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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)
Année universitaire 2012-2013
Travaux dirigés - Première année, Licence Droit
DROIT CIVIL
Cours de Madame Astrid MARAIS
Distribution : semaine du 18 mars
6e séance- La personne, corps et âme : les droits de la personnalité.
“Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres”
M. Proust, Du coté de chez Swann
.
1) Exercice.
Document 1. Cas pratique : Méthodologie. Exemples. Exercice.
2) Arrêts.
I. Le droit au respect de l’intégrité corporelle. L’exemple de la maternité pour autrui
Interdire ou autoriser la maternité pour autrui…
Document 2. Ass. plén., 31 mai 1991, Bull., n°4 ; GAJC, n°50
Document 3. Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui, Sénat, 27 janvier 2010
Le statut de l’enfant né à l’étranger d’une mère porteuse.
Document 4. Cass. Civ. 1re
, 6 avril 2011, D. 2011. 1064, obs. X. Labbée; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet;
ibid. Pan. 1585, obs. Granet-Lambrechts; ibid. Pan. 1995, obs. Gouttenoire; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et
Reynier; AJ fam. 2011. 262, obs. Chénedé; RLDC 2011/82, no 4244, obs. Gallois; RTD civ. 2011. 340, obs.
Hauser.
II. Le droit au respect de l’intégrité morale.
Vie privée et image versus liberté d’information
Document 5. Civ. 1, 3 avril 2002, Bull. civ. I, n°110, Dr. et patrim, janvier 2003, 115, obs. G. Loiseau.
Document 6. Cass. civ. 1re
, 23 avril 2003, D. 2003. 1854 (2 espèces).
Document 7. Civ. 1re
, 9 juillet 2003, Bull. civ. I, °172, D. 2004. 1633, obs. C. Caron.
Document 8. CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin,
et 2004. 2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude
J.-P. Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv.
2005, obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.
2
Document 9. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c/Allemagne - CEDH, 7 févr. 2012, n° 40660/08,
Von Hannover c/ Allemagne, D. 2012. 1040, note J.-F. Renucci
Document 10. CEDH, Hachette FilippacchiC/ France, 23 juillet 2009, n°12268/03
Liberté d’information versus dignité
Document 11. Civ. 1, 20 décembre 2000, Bull. civ. I, n°341
Document 12. Civ. 2, 4 novembre 2004, Bull. civ. II, n°486
Document 13. Cass. civ. 1er
, 1er
juillet 2010, D. 2010.2044, note P.-J. Delage.
PAS DE PANIQUE : LA FICHE EST LONGUE, MAIS BEAUCOUP DE DOCUMENTS NE SONT PAS
A ANALYSER (METHODOLOGIE)
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1) Exercice
Document 1. Cas pratique : Méthodologie. Exemples. Exercice.
Méthodologie du cas pratique
Le cas pratique est un exercice qui vous invite à donner une réponse juridique à une question
posée de manière factuelle. L’exigence d’un plan n’existe pas dans le cas pratique. S’il y a plusieurs
questions posées ou si le cas suscite plusieurs difficultés juridiques, il convient de les examiner
successivement.
Après avoir lu attentivement l’énoncé du cas, il faut :
1. rappeler les seuls faits utiles à la compréhension du problème en les qualifiant. Il faut donc
faire un tri entre les différents éléments factuels pour ne choisir que ceux qui apparaissent
nécessaires à la formulation du problème de droit.
2. poser le problème de droit
3. indiquer les éléments (théoriques) de réponse en identifiant les règles de droit applicables.
Citer, s’ils existent, les textes de loi et la jurisprudence.
4. donner une réponse concrète à la question posée en appliquant les règles de droit à la
situation de fait
Exemple « Jules n’aime pas la pizza. Or, de retour chez lui après une journée de dur labeur, il
constate avec tristesse, dépit et solitude, qu’il ne lui reste dans son congélateur qu’une
pizza pomme de terre. Aussi décide-t-il d’appeler sa bonne mère, Sabine Sisublime, en lui
demandant s’il peut venir dîner chez elle. « Quelle joie, s’exclame-t-elle, j’avais
justement préparé ton plat préféré : le gratin de rognons à l’oignon . Tu le dégusteras avec
Simon Aucheveulont que j’ai invité à dîner ce soir ! ». Malheureusement Simon, qui a
accepté avec empressement l’invitation à dîner de Sabine Sisublime, déteste le gratin de
rognons à l’oignon. En se rendant chez son boucher, le très célèbre Pablo dont la notoriété
lui a été acquise par ses paupiettes à la mode de Saint-Malo, Simon apprend que ce
dernier vient de vendre à Sabine Sisublime de magnifiques rognons, en vue du dîner
qu’elle organise ce soir chez elle. Simon comprend alors que ces rognons lui sont
destinés. « Ô rage, ô désespoir, n’ai-je donc tant courtisé Madame Sisublime que pour
cette infamie ! Non, c’est décidé, je ne rendrai pas à son invitation». Simon se terre donc
sous sa couette et ne daigne même pas prévenir Sabine Sisublime qu’il ne se rendra pas
chez elle. Celle-ci attend, attend avec son fils, jusqu’à 23 heures, et lorsqu’ils se décident
à ne plus attendre, le gratin de rognons à l’oignon est froid et immangeable. Jules invite
alors chez lui sa maman à savourer sa pizza pomme de terre. Cette dernière, très choquée
par l’impolitesse de Simon, aimerait savoir si elle peut obtenir qu’il lui rembourse le prix
des rognons. »
Une personne enfreint une règle de bienséance en ne se rendant pas à un dîner qu’elle avait accepté,
sans prévenir son hôte. Ce dernier avait engagé des dépenses pour préparer le dîner et lui en demande le
remboursement.
La violation d’une règle de bienséance peut-elle faire l’objet de sanctions juridiques ? A la différence de la règle de droit, les règles de bienséances ne font pas l’objet de coercition étatique.
Ne constituant pas des obligations juridiques, leur sanction, d’ordre interne consistera dans le remord ou la
culpabilité de celui qui les viole. Il ne saurait être question d’engager la responsabilité juridique de ce dernier.
Faits inutiles :
Fait utile : Invitation
à dîner acceptée
Faits inutiles :
Fait utile :Violation
d’une de bienséance
Faits inutiles
Fait utile : demande
d’indemnisation
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En l’espèce, même si l’hôte a engagé des frais pour préparer le dîner, il ne saurait en demander le
remboursement à son invité, qui n’a enfreint qu’une règle de bienséance en ne se rendant pas au dîner, sans
prévenir.
Exemple (sujet d’examen 2010-2011, introduction au droit civil, 1er
semestre)
Jules est Hercule
Jules est si fort qu’on aurait dû l’appeler Hercule. Jules voit souvent rouge et quand il voit rouge, il
casse et quand il casse, il se retrouve avec les menottes aux poignets. Comme aujourd’hui, pauvre
Jules ! Vous n’y comprenez rien ? C’est normal, laissez-moi vous raconter l’histoire de Jules, celle qui
commença comme un cauchemar en 3 actes.
1er
acte : Jules voit rouge
Il pleut ce jour-là. Jules est d’une humeur maussade. Il lit sa fiche de travaux dirigés de droit civil. Il
n’aime pas le droit. Ces parents voulaient qu’il en fasse. Il s’est exécuté car Jules est un bon fils.
Dans la fiche, un cas à résoudre, le suivant :
« Gérard et Lucette Totor se sont mis d’accord avec M. Racaille le Rouge pour acheter à ce dernier
une voiture pour un prix de 3000 euros. M. Racaille le Rouge, qui a trouvé un meilleur acquéreur,
refuse d’exécuter la vente conclue avec Gérard et Lucette. Il prétend qu’aucun écrit n’a été dressé et
que, s’ils le traînent devant le juge, il ne reconnaîtra jamais leur avoir vendu sa voiture. Gérard et
Lucette viennent vous demander conseil pour obtenir leur voiture de rêve. Ils vous précisent qu’une
voisine, présente le jour de l’accord, a assisté à la vente. Elle leur avait pourtant déconseillé
d’acheter une voiture à cette racaille, un homme sans foi, ni loi, selon elle. Gérard et Lucette ont, en
outre, en leur possession une lettre de M. Racaille le Rouge les informant qu’il a pris contact avec son
notaire pour qu’il établisse l’acte de vente pour 3000 euros. Les étudiants devront résoudre le cas en
s’intéressant au seul problème de la preuve de la vente».
Facile, se dit Jules qui ne voit pas encore rouge ! Je le ferai demain 5 minutes avant mon TD. J’ai
donc le temps, le temps d’appeler Atalante, la belle Atalante qui me fait tant courir et qui ne mangerait
des pommes que si elles sont en or.
«- A.T.A.L.A.N.T.E. », -il prononce son prénom suavement en épelant chacune des lettres-, « que
puis-je faire pour gagner ton cœur ? »
« -Offre-moi des bottes Répétasse en or et j’arrêterai de te faire courir ! »
« -Hum », dégurgite Jules, dont le visage commence à prendre une teinte rosée. « La moindre paire de
bottes Répétasse coûte 500 euros, où veux-tu que je trouve une telle somme ? Depuis que je t’ai prêté
1000 euros pour partir, sans moi, méditer à Hossegor cet été, à Courchevel cet hiver, et à Arbin cet
automne, je suis sans le sou ».
« -Non ! pas prêtés, tu me les as donnés ces 1000 euros, un soir où nous nous regardions dans le clair
de lune! » rétorque Atalante d’une voix convaincante. « Jules, tu es mesquin ! Décidément tu ne
mérites pas ma considération amoureuse. Et puis si tu manques d’argent, fais un casse pour m’offrir
mes bottes répétasses ».
C’est à ce moment précis que Jules vit rouge et raccrocha net le téléphone pour éviter de la traiter de
…. Jules a été bien élevé par ses parents, il n’use jamais de termes grossiers, surtout à l’égard des
femmes.
Sa liaison avec Atalante est, pense-t-il, bien compromise, mais qu’en est-il de ses chances de revoir les
1000 euros qu’Atalante ne nie pourtant pas avoir reçu?
N’oubliez pas qu’il doit résoudre le cas pratique de sa fiche pour le lendemain. Or pour l’instant, il ne
pense pas à cela. Aidez-le en résolvant le cas pour lui.
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2e acte : Jules casse
Même s’il a été bien élevé par ses parents, Jules a du mal à garder son calme. Il ouvre la fenêtre pour y
jeter son téléphone qui tombe en faisant un bruit de ferraille sur le visage de Lucette. « Aïe », entend-t-
il, avant de regarder par la fenêtre. Rassurez-vous Lucette n’a rien, elle est même heureuse, rendez-
vous compte, elle a été touchée par le téléphone de Jules, quelle grâce ! Si vous devez essuyer une
larme ce sera pour le téléphone de Jules, acheté chez DIX TELECOLD, en septembre 2009. Hors
d’usage le téléphone : atomisé, il a terminé.
Se rendant compte qu’il ne pourra plus se servir de son téléphone pour appeler Atalante, Jules,
fébrilement, nerveusement, anxieusement cherche son contrat de vente qui rappelle que DIX
TELECOLD est tenu, conformément au Code de la consommation, d’une obligation de conformité. Et
là, un éclair de génie. Il vient de lire sur legifrance un arrêt rendu le 5 septembre 2010 par la Cour de
cassation (imaginé pour les besoins de ce cas pratique) interprétant l’obligation de conformité de la
manière suivante : « En vertu de son obligation de conformité, le vendeur est tenu de réparer tous les
dommages causés à la chose, même ceux causés volontairement par l’acheteur ». DIX TELECOLD
refusant de prendre à sa charge la réparation du téléphone, Jules décide de l’assigner en justice. Le
jugement, rendu en décembre 2010, a d’ailleurs fait droit à sa demande. L’absurdité de la solution
issue de l’arrêt du 5 septembre 2010 a néanmoins conduit le gouvernement à déposer un projet de loi
tendant à briser cette jurisprudence. Le gouvernement a même prévu, dans son projet, que la loi sera
applicable avant son entrée en vigueur aux instances en cours. La loi n’a pas encore été votée. Elle
devrait l’être au mois d’octobre 2011. DIX TELECOLD a fait appel et la Cour rendra son arrêt en
décembre 2011.
Si une telle loi devait entrer en vigueur, quelles seraient les chances de Jules d’obtenir
satisfaction devant la Cour d’appel?
Son téléphone cassé, Jules se mit à travailler davantage. Ses parents en furent enchantés et déjà
dans les soirées boulonaises, Sabine et Jacques parlaient de leur fils Jules comme d’un futur avocat
connu, brillant et élégant. Ses parents déchantèrent lorsqu’ils ouvrirent par mégarde (quand les parents
ouvrent les courriers, c’est toujours par mégarde) une facture téléphonique détaillée d’un montant de
3000 euros adressée par VESOUL TELECOLD à Jules. 3000 euros, rendez-vous compte, c’est une
somme !
« -Et toi qui nous disais que tu ne téléphonais plus pour travailler davantage et devenir un avocat
connu, brillant, élégant. Tu nous mentais, Jules. Et chez les Sissublime, mentir, ça n’existe pas (le nom
de famille de Jules était « Sissublime »), tu nous fais honte Jules ; Prends tes affaires et quitte notre
toit », lui dirent ses parents, déçus, dépités, exténués.
« -Maman, papa, comment pouvez-vous imaginer un seul instant que j’ai pu vous mentir, moi futur
avocat, moi votre fils ? » répondit-il indigné, effaré et un peu exaspéré. « J’ai certes conclu un contrat
avec VESOUL TELECOLD, mais pour n’utiliser leur téléphone qu’en cas d’urgence. Or aucune
urgence n’étant survenue, je n’ai pas téléphoné… »
« -Nous te croyons cher fils, pardon d’avoir douté de toi. Tu réussiras donc facilement à repousser les
demandes de VESOUL TELECOLD. »
Ont-il raison ?
