetroitement deacutependantes du

contexte dans lequel elles se manifestent

Apregraves avoir discuteacute de la porteacutee des termes des notions et des concepts qui

encadrent mon hypothegravese de travail ndash selon laquelle lrsquoeacuteducation des peuples

autochtones inteacutegreacutes aux Eacutetats devrait ecirctre interpreacuteteacutee en tant que processus de

131

transmission de donneacutees culturelles lieacutees agrave un paysage naturel et social deacutetermineacute

encadreacute par une dynamique laquo historique raquo postcoloniale et soumis aux impeacuteratifs

imposeacutes par lrsquoeacuteconomie de marcheacute ndash je vais consacrer cette deuxiegraveme partie aux

reacutesultats de mon travail de terrain En observant le laquo fait eacuteducatif raquo chez deux

groupes autochtones de lrsquoOutre-mer franccedilais jrsquoai chercheacute agrave deacutecrire les pratiques

eacuteducatives informelles (ou domestiques) qui guident la vie quotidienne des

communauteacutes en question et qui agrave de rares exceptions pregraves sont peu connues des

responsables administratifs et des organismes publics chargeacutes de lrsquoeacuteducation dans

les territoires concerneacutes Cette perspective laquo descriptive raquo srsquoappuie sur la volonteacute de

redeacutefinir ces pratiques laquo locales raquo dans une perspective laquo globale raquo en les

envisageant comme des dynamiques adaptatives creacuteatives ou transfiguratrices

toujours en relation avec les transformations imposeacutees par les politiques nationales

drsquointeacutegration sociale ndash citoyenne et scolaire ndash et eacuteconomique

Certaines approches theacuteoriques que jrsquoai abordeacutees dans la premiegravere partie

nous offrent un cadre analytique objectif ndash veacuterifiable et baseacute sur une expeacuterience

sensible ndash pour comprendre le fait eacuteducatif en tant qursquointeraction agrave la fois eacuteducative

et acculturatrice et pour eacutetablir un protocole drsquoobservation visant agrave laquo mesurer raquo

certaines variables qui sont fonction du deacuteveloppement de lrsquointeraction elle-mecircme

Agrave partir de la theacuteorie drsquoUri Bronfenbrenner (1986 1995 et 2005) et de ses collegravegues

(Bronfenbrenner amp Ceci 1994 Bronfenbrenner amp Morris 1998) selon laquelle la

transmission des donneacutees culturelles se reacutealise agrave lrsquointeacuterieur drsquoun eacutecosystegraveme je me

suis drsquoabord fixeacute pour objectif de comprendre les systegravemes ndash aux niveaux micro

meacuteso exo et macro ndash qui agissent sur la socialisation des enfants dans les contextes

132

geacuteographiques de la preacutesente eacutetude En deuxiegraveme lieu partant du fait que toute

situation eacuteducative est lieacutee comme le preacutetend Gaston Mialaret (1976) agrave cinq

facteurs essentiels ndash qui sont je le rappelle les contenus les meacutethodes ou les

strateacutegies mises en place pour transmettre le message les techniques et les outils

neacutecessaires pour laquo communiquer raquo les contenus les rapports qui lient lrsquoeacuteducateur et

lrsquoeacuteduqueacute et finalement lrsquoenvironnement dans lequel se reacutealise lrsquoaction eacuteducative ndash

il me semble opportun de deacutecrire le rocircle de chacun drsquoentre eux dans les

performances eacuteducatives observeacutees Troisiegravemement en tenant compte de lrsquoapport

des travaux de Meldford et Audrey Spiro (1958) de Catherine Snow et de ses

collaborateurs (1979) et de Robert LeVine et Karin Norman (2001) qui considegraverent

lrsquoideacuteologie eacuteducative agrave la fois comme un moteur qui agit sur les performances des

eacuteducateurs et comme un meacutecanisme de seacutelection qui lors du processus eacuteducatif

srsquoapproprie certains laquo symboles raquo au deacutepend drsquoautres jrsquoai recueilli et analyseacute les

teacutemoignages des adultes des familles observeacutees afin de deacutecrire les repreacutesentations

mentales qui les poussent agrave agir drsquoune certaine maniegravere avec leurs enfants et de

comprendre lrsquoinfluence de lrsquoideacuteologie parentale ainsi que sa relation avec certaines

variables externes (comme la question de la citoyenneteacute ou les ambitions lieacutees agrave la

reacuteussite scolaire et professionnelle) qui peuvent en modifier les principes et les

prioriteacutes

Cette deuxiegraveme partie se compose donc de six chapitres Dans le premier je

vais deacutecrire le protocole de recherche retenu pour reacutepondre au mieux aux objectifs

speacutecifiques neacutecessaires agrave la veacuterification de mon hypothegravese de deacutepart Le deuxiegraveme

chapitre vise agrave deacutecrire les deux contextes drsquoeacutetude agrave partir drsquoune analyse critique des

133

travaux disponibles notamment ceux relevant de lrsquoethnologie de lrsquoethnohistoire de

lrsquohistoire et de la geacuteopolitique Dans le troisiegraveme chapitre je mrsquoattacherai agrave deacutefinir

les eacutecosystegravemes sociaux des communauteacutes eacutetudieacutees dans le but de comprendre

laquo qui eacuteduque qui raquo ainsi que les relations eacutetablies entre les parents et les autres

acteurs sociaux impliqueacutes dans lrsquoeacuteducation des enfants Le quatriegraveme est consacreacute agrave

lrsquoanalyse des interactions eacuteducatives proprement dites agrave partir des reacutesultats

obtenus gracircce agrave un protocole de recherche expeacuterimental permettant de deacutecrire non

seulement les facteurs de base de la dynamique eacuteducative ndash les messages les

meacutethodes les outils lrsquoenvironnement et les relations entre eacuteducateur et eacuteduqueacute ndash

mais aussi leur laquo intensiteacute raquo Le cinquiegraveme chapitre portera sur les ideacuteologies

eacuteducatives des parents avec lesquels jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de travailler afin de

comprendre comment ces derniers interpregravetent leurs comportements et quelles

sont les valeurs qursquoils associent agrave leurs responsabiliteacutes en tant qursquoeacuteducateurs Le

dernier chapitre qui conclura cette deuxiegraveme partie reacutesumera les reacutesultats

preacutesenteacutes dans les chapitres preacuteceacutedents pour deacutefinir les eacuteleacutements susceptibles

drsquoecirctre discuteacutes dans la troisiegraveme partie

134

7 Meacutethodologie du recueil drsquoinformations

Toujours agrave la recherche de nouvelles laquo sources raquo inexploiteacutees et capables de

deacutevoiler des faits des situations ou des pheacutenomegravenes inconnus les anthropologues

tout comme les sociologues ou les psychologues sont agrave la recherche drsquolaquo objets

drsquoeacutetude raquo humains qursquoils transforment ipso facto en laquo documents raquo qui offrent une

laquo autoriteacute scientifique raquo au reacutecit ethnographique et qui transforment lrsquoinconnu en

deacutecouverte Cependant les mille et une variables qui agissent sur le comportement

humain rendent difficile ce processus qui transforme lrsquoobservation en document un

processus qui risque souvent de reacuteifier les donneacutees recueillies pour construire laquo des

cateacutegories qui figent des classements des typologies qui constituent parfois des

fausses synthegraveses raquo (Augeacute 1987 732)

Bien que cette thegravese nrsquoait pas vocation agrave creacuteer des typologies il est difficile de

reacutesister agrave la tentation de systeacutematiser les donneacutees obtenues en fonction de certaines

cateacutegories qui deacutependent non pas de ma deacutemarche anthropologique mais plutocirct et

surtout de mon veacutecu de mon expeacuterience personnelle et ndash inutile de le cacher ndash de

mon ideacuteologie85 Loin donc de viser la neutraliteacute il srsquoagit en reacutealiteacute drsquoun effort qui se

85 James Clifford (1988) a deacutejagrave souligneacute que le travail ethnographique consiste en un effort

dialectique ndash qui relegraveve de la subjectiviteacute de lrsquoethnographe ndash entre lrsquoexpeacuterience et lrsquointerpreacutetation

dans laquelle laquo lrsquoautoriteacute expeacuterientielle raquo se base sur lrsquoacquisition drsquoune sensibiliteacute empathique et

intuitive qui permet de deacutechiffrer le laquo style culturel raquo drsquoun peuple laquo Lrsquoautoriteacute interpreacutetative raquo se

construit agrave partir de la transformation de lrsquoexpeacuterience en reacutecit un processus qui permettra agrave son

135

veut objectif et qui pour atteindre certains reacutesultats se base sur un ensemble de

meacutethodes et de strateacutegies visant agrave laquo produire raquo des donneacutees mesurables et

comparables Pour deacutefinir une meacutethodologie de travail reacutepondant agrave ces attentes je

me suis donc poseacute trois questions geacuteneacuterales comment eacutetudier lrsquoeacuteducation

informelle chez les autochtones de la Reacutepublique sans ecirctre totalement pris dans le

piegravege de lrsquoobservation subjective du fait eacuteducatif Comment donner une valeur

scientifique agrave des pheacutenomegravenes qui au-delagrave de mon teacutemoignage seront difficilement

veacuterifiables Finalement comment rendre compte dans lrsquoespace offert par une

monographie ethnographique de la varieacuteteacute des situations qui mrsquoont permis

drsquoarriver agrave certaines conclusions

71 Le terrain et lrsquounivers drsquoeacutetude

Avant de deacutetailler les trois meacutethodes de recueil de donneacutees qui constituent le

cœur de mon approche je me dois drsquoexpliquer les raisons qui mrsquoont pousseacute agrave choisir

un laquo univers drsquoeacutetude raquo plutocirct qursquoun autre En tenant compte de la deacutefinition de

lrsquoautochtonie que jrsquoai proposeacutee dans la premiegravere partie de cette thegravese ndash en tant

qursquoexpression drsquoune identiteacute collective qui deacutecrit un groupe humain revendiquant

une culture et un territoire partageacutes et qui base ses revendications sur le fait qursquoil

auteur de valoriser seacutelectionner ou exclure certaines donneacutees en fonction de son interpreacutetation de

lrsquoexpeacuterience de terrain Marilyn Strathern (1987) adopte une position similaire mais encore plus

radicale selon laquelle lrsquoautoriteacute anthropologique est absolument subjective puisqursquoelle deacutepend en

premier lieu de la capaciteacute persuasive de lrsquoanthropologue et de son habiliteacute agrave transformer dans le

reacutecit ethnographique une expeacuterience individuelle en reacutealiteacute universelle

136

habite ab origine le territoire en question ndash le panorama social franccedilais mrsquooffrait un

certain nombre de communauteacutes qui se perccediloivent comme autochtones et qui

revendiquent certains droits ou formes drsquoautonomie il suffit de penser par

exemple aux expressions de lrsquoautochtonie qui se manifestent entre certains Bretons

Basques ou Corses Cependant mon inteacuterecirct portait surtout sur lrsquoautochtonie dans

des contextes reacutesultants de la politique coloniale ce qui reacuteduisait mon choix agrave

lrsquoOutre-mer franccedilais Suite agrave la reacutevision constitutionnelle du 28 mars 2003 il existe

deux cateacutegories juridiques principales pour deacutefinir les territoires laquo non

meacutetropolitains raquo de la Reacutepublique86 les deacutepartements et reacutegions drsquoOutre-mer

(DROM) et les collectiviteacutes drsquoOutre-mer (COM) Les premiers sont reacutegis par lrsquoarticle

73 de la Constitution qui preacutevoit que laquo [l]es lois et regraveglements [de la Reacutepublique y]

sont applicables de plein droit raquo mais en raison des laquo caracteacuteristiques et contraintes

particuliegraveres raquo de ces territoires des adaptations sont possibles Les seconds sont

reacutegis par lrsquoarticle 74 de la Constitution qui fixe leurs statuts par une loi organique

deacutefinissant notamment laquo les conditions dans lesquelles les lois et regraveglements y sont

applicables raquo

Srsquoagissant drsquoune eacutetude exploratoire il mrsquoa sembleacute particuliegraverement

inteacuteressant drsquoobserver les deux reacutealiteacutes afin drsquoeacutevaluer si le statut administratif de

DROM et de COM a un effet sur la reacutealiteacute laquo postcoloniale raquo des contextes eacutetudieacutes Jrsquoai

86 En reacutealiteacute il existe une troisiegraveme cateacutegorie celle de la Nouvelle-Caleacutedonie qui jouit du statut

speacutecifique de collectiviteacute sui generis et qui est reacutegie par des dispositions speacutecifiques de la

Constitution agrave savoir les articles 76 et 77

137

donc choisi de reacutealiser une partie de mes observations avec une communauteacute

autochtone eacutetablie dans un DROM et une autre partie avec une communauteacute

reacutesidant dans une COM Je me suis alors pencheacute sur un DROM et une COM ayant une

charge symbolique qui agrave mon avis est majeure la Guyane et la Polyneacutesie deux

contextes agrave la fois laquo extrecircmes raquo et constitutifs de lrsquoimaginaire national Comme je lrsquoai

preacuteciseacute dans la premiegravere partie drsquoun cocircteacute se trouve la forecirct amazonienne souvent

deacutecrite comme un enfer vert et comme lrsquoantithegravese de la civilisation87 et de lrsquoautre

il y a les icircles des Mers du Sud qui pour le sens commun apparaissent comme le

paradis bleu loin de tous les maux de la laquo moderniteacute raquo88 Finalement jrsquoai identifieacute

87 Il existe une abondante litteacuterature sur les mythes susciteacutes en Europe par la laquo deacutecouverte raquo de

lrsquoAmazonie et de ses habitants souvent agrave cause de lrsquoinfluence tendancieuse des Conquistadores ou

des missionnaires qui dans leurs reacutecits deacutecrivaient cette partie du globe comme un territoire peupleacute

drsquoecirctres sans humaniteacute La diffusion de cette image neacutegative doit beaucoup au soutien que lui ont offert

des penseurs tregraves influents comme Buffon (1749) ou Hegel (1822) mais aussi plus reacutecemment agrave

certains faits divers comme la disparition de lrsquoexplorateur Raymond Maufrais (1952) qui ont

contribueacute agrave la construction drsquoune image de laquo lrsquoAmazonie mangeuse drsquohommes raquo Les travaux de

Tzvetan Todorov (1982) Jean-Paul Duviols (1986) et Michel Le Bris et Pascal Dibie (2005)

constituent des synthegraveses remarquables sur le sujet

88 Aussi dans ce cas lrsquoideacutee du laquo paradis aux antipodes raquo date de lrsquoeacutepoque des premiers voyages des

explorateurs europeacuteens dans la reacutegion Leurs reacutecits ont contribueacute comme lrsquoa deacutemontreacute Eric Vibart

(1987) agrave diffuser cette interpreacutetation chez les intellectuels du siegravecle des Lumiegraveres De son cocircteacute

Bernard Rigo (1997) dans son analyse anthropologique et philosophique du discours occidental sur

lrsquoalteacuteriteacute polyneacutesienne a discuteacute la porteacutee historique de ce steacutereacuteotype socio-environnemental

associant la beauteacute des icircles agrave des habitants reacuteduits agrave des manifestations du bon sauvage (comme celui

imagineacute par Rousseau 1755) naiumlfs insouciants et irresponsables mais fondamentalement non

138

en Guyane et en Polyneacutesie les communauteacutes qui vivaient dans les sites les plus

isoleacutes lagrave ougrave lrsquoimpact des politiques nationales pouvaient ecirctre moindre sans en ecirctre

pour autant totalement absent et lagrave ougrave pouvait subsister une quelconque forme

drsquoeacuteconomie de subsistance (ce qui mrsquoaurait permis drsquoobserver entre autres

lrsquoimplication des enfants dans lrsquoeacuteconomie domestique et dans la production des

aliments) Le choix final a donc porteacute sur les Ameacuterindiens appartenant agrave lrsquoethnie

Wayana-Apalaiuml en Guyane et sur les Enata autochtones de lrsquoicircle de Hiva Oa dans

lrsquoarchipel des Marquises en Polyneacutesie (Figure 8)

laquo alteacutereacutes raquo par lrsquoinfluence neacutegative du progregraves Ce mythe a drsquoailleurs subjugueacute et fait fantasmer des

personnaliteacutes comme le peintre Paul Gauguin qui srsquoinstallera agrave Hiva Oa en 1901 et y mourra trois

ans plus tard (Laudon 1999) le navigateur Alain Gerbault qui fascineacute par les icircles Marquises leur

deacutediera plusieurs pages de son Icircles de beauteacute (Gerbault 1941) ou le chanteur et poegravete Jacques Brel

qui eacutecrira laquo geacutemir nrsquoest pas de mise aux Marquises raquo et qui demandera drsquoecirctre inhumeacute agrave Atuona pregraves

de la tombe de Gauguin (Brel 1977 Lecordier 2012)

139

Figure 8 Position de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise (Carte obtenue gracircce au service Google Maps Eacutelaboration de lrsquoauteur)

Une fois mes terrains drsquoeacutetude choisis jrsquoai eacutevalueacute la meilleure modaliteacute

possible pour reacutealiser le travail ethnographique Comme on peut lrsquoimaginer drsquoun

point de vue logistique comparer deux contextes qui se trouvent presque aux

antipodes impose des contraintes notables Jrsquoai donc choisi drsquoeacutetablir mon laquo quartier

geacuteneacuteral raquo dans le village drsquoAntecume pata dans la commune de Maripasoula en

Guyane qui est devenu pendant quatre ans laquo mon chez moi raquo Agrave partir de lagrave jrsquoai

reacutealiseacute une mission ethnographique agrave Hiva Oa de septembre 2014 agrave janvier 2015

Au total le travail de terrain a dureacute pregraves de cinq ans avec des interruptions drsquoun ou

deux mois par an au cours desquels jrsquoai pris mes distances quant aux contextes

drsquoeacutetude et reacutealiseacute des analyses avec des familles laquo teacutemoin raquo dans lrsquoHexagone afin de

140

pouvoir comparer certaines donneacutees et de mieux cerner le laquo deacutecalage raquo entre les

pratiques eacuteducatives domestiques des peuples autochtones et celles des familles

franccedilaises meacutetropolitaines

Jrsquoai limiteacute le champ de mon eacutetude aux familles reacutesidant dans les deux terrains

choisis et ayant au moins un enfant acircgeacute entre 2 et 7 ans (assumant donc le rocircle de

laquo lrsquoeacuteduqueacute raquo dans mes observations) Cette eacutetape correspond agrave la phase dite de

laquo petite enfance raquo et qui selon Jean Piaget est caracteacuteriseacutee par le deacuteveloppement

des capaciteacutes de repreacutesentation verbale89 et de socialisation de lrsquoaction par la

laquo genegravese de la penseacutee raquo ndash qui ne se limite plus agrave lrsquointelligence perceptive et motrice

typique de la tranche drsquoacircge preacuteceacutedente mais qui integravegre aussi les compeacutetences

susciteacutees par le langage et la socialisation ndash par lrsquointuition90 et finalement par le

deacuteveloppement des sentiments interindividuels (sympathies antipathies

respecthellip) et drsquoune vie affective proprement dite (Piaget 1940) Mon choix a eacuteteacute

motiveacute par le fait que cette peacuteriode soit consideacutereacutee comme la plus importante pour

la socialisation primaire De fait crsquoest au cours de cette phase que se forge la

personnaliteacute de lrsquoindividu que le laquo facteur eacuteducatif raquo a un impact visible sur le

deacuteveloppement de lrsquoenfant et que les familles mettent en œuvre ndash consciemment ou

89 Il srsquoagit de la capaciteacute drsquointeacuteriorisation de la parole laquo qui a pour supports le langage inteacuterieur et le

systegraveme des signes raquo et qui permet de laquo reconstituer sur le plan intuitif des images et des expeacuteriences

mentales raquo (Piaget 1940 30)

90 Jrsquoentends par laquo intuition raquo la capaciteacute agrave anticiper lrsquoeffet drsquoune action et agrave reconstituer des eacutetats

anteacuterieurs

141

pas ndash des dispositifs explicites de formation (Castra 2010)91 Mes observations ont

donc essentiellement pris en compte les interactions eacuteducatives des enfants de cette

tranche drsquoacircge sans pour autant mettre totalement de cocircteacute celles entre adultes et

nourrissons ou adolescents

Agrave cet effet dans chacun des deux terrains drsquoeacutetude jrsquoai observeacute dix enfants (les

laquo eacuteduqueacutes raquo) Chaque enfant a eacuteteacute observeacute pendant 48 heures Les observations ont

eacuteteacute reacutealiseacutees agrave deux occasions pendant 24 heures drsquoun jour ouvrable (quand

lrsquoenfant allait agrave lrsquoeacutecole) et pendant 24 heures drsquoun jour feacuterieacute (quand lrsquoenfant nrsquoallait

pas agrave lrsquoeacutecole)92 Jrsquoai drsquoabord reacutealiseacute un premier essai sur une eacutechelle reacuteduite avec

cinq familles wayana-apalaiuml agrave Antecume pata en 2011 afin de tester le protocole

Apregraves cette premiegravere mise au point une seacuterie drsquoobservations a eacuteteacute meneacutee agrave

91 Je tiens agrave souligner que la theacuteorie de Piaget nrsquoest pas universellement accepteacutee Plusieurs auteurs

ont critiqueacute la segmentation du deacuteveloppement psychosocial de lrsquoenfant en eacutetapes et drsquoautres

considegraverent que agrave un niveau geacuteneacuteral cette perspective est fondamentalement ethnocentrique

puisqursquoelle ne tient pas compte des formes de deacuteveloppement propres agrave drsquoautres cultures (Brainerd

1978 Siegel amp Brainerd 1978 Modgil amp Modgil 1982 Siegal 1991) Il srsquoagit toutefois de la theacuteorie

qui a eu le plus drsquoimpact sur les politiques eacuteducatives occidentales et qui a litteacuteralement laquo modeleacute raquo

lrsquoorganisation des cycles scolaires dans la plupart des pays industrialiseacutes y compris la France

(Fisher 1980) Une synthegravese des positions qui ont animeacute cette controverse a eacuteteacute reacutealiseacutee par Orlando

Lourenccedilo et Armando Machado (1996)

92 Les enfants ont eacuteteacute observeacute aussi pendant la nuit Une telle strateacutegie mrsquoa permis drsquoobserver

certaines interactions eacuteducatives nocturnes comme par exemple quand un membre de la famille

rassure lrsquoenfant qui a eu un cauchemar quand il lui chante une berceuse pour le rendormir ou quand

il lrsquoaccompagne au dehors de la maison pour lrsquoaider agrave satisfaire ses besoins physiologiques

142

Antecume pata entre janvier et juin 2014 et une autre agrave Hiva Oa entre novembre

2014 et janvier 2015 De juin agrave septembre 2014 jrsquoai eacutegalement reacutealiseacute des

observations en France meacutetropolitaine avec cinq familles de milieu urbain pour

pouvoir disposer drsquoun groupe teacutemoin (non autochtone et qui nrsquohabite pas en Outre-

mer)

Les critegraveres qui ont guideacute le choix des familles observeacutees dans le cadre de

cette eacutetude ont eacuteteacute les suivants

lrsquoa ge des enfants laquo e duque s raquo pour chaque terrain drsquoe tude jrsquoai

se lectionne deux familles ayant un enfant de 2 ou 3 ans quatre

familles ayant un enfant de 4 ou 5 ans et quatre familles ayant un

enfant de 6 ou 7 ans Pour la premie re batterie drsquoobservations mene e

a Antecume pata et pour celle mene e en France me tropolitaine jrsquoai

conserve les me mes proportions une famille ayant un enfant de 2 ou

3 ans deux familles ayant un enfant de 4 ou 5 ans et deux familles

ayant un enfant de 6 ou 7 ans

lrsquoa ge des parents qui devait e tre compris entre 25 et 35 ans

le sexe de lrsquoe duque pour chaque terrain drsquoe tude jrsquoai se lectionne cinq

familles dont lrsquoenfant e tait de sexe fe minin et cinq familles dont il e tait

de sexe masculin Pour la premie re batterie drsquoobservations mene es a

Antecume pata et pour celle mene e en France me tropolitaine jrsquoai

se lectionne deux familles dont lrsquoenfant e tait de sexe fe minin et trois

143

familles dont il e tait de sexe masculin93

la condition socioe conomique dans chaque terrain drsquoe tude ont e te

se lectionne es des familles ou lrsquoun de deux parents avait une activite

salarie e

le statut de lrsquoenfant observe qui e tait toujours le descendant naturel

biologique et non adopte

la condition de sante de lrsquoenfant qui nrsquoavait pas drsquohandicaps ni des

troubles cognitives

la repre sentation que les parents se faisaient de leur identite jrsquoai

choisi des parents qui revendiquaient selon le cas leur identite

wayana-apalaicirc marquisienne ou franccedilaise laquo me tropolitaine raquo94

la fratrie jrsquoai choisi des familles avec au moins trois enfants (lrsquoenfant

laquo sujet drsquoe tude raquo a partir duquel jrsquoai mesure les interactions et au

93 Cette relative surrepreacutesentation du sexe masculin srsquoexplique par des raisons pratiques lieacutees au

travail drsquoobservation En effet puisque chez les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata les filles passent la

majoriteacute de leur temps avec les membres feacuteminins de leur famille quand jrsquoai commenceacute mon travail

sur le terrain (en 2011) il mrsquoa eacuteteacute tregraves difficile de convaincre les parents agrave me laisser observer

pendant les 24 conseacutecutives preacutevue par mon protocole de recherche non seulement la fille qui aurait

eacuteteacute le laquo sujet drsquoeacutetude raquo mais aussi les autres femmes de la famille Pour ce qui concerne les

observations meneacutees en France meacutetropolitaine - qui devaient servir de laquo groupe teacutemoin raquo et qui

nrsquoavaient pas la preacutetention de creacuteer un univers de comparaison statistiquement significatif- jrsquoai

preacutefeacutereacute conserver cette mecircme proportion

94 Concernant les meacutetropolitains jrsquoai choisi des familles ougrave les deux parents eacutetaient neacutes et ont grandi

en France

144

moins deux fre res)

Le type de famille he te ro-parental

72 Lrsquoanalyse eacutecosysteacutemique agrave lrsquoeacutepreuve du terrain

Lrsquoapproche eacutecosysteacutemique se base sur le principe selon lequel le

deacuteveloppement de lrsquoindividu deacutepend de sa position au centre drsquoune seacuterie de

systegravemes concentriques ougrave ceux qui se situent dans la partie la plus externe exercent

une influence sur ceux qui sont plus agrave lrsquointeacuterieur Le premier niveau correspond aux

microsystegravemes soit les uniteacutes sociales eacuteleacutementaires avec lesquelles chaque individu

a une relation directe et observable Il srsquoagit par exemple des parents de la famille

eacutelargie des pairs du voisinage de lrsquoeacutecole des groupes drsquointeacuterecirct ndash comme les

associations culturelles sportives politiques ou religieuses ndash ou des collegravegues de

travail Identifier ces microsystegravemes dans les deux contextes eacutetudieacutes a donc eacuteteacute ma

premiegravere tacircche Il srsquoagissait en drsquoautres termes drsquoidentifier les acteurs de

lrsquoeacuteducation ceux que Mialaret appelle laquo les eacuteducateurs raquo

Dans un deuxiegraveme temps jrsquoai deacutecrit les relations existant entre les diffeacuterents

microsystegravemes (entre les parents et les autres membres de la famille ou entre les

parents et lrsquoeacutecole par exemple) ce qui mrsquoa permis de comprendre le contexte

meacutesosystegravemique et de deacutefinir la maniegravere dont chaque microsystegraveme agit en fonction

des contraintes et des opportuniteacutes fournies par les autres microsystegravemes Le fait

que par exemple un microsystegraveme ait des relations difficiles avec un autre

microsystegraveme nous aide agrave comprendre comment lrsquoindividu ndash qui se trouve au milieu

de cette tension ndash choisit de se positionner drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre ou

145

eacuteventuellement de ne pas prendre position (mecircme srsquoil ne nous explique pas

pourquoi il fait ce choix) La troisiegraveme eacutetape conclusive a eacuteteacute de deacutecrire les

exosystegravemes (locaux) et le macrosystegraveme (global) qui agissent inconsciemment sur

le niveau meacutesosystegravemique et indirectement sur la socialisation de lrsquoindividu

Autrement dit il srsquoagissait de deacutecrire les contextes communautaires leurs relations

avec les instances administratives eacutetatiques et leur inteacutegration agrave lrsquoeacuteconomie de

marcheacute et aux valeurs de la laquo globalisation raquo

73 Comprendre les interactions eacuteducatives

Apregraves avoir identifieacute les acteurs de lrsquoeacuteducation crsquoest-agrave-dire les personnes ou

les groupes de personnes qui interagissent avec lrsquoenfant afin de lrsquoeacuteduquer jrsquoai

chercheacute agrave identifier les interactions eacuteducatives Cette tacircche nrsquoest pas des plus aiseacutees

car elle implique le travail ndash souvent difficile ndash qui consiste agrave deacutenicher le fait eacuteducatif

entre les mille et une interactions qui mettent en rapport un eacuteducateur et un eacuteduqueacute

Je me suis donc laisseacute guider par la deacutefinition laquo anthropologique raquo de lrsquoeacuteducation qui

soutient mon hypothegravese agrave savoir que lrsquoeacuteducation est un processus de transmission

des donneacutees culturelles eacutetroitement lieacutees au paysage naturel et social qui constitue

lrsquohabitat dans lequel se reacutealise lrsquointeraction eacuteducative La tacircche consistait donc agrave

repeacuterer les moments pendant lesquels les eacuteducateurs wayana-apalaiuml et

enata transmettaient agrave lrsquoenfant ndash qui occupait le rocircle de laquo lrsquoeacuteduqueacute raquo ndash des donneacutees

laquo culturellement significatives raquo neacutecessaires agrave la survie dans leur environnement

naturel et agrave la participation agrave la vie communautaire

146

Ces donneacutees peuvent ecirctre classifieacutees en fonction de huit domaines

fondamentaux auxquels elles sont lieacutees agrave savoir

La production et la transformation des aliments comme

lrsquoagriculture la chasse la pe che et la cuisine

La construction et lrsquoentretien de la maison

La me dicine traditionnelle - impliquant la

reconnaissance des espe ces ve ge tales ou animales et leur utilite

the rapeutique ndash lrsquohygie ne personnelle et la sexualite

La pre paration et la participation a des ce re monies ou

rituels communautaires

La production drsquooutils ne cessaires a la re alisation des

activite s que je viens de mentionner autrement dit la laquo culture

mate rielle raquo proprement dite

La transmission des mythes des le gendes et de lrsquohistoire

locale

La reconnaissance du territoire (sa ge ographie physique

et humaine ses ressources naturelles et ses dangers mais aussi les

variations climatiques et les cycles des saisons)

Les re gles de vie (les comportements adapte s et les

normes communautaires)

Agrave travers lrsquoobservation des pratiques ayant un rapport avec un ou plusieurs

de ces domaines jrsquoai donc pu repeacuterer les interactions eacuteducatives et les acteurs qui y

147

jouaient le rocircle drsquoeacuteducateurs Cela mrsquoa donneacute lrsquoopportuniteacute de comprendre la

fonction sociale de chaque membre de la communauteacute les laquo savoirs raquo qui leur sont

assigneacutes mais aussi les meacutethodes et les outils mobiliseacutes pour transmettre leurs

connaissances et leurs savoir-faire

Pour deacutecrire laquo lrsquointensiteacute raquo de ces interactions jrsquoai appliqueacute un protocole deacutejagrave

testeacute par drsquoautres anthropologues de lrsquoeacuteducation et qui repose sur lrsquoobservation et

la mesure des rythmes eacuteducatifs Dans une eacutetude sur lrsquoeacutecologie sociale chez les Efe

de la forecirct de lrsquoIturu en Reacutepublique Deacutemocratique du Congo Edward Tronick et ses

collegravegues (1987) ont observeacute le pheacutenomegravene du multiple caregiving ndash entendons par

lagrave lrsquointervention de plusieurs caregivers95 dans lrsquoeacuteducation des enfants ndash agrave partir de

lrsquoanalyse du temps que les enfants passent avec des personnes autres que leur

megravere96 Un protocole analogue a eacuteteacute utiliseacute dans lrsquoeacutetude de Barry Hewlett (1992) sur

les relations affectives entre pegraveres et fils chez les pygmeacutees Aka population nomade

drsquoAfrique centrale et dans laquelle lrsquoauteur cherche agrave restituer le pourcentage de

temps que les pegraveres Aka passent agrave srsquooccuper de leurs fils Drsquoautres auteurs ont suivi

des meacutethodes similaires pour mesurer lrsquoimplication paternelle chez les Kung San

95 Le mot anglais caregiver est difficilement traduisible en franccedilais Dans la terminologie meacutedicale

anglo-saxonne il est employeacute pour deacutefinir les personnes qui srsquooccupent de soigner ou drsquoaider les

enfants les malades ou les plus acircgeacutes Cependant je lrsquoutilise ici dans le sens qui lui est donneacute dans la

litteacuterature anthropologique agrave savoir celui de laquo fournisseur de soins raquo

96 Leur meacutethode se basait sur la mesure du pourcentage de temps passeacute en contact physique avec

drsquoautres caregivers ce qui incluait le temps passeacute dans leurs bras ou agrave dormir agrave leur cocircteacute

148

(West amp Konner 1976) les Gidgingali (Hamilton 1981) et agrave nouveau les Efe (Winn

et al 1990) Cependant les eacutetudes que je viens de citer nrsquoobservent pas les

interactions eacuteducatives au sens strict puisqursquoelles sont consacreacutees agrave mesurer le

temps que certains caregivers passent avec les enfants ndash un temps qui peut servir agrave

transmettre des donneacutees culturelles mais aussi agrave ne rien faire agrave se reposer ou agrave

contempler97

Dans le cadre de cette recherche jrsquoai donc deacutecideacute drsquoadapter ces meacutethodes en

fonction de lrsquoobjectif que je me suis fixeacute et de mesurer le temps que chaque

eacuteducateur consacre agrave son eacuteduqueacute pour la transmission des donneacutees culturelles

concernant un ou plusieurs des huit domaines laquo culturels raquo fondamentaux que je

viens de mentionner

Les observations ont eacuteteacute codeacutees agrave partir drsquoune grille dans laquelle jrsquoai noteacute agrave

intervalles de cinq minutes les interactions eacuteducatives que chaque membre de la

famille ou de la communauteacute entretenaient avec lrsquoenfant-eacuteduqueacute en tenant aussi

compte du style eacuteducatif caracteacuterisant chaque interaction (voir annexe 8) Au total

jrsquoai reacutealiseacute plus de 1440 heures drsquoobservation directe dans le seul but de mesurer la

97 Un cas diffegraverent est celui de lrsquoeacutetude meneacutee par Catherine Snow et ses collegravegues (1979) qui ont

mesureacute la freacutequence et la dureacutee moyenne des laquo interactions sociales raquo entre les megraveres et leurs enfants

en Hollande et en Grande-Bretagne Cependant leur eacutetude ne distingue pas les interactions sociales

(qui incluent tout type drsquointeractions pourvu qursquoon puisse reconnaicirctre une quelconque forme de

communication) des interactions purement eacuteducatives (qui se limitent agrave la transmission drsquoun certain

type de donneacutees dans un but speacutecifique)

149

laquo quantiteacute raquo drsquointeractions eacuteducatives ce qui mrsquoa permis drsquoobtenir des donneacutees

comparables quant au laquo poids raquo de chaque acteur ndash ou microsystegraveme ndash en charge de

la transmission de la culture dans les deux contextes eacutetudieacutes

Par ailleurs au-delagrave des donneacutees laquo mesurables raquo cet exercice mrsquoa aussi

permis drsquoobserver en quoi certains outils et technologies ndash laquo traditionnels raquo ou

laquo modernes raquo produits localement ou acheteacutes agrave lrsquoexteacuterieur ndash participent au fait

eacuteducatif et comment ils sont exploiteacutes par les eacuteducateurs afin de transmettre

certains savoirs

74 Performances parentales et ideacuteologies eacuteducatives

Le rocircle des parents dans lrsquoeacuteducation des enfants pourrait sembler laquo auto-

eacutevident raquo et dans le sens commun on a lrsquohabitude de lrsquoassocier aux activiteacutes de soin

drsquoencadrement et de protection de leur progeacuteniture En reacutealiteacute la notion de

parentaliteacute est bien plus vaste et engage soit lrsquoensemble des processus qui

permettent aux parents de reacutepondre aux neacutecessiteacutes physiques affectives et

psychologiques des enfants (Lamour amp Barraco 1998) soit lrsquoexercice de

transmission ndash et de transformation ndash drsquoun patrimoine culturel propre agrave la

laquo famille raquo (qui comprend lrsquoensemble des membres drsquoune communauteacute par effet des

liens de parenteacute) Cependant chaque communauteacute humaine applique des formes de

parentaliteacute diffeacuterentes ce qui se traduit par des styles eacuteducatifs et des strateacutegies

peacutedagogiques qui ne sont valides que dans un certain contexte et dans certaines

situations ndash styles auxquels on associe des comportements et des valeurs

particuliegraveres En effet comme le soulignent Claudine Parent et Michegravele Brousseau

150

laquo si le regard porteacute sur les rocircles parentaux diffegravere selon les cultures il peut

eacutegalement varier en fonction de la position occupeacutee par les diffeacuterents membres de

la famille raquo (Parent amp Brousseau 2008 XI)

Pour comprendre les styles eacuteducatifs des parents dans le cadre drsquoune culture

speacutecifique plusieurs meacutethodes srsquooffrent agrave lrsquoanthropologue En tant que laquo sujet

drsquoeacutetude raquo les strateacutegies parentales ont surtout eacuteteacute analyseacutees par les sciences de

lrsquoeacuteducation et dans la majoriteacute des cas dans des contextes expeacuterimentaux Agrave titre

drsquoexemple on peut mentionner les travaux drsquoAlexandra Franccedilois et Annick Weil-

Barais (2003) qui ont utiliseacute des jeux de construction pour analyser la transmission

des connaissances de Fataneh Sourcheh (2004) qui dans le cadre de sa recherche

doctorale a observeacute la mise en jeu des compeacutetences numeacuteriques dans des situations

controcircleacutees ou de Heeyean Cho (2007) qui a utiliseacute le laquo jeu de la marchande raquo pour

comparer les interactions parent-enfant en France et en Coreacutee du Sud Drsquoautres

auteurs ont preacutefeacutereacute comparer les interactions en milieu expeacuterimental avec celles en

milieu naturel Rodica Ailincai par exemple a eacutetudieacute la variabiliteacute interactionnelle

parentale dans des contextes multiculturels et plurilingues agrave partir de ce type de

protocole en codant les transcriptions des observations afin de mettre en eacutevidence

les interventions verbales et non verbales et de les classifier selon le style eacuteducatif

qui leur est propre directif suggestif autonomisant ou disjoint (Ailincai amp Weil

Barais 2007 Ailincai et al 2014) Drsquoautres eacutetudes ont analyseacute lrsquointeraction

parentale agrave partir drsquoun questionnaire depuis 1997 par exemple le Deacutepartement de

lrsquoeacuteducation des Eacutetats-Unis utilise ce protocole pour comprendre la relation entre

lrsquoimplication des parents et la reacuteussite scolaire des eacutelegraveves ameacutericains (USDE 2006)

151

pour sa part lrsquoOCDE utilise un protocole similaire pour comparer le niveau de

participation des familles agrave la vie culturelle des enfants avec les reacutesultats obtenus

dans le cadre des eacutevaluations PISA (Borgonovi amp Montt 2012)

Bien que ce type drsquoapproche ait lrsquoavantage de laquo produire raquo des reacutesultats

mesurables il est toutefois difficile drsquoen imaginer lrsquoapplication dans des contextes

tels que mon terrain drsquoeacutetude ougrave lrsquoexpeacuterience controcircleacutee ou la passation drsquoun

questionnaire se seraient reacuteveacuteleacutes laborieux et auraient demandeacute un niveau

drsquoanalyse des donneacutees particuliegraverement ardu dans le cadre drsquoune recherche

doctorale Au moins deux raisons ont motiveacute mon choix Drsquoune part lrsquoexpeacuterience

controcircleacutee ndash consistant agrave laquo neutraliser raquo toute interfeacuterence exteacuterieure pendant la

dureacutee de lrsquoobservation ndash aurait eacuteteacute difficile agrave mettre en place sans espaces laquo priveacutes raquo

pouvant limiter les regards et les commentaires des personnes externes agrave

lrsquoexpeacuterience En effet agrave Antecume pata comme agrave Hiva Oa les maisons sont ouvertes

et il est impossible de reacutealiser des observations de ce type laquo agrave huis clos raquo Drsquoautre

part il aurait eacuteteacute tout aussi difficile de passer des questionnaires agrave des parents

drsquoeacutelegraveves qui ndash bien que compeacutetents pour communiquer en langue franccedilaise ndash

nrsquoauraient pu les remplir seuls dans la mesure ougrave la scolariteacute de la majoriteacute des

adultes avec lesquels jrsquoai travailleacute en Guyane et en Polyneacutesie srsquoest arrecircteacutee au CM2

Du fait de ces contraintes jrsquoai donc preacutefeacutereacute opter pour lrsquoobservation des

pratiques quotidiennes en transcrivant sur ma grille de codage ndash adapteacutee agrave partir

de celle creacuteeacutee par Rodica Ailincai (2011) ndash les styles drsquointeractions que chaque

membre de la famille ou de la communauteacute entretenaient avec lrsquoenfant qui se

152

trouvait au centre de mes observations Pour identifier les formes drsquointeractions

auxquelles jrsquoai assisteacute jrsquoai pris en consideacuteration les eacuteleacutements suivants98

Le style directif inte gre des conduites ndash verbales ou non

verbales ndash qui sont impose es a lrsquoenfant visant a la normativite

des comportements et admettant des feedbacks (re troactions)

ne gatifs

Le style suggestif vise a stimuler la production de lrsquoenfant et a

lrsquoaccompagner dans ses actions ou ses apprentissages avec des

feedbacks positifs des conseils des encouragements ou des

demandes de pre cisions

Le style autonomisant a pour but de de velopper lrsquoautonomie de

lrsquoenfant mais le parent reste attentif et a proximite de lrsquoaction

Le style fonctionnellement disjoint est observable dans les

situations ou les actions ne sont pas collaboratives ou les

parents ne restent pas a proximite de lrsquoenfant et ou ils ne

peuvent ni contro ler ni e valuer son activite

98 Il srsquoagit des deacutefinitions proposeacutees par Rodica Ailincai dans son travail doctoral (2005) et utiliseacutees

ulteacuterieurement dans une recherche agrave laquelle jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de participer et qui a eacuteteacute preacutesenteacutee

dans le cadre du premier colloque du Reacuteseau national des EacuteSPEacute (Ailincai et al 2015 Voir aussi

Ailincai et al 2014 et 2016)

153

Pour rendre compte du deacutecalage qursquoil existe entre les pratiques deacuteclareacutees et les

pratiques observeacutees crsquoest-agrave-dire entre ce que les adultes font et ce qursquoils disent faire

ndash veacuteritable dilemme pour lrsquoethnographe ndash jrsquoai accompagneacute mes observations

drsquoentretiens non structureacutes afin de mettre en lumiegravere trois eacuteleacutements

fondamentaux

les motivations qui les conduisent a agir drsquoune certaine

manie re

les valeurs qursquoils assignent a leurs performances

e ducatives

lrsquoide e de re ussite qui guide leur action e ducative

Jrsquoai donc essayeacute agrave partir de ces donneacutees de reconstituer les traits saillants de

lrsquoideacuteologie eacuteducative dans les deux contextes eacutetudieacutes

75 Consideacuterations eacutethiques

Les deux terrains drsquoeacutetude que jrsquoai choisis pour reacutealiser ma recherche ne

repreacutesentent pas un territoire inexploreacute par la recherche Le village drsquoAntecume

pata et lrsquoicircle de Hiva Oa ont eacuteteacute visiteacutes agrave maintes reprises par de nombreux chercheurs

provenant de toutes les disciplines des ethnologues des ethnomusicologues des

sociologues des archeacuteologues des botanistes des eacutepideacutemiologistes des architectes

des historiens des geacuteographes et mecircmes des astronomes Les communauteacutes qui

mrsquoont accueilli nrsquoeacutetaient donc pas vierges de tout contact avec cette espegravece curieuse

154

et toujours agrave la recherche de deacutecouvertes que sont les laquo savants baroudeurs raquo

Cependant le fait drsquoavoir reacutealiseacute un travail de terrain de longue haleine et drsquoavoir pu

tisser pendant mon seacutejour dans ces lieux si isoleacutes des liens drsquoamitieacute avec plusieurs

membres de ces communauteacutes mrsquoa permis de discuter souvent autour des vices et

des vertus que mes hocirctes reconnaissent agrave ces visiteurs eacutetranges qui comme aime agrave

le reacutepeacuteter Andreacute Cognat le responsable du village drsquoAntecume pata laquo viennent

srsquoinstallent nous font beaucoup de questions et apregraves ils repartent sans jamais nous

dire ce qursquoils ont deacutecouvert raquo Son neveu Kalanki Panapasi ajoute aussi qursquo laquo ils

utilisent nos noms ils publient nos photos ils vendent leurs livres et ils font leur

carriegravere gracircce agrave nous raquo Il nrsquoest donc pas surprenant que la plupart des habitants

drsquoAntecume pata ou de Hiva Oa nrsquoacceptent pas drsquoecirctre pris en photo drsquoecirctre

enregistreacutes par un dictaphone ou que leur nom soit publieacute

Pour la reacutealisation de cette recherche jrsquoai ducirc tenir compte de ces exigences

de mes hocirctes ce qui mrsquoa conduit agrave modifier les preacutenoms des personnes

intervieweacutees99 et agrave ne pas inclure des photographies Dans la recherche

anthropologique la construction drsquoun cadre de reacutefeacuterence pour les questions

eacutethiques nrsquoest pas simple En effet il nrsquoexiste pas de code deacuteontologique

universellement valable (comme pour les meacutedecins ou les professionnels de santeacute

qui ont leur serment drsquoHippocrate) et en lrsquoabsence de normes nationales

99 Les personnes qui apparaissent avec leur preacutenom et leur nom sont celles qui mrsquoont explicitement

autoriseacute agrave les citer Les autres apparaissent avec un nom fictif mais elles nrsquoauront pas de difficulteacute agrave

se reconnaicirctre dans le reacutecit

155

contraignantes chaque anthropologue agrave tendance agrave se reacutefeacuterer aux codes de conduite

des associations professionnelles ou des socieacuteteacutes savantes dont il est membre ou

aux normes preacutevues par les eacutetablissements de recherche auxquels il est affilieacute Dans

mon cas je mrsquoen suis remis aux principes du code de conduite de lrsquoAmerican

Anthropological Association (2009) et surtout aux obligations suivantes

Rendre explicites les finalite s et les objectifs du travail de

recherche en cours

Obtenir les autorisations ne cessaires pour la re alisation du

travail sur le terrain

Ne pas causer de dommages aux communaute s e tudie es a

leurs membres a leur patrimoine ou a leur

environnement

Ne pas ge ne rer de conflits au sein des communaute s ou

entre les communaute s et les entite s externes

Prote ger la confidentialite des sources cite es

Pre server les donne es recueillies sur le terrain et les

prote ger pour qursquoelles ne soient pas utilise es pour

de clencher ou justifier un conflit ou pour qursquoelles ne

nuisent pas a la confidentialite des personnes qui y sont

mentionne s

Rendre accessibles les re sultats obtenus dans le cadre de la

recherche tout en tenant compte des crite res mentionne s

auparavant

156

Pendant mon travail de terrain ainsi que lors de la reacutedaction de cette thegravese

jrsquoai essayeacute de mrsquoen tenir agrave ces normes et de respecter les regravegles de laquo bon voisinage raquo

et drsquohospitaliteacute qui relegravevent du sens commun Comme on le verra dans les pages

suivantes cela mrsquoa obligeacute agrave laquo trahir raquo agrave maintes reprises les normes morales qui

sont propres agrave laquo ma raquo culture agrave reacuteeacutevaluer ma position face agrave certaines prises de

position et bien eacutevidemment agrave modifier mon point de vue sur lrsquouniversaliteacute de

certains usages auxquels laquo ma raquo culture mrsquoa habitueacute En fin de compte le terrain

nrsquoest pas seulement un espace de deacutecouverte mais surtout un moment de reacuteflexion

157

8 Les terrains de recherche

La Guyane et la Polyneacutesie deux laquo confettis raquo de lrsquoempire colonial franccedilais qui

ndash bien que situeacutes agrave des milliers de kilomegravetres de distance lrsquoun de lrsquoautre dans deux

continents diffeacuterents (lrsquoAmeacuterique du Sud et lrsquoOceacuteanie) et dans deux milieux

eacutecologiques tout aussi diffeacuterents (respectivement la forecirct tropicale humide et

lrsquoeacutecosystegraveme oceacuteanique) et bien qursquoayant deux statuts administratifs distincts (la

premiegravere est un DOM la seconde une COM) ndash partagent plusieurs points communs

Les deux territoires ont en effet veacutecu une histoire coloniale similaire tous deux ont

eacuteteacute inteacutegreacutes agrave la Reacutepublique franccedilaise en raison de leurs ressources naturelles mais

surtout de leur position geacuteographique De mecircme ces deux territoires sont peupleacutes

de nombreuses communauteacutes autochtones qui revendiquent certaines formes

drsquoautonomie et exigent drsquoecirctre reconnues par lrsquoEacutetat non seulement en tant que

laquo minoriteacutes linguistiques raquo mais aussi ndash et surtout ndash en tant que groupes humains

porteurs drsquoune identiteacute propre neacutecessitant une protection speacutecifique

Les deux communauteacutes qui constituent laquo lrsquounivers de cette eacutetude raquo sont de

ce point de vue assez repreacutesentatives Dans les pages qui suivent je vais essayer de

reacutesumer les eacuteleacutements les plus significatifs de leur histoire et de leur organisation

sociale agrave partir des donneacutees ethno-historiques disponibles et de lrsquoanalyse de leur

contexte geacuteopolitique ce qui nous permettra dans les prochains chapitres de mieux

comprendre leurs eacutecosystegravemes sociaux et les fondements historiques de leur

ideacuteologie eacuteducative

158

81 Les Wayana-Apalaiuml drsquoAntecume pata situation geacuteographique donneacutees

ethno-historiques et aspects sociologiques

Le village drsquoAntecume pata srsquoeacutetend sur lrsquoicircle du mecircme nom sur le haut cours

du fleuve Maroni qui eacutetablit la ligne de frontiegravere avec le Suriname (Figure 9) Il est

habiteacute par des familles wayana et apalaiuml

Figure 9 La Guyane franccedilaise et le village drsquoAntecume pata (carte reproduite avec lrsquoaimable autorisation de lrsquoInstitut Geacuteographique National)

159

Actuellement en Guyane franccedilaise vivent environ mille Wayana cohabitant

avec une dizaine drsquoApalaiuml Ces groupes preacutesents dans la reacutegion des Guyanes depuis

au moins deux siegravecles eacutetaient autrefois semi-nomades leurs ancecirctres eacutetaient

connus sous le nom de laquo Roucouyens raquo100 et drsquo laquo Oupouloui raquo (Gillin 1948 Hurault

1968 et 1972)101 Jean Chapuis (1998 2003) signale qursquoil srsquoagit de deux groupes de

langue carib (ou karib) qui partagent les mecircmes origines Ils seraient en effet le

reacutesultat de la fusion de nombreux clans qui vivaient aux alentours de la chaicircne

montagneuse des Tumuc Humac (qui aujourdrsquohui deacutelimite la triple frontiegravere entre

la Guyane le Suriname et le Breacutesil) et qui agrave partir du XVIIIegraveme siegravecle ont commenceacute

agrave srsquoinstaller plus loin ndash sur le fleuve Tapanahony au Suriname le fleuve Parou agrave lrsquoest

du Breacutesil et le fleuve Maroni en Guyane ndash agrave cause de lrsquoexpansion de la frontiegravere

coloniale et des conflits avec la communauteacute Wayampi (ou Waiatildepi)102 Comme le

notent Pierre et Franccediloise Grenand laquo la Guyane ameacuterindienne ancienne nrsquoeacutetait pas

100 Le nom laquo Roucouyennes raquo est issu de leur habitude agrave se peindre totalement le corps avec les

extraits des fruits de la plante de roucou (Bixa orellana) qui donne agrave la peau une couleur rouge vif

101 Selon les diffeacuterentes sources les Wayana sont aussi connus sous drsquoautres ethnonymes tels Ajana

Alucuyana Ayana Guaque Ojana Orcocoyana Orocoiana Pirixi Uaiana Urukuena Urukuyana ou

Waiano et les Apalaiuml sont eacutegalement appeleacutes Apalai Apalay Aparai Aparathy Apareilles ou Appirois

(Stuart 1991 Robert 2009)

102 Cette interpreacutetation ne fait pas lrsquounanimiteacute Drsquoautres chercheurs comme la linguiste Eliane

Camargo (1997 2008a et 2008b) preacutefegraverent lrsquohypothegravese selon laquelle il srsquoagirait de deux peuples

distincts qui parlent deux langues diffeacuterentes mais qui partagent une histoire et un territoire

commun (Voir aussi Chiara 1978)

160

composeacutee de groupes isoleacutes et eacuteloigneacutes les uns des autres mais bien au contraire de

socieacuteteacutes qursquoelles aient eacuteteacute en guerre ou en paix en contact permanent agrave travers des

eacutechanges commerciaux des eacutechanges festifs voire des eacutechanges matrimoniaux raquo

(1985 12) ainsi que des eacutechanges guerriers

La premiegravere description ethnographique des laquo Roucouyens raquo parue en 1769

a eacuteteacute reacutedigeacutee par Claude Tony un laquo mulacirctre libre drsquoApprouague raquo qui avait eacuteteacute

envoyeacute par Louis-Thomas Jacquot gouverneur de la Guyane pour explorer les

sources du fleuve Litany103 Dans son rapport pour le gouverneur Tony fait eacutetat drsquoun

groupe avec une organisation militaire qui essaye de se deacutefendre des attaques des

groupes wayampi lesquels jouissaient du soutien de la couronne portugaise (et de

son armement) et drsquoacceacuteder aux produits occidentaux disponibles dans le bassin de

lrsquoOyapock gracircce aux postes de commerce que les missionnaires jeacutesuites y avaient

creacuteeacutes durant la premiegravere moitieacute du XVIIIegraveme siegravecle (Tony 1769) Dix ans plus tard

lorsque le meacutedecin et naturaliste Jean-Baptiste Leblond visita le sud de la Guyane

dans le cadre de ses recherches sur le quinquina (Cinchona officinalis) il observa que

leur organisation militaire avait disparu et qursquoils avaient commenceacute agrave migrer et agrave

srsquoinstaller dans le bassin du Haut Maroni et du Waqui loin des Wayampi et des

Portugais (Leblond 1814) Cependant leur progression vers le Bas Maroni a eacuteteacute

freineacutee dans la premiegravere moitieacute du XIXegraveme siegravecle par la preacutesence de campements

103 Les premiers contacts des Wayana-Apalaiuml avec les Europeacuteens datent probablement de 1730

anneacutee ougrave des explorateurs au service de lrsquoordonnateur Paul Lefebvre drsquoAlbon signalent un groupe laquo

drsquoOrokoyanes raquo (laquo Roucouyens raquo) dans le sud de la Guyane Une analyse des documents drsquoarchive

concernant ce premier contact a eacuteteacute reacutealiseacutee par Grenand (1972) et Chapuis (1998)

161

drsquoun autre groupe de langue Carib les Galibi (aujourdrsquohui appeleacutes Kalirsquona)104 et par

lrsquohostiliteacute des groupes Tirio sur lrsquoItany (Grenand 1982) Selon Jean Chapuis (1998)

la laquo fusion raquo entre les clans laquo roucouyens raquo (wayana) et upului (apalaiuml) date de cette

eacutepoque et srsquoexplique par deux raisons strateacutegiques sceller un accord de

cohabitation pacifique dans la reacutegion et augmenter la taille des communauteacutes ce qui

aurait permis drsquoeacutelargir le reacuteseau drsquoeacutechanges matrimoniaux (Chapuis 1998 Voir

aussi Rauschert-Alenani 1981) Agrave la mecircme eacutepoque des groupes de Boni des

esclaves drsquoorigines africaines eacutechappeacutes du Suriname sont venus srsquoinstaller sur le

cours moyen du Maroni pour eacutechapper aux Hollandais et agrave leurs allieacutes les Djuka

qui les pourchassaient Pour Jean-Marcel Hurault (1972) les relations entre la toute

nouvelle laquo confeacutedeacuteration Wayana-Apalaiuml raquo et les Boni fugitifs eacutetaient plus que

cordiales mais ces derniers qui controcirclaient lrsquoaccegraves des marchandises en

provenance du nord se sont imposeacutes en tant qursquointermeacutediaires dans le commerce

entre les Ameacuterindiens et les colons franccedilais de telle sorte que laquo les Wayana

fournissaient [aux Boni] des chiens en principe dresseacutes pour la chasse du bois drsquoarc

des hamacs les Boni [fournissaient aux Wayana] divers objets manufactureacutes en

particulier des haches des sabres et des hameccedilons raquo (Hurault 1965 115)

Lrsquoarriveacutee de certains clans wayampi dans la reacutegion lesquels fuyaient les

colons portugais qui voulaient les reacuteduire en esclavage a deacuteclencheacute une nouvelle

104 Lesquels apregraves une premiegravere phase drsquoeacutechanges pacifiques avec les laquo Roucouyens raquo conduisirent

une seacuterie de raids pour enlever leurs femmes afin de les revendre aux colons hollandais du Suriname

et la guerre qui en suivit a eacuteteacute remporteacutee par les clans laquo roucouyens raquo et obligea les Kalirsquona agrave se retirer

