29
1 UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Année universitaire 2012-2013 Travaux dirigés - Première année, Licence Droit DROIT CIVIL Cours de Madame Astrid MARAIS Distribution : semaine du 18 mars 6 e séance- La personne, corps et âme : les droits de la personnalité. “Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autresM. Proust, Du coté de chez Swann . 1) Exercice. Document 1. Cas pratique : Méthodologie. Exemples. Exercice. 2) Arrêts. I. Le droit au respect de l’intégrité corporelle. L’exemple de la maternité pour autrui Interdire ou autoriser la maternité pour autrui… Document 2. Ass. plén., 31 mai 1991, Bull., n°4 ; GAJC, n°50 Document 3. Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui , Sénat, 27 janvier 2010 Le statut de l’enfant né à l’étranger d’une mère porteuse. Document 4. Cass. Civ. 1 re , 6 avril 2011, D. 2011. 1064, obs. X. Labbée; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet; ibid. Pan. 1585, obs. Granet-Lambrechts; ibid. Pan. 1995, obs. Gouttenoire; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et Reynier; AJ fam. 2011. 262, obs. Chénedé; RLDC 2011/82, no 4244, obs. Gallois; RTD civ. 2011. 340, obs. Hauser. II. Le droit au respect de l’intégrité morale. Vie privée et image versus liberté d’information Document 5. Civ. 1, 3 avril 2002, Bull. civ. I, n°110, Dr. et patrim, janvier 2003, 115, obs. G. Loiseau. Document 6. Cass. civ. 1 re , 23 avril 2003, D. 2003. 1854 (2 espèces). Document 7. Civ. 1 re , 9 juillet 2003, Bull. civ. I, °172, D. 2004. 1633, obs. C. Caron. Document 8. CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin, et 2004. 2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude J.-P. Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv. 2005, obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.

UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Année …travauxdiriges.com/data/uploads/droitpersbiens/2013-fiche6.pdfA la différence de la règle de droit, les règles de bienséances ne

Embed Size (px)

Citation preview

1

UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)

Année universitaire 2012-2013

Travaux dirigés - Première année, Licence Droit

DROIT CIVIL

Cours de Madame Astrid MARAIS

Distribution : semaine du 18 mars

6e séance- La personne, corps et âme : les droits de la personnalité.

“Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres”

M. Proust, Du coté de chez Swann

.

1) Exercice.

Document 1. Cas pratique : Méthodologie. Exemples. Exercice.

2) Arrêts.

I. Le droit au respect de l’intégrité corporelle. L’exemple de la maternité pour autrui

Interdire ou autoriser la maternité pour autrui…

Document 2. Ass. plén., 31 mai 1991, Bull., n°4 ; GAJC, n°50

Document 3. Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui, Sénat, 27 janvier 2010

Le statut de l’enfant né à l’étranger d’une mère porteuse.

Document 4. Cass. Civ. 1re

, 6 avril 2011, D. 2011. 1064, obs. X. Labbée; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet;

ibid. Pan. 1585, obs. Granet-Lambrechts; ibid. Pan. 1995, obs. Gouttenoire; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et

Reynier; AJ fam. 2011. 262, obs. Chénedé; RLDC 2011/82, no 4244, obs. Gallois; RTD civ. 2011. 340, obs.

Hauser.

II. Le droit au respect de l’intégrité morale.

Vie privée et image versus liberté d’information

Document 5. Civ. 1, 3 avril 2002, Bull. civ. I, n°110, Dr. et patrim, janvier 2003, 115, obs. G. Loiseau.

Document 6. Cass. civ. 1re

, 23 avril 2003, D. 2003. 1854 (2 espèces).

Document 7. Civ. 1re

, 9 juillet 2003, Bull. civ. I, °172, D. 2004. 1633, obs. C. Caron.

Document 8. CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin,

et 2004. 2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude

J.-P. Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv.

2005, obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.

2

Document 9. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c/Allemagne - CEDH, 7 févr. 2012, n° 40660/08,

Von Hannover c/ Allemagne, D. 2012. 1040, note J.-F. Renucci

Document 10. CEDH, Hachette FilippacchiC/ France, 23 juillet 2009, n°12268/03

Liberté d’information versus dignité

Document 11. Civ. 1, 20 décembre 2000, Bull. civ. I, n°341

Document 12. Civ. 2, 4 novembre 2004, Bull. civ. II, n°486

Document 13. Cass. civ. 1er

, 1er

juillet 2010, D. 2010.2044, note P.-J. Delage.

PAS DE PANIQUE : LA FICHE EST LONGUE, MAIS BEAUCOUP DE DOCUMENTS NE SONT PAS

A ANALYSER (METHODOLOGIE)

3

1) Exercice

Document 1. Cas pratique : Méthodologie. Exemples. Exercice.

Méthodologie du cas pratique

Le cas pratique est un exercice qui vous invite à donner une réponse juridique à une question

posée de manière factuelle. L’exigence d’un plan n’existe pas dans le cas pratique. S’il y a plusieurs

questions posées ou si le cas suscite plusieurs difficultés juridiques, il convient de les examiner

successivement.

Après avoir lu attentivement l’énoncé du cas, il faut :

1. rappeler les seuls faits utiles à la compréhension du problème en les qualifiant. Il faut donc

faire un tri entre les différents éléments factuels pour ne choisir que ceux qui apparaissent

nécessaires à la formulation du problème de droit.

2. poser le problème de droit

3. indiquer les éléments (théoriques) de réponse en identifiant les règles de droit applicables.

Citer, s’ils existent, les textes de loi et la jurisprudence.

4. donner une réponse concrète à la question posée en appliquant les règles de droit à la

situation de fait

Exemple « Jules n’aime pas la pizza. Or, de retour chez lui après une journée de dur labeur, il

constate avec tristesse, dépit et solitude, qu’il ne lui reste dans son congélateur qu’une

pizza pomme de terre. Aussi décide-t-il d’appeler sa bonne mère, Sabine Sisublime, en lui

demandant s’il peut venir dîner chez elle. « Quelle joie, s’exclame-t-elle, j’avais

justement préparé ton plat préféré : le gratin de rognons à l’oignon . Tu le dégusteras avec

Simon Aucheveulont que j’ai invité à dîner ce soir ! ». Malheureusement Simon, qui a

accepté avec empressement l’invitation à dîner de Sabine Sisublime, déteste le gratin de

rognons à l’oignon. En se rendant chez son boucher, le très célèbre Pablo dont la notoriété

lui a été acquise par ses paupiettes à la mode de Saint-Malo, Simon apprend que ce

dernier vient de vendre à Sabine Sisublime de magnifiques rognons, en vue du dîner

qu’elle organise ce soir chez elle. Simon comprend alors que ces rognons lui sont

destinés. « Ô rage, ô désespoir, n’ai-je donc tant courtisé Madame Sisublime que pour

cette infamie ! Non, c’est décidé, je ne rendrai pas à son invitation». Simon se terre donc

sous sa couette et ne daigne même pas prévenir Sabine Sisublime qu’il ne se rendra pas

chez elle. Celle-ci attend, attend avec son fils, jusqu’à 23 heures, et lorsqu’ils se décident

à ne plus attendre, le gratin de rognons à l’oignon est froid et immangeable. Jules invite

alors chez lui sa maman à savourer sa pizza pomme de terre. Cette dernière, très choquée

par l’impolitesse de Simon, aimerait savoir si elle peut obtenir qu’il lui rembourse le prix

des rognons. »

Une personne enfreint une règle de bienséance en ne se rendant pas à un dîner qu’elle avait accepté,

sans prévenir son hôte. Ce dernier avait engagé des dépenses pour préparer le dîner et lui en demande le

remboursement.

La violation d’une règle de bienséance peut-elle faire l’objet de sanctions juridiques ? A la différence de la règle de droit, les règles de bienséances ne font pas l’objet de coercition étatique.

Ne constituant pas des obligations juridiques, leur sanction, d’ordre interne consistera dans le remord ou la

culpabilité de celui qui les viole. Il ne saurait être question d’engager la responsabilité juridique de ce dernier.

Faits inutiles :

Fait utile : Invitation

à dîner acceptée

Faits inutiles :

Fait utile :Violation

d’une de bienséance

Faits inutiles

Fait utile : demande

d’indemnisation

4

En l’espèce, même si l’hôte a engagé des frais pour préparer le dîner, il ne saurait en demander le

remboursement à son invité, qui n’a enfreint qu’une règle de bienséance en ne se rendant pas au dîner, sans

prévenir.

Exemple (sujet d’examen 2010-2011, introduction au droit civil, 1er

semestre)

Jules est Hercule

Jules est si fort qu’on aurait dû l’appeler Hercule. Jules voit souvent rouge et quand il voit rouge, il

casse et quand il casse, il se retrouve avec les menottes aux poignets. Comme aujourd’hui, pauvre

Jules ! Vous n’y comprenez rien ? C’est normal, laissez-moi vous raconter l’histoire de Jules, celle qui

commença comme un cauchemar en 3 actes.

1er

acte : Jules voit rouge

Il pleut ce jour-là. Jules est d’une humeur maussade. Il lit sa fiche de travaux dirigés de droit civil. Il

n’aime pas le droit. Ces parents voulaient qu’il en fasse. Il s’est exécuté car Jules est un bon fils.

Dans la fiche, un cas à résoudre, le suivant :

« Gérard et Lucette Totor se sont mis d’accord avec M. Racaille le Rouge pour acheter à ce dernier

une voiture pour un prix de 3000 euros. M. Racaille le Rouge, qui a trouvé un meilleur acquéreur,

refuse d’exécuter la vente conclue avec Gérard et Lucette. Il prétend qu’aucun écrit n’a été dressé et

que, s’ils le traînent devant le juge, il ne reconnaîtra jamais leur avoir vendu sa voiture. Gérard et

Lucette viennent vous demander conseil pour obtenir leur voiture de rêve. Ils vous précisent qu’une

voisine, présente le jour de l’accord, a assisté à la vente. Elle leur avait pourtant déconseillé

d’acheter une voiture à cette racaille, un homme sans foi, ni loi, selon elle. Gérard et Lucette ont, en

outre, en leur possession une lettre de M. Racaille le Rouge les informant qu’il a pris contact avec son

notaire pour qu’il établisse l’acte de vente pour 3000 euros. Les étudiants devront résoudre le cas en

s’intéressant au seul problème de la preuve de la vente».

Facile, se dit Jules qui ne voit pas encore rouge ! Je le ferai demain 5 minutes avant mon TD. J’ai

donc le temps, le temps d’appeler Atalante, la belle Atalante qui me fait tant courir et qui ne mangerait

des pommes que si elles sont en or.

«- A.T.A.L.A.N.T.E. », -il prononce son prénom suavement en épelant chacune des lettres-, « que

puis-je faire pour gagner ton cœur ? »

« -Offre-moi des bottes Répétasse en or et j’arrêterai de te faire courir ! »

« -Hum », dégurgite Jules, dont le visage commence à prendre une teinte rosée. « La moindre paire de

bottes Répétasse coûte 500 euros, où veux-tu que je trouve une telle somme ? Depuis que je t’ai prêté

1000 euros pour partir, sans moi, méditer à Hossegor cet été, à Courchevel cet hiver, et à Arbin cet

automne, je suis sans le sou ».

« -Non ! pas prêtés, tu me les as donnés ces 1000 euros, un soir où nous nous regardions dans le clair

de lune! » rétorque Atalante d’une voix convaincante. « Jules, tu es mesquin ! Décidément tu ne

mérites pas ma considération amoureuse. Et puis si tu manques d’argent, fais un casse pour m’offrir

mes bottes répétasses ».

C’est à ce moment précis que Jules vit rouge et raccrocha net le téléphone pour éviter de la traiter de

…. Jules a été bien élevé par ses parents, il n’use jamais de termes grossiers, surtout à l’égard des

femmes.

Sa liaison avec Atalante est, pense-t-il, bien compromise, mais qu’en est-il de ses chances de revoir les

1000 euros qu’Atalante ne nie pourtant pas avoir reçu?

N’oubliez pas qu’il doit résoudre le cas pratique de sa fiche pour le lendemain. Or pour l’instant, il ne

pense pas à cela. Aidez-le en résolvant le cas pour lui.

5

2e acte : Jules casse

Même s’il a été bien élevé par ses parents, Jules a du mal à garder son calme. Il ouvre la fenêtre pour y

jeter son téléphone qui tombe en faisant un bruit de ferraille sur le visage de Lucette. « Aïe », entend-t-

il, avant de regarder par la fenêtre. Rassurez-vous Lucette n’a rien, elle est même heureuse, rendez-

vous compte, elle a été touchée par le téléphone de Jules, quelle grâce ! Si vous devez essuyer une

larme ce sera pour le téléphone de Jules, acheté chez DIX TELECOLD, en septembre 2009. Hors

d’usage le téléphone : atomisé, il a terminé.

Se rendant compte qu’il ne pourra plus se servir de son téléphone pour appeler Atalante, Jules,

fébrilement, nerveusement, anxieusement cherche son contrat de vente qui rappelle que DIX

TELECOLD est tenu, conformément au Code de la consommation, d’une obligation de conformité. Et

là, un éclair de génie. Il vient de lire sur legifrance un arrêt rendu le 5 septembre 2010 par la Cour de

cassation (imaginé pour les besoins de ce cas pratique) interprétant l’obligation de conformité de la

manière suivante : « En vertu de son obligation de conformité, le vendeur est tenu de réparer tous les

dommages causés à la chose, même ceux causés volontairement par l’acheteur ». DIX TELECOLD

refusant de prendre à sa charge la réparation du téléphone, Jules décide de l’assigner en justice. Le

jugement, rendu en décembre 2010, a d’ailleurs fait droit à sa demande. L’absurdité de la solution

issue de l’arrêt du 5 septembre 2010 a néanmoins conduit le gouvernement à déposer un projet de loi

tendant à briser cette jurisprudence. Le gouvernement a même prévu, dans son projet, que la loi sera

applicable avant son entrée en vigueur aux instances en cours. La loi n’a pas encore été votée. Elle

devrait l’être au mois d’octobre 2011. DIX TELECOLD a fait appel et la Cour rendra son arrêt en

décembre 2011.

