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En quête d’une médication plus efficace contre la dépression Page 3 UNIVERSITES RECHERCHE Et la température dans 150 ans? Une question posée par le Centre ESCER Page 5 La résurgence du religieux dans les sociétés : un phénomène mondial Page 6 CAHIER THÉMATIQUE G › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 01 4 Excellence et rentabilité sont-elles synonymes ? Le dernier budget fédéral établit de nouvelles règles pour la recherche ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Un nouveau programme de financement, Apogée, a été mis en place avec un objectif avoué bien spécifique : « Aider, indique le texte législatif, les établissements postsecondaires canadiens à exceller à l’échelle mondiale dans des domaines de recherche qui procurent des avantages économiques à long terme au Canada. » NORMAND THÉRIAULT T out dépôt de bud- get est un événe- ment qu’on ne peut inscrire que sous la seule ru- brique financière. Souvenez- nous, l’an dernier, du projet de loi omnibus C-38, dont les 400 pages ont été les sources de plus d’une controverse : de l’as- surance-emploi aux pro- grammes d’aide aux orga- nismes non gouvernementaux, les organismes à but non lucra- tif étant plus d’une fois visés par une mesure ou l’autre. Et le gouvernement Harper, qui ne craint pas d’afficher son néolibéralisme, son caractère nettement plus conservateur que progressiste, revient cette année à la charge et touche cette fois directement au monde de la recherche univer- sitaire. Un nouveau pro- gramme de financement, Apo- gée, est ainsi mis en place avec un objectif avoué bien spécifique : « Aider, nous dit le texte législatif, les établisse- ments postsecondaires cana- diens à exceller à l’échelle mon- diale dans des domaines de re- cherche qui procurent des avan- tages économiques à long terme au Canada. » En clair : subventionner l’« ésotérique », peu importe sa forme, que ce soit en philoso- phie, en sciences sociales, voire en sciences pures, serait sans intérêt pour un ministre des Finances qui considère que son mandat consiste plus à générer des profits immé- diats qu’à établir une politique d’investissement où l’écono- mique, le social et l’intellectuel y trouveraient leur compte. Il ne faut pas non plus oublier que les élections ont normale- ment lieu tous les quatre ans. Réaction Dans sa réaction à ce bud- get, la Fédération québécoise des professeures et profes- seurs d’université (FQPPU) af- firme, par voie de communi- qué, y voir là une situation dan- gereuse, d’autant plus, écrit- on, qu’« on peut se questionner sur la pertinence d’un pro- gramme qui entre en concur- rence, sinon en conflit, avec les mandats des trois conseils de re- cherche (CRSH, CRSNG et IRSC). Ces derniers, d’ailleurs, ont vu leurs budgets rétrécir gravement depuis 2007. Mal- gré un financement additionnel annoncé de 46 millions de dol- lars, le budget global de ces or- ganismes a diminué de 5 % par rapport au budget de 2007- 2008 ! » Et de signaler plus bas que « la FQPPU s’inquiète une fois de plus de la vision étroite du gou- vernement fédéral en matière de science et d’innovation. Dans le cadre d’une politique scientifique, l’octroi d’une subvention pu- blique de recherche (500 mil- lions) à l’industrie automobile, par exemple, est inexplicable. » Soutien Qu’il y ait dans les universi- tés une recherche «utile», cela va de soi. L’Université McGill vient ainsi de signer une entente de partenariat avec l’Université des postes et des télécommunications de Pé- kin : les équipes sino-québé- coises ont ainsi conçu et testé des capteurs avancés pour la surveillance sans fil des pa- tients. À l’Université de Sher- brooke, le Centre de re- cherche sur les environne- ments intelligents a ainsi conçu un appartement intelli- gent qui servira, là encore, dans le monde hospitalier. Et, à l’Université Concordia, le professeur Ching Suen œuvre, au sein du CEPARMI, à conce- voir des appareils dont l’usage aura des applications dans les domaines de la météorologie, de l’agriculture, de l’urba- nisme et même (et cela ne peut déplaire à un gouverne- ment qui apprécie l’univers guerrier) de la surveillance mi- litaire. Car, comme le dit notre chercheur, si « nous faisons de la recherche fondamentale, nous avons aussi un plan pour diffuser nos résultats, dans la mesure du possible, auprès des entreprises ». Et certains universitaires iront même plus loin dans cette volonté de mettre en place des outils ou des systèmes dont profitera toute l’économie. You- nès Messaddeq, de l’Université Laval, s’en est même fait une mission. Pour celui qui veut que le Québec devienne un lea- der mondial en photonique, il y a en recherche une obligation autre que le seul résultat : «On doit toujours chercher à contri- buer au PIB du pays où nous sommes. » Équilibre Que la recherche soit utile, tant mieux. Nous voulons tous que les avions volent, que l’em- preinte humaine sur le climat soit diminuée, que des moyens de production soient amélio- rés, qu’il y ait moins de dépendance envers la surconsommation pour générer des profits. Mais cela doit-il se faire au détriment d’un déve- loppement de la pensée, de ces lieux qui accor- dent une plus grande priorité aux questions qu’aux réponses ? Tel est le débat, car tel est ce qui distingue la re- cherche fondamentale de la recherche appli- quée. Et, dans un monde, celui de la politique néoli- bérale, où l’économie est considérée non pas comme un système mais plutôt comme un simple jeu de calculs entre in- vestissements et profits, cette économie a ses lois. Et c’est la rentabilité immédiate qui les établit. Malheur alors à qui croit que le mot « bilan » désigne plus vaste qu’une simple guerre de chiffres. Le Devoir En recherche, le gouvernement fédéral est un acteur majeur lorsqu’il est question de financement. Et le dernier budget Flaherty déposé indique clairement qu’une nouvelle donne régit en terre canadienne la distribution des subsides. La re- cherche doit-elle être uniquement évaluée selon sa capacité de soutenir les entre- prises? Selon sa seule capacité de générer des revenus potentiels? Si, à cette dou- ble question, le gouvernement Harper répond « oui », il se trouvera dans le monde universitaire plus d’un acteur pour souligner le côté pervers d’une telle politique. FRED CHARTRAND LA PRESSE CANADIENNE Le ministre James Flaherty, lors du dépôt du dernier budget, le 11 février. Ce nouveau budget modifie le financement de la recherche universitaire. Si « nous faisons de la recherche fondamentale, nous avons aussi un plan pour diffuser nos résultats, dans la mesure du possible, auprès des entreprises »

UNIVERSITES - Le Devoir · constate Ching Suen. Originaire de la Chine et im-migré à Vancouver en 1968 en vue d’obtenir son doctorat, le professeur Suen se passionne pour la reconnaissance

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Page 1: UNIVERSITES - Le Devoir · constate Ching Suen. Originaire de la Chine et im-migré à Vancouver en 1968 en vue d’obtenir son doctorat, le professeur Suen se passionne pour la reconnaissance

En quête d’unemédication plusefficace contre la dépression Page 3

UNIVERSITESRECHERCHE

Et la températuredans 150 ans? Unequestion poséepar le CentreESCER Page 5

La résurgencedu religieux dansles sociétés : un phénomènemondial Page 6

C A H I E R T H É M A T I Q U E G › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4

Excellence et rentabilité sont-elles synonymes?Le dernier budget fédéral établit de nouvelles règles pour la recherche

ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un nouveau programme de financement, Apogée, a été mis en place avec un objectif avoué bien spécifique : « Aider, indique le texte législatif, les établissements postsecondaires canadiens à exceller àl’échelle mondiale dans des domaines de recherche qui procurent des avantages économiques à long terme au Canada. »

N O R M A N D T H É R I A U L T

T out dépôt de bud-get est un événe-ment qu’on nepeut inscrire quesous la seule r u-

brique financière. Souvenez-nous, l’an dernier, du projet deloi omnibus C-38, dont les 400pages ont été les sources deplus d’une controverse : de l’as-surance-emploi aux pro-grammes d’aide aux orga-nismes non gouvernementaux,les organismes à but non lucra-tif étant plus d’une fois viséspar une mesure ou l’autre.

Et le gouvernement Harper,qui ne craint pas d’afficher sonnéolibéralisme, son caractèrenettement plus conservateurque progressiste, revient cetteannée à la charge et touchecette fois directement aumonde de la recherche univer-sitaire. Un nouveau pro-gramme de financement, Apo-gée, est ainsi mis en placeavec un objectif avoué bienspécifique : «Aider, nous dit letexte législatif, les établisse-ments postsecondaires cana-diens à exceller à l’échelle mon-diale dans des domaines de re-cherche qui procurent des avan-tages économiques à long termeau Canada.»

En clair : subventionnerl’«ésotérique », peu importe saforme, que ce soit en philoso-phie, en sciences sociales,voire en sciences pures, serait

sans intérêt pour un ministredes Finances qui considèreque son mandat consiste plusà générer des profits immé-diats qu’à établir une politiqued’investissement où l’écono-mique, le social et l’intellectuely trouveraient leur compte. Ilne faut pas non plus oublierque les élections ont normale-ment lieu tous les quatre ans.

RéactionDans sa réaction à ce bud-

get, la Fédération québécoisedes professeures et profes-seurs d’université (FQPPU) af-firme, par voie de communi-qué, y voir là une situation dan-gereuse, d’autant plus, écrit-on, qu’« on peut se questionnersur la per tinence d’un pro-gramme qui entre en concur-rence, sinon en conflit, avec lesmandats des trois conseils de re-cherche (CRSH, CRSNG etIRSC). Ces derniers, d’ailleurs,ont vu leurs budgets rétrécirgravement depuis 2007. Mal-gré un financement additionnelannoncé de 46 millions de dol-lars, le budget global de ces or-ganismes a diminué de 5% parrappor t au budget de 2007-2008!»

Et de signaler plus bas que«la FQPPU s’inquiète une fois deplus de la vision étroite du gou-vernement fédéral en matière descience et d’innovation. Dans lecadre d’une politique scientifique,l’octroi d’une subvention pu-blique de recherche (500 mil-

lions) à l’industrie automobile,par exemple, est inexplicable.»

SoutienQu’il y ait dans les universi-

tés une recherche « utile »,cela va de soi. L’UniversitéMcGill vient ainsi de signerune entente de par tenariatavec l’Université des postes etdes télécommunications de Pé-kin : les équipes sino-québé-coises ont ainsi conçu et testédes capteurs avancés pour lasur veillance sans fil des pa-tients. À l’Université de Sher-brooke, le Centre de re-cherche sur les environne-ments intelligents a ainsiconçu un appartement intelli-gent qui ser vira, là encore,

dans le monde hospitalier. Et,à l’Université Concordia, leprofesseur Ching Suen œuvre,au sein du CEPARMI, à conce-voir des appareils dont l’usageaura des applications dans lesdomaines de la météorologie,de l’agriculture, de l’urba-nisme et même (et cela nepeut déplaire à un gouverne-ment qui apprécie l’universguerrier) de la surveillance mi-litaire. Car, comme le dit notrechercheur, si « nous faisons dela recherche fondamentale,nous avons aussi un plan pourdif fuser nos résultats, dans lamesure du possible, auprès desentreprises ».

Et cer tains universitairesiront même plus loin dans cette

volonté de mettre en place desoutils ou des systèmes dontprofitera toute l’économie. You-nès Messaddeq, de l’UniversitéLaval, s’en est même fait unemission. Pour celui qui veutque le Québec devienne un lea-der mondial en photonique, il ya en recherche une obligationautre que le seul résultat : «Ondoit toujours chercher à contri-buer au PIB du pays où noussommes.»

ÉquilibreQue la recherche soit utile,

tant mieux. Nous voulons tousque les avions volent, que l’em-preinte humaine sur le climatsoit diminuée, que des moyensde production soient amélio-rés, qu’il y ait moins dedépendance envers lasurconsommation pourgénérer des profits.Mais cela doit-il se faireau détriment d’un déve-loppement de la pensée,de ces lieux qui accor-dent une plus grandepriorité aux questionsqu’aux réponses?

Tel est le débat, car telest ce qui distingue la re-cherche fondamentalede la recherche appli-quée. Et, dans un monde,celui de la politique néoli-bérale, où l’économie estconsidérée non pascomme un système maisplutôt comme un simplejeu de calculs entre in-vestissements et profits,cette économie a ses lois. Etc’est la rentabilité immédiatequi les établit.

Malheur alors à qui croitque le mot « bilan » désignep lus vas te qu ’une s impleguerre de chiffres.

Le Devoir

En recherche, le gouvernement fédéral est un acteur majeur lorsqu’il est questionde financement. Et le dernier budget Flaherty déposé indique clairement qu’unenouvelle donne régit en terre canadienne la distribution des subsides. La re-cherche doit-elle être uniquement évaluée selon sa capacité de soutenir les entre-prises? Selon sa seule capacité de générer des revenus potentiels? Si, à cette dou-ble question, le gouvernement Harper répond «oui», il se trouvera dans le mondeuniversitaire plus d’un acteur pour souligner le côté pervers d’une telle politique.

FRED CHARTRAND LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre James Flaherty, lors du dépôt du dernier budget, le11 février. Ce nouveau budget modifie le financement de larecherche universitaire.

Si « nous faisonsde la recherchefondamentale,nous avons aussiun plan pourdiffuser nosrésultats, dans la mesure dupossible, auprèsdes entreprises »

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4G 2

UNIVERSITÉ CONCORDIA

La PARMI veut rendre les ordinateurs plus « humains »« Nos recherches portent surtout sur l’aspect logiciel, plutôt que sur le développement de matériels »

C L A U D E L A F L E U R

O n recourt de plus en plusaux ordinateurs pour re-

connaître et synthétiser la pa-role, identifier les individus(reconnaissance desv i s a g e s , d e s e m -preintes digitales, del’iris de l’œil, etc.),analyser des images(à des fins de météo-rologie, d’agricultureet d’urbanisme ou desur ve i l l ance mi l i -taire), de même quereconnaître des motset des caractères im-primés (entre autrespour numériser desdocuments ou per-mettre à des ordina-t e u r s d e l i r e à voix haute).

Toutefois, ces appli-cations représententd’immenses défis,sur tout parce quenos ordinateurs ne sont pas en-core suffisamment intelligents,constate Ching Suen.

Originaire de la Chine et im-migré à Vancouver en 1968 envue d’obtenir son doctorat, leprofesseur Suen se passionnepour la reconnaissance desformes et l’intelligence artifi-cielle depuis plus de 45 ans.

« Ma thèse de doctorat, à l’Uni-versité de la Colombie-Britan-nique, portait sur la conceptiond’une machine à lire pour lesaveugles, dit-il. On se confron-tait alors à des problèmes de re-

connaissance des motsimprimés ainsi qu’à laconversion de ceux-cien sons. Et je poursuisdepuis 1972 mes tra-vaux à Concordia.»

Le professeur Suenœuvre en fait dans labranche de l’informa-tique dite PARMI,pour Pattern Recogni-tion and Machine Intelligence, c’est-à-dire la reconnais-sance des formes etl’intelligence ar tifi-cielle. Celle-ci en-globe entre autres lessystèmes automatisésde reconnaissance dela voix, des objets (no-tamment les formes

humaines) et l’écriture. Il di-rige en fait une équipe de cher-cheurs qui comprend notam-ment des ingénieurs de l’Écolepolytechnique et de l’École detechnologie supérieure et qui areçu le nom de CEPARMI(pour CEnter for PARMI).

« La reconnai s sance de sformes peut servir à l’identifica-

tion des visages et de la voix, dit-il. Il y a aussi une foule d’appli-cations pour le traitement desdocuments, imprimés ou écritsà la main… » C’est dire quec’est à PARMI qu’on doit la ca-pacité de certains blocs-notesélectroniques à déchiffrer uneécriture manuscrite.

E n p r a t i q u e , l ’ é q u i p e CEPARMI ef fectue de la re-cherche fondamentale et tente

de résoudre de grands pro-blèmes théoriques. « Nous fai-sons de la recherche fondamen-tale, mais nous avons un planpour diffuser nos résultats, dansla mesure du possible, auprèsde s en t r epr i s e s » , p réc i se Ching Suen.

À la recherche de labeauté féminine!

Plus spécifiquement, sonéquipe concentre ses travauxsur la reconnaissance de l’écri-ture manuscrite par ordina-teur ainsi que sur la reconnais-sance des visages humains etla détermination de l’âge. «Nosrecherches portent surtout surl’aspect logiciel, plutôt que surle développement de matériels »,indique-t-il.

Fait inusité, son équipe sepenche également sur l’ana-lyse informatisée de la beautéhumaine ! « Nous travaillonssur un système d’analyse de la

beauté du visage des jeunesfemmes, révèle M. Suen. Nousétudions des aspects comme latexture de la peau, la forme dela bouche, du nez et des yeux,ainsi que celle du visage en gé-néral. » Cette recherche, quipeut sembler incongrue, per-met en fait aux chercheursd’explorer la troisième dimen-sion, c’est-à-dire l’analyse d’unobjet en trois dimensions (plu-tôt que des objets platscomme des lettres et desmots). «Nous cherchons à créerun système qui pourrait estimer,de façon objective, les critèresde beauté », précise-t-il. Enquelque sorte, ces travaux joi-gnent l’utile à l’agréable dansle développement de systèmesinformatiques capables d’iden-tifier les êtres humains.

Des ordinateurs plusintelligents que nous?

« L’aspect le plus dif ficile de

mon travail est de trouver desfaçons de rendre les ordina-teurs plus intelligents quemaintenant » , lance l ’ ingé-nieur informaticien. En fait,constate-t-il, la grande dif fé-rence entre un ordinateur etnous, c’est que, tous les jours,nous apprenons de nos expé-riences et de l’environnementdans lequel nous évoluons —ce qui n’est évidemment pasle cas des ordinateurs, si puis-sants soient-ils. Voilà qui ex-plique, par exemple, quenous acquérons la capacitéde comprendre ce qu’on nousdit malgré les accents ou lamauvaise prononciation de lapar t de nos interlocuteurs.De surcroît, selon le contexte,nous comprenons des proposqui seraient autrement inin-telligibles.

C’est donc à cette difficultéque se butent sans cesse lesspécialistes de la PARMI : faireen sorte que les ordinateursen viennent à apprendre pareux-mêmes.

«Pour le moment, il faut tou-jours procéder au transfert desconnaissances humaines versles ordinateurs », constate leprofesseur Suen. Celui-ci es-père toutefois disposer un jourd’ordinateurs aussi intelligentsque nous.

En fait, il caresse le rêve deconcevoir des ordinateurs plusintelligents que nous. « J’aime-rais mettre au point des ordina-teurs plus puissants que lesêtres humains », dit-il en riant,ce qui ouvrirait des possibili-tés extraordinaires dans sonchamp d’application. « Voilà ledéfi que j’aimerais relever »,ajoute-t-il.

Quant aux risques que pour-raient représenter de telles ma-chines, le spécialiste ne semblepas s’en inquiéter outre me-sure. « Ce n’est en fait, dit-il,qu’une question de contrôle : quisera aux commandes? Il faudraavoir une méthode pour contrô-ler l’ordinateur… Mais de tellesmachines nous seraient telle-ment utiles pour une foule de choses… », laisse-t-il filer, rêveur.

CollaborateurLe Devoir

Quiconque a eu af faire à un système téléphonique de reconnaissance de la parole sait quels défis relève l’équipe duCEPARMI dirigée par Ching Suen, professeur au Départe-ment de génie informatique de l’Université Concordia. Alorsqu’il est assez facile pour nous de comprendre ce quequelqu’un nous dit, c’est une tout autre af faire pour un ordinateur ! Pourtant, la reconnaissance de la parole — ouplutôt la reconnaissance des formes, comme le disent les spécialistes — offre de prodigieuses applications.

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JACQUES GRENIER LE DEVOIR

Le professeur Suen œuvre dans la branche de l’informatique liée à la reconnaissance des formes età l’intelligence artificielle. Selon lui, il y a aussi une foule d’applications pour le traitement desdocuments, imprimés ou écrits à la main, entre autres.

« L’aspect leplus difficilede mon travailest de trouverdes façons de rendre lesordinateursplusintelligentsquemaintenant »

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UNIVERSITÉ D’OTTAWA

La psychopharmacologie se met en quête d’une médication plus efficace contre la dépression

R É G I N A L D H A R V E Y

P ierre Blier, professeur auxDépartements de psychia-

trie et de médecine cellulaireet moléculaire de l’Universitéd’Ottawa, est aussi le titulairede la Chaire de recherche duCanada en psychopharmacolo-gie. Il situe la problématiquesociétale majeure que pose ladépression : « Les impacts sonténormes. En matière de chiffresseulement, on parle d’environ5 % de la population qui subitune telle pathologie dans unepériode approximative d’un anet, à vie, il est question d’à peuprès 17%: c’est donc près d’unepersonne sur cinq qui connaî-tra un épisode de dépressionmajeure et qui aura besoind’un traitement formel. »

Afin d’être en mesure debien cerner le poids ou lesconséquences d’une telle mala-die, il recommande d’avoir re-cours aux données fourniespar l’Organisation mondiale dela santé (OMS), dont il fournitun exemple : « Elle évalue lefardeau des dif férentes mala-dies en se basant sur le nombred’années productives perdues.C’est ainsi que, dans les pays àrevenus moyens ou élevés, la dé-pression majeure figure en pre-mière place dans le monde. »Elle occupe le quatrième rangparmi les principales causesde morbidité.

Une fois ce constat posé, il vade soi que la psychopharmaco-logie embrasse la santé men-tale selon plusieurs angles :«On parle d’une science qui sepenche sur l’étude approfondiedes systèmes de transmissiondans le cerveau. Quand onparle de celle-ci, on ne parle pasque de la dépression, mais ausside tout ce qui est chimique ouneurotransmetteur dans le cer-veau, ce qui implique finale-ment à peu près toutes les mala-dies psychiatriques et neurolo-

giques. » Il ajoute, en complé-ment d’information : «Habituel-lement, la médication représenteen grande partie la pierre angu-laire du traitement, mais il estégalement possible de traiter unedépression majeure en utilisantla psychothérapie structurée.»

Dans ce cas, un problème sepose : « La possibilité d’y accé-der est quand même assez faibledans notre système de santé uni-versel ; il y a de longues listesd’attente et on ne dispose pasd’autant de psychothérapeutesqualifiés qu’on voudrait bien enavoir. » Dans le secteur privé,les coûts d’une psychothérapiesont très élevés.

La chaire et la démarche clinique

Dans ce contexte global, ilexiste donc depuis 2004, à Ot-tawa, une chaire spécialiséedans la médication en santémentale. Pierre Blier ouvreune parenthèse à saveur idéolo-gique avant d’entrer dans le vifdu sujet des travaux de celle-ci :«Le système de chaires qui a étéétabli au début des années 2000sous Jean Chrétien était indépen-dant et à l’abri des orientationspolitiques ; l’une de leurs raisonsd’être à l’époque, c’était de stop-per et renverser le mouvementde l’exode des cerveaux. » C’estainsi qu’il s’est retrouvé à labarre de la Chaire en psycho-pharmacologie, lui qui avaitquitté le Canada en 2000 pourtravailler à l’Université de laFloride. Il n’a pas retrouvé lechaud climat de cet État, maisil lance : « Il y a plus que le cli-mat dans la vie!»

À par tir de ces années, ilconsacre sa vie profession-nelle aux travaux de ce groupede recherche, dont il résumeainsi les activités : « On essaied’améliorer le traitement de ladépression, mais c’est plus largeque ce spectre ; entre autres, ontravaille beaucoup sur les méca-

nismes d’action des antidépres-seurs mais aussi des traite-men t s an t ip s y cho t ique s . »L’équipe part d’une questionfondamentale pour se tournervers une application clinique :«Telle est la force de mon unité,et la raison pour laquelle l’Uni-versité d’Ottawa m’a attribuécette chaire-là est la suivante :c’est parce que je vois des pa-tients tous les jours et que le vo-let clinique est d’une grande im-por tance . » Voic i ce qu i résulte d’une telle procédure :« Quand je vois quelque chosede valable en laboratoire, enmatière de mécanisme d’action,je dessine une étude clinique etje vais l’essayer directementchez le patient sans qu’il y aitd’intermédiaire. »

Le docteur Blier travaille enlaboratoire sur le plan fonda-mental : «On réalise là des enre-gistrements électrophysiolo-giques ; on regarde de cette fa-çon l’activité des cellules qui

sont ciblées par nos traitementsantidépresseurs ; on regardecomment ces cellules sont modi-fiées par ceux-ci, afin de mieuxles combiner pour obtenir demeilleures réponses. » Il est en-touré là d’un associé de re-cherche, d’étudiants et de sta-giaires. Dans le domaine cli-nique, il est aussi soutenu parune équipe : il y a trois coor-donnatrices de recherche,dont deux sont des infirmièresqui l’aident pour le recrute-ment et l’évaluation des pa-tients ; deux psychiatres inter-viennent aussi à temps partieldans le traitement de ceux-ci.

Des résultats probantsCe groupe d’une quinzaine

de personnes s’applique notam-ment à résoudre une des princi-pales problématiques liées à ladépression majeure, soit la len-teur des effets thérapeutiquesdes médicaments, qui se mani-festent au bout de deux à qua-

tre semaines. Le titulaire de lachaire reconnaît que tel est lecas : «Absolument ! Et nous, cequ’on essaie de faire, c’est detraiter plus rapidement les gensafin de faire diminuer le délaid’action de la médication.»

Le travail a porté fruit : «Enétudiant les mécanismes d’ac-tion des médicaments déjà surle marché, on a conduit troisétudes contrôlées grâce aux-quelles on a été capable de dou-bler le taux de rémission dansune fenêtre d’environ six se-maines, au moyen d’une combi-naison de médicaments dotés demécanismes complémentaires. »

Et qu’en est-il, Dr Blier, de lalenteur de tor tue de la re-cherche en santé mentale,dont plusieurs font état ?« Contrairement à certains demes collègues, je pense qu’onavance quand même assez rapi-dement. Il est vrai qu’on n’apas vu apparaître de médica-ments entièrement nouveaux

depui s l ’ in t r oduc t i on de s antidépresseurs, mais je penseque les systèmes sur lesquels ontravaille sont encore cruciauxpour améliorer le traitementdes maladies dépressives. Jecrois que ce qui est important,quand on voit des patients tousles jours comme on le fait, c’estqu’on obtient des taux de succèsextrêmement élevés avec la dé-pression majeure, ce qui peutprendre des mois ou des années,mais ce taux se situe bien au-delà de 90%.»

Et il livre le secret de la recette de la réussite : « Il importe, en pharmacologie etdans notre domaine, de vrai-ment utiliser l’éventail de tousles médicaments qui ont vrai-ment des mécanismes d’actioncomplémentaires ; c’est de cettemanière qu’on arrive à remet-tre sur pied les patients. »

CollaborateurLe Devoir

Une équipe de recherche de l’Université d’Ottawa, forméed’une quinzaine de personnes, oriente ses travaux dans le butd’améliorer les traitements fournis notamment en matière dedépression majeure. Il n’y a que le tiers des patients frappésd’un tel trouble de santé mentale qui profitent d’une rémis-sion, même s’il existe des antidépresseurs ef ficaces sur lemarché pharmaceutique. D’où l’existence d’une chaire quitente de corriger ces résultats mitigés.

« C’est l’AUF qui a d’abord cru en notre projet et qui lui a donné l’impulsion nécessaire à son arrimage »Ghislain Otis, professeur, Faculté de droit, Université d’Ottawa Projet multilatéral sur le dialogue des cultures juiridiques

www.facebook/aufameriques info : [email protected]

CHRISTOPHE SIMON AGENCE FRANCE-PRESSE

Une personne sur cinq connaîtra un épisode de dépression majeure et aura besoin d’un traitement formel, selon le Dr Pierre Blier.

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4G 4

Au début du mois, Denis Coderre, maire deMontréal, affirmait qu’il fallait plus de camérasde sur veillance dans la ville. On apprenaitaussi récemment qu’on en retrouve de plus enplus à l’UQAM. La Société de transport deMontréal a installé également plusieurs camé-ras dans le réseau du transport en commun cesdernières années. La surveillance électroniqueest en train de devenir un élément central desstratégies déployées pour assurer la sécuritédes gens et l’intégrité des infrastructures.

M A R T I N E L E T A R T E

L’ installation de caméras n’est pas une fin ensoi : le grand défi est de pouvoir utiliser

ef ficacement l’information captée. C’est l’undes champs de recherche dans lesquels tra-vaille le Laboratoire d’imagerie, de vision etd’intelligence artificielle (LIVIA) de l’École detechnologie supérieure (ÉTS).

«Les systèmes de surveillance donnent souventdes images en faible résolution et, lorsque l’envi-ronnement change, comme la lumière, on a de ladifficulté à reconnaître fidèlement les personnes»,explique Robert Sabourin, directeur du LIVIA.

«La reconnaissance faciale dans les séquencesvidéo est l’un des fers de lance du laboratoire,grâce notamment au professeur Éric Granger,responsable de cet aspect de nos travaux », af-firme M. Sabourin.

Les chercheurs du LIVIA ne construisent pasdes systèmes de surveillance, mais ils mettentau point de nouveaux algorithmes d’apprentis-sage. « Lorsqu’on identifie une personne d’inté-rêt, on fait l’acquisition de plusieurs images et,ensuite, on peut créer un modèle de représenta-tion qui sera en mesure de s’adapter dans letemps, selon la lumière, la pose et d’autres varia-bles », explique Robert Sabourin, cofondateur, il

y a près de 30 ans, du laboratoire de recherchequi allait devenir le LIVIA.

Ces systèmes intelligents pourraient faciliterle travail des opérateurs. « En ce moment, lesopérateurs doivent surveiller tout ce qui se passe,parce qu’il y a très peu de systèmes de surveillanceentièrement automatisés et que ceux qui existentsont très peu performants, affirme M. Sabourin.L’objectif est d’aller vers des systèmes automatisésfiables, afin de réaliser un travail de surveillanceplus efficace et plus abordable.»

Pour mesurer et comparer la performancede différentes approches développées, les cher-cheurs ne peuvent habituellement pas travailleravec des données réelles captées aux quatre

coins de la ville, pour des questions de confi-dentialité. Ils travaillent avec des bases de don-nées construites pour être utilisées à des finsde recherche.

« Toutefois, Éric Granger a l’occasion decontribuer à un projet depuis quelques années,avec l’Agence des services frontaliers du Canada,pour évaluer des systèmes de reconnaissance devisages pour la vidéosurveillance, alors il a accèsau système réel », indique M. Sabourin.

Signatures et documents électroniquesVous souhaitez transmettre un document

électronique à votre conseiller financier. Vous yinsérez l’image de votre signature électroniqueet celle-ci crypte le document pour en assurerla confidentialité. Procédé digne d’un film descience-fiction ? Pas du tout ! C’est un autreexemple des travaux qu’effectue le LIVIA.

«Une thèse comprenant des résultats très nova-teurs, par exemple sur l’utilisation de l’image dela signature pour remplacer le mot de passe, esten cours d’évaluation », indique Robert Sabou-rin, qui a lui-même terminé sa thèse de docto-rat en 1990, sur la vérification des images de si-gnatures manuscrites.

Plusieurs thèses de doctorat et travaux au LI-VIA portent sur l’authentification de textes ma-nuscrits. On détermine si des documents ontété écrits par la même personne, si une signa-ture est authentique ou imitée.

Du travail se fait également pour assurer l’in-tégrité d’un document numérique. «Si on envoieun document PDF, rien n’assure qu’il sera tou-jours authentique lorsqu’il parviendra à sa desti-nation. Si on insère un message dans l’image dudocument, on peut s’assurer que le document ori-ginal n’a pas été modifié en cours de route en uncoup d’œil», explique M. Sabourin, premier pro-fesseur embauché au Département de génie dela production automatisée de l’ÉTS, en 1983.

Axes de développement et débouchésDes travaux se font aussi au LIVIA dans le

domaine de l’imagerie médicale, avec Rita Noumeir et Catherine Laporte.

Richard Lepage, pour sa part, se concentresur la télédétection avec une imagerie satelli-taire en très haute résolution lors de catas-trophes majeures. « Il a pris pour banc d’essai letremblement de terre à Haïti, explique M. Sa-bourin. L’objectif est de créer un système d’aide àla décision. Grâce au traitement efficace de l’in-formation, on peut se faire une bonne idée del’ampleur et de l’étendue des dégâts et ensuiteagir plus efficacement. »

Les axes de recherche du LIVIA varient selon les projets de ses membres. Le domainede la vision robotique sera prochainement endéveloppement.

«Le professeur Vincent Duchaine fait partie duLIVIA et du Laboratoire de commande et de robo-tique (CoRo), un autre groupe de l’ÉTS très per-formant, précise Robert Sabourin. Nous souhai-tons mettre en place ensemble un programme derecherche multidisciplinaire dans les domaines dela perception et de l’inspection robotique.»

Après des études de cycles supérieurs réali-sées au LIVIA, les finissants peuvent travaillerdans les différents secteurs des hautes technolo-gies. « Ils sont nombreux d’ailleurs à se faire re-cruter avant leur soutenance de thèse, remarqueM. Sabourin. Plusieurs travaillent en reconnais-sance de la parole, en intelligence artificielle, enimagerie médicale, et ce, même si leur thèsen’était pas précisément dans ces domaines. Cesont des gens formés pour faire de la recherche, desgens habitués à résoudre des problèmes complexes,et les méthodes utilisées peuvent être mises à profitdans des applications de plusieurs natures.»

Le LIVIA regroupe près de 10 professeursdes Départements de génie de la productionautomatisée, de génie électrique et de génie logiciel. Une cinquantaine d’étudiants aux cycles supérieurs participent aux travaux.

CollaboratriceLe Devoir

LE LABORATOIRE D’IMAGERIE, DE VISION ET D’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE DE L’ÉTS

La recherche se met au service de la sécuritéL’objectif est d’aller vers des systèmes automatisés fiables pour réaliser un travail de surveillance efficace et abordable

ÉTS

Robert Sabourin, directeur du LIVIA

BISHOP’S

La « petite » université veut devenir une référence internationale

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

C’ est une paisible petite uni-versité fondée en 1843 au

cœur de l’Estrie, au confluentdes rivières Massawippi etSaint-François. Prestigieusecar, à l’origine, affiliée à Cam-bridge et Oxford, en Grande-Bretagne. Conviviale avec ses

2400 étudiants à temps plein,125 professeurs et seulement24 étudiants par classe environ.Un campus comme on n’envoit plus que dans les comé-dies romantiques hollywoo-diennes, avec ses arbres cente-naires, ses centaines d’hec-tares de pelouse rasée de prèset ses 25 bâtiments de briquerouge, qui comprennent sept

rés idences , deux b ib l io -thèques, plusieurs labora-toires, deux théâtres, une gale-rie d’ar t, une garderie, un refuge faunique et de nom-breuses installations sportivesdont un terrain de golf.

Une petite université anglo-phone qui ne dispense des coursqu’aux étudiants de premier cycle, dans cinq secteurs: admi-nistration, éducation, scienceshumaines, sciences socialesainsi que sciences et mathéma-tiques. Ce qui ne l’empêche pasde vouloir devenir une référenceinternationale en matière de recherche, tous les enseignantsétant avant tout des chercheursqui participent à d’importantesétudes et publient souvent dansdes revues prestigieuses.

Ainsi, grâce à des fonds de4,5 millions de dollars en prove-nance du gouvernement duQuébec et du programme fédé-ral d’infrastructures du savoir,les laboratoires de sciences, notamment de médecine, ontpu être remis à neuf en 2011.

«Une refonte qui a permis àl’université d’équiper les labora-toires avec du matériel à la finepointe de la technologie, précisaità l’époque le directeur de l’établissement, Michael Gold-bloom. Il s’agit d’un investisse-ment pour les étudiants, qui, dansun proche avenir, seront les res-ponsables de notre santé. Ils mène-ront des recherches novatrices etoffriront des services profession-nels dans toutes les sphères d’acti-vité. Cet investissement nous

permet d’encourager le désir innéd’explorer notre monde, de repous-ser les limites du savoir et de préparer l’avenir pour nous tous.»

ObjectifsLes objectifs de l’Université

Bishop’s, en matière de re-cherche, sont campés dans undocument appelé Plan straté-gique de recherche, dont la dernière version couvre la période 2013-2016.

« Durant les dernières décen-nies, nous nous sommes enga-gés avec succès à développer no-tre culture en matière de re-cherche, peut-on y lire. Durantcette période, nous sommesd’ailleurs parvenus à multiplierpar dix le volume de nos subven-tions externes. Ce que nous sou-haitons maintenant, c’est trans-former l’essai, pour que l’Uni-versité Bishop’s, déjà reconnuepour l’excellence de son ensei-gnement, devienne, aux yeux dela communauté scientifique na-tionale et internationale, un in-contournable de la recherche dehaut niveau.»

Quatre secteurs sont parti-culièrement visés par cette po-litique : l’astrophysique, leschangements climatiques etenvironnementaux, la santépsychologique et le bien-être,ainsi que la construction del’identité culturelle et sociale.

«Des champs qui impliquentque des groupes de chercheursprovenant de disciplines di-verses travaillent ensemble pourexaminer les problèmes, menerdes recherches et produire descontributions de très haut ni-veau, au plus grand bénéfice desétudiants, de la communautéuniversitaire au sens large etmême de toute la société », esti-ment les auteurs du rapport.

But numéro un : mainteniret développer plus encore, surle campus de Bishop’s, deschamps de recherche de cali-bre national et international.

À cela s’ajoutent cinq autresobjectifs, nous explique-t-on :augmenter le nombre dechaires de recherche et per-mettre aux étudiants de suivremoins de cours théoriques parsemestre, pour accroître d’au-tant leurs activités de re-cherche ; attirer toujours plusde jeunes diplômés ayant unexcellent profil de recherche,notamment des étudiants enpost-doc ; hausser les fondspour la recherche en prove-nance de l’extérieur ; lancer denouveaux programmes diplô-mants au sein des champsconsidérés comme straté-

giques par l’université ; etmieux promouvoir les résul-tats et accentuer ainsi la visibi-lité et la réputation du campus.

«Traditionnellement, Bishop’sfait sa promotion autour de soncaractère convivial, résidentiel, etde la qualité de son enseignement,expliquent les auteurs. Ça restevrai, mais l’université doit inté-grer l’excellence en recherchecomme une partie de son ADN.Ce qui signifie que la recherchedoit être présente dans tous les documents de promotion et qued’autres documents doivent mêmelui être exclusivement consacrés.Ce qui signifie aussi un change-ment profond des mentalités de lapart des leaders de l’université etde tous ceux qui sont chargés de lapromouvoir, afin qu’ils mention-nent la recherche comme l’un des pôles d’attraction majeurs de l’établissement.»

À ce titre, les auteurs convien-nent que l’accueil, en 2011, ducongrès de l’Association franco-phone pour le savoir (Acfas) aeu un impact réel en matière devisibilité, tout comme d’autresconférences scientifiques queles différents départements ontorganisées sur le campus de-puis lors. «L’université doit conti-nuer à accueillir ce type d’événe-ment, y compris des conférencesinternationales, pour augmentersa visibilité, tant au sein de lacommunauté scientifique quedans les médias».

PartenariatAutre manière d’accentuer

sa renommée: le partenariat. Ily a 18 mois, Bishop’s en aconclu un avec l’Université deSherbrooke (UdeS), afin de fa-voriser le recrutement et la ré-tention des étudiants aux troiscycles universitaires, ainsi quela collaboration scientifique en-tre les chercheurs.

L’entente permet d’enrichir larecherche dans la région en al-liant des expertises complémen-taires. Les professeurs en neu-ropsychologie de l’Université Bi-shop’s peuvent dorénavant êtrejumelés aux spécialistes en ges-tion de la douleur de l’UdeS. En-semble, ces chercheurs for-ment une masse critique qui ac-croît la compétitivité de toute larégion, à l’échelle canadienne etinternationale.

Cette synergie entre les éta-blissements attire également demeilleurs professeurs et contri-bue à retenir l’élite intellectuellede la recherche en Estrie.

CollaboratriceLe Devoir

L’Université anglophone Bishop’s, lovée en plein cœur de l’arrondissement Lennoxville à Sherbrooke, a beau ne dispen-ser qu’un enseignement de premier cycle, elle ne manque paspour autant d’ambition en matière de recherche. C’est ce querévèle son plan stratégique 2013-2016 et ce que vient confir-mer une entente conclue avec l’Université de Sherbrooke, destinée à recruter et retenir les étudiants et à favoriser la collaboration entre les chercheurs des deux établissements.

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4 G 5

UQAM

Et la température dans 150 ans?Le Centre ESCER est le site de l’expertise francophone canadienne sur la physique du climat

J A C I N T H E L E B L A N C

D irecteur du centre institu-tionnalisé en 2003, Pierre

Gauthier rappelle que le Cen-tre ESCER a été créé dans lafoulée de la crise du verglas,qui a stimulé la volonté demieux comprendre le compor-tement du climat et les im-pacts des changements clima-tiques sur la société. Le Cen-tre ESCER est composé essen-tiellement d’un groupe de spécialistes en sciences de l’at-mosphère du Dépar tementdes sciences de la Terre et del’atmosphère de l’Universitédu Québec à Montréal. Ceux-ci « s’intéressent principalementaux aspects de la modélisationdu climat, c’est-à-dire qu’on faitdes simulations assez costaudes,du point de vue des ressourcesen informatique, pour simulerl’évolution du climat » , ex-plique le professeur Gauthier.

Modélisation cibléeLa modélisation climatique à

l’échelle régionale ressemblebeaucoup à un modèle mon-dial, à l’exception d’une chose :la zone d’étude est limitée àune région ciblée de la planète.Dans le cas du Centre ESCER,Pierre Gauthier souligne queles régions ciblées sont princi-palement l’Amérique du Nord

et le Québec.À l’intérieur même de la mo-

délisation climatique se trou-vent des sous-catégories. Parexemple, certains chercheursvont travailler sur « le rôle desnuages dans les modèles clima-tiques, la chimie des aérosols [...],les précipitations de neige, de gré-sil». Et plus encore. Toutes cesrecherches en parallèle permet-tent de les intégrer dans un sys-tème plus grand. «C’est un peuça qui nous permet de bâtir unmodèle de climat, un modèle mé-téorologique, précise le direc-teur. C’est l’interaction de tousces processus-là qui est impor-tante. C’est ça le défi.»

Puis, il faut valider le modèleclimatique élaboré, et cela sefait par la télédétection, «c’est-à-dire l’observation», afin de s’as-surer que le modèle qui éche-lonne ses prédictions sur unepériode de 50 à 150 ans repré-sente bien la réalité. «Une assezlarge variété d’instruments satel-litaires» sont utilisés pour véri-fier les modèles, mentionne le chercheur. Si la périoded’étude est aussi longue, c’estparce que le climat évolue trèslentement. «On ne peut pas pré-voir le climat de l’année pro-chaine, souligne M. Gauthier. Ilfaut laisser le temps agir pour es-sayer de comprendre commentces processus se déroulent.»

Des projets en marcheParmi les grands projets qui

occupent les membres du Cen-tre ESCER ces temps-ci, il y acelui de la professeure LaxmiSushama, titulaire de la Chairede recherche du Canada enmodélisation régionale du cli-mat. Son projet est le seul auQuébec à être financé par leprogramme de recherche fé-déral sur les changements cli-matiques et l ’atmosphère(RCCA), programme qui sub-ventionne un total de sept pro-jets canadiens de haut calibre.L’équipe de la professeure Sus-hama s’intéresse au « couplageatmosphère-océans».

Pierre Gauthier expliqueque le modèle actuel du Cen-

tre « est un modèle essentielle-ment atmosphérique, mais onsait qu’il y a des interactions en-tre la surface de l’océan et l’at-mosphère ». Le but est doncd’arriver à « coupler notre mo-dèle de climat avec ça » dansl’espoir de l’améliorer, mais enprenant en considération leslacs plutôt que les océans.«On commence à avoir des mo-dèles de climat qui ont des réso-lutions assez fines pour les-quelles il faut prendre encompte l’impact des lacs, ré-sume le chercheur. Cela en-traîne un apport d’humidité etles échanges thermiques sontdifférents par rapport au sol. »

L’équipe du Centre ESCERétudie également l’évolution

du pergélisol, « entre autresparce qu’on s’intéresse beau-coup à la région nord du Qué-bec », explique M. Gauthier. Ilsouligne que, avec la fonte dupergélisol, la libération dedioxyde de carbone et de mé-thane augmentera, ce qui vien-dra jouer sur les modèles cli-matiques développés.

Les implications desrecherches

Les recherches ser vent à« l’étude des changements clima-tiques, au niveau des impactssociétaux et des conséquences »,et elles permettent «de prévoirce à quoi on doit s’attendre dans30, 40, 50 ans d’ici», répond ledirecteur du Centre.

«De savoir que cela a son uti-lité dans toutes sortes d’applica-tions dans dif férents domaines»est gratifiant et motivant pourles membres du Centre pourl’étude et la simulation du climatà l’échelle régionale. La curiositéscientifique joue également unrôle et fait qu’«on veut compren-dre, on veut mieux faire. Commescientifique, on y trouve notrecompte», renchérit M. Gauthier.

Il y a aussi un par tenariatavec le groupe Ouranos, unconsortium sur la climatologierégionale et l’adaptation auxchangements climatiques.«Nous, mentionne-t-il, on déve-loppe le modèle qu’Ouranos vaensuite utiliser pour faire ses si-mulations.» Une fois que le mo-dèle climatique du Centre ES-CER est bien validé, Ouranosse fie à ces informations,puisqu’il s’agit, de l’avis du di-recteur, de «la meilleure estima-tion de ce que le climat pourraitêtre, avec des marges d’erreur […]. Il y a tout le temps

une marge d’erreur, poursuitM. Gauthier, due à des chosesqu’on comprend mal, qui sontmal représentées, et puis on progresse là-dessus.»

Situation financièreLe financement, dans un

domaine aussi précis que celuidu Centre ESCER, peut être difficile à obtenir, malgré la per-tinence des recherches effec-tuées. Les compressions budgé-taires dans le milieu de la re-cherche qu’a appliquées le gou-vernement fédéral ont certaine-ment eu des répercussions surdes groupes comme le CentreESCER. Le Centre s’en est toutefois bien sorti, estime son directeur. Avec le financementobtenu par la professeure Sushama, «pour cette activité-làsur le climat régional […], jepense qu’on est bien parti pourassurer la suite, à tout le moinspour l e s c inq p r o cha ine s années », note M. Gauthier.Mais le concours du RCCA estfermé et n’est pas renouvelable.

Il dénonce aussi les «sérieuxmanquements» dans le finance-ment de la recherche au Ca-nada. Même s’il demeurequand même possible d’avoirdes fonds grâce au Conseil derecherches en sciences natu-relles et en génie du Canada(CRSNG), Pierre Gauthier dé-plore le fait que, pour en avoir,«ça prend un partenaire indus-triel. Le problème dans notre domaine est que notre recherchesert des besoins gouvernemen-taux. […] La recherche avec l’in-dustrie, je n’ai rien contre, maiselle est à trop courte vue.»

CollaboratriceLe Devoir

Seul groupe universitaire francophone à œuvrer dans le domaine de la physique du climat régional au Canada, le Cen-tre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale(ESCER) jouit d’une expertise à l’échelle internationale. LeCentre ESCER mène plusieurs projets de recherche en modélisation du climat à l’échelle régionale, projets qui sontnécessaires pour la compréhension des changements climatiques et de leurs impacts sur le monde physique.

ENSEMBLE, REPENSONS LE MONDEC A R T O G R A P H I O N S L E S S O U R C E S D E

L A D É P E N D A N C E E T D U D É S I R

C O N C O R D I A . C AG RO U P E D E R EC H E RC H E E N N E U RO B I O LO G I E CO M P O RT E M E N TA L E

LE CERVEAU AURAIT!IL PLUSIEURS FORMES DE MÉMOIRE? Il y a près de soixante ans, BRENDA MILNER avança une théorie qui bouleversa la recherche sur la mémoire. En la confirmant, elle entreprit de rigoureux travaux sur l’intelligence créative qui ouvrirent la voie à de nouvelles approches dans le traitement de l’amnésie et d’autres troubles du cerveau.

LA PROFESSEURE MILNER A RÉCEMMENT REÇU LE PRESTIGIEUX PRIX DAN DAVID en reconnaissance de son immense contribution à la recherche sur la mémoire – le plus récent témoignage d’une carrière exceptionnelle guidée par la curiosité.

BRAVO, PROFESSEURE MILNER, POUR L’ENSEMBLE DE VOS RÉALISATIONS.

INFATIGABLECURIOSITE

EDWARD SCHUUR UNIVERSITÉ DE LA FLORIDE ASSOCIATED PRESS

L’équipe du Centre ESCER étudie également l’évolution dupergélisol, dont la fonte provoque une libération de dioxyde decarbone et de méthane de plus en plus importante, ce qui viendrajouer sur les modèles climatiques développés.

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4G 6

IDENTITÉS JURIDIQUES ET CULTURELLES NORD-AMÉRICAINES ET COMPARÉES

La résurgence du religieux dans les sociétés occidentales :« un phénomène mondial »

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

L e flair de Jean-FrançoisGaudreault-Desbiens ne l’a

pas trompé. Bien au contraire.En 2006, devenu titulaire de laChaire de recherche du Ca-nada sur les identités juri-diques et culturelles nord-amé-ricaines et comparées, le pro-fesseur, maintenant vice-doyenà la recherche et professeur ti-tulaire à la Faculté de droit del’Université de Montréal, acommencé dès lors à se pen-cher sur les questions de la po-litisation du religieux et desdiscours relatifs aux droits.

Les revendications reli-gieuses n’étaient pas nou-velles, mais le phénomènes’est accéléré. S’en est suivieune période où les accommo-dements raisonnables ont faitles manchettes, avant que lacommission Bouchard-Taylorn’amorce ses travaux. Au-jourd’hui, c’est le projet deCharte de la laïcité qui rythmela joute politique. Pas du toutsurpris, M. Gaudreault-Des-biens précise que la résur-gence du religieux dans les so-ciétés occidentales constitue« un phénomène mondial ».« Des débats tournant autourdes mêmes idées ou d’idées équi-valentes ont lieu par tout. Onn’est pas seul », soulève-t-il.

Instrumentalisation du droit

M. Gaudreault-Desbiens faitd’ailleurs partie du projet Reli-gion et diversité, un projet derecherche s’étalant sur septans et réunissant 37 membresissus de plus de 20 universitésdans le monde. Avec ses étu-diants, il se penche actuelle-ment sur la conception du droitreflétée par les différentes com-missions qui se sont penchéessur la religion et l’État dans di-vers pays occidentaux. «Est-ceque le droit, c’est simplement ledroit de l’État, ou tient-on les re-vendications religieuses commeune forme de droit concurrente?Dans quelle mesure le droit et lediscours juridiques sont-ils ins-trumentalisés? Est-ce qu’on peutaussi voir des indices que les dis-

cours de certains intervenants,qui instrumentalisaient le droit,ont été repris dans les recom-mandations du rapport? Donc,il s’agit de faire une analyse qua-litative très fine du discours.»

Or l’instrumentalisation dudroit constitue, selon lui, unevariable importante dans lesdébats actuels. «Le discours surles droits religieux se fait trèssouvent, du moins dans les socié-tés occidentales, de concert avecun discours sur la citoyenneté etle multiculturalisme, même siconceptuellement c’est dif férent.On crée un peu des épouvantailsde tout bord tout côté. Par exem-ple, dans cer tains débats,comme celui sur la Charte de lalaïcité, on donne une image dece que soi-disant le multicultura-lisme autoriserait en droit, qui[…] ne correspond absolumentpas à ce que, de manière juri-dique, le multiculturalisme per-met de faire, indépendammentqu’on soit pour ou contre le mul-ticulturalisme comme idéologiepolitique. C’est donc une formed’instrumentalisation des droitsreligieux, du multiculturalisme,de certaines thèses sur le multi-culturalisme, qui donne parfoisdes cocktails politiques explo-sifs.»

Hiérarchisation des droits?

Jean-François Gaudreault-Desbiens est l’un des signa-taires du mémoire intitulé 60chercheurs universitaires pourla laïcité contre le projet de loi60, déposé en décembre der-

nier. Au sujet de la priorité del’égalité entre les hommes etles femmes sur la liberté de re-ligion, il indique qu’« il y a unedimension cosmétique à l’idéede faire une hiérarchisation for-melle dans les droits fondamen-taux». Déjà en novembre 2012,dans un ar ticle paru dans laRevue québécoise de droitconstitutionnel, il écrivait quela non-hiérarchisation desdroits fondamentaux était lo-gique, voire constituait un

principe cardinal des droits dela personne, tant dans le droitinternational que dans le droitconstitutionnel canadien. «Lesdroits fondamentaux sont indi-visibles et interdépendants, desorte qu’on ne peut pas, en prin-cipe, en faire prévaloir l’un surun autre », explique-t-il en en-trevue.

Dans les Constitutions desdif férents pays ou dans lespactes internationaux, « lesnormes qui consacrent cesdroits ou ces libertés sont expri-mées en des termes extrême-ment généraux et, dans unelarge mesure, indéterminés. Letexte lui-même ne dicte pas lesconséquences immédiates qu’ilva avoir dans des contextes par-ticuliers, dit-il. C’est ce qui faitque, lorsqu’il y a des conflits en-tre des droits, dire que l’un val’empor ter systématiquementsur l’autre est, à mon avis, trèscosmétique. » Il prévient que,pour les juges, « le cas par casest presque inévitable».

Dans la jurisprudence de laCour suprême du Canada, iladmet avoir observé que, en-tre 2004 et 2007, les droits reli-

gieux pesaient un peu pluslourd que d’autres droits dansla balance. «Ce n’était pas unehiérarchie formelle. Il peut exis-ter ou surgir, au fil descontextes, de l’histoire et desmouvements sociaux, une cer-taine hiérarchie qu’on appellematérielle, c’est-à-dire qu’elleexiste dans l’interprétation destribunaux, mais qu’elle n’estpas formellement consacréedans les lois, les Constitutions,les char tes, précise-t-il. Ons’aperçoit que ça dure entretrois et cinq ans. Puis, tout àcoup, les tribunaux évoluentdans un autre sens et un cer-tain équilibre est rétabli. Àmon avis, c’est un peu ce que laCour suprême du Canada a faità partir de 2007 et 2008. Ellea commencé à être un peu plusouverte aux justifications qu’in-voquait l’État pour restreindrede manière non disproportion-née les droits religieux. »

Certes, il y a dif férentes fa-çons à travers le monde d’appré-hender ces questions, «qui sonttoujours assez épineuses et quisoulèvent les passions». Il resteque le cas québécois, avec lesdébats entourant la Charte de lalaïcité, n’ennuiera pas l’expert

dans les interactions des mo-dèles et des traditions juridiques.«Là où ça devient intéressant,c’est qu’il y a une tentative d’im-portation, dans le contexte ca-nado-québécois, d’un modèle delaïcité juridique ou constitution-nel, soit le modèle français, quin’a aucune espèce de pedigree iciet dont certaines prémisses vontmême à l’encontre de ce que pré-voit le cadre constitutionnel.» Ilrappelle les circonstances pro-fondément différentes dans les-quelles a été rédigée la loi de1905 sur la laïcité, en France, aumoment où il y avait une volontéde pacifier les relations entrel’Église catholique et l’État fran-çais. «L’étude des modèles de ré-gulation des rapports entre Étatet religion, c’est en soi extrême-ment intéressant. Puis, il n’y apas de modèle parfait. Il n’existepas. Mais la tentative de trans-planter un modèle étranger —mais vraiment très étranger —est en soi intéressante du point devue du droit, mais aussi d’unpoint de vue sociojuridique ausens large.»

CollaborateurLe Devoir

Lorsque le débat sur la charia a éclaté en Ontario, Jean-Fran-çois Gaudreault-Desbiens enseignait à la Faculté de droit del’Université de Toronto. Peu de temps auparavant, la commis-sion Stasi s’était penchée sur l’application du principe de laï-cité en France. «Pour moi, il était à peu près inévitable quece genre de débat surgisse aussi au Québec », explique au-jourd’hui M. Gaudreault-Desbiens.

PLUS DE 1300 LIVRES À FEUILLETER

CONNAÎTRE,DIFFUSERET AGIR

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Au sujet de la priorité de l’égalité entre les hommes et les femmes sur la liberté de religion, Jean-François Gaudreault-Desbiens indiquequ’« il y a une dimension cosmétique à l’idée de faire une hiérarchisation formelle dans les droits fondamentaux ».

Droits autochtones

Là où ça devient intéressant, c’est qu’il y a une tentatived’importation, dans le contexte canado-québécois, d’un modèle de laïcité juridique ou constitutionnel,soit le modèle français, qui n’a aucuneespèce de pedigree iciJean-François Gaudreault-Desbiens

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La question juridique de la di-versité et du vivre-ensembletouche aussi aux questions au-tochtones. Lors de son entre-vue avec Le Devoir, Jean-Fran-çois Gaudreault-Desbiens s’ap-prêtait à s’envoler pour Parisafin d’élaborer un cadre de ré-férence pour un grand projetde recherche international sepenchant sur l’interaction desdroits coutumiers autochtoneset des droits étatiques. Pilotépar Ghislain Otis, titulaire dela Chaire de recherche du Ca-nada sur la diversité juridiqueet les peuples autochtones, ceprojet comparera les diffé-rents modèles à travers lemonde. Les préoccupationspour la question autochtonesont elles aussi grandissantes,surtout depuis l’adoption de laDéclaration sur les droits despeuples autochtones, en 2007.

La reconnaissance des droitscollectifs et traditionnels desautochtones demeure variabled’un pays à l’autre. «Cela n’apas le même retentissement mé-diatique, mais ce sont des pro-blématiques qui interpellent di-rectement les États, les citoyens,et qui mettent aussi en cause laquestion du vivre-ensemble, dela coexistence de diverses popu-lations», soutient M. Gau-dreault-Desbiens. «C’est uneproblématique qui se posepresque partout où il y a despeuples autochtones, dans uncontexte où l’exploitation desressources naturelles constitueune donnée fondamentale dansun tas de pays. On veut y ex-ploiter des ressources, mais celarisque d’avoir un impact sur lesterres pour lesquelles les au-tochtones réclament desdroits », analyse-t-il.

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C L A U D E L A F L E U R

S pécialiste de renomméemondiale qui a justement

été recruté par l’UniversitéLaval afin d’ instituer unechaire d’excellence du Ca-nada en recherche sur l’inno-vation en photonique dans ledomaine de l’information etdes communications, YounèsMessaddeq sait de quoi i lparle lorsqu’il est question dudéveloppement économiqueet de la coopération indus-trielle et internationale.

D’origine marocaine, You-nès Messaddeq a effectué sesétudes en France, où il a ob-tenu, en 1990, un doctorat enchimie de l’état solide. Puis, iIa parfait sa formation au Brésilet au Japon, avant de dirigerun laboratoire de recherchebrésilien sur les verres et lesfibres optiques. « C’est là quej’ai entamé ma carrière de cher-cheur, dit-il. J’y ai établi denombreux partenariats avec laFrance, l’Allemagne et les États-Unis et, chaque année, j’aipassé un ou deux mois à l’étran-ger afin de demeurer à la finepointe de mon domaine. » En-fin, il y a quatre ans, l’Univer-sité Laval l’a convié à mettresur pied la Chaire d’excellenceen photonique.

Le chercheur possède tou-jours son passeport brésilien— pays où il retourne réguliè-rement — et parle quatrelangues (l’arabe, le français, leportugais et l’anglais). Et sur-tout, peut-être, il a sans cesseà l’esprit l’idée que ses travauxdoivent ser vir au développe-ment économique.

« Au doctorat, mon titulairede recherche m’a incité à faireen sorte que mes travaux soienttoujours orientés vers les trans-ferts technologiques, raconte-t-il. Je me dis donc qu’on doit tou-jours chercher à contribuer auPIB du pays où on est. »

À la vitesse de la lumièreVoilà d’ailleurs précisément

l’esprit qui anime sa chaired’excellence en photonique :faire du Québec un leadermondial dans ce domaine.« Tandis que l’électronique uti-lise l’électron pour transmettreet recevoir des informations, ex-plique le chercheur, la photo-nique, elle, utilise le photon. Laphotonique peut ainsi accom-plir les mêmes tâches que l’élec-tronique, sauf qu’elle le fait à lavitesse de la lumière ! Et elle estcapable de plus encore. »

Il précise en outre que labase de tout système de com-munication photonique, cesont les fibres optiques fabri-quées à par tir du ver re.«Comment donc être un leaderdans ce domaine si on n’a pasun laboratoire pour développerces matériaux de base ?, de-mande-t-il. C’est donc l’idée àla base de la chaire. »

Fibres optiques uniquesC’est dire que, depuis 2010,

Younès Messaddeq a consti-tué une structure unique auCanada dans la préparation deverres ayant des applicationsspécifiques. « On travaille surdes matériaux applicables à desdomaines aussi variés que lasanté, l’énergie, l’agriculture etl’environnement», dit-il.

Il cite, entre autres, l’exem-ple d’un système capabled’analyser instantanément lessols. « En agriculture, si onveut connaître les nutrimentsprésents dans le sol, il faut pro-céder à des prélèvements, puisles faire analyser, et on obtientles résultats 15 jours plus tard,dit-il. Nous, nous avons déve-loppé un système qui permettrade détecter sur place les nutri-ments dans le sol et qui af fi-chera l’information sur un télé-phone cellulaire ! »

Concrètement, son équipemet au point des fibres op-tiques faites de verres aux pro-priétés spécifiques. « Imaginezqu’on puisse avoir des fibres op-tiques qui nous permettraientde recueillir beaucoup d’infor-mation sur les tissus humains

ou sur les composés organiques,dit-il. Voilà qui of frirait unefoule d’applications en santé,en agriculture, en environne-ment… On travaille donc surdes technologies de pointe quiont un impact économiquepour le pays. »

InternationalisationL’équipe de Younès Messad-

deq entretient des liens privilé-giés avec le Brésil. Ainsi, le prin-temps dernier, il a établi un labo-ratoire conjoint Québec-Brésil.«C’est la première fois que le Bré-sil fait une telle chose, dit-il fière-ment. Il s’agit d’une unité inter-nationale mixte, située à l’Uni-versité Laval, dans laquelle colla-boreront des chercheurs et des étu-diants brésiliens et québécoispour réaliser des projets intéres-sant les deux pays.»

Voilà qui ouvre des perspec-tives extraordinaires, relate lechercheur, puisque, « au Ca-nada, nous ne sommes que35 millions de personnes… alorsqu’ils sont 215 millions au Bré-sil ! Il y a donc une quantité de

transferts qu’on peut faire aveceux, dans des domaines commela santé, l’énergie, l’agriculture,l’industrie minière, etc.»

Comme i l l ’ ava i t fa i t à

l’époque au Brésil, M. Messad-deq tisse en outre de nom-breux liens avec la France, l’Al-lemagne et les États-Unis. En-tre autres, son équipe fait par-

tie du prestigieux consortiuminternational qui cherche à dé-velopper un verre flexible,fonctionnel et ultramince. « Ils’agit d’un programme interna-

tional financé par les États-Unis qui rassemble les meil-leurs chercheurs dans le do-maine, et nous, nous faisonspartie de ce projet ! », souligne-t-il fièrement.

En moins de quatre années,M. Messaddeq constate queson équipe progresse avec uneétonnante rapidité. « Tout lemonde nous dit qu’on a été trèsrapide pour s’installer, très ra-pide pour tisser des collabora-tions et très rapide pour répon-dre à des problèmes que nous ontsoumis certaines entreprises…»

Cette rapidité, dit-il, il ladoit au fait qu’i l trouve auQuébec toutes les compé-tences dont i l peut rêver.«Les gens d’ici sont de très hautcalibre, constate-t-il, ce quime permet de faire les chosestrès rapidement. » Il obser veaussi que « la formation esttrès bonne, puisque les profs ontà cœur la formation des étu-diants — ce qui commence à seperdre dans d’autres pays ».

« Et , disons -nous - le b ienfranchement, en matière d’op-tique photonique, ici à Qué-bec c’est le top au monde !On peut vraiment l’af firmersans hésiter ! »

CollaborateurLe Devoir

Pour Younès Messaddeq, professeur à l’Université Laval et ex-pert en photonique, la recherche universitaire de pointe doitser vir non seulement à « enrichir l’économie d’un pays »,mais également à favoriser l’essor des entreprises tout en sti-mulant la coopération internationale.

UNIVERSITÉ LAVAL

Faire rayonner le savoir-faire québécois en photonique« On doit toujours chercher à contribuer au PIB du pays où on est »

R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4 G 7

Research InfoSource 2013

LA TROISIEMENOUS SOMMES

Et nous faisons avancer la science en français

UNIVERSITE DE RECHERCHE

BERTRAND LANGLOIS AGENCE FRANCE-PRESSE

L’équipe de Younès Massaddeq met au point des types de fibres optiques faites de verres auxpropriétés spécifiques.

Page 8: UNIVERSITES - Le Devoir · constate Ching Suen. Originaire de la Chine et im-migré à Vancouver en 1968 en vue d’obtenir son doctorat, le professeur Suen se passionne pour la reconnaissance

R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 2 E T D I M A N C H E 2 3 F É V R I E R 2 0 1 4G 8

UNIVERSITÉ MCGILL

Une première réalisation naît de l’entente avec l’Université des postes et des télécommunications de Pékin

A S S I A K E T T A N I

Devant la nécessité crois-sante de gagner en effica-

cité à mesure que le systèmede soins de santé s’engorge, ils’agit d’utiliser les technologiesde l’information afin d’amélio-rer la qualité des soins et de ré-duire les coûts, pour que lesservices hospitaliers soient plusperformants et plus efficaces.

Dans les deux pays, le sys-tème de soins de santé est unenjeu de taille. Au Québec, ilest « au bord de la rupture »,alors que la Chine est confron-tée au « problème majeur » duvieillissement de sa population.Et, «avec le boom de développe-ment de ces 10 dernières années,le système de soins de santé a dumal à suivre», avance FabriceLabeau, professeur au Départe-ment de génie électrique et in-formatique et directeur adjointdu Centre pour les systèmes ettechnologies avancées en com-munications (SYATCom).

Avec les chercheurs del’UPTP et notamment le profes-seur Guxia Kang, qui dirige lelaboratoire sur les communica-tions sans fil universelles del’UPTP, il y a maintenant septans que sont élaborés des pro-jets de recherche convergentset liés aux technologies de l’in-formation appliquées au do-maine de la santé, ce qui a poséles bases du partenariat nouvel-lement signé.

Conception conjointeAu cours des années précé-

dentes , l es équ ipes s ino -

québécoises ont notammentconçu et testé des capteursavancés pour la surveillancesans fil des patients, qui peu-vent ser vir dans le cadre desoins donnés à domicile. « Ils’agit par exemple d’appareilsde monitorage à distance, d’ins-truments servant à mesurer satension soi-même de façon auto-matique, avant que les résultatsne soient envoyés à l’hôpital viaun téléphone cellulaire », ex-plique le professeur Labeau.

S’appuyant sur des partena-riats avec des entreprises,comme Bell Canada et ChinaUnicom, les chercheurs ontégalement travaillé sur descapteurs testés à l’hôpitalRoyal Victoria dans les ser-vices d’urgence et de gériatrie,qui étaient utilisés pour locali-ser du matériel médical, des

médecins, des infirmières oudes patients. Ce type d’applica-tion est destiné à faciliter latâche de l’infirmière qui coor-donne le service, par exemple,plutôt que de passer du tempsà chercher un membre du per-sonnel ou l’équipement médi-cal nécessaire. « Il s’agit d’unproblème dont on se préoccupeen milieu hospitalier depuis

plusieurs années, explique Fa-brice Labeau. Le temps passé àchercher certains équipements

d a n s u n s e r v i c e ,comme des pompes àinsuline ou des appa-reils servant à doserles médicaments dansles hôpitaux, repré-sente une per te nonnégligeable. »

Dans le service degériatrie, de tels cap-teurs peuvent servir à

s’assurer qu’un patient atteintd’une déficience neurologiquene se mette pas à errer dans lescouloirs et vienne à sortir del’hôpital. «Un système d’alarmepeut alors se mettre en placelorsque le patient s’approched’une sortie.»

Ce projet de recherche aégalement permis de mieuxcomprendre la gestion efficace

de l’aménagement et de la dis-position du matériel. «Avec larétroaction que nous avons euepour notre projet, nous avonspu savoir comment les infir-mières bougent dans leur salleet comprendre où disposer lematériel pour gagner en ef fica-cité. » D’autres capteurs sans filpeuvent permettre de surveil-ler la tension artérielle, le tauxd’oxygène dans le sang ou lerythme cardiaque sans que lepatient soit constamment« branché ». L’avantage : le pa-tient peut plus facilement êtredéplacé dans une salle d’ur-gence, par exemple, sans avoirà s’embarrasser de fils.

Capteurs moinsénergivores

Pour l’avenir, les deuxéquipes se tournent vers unprojet de recherche commun

visant à raffiner le système decapteurs en milieu hospitalier,s’il devait être déployé àgrande échelle : « Quel seraitl’impact de cette technologie sielle était utilisée de façon mas-sive, en matière de consomma-tion d’énergie, de pollution etde gaz à ef fet de serre ? », s’in-terroge le professeur Labeau.

Le nouveau projet de re-cherche se pencherait ainsi surla question du contrôle de laconsommation d’énergie, afinde repenser ces technologiespour qu’elles soient moinsénergivores. « Une préoccupa-tion majeure en Chine, oùl’énergie est produite par des gé-nératrices pouvant utiliser descombustibles peu écologiques,comme le charbon.» En effet, àl’heure actuelle, «la plupart descalculs et des mesures se font lo-calement par le biais d’un petit

émetteur, comme un téléphone,qui fonctionne par batterie. Ils’agirait donc de déplacer les cal-culs dans de plus gros centres dedonnées, pour aller chercher untraitement plus ef ficace. On ga-gnerait en énergie et on rédui-rait la pollution. » S’appuyantsur des par tenaires commel’ÉTS ou des entreprises de té-lécommunications commeEricsson, le projet s’étaleraitsur trois ans, à condition biensûr qu’il obtienne le finance-ment nécessaire, dont il est tou-jours en attente.

Quant à savoir si ces cap-teurs doivent semer la mé-fiance, dans la mesure où ils’agit d’ondes électromagné-tiques, Fabrice Labeau répondpar la négative. Le chercheur,qui a par ailleurs égalementtravaillé avec Hydro-Québecsur les compteurs intelligentsou encore sur des projets dedéploiement rapide d’infra-structures de télécommunica-tions après une catastrophe na-turelle, insiste sur le fait que« les téléphones cellulaires émet-tent des taux de radiation biensupérieurs à ce que peut repré-senter ce type de capteur».

De plus, en milieu hospita-lier, la vigilance envers tout cequi peut perturber le fonction-nement des appareils a tou-jours été de mise. «Longtemps,on n’a pas eu le droit d’utiliserun téléphone cellulaire, car ildérègle les appareils médicaux.Nous testons les capteurs pourqu’ils soient en très basse puis-sance et pour qu’il n’y ait au-cune possibilité d’inter férenceavec les fréquences utiliséespour la communication avec lesambulances, par exemple. Ons’assure de leur innocuité parrapport aux systèmes médicauxdéployés. Dans le domaine mé-dical, un tel souci est constant.»

CollaboratriceLe Devoir

Le 15 octobre dernier, un protocole d’entente a été signé parl’Université McGill et l’Université des postes et des télécom-munications de Pékin (UPTP), qui figure parmi les universi-tés les plus reconnues au monde dans le secteur des technolo-gies de l’information et des télécommunications. Au cœur dece partenariat, on trouve une expertise commune dans le domaine de la télésanté.

Créé il y a deux ans, le Centre de recherchesur les environnements intelligents (CREI)permet de fédérer les travaux de plusieurschercheurs en informatique du Départementd’informatique de l’Université de Sherbrooke.Il compte présentement 13 membres régu-liers, 11 membres associés et une soixantained’étudiants inscrits aux cycles supérieurs.

P I E R R E V A L L É E

«C ette approche favorise la collaborationentre chercheurs plutôt que le travail en

silo, explique Pierre-Marc Jodoin, directeur duCREI. En mettant nos expertises en commun,nous créons des synergies qui nous apportent denouvelles idées. Au fond, il y a deux sortes d’in-formaticien : celui qui élabore la théorie et celuiqui met en place l’application. Il est importantque les deux puissent se rencontrer et travaillerensemble. »

Le CREI s’intéresse principalement à quatresecteurs informatiques : l’imagerie numérique,l’intelligence artificielle, la modélisation-valida-tion et l’intelligence ambiante. «Dans la modéli-sation-validation, le défi du génie logiciel est deconstruire et de déployer des logiciels sans bogue.Cela est particulièrement crucial lorsqu’il s’agitd’authentification et de protection de la vie pri-vée, par exemple les données personnelles conte-nues dans les dossiers des patients. »

Le Living LabLe CREI possède un laboratoire, le Living

Lab, qu’on pourrait, en simplifiant, appeler unlaboratoire de domotique. Par contre, pas ques-tion ici d’allumer l’éclairage à distance. « Ils’agit d’un appartement intelligent conçu pour lemaintien à domicile de personnes souffrant d’untraumatisme crânien. Les outils informatiquesqu’on y trouve sont là pour aider les résidants. »

Évidemment, il aurait été possible de placerdes caméras pour sur veiller les résidants.« Mais nous avons opté plutôt pour une méthodemoins invasive qui protège davantage la vie pri-vée. L’appartement est équipé de capteurs bi-naires. Par exemple, on peut détecter le mouve-ment d’une personne lorsque les capteurs de-viennent actifs. Le défi consiste à mettre enplace des outils pour bien interpréter les signauxet sur tout leurs séquences. Combien de per-sonnes sont dans l’appartement, où sont-elles etque font-elles ? »

D’autres capteurs sont conçus pour des tâchesprécises. «Comment aider ces personnes à cuisi-ner un repas? Un système de capteurs peut suivrela séquence pour cuisiner le repas et indiquer, par

exemple, qu’on a oublié d’allumer le four.»

Imagerie médicaleLe secteur de l’imagerie médicale a su profiter

des recherches du CREI en imagerie numérique.Pierre-Marc Jodoin et un collègue, Maxime Des-côteaux, ont mis au point le logiciel MICA afin defaciliter le traitement et l’analyse d’images parimagerie magnétique ou par scanneur.

«Il s’agit d’un logiciel modulaire, comme une sé-rie de blocs de Lego, qui permet de créer une solu-tion personnalisée en imagerie médicale. Certainesinformations sont cruciales pour le diagnostic et lesuivi d’une maladie. Par exemple, comment suivrel’évolution d’une tumeur pour voir si elle grossit?La seule façon consiste à analyser les images, maisil y en a beaucoup, d’autant plus qu’elles sont en3D. La méthode utilisée auparavant consistait àfragmenter les images à la main. Mais c’est unetâche fastidieuse qui prend beaucoup de temps. Lelogiciel MICA permet de faire cette fragmentationplus rapidement et plus facilement.»

Le logiciel est présentement en usage auCHUS et on songe à le commercialiser et à le ven-dre à d’autres centres de recherche. Par contre,pour des questions d’homologation auprès, entreautres, de Santé Canada, le logiciel ne peut passervir lors d’un traitement. C’est plutôt un instru-ment de recherche préclinique ou clinique. «Lepatient doit donner son consentement par écrit.»

Vision intelligentePrésentement en année sabbatique, Pierre-

Marc Jodoin, un spécialiste de l’imagerie numé-rique, en profite pour creuser davantage un su-jet qui deviendra sans doute un de ses pro-chains domaines de recherche. Il s’agit de l’uti-lisation de plus en plus répandue de drones.

«Lorsqu’on mentionne le drone, c’est son usagemilitaire qui vient d’abord à l’esprit. Mais on utilisede plus en plus les drones dans des applications ci-viles. On se sert présentement de drones pour faire dela surveillance routière, cartographier des terri-toires, surveiller la santé des forêts. On s’en sert aussidans des missions de recherche et de sauvetage,avant de déployer des effectifs humains au sol. Et cesapplications n’ont pas fini de se multiplier. Par exem-ple, si on porte attention, on peut voir, dans les com-pétitions de ski acrobatique ou de planche à neigequi ont lieu présentement aux Jeux olympiques deSotchi, des drones traverser l’écran, puisqu’ils serventà la captation d’images pour la télédiffusion.»

Sans compter que le coût des drones a consi-dérablement baissé et que leurs formes se sontmultipliées. « Quand on pense à un drone, onvoit tout de suite l’image d’un petit avion. Parcontre, on trouve beaucoup de drones qui fonc-tionnent à la manière d’un hélicoptère, certainséquipés de plusieurs petits rotors. De plus, leurtaille varie grandement. On en trouve présente-

ment de la grosseur d’un paquet de cigarettes.Certains de ces petits drones peuvent travailler enessaim, des dizaines à la fois, et ils sont même in-formés de la présence des autres drones.»

Si on a compris comment fabriquer et faire vo-ler ces engins et qu’on peut aisément les équiperde caméras et d’autres capteurs, un problèmemajeur reste à régler. «Les images et les données

captées par les drones sont transmises ou stockéessur un disque dur interne. Par contre, il n’existepresque pas de logiciels capables d’analyser effica-cement ces données. C’est cet aspect qui m’inté-resse en tant qu’informaticien et que chercheur.»

CollaborateurLe Devoir

UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Le CREI conçoit et réalise des environnements intelligents

SOURCE UNIVERSITÉ MCGILL

Le professeur Fabrice Labeau (à l’extrême droite) et le ministre Jean-François Lisée, à côté de lui,ont ef fectué une visite à l’Université des postes et des télécommunications de Pékin, en 2013.

Il y a maintenant sept ans que sont élaborés des projets derecherche convergents et liés aux technologies de l’informationappliquées au domaine de la santé