(Grendand 1972)

162

guerre entre eux et les Wayana-Apalaiuml Au vu du nombre important de morts

perpeacutetreacutees les deux parties ont deacutecideacute de trouver un accord et en 1830 les deux

groupes ont deacutetermineacute que les Wayampi allaient occuper le bassin de lrsquoOyapock (de

sa source jusqursquoau confluent du Camopi) et les Wayana-Apalaiuml le bassin du Maroni

jusqursquoau confluent du Tapanahony105 Lrsquoaccord a permis de mettre en place un

reacuteseau drsquoeacutechanges eacuteconomiques privileacutegieacutes qui selon Pierre Grenand (1982)

eacutetaient tellement fortes que les Wayampi ont adapteacute leur mythologie pour y inclure

les Wayana lesquels ont eacuteteacute associeacutes au clan des laquo gens de lrsquoanaconda raquo

Durant plus drsquoun siegravecle la preacutesence de ces laquo groupes tampons raquo (les Wayampi

sur lrsquoOyapock et les Boni sur le Maroni) a limiteacute le contact des Wayana-Apalaiuml avec

les Occidentaux De fait depuis lrsquoexploration de Leblond en 1779 aucun explorateur

europeacuteen ne srsquoest aventureacute dans la reacutegion Les contacts ont repris en 1879 lorsque

Jules Crevaux qui essayait de relier Cayenne agrave Beleacutem en passant pour les Tumuc

Humac laquo a deacutecouvert raquo des communauteacutes ameacuterindiennes installeacutees sur le Haut

Maroni (Crevaux 1883)106 Il reacutedigera alors avec drsquoautres savants de lrsquoeacutepoque le

105 Cet accord est connu par les chercheurs en ethnohistoire amazonienne comme la laquo paix wayana raquo

(Grenand 1972)

106 On peut imaginer que avant son voyage Crevaux nrsquoavait pas connaissance de ces groupes En

effet dans le rapport preacuteliminaire qursquoil adressa agrave lrsquoAgence Geacuteneacuterale des Colonies sur la situation

geacuteographique du nord et du centre de la Guyane il ne faisait pas mention de la possibiliteacute qursquoil pouvait

exister des groupes ameacuterindiens dans le sud de la reacutegion (Crevaux 1877)

163

premier vocabulaire de la laquo langue roucouyenne raquo (Crevaux et al 1882)107 Entre

1887 et 1889 les villages du Haut Maroni ont eacuteteacute visiteacutes par le geacuteographe Henri

Anatole Coudreau qui en fit une description systeacutematique et essaya pour la

premiegravere fois de les recenser relevant le nombre de 15000 (Coudreau 1893) Agrave

lrsquoinstar de Crevaux il reacutedigera un vocabulaire des langues ameacuterindiennes de la

reacutegion utilisant pour la premiegravere fois les ethnonymes laquo Ouayana raquo et laquo Aparaicirc raquo pour

identifier les habitants ameacuterindiens du Haut Maroni (Coudreau 1892)

En 1930 avec le deacutecret-loi du 6 juin est creacuteeacute le Territoire de lrsquoInini une entiteacute

autonome directement administreacutee par le gouverneur de la Guyane assisteacute par un

conseil drsquoadministration de son choix Ce Territoire est alors seacutepareacute de la colonie de

la Guyane proprement dite administreacutee quant agrave elle par un gouverneur agissant au

nom du ministre des Colonies La laquo vraie raquo Guyane franccedilaise ne srsquoeacutetendait que sur

lrsquoeacutetroite bande littorale lagrave ougrave il existait une preacutesence coloniale Tout le reste du

territoire correspondait agrave lrsquoInini peupleacute par des communauteacutes ameacuterindiennes et

afro-descendantes (Djuka et Boni) ainsi que par quelques anciens prisonniers ayant

reacuteussi agrave fuir du bagne Selon lrsquohistorien Serge Mam-Lam-Fouck cette division laquo

consacrait lrsquoexistence des deux espaces que lrsquohistoire avait creacuteeacutes le Littoral depuis

longtemps modeleacute par la colonisation franccedilaise et lrsquoInteacuterieur jamais totalement

maicirctriseacute raquo (Mam-Lam-Fouck 1996 112) Depuis cette laquo territorialisation raquo le

107 En reacutealiteacute le vocabulaire et la grammaire de Crevaux meacutelangent des eacuteleacutements de langue wayana

et drsquoautres qui sont propres agrave lrsquoapalaiuml Lrsquoexplorateur ndash qui a eacuteteacute accueilli pendant plusieurs semaines

dans une communauteacute qursquoil appelle laquo roucouyenne raquo ndash nrsquoavait pas diffeacuterencieacute les Wayana des Apalaiuml

ce qui indique probablement que agrave lrsquoeacutepoque les deux groupes avaient deacutejagrave fusionneacute

164

deacuteclin deacutemographique de ces communauteacutes srsquoest acceacuteleacutereacute pour atteindre son point

le plus bas dans les anneacutees 1950 Les recensements effectueacutes par Jean Hurault

(1957) agrave cette eacutepoque eacutevoquent une population totale ne deacutepassant pas la

cinquantaine de membres Agrave partir de cette date la tendance deacutemographique

neacutegative a commenceacute agrave srsquoinverser gracircce agrave la creacuteation drsquoun poste de santeacute dans le

bourg de Maripasoula ndash village fondeacute par des Boni qui se deacutediaient agrave lrsquoorpaillage

dans les affluents du Maroni ndash permettant agrave certains Ameacuterindiens plus disposeacutes au

contact de se faire soigner quand ils eacutetaient malades Lrsquoarriveacutee de plusieurs familles

wayana-apalaiuml en provenance du Breacutesil pour fuir les garimpeiros108 qui eacutetaient en

train de massacrer les communauteacutes ameacuterindiennes du Jari et du Parou de lrsquoest afin

drsquooccuper leur terre a eacutegalement participeacute agrave lrsquoinversion de la tendance

deacutemographique preacuteceacutedente (Cognat 1967) En 1976 on deacutenombrait plus de trois

cents Wayana-Apalaiuml sur les deux berges du Maroni (Cognat 1977) Dans un

recensement que jrsquoai effectueacute en 2012 jrsquoen ai compteacute 1150 ce qui semble confirmer

une tendance agrave lrsquoaccroissement deacutemographique (Aligrave amp Ailincai 2013)109

108 Les chercheurs drsquoor et de pierres preacutecieuses qui travaillent sur les chantiers drsquoorpaillage

clandestin

109 Il convient de souligner que dans les recensements officiels de lrsquoInstitut national de la statistique

et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE) les habitants des villages ameacuterindiens ndash lesquels drsquoun point de

vue administratif sont consideacutereacutes comme des lieux-dits ndash sont comptabiliseacutes en tant que reacutesidents

du bourg de Maripasoula Il nrsquoexiste donc aucun chiffre officiel sur le nombre drsquohabitants des villages

du Haut Maroni

165

811 Situation postcoloniale et inteacutegration nationale

En 1946 la Guyane franccedilaise accegravede au statut de deacutepartement sans que sa

division administrative ndash une Guyane littorale et un Territoire de lrsquoInini ndash soit remise

en question Il faudra attendre lrsquoanneacutee 1969 pour que lrsquoInini soit deacutefinitivement

inteacutegreacute au deacutepartement et pour que des communes soient creacuteeacutees dans lrsquointeacuterieur

guyanais (Thabouillot 2012) Agrave partir des anneacutees 1950 les gouvernements franccedilais

et surinamiens adoptent une politique de laquo seacuteduction raquo des communauteacutes

ameacuterindiennes de la reacutegion de sorte que comme lrsquoaffirmait Hurault laquo une

surenchegravere srsquoeacutetait eacutetablie entre les administrations franccedilaise et surinamienne pour

attirer les Indiens sur leurs territoires (cadeaux voyages agrave Cayenne ou agrave

Paramaribo) raquo (1957 30)

Agrave la fin des anneacutees 1950 le Suriname avait deacutejagrave doteacute plusieurs villages

ameacuterindiens de pistes drsquoatterrissage et assurait des liaisons aeacuteriennes reacuteguliegraveres

avec la capitale Paramaribo Aussi le gouvernement surinamien exempta les

Ameacuterindiens des controcircles de papiers drsquoidentiteacute eacutelectrifia le village drsquoAnapaike ougrave

il creacutea une eacutecole en langue wayana et finalement il assigna une reacutemuneacuteration

mensuelle aux autoriteacutes coutumiegraveres et aux repreacutesentants des villages En 2014

aucun des villages ameacuterindiens du Haut Maroni en territoire franccedilais ne disposait

166

de pistes drsquoatterrissage110 seule une partie des habitants avait pu obtenir la

nationaliteacute franccedilaise111 aucun village nrsquoavait de systegraveme de production ou de

distribution eacutelectrique112 et lrsquoenseignement scolaire se reacutealisait en langue

franccedilaise113 Le seul point commun avec le Suriname est le fait que en France les

110 Ce qui oblige les habitants agrave se deacuteplacer en pirogue jusqursquoagrave lrsquoaeacuterogare de Maripasoula Pour avoir

une ideacutee de lrsquoeffort que ce type de deacuteplacement implique il suffit drsquoimaginer que agrave certaines peacuteriodes

de lrsquoanneacutee le voyage drsquoAntecume pata agrave Maripasoula peut durer 8 heures

111 En effet plusieurs Ameacuterindiens qui sont neacutes au Breacutesil ou au Suriname bien qursquoils aient veacutecu en

France pendant plus de 10 ans (et certains plus de 70 ans) nrsquoont jamais eacuteteacute nationaliseacutes Ils reacutesident

donc sur le sol franccedilais en tant qursquoeacutetrangers avec un permis de seacutejour (qui est octroyeacute pour une dureacutee

drsquoun an) Le problegraveme vient du fait que la naissance de ces personnes nrsquoait jamais eacuteteacute enregistreacutee

dans les archives de lrsquoeacutetat civil du Breacutesil ou du Suriname Bien que la preacutefecture de Guyane ait promis

agrave plusieurs reprises de trouver une solution deacutefinitive agrave cette aberration juridique au jour ougrave jrsquoeacutecris

ces pages rien nrsquoa eacuteteacute fait (Geacutery et al 2014)

112 Seul le village drsquoAntecume pata disposait drsquoun groupe eacutelectrogegravene communautaire ndash proprieacuteteacute de

lrsquoassociation Yepeacute En geacuteneacuteral la plupart des familles du Haut Maroni possegravede un groupe eacutelectrogegravene

de petite taille pour eacuteclairer la maison et faire fonctionner les congeacutelateurs dans lesquels sont

conserveacutes les produits issus de la chasse et de la pecircche

113 Cependant comme on le verra dans les pages suivantes le Rectorat de la Guyane a creacuteeacute en 1998

des dispositifs pour inteacutegrer des laquo interventions raquo en langue maternelle dans les eacutecoles primaires de

certaines Circonscriptions Educatives de la Guyane dont celles du Haut Maroni Toutefois ces

interventions ne sont pas reacuteellement inteacutegreacutees au programme des apprentissages et les reacutesultats du

dispositif ne font pas lrsquounanimiteacute (Maurel 2012 Nocus et al 2014)

167

autoriteacutes coutumiegraveres percevaient aussi une reacutemuneacuteration mensuelle en tant que

laquo capitaines raquo des villages114

Jusqursquoaux anneacutees 1990 les laquo capitaines raquo eacutetaient les seuls Ameacuterindiens agrave

percevoir une reacutemuneacuteration fixe Les autres villageois vivaient de laquo petits boulots raquo

guides dans des missions de recherche scientifique accompagnateurs de groupes de

touristes en quecircte drsquoaventure ou main-drsquoœuvre non qualifieacutee dans les travaux de

construction du bourg de Maripasoula Degraves lors les Wayana et les Apalaiuml ont

commenceacute agrave faire appel aux systegravemes de solidariteacute sociale de lrsquoEacutetat et agrave lrsquoheure

actuelle toutes les familles du Haut Maroni perccediloivent une ou plusieurs aides

financiegraveres comme le Revenu de solidariteacute active (RSA) ou drsquoautres aides octroyeacutees

par la Caisse drsquoallocations familiales (CAF)

Aujourdrsquohui il existe neuf villages ameacuterindiens dans le Haut Maroni Elaheacute

Cayodeacute Twenkeacute Taluwen Antecume pata et Pidima du cocircteacute guyanais Anapaikeacute

Alawa et Koumakapan du cocircteacute surinamien (Figure 10)

114 Qui est verseacutee par le Conseil Geacuteneacuteral de la Guyane (CGG) et qui correspond agrave 30 du Salaire

minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) Actuellement en Guyane 48 chefs coutumiers

reccediloivent lrsquoindemnisation du CGG Les autoriteacutes coutumiegraveres ne sont pas choisies par les villageois

mais nommeacutees ndash et eacuteventuellement destitueacutees ndash par les autoriteacutes de lrsquoEacutetat entre 1946 et 1982 par

le preacutefet de la Guyane et depuis 1983 par le CGG Il faut ajouter que depuis le 1er janvier 2016 le

conseil reacutegional et le CGG sont devenus une entiteacute unique la Collectiviteacute Territoriale de Guyane qui

reprend lrsquointeacutegraliteacute des compeacutetences des anciennes collectiviteacutes dont celles concernant les

autoriteacutes coutumiegraveres

168

Figure 10 Les villages ameacuterindiens du Haut Maroni (drsquoapregraves Chapuis amp Riviegravere 2003 920)

Ces villages situeacutes agrave plus de 300 km agrave vol drsquooiseau de la capitale du

deacutepartement Cayenne constituent ce que les Guyanais connaissent comme le laquo Pays

ameacuterindien raquo115 Mais ce laquo Pays ameacuterindien raquo nrsquoest pas la terre des Ameacuterindiens car

le territoire qursquoils occupent ne leur appartient pas puisque comme presque tous les

115 Lrsquoexpression laquo Pays ameacuterindien raquo tregraves reacutepandue et couramment utiliseacutee dans les moyens de

communication reacutepond sans doute agrave une cateacutegorie coloniale qui renvoie agrave lrsquoimage drsquoun Eacutetat dans

lrsquoEacutetat peupleacute drsquoIndiens qui reprensentent laquo lrsquoantithese de la civilisation raquo soit une laquo Amazonie

sauvage raquo qui reste malgreacute elle agrave la peripherie de la France

169

Ameacuterindiens de Guyane ils vivent sur des terres domaniales Comme le soulignent

Pierre et Franccediloise Grenand ce sont en effet laquo hocirctes de la France sur leurs propres

terres raquo (Grenand P et F 1979 371) Par ailleurs lrsquoaccegraves au laquo Pays ameacuterindien raquo

nrsquoest pas libre depuis 1970 tout deacuteplacement au sud de Maripasula - agrave lrsquointeacuterieur

de ce qursquoon appelle la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute parfois pompeusement surnommeacutee

laquo la zone interdite raquo - doit ecirctre autoriseacute par le Preacutefet de la Guyane116 (Figure 11)

116 Lrsquoaccegraves agrave la laquo zone interdite raquo est actuellement reacutegi par lrsquoarrecircteacute preacutefectoral ndeg 1845C du 3 octobre

1977

170

Figure 11 La ligne de deacutemarcation de la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute (carte reproduite avec lrsquoaimable autorisation du Parc Amazonien de Guyane)

Bien que cette reacuteglementation ait permis aux Wayana et aux Apalaiuml de limiter

les contacts avec les touristes eacutetrangers ainsi que lrsquoexposition aux maladies

drsquoorigine exogegravene elle a aussi eu pour effet de faire disparaicirctre les reacuteseaux de

relations avec les clans vivant au Breacutesil En 1998 Jean Chapuis note que

laquo les eacutechanges entre fleuves breacutesiliens et Litani encore vivaces

jusqursquoau deacutebut des anneacutees soixante-dix ne sont plus que des

171

souvenirs en cinq ans nous nrsquoavons pas eu connaissance drsquoun seul

deacuteplacement vers le Jari ou le Paru de lrsquoEst Par contre ils persistent en

ce qui concernent le Tapanahony et des visites de plusieurs mois ont

parfois lieu entre villages de ces deux fleuves raquo (Chapuis 1998 23)

Je ne peux que confirmer ses observations puisqursquoentre 2011 et 2015 il nrsquoy

a eu aucun contact entre les communauteacutes guyanaises et breacutesiliennes En revanche

les communauteacutes du Haut Maroni entretiennent des relations continues avec celles

du Suriname La localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en

Guyane au Suriname et au Breacutesil est repreacutesenteacutee dans la figure 12

172

Figure 12 Localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en Guyane au Suriname et au Breacutesil (Chapuis 1998 24)

812 Une scolarisation reacutepublicaine pour les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo117

Agrave lrsquoheure actuelle lrsquoeacutecole ndash veacuteritable avant-poste reacutepublicain ndash est la seule

institution publique preacutesente dans tous les villages ameacuterindiens du Haut Maroni118

117 Jrsquoemprunte ce titre au livre eacuteponyme drsquoYves Geacutery Alexandra Mathieu et Christophe Gruner (2014)

118 Agrave cet eacutegard certaines preacutecisions sont neacutecessaires les villages de Cayodeacute Elaheacute Taluwen et

Antecume pata disposent aussi de dispensaires (non meacutedicaliseacutes ils deacutependent du centre de santeacute

de Maripasoula lequel agrave son tour deacutepend du Centre Hospitalier de Cayenne) le village de Twenkeacute

dispose drsquoun poste de gendarmerie (mais son personnel srsquooccupe exclusivement des activiteacutes lieacutees agrave

173

Pour les Wayana et les Apalaiuml elle a toujours repreacutesenteacute le contact privileacutegieacute avec laquo

lrsquoexteacuterieur raquo et surtout avec le monde occidental et la culture laquo drsquoEacutetat raquo par le biais

des artefacts qursquoelle utilise les savoirs qursquoelle dispense les normes (scolaires et

citoyennes) qursquoelle veacutehicule et bien eacutevidemment par la preacutesence du personnel

eacuteducatif qui provient majoritairement du territoire meacutetropolitain (Maurel 2010)

En effet ces villages disposent tous drsquoune eacutecole primaire (Tableau 1)

Villages Antecume Pata Pidima Twenkeacute-Taluwen

Cayodeacute Elaheacute

Population 312 72 520 152 122 Elegraveves 77 23 110 45 38 Classes 4 2 5 2 2 Anneacutee de creacuteation de lrsquoeacutecole 1986 2010 1972 1990 1985 Lrsquoeacutecole reacuteunit les

eacutelegraveves des villages suivants Antecume Pata Lipolipo et Palassissi

Lrsquoeacutecole reacuteunit les eacutelegraveves des villages suivants Pidima Palimino Peacuteleacutea

Tableau 1 Villages wayana-apalaiuml du Haut Maroni donneacutees deacutemographiques et population scolaire (recensement reacutealiseacute par lrsquoauteur en 2012 Adapteacute drsquoAligrave amp Ailincai 2013)

la lutte contre lrsquoorpaillage clandestin) le village de Taluwen dispose depuis septembre 2015 drsquoune

antenne de la mairie de Maripasoula afin de geacuterer les archives de lrsquoeacutetat civil des reacutesidents du Haut

Maroni les villages de Cayodeacute Taluwen et Antecume pata accueillent des antennes du Parc

Amazonien de Guyane Agrave titre anecdotique jrsquoajouterai aussi que tous les villages disposent drsquoune

boicircte aux lettres mais celles-ci ne sont pas utiliseacutees parce que la Poste nrsquoassure pas la relegraveve et la

distribution du courrier dans les sites isoleacutes

174

Agrave Antecume pata lrsquoeacutecole voit le jour agrave lrsquoinitiative drsquoAndreacute Cognat fondateur

du village119 qui en 1977 deacutecide de creacuteer un dispositif drsquoinstruction

communautaire pour octroyer aux Wayana-Apalaiuml de tout acircge une ressource

formative de base Son premier objectif a eacuteteacute lrsquoapprentissage de lrsquoeacutecriture pour

lequel il srsquoest entoureacute de formateurs locaux des Ameacuterindiens qui ayant travailleacute

dans les villes du littoral (surtout Cayenne et Saint Laurent du Maroni) avaient

appris les rudiments de la langue franccedilaise Apregraves cette premiegravere phase lrsquoeacutecole est

devenue une source de laquo dialogue raquo avec la laquo moderniteacute raquo offrant des cours de

civilisation franccedilaise drsquohistoire de geacuteographie et certaines notions de calcul

neacutecessaires agrave la gestion des eacutechanges eacuteconomiques avec les laquo Blancs raquo et les Boni En

1986 le Gouvernement franccedilais reconnaicirct lrsquoeacutetablissement drsquoAntecume pata en

lrsquoincluant dans le dispositif eacuteducatif deacutepartemental en creacuteant des classes de niveau

CP CE1 CE2 CM1 et CM2120 et en le rendant obligatoire pour tous les enfants en acircge

drsquoecirctre scolariseacutes Andreacute Cognat a fortement insisteacute pour que la langue wayana ait sa

place agrave lrsquoeacutecole et bien que peu favorable agrave lrsquoideacutee de lrsquoobligation scolaire il a pu

neacutegocier avec le Rectorat de la Guyane afin que les eacutetablissements eacuteducatifs du

laquo Pays ameacuterindien raquo puissent jouir de certaines deacuterogations aux normes preacutevues par

119 Ce village wayana a eacuteteacute fondeacute en 1965 agrave lrsquoinitiative drsquoAndreacute Cognat un ouvrier lyonnais qui a

inteacutegreacute la communauteacute ameacuterindienne en 1961 (Cognat 1977 et 2009)

120 Le cours preacuteparatoire ou CP est la premiegravere classe de lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire franccedilaise La deuxiegraveme

est le cours eacuteleacutementaire premiegravere anneacutee (CE1) la troisiegraveme le cours eacuteleacutementaire deuxiegraveme anneacutee

(CE2) la quatriegraveme le cours moyen premiegravere anneacutee (CM1) et la derniegravere le cours moyen deuxiegraveme

anneacutee (CM2)

175

le Code de lrsquoEacuteducation Ainsi pendant de nombreuses anneacutees lrsquoentreacutee dans lrsquoeacutecrit

srsquoest faite en langue wayana avec le concours drsquoun meacutediateur culturel puis drsquoun

Intervenant en Langue Maternelle (ILM) Les eacutelegraveves passaient alors par deux anneacutees

de CP lrsquoune en wayana lrsquoautre en franccedilais121 En 2010 le Rectorat de la Guyane

ouvre une eacutecole maternelle dans le village avec des classes de PS de MS et de GS122

Aujourdrsquohui tous les enfants en acircge scolaire suivent les classes de lrsquoeacutecole primaire

(eacuteleacutementaire et maternelle) et la majoriteacute de leurs parents ont suivi au moins une

partie du cycle de scolarisation

Selon plusieurs observateurs la scolarisation reacutepublicaine a permis aux

Ameacuterindiens de la Guyane (et non seulement aux Wayana-Apalaiuml) de deacutevelopper des

revendications politiques et drsquoacceacuteder agrave certaines compeacutetences neacutecessaires au

laquo dialogue raquo avec les institutions publiques bien que le niveau drsquoeacutechec scolaire reste

eacuteleveacute et que la majoriteacute des jeunes ne veuille pas poursuivre leurs eacutetudes au-delagrave de

16 ans ce qui les empecircche drsquoacceacuteder aux postes cleacutes de la fonction publique (Coiumlaniz

2001 Coiumlaniz et al 2001)123 Andreacute Cognat en est convaincu tout comme la

121 Cependant cette deacuterogation octroyeacutee apregraves une longue bataille entre les parents drsquoeacutelegraveves et les

repreacutesentants de lrsquoEacuteducation Nationale ne prenait pas en consideacuteration lrsquoexistence drsquoune

communauteacute apalaiuml dans le secteur Actuellement le village drsquoAntecume pata ne compte que deux

locuteurs de langue apalaiuml et dans tout le deacutepartement les locuteurs natifs de cette langue

consideacutereacutee en danger par les linguistes ne sont pas plus de cinq

122 Respectivement petite moyenne et grande section de maternelle

123 Au niveau deacutepartemental plusieurs eacutetudes commissionneacutees par lrsquoAcadeacutemie de la Guyane et

lrsquoInstitut national de la statistique et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE) confirment que la Guyane

176

majoriteacute des laquo informateurs raquo avec lesquels jrsquoai travailleacute Cependant lrsquoeacutecole nrsquoa pas

suffi agrave reacutesoudre les principaux problegravemes qui frappent la socieacuteteacute ameacuterindienne En

avril 2013 jrsquoai organiseacute une reacuteunion pour en discuter avec les parents drsquoeacutelegraveves

inscrits dans les classes de lrsquoeacutecole maternelle (PS MS et GS) et eacuteleacutementaire (CP CE1

CE2 CM1 et CM2) du village Treize personnes y ont participeacute douze megraveres et un

pegravere Pendant le deacutebat trois facteurs de deacutestabilisation ont eacuteteacute identifieacutes le plus

important est lrsquoorpaillage illeacutegal qui seacutevit dans le secteur et qui contamine le

fleuve124 sans compter qursquoil a introduit chez les villageois toute une seacuterie

drsquohabitudes consideacutereacutees comme laquo immorales raquo par les Ameacuterindiens125

deuxiegravemement lrsquoalcoolisme se propage chez les hommes qui deacutepensent une bonne

partie des aides de lrsquoEacutetat dans lrsquoachat de rhum bon marcheacute et qui une fois ivres ont

preacutesente des taux drsquoeacutechec et de deacutecrochage scolaires supeacuterieurs agrave la norme surtout dans les sites les

plus laquo isoleacutes raquo comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et plus largement de tout le laquo Pays ameacuterindien raquo

(Horatius-Clovis et Michaud 2011 Gragnic 2013 Bayart et al 2013 Gragnic et Horatius-Clovis

2014) Ces eacutetudes corroborent aussi la correacutelation statistique positive qui existe dans toute la France

entre le niveau de scolarisation des enfants les origines sociales et le contexte culturel de leur famille

(INSEE 2014)

124 Depuis 1999 plusieurs eacutetudes ont confirmeacute que les habitants du Haut Maroni sont victimes drsquoune

surexposition au methylmercure ([CH₃Hg]⁺) un deacuteriveacute tregraves toxique du mercure utiliseacute par les

garimpeiros pour extraire lrsquoor des seacutediments alluviaux (Orru 1998 Frery et al 1999 Carmouze et

al 2001 Boudou et al 2006 Cardoso et al 2010)

125 Parmi ces habitudes se trouvent lrsquoalcoolisme les jeux de hasard et la prostitution mais surtout le

manque de respect envers lrsquoenvironnement

177

tendance agrave devenir tregraves violents envers leurs femmes et les autres membres de leur

famille126 troisiegravemement se trouve lrsquoennui et la frustration qui sont la cause de

nombreuses tentatives de suicide chez les jeunes qui bien souvent se soldent par le

deacutecegraves de la victime

Si le premier problegraveme identifieacute par les parents intervieweacutes dans le cadre de

cette reacuteunion a de toute eacutevidence une cause exogegravene et laquo concregravete raquo ndash lrsquoorpaillage

clandestin ndash le deuxiegraveme et le troisiegraveme sont les symptocircmes du mal-ecirctre social

drsquoindividus qui inteacutegreacutes bon greacute mal greacute agrave la nation sont devenus comme

lrsquoaffirment Yves Geacutery et ses collegravegues laquo les abandonneacutes de la Reacutepublique raquo (Geacutery et

al 2014) En effet pendant mes cinq ans de permanence agrave Antecume pata jrsquoai

assisteacute ou entendu parler drsquoau moins 200 litiges violents causeacutes par lrsquoalcool de 15

tentatives de suicide et de 6 suicides accomplis chez les villageois eacutetant au nombre

je le rappelle de 300 Alerteacutee en 2011 la preacutefecture de la Guyane a mis en place un

laquo plan suicide raquo (sic) tandis que la presse nationale diffusait lrsquoideacutee drsquoune laquo eacutepideacutemie

de suicides raquo chez les Ameacuterindiens Le gouvernement preacuteoccupeacute par lrsquoinefficaciteacute

du plan preacutefectoral et des autres dispositifs mis en œuvre par les autoriteacutes locales

a commanditeacute en mai 2015 un rapport sur le sujet agrave Madame George Pau-Langevin

ministre des Outre-mer laquelle agrave son tour a deacuteleacutegueacute agrave Mesdames Aline

126 Le seul pegravere de famille qui a participeacute agrave la reacuteunion a signaleacute que les femmes peuvent aussi devenir

tregraves violentes quand elles sont ivres Cependant puisque dans la majoriteacute des foyers la gestion des

revenus est agrave la charge des hommes ndash qui sont bien souvent les titulaires des comptes bancaires sur

lesquels sont verseacutees les aides sociales ndash les femmes ont un accegraves limiteacute agrave la liquiditeacute neacutecessaire pour

acheter les boissons spiritueuses et par conseacutequent elles srsquoenivrent moins que les hommes

178

Archimbaud seacutenatrice de Seine-Saint-Denis et Marie-Anne Chapdelaine deacuteputeacutee

drsquoIlle-et-Vilaine la reacutealisation drsquoune mission sur le terrain pour eacutevaluer la situation

Leurs conclusions nous confirment qursquoil existe

laquo un grand trouble identitaire qui mine ces populations et

notamment les jeunes tirailleacutes entre le monde dans lequel ont veacutecu

leurs grands-parents et celui dans lequel deacutejagrave ils se meuvent avec

plus drsquoaisance que leurs parents Ce trouble est amplifieacute par un fort

sentiment drsquohumiliation lieacute aux jugements stigmatisants et aux

commentaires deacutesobligeants dont les Ameacuterindiens sont

reacuteguliegraverement victimes Et au fort sentiment de frustration et

drsquoabandon lieacute aux conditions tregraves deacutegradeacutees de lrsquoaccegraves au Droit et aux

services publics les plus eacuteleacutementaires lesquels font tregraves clairement

deacutefaut sur le haut des fleuves raquo (Archimbaud amp Chapdelaine 2015

11)

Obligeacutes de srsquoadapter agrave la laquo moderniteacute raquo exclus des postes cleacutes de

lrsquoadministration sans pouvoir deacutecisionnaire sur leur territoire victimes du racisme

et de la deacutegradation de leur environnement les Wayana-Apalaiuml semblent ne faire

179

que survivre dans un contexte de plus en plus violent ougrave les conflits se regraveglent le

plus souvent agrave coup de bacircton127 ou pire en se donnant la mort

82 Les Enata de Hiva Oa situation geacuteographique donneacutees ethno-historiques

et aspects sociologiques

Lrsquoicircle de Hiva Oa128 fait partie de lrsquoarchipel des Marquises agrave 1 400 km de Tahiti

agrave 3 800 km des icircles Hawaii 4 800 km des cocirctes californiennes 6 000 km de

lrsquoEacutequateur et agrave 3 000 km de lrsquoicircle de Pacircques (Figure 13)

127 Sans jeux de mots crsquoest bel et bien de cette maniegravere que tregraves souvent les villageois drsquoAntecume

pata srsquoaffrontent Ces disputes toujours deacuteclencheacutees sous lrsquoeffet de lrsquoalcool sont en geacuteneacuteral lieacutees agrave

des histoires drsquoadultegravere ou de dettes non soldeacutees

128 Mais les premiers explorateurs espagnols lrsquoavaient baptiseacutee laquo Dominica raquo

180

Figure 13 La Polyneacutesie franccedilaise et lrsquoarchipel des Marquises (Source Archives ORSTOM)

Il srsquoagit drsquoune icircle drsquoorigine volcanique drsquoune longueur de 40 km sur lrsquoaxe est-

ouest et drsquoune largeur de 12 km sur lrsquoaxe nord-sud doteacutee drsquoune crecircte dorsale avec

des sommets culminants agrave plus de 1 000 m et des crecirctes secondaires qui enserrent

de nombreuses valleacutees srsquoouvrant sur lrsquooceacutean par des plages de sable noir ou de galets

(Chavaillon amp Olivier 2007 voir figure 14)

181

Figure 14 Lrsquoicircle de Hiva Oa (Source Google Maps Elaboration de lrsquoauteur)

Lrsquoicircle compte plus de 2 000 habitants dont la majoriteacute vit dans le village

drsquoAtuona Mecircme srsquoil existe sur lrsquoicircle une preacutesence externe (repreacutesenteacutee par les

gendarmes les agents de santeacute les enseignants et leurs conjoints venus de

meacutetropole) la plupart des reacutesidents revendiquent leur appartenance agrave la

communauteacute autochtone Enata crsquoest-agrave-dire les Marquisiens (Sivadjian 1999a et

1999b Teuruarii 1999) Cette revendication est eacutegalement preacutesente chez les

familles drsquoorigines mixtes les laquo demi raquo129 ayant des ancecirctres originaires de

129 En Polyneacutesie on utilise le terme laquo demi raquo plutocirct que celui de laquo meacutetis raquo Il srsquoagit bien eacutevidemment

drsquoune cateacutegorie ethnique imposeacutee de lrsquoexteacuterieur puisque le plus souvent les individus consideacutereacutes

comme laquo demis raquo ne se perccediloivent pas comme tels mais plutocirct comme laquo polyneacutesiens raquo (ou dans le

cas des habitants de Hiva Oa comme Marquisiens) Selon certains observateurs ecirctre identifieacute comme

laquo demi raquo nrsquoapporterait aucun beacuteneacutefice puisqursquoil exclut la personne concerneacutee des avantages

qursquooffrent selon le cas lrsquoidentiteacute autochtone laquo pure raquo ou lrsquoorigine meacutetropolitaine (Troadec 1992)

182

lrsquoexteacuterieur De fait nombreux sont les icircliens qui possegravedent des noms de famille

drsquoorigine eacutetrangegravere teacutemoignage du meacutetissage qui a eu lieu agrave Hiva Oa entre les natifs

et les eacutetrangers ndash marins beachcombers130 et migrants ndash qui depuis des siegravecles ont

deacutecideacute de srsquoeacutetablir sur lrsquoicircle Crsquoest par exemple le cas des familles OrsquoConnor drsquoorigine

irlandaise Peterano drsquoorigine italienne Shan drsquoorigine chinoise ou Mendiola

drsquoorigine espagnole131

Les ancecirctres des Marquisiens sont venus de lrsquoouest de ces icircles sans que lrsquoon

sache exactement drsquoougrave (Galipaud et al 2014) En effet les icircles Marquises ndash de par

leur position centrale au sein du laquo triangle raquo polyneacutesien ndash ont joueacute laquo un rocircle

charniegravere au cœur des processus de peuplement et drsquointeraction de cette vaste

reacutegion raquo (Molle 2011 19) Cependant on ne connaicirct pas avec exactitude lrsquohistoire

de leur peuplement Selon certains auteurs les premiers occupants ndash originaires des

Cependant lrsquoappartenance agrave la laquo communauteacute demie raquo est censeacutee apporter drsquoautres avantages lieacutes au

statut socioeacuteconomique propre agrave ce groupe souvent vu - agrave tort ou agrave raison - comme plus argenteacute

plus eacuteduqueacute et plus inteacutegreacute aux eacutelites locales

130 Les beachcombers ou laquo batteurs de gregraveve raquo sont des figures classiques du processus de

colonisation europeacuteenne du Pacifique entre le XIXegraveme siegravecle et les premiegraveres anneacutees du XXegraveme Il

srsquoagissait drsquoaventuriers souvent sans scrupules qui cherchaient agrave faire fortune dans les icircles des mers

du Sud geacuteneacuteralement dans le domaine du commerce (McArthur 1966 Maude 1981)

131 La base de donneacutees FamilySearch geacutereacutee par la Genealogical Society of Utah (institution lieacutee agrave

lrsquoEacuteglise de Jeacutesus-Christ des saints des derniers jours) a digitaliseacute les registres de lrsquoEacutetat civil et des

paroisses de lrsquoicircle Elle nous confirme qursquoagrave Hiva Oa des familles avec ces noms eacutetaient deacutejagrave preacutesentes

dans la deuxiegraveme moitieacute du XIXegraveme siegravecle (httpshistfamfamilysearchorg)

183

icircles Samoa et Tonga ndash se sont installeacutes sur lrsquoarchipel entre le Ier et le IIegraveme siegravecle avant

notre egravere (Suggs 1961) Drsquoautres soutiennent lrsquohypothegravese selon laquelle les

premiegraveres occupations remonteraient agrave une eacutepoque plus tardive comprise entre le

IVegraveme et VIIegraveme siegravecle de notre egravere (Sinoto amp Kellum-Ottino 1965 Kellum-Ottino

1971 Bellwood 1983) Les fouilles archeacuteologiques les plus reacutecentes confirment

toutefois que les premiegraveres traces drsquoinstallation humaine dans lrsquoarchipel ne

remontent pas au-delagrave du 1er siegravecle de notre egravere (Molle 2011)132

Jusqursquoagrave lrsquoinstallation au 19egraveme siegravecle des premiers occupants europeacuteens

lrsquoorganisation sociale des icircles avait une base tribale qui assignait le pouvoir aux

hakarsquoiki ndash chefs ou leaders ndash des diffeacuterents laquo ramages raquo133 soit les uniteacutes politiques

qui se reacutepartissaient les valleacutees (karsquoavai134) des icircles en fonction de leurs ressources

eacutecologiques comme la preacutesence drsquoarbres fruitiers par exemple ou drsquoun littoral

132 Cependant certains chercheurs nrsquoexcluent pas lrsquohypothegravese que ces traces ne relegravevent pas de la

peacuteriode de colonisation mais drsquoune phase deacutejagrave avanceacutee culturellement (pour plus de deacutetails voir

Allen amp McAlister 2010)

133 Selon Marshall Sahlins la notion de laquo ramage raquo srsquoapplique agrave laquo un groupe commun de descendance

reacutegi de lrsquointeacuterieur par le principe du droit drsquoaicircnesse raquo (Sahlins 1971 291) Il srsquoagit drsquoun groupe de

descendence cognatique laquo composeacute drsquoindividus associeacutes en fonction des liens geacuteneacutealogiques les

reliant par les hommes ou par les femmes agrave un ancecirctre commun raquo (Barry et al 2000 726) Dans un

sytegraveme de filiation indiffeacuterentieacutee (ni patrilineacuteaire ni matrilineacuteaire) il constitue un lignage qui partage

des caracteacuteristiques propres aux groupes de filiation unilineacuteaire par exemple la transmission des

droits des devoirs des biens ou des titres

134 En langue marquisienne le mot karsquoavai peut signifier valleacutee ou village

184

poissonneux Si cette organisation de lrsquoespace a favoriseacute la creacuteation de reacuteseaux

drsquoeacutechanges et de distribution des ressources entre les divers laquo ramages raquo elle a

surtout servi agrave limiter les conflits entre des communauteacutes geacuteographiquement

proches par le biais drsquoalliances politiques et matrimoniales ayant pour but de

renforcer les liens drsquoentraide et de solidariteacute (Thomas 1990 Pechberty 2012)

Il srsquoagissait drsquoune socieacuteteacute fortement hieacuterarchiseacutee dans chaque valleacutee le

pouvoir politique eacutetait exerceacute par la famille du chef et par son entourage proche

constitueacute de precirctres (les taursquoa et les tuhukarsquoorsquooko) de guerriers et de vassaux Le

critegravere de distribution du pouvoir reposait sur la consanguiniteacute et sur la famille

proche du chef qui constituait la classe tapu sacraliseacutee et doueacutee de certains

pouvoirs surnaturels et qui deacutetenait toutes les fonctions essentielles pour

lrsquoorganisation sociale du karsquoavai Le reste de la communauteacute se composait de la

parenteacute eacutetendue des allieacutes et des prisonniers auxquels eacutetaient assigneacutes les travaux

domestiques (Ferdon 1993) Leur repreacutesentation du temps se basait sur le cycle

saisonnier de lrsquoarbre agrave pain (mei) et sur lrsquoobservation des phases lunaires135

lrsquoespace comme pour drsquoautres peuples austroneacutesiens eacutetait deacutecrit en fonction de la

position de la mer (tai) et de la montagne (uta)136

135 Pour ajuster le deacutecalage entre le cycle lunaire et le cycle solaire le cycle annuel des Pleacuteiades eacutetait

observeacute leur reacuteapparition dans la voucircte ceacuteleste chaque douze mois signait le commencement du

nouvel an (mataiki)

136 Le pegravere Mathias Gracia soulignait que laquo [b]ien qursquoils connaissent comme nous le Nord et le Sud

lrsquoOrient et lrsquoOccident ce ne sont point lagrave pour eux les points cardinaux ils en ont drsquoautres plus

particuliers crsquoest la position de chaque icircle qui la donne le rivage de la megravere et la montagne puis la

185

On connaicirct cette structure sociale et culturelle gracircce aux descriptions de la

socieacuteteacute marquisienne qui ont eacuteteacute reacutealiseacutees entre 1595 ndash date du premier repeacuterage

des icircles par le navigateur espagnol Alvaro de Mendantildea ndash et 1842 quand lrsquoarchipel a

eacuteteacute inteacutegreacute agrave lrsquoEmpire colonial franccedilais qui imposera une acculturation forceacutee et

par-lagrave la transformation de lrsquoorganisation sociale des autochtones En effet comme

le soulignent aussi les travaux drsquoethnohistoire de Dominique Pechberty laquo apregraves

1842 les contacts avec lrsquoOccident srsquointensifient et le paysage politique et culturel est

rapidement modifieacute Les eacutepideacutemies reacuteduisent consideacuterablement la population raquo

(Pechberty 2012 13)137 Victor Seacutegalen en tire drsquoailleurs un triste constat dans ses

droite et la gauche par rapport agrave ces deux points suivant que la personne qui vous parle se tourne

vers lrsquoun ou vers lrsquoautre raquo (Gracia 1843 177) Une eacutetude remarquable sur le systegraveme drsquoorientation

spatiale des Enata a eacuteteacute reacutealiseacutee par Gabriele Cablitz (2006) agrave partir drsquoune analyse approfondie des

formes verbales de la langue marquisienne Bertrand Troadec a observeacute des criteres de

representation de lrsquoespace similaires aussi agrave Tahiti et dans drsquoautres icircles polyneacutesiennes (Troadec

2002 et 2003)

137 Ce constat est aussi partageacute par les observateurs de lrsquoeacutepoque Deacutejagrave en 1883 le capitaine de

vaissaeu Charles Pigeard dans son introduction au journal de bord de Max Radiguet srsquoeacutecriait

laquo [d]epuis 1845 la mort a fait aux icircles Marquises de cruels ravages les coutumes srsquoy sont

sensiblement modifieacutees vienne une nouvelle peacuteriode semblable et le voyageur cherchera peut-ecirctre

en vain sur cette terre la trace des lsquoDerniers Sauvagesrsquo raquo (Radiguet 1883 4) Effectivement si les

rapports des premiers navigateurs entre le XVIIegraveme et le XVIIIegraveme siegravecle estimaient la population agrave

environ 50 000 habitants le recensement de 1842 en comptabilise moins de la moitieacute soit 20 200

personnes (Cook 1777) Le recensement de 1874 comptabilisait 6 011 habitants ndash chiffre qui

baissera agrave 4 279 en 1897 et agrave 3 317 en 1902 En 1921 ils ne restaient plus que 2 094 personnes sur

les six icircles de lrsquoarchipel (Chastel 2001) En 1996 on en deacutenombrait 8 064 et 8 712 en 2002 (Merceron

186

Immeacutemoriaux laquo La variole la syphilis la phtisie lrsquoopium les ont progressivement

eacuteteints Ceux qui restent de teint clair rehausseacute de tatouages purement

ornementaux marchent gaiement et insouciamment vers leur fin de race raquo (Seacutegalen

1907 42)

821 Le projet colonisateur conversion et scolarisation des Marquisiens

Apregraves de bregraveves visites des missionnaires protestants138 qui se sont soldeacutees

par un eacutechec lrsquoEacuteglise catholique srsquoest chargeacutee drsquoeacutevangeacuteliser les Marquises Les

2005) Toutefois les administrateurs de la colonie suivaient une autre hypothegravese pour expliquer

cette crise deacutemographique En 1903 lrsquoInspecteur Geacuteneacuteral des Colonies M Salles eacutecrit dans son

rapport sur la situation aux icircles Marquises qursquo laquo apregraves la tuberculose pulmonaire llsquoalcool et la

nourriture comme causes de mortaliteacute reste le problegraveme de lrsquoinfeacuteconditeacute des femmes raquo puis il ajoute

que laquo [p]armi les usages des Marquisiens il en est un qui est barbare et nuisible entre tous agrave la

production dans la famille avant mecircme drsquoecirctre nubile agrave 10 ou agrave 12 ans la fille est deacutefloreacutee Lrsquointernat

agrave Taiohae et agrave Atuona tel qursquoil a existeacute jusqursquoagrave preacutesent gecircne cette pratique mais si une enfant se

rend accidentellement dans son village ou bien le jour ougrave elle sort de lrsquoeacutecole alors elle subit lrsquoassaut

de tous les macircles de la valleacutee et plus tard elle se targue du nombre drsquohommes auxquels elle a pu

donner satisfaction Apregraves une telle eacutepreuve elle reste geacuteneacuteralement agrave jamais infeacuteconde Les femmes

sont toutes malades dit un rapport meacutedical elles se plaignent toutes de la matrice elles ne peuvent

plus avoir drsquoenfants raquo (citeacute par Chastel 2001 39) Agrave ses yeux cela justifiait le soutien agrave lrsquoœuvre

missionaire pour eacuteviter laquo lrsquoextinction raquo des Marquisiens

138 En 1797 des missionnaires anglais ont essayeacute de srsquoinstaller sur lrsquoicircle de Tahuata suivis entre 1820

et 1825 par des missionaires venus des Eacutetats-Unis En 1826 deux missionaires eacutevangeacutelistes ont

essayeacute drsquoouvrir une mission agrave Ua Pou En 1833 crsquoeacutetait au tour de trois pasteurs anglais agrave Taiohae

187

premiers precirctres catholiques sont arriveacutes en 1838 avec la premiegravere expeacutedition du

capitaine de vaisseau Abel Aubert du Petit-Thouars139 Ce dernier qui avait

conseilleacute au gouvernement lrsquoannexion des icircles afin de les convertir en colonie

peacutenale et qui avait demandeacute lrsquoassistance des missionnaires catholiques pour

faciliter lrsquoœuvre de colonisation obtint lrsquoanneacutee suivante lrsquoautorisation de prendre

possession des Marquises gracircce au soutien politique de Franccedilois Guizot ministre

des Affaires Eacutetrangegraveres de lrsquoeacutepoque (Guizot 1873) En 1842 la deuxiegraveme expeacutedition

eacutetablit deacutefinitivement lrsquoannexion des icircles Marquises agrave la France avec pour objectif

deacuteclareacute de laquo proteacuteger les Kanaks140 raquo drsquoimposer la paix chez les tribus qui peuplaient

les icircles et comme lrsquoaffirmait le Roi Louis-Philippe Ier dans son discours en faveur de

la prise de possession de lrsquoarchipel pour assurer aux navigateurs laquo un appui et un

refuge dont la neacutecessiteacute eacutetait depuis longtemps sentie raquo (Discours prononceacute par le

roi lors de la deuxiegraveme seacuteance royale du 9 janvier 1843 Annales du Parlement

Dans tous les cas ils ont eacuteteacute obligeacutes de repartir agrave cause du refus des autochtones de les accueillir sur

leurs icircles (Lefils 1843 Bartlett 1871 Anderson 1884 OReilly 1961 Laux 2000)

139 Plus connu sous le nom de Dupetit-Thouars

140 Lrsquoethnonyme Kanaks (ou Canaques) ndash deacuteriveacute du terme hawaiumlen kanaka (homme) ndash deacutesigne les

peuples autochtones drsquoorigine meacutelaneacutesienne de Nouvelle-Caleacutedonie Cependant entre le XVIIIegraveme

siegravecle et la premiegravere moitieacute du XXegraveme il eacutetait employeacute pour identifier aussi drsquoautres peuples oceacuteaniens

comme les Marquisiens ou les Pascuans (Eyriaud Des Vergnes 1877) Les Marquisiens eacutetaient aussi

connus sous le nom de laquo Noukahiviens raquo (Lefils 1843 Anonyme 1843 Radiguet 1882)

188

Franccedilais 1844 XXI)141 Bien que le nouveau statut des icircles donnait aux

missionnaires catholiques une couverture juridique ad hoc142 leur mission

progressait tregraves lentement en 1870 seuls les habitants des icircles de Ua Pou et de

Tahuata ndash et de certaines valleacutees de Nuku Hiva et de Hiva Oa ndash avaient accepteacute de se

convertir (Humbert 2003) La population reacutesistait agrave lrsquoeacutevangeacutelisation mais les

missionnaires avaient obtenu lrsquoappui actif des administrateurs coloniaux afin

drsquointerdire les manifestations et les pratiques culturelles et religieuses

traditionnelles143 La creacuteation des premiegraveres eacutecoles aux Marquises srsquoinscrit dans

141 Un extrait de ce discours est eacutegalement citeacute dans une forme leacutegegraverement diffeacuterente dans un texte

anonyme (son auteur affirme ecirctre un capitaine au long cours ayant participeacute agrave lrsquoexpeacutedition de du

Petit-Thouars) sur le climat les ressources naturelles et les mœurs des habitants des icircles Marquises

(Anonyme 1843 2)

142 Le Gouverneur des Marquises le consul Armand Joseph Bruat reacutesidant agrave Tahiti ndash de par ses

fonctions de gouverneur des eacutetablissements de lrsquoOceacuteanie ndash avait chargeacute les missionnaires de

lrsquoadministration de la gestion quotidienne des affaires courantes dans les icircles leur moyennant laquo un

traitement et des frais drsquoinstallation raquo pour rendre hommage agrave leur courage dans lrsquoaccomplissement

de laquo leur peacuterilleux travail sur les indigegravenes anthropophages raquo (Guizot 1873 110) Il faut aussi

ajouter que le premier regraveglement de conduite pour les icircles (connu comme le laquo code Dordillon raquo) a

directement eacuteteacute eacutetabli par lrsquoeacutevecircque des icircles Reneacute-Ildefonse Dordillon qui le fait ensuite approuver

par le Gouverneur des Marquises le 2 mars 1863 (Koenig 1995) Le code preacutecisait les regravegles

matrimoniales le droit de proprieacuteteacute fonciegravere et de lrsquousufruit et prescrivait une liste drsquointerdictions

lieacutees aux coutumes indigegravenes concernant les rituels mortuaires la boisson les chants les parures

corporelles les croyances paiumlennes les transports et le feu

143 Toutefois les missionnaires eux non plus ne montraient guegravere drsquoenthousiasme pour leur travail

sur ces terres laquo paiumlennes raquo En 1844 le pegravere Oreus Frechon eacutecrira agrave ses supeacuterieurs agrave propos des

189

cette dynamique la premiegravere a eacuteteacute inaugureacutee en 1847 par les Sœurs de Saint Joseph

de Cluny144 sur lrsquoicircle de Tahuata Ont ensuite vu le jour les eacutecoles de Nuku Hiva en

1848 et drsquoUa Pou en 1879 (Cerveau 2001) En 1885 crsquoest au tour de Hiva Oa avec

la fondation de lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph de Cluny agrave Atuona qui a commenceacute ses

activiteacutes la mecircme anneacutee avec 60 eacutelegraveves Les effectifs vont croissant lrsquoanneacutee

suivante en 1886 il y avait deacutejagrave 113 eacutelegraveves 124 en 1887 153 en 1888 226 en 1889

et 210 en 1893 (Lamaison-Nogues 1996) En 1888 drsquoautres eacutetablissements

scolaires ont ouvert leurs portes agrave Hiva Oa agrave Puamau ndash dans lrsquoextreacutemiteacute sud-

orientale de lrsquoicircle ndash deux eacutecoles pour garccedilons (une catholique avec 153 eacutelegraveves et une

protestante avec 73 garccedilons) et agrave Atuona une deuxiegraveme eacutecole protestante

accueillant 53 filles de moins de 5 ans (Bailleul 2001) Au cours des anneacutees

suivantes la timide preacutesence des eacutecoles protestantes a favoriseacute la conversion des

familles des parents drsquoeacutelegraveves mais elle ne mettra jamais agrave mal la preacutedominance de

Marquisiens que laquo crsquoest un peuple mort qui reconnaicirct la veacuteriteacute sans lrsquoembrasser raquo (citeacute par Toullelan

1989 98)

144 En 1843 lrsquoamiral Roussin ministre drsquoEacutetat de la Marine et des Colonies a contacteacute la Megravere Anne-

Marie Javouhey fondatrice de la congreacutegation de Saint Joseph de Cluny en lui demandant sa

contribution afin drsquoappuyer lrsquoaction eacutevangeacutelisatrice aux icircles Marquises par lrsquoenvoi drsquoun groupe de

Sœurs missionnaires qui se seraient chargeacutees drsquoassister lrsquoactiviteacute du clergeacute mais surtout la creacuteation

et la gestion des eacutetablissements scolaires La Meacutere Anne-Marie eacutetait tregraves connue agrave lrsquoeacutepoque pour

lrsquoœuvre missionaire qursquoelle avait meneacutee en Guyane

190

la religion catholique sur lrsquoicircle puisque celle-ci restera jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle le

culte majoritaire145

Entre 1904 et 1924 toutes les eacutecoles de la Mission durent fermer en raison

du processus de laiumlcisation et de seacuteparation de lrsquoEacuteglise et de lrsquoEacutetat146 En 1905

lrsquoadministration coloniale reacutequisitionna les terrains de lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph

de Cluny pour y installer la toute premiegravere eacutecole publique des Marquises avec pour

objectif drsquoaccueillir tous les eacutelegraveves en acircge scolaire de lrsquoicircle Le premier instituteur eacutetait

un peintre autodidacte et sans aucune formation peacutedagogique venu srsquoinstaller sur

lrsquoicircle pour suivre les traces de Gauguin (Delmas 1927) Cependant du fait de la

distance qui seacuteparait lrsquoeacutecole des autres villages elle nrsquoeacutetait freacutequenteacutee que par les

enfants du bourg drsquoAtuona et des alentours Agrave partir de 1940 lrsquoassouplissement des

mesures leacutegislatives et regraveglementaires sur lrsquointerdiction de lrsquoenseignement aux

145 Selon Jean-Marc Regnault 95 des Marquisiens sont catholiques (Regnault 1999) Eve Sivadjian

preacutesente le mecircme pourcentage pour les habitants de Nuku Hiva (Sivadjian 1999c) Bien qursquoil nrsquoexiste

pas de statistiques officielles apregraves ma mission sur le terrain cette estimation me semble eacutegalement

valable pour lrsquoicircle de Hiva Oa

146 Par effet de la loi du 7 juillet 1904 (connue comme la laquo loi Combes raquo) interdisant lrsquoenseignement

agrave toute congreacutegation et qui srsquoest traduite dans la Deacutecision du 21 septembre 1904 publieacutee dans le

Journal Officiel des Eacutetablissements Franccedilais de lrsquoOceacuteanie laquo Est ordonneacutee agrave dater du 30 septembre

1904 la fermeture des eacutecoles priveacutees drsquoAtuona dont les maicirctres ne possegravedent pas les titres

neacutecessaires et lrsquoautorisation reacuteglementaire pour enseigner raquo

191

congreacutegations147 leur a permis de rouvrir tout en continuant agrave ecirctre les seules agrave

disposer des espaces du personnel et du mateacuteriel neacutecessaires agrave leur tacircche148 Agrave

lrsquoheure actuelle lrsquoicircle accueille six eacutecoles primaires publiques (agrave Atuona agrave Hanaiapa

agrave Hanapaaoa agrave Nahoe agrave Puamau et agrave Taaoa) une eacutecole priveacutee (lrsquoEacutecole Sainte Anne

qui a succeacutedeacute agrave lrsquoEacutecole de Sœurs de St Joseph de Cluny) doteacutee aussi drsquoun collegravege et

drsquoun internat et le Collegravege et Lyceacutee Professionnel drsquoAtuona qui gegravere aussi le Centre

drsquoeacuteducation aux technologies approprieacutees au deacuteveloppement (CETAD) drsquoAtuona

822 Entre localismes et globalismes revendications culturelles et

patrimonialisation du territoire

Aujourdrsquohui bien que les formes drsquoorganisation sociale des Enata aient

disparu en faveur de lrsquoadoption des institutions reacutepublicaines nombreuses sont les

valeurs et les traits culturels ancestraux qui ont surveacutecu agrave la dynamique coloniale et

postcoloniale Contredisant la preacutevision de Victor Seacutegalen qui en 1907

147 Gracircce aux lois du 3 septembre 1940 et du 8 avril 1942 confirmeacutees apregraves la Libeacuteration qui

abrogegraverent la loi Combes et assouplirent certaines dispositions preacutevues par le titre III de la loi du 1er

juillet 1901 relative au contrat drsquoassociation et notamment agrave la reconnaissance leacutegale des

congreacutegations religieuses

148 Dans un rapport de lrsquoinspecteur des colonies datant de 1922 on peut lire qursquo laquo [agrave Hiva Oa]

lrsquoinstruction officielle a fait faillite faute de maicirctres sachant srsquoadapter aux conditions drsquoexistence raquo et

que laquo [l]e recrutement drsquoinstituteurs pour les Marquises est un leurre raquo (citeacute par Bailleul 2001 149)

En drsquoautres termes ni les meacutetropolitains ni les Tahitiens ni mecircme les Marquisiens nrsquoont accepteacute

drsquoaller ou de rester travailler dans les eacutecoles publiques des icircles Marquises

192

pronostiquait leur laquo extinction raquo les Marquisiens ont eacuteteacute capables de survivre agrave la

laquo moderniteacute raquo en adaptant leurs coutumes leurs usages et leurs modes de vie au

contexte environnemental dans lequel ils habitent et agrave la hieacuterarchie politique qui les

administre

Comme lrsquoa souligneacute Michel Bailleul laquo les deux derniegraveres deacutecennies du XXegraveme

siegravecle sont marqueacutees dans lrsquoarchipel par la recherche identitaire [hellip] De nombreux

Marquisiens se lancent avec passion agrave la recherche de leur racines raquo (Bailleul 1999

168) Bien que la colonisation la conversion et la scolarisation forceacutee des habitants

de Hiva Oa ait contribueacute pendant des deacutecennies au processus de laquo deacuteculturation raquo ndash

avec lrsquointerdiction du tatouage149 des danses et des chants traditionnels ou encore

lrsquoexclusion de la langue locale de lrsquoenseignement scolaire150 ndash depuis quelques

149 Le cas du tatouage est particuliegraverement inteacuteressant puisque bien que la presque totaliteacute des

Marquisiens soient aujourdrsquohui - en notre deacutebut de 21egraveme siegravecle - tatoueacutes drsquoun point de vue

strictement juridique cette coutume est encore illeacutegale En effet lrsquoarrecircteacute numeacutero 276 du 15

septembre 1898 signeacute par Monsieur Gallet Gouverneur des Eacutetablissements Franccedilais de lrsquoOceacuteanie

qui confirmait certaines dispositions du laquo code Dordillon raquo dont lrsquointerdiction du tatouage aux icircles

Marquises nrsquoa jamais eacuteteacute abrogeacute La peine preacutevue est une amende de 25 agrave 100 francs pacifiques et

le cas eacutecheacuteant un emprisonnement ne pouvant exceacuteder une dureacutee de 15 jours Ce qui signifie que agrave

lrsquoheure actuelle la grande majoriteacute des habitants des icircles se trouvent en situation irreacuteguliegravere face agrave

la loi Fort heureusement ces dispositions ne sont plus appliqueacutees depuis longtemps

150 Cependant le laquo code Dordillon raquo admettait lrsquoemploi du marquisien comme langue

drsquoeacutevangeacutelisation

193

anneacutees la renaissance identitaire marquisienne passe justement par lrsquoeacutecole et

lrsquoEacuteglise

Lrsquoassociation culturelle Motu Haka consideacutereacutee comme lrsquoexpression la plus

vivante de cette renaissance a eacuteteacute fondeacutee suite au synode dioceacutesain voulu en 1979

par Monseigneur Herveacute-Marie Le Cleacuteacrsquoh eacutevecircque du diocegravese de Taiohae (qui

administre la circonscription apostolique correspondant agrave lrsquoarchipel des Marquises)

et deacutefenseur de lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoEacuteglise locale se devait drsquoecirctre laquo marquisienne raquo

dans lrsquoexpression de sa foi dans ses orientations ainsi que dans ses ministres et ses

animateurs En 1987 Motu Haka soutenue financiegraverement par le clergeacute catholique

a organiseacute le premier Festival des arts des icircles Marquises afin de rendre visible la

richesse du patrimoine culturel local Aujourdrsquohui le festival qui est consideacutereacute

comme une manifestation culturelle majeure en Polyneacutesie se tient tous les quatre

ans dans une icircle diffeacuterente de lrsquoarchipel pour ceacuteleacutebrer non seulement le patrimoine

local mais aussi celui de toute lrsquoaire oceacuteanienne agrave travers des performances de

danses et de chants traditionnels des compeacutetitions sportives des deacutegustations

gastronomiques des ateliers de tatouage drsquoartisanat en bois os ou pierre151 des

productions de tapa (vecirctements faits drsquoeacutecorce de banyan Ficus prolixa) ou de

pirogues Des groupes venant drsquoautres pays du continent y sont reacuteguliegraverement

inviteacutes152

151 Il srsquoagit surtout de reproductions de petite taille des tiki les grandes statues anthropomorphes

repreacutesentant laquo Tiki raquo lrsquoancecirctre semi-divin qui fut selon les leacutegendes locales le premier homme

152 Le dernier festival srsquoest tenu en 2015 agrave Hiva Oa

194

Monseigneur Le Cleacuteacrsquoh probablement de par ses origines (il eacutetait neacute dans le

Finistegravere et selon mes interlocuteurs il eacutetait tregraves fier de ses racines bretonnes)

avait tregraves vite compris lrsquoimportance du patrimoine culturel marquisien en

encourageant ses expressions et en promouvant la langue surtout dans les espaces

religieux153 Pendant mon seacutejour agrave Hiva Oa jrsquoai pu assister agrave plusieurs ceacutereacutemonies

religieuses et toutes se sont deacuterouleacutees en langue marquisienne154 Une fois par

semaine la messe est officieacutee en langue franccedilaise pour un public de Franccedilais

meacutetropolitains ou de Tahitiens ndash les enseignants les gendarmes et le personnel de

santeacute qui travaillent temporairement sur lrsquoicircle ndash mais aussi de navigateurs ou de

touristes eacutetrangers de passage De mecircme lrsquoAcadeacutemie marquisienne Tuhuna rsquoEo

Enata (litteacuteralement laquo les experts de la langue marquisienne raquo) institution

culturelle creacuteeacutee par lrsquoAssembleacutee de la Polyneacutesie franccedilaise155 ndash tout comme

lrsquoAcadeacutemie tahitienne ndash ayant pour mission de sauvegarder et drsquoenrichir la langue

153 Il reacutedigea drsquoailleurs un lexique marquisien-franccedilais (Le Cleach 1997) et soutint un projet de

traduction de la Bible en langue marquisienne

154 La premiegravere messe en langue marquisienne a eacuteteacute ceacuteleacutebreacutee le 15 aoucirct 1988 sous la conduite du

cardinal samoan Pio Taofinuu leacutegat du Pape pour le Jubileacute des 150 ans de la mission catholique des

icircles Marquises

155 Par la deacutelibeacuteration ndeg 2000-19 APF du 27 janvier 2000 laquo portant creacuteation de lrsquoAcadeacutemie

marquisienne raquo

195

marquisienne a toujours joui du soutien de lrsquoeacutevecirccheacute156 et depuis sa creacuteation son

siegravege est accueilli dans les locaux de la Mission catholique de Taiohae Par ailleurs

presque tous les jeunes de lrsquoicircle participent aux activiteacutes dominicales organiseacutees en

langue marquisienne par les paroisses telles que des cours de danse des groupes

de musique des chorales et autres activiteacutes ludiques mais laquo traditionnelles raquo

Dans les eacutecoles aussi la culture locale est deacutesormais tregraves valoriseacutee Bien que

la loi ndeg 51-46 du 11 janvier 1951 relative agrave lrsquoenseignement des langues et des

dialectes locaux (connue comme laquo loi Deixonne raquo) autorisait les maicirctres agrave recourir

aux laquo parlers raquo locaux dans les eacutecoles maternelles et primaires de la Reacutepublique

ainsi qursquoagrave consacrer chaque semaine une heure drsquoactiviteacutes pour enseigner des

notions eacuteleacutementaires de lecture et drsquoeacutecriture dans la langue locale cette loi ne srsquoest

eacutetendue agrave la Polyneacutesie franccedilaise qursquoen 1981157 soit trente ans plus tard et

seulement pour la langue tahitienne Mais au deacutebut des anneacutees 1980 certains

membres de lrsquoassociation Motu Haka qui travaillaient en tant qursquoenseignants dans

les eacutecoles de lrsquoarchipel ont commenceacute agrave inclure des activiteacutes en langue marquisienne

dans leurs programmes Comme me lrsquoa signaleacute un drsquoentre eux laquo il nrsquoy avait pas

autant de controcircles agrave lrsquoeacutepoque pas drsquoinspecteurs ni visites des conseilleurs

156 Des precirctres catholiques sont aussi membres de lrsquoAcadeacutemie tahitienne et lrsquoAcadeacutemie parsquoumotu qui

est chargeacutee drsquoassurer la sauvegarde et lrsquoenrichissement de la langue parsquoumotu parleacutee dans lrsquoarchipel

des Tuamotu

157 Avec le deacutecret 81-553 du 12 mai 1981 relatif agrave lrsquoenseignement des langues et laquo dialectes raquo locaux

196

peacutedagogiques Alors on faisait nos cours en eacuteo enata158 Crsquoeacutetait pratique pour

expliquer certaines notions de matheacutematiques par exemple ou de science Les

gamins apprenaient plus vite raquo Monseigneur Le Cleacuteacrsquoh qui soutenait discregravetement

ces enseignants a alors inviteacute un eacuteminent linguiste luxembourgeois le pegravere Franccedilois

Zewen lequel dirigeait le Centre de Recherche des Eacuteglises du Pacifique agrave Port-Vila

Vanuatu Le pegravere Zewen a seacutejourneacute agrave Taiohae jusqursquoen mars 1987 eacutepoque agrave laquelle

il publia le premier manuel drsquoenseignement de la langue marquisienne ce qui facilita

consideacuterablement le travail de ces enseignants laquo non conformes raquo (Zewen 1987)

Notons que le second manuel de ce type nrsquoest paru qursquoen 2009

Aujourdrsquohui dans toutes les classes des eacutecoles primaires de Hiva Oa les

enseignants reacutealisent reacuteguliegraverement souvent en partenariat avec lrsquoAcadeacutemie

marquisienne des activiteacutes en langue marquisienne et consacrent une partie de leur

programme agrave des projets visant agrave deacutevelopper des compeacutetences sur le territoire et la

culture des icircles Aussi depuis 2002 afin drsquoencourager la reacutedaction en marquisien

lrsquoAcadeacutemie organise un concours drsquoeacutecriture pour les eacutelegraveves des eacutetablissements des

premier et second degreacutes des icircles Marquises et depuis 2005 sont publieacutes les

premiers livres et meacutethodes du maicirctre pour inteacutegrer le marquisien dans les

enseignements Jusqursquoagrave lrsquoanneacutee scolaire 2014-2015159 ndash anneacutee durant laquelle jrsquoai

158 Crsquoest ainsi qursquoest appeleacutee la langue marquisienne Cette graphie suit la prononciation des habitants

des icircles du groupe meacuteridional de lrsquoarchipel (Hiva Oa Tahuata et Fatu Hiva) Dans les icircles du groupe

nord (Nuku Hiva Ua Huka et Ua Pou) on dit laquo eacuteo enana raquo

159 Mais depuis la rentreacutee 2015 les enseignants doivent y consacrer cinq heures hebdomadaires

197

reacutealiseacute mon travail de terrain ndash dans les classes de maternelle deux heures et

quarante minutes hebdomadaires eacutetaient reacuteserveacutees agrave la langue marquisienne En

reacutealiteacute les enseignants que jrsquoai intervieweacutes mrsquoont reacuteveacuteleacute qursquoils faisaient souvent au

moins quatre ou cinq heures hebdomadaires de cours en marquisien ce qui

permettait aux eacutelegraveves de pratiquer leur langue agrave lrsquoeacutecole pregraves drsquoune heure par jour

Cependant comme me lrsquoont signaleacute beaucoup de parents degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme

lrsquoenseignement de la langue nrsquoest plus assureacute dans les mecircmes conditions et seule

une heure par semaine lui est consacreacutee160

Pour beaucoup drsquohabitants de Hiva Oa ndash et pour beaucoup de Marquisiens ndash

lrsquoenjeu politique essentiel du deacutebut du XXIegraveme siegravecle est aussi lrsquoinscription des icircles

dans la liste UNESCO du Patrimoine mondial de lrsquohumaniteacute Depuis 2010 date agrave

laquelle la Deacuteleacutegation Permanente de la France aupregraves de lrsquoUNESCO161 a soumis agrave

lrsquoOrganisation la candidature de lrsquoarchipel ndash justifieacutee par sa laquo valeur universelle

exceptionnelle raquo ndash les Marquisiens attendent litteacuteralement le laquo miracle raquo Selon la

plupart des villageois lrsquoinscription sur la liste de lrsquoUNESCO rapporterait aux

Marquises des investissements du travail et un certain bien-ecirctre mais surtout une

160 Cette attitude on le verra dans les chapitres suivants est pour le moins paradoxale Dans la

majoriteacute des familles que jrsquoai observeacutees pendant mon seacutejour agrave Hiva Oa les parents srsquoadressent aux

enfants en langue franccedilaise et le marquisien est consideacutereacute comme une laquo langue drsquoadultes raquo (pour

utiliser une expression qui mrsquoa eacuteteacute suggeacutereacutee par le linguiste Jacques Vernaudon)

161 Le dossier de candidature a eacuteteacute mis au point par lrsquoassociation Motu Haka (laquelle entretemps a

modifieacute son nom pour devenir la laquo Feacutedeacuteration culturelle et environnementale des Marquises raquo)

lrsquoAcadeacutemie marquisienne et lrsquoInstitut de Recherche pour le Deacuteveloppement (IRD)

198

reconnaissance internationale neacutecessaire pour se laquo deacutebarrasser raquo de ce que certains

de mes informateurs appellent laquo le double colonialisme franco-tahitien raquo

Lucien Kimitete162 lrsquoun des fondateurs de lrsquoassociation Motu Haka reacutesumait

cette ideacutee lors drsquoune de ses derniegraveres interviews avec la presse

laquo Il ne faut jamais oublier que les Marquises sont un butin de

guerre pour la France qui les a par commoditeacute inteacutegreacutees agrave la

Polyneacutesie Si nous avons eacuteteacute coloniseacutes autrefois par la France

aujourdrsquohui le colonisateur crsquoest Tahiti Et ici toute la vie

administrative et politique reflegravete la double tutelle de la meacutetropole

franccedilaise et des autoriteacutes tahitiennes Nous avons tout en deux

exemplaires administrateurs repreacutesentants religieux etc Nous

sommes bien gardeacutes trop bien On nous fait ingurgiter agrave la fois ce qui

vient de France et de Tahiti Nous avons deux cordes au pied et il

faudra bien qursquoil y en ait une qui cegravede raquo (citeacute par du Prel 2002 20)163

162 Ce champion de laquo lrsquoidentiteacute marquisienne raquo qui eacutetait aussi maire de Taiohae trouva la mort le 23

mai 2002 en pleine campagne eacutelectorale quand le bimoteur sur lequel il voyageait avec drsquoautres

leaders laquo autonomistes raquo drsquoopposition (Boris Leacuteontieff Arsen Tuairau et Ferfine Besseyre tous

membres du parti Fetia Api) disparut en vol Le mystegravere de cette catastrophe aeacuterienne reste entier agrave

ce jour Aucun corps nrsquoa jamais eacuteteacute retrouveacute et lrsquoenquecircte sur les circonstances du crash est

officiellement close depuis janvier 2011

163 Une partie du texte de cette mecircme interview est aussi citeacute ndash avec de leacutegegraveres modifications ndash dans

un article de Pierre Carpentier (2014) pour le magazine Tahiti Info

199

Le pegravere Mathias Gracia lrsquoavait deacutejagrave eacutecrit en 1839 en avisant ses supeacuterieurs

que laquo le peuple marquisien est un peuple fier naturellement indeacutependant raquo (Gracia

1839 33) Cependant jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle les Marquises restent sous le double

controcircle de lrsquoEacutetat et du Territoire de la Polyneacutesie franccedilaise Rien de concret ne laisse

preacutesager que cette situation puisse changer dans un futur proche

200

9 Les eacutecosystegravemes eacuteducatifs espaces domestiques reacuteseaux de parenteacute et

vie communautaire

Le premier objectif de cette thegravese est de deacutecrire les microsystegravemes de

socialisation primaire dans les deux contextes drsquoeacutetude choisis En drsquoautres termes il

srsquoagit de repeacuterer les personnes ou les groupes de personnes qui jouent un rocircle

drsquoeacuteducateurs aupregraves des enfants qui ont constitueacute mon laquo univers drsquoeacutetude raquo et de

comprendre leur fonction dans la transmission des connaissances des savoir-faire

et des compeacutetences lieacutes agrave certains domaines fondamentaux comme la production et

la transformation des aliments la construction et lrsquoentretien de la maison la

meacutedecine traditionnelle la preacuteparation et la participation agrave des ceacutereacutemonies ou

rituels communautaires la production drsquooutils neacutecessaires agrave la reacutealisation des

activiteacutes que je viens de mentionner (la laquo culture mateacuterielle raquo proprement dite) les

mythes les leacutegendes et lrsquohistoire locale la reconnaissance du territoire ou encore

les regravegles de vie Pour obtenir ce type drsquoinformations jrsquoai observeacute les enfants choisis

et noteacute toutes les personnes ndash ou groupes de personnes ndash qui avaient des

interactions eacuteducatives avec eux tout en essayant de comprendre quels domaines

du savoir elles prenaient en charge

91 Les microsystegravemes de socialisation agrave Antecume pata

Le village drsquoAntecume pata est assez petit (en 2012 il ne comptait que 312

habitants tous lieacutes entre eux par un lien de parenteacute) et agrave lrsquoexception de lrsquoeacutecole on

201

ne trouve quasiment aucun organisme ou institution social ou culturel En effet la

seule association du village lrsquoAssociation Yepeacute a eacuteteacute fondeacutee afin de faciliter la mise

en place de projets et les demandes de subvention ou drsquoaide financiegravere aupregraves des

administrations publiques En revanche elle ne reacutealise pas drsquoactiviteacutes drsquoanimation

pour les enfants du village elle nrsquoa donc pas de fonction laquo drsquoeacuteducateur raquo et ne se

charge pas directement de la transmission des savoirs Il en va de mecircme pour les

groupes religieux bien que la majoriteacute des adultes du village se deacuteclarent de foi

catholique baptiste ou eacutevangeacutelique164 les enfants ne participent geacuteneacuteralement pas

aux activiteacutes religieuses Autrement dit en dehors de lrsquoeacutecole toutes les interactions

sociales des enfants du village se reacutealisent avec des membres plus ou moins proches

de leur reacuteseau de parenteacute

164 Agrave mon arriveacutee agrave Antecume pata en janvier 2011 seuls deux villageois se deacuteclaraient croyants et

plus exactement catholiques Depuis la laquo vague de suicides raquo qui a seacutevi dans le Haut Maroni entre

2011 et 2013 le village a eacuteteacute visiteacute par plusieurs missionnaires catholiques baptistes et eacutevangeacuteliques

qui se sont litteacuteralement livreacutes agrave une laquo guerre des conversions raquo afin drsquoattirer le plus grand nombre

drsquoadeptes possible Agrave lrsquoheure actuelle la moitieacute des familles de lrsquoicircle deacuteclare appartenir agrave la religion

catholique Les autres sont pour moitieacute baptistes (dirigeacutes par des pasteurs ameacutericains baseacutes au

Suriname et lieacutes agrave lrsquoOrganisation des baptistes unis du Suriname Organization of Baptists United of

Suriname) pour moitieacute eacutevangeacuteliques (avec des pasteurs breacutesiliens baseacutes agrave Maripasoula) Toutefois

il convient drsquoajouter que rares sont les personnes qui ont adopteacute les habitudes et les modes de vie

propres agrave leur nouvelle religion et que dans la grande majoriteacute des cas la participation aux cultes du

samedi ou du dimanche est la seule manifestation visible de la foi deacuteclareacutee

202

911 La laquo maisonneacutee raquo ameacuterindienne

La famille wayana-apalaiuml comprend plusieurs microsystegravemes Les Wayana-

Apalaiuml ndash tout comme les autres groupes ameacuterindiens de Guyane ndash ont en effet une

conception eacutetendue de la famille qui srsquoeacutelargit agrave la fratrie des parents ndash biologiques

ou adoptifs ndash de lrsquoenfant Selon leur systegraveme de classification toutes les sœurs de la

megravere biologique sont consideacutereacutees comme des laquo megraveres raquo (appeleacutees mama ou mamak)

et tous les fregraveres du pegravere sont consideacutereacutes comme des laquo pegraveres raquo (papa ou papak)

leurs enfants eacutetant tous sœurs et fregraveres Agrave lrsquoinverse les fregraveres de la megravere et les sœurs

du pegravere (soit la fratrie de sexe opposeacute des parents biologiques) sont consideacutereacutes

comme des beaux-parents leur descendance constitue donc des eacutepoux potentiels

pour lrsquoenfant Les femmes de la mecircme ligne de rang (n) se considegraverent entre elles

comme des laquo sœurs raquo et considegraverent les femmes de la ligne n-1 (dans le sens

ascendant) comme des laquo megraveres raquo celles de la ligne n-2 comme des laquo grands-megraveres raquo

et celles de la ligne n+1 (dans le sens descendant) comme des laquo filles raquo Les hommes

qui appartiennent agrave la mecircme ligne uteacuterine considegraverent toutes les femmes de la

mecircme ligne de rang (n) comme des sœurs et toutes les femmes de la ligne n-1

comme des megraveres Les fils des oncles maternels et des sœurs de leurs pegraveres sont

consideacutereacutes comme des eacutepoux potentiels (i-mnerum) pour les filles De la mecircme

faccedilon les filles des oncles maternels et des sœurs de leurs pegraveres sont consideacutereacutees

comme des eacutepouses potentielles (i-puit) pour les garccedilons Geacuteneacuteralement les cousins

et cousines croiseacutes srsquoappellent entre eux laquo eacutepoux raquo et laquo eacutepouses raquo sans forceacutement se

marier de telle sorte qursquoune femme appellera ses propres enfants i-mumu (mon

enfant) mais aussi les enfants de ses sœurs classificatoires et des hommes qursquoelle

203

appelle i-mnerum165 Ces regravegles donnent lieu agrave un systegraveme terminologique coheacuterent

ndash dit de laquo type iroquois raquo166 en anthropologie de la parenteacute ndash qui marque la coheacutesion

du systegraveme familial au travers de deacutefinitions preacutecises pour la geacuteneacutealogie horizontale

(fregraveres sœurs eacutepoux eacutepouses beaux-fregraveres et belles-sœurs) et verticale (megraveres

pegraveres belles-megraveres beaux-pegraveres grands-megraveres grands-pegraveres fils neveux et

niegraveces) Ce systegraveme de filiation fictive tient du fait que pour une fille tous les

hommes de sa geacuteneacuteration soient consideacutereacutes soit comme des fregraveres soit comme des

eacutepoux (Hurault 1968)

Lrsquoisolat endogamique ndash crsquoest-agrave-dire lrsquoaire geacuteographique dans laquelle se

concluent les alliances matrimoniales ndash coiumlncide en theacuteorie avec lrsquoaire de

distribution des Wayana-Apalaiuml en Guyane au Breacutesil et au Suriname En reacutealiteacute cette

aire est circonscrite au laquo pays ameacuterindien raquo guyanais du fait des difficulteacutes des

deacuteplacements transfrontaliers (qui neacutecessitent un passeport et un visa pour voyager

165 Observons que mecircme en preacutesence drsquoun systegraveme de filiation fictive les Wayana-Apalaiuml rejegravetent la

notion drsquoallomaternaliteacute

166 Selon Georges Murdock (1949) ndash qui rejetait la distinction proposeacutee par Lewis Morgan (1871)

entre systegravemes de parenteacute descriptifs et systegravemes classificatoires ndash le systegraveme iroquois baseacute sur le

principe eacutetabli par Robert Lowie (1915 1928) du bifurcate merging (expression que nous pouvons

traduire par laquo bifurcation et assimilation raquo) assigne le mecircme terme de classification du pegravere aux

oncles paternels et celui de la megravere aux tantes maternelles Les cousins parallegraveles sont alors assimileacutes

agrave la fratrie et les cousins croiseacutes ndash les cousins germains de sexe diffeacuterent ndash sont consideacutereacutes comme

des membres laquo eacuteloigneacutes raquo de la famille ce qui en fait comme chez les Wayana-Apalaiuml des eacutepoux ou

eacutepouses potentiels (Voir aussi Murdock et al 1960)

204

drsquoun pays agrave lrsquoautre) or agrave lrsquoheure actuelle aucun des trois pays nrsquoa voulu eacuteliminer

ces barriegraveres La reacutesidence est geacuteneacuteralement uxorilocale crsquoest-agrave-dire que les

nouveaux conjoints srsquoinstallent dans la maison des parents de lrsquoeacutepouse leurs

enfants partagent le mecircme espace domestique que celui des grands-parents

maternels et des familles de leurs tantes maternelles Cependant la situation

deacutemographique actuelle ndash caracteacuteriseacutee par une croissance geacuteomeacutetrique de la

population dans les villages ameacuterindiens ndash fait que les couples ne srsquoeacutetablissent chez

les parents de lrsquoeacutepouse que si ceux-ci ont la possibiliteacute de les accueillir agrave savoir une

maison suffisamment spacieuse et eacutequipeacutee pour recevoir le nouveau couple et sa

descendance Par ailleurs il existe de nombreuses exceptions certaines familles

preacutefeacuterant srsquoinstaller chez les parents de lrsquoeacutepoux qui ont des revenus plus

importants et drsquoautres preacutefeacuterant srsquoinstaller loin de leurs familles drsquoorigine pour

eacuteviter les conflits lieacutes au partage drsquoun mecircme espace domestique

Dans le processus de formation en place au sein des foyers wayana-apalaiuml

chaque membre de la famille a un rocircle tregraves preacutecis et des responsabiliteacutes concregravetes

vis-agrave-vis des enfants Toute la journeacutee la megravere wayana ou apalaiuml porte lrsquoenfant de

sa naissance agrave la deuxiegraveme anneacutee dans ses bras agrave lrsquoaide drsquoune bandouliegravere (un

hamac miniature tisseacute en coton que les femmes portent sur une eacutepaule) beaucoup

de megraveres continuent agrave porter leur enfant en bandouliegravere jusqursquoagrave ses trois ans

Lrsquoallaitement dure trois ans en moyenne mais certains enfants continuent de teacuteter

205

jusqursquoagrave quatre ans167 Crsquoest la megravere qui se charge de la formation au langage qui

enseigne aux enfants agrave parler et agrave distinguer les mots lieacutes agrave la vie quotidienne du

foyer En effet chez les Ameacuterindiens du Haut Maroni

laquo les beacutebeacutes ne sont jamais laisseacutes seuls [hellip] On cherchera

toujours agrave donner du sens aux babillages drsquoun beacutebeacute qursquoil ne faut pas

laisser sans reacuteponse On deacutecrypte ainsi la future personnaliteacute de

lrsquoenfant agrave travers une calme attention de son comportement ces

observations presque eacutethologiques peuvent deacuteterminer le nom que

recevra lrsquoenfant lorsqursquoil saura marcher [hellip] Les pleurs eacutetant

consideacutereacutes comme une grave menace pour la construction de la

personnaliteacute de lrsquoenfant on fait en sorte de les eacuteviter et les femmes

peu doueacutees pour ce genre de conciliation passent pour de piegravetres

megraveres raquo (Hurault et al 1998 140)

Lorsque lrsquoenfant rentre dans sa troisiegraveme anneacutee le rocircle de la megravere est

drsquoenseigner aux petites filles les tacircches meacutenagegraveres les outils et les temps de cuisson

des aliments lrsquoemplacement et lrsquoespace de lrsquoabattis lrsquoart de la filature et du tissage

du coton pour la confection des bandouliegraveres et des hamacs mais surtout les

compeacutetences sociales basiques que de maniegravere syntheacutetique on pourrait reacutesumer au

167 Dans ce cas il srsquoagit drsquoune pratique qui nrsquoa pas de fonction nutritionnelle et qui srsquoapparente plutocirct

agrave la laquo teacuteteacutee cacirclin raquo dont la fonction est de rassurer lrsquoenfant ou de le calmer pour eacuteviter qursquoil pleure

206

respect des autres et au fait drsquoecirctre toujours disposeacutees agrave accueillir convenablement

les eacuteventuels hocirctes de la maison Aux garccedilons elle enseigne une seacuterie de

compeacutetences lieacutees agrave lrsquoautonomie et qui consistent comme le reacutesume une villageoise

drsquoAntecume Pata agrave savoir faire attention agrave soi-mecircme Il srsquoagit des apprentissages lieacutes

aux dangers de la maison du village et de lrsquoabattis laquo le feu qui brucircle la chenille qui

pique le fleuve ougrave lrsquoon peut se noyer raquo

Les fonctions eacuteducatives du pegravere sont strictement lieacutees aux espaces propres

agrave lrsquohomme ameacuterindien le fleuve et la forecirct Crsquoest lui qui srsquooccupe drsquoenseigner agrave ses

filles toute une seacuterie de notions sur lrsquoeacutecosystegraveme dans lequel elles vivent ce qui leur

permettra une fois adultes de reconnaicirctre les diffeacuterents bruits de la forecirct les

diffeacuterentes espegraveces de gibier et la maniegravere de les preacuteparer avant de les cuisiner Le

pegravere qui ramegravene de bonnes proies agrave la maison est pour ses filles un modegravele du bon

chasseur qui nourrit toute sa famille ndash modegravele qui les guidera dans le choix de leur

eacutepoux Aux garccedilons le pegravere enseigne les arts de la forecirct et du fleuve pour faire drsquoeux

de laquo bons pegraveres de famille raquo la chasse (avec lrsquoarc et la flegraveche pour les plus petits et

avec le fusil pour les adolescents) la pecircche (avec ses diffeacuterentes techniques comme

le tir agrave lrsquoarc la nivreacutee soit lrsquoempoisonnement temporaire de lrsquoeau de la riviegravere par le

jus de lianes agrave roteacutenone du genre Lonchocarpus spp la ligne et lrsquohameccedilon le filet ou

encore les trappes crsquoest-agrave-dire des piegraveges en forme de nasses pour les grands

preacutedateurs comme lrsquoaiumlmara) le tissage de vanneries en fibre drsquoarouman

(Ischosiphon arouma) et la construction drsquooutils pour les travaux agricoles le brucirclis

de lrsquoabattis la construction la conduite drsquoune pirogue (agrave la pagaie pour les plus petits

et agrave lrsquoaide du moteur hors-bord pour les plus grands) et lrsquoassemblage drsquoun carbet

207

Cet apprentissage est lent et progressif lrsquoenfant accomplissant ses tacircches agrave son

rythme Il faut souligner que ce scheacutema drsquoapprentissage parental fonctionne jusqursquoagrave

lrsquoadolescence acircge agrave partir duquel les jeunes commencent un chemin de formation

laquo horizontal raquo dans lequel le rocircle des parents diminue pour laisser place agrave drsquoautres

eacuteducateurs tels que les amis et les membres de la famille de la mecircme geacuteneacuteration

Il existe aussi un cas particulier celui des enfants laquo offerts raquo agrave leurs grands-

parents Il srsquoagit lagrave drsquoune tradition dans laquelle les grands-parents peuvent adopter

leur neveu ou leur niegravece agrave condition qursquoil ait eacuteteacute sevreacute et que les parents partagent

la mecircme maison que celle des grands-parents Pour recevoir cette offrande ces

derniers doivent reacutepondre aux seules conditions suivantes avoir de lrsquoespace du

temps et les ressources suffisantes pour nourrir lrsquoenfant accueilli Cette tradition

nrsquoimplique en rien que lrsquoenfant soit eacuteloigneacute de ses parents puisque dans la majoriteacute

des cas le carbet de la famille naturelle correspond agrave celui de la famille adoptive ou

se trouve tregraves proche La megravere et le pegravere continueront donc agrave lrsquoeacuteduquer selon les

critegraveres mentionneacutes ci-dessus mais deacutelegravegueront aux grands-parents toutes les

responsabiliteacutes laquo logistiques raquo lieacutees agrave lrsquoalimentation et au logement de lrsquoenfant

De maniegravere plus geacuteneacuterale on peut dire que les grands-parents srsquooccupent de

la formation des enfants dans les domaines de lrsquohygiegravene et de la santeacute gracircce agrave leur

connaissance des remegravedes traditionnels mais ils constituent aussi la cleacute de la

transmission du patrimoine mythologique et de lrsquohistoire orale (Chapuis amp Riviegravere

2003) Crsquoest effectivement sur la base de ce patrimoine transmis oralement que les

grands-parents participent au deacuteveloppement de la capaciteacute drsquoeacutecoute et drsquoattention

des enfants de leur meacutemoire auditive du langage (avec la construction du

208

vocabulaire et la compreacutehension de la syntaxe de la deacutetermination des relations

logiques (de cause agrave effet) de la capaciteacute de construction drsquohypothegraveses et des

raisonnements pour la reacutesolution des problegravemes quotidiens Selon mes

observations les mythes les leacutegendes et lrsquohistoire orale ne sont pas transmis dans

le cadre de moments formels et les grands-parents les racontent quand lrsquooccasion se

preacutesente ou quand cela leur semble opportun pendant qursquoils se reposent dans le

hamac pendant qursquoils cuisinent quand ils pecircchent en pirogue ou encore quand ils

se reacutechauffent autour du feu La morale du reacutecit nrsquoest jamais expliciteacutee et on laisse agrave

lrsquoenfant le soin drsquoen tirer des enseignements

Les autres membres de la famille ont eacutegalement des responsabiliteacutes tregraves

concregravetes agrave lrsquoeacutegard des enfants Les fregraveres et sœurs aineacutes par exemple srsquooccupent

drsquoaider les plus petits du mecircme sexe dans leur deacutecouverte du monde en incarnant

un modegravele plus proche drsquoeux et par-lagrave plus facile agrave suivre que celui des adultes mais

aussi moins exigeant que ces derniers en cas drsquoeacutechec Agrave lrsquoacircge de 5 ans une fille est

consideacutereacutee comme suffisamment responsable pour porter un beacutebeacute dans ses bras agrave

partir de 8 ans elle pourra eacutegalement srsquooccuper de lrsquoalimentation de lrsquoenfant et de

son hygiegravene Quand les filles acircgeacutees de 5 agrave 14 ans forment des laquo bandes raquo (des groupes

de pairs composeacutes principalement de cousines) elles amegravenent avec elles leurs

fregraveres ou sœurs en bas acircge qui sont pris en charge par les autres filles de la bande

lesquelles srsquooccupent de les faire jouer de les habiller de les nettoyer et mecircme de

les endormir Les garccedilons forment aussi des bandes mais les adultes ne leur confient

jamais les enfants en bas acircge pour les garccedilons plus que pour les filles la bande est

synonyme drsquoautonomie et de fin de lrsquoenfance laquo le modegravele des grands prenant le pas

209

sur celui du pegravere dont lrsquoinfluence se fait plus discregravete Crsquoest lrsquoacircge aussi des risques

lrsquoacircge ougrave ils commencent agrave chasser en petits groupes ou mecircme seuls et ougrave il leur

arrive de se perdre un voire deux longs jours en forecirct raquo (Hurault et al 1998 144)

Les bandes constituent un espace privileacutegieacute entre pairs ndash plus exactement entre

cousins drsquoune mecircme geacuteneacuteration ndash dans lequel les membres eacutechangent des

interrogations sur les mystegraveres de la forecirct (des pheacutenomegravenes inexplicables ou des

contes qui font peur) des savoirs sur la sexualiteacute et des informations sur la vie du

village (des commeacuterages sur les histoires drsquoamour ou drsquoadultegravere)

Les oncles et tantes traitent leur filiation fictive - les cousins croiseacutes de leurs

enfants - exactement comme leurs enfants biologiques avec le mecircme amour la

mecircme rigueur et la mecircme discipline Cependant la majoriteacute des enfants ont une

relation privileacutegieacutee avec les tantes maternelles et leur mari avec lesquels ils

partagent geacuteneacuteralement la mecircme maison

912 Le village et lrsquoeacutecole

Les autres membres de la communauteacute interagissent aussi dans lrsquoeacuteducation

des enfants mecircme quand ces derniers nrsquoappartiennent pas agrave leur laquo maisonneacutee raquo

crsquoest-agrave-dire agrave leur noyau domestique Parmi eux le shaman (piumljai) joue un rocircle qursquoil

convient de souligner ici autrefois il aidait agrave la preacuteparation du marake rituel qui

est de moins en moins pratiqueacute dans la socieacuteteacute wayana-apalaiuml laquo moderne raquo Le

marake est un rituel fondamental il srsquoagit drsquoune ceacuteleacutebration eacutetaleacutee sur plusieurs

mois qui amegravene les initieacutes ou tepiem agrave rentrer dans une nouvelle phase de leur vie

La ceacutereacutemonie se deacuteveloppe autour drsquoune seacuterie drsquoeacutepreuves de force et de courage de

210

chants (les kalau) et de danses traditionnelles pour se conclure par lrsquoapplication

sur le corps des tepiem drsquoune vannerie (le kunana)168 qui renferme dans ses mailles

un tregraves grand nombre de fourmis ou de guecircpes qui vont piquer les initieacutes et leur

donner la force de renaicirctre en tant que veacuteritables hommes ou femmes Le marake

nrsquoest pas tout agrave fait un rituel de passage puisque traditionnellement chaque

Wayana-Apalaiuml a sept occasions de passer cette eacutepreuve avant de mourir Il srsquoagit

plutocirct drsquoune ceacutereacutemonie de laquo redeacutemarrage raquo agrave laquelle on participe pour souligner

lrsquoentreacutee dans lrsquoacircge adulte mais aussi pour les adultes lrsquoentreacutee dans un nouveau

stade de leur existence Le shaman au-delagrave de ses fonctions concregravetes (dans les

domaines de la meacutedecine et de la theacuterapie sociale avec la fonction de laquo maicirctre des

esprits raquo) jouit drsquoun grand respect de la part des villageois qui le considegraverent comme

la personne la plus sage la plus discregravete et la plus cultiveacutee crsquoest lui qui assure le

bonheur au sein du village qui reacutetablit lrsquoentente qui garantit lrsquoeacutequilibre entre les

hommes et la nature (par exemple suite au non-respect drsquoun interdit) mais aussi

entre les hommes les esprits et les acircmes des deacutefunts Pour les enfants du village le

shaman demeure un point de repegravere et un modegravele drsquoheacuteroiumlsme spirituel mecircme si au

cours des derniegraveres anneacutees son rocircle a perdu de son importance et les familles le

consultent de moins en moins169

168 Les kunana sont de forme carreacutee pour les filles (waluhma kunanan) et de forme zoomorphe pour

les garccedilons (imjata kunanan)

169 En principe son rocircle est consideacutereacute comme compleacutementaire de celui des infirmiers qui travaillent

au dispensaire du village Il srsquooccupe surtout des laquo maux raquo qui nrsquoont pas de place dans la meacutedecine

occidentale mais aussi des symptocircmes non conventionnels qui accompagnent des eacutetats

211

Le dernier microsystegraveme est lrsquoeacutecole du village Il srsquoagit drsquoun systegraveme eacuteducatif

laquo peacuteripheacuterique raquo (figure 15) puisqursquoil ne fait partie ni de lrsquoespace domestique ni du

reacuteseau de parenteacute qui lie tous les membres du village entre eux Les enfants y

passent toutefois entre trois heures par jour (pour les eacutelegraveves de lrsquoeacutecole maternelle)

et cinq heures (pour les eacutelegraveves de lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire) du lundi au vendredi170 En

son sein les enseignant transmettent la laquo culture franccedilaise raquo mais gracircce agrave la

pathologiques et que les infirmiers ne sont pas capables de prendre en charge tels que les uwamela

(maladies) causeacutees par les jolok (eacuteleacutements surnaturels animeacutes mauvais esprits) ou celles qui

neacutecessitent un iumlhemiumltiumln (remegravede agrave base drsquoherbes de genre Caladium spp consideacutereacutees comme

magiques) Cependant le seul shaman du village drsquoAntecume pata Panapasi Panapasi est deacutesormais

tregraves acircgeacute (il est neacute dans les anneacutees 1920) immobiliseacute dans son hamac et avec une tregraves faible capaciteacute

drsquoaction

170 Au vu de son isolement geacuteographique lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata ndash comme toutes les autres eacutecoles

de la commune de Maripasoula ndash ne respecte pas les nouveaux rythmes scolaires preacutevus par le Deacutecret

ndeg 2013-77 du 24 janvier 2013 sur lrsquoorganisation du temps scolaire dans les eacutecoles maternelles et

eacuteleacutementaires Cette reacuteforme preacutevoit la mise en place drsquoune semaine scolaire de 24 heures

drsquoenseignement reacuteparties sur 9 demi-journeacutees afin drsquoalleacuteger la journeacutee scolaire Les heures

drsquoenseignement sont organiseacutees les lundis mardis jeudis et vendredis ainsi que le mercredi matin

agrave raison drsquoun maximum de cinq heures et demi par jour et de trois heures et demi par demi-journeacutee

Les parents drsquoeacutelegraveves des eacutecoles drsquoAntecume pata de Taluwen et de Pidima ont demandeacute ndash et obtenu

ndash une deacuterogation du fait que cette organisation du temps scolaire entre en conflit avec lrsquoorganisation

de la vie quotidienne et les rythmes domestiques des Ameacuterindiens Cependant cette deacuterogation agrave la

norme octroyeacutee aux eacutecoles du laquo pays ameacuterindien raquo devrait prendre fin agrave la rentreacutee 2016

212

preacutesence de plusieurs villageois dans lrsquoeacutequipe peacutedagogique171 nombreuses sont les

activiteacutes qui se deacuteveloppent autour de la laquo culture ameacuterindienne raquo il srsquoagit en

geacuteneacuteral drsquoactiviteacutes lieacutees agrave la langue maternelle agrave lrsquohistoire orale et agrave lrsquoeacutecologie

amazonienne

Figure 15 La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants wayana-apalaiuml

171 En 2015 on comptait trois enseignants drsquoorigine meacutetropolitaine (deux titulaires et une

contractuelle) un enseignant ameacuterindien (titulaire) une auxiliaire de vie scolaire wayana pour lrsquoaide

individuelle (AVS-I) une intervenante wayana en langue maternelle (ILM) et un agent territorial

apalaiuml speacutecialiseacute dans les eacutecoles maternelles (ATSEM)

213

Lrsquoenfant ameacuterindien vit dans un univers social composeacute drsquoun grand nombre

de microsystegravemes au moins quatre drsquoentre eux (les parents les grands-parents

maternels les tantes et oncles maternels la fratrie et les cousins parallegraveles)

partagent le mecircme espace domestique cinq autres (les grands-parents paternels

les tantes et oncles paternels les cousins croiseacutes les pairs et le shaman) se trouvent

hors de cet espace mais restent agrave lrsquointeacuterieur du reacuteseau de parenteacute Lrsquoeacutecole quant agrave

elle se situe agrave lrsquoexteacuterieur de lrsquoespace domestique et du reacuteseau de parenteacute (malgreacute le

fait que comme on lrsquoa deacutejagrave mentionneacute certains intervenants soient originaires du

village) Bien que les parents se considegraverent comme les principaux eacuteducateurs

lrsquoeacutecole est hautement estimeacutee par les adultes qui lui attribuent le laquo pouvoir raquo de

permettre lrsquoascension sociale des enfants du village ndash point de vue qui est

geacuteneacuteralement partageacute par les oncles et les tantes de la mecircme geacuteneacuteration que les

parents Les grands parents ont une position diffeacuterente et bien qursquoils acceptent

lrsquoobligation scolaire de leur petits-enfants ils la vivent comme une laquo bizarrerie des

Blancs raquo qui eacuteloigne les enfants des laquo vrais raquo apprentissages ndash ceux qui sont lieacutes agrave

lrsquoenvironnement amazonien ndash et qui ne donne pas de reacutesultats visibles172 Or bien

qursquoune partie des adultes du village ait eacuteteacute scolariseacutee rares sont ceux qui ont

172 Pendant les entretiens que jrsquoai meneacutes avec les personnes les plus acircgeacutees du village jrsquoai

freacutequemment entendu lrsquoexpression laquo palasisime teumlwenka teumlweumltiumlhem raquo qursquoon pourrait litteacuteralement

traduire par laquo elle [lrsquoeacutecole] sert agrave devenir ignorant comme les Franccedilais raquo

214

vraiment pu profiter des avantages laquo pratiques raquo de cette scolarisation comme une

meilleure position sociale un salaire et des biens Pour preuve sur les cent

cinquante personnes qui constituent la population active ndash soit en acircge de travailler

ndash du village seules vingt drsquoentre elles ont pu obtenir un poste gracircce agrave leurs diplocircmes

(en tant que gendarmes soldats fonctionnaires du Rectorat de la Guyane du Parc

Amazonien de Guyane ou de la commune de Maripasoula ou en tant que assistants

dans le cadre des projets porteacutes par les associations les entreprises priveacutees ou les

organismes publiques) Toutefois bien qursquoils disposent de revenus fixes et de

certains beacuteneacutefices eacuteconomiques ces salarieacutes ne constituent pas le groupe de

laquo notables raquo du village qui est composeacute par les trois piroguiers qui srsquooccupent du

transport fluvial entre Antecume pata et Maripasoula et de la dizaine drsquoouvriers qui

offrent leurs services dans les terrains et les barrages drsquoorpaillage illeacutegal qui existent

dans tout le laquo pays ameacuterindien raquo Ce sont lagrave les veacuteritables self-made men du village

car bien qursquoaucun drsquoentre eux ne soit alleacute au-delagrave du CP agrave la diffeacuterence des

fonctionnaires publics ils disposent tous drsquoune maison en ciment de revenus eacuteleveacutes

et de la possibiliteacute de faire reacuteguliegraverement des dons aux autres familles du village ce

qui contribue eacutevidemment agrave confirmer leur statut social et la consideacuteration dont ils

jouissent

De fait le meacutesosystegraveme de socialisation wayana-apalaiuml qui correspond au

reacuteseau qui lie les microsystegravemes domestiques et de parenteacute agrave lrsquoeacutecole est tributaire

des incoheacuterences de lrsquoexosystegraveme local dans lequel les normes nationales entrent

constamment en conflit avec le systegraveme eacuteconomique et social guyanais un systegraveme

qui reste peacuteripheacuterique et agrave lrsquointeacuterieur duquel lrsquoEacutetat est encore loin de pouvoir

215

garantir agrave ses citoyens ndash comme les laquo abandonneacutes de la Reacutepublique raquo ndash le respect de

leurs droits Qui plus est cet exosystegraveme est emboicircteacute dans le macrosystegraveme global

structureacute autour des reacuteseaux eacuteconomiques planeacutetaires et des laquo exigences raquo de la

communauteacute internationale qui est geacuteneacuteralement guideacutee par une ideacuteologie

neacuteolibeacuterale reacutefractaire aux probleacutematiques locales puisque son objectif principal

est de faciliter le deacuteveloppement eacuteconomique des territoires et leur inteacutegration aux

marcheacutes globaux Il ne faut pas perdre de vue que au niveau microsystegravemique la

Guyane est un territoire strateacutegique ndash de par sa position geacuteographique ses

ressources naturelles et le marcheacute inteacuterieur dont elle dispose ndash et que les

revendications ameacuterindiennes peuvent bien eacutevidemment mettre en danger son

rocircle eacuteconomique ainsi que son image

Ce conflit inheacuterent aux structures systeacutemiques supeacuterieures (meacuteso exo et

macro) a tregraves probablement un impact sur la construction de la personnaliteacute et du

monde de lrsquoenfant ameacuterindien En effet crsquoest certainement lrsquoune des causes de la

frustration et de lrsquoennui qui selon certains villageois sont agrave lrsquoorigine de la laquo vague

de suicides raquo qui a fait tant de victimes chez les Wayana-Apalaiuml Ce conflit a aussi

tregraves probablement contribueacute agrave laquo transfigurer raquo le comportement de certains

Ameacuterindiens qui ont preacutefeacutereacute abandonner lrsquoeacutecosophie173 ancestrale pour srsquoassocier

aux activiteacutes des orpailleurs et des deacuteforesteurs illeacutegaux Pour autant ses effets ne

173 Crsquoest-agrave-dire une vision du monde dans laquelle lrsquoeacutequilibre avec la Nature revecircte un caractegravere

fondamental Pour une description plus approfondie du concept drsquoeacutecosophie et une discussion sur

ses implications dans les cultures ameacuterindiennes je renvoie le lecteur agrave mes preacuteceacutedents travaux sur

ce thegraveme (Aligrave 2007 2010 et 2012)

216

sont peut-ecirctre pas si importants qursquoil nrsquoy paraicirct puisque la position laquo peacuteripheacuterique raquo

des Ameacuterindiens dans lrsquoeacutechiquier social de la nation les met en quelque sorte agrave lrsquoabri

de certaines dynamiques globales Malheureusement ces questions (qui relegravevent

plutocirct de la psychologie sociale) resteront ici sans reacuteponses mais je lrsquoespegravere

donneront lieu agrave des analyses visant agrave mettre en lumiegravere les impacts de ce conflit

92 Les microsystegravemes de socialisation agrave Hiva Oa

Les Marquisiens considegraverent appartenir agrave une seule et mecircme famille (huarsquoa)

Selon Edwin Ferdon (1993) jusqursquoagrave la premiegravere moitieacute du XIXegraveme siegravecle la maison

familiale (harsquoe hiamoe litteacuteralement laquo la maison pour dormir raquo) accueillait le couple

qui en constituait le noyau ses enfants et dans le cas des familles de haut rang les

pekio Ces derniers eacutetaient des travailleurs domestiques qui jouaient les rocircles

drsquoamants et de serviteurs de lrsquoeacutepouse qursquoils accompagnaient quand le mari ne se

trouvait pas dans la harsquoe hiamoe parce qursquoil eacutetait parti agrave la guerre ou assister agrave des

reacuteunions dans la maison des hommes ou sur le mersquoae (le site ceacutereacutemoniel sacreacute) Le

reacutecit du missionnaire William Pascoe Crook (1800) ndash qui fut un des premiers

europeacuteens agrave reacutesider durablement dans lrsquoarchipel - nous confirme que lrsquoinstitution

du pekio eacutetait tregraves reacutepandue chez les Enata et celui-ci jouissait drsquoun statut particulier

il nrsquoeacutetait pas seulement le chef des domestiques mais avait aussi le droit de se

nourrir avec les mets des femmes de la maison (avec lesquelles il vivait en

permanence mais sans pour autant avoir la possibiliteacute drsquoobtenir le statut de

217

tapu)174 Selon Dominique Pechberty (2012) - qui se base sur lrsquoanalyse

ethnohistorique des journaux de voyage de William Crook Edward Robarts Joseph

Cabri et David Porter - les pekio eacutetaient des amants de jeunesse qui apregraves le

mariage srsquoinstallaient chez la couple en offrant leurs services aussi bien dans le

domaine sentimental en tant que confidents du mari ou de lrsquoeacutepouse qursquoau niveau

parental en tant que collaborateurs dans lrsquoeacuteducation des enfants du couple Notons

qursquoil srsquoagit drsquoune forme particuliegravere de polyandrie puisque chaque femme se

partageait entre plusieurs hommes de statut diffegraverent (tapu ou pas) agrave la diffeacuterence

des scheacutemas classiques de polyandrie ougrave plusieurs fregraveres partagent la mecircme

eacutepouse Aussi lrsquounion avec le pekio nrsquoeacutetait pas consideacutereacutee comme un mariage

puisque le seul mariage reconnu dans la communauteacute eacutetait celui avec lrsquoeacutepoux qui

conservait un rocircle premier dans la chaicircne fonctionnelle de la maison (Otterbein

1963) Cette pratique a commenceacute agrave disparaitre avec lrsquoarriveacutee des premiers

explorateurs occidentaux drsquoabord parce qursquoelle a eacuteteacute durement reacuteprimeacutee par les

missionnaires mais aussi parce que la crise deacutemographique qui srsquoensuivit a

radicalement modifieacute le ratio hommes-femmes dans lrsquoarchipel en rendant

impossible lrsquoinstitution de la polyandrie (Ferdon 1993)

Selon mes informateurs jusqursquoagrave un passeacute tregraves reacutecent ndash certainement jusqursquoagrave

la fin de la Seconde Guerre mondiale ndash il a existeacute dans cette communauteacute une

logique de classification de ses membres en fonction du rang du sexe et de lrsquoacircge

174 Sacreacute mais aussi interdit

218

assimilable au systegraveme hawaiumlen175 Les mecircmes termes sont employeacutes pour les

groupes de germains (les fregraveres et les cousins drsquoun cocircteacute les sœurs et les cousines de

lrsquoautre) ce qui confirme lrsquoideacutee drsquoune uniteacute sociale de ce reacuteseau de parenteacute dans

lequel la descendance est plus importante que lrsquoalliance et ougrave les aicircneacutes jouissent du

rocircle de protagonistes dans le groupe de siblings (la fratrie) Les fregraveres aicircneacutes

appellent tous leurs fregraveres cadets teina et toutes leurs sœurs cadettes tuehine les

sœurs aicircneacutees appellent leurs fregraveres tunane (ou tukane ou tursquoane) et leurs sœurs

teina

Selon mes observations agrave partir drsquoun Ego feacuteminin (au niveau n) le niveau des

ascendants (n-1) est occupeacute par les parents le pegravere (motua) les oncles paternels

(motua teina pour les cadets et motua tuakana pour les aicircneacutes) les tantes paternelles

(kui tuehine motua) la megravere (kui) les tantes maternelles (kui teina pour les cadettes

et kui tuakana pour les aicircneacutees) et les oncles maternels (motua tursquoane kui) Le niveau

des grands-parents (n-2) est occupeacute par les grands-pegraveres (tupuna vahana) et les

grands-megraveres (tupuna vehine) Il nrsquoy a de distinction ni entre le pegravere du pegravere et celui

de la megravere ni entre la megravere de la megravere et celle du pegravere Aux niveaux n-1 et n-2 la

parenteacute est donc eacutetendue aux conjoints collateacuteraux agrave la diffeacuterence des niveaux n+1

et n+2 ougrave la parenteacute nrsquoest pas eacutetendue aux conjoints En effet les mecircmes termes

sont utiliseacutes pour deacutefinir drsquoun cocircteacute les fils drsquoEgo et les fils de ses fregraveres et sœurs

(tama) et de lrsquoautre les filles drsquoEgo (moiacute) et les filles de ses fregraveres et sœurs mais ces

175 Qui se base sur la geacuteneacuteration et lrsquoacircge relatif et qui deacutefinit certains degreacutes de parenteacute selon le sexe

du locuteur (Handy amp Pukui 1958)

219

termes ne srsquoappliquent pas agrave leurs maris ni agrave leurs eacutepouses Pour la geacuteneacuteration n+2

le mecircme terme est employeacute pour indiquer et les neveux drsquoEgo et ses niegraveces

(moupuna ou poupuna)

Avant lrsquoarriveacutee des colonisateurs se pratiquait aux Marquises le mariage

preacutefeacuterentiel (mais non obligatoire) entre cousins croiseacutes (irsquoamutu) mecircme si le

mariage entre cousins parallegraveles nrsquoeacutetait pas interdit (Handy 1923) Lrsquoaction

eacutevangeacutelisatrice des missionnaires catholiques a mis fin aux normes qui reacutegissaient

les droits sexuels et la logique du mariage preacutefeacuterentiel puisque ce type drsquounion eacutetait

consideacutereacutee comme incestueuse et immorale par les autoriteacutes religieuses

Aujourdrsquohui les Marquisiens se marient librement agrave partir de leurs affiniteacutes

personnelles sans suivre de regravegles preacutefeacuterentielles Quant agrave lui le critegravere de

reacutesidence est resteacute plutocirct libre situation qui diffegravere de celle drsquoautres icircles dans lrsquoaire

culturelle polyneacutesienne ougrave comme agrave Hawaii on srsquoappuie traditionnellement sur le

critegravere uxorilocal et les jeunes couples srsquoeacutetablissent chez les parents de lrsquoeacutepouse

(Handy amp Pukui 1958) Leur isolat endogamique preacutefeacuterentiel correspond agrave

lrsquoarchipel des Marquises bien que agrave lrsquoheure actuelle un nombre croissant de

couples compte un conjoint qui nrsquoest pas drsquoorigine marquisienne dans la plupart de

cas il srsquoagit de Tahitiens ou de personnes originaires de la meacutetropole

921 Famille nucleacuteaire et famille eacutelargie

Bien que lrsquoeacutecosystegraveme de reacutefeacuterence des enfants enata ait eacuteteacute modifieacute par

lrsquoimposition ou lrsquoadoption libre de normes exogegravenes sa structure fondamentale nrsquoa

pas changeacute lrsquoenfant continue agrave interagir avec plusieurs microsystegravemes

220

domestiques (sa famille nucleacuteaire sa fratrie ses pairs la famille de son pegravere et celle

de sa megravere) auxquels se sont ajouteacutees lrsquoeacutecole les communauteacutes religieuses et les

associations culturelles dans le cadre du meacutesosystegraveme laquo village raquo Les

microsystegravemes communautaires ont une grande importance puisque crsquoest agrave

lrsquointeacuterieur du groupe que les deacutecisions sont prises De fait en cas de conflit crsquoest le

groupe qui vient reacutetablir lrsquoordre et crsquoest aussi lui qui donne (ou qui nie) son

approbation pour soutenir les entreprises individuelles Lrsquoeacutequilibre

microsystegravemique deacutepend donc de la capaciteacute drsquoenseigner aux plus petits les normes

de base de la vie en communauteacute

Pendant mon travail de terrain agrave Hiva Oa jrsquoai observeacute la reacutepartition des

tacircches eacuteducatives en fonction du sexe de lrsquoeacuteducateur mais aussi de celui de lrsquoenfant

ainsi que lrsquoacircge de ce dernier Le plus souvent la megravere gegravere la presque totaliteacute des

besoins des jeunes enfants (de la naissance jusqursquoagrave 4-5 ans) lrsquoallaitement

lrsquoalimentation lrsquohygiegravene et les petits soins quotidiens Crsquoest elle qui montre agrave lrsquoenfant

les espaces domestiques en les deacutecrivant et en lui expliquant leur fonction (toujours

en langue franccedilaise) Elle srsquooccupe aussi de lui expliquer les rocircles de chaque membre

de la famille leur position dans la geacuteneacutealogie et leur importance Agrave partir de 6 ans

la transmission des savoirs reacutepond agrave des regravegles de diffeacuterentiation sexuelle Les

megraveres assisteacutees des tantes et des grands-megraveres srsquooccupent principalement des

filles qui sont formeacutees aux travaux domestiques et agrave certaines tacircches agrave caractegravere

creacuteatif Crsquoest agrave cet acircge-lagrave que les filles apprennent les premiers rudiments de laquo lrsquoart

de cueillir raquo (les fruits lrsquoigname et les chevrettes drsquoeau douce ou korsquoursquoa) de la

cuisine de la couture de la fabrication de colliers et de couronnes fleuries mais

221

aussi certaines notions qui relegravevent de la botanique et de la biologie (et plus

speacutecifiquement les noms des espegraveces veacutegeacutetales et animales utiliseacutees dans la

gastronomie et dans la meacutedicine populaire) Ce nrsquoest qursquoagrave partir de lrsquoadolescence que

les filles sont inviteacutees agrave pratiquer la langue marquisienne mecircme si la plupart drsquoentre

elles ont deacutejagrave commenceacute degraves lrsquoacircge de 8 ans agrave lrsquoutiliser dans leurs eacutechanges avec leurs

pairs

Quand les enfants sont encore petits les pegraveres se contentent drsquoassurer la

nourriture pour tous les occupants de la maison Ils sont souvent en contact avec

leurs fils mais jusqursquoagrave leurs 4-5 ans les relations agrave caractegravere eacuteducatif sont assez

limiteacutees selon la personnaliteacute du pegravere jrsquoai observeacute soit des activiteacutes purement

ludiques (le pegravere qui fait sauter lrsquoenfant dans ses bras ou qui lui court apregraves) soit des

moments de silence partageacutes (une promenade agrave la mer ou dans la cocoteraie

familiale) Degraves lrsquoacircge de 6 ans les garccedilons commencent agrave accompagner leur pegravere

quand il va agrave la pecircche depuis le rivage ou le bateau Dans un premier temps ils se

contentent drsquoobserver ce que les adultes font et apregraves avoir parfaitement appris les

gestes et les deacutemarches agrave suivre ils commencent agrave jeter leurs propres lignes et leurs

filets Entre 10 et 12 ans ils reacutealisent aussi leurs premiers travaux drsquoartisanat en

utilisant des bois souples pour sculpter des petits tiki des raies manta et autres

poissons Quand ils atteignent les 12 ans ils peuvent alors suivre les hommes

pendant les longues parties de chasse agrave la chegravevre (kersquou kersquou) et au cochon sauvage

(puarsquoa) puis agrave 14 ans ils font leurs premiers essais avec le fusil Crsquoest agrave cet acircge-lagrave

qursquoils commencent agrave eacutechanger avec les adultes en langue maternelle Dans le cas de

couples seacutepareacutes ou divorceacutes les enfants peuvent rester indiffeacuteremment avec le pegravere

222

ou la megravere car aucune norme particuliegravere nrsquoexiste agrave ce sujet Les megraveres ceacutelibataires

ou veuves deacutelegraveguent les fonctions eacuteducatives du pegravere aux oncles et au grand-pegravere

et inversement dans le cas des pegraveres ceacutelibataires ou veufs Les enfants orphelins sont

souvent adopteacutes juridiquement par la famille de leur tante maternelle ou plus

rarement par drsquoautres membres de la famille eacutelargie Les familles peuvent aussi

deacutecider drsquoadopter informellement176 un membre adulte de la famille qui est resteacute

orphelin ou dans le cas des personnes acircgeacutees qui est sans progeacuteniture

Les grands-parents les oncles et les tantes nrsquoont pas de fonctions speacutecifiques

mais ils se chargent de srsquooccuper des enfants et drsquoaider les parents quand ceux-ci ne

sont pas agrave la maison par exemple quand ils sont en train de reacutealiser des tacircches

agricoles de pecirccher de chasser drsquoextraire le coprah ou ndash dans le cas des employeacutes

des administrations publiques ou des entreprises priveacutees ndash quand ils sont en train

de travailler La transmission des savoirs respecte les mecircmes subdivisions de genre

que celles qui existent entre pegravere et megravere mais les grands-parents se sentent aussi

responsables de la transmission des compeacutetences morales des preacuteceptes religieux

et de la culture orale mythes leacutegendes et contes aptes agrave deacutecrire les faits et les

eacuteveacutenements de la vie drsquoantan sur lrsquoicircle

176 Crsquoest-agrave-dire que leur acte nrsquoa pas de valeur juridique Lrsquoadulte adopteacute vit avec la famille drsquoadoption

et contribue agrave lrsquoeacuteconomie domestique selon ses possibiliteacutes Dans le cas des personnes acircgeacutees on ne

leur demande pas de contribuer agrave la production drsquoaliments ou aux tacircches meacutenagegraveres mais elles ont

la charge drsquoaccomplir drsquoautres tacircches qui ne demandent pas drsquoeffort physique comme par exemple

raconter des histoires des mythes ou des leacutegendes aux enfants de la famille

223

La fratrie tout comme les pairs (soit les autres enfants de la famille ou du

voisinage qui ont le mecircme acircge) participe aussi agrave la formation des enfants agrave travers

des processus drsquoeacuteducation horizontale et agrave la transmission des informations et des

commeacuterages concernant les membres de la communauteacute En geacuteneacuteral les aicircneacutes

aident la megravere quand lrsquoenfant est petit en srsquooccupant de lui en reproduisant les

interactions des parents et en enseignant aux cadets certaines regravegles de la vie

domestique (surtout les objets et les lieux tapu mais aussi certaines conventions

sociales lieacutees aux formes de politesse des plus grands)

922 Les eacuteglises lrsquoeacutecole et les organisations locales

Comme expliqueacute dans le chapitre preacutecegravedent depuis pregraves de quatre

deacutecennies les communauteacutes religieuses marquisiennes ont acquis une double

fonction si drsquoun cocircteacute elles se chargent de lrsquoeacutelaboration drsquoun systegraveme de valeurs

propre agrave chaque culte et de la diffusion drsquoune morale exogegravene drsquoun autre cocircteacute elles

sont aussi vectrices du renouveau culturel autochtone de lrsquoarchipel Pour ce faire le

lsquoeo enata est presque toujours utiliseacute pendant les cultes et des activiteacutes destineacutees

aux enfants et aux jeunes de lrsquoicircle sont organiseacutees pour donner un nouvel eacutelan agrave

certains aspects de la culture traditionnelle notamment la musique (Bailleul 1999)

Presque tous les groupes religieux de lrsquoicircle de Hiva Oa ont par exemple creacuteeacute des

groupes musicaux et des chœurs dans lesquels les jeunes sont formeacutes au pahu

(tambour en peau de requin) au pu ihu (flucircte nasale) et au lsquoukulele (une sorte de

guitare sans caisse de reacutesonance) mais aussi agrave chanter en utilisant les techniques

les meacutelodies les rythmes et les tonaliteacutes de la musique drsquoantan Bien eacutevidemment

224

les textes qui sont associeacutes agrave ces activiteacutes sont directement issus de la tradition

religieuse chreacutetienne et nrsquoont rien agrave voir avec ceux qui eacutetaient chanteacutes autrefois177

Agrave Hiva Oa il existe aussi trois grandes associations culturelles178 qui se

consacrent agrave lrsquoenseignement de la danse marquisienne et qui accueillent des eacutelegraveves

acircgeacutes de 7 ans ou plus Leurs formateurs srsquoappuient sur les donneacutees ethnographiques

recueillies par les voyageurs des siegravecles passeacutes et sur les souvenirs des personnes

177 Pendant mes observations avec un groupe catholique de lrsquoicircle jrsquoai eu la possibiliteacute de transcrire

cette strophe chanteacutee par un chœur de jeunes dirigeacute par un precirctre local qui me semble assez

significative laquo Ua ke omua te henua nei Me te tau kuhane mikeo Atahi nei ake matou e Me te tau

poi hoohoohellip raquo qursquoon peut traduire par laquo Autrefois cette terre faisait bande agrave part avec les esprits

meacutechants maintenant nous sommes reacuteunis avec les peuples fidegraveleshellip raquo En effet bien que lrsquoEacuteglise

catholique comme je lrsquoai plusieurs fois mentionneacute participe activement agrave la valorisation de la culture

marquisienne certains precirctres semblent perseacuteveacuterer dans une vision laquo obscurantiste raquo du passeacute local

qursquoils associent agrave une peacuteriode de barbarie pendant laquelle lrsquoarchipel laquo faisait bande agrave part raquo et eacutetait

domineacute par des laquo esprits mauvais raquo que seule la conversion a permis drsquoeacuteliminer pour permettre aux

Marquisiens baptiseacutes drsquointeacutegrer laquo les peuples fidegraveles raquo

178 La premiegravere laquo Te pua o feani raquo creacuteeacutee en 1998 agrave Atuona a pour objectif de faciliter lrsquoinsertion des

jeunes au moyen drsquoanimations de formations et drsquoorganisation de sorties de deacutecouverte de

lrsquoeacutecosystegraveme de lrsquoarcheacuteologie et du patrimoine culturel de lrsquoicircle la deuxiegraveme le laquo Comiteacute des Fecirctes

Puanui de Puamau raquo a eacuteteacute creacuteeacutee en 2006 agrave Puamau pour preacuteparer et organiser les ceacuteleacutebrations en

lrsquohonneur du 14 juillet et la troisiegraveme laquo Te avei tina te motu o hiva raquo a eacuteteacute creacuteeacutee en 2008 agrave Atuona

pour soutenir la dynamique communautaire dans la programmation lrsquoorganisation et la reacutealisation

de manifestations agrave caractegravere festif Bien que plusieurs membres de lrsquoassociation Motu Haka habitent

agrave Hiva Oa cette derniegravere ne reacutealise pas drsquoactiviteacutes sur lrsquoicircle son siegravege se trouvant agrave Nuku Hiva

225

acircgeacutees pour laquo reconstruire raquo les choreacutegraphies des temps anciens ou pour en creacuteer

de nouvelles Les associations participent activement agrave la vie culturelle de lrsquoicircle et se

chargent de lrsquoorganisation drsquoeacutevegravenements qui rassemblent tous les villageois surtout

agrave lrsquooccasion des fecirctes de Noeumll des ceacuteleacutebrations du 14 juillet ou des phases de

preacuteparation du Festival des Arts des icircles Marquises Si seule une minoriteacute des

enfants et des jeunes de Hiva Oa participent agrave ces activiteacutes de formation les

eacutevegravenements qursquoelles organisent ndash spectacles fecirctes repreacutesentations ndash rassemblent

toujours la plupart des habitants de lrsquoicircle

Les eacutecoles participent aussi agrave cette vie culturelle mais en eacutevitant drsquointerfeacuterer

avec les activiteacutes des associations ou des groupes religieux Dans le cadre des

activiteacutes scolaires les enseignants se deacutedient plutocirct agrave lrsquoapprentissage de la langue

marquisienne179 agrave la lecture et agrave lrsquoanalyse du patrimoine litteacuteraire et mythologique

local180 ainsi qursquoagrave lrsquoeacutetude de certaines notions basiques de lrsquohistoire

polyneacutesienne181

179 Dans le cadre de mes observations jrsquoai pu constater qursquoelles se reacutealisent surtout agrave travers lrsquooraliteacute

sans passer par la phase drsquoeacutecriture

180 Toutefois la majoriteacute des enseignants que jrsquoai pu interviewer se plaignent du fait qursquoil nrsquoexiste pas

suffisamment de textes scolaires en langue marquisienne

181 En effet bien que la Polyneacutesie franccedilaise jouisse officiellement drsquoune certaine autonomie pour la

deacutefinition des programmes des eacutecoles primaires en reacutealiteacute le gouvernement territorial avec lrsquoarrecircteacute

768CM du 19 juillet 1996 laquo a repris quasi inteacutegralement et agrave la virgule pregraves les programmes

nationaux raquo (Lechat amp Argentin 2011 101) ce qui explique lrsquoorganisation du temps disponible pour

lrsquoenseignement de lrsquohistoire locale dans les classes de lrsquoeacutecole primaire Je rappelle que le statut

226

Les enfants de Hiva Oa sont donc exposeacutes agrave plusieurs microsystegravemes de

socialisation qui sont toutefois moins nombreux que chez les Wayana-Apalaiuml (figure

16)

drsquoautonomie deacutefini dans le domaine eacuteducatif par la Loi organique ndeg 2004-192 du 27 feacutevrier 2004 a

permis la reacutedaction de la convention Eacutetat-Territoire relative agrave lrsquoeacuteducation en Polyneacutesie franccedilaise du

4 avril 2007 qui assigne agrave ce dernier - compte tenu de la leacutegislation et des regraveglementations nationales

- la compeacutetence de la strateacutegie et politique eacuteducative ainsi que sa mise en œuvre par lrsquoorganisation

des enseignements et la reacutepartition des moyens enseignants Dans la mesure ougrave la Polyneacutesie

franccedilaise a fait le choix pour son systegraveme eacuteducatif de la preacuteparation des diplocircmes nationaux franccedilais

elle srsquoest engageacutee agrave respecter la mise en œuvre des cursus et des reacutefeacuterentiels qui y megravenent Par

ailleurs il est important de souligner que les dispositions de Loi ndeg 2005-380 du 23 avril 2005 sur

lrsquoorientation et le programme pour lrsquoavenir de lrsquoeacutecole dite laquo loi Fillon raquo qui instaure le socle commun

des connaissances et des compeacutetences ont eacuteteacute imposeacutees agrave la Polyneacutesie ce qui a contribueacute agrave ce que

certains enseignants preacutefegraverent donner la prioriteacute agrave certains contenus du programme laquo national raquo ndash

ceux qui se rapprochent le plus des compeacutetences requises par le socle ndash et deacutelaisser drsquoautres sujets

drsquointeacuterecirct laquo local raquo mais sans lien apparent avec les piliers preacutevus par le socle

227

Figure 16La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants enata

Lrsquoespace domestique est partageacute entre les parents la fratrie et incidemment

par les pairs qui appartiennent au voisinage tandis que les autres membres du

reacuteseau de parenteacute ndash les grands-parents les oncles et les tantes ndash ne vivent pas sous

le mecircme toit (bien qursquoen geacuteneacuteral ils vivent agrave proximiteacute) Agrave lrsquoexteacuterieur de ce cercle se

trouvent les microsystegravemes externes agrave la famille comme les groupes religieux les

associations culturelles ou lrsquoeacutecole lesquels bien qursquoils soient composeacutes de

personnes qui se considegraverent toutes lieacutees entre elles par un lien de parenteacute et qursquoils

se chargent de transmettre des savoirs laquo locaux raquo ont cependant une organisation

et une logique de travail tregraves diffeacuterente de la vision du monde laquo agrave la marquisienne raquo

En ce sens ils agissent donc comme des points de contact entre les exigences locales

228

et les structures globales facilitant le deacuteveloppement de dynamiques laquo glocales raquo et

la creacuteation de reacuteponses adaptatives aux demandes des villageois en fonction des

contraintes imposeacutees par la participation agrave la vie nationale et agrave lrsquoeacuteconomie

planeacutetaire

229

10 Mesurer les interactions eacuteducatives les rythmes parentaux

Lrsquointeraction eacuteducative en milieu domestique est par deacutefinition une laquo affaire

de famille raquo Crsquoest agrave lrsquointeacuterieur de la maison que les membres de la famille ndash et par-

dessus tout les parents ndashexercent leur rocircle drsquoeacuteducateurs et deacuteploient leurs

strateacutegies et ideacuteologies formatives de sorte que le foyer repreacutesente le centre

symbolique de lrsquoespace eacuteducatif consacreacute agrave la socialisation des enfants et agrave leur

adaptation au contexte eacutecosysteacutemique Cependant chaque groupe humain a une

maniegravere diffeacuterente de concevoir lrsquoideacutee de foyer eacuteducatif et chaque culture assigne

aux divers membres de la famille vivant dans le foyer des temps diffeacuterents agrave

consacrer agrave lrsquoeacuteducation des enfants

Lrsquoobservation des rythmes parentaux chez les Wayana-Apalaiuml et chez les

Enata mrsquoa permis de mieux comprendre la dureacutee et lrsquointensiteacute de lrsquoacte eacuteducatif dans

les deux contextes eacutetudieacutes mais aussi de les mettre en relation avec ceux observeacutes

dans le groupe teacutemoin de France meacutetropolitaine Dans ce chapitre je vais preacutesenter

les reacutesultats obtenus pendant mon travail de terrain tout en sachant que la

meacutethodologie utiliseacutee ndash bien qursquoinspireacutee de protocoles deacutejagrave testeacutes sur le terrain ndash est

encore exploratoire raison pour laquelle une discussion approfondie autour de ses

avantages limites et inconveacutenients sera proposeacutee dans la troisiegraveme partie de cette

thegravese

Il convient de rappeler que pour lrsquoobtention de ces donneacutees jrsquoai reacutealiseacute plus

de 1440 heures drsquoobservation directe (720 heures agrave Antecume pata 480 heures agrave

230

Hiva Oa et 240 heures en France meacutetropolitaine) dans le but de mesurer la

laquo quantiteacute raquo drsquointeractions eacuteducatives auxquelles eacutetaient exposeacutes les enfants dans

les contextes eacutetudieacutes ce qui mrsquoa permis drsquoobtenir des donneacutees comparables en ce

qui concerne le poids de chaque acteur ndash ou microsystegraveme ndash dans la transmission de

la culture et plus preacuteciseacutement des savoirs que jrsquoai consideacutereacutes comme

laquo fondamentaux raquo182 Cependant ce nrsquoest qursquoagrave la lumiegravere des observations

ethnographiques de type qualitatif reacutealiseacutees au fil des cinq ans de travail sur le

terrain que ces donneacutees ont pris tout leur sens car la finaliteacute de cette thegravese nrsquoest pas

de laquo mesurer raquo les interactions sociales chez deux peuples autochtones Toutefois

cet exercice drsquoanalyse quantitative a faciliteacute la comparaison des deux contextes qui

bien que diffeacuterents preacutesentent plusieurs points communs le plus important eacutetant

la primauteacute du foyer domestique dans lrsquoespace de socialisation primaire

101 La famille est le village parentaliteacute et vie communautaire chez les

Wayana-Apalaiuml

Lrsquoeacutelaboration des outils neacutecessaires au recueil des donneacutees srsquoest faite en deux

temps Entre mars et septembre 2011 un premier ensemble drsquoobservations

reacutealiseacutees en guise de laquo test raquo afin de mettre en eacutevidence les points de la meacutethodologie

qui allaient neacutecessiter une reacutevision a porteacute sur cinq familles du village drsquoAntecume

182 Je rappelle qursquoil srsquoagit de la production et la transformation des aliments la construction et

lrsquoentretien de la maison la meacutedecine traditionnelle la preacuteparation et la participation agrave des

ceacutereacutemonies ou rituels communautaires la production drsquooutils la transmission de lrsquohistoire orale et

la connaissance du territoire

231

pata Toutes ont eacuteteacute observeacutees agrave deux occasions pendant les 24 heures drsquoun jour

ouvrable et les 24 heures drsquoun jour feacuterieacute Il srsquoagit donc drsquoun total de 240 heures

drsquoobservation Sur ma grille drsquoobservation jrsquoai noteacute agrave intervalles de cinq minutes

toutes les interactions eacuteducatives ayant comme laquo destinataire raquo lrsquoenfant ou

lrsquoeacuteduqueacute que jrsquoavais choisi comme laquo sujet drsquoeacutetude raquo Pendant ce premier test je me

suis rendu compte que bien souvent lrsquoenfant-eacuteduqueacute interagissait en mecircme temps

avec deux ou plusieurs eacuteducateurs agrave la fois Jrsquoai donc reacuteviseacute ma meacutethodologie et afin

de simplifier le travail de codage jrsquoai deacutecideacute que lorsque plusieurs interactions se

produisaient avec diffeacuterents eacuteducateurs dans le mecircme intervalle de temps je ne

noterais que lrsquointeraction principale183 Par exemple si entre 10h 45 et 10h 50

lrsquoenfant en question interagissait et avec sa megravere et avec sa grand-megravere je ne notais

que lrsquointeraction principale agrave savoir celle qui agrave mon avis jouait un rocircle majeur dans

la transmission drsquoun savoir lieacute aux domaines laquo fondamentaux raquo (voir annexe 9)

Jrsquoai donc proceacutedeacute dans chaque famille agrave une synthegravese du temps consacreacute par

les eacuteducateurs drsquoun mecircme rang et ce agrave partir du calcul de la moyenne statistique

Jrsquoai donc par exemple calculeacute le temps total que chaque megravere consacrait aux

interactions eacuteducatives durant une journeacutee (feacuterieacutee ou ouvrable) Puis jrsquoai additionneacute

les reacutesultats obtenus dans les cinq familles et ai diviseacute le reacutesultat par cinq ce qui mrsquoa

183 Il srsquoagit drsquoun choix justifieacute par des raisons de faisabiliteacute Bien eacutevidemment jrsquoaurais pu observer

aussi les interactions polyadiques (preacutesentant un laquo chevauchement raquo interactif entre plusieurs

acteurs) tout en calculant le niveau drsquointeraction de chaque eacuteducateur et en pondeacuterant le reacutesultat

final Toutefois cette meacutethode est difficilement applicable dans des contextes drsquoobservations ougrave

lrsquoenregistrement videacuteo nrsquoest pas autoriseacute par les familles

232

permis drsquoobtenir le temps moyen qursquoune megravere wayana-apalaiuml laquo lambda raquo deacutediait aux

interactions eacuteducatives Bien que cette premiegravere seacuterie drsquoobservations eucirct la seule

fonction de mettre au point les outils de recueil de donneacutees les reacutesultats obtenus

ont un certain inteacuterecirct puisqursquoils nous permettent de les comparer avec ceux obtenus

trois ans apregraves dans le mecircme cadre soit en 2014 quand jrsquoai reacutealiseacute la deuxiegraveme seacuterie

drsquoobservations agrave Antecume pata

Les donneacutees obtenues en 2011 nous montrent que les eacuteducateurs les plus

engageacutes dans la formation des enfants ndash en termes de temps consacreacute agrave ces activiteacutes

ndash sont les megraveres lesquelles durant les jours feacuterieacutes consacrent en moyenne 458

minutes par jour aux interactions eacuteducatives soit cinq fois plus de temps que les

pegraveres dont la moyenne est de 82 minutes par jour Srsquoensuit le groupe de la famille

de la megravere (avec lequel je le rappelle lrsquoenfant partage la mecircme maison du fait du

principe matrilocal) au sein duquel les tantes et les grand-megraveres maternelles

consacrent un peu plus drsquoune heure par jour aux interactions eacuteducatives quand les

oncles et les grands-pegraveres leur accordent un peu moins de vingt minutes Dans la

fratrie le rocircle preacutepondeacuterant est joueacute par les sœurs qui consacrent aux enfants

quatre fois plus de temps que leurs fregraveres (93 minutes contre 26 minutes par jour)

Le groupe de pairs (qui reacuteunit les cousins croiseacutes et ceux qui sont seacutepareacutes de lrsquoenfant

par plus de quatre degreacutes de parenteacute)184 a aussi un rocircle important dans la

184 Il srsquoagit des cousins qui partagent les mecircmes arriegravere-grands-parents et ceux issus des germains

(crsquoest-agrave-dire les enfants des cousins germains) La deacutefinition du degreacute de parenteacute que jrsquoutilise ici est

celle preacutevue par lrsquoarticle 741 du Code Civil franccedilais selon lequel laquo la proximiteacute de parenteacute seacutetablit

par le nombre de geacuteneacuterations chaque geacuteneacuteration sappelle un degreacute raquo

233

socialisation de lrsquoenfant qui passe avec eux une grande partie de la journeacutee 6 des

interactions eacuteducatives se reacutealisent en effet en son sein La famille du pegravere a un rocircle

relativement secondaire dans la socialisation de lrsquoenfant puisque ses membres bien

qursquoils passent beaucoup de temps avec les enfants sont moins preacutedisposeacutes agrave la

transmission culturelle pendant les jours feacuterieacutes ils y consacrent un total de

50 minutes en moyenne (Tableau 2)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 458 318

Pegravere 82 569

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 75 52

Oncle(s) maternel(s) 19 131

Grand-megravere maternelle 67 465

Grand-pegravere maternel 17 118

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 13 09

Oncle(s) paternel(s) 20 138

Grand-megravere paternelle 11 076

Grand-pegravere paternel 6 041

Fratrie Sœur(s) 93 645

Fregravere(s) 26 18

Pairs Cousin(s) 86 597

Reacuteseau laquo eacutelargi raquo de parenteacute Autres membres de la communauteacute 5 034

TOTAL 978 6791

Tableau 2 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Antecume pata 2011)

Ces modegraveles comportementaux ne semblent pas connaicirctre de variations

entre jours feacuterieacutes et jours ouvrables Toutefois les reacutesultats de mes observations

montrent une diminution significative du temps total consacreacute aux interactions

234

eacuteducatives au sein de la famille Le temps moyen total passeacute dans les interactions

eacuteducatives diminue de 129 minutes entre un jour feacuterieacute et un jour ouvrable la

moyenne totale des interactions eacuteducatives passe de 987 minutes dans les jours

feacuterieacutes agrave 858 minutes Pendant les jours ouvrables les megraveres consacrent agrave lrsquoeacuteducation

une moyenne de 210 minutes en moins par rapport aux jours feacuterieacutes Chez les pegraveres

la diffeacuterence est encore plus marqueacutee 82 minutes pendant un jour feacuterieacute contre 22

minutes pour un jour ouvrable soit presque quatre fois moins de temps Les

relations avec les membres de la famille de la megravere diminuent aussi (on passe de

178 minutes agrave 120 minutes) et celles avec les membres de la famille paternelle

passent de 50 agrave 13 minutes Bien eacutevidemment pour interpreacuteter ces eacutecarts on doit

tenir compte du fait que lrsquoeacutecole occupe plus de 20 de la journeacutee des enfants

Cependant les relations eacuteducatives au sein de la famille restent principales puisque

les enfants passent plus du 38 du temps dans des activiteacutes eacuteducatives drsquoorigine

familiale (Figure 17)

235

Figure 17 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Antecume pata 2011 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

En reacutesumeacute en 2011 les enfants wayana-apalaiuml passaient de 59 (les jours

ouvrables) agrave 67 (les jours feacuterieacutes) de leur journeacutee dans des interactions eacuteducatives

Ainsi quand ils nrsquoallaient pas agrave lrsquoeacutecole (les jours feacuterieacutes) ils avaient deux heures

drsquointeractions eacuteducatives de plus que quand ils y allaient (Tableau 3)

Megravere17

Pegravere2

Famille maternelle8

Famille paternelle1

Fratrie4

Pairs (cousins)7

Ecole21

Inteacuteractions non eacuteducativesRepos

40

Megravere Pegravere

Famille maternelle Famille paternelle

Fratrie Pairs (cousins)

Ecole Inteacuteractions non eacuteducativesRepos

236

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 248 1722

Pegravere 22 152

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 37 256

Oncle(s) maternel(s) 17 118

Grand-megravere maternelle 54 375

Grand-pegravere maternel 12 083

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 4 027

Oncle(s) paternel(s) 2 013

Grand-megravere paternelle 4 027

Grand-pegravere paternel 3 02

Fratrie Sœur(s) 34 236

Fregravere(s) 26 18

Pairs Cousin(s) 95 659

Sans liens de parenteacute Eacutecole 300 2083

TOTAL 858 5958

TOTAL SANS EacuteCOLE 558 3875

Tableau 3 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Antecume pata 2011)

Je me suis demandeacute agrave quoi tenait cette diffeacuterence et lorsque je les

interrogeais la plupart des parents des enfants semblaient srsquoaccorder sur le fait que

quand les enfants rentrent de lrsquoeacutecole ils sont plus fatigueacutes et moins disposeacutes aux

interactions eacuteducatives ils font des siestes plus longues ils passent moins de temps

agrave la maison jouent davantage avec leurs pairs et enfin ils aident moins les adultes

dans la reacutealisation des activiteacutes meacutenagegraveres

Les observations meneacutees trois ans plus tard en 2014 semblent confirmer

cette tendance Les reacutesultats obtenus reacutevegravelent un certain nombre de variations avec

une eacutevidente diminution du temps que les parents vouent non pas aux enfants (crsquoest-

agrave-dire le temps passeacute avec eux) mais plutocirct aux interactions eacuteducatives (soit le

237

temps passeacute avec eux dans le but de transmettre des savoirs) En effet mecircme si les

positions occupeacutees par les diffeacuterents eacuteducateurs semblent toujours les mecircmes (les

megraveres restant les laquo eacuteducatrices principales raquo) on peut toutefois noter que le temps

total que les adultes de la famille consacrent aux activiteacutes eacuteducatives a sensiblement

diminueacute Si en 2011 les parents occupaient 37 des interactions eacuteducatives

pendant les jours feacuterieacutes en 2014 ces mecircmes interactions ne constituaient plus que

31 de la journeacutee (Tableau 4)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 382 2652

Pegravere 66 458

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 71 493

Oncle(s) maternel(s) 7 048

Grand-megravere maternelle 82 569

Grand-pegravere maternel 11 076

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 11 076

Oncle(s) paternel(s) 6 041

Grand-megravere paternelle 8 055

Grand-pegravere paternel 6 041

Fratrie Sœur(s) 95 659

Fregravere(s) 21 145

Pairs Cousin(s) 99 687

TOTAL 865 6006

Tableau 4 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Antecume pata 2014)

Pour les jours ouvrables la diffeacuterence est moins eacutevidente mais notable en

2011 les parents interagissaient avec leur enfant pendant 18 de la journeacutee mais

en 2014 ce niveau avait atteint 16 Il est particuliegraverement inteacuteressant drsquoobserver

238

que cette diminution a laisseacute place agrave lrsquointervention drsquoautres membres de la famille

comme la fratrie ou les cousins dont le rocircle drsquoeacuteducateurs laquo pairs raquo a pris de

lrsquoampleur (Tableau 5)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 222 1541

Pegravere 17 118

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 31 215

Oncle(s) maternel(s) 11 076

Grand-megravere maternelle 64 444

Grand-pegravere maternel 11 076

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 3 02

Oncle(s) paternel(s) 2 013

Grand-megravere paternelle 3 02

Grand-pegravere paternel 3 02

Fratrie Sœur(s) 44 305

Fregravere(s) 16 111

Pairs Cousin(s) 106 736

Sans liens de parenteacute Eacutecole 300 2083

TOTAL 833 5784

TOTAL SANS EacuteCOLE 533 3701

Tableau 5 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Antecume pata 2014)

En 2014 lrsquoeacutecole eacutetait donc devenue le microsystegraveme dans lequel les enfants

du village passaient le plus de temps (un peu plus de 20 de leur journeacutee) suivie

par les parents les pairs la famille maternelle la fratrie et enfin la famille paternelle

Au cours de la mecircme peacuteriode aucun contact avec le shaman du village nrsquoa eacuteteacute

enregistreacute cette figure laquo capitale raquo de la culture ameacuterindienne semblait avoir

disparu du champ interactionnel des enfants wayana-apalaiuml (Figure 18)

239

Figure 18 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Antecume pata 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

En analysant les reacutesultats obtenus il ressort que les enfants drsquoAntecume pata

sont constamment exposeacutes aux interactions eacuteducatives En effet la majoriteacute des

activiteacutes auxquelles ils se consacrent ndash y compris les jeux entre pairs ndash ont une valeur

eacuteducative et la laquo position raquo qursquooccupent les parents et les autres membres de la

famille (adultes ou pairs) correspond dans la majoriteacute des cas agrave celle drsquoeacuteducateur

laquo srsquooccuper raquo des enfants devient donc synonymique drsquo laquo eacuteduquer raquo et comme on le

verra dans le chapitre suivant cette fonction eacuteducatrice est toujours lieacutee agrave un style

Megravere16

Pegravere1

Famille de la megravere8

Famille du pegravere1

Fratrie4Pairs

7

Ecole21

Interactions non eacuteducativesrepos

42

Megravere Pegravere

Famille de la megravere Famille du pegravere

Fratrie Pairs

Ecole Interactions non eacuteducativesrepos

240

eacuteducatif dans lequel les interactions participatives priment sur les interactions

fonctionnellement disjointes

102 Un espace domestique permeacuteable famille eacutecole religion et culture agrave

Hiva Oa

En 2014 jrsquoai observeacute dix familles enata reacutesidant sur lrsquoicircle de Hiva Oa en

adoptant le mecircme protocole drsquoobservation que celui appliqueacute aux Wayana-Apalaiuml

Chaque famille a eacuteteacute observeacutee pendant 24 heures conseacutecutives agrave deux reprises (un

jour ouvrable et un jour feacuterieacute) Dans lrsquoensemble jrsquoai accumuleacute plus de 480 heures

drsquoobservation directe des interactions domestiques chez les Enata accompagneacutees

de plus de cinq mois de travail ethnographique qui mrsquoa permis de situer et

drsquointerpreacuteter certains comportements en fonction du contexte

Bien que comme chez les Wayana-Apalaiuml la megravere enata joue le rocircle

drsquoeacuteducatrice principale le temps qursquoelle consacre aux interactions eacuteducatives est

moins important que celui observeacute agrave Antecume pata Ce constat vaut aussi pour les

autres membres de la famille

Pendant les jours feacuterieacutes les enfants de Hiva Oa connaissent en moyenne 524

minutes drsquointeractions eacuteducatives ndash dont 120 minutes dans les activiteacutes organiseacutees

par des groupes religieux ndash soit un peu plus de la moitieacute du temps voueacute aux

interactions eacuteducatives agrave Antecume pata Pour ce qui est de la famille les parents

participent agrave 15 des interactions suivis par la fratrie (pregraves de 4 ) par la famille

du pegravere (3 ) celle de la megravere (un peu moins de 3 ) des pairs (2 ) et des autres

membres de la communauteacute (un peu moins de 1 ) 19 des interactions se font

241

dans le cadre de lrsquoespace domestique et 16 en dehors 8 avec des membres du

reacuteseau de parenteacute et 8 avec les groupes religieux (Tableau 6 et figure 19)

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 198 1375

Pegravere 21 145

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 6 041

Oncle(s) maternel(s) 7 048

Grand-megravere maternelle 14 097

Grand-pegravere maternel 13 09

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 8 055

Oncle(s) paternel(s) 6 041

Grand-megravere paternelle 16 111

Grand-pegravere paternel 18 125

Fratrie Sœur(s) 41 284

Fregravere(s) 13 09

Pairs Cousin(s) 16 111

Voisinsamis 15 104

Sans liens de parenteacute Autres membres de la communauteacute 12 083

Groupes religieux 120 833

TOTAL 524 3638

Tableau 6 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (Hiva Oa 2014)

242

Figure 19 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Hiva Oa 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

Pendant les jours ouvrables compte tenu du temps que les enfants passent agrave

lrsquoeacutecole le rocircle eacuteducatif des membres de la famille enata diminue davantage encore

Les parents totalisent 137 minutes par jour deacutedieacutees aux activiteacutes eacuteducatives (soit un

peu plus de 9 du temps disponible) la fratrie 23 minutes les pairs 16 minutes la

Megravere14

Pegravere1

Famille de la megravere3

Famille du pegravere3

Fratrie4

Pairs2

Autres membres de la communauteacute

1

Groupes religieux8

Interactions non eacuteducativesrepos

64

Megravere Pegravere

Famille de la megravere Famille du pegravere

Fratrie Pairs

Autres membres de la communauteacute Groupes religieux

Interactions non eacuteducativesrepos

243

famille de la megravere 5 minutes et celle du pegravere 3 minutes Un rocircle important est joueacute

par les associations culturelles et sportives ndash qui ne deacutependent pas des groupes

religieux - au sein desquelles les enfants passent pregraves drsquoune heure par jour et bien

eacutevidemment par lrsquoeacutecole (300 minutes par jour comme preacutevu par la norme) Au total

pendant les jours ouvrables les enfants de Hiva Oa passent donc 26 de leur

journeacutee dans des interactions eacuteducatives exteacuterieures au reacuteseau de parenteacute 11

dans des interactions eacuteducatives domestiques (dont 9 drsquoorigine parentale) et

moins de 1 dans des interactions eacuteducatives avec les autres membres de la famille

(Tableau 7 et figure 20)

244

Lien de parenteacute Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 92 638

Pegravere 45 312

Famille de la megravere Tante(s) maternelle(s) 2 013

Oncle(s) maternel(s) 1 006

Grand-megravere maternelle 2 013

Grand-pegravere maternel 0 0

Famille du pegravere Tante(s) paternelle(s) 0 0

Oncle(s) paternel(s) 0 0

Grand-megravere paternelle 2 013

Grand-pegravere paternel 1 006

Fratrie Sœur(s) 12 083

Fregravere(s) 11 076

Pairs Cousin(s) 2 013

Voisinsamis 14 097

Sans liens de parenteacute Autres membres de la communauteacute 14 097

Associations culturelles 60 416

Eacutecole 300 2083

TOTAL 558 3866

TOTAL SANS EacuteCOLE 258 1783

Tableau 7 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (Hiva Oa 2014)

245

Figure 20 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Hiva Oa 2014 Les valeurs sont arrondies agrave lrsquouniteacute supeacuterieure ou infeacuterieure)

Dans le cas des habitants de Hiva Oa le rocircle eacuteducatif joueacute par les eacuteducateurs

externes aux familles semble plus important que chez les Wayana-Apalaiuml Ici lrsquoeacutecole

est lrsquoeacuteducateur principal suivie par les membres de la famille nucleacuteaire (les parents

et la fratrie) puis par les associations culturelles et les groupes religieux Bien

eacutevidemment on se doit de tenir compte du fait que par effet des normes de

reacutesidence libre en vigueur agrave Hiva Oa les jeunes couples ne se sentent pas obligeacutes de

Megravere7

Pegravere3 Famille de la megravere

0

Famille du pegravere0

Fratrie2

Pairs1

Autres membres de la communauteacute

1

Associations culturelles

4Ecole21Interactions non

eacuteducativesrepos61

MegraverePegravereFamille de la megravereFamille du pegravereFratriePairsAutres membres de la communauteacuteAssociations culturelles

246

suivre certaines pratiques drsquouxorilocaliteacute qui eacutetaient en vigueur avant lrsquoarriveacutee des

colonisateurs europeacuteens ce qui implique un certain eacuteloignement geacuteographique des

familles et qui explique alors le rocircle laquo peacuteripheacuterique raquo que semble jouer la famille du

pegravere et celle de la megravere dans le deacuteveloppement de lrsquoenfant Aussi il ne faut pas

oublier que au cours des derniegraveres anneacutees un nombre croissant de Marquisiens a

abandonneacute lrsquoarchipel dans le cadre drsquoune migration eacuteconomique pour chercher

ailleurs des opportuniteacutes de travail et de vie ce qui a probablement contribueacute agrave

fracturer certains liens familiaux et agrave eacuteloigner certains membres du reacuteseau de

parenteacute les uns des autres

103 Meacutetropole et Outre-mer comparer laquo lrsquointensiteacute raquo des interactions

eacuteducatives

Lrsquoobservation des interactions eacuteducatives dans un groupe teacutemoin composeacute

de cinq familles nucleacuteaires reacutesidant en milieu urbain en France meacutetropolitaine mrsquoa

permis de mieux cerner certaines diffeacuterences entre les deux contextes drsquoeacutetude En

effet du point de vue de la laquo structure familiale raquo les Wayana-Apalaiuml constituent des

exemples drsquouniteacutes familiales eacutelargies (les laquo maisonneacutees raquo) qui sont en relation avec

les autres composantes du village avec lesquelles ndash agrave lrsquoexception de lrsquoeacutecole ndash ils ont

des liens de parenteacute plus ou moins forts Les enfants ameacuterindiens sont donc exposeacutes

agrave un grand nombre de microsystegravemes eacuteducatifs et srsquoadaptent tregraves vite aux diffeacuterents

styles eacuteducatifs des nombreux eacuteducateurs avec qui ils entretiennent des relations

Chez les Enata les familles sont quasiment toutes nucleacuteaires comme en France

meacutetropolitaine toutefois les enfants considegraverent tous les membres du village

comme des comme des proches avec lesquels ils sont souvent apparenteacutes agrave des

247

degreacutes divers Srsquoils sont exposeacutes agrave moins de microsystegravemes que leurs pairs

ameacuterindiens ils ont en revanche plus de contacts avec des groupes qui par leur

structure ou leur mission ne se basent pas sur des liens de parenteacute comme les

associations culturelles les groupes religieux et lrsquoeacutecole En France meacutetropolitaine

les familles observeacutees eacutetaient toutes de type nucleacuteaire et les relations avec les

familles des parents eacutetaient tregraves limiteacutees dans les cinq cas observeacutes lrsquoenfant ne

voyait ses grands-parents ses tantes ou ses oncles que pendant les vacances

scolaires une ou deux fois par an Par ailleurs le nombre de microsystegravemes avec

lesquels lrsquoenfant entrait en relation eacutetait bien plus restreint que dans les deux autres

lieux de lrsquoeacutetude

En effet en France meacutetropolitaine pendant les jours feacuterieacutes hormis les

membres de la famille nucleacuteaire (parents et fratrie) les enfants observeacutes nrsquoavaient

de relations qursquoavec les assistantes maternelles (120 minutes par jour en moyenne)

et avec les enfants du voisinage (18 minutes par jour) La megravere jouait ici aussi le

rocircle drsquoeacuteducatrice principale consacrant au quotidien 177 minutes aux interactions

eacuteducatives un temps leacutegegraverement infeacuterieur agrave celui des megraveres enata (198 minutes) et

largement infeacuterieur agrave celui des megraveres wayana-apalaiuml (458 minutes en 2011 et 382

minutes en 2014) Le temps que lrsquoenfant passe avec lrsquoassistante maternelle est plus

important que la somme du temps deacutedieacute aux interactions eacuteducatives avec le pegravere la

fratrie et les pairs Au total si on considegravere que le temps passeacute avec lrsquoassistante

maternelle est exclusivement deacutedieacute aux apprentissages lrsquoenfant interagit dans le

cadre drsquoactiviteacutes eacuteducatives pendant 27 de son temps lorsqursquoil nrsquoa pas eacutecole

248

Cependant si on ne tient compte que des interactions eacuteducatives de type

domestique ce chiffre baisse agrave 18 (Tableau 8)

Type Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 177 1229

Pegravere 34 236

Fratrie Sœur(s) 32 222

Fregravere(s) 13 09

Pairs Voisinsamis 18 125

Intervenants externes Assistante maternelle 120 833

TOTAL 394 2736

Tableau 8 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour feacuterieacute (France meacutetropolitaine 2014)

Pendant les jours ouvrables le microsystegraveme eacuteducatif principal est lrsquoeacutecole

(300 minutes par jour) suivi de la megravere ndash qui deacutedie agrave lrsquoenfant un peu moins de 130

minutes ndash les associations culturelles ou sportives (60 minutes par jour en

moyenne) la fratrie et le pegravere (respectivement 33 et 31 minutes) et enfin les pairs

Les interactions eacuteducatives domestiques occupent 15 de la journeacutee de lrsquoenfant les

scolaires un peu moins de 21 et les extra-scolaires 4 (Tableau 9)

249

Type Eacuteducateur Temps moyen (minutes)

moyen de la journeacutee (24h)

Parents Megravere 128 888

Pegravere 31 215

Fratrie Sœur(s) 21 145

Fregravere(s) 12 083

Pairs Voisinsamis 23 159

Activiteacutes extra-scolaires Associations culturelles 60 416

Activiteacutes scolaires Eacutecole 300 2083

TOTAL 575 3989

TOTAL SANS EacuteCOLE 275 1906

Tableau 9 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un jour ouvrable (France meacutetropolitaine 2014)

La comparaison des pourcentages du temps reacuteserveacute aux interactions

eacuteducatives des enfants dans les trois contextes observeacutes ndash surtout pendant les jours

ougrave les enfants vont agrave lrsquoeacutecole ndash nous permet de mieux appreacutecier les diffeacuterences en

fonction de certaines variables (Tableau 10)

Antecume pata 2011

Antecume pata 2014

Hiva Oa 2014

France meacutetropolitaine 2014

Megravere 1722 1541 638 888 Pegravere 152 118 312 215

Famille maternelle 832 811 032 0 Famille paternelle 087 073 019 0

Fratrie 416 416 159 228 Pairs (cousins) 659 736 11 0

Personnes hors du reacuteseau de parenteacute 0 0 097 0

Associations culturelles et sportives 0 0 416 416

Eacutecole 2083 2083 2083 2083 Interactions non

eacuteducativesRepos 4042 4216 6134 6011

Tableau 10 Pourcentage moyen drsquoexposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables comparaison entre les contextes drsquoeacutetude et le groupe teacutemoin en France meacutetropolitaine

250

Premiegraverement les enfants meacutetropolitains et les Enata participent agrave des

interactions eacuteducatives pendant moins de la moitieacute de leur journeacutee Les enfants

ameacuterindiens au contraire passaient en 2014 plus de 57 de leur journeacutee agrave

interagir avec des adultes ou des pairs dans le cadre drsquoactiviteacutes de type eacuteducatif (et

plus du 59 en 2011) Les enfants de Hiva Oa tout comme les Franccedilais hexagonaux

ont lrsquohabitude de se socialiser dans le cadre extra-scolaire et de participer agrave des

activiteacutes drsquoeacuteducation non formelle dans des associations culturelles et sportives

Lrsquointensiteacute des interactions eacuteducatives des parents enata et meacutetropolitains semble

similaire plus ou moins 10 du temps dans les deux cas Cependant chez les Enata

les familles des parents sont preacutesentes ndash bien que de faccedilon limiteacutee ndash dans le

deacuteveloppement eacuteducatif de lrsquoenfant tandis qursquoen meacutetropole leur rocircle se limite en

geacuteneacuteral aux vacances scolaires Si les megraveres ameacuterindiennes semblent passer avec

leurs enfants deux fois plus de temps que les megraveres enata et meacutetropolitaines les

pegraveres enata apparaissent comme les plus impliqueacutes des trois contextes drsquoeacutetude

Chez les Wayana-Apalaiuml la faible participation des pegraveres srsquoexplique en partie par

laquo lrsquoeacutepideacutemie raquo drsquoalcoolisme touchant les pegraveres ameacuterindiens puisque la majoriteacute

absolue des hommes du village est concerneacutee ce qui les rend peu disposeacutes aux

interactions eacuteducatives et aux relations de socialisation avec leurs enfants En

dernier lieu il est inteacuteressant de noter que dans tous les cas observeacutes le rocircle de la

fratrie est constant avec des eacutecarts tregraves limiteacutes entre chaque contexte eacutetudieacute (Figure

21)

251

Figure 21 Pourcentage moyen du temps journalier pendant lequel les enfants sont exposeacutes agrave des interactions eacuteducatives selon lrsquoeacuteducateur et le contexte eacutetudieacute

1722

152

832

087

416

659

0

0

2083

4042

1541

118

811

073

416

736

0

0

2083

4216

638

312

032

019

159

11

097

416

2083

6134

888

215

0

0

228

0

0

416

2083

6011

0 10 20 30 40 50 60 70

Megravere

Pegravere

Famille maternelle

Famille paternelle

Fratrie

Pairs (cousins)

Autres membres de la communauteacute

Associations culturelles

Ecole

Interactions non eacuteducativesRepos

Pourcentage du temps journalier dexposition aux inteacuteractions eacuteducatives

Edu

cate

ur

France meacutetropolitaine 2014 Hiva Oa 2014 Antecume pata 2014 Antecume pata 2011

252

11 Les performances eacuteducatives styles parentaux et strateacutegies

peacutedagogiques

Lrsquoun des apports majeurs de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation (et de lrsquoeacuteducation

compareacutee) a eacuteteacute de deacutemontrer que les pratiques eacuteducatives parentales renvoient agrave

des principes qui ne sont pas universels et qui se transforment selon les eacutepoques

historiques et les socieacuteteacutes humaines De plus agrave lrsquointeacuterieur drsquoun mecircme groupe

humain elles peuvent varier en fonction des cateacutegories sociales auxquelles

appartiennent les parents (Gayet 2004) En effet les strateacutegies eacuteducatives que les

parents mettent en œuvre reflegravetent en geacuteneacuteral non seulement les principes

socioculturels et les ideacuteologies dominantes dans leur communauteacute mais aussi et

surtout leurs expeacuteriences personnelles leurs valeurs morales les modegraveles

parentaux qursquoils ont pu connaicirctre ou encore leurs connaissances de lrsquounivers des

enfants (la psychologie de lrsquoenfant les eacutetapes de son deacuteveloppement sa physiologie

ses deacutesirs et ses neacutecessiteacutes) Bien qursquoil nrsquoexiste pas de modegravele universel capable de

deacutecrire les caracteacuteristiques neacutecessaires pour ecirctre un laquo bon raquo parent plusieurs

auteurs se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude des compeacutetences eacuteducatives parentales qui

favorisent le deacuteveloppement personnel et social des enfants Jean-Pierre Pourtois et

Huguette Desmet (1988 2004) ont deacutemontreacute que la laquo disponibiliteacute eacutemotionnelle raquo

des parents et lrsquoutilisation de certaines strateacutegies peacutedagogiques laquo informelles raquo ndash en

dehors des contextes formels de lrsquoeacuteducation tels que lrsquoeacutecole lrsquoinstruction supeacuterieure

ou la formation professionnelle et vocationnelle ndash jouent un rocircle primordial dans

lrsquoapprentissage des enfants et dans leur appropriation des savoirs En drsquoautres

253

termes la parentaliteacute crsquoest-agrave-dire la maniegravere dont les parents exercent leur rocircle a

des effets importants et de longue dureacutee sur la personnaliteacute des eacuteduqueacutes et sur leur

socialisation De son cocircteacute Rodica Ailincai (2011) a eacutetudieacute les compeacutetences socio-

eacuteducatives deacuteveloppeacutees dans le cadre des dispositifs drsquoeacuteducation parentale ndash et qui

reflegravetent les laquo neacutecessiteacutes raquo deacutefinies par les parents occidentaux pour ameacuteliorer leur

rocircle eacuteducatif ndash en mettant en eacutevidence le fait que les plus repreacutesenteacutees relegravevent de

six domaines essentiels lrsquoestime de soi la gestion de lrsquoenvironnement familial (et

des problegravemes de couple) la collaboration avec lrsquoeacutecole et la communauteacute (surtout

lrsquoaide aux devoirs) la connaissance du deacuteveloppement de lrsquoenfant lrsquoaptitude agrave la

prestation de soins et lrsquoengagement envers les inteacuterecircts de lrsquoenfant Plusieurs eacutetudes

ont aussi montreacute que certains styles parentaux excessivement punitifs ou permissifs

peuvent engendrer des conduites asociales chez les enfants (Tap amp Vinay 2000)

En effet des chercheurs comme Lev Vygotski ou Jerome Bruner ont insisteacute

sur la place des interactions sociales dans le deacuteveloppement intellectuel et

lrsquoapprentissage des enfants Selon Vygotski (1933) les fonctions psychiques

supeacuterieures sont le produit de la transformation de processus interpersonnels

(sociaux) en processus intra-personnels (psychologiques) dans le cadre de ce qursquoil

appelle la zone proximale de deacuteveloppement celle-ci deacutelimite les apprentissages

qursquoun enfant peut effectuer lorsqursquoil est aideacute de maniegravere active par un adulte expert

crsquoest-agrave-dire ayant les compeacutetences neacutecessaires pour jouer son rocircle drsquoeacuteducateur En

deacuteveloppant les ideacutees de Vygotski Jerome Bruner (1983) assigne agrave lrsquoadulte le rocircle

de meacutediateur de la culture chargeacute de stimuler ndash agrave travers ses actes peacutedagogiques ndash

lrsquointelligence de lrsquoenfant et la construction de comportements intentionnels en

254

accord avec les impeacuteratifs culturels et les valeurs partageacutees par le groupe humain

dont ils font partie Lrsquoeacuteducateur est donc appeleacute agrave faciliter la progression de lrsquoenfant

en eacuteveillant son inteacuterecirct en reacuteduisant les difficulteacutes et en supprimant les obstacles

aux apprentissages en lrsquoorientant dans ses tacircches et en lui proposant des objectifs

intermeacutediaires en lui fournissant des informations utiles pour lrsquoaccomplissement

de ses objectifs ou encore en lrsquoencourageant et en lui proposant des deacutemonstrations

dans le but de produire lrsquoimitation

Puisque lrsquoun des objectifs principaux de cette thegravese est de rendre compte des

pratiques eacuteducatives dans les deux contextes drsquoeacutetude particuliers afin de

comprendre les principes qui guident la parentaliteacute wayana-apalaiuml et enata jrsquoai

souhaiteacute consacrer une partie de mon travail de terrain agrave lrsquoobservation des

eacutechanges185 et des seacutequences186 de type eacuteducatif entre les eacuteduqueacutes (les enfants) et

les membres de leur famille jouant le rocircle drsquoeacuteducateurs Pour leur analyse jrsquoai adopteacute

la classification proposeacutee par Rodica Ailincai agrave partir de quatre styles interactifs

laquo majeurs raquo sachant que

laquo le style directif integravegre les actes imposeacutes agrave lrsquoenfant (demandes

et apports drsquoinformations descriptions manipulations) des actes non

verbaux visant agrave la normativiteacute des comportements de lrsquoenfant (par

exemple le parent qui regarde lrsquoenfant et exerce un controcircle normatif

185 Les eacutechanges correspondent aux uniteacutes eacuteleacutementaires drsquoun dialogue ils sont constitueacutes drsquoau moins

deux interventions entre au moins deux participants

186 Des seacuteries drsquoeacutechanges coheacuterents autour drsquoun mecircme sujet

255

afin qursquoil atteigne le but fixeacute) ainsi que les feed-back neacutegatifs

(deacutesapprouve eacutevalue neacutegativement) le style suggestif integravegre les

demandes de preacutecisions les aides les conseils les encouragements

les relances les feed-back positifs ainsi que les manipulations

compleacutementaires agrave celles de lrsquoenfant le style autonomisant integravegre les

actes qui recommandent ou suggegraverent lrsquoautonomie ainsi que des actes

non verbaux appartenant agrave la cateacutegorie regard (regarde lrsquoenfant avec

bienveillance rit ou sourit) le fonctionnement disjoint integravegre les

actes de manipulation non collaborative (approche individualiste

chacun deacutecouvre de son cocircteacute) ainsi que les expressions de deacutesinteacuterecirct

agrave lrsquoeacutegard de lrsquoenfant (par exemple inattention aux actions de lrsquoenfant

manifestation drsquoun inteacuterecirct agrave lrsquoeacutegard drsquoun autre dispositif) raquo (Ailincai

2005 118)187

Dans le cadre de mes observations sur le temps consacreacute aux interactions

eacuteducatives dans les familles avec lesquelles jrsquoai travailleacute agrave Antecume pata agrave Hiva Oa

et en France meacutetropolitaine jrsquoai noteacute non seulement la dureacutee et lrsquointensiteacute de ces

eacutechanges ndash comme nous lrsquoavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent ndash mais aussi le style

eacuteducatif qui les caracteacuterisait Pour chaque membre de la famille jrsquoai donc obtenu le

nombre de minutes qursquoelles consacraient aux interactions eacuteducatives en fonction du

style utiliseacute directif (D) suggestif (S) autonomisant (A) ou fonctionnellement

187 Pour plus de preacutecisions voir aussi Ailincai et al 2014

256

disjoint (FD) Agrave partir drsquoune reacuteduction statistique jrsquoai donc pu obtenir le style

interactif dominant188 pour chaque membre de la famille dans les trois groupes

eacutetudieacutes mais aussi le style interactif dominant de chaque groupe Puisque ce travail

est focaliseacute sur les interactions dans le milieu domestique jrsquoai exclu de mes mesures

les interactions observeacutees agrave lrsquoexteacuterieur du groupe familial (lrsquoeacutecole les associations

culturelles sportives ou religieuses et dans le cas des familles meacutetropolitaines les

baby-sitters)

111 Une parentaliteacute agrave lrsquoeacutepreuve de la laquo moderniteacute raquo les logiques eacuteducatives

chez les Wayana-Apalaiuml

Comme eacutenonceacute dans le chapitre preacutecegravedent les premiegraveres observations

meneacutees en 2011 agrave Antecume pata mrsquoont permis de mettre au point lrsquooutil de codage

que jrsquoai utiliseacute pour noter les interactions eacuteducatives ayant pour laquo sujet raquo lrsquoenfant-

eacuteduqueacute et pour mesurer la laquo quantiteacute raquo de ces interactions en fonction de lrsquoeacuteducateur

et du style Cette premiegravere seacuterie drsquoobservations nous reacutevegravele que chez les Wayana-

Apalaiuml le style eacuteducatif dominant pendant les jours feacuterieacutes ndash et chez tous les membres

de la famille confondus ndash eacutetait le style suggestif (qui totalise 38 des interactions)

suivi par lrsquoautonomisant (34 des interactions) Seul un nombre limiteacute

188 Je parle de styles interactifs dominants puisque comme nous le verrons dans les pages suivantes

plusieurs styles se rencontrent chez une mecircme personne ou dans un mecircme groupe Le style dominant

est donc celui qui est le plus freacutequemment utiliseacute dans les interactions

257

drsquointeractions se sont faites dans des styles directifs (18 des cas) ou

fonctionnellement disjoints (9 des cas)

Cependant les megraveres ndash qui sont les membres de la famille avec lesquels les

enfants ont le plus drsquoeacutechanges ndash interagissaient surtout au travers drsquoun style

autonomisant (55 du temps deacutedieacute aux eacutechanges) Elles nrsquoutilisaient un style

directif et fonctionnellement disjoint que dans une minoriteacute de cas (respectivement

5 et 3 ) Les pegraveres et les autres membres adultes de la famille avaient plutocirct

tendance agrave preacutefeacuterer le style suggestif agrave lrsquoexception des grands-pegraveres paternels qui

se partageaient entre les styles directifs (50 des eacutechanges) et fonctionnellement

disjoints (50 ) La fratrie basait la majoriteacute des eacutechanges sur les styles directif (37

) et suggestif (30 ) agrave lrsquoinverse des pairs (qui je le rappelle sont tous des cousins)

qui utilisaient majoritairement des eacutechanges de type suggestif (dans 46 des cas)

Il est inteacuteressant de preacuteciser que le peu drsquointeractions observeacutees avec le shaman du

village (une moyenne de 5 minutes par enfant) ont toutes eu lieu dans le cadre

drsquoeacutechanges suggestifs (Tableau 11)

258

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 24 524 166 3624 254 5545 14 305

Pegravere 6 731 32 3902 8 975 36 439

Tante(s) maternelle(s)

28 3733 33 44 8 1066 6 8

Oncle(s) maternel(s)

6 3157 10 5263 3 1578 0 0

Grand-megravere maternelle

31 4626 29 4328 6 895 1 149

Grand-pegravere maternel

8 4705 9 5294 0 0 0 0

Tante(s) paternelle(s)

4 3076 5 3846 4 3076 0 0

Oncle(s) paternel(s)

3 15 9 45 7 35 1 5

Grand-megravere paternelle

5 4545 5 4545 1 909 0 0

Grand-pegravere paternel

3 50 0 0 0 0 3 50

Sœur(s) 35 3763 28 301 16 172 14 1505

Fregravere(s) 8 3076 12 4615 2 769 4 1538

Cousin(s) 18 2093 27 3139 28 3255 13 1511

Autres membres de la communauteacute

0 0 5 100 0 0 0 0

TOTAL 179 183 370 3783 337 3445 92 94

Tableau 11 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours feacuterieacutes (en 2011) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

En revanche les observations meneacutees la mecircme anneacutee pendant les jours

ouvrables ont donneacute des reacutesultats tregraves diffeacuterents En effet dans ce cas-ci le style

dominant eacutetait le style directif (36 des interactions) suivi par le suggestif (30 )

le fonctionnellement disjoint (pregraves de18 ) et lrsquoautonomisant (17 ) Quand les

enfants allaient agrave lrsquoeacutecole les megraveres semblaient plus enclines aux eacutechanges de type

directif (41 des cas) tout comme les tantes maternelles (43 ) les grands-megraveres

maternelles (39 ) et les sœurs (41 ) Les eacutechanges des pegraveres et de toutes les

259

autres figures masculines de la famille se faisaient majoritairement dans le cadre

drsquointeractions de type fonctionnellement disjoint Dans le cas des tantes et des

oncles paternels la totaliteacute des eacutechanges eacutetaient fonctionnellement disjoints En

revanche les cousins ndash dans le cadre drsquoactiviteacutes ludiques ndash se partageaient plus ou

moins eacutequitablement entre les styles directif (28 ) suggestif (33 ) et

autonomisant (34 ) seule une minoriteacute des eacutechanges eacutetant de type

fonctionnellement disjoint (Tableau 12)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 102 4112 88 3548 32 129 26 1048

Pegravere 4 1818 1 454 2 909 15 6818

Tante(s) maternelle(s)

16 4324 5 1351 5 1351 11 2972

Oncle(s) maternel(s)

5 2941 4 2352 3 1764 5 2941

Grand-megravere maternelle

21 3888 19 3518 8 1481 6 1111

Grand-pegravere maternel

3 25 0 0 4 3333 5 4166

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 4 100

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 2 100

Grand-megravere paternelle

3 75 0 0 0 0 1 25

Grand-pegravere paternel

0 0 1 3333 0 0 2 6666

Sœur(s) 14 4117 11 3235 5 147 4 1176

Fregravere(s) 4 1538 5 1923 5 1923 12 4615

Cousin(s) 27 2842 31 3263 32 3368 5 526

TOTAL 199 3566 165 2956 96 172 98 1756

Tableau 12 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours ouvrables (en 2011) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

260

Les donneacutees obtenues en 2014 sont sensiblement diffeacuterentes de celles

obtenues trois ans auparavant On note une leacutegegravere diminution de la quantiteacute

drsquoeacutechanges de type suggestif ou autonomisant En effet pendant les jours feacuterieacutes la

majoriteacute des interactions observeacutees sont de type autonomisant Quand les enfants

ne vont pas agrave lrsquoeacutecole les eacutechanges de ce type occupent 29 du temps deacutedieacute aux

activiteacutes eacuteducatives mais la diffeacuterence avec la quantiteacute des eacutechanges de type

suggestif et directif nrsquoest pas tregraves marqueacutee (respectivement 26 et 22 ) Les megraveres

reacutealisent surtout des eacutechanges de type autonomisant (43 ) tout comme les pairs

(28 ) Les pegraveres les tantes et oncles maternels et les grands-parents paternels

preacutesentent une majoriteacute drsquointeractions de type fonctionnellement disjoint

(respectivement 61 32 57 50 et 66 ) Les oncles paternels se partagent entre les

styles directifs suggestifs et fonctionnellement disjoints Les grands-parents

maternels reacutealisent surtout des eacutechanges de type directif et suggestif et pendant la

peacuteriode en question je ne les ai jamais observeacutes dans des eacutechanges de type

autonomisant (Tableau 13)

261

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 48 1256 122 3193 164 4293 48 1256

Pegravere 9 1363 4 606 13 1969 40 606

Tante(s) maternelle(s)

12 169 22 3098 14 1971 23 3239

Oncle(s) maternel(s)

0 0 0 0 3 4285 4 5714

Grand-megravere maternelle

41 50 25 3048 10 1219 6 731

Grand-pegravere maternel

4 3636 4 3636 0 0 3 2727

Tante(s) paternelle(s)

4 3636 4 3636 0 0 3 2727

Oncle(s) paternel(s)

2 3333 2 3333 0 0 2 3333

Grand-megravere paternelle

2 25 2 25 0 0 4 50

Grand-pegravere paternel

2 3333 0 0 0 0 4 6666

Sœur(s) 41 4315 14 1473 16 1684 24 2526

Fregravere(s) 4 1904 8 3809 3 1428 6 2857

Cousin(s) 26 2626 17 1717 28 2828 18 1818

TOTAL 195 228 224 2619 251 2935 185 2163

Tableau 13 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

Le pattern statistique observeacute en 2014 pendant les jours feacuterieacutes varie

sensiblement pendant les jours ouvrables La majoriteacute des eacutechanges observeacutes sont

de type directif (39 ) Les megraveres emploient surtout des modaliteacutes directives (49

des eacutechanges) tout comme les autres membres feacuteminins de la maisonneacutee les tantes

maternelles (48 ) et les grands-megraveres maternelles (36 ) Par contre les

membres masculins de la maisonneacutee (pegraveres oncles maternels grands-pegraveres

maternels et fregraveres) tendent plutocirct vers un style fonctionnellement disjoint tout

comme les cousins de lrsquoenfant (Tableau 14)

262

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 109 4909 78 3513 11 495 24 1081

Pegravere 5 2941 1 588 1 588 10 5882

Tante(s) maternelle(s)

15 4838 3 967 0 0 13 4193

Oncle(s) maternel(s)

2 1818 2 1818 3 2727 4 3636

Grand-megravere maternelle

23 3593 15 2343 10 1562 16 25

Grand-pegravere maternel

2 1818 0 0 2 1818 7 6363

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 3 100

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 2 100

Grand-megravere paternelle

2 75 0 0 0 0 1 25

Grand-pegravere paternel

0 0 1 3333 1 3333 1 3333

Sœur(s) 11 25 14 3181 6 1363 14 3181

Fregravere(s) 3 1875 2 125 3 1875 8 50

Cousin(s) 35 3301 21 1981 5 471 45 4245

TOTAL 207 3883 137 257 42 787 148 2776

Tableau 14 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

Pour interpreacuteter ces donneacutees jrsquoadopterai le point de vue exposeacute auparavant

de Jerome Bruner (1996) selon lequel certains types drsquoeacutechanges ndash que jrsquoidentifie

selon la proposition de Rodica Ailincai (2011) avec les styles suggestif et

autonomisant ndash facilitent plus que drsquoautres les apprentissages et le deacuteveloppement

de lrsquoenfant Si en 2011 quand les enfants nrsquoallaient pas agrave lrsquoeacutecole les membres de la

famille se comportaient comme des eacuteducateurs impliqueacutes dans les apprentissages agrave

partir drsquoeacutechanges suggestifs et laquo autonomisants raquo en 2014 la tendance eacutetait

263

opposeacutee et plus de la moitieacute des eacutechanges eacutetaient reacutealiseacutes sur des modes directifs ou

fonctionnellement disjoints impliquant donc un certain manque drsquoattention de la

part des eacuteducateurs Plusieurs facteurs dont quelques-uns ont deacutejagrave eacuteteacute mentionneacutes

dans le chapitre preacutecegravedent semblent ecirctre en cause Premiegraverement lrsquoalcoolisme qui

touche la grande majoriteacute des hommes du village et qui les rend peu disposeacutes aux

eacutechanges qui impliquent de lrsquoattention envers lrsquoenfant ou qui demandent un

laquo effort raquo eacuteducatif Ceci explique pourquoi le style fonctionnellement disjoint est

dominant chez les hommes adultes Ce problegraveme entraicircne aussi une charge de

travail suppleacutementaire pour les femmes du village qui doivent se charger non

seulement des tacircches qui leur sont traditionnellement assigneacutees (la gestion de la

cuisine lrsquoentretien du foyer et les petits travaux drsquoagriculture) mais aussi des tacircches

qui incombent normalement aux hommes agrave savoir la pecircche les travaux agricoles les

plus lourds et la coupe du bois pour alimenter le feu de la cuisine Deuxiegravemement

intervient aussi le comportement des enfants qui en sortant de lrsquoeacutecole agissent

drsquoune maniegravere que les membres de la famille ont du mal agrave comprendre et agrave accepter

ils jouent agrave des jeux que les parents ne connaissent pas ils utilisent des mots ndash en

langue franccedilaise ndash que les adultes qui nrsquoont pas eacuteteacute scolariseacutes (surtout les grands-

parents) ne comprennent pas et ils ont des rythmes circadiens (de sommeil et de

veille) qui suivent les horaires scolaires et qui ne correspondent plus aux rythmes

laquo traditionnels raquo de la vie wayana-apalaiuml189 Ces difficulteacutes amegravenent les membres

189 Geacuteneacuteralement les adultes se reacuteveillent avant lrsquoaube agrave 4 heures du matin Leur petit-deacutejeuner se

limite agrave une tasse de cafeacute Ils srsquooccupent des travaux agricoles jusqursquoagrave 9 heures Entre 9 heures et 10

heures ils vont prendre leur deacutejeuner Ils continuent agrave travailler jusqursquoagrave midi (les hommes en allant

264

adultes des familles ndash et surtout les megraveres ndash agrave laquo imposer raquo certaines tacircches par le

biais drsquointeractions directives normatives (par exemple laquo Fais comme je te dis raquo

laquo Tu lrsquoas mal fait tu dois faire de cette maniegravere raquo laquo Laisse-moi faire tu nrsquoen es pas

capable raquo) qui excluent toute suggestion et ne laissent guegravere drsquoautonomie agrave lrsquoenfant

112 Pratiques eacuteducatives agrave Hiva Oa une autochtonie accultureacutee

Si les observations meneacutees en 2014 agrave Hiva Oa nous offrent des reacutesultats assez

diffeacuterents de ceux obtenus agrave Antecume pata elles semblent toutefois reacutepondre agrave une

tendance geacuteneacuterale similaire En effet pendant les jours feacuterieacutes la majoriteacute relative

des eacutechanges observeacutes sont de type suggestif (25 du temps deacutedieacute aux

interactions) avec un leacuteger eacutecart par rapport agrave ceux de type autonomisant (23 )

Dans la majoriteacute des eacutechanges les megraveres adoptent une attitude suggestive (39 )

tout comme les tantes maternelles (50 ) Dans les deux cas lrsquoeacutecart avec les

interactions de type autonomisant est limiteacute (respectivement 34 et 33 ) Les oncles

maternels se partagent entre interactions de type suggestif (57 ) et interactions

de type directif (43 ) eacutevitant celles de type autonomisant ou fonctionnellement

disjoint De leur cocircteacute les grands-parents maternels et paternels optent plutocirct pour

des interactions laquo autonomisantes raquo Il est inteacuteressant de noter que les attitudes

agrave la pecircche ou agrave la chasse les femmes en srsquooccupant de la maison) Apregraves une sieste qui se termine agrave

4 heures de lrsquoapregraves-midi ils se deacutedient aux relations sociales avec les voisins et les membres de la

famille qui ne vivent pas sous le mecircme toit Ils vont se coucher entre 19 et 20 heures peu apregraves le

coucher du soleil

265

observeacutees chez les fregraveres et chez les sœurs sont opposeacutees si les premiers

privileacutegient des eacutechanges fonctionnellement disjoints (46 ) les deuxiegravemes

adoptent plutocirct des modaliteacutes interactives agrave la fois directives (29 ) suggestives

(27 ) et laquo autonomisantes raquo (27 ) Les relations avec les cousins et les voisins

sont la plupart du temps de type fonctionnellement disjoint (Tableau 15)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur D D S S A A FD FD

Megravere 42 2121 78 3939 68 3434 10 505

Pegravere 7 3333 4 1904 6 2857 4 1904

Tante(s) maternelle(s)

1 1666 3 50 2 3333 0 0

Oncle(s) maternel(s)

3 4285 4 5714 0 0 0 0

Grand-megravere maternelle

4 2857 4 2857 5 3571 1 714

Grand-pegravere maternel

3 2307 4 3076 4 3076 2 1538

Tante(s) paternelle(s)

2 25 2 25 3 375 1 125

Oncle(s) paternel(s)

0 0 2 3333 2 3333 2 3333

Grand-megravere paternelle

3 1875 4 25 8 50 1 625

Grand-pegravere paternel

4 2222 5 2777 8 4444 1 555

Sœur(s) 12 2926 11 2682 11 2682 7 1707

Fregravere(s) 4 3076 3 2307 0 0 6 4615

Cousin(s) 0 0 2 125 2 125 12 75

Voisinsamis 1 666 2 1333 2 1333 10 6666

Autres membres de la communauteacute

3 25 4 3333 2 1666 3 25

TOTAL 89 1698 132 2519 123 2347 60 1145

Tableau 15 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

266

Cependant les valeurs totales des eacutechanges srsquoinversent pendant les jours

ouvrables Quand les enfants vont agrave lrsquoeacutecole la majoriteacute des interactions eacuteducatives

que jrsquoai observeacutees relegravevent du style directif (24 du temps total) suivies de pregraves

par celles relevant du style suggestif (21 ) Srsquoensuivent les interactions

fonctionnellement disjointes (17 ) et celles laquo autonomisantes raquo (14 ) Les megraveres

deviennent plus directives (38 ) tandis que les pegraveres privileacutegient les eacutechanges

suggestifs (40 ) Les sœurs deviennent totalement directives et les fregraveres adoptent

un comportement qui ne privileacutegie aucun style interactif en particulier Le peu

drsquointeractions observeacutees avec les autres membres de la famille (oncles tantes et

grands-parents) nous donnent des reacutesultats peu significatifs drsquoun point de vue

statistique en effet apregraves lrsquoeacutecole les enfants restent agrave la maison et nrsquointeragissent

pas vraiment avec les membres du reacuteseau de parenteacute qui ne vivent pas dans la mecircme

maison (Tableau 16)

267

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 35 3804 26 2826 17 1847 14 1521

Pegravere 17 3777 18 40 5 1111 5 1111

Tante(s) maternelle(s)

2 100 0 0 0 0 0 0

Oncle(s) maternel(s)

0 0 0 0 0 0 1 100

Grand-megravere maternelle

0 0 2 100 0 0 0 0

Grand-pegravere maternel

0 0 0 0 0 0 0 0

Tante(s) paternelle(s)

0 0 0 0 0 0 0 0

Oncle(s) paternel(s)

0 0 0 0 0 0 0 0

Grand-megravere paternelle

1 50 1 50 0 0 0 0

Grand-pegravere paternel

1 100 0 0 0 0 0 0

Sœur(s) 3 25 3 25 3 25 3 25

Fregravere(s) 3 2727 0 0 2 1818 6 5454

Cousin(s) 0 0 0 0 0 0 2 100

Voisinsamis 0 0 3 2142 8 5714 3 2142

Autres membres de la communauteacute

0 0 2 1428 2 1428 10 7142

TOTAL 62 2403 55 2131 37 1434 44 1705

Tableau 16 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

113 Lrsquointeraction eacuteducative en France meacutetropolitaine quelques donneacutees

utiles agrave la comparaison

Les observations que jrsquoai meneacutees dans les cinq familles teacutemoins en France

meacutetropolitaine nrsquoont pas la preacutetention de repreacutesenter un eacutechantillon significatif de

la laquo socieacuteteacute franccedilaise raquo Je nrsquoai proceacutedeacute agrave ces mesures que parce qursquoil nrsquoexiste pas

encore drsquoeacutetudes de ce type ndash consacreacutees agrave mesurer la quantiteacute drsquointeractions

eacuteducatives dans le cadre domestique et agrave les classifier selon le style interactif ndash et

268

parce-que jrsquoavais besoin drsquoun groupe teacutemoin en milieu hexagonal urbain pour

pouvoir comparer les reacutesultats obtenus dans les deux contextes drsquoeacutetude ultramarins

(ruraux et isoleacutes) mais sans jamais preacutetendre agrave leur repreacutesentativiteacute statistique De

fait cinq familles heacuteteacutero-parentales avec trois ou quatre enfants et localiseacutees dans

de grandes agglomeacuterations urbaines sont tregraves loin de repreacutesenter une norme

statistique de la laquo famille franccedilaise moyenne raquo

Pendant les jours feacuterieacutes jrsquoai observeacute que le style dominant des interactions

familiales eacutetait fonctionnellement disjoint Les megraveres nrsquoadoptaient pas vraiment de

style dominant bien que la majoriteacute des interactions (28 ) eacutetaient de type directif

lrsquoeacutecart avec les interactions drsquoautre type eacutetait infime (27 de type

fonctionnellement disjoint 24 de type autonomisant et 21 de type suggestif)

Les interactions drsquoorigine paternelle eacutetaient surtout fonctionnellement disjointes

tout comme celles avec les fregraveres ou les pairs sans liens de parenteacute (amis et voisins)

Les eacutechanges avec les sœurs eacutetaient surtout directifs Agrave quelques leacutegegraveres diffeacuterences

pregraves il srsquoagit du mecircme pattern que celui observeacute agrave Hiva Oa (Tableau 17)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 49 2768 38 2146 42 2372 48 2711

Pegravere 9 2647 5 147 5 147 15 4411

Sœur(s) 16 50 9 2812 5 1562 2 625

Fregravere(s) 3 2307 4 3076 0 0 6 4615

Voisinsamis 2 1111 1 555 1 555 14 7777

TOTAL 79 2005 57 1446 53 1345 85 2157

Tableau 17 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

269

Comme pendant les jours feacuterieacutes durant les jours ouvrables ndash quand les

enfants vont agrave lrsquoeacutecole et les deux parents vont au travail ndash le style interactif dominant

est celui fonctionnellement disjoint qui occupe 43 des eacutechanges observeacutes

Toutefois les parents utilisent des styles eacuteducatifs diffeacuterents de ceux observeacutes

pendant les jours feacuterieacutes la majoriteacute des interactions eacuteducatives des megraveres sont

surtout du type fonctionnellement disjoint (52 du temps) et celles des pegraveres

directives (39 ) soit lrsquoinverse des jours feacuterieacutes Les sœurs conservent la mecircme

attitude directive observeacutee pendant les jours feacuterieacutes (43 ) tandis que les fregraveres de

mecircme que les pegraveres passent drsquoun style fonctionnellement disjoint agrave un style

essentiellement directif (67 ) Les eacutechanges avec les pairs reacutevegravelent un eacutequilibre

entre le style fonctionnellement disjoint et le directif (Tableau 18)

D S A FD

Minutes Minutes Minutes Minutes

Eacuteducateur

Megravere 41 3203 12 937 8 625 67 5234

Pegravere 12 387 4 129 7 2258 8 258

Sœur(s) 9 4285 2 952 3 1428 7 3333

Fregravere(s) 8 6666 1 833 1 833 2 1666

Voisinsamis 8 3478 3 1304 4 1739 8 3478

TOTAL 78 3627 22 1023 23 1069 92 4279

Tableau 18 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine pendant les jours ouvrables (en 2014) Dureacutee totale (en minutes) et relative (en pourcentage sur la quantiteacute totale des interactions observeacutees)

270

Pour expliquer ces donneacutees je mrsquoappuierai sur les observations que jrsquoai

reacutealiseacutees dans les familles et sur les renseignements donneacutes par les parents qui

essayent souvent de laquo justifier raquo leur comportement par certaines contraintes

drsquoorigine exogegravene comme le burn-out professionnel ou le manque de temps ducirc agrave un

rythme de vie plus adapteacute aux cycles laquo meacutetro-boulot-dodo190 raquo qursquoaux exigences

eacutemotionnelles des enfants Dans la mesure ougrave comme je lrsquoai expliqueacute lrsquoeacutechantillon

preacutesenteacute nrsquoa pas de validiteacute statistique il ne me semble pas opportun de reacutealiser une

analyse sociologique de la laquo famille franccedilaise en milieu urbain raquo Cependant certains

deacutetails observeacutes pendant mon travail de terrain peuvent aider agrave comprendre les

reacutesultats obtenus La preacutedominance des interactions eacuteducatives directives chez les

megraveres pendant les jours feacuterieacutes est probablement en partie due au fait qursquoil srsquoagit de

journeacutees durant lesquelles dans la plupart des familles les megraveres se consacrent agrave

lrsquoentretien de la maison Elles laquo dirigent raquo donc les enfants afin qursquoils srsquooccupent de

leurs propres espaces de leur chambre et de leurs affaires mais aussi de leurs

devoirs (beaucoup des eacutechanges observeacutes eacutetaient du type laquo Range ta chambre raquo

laquo Aide-moi agrave nettoyer tes jouets raquo laquo Si tu ne termines pas tes devoirs tu nrsquoauras

pas le droit de jouer avec la tablette raquo) Les pegraveres au contraire profitent du temps

libre agrave la maison pour laquo ecirctre avec raquo les enfants sans qursquoil y ait pour autant des

interactions eacuteducatives (quand les enfants ne vont pas agrave lrsquoeacutecole la moyenne

journaliegravere des eacutechanges eacuteducatifs observeacutes eacutetait en effet de 34 minutes pour les

pegraveres et de 177 pour les megraveres) Aussi je me dois de preacuteciser que pendant une

190 Expression familiegravere qui syntheacutetise la routine du cycle de vie urbain on prend le meacutetro on passe

la journeacutee au travail on rentre agrave la maison et on dort pour recommencer le lendemain

271

bonne partie du jour feacuterieacute la majoriteacute des pegraveres preacutefeacuteraient rester agrave la maison

devant la teacuteleacutevision lrsquoordinateur ou la tablette Ce nrsquoest que dans deux cas jrsquoai pu

observer des parents sortir de la maison avec leurs enfants pour aller dans un parc

ou pour faire des courses

Par contre pendant les jours ouvrables les megraveres semblent adopter une

attitude fonctionnellement disjointe car comme certaines me lrsquoont dit elles se

sentent surchargeacutees par la double responsabiliteacute du travail et des tacircches meacutenagegraveres

et ont alors tendance agrave deacutelaisser les activiteacutes eacuteducatives avec les enfants comme les

pegraveres pendant les jours feacuterieacutes elles aussi laquo sont avec raquo les enfants mais leur

attention est ailleurs Les pegraveres qui rentrent tous du travail plus tard que les megraveres

optent pour des modaliteacutes directives car comme ils le disent ils considegraverent avoir

moins de temps pour laquo geacuterer raquo la maison et ont donc besoin que leurs

recommandations soient exeacutecuteacutees sans trop de discussions (en geacuteneacuteral entre leur

arriveacutee agrave la maison et le moment ougrave les enfants vont se coucher ne srsquoeacutecoulent que 3

ou 4 heures) Ils adoptent donc des eacutechanges normatifs qui leur permettent

drsquoimposer leur volonteacute sans avoir agrave tergiverser Une explication similaire peut ecirctre

donneacutee pour justifier le fait que les sœurs et les fregraveres aicircneacutes appliquent les mecircmes

modaliteacutes directives eux aussi rentrent fatigueacutes de lrsquoeacutecole et des activiteacutes

extrascolaires ils doivent faire leurs devoirs ou rencontrer leurs amis et puisqursquoils

nrsquoont pas le temps de se consacrer aux cadets de la famille ils eacutechangent avec eux agrave

partir drsquoun mode directif qui est eacutemotionnellement moins exigeant (agrave partir

drsquoeacutechanges comme laquo Allez je nrsquoai pas le temps de mrsquooccuper de toi raquo laquo Je nrsquoai pas

272

envie de jouer avec toi raquo ou laquo Bon je joue un peu avec toi mais apregraves tu me fiche la

paix raquo)

Dans la figure 22 jrsquoai reacutesumeacute agrave partir drsquoune repreacutesentation graphique des

reacutesultats obtenus les styles interactifs dominants dans les diffeacuterents contextes

drsquoeacutetude

273

Figure 22 Comparaison des styles interactifs dominants dans les terrains drsquoeacutetude

274

12 Les ideacuteologies eacuteducatives autochtones lrsquoidentiteacute culturelle au service de

lrsquoeacutecosystegraveme

Dans les chapitres preacuteceacutedents jrsquoai essayeacute de montrer les diffeacuterents types

drsquointeractions eacutetablies entre les parents ou les autres membres de la famille et

lrsquoenfant-eacuteduqueacute dans les contextes eacutetudieacutes Agrave partir de la theacuteorie de lrsquoeacutecosystegraveme de

deacuteveloppement proposeacutee par Uri Bronfenbrenner (1986 1995) on peut supposer

que si ces modaliteacutes eacuteducatives deacutependent du veacutecu des personnes chargeacutees de

lrsquoeacuteducation et de la repreacutesentation qursquoelles se font du rocircle drsquoeacuteducateur elles

deacutependent aussi des attentes que les eacuteducateurs projettent sur leurs enfants

lesquelles sont stimuleacutees par une ideacutee de laquo reacuteussite systeacutemique raquo veacutehiculeacutee par les

couches supeacuterieures de lrsquoeacutecosystegraveme agrave savoir lrsquoexosystegraveme et le macrosystegraveme

(Bronfenbrenner 2005)

Les objectifs eacuteducatifs que les parents se fixent en vue de lrsquointeacutegration de

lrsquoenfant agrave lrsquoeacutecosystegraveme social vont selon la personnaliteacute des parents prendre

diffeacuterentes formes lrsquointeacutegration se fera par le biais drsquoune subordination pure et

simple drsquoune adaptation utilitariste ou drsquoune reacutesistance critique au systegraveme En

effet plusieurs travaux dans le domaine de lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation ont

deacutemontreacute la variabiliteacute des moyens et des outils employeacutes par les parents de

diffeacuterentes cultures pour laquo construire raquo la personnaliteacute des enfants et influencer leur

comportement et leur deacuteveloppement psychosocial Lrsquoun des travaux pionniers sur

cette question est celui de Jean Briggs (1972) qui dans son eacutetude sur le

275

deacuteveloppement de lrsquoautonomie chez les enfants utkuhikhalik a observeacute comment

les megraveres Inuits agissent afin drsquoapprendre agrave leur progeacuteniture comment controcircler

leur colegravere et leur violence ndash qui sont consideacutereacutees comme inadmissibles par la

communauteacute ndash en utilisant la laquo honte raquo comme mode de controcircle social Le

comportement observeacute par Briggs est totalement opposeacute agrave celui observeacute par Peggy

Miller et ses collaborateurs (2001) chez les parents nord-ameacutericains lesquels ont

plutocirct tendance agrave proteacuteger les enfants des situations qui pourraient entraicircner un

sentiment de honte et ce agrave partir de laquo transgressions narratives raquo crsquoest-agrave-dire du

reacutecit de leurs expeacuteriences personnelles Par ce biais-lagrave les parents mettent ainsi en

eacutevidence les erreurs ou les eacutechecs qui ont joueacute un rocircle dans leur vie drsquoadultes et

montrent agrave leurs enfants que tous les hommes ont des faiblesses mais que malgreacute

cela laquo on peut toujours srsquoen sortir raquo Selon les auteurs cette ideacuteologie reflegravete les

valeurs laquo ameacutericaines raquo drsquoeacutegaliteacute ndash ou mieux de symeacutetrie entre parents et enfants ndash

et drsquoestime de soi ndash valeurs qui sont agrave la base de lrsquoideacutealtype du self made man191

De leur cocircteacute Sara Harkness et Charles Super (1977) ont exploreacute le processus

de socialisation linguistique chez les Kipsigis du Kenya afin de comprendre les

normes des compeacutetences communicatives transmises au fil des geacuteneacuterations Ils ont

alors pu deacutecouvrir que le principal but des eacuteducateurs ndash adultes comme pairs ndash est

de deacutevelopper chez les enfants la compreacutehension du langage plutocirct que sa

191 En tant que repreacutesentation archeacutetypique du mythe eacutetasunien de lrsquohomme qui bien qursquoissu drsquoun

milieu deacutefavoriseacute est capable drsquoatteindre la reacuteussite sociale et surtout eacuteconomique gracircce agrave ses

meacuterites agrave son talent et agrave son travail

276

production ndash objectif qui coiumlncide avec les valeurs culturelles drsquoobeacuteissance et de

respect qui caracteacuterisent la socieacuteteacute kipsigis Lrsquoideacuteologie eacuteducative des Kipsigis

preacutesenterait donc un trait distinctif similaire agrave celui observeacute au Japon par Patricia

Clancy (1986) qui a montreacute que la prioriteacute eacuteducative des parents du laquo pays du Soleil

Levant raquo est de permettre aux enfants drsquoacqueacuterir une maicirctrise de soi (ou

autocontrocircle) agrave travers des strateacutegies peacutedagogiques qui inhibent la libre expression

du corps et du langage192 Finalement Rebecca New (1994) a montreacute que les

logiques des eacuteducateurs peuvent eacutegalement varier au sein drsquoune mecircme culture et

qursquoil est donc impossible drsquoeacutetablir une relation univoque entre une seule ideacuteologie

et une seule culture (et inversement) Lrsquoideacuteologie drsquoun eacuteducateur varie en effet en

fonction du contexte193 dans lequel se reacutealise lrsquoaction eacuteducative ce qui explique par

exemple les diffeacuterences observables entre les logiques eacuteducatives qui guident les

enseignants dans leur profession et celles qui guident les mecircmes enseignants dans

leur rocircle parental

Pour comprendre les ideacuteologies eacuteducatives des eacuteducateurs dans les deux

contextes eacutetudieacutes ici je mrsquoappuierai donc sur ces consideacuterations en essayant de

192 Patricia Clancy affirma mecircme que cette logique eacuteducative a pour but de permettre aux enfants de

laquo srsquoentrainer au conformisme raquo (Clancy 1986 247)

193 En reacutealiteacute Rebecca New nrsquoutilise pas la notion de laquo contexte eacuteducatif raquo mais celle de laquo niche

eacutevolutive raquo (developmental niche) qursquoelle emprunte agrave Charles Super et Sarah Harkness (1986) Cette

notion englobe ce qursquoils considegraverent comme les trois facteurs cleacutes du laquo contexte eacuteducatif raquo agrave savoir

lrsquoenvironnement naturel et social les strateacutegies des eacuteducateurs et surtout leur psychologie

277

montrer comment les logiques exo-systeacutemiques et macro-systeacutemiques peuvent

influencer le processus de transmission des donneacutees culturelles aux membres les

plus jeunes de la famille

121 Eacuteduquer et apprendre dans la forecirct amazonienne eacutecosophie et

deacuteveloppement de lrsquoenfant wayana-apalaiuml

Bien qursquoelles ne portaient pas sur lrsquoeacutetude des processus eacuteducatifs les

monographies ethnographiques sur les Wayana-Apalaiuml reacutealiseacutees avant la creacuteation

des premiegraveres eacutecoles franccedilaises dans le laquo pays ameacuterindien raquo nous donnent une ideacutee

des logiques peacutedagogiques qui guidaient auparavant lrsquoaction des adultes et les

strateacutegies employeacutees pour permettre aux enfants de devenir des adultes Deux

eacuteleacutements en particulier ont susciteacute lrsquointeacuterecirct de la plupart de ces observateurs Drsquoune

part les adultes semblaient ne jamais rien imposer aux enfants lesquels

apprenaient par imitation plutocirct que par laquo assignation de tacircches raquo (ce qui a

contribueacute agrave alimenter chez certains experts de la culture wayana-apalaiuml194 le mythe

selon lequel lrsquoenfant ameacuterindien serait un laquo enfant-roi raquo) Drsquoautre part les enfants

degraves leur plus jeune acircge eacutetaient maicirctres de leur territoire ce qui leur permettait

drsquoapprivoiser lrsquoeacutecosystegraveme complexe de la forecirct tropicale humide amazonienne et

de tirer profit de toutes les ressources qursquoelle pouvait offrir (Maufrais 1952

Grenand 1982) Andreacute Cognat (1967 1977) qui vit depuis plus de cinquante ans agrave

Antecume pata souligne que avant lrsquointeacutegration des Wayana-Apalaiuml agrave la nation

194 Comme Jean Hurault (1968) ou Pierre Grenand (1972)

278

franccedilaise (obtenue comme je lrsquoai expliqueacute agrave travers lrsquooctroi de la citoyenneteacute agrave

certaines familles ameacuterindiennes) il existait aussi deux autres facteurs agrave prendre en

compte le reacutegime communautaire de lrsquoespace et le laquo culte de la beauteacute raquo Pour ce

qui est du premier facteur il faut rappeler que comme pour la majoriteacute des peuples

de tradition nomade des forecircts sud-ameacutericaines les Wayana-Apalaiuml ne concevaient

pas le reacutegime de la proprieacuteteacute priveacutee pour les ressources eacutecologiques et territoriales

mecircme si dans le cas des outils de travail ou des ornements corporels ils

appliquaient un reacutegime drsquoutilisation familiale Autrement dit pour un Wayana-

Apalaiuml il aurait eacuteteacute impossible de concevoir un espace (une parcelle de bois un

fleuve une colline etc) comme un patrimoine personnel alors qursquoagrave lrsquoinverse il

aurait eacuteteacute normal de consideacuterer une vannerie ou une parure en plumes comme un

outil propre agrave une famille (qui pouvait eacuteventuellement la precircter agrave drsquoautres

membres de la communauteacute) Toujours en 1972 Jean Hurault a eacutecrit que chez les

Ameacuterindiens du Haut Maroni laquo il nrsquoexiste aucune forme drsquoappropriation du sol aux

individus ni mecircme aux groupes de parenteacute et il ne semble pas qursquoil y en ait jamais

eu raquo (Hurault 1972 8) Cette laquo absence raquo195 eacutetait agrave la base drsquoun systegraveme de normes

(nomos) transmis aux enfants tout au long de leur enfance et adolescence ce

195 Jrsquoutilise ici le terme laquo absence raquo avec une certaine ironie la laquo moderniteacute raquo (et la vision eacuteconomique

neacuteolibeacuterale qui va avec) nous a parfois habitueacutes agrave consideacuterer comme laquo preacute-modernes raquo les socieacuteteacutes

qui nrsquoutilisent pas un systegraveme clair de traitement des eacutechanges de biens et de services sur la base

drsquoun devis On devrait pourtant consideacuterer que laquo les choix existentiels des Ameacuterindiens srsquoils sont par

deacutefinition inadaptables agrave nos exigences eacuteconomiques agrave nos modegraveles politiques et agrave nos valeurs

philosophiques repreacutesentent cependant la seule alternative qui fonctionne dans cet eacutecosystegraveme

tropical forestier raquo (Hurault et al 1998 26)

279

systegraveme visait agrave former des jeunes et des adultes pour qursquoils soient capables de vivre

en paix avec les autres membres de la communauteacute et de preacutevenir les eacuteventuels

conflits lieacutes agrave lrsquoutilisation de ce type de ressources sans recourir au systegraveme des

titres de proprieacuteteacute qui agrave lrsquoinverse est la base du corpus iuris civilis occidental Crsquoest

donc une certaine eacutecosophie qui impreacutegnait la culture wayana-apalaiuml une vision du

monde strictement lieacutee au panorama geacuteographique et social (oikos) et construite en

famille et avec la contribution de tous les membres de la communauteacute (lesquels

comme on a pu le voir se considegraverent agrave tout eacutegard comme les membres drsquoune mecircme

famille) Il srsquoagissait drsquoun processus de formation continue ndash communautaire et laquo

drsquoen bas raquo ndash dirigeacute vers un approvisionnement respectueux en ressources naturelles

et une gestion subtile des relations avec la communauteacutefamille Cela nous permet

de comprendre que cette eacutecosophie est eacutetroitement lieacutee agrave la notion de laquo beau raquo et

par conseacutequent agrave lrsquoimportance assigneacutee au travail bien reacutealiseacute capable drsquoapporter

du plaisir agrave son reacutealisateur

En effet selon plusieurs observateurs ndash comme Jean Hurault (1965 1968)

Andreacute Cognat (1967 1977) Daniel Schoepf (1976) Lucia Hussak Van Velthem

(1995) et Jean Chapuis (1998) ndash le comportement des Wayana-Apalaiuml est

caracteacuteriseacute par un complexe heacutedoniste qui les pousse agrave associer degraves lors que crsquoest

possible la fonctionnaliteacute au plaisir la peinture corporelle par exemple revecircte la

double fonction de rendre une personne plus belle aux yeux des observateurs mais

aussi de deacutecrire son statut (ses liens de parenteacute et son rocircle dans la communauteacute agrave

280

laquelle elle fait partie)196 les soins qui sont apporteacutes agrave la confection drsquoune vannerie

ne visent pas seulement agrave reacutealiser un objet utile mais aussi agrave eacutetonner les autres

villageois par son estheacutetique la disposition des arbres fruitiers dans lrsquoabattis

ameacuterindien nrsquoa pas seulement pour fonction de permettre la creacuteation drsquoun

eacutecosystegraveme eacutequilibreacute et dynamique ndash ougrave chaque plante joue un rocircle dans la

croissance des plantes voisines ndash mais aussi celle drsquooffrir aux personnes qui le

cultivent un espace agreacuteable dans lequel la fatigue physique lieacutee au travaux

agricoles est reacutecompenseacutee par la beauteacute des lieux

Cependant si ces traits deacutecrivent bien les Wayana-Apalaiuml laquo drsquoantan raquo ils

caracteacuterisent de moins en moins les Ameacuterindiens du laquo troisiegraveme milleacutenaire raquo Nous

avons vu que traditionnellement les parents drsquoAntecume pata se repreacutesentaient la

reacuteussite de leur garccedilon par lrsquoobtention du statut de laquo bon pegravere de famille raquo (agrave savoir

un chasseur fort et courageux capable de construire sa maison et de reacutepondre aux

besoins mateacuteriaux du foyer) et celle de leur fille par lrsquoobtention du statut de bonne

megravere de famille (capable de geacuterer convenablement sa maison et de preacuteparer un bon

cachiri pour les fecirctes communautaires) Aujourdrsquohui les repreacutesentations se sont

transformeacutees et les parents espegraverent plutocirct pour leurs enfants une reacuteussite baseacutee

sur des critegraveres plus occidentaux fournis par le macrosystegraveme laquo national raquo comme

lrsquoobtention drsquoun diplocircme scolaire un travail salarieacute et lrsquoautonomie financiegravere Ces

196 Comme ce qui a eacuteteacute observeacute chez drsquoautres peuples ameacuterindiens tel que le deacutemontrent les travaux

de Claude Leacutevi-Strauss (1955) de Darcy Ribeiro (1980) et Pascal Dibie (2005) Voir aussi Houbre

(2010)

281

nouveaux critegraveres de reacuteussite impliquent une modification des ideacuteologies

eacuteducatives preacutecoloniales (ou du moins celles qui eacutetaient en vigueur avant

lrsquoacquisition de la citoyenneteacute franccedilaise) agrave partir des nouvelles prioriteacutes drsquoorigine

exogegravene De nouvelles strateacutegies voient le jour et comme nous lrsquoavons vu dans le

chapitre preacutecegravedent de nouveaux styles eacuteducatifs prennent la place des anciens

Lrsquoenfant ameacuterindien nrsquoest plus le laquo roi raquo de la maisonneacutee agrave preacutesent ses

parents cherchent fondamentalement sa reacuteussite scolaire qursquoils considegraverent comme

le premier pas vers la reacuteussite sociale Pour atteindre cet objectif ils nrsquoheacutesitent pas

agrave utiliser des styles interactifs qui avant nrsquoeacutetaient utiliseacutes que dans de rares cas

nous avons vu en effet que le style directif a remplaceacute le suggestif et lrsquoautonomisant

et que le style fonctionnellement disjoint srsquoest graduellement imposeacute chez les

hommes du village Plusieurs parents ont commenceacute agrave exiger lrsquoutilisation du franccedilais

dans les eacutechanges avec les enfants ce qui creacutee des situations drsquoincompreacutehension au

sein de la maison puisque la majoriteacute des grands-parents ne parlent pas franccedilais

Les cycles agricoles se modifient agrave partir du calendrier scolaire et les travaux de

brucirclis des abatis ndash qui jusqursquoici se reacutealisaient en septembre ndash sont maintenant

effectueacutes pendant les vacances drsquoeacuteteacute (entre juillet et aoucirct) Il en va de mecircme des

cycles circadiens qui se transforment si avant les enfants se levaient avant lrsquoaube

avec leurs parents ces derniers preacutefegraverent agrave preacutesent les laisser dans leur hamac

jusqursquoagrave sept heures du matin ce qui implique que le soir ils ont tendance agrave vouloir

srsquoendormir plus tard (apregraves 21h) alors que leurs parents commencent agrave ecirctre

fatigueacutes degraves 19h

282

Par ailleurs les enseignements de certains savoirs sur lrsquoenvironnement sont

de plus en plus deacutelaisseacutes Ainsi les grands-parents jugent que leurs petits-enfants

sont devenus trop laquo modernes raquo et incapables de reconnaicirctre leur territoire les

plantes ou les animaux qui font partie du paysage amazonien De la mecircme maniegravere

beaucoup drsquoadultes se plaignent du fait que les nouvelles geacuteneacuterations soient

incapables de subvenir aux besoins alimentaires de la famille elles auraient perdu

les compeacutetences en matiegravere de chasse de pecircche et drsquoagriculture sans compter leur

incapaciteacute agrave reacutealiser des outils artisanaux qui reacutepondent aux critegraveres locaux de

beauteacute Enfin le shaman du village mrsquoa avoueacute que sa plus grande tristesse est de ne

pas avoir pu former drsquoapprentis et que apregraves lui il nrsquoy aura plus de shamans en pays

ameacuterindien Dans le cadre de mes observations jrsquoai pu constater que la transmission

de lrsquohistoire orale des Wayana-Apalaiuml qui occupait auparavant une bonne partie des

interactions discursives entre les personnes acircgeacutees et les plus petits (Chapuis et

Riviegravere 2003) se limite aujourdrsquohui agrave de brefs reacutecits que les adultes de la famille ndash

surtout les megraveres et les grands-parents maternels ndash racontent aux enfants pour les

aider agrave srsquoendormir le patrimoine historique et mythologique local se transforme

donc en de courts laquo contes pour dormir raquo Qui plus est aucun jeune du village ne sait

jouer des instruments musicaux traditionnels (surtout le kapawu jetpeuml la flucircte

nasale confectionneacutee avec le tibia de la biche) ni ne connait la musique

traditionnelle des Wayana-Apalaiuml laquelle eacutetait pourtant encore exeacutecuteacutee pendant

les ceacutereacutemonies les naissances ou les rituels chamaniques jusqursquoaux anneacutees 1990

283

quand lrsquoethnomusicologue Herveacute Riviegravere (1997) a enregistreacute certains morceaux

pour les publier sous forme de CD197

Au bout du compte pour les Ameacuterindiens du Haut Maroni la laquo nouvelle

reacuteussite raquo est synonyme drsquointeacutegration au laquo village global raquo Comme le disent

beaucoup de jeunes adultes agrave lrsquoheure actuelle la reacuteussite se manifeste par la

possession drsquoun smartphone ou drsquoune tablette par un travail fixe et par un

reacutefrigeacuterateur toujours plein bien que tregraves peu drsquoentre eux soient parvenus agrave

atteindre ce laquo recircve ameacutericain raquo198

122 La notion de reacuteussite chez les Enata de lrsquoenfant-roi agrave lrsquoenfant

multidimensionnel

Le mythe de laquo lrsquoenfant-roi raquo nrsquoa pas eacuteteacute lrsquoapanage des seuls peuples

amazoniens Nombreux ont eacuteteacute les observateurs occidentaux qui ont interpreacuteteacute les

pratiques eacuteducatives polyneacutesiennes ndash et marquisiennes ndash de la mecircme maniegravere199

Prenons pour exemple les teacutemoignages de deux observateurs du XIXegraveme siegravecle En

1843 le pegravere Mathias Gracia eacutecrivait au sujet des enfants marquisiens que laquo la

liberteacute pour ainsi dire native de tout individu degraves qursquoil peut marcher drsquoaller

partout ougrave il veut de tout voir de tout entendre exempte les parents drsquoune grande

197 A propos du patrimoine musical des Wayana-Apalaiuml voir aussi Rivegravere 1994

198 Soit une perspective de prospeacuteriteacute obtenue gracircce agrave lrsquoenrichissement personnel

199 Bien que drsquoautres chercheurs aient essayeacute de montrer que cette analyse eacutetait erroneacutee (Troadec

1996)

284

surveillance raquo et que laquo lrsquoeacuteducation mecircme des enfants nrsquoest pas un lien pour les

parents raquo (Gracia 1843 113) Pregraves de quarante ans plus tard en 1882 Max

Radiguet affirmait mecircme que laquo les enfants indigegravenes font agrave peu pregraves ce qui leur

plaicirct raquo mais que cependant laquo jamais ils nous ont rendus teacutemoins de ces scegravenes de

pugilat si freacutequentes entre enfants civiliseacutes raquo (Radiguet 1882 176) Dans la

premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle Abram Kardiner (1939) dans son essai

drsquoanthropologie psychanalytique et Alain Gerbault (1941 1949) dans ses

autobiographies feront un constat similaire Pour autant il serait certainement

exageacutereacute de dire que dans le passeacute les enfants enata eacutetaient livreacutes agrave eux-mecircmes Le

pegravere Gracia avait en effet noteacute que bien que les parents ne soient pas toujours en

train de srsquooccuper des enfants laquo la tribu toute entiegravere est lrsquoeacutecole de lrsquoenfance raquo

(Gracia 1843 113) En drsquoautres termes lrsquoeacuteducation des enfants nrsquoeacutetait pas

lrsquoapanage exclusif des parents mais une veacuteritable laquo affaire communautaire raquo dont se

chargeaient tous les membres de la communauteacute qui se consideacuteraient comme les

membres drsquoune mecircme famille

Les reacutecits des explorateurs voyageurs et missionnaires qui ont visiteacute les

Marquises avant la creacuteation des premiegraveres eacutecoles dans lrsquoarchipel (notamment Gracia

et Radiguet) soulignent que degraves lrsquoadolescence les Enata participaient activement agrave

lrsquoeacuteconomie familiale (et agrave la production drsquoaliments) aux ceacutereacutemonies

communautaires et quand cela eacutetait neacutecessaire aux combats entre communauteacutes

rivales (Ferdon 1993) Mais une fois adultes leur valeur reposait avant tout sur leur

capaciteacute agrave survivre aux contraintes eacutecologiques de lrsquoenvironnement oceacuteanien

Comme crsquoeacutetait le cas chez les Wayana-Apalaiuml le critegravere de reacuteussite eacutetait donc lieacute agrave

285

lrsquoadaptation agrave lrsquohabitat et agrave lrsquoacceptation du systegraveme de valeurs propre agrave leur

communauteacute Crsquoest lagrave un trait ideacuteologique qursquoon retrouve encore aujourdrsquohui et qui

cohabite avec les repreacutesentations de reacuteussite sociale qui ont eacuteteacute imposeacutees par

lrsquointeacutegration des icircles au territoire national (par le biais des œuvres missionnaires

de lrsquoeacutecole et bien entendu par les moyens de communication) Lrsquoideacuteologie eacuteducative

eacutetait et reste profondeacutement lieacutee au contexte geacuteographique

Cette conception est eacutetroitement lieacutee agrave la repreacutesentation de lrsquoespace

circonscrit agrave lrsquoicircle de reacutesidence et aux routes maritimes qui relient toutes les icircles de

lrsquoOceacuteanie entre elles Comme je lrsquoai signaleacute dans les chapitres preacuteceacutedents avant

lrsquoarriveacutee des colonisateurs chaque valleacutee abritait une communauteacute (huarsquoa) qui

fonctionnait comme une microsocieacuteteacute avec un important degreacute drsquoautosuffisance

Aujourdrsquohui on peut observer les vestiges de cette coutume dans les valleacutees les plus

isoleacutees mais dans les principaux villages des icircles les critegraveres de logement ont eacuteteacute

modifieacutes avec lrsquoarriveacutee et lrsquoinstallation de personnes venues de lrsquoexteacuterieur (haorsquoe

les eacutetrangers ceux qui ne sont pas Enata) Cependant les Enata que jrsquoai eu

lrsquoopportuniteacute drsquoobserver pendant mon travail de terrain maintiennent tous un lien

tregraves eacutetroit avec la valleacutee qui abritait leur lignage drsquoorigine En effet mecircme les familles

qui se sont eacutetablies dans les villages principaux (comme Atuona) continuent de

travailler la terre et de cueillir le coprah200 sur les terrains qui appartenaient agrave leurs

ancecirctres une tradition qui se perpeacutetue mecircme si beaucoup des terrains auraient eacuteteacute

200 Il srsquoagit de lrsquoalbumen seacutecheacute de la noix de coco avec lequel on produit lrsquohuile de coco utiliseacutee dans

la manufacture cosmeacutetique

286

vendus agrave des haorsquoe ou agrave des entreprises eacutetrangegraveres Les enfants marquisiens sont

formeacutes degraves leur plus jeune acircge agrave la compreacutehension de leur habitat tout au long de

leur enfance ils sont ameneacutes agrave eacutetudier leur territoire pour pouvoir reconnaicirctre les

lieux tapu les secteurs de lrsquoicircle qui sont reacuteserveacutes agrave la chasse lrsquoemplacement des

nombreux tiki les mersquoae201 et autres vestiges archeacuteologiques de lrsquoeacutepoque preacute-

europeacuteenne de lrsquoicircle mais aussi la faune et la flore les cycles agricoles (qui se basent

sur le cycle biologique de lrsquoarbre agrave pain Artocarpus altilis et sur les phases lunaires)

les cycles des mareacutees qui rythment la pecircche sans oublier lrsquohistoire orale qui

meacutelange mythes leacutegendes202 et reacutefeacuterences agrave lrsquohistoire coloniale et postcoloniale203

et qui est souvent transmise tout comme chez les Wayana-Apalaiuml agrave la maniegravere de

laquo contes pour dormir raquo par les parents et les grands-parents

Bien qursquoaujourdrsquohui certains secteurs drsquoactiviteacute ne survivent que dans

certaines familles du fait de leur statut eacuteconomique ndash comme la couture la sculpture

(sur bois ou sur pierre) lrsquoeacutelevage (de chiens chegravevres porcs bovins chevaux

201 Emplacements utiliseacutes agrave des fins ceacutereacutemonielles

202 Il serait neacutecessaire de souligner la diffeacuterence entre les harsquoakakai mythes reacutepandus dans tout le

triangle polyneacutesien et les tekao (ou tekao kakiu laquo paroles anciennes raquo) leacutegendes qui srsquoinspirent

drsquohistoires locales de personnages qui ont reacuteellement existeacute et de lieux qui sont bien connus par leur

public (Chastel 2012 Lavondegraves 2013)

203 Une histoire dans laquelle ndash pour diffeacuterentes raisons ndash se trouvent des personnages comme

lrsquoeacutecrivain ameacutericain Hermann Melville le peintre parisien Paul Gauguin le navigateur lavallois Alain

Gerbault lrsquoexplorateur norveacutegien Thor Heyerdahl ou encore lrsquoartiste belge Jacques Brel

287

volailles ou abeilles) et lrsquoextraction du coprah204 ndash il existe toutefois un ensemble de

compeacutetences lieacutees agrave lrsquo laquo eacutecologie raquo et agrave lrsquoaccegraves et agrave lrsquoutilisation des ressources

naturelles locales que tous les enfants de lrsquoarchipel sont censeacutes connaicirctre Pour les

garccedilons il srsquoagit de la pecircche la chasse la navigation de cabotage et la conduite de

pirogues agrave balancier pour les filles crsquoest la cuisine et la creacuteation de guirlandes et de

colliers floraux La terre et lrsquooceacutean restent donc deux eacuteleacutements essentiels de

lrsquoeacutecologie enata et aujourdrsquohui encore ils ont une place importante dans les

dynamiques de transmission de savoirs au sein des familles

Pour comprendre les logiques qui guident les adultes dans le processus de

socialisation des enfants il me paraicirct important de souligner que lrsquoorganisation

sociale des Enata est fortement influenceacutee par la pratique de lrsquoeacutechange de dons qui

deacutefinit des modes drsquoappropriations particuliers205 Il srsquoagit drsquoune coutume qui sert agrave

cimenter les relations sociales agrave lrsquointeacuterieur des diffeacuterents groupes sociaux qui

204 Comme je lrsquoai mentionneacute auparavant lrsquoapprentissage de la danse ou de la musique par les

instruments traditionnels (le tambour ou pahu la flucircte nasale ou pu ihu et le lsquoukulele) sont lrsquoapanage

des organisations religieuses (les Eglises et les diverses associations catholiques protestantes et

autres) ainsi que des associations culturelles

205 Crsquoest lagrave un systegraveme que du fait de sa subtiliteacute les premiers observateurs nrsquoavaient pas reacuteussi agrave

interpreacuteter Le lieutenant de vaisseau Pierre-Eugegravene Eyriaud Des Vergnes qui a rempli de 1868 agrave

1874 les fonctions de reacutesident aux icircles Marquises se plaignait dans un rapport adresseacute au ministre

de la Marine du fait que laquo la proprieacuteteacute aux Marquises est tregraves difficile agrave deacuteterminer drsquoune maniegravere

certaine agrave vrai dire tout le monde est proprieacutetaire et personne ne lrsquoest raquo (Eyriaud Des Vergnes

1877 22)

288

constituent les microsystegravemes de reacutefeacuterence des Marquisiens et qui contribuent agrave

lrsquoeacutevolution du rocircle joueacute par chaque individu dans les groupes auxquels il appartient

En effet comme le reconnaicirct Dominique Pechberty laquo comme les autres Polyneacutesiens

les Marquisiens srsquoeacutechangent des richesses sous forme de dons et contre-dons de

faccedilon coutumiegravere collective ou individuelle sous peine drsquoentrer en conflit Les

hommes rivalisent ainsi de geacuteneacuterositeacute au vu et au su de tous Ces comportements

sont ritualiseacutes et il nrsquoy a pratiquement pas de comportements atypiques raquo

(Pechberty 2012 105) Lrsquoeacutechange est reacutegi par une logique normative qui eacutetablit des

obligations biunivoques si drsquoun cocircteacute il est impeacuteratif drsquoen faire (pour remercier un

hocircte ou un ami) drsquoun autre cocircteacute il est tout aussi impeacuteratif de les accepter puisqursquoun

eacuteventuel refus serait interpreacuteteacute comme un manque de politesse Auparavant les

chefs centralisaient le cycle des eacutechanges ce sont eux qui recevaient le plus mais

aussi qui donnaient le plus Le prestige le pouvoir et le mana (la force drsquoorigine

surnaturelle)206 deacutependaient de la capaciteacute des individus agrave faire circuler des dons

Les conflits apparaissaient geacuteneacuteralement suite agrave des eacutechanges insatisfaisants (ou

apregraves la violation drsquoaccords drsquoalliance)207 Aujourdrsquohui il nrsquoy a plus de chefs

206 Marcel Mauss consideacuterait que le mana eacutetait neacutecessaire agrave la genegravese du lien social (Mauss 1925 et

1950)

207 Agrave Hiva Oa on privileacutegiait les alliances avec les ennemis ou les eacutetrangers afin drsquoaugmenter le mana

de la famille (Pechberty 2012) ndash bien que Hogbin (1932) ne partage pas cet avis car pour elle les

mariages eacutetaient de simples formalisations drsquoun accord de non belligerance Il srsquoagissait drsquoeacutechanges

entre familles visant agrave eacuteviter le morcellement et la fragmentation des terres pour maintenir lrsquouniteacute

de lrsquoheacuteritage drsquoune mecircme ligneacutee

289

coutumiers et les eacutechanges ne sont plus centraliseacutes Toutefois lrsquoimportance de lrsquoacte

drsquooffrir (tursquou) et lrsquoideacutee selon laquelle la notion de laquo priveacute raquo (et ses deacuteclinaisons la

proprieacuteteacute lrsquoespace domestique et la famille) est susceptible de circuler en fonction

des exigences du groupe font partie des valeurs fondamentales qui aujourdrsquohui

encore guident lrsquoideacuteologie eacuteducative enata On offre des cadeaux quand on rend

visite agrave un membre de la famille on offre des guirlandes de fleurs et des petits tiki

en bois aux hocirctes ou visiteurs on offre des colliers en dents de requin aux amis aux

yeux des eacutetrangers les Marquisiens semblent avoir toujours de bonnes raisons pour

offrir des dons aux autres et les membres de la communauteacute qui ne participent pas

agrave ces eacutechanges sont toujours victimes de commentaires neacutegatifs de la part des autres

villageois

Dans les pages preacuteceacutedentes jrsquoai deacutecrit la varieacuteteacute des microsystegravemes de

socialisation qui constituent le panorama de reacutefeacuterence des enfants enata ndash

microsystegravemes qui comme chez les Wayana-Apalaiuml deacutepasse la dyade famille-eacutecole

Il y a aussi les groupes religieux et les associations culturelles ce qui implique que

les parents doivent se charger de lrsquointeacutegration de ces organismes laquo externes raquo au

cercle ndash deacutesormais multidimensionnel ndash des microsystegravemes de deacuteveloppement de

lrsquoenfant Les familles avec lesquelles jrsquoai travailleacute mrsquoont effectivement fait part agrave

plusieurs reprises de leurs difficulteacutes agrave former leurs enfants pour qursquoils puissent

geacuterer de maniegravere eacutequilibreacutee les relations avec les institutions religieuses

(auxquelles on deacutelegravegue la deacutefinition des critegraveres moraux agrave suivre) avec les groupes

culturels (chargeacutes de la transmission de certains savoirs traditionnels comme la

290

danse) et avec les institutions publiques (les administrations territoriales du pays

et de lrsquoEacutetat dont lrsquoeacutecole)

Cet effort de laquo diplomatie culturelle raquo exige une forte dose de creacuteativiteacute de la

part des parents afin de maintenir lrsquoeacutequilibre entre les logiques preacute-europeacuteennes (et

leur weltanschauung eacutecosophique) et la laquo moderniteacute raquo globale (avec la neacutecessiteacute de

comprendre et de savoir utiliser les nouvelles technologies pour chercher un

travail acheter un billet drsquoavion ou encore rester en contact avec une partie de la

famille qui est alleacutee vivre ailleurs)208

123 Lrsquoeacuteducation et lrsquoautochtonie dynamiques drsquoassimilation culturelle et

reacuteponses adaptatives

Les reacutesultats obtenus gracircce agrave lrsquoobservation des performances eacuteducatives

dans les deux contextes drsquoeacutetude vont nous aider agrave mieux comprendre certaines

dynamiques geacuteneacuterales auxquelles participent drsquoun cocircteacute les communauteacutes Wayana-

Apalaiuml du Haut Maroni et de lrsquoautre les Enata de lrsquoicircle de Hiva Oa Si les premiegraveres

208 Il convient de faire un aparteacute sur la question des compeacutetences langagiegraveres car ndash comme je lrsquoai deacutejagrave

mentionneacute ndash dans toutes les familles observeacutees (dans le village principal Atuona comme dans les

valleacutees les plus eacuteloigneacutees) les parents ont lrsquohabitude de srsquoadresser aux enfants en langue franccedilaise

la langue marquisienne semble plutocirct transmise par les autres membres de la famille (les grands-

parents les oncles et les tantes) et par la communauteacute (les pairs mais aussi les groupes religieux)

Lrsquointroduction agrave la langue locale advient surtout agrave partir de lrsquoadolescence ce qui selon les adultes

laquo se justifie raquo par la difficulteacute qursquoils ont agrave trouver lrsquoeacutequivalent en langue franccedilaise drsquoune expression

locale utiliseacutee pour deacutecrire des objets des plantes des animaux ou des processus locaux

291

ont peu agrave peu abandonneacute certaines pratiques preacutecoloniales pour srsquoadapter au

modegravele occidental elles semblent avoir suivi ndash plus ou moins consciemment ndash le

mirage des avantages offerts par lrsquointeacutegration agrave la socieacuteteacute nationale Pour les

Ameacuterindiens du Haut Maroni bien que lrsquoidentiteacute autochtone continue agrave maintenir

son rocircle feacutedeacuterateur et revendicatif les habitants drsquoAntecume pata ont adopteacute

presque inteacutegralement - en agrave peine deux geacuteneacuterations - une ideacuteologie eacuteducative

exogegravene avec pour but deacuteclareacute de permettre agrave leurs enfants de profiter des bienfaits

de la civilisation un diplocircme lrsquoaccegraves au marcheacute du travail un salaire fixe et la

possibiliteacute drsquoobtenir des biens drsquoorigine industrielle

Cette transformation me semble preacutesenter toutes les caracteacuteristiques de ce

que Darcy Ribeiro appelle la laquo transfiguration ethnique raquo Dans la premiegravere partie

de cette thegravese jrsquoai montreacute que selon Darcy Ribeiro lorsque certains peuples tribaux

srsquointegravegrent aux eacutetats nationaux ils alteacuteregraverent leur substrat biologique leur culture

et leur forme de relation avec la socieacuteteacute dominante afin de remplir les preacute-requis

neacutecessaires pour garantir leur existence en tant qursquoentiteacutes ethniques (Ribeiro

1971) Effectivement jusqursquoagrave lrsquoheure actuelle lrsquoidentiteacute ethnique des Wayana-Apalaiuml

a surveacutecu agrave cette inteacutegration mais le substrat culturel qui la caracteacuterisait avant le

contact avec la socieacuteteacute dominante semble ecirctre en voie de disparition Lrsquoadaptation agrave

la laquo moderniteacute raquo est en train de srsquoopeacuterer par la substitution la dynamique

drsquoacculturation a pousseacute les parents wayana-apalaiuml agrave seacutelectionner certains savoirs

292

laquo traditionnels raquo et agrave en exclure drsquoautres ndash lesquels constituaient auparavant

lrsquoexpression visible de la culture locale ndash du processus de formation des enfants209

Les Enata au contraire ont pu srsquoadapter au colonialisme eacuteducatif franccedilais ndash

qui depuis plus drsquoun siegravecle leur a imposeacute la scolarisation obligatoire ndash en creacuteant des

strateacutegies pour faire coiumlncider les exigences eacutecosysteacutemiques avec les contraintes qui

relegravevent de lrsquoappartenance agrave une collectiviteacute drsquoOutre-mer (la Polyneacutesie) et agrave un Eacutetat

national (la France)

Ce processus de cumul des identiteacutes a permis agrave lrsquoethniciteacute enata de srsquoadapter

aux contraintes de la citoyenneteacute nationale agrave partir de ce que Bruno Saura appelle

un laquo amoindrissement relatif des clivages identitaires raquo (Saura 1998 7) Cette

juxtaposition a eacuteteacute possible par lrsquoeacutequilibre existant entre les forces centrifuges

visant agrave lrsquoincorporation des modes de vie de la socieacuteteacute dominante ndash drsquoorigine

microsystegravemique et veacutehiculeacutes par les moyens de communication globale ou les

programmes scolaires ndash et des modes de vie centripegravetes (soutenus par des entiteacutes

externes agrave la communauteacute locale agrave savoir les groupes religieux et les associations

culturelles) visant agrave deacutefendre des pratiques enracineacutees dans la culture locale qui

reste rurale et pour des raisons geacuteographiques relativement isoleacutee des marcheacutes

globaux et des routes touristiques Cet isolement a pousseacute les Marquisiens agrave aller

vers une creacuteativiteacute culturelle leur permettant de survivre et de maintenir leur

209 Pour une premiegravere eacutebauche de cette reacuteflexion voir Aligrave amp Ailincai 2015

293

vitaliteacute bien qursquoils aient eacuteteacute releacutegueacutes agrave la peacuteripheacuterie ndash geacuteographique et symbolique

ndash de lrsquoempire colonial franccedilais210

Les observations meneacutees chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata nous

permettent donc de confirmer notre hypothegravese selon laquelle des formes diffeacuterentes

drsquoacculturation ndash veacutehiculeacutees par des agents diffeacuterents avec un diffegraverent degreacute de

violence et selon une chronologie diffeacuterente ndash peuvent geacuteneacuterer diverses reacuteponses

adaptatives dans le premier cas une transfiguration ethnique laquo agrave retardement raquo

survenue cinq siegravecles apregraves les premiers contacts avec les colonisateurs dans le

second cas un cumul partiel drsquoidentiteacutes qui a permis aux Marquisiens ndash lesquels je

le rappelle ont eacuteteacute victimes de lrsquoun des plus graves ethnocides de lrsquohistoire de

lrsquoOceacuteanie qui a fortement reacuteduit leur nombre et effaceacute en lrsquoespace drsquoune geacuteneacuteration

leur organisation politique ndash de profiter strateacutegiquement de leur position

peacuteripheacuterique pour revitaliser leur culture dans le cadre du village global

210 Plusieurs chercheurs ndash comme Marshall Sahlins (2000) John Liep (2001a et 2001b) ou Adriano

Favole (2009 et 2010) - ont observeacute dans drsquoautres contextes de lrsquoaire oceacuteanienne une certaine

preacutedisposition agrave la laquo creacuteativiteacute culturelle raquo en tant que strateacutegie drsquoadaptation et de reacutesistance

politique

294

Synthegravese de la deuxiegraveme partie

Les relations sociales sont baseacutees sur des interactions (verbales et non

verbales) les eacutechanges et les seacutequences Dans le cadre des interactions

domestiques visant agrave la transmission de donneacutees culturelles le rocircle des acteurs est

joueacute par des eacuteducateurs et des eacuteduqueacutes qui font partie du mecircme reacuteseau de parenteacute

crsquoest-agrave-dire des personnes chargeacutees de laquo transmettre raquo des informations ndash lieacutees agrave la

culture dans laquelle ils eacutevoluent ndash et des apprenants censeacutes apprendre ces

informations dans le but de pouvoir srsquointeacutegrer agrave leur eacutecosystegraveme de reacutefeacuterence

La famille en tant que systegraveme primaire de socialisation est constitueacutee drsquoun

ensemble de microsystegravemes qui deacutependent des reacuteseaux de parenteacute et de

lrsquoorganisation sociale propre agrave chaque groupe humain Il existe aussi drsquoautres

microsystegravemes qui sont exteacuterieurs agrave la famille mais qui selon le groupe auquel on

fait reacutefeacuterence peuvent avoir un rocircle tregraves diffeacuterent Chez les peuples autochtones qui

constituent lrsquounivers drsquoeacutetude de cette thegravese ndash les Wayana-Apalaiuml de Guyane et les

Enata des icircles Marquises ndash la famille correspond agrave la communauteacute et chacun des

microsystegravemes familiaux (parents fratrie famille maternelle famille paternelle

cousins qui nrsquoont pas encore atteint lrsquoacircge adulte et qui agissent en tant que pairs et

autres membres de la communauteacute) se charge de certaines fonctions eacuteducatives

avec un style interactif qui lui est propre Dans les villages ameacuterindiens du Haut

Maroni il existe un seul microsystegraveme exteacuterieur agrave la famille lrsquoeacutecole Dans lrsquoicircle

marquisienne de Hiva Oa les enfants sont inteacutegreacutes agrave drsquoautres microsystegravemes les

295

groupes religieux et les associations culturelles qui se chargent de la transmission

de certaines donneacutees culturelles telles la langue la musique et la danse

marquisienne

Bien que lrsquoeacutecole ne repreacutesente qursquoune faible partie des interactions

eacuteducatives des enfants autochtones les contraintes qursquoelle impose (son calendrier

ses horaires ses programmes) modifient les pratiques eacuteducatives laquo traditionnelles raquo

(lieacutees agrave lrsquoaccegraves et agrave lrsquoutilisation des ressources naturelles disponibles) puisqursquoelle

intervient dans les rythmes de vie les cycles du travail agricole et les notions de

reacuteussite qui existaient avant son apparition Cependant lrsquoeacutecole nrsquoest pas la seule

cause de ces transformations les dynamiques drsquointeacutegration agrave la moderniteacute

occidentale ndash et les effets indeacutesirables qursquoelles peuvent produire comme la diffusion

de lrsquoalcoolisme de maladies ou du suicide ndash ont le pouvoir de modifier les ideacuteologies

eacuteducatives (qui se mateacuterialisent dans des styles eacuteducatifs des prioriteacutes de formation

et des conceptions de reacuteussite sociale) des peuples autochtones comme le

deacutemontrent les reacutesultats des observations meneacutees chez les Wayana-Apalaiuml et chez

les Enata

296

TROISIEME PARTIE LrsquoAPPROPRIATION INSTITUTIONNELLE DE LA QUESTION

EDUCATIVE ESSAI CONCLUSIF SUR LA BANALITE DU MAL

297

Introduction agrave la troisiegraveme partie

Bien que la colonisation qursquoont connue les populations autochtones de

Guyane et des icircles Marquises ne puisse ecirctre compareacutee en termes de violence

systeacutematiseacutee au sort subi par les Juifs au moment de la deuxiegraveme guerre mondiale

on ne saurait oublier lrsquoapport de lrsquoouvrage Eichmann agrave Jeacuterusalem de la philosophe

allemande Hannah Arendt (1963) Elle y a bien expliqueacute comment et pourquoi le

travail de certains fonctionnaires du reacutegime nazi avait eacuteteacute la cleacute de la reacuteussite du

systegraveme politique criminel qursquoils servaient Selon elle loin drsquoecirctre des monstres

sanguinaires ces hommes ambitieux zeacuteleacutes mais au bout du compte tristement

ordinaires eacutetaient tout simplement des ecirctres humains incapables de distinguer le

bien du mal des hommes qui pour accomplir les ordres reccedilus avaient arrecircteacute de

srsquointerroger sur leurs agissements Pour expliquer le substrat psychologique de

leurs crimes Hannah Arendt considegravere que cette laquo crise de la penseacutee critique raquo a eacuteteacute

geacuteneacutereacutee par une ideacuteologie deacutenigrant lrsquoalteacuteriteacute culturelle et diffuseacutee par un apparat

institutionnel et meacutediatique tourneacute vers la propagande et la reacutepression Le

sociologue polonais Zygmunt Baumann (2002) en reprenant la thegravese de sa collegravegue

allemande affirme que cette laquo banaliteacute du mal raquo nrsquoest rien drsquoautre que la reacutealisation

la plus aboutie de lrsquoideacuteologie qui se trouve agrave la base de lrsquoEacutetat moderne et qui vise agrave

laquo normaliser raquo un modegravele de civilisation (ladite occidentale) reacuteputeacutee parfaite et

ayant pour mission drsquoeacuteliminer ndash agrave nrsquoimporte quel prix ndash tous les obstacles qui

interfegravereraient dans sa pleine reacutealisation

298

Si dans certains contextes ndash comme celui de lrsquoAllemagne nazi mais aussi celui

du Rwanda au temps du geacutenocide ou pour rester dans le cadre de la theacutematique de

cette thegravese celui des territoires coloniseacutes par les Empires europeacuteens entre le XVegraveme

et la premiegravere moitieacute du XXegraveme siegravecle ndash ce processus drsquoeacutelimination srsquoest reacutealiseacute de

maniegravere particuliegraverement violente dans drsquoautres contextes il srsquoest fait de maniegravere

plus graduelle par le biais de lrsquointeacutegration des laquo adversaires raquo dans lrsquoengrenage

eacutetatique plutocirct que par leur eacutelimination physique Toutefois loin drsquoune cooptation

de laquo lrsquoAutre raquo par les eacutelites au pouvoir cette dite inteacutegration visait plutocirct la

subordination de celui-ci afin que le processus puisse srsquoaccomplir et que le pouvoir

des eacutelites laquo traditionnelles raquo soit ainsi confirmeacute Par ailleurs Margarita Serje (2005)

a deacutemontreacute que lrsquointeacutegration nationale des laquo territoires de frontiegravere raquo caracteacuteriseacutes

par une position geacuteographique peacuteripheacuterique et par un paysage social et culturel

laquo ethniciseacute raquo (sur lequel les autoriteacutes eacutetatiques ont construit des identiteacutes

ethniques)211 est une dynamique violente qui bafoue les droits des peuples

autochtones et qui viole les territoires et leurs ressources naturelles pour permettre

aux eacutelites locales de les saccager agrave leur guise212

Le cas des territoires de lrsquoOutre-mer franccedilais est plutocirct exemplaire pour

expliquer la maniegravere dont le processus drsquoimposition de la souveraineteacute nationale

211 Cela srsquoest fait agrave travers la creacuteation laquo scientifique raquo de barriegraveres ethniques et drsquoun discours politique

sur la neacutecessiteacute du deacuteveloppement territorial capable de laquo justifier raquo lrsquoentreprise colonisatrice

212 Un point de vue que je partage pleinement et que jrsquoai adopteacute dans mes preacuteceacutedents travaux sur le

conflit colombien (Aligrave 2010 et 2011)

299

srsquoest inscrit dans lrsquohistoire des peuples autochtones vivant agrave la laquo peacuteripheacuterie raquo de

lrsquoEacutetat colonial Comme on lrsquoa vu dans la deuxiegraveme partie de cette thegravese la

colonisation de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise loin drsquoavoir eacuteteacute un processus

pacifique drsquoassociation drsquoun territoire agrave un autre srsquoest reacutealiseacutee de faccedilon violente

avec lrsquoimposition drsquoune organisation sociale et politique eacutetrangegravere celle voulue par

les eacutelites meacutetropolitaines Cette dynamique srsquoest accompagneacutee drsquoun nouveau reacutegime

drsquoaccegraves aux ressources naturelles par lrsquoexclusion des groupes laquo peacuteripheacuteriques raquo de

certains droits civiques et par lrsquoobligation de mettre en œuvre des proceacutedures ndash

comme la scolarisation ndash qui ont bouleverseacute les styles de vie existant avant la

colonisation Qui plus est certains effets laquo secondaires raquo comme la diffusion de

maladies ou drsquohabitudes nuisibles (lrsquoalcoolisme) ont eu un effet important sur la

santeacute et la survie des peuples qui habitaient ces terres

Cependant les communauteacutes autochtones qui ont fait lrsquoobjet de mon eacutetude

partagent un mecircme processus de laquo reacutesurrection raquo qui entre la premiegravere moitieacute du

XXegraveme siegravecle (crsquoest le cas des Enata) et la deuxiegraveme moitieacute du mecircme siegravecle (crsquoest le

cas des Wayana-Apalaiuml) leur a permis non seulement de survivre au laquo choc de la

colonisation raquo ndash et de contrebalancer une dynamique deacutemographique neacutegative ndash

mais aussi de srsquoadapter agrave cette inteacutegration imposeacutee drsquoen haut agrave travers des

strateacutegies drsquoordre culturel qui se traduisent par de nouvelles pratiques et de

nouvelles formes drsquoorganisation sociale Toutefois cette adaptation nrsquoa pas toujours

eacuteteacute indolore elle a obligeacute les membres des communauteacutes agrave reacuteviser leurs prioriteacutes

socio-eacuteconomiques et agrave seacutelectionner certains traits de leur culture au deacutepend

drsquoautres Cette seacutelection srsquoest opeacutereacutee dans le cadre du processus de transmission des

300

donneacutees culturelles ndash que nous pourrions consideacuterer comme laquo traditionnelles raquo et

lieacutees agrave lrsquoenvironnement naturel ndash aux nouvelles geacuteneacuterations crsquoest-agrave-dire dans le

cadre de lrsquoeacuteducation domestique En revanche petit agrave petit lrsquoeacutecole ndash en tant

qursquoinstitution drsquoeacuteducation formelle imposeacutee par lrsquoEacutetat ndash a acquis un rocircle de plus en

plus important dans la formation des plus jeunes ce qui a obligeacute les parents agrave

modifier leur notion de reacuteussite et leurs ideacuteologies eacuteducatives en fonction de ce

nouvel acteur social

La troisiegraveme partie de cette thegravese vise donc agrave preacutesenter des eacuteleacutements en vue

drsquoune discussion autour des thegravemes que je viens de mentionner Elle est composeacutee

de cinq chapitres Dans le premier jrsquoanalyserai les divergences entre les logiques

eacuteducatives observeacutees chez les Wayana-Apalaiuml et les Enata et celles qui sont propres

agrave la scolarisation reacutepublicaine agrave partir de la comparaison entre la notion de reacuteussite

sociale et celle de reacuteussite scolaire Le deuxiegraveme chapitre propose un regard critique

sur les laquo bienfaits raquo de la scolarisation des peuples autochtones afin de deacuteconstruire

le mythe de lrsquoeacutecole comme ascenseur social et de deacutemontrer que dans lrsquoOutre-mer

franccedilais lrsquoeacutecole reacutepublicaine nrsquoa pas eacuteteacute un facteur de laquo reacuteussite pour tous raquo Dans le

troisiegraveme je preacutesenterai des solutions envisageables pour ameacuteliorer lrsquoorganisation

des politiques eacuteducatives qui concernent les peuples autochtones de lrsquoOutre-mer

afin qursquoelles prennent en compte les reacutealiteacutes culturelles locales Le quatriegraveme

chapitre est deacutedieacute agrave une reacuteflexion meacutethodologique autour de la recherche

anthropologique en eacuteducation en tenant compte des piegraveges qursquoelle peut preacutesenter

et des opportuniteacutes qursquoelle peut offrir pour la construction drsquoune politique eacuteducative

coheacuterente ndash capable de prendre en consideacuteration les speacutecificiteacutes locales - dans les

301

contextes postcoloniaux Enfin le cinquiegraveme est un bref essai conclusif autour du

travail meneacute pour la reacutealisation de cette thegravese dans lequel je proposerai de

nouvelles pistes de recherche et des theacutematiques qui meacuteritent drsquoecirctre approfondies

par les chercheurs inteacuteresseacutes par les probleacutematiques abordeacutees dans le cadre de ce

travail

302

13 Ideacuteologies eacuteducatives et logiques drsquoorganisation sociale

Le sociologue et deacutemographe franccedilais Emmanuel Todd (2011) a longuement

eacutetudieacute les relations de deacutependance tisseacutees entre les systegravemes familiaux

laquo traditionnels raquo et les formes drsquoorganisation sociale Selon lui les systegravemes sociaux

laquo preacutemodernes raquo213 deacuterivaient des formes drsquoorganisation domestique dominantes

dans certains groupes humains Le milieu familial agrave travers la laquo programmation raquo

inconsciente des individus degraves leur enfance avait donc une influence directe sur la

structure des socieacuteteacutes Agrave partir drsquoune analyse comparative de la litteacuterature

ethnographique il distingue quatre laquo styles familiaux raquo

la famille nucle aire absolue dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type libe ral et les relations entre fre res et sœurs de

type non e galitaire ce qui laquo produit raquo une mentalite foncie rement

libe rale (ni vraiment e galitaire ni franchement ine galitaire me me

si les enfants be ne ficient en ge ne ral drsquoun traitement e galitaire) une

forte adhe sion a des valeurs de liberte et une certaine forme

drsquoindiffe rence a lrsquoe gard de la notion drsquoe galite qui a modele les

socie te s des pays les plus industrialise s tels la Grande-Bretagne les

213 Ceux qui existaient avant lrsquoinstauration des Eacutetats nationaux

303

E tats-Unis le Canada lrsquoAustralie le Danemark les Pays-Bas et la

Norve ge

la famille nucle aire e galitaire dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type libe ral et les relations entre fre res et sœurs de

type e galitaire ce qui laquo programme raquo des individus attache s aux

valeurs de liberte et drsquoe galite et qui de veloppe des relations sociales

base es sur lrsquoindividualisme et le refus de lrsquoautorite comme dans les

pays du bassin me diterrane en (Espagne Portugal Gre ce et Italie)

mais aussi en France (dans le bassin parisien) en Pologne en

Roumanie et chez les peuples drsquoAme rique latine

la famille communautaire dans laquelle les relations parents-

enfants sont de type autoritaire et celles entre fre res et sœurs de

type e galitaire et qui repose sur un syste me familial patriline aire

et patrilocal comme crsquoest le cas en Chine au Vietnam en Russie

dans lrsquoInde du Nord dans certains pays drsquoEurope Centrale

(Bulgarie Bosnie-Herze govine Hongrie Kosovo Mace doine et

Serbie) et dans certaines re gions franccedilaises (Limousin Languedoc

Centre et Bretagne)

la famille souche dans laquelle les relations parents-enfants sont

de type autoritaire et celles entre fre res et sœurs de type

ine galitaire et pour laquelle le lieu de re sidence est conside re

comme lrsquoentite sociale fondamentale soit une ve ritable laquo personne

morale raquo autour de laquelle se structurent les relations entre

individus comme crsquoest le cas de lrsquoOce anie de certains pays

304

asiatiques (Core e et Japon ) de lrsquoAllemagne de lrsquoIrlande et des

groupes humains peuplant lrsquoArc Alpin (Suisse Italie du Nord

Autriche Slove nie)

Bien que je ne partage pas les geacuteneacuteralisations qui soutiennent lrsquohypothegravese

drsquoEmmanuel Todd et qui laissent de cocircteacute les diffeacuterences qui existent au sein de

groupes humains partageant un mecircme territoire214 son effort nous permet de mieux

comprendre le rocircle de la famille ndash et de lrsquoeacuteducation domestique ndash dans la gestation

des formes drsquoorganisation sociale De fait lrsquoexistence drsquoune laquo ideacuteologie eacuteducative raquo

permet aux membres de la famille drsquoagir en tant qursquoeacuteducateurs et de disposer drsquoune

certaine laquo agentiviteacute raquo soit la capaciteacute drsquointeragir avec la reacutealiteacute de la modifier et de

la transformer gracircce agrave leur action eacuteducative Cette ideacuteologie nrsquoest jamais figeacutee mais

comme me lrsquoont deacutemontreacute les familles wayana-apalaiuml et enata avec lesquelles jrsquoai eu

214 Il suffit de regarder le cas des peuples ameacuterindiens lesquels selon Emmanuel Todd partageraient

tous un mecircme modegravele de famille nucleacuteaire eacutegalitaire Dans le cas des Wayana-Apalaiuml par exemple

comme je lrsquoai montreacute dans la deuxiegraveme partie de cette thegravese bien que les relations entre parents et

enfants soient de type libeacuteral et celles au sein de la fratrie soient de type eacutegalitaire le reacutesultat final

nrsquoest pas de type eacutegalitaire mais de type communautaire (dans lequel les notions de famille et de

communauteacute se confondent par effet drsquoun reacuteseau de parenteacute eacutetendu) uxorilocal et matrifocal De

mecircme il me paraicirct difficile de geacuteneacuteraliser le modegravele de la famille souche agrave un continent tout entier

comme le fait Todd pour le cas de lrsquoOceacuteanie Nous savons par exemple que les voyageurs qui ont

connu les Enata avant la colonisation nlsquoont pas deacutecrit une forme drsquoorganisation domestique

autoritaire et ineacutegalitaire ndash comme le preacutetend lrsquoauteur ndash mais bien au contraire un modegravele familial

baseacute sur des relations parents-enfants plutocirct eacutegalitaires (Gracia 1843 Eyriaud Des Vergnes 1877)

305

lrsquoopportuniteacute de travailler elle est dynamique ndash tout en conservant certains traits

consideacutereacutes laquo fondamentaux raquo pour la continuiteacute de lrsquoidentiteacute ethnique ndash et capable

de srsquoadapter agrave une reacutealiteacute changeante afin de laquo modeler raquo la personnaliteacute des enfants

et de leur permettre de srsquointeacutegrer agrave cette mecircme reacutealiteacute laquo multidimensionnelle raquo (ougrave

les niveaux familial communautaire territorial national et global se chevauchent et

srsquoentremecirclent)

131 Apprendre capturer produire la logique preacutedatrice de la moderniteacute

Les strateacutegies interactives que jrsquoai observeacutees agrave Antecume pata et agrave Hiva Oa

laissent coexister deux exigences consideacutereacutees fondamentales par les eacuteducateurs

locaux celle de faciliter lrsquointeacutegration des enfants au systegraveme social imposeacute par lrsquoEacutetat

et celle de former les nouvelles geacuteneacuterations agrave la survie dans des contextes

eacutecologiques complexes (au vu de leur isolement geacuteographique) gracircce agrave la maicirctrise

des ressources naturelles locales

Dans les deux terrains eacutetudieacutes les enfants autochtones sont pousseacutes agrave

apprendre la langue franccedilaise ndash souvent au deacutetriment de la langue locale ndash et agrave avoir

de bons reacutesultats scolaires Les parents leur parlent des bienfaits de lrsquoeacutecole et de

lrsquoimportance de pouvoir obtenir un contrat de travail au sein drsquoune administration

publique en ideacutealisant ndash et souvent en exageacuterant ndash les avantages de la

laquo civilisation raquo ne pas avoir agrave reacutealiser de travaux manuels recevoir un salaire fixe

et pouvoir acheter des biens de consommation Cependant les contraintes

alimentaires (pour la plupart des familles drsquoAntecume pata et de Hiva Oa celles-ci

deacutependent de la production agricole de lrsquoeacutelevage de la chasse et de la pecircche)

306

rendent neacutecessaire la participation des plus jeunes aux tacircches et agrave lrsquoeacuteconomie

domestiques

Les eacuteducateurs autochtones doivent bon greacute mal greacute transmettre des

donneacutees culturelles issues de deux univers ndash le laquo traditionnel raquo et le laquo moderne raquo ndash

qui ne sont pas toujours coheacuterentes entre elles comme crsquoest le cas des ideacutees de

reacuteussite ou des valeurs morales agrave suivre Mais la diffeacuterence la plus eacutevidente entre

ces deux univers est sans doute la valeur assigneacutee agrave lrsquoenvironnement naturel Si drsquoun

cocircteacute les grands-parents et les membres les plus acircgeacutes des deux communauteacutes ndash

lesquels se perccediloivent comme les laquo deacutefenseurs de la tradition raquo ndash partagent une

mecircme vision de la laquo Nature raquo en tant qursquoorganisme vivant qui accueille lrsquoecirctre humain

et lui offre des ressources pour survivre les adultes plus jeunes ndash qui ont tous eacuteteacute

scolariseacutes ndash preacutefegraverent la concevoir comme une ressource eacuteconomique agrave

laquo apprivoiser raquo afin de pouvoir en tirer un profit eacuteconomique

Le steacutereacuteotype du laquo natif eacutecologique raquo ndash qui deacuterive de lrsquoideacutee du laquo bon sauvage raquo

qui vit en communion avec la laquo Nature raquo ndash nrsquoest pas reacuteellement applicable aux

nouvelles geacuteneacuterations wayana-apalaiuml et enata En effet comme je lrsquoai observeacute agrave

maintes reprises pendant mon travail de terrain en Guyane et en Polyneacutesie

nombreux sont les adultes qui nrsquoheacutesitent pas agrave profiter des ressources naturelles

disponibles sans aucune approche eacutecologique Agrave Antecume pata jrsquoai assisteacute agrave la

deacuteforestation de grandes parcelles de forecirct pour vendre illeacutegalement le bois au

Suriname agrave la pollution des riviegraveres par des villageois utilisant le mercure pour

extraire lrsquoor alluvial ou encore agrave la chasse des singes femelles destineacutes agrave ecirctre

vendues aux familles Boni de Maripasoula De mecircme agrave Hiva Oa jrsquoai connu plusieurs

307

pegraveres de famille qui pratiquent le braconnage des fonds marins afin de pecirccher des

langoustes ou autres crustaceacutes destineacutes aux restaurants de lrsquoicircle ou de Tahiti En effet

les travaux drsquoAstrid Ulloa (2003) et de Molly Doane (2007) ont deacutemontreacute que les

comportements laquo eacutecologiques raquo des peuples natifs ne sont pas universels et que agrave

lrsquoheure actuelle la supposeacutee laquo eacutecologie native raquo plus qursquoune pratique reacuteelle est

devenue un eacuteleacutement du discours revendicatif autochtone ndash et certainement celui qui

a le plus de poids ndash soutenu par les organisations de protection des droits des

peuples ethniques (comme crsquoest par exemple le cas de lrsquoorganisation non

gouvernementale Survival International Corry 2014)

Si les neacutecessiteacutes eacuteconomiques des familles ont pousseacute certains adultes agrave user

de logiques preacutedatrices vis-agrave-vis de lrsquoenvironnement ces mecircmes logiques me

semblent ecirctre appliqueacutees dans lrsquoeacuteducation des enfants qui sont pousseacutes agrave

laquo capturer raquo certains eacuteleacutements de la culture occidentale afin de subvenir aux besoins

de leurs familles Les parents enata et wayana-apalaiuml considegraverent que la culture

scolaire doit ecirctre acquise par tous les moyens mecircme si cela implique de modifier les

styles eacuteducatifs laquo traditionnels raquo en abandonnant progressivement les typologies

suggestives et laquo autonomisantes raquo au profit de types directifs agrave tendance normative

consideacutereacutes comme plus efficaces Les proies ont changeacute mais la logique du

laquo chasseur raquo est resteacutee la mecircme

132 Reacuteussite scolaire et reacuteussite sociale la difficile quadrature du cercle

La coexistence de deux logiques apparemment inconciliables devrait ecirctre

interpreacuteteacutee agrave mon sens comme lrsquoeffet drsquoun double processus Drsquoun cocircteacute la pression

308

exerceacutee par le macrosystegraveme exige des microsystegravemes qursquoils agissent en fonction

drsquoexigences de niveau laquo supeacuterieur raquo drsquoorigine nationale et internationale

(lrsquointeacutegration agrave lrsquoEtat franccedilais et aux marcheacutes globaux) Drsquoun autre cocircteacute le conflit

intergeacuteneacuterationnel seacutepare le style de vie des laquo anciens raquo (avec leur attachement agrave la

terre et agrave une vision statique de la laquo tradition raquo en tant qursquoensemble immuable de

normes drsquousages et de coutumes) et celui des laquo jeunes raquo lesquels recircvent drsquoune vie

moins deacutependante des difficulteacutes imposeacutees par un environnement naturel complexe

et par la position laquo peacuteripheacuterique raquo de leur territoire

En reacutealiteacute les parents et les membres de la famille nrsquoont pas la possibiliteacute de

choisir leur camp Le fait qursquoagrave Antecume pata et agrave Hiva Oa lrsquointeacutegration agrave lrsquoEacutetat

franccedilais soit encore incomplegravete que les infrastructures existantes ne permettent pas

lrsquoaccegraves de tous les habitants aux droits fondamentaux et que lrsquoisolement

geacuteographique de ces icircles rende difficile lrsquoacquisition des biens de consommation

drsquoorigine industrielle oblige la majoriteacute des familles agrave assurer leur survie gracircce au

travail agricole et aux moyens de subsistance laquo traditionnels raquo Or ces travaux ne

peuvent ecirctre reacutealiseacutes par les seuls adultes ils neacutecessitent lrsquointervention des enfants

qui passent donc une partie de leur temps agrave contribuer agrave lrsquoeacuteconomie domestique

Tous les enfants wayana-apalaiuml et enata que jrsquoai observeacutes pendant ma recherche

contribuent activement agrave ce type de tacircches bien qursquoelles les eacuteloignent souvent de

leurs devoirs scolaires

Crsquoest lagrave un dilemme difficile agrave reacutesoudre pour un eacuteducateur autochtone agrave qui

donner la prioriteacute Agrave lrsquoeacutecole ou agrave la famille Aux devoirs scolaires ou aux tacircches

domestiques Agrave lrsquointeacutegration des enfants agrave la socieacuteteacute nationale ndash en tant que

309

citoyens et professionnels disposant drsquoun diplocircme ndash ou agrave la survie des familles dans

un contexte ougrave certains biens ne peuvent ecirctre acheteacutes avec un diplocircme et doivent

ecirctre produits sur place La reacuteponse nrsquoeacutetant pas donneacutee drsquoavance la solution mise

en œuvre pas les adultes est geacuteneacuteralement baseacutee sur les circonstances plutocirct que

sur une reacuteflexion autour des prioriteacutes eacuteducatives de sorte que bien que la reacuteussite

scolaire soit consideacutereacutee comme une prioriteacute les exigences eacuteconomiques de la famille

obligent parfois les enfants agrave laquo revenir agrave la tradition raquo

Dans les deux contextes eacutetudieacutes lrsquoideacutee de reacuteussite semble tout aussi

complexe Le deacuteveloppement de lrsquoenfant est associeacute agrave deux domaines celui des

compeacutetences scolaires et celui des compeacutetences laquo autochtones raquo soit lrsquoensemble des

attitudes et des connaissances neacutecessaires agrave la survie dans leur habitat Agrave Hiva Oa

cet ensemble est aussi associeacute aux critegraveres drsquoordre religieux et au respect de

certaines normes de vie qui pour la plupart des jeunes que jrsquoai pu interviewer sont

difficiles agrave respecter215 (sans compter que lrsquoicircle est un laquo huis clos raquo ougrave tout le monde

se connaicirct et ougrave lrsquoespace priveacute est tregraves restreint) Cependant si drsquoun cocircteacute la reacuteussite

scolaire ndash qui ne deacutepend pas seulement du travail reacutealiseacute en classe mais aussi drsquoun

environnement familial qui facilite les apprentissages scolaires ndash est limiteacutee par le

fait que les enfants doivent participer aux travaux domestiques drsquoun autre cocircteacute la

reacuteussite laquo en tant que membres drsquoune communauteacute autochtone raquo est limiteacutee par le

215 Plusieurs drsquoentre eux mrsquoont en effet fait part de leurs preacuteoccupations par rapport agrave lrsquoapproche tregraves

conservatrice de diffeacuterents precirctres et pasteurs officiant sur lrsquoicircle surtout pour ce qui concerne les

habitudes sexuelles et la liberteacute des relations sentimentales avant le mariage

310

fait que la transmission des donneacutees culturelles laquo traditionnelles raquo soit consideacutereacutee

secondaire par rapport aux savoirs scolaires

Lrsquoincapaciteacute de certains enfants et de jeunes autochtones agrave reacuteussir dans les

deux domaines (le laquo traditionnel raquo et le scolaire) entraicircne lrsquoeacutechec qui est veacutecu

comme une grande frustration Comme nous lrsquoavons vu dans la deuxiegraveme partie de

cette thegravese le suicide des jeunes autochtones ndash symptocircme drsquoune importante crise

sociale ndash est devenu une cause importante de mortaliteacute Bien que certains

observateurs considegraverent que la cause majeure de cette crise soit tout simplement

la consommation drsquoalcool216 cette hypothegravese nrsquoest pas recevable puisque la

consommation de substances enivrantes ne peut pas ecirctre consideacutereacutee en soi comme

la cause drsquoun pheacutenomegravene social Chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata lrsquoalcool

est plutocirct un laquo deacuteclencheur raquo qui facilite le passage agrave lrsquoacte et qui permet aux jeunes

victimes de la frustration de deacutepasser leurs limites et drsquoaccomplir leur dessin

suicidaire (Amadeacuteo 2014 Amadeacuteo et al 2014 Yen Kai Sun 2014)

216 Crsquoest le cas des missionnaires et de certains enseignants qui travaillent dans les eacutecoles drsquoAntecume

pata et drsquoAtuona avec lesquels jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de discuter de cette question Crsquoest aussi le cas

drsquoune ancienne inspectrice de lrsquoeacuteducation nationale (IEN) chargeacutee de la circonscription scolaire du

Haut Maroni (dans laquelle se trouve lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata) qui en mrsquoexpliquant son point de vue

vis-agrave-vis de ce problegraveme me disait que laquo srsquoil nrsquoy avait pas drsquoalcool Antecume pata serait un paradis raquo

Lrsquoancienne IEN oubliait pourtant que le supposeacute paradis avait deacutejagrave eacuteteacute empoisonneacute bien avant

lrsquoarriveacutee de lrsquoalcool par drsquoautres problegravemes de la contamination des fleuves agrave la deacuteforestation en

passant par la deacuteculturation drsquoun peuple tout entier et par son exclusion des droits les plus basiques

311

Les politiques publiques doivent prendre en consideacuteration ce pheacutenomegravene et

reconsideacuterer les modaliteacutes drsquoaction dans des contextes tels qursquoAntecume pata et

Hiva Oa ougrave la notion de reacuteussite sociale ndash et de deacuteveloppement de lrsquoenfant ndash srsquoest

construite agrave partir drsquoideacuteologies divergentes et parfois conflictuelles

312

14 La scolarisation dans lrsquoOutre-mer lrsquoillusion de lrsquoascenseur social

Dans le chapitre preacutecegravedent jrsquoai montreacute comment lrsquoideacutee selon laquelle la

reacuteussite sociale serait la conseacutequence de la reacuteussite scolaire srsquoest reacutepandue dans les

deux contextes eacutetudieacutes dans le cadre de cette thegravese Cependant le fait que tregraves peu

drsquohabitants drsquoAntecume pata ou de Hiva Oa aient accompli leurs obligations

scolaires ndash et qursquoencore moins aient obtenu leur diplocircme national du brevet (DNB)

au terme du collegravege ou des diplocircmes de niveau supeacuterieur ndash et qursquoils se trouvent

finalement en situation drsquoeacutechec scolaire est agrave mon avis lrsquoune des causes de la crise

culturelle qui provoque chez les jeunes autochtones un sentiment de frustration

drsquoeacutechec social et drsquoincompatibiliteacute avec leur communauteacute drsquoappartenance tout

comme avec la communauteacute nationale

Cependant le cas des Wayana-Apalaiuml et des Enata nrsquoest pas isoleacute Les chiffres

que nous offrent les statistiques les plus reacutecentes sur la reacuteussite scolaire des eacutecoliers

de lrsquoOutre-mer franccedilais ne sont pas reacutejouissants Pour la Polyneacutesie franccedilaise par

exemple un rapport publieacute en 2014 par la Chambre territoriale des comptes deacutecrit

le systegraveme scolaire de la collectiviteacute comme eacutetant laquo en grande difficulteacute raquo

notamment agrave cause de lrsquoampleur du pheacutenomegravene de la deacutescolarisation preacutecoce et des

laquo ineacutegaliteacutes face agrave lrsquoeacuteducation provoqueacutees par lrsquoisolement des archipels eacuteloigneacutes raquo

comme crsquoest le cas aux icircles Marquises (CTCPF 2014 6-8) Le mecircme constat a eacuteteacute

dresseacute pour la Guyane dans une seacuterie de rapports produits agrave la demande de lrsquoINSEE

et du Rectorat de la Guyane qui ont montreacute que la majoriteacute des jeunes Guyanais

313

nrsquoont pas de diplocircme ne participent pas aux formations professionnelles et

nrsquoexercent aucune activiteacute eacuteconomique (Gragnic amp Horatius-Clovis 2014 Horatius-

Clovis amp Michaud 2011)

Dans les deux cas les auteurs pointent du doigt laquo les difficulteacutes speacutecifiques

pour srsquoapproprier le franccedilais langue des apprentissages scolaires dans un univers

qui reste encore largement baigneacute par les langues raquo locales (CTCPF 2014 8) et les

difficulteacutes geacuteneacutereacutees par le milieu social consideacutereacute comme laquo un facteur deacuteterminant

dans la reacuteussite scolaire raquo (Gragnic amp Horatius-Clovis 2014 6) Toutefois se limiter

agrave ces deux causes endogegravenes ndash et agrave des facteurs causaux qui relegravevent finalement des

familles ndash nrsquoest probablement pas suffisant Pour ce qui concerne lrsquousage de la langue

franccedilaise comme je lrsquoai montreacute dans la deuxiegraveme partie agrave Antecume pata comme agrave

Hiva Oa elle est devenue non seulement la langue des apprentissages scolaires mais

aussi la langue la plus utiliseacutee par les parents pour transmettre des donneacutees

culturelles agrave leurs enfants En drsquoautres termes le franccedilais est la langue de lrsquoeacuteducation

domestique217 Elle est aussi devenue la langue qursquoutilisent les enfants pour jouer

217 Ce processus est en train de mettre en peacuteril la tradition de plurilinguisme de ces peuples Je

rappelle que tous les adultes wayana-apalaiuml parlent couramment leur langue maternelle mais aussi

le portugais et le sranan tongo (ou taki-taki soit la lingua franca parleacutee par tous les habitants du Haut

Maroni ) une majoriteacute parle aussi couramment le franccedilais (seules les personnes les plus acircgeacutees du

village ne le parlent pas) et une minoriteacute possegravede des notions de langue cantonaise (en raison de la

preacutesence de ressortissants chinois qui assurent le commerce des biens de premiegravere neacutecessiteacute sur le

fleuve) Les adultes de Hiva Oa parlent tous leur langue maternelle le lsquoeo enata tout en eacutetant capables

de communiquer en rsquoeo enana le dialecte des icircles du groupe nord de lrsquoarchipel et en franccedilais De plus

une grande majoriteacute est capable de communiquer couramment en langue tahitienne et ceux qui

314

entre eux celle qursquoils eacutecoutent agrave la teacuteleacutevision et agrave la radio celle avec laquelle ils

reacutealisent la plupart des interactions Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait penser les

enfants wayana-apalaiuml et enata baignent donc la plupart du temps dans le franccedilais

Qui plus est plusieurs eacutetudes transversales ont deacutemontreacute que sur la longue dureacutee

le fait que la langue de scolarisation soit diffeacuterente de la langue maternelle nrsquoa pas

neacutecessairement un impact neacutegatif sur le rendement scolaire (Marks 2010 et 2014)

Il me semble eacutegalement difficile de remettre en cause le laquo milieu social raquo218

puisqursquoil srsquoagit drsquoune cateacutegorie totalement ethnocentrique et si elle peut srsquoappliquer

agrave laquo notre raquo socieacuteteacute occidentale il en va tout autrement dans des contextes

travaillent dans le secteur du tourisme ou en tant qursquoouvriers dans les bateaux qui assurent la liaison

entre les icircles parlent aussi lrsquoanglais (et jrsquoai mecircme connu des Marquisiens avec des notions basiques

de japonais)

218 Comme le fait par exemple Geacuterard Barthoux lequel en prenant la deacutefense de lrsquoeacutecole reacutepublicaine

affirme que laquo les causes de lrsquoeacutechec scolaire en Polyneacutesie franccedilaise comme ailleurs sont agrave rechercher

surtout dans les conditions de vie des enfants et dans le statut socio-eacuteconomique de leurs parents raquo

et que laquo lrsquoeacutecole reacutepublicaine parvient en outre agrave faire reacuteussir de nombreux eacutelegraveves censeacutes ne pas

correspondre agrave son public preacutetendument privileacutegieacute y compris parmi ceux qui plus tard font

profession comme le sociologue Pierre Bourdieu par exemple de deacutecrier cette eacutecole raquo (Barthoux

2012 45 Voir aussi Barthoux 2008) Cependant les donneacutees disponibles semblent deacutemontrer le

contraire les derniegraveres eacutevaluations du PISA nous confirment que depuis 2003 le systegraveme scolaire

franccedilais laquo srsquoest deacutegradeacute principalement par le bas raquo agrave cause de son laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo et drsquoune

proportion drsquoeacutelegraveves reacutesilients (crsquoest-agrave-dire les eacutelegraveves provenant drsquoun milieu deacutefavoriseacute se classant

dans le groupe drsquoeacutelegraveves qui obtiennent les meilleures performances scolaires) tregraves infeacuterieure agrave la

moyenne des pays de lrsquoOCDE (OCDE 2015 5-11)

315

autochtones ougrave les hieacuterarchies sociales ne correspondent pas agrave laquo nos raquo critegraveres Agrave

Antecume pata par exemple le chef du village ndash qui occupe le rang le plus eacuteleveacute de

la hieacuterarchie sociale ndash nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute et exerce la profession laquo occidentale raquo

drsquoagent drsquoentretien (ouvrier) agrave mi-temps au sein de la mairie de Maripasoula son

eacutepouse est femme au foyer ses quatre enfants sont inactifs et ses six petits-enfants

ont tous moins de 16 ans Bien que selon les critegraveres de lrsquoINSEE son foyer soit

consideacutereacute comme celui drsquoun milieu laquo deacutefavoriseacute raquo219 pour les autres villageois

(lesquels aux yeux de lrsquoINSEE appartiennent aussi agrave un milieu laquo deacutefavoriseacute raquo) il nrsquoen

est pas moins un symbole de reacuteussite sociale et beaucoup de membres de la

communauteacute lrsquoenvient Si nous ajoutons le fait que tous ses enfants et petits-enfants

aient eacuteteacute scolariseacutes correctement et aient obtenu de bons reacutesultats scolaires nous

pouvons supposer que le lien entre le laquo milieu social raquo et la reacuteussite scolaire ne soit

pas absolu mais plutocirct relatif et lieacute aux critegraveres locaux de stratification sociale Le

cas du chef du village ne constitue pas une exception En effet la directrice de lrsquoeacutecole

drsquoAntecume pata Mme Marion Le Guen mrsquoa confirmeacute que entre 2012 et 2015 la

tendance geacuteneacuterale eacutetait la suivante les eacutelegraveves avec les meilleurs reacutesultats scolaires

nrsquoeacutetaient pas ceux qui venaient des familles disposant des revenus les plus eacuteleveacutes

219 Dans les eacutetudes de lrsquoINSEE la cateacutegorie socioprofessionnelle de la personne de reacutefeacuterence du

meacutenage est deacutefinie agrave partir drsquoun regroupement des cateacutegories socioprofessionnelles de lrsquoINSEE La

cateacutegorie laquo tregraves favoriseacutee raquo regroupe les cadres les professions libeacuterales les chefs drsquoentreprise et les

enseignants la cateacutegorie laquo favoriseacutee raquo correspond aux professions intermeacutediaires la cateacutegorie laquo

moyenne raquo regroupe les agriculteurs exploitants les artisans-commerccedilants les employeacutes et la

cateacutegorie laquo deacutefavoriseacutee raquo regroupe les ouvriers les chocircmeurs et les inactifs nrsquoayant jamais travailleacute

(Baccaiumlni et al 2014)

316

mais plutocirct ceux qui appartenaient agrave des familles jouissant drsquoun statut eacuteleveacute au sein

de la communauteacute comme par exemple celle du shaman du chasseur ou de lrsquoartisan

le plus reacuteputeacute ndash soit les familles qui disposaient selon les critegraveres locaux drsquoun

laquo capital culturel raquo220 plus conseacutequent Toutefois ces ressources culturelles nrsquoont

une influence directe et eacutevidente que sur les reacutesultats des eacutelegraveves drsquoeacutecole primaire ndash

qui se trouve dans le village ndash et comme me lrsquoassure la mecircme source nrsquoen ont en

revanche aucune sur les reacutesultats scolaires des enfants qui suivent les cours du

collegravege de Maripasoula et qui ont ducirc srsquoeacuteloigner de leur village et de leur famille Agrave

Hiva Oa les critegraveres de stratification sociale ndash bien que diffeacuterents de ceux observeacutes

agrave Antecume pata ndash preacutesentent grosso modo le mecircme eacutecart vis-agrave-vis des critegraveres pris

en compte par les institutions publiques Aux Marquises en effet les enseignants et

le personnel de santeacute provenant de la meacutetropole (lesquels selon lrsquoINSEE

appartiennent agrave la cateacutegorie laquo tregraves favoriseacutee raquo) partagent le sommet de la pyramide

eacuteconomique avec les agriculteurs les eacuteleveurs les petits commerccedilants et les

employeacutes de la mairie qui concentrent la majoriteacute du capital eacuteconomique des icircles

(les terres les ressources financiegraveres et les moyens de productions) bien que selon

220 Jrsquoemprunte le concept de capital culturel agrave Pierre Bourdieu (1966 1979) qui lrsquoavait utiliseacute pour

analyser le contexte laquo occidental raquo agrave partir drsquoune ideacutee de la culture laquo savante raquo et scolaire crsquoest-agrave-dire

ndash comme je lrsquoai montreacute dans la premiegravere partie de cette thegravese ndash en tant que patrimoine drsquoune

civilisation Cependant le concept ndash qui deacutecrit lrsquoensemble des ressources culturelles transmises agrave un

individu par sa famille mais aussi ses aptitudes par rapport agrave la culture et aux codes

comportementaux en vigueur dans un contexte deacutetermineacute ndash me paraicirct adaptable mutatis mutandis

au contexte autochtone Dans ce dernier cas la culture doit ecirctre interpreacuteteacutee agrave partir de sa deacutefinition

anthropologique en tant qursquoensemble des savoirs propres agrave un groupe social deacutetermineacute

317

lrsquoINSEE ces derniers devraient ecirctre classeacutes dans la cateacutegorie laquo moyenne raquo

Cependant le sommet de la pyramide sociale est occupeacute par des personnes qui ont

bacircti leur reacuteputation sur les activiteacutes sociales et sur le laquo deacuteveloppement humain raquo de

la communauteacute (lrsquoaide aux autres villageois lrsquoorganisation de ceacuteleacutebrations et de

fecirctes ou la restauration drsquoun lieu de culte) lesquelles ne proviennent pas

neacutecessairement drsquoun milieu social laquo favoriseacute raquo Ces observations semblent confirmer

que le critegravere du laquo milieu social raquo nrsquoest pas universel et qursquoil devrait ecirctre interpreacuteteacute

agrave partir du contexte

Selon les enseignants que jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de connaicirctre dans mes deux

terrains drsquoeacutetude les causes les plus profondes des hauts niveaux de deacutecrochage

scolaire et drsquoexclusion du marcheacute du travail des enfants autochtones ne sont pas

laquo culturelles raquo (la langue et le milieu familial) mais plutocirct lieacutees aux insuffisances

structurelles des institutions chargeacutees de lrsquoeacuteducation scolaire notamment en ce qui

concerne le manque de financements et le faible effectif du personnel de lrsquoEacuteducation

nationale Par ailleurs une autre cause importante est le fait que agrave Antecume pata

et agrave Hiva Oa les enfants qui veulent poursuivre leurs eacutetudes secondaires soient

obligeacutes de partir de leurs icircles de srsquoeacuteloigner des familles et de srsquoinstaller loin de leurs

communauteacutes dans des contextes ougrave lrsquoadaptation et lrsquointeacutegration se reacutevegravele bien

souvent tregraves difficiles

Dans un rapport de 2011 la Ligue des Droits de lrsquoHomme a constateacute que

laquo les eacutelegraveves des villages ameacuterindiens du Haut Maroni sont

contraints pour se rendre au collegravege de Maripasoula drsquoecirctre accueillis

318

dans des familles drsquoaccueil financeacutees par le conseil geacuteneacuteral ou dans un

home drsquoenfants sous la responsabiliteacute de religieuses catholiques qui a

eacuteteacute transformeacute agrave la rentreacutee 2010 en internat dit ‟drsquoexcellencerdquo

deacutesormais sous la responsabiliteacute conjointe de lrsquoeacutevecirccheacute et du rectorat

Le deacuteplacement contraint des eacutelegraveves vivant en territoires isoleacutes

implique une gestion drsquoaccueil suffisant afin que ceux-ci puissent de

maniegravere effective poursuivre leurs eacutetudes et ce dans les meilleures

conditions Toutefois [hellip] lrsquoaccueil des enfants se reacutevegravele ecirctre partiel

lrsquoheacutebergement nrsquoeacutetant pas preacutevu le week-end Ainsi [hellip] les enfants

provenant de sites isoleacutes notamment des reacutegions du Haut Maroni et

du Haut Oyapock se retrouvaient en errance nrsquoayant nulle part ougrave se

retourner raquo (LDH 2011 9)

Pour ce qui est des eacutetudiants de Hiva Oa la situation nrsquoest guegravere plus simple

Lrsquoicircle ne disposant que drsquoun lyceacutee priveacute (et drsquoune classe de Bac pro inteacutegreacutee au collegravege

public) les eacutetudiants marquisiens deacutesireux de poursuivre leurs eacutetudes dans un lyceacutee

public (ou dans une filiegravere drsquoenseignement geacuteneacuteral) sont obligeacutes drsquoaller agrave Tahiti ce

qui signifie pour eux drsquointeacutegrer un internat ou drsquoecirctre accueillis par des membres de

leur famille parfois tregraves eacuteloigneacutee Par ailleurs certains drsquoentre eux mrsquoont confirmeacute

qursquoils avaient ducirc abandonner leurs eacutetudes supeacuterieures agrave Tahiti parce qursquoils avaient

eacuteteacute sujets agrave de nombreuses moqueries du fait de leur origine insulaire eacuteloigneacutee

319

Deacutejagrave dans les anneacutees 1970 certains praticiens de lrsquoeacuteducation avaient reacutefleacutechi

agrave la probleacutematique de lrsquoeacutechec scolaire en observant que

laquo les conditions sociales de vie des familles sont agrave mettre en

cause mais aussi lrsquoeacutecole et les contenus manifestes et latents ou

inconscients drsquoenseignement et surtout la crise globale des valeurs

La relation de lrsquoenfant au savoir au travail agrave la culture nrsquoest pas

seulement un trait psychologique individuel ou plutocirct par-delagrave sa

manifestation comme trait psychologique individuel on retrouve le

social raquo (Cimaz 1977 8-9)

En drsquoautres termes si la personnaliteacute les compeacutetences langagiegraveres et le

milieu social des enfants (qui deacutependent de lrsquoontosystegraveme et des microsystegravemes de

socialisation) peuvent avoir une influence sur leur reacuteussite scolaire celle-ci deacutepend

plutocirct drsquoun facteur de type macrosystegravemique agrave savoir la capaciteacute de lrsquoeacutecole agrave

inteacutegrer ses eacutelegraveves et agrave leur offrir un parcours drsquoapprentissage adapteacute agrave leurs

speacutecificiteacutes socioculturelles et aux besoins de leur communauteacute

141 De retour au village la difficile inteacutegration des laquo autochtones diplocircmeacutes raquo

La situation des adolescents wayana-apalaiuml et enata qui ont suivi

correctement leur scolarisation et qui ont reacuteussi agrave deacutecrocher des titres drsquoeacutetude nrsquoest

pas meilleure En effet quand ils retournent dans leur village drsquoorigine ils

deacutecouvrent que leurs diplocircmes ne sont drsquoaucune utiliteacute pour la simple raison qursquoagrave

320

Hiva Oa et agrave Antecume pata le marcheacute du travail est paralyseacute Les jeunes survivent

donc de laquo petits boulots raquo parfois agrave la limite de la leacutegaliteacute221 ou de contrats

drsquoinsertion sociale agrave dureacutee deacutetermineacutee qui nrsquoassurent pas lrsquoautonomie financiegravere et

qui par deacutefinition ont une porteacutee limiteacutee Les laquo diplocircmeacutes raquo qui deacutecident de se lancer

dans lrsquoexploitation agricole les services touristiques le commerce drsquoartisanat ou

dans le cas des Enata la reacutealisation de tatouages deacutecouvrent tregraves vite que le nombre

de clients potentiels ne leur permettra pas de subvenir agrave leurs besoins et encore

moins agrave ceux drsquoune eacuteventuelle famille Ils se retrouvent finalement obligeacutes de choisir

entre eacutemigrer ou retourner agrave la laquo vie traditionnelle raquo ndash crsquoest-agrave-dire aider leurs

parents dans les tacircches agricoles la chasse et la pecircche ndash une vie pour laquelle ils ne

sont plus preacutepareacutes Leurs recircves se brisent et crsquoest alors que la plupart drsquoentre eux

comprennent que lrsquoeacutecole nrsquoa pas fonctionneacute pour eux comme un veacuteritable ascenseur

social

Le constat deacutecevant que je viens de faire semble deacutemontrer que lrsquoeacutechec social

des jeunes Wayana-Apalaiuml et Enata lesquels srsquoadaptent avec difficulteacute agrave leur double

identiteacute ndash de membres drsquoune communauteacute autochtone rurale et de citoyens de la

Reacutepublique appeleacutes agrave contribuer au deacuteveloppement eacuteconomique de la nation ndash est

au but du compte un symptocircme de lrsquoeacutechec partiel de lrsquoeacutecole dans lrsquoOutre-mer qui

nrsquoa pas atteint son objectif paradigmatique drsquoassurer la laquo reacuteussite pour tous raquo Agrave

221 En geacuteneacuteral ces laquo petits boulots raquo ne sont pas deacuteclareacutes Il srsquoagit parfois de travaux agricoles ou

drsquoemplois dans le bacirctiment (sans que les mesures de seacutecuriteacute neacutecessaires soient appliqueacutees) et le

plus souvent de la distribution et de la vente de substances illeacutegales comme lrsquoalcool de contrebande

les drogues ou agrave Antecume pata le mercure

321

lrsquoaube de ce troisiegraveme milleacutenaire cette situation nous invite agrave reacutefleacutechir agrave la mission

de lrsquoeacutecole et agrave se poser une question basique mais neacutecessaire si lrsquoeacutecole nrsquoest pas un

ascenseur social et si elle nrsquoest pas capable de garantir lrsquoeacutegaliteacute des chances pour

tous les eacutelegraveves agrave qui sert-elle aujourdrsquohui dans les contextes autochtones de lrsquoOutre-

mer

142 Lrsquoeacutecole du troisiegraveme milleacutenaire forge de citoyens ou fabrique de

professionnels

Depuis la Reacutevolution franccedilaise les leacutegislateurs ont assigneacute agrave lrsquoeacutecole le rocircle de

laquo forge raquo de citoyens chargeacutee de former des membres drsquoune nation conscients du

patrimoine propre agrave leur civilisation Ils lui ont aussi assigneacute un rocircle eacutemancipatoire

visant agrave construire une socieacuteteacute laiumlque et eacutequitable Ce nrsquoest pas un hasard si en 1880

Jules Ferry dans le rapport preacuteliminaire qui accompagnait son projet de loi sur

lrsquoenseignement primaire obligatoire eacutecrivait que la scolarisation laquo est une arme

neacutecessaire pour vaincre dans des cas trop nombreux lrsquoapathie la coupable

indiffeacuterence quelquefois les calculs de la cupiditeacute raquo (Ferry 1880 citeacute par

Muller 1999 114) En effet comme lrsquoa deacutemontreacute Norbert Elias (1973 1975)

lrsquoinstruction scolaire depuis le Moyen Age a bel et bien contribueacute agrave la laquo civilisation

des mœurs raquo ndash soit agrave la transmission des pratiques des eacutelites aux autres cateacutegories

sociales ndash mais elle a surtout faciliteacute la laquo sociogenegravese de lrsquoEacutetat raquo et la diffusion de

lrsquoideacutee selon laquelle un peuple sans Eacutetat serait impensable et que tous les individus

devraient donc se rallier agrave un projet national en devenant des citoyens Bien

eacutevidemment elle a aussi permis de diffuser la penseacutee critique et plusieurs

mouvements de contestation et de deacutecolonisation ont surgi dans les milieux

322

scolaires et universitaires222 En France le cas de mai 1968 nrsquoest pas isoleacute pour ne

citer qursquoun exemple repreacutesentatif le mouvement anticolonialiste de la laquo neacutegritude raquo

ndash qui regroupait des penseurs de lrsquoenvergure drsquoAimeacute Ceacutesaire ou de Leacuteopold Sedar

Senghor ndash a vu le jour dans les couloirs du lyceacutee Louis-le-Grand agrave Paris

Agrave lrsquoheure actuelle la conception de lrsquoeacutecole en tant que sanctuaire voueacute agrave

lrsquoeacutepanouissement de lrsquoenfant et agrave sa socialisation est en train de laisser la place agrave une

nouvelle conception celle de lrsquoeacutecole en tant qursquoinstitution de formation consacreacutee agrave

la professionnalisation et agrave la preacuteparation des futurs travailleurs Vincent Troger

souligne qursquoen France la formation professionnelle a eacuteteacute historiquement deacuteleacutegueacutee

au cadre scolaire car seule lrsquoeacutecole laquo fait consensus pour garantir lrsquoobjectiviteacute des

certifications raquo professionnelles (Troger 2014 48) En effet en France lrsquoabolition

des corporations et du compagnonnage par le deacutecret laquo drsquoAllarde raquo du 17 mars 1791

a fortement bouleverseacute les modaliteacutes drsquoexercice et de transmission laquo traditionnelle raquo

des meacutetiers (Hanne 2003) Deux points de vue se sont opposeacutes face agrave cette

laquo reacutevolution dans la Reacutevolution raquo drsquoun cocircteacute ceux qui deacutefendaient lrsquoapprentissage

dans lrsquoentreprise ndash ce qui impliquait lrsquoadheacutesion de lrsquoapprenant aux valeurs

patronales ndash et de lrsquoautre ceux qui procircnaient une formation professionnelle dans les

eacutecoles Cette dispute srsquoest poursuivie jusqursquoau lendemain de la Seconde Guerre

mondiale avec la creacuteation des collegraveges drsquoenseignement technique (devenus en 1975

222 Dans mes preacuteceacutedents travaux jrsquoai exploreacute le rocircle de la scolarisation dans la formation ideacuteologique

des membres de la gueacuterilla reacutevolutionnaire en Colombie en deacutemontrant comment les eacutetablissements

eacuteducatifs geacutereacutes par certaines congreacutegations catholiques ont contribueacute agrave la diffusion des ideacutees propres

agrave la laquo theacuteologie de la libeacuteration raquo et agrave la consolidation des mouvements syndicaux ruraux (Aligrave 2014)

323

des lyceacutees drsquoenseignement professionnel puis dix ans plus tard des lyceacutees

professionnels) chargeacutes de former des professionnels et de deacutelivrer les diffeacuterents

certificats drsquoaptitude professionnelle (CAP) diplocircmes embleacutematiques de la

qualification ouvriegravere Lrsquoapprentissage en entreprise reprendra ses couleurs avec la

loi ndeg 87-572 du 23 juillet 1987 (dite loi laquo Seacuteguin raquo) qui consacre lrsquoapprentissage

comme une veacuteritable filiegravere de la formation initiale permettant lrsquoobtention de

certains diplocircmes (du CAP au diplocircme drsquoingeacutenieur) en vue de lrsquoinsertion

professionnelle de lrsquoapprenant (Moreau 2013) Cependant les savoirs

professionnels continuent drsquoecirctre marginaliseacutes par rapport aux savoirs acadeacutemiques

ce qui est deacutemontreacute par le fait qursquoagrave lrsquoheure actuelle il existe encore un fort clivage

(social et en termes de revenus) entre les professionnels qui maicirctrisent les savoirs

acadeacutemiques et ceux qui ne maicirctrisent laquo que raquo les savoirs professionnels Ces

incoheacuterences deacuterivent du fait que si le macrosystegraveme global ndash et les valeurs

neacuteolibeacuterales qursquoil veacutehicule ndash se doit de valoriser les compeacutetences geacuteneacuterales ou

acadeacutemiques propres aux eacutelites il doit en mecircme temps laquo motiver raquo lrsquoensemble des

citoyens ndash et surtout ceux qui viennent des milieux deacutefavoriseacutes ndash agrave se former aux

meacutetiers que lrsquoeacutelite ne veut pas reacutealiser mais qui sont neacutecessaires au deacuteveloppement

eacuteconomique de la nation (Ledoux 2012) Toutefois lrsquoexpeacuterience des Wayana-Apalaiuml

et des Enata semble deacutemontrer que la formation qui leur est donneacutee par lrsquoeacutecole

reacutepublicaine non seulement ne contribue pas au deacuteveloppement eacuteconomique de la

France mais se montre aussi largement inexploitable dans les contextes dans

lesquels ils vivent

324

La situation de ces peuples drsquoOutre-mer nous confirme que lrsquoeacutecole

reacutepublicaine est confronteacutee agrave un deacutefi majeur celui de pouvoir garantir lrsquoaccegraves agrave une

eacuteducation de qualiteacute agrave ses minoriteacutes autochtones Il srsquoagit alors drsquoeacuteliminer certains

obstacles qui limitent cet accegraves et de trouver des solutions efficaces pour rendre agrave

lrsquoeacutecole son rocircle drsquoinstitution eacuteducative de formation citoyenne Une strateacutegie globale

devrait mener les politiques publiques agrave prendre en consideacuteration la voix des

communauteacutes et agrave leur permettre de participer agrave la prise de deacutecisions les

concernant Les communauteacutes devraient pouvoir participer au fonctionnement et agrave

la gestion de lrsquoeacuteducation mais pour ce faire elles devraient avant tout comprendre

quelle est la mission de cette derniegravere quelles sont les ressources dont elle dispose

et quelles sont les limites drsquoaction imposeacutees par la loi Il srsquoagit finalement de donner

aux contextes locaux le pouvoir de deacutecision autour des dynamiques locales

325

15 Reformuler les politiques eacuteducatives de laquo lrsquoindiffeacuterence aux

diffeacuterences raquo agrave la prise en compte des particulariteacutes locales

Dans les derniers chapitres de la premiegravere partie de cette thegravese jrsquoai eacutevoqueacute

lrsquohypothegravese soutenue par plusieurs observateurs de la socieacuteteacute franccedilaise selon

laquelle le modegravele multiculturel reacutepublicain ndash et son laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo

ndash est deacutesormais en crise Ce modegravele descendant direct de lrsquoideacuteologie propre agrave la

Reacutevolution franccedilaise et agrave sa vision de lrsquoeacutegaliteacute citoyenne a eacutemergeacute dans un contexte

de laquo multiculturalisme restreint raquo puisqursquoagrave la fin du XVIIIegraveme siegravecle les reacutealiteacutes

sociales laquo autres raquo inteacutegreacutees au territoire de la nation eacutetaient au bout du compte

plutocirct proches ndash dans leurs normes coutumes usages et traditions ndash de la reacutealiteacute

sociale construite par les eacutelites au pouvoir Cela ne signifie pas pour autant que la

socieacuteteacute franccedilaise de lrsquoeacutepoque eacutetait moins multiculturelle que celle drsquoaujourdrsquohui

Toutefois agrave cette eacutepoque-lagrave la construction savante des cateacutegories ethniques et son

appropriation politique de la part des eacutelites avait permis de creacuteer des barriegraveres

capables drsquoexclure de ce que jrsquoappelle laquo le panorama social franccedilais raquo certains

groupes humains reacutesidant sur le territoire national La premiegravere barriegravere eacutetait celle

de la citoyenneteacute ndash de laquelle eacutetaient exclus les peuples autochtones originaires des

territoires coloniaux ndash et la deuxiegraveme eacutetait celle des droits civiques qui eacutetaient nieacutes

aux individus supposeacutes avoir certaines origines ethniques particuliegraveres comme les

Juifs ou les Roms (Leacutemann 1886 Feuerwerker 1976 Fraser 1995 Hovanessian

amp Marienstras 1998 Leff 2010)

326

Agrave partir de la fin du deuxiegraveme conflit mondial le processus de deacutecolonisation

et drsquointeacutegration des anciennes colonies agrave lrsquoEacutetat franccedilais (en tant que deacutepartements

territoires ou collectiviteacutes) et les dynamiques migratoires internationales ont

contribueacute agrave amplifier la dimension multiculturelle de la France Il est difficile de

quantifier cette dimension puisque les donneacutees disponibles gracircce aux recensements

de lrsquoINSEE se limitent agrave diffeacuterencier les personnes neacutees agrave lrsquoeacutetranger et reacutesidant en

France (les laquo immigrants raquo) et les personnes reacutesidant en France et ne posseacutedant pas

la nationaliteacute franccedilaise (les laquo eacutetrangers raquo)223 sans proposer des donneacutees sur la

laquo preacutesence ethnique raquo dans les diffeacuterents deacutepartements territoires ou collectiviteacutes

Bien que la politique eacutegalitariste des gouvernements qui se sont succeacutedeacutes agrave

la tecircte de la Reacutepublique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale nrsquoait jamais

permis de prendre en compte lrsquoexistence des peuples autochtones au sein de la

nation ndash ce qui rend difficile lrsquoanalyse deacutemographique et le calcul de leur poids dans

la population nationale ndash nous savons que dans certains contextes comme dans le

laquo pays ameacuterindien raquo en Guyane ou dans certaines icircles de la Polyneacutesie franccedilaise les

communauteacutes autochtones repreacutesentent la majoriteacute absolue de la population

reacutesidente Dans le chapitre preacutecegravedent jrsquoai montreacute que dans ces contextes les

objectifs de deacuteveloppement humain issus de la politique de la laquo reacuteussite pour tous raquo

eacutetaient encore loin drsquoecirctre atteints En effet lrsquoideacuteologie reacutepublicaine ndash et son

223 Les donneacutees les plus actuelles (relatives agrave lrsquoanneacutee 2008) nous informent que 84 des personnes

vivant en France sont immigreacutees et que 58 de la population totale (soit presque 4 millions de

personnes) est composeacutee drsquoeacutetrangers (Breuil-Genier et al 2011 Croguennec 2011)

327

laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo ndash qui srsquoest traduite par lrsquoimposition des politiques

sociales et eacuteducatives agrave lrsquoensemble de la nation nrsquoa pas neacutecessairement faciliteacute

lrsquointeacutegration des peuples autochtones comme le deacutemontrent le cas des Wayana-

Apalaiuml et des Enata Lrsquoutopie multiculturelle qui a justifieacute lrsquoaction et les deacutecisions des

organismes de lrsquoEacutetat surtout en ce qui concerne les politiques eacuteducatives a en effet

montreacute ses nombreuses limites

Gracircce aux reacuteflexions et aux deacutebats meneacutes en Guyane et en Polyneacutesie avec les

membres des communauteacutes concerneacutees par lrsquoenquecircte et les enseignants des eacutecoles

locales jrsquoai pu identifier certains facteurs probleacutematiques qui meacuteritent drsquoecirctre

analyseacutes afin de mieux comprendre les causes formelles et substantielles de lrsquoeacutechec

scolaire des jeunes autochtones Je les ai classifieacutes en deux cateacutegories drsquoun cocircteacute les

obstacles structurels (geacuteneacutereacutes par une gestion eacutetatique des ressources eacuteconomiques

qui privileacutegie le territoire meacutetropolitain) et de lrsquoautre les obstacles ideacuteologiques

(geacuteneacutereacutes par les logiques laquo coloniales raquo qui animent aujourdrsquohui encore lrsquoaction

eacuteducative de lrsquoEacutetat)

Dans la premiegravere cateacutegorie jrsquoidentifie deux obstacles majeurs le faible

nombre drsquoeacutetablissements scolaires (notamment les collegraveges et les lyceacutees) dans les

territoires ougrave la majoriteacute de la population est autochtone ndash et surtout agrave proximiteacute

des sites isoleacutes ndash et le manque drsquoinvestissements pour soutenir les coucircts directs (les

frais lieacutes agrave la scolariteacute au transport aux mateacuteriels scolaires agrave lrsquoalimentation et agrave

lrsquohabillement des enfants) et indirects (lieacutes agrave la perte de revenus provoqueacutee par le

deacutepart drsquoune partie de la main drsquoœuvre) engendreacutes par la scolarisation auxquels les

meacutenages deacutefavoriseacutes font difficilement face

328

Dans la deuxiegraveme cateacutegorie jrsquoai inclus trois facteurs le manque drsquoadaptation

des rythmes scolaires (horaires et calendriers) et des contenus peacutedagogiques

(programmes et compeacutetences viseacutees) aux reacutealiteacutes locales et aux besoins speacutecifiques

des populations concerneacutees le manque de formation des enseignants envoyeacutes pour

travailler avec ces populations et finalement le rejet de lrsquoeacutecole en tant qursquoinstitution

laquo civilisatrice raquo emblegraveme de la colonisation

Dans les prochaines pages jrsquoessaierai de deacutecrire ces aspects probleacutematiques

et de montrer qursquoils peuvent se traduire en axes de travail envisageables pour

imaginer des politiques publiques capables de prendre en consideacuteration la reacutealiteacute

sociale laquo multidimensionnelle raquo de la France drsquoOutre-mer

151 Obstacles structurels

Bien que de nombreuses eacutetudes aient eacuteteacute reacutealiseacutees pour comprendre les

laquo obstacles culturels raquo aux apprentissages scolaires (Ogbu 1987 Verbunt 1994

Coiumlaniz et al 2001 Barthoux 2008 Chapellon amp Leacutevecircque 2011 Buckingam

2013) peu de travaux ont eacuteteacute publieacutes pour appreacutehender les obstacles laquo structurels raquo

qui rendent difficile lrsquoaccegraves agrave lrsquoeacuteducation scolaire des communauteacutes autochtones

laquo deacutefavoriseacutees raquo224 Pour ce qui est de la France les rares enquecirctes portant sur les

difficulteacutes laquo mateacuterielles raquo relatives agrave lrsquoinsertion scolaire sont plutocirct centreacutees sur les

enfants immigreacutes qui habitent lrsquoHexagone (Klein amp Salle 2009 Kleinholt 2012

224 Une remarquable exception est le rapport que Candy Lugaz (2008) a reacutealiseacute pour lrsquoInstitut

international pour la planification de lrsquoeacuteducation un organisme de lrsquoUNESCO

329

Tavernier 2012) Cependant les parents drsquoeacutelegraveves et les speacutecialistes de lrsquoeacuteducation

que jrsquoai eu lrsquoopportuniteacute de rencontrer sur mes terrains drsquoeacutetude mrsquoont confirmeacute que

pour eux les principaux obstacles auxquels les eacutelegraveves et les familles autochtones de

lrsquoOutre-mer doivent faire face pour acceacuteder agrave une eacuteducation de qualiteacute sont

justement lieacutes agrave lrsquoabsence de ressources laquo mateacuterielles raquo

En effet en laquo pays ameacuterindien raquo comme aux icircles Marquises certaines

communauteacutes qui habitent des sites isoleacutes ne disposent pas drsquoeacutetablissements

scolaires Les caracteacuteristiques geacuteographiques et lrsquoorganisation de lrsquoespace de ces

territoires nrsquoont pas permis la creacuteation drsquoeacutecoles de collegraveges et de lyceacutees agrave une

distance raisonnable des nombreux lieux-dits qui existent dans ces endroits Bien

que des services de transport scolaire existent parfois ils ne fonctionnent pas

toujours et plusieurs variables peuvent influer sur leur continuiteacute225 Les parents

drsquoeacutelegraveves sont alors obligeacutes de choisir entre trois possibiliteacutes srsquoinvestir dans de longs

voyages pour amener quotidiennement leurs enfants agrave lrsquoeacutecole (ce qui les obligerait

agrave ne pas reacutealiser certaines tacircches domestiques) demander agrave un internat ou agrave

drsquoautres familles qui habitent pregraves de lrsquoeacutecole (et avec lesquelles existent des liens de

parenteacute) drsquoaccueillir lrsquoenfant ou deacutemeacutenager et srsquoeacutetablir agrave proximiteacute de lrsquoeacutecole Ce ne

225 Agrave Antecume pata par exemple les hommes qui assurent le transport scolaire des enfants vivant

dans les villages les plus proches refusent de travailler quand il y a des fecirctes ou des eacuteveacutenements

sportifs transmis agrave la teacuteleacutevision Agrave Hiva Oa certains villages qui ne sont pas desservis par le service

communal de transport scolaire deacutependent de la laquo bonne volonteacute raquo de certains parents drsquoeacutelegraveves qui

disposent drsquoune voiture mais qui refusent parfois drsquoassurer le service lorsqursquoils doivent srsquooccuper des

tacircches agricoles ou aller pecirccher tocirct le matin

330

sont pas lagrave des cas exceptionnels agrave Antecume pata et agrave Hiva Oa jrsquoai observeacute

plusieurs parents choisir lrsquoune de ces trois options pour garantir la laquo reacuteussite raquo de

leurs enfants

Quand les enfants parviennent agrave terminer le collegravege une autre difficulteacute

apparaicirct Srsquoils deacutecident de poursuivre leurs eacutetudes leur choix est souvent limiteacute aux

filiegraveres disponibles agrave proximiteacute Les jeunes Wayana-Apalaiuml qui deacutecident de suivre les

formations offertes par le Collegravege Gran Man Difou de Maripasoula (le seul de la

commune) pourront choisir entre trois CAP le premier forme des agents de

deacuteveloppement des activiteacutes locales (avec une option tourisme) le deuxiegraveme

preacutepare les assistants techniques en milieux familial et collectif et le troisiegraveme a

pour objectif de former des assistants en maintenance de bacirctiments de collectiviteacutes

Or aucune de ces trois formations proposeacutees nrsquoest directement lieacutee aux besoins

eacuteconomiques du territoire La premiegravere par exemple qui vise agrave former des

laquo experts raquo en tourisme nrsquoest pas adapteacutee agrave un territoire qui se trouve en laquo zone

interdite raquo et agrave laquelle les touristes nrsquoont pas accegraves De mecircme la deuxiegraveme ndash qui

forme des assistants scolaires ndash ne permet pas drsquoacceacuteder aux concours de la fonction

publique territoriale et nationale pour avoir un poste drsquoAVS ou drsquoATSEM dans les

eacutecoles locales Enfin la troisiegraveme offre peu de deacuteboucheacutees dans un contexte ougrave

lrsquoarchitecture est baseacutee sur des critegraveres laquo traditionnels raquo226 drsquoautant plus que agrave

226 Les Ameacuterindiens du Haut Maroni vivent tous dans des maisons en bois sur pilotis et la seule

concession agrave la laquo moderniteacute raquo sont les toitures en tocircle

331

lrsquoexception des eacutecoles aucun laquo bacirctiment de collectiviteacute raquo nrsquoexiste dans le Haut

Maroni

Pour les jeunes de Hiva Oa il nrsquoy a guegravere plus de choix Ceux qui deacutecident de

poursuivre leurs eacutetudes au CETAD drsquoAtuona peuvent acceacuteder agrave des formations de

niveau CAP en laquo activiteacutes familiales artisanales et touristiques raquo ou en laquo gestion et

entretien en milieu marin raquo tandis que ceux qui optent pour le lyceacutee professionnel

drsquoAtuona peuvent choisir entre un CAP laquo Agent polyvalent de restauration raquo ou un

Bac pro laquo Gestion-administration raquo Si la formation en artisanat et tourisme semble

ecirctre celle qui offre le plus drsquoopportuniteacutes (surtout pour la creacuteation drsquoautoentreprises

drsquoartisanat) les autres sont beaucoup moins adapteacutees au contexte marquisien Les

deacutetenteurs du certificat en gestion et entretien en milieu marin qui visent surtout le

travail sur les bateaux assurant le transport des marchandises entre les icircles doivent

laquo faire des pieds et des mains raquo pour acceacuteder agrave un milieu professionnel tregraves fermeacute

dans lequel la force et lrsquoendurance physique comptent bien plus que les diplocircmes et

auquel on accegravede la plupart du temps par cooptation Ceux qui ont eacutetudieacute la

restauration auront quant agrave eux des difficulteacutes agrave trouver du travail dans une icircle qui

ne compte que trois restaurants dont deux agrave caractegravere familial (ce qui implique que

leurs employeacutes sont geacuteneacuteralement des membres de la famille du proprieacutetaire)

Finalement ceux qui ont eacutetudieacute la gestion et lrsquoadministration trouveront

difficilement du travail dans une icircle ougrave la majoriteacute des entreprises sont de taille

332

limiteacutee ce qui rend peu neacutecessaire lrsquoembauche drsquoun geacuterant ou drsquoun

administrateur227

Agrave ces reacuteflexions il faut ajouter le fait que ce manque de choix dans les

formations proposeacutees oblige souvent les eacutetudiants agrave choisir des filiegraveres qui ne les

passionnent pas et qui ne les invitent donc pas agrave srsquoinvestir dans leurs apprentissages

ce qui implique que beaucoup de jeunes abandonnent leurs eacutetudes sans avoir

obtenu les diplocircmes viseacutes Or plusieurs travaux ont deacutemontreacute qursquoil existe une

correacutelation entre le deacutecrochage scolaire et le choix drsquoune formation inadapteacutee

(Fortin et al 2004 Blaya 2010 Bernard 2011a et 2011b) ce que la situation des

Wayana-Apalaiuml et des Enata semble confirmer

Aux cocircteacutes des difficulteacutes lieacutees agrave lrsquoemplacement des eacutetablissements scolaires

et agrave lrsquoabsence drsquoune offre de formation adapteacutee aux besoins des communauteacutes

autochtones drsquoOutre-mer se trouvent aussi des obstacles lieacutes aux coucircts directs et

indirects de la scolarisation En effet les familles autochtones avec lesquelles jrsquoai

travailleacute vivent bien souvent aux marges de lrsquoeacuteconomie de marcheacute et ne peuvent

compter que sur des revenus limiteacutes Les frais lieacutes agrave la scolariteacute au transport et aux

mateacuteriels scolaires mais aussi agrave lrsquoalimentation et agrave lrsquohabillement des enfants sont

donc difficilement couverts par les meacutenages deacutefavoriseacutes Bien que lrsquoEacutetat et les

administrations territoriales preacutevoient des aides financiegraveres visant agrave soutenir les

227 Lrsquoicircle ne compte qursquoune seule entreprise de plus de dix salarieacutes (et qui appartient donc agrave la

cateacutegorie des laquo petites et moyennes entreprises raquo) Toutes les autres sont des microentreprises de

moins de dix salarieacutes soit des laquo tregraves petites entreprises raquo

333

familles228 celles-ci ne concernent que les coucircts directs laissant agrave la charge des

familles les coucircts indirects Qui plus est lrsquoabsence de mesures permettant de faciliter

une meilleure coordination entre lrsquoeacutecole et les familles ndash et le fait que tregraves souvent

les familles ne participent pas agrave la prise de deacutecision concernant ce type de frais ndash

engendre chez les parents un sentiment drsquoincompreacutehension face agrave certaines

deacutepenses qursquoelles considegraverent laquo irraisonnables raquo229

En ce qui concerne les coucircts indirects rappelons que dans les contextes

ruraux et isoleacutes ndash comme Antecume pata et Hiva Oa ndash la participation des enfants agrave

lrsquoeacuteconomie domestique constitue un volet important de la production des biens et

des aliments consommeacutes par les familles Dans certains foyers la scolarisation des

enfants implique neacutecessairement une laquo baisse de la production raquo provoqueacutee par la

perte de main drsquoœuvre puisque lrsquoenfant qui va agrave lrsquoeacutecole ne peut plus assurer

228 LrsquoEacutetat assure les dispositifs suivants les allocations de rentreacutee scolaire les bourses de

freacutequentation scolaire (pour lrsquoeacutecole primaire le collegravege et le lyceacutee) les bourses au meacuterite (au lyceacutee)

les aides pour lrsquoeacutelegraveve inscrit dans la voie professionnelle les aides pour la cantine les bourses

drsquoenseignement drsquoadaptation les aides aux eacutelegraveves en internat et le fonds social (pour les colleacutegiens

et les lyceacuteens) Certaines administrations territoriales peuvent octroyer des aides speacutecifiques agrave

lrsquoinstar des aides au transport

229 Je me souviens drsquoune reacuteunion agrave lrsquoeacutecole drsquoAntecume pata en septembre 2011 pendant laquelle des

parents drsquoeacutelegraveves srsquoeacutetaient opposeacutes agrave lrsquoachat de certaines fournitures scolaires (comme les compas ou

les feutres) qursquoils consideacuteraient inutiles partant de lrsquoideacutee selon laquelle laquo lrsquoeacutecole doit enseigner agrave

parler le franccedilais et agrave compter nous nrsquoenvoyons pas nos enfants agrave lrsquoeacutecole pour qursquoon leur enseigne agrave

dessiner raquo

334

certaines tacircches Cependant il convient de souligner que la participation des enfants

agrave lrsquoeacuteconomie de subsistance propre agrave ces contextes ne constitue pas vraiment un

laquo travail raquo (dans le sens occidental du terme) et ne doit pas ecirctre interpreacuteteacutee agrave partir

drsquoune perspective ethnocentrique (qui refuserait le travail des enfants et le

considegravererait comme une violation drsquoun droit humain fondamental) Pour les

enfants il srsquoagit comme je lrsquoai montreacute dans les pages preacuteceacutedentes de collaborer avec

les adultes agrave des tacircches qui sont calibreacutees en fonction de leur acircge et qui prennent

tregraves souvent des contours ludiques lrsquoenfant ameacuterindien qui aide ses parents agrave

pecirccher le fait sans effort physique et en srsquoamusant avec ses pairs la fillette

marquisienne qui accompagne sa grand-megravere pour cueillir des fruits dans le jardin

le fait tout en profitant de lrsquoair libre en jouant avec les fleurs ou en rigolant avec ses

sœurs230

Il est donc important que lrsquoEacutetat puisse comprendre ces dynamiques pour

eacuteliminer les obstacles mentionneacutes et pour reacuteviser les logiques de distribution des

eacutetablissements scolaires dans certains contextes lrsquooffre formative proposeacutee aux

communauteacutes ayant des besoins particuliers ainsi que les dispositifs de prise en

charge des frais directs et indirects lieacutes agrave la scolariteacute des enfants

230 Rien agrave voir donc avec lrsquoimage dickensienne de lrsquoenfant ouvrier obligeacute agrave reacutealiser des tacircches

inhumaines dans un contexte malsain

335

152 Obstacles ideacuteologiques

Au-delagrave des obstacles essentiellement structurels que je viens de

mentionner il en existe drsquoautres qui sont geacuteneacutereacutes par les logiques ethnocentriques

qui guident lrsquoaction de lrsquoeacuteducation nationale et qui sont baseacutees sur les besoins de

lrsquoeacuteconomie nationale et sur des critegraveres occidentaux de transmission des savoirs

Selon les personnes intervieweacutees le premier obstacle est celui des rythmes

scolaires qui deacutefinis laquo drsquoen haut raquo ne sont pas en accord avec les rythmes de la vie

locale En effet lrsquoorganisation du temps scolaire dans les eacutecoles maternelles et

eacuteleacutementaires231 creacutee des difficulteacutes aux familles autochtones qui vivent des

contextes ruraux Lrsquoeacutetalement des 24 heures drsquoenseignement hebdomadaire sur

neuf demi-journeacutees incluant le mercredi matin et qui srsquoaccompagne drsquoune prise en

charge des eacutelegraveves jusqursquoagrave 16h30 au minimum reacutepond aux besoins et agrave lrsquoorganisation

du temps de la plupart des adultes travaillant en contexte urbain mais il complique

en revanche la vie des eacutelegraveves ndash autochtones ou pas ndash vivant loin de lrsquoeacutecole

Au moins deux facteurs viennent compliquer la situation Premiegraverement

cette organisation du temps oblige ces eacutelegraveves agrave prendre leur deacutejeuner dans la

cantine scolaire ce que certains considegraverent comme une aberration dans un milieu

231 Elle est deacutefinie par le Deacutecret ndeg 2013-77 du 24 janvier 2013 applicable agrave la France meacutetropolitaine

et aux DOM (et donc agrave la Guyane) Depuis 1996 le gouvernement de la Polyneacutesie a adopteacute la semaine

de 24 heures mais avec une alternance des semaines de 23 heures et 30 minutes et des semaines de

27 heures comme eacutetabli par les arrecircteacutes ndeg 795 ndeg 796 et ndeg 797 adopteacutes par le Conseil des ministres

du pays au mois drsquoaoucirct de la mecircme anneacutee

336

rural ougrave lrsquoon est habitueacute agrave donner une grande importance aux repas en famille veacutecus

comme des moments de socialisation et de formation pendant lesquels les parents

peuvent interagir avec leurs enfants et tisser des liens avec les autres membres de

la communauteacute Deuxiegravemement on ne doit pas oublier que dans les zones

tropicales comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et de Hiva Oa le soleil se couche aux

alentours de 18h 30 ce qui signifie que en sortant de lrsquoeacutecole les eacutelegraveves ne disposent

que de deux heures de lumiegravere naturelle pour leurs activiteacutes agrave lrsquoair libre ou pour

jouer avec leurs pairs hors du contexte scolaire De plus les enfants qui vivent loin

de lrsquoeacutecole disposent encore moins de temps puisqursquoils doivent aussi faire le trajet

jusqursquoagrave chez eux

Il srsquoagit lagrave drsquoobstacles qui peuvent nuire au deacuteveloppement des enfants et

plusieurs chercheurs ont essayeacute de transmettre leurs preacuteoccupations aux

responsables politiques concerneacutes par ce type de deacutecisions Dans un rapport reacutealiseacute

au nom de la Commission materniteacute-enfance-adolescence de lrsquoAcadeacutemie nationale

de meacutedecine Yvan Touitou et Pierre Beacutegueacute (2010) ont souligneacute lrsquoimportance de la

prise en compte des rythmes biologiques et psychophysiologiques de lrsquoenfant dans

toute reacuteflexion sur cette question ainsi que les risques lieacutes agrave lrsquoalteacuteration du

fonctionnement de lrsquohorloge biologique lorsque celle-ci nrsquoest plus en phase avec les

facteurs environnementaux Selon les auteurs du rapport cette

laquo deacutesynchronisation raquo peut geacuteneacuterer de la fatigue et des difficulteacutes drsquoapprentissage

chez les enfants En drsquoautres termes une organisation du temps scolaire qui ne

prend pas en compte ces facteurs peut nuire aux performances des eacutelegraveves entraicircner

une perte drsquoattention et drsquointeacuterecirct pour lrsquoapprentissage et au bout du compte mener

337

agrave de mauvais reacutesultats scolaires Malheureusement drsquoapregraves ces auteurs les horaires

de lrsquoeacutecole franccedilaise ne semblent pas prendre en compte la psychophysiologie de

lrsquoenfant ce qui pourrait ecirctre une cause des mauvaises performances des eacutelegraveves

franccedilais dans les eacutetudes comparatives internationales (comme celle du PISA)

Un autre obstacle est celui poseacute par le calendrier scolaire Son organisation

reacutepond agrave une logique avant tout laquo politique raquo ndash et peu peacutedagogique ndash visant agrave

uniformiser les dates de la rentreacutee et des vacances scolaires Cependant ce

calendrier ne prend pas en compte les cycles saisonniers qui organisent la vie locale

dans les contextes ruraux lesquels deacutependent des peacuteriodes les plus propices agrave

lrsquoagriculture agrave la chasse et agrave la pecircche En effet en France lrsquoorganisation de lrsquoanneacutee

scolaire est deacutefinie afin de permettre laquo une meilleure reacutepartition des flux entre les

territoires sur toute lrsquoanneacutee et en particulier le meilleur eacutequilibre des flux vers le

massif alpin sur la saison drsquohiver raquo agrave partir des recommandations proposeacutees par le

ministegravere en charge des transports et en tenant compte des inteacuterecircts eacuteconomiques

des acteurs du secteur touristique comme le rappelle la ministre de lrsquoEacuteducation

nationale Najat Vallaud-Belkacem (2015) Il srsquoagit drsquoun critegravere qui a une influence

directe non seulement sur le territoire hexagonal mais aussi dans les DOM-COM En

Guyane bien que lrsquoarticle D521-6 du Code de lrsquoeacuteducation assigne aux recteurs des

deacutepartements drsquoOutre-mer la compeacutetence pour adapter le calendrier national par

arrecircteacute en tenant compte des speacutecificiteacutes locales aucun calendrier laquo adapteacute raquo nrsquoa

encore vu le jour En Polyneacutesie si le calendrier scolaire est deacutefini par le Conseil des

ministres du pays ndash en vertu du fait que les compeacutetences dans le domaine de

lrsquoeacuteducation aient eacuteteacute transfeacutereacutees de lrsquoEacutetat agrave la collectiviteacute ndash le calendrier local des

338

eacutecoles collegraveges et lyceacutees est substantiellement le mecircme que celui de la meacutetropole232

De mecircme que pour les horaires scolaires les responsables des politiques eacuteducatives

dans les territoires drsquoOutre-mer ne semblent pas avoir pris en consideacuteration les

rythmes biologiques et psychophysiologiques de lrsquoenfant ni mecircme les inteacuterecircts

eacuteconomiques locaux dans la deacutefinition du calendrier scolaire Si on en croit les

affirmations de la Ministre ces facteurs laquo locaux raquo doivent se plier aux inteacuterecircts des

principaux acteurs de lrsquoeacuteconomie nationale notamment ceux du domaine des

transports et du tourisme

Pour ce qui est des obstacles poseacutes par les contenus de lrsquoeacuteducation scolaire

dont nous avons deacutejagrave discuteacute dans la partie preacuteceacutedente il me semble important de

rappeler qursquoen Polyneacutesie les programmes scolaires enseigneacutes dans les eacutecoles

primaires et les eacutetablissements drsquoeacuteducation secondaire ont pu ecirctre ajusteacutes agrave

232 Les arrecircteacutes ndeg 398 ndeg 399 ndeg 400 et ndeg 401 adopteacutes en 2014 par le Conseil des ministres de la

Polyneacutesie franccedilaise fixant les calendriers pour les anneacutees scolaires 2014-2015 et 2015-2016 ne

preacutesentent que peu de diffeacuterences par rapport au calendrier en vigueur en France meacutetropolitaine (et

en Guyane) La premiegravere diffeacuterence concerne la date de la rentreacutee scolaire dans lrsquoHexagone elle

correspond agrave la premiegravere semaine de septembre alors qursquoen Polyneacutesie elle est avanceacutee agrave la troisiegraveme

semaine drsquoaoucirct La deuxiegraveme porte sur les vacances de la Toussaint dans lrsquoHexagone elles

commencent la troisiegraveme semaine drsquooctobre et se terminent la premiegravere semaine de novembre tandis

qursquoen Polyneacutesie elles commencent et se terminent une semaine plus tard La troisiegraveme concerne les

vacances de Noeumll qui commencent la troisiegraveme semaine de deacutecembre et se terminent la premiegravere

semaine de janvier dans lrsquoHexagone alors qursquoelles commencent une semaine avant et se terminent

une semaine plus tard en Polyneacutesie La derniegravere diffeacuterence est la fin de lrsquoanneacutee scolaire eacutetablie la

premiegravere semaine de juillet dans lrsquoHexagone et la derniegravere semaine de juin en Polyneacutesie

339

certaines demandes preacutesenteacutees par des repreacutesentants locaux (surtout dans les

domaines de lrsquohistoire de la geacuteographie et des langues et cultures reacutegionales Voir

Saura 2012b) Cependant les compeacutetences viseacutees dans les trois cycles de

lrsquoenseignement primaire et du collegravege nrsquoont pu ecirctre adapteacutees puisqursquoelles sont

deacutefinies par le socle commun qui est un cadre de reacutefeacuterence national srsquoappliquant agrave

la France hexagonale comme aux DOM-COM (Gauthier amp le Gouvello 2009) En

Guyane au contraire de par son statut de deacutepartement aucune adaptation nrsquoest

possible ce qui implique que les contenus eacuteducatifs transmis par les enseignants

soient exactement les mecircmes que ceux transmis aux eacutelegraveves de la meacutetropole

Pourtant plusieurs eacutetudes ndash comme celle de Viviane Isambert-Jamati (1990) ndash

eacutevoquent le rocircle que jouent les savoirs scolaires et les contenus drsquoenseignement

dans la reacuteussite scolaire et sociale des eacutelegraveves En drsquoautres termes des programmes

scolaires incoheacuterents avec le contexte social et environnemental des enfants

peuvent contribuer agrave lrsquoeacutechec scolaire des eacutelegraveves degraves lors qursquoils sont associeacutes agrave

drsquoautres facteurs

Finalement le dernier obstacle signaleacute par les personnes que jrsquoai eu

lrsquoopportuniteacute drsquointerviewer dans le cadre de cette recherche est le manque de

formation des enseignants travaillant dans les sites les plus isoleacutes de lrsquoOutre-mer

comme crsquoest le cas drsquoAntecume pata et de Hiva Oa La meacuteconnaissance de la langue

des coutumes et des habitudes locales mais aussi des normes qui reacutegissent la vie

communautaire est souvent la cause de conflits avec les parents drsquoeacutelegraveves233 Aussi

233 Il srsquoagit lagrave drsquoune probleacutematique qui a eacutegalement eacuteteacute observeacutee par drsquoautres chercheurs qui ont

eacutetudieacute la reacutealiteacute guyanaise ou polyneacutesienne La bibliographie disponible est immense et il serait

340

ils sont souvent cause de frustrations ce qui explique le nombre important de

demandes de mutations de la part des enseignants envoyeacutes dans ces sites Agrave la fin

de lrsquoanneacutee scolaire 2011-2012 par exemple sur les onze enseignants titulaires

travaillant dans les eacutecoles du Haut Maroni neuf ont preacutesenteacute une demande de

mutation afin drsquoecirctre assigneacutes agrave une autre circonscription Cinq drsquoentre eux

disposaient drsquoune justification meacutedicale qui attestait drsquoune laquo incompatibiliteacute raquo avec

la vie dans les sites isoleacutes La mecircme tendance existait agrave la fin de lrsquoanneacutee scolaire

2012-2013 quand sur huit enseignants titulaires six ont demandeacute leur mutation Agrave

Hiva Oa la situation est diffeacuterente car la quasi-totaliteacute des professeurs des eacutecoles

difficile de citer tous les travaux reacutealiseacutes jusqursquoagrave preacutesent sur le sujet Je me limiterai agrave signaler pour

le cas de la Guyane les eacutetudes de Franccediloise Grenand et Odile Renault-Lescure (1990) et de Sophie

Alby et Miche Launey (2007) qui ont compteacute parmi les premiers agrave se pencher sur la question de la

formation des enseignants en contexte plurilingue et pluriculturel local (les premiegraveres agrave partir drsquoune

perspective anthropologique les seconds dans le cadre drsquoune analyse sur la laquo formation des

formateurs raquo en tant que processus andragogique) Par ailleurs Rodica Ailincai et Marie-Franccediloise

Crouzier (2011a) ont coordonneacute un ouvrage de reacutefeacuterence sur la question mais drsquoautres analyses ont

aussi eacuteteacute reacutealiseacutees par Farraudiegravere (1989) Leacutena (2000) Couchili (2010) Maurel (2010) Ailincai amp

Crouzier (2011a et 2011b) Ailincai amp Mehinto (2011) Garnier (2011) ou encore Perrin (2012) Pour

la Polyneacutesie je mentionne surtout deux ouvrages collectifs le premier a eacuteteacute coordonneacute par Jacques

Vernaudon et Veacuteronique Fillol (2009) et le deuxiegraveme par Isabelle Nocus Jacques Vernaudon et

Mirose Paia (2014) Drsquoautres eacutetudes concernant des aspects speacutecifiques de la formation des

enseignants dans le contexte polyneacutesien (surtout dans le domaine linguistique) ont eacuteteacute publieacutees par

Veacuteronique Fillol et Jacques Vernaudon (2004a et 2004b) Dominique Jouve (2004) Isabelle Nocus et

ses collaborateurs (2012) et Marie Salauumln (2012 et 2014)

341

titulaires sont originaires des icircles Marquises ce qui facilite leur inteacutegration dans les

communauteacutes

Il est eacutevident que ces obstacles peuvent geacuteneacuterer chez les parents drsquoeacutelegraveves

mais aussi chez les autres membres des communauteacutes un certain rejet de lrsquoeacutecole en

tant qursquoinstitution laquo civilisatrice raquo et veacutehicule drsquoune organisation de la vie qui non

seulement est peu en accord avec la vie locale mais qui peut aussi entraicircner la perte

de revenus des conflits entre les adultes et les enseignants ou encore la frustration

chez les jeunes

Au bout du compte les obstacles que je viens de mentionner sont tous

geacuteneacutereacutes par le manque de participation des communauteacutes agrave la prise de deacutecisions les

concernant Les inteacutegrer au processus de gestion et drsquoimpleacutementation des politiques

eacuteducatives est agrave mon avis le premier pas pour reacutetablir un dialogue horizontal avec

les communauteacutes afin que celles-ci puissent proposer leur point de vue et que lrsquoEacutetat

puisse mettre en œuvre des solutions adapteacutees aux reacutealiteacutes locales Il srsquoagit

indubitablement drsquoun enjeu majeur rendre aux communauteacutes autochtones le

pouvoir de choisir leur destin signifierait deacutelocaliser certains processus

deacutecisionnaires afin de garantir que la laquo reacuteussite pour tous raquo coiumlncide avec lrsquoideacutee que

chaque communauteacute se fait de la notion de laquo reacuteussite raquo (en fonction de sa culture de

son organisation sociale et du systegraveme politique et eacuteconomique dont elle deacutepend)

Reste agrave voir si les organismes publics concerneacutes seraient partie prenante de ce deacutefi

342

16 Enquecircter lrsquoeacuteducation enquecircter lrsquoethniciteacute

Dans une eacutetude sur la construction des theacuteories peacutedagogiques Clermont

Gauthier et ses collaborateurs (1997) ont compareacute et analyseacute les expeacuteriences

meneacutees dans diffeacuterents pays afin drsquoameacuteliorer les dispositifs peacutedagogiques agrave

caractegravere public agrave savoir les eacutecoles les eacutetablissements drsquoenseignement supeacuterieur

les universiteacutes et les centres de formation Dans leur ouvrage ils montrent que dans

la majoriteacute des cas ces expeacuteriences ne consistent pas en une impleacutementation

laquo scientifique raquo des reacutesultats obtenus gracircce agrave la recherche en eacuteducation mais

srsquoappuient plutocirct sur la reacuteputation des eacuteducateurs de leur laquo talent raquo et de leur

positionnement ideacuteologique qui leur fait preacutefeacuterer certaines strateacutegies peacutedagogiques

agrave drsquoautres234 En drsquoautres termes ces auteurs suggegraverent que les institutions chargeacutees

de lrsquoinnovation peacutedagogique ont souvent eu tendance agrave reacutepliquer des expeacuteriences

qui fonctionnaient dans un contexte particulier gracircce au laquo savoir-faire raquo drsquoun

eacuteducateur (ou drsquoun groupe drsquoeacuteducateurs) particulier ce qui ne garantit pas que les

reacutepliques donnent les mecircmes reacutesultats que lrsquoexpeacuterience originelle Certains

234 Les auteurs identifient deux positions extrecircmes ndash lrsquoune affirmant la toute-puissance de la

peacutedagogie lrsquoautre rejetant toute rationalisation de la pratique peacutedagogique ndash lesquelles partagent

cependant lrsquoideacutee selon laquelle un eacuteducateur efficace est celui qui face aux situations complexes de

formation laquo prend des deacutecisions contextualiseacutees en srsquoappuyant sur des justifications rationnelles raquo

(Gauthier et al 1997 211)

343

dispositifs ont ainsi eacuteteacute diffuseacutes agrave grand eacutechelle car ils avaient deacutejagrave fait leurs preuves

bien que personne ne puisse expliquer pourquoi ils avaient fonctionneacute235 En

revanche les propositions les ideacutees et les solutions proposeacutees par des travaux plus

laquo scientifiques raquo ont rarement eacuteteacute reconnues et inteacutegreacutees dans les pratiques et dans

les deacutecisions institutionnelles De ce fait la recherche en eacuteducation est releacutegueacutee au

rocircle de laquo Cendrillon raquo des sciences sociales en tant que champ disciplinaire qui a eu

peu drsquoimpact sur les politiques de deacuteveloppement et qursquoon a accuseacute ndash agrave tort ou agrave

raison ndash de ne pas ecirctre capable de trouver des solutions efficaces aux problegravemes de

notre eacutepoque

En France nombreux sont ceux qui mobilisent le raccourci simpliste qui relie

les maux de la laquo moderniteacute raquo agrave la laquo mauvaise eacuteducation236 raquo crsquoest-agrave-dire agrave

235 Crsquoest par exemple le cas de la laquo meacutethode Freire raquo qui dans les anneacutees 1960 et 1970 a permis

lrsquoalphabeacutetisation de centaines de milliers drsquoadultes breacutesiliens des milieux les plus deacutefavoriseacutes (Freire

1974) Agrave partir de 1975 la meacutethode a eacuteteacute laquo exporteacutee raquo en Guineacutee-Bissau agrave Satildeo Tomeacute et Principe au

Mozambique en Angola et au Nicaragua dont les gouvernements ont mis en place des programmes

drsquoeacuteducation inspireacutes de la peacutedagogie de Paulo Freire Cependant les reacutesultats obtenus dans ces

derniers cas ont eacuteteacute plus mitigeacutes que ceux obtenus au Breacutesil soit du fait de prendre appui sur une

reacutealiteacute sociale diffeacuterente soit de par les attentes deacutemesureacutees des politiciens de ces pays vis-agrave-vis de

cette meacutethode (Freire amp Guimaratildees 2003)

236 Les medias et les reacuteseaux sociaux abondent en teacutemoignages qui vont dans ce sens Par exemple

dans un billet publieacute le 18 octobre 2015 par Franccedilois Chauvancy dans la version en ligne du journal

Le Monde lrsquoauteur eacutevoque les facteurs qui agrave son avis sont les responsables de la crise politique qui

est en train de mettre en danger les acquis reacutepublicains agrave savoir laquo lrsquoeacuteducation donneacutee par les

parents une eacutecole en reconstruction permanente et aux reacutesultats bien ineacutegaux le manque

344

lrsquoincapaciteacute des eacuteducateurs (les parents lrsquoeacutecole et autres institutions eacuteducatives) agrave

transmettre les compeacutetences neacutecessaires pour garantir la survie mecircme de la

laquo moderniteacute raquo Prenons pour exemple les poleacutemiques autour de certains

pheacutenomegravenes violents comme les school shootings (les fusillades ou les tueries dans

les eacutecoles) le cyber-harcegravelement les comportements autodestructeurs des enfants

et des adolescents ou les eacutemeutes juveacuteniles (comme celle qui avait eacuteclateacute en 2005

en Seine-Saint-Denis)237 mais aussi autour drsquoautres pheacutenomegravenes qui ne comportent

drsquoexemplariteacute des uns et des autres des lois nombreuses qui ne visent plus lrsquoorganisation de la vie en

commun mais accumulent les mesures favorables agrave lrsquoindividu au deacutetriment de la collectiviteacute au point

de laisser poindre un grand sentiment drsquoiniquiteacute lrsquoopposition de groupes agrave la puissance de lrsquoEacutetat

lrsquoaffaiblissement des institutions par leur deacutesacralisation le manque de courage surtout dans

lrsquoapplication des lois notamment en refusant lrsquousage de la force leacutegitime et leacutegale raquo (Chauvancy

2015) Bien que la perspective catastrophiste preacutesenteacutee par cette analyste politique puisse se

reacutesumer agrave un pot-pourri drsquoideacutees populistes visant les individus les familles et les institutions on ne

peut nier le fait que ce type de discours exerce une redoutable attraction sur certaines cateacutegories

sociales ce qui lui a permis de se diffuser et de se normaliser au point que ndash comme le souligne Gilles

Balbastre (2015) ndash agrave lrsquoheure actuelle il soit devenu presque laquo politiquement correct raquo drsquoaccuser

laquo lrsquoeacuteducation raquo (ou plus preacuteciseacutement les eacuteducateurs) drsquoavoir contribueacute agrave laquo lrsquoeffondrement raquo de la

civilisation occidentale (une banalisation agrave laquelle nrsquoa pas eacutechappeacute lrsquoeacutecrivain Tahar Ben Jelloun

2016)

237 Ce type de poleacutemiques persiste non seulement dans les medias mais aussi dans les discours de

certains hommes et femmes politiques bien que les travaux de plusieurs chercheurs ndash comme ceux

drsquoEacuteric Debarbieux (2006) sur la laquo bunkeacuterisation raquo de lrsquoeacutecole ceux de Michele Elliot (2015) sur le

harcegravelement en milieu scolaire ceux de Philippe Jeammet (2016) sur les comportements

345

pas de violence mais sont eacutegalement consideacutereacutes comme preacuteoccupants agrave lrsquoinstar de

lrsquoeacutechec et du deacutecrochage scolaire Toutefois si les deacutetracteurs de

laquo lrsquoeacuteducation moderne raquo ndash accuseacutee selon les cas drsquoecirctre trop laxiste trop dirigiste

trop permeacuteable aux dynamiques sociales ou encore trop eacuteloigneacutee des besoins reacuteels

du marcheacute du travail ndash ont tendance agrave confondre les diffeacuterentes typologies qui

constituent cet ensemble complexe qursquoest laquo lrsquoeacuteducation raquo ils semblent aussi

reacutefractaires agrave la prise en compte des reacutesultats qursquooffre la recherche en eacuteducation

depuis des anneacutees Ces reacutesultats pourraient pourtant contribuer agrave laquo limiter les

deacutegacircts raquo dans un contexte globaliseacute ougrave la crise ne concerne pas lrsquoeacuteducation en elle-

mecircme mais plutocirct les valeurs et les contenus qursquoelle est censeacutee transmettre et ce

notamment agrave cause drsquoune situation politique et eacuteconomique qui a contribueacute agrave

bouleverser profondeacutement les dynamiques de transmission des donneacutees culturelles

assujetties aux impeacuteratifs de lrsquoeacuteconomie neacuteolibeacuterale238

Agrave ce propos lrsquoanalyse de la situation actuelle des Wayana-Apalaiuml et des Enata

nous montre que la supposeacutee laquo crise reacutepublicaine raquo nrsquoest pas lrsquoeffet drsquoune

autodestructeurs des adolescents ou ceux drsquoAntoine Jardin (2016) sur la violence urbaine ndash aient

essayeacute de laquo deacuteconstruire raquo agrave partir drsquoun protocole scientifique les steacutereacuteotypes qui les alimentent

238 En ce qui concerne la situation de lrsquoeacutecole en France Jean Pierre Terrail affirme que laquo de la reacuteforme

Berthoin agrave la loi Fillon les responsables ministeacuteriels se sont preacuteoccupeacutes drsquoajuster au moindre coucirct

les flux scolaires aux besoins immeacutediats des entreprises bien plus que de deacutemocratiser lrsquoeacutecole raquo

(Terrail 2005a 233)

346

fantomatique laquo crise de lrsquoeacuteducation239 raquo elle en est plutocirct la cause Comme nous

avons pu le voir dans le chapitre preacutecegravedent les obstacles structurels et ideacuteologiques

que les politiques publiques imposent agrave certains groupes sociaux ndash empecircchant ces

derniers drsquoexercer des droits qui devraient leur ecirctre garantis ndash ont entraicircneacute des

transformations sociales importantes Ce bouleversement imposeacute laquo drsquoen haut raquo a

obligeacute les individus (et les familles) agrave srsquoadapter pour survivre bien que ces

adaptations nrsquooffrent pas neacutecessairement une meilleure qualiteacute de vie Elles se

limitent simplement agrave assurer la survie de groupes sociaux qui sont exposeacutes agrave la

pression de lrsquoacculturation Les laquo mutations raquo que connaissent certaines

communauteacutes autochtones ndash qui peuvent prendre entre autres la forme de la

laquo transfiguration ethnique raquo ou drsquoun veacutecu douloureux drsquoidentiteacutes plurielles ndash en sont

un exemple eacutevident

161 Une question de meacutethode

Une collaboration plus eacutetroite entre chercheurs et praticiens de lrsquoeacuteducation ndash

les parents les membres de la famille les enseignants les formateurs mais aussi les

239 Crsquoest lagrave une notion qui agrave mon avis nrsquoa guegravere de sens puisque lrsquoeacuteducation comme jrsquoespegravere lrsquoavoir

montreacute dans les deux premiegraveres parties de cette thegravese est une dynamique propre agrave lrsquoecirctre humain

qui implique neacutecessairement des acteurs (les eacuteducateurs et les eacuteduqueacutes) des ideacuteologies (qui

deacuteterminent des strateacutegies et des logiques eacuteducatives) et des outils (qui facilitent la transmission des

savoirs) dans le cadre drsquoun contexte laquo physique raquo et social (lrsquoenvironnement eacuteducatif) Admettre qursquoil

existe une laquo crise de lrsquoeacuteducation raquo eacutequivaudrait agrave soutenir lrsquoideacutee selon laquelle tous les eacuteleacutements que

je viens de mentionner se trouvent en situation de crise ce qui ne me semble pas ecirctre le cas

347

deacutecideurs politiques ndash semble ecirctre une issue prometteuse pour la mise en place

drsquoune meilleure synergie entre les reacutesultats de la recherche et les effets qui

pourraient en reacutesulter dans la pratique Thierry Karsenti et Lorraine Savoie-Zajc

(2011) ont souligneacute lrsquoimportance de faciliter le dialogue entre ces deux

communauteacutes pour construire sur une base participative des meacutecanismes

susceptibles de deacutevelopper les passerelles entre ces deux registres de savoirs240 Il

srsquoagit avant tout de reacutepondre agrave la question des responsabiliteacutes particuliegraveres quant agrave

lrsquoapport de la recherche en eacuteducation des responsabiliteacutes agrave caractegravere eacutethique qui

assignent aux chercheurs la responsabiliteacute de srsquoengager dans des recherches

socialement pertinentes et aux praticiens celle de prendre en compte les reacutesultats

obtenus afin de se libeacuterer des impeacuteratifs du laquo sens commun raquo (Gauthier et al 1997)

Jrsquoai introduit la notion de laquo recherche socialement pertinente raquo mais suis

conscient du fait que la deacutefinir nrsquoest pas une mince affaire Qursquoest-ce qui rend une

recherche dans le domaine de lrsquoeacuteducation laquo socialement pertinente raquo et pourquoi

Je ne pense pas ecirctre dans la possibiliteacute de reacutepondre ici agrave cette question qui

transcende les limites de lrsquoanthropologie et relegraveve plutocirct de la philosophie de la

240 La question de la participation populaire agrave la construction des politiques eacuteducatives a fait lrsquoobjet

drsquoun long deacutebat au sein du Conseil supeacuterieur de lrsquoeacuteducation du gouvernement du Queacutebec En 2006

lrsquoorganisme a eacutemis un rapport officiel qui remet en question les strateacutegies politiques du

gouvernement feacutedeacuteral canadien tout en plaidant pour une deacutecentralisation accrue des compeacutetences

locales dans le domaine de lrsquoeacuteducation ce qui permettrait une meilleure inteacutegration citoyenne des

peuples autochtones (CSEGQ 2006)

348

science241 Cependant il me semble qursquoelle devrait garantir pour le moins la

possibiliteacute de contribuer agrave une ameacutelioration des pratiques des eacuteducateurs et agrave une

eacuteventuelle adaptation des politiques eacuteducatives agrave partir drsquoune description objective

des dynamiques propres agrave chaque groupe humain ndash dynamiques qui ne sont jamais

laquo authentiques raquo mais qui sont plutocirct le produit drsquoemprunts et drsquoinfluences et qui

srsquoinscrivent dans un laquo continuum culturel raquo qui lie chaque culture agrave une ou plusieurs

autre(s) Cette approche scientifique permettrait drsquoeacuteviter la fragmentation du

panorama social contemporain en laquo isolats raquo culturels et de probleacutematiser la reacutealiteacute

du laquo village global raquo en fonction de sa complexiteacute de sa laquo multidimensionnaliteacute raquo et

de sa capaciteacute agrave laquo produire raquo des identiteacutes au travers de relations qui opposent drsquoun

cocircteacute les groupes heacutegeacutemoniques aux subalternes et de lrsquoautre les forces centrifuges

(lrsquoacculturation et la deacuteculturation) aux forces centripegravetes (lrsquoenracinement

ethnique) qui animent la vie sociale et culturelle de la laquo moderniteacute raquo

Lrsquoanthropologie de par sa tradition laquo relativiste raquo possegravede des outils

meacutethodologiques approprieacutes pour deacutevelopper cette approche (Martinez-Verdier

2004) Dans la premiegravere partie de cette thegravese jrsquoai introduit les notions laquo drsquointellect

ethnologique raquo (creacuteateur de cateacutegories et de concepts agrave partir drsquoune laquo exageacuteration raquo

des diffeacuterences et laquo programmeacute raquo pour fournir des hypothegraveses opeacuterationnelles et

241 Nombreux et de longue date sont les intellectuels qui ont essayeacute de reacutepondre agrave la question de la

laquo pertinence raquo de la recherche scientifique ndash Karl Popper (1968 1972) Paul Feyerabend (1970)

Thomas Kuhn (1974) ou Imre Lakatos (1974) entre autres ndash sans qursquoon ne puisse jamais arriver agrave

un consensus Une synthegravese remarquable sur le deacutebat ndash toujours drsquoactualiteacute bien que quelque peu

ancienne ndash a eacuteteacute reacutealiseacutee par Alan Chalmers (1976)

349

des reacuteponses preacuteliminaires aux questionnements du chercheur) et celle de laquo raison

anthropologique raquo (avec une fonction reacutegulatrice et laquo programmeacutee raquo pour controcircler

lrsquointellect afin qursquoil ne construise pas des laquo objets raquo faux et illusoires) Il srsquoagit lagrave de

deux notions qui agrave mon avis sont essentielles agrave une laquo posture raquo anthropologique

qui en deacutepassant la vision classique de lrsquoanthropologie en tant que savoir

comparatif unificateur et geacuteneacuteralisant est capable drsquoanalyser lrsquoexpeacuterience humaine

dans sa globaliteacute en mettant en relation la sphegravere individuelle (la personnaliteacute

comme produit drsquoune culture) et la sphegravere sociale (les groupes humains comme

produits drsquoune interaction historique) Une sage utilisation de cet laquo intellect

ethnologique raquo permettrait donc aux chercheurs de deacutecrire lrsquoalteacuteriteacute selon le critegravere

classique de lrsquoethnographie en classifiant les speacutecificiteacutes de chaque terrain drsquoeacutetude

Drsquoautre part la laquo raison anthropologique raquo leur permettrait de laquo suspendre raquo le

jugement preacutecipiteacute et les conclusions deacutefinitives que lrsquointellect ethnologique

voudrait eacutetablir mais aussi de rediscuter les speacutecificiteacutes observeacutees en tenant compte

du fait qursquoelles nrsquoont pas laquo surgi de nulle part raquo mais qursquoelles sont plutocirct le reacutesultat

drsquoune histoire

Lrsquoanalyse du laquo fait eacuteducatif raquo devient donc laquo socialement pertinente raquo degraves lors

qursquoelle nous permet drsquoatteindre ces trois objectifs agrave la fois

De crire les de tails des dynamiques qui lient les e ducateurs et

les e duque s dans le cadre drsquoun e cosyste me particulier afin de comprendre

les ide ologies subjacentes et les rapports de force qui expliquent les

pratiques sociales observe es

350

Contribuer a lrsquoame lioration des connaissances sur le contexte

social observe afin drsquoame liorer les pratiques des e ducateurs et de leur offrir

des outils de compre hension de la re alite sociale dans laquelle ils

srsquoinvestissent

Informer les responsables des institutions publiques des

re sultats obtenus gra ce au travail de recherche afin de mettre en e vidence les

situations proble matiques observe es de proposer des solutions adapte es

aux spe cificite s locales et de veiller a leur e ventuelle mise en œuvre

Eacutetant donneacute que jusqursquoagrave preacutesent les eacutetudes sur lrsquoeacuteducation ont surtout

privileacutegieacute les questionnements peacutedagogiques visant agrave laquo ameacuteliorer raquo la performance

eacuteducative ces objectifs plus larges mecircme srsquoils pourraient sembler agrave certains

anodins ont une reacuteelle importance

162 Plaidoyer pour une anthropologie de lrsquoeacuteducation laquo agrave la franccedilaise raquo

Dans un article preacutesentant les divers courants de cette discipline eacutemergente

qursquoest lrsquoanthropologie de lrsquoeacuteducation Kathryn Anderson-Levitt (2006) qui a eacuteteacute

preacutesidente du Council on Anthropology and Education (Conseil drsquoAnthropologie et

drsquoEacuteducation) au sein de lrsquoAmerican Anthropological Association entre 2004 et 2006

eacutevoque le fait qursquo laquo en France il nrsquoy a pas de tradition portant ce nom raquo (Anderson-

Levitt 2006 8) Cette affirmation plutocirct radicale ne vise pas agrave nier le travail des

chercheurs qui se sont consacreacutes agrave lrsquoanalyse du fait eacuteducatif agrave partir drsquoun regard

anthropologique (ils sont nombreux en France et jrsquoai deacutejagrave eu lrsquoopportuniteacute drsquoen citer

351

un certain nombre tout au long de cette thegravese)242 mais souligne lrsquoabsence de

reacutefeacuterences explicites agrave cette discipline dans le panorama scientifique national En

effet agrave la diffeacuterence de ce qui se passe dans drsquoautres pays (comme la Grande-

Bretagne les Eacutetats-Unis lrsquoAllemagne le Mexique le Japon ou lrsquoItalie) cette discipline

semble ne pas disposer drsquoespaces approprieacutes pour se deacutevelopper et bien peu de

revues scientifiques ou de chaires drsquoenseignement lui sont consacreacutees243

Cependant le contexte multiculturel de la France actuelle impose une

nouvelle approche pour lrsquoanalyse de la socieacuteteacute franccedilaise une approche qui ne se

limite pas au simple constat de lrsquoexistence des diffeacuterences mais qui soit capable de

comprendre les meacutecanismes de production et de transmission de cette diversiteacute ndash

242 On devrait ajouter aussi les sociologues qui ont analyseacute les dynamiques eacuteducatives agrave partir drsquoun

travail ethnographique de longue haleine (Delbos amp Jorion 1984 LeWita 1988 Garcion-Vautour

2003) Crsquoest lagrave une tradition qui selon lrsquoanthropologue ameacutericaine Deborah Reed-Danahay (2005)

remonte au sociologue Pierre Bourdieu qursquoelle considegravere comme le premier laquo ethnographe de

lrsquoeacuteducation raquo franccedilais Bourdieu lui-mecircme en effet avait lrsquohabitude de se deacutefinir autant comme

anthropologue que comme sociologue comme en teacutemoignent ses Meacuteditations pascaliennes

(Bourdieu 1997)

243 Un bilan similaire a eacuteteacute fait quelques anneacutees auparavant par Gaston Mialaret (1985) dans un

rapport sur la situation de la recherche en eacuteducation en France publieacute dans la prestigieuse Revue

internationale des sciences sociales de lrsquoUNESCO et par Jean-Louis Legrand (2003) qui en analysant

les registres de lrsquoAssociation des enseignants chercheurs en sciences de lrsquoeacuteducation (AECSE) a

deacutecouvert que seule une minoriteacute drsquoentre eux (42 ) se disaient laquo anthropologues raquo ou

laquo ethnologues raquo et que seulement 143 des travaux de recherche qursquoils avaient publieacutes avait des

objets drsquoeacutetude drsquointeacuterecirct strictement anthropologique

352

des meacutecanismes qui comme jrsquoai chercheacute agrave le montrer dans ce travail relegravevent de

dynamiques proprement eacuteducatives Comprendre lrsquoalteacuteriteacute revient non seulement agrave

deacutecrire ses manifestations les plus visibles (les usages les coutumes les normes de

vie sociale ou le langage) mais aussi ndash et agrave mon avis surtout ndash agrave deacuteceler les logiques

qui la construisent et qui la perpeacutetuent soit des logiques qui nous le savons

deacuteterminent lrsquoaction des eacuteducateurs tant dans le milieu domestique que dans le

milieu scolaire

Trois questionnements me semblent utiles pour confirmer cette reacuteflexion Le

premier reacutesulte de la nouvelle configuration de la famille franccedilaise qui selon le

sociologue Franccedilois de Singly (1993) a entraicircneacute une complexification de

lrsquoenvironnement familial ndash par effet de lrsquoaugmentation des cas de seacuteparation

transition et recomposition parentale ndash sans qursquoon puisse connaicirctre les effets qursquoelle

pourrait avoir sur la transmission des savoirs en son sein Jacques Commaille (2013)

a souligneacute lrsquoimportance de cette dynamique (srsquoeacutetant accompagneacutee drsquoimportantes

reacuteformes juridiques sur la filiation le divorce lrsquoautoriteacute parentale ou les droits de

lrsquoenfant) qui a modifieacute le statut leacutegal traditionnellement assigneacute agrave la famille ndash celui

drsquoinstitution garante de lrsquoordre social ndash en la transformant en une laquo association

drsquoindividus raquo deacutetenteurs de droits et drsquoobligations Crsquoest lagrave une meacutetamorphose qui

selon lrsquoauteur est le symptocircme drsquoune plus large laquo repolitisation du priveacute raquo agrave laquelle

les dynamiques eacuteducatives nrsquoeacutechappent pas et qui nous ramegravene au cœur drsquoune

question fondatrice de notre socieacuteteacute occidentale comment concilier la vie

domestique lrsquoindividualiteacute et lrsquoidentiteacute culturelle avec lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral La reacuteponse

des Etats au sein des pays industrialiseacutes a geacuteneacuteralement eacuteteacute de type normatif en

353

statuant des droits et des obligations sur tous les aspects de la vie qui relevaient

auparavant du cadre purement domestique Cependant cette normativiteacute ne semble

pas avoir reacutesolu la question inheacuterente agrave la possibiliteacute de concilier priveacute et public et

laquo le droit dans les tensions qursquoil recegravele et les contradictions qursquoil porte est

lrsquoexpression mecircme de ce dilemme raquo (Commaille 2013 93) La reacuteponse juridique

aurait pu se valoir de lrsquoexpertise anthropologique pour mieux comprendre le rocircle de

lrsquoactiviteacute eacuteducative des familles De fait crsquoest justement lrsquo laquo agentiviteacute raquo de ces

derniegraveres (et leur ideacuteologie eacuteducative) qui leur permet de seacutelectionner et de

modeler les savoirs agrave transmettre aux plus jeunes pour laquo concilier raquo les dynamiques

individuelles (la personnaliteacute et lrsquoidentiteacute culturelle) et collectives (la vie sociale et

la citoyenneteacute) comme semble le deacutemontrer le cas des Wayana-Apalaiuml et celui des

Enata Toutefois cette question appelle la conduite de multiples autres travaux de

recherche et en ce domaine lrsquoidentification de solutions efficaces nrsquoen est qursquoagrave ses

preacutemisses

Le deuxiegraveme questionnement a trait agrave lrsquoefficaciteacute des politiques eacuteducatives

nationales Louis Legrand a affirmeacute que laquo la construction progressive de la Nation

franccedilaise met aujourdrsquohui en lumiegravere le caractegravere tregraves particulier du systegraveme

eacuteducatif franccedilais centralisation eacutetatique laiumlciteacute seacutelectiviteacute et intellectualiteacute raquo

(Legrand 1990 4) Cependant ces critegraveres nrsquoont pas atteint leur but de permettre

la laquo reacuteussite pour tous raquo mais ont en revanche creuseacute le fosseacute qui seacutepare les

cateacutegories sociales les plus favoriseacutees des moins favoriseacutees Cela nous permet de

consideacuterer avec plus drsquoobjectiviteacute le fait que la validiteacute du dogme selon lequel la

354

centralisation des compeacutetences en matiegravere drsquoeacuteducation244 permettrait une meilleure

gestion de la res publica est encore loin drsquoecirctre deacutemontreacute des recherches srsquoimposent

De plus la question de la laiumlciteacute meacuteriterait davantage drsquoattention et un regard un peu

moins enthousiaste afin de mieux deacutefinir en quoi consiste reacuteellement son rocircle social

dans une socieacuteteacute multiculturelle car cette notion a servi ndash et sert encore agrave lrsquoheure

actuelle ndash agrave soulever des poleacutemiques et agrave alimenter des disputes identitaires Il en

va de mecircme pour le critegravere de la seacutelectiviteacute dont les conseacutequences ont eacuteteacute exploreacutees

par plusieurs chercheurs245 mais qui continue agrave modeler le systegraveme eacuteducatif

national tout en se complexifiant du fait de certaines dynamiques eacutemergentes mais

encore peu connues comme la diffusion des laquo peacutedagogies nouvelles raquo 246 (et lrsquointeacuterecirct

que leur accordent les eacutelites et les milieux favoriseacutes)247 la multiplication et la

244 Tout en tenant compte du fait que cette centralisation au moins drsquoun point de vue juridique ne

vaut pas pour la Polyneacutesie franccedilaise

245 Parmi les travaux classiques sur le sujet voir Alain Girard et Henri Bastide (1955) ainsi que Pierre

Bourdieu et Jean Claude Passeron (1964 1971) Plus reacutecemment Verena Aebischer Dominique

Oberleacute et Leslie Ellion (2002) ont eacutetudieacute la relation entre la seacutelection scolaire et les strateacutegies

identitaires agrave partir drsquoune approche plus psychologique Bien que les travaux sur la question ne

manquent pas les contributions de type anthropologique restent minoritaires

246 Il srsquoagit de theacuteories et drsquoexpeacuteriences peacutedagogiques ndash comme celles meneacutees par Rudolf Steiner

Maria Montessori Alexander Sutherland Neill Don Lorenzo Milani ou Ceacutelestin Freinet ndash construites

sur un renversement des valeurs qui ont inspireacute lrsquoeacuteducation scolaire laquo traditionnelle raquo (Resweber

1986)

247 En reacutealiteacute nous ne connaissons pas la raison pour laquelle les anciens eacutelegraveves des eacutecoles qui

appliquent ces paradigmes peacutedagogiques ont en geacuteneacuteral de meilleurs reacutesultats scolaires (comme

355

fragmentation des filiegraveres drsquoeacutetude248 ou la revalorisation du capital culturel de

certaines professions intermeacutediaires (comme par exemple les enseignants)249

Finalement le critegravere de lrsquointellectualiteacute nous renvoie agrave cette conception de la

culture comme produit de la civilisation soit un patrimoine lettreacute accumuleacute depuis

lrsquoAntiquiteacute et qui doit ecirctre transmis aux nouvelles geacuteneacuterations agrave partir drsquoun modegravele

peacutedagogique vertical avec un eacuteducateur qui deacutetient le savoir et un apprenant qui

apprend ce qursquoil ne connaicirct pas baseacute sur lrsquoabstraction et sur des savoirs qui ne sont

pas neacutecessairement lieacutes au contexte de lrsquoapprenant Or cette conception nrsquoa jamais

eacuteteacute remise en question par les organismes chargeacutes de lrsquoeacuteducation au niveau national

ou local Une meilleure connaissance de ces probleacutematiques nous permettrait

lrsquoont deacutemontreacute les recherches drsquoAngeline Liliard et Nicole Else-Quest 2006) ni si leurs reacutesultats

relegravevent de la meacutethode drsquoenseignement qui les a formeacutes ou srsquoils sont plutocirct lrsquoeffet du capital culturel

deacutetenu par leurs familles

248 Un pheacutenomegravene qui inteacuteresse surtout les milieux moins favoriseacutes pour ce qui concerne

lrsquoenseignement secondaire les derniegraveres enquecirctes de lrsquoINSEE (2014) nous montrent que la plupart

des jeunes provenant de familles aiseacutees continuent agrave freacutequenter la voie geacuteneacuterale et les filiegraveres

litteacuteraire (bac-L) eacuteconomique et sociale (bac-ES) et scientifique (bac-S)

249 Gracircce au travail drsquoAnnie Da-Costa Lasne (2012) et agrave celui plus reacutecent de Muriel Letrait et Fanny

Salane (2015) nous savons que les enfants des enseignants (cateacutegorie professionnelle que lrsquoINSEE

nrsquoinclut pas parmi les milieux les plus favoriseacutes) ont en geacuteneacuteral de bons reacutesultats scolaires agrave la sortie

du lyceacutee (ce qui deacutemontrerait que la reacuteussite scolaire nrsquoest pas neacutecessairement ou pas seulement lieacutee

au capital eacuteconomique) Toutefois les eacutetudes sur les styles et les interactions eacuteducatives au sein de

ces milieux ndash qui nous aideraient agrave comprendre les logiques eacuteducatives qui facilitent la reacuteussite ndash

nrsquoen sont encore qursquoagrave leur deacutebut

356

comme lrsquoindique Jean-Pierre Terrail (2005) de transformer le modegravele reacutepublicain

drsquoeacutecole laquo unique raquo (crsquoest-agrave-dire une seule eacutecole pour tous les enfants de la

Reacutepublique) et drsquoenvisager une laquo eacutecole commune raquo capable de transmettre des

valeurs partageacutees agrave partir drsquoun cadre institutionnel disposeacute agrave admettre lrsquoexistence drsquo

laquo alteacuteriteacutes raquo et surtout de les prendre en compte250

Enfin le troisiegraveme questionnement relegraveve de la bataille ideacuteologique autour

de lrsquoidentiteacute et de la culture nationale qui ont envahi le champ eacuteducatif bien au-delagrave

des frontiegraveres bacircties dans lrsquoaregravene politique pour seacuteparer drsquoun cocircteacute les deacutefendeurs de

lrsquointerculturaliteacute et de lrsquoautre certains groupes plus nationalistes surtout dans le

champ de lrsquoextrecircme-droite (Nabli 2016) Loin de se preacuteoccuper des obstacles

deacutefinitionnels et meacutethodologiques qui compliquent lrsquoanalyse de lrsquoidentiteacute culturelle

(obstacles abordeacutes dans la premiegravere partie de cette thegravese) nombreux sont les

acteurs publics qui se sont saisis de cette question difficile laquelle exerce agrave lrsquoheure

actuelle une indeacuteniable force drsquoattraction pour la plupart des courants politiques

plus que jamais en quecircte de repegraveres et de lignes de front Toutefois sa complexiteacute

est devenue source de deacutesordre et de reconfiguration en fragilisant les clivages qui

ont traditionnellement fragmenteacute le champ politique franccedilais Si les appels

incessants agrave lrsquouniteacute de la laquo Reacutepublique raquo sont dans lrsquoair du temps ndash tout comme les

appels pour soutenir les laquo valeurs reacutepublicaines raquo dans lrsquoespace domestique et

250 A ce propos il est important de noter que des expeacuteriences pionniegraveres ont eacuteteacute meneacutees par exemple

en Bretagne - avec les eacutecoles associatives du reacuteseau Diwan - ou au Pays Basque - ougrave lrsquoenseignement

de la langue et de la culture reacutegionale est deacutesormais inteacutegreacute aux curricula des eacutecoles publiques

priveacutees associatives et priveacutees confessionnelles - (Moal 2009 Sarraillet 2009)

357

scolaire251 ndash ils relegravevent aussi drsquoune instrumentalisation agrave laquelle est voueacutee toute

chose qui se veut consensuelle bien qursquoils ne puissent pas deacutemecircler le nœud gordien

entre identiteacute et politique ni prendre la mesure de la crise actuelle de lrsquoideacutee

reacutepublicaine et de lrsquoexigence qui est la nocirctre vivre ensemble avec nos diffeacuterences

Valoriser une anthropologie de lrsquoeacuteducation adapteacutee aux speacutecificiteacutes

culturelles de la France et deacutevelopper de nouvelles pistes de recherche visant agrave

mieux comprendre sa reacutealiteacute sociale laquo multidimensionnelle raquo pourront nous aider agrave

deacuteconstruire certains steacutereacuteotypes et agrave construire une socieacuteteacute un peu plus consciente

du rocircle que jouent les laquo autres raquo dans notre deacuteveloppement humain du moins

pouvons-nous lrsquoespeacuterer

251 Un exemple est fourni par lrsquohypermeacutediatisation dont ont fait lrsquoobjet les propos sur la question de

lrsquoidentiteacute nationale lanceacutes par les diffeacuterents membres du gouvernement franccedilais suite aux attentats

meurtriers du 13 novembre 2015 agrave Paris Dans le message que la ministre de lrsquoEacuteducation nationale

de lrsquoEnseignement supeacuterieur et de la Recherche Mme Najat Vallaud-Belkacem (2015b) a adresseacute agrave

la communauteacute eacuteducative au lendemain des attentats elle soulignait en effet que laquo lrsquoEacutecole de la

Reacutepublique transmet aux eacutelegraveves une culture commune raquo pilier drsquoune identiteacute nationale partageacutee

358

17 Conclusion et perspectives

Dans la construction du savoir anthropologique deux dynamiques se

rencontrent La premiegravere que jrsquoappellerais laquo objective raquo est la description

circonstancieacutee de lrsquoobjet drsquoeacutetude qui se deacuteveloppe agrave partir drsquoune meacutethodologie qui

se veut scientifique et qui se base sur des proceacutedeacutes et des outils laquo savants raquo accepteacutes

et partageacutes par la communauteacute acadeacutemique La seconde plus laquo subjective raquo est

lrsquoautoformation du sujet eacutepisteacutemique agrave savoir lrsquoanthropologue qui construit sa

compreacutehension de la reacutealiteacute eacutetudieacutee agrave partir drsquoune reacuteflexion baseacutee sur son veacutecu et

son ideacuteologie et qui est de par sa nature dynamique et changeante extrecircmement

creacuteative et peu incline agrave la scheacutematisation laquo scientifique raquo Le terrain drsquoeacutetude ancreacute

dans un espace empirique animeacute par des pheacutenomegravenes des situations et des

dynamiques devient donc un veacuteritable laquo lieu de construction cognitive raquo (Affergan

1999 8) Cependant cette construction questionne lrsquoanthropologue qui oscillant

entre ses observations et ses reacuteflexions doit se demander quelles modaliteacutes sont les

plus adapteacutees pour deacutecrire et modeacuteliser objectivement la reacutealiteacute qursquoil eacutetudie tout en

conservant son propre laquo positionnement raquo subjectif

Agrave partir des anneacutees 1970 le tournant laquo postmoderne raquo en anthropologie qui

a permis la remise en question de laquo lrsquoautoriteacute ethnographique raquo ndash et avec elle la

preacutetention selon laquelle lrsquoeacutecriture ethnographique pouvait eacutetablir une laquo veacuteriteacute raquo

absolue autour drsquoune reacutealiteacute sociale particuliegravere en la lrsquoinscrivant dans un texte ndash a

surtout donneacute la possibiliteacute de revaloriser lrsquoexpeacuterience ethnographique en tant que

359

source de reacuteflexion autour des dynamiques laquo modernes raquo du pouvoir des relations

interculturelles et des processus de construction drsquoun savoir partageacute et

laquo socialement impliqueacute raquo (Reynoso 1998)252 Si on considegravere en suivant la

perspective de lrsquoanthropologie historique laquo antipositiviste raquo de Wilhelm Dilthey

(1914) que lrsquoethnographie est moins un processus drsquoexplication que

drsquointerpreacutetation il devient degraves lors eacutevident que le rocircle drsquoune monographie

ethnographique nrsquoest pas seulement de classifier des donneacutees en fonction de

cateacutegories conceptuelles preacutedeacutefinies mais plutocirct de construire ndash de maniegravere plus ou

moins discursive ndash des significations capables de repreacutesenter des dynamiques

sociales sans deacutependre de meacutethodologies ou drsquoeacutepisteacutemologies systeacutematiques et

deacutefinies agrave lrsquoavance Lrsquoanthropologie comme lrsquoeacutecrit fort justement Ugo Fabietti

(1995) ne peut pas se reacuteduire agrave une seacuterie de proceacutedeacutes laquo techniques raquo crsquoest avant

tout une posture

252 La revalorisation du sujet eacutepisteacutemique a eu un impact consideacuterable non seulement dans le

domaine de la construction du savoir anthropologique mais aussi dans les autres sciences humaines

et sociales Lrsquohistorien Georges Duby par exemple affirmait en 1991 que laquo depuis quelque temps

jrsquoemploie de plus en plus le mot ldquojerdquo dans mes livres Crsquoest ma faccedilon drsquoavertir mon lecteur Je ne

preacutetends pas lui transmettre la veacuteriteacute mais lui suggeacuterer le probable placer devant lui lrsquoimage que je

me fais honnecirctement du vrai raquo (Duby 1991 81) Agrave propos de cette laquo renaissance raquo du laquo je raquo dans les

sciences humaines et sociales des reacuteflexions similaires ont eacuteteacute proposeacutees entre autres par

lrsquoanthropologue Philippe Descola (1993) dans le post-scriptum de lrsquoouvrage Les lances du creacutepuscule

et plus reacutecemment par lrsquohistorien Patrick Boucheron (2016)

360

Cependant les difficulteacutes inheacuterentes agrave lrsquointerpreacutetation de cette laquo forecirct de

symboles253 raquo qursquoest la culture de chaque groupe humain obligent parfois les

anthropologues agrave des acrobaties seacutemantiques afin de laquo deacutecrire lrsquoindescriptible raquo

Dans le cadre de cette eacutetude ndash dans laquelle jrsquoai chercheacute agrave comparer agrave partir drsquoune

approche anthropologique des reacutealiteacutes qui de par leurs caracteacuteristiques formelles

eacutetaient difficilement comparables ndash jrsquoai ducirc faire face au mecircme questionnement et au

dilemme imposeacute par la neacutecessiteacute de mettre au point non seulement une

meacutethodologie analytique mais aussi une strateacutegie capable de rendre compte du fait

que malgreacute la laquo distance raquo culturelle qui les seacutepare ces reacutealiteacutes eacutetudieacutees sont unies

par de mecircmes tensions sociales dont les origines sont enracineacutees dans lrsquohistoire

coloniale franccedilaise

Au bout du compte cette thegravese reposait sur un deacutefi ndash permettre un dialogue

polyphonique entre les sciences anthropologiques les sciences de lrsquoeacuteducation et les

sciences politiques ndash et sur un pari ndash analyser avec les laquo outils raquo meacutethodologiques de

lrsquoanthropologie une dynamique propre aux sciences de lrsquoeacuteducation pour proposer

des solutions de type politique Cet enjeu global ne facilitait pas la laquo discursiviteacute raquo

Crsquoest pourquoi les proceacutedeacutes que jrsquoai deacutecideacute drsquoemployer sont plus le produit drsquoun

compromis et drsquoune adaptation que lrsquoapplication drsquoune meacutethodologie standardiseacutee

agrave mes terrains drsquoeacutetude Les donneacutees qui alimentent ma recherche ont eacuteteacute obtenues

et analyseacutees en empruntant des laquo outils raquo analytiques propres agrave chacune des trois

disciplines mentionneacutees lrsquoobservation participante et les entretiens la mesure des

253 Ideacutee emprunteacutee agrave Victor Turner (1967) auteur du ceacutelegravebre essai The forest of symbols

361

interactions agrave lrsquoaide drsquoune grille chronomeacutetrique la recherche des origines drsquoune

certaine ideacuteologie gracircce agrave la relecture de sources bibliographiques primaires

Au-delagrave des reacutesultats obtenus qui ne coiumlncident pas neacutecessairement avec

ceux que jrsquoattendais cette recherche mrsquoa assureacutement permis de mieux me situer

dans le deacutebat sur la question eacuteducative les situations pluriculturelles et

lrsquoautochtonie tout en me permettant de remettre en question certaines eacutevidences

Par ailleurs puisque les temps sont agrave lrsquoexplicitation des points de vue et aux prises

de position cette thegravese mrsquoa aussi permis de mieux comprendre ma place dans le jeu

de forces qui oppose les dynamiques constitutives de notre laquo hyper-moderniteacute raquo

globale drsquoun cocircteacute celles laquo verticales raquo qui mettent en relation les groupes

heacutegeacutemoniques avec les subalternes et de lrsquoautre celles laquo horizontales raquo centrifuges

et centripegravetes qui mettent en relation un laquo centre raquo (qui revendique sa

souveraineteacute) et une laquo peacuteripheacuterie raquo (qui revendique son identiteacute) Tout sujet

eacutepisteacutemique tout comme son objet drsquoeacutetude est deacutefini en fonction de ces

dynamiques Comprendre la porteacutee de ces derniegraveres est donc probablement le

premier pas pour construire un savoir moins speacuteculatif et moins abstrait

171 Reacutesultats attendus initialement

Lrsquoobjectif geacuteneacuteral de cette thegravese eacutetait de comprendre agrave partir de deux cas

drsquoeacutetude le rocircle joueacute par la famille autochtone dans la transmission des donneacutees

culturelles Cette comparaison devait permettre de deacutecrire les modaliteacutes de

perpeacutetuation de construction et de transformation des savoirs laquo locaux raquo et de les

mettre en rapport avec lrsquohabitat particulier caracteacuteristique des terrains drsquoeacutetude

362

choisis Si agrave lrsquoorigine ce travail visait agrave saisir des dynamiques que je consideacuterais ndash

avec une certaine naiumlveteacute je lrsquoavoue ndash comme laquo traditionnelles raquo la reacutealiteacute du terrain

et les relations noueacutees avec mes dits laquo informateurs raquo (qui eacutetaient selon les cas des

amis des voisins des collegravegues) mrsquoont pousseacute agrave laquo corriger le tir raquo et agrave abandonner

certains preacutejugeacutes autour de la supposeacutee laquo tradition raquo Les Wayana-Apalaiuml et les

Enata avec qui jrsquoai veacutecu et travailleacute mrsquoont agrave maintes reprises montreacute que leur

laquo tradition raquo eacutetait bien plus le produit drsquoune reacuteinterpreacutetation creacuteative de leur

meacutemoire historique que la simple persistance drsquoune seacuterie de normes usages et

coutumes ayant surveacutecus agrave lrsquoeacutepreuve de lrsquohistoire

Le laquo reconditionnement raquo de la tradition et ses effets sur les logiques

eacuteducatives sont devenus des laquo objets raquo drsquoeacutetude compleacutementaires qui mrsquoont obligeacute agrave

reconsideacuterer cette dynamique drsquointeacuterecirct anthropologique qursquoest la transmission de

la culture agrave la lumiegravere de certaines reacuteflexions autour de lrsquoidentiteacute ethnique et du

processus drsquointeacutegration postcoloniale En Guyane comme en Polyneacutesie franccedilaise jrsquoai

ducirc faire face agrave une probleacutematique beaucoup plus complexe que celle que jrsquoavais

imagineacutee entremecirclant la question des revendications sociales autochtones celle des

situations pluriculturelles et celle du deacuteveloppement eacuteconomique des deacutepartements

et des collectiviteacutes drsquoOutre-mer Un nouvel objectif speacutecifique a donc eacutemergeacute

comprendre les speacutecificiteacutes du processus drsquoacculturation qui a suivi la colonisation

de ces territoires pour en deacuteceler les bases ideacuteologiques et ses effets sur le substrat

social et culturel des communauteacutes concerneacutees

Bien qursquoagrave lrsquoorigine lrsquoutilisation de protocoles qui avaient deacutejagrave fait leurs

preuves dans drsquoautres contextes autochtones (afin drsquoobtenir des donneacutees

363

comparables) me semblait suffisante pour le recueil de donneacutees je me suis tregraves

rapidement rendu compte que leur application agrave la reacutealiteacute speacutecifique de mes terrains

drsquoeacutetude ne pouvait se faire sans adaptation En effet les protocoles qui ont permis

lrsquoeacutetude du caregiving timing employeacutes par certains anthropologues dans les Eacutetats

africains de lrsquoancien empire colonial britannique ou ceux utiliseacutes pour lrsquoanalyse des

microsystegravemes de socialisation des minoriteacutes ethniques aux Eacutetats-Unis ne pouvaient

pas ecirctre reacutepliqueacutes agrave lrsquoidentique dans le contexte de la France drsquoOutre-mer ougrave les

anciennes colonies franccedilaises sont maintenant inteacutegreacutees agrave la nation (sous forme de

DOM ou de COM) et ougrave les groupes autochtones constituent la majoriteacute statistique

de la population locale

En conseacutequence il mrsquoa fallu partiellement redeacutefinir mes objectifs et adapter

les protocoles de recueil de donneacutees Un nouvel objectif est devenu partie inteacutegrante

de ce travail explorer la possibiliteacute de mettre au point une meacutethodologie

compreacutehensive capable de produire des donneacutees laquo mesurables raquo et drsquointeacutegrer les

donneacutees issues de lrsquoobservation pheacutenomeacutenologique Cet eacuteniegraveme compromis mrsquoa

permis de creacuteer des outils simples mais efficaces (comme les grilles drsquoobservation

des interactions) pour faciliter le recueil de donneacutees sans pour autant preacutetendre

ecirctre capable de reacuteveacuteler dans son inteacutegraliteacute la dynamique eacuteducative des contextes

laquo peacuteripheacuteriques raquo

A posteriori je suis bien conscient des limites que pose la meacutethodologie que

jrsquoai finalement adopteacutee Srsquoagissant drsquoune eacutetude exploratoire elle visait avant tout agrave

deacutecrire une tendance geacuteneacuterale et ne mrsquoa pas permis drsquoacceacuteder agrave certains deacutetails

neacutecessaires agrave une description approfondie du processus de transmission des savoirs

364

chez les Wayana-Apalaiuml et chez les Enata Le fait que mon univers drsquoeacutetude ait eacuteteacute

plutocirct restreint ne mrsquoa pas permis de geacuteneacuteraliser certaines conclusions car il mrsquoest

impossible drsquoaffirmer que tous les eacuteducateurs wayana-apalaiuml ou enata se

comportent de la mecircme maniegravere agrave partir des mecircmes logiques eacuteducatives et dans le

cadre du mecircme eacutecosystegraveme eacuteducatif Mes observations nrsquoayant concerneacute que les

interactions domestiques jrsquoavais volontairement exclu la description et lrsquoanalyse

des interactions observables dans les cadres scolaire associatif ou religieux qui

restent agrave eacutetudier

172 Reacutesultats obtenus

La premiegravere difficulteacute poseacutee par ce laquo compromis raquo entre diffeacuterentes

disciplines (lrsquoanthropologie les sciences de lrsquoeacuteducation et les sciences politiques)

qui appreacutehendent la question eacuteducative agrave partir de perspectives apparemment

divergentes a eacuteteacute le choix de la terminologie agrave utiliser Pris au piegravege par la faible

disposition que montrent parfois ces champs du savoir chacun adoptant des

cateacutegories analytiques souvent rigides et difficilement laquo traduisibles raquo jrsquoai donc

deacutecideacute de consacrer toute la premiegravere partie de cette thegravese agrave la deacuteconstruction et agrave

la laquo reconstruction raquo de certaines notions concepts et theacuteories qui font partie des

outils partageacutes par les trois disciplines mais conccedilus de maniegravere assez diffeacuterente Ce

travail de deacutemontage et drsquoassemblage appreacutehendeacute comme un

laquo parcours conceptuel raquo a principalement concerneacute les notions de culture

drsquoeacuteducation et drsquoautochtonie afin de proposer une nouvelle cateacutegorisation dans le

but de montrer les laquo forces raquo ideacuteologiques qui en leur assignant une valeur et une

365

signification politique les ont transformeacutees en concepts Jrsquoespegravere que ce premier

reacutesultat pourra faciliter le travail de ceux qui envisagent de mener des recherches

sur des terrains similaires agrave ceux qui sont au cœur de la preacutesente eacutetude

Lrsquoanalyse des donneacutees concernant les eacutecosystegravemes eacuteducatifs dans les deux

terrains drsquoeacutetude choisis a permis drsquoatteindre un deuxiegraveme reacutesultat majeur La

comparaison des donneacutees ethno-historiques avec celles obtenues par mes propres

observations nous permet de savoir que si laquo traditionnellement raquo la transmission

des donneacutees culturelles eacutetait dans les deux contextes une responsabiliteacute partageacutee

par les parents et les autres membres de la famille ndash au sein drsquoun reacuteseau eacutetendu de

parenteacute qui connectait tous les membres de la communauteacute agrave lrsquoheure actuelle ce

monopole de la famille a eacuteteacute briseacute par lrsquointervention drsquoune seacuterie drsquoacteurs

relativement nouveaux et chargeacutes eux aussi ndash plus ou moins explicitement ndash de

lrsquoeacuteducation des plus jeunes agrave savoir lrsquoeacutecole les associations culturelles et les

congreacutegations religieuses Parmi ces acteurs laquo eacutemergents raquo lrsquoeacutecole est celui qui

occupe le rocircle central du fait de son caractegravere obligatoire et du temps que les enfants

y consacrent La documentation consulteacutee et les souvenirs des personnes acircgeacutees nous

apprennent que son apparition nrsquoa pas eacuteteacute indolore mais les observations meneacutees

dans le cadre de cette recherche nous reacutevegravelent aussi que agrave lrsquoheure actuelle lrsquoattitude

des populations locales a changeacute Aujourdrsquohui les familles ont beaucoup drsquoattentes

vis-agrave-vis de lrsquoeacuteducation scolaire et ont lrsquoespoir que leurs enfants puissent profiter de

ses bienfaits pour atteindre un meilleur niveau de vie Cependant la reacutealiteacute des faits

et les statistiques des organismes concerneacutes nous montrent que en Guyane et en

Polyneacutesie franccedilaise ndash comme souvent ailleurs en France ndash lrsquoeacutecole ne semble pas

366

garantir la mobiliteacute sociale des jeunes provenant des milieux deacutefavoriseacutes surtout

dans les contextes ruraux et isoleacutes de lrsquoOutre-mer En drsquoautres termes pour les

Wayana-Apalaiuml et pour les Enata laquo lrsquoascenseur social est en panne raquo (Ledoux 2012

9)

Bien que la compreacutehension du rocircle de lrsquoeacuteducation scolaire ne faisait pas

partie des objectifs prioritaires que je mrsquoeacutetais fixeacutes au moment de lrsquoeacutelaboration de

ce projet de recherche la reacutealiteacute du terrain mrsquoa imposeacute bon greacute mal greacute drsquoen

analyser les impacts sur la vie quotidienne des familles observeacutees afin de

comprendre les raisons qui pouvaient expliquer la transformation de lrsquoideacuteologie

eacuteducative laquo traditionnelle raquo (censeacutee viser lrsquoadaptation agrave un eacutecosystegraveme social et

naturel local) du fait des dynamiques globales (visant elles lrsquointeacutegration des enfants

agrave un contexte microsystegravemique animeacute par des dynamiques politiques et

eacuteconomiques de niveau national et international) Enquecircter aupregraves des parents des

membres les plus acircgeacutes des communauteacutes et aussi aupregraves des enseignants qui

travaillent dans les eacutecoles drsquoAntecume pata et de Hiva Oa a donc permis drsquoidentifier

plus preacuteciseacutement les obstacles qui sont agrave lrsquoorigine de cette laquo panne raquo dont souffre

lrsquoeacutecole de lrsquoOutre-mer Il srsquoagit agrave mon avis drsquoobstacles qui ont une double nature ndash

structurelle (due agrave une gestion trop centraliseacutee des ressources eacuteducatives) et

ideacuteologique (due agrave une vision ethnocentrique de la culture en tant que laquo patrimoine

de la Nation raquo) ndash et qui pour ecirctre deacutepasseacutes neacutecessitent une meilleure coopeacuteration

entre les organismes publics compeacutetents en matiegravere drsquoeacuteducation et les

communauteacutes locales

367

Un troisiegraveme reacutesultat a eacuteteacute lrsquoidentification agrave la lumiegravere des donneacutees

recueillies de certains effets du processus drsquoacculturation dans les deux terrains

drsquoeacutetude ainsi que de ses divers impacts sur les Ameacuterindiens du Haut Maroni et les

Enata en raison de certaines variables historiques et geacuteographiques Drsquoun cocircteacute

lrsquoexpeacuterience guyanaise avec sa transfiguration ethnique laquo agrave retardement raquo mrsquoa

permis de mieux cerner les effets des politiques publiques qui ont autoriseacute la

destruction de lrsquoenvironnement naturel et des formes drsquoorganisation sociale qui

constituaient lrsquoeacutecosystegraveme de reacutefeacuterence des Wayana-Apalaiuml ndash tout en facilitant la

genegravese et la diffusion de certains problegravemes comme lrsquoalcoolisme la violence

intrafamiliale ou la preacutedisposition au suicide des plus jeunes Drsquoun autre cocircteacute

lrsquoenquecircte meneacutee agrave Hiva Oa mrsquoa permis de comprendre avec un certain optimisme

lrsquoimportance du processus de reformulation de lrsquoidentiteacute locale qui a donneacute aux

Marquisiens la capaciteacute de srsquoadapter aux contraintes qui deacutecoulent de leur triple

appartenance agrave une communauteacute autochtone agrave une collectiviteacute territoriale et agrave une

nation un processus qui est le fruit drsquoun lent mais progressif chemin de

reconstruction de la meacutemoire collective faciliteacute par des acteurs sociaux externes

mais inteacutegreacutes aux communauteacutes (comme lrsquoeacutecole et les congreacutegations religieuses) et

par un cadre juridique particulier (qui assigne certaines compeacutetences aux

responsables locaux) deacuterivant du statut drsquoautonomie de la Polyneacutesie franccedilaise

Finalement jrsquoespegravere que de ces reacutesultats pourront alimenter une reacuteflexion

plus laquo politique raquo autour de certaines solutions proposeacutees dans les chapitres

preacuteceacutedents qui visent agrave mieux adapter les politiques eacuteducatives nationales et

368

territoriales aux speacutecificiteacutes locales Crsquoest agrave ce moment-lagrave que la recherche devient

laquo socialement pertinente raquo

173 Pistes pour la recherche

Maintenant que cette recherche se termine avec ses limites que je reconnais

bien volontiers il paraicirct important de preacutesenter briegravevement des propositions et des

ideacutees qui pourraient stimuler drsquoautres chercheurs inteacuteresseacutes par lrsquoeacutetude de cet

laquo objet raquo anthropologique qursquoest lrsquoeacuteducation

En premier lieu il serait important de perfectionner la meacutethodologie qui peut

permettre drsquoavancer dans ce domaine agrave partir de la mise au point drsquoune seacuterie de

protocoles standardiseacutes pour mieux recenser et comprendre les modegraveles eacuteducatifs

observables en France Lrsquoobservation des interactions eacuteducatives la mesure du

temps que les eacuteducateurs y consacrent tout comme lrsquoidentification des styles

eacuteducatifs dominants offrent des perspectives tregraves inteacuteressantes pour eacutetudier les

laquo pratiques observables raquo en les mettant en rapport avec les laquo pratiques deacuteclareacutees raquo

et les repreacutesentations des eacuteducateurs

Il serait inteacuteressant de ne pas limiter ces observations au cadre domestique

et de les eacutelargir aux autres microsystegravemes de socialisation qui constituent

lrsquoenvironnement eacuteducatif comme les espaces scolaires associatifs religieux et ceux

qui sont propres agrave diverses institutions culturelles (les bibliothegraveques les

369

meacutediathegraveques ou les museacutees)254 Aussi il serait important drsquoapprofondir notre

connaissance des dynamiques eacuteducatives drsquoautres communauteacutes aux fortes et

anciennes speacutecificiteacutes culturelles qui sont incluses dans la nation franccedilaise Ainsi le

champ drsquoaction des recherches futures ne serait pas limiteacute aux seuls peuples de

lrsquoOutre-mer mais pourrait inclure des communauteacutes meacutetropolitaines qui

revendiquent leur laquo alteacuteriteacute raquo et leur identiteacute ethnique Finalement au vu des deacutebats

qui agrave lrsquoheure actuelle divisent lrsquoopinion publique franccedilaise autour de la dite laquo crise

migratoire raquo il serait fondamental que des recherches similaires puissent eacutegalement

concerner les communauteacutes qui viennent drsquoailleurs et qui se sont installeacutees ndash

temporairement ou durablement ndash sur le territoire national les laquo immigrants raquo et

les laquo eacutetrangers raquo

Des eacutetudes dans ce domaine pourront nous permettre de mieux comprendre

les diffeacuterentes dynamiques qui animent la socieacuteteacute franccedilaise caracteacuteriseacutee par une

situation pluriculturelle qui nrsquoa jamais reacuteussi agrave se transformer en situation

multiculturelle - politiquement et juridiquement parlant - en raison de la volonteacute

des administrations publiques drsquoecirctre laquo indiffeacuterentes aux diffeacuterences raquo La promotion

de cette compreacutehension mutuelle nous aidera agrave deacutepasser certains preacutejugeacutes qui nrsquoont

drsquoautre effets que celui drsquoalimenter les conflits et de rendre plus difficile lrsquointeacutegration

de lrsquoalteacuteriteacute Il srsquoagit lagrave drsquoun deacutefi que les sciences anthropologiques peuvent ndash et agrave

254 Ce dernier a eacuteteacute exploreacute par Rodica Ailincai (2005 et 2011) et Franccedilois-Xavier Bernard (2012) et

au vu du rocircle que joue ce type drsquoinstitutions dans la vie culturelle de la France meacuteriterait drsquoecirctre mieux

connu

370

mon avis doivent ndash relever Lrsquoune des vertus de lrsquoanthropologie comme drsquoailleurs

de toutes les sciences humaines et sociales nrsquoest-elle pas de se deacutefaire des fausses

eacutevidences

Jrsquoespegravere finalement que de nouvelles recherches dans ce domaine pourront

motiver drsquoautres chercheurs agrave entreprendre ce laquo parcours du combattant raquo qursquoest le

travail ethnographique Un laquo terrain mineacute raquo qui mrsquoa obligeacute agrave faire face agrave mes erreurs

agrave analyser le cheminement tortueux de mes intuitions agrave me faire des amis (et des

ennemis) agrave reacuteagir avec enthousiasme colegravere ou deacutegout aux petits riens qui ont

constitueacute mon quotidien guyanais ou polyneacutesien Walter Benjamin (1938) eacutecrivait

que se perdre dans une ville est le plaisir le plus raffineacute qui soit et apregraves cinq ans

passeacutes entre lrsquoAmazonie et les mers du Sud je pense pouvoir affirmer que se perdre

dans les reacutealiteacutes sociales que jrsquoai pu y explorer lrsquoa pleinement eacuteteacute pour moi

371

Synthegravese de la troisiegraveme partie

Nombre drsquoobservateurs srsquoaccordent pour affirmer que le modegravele reacutepublicain

franccedilais ndash et son laquo indiffeacuterence aux diffeacuterences raquo ndash est deacutesormais en crise La socieacuteteacute

franccedilaise est en fait constitueacutee drsquoune extraordinaire varieacuteteacute de communauteacutes

ethniques et culturelles parfois pouvant ecirctre deacutefinies comme autochtones et qui

reacuteclament de plus en plus leur alteacuteriteacute et la prise en compte de leurs speacutecificiteacutes

culturelles Les effets de cette crise sont particuliegraverement visibles dans le cadre

scolaire dans la mesure ougrave le systegraveme eacuteducatif national nrsquoa pas reacuteussi agrave relever le

deacutefi que lui imposait son triple rocircle de bastion du patrimoine culturel de la nation

de forge de citoyens et de fabrique de professionnels Le manque drsquoeacutequiteacute dont ce

dernier semble souffrir fait qursquoil est difficile pour les eacutelegraveves provenant de milieux

deacutefavoriseacutes drsquoobtenir de bonnes performances scolaires ce qui fait douter certains

analystes quant agrave la capaciteacute de ce systegraveme agrave fonctionner comme meacutecanisme

drsquoascension sociale Bien que les organismes publics chargeacutes de lrsquoeacuteducation aient

souvent consideacutereacute que les causes de cet eacutechec eacutetaient lieacutees agrave la personnaliteacute aux

compeacutetences langagiegraveres et au milieu social des enfants drsquoautres recherches ont mis

en lumiegravere qursquoen reacutealiteacute la reacuteussite deacutepend plutocirct drsquoun facteur de type

microsystegravemique agrave savoir la capaciteacute de lrsquoeacutecole agrave inteacutegrer ces eacutelegraveves et agrave leur offrir

un parcours drsquoapprentissage adapteacute agrave leurs speacutecificiteacutes socioculturelles et aux

besoins de leur communauteacute

372

Pour ce qui est des peuples autochtones des territoires drsquoOutre-mer on peut

identifier deux types drsquoobstacles agrave la reacuteussite scolaire drsquoun cocircteacute les obstacles

structurels geacuteneacutereacutes par une gestion eacutetatique des ressources eacuteconomiques qui

privileacutegie le territoire meacutetropolitain et de lrsquoautre les obstacles ideacuteologiques

produits par des logiques laquo coloniales raquo qui animent aujourdrsquohui encore lrsquoaction

eacuteducative de lrsquoEacutetat Dans la premiegravere cateacutegorie ndash soit au niveau structurel ndash deux

obstacles majeurs apparaissent le faible nombre drsquoeacutetablissements scolaires dans

les territoires ougrave la majoriteacute de la population est autochtone et le manque

drsquoinvestissement pour soutenir les coucircts directs et indirects de la scolarisation

auxquels les meacutenages deacutefavoriseacutes font difficilement face Dans la deuxiegraveme cateacutegorie

ndash soit au niveau ideacuteologique ndash on trouve le manque drsquoadaptation des rythmes et

des contenus scolaires aux reacutealiteacutes locales et aux besoins speacutecifiques des

populations concerneacutees le manque de formation des enseignants qui sont envoyeacutes

pour travailler avec ces populations et finalement le rejet de lrsquoeacutecole en tant

qursquoinstitution laquo civilisatrice raquo emblegraveme de la colonisation

Une meilleure connaissance de ces obstacles et de lrsquoimpact qursquoils ont sur les

familles permettrait de repenser certaines politiques publiques afin drsquoen reacuteduire les

effets neacutegatifs et de mettre en place des dispositifs plus performants pouvant

garantir une meilleure reacuteussite des eacutelegraveves autochtones De nouvelles eacutetudes

srsquoimposent alors notamment pour mieux deacutecrire les meacutecanismes de production et

de transmission de la diversiteacute culturelle Il est donc important de valoriser la

recherche en anthropologie de lrsquoeacuteducation dans le but de comprendre la reacutealiteacute

sociale laquo multidimensionnelle raquo de la France actuelle Les reacutesultats qursquoon pourrait

373

obtenir seront drsquoune grande utiliteacute pour le deacuteveloppement de nouvelles politiques

eacuteducatives Cependant leur porteacutee demeurera limiteacutee si elles ne sont pas

accompagneacutees drsquoune deacutemarche participative qui permette drsquointeacutegrer les

communauteacutes particuliegraveres au processus de gestion et drsquoimpleacutementation de ces

politiques

Il srsquoagit indubitablement drsquoun enjeu majeur rendre aux communauteacutes aux

fortes et anciennes speacutecificiteacutes culturelles le pouvoir de choisir leur destin implique

de deacutelocaliser certains processus deacutecisionnaires afin de garantir que la laquo reacuteussite

pour tous raquo coiumlncide avec lrsquoideacutee que chaque communauteacute se fait de la laquo reacuteussite raquo

Crsquoest lagrave un deacutefi qui ne sera pas facile agrave relever mais qui pourra contribuer agrave faciliter

le dialogue social dans un contexte national ougrave les questions identitaires sont

souvent instrumentaliseacutees pour justifier des prises de position de plus en plus

violentes

374

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TABLE DES FIGURES

Figure 1 Deux visions de la culture 47

Figure 2 Deux visions de lrsquoeacuteducation 48

Figure 3 Eacutechanges intergeacuteneacuterationnels et culturels entre eacuteducateur et eacuteduqueacute 52

Figure 4 Les relations entre systegravemes eacutecologiques 58

Figure 5 Cultures heacutegeacutemoniques et culture subalternes 94

Figure 6 Dialectique de la cosmopolitisation et de lrsquoindigeacutenisation 99

Figure 7 Les concepts lieacutes agrave lrsquoidentiteacute drsquoun groupe humain 108

Figure 8 Position de la Guyane et de la Polyneacutesie franccedilaise 139

Figure 9 La Guyane franccedilaise et le village drsquoAntecume pata 158

Figure 10 Les villages ameacuterindiens du Haut Maroni 168

Figure 11 La ligne de deacutemarcation de la Zone agrave Accegraves Regraveglementeacute 170

Figure 12 Localisation actuelle des communauteacutes Wayana et Apalaiuml en Guyane au

Suriname et au Breacutesil 172

Figure 13 La Polyneacutesie franccedilaise et lrsquoarchipel des Marquises 180

Figure 14 Lrsquoicircle de Hiva Oa 181

Figure 15 La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants wayana-apalaiuml

212

Figure 16La galaxie des microsystegravemes de socialisation chez les enfants enata 227

Figure 17 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Antecume

pata 2011) 235

Figure 18 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Antecume pata

2014) 239

Figure 19 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours feacuterieacutes (Hiva Oa 2014)

242

Figure 20 Exposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours ouvrables (Hiva Oa

2014) 245

Figure 21 Pourcentage moyen du temps journalier pendant lequel les enfants sont

exposeacutes agrave des interactions eacuteducatives selon lrsquoeacuteducateur et le contexte eacutetudieacute

251

Figure 22 Comparaison des styles interactifs dominants dans les terrains drsquoeacutetude 273

423

TABLE DES TABLEAUX

Tableau 1 Villages wayana-apalaiuml du Haut Maroni donneacutees deacutemographiques et

population scolaire 173

Tableau 2 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Antecume pata 2011) 233

Tableau 3 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Antecume pata 2011) 236

Tableau 4 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Antecume pata 2014) 237

Tableau 5 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Antecume pata 2014) 238

Tableau 6 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (Hiva Oa 2014) 241

Tableau 7 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (Hiva Oa 2014) 244

Tableau 8 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour feacuterieacute (France meacutetropolitaine 2014) 248

Tableau 9 La moyenne de temps consacreacute aux activiteacutes agrave caractegravere eacuteducatif pendant un

jour ouvrable (France meacutetropolitaine 2014) 249

Tableau 10 Pourcentage moyen drsquoexposition aux interactions eacuteducatives pendant les jours

ouvrables comparaison entre les contextes drsquoeacutetude et le groupe teacutemoin en

France meacutetropolitaine 249

Tableau 11 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours feacuterieacutes (en 2011) 258

Tableau 12 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours ouvrables (en 2011) 259

Tableau 13 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours feacuterieacutes (en 2014) 261

Tableau 14 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Antecume pata pendant

les jours ouvrables (en 2014) 262

Tableau 15 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours

feacuterieacutes (en 2014) 265

424

Tableau 16 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif agrave Hiva Oa pendant les jours

ouvrables (en 2014) 267

Tableau 17 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine

pendant les jours feacuterieacutes (en 2014) 268

Tableau 18 Exposition aux interactions selon le style eacuteducatif en France meacutetropolitaine

pendant les jours ouvrables (en 2014) 269