Si une telle loi devait entrer en vigueur, quelles seraient les chances de Jules d’obtenir

satisfaction devant la Cour d’appel?

Son téléphone cassé, Jules se mit à travailler davantage. Ses parents en furent enchantés et déjà

dans les soirées boulonaises, Sabine et Jacques parlaient de leur fils Jules comme d’un futur avocat

connu, brillant et élégant. Ses parents déchantèrent lorsqu’ils ouvrirent par mégarde (quand les parents

ouvrent les courriers, c’est toujours par mégarde) une facture téléphonique détaillée d’un montant de

3000 euros adressée par VESOUL TELECOLD à Jules. 3000 euros, rendez-vous compte, c’est une

somme !

« -Et toi qui nous disais que tu ne téléphonais plus pour travailler davantage et devenir un avocat

connu, brillant, élégant. Tu nous mentais, Jules. Et chez les Sissublime, mentir, ça n’existe pas (le nom

de famille de Jules était « Sissublime »), tu nous fais honte Jules ; Prends tes affaires et quitte notre

toit », lui dirent ses parents, déçus, dépités, exténués.

« -Maman, papa, comment pouvez-vous imaginer un seul instant que j’ai pu vous mentir, moi futur

avocat, moi votre fils ? » répondit-il indigné, effaré et un peu exaspéré. « J’ai certes conclu un contrat

avec VESOUL TELECOLD, mais pour n’utiliser leur téléphone qu’en cas d’urgence. Or aucune

urgence n’étant survenue, je n’ai pas téléphoné… »

« -Nous te croyons cher fils, pardon d’avoir douté de toi. Tu réussiras donc facilement à repousser les

demandes de VESOUL TELECOLD. »

Ont-il raison ?

Jules se le demande et part réfléchir dehors.

3e acte : Jules se retrouve les menottes aux poignets

Dehors, il neige ce jour-là. Dehors, il oublie de réfléchir. Dehors, l’image d’Atalante, lui

revient, charmante, obsédante. Il marche et passe devant le magasin Repetasse. C’est vrai qu’elles sont

belles ces bottes, celles mordorées. C’est vrai qu’elles sont faites pour Atalante. C’est vrai qu’elles

coûtent cher, trop cher. Tiens, une barre de fer, posée contre le mur. Tiens, Jules la prend. Tiens, il la

projette contre la vitre du magasin. Tiens, il saisit les bottes qui se trouvent devant lui. Tiens, une

personne, sans doute un policier, lui prend les bras pour les lui mettre dans le dos. Clic, fait le bruit des

menottes qui enserrent désormais les poignets de Jules.

C’était le 23 janvier, il s’en souvient, c’était le jour de son anniversaire. L’infraction a été qualifiée de

vol. A l’époque le vol était puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende, en

6

application de l’article 311-4 du Code pénal « lorsqu'il est précédé, accompagné ou suivi d'un acte de

destruction, dégradation ou détérioration ». Depuis, le Parlement a voté une loi réprimant l’infraction

de 20 ans d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende et ce, même si l’infraction a été commise

avant l’entrée en vigueur de la loi. Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la constitutionnalité

de la loi. Cette loi viole l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales selon lequel « (…) il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était

applicable au moment où l’infraction a été commise ».

Jules a 18 ans. Il aurait dû s’appeler Hercule et être avocat. Il n’en sera rien, méditera-t-il en prison.

Mais quelle peine de prison encoure-t-il, autrement dit, risque-t-il de sortir de prison à 25 ans ou à 40

ans ?

Eléments de correction

Vente d’une voiture de 3 000 euros

Une voiture a été vendue pour un prix de 3 000 euros. Aucun écrit valable n’a été signé. Les

acheteurs disposent d’une lettre du vendeur reconnaissant la vente et du témoignage d’une

voisine présente le jour de la vente.

Se pose la question des modes de preuve admissibles pour prouver un acte juridique supérieur

à 1 500 euros.

En application de l’article 1341 du Code civil, un écrit est nécessaire pour prouver un acte

juridique supérieur à 1 500 euros. S’agissant d’un contrat synallagmatique, l’écrit aurait dû

être fait en double exemplaire (1325 C. civ.). Il est fait exception à ces règles, lorsqu’il existe

un commencement de preuve par écrit, qui consiste en « un écrit », « émané de celui contre

lequel la demande est formée » et « qui rend vraisemblable le fait allégué » (1347 C. civ.). La

lettre adressée par le vendeur aux acheteurs remplit les 3 conditions du commencement de

preuve par écrit : elle est un écrit ; elle émane du vendeur ; elle rend vraisemblable la vente

de la voiture pour un prix de 3 000 euros en précisant qu’un notaire a été contacté pour

établir l’acte de vente. Pour que la preuve de la vente soit faite, encore faut-il que ce

commencement de preuve soit complété par des éléments extrinsèques. En l’espèce le

témoignage de la voisine, présente le jour de la vente, pourra être utilisé, ce qui devrait

permettre aux acheteurs d’obtenir en justice satisfaction.

Prêt de 1 000 euro

Un homme prétend avoir prêté à la femme qu’il courtise 1 000 euros. Aucun écrit n’a été

dressé. La femme refuse de restituer les 1 000 euros en prétendant qu’il s’agissait d’un don et

non d’un prêt.

Se pose la question de la charge de la preuve de l’existence du contrat de prêt. En application de

l’article 1315, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». La

jurisprudence a interprété cet article comme faisant peser sur celui qui a remis de l’argent à

un tiers la charge de prouver qu’il s’agissait d’un prêt et non d’un don. Jules supporte donc la

charge de prouver l’existence du prêt. Il pourra le faire par tous moyens, l’acte étant inférieur

à 1 500 euros (1341 C. civ.). Néanmoins, il ne dispose d’aucun élément pour établir

l’obligation de restitution (ils étaient seuls). Supportant la charge de la preuve, Jules en

supporte le risque : il n’obtiendra pas la restitution des 1 000 euros.

L’éventuelle adoption d’une loi rétroactive

Un tribunal fait application d’une jurisprudence nouvelle absurde. Une loi devrait être

adoptée en 2011 pour lutter rétroactivement contre cette dernière, avant que la cour d’appel ne

rende son arrêt.

La question se pose de l’application aux instances en cours d’une loi rétroactive venant briser

une jurisprudence. En principe, en application de l’article 2 du Code civil, la loi n’est pas

rétro- active. Ce principe a une valeur législative en matière civile et peut être écarté à certaines

conditions, par le législateur. La Cour européenne des droits de l’homme estime en effet, «

le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article

7

6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir

législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement

judiciaire du litige » (CEDH, Zielinski, Pradal c. France, 28 oct. 1999). En l’espèce,

l’application de la loi au procès en cours sera subordonnée à ce qu’elle poursuive un motif

impérieux d’intérêt général. La loi qui vise à combattre une jurisprudence absurde

confinant à l’erreur, devrait satisfaire un tel motif. De ce cas, la cour d’appel appliquera

la loi de façon rétroactive, ce qui aura pour effet de priver Jules de la réparation obtenue en

première instance.

Contestation du montant d’une facture téléphonique

Jules qui a conclu un contrat avec un opérateur téléphonique, se voit adresser par celui-ci une

facture téléphonique d’un montant de 3 000 euros, dont il conteste le montant.

Qui supporte la charge de prouver le montant de la facture et quels sont les modes de preuve

admissibles pour le prouver ? En principe, celui qui se prétend créancier doit établir le

montant de sa créance (art. 1315 C. civ.) et ne peut le faire qu’au moyen d’un écrit

n’émanant pas du créancier si le montant de la créance est supérieur à 1 500 euros (art. 1341

C. civ., 1re règle). Néanmoins, il est possible de contourner ces règles légales, qui ne sont pas

d’ordre public, par la conclusion d’une convention sur la preuve. La jurisprudence décide ainsi

qu’en présence d’un écrit constatant un abonnement téléphonique, il est possible à

l’opérateur de prouver l’existence de sa créance au moyen d’une preuve « auto- constituée »,

tel un relevé de communications. Il appartiendra alors au client de détruire la présomption de

consommation résultant d’un tel document (Cass. civ. 1re, 12 juillet 2005). En l’espèce un

contrat ayant été conclu entre l’opérateur et Jules, ce dernier devra payer la facture de 3 000

euros sauf s’il parvient à démontrer qu’il n’a pas utilisé son téléphone, ce qui paraît bien

difficile…

Loi applicable au vol Jules commet un vol dont la sanction a été aggravée par une loi, après les faits, dont l’application

se veut rétroactive. Une loi pénale plus sévère peut-elle être rétroactive ? La réponse est

négative. La non-rétroactivité des lois pénales plus sévères a une valeur constitutionnelle et

conventionnelle. Aussi, même si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi a priori, il

pourra l’être a posteriori par la Cour de cassation par le biais d’une QPC. Le Conseil

constitutionnel abrogera la disposition anticonstitutionnelle. En outre, dans l’hypothèse peu

probable où le Conseil constitutionnel ne serait pas saisi, la Cour de cassation pourrait, dans le

cadre du contrôle de conventionnalité, refuser d’appliquer la loi contraire à la Convention

européenne. Jules devrait voir juger l’infraction qu’il a commise au regard de la loi ancienne

moins sévère, en vigueur à l’époque de l’infraction, et encourt une peine de prison de 5 ans et

non de 20 ans.

8

Cas pratique à résoudre par les étudiants.

Les mésaventures d’Isabelle Padebulle

En ouvrant son journal quotidien, Isabelle Padebulle, célèbre peintre à l’origine du mouvement

artistique des « noctambules-somnambules », a la mauvaise surprise de voir relatée la dispute qu’elle a

eue avec son ancien amant, le non moins célèbre Edouardo de la Mancha, lors d’une soirée organisée

au restaurant « Jules ». Certes, tout le monde sait que ce couple a rompu, la nouvelle ayant fait, avec

l’accord du couple, la Une de plusieurs magazines à scandale. Mais Isabelle souhaite mettre un terme à

l’étalage public de sa vie sentimentale pour oublier cette douloureuse rupture. En outre, l’article

indique que l’étiquette, qui dépassait involontairement de la chemise d’Isabelle, portait la marque

« Uia ». Isabelle qui se prétend, selon son expression, « Femme dans son Unicité », craint de voir

toutes ses amies arborer les mêmes vêtements qu’elle….. Quel drame ! De plus, elle redoute la ruée

de ses fans au restaurant « Jules », ce qui l’empêcherait d’y venir tranquillement dîner avec sa

nouvelle amante, Alouette. Elle vous demande si elle a des chances d’obtenir réparation de ces

préjudices.

S’énervant contre ce journal, elle entreprend de le déchirer et de faire, avec les morceaux, un

tableau qu’elle nommera « tableau-poubelle ». Prise d’un tic nerveux, elle se blesse grièvement à l’œil

avec les ciseaux. Avant de s’évanouir, elle a le temps de joindre son médecin, le Docteur Lelali, et de

le prévenir qu’elle s’oppose, en tant que membre de « la confrérie des mandibules » - confrérie

qualifiée par certains de secte-, à toute transfusion sanguine. Arrivé sur place, le Docteur Lelali

constate l’état désespéré d’Isabelle Padebulle. Il décide alors de transfuser sa patiente pendant

l’opération qui devait lui sauver la vie. Isabelle Padebulle, à son réveil, n’éprouve aucune gratitude

pour son sauveur et souhaite l’attaquer en justice sur les conseils du « grand maître » de la « confrérie

des mandibules », venu en personne, prendre de ses nouvelles. Quelles sont ses chances de succès ?

Isabelle Padebulle souhaite immédiatement quitter l’hôpital au bras de la belle Alouette dont

elle a fait la connaissance au milieu d’un pugilat. Voici l’histoire, incroyable, de leur rencontre.

Alouette Jetembrasseret a un fils, Corentin, âgé de 2 ans, aujourd’hui en pleine forme alors qu’il y a

deux jours encore, les médecins pronostiquaient son décès imminent… Il faut dire que celui-ci fut

réanimé par miracle, au milieu d’une bagarre survenu à l’hôpital.

Que s’est-il passé ? Reprenons l’histoire du début. Corentin, atteint d’une infection mortelle des

voies respiratoires, dut être hospitalisé en décembre dernier. A la suite de cette intervention, le docteur

Gementête, peu optimiste sur les chances de survie de Corentin mais souhaitant soulager ses douleurs,

discuta avec Alouette Jetembrasseret de la possibilité d’administrer de la diamorphine à son fils.

Pensant que l’administration de diamorphine pouvait compromettre les chances de rétablissement de

Corentin, Alouette Jetembrasseret se déclara opposée à un pareil traitement, précisant au docteur

Gementête que si le cœur de Corentin devait s’arrêter de battre, elle voulait qu’on le réanime. Estimant

que Corentin était en train de mourir, le docteur Gementête lui administra la diamorphine et signa un

ordre de non-réanimation. Le jour suivant, Alouette constata que l’état de son fils s’était détérioré de

façon alarmante et conçut le soupçon que cette dégradation était imputable aux effets de la

diamorphine. Elle demanda l’arrêt du traitement à la diamorphine. Le docteur Gementête déclara que

cela ne serait possible que si Alouette acceptait la non-réanimation de Corentin. Alouette tenta alors

de réanimer son fils et en vint aux mains avec l’équipe soignante. Isabelle Padebulle, alertée par le

bruit de dispute, sortit de sa chambre. Au milieu du pugilat, Corentin atterrit dans les bras d’Isabelle

qui réussit à le réanimer... L’état de Corentin finit même par s’améliorer et l’enfant miraculé rentra

chez lui. Alouette Jetembrasseret souhaite assigner le docteur Gementête en justice. Elle vous

demande quelles sont ses chances de succès, après vous avoir précisé que le Conseil de l’ordre estime

que l’on ne peut pas reprocher au docteur Gementête de faute dans sa décision d’administrer de la

diamorphine, dès lors, qu’eu égard aux données actuelles de la science, les chances de survie de

Corentin étaient nulles…

9

2) Arrêts.