Jules se le demande et part réfléchir dehors.
3e acte : Jules se retrouve les menottes aux poignets
Dehors, il neige ce jour-là. Dehors, il oublie de réfléchir. Dehors, l’image d’Atalante, lui
revient, charmante, obsédante. Il marche et passe devant le magasin Repetasse. C’est vrai qu’elles sont
belles ces bottes, celles mordorées. C’est vrai qu’elles sont faites pour Atalante. C’est vrai qu’elles
coûtent cher, trop cher. Tiens, une barre de fer, posée contre le mur. Tiens, Jules la prend. Tiens, il la
projette contre la vitre du magasin. Tiens, il saisit les bottes qui se trouvent devant lui. Tiens, une
personne, sans doute un policier, lui prend les bras pour les lui mettre dans le dos. Clic, fait le bruit des
menottes qui enserrent désormais les poignets de Jules.
C’était le 23 janvier, il s’en souvient, c’était le jour de son anniversaire. L’infraction a été qualifiée de
vol. A l’époque le vol était puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende, en
6
application de l’article 311-4 du Code pénal « lorsqu'il est précédé, accompagné ou suivi d'un acte de
destruction, dégradation ou détérioration ». Depuis, le Parlement a voté une loi réprimant l’infraction
de 20 ans d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende et ce, même si l’infraction a été commise
avant l’entrée en vigueur de la loi. Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la constitutionnalité
de la loi. Cette loi viole l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales selon lequel « (…) il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était
applicable au moment où l’infraction a été commise ».
Jules a 18 ans. Il aurait dû s’appeler Hercule et être avocat. Il n’en sera rien, méditera-t-il en prison.
Mais quelle peine de prison encoure-t-il, autrement dit, risque-t-il de sortir de prison à 25 ans ou à 40
ans ?
Eléments de correction
Vente d’une voiture de 3 000 euros
Une voiture a été vendue pour un prix de 3 000 euros. Aucun écrit valable n’a été signé. Les
acheteurs disposent d’une lettre du vendeur reconnaissant la vente et du témoignage d’une
voisine présente le jour de la vente.
Se pose la question des modes de preuve admissibles pour prouver un acte juridique supérieur
à 1 500 euros.
En application de l’article 1341 du Code civil, un écrit est nécessaire pour prouver un acte
juridique supérieur à 1 500 euros. S’agissant d’un contrat synallagmatique, l’écrit aurait dû
être fait en double exemplaire (1325 C. civ.). Il est fait exception à ces règles, lorsqu’il existe
un commencement de preuve par écrit, qui consiste en « un écrit », « émané de celui contre
lequel la demande est formée » et « qui rend vraisemblable le fait allégué » (1347 C. civ.). La
lettre adressée par le vendeur aux acheteurs remplit les 3 conditions du commencement de
preuve par écrit : elle est un écrit ; elle émane du vendeur ; elle rend vraisemblable la vente
de la voiture pour un prix de 3 000 euros en précisant qu’un notaire a été contacté pour
établir l’acte de vente. Pour que la preuve de la vente soit faite, encore faut-il que ce
commencement de preuve soit complété par des éléments extrinsèques. En l’espèce le
témoignage de la voisine, présente le jour de la vente, pourra être utilisé, ce qui devrait
permettre aux acheteurs d’obtenir en justice satisfaction.
Prêt de 1 000 euro
Un homme prétend avoir prêté à la femme qu’il courtise 1 000 euros. Aucun écrit n’a été
dressé. La femme refuse de restituer les 1 000 euros en prétendant qu’il s’agissait d’un don et
non d’un prêt.
Se pose la question de la charge de la preuve de l’existence du contrat de prêt. En application de
l’article 1315, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». La
jurisprudence a interprété cet article comme faisant peser sur celui qui a remis de l’argent à
un tiers la charge de prouver qu’il s’agissait d’un prêt et non d’un don. Jules supporte donc la
charge de prouver l’existence du prêt. Il pourra le faire par tous moyens, l’acte étant inférieur
à 1 500 euros (1341 C. civ.). Néanmoins, il ne dispose d’aucun élément pour établir
l’obligation de restitution (ils étaient seuls). Supportant la charge de la preuve, Jules en
supporte le risque : il n’obtiendra pas la restitution des 1 000 euros.
L’éventuelle adoption d’une loi rétroactive
Un tribunal fait application d’une jurisprudence nouvelle absurde. Une loi devrait être
adoptée en 2011 pour lutter rétroactivement contre cette dernière, avant que la cour d’appel ne
rende son arrêt.
La question se pose de l’application aux instances en cours d’une loi rétroactive venant briser
une jurisprudence. En principe, en application de l’article 2 du Code civil, la loi n’est pas
rétro- active. Ce principe a une valeur législative en matière civile et peut être écarté à certaines
conditions, par le législateur. La Cour européenne des droits de l’homme estime en effet, «
le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article
7
6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir
législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement
judiciaire du litige » (CEDH, Zielinski, Pradal c. France, 28 oct. 1999). En l’espèce,
l’application de la loi au procès en cours sera subordonnée à ce qu’elle poursuive un motif
impérieux d’intérêt général. La loi qui vise à combattre une jurisprudence absurde
confinant à l’erreur, devrait satisfaire un tel motif. De ce cas, la cour d’appel appliquera
la loi de façon rétroactive, ce qui aura pour effet de priver Jules de la réparation obtenue en
première instance.
Contestation du montant d’une facture téléphonique
Jules qui a conclu un contrat avec un opérateur téléphonique, se voit adresser par celui-ci une
facture téléphonique d’un montant de 3 000 euros, dont il conteste le montant.
Qui supporte la charge de prouver le montant de la facture et quels sont les modes de preuve
admissibles pour le prouver ? En principe, celui qui se prétend créancier doit établir le
montant de sa créance (art. 1315 C. civ.) et ne peut le faire qu’au moyen d’un écrit
n’émanant pas du créancier si le montant de la créance est supérieur à 1 500 euros (art. 1341
C. civ., 1re règle). Néanmoins, il est possible de contourner ces règles légales, qui ne sont pas
d’ordre public, par la conclusion d’une convention sur la preuve. La jurisprudence décide ainsi
qu’en présence d’un écrit constatant un abonnement téléphonique, il est possible à
l’opérateur de prouver l’existence de sa créance au moyen d’une preuve « auto- constituée »,
tel un relevé de communications. Il appartiendra alors au client de détruire la présomption de
consommation résultant d’un tel document (Cass. civ. 1re, 12 juillet 2005). En l’espèce un
contrat ayant été conclu entre l’opérateur et Jules, ce dernier devra payer la facture de 3 000
euros sauf s’il parvient à démontrer qu’il n’a pas utilisé son téléphone, ce qui paraît bien
difficile…
Loi applicable au vol Jules commet un vol dont la sanction a été aggravée par une loi, après les faits, dont l’application
se veut rétroactive. Une loi pénale plus sévère peut-elle être rétroactive ? La réponse est
négative. La non-rétroactivité des lois pénales plus sévères a une valeur constitutionnelle et
conventionnelle. Aussi, même si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi a priori, il
pourra l’être a posteriori par la Cour de cassation par le biais d’une QPC. Le Conseil
constitutionnel abrogera la disposition anticonstitutionnelle. En outre, dans l’hypothèse peu
probable où le Conseil constitutionnel ne serait pas saisi, la Cour de cassation pourrait, dans le
cadre du contrôle de conventionnalité, refuser d’appliquer la loi contraire à la Convention
européenne. Jules devrait voir juger l’infraction qu’il a commise au regard de la loi ancienne
moins sévère, en vigueur à l’époque de l’infraction, et encourt une peine de prison de 5 ans et
non de 20 ans.
8
Cas pratique à résoudre par les étudiants.
Les mésaventures d’Isabelle Padebulle
En ouvrant son journal quotidien, Isabelle Padebulle, célèbre peintre à l’origine du mouvement
artistique des « noctambules-somnambules », a la mauvaise surprise de voir relatée la dispute qu’elle a
eue avec son ancien amant, le non moins célèbre Edouardo de la Mancha, lors d’une soirée organisée
au restaurant « Jules ». Certes, tout le monde sait que ce couple a rompu, la nouvelle ayant fait, avec
l’accord du couple, la Une de plusieurs magazines à scandale. Mais Isabelle souhaite mettre un terme à
l’étalage public de sa vie sentimentale pour oublier cette douloureuse rupture. En outre, l’article
indique que l’étiquette, qui dépassait involontairement de la chemise d’Isabelle, portait la marque
« Uia ». Isabelle qui se prétend, selon son expression, « Femme dans son Unicité », craint de voir
toutes ses amies arborer les mêmes vêtements qu’elle….. Quel drame ! De plus, elle redoute la ruée
de ses fans au restaurant « Jules », ce qui l’empêcherait d’y venir tranquillement dîner avec sa
nouvelle amante, Alouette. Elle vous demande si elle a des chances d’obtenir réparation de ces
préjudices.
S’énervant contre ce journal, elle entreprend de le déchirer et de faire, avec les morceaux, un
tableau qu’elle nommera « tableau-poubelle ». Prise d’un tic nerveux, elle se blesse grièvement à l’œil
avec les ciseaux. Avant de s’évanouir, elle a le temps de joindre son médecin, le Docteur Lelali, et de
le prévenir qu’elle s’oppose, en tant que membre de « la confrérie des mandibules » - confrérie
qualifiée par certains de secte-, à toute transfusion sanguine. Arrivé sur place, le Docteur Lelali
constate l’état désespéré d’Isabelle Padebulle. Il décide alors de transfuser sa patiente pendant
l’opération qui devait lui sauver la vie. Isabelle Padebulle, à son réveil, n’éprouve aucune gratitude
pour son sauveur et souhaite l’attaquer en justice sur les conseils du « grand maître » de la « confrérie
des mandibules », venu en personne, prendre de ses nouvelles. Quelles sont ses chances de succès ?
Isabelle Padebulle souhaite immédiatement quitter l’hôpital au bras de la belle Alouette dont
elle a fait la connaissance au milieu d’un pugilat. Voici l’histoire, incroyable, de leur rencontre.
Alouette Jetembrasseret a un fils, Corentin, âgé de 2 ans, aujourd’hui en pleine forme alors qu’il y a
deux jours encore, les médecins pronostiquaient son décès imminent… Il faut dire que celui-ci fut
réanimé par miracle, au milieu d’une bagarre survenu à l’hôpital.
Que s’est-il passé ? Reprenons l’histoire du début. Corentin, atteint d’une infection mortelle des
voies respiratoires, dut être hospitalisé en décembre dernier. A la suite de cette intervention, le docteur
Gementête, peu optimiste sur les chances de survie de Corentin mais souhaitant soulager ses douleurs,
discuta avec Alouette Jetembrasseret de la possibilité d’administrer de la diamorphine à son fils.
Pensant que l’administration de diamorphine pouvait compromettre les chances de rétablissement de
Corentin, Alouette Jetembrasseret se déclara opposée à un pareil traitement, précisant au docteur
Gementête que si le cœur de Corentin devait s’arrêter de battre, elle voulait qu’on le réanime. Estimant
que Corentin était en train de mourir, le docteur Gementête lui administra la diamorphine et signa un
ordre de non-réanimation. Le jour suivant, Alouette constata que l’état de son fils s’était détérioré de
façon alarmante et conçut le soupçon que cette dégradation était imputable aux effets de la
diamorphine. Elle demanda l’arrêt du traitement à la diamorphine. Le docteur Gementête déclara que
cela ne serait possible que si Alouette acceptait la non-réanimation de Corentin. Alouette tenta alors
de réanimer son fils et en vint aux mains avec l’équipe soignante. Isabelle Padebulle, alertée par le
bruit de dispute, sortit de sa chambre. Au milieu du pugilat, Corentin atterrit dans les bras d’Isabelle
qui réussit à le réanimer... L’état de Corentin finit même par s’améliorer et l’enfant miraculé rentra
chez lui. Alouette Jetembrasseret souhaite assigner le docteur Gementête en justice. Elle vous
demande quelles sont ses chances de succès, après vous avoir précisé que le Conseil de l’ordre estime
que l’on ne peut pas reprocher au docteur Gementête de faute dans sa décision d’administrer de la
diamorphine, dès lors, qu’eu égard aux données actuelles de la science, les chances de survie de
Corentin étaient nulles…
9
2) Arrêts.
I. Le droit au respect de l’intégrité corporelle.
L’exemple de la maternité pour autrui
Interdire ou autoriser la maternité pour autrui. Document 2. Ass. plén., 31 mai 1991, Bull., n°4 ; GAJC, n°50
Sur le pourvoi dans l'intérêt de la loi formé par M. le Procureur général près la Cour de Cassation:Vu les
articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l'article 353 du même Code ;
Attendu que, la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un
enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps
humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ;
Attendu selon l'arrêt infirmatif attaqué que Mme X..., épouse de M. Y..., étant atteinte d'une stérilité
irréversible, son mari a donné son sperme à une autre femme qui, inséminée artificiellement, a porté et mis au
monde l'enfant ainsi conçu ; qu'à sa naissance, cet enfant a été déclaré comme étant né de Y..., sans indication
de filiation maternelle ;
Attendu que, pour prononcer l'adoption plénière de l'enfant par Mme Y..., l'arrêt retient qu'en l'état actuel des
pratiques scientifiques et des moeurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite
et non contraire à l'ordre public, et que cette adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant, qui a été accueilli et
élevé au foyer de M. et Mme Y... pratiquement depuis sa naissance ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption n'était que l'ultime phase d'un processus d'ensemble destiné à
permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant, conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à
sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l'indisponibilité du corps humain et de l'état
des personnes, ce processus constituait un détournement de l'institution de l'adoption, la cour d'appel a violé
les textes susvisés ; par ces motifs : casse et annule mais seulement dans l'intérêt de la loi et sans renvoi, l'arrêt
rendu le 15 juin 1990 par la cour d'appel de Paris .
Document 3 : Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui, Sénat, 27 janvier 2010
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La maternité pour autrui constitue probablement une pratique séculaire permettant de remédier à l'infertilité
d'une femme.
Longtemps tolérée, parce que pratiquée de manière occulte, dans le secret des familles, elle n'en remettait pas
moins en cause l'adage« Mater semper certa est » : la mère, désignée par l'accouchement, était toujours certaine,
à la différence du père. Mais les progrès de la génétique permettent désormais de désigner celui-ci de manière
tout aussi certaine, ce qui constitue en soi une première révolution pour le droit de la filiation, qui peut désormais
s'appuyer sur la vérité biologique dans les deux lignes maternelle et paternelle. Néanmoins, dans la plupart des
États occidentaux, la règle selon laquelle la maternité légale résulte de l'accouchement demeure l'un des
fondements de la filiation, alors que la paternité légale repose encore essentiellement sur un acte de volonté du
père, la vérité biologique n'étant pas vérifiée en l'absence de contestation.
Paradoxalement, les progrès de la génétique qui rendent possible la dissociation entre maternité génétique et
maternité utérine ont ébranlé cette certitude ancestrale. Depuis une vingtaine d'années, les techniques
d'insémination artificielle et de fécondation in vitro permettent en effet à une femme de porter un enfant conçu
en dehors de tout rapport charnel, avec les ovocytes d'une autre femme. Ainsi, ces nouvelles connaissances, qui
donnent la certitude de la filiation biologique, permettent également de contredire les règles de la nature et
contraignent à raisonner autrement en matière de filiation, non plus à partir de ces règles, mais à partir de
principes éthiques.
On distingue ainsi la procréation pour autrui de la gestation pour autrui : dans le premier cas, la femme qui porte
l'enfant est sa mère génétique ; dans le second, elle n'en est que la gestatrice, l'enfant ayant été conçu avec les
gamètes du couple demandeur ou de tiers donneurs. Telle est la raison pour laquelle les expressions génériques
« maternité pour autrui » et « maternité de substitution » sont souvent employées.
10
La gestation et la procréation pour autrui sont des pratiques strictement prohibées en France - la loi de bioéthique
de 1994 les a rendues passibles de sanctions civiles et pénales -, au nom des principes de l'indisponibilité du
corps humain et de l'état des personnes, de la volonté d'empêcher l'exploitation des femmes démunies et de
l'incertitude qui pèse sur leurs conséquences sanitaires et psychologiques pour l'enfant à naître et la femme qui l'a
porté.
En dépit de cette prohibition, de nombreux couples confrontés à la stérilité de la femme (certaines évaluations
font état de 400 couples par an) n'hésitent pas à se rendre à l'étranger, dans les pays où la maternité pour autrui
est légale ou tolérée - principalement dans certains États des États-Unis, du Canada, au Royaume-Uni ou en
Belgique, mais aussi dans des pays d'Europe orientale, Géorgie et Ukraine, notamment. À leur retour en France,
ces couples ne peuvent pas faire inscrire à l'état civil la mère dite « d'intention » et partant, établir la filiation de
l'enfant à l'égard de celle-ci. L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2007 qui avait validé la
transcription sur les registres de l'état civil français des actes de naissance américains de jumelles nées en
Californie en application d'une convention de gestation pour autrui a été récemment cassé par un arrêt de la Cour
de cassation du 17 décembre 2008. Cet arrêt énonce que le ministère public justifiait d'un intérêt à agir en nullité
des transcriptions des actes de naissance californiens qui ne pouvaient résulter que d'une convention portant sur
la gestation pour autrui. Cet arrêt devrait porter un coup sévère aux velléités de tourisme procréatif. Mais il est
certain qu'il n'y mettra pas fin. Et la question reste posée du devenir des jumelles mais aussi de tous les enfants
nés dans ces conditions qui ne pourront pas être les enfants de leur mère, celle qui les a voulus et sans la volonté
de laquelle ils ne seraient pas nés. Avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter, au-delà des règles de
droit sur leur développement psychique et leur devenir d'adulte.
Les travaux du groupe de travail, constitué de seize membres, créé au mois de janvier 2008 par la commission
des affaires sociales et la commission des lois du Sénat sur l'initiative de leurs présidents respectifs MM. Nicolas
ABOUT et Jean-Jacques HYEST, à la suite de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris et sans attendre la révision des
lois de bioéthique qui doit intervenir en 2010, n'en ont que plus d'importance. En effet, il revient au législateur de
se préoccuper de toute urgence du sort de ces enfants.
Les membres de ce groupe de travail se sont tout particulièrement penchés sur la question de la levée ou du
maintien de l'interdiction de la maternité pour autrui, d'une part, et sur celle du sort à réserver aux enfants nés en
violation de la loi française, d'autre part. Après avoir organisé une cinquantaine d'auditions ainsi qu'un
déplacement au Royaume-Uni, la majorité d'entre eux a préconisé d'autoriser, sous des conditions strictes,
la gestation pour autrui1(
*).
* * *
La présente proposition de loi a pour objet de donner une traduction législative à leurs recommandations.
* * *
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
I. Après le chapitre II du titre quatrième du livre premier de la deuxième partie, il est inséré un chapitre III ainsi
rédigé :
« CHAPITRE III
« Gestation pour autrui « Art. L. 2143-1. - La gestation pour autrui est le fait, pour une femme, de porter en elle un ou plusieurs enfants
conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation en vue de les remettre, à leur naissance, à un
couple demandeur selon les conditions et modalités définies au présent titre.
« Art. L. 2143-2. - Peuvent bénéficier d'une gestation pour autrui les couples qui remplissent, outre les conditions
prévues au dernier alinéa de l'article L. 2141-2, celles fixées aux alinéas suivants :
« 1° L'homme et la femme doivent tous deux être domiciliés en France ;
« 2° La femme doit se trouver dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne pouvoir la mener sans
un risque d'une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l'enfant à naître ;
« 3° L'enfant doit être conçu avec les gamètes de l'un au moins des membres du couple.
« Art. L. 2143-3. - Peut seule porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui, la femme majeure, domiciliée en
France et ayant déjà accouché d'un enfant au moins sans avoir rencontré de difficulté particulière durant la
grossesse puis l'accouchement.
« Une femme ne peut porter pour autrui un enfant conçu avec ses propres ovocytes.
11
« Une mère ne peut porter un enfant pour sa fille.
« Une femme ne peut mener plus de deux grossesses pour autrui.
« Art. L. 2143-4. - Les couples désireux de bénéficier d'une gestation pour autrui et les femmes disposées à
porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui doivent en outre obtenir l'agrément de l'Agence de la
biomédecine.
« Cet agrément est délivré après évaluation de leur état de santé physique et psychologique par une commission
pluridisciplinaire dont la composition est fixée par décret.
« Il est valable pour une durée de trois ans renouvelable.
« Tout refus ou retrait d'agrément doit être motivé.
« Art. L. 2143-5. - La mise en relation d'un ou de plusieurs couples désireux de bénéficier d'une gestation pour
autrui et d'une ou de plusieurs femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui ne peut
donner lieu ni à publicité ni à rémunération. Elle ne peut être réalisée qu'avec l'agrément de l'Agence de la
biomédecine.
« Art. L. 2143-6. - Le transfert d'embryons en vue d'une gestation pour autrui est subordonné à une décision de
l'autorité judiciaire.
« Le juge s'assure du respect des articles L. 2143-1 à L. 2143-5.
« Après les avoir informés des conséquences de leur décision, il recueille les consentements écrits des membres
du couple demandeur, de la femme disposée à porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte et, le cas
échéant, celui de son conjoint, de son concubin ou de la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de
solidarité.
« Le juge fixe la somme que les membres du couple demandeur doivent verser à la femme qui portera en elle un
ou plusieurs enfants pour leur compte afin de couvrir les frais liés à la grossesse qui ne seraient pas pris en
charge par l'organisme de sécurité sociale et les organismes complémentaires d'assurance maladie. Cette somme
peut être révisée durant la grossesse. Aucun autre paiement, quelle qu'en soit la forme, ne peut être alloué au titre
de la gestation pour autrui.
« Art. L. 2143-7. - Toute décision relative à une interruption volontaire de la grossesse est prise, le cas échéant,
par la femme ayant accepté de porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui.
« Art. L. 2143-8. - Aucune action en responsabilité ne peut être engagée, au titre d'une gestation pour autrui, par
les membres du couple bénéficiaire de cette gestation, ou l'un d'entre eux, à l'encontre de la femme ayant accepté
de porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte. »
II. L'article L. 1418-1 est ainsi modifié :
1° Après le quinzième alinéa (11°), il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 12° De délivrer les agréments prévus aux articles L. 2143-4 et L. 2143-5 » ;
2° Au début du seizième alinéa, la mention : « 12° » est remplacée par la mention : « 13° ».
III. Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 1418-3, les mots : « et 11° » sont remplacés
par les mots : « , 11° et 12° ».
Article 2
I. Après l'article L. 331-7 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 331-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 331-7-1. - Dans le cas d'une gestation pour autrui conforme au chapitre III du titre quatrième du livre
premier de la deuxième partie du code de la santé publique, la femme qui accouche bénéficie des dispositions
prévues aux articles L. 330-1 à L. 331-4-1.
« L'indemnité journalière de repos prévue à l'article L. 331-3 est accordée à la femme du couple bénéficiaire de
la gestation pour autrui, pendant une période de six semaines à compter de l'arrivée de l'enfant au foyer, à
condition qu'elle cesse tout travail salarié durant la période d'indemnisation. »
II. Après l'article L. 1225-28 du code du travail, il est inséré un article L. 1225-28-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1225-28-1. - Dans le cas d'une gestation pour autrui conforme au chapitre III du titre quatrième du livre
premier de la deuxième partie du code de la santé publique, la femme du couple bénéficiaire de la gestation pour
autrui, lorsqu'elle est salariée, a droit de disposer d'un congé de six semaines après la naissance de l'enfant. »
Article 3
Après l'article 311-20 du code civil, il est inséré un article 311-20-1 ainsi rédigé :
12
« Art. 311-20-1. - Dans le cas d'une gestation pour autrui menée conformément au chapitre III du titre quatrième
du livre premier de la deuxième partie du code de la santé publique, les prénoms, noms, âges, professions et
domiciles des membres du couple ayant bénéficié de la gestation pour autrui sont inscrits sur le ou les actes de
naissance sur présentation, par toute personne intéressée, de la décision judiciaire prévue à l'article L. 2143-6 du
code de la santé publique. La filiation du ou des enfants à leur égard n'est susceptible d'aucune contestation. »
Article 4
L'article 227-12 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « , sans préjudice du chapitre III du titre quatrième du livre
premier de la deuxième partie du code de la santé publique » ;
2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Le non respect des articles L. 2143-4 et L. 2143-5 du code de la santé publique est puni de deux ans
d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »
Article 5
La filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui avant la promulgation de la présente loi peut être établie,
par le tribunal de grande instance, à l'égard de l'homme et de la femme qui remplissaient, au moment de la
naissance, les conditions prévues à l'article L. 2143-2 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de
l'article premier de la présente loi. L'action doit être exercée, par chaque membre du couple, dans un délai de
cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi. Elle n'est pas recevable si une autre filiation a déjà été
établie.
Article 6
Les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État de l'application de la présente loi sont compensées,
à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code
général des impôts.
* 1 Rapport n° 421 (Sénat, 2007-2008) - http://www.senat.fr/noticerap/2007/r07-421-notice.html
Le statut de l’enfant né à l’étranger d’une mère porteuse.
Document 4. Cass. Civ. 1
re, 6 avril 2011, D. 2011. 1064, obs. X. Labbée; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet;
ibid. Pan. 1585, obs. Granet-Lambrechts; ibid. Pan. 1995, obs. Gouttenoire; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et
Reynier; AJ fam. 2011. 262, obs. Chénedé; RLDC 2011/82, no 4244, obs. Gallois; RTD civ. 2011. 340, obs.
Hauser.
Trois arrêts ont été rendus le même jour. Un seul est reproduit.
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu que par un jugement du 14 juillet 2000, la Cour suprême de
Californie a conféré à M. X... la qualité de « père génétique » et à Mme
Y..., son épouse, celle de mère légale des
enfants à naître, portés par Mme
B..., conformément à la loi de l'Etat de Californie qui autorise, sous contrôle
judiciaire, le procédé de gestation pour autrui ; que le 25 octobre 2000, sont nées Z... et A... à La Mesa
(Californie) ; que leurs actes de naissance ont été établis selon le droit californien indiquant comme père, M. X...
et comme mère, Mme
Y... ; que M. X... a demandé le 8 novembre 2000 la transcription des actes au consulat de
France à Los Angeles, ce qui lui a été refusé ; qu'à la demande du ministère public, les actes de naissance des
enfants ont été transcrits, aux fins d'annulation de leur transcription, sur les registres de l'état civil de Nantes, le
25 novembre 2002 ; que le 4 avril 2003, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de
Créteil a fait assigner les époux X... pour demander cette annulation ; que l'arrêt de la cour d'appel de Paris
déclarant l'action irrecevable a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 (Bull. civ. I,
n° 289) ;
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2010) d'avoir prononcé l'annulation de la
transcription des actes de naissance litigieux, alors, selon le moyen : 1°) que la décision étrangère qui reconnaît
la filiation d'un enfant à l'égard d'un couple ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse
n'est pas contraire à l'ordre public international, qui ne se confond pas avec l'ordre public interne ; qu'en
jugeant que l'arrêt de la Cour supérieure de l'Etat de Californie ayant déclaré M. X... « père génétique » et Mme
Y... « mère légale » de tout enfant devant naître de Mme
B... entre le 15 août et le 15 décembre 2000 était
contraire à l'ordre public international prétexte pris que l'article 16-7 du code civil frappe de nullité les
13
conventions portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ; 2°)
qu'en tout état de cause, il résulte de l'article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux
régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont, sous réserve de leur application réciproque par l'autre partie,
une autorité supérieure à celle des lois et règlements ; qu'en se fondant, pour dire que c'était vainement que les
consorts X... se prévalaient de conventions internationales, notamment de la Convention de New York du 26
janvier 1990 sur les droits de l'enfant, sur la circonstance que la loi prohibe, « pour l'heure », la gestation pour
autrui, la cour d'appel, qui a ainsi considéré qu'une convention internationale ne pouvait primer sur le droit
interne, a violé l'article 55 de la Constitution ; 3°) que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants,
l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en retenant que l'annulation de la
transcription des actes de naissance des enfants des époux X... ne méconnaissait pas l'intérêt supérieur de ces
enfants en dépit des difficultés concrètes qu'elle engendrerait, la cour d'appel, dont la décision a pourtant pour
effet de priver ces enfants de la possibilité d'établir leur filiation en France, où ils résident avec les époux X..., a
violé l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant ; 4°) qu'il résulte
des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que là où l'existence d'un lien
familial avec un enfant se trouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer ;
qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X..., la cour d'appel, qui a ainsi privé ces
enfants de la possibilité d'établir en France leur filiation à l'égard des époux X... avec lesquels ils forment une
véritable famille, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; 5°) que dans la
jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 14
interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans
des situations comparables ; qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X... par cela seul
qu'ils étaient nés en exécution d'une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel,
qui a ainsi pénalisé ces enfants, en les privant de la nationalité de leurs parents, en raison de faits qui ne leur
étaient pourtant pas imputables, a violé l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme combiné
avec l'article 8 de ladite Convention ;
Mais attendu qu'est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision
étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci
comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu'en l'état du droit positif, il
est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire
produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-
elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que
dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit que dans la mesure où il donnait effet à une convention de cette
nature, le jugement « américain » du 14 juillet 2000 était contraire à la conception française de l'ordre public
international, en sorte que les actes de naissance litigieux ayant été établis en application de cette décision, leur
transcription sur les registres d'état civil français devait être annulée ; qu'une telle annulation, qui ne prive pas les
enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre
avec les époux X... en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants
au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, non plus qu'à leur intérêt supérieur
garanti par l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi, condamne les époux X... aux dépens, vu l'article 700 du code de procédure
civile, rejette la demande des époux X...
II. Le droit au respect de l’intégrité morale.
Vie privée et image versus liberté d’information
Document 5. Civ. 1, 3 avril 2002, Bull. civ. I, n°110, Dr. et patrim, janvier 2003, 115, obs. G. Loiseau.
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 16 avril 1999) d'avoir rejeté sa
demande en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la publication, par
l'hebdomadaire " Le Point ", d'un article faisant état de circonstances relevant de sa vie privée ; qu'il
est reproché à la cour d'appel de s'être fondée sur des motifs inopérants, tirés de la publication des faits
litigieux dans la presse contemporaine, de l'absence de gravité de l'atteinte invoquée, et d'avoir omis de
rechercher si le sujet de l'article imposait de faire état des informations litigieuses ;
14
Mais attendu que la cour d'appel a fait ressortir, d'une part, que la rupture du couple constituait, non
plus une révélation sur la vie privée, mais la relation de faits publics, et, d'autre part, le caractère
anodin des indications portant sur les lieux de résidence de Mme X... et sa rencontre au restaurant avec
son époux, ce caractère étant de nature à exclure l'atteinte invoquée ; qu'elle a ainsi légalement justifié
sa décision sur ce point ;
Et sur le second moyen : (Publication sans intérêt) ;
Par ces motifs :
REJETTE le pourvoi.
Document 6. Cass. civ. 1re
, 23 avril 2003, D. 2003. 1854 (2 espèces).
1
re espèce
LA COUR : - Attendu que, suite aux retentissements médiatiques de la relation extra-conjugale entretenue en
août 1996 par le mari de Stéphanie G..., princesse de M..., avec une « strip-teaseuse », l'hebdomadaire Paris
Match daté du 12 septembre 1996 a annoncé en couverture puis publié sur plusieurs pages un article
essentiellement consacré aux réactions et sentiments supposés de l'épouse, et illustré de onze photographies ; que
celle-ci a assigné la société éditrice Cogedipresse en dommages-intérêts pour atteintes à ses droits sur sa vie
privée et sur son image, et en publication de la condamnation dans un prochain numéro du magazine ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe : -
Attendu que, pour retenir l'atteinte à la vie privée, la cour d'appel (CA Versailles, 2 novembre 2000) a relevé
que, si l'incartade de l'époux avait constitué un événement d'actualité dont l'hebdomadaire pouvait légitimement
rendre compte, les titres de couverture « Stéphanie humiliée... rupture ou pardon, la princesse meurtrie hésite
encore », et, à l'intérieur, « Stéphanie, après l'affront, l'explication » constituaient une extrapolation non
nécessaire à l'information des lecteurs et un détournement de l'objectif d'information ; qu'elle a, par là même,
justifié l'équilibre qu'elle expose avoir recherché, à travers les sanctions prononcées, entre la liberté de
l'information et le droit de chacun au respect de sa vie privée et familial ; que par ailleurs, l'atteinte à ce dernier
principe est indépendante du mode compassionnel, bienveillant ou désobligeant sur lequel elle est opérée ; d'où il
suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches, pareillement énoncé et reproduit : - Attendu que pour retenir
l'atteinte à l'image, la cour d'appel, après avoir souverainement estimé qu'une participation volontaire de la
plaignante aux photographies n'était pas établie, a relevé que plusieurs avaient été prises au téléobjectif, les unes
dans un club privé en compagnie de son époux et témoignant du désarroi et des émotions les plus intimes qu'elle
éprouvait, les autres dans un jardin privé où elle se trouvait en compagnie de son frère et assorties du
commentaire le jour du scandale, Albert est là et console sa soeur ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision,
appréciant souverainement les modalités propres à assurer la réparation intégrale de la violation constatée ;
Par ces motifs, rejette ...
2
e espèce
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu qu'un article intitulé « Saga : les Aga
X... », publié dans un numéro du magazine « Femme », s'achevait en énonçant que le prince Karim X..., son
actuel représentant, « à 58 ans, en se séparant de son épouse pour les beaux yeux d'une jeune latino-américaine,
semble renouer avec la tradition de scandale qui a toujours entouré sa famille » ; qu'estimant cette conclusion
attentatoire à l'intimité de sa vie privée par l'évocation de son divorce et son imputation à une liaison extra-
conjugale, l'intéressé a assigné l'auteur et l'éditeur ;
Attendu que M. Karim X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (CA Versailles, 25 mai 2000), d'une part,
d'avoir rejeté sa demande par le motif inopérant que les limites de la vie privée s'apprécient moins strictement à
l'égard d'un personnage public, et, d'autre part, au prix d'une contradiction entre la constatation que l'article
litigieux présentait sa liaison comme la cause de son divorce et l'observation qu'il ne comportait aucune
digression sur les circonstances personnelles réelles ou supposées de l'événement, violant ainsi les articles 9 du
15
code civil, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 455 du nouveau code de procédure civile ; -
Mais attendu que la cour d'appel a, d'une part, relevé qu'à la date de la publication, le divorce était un fait
d'actualité, officiel et notoire, dont le rappel n'excédait pas les limites de la liberté d'information, et, d'autre part,
a pu estimer que l'expression « pour le beaux yeux d'une jeune latino-américaine », en l'espèce dénuée de toute
malveillance, ne pouvait, par son caractère lapidaire et allusif, constituer davantage l'atteinte alléguée ; qu'elle a
ainsi légalement justifié sa décision ;
Par ces motifs, rejette ...
Document 7. Civ. 1re
, 9 juillet 2003, Bull. civ. I, °172, D. 2004. 1633, obs. C. Caron.
Attendu que, suite à la disparition mystérieuse des époux X... et de leurs enfants, affaire alors très médiatisée et
en cours d'information judiciaire, "Le Figaro littéraire", supplément hebdomadaire du quotidien de même nom, a,
le 6 juillet 2000, annoncé la parution, en quatre épisodes, d'une "série de l'été", rédigée par Mme Y... et intitulée
"Le roman vrai du docteur X..." ; que le même numéro, diffusant immédiatement le premier article, indiquait le
titre du deuxième, "La maison de Tilly", et sa parution la semaine suivante ;
Attendu que M. Z..., représentant légal de ses enfants mineurs Fanny et Léo Z..., nés du premier mariage de
Mme X..., soutenant qu'étaient attentatoires à la vie privée de sa fille et de son fils certains développements de la
publication déjà intervenue, a obtenu en référé, le 12 juillet 2000, l'interdiction des trois autres, assortie d'un
ordre de saisie en tous lieux du journal qui les contiendrait ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société "Le Figaro" et Mme Y... font grief à la cour d'appel (Caen, 21 juillet 2000) d'avoir admis
la recevabilité de l'action des enfants Z... en prenant indivisément en considération la méconnaissance de leur vie
privée mais aussi celle de leur mère et l'intimité de leur vie familiale, violant ainsi l'article 9 du Code civil qui
réserve le droit d'agir à la seule personne visée par l'atteinte ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir relevé les éléments du premier épisode l'ayant conduit à retenir, à travers les
révélations faites sur Mme X..., une immixtion dans la vie privée de ses enfants, a exactement déduit que ces
derniers en retiraient qualité pour agir sur le fondement du texte susvisé ; que le moyen est inopérant ;
Et sur le second moyen :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de
l'homme, alors, selon le moyen, que l'interdiction faite à la société du Figaro de poursuivre les publications
annoncées ne constitue pas, au sens de ce texte, une mesure en proportion avec l'atteinte retenue, l'interdiction
d'une publication ne pouvant être ordonnée en référé que si l'atteinte portée à la vie privée présente un caractère
intolérable et cause un dommage que l'allocation ultérieure de dommages-intérêts par le juge du fond ne saurait
compenser, et les constatations faites n'établissant pas l'exceptionnelle nécessité d'une censure préalable ;
Mais attendu que les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8
et 10 de la Convention européenne et 9 du Code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge
saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus
légitime ; que la cour d'appel a retenu que la divulgation d'éléments attentatoires à la vie privée de Fanny et Léo
Z... sous la forme d'un feuilleton estival était illicite, comme répondant non à un besoin légitime d'information du
public mais au seul agrément des lecteurs, et ne relevait pas davantage du droit du journaliste ou écrivain de
commenter des affaires en débat judiciaire public, même si la disparition des époux X... et de leurs deux enfants
l'avait abondamment été dans la presse écrite et radio-télévisée ; qu'indépendamment de considérations erronées
mais surabondantes, et statuant en référé, elle a pu estimer que, relativement aux faits dramatiques dont elle était
saisie, le respect de la vie privée s'imposait avec davantage de force à l'auteur d'une oeuvre romanesque qu'à un
journaliste remplissant sa mission d'information, que l'urgence liée à la parution imminente des articles à venir
l'autorisait à prendre toute mesure pour éviter que ne se reproduise l'atteinte à l'intimité des plaignants, et que, si
la société Le Figaro avait estimé ne pas devoir en communiquer le contenu, le titre déjà dévoilé du deuxième
épisode désignait une maison du ménage X... qui était aussi celle des enfants Z..., leur soumission à un régime de
16
garde alternée faisant qu'ils s'y rendaient régulièrement, de sorte que l'unique moyen d'empêcher une nouvelle
violation de leur intimité était de faire défense au journal de poursuivre les publications prévues ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
Document 8. CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin,
et 2004. 2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude
J.-P. Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv.
2005, obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.
Arrêt de la CEDH non reproduit en raison de sa longueur. Seule une note d’un auteur
(J-F. Renucci) analysant l’arrêt vous est fournie. Mais vous pouvez prendre la bonne
habitude d’accéder aux arrêts en vous rendant sur le site de la Cour :
http://www.echr.coe.int/ECHR/Homepage_Fr/.
Sommaire :
Il y a eu violation de l'art. 8 de la Convention, faute pour les juridictions allemandes d'avoir établi un juste
équilibre entre les intérêts de la princesse de Monaco au respect de sa vie privée et ceux de deux maisons
d'édition ayant fait paraître trois séries de photographies. Parmi ces photographies, celles montrant la princesse
de Monaco à cheval, faisant ses courses, au cours de vacances de ski, avec le prince Ernst August von Hannover
lors d'un concours hippique ou jouant au tennis, enfin, au Beach Club de Monte-Carlo (alors qu'elle trébuchait
sur un obstacle), se rapportaient « exclusivement à des détails de sa vie privée ». Le public n'avait pas un intérêt
légitime à savoir où la princesse se trouvait et comment elle se comportait dans sa vie privée. La requérante
aurait dû bénéficier d'une « espérance légitime » de protection de la vie privée qui n'a pas été satisfaite par les
critères, trop vagues et trop difficiles à déterminer à l'avance, de la jurisprudence allemande.
Jean-François Renucci, « La liberté d'expression n'est pas sans limites », D. 2004.2538. :
La liberté d'expression, qu'il s'agisse de la liberté d'opinion ou de la liberté d'information, a une importance
majeure et ce point ne saurait être contesté : c'est bien évidemment une liberté essentielle puisque c'est, à la fois,
le fondement de toute société démocratique et l'une des conditions primordiales de son progrès et de
l'épanouissement de chacun (J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l'homme, LGDJ, coll. Manuel, 3e éd.,
2002, n° 65 et les réf. ; cf. not., CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, série A, n° 24, § 49).
Toutefois, cette liberté, aussi importante soit-elle, ne peut être sans limites et les juges européens viennent
opportunément de le rappeler en se prononçant en faveur de SAR la Princesse de Hanovre. Cet arrêt est
particulièrement important car il semble mettre un coup d'arrêt à une évolution tendant à sacraliser la liberté
d'expression. Jusqu'à présent, en effet, la force de cette liberté était telle qu'elle avait la primauté face aux autres
droits fondamentaux dont la protection de la vie privée : entre l'art. 10 et l'art. 8 de la même Convention, l'art. 10
l'emportait (cf. J.-F. Renucci, op. cit., p. 125 ; F. Sudre, Droit international et européen des droits de l'homme,
PUF, coll. Droit fondamental, 6e éd., 2003, p. 425).
Cette évolution était assurément excessive, d'autant plus que ses effets pervers éventuels sont de nature à mettre
en danger d'autres droits tout aussi fondamentaux. La présente affaire permet ainsi de rétablir un équilibre entre
les différents intérêts en présence, ce dont on ne peut que se réjouir. En l'espèce, la Princesse a saisi en vain les
juridictions allemandes en vue de faire interdire toute nouvelle publication de photos parues dix ans auparavant
dans des magazines allemands, au motif que cela portait atteinte à son droit à la protection de la vie privée. La
Cour constitutionnelle allemande fit droit partiellement à sa demande en interdisant la publication des photos où
elle apparaissait en compagnie de ses enfants, le besoin de protection de la sphère privée de ces derniers étant
plus étendu que celui des adultes ; en revanche, cette même juridiction estima que la requérante, parce qu'elle
une personnalité « absolue » de l'histoire contemporaine, devait tolérer la publication de photos où elle se
montrait dans un lieu public, même s'il s'agissait de photos de scènes de sa vie quotidienne et non de photos la
montrant dans l'exercice de ses fonctions représentatives. Cette argumentation a été rejetée par la Cour
européenne des droits de l'homme qui a jugé, à l'unanimité, qu'il y avait là une violation du droit à la protection
de la vie privée de SAR la Princesse de Hanovre.
17
L'applicabilité de l'art. 8 ne faisait aucun doute. Selon la jurisprudence de la Cour, la notion de vie privée
comprend des éléments se rapportant à l'identité d'une personne tels que le nom d'une personne (CEDH 22 févr.
1994, Burghartz c/ Suisse, série A, n° 280-B, § 24 ; D. 1995, Jur. p. 5, note J.-P. Marguénaudou son droit à
l'image (CEDH 21 févr. 2002, Schüssel c/ Autriche, req. n° 42409/98). Par ailleurs, comme le rappellent à juste
titre les juges européens dans la présente affaire, l'un des buts de l'art. 8 est d'assurer le développement, sans
ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables (cf. mutatis
mutandis, CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, série A, n° 251-B, § 29 ; D. 1993 Somm. p. 386, et nos
obs.) : il existe donc bien une zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un contexte public,
peut relever de la vie privée (§ 50).
La violation de l'art. 8 en l'espèce était également certaine. Certes, l'Etat en cause n'avait pas porté directement
atteinte au droit garanti par l'art. 8, mais les Etats ont également des obligations positives puisqu'ils doivent
prendre les mesures nécessaires pour protéger efficacement les droits fondamentaux, y compris dans les relations
des individus entre eux (cf. not., F. Sudre, Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits
de l'homme, RTDH 1995, p. 363). C'est dire que cette protection de la vie privée doit être mise en balance avec
la liberté d'expression garantie à l'art. 10. Or, en l'espèce, les photos de la Princesse parues dans les différents
magazines la représentent, seule ou accompagnée, dans des scènes de sa vie quotidienne, donc dans des activités
purement privées (activités sportives, promenades, sorties au restaurant...). Il est vrai qu'en tant que membre de
la famille princière monégasque, son rôle de représentation est certain lors de manifestations culturelles ou de
bienfaisance, mais il est important de souligner que la Princesse n'exerce aucune fonction au sein ou pour le
compte de l'Etat monégasque. Cette précision est capitale car la Cour européenne fait une distinction entre, d'une
part, un reportage relatant des faits, même controversés, pouvant contribuer à un débat dans une société
démocratique et concernant des personnalités politiques dans l'exercice de leurs fonctions officielles, et, d'autre
part, un reportage sur les détails de la vie privée d'une personne qui, de surcroît, comme en l'espèce, ne remplit
pas ces fonctions (CEDH 26 nov. 1991, Observer-Guardian c/ Royaume-Uni, série A, n° 216 ; Rev. science
crim. 1992, p. 370, obs. L.-E. Pettiti) : comme l'ont indiqué les juges européens, si dans le premier cas la presse
joue son rôle essentiel de « chien de garde » dans une démocratie en contribuant à communiquer des idées et des
informations sur des questions d'intérêt public, il en va tout autrement dans le second cas (§ 63) où la liberté
d'expression appelle une interprétation moins large. Dans la présente affaire, les photos publiées et les
commentaires les accompagnant se rapportent exclusivement à des détails de la vie privée de la requérante : cette
publication, dont l'unique objet était de satisfaire la curiosité d'un certain public sur des détails de la vie privée,
sans oublier l'intérêt commercial des magazines incriminés, ne saurait passer pour contribuer à un quelconque
débat d'intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante. La Cour européenne rappelle ainsi à
juste titre que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d'une « espérance légitime
» de protection et de respect de sa vie privée.
C'est dire que l'arrêt rendu par la Cour nous parait absolument irréprochable, tant sur le plan de la rectitude
juridique que sur celui du sentiment de justice. Cette solution, particulièrement bien argumentée et équilibrée,
doit être approuvée sans réserves.
Document 9. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c/Allemagne - CEDH, 7 févr. 2012, n° 40660/08,
Von Hannover c/ Allemagne, D. 2012. 1040, note J.-F. Renucci
Sommaire : La Cour constate que les juridictions nationales ont procédé à une mise en balance circonstanciée du droit des
sociétés d'édition à la liberté d'expression avec le droit des requérants au respect de leur vie privée. Elles ont
attaché une importance primordiale à la question de savoir si les photos, considérées à la lumière des articles les
accompagnant, avaient apporté une contribution à un débat d'intérêt général.
La Cour conclut que lesdites juridictions n'ont pas manqué à leurs obligations positives au titre de l'article 8 de la
Convention (droit au respect de la vie privée et familiale). Partant, il n'y a pas eu violation de cette disposition.
Jean-François Renucci, « La CEDH et l'affaire « Von Hannover (n° 2) » : un recul fort contestable du
droit au respect de la vie privée », D. 2012.1040
Selon une jurisprudence constante et logique de la Cour européenne des droits de l'homme, la couverture
médiatique des activités de personnalités n'est acceptable que si elle correspond à un « débat ou un événement
18
d'intérêt général ou de l'histoire contemporaine » et s'il y a un équilibre raisonnable avec le droit au respect de la
vie privée. C'est précisément cet équilibre, pourtant atteint dans la première affaire « Von Hannover » en 2004
(1), qui vient d'être rompu dans la seconde affaire « Von Hannover » que vient de juger la grande chambre : cela
est fort regrettable, d'autant plus que, comme l'a opportunément rappelé l'Assemblée parlementaire, il est
nécessaire de trouver la façon de permettre l'exercice équilibré de deux droits fondamentaux également garantis
par la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir le droit au respect de la vie privée (art. 8) et le
droit à la liberté d'expression (art. 10) (2). La jurisprudence européenne a d'ailleurs clairement affirmé - et à juste
titre - que ces deux droits méritent une égale protection (3), d'où l'étonnement quant à la solution retenue dans la
présente affaire.
Depuis de nombreuses années, S.A.R. la Princesse de Hanovre s'efforce de faire interdire dans la presse des
photos relevant de sa vie privée, ce qui est bien légitime. C'est ainsi qu'à la suite de certaines publications,
l'Allemagne a été condamnée en 2004 par la Cour européenne pour violation de l'article 8 de la Convention :
l'arrêt rendu à l'époque, bien motivé et équilibré, reconnaissait enfin que même les personnalités publiques,
fussent-elles de grande notoriété, avaient droit au respect de leur vie privée. Dans cette première affaire « Von
Hannover », la Cour rappelait, à juste titre, que le droit au respect de la vie privée comprend le droit à l'image et
qu'il existe une « zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever
de sa vie privée » : cette protection doit être mise en balance avec la liberté de la presse qui, pour être une
garantie essentielle, n'est pas pour autant absolue et connaît des limites ; par conséquent, les éventuelles
publications ne sont possibles que si elles contribuent au « débat d'intérêt général » et, même connue du grand
public, toute personne doit pouvoir bénéficier d'une « espérance légitime » de respect de sa sphère intime. Nous
avions approuvé sans réserve cet arrêt qui, tout en protégeant de façon équilibrée les différents intérêts en
présence, rappelait opportunément que si la liberté de la presse revêt une importance considérable que nul se
saurait contester, elle ne doit pas pour autant occulter les autres droits garantis par la Convention, dont le droit au
respect de la vie privée.
C'est d'ailleurs en se prévalant de cet arrêt que diverses procédures ont été ultérieurement engagées devant les
juridictions allemandes pour faire interdire la publication d'autres photos prises à l'insu des intéressés pendant
leurs vacances et publiées dans différents magazines. LL.AA.RR. la Princesse et le Prince de Hanovre ont saisi
la Cour européenne, dénonçant, sous l'angle du droit au respect de la vie privée, le refus des juridictions
d'interdire toute nouvelle publication des photos litigieuses, ne tenant pas ainsi suffisamment compte de la
jurisprudence européenne. Saisie de la difficulté, la grande chambre a, de façon très surprenante, estimé que
l'article 8 n'a pas été violé, validant l'argumentation des juges allemands qui, tout en reconnaissant que les photos
ne portaient pas sur un événement d'intérêt général, ont cependant jugé que leur publication était possible car elle
contribuait au débat d'intérêt général en raison d'un texte accompagnant l'une d'elles et faisant état de la santé de
S.A.S. le Prince Rainier, alors Prince Souverain de Monaco. Cette approche est particulièrement critiquable car
nous sommes dans un cadre strictement privé, hors de toute activité officielle. S'il suffit de mentionner
(habilement) une simple indication concernant le Prince Souverain, laquelle deviendrait mécaniquement d'intérêt
général, pour que le droit à la vie privée de ses proches s'efface devant la liberté de la presse, autant dire que la
vie privée n'est plus protégée : il sera alors très facile de publier des photos ou des écrits attentatoires au droit
garanti par l'article 8 de la Convention. Avec cette analyse globalisante désormais consacrée, une certaine presse
pourra rendre compte en permanence, de façon abusive et en toute impunité, de la vie privée des requérants, sans
que cela ait une réelle valeur informative. C'est dire que les personnalités qui jouissent d'une grande notoriété ne
bénéficient plus réellement de la protection de leur vie privée : leur « espérance légitime » de respect de leur
sphère intime, jadis consacrée, a volé en éclats, à tel point que l'on peut se demander, pour reprendre l'excellente
formule de l'une de nos collègues, si ces personnalités ne sont pas en train de perdre aussi « toute espérance
légitime de protection européenne » (4).
Ainsi donc, après avoir fait un pas en avant avec la première affaire « Von Hannover » en protégeant
efficacement la vie privée dans le respect de la liberté de la presse avec ce critère du « débat d'intérêt général »
qui, seul, légitime toute publication, la Cour fait deux pas en arrière avec la seconde affaire « Von Hannover ».
Certes, les apparences sont sauves puisque le critère du « débat ou de l'événement d'intérêt général ou de
l'histoire contemporaine » est maintenu (5). Mais la réalité est tout autre car ce critère est largement vidé de sa
substance dès lors que pour faire passer des informations attentatoires à la vie privée (qui est l'objectif premier
dans une logique la plupart du temps commerciale), il suffit de glisser subrepticement une information présentée
comme d'intérêt général (et dont l'unique objectif est d'être le prétexte permettant de valider l'opération) : la
notion de « débat d'intérêt général », qui était une notion protectrice de la vie privée, devient alors une coquille
vide. Dans la présente affaire il s'agit bien d'un simple prétexte, d'autant plus que les journalistes se sont
contentés d'évoquer la maladie du Prince Souverain (qui d'ailleurs, en soi, relève de la vie privée) sans même
insister sur les éventuelles conséquences de cette maladie sur la gouvernance de la Principauté (qui, elles,
19
auraient pu être considérées comme une information d'intérêt général). En réalité, la maladie du Prince, telle que
présentée par les magazines en cause, n'était pas une information d'intérêt général mais un alibi pour étaler la vie
privée des requérants en toute impunité. Ce qui est encore plus critiquable, c'est qu'en l'espèce les proches de
S.A.S. le Prince Souverain n'ont pas d'échappatoire et sont véritablement pris au piège : lorsque des photos les
montrent en sa présence, « l'événement d'intérêt général ou de l'histoire contemporaine » est la visite, et s'ils
sont ailleurs, ledit événement est alors leur absence ; c'est dire qu'en toute hypothèse, cela s'intègre
nécessairement dans un « débat d'intérêt général » qui permet donc une publication. C'est absurde, dangereux et
injuste. On ne peut donc qu'être déçus par l'arrêt que vient de rendre la grande chambre, déception d'autant plus
grande qu'elle est à la hauteur de l'espoir qu'avait suscité la première affaire « Von Hannover ». La solution
retenue est d'autant plus regrettable que les requérants n'ont jamais cherché à étaler leur vie privée dans les
médias, bien au contraire, et qu'ils se trouvent dans une situation permanente d'observation, de harcèlement et
même de persécution par les paparazzi.
C'est, en définitive, un très mauvais signal qui est ainsi envoyé par la Cour européenne, surtout à une époque où
les risques d'intrusion dans la vie privée des personnalités ont tendance à s'accroître, non seulement en raison de
l'esprit mercantile de personnes peu scrupuleuses, mais aussi grâce au développement de techniques aussi
performantes qu'intrusives et à disposition du plus grand nombre. Il ne reste plus qu'à souhaiter un retour rapide
à une solution plus équilibrée, en harmonie d'ailleurs avec les exigences européennes puisque la Cour rappelle
sans cesse, et avec raison, depuis l'affaire « Airey » que les droits garantis par la Convention ne doivent pas être «
théoriques et illusoires », mais « effectifs et concrets » (6) : la formule est belle mais elle n'est pertinente que si
elle s'applique à tous les droits garantis et pas seulement à certains d'entre eux. L'arrêt « Von Hannover (n° 2) »
peut aussi être critiqué sur le plan de la cohérence puisqu'il privilégie clairement la liberté de la presse (7) au
détriment du droit au respect de la vie privée, après avoir pourtant indiqué que ces deux droits méritent un égal
respect.
Un arrêt rendu pratiquement au même moment par la Cour pourrait cependant nous rassurer dans la mesure où il
précise que, si la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique,
l'article 10 de la Convention ne garantit pas à la presse une liberté sans aucune restriction, même quand il s'agit
pour elle de rendre compte de questions sérieuses d'intérêt général (8) : c'est déjà le signe que les juges
européens n'entendent pas accorder une priorité permanente à la liberté d'expression ; espérons que ce sont aussi
les prémices d'un retour à des solutions plus équilibrées car il est capital que les droits fondamentaux soient
protégés de manière égale, un déséquilibre au détriment de la vie privée étant particulièrement injuste et
inacceptable (9).
La notion de « débat d'intérêt général », actuellement en partie vidée de sa substance, doit être refondée : c'est
une exigence impérieuse tant il est vrai qu'elle est la boussole qui permet l'équilibre en protégeant le droit au
respect de la vie privée tout en assurant celui de la liberté d'expression. Le principe doit assurément être celui de
l'illicéité de toute atteinte à la vie privée, une révélation ne pouvant être qu'exceptionnelle et strictement encadrée
dans le cadre de l'information légitime du public. Comme cela a été remarqué, les médias ne peuvent plus
considérer que toute apparition d'une personne célèbre constitue un événement dont il est possible de rendre
compte, car cela équivaudrait à l'exposer à une traque permanente et à transformer le droit au respect de la vie
privée en une obligation de rester caché (10). Il est évident que si l'intérêt du public et l'intérêt commercial de la
presse doivent s'effacer devant la protection effective de la vie privée (11), cela est encore plus vrai quand il
s'agit, comme en l'espèce, de diffusion non pas d'idées mais d'images contenant des informations très
personnelles, voire intimes. Enfin, on observera que même si certains pays comme la France protègent la vie
privée, notamment en imposant une autorisation préalable pour toute photo hors événement officiel, ce n'est pas
le cas dans d'autres, de sorte que la protection peut être contournée, les photos litigieuses pouvant être prises
dans ces « pays protecteurs » mais vendues et diffusées dans ceux qui le sont moins... C'est précisément ce qui
s'est passé dans la présente affaire et l'on regrettera d'autant plus que la Cour européenne n'ait pas saisi l'occasion
pour éviter ces effets pervers en assurant une protection effective et harmonieuse de la vie privée dans l'ensemble
des Etats membres du Conseil de l'Europe. Sans doute la Cour européenne a-t-elle été sensible à la nouvelle
jurisprudence de la Cour fédérale de justice, souhaitant par là-même valoriser l'interaction juridictionnelle : mais
s'il a été tenu compte, dans une certaine mesure, des enseignements de la première affaire « Von Hannover », les
juges ne sont pas pour autant allés aussi loin qu'il le fallait et certainement pas jusqu'au bout de la nouvelle
logique, laquelle aurait dû conduire, à notre sens, à un constat de violation de l'article 8 de la Convention.
20
(1) CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin, et 2004.
2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude J.-P.
Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv. 2005,
obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.
(2) Résol. 1165 (1998) de l'APCE sur le droit au respect de la vie privée, pt 10.
(3) CEDH 23 juill. 2009, n° 12268/03, Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c/ France, § 41, AJDA 2009.
1936, chron. J.-F. Flauss; RTD civ. 2010. 79, obs. J. Hauser; 12 oct. 2010, n° 28999/03, Timciuc c/ Roumanie, §
144 ; 10 mai 2011, n° 48009/08, Mosley c/ Royaume-Uni, § 111, D. 2011. 1487
(4) N. Fricero, obs. ss. l'affaire Hachette Filippacchi Associés, préc., Procédures 2009. Comm. 316.
(5) Tout comme d'ailleurs la référence à la « zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un
contexte public, peut relever de sa vie privée », V. § 95 de l'arrêt.
(6) CEDH 9 oct. 1979, n° 6289/73, Airey c/ France, § 26. V. J.-F. Renucci, Droit européen des droits de
l'homme, 4e éd., Manuel LGDJ, 2010, n° 20, et les réf.
(7) En ce sens, K. Blay-Grabarczyk, Précision des critères de résolution de conflit entre liberté d'expression et
protection de la vie privée, JCP 2012. 292.
(8) CEDH 24 janv. 2012, n° 32844/10 et n° 33510/10, Seckerson c/ Royaume-Uni et Times Newspapers c/
Royaume-Uni, § 38 et 39.
(9) Bien au contraire, pourrions-nous ajouter, V. A. Guedj, La presse « people » face à la Cour européenne des
droits de l'homme, Légipresse 2004. II. 137 s., spéc. 141, où l'auteur estime que la vie privée a une valeur
supérieure à la liberté d'information.
(10) E. Dreyer, Le respect de la vie privée, objet d'un droit fondamental, CCE 2007. Etude 18. V. aussi B.
Beignier, La protection de la vie privée, in Libertés et droits fondamentaux, 17e éd., 2011, p. 197 s., qui rappelle
opportunément que la vie privée n'est pas la vie à huis clos à son domicile, pas plus qu'elle n'est un succédané de
la réclusion criminelle (spéc. n° 302).
(11) F. Sudre, obs. ss. l'affaire Von Hannover de 2004, préc
Document 10. CEDH, Hachette FilippacchiC/ France, 23 juillet 2009, n°12268/03
Arrêt ici reproduit mais coupé. Que ce soit l’occasion pour vous de relever la différence qui existe entre les
arrêts de la Cour de cassation, extrêmement concis, et ceux de la CEDH.
(…) EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante, « Hachette Filipacchi Associés », est une société en nom collectif de droit français, ayant son
siège social à Levallois-Perret, en France. Elle est éditrice du magazine hebdomadaire Ici Paris.
1. La genèse de l’affaire
6. Dans son édition no 2680 du 13 novembre 1996, la requérante publia en pages 14 et 15 un article intitulé « Et
s’il faisait un « bide » à Las Vegas ? Johnny l’angoisse ! », illustré de quatre photographies du chanteur
populaire Johnny Hallyday, l’une le représentant sur scène et les autres, à caractère publicitaire, vantant des
produits pour lesquels il avait autorisé l’usage de son nom et de son image (chocolat, canapé, boissons, eau de
toilette, poupée mascotte, briquet, etc.).
Cet article, sur dix colonnes, faisait référence au concert que l’intéressé devait donner le 24 novembre 1996 à
Las Vegas, et mettait en exergue les phrases suivantes :
« Blousons, canapés, tee-shirts, parfums, bouteilles de vin et chocolat ... Il s’affiche sur n’importe quoi pour
sauver La Lorada [le nom de sa villa provençale sur les hauteurs de Ramatuelle, dans le Var].
Sa vie n’a jamais été un long fleuve tranquille, certes, mais aujourd’hui, c’est un véritable coup de tonnerre qui
s’abat sur Johnny Hallyday. A cinquante trois ans, « Jojo » n’a à nouveau plus un sou. Et pour cause. En trente-
huit ans de carrière, huit cents chansons, cent millions de disques vendus et quatre cents tournées, le rocker n’a
pas réussi à économiser un seul centime. Tout est parti en voyages (de noces et autres), en motos, en fêtes
21
somptueuses, bref, en folies et en fumée ! Alors, pour se renflouer, Johnny a trouvé la solution : il vend son
image et son nom. Suivez le guide ...
A 53 ans, l’idole est obligé de brader son image.
Même en chantant jusqu’à 110 ans, il n’arriverait pas à payer ses dettes, disent ses amis. »
2. La phase contentieuse devant les juridictions judiciaires
7. Le 4 mars 1997, M. Smet, dit Johnny Hallyday, assigna la société éditrice à comparaître le 28 mai 1997, aux
fins de la voir condamner au paiement de 6 500 000 francs de dommages-intérêts et à la publication du jugement
en page de couverture, sous astreinte. Il releva tout d’abord qu’il n’avait pas autorisé la publication des
photographies et que sa notoriété ne saurait entraver l’exclusivité des droits qu’il détenait sur son image. Il
prétendit ensuite qu’en le présentant faussement au bord de la ruine et en faisant état de ses goûts dispendieux
(notamment l’achat de sa maison La Lorada, et de son bateau baptisé Wild Eagle II qui aurait coûté 10 millions
de francs) et de ses revers de fortune, l’article en cause violait le droit au respect de sa vie privée prévu par
l’article 9 du code civil ; en tout état de cause, il estima que la simple révélation de ces éléments, même si leur
véracité était démontrée, constituait une atteinte injustifiée à ce droit. Il allégua enfin une atteinte à sa réputation
dans la mesure où, en précisant les gains procurés par chacun des produits qu’il aurait commercialisés, l’article
minimisait délibérément l’intérêt qu’il portait à ses fans.
8. En défense, la requérante fit valoir que l’article incriminé portait une appréciation critique sur la
multiplication des activités annexes auxquelles se livrait le chanteur et rapprochait celle-ci des acquisitions
luxueuses qu’il avait effectuées. Elle soutint que le chanteur entretenait l’image de l’inévitable endetté et cita à
cet égard ses propres mémoires autobiographiques édités en trois volumes (le premier en juillet 1996, le second
en décembre 1996 et le troisième en mai 1997) dans lesquels il s’étendait longuement sur cette question. Elle
estima que Johnny Hallyday ne pouvait invoquer la protection de l’article 9 du code civil, dès lors qu’il dévoilait
des éléments de sa vie privée. Elle prétendit que les photographies illustraient sans excès le contenu de l’article
et que la dérive commerciale de l’activité du chanteur était dénoncée dans l’intérêt de celui-ci et sans volonté de
dénigrement.
a) Devant le tribunal de grande instance de Paris
9. Le tribunal de grande instance de Paris rendit son jugement le 2 juillet 1997, rejetant la quasi-totalité des
demandes du plaignant.
Sur l’atteinte au droit à l’image, le tribunal considéra qu’en prêtant son image à des supports publicitaires, le
chanteur en avait implicitement autorisé la reproduction, et qu’il n’était pas fondé à se plaindre de la
photographie prise alors qu’il se trouvait sur scène. Il estima que seule la publication du cliché le représentant
assis sur un canapé nécessitait son accord, mais que l’atteinte portée à ses droits du fait de cette reproduction
illicite n’avait pu lui causer qu’un préjudice de principe qui pouvait être réparé par l’allocation de 5 000 francs
(environ 752 euros).
Sur l’atteinte à la vie privée et à la réputation professionnelle, le tribunal estima d’abord que l’article litigieux ne
comportait aucune révélation sur la vie privée de Johnny Hallyday, les allusions à la propriété La Lorada ou au
bateau que possède le chanteur ne pouvant être considérés comme des indiscrétions touchant à la sphère protégée
de l’article 9 du code civil dès lors que l’intéressé n’avait jamais caché l’existence de ces éléments de son
patrimoine et les avait même évoqués dans son autobiographie. Le tribunal ajouta qu’en relatant dans cet
ouvrage intitulé Johnny Hallyday Destroy la manière dont il avait vécu en dépensant sans compter, l’intéressé
avait dévoilé spontanément son caractère dépensier et les difficultés qu’il avait rencontrées avec l’administration
fiscale. Il en déduisit qu’en reprenant ces informations, le magazine Ici Paris ne s’était pas immiscé de manière
illicite dans un domaine protégé que le chanteur souhaitait garder secret.
Soulignant ensuite que Johnny Hallyday était « un personnage public qui, de par sa notoriété, est exposé au
jugement du public et des médias », le tribunal affirma qu’il ne pouvait se plaindre des appréciations
défavorables qui sont portées sur lui, sauf si elles reposent sur des faits inexacts et une volonté de nuire. Après
avoir constaté en l’espèce que le magazine critiquait « la façon dont Johnny Hallyday commercialise son image
en faisant état des produits les plus divers qui portent son nom (...) [et] que les objets reproduits dans l’article
22
sont effectivement vendus sous des supports comportant l’image et le nom de la star », les premiers juges
estimèrent que « le fait de rapprocher l’exploitation que Johnny Hallyday fait ainsi de sa personnalité et les
besoins financiers dont il n’a jamais caché l’importance, n’excède pas le droit de critique qu’Ici Paris est libre
d’exercer à partir de faits avérés ; que le journaliste peut, sans commettre de faute, exprimer l’opinion que lui
inspire le fait de voir l’image d’un chanteur de l’importance de Johnny Hallyday, servir de publicité à des
produits aussi éloignés de son activité que le café ou le chocolat ; que si le ton de l’article est désagréable pour
l’intéressé, il n’est pas pour autant significatif d’une volonté de lui nuire ; que les propos critiqués n’excèdent pas
les limites de l’exercice normal de la liberté d’expression et ne revêtent donc pas un caractère fautif ».
b) Devant la cour d’appel de Paris
10. Par un arrêt du 6 mars 1998, la cour d’appel de Paris confirma le jugement déféré, sauf en ce qui concerne la
condamnation de la requérante pour la publication de l’unique photographie litigieuse.
Elle constata d’abord que le chanteur ne démontrait nullement que l’article incriminé lui avait causé un
quelconque dommage professionnel ou économique ; au contraire, elle releva que « la revue [au demeurant]
indiquait le nom de quelques magasins dans lesquels les produits vendus à l’effigie de l’artiste pouvaient être
achetés, ce qui était de nature à favoriser leur diffusion ».
Elle nota ensuite que la totalité des photographies étaient, à l’exception de celle le représentant sur scène lors
d’un concert, des clichés publicitaires, dont celui relatif au canapé. Elle précisa sur ce point que « ces
photographies, mêmes si elles illustrent un texte critique sur le choix opéré (...) de vendre son image sur des
produits très divers, n’ont pas été détournées de leur objectif publicitaire, autorisé par le susnommé, dès lors
qu’elles traduisent en images l’activité commerciale que Johnny Hallyday a développée, le fait que la journaliste
énonce, sans inexactitude ni intention de nuire, que celui-ci s’affiche sur n’importe quoi et brade son image, pour
inélégante qu’en soit la formulation, ne dépasse pas le droit d’informer et de critiquer attaché à l’essence et à la
pratique du journalisme ».
La cour d’appel souligna que le plaignant avait, dans de nombreuses publications et dans son autobiographie,
reconnu qu’il était propriétaire de la villa La Lorada et d’un bateau baptisé Wild Eagle II, et qu’il avait relaté
dans son ouvrage, de façon répétée et détaillée, la manière dont il avait vécu en employant son argent sans
compter, dévoilant spontanément son caractère dépensier ainsi que les difficultés rencontrées auprès de
l’administration fiscale. Elle en déduisit que « si chacun est seul habilité à fixer les limites et les conditions de ce
qui peut être divulgué sur sa vie privée, le patrimoine ne relève pas de la sphère étroite de la vie privée et, en
l’espèce, le magazine litigieux s’est borné à reprendre des éléments connus du patrimoine et du mode de vie
financier de Johnny Hallyday, personnage public qui entretient avec son public des relations tant artistiques que
commerciales, révélées par lui-même ».
c) Devant la première chambre civile de la Cour de cassation
11. Par un arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation cassa et annula en toutes ses dispositions l’arrêt du 6 mars
1998, et renvoya la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles. La haute juridiction, au visa de
l’article 9 alinéa premier du code civil, estima que cette disposition avait été violée aux motifs que « la
publication des photographies ne respectait pas la finalité visée dans l’autorisation donnée par l’intéressé », et
que « les informations publiées portaient non seulement sur la situation de fortune mais aussi sur le mode de vie
et la personnalité de M. Smet, sans que leur révélation antérieure par l’intéressé soit de nature à en justifier la
publication ».
d) Devant la cour d’appel de renvoi
12. Par un arrêt du 9 octobre 2002, la cour d’appel de Versailles infirma partiellement le jugement du 2 juillet
1997 et, statuant à nouveau, condamna la requérante au paiement de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts
pour atteinte portée à l’image et au respect dû à la vie privée du chanteur, de 3 000 euros à titre des frais non
compris dans les dépens et au paiement des dépens exposés devant les juridictions du fond. Elle débouta le
plaignant des autres chefs de sa demande concernant l’atteinte alléguée à sa réputation professionnelle, faute
pour lui de rapporter la preuve du préjudice qu’il prétendait avoir subi. L’arrêt est ainsi motivé :
« Sur l’atteinte au droit à l’image
23
(...) Attendu que l’autorisation donnée par M. Smet (...) d’utiliser son image avait une finalité précise, à savoir un
objectif publicitaire pour lequel M. Smet avait reçu une contrepartie financière ;
Qu’en utilisant ces photographies à d’autres fins, sans l’autorisation de l’intéressé, et même s’il s’agissait
d’illustrer un article critiquant la façon dont Johnny Halliday « bradait son image », la [requérante] a porté
atteinte au droit à l’image de l’intéressé ; (...) ;
Sur l’atteinte au droit au respect dû à sa vie privée
(...) Attendu que l’article litigieux énonce essentiellement que Johnny Hallyday après 38 ans de carrière « n’a pas
réussi à économiser un seul centime » car « tout est parti ... en folies et en fumée » et que pour se renflouer il
vend son image et son nom ;
Attendu que les informations publiées (...) portent non seulement sur la situation de fortune et le patrimoine de
Johnny Hallyday qui ne relèvent pas de la sphère étroite de l’intimité de la vie privée mais également sur le
mode de vie et la personnalité de l’intéressé dont l’inconséquence et la prodigalité compromettraient sa situation
financière ;
Que les informations données sur le mode de vie de Johnny Hallyday et mettant en exergue son caractère
dépensier violent le respect dû à la vie privée de Johnny Hallyday, sans que la [requérante] puisse utilement se
prévaloir du fait que l’intéressé lui-même avait publié des informations sur son mode de vie dans un livre
autobiographique dès lors que seul Johnny Hallyday était habilité à fixer les limites et les conditions de ce qui
pouvait être divulgué sur sa vie privée ;
Qu’en l’absence d’autorisation donnée par M. Smet, la publication est fautive ;
Sur la réparation du préjudice
Attendu que le préjudice subi (...) est exclusivement moral ;
Que pour apprécier son importance il convient de tenir compte des relations qu’entretient M. Smet avec les
médias auxquels il accepte, souvent, de confier des informations sur sa vie personnelle, y compris sentimentale,
et auxquels il autorise la diffusion de son image ;
Qu’une somme de 20 000 € réparera le préjudice subi (...) »
e) L’arrêt de rejet définitif de la Cour de cassation
13. Le 23 septembre 2004, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la
requérante. Elle constata que la cour d’appel de renvoi avait statué « en conformité de l’arrêt de cassation qui
l’avait saisie », et en conclut que le moyen soulevé, « qui appel[ait] la Cour à revenir sur la doctrine affirmée par
son précédent arrêt, [était] irrecevable ».
(…)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
20. La requérante soutient que sa condamnation pour atteinte à la vie privée est constitutive d’une violation de
son droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de
recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités
publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les
entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
24
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de
l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou
des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et
l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
21. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
(…)
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence
30. La Cour ne peut suivre l’argument du Gouvernement selon lequel le présent litige se situerait sur un plan
strictement privé, qui s’inscrirait dans le cadre de relations économiques entretenues entre deux personnes
privées, échappant ainsi à tout contrôle direct ou indirect de l’Etat.
31. Elle relève en effet que les juridictions françaises, saisies initialement par le chanteur Johnny Hallyday, ont
condamné la requérante, éditrice du journal en cause, au paiement de 20 000 EUR de dommages-intérêts pour
atteinte portée à l’image et au respect dû à la vie privée de l’intéressé. Ce constat suffit à la Cour pour considérer
qu’il est manifeste que la requérante a subi une « ingérence d’autorités publiques » dans l’exercice de son droit
garanti par l’article 10 § 1 de la Convention (Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 28, CEDH 2004-
II, et Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, 20 novembre 1989, § 27, série A no 165).
b) Sur la justification de l’ingérence
32. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 10.
Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard
dudit paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.
i. « Prévue par la loi »
33. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le droit interne applicable, y inclus la jurisprudence, doit être
formulé avec suffisamment de précision pour permettre au justiciable, en s’entourant, au besoin, de conseils
éclairés, de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter
d’un acte déterminé (voir, parmi tant d’autres, Hachette Filipacchi Associés c. France, no 71111/01, § 31, CEDH
2007-...).
34. S’agissant de sa condamnation pour atteinte au droit à l’image, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que
l’article 9 du code civil, interprété avec souplesse, a permis de développer le concept du « droit à l’image », issu
de celui plus large du « droit au respect de la vie privée », par le biais d’une construction jurisprudentielle
aujourd’hui bien établie, et de s’adapter aux nombreuses situations de fait qui peuvent se présenter ainsi qu’à
l’évolution des mœurs, des mentalités et des techniques en ce domaine depuis l’adoption de la loi du 17 juillet
1970 (voir, sur ce point précisément, Prisma Presse c. France précitée).
35. Certes, la requérante fait valoir que le droit à l’image n’a été entièrement rattaché à l’article 9 dudit code que
dans un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1998, postérieur à la publication de l’article litigieux, ce dont
convient d’ailleurs le Gouvernement.
Toutefois, la Cour note que la substance du droit à l’image, apparue dès 1858 dans l’affaire « Rachel » sur le
fondement de la responsabilité civile, existait bien avant l’introduction de la loi du 17 juillet 1970 et, que la haute
juridiction française avait déjà jugé, que toute personne, au visa de l’article 9 du code précité (voir, supra, les
deux arrêts de la Cour de cassation rendus le 13 avril 1988 et le 12 juin 1990 cités par le Gouvernement au
paragraphe 25), pouvait s’opposer à la diffusion sans son autorisation de son image. Il existait donc des
précédents jurisprudentiels pertinents que la requérante, professionnelle avisée de l’édition de la presse, ne
pouvait ignorer.
25
36. Quant à la condamnation de l’intéressée pour avoir diffusé des renseignements tenant au patrimoine du
chanteur et à son mode de vie dépensier, la Cour constate, au vu des informations dont elle dispose, que ces
éléments font partie, en droit français, de la vie privée de toute personne et sont protégés comme tels (voir, supra,
paragraphe 18).
37. En conséquence, la Cour estime que la condamnation pour atteinte à la vie privée du chanteur Johnny
Hallyday était « prévue par la loi », au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.
ii. « But légitime »
38. Aux yeux de la Cour, l’ingérence visait un but légitime – à savoir la protection « des droits d’autrui », en
l’occurrence le droit au respect de la vie privée du plaignant – ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.
iii. « Nécessaire dans une société démocratique »
39. Il reste donc à examiner si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire
proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard, la Cour se réfère aux principes généraux qui se dégagent de
sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux précédents, Goodwin c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, §
40, Recueil 1996-II).
40. Elle rappelle que si l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté
d’expression dans le domaine, en particulier, du discours politique (Brasilier c. France, no 71343/01, §§ 39-41,
11 avril 2006) et, de façon plus large, dans des domaines portant sur des questions d’intérêt public ou général, il
en est différemment des publications de la presse dite « à sensation » ou « de la presse du cœur », laquelle a
habituellement pour objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie strictement privée
d’une personne (voir en particulier Von Hannover, précité, § 65, et Société Prisma Presse c. France (déc.),
nos 66910/01 et 71612/01, 1er juillet 2003). Quelle que soit la notoriété de la personne visée, lesdites
publications ne peuvent généralement passer pour contribuer à un débat d’intérêt public pour la société dans son
ensemble, avec pour conséquence que la liberté d’expression appelle dans ces conditions une interprétation
moins large (voir Société Prisma Presse, précitée ; voir également, Leempoel & S.A. ED. Ciné Revue
c. Belgique, no 64772/01, § 77, 9 novembre 2006).
41. Dans le cas d’espèce, la Cour est amenée à trancher le conflit de droits fondamentaux existant en l’espèce
entre, d’une part, le droit de la requérante à la liberté d’expression (qui englobe celui du public à être informé) et,
d’autre part, le droit au respect de la vie privée du chanteur. Il s’agit là de droits fondamentaux qui méritent a
priori un égal respect, ce qui amène la Cour à examiner l’ensemble de la situation et à vérifier si les autorités
internes ont ménagé un juste équilibre entre ces deux droits et libertés protégés par la Convention (voir en
particulier Von Hannover, précité, § 57, et N.N. et T.A. c. Belgique, no 65097/01, § 43, 13 mai 2008).
42. La Cour ne méconnait pas la qualité d’organe de presse libre de la requérante – ce qui n’est d’ailleurs pas
contesté par le Gouvernement – ni l’intérêt, que peut avoir, pour une partie du lectorat, le type de publication en
cause.
43. Elle considère néanmoins que, bien que la requérante tente de rattacher le sujet traité à une question d’intérêt
général – la vie culturelle française – l’article litigieux et les photos l’accompagnant, qui se concentrent sur les
difficultés financières supposées du chanteur et sur la façon dont il exploitait son nom et son image, ne peuvent
être considérés comme ayant participé ou contribué à un « débat d’intérêt général » pour la collectivité, au sens
donné par la jurisprudence de la Cour. Dans ces conditions, la marge d’appréciation de l’Etat défendeur est plus
large.
44. Tout d’abord, la Cour relève que les juridictions nationales – la Cour de cassation, dans son arrêt du 30 mai
2000, et la cour d’appel de Versailles statuant en tant que juridiction de renvoi, le 9 octobre 2002 – ont considéré
que la requérante avait porté atteinte au droit à l’image du plaignant au motif que la publication, sans son accord,
des photographies publicitaires le représentant, ne respectait pas la finalité pour laquelle il avait donné son
autorisation à la reproduction de son image.
45. Elle rappelle à cet égard qu’en principe, la protection du droit à l’image contre les abus de la part de tiers fait
partie intégrante des droits protégés par l’article 8 de la Convention (voir Von Hannover, précité, § 57, K. c.
26
Lettonie, (déc.), no 71225/01, 21 octobre 2004 et, plus récemment, Gourguenidze c. Géorgie, no 71678/01, § 55
et s., 17 octobre 2006), et que si la liberté d’expression s’étend également à la publication de photographies, il
s’agit là d’un domaine où la protection de la réputation et de la vie privée d’autrui revêt une importance
particulière (Von Hannover, précité, § 59).
46. La Cour conçoit dès lors que, de manière générale, le détournement ou l’utilisation abusive d’une
photographie, pour laquelle une personne avait autorisé sa reproduction dans un but précis, puisse être considéré
comme un motif pertinent pour restreindre le droit à la liberté d’expression. Ce constat ne suffit toutefois pas à
justifier à lui seul la condamnation de la requérante.
47. Aux yeux de la Cour, il convient d’attacher une importance particulière à la nature des clichés publiés, qui
étaient de caractère exclusivement publicitaire. Elle relève que la présente requête se distingue des affaires
qu’elle a précédemment examinées dans lesquelles les photographies litigieuses procédaient de manœuvres
frauduleuses ou clandestines (voir, en ce qui concerne des photographies prises au téléobjectif à l’insu des
victimes, Von Hannover, précité, § 68, et Société Prisma Presse, précitée), ou bien révélaient des détails de la vie
privée des personnes en s’immisçant dans leur intimité (voir, s’agissant de la publication de photos sur une
prétendue relation adultère, Campmany et Lopez Galiacho Perona c. Espagne (déc.), no 54224/00, CEDH 2000-
XII).
48. La Cour considère surtout que ces clichés n’étaient ni dénaturés, ni détournés de leur finalité commerciale,
puisqu’ils illustraient, de manière certes critique, l’information du journal selon lequel le chanteur, pour satisfaire
ses besoins financiers, vendait son image au profit de produits de consommation divers et variés – produits dont
les lieux de vente étaient au demeurant indiqués par le magazine lui-même, comme l’a relevé la cour d’appel de
Paris dans son arrêt du 6 mars 1998 (paragraphe 10 ci-dessus).
49. La Cour relève ensuite que la requérante a été condamnée pour avoir porté atteinte au respect dû à la vie
privée du chanteur, motif pris de ce que les informations publiées portaient sur son mode de vie dépensier et sur
sa personnalité, sans que leur révélation antérieure par l’intéressé soit de nature à en justifier la publication.
50. Si les informations portant sur la personnalité d’un individu peuvent constituer, au regard du droit au respect
de la vie privée, un motif pertinent pour les juridictions permettant de restreindre le droit à la liberté d’expression
(voir, en ce sens, Leempoel & S.A. ED. Ciné Revue c. Belgique, précité, § 77), un tel motif, n’apparait pas en
l’espèce suffisant, pour justifier la condamnation de la requérante.
51. La Cour note d’abord que les éléments d’information concernant la manière dont l’intéressé gérait et
dépensait généreusement son argent, ne relevaient pas du cercle intime de la vie privée protégée par l’article 8 de
la Convention.
52. La Cour constate ensuite que la révélation antérieure par l’intéressé lui-même des informations litigieuses
est un élément essentiel de l’analyse de l’immixtion reprochée à la société de presse dans certains aspects de la
vie privée du chanteur. En effet, les informations, une fois portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-
même, cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles.
Selon la Cour, les révélations du chanteur, une fois rendues publiques, affaiblissent le degré de protection à
laquelle ce dernier pouvait prétendre au titre de sa vie privée, s’agissant désormais de faits notoires et d’actualité.
Or, la divulgation de ces informations n’a été prise en compte par la cour d’appel de Versailles que lors de
l’évaluation de la réparation allouée, et n’a eu aucune incidence sur l’appréciation même de la faute reprochée à
la requérante.
53. De l’avis de la Cour, c’est pourtant là un critère déterminant dans l’appréciation de l’équilibre à ménager
entre le droit de la requérante à la liberté d’expression et celui du chanteur au respect de sa vie privée. Dans la
mesure où la requérante a repris, sans les déformer, une partie des informations librement divulguées et rendues
publiques par le chanteur, notamment dans son autobiographie, sur ses biens et sur la façon dont il employait son
argent, la Cour est d’avis que celui-ci ne conservait plus une « espérance légitime » de voir sa vie privée
effectivement protégée (Von Hannover, précité, § 51 ; voir également, mutatis mutandis, Halford c. Royaume-
Uni, arrêt du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, § 45 ).
27
54. Bien que la tonalité générale de l’article incriminé puisse paraître négative à l’égard du chanteur, la Cour
constate également que l’article litigieux ne renfermait aucune expression offensante ou volonté de nuire envers
Johnny Hallyday (voir, a contrario, Shabanov et Tren c. Russie, no 5433/02, § 41, 14 décembre 2006, et
Tammer, précité, §§ 65-67). Il en résulte que la requérante, ayant eu recours à la dose « d’exagération » et de
« provocation » qui est permise dans le cadre de l’exercice de la liberté journalistique dans une société
démocratique (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 38), n’a pas dépassé les limites qui y sont
attachées.
55. En conclusion, même si les motifs invoqués par les juridictions internes peuvent apparaître pertinents, ils ne
suffisent pas à démontrer que l’ingérence dénoncée dans le droit de la requérante était « nécessaire dans une
société démocratique ». La Cour n’estime pas indispensable, dans ces conditions, d’examiner la nature et le
quantum de la condamnation infligée pour mesurer la proportionnalité de l’ingérence. Compte tenu de tous ces
éléments, et en dépit de la marge d’appréciation élevée laissée à l’Etat en la matière, la Cour estime que le juste
équilibre entre les intérêts concurrents en jeu n’a pas été ménagé en l’espèce.
56. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
(…)
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera
devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 26 000 EUR (vingt-six mille euros) pour
dommage matériel et 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû
par la requérante à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt
simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable
pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Liberté d’information versus dignité
Document 11. Civ. 1, 20 décembre 2000, Bull. civ. I, n°341
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que les sociétés Cogedipresse et Hachette Filipacchi font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 1998)
d'avoir ordonné l'insertion dans les hebdomadaires Paris-Match et VSD, dont elles sont éditrices, d'un
communiqué faisant état de l'atteinte à l'intimité de la vie privée de la famillle X... du fait de la publication d'une
photographie du corps de X..., préfet de la République, assassiné à Ajaccio le 6 février 1998 ; qu'il est fait grief à
la cour d'appel :
1° de ne pas avoir constaté l'urgence exigée par l'article 9 du Code civil ;
2° de ne pas avoir relevé une atteinte à l'intimité de la vie privée, en ne retenant qu'une atteinte aux " sentiments
d'affliction " de la famille ;
3° alors que la publication litigieuse répondait aux exigences de l'information et était donc légitime au regard de
la liberté fondamentale consacrée par l'article 10 de la Convention européenne ;
Mais attendu que la seule constatation d'une atteinte aux droits de la personne caractérise l'urgence, au sens de
l'article 9 du Code civil ;
28
Et attendu qu'ayant retenu que la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet
assassiné, gisant sur la chaussée d'une rue d'Ajaccio, la cour d'appel a pu juger, dès lors que cette image était
attentatoire à la dignité de la personne humaine, qu'une telle publication était illicite, sa décision se trouvant ainsi
légalement justifiée au regard des exigences tant de l'article 10 de la Convention européenne que de l'article 16
du Code civil, indépendamment des motifs critiqués par la deuxième branche du moyen ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
Document 12. Civ. 2, 4 novembre 2004, Bull. civ. II, n°486
Sur le moyen unique :
Vu l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
et les articles 9 et 16 du Code civil ;
Attendu que le magazine Paris-Match a publié dans son numéro 2685 un article intitulé "Routes, la guerre
oubliée" où était publiée la photographie d'un jeune homme inanimé, étendu à demi dévêtu sur un brancard, le
visage ensanglanté, autour duquel s'affairaient les secouristes du Samu 77, sous-titrée par la légende : "Il faisait
la course en scooter. Il avait 16 ans. Les médecins ne pourront le ranimer" ; que les consorts X... estimant que ce
cliché, qui représentait Romain X... décédé le 13 juin 2000 à l'âge de 17 ans des suites d'un accident de la
circulation alors qu'il pilotait un scooter, portait atteinte à la dignité de la personne représentée, ont attrait en
justice la société Hachette Filipacchi associés ;
Attendu que pour condamner la société Hachette Filipacchi associés à payer des dommages-intérêts aux consorts
X..., la cour d'appel a notamment énoncé que le droit à la liberté d'informer s'exerçait dans le respect des droits
de l'individu et que la nécessité d'une illustration pertinente ne pouvait être valablement invoquée dans un tel
contexte où l'article ne relatait pas un fait d'actualité mais était consacré à un phénomène de société et que la
photographie publiée sans précaution d'anonymat de l'intéressé, qui représentait le fils et frère des intimés, le
visage maculé de sang, inanimé, sur un brancard, portait atteinte à la dignité de la victime et nécessairement à
l'intimité de la vie privée de sa famille ;
Qu'en statuant ainsi alors que le principe de la liberté de la presse implique le libre choix des illustrations d'un
débat général de phénomène de société sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine, la
cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'information des lecteurs justifiait la publication de la photographie
litigieuse, ni caractérisé l'atteinte portée par celle-ci à la dignité de la victime, n'a pas donné de base légale à sa
décision ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 avril 2003, entre les
parties, par la cour d'appel de Versailles ; (…)
Document 13. Cass. civ. 1er
, 1er
juillet 2010, D. 2010.2044 ; note P.-J. Delage.
Sur le moyen unique :
Attendu que la mère et les soeurs de I... X... ont assigné en référé la société SCPE, éditrice du magazine Choc,
ainsi que le directeur de publication de celui-ci, M. Z..., pour voir constater l’atteinte à leur vie privée causée par
la publication d’une photographie le représentant bâillonné et entravé et voir ordonner sous astreinte, en raison
du trouble manifestement illicite ainsi commis, le retrait de la vente du numéro de ce magazine ainsi que le
versement d’une provision ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2009) d’avoir ordonné que soient occultées dans tous
les exemplaires du numéro 120 du magazine Choc daté de juin 2009, mis en vente ou en distribution, les cinq
reproductions de la photographie de I... X... la tête bandée et sous la menace d’une arme, à peine d’astreinte et
d’avoir condamné la société SCPE à payer aux consorts X... diverses sommes à titre de provision et en
application de l’article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1/ que l’atteinte à un sentiment provoquée par la publication d’une photographie d’un proche victime d’un crime,
qui ne peut être assimilée à une intrusion dans la sphère de la vie privée, ne saurait, en raison de son caractère
éminemment subjectif, exclusif de toute prévisibilité, justifier qu’il soit apporté quelque restriction à la liberté
d’expression et d’information ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 10 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2/ que la publication d’une photographie qui montre le calvaire de la victime d’un crime ne fait que révéler
l’atteinte à la dignité subie par celle-ci du fait des violences qui lui ont été infligées et ne saurait donc être
29
considérée comme constituant intrinsèquement ladite atteinte ; qu’en se fondant néanmoins sur l’existence d’une
telle atteinte, provoquée par la publication de cette photographie, sans caractériser cette atteinte indépendamment
de la publication de cette photographie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 10
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3/ qu’enfin, la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent
une mesure nécessaire, dans une société démocratique, notamment à la protection des droits des tiers ; qu’en
sanctionnant et en interdisant la publication d’une photographie s’inscrivant incontestablement au coeur de
l’actualité du moment, et qui par ailleurs avait déjà été communiquée au public au travers d’une émission
télévisée à laquelle participait l’avocat de la famille de la victime, la cour d’appel, qui n’a pas justifié du
caractère nécessaire de cette ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression et d’information, l’objectif
poursuivi par la ligne éditoriale du magazine en cause ne pouvant au regard des circonstances susvisées
constituer un motif suffisant pour ordonner une restriction à ce droit fondamental, a privé de plus fort sa décision
de base légale au regard du texte précité ;
Mais attendu que les proches d'une personne peuvent s'opposer à la reproduction de son image après son décès,
dès lors qu’ils en éprouvent un préjudice personnel en raison d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au
mort ; qu’à cet égard la cour d’appel énonce que la photographie litigieuse, dont il est constant qu’elle avait été
prise par les tortionnaires de I... X... et adressée à sa famille pour appuyer une demande de rançon, a été publiée
sans autorisation ; qu’elle ajoute que cette photographie qui montre I... X..., le visage entouré d’un ruban adhésif
argenté laissant seulement apparaître son nez ensanglanté et tuméfié, l’ensemble du visage donnant l’impression
d’être enflé sous le bandage de ruban adhésif, les poignets entravés par le même ruban adhésif, son trousseau de
clefs glissé entre les doigts, un journal coincé sous la poitrine et un pistolet braqué à bout touchant sur la tempe
par une main gantée, l’épaule gauche de son vêtement tiraillée vers le haut, suggère la soumission imposée et la
torture ; qu’estimant que la publication de la photographie litigieuse, qui dénotait une recherche de sensationnel,
n’était nullement justifiée par les nécessités de l’information, elle en a justement déduit que, contraire à la dignité
humaine, elle constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des
proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d’expression et d’information ; que le
moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi