Urbain Grandier et Jeanne des Anges [Robert Mandrou]

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  • 8/8/2019 Urbain Grandier et Jeanne des Anges [Robert Mandrou]

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    RELIGIONS (sorcellerie)RELIGIONS (catholicisme)

    Urbain Grandier et Jeanne des Anges

    Robert Mandrou

    Jeanne de Belciel, mre Jeanne des Anges et Urbain Grandier : le plus clbre procs de sorcellerie et de possession du XVIIe sicle franais, qui n'a cess d'inspirer d'abord des polmistes, aujourd'hui romanciers et cinastes et, en retrait, les historiens qui s'acharnent donner un sens chaque dmarche, depuis Legu, mdecin et amateur d'rudition rationaliste la fin du XIXe sicle, jusqu'aujourd'hui le pre Miche ! de Certeau, analyste d'ascse et d'histoire spirituelle,diteur de correspondances mystiques et grand lecteur des plus lourds dossiers.

    Michel de Certeau

    La possession de LoudunJulliard (Archives)

    Celui de Loudun est norme, constitu ds le temps dudrame par les partisans et adversaires de la possession,auteurs de pamphlets, rcits, lettres vengeresses ; et un peuplus tard par des compilateurs bavards, comme Aubinpubliant au dbut du XVIIIe sicle une longue histoire desDiables poitevins. Michel de Certeau a tout lu ; il alonguement pratiqu la correspondance du Pre Surin, leconfesseur jsuite de Jeanne ; il est all Loudun,parcourant la petite ville encore recroqueville au pied deson chteau aux trois-quarts dmoli. et vu sur la secondeporte de l'glise de St-Pierre-du-March, la plaque o estmentionne le passage du " dtestable " Urbain Grandir,inscription recouverte de graffiti polmiques : passionsd'aujourd'hui et d'hier...L'attention porte par Michel de Certeau au drame loudunaisse justifie donc maints titres : certes les Ursulines deLoudun ne prsentent pas le premier cas connu depossession urbaine ; avant elles, au XVIe sicle, NicoleObry, Jeanne Fry et surtout Marthe Brossier avaient faitparler et crire ; rcemment les Ursulines d'Aix la suite deMadeleine de la Palud avaient provoqu le procs etl'excution du prtre marseillais Louis Gaufridy, tragdieprovenale conte par le Dominicain Michaelis, dont Loudunrpte bien des traits : dnonciation d'un prtre, exorcismespublics grand renfort d'exhibitions, procs en bonne et dueforme. Mais Loudun n'est pourtant pas Aix : ville divise entreprotestants et catholiques, Loudun est toujours lieu dedisputes thologiques ardentes, terre de reconqute, o les

    Ursulines ont leur rle jouer, Jeanne des Anges en est lapremire persuade.La ville a t aussi affecte par la peste de 1632, crantcomme l'habitude, cette atmosphre d'inquitude propice toutes amplifications angoissantes ; surtout mre Jeanne desAnges, jeune femme de bonne famille, s'attaque ce cur,Urbain Grandier, qui a refus d'assurer sa direction deconscience, et qui est une des personnalits les plusdiscutes dans la ville : bon prdicateur, lettr qui sait crire,a fait imprimer un loge funbre du pote Scaevole de SteMarthe, mais passe aussi pour s'intresser trop sesparoissiennes, thoricien au demeurant du non-clibat desprtres. Sur quoi s'ajoutent - ce que M. de Certeau n'a garded'omettre - les interventions politiques : Richelieu s'intresse Urbain Grandier et le procs qui est mis en place contre lecur accus d'avoir malfici Jeanne et tout son couventn'appartient pas la juridiction ordinaire ; c'est unecommission judiciaire extraordinaire compose de magistratsappartenant aux siges proches de Loudun, mene de mainferme par Laubardemont, commissaire envoy de Paris,homme de confiance du cardinal, bon connaisseur de

    sorciers pour en avoir jug quelques dizaines en Guyennepeu auparavant.Le Parlement de Paris a t dssaisi ds le dpart, et lesgrands Jours de Poitiers, sa dlgation non permanentedans la rgion, ouvre une session quelques jours aprsl'excution du cur, la fin de l't 1634. Enfin, plusremarquable encore, et contraire la " tradition " aixoise, lethtre des exorcismes publics n'a point cess Loudunavec l'excution d'Urbain Grandier : pendant quatre ans, lesexorcistes ont d poursuivre leur tche, continuant attirerdes foules rgionales, des curieux venus de loin, ruditssceptiques parisiens, beaux esprits et thologiens, anglais ouautres. Jeanne des Anges " tte froide hors des trteaux "fait ainsi carrire de missionnaire sa manire, acqurantune rputation exceptionnelle qui s'exprime par desdplacements de foule extraordinaires lors de son plerinageau tombeau de St Franois de Sales en passant par Tours,

    Paris, Moulins, Nevers, Lyon, Grenoble, Annecy. Dirigependant ces annes difficiles par le pre Surin, la suprieuredes Ursulines entrane son confesseur dans une trangeaventure spirituelle, qui a fort inquit les responsables de laCompagnie de Jsus.De cette longue histoire, Michel de Certeau propose uneinterprtation globale qui fait la plus large part l'analyse dudiscours tenu par les possdes, et surtout par lescommentateurs, catholiques, protestants, et autres le" discours vritable ", comme crivent beaucoup de cespamphltaires, qui veulent rendre compte de l'trange, et leur faon, exorciser le mal exprim dans cette lutte entreJeanne des Anges et Grandier. Celui-ci, coupable ncessairepour que le drame s'achve et que le discours despossdes acquire toute sa cohrence.Par cet itinraire tout cousu de citations pertinentespingles dans cette immense littrature judiciaire,polmique et thologique, M. de Certeau retrouve sa faonl'affirmation de Michelet : Loudun, le Diable triomphe, aucour du XVIIe sicle, et en mme temps consomme sadfaite dans l'inquitude de tous ceux qui portent un savoirmdical ou thologique - branl pal cette prsencesatanique. En son fond, l'interprtation de Michel de Certeauest une prsentation psychanalytique : rien ne le montremieux que les pages consacres au thtre d'exorcismes,cette purgation sociale et spirituelle de toute une socit" pour les acteurs en scne, l'objectif est de contraindre le dmon se manifester comme rebelle vaincu et de contraindre les dmons montrer les merveilles deJsus-Christ. Ce thtre consiste dmasquer les forces quiagissent derrire les apparences humaines, crer desmasques pour dmasquer ".La mise en scne qui rduit 'lis exorcistes et les nonnes

    tenir des rles, est une rvlation tragique pour les assistantscatholiques,' comique pour d'autres, protestants offusqus," libertins " qui crient la fourberie. Cette exploration hardied'un discours toujours polysmique entend apprhender uneculture globale, une socit dans son entier : l'auteur le dit

    (c) Quinzaine Littraire - Certeau Michel de "La possession de Loudun". Un article de Mandrou Robert "Urbain Grandier etJeanne des Anges" Religions (sorcellerie) Religions (catholicisme) Histoire priodes (17e). Revue n120 parue le16-06-1971

  • 8/8/2019 Urbain Grandier et Jeanne des Anges [Robert Mandrou]

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    bien, dans sa prsentation du livre, il entend reconnatre " lagurison d'une socit malade d'elle-mme ".La hardiesse est l, dans l'ambition de tenir en une seuleexplication l'ensemble de ces discours inlassablementbavards, incroyablement contradictoires et homologues enmme temps : l'accumulation de ces rcits, la rfrenceincessante tout un long pass encombr dereprsentations imaginaires (au sens large du terme), lacration sur le champ d'un lgendaire qui porte aussi bienUrbain Grandier que Jeanne des Anges, toute cette" littrature " peut-elle se rduire aux figures de l'altrit, oMichel de Certeau arrte sou propre discours, point d'orguestructuraliste de la dernire page ? La question vaut d'trelaisse ouverte jusqu' la mise en question de nouveauxdossiers.

    Michel de Certeau. La possession de Loudun. Coll." Archives " Julliard d., 350 p.

    (c) Quinzaine Littraire - Certeau Michel de "La possession de Loudun". Un article de Mandrou Robert "Urbain Grandier etJeanne des Anges" Religions (sorcellerie) Religions (catholicisme) Histoire priodes (17e). Revue n120 parue le16-06-1971