I. Le droit au respect de l’intégrité corporelle.

L’exemple de la maternité pour autrui

Interdire ou autoriser la maternité pour autrui. Document 2. Ass. plén., 31 mai 1991, Bull., n°4 ; GAJC, n°50

Sur le pourvoi dans l'intérêt de la loi formé par M. le Procureur général près la Cour de Cassation:Vu les

articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l'article 353 du même Code ;

Attendu que, la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un

enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps

humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ;

Attendu selon l'arrêt infirmatif attaqué que Mme X..., épouse de M. Y..., étant atteinte d'une stérilité

irréversible, son mari a donné son sperme à une autre femme qui, inséminée artificiellement, a porté et mis au

monde l'enfant ainsi conçu ; qu'à sa naissance, cet enfant a été déclaré comme étant né de Y..., sans indication

de filiation maternelle ;

Attendu que, pour prononcer l'adoption plénière de l'enfant par Mme Y..., l'arrêt retient qu'en l'état actuel des

pratiques scientifiques et des moeurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite

et non contraire à l'ordre public, et que cette adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant, qui a été accueilli et

élevé au foyer de M. et Mme Y... pratiquement depuis sa naissance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption n'était que l'ultime phase d'un processus d'ensemble destiné à

permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant, conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à

sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l'indisponibilité du corps humain et de l'état

des personnes, ce processus constituait un détournement de l'institution de l'adoption, la cour d'appel a violé

les textes susvisés ; par ces motifs : casse et annule mais seulement dans l'intérêt de la loi et sans renvoi, l'arrêt

rendu le 15 juin 1990 par la cour d'appel de Paris .

Document 3 : Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui, Sénat, 27 janvier 2010

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La maternité pour autrui constitue probablement une pratique séculaire permettant de remédier à l'infertilité

d'une femme.

Longtemps tolérée, parce que pratiquée de manière occulte, dans le secret des familles, elle n'en remettait pas

moins en cause l'adage« Mater semper certa est » : la mère, désignée par l'accouchement, était toujours certaine,

à la différence du père. Mais les progrès de la génétique permettent désormais de désigner celui-ci de manière

tout aussi certaine, ce qui constitue en soi une première révolution pour le droit de la filiation, qui peut désormais

s'appuyer sur la vérité biologique dans les deux lignes maternelle et paternelle. Néanmoins, dans la plupart des

États occidentaux, la règle selon laquelle la maternité légale résulte de l'accouchement demeure l'un des

fondements de la filiation, alors que la paternité légale repose encore essentiellement sur un acte de volonté du

père, la vérité biologique n'étant pas vérifiée en l'absence de contestation.

Paradoxalement, les progrès de la génétique qui rendent possible la dissociation entre maternité génétique et

maternité utérine ont ébranlé cette certitude ancestrale. Depuis une vingtaine d'années, les techniques

d'insémination artificielle et de fécondation in vitro permettent en effet à une femme de porter un enfant conçu

en dehors de tout rapport charnel, avec les ovocytes d'une autre femme. Ainsi, ces nouvelles connaissances, qui

donnent la certitude de la filiation biologique, permettent également de contredire les règles de la nature et

contraignent à raisonner autrement en matière de filiation, non plus à partir de ces règles, mais à partir de

principes éthiques.

On distingue ainsi la procréation pour autrui de la gestation pour autrui : dans le premier cas, la femme qui porte

l'enfant est sa mère génétique ; dans le second, elle n'en est que la gestatrice, l'enfant ayant été conçu avec les

gamètes du couple demandeur ou de tiers donneurs. Telle est la raison pour laquelle les expressions génériques

« maternité pour autrui » et « maternité de substitution » sont souvent employées.

10

La gestation et la procréation pour autrui sont des pratiques strictement prohibées en France - la loi de bioéthique

de 1994 les a rendues passibles de sanctions civiles et pénales -, au nom des principes de l'indisponibilité du

corps humain et de l'état des personnes, de la volonté d'empêcher l'exploitation des femmes démunies et de

l'incertitude qui pèse sur leurs conséquences sanitaires et psychologiques pour l'enfant à naître et la femme qui l'a

porté.

En dépit de cette prohibition, de nombreux couples confrontés à la stérilité de la femme (certaines évaluations

font état de 400 couples par an) n'hésitent pas à se rendre à l'étranger, dans les pays où la maternité pour autrui

est légale ou tolérée - principalement dans certains États des États-Unis, du Canada, au Royaume-Uni ou en

Belgique, mais aussi dans des pays d'Europe orientale, Géorgie et Ukraine, notamment. À leur retour en France,

ces couples ne peuvent pas faire inscrire à l'état civil la mère dite « d'intention » et partant, établir la filiation de

l'enfant à l'égard de celle-ci. L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2007 qui avait validé la

transcription sur les registres de l'état civil français des actes de naissance américains de jumelles nées en

Californie en application d'une convention de gestation pour autrui a été récemment cassé par un arrêt de la Cour

de cassation du 17 décembre 2008. Cet arrêt énonce que le ministère public justifiait d'un intérêt à agir en nullité

des transcriptions des actes de naissance californiens qui ne pouvaient résulter que d'une convention portant sur

la gestation pour autrui. Cet arrêt devrait porter un coup sévère aux velléités de tourisme procréatif. Mais il est

certain qu'il n'y mettra pas fin. Et la question reste posée du devenir des jumelles mais aussi de tous les enfants

nés dans ces conditions qui ne pourront pas être les enfants de leur mère, celle qui les a voulus et sans la volonté

de laquelle ils ne seraient pas nés. Avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter, au-delà des règles de

droit sur leur développement psychique et leur devenir d'adulte.

Les travaux du groupe de travail, constitué de seize membres, créé au mois de janvier 2008 par la commission

des affaires sociales et la commission des lois du Sénat sur l'initiative de leurs présidents respectifs MM. Nicolas

ABOUT et Jean-Jacques HYEST, à la suite de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris et sans attendre la révision des

lois de bioéthique qui doit intervenir en 2010, n'en ont que plus d'importance. En effet, il revient au législateur de

se préoccuper de toute urgence du sort de ces enfants.

Les membres de ce groupe de travail se sont tout particulièrement penchés sur la question de la levée ou du

maintien de l'interdiction de la maternité pour autrui, d'une part, et sur celle du sort à réserver aux enfants nés en

violation de la loi française, d'autre part. Après avoir organisé une cinquantaine d'auditions ainsi qu'un

déplacement au Royaume-Uni, la majorité d'entre eux a préconisé d'autoriser, sous des conditions strictes,

la gestation pour autrui1(

*).

* * *

La présente proposition de loi a pour objet de donner une traduction législative à leurs recommandations.

* * *

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

I. Après le chapitre II du titre quatrième du livre premier de la deuxième partie, il est inséré un chapitre III ainsi

rédigé :

« CHAPITRE III

« Gestation pour autrui « Art. L. 2143-1. - La gestation pour autrui est le fait, pour une femme, de porter en elle un ou plusieurs enfants

conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation en vue de les remettre, à leur naissance, à un

couple demandeur selon les conditions et modalités définies au présent titre.

« Art. L. 2143-2. - Peuvent bénéficier d'une gestation pour autrui les couples qui remplissent, outre les conditions

prévues au dernier alinéa de l'article L. 2141-2, celles fixées aux alinéas suivants :

« 1° L'homme et la femme doivent tous deux être domiciliés en France ;

« 2° La femme doit se trouver dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne pouvoir la mener sans

un risque d'une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l'enfant à naître ;

« 3° L'enfant doit être conçu avec les gamètes de l'un au moins des membres du couple.

« Art. L. 2143-3. - Peut seule porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui, la femme majeure, domiciliée en

France et ayant déjà accouché d'un enfant au moins sans avoir rencontré de difficulté particulière durant la

grossesse puis l'accouchement.

« Une femme ne peut porter pour autrui un enfant conçu avec ses propres ovocytes.

11

« Une mère ne peut porter un enfant pour sa fille.

« Une femme ne peut mener plus de deux grossesses pour autrui.

« Art. L. 2143-4. - Les couples désireux de bénéficier d'une gestation pour autrui et les femmes disposées à

porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui doivent en outre obtenir l'agrément de l'Agence de la

biomédecine.

« Cet agrément est délivré après évaluation de leur état de santé physique et psychologique par une commission

pluridisciplinaire dont la composition est fixée par décret.

« Il est valable pour une durée de trois ans renouvelable.

« Tout refus ou retrait d'agrément doit être motivé.

« Art. L. 2143-5. - La mise en relation d'un ou de plusieurs couples désireux de bénéficier d'une gestation pour

autrui et d'une ou de plusieurs femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui ne peut

donner lieu ni à publicité ni à rémunération. Elle ne peut être réalisée qu'avec l'agrément de l'Agence de la

biomédecine.

« Art. L. 2143-6. - Le transfert d'embryons en vue d'une gestation pour autrui est subordonné à une décision de

l'autorité judiciaire.

« Le juge s'assure du respect des articles L. 2143-1 à L. 2143-5.

« Après les avoir informés des conséquences de leur décision, il recueille les consentements écrits des membres

du couple demandeur, de la femme disposée à porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte et, le cas

échéant, celui de son conjoint, de son concubin ou de la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de

solidarité.

« Le juge fixe la somme que les membres du couple demandeur doivent verser à la femme qui portera en elle un

ou plusieurs enfants pour leur compte afin de couvrir les frais liés à la grossesse qui ne seraient pas pris en

charge par l'organisme de sécurité sociale et les organismes complémentaires d'assurance maladie. Cette somme

peut être révisée durant la grossesse. Aucun autre paiement, quelle qu'en soit la forme, ne peut être alloué au titre

de la gestation pour autrui.

« Art. L. 2143-7. - Toute décision relative à une interruption volontaire de la grossesse est prise, le cas échéant,

par la femme ayant accepté de porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui.

« Art. L. 2143-8. - Aucune action en responsabilité ne peut être engagée, au titre d'une gestation pour autrui, par

les membres du couple bénéficiaire de cette gestation, ou l'un d'entre eux, à l'encontre de la femme ayant accepté

de porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte. »

II. L'article L. 1418-1 est ainsi modifié :

1° Après le quinzième alinéa (11°), il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 12° De délivrer les agréments prévus aux articles L. 2143-4 et L. 2143-5 » ;

2° Au début du seizième alinéa, la mention : « 12° » est remplacée par la mention : « 13° ».

III. Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 1418-3, les mots : « et 11° » sont remplacés

par les mots : « , 11° et 12° ».

Article 2

I. Après l'article L. 331-7 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 331-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 331-7-1. - Dans le cas d'une gestation pour autrui conforme au chapitre III du titre quatrième du livre

premier de la deuxième partie du code de la santé publique, la femme qui accouche bénéficie des dispositions

prévues aux articles L. 330-1 à L. 331-4-1.

« L'indemnité journalière de repos prévue à l'article L. 331-3 est accordée à la femme du couple bénéficiaire de

la gestation pour autrui, pendant une période de six semaines à compter de l'arrivée de l'enfant au foyer, à

condition qu'elle cesse tout travail salarié durant la période d'indemnisation. »

II. Après l'article L. 1225-28 du code du travail, il est inséré un article L. 1225-28-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1225-28-1. - Dans le cas d'une gestation pour autrui conforme au chapitre III du titre quatrième du livre

premier de la deuxième partie du code de la santé publique, la femme du couple bénéficiaire de la gestation pour

autrui, lorsqu'elle est salariée, a droit de disposer d'un congé de six semaines après la naissance de l'enfant. »

Article 3

Après l'article 311-20 du code civil, il est inséré un article 311-20-1 ainsi rédigé :

12

« Art. 311-20-1. - Dans le cas d'une gestation pour autrui menée conformément au chapitre III du titre quatrième

du livre premier de la deuxième partie du code de la santé publique, les prénoms, noms, âges, professions et

domiciles des membres du couple ayant bénéficié de la gestation pour autrui sont inscrits sur le ou les actes de

naissance sur présentation, par toute personne intéressée, de la décision judiciaire prévue à l'article L. 2143-6 du

code de la santé publique. La filiation du ou des enfants à leur égard n'est susceptible d'aucune contestation. »

Article 4

L'article 227-12 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « , sans préjudice du chapitre III du titre quatrième du livre

premier de la deuxième partie du code de la santé publique » ;

2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :

« Le non respect des articles L. 2143-4 et L. 2143-5 du code de la santé publique est puni de deux ans

d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »

Article 5

La filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui avant la promulgation de la présente loi peut être établie,

par le tribunal de grande instance, à l'égard de l'homme et de la femme qui remplissaient, au moment de la

naissance, les conditions prévues à l'article L. 2143-2 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de

l'article premier de la présente loi. L'action doit être exercée, par chaque membre du couple, dans un délai de

cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi. Elle n'est pas recevable si une autre filiation a déjà été

établie.

Article 6

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État de l'application de la présente loi sont compensées,

à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code

général des impôts.

* 1 Rapport n° 421 (Sénat, 2007-2008) - http://www.senat.fr/noticerap/2007/r07-421-notice.html

Le statut de l’enfant né à l’étranger d’une mère porteuse.

Document 4. Cass. Civ. 1

re, 6 avril 2011, D. 2011. 1064, obs. X. Labbée; ibid. 1522, note Berthiau et Brunet;

ibid. Pan. 1585, obs. Granet-Lambrechts; ibid. Pan. 1995, obs. Gouttenoire; JCP 2011, no 441, obs. Vialla et

Reynier; AJ fam. 2011. 262, obs. Chénedé; RLDC 2011/82, no 4244, obs. Gallois; RTD civ. 2011. 340, obs.

Hauser.

Trois arrêts ont été rendus le même jour. Un seul est reproduit.

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu que par un jugement du 14 juillet 2000, la Cour suprême de

Californie a conféré à M. X... la qualité de « père génétique » et à Mme

Y..., son épouse, celle de mère légale des

enfants à naître, portés par Mme

B..., conformément à la loi de l'Etat de Californie qui autorise, sous contrôle

judiciaire, le procédé de gestation pour autrui ; que le 25 octobre 2000, sont nées Z... et A... à La Mesa

(Californie) ; que leurs actes de naissance ont été établis selon le droit californien indiquant comme père, M. X...

et comme mère, Mme

Y... ; que M. X... a demandé le 8 novembre 2000 la transcription des actes au consulat de

France à Los Angeles, ce qui lui a été refusé ; qu'à la demande du ministère public, les actes de naissance des

enfants ont été transcrits, aux fins d'annulation de leur transcription, sur les registres de l'état civil de Nantes, le

25 novembre 2002 ; que le 4 avril 2003, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de

Créteil a fait assigner les époux X... pour demander cette annulation ; que l'arrêt de la cour d'appel de Paris

déclarant l'action irrecevable a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 (Bull. civ. I,

n° 289) ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2010) d'avoir prononcé l'annulation de la

transcription des actes de naissance litigieux, alors, selon le moyen : 1°) que la décision étrangère qui reconnaît

la filiation d'un enfant à l'égard d'un couple ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse

n'est pas contraire à l'ordre public international, qui ne se confond pas avec l'ordre public interne ; qu'en

jugeant que l'arrêt de la Cour supérieure de l'Etat de Californie ayant déclaré M. X... « père génétique » et Mme

Y... « mère légale » de tout enfant devant naître de Mme

B... entre le 15 août et le 15 décembre 2000 était

contraire à l'ordre public international prétexte pris que l'article 16-7 du code civil frappe de nullité les

13

conventions portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ; 2°)

qu'en tout état de cause, il résulte de l'article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux

régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont, sous réserve de leur application réciproque par l'autre partie,

une autorité supérieure à celle des lois et règlements ; qu'en se fondant, pour dire que c'était vainement que les

consorts X... se prévalaient de conventions internationales, notamment de la Convention de New York du 26

janvier 1990 sur les droits de l'enfant, sur la circonstance que la loi prohibe, « pour l'heure », la gestation pour

autrui, la cour d'appel, qui a ainsi considéré qu'une convention internationale ne pouvait primer sur le droit

interne, a violé l'article 55 de la Constitution ; 3°) que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants,

l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en retenant que l'annulation de la

transcription des actes de naissance des enfants des époux X... ne méconnaissait pas l'intérêt supérieur de ces

enfants en dépit des difficultés concrètes qu'elle engendrerait, la cour d'appel, dont la décision a pourtant pour

effet de priver ces enfants de la possibilité d'établir leur filiation en France, où ils résident avec les époux X..., a

violé l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant ; 4°) qu'il résulte

des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que là où l'existence d'un lien

familial avec un enfant se trouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer ;

qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X..., la cour d'appel, qui a ainsi privé ces

enfants de la possibilité d'établir en France leur filiation à l'égard des époux X... avec lesquels ils forment une

véritable famille, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; 5°) que dans la

jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 14

interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans

des situations comparables ; qu'en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X... par cela seul

qu'ils étaient nés en exécution d'une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel,

qui a ainsi pénalisé ces enfants, en les privant de la nationalité de leurs parents, en raison de faits qui ne leur

étaient pourtant pas imputables, a violé l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme combiné

avec l'article 8 de ladite Convention ;

Mais attendu qu'est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision

étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci

comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu'en l'état du droit positif, il

est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire

produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-

elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que

dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit que dans la mesure où il donnait effet à une convention de cette

nature, le jugement « américain » du 14 juillet 2000 était contraire à la conception française de l'ordre public

international, en sorte que les actes de naissance litigieux ayant été établis en application de cette décision, leur

transcription sur les registres d'état civil français devait être annulée ; qu'une telle annulation, qui ne prive pas les

enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre

avec les époux X... en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants

au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, non plus qu'à leur intérêt supérieur

garanti par l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs, rejette le pourvoi, condamne les époux X... aux dépens, vu l'article 700 du code de procédure

civile, rejette la demande des époux X...

II. Le droit au respect de l’intégrité morale.

Vie privée et image versus liberté d’information

Document 5. Civ. 1, 3 avril 2002, Bull. civ. I, n°110, Dr. et patrim, janvier 2003, 115, obs. G. Loiseau.

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 16 avril 1999) d'avoir rejeté sa

demande en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la publication, par

l'hebdomadaire " Le Point ", d'un article faisant état de circonstances relevant de sa vie privée ; qu'il

est reproché à la cour d'appel de s'être fondée sur des motifs inopérants, tirés de la publication des faits

litigieux dans la presse contemporaine, de l'absence de gravité de l'atteinte invoquée, et d'avoir omis de

rechercher si le sujet de l'article imposait de faire état des informations litigieuses ;

14

Mais attendu que la cour d'appel a fait ressortir, d'une part, que la rupture du couple constituait, non

plus une révélation sur la vie privée, mais la relation de faits publics, et, d'autre part, le caractère

anodin des indications portant sur les lieux de résidence de Mme X... et sa rencontre au restaurant avec

son époux, ce caractère étant de nature à exclure l'atteinte invoquée ; qu'elle a ainsi légalement justifié

sa décision sur ce point ;

Et sur le second moyen : (Publication sans intérêt) ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

Document 6. Cass. civ. 1re

, 23 avril 2003, D. 2003. 1854 (2 espèces).

1

re espèce

LA COUR : - Attendu que, suite aux retentissements médiatiques de la relation extra-conjugale entretenue en

août 1996 par le mari de Stéphanie G..., princesse de M..., avec une « strip-teaseuse », l'hebdomadaire Paris

Match daté du 12 septembre 1996 a annoncé en couverture puis publié sur plusieurs pages un article

essentiellement consacré aux réactions et sentiments supposés de l'épouse, et illustré de onze photographies ; que

celle-ci a assigné la société éditrice Cogedipresse en dommages-intérêts pour atteintes à ses droits sur sa vie

privée et sur son image, et en publication de la condamnation dans un prochain numéro du magazine ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe : -

Attendu que, pour retenir l'atteinte à la vie privée, la cour d'appel (CA Versailles, 2 novembre 2000) a relevé

que, si l'incartade de l'époux avait constitué un événement d'actualité dont l'hebdomadaire pouvait légitimement

rendre compte, les titres de couverture « Stéphanie humiliée... rupture ou pardon, la princesse meurtrie hésite

encore », et, à l'intérieur, « Stéphanie, après l'affront, l'explication » constituaient une extrapolation non

nécessaire à l'information des lecteurs et un détournement de l'objectif d'information ; qu'elle a, par là même,

justifié l'équilibre qu'elle expose avoir recherché, à travers les sanctions prononcées, entre la liberté de

l'information et le droit de chacun au respect de sa vie privée et familial ; que par ailleurs, l'atteinte à ce dernier

principe est indépendante du mode compassionnel, bienveillant ou désobligeant sur lequel elle est opérée ; d'où il

suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen, pris en ses deux branches, pareillement énoncé et reproduit : - Attendu que pour retenir

l'atteinte à l'image, la cour d'appel, après avoir souverainement estimé qu'une participation volontaire de la

plaignante aux photographies n'était pas établie, a relevé que plusieurs avaient été prises au téléobjectif, les unes

dans un club privé en compagnie de son époux et témoignant du désarroi et des émotions les plus intimes qu'elle

éprouvait, les autres dans un jardin privé où elle se trouvait en compagnie de son frère et assorties du

commentaire le jour du scandale, Albert est là et console sa soeur ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision,

appréciant souverainement les modalités propres à assurer la réparation intégrale de la violation constatée ;

Par ces motifs, rejette ...

2

e espèce

LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu qu'un article intitulé « Saga : les Aga

X... », publié dans un numéro du magazine « Femme », s'achevait en énonçant que le prince Karim X..., son

actuel représentant, « à 58 ans, en se séparant de son épouse pour les beaux yeux d'une jeune latino-américaine,

semble renouer avec la tradition de scandale qui a toujours entouré sa famille » ; qu'estimant cette conclusion

attentatoire à l'intimité de sa vie privée par l'évocation de son divorce et son imputation à une liaison extra-

conjugale, l'intéressé a assigné l'auteur et l'éditeur ;

Attendu que M. Karim X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (CA Versailles, 25 mai 2000), d'une part,

d'avoir rejeté sa demande par le motif inopérant que les limites de la vie privée s'apprécient moins strictement à

l'égard d'un personnage public, et, d'autre part, au prix d'une contradiction entre la constatation que l'article

litigieux présentait sa liaison comme la cause de son divorce et l'observation qu'il ne comportait aucune

digression sur les circonstances personnelles réelles ou supposées de l'événement, violant ainsi les articles 9 du

15

code civil, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 455 du nouveau code de procédure civile ; -

Mais attendu que la cour d'appel a, d'une part, relevé qu'à la date de la publication, le divorce était un fait

d'actualité, officiel et notoire, dont le rappel n'excédait pas les limites de la liberté d'information, et, d'autre part,

a pu estimer que l'expression « pour le beaux yeux d'une jeune latino-américaine », en l'espèce dénuée de toute

malveillance, ne pouvait, par son caractère lapidaire et allusif, constituer davantage l'atteinte alléguée ; qu'elle a

ainsi légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs, rejette ...

Document 7. Civ. 1re

, 9 juillet 2003, Bull. civ. I, °172, D. 2004. 1633, obs. C. Caron.

Attendu que, suite à la disparition mystérieuse des époux X... et de leurs enfants, affaire alors très médiatisée et

en cours d'information judiciaire, "Le Figaro littéraire", supplément hebdomadaire du quotidien de même nom, a,

le 6 juillet 2000, annoncé la parution, en quatre épisodes, d'une "série de l'été", rédigée par Mme Y... et intitulée

"Le roman vrai du docteur X..." ; que le même numéro, diffusant immédiatement le premier article, indiquait le

titre du deuxième, "La maison de Tilly", et sa parution la semaine suivante ;

Attendu que M. Z..., représentant légal de ses enfants mineurs Fanny et Léo Z..., nés du premier mariage de

Mme X..., soutenant qu'étaient attentatoires à la vie privée de sa fille et de son fils certains développements de la

publication déjà intervenue, a obtenu en référé, le 12 juillet 2000, l'interdiction des trois autres, assortie d'un

ordre de saisie en tous lieux du journal qui les contiendrait ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société "Le Figaro" et Mme Y... font grief à la cour d'appel (Caen, 21 juillet 2000) d'avoir admis

la recevabilité de l'action des enfants Z... en prenant indivisément en considération la méconnaissance de leur vie

privée mais aussi celle de leur mère et l'intimité de leur vie familiale, violant ainsi l'article 9 du Code civil qui

réserve le droit d'agir à la seule personne visée par l'atteinte ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir relevé les éléments du premier épisode l'ayant conduit à retenir, à travers les

révélations faites sur Mme X..., une immixtion dans la vie privée de ses enfants, a exactement déduit que ces

derniers en retiraient qualité pour agir sur le fondement du texte susvisé ; que le moyen est inopérant ;

Et sur le second moyen :

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de

l'homme, alors, selon le moyen, que l'interdiction faite à la société du Figaro de poursuivre les publications

annoncées ne constitue pas, au sens de ce texte, une mesure en proportion avec l'atteinte retenue, l'interdiction

d'une publication ne pouvant être ordonnée en référé que si l'atteinte portée à la vie privée présente un caractère

intolérable et cause un dommage que l'allocation ultérieure de dommages-intérêts par le juge du fond ne saurait

compenser, et les constatations faites n'établissant pas l'exceptionnelle nécessité d'une censure préalable ;

Mais attendu que les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8

et 10 de la Convention européenne et 9 du Code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge

saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus

légitime ; que la cour d'appel a retenu que la divulgation d'éléments attentatoires à la vie privée de Fanny et Léo

Z... sous la forme d'un feuilleton estival était illicite, comme répondant non à un besoin légitime d'information du

public mais au seul agrément des lecteurs, et ne relevait pas davantage du droit du journaliste ou écrivain de

commenter des affaires en débat judiciaire public, même si la disparition des époux X... et de leurs deux enfants

l'avait abondamment été dans la presse écrite et radio-télévisée ; qu'indépendamment de considérations erronées

mais surabondantes, et statuant en référé, elle a pu estimer que, relativement aux faits dramatiques dont elle était

saisie, le respect de la vie privée s'imposait avec davantage de force à l'auteur d'une oeuvre romanesque qu'à un

journaliste remplissant sa mission d'information, que l'urgence liée à la parution imminente des articles à venir

l'autorisait à prendre toute mesure pour éviter que ne se reproduise l'atteinte à l'intimité des plaignants, et que, si

la société Le Figaro avait estimé ne pas devoir en communiquer le contenu, le titre déjà dévoilé du deuxième

épisode désignait une maison du ménage X... qui était aussi celle des enfants Z..., leur soumission à un régime de

16

garde alternée faisant qu'ils s'y rendaient régulièrement, de sorte que l'unique moyen d'empêcher une nouvelle

violation de leur intimité était de faire défense au journal de poursuivre les publications prévues ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Document 8. CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin,

et 2004. 2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude

J.-P. Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv.

2005, obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.

Arrêt de la CEDH non reproduit en raison de sa longueur. Seule une note d’un auteur

(J-F. Renucci) analysant l’arrêt vous est fournie. Mais vous pouvez prendre la bonne

habitude d’accéder aux arrêts en vous rendant sur le site de la Cour :

http://www.echr.coe.int/ECHR/Homepage_Fr/.

Sommaire :

Il y a eu violation de l'art. 8 de la Convention, faute pour les juridictions allemandes d'avoir établi un juste

équilibre entre les intérêts de la princesse de Monaco au respect de sa vie privée et ceux de deux maisons

d'édition ayant fait paraître trois séries de photographies. Parmi ces photographies, celles montrant la princesse

de Monaco à cheval, faisant ses courses, au cours de vacances de ski, avec le prince Ernst August von Hannover

lors d'un concours hippique ou jouant au tennis, enfin, au Beach Club de Monte-Carlo (alors qu'elle trébuchait

sur un obstacle), se rapportaient « exclusivement à des détails de sa vie privée ». Le public n'avait pas un intérêt

légitime à savoir où la princesse se trouvait et comment elle se comportait dans sa vie privée. La requérante

aurait dû bénéficier d'une « espérance légitime » de protection de la vie privée qui n'a pas été satisfaite par les

critères, trop vagues et trop difficiles à déterminer à l'avance, de la jurisprudence allemande.

Jean-François Renucci, « La liberté d'expression n'est pas sans limites », D. 2004.2538. :

La liberté d'expression, qu'il s'agisse de la liberté d'opinion ou de la liberté d'information, a une importance

majeure et ce point ne saurait être contesté : c'est bien évidemment une liberté essentielle puisque c'est, à la fois,

le fondement de toute société démocratique et l'une des conditions primordiales de son progrès et de

l'épanouissement de chacun (J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l'homme, LGDJ, coll. Manuel, 3e éd.,

2002, n° 65 et les réf. ; cf. not., CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, série A, n° 24, § 49).

Toutefois, cette liberté, aussi importante soit-elle, ne peut être sans limites et les juges européens viennent

opportunément de le rappeler en se prononçant en faveur de SAR la Princesse de Hanovre. Cet arrêt est

particulièrement important car il semble mettre un coup d'arrêt à une évolution tendant à sacraliser la liberté

d'expression. Jusqu'à présent, en effet, la force de cette liberté était telle qu'elle avait la primauté face aux autres

droits fondamentaux dont la protection de la vie privée : entre l'art. 10 et l'art. 8 de la même Convention, l'art. 10

l'emportait (cf. J.-F. Renucci, op. cit., p. 125 ; F. Sudre, Droit international et européen des droits de l'homme,

PUF, coll. Droit fondamental, 6e éd., 2003, p. 425).

Cette évolution était assurément excessive, d'autant plus que ses effets pervers éventuels sont de nature à mettre

en danger d'autres droits tout aussi fondamentaux. La présente affaire permet ainsi de rétablir un équilibre entre

les différents intérêts en présence, ce dont on ne peut que se réjouir. En l'espèce, la Princesse a saisi en vain les

juridictions allemandes en vue de faire interdire toute nouvelle publication de photos parues dix ans auparavant

dans des magazines allemands, au motif que cela portait atteinte à son droit à la protection de la vie privée. La

Cour constitutionnelle allemande fit droit partiellement à sa demande en interdisant la publication des photos où

elle apparaissait en compagnie de ses enfants, le besoin de protection de la sphère privée de ces derniers étant

plus étendu que celui des adultes ; en revanche, cette même juridiction estima que la requérante, parce qu'elle

une personnalité « absolue » de l'histoire contemporaine, devait tolérer la publication de photos où elle se

montrait dans un lieu public, même s'il s'agissait de photos de scènes de sa vie quotidienne et non de photos la

montrant dans l'exercice de ses fonctions représentatives. Cette argumentation a été rejetée par la Cour

européenne des droits de l'homme qui a jugé, à l'unanimité, qu'il y avait là une violation du droit à la protection

de la vie privée de SAR la Princesse de Hanovre.

17

L'applicabilité de l'art. 8 ne faisait aucun doute. Selon la jurisprudence de la Cour, la notion de vie privée

comprend des éléments se rapportant à l'identité d'une personne tels que le nom d'une personne (CEDH 22 févr.

1994, Burghartz c/ Suisse, série A, n° 280-B, § 24 ; D. 1995, Jur. p. 5, note J.-P. Marguénaudou son droit à

l'image (CEDH 21 févr. 2002, Schüssel c/ Autriche, req. n° 42409/98). Par ailleurs, comme le rappellent à juste

titre les juges européens dans la présente affaire, l'un des buts de l'art. 8 est d'assurer le développement, sans

ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables (cf. mutatis

mutandis, CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, série A, n° 251-B, § 29 ; D. 1993 Somm. p. 386, et nos

obs.) : il existe donc bien une zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un contexte public,

peut relever de la vie privée (§ 50).

La violation de l'art. 8 en l'espèce était également certaine. Certes, l'Etat en cause n'avait pas porté directement

atteinte au droit garanti par l'art. 8, mais les Etats ont également des obligations positives puisqu'ils doivent

prendre les mesures nécessaires pour protéger efficacement les droits fondamentaux, y compris dans les relations

des individus entre eux (cf. not., F. Sudre, Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits

de l'homme, RTDH 1995, p. 363). C'est dire que cette protection de la vie privée doit être mise en balance avec

la liberté d'expression garantie à l'art. 10. Or, en l'espèce, les photos de la Princesse parues dans les différents

magazines la représentent, seule ou accompagnée, dans des scènes de sa vie quotidienne, donc dans des activités

purement privées (activités sportives, promenades, sorties au restaurant...). Il est vrai qu'en tant que membre de

la famille princière monégasque, son rôle de représentation est certain lors de manifestations culturelles ou de

bienfaisance, mais il est important de souligner que la Princesse n'exerce aucune fonction au sein ou pour le

compte de l'Etat monégasque. Cette précision est capitale car la Cour européenne fait une distinction entre, d'une

part, un reportage relatant des faits, même controversés, pouvant contribuer à un débat dans une société

démocratique et concernant des personnalités politiques dans l'exercice de leurs fonctions officielles, et, d'autre

part, un reportage sur les détails de la vie privée d'une personne qui, de surcroît, comme en l'espèce, ne remplit

pas ces fonctions (CEDH 26 nov. 1991, Observer-Guardian c/ Royaume-Uni, série A, n° 216 ; Rev. science

crim. 1992, p. 370, obs. L.-E. Pettiti) : comme l'ont indiqué les juges européens, si dans le premier cas la presse

joue son rôle essentiel de « chien de garde » dans une démocratie en contribuant à communiquer des idées et des

informations sur des questions d'intérêt public, il en va tout autrement dans le second cas (§ 63) où la liberté

d'expression appelle une interprétation moins large. Dans la présente affaire, les photos publiées et les

commentaires les accompagnant se rapportent exclusivement à des détails de la vie privée de la requérante : cette

publication, dont l'unique objet était de satisfaire la curiosité d'un certain public sur des détails de la vie privée,

sans oublier l'intérêt commercial des magazines incriminés, ne saurait passer pour contribuer à un quelconque

débat d'intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante. La Cour européenne rappelle ainsi à

juste titre que toute personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d'une « espérance légitime

» de protection et de respect de sa vie privée.

C'est dire que l'arrêt rendu par la Cour nous parait absolument irréprochable, tant sur le plan de la rectitude

juridique que sur celui du sentiment de justice. Cette solution, particulièrement bien argumentée et équilibrée,

doit être approuvée sans réserves.

Document 9. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c/Allemagne - CEDH, 7 févr. 2012, n° 40660/08,

Von Hannover c/ Allemagne, D. 2012. 1040, note J.-F. Renucci

Sommaire : La Cour constate que les juridictions nationales ont procédé à une mise en balance circonstanciée du droit des

sociétés d'édition à la liberté d'expression avec le droit des requérants au respect de leur vie privée. Elles ont

attaché une importance primordiale à la question de savoir si les photos, considérées à la lumière des articles les

accompagnant, avaient apporté une contribution à un débat d'intérêt général.

La Cour conclut que lesdites juridictions n'ont pas manqué à leurs obligations positives au titre de l'article 8 de la

Convention (droit au respect de la vie privée et familiale). Partant, il n'y a pas eu violation de cette disposition.

Jean-François Renucci, « La CEDH et l'affaire « Von Hannover (n° 2) » : un recul fort contestable du

droit au respect de la vie privée », D. 2012.1040

Selon une jurisprudence constante et logique de la Cour européenne des droits de l'homme, la couverture

médiatique des activités de personnalités n'est acceptable que si elle correspond à un « débat ou un événement

18

d'intérêt général ou de l'histoire contemporaine » et s'il y a un équilibre raisonnable avec le droit au respect de la

vie privée. C'est précisément cet équilibre, pourtant atteint dans la première affaire « Von Hannover » en 2004

(1), qui vient d'être rompu dans la seconde affaire « Von Hannover » que vient de juger la grande chambre : cela

est fort regrettable, d'autant plus que, comme l'a opportunément rappelé l'Assemblée parlementaire, il est

nécessaire de trouver la façon de permettre l'exercice équilibré de deux droits fondamentaux également garantis

par la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir le droit au respect de la vie privée (art. 8) et le

droit à la liberté d'expression (art. 10) (2). La jurisprudence européenne a d'ailleurs clairement affirmé - et à juste

titre - que ces deux droits méritent une égale protection (3), d'où l'étonnement quant à la solution retenue dans la

présente affaire.

Depuis de nombreuses années, S.A.R. la Princesse de Hanovre s'efforce de faire interdire dans la presse des

photos relevant de sa vie privée, ce qui est bien légitime. C'est ainsi qu'à la suite de certaines publications,

l'Allemagne a été condamnée en 2004 par la Cour européenne pour violation de l'article 8 de la Convention :

l'arrêt rendu à l'époque, bien motivé et équilibré, reconnaissait enfin que même les personnalités publiques,

fussent-elles de grande notoriété, avaient droit au respect de leur vie privée. Dans cette première affaire « Von

Hannover », la Cour rappelait, à juste titre, que le droit au respect de la vie privée comprend le droit à l'image et

qu'il existe une « zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever

de sa vie privée » : cette protection doit être mise en balance avec la liberté de la presse qui, pour être une

garantie essentielle, n'est pas pour autant absolue et connaît des limites ; par conséquent, les éventuelles

publications ne sont possibles que si elles contribuent au « débat d'intérêt général » et, même connue du grand

public, toute personne doit pouvoir bénéficier d'une « espérance légitime » de respect de sa sphère intime. Nous

avions approuvé sans réserve cet arrêt qui, tout en protégeant de façon équilibrée les différents intérêts en

présence, rappelait opportunément que si la liberté de la presse revêt une importance considérable que nul se

saurait contester, elle ne doit pas pour autant occulter les autres droits garantis par la Convention, dont le droit au

respect de la vie privée.

C'est d'ailleurs en se prévalant de cet arrêt que diverses procédures ont été ultérieurement engagées devant les

juridictions allemandes pour faire interdire la publication d'autres photos prises à l'insu des intéressés pendant

leurs vacances et publiées dans différents magazines. LL.AA.RR. la Princesse et le Prince de Hanovre ont saisi

la Cour européenne, dénonçant, sous l'angle du droit au respect de la vie privée, le refus des juridictions

d'interdire toute nouvelle publication des photos litigieuses, ne tenant pas ainsi suffisamment compte de la

jurisprudence européenne. Saisie de la difficulté, la grande chambre a, de façon très surprenante, estimé que

l'article 8 n'a pas été violé, validant l'argumentation des juges allemands qui, tout en reconnaissant que les photos

ne portaient pas sur un événement d'intérêt général, ont cependant jugé que leur publication était possible car elle

contribuait au débat d'intérêt général en raison d'un texte accompagnant l'une d'elles et faisant état de la santé de

S.A.S. le Prince Rainier, alors Prince Souverain de Monaco. Cette approche est particulièrement critiquable car

nous sommes dans un cadre strictement privé, hors de toute activité officielle. S'il suffit de mentionner

(habilement) une simple indication concernant le Prince Souverain, laquelle deviendrait mécaniquement d'intérêt

général, pour que le droit à la vie privée de ses proches s'efface devant la liberté de la presse, autant dire que la

vie privée n'est plus protégée : il sera alors très facile de publier des photos ou des écrits attentatoires au droit

garanti par l'article 8 de la Convention. Avec cette analyse globalisante désormais consacrée, une certaine presse

pourra rendre compte en permanence, de façon abusive et en toute impunité, de la vie privée des requérants, sans

que cela ait une réelle valeur informative. C'est dire que les personnalités qui jouissent d'une grande notoriété ne

bénéficient plus réellement de la protection de leur vie privée : leur « espérance légitime » de respect de leur

sphère intime, jadis consacrée, a volé en éclats, à tel point que l'on peut se demander, pour reprendre l'excellente

formule de l'une de nos collègues, si ces personnalités ne sont pas en train de perdre aussi « toute espérance

légitime de protection européenne » (4).

Ainsi donc, après avoir fait un pas en avant avec la première affaire « Von Hannover » en protégeant

efficacement la vie privée dans le respect de la liberté de la presse avec ce critère du « débat d'intérêt général »

qui, seul, légitime toute publication, la Cour fait deux pas en arrière avec la seconde affaire « Von Hannover ».

Certes, les apparences sont sauves puisque le critère du « débat ou de l'événement d'intérêt général ou de

l'histoire contemporaine » est maintenu (5). Mais la réalité est tout autre car ce critère est largement vidé de sa

substance dès lors que pour faire passer des informations attentatoires à la vie privée (qui est l'objectif premier

dans une logique la plupart du temps commerciale), il suffit de glisser subrepticement une information présentée

comme d'intérêt général (et dont l'unique objectif est d'être le prétexte permettant de valider l'opération) : la

notion de « débat d'intérêt général », qui était une notion protectrice de la vie privée, devient alors une coquille

vide. Dans la présente affaire il s'agit bien d'un simple prétexte, d'autant plus que les journalistes se sont

contentés d'évoquer la maladie du Prince Souverain (qui d'ailleurs, en soi, relève de la vie privée) sans même

insister sur les éventuelles conséquences de cette maladie sur la gouvernance de la Principauté (qui, elles,

19

auraient pu être considérées comme une information d'intérêt général). En réalité, la maladie du Prince, telle que

présentée par les magazines en cause, n'était pas une information d'intérêt général mais un alibi pour étaler la vie

privée des requérants en toute impunité. Ce qui est encore plus critiquable, c'est qu'en l'espèce les proches de

S.A.S. le Prince Souverain n'ont pas d'échappatoire et sont véritablement pris au piège : lorsque des photos les

montrent en sa présence, « l'événement d'intérêt général ou de l'histoire contemporaine » est la visite, et s'ils

sont ailleurs, ledit événement est alors leur absence ; c'est dire qu'en toute hypothèse, cela s'intègre

nécessairement dans un « débat d'intérêt général » qui permet donc une publication. C'est absurde, dangereux et

injuste. On ne peut donc qu'être déçus par l'arrêt que vient de rendre la grande chambre, déception d'autant plus

grande qu'elle est à la hauteur de l'espoir qu'avait suscité la première affaire « Von Hannover ». La solution

retenue est d'autant plus regrettable que les requérants n'ont jamais cherché à étaler leur vie privée dans les

médias, bien au contraire, et qu'ils se trouvent dans une situation permanente d'observation, de harcèlement et

même de persécution par les paparazzi.

C'est, en définitive, un très mauvais signal qui est ainsi envoyé par la Cour européenne, surtout à une époque où

les risques d'intrusion dans la vie privée des personnalités ont tendance à s'accroître, non seulement en raison de

l'esprit mercantile de personnes peu scrupuleuses, mais aussi grâce au développement de techniques aussi

performantes qu'intrusives et à disposition du plus grand nombre. Il ne reste plus qu'à souhaiter un retour rapide

à une solution plus équilibrée, en harmonie d'ailleurs avec les exigences européennes puisque la Cour rappelle

sans cesse, et avec raison, depuis l'affaire « Airey » que les droits garantis par la Convention ne doivent pas être «

théoriques et illusoires », mais « effectifs et concrets » (6) : la formule est belle mais elle n'est pertinente que si

elle s'applique à tous les droits garantis et pas seulement à certains d'entre eux. L'arrêt « Von Hannover (n° 2) »

peut aussi être critiqué sur le plan de la cohérence puisqu'il privilégie clairement la liberté de la presse (7) au

détriment du droit au respect de la vie privée, après avoir pourtant indiqué que ces deux droits méritent un égal

respect.

Un arrêt rendu pratiquement au même moment par la Cour pourrait cependant nous rassurer dans la mesure où il

précise que, si la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique,

l'article 10 de la Convention ne garantit pas à la presse une liberté sans aucune restriction, même quand il s'agit

pour elle de rendre compte de questions sérieuses d'intérêt général (8) : c'est déjà le signe que les juges

européens n'entendent pas accorder une priorité permanente à la liberté d'expression ; espérons que ce sont aussi

les prémices d'un retour à des solutions plus équilibrées car il est capital que les droits fondamentaux soient

protégés de manière égale, un déséquilibre au détriment de la vie privée étant particulièrement injuste et

inacceptable (9).

La notion de « débat d'intérêt général », actuellement en partie vidée de sa substance, doit être refondée : c'est

une exigence impérieuse tant il est vrai qu'elle est la boussole qui permet l'équilibre en protégeant le droit au

respect de la vie privée tout en assurant celui de la liberté d'expression. Le principe doit assurément être celui de

l'illicéité de toute atteinte à la vie privée, une révélation ne pouvant être qu'exceptionnelle et strictement encadrée

dans le cadre de l'information légitime du public. Comme cela a été remarqué, les médias ne peuvent plus

considérer que toute apparition d'une personne célèbre constitue un événement dont il est possible de rendre

compte, car cela équivaudrait à l'exposer à une traque permanente et à transformer le droit au respect de la vie

privée en une obligation de rester caché (10). Il est évident que si l'intérêt du public et l'intérêt commercial de la

presse doivent s'effacer devant la protection effective de la vie privée (11), cela est encore plus vrai quand il

s'agit, comme en l'espèce, de diffusion non pas d'idées mais d'images contenant des informations très

personnelles, voire intimes. Enfin, on observera que même si certains pays comme la France protègent la vie

privée, notamment en imposant une autorisation préalable pour toute photo hors événement officiel, ce n'est pas

le cas dans d'autres, de sorte que la protection peut être contournée, les photos litigieuses pouvant être prises

dans ces « pays protecteurs » mais vendues et diffusées dans ceux qui le sont moins... C'est précisément ce qui

s'est passé dans la présente affaire et l'on regrettera d'autant plus que la Cour européenne n'ait pas saisi l'occasion

pour éviter ces effets pervers en assurant une protection effective et harmonieuse de la vie privée dans l'ensemble

des Etats membres du Conseil de l'Europe. Sans doute la Cour européenne a-t-elle été sensible à la nouvelle

jurisprudence de la Cour fédérale de justice, souhaitant par là-même valoriser l'interaction juridictionnelle : mais

s'il a été tenu compte, dans une certaine mesure, des enseignements de la première affaire « Von Hannover », les

juges ne sont pas pour autant allés aussi loin qu'il le fallait et certainement pas jusqu'au bout de la nouvelle

logique, laquelle aurait dû conduire, à notre sens, à un constat de violation de l'article 8 de la Convention.

20

(1) CEDH 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/ Allemagne, D. 2005. 340, note J.-L. Halpérin, et 2004.

2538, obs. J.-F. Renucci ; AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; Mélanges Aubert, 2005, p. 441, étude J.-P.

Gridel ; RTD civ. 2004. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2004. I. 161, n° 8, obs. F. Sudre ; LPA 6 janv. 2005,

obs. E. Derieux ; JDI 2005. 521, obs. A. Guedj ; RDP 2005. 781, obs. C. Picheral.

(2) Résol. 1165 (1998) de l'APCE sur le droit au respect de la vie privée, pt 10.

(3) CEDH 23 juill. 2009, n° 12268/03, Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c/ France, § 41, AJDA 2009.

1936, chron. J.-F. Flauss; RTD civ. 2010. 79, obs. J. Hauser; 12 oct. 2010, n° 28999/03, Timciuc c/ Roumanie, §

144 ; 10 mai 2011, n° 48009/08, Mosley c/ Royaume-Uni, § 111, D. 2011. 1487

(4) N. Fricero, obs. ss. l'affaire Hachette Filippacchi Associés, préc., Procédures 2009. Comm. 316.

(5) Tout comme d'ailleurs la référence à la « zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un

contexte public, peut relever de sa vie privée », V. § 95 de l'arrêt.

(6) CEDH 9 oct. 1979, n° 6289/73, Airey c/ France, § 26. V. J.-F. Renucci, Droit européen des droits de

l'homme, 4e éd., Manuel LGDJ, 2010, n° 20, et les réf.

(7) En ce sens, K. Blay-Grabarczyk, Précision des critères de résolution de conflit entre liberté d'expression et

protection de la vie privée, JCP 2012. 292.

(8) CEDH 24 janv. 2012, n° 32844/10 et n° 33510/10, Seckerson c/ Royaume-Uni et Times Newspapers c/

Royaume-Uni, § 38 et 39.

(9) Bien au contraire, pourrions-nous ajouter, V. A. Guedj, La presse « people » face à la Cour européenne des

droits de l'homme, Légipresse 2004. II. 137 s., spéc. 141, où l'auteur estime que la vie privée a une valeur

supérieure à la liberté d'information.

(10) E. Dreyer, Le respect de la vie privée, objet d'un droit fondamental, CCE 2007. Etude 18. V. aussi B.

Beignier, La protection de la vie privée, in Libertés et droits fondamentaux, 17e éd., 2011, p. 197 s., qui rappelle

opportunément que la vie privée n'est pas la vie à huis clos à son domicile, pas plus qu'elle n'est un succédané de

la réclusion criminelle (spéc. n° 302).

(11) F. Sudre, obs. ss. l'affaire Von Hannover de 2004, préc

Document 10. CEDH, Hachette FilippacchiC/ France, 23 juillet 2009, n°12268/03

Arrêt ici reproduit mais coupé. Que ce soit l’occasion pour vous de relever la différence qui existe entre les

arrêts de la Cour de cassation, extrêmement concis, et ceux de la CEDH.

(…) EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante, « Hachette Filipacchi Associés », est une société en nom collectif de droit français, ayant son

siège social à Levallois-Perret, en France. Elle est éditrice du magazine hebdomadaire Ici Paris.

1. La genèse de l’affaire

6. Dans son édition no 2680 du 13 novembre 1996, la requérante publia en pages 14 et 15 un article intitulé « Et

s’il faisait un « bide » à Las Vegas ? Johnny l’angoisse ! », illustré de quatre photographies du chanteur

populaire Johnny Hallyday, l’une le représentant sur scène et les autres, à caractère publicitaire, vantant des

produits pour lesquels il avait autorisé l’usage de son nom et de son image (chocolat, canapé, boissons, eau de

toilette, poupée mascotte, briquet, etc.).

Cet article, sur dix colonnes, faisait référence au concert que l’intéressé devait donner le 24 novembre 1996 à

Las Vegas, et mettait en exergue les phrases suivantes :

« Blousons, canapés, tee-shirts, parfums, bouteilles de vin et chocolat ... Il s’affiche sur n’importe quoi pour

sauver La Lorada [le nom de sa villa provençale sur les hauteurs de Ramatuelle, dans le Var].

Sa vie n’a jamais été un long fleuve tranquille, certes, mais aujourd’hui, c’est un véritable coup de tonnerre qui

s’abat sur Johnny Hallyday. A cinquante trois ans, « Jojo » n’a à nouveau plus un sou. Et pour cause. En trente-

huit ans de carrière, huit cents chansons, cent millions de disques vendus et quatre cents tournées, le rocker n’a

pas réussi à économiser un seul centime. Tout est parti en voyages (de noces et autres), en motos, en fêtes

21

somptueuses, bref, en folies et en fumée ! Alors, pour se renflouer, Johnny a trouvé la solution : il vend son

image et son nom. Suivez le guide ...

A 53 ans, l’idole est obligé de brader son image.

Même en chantant jusqu’à 110 ans, il n’arriverait pas à payer ses dettes, disent ses amis. »

2. La phase contentieuse devant les juridictions judiciaires

7. Le 4 mars 1997, M. Smet, dit Johnny Hallyday, assigna la société éditrice à comparaître le 28 mai 1997, aux

fins de la voir condamner au paiement de 6 500 000 francs de dommages-intérêts et à la publication du jugement

en page de couverture, sous astreinte. Il releva tout d’abord qu’il n’avait pas autorisé la publication des

photographies et que sa notoriété ne saurait entraver l’exclusivité des droits qu’il détenait sur son image. Il

prétendit ensuite qu’en le présentant faussement au bord de la ruine et en faisant état de ses goûts dispendieux

(notamment l’achat de sa maison La Lorada, et de son bateau baptisé Wild Eagle II qui aurait coûté 10 millions

de francs) et de ses revers de fortune, l’article en cause violait le droit au respect de sa vie privée prévu par

l’article 9 du code civil ; en tout état de cause, il estima que la simple révélation de ces éléments, même si leur

véracité était démontrée, constituait une atteinte injustifiée à ce droit. Il allégua enfin une atteinte à sa réputation

dans la mesure où, en précisant les gains procurés par chacun des produits qu’il aurait commercialisés, l’article

minimisait délibérément l’intérêt qu’il portait à ses fans.

8. En défense, la requérante fit valoir que l’article incriminé portait une appréciation critique sur la

multiplication des activités annexes auxquelles se livrait le chanteur et rapprochait celle-ci des acquisitions

luxueuses qu’il avait effectuées. Elle soutint que le chanteur entretenait l’image de l’inévitable endetté et cita à

cet égard ses propres mémoires autobiographiques édités en trois volumes (le premier en juillet 1996, le second

en décembre 1996 et le troisième en mai 1997) dans lesquels il s’étendait longuement sur cette question. Elle

estima que Johnny Hallyday ne pouvait invoquer la protection de l’article 9 du code civil, dès lors qu’il dévoilait

des éléments de sa vie privée. Elle prétendit que les photographies illustraient sans excès le contenu de l’article

et que la dérive commerciale de l’activité du chanteur était dénoncée dans l’intérêt de celui-ci et sans volonté de

dénigrement.

a) Devant le tribunal de grande instance de Paris

9. Le tribunal de grande instance de Paris rendit son jugement le 2 juillet 1997, rejetant la quasi-totalité des

demandes du plaignant.

Sur l’atteinte au droit à l’image, le tribunal considéra qu’en prêtant son image à des supports publicitaires, le

chanteur en avait implicitement autorisé la reproduction, et qu’il n’était pas fondé à se plaindre de la

photographie prise alors qu’il se trouvait sur scène. Il estima que seule la publication du cliché le représentant

assis sur un canapé nécessitait son accord, mais que l’atteinte portée à ses droits du fait de cette reproduction

illicite n’avait pu lui causer qu’un préjudice de principe qui pouvait être réparé par l’allocation de 5 000 francs

(environ 752 euros).

Sur l’atteinte à la vie privée et à la réputation professionnelle, le tribunal estima d’abord que l’article litigieux ne

comportait aucune révélation sur la vie privée de Johnny Hallyday, les allusions à la propriété La Lorada ou au

bateau que possède le chanteur ne pouvant être considérés comme des indiscrétions touchant à la sphère protégée

de l’article 9 du code civil dès lors que l’intéressé n’avait jamais caché l’existence de ces éléments de son

patrimoine et les avait même évoqués dans son autobiographie. Le tribunal ajouta qu’en relatant dans cet

ouvrage intitulé Johnny Hallyday Destroy la manière dont il avait vécu en dépensant sans compter, l’intéressé

avait dévoilé spontanément son caractère dépensier et les difficultés qu’il avait rencontrées avec l’administration

fiscale. Il en déduisit qu’en reprenant ces informations, le magazine Ici Paris ne s’était pas immiscé de manière

illicite dans un domaine protégé que le chanteur souhaitait garder secret.

Soulignant ensuite que Johnny Hallyday était « un personnage public qui, de par sa notoriété, est exposé au

jugement du public et des médias », le tribunal affirma qu’il ne pouvait se plaindre des appréciations

défavorables qui sont portées sur lui, sauf si elles reposent sur des faits inexacts et une volonté de nuire. Après

avoir constaté en l’espèce que le magazine critiquait « la façon dont Johnny Hallyday commercialise son image

en faisant état des produits les plus divers qui portent son nom (...) [et] que les objets reproduits dans l’article

22

sont effectivement vendus sous des supports comportant l’image et le nom de la star », les premiers juges

estimèrent que « le fait de rapprocher l’exploitation que Johnny Hallyday fait ainsi de sa personnalité et les

besoins financiers dont il n’a jamais caché l’importance, n’excède pas le droit de critique qu’Ici Paris est libre

d’exercer à partir de faits avérés ; que le journaliste peut, sans commettre de faute, exprimer l’opinion que lui

inspire le fait de voir l’image d’un chanteur de l’importance de Johnny Hallyday, servir de publicité à des

produits aussi éloignés de son activité que le café ou le chocolat ; que si le ton de l’article est désagréable pour

l’intéressé, il n’est pas pour autant significatif d’une volonté de lui nuire ; que les propos critiqués n’excèdent pas

les limites de l’exercice normal de la liberté d’expression et ne revêtent donc pas un caractère fautif ».

b) Devant la cour d’appel de Paris

10. Par un arrêt du 6 mars 1998, la cour d’appel de Paris confirma le jugement déféré, sauf en ce qui concerne la

condamnation de la requérante pour la publication de l’unique photographie litigieuse.

Elle constata d’abord que le chanteur ne démontrait nullement que l’article incriminé lui avait causé un

quelconque dommage professionnel ou économique ; au contraire, elle releva que « la revue [au demeurant]

indiquait le nom de quelques magasins dans lesquels les produits vendus à l’effigie de l’artiste pouvaient être

achetés, ce qui était de nature à favoriser leur diffusion ».

Elle nota ensuite que la totalité des photographies étaient, à l’exception de celle le représentant sur scène lors

d’un concert, des clichés publicitaires, dont celui relatif au canapé. Elle précisa sur ce point que « ces

photographies, mêmes si elles illustrent un texte critique sur le choix opéré (...) de vendre son image sur des

produits très divers, n’ont pas été détournées de leur objectif publicitaire, autorisé par le susnommé, dès lors

qu’elles traduisent en images l’activité commerciale que Johnny Hallyday a développée, le fait que la journaliste

énonce, sans inexactitude ni intention de nuire, que celui-ci s’affiche sur n’importe quoi et brade son image, pour

inélégante qu’en soit la formulation, ne dépasse pas le droit d’informer et de critiquer attaché à l’essence et à la

pratique du journalisme ».

La cour d’appel souligna que le plaignant avait, dans de nombreuses publications et dans son autobiographie,

reconnu qu’il était propriétaire de la villa La Lorada et d’un bateau baptisé Wild Eagle II, et qu’il avait relaté

dans son ouvrage, de façon répétée et détaillée, la manière dont il avait vécu en employant son argent sans

compter, dévoilant spontanément son caractère dépensier ainsi que les difficultés rencontrées auprès de

l’administration fiscale. Elle en déduisit que « si chacun est seul habilité à fixer les limites et les conditions de ce

qui peut être divulgué sur sa vie privée, le patrimoine ne relève pas de la sphère étroite de la vie privée et, en

l’espèce, le magazine litigieux s’est borné à reprendre des éléments connus du patrimoine et du mode de vie

financier de Johnny Hallyday, personnage public qui entretient avec son public des relations tant artistiques que

commerciales, révélées par lui-même ».

c) Devant la première chambre civile de la Cour de cassation

11. Par un arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation cassa et annula en toutes ses dispositions l’arrêt du 6 mars

1998, et renvoya la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles. La haute juridiction, au visa de

l’article 9 alinéa premier du code civil, estima que cette disposition avait été violée aux motifs que « la

publication des photographies ne respectait pas la finalité visée dans l’autorisation donnée par l’intéressé », et

que « les informations publiées portaient non seulement sur la situation de fortune mais aussi sur le mode de vie

et la personnalité de M. Smet, sans que leur révélation antérieure par l’intéressé soit de nature à en justifier la

publication ».

d) Devant la cour d’appel de renvoi

12. Par un arrêt du 9 octobre 2002, la cour d’appel de Versailles infirma partiellement le jugement du 2 juillet

1997 et, statuant à nouveau, condamna la requérante au paiement de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts

pour atteinte portée à l’image et au respect dû à la vie privée du chanteur, de 3 000 euros à titre des frais non

compris dans les dépens et au paiement des dépens exposés devant les juridictions du fond. Elle débouta le

plaignant des autres chefs de sa demande concernant l’atteinte alléguée à sa réputation professionnelle, faute

pour lui de rapporter la preuve du préjudice qu’il prétendait avoir subi. L’arrêt est ainsi motivé :

« Sur l’atteinte au droit à l’image

23

(...) Attendu que l’autorisation donnée par M. Smet (...) d’utiliser son image avait une finalité précise, à savoir un

objectif publicitaire pour lequel M. Smet avait reçu une contrepartie financière ;

Qu’en utilisant ces photographies à d’autres fins, sans l’autorisation de l’intéressé, et même s’il s’agissait

d’illustrer un article critiquant la façon dont Johnny Halliday « bradait son image », la [requérante] a porté

atteinte au droit à l’image de l’intéressé ; (...) ;

Sur l’atteinte au droit au respect dû à sa vie privée

(...) Attendu que l’article litigieux énonce essentiellement que Johnny Hallyday après 38 ans de carrière « n’a pas

réussi à économiser un seul centime » car « tout est parti ... en folies et en fumée » et que pour se renflouer il

vend son image et son nom ;

Attendu que les informations publiées (...) portent non seulement sur la situation de fortune et le patrimoine de

Johnny Hallyday qui ne relèvent pas de la sphère étroite de l’intimité de la vie privée mais également sur le

mode de vie et la personnalité de l’intéressé dont l’inconséquence et la prodigalité compromettraient sa situation

financière ;

Que les informations données sur le mode de vie de Johnny Hallyday et mettant en exergue son caractère

dépensier violent le respect dû à la vie privée de Johnny Hallyday, sans que la [requérante] puisse utilement se

prévaloir du fait que l’intéressé lui-même avait publié des informations sur son mode de vie dans un livre

autobiographique dès lors que seul Johnny Hallyday était habilité à fixer les limites et les conditions de ce qui

pouvait être divulgué sur sa vie privée ;

Qu’en l’absence d’autorisation donnée par M. Smet, la publication est fautive ;

Sur la réparation du préjudice

Attendu que le préjudice subi (...) est exclusivement moral ;

Que pour apprécier son importance il convient de tenir compte des relations qu’entretient M. Smet avec les

médias auxquels il accepte, souvent, de confier des informations sur sa vie personnelle, y compris sentimentale,

et auxquels il autorise la diffusion de son image ;

Qu’une somme de 20 000 € réparera le préjudice subi (...) »

e) L’arrêt de rejet définitif de la Cour de cassation

13. Le 23 septembre 2004, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la

requérante. Elle constata que la cour d’appel de renvoi avait statué « en conformité de l’arrêt de cassation qui

l’avait saisie », et en conclut que le moyen soulevé, « qui appel[ait] la Cour à revenir sur la doctrine affirmée par

son précédent arrêt, [était] irrecevable ».

(…)

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

20. La requérante soutient que sa condamnation pour atteinte à la vie privée est constitutive d’une violation de

son droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de

recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités

publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les

entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

24

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines

formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans

une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de

l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou

des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et

l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

21. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

(…)

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

30. La Cour ne peut suivre l’argument du Gouvernement selon lequel le présent litige se situerait sur un plan

strictement privé, qui s’inscrirait dans le cadre de relations économiques entretenues entre deux personnes

privées, échappant ainsi à tout contrôle direct ou indirect de l’Etat.

31. Elle relève en effet que les juridictions françaises, saisies initialement par le chanteur Johnny Hallyday, ont

condamné la requérante, éditrice du journal en cause, au paiement de 20 000 EUR de dommages-intérêts pour

atteinte portée à l’image et au respect dû à la vie privée de l’intéressé. Ce constat suffit à la Cour pour considérer

qu’il est manifeste que la requérante a subi une « ingérence d’autorités publiques » dans l’exercice de son droit

garanti par l’article 10 § 1 de la Convention (Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 28, CEDH 2004-

II, et Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, 20 novembre 1989, § 27, série A no 165).

b) Sur la justification de l’ingérence

32. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 10.

Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard

dudit paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.

i. « Prévue par la loi »

33. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le droit interne applicable, y inclus la jurisprudence, doit être

formulé avec suffisamment de précision pour permettre au justiciable, en s’entourant, au besoin, de conseils

éclairés, de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter

d’un acte déterminé (voir, parmi tant d’autres, Hachette Filipacchi Associés c. France, no 71111/01, § 31, CEDH

2007-...).

34. S’agissant de sa condamnation pour atteinte au droit à l’image, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que

l’article 9 du code civil, interprété avec souplesse, a permis de développer le concept du « droit à l’image », issu

de celui plus large du « droit au respect de la vie privée », par le biais d’une construction jurisprudentielle

aujourd’hui bien établie, et de s’adapter aux nombreuses situations de fait qui peuvent se présenter ainsi qu’à

l’évolution des mœurs, des mentalités et des techniques en ce domaine depuis l’adoption de la loi du 17 juillet

1970 (voir, sur ce point précisément, Prisma Presse c. France précitée).

35. Certes, la requérante fait valoir que le droit à l’image n’a été entièrement rattaché à l’article 9 dudit code que

dans un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1998, postérieur à la publication de l’article litigieux, ce dont

convient d’ailleurs le Gouvernement.

Toutefois, la Cour note que la substance du droit à l’image, apparue dès 1858 dans l’affaire « Rachel » sur le

fondement de la responsabilité civile, existait bien avant l’introduction de la loi du 17 juillet 1970 et, que la haute

juridiction française avait déjà jugé, que toute personne, au visa de l’article 9 du code précité (voir, supra, les

deux arrêts de la Cour de cassation rendus le 13 avril 1988 et le 12 juin 1990 cités par le Gouvernement au

paragraphe 25), pouvait s’opposer à la diffusion sans son autorisation de son image. Il existait donc des

précédents jurisprudentiels pertinents que la requérante, professionnelle avisée de l’édition de la presse, ne

pouvait ignorer.

25

36. Quant à la condamnation de l’intéressée pour avoir diffusé des renseignements tenant au patrimoine du

chanteur et à son mode de vie dépensier, la Cour constate, au vu des informations dont elle dispose, que ces

éléments font partie, en droit français, de la vie privée de toute personne et sont protégés comme tels (voir, supra,

paragraphe 18).

37. En conséquence, la Cour estime que la condamnation pour atteinte à la vie privée du chanteur Johnny

Hallyday était « prévue par la loi », au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.

ii. « But légitime »

38. Aux yeux de la Cour, l’ingérence visait un but légitime – à savoir la protection « des droits d’autrui », en

l’occurrence le droit au respect de la vie privée du plaignant – ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.

iii. « Nécessaire dans une société démocratique »

39. Il reste donc à examiner si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire

proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard, la Cour se réfère aux principes généraux qui se dégagent de

sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux précédents, Goodwin c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, §

40, Recueil 1996-II).

40. Elle rappelle que si l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté

d’expression dans le domaine, en particulier, du discours politique (Brasilier c. France, no 71343/01, §§ 39-41,

11 avril 2006) et, de façon plus large, dans des domaines portant sur des questions d’intérêt public ou général, il

en est différemment des publications de la presse dite « à sensation » ou « de la presse du cœur », laquelle a

habituellement pour objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie strictement privée

d’une personne (voir en particulier Von Hannover, précité, § 65, et Société Prisma Presse c. France (déc.),

nos 66910/01 et 71612/01, 1er juillet 2003). Quelle que soit la notoriété de la personne visée, lesdites

publications ne peuvent généralement passer pour contribuer à un débat d’intérêt public pour la société dans son

ensemble, avec pour conséquence que la liberté d’expression appelle dans ces conditions une interprétation

moins large (voir Société Prisma Presse, précitée ; voir également, Leempoel & S.A. ED. Ciné Revue

c. Belgique, no 64772/01, § 77, 9 novembre 2006).

41. Dans le cas d’espèce, la Cour est amenée à trancher le conflit de droits fondamentaux existant en l’espèce

entre, d’une part, le droit de la requérante à la liberté d’expression (qui englobe celui du public à être informé) et,

d’autre part, le droit au respect de la vie privée du chanteur. Il s’agit là de droits fondamentaux qui méritent a

priori un égal respect, ce qui amène la Cour à examiner l’ensemble de la situation et à vérifier si les autorités

internes ont ménagé un juste équilibre entre ces deux droits et libertés protégés par la Convention (voir en

particulier Von Hannover, précité, § 57, et N.N. et T.A. c. Belgique, no 65097/01, § 43, 13 mai 2008).

42. La Cour ne méconnait pas la qualité d’organe de presse libre de la requérante – ce qui n’est d’ailleurs pas

contesté par le Gouvernement – ni l’intérêt, que peut avoir, pour une partie du lectorat, le type de publication en

cause.

43. Elle considère néanmoins que, bien que la requérante tente de rattacher le sujet traité à une question d’intérêt

général – la vie culturelle française – l’article litigieux et les photos l’accompagnant, qui se concentrent sur les

difficultés financières supposées du chanteur et sur la façon dont il exploitait son nom et son image, ne peuvent

être considérés comme ayant participé ou contribué à un « débat d’intérêt général » pour la collectivité, au sens

donné par la jurisprudence de la Cour. Dans ces conditions, la marge d’appréciation de l’Etat défendeur est plus

large.

44. Tout d’abord, la Cour relève que les juridictions nationales – la Cour de cassation, dans son arrêt du 30 mai

2000, et la cour d’appel de Versailles statuant en tant que juridiction de renvoi, le 9 octobre 2002 – ont considéré

que la requérante avait porté atteinte au droit à l’image du plaignant au motif que la publication, sans son accord,

des photographies publicitaires le représentant, ne respectait pas la finalité pour laquelle il avait donné son

autorisation à la reproduction de son image.

45. Elle rappelle à cet égard qu’en principe, la protection du droit à l’image contre les abus de la part de tiers fait

partie intégrante des droits protégés par l’article 8 de la Convention (voir Von Hannover, précité, § 57, K. c.

26

Lettonie, (déc.), no 71225/01, 21 octobre 2004 et, plus récemment, Gourguenidze c. Géorgie, no 71678/01, § 55

et s., 17 octobre 2006), et que si la liberté d’expression s’étend également à la publication de photographies, il

s’agit là d’un domaine où la protection de la réputation et de la vie privée d’autrui revêt une importance

particulière (Von Hannover, précité, § 59).

46. La Cour conçoit dès lors que, de manière générale, le détournement ou l’utilisation abusive d’une

photographie, pour laquelle une personne avait autorisé sa reproduction dans un but précis, puisse être considéré

comme un motif pertinent pour restreindre le droit à la liberté d’expression. Ce constat ne suffit toutefois pas à

justifier à lui seul la condamnation de la requérante.

47. Aux yeux de la Cour, il convient d’attacher une importance particulière à la nature des clichés publiés, qui

étaient de caractère exclusivement publicitaire. Elle relève que la présente requête se distingue des affaires

qu’elle a précédemment examinées dans lesquelles les photographies litigieuses procédaient de manœuvres

frauduleuses ou clandestines (voir, en ce qui concerne des photographies prises au téléobjectif à l’insu des

victimes, Von Hannover, précité, § 68, et Société Prisma Presse, précitée), ou bien révélaient des détails de la vie

privée des personnes en s’immisçant dans leur intimité (voir, s’agissant de la publication de photos sur une

prétendue relation adultère, Campmany et Lopez Galiacho Perona c. Espagne (déc.), no 54224/00, CEDH 2000-

XII).

48. La Cour considère surtout que ces clichés n’étaient ni dénaturés, ni détournés de leur finalité commerciale,

puisqu’ils illustraient, de manière certes critique, l’information du journal selon lequel le chanteur, pour satisfaire

ses besoins financiers, vendait son image au profit de produits de consommation divers et variés – produits dont

les lieux de vente étaient au demeurant indiqués par le magazine lui-même, comme l’a relevé la cour d’appel de

Paris dans son arrêt du 6 mars 1998 (paragraphe 10 ci-dessus).

49. La Cour relève ensuite que la requérante a été condamnée pour avoir porté atteinte au respect dû à la vie

privée du chanteur, motif pris de ce que les informations publiées portaient sur son mode de vie dépensier et sur

sa personnalité, sans que leur révélation antérieure par l’intéressé soit de nature à en justifier la publication.

50. Si les informations portant sur la personnalité d’un individu peuvent constituer, au regard du droit au respect

de la vie privée, un motif pertinent pour les juridictions permettant de restreindre le droit à la liberté d’expression

(voir, en ce sens, Leempoel & S.A. ED. Ciné Revue c. Belgique, précité, § 77), un tel motif, n’apparait pas en

l’espèce suffisant, pour justifier la condamnation de la requérante.

51. La Cour note d’abord que les éléments d’information concernant la manière dont l’intéressé gérait et

dépensait généreusement son argent, ne relevaient pas du cercle intime de la vie privée protégée par l’article 8 de

la Convention.

52. La Cour constate ensuite que la révélation antérieure par l’intéressé lui-même des informations litigieuses

est un élément essentiel de l’analyse de l’immixtion reprochée à la société de presse dans certains aspects de la

vie privée du chanteur. En effet, les informations, une fois portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-

même, cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles.

Selon la Cour, les révélations du chanteur, une fois rendues publiques, affaiblissent le degré de protection à

laquelle ce dernier pouvait prétendre au titre de sa vie privée, s’agissant désormais de faits notoires et d’actualité.

Or, la divulgation de ces informations n’a été prise en compte par la cour d’appel de Versailles que lors de

l’évaluation de la réparation allouée, et n’a eu aucune incidence sur l’appréciation même de la faute reprochée à

la requérante.

53. De l’avis de la Cour, c’est pourtant là un critère déterminant dans l’appréciation de l’équilibre à ménager

entre le droit de la requérante à la liberté d’expression et celui du chanteur au respect de sa vie privée. Dans la

mesure où la requérante a repris, sans les déformer, une partie des informations librement divulguées et rendues

publiques par le chanteur, notamment dans son autobiographie, sur ses biens et sur la façon dont il employait son

argent, la Cour est d’avis que celui-ci ne conservait plus une « espérance légitime » de voir sa vie privée

effectivement protégée (Von Hannover, précité, § 51 ; voir également, mutatis mutandis, Halford c. Royaume-

Uni, arrêt du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, § 45 ).

27

54. Bien que la tonalité générale de l’article incriminé puisse paraître négative à l’égard du chanteur, la Cour

constate également que l’article litigieux ne renfermait aucune expression offensante ou volonté de nuire envers

Johnny Hallyday (voir, a contrario, Shabanov et Tren c. Russie, no 5433/02, § 41, 14 décembre 2006, et

Tammer, précité, §§ 65-67). Il en résulte que la requérante, ayant eu recours à la dose « d’exagération » et de

« provocation » qui est permise dans le cadre de l’exercice de la liberté journalistique dans une société

démocratique (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 38), n’a pas dépassé les limites qui y sont

attachées.

55. En conclusion, même si les motifs invoqués par les juridictions internes peuvent apparaître pertinents, ils ne

suffisent pas à démontrer que l’ingérence dénoncée dans le droit de la requérante était « nécessaire dans une

société démocratique ». La Cour n’estime pas indispensable, dans ces conditions, d’examiner la nature et le

quantum de la condamnation infligée pour mesurer la proportionnalité de l’ingérence. Compte tenu de tous ces

éléments, et en dépit de la marge d’appréciation élevée laissée à l’Etat en la matière, la Cour estime que le juste

équilibre entre les intérêts concurrents en jeu n’a pas été ménagé en l’espèce.

56. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

(…)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera

devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 26 000 EUR (vingt-six mille euros) pour

dommage matériel et 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû

par la requérante à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt

simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable

pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Liberté d’information versus dignité

Document 11. Civ. 1, 20 décembre 2000, Bull. civ. I, n°341

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que les sociétés Cogedipresse et Hachette Filipacchi font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 1998)

d'avoir ordonné l'insertion dans les hebdomadaires Paris-Match et VSD, dont elles sont éditrices, d'un

communiqué faisant état de l'atteinte à l'intimité de la vie privée de la famillle X... du fait de la publication d'une

photographie du corps de X..., préfet de la République, assassiné à Ajaccio le 6 février 1998 ; qu'il est fait grief à

la cour d'appel :

1° de ne pas avoir constaté l'urgence exigée par l'article 9 du Code civil ;

2° de ne pas avoir relevé une atteinte à l'intimité de la vie privée, en ne retenant qu'une atteinte aux " sentiments

d'affliction " de la famille ;

3° alors que la publication litigieuse répondait aux exigences de l'information et était donc légitime au regard de

la liberté fondamentale consacrée par l'article 10 de la Convention européenne ;

Mais attendu que la seule constatation d'une atteinte aux droits de la personne caractérise l'urgence, au sens de

l'article 9 du Code civil ;

28

Et attendu qu'ayant retenu que la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet

assassiné, gisant sur la chaussée d'une rue d'Ajaccio, la cour d'appel a pu juger, dès lors que cette image était

attentatoire à la dignité de la personne humaine, qu'une telle publication était illicite, sa décision se trouvant ainsi

légalement justifiée au regard des exigences tant de l'article 10 de la Convention européenne que de l'article 16

du Code civil, indépendamment des motifs critiqués par la deuxième branche du moyen ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

Document 12. Civ. 2, 4 novembre 2004, Bull. civ. II, n°486

Sur le moyen unique :

Vu l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

et les articles 9 et 16 du Code civil ;

Attendu que le magazine Paris-Match a publié dans son numéro 2685 un article intitulé "Routes, la guerre

oubliée" où était publiée la photographie d'un jeune homme inanimé, étendu à demi dévêtu sur un brancard, le

visage ensanglanté, autour duquel s'affairaient les secouristes du Samu 77, sous-titrée par la légende : "Il faisait

la course en scooter. Il avait 16 ans. Les médecins ne pourront le ranimer" ; que les consorts X... estimant que ce

cliché, qui représentait Romain X... décédé le 13 juin 2000 à l'âge de 17 ans des suites d'un accident de la

circulation alors qu'il pilotait un scooter, portait atteinte à la dignité de la personne représentée, ont attrait en

justice la société Hachette Filipacchi associés ;

Attendu que pour condamner la société Hachette Filipacchi associés à payer des dommages-intérêts aux consorts

X..., la cour d'appel a notamment énoncé que le droit à la liberté d'informer s'exerçait dans le respect des droits

de l'individu et que la nécessité d'une illustration pertinente ne pouvait être valablement invoquée dans un tel

contexte où l'article ne relatait pas un fait d'actualité mais était consacré à un phénomène de société et que la

photographie publiée sans précaution d'anonymat de l'intéressé, qui représentait le fils et frère des intimés, le

visage maculé de sang, inanimé, sur un brancard, portait atteinte à la dignité de la victime et nécessairement à

l'intimité de la vie privée de sa famille ;

Qu'en statuant ainsi alors que le principe de la liberté de la presse implique le libre choix des illustrations d'un

débat général de phénomène de société sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine, la

cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'information des lecteurs justifiait la publication de la photographie

litigieuse, ni caractérisé l'atteinte portée par celle-ci à la dignité de la victime, n'a pas donné de base légale à sa

décision ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 avril 2003, entre les

parties, par la cour d'appel de Versailles ; (…)

Document 13. Cass. civ. 1er

, 1er

juillet 2010, D. 2010.2044 ; note P.-J. Delage.

Sur le moyen unique :

Attendu que la mère et les soeurs de I... X... ont assigné en référé la société SCPE, éditrice du magazine Choc,

ainsi que le directeur de publication de celui-ci, M. Z..., pour voir constater l’atteinte à leur vie privée causée par

la publication d’une photographie le représentant bâillonné et entravé et voir ordonner sous astreinte, en raison

du trouble manifestement illicite ainsi commis, le retrait de la vente du numéro de ce magazine ainsi que le

versement d’une provision ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2009) d’avoir ordonné que soient occultées dans tous

les exemplaires du numéro 120 du magazine Choc daté de juin 2009, mis en vente ou en distribution, les cinq

reproductions de la photographie de I... X... la tête bandée et sous la menace d’une arme, à peine d’astreinte et

d’avoir condamné la société SCPE à payer aux consorts X... diverses sommes à titre de provision et en

application de l’article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :

1/ que l’atteinte à un sentiment provoquée par la publication d’une photographie d’un proche victime d’un crime,

qui ne peut être assimilée à une intrusion dans la sphère de la vie privée, ne saurait, en raison de son caractère

éminemment subjectif, exclusif de toute prévisibilité, justifier qu’il soit apporté quelque restriction à la liberté

d’expression et d’information ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 10 de la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2/ que la publication d’une photographie qui montre le calvaire de la victime d’un crime ne fait que révéler

l’atteinte à la dignité subie par celle-ci du fait des violences qui lui ont été infligées et ne saurait donc être

29

considérée comme constituant intrinsèquement ladite atteinte ; qu’en se fondant néanmoins sur l’existence d’une

telle atteinte, provoquée par la publication de cette photographie, sans caractériser cette atteinte indépendamment

de la publication de cette photographie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 10

de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3/ qu’enfin, la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent

une mesure nécessaire, dans une société démocratique, notamment à la protection des droits des tiers ; qu’en

sanctionnant et en interdisant la publication d’une photographie s’inscrivant incontestablement au coeur de

l’actualité du moment, et qui par ailleurs avait déjà été communiquée au public au travers d’une émission

télévisée à laquelle participait l’avocat de la famille de la victime, la cour d’appel, qui n’a pas justifié du

caractère nécessaire de cette ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression et d’information, l’objectif

poursuivi par la ligne éditoriale du magazine en cause ne pouvant au regard des circonstances susvisées

constituer un motif suffisant pour ordonner une restriction à ce droit fondamental, a privé de plus fort sa décision

de base légale au regard du texte précité ;

Mais attendu que les proches d'une personne peuvent s'opposer à la reproduction de son image après son décès,

dès lors qu’ils en éprouvent un préjudice personnel en raison d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au

mort ; qu’à cet égard la cour d’appel énonce que la photographie litigieuse, dont il est constant qu’elle avait été

prise par les tortionnaires de I... X... et adressée à sa famille pour appuyer une demande de rançon, a été publiée

sans autorisation ; qu’elle ajoute que cette photographie qui montre I... X..., le visage entouré d’un ruban adhésif

argenté laissant seulement apparaître son nez ensanglanté et tuméfié, l’ensemble du visage donnant l’impression

d’être enflé sous le bandage de ruban adhésif, les poignets entravés par le même ruban adhésif, son trousseau de

clefs glissé entre les doigts, un journal coincé sous la poitrine et un pistolet braqué à bout touchant sur la tempe

par une main gantée, l’épaule gauche de son vêtement tiraillée vers le haut, suggère la soumission imposée et la

torture ; qu’estimant que la publication de la photographie litigieuse, qui dénotait une recherche de sensationnel,

n’était nullement justifiée par les nécessités de l’information, elle en a justement déduit que, contraire à la dignité

humaine, elle constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des

proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d’expression et d’information ; que le

moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi