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UNIVERSITÉ LYON 2 SCIENCES PO LYON Sens et rôles de la communication des valeurs des entreprises. A travers le cas de l'Oréal Clara CUNIOT Séminaire « Discours, Image, Communication politique » Sous la direction de Bernard LAMIZET Jury :Bernard LAMIZET, Professeur des universités. Valérie COLOMB, Maître de conférences Mémoire soutenu le 2 septembre 2010

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  • UNIVERSIT LYON 2SCIENCES PO LYON

    Sens et rles de la communication desvaleurs des entreprises.A travers le cas de l'Oral

    Clara CUNIOTSminaire Discours, Image, Communication politique

    Sous la direction de Bernard LAMIZETJury :Bernard LAMIZET, Professeur des universits.

    Valrie COLOMB, Matre de confrencesMmoire soutenu le 2 septembre 2010

  • Table des matiresRemerciements . . 5Introduction . . 6I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs . . 9

    1.1 Vers une dfinition des valeurs de lentreprise . . 91.1.1 Tentative de dfinition des valeurs au sein de lentreprise . . 91.1.2 Comprendre certaines nuances . . 14

    1.2 Vers une dfinition de la communication des valeurs de lentreprise . . 171.2.1 Communication dentreprise et identit institutionnelle . . 181.2.2 Communication sur les valeurs, communication sur la morale . . 201.2.3 Communication sur les valeurs, communication sur lthique . . 221.2.4 Communication sur les valeurs, culture dentreprise . . 261.2.5 Comprendre certaines nuances . . 30

    1.3 Elments dterminant les valeurs de lentreprise et leur communication . . 341.3.1 Des valeurs influences et tirailles entre histoire et Histoire . . 341.3.2 Influence de linconscient collectif . . 411.3.3 Activit productive et valeurs . . 431.3.4 Volont et choix dlibr des valeurs par les entreprises . . 47

    2. Rle de la communication dans lexistence des valeurs . . 502.1 La communication institutionnelle au service dune hirarchisation des valeurs . . 50

    2.1.1 Une hirarchisation des valeurs invitable ? . . 502.1.2 Relativit ou universalit des valeurs et de leur communication ? . . 55

    2.2 La communication des valeurs lorigine dune prennit des valeurs . . 632.2.1 Prennit des valeurs et prennit de la communication . . 632.2.2 Une (fausse) prennit des valeurs permise grce la communication . . 652.2.3 Prennit des valeurs et internationalisation : le rle de la communication . . 67

    2.3 Les formes de communication des valeurs vectrices de sens pour les valeurs . . 672.3.1 La marque . . 682.3.2 Lidentit visuelle . . 692.3.3 La publicit . . 712.3.4 Les ditions . . 752.3.5 Le parrainage et le mcnat . . 782.3.6 Les dispositifs hors mdias . . 802.3.7 Les changes internes . . 812.3.8 Les NTIC (Nouvelles Technologies de lInformation et de la Communication). . 822.3.9 Les autres mdias signifiants Exemple du sige social . . 83

    3. Consquences dune communication des valeurs pour lentreprise . . 853.1 Consquences sur les relations de lentreprise avec ses parties prenantes . . 85

    3.1.1 Consquences dune communication des valeurs en interne . . 853.1.2 Consquences dune communication des valeurs sur la relation avec leconsommateur . . 87

  • 3.1.3 Rpercussions dune communication des valeurs dans lespace public . . 903.2 Limites et dangers de la communication des valeurs . . 97

    3.2.1 Des limites prendre en compte . . 973.2.2 Mais une ncessit malgr tout . . 98

    3.3 Consquences sur lattitude des entreprises : regain dintrt pour les valeurs ? Regaindintrt pour leur communication ? . . 100

    3.3.1 Lintrt des entreprises pour les valeurs : entre regain et maintien . . 1003.3.2 Un intrt croissant pour la communication des valeurs : pour quellesraisons ? . . 102

    Conclusion . . 105Annexes . . 107

    Annexe 1: Histoire de l'entreprise l'Oral . . 107

    Annexe 2 : Prsentation du groupe LOral256 . . 107Annexe 3 : Quelques prix obtenus par LOral en reconnaissance de ses valeurs

    (extraits)257 . . 108Bibliographie . . 111

    Ouvrages . . 111Revues . . 112Sitographie . . 113Brochures . . 113Rsum . . 114Mots-cls . . 114

  • Remerciements

    CUNIOT Clara 5

    RemerciementsJe tiens remercier vivement Monsieur Bernard Lamizet, directeur de ce mmoire, pour sesprcieux conseils et sa disponibilit tout au long de la ralisation de ce travail. Je lui suisparticulirement reconnaissante de mavoir laiss une grande libert dans le choix du sujet, ducontenu et de la forme de ce mmoire, ce qui ma offert lopportunit de raliser un travailvritablement personnel et particulirement panouissant. Enfin, je tiens souligner la grandequalit du sminaire de Monsieur Lamizet, grce auquel jai notamment pu apprendre de faondtaille la mthodologie scientifique.

    Je remercie galement beaucoup Madame Valrie Colomb, pour avoir accept dtre jury dece mmoire, et galement pour lensemble de son enseignement en matire de communication,et en particulier de communication dentreprise, qui ma beaucoup enrichie tout au long de mascolarit Sciences Po Lyon, et qui a largement nourri le sujet ainsi que le contenu de ce mmoire.Je lui suis reconnaissante du temps quelle ma accord et des conseils quelle ma donns afindapprhender au mieux le monde de la communication.

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    6 CUNIOT Clara

    Introduction

    Les entreprises mettent de plus en plus en avant ce quelles considrent comme tant leurs valeurs : elles tentent de les identifier ou de les dfinir, les formalisent et les diffusentde faon croissante, la fois en interne mais aussi auprs des publics extrieurs. Face ce phnomne, il ma sembl intressant de penser ce terme de valeurs ainsi que lesraisons et les consquences dune communication des valeurs par les entreprises.

    Dfinir les valeurs de faon gnrale demeure une entreprise bien trop hasardeuse etambitieuse laquelle je ne me risquerai pas. Cependant, il est possible de tenter de penserle concept de valeur dans le cadre de lentreprise et principalement laune de ses liensavec la communication. Par entreprise , nous entendons toute structure conomiqueprive ayant une forte visibilit dans lespace public et, par consquent, tant plutt degrande taille. En outre, il sagit de grandes entreprises implantes dans le monde occidentaldu dbut du XXIe sicle.

    La communication des valeurs dune entreprise dsigne tous les lments verbaux etnon verbaux quune entreprise diffuse auprs dun public et qui portent, non pas sur sesproduits, mais sur les valeurs quelle prtend possder. Ces dernires peuvent tre trsdiverses, aussi bien managriales quhumaines.

    Ce qui interpelle gnralement le rcepteur, cest lorsque les entreprises communiquentexclusivement sur leurs valeurs car il napparat pas demble admis que ces organisations,dune part possdent des valeurs, et dautre part ont lenvie et les moyens de lescommuniquer. Partant de ce constat apparent dun manque de logique voire dintrt pourles entreprises communiquer sur des valeurs, jai dcid de mintresser de faon plusprcise aux mcanismes, aux raisons et aux consquences de la mise en place dunecommunication des valeurs.

    Pour tenter de comprendre pourquoi et aussi comment les valeurs et la communicationdes valeurs ont pris une telle importance dans le fonctionnement des entreprises, je mesuis pose plusieurs questions, qui correspondent diffrents moments dexistence des valeurs : tout dabord, que sont les valeurs de lentreprise, comment se forment-elleset se choisissent-elles ? Ensuite, quel est le rle de la communication dans lapparition,llaboration et lexistence des valeurs ? Peut-on dailleurs penser les valeurs en dehors dela communication ? Enfin, quelles sont les consquences dune communication des valeurssur lidentit de lentreprise et sur les relations quelle tisse avec ses diffrents publics ?

    Mon hypothse est que, dans le monde occidental actuel, la grande Entreprise tendde plus en plus se dcouvrir et saffirmer comme une personnalit morale ayant desprincipes et des valeurs quelle cherche diffuser. Elle est dsormais consciente quunecommunication des valeurs lui permet de redfinir son rle, ce qui semble tre devenuncessaire dans le monde postmoderne. Cette hypothse implique de dmontrer le lienentre communication et valeurs : je postule que les valeurs nexistent qu partir du momento elles font lobjet dune communication, qui leur donne un sens. LEntreprise prsente ainsiun intrt croissant, non pour les valeurs elles-mmes, mais pour leur communication. Cephnomne entrane de nombreuses consquences sur les relations que lentreprise tisseavec ses diffrents publics, la conduisant de plus en plus sassumer en tant quinstitutionet que citoyenne .

  • Introduction

    CUNIOT Clara 7

    Afin de tenter de dmontrer cela, jai tout dabord effectu un travail mthodiquede recherche de dfinitions dans le but didentifier prcisment ce que sont les valeurs,la communication des valeurs et leurs diffrentes dclinaisons dans lentreprise. Cettepremire tape ma sembl fondamentale pour apporter un cadre rigoureux danalyse dusujet. Ensuite, jai runi un corpus douvrages et darticles ayant pour sujets les valeurset la communication sur les valeurs dans lentreprise. Pour crer ce corpus, je me suisattache tudier des livres issus dune pluralit de disciplines acadmiques (philosophie,smiologie, psychanalyse, histoire, sociologie, gestion) et galement lire des ouvragesraliss par des professionnels du monde de la communication dentreprise, et ce afin detendre vers la ralisation dune tude qui tienne compte de la double dimension acadmique/professionnelle. Il mest en effet apparu indispensable, tant donn le sujet choisi, dallierces deux dimensions afin desprer obtenir des hypothses les plus justes ou les moinsfausses possibles. Le choix des ouvrages du corpus thorique sest effectu en fonctiondes dfinitions et de la contextualisation du sujet effectues dans un premier temps. Ainsi,jai pu laborer le corpus dans un souci de cohrence avec les enjeux du sujet, c'est--direen fonction de la vision pour laquelle javais opt de ce que sont les valeurs de lentreprise,leur communication et leur impact. Toutes ces lectures ont nourri mes rflexions et montfourni de nombreux outils pour vrifier et dmontrer mon hypothse. Mais, si ces lecturestaient absolument ncessaires, elles ntaient pas pour autant suffisantes. En effet, jaijug indispensable dexemplifier et de vrifier mon hypothse travers lanalyse de lacommunication des valeurs dune entreprise relle, en loccurrence de LOral. Ainsi, jaiconsidr ltude de cette entreprise non pas comme llment central de ce mmoire maiscomme le matriau ncessaire lillustration et la vrification des hypothses dordregnral que jai mises.

    Pourquoi avoir choisi LOral ? Pour plusieurs raisons, et, en premier lieu, parce quilsagit dune entreprise qui va trs loin dans la qute et laffichage de valeurs, au pointdavoir mis en avant, au centre du slogan de LOral Paris, le verbe valoir conjugu auprsent successivement la premire personne du singulier, la premire et la secondepersonnes du pluriel ( Parce que je le vaux bien , Parce que nous le valons bien , Parce que vous le valez bien ). En outre, LOral est une entreprise qui accorde beaucoupdimportance et dattention sa communication, ce qui rend lanalyse particulirement richeet complte. Dautre part, le fait que la valeur premire rige par LOral, la beaut, soit enapparence trs futile me semble particulirement intressant pour comprendre le pouvoirdes valeurs, quelles quelles soient, lorsquelles font lobjet dune communication matrise.Enfin, la longvit ainsi que lhistoire de cette entreprise, qui fut, plusieurs reprises, mle la grande Histoire, ont constitu pour moi des critres importants de slection dans laperspective dune comprhension de limpact des valeurs et de leur communication sur uneentreprise. Je tiens prciser que je me suis attache analyser le groupe LOral danssa globalit et galement tudier sa marque phare LOral Paris. Je ne me suis donc pasintresse toutes les marques du Groupe. En effet, il ma sembl logique et cohrent deconsidrer le groupe dans son ensemble pour tudier les problmatiques relatives sonimage institutionnelle et ses valeurs. Analyser galement la communication de LOralParis mest apparu ncessaire et ce pour plusieurs raisons : tout dabord, il sagit de luniquemarque du Groupe portant son nom (ce qui a des incidences directes sur limage globale) ;ensuite, cest une des seules marques Grand Public du Groupe (ce qui permet demieux mesurer les effets de la communication dans lespace public) ; enfin et surtout, jaipu observer que cette marque conditionne en grande partie la communication et lidentitdu Groupe.

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    8 CUNIOT Clara

    Pour mener notre dmonstration, nous verrons dans un premier temps commentapparaissent et se forment les valeurs de lentreprise et leur communication, traversleur dfinition et ltude des divers lments qui les dterminent. Ensuite, nous essaieronsde comprendre quels liens unissent communication et valeurs et les diffrents rles de lacommunication et de ses formes dans lavnement des valeurs. Enfin, nous tudierons lesmultiples consquences de la communication des valeurs sur les relations de lentrepriseavec ses parties prenantes et nous tenterons de comprendre si ces consquences ontentran un regain dintrt des entreprises pour les valeurs, pour leur communication oupour les deux.

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

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    I. Apparition, formation et constructiondune communication des valeurs

    Dans cette premire partie, nous nous attacherons tenter de dfinir les concepts devaleurs (premire sous-partie) et de communication sur les valeurs (seconde sous-partie), travers ltude de leurs dfinitions et galement de leurs diffrences avec les conceptsvoisins. Ensuite, nous tudierons les facteurs qui dterminent et constituent les valeurs delentreprise et leur communication (troisime sous-partie) afin de montrer quel point lesvaleurs sont conditionnes par des lments involontaires, inconscients et immatrisablespar lentreprise.

    ***

    1.1 Vers une dfinition des valeurs de lentrepriseVoyons tout dabord sil est possible de penser des valeurs au sein de lentreprise et, si oui,ce quelles peuvent recouvrir. Dans un premier temps, il est donc ncessaire de dfinir lesvaleurs, dans le cadre de lentreprise. Mais il faut aussi analyser ce que les valeurs ne sontpas, travers ltude des termes voisins.

    1.1.1 Tentative de dfinition des valeurs au sein de lentrepriseTout dabord, appuyons-nous sur la dfinition du mot valeur du dictionnaire de la languefranaise de Paul Robert1. Nous allons voir que le dictionnaire nous offre une pluralit dedfinitions, qui annonce la complexit dune dmarche visant tudier le rle des valeursdans les processus communicationnels des entreprises. Cest pourquoi, la suite de chaquedfinition, nous indiquerons sil faut tenir compte des acceptions prsentes pour notre sujet.

    I/1) (Relativement aux personnes). Ce en quoi une personne est digne destime, au

    regard des qualits que lon souhaite lHomme dans le domaine moral, intellectuel,professionnel.

    Par extension (XVIe sicle), personne qui a de la valeur.Cette dfinition, bien que visant des personnes, nous intresse car elle concerne les

    personnes dans leur dimension morale (et non physique), et quelle peut donc sappliqueraux entreprises (personnes morales).

    2) Courage et hardiesse au combat, dans la lutte (1170, vieilli depuis le XVIIe sicle).

    1 ROBERT, Paul. Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise. Paris : Socit du nouveau Littr, Tome 6e, 1964

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    10 CUNIOT Clara

    Cette acception nentre pas dans notre sujet puisquelle se rfre un cadre guerrier.II/1) (XVIIIe sicle, dans le langage courant). Caractre mesurable dun objet susceptible

    dtre chang, dtre dsir.Au sens figur (XVIIIe sicle, Littr) : mettre en valeur, faire valoir une personne, une

    chose en la montrant son avantage.Cette approche nous intresse car elle renvoie au processus dapprciation et

    dvaluation de la valeur des choses et donc nous est utile pour juger notamment de lahirarchie des valeurs ou de celle quelles entranent.

    2) (1705, Economie politique). Qualit dune chose fonde sur son utilit objective ousubjective (valeur dusage), et sur le rapport de loffre la demande (valeur dchange) pour les marxistes, essentiellement sur la quantit de travail ncessaire la production.

    Les notions de valeur dusage et de valeur dchange nous servent comprendre quilexiste diffrents systmes de valeurs qui sont relatifs (au sujet, la situation du march,etc.).

    3) (Comptabilit, Bourse). Valeur mobilire ou valeurs, nom gnrique de tous les titrescots ou non en bourse.

    Dans le cadre de notre tude, nous nvoquerons pas les valeurs dans ce sens lpuisquil sagit de considrer la dimension normative et non mathmatique/conomique desvaleurs.

    III/1) Caractre de ce qui rpond aux normes idales de son type (Foulqui), qui a de

    la qualit, est objectivement digne destime.Cette dfinition nous intresse particulirement puisquelle renvoie la dimension

    normative des valeurs ainsi quaux notions didalit, de qualit et destime, qui sont utilisespar les entreprises dans la prsentation de leurs valeurs. En outre, la notion dobjectivitnous intresse pour notre interrogation sur les fondements des valeurs et la possibilit ounon de les juger de faon objective.

    2) Qualit variable de ce qui mrite plus ou moins lestime ; objet du jugement quonporte sur les choses.

    Cette acception du mot valeurs nous intresse car, de nouveau, les notionsde qualit, destime, de jugement apparaissent. En outre, elle introduit la question de lavariabilit des valeurs.

    3) Qualit de ce qui produit leffet souhait, est utilisable efficacement (efficacit, utilit).Cette dfinition nous concerne galement car elle rejoint la question de linfluence des

    valeurs sur la ralit et de leur valuation par certains laune des critres defficacit,notamment dans le monde de lentreprise.

    4) Par extension, caractre de ce qui est important.Limportance est une notion qui nous intresse car elle renvoie la faon dont les

    entreprises considrent leurs valeurs et dont elles les hirarchisent.5) Caractre de ce qui satisfait une certaine fin (intrt, sens).

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

    CUNIOT Clara 11

    Cette question de lintrt et du sens nous invite nous interroger sur lobjectif rel desdmarches de communication sur les valeurs menes par les entreprises.

    6) (Philosophie). Caractre de ce qui est estim subjectivement et pos commeestimable objectivement (valeur morale, esthtique).

    Cette dfinition nous intresse particulirement car elle pose les bases et les enjeux dela notion de valeurs, qui oscille entre deux dimensions : subjective et objective, individuelleet collective, dont la mdiation est effectue par le langage.

    7) (2e moiti du XIXe sicle). Ce qui est vrai, beau, bien, selon un jugement personnel,plus ou moins en accord avec celui de la socit de lpoque.

    De la mme manire que la dfinition prcdente, cette nouvelle acception renvoie auxdimensions singulire et collective des valeurs ( jugement personnel et jugement dela socit ) et introduit la dimension historique ( socit de lpoque ) qui nous ramnegalement la dimension culturelle des valeurs.

    IV/1) (Mathmatiques). Mesure dune grandeur ou dune quantit variable.2) (1549). Par extension, quantit approximative.3) Mesure conventionnelle attache un signe (jeux de cartes, notes de musique, )Ces trois dfinitions ne concernent pas notre sujet car elles demeurent cantonnes au

    champ des significations (mathmatiques, musicales, etc.) et ne renvoient pas du tout lunivers des sens, qui est celui qui nous intresse. A ce stade, il est important de distinguerla signification du sens. Ce qui illustre cette distinction, cest celle entre la donne etlinformation. Une donne, a a une signification mais a na pas de sens (comme cest lecas dans les trois approches prcdentes). Une information, cest un ensemble de donnesarticul et prsent de manire construire un message qui fait sens. Par ailleurs, il nya pas, dans ces trois dfinitions, de dimension communicationnelle puisque les valeursexistent objectivement, en dehors de toute relation intersubjective (or la communication sefonde dans le rapport lautre).

    V/ (1690, Linguistique, sens ). Sens dun mot limit par son appartenance unestructure (champ associatif, contexte) : Un tat du jeu (dchecs) correspond bien untat de la langue. La valeur respective des pices dpend de leur position sur lchiquier,de mme que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous lesautres termes (Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique gnrale, p.125-126).

    Cette approche, certes assez loigne des prcdentes que lon a conserves, servle intressante pour notre analyse car elle nous invite considrer la valeur des mots,des expressions, dans un contexte particulier et notamment dans celui de la langue utilise.Cela nous invite donc envisager la relativit des valeurs et de la communication desvaleurs en fonction des outils disponibles et des possibilits quils offrent en termes designification, de diffusion et de sens.

    VI/ (Peinture). Qualit dun ton plus ou moins fonc ou plus ou moins satur.Cette approche nentre pas dans notre champ danalyse puisquelle renvoie un

    domaine technique artistique.Pour approfondir davantage la conceptualisation du mot valeur et la situer dans le

    cadre de lentreprise, appuyons-nous sur Shimon L. Dolan et Salvador Garcia, spcialistes

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    12 CUNIOT Clara

    en psychologie organisationnelle, qui fournissent une approche de la notion travers sestrois dimensions complmentaires :

    - caractre thico-stratgique- caractre conomique- caractre psychologiquePour dfinir le caractre thico-stratgique des valeurs, les auteurs partent de la

    dfinition du professeur Milton Roach de lUniversit du Minnesota dlivre en 1973 : Une conviction ou une croyance dans le temps, est quune certaine conduite ou finalitexistentielle est personnellement ou socialement prfrable la forme de conduite oppose

    ou par sa finalit existentielle contraire (Rockeach, 1973 2 ) 3. Les auteurs traduisent

    cette formule en dautres termes : Les valeurs sont des leons stratgiques, acquises etmaintenues relativement stables dans le temps parce quune certaine manire dagir estmeilleure que la manire oppose afin darriver ses fins. Ces fins sont en ralit ce quinous russit 4. A travers ces dfinitions, on peroit bien que les systmes de valeursdpendent directement de linterprtation qui en est faite puisquil sagit duser du registredu prfrable ou de son contraire, un registre qui relve de lapprciation singulire.

    Le caractre conomique de la valeur renvoie la mesure de la signification ou delimportance de quelque chose. Dans ce cadre dides, les valeurs sont des critres utilisspour valuer les choses en fonction de leur mrite relatif, adquat, et en fonction de leurraret, de leur prix ou de leur intrt 5.Ce caractre conomique est rgulirement priscomme fondement de la dfinition de valeur par les philosophes. Paul Valadier, professeurde philosophie morale, estime ainsi que le concept de valeur renvoie la vie conomiqueo les changes de biens et de services sapprcient par la rfrence des prix, des cots,et donc selon la valeur des choses produites et commercialises 6.Nietzsche, dans LaGnalogie de la morale (III, 8), dsigne lhomme comme lanimal apprciateur parexcellence , comme ltre qui mesure des valeurs, qui value et qui mesure 7. DansLviathan, Hobbes va jusqu affirmer que La valeur dun homme est, comme pour toutesles autres choses, son prix 8. Mais il ne sagit pas l dune valeur purement conomiquepuisquil ajoute : c'est--dire ce quon peut donner pour lusage de son pouvoir, et donc ellenest pas absolue, mais une chose dpendant du besoin et du jugement dun autre 9. Ceque cherche mettre en avant Hobbes, cest le fait que la valeur dun homme est fonctiondun systme de relations et de dpendances, des besoins dun Autre et de son jugement. Ilest donc important, ds le dbut, de comprendre que le concept de valeurs sinscrit dans unprocessus communicationnel puisquil implique la prsence et le jugement dun Autre. Lavaleur ne constitue pas un absolu car elle est relative linterprtation que lon en fait. Cette

    2 ROCKEACH, Milton. The Nature of Human Values. New York : MacMillan, 19733 L.DOLAN, Shimon, GARCIA, Salvador (Cit par). La gestion par valeurs Une nouvelle culture pour les organisations. Montral :

    Editions Nouvelles, 1999, p.734 Ibid., p.735 Ibid., p.736 VALADIER, Paul. Lanarchie des valeurs : Le relativisme est-il fatal ?. Paris : Albin Michel, 1997, p.237 Ibid., p.24 (Cit par)8 HOBBES. Leviathan.Penguin Books, p.151-1529 Ibid., p.151-152

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

    CUNIOT Clara 13

    interprtation est le fruit dun processus symbolique de communication avec un Autre, quiest semblable soi mais qui ne partage pas ncessairement la mme vision de la valeur.Le caractre conomique de la valeur nous permet donc de comprendre que les valeurssont relatives mais galement quelles adviennent grce lHomme, qui a la capacit deles juger, les apprcier, les comparer puis dchanger avec ses alter egos . Tout cela estrendu possible grce au langage, qui constitue une mdiation entre le rel (les actions), lesymbolique (sige des valeurs) et aussi limaginaire (utopie).

    Enfin, le caractre psychologique de la valeur se rfre, toujours selon L. Dolan etGarcia, au courage. Les auteurs sappuient sur la dfinition du dictionnaire du mot valeur : La qualit morale qui permet une approche rsolue face de grandes ralisations ou des dfis de taille et daffronter le danger sans tmoigner de crainte 10. Cette acception dumot valeur travers le courage, mais pas uniquement guerrier (contrairement lapprochedu dictionnaire Robert vue prcdemment), est intressante car elle insiste sur la dimensionsingulire des valeurs et sur laspect psychologique.

    Selon les auteurs, dans le monde de lentreprise, ces trois dimensions de la valeurexistent.

    Selon L. Dolan et Garcia, il existe deux types de valeurs, les valeurs finales et lesvaleurs instrumentales, prsentes ci-dessous11 :

    Les valeurs finales (objectifs existentiels)

    Les valeurs personnelles : Quest-ce qui est leplus important dans votre vie ?

    Vivre, le bonheur, la sant, la famille, le succspersonnel, la reconnaissance, le statut, lesbiens matriels, le succs professionnel, leprestige, lamiti, lamour, etc.

    Les valeurs thico-sociales : Que voudriez-vous faire pour le monde ?

    Prner la paix, lcologie, la justice sociale, etc.

    Les valeurs instrumentales (moyens pour diffrentes fins existentielles)

    Les valeurs thico-morales : Comment devez-vous vous comporter avec les gens de votreentourage ?

    Etre honnte, sincre, responsable, loyal,solidaire, avoir confiance, respecter les droitshumains, etc.

    Les valeurs de comptition : Quest-ce quevous croyez ncessaire pour rivaliser dans lavie ?

    La culture, largent, limagination, la logique,lapparence, lintelligence, la positivit, laflexibilit, la sympathie, la capacit travailleren quipe, le courage, etc.

    Dans le cadre de notre tude, nous considrons principalement les valeurs thico-sociales et thico-morales, soit la fois des valeurs finales et instrumentales, qui sontchacune prsente dans le monde de lentreprise.

    Les valeurs thico-sociales renvoient aux objectifs que lentreprise se fixe en tantquinstitution et partie-prenante dun espace public.

    10 L. DOLAN, Shimon, GARCIA, Salvador. La gestion par valeurs Une nouvelle culture pour les organisations. Montral :Editions Nouvelles, 1999, p.76

    11 Ibid., p.78

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    14 CUNIOT Clara

    Les valeurs thico-morales font rfrence des conduites qui sont ncessaires pouratteindre nos valeurs finales et ne sont pas forcment des fins existentielles en elles-mmes 12. Selon les auteurs, les valeurs morales sont des valeurs instrumentales quiont deux caractristiques trs particulires :

    - elles sont mises en pratique dans nos relations avec les autres personnes ;- elles tendent procurer des sentiments de culpabilit ou de honte, ou du moins

    dinsatisfaction avec elles-mmes chez les personnes quilibres mentalement, lorsquede telles valeurs sont retenues ou souscrites, mais pas traduites par un comportementconsquent ou consistant 13.

    Enfin, il est important de comprendre quau sein de lentreprise existe une pluralit desystmes de valeurs, qui coexistent. On peut citer par exemple :

    - Les valeurs lies la performance organisationnelle (cration de valeur,professionnalisme, excellence, )

    - Les valeurs lies la performance relationnelle (respect, confiance, esprit dquipe,)

    - Les valeurs lies lidentit institutionnelle de lentreprise (thique, responsabilit,citoyennet, ).

    Les valeurs sont complexes dfinir car elles peuvent revtir de nombreuses formeset dsigner des lments parfois assez diffrents. Cest pourquoi il peut tre intressant deplutt les identifier en les distinguant de ce quelles ne sont pas.

    1.1.2 Comprendre certaines nuancesAfin de mieux cerner ce que sont les valeurs, tentons de comprendre maintenant ce quellesne sont pas, travers ltude des concepts qui leur sont proches.

    1.1.2.1 Valeurs et croyancesPour le dictionnaire, la croyance est laction, le fait de croire une chose vraie, vraisemblableou possible 14. En philosophie, elle dsigne lassentiment de lesprit qui exclut ledoute 15 . La croyance diffre donc de la valeur car elle se trouve presque en dehors desconsidrations morales. En effet, elle nimplique pas, en elle-mme, dvaluation. Commelexplique la dfinition, cest un fait.

    Les croyances sont des vrits pour ceux qui y croient, alors que les valeurssont de lordre de la reconnaissance, ce qui nest pas du tout dans la mme logique.La vrit, la croyance, sont de lordre de lindividuel alors que les valeurs sont lafois singulires et collectives puisque la reconnaissance renvoie aussi une dimensioncollective (reconnaissance de la lgitimit de celui qui nonce les valeurs par exemple).

    12 L. DOLAN, Shimon, GARCIA, Salvador. La gestion par valeurs Une nouvelle culture pour les organisations. Montral :Editions Nouvelles, 1999, p.79

    13 Ibid., p.7914 ROBERT, Paul. Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise. Paris : Socit du nouveau Littr, Tome 6e, 196415 Ibid.

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

    CUNIOT Clara 15

    Si croyance et valeur diffrent, ce nest pas pour autant quelles ne sont pas lies.En effet, comme lexpliquent L. Dolan et Garcia, Au sens gnrique, les croyancessont des structures de la pense dveloppes et profondment ancres par des annesdapprentissage et dexprience, ce qui permet dexpliquer et de donner un sens notreralit. Ces structures prcdent la formulation de nos valeurs 16.

    La hirarchie ou la squence des croyances et des rsultats 17

    L. Dolan et Garcia nous permettent ainsi de comprendre que les croyances constituentune tape se trouvant en amont de la constitution des valeurs : elles en sont le fondement.

    Juremir Machado da Silva, chercheur brsilien et docteur en sociologie, nous expliqueque nous existons car nous croyons : Notre obligation, comme garantie, est de croireen quelque chose, non pas comme une erreur mais comme une illusion ncessaire, unmythe nutritif []. Nous sommes parce que nous croyons 18 . Dtournant et reprenantainsi la dmarche cartsienne, lauteur nous invite repenser notre existence launede la ncessit de croire, qui alimente notre existence, et nous permet ainsi peut-tre decomprendre aussi le besoin de possder des valeurs, qui en dcoule.

    1.1.2.2 Valeurs et normes

    16 L. DOLAN, Shimon, GARCIA, Salvador. La gestion par valeurs Une nouvelle culture pour les organisations. Montral :Editions Nouvelles, 1999, p.83

    17 Ibid., p.8318 MACHADO DA SILVA, Juremir. Les technologies de limaginaire. Paris : La Table Ronde, 2008, p.65

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    16 CUNIOT Clara

    Le dictionnaire offre plusieurs dfinitions de ce que sont les normes : 1) Type concret ouformule abstraite de ce qui doit tre, en tout ce qui admet un jugement de valeur : idal, rgle,but, modle suivant les cas 19 ; 2) Etat habituel, ordinaire, rgulier, conforme la majoritdes cas 20 ; 3) Formule qui dfinit un type dobjet, un produit, un procd technique envue de simplifier, de rendre plus efficace et plus rationnelle la production dans un secteurconomique donn 21. Lacception qui nous intresse est la premire car elle renvoie lanotion de jugement de valeur. Dans le schma prsent prcdemment, on constate queles valeurs ne correspondent pas non plus tout fait des normes mais quelles se trouventen amont de ces dernires. Mais quoi servent-elles ? Quels sont les liens entre valeurset normes ?

    Les normes sont des rgles de conduite adoptes par consensus, alors que lesvaleurs sont des critres dvaluation, acceptant ou rejetant les normes 22. Dans cetteperspective, L. Dolan et Garcia nous permettent de comprendre que les valeurs constituentun outil dvaluation des normes, qui rsultent dun consensus (donc dun collectif) et qui nesont pas ncessairement valorises ou valorisantes. Les normes sont juges laune dunsystme de valeurs et ne sont pas, en elles-mmes, porteuses de valeurs.

    1.1.2.3 Valeurs et vertusDans un dernier temps, voquons la distinction entre les valeurs et la vertu. Cette derniresignifiait lorigine le courage, la force, se rapprochant ainsi dune des dfinitions de lavaleur. Depuis, elle dsigne la valeur morale de lhomme et mme l nergie de celui

    qui est digne du nom dhomme 23 . Dans une autre acception, elle dsigne la force avec

    laquelle lhomme tend au bien ; force morale applique suivre la rgle, la loi morale 24.Dans ces dfinitions, on voit que la premire diffrence entre la vertu et les valeurs est quela vertu dsigne toujours une force, une nergie motrice, ce qui nest pas ncessairement lecas de la valeur. Pour Descartes, La vertu ne consiste quen la rsolution et la vigueur aveclaquelle on se porte faire les choses quon croit tre bonnes 25 ; de son ct, Rousseaunous interpelle : Ne savez-vous pas que la vertu est un tat de guerre et que, pour y vivre,

    on a toujours quelque combat rendre contre soi ? 26 ; Andr Gide dclare quant

    lui : Provisoirement, je penserai que la vertu, cest ce que lindividu peut obtenir de soide meilleur 27.

    La vertu constitue donc une force motrice qui porte lHomme vers les choses quilconsidre comme bonnes , voire meilleures , mais condition quelle soit associe des valeurs. En effet, ce sont ces dernires qui donnent une dimension morale la vertu.

    19 ROBERT, Paul. Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise. Paris : Socit du nouveau Littr, Tome 6e, 196420 Ibid.21 Ibid.

    22 L. DOLAN, Shimon, GARCIA, Salvador. La gestion par valeurs Une nouvelle culture pour les organisations. Montral :Editions Nouvelles, 1999, p.8423 ROBERT, Paul. Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise. Paris : Socit du nouveau Littr, Tome 6e, 196424 Ibid.25 DESCARTES, Ren. Lettres, A Christine de Sude. 20/11/164726 ROUSSEAU, Jean-Jacques. La nouvelle Hlose. VI, VII27 GIDE, Andr. Journal. Novembre 1947, Feuillets dAutomne

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

    CUNIOT Clara 17

    Comme nous le dmontre le philosophe franais Andr Comte-Sponville, Le couteau napas moins de vertu dans la main de lassassin que dans celle du cuisinier, ni la plante quisauve davantage de vertu que celle qui empoisonne. [] Un excellent couteau, dans lamain dun mchant homme, nest pas moins excellent pour cela. Vertu cest puissance, et lapuissance suffit la vertu. Mais lhomme, non. Mais la morale, non 28. La vertu existeen quelque sorte en puissance chez lHomme et ce sont les valeurs qui vont lui permettredadvenir. Cest parce quil possde des valeurs que lHomme devient vertueux, c'est--dire quil exprime son humanit. La vertu, ou plutt les vertus (puisquil y en a plusieurs,puisquon ne saurait les ramener toutes une seule ni se contenter de lune dentre elles)sont nos valeurs morales, si lon veut, mais incarnes, autant que nous le pouvons, maisvcues, mais en acte : toujours singulires, comme chacun dentre nous, toujours plurielles,comme les faiblesses quelles combattent ou redressent 29.

    Finalement, pour conclure cette premire sous-partie tendant dfinir le concept devaleurs, citons la dfinition de Paul Valadier, qui met en avant quatre lments caractrisantles valeurs :

    Se rfrer une valeur renvoie un dsir [] ; mais le dsir se donneune reprsentation en quoi tient justement la valeur, qui constitue la visesur laquelle porte le dsir ou lobstacle sur lequel il se reflte, se mesure etsprouve ; une telle reprsentation quoique porte par le dsir est elle-mmetraverse et constitue de reprsentations sociales : les valeurs ne sontpas purement et simplement inventes par le sujet, celui-ci les trouve djsocialement et culturellement constitues, ce qui signifie que la valeur desvaleurs a partie lie la communication, l change social [] 30.

    Cette dfinition nous permet de concevoir la dualit des valeurs, qui relvent toujoursdune part du sujet (de son dsir, de sa reprsentation) et dautre part du collectif (desreprsentations et des changes sociaux). Surtout, elle nous permet denvisager lexistencedes valeurs dans le cadre de lentreprise puisque cette dernire constitue un lieu de runionentre les dimensions singulire et collective des individus.

    1.2 Vers une dfinition de la communication desvaleurs de lentreprise

    Aprs avoir tent de dfinir les valeurs, il est ncessaire de comprendre ce questla communication sur les valeurs au sein de lentreprise, appele communicationinstitutionnelle , ou, plus largement, communication dentreprise (premire sous-partie).Cette approche nous invite aussi tudier les diverses dclinaisons des valeurs et de leurcommunication dans lentreprise, travers lanalyse de la morale (seconde sous-partie),de lthique (troisime sous-partie), de la culture dentreprise (quatrime sous-partie) et deleurs diffrences (cinquime sous-partie).

    28 COMTE SPONVILLE, Andr. Petit trait des grandes vertus. Presses universitaires de France, 1995, p.829 Ibid., p.10

    30 VALADIER, Paul. Lanarchie des valeurs : Le relativisme est-il fatal ?. Paris : Albin Michel, 1997, p.85-86

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

    18 CUNIOT Clara

    1.2.1 Communication dentreprise et identit institutionnelleTentons dans un premier temps de dfinir ce quest la communication des valeurs dans lecadre de lentreprise.

    Au sens littral, nous entendons la communication comme lchange entre un sujet etun autre sujet. A la diffrence de linformation, qui correspond un rapport entre le sujetet la ralit, la communication renvoie au rapport entre un sujet et un autre sujet, rapportfond sur le langage, et donc le symbolique.

    Notre tude ne concerne pas toutes les valeurs de lentreprise mais celles qui sontconstitutives de son identit institutionnelle (nous ne traitons par exemple pas des valeursde la marque, des produits, etc.). Lidentit est considrer ici comme le caractre de cequi demeure identique soi-mme 31, c'est--dire lensemble des lments qui permettentde dfinir lentreprise et qui sont en adquation avec sa personnalit . Nous centronsnotre analyse sur la stratgie de communication dentreprise, qui inclut un volet interne et unvolet externe, lui-mme compos de la communication institutionnelle, de la communicationde recrutement et de la communication financire.

    Les diffrentes stratgies de communication dune entreprise 32

    Sur ce schma, on constate que la communication institutionnelle est unedes composantes de la communication dentreprise. Cependant, il existe dautresmodes de classifications qui sparent la communication institutionnelle de lacommunication dentreprise, considres comme des sous-ensembles de la communication corporate (qui vise promouvoir limage de lentreprise). Selon dautres visions encore,la communication dentreprise, institutionnelle et corporate sont prsentes comme tantsynonymes. Nous considrons ici que la communication dentreprise et la communicationinstitutionnelle peuvent tre synonymes.

    31 ROBERT, Paul. Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise. Paris : Socit du nouveau Littr, Tome6e, 1964

    32 DEMONT-LUGOL, Liliane et al. Communication des entreprises : stratgies et pratiques. Paris : Armand Colin, 2008, 2edition, p.13

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

    CUNIOT Clara 19

    La communication institutionnelle peut se dfinir comme le fait que lentreprise prendla parole, dans le but principal de se crer une identit forte et de valoriser son image. Ellepeut sadresser :

    - ses partenaires (actionnaires, banquiers, fournisseurs, etc.) pour leur donnerconfiance ;

    - au grand public ou des catgories prcises dindividus (consommateurs potentiels,clients actuels, etc.) pour se faire connatre et se faire apprcier ;

    - aux individus pris en tant que citoyens pour montrer ses grands combats (ledveloppement durable, les actions en faveur de la sant, la lutte contre la pauvret) 33.

    Il est important de noter que la communication dentreprise sadresse la fois auxsalaris et aux publics externes.

    Dans le cas de la communication dentreprise, lentreprise ne se contente plus de tenirun discours objectif. Elle parle galement de valeurs, de sa philosophie, de sa mission. Cediscours dit symbolique se rfre des valeurs pour en faire un levier de performance 34.

    On constate donc, travers ces dfinitions, que la communication dentreprise constituele lieu de la diffusion des valeurs de lentreprise, de la construction de son discourssymbolique.

    Avec la communication dentreprise, lmetteur du message nest plus lentrepriseen tant que structure conomique mais lentreprise en tant quinstitution. Cette formede communication nest pas oppose la communication commerciale mais est pluttcomplmentaire. Il existe des interactions entre ces deux formes, les campagnes de communication produits agissant indirectement sur limage de lentreprise et cettedernire influant galement sur la crdibilit des produits.

    Les cibles et les objectifs de la communication dentreprise 35

    33 Ibid., p.2334 DEMONT-LUGOL, Liliane et al. Communication des entreprises : stratgies et pratiques. Paris : Armand Colin, 2008, 2e

    dition, p.32235 Ibid., p.332

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

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    La communication dentreprise utilise tous les moyens de communication existants, lexception du parrainage (rserv la marque) et de la promotion (axe sur la hausse duchiffre daffaires court terme).

    1.2.2 Communication sur les valeurs, communication sur la morale Se rfrer la valeur, nest-ce pas lissue de secours providentielle quand toutle reste a sombr en matire de morale ? 36

    Il est important de saisir les similitudes et aussi les diffrences entre une communicationsur les valeurs et une communication morale de lentreprise. Il faut aussi tudier le cas dela communication sur des valeurs dites morales.

    1.2.2.1 Morale, valeurs morales, communication sur la morale

    36 VALADIER, Paul. Lanarchie des valeurs : Le relativisme est-il fatal ?. Paris : Albin Michel, 1997, p.13

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

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    A linverse de la valeur, qui peut renvoyer des dimensions conomiques et concrtes enun certain sens, la morale renvoie labstraction. Mais la valeur et la morale ont ceci decommun quelles dpendent toutes deux du jugement et de lapprciation dautrui. Ce quinous intresse ici, ce sont les valeurs morales : existent-elles au sein de lentreprise ? Nya-t-il pas uniquement des valeurs marchandes ? Et si elles existent, pourquoi et commentfont-elles lobjet dune communication ?

    Pour Claire Belisle, chercheur au CNRS, La morale proprement dite renvoie toujours des normes sociales et contraignantes, concernant les comportements des individus dansune organisation sociale donne, et en rfrence un ensemble de valeurs, telle la justice,la libert, la vrit, et de croyances, tels le caractre sacr de la vie, lunit du cosmos, lafraternit humaine, dans un contexte socioculturel spcifique 37. La morale se dfinit doncen fonction de valeurs mais cela ne signifie par pour autant que toutes les valeurs soientmorales. En effet, dans cette dfinition, Claire Belisle nous livre une vision relativementstricte du champ de la morale travers le fait que cette dernire se dfinit en fonction denormes sociales et contraignantes : la morale concerne donc un champ spcifique desvaleurs.

    La dimension morale de lentreprise ne peut ainsi tre quun pan de la communicationsur ses valeurs. Mais dj, le fait de considrer quil est possible quune entreprise aitune dimension morale ncessite un effort intellectuel : en effet, dans quelle mesure uneentit telle quune entreprise peut-elle avoir puis diffuser une morale ? La morale estdfinie dans le dictionnaire comme la science du bien et du mal . Lentreprise na paspour fonction dtudier cette science, et encore moins den rendre compte travers sacommunication. La seconde dfinition fournie par le dictionnaire nous indique que la moraleest l ensemble des rgles de conduite considres comme valables de faon absolue .Lentreprise est-elle lgitime fournir de tels absolus ? Peut-elle se permettre drigercertaines rgles au rang de valeurs absolues ? Si tel est le cas, alors il faut considrerla dimension politique voire religieuse des entreprises. Enfin, une autre acception est

    donne : l ensemble des habitudes et des valeurs morales 38 . Dans cette dernire

    dfinition, la morale est lie aux valeurs. Or, les valeurs peuvent faire partie de lentreprise, travers sa communication institutionnelle notamment. Dans cette configuration, on peutdonc envisager que lentreprise, en tant quinstitution, possde des valeurs auxquelles elleattribue une dimension morale.

    1.2.2.2 Approches critiques : la morale dans les entreprises, un excs ? Uneimpossibilit ?Pour le philosophe Alain Etchegoyen, face la mode thique dans les entreprises ,on va trop loin : On essaye de montrer que lentreprise est morale, dans un champ dumonde qui est moral et que les meilleurs, au sens de la morale, gagnent. Cest le sloganamricain Ethic pays qui veut dire : plus on agit bien, plus on gagne. Agir bien, cest treen mme temps efficace. Je crois ce prsuppos qui consiste dire non seulement jai

    37 BELISLE, Claire. Lthique et le multimdia in J. BRUNET, Patrick. Lthique dans la socit de linformation. Canada :LHarmattan, 2001, p.123

    38 ROBERT, Paul. Dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise. Paris : Socit du nouveau Littr, Tome6e, 1964

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

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    gagn, mais si jai gagn cest que je suis moral, tout fait excessif 39.Il y aurait ainsi unedrive des entreprises vers un absolu de la morale, qui serait omnisciente, qui envahiraittous les champs de lentreprise mais surtout, qui serait considre comme le seul facteurdanalyse pertinent.

    La critique de la dimension morale des entreprises peut tre pousse son paroxysme,au point de nier toute possibilit dexistence dune morale au sein de telles entits, si lonconsidre, comme Andr Comte-Sponville, que le capitalisme est intrinsquement amoral.Par consquent, quel sens et quelle lgitimit les entreprises, qui fonctionnent sur ce modlecapitaliste, peuvent-elles donner leur communication sur des valeurs et, en particulier,sur des valeurs morales ? Leurs valeurs peuvent-elles tre totalement dconnectes dunemorale ? Selon Comte-Sponville, Ce nest pas la morale qui dtermine les prix ; cest laloi de loffre et de la demande. Ce nest pas la vertu qui cre de la valeur ; cest le travail.Ce nest pas le devoir qui rgit lconomie ; cest le march. Le capitalisme, cest le moinsque lon puisse dire, ne fait pas exception. [] le capitalisme nest pas moral, il nest pasnon plus immoral ; il est mais alors totalement, radicalement, dfinitivement amoral 40

    . Fonder un discours sur une dimension morale consisterait donc crer, dans la sphresymbolique (du langage), un univers de sens fondamentalement incompatible avec celui delentreprise. Cest dailleurs peut-tre cette incompatibilit qui suscite une mfiance lgardde certains discours dentreprise tourns vers la morale.

    1.2.3 Communication sur les valeurs, communication sur lthiqueQue dsigne lthique des entreprises ? Pourquoi ces dernires cherchent-elles autant en avoir une et la diffuser ?

    1.2.3.1 Tentative de dfinition de lthiqueSamuel Mercier, professeur en sciences de gestion, propose de qualifier dthique, larflexion qui intervient en amont de laction et qui a pour ambition de distinguer la bonneet la mauvaise faon dagir. Le domaine de lthique est celui du bon et du mauvais, ou dujuste et de linjuste. Ces notions relatives se forgent partir du systme de valeurs et desattitudes des acteurs 41. Lthique se dfinit donc partir des valeurs, qui constituent lesoutils ncessaires la rflexion sur ce qui est bon ou mauvais.

    Il existe trois dfinitions de lthique selon Mercier : 1) Le fondement thorique et universel de la morale que les individus doivent mettre

    en uvre pour construire un comportement humain au quotidien.2) Lapplication par un groupe humain particulier de rgles permettant de distinguer le

    bon du mauvais. Dautres dfinitions distinguent la morale, applicable la vie prive, delthique pour la vie des affaires. []

    3) Une forme de dontologie professionnelle qui structure et contrle non seulementdes pratiques individuelles, mais aussi une communaut professionnelle. Brutalement

    39 ETCHEGOYEN, Alain. Entreprise, thique et identit in Identit et culture en entreprise. Paris :Publications de luniversitParis 7 Denis Diderot, 1992, p.143

    40 COMTE-SPONVILLE, Andr. Le capitalisme est-il moral ?. Albin Michel, 2009, p.7941 MERCIER, Samuel. Lthique dans les entreprises. Paris : La Dcouverte, 2004

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

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    rsume, lthique devient alors un ensemble de rgles qui guident la conduite des individuspour distinguer la bonne et la mauvaise faon dagir 42.

    Dans ces dfinitions, on peroit que la morale renvoie plutt au domaine priv,individuel, alors que lthique est utilise dans la vie publique , collective, et donc danslentreprise.

    Le recours lthique peut tre interprt de diverses manires, qui conduisentchacune prsenter lentreprise sous une forme diffrente : Le passage de lthique danslentreprise lthique de lentreprise renvoie au dbat sur sa nature : institution socialeavec personnalit propre (et donc sa propre thique), coalition dacteurs ayant leurs propresobjectifs (approche behavioriste) ou simple fiction lgale (approche contractuelle) 43 .Dans les deux dernires approches, il ne sagit pas dune thique de lentreprise mais dunethique dans lentreprise, gnralement celle des dirigeants. Dans le cas o lentreprise estune institution sociale avec une personnalit propre, il est possible de penser lexistencedune thique de lentreprise puisque des qualits morales sont confres la structure.Nous nous intressons, dans le cadre de cette tude, cette thique de lentreprise, quipermet de faire apparatre lentreprise comme une entit ayant une personnalit partentire.

    LOral accorde une place importante lthique dans sa stratgie, notammentcommunicationnelle. Il existe ainsi un poste de Directeur de lthique , une page ddie lthique dans la rubrique Le Groupe du site Internet, une Charte thique, unecommunication sur les prix obtenus dans ce domaine, un champ lexical trs dvelopp etrcurrent autour de ce concept, etc. Le Directeur de lthique explique que :

    Nous sommes jugs non seulement sur ce que nous faisons mais galementsur notre faon de faire. Tout ce que nous avons fait et continuons faire estvolontaire et proactif. L'thique nous permet d'avoir une vision et des rfrencescommunes. [] A LORAL, nous considrons que l'thique continue l oles rgles sarrtent et que nous devrions toujours nous demander non paspouvons-nous le faire, mais devrions-nous le faire ? 44.

    Il est intressant de noter le lien qui est fait entre les rgles , le devoir et l thique .En effet, le Directeur de lthique de LOral donne une dimension trs normative lthique et galement trs morale (notion du devoir), mlangeant ainsi plusieurs registresde valeurs. On peut supposer que ce mlange des genres a pour objectif daccentuer leffetdengagement et de toucher le plus grand nombre de personnes, qui ne sont pas toutessensibles aux mmes catgories de valeurs.

    1.2.3.2 Approches critiques : lthique de lentreprise comme simple outil decommunication ?Du ct des critiques, on trouve ds 1992 Bernard Ramanantsoa, spcialiste de la culture etde lthique dans les entreprises, qui met lhypothse que Cette appropriation dthiquepar lentreprise peut tre interprte comme un masque parce quaujourdhui certaines

    42 Ibid.43 MERCIER, Samuel. Lthique dans les entreprises. Paris : La Dcouverte, 2004, p.6

    44 LULIN Emmanuel, Directeur de lthique de LOral. Interview. Site Internet du Groupe, Aot 2010, [ http://www.loreal.fr/_fr/_fr/html/groupe/interview-avec-le-directeur-de-l-ethique.aspx? ]

    http://www.loreal.fr/_fr/_fr/html/groupe/interview-avec-le-directeur-de-l-ethique.aspx?http://www.loreal.fr/_fr/_fr/html/groupe/interview-avec-le-directeur-de-l-ethique.aspx?

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

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    dentre elles se mettent grer leur culture et leur identit par la peur 45. Lthique ne seraitquun nouveau moyen de management, fond sur la peur, la morale, et non sur la rationalit,la discussion. Dans cette vision, lthique serait vritablement pervertie par les entreprises,qui sen serviraient comme un instrument de rpression et non comme un moyen de fixerdes idaux (dmarche inverse).

    Le philosophe Alain Etchegoyen ne voit quant lui dans lthique quune chosesuperficielle, coupe de la ralit de lidentit de lentreprise. Lthique ne serait quuneillusion cre par la communication : La mode thique dans les entreprises fait ainsipartie dun discours idologique qui lidentifie artificiellement un systme de valeurs penspresque uniquement par ses dirigeants (pas toutes, bien heureusement) et ne constituepas un ancrage srieux de lidentit. Elle ne repose pas sur une connaissance approfondiede lentreprise mais sur le dveloppement dun discours de revalorisation de lentreprise 46 . Il y a ici une dissociation entre valeur et thique, cette dernire ntant, selon lauteur,quun pur artifice produit par la communication. Dans ces conditions, lthique ne serait pasrvlatrice de lidentit de lentreprise.

    Yohan Gicquel, essayiste et spcialiste en marketing, dnonce quant lui lutilisationde lthique par les entreprises comme outil marketing : Lthique est devenue un savantmlange stratgique pour les marques et le sera certainement plus encore dans lavenirfaisant surgir de nulle part de nouvelles proccupations pour les consommateurs 47.Lthique ne serait donc quun artifice, utilis pour rpondre, mais aussi susciter, les enviesdu consommateur, en qute de sens. Lauteur cite lexemple du rachat par LOral delentreprise The Body Shop en 2006, une marque considre comme thique . Ce rachatillustre bien, selon lui, la perception mercantile des entreprises face lthique :

    Ce qui est indniable, cest que le message de The Body Shop estdiamtralement oppos aux standards de beaut promus par LOral. LOralne droge donc pas sa rgle primaire de vouloir toujours gagner plus, quoiquil en cote. Pour le groupe, lacquisition de lenseigne signifie bien plus quele simple rachat dune marque, de son logo et ses valeurs, il conduit la marqueen plein cur de la consommatrice postmoderne au travers des quelques deuxmille boutiques de lenseigne britannique travers le monde. Une faon habilecertainement aussi de dtourner le regard des formations consumristes de sonimage souvent controverse 48.

    La conscience thique de LOral, pourtant largement formalise et diffuse, ne serait ainsiquun moyen, dune part de toucher de nouveaux consommateurs, et, dautre part, de sedonner bonne conscience. Lthique ne serait donc finalement quau service des valeursmarchandes, qui resteraient prdominantes.

    La critique de lthique de lentreprise porte aussi sur lincompatibilit entre le systmeconomique capitaliste et le souci thique, comme nous lavons vu prcdemment dans lecas de la morale. Ainsi, comme lexplique Samuel Mercier, Pour certains, parler dthique

    45 RAMANANTSOA, Bernard. Lvolution identitaire des entreprises in Identit et culture en entreprise. Paris : Publications deluniversit Paris 7 Denis Diderot, 1992, p.139

    46 ETCHEGOYEN, Alain, Entreprise, thique et identit in Identit et Culture en entreprise. Paris : Publications de luniversitParis 7 Denis Diderot, 1992, p.143

    47 GICQUEL, Yohan. Ta mre la pub ! : essai. Chambry : Le Gnie des glaciers, 2007, p.16348 Ibid., p.162

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

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    en gestion est une absurdit. Le monde des affaires nobit qu la loi du profit et est exemptdinterrogations thiques : les affaires sont les affaires 49. Pourtant, cest certainementdans le monde conomique que lthique est la plus mise en avant, probablement car cestcelui qui en a le plus besoin pour ne pas tre trop nfaste.

    Finalement, Eric Godelier nous explique quoutre les dcalages entre discours etpratiques, la notion dthique a du mal tre mise en uvre dans des actions concrteset ce pour trois raisons principales :

    La premire est que, selon les dfinitions, lthique ne renvoie pas aux mmes valeursou aux mmes contenus. En outre, le concept dthique peut, dune part se rfrer une universalit et une abstraction (lthique comme science des murs) et, dautrepart, relever dun contexte local et concret (bonnes manires de se comporter dans unesituation particulire). Lorsque les entreprises communiquent, cest la dimension universelleet abstraite quelles cherchent mettre en avant, et ce parce que cest cette dimensionqui donne des indications sur son identit et sur ses valeurs et galement parce que celapermet de susciter une large identification et adhsion. Lexistence dune charte thiquene suffit pas construire une culture thique au sein de lentreprise. Pour Eric Godelier,il faut quexiste une communaut sociale ou professionnelle susceptible dincarner cettethique, qui doit donc tre capable de construire des rgles. Il est aussi ncessaire quaitlieu un dbat au sein dun groupe sur les valeurs dont celui-ci se dote consciemment ouinconsciemment. Enfin, lauteur souligne que, gnralement, les entreprises donnent uncaractre homogne la notion de valeur et les valeurs sont utilises pour traduire lesnormes dominantes dun groupe de lentreprise, dune priode historique (mondialisation)ou dune zone gographique ( business ethics amricain). Mais les valeurs peuvent treopposes, contradictoires. Finalement, lthique servirait dfendre les intrts de certainsgroupes dominants.

    La seconde difficult est celle du management par lthique et les valeurs, qui se heurte la question de lapplication de principes gnraux dans les activits quotidiennes, et, infine, la question de la cohrence entre certains objectifs commerciaux et des principesthiques, voire entre les principes thiques eux-mmes. Lthique peut devenir, dans cesconditions, une source dclatement des collectifs et disolement.

    Enfin, Eric Godelier compare les chartes thiques, rdiges de faon trs solennelle, certains doctes fondamentaux des religions monothistes : Inscrites sur les tables dela loi, ces injonctions deviennent sacres. Vu de loin, le tu respecteras notre client faitchos au tu ne tueras point 50. Dans une vision optimiste, il pourrait sagir dune tentativede rformer la vie des affaires ou de transformer lentreprise en institution productricede sens. Mais linverse, certains y voient une langue de bois qui officialise certainesvaleurs tout en occultant le vrai dbat sur les valeurs fondamentales du capitalisme (critiqueformule notamment par le sociologue Jean-Pierre Le Goff51). De plus, ce qui sembleassez dangereux, cest que les principes sont dordre trs gnral et semblent difficilementcritiquables tant leur formulation appelle ladhsion et utilise des tournures presquetautologiques.

    On voit que lthique soulve de nombreuses interrogations : quels sont les domainesqui sont couverts par ses principes ? Pourquoi est-elle introduite dans les entreprises

    49 MERCIER, Samuel. Lthique dans les entreprises. Paris : La Dcouverte, 2004, p.650 GODELIER, ric. La culture dentreprise. Paris : La Dcouverte, 2006, p.5651 LE GOFF, Jean-Pierre. Le mythe de lentreprise. Paris : La Dcouverte, 1995

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    (besoin de lgitimit, defficacit...) ? Quelle est la vision de lthique qui lemportera ? Unevision optimiste qui voit dans le regain dintrt pour lthique une possibilit dadoucir lesystme capitaliste, de le rendre plus humain , ou bien une vision pessimiste qui nyvoit quune (nouvelle) manipulation idologique ? Finalement, quest-ce quune entreprisethique ? Il est difficile de rpondre ces questions car on constate que lthique revtdes formes diffrentes selon les entreprises dans lesquelles elle est promue. Il faut donccertainement opter pour une vision relative de lthique et la considrer dans des contextesparticuliers. Cependant, nous pensons quil faut croire en la possibilit dexistence dunethique dans le monde de lentreprise qui soit plus quun simple outil de communicationcar cest un concept qui semble particulirement bien convenir lentreprise en qute devaleurs. En effet, elle constitue une alternative la morale, peu adapte au monde delentreprise en raison de son caractre plutt individuel et trs normatif, et comporte unedimension pragmatique ncessaire cet environnement.

    1.2.4 Communication sur les valeurs, culture dentrepriseEvoquer la culture dentreprise nous amne de nouveau analyser une des dclinaisonsdes valeurs au sein de lentreprise.

    1.2.4.1 Tentative de dfinition de la culture dentrepriseEst-il possible de parler de culture dentreprise ? Ne sagit-il pas dun oxymore ? Eneffet, peut-on penser quau sein de chaque entreprise se dveloppe une forme de culturespcifique ? Par ailleurs, quel est le rle de la communication et des valeurs dans la crationdune culture dentreprise ?

    a. Notion de cultureLa premire dfinition scientifique et classique de la notion de culture a t donne parEdward Tylor en 1871 : Ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances,lart, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacits ou habitudes acquises parlhomme en tant que membre de la socit 52. Cette dfinition donne une approche trsdescriptive de la culture. Mais il existe une pluralit dacceptions de cette notion. En 1952, leschercheurs amricains A.L. Kroeber et C. Kluckhohn en ont ainsi recens 162. Ils distinguentplusieurs approches :

    - descriptive- par son processus de formation et sa dimension historique- par son pouvoir normatif ou par les idaux et valeurs du groupe quelle impose

    (lapproche qui nous intresse principalement)- par la faon dont elle structure la psychologie des membres dune communaut- par les structures qui relient les diffrentes manifestations concrtes ou intellectuelles

    de la culture- travers ses principales manifestations, quelles soient concrtes et visibles ou

    travers les symboles.Il sagit donc dune notion trs complexe et difficile cerner.

    52 CUCHE, Denys (Cit par). La Notion de culture dans les sciences sociales 3e dition. Paris : La Dcouverte, 2004

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

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    Pour approfondir notre rflexion, citons la dfinition de la culture livre par MauriceGodelier, anthropologue franais : Lensemble des principes, des reprsentations et desvaleurs partages par les membres dune mme socit et qui organisent leur faon depenser et dagir sur leur environnement et sur eux-mmes, pour organiser leurs rapports,c'est--dire la socit 53. Cette dfinition nous permet dentrevoir quelques unes descaractristiques fondamentales de toute culture : elle est constitue de principes, dereprsentations et de valeurs qui sont partags par des membres et qui rgissent leur vieen socit. Les valeurs sont donc au fondement de la culture.

    La rfrence en management pour la dfinition de la culture organisationnelle estEdgar Shein. En 1985, dans son ouvrage Organizational Culture and Leadership, il parlede la structure des valeurs de base partages par un groupe, qui les a inventes,dcouvertes ou dveloppes, en apprenant surmonter ses problmes dadaptationexterne ou dintgration interne, valeurs qui ont suffisamment bien fonctionn pour treenseignes aux nouveaux membres du groupe comme tant la bonne faon de percevoir,rflchir et ressentir les problmes similaires rsoudre 54. De nouveau, on constate queculture et valeurs sont lies, ces dernires tant le socle de la culture de toute organisationet constituant les repres en fonction desquels les membres dun groupe se comportent.

    b. Notion de culture dentrepriseEric Godelier, professeur de management, dhistoire et de culture des entreprises lEcolepolytechnique, sappuyant sur les travaux de J.-P. Le Goff, nous explique que : Commetoute communaut humaine, lentreprise produit de la culture au sens anthropologique duterme, c'est--dire des valeurs, des modles de comportements intrioriss, des normesou des habitudes 55. Il est donc totalement possible de penser le concept de culture ausein de lentreprise.

    Par ailleurs, Eric Godelier nous explique que quatre caractristiques reviennent dansla plupart des dfinitions de la culture en sciences sociales :

    - La culture rsulte dun processus collectif daccumulation au cours de lhistoire, cestun phnomne sociohistorique . [] ;

    - la culture recouvre des objets matriels (techniques, pratiques, langages) et idels(reprsentations, valeurs) [] ;

    - les valeurs, les principes ou idaux qui sont au cur de la culture dun groupe ont desfonctions normatives sur les faons de penser et de se comporter. [] Ces lments sontpartags par les membres de la communaut, qui en sont conjointement les porteurs et lescrateurs. Ils rsultent de cooprations mais aussi de conflits qui se dveloppent dansla rptition du quotidien et sinstitutionnalisent au fil de lhistoire. [};

    - la relation entre la culture et laction nest pas dterministe . Comme la montrle sociologue Robert Merton, mme si une cohrence densemble se dgage, dans ungroupe, les personnes disposent toujours de marges daction lintrieur du cadre et desrgles poss par un paradigme culturel incarn un moment de lhistoire par des institutions

    53 GODELIER, Maurice. Quelle culture pour quels primates : dfinition faible ou dfinition forte de la culture in DUCROSA., DUCROS J. et JOULIAN F. (dir.). La culture est-elle naturelle ?. Paris : Errance

    54 GODELIER, Eric (Cit par). La culture dentreprise. Paris : La Dcouverte, 2006, p.755 Ibid., p.7

  • Sens et rles de la communication des valeurs des entreprises.

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    sociales. [] La culture est donc en permanence rinterprte par les membres dun groupe

    social [] 56 .

    A travers ces caractristiques, on peroit de nouveau bien les liens entre les valeurset la culture puisque les valeurs constituent llment fondateur et fondamental de laculture. Les valeurs sont centrales puisquelles doivent permettent de symboliser lidentitde lentreprise, sa culture, et donc aussi son histoire, tout autant que son avenir. Dautrepart, les valeurs ont une fonction normative, qui rgit la constitution du groupe (puisquellespermettent dintgrer ou dexclure des membres du groupe). Elles sont donc des lmentsdterminants dans la construction de la culture de lentreprise mais cela ne signifie pasquelles soient immuables puisquelles font lobjet dinterprtations par les membres dugroupe.

    Les sous-systmes de la culture dentreprise 57

    On peroit bien ici la place des valeurs dans lentreprise par rapport la culture delentreprise : elles constituent une partie intgrante de la culture mais aussi son noyaucentral, aliment par lensemble des autres sous-systmes. Les valeurs constituent ainsi lepilier central de lentreprise, partir duquel peut sexprimer et se dvelopper la culture.

    Louvrage collectif Communication des entreprises : stratgies et pratiques 58

    recenseles diffrents lments qui constituent la culture dentreprise : cette dernirecomporte les mythes (histoires racontes au fil des ans) et rumeurs, les rites (organisationtraditionnelle des crmonies, pratiques habituelles) et les habitudes de langage (usagedun jargon professionnel), les valeurs dominantes (qui orientent le travail au quotidien), la

    56 Ibid., p.12-1357 MERCIER, Samuel. Lthique dans les entreprises. Paris : La Dcouverte, 2004, p.3458 DEMONT-LUGOL, Liliane et al. Communication des entreprises : stratgies et pratiques. Paris : Armand Colin, 2008, 2e

    dition, p.328-329

  • I. Apparition, formation et construction dune communication des valeurs

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    philosophie (qui oriente la politique de lentreprise lgard du personnel et des clients), lesrgles du jeu (prcautions prendre pour se faire accepter, comportements apprcis parlentreprise) et le climat gnral (disposition matrielle des locaux, faon dont les membresdialoguent).

    c. Fonctions de la culture dentrepriseLa culture est souvent prsente comme tant essentielle au fonctionnement de lentreprise.Cest ce que nous explique Fred Kofman, spcialiste en management des entreprises : La culture dune entreprise reprsente son ciment. Cest elle qui motive lexcution dela stratgie de lorganisation, laccomplissement de ses objectifs et de sa mission 59 . Laculture de lentreprise est donc dterminante dans le succs de lentreprise.

    Dautre part, grce sa culture, lentreprise devient une institution socialisatrice partentire. Cest ce que montre Philippe Denoun, ethnologue dentreprise :

    Les individus qui peuplent lentreprise sont dans une premire partie deleur existence dabord models par des institutions primaires (famille, cole).Cette culture initiale est un lment structurant de leur personnalit de base.Ils apprennent ensuite dautres comportements ou dautres faons de penser.Lentreprise est ici conue comme une institution secondaire. Dans cet autrecontexte, lidentit et la culture de chacun sont faonnes par la transmissionentre personnes et groupes 60.

    Cest bien parce que lentreprise possde sa propre culture et donc ses propres valeurs quelle peut tre une institution socialisatrice part entire. En effet, on ne peut pas penserun processus de socialisation en dehors de la culture car il dcoule directement de la cultureet linfluence aussi.

    1.2.4.2 Approches critiques du concept de culture dentrepriseLe philosophe Alain Etchegoyen estime que linconvnient du concept de culturedentreprise est qu il est beaucoup trop valoris dans notre pays. Avoir une forte culture estpresque toujours une vertu, une qualit. Or nous savons que dans lvolution du march dela concurrence, de la comptition, la culture peut tre un obstacle important au changementet quil faut quelquefois radicalement changer une culture [] 61. Pour Alain Etchegoyen, laculture peut donc constituer un frein au changement. En outre, la survalorisation de la cultureest une menace car elle nous empche de reconsidrer ses fondements. Nous pouvons eneffet considrer quun attachement trop important une culture peut se rvler nfaste dansle cadre de lentreprise, dont lvolution historique ne concide pas avec celle des processusculturels, bien plus lents.

    La culture dentreprise pose par ailleurs la question des diffrences de comprhensions,notamment lorsque lentreprise est multiculturelle. Comment penser la culture duneentreprise multinationale ? Quel langage commun des valeurs peut-il tre instaur ? Faceaux volutions lies la mondialisation, de plus en plus dentreprises mettent en place

    59 KOFMAN, Fred. Lentreprise consciente : comment crer de la valeur sans oublier les valeurs. Paris : Editions des lots dersistance, 2009, p.5860 GODELIER, ric. La culture dentreprise. Paris : La Dcouverte, 2006, p.8161 ETCHEGOYEN, Alain. Entreprise, thique et identit in Identit et culture en entreprise. Paris : Publications de luniversitParis 7 Denis Diderot, 1992, p.145

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    des processus participatifs afin dlaborer, de faon concerte et collective, les valeursfondatrices de la culture de lentreprise. Ce genre dinitiative peut certainement se rvlerutile voire ncessaire mais il ne peut tre suffisant. En effet, la culture ne peut tredtermine entirement par les salaris, dune part parce quelle est en grande partieinconsciente (ce que nous dmontrerons dans la partie 1.3.2.) et dautre part parce quilparat difficilement envisageable dobtenir un consensus entre tous les salaris sur ce querecouvre la culture de leur entreprise.

    1.2.5 Comprendre certaines nuancesDans un dernier temps, tentons de comprendre quelques distinctions entre les diffrentesdclinaisons des valeurs au sein de lentreprise, ce qui nous permettra de mieux comprendreles concepts et galement de mieux cerner les caractristiques singulires des valeurs.

    1.2.5.1 Distinction entre thique et moraleIl convient de distinguer lthique de la morale, ce qui nest pas toujours ais tant donnque, par leur origine tymologique, les deux termes sont quivalents : thique vient dugrec ethos (murs) et morale renvoie la racine latine mores . Le mot thique a t introduit en France en 1265 et le mot morale a t propos par Cicron pourtraduire le mot grec thique et est apparu en France en 1530. A lorigine, les deux termestaient donc trs proches.

    Selon Jean-Jacques Wunenburger62, il existe deux traditions de dfinition pourdiffrencier les deux termes :

    La distinction thique-morale : deux traditions de dfinition 63

    62 WUNENBERG, Jean-Jacques. Questions dthique. Paris : Presses Universitaires de France, Paris, 199363 MERCIER, Samuel. Lthique dans les entreprises. Paris : La Dcouverte, 2004, p.4

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    Lauteur nous invite ici penser la distinction entre les concepts travers deux grillesdanalyse : la premire prsente lthique comme une rflexion se trouvant en amont dela morale et portant sur les fondements de cette dernire, et la seconde introduit unediffrence entre dimension universelle (qui renverrait la morale) et dimension particulire(en rfrence lthique). Dans cette seconde approche, on comprend que lthique sembleplus approprie au cadre de lentreprise, un cadre particulier et surtout, un lieu qui napas pour vocation de diffuser des dogmes moraux. Cependant, on peut constater que lesentreprises parlent de morale Dans ces conditions, doit-on penser quelles cherchent imposer un nouveau dogme, dans lunivers de la moralit, aprs avoir russi imposer celuide la socit de consommation ? Comme nous lavons vu prcdemment, il semble quecertaines entreprises aient envie dinvestir le domaine de la moralit des fins commercialesou alors pour imposer une nouvelle forme de rpression par exemple.

    Patrick J. Brunet (universit dOttawa) nous livre une interprtation intressante delorigine de la confusion entre les deux termes. Dans son article Lthique de laresponsabilit individuelle dans la socit de linformation 64, il nous explique en effet que Lusage du mot morale sest peu peu dilu jusqu lpoque actuelle, que daucunsnomment la postmodernit, qui rechigne employer le terme de morale au bnfice de celuidthique. Nous nommerons ce msusage un glissement smantique propre une poquequi rfute les notions de bien et mal 65. Lessor des questions thiques pourrait donc treassoci au phnomne croissant de rfutation des notions de bien et de mal.

    On peut galement tenter de distinguer lthique de la morale laune de la questionde leur statut pistmologique. Cest ce que fait lhistorien de la philosophie et logicienJoseph Maria Bochenski dans un essai philosophique66. Selon lui, dans le langage courant,ce que lon nomme thique se compose de trois disciplines : la morale, lthique, lasagesse. Pour Bochenski, la morale nest pas une science. Seule lthique bnficierait dece statut. La distinction entre thique et morale ne serait donc pas purement conventionnelleou dordre tymologique, mais aussi fonde sur des origines logiques distinctes. Bochenskidiffrencie ainsi ce qui doit tre de ce qui est (les faits, objets dtude de la science). Pourlui, la morale est constitue de rgles, qui sexpriment en directives qui nous disent ce quidevrait tre. Le caractre contraignant resurgit : les normes de la morale sont catgoriques,contraignantes. Dans cette vision, la morale est lobjet dtude de lthique. Comme lersume Claire Belisle : Le questionnement thique vise donc rendre explicite ce quipeut dterminer les choix moraux, c'est--dire le systme de valeurs auxquelles ceux-cirenvoient et les fondements de ces valeurs 67 . Finalement, lthique ne sintresse pas llaboration des normes mais plutt lvaluation de leurs dterminants, de leur validitet de leur pertinence.

    Quil sagisse de morale ou dthique, ce sont toujours les valeurs qui sont lesconstituants principaux, comme nous lindique Claire Belisle : Lthique correspond ausystme de valeurs du deuxime ordre, sur lequel sorientent les choix moraux, alors que

    64 J. BRUNET, Patrick. Lthique de la responsabilit individu dans la socit de linformation in J. BRUNET, Patrick.Lthique dans la socit de linformation. Canada : LHarmattan, 2001

    65 Ibid., p.866 BOCHENSKI, Joseph Maria. O moralnosci, etyce i madroci in Kultura. Numros 7-8, 1991, p.131-13867 BELISLE, Claire. Lthique et le multimdia in J. BRUNET, Patrick. Lthique dans la socit de linformation. Canada :

    LHarmattan, 2001, p.123

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    la morale est le systme de valeurs (croyances et pratiques) du premier ordre sur lequelchacun guide son action 68.

    1.2.5.2 Distinction entre thique et culture dentrepriseLthique est au centre de nombreux discours de lentreprise, mais elle ne correspond pas la culture dentreprise pour autant. Souvent, les deux notions peuvent tre assimiles carlentreprise cherche souvent les associer. Cest ce que nous explique Eric Godelier :

    Le thme de lthique et la gestion de la culture se rencontrent dabord parceque lthique est prsente par certaines directions gnrales comme une desvaleurs centrales, voire sacres ou ultimes, de la culture de lentreprise. Ensuite,ltablissement dune politique thique formalise constitue un vaste chantier demise en cohrence des multiples valeurs et dimensions de la culture dentreprise.Enfin, plus ou moins officiellement, lthique est utilise comme un levier decohsion de lentreprise 69.

    A force de prsenter lthique comme le trait dominant de leur culture, les entreprises crentune confusion entre les deux concepts.

    Mais Eric Godelier montre aussi que, malgr des lments de convergence entrelthique et la culture dentreprise, il existe des distinctions importantes : Si lthiqueconcerne principalement les relations avec certains acteurs de lenvironnement (clients,actionnaires, pouvoirs publics ou groupes de pression cologiste par exemple), la culturesintresse avant tout aux problmes internes dintgration des salaris 70.

    La distinction entre thique et culture dentreprise apparat donc, premirement, travers le fait que lthique constitue une des valeurs de la culture de lentreprise (et nonlinverse). Ensuite, il existe une diffrence au niveau des cibles puisque lthique concerneplutt les publics extrieurs, alors que la culture dentreprise renvoie prioritairement auxsalaris.

    1.2.5.3 Distinction entre culture dentreprise et identitCulture dentreprise et identit sont deux notions qui sont galement souvent associes,voire confondues. Philippe Denoun expliquait ds 1992, que les deux concepts sont souventcits pour prsenter lentreprise et caractriser sa dynamique : Lentreprise daujourdhuise caractrise par sa dynamique, le fait quon ne peut pas la considrer comme une structurefixe mais comme un devenir. Et ce qui fait justement quelle accepte ce mouvement et selivre ce mouvement qui lentrane, cest la confiance et lassurance quelle a de mainteniret prserver une identit et une culture. Dans cette dynamique dvolution, lidentit etla culture sont ce qui permet lentreprise de souvrir au changement. Ceci confreimmdiatement ces notions une dimension, un enjeu stratgique 71. Lidentit et la cultureapparaissent ici comme les piliers de lentreprise dans un monde en perptuelle volution.Elles constituent des repres permanents partir desquels lentreprise apprhende les

    68 BELISLE, Claire. Lthique et le multimdia in J. BRUNET, Patrick. Lthique dans la socit de linformation. Canada :LHarmattan, 2001, p.13269 GODELIER, Eric. La culture dentreprise. Paris : La Dcouverte, 2006, p.52-53

    70 Ibid., p.5371 DENOUN, Philippe. Identit, culture, entreprise in Identit et culture en entreprise. Paris : Publications de lUniversit Paris7 Denis Diderot, 1995, p.11-12

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    choix de son volution. Romain Jacoud, conseiller en stratgies dentreprises, va jusquaffirmer, de manire radicale, que Si une entreprise na pas didentit, elle na pas deralit 72.

    Philippe Denoun apporte des dfinitions assez claires des deux concepts didentit etde culture, qui permettent de bien cerner les diffrences entre les deux :

    L identit est une verticalit, un rapport lorigine , une conscience delorigine en devenir par rapport au monde. Lidentit est un rapport soi parrapport ce qui nous fonde comme projet mais dans la distinction davec cequon nest pas, c'est--dire en faisant le dtour par son environnement 73. La culture serait plutt horizontale, coextensive lidentit. Cest la manirequa une communaut de dire son identit au monde , la langue dans laquelleelle est prise. Jentends langue de manire trs gnrale : gestualit, non-verbal, langage, habitat, procdures de recrutement, processus dcisionnels,organisation, etc. Tout cela fonde la culture de lentreprise 74. Il y a bien srune dialectique entre identit et culture. Lidentit constitue le projet, le devenirmais est manifeste par une culture qui a elle-mme son articulation au monde,qui se rinvente constamment dans un dbat avec le monde et donc fait retoursur lidentit et la transforme 75.

    Cette prsentation de Philippe Denoun nous permet de bien saisir les diffrences, et, enmme temps, les liens, entre identit et culture. Lidentit est singulire, dsigne un rapport lorigine et au devenir. Elle est dans un rapport soi et se construit par opposition,par rapport ce quon nest pas. Elle se construit donc aussi ncessairement dans unenvironnement, avec dautres sujets, et au moment du miroir , c'est--dire celui o lesujet prend conscience et connaissance de ses alter egos et donc de sa propre existence.La culture est en quelque sorte le volet collectif de lidentit. Elle est constitue dun collectifet se fonde dans le rapport au monde et aux autres collectifs. Lentreprise connat unedialectique entre son identit et sa culture et doit, en permanence, trouver des formes demdiations entre les deux, afin quelles puissent toutes deux demeurer.

    Ces premires sous-parties consacres la dfinition des valeurs et de lacommunication des valeurs nous ont permis de comprendre quelques unes descaractristiques de ces notions et surtout, leurs liens avec des concepts qui leur sontproches mais pas pour autant synonymes : la morale, lthique et la culture. La pluralit desnotions auxquelles le concept de valeurs renvoie tmoigne de sa complexit. Finalement,les valeurs constituent un champ plutt trs large, qui inclut la morale et lthique et qui estau fondement de la culture. Dans le monde de lentreprise, on saperoit quil est possiblede penser et de mettre en place une communication sur les valeurs et que cette dernire estlie aux dimensions morale et thique et la culture de lentreprise. Dans le cadre de notresujet, il est important de tenir compte de toutes les dclinaisons du concept de valeur afindessayer davoir une approche complte des enjeux dune communication des valeurs.

    72 JACOUD, Romain. A quoi sert lidentit dentreprise ? in Identit et culture en entreprise. Paris : Publications de luniversitParis 7 Denis Diderot, 1992, p.20673 DENOUN, Philippe. Identit, culture, entreprise in Identit et culture en entreprise. Paris : Publications de lUniversitParis 7 Denis Diderot, 1995, p.1974 Ibid., p.1975 Ibid., p.19

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    1.3 Elments dterminant les valeurs de lentreprise etleur communication

    Aprs avoir tent de dfinir ce que sont les valeurs de lentreprise et la communication surles valeurs, il est intressant de sinterroger sur les facteurs dterminant la constitution desvaleurs et leur poids sur la mise en place dune communication institutionnelle.

    1.3.1 Des valeurs influences et tirailles entre histoire et HistoireNous allons voir que les valeurs dune entreprise et leur communication sont largementinfluences par lhistoire de lentreprise, de son fondateur, mais aussi parfois par lHistoireet lvolution de la socit, comme cela a t le cas pour lentreprise LOral.

    1.3.1.1 Rle du fondateurTout dabord, le rle du fondateur et son impact dans la constitution des valeurs doit tre prisen compte. Pour Didier Toussaint, consultant en entreprise et spcialiste de la psychanalysede lentreprise, le rle du fondateur de lentreprise peut tre assimil celui dun pre, partir duquel toute une collectivit sorganise : A toute entreprise, son fondateur. Leseul fait quelle soit un regroupement collectif dirig par une autorit nous autorise lepenser, et ce bien entendu, la lumire de la thorie freudienne de la psychologie collective.[] Dune certaine faon, lentreprise parce quelle est une collectivit, va se forger unmythe, celui de lorigine et surtout du pre originaire et fondateur 76. Dans une approchepsychanalytique, on saperoit que le rle du fondateur est primordial dans llaboration desvaleurs de lentreprise puisque cest partir de lui que toute la collectivit (et donc la culture,les valeurs) va se forger.

    Mme aprs son dpart, le fondateur continue dinfluer sur la structure de lentreprise : Le dpart du fondateur [] est lvnement partir duquel se scelle une institutiondurable. Durable parce que sy rptent les mmes signifiants, ceux du fondateur 77.Il y a en quelques sortes autant de systmes de valeurs que de fondateurs. Il faut doncconsidrer la personnalit du fondateur, ses propres valeurs, conscientes et inconscientes,pour comprendre la construction des valeurs de lentreprise, qui traversent les gnrations.

    1.3.1.2 Rle de lhistoire et de la mmoire collectiveIl faut galement penser le rle de lhistoire de lentreprise, et en particulier la notion demmoire collective, pour comprendre la formation des valeurs : La mmoire collectiveconstitue un lment central de la culture. [] Chaque groupe social possde ainsi unemmoire collective qui lui est propre 78 . Cette mmoire collective se matrialise dansles procdures de lentreprise, les doctrines techniques et managriales, les routines,c'est--dire dans un ensemble de pratiques quotidiennes : Les reprsentations et lescomportements de ses membres [ceux de lentreprise, ndlr] sont en grande partie models

    76 TOUSSAINT, Didier. Psychanalyse de lentreprise : inconscient, structures et stratgie. Paris : L'Harmattan, 2000, p.8277 Ibid., p.168

    78 GODELIER, ric. La culture dentreprise. Paris : La Dcouverte, 2006, p.82

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    par les traditions dj prsentes dans lorganisation. Il sagit de pratiques ou de savoirshrits du pass et qui se transmettent de gnration en gnration au sein dun groupe 79.

    La mmoire collective se transmet entre les membres de lentreprise et entre lesgnrations, au moyen notamment du langage et de lcrit, en confrant des faitsoriginaires une dimension symbolique quasiment intemporelle. Ainsi, pour lanthropologuebritannique Mary Doug