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UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École doctorale de droit – CEDAG Thèse pour le doctorat en droit privé Présentée et soutenue publiquement le 01/04/2014 ESSAI SUR LE DROIT AU CRÉDIT Marie NICOLLE Directeur de thèse : Monsieur Dominique LEGEAIS Professeur à l’Université Paris Descartes (Paris V) Membres du jury : Madame Mireille BACACHE Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) Monsieur Nicolas MATHEY Professeur à l’Université Paris Descartes (Paris V) Monsieur Philippe NEAU-LEDUC Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) Monsieur Thierry REVET Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) Madame Judith ROCHFELD Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

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UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École doctorale de droit – CEDAG Thèse pour le doctorat en droit privé

Présentée et soutenue publiquement le 01/04/2014

ESSAI SUR LE DROIT AU CRÉDIT

Marie NICOLLE

Directeur de thèse : Monsieur Dominique LEGEAIS

Professeur à l’Université Paris Descartes (Paris V)

Membres du jury : Madame Mireille BACACHE Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Monsieur Nicolas MATHEY Professeur à l’Université Paris Descartes (Paris V)

Monsieur Philippe NEAU-LEDUC Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Monsieur Thierry REVET Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Madame Judith ROCHFELD Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

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SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE L’ADMISSIBILITÉ DU DROIT AU CRÉDIT

TITRE I. LA NON-DISCRÉTIONNARITÉ DE LA DÉCISION DU BANQUIER CHAPITRE I. LA NOTION DE DISCRÉTIONNARITÉ CHAPITRE II. LES JUSTIFICATIONS DE LA DISCRÉTIONNARITÉ TITRE II. LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION DU BANQUIER CHAPITRE I. L’ÉTENDUE DU CONTRÔLE

CHAPITRE II. LA COMPATIBILITÉ DU CONTRÔLE AVEC LA NOTION DE CONTRAT

DEUXIÈME PARTIE L’ADMISSION DU DROIT AU CRÉDIT

TITRE I. LES VOIES DE L’ADMISSION CHAPITRE I. L’ADMISSION INDIRECTE PAR LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

CHAPITRE II. L’ADMISSION DIRECTE PAR LA RECONNAISSANCE D’UN DROIT TITRE II. LA RÉALISATION DU DROIT AU CRÉDIT CHAPITRE I. LA MISE EN ŒUVRE PAR LE SERVICE PUBLIC DU CRÉDIT CHAPITRE II. LA MISE EN ŒUVRE PAR UNE OBLIGATION DE CONTRACTER À LA CHARGE DU BANQUIER

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INTRODUCTION

1. Un droit sans passé juridique. Le droit au crédit n’existe pas. A l’heure actuelle, nul

n’a le droit d’exiger d’une banque la mise à disposition des fonds nécessaires à la réalisation

de son projet. L’idée du droit au crédit n’a d’ailleurs pas d’histoire. A vrai dire, jusqu’à la

Révolution de 1789, la question ne pouvait même pas se poser, étant donné que le prêt à

intérêt, figure emblématique du crédit, était interdit.

C’est ainsi que PLATON1 et ARISTOTE2 qualifièrent le prêt à intérêt d’institution

contre nature. Il fut ensuite condamné par les Pères de l’Eglise3 et le droit séculier, en premier

lieu par CHARLEMAGNE en l’an 789 dans l’admonitio generalis. Les Scolastiques, et

notamment SAINT THOMAS D’AQUIN, confirmèrent cette interdiction, mais reconnurent

au prêteur le droit d’être indemnisé du préjudice subi par la privation temporaire de son

argent4. A cette même époque, les premiers Monts de Piété se développèrent et furent

autorisés à prélever un faible intérêt destiné à couvrir leurs frais de fonctionnement.

Ultérieurement, le prêt à intérêt fut autorisé en Hollande et en Angleterre notamment,

sous l’influence des idées de CALVIN.

1 PLATON, Les lois, Livre V, XII : « On ne prêtera pas à intérêts, sinon, il sera permis à l'emprunteur de ne

rien rendre du tout, ni intérêts, ni capital ». 2 ARISTOTE, Politique, 1258b, Gallimard, coll. tel, p. 25, n° 5 : « Aussi a-t-on parfaitement raison d’exécrer

le prêt à intérêt, parce qu’alors les gains acquis proviennent de la monnaie elle-même et non plus de ce pour quoi on l’institua. La monnaie n’a été faite qu’en vue de l’échange ; l’intérêt, au contraire, multiplie cet argent même ; c’est de la là qu’il a pris son nom (tokos), parce que les êtres produits sont leurs parents, et l’intérêt est de l’argent ; aussi l’usure est-elle de tous les modes d’acquisition le plus contraire à la nature ».

3 Ces derniers invoquaient « l’Exode, où le prêt à intérêt est proscrit entre Hébreux, et Saint-Luc (VI, 35) qui affirme que le Christ dans son Sermon sur la montagne a déclaré : “Mutuum date nihil serpentes”. On n’a rien à espérer de plus d’un prêt que la restitution de la chose, parce que le temps n’appartient qu’à Dieu : il ne peut être l’objet de spéculations. Seuls les intérêts moratoires sont permis » (D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2e éd., 2012, p. 284). Il est à noter que la prohibition du prêt à intérêt se retrouve dans les religions juive (v. par ex. dans l’Ancien Testament, Deutéronome, XXIII, 20-21 : « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu’il s’agisse d’un prêt d’argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on exige intérêt. A l’étranger tu pourras prêter à intérêt… ») et musulmane (v. par ex. dans le Coran, Sourate 2, La Vache, 276 : « Ceux qui avalent le produit de l’usure se lèveront au jour de la résurrection comme celui que Satan a souillé de son contact… »). La finance islamique semble toutefois autoriser la rémunération d’un crédit dès lors qu’elle est liée au risque couru dans l’opération financée. En tout état de cause, le contrat de crédit doit porter sur un actif tangible. Pour une présentation de la finance islamique, cf. N. MATHEY, « La prise en compte des déterminants religieux dans la relation bancaire », RDBF 2012, dossier 13.

4 SAINT-THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIIe Partie, Question 78.

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En France, DU MOULIN proposa de distinguer les usures légitimes et illégitimes : « sont

mauvaises celles qui portent injustement atteinte aux intérêts de l’emprunteur, ce qui n’est

sans doute pas le cas s’il n’est pas un prodigue ou s’il a emprunté pour les besoins de son

commerce »5. Sa position fut fermement critiquée par BODIN et la Contre-Réforme réaffirma

la prohibition de l’intérêt. Un siècle plus tard, DOMAT puis POTHIER défendirent à nouveau

l’illégitimité de l’intérêt. Pour DOMAT, il était « contraire à la loi divine, au droit naturel, à la

justice et à l’équité », tandis que pour POTHIER, le prêt de consommation était

nécessairement « un contrat de bienfaisance »6.

Jean LE CORREUR, dans son Traité de la pratique des billets entre les négociants

(1682), et, un siècle après lui, TURGOT, dans son Mémoire sur le prêt d’argent (1770), se

démarquèrent cependant de la position de leurs prédécesseurs.

Le premier proposa de distinguer le prêt productif, susceptible de rémunération, du prêt à

la consommation, lequel devait être nécessairement gratuit. Quant à TURGOT, il assimila « le

prêt d’argent à intérêt à une location », de sorte que l’intérêt se présentait « comme les fruits

produits par le capital loué »7.

Jean LE CORREUR scandalisa mais TURGOT séduisit. Il faut dire que les « progrès de

l’économie, en particulier [ceux] du grand commerce, et la nécessité où l’Etat se trouv[ait]

d’emprunter sans cesse de l’argent », favorisèrent la réception de ses idées8. En 1776,

TURGOT créa la Caisse d’escompte, chargée d’escompter les lettres de change et autres

effets de commerce ainsi que d’octroyer des crédits à l’Etat9. Puis les décrets des 3 et 12

octobre 1789 levèrent la prohibition du prêt à intérêt et instaurèrent un taux légal. En 1804, le

Code civil consacra cet acquis dans ses articles 1905 et 1907.

2. Le développement du crédit au XIXe siècle ; SAINT-SIMON et PROUDHON.

Une fois le prêt à intérêt autorisé, la question d’un droit au crédit aurait pu se poser, ne serait-

ce que théoriquement. Tel ne fut pas le cas. Même légalisé, le crédit restait suspect. Etait en

cause « l’aversion séculaire de la population majoritairement catholique pour l’idée de crédit,

5 Citation extraite de D. DEROUSSIN, op. cit., p. 285. 6 Ibid. 7 Ibid. 8 A. PLESSIS, « Histoire des banques en France », http://www.fbf.fr/fr/files/88AFWG/Histoire_banques_

France.pdf. 9 Sur l’histoire de la Caisse d’escompte, v. not. J.-B. Léon SAY, Histoire de la caisse d’escompte, 1776 à

1793, spéc. p. 4 et 5, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5448011b/f11.image.

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aggravée par les souvenirs traumatisants de la banqueroute de Law et de la faillite des

Assignats »10. On conçoit que, dans ces conditions, l’idée d’un droit au crédit n’ait pu germer.

Pourtant, le développement économique et industriel ne tarda pas à révéler la carence en

instituts de crédit et l’insuffisance de la circulation de numéraire. Les banques prirent leur

essor et il parut nécessaire d’organiser le crédit11. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, on se

mit à débattre « du crédit public et du crédit à la grande industrie ou au grand commerce,

tandis que les petits crédits étaient laissés aux notaires, au Mont de Piété ou aux divers

intermédiaires et usuriers »12. Puis, en raison du « développement de la petite propriété avec

la formation d’une sorte d’élite agricole et artisanale (…), la question du crédit se [trouva] liée

à celle de la propriété et du travail »13.

SAINT-SIMON et les saint-simoniens illustrent tout particulièrement un fort courant de

pensée favorable à l’organisation démocratique du crédit. ENFANTIN, disciple de SAINT-

SIMON, soutint que, « dans une société où les uns possèdent des instruments d’industrie sans

avoir la capacité ou la volonté de les mettre en œuvre, et où d’autres, qui sont industrieux, ne

possèdent pas d’instruments de travail, le crédit doit avoir pour but de faire passer le plus

facilement possible ces instruments des mains des premiers qui les possèdent dans celles des

seconds qui savent les mettre en action »14. A sa suite, « les saint-simoniens attach[èrent]

l’édification du “nouveau christianisme” au développement symétrique du crédit et ils

firent du crédit une « vertu sociale »15.

On ne peut manquer d’évoquer également PROUDHON et son projet inachevé de

Banque du Peuple, qui résumait ainsi les principes devant y présider : « Le premier de ces

principes, c’est que toute matière première est fournie gratuitement à l’homme par la nature. Il

s’en suit comme conséquence que tout produit vient du capital, et réciproquement que tout

10 O. CHAÏBI, « Entre crédit public et crédit mutuel : un aperçu des théories du crédit au XIXe siècle »,

Romantisme, Revue du dix-neuvième siècle, 2011, n° 151, éd. Armand Colin, p. 53. Sur la banqueroute de LAW et la faillite des Assignats, v. not. GALBRAITH, L’argent, éd. Gallimard, coll. Folio Histoire ; Ch. RIST, Histoire des doctrines relatives au crédit et à la monnaie, de John LAW à nos jours, Dalloz, 2e éd., 1951.

11 V. sur ce point, P.-C. HAUTCOEUR, « Les transformations du crédit en France au XIXe siècle », Romantisme, Revue du dix-neuvième siècle, 2011, n° 151, éd. Armand Colin, p. 23 et s. ; A. PLESSIS, « Histoire des banques en France », http://www.fbf.fr/fr/files/88AFWG/Histoire_banques_France.pdf.

12 O. CHAÏBI, art. préc., p. 58. 13 Ibid. 14 B.-P. ENFANTIN, Economie politique et politique : religion saint-simonienne, éd. Bureau du Globe,

1831, p. 45. 15 J.-M. THIVEAUD, « “Industrie bancaire” “vertu sociale du crédit” “puissance morale de l’argent” »,

Revue d’économie financière, 1993-4, p. 542. L’auteur explique que « le paradigme de l’industrie bancaire, fleuron du système industriel tout entier, devient ainsi progressivement la référence pour tous les développements ultérieurs. Il sert d’abord au décollage de la société industrielle, à la transformation politique et sociale de la Terre, il va s’intégrer aussi aisément dans le prochain programme de la religion universelle » (Ibid., p. 549).

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capital est improductif. Le deuxième principe, c’est que toute opération de crédit se résout en

échange. La conséquence naturelle, c’est que la prestation des capitaux et l’escompte des

valeurs ne peuvent et ne doivent donner lieu à aucun intérêt. Il suit de ce qui précède que la

Banque du Peuple, ayant pour base la gratuité du crédit et de l’échange, pour objet la

circulation des valeurs, pour moyen le consentement des producteurs et des consommateurs,

peut et doit opérer sans capital »16.

On le voit, SAINT-SIMON comme PROUDHON plaçaient le crédit au centre de leurs

projets de société. Pour cette raison, ils auraient pu concevoir que le crédit soit l’objet d’un

droit. Il reste qu’ils n’ont abordé la question du crédit que sous l’angle de son organisation

politique et économique. Leur réflexion était indissociable d’un programme de révolution

sociale, dont le caractère utopique explique, sans doute, qu’il n’ait pas abouti, du moins sous

la forme qu’ils imaginaient17.

3. Explosion et exclusion du crédit. La suite de l’histoire est bien connue. La

bancarisation du pays n’a cessé de progresser. Le crédit est devenu l’instrument privilégié du

financement des entreprises avant que sa pratique ne s’étende aux ménages18. Il est « devenu

pour les consommateurs un moyen normal de couverture des besoins élémentaires de la vie,

notamment le logement, et pour les professionnels un instrument indispensable pour

16 P.-J. PROUDHON, « Rapport de la Commission des délégués du Luxembourg », in Solution du problème

social, p. 286. V. égal. O. CHAÏBI, Proudhon et la Banque du Peuple, éd. Société des écrivains, coll. Connaissances et savoirs, p. 34, 41 et 42, citant des extraits du Bulletin de la République (« La confiance, c’est le crédit, c’est l’essor donné à l’industrie et au commerce qui viennent de traverser une crise pénible ; c’est le premier mobile de la prospérité publique et privée, c’est la première garantie permanente de cette France que nous aimons tous d’une affection si pure, et pour le Salut de laquelle aucun de nous n’hésiterait à sacrifier sa vie ! »), de La République (« L’organisation du crédit, seule, peut produire cette grande et pacifique révolution (…) L’institution judiciaire est partout, que partout soit l’institution financière ») et de la Déclaration au peuple du 7 novembre 1848, Programme socialiste présenté entre autre par la Révolution démocratique et sociale (« C’est par les bonnes institutions de crédit que l’Etat peut assurer le droit au travail et réaliser les promesses de la révolution de février. Ici tout est à faire. Sans discuter maintenant aucun des projets proposés, nous disons que l’Etat doit intervenir dans les rapports du capital avec le travail, et se faire régulateur du crédit. Le crédit privé, qui cause, quand il est seul, des désastres périodiques et d’incessantes iniquités, doit être modéré et complété par un vaste crédit social, établi, non dans l’intérêt de quelques-uns, mais au profit de tous »).

17 V. sur ce point J. SAINT-SERNIN, « Le microcrédit- une arme associative contre la pauvreté », Corpus. Revue de philosophie, Univ. Paris X / Centre d’études d’histoire de la philosophie moderne et contemporaine, 2004, n° 47, p. 287 et s. L’auteur relève que « les idées de Proudhon sur la banque survivent partout dans les Crédits mutuels, dans les activités financières des sociétés mutualistes, dans les Building Societies, les Friendly Societies, dans les centres de distribution coopératives » ainsi qu’à travers l’action des associations de microcrédit. Un lien a également été établi entre la Banque du Peuple de Proudhon et les systèmes d’échanges locaux (v. not. http://www.selidaire.org/spip/spip.php?article468).

18 V. notamment R.-M. GELPI et F. JULIEN-LABRUYERE, Histoire du crédit à la consommation, éd. La découverte, 1994.

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entreprendre et développer une activité. Le crédit est l’un des moteurs de l’économie »19. Il

« permet les échanges », « stimule la production », « est créateur de monnaie »20. En bref, le

crédit « est le moyen et la condition de l’activité économique »21.

Il apparaît pourtant que de nombreuses personnes sont privées d’accès au crédit. Ce

phénomène, difficilement mesurable en l’absence de données précisément chiffrées, concerne

aussi bien les particuliers que les entreprises22.

S’agissant tout d’abord des particuliers, on estime qu’ils sont 20 à 30% à être exclus du

crédit à la consommation23. Il s’agit notamment de « ceux dont les revenus sont irréguliers ou

d’origine inhabituelle, et [de] ceux dont les emplois sont précaires »24. Les jeunes sont tout

particulièrement concernés puisque 75% d’entre eux « entrent sur le marché du travail avec

un CDD »25.

S’agissant ensuite des entreprises, il semble que le phénomène d’exclusion touche

principalement les très petites entreprises, c’est-à-dire celles « de moins de 10 personnes avec

un chiffre d’affaire ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros »26. Il concerne

19 J. STOUFFLET, « Le droit au crédit ? », Mélanges en l’honneur de A.-M. Sohm, Presses Universitaires de

la Faculté de droit de Clermont, 2005, p. 205. V. égal. J.-P. DESCHANEL, « L’information du banquier sur la vie des entreprises et la distribution du crédit », Revue Banque 1977, n° 365, p. 972.

20 A. SALGUIERO, Les modes d’évaluation de la dignité de crédit d’un emprunteur, thèse, préf. J. STOUFFLET, Fondation Varenne - L.G.D.J., coll. Thèses, n° 1, p. 5-6.

21 J.-P. DESCHANEL, art. préc., p. 972. V. également Th. BONNEAU, Droit bancaire, LGDJ, coll. Précis Domat, 10e éd., 2013, n° 1: « dans nos sociétés contemporaines, sans argent, il n’est pas possible de développer une quelconque activité ».

22 Rapport du groupe de travail « Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement », présidé par F. SOULAGE, nov. 2012, p. 21. V. égal., G. GLOUKOVIEZOFF, « Peut-on chiffrer l’exclusion bancaire ? », Rapport moral sur l’argent dans le monde, 2004-2005, p. 1 et s. L’exclusion bancaire concerne tant les personnes ne disposant pas de compte en banque que celles n’ayant pas accès au crédit. Outre l’exclusion imposée, l’auteur souligne l’existence d’un phénomène d’auto-exclusion.

23 V. CHOCRON, « Crédit à la consommation, la crise oblige les acteurs à repenser leur offre », Les Echos, 10 déc. 2013, http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0203179105441-credit-a-la-consommation-la-crise-oblige-les-acteurs-a-repenser-leur-offre-635800.php. Ces chiffres concernent l’année 2012. Pour d’autres chiffres, plus importants, mais à nuancer en raison de la technique d’évaluation utilisée, v. G. GLOUKOVIEZOFF, « Peut-il exister un droit au crédit pour les particuliers ? », Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion social, Les travaux de l’Observatoire, éd. La Documentation Française, pp. 465-510, 2008, spéc. p. 472. L’auteur renvoie à « une étude portant sur le premier quintille de la distribution des revenus » et selon laquelle « 57 % des ménages estiment qu’il leur est impossible ou difficile d’obtenir un crédit de 750 euros ». A. BABEAU, dans son Rapport sur « La demande des ménages en matière de crédit à la consommation et les ajustements nécessaires pour y répondre », établi en 2006 à la demande du Bipe, estimait pour sa part que le nombre de personnes solvables exclues du crédit à la consommation s’élevait à 600 000 (http://www.banque-france.fr/ccsf/fr/infos_prat/telechar/pdf/rap_babeau_06.pdf, p. 24).

24 M. DIETSCH, « Peut-il exister un droit au crédit ? », Revue d’économie financière, 2000, vol. 58, p. 136-137.

25 Rapport du groupe de travail « Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement », présidé par F. SOULAGE, nov. 2012, p. 35.

26 Dans son « Rapport sur l’accès au financement des TPE » réalisé en septembre 2011 pour l’Observatoire du financement des entreprises et la Médiation nationale du crédit aux entreprises, M. RAMEIX relève que « les problèmes de restrictions d’accès au crédit concernent davantage les entreprises de moins de 10 salariés », (http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediateurducredit/pdf/Rapport_Financement_TPE_

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notamment les TPE en création et donc sans historique de crédit, celles « qui n’ont pas de

réputation, qui opèrent sur des marchés en forte croissance ou, plus généralement, dont les

marchés sont méconnus »27. Il est à noter que, bien souvent, les TPE ne bénéficient pas

davantage du crédit des fournisseurs. Pourtant, leur accès au crédit constitue un enjeu de

taille. En effet, elles représentent « plus de 95% des entreprises françaises » et « réalisent plus

de 20% de la valeur ajoutée et de l’emploi du total des entreprises28.

4. L’expérience du microcrédit. La raison principale de l’exclusion du crédit réside

dans la difficulté qu’ont les banques à évaluer avec précision le risque présenté par les

particuliers au profil atypique et par les TPE29. Les économistes ont envisagé des solutions

pour remédier à ce problème. Elles reposent notamment sur une adaptation des méthodes

d’évaluation de la dignité de crédit ainsi que sur l’accompagnement de l’emprunteur, aussi

bien au stade de la définition de son projet que lors de sa mise en œuvre. Les microcrédits

personnels et professionnels, prévus par la loi de programmation pour la cohésion sociale

n° 2005-32 du 18 janvier 2005, témoignent de la pertinence du diagnostic établi par les

économistes puisqu’ils impliquent une évaluation personnalisée et un suivi du projet30.

Plus précisément, les microcrédits personnels sont des prêts d’un montant de 300 à 3 000

euros, avec un taux d’intérêt fixe de 4% maximum et remboursables sur une durée de 3 ans au

plus. Ils sont octroyés aux personnes qui ne parviennent pas à obtenir des crédits bancaires

classiques, sous réserve qu’elles paraissent avoir les capacités nécessaires de remboursement.

Dans 77% des cas, les microcrédits personnels sont accordés pour « favoriser l’employabilité

des bénéficiaires, notamment en finançant l’amélioration de [leur] mobilité »31.

_2011.pdf, p. 26). Comme le souligne le Rapport, l’évaluation de l’accès au crédit des plus petites entreprises est particulièrement difficile en raison de « l’absence de données statistiques fiables et homogènes » (p. 37). En effet, la Banque de France n’analyse pas l’évolution des crédits inférieurs à 25 000 euros. Or les TPE souscrivent principalement des crédits inférieurs à ce montant. En 1996, le Commissariat au Plan (actuel Commissariat général à la stratégie et à la prospective) avait établi que 90% des TPE n’avaient pas accès au système bancaire (v. sur ce point, I. GUERIN et D. VALLAT, « Très petites entreprises et exclusion bancaire en France : les partenaires associations-banques », Revue d’économie financière, 2000, vol. 58, p. 151 et s., spéc. p. 151).

27 M. DIETSCH, art. préc., p. 136-137. 28http://www.economie.gouv.fr/mediateurducredit/pierre-moscovici-confie-a-jeanne-marie-prost-mission-

sur-financement-des-tres-peti. 29 V. en ce sens, M. DIETSCH, art. préc., p. 138. A cette raison doit être ajoutée la contrainte de rentabilité

pesant sur les établissements de crédit (G. GLOUKOVIEZOFF, « Peut-il exister un droit au crédit pour les particuliers ? », art. préc., p. 486-487).

30 Avant la création de ces microcrédits, le Crédit agricole (via les Points passerelles) et la Caisse d’épargne (via les Parcours confiance) avaient mis en place des structures mettant les personnes rencontrant des difficultés bancaires en relation avec des conseillers chargés de « faire le bilan de leur situation et rechercher avec elles une réponse à leurs problèmes » (G. GLOUKOVIEZOFF, « Peut-il exister un droit au crédit pour les particuliers ? », art. préc., p. 494).

31 Banque de France, Rapport annuel de l’Observatoire de la microfinance, 2012, p. 10.

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Les résultats obtenus sont encourageants. Dans une étude menée en 2010, la Fédération

nationale des caisses d’épargne a ainsi relevé « une amélioration de la situation d’une grande

majorité des emprunteurs, le retour à l’emploi d’un emprunteur sur deux, ou encore une

amélioration de la situation budgétaire des bénéficiaires dans 60 % des cas »32. Fin 2012, le

taux de sinistralité (c’est-à-dire le nombre de cas ayant nécessité la mise en œuvre de la

garantie du fonds de cohésion sociale créé par la loi précitée du 18 janvier 2005) était de

5, 38 % (contre 4, 39% en 2011). Il apparaît que ce bon résultat est en grande partie lié à

l’encadrement dont bénéficient les emprunteurs33.

Quant aux microcrédits professionnels, il s’agit de prêts d’un montant inférieur à 25 000

euros, accordés par un établissement de crédit ou une association spécialisée, en vue de la

création, de la consolidation ou du rachat d’une TPE artisanale ou commerciale34. En 2012,

ces microcrédits ont financé, dans 57% des cas, la création d’une entreprise pour un montant

moyen de 9 220 euros. Ils ont été consentis à des entrepreneurs individuels à responsabilité

limitée à hauteur de 39, 2% et à des auto-entrepreneurs à hauteur de 24, 5%35.

Les principaux acteurs du microcrédit professionnel sont des associations : France active,

Initiative France36 et l’ADIE37.

En 2012, France active et Initiative France ont respectivement financé 6 172 et 16 107

projets (ayant au total permis de créer ou de maintenir environ 45 000 emplois).

Entre 1988, date de sa création, et 2012, l’ADIE « a octroyé près de 119 000 microcrédits

pour un montant de 288 millions d’euros, ce qui a permis le financement de 110 068

entreprises »38. En outre, dans l’étude d’impact qu’elle a réalisée en 2013, l’ADIE a établi

que le taux de pérennité des entreprises créées à l’aide des microcrédits qu’elle a consentis est

de 70% au bout de deux ans d’activité et de 58% trois ans après39. Elle a aussi relevé

que « 84% des micro-entrepreneurs avaient un emploi, pour 63% d’entre eux grâce à la

32 Cité par Banque de France, Rapport préc., p. 11. 33 Banque de France, Rapport préc., p. 32. V. dans le même sens le Rapport du groupe de travail « Inclusion

bancaire et lutte contre le surendettement », préc., p. 21 ; G. GLOUKOVIEZOFF, « Peut-il exister un droit au crédit pour les particuliers ? », art. préc., p. 497.

34 Banque de France, Rapport préc., p. 17 35 Sur ces chiffres, v. Banque de France, Rapport préc., p. 18 36 Sur lesquelles v. Banque de France, Rapport préc., p.19 à 25. 37 Association pour le droit à l’initiative économique, sur laquelle v. M. NOWAK, On ne prête pas qu’aux

riches : La révolution du microcrédit, éd. JC Lattès. 38 Rapport du groupe de travail « Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement », préc., p. 25. 39 L’étude d’impact réalisée par France active en avril 2012 établit que « 78% des entreprises financées en

2009 étaient en activité trois ans après leur création, 60% d’entre elles ayant connu en outre une augmentation de de leur chiffre d’affaire (de 44%) sur la période »: cf. Rapport du groupe de travail « Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement », préc., p. 27.

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poursuite de leur activité et pour le reste en qualité de salarié ou de créateur d’une nouvelle

entreprise »40.

En dépit de son succès, le microcrédit associatif n’est pas un remède suffisant à

l’exclusion du crédit. Sa généralisation ne semble pas envisageable en raison du « modèle

économique non pérenne » sur lequel il est fondé41. Il s’agit en effet « d’un dispositif

complexe (notamment pour les microcrédits bénéficiant d’une garantie du fonds de cohésion

sociale), coûteux et non rentable (les estimations tournent autour d’un coût de 1 000 euros

pour un microcrédit de 1 000 euros) »42.

En définitive, si une part importante de la population est aujourd’hui exclue des crédits

classiques, l’expérience du microcrédit révèle qu’elle serait parfaitement en mesure de les

rembourser, et que son inclusion aurait des retombées positives sur la situation économique

générale.

Il est dès lors légitime de s’interroger sur l’opportunité de garantir l’accès au crédit par

l’octroi d’un droit.

Seulement, un droit au crédit peut-il exister ?

5. Eléments non décisifs. Les dispositions légales relatives à l’épargne-logement

pourraient nous inciter à répondre par l’affirmative. Sur le fondement des articles L. 315-1 et

s. du Code de la construction et de l’habitation, la Cour de cassation a jugé à plusieurs

reprises que, lorsqu’un compte ou un plan épargne-logement est créé, le banquier est obligé

d’accorder le crédit si les conditions légales et règlementaires sont réunies43, sous réserve que

l’épargnant ne soit pas en situation de surendettement44. En d’autres termes, l’accès au crédit

est un droit pour l’épargnant remplissant les conditions textuelles précitées. Toutefois, le droit

au prêt de l’épargnant n’est que « la contrepartie de l'effort d'épargne » et la conséquence de

la « promesse de crédit [qui] lie le banquier à son client »+ 45. Il s’agit donc d’un droit à

l’exécution d’une obligation contractuelle préalablement consentie par le banquier lors de

40 Banque de France, Rapport préc., p. 26. 41 Rapport du groupe de travail « Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement », préc., p. 23. 42 Ibid., p. 22. 43 Civ. 1ère, 27 mai 1986, Bull. civ. I, n° 139 ; Revue droit bancaire et bourse mars-avril 1987, n° 1, p. 9, obs.

F.-J. CREDOT et Y. GERARD ; Banque avril 1987, n° 471, p. 411, obs. J.-L. RIVES-LANGE ; Com. 21 nov. 2000, Bull. civ. IV, n° 178 ; RDBF mars-avril 2001, n° 2, p. 77, obs. F.-J. CREDOT et Y. GERARD.

44 Civ. 1ère, 3 juin 1997, Bull. civ. n° 181, Banque, sept. 1997, p. 88, obs. J.-L. GUILLOT ; RD bancaire et bourse, 1997, p. 164, obs. F.-J. CREDOT et Y. GERARD ; Defrénois 1997, art. 36690, n° 148, p. 1349, obs. Ph. DELEBECQUE ; Defrénois, 1998, art. 36719, note S. PIEDELIEVRE.

45 Th. BONNEAU, JCP G. 2006. II. 10175, note sous Ass. Plén., 9 oct. 2006.

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l’ouverture d’un compte ou d’un plan épargne-logement46. A bien y regarder, nous sommes

donc ici très loin du droit au crédit conçu comme celui d’exiger l’octroi d’un crédit en

l’absence de tout engagement antérieur du banquier.

Dans un tout autre genre, on pourrait encore mentionner l’article L. 511-10, al. 4, du

Code monétaire et financier. Celui-ci dispose que, « pour fixer les conditions de son

agrément, l'Autorité de contrôle prudentiel peut prendre en compte la spécificité de certains

établissements de crédit appartenant au secteur de l'économie sociale et solidaire. Elle

apprécie notamment l'intérêt de leur action au regard des missions d'intérêt général relevant de

la lutte contre les exclusions ou de la reconnaissance effective d'un droit au crédit ». « Droit

au crédit », l’expression est lancée. Pour autant, la doctrine est unanime : il ne s’agit pas là

d’un droit subjectif au crédit.

M. STOUFFLET a relevé en ce sens que cet article « vise les seuls établissements de

crédit appartenant au secteur de l’économie sociale et il invite l’autorité chargée de la

délivrance des agréments à tenir compte de cette vocation particulière en ce qui concerne

l’agrément »47. L’auteur ajoute que « la formule “droit au crédit” doit s’entendre d’un droit à

une offre de crédit suffisante et adaptée pour tout secteur économique. Elle n’est pas la

reconnaissance d’un droit individuel qui viendrait supprimer ou même restreindre la liberté de

décision des établissements de crédit »48.

M. BONNEAU écrit dans le même sens que « l’article L. 511-10 al. 4 du CMF

n’envisage le droit au crédit qu’à propos de l'agrément bancaire et non dans une quelconque

relation de clientèle »49.

6. Les raisons de l’inexistence du droit au crédit. C’est précisément la nature de cette

relation qui est d’ailleurs invoquée par la doctrine de droit bancaire pour rejeter la possibilité

d’un droit au crédit. Le crédit est octroyé intuitu personae et repose sur la confiance. Dès lors,

46 On retrouve cette même idée s’agissant de la responsabilité pour faute de la banque qui refuse un crédit

qu’elle s’était antérieurement engagée à consentir. Cette hypothèse est d’ailleurs précisément réservée par l’arrêt Tapie (Ass. Plen., 9 octobre 2006, cité ci-dessous) qui prend soin de préciser que la liberté du banquier est discrétionnaire « hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur ». Il est à noter que la Haute juridiction est allée plus loin en retenant la responsabilité d’une banque qui avait laissé croire qu’elle fournirait des crédits avant de les refuser puis de les consentir partiellement en contrepartie d’engagements non prévus à l’origine (Com., 31 mars 1992, Bull. civ. 1992, IV, n° 145 ; JCP E 1993. I. 302, n° 11, obs. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET+). Dans cette espèce, il n’existait aucun engagement de la banque. Cependant, comme le relève M. BONNEAU, c'est « moins le refus de crédit que l'apparence créée qui justifie le jeu de la responsabilité » (Th. BONNEAU, JCP G 2006. II. 10175, note préc.).

47 J. STOUFFLET, « Le droit au crédit ? », art. préc., p. 209. 48 Ibid. 49 Th. BONNEAU, « Du droit au crédit », RDBF, n°1, janvier/février 2002, p. 4.

Page 12: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

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le banquier est libre de contracter comme de ne pas contracter50. Et les auteurs de renvoyer

unanimement à l’arrêt « Tapie », érigé en véritable sanctuaire de la liberté contractuelle en la

matière.

Dans cette décision rendue le 9 octobre 2006 au visa des articles 1134 et 1147 du Code

civil, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a affirmé que « le banquier est toujours

libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un

crédit quelle qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire »+ 51. Formulation

incisive, formulation dissuasive…

7. Appréciation. Le raisonnement de la doctrine de droit bancaire et de l’Assemblée

Plénière appelle plusieurs remarques.

La première relève de l’évidence : la liberté de contracter ou ne pas contracter est

effectivement une des déclinaisons de la liberté contractuelle. Par exemple, MM. TERRÉ,

SIMLER ET LEQUETTE écrivent que la liberté contractuelle, sur le fond, « s’exprime à

travers une triple faculté : contracter ou ne pas contracter, choisir librement son cocontractant,

déterminer librement le contenu du contrat. Il n’y a pas d’obligation juridique de contracter.

Nul n’est forcé d’entrer en relation avec ses semblables et chacun a le droit de refuser de

céder les biens qui lui appartiennent ou de prendre à son service une personne qu’il ne veut

50 Par ex., Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 490 ; S. PIEDELIÈVRE et E. PUTMAN, Droit

bancaire, Economica, 2011, n° 369 ; R. ROUTIER, Obligations et responsabilité du banquier, Dalloz Action 2011-2012, 3e éd., 311.11 ; A. PRÜM, P. LECLERC et R. MOURIER, Relations Entreprises Banques, Francis Lefebvre, 2e éd., 2003, n° 5510 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit bancaire, Litec, 8e éd., 2010, n° 534 ; G. DECOCQ, Y. GERARD et J. MOREL-MAROGER, Droit bancaire, Revue Banque éd., 2e éd., 2014, n° 170.

51 Ass. Plen., 9 octobre 2006, Bull. civ., n° 11 ; JCP G 2006. II. 10175, note Th. BONNEAU ; JCP E. 2618, note A. VIANDIER ; JCP E 2007. 1679. n° 19, note N. MATHEY ; Banque et droit janv./fév. 2007, n° 111, p. 25, obs. Th. BONNEAU ; D. 2006, p. 2525, obs. X. DELPECH ; D. 2006, p. 2933, note D. HOUTCIEFF ; D. 2007, pan., 758, obs. D. R. MARTIN ; RDBF nov.-déc. 2006, n° 6, p. 13, obs. F.-J. CREDOT et Th. SAMIN ; RTD com. 2007. 207, obs. D. LEGEAIS ; RTD civ. 2007. 145, obs. P.-Y. GAUTIER. Des arrêts antérieurs, quoique moins nets, s’étaient déjà prononcés en ce sens. La Cour de cassation avait ainsi jugé, dans un arrêt du 11 octobre 1994, que les dispositions relatives au refus de vente étaient inapplicables aux opérations de banque et notamment aux opérations de crédit (Com., 11 oct. 1994, n° 92-13.947, Bull. civ. 1994, IV, n° 289 ; RD bancaire et bourse 1994, p. 259, obs. F.-J. CREDOT et Y. GERARD). Elle avait également jugé, dans un arrêt du 7 février 1995, que le Crédit agricole avait le droit de refuser les « prêts spéciaux » prévus réglementairement en faveur des victimes de sinistres agricoles (Com., 7 févr. 1995, n° 93-11.880 ; Bull. civ. 1995, IV, n° 34 ; JCP G 1995. IV. 844). Elle avait enfin considéré, dans un arrêt en date du 19 novembre 2002, qu'une banque pouvait sans faute consentir un crédit à des entreprises concurrentes (Com., 19 nov. 2002, n° 99-20.828 ; Bull. civ., IV, n° 167 ; Banque et droit 2003, n° 88, p. 61, obs. Th. BONNEAU). Pour une application récente de l’arrêt Tapie, v. Com. 10 janvier 2012, n° 10-26.149, inédit, RDI 2012. 222 ; RTD com. 2012. 174, obs. D. LEGEAIS, (dans cet arrêt, la Cour de cassation considère qu’« un accord de principe donné par une banque sous les réserves d’usage implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et obligent seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ». On voit donc que si la banque doit négocier de bonne foi, elle n’est pas obligée de formuler une offre).

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pas. Le refus de contracter n’est qu’une manifestation de la liberté »52. Dans le même sens,

Mme FABRE-MAGNAN relève que « la liberté contractuelle est, comme la liberté syndicale

par exemple, une liberté positive mais aussi négative : la liberté de contracter ou de ne pas

contracter. Par le contrat, des obligations sont volontairement souscrites, et chacun peut donc

choisir de ne pas contracter »53. M. BÉNABENT va dans le même sens lorsqu’il écrit que « le

principe de l’autonomie de la volonté emporte que chacun est libre de contracter ou non,

d’accepter ou de refuser aussi bien le contenu d’un contrat que la personne d’un

cocontractant »54.

Si la référence à la liberté de contracter n’est pas surprenante, le caractère discrétionnaire

que l’Assemblée Plénière attache à la liberté du banquier suscite en revanche davantage de

réserve. A première vue, est discrétionnaire la prérogative dont l’exercice ne peut être remis

en cause ou contrôlé par le juge. Cependant cette présentation théorique est illusoire. La

notion de droit discrétionnaire divise la doctrine et donne lieu à des applications

contradictoires en jurisprudence. Dans ces conditions, une analyse approfondie de cette notion

ne paraît pas superflue. Comment justifier son existence ? Quels en sont les critères ? La

question est déterminante s’agissant de la reconnaissance d’un droit au crédit, dès lors que

l’appartenance de la décision de contracter du banquier à la catégorie des droits

discrétionnaires en constitue le principal obstacle.

Enfin, il convient de s’intéresser de plus près aux deux caractéristiques du contrat de

crédit que sont l’intuitus personae et la confiance. En effet, la décision du banquier est

considérée comme discrétionnaire non seulement parce qu’elle relève de la liberté de

contracter ou ne pas contracter mais aussi parce que le contrat de crédit est conclu intuitu

personae et repose sur la confiance. Pourtant, on ne peut qu’être frappé par l’évolution de

l’intuitus personae et de la confiance. La relation bancaire, et notamment la relation de crédit,

est aujourd’hui dominée par les nouvelles technologies55. Scoring, fichiers des incidents de

paiement et de crédit et depuis peu, fichier positif : plus aucune étape de la relation de crédit

n’échappe au traitement informatisé des données. Irrésistiblement, l’intuitus personae et la

confiance ont perdu de leur subjectivité. Une nouvelle question surgit : l’objectivation des

52 F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les Obligations, éd. Dalloz, coll. Précis, 11e éd.,

2013, n° 24. 53 M. FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, t. 1. Contrat et engagement unilatéral, PUF, 3e éd., 2012, p.

57. 54 A. BENABENT, Droit civil. Les obligations, LGDJ, 13ème éd., 2012, n° 56. 55 V. en ce sens Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 34 et s. ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET,

Droit bancaire, op. cit., n° 16.

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caractéristiques phares de la relation de crédit rend-elle encore possible le rattachement de la

décision du banquier à la catégorie des droits discrétionnaires ?

L’informatisation des données de l’emprunteur soulève d’ailleurs un autre problème,

celui de la licéité de l’usage pouvant en être fait. Le crédit scoring est par définition un

procédé discriminant puisqu’il attribue à la demande de prêt des points positifs ou négatifs en

fonction des qualités présentées par le candidat et des informations qu’il a données. Or le droit

bancaire n’échappe pas à l’impératif de lutte contre les discriminations. L’évaluation de la

dignité de crédit de l’emprunteur doit impérativement tenir compte des discriminations

interdites, ce qui intéresse directement la question du droit au crédit. Un détour par le droit

canadien devrait nous en convaincre.

Depuis peu, le Canada interdit les discriminations fondées sur la condition sociale, c’est-

à-dire celles conduisant à attribuer à un individu une valeur « selon les perceptions sociales ou

les stéréotypes associés à des facteurs comme le revenu, la profession ou le niveau

d’instruction »56. Sur la base de cette interdiction, le Tribunal des droits de la personne du

Quebec a considéré que, en refusant de prendre en considération une demande de prêt

hypothécaire « au seul motif que [la demanderesse] était prestataire de l'aide sociale, la caisse

populaire discriminait à son endroit en raison de sa condition sociale »57. La caisse a par

conséquent été condamnée à réparer le préjudice moral tiré de l’atteinte à la dignité, la

réputation et l’honneur causé par le refus de prêt.

On le voit, l’impact d’une prise en compte de la condition sociale au titre des

discriminations interdites peut être important sur la distribution du crédit. En France, elle

impliquerait notamment de revoir l’ensemble du système de scoring puisque le banquier ne

pourrait plus intégrer au calcul de la notation les éléments ayant trait à l’identité sociale du

demandeur58. Or une telle évolution n’est pas inenvisageable. Depuis quelques années, le

législateur s’est engagé dans la protection des personnes économiquement et

56 D. ROMAN, « La discrimination fondée sur la condition sociale, une catégorie manquante du droit

français », D. 2013, p. 1914. 57 Tribunal des droits de la personnes du Quebec, « D’Aoust c/ Vallières et Caisse populaire du

Buckingam », TDPQ HULL, 1993, CanLII 422, http://jurisprudence.canada.globe24h.com/0/0/quebec/ tribunal -des-droits-de-la-personne/1993/11/19/d-aoust-c-vallieres-et-caisse-populaire-de-buckingham-t-d-p-q-hull-1993-422-qc-tdp.shtml.

58 L’interdiction de prendre en compte le statut matrimonial du candidat emprunteur aurait notamment pour effet d’améliorer le score obtenu par des célibataires ou concubins dont le statut social constitue un indice d’instabilité. En effet, plusieurs études ont établi que le score actuellement obtenu par « des personnes mariées est plus élevé que celui des célibataires, eux-mêmes mieux notés que les concubins sans enfants, les enfants apportant dans tous les cas des points » (J. LAZARUS, « L’épreuve du crédit », Sociétés contemporaines, n°76, p. 23).

Page 15: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

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socialement vulnérables59. Il a notamment instauré des mécanismes de lutte contre l’exclusion

sociale60. En outre, la HALDE, aujourd’hui remplacée par le Défenseur des droits, a déjà eu

l’occasion d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’intérêt d’une « réflexion sur

l’intégration du critère de l’origine sociale dans la liste des critères prohibés et sur les

modalités de prise en compte des préjugés et stéréotypes dont souffrent les personnes en

situation précaire »61.

La lutte contre les discriminations et son action de concert avec celle contre les

exclusions présente ainsi de nombreuses potentialités s’agissant de l’accès au crédit62.

Au total, avant même d’avoir entrepris d’étudier l’environnement normatif de la décision

du banquier d’octroyer un crédit, de nombreux éléments invitent à penser que son caractère

discrétionnaire est loin d’être évident.

8. L’évolution du droit bancaire : un environnement favorable à la réception d’un

droit au crédit. L’intuition se confirme à la lumière de l’évolution du droit bancaire et, tout

d’abord, des règles régissant la conclusion du contrat de crédit.

Peut-on sérieusement continuer de soutenir que le banquier est toujours libre d’octroyer

un crédit au regard des nombreux cas dans lesquels cet octroi est soit interdit (crédit ruineux,

déraisonnable ou à une entreprise dont la situation est irrémédiablement compromise), soit

subordonné à l’accomplissement d’obligations (mise en garde, vérification de la solvabilité de

l’emprunteur) ?

Inversement, est-il encore pertinent d’affirmer que le banquier est toujours libre de

refuser d’octroyer un crédit alors même qu’il est aujourd’hui contraint d’expliquer les

59 V. par ex. l’article 225-13 du Code pénal qui incrimine « le fait d’obtenir d’une personne dont la

vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de leur auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli ». V. égal. la loi du 6 juillet 2012 relative au harcèlement sexuel qui fait de la vulnérabilité économique et sociale de la victime une circonstance aggravante.

60 D. ROMAN, « La discrimination fondée sur la condition sociale, une catégorie manquante du droit français », art. préc., spéc. p. 1915.

61 HALDE, Délib. n° 2011-121, 18 avril 2011. 62 V. en ce sens l’article L. 1142-2 du Code de la santé publique créé par la loi n° 2007-131 du 31 janvier

2007 et modifié par l’ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013. Le texte dispose qu’une « convention nationale relative à l'accès au crédit des personnes présentant, du fait de leur état de santé ou de leur handicap, un risque aggravé, est conclue entre l'Etat, les organisations professionnelles représentant les établissements de crédit, les sociétés de financement, les entreprises d'assurance, les mutuelles et les institutions de prévoyance ainsi que des organisations nationales représentant les malades et les usagers du système de santé agréées en vertu de l'article L. 1114-1 ou représentant les personnes handicapées. Cette convention a pour objet : de faciliter l'assurance des prêts demandés par les personnes présentant un risque aggravé en raison de leur état de santé ou d'un handicap ; d'assurer la prise en compte complète par les établissements de crédit ou les sociétés de financement des garanties alternatives à l'assurance ; de définir des modalités particulières d'information des demandeurs, d'instruction de leur dossier et de médiation. Toute personne présentant, du fait de son état de santé ou de son handicap, un risque aggravé bénéficie de plein droit de cette convention ».

Page 16: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

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résultats de la notation du prêt à l’entreprise qui en fait la demande (cf. art. L. 313-12-1 du

CMF issu de la loi n° 2009-1255 du 19 octobre 2009 et modifié par l’ordonnance n° 2003-544

du 27 juin 2013) ? L’explication n’est-elle pas le premier pas vers la motivation et partant le

contrôle de la légitimité de cette dernière?

En outre, la création, par un accord de place du 27 juillet 2009, d’un médiateur du crédit

pouvant être saisi par les entreprises auxquelles un crédit a été refusé n’a t-elle pas eu pour

effet d’atténuer la portée du caractère discrétionnaire de la décision de contracter du

banquier ? Si après avoir étudié le dossier, le médiateur estime que la demande de crédit était

légitime, il est chargé d’instaurer un dialogue avec la banque ayant opposé le refus afin de

l’inciter à revoir sa position. Certes, le médiateur n’a pas le pouvoir de forcer la banque à

contracter ; mais il n’en reste pas moins que son intervention témoigne d’un fléchissement de

la toute puissance traditionnellement attachée à la décision du banquier de contracter ou non.

D’une manière plus générale, si l’activité du banquier, en raison de sa spécificité, a

longtemps échappé au contrôle du juge, il n’en va pas de même depuis quelques années. A

l’opposé, cette même spécificité justifie aujourd’hui un contrôle accru de l’activité bancaire.

Le banquier n’est définitivement pas un contractant comme les autres.

Les crises de 2007-2008 et 2010 l’ont rappelé : le crédit est un instrument nécessaire mais

aussi dangereux. Par conséquent, le banquier doit octroyer des crédits. Mais il doit le faire de

manière responsable. Or, la démocratisation du crédit et le développement corrélatif du

contentieux de la responsabilité bancaire ont eu pour effet d’ériger le juge en nouveau gardien

de la distribution du crédit. Si l’Etat conserve sa fonction traditionnelle de contrôleur du

système bancaire dans son ensemble, les justiciables et surtout le juge se sont arrogés le droit

de surveiller l’activité du banquier en n’hésitant pas à mettre en œuvre sa responsabilité en

cas d’imprudence ou de légèreté dans l’accomplissement de sa fonction éminemment

sociale63.

L’accès au crédit n’est pour autant pas rationné. Il est rationnalisé. Et lorsqu’il s’avère

nécessaire – comme c’est le cas pour les entreprises – il est même encouragé. En témoigne

l’allégement de la responsabilité du banquier en cas d’octroi de crédit à une entreprise en

difficulté. L’article L. 650-1 du Code de commerce va très loin en la matière puisque la

banque ne peut alors voir sa responsabilité engagée qu’en cas de fraude, d’immixtion ou de

prise de garantie disproportionnée. Et la Cour de cassation de restreindre un peu plus le

63 Cf. Ph. NEAU-LEDUC, « Responsabilité du banquier et droits de l’homme », RDBF nov. 2006, dossier

26, spéc. n° 15 et 16.

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domaine de la responsabilité en exigeant, outre l’une des ces trois conditions, le caractère en

soi fautif du crédit64.

Finalement, l’affirmation du caractère discrétionnaire de la décision du banquier apparaît

quelque peu noyée sous le flot des récentes évolutions de la matière bancaire. Il est donc

temps de mesurer sa réalité.

9. Droit prospectif et réalité juridique. Mais qu’en est-il du droit au crédit ? Si l’on

devait considérer que la liberté du banquier n’est pas discrétionnaire, dans quelle mesure ce

droit pourrait-il être envisagé ? C’est alors nécessairement sous l’angle du droit prospectif que

doit se placer la recherche, laquelle est d’ores et déjà suggérée par des spécialistes du droit

bancaire65. Des données, bien réelles quant à elles, sont d’ailleurs de nature à l’alimenter.

On songe en premier lieu au phénomène de la multiplication des droits, qu’il s’agisse des

droits de l’homme, des droits fondamentaux, des droits subjectifs ou plus généralement des

droits à66. La liste est déjà bien fournie et ne cesse de s’allonger : droit à respirer un air pur qui

ne nuise pas à la santé, droit à un environnement sain, à la protection contre le bruit, droit à la

santé, à la sécurité, droit au transport, au logement, au respect de la vie privée face à

l’informatique, au secret des correspondances par voie de télécommunication, droit à

l’inviolabilité du corps humain, droit à l’information administrative, ou encore droit à la

transparence67. Ces droits ont pour point commun de refléter notre époque et de prendre en

compte les « aspects concrets de la condition humaine »68.

Comme le doyen CARBONNIER l’a écrit, « le droit subjectif est enraciné dans le cœur

de l’homme ». Dès lors, « plutôt qu’à [le] nier, la vraie révolution consisterait, sans doute, à le

64 Com., 27 mars 2012, n° 10-20077, Bull. civ. IV, n° 68, D. 1012, p. 1455, note R. DAMMAN et p. 870,

obs. A. LIENHARD ; Revue sociétés 2012. 398, obs. P. ROUSSEL GALLE ; JCP E 2012. 1274, note D. LEGEAIS et 15508, n° 9, obs. P. PETEL ; JCP 2012. 635, obs. S. PIEDELIEVRE ; Banque et droit mai-juin 2012. p. 22, obs. T. BONNEAU ; RDBF 2012, n° 114 , obs. J. CREDOT et T. SAMIN ; Gaz. Pal. 3-4 août 2012, p. 16, obs. R. ROUTIER ; Revue proc. coll. 2012, n° 215, obs. A. MARTIN-SERF ; RLDA juil.-août 2012. 21, obs. P. ROBINE.

65 Cf. Ph. NEAU-LEDUC, Droit bancaire, Cours Dalloz, 4e éd., 2010, n° 3, qui relève que si le droit au compte est « acquis », « le droit au crédit reste encore sujet de discussion » ; Th. BONNEAU, qui estime que « la potentialité de voir le droit au crédit reconnu dans le cadre de l’exercice de la profession n’est pas une élucubration fantaisiste » (« Du droit au crédit », RDBF, n°1, janvier/février 2002, p. 4) ; D. LEGEAIS, RTD com. 2007, p. 207, dont la suggestion est encore plus explicite : « Toute personne aurait ainsi droit au crédit dès lors que des éléments objectifs sont remplis. L’établissement de crédit devrait dès lors justifier son refus de crédit pour permettre au candidat emprunteur de faire contrôler ce refus par le juge. Il y aurait ainsi un droit au crédit comme il existe un droit au logement, un droit au compte, un droit à communiquer, un droit à la justice ».

66 Cf. M. PICHARD, Les droits à, thèse, préf. M. GOBERT, Economica, 2006. V. également infra n° 293 et s.

67 Cf. H. OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés publiques, LGDJ, 4e éd, 2013, p. 29. 68 J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, PUF, 9e éd., 2003, p. 83.

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reconstruire en le fondant sur le besoin »69. Mais, précise t-il, une telle entreprise n’est

légitime qu’à condition de bien distinguer le besoin du « pur désir », cette « forme molle,

fugitive » de la volonté, qu’une « philosophie des années 80 a exalté »70. C’est d’ailleurs en

invoquant la possible confusion du besoin – par définition légitime – et du désir – par nature

superflu – que de nombreux auteurs dénoncent la prolifération des nouveaux droits.

C’est pourquoi, afin échapper à la critique, un nouveau droit doit nécessairement

s’inscrire dans l’ordre du besoin, c’est-à-dire de la nécessité. Qu’en serait-il d’un droit au

crédit ? La question est complexe. Elle pourrait inciter à faire des distinctions. En particulier,

il convient de se demander si le crédit aux particuliers doit être placé sur le même plan que le

crédit aux entreprises. Dans quelle mesure l’accès à ces deux sortes de crédits répond-il à un

besoin ? Doit-il en aller de même du crédit producteur de richesse et du crédit improductif ?

On relèvera en second lieu que la matière bancaire n’est pas épargnée par le phénomène

de multiplication des droits. Elle est le siège d’un droit au compte et aux services bancaires de

base. Depuis la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998, ce droit constitue un instrument de la lutte

contre l’exclusion, non seulement bancaire mais plus largement sociale. Or on peut se

demander si le droit au compte n’a pas ouvert la voie à la reconnaissance d’un droit au crédit.

Ce qui est sûr, c’est que le droit bancaire est aujourd’hui réceptif à l’idée d’un aménagement

de ses règles de fonctionnement au profit des personnes les plus défavorisées, comme en

témoigne la création déjà évoquée des microcrédits personnels et professionnels par la loi du

18 janvier 2005.

Il convient enfin d’évoquer l’intervention de l’Etat en matière bancaire. A côté de sa

mission principale de contrôle du système bancaire, « l’Etat a, parfois, pallié la carence de

l’initiative privée en se faisant banquier, soit en consentant lui-même des prêts aux entreprises

(ex. prêts du fonds de développement économique et social –FEDS), soit en créant des

banques publiques ou mixtes (Banque française du commerce extérieur, Crédit national) »71.

Ce mouvement a néanmoins pris fin partir des années 1980. L’Etat s’est alors

progressivement désengagé du secteur bancaire72. Il a en effet organisé sa dérégulation par «

la libération des ouvertures de guichets, la libération des prix des services ou encore la

suppression de l’encadrement du crédit »73. La construction européenne a fortement

69 J. CARBONNIER, Droit civil, Les personnes, La famille, vol. 1, PUF, coll. Quadrige, 2004, p. 312. 70 J. CARBONNIER, op. cit., p. 313. 71 GAVALDA et STOUFFLET, Droit bancaire, op. cit., n° 4. 72 Comme le relève M. BONNEAU, « cette affirmation peut étonner en raison des nationalisations opérées

par la loi du 16 février 1982. Mais elle fut suivie d’une privatisation partielle du secteur bancaire en 1989 » (Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 18).

73 Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 20.

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17

encouragé le recul des interventions étatiques en matière bancaire en instaurant « la libre

circulation des capitaux, la liberté d’établissement et la libre prestation de services »74. Mais

depuis les crises de 2007-2008 et 2010, l’Etat français et l’Union européenne75 multiplient

leurs interventions dans le secteur bancaire. S’agissant de la France, l’Etat a encouragé l’accès

au crédit en mettant en place le fonds de cohésion sociale chargé de garantir les microcrédits

personnels et professionnels (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005) et en instaurant

l’établissement public OSEO (ordonnance du 29 juin 2005), aujourd’hui absorbé par la

Banque publique d’investissement (BPIfrance, loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012).

Or la création de la BPIfrance pose une question essentielle dans la perspective du droit

au crédit. Dans la mesure où son action a pour ambition de satisfaire l’intérêt général, on peut

légitimement se demander si elle ne mène pas une activité de service public. Dans

l’affirmative, les entreprises susceptibles de s’adresser à la BPIfrance deviendraient titulaires

d’un droit d’accès au crédit, manifestation immédiate de l’existence d’un droit au crédit.

Certes, l’existence d’un service public du crédit est traditionnellement rejetée, la doctrine

reconnaissant tout au plus celle d’un service public du contrôle bancaire76. Toutefois, cette

position ne repose que sur l’idée contestable selon laquelle la distribution de crédit a

nécessairement pour objectif principal la recherche du profit.

10. Plan. En définitive, il existe une tension entre, d’un côté, la certitude bien établie

selon laquelle il ne saurait exister de droit au crédit parce que la liberté de contracter du

banquier est discrétionnaire et, de l’autre, la constante progression d’un mouvement de remise

en cause de cette liberté et de promotion de l’accès au crédit.

Dans ces conditions, la question du droit au crédit ne saurait être balayée d’un revers de

main. Elle mérite au contraire d’être clairement posée et cela d’autant plus qu’au-delà de son

aspect purement bancaire, elle présente des intérêts théoriques non négligeables : sur la

signification qu’il convient d’attacher à la notion de droit discrétionnaire, sur l’appartenance

de la liberté de contracter à cette catégorie, sur les conditions de la reconnaissance d’un

74 Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 23. Sur l’évolution de la construction européenne, v. spéc. n°

24 et s. 75 La Commission européenne a décidé en décembre 2012 la création de l’Union bancaire devant prendre

effet le 1er mars 2004. Elle « reposera sur la mise en place d’un véritable “règlement uniforme” de services financiers, qui [vaudra] pour l’ensemble du marché unique, comprenant un mécanisme de surveillance unique – MSU – et un cadre commun de garantie des dépôts et de résolution des défaillances bancaires » (Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 33).

76 GAVALDA, STOUFFLET, Droit bancaire, op. cit., n° 10.

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nouveau droit et celles de sa mise en œuvre par le droit privé ou le droit public, dans ce cas

sous la forme d’un service public…

Afin de mener cette étude77, nous opérerons en deux temps. Nous nous interrogerons dans

un premier temps sur l’admissibilité du droit au crédit (Première partie). Une fois cette étape

franchie, il nous restera à entamer un exercice de droit prospectif. Nous nous placerons dans

la perspective de l’admission du droit au crédit, afin d’examiner les règles de fonctionnement

qui pourraient être les siennes (Deuxième partie).

77 Nous nous limiterons au droit français dans la mesure où, à notre connaissance, le droit au crédit n’est pas

reconnu à l’étranger. Dans cette mesure, il serait inutile de faire appel au droit comparé.

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19

PREMIÈRE PARTIE L’ADMISSIBILITÉ DU DROIT AU CRÉDIT

11. Plan. L’admissibilité du droit au crédit se heurte à un obstacle majeur, à savoir la

discrétionnarité de la décision du banquier d’octroyer un crédit78. Cependant, cet obstacle

n’est qu’apparent. On montrera que la décision du banquier ne revêt aucun caractère

discrétionnaire (Titre I). Telle est la raison pour laquelle, à l’instar de toute prérogative non

discrétionnaire, elle est tout à fait susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Titre

II).

78 Le terme « discrétionnarité », que nous utiliserons tout au long de cette thèse, constitue a priori un néologisme. En effet, il n’est pas mentionné dans les dictionnaires de langue française qui ne référencent que les termes « discrétion » et « discrétionnaire ». Le Dictionnaire de la culture juridique, dirigé par Messieurs RIALS et ALLAND, lui réserve tout de même une entrée (B. PACTEAU, V° Discrétionnarité, Dictionnaire de la culture juridique, dir. D. ALLAND et S. RIALS, PUF, 2003). En outre et surtout, ce terme est utilisé couramment par les auteurs de droit public. MICHOUD et EISENMANN avaient même opté pour le terme « discrétionnalité ». Ce terme, emprunté à la doctrine italienne, servait à évoquer le caractère discrétionnaire d’un acte ou d’un pouvoir ou plus précisément « cette idée de variation, presque insensible, du degré de caractère discrétionnaire dans les actes ou dans les pouvoirs » (Ch. EISENMANN, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1982-1983, vol. 2, réed. LGDJ-Lextenso, coll. Anthologie du Droit, 2014, p. 295). Les termes « discrétionnalité » et « discrétionnarité » sont synonymes. Le Dictionnaire de la culture juridique a opté pour le terme « discrétionnarité » qui, en dépit d’un manque de musicalité, a le mérite d’être « évocateur de sa substance » (B. PACTEAU, V° Discrétionnarité, Dictionnaire de la culture juridique, préc., p. 374). Partageant cette analyse, nous avons également décidé d’opter pour le terme « discrétionnarité ». Dans ces conditions, il ne nous semble pas que son introduction en droit privé manifeste une impropriété. De plus, le langage juridique peut légitimement s’écarter du langage courant.

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TITRE I

LA NON-DISCRÉTIONNARITÉ DE LA DÉCISION DU BANQUIER

12. Identification de l’obstacle de la discrétionnarité de la décision du banquier.

Dans son arrêt Tapie, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a considéré, au visa des

articles 1134 et 1147 du Code civil, que « le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier

sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu’en soit la

forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire »79.

La fermeté des termes ainsi utilisés n’invite pas à engager une réflexion sur

l’admissibilité du droit au crédit. Le caractère discrétionnaire de la décision du banquier

d’octroyer un crédit fait obstacle à toute prétention de l’emprunteur d’exiger que celui-ci lui

soit consenti. Ce caractère discrétionnaire résulte d’un principe fondateur du droit des

contrats, celui de la liberté contractuelle. C’est ce que souligne le visa même de l’arrêt : les

articles 1134 et 1147 du Code civil, dont la rédaction date de 1804 et a résisté à l’épreuve du

temps.

Un principe fondateur auquel l’Assemblée Plénière a manifestement souhaité montrer son

attachement comme en témoigne la formulation insistante, quasiment tautologique de

l’attendu. L’emploi de l’adverbe « toujours » permet à la Cour de cassation d’exprimer le

caractère intemporel de la liberté du banquier de consentir ou non un crédit. L’affirmation

selon laquelle le banquier n’a pas à se justifier souligne le caractère illimité de la souveraineté

du banquier dans sa prise de décision. Une souveraineté intemporelle, illimitée, que la Haute

Juridiction s’emploie à marteler – comme si besoin en était - dans la dernière partie de sa

phrase, en décortiquant l’intégralité des champs d’action de la décision du banquier : la

discrétionnarité s’applique à tout type de crédit (« quelle qu’en soit la forme »), quel que soit

le pollicitant (le banquier ou le client), quel que soit, enfin, le sens de la décision

(« s’abstenir ou refuser »).

79 Ass. Plen., 9 octobre 2006, préc., Bull. civ. n° 11, p. 27 ; JCP G 2006. II. 10175, note Th. BONNEAU ;

JCP E. 2618, note A. VIANDIER ; JCP E 2007. 1679, n° 19, note N. MATHEY ; Banque et droit n° 111, janv.-fév. 2007. 25, obs. Th. BONNEAU ; D. 2006, p. 2525, obs. X. DELPECH ; D. 2006, p. 2933, note D. HOUTCIEFF ; D. 2007, p. 758, obs. MARTIN ; RDBF n° 6, nov.-déc. 2006. 13, obs. CREDOT et SAMIN ; RTD com. 2007. 207, obs. D. LEGEAIS ; RTD civ. 2007. 145, obs. P.-Y. GAUTIER.

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13. Plan. Envisager l’admissibilité du droit au crédit suppose donc de déterminer si la

discrétionnarité constitue réellement un obstacle à sa reconnaissance. Pour ce faire, il est

indispensable d’analyser en premier lieu la notion de discrétionnarité (Chapitre I). Dans un

second temps, nous en apprécierons les justifications (Chapitre II).

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CHAPITRE I

LA NOTION DE DISCRÉTIONNARITÉ

14. Plan. La notion de discrétionnarité a largement été étudiée en droit public à travers

la construction de la théorie du pouvoir discrétionnaire de l’Administration. Ces travaux n’ont

pas leur équivalent en droit privé. La plupart du temps, la discrétionnarité n’est abordée que

de façon incidente, notamment à l’occasion de l’étude de l’abus de droit. C’est pourquoi il

sera d’abord nécessaire de revenir sur sa définition en puisant aussi bien dans la doctrine

publiciste que privatiste (Section I). Dans un second temps, nous serons ainsi en mesure de

nous recentrer sur le droit privé en identifiant ses applications possibles (Section II).

SECTION I – LA DÉFINITION DE LA DISCRÉTIONNARITÉ

15. Définition usuelle. Le Petit Robert définit le terme « discrétionnaire » comme « ce

qui est laissé à la discrétion, qui confère à quelqu’un la libre décision (…) ». Par extension, ce

terme désigne ce qui est « arbitraire, illimité » 80.

D’après le Dictionnaire historique de la langue française, « discrétionnaire » est une

notion appliquée « à ce qui est laissé à la libre décision de quelqu’un ». Cette notion est

dérivée de « discrétion ».

Le terme « discrétion » a quant à lui « été emprunté (v. 1165) au dérivé bas latin discretio

“division, séparation”, d’où “action de discerner, raison, prudence” ».

Le Dictionnaire explique en outre que, parallèlement à l’adjectif discrétionnaire, le

substantif a d’abord exprimé « une notion de prudence, de discernement qui s’est maintenue

80 « Discrétionnaire », Le Petit Robert 2011, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,

p. 750. Pour M. ENCINAS DE MUNAGORRI (L’acte juridique unilatéral dans les rapports contractuels, thèse, préf. A LYON-CAEN, LGDJ, 1995, n° 484, note 68), le rapprochement entre « discrétionnaire » et « arbitraire » est envisageable uniquement lorsque le terme « arbitraire » désigne « la simple existence d’un “libre arbitre”, c’est-à-dire le produit d’une volonté libre et discrétionnaire ». En revanche, il ne se justifie plus lorsque le terme « arbitraire » est employé pour désigner « une décision injuste, immorale ou mue par le seul caprice ». Le droit discrétionnaire serait donc un droit mis en œuvre par l’effet de la seule volonté de son titulaire. La distinction entre discrétionnaire et arbitraire est séduisante mais inopérante. La discrétionnarité d’un droit ayant pour effet de faire échapper son exercice à tout contrôle, nul ne sera en mesure de déterminer si, en l’exerçant, son titulaire a entendu faire usage de son libre arbitre ou exprimer une intention injuste ou immorale. Pour cette raison, lorsqu’une prérogative est qualifiée de discrétionnaire, il faut considérer que le législateur ou le juge acceptent que son exercice soit immoral ou injuste.

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dans la locution à la discrétion de (1435), “à la libre appréciation de”, réduction de la forme

antérieure s’en mettre à la discrétion de… (1391) ». Il précise que le substantif « se maintient

aussi dans la locution adverbiale courante à discrétion (1536) “comme on le veut, autant

qu’on le veut” ». Enfin, « les sens modernes du nom ne sont attestés qu’à partir du XVIIe

siècle (…) : le mot désigne la retenue, la sagesse (1667) ainsi que la qualité d’une personne

qui sait garder un secret (1674) »81.

Etymologiquement, « il est donc question de discernement. Une prérogative est alors

discrétionnaire lorsque celui qui l’exerce a la faculté de discerner, par lui-même, toute la

portée et la valeur de son acte »82. EISENMANN établit pour cette raison un lien entre

discrétionnaire et autonomie. « Discrétionnaire » renvoie à l’idée d’autodétermination du

sujet, « de détermination de sa décision par le sujet lui-même »83.

16. Plan. Il reste que le sens commun du terme discrétionnaire ne traduit

qu’imparfaitement sa signification juridique. Cette dernière n’est pas unitaire mais multiple.

Dans cette pluralité, la conception privatiste de la discrétionnarité se démarque par son

originalité (§ I). Celle-ci s’explique par son enracinement dans la philosophie individualiste (§

II).

§-I. ORIGINALITÉ DE LA CONCEPTION PRIVATISTE

17. Plan. L’originalité de la conception privatiste apparaît dès lors qu’on la confronte à

celle des publicistes. On mettra ces deux conceptions en perspective (A) avant d’approfondir

celle des privatistes (B).

A – LA MISE EN PERSPECTIVE DES CONCEPTIONS PRIVATISTE ET

PUBLICISTE

18. Plan. Cette mise en perspective révèle à première vue une convergence. Toutefois,

cette dernière demeure superficielle (1) et ne saurait masquer l’existence d’une sérieuse

divergence sur le fond (2).

81 « Discret, ète », Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, juillet 2010, dir. Alain REY, p.

658. 82 R. ENCINAS DE MUNAGORRI, thèse préc., p. 380. 83 Ch. EISENMANN, Cours de droit administratif, op. cit., p. 292.

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1) Une convergence superficielle

19. Une notion transversale. La discrétionnarité est un concept juridique connu et

présent dans toutes les branches du droit, qu’il s’agisse du droit public, du droit procédural ou

encore du droit privé.

En droit public, discrétionnaire « se dit, par opposition à compétence liée, d’un pouvoir,

ou plus exactement, d’une compétence dont l’exercice n’est pas déterminé dans tous ses

éléments (de manière à laisser à son titulaire un certain pouvoir d’appréciation) mais qui

demeure soumis au contrôle du juge administratif »84. Pour EISENMANN, la source de la

discrétionnarité réside dans « l’incomplète ou l’imparfaite détermination de la réglementation

juridique ; en bref, [dans] l’indétermination juridique »85. Cette indétermination juridique offre

donc à l’administration une marge d’action autonome, une fonction créatrice de droit. Loin

d’être le reflet d’une faille du droit, le pouvoir discrétionnaire de l’administration est une

nécessité86. Il lui permet d’adapter son action aux situations particulières et attentes concrètes

84 V° Discrétionnaire, Vocabulaire Juridique, dir. G. CORNU, PUF, coll. Quadrige, 10e éd. Le pouvoir

discrétionnaire a fait l’objet de nombreuses études en droit public. Sa définition varie en fonction des auteurs. Il peut désigner un pouvoir de choisir dans le respect de la légalité (v. R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, LGDJ, coll. Précit Domat, 15e éd., 2005, n° 1248, p. 1033 : « le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives n’est rien d’autre que le pouvoir de choisir entre deux décisions ou deux comportements (deux au moins) également conformes à la légalité. Exerçant son pouvoir discrétionnaire, l’administration ne peut jamais faire que ce que le droit lui permet ») ; un pouvoir de choisir de manière libre et indépendante (E. GIRAUD, « Etude sur le pouvoir discrétionnaire de l’Administration », Revue générale d’administration, 1924, p. 193 : « Il y a pouvoir discrétionnaire pour l’Administration lorsque celle-ci n’est pas obligée par la loi d’adopter une attitude déterminée. Elle a le choix entre l’action et l’abstention, ou si elle agit, elle a le choix entre diverses décisions » « Le pouvoir discrétionnaire est une certaine liberté de décision laissée à l’Administration ») ; le fait d’agir en toute indépendance tout en étant encadré par la loi (HAURIOU, « Le pouvoir discrétionnaire et sa justification », Mélanges en l’honneur de Carré de Malberg, Paris, éd. Sirey, 1933, p. 233 : « L’Administration, dans l’exécution quotidienne des services (…), est soumise à la loi. (…). Mais elle y est soumise avec une certaine marge de liberté qu’on appelle le pouvoir discrétionnaire et qui correspond assez sensiblement à la zone de l’opportunité ») ; le fait d’agir en toute indépendance, sans encadrement légal (L. MICHOUD, « Etude sur le pouvoir discrétionnaire de l’Administration », Revue générale d’administration, 1914, t. III, p. 9 : « il y a pouvoir discrétionnaire toutes les fois qu’une autorité agit librement, sans que la conduite à tenir lui soit dictée à l’avance par une règle de droit ». V. également A. BOCKEL, « Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnaire de l’administration », AJDA 1978, p. 356 : « le pouvoir discrétionnaire existe lorsque le droit ne dicte pas à l’autorité administrative le parti à prendre, ne lui impose pas sa conduite ». M. BOCKEL précise que « le pouvoir discrétionnaire consiste en une liberté de choix accordée à l’autorité dans l’exercice de sa compétence : il revient à cette autorité de se livrer à une appréciation des données de l’espèce afin de se déterminer et de prendre le parti qu’elle estime le plus opportun »).

85 Ch. EISENMANN, op. cit., p. 296. Pour une analyse de la pensée de Charles EISENMANN, v. N. CHIFFLOT, Le droit administratif de Charles Eisenmann, Thèse, Dalloz, 2009, spéc. n° 670 et s. M. RIALS propose de remplacer l’indétermination par « l’indéterminabilité » juridique comme source du pouvoir discrétionnaire de l’administration (S. RIALS, V° Pouvoir discrétionnaire, Rép. contentieux adm., Dalloz, 2009, n° 13 et s.).

86 V. cependant le juriste allemand TEZNER (Jahrbuch des öffentlichen Rechts, t. V, 1911, p. 67 et s., cité par M. WALINE, « Le pouvoir discrétionnaire de l’administration et sa limitation par le contrôle juridictionnel », RDP 1930, p. 200) qui s’est refusé à reconnaître l’existence du pouvoir discrétionnaire. Pour l’auteur, l’administration étant « toujours astreinte à agir au mieux de l’intérêt général » son action est soumise

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des administrés. Pour cette raison, le pouvoir discrétionnaire intègre, dans l’application de la

loi, une considération d’équité que le législateur n’est pas matériellement en mesure de

prendre en compte87.

En matière procédurale, discrétionnaire « se dit du pouvoir d’appréciation du juge dans

les cas exceptionnels où celui-ci jouit de la faculté de prendre, en fonction des circonstances

(qu’il apprécie librement), une décision qui non seulement échappe au contrôle de la Cour de

cassation, comme toute appréciation souveraine de fait, mais, plus spécifiquement, peut se

référer, pour motif suffisant, au sentiment d’opportunité du juge (sous réserve, en appel, d’une

appréciation différente de l’opportunité) »88 . L’opportunité s’oppose à la légalité. Elle

désigne les « considérations d’intérêts, d’utilité et de justice »89 pouvant orienter le juge dans

sa prise de décision. La discrétionnarité du juge renvoie ainsi au pouvoir qui lui est reconnu

de puiser dans la part humaine et sensible de son esprit pour rendre son jugement. Comme

pour l’administration, le pouvoir discrétionnaire du juge lui est concédé afin de lui permettre

d’assurer une bonne administration de la justice.

Enfin, en droit civil, discrétionnaire « se dit du droit d’une personne dans les cas spécifiés

où ce droit peut être exercé par son titulaire, en toute liberté, comme bon lui semble, sans que

cet exercice soit susceptible d’abus »90. Il a pour antonyme « Droit judiciairement contrôlé »

et pour synonyme « absolu »91.

20. Point commun : la liberté de décision. Qu’il s’agisse du droit public, du droit

procédural ou du droit civil, l’emploi du terme discrétionnaire sert finalement à désigner un

libre pouvoir d’appréciation et de décision92.

HAURIOU a pour cette raison établi un rapprochement entre le pouvoir discrétionnaire

de l’administration et la théorie de l’autonomie de la volonté des individus en expliquant que

ces concepts renvoyaient l’un comme l’autre à l’image du chef d’entreprise. Pour lui, « les

« à une véritable norme juridique, celle du plus grand bien de l’Etat et de la collectivité. Elle doit faire ce qui, objectivement, répond le mieux à l’intérêt général » et, partant, n’est jamais libre de prendre une décision.

87 Cf. M. WALINE, « Le pouvoir discrétionnaire de l’administration et sa limitation par le contrôle juridictionnel », RDP 1930, p. 205. Dans le même sens, DE LAUBADÈRE, VÉNÉZIA et M. GAUDEMENT expliquent que l’existence du pouvoir discrétionnaire « procède de ce qu’il est impossible tant au législateur qu’au juge d’avoir une vue exacte des éléments concrets qui, au moins en partie et en certains cas, conditionnent l’opportunité des décisions administratives. La justification du pouvoir discrétionnaire est donc essentiellement une justification pratique » (A. De LAUBADERE, J.-C. VENEZIA, Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, t. 1, LGDJ, 15e éd., 1999, p. 693, n° 896).

88 V° Discrétionnaire, Vocabulaire Juridique, op. cit. 89 V° Opportunité, Vocabulaire Juridique, op. cit. 90 V° Discrétionnaire, Vocabulaire Juridique, op. cit. 91 Ibid. 92 V. dans le même sens, EISENMANN, op. cit., p. 290-291.

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administrations publiques, comme les individus, sont des chefs d’entreprise et ont droit, pour

cette raison, à l’auto-détermination et à l’appréciation de l’opportunité »93.

Cette comparaison est séduisante. S’agissant des individus, la référence au chef

d’entreprise traduit l’idée selon laquelle l’homme est maître de sa propre vie. Or la théorie de

l’autonomie de la volonté, élaborée au XIXème siècle, est une traduction juridique de cette

idée. Elle reconnaît aux volontés individuelles un pouvoir créateur de droit à travers la

conclusion d’un contrat. Libres de contracter ou ne pas contracter, les individus apparaissent

comme les maîtres du contrat et partant, de l’orientation que doit prendre leur existence.

Concernant l’administration, l’idée d’entreprise est au cœur de la pensée publiciste.

L’administration est conçue comme un ensemble hiérarchisé et articulé au sein duquel ses

nombreux agents travaillent à la satisfaction ordonnée de l’intérêt général.

Le pouvoir discrétionnaire de l’administration et l’autonomie de la volonté des individus

se rejoindraient dans cette fonction commune de libre création du droit.

Reprenant l’image du chef d’entreprise, VENEZIA explique qu’en droit privé comme en

droit public, le pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire le libre pouvoir de décision, est octroyé

afin de faciliter l’accomplissement d’une mission, à savoir la bonne direction de l’entreprise.

La marge de manœuvre laissée au chef d’entreprise (particulier ou administration) n’est

toutefois pas illimitée puisque ce dernier peut voir sa responsabilité engagée en cas de faute

dans la direction de l’entreprise94. La responsabilité apparaît ainsi comme la contrepartie du

pouvoir discrétionnaire.

En réalité, la référence au chef d’entreprise n’explique qu’en partie l’existence d’un

pouvoir discrétionnaire.

La responsabilité est effectivement le contrepoids du pouvoir discrétionnaire de

l’administration. Elle est en effet engagée dès que l’administration exerce mal son pouvoir

discrétionnaire, c’est-à-dire dès qu’elle manque à sa mission de réaliser l’intérêt public95. En

droit privé, au contraire, l’individu qui décide de ne pas contracter échappe à toute

responsabilité. Dans cette hypothèse, le caractère discrétionnaire de sa décision fait obstacle à

tout contrôle du juge. La responsabilité n’est donc pas le contrepoids de la discrétionnarité.

On voit bien pour cette raison que les conceptions publiciste et privatiste de la

discrétionnarité divergent sur le fond.

93 M. HAURIOU, « Le pouvoir discrétionnaire et sa justification », art. préc., p. 238. 94 J.-Cl. VENEZIA, Le pouvoir discrétionnaire, thèse, préf. J. RIVERO, LGDJ, 1959, p. 132. 95 En ce sens, WALINE estime que « tout pouvoir social se légitime par son but d’intérêt public et par son

seul but » (M. WALINE, « Le pouvoir discrétionnaire de l’administration et sa limitation par le contrôle juridictionnel », art. préc., p. 205).

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2) Divergence au fond

21. Le contrôle du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Cette divergence tient

donc au fait que le droit administratif s’est efforcé de détacher la discrétionnarité de toute idée

d’arbitraire96. Même lorsqu’elle exerce une compétence discrétionnaire, l’administration doit

faire reposer sa décision sur des raisons objectives97. En ce sens, l’expression « pouvoir

discrétionnaire de l’administration » est assez trompeuse. La décision dite discrétionnaire doit

être prise dans le respect de la légalité et peut être contrôlée par le juge98. Ce principe étant

acquis, l’unique problème consiste à déterminer l’étendue du contrôle judiciaire. La doctrine

publiciste admet dans l’ensemble que le pouvoir discrétionnaire est limité par le contrôle de

l’erreur manifeste d’appréciation. Il s’agit alors d’un contrôle restreint, comme en témoigne le

terme « manifeste ». Les auteurs sont en revanche divisés au sujet de son extension au respect

de l’obligation d’examiner les circonstances particulières de l’affaire99, à l’erreur de droit ou

de fait, au détournement de pouvoir100, ou encore à la technique du bilan coût-avantages101.

96 En ce sens, V° Discrétionnarité, Dictionnaire de la culture juridique, préc. 97 Cf. G. VEDEL, Cours de droit administratif, lic. 2e année, 1953-1954, p. 672. 98 R. CHAPUS, Droit administratif général, op. cit., n° 1248. 99 V. dans le sens de l’extention, VENEZIA, thèse préc., p. 138, à propos de l’arrêt « Piron » rendu en

assemblée par le Conseil d’Etat le 24 juillet 1942. Contra, A. DE LAUBADERE, J.-C.VENEZIA, Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, op. cit., n° 898. Ces auteurs estiment que cette obligation ne saurait être qualifiée de limite au pouvoir discrétionnaire puisqu’elle « équivaut à l’obligation de faire effectivement le choix de la décision à prendre, donc à l’obligation d’exercer réellement le pouvoir discrétionnaire ».

100 V. CE, 10 mai 1912, « Abbé Bouteyre », GAJA, 13e éd., p. 152 ; CE, Ass., 28 mai 1954 « Barel », Rec. 308. Concl. LETOURNEUR. Contra, A. DE LAUBADERE, « Le contrôle juridictionnel du pouvoir discrétionnaire dans la jurisprudence récente du Conseil d’Etat français », Mélanges offerts à Marcel Waline. Le juge et le droit, t. 2, LGDJ, 1974, p. 534. L’auteur considère que « ces contrôles restent (…) périphériques par rapport à l’exercice même du pouvoir discrétionnaire car, s’ils permettent au juge de vérifier que les motifs de la décision ne comportent pas un vice juridique qui entacherait l’acte en toute hypothèse, ils ne le mettent en tous cas pas en posture de substituer son appréciation à celle de l’administrateur pour estimer s’il convenait que la mesure critiquée fût prise ou non ».

101 Cette technique a été appliquée pour la première fois par le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Ville Nouvelle Est » rendu en assemblée le 28 mai 1971, suivant en cela les conclusions de M. BRAIBANT (C.E. ass., 28 mai 1971, « Min. de l’Equipement c./ Fédération de défense des personnes concernées par le projet », aujourd’hui dénommé « Ville Nouvelle Est », Rec. 409, concl. BRAIBANT). Elle a pour objectif d’apprécier la conformité de la décision à l’impératif d’utilité publique et implique d’apprécier ses aspects négatifs et positifs. André DE LAUBADERE a manifesté son hostilité à l’application de cette technique au contrôle du pouvoir discrétionnaire, considérant qu’elle permet au juge de se substituer à l’administration et introduit de ce fait une dose d’arbitraire dans l’exercice de son pouvoir : « sous couleur de comparaison et mise en balance, ce que le juge censure est tout simplement la mesure excessive en elle-même, c’est-à-dire évidemment celle qui lui paraît excessive » (A. DE LAUBADERE, « Le contrôle juridictionnel du pouvoir discrétionnaire dans la jurisprudence récente du Conseil d’Etat français », art. préc., p. 547). Dans le même sens, M. ROUGEVIN-BAVILLE, dans ses conclusions sur l’arrêt « Ville de Limoge » du 18 juillet 1973, a dénoncé le risque « d’arbitraire a posteriori du juge » (CE, 18 juill. 1973, RDP 1974, p. 559, concl. M. ROUGEVIN-BAVILLE). Conscient des critiques auxquelles sa théorie allait être exposée, M. BRAIBANT avait précisé qu’à travers ce contrôle le juge n’a pas vocation à exercer « à la place de l’administration les choix discrétionnaires qui lui appartiennent (…). C’est seulement au delà d’un certain seuil, dans le cas d’un coût social ou financier anormalement élevé et dépourvu de justifications » que le juge serait fondé à intervenir ». Un tel contrôle ne doit intervenir que pour « censurer des décisions arbitraires déraisonnables ou mal étudiées » (BRAIBANT, concl. préc.).

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29

Quelle que soit son étendue, le contrôle du pouvoir discrétionnaire de l’administration

traduit une volonté d’en rationnaliser l’exercice102. L’erreur manifeste d’appréciation permet

au juge de contrôler « non pas la proportionnalité mais la disproportionnalité »103. Comme

l’explique M. DELVOLVÉ, cette erreur « se situe au-delà de toute norme raisonnable ; elle

est le fruit d’une appréciation non pas discrétionnaire mais arbitraire, c’est-à-dire déliée de

toute norme. Elle est le propre de l’arbitraire »104. Ainsi, en droit public, le pouvoir

discrétionnaire de l’administration n’est pas synonyme d’arbitraire. Bien au contraire, son

exercice devient illégitime lorsqu’il s’en rapproche.

En droit privé, la discrétionnarité obéit à une logique très différente puisqu’elle a

vocation à faire échapper l’exercice d’une prérogative à tout contrôle du juge. Elle constitue

de ce fait une zone d’arbitraire.

22. L’emploi d’une terminologie différente. Cette différence de conception est révélée

par l’emploi d’une terminologie différente selon la discipline concernée : on parle de

« compétence discrétionnaire » en droit administratif, de « faculté discrétionnaire » en matière

procédurale et de « droit discrétionnaire » en droit civil. Or les termes « compétence »,

« faculté » et « droit » n’ont pas les mêmes significations.

La compétence désigne « l’ensemble des pouvoirs et devoirs attribués et imposés à un

agent pour lui permettre de remplir sa fonction »105. La compétence est donc un pouvoir

délégué et encadré. Il s’agit en outre d’un pouvoir finalisé. En ce sens, la compétence est

soumise à une contrainte de but.

La faculté d’appréciation du juge est synonyme de pouvoir106 et désigne l’aptitude du

juge à « appréhender les faits litigieux afin d’en constater l’existence et d’en peser la portée,

la gravité, la valeur, les caractères »107. Contrairement à la compétence, la faculté n’est pas

limitée par une puissance supérieure. Elle se rapproche d’ailleurs de la liberté et renvoie à un

processus intellectuel interne au juge. Le Dictionnaire des notions philosophiques précise en

ce sens que, « en philosophie, le terme se rapporte principalement à l’âme humaine, et désigne

alors les divers champs où peut s’exercer la pensée »108.

102 En ce sens, v. A. BOCKEL, art. préc., p. 366 et s. 103 P. DELVOLVE, « Existe-t-il un contrôle de l’opportunité ? », in Conseil constitutionnel et Conseil d’Etat,

Colloque des 21 et 22 janvier 1988 au Sénat, LGDJ Montchrestien, 1988, p. 289. 104 Ibid. 105 V° Compétence, I, 1, a, Vocabulaire juridique, dir. G. CORNU, PUF, coll. Quadrige, 10e éd. 106 V° Faculté, 3, Vocabulaire juridique, op. cit. 107 V° Appréciation, 3, Vocabulaire juridique, op. cit. 108 V° Faculté, Dictionnaire des notions philosophiques, Encyclopédie Philosophique Universelle, p. 944.

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30

Enfin, le droit désigne le droit subjectif, c’est-à-dire la « prérogative individuelle

reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet à son titulaire de faire, d’exiger ou

d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt d’autrui »109.

23. Gradation. Les termes « compétence », « faculté » et « droit » renvoient au pouvoir

d’imposer une situation. Cependant, ce pouvoir est plus ou moins fort. La compétence

discrétionnaire de l’administration n’est pas absolue. Elle est soumise à une contrainte de but

et elle est contrôlée par le juge. La faculté d’appréciation du juge n’est pas non plus absolue.

Si elle échappe au contrôle de la Cour de cassation, elle peut toujours être sanctionnée par la

Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement du manquement au droit à un

Tribunal impartial110. Son impact est en outre relatif puisqu’elle peut être privée d’effet en cas

d’appel. Au contraire, le droit discrétionnaire est incontrôlé, incontrôlable et donc absolu.

Cette gradation s’explique par une différence entre la finalité des conceptions publiciste

et procédurale de la discrétionnarité et celle de la conception privatiste.

Les pouvoirs discrétionnaires reconnus à l’Administration et au juge sont avant tout des

outils leur permettant de remplir les fonctions qui leurs sont confiées en vue de la bonne

marche de l’Etat. Cette fonction réside, pour l’Administration, dans la satisfaction de l’intérêt

public111, pour le juge, dans la bonne administration de la justice112. Le droit discrétionnaire a

quant à lui pour objet la satisfaction de l’intérêt personnel de son titulaire.

La soumission de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration et de la faculté

d’appréciation discrétionnaire du juge à une contrainte de but explique qu’ils soient

susceptibles d’être remis en cause. A l’inverse, le fait que le droit discrétionnaire n’ait pas

d’autre finalité que la satisfaction de l’intérêt personnel de son titulaire semble devoir justifier

qu’il soit absolu.

24. Conclusion. L’identification des multiples sens de la discrétionnarité a mis en

évidence l’originalité de la conception privatiste. Elle seule traduit l’existence d’un pouvoir

109 V° Droit, 4, Vocabulaire juridique, op. cit. 110 O. GUERIN, comm. sous Civ. 3e, 2 fév. 2005, JCP G 2005. II. 10077. 111 CAPITANT souligne en ce sens que « l’administrateur qui prend un arrêté ordonnant ou interdisant de

faire quelque chose n’exerce pas un droit subjectif, comme le fait le propriétaire d’une chose ou le créancier qui poursuit son débiteur. Et il en résulte que n’ayant pas un droit proprement dit, mais étant simplement détenteur d’une autorité à lui confiée par la loi, il viole la loi s’il en use en vue d’une fin contraire à celle pour laquelle elle lui est confiée. Son acte devient illégal et c’est pour cela qu’il est frappé de nullité, abstraction faite du point de savoir s’il a ou non causé un préjudice » (H. CAPITANT, « Sur l’abus de droit », RTD civ. 1928. 375).

112 V. par ex., Civ. 2e, 26 sept. 2013, pourvoi n° 12-23543 (inédit) ; Com., 18 juin 2013, pourvoi n° 12-20394 (inédit) ; Civ. 3e, 19 déc. 2012, pourvoi n° 11-28918 (inédit).

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absolu, c’est-à-dire arbitraire, insusceptible d’abus et exclusif de tout contrôle. C’est cette

conception de la discrétionnarité qu’il convient d’approfondir.

B – APPROFONDISSEMENT DE LA CONCEPTION PRIVATISTE

25. Plan. Selon la définition adoptée par le doyen CORNU, le droit discrétionnaire est

insusceptible d’abus et a pour antonyme « droit juridiquement contrôlé »113. On reprendra ces

deux éléments de définition qui apportent chacun un éclairage particulier.

1) Un droit insusceptible d’abus

26. La théorie de l’abus de droit. La notion de droit insusceptible d’abus n’est pas aussi

facile à définir que son intitulé le laisse supposer. En principe, un droit subjectif « confère un

pouvoir de nuire et justifie en quelque sorte un comportement qui, sans lui, serait fautif »114.

Son exercice est présumé licite mais, par exception, il peut être abusif. C’est à cette exception

que correspond la théorie de l’abus de droit115. Elle renvoie à l’idée d’un dépassement des

limites internes du droit116. En d’autres termes, elle sanctionne le fait de se prévaloir de la

lettre du texte contre son esprit117.

113 V° Discrétionnaire, Vocabulaire Juridique, op. cit. 114 F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., n° 740. 115 Au XIXe siècle, l’existence même de cette théorie a donné lieu à de célèbres controverses. M. PLANIOL

considérait qu’il était impossible d’abuser d’un droit car « le droit cesse où l’abus commence » (Traité élémentaire, t. 1, 1ère éd., 1900, n° 871). DUGUIT rejetait l’existence des droits subjectifs si bien que leur abus était impossible (L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code napoléon, éd. La mémoire du droit, 1999, spéc. p. 18-19). Emmanuel LEVY estimait que l’exercice d’un droit, comme celui de toute action, est source de responsabilité lorsqu’il cause un dommage. La théorie de l’abus de droit n’avait donc aucune raison d’être puisque l’exercice d’un droit ne présentait aucune spécificité et constituait une façon d’agir parmi d’autres. Outre cette première controverse, une seconde, encore plus importante, a porté sur le critère de l’abus de droit. V. A. EISMEN, note au S. 1898, 1, 17 ; J. CHARMONT, « L’abus du droit », RTD civ. 1902, p. 113 ; R. SALEILLES, « De l’abus de droit », Bulletin de la société d’études législatives, 1905, p. 325 ; G. RIPERT, « L’exercice des droits et de la responsabilité civile », Rev. crit. lég. jur. 1906, p. 352 ; L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité, la théorie dite de l’abus des droits, 2e éd., 1939 (1ère éd. 1927) ; H. CAPITANT, « Sur l’abus des droits », RTD civ. 1928. 365 ; G. RIPERT, « Abus ou relativité des droits », Rev. crit. lég. jur. 1929, p. 33 ; L. JOSSERAND, « A propos de la relativité des droits. Réponse à l’article de M. Ripert », Rev. crit. lég. jur. 1929, p. 277 ; A. ROUAST, « Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés », RTD civ. 1944. 1.

116 Ph. STOFFEL-MUNCK, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, thèse, préf. R. BOUT, LGDJ, 1999, n° 635. Dans le même sens, v. F. TERRE, Introduction générale au droit, Dalloz, 9e éd., 2012, n° 496 : « il y a abus du droit lorsqu’un individu, sans dépasser les limites objectives de son droit, se sert de celui-ci pour nuire à autrui » ; J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction, LGDJ, 4e éd., 1994, n° 765: « le dépassement du droit subjectif se situe à l’intérieur du cadre délimitant le type de prérogatives reconnues à l’agent ».

117 M. STOFFEL-MUNCK (thèse préc., n° 634 et note n° 2142) cite plusieurs autorités sur ce point dont DOMAT (Les lois civiles dans leur ordre naturel, Livre prélim., titre 1, sect.. 1, § 6, p. 3 de l’éd. de 1735: « toutes les règles du droit cessent d’avoir leur effet, non seulement si on les applique hors de leurs bornes

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Lorsqu’il est retenu, l’abus est sanctionné par l’application des règles de la responsabilité

civile et donne lieu dans ce cadre à l’allocation de dommages et intérêts. Il peut en outre

conduire à une réparation en nature, à l’annulation ou l’inopposabilité d’un acte, à la privation

totale ou partielle du droit exercé abusivement, à la condamnation au versement d’une

amende civile ou pénale, ou en encore à l’emprisonnement 118.

27. Critères de l’abus de droit. Les critères de l’abus de droit sont multiples. Plus

précisément, les auteurs ne s’accordent pas à leur sujet et la jurisprudence n’est pas

homogène119. Selon les cas, l’abus peut être caractérisé par l’intention de nuire120,

l’imprudence ou la négligence121, l’absence d’intérêt légitime122, ou encore le détournement du

droit de sa finalité sociale ou économique123.

et dans les matières où elles ne se rapportent point, mais aussi lorsque, dans les matières où elles se rapportent, on les détourne à une application fausse ou vicieuse contre leur esprit ») ; J. CARBONNIER (Droit civil, Introduction, 25e éd., PUF, coll. Thémis, 1997, n° 183 : « si tout en respectant la lettre, [l’individu] en viole l’esprit, on dira qu’il abuse, non plus qu’il use de son droit ») ; J.-L. BERGEL (Théorie générale du droit, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 5e éd., 2012, , n° 228 : « le droit ne peut protéger sa propre violation ; les textes ne peuvent, par leur lettre, légitimer ni absoudre la méconnaissance de leur esprit ») ; F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 739.

118 V. L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, v° Abus de droit, Répertoire de droit civil, Dalloz (avril 2008), n° 34.

119 V. sur ce point G. DURRY, RTD civ. 1972, p. 395 : « Les tribunaux refusent en cette matière de se laisser enfermer dans aucun système ».

120 G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 1949, 4e éd., n° 90 et s. ; « Abus ou relativité des droits », Rev. crit. lég. jur., 1929, p. 33 ; Le régime démocratique et le droit civil moderne, LGDJ, 1948, 2e éd., n° 117 et s. ; R. SALEILLES, « De l’abus de droit rapport présenté à la première sous-commission de la commission de révision du Code civil », Bulletin de la société d’études législatives, 1905, p. 339, 345, 348 ; J. DABIN, Le droit subjectif en question, Dalloz, 1952, p. 293 et s. (l’auteur limite ce critère aux droits-égoïstes). Pour une illustration jurisprudentielle, v. le célèbre arrêt « Clément Bayard », Req. 3 août 1915, DP, 1917. I. 300.

121 H. L. MAZEAUD et A. TUNC, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. 1, 1965, n° 576 et s. ; G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, t. 2, vol. 1, Les obligations, 1988, n° 478. Pour une application jurisprudentielle, v. par exemple Com. 22 fév. 1994, Bull. IV, n° 79, RTD civ. 1994, p. 849, obs. J. MESTRE (abus dans la rupture des pourparlers caractérisé par la légereté blâmable de son auteur).

122 V. G. COURTIEU, « Art. 1382 à 1386 – Fasc. 131-10 : Droit à réparation. – Abus de droit. Notion », J-Cl. Civil Code, n° 6 et s. Pour une application jurisprudentielle, v. par exemple Com. 7 janv. et 22 avr. 1997, D. 1998, p. 45, note P. CHAUVEL, RTD civ. 1997. 651, obs. J. MESTRE ; Com. 7 avr. 1998 (inédit), D. 1999, p. 514, note P. CHAUVEL ; Civ. 1ère, 14 juin 2000 (inédit), Cont. Conc. Cons. 2000, comm. n° 174, L. LEVENEUR. Dans ces arrêts, l’abus était caractérisé par l’absence de motifs légitimes dans la rupture des pourparlers. V. égal. Civ. 2e, 5 juin 1985, Bull. civ. II, n° 113 ; JCP G 1985. II. 20728 (abus de droit d’un mari divorcé qui refuse de délivrer le gueth – lettre de répudiation – à son ex-épouse sans qu’il soit besoin de caractériser l’intention de nuire).

123 L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité: théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, 2e éd., coll. Essai de théologie juridique. V. également l’ensemble des références citées par M. MICHAÉLIDÈS-NOUAROS, « L’évolution récente de la notion de droit subjectif », RTD civ. 1966, p. 232, note 35. Ce critère est aujourd’hui vigoureusement défendu par MM. GHESTIN, GOUBEAUX et Mme FABRE-MAGNAN, op. cit., n° 786 et s., spéc. n° 789, p. 774 : « Orienter l’activité humaine dans un sens conforme au bien commun est un objectif qui n’a rien d’inquiétant. C’est le rôle du droit en général. C’est à quoi doit contribuer techniquement la théorie de l’abus de droit ».

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33

En réalité, la multiplicité des critères de l’abus de droit témoigne de sa « plasticité »124, à

tel point que la faute caractérisant l’abus de droit se rapproche et se confond même avec la

faute civile125. Cette confusion est particulièrement éclatante lorsque l’abus de droit réside

dans une simple négligence ou imprudence.

La faute civile s’apprécie in abstracto au regard d’un modèle de référence, « celui de

l’homme raisonnable placé dans les mêmes circonstances de fait et exerçant la même

activité »126. Elle réside dans « la violation d’une obligation, d’une norme ou d’un devoir

préexistant »127. Il peut s’agir de la violation de la loi, du règlement, d’un contrat128, d’usages

professionnels, de règles déontologiques129, des règles liées à la pratique d’un sport130 ou, plus

généralement, de « l’obligation générale de respecter les droits d’autrui »131. La faute recouvre

en outre la violation des devoirs généraux de conduite découverts par le juge132. Leur contenu

évolue au gré des transformations sociales et économiques. Le juge peut s’inspirer « de la

morale, de l’utilité sociale et de l’équité »133. En droit des contrats, les devoirs de conduite

dégagés par la jurisprudence sont nombreux. Il s’agit notamment du devoir de loyauté ou de

bonne foi, de l’obligation d’information, de mise en garde ou encore de sécurité.

124 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, LGDJ, coll. Lextenso, 6e éd.,

2013, n° 119. 125 V. en sens, Ph. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 3e éd., 2014, n° 333 : « Avec ces

droits dont le simple usage déraisonnable peut être jugé fautif, on en revient à la lecture traditionnelle de l’article 1382. Que l’auteur de la faute ait agi dans l’exercice d’un droit fait a priori figure d’élément superfétatoire ». V. égal. M. BACACHE-GIBEILI, La responsabilité civile extracontractuelle, Economica, 2e éd., 2012, n° 151 : « constitue une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur, le fait d’entretenir faussement la confiance du partenaire dans la conclusion du contrat. L’admission de cette faute dans la rupture révèle l’existence d’un devoir de loyauté dans la négociation, d’une obligation de négocier de bonne foi, c’est-à-dire de se comporter en partenaire honnête prudent et diligent. Il en résulte une absorption de l’obligation de ne pas abuser de son droit par l’obligation générale de prudence et de diligence. La faute dans l’exercice d’un droit perd ici sa spécificité ». Contra, J. BRETHE, S. 1925. 1. 217.

126 M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., n°120. 127 M. BACACHE-GIBEILI, op. cit. , n°116. L’article 1352 al. 2 de l’Avant-projet de réforme Catala définit

la faute comme « la violation d’une règle de conduite imposée par une loi ou un règlement ou le manquement à un devoir de prudence ou de diligence ».

128 Cf. l’arrêt de l’Assemblée Plénière du 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255 ; D. 2006, p. 2825, note G. VINEY; D. 2007, p. 1827, obs. L. ROZES, ibid., p. 2897, Ph. BRUN ; ibid. p. 2966, S. AMRANI-MEKKI ; AJDI 2007. 295, obs. N. DAMAS; RD imm. 2006. 504, obs. P. MALINVAUD ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. DEUMIER ; ibid. 115, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; ibid. 123, obs. P. JOURDAIN ; JCP 2006. II. 10181, avis GARIAZZO et note M. BILLIAU ; RDC 2007. 269, obs. D. MAZEAUD, qui a jugé que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

129 V. sur ce point M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., n° 142, p. 157 et note 5. 130 Ibid., n° 142, p. 158 et note 2. 131 Ibid., n° 141, p. 155. 132 Ibid., n° 142, p. 158. 133 Ibid.

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28. Domaine classique de l’abus de droit: les droits subjectifs. Comme son nom

l’indique, la théorie de l’abus de droit suppose que la prérogative exercée soit un droit

subjectif. Cette théorie serait à l’inverse inapplicable aux libertés et facultés qui sont, par

nature, des prérogatives indéterminées134, sauf si leurs « contours extérieurs sont suffisamment

déterminés pour que leur mise en œuvre paraisse a priori licite »135 et puisse a posteriori être

jugée illicite.

Si un droit discrétionnaire est celui dont l’exercice échappe à la sanction de l’abus de

droit, il faut donc en déduire que seuls un droit subjectif ou une prérogative « aux contours

extérieurs suffisamment déterminés » peuvent être qualifiés de discrétionnaires.

Symétriquement, une liberté ou une faculté ne sauraient être en principe discrétionnaires au

sens où les droits peuvent l’être.

La définition que le doyen CORNU donne de la discrétionnarité pourrait inviter à

considérer que seuls des droits peuvent être discrétionnaires. En effet, selon l’auteur, est

discrétionnaire « le droit insusceptible d’abus »136. Ainsi, en faisant le choix de définir la

discrétionnarité par référence aux seuls droits, l’auteur laisse entendre que l’abus au contrôle

duquel ils échappent leur est spécifique. L’exercice des libertés et facultés ne saurait être

abusif. Tout au plus pourrait-on sanctionner le mauvais usage d’une liberté.

29. Extension du domaine de l’abus de droit aux libertés et facultés. On peut

cependant adopter une définition plus large de l’abus et l’appliquer non seulement aux droits

subjectifs mais à l’ensemble des prérogatives juridiques et notamment aux libertés et facultés.

Tout d’abord, la doctrine considère que l’exercice d’une prérogative, et pas seulement

d’un droit, peut être abusif. Le doyen CORNU définit ainsi l’abus comme : « [l’] usage

excessif d’une prérogative juridique ; [l’] action consistant pour le titulaire d’un droit, d’un

pouvoir, d’une fonction, à sortir, dans l’exercice qu’il en fait, des normes qui en gouvernent

l’usage licite »137. On voit donc que, lorsqu’il est entendu largement, l’abus ne s’applique pas

seulement aux droits mais plus généralement aux « prérogatives juridiques ». Dans le même

sens, M. STOFFEL-MUNCK soutient que l’abus renvoie à « une faute dans le comportement

134 J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Les obligations, t. 2, Le fait juridique, Sirey, 14e éd., 2011, n°

120. 135 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, op. cit., n° 769. 136 V° Discrétionnarité, Vocabulaire juridique, op. cit. 137 V° Abus, 1, Vocabulaire Juridique, op. cit. Dans le même sens, Le Petit Robert définit l’abus comme un

« usage mauvais, excessif ou injuste » d’une prérogative (v° Abus, 1, Le Petit Robert, 2011, p. 12).

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»138, que cette faute se soit manifestée à « l’occasion de l’exercice d’un droit ou dans une autre

circonstance »139, ce qui peut recouvrir l’exercice d’une faculté ou d’une liberté.

En outre, la jurisprudence qualifie de discrétionnaires des libertés ou des facultés. Ainsi,

la première Chambre civile de la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt du 30 novembre

2004, que l’exercice de la faculté de révoquer un testament est discrétionnaire et n’est dès lors

pas source de responsabilité civile. On voit bien que la discrétionnarité dont il est question

dans cet arrêt correspond à l’exclusion du contrôle sur le fondement de l’abus au sens large et

non pas sur le fondement de la théorie de l’abus de droit. Autrement dit, la discrétionnarité

n’est pas cantonnée aux droits subjectifs. Elle peut être l’attribut d’une liberté ou d’une

faculté.

Enfin, la distinction entre « abus de droit » et « mauvais usage d’une liberté » paraît fort

artificielle140. Qu’il s’agisse d’un droit ou d’une liberté, leur exercice se trouve limité par une

138 Ph. STOFFEL-MUNCK, thèse préc., p. 13. Cette conception de l’abus est notamment retenue par J.

CARBONNIER, Droit civil, Introduction, PUF, coll. Thémis droit privé, 25e éd., 1997, n° 183, p. 364 ; F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., n° 738 ; Ph. MALINVAUD et D. FENOUILLET, Droit des obligations, Lexisnexis, 2012, n° 582 ; Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, op.cit., n° 120 (ces auteurs réservent un paragraphe à la seconde conception de l’abus mais limitent sa portée aux seules prérogatives dont l’usage a été spécialement déterminé par les parties) ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations, t. 2 Le fait juridique, op. cit., p. 144 (si l’intitulé de la sous-section 2 laisse penser que les auteurs adhèrent fermement à cette conception de l’abus, un passage ultérieur donne l’impression d’un infléchissement. V. n° 120, p. 145 : l’abus dans l’exercice du droit ne se pose « qu’autant que le titulaire du droit n’en a pas dépassé les limites objectives) ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Les conditions de la responsabilité civile, LGDJ, 4e éd., 2013, n° 475 ; G. VINEY, Introduction à la responsabilité, 3e éd., 2008, p. 539 (intitulé du § 2 et n°194) ; Ph. BRUN, op. cit., n° 328 et s. ; M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., n° 122 et s. ; H.-L. et J. MAZEAUD par F. CHABAS, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12e éd., 2000, n° 50 ; Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Introduction générale, Defrénois, 4e éd., 2012, n° 75 et s. ; A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, LGDJ, 13e éd., 2012, n° 553 ; J.-P. GRIDEL, Le droit. Présentation, PUAM, 2012, n° 176 ; G. CORNU, Droit civil, Introduction au droit, Monchrestien, coll. Précis Domat, 13e éd., 2007, n° 148.

139 Ph. STOFFEL-MUNCK, thèse préc., n° 177, p. 164 et note n° 762. 140 MM. ANCEL et AUBERT (« Introduction en forme de dialogue franco-suisse », in L’abus de droit,

comparaison franco-suisses, Publications de l’Université de St Etienne, 2001, p. 20) expliquent que « cette distinction entre “abus de droit” stricto sensu et “mauvais usage d’une liberté” est cependant assez difficile à tenir (…). D’une part, pour qu’elle soit applicable, il faudrait préalablement pouvoir donner un critère de distinction précis entre les droits et les libertés ou les simples facultés d’agir (…). D’autre part et surtout, on peut se demander si une approche restrictive de l’abus de droit, pour rationnelle qu’elle puisse paraître, a autant d’intérêt qu’on pourrait le penser. Derrière l’utilisation du vocable “abus” ou “abusif” il y a toujours, au fond, la même problématique : on est en présence d’un comportement qui, normalement, de prime abord, devrait être considéré comme licite, (…), mais qui, exceptionnellement, à raison des circonstances objectives ou de l’intention subjective de son auteur, devient illicite ». L’abus de droit sert ainsi à sanctionner l’exercice de la liberté de rompre les pourparlers. M. CHAUVEL écrit en ce sens que « la règle de principe demeure la liberté de rompre les pourparlers. L’auteur de la rupture n’engagera donc sa responsabilité que dans la mesure où les circonstances feront apparaître qu’il a abusé de cette liberté, et que, en d’autres termes, cette rupture est fautive » (P. CHAUVEL, V° Consentement, Rep. civ., avril 2007, n° 221). MM. GHESTIN, GOUBEAUX et Mme FABRE-MAGNAN proposent pour leur part de dépasser la difficulté que pose la distinction des droits et des libertés en considérant que la théorie de l’abus de droit est applicable à toute prérogative déterminée, celle-ci pouvant être aussi bien un droit qu’une liberté ou encore une faculté. Seul compte en définitive le degré de précision du contenu de la prérogative car c’est en considération de ce contenu que l’abus, conçu comme un dépassement des limites interne de la prérogative, pourra être retenu (op. cit., n° 786 et s.).

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contrainte de même nature : l’exercice d’un droit ou d’une liberté ne doit pas être illicite. On

peut affirmer, avec M. SERIAUX, que « la théorie [de l’abus de droit] est potentiellement

applicable à n’importe quel droit ou liberté ». L’auteur précise qu’on la retrouve pour le droit

ou la liberté d’opiner, le droit de grève, le droit au respect de la vie privée ou encore la liberté

de la concurrence141.

DABIN a d’ailleurs identifié la raison devant présider à une application large de l’abus de

droit, à savoir que « seul le concept d’abus de droit donne le moyen de censurer une

abstention immorale, puisque celui qui s’abstient là où la loi lui laissait la liberté d’agir ou

non, est légalement dans son droit [et] ne commet donc, légalement, aucune faute »142.

30. Conclusion. Finalement, doivent être qualifiés de discrétionnaires, non seulement les

droits, mais aussi toutes les prérogatives, cette notion étant largement entendue143, dont

l’exercice ne peut être sanctionné par les règles de la responsabilité civile. Ainsi, une

prérogative discrétionnaire est celle dont l’exercice ne peut être sanctionné sur le fondement

des règles de la responsabilité civile, sans qu’il importe qu’il s’agisse ou non d’un droit

subjectif. En conséquence, le titulaire de la prérogative peut s’affranchir du respect de

l’obligation générale de ne pas nuire à autrui, que sa traduction soit légale, règlementaire ou

encore contractuelle.

2) Un droit juridiquement incontrôlé

31. Définition. Le droit discrétionnaire est également un droit qui n’est pas juridiquement

contrôlé, c’est-à-dire dont l’exercice ne fait l’objet d’aucune vérification de conformité à une

141 A. SERIAUX, V° Abus de droit, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit. 142 J. DABIN, Le droit subjectif en question, op. cit., p. 302. Dans le même sens, v. P. VAN

OMMESLAGHE, « Abus de droit, fraude aux droits des tiers et fraude à la loi », RCJB, 1976, p. 325 : « Tant les libertés particulières que la liberté générale d’aller et venir ou de faire ce qui n’est pas prohibé, doivent nécessairement se concrétiser dans des actes précis que l’on a le droit de faire. Si l’acte est contraire à la loi, il en résultera naturellement une responsabilité aquilienne par application de la définition générale de la faute ; mais même s’il est apparemment conforme aux libertés en vertu desquelles il est accompli, un acte pourra encore être abusif si cette légalité prima facie présentait, à l’analyse, l’une des caractéristiques de l’abus de droit. La situation ne sera pas différente de celle qui résulterait de l’usage d’un droit “défini” ». V. dans le même sens, F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., n° 185, spéc. note 4, pour qui l’application de l’abus de droit aux libertés traduit la volonté de la Cour de cassation « de trouver un équilibre entre l’exercice d’une liberté et le souci de moraliser le comportement des individus ». Des mêmes auteurs, v. également, op. cit., n° 738.

143 La prérogative est dans cette hypothèse un « terme générique englobant tout droit subjectif, tout pouvoir de droit, toute faculté d’agir fondée en droit, à l’exclusion d’une maîtrise de pur fait » (V° Prérogative (3), Vocabulaire Juridique, op. cit.). Elle recouvre donc tant les droits subjectifs que les facultés et libertés juridiquement sanctionnées.

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37

norme juridique144. Cet aspect de la définition du droit discrétionnaire peut être entendu de

deux façons.

En premier lieu, on peut entendre le droit discrétionnaire comme un droit dont le contrôle

est impossible en raison de l’absence de toute norme juridique de référence. Dans ce cas, la

discrétionnarité du droit est une discrétionnarité de fait, c’est-à-dire qu’elle n’est pas concédée

à son titulaire par l’ordre juridique. Cette conception doit être écartée. Notre système

juridique est fondé sur un principe de hiérarchie des normes qui implique que les droits et

prérogatives juridiques exercés par les individus leurs sont nécessairement concédés par une

norme supérieure.

En second lieu, la discrétionnarité d’un droit suppose que celui-ci puisse être exercé sans

égard pour les normes juridiques de référence et qu’il puisse même les contredire. En droit

positif, c’est cette conception de la discrétionnarité qui est appliquée. En effet, la

discrétionnarité d’un droit justifie bien souvent que son titulaire ne puisse se voir reprocher

d’avoir adopté un comportement qui, au regard des règles de la responsabilité civile, est

pourtant blâmable145.

Il faut corrélativement en déduire que le caractère discrétionnaire d’un droit est

délibérément accordé à son titulaire par l’ordre juridique. La discrétionnarité d’une

prérogative est un choix de politique juridique146, en vertu duquel un droit discrétionnaire peut

enfreindre les règles de la responsabilité civile. Il convient précisément de s’interroger sur le

fondement philosophique de ce choix.

144 Le contrôle est la « vérification de la conformité à une norme d’une décision, d’une situation, d’un

comportement » (V° Contrôle, 1, Vocabulaire Juridique, op. cit.). 145 V. par ex. Civ. 1ère, 30 novembre 2004, pourvoi n° 02-20883, Bull. civ. I, n° 297, RTD civ. 2005. 104,

obs. J. HAUSER et 443, obs. M. GRIMALDI ; D. 2005, p. 1621, J.-Y. MARECHAL, où la Cour de cassation a qualifié la faculté de révoquer un testament de discrétionnaire et non susceptible d’abus alors même que la révocation était intervenue le lendemain de la rédaction du testament et avait été dissimulée à la légataire pendant les trois années de vie commune ayant précédé le décès du testateur et après dix-sept ans de vie commune.

146 En ce sens, v. R. ENCINAS DE MUNAGORRI, thèse préc., n° 487 : « l’absence de contrôle est plus lié à un choix de politique juridique opéré par les juges qu’à la prise en compte d’une catégorie de droits devant laquelle il ne pourrait que s’incliner ».+++

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38

§ - II. LE FONDEMENT PHILOSOPHIQUE DE LA

DISCRÉTIONNARITÉ

32. Dimension philosophique et politique. Les propos tenus par M. MARTY au sujet de

l’abus de droit, qui est l’un des antonymes de la discrétionnarité147, peuvent lui être

transposés : cette notion « présente une forte connotation philosophique et politique

puisqu’elle préfigure la conception de la société que l’on souhaite adopter et défendre »148.

A cet égard, plusieurs arguments ont été avancés par la doctrine pour justifier l’existence

des droits discrétionnaires. Après en avoir écarté certains (A), on examinera celui qui a été

avancé par JOSSERAND et qui consiste à voir dans la discrétionnarité une traduction des

préceptes de la philosophie individualiste (B). A titre de contre-épreuve, on s’interrogera pour

finir sur les justifications de l’abus de droit. Celles-ci révèlent en effet les liens profonds qui

unissent individualisme et discrétionnarité (C).

A – LES ARGUMENTS ÉCARTÉS

33. Protection contre l’arbitraire du juge. Selon une première présentation, la

discrétionnarité serait un moyen de protéger les droits subjectifs contre l’arbitraire du juge. En

effet, en l’absence de conception unitaire de l’abus, des litiges similaires pourraient aboutir à

des solutions différentes en fonction du critère de l’abus retenu par les juges du fond149.

34. Tradition historique et confiance du législateur. Selon une autre présentation, la

discrétionnarité serait justifiée par la tradition historique et la confiance du législateur envers

147 V. supra n° 19. 148 R. MARTY, « Théorie de l’abus de droit ou l’éternelle question de la finalité des droits subjectifs (1ère

partie)», Revue Française de Comptabilité, avril 1998, p. 74. 149 S’agissant du droit de refuser un empiètement, v. par ex. H. PERINET-MARQUET, note sous Civ. 3e, 20

mars 2002, Bull. civ. III, n° 71, JCP G 2002. I. 176 ; M.-Ch. LEBRETON, « Empiètement et abus de droit », D. 2000, p. 472 : « Les résolutions des litiges relatifs à des empiétements, variant au gré de l'appréciation subjective que les juges se feraient de l'équité, feraient plonger la matière dans une pure casuistique, dans un impressionnisme juridique qui n'est pas souhaitable ». S’agissant du droit de révoquer un testament, v. J.-Y. MARECHAL, « La concubine dépitée et le testateur inconstant », D. 2005, chron., p. 1621, n° 23 : « autoriser une telle action aurait donné naissance à un contentieux dont les issues auraient été fort incertaines car laissées à l’appréciation souveraine des juges du fond, ceux-ci pouvant être tentés, comme en l’espèce, de trancher davantage en équité qu’en droit ». S’agissant de la rupture des négociations précontractuelles, v. Y. NEVEU, « Le devoir de loyauté pendant la période précontractuelle », Gaz. Pal., 5 décembre 2000, p. 6 et s. : « Ne peut-on craindre que cette nouvelle orientation jurisprudentielle conduise à un excès de moralisation contractuelle se traduisant par une intervention judiciaire de plus en plus fréquente et par voie de conséquence à une insécurité juridique ? ».

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39

le titulaire du pouvoir discrétionnaire150. Celui-ci serait plus compétent pour décider de

l’orientation qu’il convient de lui donner.

35. Appréciation. Ces arguments ne sont pas convaincants.

La volonté de préserver les droits subjectifs contre l’arbitraire est insuffisante à expliquer

leur caractère discrétionnaire. En effet, dans leur immense majorité, les droits subjectifs sont

soumis au contrôle du juge. Pour quelle raison seule une partie d’entre eux échapperait à

l’arbitraire du juge ?

On peut également souligner la faiblesse de l’argument tiré de la tradition historique.

Cette dernière constate un fait, l’existence de droits discrétionnaires, mais n’explique en rien

la raison pour laquelle ils ont été reconnus à l’origine.

Enfin, si la compétence de l’agent justifie que le législateur lui délègue un pouvoir, elle

n’explique pas pourquoi ce pouvoir devrait échapper à tout contrôle. D’ailleurs si, en droit

administratif, le pouvoir discrétionnaire est reconnu à l’administration afin de lui permettre

d’appréhender plus justement les besoins des administrés, il n’échappe pas pour autant au

contrôle du juge.

La justification avancée par JOSSERAND est plus convaincante. Il convient

d’approfondir son étude.

B – LA PHILOSOPHIE INDIVIDUALISTE, FONDEMENT DE LA

DISCRÉTIONNARITÉ

36. Présentation de la philosophie individualiste. Pour JOSSERAND, la

discrétionnarité des droits subjectifs s’explique par l’influence de la philosophie individualiste

sur la théorie du droit. Cette philosophie sous-tend « l’absolutisme des droits subjectifs ; par

elle, l’individu devient un souverain, armé de prérogatives intangibles dont il peut user

discrétionnairement, fût-ce contre l’Etat »151.

L’individualisme incarne la modernité et a pris naissance dans le subjectivisme. Il

présente l’individu comme étant une « source irréductible de valeur »152. En d’autres termes,

« l’individu est la fin du droit, c’est-à-dire que celui-ci doit être ordonné à son bien ou, en

150 E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, thèse, préf. G. CORNU, Economica, n° 236, p. 151. 151 L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité, op. cit., p. 6. 152 V° Individualisme, Dictionnaire des notions philosophique, p. 1275 (R. SÈVE).

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40

schématisant, que la société est faite pour l’homme et non l’inverse »153. Alain RENAUT a

analysé l’émergence et le développement de cette philosophie154. Selon lui, deux conditions

ont été nécessaires à son apparition : d’une part, la perception du réel comme somme

d’individualités et d’autre part, l’élévation de l’individu au rang de « princeps »155.

La première condition aurait sa source dans le nominalisme d’OCKHAM156. VILLEY

explique que, dans cette philosophie, « universels et relations ne sont que des instruments de

pensée. Il n’existe dans le réel et dans la “nature” réelle rien au-dessus des individus : point

d’universels, point de structures, point de droit naturel »157. À partir du nominalisme, la

pensée juridique commence à placer l’individu au centre de ses préoccupations. Elle est

« axée sur le pouvoir de l’individu »158, sur sa volonté, qu’il s’agisse de Dieu ou de

l’homme159.

L’individualisme a repris cet acquis et l’a dépassé en élevant l’individu au rang de

princeps. Il véhicule « une éthique de l’indépendance »160. L’homme est pensé comme

individu et non comme sujet. Il est indépendant, c’est-à-dire qu’il existe et peut exister

isolément, en dehors d’un cadre social. Dans cette mesure, l’idéal sur lequel repose

l’individualisme nie « la part d’humanité commune » en chaque homme et considère « qu’il

n’existe que des différences irréductibles »161.

37. Individualisme, autonomie de la volonté et discrétionnarité. A la lumière de ces

explications, le lien que JOSSERAND établit entre la discrétionnarité et l’individualisme est

compréhensible. Si l’individu est la source indépendante et le centre du système juridique, il

semble concevable de lui reconnaître un pouvoir absolu, c’est-à-dire discrétionnaire, dans

l’usage de ses droits.

153 FLOUR, AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey Université, 15e éd., 2012, n°

107. 154 A. RENAUT, L’ère de l’individu, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Idées. 155 A. RENAUT, V° Individu et individualisme», Dictionnaire de philosophie politique, dir. S. RIALS et D.

ALLAND, PUF, 3e éd., p. 344. 156 Ce rapprochement aurait été établi pour la première fois par Victor COUSIN dans son Introduction aux

œuvres d’Abellard (v. sur ce point F.-X. TESTU, V° Individu, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.). 157 M. VILLEY, La formation de la pensée juridique moderne, PUF, coll. Léviathan, 2003, p. 226-227. 158 M. VILLEY, op. cit., p. 264. 159 « Il n’est plus qu’une seule source au droit, la volonté individuelle : soit celle de l’individu Dieu, soit celle

des individus hommes »: M. VILLEY, op. cit., p. 240. V. dans le même sens, H. OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés publiques, LGDJ, 4e éd., 2013, p. 58 « pour Occam, l’essence de la loi découle des décisions volontaires de Dieu, de l’empereur ou de l’individu ».

160 A. RENAUT, V° Individu et individualisme, art. préc., p. 345. 161 Ibid. Dans L’ère de l’individu, Alain RENAUT explique que l’indépendance est « l’affirmation pure et

simple du Moi comme valeur imprescriptible » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Idées., p. 53).

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41

L’existence d’un lien entre discrétionnarité et individualisme est pleinement à l’œuvre

dans la théorie de l’autonomie de la volonté162. La définition qu’en donne GOUNOT illustre

l’imbrication de ces concepts : « À la base de l’édifice social et juridique se trouve l’individu,

c’est-à-dire une volonté libre. La liberté fait de l’être humain son propre maître et son seul

maître ; elle le rend infiniment respectable et sacré ; elle l’élève à la dignité de “fin de soi”.

Au sens le plus général du mot, le droit n’est autre chose que cette liberté initiale et

souveraine qui appartient à tout homme. De la volonté libre tout procède, à elle tout

aboutit »163. Si la théorie de l’autonomie de la volonté ne parle pas de liberté absolue mais de

liberté souveraine, elle encourage, par la référence à la sacralité de l’individu, la confusion

entre ces deux acceptions de la liberté.

38. Limites du rapprochement. Si, à la lumière de ces explications, on comprend

pourquoi JOSSERAND voyait dans l’individualisme la source de la discrétionnarité, il reste

que cette dernière s’en détache sur un point essentiel. La philosophie individualiste n’a jamais

prétendu conférer aux individus une impunité dans leurs actions. Bien au contraire, la liberté

individuelle a toujours eu pour corollaire la responsabilité individuelle164. En d’autres termes,

c’est parce que les individus sont responsables de leurs actions qu’ils sont libres et maîtres de

leur existence. Ainsi, dès lors que la discrétionnarité confère une irresponsabilité totale aux

individus, elle pervertit les préceptes de la philosophie individualiste et l’essence même de la

liberté individuelle.

Au-delà de ce débat essentiellement théorique, il est possible de mesurer avec exactitude

la portée de la discrétionnarité en s’intéressant à l’abus de droit. En effet, comme l’écrit M.

CARON, « la catégorie des droits discrétionnaires apparaît comme une réaction, parfois

162 V. par ex. M. WALINE, L’individualisme et le droit, Dalloz, 1949, 2ème éd., p. 181 : « Une volonté

autonome est celle qui a le pouvoir de décider discrétionnairement la création d’une règle ou d’une situation juridique ».

163 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en Droit privé français. Contribution à l’étude critique de l’individualisme juridique, thèse, Paris, 1912, p. 27.

164 V. notamment G. VINEY, Le déclin de la responsabilité individuelle, thèse, préf. A. TUNC, LGDJ, 1962, p. 2 : « Les moralistes et les métaphysiciens mettent en effet l’accent sur l’aspect actif qui constitue à leurs yeux l’essentiel d’où découle, comme une conséquence nécessaire, l’attribution des effets de l’acte dommageable. Ainsi s’opposent les individualistes aux yeux desquels l’individu apparaît comme l’agent actif des événements dans la survenance desquels il intervient et les collectivistes qui soulignent au contraire la multiplicité des causes humaines de chaque dommage, produit d’un état de choses auquel ont participé les membres du corps social » ; G. VINEY, Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 15 ; J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGAN, Droit civil. Introduction générale, op. cit., n° 165. Pour une analyse philosophique du lien existant entre la liberté et la responsabilité, v. not. J.-P. SARTRE, L’être et le néant, Essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard, coll. Tel, spéc. p. 598 : « l’homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules: il est responsible du monde et de lui-même en tant que manière d’être (…). Cette responsabilité absolue n’est pas acceptation d’ailleurs: elle est simple revendication logique des conséquences de notre liberté ».

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épidermique, face à une théorie de l’abus de droit que l’on croyait très envahissante »165.

Partant, l’identification des justifications de l’abus de droit permet de découvrir, par un

raisonnement a contrario, celles de la discrétionnarité.

C – ANALYSE DES JUSTIFICATIONS DE L’ABUS DE DROIT

39. Vertu moralisatrice. La théorie de l’abus de droit a son origine dans l’adage

summum jus summa injuria166. Ce précepte « s’inscrit dans le courant de morale et d’équité

qui vient irriguer le droit romain à l’époque classique sous l’influence de la pensée

grecque »167.

Cette vertu moralisatrice de la théorie de l’abus de droit a été affirmée très tôt, par l’arrêt

« Doerr » de la Cour d’Appel de Colmar. Cette dernière y a en effet jugé que, « s’il est de

principe que le droit de propriété est un droit en quelque sorte absolu (…), l’exercice de ce

droit, comme celui de tout autre doit avoir pour limite la satisfaction d’un intérêt sérieux et

légitime ; que les principes de la morale et de l’équité s’opposent à ce que la justice ne

sanctionne une action inspirée par la malveillance »168 .

A contrario, il faut considérer que la discrétionnarité est une théorie indifférente aux

comportements et états d’âme des titulaires du droit. Elle se veut donc amorale. Bien plus, en

ne sanctionnant pas les fautes de comportement, cette théorie autorise les comportements

immoraux.

40. Vertu modératrice. A côté de cette vertu moralisatrice, de nombreux auteurs, dont le

doyen CARBONNIER, voient dans la théorie de l’abus de droit « un procédé d’équité

modératrice à la disposition du juge »169. L’éminent Doyen explique en ce sens que « l’excès

165 Ch. CARON, « Empietement de 0,5 cm sur le terrain d’autrui: sévérité de la Cour de cassation », D. 2002,

p. 2075 (à propos de Civ. 3e civ., 20 mars 2002, Bull. civ. III, n° 71). 166 « Droit porté à l’extrême, extrême injustice » (Cicéron, de Officis, 1, 10, 33). MM. ROLAND et BOYER

précisent que « le superlatif summa injuria s’explique, semble t-il, pour l’élégance de la formule, mais surtout par la nécessité de marquer la majesté offensée de l’outil qui, ordonné au bien, est détourné pour le mal » (H. ROLAND et L. BOYER, « Summum jus summa injuria », Adages de droit français, Litec, 4e éd., 1999, p. 849).

167 H. ROLAND et L. BOYER, op. et loc. cit. 168 CA Colmar, 2 mai 1855, « Doerr », S. 1856.2.9. La position de la Cour avait été critiquée par

DEMOLOMBE pour qui « le texte de l’article 544 est formel : c’est de la manière la plus absolue que le propriétaire a le droit de jouir et de disposer de la chose. En droit, on ne peut lui demander aucun compte de ses motifs ». L’éminent juriste ajoutait que la recherche, par les juges, de l’intention de nuire était nécessairement arbitraire en raison de son caractère subjectif (C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, T. 12, Traité des servitudes T. 2, 2e éd., Paris 1859, n° 648).

169 J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, Les Obligations, PUF, coll. Thémis, 20e éd., 1996, n° 230. En ce sens, v. également, A. COLIN et H. CAPITANT, Traité de droit civil français, T. 2, par Juilot de la Morandière, 8e éd., n° 195 : « l’exercice concurrent que les hommes font ensemble de leurs droits ne va pas sans leur causer

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en toute chose, et même dans le droit, est un désordre, contraire au droit ; qu’il est donc dans

l’office du juge, pour prévenir le désordre, d’imposer aux titulaires du droit subjectif une

certaine modération »170.

Un raisonnement a contrario conduit à retenir que la théorie de la discrétionnarité

autorise les comportements excessifs171.

41. Interdépendance des individus. Enfin, la théorie de l’abus de droit est justifiée par

l’interdépendance des membres de la société, c’est-à-dire par l’idée que l’individu est « l’une

des molécules » d’un « ensemble social coordonné »172. Cette interdépendance constitue le

sens et la limite des prérogatives juridiques173. Ainsi, le droit subjectif est un outil permettant

aux individus d’exister et d’interagir au sein de la société. Il s’agit d’un outil créé et concédé

réciproquement une certaine gêne, voire parfois certains dommages. C’est la rançon de la vie en société. De ce dommage l’homme ne sera pas responsable, du moment qu’il aura pris toutes les précautions dictées par la prudence, qu’il aura fait preuve de la diligence normale que l’on peut, que l’on doit attendre de lui » ; J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil – Introduction générale, op. cit., n° 765 : « les prérogatives accordées à une personne par la loi ne le sont pas de façon absolue. Il y a une mesure à respecter dans leur exercice. L’originalité des limites posées à l’exercice des droits par la théorie de l’abus de droit vient du fait que le dépassement du droit subjectif se situe à l’intérieur du cadre délimitant le type de prérogatives reconnues à l’agent » ; A. PIROVANO, « La fonction sociale des droits : Réflexions sur le destin des théories de Josserand », D. 1972, chron., p. 67, pour qui l’abus est « un mécanisme correcteur, une soupape de sûreté qui permet au juge d’adoucir les relations juridiques ».

170 J. CARBONNIER, Droit civil, Les biens, les obligations, vol. 2, PUF Quadrige 1ère éd., n° 1049, p. 2317. 171 V. cependant D. BAKOUCHE, L’excès en droit civil, thèse, préf. M. GOBERT, LGDJ, 2005, n° 444.

L’auteur considère que la prise en compte de l’excès par le droit devrait entrainer un contrôle des droits discrétionnaires. Il voit dans l’absence de conception unitaire de l’abus la raison d’être des droits discrétionnaires. Or, contrairement à l’abus, l’excès repose sur un critère objectif. Il est donc facilement identifiable. C’est pourquoi il rend possible un contrôle de l’ensemble des droits, y compris de ceux appartenant à ce jour à la catégorie des droits discrétionnaires. Selon nous, la prise en compte de l’excès par le droit ne justifierait pas plus que l’abus l’abandon de la catégorie des droits discrétionnaires. Il a été montré plus haut (supra n° 35) que la plasticité des critères de l’abus n’est pas la justification de l’existence de la catégorie des droits discrétionnaires. Sa raison d’être réside dans l’influence de la philosophie individualiste sur la pensée juridique, qui incite à reconnaître aux individus des zones d’indépendance. Les actions menées dans son cadre échapperait logiquement à sanction de l’excès, comme elles échappent déjà à celle de l’abus.

172 R. MASPÉTIOL, « Ambiguïté du droit subjectif : métaphysique, technique juridique ou sociologie », APD 1964, « Le droit subjectif en question », p. 74.

173 V. par ex. J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, op. cit., p. 147 : « Les droits n’ont de signification que par rapport à autrui » ; P.-Y. GAUTIER, Propriéré littéraire et artistique, PUF, 8e éd., 2012, n° 200 : « Il n’y a pas de « for intérieur » qui ne doive être scruté, dès lors que l’exercice du droit a vocation à modifier la situation des autres sujets » ; Ch. LARROUMET et A. AYNES, Droit civil, Tome 1, Introduction à l’étude du droit privé, Economica, 6e éd., 2013, n° 393, pour qui le droit subjectif « est un pouvoir du sujet de droit qui révèle l’existence de rapports sociaux entre les individus et surtout qui rend possible ces rapports sociaux. Ces rapports ne constituent pas un conflit permanent entre des pouvoirs opposés des différents sujets de droit. Au contraire, le but du droit, ou du moins un des buts du droit, est un équilibre de ces pouvoirs. On a parlé quelquefois d’harmonie des droits. Pour cela, il faut admettre que les droits ne sont pas des prérogatives absolues, mais des prérogatives relatives et limitées. Non seulement, le droit de chacun est limité par les droits d’autrui, mais encore un droit ne saurait être exercé égoïstement et sans justification d’un intérêt légitime de son titulaire ».

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par cette société aux individus174. En dehors d’elle comme contre elle, cet outil n’a pas de

force.

La justification de l’abus de droit par l’interdépendance des individus prend une

signification particulière lorsque l’abus a pour critère la finalité du droit exercé. En effet, le

droit est alors concédé afin de permettre à l’individu de remplir une mission sociale. Comme

l’expliquent MM. CADIET et LE TOURNEAU, « cela ne signifie certainement pas que les

droits subjectifs doivent être exercés dans l’intérêt de la collectivité (…). On entend

seulement par là que l’ordre social, donc l’ordre juridique, repose sur l’équilibre des rapports

sociaux, donc des rapports de droits. A cet égard, en contrôlant leur exercice, le juge n’assure

pas uniquement la police des droits subjectifs ; en même temps, en assurant cet équilibre, il

contribue à la cohérence de l’ordre juridique, et au respect des finalités du système

juridique »175.

Dans ces conditions, on peut en déduire, par un nouveau raisonnement a contrario, que la

discrétionnarité est indifférente à l’idée d’une interdépendance des individus. Elle est pour

cette raison insensible à la prise en considération de la finalité des droits. Ainsi, le titulaire

d’une prérogative discrétionnaire est indépendant du reste de la société. Il peut par conséquent

l’exercer sans égard pour autrui et surtout sans justification. L’analyse proposée par

JOSSERAND est ainsi confirmée. La discrétionnarité renvoie à cette « éthique de

l’indépendance » sur laquelle est bâtie la philosophie individualiste.

42. Conclusion. Si l’on résume, la discrétionnarité est, en droit privé, le reflet d’une

conception individualiste de la société. Elle implique que l’individu soit un être indépendant

et autosuffisant et que ses actions, qui s’inscrivent dans un univers amoral, puissent être

excessives, voire nuisibles, sans jamais être source de responsabilité.

D’une manière plus générale, concevoir la discrétionnarité comme le reflet d’une

adhésion à un courant philosophique permet de considérer qu’une prérogative n’est jamais

par essence discrétionnaire176. M. ROETS parle d’ailleurs à leur sujet de « fiction »177. Cela se

174 M. MASPÉTIOL ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit que « si le droit est, dans l’esprit commun des

hommes, intimement associé à l’idée de justice, s’il exprime le besoin qu’ont tous les êtres humains de mettre hors d’atteinte leur valeurs essentielles, cette justice, ces valeurs, ne peuvent être placées dans l’absolue dépendance d’une volonté subjective nécessairement arbitraire ; elles doivent avoir leur source dans un rapport objectif entre les hommes ou entre les hommes et les choses » (R. MASPÉTIOL, art. préc., p. 80).

175 L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, V° Abus de droit, op. cit., p. 9. 176 V. par ex. en ce sens, G. COURTIEU, « Art. 1382 à 1386 – Fasc. 131-10 : Droit à réparation. – Abus de

droit. Notion », J-Cl. Civil Code, n° 10 : « il n’existe pas de droits absolus qui, par nature, échapperaient au contrôle judiciaire ».

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45

vérifie lorsque l’on cherche à identifier les prérogatives discrétionnaires. On constate en effet

que tant l’existence que le contenu de cette catégorie juridique sont controversés.

SECTION II – LES APPLICATIONS DE LA DISCRÉTIONNARITÉ

43. Plan. Les prérogatives discrétionnaires constituent une catégorie juridique discutée en

doctrine mais aussi en jurisprudence (§ I). La controverse prend une ampleur particulière

lorsqu’est envisagée l’appartenance du droit de contracter ou ne pas contracter à cette

catégorie (§ II).

§ - I. CONTROVERSES SUR LA CATÉGORIE DES

PRÉROGATIVES DISCRÉTIONNAIRES

44. De multiples controverses. L’absence de consensus doctrinal sur les prérogatives

discrétionnaires (A) trouve son prolongement en jurisprudence (B). D’ailleurs, la controverse

n’est pas seulement interne à la doctrine ou la jurisprudence mais peut également se

manifester par un désaccord entre elles (C).

A – L’ABSENCE DE CONSENSUS DOCTRINAL

45. Une existence discutée. La question de l’existence des droits discrétionnaires divise

la doctrine. Si certains auteurs les reconnaissent (1), d’autres expriment des réserves (2),

tandis qu’une dernière fraction de la doctrine choisit de ne pas les évoquer (3).

1) Des droits ponctuellement reconnus

46. Constat. La lecture des développements consacrés à la discrétionnarité en droit privé

révèle que les auteurs sont partagés au sujet de la détermination du contenu de la catégorie des

177 D. ROETS, « Les droits discrétionnaires : une catégorie juridique en voie de disparition ? » D. 1997,

chron., p. 95 : « Consacrer le caractère discrétionnaire d’une prérogative, c’est, en somme, en voulant tenir pour nécessairement licite son exercice, consacrer une fiction. Il n’y a donc pas, dans cette optique, une question des droits discrétionnaires mais autant de questions que de droits discrétionnaires ou susceptibles de l’être ».

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prérogatives discrétionnaires. En effet, ce contenu varie non seulement d’une époque à

l’autre, mais également, au sein d’une même époque, d’un auteur à l’autre.

Ainsi, des droits initialement qualifiés de discrétionnaires ont aujourd’hui disparu ou été

requalifiés en droits contrôlés178.

De plus, à une même époque, un droit peut être qualifié de discrétionnaire par un auteur,

mais de contrôlé par un autre. Ainsi en est-il par exemple du droit moral de l’auteur179, de la

liberté de révoquer un testament180 ou encore du droit de s’opposer à l’empiètement d’autrui

sur sa propriété181.

Enfin, les listes de droits discrétionnaires établies par la doctrine ne sont jamais

identiques182.

Dans ces conditions, il n’y a pas d’autre solution que de passer en revue tous les droits

présentés comme discrétionnaires, quitte à en apprécier ultérieurement le bien-fondé.

47. Recensement. Sont censés être discrétionnaires le droit des ascendants de s’opposer

au mariage de leurs descendants183, celui des parents de consentir au mariage de leur enfant

178 V. par exemple A. ROUAST, « Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés », RTD civ. 1944, p. 2 :

« le mari avait, avant la loi du 18 février 1938, un droit discrétionnaire pour la fixation de la résidence du ménage, qui a aujourd’hui disparu ; l’exercice de la puissance paternelle, alors à l’abri de tout contrôle, est maintenant l’objet d’interventions possibles des tribunaux » ; A. SERIAUX, V° Abus de droit, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit. : « La catégorie des droits discrétionnaires, dont l’usage serait insusceptible d’abus, n’a rien d’étanche par rapport à celle des droits contrôlés ou, en tous cas, contrôlables ; les juges conservent toujours la faculté d’estimer ce contrôle opportun, quels que soient le droit ou la faculté en cause ».

179 En faveur de sa discrétionnarité du droit moral de l’auteur, v. par ex., F. POLLAUD-DULLIAND, obs. sous Civ. 1ère, 14 mai 1999, JCP G 1991. II. 21760 et D. 1993, chron., p. 97. Contre sa discrétionnarité, v. par ex., Chr. CARON, RIDA juillet 1990, chron. 127 et Abus de droit et droit d’auteur, thèse, avant-propos A. FRANÇON, IRPI, Litec, 1998, n° 56 et s. ; C. CARREAU, « Propriété intellectuelle et abus de droit », Mélanges en l’honneur de A. Françon, Dalloz, 1995, p. 17 et s., n° 25 et s. ; P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, op. cit., n° 200, 213 et 220 (l’auteur réserve toutefois le droit de divulguer l’oeuvre – mais, comme nous le verrons, la discrétionnarité de la décision de ne pas divulguer s’explique par son rattachement aux actes ne relevant pas de la sphère juridique, v. infra n° 108).

180 En faveur du caractère discrétionnaire de la liberté de révoquer un testament, v. par ex. M. GRIMALDI, obs. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, Bull. civ. I, n° 297, RTD civ. 2005. 444. Contre sa discrétionnarité, v. notamment Ph. MALAURIE, Les successions. Les libéralités, Defrénois 5e éd., 2012, n° 496 ; G. RAOUL-CORMEIL, « Le mensonge du concubin sur ses dernières volontés », Defrénois 2005, p. 761 ; F. BICHERON, AJ Fam. 2005, p. 24 et s.

181 En faveur de la discrétionnarité du droit de refuser un empiètement, v. par ex. H. PERINET-MARQUET, obs. sous Civ. 3e, 20 mars 2002, JCP G 2002. I. 176. Contre, v. par ex. G. CORNU, Droit civil, Les biens, 13e éd., Montchrestien, 2007, n° 86 ; Ch. CARON, D. 2002, p. 2075, note sous Civ. 3e, 20 mars 2002.

182 C’est ainsi que pour MM. MALAURIE et MORVAN, le droit des ascendants de s’opposer au mariage d’un descendant, celui d’exiger la démolition qui empiète sur un fonds, celui de renoncer au contrat d’assurance et enfin celui de révoquer un testament sont discrétionnaires (Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Introduction générale, Defrénois, 4e éd., 2012, n° 49, note 299), tandis que M. GRIDEL cite pour sa part le droit du banquier de refuser un crédit, le droit de révoquer un testament, le droit pour la femme de recourir à une interruption volontaire de grossesse pendant les douze premières semaines, le droit de récuser un juré d’assise ainsi que l’ensemble des actions reposant « sur des appréciations personnelles telles qu’elles ne peuvent être introduites que par les personnes directement et immédiatement concernées : divorce, atteinte à la vie privée (J.-P. GRIDEL, Le droit, Présentation, op. cit., n° 176, spéc. note 499).

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mineur184, de choisir la religion de leur enfant185, de consentir à son émancipation186, le droit

d’exhéréder les héritiers187, de révoquer un testament188, de demander le partage de biens

indivis189, le droit moral de l’auteur190, le droit de réponse en matière de presse191, le droit pour

une compagnie d’assurance de refuser l’agrément du successeur présenté par un de ses agents

généraux192, le droit pour un assuré de renoncer au contrat d’assurance sur la vie pour lequel il

n’a pas reçu l’information requise193, le droit d’acquérir la mitoyenneté d’un mur194, celui de

couper les racines des arbres voisins pénétrant sur son fond195, de s’opposer à un empiètement

183 V. not. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op.

cit., n° 126 ; Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Introduction générale, op. cit., n° 47, note n° 283 ; E. GAILLARD, thèse préc., n° 236.

184 V. par ex. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op. et loc. cit. ; A. BENABENT, « Le discrétionnaire », Etudes offertes au Professeur Philippe Malinvaud, Litec, 2007, p. 13 ; J. CARBONNIER, Droit civil, Les personnes, La famille, vol. 1, PUF, coll. Quadrige, 2004, n° 183 ; E. GAILLARD, thèse préc., n° 236 ; J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, op. cit., n° 187 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., n° 229 ; Ph. BRUN, op. cit., n° 330 et notes n° 212 à 215.

185 Cf. E. GAILLARD, thèse préc., n° 236. M. GAILLARD renvoie sur cette question à une note de J. CARBONNIER, D. 1962, p. 52 et s. et à un article de P. RAYNAUD, « La puissance paternelle et l’assistance éducative », Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz, 1965, p. 807 et s., spéc. pp. 818-819.

186 Cf. E. GAILLARD, thèse préc., n° 236. 187 V. par ex. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique,

op. et loc. cit. ; M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., n° 123 ; Ph. BRUN, op. cit., n° 330 et notes n° 212 à 215. 188 V. not. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op.

et loc. cit. ; A. BENABENT, art. préc., p. 13 ; Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Introduction générale, op. cit., n° 47 et note n° 283 ; J.-P. GRIDEL, Le droit - Présentation, op. cit., n° 176 et note n° 499 ; M. BACACHE-GIBEILI-GIBEILI, op. et loc. cit.

189 Cf. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op. et loc. cit. ; G. COURTIEU, « Art. 1382 à 1386 – Fasc. 131-10 : Droit à réparation. – Abus de droit. Notion », J-Cl. Civil Code, n° 39 ; Ph. BRUN, op. et loc. cit.

190 Cf. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op. et loc. cit. ; A. BENABENT, art. préc., p. 13.

191 V. not. J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., n° 229. 192 V. par ex. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique,

op. et loc. cit ; Ph. BRUN, op. et loc. cit. 193 Cf. J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op. et

loc. cit. ; Ph. MALAURIE et P. MORVAN, op. et loc. cit. 194 V. par ex. D. ROETS, « Les droits discrétionnaires : une catégorie juridique en voie de disparition ? » D.

1997, chron., p. 94 ; M. BACACHE-GIBEILI, op. et loc. cit. ; A. BENABENT, art. préc., p. 13 ; G. COURTIEU, art. préc., loc. cit. ; Ph. BRUN, op. et loc. cit. ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations – t. 2 Le fait juridique, op. et loc. cit. : ces auteurs ne mentionnent pas le droit d’acquérir la mitoyenneté d’un mur mais celui d’acquérir la mitoyenneté des clôtures ainsi que celui d’interdire le maintien d’ouvertures dans le mur mitoyen. Pourtant, le droit d’acquérir la mitoyenneté d’une clôture n’est pas discrétionnaire. En effet, l’article 668 du Code civil dispose expressément que le propriétaire voisin d’une clôture ne peut en exiger l’acquisition (sur ce point, v. les explications de W. DROSS, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, n° 355). Pour affirmer le caractère discrétionnaire du droit d’interdire le maintien d’ouvertures dans le mur mitoyen, FLOUR, AUBERT et M. SAVAUX se fondent sur deux arrêts (Civ. 3e, 25 avril 1972, JCP 1972. II. 17152, note GUILLOT et Civ. 3e, 4 juin 1975, Bull. civ. III, n° 192). Or ces deux arrêts ne traitent aucunement d’un tel droit. Le premier a trait à la possibilité d’acquérir la mitoyenneté d’un mur, postérieurement à la démolition d’un ouvrage empiétant sur le mur voisin. Le second arrêt a jugé que « l’existence d’un droit indivis de propriété ne fait pas obstacle à l’établissement d’une mitoyenneté entre le mur sur lequel il porte et le mur et le terrain voisin appartenant à un coindivisaire ».

195 V. not. A. BENABENT, art. préc., p. 13 ; G. COURTIEU, art. préc., n° 39 ;

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sur son terrain196, le droit du banquier de refuser un crédit197, le droit pour la femme de recourir

à une interruption volontaire de grossesse pendant les douze premières semaines198, ainsi que

le droit de récuser un juré d’assise199.

Seraient également discrétionnaires l’ensemble des actions reposant « sur des

appréciations personnelles telles qu’elles ne peuvent être introduites que par les personnes

directement et immédiatement concernées : divorce, atteinte à la vie privée »200.

Enfin, se rangeraient dans cette catégorie une partie des droits d’option201, à savoir : le

droit de l’acheteur d’opter, en cas de vices cachés, entre l’action rédhibitoire et l’action

estimatoire202, le droit d’accepter ou de répudier une succession (art. 774 et s. C. civ.)203, le

droit pour le tiers de tenir ou non l’engagement du promettant dans la promesse de porte-fort

(art. 1120 C. civ.)204, le droit de retrait dont bénéficie le débiteur d’un droit litigieux (art. 1699

C. civ.)205, le droit d’option dont est titulaire le donataire au décès du donateur dans la

donation cumulative de biens présents et à venir prévu par l’article 1084 du Code civil206, la

révocation des donations entre époux207, la faculté de lever l’option du bénéficiaire d’une

promesse unilatérale, la faculté de rachat du vendeur prévue par l’article 1659 Code civil208 et

le droit de rétractation du consommateur209.

196 Cf. A. BENABENT, art. préc., p. 13 ; Ph. MALAURIE et P. MORVAN, op. et loc. cit. ; D. ROETS,

chron. préc., p. 94 ; G. COURTIEU, art. préc., n° 39 (l’auteur ne parle pas précisément de l’empiètement mais du droit pour un propriétaire de s’opposer aux atteintes à son droit de propriété).

197 J.-P. GRIDEL, Le droit – Présentation, op. cit., n°176, p. 174. 198 Cf. J.-P. GRIDEL, op. cit., n°176, p. 174, spéc. sous note 499 ; Ph. BRUN, op. cit., n° 330, notes n° 214. 199 V. not. J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 176, spéc. sous note 499. 200 V. par ex. J.-P. GRIDEL, op. cit., n° 176, spéc. sous note 499. 201 M. ROETS (chron. préc., p. 95) définit les droits d’option comme des « prérogatives juridiques qui

permettent à leur titulaire de pouvoir, par un acte unilatéral de volonté, modifier une situation juridique incertaine, et cela suivant une alternative précise et prévisible ».

202 Cf. D. ROETS, chron. préc., p. 94 ; G. COURTIEU, art. préc., n° 39. 203 D. ROETS, chron. préc., p. 94. 204 Ibid. 205 Ibid. 206 Ibid. 207 Cf. A. SERIAUX, « Libéralité. Donations entre époux pendant le mariage », J-Cl Civil Code, fasc.. 20,

2009, n° 73. Aucune condition ni aucun motif ne sont exigés pour son exercice. Elle constitue par ailleurs une faculté d’ordre public, ce qui implique qu’est nulle, de nullité absolue, la clause par laquelle l’époux donateur renonce à cette faculté. Les lois du 26 mai 2004 et du 23 juin 2006 sont venues restreindre le domaine de cette « absoluité ». Aujourd’hui, seules les donations de biens à venir (loi du 26 mai 2004) et de biens présents qui ne prennent effet qu’au décès du donateur (loi du 23 juin 2006) demeurent révocables. Si le caractère absolu de cette faculté de révocation n’a pas été directement remis en cause, une remise en cause indirecte a en revanche été opérée par l’article 46 de la loi du 23 juin 2006. Cet article, tout en reprenant le principe du droit de révoquer les donations de biens présents prenant effet au décès du donateur consenties entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006, prévoyait néanmoins la possibilité d’y renoncer. La reconnaissance expresse de la faculté de renonciation prouve que son absoluité ne lui est pas consubstantielle. En effet, s’il en était ainsi, aucune restriction, même volontaire, n’aurait pu être envisagée.

208 D. ROETS, chron. préc., p. 95. 209 L. BERNARDEAU, « Le droit de rétractation du consommateur : un pas vers une doctrine d’ensemble »,

JCP 2000. I. 218, n° 23.

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2) Des réserves quant à l’existence des droits discrétionnaires

48. Illustration. Plusieurs auteurs évoquent les droits discrétionnaires mais sont

fortement réservés sur la réalité de leur existence. Pour le doyen CARBONNIER, « il

semble210 que certains droits soient discrétionnaires, que leur exercice ne puisse jamais être

critiqué sous prétexte d’abus »211. On retrouve cette même réserve chez MM. COURTIEU212,

BERGEL213 et GAILLARD. Ce dernier souligne le caractère spéculatif de la question de

l’existence des pouvoirs discrétionnaires et remarque que le contenu de cette catégorie tend à

se réduire214.

Dépassant la simple réserve, plusieurs auteurs se montrent réticents à l’égard des droits

discrétionnaires. Evoquant simplement l’existence du concept de discrétionnarité, le doyen

CORNU a choisi de l’illustrer par un droit ayant disparu, « le droit naguère conféré par l’art.

334-7 anc. C. civ. au conjoint du parent naturel »215. Bien plus, il semble favorable à la

suppression de cette catégorie en affirmant que « l’idée d’une limite à l’absolutisme des droits

individuels est entrée dans les esprits et dans les principes du droit »216.

On retrouve cette même réticence chez AUBERT et M. SAVAUX. Ceux-ci définissent la

notion de droit subjectif de manière assez large comme « l’attribution, par la règle de droit,

d’un pouvoir d’imposer, d’exiger ou d’interdire, considéré comme utile à la personne prise à

la fois comme individu et comme acteur de la vie sociale »217. La formule laisse apparaître que

les droits subjectifs ne sont pas, en principe, des prérogatives absolues. En outre, ces auteurs

choisissent d’illustrer la catégorie des droits discrétionnaires de manière restrictive. Ils se

bornent à évoquer le seul droit, pour un ascendant, de faire opposition au mariage d’un

210 Nous soulignons. 211 J. CARBONNIER, Droit civil, Les personnes, La famille, vol. 1, PUF, coll. Quadrige, 2004, n° 183. 212 « En outre, l’existence d’une catégorie de droits discrétionnaires paraît de plus en plus contestable pour la

simple raison que, malgré de multiples tentatives, il n’a jamais été possible d’en établir avec suffisamment de certitude, une liste ou un critère », in G. COURTIEU, art. préc., n° 33. Dans le même sens, v. E. DE MUNAGORRI, thèse préc., n° 486.

213 La réserve de M. BERGEL se manifeste par l’emploi du conditionnel pour évoquer l’existence des droits discrétionnaires : « Ainsi, mis à part quelques droits absolus et discrétionnaires dont l’usage ne serait jamais abusif, l’exercice de tous les droits peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire de l’abus » (J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., n° 229).

214 « D’emblée, l’interrogation semble passablement spéculative, aucune décision de justice ne paraissant jamais avoir refusé a priori de contrôler l’usage d’un pouvoir au seul motif que, par nature, la prérogative litigieuse y serait réfractaire »: E. GAILLARD, thèse préc., n° 236.

215 G. CORNU, Introduction au droit, op. cit., note 31 sous le n° 148. 216 G. CORNU, op. cit., n° 148. 217 Cf. J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, op. cit.,

n° 187.

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descendant218. Au-delà des droits discrétionnaires, il semblerait que ce soit à l’idée même de

discrétionnarité en droit privé que ces deux auteurs soient réfractaires. Bien que définissant

les notions de libertés et de facultés comme des prérogatives conférant à l’individu « la

possibilité de prendre parti quant à sa propre activité juridique », ils n’en déduisent pas pour

autant leur caractère discrétionnaire219.

Dans le même sens, M. BRUN s’interroge sur la compatibilité des droits discrétionnaires

avec le principe de la responsabilité pour faute qui a été qualifié d’exigence constitutionnelle

par le Conseil constitutionnel220. La solution selon laquelle l’exercice d’un droit ne peut

entraîner la responsabilité de son auteur, même en cas de préjudice causé à autrui, est en

contradiction avec le principe précité. Cette contradiction est d’autant plus manifeste lorsque

l’on sait que le Conseil a reconnu la possibilité de limiter le principe de responsabilité pour

faute tout en précisant qu’on ne peut jamais l’exclure221.

3) Des droits parfois ignorés

49. Illustration. Dans les paragraphes qu’il consacre aux notions de droit subjectif et

d’abus de droit, M. LARROUMET ne fait aucune référence à l’existence des droits

discrétionnaires. Bien plus, la formulation de l’un de ses paragraphes semble exclure toute

idée d’absolutisme des droits. Il écrit en effet que « chaque sujet de droit dispose d’une

certaine sphère d’initiative et d’activité juridique qui comprend un ensemble de pouvoirs, qui

ne sont pas absolus, car leur exercice doit correspondre à l’intérêt légitime de leur titulaire,

218 J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, op. et loc.

cit. : « C’est ainsi que, sauf cas exceptionnel des droits dits “discrétionnaires” – tel le droit pour un ascendant de faire opposition au mariage d’un descendant (art. 173 et 179, al. 1er, C. civ.) – l’exercice d’un droit subjectif peut engager la responsabilité de son titulaire ». Curieusement, dans leur manuel de droit des obligations, les auteurs livrent une liste de huit droits discrétionnaires (qui se retrouvent sous la plume d’autres auteurs et que nous avons déjà envisagés à ce titre), alors que dans leur Introduction ils n’en citent qu’un tout en se montrant franchement hostiles à l’existence de la catégorie. Partant, on ne peut guère faire crédit à la liste figurant dans le manuel de droit des obligations.

219 J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, op. cit., n° 188. 220 Ph. BRUN, op. cit., n° 330. Le Conseil constitutionnel a dans un premier temps qualifié sans réserve le

principe de responsabilité pour faute d’exigence constitutionnelle (Cons. const., 9 nov. 1999, décision n° 99-419 DC, JCP G 2000. I. 280, n° 1, obs. G. VINEY; D. 2000, p. 424, obs. S. GARNERI ; GAJF, 5e éd. 2009, n° 20 ; RTD civ. 2000. 109, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; ibid. 870, obs. Th. REVET). Il a dans un second temps considéré que ce principe pouvait être limité (Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC, AJDA 2010. 1178 ; D. 2010, p. 1976, obs. I. GALLMEISTER, note D. VIGNEAU ; ibid., p. 2086, note J. SAINTE ROSE et P. PÉDROT, ibid., p. 1980, note V. BERNAUD et L. GAY ; RFDA 2010. 696, C. DE SALINS ; Constitutions 2010. 391, obs. A. LEVADE ; ibid. 403, obs. P. DE BAECKE ; ibid. 427, obs. X. BIOY ; RTD civ. 2010. 517, obs. P. PUIG).

221 Cons. Constit. 11 juin 2010, déc. préc.

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51

sauf sanction de l’abus du droit qui n’est pas exercé conformément à l’intérêt légitime de son

titulaire »222.

Dans le même sens, dans son étude sur « les relations entre la responsabilité délictuelle

et les droits subjectifs », M. AZZI estime que le caractère général de la théorie de l’abus de

droit « devrait permettre de contrer tous les droits subjectifs »223. En témoigne selon lui la

soumission de l’exercice du droit de propriété au contrôle de l’abus depuis l’arrêt « Clément-

Bayard »224. Or, celui-ci est le « droit subjectif le plus complet et le plus absolu »225. M. AZZI

relève en outre que l’exercice excessif des droits de la personnalité, pourtant longtemps

considérés comme insusceptibles d’abus par la doctrine, n’échappe pas davantage à son

emprise226.

Les controverses doctrinales sur l’existence et le contenu de la catégorie des droits

discrétionnaires trouvent leur prolongement en jurisprudence.

B – UNE JURISPRUDENCE INCERTAINE

50. Une notion ambivalente. L’étude de la jurisprudence permet de faire ressortir

l’ambivalence du terme discrétionnaire. Celui-ci sert soit à dénoncer le caractère abusif d’un

comportement, soit à qualifier un droit. Dans le premier cas, il qualifie un comportement

condamnable et manifeste l’hostilité de la jurisprudence face aux prérogatives discrétionnaires

(1). Dans le second, la référence à la discrétionnarité traduit une faveur apparente de la

jurisprudence à l’égard de cette notion (2).

222 Ch. LARROUMET et A. AYNES, Droit civil, Introduction à l’étude du droit privé, op. cit., n° 394. Dans

le même sens, v. P. DEUMIER, Introduction générale au droit, LGDJ, 2e éd., 2013, n° 56. 223 T. AZZI, « Les relations entre la responsabilité délictuelle et les droits subjectifs », RTD civ. 2007. 249. 224 Req. 3 août 1915, D. 1917, I, 79 ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, t.1, Dalloz, 12e éd. , n° 67. 225 T. AZZI, art. préc., p. 249. 226 La jurisprudence relative à l’invocation illégitime du droit au respect de la vie privée constitue un

exemple éclairant, v. supra n° 99, note 407.

Page 54: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

52

1) La condamnation d’un comportement

51. La discrétionnarité sanctionnée. La jurisprudence sanctionne régulièrement

l’exercice discrétionnaire, c’est-à-dire unilatéral et arbitraire, d’une prérogative.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi considéré que la responsabilité

d’une banque, pour rupture sans préavis d’une convention de découvert, ne pouvait être

retenue dès lors qu’il était établi qu’elle « n’avait pas discrétionnairement refusé son

concours »227. On en déduit qu’un refus discrétionnaire aurait a contrario engagé sa

responsabilité.

Cette Chambre a également estimé qu’en l’absence de discrétionnarité dans la fixation du

prix par une partie à un contrat de gérance, aucune faute ne pouvait être retenue à son

encontre228.

Elle a aussi prononcé la nullité d’un contrat qui confiait à une partie le pouvoir de définir

de manière discrétionnaire l’objet de la convention229.

La première Chambre civile de la Cour de cassation a pour sa part énoncé que la clause

d’un contrat reconnaissant à un marchand de listes d’immeubles « une simple faculté

discrétionnaire » d’exécuter une prestation « emportait un déséquilibre significatif entre les

droits et obligations des parties »230 et devait dès lors être annulée.

La troisième Chambre civile a quant à elle retenu que l’existence de conditions

« soumettant la résiliation à l’agrément discrétionnaire du bailleur » entrainait la nullité d’un

contrat de crédit-bail231.

La Chambre sociale a approuvé les juges du fond d’avoir déclaré sans cause réelle et

sérieuse le licenciement prononcé à la suite du refus de mutation par le salarié, après qu’ils

aient constaté que « l’employeur avait mis en œuvre la clause de mobilité de façon

discrétionnaire et abusive »232.

Enfin, il peut être fait référence à la jurisprudence relative à l’interdiction des conditions

purement potestatives, c’est-à-dire des conditions faisant dépendre l’exécution de l’obligation

de la seule volonté du débiteur. Comme le remarque Mme BUFFELAN-LANORE, la Cour de

cassation n’applique la qualification de conditions purement potestatives qu’à celles dont la

227 Com. 24 janvier 1989, pourvoi n° 87-15146 (inédit). 228 Com. 14 octobre 1997, pourvoi n° 95-16733 (inédit). 229 Com. 19 novembre 1996, pourvoi n° 94-14530, Bull. IV, n° 275. 230 Civ. 1ère, 30 octobre 2007, pourvoi n° 06-11032 (inédit). 231 Civ. 3e, 5 mai 1999, pourvoi n° 97-18576, Bull. civ. III, n° 107. Dans le même sens, Civ. 3e, 4 décembre

2002, pourvoi n° 00-21390 (inédit). 232 Soc. 2 mars 2005, pourvoi n° 02-47546 (inédit) ; 24 novembre 2004, pourvoi n° 02-46988 (inédit).

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53

réalisation dépend exclusivement « d’une manifestation de volonté purement arbitraire du

débiteur »233.

L’ensemble des arrêts cités illustre l’hostilité des juges face aux comportements

arbitraires des contractants, même lorsqu’ils y ont préalablement consenti. Pour autant,

d’autres décisions réservent un accueil favorable à la discrétionnarité.

2) La reconnaissance apparente des droits discrétionnaires

52. Plan. L’analyse des droits qualifiés de discrétionnaires par la jurisprudence fait

apparaître une nouvelle ambivalence : les droits discrétionnaires désignent parfois des droits

insusceptibles d’abus (a) mais bien plus souvent des droits demeurant soumis au contrôle de

l’abus (b).

a) Les droits discrétionnaires insusceptibles d’abus

53. Une jurisprudence parcellaire. Les arrêts dans lesquels la Cour de cassation

considère que le caractère discrétionnaire d’une prérogative fait obstacle au contrôle de l’abus

sont relativement rares.

On peut citer les décisions reconnaissant à l’employeur un pouvoir discrétionnaire de

verser des primes et gratifications-libéralités à ses salariés234. Ce pouvoir n’est discrétionnaire

que si les primes et gratifications-libéralités n’ont pas leur source dans le contrat de travail, la

convention collective, l’engagement unilatéral de l’employeur ou encore l’usage235. Dans ces

hypothèses, elles deviennent un « élément normal et permanent de la rémunération » et font

perdre au pouvoir de fixation de l’employeur son caractère discrétionnaire236.

D’autres arrêts, plus significatifs, qualifient cette fois expressément certains droits de

discrétionnaires. Il s’agit du droit, pour l’assuré, de renoncer à un contrat d’assurance lorsque

233 Y. BUFFELAN-LANORE, V° Condition, Repertoire de droit civil, Dalloz (juin 2013), n° 50. V. par ex.

Com., 20 sept. 2011, pourvoi n° 10-30567 (inédit). A contrario, la condition dont la réalisation ne dépend pas exclusivement de la manifestation de volonté du débiteur n’est pas potestative (v. par ex. Civ., 3e 8 oct. 1980, Bull. civ. III, n° 154).

234 V. par exemple, Soc. 4 février 2003, pourvoi n° 01-41129 (inédit) ; 7 novembre 2006, pourvoi n° 05-40284 (inédit) ; 3 mai 2007, pourvoi n° 06-40520 (inédit).

235 V. par exemple, Soc. 14 juin 2006, pourvoi n° 04-41041 (inédit) ; 4 avril 2012, pourvoi n° 10-18928 (inédit). Pour un approfondissement de la question, v. notamment J. PELISSIER, G. AUZERO et E. DOCKES, Droit du travail, Précis Dalloz, 27e éd., 2013, n° 884 à 886.

236 J. PELISSIER, G. AUZERO et E. DOCKES, op. cit., n° 886.

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54

l’assureur n’a pas respecté les obligations légales lui incombant237, du droit du banquier de

refuser un crédit238, du droit de couper les racines, ronces et brindilles qui dépassent la ligne

séparative239 ou encore de la faculté de révoquer un testament240.

On pourrait également songer à mentionner le droit pour un propriétaire de s’opposer à

tout empiètement sur son terrain. Pourtant, ce droit n’a pas été expressément qualifié de

« discrétionnaire » par la Cour de cassation241. Dans la plupart des cas, elle se contente

d’affirmer que, « en vertu de l’article 545 du Code civil, nul ne peut être contraint de céder sa

propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique »242. Des arrêts ont néanmoins opté pour une

formule différente en retenant que « la défense du droit de propriété contre un empiètement ne

saurait dégénérer en abus »243, ce qui évoque certes la discrétionnarité, mais de manière

seulement implicite. Quoi qu’il en soit, en cas d’empiètement sur son terrain, le propriétaire

est toujours fondé à demander la démolition de la construction litigieuse, sans qu’importe la

mesure de l’empiétement244. Cependant, cette position n’est peut-être pas partagée par

l’ensemble des Chambres de la Cour de cassation.

Il convient de se référer à un arrêt du 12 février 2004. En l’espèce, la deuxième Chambre

civile a approuvé une Cour d’appel d’avoir supprimé l’astreinte accompagnant l’ordre de

démolition d’une maison empiétant sur la propriété voisine. Cette suppression avait été

décidée par les juges du fond, dans l’exercice de leur pouvoir souverain, en considération des

237 V. par ex. Civ. 2e, 7 mars 2006, pourvoi n° 05-12338, Bull. civ. II, n° 63 : la faculté de renonciation à un

contrat d’assurance « est un droit discrétionnaire pour l’assuré, dont la bonne foi n’est pas requise ». Dans le même sens, v. Civ. 2e, 5octobre 2006, pourvoi n° 05-16329 (inédit) ; 10 juillet 2008, pourvois n° 07-12071 et 07-12072 (inédits) ; 19 février 2009, pourvoi n° 08-12280, Bull. civ. II, n° 50 ; 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-18730, Bull. civ. II, n° 189 ; 19 novembre 2009, pourvois n° 08-70320 et 08-70346 (inédits) ; 4 février 2010, pourvois n° 08-21367 et 09-10311 (inédits) ; 28 avril 2011, pourvoi n° 10-16184 (inédit) ; 15 décembre 2011, pourvoi n° 10-24430 (inédit).

238 Ass. Plén. 9 oct. 2006, arrêt « Tapie », préc. 239 Civ. 3e, 18 oct. 2006, pourvoi n° 04-20370, Bull. civ. III, n° 203 ; JCP 2007. I. 117, n° 3, obs. H.

PERINET-MARQUET. 240 Civ. 1ère, 30 novembre 2004, pourvoi n° 02-20883, Bull. civ. I, n° 297 ; RTD civ. 2005. 104, obs. J.

HAUSER et 443, obs. M. GRIMALDI ; D. 2005, p. 1621, J.-Y. MARECHAL. 241 V. notamment Civ. 5 décembre 1912, S. 1913. 1. 198 ; Civ. 1ère, 10 juillet 1962, D. 1963, somm. 38, RTD

civ. 1963. 121, obs. BREDIN ; 8 novembre 1961, D. 1962, somm., p. 86 ; Gaz. Pal. 1962. 1. 203 ; Civ. 3e, 11 juillet 1969, JCP 1971. II. 16658, note PLANCQUEEL ; 5 mars 1970, Bull. civ. III, n° 176, p. 131 ; 10 nov. 1992, Bull. civ. III, n° 292, D. 1993, somm., p. 305, obs. A. ROBERT, Defrénois 1993, 349, obs. DEFRENOIS-SOULEAU, RTD civ. 1993, 850, obs. F. ZENATI ; 18 février et 4 juin 1998, JCP 1999. I. 120, n° 1, obs. H. PERINET-MARQUET ; 16 décembre 1998, Bull. civ. III, n° 252, RTD civ. 1998. 638, obs. F. ZENATI ; 23 mars 1999 (inédit), JCP. 2000. I. 211, n° 4, étude par H. PERINET-MARQUET ; 10 novembre 2009, Bull. civ. III, n° 248, Revue de droit immobilier 2010, p. 204, obs. J.-L. BERGEL.

242 V. par ex. Civ. 3e, 20 mars 2002, Bull. civ. III, n° 71 ; JCP 2002. I. 176, obs. H. PERINET-MARQUET ; D. 2002, p. 2075, note Ch. CARON ; RTD civ. 2002. 333, Th. REVET.

243 Civ. 3e, 15 juin 2011, pourvoi n° 10-20337 (inédit) ; 7 nov. 1990, pourvoi n° 88-18601, Bull. civ. III, n° 226 ; 7 juin 1990, pourvoi n° 88-16277, Bull. civ. III, n° 140.

244 Même en cas d’empiètement minime (0, 5 cm) : 20 mars 2002, arrêt préc.

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55

difficultés qu’entrainerait la démolition de l’angle de la maison. Ces difficultés étaient

« tellement importantes qu’elles équivalaient à une impossibilité d’exécution »245.

Certes, l’empiètement ne fait pas partie du contentieux traditionnel de la deuxième

Chambre civile. En outre, cette dernière était saisie ici d’un problème de suppression

d’astreinte. Pour autant, si elle ne prend pas expressément position sur le caractère absolu du

droit de refuser l’empiètement, il faut admettre qu’en approuvant la suppression de l’astreinte,

la deuxième Chambre civile a adopté une solution qui aboutissait, en l’espèce, à maintenir la

construction empiétant sur le terrain. Cet arrêt révèle que le caractère discrétionnaire du droit

de s’opposer à un empiètement n’est peut-être pas irrémédiablement fixé.

b) Les droits discrétionnaires limités par l’abus

54. Recensement. Si, comme on vient de le voir, une série de décisions consacre la

discrétionnarité, en sens inverse, d’autres arrêts la remettent en cause en soumettant l’exercice

d’un droit pourtant qualifié de discrétionnaire au contrôle de l’abus.

Ainsi est-il du droit discrétionnaire de l’employeur de mettre un terme à la période

d’essai246 et du droit discrétionnaire de maître de l’ouvrage de refuser un sous-traitant247. Dans

les deux cas, la rédaction des arrêts est similaire. On peut lire que « si l’employeur peut

discrétionnairement mettre fin aux relations contractuelles avant l’expiration de la période

d’essai, ce n’est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus »248 ; de même,

« le caractère discrétionnaire [du droit du maître de l’ouvrage de refuser un sous-traitant] est

limité par un éventuel abus »249.

55. Appréciation. La rédaction de ces arrêts est, à l’évidence, en contradiction avec la

définition de la discrétionnarité.

245 Civ. 2e, 12 fév. 2004, Bull. civ. II n° 53. 246 V. par ex., Soc., 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-42826 (inédit) : « si l’employeur peut discrétionnairement

mettre fin aux relations contractuelles avant l’expiration de la période d’essai, ce n’est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus » (abus caractérisé par légèreté blâmable) ; 15 octobre 2008, pourvoi n° 06-45473 (inédit) ; 23 novembre 2005, pourvoi n° 03-46668 (inédit) ; 20 janvier 1999, pourvoi n° 96-44682 (inédit); 7 janvier 1997, pourvoi n° 93-42179 (inédit) ; 20 mars 1990, pourvoi n° 86-45356 (inédit) ; 27 novembre 1990, pourvoi n° 87-41749, Bull. V, n° 592 ; 18 novembre 1987, pourvoi n° 84-43798 (inédit); 5 mars 1987, pourvoi n° 84-40548, Bull. V, n° 111.

247 v. Civ. 3e, 2 février 2005, pourvois n° 03-15409 et 03-15482, Bull. civ. III, n° 24 : « ce refus, dont le caractère discrétionnaire est limité par un éventuel abus ».

248 Soc., 6 janvier 2010, pourvoi n° 08-42826 (inédit). 249 Civ. 3e, 2 février 2005, pourvois n° 03-15409 et 03-15482, Bull. civ. III, n° 24.

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56

M. BENABENT explique la position de la Cour de cassation par l’idée selon laquelle la

plupart des droits qualifiés de discrétionnaires seraient en réalité semi-discrétionnaires, c’est-

à-dire des droits « dont l’exercice n’a pas à être motivé mais qui n’échappent pas pour autant

à la sanction de l’abus »250.

Les droits semi-discrétionnaires se rapprocheraient ainsi du pouvoir discrétionnaire de

l’administration. Leur exercice serait libre mais pourrait faire l’objet d’un contrôle a

posteriori.

La proposition de M. BENABENT est intéressante. Elle met en lumière la nécessité de

redonner une cohérence à la classification des droits et un sens à la jurisprudence. Il reste

qu’un droit semi-discrétionnaire n’est autre qu’un droit contrôlé. Il serait donc plus rationnel

d’opposer les droits discrétionnaires aux droits contrôlés, quitte à distinguer, au sein de ces

derniers, entre ceux dont l’exercice est pleinement contrôlé et ceux dont le contrôle est limité

à l’abus défini comme l’intention de nuire.

En tous cas, il est permis de considérer qu’en limitant l’exercice discrétionnaire d’un

droit par le contrôle de l’abus, la jurisprudence manifeste sa volonté d’abandonner la

conséquence traditionnellement attachée à la discrétionnarité, à savoir l’absence de tout

contrôle juridique.

C – OPPOSITION DE LA DOCTRINE ET DE LA JURISPRUDENCE

56. Recensement. Certains droits que la doctrine, ou du moins une partie d’entre elle,

qualifie de discrétionnaires, sont au contraire des droits contrôlés pour la Cour de cassation.

Ainsi en est t-il du droit d’exhéréder ses héritiers251, du droit moral de l’auteur252, du droit

des parents de consentir au mariage de leur enfant mineur253 ou de choisir sa religion254.

250 V. en ce sens, A. BENABENT, « Le discrétionnaire », art. préc., p. 13 : « il y aurait peut-être donc lieu de

remplacer l’opposition binaire entre droits discrétionnaires et droits contrôlés par une classification tripartite : - les droits discrétionnaires, au sens classique, « purement discrétionnaires » pourrait-on dire, qui échappent à toute application de la théorie de l’abus de droit et sont, selon l’expression de l’arrêt du 30 novembre 2004, « exclusifs de toute action en responsabilité » ; - les droits « semi-discrétionnaires », dont l’exercice n’a pas à être motivé mais qui n’échappent par pour autant à la sanction de l’abus de droit, si cet abus est démontré ; - les droits contrôlés, dont l’exercice est soumis à justification d’un motif naturellement contrôlé par le juge ». V. également, O. GUERIN, comm. sous Civ. 3e 2 fév. 2005, JCP G 2005. II. 10077 : « le caractère totalement discrétionnaire d’un pouvoir apparaît tout à fait exceptionnel. Ainsi la chambre sociale contrôle les conditions dans lesquelles le contrat de travail d’un salarié est rompu au cours de la période d’essai alors qu’est invoqué le caractère discrétionnaire du droit pour l’employeur de mettre fin à cet essai ».

251 Civ. 1ère, 30 sept. 2009, pourvoi n° 08-17919, Bull. civ. I, n° 200. Dans cet arrêt, l’exercice du droit d’exhéréder un héritier est contrôlé par le juge puisque ce dernier vérifie la légitimité des raisons ayant motivé son exercice (ici intention libérale).

252 La Cour de cassation a d’abord qualifié ce droit de discrétionnaire (Civ. 1ère, 5 juin 1984, pourvoi n° 83-11639, Bull. civ. I, n° 184 : « l’exercice de son par l’auteur de l’œuvre originale revêt un caractère

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57

Il en va de même de la faculté d’acquérir la mitoyenneté d’un mur255, du droit du salarié

de mettre un terme à sa période d’essai256 et enfin du droit de réponse en matière de presse257.

57. Conclusion. L’analyse de la jurisprudence a permis de constater que la

discrétionnarité dans l’exercice d’une prérogative fait l’objet d’une réception mitigée.

Elle est certes reconnue dans certains cas, mais dans d’autres elle est limitée ou purement

et simplement infirmée. Dans cette mesure, la jurisprudence ne permet pas de dissiper les

doutes sur la notion et les applications de la discrétionnarité.

Ces doutes s’amplifient lorsque l’on envisage la décision de ne pas contracter, laquelle

justifie la présente étude de la discrétionnarité.

discrétionnaire, de sorte que l’appréciation de la légitimité de cet exercice échappe au juge ») et a ensuite opéré un revirement de jurisprudence en admettant le contrôle de l’abus (Civ. 1ère, 14 mai 1991, JCP G. 1991. II, 21760 obs. POLLAUD-DULIAN ; RTD com., 1991. 592, obs. A. FRANÇON ; RIDA, janv.. 1992. 272, note P. SIRINELLI : « le droit de repentir et de retrait constitue l'un des attributs du droit moral de l'auteur (…) la cour d'appel a retenu à bon droit qu'étranger à la finalité de l'article 32 de la loi du 11 mars 1957 [le motif tiré de raisons exclusivement pécuniaires] caractérisait un détournement des dispositions de ce texte et un exercice abusif du droit qu'il institue » ; Civ. 1ère, 24 octobre 2000, pourvoi n° 98-11785 (inédit) : « le droit de divulgation post mortem n’est pas absolu et doit s’exercer au service de l’œuvre » ; Civ. 1ère, 7 novembre 2006, pourvoi n° 04-13454, Bull. civ. I, n° 462 : « l’exploitation d’une œuvre au sein d’une compilation (…) n’est de nature à porter atteinte au droit moral de l’auteur, requérant alors son accord préalable, qu’autant qu’elle risque d’altérer l’œuvre ou de déconsidérer l’auteur »).

253 Lyon, 23 janv. 1907, D. 1908. 2. 73 (3e espèce), note L. JOSSERAND ; TI Fougères, 21 novembre 1962, D. 1963. Somm. 78.

254 Civ. 1ère, 11 juin 1991, pourvoi n° 89-20878, Bull. civ. I, n° 196 ; D. 1991, p. 521, note Ph. MALAURIE. Dans cet arrêt, une mineure de 15 ans entendait adhérer aux témoins de Jéhovah avec l’accord de son père. Sa mère s’y était opposée. La Cour a considéré que « c’est dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation de l'opportunité de faire procéder immédiatement au baptême de Catherine X... que les juges du fond, qui ont relevé que celle-ci était née de parents catholiques et avait été baptisée dans leur religion, ont estimé qu'il convenait d'attendre qu'elle soit devenue majeure pour exercer son choix ». La Cour a reconnu la possibilité pour les juges d’apprécier l’opportunité d’un baptême. L’intervention du juge fait échec à la qualification de droit discrétionnaire.

255 Civ. 3e, 19 sept. 2007, pourvoi n° 06 -16384, Bull. civ. III, n° 147. Dans cet arrêt la Cour de cassation a considéré que l’empiètement, bien que sans effet sur l’existence d’un mur séparatif, faisait obstacle à l’acquisition de la mitoyenneté.

256 Soc. 11 octobre 2000, pourvoi n° 98-42772 (inédit) : « si chaque partie au contrat de travail peut le rompre discrétionnairement au cours de la période d’essai, il n’en résulte pas que cette rupture ne puisse être abusive » ; Soc. 9 mai 1979, D. 1980, IR 30, obs. Ph. LANGLOIS. Contra, Soc. 14 mai 1987, pourvoi n° 85-41349, Bull. civ. V, n° 320 (dans cet arrêt, il s’agissait d’une convention collective reconnaissant aux salariés la faculté de mettre fin à la période d’essai sans avoir à exposer les raisons de la rupture. L’exercice de cette faculté a été jugée insusceptible d’abus car discrétionnaire).

257 La Cour de cassation n’a pas expressément affirmé que son exercice est limité par un éventuel abus. Elle a néanmoins considéré que sa légitimité pouvait être appréciée par le juge. Elle a en effet reconnu à ce dernier le pouvoir de valider le refus par le journal d’insérer la réponse, en l’absence de corrélation entre cette dernière et l’article litigieux (v. Crim. 4 sept. 2001, pourvoi n° 01-80005, Bull. crim., n° 172).

Page 60: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

58

§-II. LA QUALIFICATION DE PRÉROGATIVE

DISCRÉTIONNAIRE DU DROIT DE NE PAS CONTRACTER

58. Plan. On montrera que la nature discrétionnaire du droit de ne pas contracter est

fortement discutable. La doctrine est réservée (A) et la jurisprudence non décisive (B).

A– UNE DOCTRINE RÉSERVÉE

59. Plan. Le caractère discrétionnaire de la liberté de contracter ou ne pas contracter

apparaît plus comme le vestige d’une croyance à laquelle les auteurs ne veulent pas renoncer

que comme l’emblème vigoureux de la matière contractuelle. On le vérifiera en revenant sur

l’opposition emblématique de RIPERT et JOSSERAND à ce sujet (1). Nous verrons ensuite

que la doctrine contemporaine est loin de considérer unanimement la liberté de contracter

comme discrétionnaire (2).

1) L’opposition entre RIPERT et JOSSERAND

60. Position de RIPERT ; les thèses de RICOT et SERNA. Au XXème siècle, RIPERT

est sans doute l’auteur qui a le plus vigoureusement défendu la thèse selon laquelle le refus de

contracter ne peut être abusif, quand bien même il serait dicté par des motifs moralement

répréhensibles258. Selon lui, seule l’existence d’un devoir de contracter ayant sa source dans la

loi ou la volonté individuelle peut limiter le droit de ne pas contracter. Encore importe-t-il de

relever que, dans ce cas, l’auteur soutient que le détour par l’abus devient inutile : en

l’absence de droit de ne pas contracter, « il n’est plus besoin de parler d’abus »259.

Il est à noter que RIPERT se démarque ici de l’analyse qu’il développe au sujet de l’abus

de droit en général et en vertu de laquelle l’exercice d’un droit doit être déclaré abusif

lorsqu’il est dicté par une intention malveillante260. Cette dichotomie est sans doute due à

258 G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 1949, LGDJ, 4e éd., p. 187 : « On me paraît

avoir également exagéré la théorie de l’abus du droit en relevant l’abus du droit de ne pas contracter. Toute personne est libre en principe de refuser d’entrer en relation juridique avec une autre. Si cette abstention est dictée par une pensée de haine, cette pensée manque au devoir de charité et d’assistance. Cette violation du devoir moral n’est pas assez coupable pour que le juge s’en occupe ». V. égal. G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil moderne, 1948, LGDJ, 2e éd, spéc. p. 213 à 220. Dans cet ouvrage, l’auteur considère dans l’abus du droit de ne pas contracter comme « une idée singulière » (p. 213).

259 G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, op. et loc. cit. 260 Ibid., p. 195 : « L’absolutisme du droit individuel n’a rien de condamnable en soi, car il n’est que la

traduction juridique du désir légitime de puissance et de liberté. Ce qu’il faut seulement demander au droit, c’est

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59

l’influence des convictions politiques de RIPERT qui n’a eu de cesse de dénoncer

l’interventionnisme du législateur et du juge dans le contrat261.

La position de RIPERT a trouvé un écho particulier auprès de M. SERNA qui adopte un

raisonnement similaire dans sa thèse consacrée au refus de contracter262. Pour celui-ci, seules

deux situations sont envisageables : « ou bien, la sollicitation n’a pas coïncidé avec la

pollicitation du sollicité – soit que cette pollicitation n’ait jamais existé, ou qu’elle soit

incomplète, soit qu’elle soit assortie de réserves qui excluent le sollicitant – et la

responsabilité du sollicité ne peut être mise en jeu, ou bien, la sollicitation a rencontré l’offre,

l’a transformée en contrat, et si la responsabilité du sollicité doit être mise en jeu, c’est sur le

terrain de l’exécution du contrat »263. Ainsi, le refus de contracter n’est jamais fautif. Une

faute peut être retenue uniquement lorsque le contrat est déjà formé, si bien que le refus de

contracter est nécessairement sans effet. M. SERNA considère que « techniquement parlant

donc, la notion de refus de contracter est incompatible avec notre droit »264.

Finalement, pour RIPERT, comme pour M. SERNA, le droit de contracter ou non est

discrétionnaire.

Il est intéressant de noter que RICOT avait, avant M. SERNA, également défendu la

discrétionnarité du droit de ne pas contracter265. Toutefois, tandis que RIPERT et M. SERNA,

soutenaient que ce droit ne devait perdre son caractère discrétionnaire qu’en présence d’une

obligation de contracter résultant de la loi ou de la volonté individuelle, RICOT ajoutait le cas

dans lequel une personne bénéficiant d’un monopole de droit ou de fait opposait un refus

injustifié266 ainsi que l’hypothèse d’une rupture de pourparlers dictée par une intention

malveillante267.

Ainsi, sans s’opposer au caractère discrétionnaire de la liberté de contracter ou ne pas

contracter, il réduisait considérablement son domaine.

de réfréner le désir de nuire ou même l’indifférence trop absolue devant l’intérêt d’autrui ». On ne comprend dès lors pas pourquoi l’hypothèse du droit de ne pas contracter exercé de façon malveillante échapperait à la sanction de l’abus.

261 Cela apparaît clairement à la lecture de son ouvrage précité Le régime démocratique et le droit civil moderne. RIPERT voit dans l’interventionnisme du législateur et du juge le signe d’une « singulière décadence du contrat » (p. 299).

262 J.-M. SERNA, Le refus de contracter, thèse, préf. J. CARBONNIER, LGDJ, 1967. 263 Ibid., p. 220-221. 264 Ibid. 265 J. RICOT, Le refus de contracter, thèse, Paris, 1929, p. 16 et s., spéc. p. 27 : « aucun droit contraire ne

s’oppose au droit de ne pas contracter. La volonté ne s’est pas engagée, la loi n’a pas défendu ; le droit conserve toute sa force, car il n’a pas d’adversaire ».

266 J. RICOT, thèse préc., p. 108 et s. 267 J. RICOT, thèse préc., p. 128 à 132. L’auteur précise que la rupture des pourparlers suppose en outre que

la victime rapporte la preuve de dépenses injustifiées.

Page 62: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

60

61. Position de JOSSERAND. La position de JOSSERAND est singulière. Il remet en

cause le caractère discrétionnaire de la liberté de contracter268.

Pour lui, ce caractère discrétionnaire n’est envisageable que lorsque l’auteur du refus ne

s’est pas au préalable placé dans un état de « réceptivité contractuelle »269, c’est-à-dire

lorsqu’il n’a fait aucune démarche, manifesté aucune volonté ni adopté aucune position

sociale pouvant laisser penser qu’il serait intéressé par la conclusion d’un contrat. Ainsi en

est-il du propriétaire d’un immeuble qui reçoit une offre d’achat sans avoir préalablement

exprimé son envie de vendre cet immeuble270. Cette solution s’explique en raison des

« exigences de la dignité, de la liberté humaines qui ne sauraient s’accommoder d’une telle

immixtion dans la gestion de notre patrimoine, d’une telle expropriation de notre volonté par

la volonté d’autrui, mais aussi dans cette particularité que le refus n’a causé aucun préjudice

positif à la personne à laquelle il a été opposé et qui a seulement manqué une occasion de

s’enrichir : or sans intérêt, pas d’action »271.

Mais en dehors de l’hypothèse de la passivité préalable de l’auteur du refus,

JOSSERAND considère que la liberté de contracter ou ne pas contracter n’est jamais absolue

et que son exercice peut être déclaré illicite ou abusif272.

Le refus de contracter est illicite lorsqu’il est exprimé par un professionnel ayant reçu une

investiture des pouvoirs publics (officiers ministériels, notaires, avocats, huissiers, agents de

change) ou une entreprise jouissant d’un monopole de droit ou de fait273. Pour ces dernières

268 L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité: théorie dite de l’abus des droits, 1939,

Dalloz, coll. Essai de théologie juridique (réimp. 2006). 269 Ibid., n° 93. 270 Ibid., n° 92. Dans le même sens, v. déjà, R.- L. MOREL, « Du refus de contracter opposé en raison de

considérations personnelles », RTD civ. 1908. 300 : « Le pollicitant n’a aucun droit à la conclusion du contrat. Quand à celui à qui l’offre est adressée, il a toujours un intérêt légitime à ne pas donner son acceptation. Cet intérêt apparaît d’une façon évidente lorsque celui qui reçoit l’offre n’a pas l’intention de contracter : il est certain qu’on ne peut l’y contraindre indirectement, sous la menace d’une action en responsabilité. L’on ne peut être obligé de vendre sa maison si l’on y consent pas, ni de prêter de l’argent à un solliciteur ».

271 L. JOSSERAND, op. et loc. cit. 272 Cette position était déjà celle de MOREL, pour lequel l’ensemble des décisions de contracter devaient

êtres soumises au contrôle de l’abus. S’agissant plus précisément des refus de contracter opposés « en raison de considérations personnelles », leur légitimité dépendrait de la nature du contrat envisagé. Ce refus serait par principe illégitime s’agissant des contrats pour lesquels la considération de la personne est indifférente et légitime dans le cas inverse, sous réserve de distinguer les qualités « que l’on prend normalement en considération et celles qui, dans la généralité des cas, ne sont pas de nature à influencer la volonté » (R.-L. MOREL, art. préc., p. 303).

273 Dans le même sens, cf. R.-L. MOREL, art. préc., p. 294-295. Au monopole de droit et de fait, MOREL ajoute l’hypothèse du commerce relatif aux denrées alimentaires de première nécessité (p. 296). RIEG élargit cette obligation de contracter aux prestations et biens vitaux : « On admettra donc une obligation générale de contracter, pour les entreprises de transport en commun, de distribution d’eau, de gaz, d’électricité et les pharmacies. En revanche, les théâtres, cinémas, restaurants, magasins de détail ne rentrent pas, en principe, dans cette catégorie, car en être exclu, même si ce sont les seuls de l’endroit, n’affecte en rien les intérêts vitaux de l’individu » (A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français et allemand, thèse, préf. R. PERROT, LGDJ, 1961, n° 221). V. égal P. DURAND, « La contrainte légale dans la formation du rapport

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61

« le privilège dont elles sont investies leur fait un devoir de se tenir à la disposition du public

qui n’a pas la ressource de s’adresser ailleurs et qui peut donc les contraindre juridiquement à

exercer leur activité professionnelle de façon objective, en dehors de convenances

personnelles »274. Le refus est également illicite lorsque le pollicitant a émis une offre au

public ou à personne déterminée. Celle-ci ne peut alors être révoquée avant l’écoulement du

délai fixé pour son acceptation ou d’un délai raisonnable. Cette hypothèse a été qualifiée de

restriction volontaire au droit de ne pas contracter275.

Le refus de contracter peut être non seulement illicite mais encore abusif. JOSSERAND

reconnaît certes que « la liberté contractuelle est indispensable à l’existence même de toute

société ; elle est la condition de l’activité comme elle est fonction de la dignité humaine ; elle

est particulièrement nécessaire lorsqu’on l’envisage sous son aspect négatif, en tant que

liberté de ne pas conclure une convention. Mais il ne semble pas que cette liberté même soit

infinie ; elle ne doit pas être utilisée à l’encontre d’autres libertés également sacrées ou

d’institutions centrales du pays ; elle ne saurait être exercée que socialement et à bon

escient »276. On reconnaît là l’influence de la conception finaliste des droits élaborée par

l’auteur. Celui-ci l’a d’ailleurs expressément appliquée au droit de ne pas contracter en

considérant qu’il s’agit d’un « droit particulièrement respectable, droit sacré, mais pas au

point de devenir une prérogative absolue, à réalisation discrétionnaire. Encore faut-il tenir

compte de l’objectif en vue duquel il est exercé »277.

62. Synthèse. JOSSERAND va donc bien plus loin que RICOT dans l’entreprise de

réduction du domaine de la discrétionnarité de la décision de ne pas contracter. Il la cantonne

aux situations dans lesquelles l’auteur du refus n’a manifesté aucune volonté d’entrer dans un

rapport juridique. Dans cette optique, le contrôle du droit de ne pas contracter est

potentiellement très large. Il s’exerce non seulement lorsque ce droit fait l’objet de restrictions

légales (refus de vente, contrat imposé etc.), volontaires (offre ou tout autre engagement

antérieur) ou jurisprudentielles (monopole de droit, de fait ou rupture abusive des

pourparlers), mais aussi à chaque fois que la liberté de contracter ou ne pas contracter est

contractuel », RTD civ. 1944, p. 80. Pour l’auteur, « l’obligation de contracter dépendrait non du statut juridique donné à une profession, mais de la fonction économique qu’une activité peut remplir. Il est des services indispensables à la vie sociale, et que l’individu ne peut se refuser à rendre ». Ce ne serait donc pas la situation de monopole mais la fonction sociale exercée qui justifierait la reconnaissance d’une obligation de contracter.

274 L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité: théorie dite de l’abus des droits, op. cit. n° 89.

275 Cf. RICOT, thèse préc. 276 L. JOSSERAND, op. cit., n° 95. 277 Ibid., n° 93.

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62

susceptible de porter atteinte à une autre liberté juridiquement reconnue ou d’être utilisée

contre les intérêts de la société278.

2) La doctrine contemporaine

63. Position générale de la doctrine. On ne saurait affirmer que l’analyse de RIPERT

est représentative de l’état de la doctrine actuelle. Parmi les auteurs qui s’intéressent à la

nature de la liberté de contracter ou ne pas contracter, rares sont ceux qui reconnaissent sans

nuance son caractère discrétionnaire279.

La plupart d’entre eux tempèrent cette qualification en faisant état d’une intervention

grandissante de la jurisprudence en la matière280.

Ils n’évoquent d’ailleurs pas le caractère discrétionnaire de la liberté de contracter ou ne

pas contracter mais la qualifient de « liberté fondamentale (et) non absolue »281, de liberté

« relative »282 ou encore de « liberté [qui] n’autorise pas tout »283, en s’appuyant à cet égard sur

l’existence de restrictions légales et jurisprudentielles à la liberté de contracter.

Parmi les restrictions légales, sont citées la prohibition du refus de vente à un

consommateur ou d’effectuer en sa faveur une prestation de service284, l’interdiction des

discriminations285, les hypothèses de contrats obligatoires (en matière d’assurance par

278 On peut rapprocher de cette proposition la position défendue par CAMPION : « Il y aura exercice

antisocial d’une faculté reconnue par la loi chaque fois que l’intérêt social lésé par cet exercice apparaîtra comme plus considérable que l’intérêt social s’attachant à l’intangibilité de cette faculté » (L. CAMPION, De l’exercice antisocial des droits subjectifs. La théorie de l’abus des droits, Bruxelles-Paris, 1925, p. 329 n° 454).

279 V. cependant M.-Th. CALAIS-AULOY, « De la limite des libertés et des libertés sans limites (libertés ordinaires, libertés privilégiées, libertés absolues) », LPA 20 déc. 1999, n° 252, p. 7.

280 MM. MALAURIE, AYNES ET STOFFEL-MUNCK qualifient le droit de refuser de contracter de discrétionnaire mais remarquent néanmoins que « la jurisprudence contemporaine fait reculer le rôle des droits discrétionnaires dans le contrat, en se référant à des notions comme la mauvaise foi d’un contractant, ses procédés vexatoires ou ses promesses fallacieuses : autant “d’abus par déloyauté” » (Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, op. cit., n° 121). Ces mêmes auteurs estiment toutefois qu’on peut voir dans la décision de rompre un contrat l’exercice d’un droit discrétionnaire (op. cit., n° 885). M. BÉNABENT évoque également le caractère discrétionnaire de la décision de contracter mais émet un doute sur la pérennité de cette qualification en se demandant « si la jurisprudence n’est pas sur le point d’instituer en la matière un contrôle minimum par le moyen de l’abus de droit ». L’auteur se réfère à l’arrêt « Macron », dans lequel la Cour de cassation a sanctionné un banquier pour avoir exigé une cautionnement manifestement excessif, et à la jurisprudence relative à l’abus dans le refus de renouveler un contrat (A. BENABENT, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 56).

281 J. MESTRE, « La liberté de choisir son cocontractant : une liberté fondamentale mais non absolue », RTD civ. 1999, p. 79.

282 Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action 2012-2013, n° 839. 283 FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, t. 1, l’acte juridique, op. cit., n° 148. 284 Art. L. 122-1 du Code de la consommation. 285 Art. 225-1 du Code pénal.

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63

exemple286) ainsi que les cas dans lesquels le choix d’un cocontractant peut être imposé (droit

de préemption du locataire notamment287).

Les restrictions jurisprudentielles à la liberté de ne pas contracter correspondent à l’abus

dans la rupture des pourparlers288 ainsi qu’à l’abus dans l’exercice du droit de ne pas

renouveler un contrat289.

S’agissant plus particulièrement du refus de renouveler un contrat bancaire, M. GERARD

considère qu’à « compter du moment où le banquier a donné à son client l’espoir que le

concours sera continué, lui a fait croire que ce dernier aurait une certaine stabilité, il doit, par

principe, respecter un préavis, hors le cas où une rupture brutale s’impose »290. Cet auteur

encadre donc l’exercice du droit de ne pas renouveler un contrat bancaire par une règle

procédurale. La violation de cette règle engage la responsabilité du banquier. Il faut donc

considérer que l’exercice du droit de ne pas renouveler un contrat bancaire n’est pas

discrétionnaire.

M. ATIAS va encore plus loin et considère que « l’abus du droit de ne pas renouveler un

contrat bancaire est caractérisé même lorsqu’un préavis a été respecté, si le contrat s’insérait

dans une opération plus globale dont la réussite supposait un renouvellement automatique

dudit contrat »291. A suivre cet auteur, il existerait dans ces conditions un droit au

renouvellement du contrat bancaire. La liberté du banquier de ne pas renouveler le contrat

serait donc inexistante.

64. Singularité de la position des commentateurs de l’arrêt Tapie. Comme on vient de

le voir, le caractère discrétionnaire de la liberté de contracter ou ne pas contracter est en

général rejeté par la doctrine civiliste. Lorsqu’il est reconnu, c’est pour être aussitôt remis en

286 Par ex., art. L. 211-1 du Code des assurances (pour l’assurance des véhicules terrestres à moteur); art. L.

1142-2 CSP repris par l’art. L. 251-1 du Code des assurances (pour l’assurance de responsabilité civile médicale).

287 Art. 15-II de la loi du 6 juillet 1989. 288 V. par ex. F. TERRÉ, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 185 ; Ph. LE

TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 839 ; J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, Droit civil. Les obligations. Le contrat : formation, LGDJ, 3e éd., 2013, n° 779 ; FLOUR, SAVAUX, AUBERT, Les obligations, t. 1, l’acte juridique, op. cit., n° 148 ; Y. NEVEU, « Le devoir de loyauté pendant la période précontractuelle », Gaz. Pal., 5 décembre 2000, p. 6 et s.

289 Cf. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, t. 1, l’acte juridique, op. cit., n° 124 à 127 ; Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, Droit des obligations, op. cit., n° 113 ; J. MESTRE, « La liberté de choisir son cocontractant : une liberté fondamentale mais non absolue », RTD civ. 1999, p. 79. Contra, J.-C. SERNA, Le refus de contracter, thèse préc., spéc. p. 15 à 21, pour qui l’obligation de contracter est incompatible avec la conception française du contrat.

290 Y. GERARD, « Résiliation unilatérale et non-renouvellement dans les contrats bancaires », La cessation des relations contractuelles d’affaires, Colloque de l'Institut de Droit des Affaires, Aix-en-Provence (30-31 mai 1996), PUAM, coll. IDA, 1997, p. 25 et s.

291 Ch. ATIAS, « Les promesses implicites de stabilité (crédit, emploi) », D. 1995, chron., p. 125.

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64

cause en raison de l’existence de limites légales et jurisprudentielles. Dans ces conditions, on

ne peut manquer de relever un certain décalage entre la position générale de la doctrine

contemporaine et la position particulière des commentateurs de l’arrêt Tapie. En effet, ceux-ci

ont approuvé la Cour de cassation d’avoir qualifié de discrétionnaire la liberté du banquier

d’octroyer ou non un crédit. La plupart d’entre eux n’ont formulé aucune réserve292 ni même

souligné la singularité de cette solution au regard des nombreuses analyses qui voient dans la

liberté de contracter ou ne pas contracter une liberté relative293. Seuls quelques-uns ont relevé

l’originalité de la qualification, sans toutefois donner d’explication au fond sur ce point294.

Cette position est-elle au moins justifiée par l’existence d’une jurisprudence significative ?

B – UNE JURISPRUDENCE NON DÉCISIVE

65. Retour sur l’arrêt Tapie. Il peut paraître paradoxal de dire que la jurisprudence

relative à la liberté de contracter n’est pas décisive alors que, dans son arrêt Tapie, la

formation la plus solennelle de la Cour de cassation a énoncé que, « hors le cas où il est tenu

par un engagement antérieur, le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision

qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quelle qu'en soit la forme, de

s'abstenir ou de refuser de le faire »295. Il faut bien reconnaître que, même si l’Assemblée

plénière ne l’a pas expressément affirmé, elle a entendu faire échapper la décision du banquier

à tout contrôle.

Pourtant, il apparaît que cette décision est isolée aussi bien en droit bancaire (1) qu’au

regard des solutions applicables en droit commun des contrats (2).

292 M. BONNEAU dresse un panorama des limites que peut rencontrer le banquier dans sa mission de

distribution du crédit mais explique que ces restrictions ne concernent pas la décision d’octroyer ou non un crédit en elle-même (Th. BONNEAU, note sous Ass. Plén., 9 oct. 2006, JCP G 2006. II. 10175).

293 Pour M. BONNEAU, « la liberté des établissements de crédits bénéficie ainsi d’une plénitude que renforce l’usage du terme discrétionnaire » (Th. BONNEAU, note sous Ass. Plén., 9 oct. 2006, JCP G 2006. II. 10175). L’enthousiasme de M. MARTIN, suscité par la solution de l’arrêt Tapie, est évident : « Liberté, donc ? Et discrétionnaire ? Oui ! Car nul n'est tenu de contracter. Que l'on doive, à ce niveau d'affaire, où rivalisent tous les conseils, rappeler cette humble règle de sagesse vérifie assez que les sophistications contentieuses, aussi précaires qu'artificielles, résistent mal au bon sens juridique » (D. R. MARTIN, D. 2007, pan. droit bancaire, 753).

294 V. par ex. X. DELPECH, note sous Ass. Plén., 9 oct. 2006, D. 2006, p. 2525 : « C'est donc un droit absolu qui est accordé au banquier, puisque le refus de consentir un crédit est rangé dans la catégorie des droits discrétionnaires, catégorie juridique que l'on croyait pourtant en déclin » ; N. MATHEY, obs. sous Ass. Plén., 9 oct. 2006, JCP E 2007. 1679 : « L'affirmation [du caractère discrétionnaire de la décision du banquier] méritait d'être relevée dans la mesure où il n'existe plus guère de droits discrétionnaires de nos jours. La liberté d'accorder ou non un crédit serait l'un des tous derniers membres de cette espèce » ; P.-Y. GAUTIER, note sous Ass. Plén., 9 oct. 2006, RTD civ. 2007, p. 148: « On croyait la catégorie des droits discrétionnaires, c'est-à-dire non susceptibles d'un contrôle judiciaire, en voie de disparition, on se trompait ! ».

295 Supra n° 12.

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65

1) Droit bancaire

66. Des précédents en trompe-l’œil. Nous avons affirmé que l’arrêt Tapie était isolé en

droit bancaire. Cette position n’est pas celle de ses commentateurs qui ont au contraire estimé

que la solution en l’occurrence adoptée n’était pas inédite. Ces derniers renvoient en effet à

trois autres arrêts.

Ils se réfèrent tout d’abord à un arrêt de la première Chambre civile en date du 11 octobre

1994. La Cour de cassation y a affirmé que les dispositions relatives au refus de vente étaient

inapplicables aux opérations de banque et notamment aux opérations de crédit296.

Certes, l’interdiction du refus de vente constitue une restriction légale à la liberté de

contracter ou ne pas contracter puisqu’elle crée un devoir de contracter à l’égard des

commerçants visés par cette mesure. Pour autant, l’interdiction du refus de vente n’est pas la

seule restriction envisageable au droit de ne pas contracter. Dès lors, on ne peut déduire de la

seule inapplicabilité au banquier de l’interdiction du refus de vente que la décision d’octroyer

ou non un crédit est discrétionnaire. Autrement dit, l’arrêt cité se borne à juger qu’une

opération de crédit n’entre pas dans le champ d’application de l’interdiction du refus de vente,

sans aucunement aborder la question de savoir si le refus d’octroyer un crédit est ou non

discrétionnaire.

Les auteurs font ensuite référence à un arrêt du 7 février 1995 dans lequel la Chambre

Commerciale a affirmé que « si l'article 675-2 du Code rural prévoit un cas dans lequel

l'octroi d'un prêt peut être refusé, ce texte ne crée pas une obligation de consentir un crédit

dans tous les autres cas »297. La Haute juridiction en a déduit qu’une banque avait le droit de

refuser les « prêts spéciaux » prévus en faveur des victimes de sinistres agricoles dès lors

qu’ils n’entraient pas dans les prévisions du texte précité. Cependant, ce n’est pas parce que le

Code rural prévoit un cas dans lequel le banquier a une obligation légale de contracter qu’on

peut en déduire que, dans les autres cas, il peut discrétionnairement refuser l’octroi d’un

crédit. Autrement dit, rien n’interdit de concevoir que sa décision soit contrôlée lorsqu’elle ne

fait l’objet d’aucune obligation légale. Mieux, s’il existe une obligation de contracter, le refus

est illicite, ce dont il résulte qu’il n’y a pas à s’interroger sur son caractère abusif. C’est au

contraire en l’absence d’obligation de contracter que le contrôle de l’abus peut présenter un

296 Civ., 1ère, 11 oct. 1994, n° 92-13947, Bull. civ. 1994, IV, n° 289 ; RD bancaire et bourse 1994, p. 259,

obs. F.-J. CREDOT et Y. GERARD. 297 Com., 7 févr. 1995, n° 93-11880, Bull. civ. IV, n° 34 ; JCP G 1995. IV. 844.

Page 68: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

66

intérêt. Dans ces conditions, cet arrêt, pas plus que le précédent, n’a d’autorité sur le caractère

ou non discrétionnaire de la décision du banquier.

Enfin, les commentateurs de la décision rendue par l’Assemblée Plénière invoquent un

arrêt de la Chambre commerciale du 19 novembre 2002 qui a jugé « qu'un établissement de

crédit, qui n'a pas, en sa qualité de prêteur ou de garant, à s'immiscer dans les affaires de son

client, ne commet pas de faute du seul fait de l'octroi d'un concours à une entreprise

concurrente »298. Autrement dit, l’octroi d’un prêt à une entreprise en concurrence avec l’un de

ses clients n’est pas en soi fautif. On observera cependant qu’il n’est fait aucune référence au

caractère discrétionnaire du droit d’octroyer un crédit. La formulation de l’arrêt pourrait

même laisser penser qu’en présence de circonstances particulières entourant l’octroi du crédit

à une entreprise concurrente, celui-ci pourrait être fautif.

En conclusion, aucun des précédents invoqués en matière bancaire n’est réellement

pertinent. La solution de l’arrêt Tapie peut-elle du moins se recommander de la jurisprudence

rendue en droit commun des contrats ?

2) Droit commun des contrats

67. Jurisprudence apparemment favorable au caractère discrétionnaire du droit de

contracter. Le droit de ne pas contracter, en droit commun, ne fait pas l’objet d’une

jurisprudence abondante. Lorsqu’il est reconnu, il est rarement qualifié de discrétionnaire. Il

est vrai que la doctrine se réfère classiquement à un arrêt de la Chambre des Requêtes qui a

considéré que « nul ne saurait être contraint de passer un contrat, alors même que le refus

serait contraire à l’intérêt, au moins apparent, de son auteur »299. Autrement dit, une partie ne

peut être contrainte de conclure un contrat même si sa conclusion lui serait avantageuse.

Inversement et à plus forte raison, il doit en aller de même si cette conclusion devait s’avérer

contraire aux intérêts de l’auteur du refus. Il résulte donc de l’arrêt rendu par la Chambre des

Requêtes que la conclusion du contrat ne peut être imposée à une partie. Pourtant, cette

déduction est excessive dans la mesure où il existe des obligations de contracter en droit

298 Com., 19 nov. 2002, n° 99-20828 , Bull. civ. IV, n° 167 ; Banque et droit 2003, n° 88, p. 61, obs. Th.

BONNEAU. 299 Req., 24 novembre 1924, S. 1925.1.217, note BRÈTHE DE LA GRESSAYE. RIPERT, dans Le régime

démocratique et le droit civil moderne (op. cit., p. 219), renvoie également à deux autres arrêts respectivement rendus par la Chambre des Requêtes le 2 mars 1932 (DH 1932 177, S. 1932 I 266) et le 15 novembre 1933 (DH 1934, 33). Or, contrairement à ce que soutient RIPERT, ces arrêts ne consacrent pas le caractère discrétionnaire de la liberté de ne pas contracter. Bien au contraire, ils ont considéré que son exercice pouvait être fautif et donner lieu à l’allocation de dommages et intérêts.

Page 69: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

67

positif. La conclusion du contrat peut parfois être imposée300. Surtout, le principe énoncé par

la Chambre des Requêtes ne préjuge en rien du point de savoir si, dans certaines

circonstances, l’exercice du refus de contracter pourrait ou non être susceptible d’abus et

engager la responsabilité civile de son auteur.

Il est vrai qu’on pourrait également songer à invoquer les arrêts de la Cour de cassation

considérant que le choix du cocontractant n’a pas à être motivé301. Cette solution est le

corollaire de la liberté de choisir son cocontractant, laquelle est une déclinaison de la liberté

contractuelle. Autrement dit, selon ce raisonnement, on infère le caractère discrétionnaire de

la décision de contracter de l’absence d’obligation de la motiver. Pourtant, cette interprétation

n’est pas convaincante, comme en témoigne la jurisprudence relative à la rupture unilatérale

du contrat. Selon celle-ci, si l’auteur de la rupture n’a pas à motiver sa décision, il peut

toutefois engager sa responsabilité en cas d’abus302. En d’autres termes, l’absence d’obligation

de motivation n’exclut pas l’abus dans la rupture du contrat. Or il n’existe aucune raison de

cantonner ce constat à ce stade : ce qui vaut pour la rupture du contrat devrait logiquement

valoir pour ce qui concerne le stade de la formation du contrat.

68. Jurisprudence défavorable au caractère discrétionnaire du droit de ne pas

contracter. Si les arrêts qui précèdent sont somme toute bien peu convaincants, ils sont en

outre contredits par d’autres dont on peut déduire le caractère non discrétionnaire de la

décision de ne pas contracter.

Celle-ci peut ainsi engager la responsabilité de son auteur en cas de rupture abusive des

pourparlers. Les pourparlers regroupent les discussions antérieures à la conclusion d’un

contrat. Ils n’ont donc aucune force obligatoire. Les parties restent libres de ne pas conclure le

contrat. En revanche, l’exercice de cette liberté peut être déclaré abusif. L’abus a ainsi été

retenu en cas de brutalité dans la rupture303, de mauvaise foi304, de légèreté blâmable305 ou

300 V. infra n° 417 et s. 301 Com. 7 avr. 1998, Bull. civ. IV, n° 126, p. 161. Dans cet arrêt, la Haute juridiction a affirmé que « le

concédant a le droit de traiter avec le cocontractant de son choix, qu’il n’est pas tenu de motiver sa décision ni de communiquer les critères selon lesquels ce choix est exercé ». Ce rapprochement est notamment établi par Mme FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, t. 1 Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. Thémis Droit, 3e éd., 2012, p. 58.

302 V. par ex. Com. 26 janvier 2010, pourvoi n° 09-65086, Bull. civ. IV, n° 18. 303 V. par ex. Com., 26 novembre 2003, arrêt « Manoukian », Bull. civ. IV, n° 186 ; D. 2004, p. 869, note A.-

S. DUPRE-DALLEMAGNE, JCP 2004. I. 163, obs. G. VINEY, JCP E 2004. 738, obs. STOFFEL-MUNCK, RDC 2004, p. 257, obs. D. MAZEAUD, RTD civ. 2004. 80, obs. MESTRE et FAGES, F. TERRÉ et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, 12e éd., 2008, n° 142.

304 V. par ex., Com. 7 avril 1998, JCP E 1999. 579 ; D. 1999, p. 514, note P. CLAUVEL. 305 Cf. Com. 22 février 1994, Bull. civ. IV, n° 79, p. 61 ; RJDA 1994, n° 765, p. 611 ; RTD civ. 1994. 849,

obs. J. MESTRE ; RJ com. 1996. 105, obs. KARINI.

Page 70: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

68

encore lorsque les pourparlers avaient fait naître chez le partenaire une confiance que la

rupture est venue trahir306. Dans ces conditions, il apparaît que la liberté de ne pas contracter

n’est pas discrétionnaire.

La jurisprudence sanctionne également le refus abusif de renouveler un contrat à

exécution successive307. Elle a en particulier statué au sujet des contrats de distribution. La

responsabilité du concédant a ainsi été retenue non seulement lorsqu’il avait promis le

renouvellement308, mais aussi lorsqu’il l’avait laissé espérer309, ou encore lorsque le refus

n’avait été accompagné d’aucun motif légitime310 ou avait été opposé pour un motif

illégitime311.

Parce qu’elle suppose la conclusion d’un nouveau contrat, la décision de le renouveler est

l’expression du droit de contracter ou ne pas contracter. Dans ces conditions, force est de

reconnaître qu’à travers la sanction du refus abusif de renouveler un contrat, c’est une

sanction du droit de ne pas contracter qui est prononcée. Ce constat plaide, là encore, contre

son caractère discrétionnaire.

Il faut remarquer que les arrêts relatifs à la rupture des pourparlers et au refus de

renouveler un contrat ont comme point commun l’existence de relations juridiques en cours

au moment du refus. Ces relations juridiques sont extracontractuelles dans le cadre des

pourparlers et contractuelles dans celui du renouvellement. Aussi, il pourrait être soutenu que

le refus deviendrait discrétionnaire en l’absence de relations juridiques en cours au moment

où il est opposé.

306 Com. 11 juillet 2000 (inédit), Cont. Conc. Cons. 2000, n° 174, comm. L. LEVENEUR. 307 Cf. Civ. 1ère, 6 mai 2010, pourvoi n° 09-66969, Bull. civ. I, n° 101 (refus d’une association de renouveler

l’adhésion d’un membre). 308 Com., 9 février 1981, D. 1982, p. 4, note SCHMIDT-SWALESKI : « Mais attendu que c’est dans

l’exercice de son pouvoir souverain que la Cour d’appel (…) a estimé qu’il résultait tant du contrat que de la correspondance échangée entre MAS GOL et la société AFN (…) que celle-ci avant manifesté son intention de poursuivre en 1975 une collaboration encore plus complète que par le passé ; que dès lors, MAS GOL était fondé à s’en tenir aux engagements pris à son égard pour le renouvellement d’une concession exclusive ; que de ces énonciations, la Cour d’appel a pu déduire que la société VWF qui s’était engagée à reprendre les obligations de la société AFN avait commis, en proposant à MAS GOL pour 1975, un contrat dont l’économie était fondamentalement différente du précédent, une faute dont elle lui devait réparation ».

309 Com. 29 janvier 2002 (inédit), Cont. Conc. Cons. 2002, n° 123, comm. M. MALAURIE-VIGNAL : « Mais attendu qu'ayant retenu que la société Renault avait laissé croire à son concessionnaire qu'elle maintiendrait les relations contractuelles et l'avait ainsi incité, non seulement à procéder à des investissements lourds, mais aussi à accepter un redécoupage de son secteur dans des conditions la désavantageant par rapport aux filiales du concédant, la cour d'appel a pu condamner la société Renault à indemniser la société Bronner du préjudice subi par suite de la cessation de son activité de concessionnaire »

310 Com., 27 octobre 1998, Bull. IV, n°256 : « Mais attendu que l'arrêt (…) retient encore que le refus de renouvellement du contrat était dépourvu de motif tandis qu'il causait préjudice à X..., faisant ainsi ressortir son caractère abusif ; qu'en l'état de ces appréciations, (…), la cour d'appel a légalement justifié sa décision ».

311 Com., 10 octobre 2000 (inédit), Cont. Conc. Cons. 2001, n° 13, comm. POILLOT-PERUZZETO.

Page 71: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

69

Cette déduction n’est, selon nous, pas forcément pertinente. La Cour de cassation a laissé

entendre que la liberté de ne pas contracter pouvait être abusive même dans l’hypothèse qui

vient d’être caractérisée. Dans un arrêt en date du 5 juillet 1994, la Chambre commerciale a

en effet jugé que, sauf abus de droit, l’exercice de « la liberté fondamentale de toute personne

de s’approvisionner chez un commerçant » ne pouvait pas être sanctionné312. En l’espèce une

pharmacienne reprochait à deux associations para-médicales privées d’avoir cessé de

s’approvisionner dans son officine. Or il semble bien que les parties n’étaient liées par aucun

contrat-cadre. D’une part, la Cour de cassation n’en fait aucunement mention, et elle vise

d’autre part l’article 1382, siège de la responsabilité extra-contractuelle. Dans cette optique, il

est plus que vraisemblable que les parties n’étaient liées que par des contrats de vente, c’est-à-

dire par des contrats à exécution instantanée qui avaient épuisé tous leurs effets au moment où

les associations avaient manifesté leur volonté de ne plus s’approvisionner auprès de la

pharmacienne. Finalement, si l’on suit ce raisonnement, la Chambre commerciale réserve

l’abus du droit de ne pas contracter même en l’absence de relations juridiques en cours au

moment du refus.

69. Conclusion. A la lumière de ce qui précède, il apparaît que la liberté de ne pas

contracter n’a été qualifiée de discrétionnaire que par le seul arrêt Tapie. Pour le reste, la

jurisprudence ne permet en rien de conclure à la discrétionnarité du droit de ne pas contracter.

Elle va même en sens contraire. Il est vrai que, dans la mesure où l’arrêt Tapie a été rendu en

matière bancaire, on pourrait se demander s’il n’existerait pas des raisons particulières à la

discrétionnarité isolément attribuée à la décision du banquier. Cette question sera abordée

dans le chapitre suivant, consacré aux justifications de la discrétionnarité.

70. Conclusion du Chapitre I. L’étude de la notion de prérogative discrétionnaire a

permis de comprendre que le phénomène de la discrétionnarité a une signification particulière

en droit privé. En tant que prérogative insusceptible d’abus – l’abus étant entendu au sens

large comme la faute dans l’exercice d’une prérogative, ou au sens strict comme l’abus d’un

droit – la prérogative discrétionnaire est synonyme d’arbitraire. Cet absolutisme a pris racine

dans la philosophie individualiste. Il s’oppose aux conceptions publicistes et procédurales de

la discrétionnarité qui, pour leur part, ont pris soin de chasser toute idée d’arbitraire dans

l’exercice du pouvoir discrétionnaire. C’est ainsi que le droit public a rationalisé cet exercice

312 Com. 5 juil. 1994, Bull. civ. IV, n° 258 ; JCP G 1994. II. 22323, obs. J. LEONNET ; RTD civ. 1995. 96,

obs. J. MESTRE. Il est à noter que l’abus de droit n’a pas été caractérisé en l’espèce.

Page 72: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

70

par le biais du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et l’application de la théorie du

bilan coût-avantage.

L’identification des applications de la discrétionnarité a fait en outre apparaître l’absence

de consensus doctrinal au sujet tant de l’existence que du contenu de cette notion. Quant à la

jurisprudence, son étude a fait apparaître le caractère péremptoire et isolé de l’affirmation

selon laquelle le droit de ne pas contracter serait discrétionnaire lorsque la décision émanerait

d’un banquier.

A ce stade de la démonstration, la notion de droit discrétionnaire et son application au

droit de contracter en particulier reposent sur des bases pour le moins incertaines. Il reste à

déterminer si la discrétionnarité peut trouver une légitimité à l’analyse de ses justifications.

Page 73: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

CHAPITRE II

LES JUSTIFICATIONS DE LA DISCRÉTIONNARITÉ

71. Plan. Les applications réelles ou supposées de la discrétionnarité sont variées. Elles

vont du droit de couper les racines, ronces et brindilles dépassant de la ligne séparative de

fonds contigus à la faculté de révoquer un testament, en passant par le choix de la femme

enceinte de recourir à une IVG ou à celui du banquier d’octroyer ou non un crédit.

En dépit de cette hétérogénéité, la doctrine s’est efforcée de trouver des justifications à

cette institution dérogatoire. Pour les besoins de l’analyse, nous isolerons la prérogative

discrétionnaire qui nous intéresse le plus, à savoir la liberté du banquier de refuser l’octroi

d’un crédit. D’ailleurs les justifications avancées en ce qui la concerne, à savoir la confiance

et l’intuitus personae, opèrent dans le prolongement des celles qui sont communément

invoquées au soutien de l’institution. En conséquence, on étudiera ces dernières (Section I),

avant de s’intéresser plus particulièrement aux justifications propres au contrat de crédit

(Section II).

SECTION I – LES JUSTIFICATIONS COMMUNES

72. Plan. Différentes justifications de la discrétionnarité sont communément avancées : la

première est fondée sur la nature de la prérogative (Sous-section I), la seconde sur la nécessité

de protéger le titulaire du droit (Sous-section II) et la troisième par l’absence d’impact de

l’exercice du droit sur la situation juridique d’autrui (Sous-section III). L’examen critique de

ces justifications nous conduira à préconiser un réaménagement complet de la catégorie des

droits discrétionnaires (Sous-section IV).

SOUS-SECTION I – LA NATURE DE LA PRÉROGATIVE

73. Plan. Si l’on considère la nature de la prérogative, sa discrétionnarité est parfois

justifiée par son appartenance à la catégorie des libertés (§ 1), parfois par sa nature

optionnelle (§ 2).

Page 74: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

72

§ - I. LA DISCRÉTIONNARITÉ DES LIBERTÉS

74. L’incertaine frontière des droits et des libertés. Il arrive que les auteurs expliquent

la discrétionnarité d’une prérogative par son appartenance à la catégorie des libertés. Pour

eux, une liberté serait par essence discrétionnaire, contrairement aux droits subjectifs dont

l’exercice ne pourrait être abusif.

La décision de contracter serait une liberté313. Le caractère discrétionnaire de la décision

du banquier d’octroyer ou non un crédit pourrait ainsi s’expliquer314.

En réalité, la question de savoir si la décision de contracter est une liberté ou un droit

subjectif est particulièrement délicate en raison des frontières incertaines entre ces deux

notions, ce qui apparaît clairement à la lecture de l’article 4 de la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen. Cet article énonce :

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des

droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de

la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par

la loi ». Dans cet article, l’exercice d’un droit est une modalité de celui de la liberté.

Cette confusion des termes est également fréquente en doctrine.

Ainsi, d’après M. CORNU, le droit subjectif se défini comme une « prérogative

individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet à son titulaire de faire,

d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt

313 V. par ex. D. MAINGUY, « L’abus de droit dans les contrats soumis au droit de la concurrence », JCP E

– Cahiers de droit de l’entreprise 1998, n° 6, p. 29 : « L’article 1123 du Code civil est ainsi le fondement de la liberté contractuelle, c’est-à-dire de la liberté de contracter ou de ne pas contracter, ce qui n’est pas la même chose que le droit subjectif de contracter ou ne pas contracter. La différence est essentielle : un droit subjectif naît d’une règle qui l’accorde, généralement de façon exclusive, il se définit donc de façon positive, en fonction de la règle qui accorde ce droit alors qu’une liberté se définit négativement, par opposition à ce qui est interdit ». Dans le même sens, v. notamment, P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, 1963, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz (réed. 2005) ; P. ROUBIER, « Les prérogatives juridiques », APD 1960, p. 65 à 131. Cette position est partagée par ROUAST, « Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés », RTD civ. 1944. 1, n° 6 ; J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux, op. cit., n° 188 ; H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, op. cit., n° 1052 et 1053 ; Ph. STOFFEL-MUNK, L’abus dans le contrat, essai d’une théorie, thèse préc., p. 111-112.

314 V. par ex. D.-R. MARTIN, « Liberté, donc? Et discrétionnaire ? Oui ! Car nul n'est tenu de contracter » (D. 2007, pan. 753) ; M.-A. LAFORTUNE, conclusions sur l’Arrêt Tapie, p. 42 : « la cour d’appel n’a pu retenir une faute tirée d’une prétendue obligation du Crédit Lyonnais de financer le groupe Tapie. Sur ce point la liberté d’appréciation des établissements est totale et discrétionnaire ». Il est intéressant de noter que l’Avocat Général justifie cette affirmation en se référant à l’arrêt de la Première Chambre civile en date du 11 octobre 1994 (Bull. n° 289). Dans cet arrêt la Cour de cassation a affirmé que les dispositions relatives au refus de vente sont inapplicables aux opérations de banque (et notamment de crédit). M. LAFORTUNE déduit de l’inapplicabilité de ces dispositions la possibilité, pour la banque, de refuser un crédit sans avoir à justifier de l’existence d’un motif légitime ; B. PETIT, Rapport Arrêt Tapie, p. 47 : « La liberté d’appréciation du banquier est totale, sa décision est discrétionnaire ».

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73

d’autrui »315. L’auteur définit en outre la liberté, en son sens « banal », comme une « faculté »

et précise que, dans cette hypothèse, la liberté est synonyme de « droit de »316. Quant à la

liberté individuelle, elle est présentée comme le « droit fondamental de faire tout ce que la

société n’a pas le droit d’empêcher » et « [l’] exercice des volontés légitimes de chacun dans

la limites des nécessités de l’ordre social »317.

Selon VILLEY, le droit subjectif se définit comme « l’usage rationnel de ce que nous

avons de liberté »318 ou bien comme « une qualité du sujet, une de ses facultés, plus

précisément une franchise, une liberté, une possibilité d’agir »319.

A la lecture de ces définitions, on ne peut s’empêcher de relever le caractère

interchangeable des termes droit subjectif et liberté.

On retrouve, de façon incidente, cet emploi quasiment synonymique sous la plume

d’autres auteurs.

C’est ainsi que SALEILLES parle du « droit général d’user de sa liberté » pour désigner

la liberté et des « droit spéciaux qui consacrent également tel ou tel exercice particulier de la

liberté individuelle » pour qualifier les droits subjectifs320.

Marcel WALINE a de son côté écrit qu’il existe une liberté qui est « réclamée en

commun par les libéraux politiques et les économistes libéraux, parce qu’elle est à la fois une

garantie du développement économique de l’individu et une garantie de sécurité juridique

pour lui », cette liberté étant le droit de propriété321.

Plus récemment, M. MESTRE a fait le choix de parler alternativement de la liberté et du

droit de choisir son cocontractant322 tandis que M. SERIAUX assimile les notions de faculté et

de droit subjectif323 et que M. MARECHAL définit la notion de droit discrétionnaire en

faisant indifféremment référence aux termes de droit, de liberté et de faculté324.

315 V° Droit (4), Vocabulaire Juridique, op. cit. 316 V° liberté (8), Vocabulaire Juridique, op. cit. 317 Ibid. 318 M. VILLEY, Seize essais de philosophie du droit, Dalloz, 1969, p. 190. 319 Ibid., p. 146. 320 SALEILLES, Bull. soc. d’études législatives, 1905, p. 329. 321 M. WALINE, L’individualisme et le droit, 1949, Dalloz, (réed. 2007), p. 20. 322 J. MESTRE, « La liberté de choisir son cocontractant : une liberté fondamentale mais non absolue », RTD

civ. 1999, p. 79. 323 A. SERIAUX, « Libéralités. Donations entre époux pendant le mariage », J-Cl Civil Code, fasc. 20, n°

73 : « la faculté de révoquer est un droit absolu » (sur la révocation des donations entre époux). 324 J.-Y. MARECHAL, « La concubine dépitée et le testateur inconstant », D. 2005, chron., p. 1621 : « les

titulaires de tels droits ont la faculté d’en user et d’en abuser avec la plus grande liberté ».

Page 76: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

74

Il faut en outre remarquer que ces notions ont pour point commun de désigner le pouvoir

dont un individu est titulaire. La proximité des définitions du droit subjectif et de la liberté

s’explique par cette idée de pouvoir qui leur est commune325.

D’après le Dictionnaire des notions philosophiques, le sens moderne du terme « droit »

repose sur l’idée de puissance. Il s’agit tant de la « puissance de l’individu sur lui-même » (la

liberté) que « sur son environnement » (le droit subjectif). Le Dictionnaire historique de la

langue française précise que, dès le milieu du XIVème siècle, la liberté désigne un « pouvoir

d’agir, au sein d’une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite de règles

définies ». La liberté civile est ainsi le « droit de faire tout ce qui n’est pas défendu par la

loi ».

Pour Alexandre VIALA « la parenté, sinon l’identité » des notions de droit et liberté

s’explique par « la commune relation qu’elles entretiennent avec le subjectivisme

philosophique qui, depuis le XVIe siècle où s’ouvre la via moderna, caractérise l’humanisme

juridique selon un processus d’anthropologisation du droit entamé dès le XIVe siècle à

l’époque du tournant nominaliste »326. Le subjectivisme philosophique est « la doctrine qui

ramène l’existence à celle du sujet ou de la pensée »327. La conscience de soi devient alors la

vérité première. C’est à partir d’elle que l’homme devient capable de se penser et de penser

ses relations avec le monde extérieur. Il trouve en lui la source de toute action. Or l’influence

de ce subjectivisme sur le système juridique a été déterminante. L’homme-individu fait figure

d’élément central et devient la raison d’être du système juridique. C’est pour cette raison que

les droits subjectifs et les libertés apparaissent communément comme « les fondations sur

lesquelles est assis le droit positif »328.

Cette référence succincte au subjectivisme philosophique permet de comprendre

pourquoi la notion de pouvoir est commune aux droits subjectifs et aux libertés. A partir du

XVIe siècle, l’homme se pose, en-dessous de Dieu, en créateur, au centre du Droit. Or les

droits subjectifs et les libertés dont il est titulaire sont les outils, c’est-à-dire les pouvoirs, lui

325 Contra, v. notamment, JHERING, Geist, T. 3, dern. éd., p. 339, cité par M. VILLEY, Seize essais de

philosophie du droit, op. cit., p. 212. Michel VILLEY explique que « l’audace énorme de Jhering (…) est de contredire radicalement toute cette romanistique moderne, qui entreprit de construire le droit à partir de l’idée de sujet (…). Le droit n’est pas une liberté, un pouvoir de l’individu (…), c’est une chose, un bien, une jouissance ou un intérêt » (op. et loc. cit.).

326 A. VIALA, « Droits et libertés (Distinction) », Dictionnaire des droits de l’homme, dir. J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN et J.-P. MARGUENAUD, PUF, éd. 2008, p. 259.

327 V° Subjectif, subjectivisme, Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. REY, Le Robert, p. 2202.

328 A. VIALA, « Droits et libertés (Distinction) », op. cit., p. 259.

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75

permettant de créer et de se développer à l’intérieur du système juridique. L’homme devient à

la fois pouvoir d’agir et détenteur de pouvoirs pour agir.

75. Plan. Au-delà de cette approche théorique de la distinction entre les droits et les

libertés, il reste que. la discrétionnarité d’une prérogative ne saurait être justifiée par son

appartenance à la catégorie des libertés. En effet, non seulement il n’existe aucun rapport

d’exclusion entre les notions de liberté et d’abus (A), mais, bien plus, il semble acquis qu’une

liberté puisse être exercée abusivement (B).

A – CONTESTATION D’UN RAPPORT D’EXCLUSION ENTRE ABUS ET

LIBERTÉ

76. Une liberté peut-elle être illégitime? Est-il pertinent d’affirmer que la liberté exclut

l’abus ? Cette position n’est soutenable que si l’on refuse l’idée selon laquelle une liberté peut

être exercée de façon illégitime. Il convient ici de se référer à l’article 4 de la Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen. Celui-ci dispose : « La liberté consiste à pouvoir faire tout

ce qui ne nuit pas à autrui ».

Cet article définit-il la liberté ou la liberté légitime329?

Si l’article 4 définit la liberté, on est amené à considérer qu’il opère une division entre

l’acte libre et l’acte non-libre. Un acte est libre lorsqu’il ne nuit pas à autrui. S’il nuit à autrui,

l’acte n’est pas libre. La liberté traduit ainsi la qualité d’un acte. En d’autres termes, un acte

est ou n’est pas libre en fonction de son impact sur autrui. La nuisance est donc le curseur de

la liberté.

Si l’article 4 définit la liberté légitime, la scission n’est plus entre l’acte libre et l’acte

non-libre mais entre l’acte libre légitime et l’acte libre illégitime. Le fait de nuire à autrui ne

porte pas atteinte à la qualité de l’acte mais à sa légitimité. La nuisance est alors le curseur de

la légitimité de la liberté.

Il importe de faire un choix entre ces deux interprétations.

329 Pour une lecture de l’article 4 de la Déclaration de 1789, v. notamment J.-P. COSTA, « Article 4 », in La

déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dir. M. DEBENE et G. TEBOUL, Economica, 1993, p. 101 à 111 ; P.-Y. GAHDOUN, La liberté contractuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse, préf. D. ROUSSEAU, LGDJ, 2008, spéc. n° 60 et s. ; M. GAUCHET, La révolution des droits de l’homme, Gallimard, 1989, spéc. p. 142 ; F. GENY, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, Essai critique, A. Chevalier-Maresq & Cie, 1899, spéc. p. 525.

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76

77. Interprétation favorable au rejet de l’abus de liberté. Si la nuisance est le curseur

de la liberté, il en résulte qu’aucun abus de liberté n’est possible. En effet, dès lors que l’acte

nuit à autrui, il ne peut être qualifié de libre. Cette interprétation est retenue par les auteurs

établissant un lien entre discrétionnarité et liberté330. Leur raisonnement peut être rapproché de

celui de PLANIOL s’agissant de l’abus de droit. Pour l’éminent juriste, on ne peut pas abuser

d’un droit car « le droit cesse où l’abus commence »331. Appliqué aux libertés, cet argument

revient à considérer que l’abus d’une liberté n’est pas possible car « la liberté cesse où l’abus

commence ».

78. Interprétation favorable à la reconnaissance de l’abus de liberté. Si, en revanche,

la nuisance est le curseur de la légitimité de la liberté, l’abus de liberté est concevable. Il sera

caractérisé lorsque l’exercice de la liberté nuit à autrui, c’est-à-dire, est illégitime. Selon cette

interprétation, liberté et abus ne sont pas antinomiques. Avec le contrôle de l’abus, « il ne

s’agit pas de savoir si le droit exercé est régulier mais si son exercice peut dans certains cas

être constitutif d’une faute »332. Dans cette optique, le contrôle d’une liberté n’a pas pour objet

de déterminer si la liberté exercée est régulière – c’est-à-dire existe – mais si son exercice est

constitutif d’une faute.

François OST invite à ce titre à distinguer la légalité de la légitimité du comportement333.

A travers le contrôle de l’abus, ce n’est pas l’existence du comportement qui est étudié, sa

légalité, mais son opportunité, c’est-à-dire sa légitimité. Ainsi, le contrôle d’une liberté ne

330 Si cette lecture de l’article 4 permet d’affirmer que l’abus de liberté n’existe pas, elle ne permet pas de retenir que la liberté est discrétionnaire. Est en effet « discrétionnaire » non seulement ce qui est insusceptible d’abus mais aussi ce qui échappe à tout contrôle. Or, d’après l’interprétation retenue, un acte ne peut être l’expression de la liberté que sous réserve de ne pas nuire à autrui. Il faut donc attendre l’accomplissement de l’acte pour déterminer s’il a impact négatif sur autrui et donc s’il est libre ou non. La liberté est donc reconnue et validée a posteriori, une fois l’acte accompli. Si la liberté est reconnue, cela implique que l’acte ait préalablement fait l’objet d’un contrôle. Il ne s’agit pas nécessairement d’un contrôle judiciaire. Ce contrôle peut être social.

331 M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, n° 871 ; M. PLANIOL, « Etudes sur la responsabilité civile », Rev. crit. législ. et jurisp. 1905, p. 277 et 1906, p. 80.

332 M. BACACHE-GIBEILI, op . cit., n° 146. Dans le même sens, L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, V° Abus de droit, Rép. Civ., n° 7 : « l’obstacle n’est qu’apparent. L’usage d’un droit, en lui-même incontestable (par ex. le droit de propriété), peut donner lieu à un comportement illicite, qui doit être sanctionné sans pour autant que la sanction aboutisse à nier le droit lui-même ; la sanction vise seulement la manière dont le droit est exercé ».

333 F. OST, Droit et intérêt, vol. 2, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, p. 141 : « Comment peut-on être à la fois dans son droit et commettre une faute, être à la fois « en droit » et « en tort » ? Le paradoxe s’explique si l’on admet que le droit subjectif n’est pas une fin en lui-même ; plutôt un moyen en vue de l’intérêt qu’il consacre (…). Normalement, comme pour la règle de droit objectif, la présomption est que la légalité d’un droit et de son exercice entraine présomption de leur légitimité. Un droit, par cela même qu’il est consacré par l’ordre juridique, est très vraisemblablement légitime – de même son exercice. La présomption cependant – sauf à adopter une position résolument dogmatique – est seulement iuris tantum ; présomption simple, elle admet la preuve contraire. Il doit être possible de démontrer une dissociation entre légalité et légitimité d’un comportement ».

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77

remet pas en cause sa substance, sa définition négative. En d’autres termes, il n’a pas pour

effet de restreindre cette « série de possibilité en tout sens »334, mais simplement de vérifier

que l’exercice de ces possibilités n’est pas constitutif d’une faute.

En ce sens, il est tout à fait possible de retenir la seconde interprétation de l’article 4 de la

Déclaration de 1789, c’est-à-dire celle qui considère que cet article définit la liberté légitime.

Dans son analyse du travail déclaratoire, et plus précisément de la rédaction des articles 4

et 5335 de la Déclaration de 1789, M. RIALS semble y adhérer puisqu’il emploie l’expression

de « liberté légitime »336. Dans le même sens, M. BOYER explique que « pour être

légitimée337, [la liberté contractuelle] doit être encadrée par les exigences du bien public et de

la morale »338.

S’agissant non plus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen mais de

l’article 1382 du Code civil, SALEILLES a écrit que « l’exercice de la liberté n’est licite,

d’après 1382, que dans la mesure où il se combine avec le respect des intérêts légitimes des

autres : il y a obligation, pour chacun, de n’user de sa liberté que sous la condition de ne pas

nuire à autrui »339. Là encore, l’exercice d’une liberté peut être illicite. La liberté n’est donc

pas exclusivement l’accomplissement d’un acte ne nuisant pas à autrui.

L’idée en vertu de laquelle la liberté peut être ou non légitime trouve enfin un appui

considérable dans l’article 11 de la Déclaration de 1789 qui précise, s’agissant de la libre

communication des pensées et des opinions, que « tout citoyen peut donc parler, écrire,

imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté340 dans les cas déterminés par la

loi ». Cet article affirme explicitement que l’on peut abuser d’une liberté341.

334 P. ROUBIER, « Les prérogatives juridiques », APD 1960, p. 84. 335 « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la

loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ». 336 S. RIALS, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette, coll. Pluriel, 1988, p. 225-226 :

« La liberté légitime (…) peut gésir selon la position qu’on adopte : - soit dans l’indéterminabilité de la loi positive (position positiviste que vient proclamer l’article 5) ; - soit dans l’indéterminabilité à la fois de la loi positive (compatible ou conforme à la Loi naturelle) et de la Loi naturelle en cas de silence de la loi positive (position naturaliste) ; soit dans l’indéterminabilité et de la loi positive respectueuse de la Loi naturelle, et de la Loi naturelle liant au-delà de la loi positive, et du droit positif divin (…) ; - soit dans l’indéterminabilité de la loi positive et du droit positif divin »

337 Nous soulignons. 338 L. BOYER, V° Contrats et conventions, Répertoire de droit civil, n° 33. 339 SALEILLES, Bull. soc. d’études législ., 1905, p. 328. 340 Nous soulignons. 341 M. RIALS (La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 225-226) relève que lors du

travail déclaratoire, LAMETH a proposé de définir la liberté. L’évêque de Langres, LA LUZERNE, avait alors suggéré de remplacer « La liberté consiste » par « La liberté civile consiste ». L’amendement de l’évêque de Langres n’a pas été retenu. Les raisons de ce rejet apparaissent clairement à la lecture de l’intervention de REDHON, citée par M. RIALS (op. cit., p. 226) : « Jusqu’à présent les articles ne peuvent être entendus que de l’homme qui n’est pas en état de société, et là où il n’y a pas de société, il ne peut y avoir de loi. C’est quand la loi est faite que la société se forme, et que l’homme est alors placé sous l’empire de la loi. De quoi s’agit-il dans

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78

B – L’EXERCICE ABUSIF DES LIBERTÉS

79. Plan. Pour montrer comment une liberté peut être exercée abusivement, on verra qu’il

convient de distinguer la notion de liberté de celle de liberté juridique (1). Ce sont en effet ces

dernières qui sont susceptibles de contrôle (2).

1) Distinction de la liberté et des libertés juridiques

80. Plan. On envisagera d’abord la définition de la liberté (a) avant de s’intéresser à celle

des libertés juridiques (b).

a) La liberté

81. La liberté anthropologique de l’homme. On se reportera ici aux travaux de M.

VIALA. Celui-ci enseigne que, contrairement au droit subjectif qui a besoin d’être reconnu,

ou encore proclamé, pour exister, la liberté existe en dehors de tout système juridique342. La

liberté appartient à l’homme en tant qu’être vivant et non en tant que sujet de droit343.

la déclaration des droits ? De la liberté naturelle, des droits que tout homme apporte en naissant. Ce n’est donc pas encore ici le moment de parler de la liberté civile ; il s’agit, non pas de l’homme gêné dans l’exercice de ses droits, mais de l’homme avec la plénitude de ses droits. La liberté porte sur les droits naturels ou sur des conventions. Parlez-vous des premiers, alors vous ne pouvez prononcer que le seul mot de liberté. Parlez-vous de la liberté conventionnelle, alors vous parlez de la liberté civile ». Ainsi, la liberté de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen définirait la liberté naturelle, par opposition à la liberté civile. La liberté naturelle caractérise « l’homme avec la plénitude de ses droits ». La définition de la liberté comme prérogative « inconditionnée », « indéfinie et non causée », correspond donc à la définition de la liberté naturelle. La liberté civile, celle de « l’homme gêné dans l’exercice de ses droits », n’est plus « inconditionnée », « indéfinie et non causée ». Elle n’a d’existence que légale – ce dernier terme étant entendu au sens large. Elle est définie et causée par son objet (liberté d’expression, de la concurrence, contractuelle…). Il n’y a d’ailleurs pas une liberté civile mais des libertés civiles. La distinction entre liberté naturelle et liberté civile présente un intérêt pour notre sujet. Dès lors que les libertés civiles sont définies et encadrées, leur exercice peut être contrôlé. En ce sens, le juge vérifiera que cet exercice est conforme aux prescriptions légales. Ce contrôle du juge, et le cas échéant, la sanction d’un usage illégitime d’une liberté civile vient contester l’idée de leur essence discrétionnaire.

342 A. VIALA, « Droits et libertés (Distinction) », Dictionnaire des droits de l’homme, dir. J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN et J.-P. MARGUENAUD, PUF, éd. 2008, p. 259 : « Les droits n’ont pas la même nature que les libertés. Leur existence résulte d’une consécration institutionnelle dont les secondes sont exemptes (…). C’est ainsi qu’entre les droits et les libertés, nous avons affaire à deux entités différentes qui relèvent respectivement de la catégorie étroitement juridique s’agissant des premiers et de la vaste sphère anthropologique s’agissant des secondes ».

343 A. VIALA, « Droits et libertés (Distinction) », op. et loc cit.: « La nature n’a offert à l’homme aucun droit car les droits ne sauraient lui être octroyés que par un décret de la volonté et n’appartenir dès lors qu’au domaine de la culture juridique, mais elle lui a conféré, comme s’accordent à le dire tous les anthropologues, une capacité d’autodétermination (…). C’est cette capacité d’autodétermination qu’on appelle “liberté” ». V. également, op. cit., p. 260 : « cette capacité d’autodétermination qu’est la liberté est elle-même, en tant qu’aptitude psychique et contrairement aux droits, le fruit déterminé de la nature (…). C’est que même dans

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79

En d’autres termes, comme l’écrit Georges BURDEAU, cette liberté est celle « sur

laquelle ne peut mordre aucune idée de droit parce qu’elle garantit la faculté pour l’homme

d’être lui-même, en face de ses seules responsabilités personnelles. Cette liberté là ne saurait

être monnayée en libertés particulières qui ont pour caractère d’appeler une réglementation de

leur exercice ; c’est un absolu. Un domaine réservé. L’homme est libre par le seul fait qu’en

dehors – au-dessus ou à côté, peu importe – de son appartenance à un groupe il est

homme »344.

Une partie importante de la doctrine estime pour cette raison que « la liberté » est une

mesure « inconditionnée »345, « non définie et non causée »346. Elle se distingue du droit

subjectif dont l’objet est précisément défini. Or, le caractère inconditionné, indéfini et non

causé de la liberté fait obstacle à tout contrôle.

b) Les libertés juridiques

82. Des libertés conditionnées. Comme on vient de le voir, la liberté à laquelle font

référence M. VIALA et Georges BURDEAU est la liberté naturelle au sens anthropologique.

Or celle-ci se distingue des libertés juridiques qui sont, pour reprendre les mots de Georges

BURDEAU, des « libertés particulières ». Elles existent et s’exercent grâce à la

reconnaissance et dans le seul cadre du Droit positif. Pour M. LEBRETON, ces libertés sont

« la transcription juridique du pouvoir d’autodétermination grâce auquel l’homme jouit d’une

“surexistence spirituelle” (Jacques Maritain) fondatrice de sa dignité »347. Ainsi en est-il des

l’hypothèse où l’homme n’a aucun droit, il disposera toujours de cette liberté de transgresser l’interdit tandis qu’il ne peut, comme être biologique causé par la nature, braver les lois qui la gouvernent ».

344 G. BURDEAU, Les libertés publiques, LGDJ, 4e éd. 1972, p. 8. 345 P. ROUBIER, « Les prérogatives juridiques », APD 1960, p. 82 : « il s’agit d’une prérogative qui ouvre à

son bénéficiaire, s’il le désire, un accès inconditionné aux situations juridiques qui se placent dans le cadre de cette liberté ». Dans le même sens, v. H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, op. cit., n° 1051 : « la liberté est acquise à l’individu en dehors de toute condition » ; v. égal. F. OST, Droit et intérêt, t. 2, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, p. 119 : « les libertés seraient en principe reconnues à chacun, leur relevé ne serait jamais exhaustif, leur contenu serait assez indéterminé (laissé à l’autodétermination du sujet), leur protection serait négative (empêcher d’y porter atteinte et, le cas échéant, réparer le préjudice subi). En revanche, les droits subjectifs supposent des titulaires clairement identifiés ; leur liste, même si elle ne se limite pas à celle que dresse le Code, peut être établie de façon presque exhaustive, leur objet tend à une plus grande détermination, leur protection est tant positive (pouvoir d’exiger) que négative ».

346 P. ROUBIER, « Les prérogatives juridiques », APD 1960, p. 84 : « tandis que le droit a un caractère positif, la liberté se produit sous des aspects infiniment variés ; par exemple la liberté de tester ou de se marier a aussi un impact négatif, elle emporte avec elle la liberté de ne pas tester ou de ne pas se marier. On ne peut donc pas dire que la liberté tend, comme le droit, vers un but défini ; elle représente une série de possibilités en tous sens ».

347 G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, Sirey Université, 8e éd., 2008, p. 492.

Page 82: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

80

libertés publiques348, et aussi de l’ensemble des libertés civiles, parmi lesquelles figure la

liberté de contracter.

Sur la base de cette distinction, il peut être soutenu que les libertés juridiques,

contrairement à la liberté en général, constituent des prérogatives « définies, c’est-à-dire

conditionnées par leur usage social, par leur utilisation dans l’ordre »349.

Ainsi, il n’y a pas de différence de nature entre le droit subjectif et la liberté juridique. La

seule différence réside dans leur mode de répartition : la liberté juridique est « attribuée de

façon égalitaire, uniforme, à tous ceux qui en bénéficient », tandis que les droits subjectifs

sont attribués de façon inégalitaire350. Cette idée a été exprimée avec beaucoup de clarté par le

Doyen CARBONNIER qui explique que « la liberté n’a pas un objet assez précis pour

constituer un droit subjectif ; c’est plutôt, comme l’a dit Josserand, une virtualité du droit »351.

Le droit subjectif a simplement pour effet de restreindre « le champ des libertés en réservant

un domaine d’où les autres sont exclus ». En dehors de cette distinction, l’opposition entre

droit et liberté juridique est inutile dès lors que « le postulat de la liberté du sujet est inhérent

à l’idée même de droit, non seulement au moment de la création, mais aussi dans l’exercice de

la prérogative »352.

On peut ainsi considérer que si les libertés juridiques constituent, en pratique, des

« possibilités en tous sens », leur existence est conditionnée par leur reconnaissance juridique.

Elles sont définies par la norme qui les édicte et causées par leur objet353. Partant, il n’existe

aucun obstacle théorique à leur contrôle.

348 A. VIALA, « Droits et libertés (Distinction) », op. cit., p. 260 : « Que les libertés soient “publiques”

constitue bien la preuve qu’elles ne peuvent s’exercer en dehors du droit positif et qu’elles ne sont pas garanties sans l’intervention et la protection de l’Etat qui veille, par sa législation et ses juridictions, à ce que personne n’abuse de sa propre liberté au point de nuire à celle d’autrui ».

349 G. BURDEAU, Les libertés publiques, LGDJ, 4e éd., 1972, p. 33. 350 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction générale, op.

cit., p. 150. 351 J. CARBONNIER cité par G. COURTIEU, « Art. 1382 à 1386 – Fasc. 131-10 : Droit à réparation. –

Abus de droit. Notion », J-Cl. Civil Code, n° 14 (M. COURTIEU ne cite pas la source dont est extrait ce passage).

352 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, op. cit., p. 150, note 117. 353 Cf. G. BURDEAU, Les libertés publiques, op. cit., p. 32-33 : « les libertés ne sont pas des absolus. Au

moment où elles sont intégrées dans l’ordre juridique positif, leur définition et leur garantie sont implicitement subordonnées aux conditions de cet ordre. En d’autres termes, elles ne sont valables que dans la mesure où leur exercice ne porte pas atteinte à cet ordre ».

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81

2) Le contrôle des libertés juridiques

83. Exercice fautif d’une liberté. En pratique, l’exercice des libertés est susceptible de

contrôle sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil354. Sur ce fondement, la

jurisprudence considère que la faute commise dans l’exercice d’une liberté juridique engage

la responsabilité de son auteur lorsqu’elle occasionne un dommage, cette faute pouvant

d’ailleurs résider dans l’usage abusif d’une liberté355. Parmi ces libertés juridiques, celle de

contracter ou ne pas contracter donne lieu à un contentieux abondant notamment à l’occasion

de la rupture des pourparlers356. Il est manifeste que les libertés juridiques ne sont pas

discrétionnaires en elles-mêmes.

Cette solution est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a affirmé,

dans une décision en date du 9 novembre 1999, que « la faculté d’agir en responsabilité met

en œuvre une exigence constitutionnelle posée par l’article 4 de la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen de 1789 dont il résulte que tout fait quelconque357 de l’homme qui

cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »358.

354 Comme l’observe Monsieur COURTIEU, « si l’appel à la notion d’abus de droit peut être discuté, il

n’empêche que l’excès préjudiciable d’une liberté constitue une faute, et, à ce titre, engage la responsabilité de l’auteur. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir recours à la notion d’abus de droit pour sanctionner une faute commise dans l’exercice d’une liberté » (G. COURTIEU, « Art. 1382 à 1386 – Fasc. 131-10 : Droit à réparation. – Abus de droit. Notion », J-Cl. Civil Code, n° 14). Dans le même sens, v. P. ANCEL, « Critères et sanctions de l’abus de droit en matière contractuelle », JCP E – Cahiers de droit de l’entreprise, n° 6, 1998, p. 32 : « la formalisation de la différence [entre droit et liberté] devient assez vaine à partir du moment où, comme nous le verrons, la doctrine et la jurisprudence ont renoncé à un critère spécifique de l’abus de droit – qu’il s’agisse du critère de l’intention de nuire ou du critère du détournement de finalité – et où l’abus de droit se fond dans la notion générale de faute ou, en matière contractuelle, du manquement à la bonne foi ».

355 Pour l’exercice fautif de la liberté de ne pas se marier en cas de rupture abusive des fiançailles, v. par ex., Req. 23 juin 1938, Gaz. Pal. 1938. 2. 586. – Civ. 2e, 2 juillet 1970, Bull. civ. II, p. 178. – Civ. 1ère, 15 mars 1988, Gaz. Pal. 1989. 374. – Paris, 1er juillet 1999, D. 2000, somm. p. 411, obs. LEMOULAND. Pour l’exercice abusif de la liberté d’expression, v. par ex. Civ. 1ère 6 oct. 2011, pourvoi n° 10-18142, Bull. civ. I, n° 159 ; Civ. 25 nov. 2010, pourvoi n° 10-10732 (inédit) ; Civ. 2eme, 5 juin 2008, pourvoi n° 07-17764 (inédit). Dans ces arrêts, l’abus de la liberté d’expression est sanctionnée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.

356 V. par ex., Com. 7 avril 1998, JCP E 1999, p. 579, comm. J. SCMIDT-SZALEWSKI, D. 1999. 514, note P. CLAUVEL (rupture brutale) ; Com., 26 novembre 2003, Bull. civ. IV, n° 186, D. 2004, p. 869, note A.-S. DUPRE-DALLEMAGNE, JCP E 2004. I. 163, obs. G. VINEY, JCP E 2004. 738, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK, RDC 2004, p. 257, obs. D. MAZEAUD, RTD civ. 2004. 80, obs. MESTRE et FAGES ; F. TErrÉ et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, op. cit., n° 142 (mauvaise foi dans la rupture) ; Com. 22 février 1994, Bull. civ. IV, n° 79, RJDA 1994, n° 765, p. 611, RTD civ., 1994. 849, obs. J. MESTRE, RJ com. 1996. 105, obs. KARINI (légèreté blâmable dans la rupture) ; Com. 11 juillet 2000 (inédit), Cont. Conc. Cons. 2000, n° 174, comm. L. LEVENEUR (confiance trompée).

357 Nous soulignons. L’adjectif « quelconque » traduit l’indifférence du Conseil constitutionnel quant à la qualité de l’acte à l’origine du dommage. Ainsi, le fait que cet acte soit l’expression d’une liberté ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité de son auteur.

358 Cons. const., 9 nov. 1999, décision n° 99-419 DC, JCP G 2000. I. 280, n° 1, obs. G. VINEY; D. 2000. 424, obs. S. GARNERI ; RTD civ. 2000. 109, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; ibid. 870, obs. Th. REVET ; JCP 2000. I. 261, obs. B. MATHIEU et V. VERPAUX ; LPA 1er déc. 1999, n° 239, p. 6 et s. note J.-E. SHOTTL.

Page 84: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

82

Le lien opéré entre le principe de responsabilité pour faute et l’article 4 de la Déclaration

de 1789 – point d’ancrage des libertés juridiques – atteste avec éclat de son absence de

discrétionnarité.

84. Conclusion. Les libertés juridiques ne sont pas des prérogatives absolues échappant à

tout contrôle. Dans un passage consacré aux limites du droit de propriété, PORTALIS avait

pris soin de distinguer la liberté de l’indépendance : « Autre chose est l’indépendance, autre

chose est la liberté. La véritable liberté ne s’acquiert que par le sacrifice de

l’indépendance »359. Cette formule est particulièrement pertinente pour notre propos car elle

illustre une nouvelle fois que la liberté n’est pas en soi une prérogative absolue, et donc

discrétionnaire. Contrairement à l’indépendance, qui par définition est détachée de tout lien

avec l’extérieur et ne rend donc aucun compte de son activité, la liberté s’insère et s’exprime

à l’intérieur d’un cadre, la société360. C’est pourquoi, explique PORTALIS, « la vraie361 liberté

consiste dans une sage composition des droits et pouvoirs individuels avec le bien commun.

Quand chacun peut faire ce qui lui plaît, il peut faire ce qui nuit à autrui, il peut faire ce qui

nuit au plus grand nombre. La licence de chaque particulier opérerait infailliblement le

malheur de tous »362. L’idée sous-jacente est celle du caractère autodestructeur de la liberté

absolue363.

La liberté n’échappe donc pas, en raison de sa nature, au contrôle du juge. Ce contrôle est

conforme à la mission du Droit qui réside dans la recherche d’un équilibre des différents

intérêts en présence. Les propos de François TERRÉ sur ce point achèveront de nous

convaincre :

« La liberté a toujours eu, aux yeux des hommes, de multiples significations. Et si l’on

devait en retenir une seule, cela pourrait être celle, élémentaire et instinctive qui s’exprime

ainsi : est libre celui qui n’a besoin de personne ni de quoi que soit… Mais cette liberté

extrême ne se découvre que dans la solitude (…). Ce n’est pas cette liberté ainsi purifiée qui

359 PORTALIS, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 11, par P.-A. Fenet, p. 117. 360 Dans le même sens, Georges Burdeau soutenait que « la liberté est ordonnée à l’ordre social, ce qui

signifie qu’elle existe pour s’exercer dans un ensemble. Par elle, l’individu ne se retranche pas du groupe, il y vit, il participe à l’accomplissement des fins sociales. C’est cette solidarité qui marque la frontière entre la liberté et l’anarchie » (G. BURDEAU, Les libertés publiques, op. cit., p. 30).

361 Nous soulignons. Cette liberté véritable dont parle Portalis rejoint notre propos sur la liberté légitime. 362 PORTALIS, op. cit., p. 117. 363 Dans ce sens, v. W. SABETE, V° Limitation aux droits, Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, 13e

éd., p. 520 : « Si l’idée de la liberté était absolue, et s’il n’existait aucune limite à l’exercice de la liberté, celle-ci risquerait de s’autodétruire » ; BOSSUET, Politique tirée de l’Écriture sainte, L.1, art. III, prop. 4 : « Où tout le monde peut faire ce qu’il veut, nul ne fait ce qu’il veut ; où il n’y a pas de maître, tout le monde est maître ; où tout le monde est maître, tout le monde est esclave ».

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intéresse notre monde toujours plus peuplé et où le “prochain” se fait chaque jour plus proche.

Mais c’est une liberté relative364, s’exprimant par rapport aux autres hommes et au sein d’une

société, à laquelle s’attache le droit, cette sorte de lien entre les solitudes. Sa mission

primordiale est d’équilibrer les antagonismes en préservant la sphère de chacun »365.

§ - II. LA DISCRÉTIONNARITÉ DES DROITS OPTIONNELS

85. Le lien entre option et discrétionnarité. Si l’idée de liberté a pu être avancée par

une partie de la doctrine pour fonder la discrétionnarité, d’autres auteurs se réfèrent plutôt à la

catégorie des droits d’option, l’option désignant la faculté de choisir entre deux objets366. Dans

cette perspective, les droits d’option seraient des droits discrétionnaires.

Plus précisément, le droit d’option échapperait à tout contrôle puisque l’option est une

faculté de choix reconnue au titulaire de la prérogative. L’inverse ferait perdre tout intérêt à la

reconnaissance d’un droit d’option367. C’est ainsi que M. BERNARDEAU considère, à propos

du droit de rétractation du consommateur, droit potestatif368, que sa mise en œuvre ne saurait

être limitée sous peine de le priver d’utilité et de porter atteinte au « caractère impératif des

dispositions qui l’envisagent »369.

86. Plan. L’argument selon lequel la nature optionnelle d’un droit justifierait sa

discrétionnarité ne saurait convaincre. Après avoir identifié les droits d’option (A), nous

verrons en effet qu’ils sont susceptibles de contrôle (B).

364 Nous soulignons. 365 F. TERRÉ, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux », in Droits et libertés fondamentaux, dir. R.

CABRILLAC; Th. REVET et M.-A. FRISON-ROCHE, Dalloz, 18e éd., p. 3, n° 2. 366 V. notamment Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action 2012-2013,

n° 6871 : « Au demeurant, la plupart des hypothèses avancées de droits discrétionnaires se justifient soit par l’absence de droit au sens propre du mot (ainsi à propos de la possibilité de mettre fin à une tolérance, c’est-à-dire de faire cesser une faute), soit par l’existence d’une faculté de choix (par exemple, C. civ. Art. 661, 673, 1644) ».

367 I. NAJAAR, Le droit d’option, contribution à l’étude du droit potestatif et de l’acte unilatéral, thèse, préf. P. RAYNAUD, LGDJ, 1967 ; L. BERNARDEAU, « Le droit de rétractation du consommateur : un pas vers une doctrine d’ensemble. – A propos de l’arrêt CJCE, 22 avril 2009, Travel Vac., aff. C_423/97 », JCP G 2000. I. 218.

368 L’auteur qualifie ce droit de « condition résolutoire purement potestative » (L. BERNARDEAU, art. préc., n° 4).

369 Cf. L. BERNARDEAU, art. préc., spéc. n° 23.

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A – IDENTIFICATION DES DROITS D’OPTION

87. Plan. Les droits d’option peuvent être de deux types : potestatifs (1) ou non

potestatifs (2).

1) Les droits d’option potestatifs

88. Définition. Les droits potestatifs sont « des pouvoirs par lesquels leur titulaires

peuvent influer sur les situations juridiques préexistantes en les modifiant, les éteignant ou en

en créant de nouvelles au moyen d’une activité propre unilatérale »370. Le titulaire d’un droit

potestatif impose l’exercice de ce droit à une autre personne qui se trouve dans « une position

de sujétion »371. Leur titulaire a donc le pouvoir de choisir unilatéralement l’orientation d’une

situation juridique.

89. Illustrations. Les droits potestatifs peuvent être d’origine légale ou conventionnelle.

On les rencontre dans différentes branches du droit privé et notamment en droit des

successions (option successorale et testamentaire), en droit des biens (droit d’acquérir la

mitoyenneté d’un mur), en droit de la procédure civile (droit d’action en justice)372 ou encore

en droit des contrats.

En matière contractuelle, les droits potestatifs se manifestent au stade de la formation du

contrat (ex. : faculté de dédit ou de renonciation, faculté d’agrément), comme à celui de son

exécution (ex. : faculté de choisir entre les différentes modalités d’exécution d’une obligation,

faculté de modifier l’objet du contrat373, clause de fixation unilatérale du prix, faculté de

l’employeur de mettre en œuvre une clause de non-concurrence ou une clause de mobilité374),

ou encore à celui de sa dissolution (ex. faculté de dénonciation unilatérale, de résiliation

unilatérale, clause de non-renouvellement lorsque la tacite reconduction est prévue).

370 I. NAJJAR, thèse préc., n° 99. La potestativité se manifeste également par le biais de conditions

potestatives. En vertu de l’article 1170 du Code civil, « La condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher ». L’article 1174 du même Code précise que cette condition n’est valable que lorsqu’elle émane du créancier.

371 I. NAJJAR, thèse préc., p. 103. 372 Sur ce point, v. I. NAJJAR, thèse préc., n°123 et s. 373 J. ROCHFELD, « Les droits potestatifs accordés par le contrat », in Etudes offertes à Jacques Ghestin: Le

contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, n° 8. 374 J. ROCHFELD, art. préc., op. cit., p. 753.

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85

On peut également mentionner la faculté du bénéficiaire d’une promesse unilatérale de

lever ou non l’option ainsi que la faculté de rachat prévue par l’article 1659 du Code civil.

Le droit de rétractation du consommateur, qui constitue une forme particulière de dédit,

se range dans la même catégorie.

2) Les droits d’option non potestatifs

90. Définition. Par droit d’option non potestatif, on entend ici des facultés de choisir

entre deux situations purement factuelles. Dans la mesure où un choix est ouvert, il y a bien

droit d’option. Cependant, dès lors qu’il s’agit de choisir entre deux situations purement

factuelles, ces droits d’option ne rentrent pas dans la catégorie des droits potestatifs définis

comme un pouvoir unilatéral d’influer sur une situation juridique préexistante. Pour illustrer

ce propos théorique, prenons l’exemple du droit de couper les racines, ronces ou brindilles,

dépassant la limite de la ligne séparative de propriétés. Ce droit n’influe sur aucune « situation

juridique préexistantes par voie de modification, d’extinction ou de création d’une situation

juridique nouvelle ». Pourtant, il confère bien une option à son titulaire.

B – LE CONTRÔLE DES DROITS D’OPTION

91. La jurisprudence favorable au contrôle. Contrairement à l’assertion selon laquelle

les droits d’option seraient discrétionnaires, l’examen de la jurisprudence fait ressortir que

leur exercice peut être soumis au contrôle du juge et sanctionné en cas d’abus.

La Cour de cassation en a jugé ainsi :

- pour l’exercice du dédit375 ;

- celui du droit de repentir376 ;

- celui d’une clause d’essai par l’employeur377 ;

- celui d’une faculté d’agrément378 ;

- celui d’une clause de non-concurrence ou d’une clause de mobilité dans un contrat de

travail379 ;

- celui d’une clause résolutoire380.

375 Civ. 3e, 11 mai 1976, D. 1978, p. 269, note J.-J. TAISNE; Defrénois, 1977, p. 456, obs. J.-L. AUBERT. 376 Civ. 3e, 10 mars 2010, Bull. civ. 2010, III, n° 60. 377 Soc., 6 déc. 1995, Bull. civ. V, n° 330. 378 Civ. 3e, 2 février 2005, Bull. civ. III, n° 24. 379 Soc., 12 avr. 1995, D. soc., 1995, n° 7/8, obs. J. SAVATIER (clause de non-concurrence); Soc., 19 mai

1999, Bull. civ. V, n° 219 (clause de mobilité).

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92. Les raisons du contrôle. L’existence de ce contrôle se justifie par la nature même de

ces droits, qui permettent à leurs titulaires d’imposer, de façon unilatérale, le résultat d’un

choix à autrui.

En d’autres termes, comme le relève Mme FENOUILLET, si, à travers cet unilatéralisme

du pouvoir de choisir, les droits potestatifs contractuels « favorisent la liberté du titulaire du

droit et la souplesse de la situation contractuelle », il conduisent inversement à rendre la

situation de l’assujetti « précaire et aléatoire»381.

Mme ROCHFELD a précisément identifié les dangers que représentent les droits

potestatifs contractuels. « En premier lieu, l’exercice de ces prérogatives arbitraires peut nuire

au débiteur s’il est mené de façon abusive : à contretemps ou de mauvaise foi »382. « En

second lieu, une partie peut, au moyen des droits potestatifs qu’elle tient du contrat, nuire à

son cocontractant, non plus parce qu’elle exerce abusivement ces droits, mais en ce qu’elle le

laisse dans l’incertitude quant au moment où elle décidera de les exercer, voire quant à la

durée de leur exercice, ou quant à sa volonté même de les exercer »383.

Le contrôle du juge est donc conçu comme un rempart contre les risques de dérives

arbitraires que renferment, par essence, les droits potestatifs.

On relèvera d’ailleurs que l’affirmation selon laquelle un droit est discrétionnaire parce

qu’il s’agit d’un droit d’option confine à la tautologie. En effet un droit discrétionnaire est

nécessairement un droit d’option, puisque la discrétionnarité n’a pas lieu d’être lorsque le

titulaire du droit se voit imposer son usage ou sa direction. Aussi, parler de la nature

optionnelle d’un droit discrétionnaire est de l’ordre de la description, non de la démonstration.

93. Extension du contrôle. A partir du moment où la nature optionnelle d’un droit ne

peut pas fonder sa discrétionnarité, il en résulte que le contrôle du juge pourrait être étendu

dans deux directions.

380 Civ. 3e, 10 nov. 2010, n° 09-15937, Bull. civ. III, n° 199. 381 D. FENOUILLET, « La notion de prérogative : instrument de défense contre le solidarisme ou technique

d’appréhension de l’unilatéralisme ? », RDC avr. 2011, « Les prérogatives contractuelles (Actes du colloque du 30 nov. 2010) », p. 670, n° 32. Pour une étude détaillée sur ce point, v. S. VALORY, La potestativité dans les relations contractuelles, avant-propos I. NAJJAR, préf. J. MESTRE., PUAM, 1999, n° 322 et s. V. également J. RAYNARD, « Le domaine des prérogatives contractuelles : variétés et développement », RDC avr. 2011, III, « Les prérogatives contractuelles (Actes du colloques du 30 nov. 2010)», p. 695 et s., spéc. n° 21 à 38.

382 J. ROCHFELD, « Les droits potestatifs accordés par le contrat », op. cit., n° 11, p. 757. Dans le même sens, v. M.-A. FRISON-ROCHE, « Unilatéralité et consentement », in L’unilatéralisme et le droit des obligations, dir. Ch. JAMIN et D. MAZEAUD, Economica, 1999, p. 30 : « l’autre hypothèse d’une unilatéralité inacceptable (aux côtés de celle grevant l’engagement du débiteur) et que le droit n’admettra pas malgré l’acceptation des parties dans ce sens, c’est celle de l’unilatéralité abusivement exploitée ».

383 J. ROCHFELD, « Les droits potestatifs accordés par le contrat », op. cit., n° 12, p. 758.

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87

Premièrement, il devrait s’appliquer à tous les droits potestatifs, par exemple, au droit de

rétractation du consommateur384, au droit de l’acheteur victime de vices cachés de choisir sur

le fondement de l’article 1644 du Code civil entre les actions rédhibitoires et estimatoires385,

au droit de l’assureur de refuser l’agrément de son successeur386, au droit de l’assuré de

renoncer au contrat d’assurance antérieurement au délai fixé par la loi (et postérieurement à ce

délai lorsque les formalités d’information n’ont pas été accomplies), à la faculté du

bénéficiaire d’une promesse unilatérale de lever ou non l’option et à la faculté de rachat du

vendeur prévue par l’article 1659 du Code civil.

En second lieu, comme le préconise une partie de la doctrine, il conviendrait de limiter

l’exercice des droits potestatifs contractuels par la prise en considération de l’intérêt

d’autrui387. Mme ROCHFELD suggère ainsi de « contrebalancer la faculté accordée à l’un par

l’imposition d’une contrepartie pécuniaire au bénéfice de l’autre partie ou par une

bilatéralisation, c’est-à-dire par la reconnaissance de la même faculté aux deux parties »388.

Mme FENOUILLET suggère pour sa part d’instaurer un « contrôle des motifs, qui permet la

sanction du détournement de prérogative », et un contrôle objectif des « effets de la décision,

subordonnée à un double principe de nécessité et de proportionnalité »389. Plus généralement,

384 V. en ce sens S. VALORY, thèse préc., n° 948, p. 522-523 ; R. BAILLOD, « Le droit de repentir », RTD

civ. 1984. 277, n° 28. Pour ces deux auteurs, l’exercice de son droit de rétractation par le consommateur est susceptible d’abus. Ainsi en irait-il s’il était détourné de sa finalité (intention de nuire ou découverte de conditions plus avantageuses chez un concurrent).

385 Cet article a son pendant à l’article L 211-9 du Code de la consommation. Ce dernier prévoit que, « en cas de défaut de conformité, l'acheteur choisit entre la réparation et le remplacement du bien. Toutefois, le vendeur peut ne pas procéder selon le choix de l'acheteur si ce choix entraîne un coût manifestement disproportionné au regard de l'autre modalité, compte tenu de la valeur du bien ou de l'importance du défaut. Il est alors tenu de procéder, sauf impossibilité, selon la modalité non choisie par l'acheteur ». L’article 1644 du Code civil ne doit-il pas être interprété à la lumière de l’article L. 211-9 du Code de la consommation ? En d’autres termes, si le Code de la consommation, dont l’esprit est davantage protecteur que celui des règles de droit commun, prévoit que le droit du consommateur de choisir entre deux sanctions n’est pas discrétionnaire, ne doit-on pas considérer que ce même droit, reconnu à l’acheteur non consommateur, est, a fortiori, un droit contrôlé ? A l’appui de cette idée, soulignons que la Chambre commerciale a considéré que les juges du fond peuvent, lorsqu’ils sont saisis à titre principal d’une action rédhibitoire et à titre subsidiaire d’une action estimatoire, opter pour l’action estimatoire dès lors que la gravité du vice n’est pas de nature à justifier la résolution de la vente (Com. 6 mars 1990, Bull. civ. IV, n° 75). C’est bien la preuve que le juge peut contrôler et évaluer la légitimité du choix de l’acheteur. V. toutefois Civ. 3e, 20 oct. 2010, Bull. civ. III n° 191 et Civ. 1ère, 5 mai 1982, Bull. civ. I, n° 163.

386 Notons en outre que ce droit est intellectuellement proche de celui du maître de l’ouvrage de refuser l’agrément d’un sous-traitant. Or, on l’a vu, ce dernier est limité par un éventuel abus (Civ. 3e, 10 fév. 2009, pourvoi n° 08-11818). La Cour de cassation pourrait parfaitement adopter une solution identique à propos de l’assureur.

387 Contra, I. NAJJAR, « La potestativité », RTD civ. 2012. 601 et s., spéc. p. 620-621. L’auteur affirme que le droit potestatif, désignant le pouvoir créateur reconnu par la loi ou le contrat à la volonté unilatérale, a pour raison d’être la liberté de décision qui, par définition est nécessairement absolue, discrétionnaire.

388 J. ROCHFELD, « Les droits potestatifs accordés par le contrat », op. cit., n° 20. Dans le même sens, v. Ph. JESTAZ, « Rapport de synthèse », in L’unilatéralisme…, op. cit., p. 95.

389 D. FENOUILLET, art. préc., n° 39.

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88

la reconnaissance d’un devoir de loyauté contractuelle pourrait guider les magistrats dans la

mission de contrôle de la légitimité des droits potestatifs contractuels390.

Si la discrétionnarité ne peut ainsi s’expliquer par la nature d’une prérogative, c’est-à-dire

par son appartenance à la catégorie des droits d’option ou des libertés, il faut encore

déterminer si elle peut l’être par la protection du titulaire du droit.

SOUS-SECTION II – LA PROTECTION DU TITULAIRE DU DROIT

94. Plan. La discrétionnarité est souvent justifiée par la protection du titulaire du droit.

Elle l’est à différents titres. Parfois, il s’agit d’assurer la défense du droit concerné (§ I),

parfois de préserver une liberté inaliénable et essentielle de la personne (§ II), parfois enfin

son intimité (§ III).

§ - I. LA DÉFENSE DU DROIT

95. Identification de l’argument. Il convient ici de se référer à la jurisprudence

constante selon laquelle le droit de s’opposer à un empiètement revêt un caractère absolu391.

Cette solution a pour fondement l’article 545 du Code civil en vertu duquel « nul ne peut être

contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une

juste et préalable indemnité ». En cas d’empiètement sur son terrain, le propriétaire est donc

fondé à demander la démolition de la construction litigieuse, sans qu’importe la mesure de

l’empiètement.

Selon une partie de la doctrine, l’admission de l’abus de droit à l’occasion d’un

empiètement aurait pour inconvénient d’investir cette notion d’une nouvelle fonction : elle ne

servirait plus seulement à sanctionner le propriétaire qui utilise son fonds pour nuire à autrui

390 En ce sens., v. F. CHENEDE, « Les conditions d’exercice des prérogatives contractuelles », RDC avr.

2011, « Les prérogatives contractuelles (Actes du colloque du 30 nov. 2010) », n° 23. 391 V. notamment Civ. 5 décembre 1912, S. 1913, 1, 198 ; Civ. 1ère, 10 juillet 1962, D. 1963, somm. 38, RTD

civ. 1963, 121, obs. BREDIN ; 8 novembre 1961, D. 1962, somm. 86, Gaz. Pal. 1962. 1. 203 ; Civ. 3e, 11 juillet 1969, JCP 1971. II. 16658, note PLANCQUEEL ; 5 mars 1970, Bull. civ. III, n° 176, p. 131 ; 10 nov. 1992, Bull. civ. III, n° 292, D. 1993, somm. comm. 305, obs. A. ROBERT, Defrénois 1993, 349, obs. DEFRENOIS-SOULEAU, RTD civ. 1993, 850, obs. F. ZENATI ; 18 février et 4 juin 1998, JCP 1999. I. 120, n° 1, obs. H. PERINET-MARQUET ; 16 décembre 1998, Bull. civ. III, n°252, RTD civ. 1998. 638, obs. F. ZENATI ; 23 mars 1999, JCP 2000. I. 211, n° 4 ; même en cas d’empiètement minime (ici 0,5 cm) : Civ. 3e, 20 mars 2002, Bull. civ. III, n° 71 ; JCP 2002. I. 176, obs. H. PERINET-MARQUET, D. 2002, p. 2075, note Ch. CARON ; 10 novembre 2009, Bull. civ. III, n° 248, Revue de droit immobilier 2010, obs. J.-L. BERGEL, p. 204.

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89

mais aussi à sanctionner celui qui défend sa propriété392. Or il pourrait en résulter une grave

insécurité juridique : « Certains pourraient juger, par exemple, que le propriétaire

institutionnel se rebellant contre le squat d’un appartement vide fait montre d’une attitude

abusive. Des situations caricaturales pourraient justifier un tel raisonnement en équité. Mais le

risque est toujours, en l’espèce, de passer d’une situation caricaturale à une situation moins

évidente et de finir avec un principe totalement affadi »393.

A suivre ce raisonnement, seul l’exercice – par opposition à la défense – d’un droit

pourrait être abusif. Le droit de refuser un empiètement sur son terrain serait discrétionnaire

car il aurait pour fonction de défendre un droit (ici le droit de propriété) et non de l’exercer.

96. Critique de l’argument. Cet argument a été contesté par M. CARON. Selon lui, « la

défense d’un droit est une manière de l’exercer »394. On peut en effet considérer que la défense

du droit de propriété par le biais du refus d’un empiètement sur sa propriété est une manière

d’exercer ce droit de propriété. Le propriétaire se sert de son droit de propriété – l’exerce –

pour faire obstacle à une atteinte. M. CARON, partageant en cela la position du doyen

CORNU, estime sur cette base qu’il serait souhaitable de sanctionner l’exercice abusif du

droit de s’opposer à un empiètement. Il propose de retenir une conception restrictive de l’abus

en retenant l’intention de nuire comme unique critère. Plusieurs indices seraient susceptibles

de caractériser cette intention, parmi lesquels la faiblesse de l’empiètement, le silence fautif

du propriétaire, les relations de voisinage...395. Le doyen CORNU retient une conception plus

large de l’abus qui engloberait, outre l’intention malveillante, l’exercice asocial du droit396.

392 Cf. not. H. PERINET-MARQUET, obs. sous Civ. 3e, 20 mars 2002, JCP G 2002. I. 176. L’auteur justifie

également le caractère discrétionnaire de ce droit par des considérations pratiques, à savoir le risque d’insécurité juridique qu’entraînerait la détermination d’un critère de l’abus de ce droit. Des juges pourraient retenir la mesure de l’empiètement, tandis que d’autres s’attacheraient à déterminer la bonne ou mauvaise foi de son auteur.

393 H. PERINET-MARQUET, obs. sous Civ. 3e, 20 mars 2002, JCP G 2002. I. 176. Cette position est partagée par M.-Ch. LEBRETON, « Empiément et abus de droit » D. 2000, p. 472 et s.

394 Ch. CARON, note sous Civ. 3e, 20 mars 2002, D. 2002, p. 2075.

395 C. CARON, note préc. 396 G. CORNU, Droit civil, Les biens, op. cit., n° 86 : « lorsque l’empiètement est minime et la bonne foi de

son auteur entière, le propriétaire de la bande de terrain recouverte abuse de son droit s’il exige de son voisin une destruction préjudiciable dans un intérêt personnel dérisoire qui fait soupçonner une intention purement malveillante et l’exercice antisocial de son droit ou, plus spécifiquement, la méconnaissance abusive des contraintes et tolérances naturelles que la communauté de voisinage a toujours fait naître ». La condamnation, par le doyen CORNU, de la discrétionnarité des droits dépasse le cas de l’empiétement. Pour lui, tous les droits sont susceptibles d’abus. V. sur ce point, G. CORNU, « Réflexion sur une hypothétique révision du titre préliminaire du Code civil », 1804-2004: Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 1039 : proposition de rédaction de l’article 8 du Nouveau Titre préliminaire : « Les droits sont susceptibles d’abus. L’exercice d’un droit est abusif lorsque, contre toute raison, il inflige à des intérêts légitimes un sacrifice manifestement disproportionné avec la satisfaction qu’en retire son titulaire ».

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90

Cette position nous semble préférable. En effet, elle harmoniserait le contrôle des différents

modes d’exercice du droit de propriété, dont la défense ne constitue qu’une modalité397.

On peut citer, à l’appui de cette idée, un arrêt de la troisième Chambre civile en date du

15 février 2012398. Dans cet arrêt, une propriétaire refusait qu’un échafaudage soit posé sur sa

propriété pour permettre la réfection de la toiture de ses voisins. Elle entendait ainsi défendre

son droit de propriété. Or, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir retenu

l’existence d’un abus de droit. Cet abus ne résultait pas de l’intention de nuire de la

propriétaire mais d’une défense disproportionnée de son droit au regard de la nécessité

d’exécuter les travaux et de l’absence de solutions économiquement équivalentes.

§ – II. LA PROTECTION D’UNE LIBERTÉ ESSENTIELLE ET

INALIÉNABLE

97. La liberté testamentaire. La nécessité de protéger une liberté essentielle et

inaliénable est invoquée au sujet de la liberté testamentaire399. Le droit de révoquer un

testament serait ainsi discrétionnaire.

Cette présentation ne nous semble pas pertinente. D’une part, aucun texte ne qualifie

expressément la liberté de tester de liberté essentielle et inaliénable. D’autre part, à supposer

que cette qualification soit justifiée par un rattachement implicite à une liberté reconnue

comme telle par la loi – le droit de propriété ? – rien ne permet de considérer qu’une liberté

essentielle et inaliénable soit discrétionnaire.

Au contraire, les libertés essentielles et inaliénables de la personne, comme toutes

libertés, sont susceptibles d’abus. Ainsi en est-il du droit de propriété400, de la liberté de

communiquer ses pensées et opinions401 et de la liberté religieuse402 qui appartiennent, en vertu

du préambule de la Déclaration de 1789, à la catégorie des droits « inaliénables ».

397 En ce sens, v. Ch. CARON, note préc. : « Comment admettre que ce merveilleux principe [l’abus de

droit] puisse ainsi comporter des exceptions mal définies ? En effet, les droits discrétionnaires évoluent au gré de la jurisprudence et une simple décision des juges du fond peut leur enlever cette qualification. En outre, il est étonnant qu’un seul et même droit, tel que le droit de propriété, puisse être, sans autre justification, soumis à la théorie de l’abus de droit lorsqu’il s’agit de l’exercer et qualifié de droit discrétionnaire lorsqu’il convient de le défendre face à l’empiètement ».

398 Civ. 3e, 15 fév. 2012, Bull. civ. III n° 32, RDI 2012. 272, note J.-L. BERGEL ; D. 2012. 1308, note N. THOMASSIN et 2128, obs. B. MALLET-BRICOUT ; JCP G 2012. 465, note H. PERINET-MARQUET.

399 M. GRIMALDI, obs. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, RTD civ. 2005. 444. 400 Jurisprudence constante depuis le célèbre arrêt Clément-Bayard, Req., 3 août 1915, préc. 401 Civ. 1ère, 7 févr. 2006, n° 04-10.941, Bull. civ. I, n° 59 ; JCP G 2006. II. 10041, note G. LOISEAU ; Gaz.

Pal. 2006, 1912, avis J. SAINTE-ROSE : « Les abus de la liberté d'expression qui portent atteinte à la vie privée peuvent être réparés sur le fondement de l'article 9 du Code civil » ; Civ. 10 janv. 1990, pourvoi n° 88-14235,

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91

§ – III. LA PROTECTION DE L’INTIMITÉ DE LA PERSONNE

98. Identification de l’argument. Selon une partie de la doctrine, la discrétionnarité de

certains droits pourrait s’expliquer par les motivations présidant à leur exercice. Ces

motivations relèveraient d’une « appréciation purement personnelle de leur titulaire, de son

for intérieur et de sa liberté individuelle, voire de la logique même de la prérogative

considérée. »403. En d’autres termes, c’est le caractère individuel, personnel, intime et subjectif

de la prérogative qui ferait obstacle au contrôle du juge. Un tel contrôle serait par ailleurs

illégitime car il aurait pour effet de « substituer la subjectivité du juge à celle du titulaire du

droit »404 et donc de priver la prérogative d’efficacité et d’intérêt. La discrétionnarité serait

ainsi un moyen d’assurer l’effectivité du droit.

Cet argument sert de justification à la discrétionnarité du droit moral de l’auteur405, des

actions dont l’exercice implique une appréciation purement personnelle, telle l’action en

divorce ou pour atteinte à la vie privée, du droit d’accepter ou de renoncer à une succession,

de la faculté du donataire de renoncer à la donation prévue par l’article 1084 du Code civil ou

encore du droit pour la femme de recourir à une IVG.

En l’absence de tout autre explication doctrinale sur ce point, on peut également songer à

classer dans cette catégorie le droit des parents d’accepter ou non l’émancipation de leur

enfant mineur. En effet, ce droit relève de l’intimité de la vie familiale.

99. Rejet de l’argument : raison générale. D’une manière générale, on ne saurait

pourtant justifier la discrétionnarité d’une prérogative en se bornant à souligner que son

exercice reposerait sur une motivation relevant d’une appréciation purement personnelle de

Bull. civ. I, n° 11 : l’exercice de la liberté d’expression peut être limitée lorsqu’il cause un trouble manifestement illicite.

402 Civ. 3e, 8 juin 2006, pourvoi n° 05-14774, Bull. civ. III, n° 140 : « la liberté religieuse pour fondamentale qu'elle soit, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d'un règlement de copropriété »

403 F. POLLAUD-DULLIAND, « Abus et droit moral », D. 1993, chron., p. 98. V. égal. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., n° 100, p. 174 : « Pour apprécier l’abus, il faut que le juge puisse juger la valeur des sentiments qui font agir une personne. Or, il est des motifs qui sont tellement personnels qu’aucune appréciation n’est possible » ; Ph. BRUN, Responsabilité extracontractuelle, op. cit., n° 330.

404 F. POLLAUD-DULLIAND, D. 1993, chron. préc., p. 98. 405 F. POLLAUD-DULLIAND, qui estime que le droit moral touche « à l’essence de l’œuvre et à la personne

même de l’auteur » (Droit d’auteur, Economica, 2005, n° 592). Ainsi, dès lors, que l’auteur invoque, à l’appui de l’exercice de son droit moral, outre des motifs d’ordre pécuniaire, « des raisons d’ordre artistique ou intellectuelle, il n’est pas légitime que le juge en apprécie la valeur ou la force » (op. cit., n° 598). En effet, « il s’agit là d’une sphère fondamentalement intime et personnelle, dans laquelle le juge ne peut s’immiscer », sans « substituer sa propre subjectivité à celle de l’auteur pour apprécier cet exercice d’une prérogative si liée à la personnalité de l’individu (op. cit., n° 597).

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l’intéressé, c’est-à-dire de son for intérieur. En effet, il convient de distinguer le for intérieur

d’une personne de son extériorisation. Tant que le for intérieur n’est pas extériorisé, le droit

ne peut pas l’appréhender. Lorsqu’en revanche il est extériorisé, sa manifestation le rend

saisissable et donc contrôlable.

C’est ce qui explique que la liberté de conscience et la liberté religieuse soient

inattaquables lorsqu’elles ne sont pas extériorisées, c’est-à-dire lorsqu’elles se développent

exclusivement dans le for intérieur de l’individu. Corrélativement, ces libertés deviennent

contrôlables lorsqu’elles sont publiquement exprimées. Elles quittent alors le domaine de

l’intime pour celui du droit. Cette distinction ressort clairement de l’article 10 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en vertu duquel « nul ne peut être inquiété

pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre

public »406.

En d’autres termes, le contrôle possible des droits et des libertés, y compris ceux dont

l’exercice est éminemment subjectif, s’explique par leur dimension sociale. En réalité, dès

qu’une prérogative est susceptible d’avoir un impact sur la situation d’autrui, cette dernière

doit pouvoir être limitée ou contrôlée407. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’exercice des

droits de la personnalité, dont la dimension subjective est indiscutable, est régulièrement

contrôlé par le juge408.

Outre cette objection de caractère général, on peut faire valoir des arguments spécifiques

à l’encontre de la discrétionnarité des droits prétendument fondée sur la protection de

l’intimité de la personne. On fera abstraction du droit moral de l’auteur et du droit au respect

406 L’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme s’inscrit dans la même

logique. 407 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction générale, op.

cit., p. 147 : « Les droits n’ont de signification que par rapport à autrui » ; P.-Y. GAUTIER, Propriétaire littéraire et artistique, op. cit, n° 200: « Il n’y a pas de « for intérieur » qui ne doive être scruté, dès lors que l’exercice du droit a vocation à modifier la situation des autres sujets ».

408 V. par ex. sur l’abus du droit au respect de la vie privée, Civ. 1ère, 19 mars 1991, D. 1991, p. 568, note D. VELARDOCCHIO ; RTD civ. 1991, p. 499, note J. HAUSER et p. 101, obs. J. MESTRE : « Si toute personne est en droit de refuser de faire connaître le lieu de son domicile ou de sa résidence, il en va autrement lorsque cette dissimulation lui est dictée par le seul dessein illégitime de se dérober à l'exécution de ses obligations et de faire échec aux droits de ses créanciers ». V. également sur l’abus du droit à l’image, Civ. 2e, 10 mars 2004, n° 02-16354, Bull. civ., II, n° 118 ; Dr. et patrimoine juin 2004, p. 96, obs. G. LOISEAU : « Mais attendu que l'arrêt retient que M. X... avait donné son accord à la réalisation du reportage et n'avait émis aucune protestation au cours du tournage et que le retrait de son consentement, sans justification réelle d'un manquement à la finalité visée dans l'autorisation qu'il avait donnée, n'était pas légitime ; que de ces constatations, la cour d'appel a déduit à bon droit que M. X... ne pouvait faire obstacle à la programmation prévue par la société TF1, justifiée par le droit du public à l'information, qui ne constituait pas une atteinte au droit au respect de l'image dont M. X... aurait été fondé à demander réparation ». V. enfin C. CARON, « Brèves observations sur l’abus des droits de la personnalité », Gaz. Pal. 18 et 19 mai 2007, p. 47 et s.

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93

de la vie privée, dont la discrétionnarité n’est en effet pas retenue par la jurisprudence409, pour

envisager successivement l’action en divorce (A), le droit de renoncer à une succession ou à

la donation prévue par l’article 1084 du Code civil (B), le droit de la femme de recourir à une

IVG (C) et enfin le droit des parents de demander l’émancipation de leur enfant (D).

A – L’ACTION EN DIVORCE

100. Caractère non discrétionnaire. Selon M. GRIDEL, dont l’opinion est d’ailleurs

isolée, la décision de divorcer et celle d’introduire une action en réparation d’une atteinte à la

vie privée sont discrétionnaires car nul ne peut imposer à autrui de choisir de mettre un terme

à son mariage ou de protester contre une atteinte à sa vie privée. Ce raisonnement pourrait

trouver un appui dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que le droit

d’agir en réparation d’une atteinte à la vie privée appartient seulement au titulaire de ce droit

et s’éteint à son décès410. Il se pourrait qu’elle en décide de même pour le divorce.

Cette approche n’est cependant pas convaincante. Comme on l’a souligné, le droit ne

peut se saisir, pour les contrôler, de décisions qui n’ont pas été prises et qui relèvent donc du

seul for intérieur de l’intéressé. En d’autres termes, la qualification de droit discrétionnaire est

alors superfétatoire.

A titre de contre-épreuve, on notera que, dès lors qu’un individu prend la décision de

divorcer, son choix est contrôlé par le juge. Ce dernier va en effet vérifier que les conditions

prévues pour chaque cas de divorce sont remplies.

Ainsi, dans le cadre du divorce par consentement mutuel, l’article 232 alinéa 2 du Code

civil reconnaît au juge le pouvoir de « refuser l’homologation de la convention et de ne pas

prononcer le divorce s’il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des

enfants ou de l’un des époux ».

Dans le cadre du divorce accepté, l’article 234 du Code civil reconnaît au juge le pouvoir

de prononcer le divorce « s’il a acquis la conviction que chacun des époux a donné librement

son accord ». A contrario, lorsque le juge a un doute, il peut refuser de prononcer le divorce.

Dans le même sens, l’article 238 du Code civil conditionne le prononcé du divorce pour

altération définitive du lien conjugal à l’existence d’une cessation de la vie commune depuis

deux ans.

409 V. supra n° 56 pour le droit moral ;v. ci-dessus pour le droit au respect de la vie privée. 410 V. par ex. Civ. 1ère, 14 déc. 1999, Bull. civ. I, n° 345 ; D. 2000, 372, note BEIGNIER ; JCP 2000. II.

10241, concl. PETIT; RTD civ 2000. 291, note J. HAUSER.

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94

Ainsi encore, l’article 242 du Code civil prévoit que le divorce pour faute ne peut être

obtenu que sous réserve d’établir la preuve d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et

obligations du mariage.

Toujours dans le même sens, l’article 249-4 du Code civil prévoit que lorsque l’un des

époux se trouve placé sous tutelle ou curatelle, aucune demande en divorce par consentement

mutuel ou pour acceptation du principe de la rupture du mariage ne peut être présentée.

L’époux demandeur ne pourra obtenir le divorce que sous réserve d’établir une faute ou après

une cessation de la communauté de vie depuis deux ans.

On relèvera enfin que l’article 266 du Code civil prévoit que « des dommages et intérêts

peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d’une particulière gravité

qu’il subit du fait de la dissolution du mariage, soit qu’il était défendeur à un divorce

prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu’il n’avait lui-même formé aucune

demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint ».

La décision de divorcer peut donc donner lieu à réparation411.

B – LE DROIT DE RENONCER À UNE SUCCESSION OU À LA DONATION

PRÉVUE PAR L’ARTICLE 1084 DU CODE CIVIL

101. Caractère non discrétionnaire. Le droit de renoncer à une succession est-il

discrétionnaire ? Il est permis d’en douter au regard de l’article 779 du Code civil. Celui-ci

énonce : « Les créanciers personnels de celui qui s’abstient d’accepter une succession ou qui

renonce à une succession au préjudice de leurs droits peuvent être autorisés en justice à

accepter la succession du chef de leur débiteur, en son lieu et place ». On voit donc que

l’exercice de ce droit peut être attaqué par la voie paulienne. Il en résulte qu’il peut donner

lieu à un contrôle judiciaire et qu’il n’est pas discrétionnaire.

Certes, la loi ne prévoit pas expressément que la faculté du donataire de renoncer à la

donation prévue par l’article 1084 du Code civil puisse être attaquée par la voie de l’action

paulienne. Mais il reste que cette solution s’impose : on ne voit pas pourquoi l’action

paulienne serait admise à l’encontre de la renonciation à une succession et fermée dans le cas

de la renonciation à la donation précitée. Partant, il faut considérer que l’exercice de cette

renonciation est dépourvu de caractère discrétionnaire.

411 V. par ex. CA Bordeaux, 24 nov. 2009, Dr. fam. 2009, n° 18, obs. LARRIBEAU-TERNEYRE. Dans cet

arrêt, un époux a été condamné à réparer le préjudice moral causé à sa femme en raison de l’atteinte, causée par le divorce, à ses convictions religieuses.

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C – LE DROIT DE LA FEMME DE RECOURIR À UNE INTERRUPTION

VOLONTAIRE DE GROSSESSE

102. La condition tenant à la situation de détresse. L’article L. 2212-1 du Code de la

santé publique dispose : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse

peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être

pratiquée qu'avant la fin de la douzième semaine de grossesse ». La rédaction de cet article

doit conduire à considérer que l’exercice de ce droit n’est pas discrétionnaire puisqu’il

suppose que la femme soit en situation de détresse. Il est donc soumis à une condition. En

théorie, une femme qui n’est pas placée dans cette situation pourrait se voir refuser

l’avortement.

103. Impact de la suppression de la condition tenant à la situation de détresse.

L’Assemblée Nationale a voté la suppression de la condition tenant à la situation de détresse

de la femme le 28 janvier 2014412. Le Sénat ne s’est à ce jour pas prononcé. Si la supression

de cette condition devait être enterinée, le droit de la femme de recourir à une IVG

deviendrait discrétionnaire. La justification pourrait être trouvée dans l’intérêt supérieur de la

femme à choisir l’existence qu’elle entend mener.

Notons toutefois qu’il est assez vain de s’interroger sur la discrétionnarité de l’IVG

puisqu’en pratique, la demande d’avortement continuera d’être le reflet d’une situation de

détresse.

D – LE DROIT DES PARENTS DE DEMANDER L’ÉMANCIPATION DE LEUR

ENFANT

104. Analyse des dispositions légales. Lorsqu’on étudie ce droit, on peut relever des

arguments à l’encontre de son classement parmi les prérogatives discrétionnaires, même s’il

faut concéder qu’en pratique un déclassement n’entraînera sans doute aucune conséquence.

Tout d’abord, le droit envisagé n’est rien d’autre qu’une mise en œuvre de l’exercice de

l’autorité parentale. Or celle-ci n’est pas discrétionnaire puisque les parents peuvent en être

déchus (articles 378 à 381 du Code civil). Au demeurant le mauvais exercice de l’autorité

412 Adoptant ainsi l’art. 5 quinquise C du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

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96

parentale pourrait engager la responsabilité civile des parents sur le fondement de l’article

1382413.

Ensuite, lorsqu’un seul des parents est favorable à l’émancipation et que l’autre s’y

oppose, le parent favorable peut demander au juge des tutelles d’apprécier légitimité de cette

opposition. Ce dernier devra déterminer s’il existe de justes motifs à l’émancipation (art. 413-

2 du Code civil). C’est donc que l’opposition à l’émancipation n’est pas discrétionnaire. Dans

ces conditions, il apparaît que la motivation d’un refus opposé par les deux parents devrait

également pouvoir être contrôlée par le juge à la demande du mineur. D’ailleurs, cette

solution est précisément prévue à l’article 413-4 du Code civil lorsque l’enfant est sous tutelle

et que le refus de demander l’émancipation émane du tuteur.

Finalement, si l’opposition à l’émancipation émanant soit des parents, soit du tuteur, n’est

pas discrétionnaire, il en résulte que le droit de demander l’émancipation ne l’est pas

davantage.

SOUS-SECTION III – L’ABSENCE D’IMPACT DE L’EXERCICE DU

DROIT SUR LA SITUATION JURIDIQUE D’AUTRUI

105. La révocation d’un testament. Il convient ici d’évoquer le cas de la révocation

d’un testament. On rappellera en effet que la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 30

novembre 2004, que « la faculté de révoquer un testament constitue un droit discrétionnaire

exclusif de toute action en responsabilité »414. Cette position divise la doctrine.

Pour une partie d’entre elle, la théorie de l’abus de droit devrait être appliquée à la

révocation du testament415. En particulier, M. MARÉCHAL fait remarquer que le contrôle de

413 A. GOUTTENOIRE et H. FULCHIRON, « Autorité parentale », Répertoire de droit civil, Dalloz, n° 59. 414 Civ. 1ère, 30 nov. 2004, Bull. civ. I, n° 297 ; RTD civ. 2005, M. GRIMALDI, obs., p. 443 et s. ; J.-Y.

MARECHAL, « La concubine dépitée et le testateur inconstant », D. 2005, p. 1621 et s. ; B. BEIGNIER, « De la liberté de révoquer un testament », Dr. fam. 2005, comm. 16 ; F. BICHERON, AJ Fam. 2005, p. 24 et s. Il est intéressant de relever que la Cour de cassation se soucie peu des distinctions terminologiques établies par la doctrine. En effet, faculté est ici synonyme de droit. Cette assimilation est également opérée par une partie de la doctrine. V. par ex. A. SERIAUX, « Libéralités. Donations entre époux pendant le mariage », J-Cl Civil Code, fasc. 20, n° 73 : « la faculté de révoquer est un droit absolu » (sur la révocation des donations entre époux). V. également J.-Y. MARECHAL, « La concubine dépitée et le testateur inconstant », D. 2005, p. 1621 : « les titulaires de tels droits ont la faculté d’en user et d’en abuser avec la plus grande liberté » (sur les droits discrétionnaires).

415 V. notamment Ph. MALAURIE, Les successions. Les libéralités, op. cit., n° 496 : « La révocabilité est de l’essence du testament ; la Cour de cassation en a déduit, dans une décision contestable, qu’elle est un droit discrétionnaire » ; G. RAOUL-CORMEIL, « Le mensonge du concubin sur ses dernières volontés », Defrénois 2005, p. 761 ; F. BICHERON, AJ Fam. 2005, p. 24 et s. : « à l’instar de la jurisprudence qui, tout en préservant la liberté nuptiale, se réserve le droit de condamner le fiancé qui rompt indélicatement ses fiançailles […], il ne paraissait pas invraisemblable de mettre en cause la responsabilité du testateur en retenant une faute civile ».

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97

l’abus lors de la révocation d’un testament s’accorderait avec les solutions retenues s’agissant

de la révocation ad nutum des administrateurs et du président du conseil d’administration de

la société anonyme et de la révocation du mandat416. Dans ces deux cas, l’exercice de ce droit

peut dégénérer en abus, notamment lorsque les circonstances de la révocation sont brutales ou

vexatoires et révèlent une intention de nuire417.

Une autre partie de la doctrine approuve en revanche la reconnaissance du caractère

discrétionnaire de la révocation du testament418, au motif que la volonté exprimée dans le

testament n’est qu’un « simple projet », une « simple intention, dénuée de tout effet

juridique »419. En d’autres termes, parce que le testament n’est pas définitif jusqu’au décès du

testateur, il ne saurait « fonder de légitimes espérances qu’il serait abusif de décevoir par une

révocation tenue secrète »420. C’est donc l’absence d’impact de l’exercice du droit sur la

situation juridique d’autrui qui justifierait son caractère discrétionnaire.

Cette justification est en elle-même recevable. En effet, si l’exercice d’un droit n’a pas

d’impact sur la situation juridique d’autrui, il n’y a aucun inconvénient à en admettre la

discrétionnarité. Malheureusement, l’argument tiré de l’absence d’impact sur la situation

juridique d’autrui ne vaut pas pour la révocation d’un testament. En effet, si un testament est

un projet librement révocable, sa révocation peut avoir un impact sur la situation juridique

d’autrui. On peut ici faire une analogie avec la rupture des fiançailles ou des pourparlers. La

liberté du mariage et la liberté contractuelle impliquent l’absence de force obligatoire des

fiançailles et des pourparlers. Ceux-ci sont le reflet d’un projet – le mariage ou la conclusion

d’un contrat – et sont, en eux-mêmes, dénués d’effets juridiques : le ou la fiancé(e) ne peut

416 J.-Y. MARECHAL, art. préc., n° 8. 417 V. pour la révocation ad nutum des administrateurs et du président du conseil d’administration de la

société anonyme: D. GIBIRILA, « Dirigeants sociaux, désignation, Exercice et cessation des fonctions », J-Cl. Commercial, Fasc. 1050, n° 129 : « D'une manière générale, quelle que soit la société au sein de laquelle le dirigeant exerce son mandat, sa révocation est abusive quand elle intervient dans des circonstances brutales ou vexatoires susceptibles de nuire à l'honorabilité de l'intéressé ou à sa réputation professionnelle. C'est le cas lorsque la révocation s'est accompagnée de mesures de publicité malveillante » (CA Paris, 13 oct. 2000, BRDA 22/2000, n° 6 ; RJDA 1/2001, n° 51) ou a été décidée brutalement en laissant supposer que le dirigeant a commis des fautes graves (Cass. com., 1er févr. 1994, préc. – CA Paris, 4 sept. 1998 , RJDA 12/1998, n° 1369 ; Dr. sociétés 1998, comm. 162, obs. D. VIDAL ; Bull. Joly Sociétés 1999, p. 102, note P. SCHÖLER) ». V. pour la révocation du mandat, P. LE TOURNEAU, V° Mandat, Répertoire de droit civil, Dalloz, n° 387 : « la liberté, comme toujours, ne doit pas dégénérer en abus : des dommages et intérêts peuvent venir censurer une révocation abusive, c'est-à-dire fautive, car brutale et intempestive » (Req. 10 juill. 1865, DP 1865. 1. 350 ; Civ. 1re, 14 mars 1984, no 83-10.897, Bull. civ. I, no 92 ; 2 mai 1984, no 83-12.056, Bull. civ. I, no 143 ; Com. 27 oct. 1998, Bull. civ. IV, no 256, RJDA 1999, no 32 ; CA Paris, 14 mai 1999, RJDA 1999, no 1198; 18 oct. 2001, RJDA 2002, no 495).

418 V. notamment M. GRIMALDI, RTD civ. 2005, obs. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, p. 443 ; J.-Y. MARECHAL, art. préc., p. 1621 ; B. BEIGNIER, « De la liberté de révoquer un testament », Dr. fam. 2005, comm. 16.

419 M. GRIMALDI, obs. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, RTD civ. 2005, p. 443. 420 M. GRIMALDI, obs. préc., p. 444.

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exiger la réalisation du mariage, la partie aux pourparlers ne peut exiger la conclusion du

contrat. Pour autant, leur rupture fautive est source de responsabilité421. On voit donc qu’il

pourrait fort bien en aller de même pour la révocation d’un testament.

Comme pour la rupture des fiançailles et des pourparlers, la faute pourrait être

caractérisée par le comportement de l’auteur de la rupture.

On pourrait également envisager que la responsabilité du testateur soit retenue sur le

fondement de l’espérance légitime. C’est d’ailleurs la solution que retient le droit anglais. Sur

le fondement du proprietary estoppel, deux jugements anglais ont sanctionné la révocation

d’un testament et ordonné le transfert des biens promis422. Dans les deux cas, les bénéficiaires

du testament avaient pris des engagements en fonction des dispositions testamentaires dont ils

étaient bénéficiaires. L’espérance qu’ils avaient placée dans le transfert futur des biens a été

considérée comme légitime, c’est-à-dire juridiquement protégée. Le proprietary estoppel est

donc un obstacle au caractère absolu du droit de révoquer un testament. La progression du

concept de confiance légitime en droit français pourrait être un outil efficace de remise en

cause de cette discrétionnarité423.

SOUS-SECTION IV : LES RÉAMÉNAGEMENTS SOUHAITABLES DE LA DISCRÉTIONNARITÉ

106. Justifications écartées. Comme nous l’avons exposé, la doctrine invoque différents

arguments pour justifier le caractère discrétionnaire d’une prérogative.

Elle se réfère d’abord à la nature de la prérogative, c’est-à-dire à son appartenance à la

catégorie des libertés ou à son caractère optionnel. En réalité, dans un cas comme dans l’autre,

la nature de la prérogative, loin de la justifier, condamne la discrétionnarité. Le contrôle d’une

421 Pour la rupture abusive des fiançailles, v. par ex. : Req. 23 juin 1938, Gaz. Pal. 1938. 2. 586. ; Civ. 2e, 2

juillet 1970, Bull. civ. II, p. 178 ; Civ. 1ère, 15 mars 1988, Gaz. Pal. 1989. 374 ; CA Paris, 1er juillet 1999, D. 2000, somm. p. 411, obs. LEMOULAND. Pour la rupture abusive des pourparlers, v. par ex. : Civ. 3e, 28 juin 2006, Bull. civ. III, n° 164, D. 2006. 2639, obs. S. AMRANI-MEKKI et 2963, obs. D. MAZEAUD, JCP G 2006. II. 10130, note O. DESHAYES ; Defrénois 2006, art. 38498, n° 71, obs. R. LIBCHABER ; Com. 26 novembre 2003, Bull. civ. IV, n° 186, D. 2004, 869, note DUPRE-DALLEMAGNE ; RTD civ. 2004, 80, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; JCP 2004. I. 163, n° 18 et s., obs. G. VINEY ; JCP E 2004. 738, note Ph. STOFFEL-MUNCK.

422 M. GRIMALDI, obs. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, RTD civ. 2005, p. 444 : « un jugement anglais a ordonné le transfert d’une succession ab intestat à une belle-fille, qui, sur la foi de la promesse que son parâtre lui avait faite de lui laisser l’ensemble de ses biens, avait renoncé à un déménagement qui l’eût éloigné de lui et lui avait prodigué de multiples soins (In re Basaham (1986) 1 W.L.R. 1498 (Ch. D.), cité in MORETEAU, L’esptoppel et la protection de la confiance légitime, thèse Lyon III, 1990, n° 441) ; un autre jugement a ordonné le transfert à un fils d’un terrain promis par son père, et sur lequel, confiant en cette promesse, il avait édifié une maison (Dillwyn v. Llewelyn (1862) 4 De G.F. § J.517, cité in MORETEAU, th. préc. n° 436) ».

423 V. sur ce point, B. FAUVARQUE-COSSON (dir.), La confiance légitime et l’estoppel, Société de législation comparé, coll. Droit privé comparé et européen, 2007.

Page 101: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

99

liberté ou d’un droit d’option est précisément rendu nécessaire par la marge d’action

abandonnée à son titulaire. Celle-ci comporte un risque d’arbitraire inadmissible lorsque

l’exercice de la liberté ou du droit a des répercussions sur la situation juridique d’autrui.

Ensuite, on avance que la discrétionnarité pourrait être justifiée par la protection du

titulaire de la prérogative. Il s’agirait, en d’autres termes, d’assurer la défense d’un droit, la

protection d’une liberté essentielle et inaliénable ou encore l’intimité de la personne. Pourtant,

en pareil cas, la discrétionnarité est encore une fois infondée. De même que précédemment, il

n’y a pas lieu d’attribuer un caractère discrétionnaire à l’exercice de la prérogative dès qu’il

est susceptible d’influer sur la situation juridique d’autrui.

107. Requalifications subséquentes. Ces deux justifications étant écartées, la plupart des

prérogatives qualifiées de discrétionnaires par la doctrine ou la jurisprudence424 doivent être

requalifiées en prérogatives contrôlées.

Pratiquement, il convient d’évincer l’idée de discrétionnarité dans les cas :

- du droit des parents de consentir au mariage de leur enfant mineur, à son émancipation

ou de choisir sa religion ;

- du droit d’exhéréder les héritiers, de révoquer un testament, d’accepter ou de renoncer à

une succession ;

- de la demande de partage de biens indivis ;

- du droit d’option dont est titulaire le donataire au décès du donateur dans la donation

cumulative de biens présents et à venir prévue par l’article 1084 du Code civil ; de la

révocation des donations entre époux ;

- du droit moral de l’auteur ;

- du droit de réponse en matière de presse ;

- du droit pour une compagnie d’assurance de refuser l’agrément du successeur présenté

par un de ses agents généraux et du droit pour un assuré de renoncer au contrat d’assurance

sur la vie pour lequel il n’a pas reçu l’information requise ;

- du droit d’acquérir la mitoyenneté d’un mur et de celui de s’opposer à un empiètement ;

- des actions dont l’exercice implique une appréciation personnelle ;

- du droit de l’acheteur d’opter entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire en cas de

vices cachés ;

424 V. supra n° 47 (pour la doctrine) et 53 (pour la jurisprudence).

Page 102: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

100

- de la faculté de lever l’option du bénéficiaire d’une promesse unilatérale, de la faculté

de rachat du vendeur prévue par l’article 1659 Code civil et du droit de rétractation du

consommateur.

108. Les droits discrétionnaires résiduels. Ces retranchements ne laissent à l’écart

qu’un petit nombre de droits dont la discrétionnarité est généralement reconnue. Il s’agit :

- du droit de couper les racines, ronces et brindilles jusqu’à la ligne séparative de fonds

contigus ;

- du droit de récuser un juré d’assise ;

- du droit pour le tiers de tenir ou non l’engagement du porte-fort ;

- du droit de retrait du débiteur d’une cession de droit litigieux ;

- du pouvoir de l’employeur de verser les primes et gratifications-libéralités à ses salariés

(lorsqu’elles ne constituent pas un élément de sa rémunération).

Il est permis à leur égard de maintenir la qualification de droits discrétionnaires, mais à

condition d’en reformuler les fondements. Des distinctions sont ici nécessaires.

Pour ce qui concerne le droit de couper les racines, ronces et brindilles jusqu’à la ligne

séparative de fonds voisins, la justification peut être trouvée dans l’absence d’impact de son

exercice sur la situation juridique d’autrui. Comme tout le monde en conviendra, cet exercice

n’a aucune incidence sur la situation juridique de celui dont les racines, ronces et brindilles

débordent sur le fond voisin.

S’agissant du droit de retrait du débiteur d’une cession de droit litigieux, du droit de

récuser un juré d’assise et celui des ascendants de s’opposer au mariage de leurs descendants,

la discrétionnarité peut être fondée sur la défense d’un intérêt supérieur à celui des parties en

cause. Ainsi, en reconnaissant un droit de retrait au débiteur d’une cession de droit litigieux,

le législateur a manifesté sa volonté de « mettre un frein à la cupidité des acheteurs de droits

litigieux » et « de mettre un terme aux procès »425. En d’autres termes, le caractère

discrétionnaire de ce droit peut s’expliquer par un intérêt supérieur à celui des parties

concernées. Cet intérêt réside dans la lutte contre l’exploitation de la justice à des fins

spéculatives et le maintien de la paix sociale. Dans le même sens, le droit de récuser un juré

d’assise est guidé par le souci de rendre une bonne justice, cet impératif dépassant là encore

l’intérêt des parties au procès. Enfin, le droit des ascendants de s’opposer au mariage de leurs

425 POTHIER, Traité du contrat de vente, n° 590, cité par E. SAVAUX, « Cession de droit litigieux »,

Répertoire de droit civil, Dalloz, n° 65.

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101

descendants a pour objectif de les inciter à dénoncer les unions interdites par la loi. On

retrouve donc l’idée de protection de l’ordre public.

Enfin, il convient de distinguer le domaine juridique du domaine extra-juridique. Quand

une action ou une décision relève de l’extra-juridique, le droit ne peut que s’en désintéresser.

Les motivations de l’agent lui sont indifférentes. On peut ainsi s’expliquer l’absence de

contrôle du droit de l’employeur de verser ou non des primes et gratifications-libéralités qui

ne font pas partie de la rémunération des salariés. Cette même idée peut expliquer le caractère

discrétionnaire du droit du tiers de ne pas tenir l’engagement du porte-fort comme, plus

généralement, celui du droit pour toute personne qui n’a pas manifesté son intention de

participer au commerce juridique de refuser l’offre de contracter qui lui est proposée. En effet,

dans un cas comme dans l’autre, le titulaire du droit n’a jamais émis la moindre volonté

d’entrer dans une situation susceptible de développer des effets juridiques à son encontre. En

réalité, il est même impropre de parler de « droit » en l’absence de toute contrainte préalable

pesant sur l’auteur de la décision. Autrement dit, dans cette hypothèse, cette décision échappe

au contrôle du juge, moins parce qu’elle est discrétionnaire que parce qu’elle relève de la

Liberté426.

109. La décision du banquier. Il reste que ces différentes justifications sont

inapplicables à la décision du banquier d’octroyer ou non un crédit. D’une part, celle-ci a par

nature un impact sur la situation juridique de l’emprunteur. D’autre part, le banquier n’est pas

le gardien de l’ordre public économique : le caractère discrétionnaire de sa décision ne saurait

être justifié par la préservation d’un intérêt supérieur à celui des parties. Enfin, son action

s’inscrit évidemment dans le domaine juridique : la création et l’exploitation d’un

établissement bancaire manifestent par hypothèse une volonté de participer au commerce

juridique.

Il est vrai que le caractère discrétionnaire de la décision du banquier est aussi fondé sur

une justification particulière dont il nous faut à présent envisager la pertinence.

426 Cf. la distinction entre la liberté et les libertés juridiques, supra n° 80 et s.

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102

SECTION II – LA JUSTIFICATION SPÉCIFIQUE AU CONTRAT

DE CRÉDIT

110. Confiance et intuitus personae. Il convient de rappeler qu’une justification

particulière est avancée pour expliquer le caractère discrétionnaire de la décision du banquier

d’octroyer ou non un crédit. Cette discrétionnarité s’expliquerait par les conditions entourant

la conclusion du contrat de crédit, lequel implique la confiance du banquier envers le candidat

au crédit et repose sur l’intuitus personae427.

111. Crédit et confiance. Le lien entre le contrat de crédit et la confiance est d’ordre

étymologique. D’après le Dictionnaire historique de la langue française, le terme crédit serait

emprunté à l’italien credito. Ce terme, lui-même issu du latin, signifiait, au XIVème siècle,

« dette, emprunt, confiance » et, à partir du XVème siècle, « influence, considération »428.

Ainsi, contrairement à ce que l’on peut lire la plupart du temps, le terme crédit ne serait pas

emprunté directement « au latin creditum, formé sur le supin de credere (croire) »429. Cette

précision révèle que la notion de crédit est détachable de celles de croyance et de foi.

112. Crédit et intuitus personae. Quant au caractère intuitu personae du contrat de

crédit, il fait figure d’évidence en doctrine et a récemment été affirmé par la chambre

commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 15 mars 2011430. L’étymologie

du terme crédit manifeste le lien entre intuitus personae et crédit. Comme on vient de le voir,

le crédit désigne l’influence ou la considération d’une personne. C’est d’ailleurs ce que traduit

l’expression « dignité de crédit ». La conclusion du contrat de crédit suppose en effet que

427 Sur un lien entre confiance et discrétionnarité, v. notamment, C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit bancaire, 8e éd., Litec, 2010, n° 492 : « il n’a jamais été discuté qu’une banque peut, sans même avoir à justifier sa position, refuser un crédit, quelle qu’en soit la forme. La confiance, qui est le fondement du crédit, impose cette solution » ; Y. GERARD, « Résiliation unilatérale et non-renouvellement dans les contrats bancaires », La cessation des relations contractuelles d’affaires, op. cit., p. 25 ; D. HOUTCIEFF, « L’édifiante histoire d’un intermédiaire médiatisé qui n’était pas mandataire », D. 2006. 2933 : « Le fait de proposer ou de consentir un crédit repose sur un fort intuitus personae. La confiance dans l’emprunteur ne se commande pas, elle ne saurait être systématique » ; B. PETIT, Rapport sur l’Arrêt Tapie, p. 47 ; A. PRÜM, P. LECLERC et R. MOURIER, Relations entreprises banques, éd. Francis Lefebvre, 2003, n° 5510 ; R. ROUTIER, Obligations et responsabilités du banquier, Dalloz, 2011-2012, n° 311.11. Pour le lien entre intuitus personae et discrétionnarité, v. notamment, M. VASSEUR, « Droit et économie bancaires : les opérations de banque », fascicule 1, 4e édition, Les Cours de Droit, 1987-1988, page 24 in limine : « Chacun s’accorde présentement à considérer qu’un banquier est en droit de refuser de consentir un crédit. Le contrat de crédit (…) est conclu intuitu personae par excellence et le banquier, qui court le risque du crédit, doit demeurer libre de sa décision ».

428 V° Crédit, Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. REY, éd. Le Robert, 2010, p. 567. 429 Ibid. 430 Com. 15 mars 2011, pourvoi n° 10-11650 (inédit), JCP E 2011, n° 49, p. 39, note N. MATHEY ; Banque

et droit 2011, n° 136, p. 27, note Th. BONNEAU.

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103

l’emprunteur soit digne de crédit pour le banquier. Or la dignité de crédit est déterminée au

regard de la considération qu’inspire le candidat emprunteur.

113. Distinction de la confiance et de l’intuitus personae. Il convient de relever que les

auteurs qui envisagent l’étude du contrat de crédit se réfèrent en pratique simultanément aux

notions d’intuitus personae et de confiance431. Se pose alors la question de savoir s’il faut les

distinguer ou bien considérer qu’elles sont synonymes.

L’intuitus personae, qui se traduit par la prise en considération de la personne ou de ses

qualités lors de la conclusion du contrat432, est souvent rapproché de la confiance, qui est elle-

même nécessaire à la conclusion du contrat433. Pour autant, ces termes ne sont pas synonymes.

La confiance « désigne le fait de croire avec assurance, de se fier à quelqu’un ou à

quelque chose »434. L’existence de la confiance est déterminée par la réunion de différents

éléments parmi lesquels se trouvent les qualités de la personne. En conséquence, l’intuitus

personae contribue à faire naître la confiance, cette dernière ne se limitant pas à la prise en

considération de la personne ou de ses qualités. S’agissant spécifiquement du contrat de

crédit, l’étude des qualités de l’emprunteur contribue à l’évaluation de sa dignité de crédit et

donc à faire naître la confiance du banquier. Cependant, ces qualités ne suffisent pas à

mesurer sa dignité. C’est ainsi qu’en matière de crédit aux entreprises, le banquier est amené à

431 Pour un auteur, « l’unique sens possible, rationnellement comme techniquement, de l’imprécise

expression “considération de la personne ”, l’unique élément factuel qui peut être désigné par celle-ci est donc le “sentiment de confiance” : le raisonnement confirme l’observation de la pratique contractuelle » (O. ANSELME-MARTIN, « Le sentiment de confiance, cause génératrice et sustentatrice du contrat », Mélanges en l’honneur du Doyen Bernard Gross, Presses Universitaires Nancy, 2009, p. 28). Le professeur ANDRÉ considère pour sa part que « La personnalité du partenaire a été première dans l’histoire du contrat qui est au départ un pacte de confiance » (M.-E. ANDRÉ, « L’intuitus personae dans les contrats entre professionnels », Mélanges Michel Cabrillac, Dalloz-Litec, 1999, p. 44).

432 V° Intuitu personae, Lexique des termes juridiques, dir. S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER, Dalloz, 12e éd., p. 299.

433 Pour une partie de la doctrine, la confiance constitue le fondement du contrat. Gounot soutenait ainsi que « le moment où le contrat se forme n’est pas celui de l’hypothétique rencontre de deux volontés, mais celui où naît cette confiance dont nous parlons » (E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, thèse, Paris 1912, p. 167). Dans le même sens, Emmanuel Lévy soutenait que « ce qui fait le lien contractuel, c’est la confiance qu’inspire au créancier la promesse du débiteur » (E. LEVY, « Responsabilité et contrat », Rev. crit. lég. jur., 1899, p. 383). Carbonnier assimilait le contrat à « un acte de foi, un acte de confiance » (CARBONNIER, Sociologie et droit du contrat, Annales de la Faculté de droit de Toulouse, T. 7, 1959, p. 112). Enfin, dans une formule restée célèbre, Eugène GAUDEMET a pu expliquer que « créance = confiance » (E. GAUDEMET, Théorie générale des obligations, Dalloz, réed. 2004, p. 7 : pour l’éminent juriste, le crédit est « à la base de toute l’organisation du droit personnel (…). Le créancier est une personne qui a fait crédit à une autre. Par là s’explique sa situation : au lieu de se munir d’un droit absolu, privatif, sur une chose déterminée, prise dans le patrimoine du débiteur, il a laissé au débiteur la libre disposition de ses biens. Il a eu confiance en lui : créance = confiance. Confiance, qui comme toute confiance, implique un risque »).

434 V° Confier, Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. REY, juillet 2000, p. 508.

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104

prendre en considération des éléments extérieurs à l’entreprise comme l’état du marché ou les

« paramètres liés à l’évolution du secteur dans lequel l’entreprise exerce son activité »435.

La distinction entre intuitus personae et confiance peut se résumer ainsi : l’intuitus

personae est un moteur de la confiance tandis que la confiance est la condition impulsive et

déterminante de certains contrats et notamment du contrat de crédit.

114. Plan. Si le contrat de crédit repose effectivement sur la confiance et est conclu

intuitu personae, ces deux éléments justifient-ils pour autant que la décision du banquier

d’octroyer ou non un crédit soit discrétionnaire ? Pour répondre à cette question, il convient

d’abord d’analyser les notions de confiance et d’intuitus personae (§I). On verra ensuite que

leur invocation ne saurait suffire à placer le décideur à l’abri de tout contrôle (§II).

§ - I. ANALYSE DE LA CONFIANCE ET DE L’INTUITUS

PERSONAE

115. Spécificité du processus décisionnel du banquier. En justifiant la discrétionnarité

de la décision du banquier par la confiance et le caractère intuitu personae du contrat de

crédit, on se réfère à une seule et même idée : le pouvoir de choix ou d’élection dont dispose

le banquier s’exerce à l’issue d’un processus décisionnel dont lui seul a la maîtrise. Le juge

serait incapable de se substituer à lui pour apprécier la légitimité de sa décision. En d’autres

termes, l’absence de contrôle de la décision du banquier s’explique par l’idée selon laquelle la

confiance et l’intuitus personae sont, comme la foi, des états de l’âme insondables (A). Or,

loin d’être assimilables à la foi, ces deux notions doivent être appréhendées de manière

objective (B).

435 A. SALGUEIRO, Les modes d’évaluation de la dignité d’un emprunteur, thèse, préf. J. STOUFFLET,

LGDJ - Fondation Varenne, 2006, p. 11. Dans le même sens, v. J. STOUFFLET, obs. sous CA Orléans, 26 oct. 1971, JCP G 1972. II. 17082 : l’auteur précise que l’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur est « faite à la fois d’éléments objectifs qui ne sont pas toujours exactement connus (solvabilité, liquidité, rentabilité), d’éléments personnels difficilement saisissables (probité, aptitude à la direction d’une entreprise) et de données économiques changeantes (conditions économiques générales, niveau de l’activité dans une branche ou une région) ».

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105

A – L’ASSIMILATION DE LA CONFIANCE ET DE L’INTUITUS PERSONAE À LA

FOI

116. Raison de l’assimilation. L’étude des notions de confiance et d’intuitus personae

est bien souvent assortie de références à la foi ou à l’état d’âme d’une partie. Autrement dit,

pour comprendre les raisons qui ont amené un contractant à choisir telle personne plutôt

qu’une autre, il faudrait être en mesure de sonder son âme436. Par exemple, pour M.

LOISEAU, l’intuitus personae traduit l’idée selon laquelle « la foi qu’une partie place en son

cocontractant peut être un critère électif d’une catégorie de conventions »437. Il ajoute ensuite

que « la confiance vient dans ces circonstances de la croyance que, en raison de ses qualités

personnelles qui l’ont fait être choisi, le contractant est en mesure de répondre aux attentes de

son cocontractant »438.

Les définitions de la confiance peuvent également laisser penser qu’elle s’apparente à un

acte de foi. Le Petit Robert définit la confiance comme l’espérance ferme, l’assurance de celui

ou celle qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose439. Or le verbe « se fier » vient du latin

« fides », qui signifie « foi ». Le Doyen CORNU évoque pour sa part, l’existence d’une

« croyance en la bonne foi, [la] loyauté, [la] sincérité et [la] fidélité d’autrui (tiers,

cocontractant) ou en ses capacités, compétences et qualifications professionnelles »440. Ici

encore, le terme « confiance » renvoie à la foi. D’ailleurs, cette assimilation de la confiance à

la foi n’est pas nouvelle. En témoigne sa présence dans La philosophie de l’argent du

philosophie et sociologue Georg SIMMEL publié en 1900441.

436 M. HOUTCIEFF relève que « l'intuitus personae procède du regard de l'autre, qu'il est la perception d'une

qualité par un tiers, ce qui participe encore de sa volatilité : le juge doit non seulement disséquer les faits, mais encore sonder les âmes » (D. HOUTCIEFF, « Contribution à l'étude de l'intuitus personae. Remarques sur la considération de la personne du créancier par la caution », RTD civ. 2003, p. 3, n° 2).

437 G. LOISEAU, « Contrat de confiance et contrats conclu intuitu personae », La confiance en droit privé des contrats, dir. V.-L. BENABOU et M. CHAGNY, Dalloz, 2008, p. 97-98.

438 Ibid. 439 V° Confiance, Le Petit Robert 2011, p. 505. 440 V° Confiance, 1, Vocabulaire Juridique, dir. G. CORNU, op. cit. 441 G. SIMMEL, Philosophie de l’argent, ed. PUF, coll. Quadrige, 2ème éd. 2007, p. 197 : « dans le cas du

crédit, de la confiance en quelqu’un, vient encore s’ajouter un moment autre, difficile à décrire, qui s’incarne de la façon la plus pure dans la foi religieuse. Quand on dit que l’on croit en Dieu, il ne s’agit pas seulement d’un degré imparfait dans le savoir relatif à Dieu, mais d’un état d’âme qui ne se situe absolument pas dans la direction du savoir ; c’est, d’un côté, assurément moins, mais, de l’autre, bien davantage que ce savoir. Selon une excellent tournure, pleine de profondeur, “on croit en quelqu’un” - sans ajouter ou même sans penser clairement ce que l’on croit en vérité à son sujet. C’est précisément le sentiment qu’entre notre idée d’un être et cet être lui-même existent d’emblée une connexion, une unité, une certaine consistance de la représentation que l’on a de lui : le moi s’abandonne en toute sécurité, sans résistance, à cette représentation se développant à partir de raisons invocables, qui cependant ne la constituent pas ».

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106

Cette référence à la « foi » d’une partie, à son « âme », laisse entendre que la prise en

considération de la personne du contractant est un travail de l’esprit, une démarche

personnelle, ou encore un processus se déroulant dans le for intérieur de l’acceptant. En

d’autres termes, cette prise en considération de la personne serait le reflet d’un rapport non de

soi à l’autre mais de soi à soi-même, l’autre n’étant que l’outil ou encore la matière d’un tel

rapport. Il semblerait que la doctrine transpose les qualités de la foi religieuse à la confiance

du banquier. Comme la foi religieuse, la confiance du banquier relèverait de son intimité et

refléterait un état de son âme insondable et indiscutable. C’est pourquoi la légitimité d’une

décision ayant pour moteur un tel acte de foi ne pourrait être contrôlée.

117. Critique de l’assimilation. Cette assimilation est trompeuse. La confiance se

distingue de la foi. Comme le relève le Dictionnaire historique de la langue française, « par

rapport à la foi, il [le mot confiance] est laïc et psychologique ; il a plus d’analogie avec

l’espérance et implique un sentiment de sécurité »442. Le caractère laïc et psychologique du

processus sous-jacent à la confiance montre qu’elle est ancrée dans le monde séculaire,

contrairement à la foi qui est une projection vers l’au-delà. En d’autres termes la confiance est

circonscrite, la foi est sans limite.

D’ailleurs, dans un ouvrage publié en 1917, SIMMEL a lui-même distingué la confiance

de la foi religieuse443. Il a expliqué que si la foi est « au-delà du savoir et du non-savoir »444, la

confiance est « un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir »445. Ainsi, la confiance se

nourrit d’éléments certains. Ces éléments constituent le savoir qui sert de fondement à la

décision d’accorder sa confiance à quelqu’un ou à quelque chose en vue de la réalisation

d’une action dont le résultat est inconnu. Ce résultat est le « non-savoir » auquel fait référence

SIMMEL446.

Cette explication rejoint l’analyse de la confiance proposée par les économistes et les

sociologues. Pour les deux disciplines, la confiance est le résultat d’un processus rationnel.

442 V° Confier, Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. REY, juillet 2000, p. 508. 443 Sur ce point, v. L. KARPIK, « Pour une conception substantive de la confiance », in Les moments de la

confiance, connaissance, affects et engagements, dir. A. OGIEN et L. QUERE, éd. Economica, coll. Etudes sociologiques, 2006, spéc. p. 113.

444 G. SIMMEL, Sociologie. Etudes sur les formes de la socialisation, PUF, p. 356, note 1. 445 Ibid., p. 356. 446 N. LUHMANN a montré que le terme risque, qui est indissociable de la confiance, a été inventé aux

temps modernes pour les résultats négatifs que peuvent créer les actions de l’homme. Or, explique t-il, ces résultats ne sont plus conçus comme l’influence de la cosmologie mais apparaissent comme les conséquences de nos choix (N. LUHMANN, « Confiance et familiarité, Problèmes et alternatives », in Les moments de la confiance, connaissance, affects et engagements, op. cit., spéc. p. 12-13).

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107

Le sociologue Diego GAMBETTA soutient que « faire confiance à quelqu’un signifie

implicitement que la probabilité qu’il accomplisse une action qui soit à notre avantage ou, du

moins, sans désavantage pour nous est assez élevé pour que nous envisagions de coopérer

avec lui »447.

Pour les économistes, l’appel à la confiance suppose que l’on se trouve dans une

« hypothèse de rationalité limitée » et « en présence d’une information imparfaite et

asymétrique »448. Plus précisément, on relève trois grandes approches économiques de la

confiance.

La première, notamment défendue par KREPS449, assimile la confiance à un « capital

accumulé ». Selon cette approche, « la confiance est pensée en termes d’intérêts individuels à

maintenir sa réputation »450.

La confiance est en second lieu analysée comme le calcul rationnel du risque. Cette

conception, dont WILLIAMSON est le représentant, implique de calculer le bilan

coûts/bénéfices que peut représenter une relation451.

En troisième et dernier lieu, la confiance peut désigner la croyance en un individu452. Or,

il a été souligné que, même dans cette hypothèse, la confiance reposait sur un ensemble de

données extérieures au simple sentiment, c’est-à-dire sur des règles453. Lorsqu’elle est tacite,

ces règles sont des conventions sociales. Lorsqu’elle est organisationnelle, ces règles sont

explicitement édictées par un organe supérieur. Lorsqu’enfin la confiance est contractuelle,

elle repose sur les règles édictées par les parties au contrat.

Ces trois conceptions économiques de la confiance (capital accumulé, calcul rationnel,

croyance en un individu) ont pour point commun de définir la confiance comme étant un

mécanisme explicable et rationnel. C’est pourquoi rien ne s’oppose par principe à son

contrôle.

447 D. GAMBETTA, Trust. The Making and Breaking of Cooperative Relations, Oxford, Basil Blackwell,

1988, cité par G. ORIGGI, Qu’est-ce que la confiance ?, Vrin, coll. Chemins Philosophiques, p. 16. 448 A. MENDEZ et N. RICHEZ-BATTESTI, « Pour une vision dynamique de la confiance : quelques

réflexions à partir d’une banque mutualiste », in Confiance et rationalité, éd. INRA, Paris 2001 (Les Colloques n°97), p. 222.

449 D. KREPS, « Corporate Culture and Economic Theory », in Alt J.E., Shepsle K.A. eds., Perspectives on Postive Political Economics, Cambridge (Mass), Cambridge University Press.

450 B. REYNAUD, « Les conditions de la confiance. Réflexions à partir du rapport salarial », Rev. Econ., vol. 49, n° 6, nov. 1998, p. 1456.

451 O. WILLIAMSON, « Calculativeness, Trust, and Economic Organisation, Journal of Law and Economics, 36, avril 1993, p. 453-487.

452 M. GRANOVETTER, « Economic ans Social Structure : the Problem of Embeddedness », American Journal of Sociology, 91 (3), 1985, p. 481-510 et D. GAMBETTA, Trust : Making and Breaking Cooperative Relations, Oxford, Basil Blackwell.

453 B. REYNAUD, « Les conditions de la confiance. Réflexions à partir du rapport salarial », Rev. Econ., vol. 49, n° 6, nov. 1998, pp. 1457.

Page 110: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

108

118. Conclusion. La confiance a une dimension cognitive. Elle n’est aujourd’hui

empreinte d’aucun mysticisme. Une telle idée serait d’ailleurs difficilement soutenable en

l’état actuel de notre société. Un « désenchantement de la confiance » s’opère dans les

sociétés modernes démocratiques454. Il se manifeste par « son institutionnalisation sous forme

de jurisprudence, contrats, chartes de droits ou procédures de “consentement éclairé” »455.

Cette procéduralisation de la confiance trouve son prolongement dans son objectivation ainsi

que dans celle de l’intuitus personae.

B – LE CARACTÈRE OBJECTIF DE LA CONFIANCE ET DE L’INTUITUS

PERSONAE

119. Plan. On montrera d’abord que l’intuitus personae est appréhendé de façon

objective dans les contrats à titre onéreux (1). On verra ensuite que les méthodes d’évaluation

de la dignité de crédit d’un emprunteur participent de cette objectivation (2).

1) Le caractère objectif de l’intuitus personae dans les contrats à titres onéreux

120. Distinction de l’intuitus personae subjectif et objectif. On distingue deux sortes

d’intuitus personae.

Il s’agit d’abord de l’intuitus personae subjectif, qui est fondé sur le sentiment ou encore

l’affection. Il prend en compte la personne, son identité officielle et se manifeste

principalement dans les contrats à titre gratuit456.

Il s’agit ensuite de l’intuitus personae objectif. Ce dernier est fondé sur la confiance et a

pour objectif d’assurer une maîtrise des « risques contractuels »457. Il est aujourd’hui admis

que les contrats à titre onéreux, dont le contrat de crédit fait partie, font appel à cet intuitus

personae. Dans ces contrats, ce sont en effet les qualités de la personne et non la personne en

454 G. ORIGGI, Qu’est-ce que la confiance ?, Vrin, coll. Chemins Philosophiques, p. 9. 455 Ibid. 456 Ph. LE TOURNEAU, « Contrats Intuitu personae », JurisClasseur Contrats – Distribution, fasc.. 200, n°

14. 457 Ibid., n° 33. En 1938, Francis Valleur proposait déjà cette classification et expliquait que « la notion

d’intuitus personae peut recouvrir deux idées – tantôt derrière ce vocable apparaît une idée d’affection, d’amitié. Tantôt l’intuitus personae prend sa source dans une idée de confiance. » (F. VALLEUR, L’intuitus personae dans les contrats, thèse, Paris, 1938, éd. M. LAVERGNE, p. 33).

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109

elle-même qui sont prises en compte458. Ces qualités peuvent être subjectives ou objectives.

Elles sont subjectives lorsqu’elles ont trait à « sa compétence, son imagination, son savoir-

faire, son habileté (…), sa réputation (…), voire sa moralité »459. Elles sont objectives

lorsqu’elles concernent son identité financière ou commerciale. La doctrine parle alors d’un

intuitus personae financier, commercial ou encore industriel460.

Il est important de comprendre que la prise en compte de qualités subjectives telles que

l’imagination ou la réputation n’altère pas le caractère objectif de l’intuitus personae. Selon

Mme CONTAMINE-RAYNAUD, « la personne est considérée uniquement à travers

certaines catégories objectives et indépendamment de ce qu’elle est en elle-même. Les

caractéristiques détachées de la personne elle-même peuvent ainsi être considérées

objectivement par la société »461.

En réalité, et comme l’a montré M. KRAJESKI dans sa thèse, l’importance de l’approche

objective de l’intuitus personae s’explique par les limitations de son approche subjective.

Cette dernière « heurte la logique de nouveaux mécanismes qui sont le fruit des exigences

étatiques ou des besoins des parties au contrats », parmi lesquels se trouvent l’impératif de

transparence contractuelle ou la protection de la partie faible462.

121. Contrats à titre onéreux et intuitus personae objectif. L’objectivation de l’intuitus

personae s’explique ainsi par la fonction qui lui est dévolue dans les contrats à titre onéreux.

Dans ces contrats, la considération de la personne n’est pas la raison d’être du contrat mais un

élément permettant d’évaluer le risque contractuel, ce qui suppose que les éléments

458 En ce sens, v. M. CONTAMINE-RAYNAUD, L’intuitus personae dans les contrats, Thèse dactyl., 1974,

p. 417-418 : « En conséquence, l’intuitus personae qui est la prise en considération de cette personne dans un contrat peut comporter deux objets différents : soit c’est la personne elle-même, tout entière qui est prise en considération, soit ce sont certains aspects, certaines caractéristiques de cette personne qui sont envisagées. Certes, ces éléments font partie de la personne, mais la personne n’est pas l’objet direct du contrat, elle est prise ès qualités en fonction de ses caractéristiques ».

459 Ph. LE TOURNEAU, « Contrats Intuitu personae », JurisClasseur Contrats – Distribution, fasc.. 200, n°16. Francis VALLEUR distingue pour sa part « les qualités actives de l’individu, c’est-à-dire les qualités colorant son activité des éléments qualitatif et quantitatif, tels le talent, l’habileté professionnelle, l’originalité » et « les qualités passives telles la renommée » (F. VALLEUR, L’intuitus personae dans les contrats, thèse, Paris, 1938, p. 103.

460 Sur ce point, v. M.-E. ANDRÉ, « L’intuitus personae dans les contrats entre professionnels », Mélanges Michel Carbillac, op. cit., p. 28. M. RENUCCI parle pour sa part « d’identité financière » (J.-M. RENUCCI, « L’identité du contractant », RTD com. 1993, p. 442) tandis que Mme GJIDARA retient l’expression de « personnalité patrimoniale du débiteur » (S. GJIDARA, L’endettement et le droit privé, thèse, préf. B. OPPETIT, LGDJ, 1999, p. 50).

461 M. CONTAMINE-RAYNAUD, thèse pré., n° 333. Dans le même sens, Mme ANDRÉ parle d’une « objectivisation de l’intuitus personae liée à la possession de diplômes, aux précédents de travail ou de commerce » (M.-E. ANDRÉ, art. préc., p. 27).

462 D. KRAJESKI, L’intuitus personae dans les contrats, thèse, préf. Ph. LE TOURNEAU, LGDJ, 2001, n° 41. V. égal. n° 280 et n° 318.

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110

permettant de le calculer soient clairement identifiables. Sont par conséquent exclues du

calcul du risque les références aux sentiments ou à l’affection qui, par définition, sont

difficilement saisissables463.

L’intuitus personae objectif permet ainsi aux contractants et aux tiers, principalement le

juge, d’identifier les qualités de la personne susceptibles de couvrir le risque contractuel. Or

l’identification de ces qualités rend le processus décisionnel explicable.

On voit donc que, contrairement à ce que l’on pourrait penser à première vue, rien ne

s’oppose au contrôle d’une décision mettant en jeu un intuitus personae objectif464. En

présence d’un tel intuitus personae, rien ne justifie que le choix du contractant soit

discrétionnaire par principe.

122. Un contrôle variable. Le degré de contrôle susceptible de porter sur une décision

prise dans un contexte d’intuitus personae objectif devrait varier en fonction de la nature des

qualités recherchées par le décideur465. Si ces qualités sont subjectives (réputation, loyauté

etc.), le contrôle devrait être minimal. M. KRAJESKI évoque dans ce cas un contrôle de

l’erreur manifeste d’appréciation et de l’intention de nuire. Lorsque les qualités sont

objectives (situation patrimoniale, diplômes etc.), le contrôle devrait être plus étendu. Il

pourrait s’agir d’un contrôle de l’abus entendu plus largement.

2) Les méthodes d’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur

123. Dualité d’évaluations. Les méthodes d’évaluation de la « dignité de crédit » d’un

emprunteur (Kreditwudigkeit) ne démentent pas les analyses qui précèdent. On le montrera en

463 M. KRAJESKI relève en ce sens que « les risques de l’opération envisagée constituent le guide qui permet de comprendre la structure interne de l’intuitus personae », (D. KRAJESKI, thèse préc., n°280).

464 V. dans le même sens M. KRAJESKI, selon lequel l’objectivité de l’intuitus personae « a des conséquences diamétralement opposées à celles de la subjectivité. Ainsi, au point de vue du sujet de la considération de la personne, le juge est susceptible de vérifier non seulement la réalité de sa considération, mais aussi l’étendue de celle-ci puisqu’elle doit toujours avoir un lien avec la finalité contractuelle. Ce lien supprime tout caractère discrétionnaire à la considération de la personne » (D. KRAJESKI, thèse préc., n° 308).

465 Pour VALLEUR, les qualités prises en compte varient en fonction de la nature du contrat : « Dans les contrats basés sur l’idée d’affection, l’identité physique comme l’identité civile sont généralement prises en considération » (F. VALLEUR, thèse préc., p. 102). En revanche, lorsque les contrats sont basés sur l’idée de confiance, « seront prises en considération les qualités actives de l’individu, c’est-à-dire les qualités colorant son activité des éléments qualitatif et quantitatif, tels le talent, l’habileté professionnelle, l’originalité, etc., quelques fois aussi les qualités passives telles la renommée pour un chirurgien, un artiste » (thèse préc., p. 103). Dans sa thèse, Mme CONTAMINE-RAYNAUD n’a pas adopté le même découpage que F. VALLEUR (entre les contrats basés sur l’affection ou la confiance) mais considère également que la nature des qualités prises en compte varie. Elle propose de scinder l’intuitus personae en un intuitus personae négatif et un intuitus personae positif. Avec le premier, il s’agit de vérifier « l’absence de qualités nocives » chez le candidat au contrat. Le second implique au contraire une « prise en compte de qualités positives distinguant tel individu des autres » (M. CONTAMINE-RAYNAUD, thèse préc., p. 53).

Page 113: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

111

opérant une distinction. La confiance que le banquier peut accorder à l’emprunteur suppose

que deux données soient analysées466 : la première, subjective, a trait au « vouloir payer » du

candidat467 (a) ; la seconde, objective est relative à son « pouvoir payer » (b).

a) Evaluation du « vouloir payer » de l’emprunteur

124. Définition. La détermination du « vouloir payer » de l’emprunteur repose sur des

éléments subjectifs tels que « l’honnêteté, la volonté, l’ingéniosité, le courage, l’opiniâtreté de

la personne à honorer sa dette, sa parole donnée »468. En d’autres termes, l’évaluation du

vouloir payer suppose l’analyse des qualités et de la personnalité de l’emprunteur (dirigeant

d’une entreprise ou particulier)469.

Pour apprécier ces éléments, le banquier doit faire appel aux qualités inhérentes à sa

fonction. Ces qualités « sont le fruit d’un ensemble de connaissances acquises et de dons

innés : Droit, Technique, Psychologie, Bon Sens, Jugement, Flair »470. Leur appréciation

repose sur le dialogue que le banquier établit avec le candidat au crédit471.

L’analyse du « vouloir payer » met donc en œuvre une double subjectivité : la

subjectivité des éléments pris en compte pour faire naître la confiance et celle du banquier

466 Pour une identification détaillée de ces données, v. A. SALGUEIRO, thèse préc., spéc. la Première partie. 467 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 279. Sur ce point, v. égal. J. STOUFFLET, JCP G 1972. 17082 :

l’auteur précise que l’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur est « faite à la fois d’éléments objectifs qui ne sont pas toujours exactement connus (solvabilité, liquidité, rentabilité), d’éléments personnels difficilement saisissables (probité, aptitude à la direction d’une entreprise) et de données économiques changeantes (conditions économiques générales, niveau de l’activité dans une branche ou une région) ».

468 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 288, p. 175. Sur ce point, v. tout particulièrement G. PETIT-DUTAILLIS, Le risque du crédit bancaire, t. 1, éd. Riber, 1967, 314, p. 222 : le crédit est un « acte de foi, né de la réunion d’éléments qu’il est difficile de dissocier et de nommer, mais parmi lesquels il est évident que les facteurs moraux sont prépondérants ».

469 M. PETIT-DUTAILLIS explique que « la personnalité c’est l’aptitude professionnelle et la moralité de l’emprunteur » (G. PETIT-DUTAILLIS, op. cit., p. 55).

470 G. PETIT-DUTAILLIS, op. cit., p. 40. Dans le même sens, v. J. HAMEL, propos introductifs à l’ouvrage de G. PETIT-DUTAILLIS, Le risque du crédit bancaire, op. cit., p. 8 : « le banquier ne sera capable de faire utilement ces appréciations que s’il possède un certain nombre de qualité dont les livres ne lui donneront pas le secret … bon sens, connaissance des hommes, sang-froid, équilibre intellectuel, tout cela ne s’acquiert que par l’expérience et la volonté ; et pourtant tout cela joue un rôle capital dans la manière dont le banquier aborde les risques de sa profession … et c’est pourquoi il ne suffit pas que le banquier soit un homme savant, il faut encore qu’il soit un homme sage ». V. égal. A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 296 et s.

471 Sur l’importance du dialogue, v. par ex. A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 299 : « Ce n’est que par le dialogue que le banquier pourra mesurer le comportement subjectif de son interlocuteur, et apprécier ses qualités d’intelligence, d’imagination, d’équilibre entre les exigences contraires de dynamisme et de réserve (…). Ce n’est que par le dialogue que le banquier pourra affirmer et mettre en œuvre ses talents d’intelligence, de psychologie, de discernement afin de dégager le caractère de son interlocuteur, sa solidité morale, sa correction dans les affaires ». Dans le même sens, v. R. CUIGNET, « La responsabilité juridique du donneur de crédit », Revue de la Banque 1976, p. 14, in limine : « même fugaces ou difficilement exprimables, les réactions ainsi perçues vont peser d’un poids important sur la décision à prendre… car au même titre que les données subjectives, elles contribuent à forger la conviction intime du donneur de crédit à l’égard de la personne du crédité ».

Page 114: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

112

dans leur traitement. Pour autant, cette double subjectivité ne justifie pas l’existence d’un

pouvoir discrétionnaire de décision du banquier.

125. Subjectivité des éléments pris en compte par le banquier. En premier lieu, le

caractère subjectif des éléments pris en compte par le banquier ne constitue pas un obstacle à

leur identification. Le banquier est en effet en mesure d’indiquer lequel de ces éléments fait

défaut et a par conséquent fondé le refus de crédit. Dès lors que ces éléments sont

identifiables, rien ne s’oppose, par principe, au contrôle de la légitimité de la décision prise

sur leur fondement.

Pour s’en convaincre, il convient de faire un détour par le droit de l’adoption. L’article

353 du Code civil prévoit que la décision d’autoriser ou de refuser l’adoption fait l’objet d’un

jugement du tribunal de grande instance. Celui-ci doit prendre en compte des éléments

objectifs (respect des conditions légales) et subjectifs, parmi lesquels l’intérêt de l’enfant et

l’équilibre de la vie familiale du candidat à l’adoption lorsque ce dernier a déjà des

descendants472. La Cour d’appel de Paris a précisé que l’intérêt de l’enfant recouvre aussi bien

son intérêt patrimonial que son intérêt moral473. Lorsqu’il est apprécié sous l’angle moral,

l’intérêt de l’enfant constitue un élément d’appréciation que l’on peut qualifier de « subjectif

renforcé ». Or, nonobstant la présence d’éléments subjectifs, le jugement doit être motivé en

cas de refus d’adoption (art. 353 al. 5). Le jugement est en outre susceptible d’appel et de

pourvoi en cassation.

L’obligation de motiver le jugement prouve qu’il est possible d’expliquer rationnellement

une décision fondée sur des éléments subjectifs. Corrélativement, l’ouverture des voies de

l’appel et du pourvoi en cassation témoigne du possible contrôle d’une décision prise sur la

base de tels éléments.

En conséquence, à la lumière de ce qui précède, on voit que la nature subjective des

éléments qui fondent une décision n’implique en rien son caractère incontrôlable. Ce qui vaut

pour le jugement d’adoption ne saurait manquer de valoir pour la décision du banquier

d’octroyer un crédit.

126. Subjectivité du banquier dans la prise en compte des qualités de l’emprunteur.

En second lieu, l’existence d’un pouvoir discrétionnaire du banquier ne saurait être déduite de

472 Sur ce point, v. notamment Droit de la famille, Dalloz action 2014-2015, dir. P. MURRAT, n° 221-253 ;

Ph. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, Defrénois, 4e éd., 2011, n° 1419. 473 CA Paris, 8 janvier 1981, GP 1981. 2. 572, note VIATTE.

Page 115: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

113

sa subjectivité dans l’appréciation des qualités de l’emprunteur. On peut invoquer deux

raisons en ce sens.

La première rejoint celle qui vient d’être développée : à partir du moment où les

compétences et connaissances du banquier sont identifiables, leur mise en œuvre peut être

contrôlée, si besoin, à l’appui d’une expertise commandée par le juge. La situation du

banquier n’a rien de spécifique. Elle est similaire à celle qui préside à l’engagement de toute

responsabilité professionnelle. Ainsi, qu’il s’agisse du médecin, de l’architecte ou encore de

l’avocat, tous sont susceptibles d’avoir à justifier de l’exercice de leurs compétences et de

l’utilisation de leurs connaissances lorsqu’un patient ou client s’estime lésé.

La deuxième raison peut être tirée des règles applicables à la rupture du crédit. Le

banquier est libre de rompre un contrat de crédit à durée indéterminée474. Ce droit est soumis

au respect d’un préavis, sauf en cas de situation irrémédiablement compromise. « Est

irrémédiablement compromise la situation d’une entreprise dont l’équilibre financier est

compromis (…) sans qu’existe aucune perspective sérieuse ou réaliste qu’elle puisse retrouver

éventuellement la santé financière et économique en dehors de l’ouverture d’une procédure

collective »475. Ainsi, le banquier qui entend rompre sans préavis un crédit doit, à l’aide de ses

connaissances et de ses compétences, analyser la situation financière de l’entreprise et

déterminer si elle est irrémédiablement compromise. Or la décision du banquier peut faire

l’objet d’un contrôle judiciaire ; elle est susceptible d’engager sa responsabilité lorsque la

rupture est fautive. En d’autres termes, la mise en œuvre, par le banquier, de connaissances et

de compétences particulières pour prendre la décision de rompre le crédit ne la rend pas

incontrôlable, c’est-à-dire discrétionnaire.

127. Conclusion. La détermination du « vouloir payer » de l’emprunteur constitue une

opération reposant sur des éléments identifiables et par conséquent contrôlables. Si ces

éléments sont subjectifs, ce contrôle devrait être restreint et s’ils sont objectifs, il pourrait être

plus étendu conformément à la distinction qui a précédemment été établie476. En tout état de

cause, la discrétionnarité n’est consubstantielle ni à la situation de confiance ni au caractère

intuitu personae du contrat.

474 Art. L. 313-12 CMF. 475 F.-J. CREDOT, « La relation causale et le préjudice en cas de rupture brutale de concours bancaires »,

Mélanges en l’honneur de Michel Vasseur, Banque éditeur, 2000, p. 63. 476 Supra n° 122.

Page 116: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

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b) La détermination du « pouvoir payer » de l’emprunteur

128. Plan. L’évolution des techniques d’évaluation de la dignité de crédit de

l’emprunteur tend à diminuer l’importance de l’analyse de son « vouloir payer »477. L’accent

est désormais mis sur l’étude de son « pouvoir payer ». Cette dernière peut être mise en œuvre

selon une méthode classique (b-1) ou selon la technique du crédit-scoring (b-2).

b-1) La méthode classique

129. Présentation. Cette méthode consiste, pour les crédits aux entreprises, en une

analyse technique et commerciale (compétitivité des outils et techniques de production,

pertinence de la politique commerciale menée) et une analyse financière (analyse des résultats

et bilans de l’entreprise478). Pour les crédits aux particuliers, le banquier doit déterminer la

solvabilité de l’emprunteur en mesurant l’ensemble de ses revenus et de ses charges479. Ces

dernières comprennent tant les « dépenses spécifiques d’endettement (loyers, coût des

véhicules automobiles, coût des études des enfants, pensions alimentaires, impôts sur le

revenu etc.) » que « les dépenses courantes assimilées à la moyenne statistique de la même

catégorie sociale »480.

Le banquier dispose de nombreuses sources lui permettant d’obtenir ces informations.

Elles peuvent être officielles (fichier FIBEN, fichier de la centrale des bilans, fichier central

des chèques, fichier des incidents de paiement, centrale des risques, FICP et publicité légale)

477 Cette évaluation est absente dans le cas des ventes à tempérament puisque dans cette hypothèse le prêteur

se limite bien souvent à la consultation du FICP. Comme le relève Monsieur SALGUIERO, « force est de constater que l’établissement de crédit, de par le mode de distribution du crédit, mais aussi de par le volume des crédits distribués, est particulièrement démuni quant à l’appréciation de notions comme l’honorabilité, la moralité ou la personnalité de l’emprunteur » (A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 321). V. égal. J. LAZARUS, « L’épreuve du crédit », Sociétés contemporaines n° 76, p. 17- 40, spéc. p. 20-21 : l’auteur explique que si des liens interpersonnels subsistent dans le cadre du crédit aux entreprises, il n’en va pas de même en matière de crédit aux particuliers. Ces derniers s’inscrivent dans un mouvement d’anonymisation de la relation bancaire : « pour les particuliers, l’afflux des clients, la transformation des formations et des tâches des employés de banque, la mise en place d’outils d’évaluation statistiques, ont industrialisé le crédit ».

478 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 281: « L’analyse financière de l’entreprise doit ainsi remplir deux objectifs : donner l’historique des comptes de la comptabilité générale sur quelques années par le calcul d’agrégats bien représentatifs, et permettre le calcul des ratios représentatifs de la situation de l’entreprise ».

479 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 310 : sont compris dans les revenus, « les revenus issus de l’activité du particulier (tels que salaires, honoraires, pensions, allocations familiales etc.), les revenus issus des biens immobiliers (loyers), ainsi que les revenus issus de placements financiers. Parmi les charges, le banquier opèrera une ventilation entre d’une part, les charges financières liées au remboursement d’éventuels emprunts (à l’habitat ou la consommation), aux impôts, aux primes d’assurance et aux autres charges sociales, aux dettes ou aux pensions à payer ; et d’autre part, les dépenses de consommation, et celles liées au logement telles que, par exemple, alimentation, habillement, loisirs, loyers etc., en somme celles liées au train de vie ».

480 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 314.

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ou privées (fichiers privés des établissements de crédit, informations échangées entre les

établissements bancaires, informations fournies par le client, agences de renseignement,

partenaires du client, presse).

130. Inconvénients. L’analyse classique est empreinte d’un fort relativisme481. En effet,

non seulement la hiérarchisation des critères identifiés est propre à chaque décideur482, mais

encore des paramètres extérieurs à la situation du candidat emprunteur peuvent venir

influencer la prise de décision483. En tout état de cause, « la prise de décision est

nécessairement imparfaite… elle l’est par manque de temps, par manque d’éléments

sciemment ou non occultés, par les aléas du futur, par la tromperie dans certains cas, par la

nécessité de faire confiance et d’aller vite d’une manière générale »484.

b-2) Le crédit-scoring

131. Présentation. Apparu dans années 1950 aux Etats-Unis, le scoring s’est développé

en France à partir des années 1980. Le scoring est « une méthode automatisée d’évaluation

des risques d’emprunt. Plus précisément, il s’agit, par la mise en œuvre de solutions

logicielles reposant sur des calculs de probabilité et des statistiques, d’associer à des

informations ou données personnelles des pondérations particulières afin d’attribuer un score

à chaque demandeur d’un prêt de manière à pouvoir apprécier le risque de défaillance de cet

emprunteur potentiel »485.

S’agissant des crédits aux particuliers, la grille de score prend en compte plusieurs

critères, à savoir, les revenus, les charges, le patrimoine, la nationalité486, l’âge, la situation

481 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 323 : « chaque agent qui analyse la dignité de crédit du demandeur

particulier opère une pondération des critères en fonction de son vécu, de son expérience, et donc pas toujours à l’aide de techniques purement rationnelles et objectives. Comme en matière de crédit aux entreprises, le banquier effectue son “équation personnelle” afin de prendre la décision d’octroi ou de refus ».

482 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 300 : « Tel ou tel critère, déterminant dans un dossier sera sans force dans un autre, et il n’en est guère au total dont on puisse généraliser la portée effective. Aucun, au surplus, n’a de valeur fixe, même dans un dossier précis à un moment déterminé, puisque selon les institutions de crédit la solution pourra varier ».

483 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 301 : « la politique des risques de l’institution, sa politique commerciale (conquérir de nouveaux clients) (…). De même que l’existence de liens familiaux avec un « gros » client ou l’existence de liens juridiques avec un groupe ».

484 A. BUTHURIEUX, La responsabilité du banquier, Litec, 1999, p. 199. 485 S. CARRE, « Les difficultés du scoring », Le crédit. Aspects juridiques et économiques, dir. J.

LASSERRE CAPDEVILLE et M. STORCK, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2012, p. 137. 486 Ce critère a d’abord été considéré comme illégitime par la CNIL dans une délibération du 22 décembre

1998 (Délib. n° 98-101) avant d’être validé par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 30 octobre 2001 (CE, 30 oct. 2001, « Association française des sociétés financières », D. 2001, AJ, 3529 ; RTD com, 2002, 139, obs. R. CABRILLAC).

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116

professionnelle (existence ou non d’un emploi, nature de l’emploi), la situation bancaire

(existence d’un compte bancaire, existence, nature et objet d’éventuels emprunts bancaires),

familiale (statut matrimonial, nombre de personnes à charge) et enfin la situation relative au

logement (occupant locataire ou propriétaire, ancienneté dans le logement et situation

géographique du logement)487. La référence à l’état de santé du demandeur de crédit est en

revanche interdite488. L’établissement de crédit qui entend intégrer cet élément dans son

système de score doit demander une autorisation spéciale de la CNIL.

La technique du scoring appliquée à la distribution du crédit aux entreprises489 « consiste

à sélectionner deux échantillons (de taille identique), l’un composé d’entreprises ayant connu

la défaillance, l’autre d’entreprises ayant fait la preuve de leur viabilité dans le passé. Pour

chacune de ces entreprises on dispose d’un certain nombre de ratios économiques et

financiers. L’analyse discriminante permet de sélectionner un petit nombre de ratios et de les

combiner par le jeu de coefficients afin d’obtenir une note globale de l’entreprise, score, la

contrainte de sélection étant que la note ainsi obtenue appliquée aux entreprises des

échantillons initiaux, corresponde au plus près à leur situation réelle (défaillantes ou

vivantes) »490. Le score obtenu constitue l’indice d’une potentielle défaillance future (« trois à

quatre ans maximum »491) de l’entreprise. Il existe plusieurs formules de score (formules

d’Altman, de Conan et Holder, score de la Banque de France ou encore la formule des

« creditmen »)492.

Le credit-scoring se démarque ainsi de la méthode classique d’évaluation de la dignité de

crédit de l’emprunteur. Il n’est pas dépourvu d’incidence sur la création de la confiance dans

la mesure où celle-ci résulte de la simple obtention d’un résultat493. Cette technique détache

donc la confiance de toute idée d’affection ou de sentiment. La relation humaine entre le

banquier et le candidat à l’emprunt est pour cette raison fortement réduite. La confiance n’est

plus le reflet de l’état d’esprit du banquier. Elle n’est plus accordée directement à un individu

mais résulte de l’application d’un système de traitement de l’information. En d’autres termes,

487 Pour une analyse détaillée de ces critères, v. A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 330 à 383. 488 Des auteurs ont souligné le caractère superflu de cette interdiction qui est « en décalage avec les pratiques

d’évaluation du crédit, d’autant que leur collecte est permise par la norme simplifiée n°13 dans le cadre de la souscription d’une assurance dédiée au remboursement de la dette » (M. GAUDEMET et R. PERRAY, « “Socring” et protection des données personnelles : un nouveau régime à l’efficacité incertaine », LPA, 30 mai 2006, n° 107, p. 8). Ils expliquent que l’assurance étant bien souvent une condition d’octroi du prêt, le prêteur est nécessairement amené à connaître l’état de santé de la personne.

489 Pour une explication détaillée de cette méthode, v. A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 415 à 419. 490 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 415. 491 Ibid. 492 Sur ce point, v. A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 416 à 419. 493 Si le résultat positif ne suffit pas toujours à obtenir le crédit, en revanche l’obtention d’un résultat négatif

entraine un refus de crédit automatique.

Page 119: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

117

la confiance du banquier en son emprunteur est une confiance médiatisée par le système du

scoring. Elle est un état créé non pas intuitivement mais objectivement. On peut à cet égard

parler d’objectivité renforcée. D’une part, en ne prenant pas en compte le « vouloir payer »,

véritable zone de subjectivité en la matière, le recours au scoring renforce le caractère objectif

des éléments nourrissant la décision du banquier. D’autre part, le banquier n’a pas à

intellectualiser les données collectées puisque l’évaluation de la dignité de crédit est le fruit de

la seule intelligence artificielle du système informatique.

132. Avantages et inconvénients du credit-scoring. La technique du scoring présente

plusieurs avantages. Dotée d’une « capacité de prédiction de l’ordre du dix millième »494, elle

assure une maîtrise du risque des impayés de crédit et améliore la rentabilité des

établissements de crédit495. Elle permet en outre à l’établissement de crédit d’adopter une

politique de provisionnement adaptée496, de gagner en efficacité497 et en objectivité498. En

contrepartie, le scoring n’est pas dépourvu d’inconvénients.

S’agissant du crédit aux particuliers, il est tout d’abord inapte à évaluer le « vouloir

payer » de l’emprunteur499. Le traitement informatique des données ne permet pas d’établir un

dialogue avec l’emprunteur, étape pourtant nécessaire pour apprécier ses qualités humaines

(réactivité, sensibilité, motivation…). Il opère en outre « des simplifications abusives » en

pondérant de façon systématiquement négative des critères comme le peu d’ancienneté dans

494 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 400. 495 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 389 : « chaque client accepté a été noté par le score, la probabilité des

impayés ou des contentieux peut être estimée. Ces prévisions permettent, d’une part, de déterminer avec précision les provisions à effectuer, et d’autre part, de mesurer avec finesse les conséquences commerciales (baisse ou augmentation du chiffre d’affaires) ou contentieuses (baisse ou augmentation des impayés) entrainées par la modification des seuils de sélection. Si bien que, au final, la réunion de ces paramètres (de productivité, d’objectivité de la décision, de gains en terme de coûts de production) ne pouvait qu’améliorer la rentabilité des établissements de crédit ».

496 Sur ce point, v. Conseil National du Crédit, Rapport sur le risque de crédit, 1995, p. 24 et s. et p. 261 et s. Voir également, C. GINIER, « Intégrer le risque de crédit dans la mesure de la performance des agences », Revue Banque, n°574, 1996, p. 54.

497 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 400, p. 226 : « l’automatisation de la décision et de l’analyse du dossier permet une rapidité d’exécution incomparable. Si bien qu’en pratique la décision d’octroi ou de refus ne prend guère que le temps qu’il faut pour remplir le dossier (…), c’est-à-dire une quinzaine de minutes ».

498 V. dans le même sens, v. N. EBER, « Sélection de clientèle et exclusion bancaire », Revue d’économie financière, 25 juillet 2000, p. 88 : « L’avantage du crédit scoring comme procédure de sélection de clientèle est que cette procédure est plus rapide, moins coûteuse et plus objective que les autres procédures » ; A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 400 : « Cette objectivité est assurée par le fait que tous les demandeurs se voient appliquer les mêmes critères, indépendamment de leur race, de leur sexe ou d’autres facteurs qui ne devraient pas entrer en ligne de compte dans la décision de crédit. En effet, une fois les critères du score déterminés et quantifiés grâce à l’analyse discriminante, la probabilité de défaillance ou du risque apparaît à l’écran sans que l’intervention humaine puisse la modifier « étant donné que le système est sécurisé sur ce point (c’est-à-dire que le cœur du système n’est pas accessible pour l’employé, et fonctionne alors comme une boîte noire) ».

499 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 405 : « la technique du crédit-scoring ne dit rien sur la valeur de l’engagement de l’emprunteur , son mode de vie, sa volonté de remplir ses engagements ».

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118

l’emploi ou encore la situation de divorcé500. Enfin, en catégorisant l’emprunteur et en

l’intégrant à un groupe créé pour les besoins du calcul, le scoring « procède d’une vision

réductrice de l’individu »501. Comme le relève M. SALGUIERO, « on peut même dire que le

propre de cette technique est de nier l’homme dans son individualité en l’assimilant au groupe

duquel il se rapproche le plus. Elle opère, pour ainsi dire, une catégorisation des individus

sans prendre en considération les qualités intrinsèques de chacun »502.

En ce qui concerne le crédit aux entreprises, on peut reprocher au scoring son caractère

inadapté à la spécificité de chaque entreprise, dans la mesure où il repose sur un raisonnement

statistique et standardisé 503. La « capacité prédictive » de cette technique peut être contestée

en raison de la taille insuffisante de « l’échantillon de base servant à la confection des

scores »504 et de la faible représentativité des périodes de référence505. Le choix des ratios est

également critiqué506. Enfin, comme pour les crédits aux particuliers, la technique du scoring

est incapable d’appréhender des éléments subjectifs comme les qualités morales et

professionnelles du dirigeant.

500 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 405. L’auteur poursuit en expliquant : « Ainsi, un jeune de 20 ans, n’est

pas forcément et systématiquement moins apte à rembourser un crédit qu’un quinquagénaire vivant dans l’opulence. De même qu’un divorcé n’est pas automatiquement un mauvais payeur de ce seul fait. Or, la technique du crédit-scoring pondère négativement l’existence de ces critères chez le demandeur, ce qui peut apparaître comme beaucoup trop radical est rudimentaire ».

501 A. SALGUEIRO, thèse préc., n°405. 502 Ibid. 503 Sur ce point, v. J.-P. BERTREL, Relation banques-entreprises, éd. Francis Lefebvre, Paris, 1992, n°

1027. Le Conseil National du Crédit dénonce « la valeur illusoire d’une note globale accordée à l’entreprise ; d’une part, il sera plus simple d’utiliser directement les ratios élémentaires qui composent cette note globale ; d’autre part, les critères de jugement financier doivent être interprétés de façon très variable selon la situation de chaque entreprise et celle de son secteur d’activité ».

504 A. SALGUEIRO, thèse préc., n°421 : « si le score permet de relativement bien identifier les deux classes extrêmes du risque d’entreprise (soit très bonnes, soit très risquées) sa capacité prédictive s’atténue fortement concernant les entreprises dont les caractéristiques sont moyennes (…). Cette dernière limite liée à la pertinence n’est pas tout à fait étrangère à la taille de l’échantillon servant de base à la confection des scores. S’il est vrai que pour les particuliers les échantillons peuvent représenter des millions d’individus, très souvent celui-ci représente seulement quelques centaines d’entreprises ou au mieux quelques milliers pour le score Banque de France. Ceci est d’ailleurs confirmé par le processus d’établissement du score BDFI qui s’appuie uniquement sur des entreprises (PMI) d’une certaine taille (entre 10 et 500 salariés), soumises à l’IS, ce qui élimine de l’échantillon les très petites entreprises. Comment alors considérer comme pertinent un score appliqué à ces dernières ? ».

505 Ibid. : « sur un échantillon datant par exemple des années 1990-1995, on peut légitimement se demander si l’environnement économique et financier des entreprises n’a pas évolué depuis. Le risque étant que le score établi à partir de l’échantillon ne soit pas autant prédictif pour évaluer les entreprises actuelles dont les caractéristiques peuvent être différentes ».

506 B. DAUBÉ, « Prévision des faillites et informatique », Revue de Jurisprudence Commerciale novembre 1979, n° spécial, L’informatique et le droit commercial, p. 399 : « le raisonnement à base de ratio est au demeurant critiquable dans son principe ; les ratios financiers et comptables sont en effet fondés sur des comportements et résultats passés de l’entreprise, et si leur résultat sont extrapolables en avenir connu, il n’en est pas de même en avenir inconnu, ce qui est précisément le cas des situations économiques actuelles ». Cet argument s’applique a fortiori aujourd’hui.

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119

Plus largement, cette technique peut se révéler particulièrement néfaste pour l’entreprise.

D’une part, en détectant a priori le risque que représente l’entreprise, le scoring peut

influencer ses partenaires et les inciter à prendre des mesures préjudiciables pour sa survie

(non renouvellement d’un contrat dans la crainte d’une défaillance future…)507. D’autre part,

la mise en œuvre d’un système de score partagé par l’ensemble des établissements de crédit

peut faire craindre une uniformisation des réponses aux demandes de crédit. Comme

l’explique M. SALGUIERO, « il y a fort à penser que les bureaux d’analyse du risque chargés

d’étudier la solvabilité des entreprises demandeurs de crédit, seront très vite réunis. Dès lors,

un refus dans une banque entraînera probablement un autre refus dans la banque fusionnée

avec la première. Il n’y a rien d’imaginaire là-dedans, on sait déjà que la cotation Banque de

France joue un rôle primordial dans la décision d’octroi ou de refus de crédit »508.

Finalement, il apparaît clairement que le processus décisionnel du banquier est imparfait.

Or si le processus est imparfait, force est d’admettre que le résultat de ce processus, c’est-à-

dire la décision en elle-même, est potentiellement imparfait. Dans cette mesure, le caractère

discrétionnaire de la décision est éminemment contestable. Comment en effet justifier

l’existence d’un pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire incontrôlable, lorsqu’il est établi que ce

pouvoir peut être exercé de manière critiquable? L’enjeu que représente l’accès au crédit

plaide en faveur du contrôle de la décision du banquier.

133. Conclusion. Les nouvelles techniques d’évaluation de la dignité de crédit de

l’emprunteur reflètent l’évolution des mécanismes de formation des liens sociaux, marqués

par une dépersonnalisation et une spécialisation à l’extrême. A tel point que l’on peut se

demander si la confiance a réellement sa place dans le contrat de crédit. Pour reprendre les

mots d’un auteur : « “traiter” tout problème, et tout être, à l’étalon supposée fiable d’une

expertise, n’est-ce pas parfois perdre ou (ruiner) une capacité de relation humaine directe

appelée aussi confiance ? »509. En d’autres termes, « si nous faisons désormais confiance

507 V. en ce sens A. SALGUIERO : « Ce n’est pas là une simple hypothèse d’école, mais bien au contraire un

risque qui correspond de plus en plus à la réalité. En effet, ce risque trouve largement sa source dans l’inefficacité ou la difficulté de mise en œuvre des garanties lors de procédures collectives, et qui ne peut que pousser les partenaires de l’entreprise à s’interroger bien à l’avance des éventuelles défaillances. Or la technique du crédit-scoring s’inscrit parfaitement dans cette logique de détection du risque a priori dont le chef d’entreprise ne peut plus faire fi » (thèse préc. n° 424).

508 A. SALGUEIRO, thèse préc., n° 425. 509 L. CORNU, « La confiance comme relation émancipatrice », in Les moments de la confiance,

connaissance, affects et engagements, op. cit., p. 172. Dans le même sens, « les sociétés contemporaines ne sont-elles pas des sociétés dans lesquelles prédominent les relations entre anonymes? Comment la confiance est-elle encore possible entre des personnes qui ne savent rien les unes des autres ? Et si l’action est si étroitement

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120

aux “experts ” (pilotes, soignants, psys, techniciens, politiques mêmes, etc., estampillés

“professionnels”, toutes assurances prises sur diplôme et réputation), n’est-ce pas l’effet d’une

redistribution, d’une rationalisation, et d’une régulation des méfiances ? »510.

En tout cas, l’étude des méthodes d’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur

révèle que la décision du banquier d’octroyer ou non sa confiance n’est pas le fruit d’un

processus intuitif reposant sur l’intime conviction du banquier. Il s’agit bien au contraire d’un

processus explicable et rationnel.

On peut d’ailleurs remarquer que l’exigence systématique de sûretés vient fortement

relativiser l’importance de la confiance intuitive dans la décision du banquier de consentir un

crédit511. Plus fortes sont les sûretés, moins essentielle est la confiance qu’inspire

personnellement le candidat à l’emprunt.

§ - II. LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION PRISE DANS UN

CONTEXTE DE CONFIANCE OU D’INTUITUS PERSONAE

134. Plan. Comme on vient de le voir, la confiance et l’intuitus personae reposent sur des

éléments objectifs susceptibles de contrôle. Cette approche théorique doit être confrontée à la

réalité du droit positif. Une décision prise dans un contexte de confiance et d’intuitus

personae peut-elle revêtir un caractère discrétionnaire? Si l’on se réfère à l’arrêt Tapie, la

réponse est positive s’agissant de la décision du banquier d’octroyer un crédit. Pourtant, cette

réponse est contredite par la jurisprudence qui se rapporte à la décision de mettre fin au

contrat de travail, alors même que celui-ci est conclu dans un contexte de confiance ou

d’intuitus personae (A). Nous montrerons ensuite que si la perte de confiance peut fonder la

décision de rompre le contrat de crédit, c’est seulement à condition qu’elle soit dépouillée de

tout caractère arbitraire (B). Cette solution est conforme à la place que la confiance doit

occuper au sein du contrat (C).

encadrée par des dispositifs techniques de contrôle, comment laisserait-elle encore place à l’ambiguïté et à l’incertain ? ».

510 Ibid. 511 Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 622.

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121

A – LE REJET DE LA PERTE DE CONFIANCE EN MATIÈRE DE LICENCIEMENT

135. Plan. Après l’avoir exposée la jurisprudence relative au licenciement (1), on

s’interrogera sur ses fondements (2).

1) La jurisprudence relative au licenciement

136. Avant l’arrêt Fetray. La perte de confiance de l’employeur en la personne du

salarié a pendant longtemps constitué un motif légitime de licenciement. Le droit de

l’employeur de licencier pour ce motif avait pu être qualifié de « pouvoir de droit divin »512.

Son caractère arbitraire et subjectif était cependant dénoncé par une partie de la doctrine513. En

particulier, M. CHIREZ s’était interrogé sur la légitimité du motif tiré de la perte de

confiance. Il avait souligné le caractère hypothétique de l’intuitus personae dans le contrat de

travail, dénoncé la subjectivité de la perte de confiance comme cause de licenciement et la

difficulté corrélative, pour le salarié, de la contester514. En d’autres termes, la perte de

confiance constituait un « motif quasi incontrôlable d’un droit de rompre presque

discrétionnaire »515. M. CHIREZ avait donc proposé la mise en place d’un contrôle judiciaire

de la légitimité ce motif. Il s’agissait d’exiger qu’il soit justifié par des éléments objectifs.

137. Depuis l’arrêt Fertray. Effectivement, dans son arrêt Fertray du 29 novembre

1990, la Chambre sociale a énoncé qu’un « licenciement pour une cause inhérente à la

personne du salarié [devait] être fondé sur des éléments objectifs » et que « la perte de

confiance ne constitu[ait] pas en soi un motif de licenciement »516.

La Haute juridiction a ensuite jugé, dans un arrêt en date 29 mai 2001, que « la perte de

confiance de l'employeur ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement

512 G. THOMAS, « Les licenciements non économiques des salariés non protégés et la jurisprudence de la Cour de cassation », Droit Ouvrier 1982, p. 138, cité par Cl. SAINT-DIDIER, « À propos de la perte de confiance (Commentaire de Cass. Soc. 29 nov. 1990 Dame Fertray c/ Ets Wagner) », RRJ 1991-3, p. 868.

513 Sur ce point, v. Cl. SAINT-DIDIER, comm. préc., p. 869. 514 A. CHIREZ, « La perte de confiance par l’employeur constitue-t-elle une cause réelle et sérieuse de

licenciement ? », D. 1981, chron. p. 193. L’existence de l’intuitus personae a également été remise en cause par les professeurs SINAY et LYON-CAEN (v. H. SINAY et G. LYON-CAEN, « La réintégration des représentants du personnel irrégulièrement licenciés, JCP 1970. I. 2335).

515 A. CHIREZ, art. préc., p. 194. 516 Soc., 29 nov. 1990, Bull. civ. V, n° 597, D. 1991. J. p. 190, note J. PELISSIER ; Dr. soc. 1992, p. 39 et

comm. F. GAUDU « Le licenciement pour perte de confiance », p. 32. ; RRJ 1991-3, note Cl. SAINT-DIDIER. Jurisprudence antérieure en sens contraire : Soc. 26 juin 1980, Bull. civ. V, n° 573 ; 22 oct. 1981, Bull. civ. V, n° 817 ; 6 juill. 1983, Bull civ. V, p. 281 ; Soc. 29 fév. 1984, Bull. civ. V, n° 76. V. aussi Soc. 7 déc. 1999, RJS 1/100, n° 25 ; 6 oct. 1999, RJS 11/99, n° 1355 ; 25 mars 1998, Dufour c/ Imprimerie Suin SA, n° 1740, CERIT ; 11 mars 1998, SA Sogeparc Service c/ Jemaa, n° 1388D, CERIT.

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122

même quand elle repose sur des éléments objectifs ; que seuls ces éléments objectifs peuvent,

le cas échéant, constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu

en résulter pour l'employeur »517.

2) Fondement

138. La place réduite de la confiance en droit du travail. Dans une première analyse,

le revirement opéré par la Cour de cassation en 1990 s’inscrirait dans un mouvement

d’ensemble consistant en un accroissement considérable de l’encadrement de la décision

d’embauche. Cet accroissement manifesterait une réduction du rôle de la confiance dans le

contrat de travail et entraînerait un déclin corrélatif de son caractère intuitu personae518.

L’expression de « fongibilité du salarié » a été utilisée pour désigner le phénomène de

dépersonnalisation des rapports entre l’employeur et le candidat à l’embauche519. De fait, les

employés sont aujourd’hui recrutés sur la base d’un ensemble de données objectives telles que

le niveau de diplôme, les années d’expérience, l’âge ou la mobilité. Si la confiance joue un

rôle réduit au stade de la conclusion du contrat de travail, il peut paraître logique d’en déduire

qu’elle exerce une influence également réduite au stade de son exécution.

Cette présentation est cependant contestable. La prise en compte d’éléments objectifs lors

de l’embauche ne traduit pas une réduction du rôle de la confiance mais plutôt une évolution

de ses fondements. A l’image des critères pris en compte par le banquier lors de la décision

d’octroi de crédit, les critères utilisés par l’employeur lors de l’embauche traduisent une

spécialisation croissante des informations qu’il recherche. La confiance reste nécessaire mais

repose désormais sur une base objective. L’éviction de la perte de confiance comme motif de

licenciement ne peut donc simplement s’expliquer par la dépersonnalisation de la relation de

travail.

139. L’objectivation de la cause personnelle de licenciement. Pour comprendre la

jurisprudence Fertray, il nous semble qu’il convient plutôt de partir d’une analyse des

dispositions légales. Selon l’article L. 1232-1 du Code du travail, « tout licenciement pour

motif personnel est motivé (…). Il est justifié par une cause réelle et sérieuse ».

517 Soc. 29 mai 2001, Bull. civ. V, n° 183 ; D. 2001, p. 921, note A. GARDIN. 518 Cl. SAINT-DIDIER, comm. préc., p. 867, spéc. note 2. 519 Ibid., p. 867.

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123

La cause réelle est une cause « objective, indépendante de la bonne ou de la mauvaise

humeur de l'employeur »520. Elle « doit être à la fois une cause existante et une cause

exacte »521. Le licenciement doit donc reposer sur des éléments objectifs.

La cause sérieuse est une « une cause revêtant une certaine gravité, qui rend impossible

sans dommages pour l'entreprise, la continuation du travail et qui rend nécessaire le

licenciement »522. Il peut s’agir d’un comportement fautif ou non fautif du salarié

(insuffisance professionnelle ou de résultat).

Il en résulte que seul le comportement du salarié peut être une cause seule réelle et

sérieuse de licenciement. Il est dès lors normal que la jurisprudence rejette la perte de

confiance comme motif du licenciement. En effet, la perte de confiance n’est pas la cause du

licenciement. Elle est la conséquence de cette cause, à savoir le comportement du salarié. Or

cette conséquence subjective, reflet du seul état d’esprit de l’employeur, est indifférente.

Seule compte l’analyse du comportement du salarié et ses répercussions objectives sur le

maintien ou non de la relation de travail. La doctrine travailliste parle pour cette raison d’une

« objectivation de la cause personnelle du licenciement »523.

Comme le relève un commentateur de l’arrêt précité du 29 mai 2001, « l’évolution est

manifeste par rapport à l’arrêt Fertray : la part de subjectivité de l’employeur qui, jusqu’alors

était susceptible de participer de la justification du licenciement se trouve désormais purement

et simplement bannie. La cause du licenciement doit résider uniquement dans des éléments

objectifs, et non sur une appréciation subjective de l’employeur, trouvant elle-même appui sur

lesdits éléments »524. La cause du licenciement est détachée « progressivement de la volonté

de l’employeur »525.

Il faut noter que deux voies étaient envisageables pour parvenir à cette objectivation. La

première consistait à opérer « un contrôle objectif a posteriori »526 de la légitimité de la perte

de confiance. La seconde, qui est celle retenue par la Cour de cassation, consiste à neutraliser

« la subjectivité de l’employeur par l’éviction pure et simple de la perte de confiance de la

catégorie (…) des causes admissibles de licenciement »527. Cette solution reflète la volonté

affichée par la Cour de cassation de faire du licenciement une procédure objective

520 JOAN, 30 mai 1973, p. 1619. 521 Rapp. AN, 1973, n° 352, p. 46. 522 JOAN, 30 mai 1973, p. 1619. 523 A. GARDIN, « L’éviction de la perte de confiance: une nouvelle étape dans l’objectivation de la cause du

licenciement pour motif personnel (à propos de Soc. 29 mai 2001) », D. 2002, p. 921. 524 A. GARDIN, note préc., p. 922. 525 Ibid. 526 Ibid. 527 Ibid., p. 923.

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124

indépendante de l’appréciation de l’employeur. Ainsi, en évinçant la perte de confiance

comme motif de licenciement, la Cour de cassation a entendu montrer que la confiance,

pourtant nécessaire à la naissance et au maintien de la relation contractuelle, ne saurait

justifier la décision de la rompre.

En résumé, le rejet de ce motif témoigne d’une volonté d’exclure tout risque d’arbitraire

au stade de la rupture du contrat de travail.

Au-delà de ce constat, l’objectivation de la cause réelle et sérieuse du licenciement est

également en harmonie avec l’impératif de protection du salarié, partie faible, et avec la

promotion du droit au travail reconnu par le préambule de la Constitution de 1946.

B – L’ADMISSION CONDITIONNÉE DE LA PERTE DE CONFIANCE AU STADE

DE LA RUPTURE DU CRÉDIT

140. Plan. Nous étudierons d’abord la rupture d’un crédit octroyé à une entreprise (1)

avant d’envisager celle d’un crédit consenti à un particulier (2).

1) La rupture d’un crédit octroyé à une entreprise

141. L’article L. 313-12 al. 2 du CMF. L’article L. 313-12 alinéa 2 du Code monétaire

et financier reconnaît au banquier le droit de rompre, sans préavis, le contrat de crédit à durée

déterminée ou indéterminée en cas de comportement gravement répréhensible de

l’emprunteur ou lorsque sa situation est irrémédiablement compromise. On le voit, la perte de

confiance du banquier doit être caractérisée par le comportement de l’emprunteur ou la

situation de l’entreprise pour justifier qu’il soit mis fin au contrat de crédit, comme le souligne

d’ailleurs une fraction importante de la doctrine de droit bancaire528.

528 V. not. en ce sens L.-M. MARTIN, Traité de droit commercial, t. 7, Banques et bourses, Montchrestien,

3e éd., 1991, n° 359 à 360 ; S. REIFEGERSTE, « La rupture de crédit aux entreprises », LPA 9 oct. 2008, n° 203, p. 14, n° 25 à 39 ; P. NEAU-LEDUC, « Les nouvelles perspectives du droit de la responsabilité bancaire », Les banques entre droit et économie, LGDJ, 2011, p. 116, no 288 ; D. LEGEAIS, « Responsabilité du banquier -service du crédit », J.-Cl. Banque - Crédit - Bourse, 2013, fasc. 151, no 97; D. LEGEAIS, « Responsabilité du banquier fournisseur du crédit », J.-Cl. Commercial, 2008, fasc. 346, no 97 ; I. BON-GARCIN, « L’abus de droit dans les contrats de crédit », Cahiers de Droit de l’Entreprise 1998, n° 6, p. 7 : « le fait de demander au banquier de prouver que l’attitude de son client ou sa situation l’a conduit à rompre brutalement, peut laisser penser qu’en réalité c’est bien un contrôle des motifs qu’opèrent les juges. Ainsi, la perte de confiance due à une attitude gravement négligente du client pourrait justifier une rupture sans préavis » ; J.-L. RIVES-LANGES, « La rupture immédiate d’un concours bancaire », Droit bancaire et financier, Mélanges AEDBF- France 1997, dir. J.-P. MATTOUT et H. de VAULPANE, Banque Éditeur, 1997, p. 276 à 277 : « Le deuxième alinéa [de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier] a pour objet de permettre au créditeur de rompre sans préavis, éventuellement avant terme, le crédit ou la promesse de crédit. La raison de cette permission doit être recherchée

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125

Du reste, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du

28 novembre 2006, que la rupture d’un contrat de crédit est régulière lorsque le comportement

de l’emprunteur est « propre à ruiner la confiance devant présider à l’ouverture de crédit et

[qu’il est] gravement répréhensible »529. Dans un arrêt du 28 septembre 2004, elle a

corrélativement reproché aux juges du fond de n’avoir pas recherché si « la perte de confiance

de la banque en son client, qui refusait délibérément de remettre les comptes de l'exercice

1992 et multipliait les promesses d'assainissement de sa situation financière sans les tenir,

rendaient légitime la résiliation de l'ouverture de crédit »530.

Il ne faut donc pas, à notre sens, se laisser abuser par certaines présentations doctrinales.

Par exemple, selon M. LEGEAIS, « l’entreprise est en situation irrémédiablement

compromise dès lors que l’ouverture d’une procédure paraît inéluctable, qu’il s’agisse d’un

redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire. Cette situation suffit … à faire perdre

la confiance que la banque pouvait avoir en son client. Or le droit de rompre les crédits sans

préavis est justement fondé sur cette perte de confiance »531.

Dans un premier mouvement, on pourrait penser que la perte de confiance est un motif

suffisant de la rupture du contrat de crédit. Pourtant, il n’en va pas ainsi puisque l’auteur

prend le soin de préciser que cette perte de confiance n’est pas un motif de rupture autonome.

En effet, ce motif doit procéder d’une situation économique caractérisée et objectivement

vérifiable ou du comportement du client.

142. La perte de confiance en l’absence de manquement contractuel de

l’emprunteur. Pour cette raison, on ne saurait souscrire à l’opinion selon laquelle le banquier

pourrait invoquer la perte de confiance pour justifier la révocation du contrat de crédit en

dans le fondement du crédit : la confiance du créditeur dans le crédité. Dès lors que cette confiance, base du crédit, est altérée, voire détruite, le créditeur est en droit de rompre sans délai la relation de crédit. Or les deux piliers de la confiance du créditeur sont, d’une part, le comportement du crédité, et, d’autre part, sa situation financière ; il suffit que l’un de ces deux piliers s’effondre pour que l’atteinte à la confiance ouvre au créditeur un droit de brusque rupture. L’atteinte à la confiance explique et justifie les deux cas où la brusque rupture est autorisée ».

529 Com., 28 nov. 2006, no 05-15217 (inédit), RLDA, 2007/1, no 12. Dans le même sens, v. CA Montpellier, 2 nov. 1999, SA Crédit du Nord c/ Lauer, Juris-Data no 1999-109399 ; Com., 21 janv. 2003, pourvoi no 00-22793 (inédit) : dans cet arrêt, la Chambre commerciale reconnaît que le comportement du client était de nature à altérer la confiance du banquier et constituait un comportement répréhensible au sens de l’artice L. 313-12 du CMF. V. aussi CA Riom, 20 oct. 2004, SARL Audio images c/ SA Banque Nuger et Cie, Juris-Data no 2004-258308.

530 Com., 28 sept. 2004, pourvoi n° 02-13608 (inédit). 531 D. LEGEAIS, « Responsabilité du banquier service du crédit », J.-Cl. Banque - Crédit - Bourse, fasc. 151,

2013, no 99.

Page 128: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

126

l’absence de tout manquement de l’emprunteur à ses obligations contractuelles532. En 1937,

ESCARRA affirmait ainsi que s’il « se produit, avant l’utilisation intégrale du crédit, dans la

condition du client, des changements appréciables susceptibles de modifier l’opinion que le

banquier pouvait raisonnablement avoir lorsqu’il a ouvert le crédit, des changements lui

donnant des motifs sérieux de douter de cette solvabilité, il est légitime qu’il revienne sur sa

promesse. On peut dire d’ailleurs que, dans ce cas, le client, en ne maintenant pas sa “dignité

de crédit”, a commis une faute en quelque sorte, une faute dont le banquier peut obtenir

réparation sous la forme la plus adéquate, qui est la cessation du crédit »533.

Ce raisonnement s’inspire, nous semble-t-il, de celui qui s’applique à la révocation du

mandat par le mandant. On peut lire en doctrine que, parce qu’il est un contrat reposant sur la

confiance et conclu intuitu personae, le mandat peut être révoqué ad nutum, c’est-à-dire à tout

moment, qu’il soit à durée indéterminée ou déterminée534.

Cette analogie est doublement critiquable.

Tout d’abord, la perte de confiance, à supposer qu’on la retienne, correspondrait à une

disparition de la cause du contrat en cours d’exécution. Or l’existence de la cause s’appréciant

au stade de la formation du contrat, sa disparition ne saurait constituer un motif de rupture du

contrat535. Si cette présentation est conforme au rôle que la lecture combinée des articles 1101

et 1131 du Code civil confère à la cause, elle doit être néanmoins relativisée à la lumière de la

jurisprudence. Celle-ci a en effet déclaré une convention caduque en raison de la disparition

de la cause en cours d’exécution du contrat536.

Ensuite et surtout, le parallèle entre le mandat et le contrat de crédit ne nous semble pas

convaincant. La révocation ad nutum du mandat par le mandant n’est pas seulement justifiée

532 F. GRUA, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2000, no 376 ; J. VÉZIAN, La

responsabilité du banquier en droit privé français, thèse, préf. M. CABRILLAC, Librairies techniques, 1983, 3e éd., no 290 : « s’il s’agit de situations ressortant de l’activité personnelle du client (manœuvres déloyales, comportement irrégulier, tirage d’effets de complaisance, etc.), on doit permettre au banquier de révoquer son engagement » ; J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, Dalloz, 1995, 6e éd., no 468 ; Y. GERARD, «Résiliation unilatérale et non-renouvellement dans les contrats bancaires», in La cessation des relations contractuelles d’affaires, colloque de l’Institut de droit des affaires d’Aix-en-Provence, 30-31 mai 1996, PUAM, 1997, p. 37. V. également, s’agissant des doctrines allemande et belge : A. ZENNER et L.-M. HENRION, « Rapport belge », in La responsabilité du banquier : aspects nouveaux (journées brésiliennes), Travaux de l’Association Henri Capitant, T. XXXV, Économica, 1984, p. 62 ; R. HENRION, Aspects juridiques et économiques du crédit à court terme, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1973, 3e éd., no 132.

533 J. ESCARRA, Principes de droit commercial, t. 6, Sirey, 1937, p. 473, no 648. 534 Pour une étude détaillée de la révocation du mandat, v. Ph. LE TOURNEAU, V° Mandat , Répertoire de

droit civil, n° 383 et s. Ce principe n’est pas applicable au mandat d’intérêt commun (v. Ph. LE TOURNEAU, art. préc., n° 410 et s.)

535 V. en ce sens, A. COURET, G. HIRIGOYEN, Lamy Droit du financement, dir. J. DEVEZE, 2009, no 3137; S. PIEDELIÈVRE et E. PUTMAN, Droit bancaire, Economica, 2011, n° 501, p. 507, spéc. sous note 3.

536 V. par ex. Civ., 1ère, 30 oct. 2008, Bull. civ. I, n° 241 ; JCP 2009. II. 10052, note C. CHABAS.

Page 129: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

127

par l’intuitus personae de ce contrat. Elle l’est aussi par une autre considération : le mandat

est conclu dans l’intérêt exclusif du mandant537. Or, contrairement au mandat, le contrat de

crédit n’est pas conclu dans l’intérêt exclusif du banquier.

Enfin, de toute façon, le parallèle avec le mandat n’aurait pas pour effet de consacrer un

droit discrétionnaire au profit du banquier. En effet, lorsque le mandat est conclu à durée

déterminée, sa révocation reste soumise au respect d’un préavis538. En outre et surtout, elle

n’est pas discrétionnaire mais limitée par le contrôle de l’abus. Celui-ci est caractérisé par

« l’intention de nuire de son auteur ou sa légèreté blâmable susceptible de se rattacher à des

circonstances vexatoires ou intempestives »539. Cette solution révèle avec force que la

discrétionnarité est rejetée quand bien même le contrat repose sur la confiance. En réalité,

cette éviction s’explique précisément par le rapport de confiance particulier qui unit les

contractants. En effet, la confiance suppose justement que les parties prennent en

considération l’intérêt de leur partenaire à l’occasion de toute décision ayant une incidence

sur le lien contractuel.

2) La rupture d’un crédit consenti à un particulier

143. Contexte. Lorsque le crédit est consenti à un particulier, l’article L. 313-12 al 2 du

CMF est inapplicable540. La rupture d’un crédit obéit donc aux règles du droit commun.

Aussi doit-on considérer qu’en principe le contrat de crédit consenti à durée déterminée

ne peut être résilié unilatéralement par le banquier. Cependant, en cas de manquement grave

de l’emprunteur à ses obligations contractuelles, le banquier peut demander au juge de

prononcer la résiliation du contrat sur le fondement de l’article 1184 du Code civil ou la

décider unilatéralement à ses risques et périls541. Dans cette hypothèse, il est possible de

transposer le raisonnement que l’on a mené au sujet des crédits consentis aux entreprises pour

considérer que seul un manquement grave du particulier à ses obligations contractuelles peut

537 Pour preuve, lorsque le mandat est d’intérêt commun, la révocation n’est pas libre mais suppose qu’elle

soit justifiée par un motif légitime (faute du mandataire ou réorganisation de l’entreprise). 538 Civ. 3ème, 27 avr. 1988, n° 86-11.718, Bull. civ. III, n° 80 ; D. 1989. 351, note Ch. ATIAS. 539 Com., 7 juill. 1992 (inédit), Cont. Conc. Cons 1992, n° 222, note L. LEVENEUR. Pour une analyse

détaillée, v. Ph. LE TOURNEAU, V° Mandat, art. préc., n° 387. 540 Un auteur propose cependant d’étendre cette disposition aux contrats de crédit consentis à des

particuliers : A. ALBARIAN, « Le droit de rupture unilatérale des contrats bancaires pour cause de perte de confiance : l’exemple de l’ouverture de crédit », LPA, 30 déc. 2010, p. 3, n° 3.

541 Jurisprudence constante en droit commun depuis Civ. 1ère, 13 oct. 1998, Bull. civ. I, n°300 ; D. 1999, 197, note Ch. JAMIN ; ibid., somm. 115, obs. Ph. DELEBECQUE ; JCP 1999. II. 10133, note RZEPECKI, Defrénois 1999. 374, obs. D. MAZEAUD ; RTDciv. 1999. 394, obs. J. MESTRE ; ibid., 506, obs. RAYNARD.

Page 130: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

128

justifier la résiliation du contrat de crédit, à l’exclusion de la seule perte de confiance alléguée

par le banquier.

Lorsque que le crédit est à durée indéterminée, le banquier peut le résilier à tout moment.

Dans cette hypothèse, la perte de confiance n’a plus aucun rôle à jouer puisque la liberté de

rompre est fondée sur la prohibition des engagements perpétuels. Cette liberté ne saurait

cependant être absolue. Son exercice devrait être encadré par le contrôle de l’abus, celui-ci

pouvant notamment consister en une absence de préavis542. La solution d’un arrêt rendu le 26

janvier 2010 par la Chambre commerciale pourrait en outre être étendue à la rupture d’un

contrat de crédit consenti à un particulier543. Selon cette solution, l’abus pourrait être retenu en

cas d’intention de nuire du banquier ou en présence d’un motif illégitime de rupture.

C – LA PLACE DE LA CONFIANCE AU SEIN DU CONTRAT

144. Contrat et confiance. Il convient pour commencer de se référer à la position

originale de Mme FRISON-ROCHE, selon laquelle le contrat serait le socle de la rencontre de

volontés par nature antagonistes. Cet antagonisme assurerait un équilibre naturel des forces en

présence dans une société. L’auteur soutient que c’est grâce à « l’hostilité naturelle entre des

contractants dont les intérêts sont opposés » et « à la méfiance consubstantielle exprimée par

le contrat que la volonté ne peut dégénérer. Ainsi la violence est à la fois exprimée par le

contrat, affrontement d’une volonté avec une autre, violence à l’encontre de cet être

également hostile qu’est le cocontractant et tout à la fois le moyen de neutraliser cette

violence. C’est le dynamisme de cette dialectique entre le droit et la violence qui produit le

bon droit, l’équilibre et la protection des volontés »544. En d’autres termes, la méfiance serait

« consubstantielle » au contrat.

Pourtant, cette analyse ne permet pas de comprendre la raison pour laquelle la perte de

confiance est susceptible d’influer sur la vie du contrat. Si en effet le contrat reposait sur une

542 J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, Dalloz, 1995, 6e éd., no 467. 543 Com. 26 janvier 2010, pourvoi n° 09-65086. 544 M.-A. FRISON-ROCHE, « Volonté et obligation », APD 2000, p. 136. Dans le même sens, v. L.

CONSTANS, « Une fiction juridique : la “commune intention des parties” », in Mélanges en l’honneur du Professeur Guibal, vol. 2, Contrats publics, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, 2006, p. 19 et s. spéc. p. 21 : « Derrière le cache-misère de l’accord signé et paraphé des parties, finalement, le malheureux juge trouvera, au lieu et place de la commune intention que la loi lui commande de rechercher et à laquelle elle s’oblige à se référer, des volontés parallèles appuyées sur un soupçon mutuel ». Comp. P. DIDIER, « Brèves notes sur le contrat organisation », L’Avenir du droit. Mélanges en l’honneur de François Terré, Dalloz, 1999, spéc. p. 637. L’auteur explique que les parties contractent en vue de la satisfaction de leurs intérêts personnels. Le contrat apparaît alors comme le moyen de canaliser le conflit des intérêts en présence en assurant leur conciliation.

Page 131: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

129

méfiance qui lui était consubstantielle, comment une partie pourrait-elle le rompre au motif de

la perte d’une confiance qui n’a jamais existé? Autrement dit, comment un contrat pourrait-il

à la fois incarner une méfiance consubstantielle à sa nature contractuelle et impliquer la

confiance pour exister?

Précisément, une autre partie de la doctrine considère que la confiance constitue le

fondement du contrat. GOUNOT considérait ainsi que « le moment où le contrat se forme

n’est pas celui de l’hypothétique rencontre de deux volontés, mais celui où naît cette

confiance dont nous parlons »545. Dans le même sens, Emmanuel LÉVY soutenait que « ce qui

fait le lien contractuel, c’est la confiance qu’inspire au créancier la promesse du débiteur »546.

Plus récemment, CARBONNIER assimilait le contrat à « un acte de foi, un acte de

confiance »547. Ainsi, parce que la confiance est le fondement du contrat, la perte de confiance

doit pouvoir être invoquée à l’appui de la décision de le rompre. Pour autant, la perte de

confiance ne saurait être invoquée discrétionnairement. Comme nous l’avons vu, elle doit être

justifiée par des motifs objectifs ayant trait au comportement du contractant ou à sa situation

financière. Cette solution peut être fondée sur l’article 1184 du Code civil qui reconnaît la

possibilité de rompre un contrat lorsque l’une des parties n’exécute pas correctement son

engagement.

145. La perte de confiance matérialisée par le manquement contractuel d’une

partie. L’exigence d’un manquement contractuel posée par l’article 1184 du Code civil

découle du principe de force obligatoire des contrats reconnu par l’article 1134 du même

Code. En vertu de ce principe, les parties sont tenues d’exécuter le contrat auquel elles ont

consenti. Seule l’inexécution ou la mauvaise exécution de ses obligations par une partie

545 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, thèse, Paris 1912, p. 167. 546 E. LEVY, « Responsabilité et contrat », Rev. crit. lég. jur., 1899, p. 383. V. également S. GJIDARA,

L’endettement et le droit privé, Thèse LGDJ, p. 316. 547 J. CARBONNIER, Sociologie et droit du contrat, Annales de la Faculté de droit de Toulouse, T. 7, 1959,

p. 112. Mme GJIDARA a écrit dans le même sens que « la confiance se présente comme la condition de l’apparition historique du contrat, dont l’élaboration a permis l’essor du crédit, en combinant la confiance et le temps » (S. GJIDARA, thèse préc., p. 33). V. aussi A. CHIREZ, La confiance contractuelle, Thèse dactyl. Nice 1977, p. 15 : « Le contrat est fait de promesses, non de certitudes acquises. (…). L’efficacité du mécanisme contractuel suppose d’abord que l’on croit au contrat. A côté de « la ferme intention de se lier » du débiteur sans laquelle il n’est guère concevable, il y a, réciproquement, cette confiance du créancier dans l’exécution attendue qui, si elle fait défaut ou tend à disparaître, exclut la conclusion de l’accord ou affecte son sort ». Pour l’auteur, l’évolution des rapports contractuels, et plus particulièrement l’apparition de contrats structurellement inégalitaires, renforce l’importance de la confiance entre les parties (v. p. 15 : « Dans ce contexte, il est certain que l’un des contractants au moins n’a plus la maîtrise de l’opération. Une certaine passivité forcée caractérise son comportement. On peut bien encore parler de volonté mais il est à craindre que celle-ci ne recouvre plus grand chose. La confiance règne plus que la volonté dans beaucoup de contrats. (…). Dans une certaine mesure on peut dire que ce que la volonté a perdu, la confiance l’a gagné. A défaut de pouvoir vouloir, on fait confiance »).

Page 132: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

130

justifie qu’il soit mis fin au contrat prématurément. C’est pourquoi la perte de confiance ne

doit constituer un motif de rupture que sous réserve d’être caractérisée par un manquement

contractuel.

C’est d’ailleurs en ces termes que M. GENICON interprète la jurisprudence relative à

l’admission de la mésentente comme motif de rupture d’un contrat, sous réserve que cette

mésentente soit matérialisée par le comportement intolérable d’une partie548. La mésentente

traduit selon M. GENICON une « impossibilité toute subjective » de poursuivre l’exécution

du contrat. En revanche, c’est uniquement parce que cette impossibilité se traduit par le

comportement d’une partie que l’autre partie peut exiger qu’il soit mis fin au contrat. « Sans

cela, il ne pourrait pas le faire car il ne peut être question de se libérer de ses engagements tant

qu’on ne peut rien reprocher de précis à l’autre »549. La force obligatoire du contrat impose en

effet que sa rupture anticipée soit justifiée par des éléments concrets.

146. Conclusion. Comme on vient de le voir, la confiance perdue est parfois un motif

légitime de rupture du contrat, comme en matière de contrat de crédit ; parfois, au contraire, la

perte de confiance ne peut justifier qu’une partie mette fin au contrat, comme en matière de

licenciement. Pourtant, dans les deux cas, les solutions convergent. En réalité, la perte de

confiance n’est jamais en elle-même considérée comme un motif autonome de rupture.

Encore faut-il qu’elle repose sur des éléments objectifs. De la sorte, la confiance qui préside

au contrat ne confère aucun caractère discrétionnaire à la décision d’y mettre fin. Dans ces

conditions, il serait surprenant que cette même confiance puisse investir le contractant d’un

droit discrétionnaire au stade de la conclusion du contrat de crédit.

148. Conclusion du Chapitre II. Comme on le sait, le banquier est supposé être investi

d’un droit discrétionnaire quant à l’octroi d’un crédit. Cette analyse doit être réfutée. La

discrétionnarité prétendue ne peut être en aucune manière justifiée.

D’un côté, nous avons réduit la catégorie des droits discrétionnaires au point de la rendre

résiduelle. Dans cette optique, les droits discrétionnaires subsistants, dont on ne reprendra pas

ici la liste550, peuvent être justifiés par trois raisons seulement : l’absence d’impact de la

décision sur la situation juridique d’autrui, la nécessité de protéger un intérêt supérieur à celui

548 Civ. 3e, 27 avril 1987, Bull. civ., III, n° 93, p. 55 ; RTD civ. 1988, p. 536, obs. J. MESTRE. 549 Th. GENICON, La résolution du contrat pour inexécution, thèse, préf. L. LEVENEUR, LGDJ, 2007, n°

278. 550 V. supra n° 108.

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131

des parties et enfin sa non-appartenance au domaine juridique. Or il apparaît que le caractère

discrétionnaire de la décision du banquier ne répond à aucune de ces trois justifications551.

D’un autre côté, ce caractère ne peut découler du contexte de confiance et d’intuitus

personae dans lequel s’inscrit le contrat de crédit. L’analyse de ces deux facteurs ainsi que

celle de leur traitement juridique au stade de la rupture du contrat révèle qu’ils ne sauraient

investir les parties d’aucun droit discrétionnaire.

149. Conclusion du Titre I. La conception privatiste de la discrétionnarité se démarque

radicalement de la conception publiciste.

En droit public, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration est soumis à une

contrainte de but : il n’est légitime que s’il répond à l’intérêt général. Le juge est compétent

pour le contrôler et, le cas échéant, le sanctionner.

En droit privé, la discrétionnarité confère l’immunité aux individus en leur attribuant un

pouvoir d’agir incontrôlé. La discrétionnarité ainsi entendue trouve ses racines dans la

philosophie individualiste qui prône l’indépendance de chaque personne au détriment de sa

sociabilité. Poussée à l’extrême, elle implique que les actions humaines puissent être

excessives ou dommageables, tout en assurant une totale impunité à l’agent. Il est manifeste

qu’une telle conséquence n’est pas souhaitable. Elle va à l’encontre même des notions de

Droit et de Justice. On peut ainsi s’expliquer les controverses que suscite la détermination des

prérogatives susceptibles de discrétionnarité. Il n’existe aucun consensus doctrinal en la

matière, sans compter que la jurisprudence est fluctuante et parfois même contradictoire. On

retrouve les mêmes hésitations lorsque l’on envisage les justifications classiques de la

discrétionnarité. Celles-ci ne sauraient convaincre dans la mesure où elles ne surmontent pas

le grief que l’on peut formuler à l’encontre de la philosophie individualiste, à savoir

l’encouragement des comportements égoïstes.

Ainsi, les justifications tirées de la nature de la prérogative (liberté ou droit d’option) et

de la nécessité de protéger le titulaire d’un droit (défense d’un droit, protection d’une liberté

essentielle et inaliénable ou de l’intimité de la personne) ont un point commun. Les

prérogatives qu’elles concernent sont empreintes d’une dimension sociale. En d’autres termes,

elles s’inscrivent nécessairement dans un contexte d’interaction, lequel est incompatible avec

toute idée d’arbitraire dans la prise de décision.

551 V. supra, n° 109.

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132

Dans le même sens, le contexte de confiance et d’intuitus personae dans lequel peut

s’inscrire un contrat, comme le contrat de crédit, ne saurait être considéré comme un

fondement satisfaisant de la discrétionnarité. En effet, non seulement la confiance et l’intuitus

personae sont appréhendées de manière objective, mais encore, elles traduisent par nature une

forte interaction entre les parties, dont on vient de rappeler qu’elle condamne l’idée même de

discrétionnarité.

Corrélativement, nous avons substantiellement révisé la catégorie des droits

discrétionnaires aussi bien dans ses applications que dans ses justifications.

A notre sens, la discrétionnarité ne peut être reconnue que dans trois cas résiduels. Tout

d’abord, lorsque l’exercice de la prérogative n’a aucune conséquence sur la situation juridique

d’autrui ; ensuite, lorsque cet exercice ne relève pas de la sphère juridique ; enfin, lorsque la

discrétionnarité se justifie un intérêt supérieur à celui des parties.

Il est essentiel de relever que, dans les cas ainsi identifiés, la discrétionnarité n’encoure

pas le grief d’indifférence à la personne d’autrui que nous avons formulé à l’encontre de sa

conception classique. En effet, la discrétionnarité ainsi redéfinie ne porte plus atteinte à la

dimension sociale de l’action humaine. En d’autres termes, quand bien même les prérogatives

que nous reconnaissons comme discrétionnaires seraient exercées à des fins égoïstes, cet

exercice n’entraînerait aucune conséquence nuisible sur le lien social.

Même ainsi reformulée, la discrétionnarité demeure inapplicable à la prérogative qui se

situe au point de départ de nos développements : la décision du banquier d’octroyer ou non un

crédit. En effet, cette décision a un impact sur la situation d’autrui, elle relève de la sphère

juridique et sa discrétionnarité ne saurait être fondée sur un intérêt supérieur à celui des

parties. Il faut en conclure qu’elle peut donc faire l’objet d’un contrôle. C’est l’examen de ses

modalités que nous envisagerons à présent.

Page 135: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

TITRE II

LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION DU BANQUIER

150. Plan. La décision du banquier d’octroyer ou non un crédit fait l’objet d’un contrôle

croissant, à l’initiative de la loi et de la jurisprudence. Il s’agit d’encadrer le processus

décisionnel par différents devoirs au bénéfice du candidat à l’emprunt, dont rien ne dit

d’ailleurs qu’ils ne pourraient être encore élargis à l’avenir (Chapitre I). On pourrait

cependant objecter que la mise en place d’un contrôle étendu de la décision du banquier serait

incompatible avec la notion de contrat au point de la dénaturer. Mais cette objection doit être

écartée. Le contrôle dont est susceptible la décision du banquier, quelle que soit son étendue,

ne saurait altérer la qualification de contrat (Chapitre II).

Page 136: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École
Page 137: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

CHAPITRE I L’ÉTENDUE DU CONTRÔLE

151. Plan. Nous étudierons d’abord la manière dont la décision du banquier est contrôlée

en droit positif (Section I). Puis nous nous interrogerons sur la possibilité d’une extension du

contrôle au-delà ce qui est actuellement prévu (Section II).

SECTION I : LE CONTRÔLE ACTUEL

152. Plan. La décision de contracter du banquier est contrôlée dans son versant positif –

l’octroi de crédit (Sous-section I) – comme dans son versant négatif – le refus de crédit (Sous-

section II).

SOUS – SECTION I : LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION

D’OCTROYER UN CRÉDIT

153. Plan. Si le refus de crédit est justifié par le manque de confiance du banquier,

l’octroi de crédit suppose inversement l’existence de cette confiance. Or, celle-ci n’autorise

pas tout. La loi et la jurisprudence sont venues encadrer la décision du banquier d’octroyer un

crédit, tantôt en interdisant au banquier de le consentir, c’est l’hypothèse du crédit abusif

octroyé à une entreprise (§ I), tantôt en la subordonnant au respect de différentes obligations

(§ II).

§ - I. LE CRÉDIT INTERDIT : LE CRÉDIT ABUSIF OCTROYÉ À

UNE ENTREPRISE

154. Les deux hypothèses de crédit abusif. Lorsqu’il octroie un crédit à une entreprise,

le banquier est tenu d’une obligation de prudence. Il doit s’assurer de la viabilité du crédit

consenti552. En présence d’un crédit non viable, le banquier doit opposer un refus au candidat,

sous peine de voir sa responsabilité engagée pour octroi d’un crédit abusif.

552 En ce sens, v. R. ROUTIER, Obligations et responsabilité du banquier, Dalloz Action 2011-2012, n°

321-11 ; D. LEGEAIS, « Conditions de la responsabilité du prêteur du fait des concours consentis à une

Page 138: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

136

En pratique, le concours abusif est caractérisé en présence soit d’un crédit ruineux, soit

d’un crédit qui a pour effet de soutenir artificiellement une entreprise dont la situation est

irrémédiablement compromise.

La Chambre commerciale a précisé qu’un crédit est ruineux lorsque, compte tenu de son

volume, des actifs et du chiffre d’affaires de l’entreprise, il conduit « nécessairement et

évidemment [à] provoquer une croissance continue et insurmontable des charges

financières »553. Il en va ainsi : lorsque le crédit a été consenti alors que le fonds de roulement

et la marge brute étaient négatifs, que les produits étaient vendus à perte et que les frais

financiers, dont le banquier était le principal bénéficiaire, étaient importants554 ; lorsque le

crédit est un « crédit de cavalerie permettant à l’emprunteur de se constituer une trésorerie

fictive »555 ; lorsque la banque a octroyé, « en connaissance de cause, un crédit dont le coût

était insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de la société et incompatible pour elle avec

toute rentabilité »556

Quant à la situation irrémédiablement compromise, elle a déjà été envisagée dans le cadre

de cette étude : il s’agit de la situation d’une entreprise dont l’équilibre financier est

compromis sans qu’existe aucune perspective sérieuse ou réaliste de redressement557.

Depuis l’adoption de la loi du 26 juillet 2005, l’octroi d’un crédit à une entreprise qui par

la suite fera l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation

judiciaire, n’engage pas la responsabilité du banquier sauf en cas de fraude, d’immixtion ou si

les garanties prises sont disproportionnées par rapport au crédit consenti.

Dans un arrêt rendu en 2012, la Chambre commerciale a approuvé la définition de la

fraude retenue par les juges du fond558. Ceux-ci avaient estimé que la fraude, « en matière

civile ou commerciale, ne se démarque guère de la fraude pénale » et ajouté qu’il s'agissait

entreprises en difficulté », JCP E 2012. 1274 (l’auteur évoque une obligation de vigilance) ; I. URBAIN-PARLEANI, « L’octroi abusif de crédit », RDBF nov.-déc. 2002, p. 365 et s.

553 Com. 26 mars 2002, n° 99-19839 (inédit) ; Com. 28 janvier 2003, n° 00-13084 (inédit) ; Com. 22 mars 2005, n° 03-12922, Bull. civ. IV, n° 67 ; D. 2005, AJ p. 1020, obs. A. LIENHARD ; Bull. Joly 2005, p. 1213, note F.-X. LUCAS ; Banque et droit juill.-août 2005, p. 71, obs. Th. BONNEAU ; JCP G 2005. IV. 2091 ; JCP E 2005. 1676. p. 1975, n° 32, obs. L. DUMOULIN ; RTD com. 2005. 578, obs. D. LEGEAIS ; Dr. et pat. déc. 2005, p. 97, obs. J.-P. MATTOUT et A. PRÜM.

554 Com. 7 fév. 1983, n° 81-13993, Bull. civ. IV, n° 49 ; JCP E 1983. 11504. 555 Com. 6 oct. 1998, n° 95-19505 (inédit), D. Affaires 1998, p. 1904. V. égal. Com. 18 nov. 1997, RJDA

3/98, n° 326, p. 230. 556 Com. 24 sept. 2003, n° 00-19.067, Bull. civ. IV, n° 136 ; D. 2003, AJ, p. 2568 ; JCP E 2003. 519 ;

Banque et droit janv.-fév. 2004, p. 56, obs. Th. BONNEAU ; LPA 11 mai 2004, n° 94, p. 12, note A. PERICARD.

557 F.-J. CREDOT, « La relation causale et le préjudice en cas de rupture brutale de concours bancaires », Mélanges en l’honneur de Michel Vasseur, Banque éditeur, 2000, p. 63.

558 Com., 2 oct. 2012, n° 11-23213 (inédit), D. 2012, p. 2445 ; Revue des procédures collectives n° 3 mai 2013, comm. 92, A. MARTIN-SERF.

Page 139: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

137

« d'un acte (…) réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un

consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l'intention

d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive ».

Quant à l’immixtion, elle implique une gestion ou une direction de l’entreprise

emprunteuse, qu’elle soit constante ou ponctuelle559.

La dernière hypothèse, qui est celle de la prise de garanties disproportionnées par rapport

au crédit consenti, est suffisamment explicite pour n’être pas davantage détaillée560.

Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Chambre de commerciale a apporté une précision

importante s’agissant des conditions dans lesquelles le banquier qui consent un crédit à une

entreprise en difficulté peut voir sa responsabilité engagée561. Elle a jugé que « lorsqu'une

procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte,

les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des

concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du

débiteur ou de disproportion des garanties prises, que si les concours consentis sont en eux-

mêmes fautifs ». Cet arrêt est délicat à interpréter. On peut estimer qu’il signifie que le

banquier ne verra sa responsabilité engagée que si la fraude, l’immixtion ou la prise de

garanties disproportionnées par rapport au crédit consenti ont accompagné l’octroi d’un crédit

ruineux à une entreprise en redressement judiciaire ou ayant pour effet de maintenir

artificiellement la solvabilité d’une entreprise dont la situation est irrémédiablement

compromise.

155. Appréciation. L’identification des cas dans lesquels le crédit consenti à une

entreprise est abusif est révélatrice de l’esprit qui anime le droit de la responsabilité bancaire.

Ce dernier trace une frontière entre le risque éventuel de non-remboursement et la certitude du

non-remboursement.

Si, au moment de la demande de crédit, le risque de non-remboursement est certain, le

banquier doit refuser le crédit. Le risque est certain lorsque l’entreprise est déjà dans une

situation irrémédiablement compromise ou lorsque le crédit a pour effet de participer à sa

559 Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 869. 560 V. J. LASSERRE-CAPDEVILLE, « Le banquier dispensateur de crédit face au principe de

proportionnalité », Banque et droit n° 113 mai-juin 2007, p. 25. 561 Com. 27 mars 2012, n ° 10-20077, Bull. civ. IV, n° 68 ; JCP E 2012. 1274, note D. LEGEAIS ; JCP E

2012. 1373, note J. STOUFFLET ; RDBF 2012. comm. 114, obs. F. CREDOT et Th. SAMIN ; D. 2012, p. 1455, note R. DAMMANN et A. RAPP ; Banque et droit 2012, p. 22, obs. Th. BONNEAU ; JCP G 2012. 636, note F. BOUCARD.

Page 140: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

138

ruine, c’est-à-dire lorsque son importance et son coût excessif rendent « inéluctables

l’effondrement de la société »562.

Dans les autres cas, le risque est simplement éventuel. Partant, rien ne devrait interdire au

banquier de consentir le crédit. La jurisprudence va en ce sens, que le crédit soit consenti in

limine ou à une entreprise déjà en activité.

S’agissant du crédit in limine, la Chambre commerciale a considéré que « la circonstance

que le crédit de trésorerie ait été accordé à une entreprise, avant toute activité et pour en

permettre le démarrage, afin de financer l'activité d'achat et de revente de produits, n'est pas

de nature à elle seule à caractériser un comportement fautif de la banque »563.

S’agissant du crédit consenti à une entreprise déjà en activité, l’analyse de la

jurisprudence montre que son octroi est encouragé que la situation de cette entreprise soit ou

non obérée.

Lorsque l’entreprise n’est pas en difficulté, la Cour de cassation refuse de retenir la

responsabilité du banquier sur le seul fondement du caractère fortement risqué du crédit au

regard de la faible espérance de gain. La Haute juridiction a en effet précisé que, dans de

telles circonstances, la responsabilité supposait que le banquier ait connaissance non

seulement du caractère risqué de l’opération mais aussi de son échec inexorable en l'état des

facultés de remboursement de l'entreprise et de ses perspectives de développement564.

Lorsque le crédit est octroyé à une entreprise dont la situation est obérée, la jurisprudence

jugeait déjà, avant l’introduction dans le Code de commerce de l’article L. 650-1 par loi du 26

juillet 2005, que la responsabilité du banquier, qui connaissait cette situation, n’était pas

automatique. Ainsi, le crédit à une entreprise en difficulté n’était pas fautif lorsqu’il avait été

précédé de pourparlers très sérieux engagés avec le candidat à la reprise et de l’élaboration

d’un plan crédible de restructuration présentant des chances sérieuses de redressement565. A

plus forte raison, il en irait de même sous l’empire de l’article L. 650-1 du Code de

commerce.

156. Identification des victimes. En pratique, deux catégories de justiciables peuvent

mettre en cause la responsabilité du banquier sur le fondement de l’octroi abusif de crédit. Il

562 Com. 22 mai 2001, n° 99-10437 (inédit), RDBF sept-oct. 2001, p. 282, obs. J. CREDOT et Y. GERARD ;

JCP E 2003. 396, obs. J. STOUFFLET. 563 Com. 22 mars 2005, n° 03-12922, arrêt préc. 564 Com. 25 avr. 2006, n° 04-14797 (inédit), RTD com. 2006, p. 648, note D. LEGEAIS. 565 Com. 15 nov. 1993, n° 91-17660, Bull. civ. IV, n° 240.

Page 141: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

139

peut s’agir de tiers au contrat qui ont cru à la solvabilité de l’emprunteur ou de l’emprunteur

lui-même.

Les tiers au contrat de crédit sont les premières victimes de l’octroi fautif de crédit. En

pratique, les tiers vont reprocher à la banque d’avoir créé, en consentant le crédit, une

apparence trompeuse de solvabilité les ayant encouragé à contracter avec l’emprunteur566. La

responsabilité de la banque sera retenue même si la situation irrémédiablement compromise

était connue de la société emprunteuse ou de son dirigeant567.

Quant à l’emprunteur, il peut paraître surprenant qu’il puisse reprocher au banquier de lui

avoir consenti un crédit. Comme le relève M. ROUTIER, « a priori, le client paraît assez mal

venu de reprocher à son banquier un concours excessif, alors qu’il l’a lui même sollicité.

C’est à lui qu’il appartient en effet d’apprécier si le concours qu’il réclame constitue un mode

de financement adapté à ses besoins »568. C’est ce qui explique que la Cour de cassation ait

jugé que la responsabilité de la banque ne peut être engagée qu’en cas de circonstances

exceptionnelles ; ces circonstances sont établies lorsque l’emprunteur, contrairement à la

banque, était dans l’ignorance de la situation irrémédiablement compromise de l’entreprise au

moment de la conclusion du contrat de crédit569. Cette solution a également été appliquée à la

caution+570.

157. Inapplicabilité supposée de l’interdiction des concours abusifs au crédit

consenti à un particulier. Si le concours abusif peut être caractérisé lorsque le crédit est

consenti à une entreprise, une telle hypothèse n’a, semble t-il, pas son pendant s’agissant du

crédit aux particuliers. En la matière, le banquier qui entendrait octroyer un crédit excessif

serait seulement soumis à l’obligation de mettre en garde l’emprunteur571.

Nous verrons toutefois que cette analyse est critiquable572. La responsabilité du banquier

devrait pouvoir être engagée lorsque le crédit consenti à un particulier est abusif ce qui, en

566 Com. 22 mai 2001, n° 99-10437 (inédit), arrêt préc. 567 Com. 22 mars 2005, n° 03-14824 (inédit) ; Gaz. Proc. Coll. 2005/2, 6-7 juill., p. 33, obs. R. ROUTIER. 568 R. ROUTIER, Obligations et responsabilités du banquier, op. cit., n° 322.29. 569 Com. 11 mai 1999, Bull. civ. IV, n° 95, JCP E 1999, p. 1730, 2e espèce, note D. LEGEAIS ; Revue droit

bancaire et bourse 1999, n° 75, p. 184, obs. J. CREDOT et Y. GERARD ; RTD com. 1999. 733, obs. M. CABRILLAC ; RJDA 6/99, n° 710, p. 556 ; M.-C. PINIOT, “Responsabilité du banquier envers l’emprunteur”, RJDA 6/99, p. 495.

570 Com. 12 nov. 1997, Bull. civ. IV, n° 284 ; JCP E 1998. 182, note D. LEGEAIS ; Dalloz Affaires 1998. 22, obs. X. DELPECH ; Bull. Joly 1998, § 40, p. 105, note Ph. DELEBECQUE. Pour une application de la notion de circonstances exceptionnelles, v. Com. 23 juin 1998, Bull. civ. IV, n° 208 ; Dr. soc. oct. 1998, n° 136, note Th. BONEAU ; JCP E 1998. 1831, note D. LEGEAIS.

571 V. en ce sens, V. LEGRAND, « La lutte contre le surendettement dans le projet de loi “Consommation” », RDBF oct. 2013, étude 15 : « il n’y a pas d’obligation de ne pas faire crédit en cas d’endettement excessif ».

572 V. infra n° 164.

Page 142: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

140

pratique, pourrait recouvrir deux hypothèses. La première serait celle d’un crédit

déraisonnable, c’est-à-dire n’offrant aucune chance sérieuse de remboursement. Il en irait

ainsi lorsque le crédit dépasse les capacités financières de l’emprunteur, ou que celui-ci est

insolvable573. Le concours devrait en second lieu être considéré comme abusif lorsqu’il est

consenti du seul fait qu’il est garanti574. Selon nous, la marge de manœuvre du banquier doit

donc être beaucoup plus étroite dans le cas du crédit aux particuliers que dans celui du crédit

aux entreprises, le banquier ne devant prendre aucun risque quant à l’appréciation de la

solvabilité future du particulier.

§ - II LE CRÉDIT SUBORDONNÉ À L’ACCOMPLISSEMENT

D’OBLIGATIONS

158. Plan. Lorsque l’octroi de crédit n’est pas purement et simplement interdit, il est

subordonné à l’accomplissement d’obligations. Celles-ci sont parfois communes aux crédits

consentis à une entreprise et un particulier (A) et parfois spécifiques au crédit consenti à un

particulier (B).

A – OBLIGATION COMMUNE AUX CRÉDITS CONSENTIS À UNE ENTREPRISE

ET À UN PARTICULIER

159. Contexte. Le banquier est tenu d’une obligation de mise en garde, laquelle est

aujourd’hui clairement établie575. Plus précisément, le banquier doit mettre en garde

573 Rappr. CA Montpellier, 25 nov. 2003, Juris-Data 234337. Dans cet arrêt, un prêt consenti à l’enfant d’une

personne surendettée a été annulé pour fausse cause, le banquier ne pouvant ignorer qu’il serait utilisé par le débiteur surendetté.

574 Rappr. D. LEGEAIS, RTD com. 2008, p. 163. 575 Les deux arrêts de la Chambre mixte de la Cour de cassation en date du 29 juin 2007 peuvent être

considérés comme le point de départ, non du devoir de mise en garde du banquier, mais de ce devoir tel qu’entendu aujourd’hui (Ch. Mixte, 29 juin 2007, Bull. Ch. Mixte, n° 8 ; JCP E 2007. 2105, comm. D. LEGEAIS ; JCP G 2007. II. 10146, comm. A. GOURIO ; J. DEVEZE, « Retour sur le devoir de mise en garde du banquier », RLD aff. 2007, p. 32 et s., spéc. n ° 14 à 18 ; D. 2007, p. 1950, note V. AVENA-ROBARDET et p. 2082, note S. PIEDELIEVRE). Pour une étude détaillée des évolutions antérieures, au demeurant largement connues et débattues, cf. notamment D. LEGEAIS, « Responsabilité du banquier fournisseur de crédit », J-cl. com., Fasc. 346, spéc. n° 4 ; J. DANIEL, « Le devoir de mise en garde du banquier », LPA 18 février 2008, n° 35, p. 5 et s., spéc. n° 12 à 14 ; G. DAMY, LPA 23 mai 2008, n° 104, p. 12 et s. ; E. BAZIN, « Le devoir du prêteur d’éclairer l’emprunteur consommateur sur les risques encourus lors de la conclusion d’un contrat de crédit », RLD aff., 2007, n° 19, p. 89 et s. Pour une réflexion sur l’expression « devoir de mise en garde », v. J. STOUFFLET, « De la responsabilité du dispensateur de crédit au devoir de mise en garde : brève histoire d’une construction jurisprudentielle », RDBF nov. 2007, n° 6, dossier 26, p. 78-79.

Page 143: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

141

l’emprunteur non-averti576 lorsque l’octroi d’un prêt fait naître un risque excessif

d’endettement577. Celui-ci est apprécié par rapport aux charges du prêt et aux capacités

financières déclarées par l’emprunteur578.

L’emprunteur qui estime ne pas avoir été mis en garde doit apporter la preuve du

caractère excessif du crédit consenti. Pour s’exonérer, l’établissement de crédit doit contester

le caractère excessif du crédit ou établir qu’il a rempli son devoir de mise en garde.

Le risque d’endettement visé par la jurisprudence n’est pas le simple risque de non-

remboursement, inhérent à tout type de crédit, mais celui « résultant de situations

particulières, comme un niveau élevé d’endettement ou des revenus irréguliers »579. Le risque

doit être certain ou probable, étant entendu que le devoir de mise en garde est écarté lorsqu’il

n’existe aucune disproportion entre les revenus prévisibles de l’emprunteur et les charges

liées au crédit580.

La qualité d’emprunteur non-averti s’apprécie in concreto. La doctrine s’est un temps

demandée si la distinction entre emprunteur averti et emprunteur non-averti était une

transposition pure et simple de la distinction existant entre professionnel et consommateur. La

Chambre commerciale de la Cour de cassation a écarté cette lecture en considérant que « le

manque d’expérience dans le secteur d’activité faisant l’objet du crédit » faisait de

l’emprunteur professionnel un emprunteur non-averti581.

576 Les devoirs du banquier vis à vis de l’emprunteur sont étendus à sa caution. 577 Sur la notion de crédit excessif consenti aux particuliers, v. A. GOURIO, « Qu’est-ce qu’un crédit

excessif ? », RDBF janv. 2001, p. 55-57, qui relève que « les termes employés par les juges pour qualifier le crédit excessif sont très proches : il s’agit d’un crédit “dépassant manifestement” les capacités de remboursement de l’emprunteur, ou révélant une “disproportion manifeste”, “hors de proportion”, “incompatible”, “sans rapport” avec celles-ci ». M. GOURIO précise également que le caractère excessif du crédit ne doit pas s’apprécier au regard d’un ratio d’endettement dès lors qu’il n’a pas « la même signification pour un ménage gagnant 12 000 francs (1 600 euros) par mois que pour celui dont le revenu s’élève à 50 000 francs (7 500 euros) ». Il préconise de retenir « le revenu résiduel après déduction de la charge d’emprunt », « la situation de famille, l’âge, la catégorie socio-professionnelle de l’emprunteur, sa situation de propriétaire ou de locataire de son logement », son « apport personnel » mais aussi « les manifestations extérieures de la situation de l’emprunteur » comme le remboursement du crédit « sans incident pendant plusieurs années ».

578 Si le crédit est adapté à la situation financière de l’emprunteur, le banquier n’est tenu à aucun devoir de mise en garde, quand bien même l’emprunteur serait non-averti. En ce sens, v. Com. 7 juillet 2009, n° 08-13536, Bull. civ. IV, n° 92 ; JCP E 2009. 1948, note D. LEGEAIS ; Civ. 1ère, 19 nov. 2009, n° 08-13601, Bull. civ. I, n° 232.

579 A. GOURIO, « Contrôle de la Cour de cassation sur la mise en œuvre du devoir de mise en garde du banquier au titre de l’octroi de crédit », JCP G 2008. II. 10055. Pour le niveau élevé d’endettement, v. Civ. 1ère, 26 sept. 2006, n° 04-20508 (inédit). Pour les revenus irréguliers, v. Com. 11 déc. 2007, n° 05-21234 (inédit), JCP E 2008. 1192, note D. LEGEAIS. Sur la question des risques nés de l’octroi du crédit, v. la jurisprudence citée par C. BOISMAIN, « L’obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit », JCP 2010. 301, n° 13 et 14.

580 Civ. 1ère, 18 fév. 2009, Bull. civ. I, n° 36 ; JCP 2009. II. 10091, note A. GOURIO ; JCP E 2009. 1364, note S. PIEDELIEVRE ; JCP E. 2009. 1700, note D. LEGEAIS ; Com. 7 juill. 2009, n° 08-13.536, D. 2009. 2318, note J. LASSERRE-CAPDEVILLE ; RTD com. 2009. 795, obs. D. LEGEAIS.

581 Com., 11 déc. 2007, n° 05-21234 (inédit), JCP E, 2008. 1192, note D. LEGEAIS. La solution a été confirmée par Com., 8 jan. 2008, JCP G 2008. II. 10055, note A. GOURIO et Com. 12 janvier 2010, n° 08-

Page 144: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

142

En présence d’un emprunteur averti, le banquier n’est tenu à aucun devoir de mise en

garde. Sa responsabilité peut toutefois être engagée en cas d’asymétrie d’information, c’est-à-

dire lorsqu’il détient, sur l’opération envisagée, des informations ignorées par l’emprunteur.

La doctrine s’interroge sur le fondement de cette action en responsabilité. Elle considère que

la faute du banquier n’est pas constituée par un manquement à son devoir de mise en garde

mais par la violation d’une obligation d’information précontractuelle582.

160. Plan. Ces observations étant faites, il convient encore de s’interroger sur la portée

du devoir de mise en garde au regard de la liberté de contracter du banquier (1). Pour la

déterminer, il faut au préalable le distinguer du devoir de conseil (2).

1) Distinction des devoirs de mise en garde et de conseil

161. Contenu de la distinction. La Cour de cassation a opté pour la reconnaissance d’un

devoir de mise en garde. Cette terminologie n’est pas neutre. En effet, la Haute juridiction

aurait pu consacrer un devoir de conseil du banquier, à l’image de celui existant pour d’autres

professionnels tels que l’avocat ou le notaire. C’est d’ailleurs la voie dans laquelle semblait

s’être engagée la première chambre civile dans un arrêt en 1995583. Le choix d’un devoir de

mise en garde est donc « révélateur d’une faveur dont bénéficient les établissements de

crédit »584 par rapport à d’autres professionnels. Cette faveur est pleinement assumée par la

Cour de cassation qui a insisté sur la nécessité de distinguer le devoir de mise en garde du

devoir de conseil dans le communiqué publié à la suite des deux arrêts de la Chambre Mixte

du 29 juin 2007585.

20898 (inédit). Il ressort de l’étude de la jurisprudence que le dirigeant caution de la société emprunteuse est souvent qualifié de caution avertie. Cette solution se justifie par le fait « qu’il a accès aux informations et qu’il est en mesure de les analyser et d’en mesurer la portée » (D. LEGEAIS, « Notion de caution avertie », RDBF, mars 2012, comm. 50). En revanche, lorsque le dirigeant n’est pas impliqué dans la gestion de la société cautionnée, la jurisprudence ne retient pas la qualification de caution avertie (Com., 31 janv. 2012, n°10-24694, inédit).

582 D. GALLOIS-COCHET, « Le banquier au cœur des risques », RLDC, 2008, n° 24. 583 Civ. 1ère, 27 juin 1995, pourvoi n° 92-19212, Bull. civ. I, n° 287 ; JCP E 1996. 11., note D. LEGEAIS;

Defrénois 30 nov. 1995, p. 1416 et s., note D. MAZEAUD ; E. SCHOLASTIQUE, « Les devoirs du banquier dispensateur de crédit: à propos d’un arrêt de la première Chambre civile », Defrénois 1996, n° 11, p. 689 et s.

584 D. LEGEAIS, note préc., JCP E 2008. 1192. 585 Cour de cassation, communiqué relatif aux arrêts de la Chambre Mixte du 29 juin 2007,

http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambres_mixtes_2740/arrets_n_10614.html. Pour une étude complète sur la distinction entre les devoirs de conseil, de mise en garde, d’information et de renseignement, v. F. BOUCARD, Les obligations d’information et de conseil du banquier, thèse, préf. D. LEGEAIS, PUAM, 2002, n° 4 et s.

Page 145: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

143

Le devoir de conseil « consiste à orienter par une recommandation la décision du

cocontractant »586. Dans cette perspective, le banquier aurait dû prendre position sur la

pertinence du contrat envisagé et déconseiller l’emprunteur de persévérer dans sa demande de

crédit. Comme l’explique M. GOURIO, ce devoir est classiquement écarté en matière d’octroi

de crédit « au nom de l’obligation de non-immixtion de la banque dans les affaires de son

client et probablement aussi au regard de l’idée que l’emprunteur est certainement le mieux

placé pour apprécier à la fois l’opportunité du crédit qu’il sollicite et ses propres capacités de

remboursement »587.

Le devoir de mise en garde « se situe théoriquement en deçà du conseil. Il ne s'agit plus

d'orienter la décision de l'emprunteur, mais seulement de l'avertir des risques qu'il prend »588.

En deçà du conseil donc, mais au dessus du simple devoir d’information qui consiste à

renseigner de manière objective, et donc neutre, le cocontractant589.

2) Portée du devoir jurisprudentiel de mise en garde

162. Prise en considération de la nature du crédit. La distinction établie entre les

devoirs de conseil et de mise en garde soulève la question de savoir si ce dernier implique

l’obligation de refuser le crédit lorsque le risque est excessif.

Pour une partie de la doctrine, la réponse est négative. Selon M. GOURIO, « la

responsabilité d’une banque ne pourra plus être recherchée pour avoir accordé un crédit

excessif, dès lors qu’elle aura exécuté son obligation de mise en garde. Les deux obligations

sont exclusives l’une de l’autre »590.

Si nous approuvons cette analyse lorsque le crédit est consenti à une entreprise (a), nous

estimons en revanche qu’elle n’est pas satisfaisante lorsqu’il est consenti à un particulier (b).

586 A. GOURIO, note préc. JCP G 2007, II, 10146. 587 Ibid. 588 J. FRANCOIS, « La responsabilité des établissements de crédit en raison de l’octroi d’un prêtexcessif à

un particulier », D. 2006, p. 1618, n °1. 589 Sur ce point, v. notamment M. FABRE-MAGNAN, De l’obligation d’information dans les contrats,

thèse, préf. J. GHESTIN, LGDJ, 1991, n° 476 ; v. égal. F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 258.

590 A. GOURIO, note préc., JCP G 2007, II, 10146. Dans le même sens, v. E. BAZIN, « Le devoir du prêteur d’éclairer l’emprunteur consommateur sur les risques encourus lors de la conclusion d’un contrat de crédit », RLD aff. 2007, n° 19, p. 89 et s., n° 18 ter.

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144

a) Crédit aux entreprises

163. Une prise de risque normale. L’analyse de M. GOURIO entraîne ici pour

conséquence que le banquier peut octroyer un crédit excessif à une entreprise s’il l’a

correctement mise en garde. Cette conséquence est logique. En effet, le risque est l’essence

même du crédit aux entreprises. La tâche du banquier consiste à en mesurer le degré. Alors

que le risque est déjà réalisé lorsque l’entreprise est dans une situation irrémédiablement

compromise, il n’en va pas de même en présence d’une entreprise naissante ou déjà existante

et dont la situation n’est pas irrémédiablement compromise. L’existence du risque dépend de

la viabilité du projet financé. Sur ce point, il ressort de l’étude de la jurisprudence que le

banquier doit être sanctionné lorsqu’il a octroyé un crédit sans examiner au préalable le

programme prévisionnel de l’activité projetée591. En revanche, le crédit n’est pas fautif lorsque

le banquier l’a accordé en se fondant sur une « étude prévisionnelle circonstanciée préparée

par un expert comptable et commissaire aux comptes » et sur le fait que le projet s'inscrivait

dans le cadre du développement d’une commune et avait reçu le soutien de cette dernière592.

Autrement dit, l’octroi d’un crédit excessif à une entreprise traduit une prise de risque

normale dans le cadre de l’activité bancaire.

Ce raisonnement est corroboré par l’obligation de vigilance à laquelle est tenue le

banquier. De cette obligation découle celle de refuser un crédit ruineux ou qui a pour effet de

soutenir artificiellement l’entreprise alors que sa situation est irrémédiablement compromise

au jour de l’octroi du prêt593.

Dans le même sens, comme on l’a vu, lorsque l’entreprise est en difficulté, l’article L.

650-1 du Code de commerce limite la possibilité d’engager la responsabilité du banquier.

Celle-ci ne peut être retenue qu’en cas de fraude, d’immixtion ou de prise de garanties

disproportionnées aux concours accordés ; encore faut-il que le crédit soit en lui-même fautif,

comme la Cour de cassation l’a précisé dans son arrêt du 27 mars 2012594.

591 Com., 11 avril 2012, n° 10-25904, Bull. civ. IV, n° 76 : « Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé

que le prêt sollicité, en avril 2002, avant toute activité de la société, pour en permettre le démarrage, avait été accordé par la caisse sans que lui fussent présentés des éléments comptables prévisionnels, l'arrêt retient que la caisse n'était pas en mesure d'apprécier l'adaptation de ce crédit aux capacités financières de la société; qu'en l'état de ces appréciations faisant ressortir le comportement fautif de la caisse, la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a pu décider que la responsabilité de cette dernière était engagée ».

592 Com., 12 juillet 2005, n° 03-11089 (inédit). 593 Sur la notion de crédit fautif, v. par ex., D. LEGEAIS, « Conditions de la responsabilité du prêteur du fait

des concours consentis à une entreprises en difficulté », JCP E. 2012. 1274. V. égal. I. URBAIN-PARLEANI, « L’octroi abusif de crédit », RDBF nov.-déc. 2002, p. 365 et s. Pour un exemple récent, v. Com. 7 fév. 2012, n° 11-10252 (inédit).

594 Com., 27 mars 2012, n° 10-20077, Bull. civ. IV, n° 68 ; JCP E 2012. 1274, note D. LEGEAIS ; JCP E 2012. 1373, note J. STOUFFLET ; RDBF 2012. comm. 114, obs. F. CREDOT et Th. SAMIN ; D. 2012, p. 1455,

Page 147: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

145

Le législateur et la jurisprudence ont ainsi considérablement réduit le domaine de la

responsabilité bancaire en cas d’octroi de crédit à une entreprise. Il est permis de considérer

que ces solutions encouragent le banquier à octroyer des crédits particulièrement risqués dans

cette situation. En d’autres termes, l’article L. 650-1 du Code de commerce, et son

interprétation par la Cour de cassation, constituent une invitation à prendre des risques élevés

vis-à-vis des entreprises.

b) Crédit aux particuliers

164. Une prise de risque anormale. En matière de crédit aux particuliers, est-il pertinent

de considérer que l’exécution du devoir de mise en garde autorise le banquier à consentir un

crédit excessif ?595 Nous ne le pensons pas. S’agissant des particuliers, le crédit devrait être

considéré comme étant en soi fautif lorsqu’il « est déraisonnable ou s’il n’est consenti que

parce qu’il est garanti »596.

Dans un arrêt du 8 juin 1994, la première Chambre civile de la Cour de cassation a jugé

qu’un crédit est fautif lorsqu’il est octroyé en l’absence de chances sérieuses de

remboursement597. En l’espèce, la charge annuelle que représentait le crédit était supérieure

aux revenus de l’emprunteur598. Certes, cet arrêt concernait un crédit octroyé à un agriculteur

pour les besoins de son activité. Il nous semble néanmoins parfaitement transposable à

l’hypothèse d’un crédit consenti à un particulier. Dans ces conditions, un crédit accordé à un note R. DAMMANN et A. RAPP ; Banque et droit 2012, p. 22, obs. Th. BONNEAU ; JCP G 2012. 636, note F. BOUCARD.

595 V. sur cette question J. ATTARD, « Du champ d’application du devoir de conseil du banquier », RTD com. 2011, p. 11 et s. ; J. DJOUDI et F. BOUCARD, « La protection de l’emprunteur profane », D. 2008, p. 500, spéc. n° 24 et s. (selon ces auteurs, la réponse à cette question dépend « du rôle que l’on assigne au banquier dispensateur de crédit » et notamment de la nécessité de déterminer si l’on entend lui confier une mission d’intérêt général) ; S. HOCQUET-BERG, « Les fournisseurs de crédit à nouveau mis en garde », Responsabilité civile et assurance sept. 2007, étude 5, spéc. n° 8, pour qui « de la mise en garde au conseil et du conseil à l’obligation de refuser l’octroi du crédit, il n’y a qu’un pas que les banques seraient bien avisées de franchir » ; S. PIEDELIEVRE, « Nouvelles variations sur la responsabilité du banquier dispensateur de crédit », RLD civ. 2005, n° 21, spéc. n° 13.

596 Cf. D. LEGEAIS, RTD com. 2008, p. 163, qui, semble-t-il, n’envisage que le crédit aux entreprises en utilisant cette formulation. Comp. D. LEGEAIS, J-Cl. Banque – crédit - bourse, 2013, fasc. 151, n° 9 et s., où M. LEGEAIS ne distingue pas selon la nature du crédit : « Un crédit totalement excessif, sans chance sérieuse d’être remboursé, ne peut être consenti sans engager la responsabilité de l’établissement de crédit. Un crédit ne peut être justifié par le seul fait qu’il est garanti. Le risque ne peut être intégralement supporté par la caution. Dès lors, dans une telle hypothèse, il est permis de considérer que l’établissement de crédit manque à son devoir de discernement envers l’emprunteur et se rend coupable d’un dol ou d’un manquement au devoir de mise en garde à l’égard de la caution ».

597 Civ.1ère, 8 juin 1994, Bull. civ. I, n° 206 ; JCP E 1995. II. 652, note D. LEGEAIS ; RD bancaire et bourse 1994, p. 173, obs. F. CRÉDOT et Y. GÉRARD ; RTD com. 1995, p. 170, obs. M. CABRILLAC.

598 Outre la disproportion entre le coût du crédit et les revenus de l’emprunteur, son âge avancé et l’inutilité de l’opération financée (achat d’un tracteur alors que l’emprunteur en possédait déjà un) ont été relevés pour qualifier le crédit de fautif.

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146

particulier devrait être qualifié de fautif car déraisonnable lorsque sa « charge annuelle de

remboursement est supérieure aux revenus de l’emprunteur »599. La mise en garde de

l’emprunteur par le banquier serait insuffisante pour paralyser la mise en œuvre de la

responsabilité.

Ainsi, soit le crédit n’affecte pas la solvabilité du particulier emprunteur et il est alors

raisonnable et donc non excessif ; soit le crédit affecte la solvabilité du particulier et il doit

être considéré comme déraisonnable et donc excessif. En d’autres termes, si le caractère

excessif d’un crédit ne doit pas dissuader le banquier de consentir un crédit à une entreprise

sous réserve de la mettre en en garde, la solution inverse se justifie lorsque le crédit projeté a

pour destinataire un simple particulier. En effet, tandis que le risque inhérent au crédit à une

entreprise tient à la viabilité d’un projet et à ses perspectives de réussite, le risque inhérent à

celui qui est consenti à un particulier tient seulement à ses perspectives de remboursement.

Dans cette mesure, contrairement au crédit consenti à une entreprise, le banquier ne peut

compter sur le succès d’une activité financée pour contrebalancer le risque pris à l’origine. Il

n’a donc aucune raison de faire le moindre pari sur la solvabilité future de son emprunteur.

En définitive, nous estimons que le devoir de mise en garde n’a pas sa place en matière

de crédit aux particuliers. En présence d’un crédit excessif, le banquier devrait être tenu non

d’une obligation de mise en garde mais d’une obligation de le refuser.

Cette position trouve un renfort dans les dispositions relatives au traitement du

surendettement des particuliers et notamment l’article L. 331-7 du Code de la consommation.

Cet article prévoit que, pour déterminer les mesures de nature à lutter contre la situation de

surendettement, la Commission de surendettement doit prendre en compte « la connaissance

que pouvait avoir chacun des créanciers, lors de la conclusion des différents contrats, de la

situation d'endettement du débiteur. Elle peut également vérifier que le contrat a été consenti

avec le sérieux qu'imposent les usages professionnels ». Il faut en déduire que « le banquier

sera tenu pour responsable envers son client, simple particulier, chaque fois qu’il connaissait

sa situation très endettée, ou dès lors que la conclusion du contrat de prêt ne s’avère pas avoir

été sérieuse »600. En la matière, la création d’un fichier positif recensant l’ensemble des crédits

599 Cf. D. LEGEAIS, J-Cl. Banque – crédit - bourse, fasc. 151, n° 12. 600 R. ROUTIER, Obligations et responsabilités du banquier, op. cit., n° 321-21. En pratique cette

responsabilité peut se traduire par « des avantages concrets abandonnés à l’emprunteur surendetté » ( R. ROUTIER, op. cit.) : imputation des paiements sur le capital ; report ou rééchelonnement des échéances ; réduction du taux d’intérêt des échéances reportées ou rééchelonnées qui peut être inférieur au taux légal ; effacement partiel de la dette.

Page 149: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

147

à la consommation consentis aux particuliers devrait faciliter la preuve de la connaissance, par

la banque, de l’endettement excessif du particulier601.

B- OBLIGATIONS SPÉCIFIQUES AU CRÉDIT CONSENTI À UN PARTICULIER

165. Plan. La loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la

consommation est venue mettre à la charge du banquier deux obligations qui ont un impact

sur se liberté de décision. Il s’agit, d’une part, de l’obligation de vérifier la solvabilité du

candidat à l’emprunt (1) et, d’autre part, du devoir de l’éclairer sur les conséquences

financières du crédit602 (2).

1) Le devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur

166. Contenu du devoir. Il convient ici de relever deux dispositions issues de la loi du

1er juillet 2010.

D’abord, l’article L. 311-9 du Code de la consommation impose désormais au banquier

de vérifier la solvabilité du demandeur de crédit à la consommation et de consulter le FICP.

Ensuite, pour les crédits conclus sur le lieu de vente ou par le moyen d’une technique de

communication à distance, l’article L. 311-10 du même code exige qu’une fiche

d’informations soit remplie par l’emprunteur. Celle-ci doit mentionner ses ressources, ses

charges ainsi que les prêts en cours qu’il a contractés. Cette fiche a pour objectif de contribuer

à l’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur. Elle doit faire l’objet d’une déclaration

certifiant sur l’honneur l’exactitude des informations qui y sont mentionnées.

Véritable « condition du crédit »603, la transparence est donc en principe assurée par le

candidat à l’emprunt qui s’engage à fournir les informations nécessaires à l’étude de sa

demande. L’établissement de crédit dispose en plus d’outils de collecte et de techniques de

traitement de ces informations604.

601 V. infra n° 167. 602 Cf. « Le crédit responsable » dir. X. LAGARDE, RDBF sept.-oct. 2007, dossiers 20 à 24 ; D. LEGEAIS,

« Le droit du crédit à la consommation ou l’art du millefeuille », RDBF sept. 2011, repère 5 ; D. LEGEAIS, « Les nouvelles obligations du banquier », RDBF sept. 2011, dossier 29 ; V. EDEL, « Le devoir d’explication et le devoir de mise en garde du banquier : point de vue du praticien », RDBF sept. 2011, dossier 30.

603 H. AUBRY, « Transparence du patrimoine et octroi de crédit », RLDA 2012, n° 68, p. 114-118. 604 Voir supra n° 129 et 130.

Page 150: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

148

167. La création du registre national des crédits aux particuliers. En la matière, la

création d’un fichier national des crédits aux particuliers par loi Hamon relative à la

consommation, adoptée le 13 février 2014 par l’Assemblée nationale, devrait constituer un

outil précieux d’évaluation de la solvabilité des particuliers605. Ce registre recense les crédits à

la consommation (art. L. 333-10-I du Code de la consommation), les incidents de paiement

liés aux crédits octroyés aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins

professionnels (art. L. 333-10-II du même Code) ainsi que les informations relatives aux

situations de surendettement ou aux liquidations judiciaires prononcées en application du titre

VII du Livre IV du Code de commerce (art. L. 333-10-III du même Code). Il est à noter que

les crédits immobiliers et renouvelables non utilisés ne figurent pas dans la liste des crédits

recensés par le registre. Ce non-référencement nuira de toute évidence à la précision de cette

évaluation606.

La mise en place de ce registre a été controversée : source de transparence et outil de lutte

contre le surendettement pour les uns, risque d’atteinte à la vie privée et de détournement à

des fins de prospection commerciale pour les autres607. Invitée à se prononcer sur sa

compatibilité avec le droit au respect de la vie privée, la CNIL s’y est dans un premier temps

montrée hostile. Elle s’est plus précisément opposée à la création d’un fichier central de crédit

par une société privée608. Pour la CNIL, la création de ce fichier devait relever de la

compétence du législateur et non d’une initiative privée. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du

30 décembre 2009, avait approuvé la délibération de la CNIL. Il avait précisé que la

possibilité d’une utilisation des données du fichier positif « à d’autres fins que celle pour

605 Assemblée nationale, TA. n° 295 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0295.asp). 606 V. dans le même sens, J. LASSERRE-CAPDEVILLE, chron. de droit du crédit aux consommateurs, LPA

4 nov. 2013, n° 220, p. 6, n° 6. 607 Cf. D. LEGEAIS, « Vers la fin d’un serpent de mer ? », RDBF sept. 2010, repère n°5 ; H. CLARET, « Le

fichier positif: serpent de mer ou Léviathan», JCP G 2013. 695 ; V. LEGRAND, « La lutte contre le surendettement dans le projet de loi “Consommation” », RDBF oct. 2013, étude 15, spéc. n° 7 et s. Il est à noter que les Etats-Unis ont accueilli avec moins de réserve la mise en place d’un tel registre dans la mesure où l’obtention d’un crédit – et donc son inscription dans un fichier positif – est un signe de moralité, un indice en faveur de la dignité de crédit du candidat emprunteur (cf. F. MIGRAINE, L’euro est le seul élément fédérateur », Revue Banque 2001, n° 623, p. 24).

608 CNIL, Délib. n° 2007-044, 8 mars 2007. La CNIL a toutefois autorisé un échange d’informations entre deux sociétés spécialisées dans le crédit à la consommation et appartenant à un même groupe financier. Cet échange suppose que soit recueilli le consentement des clients par « le biais d'une clause particulière de la demande de crédit précisant la finalité et les destinataires des échanges d'information. Dans la mesure où les informations échangées sont couvertes par le secret bancaire, il est prévu que la clause comporte l'autorisation explicite du client de partager des informations couvertes par le secret bancaire » (Délib. n° 2005-196, 8 sept. 2005).

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149

laquelle la demande d’autorisation a été présentée, et notamment à des fins commerciales »,

portait potentiellement atteinte aux droits fondamentaux des particuliers609.

Prenant en compte les craintes formulées par la CNIL et une partie de la doctrine, le

législateur a adopté des mesures destinées à assurer la protection de la vie privée et à lutter

contre l’utilisation, à des fins de prospection commerciale, des données contenues dans le

fichier. L’article L. 333-8 du Code de la consommation prévoit que les informations

contenues dans le fichier « ne peuvent être ni consultées, ni utilisées à d’autres fins que celle

mentionnée à l’article L. 333-7, ni pour d’autres motifs que ceux mentionnés au présent

article, en particulier à des fins de prospection commerciale, sous peine des sanctions prévues

à l’article 226-21 du code pénal »610. En outre, le registre propose une restitution agrégée des

données enregistrées : « Lorsqu’un établissement consultera le fichier, il se verra donc

transmettre des informations cumulées pour l’ensemble des crédits souscrits et pas les

données propres à chaque crédit. Ainsi, les informations seraient déclarées crédit par crédit

par les prêteurs mais la Banque de France procèderait à une agrégation des données pour les

restituer sur cette base agrégée lors des consultations »611. Pour Mme AUBRY, une telle

mesure est de nature à réduire considérablement « le risque que [le] fichier porte atteinte à la

vie privée des particuliers »612.

Quoi qu’il en soit, l’article L. 333-8 du Code de la consommation prévoit que la

consultation du registre est obligatoire pour l’établissement de crédit et les établissements

mentionnés à l’article L. 333-7 « avant toute décision effective d’octroyer un crédit à la

consommation ». En cas de litige, le prêteur devra rapporter la preuve de la consultation.

L’article L. 333-18 du Code de la consommation sanctionne l’établissement ou l’organisme

qui n’a pas respecté cette obligation par la déchéance, totale ou partielle, des intérêts.

167-1. La directive européenne sur le crédit immobilier. Prenant la suite de la

proposition de directive sur « les contrats de crédit relatifs aux biens immobiliers à usage

609 CE, 30 décembre 2009, n° 306173 ; CCE 2010, comm. 36, A. LEPAGE. V. égal. J. MOREL-

MAROGER, « La protection des données personnelles des clients des banques : bilan et perspectives », RDBF mars 2011, étude 10.

610 La protection des données contenues dans le registre est renforcée par l’article L. 333-16 du code de la consommation qui disposera que « La collecte des informations contenues dans le registre par des personnes autres que la Banque de France, les établissements et organismes mentionnés à l’article L. 333-7, les commissions de surendettement, les greffes des tribunaux compétents, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et la Commission nationale de l’informatique et des libertés ainsi que les organismes gestionnaires mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 333-14 du présent code est punie des peines prévues à l’article 226-18 du code pénal ».

611 Rapport du Comité, p. 58. 612 H. AUBRY, « Transparence du patrimoine et octroi de crédit », RLDA 2012, n° 68, p. 114 et.

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150

résidentiel » du 31 mars 2011, la directive 2014/17 du 4 février 2014 consacre dans son article

18 une nouvelle obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur. En effet, cette

disposition énonce dans son point 1 que les Etats membres doivent veiller « à ce que, avant de

conclure un contrat de crédit, le prêteur procède à une évaluation rigoureuse de la solvabilité

du consommateur. Cette évaluation prend en compte, de manière appropriée, les facteurs

pertinents permettant de vérifier la probabilité que le consommateur remplisse ses obligations

aux termes du contrat de crédit ». En outre, le point 3 précise que « l’évaluation de la

solvabilité ne s’appuie pas essentiellement sur le fait que la valeur du bien immobilier à usage

résidentiel est supérieur au montant du crédit ou sur l’hypothèse que [ce bien] verra sa valeur

augmenter, à moins que le contrat de crédit ne soit destiné à la construction ou à la rénovation

du bien immobilier à usage résidentiel ».

168. Conséquence du devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur. En raison de la

multiplication des obligations de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, le banquier n’est plus

totalement libre d’octroyer ou non un crédit. Son sentiment de confiance n’est plus suffisant.

Il doit s’astreindre à le justifier par l’établissement de la solvabilité de l’emprunteur. Son

processus décisionnel est donc dirigé.

Est-il possible d’aller plus loin ? On peut se demander si cette obligation n’entraîne pas

implicitement un devoir de refuser le crédit lorsqu’à l’issue de la vérification le banquier

s’aperçoit que la solvabilité du candidat est faible voire inexistante. Une réponse positive nous

semble envisageable, pour des raisons que nous expliquerons dans la section suivante613.

2) Le devoir d’éclairer l’emprunteur

169. Identification. Le devoir d’éclairer l’emprunteur (issu de la loi précitée du 1er juillet

2010) peut être analysé comme un prolongement du devoir jurisprudentiel de mise de mise en

garde614.

L’article L. 311-8 du Code de la consommation impose d’abord au prêteur de fournir à

l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le crédit demandé est adapté à sa

situation financière.

Ensuite, cet article exige du prêteur qu’il attire l’attention de l’emprunteur « sur les

613 V. infra n° 183 et s. 614 Le devoir d’éclairer avait déjà été reconnu par la première Chambre civile de la Cour de cassation dans un

arrêt du 12 juillet 2005 (Civ. 1ère, 12 juillet 2005, pourvoi n° 03-10115, Bull. civ. I, n° 326 ; JCP E 2005. 1359, obs. D. LEGEAIS).

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151

conséquences que le crédit peut avoir sur sa situation financière, notamment en cas de défaut

de paiement ».

170. Conciliation avec le devoir jurisprudentiel de mise en garde. La doctrine

s’interroge sur l’impact de ces nouveaux devoirs : se substituent-ils au devoir prétorien de

mise en garde ? D’un côté, en vertu de l’adage specialia generalibus derogant, l’article L.

311-8 du Code de la consommation devrait primer sur le devoir de mise en garde. Mais, d’un

autre côté, de nombreux arguments permettent de considérer que les devoirs légaux et le

devoir prétorien ne s’excluent pas.

M. LEGEAIS remarque en ce sens qu’ils n’ont pas le même intitulé, ce qui laisse penser

qu’ils n’ont pas le même contenu. Il souligne en outre que la loi ne distingue pas l’emprunteur

averti de l’emprunteur non averti et que, « si le droit commun était écarté, l’emprunteur se

trouverait moins protégé dans la mesure où la sanction prévue n’est que la déchéance du droit

aux intérêts alors que la réparation d’une perte de chance de ne pas contracter [sanction

appliquée à la violation du devoir de mise en garde] peut être plus complète »615.

A notre sens, si le devoir jurisprudentiel de mise en garde et le devoir légal d’explication

poursuivent l’objectif de responsabiliser l’emprunteur en l’aidant à avoir pleinement

conscience de la portée de son engagement, leur contenu diffère effectivement.

Le devoir d’explication doit permettre à l’emprunteur de déterminer si le crédit est adapté

à ses besoins et capacités financières, c’est-à-dire s’il est en mesure de l’aider à réaliser son

projet. Il doit également lui permettre de prendre conscience de l’impact du crédit sur sa

situation financière, c’est-à-dire de mesurer le poids du remboursement sur ses capacités

financières.

Le devoir jurisprudentiel de mise en garde n’a pas pour effet d’éclairer le client sur

l’adéquation du crédit à la faisabilité de son projet mais d’attirer son attention sur le risque

particulier que représente spécifiquement la conclusion du contrat de crédit envisagé. Si le

devoir d’explication est général et s’applique à tout crédit à la consommation, le devoir de

mise en garde n’existe qu’en présence d’un contrat présentant un risque aigu d’endettement

et, à terme, de surendettement.

La question se pose également de savoir si le devoir légal d’explication doit se traduire

par une obligation de refuser le crédit si celui-ci est inadapté aux capacités financières de

l’emprunteur. En effet, le devoir d’explication, contrairement au devoir jurisprudentiel de

615 D. LEGEAIS, J-Cl. Banque – crédit - bourse, fasc. 151, n° 28.

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152

mise en garde, est un devoir de conseil qui, en cas de crédit inadapté, pourrait entraîner

l’obligation de dissuader l’emprunteur et donc de refuser le crédit616.

Pour notre part, nous considérons que si la loi du 1er juillet 2010 a effectivement consacré

un devoir de refuser le crédit, celui-ci ne trouve pas son fondement dans le devoir

d’explication. Il se manifeste en amont, lors de la vérification de la solvabilité de

l’emprunteur617. En effet, c’est à l’issue de la vérification de la solvabilité de l’emprunteur que

le prêteur sera en mesure d’apprécier la pertinence de la demande de crédit et, en cas

d’acceptation de cette demande, de fournir à l’emprunteur les explications lui permettant de

déterminer l’adéquation du crédit à ses besoins ainsi que son impact sur sa situation

financière.

171. Conclusion : l’impact des nouveaux devoirs du banquier sur sa liberté du

banquier d’octroyer un crédit. Les devoirs de vérification de la solvabilité, de mise en garde

et d’explication du contenu et de la portée du crédit constituent indéniablement des freins à la

liberté d’octroyer un crédit.

Le devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur consommateur la limite en la

soumettant à une procédure obligatoire. Il peut en outre la faire disparaître lorsqu’il conduit le

banquier à constater un état d’insolvabilité de l’emprunteur, que cet état soit antérieur ou créé

par le crédit demandé.

Le devoir jurisprudentiel de mise en garde ne fait pas disparaître la liberté de contracter

du banquier. En revanche il instaure un régime de liberté surveillée. Le banquier doit en effet

alerter l’emprunteur sur les dangers du contrat conclu sous peine de voir sa responsabilité

engagée pour octroi de crédit excessif. Un raisonnement similaire peut être tenu s’agissant du

devoir légal d’alerter l’emprunteur sur l’adaptation du crédit à ses besoins et ses conséquences

financières.

616 En ce sens, v. F.-J. CREDOT et Th. SAMIN, « L’obligation de mise en garde est-elle compatible avec le

crédit responsable ? », RDBF, nov. 2010, comm. 203. 617 Cf. supra n° 166 et s. et 183 et s.

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153

SOUS – SECTION II : LE CONTRÔLE DU REFUS D’OCTROYER UN

CRÉDIT

172. Plan. La légitimité du refus de crédit est limitée par l’interdiction des

discriminations (§ I), l’intervention du médiateur du crédit (§ II) et l’obligation du banquier

d’expliquer les résultats de la notation (§ III).

§ – I. L’INTERDICTION DES DISCRIMINATIONS

173. Présentation de la notion de discrimination. Le contrat de crédit est conclu intuitu

personae. Il est donc par essence discriminant. En effet, le cocontractant est choisi à

l’exclusion d’autres candidats car il paraît « objectivement plus apte à donner satisfaction à

son cocontractant, par comparaison avec tous les autres »618. C’est pour cette raison que Mme

LOCHAK qualifie la liberté de contracter de « liberté de discriminer »619. Si le contrat de

crédit d’accommode d’une liberté de discriminer, celle-ci n’est cependant pas absolue car elle

ne doit pas reposer sur un critère interdit.

Mme LOCHAK définit la discrimination interdite comme « la distinction ou la différence

de traitement illégitime : illégitime parce qu’arbitraire, et interdite puisqu’illégitime »620.

Le législateur s’est d’abord intéressé à l’interdiction des discriminations dans la loi n° 72-

546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme. Le domaine de cette interdiction a

ensuite été considérablement élargi par les lois n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 et n°

2008-496 du 27 mai 2008 (réd. L. n° 2012-954 du 6 août 2012) dont les dispositions ont été

intégrées dans le Code pénal621 et le Code du travail622.

Sont notamment des critères discriminants l’appartenance ou la non appartenance à une

race ou ethnie, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état de santé, le handicap ou encore les

activités syndicales.

618 J.P. DESIDERI, « Les discrimination dans le choix de son cocontractant », Droit et patrimoine, n° 60,

mai 1998, p. 64. 619 D. LOCHAK, « Loi du marché et discrimination », Lutter contre les discriminations, dir. D. BORRILLO,

éd. La découverte, coll. Recherches, 2003, p. 17. L’auteur ajoute que « la liberté du propriétaire, la liberté de l’employeur, la liberté du prestataire de services [sont] autant d’expressions du principe civiliste de la liberté contractuelle qui inclut la faculté de traiter différemment, et même de façon inégale, en vertu de critères qu’ils déterminent librement, les individus avec lesquels ils s’engagent dans les relations contractuelles » (p. 17).

620 D. LOCHAK, « Réflexions sur la notion de discrimination », Droit social 1987, p. 778. 621 Art. 225-1 à 225-3 du Code pénal (pour les discriminations commises par un particulier) et 432-7 du

même code (pour les discriminations commises par un dépositaire de l’autorité publique). 622 Art. L .1142-1 et L. 2141-5 du Code du travail.

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154

La loi distingue les discriminations directes et indirectes. La discrimination est directe

lorsque « la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance, vraie ou supposée,

à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation

sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne

l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable »623. La discrimination indirecte

est « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible

d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier

pour les personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère

ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour

réaliser ce but soient strictement nécessaires et appropriés »624. En matière d’accès aux biens et

services, sont seules interdites la prise en compte de l’origine ethnique, de la race ou du sexe.

174. La philosophie de la lutte contre les discriminations. La philosophie de la lutte

contre les discriminations est controversée. Ainsi, M. TERRÉ dénonce fermement l’incidence

des mesures anti-discriminatoires sur la formation du contrat. Pour lui, la lutte contemporaine

contre les discriminations traduit l’influence de « l’idéologie égalitaire », laquelle « restreint

la considération de la personne et contribue à ramener notre civilisation juridique au stade de

l’indifférencié, du “tout pareil” »625. Or, nous explique t-il, « l’indifférenciation incite à

l’hypocrisie, voire au mensonge, et, par un effet des plus pervers, elle favorise l’indifférence,

ce mal qui ravage notre temps »626. Cette vision apocalyptique de « notre civilisation

juridique » n’est pas unanimement partagée.

Jacques CHEVALLIER relève ainsi que l’adoption d’un droit antidiscriminatoire

« manifeste d’abord une rupture avec la vision enchantée, héritée de la Révolution française,

suivant laquelle il suffirait de poser le principe d’égalité de tous devant la loi pour supprimer

toute possibilité de discrimination »627. En d’autres termes, l’instauration de la lutte contre les

discriminations a fait suite au constat de l’existence d’inégalités structurelles, liées à

l’appartenance à une catégorie ou à un groupe de personnes. Là où la pensée libérale repose

sur une logique de « réduction de l’altérité »628 et considère que les inégalités réelles sont sans

623 Art. 1er, L. 27 mai 2008.

624 Art. 2, L. 27 mai 2008. 625 F. TERRÉ, « Le contrat à la fin du XXe siècle », Revue des Sciences morales et politiques 1995/3, p. 310. 626 Ibid. 627 J. CHEVALLIER, « Lutte contre les discriminations et Etat-providence », Lutter contre les

discriminations, dir. D. BORRILLO, éd. La découverte, coll. Recherches, 2003, p. 39. 628 A. RENAUT, Egalité et discriminations. Un essai de philosophie politique appliquée, éd. Seuil, coll. La

couleur des idées, p. 37.

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155

incidence sur le principe d’égale valeur en droit des individus, le droit antidiscriminatoire

estime au contraire que seule la lutte contre les inégalités réelles peut donner une effectivité

au principe d’égale valeur des individus. C’est pourquoi, en ayant pour objectif de lutter

contre l’exclusion – ou encore d’ « assurer une égalité sociale réelle »629 -, les mesures anti-

discriminations incitent à remettre en cause le postulat libéral qui sous-tend la formation des

contrats : à partir du moment où le contrat n’est plus le lieu d’une rencontre entre personnes

égales et autonomes, rien ne justifie que la liberté contractuelle soit conçue comme une liberté

absolue et donc incontrôlable. Il en va ainsi de la liberté de contracter en général ou de celle

du banquier en particulier.

175. Les discriminations et le contrat de crédit. Le problème des discriminations dans

l’activité bancaire, notamment la distribution de crédit, suscite l’intérêt des autorités

françaises et européennes630. La doctrine de droit bancaire commence également à mesurer

l’importance de cette question au regard notamment de l’enjeu économique et social que

représente l’accès au crédit631. Comme la liberté de tout contractant, celle du banquier est

limitée par l’interdiction de commettre une discrimination.

Plusieurs voies de recours sont ouvertes pour lutter contre les discriminations directes. Le

banquier peut être poursuivi devant les juridictions civiles et pénales. Le Défenseur des droits,

qui a succédé à la HALDE, peut également être saisi632. La loi organique n° 2011-333 du 29

mars 2011 est venue préciser ses pouvoirs. Il peut faire une recommandation, proposer un

règlement amiable par le biais d’une médiation, orienter les parties vers la conclusion d’une

transaction ou encore saisir l’autorité de contrôle de l’auteur de la discrimination. En matière

bancaire, il s’agit de l’Autorité de contrôle prudentiel. Cette dernière est en mesure de

prononcer plusieurs sanctions à l’encontre de l’établissement de crédit parmi lesquelles la

radiation de la liste des personnes agréées ou encore la condamnation au versement d’une

indemnité d’un montant maximum de 100 millions d’euros.

629 Ibid., p. 45. 630 V. notamment Commission européenne, DG Emploi, affaires sociales et inclusion, « Study on the use of

age, disability, sex, religion or bilief, racial or ethnic origin and sexual orientation in Financial services, in particular in the insurance and banking sectors », Rapport final, 16 juillet 2010. V. égal. HADLE, Délibération n°2010-206, 27 sept. 2010 (refus d’octroyer une carte de crédit à un individu en raison de son âge – ici 80 ans); Délibération n°2010-293, 13 déc. 2010 (refus d’octroyer un crédit en raison de la domiciliation de la caution hors de France métropolitaine).

631 Th. BONNEAU et J.-P. DESIDERI, « Les discriminations dans le choix de son cocontractant », Droit et patrimoine mai 1998, n° 60, p. 52 et s.

632 Pour une présentation du Défenseur des droits, v. Th. BONNEAU, « Naissance d’un nouveau pouvoir ? », RDBF juill. 2011, repère 4.

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156

En théorie, l’impact des recours ouverts en cas de discrimination directe sur la liberté du

banquier d’octroyer ou non un crédit est significatif. Le Défenseur des droits, ainsi que les

juges civil et pénal, sont fondés à contrôler la décision du banquier de refuser un crédit afin de

s’assurer qu’il n’a commis aucune discrimination ; surtout l’établissement de crédit peut être

radié ou condamné à verser une très lourde indemnité.

Mais en pratique, cet impact demeure réduit à ce jour633. En effet, à l’exception de la

rupture du crédit consenti à une entreprise, le banquier n’est pas soumis à l’obligation de

motiver sa décision de refus ou de rupture de crédit634. Ainsi, à supposer que le fondement de

son choix soit un des critères de discrimination prohibés, la preuve sera bien difficile à

rapporter635. Cette difficulté sera considérable en matière pénale puisqu’il revient au ministère

public de prouver l’existence de la discrimination. Elle sera moindre en matière civile car, en

vertu de l’article 4, alinéa 1er, de la loi n° 2008-486 du 27 mai 2008, « il appartient à la partie

défenderesse [au vu des éléments présentés par la personne qui s’estime victime d’un

discrimination] de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs

étrangers à toute discrimination ».

Si l’on s’intéresse à présent aux discriminations indirectes, il faut noter que l’article 1er,

al. 2, L. du 27 mai 2008, dispose qu’elles sont admissibles lorsqu’elles sont objectivement

justifiées par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et

appropriés. Or, comme on l’a relevé, « les nombreuses exigences afférentes à l’activité

bancaire en matière de crédit ne suffiraient-elles pas à justifier des pratiques dont les

conséquences sont, dans les faits, discriminatoires ? »636. On songe notamment à l’obligation

de respecter les ratios et à la nécessité de maîtriser le risque de crédit. En pratique donc, il

semblerait que la nature même du contrat de crédit offre de grandes latitudes au banquier pour

refuser d’octroyer un crédit.

633 Plusieurs travaux ont mis en évidence le faible recours au droit antidiscriminatoire par les victimes. V. par

ex. M. EBERHARD, « De l’expérience du racisme à sa reconnaissance comme discrimination. Stratégies discursives et conflits d’interprétation », Sociologie, 2010/4, p. 479 ; L.-B. NIELSEN et R.-L. NELSON, « Scalling the Pyramid : A Sociolegal Model of Employment Discrimination Litigation », in L.-B. NIELSEN et R.-L. NELSON eds, Handbook of Employment Discrimination Research, New Ork, Srpinger, 2005, p. 30 et s. ; L.-D. BOBO et J.-H. SUH, « Surveying Racial Discrimination : Analyses from a Multiethnic Labor Market », in M.-L. OLIVER, L.-D. BOBO, J.-H. JOHNSON, A. VALENZUELA eds, Prismatic Metropolis : Inequality in Los Angeles, New York, Russel Sage Foundation, 2000, p. 529 et s.

634 V. infra, n° 176 et s. (médiation du crédit), 190 (obligation de motiver la rupture ou réduction de crédit) et n° 205 (obligation de motiver le refus de crédit – approche de droit prospectif).

635 Dans le même sens, v. J. LASSERRE CAPDEVILLE et L. MOUREY, « Le banquier dispensateur de crédit face au risque de discrimination », in Le crédit: aspects juridiques et économiques, dir. J. LASSERRE-CAPDEVILLE, Dalloz, 2012, n° 20, p. 65.

636 J. LASSERRE CAPDEVILLE et L. MOUREY, art. préc., n° 24, p. 66.

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157

La liberté du banquier pourrait être plus sévèrement remise en cause si des politiques de

discrimination positive venaient à être adoptées. Ces politiques « consistent à traiter

différemment ceux qui sont différents, avec la volonté de donner davantage à ceux qui, en

raison de leur différence, ont le plus besoin de voir compenser les injustices dont ils sont

collectivement l’objet »637. Leur objectif est donc de lutter contre les inégalités réelles en

favorisant l’accès des individus concernés à différentes activités sociales638.

§ – II. L’INTERVENTION DU MÉDIATEUR DU CRÉDIT

176. La médiation du crédit. Il existe plusieurs conceptions de la médiation639, laquelle

peut se définir soit comme « un mode de solution des conflits »640, soit comme un moyen de

participer « à la création, à la restauration et/ou au maintien du lien social »641. C’est dans cette

dernière optique que la médiation du crédit aux entreprises a été conçue. Il s’agit « de

restaurer l’harmonie entre les parties plutôt que de rechercher à déterminer une responsabilité

basée sur une éventuelle faute »642.

La création du médiateur du crédit aux entreprises bouleverse les conditions d’accès au

crédit643. Elle encadre la décision du banquier en lui imposant notamment d’expliquer les

raisons de son refus d’octroyer un crédit.

Cette institution est originale puisqu’elle a été créée de manière informelle, c’est-à-dire

en l’absence de texte légal ou réglementaire. Le médiateur du crédit a en effet été nommé par

637 A. RENAUT, Egalité et discriminations. Un essai de philosophie politique appliquée, éd. Seuil, coll. La

couleur des idées, p. 17. 638 Dans le même sens, v. L. BERENI et V.-A. CHAPPE, « La discrimination, de la qualification juridique à

l’outil sociologique », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 2011, n° 94 (Discrimination et droit), p. 15.

639 Sur ce point, v. par ex. Ch. JARROSSON, « La médiation et la conciliation : essai de présentation », Dr. et patrimoine, déc. 1999, p. 38 ; v. égal. J.-P. TRICOIT, « La nature juridique du médiateur du crédit », Gaz. Pal. 6 mars 2010, n°65, p. 15.

640 V° Médiation, Vocabulaire juridique, dir. G. CORNU, op. cit. Monsieur CADIET insiste sur la nécessité de distinguer la notion de conflit de celle de litige : « la notion de conflit a vocation à englober la notion de litige en ce sens que le litige est un conflit juridiquement relevant, c’est-à-dire un conflit susceptible de faire l’objet d’une solution juridique, par application des règles de droit. Autrement dit tout conflit n’est pas un litige » (L. CADIET, « Des modes alternatifs de règlement des conflits en général à la médiation en particulier », La médiation, Dalloz, 2009, p. 14).

641 J.-Ph. TRICOIT, « La nature juridique du médiateur du crédit », art. préc., p. 15. Sur ce point, v. J.-F. SIX, Les médiateurs, éd. Le cavalier bleu, p. 74 ; J.-F. SIX et V. MUSSAUD, Médiation, éd. Seuil, p. 28 ; G. HOFNUNG, La médiation, PUF, coll. Que sais-je ?, p. 71.

642 J.-P. BONAFE-SCHMITT, « La médiation : du droit imposé au droit négocié ? », Droit négocié, droit imposé, dir. P. GERARD, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Bruxelles, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, 1996, p. 428.

643 Pour une présentation détaillée de la médiation du crédit aux entreprises, v. Crise du crédit et entreprises, Partie 5, « La médiation du crédit aux entreprises », dir. J.-L. VALLENS, Lamy Axe droit, p. 231 et s.

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158

le président de la République, dans une lettre de mission du 23 octobre 2008. Un accord de

place en date du 27 juillet 2009 est ensuite venu organiser et pérenniser l’institution644. Un

nouvel accord lui a succédé le 6 avril 2011645. Nonobstant les critiques que sa méthode de

création a entrainées646, le modèle français de la médiation du crédit a influencé plusieurs pays

et notamment la Belgique, le Royaume-Unis et l’Allemagne, qui se sont dotés d’une

institution présentant de grandes similitudes647.

La participation du médiateur du crédit à la création ou au maintien du lien social est

significative. M. MOLFESSIS a ainsi écrit que le médiateur « doit être le gardien, à l'échelle

nationale, de ce “pacte moral” évoqué par le président de la République, passé entre la

collectivité nationale et les établissements de crédit pour assurer la continuité des offres de

crédit à des taux compétitifs »648.

Instaurée en pleine crise financière, cette institution a en effet pour objectif de créer un

climat de négociation entres les établissements de crédit et les entreprises qui n’ont pas obtenu

le crédit souhaité ou subissent une interruption de leurs crédits649. Le chef d’entreprise est seul

compétent pour saisir le médiateur. Il peut toutefois être accompagné dans cette démarche par

des tiers de confiance (parmi lesquels les chambres de commerce et de l’industrie, les

chambres des métiers ou encore l’UNAPL)650.

644 Sur ce point, v. notamment, X. DELPECH, « Un cadre juridique pour la médiation du crédit », D. 2009,

p. 1948 ; B. MOREAU, « La médiation du crédit aux entreprises dans les grandes lignes », Gaz. Pal. 6 mars 2010, n° 65, p. 9. Sur la notion d’accord de place, v. Th. BONNEAU, « De la notion de place dans les textes législatifs contemporains », Mélanges AEDBF-France, II, Banque éditeur, 1999, p. 83 et s.

645 Cet accord a élargi les obligations du banquier en encourageant le maintien des crédits. C’est ainsi que l’article 14 de l’accord prévoit que « les établissements de crédit s’engagent à continuer à accompagner avec fidélité leurs entreprises clientes dans leur activité, sans réduction de l’enveloppe globale des encours pour chacune d’entre elles, également sans augmentation des garanties sauf situation exceptionnelle le justifiant et seulement après envisagé avec l’entreprise toutes les solutions possibles permettant, par une restructuration de la dette si nécessaire, la poursuite du soutien bancaire ».

646 M. DELPECH a contesté la qualification d’accord de place donnée à l’accord signé le 27 juillet 2009 en rappelant que « juridiquement, un accord de place s’analyse en un contrat collectif, signé par deux organismes professionnels ; et qui engage les membres qu’ils représentent. Or, si la Fédération bancaire française, qui constitue l’un des signataires de l’accord, présente cette caractéristique, il n’existe aucun organisme de ce type en ce qui concerne les entreprises (non financières) qui sont les bénéficiaires du dispositif de médiation » (X. DELPECH, « Un cadre juridique pour la médiation du crédit », D. 2009, p. 1948).

647 Sur ce point, v. N. JACQUET, « Médiation du crédit aux entreprises : quel bilan ? », Gaz. Pal. 6 mars 2010, n° 65, p. 11, n° 7.

648 N. MOLFESSIS, « Le médiateur du crédit, un modèle à inventer », Les Echos 20 nov. 2008, p. 11. 649 L’article 1er de l’accord prévoit que le médiateur « a pour mission de faciliter le dialogue entre les

entreprises et les établissements de crédit et de recommander des solutions en cas de difficultés pour l’obtention ou le maintien de crédits ou de garanties. Il peut également, en cas de difficulté en matière de crédit interentreprises, faciliter le dialogue entre ces entreprises et les assureurs-crédits ou les sociétés d’affacturage et recommander des solutions ».

650 Art. 3 de l’accord de place.

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159

177. Impact de la médiation sur la liberté de décision du banquier. Le médiateur du

crédit n’a pas le pouvoir d’obliger une banque à consentir ou maintenir son crédit. Pour

autant, l’article 16 de l’accord prévoit que, « dès lors qu’une entreprise saisit la médiation du

crédit aux entreprises et que celle-ci considère la demande recevable, l’établissement de crédit

concerné (…) doit participer au processus de médiation et fera son possible pour lui donner

une issue favorable (...). S’il refuse de suivre partiellement ou totalement la recommandation

du médiateur, il doit lui exposer les raisons de son refus (…) ».

178. Portée de l’obligation de motiver le refus de crédit. La portée de l’obligation de

motiver le refus de crédit, à la suite de la recommandation du médiateur, demeure toutefois

incertaine. En effet, l’accord de place ne prévoit pas les conséquences qui s’attachent à

l’inexécution ou à la mauvaise exécution de cette obligation, c’est-à-dire à la fourniture de

motifs insuffisants ou illégitimes.

A première vue, celle-ci n’établit pas la recevabilité de la demande de crédit, c’est-à-dire

qu’elle n’implique pas nécessairement que le refus du banquier soit illégitime. Partant, la

responsabilité du banquier ne saurait être engagée. Dans cette optique, l’intervention du

médiateur du crédit n’aurait finalement aucun impact sur la décision du banquier de refuser le

crédit, si ce n’est de l’obliger à se justifier de manière purement formelle.

Mais on peut à l’inverse considérer que la fourniture de motifs insuffisants ou illégitimes

peut engager la responsabilité du banquier. Cette analyse s’impose, sous peine de rendre

totalement inutile l’intervention du médiateur. Elle est en outre confortée par la lecture de

l’article 9 de l’accord de place du 27 juillet 2009.

En vertu de cet article, « le Médiateur du crédit s’engage à fonder ses recommandations

sur une analyse technique individuelle de chaque entreprise qui le saisit et à ne jamais

demander aux partenaires financiers des interventions qui leur feraient manifestement courir

un risque anormal »651.

651 Cet article a surtout été analysé par la doctrine comme une manifestation de l’impossibilité de poursuivre,

sur le fondement du soutien abusif, le banquier qui accepterait d’octroyer un crédit à l’issue de la médiation (v. en ce sens D. LEGEAIS, art. préc., RTD com. 2009, p. 186 ; J. LASSERRE-CAPDEVILLE, « Médiation du crédit et soutien abusif », Gaz. Pal. 6 mars 2010, n° 65, p. 23). Cette analyse est confortée par la lecture de l’article 23 de l’accord de place du 27 juillet 2009 qui prévoit que « sauf cas exceptionnels qui impliquerait un risque anormal pour l’établissement, les établissements de crédit s’interdisent d’utiliser, dans leur discussion avec la Médiation du crédit, la notion de soutien abusif pour refuser de financer une entreprise ». Comme le relève M. LASSERRE-CAPDEVILE, « si les banquiers ne peuvent pas, pour refuser les propositions du médiateur, invoquer le soutien abusif, ce n’est pas pour que celui-ci soit retenu à leur encontre dans un second temps par les magistrats » (J. LASSERRE-CAPDEVILLE, « Médiation du crédit et soutien abusif », Gaz. Pal. 6 mars 2010, n° 65, p. 23). Contra F.-J. CREDOT et Th. SAMIN, RDBF janv.-fév. 2009, p. 49 : « en cas de poursuite pour soutien abusif, les banques ne devraient pas pouvoir se prévaloir d’une pression du médiateur

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160

Le médiateur a donc pour rôle d’étudier le dossier déposé par l’entreprise confrontée au

refus et, lorsqu’il juge le dossier recevable, c’est-à-dire exempt d’un risque anormal, de

convaincre la banque d’octroyer le crédit litigieux.

En d’autres termes, si l’article 9 ne reconnaît pas formellement un droit au crédit, il

consacre le droit du demandeur de voir sa demande reconsidérée par la banque lorsque le

médiateur estime qu’elle était fondée.

En cas de litige, le juge, saisi d’une demande tendant à contester le refus de crédit,

appréhendera le dossier avec une certitude : la demande de crédit est a priori justifiée

puisqu’elle aura été appuyée par le médiateur du crédit. Sa tâche consistera alors à déterminer

si l’établissement de crédit peut opposer à l’analyse du médiateur des raisons valables de

refuser le crédit ou, au contraire, s’il a commis une faute en ne suivant pas sa

recommandation652. En tout état de cause, l’intervention du médiateur du crédit accrédite

l’idée qu’un refus de crédit peut être abusif lorsqu’il n’est fondé sur aucun intérêt légitime.

§ – III. LE DEVOIR D’EXPLIQUER LES RÉSULTATS DE LA

NOTATION

179. Impact de l’obligation d’explication sur la formation du contrat de crédit.

L’article L. 313-12-1 du CMF, issu à l’origine de la loi n° 2009-1255 du 19 octobre 2009

tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le

fonctionnement des marchés financiers, a imposé aux établissements de crédit de fournir aux

entreprises sollicitant un prêt ou bénéficiant d’un prêt « une explication sur les éléments ayant

conduit aux décisions de notation les concernant, lorsqu'elles en font la demande ».

pour échapper à une éventuelle condamnation ». Les auteurs justifient leur position en se référant à l’arrêt du Tribunal des conflits du 23 janvier 1989 « SCOPD Manufacture » (Banque 1989, n° 494, p. 558, note J.-L. RIVES-LANGE) qui avait rejeté la responsabilité de l’Etat, dans le cadre d’une action en comblement de passif, considérant qu’il n’était pas contractuellement lié avec les créanciers de l’entreprise. Nous ne partageons pas cette analyse et considérons que le fait que la banque ne soit pas contractuellement liée au Médiateur n’exclut pas qu’elle puisse invoquer ses recommandations pour échapper au grief tiré du soutien abusif. On peut imaginer que le recours à la médiation entraîne une présomption d’absence de soutien abusif.

652 V. en ce sens, D. LEGEAIS, « Droit au crédit. Portée des engagements souscrits par les banques pour remédier à la crise du crédit. Rôle du médiateur. De l’existence d’un droit au crédit », RTD com. 2009, p. 186 : « Un recours au médiateur est déjà prévu qui peut préfigurer un recours au juge. Les établissements de crédit doivent ainsi être en mesure de se justifier, ce qui peut éventuellement permettre un contrôle de motivation de la décision ». V. égal. J. LASSERRE-CAPDEVILLE et L. MOUREY, « Le banquier dispensateur de crédit face au risque de discrimination », op. cit., n° 14 : « Le banquier ne pourra, semble-t-il, refuser de suivre les recommandations du médiateur que s’il dispose de « bonnes raisons ». En conséquence, sa responsabilité pourrait être engagée lorsque les raisons qu’il avance son jugées insuffisantes » ; J. LASSERRE-CAPDEVILLE, Gaz. Pal. 6 mars 2010, n° 65, p. 19, n° 11.

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161

L’impact de cette disposition est considérable. Comme le relève M. LEGEAIS, le devoir

d’explication « va conduire les banques à adopter des méthodes objectives pour fixer [les

notations] et les communiquer. Il n’y aura plus de place pour des appréciations subjectives

reflétant de prétendues opinions de place »653. A travers ce nouveau dispositif, le législateur

reconnaît en outre qu’il est possible d’extérioriser les raisons conduisant le banquier à

octroyer ou refuser un crédit, quand bien même celui-ci serait basé sur la confiance.

Cette objectivation de la relation bancaire traduit donc une volonté d’apporter plus de

transparence dans l’accès au crédit654. En effet, le banquier peut désormais être contraint de

déchiffrer les résultats du score afin d’éclairer le client sur les raisons ayant conduit à son

obtention. Cette obligation d’explication n’enlève pour autant pas au contrat de crédit son

caractère intuitu personae. Comme l’écrit M. MATHEY, « l’intuitus personae n’est pas

l’arbitraire mais l’expression de la confiance »655. Si le banquier prend en considération les

qualités du candidat à l’emprunt, il doit simplement être en mesure de les identifier avec

précision afin de rendre compréhensible sa décision de refuser un crédit.

180. Impact de l’obligation d’explication sur le contrôle du juge. On peut également

s’interroger sur l’impact du devoir d’explication sur le contrôle du juge : le candidat

emprunteur pourra-t-il contester la pertinence ou la légitimité des motifs fournis par

l’établissement de crédit en guise d’explication de la décision ? En d’autres termes, en

critiquant l’explication du banquier, l’emprunteur pourra-t-il contester le sens de la

décision du banquier ? Dans l’affirmative, le juge pourra-t-il ordonner la conclusion du

contrat de crédit?

Ces interrogations conduisent à des réponses divergentes.

On peut d’abord considérer que l’obligation d’explication ne peut donner lieu qu’à un

contrôle de l’existence « d’une raison explicative réelle (par opposition à fallacieuse ou

653 D. LEGEAIS, « Crédit. Loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers (à propos de la loi n° 2009-1255 du 19 oct. 2009) », RTD com 2009, p. 791. Dans le même sens, M. MATHEY considère que cette loi du 19 octobre 2009 contraint les banquiers à justifier leur décision sur la base d’éléments objectifs seulement. Il explique que « le banquier peinera à faire entendre au juge qu’il n’a pas, ou plus, confiance en son client parce qu’il ne lui fait pas, ou plus, confiance ». Il en déduit que « les établissements de crédit vont devoir établir des grilles d’analyse objectives dans leurs procédures de notation et dans la prise de décision de rompre un concours. L’intuitu personae s’en trouvera réduit ou tout au moins objectivé » (N. MATHEY, « Vers une remise en cause de la liberté du banquier en matière de crédit ? », JCP E 2010. 1550).

654 V. N. MATHEY, « Par delà le contrat mais au-delà du contrat. Le particularisme de la relation bancaire au fondement d'un nouveau droit commun », Les concepts émergents en droit des affaires, dir. E. LE DOLLEY, LGDJ, 2010, n° 15. L’auteur parle d’une remise en cause du principe séculaire du caractère discrétionnaire du crédit.

655 N. MATHEY, « Par delà le contrat mais au-delà du contrat. Le particularisme de la relation bancaire au fondement d'un nouveau droit commun », op. et loc. cit.

Page 164: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

162

inexacte) »656 et non à un contrôle de la légitimité de cette raison. Le caractère restreint du

contrôle se justifierait par la subjectivité inhérente à la détermination du risque de crédit,

laquelle implique une liberté totale d’appréciation657. Dans le même sens, on a soutenu que

l’article L. 313-12-1 du CMF « n’impose pas, en réalité, une véritable justification quant au

choix du banquier mais uniquement une explication relative au scoring »658.

On peut au contraire soutenir, avec MM. LEGEAIS et MATHEY, que l’obligation

d’explication doit non seulement entrainer un contrôle de l’existence des motifs invoqués

mais aussi de leur pertinence » et de leur légitimité659. En ce sens, il faut remarquer que le

contrôle de l’existence des motifs invoqués par la banque suppose nécessairement une

appréciation de leur validité, sauf à priver la mission du juge de tout intérêt. En d’autres

termes, la limitation de l’intervention du juge à la seule vérification de l’existence et de la

réalité d’un motif, sans appréciation de sa pertinence, c’est-à-dire de son rapport causal avec

la décision du banquier, pourrait avoir comme effet d’entériner des décisions fondées sur des

motifs vrais mais manifestement non pertinents. Le juge pourrait être ainsi contraint de

valider de façon automatique et irréfléchie une explication reposant sur un élément, certes

conforme à la réalité, mais objectivement impropre à justifier la décision, ce qui ne paraît pas

acceptable.

SECTION II : LE CONTRÔLE POSSIBLE

181. Plan. L’étude du droit positif a montré que la décision du banquier d’octroyer ou

non un crédit est exempte de discrétionnarité. Le banquier doit expliquer le résultat du credit-

scoring, vérifier la solvabilité du particulier-emprunteur ou encore alerter son client des

dangers du crédit. Ces devoirs s’expliquent par l’objet même du contrat : le crédit. Le crédit

est un outil à la fois nécessaire et dangereux. Or, la prise en considération de ces deux

caractéristiques a vocation à entraîner un élargissement du contrôle de la décision de

656 F.-J. CREDOT et Th. SAMIN, « Réduction ou interruption des crédits et motivation de la décision »,

RDBF 2004, n° 4, p. 115. 657 « C’est qu’en effet, l’appréciation d’un risque de crédit comporte une part de subjectivité liée à la

confiance qui le sous-tend et qui justifie qu’elle relève de celui-là même qui l’encourt en termes d’insolvabilité du crédité ou d’immobilisation de sa créance. Le contrôle du juge se bornera à l’existence et à la réalité des motifs. Il ne portera pas sur leur pertinence, car cela relèverait de la justification du motif, laquelle suppose un jugement de valeur » (F.-J. CREDOT et Th. SAMIN, « Réduction ou interruption des crédits et motivation de la décision », RDBF 2004, n° 4, p. 115).

658 J. LASSERRE-CAPDEVILLE et L. MOUREY, « Le banquier dispensateur de crédit face au risque de discrimination », op. cit., n°13, p. 62. Dans le même sens, v. « La médiation du crédit aux entreprises », Crise du crédit et entreprises: la réponse du droit, dir. J.-L. VALLENS, Lamy, n° 317, p. 227.

659 Cf. D. LEGEAIS, art. préc., RTD com 2009, p. 791 ; N. MATHEY, « Vers une remise en cause de la liberté du banquier en matière de crédit ? », JCP E 2010, 1550.

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163

contracter du banquier. La dangerosité du crédit doit conduire à reconnaître un devoir de

conseil à la charge du banquier (sous-section I). Sa nécessité impose de consacrer une

obligation de motiver le refus de crédit (sous-section II).

SOUS-SECTION I : LE DEVOIR DE CONSEIL

182. Plan. Le devoir de conseil, par opposition à la simple mise en garde, doit se traduire

par une obligation de refuser le crédit excessif. On envisagera son domaine (§ I), avant de voir

qu’il s’inscrirait dans un contexte qui lui est d’ores et déjà favorable (§II).

§ - I. DOMAINE

183. Distinction. Lorsque nous avons étudié le devoir de mise en garde du banquier,

nous avons soutenu que l’existence d’un risque élevé ne doit pas dissuader le banquier de

consentir un crédit à une entreprise, notamment lorsqu’il s’agit d’un « crédit de

démarrage »660. Le crédit aux entreprises a pour essence le risque et trouve sa justification

dans l’espoir de succès suscité par l’activité projetée661. Dans cette mesure, un crédit excessif

n’est pas en soi fautif. Nous avions en revanche laissé entendre que cette solution n’était pas

satisfaisante lorsque le crédit est consenti à un particulier.

En la matière, le risque élevé n’a pas comme contrepartie l’espoir d’un succès dans une

entreprise financée. En tout état de cause, le remboursement du crédit ne sera pas alimenté par

une activité qu’il aura permis de développer.

On s’explique ainsi que M. MAZEAUD se soit montré favorable à la reconnaissance

d’un devoir de conseil du banquier en présence d’une demande de crédit excessif par un

emprunteur non-averti. Ce devoir, entendu comme celui de déconseiller et de refuser le crédit

excessif, aurait l’avantage de rendre cohérent le droit de l’endettement et d’apporter « un

surplus de vigueur au traitement préventif du surendettement »662.

660 L’expression est empruntée à D. LEGEAIS, J-Cl. Commercial, fasc. 346 préc., n° 17. 661 Cette justification ressort clairement de l’arrêt préc. du 12 juillet 2005 rendu par la Chambre commerciale.

Dans cette décision, la Haute juridiction a exclu la faute des banques du fait de l’octroi de crédits en considérant que, au regard des éléments prévisionnels fournis et de l’appui de la commune, les banques pouvaient « raisonnablement escompter le succès de l’entreprise ». C’est donc l’existence d’un espoir raisonnable de succès du projet censé, à terme, rembourser le crédit, qui justifie le risque pris par la banque et son absence de faute.

662 D. MAZEAUD, Defrénois, 30 nov. 1995, n° 22, p. 1416 et s. V. également J. ATTARD, « Du champ d’application du devoir de conseil du banquier », RTD com. 2011, n° 1, p. 11 pour qui le devoir de conseil

Page 166: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

164

Il est vrai que l’on pourrait objecter que la reconnaissance d’un tel devoir inciterait le

banquier à faire preuve de frilosité dans la distribution de crédit. Mme VINEY a écrit en ce

sens que cette solution risquerait de se retourner « contre les personnes qui, précisément en

raison de la modicité de leurs ressources, ont le plus besoin de crédit »663.

Cet argument est discutable. Nous considérons pour notre part que le problème de la

précarité, légitimement soulevé par l’auteur, ne saurait avoir pour remède l’accès au crédit.

Celui-ci ne doit pas en constituer un palliatif, sous peine d’entraîner l’emprunteur dans la

spirale du surendettement. En d’autres termes, si la lutte contre la pauvreté peut et même doit

passer par l’accès au crédit lorsque ce dernier vise à encourager l’entreprise, elle doit

emprunter d’autres chemins lorsque l’objectif poursuivi n’est pas le développement de

l’activité humaine mais l’amélioration des conditions de vie. La reconnaissance d’un devoir

de refuser le crédit lorsque celui-ci est excessif, c’est-à-dire inadapté aux capacités financières

des particuliers, trouve nécessairement sa raison d’être dans la nécessité de prévenir le

surendettement.

Il faut remarquer qu’elle aurait en outre une conséquence importante sur la nature du

contrat de crédit. Tandis que le crédit consenti à une entreprise implique nécessairement une

prise de risque sur l’activité financée et recèle de ce fait un aléa, le crédit consenti à un

particulier exclurait par principe l’aléa en limitant au maximum le risque de défaillance de

l’emprunteur. Pour davantage de clarté, on pourrait envisager de ne plus parler de contrat de

crédit mais de facilité de paiement.

§ - II. CONTEXTE

184. Eléments favorables. Plusieurs éléments permettent de penser que la

reconnaissance d’un devoir de conseil en matière d’octroi de crédit aux particuliers est

envisageable.

Tout d’abord, on peut relever que la jurisprudence l’a consacré dans certains cas

particuliers. Ainsi en va t-il en matière d’octroi de crédit finançant une maison individuelle

avec fourniture de plan, ou lorsque qu’une technique de financement apparaît plus appropriée

protège l’intérêt général car « il permet, dans une période de crise, à la fois de prévenir des situations de surendettement et de rétablir la confiance des acteurs économiques, qu’ils soient entrepreneurs, investisseurs ou consommateurs ».

663 G. VINEY, « Le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit », RDC 2007/2, p. 300.

Page 167: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

165

qu’une autre664.

Ensuite, le devoir de conseil constituerait le prolongement logique du devoir de vérifier la

solvabilité de l’emprunteur, instauré par la loi du 1er juillet 2010665. Quel pourrait en être

l’intérêt sinon d’inciter le banquier à refuser le crédit en cas d’insolvabilité, que celle-ci soit

antérieure à la demande de crédit ou virtuellement créée par cette dernière666? D’ailleurs, le

projet (n° 364) qui a précédé l’adoption de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à

la consommation avait qualifié le devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur de « garde-

fou à l’entrée dans le crédit ».

185. Le fichier positif. Dans le même sens, le devoir de conseil donnerait tout son sens à

la création du registre national des crédits aux particuliers. En effet, « dès lors que l’on crée

un fichier qui recense les encours, on donne au prêteur les moyens de connaître au moins

l’endettement actif de l’emprunteur »667.

S’agissant de la sanction d’un manquement du banquier à son obligation de consulter le

registre, une distinction devrait s’imposer. L’article L. 333-18 du Code de la consommation

prévoit la déchéance totale ou partielle des intérêts. Cette sanction est appropriée lorsque le

crédit octroyé n’est pas excessif. En revanche, dans le cas inverse, elle paraît insuffisante.

Dans une telle hypothèse, il est permis de considérer que la responsabilité du banquier devrait

être engagée s’il consent un crédit « alors que la consultation du registre lui aurait permis de

déceler un risque d'endettement excessif »668. Concrètement, le banquier pourrait être privé,

totalement ou partiellement, du droit d’obtenir le remboursement du prêt669.

186. La directive européenne relative au crédit immobilier. La Commission

européenne avait d’ailleurs publié le 31 mars 2011 une proposition de directive sur « Les

contrats de crédit relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel »670. Son article 14-2-a

664 Sur ces deux hypothèses, v. D. LEGEAIS, « Responsabilité du banquier fournisseur de crédit », J-cl.

Com., fasc. 346, préc., n° 8. 665 V. supra, n° 166 et s. 666 V. en ce sens, R. VABRE, « Le devoir de ne pas contracter dans le secteur bancaire et financier », JCP G

2012. 1052, n° 8, pour qui « l’obligation de vérifier la solvabilité du client comporte inévitablement un tel devoir. En effet, de manière rétrospective, le juge pourra facilement retenir une violation de l’obligation de vérification à partir du moment où le risque d’endettement se sera réalisé, reprochant ainsi au banquier le fait de ne pas s’être abstenu ».

667 V. LEGRAND, « La lutte contre le surendettement dans le projet de la loi “Consommation” », RDBF oct. 2013, étude 15, n° 20.

668 D. LEGEAIS, « Vers la fin d’un serpent de mer ? », RDBF sept. 2010, repère n°5. 669 V. en ce sens V. LEGRAND, art. préc., n° 25. 670 http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/com/com_com(2011)0142_/com_com

Page 168: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

166

mettait à la charge du prêteur une obligation de refuser le prêt si l’évaluation de la solvabilité

d’un consommateur établissait que ses perspectives de remboursement étaient négatives sur la

durée du contrat de crédit. Cette proposition a donné lieu à une directive 2014/17 du 4 février

2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage

résidentiel.

Son article 18 traite de l’obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur et, plus

précisément, le point 5 a) dispose que les Etats membres doivent veiller à ce que « le prêteur

accorde uniquement le crédit au consommateur si le résultat de l’évaluation de la solvabilité

indique que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement

respectées conformément à ce qui est prévu par ledit contrat ».

Si la directive ne vise que les crédits immobiliers, elle montre bien que la pertinence d’un

devoir de refuser le prêt aux particuliers lorsqu’il existe un risque de non-remboursement.

SOUS-SECTION II : L’OBLIGATION DE MOTIVER LE REFUS DE

CRÉDIT

187. Plan. Nous avons vu que la décision du banquier d’octroyer ou de refuser un crédit

est contrôlée. Ce contrôle s’explique par la nature du crédit, lequel est aussi dangereux que

nécessaire. Si l’on s’en tient au refus de crédit, il apparaît toutefois que le contrôle demeure

limité. Le devoir d’expliquer les résultats du score à l’entreprise qui en fait la demande ne

confère pas explicitement au juge le pouvoir d’évaluer la pertinence du refus. Quant à

l’intervention du médiateur du crédit, son efficacité demeure soumise à la bonne volonté du

banquier. Dans ces conditions, il serait opportun de reconnaître une obligation de motiver le

refus de crédit. La motivation peut se définir comme « un discours rhétorique destiné à

convaincre de la rationalité d’une décision générale ou particulière, par la présentation

organisée de l’ensemble des considérations qui, selon son auteur, commandent qu’il prenne

telle option. Elle est donc un phénomène éminemment social : justification, explication,

défense ou promotion d’un acte, elle participe des relations que son auteur établit avec autrui

relativement à cet acte »671.

(2011)0142_fr.pdf. V. not. A. GOURIO, « La proposition de directive européenne sur le crédit immobilier »,

JCP E 2011. 1639 ; D. LEGEAIS, RTD com. 2011, p. 785-786. 671 Th. REVET, « L’obligation de motiver une décision unilatérale, instrument de vérification de la prise en

compte de l’intérêt de l’autre partie », RDC 2004/2, p. 579 et s., n° 1. M. AYNÈS retient une analyse différente de la motivation puisqu’il considère qu’elle doit être distinguée de la justification. Pour l’auteur, la motivation consiste simplement à « communiquer les causes de la décision », alors que la justification va plus loin

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167

Nous verrons que la consécration d’une obligation de motiver le refus de crédit est tout à

fait envisageable (§ II). En effet, il ne s’agirait que d’extrapoler une solution qui existe déjà en

droit des contrats (§ I).

§ - I. MANIFESTATIONS DE L’OBLIGATION DE MOTIVATION

188. Plan. La motivation reflète une exigence de transparence qui n’est pas nouvelle en

droit privé. En ce sens, les obligations d’information précontractuelles et contractuelles sont

désormais bien établies672. Quant à l’obligation de motivation, elle est une création

relativement récente673. Il s’agit d’imposer à la partie qui décide de mettre fin à une relation

contractuelle, indépendamment de toute inexécution imputable à son cocontractant,

d’indiquer les motifs qui fondent sa décision. On recensera d’abord les applications de

puisqu’elle consiste à porter « un jugement sur la relation entre l’acte et sa cause : cette relation est ou non conforme au droit, à la justice, à la raison ou à l’équité » (L. AYNÈS, « Motivation et justification », RDC 2004/2, p. 555). Nous considérons pour notre part que la justification est une composante de la motivation. Le Petit Robert 2011 la définit comme la « Relation d’un acte aux motifs qui l’expliquent ou le justifient » (V° Motivation, 1. Philos, p. 1642). Le verbe « motiver » signifie « justifier par des motifs » (V° Motiver, 1. (personnes), p. 1641). La distinction établie par M. AYNÈS entre motivation et justification est d’autant plus surprenante lorsque l’on prend connaissance des vertus qu’il prête à la motivation. Selon lui, la motivation permet à son destinataire de comprendre les raisons de la décision, « d’en percevoir la rationalité (…), c’est-à-dire de l’accepter intellectuellement – et de mesurer quelle résistance il peut lui opposer ». Du côté de l’auteur de la motivation, « elle évite l’impulsion, l’obligeant à formuler, c’est-à-dire à poser devant lui, à rendre objectives, partant à juger, les causes de sa décision » (L. AYNÈS, art. préc., p. 555). On retrouve dans les vertus de la motivation la notion de jugement que l’auteur associe plus haut à la justification.

672 Sur ce point, v. N. VIGNAL, La transparence en droit privé des contrats (Approche critique de l’exigence), thèse, préf. J. MESTRE, PUAM, 1998. V. égal. J. MESTRE, « Transparence et droit des contrats », RJC 1993, n° spécial « La transparence », p. 77 et s.

673 L’obligation de motivation est en revanche reconnue depuis longtemps par le droit administratif. Une loi du 11 juillet 1979 est en effet venue l’imposer pour les décisions administratives individuelles dans deux cas : lorsqu’elles sont défavorables aux personnes qu’elles concernent et lorsqu’elles dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement. Cette loi a été complétée par une autre en date du 17 janvier 1986, en vertu de laquelle doivent également être motivées les décisions refusant de délivrer une autorisation et celles prises par les organismes de sécurité sociale et les institutions soumises au droit privé. La jurisprudence contrôle de façon rigoureuse son respect. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu considérer que l’obligation de motiver n’était pas respectée en cas de simple renvoi aux circonstances de temps et de lieu pour justifier la décision d’interdire un spectacle (CE 5 décembre 1984 « Préfet de Police contre société Emeraude Show », RDP, 1986, p. 261, note J.-M. AUBY). ou à l’insuffisance des fréquences disponibles pour un refus d’autorisation d’usage de fréquence de radiodiffusion sonore (CE 11 mars 1991 « Société Radio Monte-Carlo », req. n°100587), ou encore en cas de copie ou renvoi à des lettres types (CE 18 mai 1990, « Association arménienne d’aide sociale », Rec. Lebon, p. 12238, AJDA 1990, p. 722, concl. STIRN). Une partie de la doctrine publiciste plaide en faveur de l’élargissement du champ d’application de l’obligation de motivation à l’ensemble des actes administratifs. En pratique, il s’agirait d’imposer une « loi de transparence » du service public (H. PAULIAT, « La motivation des actes administratifs unilatéraux », La motivation, Travaux de l’Association Henri Capitant, LGDJ, 2000, p. 65). L’objectif serait de promouvoir « une action administrative davantage négociée », et donc une véritable « démocratie administrative ». (H. PAULIAT, art. prec., op. cit., p. 67). V. également dans le même sens, J. MOREAU, Droit administratif, PUF, coll. Droit fondamental, 1989, p. 345, n°269 ; Y. JEGOUZO, Le droit à la transparence administrative, EDCE, 1991, n°43, p. 191 ; B. LASSERRE, N. LENOIR, B. STIRN, La transparence administrative, PUF, 1987 (références citées par H. PAULIAT, art. prec., op. cit., p. 65).

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168

l’obligation de motivation (A) avant de s’interroger sur les critères qui président à sa

reconnaissance (B).

A – RECENSEMENT DES APPLICATIONS

189. Distinction. Les manifestations de l’obligation de motivation sont de deux ordres. Il

peut s’agir d’une obligation de motiver la décision a priori, c’est-à-dire au moment où elle est

prise (1), ou a posteriori, lorsque le juge est saisi d’une action qui la conteste (2).

1) L’obligation de motiver a priori

190. La loi. L’obligation de motiver a priori est consacrée par la loi à propos de contrats

structurellement inégaux. Elle est mise à la charge de la partie forte. Les contrats concernés

sont : le contrat de travail (art. L. 122-14-2 du Code du travail, qui prévoit l’obligation de

motiver le licenciement), le bail commercial (art. 5 du décret du 30 septembre 1953, qui

prévoit la motivation du congé), le bail d'habitation (art. 15-1 L. no 89-462 du 6 juillet 1989,

qui exige que le congé soit fondé sur un « motif légitime et sérieux »).

On ajoutera que la loi impose également une obligation de motiver pour la révocation du

gérant d’une SARL (art. L. 223-25 du Code de commerce).

Le contrat de crédit n’est pas exempt. L’article L. 313-12 du CMF, dans sa rédaction

issue de la loi du 19 octobre 2009, instaure en effet, à la charge de l’établissement de crédit,

une obligation d’indiquer les raisons de la réduction ou de la rupture du crédit, lorsque

l’entreprise en fait la demande674. Comme le relève M. LEGEAIS, « le texte révèle un

changement de philosophie profonde des relations bancaires (…). Il est encore prématuré

d’évoquer un droit au crédit. Cependant, il faut considérer que l’établissement de crédit n’a

plus la totale maîtrise de son pouvoir de décision. Avant la réforme, il pouvait se contenter

d’affirmer qu’il avait perdu confiance en son client. Aujourd’hui, il va devoir fonder sa perte

de confiance sur des éléments objectifs »675.

674 Pour une étude des solutions retenues avant la loi du 19 octobre 2009, v. V.-Y. GUYON, « La rupture

abusive de crédit », RDBF nov.- déc. 2002, p. 639. 675 D. LEGEAIS, « Loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer

le fonctionnement des marchés financiers », RTD com. 2009. 791.

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169

2) Obligation de motiver a posteriori

191. La jurisprudence. Apparemment, la jurisprudence n’est pas favorable à la

reconnaissance d’une telle obligation. Ainsi, la Chambre commerciale a estimé que la

décision de ne pas renouveler un contrat de distribution à durée déterminée n’avait pas à être

motivée, de sorte que l’invocation de motifs fallacieux ou non sérieux ne pouvait constituer

un abus676.

La même Chambre a adopté un raisonnement similaire au sujet de la résiliation de droit

commun d’un contrat de concession conclu à durée indéterminée, la résiliation de droit

commun étant entendue comme celle qui est fondée par la prohibition des engagements

perpétuels, par opposition à la résolution mise en œuvre à titre de sanction677.

Cependant, cette jurisprudence a été renversée par la Chambre commerciale dans un arrêt

rendu le 26 janvier 2010. Cet arrêt énonce que « toute partie à un contrat à durée indéterminée

peut, sans avoir à motiver sa décision, mettre fin unilatéralement à celui-ci, sauf à engager sa

responsabilité en cas d'abus », celui-ci pouvait être caractérisé par l’invocation de motifs

illégitimes ou une volonté de nuire678. Cet arrêt est d’autant plus intéressant pour notre propos

qu’il s’agissait d’une convention d’ouverture de compte courant. Certes, en l’espèce, la Cour

de cassation n’a pas mis à la charge de la banque la preuve du caractère légitime de la rupture.

En effet, elle a décidé que c’était au client d’en prouver le caractère abusif. Mais il n’en reste

pas moins que la solution excluant la prise en compte des motifs pour établir l’abus dans la

résiliation de droit commun est abandonnée. Cette résiliation n’échappe pas au respect des

devoirs de loyauté et de cohérence679.

676 Com. 25 avril 2001 (inédit), D. 2001, somm., p. 3237, obs. D. MAZEAUD ; Droit et patrimoine, juillet

2001, p. 109, obs. P. CHAUVEL ; RTDciv. 2002, p. 99, obs. J. MESTRE et B. FAGES. 677 V. par ex., Com., 6 nov. 2007, pourvoi n° 05-15152 (inédit); Com., 4 janvier 1994, Bull. civ. IV, n° 13 ;

D. 1995, p. 355 ; Com. 17 avril 1980, Bull. civ. IV, n° 252 ; 30 nov. 1982, Bull. civ. IV, n° 392 ; 10 juin 1986, Bull. civ. IV, n° 123 ; 6 janvier 1987, Bull. civ. IV, n° 7. V. en sens contraire, Com. 5 oct. 1993, Bull. civ. IV, n° 326, admettant qu’un concédant pouvait être sanctionné pour avoir justifié sa décision de résilier un contrat de concession par des motifs délibérément fallacieux. Dans cet arrêt, le mensonge du concédant, joint à la violation de plusieurs obligations contractuelles, constituait l’indice de son comportement déloyal et caractérisait l’abus dans l’exercice du droit de résilier le contrat. V. également Com., 7 oct. 1997, n° 95-14158, Bull. civ. IV, n° 252, D. 1998. 413, note Ch. JAMIN, jugeant que « le concédant peut résilier le contrat de concession sans donner de motifs, sous réserve de respecter le délai de préavis et sauf abus du droit de résiliation ». V. aussi, Com. 5 avril 1994, D. 1995. 356, note G. VIRASSAMY : jugeant qu’un contractant peut « résilier le contrat sans donner de motifs, mais à la condition que cette résiliation n’ait pas un caractère abusif ».

678 Com. 26 janv. 2010, pourvoi n° 09-65086, Bull. civ. IV, n° 18 ; D. 2010. 379; D. MAZEAUD, « Rupture unilatérale du contrat: encore le contrôle des motifs! », D. 2010, chron., p. 2178 ; RTD com 2010. 762, obs. D. LEGEAIS ; G. P. 4-8 avr. 2010. 24, obs. D. HOUTCIEFF.

679 Dans le même sens, v. F. GAUDU, « L’exigence de motivation en droit du travail », RDC 2004/2, p. 566, pour qui le fait d’invoquer des motifs erronés ou futiles constitue une légèreté blâmable.

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170

L’arrêt du 26 janvier 2010 n’est d’ailleurs pas isolé. En effet, dans un arrêt rendu le 6 mai

2010, la Première Chambre civile a statué sur le non-renouvellement d’une adhésion à durée

déterminée à l’association « Gîtes de France », ce qui interdisait à l’avenir à l’adhérant de

faire usage de cette marque. Elle a en l’espèce jugé que la Cour d’appel n’avait pas à contrôler

les motifs du non-renouvellement « en l’absence d’éléments autres que de simples allégations

indiquant qu’ils seraient illicites ou discriminatoires »680. La rédaction de la décision suggère

que les juges du fond auraient été fondés à contrôler les motifs en présence d’éléments sérieux

de nature à établir leur caractère illégitime.

En outre, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 30 mars 2006, a été saisi de la

constitutionnalité de l’article 8 de la loi pour l’égalité des chances en ce qu’il reconnaissait à

l’employeur la faculté de mettre fin au « contrat première embauche » sans avoir à en indiquer

préalablement les motifs. Le Conseil a jugé que la conformité de cette disposition au bloc de

constitutionalité, et plus précisément à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et

du citoyen, supposait que l’employeur indique, « en cas de recours, les motifs de cette rupture

afin de permettre au juge de vérifier qu'ils [étaient] licites et de sanctionner un éventuel abus

de droit »681. Pour le Conseil constitutionnel, le contrôle de l’abus justifie ainsi l’existence

d’une obligation de motiver a posteriori682. Celle-ci doit permettre « au juge de vérifier que le

motif de la rupture n'est pas discriminatoire et qu'il ne porte pas atteinte à la protection prévue

par le code du travail pour les femmes enceintes, les accidentés du travail et les salariés

protégés »683. On voit donc bien que l’obligation de motivation peut devenir indispensable dès

lors qu’il s’agit de protéger les droits d’une partie faible à l’occasion d’un contrat

déséquilibré.

Par ailleurs, l’obligation de motivation est traditionnellement admise en ce qui concerne

le mandat d’intérêt commun. Depuis un arrêt rendu en 1885, il est acquis que, « lorsque le

mandat a été donné dans l’intérêt commun du mandant et du mandataire, il ne peut pas être

révoqué par la volonté de l’une ou même de la majorité des parties intéressées, mais

seulement de leur consentement mutuel ou pour une cause légitime reconnue en justice ou

680 Cass. Civ. 1ère, 6 mai 2010, n° 09-66969, Bull. civ. I, n° 101. 681 Cons. Const., n° 2006-535 DC, 30 mars 2006, consid. n° 25, RTD civ. 2006, p. 314, note B. FAGES et J.

MESTRE ; LPA 6 avr. 2006, p. 3 à 15, J.-E. SHOETTL ; Droit social 2006, n° 5, p. 494 et s., X. PRETOT. 682 V. également Cons. const., 9 nov. 1999, JCP G 1999. III. 20172, RTD civ. 2000, p. 109 et s., note B.

FAGES et J. MESTRE, qui énonce qu’il « appartient au législateur, en raison de la nécessité d’assurer pour certains contrats la protection de l’une des parties, de préciser les causes permettant une telle résiliation, ainsi que les modalités de celle-ci, notamment le respect d’un préavis ». La motivation doit être ainsi comprise comme un instrument de protection de la partie faible. Elle permet de vérifier la légitimité de l’exercice du pouvoir de résilier unilatéralement le contrat.

683 Cons. Const., n° 2006-535 DC, 30 mars 2006, consid. 25, décision préc.

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171

enfin suivant les clauses ou conditions spécifiées par le contrat »684. Comme il a été souligné,

« c’est principalement l’idée de création commune d’une clientèle dont une seule des parties

va en définitive profiter qui a justifié l’exigence d’un motif légitime de rupture »685.

B – CRITÈRES DE SA RECONNAISSANCE

192. Plan. L’existence de l’obligation de motiver suppose que deux critères soient réunis.

Ces critères se rapportent à la nature du contrat (1) et à l’existence d’un pouvoir unilatéral de

décision (2).

1) La nature du contrat

193. Contrats concernés. Le rayonnement de l’obligation de motivation semble devoir

être limité à quelques contrats: contrats d’intérêt commun686 ; contrats de dépendance

économique ayant pour objet d’assurer la subsistance d’un cocontractant687 ; « contrats de

situation »688 ou encore contrats « structurellement inégalitaires »689. Dans cette dernière

684 Civ., 13 mai 1885, DP 1885. I, p. 350 ; S. 1887. I, p. 220. 685 M. FABRE-MAGNAN, « L’obligation de motivation en droit des contrats », Etudes offertes à Jacques

Ghestin : le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 313. 686 G. VIRASSAMY, note sous Com. 4 janv. 1994 et 5 avr. 1995, D. 1995, p. 355, spéc. n° 8, p. 358 ; D.

MAZEAUD, « Un petit plomb en moins dans l’aile du solidarisme contractuel…», D. 2003, n° 2, p. 95. M. MAZEAUD renvoie aux travaux de MM. LE TOURNEAU ET VIRASSAMY (Ph. LE TOURNEAU, Les contrats de concession, Litec 2003, spéc. n° 168 ; G. VIRASSAMY, « Les relations entre professionnels en droit français », in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 479 et s.). V. notamment sur ce point, G. VIRASSAMY, Les contrats de dépendance : essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, thèse, préf. J. GHESTIN, LGDJ, 1986 ; G. VIRASSAMY, « La moralisation des contrats de distribution par la loi Doubin du 31 décembre 1989 (art. 1er)», JCP E 1990. II. 15809 ; M. BEHAR-TOUCHAIS et G. VIRASSAMY, Les contrats de distribution, LGDJ, 1999, n° 358.

687 Selon Mme FABRE-MAGNAN, la dépendance économique est caractérisée « par le fait qu’une partie tire de ce contrat l’essentiel de son moyen de subsistance. Il s’agit le plus souvent de son salaire (dans le contrat de travail), ou plus généralement de l’argent dont elle a besoin pour vivre, mais ce peut être également son logement (dans le contrat de bail par exemple, dont la loi subordonne précisément également la rupture par le bailleur à une obligation de motivation) » (M. FABRE-MAGNAN, « Pour la reconnaissance d’une obligation de motiver la rupture des contrats de dépendance économique », RDC 2004/ 2, p. 573, spéc. p. 574).

688 Les contrats de situations sont les contrats « déterminants pour la vie d’une entreprise ou son niveau d’activité », tandis que les contrats d’occasion « correspondent à des opérations épisodiques qui ne mettent pas en jeu l’existence de l’entreprise » (M. CABRILLAC, « Remarques sur la théorie générale du contrat et les créations récentes de la pratique commerciale », Mélanges dédiés à Gabriel Marty, éd. Toulouse, Université des sciences sociales, 1978, p. 235 et s., n° 8). Reprenant la distinction établie par M. CABRILLAC entre les contrats de situation et les contrats d’occasion, M. MAINGUY plaide en faveur de la reconnaissance d’une obligation de motiver la rupture de l’ensemble des contrats de situation : « si l’un des contractants (le plus souvent, le maître de la relation) ne dispose pas d’arguments précis, en termes d’inexécution, de réorganisation de son réseau ou de ses méthodes de distribution, de ses sources d’approvisionnement, de ses coûts de production, de ses difficultés économiques plus globalement, quelle raison y a t-il pour mettre fin à ce contrat dès lors que l’une des deux parties sera surprise par cette rupture ? Ce ne peut être qu’un caprice, une erreur ou une volonté de nuire » (D. MAINGUY, « Remarques sur les contrats de situation et quelques évolutions récentes

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172

hypothèse, la motivation est un des outils de correction des « inégalités structurelles de

puissance »690.

Or le contrat de crédit s’intègre pleinement à la catégorie des contrats structurellement

inégalitaires. L’inégalité économique est de son essence691. En effet, le candidat au crédit est

économiquement dépendant du banquier puisque l’octroi du crédit est nécessaire au

démarrage ou à l’évolution de son activité. En outre, le caractère inégalitaire du contrat de

crédit se manifeste à travers l’existence du monopole dont bénéficie le banquier692.

2) Un pouvoir unilatéral de décision

194. Prérogatives visées. L’existence d’une obligation de motiver ne suppose pas

seulement que le contrat entre dans l’une des catégories précédentes. Encore faut-il que la

décision concernée soit l’expression d’un pouvoir unilatéral693. M. REVET soutient en ce sens

que l’obligation de motiver « ne saurait être imposée dans les situations contractuelles où la

du droit des contrats », Mélanges Michel Cabrillac, Dalloz-Litec, 1999, p. 178). Il précise en outre que le contrôle de la motivation devrait être particulièrement étendu en présence d’une « situation de pénurie économique », laquelle « imposerait alors un resserrement des liens contractuels, en sorte qu’un contractant ne pourrait pas mettre fin à un contrat de situation sans motif sérieux et contrôlé » (art. préc., p. 181).

689 L’expression est empruntée à M. REVET (Th. REVET, « L’obligation de motiver une décision unilatérale, instrument de vérification de la prise en compte de l’intérêt de l’autre partie », RDC 2004/2, p. 579 et s., n° 9). V. dans le même sens, N. VIGNAL, thèse préc., n° 230, p. 187 : « Le besoin de protéger les intérêts individuels des particuliers s’est accru et il s’est manifesté par la recherche d’un rétablissement effectif d’égalité entre cocontractants ». Un auteur va encore plus loin et considère que l’insertion de l’obligation de motivation en droit privé traduit un abandon de la technique contractuelle comme mode d’établissement des relations individuelles : « La motivation est l’expression d’une quête de légitimité propre à l’activité juridictionnelle, dans une moindre mesure à l’activité administrative, en sorte que son incursion en droit privé pourrait révéler l’apparition de logiques concurrentes à la logique contractuelle. Se profile le thème de la procéduralisation du droit, expression entourée d’un certain flou, mais qui peut signifier l’extension du modèle de la procédure dans la prise de décision, extension elle-même significative d’un déclin de l’opposition classique liberté contractuelle / ordre public telle qu’elle résulte de l’article 6 du Code civil » (X. LAGARDE, « La motivation des actes juridiques », in, La motivation, Actes du colloque Limoges, 1998, Travaux de l’Association Henri Capitant, Paris, LGDJ, 2000, p. 75).

690 Th. REVET, « L’obligation de motiver une décision unilatérale, instrument de vérification de la prise en compte de l’intérêt de l’autre partie », art. préc., n° 6.

691 A. PEZARD, « Droit au crédit : approche juridique et problèmes éthiques », Rapport Exclusion et liens financiers 1999-2000, Paris, Economica, 1999, p. 267.

692 V. infra n° 426 et s. V. sur ce point, P. COUDERT, Le champs d’application territorial du monopole des établissements de crédit et des prestataires de services d’investissement, thèse, Clermont-Ferrand, 2004.

693 Ce critère est proposé par François GAUDU qui considère qu’ « il est dans la natures des actes unilatéraux d’être motivés, à partir du moment où ils expriment une situation de pouvoir » (F. GAUDU, « L’exigence de motivation en droit du travail », RDC 2004/2, p. 566 et s., n° 11 ; G. WICKER, « Force obligatoire et contenu du contrat », Les concepts contractuels à l’heure des principes du droit européen des contrat, dir. P. REMY-CARLAY et D. FENOUILLET, Dalloz, coll. Thémis et commentaires, 2003, p. 171, n° 35). V. égal. D. MAZEAUD, « Unilatéralisme et motivation en droit des contrats », obs. sous Com. 25 avr. 2001, D. 2001, p. 3239, n° 2 (« cette obligation de motivation repose sur une exigence minimum de décence qui interdit au contractant dominant de faire preuve d’une coupable indifférence à l’égard d’un partenaire efficace, compétent, dynamique et fidèle tout au long de l’exécution du contrat, et qui a ainsi largement contribué à sa prospérité ») et Ch. JAMIN, note sous Com. 7 oct. 1997 et 20 janv. 1998, D. 1998, p. 413 et s., spec. n° 7 p. 417.

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173

faculté de l’un ou l’autre de pratiquer l’unilatéralisme ne s’inscrit pas dans un schéma de

relation inégalitaire »694.

Toutefois, on peut hésiter sur l’identification des décisions unilatérales visées par

l’obligation de motiver.

Selon M. AYNÈS, seuls les actes unilatéraux privant autrui d’un droit doivent être

motivés695. Pour l’auteur, il s’agit des actes entraînant la rupture avant terme d’un lien

juridique ou sa modification unilatérale, du refus d’agrément d’une cession, lorsque le contrat

est cessible, et du refus de renouvellement, lorsqu’il existe un droit au renouvellement ;

inversement, sont exemptés l’acceptation ou le refus de contracter, le refus de renouveler un

contrat et l’exercice d’une option696.

MM. DROSS et REVET retiennent un critère plus large que celui proposé par M.

AYNÈS. Pour eux, un pouvoir de décision unilatéral existe dès lors que l’acte unilatéral a

pour effet d’imposer une situation à autrui697. M. DROSS explique que, « tant que le sujet

décide pour lui-même, c’est de libre arbitre dont il est question, mais qu’il vienne à décider

pour autrui et l’arbitraire menace ». La motivation doit être exigée dans cette dernière

hypothèse. Pour M. DROSS, la situation du cocontractant auquel la convention réserve un

droit potestatif n’est finalement pas différente de celle du juge, de l’arbitre ou de

l’administration, lesquels doivent motiver leur décision698.

Il nous semble que le critère avancé par MM. DROSS et REVET est plus fiable que celui

proposé par M. AYNÈS. D’une part, il permet de surmonter les incertitudes que soulève la

qualification de « droit », au regard notamment des notions de faculté et de liberté699. D’autre

part, il répond de façon plus efficace à l’objectif poursuivi par l’obligation de motivation, à

savoir l’instauration d’une « civilisation des comportements »700. Il s’agit d’inciter les

membres de la société à communiquer et à prendre en compte l’intérêt d’autrui. Peu importe

694 Th. REVET, « L’obligation de motiver une décision unilatérale, instrument de vérification de la prise en

compte de l’intérêt de l’autre partie », art. préc., n° 9. 695 L. AYNES, « Motivation et justification », RDC 2004-2, p. 555. 696 Ibid. V. également B. FAGES, « Des motifs de débat… », RDC 2004/2, p. 563 : « faudrait-il motiver

l’ensemble des choix contractuels, non seulement les décisions de rupture, mais aussi les options de début du contrat (…) ? La réponse à cette dernière question est nécessairement négative, car s’il est vrai que les droits potestatifs impliquent “la considération minimales des intérêts de l’autre partie”, ils n’en demeurent pas moins allergiques, par définition, à un contrôle judiciaire de leurs ressorts intimes ». L’auteur emprunte l’expression “la considération minimale des intérêts de l’autre partie” à J. ROCHEFELD, « Les droits potestatifs accordés par le contrat », Etudes offertes à J. Ghestin, Le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 747, spéc. p.768.

697 W. DROSS, « Rapport de synthèse », RLD civ. 2012, p. 89 et s., n° ; Th. REVET, art. préc., n° 9. 698 W. DROSS, art. préc., n° 4. 699 Supra, n° 74. 700 L’expression est empruntée à M. REVET (art. préc., n°2).

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174

que ce dernier soit titulaire ou non de droits précis, à partir du moment où il est en

permanence dans un lien d’interaction sociale701.

Finalement, il faut considérer que l’obligation de motivation devrait être mise à la charge

d’une partie qui, dans le cadre d’une relation économiquement inégalitaire, dispose d’un

pouvoir unilatéral de décision ayant un impact sur la situation d’autrui, sans que celui-ci ne

soit forcément titulaire d’un droit702.

§ - II. L’EXTENSION DE L’OBLIGATION DE MOTIVATION AU

REFUS DE CRÉDIT

195. Plan. On vient de voir que l’obligation de motivation peut être imposée à l’une des

parties investie d’un pouvoir unilatéral de décision à l’occasion d’un contrat structurellement

inégalitaire. Cependant, la rupture du contrat demeure le domaine de prédilection de cette

obligation. Or, il s’agit ici de l’appliquer au stade de la formation du contrat, et plus

précisément au refus de crédit opposé par un banquier. Après avoir envisagé les raisons qui

devraient conduire à admettre cette extension (A), on s’interrogera sur ses conséquences (B).

A – LES RAISONS DE L’EXTENSION

196. Plan. L’extension de la motivation au refus de crédit serait non seulement utile (1),

mais encore nécessaire (2).

701 Sur l’obligation de motivation comme moyen de prendre en compte l’intérêt d’autrui et d’encadrer l’exercice d’un pouvoir unilatéral, v. égal. M. MEKKI, L’intérêt général et le contrat, thèse, préf. J. GHESTIN, LGDJ, 2004, p. 797 et s. MM. MAZEAUD et FAGES établissent un rapprochement entre l’obligation de motivation et le courant solidariste. Selon eux, l’obligation de motivation serait une manifestation du solidarisme contractuel car elle prendrait en compte l’intérêt de la partie faible et permettrait de s’assurer du caractère légitime de la décision au regard de l’intérêt commun poursuivi par le contrat (D. MAZEAUD, « Un petit plomb en moins dans l’aile du solidarisme contractuel…», D. 2003, p. 95, n° 2 ; B. FAGES, « Des motifs de débat… », RDC 2004/2, p. 563.

702 Comp. B. FAGES, « Des motifs de débat… », art. préc., p. 563 : « on voit mal comment, si cette obligation de motivation devait être érigée au rang de principe, elle ne serait pas appelée à jouer au bénéfice des deux parties, le faible comme le fort ». V. aussi M. FABRE-MAGNAN, « L’obligation de motivation en droit des contrats », Etudes offertes à Jacques Ghestin : le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 324. L’auteur adopte une analyse différente : « lorsque le législateur ou le juge imposent au contractant une obligation de motivation, cela signifie que l’utilisation du droit est limitée, c’est-à-dire que le titulaire du droit ne peut en faire usage que dans les hypothèses et pour les finalités légalement prévues. Ainsi, l’existence d’une obligation de motivation marque un encadrement plus étroit de l’exercice du droit et donc, en définitive, un droit moins absolu. Elle révèle que le droit est finalisé : il ne peut être utilisé qu’en vue d’un certain objectif, et donc en vertu de certaines raisons dont il faut s’expliquer ».

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1) L’utilité de la motivation

197. Plan. Pour mesurer l’utilité de la motivation, il convient avant tout de prendre

connaissance des critiques qui ont été formulées à son encontre par une partie de la doctrine.

Ce n’est qu’après les avoir écartées (a) que l’on pourra présenter les avantages qui s’attachent

à l’obligation de motiver (b).

a) La réfutation des critiques

198. Exposé des critiques. L’argument essentiel que l’on soulève contre la motivation

tient à son caractère prétendument liberticide703. Il n’est pas rare de lire que la motivation est

l’ennemie de la liberté, qu’il s’agisse de celle d’agir, de penser ou encore de ressentir704. Les

mots du Doyen CARBONNIER expriment avec une grande précision l’hermétisme d’une

partie des juristes à son égard : « En général, la transparence est un effet de la contrainte, de la

contrainte du droit ; c’est, dans la pratique, une transparence forcée, une transparence d’ordre

public. Ce peut être la loi, le règlement qui détaille minutieusement toutes les informations

que doit prodiguer à l’autre la partie qui est censée les détenir ; le droit de la consommation

abonde en modèles de cette sorte. La transparence y apparaît pour ce qu’elle est réellement, la

fille de l’interventionnisme, du dirigisme »705. Dans le prolongement de cette présentation, on

reproche aussi à l’exigence de transparence de favoriser la déresponsabilisation des

cocontractants et de les « transformer […] en majeurs protégés »706.

703 Pour M. CABRILLAC, « l’obligation de motiver la rupture d’un contrat à durée indéterminée se heurte à

la liberté contractuelle (…). Chaque contractant doit rester libre de se dégager des relations qu’il a nouées pour une durée indéterminée ; à plus forte raison, chaque contractant doit rester libre de ne pas conclure un nouveau contrat avec son partenaire » (R. CABRILLAC, « La motivation des actes individuels : le contrat », RLD civ. 2012, n° 89, p. 91).

704 V. par ex. L. AYNES, « Motivation et justification », art. préc., p. 555 : « Que serait un monde où chacun devrait à tout moment agir, et publier les raisons de son action ? Un monde de bavards et de voyeurs, vite paralysé. Ajoutons que certains motifs sont indicibles, ceux qui affectent le plus profondément la relation à autrui : confiance et défiance, amour et haine… ».

705 J. CARBONNIER, « Propos introductifs », RJC 1993, n° spécial « La Transparence », p. 13. Les développements de M. BREDIN traduisent également, non sans poésie, les craintes que suscite la construction d’une société entièrement gouvernée par l’impératif de transparence : « S’en va, peu à peu chassé par la « Vérité terrible », comme disait Robespierre, le secret évidemment contraire au devoir de vérité, mais qui pouvait porter avec lui d’autres vertus : le respect des autres, la confiance légitime, et aussi le courage. S’en va aussi le mystère chargé de masques et d’ombres, d’ambiguïtés, mais compagnon de l’intelligence, de la réflexion, de l’imagination. Et avec eux pourrait bien s’effacer le rêve, le rêve suspect à la transparence, le rêve ami de la poésie, de l’art, de l’aventure, de l’audace, et aussi de l’héroïsme, et pourquoi pas de la sainteté (…). Voici que se profile au bout du chemin la dictature glacée de la Vérité, ultime et terrible vertu d’un temps qui aurait enterré les autres » (J.-D. BREDIN, « Remarques sur la transparence », RJC 1993, n° spécial “La transparence”, n° 8, p. 179).

706 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, op. cit., n° 776. Le Doyen CARBONNIER, confiant dans les ressources de l’esprit humain, considérait que l’homme est en mesure, par le

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176

Toujours dans le même sens, l’obligation de motivation introduirait « une lourdeur

excessive dans la mise en œuvre des pouvoirs contractuels dont le maniement exige, à

l’inverse, souplesse et flexibilité »707.

Elle serait enfin superflue : « comment [le contrat] pourrait-il réclamer une motivation

puisqu’il est l’œuvre commune de sujets égaux en droit, qui n’ont donc pas à être informés de

ce qu’ils savent nécessairement, pour l’avoir décidé ? »708.

Ces différents arguments n’emportent pas la conviction.

199. Réfutation. Tout d’abord, contrairement à ce qui a pu être affirmé, la motivation

n’est pas liberticide. Elle permet au contraire de s’assurer que la liberté est légitimement

exercée.

Ensuite, loin d’introduire une lourdeur excessive, l’obligation de motiver réduit le

volume du contentieux. En effet, elle permet de s’assurer que « les décisions prises [sont]

mieux comprises, et par là même mieux admises, par leurs destinataires ; et ce, quand bien

même elles leur seraient défavorables »709.

Enfin, l’obligation de motiver n’est pas superflue. D’abord, l’obligation de motivation

présente un intérêt lorsque l’une des parties dispose d’un pouvoir unilatéral de décision. En

effet, elle contraint son titulaire à fournir à son cocontractant « les éléments lui permettant

d’apprécier [qu’il] a été exercé en respectant les intérêts définis par l’accord des parties (ou)

conformément à l’utilité particulière – à la cause – qui a justifié que l’un des contractants

accepte d’en attribuer le bénéfice à l’autre »710. L’obligation de motivation apparaît alors

comme le contrepoids du pouvoir unilatéral711.

seul jeu de la raison, de découvrir la vérité : « L’homme quelconque […] a pour lui l’universalité de la raison ou, si vous préférez, l’ubiquité du raisonnable, qui lui fournit une méthode objective de perspicacité : le raisonnable, c’est notre langage commun » (J. CARBONNIER, « Propos introductifs », RJC 1993, n° spéc. « La Transparence », p. 17).

707 S. LEQUETTE, Le contrat coopération, préf. C. BRENNER, Economica, 2012, n° 478. 708 Th. REVET, « L’obligation de motiver une décision unilatérale, instrument de vérification de la prise en

compte de l’intérêt de l’autre partie », RDC 2004/2, p. 579, n° 3. 709 R. ENCINAS DE MUNAGORRI, thèse préc., p. 348. Dans le même sens, M. TEXIER évoque « des

vertus didactiques » de la motivation des décisions de justice : « en lisant l’arrêt, celui qui a perdu est en mesure de savoir pourquoi le juge lui a donné tort ; qu’il soit ou non convaincu par les arguments, la sentence lui apparaît du moins comme le résultat d’un processus méthodique » (P. TEXIER, « Jalons pour une histoire de la motivation des sentences », in La motivation, actes du colloque Limoges, 1998, Travaux de l’Association Henri Capitant, Paris, LGDJ, 2000, p. 6).

710 G. WICKER, « Force obligatoire et contenu du contrat », Les concepts contractuels français à l’heure des Principes du droit européen des contrats, dir. P. REMY-CORLAY et D. FENOUILLET, Dalloz, 2003, p. 371, n° 34.

711 Contra, D. FERRIER, « Une obligation de motiver ? », RDC 2004/2, p. 558, n° 9. L’auteur estime que le pouvoir unilatéral dont dispose un contractant trouve sa raison d’être dans les « engagements plus lourds » et les « risques plus graves » auxquels il doit faire face. Or, de telles responsabilités justifient « qu’il aménage à son

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177

b) Les avantages de la motivation

200. Identification. Comme nous venons de le voir, non seulement les critiques qui sont

formulées à l’encontre de la motivation sont excessives, mais encore celle-ci offre de

nombreux avantages.

Elle assure tout d’abord « une étude concrète du dossier, écarte le risque de

discriminations, élimine la prise en compte de motifs inavouables »712.

Ensuite, la connaissance des raisons ayant fondé la décision permet au justiciable d’en

contester plus efficacement la légitimité. En effet, il n’aura pas à apporter la preuve négative

de l’absence de motifs, mais simplement à établir leur inexactitude ou leur illégalité.

Dans le même sens, comme l’a souligné M. LEGEAIS au sujet de l’obligation du

banquier de motiver la rupture ou la réduction de crédit, étant entendu que ses propos nous

paraissent généralisables au stade de la formation du contrat, la motivation a une vertu

pédagogique et préventive. Vertu pédagogique, dans la mesure où elle met le client à même

de comprendre les raisons de la décision de la banque et lui permet de modifier ses pratiques

pour s’adapter à ses exigences713. Vertu préventive, car la perspective d’une demande

d’explication incite l’établissement de crédit à entourer sa décision « d’arguments sérieux à

communiquer »714. En d’autres termes, il doit être capable de « l’expliquer rationnellement ex

post »715.

La motivation est enfin une solide garantie contre l’arbitraire716 et apparaît comme une

« véritable exigence de la démocratie »717. M. GAUDU relève en ce sens que la motivation

constitue une « justification de la sanction », un « instrument du contrôle de

avantage les éléments du contrat qu’il est habilité à déterminer unilatéralement », sans avoir à motiver ses décisions. Ce raisonnement est contestable dès lors que l’on distingue l’existence du pouvoir unilatéral de décision de ses modalités d’exercice. On est alors amené à considérer que les raisons justifiant la reconnaissance d’un pouvoir unilatéral de décision (poids de l’engagement et risques supportés) ne doivent pas être confondues avec celles déterminant ses modalités d’exercice, parmi lesquelles l’obligation de motivation peut figurer.

712 R. ENCINAS DE MUNAGORRI, thèse préc., p. 346. 713 D. LEGEAIS, RTD com., 2009. 791. 714 Ibid. 715 F.-J. CREDOT et Th. SAMIN, « Réduction ou interruption des crédits et motivation de la décision »,

RDBF 2004/4, p. 115. 716 En ce sens, J. NORMAND, à propos du juge, « le domaine du principe de motivation », La motivation,

actes du colloque Limoges, 1998, Association Henri Capitant, Paris, LGDJ, 2000, p. 17 : « Garantie contre l’arbitraire du juge, qui doit se donner à lui-même et donner à autrui les raisons de sa décision. Garantie contre l’erreur du juge, la motivation est seule à même de faire apparaître les failles éventuelles de la construction intellectuelle qui conduit à la décision. Elle seule permet d’apprécier les chances d’un éventuel recours ».

717 P. TEXIER, « Jalons pour une histoire de la motivation des sentences », in La motivation, actes du colloque Limoges, 1998, Association Henri Capitant, Paris, LGDJ, 2000, p. 5.

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proportionnalité », une « modalité de l’exercice d’une prérogative exorbitante », et enfin un

« élément de l’obligation de négocier »718.

2) La nécessité de la motivation

201. Une double nécessité. La motivation est doublement nécessaire. D’abord, elle est de

nature à restaurer la dimension procédurale du contrat (a) ; d’autre part, elle est un

contrepoids au pouvoir unilatéral dont dispose le banquier (b).

a) La restauration de la dimension procédurale du contrat

202. La diversification des modèles contractuels. La motivation est conforme à

l’étymologie du mot contrat. M. MEKKI souligne que « le contrat est à la fois une procédure

et un résultat. Contrahere signifie se rapprocher »719. L’obligation de motivation relève

justement de l’aspect procédural du contrat ; elle contribue à construire « la rationalité

procédurale de l’accord de volonté », c’est-à-dire sa capacité à définir les termes de la relation

par le dialogue720. En ce sens, le contrat répond parfaitement à l’éthique de la discussion

défendue par HABERMAS, pour lequel les règles procédurales, en s’intégrant dans un

« processus discursif de formation de la volonté », sont mieux « adaptées aux structures de

l’agir orientées vers l’intercompréhension »721.

Or si cette « intercompréhension » est assurée naturellement dans le contrat d’échange

unissant deux volontés libres et égales, l’évolution du contrat rend indispensable l’existence

d’une obligation de motivation. En effet, le contrat d’échange n’est plus l’unique modèle de

référence722. D’autres figures sont venues élargir la pratique contractuelle, comme le contrat

d’adhésion ou le contrat d’intérêt commun723. En outre et surtout, le contrat peut faire naître

une relation déséquilibrée et inégalitaire. Pour reprendre les termes de M. REVET, il faut

718 F. GAUDU, « L’exigence de motivation en droit du travail », RDC 2004/2, p. 566 et s., n° 5, 6, 8 et 9. 719 M. MEKKI, thèse préc., n° 1187. 720 Ibid. 721 J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, Tome II, Pour une critique de la raison

fonctionnaliste (1981), Trad. J.-L. SCHLEGEL, Fayard, Coll. L’espace du politique, 1987, p. 408, cité par M. MEKKI, thèse préc., n° 1192, p. 747, note 530.

722 V. sur ce point M. FABRE-MAGNAN, « L’obligation de motivation en droit des contrats », Etudes offertes à Jacques Ghestin : le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 301 et s. spéc. p. 302.

723 Plusieurs thèses, récentes, se sont intéressées au développement de ces contrats, parmi lesquelles on peut citer celles de F. CHENEDE, Les commutations en droit privé. Contribution à la théorie générale des obligations, préf. A. GHOZI, Economica, 2008 ; S. LEQUETTE, Le contrat coopération, préf. C. BRENNER, Economica, 2012 ; J.-F. HAMELIN, Le contrat entreprise, préf. N. MOLFESSIS, Economica, 2012.

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179

sortir de « l’abstraction contractuelle » et accepter de voir que « derrière le sujet et l’adhésion

donnée au principe d’un engagement juridique, il y a des êtres concrets dont la situation

personnelle, professionnelle, économique, sociale, etc., se révèle parfois en importante

distance avec la situation moyenne à laquelle se réfère la figure théorique du contractant »724.

Dans ces conditions, l’obligation de motivation vient restaurer « l’intercompréhension » des

parties.

Plus généralement, la motivation répond à la nécessité d’établir des rapports humains

rationnels et de promouvoir une « civilisation des comportements »725. La motivation est aussi

la traduction d’un besoin de communiquer. Ce besoin a été identifié par le doyen

CARBONNIER qui explique, sans y adhérer, que « la morale n’est plus axiomatique ; elle se

constitue par échange d’arguments, elle s’accomplit par dialogue ; il faut donc que l’autre

parle. Très significativement, Habermas présente sa morale comme une morale de la

communication et, par là, il rejoint, pour s’y appuyer, une idée-force, qui est également une

euphorie technique de notre fin de siècle. Le bien de la communication, par la

communication. Le mal vient d’un défaut de communication, c’est-à-dire finalement d’un

défaut de transparence »726.

b) Un contrepoids au pouvoir du banquier

203. Pouvoir et respect d’une procédure. Le pouvoir doit être ici entendu comme la

puissance ou les moyens d’agir dont dispose une partie sur l’autre727. Dans sa thèse, M.

LOKIEC soutient que lorsqu’elle est l’expression d’un pouvoir, la décision prise par son

titulaire doit respecter des règles de procédures. Celles-ci doivent être distinguées des règles

de forme728. Tandis que les mentions ou écrits obligatoires sont des règles de forme, les

obligations d’information ou de motivation constituent des règles de procédure parce qu’elles

participent à la prise de décision et ont pour objectif de s’assurer que celle-ci n’est pas le

reflet d’un choix arbitraire. A titre d’illustration, M. LOKIEC se réfère à la décision

d’embauche prise par l’employeur729. Celle-ci, étant l’expression d’un pouvoir, est soumise à

724 Th. REVET, « L’obligation de motiver une décision unilatérale, instrument de vérification de la prise en

compte de l’intérêt de l’autre partie », RDC 2004/2, p. 579 et s., n° 5. 725 Th. REVET, art. préc., n° 2. 726 J. CARBONNIER, « Propos introductifs », RJC 1993, n° spécial, « La Transparence », p. 10. 727 P. LOKIEC, Contrat et pouvoir, essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels,

thèse, préf. A. LYON-CAEN, LGDJ, 2004, p. 324. 728 Ibid., n° 365. 729 Le recrutement d’un salarié constitue « “une décision” prise par l’employeur dans l’exercice de son

“pouvoir d’embaucher du personnel” » (P. LOKIEC, thèse préc., n° 514). S’agissant de la qualification de

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180

de nombreuses règles procédurales comme l’obligation d’évaluer l’aptitude du candidat à

l’embauche, celle de justifier la décision de ne pas embaucher ou encore de respecter

l’interdiction des discriminations.

Or il est essentiel de relever que la loi et la jurisprudence ont multiplié les règles

procédurales au stade de la formation du contrat de crédit. C’est ainsi que le banquier a

désormais le devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, celui de le mettre en garde, de

lui expliquer les conséquences financières du crédit, de motiver le refus de crédit à la

demande du médiateur du crédit, d’expliquer les résultats du score et de ne pas commettre de

discriminations.

Dès lors, il est permis d’en déduire que la décision d’octroyer ou non un crédit est

l’expression d’un pouvoir du banquier. A partir de là, il est parfaitement logique de préconiser

la reconnaissance d’une obligation de motiver le refus de crédit afin de le contrebalancer.

On peut se demander s’il serait possible d’aller plus loin en voyant dans la décision du

banquier l’exercice d’un pouvoir cette fois entendu comme une « prérogative finalisée »730,

c’est-à-dire une prérogative permettant « à son titulaire d’exprimer un intérêt au moins

partiellement distinct du sien par l’émission d’actes juridiques unilatéraux contraignants pour

autrui »731. Le pouvoir ainsi défini s’oppose au droit subjectif, qui constitue une prérogative

exercée dans l’intérêt propre de son titulaire.

Reprenant la notion de pouvoir au sens de prérogative finalisée, M. BARBIER soutient

justement que « la fonction du banquier dans l’ordre économique pousse à lui conférer une

mission qui dépasse la poursuite de son intérêt individuel. Sans aller jusqu’à affirmer qu’il

remplit une mission de service public comme certain l’ont pensé, sa mission l’oblige à se

mettre au moins en partie, au service de l’intérêt de son client »732.

Dans cette perspective, l’obligation de motiver le refus de crédit serait également

pleinement justifiée. Elle permettrait de vérifier que le banquier a exercé son pouvoir de ne

pas contracter en respectant la finalité en vertu de laquelle il lui a été confié, à savoir la prise

en considération de l’intérêt qu’a son client d’accéder au crédit.

« décision », l’auteur renvoie aux articles L. 122-25 et L. 412-2 (anc.) du Code du travail. Il relève que l’article L 412-2 qualifie « l’embauchage » de « décision » de l’employeur. S’agissant enfin du « pouvoir d’embaucher du personnel », l’auteur renvoie aux arrêts de la Chambre sociale en date du 28 nov. 1979 (Bull. civ. V, n°906) et du 5 juillet 1965 (Bull. civ. V, n°544).

730 E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, thèse, préf. G. CORNU, Economica, 1985, n° 235. 731 Ibid., 4°, p. 233. 732 H. BARBIER, La liberté de prendre des risques, thèse, préf. J. MESTRE, PUAM, 2011, n° 251.

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B – LES CONSÉQUENCES DE L’EXTENSION

204. Un contenu susceptible de degrés. Nous venons de montrer que l’obligation de

motivation pourrait parfaitement s’appliquer au refus de crédit. Il nous reste à envisager le

contenu qu’elle pourrait avoir.

Sur ce point, on peut se référer à l’analyse de Mme FABRE-MAGNAN, qui souligne que

ce contenu peut varier. L’exigence de motivation peut aller « de la simple obligation

d’alléguer un motif à l’obligation d’apporter la preuve de son existence et de sa véracité ; elle

peut même aller, comme en matière de divorce par exemple, jusqu’à l’obligation d’invoquer

l’un des motifs limitativement prévus »733. En tout état de cause, l’auteur précise que « le

contrôle minimum consistera pour les juges à n’admettre que les raisons suffisamment

sérieuses pour justifier le dommage causé au cocontractant pour lequel le contrat constitue le

moyen de subsistance »734.

A partir de là, il convient de distinguer selon le type de crédit sollicité.

205. Distinction entre le crédit aux particuliers et aux entreprises. S’agissant du

crédit aux particuliers, le motif de refus pourra être légitimement tiré de l’insolvabilité de

l’emprunteur. Il ne devrait pas importer que celle-ci existe au moment de la demande de crédit

ou soit susceptible d’être créée par le crédit. Cette solution s’impose, sous peine de voir

l’emprunteur sombrer dans la spirale du surendettement.

En matière de crédit aux entreprises, le motif de refus pourra être tiré de la certitude de

l’absence de viabilité du projet. Dans cette hypothèse, il n’existe aucun aléa sur l’issue du

projet. L’octroi d’un crédit ne correspondrait plus à la prise du risque participant à la

définition même du crédit aux entreprises. Il conduirait avec certitude la banque à perdre sa

créance et vouerait l’entreprise à la liquidation judiciaire. En sens inverse, en cas de doute sur

la viabilité du projet, le refus serait infondé. Il équivaudrait à renier la prise de risque

inhérente à la distribution du crédit aux entreprises. En pratique, la motivation du refus de

crédit devrait être étendue. En effet, la détermination de la viabilité d’un projet est complexe.

Il devrait être demandé au banquier d’étayer l’exposé de ses motifs en joignant l’ensemble des

analyses financières lui ayant permis d’aboutir à sa décision.

733 M. FABRE-MAGNAN, « Pour la reconnaissance d’une obligation de motiver la rupture des contrats de

dépendance économique », RDC 2004/2, p. 573 et s., spéc. p. 575. 734 Ibid., p. 575.

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206. Le cas spécifique d’une insuffisance de sûretés. Par ailleurs, le banquier ne devrait

pas pouvoir invoquer l’absence de sûretés pour justifier son refus. Dès lors qu’un crédit ne

peut être consenti sous le seul prétexte qu’il est garanti735, il faut considérer que l’absence de

garanties ne saurait justifier à elle seule qu’il soit refusé. Dans le cas inverse, l’obligation de

motiver le refus de crédit serait privée de sens. On peut en effet supposer que le candidat au

crédit qui souhaite démarrer une activité professionnelle ne dispose pas de biens personnels

ou ne peut trouver de tiers prêts à le garantir sur leur patrimoine personnel. D’ailleurs une

réponse ministérielle est venue préciser que les entrepreneurs peuvent saisir le médiateur du

crédit lorsque l’appréciation des garanties sur les actifs affectés à l’activité conduit la banque

à demander des garanties excessives+ au regard des prêts sollicités736. En outre, diverses

dispositions révèlent bien la volonté du législateur d’éviter la prise de sûretés sur le

patrimoine ou les biens personnels des entrepreneurs. Il s’agit d’abord de l’article L. 313-21

du CMF737. Ce texte énonce que l’établissement de crédit, qui envisage de consentir

un concours financier à un entrepreneur individuel pour les besoins de son activité

professionnelle et qui a l'intention de demander une sûreté réelle sur un bien non nécessaire à

l'exploitation ou une sûreté personnelle consentie par une personne physique, « doit informer

par écrit l'entrepreneur de la possibilité qui lui est offerte de proposer une garantie sur les

biens nécessaires à l'exploitation de l'entreprise ou de solliciter une garantie auprès d'un autre

établissement de crédit, d'une entreprise d'assurance habilitée à pratiquer les opérations de

caution ou d'une société de caution mutuelle ». On peut ensuite mentionner l’article L. 526-1

du Code de commerce qui permet à l’entrepreneur individuel de déclarer insaisissables ses

droits sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que sur tous les biens fonciers

bâtis ou non qu’il n’a pas affectés à son activité professionnelle. Dans le même sens, l’article

L. 526-6 du même Code qui permet à tout entrepreneur individuel à responsabilité limitée

d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel,

sans création d’une personne morale.

Enfin, dans une charte pour l’accès au crédit des EIRL en date du 31 mai 2011, les

établissements bancaires se sont engagés « à ne pas exiger de sûretés réelles sur le patrimoine

personnel de l’entrepreneur et/ou de sûretés personnelles sur l’entrepreneur ou sur un tiers

s’ils mettent en œuvre les solutions de cautionnement et de contre-garanties prises par les

735 V. en ce sens D. LEGEAIS, J-Cl. Commercial, fasc. 346, préc., n° 14. 736 Rép. min. n° 81762, JOAN Q 19 oct. 2010 ; JCP E 2010, 1960. 737 V. sur ce point, RDBF 2011-1, comm. 6, D. LEGEAIS.

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sociétés de caution mutuelles avec ou sans l’appui d’Oséo »738. Cette charte montre bien que

l’octroi de crédit est pleinement envisageable en l’absence de garanties portant sur les biens

personnels du candidat au crédit ou de tiers garants.

207. Conclusion du Chapitre I. La décision du banquier fait l’objet d’un contrôle

croissant en droit positif. Cette orientation du droit positif ne doit pas être critiquée mais au

contraire encouragée. Elle devrait se traduire par la consécration d’un devoir de conseil aux

particuliers, imposant au banquier de leur refuser des crédits excessifs, et par celle d’une

obligation de motiver les refus de crédit aux entreprises. L’adoption de cette dernière serait en

conformité avec la structure inégalitaire du contrat de crédit et avec l’analyse de la décision

du banquier en un pouvoir devant être soumis au respect de règles procédurales.

Néanmoins, notre propos pourrait légitimement faire naître une interrogation : le contrôle

auquel nous envisageons de soumettre la décision du banquier est-il compatible avec la notion

même de contrat ?

738 D. LEGEAIS, « Charte pour l’accès au crédit des EIRL », RDBF juillet 2011, comm. 137.

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CHAPITRE II

LA COMPATIBILITÉ DU CONTRÔLE AVEC LA NOTION

DE CONTRAT

208. Plan. Le contrat est traditionnellement défini comme étant l’œuvre de la volonté des

parties. Or, nous avons vu, dans le chapitre précédent, que le contrat de crédit fait l’objet d’un

interventionnisme légal et jurisprudentiel croissant. La loi et le juge viennent orienter, voire

diriger la volonté des parties, spécialement celle du banquier. Nous avons nous-mêmes

proposé de renforcer cet encadrement par la mise à la charge du banquier d’un devoir de

conseil et d’une obligation de motiver le refus de crédit. Ces solutions, qui portent

apparemment atteinte à la notion de contrat, ne font que s’inscrire dans une évolution

largement entamée. D’une part, le contrat s’objectivise (Section I) ; d’autre part, sa dimension

relationnelle est de plus en plus reconnue (Section II).

SECTION I : L’OBJECTIVATION DU CONTRAT

209. Signification de l’expression « objectivation du contrat ». L’expression

« objectivation du contrat »739 traduit l’idée selon laquelle la volonté des parties n’est pas

l’unique source du contrat. A côté de la volonté individuelle, le législateur et le juge

interviennent dans le contrat en créant des obligations à la charge des contractants. Cet

interventionnisme s’observe principalement dans les contrats structurellement inégalitaires.

La doctrine réserve pourtant à l’objectivation du contrat un accueil mitigé. Les débats que

cette dernière suscite se concentrent autour d’une question : peut-on encore parler de contrat

en présence d’un acte reposant sur une rencontre organisée (et donc non spontanée) de

volontés partiellement libres et économiquement inégales ?

La réponse à cette question est éminemment philosophique puisqu’elle dépend du rôle

que l’on entend conférer aux volontés individuelles740. Comme l’écrit M. SAVAUX, « aucun

739 P. LOKIEC, thèse préc., n° 116. 740 C’est pourquoi Michel VILLEY a pu écrire que « c’est une illusion d’espérer que la science du droit soit

jamais neutre : (…) le droit n’est pas un objet pur ; il n’existe pas, on le fait. Et qu’il en ait ou non conscience, le juriste défend une cause. Décrire pour lui, c’est choisir » (M. VILLEY, Leçons d’histoire de la philosophie du droit, Dalloz, 1962, p. 291). Pour MM. LENOBLE et OST, l’activité scientifique implique un choix qui ne se confond pas avec la description mais la dépasse. Ils expliquent en effet que « l’enseignement de l’épistémologie contemporaine a fait apparaître la science comme une activité plutôt que comme savoir, comme production

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juriste ne parvient jamais à détacher totalement sa conception du contrat de ses vues sur la

nature et les fins du droit »741. Aussi, le choix consiste « soit [à] pousser le rôle de la volonté

jusqu’à son paroxysme, [à] en faire l’unique élément important de l’acte juridique, et lui

permettre de produire n’importe quel effet de droit ; soit, au contraire, [à] réduire le rôle de la

volonté, y voir certes un élément indispensable, mais un élément fantasque malgré tout et dont

le pouvoir [doit] être limité par des impératifs sociaux »742.

Pour notre part, nous considérons que l’objectivation ne porte pas atteinte à la substance

du contrat. Elle est non seulement légitime (§ I) mais également particulièrement utile (§ II).

§ - I. LA LÉGITIMITÉ DE L’OBJECTIVATION

210. Une double légitimité. L’objectivation est légitime d’abord parce qu’elle permet de

rendre compte de la relativité conceptuelle du contrat (A) et ensuite parce qu’elle n’entre pas

en contradiction avec la nécessité du consentement dans la conclusion du contrat (B).

plutôt que comme contemplation, comme dialectique plutôt que comme lecture. En cette activité s’articule le dialogue, à la fois théorique et opératoire, entre la raison et l’empirie ; le savant ne reproduit pas le tableau de l’univers, il provoque des expériences à partir de ses questionnements théoriques. Le langage scientifique n’est donc pas de l’ordre de la représentation descriptive, mais de l’ordre de l’interprétation ; il n’est pas reflet de la réalité, mais milieu de création autonome, sans que pour autant on puisse s’en remettre à la logique pure et rejeter toute idée de régulation empirique du savoir » (J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison, Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1980, p. 306-307). L’analyse de ces auteurs reflète parfaitement, selon nous, la démarche du juriste. Le droit ne préexiste pas à la pensée. Elle le crée.

741 E. SAVAUX, Théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, préf. J.-L. AUBERT, LGDJ, 1997, p. 268. Dans le même sens, v. J. FLOUR, J.- L. AUBERT et E. SAVAUX, Les obligations, t. 1. L’acte juridique, op. cit., n° 72 : « le droit des obligations est bien autre chose qu’une technique. Il est une science sociale, indissociable de la morale, de l’économie, de la politique. Si l’on veut non seulement le connaître, mais le juger, il faut rechercher d’où il procède et pourquoi il est ce qu’il est. Et l’on constate alors, que, pour tel peuple et à telle époque, il est une résultante de tout ce que ce peuple pense et sent : un reflet de sa civilisation. Que l’on souhaite le défendre ou le combattre, c’est sur ce plan, plus que sur celui de la technique, qu’il faut situer la discussion ».

742 A. RIEG, « Le contrat dans les doctrines allemandes du XIXe siècle », APD 1968, p. 33. Dans le même sens, BATIFFOL nous invite à choisir entre diverses conceptions de la liberté et considère pour sa part « qu’un volontarisme simple ne répond pas à la complexité des faits » (H. BATIFFOL, « La crise du contrat et sa portée », APD 1968, p. 30).

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A – LA RELATIVITÉ CONCEPTUELLE DU CONTRAT

211. Le contrat comme création des volontés individuelles. Pour une partie de la

doctrine, le contrat n’existe que lorsqu’il est le fruit de la rencontre de volontés autonomes743.

Les contractants doivent pouvoir décider de ses conditions tant de formation que d’exécution,

si bien que l’intervention directrice d’un tiers a pour effet de le dénaturer744. Cette conception,

qui peut être qualifiée de libérale, se satisfait des inégalités économiques et de l’existence de

rapports de domination entre les contractants. RIPERT estimait en ce sens que « ce n’est pas

743 V. notamment G. MORIN, « Les tendances actuelles de la théorie des contrats et les relations du réel et

des concepts – A propos des articles de M. Josserand », RTD civ. 1937, p. 553 et s. Pour MORIN, la notion de contrat ne peut être employée que pour désigner l’accord de volontés autonomes. Ainsi, l’expression « contrat d’adhésion » traduit une dénaturation du concept de contrat, « un notionnel éloigné du réel » (art. préc., p. 562). Dans le même sens, v. le très intéressant article de M. STOYANOVITCH sur « La théorie du contrat selon E. B. Pachoukranis » (K. STOYANOVITCH, APD 1968, p. 89 et s.). L’auteur explique que, pour le théoricien soviétique, l’économie capitaliste « fondée sur la pratique des échanges d’équivalents dépersonnifiés, objectifs, abstraits, permet et exige l’élaboration d’une idéologie du genre de la sienne, une idéologie de l’homme abstrait, d’une essence d’homme, de l’Homme tout court, ayant une nature permanente, inchangeable, libre par définition et qui se retrouve dans tout individu concret, quelle que soit sa position dans le processus de production et des rapports sociaux réels établis au sein de ce processus. Un tel homme qui est un atome social et de ce fait une image, une construction arbitraire, ne peut évidemment être doté que d’une volonté autonome et souveraine. C’est précisément cette idéologie, d’abord inconsciente et spontanée, en tant que phénomène social, puis élaborée et consciente, en tant que théorie philosophique, qui a engendré le concept de contrat » (ibid., p. 93).

744 V. par. A. SERIAUX, Droit des obligations, PUF, 2006, n° 8, pour lequel « le droit, ici comme ailleurs, n’est rien d’autre que l’expression de ce qui est juste dans une relation entre deux personnes. Mais le contrat a ceci de particulier que le juste qui règle la relation entre les contractants est normalement le fruit de leur propre jugement. Ce sont les parties qui fixent le droit dans leurs rapports mutuels. Qu’on leur enlève ce pouvoir et le contrat n’a plus lieu d’être ». V. également, pour un plaidoyer récent en faveur de l’autonomie de la volonté, D. TERRÉ-FORNACCIARI, « L’autonomie de la volonté », Revue des Sciences morales et politiques 1995, vol. n° 150, p. 255 et s. Pour la philosophe, « le fait que le contrat soit injuste fait partie de sa nature. Contrairement à ce qu’affirmait au XIXème siècle Fouillé, tout ce qui est contractuel n’est pas juste. N’est pas forcément juste. Ce qui définit le contrat, c’est précisément cette capacité à ne pas être juste. L’autonomie de la volonté est niée si elle est empêchée de disposer des clauses abusives. Et cette capacité à ne pas être juste est aussi ce qui fait l’existence et la valeur du contrat. Parce que justement il permet à la volonté de s’exprimer. Si Adam n’avait pas été capable du péché originel, Dieu ne l’aurait pas créé libre » (art. préc., p. 265). A la lecture de ce passage, on comprend que le contrat comme rencontre de volontés libres et autonomes est par nature potentiellement injuste. En outre, il faudrait préserver cette potentialité au nom de la liberté car empêcher le contrat d’être injuste reviendrait à interdire à la liberté de s’exprimer. Mme TERRÉ-FORNACCIARI entend rendre acceptable la nature potentiellement injuste du contrat en arguant du fait que KANT lui-même ne voyait pas dans l’égalité économique une condition de validité du contrat. Elle explique que, pour lui, l’autonomie de la volonté constituait l’outil permettant aux parties de dépasser l’inégalité. KANT concevait effectivement l’autonomie de la volonté comme l’usage rationnel de la volonté, c’est-à-dire l’usage conforme à l’ordre supérieur du Bien. En ce sens, le contrat conclu entre deux volontés autonomes était assurément juste, même si les parties étaient économiquement inégales. En revanche, lorsque que l’union des volontés produisait une situation injuste, ces volontés étaient insusceptibles d’être qualifiées d’autonomes au sens kantien. Si bien que Kant ne peut pas être invoqué à l’appui d’une théorie défendant la nature potentiellement injuste du contrat. In fine, l’approche de Mme TERRÉ-FORNACCIARI laisse place à l’alternative suivante: soit on privilégie la liberté et son corollaire, l’autonomie de la volonté en acceptant que l’usage de cette liberté aboutisse parfois à des situations injustes ; soit on privilégie l’impératif de justice, ce qui conduit à nier la liberté individuelle au profit de l’obéissance à un ordre supérieur règlementant les rapports humains. L’alternative que propose ainsi l’auteur nous semble trop restrictive. Son analyse ne laisse pas la place à une troisième possibilité : celle qui tendrait à considérer qu’il n’y a de liberté véritable qu’en présence de contrats justes.

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parce que la volonté est faible qu’elle doit être protégée. On sacrifie à une pensée de basse

démocratie quand on soutient les faibles à cause de leur faiblesse même »745.

Il est vrai que selon une lecture assez répandue, le Code civil serait la traduction fidèle de

la théorie de l’autonomie de la volonté. Pourtant, cette interprétation est très vivement

controversée.

212. Autonomie de la volonté et Code civil. Il apparaît en effet que les rédacteurs du

Code civil n’ont jamais entendu conférer aux volontés individuelles une « vertu auto-

fondatrice en droit »746. M. DEROUSSIN estime en ce sens que la rédaction finale de l’article

1134 du Code civil n’assimile pas le contrat à la loi mais les distingue en marquant « la

distance qui les sépare : tenir lieu de ne signifie pas être identique à. Émanation du Droit

objectif, le contrat ne peut pas être placé avec la loi sur un pied d’égalité parce qu’il crée une

norme inférieure à la loi, devant nécessairement pour sa validité se conformer à elle »747.

Cette lecture de l’article 1134 du Code civil est partagée par M. BURGE. Pour ce dernier,

les rédacteurs du Code civil n’ont pas été inspirés par les idées libérales et notamment par la

théorie de l’autonomie de la volonté748. PORTALIS, notamment, a fortement critiqué la

philosophie idéaliste de KANT749 ainsi que la définition de la liberté individuelle comme

pouvoir absolu de décider750. Cette analyse est confirmée par la lecture du discours tenu par le

codificateur lors de la présentation au Corps législatif du projet de loi sur la publication, les

effets et l’application des lois en général. Il a déclaré que « des jurisconsultes ont poussé le

délire jusqu’à croire que des particuliers pouvaient traiter entre eux comme s’ils vivaient dans

ce qu’ils appellent l’état de nature, et consentir tel contrat qui peut convenir à leur intérêt, s’ils

745 G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., p. 107. 746 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, Corpus Histoire du droit, 2e éd., 2012, p.

494. 747 Ibid., p. 492. Pour une lecture similaire, v. Ch. JAMIN, « Une brève histoire politique des interprétations

de l’article 1134 du code civil », D. 2002, chron. p. 901 et s. M. JAMIN soutient que l’individu ne saurait, dans l’esprit des codificateurs, « s’émanciper de la tutelle étatique, qui constitue d’ailleurs pour eux la garantie de sa liberté par l’intermédiaire d’une loi égale pour tous ».

748 V. A. BÜRGE, « Le Code civil et son évolution: vers un droit inspiré d’individualisme libéral », RTD civ. 2000, p. 1 et s. ; V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris 1980.

749 J.-E.-M. PORTALIS, De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, Paris, t. 1, p. 71-116 - Réimprimé par la Bibliothèque Dalloz.

750 « L’indépendance et la servitude sont les deux extrêmes entre lesquels la liberté se balance. Le mot indépendance offre l’idée d’un pouvoir illimité. Le mot servitude présente celle d’une sujétion arbitraire et sans borne. L’indépendance du citoyen est incompatible avec l’essence même de toute société réglée. La servitude est contraire à la fin de tout gouvernement légitime. Mais entre la servitude et l’indépendance, il existe un espace considérable qui peut être rempli par une foule de combinaisons différentes des éléments qui constituent la liberté ; et c’est dans cet espace que nous pensons qu’un législateur habile peut exercer son génie pour le plus grand bien des hommes dont le sort est confié à sa sollicitude » (J.-E.-M. PORTALIS, De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, op. cit., p. 270-271).

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189

n’étaient gênés par aucune loi… Toutes ces dangereuses doctrines, fondées sur des subtilités,

et éversives des maximes fondamentales, doivent disparaître devant la sainteté des lois. Le

maintien de l’ordre public dans une société est la loi suprême. Protéger des conventions

contre cette loi, ce serait placer des volontés particulières au-dessus de la volonté générale, ce

serait dissoudre l’Etat »751.

Si la théorie de l’autonomie de la volonté n’a pas influencé les rédacteurs du Code civil,

elle a en revanche nourri ses interprétations ultérieures752.

Pour M. BURGE, cette influence serait le fruit des travaux de SAVIGNY et des membres

de l’école historique allemande, à compter de la deuxième moitié du XIXème siècle. L’école

historique aurait « complètement changé le paradigme : au lieu de déduire la propriété et le

contrat comme le droit privé dans son ensemble d’un droit naturel par le relais d’un contrat de

société, elle conçoit désormais le droit privé comme puisant sa source dans la liberté et la

volonté de l’homme, bref dans l’autonomie de la volonté »753.

En revanche, l’expression même « autonomie de la volonté » n’a été utilisée qu’à la fin

du XIXe siècle, d’abord par les internationalistes754, puis par les civilistes755, ce qui semble

s’expliquer par deux raisons. La première réside dans le culte de l’exégèse auquel se sont

voués les juristes pendant la majeure partie du XIXe siècle ; la seconde étant que « l’idée

d’autonomie de la volonté ne se sentant pas contestée, n’eut pas à se nommer pour

s’affirmer »756. En effet, l’individualisme libéral, dont l’autonomie de la volonté est le reflet,

n’a été que tardivement remis en cause, lorsque se sont manifestés les bouleversements

751 P.-A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Videcoq, éd. 1827, t. 6, p. 362,

cité par Ch. JAMIN, « Une brève histoire politique des interprétations de l’article 1134 du code civil », chron. préc., p. 902.

752 C’est ainsi que LAROMBIÈRE, dans son commentaire de l’article 1109 du Code civil, a pu écrire : « Tout contrat n’a de valeur morale et légale que comme expression des consentements qui l’ont créé par leur concours. C’est du consentement qu’il tire sa force et son autorité, c’est lui qui l’anime et le vivifie. Si la convention est obligatoire, c’est parce qu’elle témoigne d’une part de la volonté de s’imposer une obligation, et d’autre part de la volonté d’acquérir un droit. Il est donc fort important d’examiner quelles doivent être les qualités du consentement » LAROMBIÈRE, Théorie et pratique des obligations, t. 1, p. 41, n° 1. Pour d’autres exemples, v. V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté. Naissance et évolution d’un concept, op. cit., p. 71 à 74. Contra, A.-J. ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil français, thèse, préf. M. VILLEY, LGDJ, 1969, p. 197-214 qui considère que l’autonomie de la volonté a influencé les rédacteurs du Code civil.

753 A. BÜRGE, « Le code civil et son évolution vers un droit imprégné d’individualisme libéral », RTD civ. 2000, p. 2 (III A).

754 Mme RANOUIL (art. préc., p. 18) explique que « Brocher, dès 1883, rapproche discrètement les termes d’autonomie et de volonté (BROCHET, Cours de droit international privé, t. II, p. 67). Mais l’expression n’est réellement lancée qu’en 1886 par Weiss (WEISS, Traité élémentaire de droit international privé, p. 42 et s.) ».

755 Par exemple, dans sa thèse De la volonté unilatérale considérée comme source d’obligations, WORMS n’utilise pas l’expression « autonomie de la volonté » mais rapproche les termes d’autonomie et de volonté (WORMS, De la volonté unilatérale considérée comme source d’obligations, thèse Paris, 1891, p. 191). C’est GÉNY qui, le premier, utilise l’expression (GENY, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, op. cit., p. 144 et 173).

756 V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté. Naissance et évolution d’un concept, op. cit., p. 78.

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190

économiques et sociaux – entendons la prolifération des rapports structurellement

inégalitaires – provoqués par la Révolution industrielle. L’autonomie de la volonté aurait

alors été expressément formulée en réaction au développement des doctrines anti-

individualistes.

Finalement, si la théorie de l’autonomie de la volonté a indéniablement influencé les

interprètes du Code civil, elle n’a servi qu’à justifier une lecture parmi d’autres des articles

relatifs au contrat. Dans cette mesure, l’identification du contrat à une rencontre de volontés

autonomes n’est qu’une des définitions possibles du contrat.

213. La « relativité conceptuelle » du contrat. De fait, il est aujourd’hui largement

admis que le contrat peut exister sans pour autant être l’œuvre de volontés autonomes.

Derrière la notion de contrat, se cache « un algèbre de significations possibles »757. Aussi,

plutôt que de « crise du contrat »758, il convient de parler, avec M. SUPIOT, de sa « relativité

conceptuelle »759. En d’autres termes, il n’existe pas une notion mais des notions de contrat.

Outre les contrats entre égaux que sont l’échange et l’alliance, il existe des contrats

d’ « allégeance »760. Il s’agit des contrats de dépendance et des contrats dirigés761.

214. L’approche réaliste du contrat. M. TRIGEAUD a d’ailleurs montré que deux

conceptions de la convention sont envisageables, une conception jusnaturaliste et une

conception positiviste. En vertu de la première, « la convention repose sur une base onto-

axiologique de “justice” »762. Dans la conception positiviste, cette base est au contraire

absente. Plus précisément, « le juste finit par se ramener à la fonction que la structure possède

757 L’expression est empruntée à R. MUSIL, L’homme sans qualité, t. 1, Points, p. 188. 758 Sur cette idée, v. H. BATIFFOL, « La crise du contrat et sa portée », APD 1968, p. 13 et s. L’auteur

évoque la crise du volontarisme contractuel. Pour une réactualisation de la question, v. Ch. JAMIN, « Quelle nouvelle crise du contrat ? », La nouvelle crise du contrat, dir. Ch. JAMIN et D. MAZEAUD, Paris, Dalloz, 2003. Dans cet article, M. JAMIN parle cette fois de la crise du solidarisme contractuel.

759 A. SUPIOT, « La relativité du contrat en question. Conclusion générale », La relativité du contrat, Travaux de l’Association Henri Capitant, LGDJ, 1999, p. 183. V. égal. B. EDELMAN, « De la liberté et de la violence économique », D. 2001, chron., p. 2315.

760 A. SUPIOT, art. préc., p. 198. 761 Leur apparition serait dûe à l’application de la figure contractuelle à des relations jusque là hiérarchisées

et imposées. Comme le relève M. SUPIOT, « en envahissant les terres de l’hétéronomie, le droit des contrats s’en imprègne et se fait instrument d’assujettissement des personnes. Porté par le principe d’égalité, il investit les lieux d’exercice du pouvoir, mais il ne peut le faire qu’en englobant son contraire : l’inévitable hiérarchisation des personnes et des intérêts » (A. SUPIOT, « La relativité du contrat en question. Conclusion générale », art. préc., p. 198).

762 J.-M. TRIGEAUD, « Convention », APD 1990, p. 15.

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191

en tant qu’œuvre du vouloir, sans se préoccuper bien évidemment de savoir quel est son titre

de légitimité »763.

La conception jusnaturaliste se divise elle-même en deux branches. La première est

idéaliste. Elle est « axée sur la volonté dont la convention procède », la seconde est réaliste.

Elle est « centrée sur la convention comme “chose” ou sur la chose objet de la

convention »764.

Michel VILLEY a approfondi l’analyse de cette dernière à travers l’étude de la pensée

des philosophes et juristes grecs et romains. Chez ARISTOTE, par exemple, le contrat est une

simple catégorie de l’échange, du synallagma. Ce dernier peut être volontaire (contrat) ou

involontaire (délit et quasi-délit). Michel VILLEY explique que « ce qui caractérise l’échange

en général est le déplacement qui donne lieu (…) à “restitution” d’une valeur autant que

possible équivalente »765. Le caractère volontaire ou involontaire de l’échange importe peu766.

En d’autres termes, le contrat représente simplement une modalité de l’interaction sociale.

Certes, remarque Michel VILLEY, « la convention peut ici tenir un office qui sans doute n’est

point négligeable ; pourtant elle n’est qu’un accident, qu’un accessoire dans l’échange ; ce

n’est jamais elle qui constitue l’essence du synallagma »767. Cette essence réside dans le

transfert de valeurs et sa capacité à en réaliser objectivement une juste répartition entre les

individus. Pour cette raison, la conception aristotélicienne du contrat peut être qualifiée de

réaliste ou objective.

On retrouve la même idée en droit romain. Selon Michel VILLEY, en droit romain, la

« cause de l’obligation (…), cette cause génératrice apparaît plus souvent dans la res que dans

le consentement (…). La causa de l’obligation, la raison de son existence, c’est, nous paraît

dire le texte romain, le fait que j’ai donné (…). Par exemple dans le mutuum, prêt entre

763 Ibid. 764 J.-M. TRIGEAUD, art. préc., p. 15. Pour Michel VILLEY, « les inspirateurs de notre théorie du contrat

sortent d’un cercle de philosophes attachés à la science moderne, férus de la vision du monde nominaliste, atomistique de l’école des physiciens de Padoue (…) basée sur l’hypothèse (que leur impose le nominalisme et la méthode galiléenne “résolutive compositive”) de l’état de nature anarchique. D’abord l’homme seul, Robinson, un individu séparé, dépourvu de tout lien juridique, absolument libre. Il faudra que les institutions sociales naissent de la volonté de cet homme, plus exactement de la rencontre des volontés individuelles, du consentement. Tout droit ne peut que produire du consentement » (M. VILLEY, « Le contrat, préface historique à l’étude de la notion de contrat », Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 238).

765 M. VILLEY, « Le contrat, préface historique à l’étude de la notion de contrat », Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 241. V. également C. DESPOTOPOULOS, « La notion de Synallagma chez Aristote », APD 1968, p. 115 et s., spéc. p. 119.

766 Comme le relève M. DESPOTOPOULOS, ARISTOTE « a opéré l’unification conceptuelle de tous ces actes interhumains [volontaires et involontaires] en faisant de ce changement de la situation de deux personnes opposées, l’élément logique sur lequel repose la notion large de synallagma » (C. DESPOTOPOULOS, « La notion de synallagma chez Aristote », APD 1968, p. 119).

767 M. VILLEY, “Le contrat, préface historique à l’étude de la notion de contrat », Seize essais de philosophie du droit, op. cit., p. 241

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192

voisins ou amis, il faudra restituer le prêt en excluant le versement de tout intérêt. La

convention n’y est pour rien ; elle ne peut même rien y changer. Mais c’est simplement la

justice objective, dite “commutative”, qui le veut ainsi en raison de la nature du contrat »768.

Le mutuum n’a donc pas besoin des volontés individuelles pour produire ses effets.

L’attention des juristes romains se focalise sur le but que permet d’atteindre le contrat. Celui-

ci est déterminé objectivement, par le déplacement de la chose.

La conception objective du contrat, qui n’est pas l’apanage des Anciens, a notamment été

réactivée par Pierre DAUCHY769. Elle diffère profondément de la conception libérale qui, à

travers la sacralisation de l’individu et du contrat, pense celui-ci comme une « fin ». Dans la

conception libérale, le contrat est tout entier confondu avec l’individu, à tel point que

l’encadrement du premier est perçu comme une menace pour l’existence libre et autonome du

second. À l’inverse, dans la conception réaliste, le contrat apparaît comme un « moyen » et

non une « fin ».

La relativité conceptuelle du contrat en révèle la compatibilité avec la tendance à

l’objectivation.

B – OBJECTIVATION ET CONSENTEMENT

215. L’existence du consentement. L’objectivation du contrat n’est pas dépourvue de

conséquences sur la procédure de l’échange des consentements. Le législateur peut tout

d’abord imposer la conclusion du contrat ou encore le choix du cocontractant. Il peut ensuite

créer des obligations contractuelles, le juge ayant d’ailleurs en ce domaine pris le relais du

législateur.

Dans un cas comme dans l’autre, bien qu’il ne soit pas entièrement le fruit des volontés

individuelles, le rapport reste contractuel dès lors qu’il repose sur un échange de

consentements770.

768 M. VILLEY, « Le contrat, préface historique à l’étude de la notion de contrat », in Seize essais de

philosophie du droit, Dalloz 1969, p. 243-244. 769 V. P. DAUCHY, Essai d’application de la méthode structurale à l’étude du contrat, thèse, Paris, 1979.

Pour une synthèse, v. du même auteur, « Une conception objective du lien d’obligation : les apports du structuralisme à la théorie du contrat », APD, p. 269 et s.

770 Sur la distinction entre volonté et consentement, v. M.-A. FRISON-ROCHE, « Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement », RTD civ. 1995, p. 573 et s, spéc. p. 577 : « on conçoit une articulation entre une puissance conservée, souveraine et a priori de la volonté, qu’on ne devrait soumettre à aucune autorisation, et qui n’a nul besoin du droit positif pour exister, et un consentement né de la volonté mais détaché d’elle et qui circule. Il peut ainsi y avoir objectivisme contractuel, par la considération du consentement, sans nécessairement dirigisme contractuel, lequel voudrait porter sur la volonté ».

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193

En ce sens, on peut se reporter à l’analyse de DURAND, selon laquelle les personnes

soumises à une obligation légale de contracter771 ont préalablement choisi d’appartenir à la

catégorie visée par cette obligation. Elles ont donc accepté d’être contraintes de contracter772.

On peut en outre relever avec l’auteur que l’individu a toujours le choix d’obéir à la

prescription légale ou de préférer la sanction prévue en cas de manquement à cette obligation

(dommages et intérêts, pénalités administratives ou sanctions pénales). Dès lors, « s’il accepte

de contracter, son consentement est juridiquement libre. L’ordre légal n’exerce pas sur la

volonté une pression plus grande que les contraintes exercées par les exigences de la vie

quotidienne »773. Ce dernier argument doit cependant être nuancé. L’existence de sanctions

importantes (notamment pénales) peut avoir pour effet de supprimer toute volonté. Il reste que

l’idée selon laquelle la contrainte ne fait pas nécessairement disparaître le consentement

trouve un renfort dans la jurisprudence considérant que seule l’exploitation abusive de la

dépendance économique est susceptible de caractériser le vice de violence774. En dehors de

l’abus, le consentement de la personne économiquement dépendante est valable. Ainsi la

contrainte, qu’elle soit économique ou légale, ne constitue pas, en soi, un obstacle au

consentement.

La thèse de DURAND est proche de celle défendue par les auteurs qui voient dans le

contrat d’adhésion un véritable contrat775. Selon BERLIOZ, il s’agit du «!contrat dont le

771 Sur cette obligation, v. not. R. MOREL, « Le contrat imposé », Le droit privé français au milieu du XXe

siècle, Etudes offertes à Georges Ripert, t. 2, LGDJ, 1960, p. 116 et s. Un contrat est imposé « toutes les fois qu’une personne est obligée par la loi de faire la déclaration de volonté nécessaire à la formation d’un contrat, sous peine d’une sanction » (p. 117). La catégorie des contrats imposés se divise en sous-catégories parmi lesquelles on trouve le « contrat forcé » (p. 118) et le « rapport contractuel d’origine légale » (p. 119). Le contrat forcé « est imposé à une personne en dehors de toute offre de sa part au profit d’une personne déterminée » (p. 121). Il s’agit par exemple de l’acquisition forcée de mitoyenneté prévue par l’article 661 du Code civil ou de l’obligation pour le bailleur de renouveler le bail consenti au fermier (Art. 16 de l’ordonnance du 17 octobre 1945). Le rapport contractuel d’origine légale est quant à lui « un procédé technique, du domaine de la fiction. C’est un statut légal à forme contractuelle » (p. 122). Entrent dans cette catégorie la vente sur saisie, les adhésions forcées à un groupement ou encore le contrat de salaire différé (Décret-loi du 29 juillet 1939).

772 V. dans le même sens M.-A. FRISON-ROCHE, « Volonté et obligation », APD 2000, p. 140 : « si une personne volontairement constitue ou pénètre une situation qui lui confère, de par sa position, un pouvoir, les obligations, les sanctions, etc., attachées à cette position viendront la contraindre. Mais nul n’est contraint d’accepter un pouvoir ».

773 P. DURAND, « La contrainte légale dans la formation du rapport contractuel », RTD civ. 1944, p. 84. 774 Civ. 1ère, 3 avr. 2002, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 2002. 1860, notes J.-P. GRIDEL et J.-P. CHAZAL ; D.

2844, obs. D. MAZEAUD ; Defrénois 2002. 1246, obs. E. SAVAUX ; Cont. Conc. Cons. 2002, comm. n° 121, obs. L. LEVENEUR ; JCP 2002. I. 184, n° 6 et s., obs. VIRASSAMY ; RTD civ. 2002. 502, obs. J. MESTRE et B. FAGES.

775 Sur cette notion, v. not. R. SALEILLES, De la déclaration de volonté, Contribution à l’étude de l’acte juridique dans le Code civil allemand, Pichon, 1901 (obs. sous l’art. 133, p. 194 et s., spéc. p. 229-230 : « il y a contrats et contrats!; et nous sommes loin dans la réalité de cette unité de type contractuel que suppose le droit.!Il faudra bien, tôt ou tard, que le droit s'incline devant les nuances et les divergences que les rapports sociaux ont fait surgir. Il y a de prétendus contrats qui n'ont du contrat que le nom, et dont la construction juridique reste à faire!; pour lesquels, en tout cas, les règles d'interprétation individuelle qui viennent d'être décrites devraient

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194

contenu contractuel a été fixé, totalement ou partiellement, de façon abstraite et générale

avant la période contractuelle!»776. Plus précisément, « ce qui importe est, d'une part, la

volonté du stipulant d'une application générale, sans modification majeure des conditions

essentielles, d'autre part, la soumission de l'adhérent à une partie dont elle attend une

prestation sans vouloir, ou pouvoir offrir, une participation à la rédaction et à l'exécution du

contrat!»777.

La doctrine favorable à la nature contractuelle du contrat d’adhésion considère

généralement que même si les parties ne déterminent pas ensemble le contenu du contrat, sa

conclusion traduit leur volonté d’adhérer à une situation prédéfinie778. En d’autres termes, le

contrat d’adhésion reste un contrat à partir du moment où sa création est subordonnée à

l’échange de consentements. Le Doyen CARBONNIER estimait en ce sens qu’il « n’entre pas

dans la définition nécessaire du contrat, ni qu’il ait été consenti en détail, ni qu’il l’ait été

après un débat »779.

subir, sans doute, d'importantes modifications!; ne serait-ce que pour ce que l'on pourrait appeler, faute de mieux, les contrats d'adhésion, dans lesquels il y a prédominance exclusive d'une volonté, agissant comme volonté unilatérale, qui dicte sa loi, non plus à un individu, mais à une collectivité indéterminée, et qui s'engage déjà, par avance, unilatéralement, sauf adhésion de ceux qui voudront accepter la loi du contrat, et s'emparer de cet engagement déjà créé sur soi-même » ; « ces prétendus contrats d’adhésion qui ne sont au fond que des actes unilatéraux de volonté ») ; J. DOLLAT, Les contrats d’adhésion, thèse, Paris, éd. Larose et Tenin, 1905 (l’auteur critique la nature contractuelle de ces actes); V. PICHON, Des contrats d’adhésion, Leur interprétation et leur nature, Thèse, Lyon, 1909 (favorable à leur nature contractuelle, v. spéc. p. 196 et s.); M.!HAURIOU, note sous CE, 23!mars 1906, S. 1908, 3, p.!17 (qui les qualifie d’acte de nature règlementaire); G. FORTIER, Des pouvoirs du juge en matière de contrats d'adhésion, thèse, Dijon, 1909 (favorable à leur nature contractuelle);!G. DEREUX, « De la nature juridique des contrats d’adhésion », RTD civ. 1910, p. 503 et s. (favorable leur nature contractuelle, v. spéc. p. 526 et s.) ; L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Félix Alcan, 2e

!éd., 1920, rééd. La Mémoire du droit, spéc. p.!122-123 (qui retient la qualification de déclaration unilatérale de volonté d’adhésion à une situation juridique organisée par la loi) ; M. DOMERGUE, Étude d'ensemble sur le contrat d'adhésion , thèse, Bordeaux, 1935, (favorable la nature contractuelle, v. spéc. p.!93!et!s.) ; G.!RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., no

!57, p.!100 (favorable à leur qualification contractuelle : «!Pour la formation du contrat, la loi exige deux consentements!; elle ne mesure pas au dynamomètre la force des volontés!») ; A. RIEG, «!Contrat type et contrat d'adhésion!», in Travaux et recherches de l'Institut de droit comparé de Paris, 1970, p.!105 et!s.! (favorable à leur nature contractuelle v. spéc. p.!110-111) ; G.!BERLIOZ, Le contrat d'adhésion, thèse, préf. B. GOLDMAN, LGDJ, 1973 (favorable à la nature contractuelle, v. spéc. p.!10 et s. et note 2, p.!27) ; P.-A. CREPEAU, « Contrat d’adhésion et contrat-type », Mélanges Louis Baudouin, p. 67 et s. ; pour une synthèse, F. CHÉNÉDÉ, « Raymond Saleilles, Le contrat d’adhésion (2e partie) », RDC 2012/3, p. 1017.

776 G.!BERLIOZ, thèse préc., n° 41, p. 27. D’ailleurs, l'article!1102-5 de l'avant-projet Catala, repris à l'article!10 du projet de la Chancellerie, adopte une définition relativement proche en le présentant comme «!celui dont les conditions, soustraites à la discussion, sont acceptées par l'une des parties telles que l'autre les avaient unilatéralement déterminées à l'avance ».

777 G.!BERLIOZ, thèse préc.,, n° 45, p. 29-30. 778 Dans le même sens, v. notamment Ph. LE TOURNEAU, « Quelques aspects de l’évolution des contrats »,

Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, p. 364, n° 32 ; G. DEREUX, art. préc., p. 541, dans lequel l’auteur invite à distinguer les clauses essentielles, c’est-à-dire celles sur lesquelles l’attention de l’acceptant a été portée, des clauses accessoires, dont l’interprétation doit être guidée par les impératifs d’équité, de bonne foi, et la recherche de l’intention réelle des parties.

779 J. CARBONNIER, Droit civil, les obligations, t. 4 , Thémis, 15e éd., 1991, n° 27, p. 67. Contra, notamment G. MORIN, Révolte du droit contre le Code : La révision nécessaire des concets juridiques, Paris,

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195

Il est donc légitime de parler de contrat en présence d’un acte dont les conditions

d’existence ou le contenu sont en partie déterminés par un tiers.

215-1. L’adhésion au contrat de crédit. Il est usuel de constater que la qualification de

contrat d’adhésion est applicable au contrat de crédit. Ce constat est particulièrement juste

s’agissant des crédits aux particuliers. Le phénomène s’explique par le nombre important des

crédits qui leur sont octroyés et par le traitement informatique des demandes, lequel est

« motivé par la nécessité d’abaisser les coûts des opérations bancaires », ce qui a conduit « les

établissements de crédit à normaliser leurs actes en établissant des contrats types ou des

modèles standards »780. En revanche, le constat n’est qu’en partie vérifié s’agissant des crédits

aux entreprises, dont le contenu n’est pas toujours préétabli. Les entreprises ont en effet

« besoin de mécanismes et de montages originaux pour réaliser leur opérations »781. Dès lors,

la liberté contractuelle est ici plus importante. Le crédit aux entreprises ne revêt pas

nécessairement la forme d’un contrat d’adhésion, même s’il est également fortement influencé

par la tendance à l’objectivation du contrat.

§ - II. L’UTILITÉ DE L’OBJECTIVATION

216. Standardisation et massification. Il est devenu incontestable que le contrat se

standardise et se massifie. Ce phénomène peut inquiéter. Selon M. TERRÉ, il traduit « un

mouvement dans le sens de l’élimination de la personne » qui s’explique par le

développement effréné de la société de marché782. Le marché « n’est plus seulement, comme

par le passé, ce lieu privilégié de contrôle social, d’information, de communication,

d’émancipation »783. Bien plus, « il ne favorise plus seulement les contrats, il les crée, de plus

en plus nombreux, entre contractants qui ne contractent plus à visage découvert, à tel point

que les consentements sont échangés mais qu’il est de plus en plus difficile de faire état d’une

Sirey, 1945, p. 22 : « ce qui fait l’essence du contrat, c’est l’accord libre des parties pour déterminer elles-mêmes leurs situations respectives, de telle sorte que chacune ne soit liée que comme elle l’a voulu ». V. également p. 23 : « l’adhésion ainsi entendue, puisqu’elle s’oppose à la libre discussion des clauses de l’acte, est, par là-même, contraire à ce qui est l’essence du contrat ». Le même auteur propose de remplacer l’expression de contrat d’adhésion par celle de « soumission volontaire à un statut ou un règlement préétabli » (op. cit., p. 24).

780 Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 17. 781 Ibid. 782 F. TERRÉ, « Le contrat à la fin du XXe siècle », Revue des Sciences morales et politiques, 1995/3, p.

308. 783 Ibid., p. 315.

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196

rencontre des volontés »784. Le contrat serait ainsi devenu un rapport automatisé et

entièrement dicté par la loi du marché.

Le constat dressé par M. TERRÉ nous semble juste sur plusieurs points. On observe

effectivement une automatisation des rapports contractuels. L’utilisation de la technique du

scoring dans le contrat de crédit en est un exemple frappant. Le fonctionnement globalisé de

la société a en outre fait de l’anonymat un mode normal d’interaction.

Pour autant, les conséquences que l’éminent juriste attache à la standardisation du contrat

ne sont pas inéluctables. En d’autres termes, l’automatisation et l’anonymat des rapports

contractuels ne conduisent pas nécessairement à leur deshumanisation et à l’indifférence des

parties. On peut voir en ce sens dans les interventions du législateur et du juge une volonté de

moraliser les comportements et de concilier la standardisation et la massification avec la prise

en compte de la personne d’autrui et de ses intérêts.

Plus précisément, l’objectivation du contrat paraît doublement utile. Elle a vocation à

protéger tant l’égalité (A) que la liberté contractuelle (B).

A – L’OBJECTIVATION AU SERVICE DE L’ÉGALITÉ CONTRACTUELLE

217. Evolution des rapports entre loi et contrat. L’objectivation du contrat a pour point

de départ le constat d’un décalage entre la réalité contractuelle et la définition du contrat

comme rencontre de volontés libres et égales785. Comme le met en lumière M. MAZEAUD,

« les postulats de liberté et d’égalité contractuelles sur lesquelles la théorie générale du contrat

a été édifiée » ont été remplacés par « les idées de liberté unilatérale et d’inégalité

contractuelle qui reflètent bien plus fidèlement la réalité des mœurs contractuelles »786. Cette

évolution de la réalité contractuelle rend compte de l’évolution des rapports de la loi et du

contrat.

En 1804, l’encadrement du contrat par la loi et le juge était restreint. La validité du

contrat était subordonnée au seul respect de l’ordre public et des bonnes mœurs. La raison de

cet encadrement a minima résidait dans la conviction que les parties étaient les meilleurs

juges de leurs intérêts.

784 Ibid., p. 315. 785 Ce constat n’est pas récent. V. sur ce point l’article éloquent de JOSSERAND, « Aperçu général des

tendances actuelles de la théorie des contrats », RTD civ. 1940, p. 3 et s., spéc. p. 4 : « de nos jours, nous traitons avec des groupements puissants, des entreprises géantes (…). Entre de tels contractants, les uns colossaux, les autres infimes, l’autonomie de la volonté cessait d’avoir un sens ; la liberté contractuelle devenait en réalité unilatérale, ne fonctionnant qu’au profit du plus fort, réalisant à coup sûr l’écrasement du plus faible ».

786 D. MAZEAUD, « Les nouveaux instruments de l’équilibre contractuel, Ne risque-t-on pas d’aller trop loin ? », La nouvelle crise du contrat, op. cit., p. 136.

Page 199: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

197

A partir du moment où l’équilibre économique et social entre les parties a été rompu,

l’intervention du législateur et du juge s’est étendue à un contrôle intrinsèque du contrat787. Il

ne s’est plus seulement agi de protéger la société contre la conclusion de contrats illicites mais

également de protéger la partie faible. L’objectivation du contrat a pour finalité de le

rééquilibrer et de s’assurer qu’il présente un intérêt pour l’ensemble des parties788. En ce sens,

elle permet de pallier les carences de la volonté des parties. Comme l’écrit M. ANCEL, la

force obligatoire du contrat, expression du pouvoir créateur des volontés individuelles, « ne

trouve pas son origine dans la “nature” des choses » mais dans la loi. De ce fait, elle « ne doit

pas être considérée comme un dogme, une fin en soi », mais comme « un moyen, un

instrument en vue d’atteindre un certain équilibre social »789. Or, dès lors que le jeu de la force

obligatoire du contrat – c’est-à-dire de la volonté des parties – ne permet pas d’atteindre cet

équilibre, des entorses à ce principe sont justifiées. Il en va notamment ainsi lorsqu’il s’agit

d’aider « un débiteur en difficulté, et assurer (ou restaurer) un certain équilibre

contractuel »790.

787 V. sur ce point les célèbres développements de G. FARJAT, Droit économique, PUF, coll. Thémis, 2e éd.,

1982, spéc. p. 62 et s. L’auteur souligne qu’avec la loi du 27 juillet 1867 autorisant le libre développement (c’est-à-dire sans autorisation de l’Etat) des sociétés anonymes, ces dernières vont « devenir peu à peu une pièce essentielle de la vie économique » (p. 62). Cette loi va en effet marquer la date de naissance de grandes entités économiques. « Dans tous les cas, ajoute t-il, on constate une diminution des libres contrats soit entre les entreprises désormais inégales, soit entre les entreprises et les consommateurs. A la place de l’ancien marché atomistique apparait une économie organisée des personnes privées disposant d’un certain pouvoir économique – ou d’un « pouvoir de marché » – qui donne sur le plan juridique des contrats d’adhésion » (p. 63). Il est intéressant de noter que la tendance à restreindre l’autonomie de la volonté imprègne également le droit des contrats allemand et anglais. Sur ce point, v. H.-G. LESER, « L’évolution du contrat en droit allemand avec un bref aperçu du droit anglais », L’évolution contemporaine du droit des contrats. Journées René Savatier (24-25 oct. 1985), PUF, 1986, p. 73 et s., spéc. p. 84 et 94 : « L’autonomie de la volonté n’a donc jamais été illimitée. En fait de champ libre, elle a plutôt bénéficié, pourrait-on dire, d’un champ délimité à la façon d’un site protégé. Tant que le champ reste libre, le contenu du contrat n’est plus contrôlé et les contractants disposent d’une large liberté pour la formation du contrat. Mais cette liberté présuppose, de l’avis général, des pouvoirs assez équilibrés, entre les parties contractantes, pour conduire à des contrats eux-mêmes équilibrés ».

788 V. sur ce point D. MAZEAUD, « Les nouveaux instruments de l’équilibre contractuel, Ne risque-t-on pas d’aller trop loin ? », La nouvelle crise du contrat, op. cit., p. 136 et la synthèse de ces outils p. 139. L’auteur soutient que le contrôle de l’équilibre contractuel prend la forme d’un contrôle des inégalités (à travers la rénovation du vice de violence, le contrôle de l’abus, le contrôle de proportionnalité et la législation sur les clauses abusives) et de l’intérêt des parties (à travers notamment la subjectivisation de la cause qui a marqué l’émergence de la notion d’économie du contrat). V. égal. A. BRUNET et J.-Cl. OHLMANN, « Le droit de la concurrence, instrument de restauration de la libre volonté contractuelle », Le rôle de la volonté dans les actes juridiques : Etudes à la mémoire du Professeur Alfred Rieg, Bruyland, 2000, n° 7, p. 134 : « Le rôle du droit est dans ces conditions de faire en sorte que le contrat préserve les intérêts des deux parties. En ce sens, la loi qui fixe des limites impératives n’asservit pas la volonté. Condamnant l’usage abusif que peut faire le plus fort de sa liberté, elle est un puissant facteur de rééquilibrage du contrat et rend par là plus réelle la volonté du plus faible ».

789 P. ANCEL, « La force obligatoire, jusqu’où faut-il la défendre ? », in La nouvelle crise du contrat, op. cit., p. 164. Dans le même sens, v. J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, Traité de droit civil, La formation du contrat, LGDJ, 3e éd., 2013, n° 257 et 258.

790 P. ANCEL, « La force obligatoire, jusqu’où faut-il la défendre ? », art. préc., p. 171. Une partie de la doctrine considère en sens inverse que la promotion de la coopération des parties et la recherche d’un équilibre contractuel va à l’encontre de l’essence du contrat. Ainsi, Mme FRISON-ROCHE se demande en ce sens si on

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198

Des auteurs vont même plus loin et voient dans l’objectivation du contrat un moyen de

réaliser le « bien commun » des parties791.

217-1. Objectivation et égalité contractuelle dans le contrat de crédit. S’agissant du

crédit, l’objectivation du contrat se manifeste tant au stade de sa formation qu’à celui de son

exécution.

Au stade de la formation, l’objectivation se traduit d’abord par le devoir d’éclairer le

consommateur792 et le devoir jurisprudentiel de mise en garde793. Ceux-ci visent à assurer

l’égalité des connaissances entre les parties et à les responsabiliser. En outre, l’obligation du

banquier d’expliquer les résultats de la notation à l’entreprise qui en fait la demande a pour

objet de compenser l’inégalité des pouvoirs794. Elle dissipe le mystère qui a trop longtemps

nimbé le processus décisionnel du banquier.

Au stade de l’exécution du contrat, l’objectivation se manifeste notamment par le devoir

légal de motiver la réduction ou la rupture du crédit consenti à une entreprise et par le

contrôle jurisprudentiel de l’abus au stade de la rupture795. Il s’agit dans les deux cas d’assurer

l’équilibre contractuel en interdisant au banquier, partie forte au contrat, de prendre des

décisions susceptibles de nuire, voire de ruiner son cocontractant.

L’objectivation du contrat est également utile en ce qu’elle permet de donner tout son

sens à la liberté contractuelle.

B – L’OBJECTIVATION AU SERVICE DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE

218. Liberté contractuelle et raison. Il est permis de considérer que, lorsqu’elle n’est

pas éclairée, la liberté est une « liberté d’indifférence », « une liberté négative dont tout

entendement est absent. C’est le plus bas degré de la liberté. Cette liberté existe en dehors de

peut « encore parler de contrat lorsque les volontés ne se croisent pas comme deux lames mais s’écoulent ainsi angéliquement vers le même horizon d’un intérêt commun ? » (M.-A. FRISON-ROCHE, « Volonté et obligation », APD 2000, p. 137, n° 38-39). Pour elle, la promotion d’un intérêt commun « rétrograde alors la notion de contrat à celle, archaïque, d’accord ou de concert, lesquels supposent une concorde perpétuelle, c’est-à-dire finalement l’absence d’obligation » (art. préc., p. 137).

791 P. LOKIEC, Thèse préc., n° 117 : « Toute la force du mouvement d’objectivation est de dissocier volonté et force obligatoire du contrat, permettant par là-même d’élaborer une figure contractuelle objective qui se moule dans les mécanismes du droit des contrats tout en étant justifiée par le bien commun ». Pour une conception du contrat comme « institution (…) juste et conforme au Bien commun », v. égal. S. DARMAISIN, Le contrat moral, préf. B. TEYSSIÉ, thèse, LGDJ, , 2000, spéc. n° 336.

792 Cf. supra n° 168 et s. 793 Cf. supra n° 159 et s. 794 Cf. supra n° 179. 795 Cf. supra n° 190 et n° 193.

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toute connaissance, en dehors de toute vérité »796. A l’opposé de la « liberté d’indifférence »,

se situe la liberté kantienne, c’est-à-dire la liberté rationnelle, celle en vertu de laquelle « nous

sommes libres, parce que nous sommes des êtres raisonnables qui, au lieu de suivre

aveuglément les impulsions de la sensibilité, peuvent se laisser guider par la raison »797.

Analysant l’influence de l’analyse kantienne de la liberté sur le contrat, M. TRIGEAUD

écrit que « la volonté individuelle s’élève kantiennement à sa liberté et à sa vérité en adhérant

à une volonté collective qui exprime les intentions d’une ratio naturae congruens ; de sorte

qu’en chaque volonté des parties à la convention, délivrée de ses particularités empiriques,

c’est la volonté rationnelle de “l’ensemble”, du législateur qui fait entendre sa voix »798. Cette

conception de l’autonomie de la volonté légitime à l’évidence l’intervention du législateur ou

du juge dans le contrat. Elle permet d’éviter « le danger de la liberté individualiste laissée à

elle-même (…), le risque que fait courir à la société, c’est-à-dire à l’homme rationnel et en

soi, devenue personne, le déploiement sans contrôle de l’individualisme empirique »799.

Dans son célèbre article sur « La crise du contrat et sa portée », BATIFFOL considérait

déjà que la vraie liberté est celle consistant à agir avec raison et pouvant faire l’objet d’une

justification800. Pour l’auteur, l’encadrement légal de la décision de contracter ne porte pas

796 N. CHARDIN, Le contrat de consommation de crédit et l’autonomie de la volonté, thèse, préf. J.-L.

AUBERT, LGDJ, 1988, p. 41. Pour l’auteur, grâce aux lois volontaristes, « le consommateur va pouvoir décider librement de contracter ou de ne pas le faire. En effet, par le biais de la préparation, il échappe à la liberté d’indifférence, cette fausse liberté qui relève du manque d’attention. La conception de l’acte se faisant à partir d’une information traitée communiquée au consommateur, la prise de décision est donc d’un degré de liberté élevé » (N. CHARDIN, thèse préc., p. 234-235). Sur la liberté d’indifférence, v. également J.-M. GABAUDE, Liberté et raison, La liberté cartésienne et sa réfaction chez Spinoza et Leibniz, Toulouse, 1970, spéc. p. 152 ; Ch. TAYLOR, Hegel et la société moderne, Cerf, spéc. p. 79 et s. ; T. ROSSI LEIDI, Hegel et la liberté individuelle ou les apories de la liberté moderne, L’harmattan, spéc. p. 1 à 59.

797 N. CHARDIN, thèse préc., p. 178. L’auteur renvoie à SPAIER, La pensée concrète, p. 294. V. égal. KANT, Critique de la Raison Pure, Folio, p. 474 : « j’entends par liberté, dans le sens cosmologique, le pouvoir de commencer de soi-même un état dont la causalité n’est pas soumise à son tour, suivant la loi de la nature, à une autre cause qui la détermine quant au temps » et « la liberté dans le sens pratique est l’indépendance de l’arbitre par rapport à la contrainte des impulsions de la sensibilité » ; Métaphysique des mœurs I, Flammarion, p. 131 et s., spéc. p. 134 : « j’affirme qu’à tout être raisonnable qui a une volonté, nous devons accorder nécessairement aussi l’idée de liberté, sous laquelle seulement il agit. Car dans un tel être nous nous représentons une raison qui est pratique, c’est-à-dire qui possède une causalité à l’égard de ses objets. Or, on ne peut aucunement se représenter une raison qui, avec sa pleine conscience, recevrait à l’endroit de ses jugements une direction venue du dehors ; car, si tel était le cas, le sujet attribuerait, non point à sa raison, mais à une impulsion la détermination de sa faculté de juger ».

798 J.-M. TRIGEAUD, « Convention », APD 1990, p. 17. 799 J.-M. TRIGEAUD, art. préc., p. 18 800 « Aussi bien le refus de voir dans la liberté une faculté d’agir selon la raison, et l’affirmation qu’elle

n’existe que dans les choix dont il n’y a pas à rendre compte, mène facilement à penser que les seuls actes libres sont ceux qui relèvent de la passion, de l’instinct ou du caprice. Cette voie conduit à la fameuse formule que la liberté est perdue quand elle s’exerce : celui qui a contracté perd la liberté de ne pas contracter ; il est en effet lié. Singulière conception d’une liberté dont l’exercice a pour effet de la détruire : elle est bien fragile » (BATIFFOL, « La crise du contrat et sa portée », APD 1968, p. 22). Sur cette singulière conception, v. par ex. J. GHESTIN, « La notion de contrat au regard de la diversité de ses éléments variables. Rapport de synthèse », La relativité du contrat, Travaux de l'association Henri Capitant, Tome IV, 1999, LGDJ, 2000, p. 223 et s., spéc. p.

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atteinte à la liberté de contracter lorsqu’il est animé par la volonté de structurer

raisonnablement les rapports humains801. Pour reprendre les mots de SALEILLES, il s’agit

d’opérer un balancement dans les rapports qu’entretiennent la volonté et la justice et ne plus

dire « cela est juste, parce que cela a été voulu », mais « cela doit être voulu, parce que cela

est juste »802.

L’objectivation du contrat modifie finalement l’appréhension du phénomène contractuel.

Avec l’équilibre qu’elle impose, « ne se dirige t-on pas insensiblement, dans la pratique

contractuelle et la jurisprudence la plus récente, vers le stade ultérieur, mais radicalement

différent, de la coopération ? Le contrat ne deviendrait-il pas l’instrument juridique d’une

collaboration entre partenaires ? »803. Cette observation nous conduit à envisager le contrat

dans sa dimension relationnelle.

SECTION II. LA DIMENSION RELATIONNELLE DU CONTRAT

219. Plan. Le contrat n’est pas seulement un acte créateur d’obligations. Il est aussi le

socle d’une relation. Cette dimension relationnelle justifie l’existence de nouveaux devoirs

contractuels (§ I) et traduit le rôle social du contrat (§ II).

§ - I. LA DIMENSION RELATIONNELLE COMME SOURCE DE

DEVOIRS

220. La théorie du contrat relationnel. MACNEIL a le premier construit une théorie du

contrat relationnel804. Tandis que les « contrats discrets » ou « impersonnels » se caractérisent

par l’instantanéité de leur exécution et une indifférence quant à l’identité des parties, les

contrats relationnels établissent une « relation [qui] s'inscrit dans la durée, de sorte que les

233. Pour l’auteur, le contrat, « acte volontaire et exercice d’une liberté, est en même temps une aliénation volontaire de liberté ».

801 « La liberté est accrue par l’action raisonnable parce que celle-ci ouvre de nouvelles possibilités d’agir, donc un choix de moyens où se trouve l’exercice vrai de la liberté, mais de moyens qui doivent à leur tour être raisonnables pour être efficaces, donc pour consacrer une liberté au sens vrai du terme (...). On peut donc encore parler de liberté quand les conditions du contrat sont dictées par les lois et règlements, ou même la volonté d’un contractant plus fort – à condition certes, surtout, dans cette dernière hypothèse, que cette situation ait une raison d’être suffisante au regard de la conjoncture » (H. BATIFFOL, art. préc., p. 22).

802 R. SALEILLES, De la déclaration de volonté, art. 141, n° 60. 803 J. MESTRE, RTD civ. 1986, p. 101. 804 I. R. MACNEIL, « Relational contract: what we do and do not know », Wisconsin Law Review, 1985, p.

483 et s. (http://cisr.ru/files/publ/lib_pravo/Macneil%201985%20Relational%20contract.pdf).

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parties sont amenées à se connaître, à s'impliquer, à collaborer »805. On voit donc que les

contrats relationnels sont nécessairement incomplets au moment de leur conclusion. De ce

fait, les parties sont tenues d’adapter ou de modifier le contenu du contrat tout au long de son

existence afin d’assurer son maintien et sa bonne exécution. Leur comportement doit être

guidé par l’idée de confiance légitime.

S’inspirant des travaux de MACNEIL, Mme BOISMAIN propose de limiter la théorie du

contrat relationnel aux contrats pour lesquels il est « difficile pour au moins une partie de

trouver un partenaire équivalent »806.

Quelle que soit la définition retenue, on peut relever qu’avec le contrat relationnel, « c'est

moins une nouvelle catégorie qui est proposée qu'un éclairage de la notion de contrat. Le

contrat ne pourrait plus seulement être défini comme un accord de volontés faisant naître des

obligations. L'existence d'une relation ferait partie de ses éléments essentiels. Sans relation, il

n'y aurait pas de contrat »807.

221. La dimension relationnelle du contrat en dehors de la théorie du contrat

relationnel. La dimension relationnelle du contrat a également été mise en lumière par M.

OST dans ses travaux sur les rapports du contrat avec le temps.

Pendant longtemps, le contrat a été perçu comme l’expression d’un pouvoir de figer le

futur. L’auteur parle à cet égard d’un « temps chosifié », traduisant une foi en « la

permanence du même »808. Cette fixation de l’engagement des parties était à l’origine perçue

comme la meilleure façon d’assurer la bonne marche de l’économie : « la simple prévision

des avantages que l’avenir apportera, la perspective des fruits que la chose ou l’entreprise

engendrera, représentent une valeur – un “intérêt” immédiatement mobilisable »809. Or,

l’accélération des échanges et leur évolution dans un univers économique grandissant et

chaotique ont remis en cause la capacité des volontés individuelles à apprivoiser l’avenir. Le

temps du contrat n’est plus ce « temps fictif et abstrait du parfait qui présente l’acte ou

l’action dans un état (…) achevé » dès l’instant de sa formation. Il « est plutôt le temps de

l’imparfait – temps duratif et itératif qui présente l’action toujours en train de se dérouler et

805 Y.-M. LAITHIER, « A propos de la réception du contrat relationnel en droit français », D. 2006, p. 1003,

I. A. 806 C. BOISMAIN, Les contrats relationnels, thèse, préf. M. FABRE-MAGNAN, PUAM, 2005, p. 166. 807 Y.-M. LAITHIER, art. préc., I. B. 808 F. OST, « Temps et contrat. Critique du Pacte faustien », La relativité du contrat, Travaux de

l’Association Henri Capitant, t. IV, Nantes, 1999, p. 140. 809 F. OST, « Temps et contrat. Critique du Pacte faustien », art. préc., p. 146.

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dont ni le début ni la fin ne sont identifiables avec précision »810. Dans ce passage, François

OST fait référence à l’incomplétude consubstantielle du contrat, laquelle a précisément fondé

le développement de l’aspect relationnel du contrat : le contrat n’est plus seulement un

instrument d’organisation du futur, il devient « un “lien” vivant entre les parties qu’unit une

“relation contractuelle” »811.

222. Réception en droit positif. Si la théorie du contrat relationnel n’a pas été en tant

que telle consacrée par le droit français, on peut néanmoins considérer que le développement

d’une jurisprudence instaurant une civilisation des comportements est l’expression d’une

volonté de promouvoir la dimension relationnelle du contrat812. La jurisprudence ici évoquée

est celle qui se rapporte à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi et à ses déclinaisons,

à savoir le devoir de loyauté813, de coopération des parties ou encore de cohérence.

Les arrêts rendus par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation le 1er décembre 1995

illustrent de façon significative cette volonté d’instaurer une police des comportements

contractuels814. Comme on le sait, il en résulte que l’indétermination du prix dans un contrat-

cadre n’affecte pas sa validité. Le prix peut être fixé ultérieurement et unilatéralement par une

partie, sous réserve du contrôle de l’abus. Comme l’a relevé M. AYNÈS, « c’est “l’abus dans

la fixation du prix” et non le prix excessif qui est condamné »815. Or, la lutte contre l’abus

intéresse le devoir de loyauté des contractants816.

810 Ibid. p.152. 811 Ibid., p. 150. 812 Dans le même sens, v. J. ROCHFELD, « La rupture efficace », Droit et économie des contrats, dir. Ch.

JAMIN, LGDJ, Lextenso édition, coll. Droit et économie, 2008, p. 171 et s. 813 Pour un exemple récent, cf. Com. 8 oct. 2013, n° 12-22952, Bull. civ. IV, n° 148 ; D. 2013. 2617, note D.

MAZEAUD. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir sanctionné un concédant pour rupture abusive au motif qu’il avait « sciemment entravé la reconversion du concessionnaire » et que, « nonobstant le respect du délai de préavis contractuel, il ne s’était pas correctement acquitté de son obligation de bonne foi dans l’exercice de son droit de résiliation ». V. aussi Com. 24 nov. 1998, Defrénois 1999. 371, obs. D. MAZEAUD, RTD civ. 1999. 98, obs. J. MESTRE, où la Cour de cassation a censuré les juges du fond pour avoir rejeté la demande de résiliation d’un mandat formulée par un agent commercial en raison du manquement de ses mandants à leur obligation de loyauté. Ces derniers avaient fourni des centrales d’achat concurrentes, empêchant ainsi l’agent d’exécuter son mandat.

814 Ass. plén., 1er décembre 1995, Bull. Ass. plén., n° 7, 8 9, D. 1996. 13, concl. JÉOL et 20, note L. AYNÈS, JCP G 1996. II. 22565, concl. JÉOL et note J. GHESTIN ; RTD civ. 1996. 153, obs. J. MESTRE, Defrénois 1996. 747, obs. Ph. DELEBECQUE ; L. VOGEL, D. 1995. chron. 162 ; LPA 27 déc. 1995, p. 19, n° 34, note D. BUREAU et N. MOLFESSIS ; V. aussi Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, 12e éd., n° 152-155.

815 L. AYNÈS, D. 1996. 20. 816 V. en ce sens, L. AYNÈS, D. 1996. 20 ; L. VOGEL, D. 1995. chron. 162 ; D. BUREAU et N.

MOLFESSIS, LPA, 27 déc. 1995, p. 19, n° 34. Comp. Com., 10 juill. 2007, D. 2007. 2839, note Ph. STOFFEL-MUNCK, 2844, note P.-Y. GAUTIER et 2966, obs. B. FAUVARQUE-COSSON; JCP 2007. II. 10154, note D. HOUTCIEFF ; CCC 2007, comm. n° 294, obs. L. LEVENEUR ; Defrénois 2007. 1454, obs. E. SAVAUX ; RDC 2007. 1107, obs. L. AYNÈS et 1110, obs. D. MAZEAUD ; RTD civ. 2007. 773, obs. B. FAGES ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, n° 164. Dans cet arrêt, la haute juridiction a affirmé que « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage

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203

On relèvera également les arrêts aussi rares que remarqués qui reconnaissent

explicitement au juge le pouvoir de sanctionner les parties, sur le fondement de l’obligation

d’exécuter le contrat de bonne foi, lorsqu’elles refusent de renégocier un contrat dont

l’exécution est devenue problématique pour leur cocontractant817. C’est alors le manquement

au devoir de coopérer qui est sanctionné.

La dimension relationnelle du contrat s’exprime aussi à travers la reconnaissance d’un

devoir de cohérence818. On peut en trouver une application implicite dans un arrêt du 28

janvier 2009. En l’espèce, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a censuré les

juges du fond, sur le fondement de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, pour n’avoir pas

sanctionné une société d’assurance qui, après s’être « prévalue de la nature décennale des

désordres pour exiger de son assurée le versement de primes majorées », avait, dans un

second temps, « contesté devant les juges du fond la garantie correspondante pour lui voir

substituer la garantie “défaut de performance” moins onéreuse pour elle »819.

déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ». Cet arrêt ne remet pas en cause l’instauration d’une police des comportements. Bien au contraire, il fait clairement ressortir l’interdiction des comportements déloyaux.

817 V. Com., 3 nov. 1992, Bull. civ. IV, n° 338 ; « Huard », JCP G 1993. II. 22164, note G. VIRASSAMY ; RTD civ. 1993. 124, obs. J. MESTRE ; Cont. Conc. Cons. 1993, comm. n° 45, obs. L. LEVENEUR, où la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré que le fournisseur manquait à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi en refusant de le renégocier avec son distributeur, à la suite d’une évolution des circonstances économiques empêchant ce dernier de pratiquer des prix concurrentiels. V. également Civ.1re, 16 mars 2004, Bull. civ. I, n° 86 ; D. 2004. 1754, note D. MAZEAUD, et 2239, chron. J. GHESTIN ; RDC 2004. 642, obs. D. MAZEAUD ; RTD civ. 2004. 290, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; JCP 2004. I. 173, n° 22-29, obs. J. GHESTIN ; RLDC 2004, p. 5, chron. D. HOUTCIEFF, où la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir déclaré abusive la rupture unilatérale d’un contrat fondée sur « le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié [du cocontractant] de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». On peut considérer que cet arrêt reconnaît à une partie le droit rompre unilatéralement le contrat lorsque son cocontractant refuse de le renégocier alors que son équilibre est rompu à la suite d’une modification imprévue des circonstances économiques. V. en ce sens D. MAZEAUD note préc. Mais v. en sens contraire J. GHESTIN, note préc.

818 Sur ce point, v. not. J.-L. SOURIOUX, « La croyance légitime », JCP G 1982. I. 3058 ; B. FAGES, Le comportement du contractant, thèse, Presses Universitaires Aix-Marseille, 1997, n° 639 et s. ; D. HOUTCIEFF, Le principe de cohérence en matière contractuelle, thèse Aix-Marseille, préf. H. MUIR WATT, PUAM, 2000, 2 vol. ; M. BEHAR-TOUCHAIS, « Les autres moyens d’appréhender les contradictions illégitimes en droit des contrats », L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, dir. M. BEHAR-TOUCHAIS, Economica 2001, p. 83 et s.

819 Civ. 3e, 28 janv. 2009, Bull. civ. III, n° 22 ; JCP 2009. I. 138, n° 22, obs. P. GROSSER ; D. 2009. 2008, note D. HOUTCIEFF ; RDI 2009. 254, obs. Ph. MALINVAUD ; RTD civ. 2009. 317, obs. B. FAGES ; RDC 2009. 999, obs. D. MAZEAUD, et 1019, obs. G. VINEY ; D. 2010. 232, obs. B. FAUVARQUE-COSSON. V. déjà Com., 26 nov. 2003 (RDC 2004, p. 257, obs. D. MAZEAUD, RTD civ. 2004, p. 80, obs. J. MESTRE et B. FAGES. Dans cet arrêt, la Chambre commerciale a retenu la responsabilité d’un négociateur pour rupture abusive des pourparlers dont la durée, l’avancement et les coûts avaient fait naitre une confiance légitime dans l’esprit de son partenaire. V. également Com., 8 mars 2005, Bull. civ. IV, n° 44 ; D. 2005, pan., p. 2843, obs. B. FAUVARQUE-COSSON, RDC 2005, p. 1015, obs. D. MAZEAUD, RLDC juill.-août 2005, p. 5, note D. HOUTCIEFF, RTD civ. 2005, p. 391, obs. J. MESTRE et B. FAGES, où la Cour de cassation a sanctionné une banque, sur le fondement de l’article 1134 al. 3, pour avoir exigé l’application d’une convention d’unité de compte après avoir volontairement « adopté un comportement incompatible » avec elle. V. enfin Civ. 1ère, 16 fév. 1999, Bull. civ. I, n° 52 ; D. 2000, somm., p. 360, obs. D. MAZEAUD : la Haute juridiction a ici censuré les

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204

On peut enfin évoquer, avec Mme ROCHFELD, les arrêts sanctionnant l’inexécution du

contrat même en l’absence de préjudice pour le créancier de l’obligation820. Avec cette

solution, la Cour de cassation assure « une protection pure de la valeur de la promesse » et

prend donc en compte le lien pour lui-même indépendamment de son contenu821.

Il est permis de considérer que tous ces devoirs alimentent ce que l’on peut qualifier de

guide du bon comportement de l’homme contractuel822. Peut-on aller plus loin ? Une partie de

la doctrine milite en faveur de la consécration d’une conception solidariste du contrat823. Cette

dernière implique que le contrat doive s’exécuter non seulement de manière loyale mais

encore dans un esprit de fraternité et de solidarité824. Si quelques arrêts ont pu être analysés

comme une adhésion au mouvement solidariste, il faut reconnaître que celui-ci ne s’est pas

encore imposé à ce jour825.

Quoi qu’il en soit, la jurisprudence relative aux devoirs de bonne foi, de loyauté, de

coopération et de cohérence, répond aux vœux de MACNEIL. Elle tend à faire du contrat

l’expression d’une « mini-société »826, concept qui n’est pas sans rappeler le « microcosme »

de DEMOGUE827. L’accent est mis non plus sur le contrat comme « concept juridique » mais

sur contrat comme « fait social »828.

juges du fond pour avoir constaté la résolution d’une vente en application d’une clause résolutoire de plein droit sans avoir recherché si sa mise en œuvre tardive ne constituait pas un manquement au devoir d’exécuter le contrat de bonne foi.

820 Civ. 1ère, 13 oct. 1993, Bull. civ. I, n° 287 ; Civ. 3e, 13 novembre 1997, Bull. civ. III, n° 202 ; RTD civ. 1998, p. 124 ; Civ. 3e, 30 janvier 2002, Bull. civ. III, n° 17, RTD civ. 2002, p. 321, note P.-Y. GAUTIER et p. 816, note P. JOURDAIN ; D. 2003, p. 458, note D. MAZEAUD.

821 V. J. ROCHEFELD, « La rupture efficace », Droit et économie des contrats, op. cit., p. 187. 822 M. FAGES parle du « comportement de référence » ou encore du « bon comportement » comme « façon

d’agir idéale » (B. FAGES, thèse préc., n° 833). 823 V. not. D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? », L’Avenir du

droit. Mélanges François Terré, Dalloz, 1999, p. 603 ; Ch. JAMIN , « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 443 et s. ; La nouvelle crise du contrat, dir. D. MAZEAUD et Ch. JAMIN, Dalloz, 2003 ; Le solidarisme contractuel, mythe ou réalité ?, dir. L. GRYNBAUM et M. NICOD, Economica, 2004 ; J. CEDRAS, « Le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de cassation », Rapport annuel de la Cour de cassation 2004, p. 215 et s.

824 M. CHANIAL propose de transposer la pensée des solidaristes du XIXe siècle au contrat: « dès lors que le contrat social est justice, restaure l’équivalence des charges et des bénéfices de la solidarité sociale, les contrats particuliers pourront être justes. Pas de contrats sans acquittement du quasi-contrat. En ce sens, le contrat doit, pour être juste, renouer les fils de l’alliance. Il suppose la solidarité, exige de chacun et de tous de se considérer comme un associé solidaire avant d’être un individu séparé » (Ph. CHANIAL, « Renouer les fils de l’alliance, Bourgeois, Durkheim et l’incomplétude du contrat », La nouvelle crise du contrat, op. cit., p. 57).

825 Pour une critique, v. not. Y. LEQUETTE, « Bilan des solidarismes contractuels », Mélanges offerts à Paul Didier, Economica, 2008, p. 247.

826 Y.-M. LAITHIER, « A propos de la réception du contrat relationnel en droit français », D. 2006, p. 1003. 827 R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, t. IV, Paris, 1923, n° 9. L’auteur identifie le contrat à

une « petite société où chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis pas chacun ». « Le créancier n’est pas seulement créancier, il peut avoir un devoir de collaboration ».

828 F. OST, « Temps et contrat. Critique du Pacte faustien », La relativité du contrat, Travaux de l’Association Henri Capitant, t. IV, Nantes, 1999, LGDJ, 2000, p. 162.

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205

Cette orientation se retrouve également, du moins en partie, dans le récent avant-projet de

réforme du droit des obligations en date du 23 octobre 2013, et pour lequel le gouvernement a

demandé une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance (art. 3 du projet de loi du 27

novembre 2013).

D’une part, le principe selon lequel les contrats doivent être formés et exécutés de bonne

foi fait l’objet d’un article spécifique (art. 3 avant-projet), placé dans le premier chapitre

consacré aux dispositions préliminaires sur le contrat. « De simple force d’appoint en droit

positif, le devoir de bonne foi est donc promu au rang de “principe général” du droit des

contrats »829.

D’autre part, l’article 104 de l’avant-projet consacre la renégociation du contrat pour

imprévision. Selon ce texte, « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la

conclusion contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas

accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son

cocontractant ». Il est prévu que, en cas de refus ou d’échec de cette dernière, le juge pourra

être saisi par les deux parties afin de procéder à l’adaptation du contrat, à défaut de quoi une

partie pourra lui demander d’y mettre fin.

Dans le même sens, selon l’article 71 de l’avant-projet, la fixation unilatérale du prix est

validée dans les contrats cadre ainsi que dans les contrats à exécution successive. Cependant,

la partie à laquelle est attribué le pouvoir de fixation unilatérale est tenue de justifier le

montant du prix en cas de contestation. Cette exigence de motivation « canalise »830 le pouvoir

unilatéral et il est de nature à prévenir les abus.

223. La dimension relationnelle du contrat de crédit. Les récentes évolutions

législatives et jurisprudentielles du contrat de crédit s’inscrivent dans ce mouvement de

promotion de la dimension relationnelle du contrat. En effet, elles ont comme point commun

le souci d’instaurer un dialogue entre le banquier et le candidat à l’emprunt. Qu’il s’agisse des

devoirs d’alerter l’emprunteur sur les dangers du crédit, de l’obligation d’expliquer les

résultats de sa notation ou encore de la mise en place de la médiation du crédit, tout converge

vers la construction d’une relation entre le banquier et son futur client.

Plus précisément, les devoirs d’alerter l’emprunteur et le devoir d’expliquer le résultat de

la notation sont l’expression d’un devoir de collaboration à la charge du banquier. Quant à

l’intervention du médiateur du crédit, elle traduit implicitement l’émergence d’un devoir de

829 Cf. D. MAZEAUD, « Droit des contrats: réforme à l’horizon! », D. 2014, p. 291, n° 16. 830 Selon le terme utilisé par M. MAZEAUD, chron. préc., n° 13.

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coopération. En effet, lorsque la demande de crédit apparaît légitime, le médiateur va inciter

le banquier à revenir sur son refus. Il va donc lui demander de faire preuve d’un esprit de

coopération, afin de permettre à une entreprise de démarrer ou relancer son activité. Il importe

de relever que cette reconnaissance implicite d’un devoir de coopération est particulièrement

originale. En effet, le devoir jurisprudentiel de coopération ne se manifestait auparavant qu’au

stade de l’exécution du contrat, afin de favoriser son maintien.

§ - II. LE RÔLE SOCIAL DU CONTRAT

224. Plan. L’évocation du rôle social du contrat recouvre deux idées. Selon la première,

le contrat ne peut exister qu’au sein de rapports sociaux. Il a pour cette raison une « essence

sociale »831 (A). Selon la seconde, le contrat doit être placé au service de la réalisation d’un

intérêt social, c’est-à-dire d’un intérêt dépassant celui des parties au contrat (B).

A – L’ESSENCE SOCIALE DU CONTRAT

225. Identification de l’essence sociale du contrat. Le contrat constitue « un moyen

privilégié de l’action de l’homme, le mode le plus usuel de sa participation à la vie sociale et

de contact avec l’autre »832 : telle est la raison pour laquelle M. CHANIAL évoque « l’essence

sociale du contrat ». Cette expression traduit l’idée selon laquelle le contrat naît à l’intérieur

d’une société qui lui préexiste. Dans le prolongement des travaux de MAUSS833 et DAVY834,

M. TERRÉ écrit que le contrat « traduit, à l’origine, une participation totémique, qui est le

ciment du clan »835. Dans le même sens, le doyen CARBONNIER souligne que le contrat,

qu’il s’agisse du blood-covenant ou du potlatch, est primitivement apparu non comme « un

lien spécialisé et de pur intérêt, mais comme une alliance totale et mystique des deux

contractants, un rapport analogue à la parenté, un changement d’état »836. Ainsi, « par la force

des choses, les relations entre les cocontractants préexistent au contrat qu’ils concluent »837.

831 L’expression est empruntée à Ph. CHANIAL, « Renouer les fils de l’alliance, Bourgeois, Durkheim et

l’incomplétude du contrat », op. cit., p. 64. 832 E. SAVAUX, thèse préc., p. 268. 833 M. MAUSS, Essai sur le don, PUF. 834 G. DAVY, La foi jurée, étude sociologique du problème du contrat, thèse Lettres Paris, 1922. 835 F. TERRÉ, « Sur la sociologie juridique du contrat », APD 1968, p. 74. 836 J. CARBONNIER, Droit civil. Les biens. Les obligations, PUF, coll. Quadrige, 2004, n° 936, p. 1953. 837 F. TERRÉ, « Sur la sociologie juridique du contrat », APD 1968, p. 74. Pour une version moderne de

cette conception des rapports sociaux, v. C. BONICCO, « Tout n’est pas contractuel dans le contrat. Variations sur un thème durkheimien dans la sociologie interactionniste américaine », Repenser le contrat, dir. G.

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207

On pourrait aller plus loin et parler de « l’essence contractuelle de l’homme » pour

exprimer la nécessité dans laquelle il se trouve d’interagir avec ses semblables afin de

développer ses capacités et vivre838. La figure de l’homme contractuel symboliserait même

« le triomphe de la démocratie »839. L’homme contractuel serait cet « homme véritable » dont

parle GOUNOT, c’est-à-dire « l’homme vivant en société, (…) l’homme pénétré jusqu’aux

moelles par les influences des relations organiques qu’il soutient avec ses semblables » ; il est,

« pour reprendre la vieille et toujours vraie définition d’Aristote, “l’animal social”. L’homme

ne naît pas libre et indépendant “comme le petit de l’âne sauvage” ; il naît enchaîné par le lien

social, enserré dans un réseau complexe de solidarités matérielles et morales, auxquelles pour

vivre il doit nécessairement s’adapter, comme il se doit plier aux lois du monde physique.

L’homme ne vit, ne se développe, ne devient lui-même que dans et par la société. Hors la

société, pas de salut pour l’individu »840.

226. Essence sociale du contrat et liberté contractuelle. L’essence sociale du contrat

entraîne une conséquence capitale sur la liberté de contracter. Partant du constat de la

nécessité de contracter pour exister socialement, M. SERNA a écrit sans nuance que le refus

LEWKOWICZ et M. XIFARAS, Dalloz, 2009, p. 157 et s. L’auteur s’est intéressé aux travaux de M. GOFFMAN, membre de l’Ecole de Chicago. Ce dernier a montré que le contrat n’a pas de force normative en soi mais apparaît au sein d’un ordre, « d’une structure non négociable, la syntaxe de l’ordre de l’interaction » (p. 166), qui lui préexiste et organise, en amont, ses possibilités d’existence. En effet, cette « syntaxe de l’interaction lie les acteurs sous l’égide de définitions sociales partagées par eux sous forme de croyances et mises en œuvre dans leur attitude pour manifester l’estime qu’ils se portent réciproquement. La coordination ne procède donc pas d’une intention individuelle mais résulte de la structure même de l’ordre de l’interaction qui est réciproque. Cette structure est indéniablement sociale et non pas simplement morale : s’affirmer et affirmer l’autre comme personne, c’est manifester et honorer la compétence sociale, ce qui implique une solidarité » (p. 167). Le contrat est donc la simple manifestation de l’interaction des membres d’une société. Il ne la crée pas. En revanche, lorsque l’interaction n’assure plus l’équilibre des rapports sociaux, le contrat subversif permet aux individus de combattre l’ordre défectueux et mortifère de l’interaction. Le contrat a dans cette hypothèse un rôle créateur. Cette analyse, qui nie tout pouvoir créatif aux volontés individuelles en dehors du contrat subversif, peut paraître excessive. Elle est néanmoins intéressante car elle permet de comprendre que le contrat peut être perçu comme l’outil ou la modalité de réalisation des effets de l’interdépendance des membres de la société.

838 En ce sens, v. R. DEMOGUE Traité des obligations, t. 1, n° 23 bis, p. 69 : « les contrats sont toujours conclus sous l’empire des nécessités sociales ».

839 M. CAILLÉ explique que la figure de l’homme contractuel « est massivement associée au triomphe de la démocratie » (A. CAILLÉ, « De l’idée de contrat, le contrat comme don à l’envers (et réciproquement) », La nouvelle crise du contrat, dir. Ch. JAMIN et D. MAZEAUD, Dalloz, 2003, p. 27 et s, spéc. p. 31). Il faut cependant noter que cette analyse est proprement occidentale. Dans un article consacré à « La relativité du contrat », M. SUPIOT a montré que le culte du contrat n’est pas universel. Des sociétés orientales ont longtemps existé sans contrat. Ce dernier a fait son apparition sous l’Ère Meiji, mais son utilisation était alors cantonnée aux échanges avec les sociétés étrangères (souvent qualifiées de « barbares »). Les rapports sociaux au Japon se sont construits sur la base du giri qui se définit comme « obligation, devoir, dette morale » et qui a pour objet de nouer « une chaîne puissante d’obligations flexibles qui se confortent mutuellement et maintiennent l’harmonie de la communauté » (A. SUPIOT, « La relativité du contrat en question. Conclusion générale », La relativité du contrat, Travaux de l’Association Henri Capitant, op. cit., p. 183 et s., spéc. p. 192).

840 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, thèse, 1912, p. 321.

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208

de contracter constituait un comportement asocial841. DEMOGUE a plus exactement

considéré que la légitimité du pouvoir de contracter que contient la liberté contractuelle

supposait que son exercice réalise la coopération sociale842. Dans le même sens, DURAND a

soutenu que « le droit ne reconnaît pas au contrat une valeur pour procurer à la volonté d’un

individu la jouissance d’affirmer son pouvoir, mais parce que le contrat constitue le moyen

normal de satisfaire les besoins du commerce juridique et qu’il est socialement nécessaire. La

société a le droit d’aménager l’activité contractuelle. Si, dans un domaine déterminé, et pour

atteindre un résultat socialement désirable, le contrat apparaît comme un instrument trop

imparfait, l’intervention de la loi sera justifiée »843.

227. La capacité financière de contracter. L’essence sociale du contrat pourrait

également justifier l’instauration d’une nouvelle forme de capacité de contracter, qui a été

définie par Mme GODELAIN comme « l’aptitude à exercer des droits pécuniaires compte

tenu de ce dont dispose [une] personne (actif) et de ce qu’elle peut avoir avec ce qu’elle a

(actif potentiel) »844. La reconnaissance de cette « capacité financière » de contracter a pour

objectif de protéger, au stade de la formation des contrats, les personnes économiquement

vulnérables. Selon l’auteur, l’impératif de protection ne doit pas consister à écarter du marché

les individus économiques faibles mais au contraire à mettre au point des règles leur

permettant d’accéder à la pleine « capacité contractuelle »845. Il s’agit moins de promouvoir

une vision altruiste des rapports contractuels que de soutenir que le contrat repose, dès sa

formation, « sur un principe de sociabilité » qui implique un devoir de collaboration entre les

parties846. Dans le même sens, M. BARBIER estime que « l’individu ne peut plus être vu

comme pleinement capable du seul fait qu’il est majeur non protégé, mais seulement lorsqu’il

possède les moyens de détenir les informations pour exercer son choix, ainsi qu’une réelle

possibilité de dire non et de refuser la liberté qui lui est offerte »847.

841 J.-C. SERNA, Le refus de contracter, thèse préc., p. 4 : « le contrat étant un phénomène nécessaire pour

unir les hommes en société, refuser de contracter se présente comme une attitude a-sociale, anormale ». 842 V. R. DEMOGUE, Traité des obligations, t. 1, Paris, Rousseau, 1923, n° 10, p. 19 : « L’état naturel en

société est la solidarité, la liberté peut simplement être considérée comme souhaitable dans une certaine mesure. L’obligation acte libre doit être considérée comme instrument nécessaire de la coopération ».

843 P. DURAND, « La contrainte légale dans la formation du rapport contractuel », RTD civ. 1944, p. 97. 844 S. GODELAIN, thèse préc., n° 519. 845 Ibid., n° 639. 846 Ibid., n° 673. 847 H. BARBIER, La liberté de prendre des risques, thèse, préf. J. MESTRE, PUAM, 2011, n° 57.

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209

Parmi les évolutions du contrat de crédit, deux d’entre elles semblent répondre à la

reconnaissance de la capacité financière. Il s’agit de la reconnaissance des devoirs d’alerter le

client sur les dangers du crédit et de la mise en place de la médiation du crédit.

En effet, les devoirs d’alerte ont vocation à aider l’emprunteur à exercer de façon

pertinente sa capacité financière en lui permettant de mesurer l’adéquation du crédit avec sa

capacité de remboursement et avec la faisabilité du projet.

Quant à l’intervention du médiateur du crédit, elle a vocation à permettre au candidat, via

l’accès au crédit, de réaliser sa pleine capacité financière. En effet, l’emprunteur sera mis en

mesure d’exercer ses droits pécuniaires compte tenu de ce dont il dispose (le crédit) et de ce

qu’il pourra obtenir grâce à l’activité financée.

B – LE CONTRAT COMME INSTRUMENT AU SERVICE D’UN INTÉRÊT SOCIAL

228. Instrumentalisation du contrat. Selon une évolution parfaitement identifiée en

doctrine, le contrat « est avant tout considéré aujourd’hui comme un instrument juridique

destiné à réaliser certaines opérations économiques et l’accent est mis sur son rôle social,

c’est-à-dire sur l’intérêt qu’il présente non seulement pour les parties contractantes mais pour

la collectivité dans son ensemble »848. Ainsi, l’instrumentalisation du contrat peut être définie

comme son optimisation économique et sociale par la loi ou le juge, indépendamment de

l’accord des volontés. Cette instrumentalisation est flagrante s’agissant du contrat de travail

ainsi que des baux d’habitation et commerciaux. Ces derniers sont désormais placés au

service d’intérêts économiques et sociaux.

Ainsi, le contrat de travail « s’affirme comme un outil au service de l’emploi »849. Les

règles d’ordre public qui le gouvernent, de sa formation à sa dissolution, sont orientées vers la

protection des salariés et plus largement, vers celle du droit au travail. M. MEKKI souligne

pour cette raison que le contrat de travail allie « autonomie et hétéronomie » et qu’un « corps

contractuel peut cacher une âme réglementaire »850. En d’autres termes, le contrat de travail

est devenu un instrument de régulation sociale.

Le même constat peut être fait au sujet du bail d’habitation et du bail commercial.

L’existence et le contenu de ces contrats sont fortement dirigés par la loi. L’objectif législatif

réside dans la protection des locataires et la garantie du droit au logement pour le bail

848 G. VINEY, Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, n° 185, p. 500. 849 M. MEKKI, thèse préc., p. 509. 850 Ibid., p. 629.

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d’habitation ; il réside dans la protection de la liberté d’entreprendre pour le bail commercial.

Dans un cas comme dans l’autre, le contrat apparaît bien comme « un outil au service » d’un

intérêt social.

Cette nouvelle vocation sociale du contrat s’exprime de façon emblématique à travers la

figure du « contrat pédagogique » conceptualisée par Mme ROCHFELD851. Selon l’auteur, ce

contrat pose le cadre des relations des bénéficiaires de droits sociaux avec la collectivité.

L’auteur renvoie à un jugement du TGI de Marseille du 15 avril 2004, dans lequel les

magistrats ont estimé que le plan d’aide de retour à l’emploi (PARE) avait une nature

contractuelle. Selon ce jugement, le PARE comporte en effet, « outre le rappel des obligations

légales et règlementaires (…), un double engagement réciproque » : « celui pour le

demandeur d’emploi de respecter les engagements pris dans le cadre du PAP signé avec

l’ANPE », « en contrepartie de l’obligation pour l’Assedic de verser l’indemnité »852. Certes,

la Cour de cassation semble avoir censuré un tel raisonnement dans un arrêt du 31 janvier

2007853. Toutefois, comme le relève Mme ROCHFELD, le PARE « n’est plus isolé dans sa

catégorie »854 puisque d’autres accords de ce type ont vu le jour : le contrat de responsabilité

parentale (créé par la loi du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances) ou encore le contrat

d’acceuil et d’intégration (créé par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18

janvier 2005 et rendu obligatoire pour tout nouvel arrivant par la loi du 24 juillet 2006).

La dimension pédagogique du PARE réside dans le rappel d’une nécessaire contrepartie

au versement de la prestation sociale. En d’autres termes, il « joue un rôle de prescripteur du

lien d’interdépendance, lien sur lequel il s’appuie pour rappeler, à leurs signataires, leurs

droits et devoirs aux fins de prise de conscience »855. Il s’agit néanmoins d’un contrat

puisqu’il entérine la rencontre de deux volontés, celle du bénéficiaire du droit et celle de la

collectivité. Ce contrat, écrit Mme ROCHFELD, constitue l’outil « d’une politique de

responsabilisation et de “donnant-donnant” instillé par l’Etat, pour instituer les obligations

qu’il renferme comme des “contreparties”, des “engagements réciproques” »856.

851 J. ROCHFELD, « La contractualisation des obligations légales. La figure du « contrat pédagogique »,

Repenser le contrat, dir. G. LEWKOWICZ et M. XIFARAS, Dalloz, 2009, p. 261 à 273. 852 TGI Marseille, 15 avr. 2004, cité par J. ROCHFELD, art. préc., p. 267. 853 Soc., 31 janv. 2007, pourvoi n° 04-19464, Bull. civ. n° 15, D. 2007. 988, rapp. CHAUVIRE et 1469, note

C. WILLMANN ; Droit social 2007, p. 403, chron. X. PRETOT ; JCP G 2007, act. 86, obs. P. MORVAN ; RDC 2007/4, p. 1085, note J. ROCHFELD : « Le PARE signé par chacun des demandeurs d’emploi ne contenait aucun engagement de l’Assedic de leur verser l’allocation d’aide de retour à l’emploi pendant une durée déterminée ».

854 J. ROCHFELD, RDC 2007/4, p. 1085, n° 3, note préc. 855 J. ROCHFELD, « La contractualisation des obligations légales. La figure du « contrat pédagogique », art.

préc., p. 268. 856 J. ROCHFELD, art. préc., p. 267-268.

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211

Cette analyse est particulièrement intéressante. Elle traduit tout d’abord l’adhésion à

« l’idéologie selon laquelle le lien contractuel serait la forme la plus achevée de lien

social »857. Elle reflète ensuite une nouvelle lecture du contrat social, « par une reformulation,

par le biais de la technique contractuelle de droit privé et de l’échange, du lien de l’individu

envers la collectivité : de lien statutaire et collectif, il deviendrait un lien interindividuel

d’échange et de contreparties »858.

S’agissant aussi bien des contrats pédagogiques que des contrats fortement réglementés

comme le contrat de travail ou de bail, l’emprunt de la voie contractuelle peut être expliqué

par l’imaginaire social auquel renvoie le contrat. Aux yeux des hommes, celui-ci offre de

nombreux avantages, notamment son adaptabilité (il pallie les silences de la loi qui ne peut

tout prévoir), sa capacité à rendre la contrainte acceptable (« le mal de la contrainte est moins

amèrement ressenti par le débiteur qui s’est obligé volontairement »859) et à procurer un

sentiment de liberté. On peut sur ce point songer à généraliser le propos du doyen

CARBONNIER, pour lequel « contracter (faire son marché, brocanter) est un plaisir de la

vie »860.

229. Instrumentalisation du contrat de crédit. On peut soutenir que la notion de

contrat est également, en matière de crédit, instrumentalisée au profit d’un bon

ordonnancement des rapports sociaux. Au-delà de la création de devoirs et obligations à la

charge du banquier, le législateur et le juge organisent la promotion de l’accès au crédit tout

en responsabilisant le banquier et l’emprunteur861. Ce dernier peut devenir « un acteur de son

857 A. SUPIOT, Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du droit, Seuil, coll. La couleur des

idées, p. 142. 858 J. ROCHFELD, « La contractualisation des obligations légales. La figure du « contrat pédagogique », art.

préc., p. 272. 859 J. CARBONNIER, Droit civil. Les biens. Les obligations, PUF, coll. Quadrige, 2004, n° 936, p. 1955. 860 Ibid., p. 1955. 861 Cette responsabilisation est à l’œuvre derrière l’expression, critiquable, de « crédit responsable ». Comme

l’a synthétisé un auteur, « ce que l’on cherche, par la promotion du “crédit responsable”, semble être la mesure ou la modération non seulement de l’octroi, mais également de la demande du crédit. Cela se traduit par un accroissement de la responsabilité, mais d’une responsabilité partagée entre le prêteur et le candidat au crédit » (F. BOUCARD, « Le “crédit responsable” vu par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation », RDBF 2012/2, dossier 11, p. 73 et s., n° 4. V. déjà dans le même sens D. LEGEAIS, « Les nouvelles obligations du banquier », RDBF, sept. 2011, dossier 29, n° 6 ; Ph. LE TOURNEAU, « Les professionnels ont-ils du cœur ? », D. 1990, Chron., p. 21 et s., spéc. p. 25). Si la responsabilité du banquier est susceptible d’être engagée lorsqu’il ne respecte pas les devoirs dont il est titulaire, en revanche, une fois ces devoirs respectés, sa responsabilité ne peut plus être retenue, sauf crédit fautif. La décision finale de contracter le crédit appartient alors à l’emprunteur qui devient ainsi l’unique responsable en cas de défaillance dans le remboursement du crédit. On considère en effet que l’emprunteur, correctement éclairé, a maintenu sa volonté de contracter un crédit et donc d’assumer la charge du risque créé par un tel contrat (l’emprunteur pourra également voir sa responsabilité engagée en cas de mauvaise foi ou de réticence lors de la fourniture, au banquier, des informations relatives à sa solvabilité. Pour

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212

crédit »862.

230. Conclusion du Chapitre II. Dans un article paru en 1974, le Doyen STOUFFLET

soulignait le particularisme du contrat de crédit863. L’auteur relevait que « les contrats

bancaires sont un peu en retrait par rapport au droit commun puisqu’on constate à tout le

moins une tendance à reconnaître au banquier une faculté de refus dont ne bénéficient pas les

autres commerçants ».

Jusqu’à des temps récents, le contrat de crédit se démarquait donc du régime de droit

commun en raison du surplus de liberté du banquier par rapport aux autres contractants,

spécialement ceux évoluant dans la vie des affaires.

Si l’on devait chercher à justifier aujourd’hui le propos du Doyen STOUFFLET, il

conviendrait de renverser totalement la perspective. Le contrat de crédit tend à s’émanciper du

droit commun en raison des contraintes légales et jurisprudentielles mises à la charge du

banquier. Ces contraintes témoignent de l’objectivation commune à tous les contrats

structurellement inégalitaires. En outre, elles participent de la prise en considération de la

dimension relationnelle du contrat. Cette évolution ne doit pas inquiéter. Elle reflète au

contraire l’adaptabilité de la notion de contrat aux nouvelles réalités sociales.

231. Conclusion du Titre II. On se souvient que, dans son arrêt Tapie, la Cour de

cassation a énoncé que le banquier est « toujours libre de proposer ou de consentir un crédit

quelle qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire »864. Il est apparu que le

régime applicable à la décision du banquier ne répond pas à ces aspirations libertaires.

Contrairement à ce que suggère la formulation retenue par l’arrêt, le banquier n’est pas

exempt de toute contrainte dans son processus décisionnel. D’une part, il est des cas dans

lesquels l’octroi de crédit est interdit (crédit ruineux ou accordé à une entreprise dont la

situation est irrémédiablement compromise ; crédit déraisonnable pour un particulier). D’autre

part, le banquier doit au préalable remplir un certain nombre de devoirs, comme celui de

un ex. récent, v. Com., 28 juin 2011, n° 10-27086 (inédit), RDBF nov. 2011, comm. 192 F.-J. CREDOT et Th. SAMIN).

862 L’expression est empruntée à D. LEGEAIS, « Les nouvelles obligations du banquier », RDBF, sept. 2011, dossier 29, n° 7. L’auteur renvoie au Rapport législatif Dominati n° 447, 2008-2009, IV (www.senat.fr/rap/I08-447.htlm).

863 J. STOUFFLET, « Le particularisme des contrats bancaires », Etudes offertes à Alfred Jauffret, Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-Marseilles, 1974, p. 640 et s.

864 V. supra n° 65.

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213

mettre en garde l’emprunteur, celui d’en vérifier la solvabilité ou de lui expliquer le processus

ayant conduit à l’obtention d’un score négatif.

Si l’on prolonge l’analyse sous l’angle du droit prospectif, il apparaît que le contrôle de la

décision du banquier aurait parfaite vocation à être complété par la reconnaissance d’un

devoir de conseil aux particuliers et d’une obligation de motiver le refus de crédit. L’adoption

de ces solutions marquerait l’abandon définitif de l’idée de discrétionnarité en la matière.

Encore fallait-il vérifier leur compatibilité avec la nature contractuelle de la relation entre

la banque et l’emprunteur. L’encadrement actuel ou possible de la décision du banquier ne

malmène-t-il pas sa liberté au point de dénaturer la notion de contrat ?

La réponse est négative. Le contrat est parfois le socle de relations structurellement

inégalitaires. Telle est la raison pour laquelle un rééquilibrage par voie législative ou

jurisprudentielle est alors nécessaire, qui assure en outre l’épanouissement de la dimension

relationnelle du contrat. Finalement, l’objectivation du contrat de crédit ne fait que s’inscrire

dans un mouvement général qui tend à reconnaître la diversité des modèles contractuels, au-

delà de la figure classique, et quelque peu malmenée, du contrat comme union de volontés

libres et égales.

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214

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

232. Au seuil de cette première partie, l’existence d’un droit au crédit était inenvisageable

en raison du caractère discrétionnaire prêté à la décision du banquier d’octroyer ou de refuser

un crédit. L’étude de la discrétionnarité en droit privé a cependant montré que la décision de

contracter du banquier n’a aucune raison d’appartenir à la catégorie, finalement résiduelle, des

prérogatives discrétionnaires.

Il est apparu que la discrétionnarité ne pouvait être justifiée ni par la nature de la

prérogative (liberté ou droit d’option) ni par la nécessité de protéger le titulaire d’un droit

(défense de son droit, protection d’une liberté essentielle et inéliénable ou de l’intimité de la

personne). Corrélativement, elle n’est légitime que dans trois cas : lorsque l’exercice de la

prérogative n’a aucune conséquence sur la situation juridique d’autrui ; lorsqu’il ne relève pas

de la sphère juridique ; lorsque la discrétionnarité a pour objectif la protection d’un intérêt

supérieur. Or la discrétionnarité prêtée à la décision du banquier ne peut s’expliquer par aucun

des trois fondements ainsi identifiés.

Certes, le contrat de crédit s’inscrit également dans un contexte de confiance et d’intuitus

personae. Cependant, en dépit des apparences, ce contexte est en réalité défavorable à

l’épanouissement de la discrétionnarité dans le contrat. D’une part, la confiance et l’intuitus

personae peuvent parfaitement être appréhendées de manière objective. Il en va ainsi dans les

contrats à titre onéreux dont fait précisément partie le contrat de crédit. D’autre part, les

décisions prises par une partie dans un contexte de confiance et d’intuitus personae objectif

peuvent être contrôlées par le juge. Le contrôle qui s’exerce sur la décision de rompre un

contrat conclu dans un tel contexte en est une preuve manifeste.

D’ailleurs, la décision du banquier est une prérogative d’ores et déjà encadrée. Elle l’est

aussi bien par la loi que par la jurisprudence, ce qui dément une nouvelle fois l’affirmation de

son caractère discrétionnaire. Surtout, elle présente les caractéristiques nécessaires à un

renforcement de son contrôle. Ce renforcement obéirait à une logique différente selon la

nature du crédit considéré.

En matière de crédit aux particuliers, il s’agirait d’encadrer strictement la décision

d’octroyer le crédit, en mettant à la charge du banquier un devoir de conseil appelé à se

traduire par une obligation de refuser tout crédit excessif.

S’agissant du crédit aux entreprises, il s’agirait d’encadrer cette fois le refus de crédit, par

la création d’une obligation de le motiver.

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215

Ces nouveaux devoirs permettraient au crédit de jouer pleinement le rôle qui est le sien.

Le crédit au particulier a pour but de faciliter l’accès à la consommation. Il n’a pas pour

objet de développer une activité. Partant, il ne saurait avoir aucun caractère spéculatif, et ne

devrait jamais exposer le banquier (ni son client) à une prise de risque autre que celle,

inévitable, liée à l’incertitude de l’avenir. En d’autres termes, la distribution de crédit aux

particuliers, tout en demeurant un moteur de l’économie, mériterait d’intégrer pleinement

l’impératif de prévention du surendettement dans son régime juridique.

Quant au crédit aux entreprises, il est l’outil indispensable du démarrage, du

développement, ou, le cas échéant, du redressement de l’activité économique de l’emprunteur.

C’est pourquoi sa distribution doit être encouragée, sauf dans le cas où l’absence de viabilité

de l’activité financée est certaine.

Le durcissement souhaitable du contrôle de la décision du banquier, spécialement s’il

s’agit d’un refus, conduit à s’interroger sur sa compatibilité avec la notion de contrat. Il s’agit

de déterminer si l’intervention du législateur et du juge dans le processus décisionnel du

banquier a pour effet de dénaturer sa qualification contractuelle. Il ne le semble pas. Il

n’existe pas une mais plusieurs notions de contrats. A côté du contrat comme création de

volontés libres et égales, il existe de nombreux contrats structurellement inégalitaires. Pour

ces derniers, dont le contrat de crédit fait partie, l’objectivation est une nécessité. Elle instaure

un équilibre contractuel en imposant des devoirs à la partie forte et en permettant à la partie

faible de disposer des outils nécessaires à l’expression d’un consentement éclairé, c’est-à-dire

libre.

L’objectivation du contrat répond aussi au vœu d’en faire le lieu d’un échange civilisé.

En effet, le contrat n’est pas seulement créateur d’obligations. Il fait aussi naître une relation,

ce qu’exprime le développement des devoirs de bonne foi, de loyauté, de coopération et de

cohérence.

Cette dimension relationnelle du contrat met en lumière son essence sociale. Le contrat

exprime l’interdépendance des membres de la société et investit l’ensemble des champs de

l’activité humaine. De plus, la liberté et la contrainte consentie qu’il incarne le rendent

propice à la construction et à la régulation des rapports sociaux.

Dans ces conditions, on ne saurait s’étonner que le contrat de crédit, qui est la clef de

l’accès au crédit, dont l’utilité sociale n’est plus à démontrer, soit plus que tout autre encadré

par l’intervention de la loi ou du juge.

La décision du banquier d’octroyer un crédit étant ainsi dépouillée de son caractère

discrétionnaire, il n’existe plus d’obstacle à l’admission du droit au crédit.

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SECONDE PARTIE

L’ADMISSION DU DROIT AU CRÉDIT

233. Plan. Le droit au crédit est admissible, comme nous l’avons vu dans la première

partie. Est-ce à dire qu’il pourrait être reçu, c’est-à-dire admis en droit positif ? C’est à cette

question de pur droit prospectif que nous essaierons de répondre dans cette deuxième partie. Il

s’agira d’abord de s’interroger sur les voies de l’admission éventuelle du droit au crédit (Titre

I). Une fois celles-ci identifiées, il nous restera à envisager sa réalisation (Titre II).

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TITRE PREMIER

LES VOIES DE L’ADMISSION

234. Plan. L’admission du droit au crédit peut emprunter deux voies. La première est

indirecte et repose sur la mise en œuvre de la responsabilité civile du banquier (Chapitre I).

La seconde est directe. Elle suppose la reconnaissance d’un véritable droit (Chapitre II).

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CHAPITRE PREMIER

L’ADMISSION INDIRECTE PAR LA MISE EN ŒUVRE DE

LA RESPONSABILITÉ CIVILE

235. Le rôle de la responsabilité civile dans l’apparition des droits subjectifs. Le

présent chapitre a pour objet de déterminer si les règles de la responsabilité civile peuvent

contribuer à la reconnaissance du droit au crédit. Cette recherche nous semble légitime au

regard du constat, désormais classique, du rôle que joue la responsabilité civile délictuelle

dans « l’apparition » des droits subjectifs865. Elle permet en effet « aux tribunaux de réagir

rapidement aux besoins nouveaux de la société, dans l’attente d’une éventuelle intervention

du législateur »866. La doctrine a montré comment, sur le fondement de l’article 1382 du Code

civil, le juge a assuré la protection de la vie privée et de ses dérivés que sont l’image et la

voix, avant même que la loi du 17 juillet 1970, codifiée à l’article 9, alinéa 1er, du Code civil,

ne vienne expressément consacrer le droit au respect de la vie privée. C’est ainsi qu’à la fin

des années soixante, face à la multiplication des attaques dont l’image et la voix des

personnes faisaient l’objet, en raison des progrès technologiques qui avaient rendu possible

leur reproduction et leur diffusion, les juges n’ont pas hésité à sanctionner les atteintes au

« droit au respect de la vie privée »867 ou aux « droits de la personne sur son image »868. La

protection de ces éléments constitutifs de la personnalité a été rendue efficace par un

assouplissement des règles de la responsabilité délictuelle869. M. AZZI relève en ce sens que

les tribunaux se sont parfois affranchis de la preuve de la faute870 ou du préjudice871, « en

865 Terme utilisé par G. VINEY, Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, 3e éd., 2008, n° 43-1 ;

Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action 2012-2013, n° 1306 ; Adde, G. VINEY, « Pour ou contre un “principe général” de responsabilité pour faute ? », Le droit français à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 555, spéc. n° 5 et s.

866 T. AZZI, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD civ. 2007, p. 228.

867 CA Paris, 15 mai 1970, « J. Ferrat », D. 1970. 466, concl. C. CABANNES. 868 CA Paris, 17 mars 1966, « J.-L. Trintignant », D. 1966. 749. M. AZZI montre que les règles de la

responsabilité ont également servi à l’apparition du droit au respect du corps humain (T. AZZI, art. préc., n° 8, p. 232) et aux droits voisins du droit d’auteur (T. AZZI, art. préc., n° 9, p. 232-233).

869 F. TERRÉ, D. FENOUILLET, Droit civil. Les personnes: personnalité, incapacité, protection, Dalloz, 8e éd., n° 108.

870 Civ. 2e, 6 janv. 1971, D. 1971, 263, note B. EDELMAN ; JCP G 1971. II. 16723, note R. L.

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222

considérant que la seule révélation de la vie privée d’une personne justifiait une

réparation »872. En adoptant un tel raisonnement, similaire à celui tenu en présence de la

violation d’un véritable droit subjectif, les juges ont investi la responsabilité civile délictuelle

du pouvoir de créer des droits subjectifs.

Ce rôle moteur suppose bien évidemment que l’intérêt lésé invoqué, c’est-à-dire le

dommage subi, soit qualifié de juridiquement protégé ou encore de légitime873. La notion de

légitimité évoque l’idée que tous les dommages ne seraient pas dignes d’être réparés. A cet

égard, on peut sans grande difficulté exclure les préjudices illicites ou immoraux de la

catégorie des préjudices réparables874. En revanche, l’assimilation de l’intérêt légitime

juridiquement protégé aux seuls droits subjectifs est aujourd’hui rejetée en raison de son

caractère trop restrictif875, si bien qu’il faut considérer que « les intérêts protégés par le

Droit doivent s’entendre de tout ceux qui n’y sont pas contraires »876.

871 CA Paris, 17 mars 1966, « J.-L. Trintignant », arrêt préc. ; v. aussi la note signée P. A. et H. M. sous CA

Paris, 15 mai 1970, « J. Ferrat », arrêt préc. 872 T. AZZI, art. préc., n° 8, p. 232. 873 V. par ex. M. BACACHE-GIBEILI, Droit civil, Les obligations, La responsabilité civile

extracontractuelle, Economica, 2e éd., 2012, n° 377 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 4e éd., 2013, n° 274. Pour une distinction ferme de l’intérêt légitime et de l’intérêt légitime juridiquement protégé, v. X. PRADEL, Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, thèse, préf. P. JOURDAIN, LGDJ, 2004, n° 21-43. L’auteur explique qu’avant l’arrêt Mennetier du 27 juillet 1937 (Civ., 27 juill. 1937, JCP 1937. II. 466, note DALLANT, DP 1938, I, p. 5, note R. SAVATIER, S. 1938, I, p. 321, note G. MARTY), la jurisprudence entendait souplement la notion de dommage qu’elle définissait comme la simple lésion d’un intérêt légitime. A compter de l’arrêt Mennetier et jusqu’à l’arrêt Dangereux de la Chambre Mixte en date du 27 février 1970 (D. 1970, p. 201, note R. COMBALDIEU ; JCP 1970. II. 16305, concl. R. LINDON, note P. PARLANGE ; RTD civ. 1970, p. 353, obs. G. DURRY ; GAJC, n° 186, obs. F. TERRÉ et Y. LEQUETTE), le dommage a été assimilé à l’atteinte portée à un intérêt légitime juridiquement protégé. Avec l’arrêt Dangereux la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence pour revenir à la première définition du dommage.

874 En ce sens MARTY définissait le dommage comme la « lésion certaine d’un intérêt légitime, c’est-à-dire exempt d’illicéité ou d’immoralité » (S. 1938, I, 323). En ce sens, est illégitime et donc insusceptible de donner lieu à réparation le dommage matérialisé par la perte de profits liée à une activité illicite (par ex. Civ. 2e, 30 janv. 1950, Bull. civ. II, n° 116 ; Civ. 2e, 24 janv. 2002, Bull. civ. II, n° 5, D. 2002, p. 2559, note D. MAZEAUD, JCP 2002. II. 10118, note C. BOILLOT, ibid. I. 152, obs. G. VINEY ; RTD civ. 2002, p. 306, obs. P. JOURDAIN ; Defrénois 2002, p. 786, obs. R. LIBCHABER, RCA 2002, comm. n° 164 et chr. n° 11par S. HOQUET-BERG). Il est vrai que la jurisprudence récente accepte parfois d’indemniser la victime d’un accident même lorsqu’elle a participé à la situation illicite à l’origine de son dommage. C’est ainsi que le coauteur d’un vol, victime d’un accident de la circulation concomitant à l’infraction, a pu être indemnisé de son dommage (Civ. 1ère, 17 nov. 1993, Bull. civ. I, n° 326, RTDciv. 1994, p. 115, obs. P. JOURDAIN). La Cour de cassation a également jugé que le voyageur dépourvu de titre de transport pouvait demander réparation de son préjudice en cas d’accident de transport (Civ. 2e, 19 fév. 1992, Bull. civ. II, n° 54 ; JCP G 1993. II. 22170, note G. CASILE-HUGUES). La doctrine essaye de trouver une harmonie entre ces différents arrêts. M. LIBCHABER propose de distinguer selon la nature du préjudice en cause. Si le préjudice est corporel, la victime en situation illicite peut obtenir réparation, tandis qu’en présence d’un préjudice économique, l’illicéité de la situation de la victime ferait obstacle à toute réparation (R. LIBCHABER, Defrénois 2002, p. 786). M. BRUN suggère de concentrer l’analyse sur la légitimité de l’intérêt lésé pris en en lui-même, c’est-à-dire indépendamment des circonstances dans lesquels il a été lésé (Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 3e éd., 2014, n° 194).

875 Sur ce point, v. notamment F. OST, Droit et intérêt, Vol. 2 – Entre droit et non droit : l’intérêt, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1990, p. 51-59.

876 Ph. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 192, note 85.

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223

Dans ces conditions, il reste à déterminer dans quelle mesure la réparation du préjudice

tiré de la privation d’un accès au crédit est envisageable877. Ce préjudice appartiendrait à la

catégorie des préjudices économiques « purs » désignant « l’atteinte immédiate au processus

même d’activité économique »878. L’élection de l’accès au crédit au rang des intérêts légitimes

juridiquement protégés constituerait un premier pas vers la reconnaissance d’un droit subjectif

au crédit. Une telle proposition n’est pas fantaisiste. Le droit de la responsabilité civile semble

aujourd’hui en partie favorable à la protection de l’intérêt que représente l’accès au crédit.

Nous le vérifierons en étudiant d’abord la responsabilité civile (contractuelle) du banquier en

cas d’octroi de crédit (Section I) puis en nous intéressant au renforcement de sa responsabilité

civile (délictuelle) en cas de refus de crédit à une entreprise (Section II).

SECTION I : LA RESPONSABILITÉ DU BANQUIER EN CAS

D’OCTROI DE CRÉDIT

236. Plan. La responsabilité contractuelle du banquier en cas d’octroi de crédit se

dédouble : elle peut être engagée si le crédit est abusif (§-I) ou en cas de manquement au

devoir de mise en garde (§-II).

877 Nous n’ignorons pas les critiques que la doctrine formule au sujet de la prolifération des préjudices

réparables (v. sur ce point F. LEDUC, « Les préjudices réparables », grerca.univ-rennes1.fr/digitalAssetsgrerca.univ-rennes1.fr/digitalAssets /288/288512_fLeduc.pdf, p. 2. ; P. JOURDAIN, « Le préjudice et la jurisprudence », RCA, hors-série « La responsabilité à l’aube du XXIe siècle, Bilan prospectif », n° 23, p. 48 et s. ; L. CADIET, « Les métamorphoses du préjudice », Les métaporphoses de la responsabilité, sixièmes journées Savatier (Poitiers, 15 et 16 mai 1997), PUF, 1998, p. 37 et s. ; J.-S. BORGHETTI, « Les intérêts protégés et l’étendue des préjudices réparables en droit de la responsabilité civile extra-contractuelle », Liber amirocum, Etudes offertes à G. Viney, LGDJ, 2006, p. 160 à 162). Cette multiplication est favorisée par « l’idéologie de la réparation » dont M. CADIET lie le développement à celui de l’Etat Providence (L. CADIET, « Sur les faits et les méfaits de l’idéologie de la réparation », Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 1999, p. 496). Elle s’explique en outre par « la complicité objective de deux logiques différentes. D’un côté, la logique des droits de l’homme, ceux de la deuxième génération, conduit à prêter une attention accrue aux situations individuelles, non seulement aux besoins, mais aussi aux désirs des individus : toute frustration devient préjudice appelant un responsable. D’un autre côté, la logique du marché pousse à la multiplication des biens : “tout vaut tant”, y compris le travail, y compris les sentiments, y compris la santé et en définitive, la vie (…). La responsabilité devient une marchandise comme une autre, qu’on échange sur le marché de l’assurance » (L. CADIET, « Les métamorphoses du préjudice », art. préc., p. 51). Toutefois, le débat que suscite la prolifération des préjudices réparables dépasse notre propos qui consiste seulement à déterminer dans quelle mesure la privation de l’accès au crédit peut être préjudiciable.

878 F. BELOT, « Pour une reconnaissance de la notion de préjudice économique en droit français », LPA 28 déc. 2005, n° 258, p. 8.

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224

§ - I. LA RESPONSABILITÉ POUR CRÉDIT ABUSIF

237. Plan. Le régime de la responsabilité du banquier pour octroi de crédit abusif obéit à

une logique différente selon la nature du crédit. En matière de crédit aux entreprises, l’article

L. 650-1 du Code de commerce a mis en place un système d’exonération de responsabilité, si

bien que l’on peut considérer l’absence de responsabilité du banquier pour octroi de crédit à

une entreprise comme l’expression d’une règle de principe (A). S’agissant des crédits aux

particuliers, les récentes évolutions législatives ont mis en place un système de responsabilité

plus strict (B).

A – L’IRRESPONSABILITÉ DE PRINCIPE DU BANQUIER EN CAS D’OCTROI DE

CRÉDIT À UNE ENTREPRISE

238. Plan. Nous étudierons d’abord le contenu du principe d’irresponsabilité du banquier

(1), avant de nous interroger sur la sanction applicable au banquier lorsque sa responsabilité

est par exception retenue (2).

1) Le contenu du principe

239. L’instauration d’un régime de responsabilité dérogatoire. Avec la loi du 26

juillet 2005, le législateur a considérablement allégé la responsabilité du banquier puisque

l’article L. 650-1 du Code de commerce l’exonère de toute responsabilité du fait des concours

qu’il consent à une entreprise en difficulté sauf en cas de fraude, d’immixtion ou de prise de

garantie disproportionnée. La jurisprudence a interprété ce texte dans un sens qui étend encore

davantage le principe d’irresponsabilité. Elle a en effet précisé que la responsabilité du

banquier ne peut être engagée que si, outre l’existence d’une fraude, immixtion ou prise de

garantie disproportionnée, le crédit consenti est en soi fautif879. Or, comme nous l’avons vu

dans la première partie de ce travail, un crédit est fautif lorsqu’il est ruineux ou a pour effet de

soutenir artificiellement l’entreprise880. L’article L. 650-1 du Code de commerce et la lecture

879 Com., 27 mars 2012, n° 10-20077, Bull. civ. IV, n° 68, D. 1012. 1455, note R. DAMMAN et 870, obs. A.

LIENHARD ; Revue sociétés 2012. 398, obs. P. ROUSSEL GALLE ; JCP E 2012. 1274, note D. LEGEAIS et 15508, n° 9, obs. P. PETEL ; JCP 2012. 635, obs. S. PIEDELIEVRE ; Banque et droit mai-juin 2012. 22 ? obs. T. BONNEAU ; RDBF 2012, n° 114 , obs. J. CREDOT et T. SAMIN ; Gaz. Pal. 3-4 août 2012, p. 16, obs. R. ROUTIER ; Revue proc. coll. 2012, n° 215, obs. A. MARTIN-SERF ; RLDA juil.-août 2012. 21, obs. P. ROBINE.

880 Voir supra n° 154.

Page 227: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

225

qu’en a faite la Chambre commerciale convergent pour faire de cet article le siège d’une

responsabilité d’exception. En d’autres termes, l’irresponsabilité du banquier correspond au

principe.

La reconnaissance d’un tel principe d’irresponsabilité a soulevé des interrogations

s’agissant notamment de sa conformité avec le principe de responsabilité pour faute qui

constitue une « exigence à valeur constitutionnelle » depuis la décision du 9 novembre 1999

du Conseil constitutionnel881. Mais ce dernier, dans une décision du 22 juillet 2005 rendue à

l’occasion de l’examen de la loi du 26 juillet 2005, a jugé que « si la faculté d’agir en

responsabilité met en œuvre l’exigence constitutionnelle posée par les dispositions de l’article

4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes desquels la liberté

consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, cette exigence ne fait pas obstacle à ce

que, en certaines matières, pour un motif d’intérêt général, le législateur aménage les

conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée »882. Il en a déduit que l’article

L. 650-1 du Code de commerce n’était pas contraire à la Constitution car la responsabilité des

banques n’avait pas été intégralement supprimée mais limitée à trois hypothèses (fraude,

immixtion, prise de garanties disproportionnées). En outre, cette immunité de principe était

justifiée par un motif d’intérêt général, celui de « lever un obstacle à l’octroi des apports

financiers nécessaires à la pérennité des entreprises en difficulté »883.

Ainsi, les difficultés éprouvées par les entreprises ne doivent pas dissuader le banquier de

leur octroyer les crédits demandés. Il faut donc considérer que la réduction radicale des cas

dans lesquels la distribution de crédit aux entreprises est source de responsabilité correspond à

un objectif à forte dimension sociale. On a pu écrire en ce sens que le dispositif mis en place

par la loi de 2005 était le reflet d’un « nouvel équilibre économico-juridico-politique : la

nécessité d’assurer la sauvegarde des entreprises conduit à prévoir un système de garantie en

faveur de ceux qui peuvent participer à cette entreprise de sauvegarde, même s’il s’agit, en

l’espèce, de la partie forte à la relation. C’est bien une nouvelle forme de solidarité qui place

881 Cons. const., décision n° 99-419, DC 9 nov. 1999, JCP 1999. III. 20173 ; JCP 2000. I. 261, obs. B.

MATHIEU et M. VERPAUX ; ibid., I. 280, obs. G. VINEY ; JCP 2000. I. 210, N. MOLFESSIS, « La réécriture de la loi relative au PACS par le Conseil constitutionnel » ; LPA 1999, n° 239, note J.-E. SHOTTL ; D. 2000, somm. 424, obs. S. GARNIERI.

882 Cons. const., décision n° 2005-522, DC du 22 juillet 2005, consid. n° 10 ; JCP 2006. I. 111, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK ; LPA 4 août 2005, p. 14, note J.-E. SCHOETTL ; A. REYGROBELLET, « Brefs propos sur la décision du Conseil constitutionnel rejetant le recours contre la loi de sauvegarde », LPA 17 fév. 2006, p. 58.

883 Cons. const., déc. n° 2005-522 préc., considérant n° 12.

Page 228: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

226

le banquier au cœur de la cité en lui conférant un rôle phare d’intermédiaire économique

majeur »884.

Cette évolution de la responsabilité bancaire n’est pas sans incidence sur l’éventuelle

admission d’un droit au crédit. Comme l’explique M. NEAU-LEDUC, « les exigences

sociétales nouvelles ont insensiblement attrait l’idée d’un droit au compte dans le droit du

compte et le droit du crédit pourrait rapidement intégrer un droit au crédit. La revendication

de ces droits créances, sans débiteurs immédiatement identifiés, participe de l’évolution de

notre système juridique contemporain, notamment sous l’impulsion du développement des

droits et libertés fondamentaux »885.

2) La nature de la sanction

240. Lorsque la responsabilité du banquier est par exception retenue, le droit positif le

condamne à réparer intégralement le dommage subi (a). On verra qu’à ce principe de

réparation intégrale pourrait s’ajouter le versement d’une amende civile (b).

a) La réparation intégrale du dommage

241. Préjudice causé par la conclusion du contrat. Que l’on se situe en matière

contractuelle ou délictuelle, la réparation du dommage doit être intégrale, c’est-à-dire qu’elle

doit couvrir toute l’étendue du dommage subi par la victime du fait de la faute commise886.

Ce principe de réparation intégrale doit s’appliquer aussi bien au crédit de démarrage

qu’à celui accordé à une entreprise déjà existante.

Lorsque le crédit abusif est un crédit de démarrage, c’est-à-dire destiné à financer la

création d’une activité, le banquier doit être condamné à réparer le préjudice résultant non

884 Ph. NEAU-LEDUC, « Les nouvelles perspectives du droit de la responsabilité bancaire », Les banques

entre droit et économie, ouvrage collectif, LGDJ, coll. Droit et économie, 2011, p. 119. 885 Ibid., p. 120. 886 En matière contractuelle, ce principe est posé par l’article 1149 du Code civil qui dispose : « les

dommages et intérêts du créancier sont en général de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ». En matière délictuelle, ce principe est d’origine prétorienne. La Cour de cassation affirme classiquement que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (v. notamment Civ. 2e, 28 oct. 1954, JCP 1955. II. 8765, note R. SAVATIER ; RTD civ. 1955, p. 324, obs. H. et L. MAZEAUD ; 14 fév. 1982, JCP 1982. II. 19894, note J.-F. BARBIERI ; Crim. 12 avr. 1994, Bull. crim. n° 146).

Page 229: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

227

seulement du prêt, mais encore de l’ensemble des dettes contractées par l’entreprise sur le

fondement de l’apparente viabilité créée par le crédit octroyé887.

Lorsque le crédit abusif consenti a pour objectif de soutenir une entreprise déjà en

activité, la jurisprudence sanctionne l’octroi de crédit par la condamnation du banquier à la

réparation de « l’aggravation de l’insuffisance d’actif qu’il a ainsi contribué à créer »888. Cette

solution est, là encore, conforme au principe de la réparation intégrale.

b) Le versement d’une amende civile

242. Définition de l’amende civile. Déjà connue du droit positif889, la technique de

l’amende civile a fait son apparition à la suite du constat de l’inaptitude du droit de la

responsabilité civile à jouer une réelle fonction punitive. Comme on le sait, le droit de la

responsabilité civile est gouverné par le principe de réparation intégrale en vertu duquel

l’auteur du dommage doit réparer le préjudice effectivement subi par la victime. Il se limite

donc à réparer le dommage et ne sanctionne pas l’auteur des faits au-delà de ce dommage. Or,

l’idée que la responsabilité civile pourrait avoir, à côté de sa fonction indemnitaire, une

fonction punitive ou encore normative fait l’objet d’un regain d’intérêt en doctrine890. Ce

renouvellement repose sur le constat que la faute ne porte pas seulement atteinte aux intérêts

de la victime. Elle porte plus généralement « atteinte à l’autorité de la règle juridique » et

traduit de ce fait « une méconnaissance, non d’un seul droit, mais du Droit »891. Parce qu’elle

constitue une des modalités de réalisation de la fonction normative de la responsabilité civile,

l’amende civile assure, à côté de l’indemnisation de la victime, le respect de la règle de droit

violée. Il est intéressant de relever que l’amende civile est parfaitement conciliable avec les

887 Dans le même sens, v. H. BARBIER, thèse préc., n° 507, pour qui le banquier qui consent un crédit

abusif « prend un risque inacceptable pour autrui, [et] doit être condamné à réparer la totalité des conséquences dommageables nées du risque ».

888 Com. 22 mars 2005, n° 03-14824 (inédit); Gaz. Proc. Coll. 2005/2, 6-7 juill., p. 33, obs. R. ROUTIER. Pour une application récente, v. Com. 28 janvier 2014, n° 12-27703.

889 V. par ex. l’article 50 du Code civil qui prévoit une amende civile à la charge de l’officier d’état civil qui ne respecte pas ses obligations ; v. égal. l’article 2202 du Code civil qui autorise le juge à prononcer une amende civile à l’encontre du conservateur des hypothèques ou encore l’article L. 442-6 du Code de commerce qui prévoit une amende civile d’un montant de 2 millions d’euros à la charge des auteurs de pratiques restrictives de concurrence. Pour une liste plus complète, v. M. BEHAR-TOUCHAIS, « L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages et intérêts punitifs ? », LPA 20 nov. 2002, n° 5, p. 36.

890 Initialement défendue par Boris STARCK, l’idée d’une fonction normative de la responsabilité civile a été reprise par des travaux plus récents. V. par ex. S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. VINEY, LGDJ, 1998 ; C. GRARE, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle. L’influence des fondements de la responsabilité sur la réparation, thèse, préf. Y. LEQUETTE, Dalloz, 2005, spéc. n° 105 et s.

891 S. CARVAL, thèse préc., version dactyl., p. 278.

Page 230: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

228

dommages et intérêts versés à la victime, comme en témoigne l’article L. 442-6 du Code de

commerce qui précise que l’amende civile dont est redevable l’auteur d’une pratique

restrictive de concurrence s’ajoute aux dommages et intérêts dus à la victime.

243. Régime de l’amende civile. Il est vrai que la nature civile de l’amende pourrait être

discutée, notamment parce que le mécanisme de l’amende civile ne repose pas, a priori, sur

des règles procédurales protectrices de l’auteur des faits, comme c’est le cas en matière

pénale. Si cette dichotomie n’est pas problématique lorsque l’amende civile est de faible

montant, elle peut représenter un danger pour l’auteur des faits lorsque son montant est

élevé892. Cette inquiétude doit cependant être levée. Le Conseil constitutionnel a affirmé, dans

sa décision du 17 janvier 1989, qu’une « peine ne peut être infligée qu’à la condition que soit

respecté le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le

principe de non-rétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère ainsi que le principe

du respect des droits de la défense »893. Le Conseil a en outre précisé que ces exigences

s’appliquent à « toute sanction ayant le caractère de punition »894. Il faut donc en déduire que

l’amende civile est soumise au respect de ces principes895. En outre, lorsqu’elle remplit les

critères d’une sanction répressive au sens de la CESDH, elle doit être édictée par un texte

précis et interprétée strictement par le juge. Ces critères sont : la fonction dissuasive et non

réparatrice de la mesure, son degré de gravité suffisant et enfin son applicabilité indifférenciée

à l’ensemble des citoyens896.

Techniquement, l’amende civile est « prévue par un texte et prononcée par une juridiction

de l’ordre judiciaire pour des faits qui ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale »897. Son

montant peut être fixé par le législateur, le juge ou encore une autorité administrative. Dans la

décision du 17 janvier 1989 précitée, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur

pouvait se contenter d’indiquer un plafond maximal et déléguer à une autorité administrative

892 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., n° 24 et s. Mme BEHAR-TOUCHAIS fait référence à l’amende

civile de 2 000 000 d’euros prévue par l’art. L. 442-6 du Code de commerce qui vient sanctionner les pratiques restrictives de concurrence.

893 Conseil const., 17 janv. 1989, n° 88-248 DC, consid. n° 35. Cf. B. GENEVOIX, « Le Conseil constitutionnel, la séparation des pouvoirs et la séparation des autorités administratives et judiciaires », RFDA, 1989, p. 671 ; LPA 17 janv. 1990, n° spécial consacré aux sanctions administratives, p. 1 à 86.

894 Conseil const., 17 janv. 1989, déc. préc., consid. n° 36. 895 En ce sens, C. GRARE, thèse préc., n° 129. 896 CEDH, 24 février 1994, « Bendenoun », série A, n° 284, V. Fiscalité et CEDH, n° spécial LPA du 9 juillet

1994. Cet arrêt est cité par M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., n° 29 et s. 897 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., n° 4.

Page 231: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

229

le pouvoir de fixer le montant précis de la peine898. Enfin, l’amende civile peut être versée au

Trésor Public ou à un organisme d’utilité publique899.

244. Application à l’octroi de crédit abusif. A côté de la réparation du préjudice subi

par l’emprunteur, il serait donc parfaitement envisageable que le banquier qui octroie un

crédit abusif soit condamné à verser une amende civile. En plus d’être préjudiciable à

l’entreprise emprunteuse, le manquement du banquier est susceptible d’avoir des

conséquences néfastes à l’échelle sociale. L’illusion de solvabilité créée par l’octroi de crédit

peut avoir incité d’autres entreprises à contracter avec l’emprunteuse, si bien que la

défaillance de cette dernière peut entraîner des défaillances en cascade.

En pratique, le législateur pourrait se contenter de reconnaître l’amende civile en son

principe et de renvoyer au juge le soin de fixer son montant. Les sommes récoltées serviraient

alors à alimenter un fonds de financement existant (par exemple, la Banque publique

d’investissement) ou dont la création serait à déterminer.

B – LA RESPONSABILITÉ DU BANQUIER EN CAS D’OCTROI DE CRÉDIT AUX

PARTICULIERS

245. Un régime de responsabilité défavorable à la reconnaissance d’un droit au

crédit des particuliers. L’article L. 650-1 du Code de commerce n’a pas son pendant

s’agissant du crédit aux particuliers. Bien plus, la reconnaissance d’un devoir de vérifier la

solvabilité de l’emprunteur par la loi du 1er juillet 2010 semble se prolonger par celle d’un

devoir de ne pas prêter lorsque l’emprunteur est insolvable ou lorsque le crédit demandé avait

pour effet de créer un endettement excessif900. En matière de crédit aux particuliers, la

responsabilité civile du banquier n’est donc pas soumise à l’existence des conditions strictes

que sont l’octroi d’un crédit fautif ainsi que l’immixtion, la fraude ou la prise de garantie

disproportionnées. Le seul constat de l’insolvabilité de l’emprunteur ou du caractère excessif

du crédit suffit à la mettre en œuvre. Il faut en déduire que le régime de la responsabilité

898 Conseil const., 17 janv. 1989, n° 88-248 DC. 899 L’article L. 211-14 du Code des assurances dispose : « Si le juge qui fixe l'indemnité estime que l'offre

proposée par l'assureur était manifestement insuffisante, il condamne d'office l'assureur à verser au fonds de garantie prévu par l'article L. 421-1 une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité allouée, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime ». V. égal. S. CARVAL, thèse préc., p. 364 et s. et H. CROZE, « La loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures d’exécution : le nouveau droit commun de l’exécution forcée », JCP N 1992, p. 77 et s.

900 V. supra 182 et s.

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230

civile du banquier qui octroie un crédit à un particulier n’est pas favorable à la reconnaissance

d’un droit au crédit au profit de ce dernier. La sanction qu’il conviendrait d’attacher au

manquement du banquier achèvera de nous en convaincre.

246. La déchéance du droit au remboursement du solde du prêt. La loi du 1er juillet

2010 n’a pas expressément prévu la sanction applicable au manquement du banquier à son

devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur.

On a suggéré d’opérer un partage de responsabilité entre le banquier et l’emprunteur.

Cette solution permettrait de donner « tout son sens à l’expression “crédit responsable” »901.

Nous ne sommes pas favorables à une telle proposition.

Tout d’abord, si le mal nommé « crédit responsable »902 reflète la volonté du législateur

de responsabiliser le banquier et l’emprunteur, il faut noter que la responsabilisation de ce

dernier n’est pas assurée par le devoir du banquier de vérifier sa solvabilité mais par le devoir

postérieur de l’éclairer sur l’adaptation du crédit à son projet ainsi que sur ses conséquences

financières. Partant, le partage des responsabilités préconisé n’est pas pertinent au stade de la

vérification de la solvabilité.

Ensuite et surtout, il est important de rappeler que le devoir de vérifier la solvabilité de

l’emprunteur a pour objectif d’éviter que le banquier octroie un crédit à une personne

insolvable. Si le banquier passe outre, le manquement à son obligation de vérifier la

solvabilité se double donc d’un manquement à son devoir de refuser le crédit. Par conséquent,

on peut établir une analogie avec la sanction encourue en cas d’octroi d’un crédit interdit.

Cette sanction réside dans la déchéance du banquier de son droit de réclamer le solde du

prêt903.

Enfin, il faut noter que le manquement du banquier à son devoir de vérifier la solvabilité,

lorsqu’il aboutit à octroyer un crédit interdit, pourrait justifier le prononcé de l’amende civile

dont les contours ont été tracés dans les développements précédents.

901 H. AUBRY, « Transparence du patrimoine et octroi de crédit », RLDA 2012, n° 68, II. B. 902 Comme l’a très justement souligné M. LEGEAIS, un crédit ne peut pas être responsable. Cette qualité ne

peut s’appliquer qu’aux seules parties au contrat de crédit (D. LEGEAIS, RDBF mars 2012, dossier 10, « Crédit responsable», n° 5).

903 V. supra n° 170.

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231

§ - II. LE MANQUEMENT AU DEVOIR DE MISE EN GARDE

247. Plan. La sanction du manquement du banquier à son devoir de mise en garde a été

précisée par la jurisprudence (A). Elle est critiquable et a donné lieu pour cette raison à des

propositions alternatives en doctrine (B).

A – LA SOLUTION JURISPRUDENTIELLE

248. Perte de chance de ne pas contracter. Les conditions d’existence du devoir de

mise en garde ont été étudiées dans la première partie de ce travail. Rappelons pour mémoire

que le banquier doit mettre en garde l’emprunteur non-averti du risque élevé d’endettement

créé par l’octroi de crédit, l’existence de ce risque s’appréciant au regard des capacités de

remboursement de l’emprunteur et des charges du prêt.

La sanction du manquement du banquier à son devoir de mise en garde a été précisée par

la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 octobre 2009. Il s’agit de

la réparation du préjudice tiré de la perte d’une chance de ne pas contracter904.

En droit de la responsabilité civile, la perte de chance est définie comme « la disparition

actuelle et certaine d’une éventualité favorable »905. S’agissant du montant des dommages et

intérêts, « la réparation de la perte de chance se mesure à hauteur de la chance perdue et ne

peut être égale au montant total du préjudice»906. Dans le cas du devoir de mise en garde, les

appréciations des juges du fond sur l’évaluation des dommages et intérêts pour la perte de

chance de ne pas contacter un crédit sont empreintes d’une grande disparité907.

249. Appréciation critique. Le recours à la perte de chance dans le cas du manquement

au devoir de mise en garde suscite cependant plusieurs critiques.

904 Com. 20 oct. 2009, pourvoi no

!08-20274, Bull. civ. IV, n° 127 ; D. 2009, p.!2607, obs. X.!DELPECH et p.!2971, note D.!HOUTCIEFF ; JCP!G 2009. 422, obs. L.!DUMOULIN et 482, note S.!PIEDELIÈVRE ; Gaz. Pal. 21!nov. 2009, p.!24, note F.!GUERCHOUN ; RLDC 2009/66, p.!28, obs. J.-J.!ANSAULT ; Gaz. Pal., 19!févr. 2010, p.!11, note Y.!DAGORNE-LABBÉ ; JCP E 2009. no

!46, p.!22, obs. D.!LEGEAIS. V. égal. Com. 26 janvier 2010, n° 08-20505, dans lequel la Haute Juridiction se réfère à la perte d’une chance d’éviter un endettement.

905 Civ. 1ère, 21 nov. 2006, Bull. civ. I, no 498, JCP G 2007. I. 115, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK. 906 Com., 6 oct. 2009, pourvoi no 08-19346 (inédit) ; Civ. 3e, 22 sept. 2009, pourvoi no 08-18156 (inédit) ;

Civ. 2e, 9 avr. 2009, Bull. civ. II, no 98 ; Civ. 1re, 9 avr. 2002, Bull. civ. I, no 116. Pour une présentation théorique de la perte de chance, v. F.!BÉLOT, «!Pour une reconnaissance de la notion de préjudice économique en droit français!», LPA 28!déc. 2005, p.!8-15 ; M. BACACHE, « La réparation de la perte de chances : quelles limites », D. 2013. 619.

907 V. sur ce point la note de F.!GUERCHOUN, Gaz. Pal. 21!nov. 2009, spéc. la jurisprudence citée dans les notes 27 à 30.

Page 234: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

232

Selon la première, le mécanisme de la perte de chance serait inadapté au préjudice subi

par l’emprunteur. Des auteurs soutiennent en ce sens que le manquement du banquier à son

devoir de mise en garde ne se traduit jamais par la perte d’une chance de ne pas contracter908.

Selon eux, s’il est établi que, correctement informé, l’emprunteur n’aurait pas contracté, son

préjudice n’est pas une perte de chance de ne pas contracter mais réside dans la conclusion du

contrat. Aussi, « c'est l'intégralité des conséquences du contrat qui constitue son préjudice » et

non un pourcentage de ces conséquences909. Si, en revanche, il est acquis que l’emprunteur

aurait quand même contracté dans les mêmes conditions, le manquement ne lui est pas

préjudiciable. On ne peut donc reprocher au banquier le manquement à son devoir de mise en

garde. Il apparaît ainsi que c’est l’impossibilité d’établir avec certitude la preuve de l’une ou

l’autre de ces situations éminemment subjectives qui explique que la Cour de cassation ait

recours à la perte de chance. Dans ces conditions, celle-ci représente « un simple palliatif aux

incertitudes sur le lien de causalité »910 entre la faute du banquier et le préjudice subi par

l’emprunteur911.

Cette critique est pertinente, mais en partie seulement. La perte de chance pallie

effectivement les incertitudes affectant l’existence d’un lien de causalité entre la faute du

banquier et la création de la situation préjudiciable. Pour autant, n’est-ce pas là le rôle attribué

à ce mécanisme? La perte de chance est un procédé « consistant à modifier l’un des termes de

la relation causale, à savoir le dommage, en substituant au préjudice final un nouveau

préjudice, la perte de chance d’éviter le premier. La chance représentant en soi une valeur, sa

perte peut être analysée comme un dommage. Or ce nouveau préjudice est en relation de

causalité certaine avec la faute commise, dans la mesure où celle-ci a privé la victime ne

serait-ce que d’une chance d’éviter le dommage final »912. Partant, le reproche qui peut être

adressé à la solution retenue par la Chambre commerciale ne réside pas tant dans

908 Comme l’explique M. DESHAYES, « la solution retenue, qui consiste à indemniser la perte de chance,

revient à allouer à la victime une somme représentant une quote-part de l'avantage escompté, quote-part égale au pourcentage de chances qu'avait l'événement favorable de se produire. Pourtant, il est indéniable que si le fait générateur de responsabilité n'avait pas modifié le cours de l'histoire, la victime aurait reçu l'avantage en totalité ou bien n'en aurait rien reçu. Mais en aucun cas elle aurait pu n'en recevoir qu'une quote-part » (O. DESHAYES, RDC 2009, p. 1032).

909 J.-S. BORGHETTI, « La perte de chance de ne pas contracter », note sous Com. 20 déc. 2009, pourvoi n° 08-20274, RDC 2010, p. 610.

910 Ph. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 183, note 44. 911 J.-S. BORGHETTI, art. préc., RDC 2010, p. 610. Contra S. PIEDELIÈVRE, JCP G 2009, note 482 : « Le

recours à la théorie de la perte d’une chance permet également ici de contourner une incertitude sur le lien de causalité. La faute du banquier est indiscutable ; il n’a pas transmis le fait pertinent qui aurait permis à la caution de s’engager en toute connaissance de cause. Le lien de causalité devient incertain dès lors que l’on essaie de rattacher cette faute à un préjudice résultant de l’opération réalisée ; il devient certain si le préjudice s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter ».

912 M. BACACHE, « La réparation de la perte de chance : quelles limites ? », D. 2013. 619.

Page 235: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

233

l’inadéquation de la perte de chance à la réparation du préjudice subi par l’emprunteur que

dans le recours à ce mécanisme. Il est en soi critiquable en ce qu’il appréhende de manière

statistique et donc imparfaite le préjudice réparable.

Une autre critique, cette fois déterminante, nous semble devoir être formulée. Comme le

relève M. BRUN, la perte de chance renvoie à la perte « d’une probabilité d’un événement

favorable et non celle d’un dommage », si bien qu’en « toute rectitude, il n’est pas forcément

judicieux d’inclure dans cette définition les “chances” perdues d’éviter un dommage »913. Or il

nous apparaît fortement contestable de qualifier la non-conclusion d’un crédit excessif

d’événement favorable, du moins lorsqu’il s’agit d’un crédit à une entreprise. En effet, qu’il

s’agisse d’un crédit de démarrage ou d’un crédit destiné à permettre à une entreprise de se

renouveler ou dépasser des difficultés, c’est davantage l’accès au crédit qui constitue un

événement favorable puisqu’essentiel à l’existence ou au maintien de l’activité. Partant, le fait

de ne pas contracter un crédit excessif ne constitue pas un événement favorable. Certes, la

non-conclusion du crédit excessif peut éventuellement permettre d’éviter un dommage. Mais

il faut, là encore, bien remarquer que le dommage dont il est question réside dans l’échec de

l’activité financée et non dans le fait d’avoir contracté le crédit excessif.

D’ailleurs, la jurisprudence sur le devoir de mise en garde a permis de faire ressortir que

le crédit excessif est en soi licite914. Nous avons montré dans la première partie que cette

solution est éminemment contestable lorsque le crédit est octroyé à un particulier. En effet, on

ne comprend pas pourquoi le banquier devrait échapper à toute responsabilité sous prétexte

qu’il a rempli son devoir de mise en garde alors qu’il a octroyé un crédit dépassant les

capacités de remboursement de l’emprunteur. En réalité, en présence d’un particulier non

averti, le devoir de mise en garde devrait s’effacer devant un devoir de refuser tout crédit

excessif. En revanche, la licéité du crédit excessif est justifiée lorsqu’il est octroyé à une

entreprise, car il correspond à une prise de risque normale. Elle apparaît même souhaitable,

comme en témoigne la législation sur la limitation de la responsabilité du banquier en cas

d’octroi de crédit à une entreprise en difficulté. Ainsi, en plus d’être juridiquement

approximatif, le mécanisme de la perte de chance de ne pas contracter n’est pas stratégique

économiquement. Le législateur et la jurisprudence ne peuvent pas d’un côté réduire les cas

dans lesquels l’octroi de crédit à une entreprise est fautif et de l’autre alourdir la

responsabilité du banquier lorsqu’il manque à son devoir de mise en garde sans consentir un

crédit fautif. Une trop grande sévérité en cas de manquement au devoir de mise en garde

913 Ph. BRUN, op. cit., n° 183. 914 Voir supra n° 159.

Page 236: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

234

aurait pour effet de réduire l’impact positif que peut représenter l’article L. 650-1 sur la

distribution de crédit aux entreprises. Il est donc impératif de réfléchir à une nouvelle

définition du préjudice causé par le manquement du banquier à son devoir de mise en garde.

B – LES PROPOSITIONS ALTERNATIVES

250. Le préjudice né de la réalisation du risque. Le recours à la perte de chance en

présence d’une simple perte de chance d’éviter un dommage témoigne d’une

instrumentalisation de ce mécanisme.

On peut ici se reporter à l’analyse de Mme FABRE-MAGNAN. Cette analyse ne rapporte

pas au devoir de mise en garde mais à l’obligation d’information. Cependant, l’analogie est

permise dans la mesure où la mise en garde recèle un devoir d’information.

Pour l’auteur, le manquement à une obligation d’information ne doit pas être réparé sur le

fondement de la perte de chance mais sur celui de l’exposition d’autrui à un risque915. Alors

que dans le cas de la perte de chance, « la chance perdue existait dans le patrimoine de la

victime avant l’intervention fautive », dans le cas de l’exposition à un risque, la victime « ne

disposait, dans son patrimoine, d’aucune chance précise, c’est-à-dire d’aucune probabilité

quantifiable d’obtenir un gain, ni même d’aucun risque précis »916. On peut en déduire que,

contrairement à la perte de chance qui suppose que l’auteur de la faute indemnise la victime

en proportion de la chance perdue, l’exposition à un risque doit donner lieu à réparation

intégrale du préjudice résultant de sa réalisation. En effet, « si la faute n’avait pas été

commise, la personne n’aurait pas été exposée à un risque et n’aurait donc subi aucun

dommage de ce fait »917. En d’autres termes, la non-réalisation du risque exclut toute

réparation.

Une telle solution aurait pour effet, en cas de réalisation du risque, de sanctionner le

banquier sur le seul fondement de son manquement au devoir de mise en garde,

indépendamment des conséquences qu’aurait eu la mise en garde sur la décision de

l’emprunteur. Elle aboutirait donc à instaurer une véritable peine privée à l’encontre du

banquier. Sa fonction étant de « prévenir les comportements anti-sociaux en sanctionnant

915 M. FABRE-MAGNAN, thèse précitée, n° 620 et s., spéc. n° 622 : « La perte d’une chance est alors la

perte d’une possibilité de réaliser un gain, tandis que l’exposition à risque est la survenance d’une possibilité de subir un préjudice ».

916 Ibid., n° 623. 917 Ibid. n° 625 ; v. égal. Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action

2012-2013, n° 1425.

Page 237: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

235

leurs auteurs plus durement que ne le font les règles ordinaires de la responsabilité civile »918,

la peine privée sanctionne l’auteur d’une faute sur le seul fondement de cette faute, peu

important l’ampleur du dommage. Mme CARVAL a soutenu dans sa thèse que le recours à la

peine privée est particulièrement adapté à la violation d’une obligation d’information. Elle

permet de contourner le recours à la perte de chance, qui, on l’a vu, est intellectuellement

insatisfaisant tant il est difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer avec certitude

quelle aurait été la décision de la victime si elle avait été correctement informée. En d’autres

termes, la réparation de la perte de chance en présence de la violation d’une obligation

d’information est un artifice puisqu’il est impossible de connaître la mesure du dommage. Or

un tel reproche ne peut pas être adressé à la peine privée. En effet, contrairement aux

dommages et intérêts, la peine privée est affranchie de la nécessité de déterminer le montant

exact du dommage subi919.

251. La distinction du risque justifié et du risque inacceptable. Reprenant la

distinction opérée entre la perte de chance et l’exposition à un risque, M. BARBIER introduit

une nuance importante. Il considère que la sanction appliquée en cas de réalisation du risque

doit varier selon la nature du risque encouru.

Si le risque est injustifié, comme c’est le cas en matière de crédit abusif, la faute du

banquier consiste en une violation de l’obligation de vigilance qui implique celle de ne pas le

faire courir. Elle doit donc être sanctionnée par la réparation du préjudice tiré de la conclusion

du contrat920. On retrouve ici la proposition formulée par Mme FABRE-MAGNAN.

Si en revanche le risque est justifié, la faute du banquier ne réside plus dans la violation

du devoir de ne pas contracter mais dans la simple violation de l’obligation d’informer

l’emprunteur du caractère excessif du crédit. Dans cette mesure, le préjudice de l’emprunteur

équivaut « à la part de crédit accordé par le banquier qui dépasse le seuil du crédit normal

maximal »921. En d’autres termes, « si le préjudice est né de l’excès, les dommages et intérêts

seront de la hauteur de l’excès »922.

252. Appréciation critique. Le critère proposé par Mme FABRE-MAGNAN est d’une

rigueur excessive, du moins pour ce qui concerne la distribution du crédit aux entreprises.

918 S. CARVAL, thèse préc., n° 312. 919 S. CARVAL, thèse préc., n° 312 et s. 920 V. également R. VABRE, « Le devoir de ne pas contracter dans le secteur bancaire et financier », JPC G

2012. 1052, n° 26. 921 H. BARBIER, Thèse préc., n° 495. 922 Ibid., n° 495.

Page 238: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

236

L’automatisme qu’il renferme n’est pas compatible avec le devoir de mise en garde du

banquier qui autorise, voire même encourage, le banquier à consentir un crédit excessif. De

plus, nous avons montré qu’il ressort de la jurisprudence relative au devoir de mise en garde

que l’octroi d’un crédit excessif n’est pas en soi préjudiciable puisque le client peut décider de

courir le risque.

Le critère suggéré par M. BARBIER est déjà plus conforme à l’esprit qui sous-tend le

devoir de mise en garde du banquier. Nous partageons ainsi sa proposition consistant à

condamner le banquier à réparer le préjudice lié à la conclusion du contrat lorsque le risque

qui s’est réalisé était injustifié. La condamnation du banquier à réparer le préjudice lié au

manquement à son obligation de mise en garde par des dommages et intérêts équivalents à la

part excessive du risque lorsque le risque est justifié nous semble en revanche d’une trop

grande sévérité. Comme le remarque M. BARBIER, dans le cas d’un risque justifié, ce n’est

pas la prise de risque qui est reprochée au banquier mais le manquement à l’obligation de

mettre en garde l’emprunteur sur l’importance du risque. Le montant du préjudice doit donc

nécessairement être inférieur à la part d’excès que comporte le risque pris.

253. Proposition : le préjudice d’impréparation. Pour surmonter le problème qui vient

d’être mis en lumière, on peut songer à se tourner vers les solutions retenues en droit de la

responsabilité médicale. La jurisprudence a été confrontée à l’évaluation du préjudice subi par

le patient du fait du manquement du médecin à son obligation de l’informer des risques

encourus. Dans un premier temps, la jurisprudence recourait à la perte de chance d’éviter le

dommage923. Or, comme pour le devoir de mise en garde du banquier, les juges se trouvaient

confrontés à l’impossibilité de déterminer quel aurait été le choix du patient dûment informé

des risques. La Cour de cassation a donc décidé de déduire l’existence du préjudice du seul

manquement du médecin à son obligation d’information924. La doctrine, pour une partie, a

expliqué cette solution en élaborant la notion de préjudice d’impréparation925. Il s’agit du

dommage « dont peut se plaindre tout patient qui n’a pas été en mesure de se préparer au

923 Cf. par ex. Civ.!1re, 6!déc. 2007, Bull. civ.!I, no

!380, D. 2008, p.!192, note P.!SARGOS, JCP!G 2008. I. 125, no

!3, obs. Ph.!STOFFEL-MUNCK, Gaz. Pal. 8!oct. 2008, p.!35, note A.!DUBALLET, RTD civ. 2008, p.!272, obs. J.!HAUSER et p.!303, obs. P.!JOURDAIN, RDC 2008, p.!769.

924 Civ. 1ère, 3 juin 2010, pourvoi n° 09-13951 (inédit), D. 2010, p.1522, note P. SARGOS, p. 2099 obs. C. CRETON, JCP 2010. 788, note S. PORCHY-SIMON, RCA 2010, com. 222, note S. HOCQUET-BERG, RTD civ. 2010, p. 571, note P. JOURDAIN ; RDC 2010, p. 1235, J.-S. BORGHETTI.

925 Cette notion a d’abord été formulée à la suite d’un arrêt de la Cour d’appel d’Anger du 11 septembre 1998 (Angers, 11 sept. 1998, D. 1999. Jur. 46, note M. PENNEAU) avant d’être reprise à la suite de l’arrêt précité du 3 juin 2010.

Page 239: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

237

risque qui lui avait été caché »926. Cette interprétation a été confirmée par un arrêt du 23

janvier 2014, qui se réfère expressément au préjudice d’impréparation927.

Le préjudice d’impréparation a le mérite de ne pas déformer la notion de perte de chance

et de ne pas porter atteinte à l’exigence d’un lien de causalité certain entre la faute et le

dommage. Il est en effet indéniable que le manquement à l’obligation d’information prive son

bénéficiaire de la possibilité de se préparer psychologiquement à la réalisation du risque. Il

semblait toutefois raisonnable de limiter la réparation de ce préjudice au seul cas où le risque

se réalise928, solution qui vient précisément d’être retenue par l’arrêt précité du 23 janvier

2014.

Peut-on envisager de transposer le préjudice d’impréparation au manquement au devoir

de mise en garde ? Selon un auteur, une réponse positive semble improbable929. Selon lui, le

préjudice d’impréparation a sa place en matière médicale en raison du principe de dignité de

la personne humaine, lequel ne trouve pas à s’appliquer en matière bancaire. Cet argument

n’est pas dirimant. D’une part, on ne voit pas pourquoi le principe de dignité de la personne

humaine s’appliquerait seulement à la matière médicale. D’autre part, le préjudice

d’impréparation est aussi l’expression de la fonction normative de la responsabilité civile. En

d’autres termes, il s’agirait de sanctionner le banquier pour avoir adopté un comportement

asocial, quand bien-même il serait acquis que celui-ci n’est pas directement responsable de

l’échec de l’entreprise financée.

Finalement, la sanction du manquement du banquier au devoir de mise en garde pourrait

se dédoubler.

Si l’emprunteur prouve que, dûment mis en garde, il n’aurait pas contracté, la sanction

devrait être l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de l’excès930.

926 M. PENNEAU, note ss. Angers, 11 sept. 1998, D. 1999. Jur. 46. V. égal. M. BACACHE-GIBEILI-

GIBEILI, D. 2008. 1908. 927 Civ. 1ère, 23 janv. 2014, Bull. civ. I, n° 13; D. 2014. 590, note M. BACACHE. 928 P. JOURDAIN, note sous Civ. 1ère, 3 juin 2010, RTD civ. 2010, p. 571. 929 O. DESHAYES, « Quel est le préjudice réparable en cas de manquement à une obligation d'information,

de mise en garde ou de conseil!? », RDC 2011/ 2, p. 446. 930 V. en ce sens Com. 31 mai 2011, pourvoi n° 09-71509 (inédit). En l’espèce, la banque soutenait que « le

préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter [et] qu'en conséquence, l'indemnité susceptible d'être allouée à l'emprunteur au titre de la violation par la banque de son devoir de mise en garde ne [pouvait] être égale aux sommes empruntées ». La Cour de cassation rejette le moyen au motif que la Cour d’appel avait retenu que « le manquement fautif que la caisse [avait] commis à l'égard de Mme X... [avait] conduit cette dernière à souscrire deux engagements qu'elle n'aurait pas régularisés si la banque avait rempli son obligation et que le préjudice qui en [était] résulté [était] équivalent au montant des sommes dues au titre des deux prêts, auxquels Mme X... ne pouvait faire face dans leur intégralité ; qu'ayant ainsi limité la condamnation de la banque aux sommes que Mme X... restait lui devoir au titre des prêts, la cour d'appel [n’avait] pas encouru le grief du moyen ». Comp. D. HOUTCIEFF, D. 2009, p. 2971, n° 8. L’auteur propose d’orienter la sanction vers la nullité du contrat pour réticence dolosive lorsqu’il ne fait aucun doute que l’emprunteur (ou la caution) n’auraient pas contracté.

Page 240: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

238

Si, en revanche, l’emprunteur ne parvient pas à rapporter une telle preuve, le

manquement du banquier à son devoir de mise en garde donnerait lieu, en cas de réalisation

du risque, à la réparation d’un préjudice d’impréparation, qu’il soit acquis que l’emprunteur

ou la caution, dûment informés, auraient quand même contracté931, ou que le doute subsiste

quant à leur intention.

254. Conclusion de la section. Aujourd’hui, l’octroi de crédit n’est préjudiciable que

dans des situations restreintes et aux contours bien délimités. La faute du banquier obéit à des

conditions strictes s’agissant du crédit aux entreprises si bien que sa responsabilité ne sera

engagée qu’en présence d’un crédit que l’on pourrait qualifier de pathologique. Concernant le

crédit aux particuliers, la faute est beaucoup plus large puisqu’elle est indiscutablement

constituée en présence d’un crédit octroyé à une personne insolvable. Dans ces conditions, il

faut considérer que si le régime de la responsabilité civile du banquier pour octroi de crédit est

un frein à la distribution du crédit aux particuliers, il est en revanche un moteur de

libéralisation de l’accès au crédit des entreprises et contient donc le germe de la

reconnaissance d’un droit au crédit en leur faveur. Toutefois, pour qu’un tel constat soit

constructif, il apparaît nécessaire que la jurisprudence fasse évoluer la sanction attachée à la

violation par le banquier de son devoir de mise en garde. En ce sens, la réparation du

préjudice tiré de la perte de chance de ne pas contracter n’est pas adaptée. Elle devrait être

remplacée par celle du préjudice d’impréparation (lorsque l’emprunteur ne parvient pas

prouver qu’il n’aurait pas contracté) ou par celle du préjudice tiré de l’existence du contrat

(lorsque l’emprunteur rapporte la preuve qu’il n’aurait pas contracté).

Il nous reste à présent à déterminer si le mouvement favorable à la reconnaissance d’un

droit au crédit des entreprises est confirmé par l’analyse de la responsabilité civile délictuelle

du banquier en cas de refus de crédit à une entreprise.

931 En ce sens, v. D. HOUTCIEFF, D. 2009, p. 2971, n° 8. V. égal. J.-S. BORGHETTI, art. préc., RDC 2010,

p. 610. Contra O. DESHAYES, art. préc., RDC 2011/2, p. 446.

Page 241: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

239

SECTION II : LE RENFORCEMENT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE EN CAS DE REFUS DE CRÉDIT À UNE ENTREPRISE

255. Plan. Il convient à présent de s’intéresser aux conséquences du refus fautif de crédit

aux entreprises afin de déterminer si elles sont susceptibles de conduire à la reconnaissance

d’un droit au crédit. Pour ce faire, nous étudierons un fait connu, la sanction de la rupture

fautive du crédit (§ I), pour tracer les contours d’un fait à ce jour inconnu, la sanction

applicable au manquement à l’obligation d’expliquer la notation du prêt (§ II).

§ - I. LA SANCTION EN CAS DE RUPTURE FAUTIVE DU CRÉDIT

256. Plan. Nous avons vu dans la première partie de ce travail que la loi n° 2009-1255 du

19 octobre 2009 tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à

améliorer le fonctionnement des marchés financiers a modifié l’article L. 313-12 du CMF en

imposant à l’établissement de crédit qui entend rompre ou réduire un concours bancaire de

fournir, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption.

Le banquier est aujourd’hui contraint de motiver sa décision de rompre ou réduire le crédit

consenti à une entreprise. Cet article est donc venu poser une condition à la régularité de la

rupture d’un crédit. On envisagera la sanction applicable en cas de violation de cette condition

(B) après avoir étudié celle qui est retenue en présence d’une rupture non pas irrégulière mais

abusive (A)932.

A – LA SANCTION DE LA RUPTURE DE CRÉDIT ABUSIVE

256. Contexte. La rupture du crédit peut être abusive soit lorsque le banquier adopte un

comportement déloyal, soit lorsqu’elle n’est pas légitime.

Le comportement déloyal du banquier est notamment caractérisé par la brutalité avec

laquelle il rompt le crédit933. L’article L. 313-12 du CMF est toutefois de nature à limiter cette

hypothèse, puisqu’il énonce que « tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel,

qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut

être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé

932 Sur cette distinction, v. A. MARAIS, « Le maintien forcé du contrat », LPA 2 oct. 2002, p. 7 et s. ; v. égal.

J. MESTRE, « Rupture abusive et maintien du contrat » RDC 2005/ 1, p. 99. 933 Com. 14 fév. 1989, RTD com. 1989. 507, obs. M. CABRILLAC et B. TEYSSIÉ ; Com. 3 déc. 1991,

RJDA 1992, n° 63. Pour un exemple récent, v. Com., 2 mars 2010, n° 09-10435 (inédit).

Page 242: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

240

lors de l'octroi du concours ». Il précise que « ce délai ne peut, sous peine de nullité de la

rupture du concours, être inférieur à soixante jours ».

La rupture est illégitime lorsqu’elle n’est pas justifiée, ce qui relève a priori du champ

d’application de l’article L. 313-12 du CMF934. On peut mentionner en ce sens un arrêt récent

rendu par la Chambre commerciale sous le visa de cette disposition et de l’article 1147 du

Code civil935. En l’espèce, les juges du fond avaient retenu la responsabilité de la banque pour

rupture de crédit alors même que cette dernière avait respecté le préavis légal. La Cour de

cassation les a censurés en leur reprochant de ne pas avoir tiré les conséquences légales de

leur constatation, car ils avaient retenu que l’échec de l’opération financée n’était pas

imputable à la rupture de crédit et avaient constaté que la banque avait respecté le préavis

légal. En conséquence, si les juges du fond avaient admis le lien de causalité entre la rupture

de crédit et le préjudice lié à l’échec de l’opération financée, on peut considérer que la

responsabilité de la banque aurait pu être engagée nonobstant le respect du préavis.

Cette solution rejoint celle qui était d’ores et déjà adoptée par la Cour de cassation avant

la loi du 19 octobre 2009. La Chambre commerciale a ainsi jugé, dans un arrêt du 13 mars

2012, que « le rejet de l’échéance d’un prêt et d’échéances de traites présentées en paiement »

constituait une rupture abusive d’une ouverture tacite de crédit « car leur paiement aurait

laissé le compte débiteur à l’intérieur du découvert moyen que la banque acceptait

antérieurement »936. On pourrait éventuellement interpréter cet arrêt comme faisant une

application implicite du principe de cohérence auquel sont tenus les contractants. Dans ce cas,

l’abus aurait été caractérisé par le seul comportement du contractant. Il n’empêche que si la

décision de la banque de mettre fin à l’ouverture tacite de crédit a été qualifiée d’abusive,

c’est parce qu’elle apparaissait injustifiée au regard de la pratique que la banque avait elle-

même instaurée. En d’autres termes, le paiement des échéances ne dépassant pas le découvert

classiquement autorisé par la banque, leur rejet constituait une rupture abusive de crédit.

L’abus résidait donc dans le caractère injustifié de la rupture.

257. Le problème de la sanction. Que la rupture soit abusive en raison du comportement

du banquier ou de l’absence de raisons légitimes, une même question se pose : la sanction de

l’abus doit-elle être cantonnée à l’allocation de dommages et intérêts ou peut-elle consister

dans le maintien forcé du crédit?

934 Voir supra n° 141 et s. 935 Com. 14 janv. 2014, n° 12-28786 (inédit). 936 Com., 13 mars 2012, n° 08-16848 (inédit).

Page 243: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

241

Pour la Cour de cassation, les deux sanctions sont envisageables. Elle s’est à plusieurs

reprises prononcée en faveur du maintien du crédit. La Chambre commerciale de la Cour de

cassation a ainsi considéré qu’en cas de rupture brutale d’une ouverture de crédit, la banque

pouvait être contrainte d’honorer les effets de commerce du crédité937. Cette même Chambre a

également jugé que le juge des référés pouvait ordonner le maintien d’un découvert sur

compte après avoir relevé que la révocation brutale de l’autorisation de crédit constituait un

trouble manifestement illicite938. Ces décisions s’inscrivent d’ailleurs dans une jurisprudence

plus générale, s’appliquant à des contrats autres que de crédit939.

En dépit de ces arrêts, la doctrine se montre partagée quant à la possibilité de sanctionner

la rupture abusive par le maintien forcé du contrat. Des auteurs y sont résolument hostiles (1)

tandis que d’autres y sont favorables (2).

1) Arguments contre le maintien forcé du contrat en cas de rupture abusive

258. Sanction de l’abus et dommage et intérêts. D’une manière générale, de nombreux

auteurs estiment que l’abus de droit ne peut être sanctionné que par des dommages et

intérêts940. S’il en est ainsi pour l’abus en général, il ne peut en aller autrement pour l’abus

937 Com., 14 fév. 1989 (inédit), RTD com. 1989. 507, obs. M. CABRILLAC et B. TEYSSIÉ. 938 Com., 3 déc. 1991, pourvoi n° 90-13714 (inédit), RJDA 1992, n° 63 ; Revue Banque 1992. 734, note J.-L.

RIVES-LANGE. 939 V. par ex. Civ. 3e 16 oct. 1973, Bull. civ. III, n° 529 ; 15 déc. 1976, Bull. civ. III, n° 495 (la clause

résolutoire mise en œuvre de mauvaise foi est sans effet) ; Civ. 3e, 11 mai 1976, D. 1978. 269, note J.-J. TAISNE (pour l’exercice de mauvaise foi d’une faculté de dédit) ; Com. 27 avr. 1993, Bull. civ. IV, n° 159, p. 109 (le distributeur peut obtenir le renouvellement du contrat de distribution lorsque son cocontractant n’est pas en mesure de justifier l’inadapation du distributeur à des critères objectifs de sélection des revendeurs qu’il a choisis pour bâtir son réseau) ; Com. 21 mars 1984, Bull. civ. IV, n° 115, p. 96 (le distributeur peut obtenir la reprise des livraisons en cas de dénonciation fautive du contrat par le producteur). Pour des exemples de jurisprudence ayant reconnu au juge des référés le pouvoir de maintenir un contrat en cas de rupture abusive, v. Civ. 1ère 7 nov. 2000 n° 99-18576, Bull. civ. I, n° 286 ; D. 2001. 256, note C. JAMIN et 1137, note D. MAZEAUD ; RTD civ. 2001. 135, obs. J. MESTRE ; Ibid. 2002. 137, obs. J. NORMAND ; RDI 2001. 133, obs. G. DURRY, dans lequel la Haute juridiction a décidé qu’en « adoptant comme mesure conservatoire la poursuite des effets du contrat, fût-il dénoncé, le juge des référés ne fait qu’user du pouvoir que lui confère l’art. 873 al. 1 du NCPC » ; Com., 10 nov. 2009, n° 08-18337 (inédit); Cont. Conc. Cons. 2010, comm. 93, note N. MATHEY. Dans cet arrêt, la Chambre commerciale a jugé que, « en ordonnant la poursuite des relations commerciales entre les parties jusqu'au 1er juillet 2008, selon des modalités équivalentes à celles ayant été suivies en 2006, après avoir retenu que la rupture litigieuse constituait un trouble manifestement illicite et était de nature à causer à la société Legal un dommage imminent et relevé que la société Legal avait fait état de la diminution significative de commandes pendant la durée du préavis initial », le juge des référés, « qui ne s'est pas prononcée sur la responsabilité contractuelle, mais sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies, n'a fait qu'user des pouvoirs que lui confèrent les articles L. 442-6-IV du code de commerce et 873 du code de procédure civile ».

940 Voir par exemple, F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 481-2, au sujet de la résiliation abusive d’un CDI. Ces auteurs considèrent en revanche que la résiliation anticipée d’un CDD n’étant pas possible, un contractant peut être condamné à l’exécution forcée de ses obligations, op. cit., n° 481-1) ; J. GHESTIN, Ch. JAMIN, M. BILLAU, Les effets du contrat, op. cit. n° 274 ; Ph. STOFFEL-MUNCK, thèse préc., n° 313 ; CAUCHY-PSAUME, thèse préc., n° 261 ; D. HOUTCIEFF, thèse préc., n° 1078, p. 782. Contra

Page 244: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

242

dans la rupture d’un contrat en particulier. M. STOFFEL-MUNCK soutient en ce sens que le

maintien forcé du contrat est une sanction inadaptée lorsque l’abus réside dans le

comportement déloyal du contractant. Selon lui, dans une telle hypothèse, « ce qui est fautif

n’est pas tant de rompre que la manière dont on a rompu (…). Par conséquent, ce sont les

conséquences de ce comportement qu’il importe de redresser et non la rupture. Autrement dit,

la victime doit être remise dans la situation qui aurait été la sienne si la rupture avait été

exempte de déloyauté »941.

259. Le pouvoir exorbitant du juge des référés. En outre, les arrêts retenant le maintien

forcé du contrat en cas d’abus dans la rupture doivent faire l’objet d’une interprétation a

minima. Les auteurs remarquent qu’ils se rapportent au pouvoir du juge de référés, habilité à

ordonner toute mesure destinée à faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans cette

mesure, le maintien forcé du contrat relèverait uniquement du « pouvoir exorbitant » qui lui

est reconnu, reposant sur l’urgence de la situation942. A l’inverse, les juges du fond seraient

incompétents pour prononcer une telle sanction. MM. BILLAU et JAMIN écrivent en ce sens

qu’aucune « disposition légale n’autorise le juge du fond à refuser de constater la rupture d’un

contrat régulièrement dénoncé, même s’il en résulte un dommage »943.

2) Arguments en faveur du maintien forcé du contrat en cas de rupture abusive

260. L’incidence de l’abus sur l’exercice du droit de rompre. Afin de montrer

comment le maintien forcé du crédit peut être envisagé, il convient de distinguer les différents

abus susceptibles d’être commis par le banquier. L’abus peut non seulement résider dans son

comportement, c’est-à-dire « la manière »944 de rompre, mais aussi dans le moment choisi

pour le faire, ce que désigne l’expression de rupture brutale, ou encore dans l’absence de

raisons légitimes. Si, effectivement, le maintien forcé n’apparaît pas justifié lorsqu’il s’agit de

Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action 2012-2013, n° 6872 ; J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGAN, Introduction générale, op. cit., n° 807.

941 Ph. STOFFEL-MUNCK, « Le juge et la stabilité du contrat », in Le renouveau des sanctions contractuelles, dir. F. COLLART-DUTILLEUL et C. COULON, Economica, 2007, p. 144. Du même auteur, v. également, thèse préc., n° 336 et 337. V. en outre, F. PERROCHON, « Responsabilité et dépendance économiques : tendances récentes en faveur des distributeurs », Cahiers de droit de l’entreprise 1989-4, p. 16 et s., spéc. n° 11).

942 Ph. STOFFEL-MUNCK, art. préc., p. 143 ; v. dans le même sens, M. BILLAU et Ch. JAMIN, « Le juge des référés impose la poursuite d’un contrat d’assurance valablement dénoncé par l’assureur », D. 2001. 256, n° 7.

943 M. BILLAU et Ch. JAMIN, art. préc., D. 2001. 256, n° 7. 944 Ph. STOFFEL-MUNCK, thèse préc., note 1300, p. 283.

Page 245: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

243

sanctionner le comportement du banquier dès lors qu’il est sans incidence sur la régularité de

l’exercice de la rupture, il n’en va pas de même lorsque l’abus réside dans la brutalité de la

rupture ou l’absence de motifs légitimes. En effet, dans ces hypothèses, l’abus a des

répercussions sur la légitimité de l’exercice du droit de rompre, c’est-à-dire sur la rupture en

elle-même. Dès lors, la sanction de l’abus doit assurer la réparation des dommages nés de la

rupture. Le maintien forcé du contrat peut, dans ces conditions, être envisagé.

261. La réparation en nature de l’abus. D’ailleurs, contrairement à ce que soutient une

partie de la doctrine, l’abus de droit n’est pas exclusivement sanctionné par des dommages et

intérêts. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de le sanctionner par la réparation en nature945.

S’agissant spécifiquement du contrat, aucune disposition du Code civil ne s’oppose à son

maintien forcé en cas de rupture abusive946. Au contraire, l’article 1134 du Code civil, qui

énonce le principe de force obligatoire du contrat, est pleinement compatible avec le maintien

forcé du contrat lorsque l’abus est caractérisé par l’existence d’un motif illégitime de

rupture947. C’est pour cette raison que Mme PANCRAZI-TIAN s’est montrée favorable dans

sa thèse au maintien forcé du lien contractuel, sauf lorsque qu’il porte « une atteinte

intolérable à la liberté individuelle du contractant qui a pris l’initiative de la rupture »948. Il en

va notamment ainsi du salarié dont la démission est déclarée abusive. L’impact que le

maintien forcé du contrat aurait évidemment sur sa liberté individuelle explique qu’il ne

puisse être contraint de réintégrer l’entreprise. En dehors de cette hypothèse, la résiliation

abusive d’un contrat à durée indéterminée pourrait être sanctionnée « par une prolongation du

945 Pour la matière contractuelle, cf. Com., 21 mars 1984, Bull. civ. IV, no 115 (reprise des livraisons à la

suite de la dénonciation fautive du contrat de livraison). V. aussi Com., 27 avril 1993, Bull. civ. IV, no 159 ; Com., 3 décembre 1991, pourvoi n° 90-13714 (inédit); R.J.D.A. 1992-1, no 63, Revue Banque 1992. 734, note J.-L. RIVES-LANGE ; CA Colmar, 18 oct. 1972, JCP 1973. II. 17479, note J.-J. BURST ; CA Paris, 28 févr. 1992, RJDA 1992, no 534, p. 422. En dehors de la matière contractuelle, l’abus du droit de propriété a été sanctionné par la réparation en nature dès le célèbre arrêt Clément Bayard. Dans cet arrêt, il a été affirmé que l’abus du droit de propriété doit être sanctionné par la démolition des ouvrages édifiés par le propriétaire sur son propre terrain (Req., « Clément Bayard », 3 août 1915, D. 1917. 1. 79). V. égal. Civ. 1ère 20 janv. 1964, D. 1964, 518, précisant que l’abus doit être sanctionné par la condamnation du propriétaire fautif à l’enlèvement d’un rideau de fougères afin d’empêcher le jour de pénétrer par une fenêtre de l’immeuble voisin.

946 D. MAZEAUD, « Le maintien judiciaire des effets du contrats, sanction de sa rupture unilatérale abusive», D. 2001, p. 1137 ; A. MARAIS, art. préc., LPA 2 oct. 2002, n° 197, p. 7 et s. (l’auteur propose de limiter dans le temps « le maintien des effets du contrat au titre de la réparation en nature du préjudice causé par une rupture abusive ») ; J. MESTRE, art. préc., RDC 2005/ 1 p. 99.

947 Dans le même sens, v. J. MESTRE, art. préc., RDC 2005/ 1, p. 99. Selon M. MESTRE, le maintien forcé du contrat respecterait les prévisions initiales des parties et protégerait la force du lien contractuel. Il serait dès lors incompatible avec les propositions doctrinales visant à admettre la violation efficace du contrat. Il constituerait en outre une contrepartie au droit de résilier unilatéralement le contrat en cas de comportement gravement répréhensible.

948 M.-E. PANCRAZI-TIAN, La protection judicaire du lien contractuel, thèse, préf. J. MESTRE, thèse Aix-Marseilles, PUAM, 1996, n° 271.

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244

contrat pour un temps indéterminé (avec une possibilité de résiliation pour chaque partie) »949.

La brusquerie dans la rupture serait de son côté « sanctionnée par une prolongation du contrat

pour un temps correspondant au préavis que l’auteur aurait dû respecter »950.

262. Le maintien forcé du contrat de crédit. S’agissant à présent du contrat de crédit,

son maintien pourrait être justifié par la promesse implicite de stabilité qu’il contient. M.

ATIAS a écrit en ce sens que « le professionnel qui soutient une opération durable promet

implicitement de contribuer à sa poursuite ; il ne peut prétendre en avoir ignoré les exigences

dès lors que, par sa nature, elle ne pouvait réussir sans bénéficier d’une durée suffisante ou de

prolongements indispensables »951.

De son côté, M. HOUTCIEFF, bien que favorable au maintien du contrat de crédit en cas

de rupture abusive, estime que cette sanction ne saurait reposer sur l’existence d’une

promesse « implicite » de stabilité. Selon lui, la volonté implicite est un fondement

susceptible de porter atteinte à la sécurité juridique puisqu’elle a pour effet de livrer « les faits

à l’appréciation du juge sans lui donner d’autre étalon que son sens de l’équité ». Il propose

de lui substituer le principe de cohérence. Ce dernier, en sanctionnant « le seul comportement

objectivement contradictoire » du banquier au moment de la rupture, offre davantage de

sécurité juridique952.

En réalité, en suggérant de justifier le maintien forcé du crédit par l’existence d’une

promesse implicite de stabilité, M. ATIAS en place la raison d’être dans la nature du contrat

de crédit aux entreprises. Le crédit lui permet d’exister ou de perdurer. La « promesse

implicite de stablité » qu’il renferme ne renvoie pas à l’existence d’une volonté implicite du

banquier mais bien plutôt à l’essence même du crédit. Partant, le reproche que formule M.

HOUTCIEFF à l’encontre de la proposition de M. ATIAS n’apparaît pas convaincant. En

effet, le maintien du crédit ne sera pas prononcé à l’issue d’un travail divinatoire du juge

chargé de déterminer si le banquier s’y est implicitement engagé. Bien au contraire, il sera

décidé pour une raison objective, à savoir que le contrat de crédit est par essence un contrat

qui doit être maintenu, sauf comportement gravement répréhensible de l’emprunteur ou

impossibilité d’exécution du banquier.

Au soutien de cet argument, on peut relever que le maintien du crédit obéirait alors à la

même logique que celle présidant à celui d’un contrat de distribution. Le contrat de

949 Ibid., n° 271. 950 Ibid. Dans le même sens, v. D. HOUTCIEFF, thèse préc., n° 1081. 951 C. ATIAS, « Les promesses implicites de stabilité (crédit, emploi) », D. 1995, chr. 125, n° 10. 952 D. HOUTCIEFF, thèse préc., n° 1086.

Page 247: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

245

distribution est un contrat de dépendance. La marge de manœuvre des distributeurs « est

réduite, car ils doivent consacrer l’ensemble de leur activité à leur partenaire tout en

respectant une politique commerciale préétablie »+ 953. Le distributeur a donc un besoin

impérieux de stabilité. Or il a été jugé qu’il pouvait obtenir la reprise des livraisons en cas de

dénonciation fautive du contrat par le fabricant954. Dans un arrêt en date du 27 avril 1993, la

Chambre commerciale a ainsi décidé qu’il était en mesure d’exiger le renouvellement du

contrat de distribution dès lors que le fabricant n’était pas en mesure de justifier son éviction

au regard de ses propres critères objectifs de sélection de son réseau955. On voit bien qu’ici la

solution est justifiée par la nature même du contrat de distribution qui est essentiel à l’activité

du distributeur.

Finalement, on peut considérer que se dessine l’idée d’un droit au maintien du contrat

lorsque la décision de rompre est abusive. Cette sanction trouve une justification particulière

en matière de crédit puisqu’il a pour essence même de soutenir l’activité dont il est le moteur.

Cette idée d’un droit au maintien du crédit prend une ampleur particulière à la lumière de la

nouvelle obligation du banquier de motiver la rupture ou la réduction d’un crédit prévue par

l’article L. 313-12 du CMF dans sa rédaction issue de la loi du 19 octobre 2009.

B – LA SANCTION DE LA RUPTURE DE CRÉDIT IRRÉGULIÈRE

263. L’irrégularité de la décision de rompre un crédit en cas de manquement du

banquier à l’obligation de motiver la rupture. D’une manière générale, la décision de

rompre un contrat est irrégulière, et non plus abusive, « lorsqu'elle n'a pas respecté le

formalisme substantiel que la loi exige, qu'elle n'indique pas le motif requis par cette dernière

ou encore, (…), lorsqu'elle intervient sans motif valable avant le terme convenu »956. La

sanction qu’appelle logiquement l’irrégularité de la rupture réside dans sa nullité957. C’est

d’ailleurs la sanction qui est retenue pour de nombreux contrats, notamment le contrat de

travail958, le contrat de bail d’habitation959 et le bail commercial960.

953 F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 9e éd., 2011,

n° 928 ; G. VIRASSAMY, Les contrats de dépendance, essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, thèse, préf. J. GHESTIN, LGDJ, 1986.

954 V. not. Com. 21 mars 1984, Bull. civ. IV, n° 11, p. 95. 955 Com., 27 avr. 1993, Bull. civ., IV, n° 159 . 956 J. MESTRE, art. préc., RDC, 2005, n° 1, p. 99. 957 J. MESTRE, art. préc., RDC, 2005, n° 1, p. 99. 958 Ainsi, lorsque le licenciement est annulé, la réintégration peut être demandée par le salarié victime d’un

accident du travail ou d’une maladie professionnelle (art. L. 1226-15 du Code du travail), par la femme enceinte (art. L 122-25-2), par le gréviste (art. L. 521-1 al. 3) ou encore par le salarié ordinaire (art. L 1235-3). La réintégration peut aussi être demandée en cas de nullité du licenciement prononcé pour motifs discriminatoires

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246

En conséquence, en application de l’article L. 313-12 du CMF, la décision du banquier de

rompre ou réduire le crédit consenti à une entreprise qui ne comporterait pas l’énoncé des

raisons l’ayant conduit à prendre cette décision devrait être frappée de nullité. La nullité de

l’acte unilatéral de rupture le fait disparaître rétroactivement, si bien que le maintien du

contrat en est la conséquence naturelle961.

De l’absence de motivation, dont on vient de traiter, il convient de distinguer le cas où le

banquier donne des motifs illégitimes. Cette situation soulève des incertitudes.

S’il apparaît évident que la reconnaissance d’une obligation de motiver la rupture

implique le droit pour l’emprunteur de contester la motivation fournie par la banque962, il faut

en revanche constater que les modalités d’application de l’article L. 313-12 du CMF recèlent

à ce jour une inconnue. Le législateur n’ayant pas pris soin de les préciser, tout dépendra du

degré de contrôle de la motivation qui sera retenu : soit le contrôle portera sur la seule

existence du motif, soit il portera en outre sur sa légitimité.

Au regard des solutions retenues par le droit du travail, qui fait figure de pionnier en

matière de motivation des décisions de rompre un contrat, il apparaît que le contrôle du juge

ne devrait pas se limiter à l’existence du motif mais s’étendre à sa légitimité963. En

conséquence, la décision de rompre ou réduire un crédit sans motif valable devrait être

frappée de nullité964. Une telle sanction serait d’autant plus justifiée que cette obligation légale

de motiver la rupture « accrédite l’idée selon laquelle une entreprise a droit à un volume de

crédit et doit avoir l’assurance que ses concours seront maintenus »965. En outre, chacun sait

que la stabilité du contrat de crédit « est essentielle non seulement pour le banquier, qui

souhaite conserver un client, mais aussi et surtout pour le client qui a souvent un besoin vital

(art. L. 1134-4) ou pour motif économique (art. L. 1235-11). Il en va de même si la nullité est prononcée à la suite de l’action en justice du salarié sur le fondement des dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (art. L. 1144-3).

959 L’article 10 de la loi du 6 juillet 1989 précise que le congé donné en violation des formes et délais prévus par l’article 15 est nul. Le contrat est donc tacitement reconduit pour une durée équivalente à la durée initiale.

960 Art. L. 145-9 du Code de commerce. 961 En ce sens, v. A. MARAIS, art. préc., LPA 2 oct. 2002, n° 197, p. 7. Dans le même sens, J. MESTRE, art.

préc., RDC 2005, n° 1, p. 99. 962 Dans le même sens, v. D. LEGEAIS, « Loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes

entreprises », RTD com., p. 791 ; N. MATHEY, « Vers une remise en cause de la liberté du banquier en matière de crédit », JCP E 2010. 1550, n° 26.

963 Dans le même sens, N. MATHEY, « Vers une remise en cause de la liberté du banquier en matière de crédit », art. préc., n° 28 et s.

964 En ce sens, N. MATHEY, « Vers une remise en cause de la liberté du banquier en matière de crédit », art. préc., n° 35.

965 D. LEGEAIS, « Droit au crédit. Exigence de motivation des refus de crédit », RTD Com. 2011, p. 786.

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des services bancaires et notamment du crédit »966. Enfin, le crédit faisant naître « une relation

bancaire au-delà du contrat »967, le maintien du contrat apparaît pleinement adapté à la

préservation de sa dimension relationnelle.

§ II. LA SANCTION EN CAS DE MANQUEMENT À L’OBLIGATION

D’EXPLIQUER LA NOTATION DU PRÊT

264. Plan. On sait que l’article L. 313-12-1 du CMF met à la charge des établissements

de crédit l’obligation de fournir aux entreprises qui sollicitent un prêt ou bénéficient d'un prêt

leur notation et une explication sur les éléments ayant conduit aux décisions de notation les

concernant, lorsqu'elles en font la demande968. L’analyse de la responsabilité du banquier en

cas de manquement à cette obligation suppose d’identifier la faute de ce dernier (A) et le

préjudice réparable (B).

A. LA FAUTE DU BANQUIER

265. Une loi lacunaire. En édictant l’obligation d’expliquer la notation du prêt, le

législateur a, une fois de plus, omis de préciser quelles sont les actions possibles et les

sanctions applicables en cas de manquement du banquier. On peut donc se demander avec M.

MATHEY si, face à un refus du banquier, le client sera en mesure « d’exiger qu’[il] lui

accorde le crédit s’il s’avère que la notation est contestable » 969.

La réponse dépend de l’étendue du contrôle que le juge sera susceptible d’effectuer.

S’agira-t-il d’un contrôle restreint, se limitant au constat de l’existence de la notation, ou d’un

contrôle large, s’étendant à l’analyse de sa légitimité ?

266. Pour un contrôle élargi. Comme pour le contrôle de l’obligation de motiver le

refus ou la réduction de crédit, le contrôle devrait selon nous être élargi. Il devrait s’agir aussi

966 N. MATHEY, « Par delà le contrat mais au-delà du contrat. Le particularisme de la relation bancaire au

fondement d'un nouveau droit commun », Les concepts émergents en droit des affaires, dir. E. LE DOLLEY, LGDJ, 2010, p. 349, n° 27.

967 N. MATHEY, « Par delà le contrat mais au-delà du contrat. Le particularisme de la relation bancaire au fondement d'un nouveau droit commun », art. préc.

968 V. supra n° 179 et s. Il est à noter que cet article vise uniquement les prêts, à l’exclusion des autres formes de crédit. Selon M. MATHEY, il faut en déduire que « le refus d’une nouvelle ouverture de crédit ou d’un crédit par signature, qui ne sont pas à strictement parler des prêts, ne devrait pas ouvrir le droit de communication prévu par le texte » (N. MATHEY, « Vers une remise en cause de la liberté du banquier en matière de crédit ? », JCP E 2010. 1550, n° 11).

969 N. MATHEY, art. préc., n° 36.

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bien d’un contrôle de l’existence de la notation que de sa légitimité. Cette solution paraît

d’autant plus envisageable qu’en obligeant le banquier à fournir les explications sur les

éléments ayant conduit à la notation, le législateur lui a imposé de dévoiler son processus

décisionnel. Il a ainsi offert au juge la matière suffisante pour en apprécier la pertinence. Il

faut donc considérer qu’un refus de crédit fondé sur une notation illégitime devrait être

qualifié de fautif. La première condition de la responsabilité civile du banquier étant

identifiée, il convient à présent d’envisager la deuxième, à savoir l’existence d’un préjudice

réparable.

B. LE PRÉJUDICIABLE RÉPARABLE

267. Le parallèle avec la rupture abusive des pourparlers. En l’absence de toute

précision du législateur sur ce point, nous devons nous tourner vers les solutions que le droit

positif retient dans des hypothèses, sinon similaires, du moins intellectuellement les plus

proches. La jurisprudence relative à la rupture abusive des pourparlers remplit pleinement cet

office. En effet, la rupture des pourparlers relève de la période précontractuelle. Or le

manquement du banquier à son obligation d’explication ne se manifestera en pratique que

dans le cas où le crédit aura été finalement refusé. La faute de la banque s’inscrira ainsi dans

un contexte précontractuel. Ainsi, après avoir analysé en quoi consiste le préjudice réparable

en cas de rupture abusive des pourparlers (1), il nous restera à appliquer cette solution à

l’hypothèse du manquement du banquier à son obligation d’expliquer la notation fournie (2).

1) Le préjudice réparable en cas de rupture abusive des pourparlers

268. La distinction de l’intérêt négatif et de l’intérêt positif. En cas de rupture abusive

des pourparlers, la jurisprudence et la doctrine sont dans leur grande majorité hostiles à la

réparation en nature, c’est-à-dire à la conclusion forcée du contrat. Une telle sanction porterait

une atteinte jugée intolérable à la liberté de ne pas contracter. Elle serait en outre

particulièrement délicate à mettre en œuvre, puisque, sauf en présence d’une offre de

contracter suffisamment précise970, le juge ignorerait quel contenu donner au contrat. C’est

donc la condamnation à des dommages et intérêts qui prévaut. Or cette solution fait naître une

970 Cf. P. JOURDAIN, « Rapport français », La bonne foi, Travaux de l’Association Henri Capitant, 1992,

Litec, 1994, p. 131 : « Si les parties sont parvenues à s’entendre sur les éléments essentiels du contrat projeté, celui-ci est en principe formé. Le juge, puisant dans l’article 1135 du Code civil le pouvoir de compléter l’accord sur les éléments accessoires restant en discussion, pourrait constater la perfection du contrat ».

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nouvelle difficulté, à savoir la détermination de la méthode d’évaluation des dommages et

intérêts. Mme VINEY a synthétisé les différentes solutions envisageables en distinguant la

réparation de « l’intérêt négatif » de celle de « l’intérêt positif »971. L’intérêt négatif implique

que « le partenaire déçu [obtienne] une indemnité susceptible de le replacer dans la situation

où il se serait trouvé si les négociations n’avaient pas été engagées ». Il comprend notamment

« le remboursement des frais engagés et une indemnisation pour le temps perdu à l’occasion

des pourparlers infructueux »972. L’intérêt positif est celui qu’aurait retiré la partie évincée de

la conclusion du contrat. Il s’agirait alors de réparer la perte de chance de conclure le contrat

envisagé, ce qui impliquerait « d’estimer les chances de succès des pourparlers et de minorer

le gain net total attendu du contrat d’un coefficient tenant compte des risques d’échec »973.

On verra dans un premier temps que le droit positif n’est pas favorable à la réparation de

l’intérêt positif (a), avant de montrer qu’elle pourrait néanmoins être adoptée lorsque la non-

conclusion du contrat repose sur un motif illégitime (b).

a) L’absence de réparation de l’intérêt positif

269. La jurisprudence « Manoukian ». En matière de rupture des pourparlers, la Cour

de cassation, approuvant en cela les solutions retenues par plusieurs juges du fond, a dans un

premier temps accepté de réparer, outre l’intérêt négatif, l’intérêt positif, c’est-à-dire la perte

de chance d’obtenir les gains espérés du contrat avorté974. Elle a par la suite abandonné cette

jurisprudence en jugeant, dans l’arrêt « Manoukian » du 26 novembre 2003, que « les

circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture

unilatérale des pourparlers ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une

chance de réaliser les gains que permettaient d’espérer la conclusion du contrat »975. Elle en a

déduit que « le préjudice subi [par la victime de la rupture] n'incluait que les frais occasionnés

par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains

qu'elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de l'exploitation du fonds de

971 G. VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 198-1, p. 555. 972 Ibid. 973 O. DESHAYES, « Le dommage précontractuel », RTD com. 2004, p. 187, n° 26. 974 V. en ce sens Com. 25 fév. 2003, pourvoi n° 01-12660 (inédit) : « Mais attendu que la cour d'appel, qui a

relevé que la société Pierre Industrie avait subi une perte de chance d'obtenir les gains qu'elle pensait obtenir par la formalisation de la convention de partenariat comportant exclusivité à son profit, a pu décider que ce préjudice résultait de la faute commise par la société Deville en rompant abusivement les pourparlers ».

975 Com. 26 nov. 2003, Bull. civ. IV, n° 186, D. 2004, p. 869, note A.-S. DUPRE-DALLEMAGNE, JCP 2004.I.163, obs. G. VINEY, JCP E 2004, p. 738, obs. STOFFEL-MUNCK, RDC 2004, p. 257, obs. D. MAZEAUD, RTD civ. 2004, p. 80, obs. MESTRE et FAGES, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, 12e éd., n° 142.

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250

commerce ni même la perte d'une chance d'obtenir ces gains ». Cette solution a été confirmée

par deux arrêts de la Troisième chambre civile en date des 26 juin 2006976 et 7 janvier 2009977.

270. Faute de négociation et faute de rupture. Cette solution a pu être justifiée par « le

caractère éminemment aléatoire de la perte de profit » qu’il conviendrait de réparer978, par

l’atteinte trop grande qui serait portée à la liberté de ne pas contracter ou encore par la volonté

d’aligner les solutions du droit français sur celles retenues par d’autres droits étrangers et

notamment l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis979. Enfin, on a souligné que la

faute ne résiderait pas dans la rupture des pourparlers mais dans les circonstances

l’entourant980. Il n’existerait donc aucun lien de causalité entre le préjudice tiré de l’absence

de conclusion du contrat et la faute commise à l’occasion de la rupture981. M. DESHAYES a

expliqué en ce sens qu’il importe de distinguer « la faute de rupture » de « la faute de

négociation », encore appelée « faute dans la rupture »982. La faute de négociation n’aurait

aucun rapport causal avec le préjudice tiré de la non-conclusion du contrat. Le dommage

réparable se limiterait « à certains frais de négociation et à la perte de chance de conclure un

contrat avec un tiers »983. A l’inverse, la faute de rupture obligerait son auteur à réparer le

dommage précontractuel lié « aux frais de rupture et à la perte de chance de conclure le

contrat négocié »984.

976 Civ. 3e, 28 juin 2006, Bull. civ. III, n° 164, D. 2006. 2639, obs. S. AMRANI-MEKKI, RTD civ. 2006.

754, obs. J. MESTRE et B. FAGES et 770, obs. P. JOURDAIN, Defrénois 2006, art. 38498, n° 71, obs. R. LIBCHABER, JCP G 2006. II. 10130, obs. O. DESHAYES, RDC 2006. 1069, obs. D. MAZEAUD.

977 Civ. 3e, 7 janv. 2009, Bull. civ. III, n° 5, RTD civ. 2009. 113, obs. B. FAGES ; RDC 2009. 480, obs. Y.-M. LAITHIER et 1108, obs. J.-B. SEUBE. V. également en ce sens l’article 11 de l’avant-projet de loi du 27 novembre 2013 visant à réformer le droit des obligations.

978 G. VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 198-1, p. 556. Dans le même sens, v. J. MESTRE et B. FAGES, RTD civ. 2004, p. 80, qui estiment que « le refus d’indemniser la perte d’une chance aurait pu tout aussi bien s’appuyer sur son caractère hypothétique. En effet, l’indemnisation réclamée par la société Manoukian allait au-delà de la perte de chance de conclure le contrat projeté (la cession d’actions) : (…), celle-ci ne demandait rien moins que la perte de chance d’obtenir les gains tirés de l’exploitation du fonds de commerce détenu par la société cédée », fonds sur lequel ne portait pas le contrat projeté ; v. égal. G. VINEY, JCP G 1994, 3853, n° 25 et 26.

979 G. VINEY, JCP G 2004, I. 163, n° 21 et réf. sous notes 45 et 46. 980 VINEY, Introduction à la responsabilité, op. cit , n° 198-1, p. 556. 981 P. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, op. cit., n° 464 ; D. MAZEAUD,

« Réparation des préjudices précontractuels : toujours moins… ? », D. 2006, p. 2963, n° 5. 982 O. DESHAYES, « Le dommage précontractuel », RTD com. 2004, p. 187, n° 16. 983 O. DESHAYES, art. préc., n° 21. 984 O. DESHAYES, art. préc., n° 27.

Page 253: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

251

b) La nécessité de réparer l’intérêt positif en présence d’un motif illégitime de non

conclusion du contrat

271. Le lien de causalité entre la faute de rupture et l’intérêt positif. Comme on vient

de le voir, le refus de prendre en compte les gains qu’aurait pu apporter la conclusion du

contrat (l’intérêt positif) au titre de la réparation du préjudice causé par la rupture abusive des

pourparlers serait justifié par l’impossibilité de sanctionner en elle-même la décision de

rompre, qui seule entretient un rapport de causalité avec l’intérêt positif. C’est ce qui fait dire

à M. STOFFEL-MUNCK que la Cour de cassation « ne refuse pas dans l’absolu que la perte

des gains espérés d’un contrat futur puisse être qualifiée de préjudice. C’est uniquement pour

une question de causalité que la perte de chance de les obtenir n’est pas jugée ici

réparable »985.

Or, lorsque l’abus n’est plus caractérisé par le comportement du contractant mais par la

fourniture de motifs illégitimes de rupture, il est permis de considérer que la décision de

rompre les pourparlers a un lien direct de causalité avec la perte de chance d’obtenir les gains

espérés du contrat986.

Dans cette mesure, on retrouve le même raisonnement qu’en matière de rupture abusive

d’un contrat déjà formé987. Lorsque l’abus est caractérisé par une faute de comportement, le

maintien forcé du contrat, entendu comme le droit de bénéficier des avantages escomptés du

contrat, ne peut jamais être prononcé à titre de sanction. Il peut en revanche être ordonné

lorsque l’abus est caractérisé par l’existence d’un motif illégitime de rupture.

2) Application à l’obligation du banquier

272. Proposition. En mettant à la charge du banquier une obligation d’expliquer la

notation ayant conduit au refus de crédit, le législateur a implicitement mais nécessairement

reconnu au juge le pouvoir de s’intéresser à la légitimité de cette décision988. Si l’on applique

à cette hypothèse le raisonnement développé dans le paragraphe précédent au sujet de la

985 Ph. STOFFEL-MUNCK, JCP 2006. I. 166, n° 6. 986 Pour des arrêts ayant sanctionné la rupture abusive de pourparlers en raison de l’absence de motifs

légitimes de rupture, v. par ex. Com. 13 oct. 2009, n° 08-16634 (inédit) ; Com. 15 sept. 2009, n° 08-11627 (inédit) : en l’espèce la rupture a été jugée valable car fondée sur un motif légitime de rupture ; Com. 11 juill. 2000, n° 97-18275 (inédit) ; Com. 7 avr. 1998, n° 95-20361 (inédit), JCP E 1999, p. 579, J. SCHMIDT-SZALEWSKI.

987 Voir supra n° 260. 988 Voir supra n° 180.

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252

rupture abusive des pourparlers fondée sur des motifs illégitimes, il faut en déduire que,

lorsque le juge estimera la notation injustifiée, il pourra condamner le banquier à indemniser

l’entreprise de la perte de chance d’obtenir les gains espérés de la conclusion du contrat de

crédit (ce qui, en pratique, ne devrait recouvrir qu’une partie du montant du crédit).

273. Conclusion de la section. La responsabilité du banquier en cas de refus de crédit à

une entreprise est balbutiante. Quoi qu’il en soit, l’article L. 313-12-1 du CMF accrédite

l’idée que le refus de crédit peut en soi constituer un préjudice juridiquement réparable.

L’accès au crédit est donc élevé au rang des intérêts légitimes ou juridiquement protégés, ce

qui peut avoir des répercussions considérables. On peut parfaitement envisager que,

l’impossibilité d’accéder au crédit étant assimilée à un préjudice légitime, la responsabilité du

banquier puisse être engagée en dehors du champ d’application de l’article L. 313-12-1 du

CMF. Il pourrait en aller ainsi lorsque le juge est saisi d’un refus illégitime de crédit n’ayant

pas été décidé à l’issue d’une notation mais en application de la technique classique

d’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur989. Il pourrait en aller de même lorsqu’il

est saisi d’un refus contraire à l’avis du médiateur du crédit. La tâche du juge serait d’ailleurs

dans ce cas plus aisée que celle qui lui incomberait dans le cadre du contentieux relatif à la

notation des crédits. En effet, il pourrait s’appuyer sur le travail du médiateur pour qualifier le

refus d’illégitime et engager la responsabilité du banquier. Mais en quoi la sanction applicable

en cas de refus illégitime de crédit pourrait-elle consister? Pourrait-elle se traduire par la

réparation de la perte de chance d’obtenir les gains espérés du contrat ? Une telle hypothèse

doit être considérée avec sérieux. C’est en tout cas ce qu’une analogie avec la sanction

prononcée en cas de réduction ou de rupture illégitime du crédit autorise à considérer.

274. Conclusion du Chapitre I. L’étude de la responsabilité civile du banquier à

l’occasion de son activité de distribution de crédit a une nouvelle fois permis de tracer une

frontière entre le crédit aux entreprises et le crédit aux particuliers.

S’agissant des particuliers, la faute du banquier est caractérisée dès qu’il octroie un crédit

susceptible de rendre le candidat à l’emprunt insolvable. En conséquence, les règles de la

responsabilité civile du banquier ne tendent pas vers la reconnaissance d’un droit au crédit.

Concernant en revanche les entreprises, nous avons montré que le législateur a, d’un côté,

réduit les cas dans lesquels la décision d’octroyer un crédit est source de responsabilité (art. L.

989 Voir supra n° 129 et s.

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253

650-1 du Code de commerce), et, de l’autre, favorisé les hypothèses dans lesquelles un refus

de crédit peut être fautif (art. L. 312-13 et L. 313-12-1 du CMF). Aussi peut-on considérer

que la loi du 19 octobre 2009 constitue une étape « vers une forme de droit au crédit »990. Il ne

s’agit pas d’un droit au crédit absolu et indifférencié, mais d’un droit au crédit productif au

profit des entreprises, qu’elles soient naissantes, économiquement dynamiques ou en

difficulté.

On peut dès lors soutenir qu’en élaborant un régime de responsabilité civile bancaire

spécifique, le législateur, secondé par la jurisprudence (concernant l’interprétation de l’article

L. 650-1 du Code de commerce), a entendu faire la promotion d’une « nouvelle définition de

la fonction bancaire (…), une fonction non plus seulement économique de prestataire

fournisseur de crédit » mais « d’intermédiation au sein de la société, au cœur de la cité, pour

soutenir l’économie et favoriser le lien social »991. Dans cette mesure, il est pleinement

légitime de réfléchir à la possibilité de transformer le besoin de crédit en un véritable droit.

990 N. MATHEY, art. préc., JCP E 2010. 1550, n° 36. 991 Cf. NEAU-LEDUC, « Les nouvelles perspectives du droit de la responsabilité bancaire », Les banques

entre droit et économie, ouvrage collectif, LGDJ, coll. Droit et économie, 2011, p. 121.

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255

CHAPITRE II : L’ADMISSION DIRECTE PAR LA

RECONNAISSANCE D’UN DROIT

275. Plan. Sous l’expression droit au crédit, on peut a priori englober aussi bien le crédit

aux entreprises, le crédit à la consommation que le crédit immobilier.

Le crédit aux entreprises permet de créer, développer ou soutenir une activité. Il s’agit

donc d’un crédit productif.

Le crédit à la consommation permet aux particuliers d’acquérir des biens destinés à

améliorer leurs conditions de vie ou d’accéder aux loisirs. Si la consommation agrémente

l’existence humaine, elle n’a pas de vocation constructive : les biens achetés ou les loisirs sont

périssables, les uns parce qu’ils se consument avec l’usage, les autres car leur durée est

éphémère.

Le crédit immobilier se situe à mi-chemin des deux premiers. La propriété immobilière

n’a pas vocation à disparaître ou perdre de sa valeur par l’usage. Partant, le crédit immobilier

a pour finalité d’enrichir l’emprunteur, ce qui le rapproche du crédit aux entreprises.

Cependant, si la propriété immobilière peut être productrice de fruits, lorsque le bien est loué

par exemple, elle ne renferme aucune potentialité de développement, ce qui la distingue et

l’éloigne de l’activité d’une entreprise.

On le voit, le droit au crédit « n’a pas le même sens, ni les mêmes conséquences » selon

son objet992. Pour autant, dans tous les cas, il peut être défini comme le droit d’obtenir les

moyens de réaliser un projet. C’est le droit ainsi entendu que nous nous proposons de

construire (Section I). A l’issue de ces développements, il apparaîtra que le crédit aux

entreprises s’intègre pleinement à la construction proposée, contrairement au crédit aux

particuliers. La question du droit au crédit des particuliers devra donc être posée distinctement

(Section II).

992 J.-M. SERVET, « L’exclusion, un paradoxe de la finance », Revue d’économie financière 2000, vol. 58,

p. 27.

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256

SECTION I – LA CONSTRUCTION DU DROIT AU CRÉDIT

276. Plan. La construction du droit au crédit suppose d’identifier ses sources (sous-

section I) et sa nature (sous-section II).

SOUS-SECTION I : LES SOURCES DU DROIT AU CRÉDIT

277. Plan. Les droits procèdent d’une philosophie. C’est ainsi que les droits-libertés,

ensemble de pouvoirs d’autodétermination, seraient d’essence libérale tandis que les droits-

créances traduiraient, en leur qualité de pouvoir d’exiger, les préceptes de la philosophie

socialiste993. La reconnaissance d’un nouveau droit, ici le droit au crédit, ne se départit pas

d’une réflexion sur ses sources philosophiques (§ I). Une fois ces dernières identifiées, il

importe de déterminer si l’ordre juridique lui-même est susceptible de l’accueillir, c’est-à-dire

si des sources juridiques peuvent être dégagés (§ II).

§ I – LES SOURCES PHILOSOPHIQUES

278. La double portée du droit au crédit. Le droit au crédit aurait une portée

individuelle car il aurait pour objectif de permettre à chacun de développer ses propres

capacités. Il aurait également une dimension sociale car sa réalisation nécessiterait non

seulement l’intervention d’autrui, à savoir une personne octroyant le crédit, mais aussi

l’instauration d’une relation. En effet, la relation de crédit ne se réduit pas à la mise à

disposition de fonds mais suppose que leur bénéficiaire les restitue. En outre, quel que soit

son objet, le crédit est vecteur de dynamisme social, en créant de l’activité (crédit aux

entreprises) ou en encourageant son développement (crédit à la consommation et crédit

immobilier).

Ces deux dimensions du droit au crédit ne sont pas exclusives mais complémentaires.

Elles sont le reflet de l’essence créatrice (1) et sociale (2) de l’être humain.

993 V. par ex. A. RENAUT et L. FERRY, « Droits libertés et droits-créances, Raymond Aron critique de

Friedrich-A Hayek », Droits 1985/2, p. 75 et.

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257

1) L’essence créatrice de l’homme

279. Plan. Les prochains développements n’auront pas pour but de dresser un panorama

des mouvements philosophiques qui ont étudié l’essence créatrice de l’homme mais, plus

modestement, de montrer que ce thème est actuellement au cœur d’importants travaux de

philosophie politique et économique. Il convient en particulier de mentionner ici les travaux

de Charles TAYLOR relatifs à l’homme comme agent incarné (a) ainsi que la théorie des

capabilités (b).

a) Charles TAYLOR et l’homme comme « agent incarné »994

280. Présentation. Charles TAYLOR s’est intéressé à la question de l’identité. Ses

travaux ont comme objectif de défendre le multiculturalisme et l’authenticité de chaque

individu995. Selon le philosophe canadien, la promotion de la différence et de la spécificité

individuelle suppose de rompre avec « l’intellectualisme », « mode de pensée qui symbolise

la construction épistémologique moderne et qui donne la priorité à la raison théorique, c’est-à-

dire à un esprit objectivé, désincarné et décontexualisé, comme mode exclusif de

compréhension du monde »996. Cette rupture passe par la revalorisation de l’homme comme

« agent incarné »997.

L’auteur s’inspire ici notamment de HEGEL pour qui l’homme serait doublement

incarné, « d’une part comme “animal doué de raison”, c’est-à-dire comme être vivant capable

de penser, et d’autre part comme être expressif, c’est-à-dire un être dont la pensée s’exprime

toujours et nécessairement par un medium »998.

Charles TAYLOR est également influencé par l’expressivisme de HERDER. Selon ce

mouvement, « chaque culture, de même que chaque individu qu’elle englobe, possède une

“forme” qui lui est propre et qui doit être réalisée »999. Or, ces différentes unités – culture,

994 Cette expression s’oppose à celle de l’homme désincarné parfois utilisée pour évoquer l’homme de la

Déclaration de 1789, en raison de la perspective universaliste dans laquelle elle s’inscrit : v. sur ce point J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, PUF, 2003, n° 69, p. 43.

995 Sur l’authenticité individuelle, v. par ex. Ch. TAYLOR, Multiculturalisme, Flammarion, 1994, p. 47 : « il existe une certaine façon d’être humain qui est ma façon. Je suis appelé à vivre ma vie de cette façon, non à l’imitation de la vie de quelqu’un d’autre. Mais cette notion donne une importance nouvelle à la fidélité que je dois à moi-même. Si je ne suis pas moi-même, je manque l’essentiel de ma vie ; je manque ce qu’être humain signifie pour moi ».

996 J. PELABAY, Charles Taylor, penseur de la pluralité, L’Harmattan, coll. Mercure du Nord, p. 14. 997 Ibid. 998 Ch. TAYLOR, La liberté des modernes, PUF, 1999, p. 125. 999 Ch. TAYLOR, Hegel et la société moderne, Cerf, p. 2.

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258

individu – ne parviennent à la réalisation et à la connaissance d’elles-mêmes que par l’activité

expressive, étant entendu que pour les individus, l’art en constitue la forme la plus aboutie1000.

En résumé, la démarche de Charles TAYLOR consiste à promouvoir l’originalité et

l’authenticité de chaque être, ces qualités ne pouvant être atteintes que par le biais d’une

activité expressive1001.

Cette conception de l’individu comme agent incarné est particulièrement utile dans le

cadre d’une réflexion sur le droit au crédit, et plus précisément sur le droit au crédit aux

entreprises. Ce dernier peut en effet être défini comme le droit, pour un individu, de déployer

les capacités qui lui sont propres, en obtenant les outils qui lui sont nécessaires. En d’autres

termes, il s’agit du droit de créer et donc d’affirmer son originalité et son authenticité1002. Cette

dimension du droit au crédit trouve un second appui dans la théorie des capabilités.

b) La théorie des capabilités

281. Présentation. Selon l’économiste indien Amartya SEN, « la liberté réelle de

l’individu est issue de sa capacité à combiner, comme il le souhaite, différents “modes du

fonctionnement humain”, comme être convenablement nourri, ressentir de l’estime pour soi-

même, participer à la vie de la cité »1003. Ces différents éléments correspondent aux

« capabilités » d’un individu1004. Ils s’inscrivent dans la problématique plus large du

1000 Ch. TAYLOR, Le malaise de la modernité, Cerf, p. 69 : « la création artistique devient le paradigme de

la définition de soi. L’artiste est promu en quelque sorte au rang de modèle de l’être humain, en tant qu’agent de la définition originale de soi ».

1001 Ch. TAYLOR, op. et loc. cit. : « nous découvrons ce que nous devons être en le devenant dans notre mode de vie, en donnant forme par notre discours et par nos actes à ce qui est original en nous ».

1002 Le droit de créer ne se limite pas au domaine artistique et doit pouvoir s’étendre à l’activité industrielle. En effet, la création industrielle a également été présentée comme un mode d’accès à la connaissance de soi. Axel HONNETH écrit qu’il ressort des Manuscrits de 1844 de MARX que, « ce qui constitue la qualité essentielle de l’être humain est sa capacité à s’objectiver dans le produit de son travail ; ce n’est qu’au cours de ce processus d’objectivation que l’individu a la possibilité de faire l’expérience de ses propres forces et donc de parvenir à la conscience de soi » (A. HONNETH, La société du mépris, La découverte, p. 55).

1003 Cf. E. BETTON, « « Droits à… » et sentiments de justice », Informations sociales 2000, n°81, p. 26 1004 L’idée de « capabilités » renvoie à « la liberté de mener différentes sortes de vies [qui] correspondent

exactement à l’ensemble formé par différentes combinaisons de fonctionnements humains, ensemble en lequel une personne est à même de choisir sa vie » (A. SEN, L’économie est une science morale, La découverte/Poche, p. 64). A. SEN explique que la référence aux capabilités, par comparaison à celle aux revenus ou biens premiers (références proposées par RAWLS), permet de mieux mesurer « l’appauvrissement des vies humaines et des libertés ». En effet, la notion de capabilités englobe non seulement les revenus et les biens premiers, mais elle prend en plus en compte d’autres éléments. Les capabilités renvoient à la liberté positive des individus, celle qui « représente ce qu’une personne, toutes choses prises en compte, est capable, ou incapable, d’accomplir » et s’oppose à leur liberté négative, entendue comme celle mettant « au premier plan l’absence d’entraves à la liberté, entraves qu’un individu peut imposer à un autre (ou encore que l’Etat ou d’autres institutions peuvent imposer à un individu) » (A. SEN, L’économie est une science morale, La découverte/Poche, p. 48). Pour une analyse comparative des théories de RAWLS et A. SEN, v. notamment D. ZWARTHOED, Comprendre la pauvreté, John Rawls – Amaertya Sen, PUF, coll. Philosophies.

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259

développement, entendu comme le « processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent

les individus » et visant à leur offrir une « effectivité sociale », à les valoriser en tant

qu’agents de leur propre vie1005.

A l’instar de SEN, la philosophe américaine Martha NUSSBAUM considère que

l’individu n’est libre que lorsqu’il est en mesure de développer ses capabilités. Selon elle, il

s’agit avant tout de promouvoir « l’être humain en tant qu’être libre et plein de dignité qui,

homme ou femme, forge sa propre vie dans la coopération et l’échange avec les autres, plutôt

que d’être passivement façonné ou malmené à la façon d’un animal vivant en “troupeau” ou

en “bande”. Une vie véritablement humaine est celle qui est entièrement façonnée par ces

facultés humaines de raison pratique et de sociabilité »1006.

En considérant que les capabilités, c’est-à-dire les possibilités concrètes de

développement dont dispose un individu, permettent de mesurer le degré de liberté réelle et

donc de réalisation de soi qu’il peut atteindre, la théorie des capabilités place l’accent sur

l’essence créatrice de l’homme. En effet, le développement d’un individu n’est autre que

l’expression de son authenticité ou encore de sa capacité à s’affirmer en tant qu’agent de sa

propre vie.

C’est pourquoi, les travaux d’Amarthya SEN et de Martha NUSSBAUM nous sont ici

utiles. Le droit au crédit, comme la théorie des capabilités, postule que l’individu soit pensé

comme une fin. Il s’inscrit en outre dans une conception commune de la justice qui

commande que l’on mette à la disposition de chacun les outils nécessaires à l’accroissement et

l’expression de ses capabilités1007.

2) L’essence sociale de l’homme

282. Plan. Si l’étude des sources philosophiques du droit au crédit est inséparable des

réflexions contemporaines sur la promotion de l’individu comme être authentique et force

créatrice, elle s’inscrit également dans le mouvement de réactualisation des théories de

1005 A. SEN, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, coll. poches, p.

15. 1006 M. NUSSBAUM, Femmes et développement humain, L’approche des capabilités, éd. Des femmes -

Antoinette Fouque, p. 112-113. 1007 Rappr. P. ROSANVALLON, La société des égaux, Seuil, spéc. p. 366. L’auteur plaide en faveur de « la

constitution d’une société des singularités ». Cette dernière « implique au premier chef de donner aux individus les moyens de leur singularité. Cela conduit à une redéfinition des politiques sociales. Au-delà des transferts monétaires passifs qui ont une dimension compensatrice, de perte, de l’insuffisance ou de l’absence d’un revenu (allocation de chômage, revenus d’insertion, impôts négatifs, etc.), il convient de donner aux individus les moyens de leur autonomie ». C’est précisément l’objet du droit au crédit, en particulier lorsqu’il a pour objet de financer une activité.

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260

l’interdépendance humaine1008. L’homme a besoin de ses semblables pour exister et

s’affirmer. En d’autres termes, la valorisation de son activité par la société lui est nécessaire

(a). Un tel constat invite à défendre une conception solidaire de l’égalité des chances, c’est-à-

dire censée donner à tous les moyens de construire une existence sociale (b).

a) La nécessaire valorisation sociale de l’activité individuelle

283. Charles TAYLOR et Axel HONNETH. L’essence créatrice de l’homme prend son

sens dans le regard d’autrui ou encore au sein d’une communauté de langage ou de culture.

Ainsi, pour Charles TAYLOR, la communauté « est le lieu essentiel de l’identité du moi »1009

et la subjectivité est donc une « subjectivité en situation »1010. Le philosophe parle pour cette

raison du « caractère dialogique fondamental » 1011 de l’existence humaine et explique que

« personne n’acquiert seul les langages nécessaires à sa propre définition. Nous les maîtrisons

grâce à nos échanges avec ceux qui comptent pour nous (…). En ce sens, la formation de

l’esprit humain ne se fait pas de façon “monologique”, c’est-à-dire de façon indépendante,

mais dans la rencontre avec l’autre »1012. Sur ce point, les propos de Charles TAYLOR ne sont

pas très éloignés de ceux de Léon BOURGEOIS sur la solidarité et de cette idée selon

laquelle « l’homme seul n’existe pas ; l’homme est dans la nature un associé ; il est le

dépositaire d’un héritage (…) »1013.

Cette philosophie de l’interdépendance trouve un autre souffle dans les travaux que Axel

HONNETH a récemment consacrés à la théorie de la reconnaissance1014. Cette dernière peut

1008 L’idée d’une interdépendance humaine est ancienne. Elle était déjà à l’œuvre chez les stoïciens, à travers

leur concept de sympathie universelle. Cette dernière « exprime que le tout est connaturel, n’est qu’un terme différent pour désigner l’identité de Dieu et du monde ; car, tout comme il n’y a qu’une lumière du soleil qui se divise à l’infini sur les murs et les montagnes, de même il n’y a qu’une matière commune disséminée en une infinité de corps limités » (J. BRUN, Le stoïcisme, PUF, coll. Que sais-je, p. 57). L’interdépendance s’est par la suite détachée de la physique stoïcienne. Elle a notamment été reformulée au XIXe siècle par la philosophie solidariste ou encore par la sociologie durkheimienne.

1009 J. PELABAY, Charles Taylor, penseur de la pluralité, L’Harmattan, coll. Mercure du Nord, p. 58. 1010 Ch. TAYLOR, Hegel et la société moderne, Cerf, p. 164. 1011 Ch. TAYLOR, Le malaise de la modernité, op. cit., p. 40. On peut établir un parallèle entre la pensée de

Ch. TAYLOR et celle de J. HABERMAS. Ce dernier a montré, à travers son éthique de la discussion, que la communication par le langage est la clé de toute entente entre les hommes (J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, Paris, 1987 (1981), 2 tomes).

1012 Ch. TAYLOR, Le malaise de la modernité, op. cit., p. 41. 1013 L. BOURGEOIS, La politique de la prévoyance sociale, t. 1, Paris, Fasquelle, 1913, p. 68. 1014 V. A. HONNETH, La société du mépris: Vers une nouvelle Théore Critique, La découverte, p. 262.

L’auteur écrit que « l’horizon normatif des sociétés modernes est marqué par l’idée qu’il revient à chacun de se voir conférer une valeur en tant qu’être de besoin, en tant que sujet autonome doté des mêmes droits que ses semblables, et en tant que sujet capable d’accomplir un certain nombre de choses, ce qui correspond aux différentes formes de l’attitude de reconnaissance (amour, respect juridique, estime sociale) ». Pour une explication détaillée du concept de reconnaissance, v. A. HONNETH, La lutte pour la reconnaissance, Cerf.

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261

être définie comme « l’attitude pratique dont l’intention première consiste en une certaine

affirmation du partenaire d’interaction » 1015, et plus précisément de ses « qualités

positives »1016. Or, « de telles attitudes affirmatives ont clairement un caractère positif car elles

permettent aux destinataires de s’identifier à leurs propres qualités et d’accéder ainsi à

davantage d’autonomie ; loin de représenter une pure idéologie, la reconnaissance constitue la

condition intersubjective pour pouvoir réaliser de manière autonome des objectifs personnels

propres »1017. En d’autres termes, l’obtention « de la reconnaissance sociale est une condition

dont dépend le développement de l’identité personnelle dans son ensemble »1018. Ce lien

« entre l’expérience de la reconnaissance et l’attitude du sujet envers lui-même résulte de la

structure intersubjective de l’identité personnelle : les individus ne se constituent en personnes

que lorsqu’ils apprennent à s’envisager eux-mêmes, à partir du point de vue d’un “autrui”

approbateur ou encourageant, comme des être dotés de qualités et de capacités positives »1019.

On ne peut être que stimulé par les travaux de Charles TAYLOR et Axel HONNETH. Le

droit au crédit s’inscrit nécessairement dans un contexte d’interdépendance des individus.

D’une part, car son titulaire a besoin de l’intervention d’autrui pour accéder au crédit. D’autre

part, car l’activité que le crédit aura permis de créer comme les besoins qu’il aura permis

d’assouvir s’inscrivent nécessairement dans des rapports d’interaction. L’activité créée n’a de

sens et d’utilité que si elle est reconnue comme telle par le reste de la société. De leur côté, les

besoins ne sont satisfaits que si la société organise l’échange des biens y répondant.

En outre, le droit au crédit est un droit à la reconnaissance sociale. En effet, il n’a pas

pour finalité de transformer les individus en créateurs isolés mais bien au contraire de faire en

sorte qu’ils deviennent, par leur création, les acteurs de leur existence sociale.

b) La promotion d’une conception solidaire de l’égalité des chances

284. Une conception post-capacitaire de la justice sociale. On dénonce souvent la

fragmentation des sociétés modernes, c’est-à-dire le fait que « les gens en [soient venus] à se

concevoir eux-mêmes de façon de plus en plus atomistique, autrement dit, de moins en moins

liés à leurs concitoyens par des projets et des allégeances communes »1020. Pour M.

SAVIDAN, cette fragmentation serait le résultat de notre conception capacitaire de la justice

1015 A. HONNETH, La société du mépris, La découverte, p. 254. 1016 Ibid., p. 253. 1017 Ibid., p. 254. 1018 Ibid., p. 193. 1019 Ibid., p. 208. 1020 Ch. TAYLOR, Le malaise de la modernité, op. cit., p. 118.

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262

sociale1021. Cette dernière a axé son action sur la promotion de l’égalité des chances. Il

s’agissait de fournir aux individus les outils leur permettant de déployer leurs capacités, si

bien qu’une fois cette égalité des conditions assurée, les résultats individuellement atteints

étaient considérés comme exclusivement dus au mérite de leur auteur. Partant, les inégalités

reflétant les capacités, les aptitudes ou encore les mérites individuels étaient légitimes. A

l’inverse, étaient illégitimes celles qui n’étaient pas le fait de l’individu mais de la société. Il

en allait ainsi des inégalités de naissance car elles étaient le reflet d’une stratification sociale

persistante.

Une telle conception de l’égalité des chances était fortement imprégnée d’individualisme,

et plus précisément de « l’individualisme possessif » qui présente l’homme comme

« propriétaire exclusif » de sa personne, de ses facultés et donc du produit de ces dernières1022.

Elle reposait en outre sur la croyance que la « société [est] juste parce que les individus [ont]

la possibilité de s’y affronter à armes égales »1023. On comprend dès lors pourquoi une telle

conception de la justice a concouru à la fragmentation des sociétés modernes.

Quelle pourrait-être la réponse à ce délitement du lien social ? On peut penser qu’elle doit

passer par une évolution de notre conception de la justice sociale. S’appuyant sur les travaux

de RAWLS, M. SAVIDAN rappelle que les talents individuels « n’acquièrent leur valeur que

dans le cadre d’un certain système social ». Ainsi, « si les aptitudes d’un individu quelconque

sont bien la propriété de cet individu, il est clair qu’elles n’ont en revanche de valeur sociale

qu’en tant qu’elles possèdent aussi une dimension extra-subjective »1024. Sur la base de ce

constat, l’auteur développe une conception solidariste, « post-capacitaire », de la justice

sociale et de l’égalité des chances. L’interdépendance consubstantielle au solidarisme justifie

que les individus se voient attribuer les outils nécessaires à l’affirmation de leur être social.

1021 V. P. SAVIDAN, Repenser l’égalité des chances, Hachettes, spéc. p. 151-201. L’auteur se réfère à

CONDORCET qui a très tôt fait la promotion de l’instruction publique comme moyen de combattre les inégalités de naissance. Selon CONDORCET, si l’accès de tous à l’instruction n’effacera pas les inégalités intellectuelles naturelles, elle permettra pour autant d’assurer que « cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même, et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, [les droits] dont la loi lui a garanti la jouissance » (CONDORCET, Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791), Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 62).

1022 C. B. MACPHERSON, Théorie politique de l’individualisme possessif. De Hobbes à Locke, Folio, coll. Essais, p. 434.

1023 P. SAVIDAN, Repenser l’égalité des chances, Hachettes, p. 24. La prévalence de cette définition individualiste de l’égalité des chances serait entièrement liée à la naissance de la démocratie dans les sociétés modernes. Un tel lien a été pressenti par Tocqueville dans La démocratie en Amérique (v. par ex. vol. 2, p. 106 : « l’aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du paysan au roi ; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part » ; « non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le refermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur »).

1024 P. SAVIDAN, op. cit., p. 267.

Page 265: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

263

En outre, l’équilibre entre les droits et les devoirs sur lequel repose la doctrine solidariste fait

de l’égalité des chances un vecteur, non pas de l’épanouissement d’individus-monades

autosuffisants, mais de renforcement du lien social. C’est pourquoi l’égalité des chances est à

la fois un droit, celui d’obtenir les moyens de construire une existence libre et responsable, et

un devoir, celui de participer au bon fonctionnement de la société en mettant à sa disposition

une partie des fruits de l’activité qu’elle a elle-même contribué à créer.

Or, une telle conception de l’égalité des chances pourrait parfaitement se traduire, sur le

plan juridique, par la reconnaissance d’un droit au crédit1025. Ce dernier, et plus

particulièrement lorsqu’il a pour objet de financer une activité, vise à mettre en place une

réelle égalité des chances en attribuant à chacun les outils nécessaires au plein exercice de ses

facultés. En outre, le mécanisme même du droit au crédit, qui ne se borne pas à investir son

titulaire d’une somme d’argent mais l’oblige à la rembourser, représente une parfaite

application des préceptes de la doctrine solidariste.

285. Conclusion. Si l’on résume, le droit au crédit reposerait philosophiquement sur deux

postulats. Le premier est que « la liberté n’est autre chose que la possibilité pour l’être de

tendre au plein exercice de ses facultés »1026. Dans cette mesure, le droit au crédit serait celui

d’accéder à la liberté. Le second est que la liberté est un « produit essentiellement social »1027.

Partant, le droit au crédit exprimerait un devoir. Il incomberait à la société de mettre à la

disposition de chacun les moyens d’accéder à sa propre liberté. Envisageons à présent la

question des sources juridiques possibles du droit au crédit.

§ II – LES SOURCES JURIDIQUES

286. Plan. Trois principes directeurs nous semblent pouvoir être envisagés au titre des

sources juridiques du droit au crédit. Il s’agit de la dignité de la personne humaine (A), du

droit au développement (B) et de la liberté d’entreprendre (C).

1025 Pour une présentation de l’égalité des chances comme étant une notion politique et non juridique, v. G.

GUGLIELMI, « L’égalité des chances, de Charybde en Scylla ? », Journal du droit des jeunes sept. 2005, n° 257. L’auteur explique que l’égalité des chances a été « érigée en objectif politique par la loi du 11 février 2005 (art. 19) et en cadre d’action par la loi du 23 avril 2005 pour l’avenir de l’école (art. 2) ».

1026 L. BOURGEOIS, Solidarité, BDL éd., p. 82. 1027A. SEN, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, coll. poches, p.

73. V. égal. A. SEN, L’idée de justice, Flammarion, p. 298-302.

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264

A – LE PRINCIPE DE DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE

287. Présentation. Le principe de dignité humaine a d’abord été consacré par le

législateur à l’occasion de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 avant d’être érigé par le Conseil

constitutionnel au rang des principes à valeur constitutionnelle1028. Dans un premier temps, le

principe de dignité visait à protéger la personne humaine, et plus précisément son corps, face

aux progrès de la science. Il constituait donc la réponse juridique aux problèmes soulevés par

la bioéthique. Les références à la dignité de la personne humaine ont par la suite gagné

d’autres matières1029. Aujourd’hui, ce principe se retrouve « partout où sont menacés non le

statut même de citoyen mais certains sujets, citoyens ou pas, en situation de vulnérabilité

sociale : les travailleurs, les étrangers, les exclus »1030. En d’autres termes, la dignité de la

personne humaine sert de fondement juridique à la reconnaissance de besoins matériels variés

et à la lutte contre l’exclusion.

Cette multiplication des références à ce principe directeur a été critiquée. Ainsi, le fait de

« prêter à la règle de droit l’aptitude à réaliser la dignité de la personne humaine, ne [signe-t-

il] pas la fin de l’enracinement de la dignité dans l’identité intrinsèque de l’homme, pour

reconnaître la précarité de la dignité de chacun et la nécessité d’en garantir une protection

factuelle ? »1031. En ce sens, « loin de constituer la marque de la spiritualité du droit,

l’avènement d’un principe juridique visant au respect de la dignité de la personne humaine

témoignerait alors d’une perte des valeurs fondamentales de l’être, espèce de constat

désenchanté, bien plus qu’il ne serait l’expression d’une croyance dans l’humanité de

l’homme »1032.

On peut cependant douter de la pertinence de cette remarque. En effet, « la notion de

dignité de la personne humaine ne requiert pas d’esquisser une définition juridique de l’être

humain, ni de déterminer, ontologiquement, la valeur d’un être humain : tout cela supposerait

1028 Cons. Const. déc. n° 343-344, DC du 27 juill. 1994, RJC I, p. 592 ; RDP 1994, 1647, obs. F. LUCHAIRE ; LPA 1994, n°149, p. 34, note J.-P. DUPRAT ; RDFA 1994. 1019, note B. MATHIEU ; D. 1995. 237, note B. MATHIEU, Chr., p. 205, B. EDELMAN, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (L. FAVOREU et L. PHILIP), Dalloz, 8e éd., p. 847 et s. Pour les références antérieures au principe de dignité de la personne humaine, v. Th. REVET, « La dignité de la personne humaine en droit du travail », La dignité de la personne humaine, dir. M.-L. PAVIA et Th. REVET, Economica, 1999, p. 137 et s., spéc. n° 3-4.

1029 V. sur ce point, M. –L. PAVIA, « La découverte de la dignité de la personne humaine », La dignité de la personne humaine, dir. M.-L. Pavia et Th. Revet, Economica, 1999, p. 3 et s., spéc. p. 15.

1030 D. MEMMI, « La dignité, une protestation “somatisée” contre le libéralisme? », La dignité de la personne humaine, PUF, coll. Droit et justice, 2005, p. 292-293.

1031 N. MOLFESSIS, « La dignité de la personne humaine en droit civil », La dignité de la personne humaine, dir. M.-L. PAVIA et Th. REVET, Economica, 1999, p. 112. Sur cette idée, v. égal. E. BALIBAR, « De la critique des droits de l’homme à la critique des droits sociaux », Bentham contre les droits de l’homme, B. BINOCHE et J.-P. CLERO, PUF, coll. Quadrige, p. 266-267.

1032 N. MOLFESSIS, « La dignité de la personne humaine en droit civil », op. cit., p. 112.

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265

de connaître, ce qui ne se peut, l’essence de l’homme et le sens de la vie » 1033 . Elle « permet

en revanche de poser juridiquement la valeur des êtres humains, et d’énoncer comment il faut

les traiter et comment il ne faut pas les traiter »1034. Partant, la définition juridique de la dignité

de la personne humaine est inséparable de l’identification de ses droits et besoins

fondamentaux1035. Or nul ne contestera que l’on trouve parmi ces besoins ceux « de ne pas

être logé semblablement à une bête (non domestique), de pouvoir se vêtir, se nourrir, se

soigner suffisamment et, autant que possible par ses propres ressources, de pouvoir

communiquer, comprendre, fonder une famille, élever ses enfants, etc. »1036. Ainsi,

« l’humanité de l’homme n’est pas seulement un donné inscrit dans le biologique, (…) elle

doit aussi se construire »1037. C’est pourquoi on peut voir dans le principe de dignité de la

personne humaine l’assise des droits-créances1038. Ainsi en est-il pour le droit au travail

comme pour le droit au logement.

M. REVET a parfaitement montré que le droit au travail « fait progresser la défense

juridique de la dignité de la personne humaine »1039 dès lors que, « dans une société

industrielle et individualiste, le travail constitue le moyen de satisfaire par soi-même les

besoins élémentaires et vitaux »1040. D’ailleurs de nombreux textes internationaux et étrangers

1033 M. FABRE-MAGNAN, V° Dignité humaine, Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, p. 227. 1034 Ibid. 1035 En ce sens, v. N. MOLFESSIS, « La dignité de la personne humaine en droit civil », op. cit., p. 135 :

« Loin de justifier une remise en cause de la distinction des personnes et des choses, la protection de la dignité de la personne humaine oblige, différemment, à une distinction de la personnalité et de la personne. Alors que la personnalité – aptitude à être titulaire de droits et d’obligations – s’acquiert avec la naissance et dure autant que la vie de l’être qu’elle vise, l’importance accordée à la dignité de la personne humaine atteste l’idée que la personne – humaine – se définit par la liberté, puisqu’elle se dissout dans son aliénation, se réalise par son comportement, puisqu’elle peut se perdre dans l’indignité et se concrétise par son mode de vie, puisqu’elle se désagrège en deçà d’un minimum ».

1036 Th. REVET, « Loi n°98-657 du 28 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions », RTD civ. 1998, p. 989 et s.

1037 M. FABRE-MAGNAN, V° Dignité humaine, Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, p. 288. 1038 En ce sens, F. LUCHAIRE, La protection constitutionnelle des droits et libertés, Economica, 1987, p.

303 : « la dignité de la personne humaine résume l’essentiel de ce qui peut être rangé dans la deuxième génération des droits et libertés (…). Le préambule de 1946 a pour objet essentiel d’exiger de cette même société non seulement des abstentions, mais aussi des prestations matériellement indispensables à la dignité de la condition humaine ».

1039 Th. REVET, « La dignité de la personne humaine en droit du travail », op. cit., p. 147, n° 10. Dans le même sens, v. F. LUCHAIRE, Le Conseil constitutionnel, Economica, 1980, spéc. p. 217 et s. Contra M. MATHIEU, qui considère que le principe de dignité de la personne humaine ne saurait utilement se manifester à travers les droits économiques et sociaux, ces derniers n’étant pas reconnus à la « personne humaine » mais à « l’individu aux prises avec les contradictions et les tensions du champ social » (B. MATHIEU, « La dignité de la personne humaine, quel droit, quel titulaire ? », D. 1996, Chr., p. 282).

1040 Th. REVET, « La dignité de la personne humaine en droit du travail », op. cit., p. 146-147, n° 10.

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266

reconnaissent que le droit au travail et à une juste rémunération participent de la dignité de la

personne humaine1041.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs affirmé, dans ses décisions du 19 janvier 1995 et

du 29 juillet 1998, que le droit à un logement décent constituait un objectif à valeur

constitutionnelle découlant notamment du principe de sauvegarde de la dignité de la personne

humaine1042. Aujourd’hui, le droit au logement reste un objectif constitutionnel mais a été

détaché de la référence à la dignité de la personne humaine1043. Celle-ci, remplissant son rôle

fondateur, a donc permis l’essor de ce droit qui a désormais conquis son autonomie.

A la lumière de ces analyses, il est parfaitement envisageable d’établir un lien entre

dignité de la personne humaine et droit au crédit, en particulier lorsqu’il a pour objet de créer

ou soutenir une activité. En effet, le crédit est au cœur du fonctionnement de nos sociétés

contemporaines et il est dans bien des cas le passage obligé de l’insertion économique et donc

plus largement sociale.

B – LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

288. Droit des peuples. Le droit au développement n’est défini ni reconnu par aucun

texte juridiquement contraignant. Il a toutefois fait l’objet de plusieurs résolutions des

Nations-Unies1044. Son appartenance à la catégorie des droits de l’homme n’a pas été

immédiatement reconnue. En effet, le droit au développement a d’abord été appréhendé dans

sa dimension collective. S’inscrivant dans le contexte du dialogue Nord-Sud, il s’agissait d’un

« droit international au développement » au profit des pays du Sud, c’est-à-dire des pays

anciennement colonisés1045. Il avait pour objet l’affirmation des principes d’égalité souveraine,

1041 V. les nombreuses références citées par M. REVET, « La dignité de la personne humaine en droit du

travail », op. cit., n° 10, sous les notes 3 et 4. 1042 Cons. const., 19 janvier 1995, déc. n° 94-359 DC, préc. ; 29 juillet 1998, déc. n° 98-403 DC, JCP 1998,

I, 171, obs. H. PERINET-MARQUET ; D. 1999. p. 272, note W. SABETE ; JCP 1999. I. 141, obs. B. MATHIEU et M. VERPEAUX ; RTD civ. 1999, p. 132, obs. F. ZENATI ; D. 2000, somm. Comm., p. 61, obs. J. TREMEAU.

1043 Cons. const., 7 déc. 2000, déc. n° 00-436 DC, D. 2001, somm. p. 1840, note L. FAVOREU ; D. 2001. 1841, note M. FATIN-ROUGE ; J.-E. SCOETTL, « Le Conseil constitutionnel et la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain », AJDA janv. 2001, p. 18 ; 12 août 2004, Déc. n° 2004-503 DC, JCP 2005. I. 192.

1044 Sur ces résolutions, v. A. YERO BA, V° Droit au développement », Dictionnaire des droits de l’homme, PUF. La résolution 25 42 (XXIV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies en date du 11 décembre 1969 a la première affirmé, dans son article 1er que « tous les peuples, tous les êtres humains, sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, de nationalité, d'origine ethnique, de condition familiale ou sociale, ou de convictions politiques ou autres, ont le droit de vivre dignement et de jouir librement des fruits du progrès social, et doivent, pour leur part, contribuer à ce progrès ».

1045 Résolutions 3201 et 3202 (SVI) du 1er mai 1974 sur le Nouvel Ordre économique international ; Résolution 3281 (XXIX) du 12 déc. 1974 sur la Charte des droits et devoirs économiques des Etats.

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267

de non-ingérence et « d’appartenance de tous les Etats à une même communauté

internationale »1046. En tant que tel, le droit international au développement ne pouvait être

rattaché à la catégorie des droits de l’homme car son sujet n’était pas l’individu mais la

collectivité.

289. Droit des individus. Puis la dimension individuelle du droit au développement a été

affirmée par l’AGNU dans sa résolution 34/46 du 23 novembre 1979. Le point 8 prévoit que

« le droit au développement est un droit de l’homme et que l’égalité des chances en matière

de développement est une prérogative des nations aussi bien que des individus qui les

composent ». Plusieurs résolutions ont par la suite réaffirmé le droit individuel au

développement avant que l’Assemblée générale des Nations-Unies n’adopte la Déclaration

sur le développement en date du 4 décembre 19861047. Son article 1er définit le droit au

développement comme « un droit inaliénable de l’homme en vertu duquel toute personne

humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement

économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les

libertés fondamentales peuvent être pleinement réalisés, et ont le droit de bénéficier de ce

développement ».

Si cette définition confirme l’appartenance du droit au développement à la catégorie des

droits de l’homme, elle reste floue sur la notion même de développement. Aussi convient-il,

pour en déterminer le contenu, de se reporter à l’indice de développement humain. Ce dernier

comprend trois éléments : « longévité, connaissance et niveaux de vie décents »1048. Le droit

individuel au développement peut donc être défini comme celui, pour tout être humain, de

recevoir les outils nécessaires à sa longévité, son apprentissage et au maintien d’un niveau de

vie décent. En d’autres termes, il s’agit d’accéder à une vie digne, c’est-à-dire libre. Si l’on se

réfère à la classification générationnelle des droits de l’homme, il faut considérer que le droit

au développement relève de la troisième génération, c’est-à-dire celle des droits de solidarité.

En effet, sa réalisation suppose l’intervention de l’ensemble des acteurs de la vie sociale que

sont l’Etat et les personnes privées.

Ainsi compris, le droit individuel au développement est assez proche de l’esprit du droit

au crédit. L’un comme l’autre sont des droits individuels ayant pour objet l’expression des

1046 P.-M. DUPUY, Droit international public, Paris, Dalloz, 7e éd. 2004, p. 572. 1047 Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur le droit au développement, Rés. 41/128, 4 déc.

1986. 1048 M. E. RODRIGUEZ PALOP, « Le droit au développement et la liberté économique : une relation

conflictuelle », Libertés économiques et droits de l’homme, dir. V. CHAMPEIL-DESPLATS et D. LOCHAK, PU Paris-Ouest, 2011, p. 141.

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pleines capacités de chaque être humain et dont la réalisation n’est possible que dans un

contexte d’interaction sociale. C’est pourquoi le droit au crédit, qu’il s’agisse du droit au

crédit productif ou du droit au crédit à la consommation ou immobilier, peut être vu comme

l’une des déclinaisons possibles du droit au développement.

C – LA LIBERTÉ D’ENTREPRENDRE

290. Liberté d’entreprendre et droit au crédit. Depuis la décision du Conseil

constitutionnel du 16 janvier 1982 relative à la loi de nationalisation, la liberté d’entreprendre

a une valeur constitutionnelle1049. Elle implique la liberté d’établissement et d’exercice d’une

activité professionnelle1050. Elle constitue donc un « pouvoir que l’homme exerce sur lui-

même », c’est-à-dire un « pouvoir d’autodétermination » dont la réalisation suppose « une

attitude d’abstention, de non-entrave » de la part d’autrui et en particulier de la part de

l’Etat1051.

Ainsi entendue, la liberté d’entreprendre ne peut à première vue fonder le droit au crédit

qui, par définition, exige l’intervention d’autrui. Mais en réalité, la liberté d’entreprendre n’est

pas exclusivement une liberté négative. Sa réalisation peut exiger une intervention de

l’Etat1052. Ainsi en est-il lorsque l’Etat est chargé « d’organiser le libre accès à une activité

économique indépendante, c’est-à-dire la possibilité donnée à une personne physique ou

1049 Cons. const., 16 janv. 1982, DC n° 81-132, Rec. p. 8 ; 12 janv. 2002, DC n° 2001-455, Loi de

modernisation sociale, LPA 21 janv. 2001, note SCHOETTL ; 31 juill. 2003, DC n° 2003-480, Loi modifiant la loi relative à l’archéologie préventive, Rec. p. 424, D. 2004, p. 1281, note A. DUFFY ; 1er juill. 2004, DC n° 2004-97, Loi relative aux télécommunications électroniques, AJDA 2004, p. 1513, note P.-A. JEANNENEY.

1050 En ce sens, v. P. BON, Dictionnaire constitutionnel, V° Liberté d’entreprendre, PUF, 1992, p. 582 ; M. DELVOLVÉ, Droit public de l’économie, Dalloz, 1998, pp. 108-109 ; G. DRAGO, Les libertés économiques, dir. G. DRAGO, M. LOMBART, Ph. TEYRNERE, éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 30. MM. DELVOLVE et DRAGO estiment en outre que la liberté d’entreprendre a une valeur supérieure aux libertés du commerce et de l’industrie, liberté professionnelle et liberté de la concurrence. Cette position doctrinale est partagée par le Conseil d’Etat qui considère que « la liberté du commerce et de l’industrie (…) est une composante de la liberté fondamentale d’entreprendre » (CE, 12 nov. 2001, Dr. adm., 2002, n° 41, obs. M. LOMBARD). Pour une position contraire, v. D. FERRIER, « La liberté du commerce et de l’industrie », Libertés et droits fondamentaux, dir. R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE et Th. REVET, Dalloz, 18e éd. n° 994 et s. : pour l’auteur la liberté d’entreprendre n’est qu’un des aspects de la liberté du commerce et de l’industrie.

1051 Elle répond donc au premier élément de définition d’une liberté publique. V. en ce sens G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, Sirey Université, 8e éd., p. 15.

1052 Comme l’explique Mme GOYARD-FABRE, « même un droit-liberté est une dette de l’Etat envers le citoyen » (S. GOYARD-FABRE, Les embarras philosophiques du droit naturel, Vrin, 2002, p. 329). Dans le même sens, M. SPITZ écrit que le droit à la sécurité physique, volontiers présenté comme le symbole des droits négatifs, « requiert (…) en particulier que l’Etat engage certaines dépenses pour instituer des tribunaux et payer une force de police capable de faire respecter ce droit » (J.-F. SPITZ, « Droits négatifs, droits positifs, une distinction dépourvue de pertinence », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridique, n° 49, 2009, p. 194).

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morale privée (…) de s’installer librement en créant ou en acquérant une entreprise »1053. Cette

action positive de l’Etat en faveur de la liberté d’entreprendre peut prendre différentes formes

et se traduire notamment « par une politique fiscale, d’aménagement du territoire, d’incitation

financière, d’aide à l’emploi et à l’embauche, [ou encore] de formation »1054.

La création de la Banque publique d’investissement par la loi n° 2012-1559 du 31

décembre 2012 est une illustration récente de l’intervention de l’Etat en faveur de la liberté

d’entreprendre. La BPIfrance se définit comme « un groupe public au service du financement

et du développement des entreprises ». L’existence même de la BPIfrance prouve que l’accès

au crédit fait partie intégrante de la mise en œuvre de la liberté d’entreprendre. Aussi bien, il

est tout à fait légitime de considérer que cette dernière, considérée de manière positive, se

range parmi les sources possibles du droit au crédit.

SOUS-SECTION II : LA NATURE DU DROIT AU CRÉDIT

291. Plan. Si l’on envisage sa nature juridique, le droit au crédit est susceptible de

rattachements divers : droit à, droit de l’homme, droit subjectif ou encore droit fondamental.

Après avoir écarté les deux premiers rattachements (§ I), nous retiendrons les deux derniers (§

II).

§-I. LES RATTACHEMENTS ÉCARTÉS

292. Plan. On envisagera successivement la catégorie des droits à (A) et celle des droits

de l’homme (B).

1053 G. DRAGO, V° La liberté d’entreprendre, in Dictionnaire des droits fondamentaux, Dalloz, 2006, p.

445. 1054 Ibid. Contra D. FERRIER, « La liberté du commerce et de l’industrie », op. cit., n° 996, pour qui les

mesures incitatives (fiscales ou financières) ne sauraient être analysées comme « une forme d’encouragement à l’exercice de la liberté d’entreprendre, car elles sont toujours inspirées par la considération d’intérêts très particuliers d’ordre économique et social : survie du petit commerce, aménagement du territoire, soutien de certaines activités, aide à l’emploi ». Pour un lien entre liberté d’entreprendre et démocratie, v. l’art. original de R. FABRE, « Un droit en quête d’auteur : la liberté d’entreprendre », Rapport moral sur l’argent dans le monde, 1998, p. 317. Dans cet article, l’auteur souligne que seule une infime partie des citoyens accède à la figure de l’entrepreneur. Il souhaite que la liberté d’entreprendre s’exprime à travers l’activité du plus grand nombre (non loin de cette « liberté d’artisan » dont parlait Adam Smith), dans une perspective de « solidarité active et de projet commun » (art. préc., p. 320).

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270

A – LES DROITS À

293. Plan. Les droits à constituent une catégorie juridique dont les contours ont été tracés

par M. PICHARD dans la thèse qu’il leur a consacré1055. Le droit au crédit contenant la

préposition à, il est indispensable de déterminer s’il pourrait relever de cette catégorie. On

verra que le droit au crédit est conforme à l’esprit des droits à (1) mais qu’il s’éloigne de leur

structure (2).

1) Conformité du droit au crédit à l’esprit des droits à

294. Plan. Après avoir identifié l’esprit des droits à (a), on en fera application au droit au

crédit (b).

a) L’esprit des droits à

295. Plan. L’esprit des droits à est intimement lié aux éléments constitutif de la

Modernité (a-1) ainsi qu’à ses idéaux (a-2).

a-1) Le droit à et les éléments constitutifs de la Modernité

296. L’individu et sa protection. L’ordre politique moderne, dont l’apparition est

concomitante à celle des théories du contrat social, est centré sur l’individu1056 et a pour

finalité sa protection1057. Dans sa thèse, M. PICHARD explique que le droit à est en

adéquation avec ces deux principes constitutifs de la Modernité.

1055 M. PICHARD, Les droits à, préf. M. GOBERT, Economica, 2006. M. COHEN leur avait antérieurement

consacré un article. Pour autant il s’était montré mesuré face à la possibilité d’identifier des caractères communs aux droits à (“Les droits à”, L’Avenir du droit. Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz, 1999, p. 393 et s., spéc. p. 396-398).

1056 Sur le lien entre modernité et individu, v. par ex. J. CHEVALLIER, « Vers un droit post-moderne ? », Les transformations de la régulation juridique, dir. J. CLAM et G. MARTIN, LGDJ, coll. Droits et société, 1998, p. 21 et s., spéc. p. 22 : « la modernité s’appuie aussi sur un autre pôle, l’individualisme qui aboutit à mettre l’individu au centre de la société : l’individualisme, c’est l’affirmation de l’irréductible singularité de chacun, la reconnaissance d’une marge d’autonomie et de liberté qui lui permette de mener son existence comme il l’entend ; c’est aussi le relâchement des liens d’allégeance communautaire par un procès de subjectivisation, qui conduit à reconstruire l’organisation sociale et politique toute entière, en partant de l’individu, érigé en point de référence suprême ». L’auteur précise que les droits-créances, qui appartiennent à la catégorie des droits à, ne se départissent pas de cette centralisation autour de l’individu. Ces droits prolongent le mouvement de subjectivisation du droit et continuent de placer l’individu au cœur de l’univers juridique (art. préc, p. 45-46).

1057 Sur le lien entre modernité et protection des individus, v. par ex. M. GAUCHET, La démocratie contre elle-même, Gallimard, Folio Essais, 2000, p. 207 et s., spéc. p. 215 : « On le sait depuis Hobbes, dans un univers

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271

Tout d’abord, le droit à a comme sujet l’individu, c’est-à-dire « un titulaire socialement

indifférencié : chacun, toute personne, l’usager »1058. Universels quant à leurs titulaires, les

droits à ne sont pas pour autant intemporels : leur existence est relative et dépend des besoins

matériels des individus à un lieu et à une époque donnés1059. Par exemple, le droit à un

environnement sain bénéficie de manière indifférenciée à tous les individus mais son

existence est circonstanciée : elle est liée à l’apparition de la société industrielle et aux

dangers qu’elle représente pour l’environnement. De la même manière, si le droit à

l’information des administrés bénéficie indistinctement à tous les administrés, son existence

n’est justifiée que face à un Etat fortement bureaucratisé1060.

Le droit à a également pour finalité de protéger l’individu en garantissant les conditions

de son autonomie1061. Il est donc le reflet de l’impératif de sécurité et surtout de son évolution.

Initialement, l’intervention de Etat se limitait à assurer la police des comportements, c’est-à-

dire à garantir la sécurité physique des individus contre les agressions extérieures.

Aujourd’hui, la sécurité matérielle des individus est également visée. Ainsi, l’autonomie

individuelle ne suppose pas seulement que l’on puisse se mouvoir sans danger, elle exige

également que l’on dispose des moyens nécessaires à son expression : « à la conquête de

l’autonomie et de l’égalité répond aussitôt la question des conditions de l’autonomie de

l’individu »1062. En témoignent l’apparition des droits à la sécurité matérielle comme le droit

au logement, à l’électricité, à un revenu minimum ou à la couverture maladie1063.

d’individus, la sécurité est l’objet même de l’engagement en société. C’est en fonction de cette prémisse que s’est développée à l’âge moderne la forme d’Etat originale que nous connaissons, l’Etat protecteur. Manquer au devoir de protection qui engage le pouvoir social envers chacun des membres du corps politique, c’est remettre en cause ni plus ni moins les raisons qui pour chaque individu font le sens de son appartenance à la société ».

1058 M. PICHARD, thèse préc., n° 55, p. 69. Dans le même sens, M. COHEN estime que « les droits à sont universels, égalitaires » (Dany COHEN, « Le droit à… », art. préc., p. 399).

1059 M. PICHARD, thèse préc., n° 56. V. égal. M. GOBERT, « Le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, Rapport de synthèse », La dignité de la personne humaine, dir. M.-L. PAVIA et Th. REVET, Economica, 1999, p. 173 : « Deux siècles après la déclaration des droits de l’homme, c’est la personne humaine, dans sa réalité quotidienne qui est placée au centre des préoccupations parce qu’elle paraît en danger ».

1060 V. M. PICHARD, thèse préc., n° 67. 1061 Ibid., n° 64. 1062 Ibid., n° 62. 1063 Ce besoin accru de sécurité fait l’objet de nombreuses critiques. V. par ex. B. OPPETIT, « Les tendances

régressives dans l’évolution du droit contemporain », Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990, p. 317 et s.

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272

a-2) Le droit à et les idéaux de la Modernité

297. La quête de l’égalité. TOCQUEVILLE l’a montré avec une clairvoyance

visionnaire : le régime démocratique tel qu’il a été façonné par les penseurs de la Modernité

est indissociable d’une quête permanente et toujours plus vive d’égalité1064.

L’égalité ainsi recherchée a parfois été critiquée. On a pu objecter qu’il s’agirait d’une

égalité des conditions standardisée, normalisée, fruit de la « médiocrité démocratique »1065 et

dont l’unique objectif serait la « réduction de l’altérité dans l’espace humain »1066. Le droit à

n’échappe pas totalement à cette critique, à telle enseigne que M. PICHARD a considéré qu’il

« exprime le caractère insupportable de tout écart excessif avec ce qui est le lot commun, ou

ce qui est perçu comme tel. C’est le désir de tendre vers la moyenne qu’exprime le droit à

»1067.

298. La réduction des incertitudes. En outre – l’analyse de TOCQUEVILLE est là

encore précieuse – la croyance en la capacité du droit à satisfaire les besoins du plus grand

nombre suscite alternativement l’espoir d’une amélioration des conditions de vie et l’angoisse

de l’échec1068. Apparaît ici l’autre idéal de la Modernité : la nécessité de réduire les

incertitudes et de combler le vide existentiel que crée, de manière paradoxale,

l’individualisme démocratique. Dans cette mesure, le droit à, cette « bouée de sauvetage pour

temps déprimé »1069, prend la forme d’un remède apaisant.

1064 TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t. 2, Folio, p. 174 : « Quand l’inégalité est la loi

commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir d’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande ».

1065 M. GAUCHET, « Tocqueville, l’Amérique et nous », Libre. Politique - anthropologie – philosophie, n°7, mars 1980, p. 43 à 120, spéc. p. 83 et 101.

1066 M. GAUCHET, « Tocqueville, l’Amérique et nous », op. cit. V. égal. F. TERRÉ, « Liberté, ce mot souvent trahi », Le juriste et le politique, Trente ans de journalisme au Figaro, Dalloz, 2003, p. 9 : « L’idée de bonheur dont parlait Saint Just s’est de plus en plus déplacée : au bonheur d’être soi-même se substitue le bonheur d’être comme les autres » ; J.-J. CHEVALLIER, Cours d’histoire des idées politiques. Développement de la bataille idéologique de 1815 à 1848, Les cours de droit, 1962-1963, p. 37.

1067 M. PICHARD, thèse, n° 72. 1068 A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t. 2, folio p. 193 : « Dans les temps

démocratiques les jouissances sont plus vives que dans les siècles d’aristocratie, et surtout le nombre de ceux qui les goûtent est infiniment plus grand ; mais, d’une part il faut reconnaître que les espérances et les désirs y sont plus souvent déçus, les âmes plus émues et plus inquiètes, et les soucis plus cuisants ». Pour une actualisation de ce constat, v. not. C. LASCH, La culture du narcissisme, Flammarion, p. 306 : l’auteur fait état du « sentiment de perte et d’exil ressenti par tant d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, de leur plus grandes vulnérabilité face à la douleur et à la privation, et de la contradiction entre la promesse qu’ils “ont droit à tout” et la réalité de leur limitation ».

1069 M. PICHARD, thèse préc., n° 80.

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273

b) Application au droit au crédit

299. Le droit au crédit et les éléments constitutifs de la Modernité. Le droit au crédit,

même lorsqu’il a pour objet le financement d’une entreprise, serait un droit à destination des

individus. Certes, le crédit peut bénéficier à une personne morale, mais celle-ci n’est rien sans

les individus qui lui ont donné naissance et entendent développer son activité. La dimension

individuelle du droit au crédit est encore plus évidente lorsqu’il a pour objet l’acquisition de

biens de consommation ou l’accès à la propriété immobilière. Dans cette perspective, le droit

au crédit est effectivement centré sur l’individu et ses conditions de vie.

En outre, comme nous l’avons déjà montré, le droit au crédit peut être analysé comme un

moyen de garantir l’autonomie matérielle des individus. Il répondrait en cela à l’objectif de

protection des individus.

300. Le droit au crédit et les quêtes de la Modernité. Parce qu’il viserait à permettre à

chaque individu de développer ses capacités et ainsi de construire son existence sociale, le

droit au crédit s’inscrirait pleinement dans la quête moderne de l’égalité. Mais encourrait-il

les critiques formulées à son encontre ? Une distinction doit être opérée sur ce point entre le

crédit productif et le crédit aux particuliers.

Ce dernier n’échappe pas aux griefs d’uniformisation sociale et de réduction de l’altérité.

En effet, la société de consommation est par définition une société de l’uniformisation car les

biens y sont produit en masse et relèvent pour cette raison de la catégorie des choses de genre.

L’accès à la propriété relève de la même manière d’un conformisme social1070. De plus, la

consécration d’un droit au crédit des particuliers pourrait bien faire figure d’une énième

« bouée de sauvetage » pour une Modernité déprimée.

Il en va différemment du crédit productif. Si l’on admet l’existence d’un droit au crédit

productif, il faut constater que l’uniformisation à laquelle il tendrait serait une uniformisation

des possibilités. L’égalité qu’il viserait serait une égalité des chances et non des résultats. En

outre, comme nous l’avons montré dans la première sous-section de ce chapitre1071, le droit au

crédit productif doit permettre à son bénéficiaire de se singulariser via la création ou le

développement d’une activité. Enfin, on ne saurait lui reprocher de n’être qu’un palliatif

matériel vide de sens et de projet.

1070 V. sur ce point les développements de X. LAGARDE, L’endettement des particuliers, Dalloz, 2e éd.

2003, n° 10. 1071 V. supra n° 279 et s.

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274

2) Non-conformité du droit au crédit à la structure des droits à

301. Plan. Après avoir identifié la structure des droits à (a), nous en ferons application au

droit au crédit (b).

a) La structure des droits à

302. Définition. Selon M. PICHARD, « le droit à est un pouvoir d’exiger un bienfait

possible selon des voies demeurées indéterminées »1072. Reprenons ces deux éléments.

303. Un bienfait possible. Il convient d’abord de cerner la notion de bienfait. Celui-ci

réside dans la satisfaction d’un besoin nécessaire, laquelle doit être distinguée de la

satisfaction d’une envie. Le besoin, contrairement à l’envie, prive les individus de leurs

possibilités de choix en matière de développement. En ce sens, un bienfait contribue à assurer

des conditions de vie décente et à accroître la liberté individuelle. Finalement, on peut

distinguer le besoin de l’envie en considérant que la satisfaction du premier est objectivement

nécessaire.

Quant à la possibilité du bienfait, elle s’apprécie aussi bien matériellement (il y a

impossibilité matérielle lorsque l’homme n’a aucun pouvoir sur l’objet à réaliser)1073 que

juridiquement (on retrouve ici les réserves tenant à l’ordre public et aux bonnes mœurs)1074.

En sens inverse, la difficulté de réalisation économique est indifférente. En effet, « la

complexité de la garantie du bienfait ne signifie pas son impossibilité. Elle peut avoir des

incidences sur la mise en œuvre du droit, sur les modalités de sa réception par l’ordre

juridique, pas sur son existence juridique »1075.

304. Une prérogative indéterminée. Comme nous l’avons vu, le droit à revendique un

bienfait possible par des voies indéterminées. Il faut ici comprendre que le droit à est une

prérogative indéterminée quant à son objet et son débiteur. En ce sens, M. PICHARD

1072 M. PICHARD, thèse préc., n° 191. 1073 Reprenant les suggestions provocatrices de F. TERRÉ (« Sur la notion de droits et libertés

fondamentaux », Droits et libertés fondamentaux, dir. R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE, Th. REVET, Dalloz, 18e éd., n° 5, p. 4), M. PICHARD illustre l’impossibilité matérielle que représentent le droit au bonheur, au soleil ou encore à la pluie (thèse préc., n° 134).

1074 Le droit à une personne, « qui serait nécessairement un retour à l’esclavage », illustre l’idée d’impossibilité juridique (M. PICHARD, thèse préc., n° 136).

1075 M. PICHARD, thèse, n° 132, p. 177.

Page 277: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

275

souligne que « autrui est le grand absent du droit à. La seule chose que le droit à exprime est

l’intérêt de son titulaire, entendu sans référence précise, à la charge qui nécessairement devra

en résulter »1076. De la même manière, l’objet du droit à est nécessairement imprécis. Il est un

standard1077. C’est d’ailleurs pour cette raison que le droit à « est appelé à disparaître, au fur et

à mesure de sa mise en œuvre par le législateur, de son enracinement dans le système

juridique (…) : la catégorie n’a pas vocation à la stabilité »1078.

Le droit au logement illustre le caractère mouvant du contenu de la catégorie des droits à.

Longtemps imprécis tant en ce qui concerne ses titulaires que ses débiteurs et ses modalités

d’exercice, il est aujourd’hui encadré. Depuis la loi du 2007 qui a instauré un droit au

logement opposable, ses titulaires sont désignés par la loi1079. Surtout, il est doté d’un débiteur

principal, à savoir l’Etat. Celui-ci peut être sanctionné par le juge en cas de carence dans

l’accomplissement de sa mission1080. Ainsi, les interventions successives du législateur ont

progressivement exclu le droit au logement de la catégorie des droits à.

b) Application au droit au crédit

305. Le droit au crédit comme bienfait. Dans nos économies contemporaines, le crédit

est un besoin tant en matière de développement d’une activité qu’en ce qui concerne l’achat

d’un bien immobilier ou de consommation. Mais s’il ne fait aucun doute que le crédit

productif est nécessaire car il est le moteur de l’activité qui est elle-même consubstantielle à

l’existence humaine, il n’en va pas de même du crédit immobilier ou à la consommation.

Certes, sans eux, les particuliers ne peuvent pas accéder à la propriété immobilière ni jouir

instantanément des biens de consommation. Pour autant, on peut douter que l’un comme

l’autre soient de l’ordre de la nécessité. L’accès à un logement décent est certes nécessaire,

mais peu importe ses modalités – contrat de bail ou de vente. Parmi les biens de

consommation, il en est qui améliorent incontestablement le quotidien en offrant un confort

matériel ou en allégeant les tâches ménagères (véhicules, électroménager). Il en est d’autres

qui appartiennent davantage à l’ordre du loisir (télévision, multimédias…). Dans les deux cas,

1076 Ibid., n° 151, p. 197. 1077 Ibid., p. 228-229. 1078 Ibid., n° 161, p. 216. 1079 L’article L. 441-1 du Code de la construction et de l’habitation établit une liste précise des titulaires du

droit au logement. 1080 L’article L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation organise le recours que peut

introduire le bénéficiaire du droit au logement en cas de carence de la personne publique dans son obligation de lui fournir un logement.

Page 278: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

276

la possession de ces biens est-elle nécessaire à l’existence de conditions de vie décentes ? S’il

est possible d’assimiler confort matériel et conditions de vie décentes, le parallèle est en

revanche beaucoup plus douteux lorsqu’il s’agit des biens destinés au loisir1081. Finalement, il

nous semble incontestable de qualifier l’accès au crédit productif de besoin nécessaire et,

partant, de considérer que le droit à ce crédit constituerait un bienfait ; mais, à ce stade de

l’analyse, la qualification du crédit aux particuliers comme bienfait demeure discutable.

306. Le droit au crédit comme bienfait possible. Si l’on admet que le droit au crédit est

un bienfait, la possibilité de son octroi ne fait aucun doute. En effet, d’un point de vue

matériel comme juridique, le crédit peut parfaitement être l’objet d’un droit. Certes,

économiquement, la question du droit au crédit soulève des difficultés. Néanmoins, de telles

préoccupations ne sont pas de nature à influer sur la possibilité de son existence juridique.

307. Les limites du droit au crédit comme prérogative indéterminée. Si le droit au

crédit est un bienfait possible, encore faut-il, pour qu’il constitue un droit à, que son débiteur

comme son objet soient indéterminés. Une telle condition est remplie par le droit au crédit que

vise l’article L. 511-10 al. 4 du Code monétaire et financier. On rappellera pour mémoire que

cet article dispose que « pour fixer les conditions de son agrément, l'Autorité de contrôle

prudentiel peut prendre en compte la spécificité de certains établissements de crédit

appartenant au secteur de l'économie sociale et solidaire. Elle apprécie notamment l'intérêt de

leur action au regard des missions d'intérêt général relevant de la lutte contre les exclusions ou

de la reconnaissance effective d'un droit au crédit ». L’indétermination gouverne aussi bien

l’objet que les destinataires et les débiteurs de ce droit au crédit. En outre, aucune information

n’est donnée quant à sa mise en œuvre ou sa justiciabilité. Dans ces conditions, il est possible

de qualifier le droit au crédit de l’article L. 511-4 du Code monétaire et financier de droit à.

En revanche, un droit au crédit dont l’objet et le débiteur seraient déterminés échapperait

à cette qualification. Or nous verrons qu’il est parfaitement possible d’identifier non

seulement l’objet mais encore et surtout les débiteurs possibles du droit au crédit. Dans ces

conditions, on ne saurait se satisfaire de la classification du droit au crédit parmi les droits à.

En d’autres termes, le droit ici débattu, à le supposer reconnu, mériterait une qualification

plus précise.

1081 Encore que le droit au loisir soit consacré par l’article 24 de la Déclaration universelle des droits de

l’homme.

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277

B – LES DROITS DE L’HOMME

308. Plan. Le droit au crédit peut-il être rangé parmi les droits de l’homme ? Notons

d’emblée que cette question ne peut avoir de sens qu’à l’égard des personnes physiques, sauf

à considérer que les personnes morales puissent entrer dans le champ d’application des droits

de l’homme, ce qui n’est pas toujours admis1082. Sous cette réserve, le droit au crédit paraît

compatible avec la notion de droits de l’homme si l’on considère leur définition et leur

classification (1). Cependant, les critiques dont ils font l’objet nous dissuadent d’adopter cette

qualification (2).

1) Définition et classification des droits de l’homme

309. Définition. Si l’on considère que les droits de l’homme ne ressortissent pas « du

monde de la philosophie », en indiquant seulement « ce qui devrait être »1083, mais relèvent du

droit positif1084, on peut alors les définir comme l’ensemble des « droits et facultés assurant la

liberté et la dignité de la personne humaine et bénéficiant de garanties institutionnelles »1085.

310. Classification générationnelle. Les propositions de classifications des droits de

l’homme sont nombreuses : date de naissance, importance, nature, sujet ou encore caractère

positif ou négatif. On retiendra ici la classification générationnelle qui présente le mérite de

rendre compte de l’évolution des droits de l’homme.

1082 V. sur ce point les explications de M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, LGDJ, 4e éd.,

2012, p. 198 et s. V. également J. MOURGEON, Les droits de l’homme, PUF, coll. Que sais-je, 8e éd., 2003, p. 7. L’auteur définit les droits de l’homme comme « les prérogatives gouvernées par des règles que la personne (physique ou morale) détient en propre dans ses relations avec d’autres personnes (physiques ou morales) ou avec le Pouvoir ».

1083 G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 8e éd., 2008, p. 4. V. dans le même sens P. WACHSMANN, Libertés publiques, Dalloz, 6e éd., 2009, p. 5 ; D. LOCHAK, Les droits de l’homme, Ed. La découverte, 2002, p. 5 ; J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, PUF, 9e éd., 2003, p. 8 pour qui les libertés publiques « correspondent à des droits de l’homme que leur reconnaissance et aménagement par l’Etat ont inséré dans le droit positif ».

1084 V. en ce sens J.-F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, p. 3, où l’auteur écrit que ces droits constituent désormais une catégorie juridique ; J. MOURGEON, Les droits de l’homme, op. cit., spéc. p. 7 ; M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, op. cit., p. 71 : « les droits de l’homme sont pleinement intégrés dans une perspective juridique ».

1085 F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 11e éd., 2012, n° 2.

Page 280: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

278

La première génération regroupe les droits civils et politiques. Il s’agit des « droits-

attributs de la personne humaine, droits qui sont, pour l’essentiel, opposables à l’Etat dont ils

supposent d’abord une attitude d’abstention pour qu’ils puissent être respectés »1086.

La deuxième génération englobe les droits économiques et sociaux reconnus par les

Constitutions postérieures à 1945. Il s’agit notamment du droit au travail, à la protection de la

santé ou encore du droit au bien-être. On parle à leur égard de droits-créances car ils

« exprimeraient comme des créances que tous les membres d’une société pourraient présenter

à l’Etat et que celui-ci serait tenu d’honorer »1087. En d’autres termes, contrairement aux droits

de la première génération, ces droits exigent une action positive de l’Etat1088.

La troisième génération est celle des « droits de solidarité » reconnus à partir de la fin du

XXe siècle1089. Il s’agit du droit à la paix, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du

droit au développement (international et individuel), du droit à la dignité de la personne

humaine1090 ou encore du droit à un environnement sain. Ces droits constituent des droits-

créances originaux car « ils sont à la fois opposables à l’Etat et exigibles de lui : mais surtout

(c’est là leur caractéristique essentielle) ils ne peuvent être réalisés que par la conjonction des

1086 K. VASAK, « Les différentes typologies des droits de l’homme », Classer les droits de l’homme, dir. E.

BRIBOSIA et L. HENNEBEL, Bruylant 2004, p. 18. 1087 L. FERRY et A. RENAUT, « Droits libertés et droits-créances, Raymond Aron critique de Friedrich-A

Hayek », Droits 1985-2, p. 75. 1088 Des auteurs estiment que les droits de l’homme se limitent aux droits civils et politiques, c’est-à-dire aux

libertés publiques. Outre les arguments philosophiques développés par les penseurs libéraux, au premier rang desquels figure F.-A. HAYEK (v. not. Le mirage de la justice sociale, PUF, 1976, spéc. p. 121-127 : l’auteur y soutient que seule la libre initiative individuelle est susceptible de réaliser l’harmonie entre les hommes et que, partant, la reconnaissance de prérogatives étatiques serait liberticide), des arguments juridiques ont également été soulevés à l’encontre de l’existence d’une catégorie de droits-créances. Pour M. RIVERO par exemple, les droits-créances, comme les droits de solidarité de la troisième génération, ne sont pas des droits de l’homme car ils sont juridiquement incertains : leur « font défaut certains des caractères que la notion même de droit implique nécessairement : tout droit doit avoir un titulaire certain, un objet précis et possible, et doit être opposable à une ou plusieurs personnes déterminées tenues de les respecter » (J. RIVERO, Libertés publiques, Paris, PUF, t. 1, 1984, p. 34). V. égal. L. FERRY et A. RENAUT, Philosophie politique, t. 3, Des droits de l’homme à l’idée républicaine, PUF, 1985, p. 26 et s. ; « Droits-libertés et droits-créances, Raymond Aron, critiques de Friedrich-A Hayek », Droits 1985, p. 75 et s. Pour une critique de la critique, v. D. ROMAN, Le droit public face à la pauvreté, thèse, préf. E. PICARD, LGDJ, 2002 ; Les droits sociaux, entre droits de l’homme et politiques sociales – Quels titulaires pour quels droits ?, dir. D. ROMAN, LGDJ, 2012.

1089 Cette troisième génération de droits de l’homme a été conceptualisée par M. VASAK. V. not. K. VASAK, « Les différentes typologies des droits de l’homme », Classer les droits de l’homme, préc., p. 11 et s., spéc. p. 18 : « N’y a t-il pas, ne devrait-il pas y avoir des droits de l’homme secrétés par l’évidente fraternité des hommes et par leur indispensable solidarité, droits qui uniraient les hommes dans un monde fini dont le temps a commencé depuis longtemps déjà ? Tel est le sens de ces droits de l’homme de la troisième génération. Ces droits de l’homme sont nouveaux, car les aspirations qu’ils expriment sont nouvelles sous l’angle des droits de l’homme visant à faire pénétrer la dimension humaine dans des domaines dont elle était jusqu’ici trop souvent absente, étant abandonnée à l’Etat, aux Etats : le développement, la paix, l’environnement (… ) ».

1090 V. en ce sens, M. FABRE-MAGNAN, V° Dignité humaine, Dictionnaire des droits de l’homme, op. cit.

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279

efforts de tous les acteurs du jeu social : l’individu, l’Etat, les entités publiques et privées, la

communauté internationale »1091.

311. Le droit au crédit comme un droit de la troisième génération. En théorie, rien ne

semble faire obstacle à la qualification du droit au crédit en un droit de l’homme, et plus

particulièrement en un droit de la troisième génération. En effet, il impliquerait l’intervention

d’autrui puisque son titulaire pourrait exiger que soient mis à sa disposition les outils –

l’argent – nécessaires à la réalisation de son projet (création ou développement d’entreprise,

achat de biens immobiliers ou de consommation). En outre, il serait parfaitement imaginable

que les différentes forces sociales soient appelées à se mobiliser en vue de sa réalisation. En

effet, l’accès au crédit peut être assuré aussi bien par l’Etat que par des investisseurs privés,

qu’il s’agisse d’associations de microcrédit ou de banques spécialisées dans le secteur de

l’économie sociale et solidaire.

Il reste à déterminer si l’assimilation du droit au crédit à un droit de l’homme résisterait

aux critiques dont cette catégorie fait l’objet.

2) Critiques des droits de l’homme

312. Plan. Deux critiques sont souvent formulées à l’encontre des droits de l’homme. On

a ainsi dénoncé leur prétention universaliste ainsi que leur caractère fictif ou abstrait. Si cette

première critique n’intéresse pas directement notre sujet car elle ne vise que les droits de la

première génération, il est néanmoins important de l’identifier et d’y répondre car de leur

existence dépend celle des droits des générations suivantes1092 (a). On a également reproché

aux droits-créances des deuxième et troisième générations leur incertaine juridicité (b).

1091 K. VASAK, « Les différentes typologies des droits de l’homme », Classer les droits de l’homme, préc.,

p. 18. 1092 Les droits de la deuxième génération ont été reconnus afin d’assurer l’effectivité des droits de la

première. En effet, « la liberté ne commence que lorsque la satisfaction des besoins élémentaires permet à l’homme de s’ouvrir à des préoccupations autres que celle de sa survie. Ainsi les pouvoirs d’exiger, qui tendent à assurer des conditions de vie décentes dans l’ordre matériel et intellectuel, prolongent les libertés [les pouvoirs d’autodétermination] et assurent leur épanouissement » (J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, PUF, coll. Thémis droit public, 9e éd., 2003, p. 88). Ce raisonnement peut également être appliqué aux droits de la troisième génération.

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280

a) Universalisme et abstraction des droits de la première génération

313. Exposé de la critique. Il est devenu classique de dire que les déclarations de droits,

qu’il s’agisse des déclarations américaines et françaises ou de la déclaration universelle des

droits de l’homme, ont entendu reconnaître les droits « attachés à l’humanité de l’homme »1093.

Il s’agissait en d’autres termes de protéger les éléments ayant trait à l’invariabilité de la nature

humaine. Or, dès la proclamation des premières déclarations, de nombreux penseurs se sont

élevés contre cette prétention à l’universalisme et la conception abstraite de l’homme qui en

ressortait. Les mots de Joseph DE MAISTRE illustrent et résument cette opposition : « il n’y

a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des François, des Italiens, des Russes,

etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être persan : mais quant à l’homme, je

déclare ne l’avoir rencontré de ma vie »1094. A l’universalisme des déclarations, ces auteurs

opposaient le relativisme culturel.

314. Dépassement de la critique. En réalité, universalisme et relativisme culturel ne sont

pas nécessairement antinomiques. Claude LEFORT a proposé une autre lecture de

l’universalisme des droits de l’homme, le rendant compatible avec le relativisme culturel.

Selon lui, il est avant tout l’affirmation de « l’universalité du principe qui ramène le droit à

l’interrogation du droit »1095, à la recherche continue de son sens. Ainsi, les déclarations n’ont

pas entendu reconnaître des droits en fonction d’une nature immuable de l’homme. Elles ont

avant tout formulé un principe, celui en vertu duquel l’appartenance à l’espèce humaine

confère « le droit à avoir des droits »1096. Partant, le débat démocratique serait un continuel «

débat sur le légitime et l’illégitime »1097. Une telle conception de l’universalisme des droits de

l’homme montre que ces derniers ont vocation à se faire les garants d’une exigence, celle

consistant à renouveler la réflexion sur la détermination des besoins fondamentaux de

l’homme en tant qu’être social1098. Ainsi compris, l’universalisme est pleinement compatible

1093 G. HAARSCHER, « Droit de l’homme », Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 3e éd., p. 190. 1094 J. DE MAISTRE, Considérations sur la France, 1797, p. 102

(http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6258824q/f114.image.r=il%20n%27y%20a%20point%20d%27homme). 1095 Cl. LEFORT, Essais sur le politique, Points, coll. Essais, p. 56. 1096 Cl. LEFORT, op. cit., p. 55. L’auteur précise qu’il emprunte cette expression à Hannah Arendt mais ne

reprend pas le sens qu’elle lui avait initialement donné. 1097 Cl. LEFORT, op. cit., p. 57. 1098 La position de Claude LEFORT peut être rapprochée de celle défendue par Philippe GERARD. Ce

dernier distingue deux conceptions des droits de l’homme. La première est une conception libérale « inspirée par le jusnaturalisme moderne, [qui] met l’accent sur l’antériorité des droits individuels par rapport au pouvoir étatique » et qui, partant a une vision restrictive de ces droits en les limitant aux libertés négatives. La seconde

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281

avec le relativisme culturel. La première critique adressée à l’encontre des droits de l’homme

n’est dès lors pas décisive.

b) Manque de juridicité des droits-créances

315. Exposé de la critique. M. SUDRE a bien résumé la critique qui est souvent

formulée à l’encontre des droits-créances : « les droits économiques, sociaux et culturels

souffrent d’une double infirmité, à la fois matérielle et juridique. Au plan matériel, la

réalisation de ces droits suppose la mise en œuvre de moyens économiques, financiers,

sociaux qui font largement défaut à un grand nombre d’Etats : ces droits sont des droits

contingents, subordonnés aux possibilités matérielles d’une société donnée à un moment

donné de son histoire (…). Au plan juridique, ces droits, de nature aléatoire (le travail, la

santé), ou incertaine (la vie culturelle), sont énoncés pour la majorité d’entre eux en termes

imprécis »1099. Une telle critique peut également être appliquée aux droits-créances de la

troisième génération.

Les auteurs sont en outre nombreux à dénoncer leur incertaine justiciabilité1100. C’est

d’ailleurs pour cette raison que M. REVET a suggéré, à propos du droit au travail, « de le

faire passer de l’état de “droit-créance” à celui de droit de créance », c’est-à-dire de droit

subjectif1101. On sait en effet que les droits subjectifs sont efficacement protégés par le juge

puisque le seul constat de leur violation suffit à entraîner réparation.

316. Appréciation de la critique : l’exemple du droit à la santé. La critique tirée de

l’imprécision des droits-créances et, par conséquent, de leur manque de justiciabilité est de

taille. Cependant, l’exemple du droit à la santé permet de la nuancer.

est républicaine ou démocratique et « offre l’avantage de correspondre à la nature évolutive des droits » (Ph. GERARD, L’esprit des droits. Philosophie des droits de l’homme, Faculté universitaire St Louis, n° 115).

1099 F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., n° 178. 1100 V. notamment J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, PUF, coll. Thémis droit public, 9e

éd., 2003, p. 102 : les auteurs dénoncent le caractère flou des titulaires des droits-créances, l’imprécision de leur objet et l’incertitude quant à leur opposabilité ; H. OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, LGDJ, 4e éd., 2013, p. 29 : « un droit n’existe que s’il peut précisément reconnu en cas de litige devant un juge et si cette juridiction peut prendre des mesures répressives en cas de non-respect ».

1101 Th. REVET, « La dignité de la personne humaine en droit du travail », op. cit. p. 155.

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282

Ce droit comporte deux volets, relatifs à l’organisation du système de santé, qui implique

la création de différents pôles destinés à recevoir le public et à offrir des traitements adaptés,

et au financement des dépenses de santé1102.

S’agissant de ce second volet, la loi du 13 août 2004 portant réforme de l’assurance

maladie est venue créer un « dossier personnel médical » recensant l’ensemble des données

médicales du patient. L’objectif affiché « est d’assurer une meilleure continuité et cohérence

des soins, tout en cherchant à éviter la multiplication parfois inutile et coûteuse des examens

de santé, autrement dit “l’abus de consommation médicale” »1103.

S’agissant du premier volet, la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la

qualité du système de santé, a de son côté clairement identifié les droits fondamentaux

composant le droit à la protection de la santé. Ainsi, les articles L. 1110-1 et suivants du Code

de la santé public déclinent « le droit fondamental à la protection de la santé » en

reconnaissant au patient le droit à l’égal accès aux soins, à leur continuité et à la meilleure

sécurité sanitaire possible. Sont également visés le droit au respect de la dignité du patient,

l’interdiction des discriminations dans l’accès à la prévention et aux soins et le secret des

informations médicales.

L’effectivité du droit à la santé est également assurée par la prise en charge des personnes

les plus démunies. Bien que formulé sous la forme d’un objectif à atteindre par la loi du 29

juillet 19981104, le souci du législateur de la prendre en compte s’est traduit par la création de

la couverture maladie universelle par la loi du 27 juillet 19991105.

Enfin, la création, par la loi du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille

sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme, d’un Comité

national de la sécurité sanitaire reflète le souci de rendre effectif le droit à la santé dans son

aspect collectif. En effet, l’article L. 796-1 du Code de la santé publique prévoit que ce comité

est « chargé d’analyser les événements susceptibles d’affecter la santé de la population et de

confronter les informations disponibles » ; il doit également s’assurer « de la coordination de

1102 En ce sens, L. CASAUX-LABRUNE, « Section 7. Le droit à la santé », Libertés et droits fondamentaux,

dir. R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE et Th. REVET, Dalloz, 18e éd., n° 1127 et s. 1103 L. CASAUX-LABRUNE, « Section 7. Le droit à la santé », op. cit., n° 1126. 1104 Art. 67 : « L’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies constitue un objectif

prioritaire de la politique de santé. Les programmes de santé publique mis en œuvre par l’Etat ainsi que par les collectivités territoriales et les organismes d’assurance maladie prennent en compte les difficultés spécifiques des personnes les plus démunies ».

1105 Sur cette loi, v. not. « La couverture maladie universelle », Dr. soc., n° spécial, janvier 2000. Pour une étude d’ensemble de la problématique de l’égal accès aux soins, v. not. M. LOPEZ, « La réduction des inégalités de santé : retour sur dix années de stratégies sanitaires et sociales (2002-2012), Revue générale de droit médical, 2013, n° 46, p. 71 ; N. SIMMONNOT, « L’accès aux soins des plus démunis en France aujourd’hui », RDSS 2012, p. 65.

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283

la politique de l’Institut de veille sanitaire et des agences françaises de sécurité sanitaire des

produits de santé et des aliments ».

La dimension collective du droit à la santé est renforcée par l’article L. 1417-1 du Code

de la santé publique, tel qu’issu de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé

publique1106, qui définit la politique de santé publique et identifie avec précision les

obligations de l’Etat tant en matière de prévention que de traitement des problèmes de santé.

On le voit, l’ensemble de ces dispositions législatives donne une consistance au droit à la

santé. Certes, son effectivité est encore limitée en raison notamment de l’absence de recours

possible en cas de carence de l’Etat. Néanmoins, un arrêt du Conseil d’Etat en date du 3 mars

2004 invite à relativiser ce constat. La Haute Juridiction y a en effet retenu « la responsabilité

de l’Etat du fait de ses carences dans la prévention des risques liés à l’exposition des

travailleurs aux poussières d’amiante »1107.

317. Conclusion. En définitive, l’exemple du droit à la santé est riche d’enseignements.

Il permet de constater que les droits-créances ne sont pas condamnés à rester de simples

objectifs. Simplement, leur effectivité suppose nécessairement l’intervention du législateur et

donc leur fondamentalisation, c’est-à-dire le passage de la catégorie des droits de l’homme à

celle des droits fondamentaux. Dans ces conditions, il ne nous semblerait pas pertinent

d’intégrer le droit au crédit à la catégorie des droits de l’homme. Ce serait le limiter à n’être

qu’un « objectif à atteindre, un programme à mener et une action publique à

entreprendre »1108.

§-II. LES RATTACHEMENTS RETENUS

318. Plan. On s’intéressera d’abord à la catégorie des droits subjectifs (A) puis à celle

des droits fondamentaux (B).

1106 Loi n° 2004-806, JO 11 août, p. 14277. 1107 CE, 3 mars 2004, n° 241151. 1108 H. OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 30.

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A – LES DROITS SUBJECTIFS

319. Pluralité de significations. Définir le droit subjectif n’est pas chose aisée tant la

signification de cette notion phare du droit privé a divisé1109 et divise encore la doctrine1110. Il

a été successivement défini comme :

- un pouvoir de volonté1111 ;

- un intérêt juridiquement protégé1112 ;

- un « bien ou intérêt protégé par une puissance de volonté appartenant à l’homme ou

plutôt par un pouvoir de volonté appartenant à l’homme »1113 ;

- « un pouvoir mis au service d’intérêts de caractère social, et exercé par une volonté

autonome »1114 ;

- une puissance sur les biens et donc une zone de liberté1115 ;

1109 On se souvient notamment de leur condamnation par DUGUIT. Dans un raisonnement demeuré célèbre,

le publiciste avait fortement critiqué l’idée même de droit subjectif, qu’il s’agisse des droits subjectifs primaires, c’est-à-dire des droits sources du droit objectif, ou des droits subjectifs secondaires, cette fois créés par le droit objectif. Concernant les premiers, il considérait que l’homme n’existe que dans et par la société, en d’autres termes, que l’homme ne devient homme, et par conséquent titulaire de droits, que par son entrée dans la société. Partant, l’existence de droits subjectifs inhérents à la nature humaine était impensable (DUGUIT, op.cit., t.1, §19, p. 208 à 210). De la même façon, il se demandait au sujet des seconds : « comment le droit objectif lui-même, qui est l’œuvre de l’homme et non d’une puissance surnaturelle, aurait-il la vertu de doter la volonté humaine d’une qualité de supériorité étrangère à sa nature physique ? » (DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t.1, §20, p. 218). Comme le résume DABIN, pour DUGUIT, « l’individu est simplement situé par rapport à la règle, activement ou passivement » (J. DABIN, Le droit subjectif en question, 1952, Dalloz, réed. 2007, p. 8. ). Si DUGUIT distinguait la situation juridique objective des individus, générale et permanente (ex : situation juridique de l’électeur ou de l’époux) de leur situation juridique subjective, spéciale et temporaire (ex : situation juridique du contractant), il précisait que même subjective, la situation était un effet de la loi. Cette conception du droit, qu’il nommait réaliste et socialiste avait un impact sur l’ensemble des notions juridiques existantes. C’est ainsi que la liberté n’était plus, comme « dans le système individualiste, le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui et par là même a fortiori le droit de ne rien faire du tout » (DUGUIT, « Première conférence, le droit subjectif et la fonction sociale », in Les transformations générales du droit privé depuis le Code napoléon, p. 20) ; appréhendée sous l’angle de la conception réaliste et socialiste du droit, elle devenait une fonction sociale de l’individu, si bien que ce dernier avait non le droit mais « le devoir de développer aussi complètement que possible son individualité physique, intellectuelle et morale (…) et nul ne [pouvait] entraver ce développement » (DUGUIT, « Première conférence, le droit subjectif et la fonction sociale », op. cit., p. 20-21).

1110 V. O. IONESCU, La notion de droit subjetif dans le droit privé, thèse, 1931, 2e éd. Bruxelles 1978 ; F. LONGCHAMPS, « Quelques observations sur la notion de droit subjectif dans la doctrine », APD 1964, p. 45 et s. ; D. GUTMANN, V° Droit subjectif, p. 533, Dictionnaire de la culture juridique, dir. S. RIALS et D. ALLAND, PUF, coll. Quadrige.

1111 Pour une analyse de la pensée de WINDSCHEID, v. DABIN, Le droit subjectif en question, op. cit., p. 56 et s.

1112 R. VON IHERING, L’Esprit du droit romain dans les différents stades de son développement, t. IV, trad. O. DE MELEUNAERE, 3e éd., éd. A. de Marescq, Paris, 1886, § 70, p. 325.

1113 G. JELLINEK, System der subjectiven öffentlichen Rechts, 1ère éd., p. 42, cité par J. DABIN, op. cit., p. 73.

1114 R. SALEILLES, De la personnalité juridique, 2e éd. Paris, 1922, p. 547 et 548 1115 F. C. VON SAVIGNY, Traité de droit romain, t. I, trad. M.-C. GUENOUX, Paris, 1840, p. 7 et 332.

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285

- un « pouvoir d’exiger de quelqu’un, en vertu d’une règle de droit objectif, quelque

chose à laquelle on a intérêt, sous la sanction d’une action en justice ; le contenu de la chose

étant fixé immédiatement soit par le droit objectif, soit par un acte individuel »1116 ;

- une « relation d’appartenance entre le sujet et une chose »1117 ;

- une prérogative ou un bien dont son titulaire peut librement disposer1118 ;

- « une restriction légitime à la liberté d’autrui, établie par la norme objective en faveur

du sujet qui bénéficie ainsi d’un domaine réservé pour exercer ses pouvoirs »+1119+;

- une « prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet

à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son intérêt ou dans celui

d’autrui »+1120+;

- ou encore « l’attribution, par la règle de droit, d’un pouvoir d’imposer, d’exiger ou

d’interdire (…) sous réserve que ce pouvoir soit utile à son titulaire soit en tant qu’individu,

soit en tant qu’acteur de la vie sociale »+1121.

320. Appréciation. On ne saurait s’étonner d’un tel foisonnement de significations. En

effet, « la nature et le fondement du droit subjectif sont inévitablement fonctions de la

philosophie admise au départ, de la conception philosophique de l’univers, de l’homme, de

l’action humaine, du droit »1122. En tout état de cause, les définitions se rejoignent sur un

point, à savoir que le droit subjectif est un attribut de l’individu dont la mise en œuvre repose

1116 R. BONNARD, « Les droits publics subjectifs des administrés », Revue du droit public, 1932, p 695 et

s., cité par F. LONGCHAMPS, « Quelques observations sur la notion de droit subjectif dans la doctrine », art. préc., p. 50. M. LONGCHAMPS observe que le premier système des droits subjectifs a été introduit en France par Joseph BARTHELEMY dans sa thèse, Essai d’une théorie des droits subjectifs des administrés dans le droit administratif français, Paris, 1899. L’auteur définissait déjà le droit subjectif comme « celui dont la réalisation peut être obtenue par un moyen juridique à la disposition du sujet. Ce moyen juridique c’est l’action en justice » (thèse préc., p. 21-23).

1117 J. DABIN, Le droit subjectif en question, op. cit., p. 81. Pour une étude de la théorie de DABIN, v. not. Ch. EISENMANN, « Une nouvelle conception du droit subjectif : la théorie de Jean Dabin », Revue du droit public 1954, p. 753 et s.

1118 P. ROUBIER, « Les prérogatives juridiques », APD 1960, p. 60 à 131 ; « Le rôle de la volonté dans la création des droits et des devoirs », APD 1958, p. 17 ; « Délimitation et intérêts pratiques de la catégorie des droits subjectifs », APD 1964, p. 83 et s.

1119 J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE MAGNAN, Introduction générale…, op. cit., n° 203. 1120 V° Droit, n°4 (droit subjectif), Vocabulaire Juridique, dir. G. CORNU, PUF, coll. Quadrige, 8e éd., p.

324. 1121 J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux, op. cit., n° 187. Rappr.

H. COING, « Signification de la notion de droit subjectif », APD 1964, p. 8 : « les droits subjectifs d’une personne sont, dans leur totalité, la base de la liberté de cette personne dans l’Etat et la société ».

1122 G. KALINOWSKI, « Logique et philosophie du droit subjectif », APD 1964, p. 40. Dans le même sens, F. LONGCHAMPS, « Quelques observations sur la notion de droit subjectif dans la doctrine », APD 1964, p. 59 : « Chercher au droit subjectif un cadre théorique c’est, au fond, s’interroger sur la conception de la vie juridique en général et sur la voie de la connaissance de celle-ci ». DUGUIT a ailleurs écrit que la notion de droit subjectif « est une notion d’ordre métaphysique qui ne peut être maintenue dans une époque de réalisme et de positivisme » (DUGUIT, « Première conférence, le droit subjectif et la fonction sociale », op. cit., p. 13).

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286

sur sa volonté et bénéficie d’une protection juridique. Elles diffèrent en revanche quant aux

sources de ce pouvoir et quant aux conditions dans lesquelles il peut légitimement s’exercer.

S’agissant des sources, certains estiment que la volonté s’impose « aux autres hommes

par le seul effet métaphysique de sa toute puissance »1123 (ce à quoi peut conduire une

interprétation extrémiste des écrits de WINDSHEID et SAVIGNY)1124 ; d’autres – et c’est la

position majoritaire – considèrent au contraire que « l’ordre juridique confère au titulaire une

“faculté légale de vouloir” »1125.

S’agissant de la mise en œuvre du pouvoir, certains prétendent qu’aucune condition

particulière n’est requise, la volonté individuelle étant autosuffisante, tandis que d’autres

exigent qu’un intérêt, qu’il soit individuel ou social, préside à son action.

321. Définition retenue. Quoique bien conscients du caractère éminemment relatif de

toute définition des droits subjectifs, nous en retiendrons une qui reflète leur esprit actuel.

Ceux-ci désignent aujourd’hui l’ensemble des attributs légalement reconnus à un individu en

vue de l’affirmation de son existence sociale. On peut alors considérer que le droit subjectif

est une prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet à son

titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose, sous réserve que l’exercice de la

prérogative lui soit utile en tant qu’individu ou acteur de la vie sociale1126.

Dans ces conditions, le droit au crédit nous semble compatible avec la notion de droit

subjectif1127. Il peut se définir comme une prérogative individuelle reconnue et sanctionnée

par le droit objectif et conférant à son titulaire le pouvoir d’exiger un crédit, pourvu que son

obtention lui soit utile en tant qu’individu (crédit à la consommation ou immobilier) ou en

tant qu’acteur de la vie sociale (crédit aux entreprises)1128.

1123 A. SAYAG, Le besoin créateur de droit, préf. J. CARBONNIER, thèse, Paris, LGDJ, 1969, p. 54. 1124 V. sur ce point les explications de J. DABIN, Le droit subjectif en question, op. cit., p. 57 et s. 1125 A. SAYAG, thèse préc., p. 54. 1126 Cette définition reprend donc les éléments de celles proposées d’une part par M. CORNU et d’autre part

par MM. AUBERT et SAVAUX. 1127 V. égal. Th. BONNEAU, « Du droit au crédit », RDBF n°1, janvier/février 2002, p. 3. 1128 Michel VILLEY se serait sans doute vivement opposé à la qualification du droit au crédit comme droit

subjectif. S’intéressant aux origines ce dernier, il s’est évertué à montrer que dans l’esprit de ses inventeurs « est subjectif ce qui est l’attribut du sujet, ce qui appartient à son essence, qui lui est inhérent (subjacet) ; tandis que l’objectif au contraire (ainsi qu’un complément d’objet) est surajouté au sujet, jeté devant lui (ob-jectum) » : M. VILLEY, « Droit subjectif I (La genèse du droit subjectif chez Guillaume d’Occam) », Essais de philosophie du droit, op. cit., p. 144. A la lumière de cette distinction, Michel VILLEY considérait que l’on qualifie à tort de droit subjectif les nouveaux droits que sont le droit à la santé ou encore le droit au travail. Il estimait que « leur contenu n’est pas inhérent au sujet comme l’est un “pouvoir” [il parle plus haut d’une « possibilité d’agir »], mais posé en face du sujet comme une chose envers laquelle il aurait une sorte de créance » (art. préc., op. cit., p. 146). Le raisonnement de l’auteur peut être transposé au droit au crédit car ce dernier a pour fonction de mettre une chose, le crédit, à la disposition du sujet. Nous ne partageons cependant pas cette analyse bien qu’elle soit intellectuellement stimulante. A l’instar d’Alain SAYAG, nous considérons que le travail, la santé ou encore le

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287

322. Inconvénient supposé de la qualification. Il reste qu’il pourrait paraître critiquable

de qualifier ainsi le droit au crédit. Nous ne sommes pas sans ignorer les nombreuses critiques

formulées à l’encontre de la prolifération des droits subjectifs, notamment lorsqu’ils

consistent en des pouvoirs d’exiger quelque chose1129. Derrière leur revendication, présiderait

surtout le règne de l’envie, synonyme d’irréflexion et de caprice1130. Bien plus, la

« pulvérisation du droit en droits subjectifs »1131 traduirait un « engouement pour la

psychologie aux dépens de la sociologie », c’est-à-dire une prise en considération des

aspirations individuelles et non des besoins sociaux composant une réalité « objective parce

que collective »1132. La multiplication des droits subjectifs serait également le reflet d’une

mutation de la société tout entière, dorénavant en proie à un individualisme hédoniste et

narcissique1133. Il reste que ces critiques reposent sur des considérations somme toute assez

vagues et générales. A supposer même qu’on les reçoive, elles ne pourraient avoir de

pertinence, dans l’hypothèse qui nous retient, qu’à l’égard d’un droit au crédit de biens de

consommation non essentiels, dont nous répugnons précisément à admettre l’existence. En

sens inverse, elles n’ont aucune crédibilité si l’on considère le droit au crédit productif, voire

le crédit immobilier.

crédit sont des besoins qui prennent leur source dans « la nature de l’homme social » (A. SAYAG, thèse préc., p. 50). Partant, « les biens qui peuvent satisfaire ces besoins sont, il est vrai, extérieurs à la personne, mais ce qui importe [pour déterminer l’existence d’un droit subjectif] c’est naturellement la source du droit de créance, le besoin ressenti, et non l’objet de ce droit de créance » (ibid.).

1129 Parmi les plus célèbres, v. Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, PUF, coll. Questions, (1983) 1998 ; J. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Vème République, Flammarion 1996, p. 121 et s. ; F. TERRÉ, « Le droit et le bonheur », D. 2010, chron. p. 26 et s. ; F. TERRÉ, « Un progrès du droit ? », JCP G 21 juin 2010, hors série, p. 16 et s.

1130 Rappr. J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, PUF, 2e éd., 2013, n° 6 : « aujourd’hui, la consécration d’un droit subjectif ne porte pas seulement sur la reconnaissance juridique d’un intérêt (d’un avantage matériel ou moral) mais également d’un désir : le droit objectif va reconnaître la possibilité de le concrétiser par le biais d’une prérogative juridiquement reconnue » ; J. RIVERO, H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, PUF, coll. Thémis Droit public, 9e éd., 2003, p. 102 : « Une tendance se manifeste à faire correspondre un droit à tous les besoins et à toutes les aspirations de l’homme, sans que soient sérieusement envisagés la possibilité matérielle et les moyens juridiques de donner à ces droits un contenu effectif » ; A-C. AUNE, « La réception de “droits à” dans le Code civil sous l’impulsion des Droits de l’homme », in Le Code Civil et les Droits de l’homme, dir. J.-L. CHABOT, Ph. DIDIER, J. FERRAND, L’Harmattan, 2005, p. 203 : « La satisfaction des préoccupations individuelles semble être l’explication de ce foisonnement de droits subjectifs » ; D. GUTMANN, « Les droits de l’homme sont-ils l’avenir du droit ? », L’Avenir du droit. Mélanges offerts à François Terré, Dalloz, 1999, p. 341 ; G. LIPOVETSKY, L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, 1983, Folio Essai, 1993, p. 70 et s. et son renvoi à l’ouvrage de Chr. LASCH, La culture du narcissisme, 1979, Flammarion, 2006.

1131 J. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 121. 1132 J. CARBONNIER, Droits civil, t. 1, Introduction, PUF, Quadrige, 2004, p. 313. 1133 V. en ce sens M. PICHARD, thèse préc., p. 1 : « Le droit à est souvent décrié pour être synonyme de

socialisme, et emblématique de la fin de la société libérale. Surtout il serait le symptôme de l’individualisme exacerbé qui caractériserait notre époque ».

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288

Une dernière critique, plus sérieuse, est émise à l’encontre des droits subjectifs. Leur

prolifération révélerait leur véritable nature. Il s’agirait davantage d’objectifs à atteindre,

« des effets d’annonces », que de véritables prérogatives1134. Si cette remarque est juste

lorsque les éléments constitutifs (titulaire, objet, débiteurs) et la justiciabilité du droit

concerné ne sont pas clairement déterminés, elle ne vaut pas dans le cas inverse. Les

exemples du droit au logement et du droit au compte suffiront à nous en convaincre.

323. Le droit au logement. D’abord énoncés de manière imprécise, les éléments

constitutifs du droit au logement sont aujourd’hui clairement définis. La loi du 29 juillet 1998

relative à la lutte contre les exclusions a ainsi élargi le champ de ses débiteurs1135, tandis que

la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 est venue préciser la catégorie de ses bénéficiaires et

renforcer sa justiciabilité en en faisant un droit opposable. Le droit au logement a aujourd’hui

tous les attributs d’un droit subjectif, à savoir des titulaires, un objet et un débiteur précis. Il

bénéficie en outre d’une protection juridictionnelle efficace.

324. Le droit au compte. Le droit au compte a été créé par la loi bancaire du 24 janvier

1984. Son contenu a été complété par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les

exclusions, par la loi n° 2011-525 du 17 mai 20111136 et par la loi n° 2013-672 du 26 juillet

20131137.

Désormais, l’article L. 312-1 du CMF prévoit que « toute personne physique ou morale

1134 J. ROCHFELD, Les grandes notions de droit privé, op. cit., n° 19. Dans le même sens, v. H. OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 14 : « Il y a souvent la tentation de multiplier les droits comme moyen facile de régler une question difficile. De ce point de vue, cela fait plus souvent penser à un affichage politique opportun qu’à une volonté réelle de régler le problème ».

1135 Outre l’Etat, les personnes physiques et morales de droit privé, propriétaires de logements vacants, peuvent être réquisitionnées (cf. art. L.141-1 et s. et L. 142-1 et s. du Code de la construction et de l’habitation).

1136 Cette loi a élargi le droit au compte pour les non-résidents. 1137 Pour une analyse détaillée, v. J. LASSERRE-CAPDEVILLE, « Le renforcement du droit au compte et

aux services bancaires de base », LPA 2013, n° 194, p. 74 et s. Pour l’essentiel, la loi de 2013 est venue renforcer l’effectivité du droit au compte en mettant à la charge de l’établissement de crédit refusant l’ouverture du compte, comme à celui désigné par la Banque de France pour ouvrir le compte, une obligation de célérité dans l’accomplissement des démarches de refus et d’ouverture (art. L. 312-1 al. 2 du CMF et art. 64 de la loi). En outre, la demande d’ouverture de compte formulée auprès de la Banque de France en cas de refus opposé par un établissement de crédit peut être présentée par un organisme d’aide sociale (art. 64 de la loi). Enfin l’article 52 de cette loi (codifié à l’article L. 312-1-3 CMF) impose de nouveaux services bancaires, à côté des services bancaires de base. Il est ainsi prévu que « les établissements de crédit proposent aux personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels qui se trouvent en situation de fragilité, eu égard, notamment, au montant de leurs ressources, une offre spécifique qui comprend des moyens de paiement, dont au moins deux chèques de banque par mois, et des services appropriés à leur situation et de nature à limiter les frais supportés en cas d'incident ». Cette loi a pour objectif, outre le renforcement de l’effectivité du droit au compte, de trouver un équilibre entre la nécessité d’encourager l’inclusion bancaire et celle de lutter contre le surendettement. L’article 55 de la loi, qui insère l’article L. 312-1-1A au CMF, prévoit en ce sens que « l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, mentionnée à l'article L. 511-29, adopte une charte d'inclusion bancaire et de prévention du surendettement ».

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289

domiciliée en France, dépourvue de compte de dépôt, a droit à l’ouverture d’un compte dans

l’établissement de crédit de son choix ». L’article D. 312-5 du CMF énumère en outre la liste

des services bancaires de base qui accompagnent l’ouverture du compte. Il s’agit de

« l'ouverture, la tenue et la clôture du compte ; un changement d'adresse par an ; la délivrance

à la demande de relevés d'identité bancaire ; la domiciliation de virements bancaires ; l'envoi

mensuel d'un relevé des opérations effectuées sur le compte ; la réalisation des opérations de

caisse ; l'encaissement de chèques et de virements bancaires ; les dépôts et les retraits

d'espèces au guichet de l'organisme teneur de compte ; les paiements par prélèvement, titre

interbancaire de paiement ou virement bancaire ; des moyens de consultation à distance du

solde du compte ; une carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par

l'établissement de crédit qui l'a émise ; deux formules de chèques de banque par mois ou

moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services ».

Le droit au compte est un véritable droit subjectif car son titulaire, son objet et son

débiteur sont clairement identifiés1138. En outre, le législateur a précisément décrit la

procédure à suivre en cas de violation. Depuis la loi du 29 juillet 1998, un seul refus

d’ouverture de compte suffit à caractériser l’atteinte au droit au compte, son bénéficiaire

pouvant alors saisir la Banque de France qui désignera un établissement de crédit chargé

d’ouvrir un compte.

325. Conclusion. L’évolution observée au sujet du droit au logement et du droit au

compte ne saurait manquer de rejaillir sur la qualification du droit au crédit. Celui-ci pourrait

légitimement recevoir la même qualification de droit subjectif, sous réserve, naturellement,

d’en préciser les débiteurs, étant entendu que la détermination du titulaire et de l’objet ne pose

pas de problèmes particuliers. L’identification des débiteurs sera abordée dans le titre

suivant1139.

B – LES DROITS FONDAMENTAUX

326. Plan. Le droit français n’a que tardivement adopté l’expression de droits

fondamentaux, lui préférant les notions de droits de l’homme et de libertés publiques. Pour

autant, les références à la fondamentalité des droits se multiplient et semblent s’être

1138 Dans le même sens, v. Th. BONNEAU, « Du droit au crédit », RDBF, n°1, janvier/février 2002, p.

3 pour qui « le droit au compte est manifestement un droit subjectif »; Ch. HUGON, « Le droit au compte », Mélanges Michel Cabrillac, op. cit., p. 490-491.

1139 V. infra n° 353 et s.

Page 292: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

290

substituées à celles relatives aux droits de l’homme. Cette évolution s’explique par les

avantages qu’offre la plasticité des droits fondamentaux. Après avoir confronté le droit au

crédit aux droits fondamentaux (1), nous verrons qu’il pourrait constituer un droit

fondamental original car relationnel (2).

1) Confrontation du droit au crédit à la catégorie des droits fondamentaux

327. Définitions des droits fondamentaux. L’expression de droits fondamentaux trouve

son origine dans le droit allemand1140 et a été introduite en France par Louis FAVOREU et

l’Ecole aixoise de droit constitutionnel1141. Elle est particulièrement difficile à saisir en raison

de la multiplicité de ses critères.

En vertu d’une approche formelle, les droits fondamentaux seraient l’ensemble des droits

et libertés bénéficiant d’une protection constitutionnelle ou internationale1142. Cette approche

est en grande partie exacte. Cependant, des droits sont aujourd’hui qualifiés de fondamentaux

sans pour autant avoir une valeur constitutionnelle ou internationale. On songe notamment au

droit au logement (avant qu’il ne soit qualifié d’objectif à valeur constitutionnelle) ou au droit

à la sécurité1143.

En vertu de l’approche substantielle, les droits fondamentaux sont « des droits assez

essentiels pour fonder et déterminer, plus ou moins directement, les grandes structures de

l’ordre juridique tout entier en ses catégories, dans lequel et par lesquelles ils cherchent à se

donner ainsi les moyens multiples de leurs garanties et de leur réalisation »1144. La

fondamentalité ne repose donc pas sur la valeur constitutionnelle ou internationale du droit,

mais sur sa « valeur importante au sein d’une société donnée »1145. La liste des droits

fondamentaux est alors élargie. En effet, « rien n’indique (…) quelle peut ou doit être la limite

du cercle des droits fondamentaux : la fondamentalité n’est jamais circonscrite »1146.

1140 V. sur ce point M. LEVINET, Théorie générales des droits et libertés, op. cit., p. 93 et s. ; O.

JOUANJAN, « La théorie allemande des droits fondamentaux » AJDA 1998, n° 7, p. 44 et s. 1141 L. FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, Précis Dalloz, 3e éd., 2005 ; Droit

constitutionnel, Précis Dalloz, 16e éd., 2014. 1142 En ce sens, L. FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit. , p. 788 ; J.-J. ISRAEL, Droit des

libertés fondamentales, LGDJ, 1998, p. 37. 1143 V. en ce sens, E. PICARD, V° Droits fondamentaux, Dictionnaire de la culture juridique. 1144 E. PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA 1998, n° 7, p. 8. 1145 J. ROCHFELD, Les grandes notions de droit privé, op. cit., p. 169. 1146 E. PICARD, V° Droit fondamentaux, Dictionnaire de la culture juridique, PUF. V. aussi N.

MOLFESSIS, « Droit fondamental. Un label incontrôlé », JCP G 2009, n° 25, p. 32.

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291

328. Intérêts des droits fondamentaux. La prolifération des droits fondamentaux, qui ne

sont en définitive qu’une sous-catégorie de droits subjectifs, a fait l’objet de critiques

similaires à celles que nous avons exposées lorsque nous avons envisagé ces derniers1147. Pour

autant, il se trouve à l’inverse des auteurs qui analysent cette multiplication comme le signe

d’un progrès social et de l’esprit démocratique1148. Les nouveaux droits seraient la traduction

juridique du concept d’égalité des chances. Cette dernière implique que chaque individu

puisse accéder à ce qu’il considère comme une vie réussie1149, ce qui suppose non pas la

proclamation de droits abstraits mais la reconnaissance de droits concrets, répondant à ses

besoins matériels. Or les droits fondamentaux s’inscrivent dans cette perspective. En effet, à

la différence des droits de l’homme, ils n’appréhendent pas l’homme de manière

ontologique et abstraite. Ils sont des droits circonstanciés qui répondent à un besoin précis

ressenti à une époque et en un lieu donnés.

Le droit fondamental au logement en est une illustration emblématique1150. Sa

reconnaissance est associée à la lutte contre les exclusions. Ce droit est donc destiné à une

catégorie sociale particulière. Ainsi, il ressort de l’article L. 441-2-3-1 du Code de l’habitation

et de la construction que les titulaires du droit au logement sont les personnes défavorisées

susceptibles de prétendre à un logement social (art. L 441-1-4 CHC). Il s’agit également de

l’individu « dépourvu de logement, menacé d'expulsion sans relogement, hébergé ou logé

temporairement dans un établissement ou un logement de transition, un logement-foyer ou

une résidence hôtelière à vocation sociale, logé dans des locaux impropres à l'habitation ou

présentant un caractère insalubre ou dangereux (…), logé dans des locaux manifestement sur-

occupés ou ne présentant pas le caractère d'un logement décent, s'il a au moins un enfant

1147 V. supra n° 322. 1148 V. par exemple G. MICHAELIDES-NOUAROS, « L’évolution récente de la notion de droit subjectif »,

RTD civ. 1966, spéc. p. 220. Selon l’auteur, l’esprit démocratique a ainsi « favorisé la promotion de l’homme moyen, de l’homme de la rue (man of the street) dans la vie juridique et politique et la propagation d’une nouvelle idéologie démocratique, qui tend à assurer à l’homme moyen la protection de ses droits et la poursuite de son bonheur ». V. également R. MASPETIOL, « Ambiguïté du droit subjectif : métaphysique, technique juridique ou sociologie », APD 1964, p. 71 et s., spéc. p. 77.

1149 En ce sens R. LAFORE, « Le droit aux droits », Informations sociales 2000, n°81, p. 87 : « le droit à avoir des droits serait (…) le nouveau nom de l’égalité des chances ».

1150 Ce droit a été reconnu par plusieurs lois: la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ; la loi n° 95-74 du 21 janvier 1995 relative à l’habitat ; la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions ; la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain et la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 relative au droit au logement opposable. Avant la loi du 31 mai 1990, le droit au logement avait déjà été évoqué. La loi du 22 juin 1982 avait qualifié « le droit à l’habitat » de « droit fondamental » tandis que la loi du 6 juillet 1989, optant pour une formulation différente, était venue affirmer que « le droit au logement est un droit fondamental ». La signification du droit au logement varie cependant selon les textes. Si les lois de 1982 et 1989 ont mis l’accent sur la liberté de choisir son logement et se sont intéressées aux rapports locatifs déjà établis, à partir de la loi de 1990 le droit au logement a été entendu comme celui des personnes défavorisées d’obtenir un logement, qu’elles soient mal-logées ou sans logement.

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292

mineur, s'il présente un handicap au sens de l'article L. 114 du code de l'action sociale et des

familles ou s'il a au moins une personne à charge présentant un tel handicap ».

329. La plasticité des droits fondamentaux. Plus précisément, comme tout droit, les

droits fondamentaux supposent que trois éléments soient réunis : « avoir un titulaire certain,

un objet précis et possible et être opposable à une ou plusieurs personnes »1151. L’identification

des sujets et débiteurs des droits fondamentaux les distinguent des droits de l’homme.

S’agissant tout d’abord des sujets, les personnes morales comme les personnes physiques

peuvent être titulaires de droits fondamentaux1152. Ensuite, la liste des débiteurs des droits

fondamentaux est plus large que celle des droits de l’homme puisque, contrairement à ces

derniers, leur respect ne s’impose pas seulement à l’Etat mais aussi aux particuliers1153. Enfin,

contrairement aux droits de l’homme, dont la source est nécessairement supra-législative, les

droits fondamentaux peuvent être reconnus par le législateur ou le juge, ce qui offre

d’incontestables avantages en pratique, en ce qui concerne la détermination de leur contenu et

de leur régime juridique.

330. Le droit au crédit comme droit fondamental. Cette catégorie de droits nous

semblerait particulièrement adaptée au droit au crédit, et notamment au droit au crédit des

entreprises. Dans nos sociétés contemporaines, l’accès au crédit est un besoin essentiel pour le

démarrage et le développement d’une activité et donc pour la construction de l’existence

sociale des individus. On peut dès lors parfaitement envisager que le législateur reconnaisse

un droit au crédit à destination d’une catégorie particulière d’emprunteurs. Il pourrait s’agir

des personnes physiques ou morales désireuses de créer une entreprise ou de développer leur

activité. Corrélativement, la diversité des débiteurs potentiels des droits fondamentaux

laisserait ouverte la possibilité de désigner cumulativement des acteurs publics et des acteurs

privés comme débiteurs du droit au crédit. Enfin, le droit au crédit, à l’image du droit au

logement, serait un droit circonstancié. Il s’inscrirait dans un contexte économique particulier,

1151 J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, PUF, coll. Thémis droit public, 9e éd., 2003, p. 102. 1152 Le droit de propriété des personnes morales est protégé constitutionnellement (Cons. const., 26 juin

1986, 86-207 DC) et conventionnellement (CEDH, « Société Colas », 16 avr. 2002). V égal. J. ROCHFELD, Les grandes notions de droit privé, op. cit., p. 168 et la note n° 1.

1153 En jugeant, dans un arrêt du 6 mars 1996, que « les clauses d'un bail d'habitation ne [peuvent], en vertu de l'article 8.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches », la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a ainsi explicitement reconnu l’effet horizontal des droits fondamentaux (Civ. 3e, 6 mars 1996, Bull. civ. n° 60, ; JCP G 1996. I. 3958, n° 1, obs. C. JAMIN et 1997. II. 22764, obs. NGUYEN VON TUANG, D. 1996, somm., p. 379 ; RTD civ. 1996, p. 580, obs. J. HAUSER).

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293

d’où l’intérêt d’en laisser la reconnaissance et la détermination de son contenu au législateur,

lequel est par définition plus réactif que le Constituant.

2) Le droit au crédit comme droit fondamental « relationnel »

331. Les libertés relationnelles. Si le droit au crédit est compatible avec la notion de

droit fondamental, il pourrait plus précisément être qualifié de droit fondamental relationnel.

Cette analyse est inspirée d’une classification appliquée aux libertés publiques. M.

LEBRETON propose de les classer en trois catégories : les libertés physiques (droit à la vie

privée, droit à la sûreté, liberté d’aller et venir…), les libertés intellectuelles (liberté

d’expression, liberté religieuse…) et les libertés relationnelles (liberté d’entreprendre, liberté

de réunion, liberté d’association, droit de grève…). L’homme étant un être social, « aucune de

ses libertés n’est exercée en vase clos »1154. Partant, chacune d’entre elles a une dimension

relationnelle. Pour autant, « certaines libertés méritent d’être qualifiées de “relationnelles”,

(…) parce que contrairement aux autres libertés qui laissent la dimension relationnelle au

second plan, derrière les dimensions physiques ou intellectuelle de l’existence humaine, elles

placent celle-ci au centre de leurs préoccupations »1155.

332. Transposition aux droits fondamentaux. Cette classification peut être transposée

aux droits fondamentaux. Ces derniers ont, par définition, une dimension relationnelle car ils

ont vocation à être invoqués dans un contexte d’interaction sociale. Cependant, seule une

partie d’entre eux peut être qualifiée de droits « relationnels ». Il s’agit de ceux qui ont pour

objet de créer un lien d’interdépendance entre leurs bénéficiaires et leurs débiteurs.

Le développement des droits relationnels est le reflet d’une évolution du rôle de l’Etat et

de notre conception de la solidarité. L’Etat-providence reposait sur une conception mécanique

de la solidarité, c’est-à-dire sur une redistribution articulée par un centre abstrait, « un grand

interface » qui « se substitue au face à face des individus et des groupes »1156. Or cette forme

de solidarité est aujourd’hui inadaptée parce qu’elle n’est pas en mesure de répondre

concrètement à la multiplication des besoins sociaux. L’Etat n’a plus les moyens humains,

matériels et financiers d’appréhender et de répondre à l’ensemble des besoins individuels1157.

C’est pour cette raison qu’il est apparu nécessaire de repenser la solidarité en passant d’une

1154 G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 8e éd., 2008, p. 517. 1155 Ibid. 1156 P. ROSANVALLON, La crise de l’Etat providence, Points, col. Essais, p. 41. 1157 Sur ce point, v. l’explication de P. ROSANVALLON, op. cit., p. 48.

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294

solidarité mécanique à une solidarité relationnelle. Les membres de la société, ne pouvant

plus attendre que l’Etat règle à lui seul les problèmes d’exclusion, doivent contribuer, à leur

échelle, à la construction du lien social1158. Si la solidarité mécanique continue d’assurer la

satisfaction des besoins primaires (nourriture, habillement, etc.), la solidarité relationnelle

intervient en aidant les personnes exclues à accéder à l’autonomie. Cette nouvelle solidarité,

liée à la reconnaissance d’un « droit à l’utilité » de chaque personne1159, est en marche depuis

la construction du droit à l’insertion dont le RMI fait figure de pionnier. La définition du RMI

donnée par la circulaire d’application du 27 mars 1993 témoigne de la dimension relationnelle

de la solidarité : « Le RMI est un droit qui repose sur un contrat d’insertion fondé sur des

engagements réciproques : celui de l’intéressé qui s’engage à participer à des actions ou

activités d’insertion définies avec lui ; celui de la collectivité qui s’engage à offrir des actions

et activités d’insertion correspondant aux besoins »1160. Ainsi, les bénéficiaires du RMI

(actuel RSA) ont droit à une prestation (accès à un revenu minimum) et s’engagent en

contrepartie à participer à la construction du lien social (en mettant leur force de travail pour

le bénéfice de la collectivité).

Le droit au crédit s’inscrirait également dans cette conception de la solidarité, son

bénéficiaire s’engageant en contrepartie à rembourser le crédit accordé. Cette obligation de

remboursement soulignerait la spécificité du droit au crédit au sein des droits fondamentaux.

Celui-ci ne relèverait pas d’une logique de redistribution. Enfin, le droit au crédit produirait

des effets bénéfiques non seulement pour son bénéficiaire mais aussi pour la collectivité dans

son ensemble, à travers l’activité qu’il génèrerait.

333. Conclusion de la Section I. C’est à travers l’activité, qu’elle soit artistique ou

industrielle, que s’affirme la singularité des individus. Toutefois, c’est le regard de l’autre et

plus largement de la société dans laquelle ils évoluent qui donne de la valeur à leur activité.

Philosophiquement, le droit au crédit reposerait donc sur deux données complémentaires :

1158 En ce sens, P. ROSANVALLON, op. cit., p. 128 : « La solidarité ne peut pas seulement reposer sur des

règles et des procédures. Elle doit également avoir une dimension volontaire. L’autre est indissociablement socius et prochain. Je suis institutionnellement solidaire de tous les socii à travers l’Etat-providence, mais je suis immédiatement solidaire de quelques réseaux de “proches” ». V. égal. P. ROSANVALLON, La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat-providence, Points, coll. Essais, p. 70 : « Il est aujourd’hui impossible de repenser l’Etat-providence sans “refaire nation” d’une certaine façon, c’est-à-dire sans revivifier le socle civique sur lequel s’enracine la reconnaissance d’une dette sociale mutuelle ».

1159 P. ROSANVALLON, La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat-providence, Points, coll. Essais, p. 125.

1160 Citée par P. ROSANVALLON, La nouvelle question sociale. Repenser l’Etat-providence, Points, coll. Essais, p. 180.

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295

l’essence créatrice de l’homme et le contexte d’intersubjectivité dans laquelle elle se

manifeste.

Les sources juridiques du droit au crédit ne seraient pas très éloignées de ses racines

philosophiques. Qu’il s’agisse de la dignité de la personne humaine, du droit individuel au

développement ou encore de la liberté d’entreprendre, il s’agit de favoriser la singularité de

chacun. Le droit au développement et la liberté d’entreprendre ont également une dimension

sociale car l’activité qu’elles encouragent n’a de sens que dans l’interaction.

Si le droit au crédit peut être ainsi fondé, encore faut-il s’interroger sur sa nature

juridique. Les catégories de rattachement envisageables sont nombreuses : droits à, droits de

l’homme, droits subjectifs, droits fondamentaux. L’indétermination et la faible justiciabilité

des deux premières catégories nous ont conduit à les écarter. Il n’en va pas de même des deux

autres. Le droit au crédit pourrait en effet être qualifié de droit subjectif. Il pourrait être

également érigé au rang des droits fondamentaux. Le crédit est un besoin créé et entretenu par

le fonctionnement de nos sociétés contemporaines. Sur cette base, le droit au crédit pourrait

être plus précisément analysé en un droit fondamental original, c’est-à-dire « relationnel ».

L’accès au crédit crée une relation entre le prêteur et l’emprunteur qui est destinée à s’inscrire

dans la durée. En outre, les bénéfices du droit au crédit, notamment lorsqu’il finance une

activité socialement utile, ne profitent pas seulement à son titulaire, mais à l’ensemble de la

collectivité.

A l’issue de ces développements, la reconnaissance du droit au crédit est assurément

possible et elle est même souhaitable. Toutefois, cette proposition vise surtout le crédit

productif. C’est ce crédit qui a été mis en lumière et qui a été justifié par l’identification de

ses sources et de ses rattachements possibles. En sens inverse, la nécessité d’un droit au crédit

à la consommation ou immobilier est apparue bien moins évidente. La question de sa

reconnaissance mérite d’être spécifiquement abordée.

SECTION II – LA QUESTION DU DROIT AU CRÉDIT DES

PARTICULIERS

334. Plan. Nous avons montré dans la section précédente que la reconnaissance d’un

droit au crédit productif serait souhaitable. En va-t-il de même pour le crédit aux particuliers ?

La réponse à cette question suppose d’envisager les deux dimensions possibles du droit au

crédit des particuliers. Il peut tout d’abord être conçu comme un moyen de compléter des

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296

ressources insuffisantes pour mener une existence décente, c’est-à-dire comme un instrument

de lutte contre l’exclusion (§ I). Il peut ensuite s’adresser aux particuliers solvables. Il

constituerait alors un moyen accéléré d’accéder à la propriété immobilière ou aux biens de

consommation (§ II).

§-I : LE DROIT AU CRÉDIT COMME MOYEN DE LUTTE

CONTRE L’EXCLUSION

335. Difficultés terminologiques. Il ressort des nombreuses études consacrées à la

pauvreté et l’exclusion sociale que ces phénomènes sont difficiles à appréhender pour des

raisons aussi bien linguistiques que matérielles. Linguistiques, tout d’abord, car la

signification même des termes pauvreté et exclusion « varie en fonction de l’espace et du

temps »1161. Matérielles, ensuite, car les recherches qui leur sont consacrées se révèlent parfois

incomplètes, « aucune source statistique ne [permettant] d’appréhender de manière exhaustive

toutes les dimensions des processus d’exclusion »1162. On précisera d’abord le sens qu’il

convient d’attacher aux notions de pauvreté et d’exclusion sociale (A). Puis on verra que si le

droit au compte est un instrument de lutte adapté (B), il en irait différemment du droit au

crédit (C).

A – LES NOTIONS DE PAUVRETÉ ET D’EXCLUSION SOCIALE

336. Plan. On dira d’abord quelques mots au sujet de la pauvreté (1) avant d’évoquer

l’exclusion sociale (2).

1) La pauvreté

337. Définition de la pauvreté. Juridiquement, la pauvreté est un « trouble social jugé

inacceptable par l’ordre juridique, [une] atteinte à la sécurité de l’existence et au

développement de la personne »1163. En pratique, elle peut prendre plusieurs formes dont deux

méritent d’être mentionnées : la pauvreté absolue et la pauvreté des conditions de vie.

1161 S. DION-LOYE, « La pauvreté appréhendée par le droit », RRJ 1995/2, p. 434, n° 2. 1162 Ch. LOISY, « Pauvreté, précarité, exclusion. Définitions et concepts », Travaux de l’observatoire, 2000,

p. 43, (http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Travaux2000_1-1-pauvrete_precarite_exclusions-Loisy-4.pdf). 1163 D. ROMAN, Le droit public face à la pauvreté, thèse, préf. E. PICARD, thèse, LGDJ, 2002, n° 313.

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297

La première désigne la situation d’un individu privé des moyens élémentaires de

subsistance1164. C’est à ce problème de pauvreté absolue qu’entend répondre le droit à la

subsistance reconnu par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 19461165. Ce dernier

dispose que « toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental se

trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens

convenables d’existence ». L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme

énumère les attributs du droit à la subsistance que sont l’alimentation, l’habillement, le

logement et la santé.

La pauvreté des conditions de vie désigne la situation des personnes dont les ressources

ne leur permettent pas d’accéder à un ou plusieurs des biens qui définissent des conditions de

vie normales. Ces dernières comprennent « la possession de biens d’équipement largement

répandus dans la population tels que télévisions, téléphones, appareils électroménagers usuels,

la possibilité d’acheter des biens et services jugés indispensables (certaines nourritures,

vêtements) » ; elles englobent « aussi les conditions de logement (confort, environnement,

surface), des éléments sur le patrimoine du ménage et l’aisance financière : possession du

logement, possibilité d’épargner ou de puiser dans d’éventuelles ressources en cas de

besoin »1166.

2) L’exclusion sociale

338. Définition. Juridiquement, l’exclusion sociale désigne « une situation de fait

constitutive d’une atteinte à la dignité de la personne humaine et d’une violation des droits

fondamentaux »1167. En pratique, elle se manifeste sous trois formes. La première est

économique, ce qui recouvre « le chômage et l’absence d’emploi, l'insuffisance chronique ou

répétée des ressources ». La seconde est politique et elle se révèle par la non-reconnaissance

ou le non-usage des droits sociaux, civils ou politiques. Enfin la troisième est sociale. Elle se

traduit par la « relégation sociale que la crise économique et les situations de non-droit

engendrent chez les individus, familles ou groupes sociaux »1168.

1164 V. les explications détaillées de Ch. LOISY, « Pauvreté, précarité, exclusion. Définitions et concepts »,

art. préc. 1165 V. sur ce point, S. DION-LOYE, art. préc., p. 447 à 448. Pour l’auteur, seule la pauvreté absolue est

appréhendée par le droit, le pauvre désignant toute personne majeure qui ne travaille pas et n’est pas en mesure de subvenir seule à ses besoins les plus élémentaires que sont l’alimentation, l’habillement, le logement et la santé.

1166 Ch. LOISY, « Pauvreté, précarité, exclusion. Définitions et concepts », art. préc. 1167 D. ROMAN, thèse préc., n° 260. 1168 Ch. LOISY, « Pauvreté, précarité, exclusion. Définitions et concepts », art. préc.

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298

A la lumière de cette définition, il faut considérer que la pauvreté est à la fois un indice et

un déclencheur de l’exclusion sociale dont l’éradication a été qualifiée par la loi n° 98-657 du

29 juillet 1998 d’impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité des êtres humains.

A côté du droit à l’insertion et du droit au logement, le droit au compte est l’un des

instruments qu’elle utilise pour lutter contre l’exclusion.

B – L’ADAPTATION DU DROIT AU COMPTE POUR LUTTER CONTRE

L’EXCLUSION SOCIALE

339. Droit au compte et bancarisation de la population. La reconnaissance du droit au

compte s’est faite dans un contexte de bancarisation massive de la population. Qu’il s’agisse

du paiement des salaires ou encore du versement des prestations sociales, l’existence d’un

compte bancaire est aujourd’hui nécessaire1169. En d’autres termes, elle est devenue

« indispensable pour mener une vie sociale normale »1170. Comme le relève M. SERVET, ne

pas être détenteur d’un compte, « et surtout ne plus avoir accès à tel ou tel type de moyens de

paiement peut être un handicap dans les habitudes de gestion et de paiement au quotidien et

peut stigmatiser, c’est-à-dire marquer un niveau social »1171. Le droit au compte et aux services

bancaires de base traduit donc la volonté du législateur de lutter contre l’exclusion sociale des

personnes économiquement les plus fragiles en leur conférant une identité bancaire1172. Un

auteur a pour cette raison qualifié le droit au compte de « droit-créance dérivé du principe de

sauvegarde de la dignité de la personne humaine »1173. Bien que le droit au crédit soit dérivé

du même principe, il ne nous semble pas envisageable d’en faire un instrument de lutte contre

la pauvreté et l’exclusion sociale.

1169 V. Ch. HUGON, « Le droit au compte », Mélanges Michel Cabrillac, Dalloz-Litec, 1999, p. 492. 1170 G. GLOUKOVIEZOFF, « De la bancarisation de masse à l’exclusion bancaire puis sociale », Revue

française des affaires sociales, 2004, n° 3, p. 13-14. La financiarisation désigne « un ensemble de contraintes à l’emploi des moyens de paiement et de règlement et au recours du crédit et à la protection contre les risques, contraintes qui agissent de façons différentes, directe ou indirecte, tant au Nord qu’au Sud, individuellement sur les personnes et les entreprises, et collectivement sur les groupes sociaux » (J.-M. SERVET, « Introduction générale », Exclusion et liens financiers, Rapport du Centre Walras 2003, dir. I. GUERIN, J.-M. SERVET, Economica, p. 8). Quant à la bancarisation, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, réalisée en 2010 à la demande du Comité consultatif du secteur financier, a révélé que le taux de bancarisation de la population française est de 99%.

1171 J.-M. SERVET, « L’exclusion, un paradoxe de la finance », art. préc., p. 21-22. 1172 V. égal. Th. REVET, « L’argent et la personne », APD 1997, t. 42, n° 7, p. 47 : « C’est également parce

que la liberté d’avoir passe par celle de détenir de l’argent qu’il a fallu instaurer, il y a quelques années, un droit au compte bancaire (…), afin de permettre un accès élémentaire aux formes modernes de monnaie, de plus en plus inévitables ».

1173 Ch. HUGON, « Le droit au compte », art. préc., p. 490.

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299

C – L’INADAPTATION DU DROIT AU CRÉDIT POUR LUTTER CONTRE

L’EXCLUSION SOCIALE

340. Droit au crédit et pauvreté absolue. De toute évidence, un droit au crédit à la

consommation ou immobilier ne saurait être reconnu aux personnes en situation de pauvreté

absolue. En effet, ces dernières sont par définition insolvables puisque le revenu qu’elles

perçoivent de l’Etat au titre de leur droit à la subsistance vise uniquement à la satisfaction de

leurs besoins élémentaires. Dans ces conditions, le droit au crédit se heurterait à une

impossibilité matérielle, celle de rembourser les fonds.

341. Droit au crédit et pauvreté des conditions de vie. Si l’on envisage à présent le

droit au crédit comme un outil de lutte contre la pauvreté des conditions de vie, l’analyse est

moins évidente. Le crédit, et plus particulièrement le crédit à la consommation, offre des

perspectives de dépassement de la précarité quotidienne1174 et « répond de plus en plus à la

nécessité de desserrer un budget insuffisant »1175. C’est donc dans de telles situations que

l’accès au crédit peut apparaître nécessaire. Pour autant, il n’est pas sûr qu’il faille le rendre

automatique, ce que créerait inévitablement la reconnaissance d’un droit au crédit. En effet,

on ne peut ignorer que les personnes dont les ressources sont insuffisantes pour financer une

vie sociale normale sont aussi les premières victimes du surendettement1176. La précarité de

leur situation ne leur permet pas de faire face à des difficultés imprévues. C’est alors que le

spectre du surendettement apparaît1177.

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, dans sa contribution au Rapport

annuel de 2009, a relevé en ce sens que si « le surendettement des ménages dans les années

1980 se caractérisait par un recours au crédit supérieur à la capacité de remboursement

permise par leurs revenus, depuis les années 1990, [il] procède plus d’une faiblesse de

revenus inhérente à la crise économique et au chômage que de l’excès de crédit »1178. En

1174 V. en ce sens J.-M. SERVET, « L’exclusion, un paradoxe de la finance », Revue d’économie financière

2000, vol. 58, p. 25. 1175 J.-C. LE DUIGOU, Rapport « Endettement et surendettement des ménages », Conseil économique et

social, 2000, p. 68. 1176 Sur ce point, v. Ph. FLORES, « La procédure de rétablissement personnel : un nouveau défi pour le juge

de l’exécution », Cont. Conc. Cons. avr. 2005, p. 7 et s. ; P.-L. CHATAIN et F. FERRIERE, Surendettement des particuliers, Dalloz référence, 2006, p. 2 ; Ch. WILLMANN, « Le chômage du débiteur », RDSS, 1998, p. 691 ; « La protection des particuliers surendettés », Rapport annuel de la Cour de cassation 2009, p. 128.

1177 V. dans le même sens, J.-C. LE DUIGOU, Rapport « Endettement et surendettement des ménages », Conseil économique et social, 2000, p. 68 : « Que surviennent des aléas imprévisibles et la spirale de l’endettement se profile ».

1178 « La protection des particuliers surendettés », Rapport annuel de la Cour de cassation 2009, p. 128.

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300

d’autres termes, le surendettement vise principalement des « surendettés passifs », c’est-à-dire

des individus dont la situation est créée par les accidents de la vie tels que le chômage, le

divorce ou encore la maladie1179, et non des « surendettés actifs », dont la situation est liée à

une accumulation des dettes.

L’analyse de la Haute Juridiction rejoint l’enquête typologique sur le surendettement

établie par la Banque de France en 20101180. Cette dernière a notamment révélé que 54% des

débiteurs surendettés ont un revenu inférieur ou égal au SMIC (contre 55% en 2007 et 42% en

2001) et 83% un revenu inférieur à 2000 euros1181. De plus, les ménages surendettés disposant

de ressources se situant entre le RSA et le SMIC sont majoritairement composés de une à

deux personnes, tandis que 40,7% des ménages surendettés dont les ressources se situent entre

le SMIC et 2000 euros sont des familles composées de quatre personnes et plus. L’ensemble

de ces chiffres atteste que l’immense majorité des personnes surendettées sont en situation de

pauvreté des conditions de vie. L’enquête fait en outre ressortir que 83% de l’endettement est

constitué de dettes bancaires. Ainsi, on trouve un prêt immobilier dans 7% des dossiers

(l’endettement moyen s’établissant alors à 89 140 euros) et un crédit à la consommation dans

91% des dossiers (pour un endettement moyen de 23 670 euros réparti comme suit : les

crédits renouvelables sont présents dans 82% des dossiers et représentent un encours moyen

de 17 000 euros ; les prêts personnels sont recensés dans 49% des dossiers pour un montant

moyen de 14 500 euros ; les découverts et autres dépassements existent dans 57% des dossiers

et représentent un encours moyen de 1300 euros).

Comme on le voit, le crédit est incontestablement « l’élément révélateur [des] difficultés

économiques » vécues par les particuliers1182. Dans ces conditions, la promotion d’un droit au

crédit qui aurait pour objet de compléter des ressources insuffisantes pour mener une vie

décente ne nous semble pas pertinente1183. La satisfaction de ce besoin appartient à l’Etat

redistributif, via l’allocation de minimas sociaux. Le droit au crédit ne doit pour autant pas

être absent de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Seulement, c’est en tant que

1179 J. SIMONIN, Rapport n° 40, Sénat, 26 octobre 1989, JO Sénat doc., p. 26 et 27. 1180 Pour une remise en cause de la pertinence de la distinction entre surendettés actifs et passifs, v. Cour des

comptes, « La lutte contre le surendettement des particuliers », Rapport public 2010, spéc. p. 466-467. 1181http://www.banquefrance.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/aMission/Protection_du_consomm

ateur/enquete_typo2010_surendettement.pdf. 1182 X. LAGARDE, « Prévenir le surendettement des particuliers », JCP G 2002, I, 163. 1183 V. pour une analyse sociologique et économique de la question, G. GLOUKOVIEZOFF, « Peut-il exister

un droit au crédit pour les particuliers ? », Travaux de l’Observatoire 2007-2008, p. 465 et s., http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/waux31.pdf. V. également G. GLOUKOVIEZOFF, De l’exclusion à l’inclusion bancaire des particuliers en France, Entre nécessité sociale et contrainte de rentabilité, thèse sciences économiques, Lyon II, 2008, spéc. p. 470 et s. (http://gloukoviezoff.files.wordpress.com/2009/01/these-version-finale.pdf).

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301

droit au crédit productif et non en tant que droit au crédit à la consommation qu’il peut avoir

un rôle à jouer1184.

Il importe enfin de ne pas confondre la question du droit au crédit avec celle de l’accès au

crédit. Si le droit au crédit n’est pas adapté à la situation des exclus, il importe en revanche

d’améliorer les conditions de leur accès au crédit. Il s’agit alors d’inclusion bancaire, celle-ci

pouvant être favorisée par la mise en place de politiques régulatrices. Dans cette optique, il

serait notamment envisageable d’adopter des mesures visant à inciter les établissements de

crédit classiques à octroyer des microcrédits personnels1185.

§-II : LE DROIT AU CRÉDIT DU PARTICULIER SOLVABLE

342. Plan. Les récentes évolutions de la législation relative au crédit à la consommation

invitent à se demander si un droit au crédit de l’emprunteur solvable n’a pas été implicitement

reconnu. Plus particulièrement, le devoir du banquier de vérifier la solvabilité du candidat-

emprunteur (art. L. 311-9 du Code de la consommation) et l’instauration d’un fichier positif

ne créent-ils pas un droit au crédit (A)? En tout état de cause, la question de la reconnaissance

d’un droit au crédit du particulier solvable suppose que l’on s’interroge sur les rapports entre

l’accès au crédit et la liberté individuelle, lesquels sont ambivalents (B).

A – DU DEVOIR DE VÉRIFIER LA SOLVABILITÉ AU DEVOIR DE PRÊTER À

L’EMPRUNTEUR SOLVABLE ?+1186

343. Interprétation de l’article L. 311-9 du Code de la consommation. Il convient de

se demander si l’article L. 311-9 du Code de la consommation est le siège d’une obligation

d’accorder un crédit en cas de solvabilité du candidat à l’emprunt. Cet article dispose :

« Avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l'emprunteur à

1184 L’expérience du microcrédit montre cependant que l’accès au crédit productif, tout en étant nécessaire, n’est pas l’unique solution devant être envisagée. V. sur ce point E. DUFLO, La politique de l’autonomie, Lutter contre la pauvreté (II), Seuil, coll. La République des Idées, p. 17 à 59.

1185 Cf. en ce sens G. GLOUKOVIEZOFF, thèse préc., p. 488 : « Grâce à des mécanismes d’évaluation et d’incitation basés notamment sur des péréquations financières, il est possible d’internaliser les coûts dits « sociaux » des pratiques sources de difficultés bancaires. L’objectif est que l’accès approprié de tous aux services bancaires deviennent une finalité qui pèse sur l’ensemble des acteurs bancaires quitte à ce qu’ils se fassent concurrence pour l’atteindre. Une telle « régulation solidaire » permettrait de concilier finalité économique et politique et consoliderait les bases du « capitalisme coopératif » en permettant de tirer partie des qualités réelles – mais remises en cause – de ces établissements en termes d’inclusion bancaire ».

1186 Question également soulevée par D. LEGEAIS, « Apports du crédit à la consommation au droit bancaire », RDBF sept. 2013, dossier 50, n° 14 ; H. BARBIER, « Du devoir de ne pas contacter au devoir de contracter du banquier », RDBF sept. 2013, dossier 49, n° 9.

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302

partir d'un nombre suffisant d'informations, y compris des informations fournies par ce

dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l'article L. 333-4, dans

les conditions prévues par l'arrêté mentionné à l'article L. 333-5, sauf dans le cas d'une

opération mentionnée au 1 de l'article L. 511-6 ou au 1 du I de l'article L. 511-7 du code

monétaire et financier ». Ce texte reconnaît explicitement le devoir du banquier de vérifier la

solvabilité du candidat-emprunteur. Il est en revanche silencieux concernant l’attitude que le

banquier doit adopter une fois ce devoir accompli.

Si, en cas d’insolvabilité du candidat-emprunteur, le banquier a le devoir de ne pas

prêter1187, a t-il un devoir de prêter dans le cas inverse ? Le juge, saisi d’une telle question,

serait contraint de se livrer à une interprétation de l’article L. 311-9 du Code de la

consommation. Or, que l’on se réfère à l’intention du législateur ou à l’objectif poursuivi par

la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 dont cet article est issu, il ne semble pas possible d’y

découvrir le socle d’un devoir du banquier de prêter au candidat-emprunteur solvable. En

effet, l’objectif affiché est de responsabiliser les acteurs du crédit et de lutter contre le

surendettement. Le législateur a voulu responsabiliser le banquier en en faisant un acteur

privilégié de la lutte contre le surendettement. Le devoir de vérification a donc comme unique

prolongement envisageable celui de ne pas prêter. D’ailleurs, la vérification de la solvabilité

ne saurait entraîner un devoir de prêter puisqu’elle ne suffit pas à légitimer la décision de

prêter du banquier. Ce dernier doit encore, par la suite, expliquer au candidat-emprunteur les

caractéristiques essentielles du contrat de crédit et ses conséquences sur sa situation

financière, notamment en cas de défaut de paiement.

Indépendamment de l’interprétation du texte, un autre argument peut être opposé à

l’existence d’un droit tacite au crédit au profit du consommateur solvable : ce n’est pas parce

que le consommateur est solvable au moment de la demande de crédit qu’il le sera forcément

aux échéances de remboursement prévues. En d’autres termes, la solvabilité du demandeur de

crédit n’est pas l’assurance infaillible que le crédit sera remboursé.

La création du fichier positif n’invite pas à une conclusion différente. Il s’inscrit

également dans une politique de prévention du surendettement. Seule la violation de

l’obligation de consulter le fichier est sanctionnée, ce qui ne traduit aucune volonté

d’instaurer une obligation de prêter aux particuliers solvables.

Il convient enfin de relever que le considérant n° 57 de la directive européenne 2014/17

du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers

1187 V. supra n° 166 et s. et 183 et s.

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303

à usage résidentiel va dans le même sens. En effet, il dispose que « la décision du prêteur

d’accorder ou non le crédit devrait être compatible avec le résultat de l’évaluation de la

solvabilité », mais précise que, « toutefois, une évaluation de solvabilité débouchant sur un

résultat positif ne devrait pas obliger le prêteur à accorder le crédit ».

344. Conclusion. Le législateur n’a pas reconnu un droit au crédit au profit de

l’emprunteur solvable, ce qui n’exclut toutefois pas qu’il prenne un jour une position

contraire. En réalité, la reconnaissance d’un droit au crédit au profit du particulier solvable

serait un choix de société. La question n’est pas d’ordre juridique. Elle est d’ordre politique.

B – L’AMBIVALENCE DES RAPPORTS ENTRE ACCÈS AU CRÉDIT ET LIBERTÉ

INDIVIDUELLE

345. Plan. Les rapports entre accès au crédit et liberté individuelle sont ambivalents aussi

bien lorsqu’on envisage le crédit à la consommation (1) que le crédit immobilier (2).

1) Le crédit à la consommation

346. Crédit à la consommation et libération des individus. Les chiffres de

l’endettement des particuliers attestent d’une démocratisation et d’une banalisation du crédit à

la consommation depuis les années 1990. En France, 9 millions de ménages, soit plus d’un

tiers d’entre eux, sont débiteurs d’un crédit à la consommation1188. Fin mars 2012, l’encours

de crédit à la consommation était de 147,4 milliards d’euros, soit une baisse de 1,3% par

rapport à mars 20111189. La France n’est pas isolée puisque l’encours européen des crédits à la

consommation s’élève à 1140 milliards d’euros pour environ 500 millions de

consommateurs1190. La place centrale qu’occupe le crédit dans le financement des biens de

consommation explique qu’il soit parfois qualifié de « facteur de démocratisation de la

société » ou encore de « force économique permettant au plus grand nombre d’accéder à la

société de consommation ». Dès lors, l’endettement a pu apparaître « comme une

1188 Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 22 avril 2009 sur le projet de loi de réforme du

crédit à la consommation, http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/refor_credit_conso.asp. 1189 Rapp. Comité consultatif du secteur financier, réalisé par Athling, « Impact de l’entrée en vigueur de la

loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation », http://www.banque-france.fr/ccsf/fr/publications/telechar/autres/rapport-integral-athling-lcc.pdf, p. 18.

1190 Rapp. Comité consultatif du secteur financier, préc., p. 9.

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304

participation naturelle au développement social et économique du pays »1191. En d’autres

termes, « en permettant l’essor de la dette, la banalisation du crédit a favorisé l’émergence

d’une véritable culture de l’endettement »1192.

Pour certains, l’accès à la consommation est une composante de l’identité et de la

réalisation individuelles, « la possession d’une grande variété de biens [étant alors] perçue

comme le passeport vers cette civilisation post-industrielle, et la manifestation principale,

sinon la condition majeure d’une certaine qualité de vie. La fonction nouvelle du crédit

tendant à l’intégration sociale de celui qui l’utilise s’est affirmée, le consommateur-citoyen

est né »1193. Dans cette perspective, le droit au crédit du consommateur serait l’autre nom du

droit à l’épanouissement et à l’affirmation de soi. Encore faut-il que l’on adhère à l’idée selon

laquelle l’accès à la société de consommation est nécessairement un bienfait et une source de

libération.

347. Crédit et aliénation des individus. Cette idée n’est à l’évidence pas unanimement

partagée. La lecture de La société de consommation de BAUDRILLARD est sur ce point

éclairante, comme en témoignent ces quelques phrases, sans équivoque : « La consommation,

elle, n’est pas prométhéenne, elle est hédoniste et régressive. Son procès n’est plus un procès

de travail et de dépassement, c’est un procès d’absorption de signes, et d’absorption par les

signes. Elle se caractérise donc, comme le dit MARCUSE, par la fin de la transcendance.

Dans le procès généralisé de la consommation, il n’y a plus d’âme, d’ombre, de double,

d’image au sens spéculaire. Il n’y a plus de contradiction de l’être, ni de problématique de

l’être et de l’apparence. Il n’y a plus qu’émission et réception de signes, et l’être individuel

s’abolit dans cette combinaison et ce calcul de signes… L’homme de la consommation n’est

jamais en face de ses propres besoins, pas plus que du propre produit de son travail, il n’est

jamais non plus affronté à sa propre image : il est immanent aux signes qu’il ordonne. Plus de

transcendance, plus de finalité, plus d’objectif : ce qui caractérise cette société, c’est l’absence

de « réflexion », de perspective sur elle-même »1194. Si l’on en croit BAUDRILLARD, loin de

révéler aux individus leur propre identité, la société de consommation abolit toute authenticité

en organisant leur fusion dans un moule informe et mortifère. Un peu plus loin, on peut lire

que « l’Objet n’est rien, et que derrière lui se noue le vide des relations humaines, le dessin en

creux de l’immense mobilisation de forces productives et sociales qui viennent s’y

1191 S. GJIDARA, L’endettement et le droit privé, thèse préc., n° 43. 1192 Ibid., n° 43. 1193 Ibid., n° 266. 1194 J. BAUDRILLARD, La société de consommation, Folio, p. 308.

Page 307: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

305

réifier »1195. Dans cette perspective, le droit au crédit serait l’outil de cette perte de sens de

l’existence et de l’aliénation des hommes à un univers peuplé de choses ordonnées à la

satisfaction de leurs désirs et paradoxalement, vide1196.

348. Conclusion. On le voit, le rapport entre l’accès aux biens et la libération de

l’individu est épineux et discuté. En réalité, la défense comme la critique de la société de

consommation nous semblent excessives, si bien qu’il est impossible de prendre position pour

l’une ou l’autre. En revanche, leur identification a mis en évidence l’existence d’un doute sur

la possibilité d’assimiler la consommation et, par extension, l’accès au crédit qui la rend

possible, à un bienfait. Dès lors, il nous semblerait hasardeux de plaider en faveur de la

reconnaissance d’un droit au crédit à la consommation…

2) Le crédit immobilier

349. Crédit immobilier et intégration sociale. Le lien entre la liberté et l’accès à la

propriété est ancien. Les philosophes des Lumières ont œuvré pour faire de la propriété, à

commencer par celle des fruits du travail personnel, l’attribut des hommes libres. La

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a sacralisé la propriété. Le Code civil, fidèle

sur ce point aux acquis de la Révolution, a consacré son caractère absolu dans son article 544.

Il a néanmoins fallu attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour que l’Etat encourage,

de façon significative, l’accès à la propriété immobilière. Les interventions antérieures (loi

Siegfried de 1894, loi Ribot de 1908 ou encore loi Bonnevay de 1912) étaient timides et peu

efficaces. Il faut dire que l’Etat était encore largement influencé par les doctrines libérales. Le

logement, bien éminemment privé, s’accommodait mal d’une intervention étatique1197.

Après 1945, l’intervention étatique en matière de logement a eu deux objectifs : endiguer

la crise du logement et réaliser le souhait formulé par le Conseil National de Résistance, puis

gravé dans le Préambule de la Constitution de 1946, « de construire une société plus juste,

1195 Ibid., p. 316. 1196 Les termes de BAUDRILLARD sont sur ce point sans équivoque : « c’est nous qui sommes devenus

l’excrément de l’argent, c’est nous qui sommes devenus l’excrément du temps » (op. cit., p. 245). 1197 V. les explications détaillées de M. MOUILLART, « Le logement comme catégorie économique »,

Logement et habitat, l’état des savoirs, dir. M. SEGAUD, C. BONVALET et J. BRUN, éd. La découverte, 1998, p. 59 et s. spéc. p. 60-61.

Page 308: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

306

plus solidaire »1198. Elle s’est traduite par la reconnaissance du monopole de la distribution de

prêts aidés au profit du Crédit foncier de France et de la Caisse des dépôts et consignations1199.

Le financement du logement s’est par la suite banalisé au point de devenir une source de

concurrence aiguë entre les établissements de crédit classiques.

Le désir d’accéder à la propriété obéit à plusieurs ressorts : promotion sociale pour les

catégories modestes, « éléments de stabilisation des familles », « meilleure intégration des

personnes dans la vie économique » ou encore « plus forte implication dans celle de la ville,

du quartier ou, le cas échéant, de la communauté »1200. Aux Etats-Unis, l’accession à la

propriété a longtemps été « considérée comme une composante du rêve américain »1201 (avant

de devenir son cauchemar avec la trop célèbre crise des subprimes)1202.

On pourrait ainsi militer en faveur d’un droit au crédit immobilier, en soutenant que

celui-ci offrirait une assise patrimoniale aux individus et leur permettrait de s’affirmer en tant

qu’êtres libres et d’exister socialement. Il reste que cette approche suscite des réserves.

350. Réserves. Certes, la société des propriétaires suscite moins de critiques que la

société de consommation, mais la reconnaissance d’un droit suppose que son objet soit un

bienfait, ce qui reste à prouver s’agissant tant de la propriété immobilière que de son

corollaire, le crédit immobilier. Au-delà de l’accès à la propriété, c’est finalement l’accès à un

logement décent que les pouvoirs publics cherchent à promouvoir. C’est d’ailleurs le

logement et non le statut de propriétaire qui participe de la dignité de l’être humain1203. Or,

comme chacun le sait, la propriété n’est qu’un des moyens d’obtenir un logement. En outre, il

est très discutable de faire de la propriété immobilière, et donc du droit au crédit immobilier,

la condition de l’homme libre. La liberté s’acquiert dans l’action. Dans ces conditions, ce

n’est pas le droit au crédit immobilier mais le droit au crédit productif qui devrait être promu.

351. Conclusion de la Section II. La reconnaissance d’un droit au crédit des particuliers

n’est ni juridiquement ni matériellement impossible. Est-elle souhaitable pour autant ? D’un

côté, il ne nous semble pas que l’accès au crédit doive être conçu comme un moyen de

1198 M. MOUILLART, op. cit., p. 62. 1199 V. sur ce point B. COLLOS, « Le financement du logement », Logement et habitat, l’état des savoirs,

dir. M. SEGAUD, C. BONVALET et J. BRUN, éd. La découverte, 1998, p. 194 et s., spéc. p. 195. 1200 B. VORMS, « Les politiques d’encouragement à l’accession de la propriété », Logement et habitat, l’état

des savoirs, dir. M. SEGAUD, C. BONVALET et J. BRUN, éd. La découverte, 1998, p. 213. 1201 Ibid., p. 213. 1202 Pour une explication de cette crise et une comparaison des systèmes de prêts américains et français, v. R.

DAMMANN et G. PODEUR, « La crise du « subprime » et la responsabilité bancaire », D. 2008, p. 427. 1203 V. supra n° 287.

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307

compléter les ressources insuffisantes des particuliers en situation de pauvreté et d’exclusion

sociale. La réalité du surendettement suffit à nous rendre sceptiques. De l’autre, la question

d’un droit au crédit du particulier solvable se pose avec une acuité nouvelle, notamment

depuis que le législateur a mis à la charge du banquier l’obligation de vérifier la solvabilité du

candidat emprunteur. Considérant cette nouvelle obligation, des auteurs se sont légitimement

demandés si un droit au crédit n’avait pas été tacitement reconnu au profit du candidat

solvable. L’analyse de l’esprit et du contexte législatif invite cependant à répondre par la

négative. La question d’un droit au crédit du particulier solvable est donc finalement une

question d’ordre politique, voire philosophique : l’accès à la consommation ou à la propriété

immobilière est-il la condition d’homme libre ? Qu’il nous soit permis d’en douter.

352. Conclusion du Chapitre II. Le droit au crédit comme droit d’exiger la mise à

disposition des outils nécessaires à la réalisation d’un projet reposerait sur deux postulats :

l’homme est un être dont la singularité s’affirme à travers l’acte de création ; l’acte de

création a besoin de la reconnaissance sociale pour exister en tant que tel.

La dignité de la personne humaine, le droit individuel au développement et la liberté

d’entreprendre sont intellectuellement proches de ces deux postulats et pourraient pour cette

raison constituer les sources juridiques d’un droit au crédit.

Mais alors, s’agirait-il d’un droit à, d’un droit de l’homme, d’un droit subjectif ou encore

d’un droit fondamental ? L’indétermination et la faible justiciabilité des deux premières

catégories nous ont conduit à les rejeter au profit des deux autres.

Le droit au crédit pourrait être analysé comme un droit subjectif, c’est-à-dire une

prérogative individuelle reconnue par le droit objectif et conférant à son titulaire un pouvoir

d’exiger. Il pourrait en outre être considéré comme un droit fondamental relationnel. L’accès

au crédit, et plus exactement celui aux entreprises, est un besoin essentiel au regard du

fonctionnement de l’économie de nos sociétés contemporaines. Il a aussi une dimension

relationnelle. Il ne consiste pas seulement à redistribuer des ressources. Il s’inscrit dans une

relation utile aux deux parties et qui peut être bénéfique à la société dans son ensemble.

Ainsi justifié, le droit au crédit aurait naturellement vocation à s’appliquer au

financement des entreprises. En sens inverse, il serait très discutable d’étendre son champ

d’application au crédit à la consommation ou au crédit immobilier. Tout d’abord, la

préoccupation législative contemporaine consiste à limiter la distribution inconsidérée de

crédit aux particuliers afin de lutter contre le surendettement. Ensuite, contrairement au crédit

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308

productif, il n’est pas sûr que l’accès à la consommation ou à la propriété soit une condition

nécessaire à la liberté.

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309

TITRE II

LA RÉ ALISATION DU DROIT AU CRÉDIT

353. Plan. Comme nous l’avons vu, il peut être envisagé d’admette que le droit au crédit,

du moins lorsqu’il est productif, constitue un droit subjectif fondamental. Evidemment, cette

reconnaissance resterait lettre morte en l’absence d’effets juridiques concrets. Pour obtenir de

tels effets, il faut nécessairement qu’une personne, publique ou privée, soit désignée comme

débiteur du droit, soit par l’instauration d’un service public (Chapitre I), soit par celle d’une

obligation de conclure le contrat de crédit (Chapitre II).

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CHAPITRE I

LA MISE EN ŒUVRE PAR LE SERVICE PUBLIC DU

CRÉDIT

354. Service public et distribution du crédit. A la fin du XIXe siècle, DUGUIT

considérait que le critère permettant d’identifier une activité de service public « se trouve dans

le désordre social produit par [sa] suspension, même pendant un temps très court »1204. Selon

lui, une activité nécessaire à la réalisation de « l’interdépendance sociale » devait recevoir la

qualification d’activité de service public1205.

A suivre le grand publiciste, les bouleversements économiques et sociaux liés à la récente

crise du système bancaire permettraient de qualifier la distribution du crédit d’activité de

service public. Nul ne contestera que le crédit, cette « énergie vitale »1206, contribue au

fonctionnement de l’interdépendance sociale.

Pourtant, la question de la reconnaissance d’un service public du crédit n’a que très

faiblement retenu l’attention de la doctrine de droit bancaire1207. La plupart du temps, les

auteurs se sont contentés de la rejeter, sans réellement l’étudier. Nous pensons que cette

question peut recevoir une réponse plus nuancée, voire, sous certaines conditions, bien

différente.

Aussi, les prochains développements auront pour objectif de réfléchir à la compatibilité

du service public et de la distribution de crédit productif. Plus précisément, il conviendra de

se demander si un service public du crédit est juridiquement possible (Section I) et, dans

l’affirmative, de déterminer s’il permettrait, en pratique, d’assurer la réalisation du droit au

crédit à destination des entreprises (Section II).

1204 DUGUIT, Les transformations du droit public, La mémoire du droit (rééd. Armand Colin 1913), p. 51. 1205 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, 1928, t. 2, p. 61. 1206 Ch. GAVALDA, « L’après nationalisation bancaire », Droits et libertés à la fin du XXe siècle : influence

des données économiques et technologiques. Etudes offertes à C.-A. Colliard, éd. A. Pedone, 1984, p. 484. 1207 En faveur d’un service public du crédit, v. R. HOUIN, RTD com. 1964, p. 163, spéc. p. 165 : l’auteur

reconnaît que la conception libérale de la banque « est sans doute favorable à une certaine forme de dynamisme des banques » mais invite à adopter « une autre conception de la banque, instrument d’un service public de distribution et de régulation du crédit, qui apparaît mieux adaptée aux circonstances économiques actuelles et à la nationalisation du crédit » ; contra J.-L. BUTSCH, « La banque n’est pas un service public », Banque, n° 510, nov. 1990, p. 1016 et s.

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312

SECTION I – LA DISTRIBUTION DU CRÉDIT COMME ACTIVITÉ

DE SERVICE PUBLIC

355. Plan. Pour déterminer si la distribution de crédit peut être assurée par un service

public, il convient en premier lieu d’analyser la compatibilité théorique de ces deux activités

(§ I). Cette première démonstration achevée, il nous restera à constater que, en pratique, la

compatibilité entre l’activité de service public et la distribution de crédit est sans doute déjà à

l’œuvre (§ II).

§-I. LA COMPATIBILITÉ THÉORIQUE

356. Les deux approches du service public. Il existe deux approches du service public :

une approche organique, en vertu de laquelle le service public désigne « une partie, une

composante de l’appareil administratif de l’Etat ou des collectivités territoriales »1208, et une

approche matérielle, qui définit le service public comme une activité d’intérêt général relevant

directement ou indirectement d’une personne publique1209.

S’interroger sur la compatibilité théorique du service public et de la distribution de crédit

suppose de s’intéresser à l’approche matérielle du service public, c’est-à-dire au service

public comme activité d’intérêt général. Nous étudierons dans un premier temps les

conditions d’existence d’un service public (A), avant de déterminer dans un second temps si

elles peuvent être appliquées à la distribution de crédit (B).

A. LES CONDITIONS D’EXISTENCE D’UN SERVICE PUBLIC

357. Plan. Sauf lorsque l’activité est dite régalienne, l’Etat n’est pas tenu de créer un

service public. L’existence de ce dernier relève alors d’un choix de politique juridique. Deux

conditions sont toutefois nécessaires pour qu’un service public soit mis en place : l’existence

d’une mission d’intérêt général et une carence de l’initiative privée1210. On étudiera d’abord la

1208 J.-F. LACHAUME, Cl. BOITEAU, H. PAULIAT, Droit des services publics, Lexisnexis, 2012, p. 5. 1209 Rappr. D. TRUCHET, Droit administratif, PUF, thémis, 2013, p. 341. L’auteur définit le service public

comme « une mission créée, définie, organisée et contrôlée par les personnes publiques en vue de délivrer des prestations d’intérêt général à tout ceux qui en ont besoin ».

1210 Nous ne retiendrons pas la condition tenant à l’exercice par le gestionnaire du service de prérogatives de puissance publique qui a été abandonnée par le Conseil d’Etat dans son arrêt « Association du personnel relevant des établissements pour indaptés » (22 fév. 2007, Rec. 92, AJDA 2007. 793, chron. F. LENICA et J. BOUCHER ; RFDA 2007. 803, note C. BOITEAU) : l’absence de prérogatives de puissance publique ne s’oppose pas à

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313

condition d’activité d’intérêt général (1) avant de s’intéresser à la carence de l’initiative

privée (2).

1) Une activité d’intérêt général

358. Plan. L’intérêt général est une notion particulièrement complexe. Elle fait l’objet de

plusieurs approches qu’il convient d’identifier (a). Puis on montrera en que en quoi l’intérêt

général doit constituer l’objectif premier de tout service public (b).

a) Les différentes approches de l’intérêt général

359. Les deux conceptions de l’intérêt général. Il existe deux grandes conceptions de

l’intérêt général, la conception utilitariste et la conception volontariste. En vertu de la

première, élaborée par les philosophes anglo-saxons, l’intérêt général est « la somme

algébrique des intérêts individuels »1211. En d’autres termes, il n’y a d’intérêt général, de

« mise en commun, limitée et spontanée, que de ce qui est nécessaire pour permettre à chacun

de réaliser ce qui est dans son propre avantage »1212. La seconde conception de l’intérêt

général est d’inspiration rousseauiste. L’intérêt général est conforme à la volonté générale.

Cette dernière transcende la somme des intérêts individuels. En ce sens, elle « n’exprime (…)

pas ce que chacun, pris séparément, désire, mais ce que le citoyen peut vouloir en se mettant à

la place de tout autre. Pour reconnaître dans la volonté générale une forme d’unanimité et

d’intégration des différences, il suffit d’abandonner le point de vue partiel de l’individu

singulier pour adopter celui du droit »1213.

Finalement, la conception utilitariste traduit une approche économique de l’intérêt

général tandis que celle adoptée par la conception volontariste est davantage juridique et

politique. En effet, « elle tend à montrer que seule l’autonomie du politique, dans le cadre

d’une économie de marché dont l’efficacité n’est pas contestée, garantit la poursuite de

l’intérêt général »1214.

l’existence d’un service dès lors que, eu « égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu confier [au gestionnaire du service ] une telle mission ».

1211 « L’intérêt général », Rapport du Conseil d’Etat, EDCE 1999, p. 253. 1212 P.-L. FRIER et J. PETIT, Droit Administratif, LGDJ, 8e éd., 2013, n° 350. 1213 « L’intérêt général », Rapport préc., p. 259. 1214 Ibid., p. 261.

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314

360. Le choix de la conception volontariste. La conception française de l’intérêt général

est très largement inspirée de la conception volontariste et républicaine. Nonobstant les

fréquentes critiques dont il fait l’objet, l’intérêt général a une véritable fonction de garant de

l’unité sociale du pays.

Cette conception est parfois attaquée. La plasticité et l’expansion corrélative des services

publics sont en premier lieu visées. L’une comme l’autre représenteraient un danger pour les

libertés publiques et notamment pour la liberté du commerce et de l’industrie. La potentielle

influence exercée par les personnes publiques lors de « la passation des marchés publics et

des délégations de services publics » ainsi que la crainte de les voir violer le droit de la

concurrence sont principalement en cause1215. C’est ensuite une critique plus idéologique qui

se trouve formulée. Le Conseil d’Etat, dans son Rapport consacré à l’intérêt général, expose

que « la pensée néo-libérale contemporaine, dans sa version la plus radicale, [dénonce] la

vanité et l’inconsistance d’une représentation de l’intérêt général, entendu comme intérêt de

tous »1216. Selon cette approche, la société civile « ne peut avoir d’intérêt propre, distinct de

ses membres, car elle n’est qu’un ordre spontané qui permet aux individus de parer à leurs

besoins »1217. Partant, elle accuse l’intérêt général « de n’être qu’une forme modernisée de la

raison d’Etat »1218.

La conception volontariste de l’intérêt général semble résister aux différentes critiques

dont elle fait l’objet. Il faut dire qu’elle symbolise, avec le service public dont elle a façonné

l’existence, « le modèle économique et social français dans ce qu’il a de meilleur (la

solidarité, l’équité, la fraternité) et concentre les menaces que la situation financière du pays,

la mondialisation, l’Europe, la concurrence… feraient peser sur ces valeurs »1219.

361. Impact du choix sur la notion de service public. La conception qu’un Etat se fait

de l’intérêt général a des conséquences évidentes sur les services publics qu’il met en œuvre.

Un Etat libéral a une conception utilitariste et donc restrictive de l’intérêt général. Partant, le

rôle dévolu aux services publics est limité. Il revient donc à l’initiative privée de satisfaire les

besoins des individus.

1215 S. BRACONNIER, Droit des services publics, PUF, 2e éd., 2007, p. 181. Sur ces questions, v.

notamment P. DELVOLVÉ, « Services publics et libertés publiques », RFDA 1985, p. 1 et s. ; D. CASAS, « Les personnes publiques et les règles de la concurrence : vers l’égale concurrence ?, Cahiers fonct. publ. avril 2001, p. 15 ; J. CAILLOSSE, « Le droit administratif français saisi par la concurrence », AJDA 2000, p. 99.

1216 « L’intérêt général », Rapport préc., p. 313. 1217 Ibid. 1218 Ibid. 1219 D. TRUCHET, op. cit., p. 333.

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315

Un Etat davantage interventionniste a une conception volontariste de l’intérêt général. Le

service public est alors l’instrument privilégié de protection des besoins de la population.

L’intérêt général a de ce fait une dimension irréductiblement politique et contextuelle qui

explique que l’on ait pu parler de sa plasticité, de sa vitalité ou encore de son caractère

contingent1220. Il a des contours flous et un contenu variable « en fonction [tant] de l’idéologie

dominante, [que] des circonstances de temps et de lieu, [ou encore] des pressions de la

population »1221. Or ce caractère mouvant a des répercussions immédiates sur la notion de

service public : « tout ou presque peut devenir objet de service public par le choix de

l’autorité administrative ou par la qualification du juge administratif des activités les plus

diverses »1222.

L’étude des faits confirme cette dernière analyse. La panoplie des services publics est

relativement étendue. A côté des services régaliens qui sont l’expression du monopole de la

force (sûreté, sécurité…), il en existe un nombre considérable répondant à des besoins plus

circonstanciés de la population (la distribution publique de l’eau1223, les services

d’assainissement1224, la distribution d’électricité1225, les réseaux de communication haut

débit1226 ou encore la distribution de courrier par la Poste1227, les logements sociaux1228)1229.

b) L’intérêt général, objectif premier du service public

362. Difficulté de qualification. La nature de certains services publics, et notamment les

services publics industriels et commerciaux, est parfois difficile à établir car ils « sont

consubstantiellement écartelés entre la nécessité d’agir selon une logique financière et la

réalisation de leur mission d’intérêt public »1230. Pour autant, même s’ils « présentent de fortes

potentialités marchandes qui les tirent, sous l’influence du droit communautaire notamment,

1220 Cf. S. BRACONNIER, op. cit., p. 173. 1221 J.-F. LACHAUME, Cl. BOITEAU, H. PAULIAT, Droit des services publics, op. cit. p. 28. Dans le

même sens, v. J.-M. PONTIER, « L’intérêt général existe-t-il encore ? », D. 1998, p. 327 : « L’intérêt général n’existe pas en soi, indépendamment des hommes qui composent une société ».

1222 G. J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, Montchrestien 3e éd., 2011, n° 1147. 1223 CE, S., 11 juill. 2001, « Société des eaux du Nord », Rec. p. 348. 1224 CE, 20 janv. 1988, « SCI La Colline », AJDA 1988, p. 406, note F.-J. AUBY. 1225 CE, 25 avr. 1958, « Dame veuve Barbaza », Rec. p. 228 ; Civ. 1ère, 20 mai 2009, n° 07-20680, ERDF

Macif et autres, JCP A, 2010, p. 2012, note O. RENARD-PAYEN. 1226 Art. L. 1425-1 CGCT. 1227 TC, 15 mars 1999, « Ghenai », Rec., p. 447. 1228 La politique du logement social a été qualifiée « d’intérêt national » par l’article 3 de la loi d’orientation

n° 91-662 du 13 juillet 1991 pour la ville. 1229 Sur cette question, v. notamment S. TRAORÉ, L’usager du service public, LGDJ, coll. Lextenso, 2012,

n° 65-66. 1230 P.-L. FRIER et J. PETIT, Droit Administratif, op. cit., n° 353.

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316

vers le marché et donc hors de la périphérie du service public »1231, le développement

économique et social qu’ils assurent en font incontestablement des garants de l’intérêt général

et donc de réels services publics. Ainsi, qu’il s’agisse des transports, de la distribution de

l’eau, de l’énergie ou encore de la fourniture de logements sociaux, l’activité est considérée

comme étant un service public « car la prise en compte des considérations financières, la

recherche d’un profit ou les avantages dont bénéficient les personnes privées, n’interviennent

qu’à titre accessoire, complémentaire, et non comme finalité exclusive de l’action

administrative »1232. Pour qu’une activité soit qualifiée de service public, il faut donc que la

mission d’intérêt général soit sa raison d’être1233. A l’inverse, une activité servant l’intérêt

général mais ayant pour objectif principal la recherche d’un plus grand profit ne peut être

qualifiée de service public1234.

363. Le développement économique, une mission d’intérêt général. C’est dans le

domaine économique que les besoins de la population sont aujourd’hui les plus pressants, si

bien que le développement économique d’un territoire ou la lutte contre le chômage

constituent assurément des missions d’intérêt général et partant, des activités de service

public. Ont ainsi été qualifiées « la promotion du progrès technique, l’amélioration du

rendement et la garantie de la qualité de l’industrie »1235 ou encore « les opérations réalisées

par une commune pour l’installation d’une entreprise industrielle sur son territoire »1236.

Cette dimension économique du service public est d’ailleurs en harmonie avec le

développement des services d’intérêt économique généraux en droit communautaire.

En plus de la nécessité de satisfaire l’intérêt général, la création d’un service public

suppose qu’une carence de l’initiative privée soit constatée.

2) La carence de l’initiative privée

364. Une condition désormais secondaire. Dans l’arrêt « Casanova » du 29 mars 1901,

le Conseil d’Etat a jugé que seules des « circonstances exceptionnelles » pouvaient justifier

1231 S. BRACONNIER, op. cit., p. 171. 1232 P.-L. FRIER et J. PETIT, op. cit., n° 353. 1233 CE, Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, RFD adm. 2006, p. 1048, concl. D.

CASAS. 1234 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, LGDJ, Précis Domat, 15e éd., 2005, n° 759. 1235 S. BRACONNIER, op. cit., p. 174-175. L’auteur renvoie à l’arrêt « Narcy » (CE, Sect., 29 juin 1963,

Narcy). V. égal. CE, 18 déc. 1959, Delansorme, Rec. 693 ; 29 avr. 1970, Société Unipain, n° 77935, Rec. 280. 1236 S. BRACONNIER, op. cit., p. 175. L’auteur renvoie à l’arrêt « Société La Maison des Isolants » (CE, 26

juin 1974, RD publ. 1974, p. 1486, note AUBY).

Page 319: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

317

que soit créé un service public venant concurrencer les activités privées. En exigeant une

carence de l’initiative privée, il s’agissait avant tout de s’assurer que le service public ne

perturbe pas le libre jeu de la concurrence. La Haute juridiction a par la suite assoupli sa

position en exigeant la réunion de circonstances simplement « particulières »1237.

Si cette condition est aujourd’hui parfois rappelée1238, la plupart des arrêts ont cessé de

l’évoquer1239, si bien que l’on peut considérer, avec M. CHAPUS, que son champ

d’application est désormais « résiduel »1240.

En définitive, un service public peut exister lorsque l’activité qu’il entend assurer est une

activité d’intérêt général. Si la carence de l’initiative privée n’est pas nécessaire, son constat

rend doublement opportun la création d’un service public. Ces deux éléments identifiés, il

reste à déterminer s’ils peuvent être appliqués à la distribution de crédit.

B – L’APPLICATION DES CONDITIONS À LA DISTRIBUTION DE CRÉDIT

365. Plan. Pour savoir si la distribution de crédit peut constituer une activité de service

public, il convient de déterminer dans quelle mesure elle peut être qualifiée d’activité d’intérêt

général (1) et s’il existe une carence de l’initiative privée (2).

1) La distribution de crédit comme activité d’intérêt général

366. Un choix de politique juridique. Depuis la loi bancaire de 1984, les banques sont

privatisées et les auteurs considèrent parfois que la nature commerciale de l’activité bancaire

fait obstacle à l’existence d’un service public1241. Cet argument n’est pas convaincant. En

effet, nous avons vu que la nature commerciale d’une activité ne constitue pas un obstacle à

l’existence d’un service public. Ainsi, un service public peut non seulement être exercé par

1237 CE, S, 30 mai 1930, GAJA n° 43. Le Conseil a en effet affirmé, dans son arrêt « Chambre syndicale du

commerce en détail de Nevers » en date du 30 mai 1930, que « les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l'initiative privée et que les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics communaux que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en cette matière ».

1238 Pour une application récente, v. par ex. CE, A, 31 mai 2006, « Ordre des avocats au barreau de Paris », GD p. 395.

1239 V. par ex. CE sect., 23 déc. 1970, « Commune de Montmagny », D. 1971, p. 153, chron. D. LABETOULLE et P. CABANES, RDP 1971, p. 248, concl. J. KHAN.

1240 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, op. cit., n° 434. 1241 V. par ex. J. STOUFFLET, « L’ouverture de crédit peut-elle être source de responsabilité envers les

tiers ? », JCP 1965. I. 1882 ; J.-L. BUTSCH, « La banque n’est pas un service public », Banque, n° 510, nov. 1990, p. 1016 et s.

Page 320: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

318

une personne privée mais aussi avoir une nature industrielle et commerciale1242. L’absence de

service public du crédit relève donc davantage d’un choix de politique juridique que d’une

réelle impossibilité théorique. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler le législateur a, dans

son exposé des motifs de la loi du 2 décembre 1945 relative à la nationalisation de la Banque

de France et des grandes banques et à l’organisation du crédit, comparé les banques « à de

véritables services publics »1243.

Une autre partie de la doctrine est d’ailleurs favorable à l’idée d’un service public

bancaire, invoquant en ce sens le particularisme de la distribution de crédit1244.

367. La distribution du crédit, une activité de plus grand profit. En réalité, la raison

pour laquelle la distribution de crédit ne saurait être en l’état qualifiée de service public réside

dans sa finalité : elle est animée en premier lieu par la recherche du plus grand profit.

Se fondant sur la distinction des activités d’intérêt général et des activités de plus grand

profit, M. CHAPUS expose que les compagnies nationales de banque et d’assurance ne

menaient pas, à l’époque, une activité de service public. En effet, à l’image des entreprises

privées, elles poursuivaient avant tout un objectif de rentabilité.

Ce raisonnement peut être appliqué aux établissements privés de crédit, pour lesquels la

recherche du profit constitue le moteur principal de leur activité.

368. La distribution de crédit, une activité d’intérêt général. On ne saurait pour autant

en déduire l’existence d’une incompatibilité de principe entre la distribution de crédit et

l’activité de service public. En ce sens, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22

juillet 2005, a considéré que la limitation de la responsabilité du banquier en cas d’octroi de

crédit à une entreprise en difficulté était guidée par un motif d’intérêt général, consistant à

« lever un obstacle à l’octroi des apports financiers nécessaires à la pérennité des entreprises

en difficulté »1245. Il est donc acquis que la distribution de crédit aux entreprises constitue une

1242 TC, 22 janv. 1921, Société commerciale de l’ouest africain, dit « Bac d’Eloka », GAJA, n° 40. V. égal.

CE, 30 mai 1930, Chambre syndicat du commerce en détail de Nevers, GAJA, n°48 (une personne publique peut prendre en charge une activité commerciale dès lors qu’elle relève de l’intérêt général et qu’une carence de l’initiative privée est constatée).

1243 Exposé des motifs de la loi n° 45-15 du 2 déc. 1945, cité par P. BEAUREZ, Les banques à l’épreuve de la notion de service public, thèse, dir. J. STOUFFLET, Microforme, 2003, p. 26, n° 9.

1244 V. par ex. P. BEAUREZ, thèse préc., p. 12 : « l’activité qui consiste à recevoir des dépôts et à convertir des crédit n’est pas une activité ordinaire. Car participant à la création et à la circulation monétaire au travers des crédits qu’il consent et qui lui reviennent sous forme de dépôts, le système bancaire est partie prenante d’une activité régalienne, dont l’importance pour la stabilité des prix et le rythme de l’activité économique est fondamental ».

1245 Cons. const., décision n° 2005-522 DC du 22 juillet 2005, déc. préc., consid. n° 12.

Page 321: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

319

mission d’intérêt général. Or, on pourrait parfaitement concevoir qu’une banque soit créée en

vue d’assurer une telle mission. Dans une telle hypothèse, la réalisation d’un profit ne serait

pas nécessairement exclue mais interviendrait au second plan. Elle constituerait alors un

moyen de maintenir l’activité de distribution de crédit et non une fin. Ainsi, si l’on reprend la

distinction formulée par M. CHAPUS entre les activités d’intérêt général et les activités de

plus grand profit, pourrait être qualifiée de service public l’activité d’une banque dont

l’objectif premier serait de distribuer des crédits à des entreprises pour lesquelles l’accès au

crédit n’est pas assuré par les établissements de crédit traditionnels.

Cette idée a notamment été défendue par M. GAVALDA. Pour l’auteur, si une banque

dont l’objectif est la « maximisation du profit » n’est pas compatible avec une activité de

service public, il n’en va pas de même de celle qui, nonobstant « la recherche légitime de

profits bancaires », poursuit avant tout l’objectif de « soutenir les investissements utiles à la

Nation »1246.

2) La carence de l’initiative privée dans la distribution de crédit

369. Constat de carence. Les PME sont les premières consommatrices de crédit1247.

Entre janvier 2009 et juillet 2010, 72% des crédits leur étaient accordés par les banques1248.

Elles sont également les premières victimes du « rationnement de crédit », en raison de

l’asymétrie d’information, du risque élevé de défaillance qu’elles représentent, de la faiblesse

de leur actif, de l’importance des garanties exigées par les banques ainsi que de l’obligation

pour ces dernières de respecter la réglementation Bâle III1249.

La frilosité des banques privées en matière de financement des PME permet de conclure à

l’existence d’une carence de l’initiative privée.

Les deux conditions à la création d’un service public du crédit sont donc réunies. Il reste

à analyser les institutions existantes afin de déterminer si, en pratique, un tel service est déjà à

l’œuvre.

1246 Ch. GAVALDA, « L’après nationalisation bancaire », art. préc., p. 483, note 7. 1247 V. le dossier « Le financement des PME », Cahiers de droit de l’entreprise mars 2009, entretien 2. 1248 Rapport de la Cour des comptes, « Le rôle de l’Etat dans le financement de l’économie », juillet 2012, p.

55 (http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/L-Etat-et-le-financement-de-l-economie). 1249 Voir sur ce point le mémoire réalisé par H. HERVÉ et H. BUISSON, « L’impact de la crise sur le

rationnement du crédit des PME françaises », Cahiers du BDR, 2010-06, http://basepub.dauphine.fr/bitstream/handle/123456789/4683/CR%202010-06.pdf?sequence=1. L’étude conclut que 45 à 53% des PME souffrent d’un rationnement du crédit.

Page 322: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

320

§ II. LA COMPATIBILITÉ PRATIQUE

370. Plan. Nous venons de présenter succinctement la notion de service public et avons

montré qu’elle est en théorie pleinement compatible avec la distribution de crédit, sous

réserve que cette activité soit en premier lieu orientée vers la satisfaction de l’intérêt général.

Il nous reste à déterminer s’il existe actuellement des organismes en charge de la distribution

de crédit susceptibles de voir leur activité qualifiée d’activité de service public. Pour ce faire,

nous étudierons les critères d’identification d’un service public (A) avant de les appliquer aux

différentes institutions en charge de la distribution de crédit (B).

A – L’IDENTIFICATION D’UN SERVICE PUBLIC

371. Plan. Identifier un service public implique tout d’abord de vérifier l’existence d’une

activité de service public (1). C’est seulement après que l’on peut s’attacher à en déterminer la

nature (2).

1) L’existence d’une activité de service public

372. Plan. En dehors des cas dans lesquels une activité est expressément désignée par un

texte comme étant une activité de service public, sa qualification peut s’avérer délicate. Le

premier réflexe consiste alors à distinguer l’activité exercée directement par une personne

publique (a) de celle exercée par une personne privée, à la suite d’une délégation de la

personne publique (b).

a) Activité exercée par une personne publique

373. Présomption de service public. Lorsque l’activité est exercée par une personne

publique, « il y a présomption de service public » à moins qu’il ne s’agisse d’une activité de

police administrative, c’est-à-dire ayant pour objet de prévenir les atteintes à l’ordre

public1250. L’existence d’un service public est plus particulièrement présumée lorsque

1250 D. TRUCHET, Droit administratif, PUF, thémis, 2013, p. 342.

Page 323: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

321

l’activité est assurée par un établissement public. En effet, il est aujourd’hui acquis que les

établissements publics sont créés en vue de remplir une mission de service public1251.

b) Activité exercée par une personne privée

374. La technique du faisceau d’indices. Cette présomption ne joue pas lorsque

l’activité est exercée par une personne privée. Différents indices sont néanmoins susceptibles

de caractériser un service public, à savoir l’existence d’une activité d’intérêt général,

ses conditions de création, d’organisation et de fonctionnement, et enfin les obligations

imposées à la personne privée pour l’accomplissement de sa mission1252.

Les conditions de création de l’activité renvoient notamment à l’existence d’un agrément.

Plus largement, il importe que la personne publique ait expressément reconnu cette activité.

Les conditions d’organisation font référence à « la composition de l’organe dirigeant » et

notamment à la présence d’un agent public. Celles relatives au fonctionnement de l’activité

ont trait à « l’intervention d’un commissaire du gouvernement, [l’] approbation de certaines

mesures, [ou encore à un] droit de véto »+1253.

Enfin, les obligations imposées à la personne privée semblent « concerner les conditions

d’exécution du service public »1254. En ce sens, les personnes privées se verraient imposer le

respect des principes d’égalité, de continuité et de mutabilité du service public. Il pourrait

également s’agir du respect « des obligations d’information de l’administration sur la situation

et l’activité de la personne publique, lui permettant d’exercer son contrôle »1255. La personne

1251 V. en ce sens D. TRUCHET, op. cit., p. 348. V. cependant F. BEROUJON, « Le recul de l’établissement

public comme procédé de gestion des services publics », RFDA 2008, p. 26, spéc. n° 2 et 3. Selon l’auteur, historiquement, les établissements publics n’ont pas été créés pour gérer les services publics. Il s’appuie sur l’arrêt du Tribunal des Conflits « Association syndicale du canal de Gignac » en date du 9 décembre 1899 (S. 1900, 3, 49, note M. HAURIOU ; GAJA, 14e éd., n° 7) dans lequel il a été précisé que l’identification de l’établissement public reposait sur l’existence d’une contrainte administrative et de la soumission à un régime exorbitant. La mission de service public ne constituait tout au plus qu’un critère d’identification secondaire. L’auteur précise toutefois que la doctrine, et plus précisément AUCOC (Conférences sur l’administration et le droit administratif faites à l’Ecole des Ponts et Chaussées, Paris, Dunod, t. 1, 1878, pp. 307-328), HAURIOU (Précis de droit administratif et de droit public, 12e éd., Sirey 1933, réed. Dalloz, p. 280) et DUGUIT (Traité de droit constitutionnel, vol. II, Paris 1928, 3e éd., spéc. p. 343 s.), cherchant à donner « une dimension conceptuelle » à la notion d’établissement public, l’ont par la suite rattaché à celle de service public.

1252 En l’absence de telles obligations, l’activité ne saurait être qualifiée de service public, quand bien même elle remplirait une mission d’intérêt général. Pour un ex. v. CE, 5 oct. 2007, « Société UGC-Ciné-cité », RFDA 2007, 1314 ; JCP A 2007, n° 46, 2294 ; G. EKHERT, « Une mission d’intérêt général n’est pas nécessairement un service public », Contrats et Marchés Publics 2007, n° 11, comm. 308.

1253 L. JANICOT, « L’identification d’un service public géré par une personne privée », RFDA 2008, p. 67. 1254 Ibid. 1255 L. JANICOT, art. préc., p. 67. L’auteur renvoie notamment à l’arrêt du Conseil d’Etat « Epoux

Lasaulce » du 22 mars 2000 (Lebon 126 ; BJCP 2000, p. 252, concl. H. SAVOIE et obs. C. MAUGÜE ; G.-J. GUGLIELMI, « Habilitation unilatérale, délégation contractuelle et consistance du service public », RFDA

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322

publique disposerait ainsi du pouvoir de vérifier si la personne privée a rempli les objectifs lui

ayant été assignés pour l’accomplissement de sa mission.

Lorsque ces différents indices sont réunis, l’activité peut être qualifiés de service public,

à moins que le législateur n’ait manifesté une intention contraire1256. En revanche la

qualification de service public sera retenue même si la personne privée ne dispose d’aucune

prérogative de puissance publique1257.

2) Nature du service public

375. Critères de distinction. Le Conseil d’Etat a posé, dans son arrêt « Union

commerciale des industries aéronautiques » du 16 novembre 1956, les critères permettant de

distinguer les services publics administratifs des services publics industriels et

commerciaux1258. Il s’agit de l’objet du service, des modalités de son fonctionnement et de

l’origine de ses ressources. Comme l’explique M. CHAPUS, « la règle du jeu est la suivant :

un service ne sera reconnu comme industriel et commercial que si aux trois points de vue –

objet, origine des ressources, modalités de fonctionnement – il ressemble à une entreprise

privée »1259.

Lorsque l’objet est « semblable à [celui] des activités accomplies par des personnes

privées et donne lieu à des opérations de production ou de vente de biens ou de

prestations »1260, il constituera un premier indice en faveur de la nature industrielle et

commerciale du service public.

2001, 353 ; JCP 2000. I. 251, note C. BOITEAU), dans lequel il a été jugé, s’agissant des opérations de remorquage et de dépannage sur les autoroutes, que « la mission d’intérêt général est exercée sous le contrôle de la puissance publique qui peut procéder à une inspection annuelle des véhicules utilisés par le dépanneur et qui impose aux personnes agréées le respect d’obligations, définies à l’article 5 du cahier des charges, tenant aussi bien aux conditions d’exécution du service qu’à l’information de l’administration sur la situation de l’autoroute ». Mme JANICOT précise cependant que le contrôle par la personne publique n’est pas suffisant et doit s’accompagner d’une véritable « “implication” de la collectivité publique dans la gestion d’une activité » (ibid.).

1256 Dans l’arrêt « Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés » du 22 février 2007 (GD, p. 293), le Conseil d’Etat a en effet jugé que « si l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées constitue une mission d'intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires de centres d'aide par le travail revête le caractère d'une mission de service public ».

1257 CE, S., 22 fév. 2007, « Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés », préc. 1258 CE, Ass., 16 nov. 1956, AJDA 1956, II, p. 489. Pour un ex. plus récent, CE, 2 juin 1995, Ville de Nice,

Rec., p. 1050. 1259 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, op. cit., n° 768. Sur la distinction des SPA et des SPIC, v.

égal. M. BORGETTO, « Services publics locaux et principe d’égalité », RFDA 1993, p. 673. 1260 J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU et H. PAULIAT, Grands services publics, Armand Colin, 2e éd.,

2000, p. 65.

Page 325: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

323

S’agissant ensuite des modalités de fonctionnement, l’existence d’un monopole légal

comme l’exploitation du service en régie par une personne publique font présumer le

caractère administratif du service. Cependant ces indices peuvent être contredits1261. Plus

significatif semble être le rapport qu’entretient le service public avec la recherche du profit.

Un service qui fonctionne à perte1262, gratuitement1263 ou à prix coûtant1264 sera qualifié de

service public administratif. A l’inverse, un service qui a pour objectif de réaliser des

bénéfices aura une nature industrielle et commerciale.

Concernant enfin l’origine des ressources, retenons qu’un service financé en grande

partie par « des subventions ou des recettes fiscales » sera en principe administratif tandis que

celui financé par les « redevances perçues sur ses usagers, en contrepartie des prestations

fournies », sera industriel et commercial1265.

B – APPLICATION AUX INSTITUTIONS EN CHARGE DE LA DISTRIBUTION DE

CRÉDIT

376. Plan. Nous venons d’analyser les méthodes d’identification d’un service public et

avons également montré que la distribution du crédit peut, dans une certaine mesure,

constituer une activité de service public. Il nous reste à déterminer si, parmi les institutions

compétentes pour octroyer des crédits, certaines sont en charge d’une mission de service

public. Nous envisagerons d’abord les institutions de droit public (1) puis celles de droit privé

(2).

1261 La jurisprudence a déjà eu l’occasion de qualifier un service géré en régie par l’Etat de SPIC (v. par ex.

CE, S., 9 juin 1981, « Ministre de l’Economie c/ Bouvet », Rec. Lebon, p. 4). De même elle a retenu l’existence d’un SPIC nonobstant le monopole légal dont bénéficiait le service (v. par ex. Civ. 1ère, 13 déc. 1994, D. 1995, IR, p. 10, à propos du service des monnaies et médailles).

1262 V. par ex. Soc. 10 juill. 1995, RFDA 1997, p. 403, concl. Y. CHAUVY (service de distribution d’eau potable).

1263 V. par ex. CE, 26 juill. 1930, « Benoit », Rec., p. 840 (service de bac). 1264 CE, S., 30 juin 1950, « Soc. Merienne », Rec., p. 408 (service de remorquage maritime). 1265 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, op. cit., n° 770.

Page 326: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

324

1) Les institutions de droit public

377. Plan. Plusieurs institutions de droit public octroient des crédits. Parmi elles, les

collectivités territoriales (a) et la Banque Publique d’Investissement (b) sont particulièrement

intéressantes. En effet, leur activité de distribution de crédit remplit une mission d’intérêt

général et mérite pour cette raison d’être envisagée.

a) Les collectivités territoriales

378. Les différentes modalités d’intervention. Les collectivités territoriales, et plus

particulièrement les Régions, jouent un rôle important dans le développement économique du

pays. Leur intervention peut prendre différentes formes : aides économiques directes (crédits

prenant la forme « d’avances à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du

marché, sans garantie, avec une possibilité de différé de remboursement »1266), indirectes

(soutien à « des programmes d’actions opérationnels présentés par des acteurs territoriaux

[réseaux consulaires, agences de développement…] s’inscrivant dans la stratégie économique

de la Région »1267), fonds de garantie ou encore véhicules d’investissement1268.

Ainsi, la distribution de crédit est l’un des modes d’intervention des collectivités

publiques en faveur des entreprises. Peut-on considérer que, ce faisant, les régions assument

une mission de service public ?

379. Activité exercée en régie par la région. Lorsque l’activité est exercée par une

personne publique, elle bénéfice d’une présomption de service public dès lors qu’elle ne

remplit pas une mission de police administrative. La distribution de crédit, encore appelée

« aide économique directe », est une activité exercée en régie par la région. Dès lors, cette

activité bénéficie de la présomption de service public. Cette présomption est d’autant plus

justifiée au regard de la mission d’intérêt général que la région remplit en proposant des

financements aux entreprises.

380. Le financement des entreprises, une mission d’intérêt général. Nous avons

montré dans les paragraphes précédents que le développement économique d’un territoire

1266 E. HELLOT, « Les financements publics », RDBF 2013/3, étude 31, n° 2. 1267 Ibid., n° 3. 1268 Sur ces différents modes de financement, v. E. HELLOT, « Les financements publics », art. préc.

Page 327: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

325

constitue une mission d’intérêt général1269. Or les différentes interventions des régions au

profit des entreprises, et plus spécialement, des entreprises en création, ont pour objectif de

favoriser le dynamisme et le développement économique du territoire. Ces interventions

remplissent donc une mission d’intérêt général. Il est dès lors permis de considérer que la

distribution de crédit par les régions constitue une activité de service public.

381. La nature du service public de distribution de crédit. Nous savons qu’il existe

deux types de services publics, le service public administratif et le service public industriel et

commercial. La détermination de la nature du service public de distribution de crédit, tel qu’il

est assuré par les régions, n’est pas une tâche évidente.

Dans l’arrêt « Caisse de crédit municipal de Toulon c/ Creus » en date du 15 janvier

1979, le Tribunal des Conflits a jugé que « les Caisses de crédit municipal sont “des

établissements publics d’aide sociale” chargés d’un service public qui, ayant pour objet de

combattre l’usure par l’octroi désintéressé de prêts sur gage et par d’autres procédés

charitables, est exclusif de tout caractère industriel ou commercial »1270. C’est ici le critère tiré

des modalités de fonctionnement du service qui a incité le Tribunal des Conflit à statuer en

faveur de son caractère administratif. En effet, les Caisses de crédit municipal ne recherchent

aucun profit. Dès lors, la solution retenue par cet arrêt est pleinement cohérente. Il reste à

savoir si elle peut être étendue au cas des aides économiques directes consenties par les

régions aux entreprises. Une réponse nuancée semble devoir être formulée. Ces crédits

correspondent à « des avances à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du

marché »1271. Si les avances à taux nul peuvent être rapprochées des aides apportées par les

Caisses de crédit municipal en ce qu’elles sont désintéressées, il n’en va plus de même des

avances faites à des conditions plus favorables que celles du marché. En effet, dans cette

dernière hypothèse, la perception d’un intérêt rapproche l’activité des régions de celle d’une

véritable entreprise. Le service public n’est plus alors administratif mais industriel et

commercial. Finalement, la nature juridique du service public de distribution de crédit par les

régions dépendra de la réalisation ou non de profits. De toute évidence, il sera administratif

lorsque la région décide de consentir des crédits à taux nul, industriel et commercial

lorsqu’elle exige la perception d’un intérêt.

1269 V. supra n° 363. 1270 TC, 15 janv. 1979, n° 02090. 1271 V. supra n° 378.

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326

b) La Banque Publique d’Investissement

382. De OSEO à la BPIfrance. La Banque Publique d’Investissement a été créée par la

loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012. Elle a succédé à OSEO, établissement public pour sa

part institué par une ordonnance en date du 29 juin 20051272.

En vertu de l’article 1er de cette ordonnance, OSEO avait « pour objet de : 1° Promouvoir

et soutenir l’innovation, notamment technologique, ainsi que de contribuer au transfert des

technologies ; 2° Favoriser le développement et le financement des petites et moyennes

entreprises ».

La SA OSEO était détenue à 26,9% par la Cour des comptes et à 10,3% par des banques

et sociétés d’assurance et avait pour mission de « 1° Promouvoir la croissance par

l’innovation et le transfert de technologies (…) ; 2° Contribuer au développement

économique en prenant en charge une partie du risque résultant des crédits accordés aux

petites et moyennes entreprises ; 3° Contribuer aux besoins spécifiques de financement des

investissements et des créances d’exploitation des petites et moyennes entreprises »1273.

Les résultats obtenus par OSEO ont été encourageants. En effet, en 2012, OSEO a

financé 84 000 entreprises et leur a permis d’obtenir 35 milliards d’euros de financement, soit

13% de plus qu’en 20111274. Dans la continuité de cette institution, le législateur a institué la

Banque publique d’investissement (BPIfrance) et la société anonyme BPI-Groupe, dans

laquelle on retrouve la SA OSEO1275.

383. Présentation de la BPIfrance. La BPIfrance réunit OSEO, la Caisse des dépôts et

le fonds stratégique d’investissement. Ce regroupement traduit la volonté du législateur de

rationnaliser l’action de l’Etat et des collectivités territoriales en concentrant les initiatives

autour d’une seule institution. Il s’agit de perfectionner l’intervention publique auprès des

PME, qui sont à la fois les premières consommatrices de crédit et les premières victimes du

« rationnement de crédit ».

1272 Ord. n° 2005-722, 29 juin 2005, JO 30 juin 2005. OSEO a opéré le rapprochement de l’Agence nationale

de valorisation de la recherche et la Banque du développement des PME (v. JCPE 21 juill. 2005, act. 213). 1273 La composition du Conseil d’administration de la SA BPI-Groupe n’est pas la même que celle de la SA

OSEO. Deux représentants des régions viennent s’ajouter à la liste des membres de ce Conseil. 1274 http://www.bpifrance.fr/bpifrance/notre_mission_nos_metiers/notre_organisation/historique/oseo. 1275 L. n° 2012-1559 du 31 déc. 2012, JO 1er janvier 2013. Pour une analyse du projet de loi, v. D. LEGEAIS,

RTD com. 2013, p. 825 ; X. DELPECH, D. 2012, actualités ; R. NOGUELLOU, Droit Administratif déc. 2012, alerte 63. Pour une présentation de la loi, v. Cahiers de droit de l’entreprise, Janv. 2013, act. 19, focus par O. de M.

Page 329: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

327

La BPIfrance est « un groupe public au service du financement et du développement des

entreprises agissant en appui des politiques publiques conduites par l’Etat et les régions »1276.

Organisée sous forme de guichets uniques dans chaque région, elle a pour mission d’octroyer

des crédits, d’accorder des garanties et d’investir dans les TPE, les PME et les entreprises de

taille intermédiaire, en particulier celles du secteur industriel. La BPIfrance traduit ainsi le

souci de l’Etat d’intervenir dans le financement de l’économie réelle par le biais d’une

nouvelle politique du crédit1277. Peut-on considérer qu’elle exerce une activité de service

public1278?

384. La BPIfrance, un établissement public en charge d’un service public. Tout

d’abord, la BPIfrance est un établissement public dont les ressources proviennent pour moitié

de l’Etat et pour moitié de la Caisse des dépôts et consignations. Or nous avons montré que

les établissements publics sont créés en vue de remplir une mission de service public. Ainsi,

comme tout établissement public, la BPIfrance bénéficie de la présomption de service public.

Cette présomption est, comme pour les régions, confortée par la reconnaissance, à la charge

de la BPIfrance, d’une mission d’intérêt général. En effet, l’action de la BPIfrance ne répond

pas à une logique purement financière mais a pour objectif d’encourager l’activité

économique du pays à travers le développement et le maintien des PME et TPE1279. C’est ainsi

que, « contrairement aux banques classiques intéressées par un retour rapide sur

investissement, la BPIfrance accompagne sur le long terme les entreprises qu’elle finance.

Pouvant accorder des prêts pour une durée au moins égale à cinq ans, elle se place dans une

démarche davantage structurelle que conjoncturelle. Ensuite, elle est incitée à limiter le taux

de remboursement des prêts, bridant ainsi ses objectifs de rentabilité. Enfin, elle peut accorder

des financements en ne se fondant plus exclusivement sur des critères économiques ou

financiers, mais en intégrant des considérations d’intérêt général »1280. Il faut tout de même

noter que la BPIfrance n’assure pas uniquement un service public du crédit mais plus

1276 Art. 1er de la L. n° 2012-1559 du 31 déc. 2012. 1277 M. DELPECH la qualifie de « nouveau bras financier de l’Etat » (X. DELPECH, « Banque publique

d’investissement : présentation du projet de loi », D. actu 19 oct. 2012). 1278 D. LEGEAIS, « Vers un retour du service public du crédit ? », RDBF sept. 2012, repère 5. 1279 On peut lire sur le site internet de la BPIfrance que cette banque a pour objectif de « jouer un rôle

déterminant dans la redynamisation des territoires et [d’] investir dans le développement des secteurs d’avenir comme les écotechnologies, les biotechnologies et le numérique, mais aussi dans l’ensemble des filières industrielles et de service » (http://www.bpifrance.fr/bpifrance/ notre_mission_nos_metiers/notre_mission).

1280 L. CHANG-TUNG, « La mise en place de la Banque publique d’investissement », AJDA 2013, p. 2011. L’auteur se dit toutefois sceptique quant à la qualification de service public, estimant que le législateur n’a pas clairement manifesté sa volonté de confier une telle mission à la BPI.

Page 330: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

328

largement un service public d’aide à la création et au développement des entreprises, ses

modalités d’intervention ne se limitant pas à la distribution du crédit.

De plus, étant un établissement public industriel et commercial, la BPIfrance devrait

logiquement être en charge d’un service public industriel et commercial. Cette qualification

est confortée par les grandes similitudes qu’elle présente avec une entreprise privée, tant en ce

qui concerne son objet et ses modalités de fonctionnement.

S’agissant de son objet, la BPIfrance se définit comme une véritable banque. Sa mission

est d’offrir une prestation de service, qu’il s’agisse de la distribution de crédit (prêt pour

l’innovation, prêt de développement export BPIfrance, prêt réseau entreprendre croissance),

de la garantie des crédits de trésorerie ou encore du préfinancement du CICE.

Les modalités de fonctionnement de la BPIfrance se rapprochent également de celles

d’une entreprise privée. En effet, contrairement aux Caisses de crédit municipal ou aux

régions qui consentent des avances à taux nul, la BPIfrance propose différents crédits à taux

fixe ou variable si bien que son intervention n’est exclusive de toute recherche de profit.

En conclusion, il nous semble possible de qualifier l’activité de la BPIfrance d’activité de

service public industriel et commercial.

2) Les institutions de droit privé

385. Plan. Parmi les institutions de droit privé ayant une activité de distribution de crédit,

deux doivent plus particulièrement être examinées lorsque l’on envisage l’existence d’un

service public du crédit. Il s’agit des établissements de crédit appartenant au secteur de

l’économie sociale et solidaire (a) et les associations de microcrédit dont l’ADIE est une des

figures emblématiques (b).

a) Les établissements de crédit appartenant au secteur de l’économie sociale et solidaire

386. Présentation. Les banques populaires, ainsi que les caisses d’épargne et de

prévoyance, sont des banques mutualistes et coopératives. A ce titre, elles relèvent de la

catégorie des établissements de crédit appartenant au secteur de l’économie sociale et

solidaire1281. Si, comme le remarque un auteur, « l’élargissement des compétences qui ont été

progressivement octroyées à ces divers organismes ainsi que la perte et le partage de certains

1281 V. sur ce point, J.-M. MOULIN, « Banque alternative, finance solidaire, économie sociale et solidaire »,

RDBF 2013/ 3, étude 30.

Page 331: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

329

de leurs monopoles historiques tend parfois à les rapprocher des sociétés bancaires et

financières traditionnelles »1282, il n’en reste pas moins que, contrairement à ces dernières,

elles ont vocation à satisfaire l’intérêt général. L’article L. 512-85 du CMF dispose que « le

réseau des caisses d’épargne participe à la mise en œuvre des principes de solidarité et de lutte

contre les exclusions », et plus précisément à « la lutte contre l’exclusion bancaire et

financière de tous les acteurs de la vie économique, sociale et environnementale ». Cet article

ajoute que les caisses d’épargne doivent participer « à l’amélioration du développement

économique local et régional ».

A côté des banques coopératives et mutualistes, il existe des établissements de crédit

spécialisés, anciennes institutions financières spécialisées1283. Ces derniers relèvent également

du secteur de l’économie sociale et solidaire.

Or les banques coopératives et mutualistes comme les établissements de crédit spécialisés

ne sont agréés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution que si leur fonctionnement

permet d’assurer la bonne exécution de la mission qu’ils entendent mener au sein du secteur

de l’économie sociale et solidaire. L’article L. 511-10 du CMF prévoit en effet que « pour

fixer les conditions de son agrément, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut

prendre en compte la spécificité de certains établissements de crédit appartenant au secteur de

l'économie sociale et solidaire. Elle apprécie notamment l'intérêt de leur action au regard des

missions d'intérêt général relevant de la lutte contre les exclusions ou de la reconnaissance

effective d'un droit au crédit ».

387. L’absence d’activité de service public. L’existence d’un lien entre l’intérêt général

et l’activité de ces établissements permet-il de la qualifier de service public ? Nous avons vu

que l’activité exercée par une personne privée doit être qualifiée de service public lorsqu’il

s’agit d’une activité d’intérêt général répondant à des conditions de création, de

fonctionnement et d’organisation précises et soumise au respect d’obligations, notamment la

réalisation d’objectifs fixés par la personne publique lui ayant confié l’activité.

Les établissements de crédit appartenant au secteur de l’économie sociale et solidaire

remplissent assurément certaines de ces conditions. Leur activité est de toute évidence une

activité d’intérêt général. En outre, elle ne peut être valablement exercée qu’après la

délivrance d’un agrément. En revanche, les conditions d’organisation ne laissent apparaître

1282 J.-M. MOULIN, art. préc., n° 2. 1283 Sur les institutions financières spécialisées, v. not. H. AUBRY, « Banques et établissements de crédit »,

Repertoire de droit commercial, Dalloz, § 7.

Page 332: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

330

aucune intervention de la puissance publique. L’activité de ces établissements est certes

soumise au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, mais il s’agit d’une

autorité indépendante adossée à la Banque de France. Dès lors, à supposer que l’Etat exerce

un contrôle, celui-ci est indirect. En outre il n’est pas différent de celui exercé à l’égard des

établissements de crédit classiques. Enfin, il faut préciser que si des obligations sont imposées

à ces différents organismes, elles sont essentiellement procédurales et ne concernent en aucun

cas la distribution du crédit en tant que telle. En ce sens, l’Etat ne leur fixe aucun objectif

précis en matière de distribution de crédit. Aussi, on ne saurait qualifier leur activité d’activité

de service public. En revanche, il est permis de considérer que ces établissements sont

associés au service public du crédit assuré par la BPIfrance et les régions.

388. L’association au service public. L’association au service public désigne « la

situation dans laquelle une personne privée, juridiquement autonome et placée en dehors de la

hiérarchie administrative, accepte, sur la base d’un contrat ou du fait de l’intervention

contraignante des Pouvoirs publics, d’orienter son action en fonction des exigences de

l’intérêt général »1284. L’association au service public suppose que la personne privée joue un

rôle actif dans la réalisation de l’intérêt général. Contrairement au gestionnaire d’un service

public, la personne privée associée n’est pas tenue de respecter les règles de fonctionnement

du service public et notamment les principes de continuité, d’égalité et de mutabilité.

L’association justifie néanmoins que la personne publique lui impose des contraintes. Ces

dernières portent essentiellement sur l’activité et visent à assurer le respect de l’intérêt

général. A titre d’exemple, les contraintes imposées aux établissements d’enseignement privé

sous contrat avec l’Etat « sont essentiellement d’ordre pédagogique – l’établissement privé

devant se conformer aux règles et programmes de l’enseignement public »1285.

Les établissements de crédit appartenant au secteur de l’économie sociale et solidaire

pourraient selon nous recevoir la qualification d’associés au service public du crédit. Cette

possibilité ressort clairement de l’article L. 511-51 du CMF créé par l’article 4 de

l’ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 et qui est entré en vigueur le 1er janvier 2014. Cet

article, qui a remplacé l’article L. 516-1 du CMF abrogé par cette ordonnance, prévoit que

« l'Etat peut confier une mission permanente d'intérêt public à un établissement de crédit ou

une société de financement qui peut effectuer des opérations de banque afférentes à cette

mission dans les conditions définies par un décret en Conseil d'Etat ». On voit bien, à travers

1284 J. CHEVALLIER, « L’association au service public », JCP 1974. I. 2667, n° 3. 1285 Ibid., n° 26.

Page 333: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

331

cet article, qu’un établissement de crédit pourra, s’il le souhaite, s’engager à orienter son

action en fonction des exigences de l’intérêt général.

b) Les associations de microcrédit, l’exemple de l’ADIE

389. Présentation. L’ADIE (association pour le droit à l’initiative économique) est une

association déclarée d’utilité publique. Elle a été fondée le 29 décembre 1988. En vertu de

l’article 1er de ses statuts, elle a pour mission « de promouvoir directement ou indirectement le

droit à l’initiative économique des catégories de population les plus défavorisées porteurs de

projets de création ou de développement d’activité économique et d’accès ou de retour à

l’emploi ». A cette fin, l’ADIE peut consentir des prêts dans les conditions prévues par

l’article L. 511-51du CMF.

Bien que son action soit circonstanciée, c’est-à-dire dirigée vers un public précis – les

populations défavorisées –, elle remplit néanmoins une mission d’intérêt général. En effet,

elle a pour objectif d’aider les personnes exclues du système bancaire classique à participer au

développement économique du territoire.

390. Modalités de fonctionnement. L’article 15 des statuts de l’ADIE prévoit qu’une

comptabilité est tenue chaque année qui doit établir le compte de résultats, le bilan et les

annexes de l’association et de chacun de ses établissements. En outre, l’article précise que ces

comptes sont vérifiés par un commissaire au compte. Enfin, l’ADIE doit « justifier chaque

année auprès du préfet du département, du ministre de l’intérieur, du ministre de l’économie

et des finances et du ministre du travail de l’emploi des fonds provenant de toutes les

subventions accordées au cours de l’exercice écoulé ».

L’article 21 des statuts dispose par ailleurs que « le ministre de l’intérieur, le ministre de

l’économie et des finances et le ministre du travail ont le droit de faire visiter par leurs

délégués les établissements fondés par l’association et de se faire rendre compte de leur

fonctionnement ».

Enfin l’article 22 prévoit que le règlement intérieur de l’association ne peut entrer en

vigueur qu’après avoir été approuvé par le ministre de l’intérieur.

L’activité de l’ADIE est donc étroitement surveillée par l’Etat. Pour autant on ne saurait

en conclure que cette association soit gestionnaire d’un service public. En effet, comme les

établissements de crédit relevant de l’économie sociale et solidaire, l’ADIE n’est pas

Page 334: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

332

contrainte de distribuer des crédits et jouit dans ce domaine d’une grande liberté. Finalement,

nous pouvons là encore considérer que l’ADIE est associée au service public du crédit.

391. Conclusion de la section. La distribution de crédit peut être une activité de service

public. Il suffit pour cela qu’elle ait pour finalité première la réalisation de l’intérêt général,

c’est-à-dire le développement économique du territoire à travers la création d’entreprises ou

leur soutien. Aujourd’hui, les régions et la Banque publique d’investissement semblent

remplir cette mission tandis que les établissements de crédit appartenant au secteur de

l’économie sociale et solidaire et les associations de microcrédit lui sont associés. Il nous

reste à réfléchir à l’intérêt que peut représenter l’existence d’un service public du crédit pour

la réalisation du droit au crédit.

SECTION II – LE SERVICE PUBLIC COMME OUTIL DE

RÉALISATION DU DROIT AU CRÉDIT

392. Plan. L’objectif de la présente section est de déterminer dans quelle mesure un

service public peut constituer un outil au profit de l’effectivité du droit au crédit. Nous

étudierons dans un premier temps les raisons du recours à la notion de service public lorsqu’il

s’agit de garantir des droits-créance (§ I) avant d’envisager, dans un second temps, sa

pertinence (§ II).

§-I. LES RAISONS DU RECOURS AU SERVICE PUBLIC

393. Service public et Etat-Providence. Dans l’imaginaire social, le service public est

indissociable de l’intervention des pouvoirs publics au profit du bien-être de la collectivité1286.

M. CHEVALLIER souligne que l’émergence du concept de service public est concomitante

avec le passage d’un Etat gendarme, dont le rôle est limité à la protection des libertés

individuelles et au maintien de l’ordre, à un Etat plus interventionniste, en matière sociale

notamment1287. Ainsi, la place grandissante qu’occupe le service public traduit un changement

1286 V. not. J.-M. PONTIER, « Sur la conception française du service public », D. 1996, p. 9 : « Le service

public est peut-être en lien avec ce que l’on a qualifié de “morale républicaine”, faite d’un enseignement à base de devoir et d’une présentation idéalisée de la Nation et la République ».

1287 J. CHEVALIER, Le service public, PUF, Que sais-je?, 2012, p. 12. Dans le même sens, v. G. J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, Montchrestien 3e éd., 2011, n° 132. Sur la doctrine

Page 335: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

333

de nature du droit public et du rôle de l’Etat. Il s’agit de lutter contre l’arbitraire de la

puissance publique et de soumettre l’Etat « à une contrainte de but »1288, à savoir assurer la

satisfaction de l’intérêt général.

L’expansion considérable des services publics, notamment dans le domaine économique,

est liée à l’apparition de l’Etat providence. Elle « serait aussi le sous-produit d’une dynamique

sociale résultant de l’aspiration des individus et des groupes à toujours plus de sécurité et de

protection ». En ce sens, le service public favoriserait « l’intégration, donc la stabilité, d’une

société devenue plus juste, plus humaine, plus égalitaire »1289. La doctrine établit pour cette

raison un lien entre le service public et les droits économiques et sociaux : la satisfaction de

ces droits serait assurée par le service public, cet « agent de redistribution »1290.

394. Service public et lutte contre les exclusions. Si l’Etat s’est progressivement

détaché, sous la contrainte économique, de la figure de l’Etat-Providence, il n’en reste pas

moins que le service public demeure l’instrument privilégié de l’intervention étatique en

matière économique et sociale. Plus précisément, il joue un rôle essentiel dans la lutte contre

les exclusions si bien que le service public n’est plus seulement le service du public, il est

aussi et surtout le service d’un public1291. Cette mutation a été rendue possible par une

évolution de son régime et notamment du principe d’égalité devant le service public1292. Ce

dernier, qui est une traduction du principe d’égalité en droits et devant la loi, était initialement

conçu comme contenant l’obligation de traiter de manière identique tous les usagers du

service1293. Or, aujourd’hui, il justifie qu’un traitement différencié des usagers soit mis en

place soit lorsque « des différences appréciables de situation »1294 existent, soit lorsque « des

nécessités d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service

solidariste, v. not. L. BOURGEOIS, Solidarité, éd. Le bord de l’eau ; C. BOUGLÉ, Solidarisme et libéralisme, L’Harmattan ; S. AUDIER, La pensée solidariste. Aux sources du modèle républicain, PUF, coll. Le lien social.

1288 J. CHEVALIER, Le service public, op. cit., p. 23. 1289 Ibid., p. 68. 1290 Ibid., p. 97. Dans le même sens, v. G. J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, op. cit., n°

255 : « La notion de service public se trouve altérée dès que le rapport entre le champ social et le champ économique est défait. Sa caractérisation est indéniablement fondée sur la constance des relations entre ces deux champs. Les transformations industrielles et économiques du début du XXe siècle avaient permis d’entrevoir l’interdépendance étroite existant entre la solidarité des intérêts économiques et les besoins collectifs ».

1291 V. notamment V. DONIER, « Les droits de l’usager et ceux du citoyen », RFDA 2008, p. 13. 1292 Les principes gouvernant le service public sont historiquement au nombre de trois. Il s’agit du principe

de continuité, de mutabilité et d’égalité. Sont récemment venus s’y ajouter ceux de neutralité et de qualité. 1293 La doctrine considère que l’arrêt « Chomel a reconnu implicitement ce principe (CE, 29 déc. 1911, Rec.

p. 1265 ; RDP 1912, p. 36). Ce principe a été expressément reconnu par les arrêts « Chambre syndicale des propriétaires marseillais » (CE, 10 fév. 1928, Rec. p. 222), « Tondut » (CE, 6 mai 1931, Rec. p. 477 ; S. 1931.3.81, note Laroque) et « Société générale des Concerts du conservatoires » (Rec. p. 151 ; Dr. soc. 1951, p. 168, concl. LETOURNEUR, note RIVERO, GAJA n° 64).

1294 CE, 13 oct. 1999, « Compagnie Air France », n° 193195.

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334

l’imposent »1295. En ce sens, le principe d’égalité peut justifier des tarifs différenciés en

fonction des ressources ou du niveau de vie des usagers1296. En résumé, le principe d’égalité

devant le service public sert aujourd’hui à promouvoir l’égalité des chances1297.

Comme le relève un auteur, « cet objectif d’accessibilité tarifaire et géographique a été

mis en œuvre, dans certains secteurs, sous l’impulsion de la notion de service universel

développée par le droit communautaire : en effet, le service universel doit être accessible à

l’ensemble des utilisateurs »1298. Si, en dehors de l’hypothèse du service universel,

l’accessibilité reste un objectif non contraignant et souvent ignoré des services publics

industriels et commerciaux1299, il n’en reste pas moins que l’émergence du service universel a

renouvelé les réflexions sur le rôle du service public et la nécessité de promouvoir sa qualité

de « vecteur d’intégration sociale »1300. Cette dernière qualité s’exprime d’ailleurs pleinement

lorsque le service public a pour mission d’assurer la réalisation des droits-créances.

§-II. LA PERTINENCE DU RECOURS AU SERVICE PUBLIC

395. Plan. L’existence d’un service public fait naître des droits au profit des administrés.

Parmi ceux-ci, le droit au fonctionnement du service est d’une importance décisive. Il

constitue en effet une garantie pour l’effectivité des droits-créances et donc pour le droit au

crédit. Nous étudierons en premier lieu la nature et le contenu du droit au fonctionnement du

service public (A). Nous verrons en second lieu que sa violation par le gestionnaire du service

entraîne sa responsabilité, ce qui assurerait alors la justiciabilité du droit au crédit (B).

1295 CE, 10 mai 1974, « Desnoyers et Chorgues ». Comme le remarquent MM. GUGLIELMI et KOUBI

(Droit du service public, Montchrestien 3e éd., n° 1113), le droit européen ne se contente pas d’autoriser ce traitement différencié mais l’impose lorsqu’une différence de situation est établie (CJCE, 25 janv. 1979, aff. C-98/78, « A. Racke c/ Hauptzollamt Mainz », Rec. 69).

1296 CE sect., 29 déc. 1997, « Commune de Gennevilliers et de Nanterre » (2 espèces), RDP 1998, p. 899, note BORGETTO ; AJDA 1998, p. 102, chron. ; LPA, 1998, n°59, p. 12, note ALLOITEAU ; Rev. adm., 1998, p. 406, note PONTIER.

1297 Cette position n’est toutefois pas partagée par l’ensemble de la doctrine. Ainsi pour M. CHAPUS, le principe d’égalité ne doit pas aboutir à octroyer des privilèges aux personnes socialement défavorisées notamment par l’adoption de politiques de discrimination positive (R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, LGDJ, Précis Domat, 15e éd., n° 786-1).

1298 V. S. DONIER, « Les droits de l’usager et ceux du citoyen », RFDA 2008, p. 13. 1299 V. sur ce point L. JANICOT, « Le principe d’égalité devant le service public », RFDA 2013, p. 722, n° 2. 1300 V. S. DONIER, art. préc., p. 13.

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335

A – NATURE ET CONTENU DU DROIT AU FONCTIONNEMENT DU SERVICE

PUBLIC

1) La nature du droit au fonctionnement du service public

396. Un droit public subjectif. En droit public, « un administré est titulaire d’un droit

subjectif quand il remplit les conditions lui permettant d’être considéré comme bénéficiaire du

pouvoir d’exiger – reconnu par une norme générale ou individuelle, ce sans être obligé

d’utiliser ce pouvoir dans un but socialement légitime – un certain comportement de la part

des personnes publiques – ce qui constitue l’objet de leur obligation – afin de se procurer un

certain avantage moral ou matériel que l’ordre juridique a, expressément ou implicitement,

considéré comme licite »1301. Les droits publics subjectifs sont nombreux, à commencer par

l’ensemble des droits économiques et sociaux ou droits-créances. Ces derniers constituent en

effet de véritables droits publics subjectifs en ce qu’ils créent, à la charge des personnes

publiques, des obligations positives, c’est-à-dire des obligations de faire ou de donner. A côté

de ces droits, dont les individus sont titulaires en raison de leur qualité d’êtres humains, il

existe une autre catégorie de droits publics subjectifs, les droits publics subjectifs des

administrés. On y trouve le droit au fonctionnement du service public dont l’usager est

titulaire et qui a été progressivement façonné par les lois n° 80-539, n° 95-127 et n° 2000-597

des 16 juillet 1980, 8 février 1995 et 30 juin 2000 et la jurisprudence ayant eu à les appliquer.

397. Des débuts chaotiques. Si la doctrine s’accorde aujourd’hui à reconnaître

l’existence des droits publics subjectifs, leur émergence à la fin du XIXe siècle a été

chaotique. A l’exception de BONNARD1302 et de BERTHELEMY1303, les auteurs s’y sont

longtemps montrés hostiles. Il s’agissait autant des libéraux en raison de leur « hantise (…) de

tout collectivisme »1304 que des auteurs soucieux de préserver la suprématie de l’Etat.

Juridiquement, plusieurs arguments étaient avancés pour nier l’existence des droits

publics subjectifs et de leur corollaire, les obligations positives de l’Etat.

Tout d’abord, « la doctrine du début du XXe siècle estimait que la législation qui

organisait les aides sociales ne pouvait être la source de droits subjectifs des administrés car,

1301 N. FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrés, thèse, préf. F. MODERNE, Dalloz, 2003, p. 405 .

1302 R. BONNARD, « Les droits publics subjectifs des administrés », RDP 1932, p. 695. 1303 J. BERTHELEMY, Essai d’une théorie des droits subjectifs des administrés dans le droit administratif

français, thèse, éd. Larose, 1899, p. 21 et s. 1304 N. FOULQUIER, thèse préc., n° 569.

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336

selon son interprétation “technique”, cette législation ne visait que l’intérêt général »1305. En

d’autres termes, « dès lors que les droits sociaux ne pouvaient exister que par et dans la

société, ils ne pouvaient atteindre la dignité de droits individuels ou subjectifs »1306. Cette

objection remettait plus précisément en cause l’existence de droits publics subjectifs que les

administrés auraient pu faire valoir à l’encontre des services publics chargés de les mettre en

œuvre : « les services publics étant l’expression de l’interdépendance sociale, ils ne pouvaient

fonctionner que dans l’intérêt de la collectivité », à l’exclusion de toute prétention

individuelle1307.

En outre, et on retrouve là l’influence de DUGUIT dont l’opposition à l’idée de droit

subjectif est bien connue, l’existence des droits publics subjectifs était impossible car les

individus étaient placés dans une situation objective car légale et règlementaire1308.

Enfin, comme toute mission d’intérêt général, la protection des droits économiques et

sociaux relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration, face à laquelle

aucun droit individuel ne pouvait être invoqué1309.

398. L’apaisement. L’hostilité de la doctrine publiciste à l’égard de la juridicité et de la

justiciabilité des droits publics subjectifs a longtemps été partagée par le Conseil d’Etat.

Ainsi, jusqu’à une époque récente, la Haute Juridiction refusait, à l’exception du droit de

grève1310, de reconnaître leur valeur positive et leur effet direct dans les rapports des personnes

publiques et des administrés. Il a fallu attendre la décision du Conseil constitutionnel du 16

juillet 1971 pour que les droits publics subjectifs soient enfin analysés comme étant la source

d’obligations positives à la charge de l’Etat1311. Depuis cette décision, qui a reconnu la valeur

constitutionnelle du Préambule de la Constitution de 1946, plusieurs droits publics subjectifs

ont été érigés au rang de principes particulièrement nécessaires à notre temps. Parmi eux, on

1305 N. FOULQUIER, thèse préc., n° 569. V. égal. M.-P. DESWARTE, « Droits sociaux et Etat de droit »,

RDP 1995, p. 951. 1306 N. FOULQUIER, thèse préc., n° 569. V. égal. M.-P. DESWARTE, art. préc. 1307 N. FOULQUIER, thèse préc., n° 571. 1308 La doctrine appliquait également cette objection aux usagers des SPIC, alors même que ces derniers

étaient liés par contrat au gestionnaire du service public (v. par ex. P. LAROQUE, Les usagers des SPIC, thèse, Sirey, 1933, p. 86 et s.).

1309 V. su ce point N. FOULQUIER, thèse préc., n° 570. 1310 CE, Ass., « Dehaene », Rec. p. 426, RDP 1950, p. 691, concl. GAZIER, note M. WALINE, où le Conseil

d’Etat a reconnu la valeur positive et l’effet direct de l’article 5 du Préambule de la Constitution de 1946. 1311 Cons. const., 16 juillet 1971, décision n° 71-44 DC, GDCC n° 19 ; D. 1972, 685 ; AJDA 1971. 533, note

J. RIVERO.

Page 339: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

337

peut citer le droit à la sécurité matérielle1312, le droit d’obtenir un emploi1313 ou encore le droit

à la protection de la santé1314.

Suivant les sillons creusés par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat reconnaît

aujourd’hui la juridicité des droits publics subjectifs. Il admet en outre que les administrés

peuvent les revendiquer en justice1315. Comme l’observe M. DEVOLVÉ, cette évolution tient

à « un renversement de la perspective du droit administratif lui-même, non plus droit de

domination de l’administration sur les administrés, mais désormais droit de subordination de

l’administration aux droits de ses destinataires », au premier rang desquels figure le droit

public subjectif au fonctionnement du service public1316.

2) Le contenu du droit au fonctionnement du service public

399. Plan. Il se décompose en un droit à l’accès au service (a) et un droit à la délivrance

de la prestation (b).

a) Le droit d’accès au service public

400. L’arrêt « Laruelle ». Le Conseil d’Etat a jugé, dans son arrêt « Laruelle » du 8 avril

2009, que « le droit à l’éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de

situation, et, d’autre part, que l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés

particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les

priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation »1317. La Haute juridiction

a ainsi reconnu au profit de l’usager un droit d’accéder au service public « lorsqu’il remplit

1312 CC n° 80-117, DC du 22 juill. 1980. 1313 CC n° 86-207, DC des 25 et 26 juin 1986, p. 61, GDCC, comm. n° 39. 1314 CC n° 74-54 DC du 15 janv. 1975, « IVG », GDCC, comm. n° 23 ; CC n° 90-283 DC du 8 janv. 1991,

AJDA 1991, p. 382, obs. P. WACHSMANN ; CC n° 99-416 DC du 23 juill. 1999, « Loi portant création d’une couverture maladie universelle », AJDA 1999, p. 700, chr. J.-E. SCHOETTL.

1315 V. par ex. CE 26 juin 1989, « Fédération des syndicats généraux de l’Education nationale et de la recherche », Rec. p. 152 ; CE 9 juill. 1986, « Syndicat des commissaires de police et de hauts fonctionnaires », tables, p. 586.

1316 P. DELVOLVÉ, « Propos introductifs, Droits subjectifs des administrés et subjectivisation du droit administratif », Les droits publics subjectifs des administrés, colloque de l'AFDA, Bordeaux, 2010, Litec, coll. Colloques et débats, 2011, p. 6. Dans le même sens, v. J.-F. LACHAUME, « Quels droits publics subjectifs pour les usagers des services publics ? », Les droits publics subjectifs des administrés, op. cit., spéc. p. 125 et 129 : « l’usager du service public est devenu, à bien des égards, le créancier de la puissance publique et la notion de DPS [droit public subjectif] a ainsi largement favorisé dans la conscience collective et chez les administrateurs le développement de l’idée que les droits de l’usager ne doivent pas être opposés à l’intérêt général, ils constituent un élément de celui-ci ».

1317 CE, 8 avr. 2009, Laruelle, D. 2009, 1508, note GAUDEMONT, concl. RAIMBAULT.

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338

toutes les conditions énoncés par les textes »1318. Cette solution s’applique que l’on soit en

présence d’un service public obligatoire ou facultatif1319.

401. Accès conditionné et principe d’égalité. Les conditions d’accès au service sont

licites sous réserve de respecter le principe d’égalité devant le service public1320. Ce principe,

qui constitue avec ceux de continuité et de mutabilité les règles de fonctionnement de tout

service public, se décline en trois sous-principes : la neutralité du service (a-1), l’égalité

d’accès au service (a-2) et l’égalité entre les usagers du service (a-3)1321.

a-1) Neutralité du service

La neutralité du service public est « l’expression d’un principe philosophique en vertu

duquel la chose publique est l’affaire de tous »1322. Elle reflète donc la vocation universelle

du service public en interdisant aux agents du service toute extériorisation de leurs

convictions personnelles1323 et en leur imposant « un traitement non-discriminatoire des

usagers à raison de leurs convictions, de leur origine, ou même de leur nationalité »1324.

Cette exigence de neutralité n’est cependant pas spécifique au service public. Elle est une

traduction du principe d’interdiction des discriminations tel qu’énoncé par l’article 225-1 du

Code pénal. C’est à travers les deux autres déclinaisons du principe d’égalité que l’on mesure

la spécificité du droit d’accès au service public.

a-2) Egalité d’accès

402. Signification du principe d’égal accès. L’égal accès au service public postule tout

d’abord l’absence de toutes discriminations, non plus raciales ou religieuses, mais juridiques.

1318 J.-F. LACHAUME, « Quels droits publics subjectifs pour les usagers des services publics ? », Les droits

publics subjectifs des administrés, op. cit., p. 122. Dans le même sens, V. DONIER, « Le droit d’accès aux services publics dans la jurisprudence : une consécration en demi-teinte », RDSS 2010, p. 800 (l’auteur évoque de la reconnaissance, par l’arrêt Laruelle, d’un « droit à la prestation »).

1319 Dans le même sens, v. J.-F. LACHAUME, « Quels droits publics subjectifs pour les usagers des services publics ? », op. et loc. cit.

1320 Principe dégagé par CE « Société des concerts du conservatoire », 9 mars 1951, préc. 1321 Pour une étude de ces principes à la lumière de l’évolution du concept de service public, tant en raison

des contraintes économiques nationales que communautaires, v. D. TRUCHET, « Unité et diversité des “grands principes” du service public », AJDA 1997, p. 38 et s.

1322 G. CALVES, « Egalité (domaines d’application) », Dictionnaire des droits fondamentaux, dir. D. CHAGNOLLAUD et G. DRAGO, Dalloz, 2010, p. 365.

1323 V. not. CE, avis, 3 mai 2000, « Melle Martaux », AJDA 2000, p. 673 (pour les convictions religieuses). 1324 G. CALVES, « Egalité (domaines d’application) », art. préc., p. 366.

Page 341: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

339

Il implique que les candidats-usagers puissent accéder au service « quels que soient, par

ailleurs, leur situation juridique, leur domicile, leurs revenus »1325. Il ressort en ce sens de

l'article 1er de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le

développement du territoire que la politique nationale d’aménagement et de développement

durable du territoire « assure l'égalité des chances entre les citoyens en garantissant en

particulier à chacun d'entre eux un égal accès au savoir et aux services publics sur l'ensemble

du territoire ».

On retrouve ici formulée la nouvelle fonction du service public, à savoir la lutte contre

l’exclusion sociale. En définitive, nous sommes passés « de l’égalité d’accès aux services

publics à l’égalité par l’accès aux services publics »1326. Des politiques d’accessibilité ont été

mises en place. Il s’agit de « politiques de justice sociale qui cherchent à résoudre le problème

des inégalités dans l’accès aux services publics, voire, pour les plus démunis, du “non-

recours” aux services publics »1327. De telles politiques ont été mises en œuvre par le biais

d’un assouplissement du troisième volet du principe d’égalité, l’égalité entre les usagers du

service public ou encore égalité de traitement.

a-3) Egalité de traitement entre les usagers

403. L’approche catégorielle des usagers. Initialement, l’égalité de traitement supposait

que les usagers du service soient traités indistinctement. Cette lecture s’est révélée trop rigide.

En ne prenant pas en compte les difficultés rencontrées par certaines catégories de la

population, et notamment les personnes défavorisées, elle avait pour effet de « conforter, et

même accentuer, les inégalités sociales »1328. Conscient de cette faille, le législateur a

ponctuellement reconnu la possibilité de moduler les tarifs des services publics en fonction du

niveau de revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer1329. Dans cette

mesure, le principe d’égalité s’interprète aujourd’hui « comme l’interdiction faite à

l’administration de traiter différemment des personnes appartenant à une même catégorie

d’usagers »1330. Cette méthode a été déclarée constitutionnelle par le Conseil constitutionnel

1325 J.-F. LACHAUME, H. PAULIAT, C. BOITEAU, C. DEFFIGIER, Droit des services public, op. cit., n°

1033. 1326 J.-F. LACHAUME, H. PAULIAT, C. BOITEAU, C. DEFFIGIER, op. cit, n° 1045. 1327 G. CALVES, art. préc., p. 367. 1328 G.CALVES, art. préc., p. 368. 1329 V. par ex. l’article 147 de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions qui reconnaît

cette possibilité afin de promouvoir le droit à l’égalité des chances par l’éducation et la culture. 1330 G. CALVES, art. préc., p. 368.

Page 342: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

340

dès lors que la différence de traitement instituée par la loi prend en compte « une nécessité

d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation » du service ou « la situation

particulière de certains usagers »1331. Dans le même sens, le Conseil d’Etat a considéré, dans

son rapport public pour 1996, que « le principe d’égalité n’atteint réellement son but que s’il

est aussi le vecteur de l’égalité des chances (…). Une telle action peut passer par une

différenciation des droits dès que l’intérêt général résultant de l’objectif de réduction des

inégalités rend juridiquement possible une dérogation raisonnable au principe d’égalité des

droits »1332.

En pratique, c’est donc à travers la reconnaissance de catégories d’usagers et de leurs

besoins et possibilités que le droit d’accéder aux services publics prend tout son sens. Le

service public ne peut efficacement remplir sa mission de lutte contre les exclusions qu’en

ayant au préalable délimité les besoins spécifiques des catégories et défini les conditions

d’accès appropriées. Dans la perspective du droit au crédit, le service public du crédit doit

donc identifier les entreprises qu’il convient d’aider ainsi que leurs besoins spécifiques. Les

offres de crédit proposées pourront alors être différentes selon la catégorie à laquelle

appartient l’entreprise candidate.

b) Le droit à l’obtention de la prestation

404. L’existence d’un droit subjectif à l’obtention de la prestation. Dans l’arrêt

« Laruelle », le Conseil d’Etat a considéré que l’existence du droit d’accès au service public

implique l’obligation, pour l’Etat, « de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre

les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient (…) un caractère

effectif »1333. En d’autres termes, lorsque les conditions d’accès au service sont réunies, le

gestionnaire du service doit fournir la prestation demandée. Le droit d’accès se prolonge ainsi

en un droit à l’obtention de la prestation1334.

Dans son ensemble, la doctrine reconnaît l’existence de ce droit à l’obtention de la

prestation. En revanche, elle ne s’accorde pas sur sa nature.

1331 Cons. Const., n°79-107 DC, 12 juillet 1979, « Pont à péage ». 1332 CE « Sur le principe d’égalité », Rapport public 1996, EDCE n° 48, La documentation française, 1997. 1333 CE, 8 avr. 2009, Laruelle, AJDA 2009, p.!679!; Dr. adm. no

!5, mai!2009, comm. 80!; Droit de la famille no!5, mai!2009, alerte 41!; D. 2009, p.!1508, note P.!RAIMBAULT!; RDSS 2009, p.!556, note H.!RIHAL, RDP

2010/1, p. 197, E. BOMPARD. 1334 Dans le même sens, v. G. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, op. cit., n° 1475. Les

auteurs qualifient ces droits de « complémentaires ».

Page 343: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

341

Selon certains auteurs, celle-ci est variable. Il s’agirait d’un droit subjectif lorsque la

relation de l’usager et du gestionnaire du service est contractuelle, comme en témoigne la

possibilité reconnue à l’usager d’invoquer l’exception d’inexécution lorsque le service public

ne délivre pas la prestation due1335. Le droit serait au contraire objectif lorsque la relation est

légale ou réglementaire.

Pour d’autres, le droit à l’obtention de la prestation est un droit subjectif quelle que soit la

relation envisagée1336.

Cette dernière position nous semble préférable. Il faut en effet constater que la possibilité

reconnue à l’usager d’exercer un recours juridictionnel à l’encontre du gestionnaire du service

qui aura manqué à ses obligations lui est offerte que la relation soit contractuelle, légale ou

réglementaire. C’est bien que le droit à l’obtention de la prestation est attribué à l’usager du

service en tant que sujet de droit. D’ailleurs, il en est titulaire dès qu’il remplit les conditions

pour accéder au service public, c’est-à-dire avant même que la relation ne soit nouée, si bien

que la nature de cette dernière est indifférente. En outre, il faut remarquer que les droits

subjectifs n’ont nullement besoin du cadre contractuel pour exister. On songe notamment au

droit au respect de la vie privée ou encore à celui de vivre dans un environnement sain.

405. L’automatisme du droit à l’obtention de la prestation. En définitive, le droit à

l’obtention de la prestation symbolise l’intérêt que représente le service public pour la

satisfaction des droits des administrés. En effet, si le droit d’accès est parfois conditionné, le

droit à l’obtention de la prestation est pour sa part automatique en ce sens que l’usager qui

remplit les conditions ne peut se la voir refuser. C’est sans doute pour cette raison que ce droit

a pu être qualifié de « raison d’être du service » ou encore de « droit essentiel au statut

d’usager »1337. Or cet automatisme est particulièrement intéressant dans le cadre du droit au

crédit : contrairement au banquier de droit privé, le service public du crédit aurait l’obligation

d’accorder un crédit au candidat-usager qui remplit les conditions nécessaires à obtention.

1335 Cf. G. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, op. cit., n° 1472, selon lesquels le droit de

l’usager d’invoquer l’exception d’inexécution lorsque le service public ne délivre pas la prestation due traduit l’existence d’un droit subjectif à son obtention. Nous considérons pour notre part que l’exception d’inexécution que l’usager peut invoquer ne suffit pas à établir la nature subjective du droit à l’obtention de la prestation car ce droit n’est pas nécessairement invoqué lorsque la relation contractuelle est en cours d’exécution. Bien souvent, c’est en amont, au moment de la formation du contrat, que la satisfaction de ce droit peut être problématique.

1336 V. en ce sens J.-F. LACHAUME, « Quels droits publics subjectifs pour les usagers des services publics ? », Les droits publics subjectifs des administrés, op. cit., note 35.

1337 A.-S. MESCHERIAKOFF, Droit des services publics, PUF, 2e éd. 1997, p. 245.

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342

B – LA JUSTICIABILITÉ DU DROIT AU CRÉDIT

406. Plan. Dans l’arrêt « Laruelle », le Conseil d’Etat a jugé que le droit à l’éducation

implique que son titulaire puisse effectivement accéder au service public qui l’organise1338.

Partant, la justiciabilité du droit à l’éducation se traduit par la possibilité de mettre en cause la

responsabilité du gestionnaire du service public de l’éducation en cas de manquement à son

obligation d’assurer l’accès au service1339. L’extension de cette solution au droit au crédit

aurait pour effet d’investir son titulaire du droit d’engager la responsabilité du gestionnaire du

service public du crédit en cas de manquement de ce dernier à son obligation d’assurer l’accès

au service. Nous étudierons la nature (1) puis les conditions de cette responsabilité (2).

1) La nature de la responsabilité

407. Dualité de responsabilités. La nature de la responsabilité du gestionnaire est

fonction de la nature du service public. La responsabilité est administrative et elle est soumise

au contrôle du juge administratif en présence d’un SPA. Le juge administratif est également

compétent pour statuer sur le bien-fondé d’un recours pour excès de pouvoir exercé à

l’encontre d’une décision refusant l’accès au service ou la délivrance de la prestation1340. La

responsabilité est civile et elle relève de la compétence du juge judiciaire en présence d’un

SPIC1341.

Ainsi, le candidat-usager d’un SPIC qui se voit refuser l’accès au service ne peut attaquer

par la voie du recours pour excès de pouvoir l’acte unilatéral individuel rejetant sa

demande1342. Seules les règles du droit privé, et plus précisément l’article 1382 du Code civil,

applicable aux situations extracontractuelles, peuvent être invoquées1343. Par conséquent, dans

l’hypothèse d’un conflit opposant le candidat-usager et le service public du crédit, seul le juge

1338 CE, 8 avr. 2009, préc. 1339 Cette solution doit être étendue à l’ensemble des services publics. Cf. J.-F. LACHAUME, H. PAULIAT,

C. BOITEAU, C. DEFFIGIER, Droit des services public, op. cit., p. 624, qui estiment que la violation du droit d’accès à un SPIC est susceptible d’être invoquée par le « candidat-usager », c’est-à-dire « celui qui manifeste la volonté, non équivoque, d’entrer en relation avec le SPIC pour bénéficier de la prestation offerte par celui-ci ».

1340 Sur ce point, v. S. TRAORE, L’usager du service public, LGDJ, coll. Systèmes Droit, 2012, n° 236 et s. 1341 Rec. CE 1937, « Union hydroélectrique de l’ouest constantinois », Rec., p. 896. 1342 CE, 21 avr. 1961, « Dame Agnési », Rec., p. 253. 1343 Le juge administratif a toutefois été déclaré compétent dans trois hypothèses : en cas de refus de

raccordement du candidat-usager à un SPIC constitutif d’un refus d’exécuter un travail public (TC, 3 juill. 1995, SCI du 138 rue V. Hugo à Clamart c/ EDF, Rec. CE 1995, Rec., p. 498 ; RFDA 1996, 15. Contra Civ. 1ère, 9 juill. 2002, Soc. Suez Lyonnaise des Eaux, n° 00-11.221) ; en cas de contestation, par le candidat-usager, de la légalité d’une décision réglementaire ayant pour effet de le priver de l’accès au service (CE, 27 juill. 1994, Charpentier, Rec., p. 334) ; lorsque la contestation du candidat-usager porte sur la taxe fiscale exigée au titre du raccordement au SPIC (CE, 31 janv. 1986, « SIVOM de la région d’Aigues-Mortes », Rec., p. 24).

Page 345: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

343

judiciaire serait compétent pour déterminer si la responsabilité civile du service doit être

engagée.

La compétence du juge judiciaire est parfois critiquée1344. Pour certains, le juge

administratif est nécessairement plus compétent pour apprécier la légalité d’un acte émanant

d’une autorité administrative, du moins lorsque le SPIC est géré par une personne

publique1345. D’autres estiment que la nature contractuelle des rapports entre le SPIC et

l’usager renferme un indéniable « artifice »1346 puisque « l’usager effectif doit subir la loi du

service sans que le gestionnaire du service puisse l’adapter intuitu personae »1347. En outre, la

volonté des parties n’a pas l’effet créateur de droit reconnu à tout contrat puisque « les règles

de gestion du service [sont] définies de façon unilatérale au moyen de lois ou d’actes

administratifs réglementaires édictés par le pouvoir législatif ou réglementaire, par le

gestionnaire public ou même par le gestionnaire privé »1348.

En l’état actuel des jurisprudences civile et administrative, les enjeux de cette discussion

sont largement théoriques. En effet, il semblerait que les conditions posées par l’une et l’autre

pour que la responsabilité du gestionnaire du service public soit engagée sur le fondement de

la violation d’un droit subjectif privé ou public empruntent des voies parallèles.

2) Les conditions de la responsabilité

408. Plan. On assiste depuis quelques années à un aménagement des conditions de la

responsabilité aussi bien en droit civil qu’en droit administratif lorsque le dommage réside

dans la violation d’un droit subjectif (a). Le résultat obtenu pourrait être consolidé par

l’influence de la technique du droit opposable (b).

a) L’aménagement des conditions de responsabilité en cas de violation d’un droit

subjectif

409. La présomption de responsabilité en droit civil. Depuis quelques années, la Cour

de cassation considère que « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à

1344 J.-F. LACHAUME, H. PAULIAT, C. BOITEAU, C. DEFFIGIER, op. cit., n° 1209. 1345 V. en ce sens J.-F. LACHAUME, H. PAULIAT, C. BOITEAU, C. DEFFIGIER, op. cit., n° 1201. 1346 Ibid, n° 1209. 1347 Ibid. 1348 Ibid.

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344

réparation »1349. L’exigence d’une faute et d’un dommage n’a pas disparu. Cependant, le seul

constat de l’atteinte à ce droit subjectif suffit à les caractériser1350. Le doyen CARBONNIER

évoquait en ce sens « une présomption de fait qu’il y a eu préjudice moral et qu’il y a eu

faute »1351. Si cette jurisprudence n’a trouvé à s’appliquer qu’au droit au respect de la vie et au

droit de propriété1352, la similitude des termes employés dans les différents arrêts invite à

penser que la solution pourrait être étendue à l’ensemble des droits subjectifs. Dès lors,

l’atteinte au droit au crédit, matérialisée par celle faite au droit à l’obtention de la prestation

dont serait bénéficiaire l’entreprise remplissant les conditions d’accès au service public du

crédit, suffirait à engager la responsabilité civile du gestionnaire du service. Une telle solution

serait d’ailleurs pleinement justifiée au regard de la position qui a été adoptée par le Conseil

d’Etat à l’occasion d’un litige dans lequel était en cause la responsabilité de l’Etat pour

violation du droit au fonctionnement du service public de l’Education.

410. L’obligation de résultat en droit administratif. Dans son arrêt « Laruelle »1353, le

Conseil d’Etat a enjoint l’Etat à prendre les mesures nécessaires pour rendre effectif le droit à

l’éducation. Il a ensuite ajouté que « la carence de l’Etat est constitutive d’une faute de nature

à engager sa responsabilité, sans que l’administration puisse utilement se prévaloir de

l’insuffisance des structures d’accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires

sont allouées aux parents d’enfants handicapés ». Ainsi, en considérant que la preuve de la

diligence de l’Etat dans l’accomplissement de sa mission de service public de l’Education

était indifférente en cas d’échec de cette mission, le Conseil d’Etat a mis une obligation de

résultat à la charge du gestionnaire du service.

La reconnaissance d’une telle obligation renforce à l’évidence la justiciabilité du droit à

l’éducation1354. Pour autant, les décisions reconnaissant une obligation de résultat à la charge

1349 Civ. 1ère, 5 nov. 1996, Bull. civ. I. n° 378, D. 1997, p. 403, note S. LALOUM, somm. 289, obs. P.

JOURDAIN, RTD civ. 1997, p. 632, note J. HAUSER, JCP G 1997. I. 4025, obs. G. VINEY, II. 20805, note J. RAVANAS, GAJC, t. 1, n° 17, obs. F. TERRE et Y. LEQUETTE ; Civ. 1ère, 25 fév. 1997, JCP G 1997. II. 22873, note J. RAVANAS ; Civ. 3e, 25 fév. 2004, Bull. civ. III, n° 41, D. 2004, somm. 1631, obs. C. CARON ; Civ. 1ère, 28 avr. 2011, n° 10-17909.

1350 V. en sens J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction. Les personnes: la famille, l’enfnat, le couple, PUF, coll. Quadrige, 2004, n° 279 ; M. BACACHE-GIBEILI, La responsabilité civile extracontractuelle, Economica, 2e éd., 2012, n° 357, p. 393.

1351 J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction. Les personnes: la famille, l’enfnat, le couple, op. cit., n° 279.

1352 Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11154, Bull. civ. n° 185, D. 2010, pan. 49, obs. Ph. BRUN ; JCP G 2010. 456, obs. C. BLOCH ; RDI 2009, 583, obs. C. MOREL.

1353 CE, 8 avr. 2009, préc. 1354 Dans le même sens pour l’obligation de résultat, v. V. DONIER, art. préc., p. 800.

Page 347: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

345

de l’Etat ou des collectivités territoriales sont peu nombreuses1355. Il semblerait que

l’obligation de résultat soit subordonnée à une reconnaissance textuelle, comme c’est le cas

pour le service public de l’Education1356. En outre, même lorsqu’une telle obligation est

reconnue, son effectivité demeure limitée. En effet, les juges, conscients des « contraintes

financières » qui pèsent sur l’administration, hésitent « à imposer les efforts nécessaires »1357.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a précisé, dans un arrêt postérieur à l’arrêt « Laruelle », que

l’atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’éducation devait s’apprécier in concreto,

« en tenant compte, d'une part de l'âge de l'enfant, d'autre part des diligences accomplies par

l'autorité administrative compétente »1358. Certes, cette décision est intervenue à l’occasion

d’un référé-liberté et ne remet dès lors pas en cause la solution de l’arrêt « Laruelle »1359. Pour

autant, il faut remarquer qu’en réduisant « à presque rien le référé-liberté »1360, le Conseil

d’Etat a rendu très théorique l’efficacité des actions en responsabilité fondée sur la carence du

gestionnaire d’un service public1361. En effet, on sait que la lenteur des tribunaux frappe en

premier lieu les juridictions administratives si bien que seule l’action en référé présente un

intérêt lorsqu’il s’agit de sanctionner rapidement un manquement de l’Etat.

Dans ces conditions, il peut être intéressant de se tourner vers la technique du droit

opposable dont le régime offre des garanties supplémentaires.

1355 Comme le remarque Mme ROMAN, le droit d’accès effectif au service public n’a guère été consacré que pour le service public de l’Education. Les coupures d’énergie imposées aux foyers démunis permettent de penser qu’aucune obligation de résultat n’incombe aux gestionnaires du service public de l’exécution (D. ROMAN, « Le juge et les droits sociaux : vers un renforcement de la justiciabilité des droits sociaux ? », RDSS 2010, p. 793).

1356 V. en ce sens V. DONIER, art. préc., p. 800. V. égal. F. RANGEON, « Réflexion sur l’effectivité du droit », Les usages sociaux du droit, dir. D. LOCHAK, CURAPP, PUF, 1989, spéc. 140-141 : « Les deux premiers facteurs d’effectivité concernent la règle de droit elle-même. L’effectivité est fonction de la nature de la règle (loi impérative ou incitative, d’ordre public ou interprétative…) et de son contenu (clarté, cohérence, précision…). Le troisième critère porte sur l’existence de sanctions prévues ou non par le texte et sur l’applicabilité de l’administration réelle de ces sanctions ».

1357 L. JANICOT, « Le principe d’égalité devant le service public », RFDA 2013, p. 722. 1358 CE, ord., 15 déc. 2010, « Ministre de l’éducation nationale de la jeunesse et de la vie associative c/

Epoux Peyrilhé », n° 344729, Rec., p. 500 ; AJDA 2011. 858, note P.-H. PRELOT ; D. 2011. 1126, note Y. DAGORNE-LABBE ; RDSS 2011. 176, obs. R. FONITIER ; LPA 1er avr. 2011, note O. LE BOT.

1359 L. JANICOT, « Le principe d’égalité devant le service public », RFDA 2013, p. 722. 1360 L’expression est empruntée à L. JANICOT, art. préc., p. 722. 1361 Le même constat a été fait s’agissant de la justiciabilité du droit à la santé et du droit à la sécurité sociale.

S’agissant du premier, le Conseil d’Etat a refusé de qualifier le droit à la santé de liberté fondamentale pour ne retenir que sa dimension collective (CE, ord. 8 sept. 2005, Garde des sceaux c/ Bunel », AJDA 2006. 376). Concernant le second, la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme celle du Conseil d’Etat n’offre qu’une protection limitée. Si les deux juridictions imposent aux autorités publiques l’obligation de respecter un seuil minimal de protection sociale, force est de nuancer son impact en pratique. Comme le relève un auteur, ce contrôle « intervient à la marge des choix publics. Ainsi, le principe d’un renforcement des conditions d’accès à une prestation de choix ou le choix de réduire le champ de la sécurité sociale (…) ne sont pas discutés. De plus, en l’état actuel de la jurisprudence, la mise en œuvre de cette technique de contrôle est restreinte. Le Conseil constitutionnel conforte la large marge de manœuvre du législateur en précisant peu ce seuil dont le Conseil d’Etat n’a jamais constaté la violation » (L. CAMAJI, « La justiciabilité du droit à la sécurité sociale : élément de droit français », RDSS 2010, p. 847).

Page 348: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

346

b) L’influence de la technique du droit opposable

411. Une influence d’abord informelle. Il est remarquable de constater que, dans l’arrêt

« Laruelle », le Conseil d’Etat semble s’être fondé, sans la nommer, sur la technique du droit

opposable, qui permet à son titulaire d’obtenir directement satisfaction en exigeant

l’exécution forcée. Cette technique traduit « une “subjectivisation” du droit et du contentieux

administratifs »1362. En effet, les décisions de l’Administration et du juge « prennent de plus

en plus en considération [la] situation personnelle, “subjective” » de l’administré1363.

Pour mieux saisir l’influence de ce mécanisme du droit opposable, il convient de

s’intéresser au droit au logement, qui est le premier à avoir été expressément qualifié de droit

opposable par le législateur, à l’occasion de la loi DALO du 5 mars 2007.

412. Le droit au logement opposable. Parfois qualifié par la doctrine de « droit

« douteux »1364, de « règle sans portée »1365 ou encore de « promesse fallacieuse »1366, le droit

au logement est pourtant reconnu par de grands textes internationaux1367 et européens1368 des

droits de l’homme. En droit interne, « le droit à l’habitat est un droit fondamental » depuis la

loi n° 82-526 du 22 juin 1982. La loi du 6 juillet 1989 a opté pour une formulation différente

et considéré que « le droit au logement est un droit fondamental ». Ce principe a par la suite

été réaffirmé par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, la loi n° 95-74 du 21 janvier 1995 relative à

l’habitat, la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 sur l’exclusion, la loi SRU du 7 décembre 2000 et

la loi DALO du 5 mars 2007. Cette dernière constitue une évolution considérable puisqu’elle

est venue créer un droit opposable au logement1369. Plus précisément, elle prévoit la

possibilité, pour le titulaire du droit au logement, d’introduire un recours devant le juge

administratif lorsqu’il a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et

1362 D. TRUCHET, Droit administratif, PUF, thémis, 2013, p. 162-163. 1363 D. TRUCHET, op. cit., p. 162-163. 1364 P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963, n° 6, p. 48. 1365 Ch. ATIAS, « Normatif et non-normatif dans la législation récente du droit privé », RRJ 1982. 219, spéc.

224. 1366 G. CORNU, Introduction - Les biens - Les personnes, Montchrestien, 13e éd., 2007, n° 9. 1367 Art. 25-1 Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 déc. 1948 ; art. 11-1 du Pacte international

relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 déc. 1966. 1368 La Charte sociale européenne, révisée le 3 mai 1996, proclame, en son article 31, le droit au logement et

impose aux Etats signataires d'en assurer « l'exercice effectif ». La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000 ne reconnaît pas un droit au logement stricto sensu mais consacre le droit à une aide au logement (art. 34-3). La Cour européenne des droits de l’homme a pour sa part qualifié le logement de « besoin fondamental » (CEDH 21 févr. 1986, James c/ R.U., req. n° 8793/79, cons. 48).

1369 V. not. C. WOLMARK, « L’opposabilité du droit au logement », D. 2008, p. 104.

Page 349: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

347

qu’il n’a pas reçu, dans le délai fixé par décret, une offre de logement adaptée à ses besoins et

capacités1370.

413. Efficacité. Le contentieux postérieur à l’adoption de la loi DALO invite à considérer

que la technique du droit opposable garantit efficacement l’effectivité du droit au logement.

En effet, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 15 février 2013, a retenu la responsabilité de

l’Etat pour manquement à son obligation de résultat de fournir un logement1371. En outre,

statuant cette fois en référé, la Haute juridiction a estimé qu’ « il appartient aux autorités de

l’Etat de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute

personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale » et

qu’ « une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette tâche peut (…) faire

apparaître (…) une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale

lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée »1372. Cette

ordonnance montre tout l’intérêt que représente la technique du droit opposable pour garantir

l’effectivité d’un droit. En effet, l’opposabilité fait naître une obligation de résultat de fournir

la prestation due, dont le manquement est sanctionné tant par le juge du fond que par le juge

des référés. Dans les deux cas, « l’Etat ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant

(…) les efforts réalisés pour accroître l’offre de logement ou l’insuffisance de ses moyens et

son impossibilité matérielle à honorer ses obligations »1373.

414. Extension de la technique du droit opposable au droit au crédit. L’extension de

la technique du droit opposable à d’autres droits, et en particulier le droit au crédit, offrirait un

avantage évident. Elle assurerait au demandeur de crédit remplissant les conditions d’accès au

service public du crédit une protection juridictionnelle efficace. Le demandeur devrait pouvoir

trouver satisfaction, sur le fondement de la violation de son droit opposable, aussi bien devant

les juges du fond que devant le juge des référés. En outre, appliquer au droit au crédit la

technique du droit opposable, dont les résultats ne sont en définitive pas différents de ceux

obtenus en matière de protection de la vie privé et de la propriété, aurait pour effet de

dépasser les incertitudes qui existent actuellement sur le champ d’application de la

1370 Art. L 441-2-3-1 du Code constr. et de l’hab. 1371 CE, 5e et 4e sous-sect., 15 fév. 2013, Mme K, Rec. Lebon (annulation TA Versailles, 5 juin 2009) ; GP

2013, n° 59, p. 26. 1372 CE, 10 fév. 2012, A. DURANTHON, « Le droit à l’hébergement d’urgence constitue une liberté

fondamentale », AJDA 2012, p. 716. 1373 M.-G. MERLOZ, « DALO : l’Etat soumis à une obligation de résultat », AJDA 2012, p. 2127.

Page 350: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

348

présomption de responsabilité civile. Nous avons en effet relevé qu’à ce jour cette

présomption n’a été appliquée aux seuls droits au respect de la vie privée et de propriété1374.

415. Conclusion de la Section. Cette section a permis de mieux comprendre l’intérêt que

peut représenter le service public pour la réalisation du droit au crédit. Nous avons montré que

le service public est aujourd’hui devenu l’instrument privilégié de la lutte contre les

exclusions sociales et de la promotion de l’égalité des chances. Or le droit au crédit porte en

lui ces deux ambitions. En théorie donc, la rencontre du service public et du droit au crédit

promet une évidente harmonie. Qu’en est-il en pratique ? L’existence d’un droit au

fonctionnement du service public offre de nombreux avantages aux usagers de ce service.

D’une part, lorsqu’elles existent, les conditions d’accès au service doivent respecter le

principe d’égalité et encourager l’égalité des chances. D’autre part, lorsque ces conditions

sont remplies, le candidat-usager est titulaire d’un droit subjectif à l’obtention de la prestation.

Or ce droit, qui assurerait l’effectivité et la justiciabilité du droit au crédit, serait précieux

pour le demandeur de crédit. Cependant, l’effectivité du droit au crédit serait encore mieux

assurée si on acceptait de la qualifier de droit opposable, à l’instar du droit au logement.

416. Conclusion du Chapitre I. Lorsque nous avons commencé ce chapitre, la rencontre

du service public et du crédit apparaissait hasardeuse. La recherche exclusive du profit

guidant la distribution de crédit la rendait en effet difficilement compatible avec une activité

de service public tournée vers la satisfaction de l’intérêt général. Une telle incompatibilité

n’était en réalité pas irréductible. En effet, nous avons montré que l’idée d’un service public

du crédit pouvait être envisageable dès lors que l’on acceptait de soumettre la distribution de

crédit à la satisfaction de l’intérêt général et notamment le développement économique du

territoire. Cette compatibilité théorique entre le service public et la distribution de crédit s’est

alors prolongée par le constat d’une compatibilité pratique. En effet la distribution de crédit

par les régions et surtout par la Banque Publique d’Investissement est principalement guidée

par la volonté d’encourager la création d’entreprises et d’assurer le dynamisme économique

du territoire, si bien que dans ces deux hypothèses nous avons conclu à l’existence d’un

service public industriel et commercial.

La création d’un service public du crédit s’inscrirait pleinement dans le champ d’action

de l’Etat et des collectivités territoriales. Le service public est depuis toujours l’instrument

1374 V. supra n° 409.

Page 351: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

349

privilégié par ces derniers pour répondre aux attentes des administrés. Aujourd’hui, il joue un

rôle essentiel dans la lutte contre les inégalités sociales et la promotion de l’égalité des

chances, deux objectifs auxquels le droit au crédit répond pleinement. En outre, les règles de

fonctionnement du service public, et notamment le droit d’accès et le droit à l’obtention de la

prestation, assurent une réelle effectivité aux droits-créances, dont fait partie le droit au crédit.

En effet, la justiciabilité de ces droits est depuis quelques années renforcée par l’existence en

droit civil d’une présomption irréfragable de responsabilité en cas de violation d’un droit

subjectif et, en droit administratif, par la reconnaissance théorique d’une obligation de résultat

de délivrer la prestation à la charge du gestionnaire du service public. En tout état de cause,

on pourrait aussi songer à faire appel à la technique du droit opposable pour assurer

l’efficacité du droit au crédit.

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CHAPITRE II. LA MISE EN ŒUVRE PAR UNE

OBLIGATION DE CONTRACTER À LA CHARGE DU

BANQUIER

417. Plan. Si l’Etat est le débiteur privilégié des droits fondamentaux, les personnes

privées peuvent jouer un rôle dans leur mise en œuvre. Lorsque celle-ci nécessite la

conclusion d’un contrat, le législateur dispose de deux instruments.

Il peut en premier lieu les inciter à contracter, ce qui ne présente pas de difficulté

théorique particulière. En effet, l’incitation ne constitue pas une véritable entorse à la liberté

contractuelle. La personne privée qui décide de ne pas la suivre n’obtiendra pas l’avantage,

par exemple fiscal, qui lui est attaché, ou bien pourra être contrainte de verser un équivalent

en argent1375.

Le législateur peut en second lieu édicter des obligations de contracter, ce qui, bien

évidemment, constitue une véritable atteinte au principe de la liberté contractuelle.

L’obligation de contracter peut supprimer, alternativement ou cumulativement, la liberté de

consentir au contrat, celle de choisir son cocontractant ou de déterminer le contenu du contrat.

Peut-on, au titre de la mise en œuvre du droit au crédit, envisager de mettre à la charge du

banquier une telle obligation?

Il faut, pour répondre à cette question, raisonner à la lumière des obligations de contracter

qui existent en droit positif, en nous concentrant sur celles qui peuvent utiles pour nos propos.

A cette fin, on en distinguera deux catégories. Il s’agit, d’une part, de l’obligation de

contracter des personnes en situation de monopole (section I) et, d’autre part, de l’obligation

de contracter en raison d’un intérêt supérieur à la préservation de la liberté contractuelle

(section II).

1375 C’est ainsi que, en vertu de l’article L. 145-14 du Code de commerce, le bailleur « peut refuser le

renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement».

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352

SECTION I – L’OBLIGATION DE CONTRACTER DES

PERSONNES EN SITUATION DE MONOPOLE

418. Plan. Il est fréquent de lire que les personnes en situation de monopole sont

débitrices d’une obligation de contracter1376. Si cette obligation est bien souvent justifiée par

l’existence même du monopole (§I), elle est aussi parfois expliquée par l’état d’offre

permanente de son détenteur (§II).

§-I. OBLIGATION DE CONTRACTER FONDÉE SUR LA

SITUATION DE MONOPOLE

419. Plan. L’idée selon laquelle les détenteurs d’un monopole sont tenus à une obligation

de contracter est ancienne et elle exprime une position classique qu’il conviendra d’exposer

pour commencer (A). Nous déterminerons ensuite dans quelle mesure les établissements de

crédit peuvent, en raison de leur monopole bancaire, être débiteurs d’une obligation de

contracter (B).

A – POSITION CLASSIQUE

420. Plan. La position classique opère une distinction entre l’existence d’un monopole de

fait (1) et celle d’un monopole de droit (2).

1) Monopole de fait

421. Les divisions doctrinales. Les auteurs sont divisés sur la question de savoir si

l’obligation de contracter peut être appliquée aux personnes en situation de monopole de fait.

Dans le sens de la négative, on peut faire valoir que le monopole de fait est par nature précaire

et « peut disparaître par le jeu de la libre-concurrence »1377. Partant, on ne saurait imposer à

son détenteur une obligation de contracter.

Cet argument ne saurait convaincre. Si aucune certitude n’existe effectivement sur le

maintien de la position monopolistique, il n’empêche qu’en pratique, pendant la durée du

1376 V. par ex. F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 125 ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, les obligations, t. 1, L’acte juridique, op. cit., n° 127.

1377 C. GEOGRACOPOULOS, Le refus de vente, thèse, dactyl., 1964, p. 12.

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353

monopole de fait, son détenteur bénéficie de la même exclusivité contractuelle que celui d’un

monopole de droit. Si aucune obligation de contracter ne peut lui être imposée une fois le

monopole disparu, rien ne s’y oppose lorsqu’il existe.

422. Une jurisprudence ancienne et non décisive. S’agissant de la jurisprudence, les

auteurs renvoient généralement à un arrêt de la Chambre criminelle en date du 12 mai 1854,

dans lequel un boulanger a été condamné pour avoir refusé de vendre du pain à un client.

Selon cet arrêt, « l’état de boulanger, qui intéresse à un si haut degré le public, est soumis à

des règlements de police et à des obligations dont il ne peut s’affranchir ; qu’il n’en est pas du

boulanger vendant des denrées alimentaires de première nécessité, comme de tout autre

marchand qui, au nom de la liberté du commerce et de l’industrie, refuse de vendre les objets

de son commerce »1378.

En réalité, il nous semble contestable de considérer qu’un boulanger puisse avoir un

monopole de fait, sauf peut-être lorsqu’il est le seul à être établi dans une commune, en

admettant que les consommateurs n’aient pas d’autre choix que de s’adresser à lui. En dehors

de ce cas, la possibilité de contracter avec d’autres boulangers pour obtenir une prestation

identique exclut l’existence du monopole de fait.

D’ailleurs, la Cour de cassation n’a pas justifié l’obligation de contracter par la situation

monopolistique du boulanger mais par la nature des produits mis en vente, à savoir des

produits de première nécessité. C’est pourquoi de nombreux auteurs, dont DURAND, ont

estimé que l’obligation de contracter devait dépendre « non du statut juridique donné à une

profession, mais de la fonction économique qu’une activité peut remplir. Il est des services

indispensables à la vie sociale, et que l’individu ne peut se refuser à rendre »1379.

Il reste que cette jurisprudence présente aujourd’hui peu d’intérêt pour les

consommateurs. Ces derniers sont en effet protégés par l’interdiction du refus de vendre,

interdiction qui s’applique d’ailleurs à tous les professionnels et pas seulement à ceux en

situation de monopole1380. D’autre part, la question du monopole de fait n’intéresse pas

directement le banquier, lequel est en effet investi d’un monopole de droit.

1378 Crim., 12 mai 1854, DP 1854, I, 209. 1379 P. DURAND, « La contrainte légale dans la formation du rapport contractuel », RTD civ. 1944, p. 80. V.

égal. R.-L. MOREL, « Du refus de contracter opposé en raison de considérations personnelles », RTD civ. 1908, p. 296; A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français et allemand, thèse, préf. A. PERROT, LGDJ, 1961, n° 221.

1380 Art. 50 de l’ordonnance du 1er déc. 1986 devenu l’art. L. 122-1 du Code de la consommation.

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354

2) Monopole de droit

423. Position de la jurisprudence. La jurisprudence a eu à statuer sur les conséquences

de l’existence d’un monopole de droit sur la liberté de contracter de son détenteur dans des

arrêts qui, bien qu’anciens, n’ont pas été contredits par la suite.

Ainsi, la Chambre des Requêtes a jugé, dans un arrêt en date du 21 avril 1857, que « les

compagnies de chemins de fer, qui n’exercent le privilège que la loi leur a accordé que sous la

condition d’opérer le transport des marchandises et des voyageurs dans les termes de leurs

tarifs, ne peuvent, sans motifs légitimes, se refuser à l’exécution du mandat de transport qui

leur est donné »1381.

Elle a adopté une position relativement proche dans un arrêt du 5 mars 1873. Après avoir

confirmé l’existence d’une obligation de contracter à la charge des compagnies ferroviaires en

raison de leur situation de monopole légal, la Haute juridiction a toutefois subordonné la

possibilité de refuser le transport de marchandises, non plus à l’existence d’un motif légitime,

mais à celle d’un cas de force majeure1382.

Si l’on compare ces deux solutions, on constate que la limite apportée à l’obligation de

contracter diffère selon l’objet du transport. Lorsqu’il s’agit de personnes, le transporteur peut

s’en libérer en invoquant un motif légitime. En revanche, lorsqu’il s’agit de marchandises,

seule la force majeure est susceptible de faire disparaître son obligation. Une telle dichotomie

se justifie sans doute par les caractéristiques des choses, lesquelles sont supposées être inertes

ou maîtrisables, par opposition aux personnes.

Cette jurisprudence a été étendue aux casinos. Dans un arrêt du 19 février 1896, la

Chambre des Requêtes a jugé que « le concessionnaire d’un casino créé dans l’intérêt général

sur le terrain communal, avec subvention, par une ville qui s’interdit de fonder des

établissements analogues, n’a pas le droit d’en défendre l’entrée à qui bon lui semble »1383.

Elle en a déduit que les juges du fond avaient « décidé, avec raison, que [le casino], qui

bénéficie d’une situation privilégiée, ne peut invoquer à son profit les règles de la liberté du

commerce et de l’industrie, et qu’en l’absence de tout grief personnel, c’est à tort (…) qu’[il]

a, par caprice ou rancune, interdit (…) l’entrée du casino »1384. Ici, la limite opposée à

1381 Req. 21 avr. 1857, DP 1857. I. 176. 1382 Req. 5 mars 1873, DP 1873. I. 230-231 : « Considérant que l’Etat n’a pu accorder aux compagnies de

chemin de fer un monopole semblable à celui dont elle jouisse sans qu’elles s’engagent vis-à-vis du commerce à recevoir et à transporter suivant leurs tarifs et règlements toutes les marchandises qui leur seront présentées, sauf les cas de force majeure ».

1383 Req. 19 février 1896, DP 1896. I. 450. 1384 Req. 19 février 1896, préc., confirmé par Req. 1932, DH 1932. 177.

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355

l’obligation de contracter réside dans l’absence de grief personnel. Par sa nature subjective,

elle se rapproche de celle qui est fondée sur l’existence d’un motif légitime et confirme donc

la distinction opérée plus haut entre les contrats ayant pour objet des personnes et des choses.

424. Les deux logiques du monopole de droit. La doctrine, sur la base de cette

jurisprudence, considère donc que les personnes bénéficiant d’un monopole de droit ne

peuvent refuser de contracter, sauf en présence d’un motif légitime1385. Elle illustre cette règle

en évoquant non seulement la situation qui fut celle de la SNCF et de l’EDF, mais encore

celle des officiers ministériels et des professions libérales réglementées.

En réalité, cette extension nous paraît contestable car le monopole de droit recouvre deux

logiques différentes.

Celui dont bénéficiaient les compagnies de chemin de fer ou d’électricité avait pour

corollaire un monopole économique. On veut dire par là que l’entreprise considérée était la

seule à pouvoir fournir le service sur l’ensemble ou sur une fraction du territoire. Autrement

dit, il n’existait aucune concurrence pour le service considéré soit sur l’ensemble du territoire,

soit sur la zone géographique attribuée à l’entreprise. Le monopole de droit se doublait bien

d’un monopole économique1386.

La situation des officiers ministériels, des avocats et plus généralement de l’ensemble des

professions réglementées, est bien différente. Certes, ils sont globalement en situation de

monopole de droit, mais ils sont en concurrence les uns avec les autres sur chaque partie du

territoire. Si l’on devait traduire leur situation en langage économique, il faudrait considérer

que ces professions ne sont pas en situation de monopole économique mais de concurrence

monopolistique1387.

Finalement, on voit donc que le monopole de droit ne crée pas systématiquement un

monopole économique.

1385 V. par ex. F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 125 ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, les obligations, t. 1, L’acte juridique, op. cit., n° 127. Pour des références plus anciennes, v. R.-L. MOREL, « Du refus de contracter opposé en raison de considérations personnelles », art. préc., p. 294-295; L. JOSSERAND, De l’esprit des droits, op. cit. n° 89 et s. ; P. ROUBIER, Droit subjectif et situations juridiques, 1963, Dalloz, p. 151 ; C. GEOGRACOPOULOS, Le refus de vente, thèse dactyl., 1964, p. 10-11 ; A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français et allemand, thèse préc., n° 221.

1386 V. les explications détaillées de J. STIGLITZ et C. E. WALSH, Principes d’économie moderne, éd. De Boeck, DL 2007, spéc. p. 326 et s.

1387 Cf. en ce sens J. STIGLITZ et C. E. WALSH (op. cit., p. 227). V. égal. AUBERT qui considérait que la concurrence entre les auxiliaires de justice (avocats notamment), profession réglementée et participant au service public de la justice, excluait l’existence d’un véritable monopole (J.-L. AUBERT, Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat, préf. J. FLOUR, thèse, LGDJ, 1970, n° 13).

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356

425. Impact sur l’obligation de contracter. La traduction économique du monopole de

droit devrait avoir un impact sur le régime de l’obligation de contracter. Certes, dans les deux

cas, la liberté du public de choisir son cocontractant est restreinte. Cependant, tandis que cette

liberté est totalement annihilée en présence d’un monopole économique, elle ne l’est que

partiellement dans les situations de concurrence monopolistique. Corrélativement, lorsque la

liberté de choisir est totalement évincée, les motifs légitimes susceptibles d’être invoqués

devraient être particulièrement restreints. Ils devraient se limiter à l’existence d’un cas de

force majeure ou au comportement blâmable du cocontractant. Lorsqu’en revanche la liberté

de choix n’est que partiellement restreinte, les motifs légitimes pourraient être compris plus

largement. Ils devraient englober des motifs d’ordre personnel. C’est ainsi que l’avocat ou le

médecin peuvent refuser une mission ou une intervention contraires à leur conscience1388.

Il nous reste à appliquer ces solutions à la situation du banquier.

B – LA SITUATION DU BANQUIER

426. Un monopole de droit. En vertu de l’article L. 511-5 du Code monétaire et

financier modifié par l’ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013, « il est interdit à toute

personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des

opérations de crédit à titre habituel. Il est en outre interdit à toute personne autre qu'un

établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de

fournir des services bancaires de paiement »1389. Les établissements de crédit partagent donc

un monopole de droit en ce qui concerne les opérations de crédit effectuées à titre habituel.

L’article L. 571-3 du même Code précise que la violation de ce monopole est punie par

trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. La Chambre commerciale de la Cour

de cassation, s’opposant en cela à la première Chambre civile1390, a longtemps admis la

1388 Pour les avocats, cf. art. 14-4 du Règlement intérieur national. Pour les médecins, cf. art. 47 du Code de

déontologie médicale (art. R. 4127-47 du code de la santé publique) : « Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ».

1389 Auparavant, l’article L. 511-5 du CMF disposait : « Il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel. Il est, en outre, interdit à toute entreprise autre qu'un établissement de crédit de recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme ». Dans sa rédaction nouvelle, l’article L. 511-5 a donc remplacé l’expression « opérations de banque » par celle d’ « opérations de crédit ». Il a en outre étendu aux personnes physiques l’interdiction qu’il formule. Enfin, les opérations visées englobent désormais la réception de fonds remboursables du public (sans limitation de durée) et la fourniture de services bancaires de paiement.

1390 Civ. 1ère, 24 fév. 1993, n° 90-19655 (inédit) ; Revue droit bancaire et bourse n° 37, mai-juin 1993, 126, obs. J. CREDOT et Y. GERARD ; JCP E 1993, 302, n° 2, obs. J. GAVALDA et J. STOUFFLET.

Page 359: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

357

nullité des conventions de crédit-bail conclues en infraction au monopole bancaire1391.

L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a mis un terme à cette divergence dans un arrêt

du 4 mars 2005. Elle y a énoncé « que la seule méconnaissance par un établissement de crédit

de l’exigence d’agrément (…) n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il a

conclus »1392. Certes, dans cet arrêt, la Cour de cassation s’est prononcée à la lumière des

textes relatifs à l’agrément bancaire1393. Il n’en reste pas moins que leur violation entraîne

inévitablement celle des textes relatifs au monopole. « Aussi, très logiquement, le refus de

sanctionner civilement le défaut d’agrément emporte-t-il le refus de sanctionner civilement la

violation du monopole bancaire »1394.

Quoi qu’il en soit, le monopole bancaire est justifié par la protection de l’intérêt général

et, plus précisément, par « la nécessaire protection des déposants quant à la liquidité de leurs

dépôts ainsi que [par] le contrôle du crédit qui n’est efficace que si la collecte des capitaux

disponibles est réservée aux établissements de crédit. En effet, ces derniers étant dotés d’un

statut réglementé, l’autorité publique peut leur imposer le respect de certaines prescriptions,

notamment en matière de crédit »1395.

Il importe de noter que l’existence du monopole bancaire ne saurait être remise en cause

par une décision du Conseil constitutionnel en date du 13 juin 20131396. Dans cette décision,

le Conseil a statué sur une loi qui avait pour objectif d’organiser la mutualisation des risques

au moyen d’une clause de désignation. En l’espèce, les partenaires sociaux étaient habilités à

obliger toutes les entreprises d’une branche à confier à un organisme d’assurance la gestion

des garanties de prévoyance issues d’un accord collectif. Dans cette mesure, le législateur

créait indirectement un monopole en faveur de l’assureur désigné. Or le Conseil a jugé que

s’il « est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle

1391 Com., 19 nov. 1991, Bull. civ. IV, n° 356, RJDA 12/91 n° 1053, p. 885 ; Banque n° 526, avr. 1992, 426, obs. J. RIVES-LANGE ; JCP E 1992. I. 154, n° 5, p. 276, obs. J. GAVALDA et J. STOUFFLET, RTD com. 1992. 426, obs. M. CABRILLAC et B. TEYSSIÉ, D. 1993, somm. comm. 53, obs. M. VASSEUR ; Revue droit bancaire et bourse mai-juin 1992, 111, obs. J. CREDOT et Y. GERARD ; RTD civ. 1992. 381, obs. J. MESTRE ; Com. 27 fév. 2001, Bull. civ. IV, n° 46 ; D. 2001. 1097, obs. A. LIENHARD, D. 2002 somm. comm. 636, obs. H. SYNVET, RJDA 6/01 n° 717, p. 631 ; Cont. Conc. Cons. juin 2001, n° 84, note L. LEVENEUR, RDBF mars-avr. 2001. 73, obs. J. CREDOT et Y. GERARD.

1392 Ass.Plen., 4 mars 2005, Bull. Ass. Plen., 2005, n° 2 ; JCP E 2005. 690, note Th. BONNEAU ; JCP G 2005. 10062, concl. DE GOUTTE ; RDBF juill.-août 2005. 118, obs. J. CREDOT et Y. GERARD ; D. 2006, pan. 155 et 158, obs. H. SYNVET ; J. STOUFFLET, RDBF mai-juin 2005. 48.

1393 Art. L. 511-10 du CMF. 1394 Th. BONNEAU, Droit bancaire, LGDJ, Précis Domat, 10e éd., 2013, n° 275. 1395 Th. BONNEAU, op. cit., n° 266. Dans le même sens, v. S. PIEDELIEVRE et E. PUTMAN, Droit

bancaire, Economica, 2011, n° 104 ; S. NEUVILLE, Droit de la banque et des marchés financiers, PUF, n° 174. 1396 Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC ; cf. H. BARBIER, « La valeur constitutionnelle des libertés

de choix du cocontractant et du contenu du contrat », RTD civ. oct.-déc. 2013, p. 832 ; C. PERES, « La liberté contractuelle et le Conseil constitutionnel », RDC 2013-4, n° 5, p. 1292 ; J. GHESTIN, « La consécration de la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle », JCP G 2013, p. 1617.

Page 360: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

358

qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences

constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général », c’est « à la condition qu'il n'en résulte

pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi »1397. Le Conseil a

également jugé que le législateur aurait pu prévoir que soient recommandés un ou des

organismes de prévoyance, mais qu’il ne pouvait imposer aux entreprises de se lier avec un

cocontractant déjà désigné par un accord de branche pour atteindre l’objectif de mutualisation

des risques1398.

Cette décision laisse donc penser que les monopoles, et donc l’obligation qu’ils créent de

contracter avec une personne déterminée, ne sont légitimes que lorsqu’ils constituent l’unique

moyen d’atteindre l’objectif d’intérêt général qu’ils poursuivent.

Pour cette raison, l’existence du monopole bancaire échappe au grief

d’inconstitutionnalité. Il est en effet l’unique moyen pour l’Etat d’assurer la police du crédit.

Il reste à déterminer si ce monopole peut justifier la reconnaissance d’une obligation de

contracter à la charge du banquier.

427. Obligation de contracter et concurrence monopolistique. Si l’on applique la

jurisprudence de la Cour de cassation sur l’obligation de contracter des détenteurs d’un

monopole légal, les établissements de crédit devraient a priori, en cette qualité, se voir

imposer une obligation de contracter. Cependant, cette obligation aurait vocation à neutralisée

en présence d’un motif légitime. Or les établissements de crédit n’ont pas de monopole

économique mais sont simplement en situation de concurrence monopolistique1399. Comme

nous l’avons vu, dans cette situation, le motif légitime ne se doit pas se limiter à la force

majeure ou au comportement blâmable du cocontractant mais doit englober des raisons

d’ordre personnel. En l’occurrence, et plus précisément, le motif de refus pourrait par

exemple s’entendre de l’insolvabilité du candidat-emprunteur, de la nécessité de respecter les

dispositions de Bâle III1400 (et notamment celle imposant aux établissements de crédit de

disposer d’une réserve en fonds propre suffisante), ou tout simplement du manque de

confiance (légitime) du banquier. Si l’on suit ce raisonnement, on constate que le domaine de

l’obligation de contracter du banquier en raison de son monopole serait résiduel, mais

1397 Cons. const., 13 juin 2013, déc. préc., consid. n° 6. 1398 Cons. const., 13 juin 2013, déc. préc., consid. n° 11. 1399 V. supra, n° 424, sur la distinction entre monopole économique et concurrence monopolistique. 1400 Ces dispositions ont été reprises par la directive 2013/36 et le règlement 575/2013 européens du 26 juin

2013. V. sur ce point, G. BOURDEAUX, « Introduction des règles prudentielles Bâle III aux établissements de crédit en droit européen », JCP E 2013, n° 42, p. 36 ; L. IDOT, « Renforcement des règles prudentielles », Europe 2013, n° 8, p. 32

Page 361: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

359

néanmoins adapté à l’effectivité du droit au crédit. En l’absence de raisons légitimes de

refuser le crédit, le banquier pourrait être contraint de le délivrer. Cependant, cette conclusion

doit être confrontée à la réalité du monopole bancaire.

428. Obligation de contracter et réalité du monopole bancaire. Le monopole bancaire

des établissements de crédit est assorti de si nombreuses exceptions par les articles L. 511-6 et

L. 511-7 du Code monétaire et financier (dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 27 juin

20131401) que l’on peut en effet s’interroger sur sa réalité.

D’abord, selon l’article L. 511-6, les interdictions formulées à l’article L. 511-5 ne

concernent notamment ni les institutions et services énumérés à l'article L. 518-1, ni les

entreprises régies par le code des assurances, ni les sociétés de réassurance, ni les entreprises

d'investissement, ni les établissements de monnaie électronique, ni les établissements de

paiement…

Ensuite, selon l’article L. 511-7, l’interdiction relative aux opérations de crédit ne

s’applique pas : aux organismes sans but lucratif qui, dans le cadre de leur mission et pour des

motifs d'ordre social, accordent, sur leurs ressources propres, des prêts à conditions

préférentielles à certains de leurs ressortissants ; aux organismes qui, pour des opérations

définies à l'article L. 411-1 du code de la construction et de l'habitation, et exclusivement à

titre accessoire à leur activité de constructeur ou de prestataire de services, consentent aux

personnes physiques accédant à la propriété le paiement différé du prix des logements acquis

ou souscrits par elles ; aux entreprises qui consentent des avances sur salaires ou des prêts de

caractère exceptionnel pour des motifs d'ordre social à leurs salariés ; aux associations sans

but lucratif et aux fondations reconnues d'utilité publique accordant sur ressources propres et

sur ressources empruntées des prêts pour la création, le développement et la reprise

d'entreprises dont l'effectif salarié ne dépasse pas un seuil fixé par décret, ou pour la

réalisation de projets d'insertion par des personnes physiques.

A ces différentes exceptions, s’ajoute le droit pour les entreprises de consentir des crédits

interentreprises, pratique qui connaît aujourd’hui un développement massif1402.

Ce morcellement du monopole bancaire s’explique « par la prise en considération de

divers intérêts économiques et sociaux » et notamment « le rôle des compagnies d’assurance

1401 Cf. sur ce point Th. BONNEAU, « La réforme des établissements de crédit, commentaire de

l’ordonnance du 27 juin 2013 », JCP E 2013. 1429 ; Th. SAMIN, « La réforme du statut d'établissement de crédit en vue de l'entrée en vigueur du règlement européen CRR I (Capital Requirements Regulation) : des sociétés financières aux sociétés de financement », RDBF sept. 2013, dossier 44.

1402 Sur lequel v. Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 271 et note 505.

Page 362: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

360

en matière de crédit » ainsi que par « la situation de certaines personnes, en particulier les

salariés » et les « méthodes pratiquées par les entreprises »1403.

Finalement, le monopole bancaire est si entamé qu’il paraît difficile, voire impossible, de

se fonder sur lui pour en induire l’existence d’une obligation de contracter le crédit.

429. Conclusion. Au total, il nous semble que le monopole des établissements de crédit

ne saurait justifier l’existence d’une obligation de contracter à leur encontre. Cette conclusion

est dictée par plusieurs considérations. D’une part, le monopole n’est pas octroyé aux

établissements de crédit dans leur intérêt propre mais dans l’intérêt de la clientèle et plus

largement de l’intérêt général1404. D’autre part, la multiplication des exceptions qui lui sont

apportées en affaiblissent considérablement l’effectivité. Enfin, la forte compétition entre les

établissements de crédit caractérise au mieux une situation de concurrence monopolistique.

§ - II : OBLIGATION FONDÉE SUR LA SITUATION D’OFFRE

PERMANENTE DU TITULAIRE DU MONOPOLE

430. Notion d’offre permanente. Si l’on évince l’existence d’un monopole comme

fondement d’une obligation de contracter à la charge du banquier, peut-on se reporter sur la

notion d’offre permanente ? En effet, pour une partie de la doctrine, l’obligation de contracter

du titulaire d’un monopole ne serait pas justifiée par ce dernier. Elle le serait par son état

d’offre permanente1405. L’offre permanente désigne la situation d’une « personne qui, une

fois pour toutes, a offert de passer certains contrats, en général d’un genre déterminé, le plus

souvent au public, mais aussi parfois, à une personne déterminée »1406.

431. Obligation de maintien. Comme toute offre, l’offre permanente est une offre ferme

et précise de contracter. Son acceptation, dans le délai fixé par l’offrant ou, en l’absence d’un

tel délai, dans un délai raisonnable, suffit à former le contrat.

1403 Th. BONNEAU, Droit bancaire, op. cit., n° 267. 1404 V. supra n° 426. 1405 V. en ce sens P. GODÉ, Volonté et manifestation tacites, thèse, préf. J. PATARIN, PUF, 1977, n° 186 ;

J.-L. AUBERT, Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat, thèse, préf. J. FLOUR, LGDJ, 1970, n° 13 ; F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 125.

1406 J.-L. AUBERT, thèse préc., n° 13.

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361

Une fois émise, l’offre fait naître à la charge du pollicitant une obligation de la maintenir.

Il convient sur ce point de distinguer le cas de l’offre assortie d’un délai précis de celui de

l’offre qui ne comporte pas de délai.

Dans le premier cas, la Cour de cassation estime que l’offrant est obligé de maintenir son

offre jusqu’à l’expiration du délai1407. Partant, la rétractation antérieure à cette expiration est

inefficace. Cette solution classique a été rappelée dans un arrêt de la troisième Chambre civile

de la Cour de cassation en date du 7 mai 2008 rendu au visa de l’article 1134 du Code

civil1408. Il est vrai que dans cet arrêt, la Cour de cassation s’est contentée d’affirmer que « si

une offre d'achat ou de vente peut en principe être rétractée tant qu'elle n'a pas été acceptée, il

en est autrement au cas où celui de qui elle émane s'est engagé à ne pas la retirer avant une

certaine époque ». Elle ne s’est pas prononcée sur la sanction applicable en cas de rétractation

antérieure à l’acceptation. Il semblerait, au regard d’une jurisprudence plus ancienne1409 et du

visa choisi par la troisième Chambre civile, que le contrat soit réputé formé1410.

Dans le second cas, la jurisprudence considère que l’offre est nécessairement assortie

d’un délai raisonnable d’acceptation, dont la durée s’apprécie au regard des circonstances

entourant son émission1411. En conséquence, l’offrant est obligé de la maintenir pendant ce

délai.

L’obligation de maintenir l’offre peut être analysée comme une obligation de contracter

en cas d’acceptation pendant le délai (fixé ou raisonnable). Elle diffère profondément de

l’obligation de contracter fondée sur une situation de monopole. En effet, elle n’est pas

imposée au pollicitant par une source extérieure à sa volonté mais naît, à l’inverse, de sa

volonté même. En d’autres termes, elle est une conséquence de la liberté contractuelle, et plus

précisément, du choix de contracter formulé par le pollicitant.

1407 Civ. 1ère, 17 déc. 1958, D. 1959, 33 ; Civ. 3e, 10 déc. 1997, Bull. civ. III, n° 223 (solution implicite),

Défrénois 1998, art. 36753, n° 20, obs. D. MAZEAUD ; Civ. 3e, 10 mai 1968 (2 arrêts), Bull. civ. III, n° 209. 1408 Civ. 3e, 7 mai 2008, Bull. civ. III, n° 79, D. 2008. 2969, obs. S. AMRANI-MEKKI ; RTD civ. 2008. 474,

obs. B. FAGES ; RDC 2008. 1109, obs. Th. GENICON et 1239, obs. F. COLLART-DUTILLEUL ; Dr. et patr. 2009, n° 178, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK, JCP G 2008. I. 119, n° 1, obs. Y. SERINET, M.-L. IZORCHE, « L’irrévocabilité de l’offre de contrat (réflexions à propos de l’arrêt de la troisième chambre civile du 7 mai 2008) », D. 2009, chron. 440.

1409 Civ. 1ère, 17 déc. 1958, D. 1959, 33. Comme le remarque la doctrine, la radicalité de cette solution peut surprendre alors même qu’en cas de rétractation d’une promesse unilatérale de vente, qui est un contrat contrairement à l’offre, la jurisprudence refuse de considérer que le contrat définitif est formé. Notons toutefois que la solution retenue en matière d’offre est davantage conforme au principe de la force obligatoire des contrats.

1410 Dans le même sens, J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Les obligations. t. 1. L’acte juridique, op. cit., n° 140.

1411 Civ. 3e, 20 mai 2009, Bull. civ. III, n° 118, RTD civ. 2009, 524, obs. B. FAGES, RDC 2009, 1325, obs. Y.-M. LAITHIER.

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362

432. Application à la situation du banquier. Peut-on considérer que la situation de

monopole du banquier soit révélatrice d’un état d’offre permanente ?

Si la définition proposée de l’offre permanente est relativement claire, son identification

peut en pratique s’avérer délicate. Dans sa thèse, AUBERT évoque le cas de la proposition de

contracter de la SNCF. Il relève qu’il s’agit d’une « offre de transport, sans plus de précision

extérieure. La précision des éléments du contrat à intervenir se fera lors de la passation du

contrat : l’objet sera précisé par la personne qui s’adressera à la SNCF et celle-ci déterminera

le prix grâce à ses tarifs appliqués à l’objet tel qu’il aura été précisé »1412. Cependant, en dépit

de son manque de précision, la proposition de la SNCF est bien une offre permanente car « les

conditions du contrat (…) sont strictement déterminables sans que celui qui se saisit de l’offre

puisse y changer quelque chose »1413. En d’autres termes, « l’offre permanente ne laisse

pratiquement pas de place à la discussion »1414.

Ce raisonnement est transposable aux différentes propositions de crédit que formulent les

établissements de crédit. Ces dernières contiennent des informations relatives à la nature, aux

bénéficiaires, au montant, à la durée du remboursement, au taux ainsi qu’aux garanties. Les

conditions du contrat de crédit sont donc déterminables. En outre, comme l’offre de transport,

la proposition de l’établissement de crédit est faite à personne indéterminée. Pour autant,

l’établissement de crédit est-il, comme le transporteur ferroviaire, en situation d’offre

permanente ?

Pour le déterminer, il convient de se référer non seulement à la précision de l’offre mais

aussi à sa fermeté. Si celle de l’offre de transport de la SNCF est matérialisée par

l’impossibilité pour le passager de discuter les termes du contrat, il n’en va pas de même de la

proposition formulée par le banquier. Cette dernière est accompagnée d’une réserve fondée

sur l’intuitus personae. Or « la proposition d’un contrat conclu intuitu personae n’est jamais

une offre lorsqu’elle est faite à personne indéterminée »1415. Les établissements de crédit ne

sont donc pas en état d’offre permanente. Leur proposition de contracter est une simple

invitation à entrer en pourparlers.

433. Conclusion de la section. Classiquement, le détenteur d’un monopole de droit a une

obligation de contracter. Cette dernière est limitée en présence d’un motif légitime de refus.

Lorsque le monopole de droit se double d’un monopole économique, ce motif peut résider

1412 J.-L. AUBERT, thèse préc, n° 14. 1413 Op. et loc. cit. 1414 Op. et loc. cit. 1415 J.-L. AUBERT, thèse préc., n° 68.

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363

dans le cas de force majeure ou le comportement blâmable du cocontractant. Lorsqu’en

revanche le monopole de droit ne se prolonge pas par un monopole économique, le motif de

refus est entendu plus souplement. Il peut notamment s’agir de motifs d’ordre personnels.

Dans ces conditions, les établissements de crédit pourraient a priori être débiteurs d’une

obligation de contracter. La loi les investit d’un monopole. Cependant, ce monopole de droit

n’est pas accordé dans l’intérêt de ses détenteurs. En outre, comme il caractérise simplement

une situation de concurrence monopolistique, l’obligation de contracter disparaîtrait en

présence d’un motif d’ordre personnel. Notamment, les établissements de crédit pourraient

s’exonérer en invoquant le manque de confiance. De toute façon, en raison de son

morcellement croissant, le monopole bancaire n’a plus qu’une lointaine parenté avec la notion

originelle de monopole de droit.

Il ne saurait dans ces conditions fonder une obligation de contracter à la charge du

banquier.

Celle-ci ne peut pas davantage être découverte dans sa situation d’offre permanente. Les

propositions de crédit que le banquier formule publiquement sont certes souvent précises,

mais elles ne sont pas fermes car elles contiennent une réserve fondée sur l’intuitus personae.

Le banquier n’est donc pas en situation d’offre permanente mais d’invitation à entrer en

pourparlers.

Il nous reste à déterminer s’il peut être obligé de contracter sur un autre fondement.

SECTION II : L’OBLIGATION DE CONTRACTER EN RAISON

D’UN INTÉRÊT SUPÉRIEUR À LA PRÉSERVATION DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE

434. Identification. Parmi les obligations de contracter, certaines peuvent être justifiées

par « des considérations sociales et politiques »1416. Elles sont, en d’autres termes, fondées sur

la poursuite d’un intérêt socialement supérieur à la préservation de la liberté contractuelle.

On pense en particulier :

- à la cession de bail entre époux divorcés1417, qui vise à protéger l’intérêt de la famille ;

- au renouvellement du bail d’habitation1418, au droit de préemption du locataire en vertu

de ce bail1419 et à la réquisition de logement1420, qui ont pour objet la garantie du droit au

logement ;

1416 F. TERRÉ, Ph. SIMLER ET Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n° 125. 1417 Art. 285-1 du C. civ.

Page 366: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

364

- aux assurances obligatoires1421, qui confortent le droit des victimes à être indemnisées ;

- au renouvellement du bail rural1422, au droit de préemption à l’occasion de ce bail1423

ou encore à l’obligation pour l’entreprise en situation de position dominante sur un marché

amont de délivrer aux entreprises d’un marché aval les produits nécessaires à la poursuite de

leur activité1424, ces mesures étant justifiées par la nécessité d’assurer la stabilité de

l’exploitation agricole ou par la préservation de la liberté du commerce et de l’industrie ;

- à l’obligation pour l’établissement de crédit désigné par la Banque de France d’ouvrir

un compte1425, qui relève de la lutte contre les exclusions.

435. Plan. Parmi toutes ces obligations, seule celle que crée la réquisition du logement

prévue par les articles L. 641-1 et s. et L. 642-1 et s. du CCH nous retiendra ici. En effet, elle

met en œuvre un droit fondamental par la mise d’une chose à la disposition temporaire

d’autrui, c’est-à-dire à charge de restitution, et moyennant une contrepartie. En outre, elle ne

suppose pas l’existence d’une relation antérieure entre le propriétaire requis et le bénéficiaire

de la réquisition. Or l’obligation de contracter du banquier, si on la retient, présenterait

justement ces traits caractéristiques. Elle serait d’abord au service du droit au crédit entendu

comme un droit fondamental ; ensuite, elle se traduirait par un crédit, c’est-à-dire une mise de

fonds à disposition d’autrui (cf. art. L. 313-1 du CMF), à charge pour ce dernier de les

restituer et de verser des intérêts. Enfin, et notamment dans le cas d’un crédit de démarage,

elle ne supposerait pas l’existence d’une relation antérieure entre le banquier et l’emprunteur.

Dans ces conditions, l’analogie s’impose d’elle même. Nous étudierons donc la réquisition du

logement (§ I) avant d’en tirer les conséquences sur la situation du banquier : les fonds

nécessaires au crédit peuvent-ils être « réquisitionnés » ? (§ II).

1418 Art. 10 de la loi du 6 juill. 1989. 1419 Art. 15 II de la loi du 6 juill. 1989. 1420 Art. L. 641-1 et s. et L. 642-1 et s. du CCH. 1421 Art. L. 211-1 C. ass. (automobilistes) ; art. 55 du décret du 20 mai 1955 (notaires) ; art. 7 g de la loi du 6

juill. 1989 (locataires d’un immeuble d’habitation). 1422 Art. L. 411-46 C. rural et pêche maritime. 1423 Au profit du fermier d’un domaine rural (art. L. 412-1 et s. du C. rural et pêche maritime) ; au profit de la

SAFER locataire d’un fonds agricole (art. L. 143-1 et s. du C. rural et pêche maritime). 1424 CJCE, 6 mars 1974, « ICIc/ Commercial Solvents, Aff. jtes 6 et 7-73 ; Commission, 21 déc. 1993, « Sea

containers c/ Stena Sealink », Aff. IV/34.689 ; CJCE, 6 avr. 1995, « Radio Telefis Eireann (RTE) », Aff. jtes C-241/91 et C. 241/91 P. Sur l’ensemble de ces affaires, v. P. DIDIER et Ph. DIDIER, Droit commercial, t. 1, Economica, 2005, n° 671 à 675.

1425 V. supra n° 324 et 339.

Page 367: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

365

§ - I. LA RÉQUISITION DU LOGEMENT

436. Plan. Nous présenterons succinctement le mécanisme de la réquisition prévue par le

CCH (A) avant de nous intéresser à ses conditions (B).

A – LE MÉCANISME DE LA RÉQUISITION

437. Présentation. Conçue comme une mesure exceptionnelle pour remédier aux

problèmes de logement à la suite de la Seconde guerre mondiale, la réquisition est, depuis la

loi du 29 juillet 1998, un outil permanent de lutte contre l’exclusion et le mal-logement. Plus

précisément, elle est envisagée par le Titre IV du Livre VI du Code de la construction et de

l’habitation au titre des modalités de mise en œuvre du droit au logement.

L’article L. 641-1 dispose que, « sur proposition du service municipal du logement et

après avis du maire, le représentant de l'Etat dans le département peut procéder, par voie de

réquisition, pour une durée maximum d'un an renouvelable, à la prise de possession partielle

ou totale des locaux à usage d'habitation vacants, inoccupés ou insuffisamment occupés ».

L’article L. 641-2 prévoit pour sa part que « les personnes dépourvues de logement ou

logées dans des conditions manifestement insuffisantes » ainsi que celles « à l'encontre

desquelles une décision judiciaire définitive ordonnant leur expulsion est intervenue » sont

susceptibles de bénéficier du logement requis.

L’article L. 641-7 réglemente la fixation de l’indemnité d’occupation que percevra le

propriétaire requis.

Les articles L. 642-1 et s. prévoient également une procédure de réquisition avec

attributaire. Dans ce cas, le logement est attribué à une personne publique ou à un organisme

spécialisé, à charge pour ces derniers de le donner à bail au bénéficiaire.

Au total, la réquisition de logement est une mesure originale. Elle permet en effet à l’Etat,

débiteur du droit au logement, de solliciter des personnes privées pour exécuter son

obligation. La réquisition est donc « une prestation de l’Etat, indirecte, qui passe par

l’intermédiaire d’une contrainte imposée aux titulaires d’un droit d’usage sur un bien

immobilier »1426.

438. Réquisition et droit de propriété. La réquisition caractérise évidemment une

1426 S. THERON, « La réquisition administrative de logement », AJDA 2005, p. 247 et s.

Page 368: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

366

entorse à la liberté contractuelle. Mais qu’en est-il du droit de propriété ? En vertu de l’article

544 du Code civil, on considère classiquement que le propriétaire a trois prérogatives: l’usus

(droit d’user de la chose), le fructus (droit de jouissance) et l’abusus (droit de disposer de la

chose).

La réquisition porte atteinte à l’usus puisque le propriétaire est privé de la possibilité

d’user de sa chose comme il l’entend. Si l’on admet que la liberté de percevoir ou non des

fruits fait partie du fructus, cette prérogative est aussi entamée. Cependant, ce constat

s’atténue si l’on considère que la perception par le propriétaire d’une indemnité d’occupation

équivaut à un véritable loyer. S’agissant enfin de l’abusus, il est permis de penser qu’aucune

atteinte n’est caractérisée dès lors que le propriétaire conserve la faculté d’aliéner son

bien1427.

Si l’on définit la propriété par son contenu, on voit donc que celle-ci est malmenée par la

réquisition. Cette mesure est en revanche compatible avec la propriété si l’on ne la définit pas

par la réunion effective de tous les pouvoirs décrits par l’article 544, mais seulement par « le

principe même de ces pouvoirs »1428. En d’autres termes, selon cette conception plus moderne

de la propriété, « le propriétaire n'est pas celui qui dispose actuellement de toutes les utilités

de la chose – car il faut bien accepter que l'on en concède certaines, pour tirer une satisfaction

maximale de la chose –, mais celui à qui elles reviennent par principe, à terme, sitôt que les

utilisateurs ont épuisé leurs droits »1429.

Au-delà de ce débat théorique sur la définition de la propriété, il nous semble qu’il faille

prendre en considération l’utilité de la chose appropriée. S’il s’agit d’un logement, cette utilité

réside dans l’habitation. En temps normal, le propriétaire est libre d’exploiter ou non l’utilité

de son bien. Mais il ne saurait en aller de même en période de pénurie. Dans une telle

situation, il serait asocial que le propriétaire laisse son bien inutilisé1430. En ce sens, la

1427 V. sur ce point, S. THERON, art. préc., p. 247 et s. L’auteur renvoie à CE, ord. réf. 12 nov. 2001,

Commune de Montreuil-Bellay, dans laquelle le juge administratif a considéré que « le droit de préemption ne met pas en cause [le droit de propriété] car le propriétaire d’un bien soumis à ce droit ne perd pas sa liberté de le céder » (Lebon, p. 551). En pratique, cependant, l’atteinte est constituée dès lors que le propriétaire, désireux de vendre son bien, aura des difficultés à trouver un acquéreur intéressé par un logement réquisitionné.

1428 R. LIBCHABER, « La propriété », Libertés et droits fondamentaux, dir. R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE et Th. REVET, Dalloz, 18e éd., n° 938. Dans le même sens, S. THERON, art. préc., p. 247.

1429 Cf. R. LIBCHABER, obs. sous Civ. 3e, 31 oct. 2012, RDC 2013/2, p. 584. 1430 En ce sens, v. not. H. PAULIAT, « L’objectif constitutionnel de droit à un logement décent : vers le

constat de décès du droit de propriété », D. 1995, p. 283 : « Le droit à un logement décent vient consacrer de manière définitive la fonction sociale du droit de propriété. Si celui-ci existe encore de manière théorique, c'est à la condition qu'il remplisse une utilité sociale reconnue, évidente. La propriété devient inutile, voire nuisible, les prérogatives du propriétaire sans objet et presque scandaleuses si le bien et le droit ne servent pas à l'intérêt de la société ». V. égal. H. MOUTOUH, « Le propriétaire et son double – Variations sur les articles 51 à 52 de la loi du 29 juillet 1998, JCP 1999, I, 146, p. 1176, spéc. n° 27 à 32.

Page 369: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

367

réquisition est donc un moyen de lutter contre l’exercice asocial du droit de propriété1431. En

somme, elle traduit l’idée que « la propriété n’est une prérogative solitaire que dans la mesure

où l’intérêt général [n’est] pas concerné, ce qui restreint la perspective individualiste sinon la

supprime »1432.

B – LES CONDITIONS DE LA RÉQUISITION

439. Plan. La réquisition de logement suppose que deux conditions soient réunies. La

première concerne toutes les obligations de contracter fondées sur la préservation d’un intérêt

supérieur à la liberté contractuelle et peut être déduite de la jurisprudence du Conseil

constitutionnel (1). La seconde est propre au mécanisme de la réquisition et elle est prévue par

la loi (2).

1) La condition générale

440. Intérêt supérieur et proportionnalité. Le législateur ne peut édicter sans condition

des limites à la liberté contractuelle au nom de la préservation d’un intérêt supérieur. Il

convient ici de se reporter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans une décision n°

2000-447 DC du 19 décembre 2000, il a jugé que la liberté contractuelle peut être limitée

lorsque des exigences constitutionnelles ou un motif d’intérêt général le justifient, sous

réserve que cette limitation ne lui porte pas une atteinte disproportionnée au regard de

l’objectif poursuivi1433. Cette solution a été réitérée par une décision du 14 mai 20121434. Elle

1431 C’est également l’exercice asocial du droit de propriété qui a été sanctionné par la troisième Chambre

civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 15 février 2012 (Bull. civ. III n° 32, RDI 2012. 272, note J.-L. BERGEL ; D. 2012. 1308, note N. THOMASSIN et 2128, obs. B. MALLET-BRICOUT ; JCP G 2012. 465, note H. PERINET-MARQUET). En l’espèce, un propriétaire refusait qu’un échafaudage soit installé sur sa propriété afin de permettre la réfection de la toiture de ses voisins. Or la Haute juridiction a approuvé les juges du fond d’avoir retenu l’existence d’un abus du droit de propriété. Ce dernier était caractérisé non par l’intention de nuire du propriétaire mais pas le caractère disproportionné de son refus au regard de la nécessité que représentaient les travaux pour les voisins.

1432 R. LIBCHABER, « La propriété », art. préc., n° 945. Nous ne sommes pas très loin du raisonnement développé il y a un siècle par HAURIOU : « Tout a été fort habilement calculé pour que la fonction économique de la propriété fut assurée par le seul jeu de la liberté. Mais si un jour ou l'autre on s'apercevait que la culture n'est plus assurée d'une façon suffisante, sans aucun doute l'obligation juridique d'accomplir la fonction apparaîtrait sous peine d'expropriation » (HAURIOU, Principes de droit public, 1910, Paris, Larose, p. 38).

1433 Cons. const. 19 déc. 2000, n° 2000-447 DC. En l’espèce, il ne s’agissait pas d’une obligation de contracter mais d’une simple incitation à contacter (cf. consid. 37 : « s'il est vrai que le dispositif institué par le législateur a notamment pour finalité d'inciter les entreprises pharmaceutiques à conclure avec le comité économique des produits de santé, en application de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, des conventions relatives à un ou plusieurs médicaments, visant à la modération de l'évolution du prix de ces médicaments et à la maîtrise du coût de leur promotion, une telle incitation, inspirée par des motifs d'intérêt

Page 370: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

368

est enfin confirmée par une récente décision du 13 juin 20131435. Il importe donc de

s’interroger sur les conditions de la reconnaissance d’un intérêt supérieur à la liberté

contractuelle et sur l’exigence de proportionnalité.

441. Caractérisation de l’intérêt supérieur. La reconnaissance d’un intérêt supérieur

suppose qu’un conflit de droits soit résolu1436. La résolution est relativement simple lorsque

les droits concurrents n’ont pas la même valeur juridique. Dans une telle hypothèse, le droit

hiérarchiquement supérieur va nécessairement primer. La résolution est en revanche moins

évidente lorsque les droits sont d’égale valeur juridique. Il convient alors d’appliquer la

méthode de « la balance des intérêts en présence ». Cette technique, bien connue du Conseil

constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, n’a pas vocation à trancher le

conflit en fixant la supériorité d’un droit sur l’autre de manière absolue et définitive. Elle a

pour mission d’identifier, au regard des circonstances de l’espèce, l’intérêt qui doit

prévaloir1437. Analysant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

relative à la liberté d’expression, M. GERARD observe que cette dernière « a été conduite à

définir la valeur ou le poids de la liberté d’expression en tenant compte du contexte

démocratique dans lequel cette liberté remplit une fonction d’intérêt général »1438. L’auteur en

déduit que « la prise en considération des exigences de la démocratie » traduit « le

dépassement d’une conception individualiste des droits au profit d’une vision plus

collective »1439.

général, n'apporte pas à la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen une atteinte contraire à la Constitution »).

1434 Cons. const., 14 mai 2012, n° 2012-242 QPC. Dans cette décision, il s’agissait de déterminer si la protection contre les mesures visant à protéger un salarié membre ou administrateur d’une caisse de sécurité sociale contre licenciement étaient contraires à la liberté contractuelle ou d’entreprendre. Dans ses considérants 6 et 7, le Conseil a jugé que ces libertés pouvaient être limitées en présence d’un motif d’intérêt général le justifiant et sous réserve que la limitation ne leur porte pas une atteinte disproportionnée.

1435 Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672, préc. 1436 Sur cette notion, v. not. M. OUDIN, « Les conflits de droits subjectifs », RRJ –Droit prospectif, 2007-1,

p. 67-81 ; J. RAVANAS, « Liberté d’expression et protection des droits de la personnalité », D. 2000, p. 459 et s. ; J.-M. DENQUIN, « Les conflits de liberté », Mélanges offert au Professeur R.-E. Charlier, éd. de l’Université et de l’Enseignement moderne, 1981, p. 545 et s. ; Ph. GERARD, L’esprit des droits, philosophie des droits de l’homme, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2007, spéc. p. 203-208 ; M. LEVINET, Théorie générale des droits et libertés, op. cit., spéc. p. 174-178.

1437 Sur le caractère circonstancié de l’appréciation de l’intérêt devant prévaloir, v. D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 9e éd., 2010, p. 125 ; v. également M.-C. PONTHOREAU, « La protection des droits fondamentaux par le Conseil constitutionnel », Administration 1997, n° 177, p. 37 : « Aucun droit ne bénéficie d’une protection absolue ou prédominante dans la mesure où il est dépendant dans son exercice des autres droits : dans le cadre d’une conciliation, un droit peut prendre le pas sur l’autre, mais dans un contexte concret différent, ce même droit est susceptible de se voir imposer des sacrifices au profit de l’autre ».

1438 Ph. GERARD, L’esprit des droits, philosophie des droits de l’homme, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2007, p. 205. V. les nombreuses références jurisprudentielles, notes 397 à 399.

1439 Ph. GERARD, op. cit., p. 205.

Page 371: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

369

La réquisition de logement est précisément le reflet d’une confrontation des intérêts en

présence. La lutte contre les exclusions, à laquelle participe le droit au logement, est un

« impératif national » depuis la loi du 29 juillet 19981440. Elle constitue donc une exigence de

la démocratie justifiant qu’il soit porté atteinte aux prérogatives du propriétaire. En d’autres

termes, à travers la loi du 29 juillet 1998, la volonté générale a considéré que l’accès à un

logement est un intérêt supérieur à la préservation de la liberté de choix du propriétaire dès

lors qu’il s’agit de lutter contre les exclusions.

442. Caractérisation de la proportionnalité. Outre qu’elle doit être justifiée par un

intérêt supérieur, l’obligation de contracter ne doit pas porter à la liberté contractuelle une

atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Il est à noter que, dans sa décision

du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a jugé l’atteinte disproportionnée au motif que des

solutions moins contraignantes auraient en l’espèce permis d’atteindre l’objectif d’intérêt

général poursuivi1441.

S’agissant de la réquisition de logement prévue par la loi du 29 juillet 1998, elle nous

semble constituer une atteinte proportionnée aux droits du propriétaire et à sa liberté

contractuelle. D’une part, on ne voit pas quelle solution moins contraignante permettrait

d’atteindre l’objectif voulu. D’autre part, les mesures de réquisition prévues par la loi ne

peuvent être mises en œuvre qu’en situation de pénurie, ce qui nous amène au point suivant.

2) La condition spéciale

443. La condition de pénurie. La réquisition de logement, telle qu’elle est organisée par

la loi du 29 juillet 1998, exige qu’une situation de pénurie soit caractérisée.

L’article L. 641-1 du Code de la construction et de l’habitation autorise ainsi le

Représentant de l’Etat, sur proposition du service municipal et après avis du maire, à

réquisitionner les logements vacants « dans toutes les communes où sévit une crise du

logement ».

De la même manière, l’article L. 642-1 (relatif à la réquisition avec attributaire) vise « les

communes où existent d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande de logement au

détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées ».

1440 Le droit au logement est en outre un objectif à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil

constitutionnel en date du 19 janvier 1995 (Cons. const., déc. n° 95-359 DC, 19 janv. 1995, Rec. p. 176). 1441 Cons. const. 13 juin 2013, déc. préc., consid. n° 11.

Page 372: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

370

Les références à l’existence d’une crise du logement ou d’un déséquilibre entre l’offre et

la demande évoquent bien une situation de pénurie. Elles limitent aussi les pouvoirs de l’Etat

en ne l’autorisant à recourir à la réquisition que lorsqu’il n’est pas en mesure d’assurer, par lui

même, l’effectivité du droit au logement.

Si la pénurie est à ce jour une condition propre à la réquisition de logement, il semble

pourtant qu’elle aurait vocation à être généralisée à toutes les circonstances dans lesquelles le

législateur obligerait une personne à mettre son bien à la disposition d’autrui. En effet, dans le

cas inverse, la mesure serait inutile et, partant, contraire à l’exigence de proportionnalité.

Il reste à déterminer si l’on peut songer à transposer le mécanisme de la réquisition à la

distribution du crédit.

§-II. LA « RÉQUISITION » DES FONDS NÉCESSAIRES AU CRÉDIT

444. Transposition des conditions de la réquisition du logement. Si l’on s’inspire du

mécanisme de la réquisition de logement, il nous semble possible de considérer qu’une

banque puisse être tenue de mettre des fonds à la disposition d’autrui, dès lors que les

conditions que l’on a décrites sont réunies.

En premier lieu, il faudrait que le droit au crédit constitue un intérêt supérieur à la

préservation de la liberté contractuelle du banquier. Comme nous l’avons vu, pour s’en

assurer, un conflit de droits devrait être résolu1442. Or il serait parfaitement envisageable que

ce conflit soit réglé au profit du droit au crédit.

En second lieu, il faudrait que l’atteinte à la liberté contractuelle soit proportionnée. Pour

qu’il en aille ainsi, il faudrait que l’obligation de contracter soit l’unique voie pour assurer la

mise en œuvre du droit au crédit.

Il en irait précisément ainsi si la dernière condition, tenant à l’existence d’une situation de

pénurie, venait à être remplie. Plus précisément, la pénurie serait caractérisée si les régions, la

BPIfrance, ou, si son existence venait à êre reconnue, le service public du crédit, n’étaient

plus en mesure d’assurer directement la distribution du crédit. En d’autres termes, il en irait

ainsi en cas de défaillance de ces institutions qui auraient épuisé toutes les ressources dont

elles disposaient. L’Etat serait alors fondé à demander aux établissements de crédit de

contribuer, dans la mesure de leurs ressources disponibles, au financement des crédits relevant

1442 V. supra n° 441.

Page 373: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

371

du droit au crédit1443. A l’image de la réquisition de logement, cette contribution pourrait

prendre deux formes. La première serait la conclusion d’un contrat de crédit entre

l’établissement de crédit et le bénéficiaire du droit au crédit (équivalent de la réquisition de

logement sans attributaire : art. L. 641-1 et s. du CCH). La seconde consisterait en une

réquisition de l’argent par l’Etat et son attribution à l’institution publique chargée de mettre en

œuvre le droit au crédit (équivalent de la réquisition de logement avec attributaire : art. L.

642-1 et s. du CCH).

445. Conclusion de la section. Peut-on envisager de mettre à la charge du banquier une

obligation de contracter en vue d’assurer l’effectivité du droit au crédit ? Celle-ci s’ajouterait

alors à la liste des obligations de contracter en raison d’un intérêt supérieur. Elle

représenterait l’équivalent, en matière de crédit, de l’obligation de contracter mise à la charge

du propriétaire sur le fondement de la réquisition de logement prévue par la loi du 29 juillet

1998.

A la lumière du régime applicable à cette dernière, il est possible de tracer les contours de

l’éventuelle obligation de contracter du banquier. Cette dernière ne serait envisageable qu’à

plusieurs conditions. Il faudrait que le droit au crédit soit qualifié d’intérêt supérieur à la

préservation de la liberté contractuelle. Il faudrait en outre que l’obligation soit proportionnée

à l’objectif poursuivi, ce qui en pratique nécessiterait qu’une pénurie de crédit soit constatée

auprès des institutions publiques chargées de mettre en œuvre le droit au crédit.

446. Conclusion du Chapitre II. Il est classique de présenter les personnes en situation

de monopole de droit comme débitrices d’une obligation de contracter. En réalité, cette

obligation n’est jamais absolue puisqu’elle peut être suspendue en présence d’un motif

légitime. Si le monopole de droit se double d’un monopole économique, seuls la force

majeure ou le comportement blâmable du candidat au contrat sont susceptibles d’être

invoqués. Lorsque, en revanche, le monopole de droit se traduit par une simple situation de

concurrence monopolistique, les motifs légitimes de refus de contracter doivent être plus

largement entendus pour s’étendre à des raisons d’ordre personnel. Doit-on en conclure que le

banquier pourrait être contraint de conclure le contrat en l’absence de motif légitime ?

1443 La réquisition de crédit permettrait d’éviter que les ressources disponibles soient laissées sans affectation

alors qu’elles ont pour utilité d’être mises au service du crédit. Pour un raisonnement analogue en ce qui concerne la réquisition de logement, v. supra, n° 438.

Page 374: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

372

Il est permis d’en douter. Le morcellement du monopole bancaire est tel qu’il est difficile

de penser qu’il suffise à justifier une obligation de contracter.

Les établissements de crédit ne pourraient être davantage contraints de contracter sur le

fondement de l’état d’offre permanente dans lequel se trouvent la plupart des personnes en

situation de monopole. En effet, la proposition de contracter un crédit contient une réserve

implicite d’intuitus personae, ce qui conduit à la qualifier de simple invitation à entrer en

pourparlers.

Le banquier pourrait-il alors être obligé de contracter en raison de l’intérêt supérieur que

représenterait la mise en œuvre du droit au crédit au regard de la liberté contractuelle ? En cas

de réponse affirmative, serait alors consacrée une « réquisition » de crédit analogue à la

réquisition de logement prévue par les articles L. 641-1 et s. et L. 642-1 et s. du Code de la

construction et l’habitation. L’examen des conditions propres à cette dernière nous conduit

effectivement à admettre la possibilité théorique d’une obligation de contracter à la charge du

banquier. Mais en pratique, ces conditions sont telles que l’obligation ainsi reconnue aurait

une portée limitée. Elle supposerait en particulier que les organismes publics chargés de la

mise en œuvre du droit au crédit soient en situation de pénurie. L’obligation de fournir le

crédit, à la charge établissements privés, ne serait ainsi appelée à s’appliquer que de manière

très subsidiaire.

Page 375: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

373

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

447. Le droit de la responsabilité civile représente un terrain favorable à l’émergence

d’un droit au crédit, du moins à destination des entreprises. En effet, si le banquier expose sa

responsabilité lorsqu’il octroie un crédit susceptible de rendre un particulier insolvable, en

sens inverse, l’article L. 650-1 du Code de commerce limite étroitement cette responsabilité

en cas d’octroi de crédit à une entreprise en difficulté. La distribution du crédit aux entreprises

est ainsi encouragée, et cela d’autant plus que le banquier engage symétriquement sa

responsabilité s’il rompt abusivement le crédit. Selon nous, il devrait en aller de même

lorsqu’il refuse de l’octroyer sans motif légitime.

Dans ces conditions, il n’est pas illégitime d’envisager l’émergence d’un droit au crédit,

ce qui conduit à s’interroger sur ses sources, aussi bien philosophiques que juridiques, et sa

nature.

D’un point de vue philosophique, ce droit serait l’expression de l’essence créatrice et

sociale de l’homme. En ce sens, il permettrait à chaque individu d’obtenir de ses semblables

les moyens de créer et donc d’accéder à la condition d’homme libre.

D’un point de vue juridique, le droit au crédit pourrait être légitimé par le principe de

dignité de la personne humaine, par le droit au développement et par la liberté d’entreprendre.

S’agissant de sa nature juridique, il pourrait être rattaché à la catégorie des droits

subjectifs et à celle des droits fondamentaux. Comme droit subjectif, le droit au crédit serait

défini comme la prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le droit objectif et

conférant à son titulaire le pouvoir d’exiger un crédit, pourvu que son obtention lui soit utile

en tant qu’individu ou en tant qu’acteur de la vie sociale. Comme droit fondamental, le droit

au crédit serait relationnel. En effet, l’accès au crédit crée une relation durable entre le prêteur

et l’emprunteur. En outre, il a pour objectif d’être réciproquement bénéfique, spécialement

lorsqu’il finance une activité socialement utile.

Si le droit ainsi fondé peut assurément avoir pour objet le crédit productif, il serait

contestable de l’étendre aux crédits à la consommation et immobilier. D’une part, l’existence

d’un droit au crédit au profit des particuliers risquerait de perturber la lutte contre le

surendettement. D’autre part, à supposer même qu’on ne l’accorde qu’aux seuls particuliers

solvables, il est loin d’être évident que l’accès aux biens de consommation ou à la propriété

immobilière soit un bienfait.

Page 376: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

LE DROIT AU CRÉDIT

374

Si l’on peut finalement admettre l’existence d’un droit au crédit au profit des entreprises,

quelles en seraient alors les conditions de mise en œuvre ?

En premier lieu, peut-on concevoir l’instauration d’un service public du crédit ?

La doctrine de droit bancaire y est hostile dans son ensemble. La nature commerciale de

la distribution de crédit, ainsi que la recherche de profit qui l’anime, constitueraient des

obstacles à l’existence d’un service public. En réalité, ces obstacles ne sont qu’apparents.

D’une part, l’activité de service public peut avoir une nature commerciale. D’autre part, la

recherche du profit n’est pas incompatible avec le service public dès lors que celui-ci est

prioritairement guidé par la recherche de l’intérêt général. D’ailleurs, la distribution de crédit

par les régions et, plus récemment, par la BPIfrance, présente de fortes similitudes avec une

activité de service public.

La reconnaissance d’un service public du crédit ne serait pas sans conséquence. Elle

aurait pour effet d’investir les administrés remplissant les conditions d’accès d’un véritable

droit au fonctionnement du service, incluant celui d’obtenir la prestation.

En second lieu, le droit au crédit pourrait-il être mis en œuvre par la reconnaissance d’une

obligation de contracter à la charge du banquier ?

La doctrine considère traditionnellement que le détenteur d’un monopole de droit est

débiteur d’une obligation de contracter. Dans ces conditions, les établissements de crédit,

détenteurs d’un monopole de droit, pourraient-ils être obligés de contracter ? Il est permis

d’en douter. D’une part, les établissements de crédit étant en situation de simple concurrence

monopolistique, leur obligation pourait être suspendue en raison d’un motif d’ordre

personnel, comme le manque de confiance. D’autre part et de toute façon, le monopole

bancaire est aujourd’hui considérablement affaibli en raison des exceptions de plus en plus

nombreuses qui lui sont apportées. Dans ces conditions, il ne saurait à lui seul justifier la

reconnaissance d’une obligation de contracter.

Cela étant, l’existence d’un intérêt supérieur à la préservation de la liberté contractuelle

peut aussi justifier qu’une partie soit obligée de contracter. Si l’on considère le droit au crédit

comme un intérêt supérieur, le banquier pourrait être ainsi tenu de contracter. Son obligation

donnerait alors lieu à une réquisition de crédit semblable à celle du logement prévue aux

articles L. 641 et s. et L. 642 et s. du CCH. Elle serait néanmoins soumise au respect de

plusieurs conditions. Outre la caractérisation nécessaire du droit au crédit comme un intérêt

supérieur, l’atteinte portée à la liberté contractuelle du banquier devrait être proportionnée à

l’objectif poursuivi. Pour qu’il en aille ainsi, une situation de pénurie dans la distribution

publique du crédit devrait être caractérisée.

Page 377: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

CONCLUSION GÉNÉRALE

448. Juridiquement, l’inexistence actuelle du droit au crédit repose sur une affirmation :

la décision du banquier d’octroyer ou non un crédit est l’expression de sa liberté

discrétionnaire de contracter ou ne pas contracter. Cette discrétionnarité s’explique aussi par

la spécificité du contrat de crédit qui est conclu intuitu personae et repose sur la confiance.

Cependant, ces obstacles à la reconnaissance d’un droit au crédit ne sont qu’apparents.

Tout d’abord, la doctrine ne reconnaît pas unanimement l’existence de la catégorie des

droits discrétionnaires. On ne saurait s’en étonner, dans la mesure où la conception privatiste

de la discrétionnarité s’écarte notablement de la conception publiciste. En droit public, le

pouvoir discrétionnaire de l’administration est soumis à une contrainte de but et il n’a donc

rien d’arbitraire. Au contraire, en droit privé, le droit discrétionnaire est incontrôlable et non

susceptible d’abus. Sa reconnaissance tolère donc les comportements amoraux, voire

préjudicables pour autrui, ce qui sucite pour le moins des réticences.

Ensuite, la jurisprudence est confuse. Certes, le terme discrétionnaire sert parfois à

qualifier un droit insusceptible d’abus, mais il est aussi et à l’inverse utilisé pour dénoncer le

caractère illégitime d’un comportement ou pour désigner un droit soumis au contrôle de

l’abus. De plus, si l’on excepte l’arrêt Tapie rendu par l’Assemblée Plénière le 9 octobre

2006, la liberté de contracter n’a jamais été qualifiée de discrétionnaire.

En réalité, il apparaît que les cas dans lesquels un droit peut être discrétionnaire devraient

être résiduels. La discrétionnarité ne nous semble légitime que lorsque l’exercice de la

prérogative n’a aucune incidence sur la situation d’autrui, lorsqu’il ne relève pas de la sphère

juridique ou obéit à un intérêt supérieur. Or la décision du banquier ne relève d’aucune de ces

hypothèses.

Qu’en est-il alors de la considération de la personne et la confiance qui président à la

conclusion du contrat de crédit ? Selon la doctrine de droit bancaire, la discrétionnarité de la

décision du banquier pourrait être fondée sur cette dimension éminemment subjective du

contrat de crédit. Cependant, cette proposition s’est révélée critiquable. Non seulement la

considération de la personne et la confiance reposent sur des éléments objectifs et donc

facilement contrôlables, mais encore, lorsqu’elles sont invoquées au stade de la rupture du

contrat, elles sont impuissantes à conférer un caractère discrétionnaire à la décision de le

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376

rompre. Aussi, l’intuitus personae et la confiance sont inaptes à fonder la discrétionnarité de

la décision de contracter ou non du banquier.

449. D’ailleurs, la décision du banquier est si peu discrétionnaire qu’elle est précisément

contrôlée par la loi et par le juge.

A ce titre, la décision d’octroyer un crédit est parfois interdite. Il en va ainsi lorsque le

crédit projeté est ruineux, a pour effet de soutenir artificiellement une entreprise dont la

situation est irrémédiablement compromise, ou encore lorsqu’il est octroyé à un particulier en

l’absence de chance sérieuse de remboursement. Lorsqu’elle n’est pas interdite, la décision

d’octroyer le crédit est encore subordonnée à l’accomplissement d’obligations telles que la

mise en garde de l’emprunteur non averti ou la vérification de la solvabilité du particulier.

Cette dernière obligation, confortée par la récente création d’un fichier positif recensant

l’ensemble des crédits à la consommation contractés par les particuliers, pourrait être le socle

d’une extension du contrôle de la décision du banquier. En pratique, celui-ci pourrait être

chargé d’un devoir de conseil impliquant de refuser des crédits excessifs.

Quant à la décision de refuser le crédit, elle est également contrôlée. Le banquier, comme

tout contractant, est tout d’abord tenu de respecter les dispositions légales relatives à

l’interdiction des discriminations. Ensuite, il peut être invité par le médiateur du crédit à

reconsidérer une demande qu’il avait initialement rejetée, et s’il entend maintenir son refus, il

doit s’en expliquer. Si l’obligation de motivation demeure à ce stade informelle et non

contraignante, de nombreux éléments plaident en faveur de sa reconnaissance effective par le

droit positif. Outre les vertus pédagogiques qu’elle représenterait pour l’entreprise candidate

au crédit, la motivation s’avèrerait particulièrement nécessaire tant au regard du pouvoir

unilatéral de décision du banquier que de la structure inégalitaire du contrat de crédit.

Encore fallait-il s’interroger sur la compatibilité d’un tel contrôle avec la notion même de

contrat. Peut-on encore parler de contrat dès lors que la décision d’octroyer ou non un crédit

est fortement encadrée et serait appelée à l’être encore davantage ? Le contrat n’est-il pas

exclusivement l’œuvre de volontés totalement libres et égales ? Une réponse positive serait

anachronique. L’existence du contrat comme la détermination de son contenu ne sont plus

seulement ni même nécessairement l’œuvre de telles volontés. La pratique contractuelle s’est

standardisée et massifiée. Ce phénomène justifie précisément l’objectivation du contrat, c’est-

à-dire la création d’obligations par le législateur et le juge. Celle-ci a en effet pour objectif de

garantir, et parfois de restaurer, l’égalité entre les parties ainsi que leur liberté contractuelle.

En outre, l’objectivation du contrat de crédit est intimement liée à sa dimension relationnelle.

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377

Le devoir de mise en garde et l’obligation du banquier de se justifier auprès du médiateur du

crédit traduisent l’émergence d’un devoir de collaboration au stade de la formation du contrat.

Le contrat de crédit est ainsi placé au service d’un intérêt social, à savoir la promotion de

l’accès au crédit et la responsabilisation de ses acteurs.

En définitive, l’octroi du crédit ne peut être laissé à l’appréciation discrétionnaire du

banquier. Sa décision doit nécessairement être encadrée afin que le crédit puisse remplir son

utilité sociale. L’argument de la discrétionnarité étant ainsi écarté, il n’existe plus d’obstacle à

l’existence d’un droit au crédit. A partir de là, comment son admission pourrait-elle être

organisée ? Deux voies peuvent être envisagées.

450. La première, indirecte, réside dans la mise en œuvre de la responsabilité civile. La

jurisprudence s’est à plusieurs reprises servie de l’article 1382 du Code civil pour reconnaître

des droits subjectifs, avant même qu’ils ne soient officiellement consacrés par le législateur.

On songe notamment au droit au respect de la vie privée et à celui de la personne sur son

image. La méthode employée par le juge consiste alors à adapter les conditions de la

responsabilité. Qu’en est-il en matière bancaire ? On peut y observer trois tendances.

D’un côté, l’article L. 650-1 du Code de commerce va dans le sens d’un allégement de la

responsabilité civile du banquier en cas d’octroi de crédit à une entreprise. Or la Cour de

cassation est allée encore plus loin dans le sens de l’allégement en exigeant, outre les

conditions prévues par le texte, une condition supplémentaire tenant au caractère fautif du

crédit octroyé. Aussi, cette jurisprudence témoigne d’un mouvement favorable à l’accès au

crédit des entreprises et donc à la reconnaissance possible d’un droit au crédit à leur profit.

D’un autre côté, le devoir de vérifier la solvabilité du particulier emprunteur va en sens

inverse. Il devrait logiquement se prolonger par un devoir de ne pas prêter à l’emprunteur

insolvable et de ne pas octroyer de crédits excessifs. Nous sommes ici bien loin d’une

politique d’incitation à l’octroi de crédit aux particuliers et donc de la reconnaissance d’un

droit à leur profit.

Enfin, il convient de relever l’incidence de l’article L. 313-12-1 du CMF. Celui-ci met à

la charge du banquier l’obligation d’expliquer à l’entreprise qui en fait la demande le résultat

de sa notation, par hypothèse défavorable. Ce manquement devrait être caractérisé aussi bien

en l’absence d’explication qu’en présence d’une explication défectueuse. Il devrait entraîner

la réparation de la perte de chance d’obtenir les gains espérés du contrat de crédit, ce qui

accrédite à nouveau l’idée d’un droit au crédit.

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378

Au total, le régime de la responsabilité civile du banquier n’est pas défavorable à la

reconnaissance indirecte d’un droit au crédit, du moins aux entreprises. Peut-on aller plus loin

pour en admettre directement l’existence ?

451. Dans cette optique, le droit au crédit serait celui d’obtenir de la société les moyens

de s’affirmer et d’accéder à sa propre liberté. Juridiquement, il trouverait ses racines dans le

principe de dignité de la personne humaine, le droit au développement et la liberté

d’entreprendre. Le principe de dignité humaine tout d’abord, car il suppose que l’individu

puisse évoluer dans des conditions matérielles garantissant tant son intégrité physique que son

épanouissement intellectuel et social. Le droit au développement, ensuite, car il comporte une

dimension non seulement collective mais aussi individuelle. La liberté d’entreprendre, enfin,

car, entendue de façon positive, elle implique que l’Etat prenne les mesures nécessaires afin

de permettre à tous d’accéder à une activité économique indépendante.

Le droit au crédit étant ainsi fondé, quelle pourrait en être la nature juridique ? Plusieurs

rattachements sont envisageables : droits à, droits de l’homme, droits subjectifs ou encore

droits fondamentaux. Nous avons exclu les deux premiers en raison de leur indétermination et

de leur faible justiciabilité. En revanche, le droit au crédit pourrait être rattaché à la catégorie

des droits subjectifs. Il ne serait cependant pas un simple droit subjectif mais constituerait en

outre un droit fondamental relationnel. Un droit fondamental, en ce qu’il permettrait à son

titulaire, qui pourrait être une personne physique ou morale, d’exiger de l’Etat, ou, sous

certaines conditions, de personnes privées, l’octroi d’un crédit. Un droit relationnel car ce

pouvoir d’exiger ne placerait pas son titulaire dans la position passive de simple bénéficiaire

mais ferait naître en retour à sa charge une obligation de rembourser le crédit. Dans ces

conditions, le droit au crédit aurait des retombées positives aussi bien pour son titulaire que

pour la collectivité dans son ensemble.

Cependant, s’il ne fait aucun doute que la reconnaissance d’un droit au crédit des

entreprises, c’est-à-dire un droit au crédit productif, est souhaitable, celle d’un droit au crédit

des particuliers soulève davantage de questions. D’abord, il ne serait pas opportun d’envisager

un droit au crédit au profit des particuliers pour lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté,

sous peine d’alimenter la spirale du surendettement. L’admission d’un droit au crédit au profit

des particuliers solvables susciterait également des réserves. Les récentes évolutions

législatives ne vont pas en ce sens. En effet, le devoir de vérifier la solvabilité du particulier

ainsi que la création d’un fichier positif traduisent le souci d’endiguer le surendettement et ne

sauraient fonder une obligation de prêter au consommateur solvable. De toute façon, il n’est

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379

pas sûr qu’une politique visant à encourager l’accès au crédit des consommateurs solvables

soit souhaitable. Il est permis de douter que l’accès à la consommation et à la propriété soient

des bienfaits et des moyens d’accéder à la liberté. Si certains biens de consommation

améliorent la vie quotidienne et doivent pour cette raison être accessibles au plus grand

nombre, bien d’autres apparaissent superflus. Mais comment, sans risque d’arbitraire,

distinguer l’essentiel du superflu ? Dans le même sens, si l’accès à la propriété peut être perçu

comme un facteur d’intégration sociale, seul l’accès à un logement décent relève en réalité de

la nécessité. On peut donc douter de la pertinence d’un droit au crédit immobilier.

452. Si l’on admet l’existence d’un droit au crédit productif, quelles pourraient être alors

ses conditions de mise en œuvre ? Deux solutions peuvent être envisagées.

La première résiderait dans l’instauration d’un service public du crédit. La nature

commerciale de la distribution du crédit n’est pas un obstacle, dès lors qu’elle aurait pour

finalité première la satisfaction de l’intérêt général. Précisément, la distribution de crédit par

les régions et la Banque publique d’investissement, qui encourage l’activité économique grâce

au développement et au maintien des PME et TPE, poursuit incontestablement cet objectif.

Nous avons pour cette raison considéré qu’elles remplissent une mission de service public. Il

n’en va pas de même des établissements de crédit appartenant au secteur de l’économie

sociale et solidaire et des associations de microcrédit. En effet, l’Etat ne leur fixe aucune

obligation précise pour la distribution de crédit. Ces institutions peuvent tout au plus être

considérées comme associées au service public du crédit. Quoi qu’il en soit, la reconnaissance

effective d’un service public du crédit offrirait un avantage indéniable pour la réalisation du

droit au crédit. En effet, l’usager d’un service public qui remplit les conditions pour y accéder

est titulaire d’un droit au fonctionnement du service, qui inclut celui d’obtenir la prestation

correspondante. L’effectivité et la justiciabilité du droit au crédit seraient dans cette mesure

assurées. L’usager pourrait engager la responsabilité de la personne publique en cas de

manquement.

A côté de l’existence d’un service public du crédit, peut-on envisager qu’une obligation

de contracter soit mise à la charge du banquier ? Cette obligation pourrait être a priori fondée

sur le monopole de droit des établissements de crédit. Cependant, dans ce cas, l’obligation de

contracter n’aurait pas une portée absolue. Elle disparaîtrait en présence d’un motif légitime,

lequel serait entendu de manière extensive, car les établissements ne sont pas en situation de

monopole économique mais de simple concurrence monopolistique. Il reste que le monopole

bancaire est aujourd’hui si morcelé et souffre d’exceptions si importantes qu’il ne saurait

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raisonnablement justifier l’existence d’une obligation de contracter. C’est donc un autre

fondement qu’il convient d’envisager. L’obligation de contracter peut être justifiée non

seulement par l’existence d’un monopole mais aussi par celle d’un intérêt supérieur à la

préservation de la liberté contractuelle. Si l’on envisage son régime, l’obligation de contracter

suppose alors qu’elle ne porte pas à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au

regard de l’objectif poursuivi. En outre, lorsque l’obligation a pour objet de mettre un bien à

la disposition temporaire d’autrui, une situation de pénurie doit être caractérisée. Dans ces

conditions, si l’on admet que le droit au crédit constitue un intérêt supérieur à la préservation

de la liberté contractuelle, le banquier pourrait avoir l’obligation de contracter mais

uniquement en cas de pénurie, c’est-à-dire de carence des institutions en charge du service

public du crédit.

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PRINCIPALES NOTES ET OBSERVATIONS

S. AMRANI-MEKKI

- obs. sous Civ. 3e, 28 juin 2006, D. 2006. 2639.

- note sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, D. 2006. 2966.

- obs. sous Civ. 3e, 7 mai 2008, D. 2008. 2969.

L. AYNÈS, note sous Ass. Plén. 1er déc. 1995, D. 1996. 20.

M. BACACHE, note sous Civ. 1ère, 23 janv. 2014, D. 2014. 590.

H. BARBIER, note sous Cons. const., 13 juin 2013, RTD civ. 2013, p. 832.

J.-L. BERGEL

- obs. sous Civ. 3e 10 novembre 2009, Revue de droit immobilier 2010, p. 204.

- obs. sous Civ. 3e, 15 fév. 2012, Bull. civ. III n° 32, RDI 2012. 272.

F. BICHERON, comm. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, AJ Fam. 2005, p. 24 et s.

M. BILLIAU, note sur Ass. Plén. 6 oct. 2006, JCP 2006. II. 10181.

M. BILLAU et Ch. JAMIN, note sous Civ. 1ère, 7 nov. 2000, D. 2001. 256.

Th. BONNEAU :

- note sous Com. 23 juin 1998, Dr. soc. oct. 1998, n° 136.

- obs. sous Com., 19 nov. 2002, Banque et droit 2003, n° 88, p. 61.

- obs. sous Com. 24 sept. 2003, Banque et droit janv..-fév. 2004, p. 56.

- obs. sous Ass.Plen., 4 mars 2005, JCP E 2005. 690.

- obs. sous Com. 22 mars 2005, Banque et droit juill.-août 2005, p. 71.

- note sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, JCP G 2006, II, 10175.

- obs. sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, Banque et droit, janv..-fév. 2007. 25.

- note sous Com. 15 mars 2011, Banque et droit 2011, janv.-fév., p. 27.

- obs. sous Com., 27 mars 2012, Banque et droit 2012, p. 22.

J.-S. BORGHETTI, note sous Com. 20 déc. 2009, RDC 2010, p. 610.

Page 418: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

416

F. BOUCARD, note sous Com., 27 mars 2012, JCP G 2012. 636.

Ph. BRUN, obs. sous Ass. Plén. 8 oct. 2006, D. 2006. 2897.

D. BUREAU et N. MOLFESSIS, obs. sous Ass. Plén. 1er déc. 1995, LPA, 27 déc. 1995, p. 11.

M. CABRILLAC :

- obs. sous Civ.1ère, 8 juin 1994, RTD com. 1995, p. 170

- obs. sous Com. 11 mai 1999, RTD com. 1999. 733.

M. CABRILLAC et B. TEYSSIÉ :

- obs. sous Com. 14 fév. 1989, RTD com. 1989. 507.

- obs. sous Com., 19 nov. 1991, RTD com. 1992. 426.

R. CABRILLAC, obs. sous CE, 30 oct. 2001, RTD com 2002. 139.

Ch. CARON, note sous Civ. 3., 20 mars 2002, D. 2002, p. 2075.

P. CHAUVEL :

- note sous Com. 7 janv. et 22 avr. 1997, D. 1998, p. 45.

- note sous Com. 7 avr. 1998, D. 1999, p. 514.

- obs. sous Com. 25 avril 2001, Droit et patrimoine juill. 2001, p. 109.

F. COLLARD DUTILLEUL, obs. sous Civ. 3e, 7 mai 2008, RDC 2008. 1239.

F. CRÉDOT et Y. GÉRARD :

- obs. sous Civ. 1ère, 27 mai 1986, Revue droit bancaire et bourse, mars-avril 1987, n° 1, p. 9.

- obs. sous Com., 19 nov. 1991, Revue droit bancaire et bourse, mai-juin 1992, 111.

- obs. sous Civ. 1ère, 24 fév. 1993, Revue droit bancaire et bourse, mai-juin 1993, 126,

- obs. sous Civ.1ère, 8 juin 1994, RD bancaire et bourse 1994, p. 173.

- obs. sous Civ. 1ère, 3 juin 1997, RD bancaire et bourse, 1997, p. 164.

- obs. sous Com. 11 mai 1999, Revue droit bancaire et bourse 1999, p. 184.

- obs. sous Com. 21 nov. 2000, RDBF mars-avril 2001, p. 77.

- obs. sous Com. 27 fév. 2001, RDBF mars-avr. 2001, p. 73.

- obs. sous Com. 22 mai 2001, RDBF sept-oct. 2001, p. 282.

Page 419: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

417

- obs. sous Ass.Plen., 4 mars 2005, RDBF juill.-août 2005. 118.

F.-J. CREDOT et Th. SAMIN :

- obs. sous Com., 11 oct. 1994, RD bancaire et bourse 1994, p. 259.

- obs. sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, RDBF nov.-déc. 2006, p. 13.

- comm. sous Com., 28 juin 2011, RDBF nov. 2011, p. 192.

- obs. sous Com., 27 mars 2012, RDBF 2012. comm. 114.

N. DAMAS, obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, AJDI 2007. 295.

R. DAMMANN et A. RAPP, note sous Com., 27 mars 2012, D. 2012, p. 1455.

Ph. DELEBECQUE :

- obs. sous Civ. 1ère, 3 juin 1997, Defrénois 1997, art. 36690, n° 148, p. 1349.

- obs. sous Com. 12 nov. 1997, Bull. Joly 1998, § 40, p. 105.

X. DELPECH :

- obs. sous Com. 12 nov. 1997, Dalloz Affaires 1998, p. 22.

- obs. sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, D. 2006, p. 2525.

O. DESHAYES :

- note sous Civ. 3e, 28 juin 2006, JCP 2006. II. 10130.

- note sous Civ. 1, 18 septembre 2008, 13 novembre 2008 et 5 mars 2009, RDC 2009, p. 1032

P. DEUMIER, obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, RTD civ. 2007. 61.

L. DUMOULIN, obs. sous Com. 22 mars 2005, JCP E 2005. 1676. p. 1975.

A.-S. DUPRE-DALLEMAGNE, note sous Com., 26 novembre 2003, D. 2004, p. 869.

B. FAGES :

- obs. sous Civ. 3e, 7 mai 2008, RTD civ. 2008. 474.

- obs. sous Civ. 3e, 25 mars 2009, RTD civ. 2009. 524.

J. FRANÇOIS, note sous Com., 3 mai 2006, D. 2006, p. 1618.

A. FRANÇON, obs. sous Civ. 1ère 14 mai 1991, RTD com. 1991. 592.

A. GARDIN, note sous, Soc. 29 mai 2001, D. 2002, p. 921.

Page 420: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

418

GARIAZZO, avis sur Ass. Plén. 6 oct. 2006, JCP 2006. II. 10181.

S. GARNERI, obs. sous Cons. const., 9 nov. 1999, D. 2000. 424.

F. GAUDU, comm. sous Soc., 29 nov. 1990, Dr. soc. 1992, p. 39.

P.-Y. GAUTIER :

- note sous Civ. 3e, 30 janvier 2002, RTD civ. 2002, p. 321.

- obs. sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, RTD civ. 2007 p. 145.

Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET :

- obs. sous Com., 19 nov. 1991, JCP E 1992. I. 154, n° 5, p. 276.

- obs. sous Com., 31 mars 1992, JCP E 1993. I. 302, n° 11.

- obs. sous Civ. 1ère, 24 fév. 1993, JCP E 1993. 302, n° 2.

Th. GENICON, obs. sous Civ. 3e, 7 mai 2008, RDC 2008, p. 1109.

J. GHESTIN, « La consécration de la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle (à propos Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC) », JCP G 2013, p. 1617.

A. GOURIO :

- comm. sous Ch. Mixte, 29 juin 2007, JCP G 2007. II. 10146.

- note sous Com., 8 janv. 2008, JCP G 2008. II. 10055.

- note sous Civ. 1ère, 18 fév. 2009, JCP 2009. II. 10091.

O. GUERIN, note sous Civ. 3e, 2 fév. 2005, JCP G 2005. II. 10077.

J.-L. GUILLOT, obs. sous Civ. 1ère, 3 juin 1997, Banque sept. 1997, p. 88.

M. GRIMALDI, obs. sous Civ. 1ère, 30 nov. 2004, RTD civ. 2005, p. 444.

M.!HAURIOU, note sous CE, 23!mars 1906, S. 1908, 3.

D. HOUTCIEFF :

- obs sous Civ.1re, 16 mars 2004, RLDC 2004, p. 5.

- obs sous Com., 8 mars 2005, RLDC juill.-août 2005, p. 5.

- note sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, D. 2006. p. 2933.

- note sous D. 2009, p. 2971.

- obs. sous Com. 26 janv. 2010, Gaz. Pal., 4-8 avr. 2010, p. 24.

Page 421: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

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Ch. JAMIN :

- note sous Com. 7 oct. 1997 et 20 janv. 1998, D. 1998, p. 413.

- note sous Civ. 1ère, 13 oct. 1998, D. 1999. p. 197.

- note sous Civ. 1ère, 20 fév. 2001, D. 2001. p. 1568.

L. JOSSERAND, note sous Lyon, 23 janv. 1907, D. 1908. 2. 73.

P. JOURDAIN :

- note sous Civ. 3e, 30 janvier 2002, RTD civ. 2002. 816.

- obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, RTD civ. 2006. 123.

- note sous Civ. 1ère, 3 juin 2010, RTD civ. 2010. 571.

Y.-M. LAITHIER, obs. sous Civ. 3e, 20 mai 2009, RDC 2009, p. 1325.

J. LASSERRE-CAPDEVILLE, note sous Com. 7 juill. 2009, D. 2009. 2318.

D. LEGEAIS :

- note sous Civ.1ère, 8 juin 1994, JCP E 1995, II, 652.

- note sous Civ. 1ère, 27 juin 1995, JCP E 1996. 11.

- note sous Com. 12 nov. 1997, JCP E 1998. 182.

- note sous Com. 23 juin 1998, JCP E 1998. 1831.

- note sous Com. 11 mai 1999, JCP E 1999, p. 1730.

- obs. sous Com. 22 mars 2005, RTD com. 2005. 578.

- obs. sous Civ. 1ère, 12 juillet 2005, JCP E 2005. 1359.

- obs. sous Com. 25 avr. 2006, RTD com. 2006, p. 648.

- obs. sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, RTD com. 2007. 207.

- comm. sous Ch. Mixte, 29 juin 2007, JCP E 2007. 2105.

- note sous Com. 11 déc. 2007, JCP E 2008, 1192.

- obs. sur communiqué de presse du médiateur du crédit et la FBF du 12 novembre 2008, RTD com. 2009. 186

- note sous Civ. 1ère, 18 fév. 2009, JCP E 2009. 1700.

- comm. sous Com. 7 juillet 2009, JCP E 2009. 1948.

Page 422: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

420

- obs. sous Com. 26 janv. 2010, RTD com 2010. 762.

- note sous Com., 27 mars 2012, JCP E 2012. 1274.

L. LEVENEUR :

- comm. sous Com., 3 nov. 1992, Cont. Conc. Cons. 1993, comm. n° 45.

- comm. sous Civ. 1ère, 14 juin 2000, Cont. Conc. Cons. 2000, n° 174.

- comm. sous Com. 11 juillet 2000, Cont. Conc. Cons. 2000, n° 174.

- comm. sous Com. 27 fév. 2001, Cont. Conc. Cons. juin 2001, n° 84

R. LIBCHABER, obs. sous Civ. 3e, 28 juin 2006, Defrénois 2006, art. 38498, n° 71.

A. LIENHARD :

- obs. sous Com. 27 fév. 2001, D. 2001, AJ. p. 1097.

- obs. sous Com. 22 mars 2005, D. 2005, AJ, p. 1020.

G. LOISEAU, obs. sous Civ. 2e, 10 mars 2004, Dr. et patrimoine juin 2004, p. 96.

F.-X. LUCAS, note sous Com. 22 mars 2005, Bull. Joly 2005, p. 1213.

Ph. MALAURIE, note sous Civ. 1ère, 11 juin 1991, D. 1991, p. 521.

M. MALAURIE-VIGNAL, obs. sous Com. 29 janvier 2002, Cont. Conc. Cons. 2002, n° 123.

P. MALINVAUD, obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, RD imm. 2006. 504.

D. R. MARTIN :

- note sous Ass. Plén. 9 oct. 2006, D. 2007, pan. droit bancaire, 753.

- obs. sous Com. 10 janvier 2012, RTD Com. 2012. 174.

N. MATHEY :

- note sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, JCP E 2007. 1679, n°19.

- note sous Com., 10 nov. 2009, Cont. Conc. Cons. 2010. 93.

- note sous Com. 15 mars 2011, JCP E 2011, n° 49, p. 39.

B. MATHIEU et V. VERPAUX, obs. sous Cons. const., 9 nov. 1999, JCP 2000. I. 261.

J.-P. MATTOUT et A. PRÜM, obs. sous Com. 22 mars 2005, Dr. et pat. déc. 2005, p. 97.

Page 423: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

421

D. MAZEAUD :

- note sous Com. 4 janv. 1994 et 5 avr. 1995, D. 2003, p. 95.

- note sous Civ. 1ère, 27 juin 1995, Defrénois 1995, p. 1416.

- note sous Civ. 1ère, 13 oct. 1998, Defrénois 1999. 374.

- note sous Com. 24 nov. 1998, Defrénois 1999. 371.

- note sous Civ. 1ère, 7 nov. 2000, D. 2001, p. 1137.

- obs. sous Com. 25 avr. 2001, D. 2001, Somm., p. 3239.

- note sous Civ. 3e, 30 janvier 2002, D. 2002, p. 458.

- obs. sous Com., 26 novembre 2003, RDC 2004, p. 257.

- note sous Civ.1re, 16 mars 2004, D. 2004. 1754 et RDC 2004. 642.

- obs. sous Com., 8 mars 2005, RDC 2005, p. 1015.

- obs. sous Civ. 3e, 28 juin 2006, D. 2006. 2963.

- obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, RDC 2007. 269.

- note sous Com. 26 janv. et 6 mai 2010, D. 2010, p. 2178 ;

- note sous Com. 8 oct. 2013, D. 2013. 2617.

J. MESTRE :

- obs. sous Com., 3 nov. 1992, RTD civ. 1993. 124.

- obs. sous Com. 7 janv. et 22 avr. 1997 RTD civ. 1997. 651.

- obs. sous Civ. 1ère, 13 oct. 1998, RTD civ. 1999. 394.

- obs. sous Com. 24 nov. 1998, RTD civ. 1999. 98.

J. MESTRE et B. FAGES :

- obs. sous Cons. const., 9 nov. 1999, RTD civ. 2000. 109.

- obs. sous Com. 25 avril 2001, RTDciv. 2002. 99.

- obs. sous Com., 26 novembre 2003, RTD civ. 2004. 80.

- obs. sous Civ.1re, 16 mars 2004, RTD civ. 2004. 290.

- obs. sous Com., 8 mars 2005, RTD civ. 2005. 391.

Page 424: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

422

- obs. sous Cons. Const., 30 mars 2006, RTD civ. 2006. 314

- obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, RTD civ. 2006. 115.

J. PELISSIER, note sous Soc., 29 nov. 1990, D. 1991, p. 190.

M. PENNEAU, note sous Angers, 11 sept. 1998, D. 1999, p. 46.

C. PERES, note sous Cons. const., 13 juin 2013, RDC 2013 p. 1292.

A. PERICARD, note sous Com. 24 sept. 2003, LPA 11 mai 2004, n° 94, p. 12.

H. PERINET-MARQUET :

- obs. sous Civ. 3e 18 février et 4 juin 1998, JCP G 1999. I. 120, n° 1.

- étude sous Civ. 3e 16 décembre 1998, JCP G 2000. I. 211, n° 4.

- note sous Civ. 3e, 20 mars 2002, JCP G 2002. I. 176.

- obs. sous Civ. 3e, 18 oct. 2006, JCP 2007. I. 117, n° 3.

- obs. sous Civ. 3e, 15 fév. 2012, JCP G 2012. 465.

S. PIEDELIÈVRE :

- note sous Civ. 1ère, 3 juin 1997, Defrénois, 1998, art. 36719.

- note sous Com. 20 oct. 2009, JCP G 2009. 482.

- note sous Civ. 1ère, 18 fév. 2009, JCP E 2009. 1364.

M.-C. PINIOT, note sous Com. 11 mai 1999, RJDA 6/99, p. 495.

POLLAUD-DULLIAND, obs. sous Civ. 1ère, 14 mai 1991 JCP G, 1991, II, 21760.

X. PRETOT, comm. Cons. Const., 30 mars 2006, Droit social 2006, n° 5, p. 494.

Th. REVET :

- obs. sous Cons. const., 9 nov. 1999, RTD civ. 2000. 870.

- obs. sous Civ. 3e 20 mars 2002, RTD civ. 2002. 333.

J.-L. RIVES-LANGE :

- obs. sous Civ. 1ère, 27 mai 1986, Banque, avril 1987, n° 471, p. 411.

- obs. sous Com., 19 nov. 1991, Banque, avril 1992, n° 526, p. 426.

J. ROCHFELD, note sous Soc., 31 janv. 2007, RDC 2007/4, p. 1085.

Page 425: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

423

R. ROUTIER, note sous Com. 22 mars 2005, Gaz. proc. coll. 2005/2, p. 33.

L. ROZES, obs. sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, D. 2007. Pan. 1827.

Cl. SAINT-DIDIER, note sous Soc. 29 nov. 1990, RRJ 1991-3, p. 867.

E. SAVAUX, obs. sous Civ. 1ère, 20 fév. 2001, Defrénois 2001. 705.

Y. SERINET, obs. sous Civ. 3e, 7 mai 2008, JCP G 2008. I. 119, n° 1.

J.-E. SHOETTL :

- note sous Cons. const., 9 nov. 1999, LPA 1er déc. 1999, n° 239, p. 6.

- note sous Cons. Const., 30 mars 2006, LPA 6 avr. 2006, p. 3.

P. SIRINELLI, note sous Civ. 1ère, 14 mai 1991, RIDA, janv. 1992. 272.

Ph. STOFFEL-MUNCK :

- obs. sous Com., 26 novembre 2003, JCP E 2004, p. 738.

- obs. sous Civ. 3e, 7 mai 2008, Dr. et patr. 2009, n° 178.

J. STOUFFLET :

- obs. sous CA Orléans, 26 oct. 1971, JCP G 1972. II. 17082.

- obs. sous Com. 22 mai 2001, JCP E 2003. 396.

- obs. sous Ass.Plen., 4 mars 2005, RDBF mai-juin 2005. 48.

- note sous Com., 27 mars 2012, JCP E 2012. 1373.

H. SYNVET

- obs. sous Com. 27 fév. 2001, D. 2002. Somm. 636.

- obs. sous Ass. Plen., 4 mars 2005, D. 2006, p. 155.

M. VASSEUR, obs. sous Com., 19 nov. 1991, D. 1993. Somm. 53.

A. VIANDIER, note sous Ass. Plen., 9 octobre 2006, JCP E 2006. 2618.

G. VINEY :

- obs. sous Cons. const., 9 nov. 1999, JCP G 2000, I, 280, n°1.

- obs. sous Com., 26 novembre 2003, JCP 2004. I. 163.

- note sous Ass. Plén. 6 oct. 2006, D. 2006, p. 2825.

Page 426: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

424

G. VIRASSAMY :

- note sous Com., 3 nov. 1992, JCP G 1993. II. 22164.

- note sous Com. 4 janv. 1994 et 5 avr. 1995, D. 1995, p. 355.

L. VOGEL, note sous Ass. Plén. 1er déc. 1995, D. 1995, p. 162.

F. ZENATI :

- note sous Civ. 3e 16 décembre 1998, RTD civ. 1998. 638.

- obs. sous Civ. 1ère 10 nov. 1992, RTD civ. 1993. 850.

Page 427: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

425

INDEX (Les numéros renvoient aux paragraphes)

- A-

Abus de droit, 27, 39 et s.

Abus et liberté, 76 et s.

- B -

Besoin, 9

BPIfrance, 9, 382 et s.

- C -

Confiance

- Et contrat, 141 - Et octroi du crédit, 6, 7, 110 et s. - Perte de confiance (licenciement), 136

et s. - Perte de confiance (motif légitime de

rupture), 142 - Perte de confiance (rupture du crédit),

144 et s.

Contrat

- Adhésion, 215 - Autonomie de la volonté, 211-212 - Capacité financière, 227 - Dimension relationnelle, 221 - Egalité, 217 - Essence sociale, 225-226 - Instrumentalisation, 228 - Objectivation, 209 et s.

- Relationnel, 220 - Relativité conceptuelle, 213

Crédit abusif (entreprises), 154 et s.

Crédit abusif (particuliers), 157

Crédit à la consommation, 275, 305, 346

Crédit immobilier, 167-1, 186, 275, 305, 343, 349

Crédit ruineux, 154

- D -

Devoir de conseil, 183 et s.

Devoir d’éclairer l’emprunteur, 169 et s.

Devoir d’expliquer les résultats de la notation, 179-180, 272

Devoir de mise en garde

- Distinction avec le devoir de conseil, 161

- Domaine, 159, 163-164 - Entreprises, 163 - Particuliers, 164

Devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, 166 et s., 343

Dignité de la personne humaine, 287

Discrétionnarité

- Critères retenus, 108 - Définition, 15 - Divorce, 100 - Droits d’option, 85 et s.

Page 428: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

426

- Droit de renoncer à une succession, 101

- Droit de révoquer un testament, 97, 105

- Droit des parents de demander l’émancipation de leur enfant, 104

- Droit privé, 19 - Droit procédural, 19 - Droit public, 19 - Fondements (écartés), 33 et s. - Fondement (retenu), 36 et s. - IVG, 102, 103 - Liberté de contracter, 59 et s. - Liste retenue, 108 - Vie privée, 100

Discriminations, 7, 173 et s.

Distinction des droits et des libertés, 74

Droits à, 9, 295 et s.

Droit au compte, 324, 339

Droit au crédit

- Sources philosophiques, 273 et s. - Dignité de la personne humaine, 287 - Droit à, 293 et s. - Droit au développement, 289 - Droit fondamental relationnel, 330,

332 - Droit de l’homme, 308 et s. - Droit subjectif, 321 - Particuliers solvables (rejeté), 342 et s. - Pauvreté, 340-341 - Productif (retenu), 333, 352

Droits-créances, 310, 315

Droit à la santé, 316

Droit au développement, 288-289

Droit au logement, 323, 412

Droits de l’homme

- classification, 310

- critiques des droits de l’homme, 312 et s.

Droits fondamentaux

- Définition, 327 - Relationnel, 332

Droit opposable, 411 et s.

Droits publics subjectifs, 396

Droits subjectifs, 319-321

- E -

Entreprise

- Droit au crédit (v. Droit au crédit) - Situation irrémédiablement

compromise, 154

Evaluation de la dignité de l’emprunteur

- Méthode classique, 129 - Scoring, 130

Exclusion sociale, 338, 394

- F -

Fichier positif (v. Registre national des crédits aux particuliers)

- I -

Individualisme, 36 et s.

Intuitus personae, 6, 7, 110 et s.

Page 429: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

427

- L -

Liberté de contracter, 6, 59 et s.

Liberté d’entreprendre, 290

- M -

Médiateur du crédit, 8, 176 et s.

Microcrédit, 4, 389 et s.

Monopole bancaire,

- Identification, 426 - Morcellement, 429

- O -

Obligation de contracter

- Intérêt supérieur, 434 et s. - Monopole de droit, 421 et s. - Offre permanente, 430 et s. - Proportionnalité, 442

Obligation de motivation

- A priori, 190 - A posteriori, 191 - Contrats concernés, 193 - Pouvoir unilatéral, 194 - Refus de crédit, 205

- P -

Pauvreté, 337 et s.

Perte de chance, 248-249

Perte de confiance (v. Confiance)

Pouvoir du banquier, 203

« Pouvoir payer » de l’emprunteur, 128 et s.

Préjudice d’impréparation, 253

- R -

Registre national des crédits aux particuliers, 167, 185

Réquisition de logement, 437 et s.

Responsabilité du banquier

- Amende civile, 242-244 - Crédit abusif, 237 et s. - Irresponsabilité (L. 650-1 C. com.),

239 - Manquement au devoir de mise en

garde, 248 et s. - Octroi de crédit à des particuliers, 245 - Réparation intégrale, 241 - Rupture abusive du crédit (V. Rupture

abusive du crédit) - Rupture fautive du crédit (V. Rupture

fautive du crédit)

Risques justifiés / inacceptables, 251

Rupture abusive du crédit

- Dommages et intérêts, 257 et s. - Maintien forcé, 260 et s.

Rupture irrégulière du crédit, 263

- S-

Scoring, 7, 130 et s.

Page 430: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

428

Service public

- BPIfrance, 9, 282 et s. - Droit au fonctionnement, 395 et s. - Egalité d’accès, 402 - Intérêt général, 359 et s. - Obligation de résultat, 410 - Personnes morales de droit privé, 386

et s. - Profit, 367 - Régions, 378 et s.

- V -

« Vouloir payer » de l’emprunteur, 124 et s.

Page 431: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

429

TABLE DES MATIÈRES

Introduction.....................................................................................................................................................p. 1

PREMIÈRE PARTIE

L’ADMISSIBILITÉ DU DROIT AU CRÉDIT

TITRE I

LA NON-DISCRÉTIONNARITÉ DE

LA DÉCISION DU BANQUIER

CHAPITRE I. LA NOTION DE DISCRÉTIONNARITÉ.................................................23

SECTION I – LA DÉFINITION DE LA DISCRÉTIONNARITÉ.....................................................23

§- I. ORIGINALITÉ DE LA CONCEPTION PRIVATISTE......................................................................24

A – LA MISE EN PERSPECTIVE DES CONCEPTIONS PRIVATISTE ET

PUBLICISTE..............................................................................................................................................................24

1) Une convergence superficielle................................................................................................................25

2) Divergence au fond.....................................................................................................................................28

B – APPROFONDISSEMENT DE LA CONCEPTION PRIVATISTE.............................................31

1) Un droit insusceptible d’abus..................................................................................................................31

2) Un droit juridiquement incontrôlé..........................................................................................................36

§ - II. LE FONDEMENT PHILOSOPHIQUE DE LA DISCRÉTIONNARITÉ ..................................38

A – LES ARGUMENTS ÉCARTÉS..............................................................................................................38

B – LA PHILOSOPHIE INDIVIDUALISTE, FONDEMENT DE LA

DISCRÉTIONNARITÉ...........................................................................................................................................39

Page 432: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

430

C – ANALYSE DES JUSTIFICATIONS DE L’ABUS DE DROIT....................................................42

SECTION II – LES APPLICATIONS DE LA DISCRÉTIONNARITÉ..........................................45

§ - I. CONTROVERSES SUR LA CATÉGORIE DES PRÉROGATIVES

DISCRÉTIONNAIRES............................................................................................................................................45

A – L’ABSENCE DE CONSENSUS DOCTRINAL ...............................................................................45

1) Des droits ponctuellement reconnus .....................................................................................................45

2) Des réserves quant à l’existence des droits discrétionnaires..........................................................49

3) Des droits parfois ignorés ........................................................................................................................50

B – UNE JURISPRUDENCE INCERTAINE ............................................................................................51

1) La condamnation d’un comportement..................................................................................................52

2) La reconnaissance apparente des droits discrétionnaires................................................................53

a) Les droits discrétionnaires insusceptibles d’abus.........................................................................53

b) Les droits discrétionnaires limités par l’abus................................................................................55

C – OPPOSITION DE LA DOCTRINE ET DE LA

JURISPRUDENCE...................................................................................................................................................56

§- II - LA QUALIFICATION DE PRÉROGATIVE DISCRÉTIONNAIRE DU DROIT DE NE

PAS CONTRACTER...............................................................................................................................................58

A– UNE DOCTRINE RÉSERVÉE.................................................................................................................58

1) L’opposition entre RIPERT et JOSSERAND....................................................................................58

2) La doctrine contemporaine.......................................................................................................................62

B – UNE JURISPRUDENCE NON DÉCISIVE.........................................................................................64

1) Droit bancaire...............................................................................................................................................65

2) Droit commun des contrats......................................................................................................................66

CHAPITRE II. LES JUSTIFICATIONS DE LA DISCRÉTIONNARITÉ………71

SECTION I – LES JUSTIFICATIONS COMMUNES...........................................................................71

SOUS-SECTION I – LA NATURE DE LA PRÉROGATIVE..................................................................71

§ - I. LA DISCRÉTIONNARITÉ DES LIBERTÉS ......................................................................................72

Page 433: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

431

A – CONTESTATION D’UN RAPPORT D’EXCLUSION ENTRE ABUS ET

LIBERTÉ.....................................................................................................................................................................75

B – L’EXERCICE ABUSIF DES LIBERTÉS.............................................................................................78

1) Distinction de la liberté et des libertés juridiques ............................................................................78

a) La liberté....................................................................................................................................................78

b) Les libertés juridiques...........................................................................................................................79

2) Le contrôle des libertés juridiques.........................................................................................................81

§ - II. LA DISCRÉTIONNARITÉ DES DROITS OPTIONNELS...........................................................83

A – IDENTIFICATION DES DROITS D’OPTION ................................................................................84

1) Les droits d’option potestatifs ................................................................................................................84

2) Les droits d’option non potestatifs .......................................................................................................85

B – LE CONTRÔLE DES DROITS D’OPTION.......................................................................................85

SOUS-SECTION II – LA PROTECTION DU TITULAIRE DU DROIT............................................88

§ – I. LA DÉFENSE DU DROIT ........................................................................................................................88

§ – II. LA PROTECTION D’UNE LIBERTÉ ESSENTIELLE ET INALIÉNABLE..........................90

§ – III. LA PROTECTION DE L’INTIMITÉ DE LA PERSONNE ........................................................91

A – L’ACTION EN DIVORCE.......................................................................................................................93

B – LE DROIT DE RENONCER À UNE SUCCESSION OU À LA DONATION PRÉVUE

PAR L’ARTICLE 1084 DU CODE CIVIL.......................................................................................................94

C – LE DROIT DE LA FEMME DE RECOURIR À UNE IVG...........................................................95

D – LE DROIT DES PARENTS DE DEMANDER L’ÉMANCIPATION DE LEUR

ENFANT......................................................................................................................................................................95

SOUS-SECTION III – L’ABSENCE D’IMPACT DE L’EXERCICE DU DROIT SUR LA

SITUATION JURIDIQUE D’AUTRUI...........................................................................................................96

SOUS-SECTION IV - LES RÉAMÉNAGEMENTS SOUHAITABLES DE LA

DISCRÉTIONNARITÉ..........................................................................................................................................98

SECTION II – LA JUSTIFICATION SPÉCIFIQUE AU CONTRAT DE

CRÉDIT.....................................................................................................................................................................102

§ - I. ANALYSE DE LA CONFIANCE ET DE L’INTUITUS PERSONAE .......................................104

Page 434: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

432

A – L’ASSIMILATION DE LA CONFIANCE ET DE L’INTUITUS PERSONAE À LA

FOI................................................................................................................................................................................105

B – LE CARACTÈRE OBJECTIF DE LA CONFIANCE ET DE L’INTUITUS

PERSONAE................................................................................................................................................................108

1) Le caractère objectif de l’intuitus personae dans les contrats à titres onéreux .....................108

2) Les méthodes d’évaluation de la dignité de crédit de l’emprunteur .........................................110

a) Evaluation du « vouloir payer » de l’emprunteur.......................................................................111

b) La détermination du « pouvoir payer » de l’emprunteur .........................................................114

b-1) La méthode classique.................................................................................................................114

b-2) Le crédit-scoring..........................................................................................................................115

§ - II. LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION PRISE DANS UN CONTEXTE DE CONFIANCE

OU D’INTUITUS PERSONAE............................................................................................................................120

A – LE REJET DE LA PERTE DE CONFIANCE EN MATIÈRE DE LICENCIEMENT

.......................................................................................................................................................................................121

1) La jurisprudence relative au licenciement.........................................................................................121

2) Fondement...................................................................................................................................................122

B – L’ADMISSION CONDITIONNÉE DE LA PERTE DE CONFIANCE AU STADE DE LA

RUPTURE DU CRÉDIT.......................................................................................................................................124

1) La rupture d’un crédit octroyé à une entreprise.............................................................................. 124

2) La rupture d’un crédit consentie à un particulier.............................................................................127

C – LA PLACE DE LA CONFIANCE AU SEIN DU CONTRAT....................................................128

TITRE II

LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION DU BANQUIER

CHAPITRE I. L’ÉTENDUE DU CONTRÔLE........................................................................135

SECTION I - LE CONTRÔLE ACTUEL...................................................................................................135

SOUS – SECTION I - LE CONTRÔLE DE LA DÉCISION D’OCTROYER UN CRÉDIT......135

§ - I. LE CRÉDIT INTERDIT : LE CRÉDIT ABUSIF OCTROYÉ À UNE ENTREPRISE........135

§ - II. LE CRÉDIT SUBORDONNÉ À L’ACCOMPLISSEMENT D’OBLIGATIONS.................140

Page 435: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

433

A – OBLIGATION COMMUNE AUX CRÉDITS CONSENTIS À UNE ENREPRISE ET À

UN PARTICULIER................................................................................................................................................140

1) Distinction des devoirs de mise en garde et de conseil ................................................................142

2) Portée du devoir jurisprudentiel de mise en garde.........................................................................143

a) Crédit aux entreprises.........................................................................................................................143

b) Crédit aux particuliers.........................................................................................................................144

B- OBLIGATIONS SPÉCIFIQUES AU CRÉDIT CONSENTI À UN PARTICULIER............146

1) Le devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur.......................................................................147

2) Le devoir d’éclairer l’emprunteur........................................................................................................150

SOUS – SECTION II - LE CONTRÔLE DU REFUS D’OCTROYER UN CRÉDIT...................153

§ – I. L’INTERDICTION DES DISCRIMINATIONS ...............................................................................153

§ – II. L’INTERVENTION DU MÉDIATEURDU CRÉDIT....................................................................157

§ – III. LE DEVOIR D’EXPLIQUER LES RÉSULTATS DU SCORE................................................160

SECTION II - LE CONTRÔLE POSSIBLE.............................................................................................162

SOUS-SECTION I – LE DEVOIR DE CONSEIL ....................................................................................163

§ - I. DOMAINE .....................................................................................................................................................163

§ - II. CONTEXTE..................................................................................................................................................164

SOUS-SECTION II – L’OBLIGATION DE MOTIVER LE REFUS DE CRÉDIT......................166

§ - I. MANIFESTATIONS DE L’OBLIGATION DE MOTIVATION................................................167

A – RECENSEMENT DES APPLICATIONS..........................................................................................168

1) L’obligation de motiver a priori...........................................................................................................168

2) Obligation de motiver a posteriori.......................................................................................................169

B – CRITÈRES DE SA RECONNAISSANCE.........................................................................................171

1) La nature du contrat..................................................................................................................................171

2) Un pouvoir unilatéral de décision .......................................................................................................172

§ - II. L’EXTENSION DE L’OBLIGATION DE MOTIVATION AU REFUS DE CRÉDIT…...174

A – LES RAISONS DE L’EXTENSION....................................................................................................174

1) L’utilité de la motivation.........................................................................................................................175

a) La réfutation des critiques..................................................................................................................175

Page 436: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

434

b) Les avantages de la motivation........................................................................................................178

2) La nécessité de la motivation ...............................................................................................................178

a) La restauration de la dimension procédurale du contrat...........................................................178

b) Un contrepoids au pouvoir du banquier.........................................................................................179

B – LES CONSÉQUENCES DE L’EXTENSION...................................................................................181

CHAPITRE II. LA COMPATIBILITÉ DU CONTRÔLE AVEC LA NOTION

DE CONTRAT..................................................................................................................................................185

SECTION I - L’OBJECTIVATION DU CONTRAT ...........................................................................185

§ - I. LA LÉGITIMITÉ DE L’OBJECTIVATION.......................................................................................186

A – LA RELATIVITÉ CONCEPTUELLE DU CONTRAT.................................................................187

B – OBJECTIVATION ET CONSENTEMENT......................................................................................192

§ - II. L’UTILITÉ DE L’OBJECTIVATION ................................................................................................195

A – L’OBJECTIVATION AU SERVICE DE L’ÉGALITÉ CONTRACTUELLE.......................196

B – L’OBJECTIVATION AU SERVICE DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE.....................198

SECTION II- LA DIMENSION RELATIONNELLE DU CONTRAT..........................................200

§ - I. LA DIMENSION RELATIONNELLE COMME SOURCE DE DEVOIRS.............................200

§ - II. LE RÔLE SOCIAL DU CONTRAT....................................................................................................206

A - L’ESSENCE SOCIALE DU CONTRAT............................................................................................206

B - LE CONTRAT COMME INSTRUMENT AU SERVICE D’UN INTÉRÊT SOCIAL........209

Conclusion de la première partie.........................................................................................................214

Page 437: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

435

DEUXIÈME PARTIE

L’ADMISSION DU DROIT AU CRÉDIT

TITRE PREMIER

LES VOIES DE L’ADMISSION

CHAPITRE I. L’ADMISSION INDIRECTE PAR LA MISE EN ŒUVRE DE

LA RESPONSABILITÉ CIVILE.......................................................................................................221

SECTION I - LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DU BANQUIER EN CAS

D’OCTROI DE CRÉDIT .................................................................................................................................223

§ - I. LA RESPONSABILITÉ POUR CRÉDIT ABUSIF...........................................................................224

A – L’IRRESPONSABILITÉ DE PRINCIPE DU BANQUIER EN CAS D’OCTROI DE

CRÉDIT À UNE ENTREPRISE .......................................................................................................................224

1) Le contenu du principe............................................................................................................................224

2) La nature de la sanction .........................................................................................................................226

a) La réparation intégrale du dommage .............................................................................................226

b) Le versement d’une amende civile..................................................................................................227

B – LA RESPONSABILITÉ DU BANQUIER EN CAS D’OCTROI DE CRÉDIT AUX

PARTICULIERS......................................................................................................................................................229

§ - II. LE MANQUEMENT AU DEVOIR DE MISE EN GARDE.........................................................231

A – LA SOLUTION JURISPRUDENTIELLE.........................................................................................231

B – LES PROPOSITIONS ALTERNATIVES.........................................................................................234

SECTION II - LE RENFORCEMENT DE LA RESPONSABILITÉ EN CAS DE REFUS DE

CRÉDIT À UNE ENTREPRISE.....................................................................................................................239

§ - I. LA SANCTION EN CAS DE RUPTURE FAUTIVE DU CRÉDIT............................................239

A – LA SANCTION DE LA RUPTURE DE CRÉDIT ABUSIVE....................................................239

1) Arguments contre le maintien forcé du contrat en cas de rupture abusive..............................241

Page 438: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

436

2) Arguments en faveur du maintien forcé du contrat en cas de rupture abusive.......................242

B – LA SANCTION DE LA RUPTURE DE CRÉDIT IRRÉGULIÈRE .........................................242

§ - II. LA SANCTION EN CAS DE MANQUEMENT À L’OBLIGATION D’EXPLIQUER LA

NOTATION DU PRÊT..........................................................................................................................................247

A- LA FAUTE DU BANQUIER...................................................................................................................247

B- LE PRÉJUDICIABLE RÉPARABLE ...................................................................................................248

1) Le préjudice réparable en cas de rupture abusive des

pourparlers..................................................................................................................................................................248

a) L’absence de réparation de l’intérêt positif..................................................................................249

b) La nécessité de réparer l’intérêt positif en présence d’un motif illégitime de non-

conclusion du contrat .............................................................................................................................................251

2) Application à l’obligation du banquier...............................................................................................251

CHAPITRE II. L’ADMISSION DIRECTE PAR LA RECONNAISSANCE

D’UN DROIT......................................................................................................................................................255

SECTION I – LA CONSTRUCTION DU DROIT AU CRÉDIT .....................................................256

SOUS-SECTION I- LES SOURCES DU DROIT AU CRÉDIT............................................................256

§- I – LES SOURCES PHILOSOPHIQUES...................................................................................................256

1) L’essence créatrice de l’homme................................................................................................................257

a) Charles TAYLOR et l’homme comme « agent incarné » ............................................................257

b) La théorie des capabilités........................................................................................................................258

2) L’essence sociale de l’homme...................................................................................................................259

a) La nécessaire valorisation sociale de l’activité individuelle........................................................260

b) La promotion d’une conception solidaire de l’égalité des chances ..........................................261

§- II – LES SOURCES JURIDIQUES..............................................................................................................263

A – LE PRINCIPE DE DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE.................................................264

B – LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT...................................................................................................266

C – LA LIBERTÉ D’ENTREPRENDRE....................................................................................................268

SOUS-SECTION II- LA NATURE DU DROIT AU CRÉDIT...............................................................269

§-I. LES RATTACHEMENTS ÉCARTÉS....................................................................................................269

Page 439: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

437

A – LES DROITS À............................................................................................................................................270

1) Conformité du droit au crédit à l’esprit des droits à.......................................................................270

a) L’esprit des droits à.............................................................................................................................270

a-1) Le droit à et les éléments constitutifs de la Modernité...................................................270

a-2) Le droit à et les idéaux de la Modernité .............................................................................272

b) Application au droit au crédit...........................................................................................................273

2) Non-conformité du droit au crédit à la structure des droits à......................................................274

a) La structure des droits à.....................................................................................................................274

b) Application au droit au crédit...........................................................................................................275

B – LES DROITS DE L’HOMME................................................................................................................277

1) Définition et classification des droits de l’homme .........................................................................277

2) Critiques des droits de l’homme ..........................................................................................................279

a) Universalisme et abstraction des droits de la première génération ......................................280

b) Manque de juridicité des droits-créances .....................................................................................281

§-II. LES RATTACHEMENTS RETENUS..................................................................................................283

A – LES DROITS SUBJECTIFS...................................................................................................................284

B – LES DROITS FONDAMENTAUX......................................................................................................289

1) Confrontation du droit au crédit à la catégorie des droits fondamentaux................................290

2) Le droit au crédit comme droit fondamental « relationnel » .......................................................293

SECTION II – LA QUESTION DU DROIT AU CRÉDIT DES PARTICULIERS..................295

§-I . LE DROIT AU CRÉDIT COMME MOYEN DE LUTTE CONTRE L’EXCLUSION …….296

A – LES NOTIONS DE PAUVRETÉ ET D’EXCLUSION SOCIALE ...........................................296

1) La pauvreté..................................................................................................................................................296

2) L’exclusion sociale...................................................................................................................................297

B – L’ADAPTATION DU DROIT AU COMPTE POUR LUTTER CONTRE L’EXCLUSION

SOCIALE...................................................................................................................................................................298

C – L’INADAPTATION DU DROIT AU CRÉDIT POUR LUTTER CONTRE

L’EXCLUSION SOCIALE..................................................................................................................................299

§-II. LE DROIT AU CRÉDIT DU PARTICULIER SOLVABLE .........................................................301

A – DU DEVOIR DE VÉRIFIER LA SOLVABILITÉ AU DEVOIR DE PRÊTER À

L’EMPRUNTEUR SOLVABLE ?+....................................................................................................................301

Page 440: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

438

B – L’AMBIVALENCE DES RAPPORTS ENTRE ACCÈS AU CRÉDIT ET LIBERTÉ

INDIVIDUELLE ....................................................................................................................................................303

1) Le crédit à la consommation..................................................................................................................303

2) Le crédit immobilier.................................................................................................................................305

TITRE II

LA RÉALISATION DU DROIT AU CRÉDIT

CHAPITRE I. LA MISE EN ŒUVRE PAR LE SERVICE PUBLIC DU

CRÉDIT.................................................................................................................................................................311

SECTION I – LA DISTRIBUTION DU CRÉDIT COMME ACTIVITÉ DE SERVICE

PUBLIC.....................................................................................................................................................................312

§- I. LA COMPATIBILITÉ THÉORIQUE.....................................................................................................312

A- LES CONDITIONS D’EXISTENCE D’UN SERVICE PUBLIC................................................312

1) Une activité d’intérêt général ...............................................................................................................313

a) Les différentes approches de l’intérêt général ............................................................................313

b) L’intérêt général, objectif premier du service public ...............................................................315

2) La carence de l’initiative privée............................................................................................................316

B – L’APPLICATION DES CONDITIONS À LA DISTRIBUTION DE CRÉDIT.....................317

1) La distribution de crédit comme activité d’intérêt général...........................................................317

2) La carence de l’initiative privée dans la distribution de crédit....................................................319

§- II. LA COMPATIBILITÉ PRATIQUE.......................................................................................................320

A- L’IDENTIFICATION D’UN SERVICE PUBLIC.............................................................................320

1) L’existence d’une activité de service public.....................................................................................320

a) Activité exercée par une personne publique.................................................................................320

b) Activité exercée par une personne privée ....................................................................................321

2) Nature du service public.......................................................... ...............................................................322

B – APPLICATION AUX INSTITUTIONS EN CHARGE DE LA DISTRIBUTION DE

CRÉDIT......................................................................................................................................................................323

1) Les institutions de droit public..............................................................................................................324

a) Les collectivités territoriales.............................................................................................................324

Page 441: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

439

b) La Banque Publique d’Investissement...........................................................................................326

2) Les institutions de droit privé................................................................................................................328

a) Les établissements de crédit appartenant au secteur de l’économie sociale et

solidaire.......................................................................................................................................................................328

b) Les associations de microcrédit, l’exemple de l’ADIE.............................................................331

SECTION II – LE SERVICE PUBLIC COMME OUTIL DE RÉALISATION DU DROIT

AU CRÉDIT ...........................................................................................................................................................332

§-I. LES RAISONS DU RECOURS AU SERVICE PUBLIC.................................................................332

§-II. LA PERTINENCE DU RECOURS AU SERVICE PUBLIC..........................................................334

A – NATURE ET CONTENU DU DROIT AU FONCTIONNEMENT DU SERVICE

PUBLIC......................................................................................................................................................................335

1) La nature du droit au fonctionnement du service public...............................................................335

2) Le contenu du droit au fonctionnement du service public............................................................337

a) Le droit d’accès au service public...................................................................................................337

a-1) Neutralité du service...................................................................................................................338

a-2) Egalité d’accès..............................................................................................................................338

a-3) Egalité de traitement entre les usagers................................................................................339

b) Le droit à l’obtention de la prestation ...........................................................................................340

B – LA JUSTICIABILITÉ DU DROIT AU CRÉDIT.............................................................................342

1) La nature de la responsabilité................................................................................................................342

2) Les conditions de la responsabilité......................................................................................................343

a) L’aménagement des conditions de responsabilité en cas de violation d’un droit subjectif

.......................................................................................................................................................................................343

b) L’influence de la technique du droit opposable..........................................................................345

CHAPITRE II. LA MISE EN ŒUVRE PAR UNE OBLIGATION DE

CONTRACTER DU BANQUIER... ..................................................................................................351

SECTION I – L’OBLIGATION DE CONTRACTER DES PERSONNES EN SITUATION

DE MONOPOLE..................................................................................................................................................352

Page 442: UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES – FACULTÉ DE DROIT École

440

§-I. OBLIGATION DE CONTRACTER FONDÉE SUR LA SITUATION DE MONOPOLE….352

A – POSITION CLASSIQUE.........................................................................................................................352

1) Monopole de fait........................................................................................................................................352

2) Monopole de droit ....................................................................................................................................354

B – LA SITUATION DU BANQUIER .....................................................................................................356

§-II. OBLIGATION FONDÉE SUR LA SITUATION D’OFFRE PERMANENTE DU

TITULAIRE DU MONOPOLE..........................................................................................................................360

SECTION II : L’OBLIGATION DE CONTRACTER EN RAISON D’UN INTÉRÊT

SUPÉRIEUR À LA PRÉSERVATION DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE....................363

§- I – LA RÉQUISITION DU LOGEMENT .................................................................................................365

A – LE MÉCANISME DE LA RÉQUISITION........................................................................................365

B – LES CONDITIONS DE LA RÉQUISITION.....................................................................................367

1) La condition générale ..............................................................................................................................367

2) La condition spéciale................................................................................................................................369

§-II : LA « RÉQUISITION » DES FONDS NÉCESSAIRES AU CRÉDIT.........................................370

Conclusion de la deuxième partie........................................................................................................373

Conclusion générale................................................................................................................................375

Bibliographie.............................................................................................................................................................383

Index alphabétique...................................................................................................................................................425

Table des matières.......................................................... ........................................................................................429